Commentaire de saint Thomas d'Aquin du traité des métaphysiques d'Aristote

Traduction par Serge Pronovost, 2016

Traduction complète pour la première fois

Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr juin 2016

 

Prologue de Serge Pronovost, Traducteur 2

PROÈME DE SAINT THOMAS ─ Dans lequel il montre que la science la plus universelle de toutes porte sur les intelligibles les plus universels, et à partir de là il conclut qu’on lui attribue à juste titre trois noms, à savoir ceux de théologie, de métaphysique et de philosophie première. 6

LIVRE I ─ De la nature et de la perfection de cette science divine qu’on appelle sagesse. On rapporte et on réfute les opinions des anciens philosophes sur les causes et les principes des choses. 9

LIVRE II ─ Comment l’homme se rapporte à la considération de la vérité. La connaissance de la vérité appartient en premier lieu à la philosophie première. Il n’est pas permis de procéder à l’infini dans les causes. Sur la manière de considérer la vérité. 156

LIVRE III ─ De la manière de rechercher la vérité et des difficultés qu’il faut résoudre dans cette science sur les genres de causes, les substances, les principes des choses et à quelle science il appartient de résoudre ces difficultés. 187

LIVRE IV ─ Des choses dont la considération appartient à la métaphysique, à savoir l’être, l’un et le multiple, le même et le différent et les premiers principes de la démonstration. 282

LIVRE V ─ Distinction des intentions ou des significations des noms dont toutes les sciences se servent, et des choses signifiées par ces noms. 391

LIVRE VI ─ Du mode de traiter de l’être qui convient à la philosophie première et des sens qui sont habituellement attribués à l’être mais qui n’appartiennent pas à l’étude de cette science. 556

LIVRE VII ─ On traite ici de l’essence des substances sensibles au moyen de raisons logiques et communes. 599

LIVRE VIII ─ Sur mes principes des substances sensibles, à savoir la matière et la forme, ainsi que sur l’union qu’on retrouve entre les deux. 784

LIVRE IX ─ De la puissance et de l’acte et du rapport de l’acte à la puissance. 825

LIVRE X ─ De l’un et de ce qui découle de l’un. 889

LIVRE XI ─ Il prépare la voie à la connaissance des substances séparées en rappelant certaines choses qui ont été traitées tant dans les chapitres précédents que dans le Livre des Physiques et qui sont utiles pour parvenir à la connaissance de telles substances. 974

LIVRE XII ─ De la substance sensible, de la substance immobile et de la bonté universelle. 1077

 

 

Prologue de Serge Pronovost, Traducteur

 

   De moi-même, je n’aurais jamais entrepris de traduire le commentaire de Saint Thomas sur le traité des Métaphysiques d’Aristote : premièrement, c’est là une œuvre immense; deuxièmement, le contenu comporte de nombreuses difficultés. C’est suite aux suggestions insistantes d’Arnaud Dumouch, du Projet Docteur Angélique, que j’ai décidé de me lancer dans cette entreprise. Plus d’un an plus tard de travail à temps plein, je l’en remercie : ce travail m’a permis d’apprécier plus pleinement la richesse de pensée du Philosophe d’une part, l’acuité d’analyse et la pédagogie du saint Docteur d’autre part.

   La seule présentation des principales divisions de l’œuvre constitue déjà en elle-même un défi. J’invite le lecteur à examiner l’introduction de l’éditeur du commentaire latin de Saint Thomas sur les Métaphysiques (Marietti 1964). Sans entrer dans tous les détails, puisqu’il s’agit là d’un résumé, cette introduction rend une image fidèle de l’architecture de l’ouvrage et par conséquent de la finalité à laquelle elle est ordonnée.

    La lecture du commentaire de Saint Thomas sur les Métaphysiques d’Aristote n’est certes pas facile, mais elle est enrichissante sous plusieurs rapports : le lecteur trouvera amplement de quoi nourrir son intelligence, par exemple par l’examen de la doctrine du mot analogue, celui des rapports du nécessaire au contingent, de l’acte à la puissance, de la substance à l’accident, de l’essentiel à l’accidentel, etc. Le lecteur aura aussi l’occasion d’avoir sous les yeux une illustration très éclairante de deux procédés utilisés par Aristote et saint Thomas dans leurs traités : le procédé dialectique d’abord (livre III), puis le raisonnement démonstratif (livre IV).

   L’importance de cette œuvre est considérable. Avant tout, elle rétablit la capacité réelle pour l’homme de connaître la vérité en manifestant la validité de la connaissance sensible et la fermeté absolue du tout premier principe de la démonstration : il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas simultanément au même sujet sous le même rapport. Il est possible de dire mais non de penser que la même chose soit et ne soit pas simultanément. Autrement, cela supposerait que les contraires appartiennent simultanément au même sujet. Si on nie ce principe en effet, tout sera simultanément vrai ou tout sera simultanément faux. Mais si tout énoncé est faux, ce même énoncé doit nécessairement l’être aussi. Par ailleurs, si tout énoncé est également vrai, l’énoncé qui le nie sera lui aussi vrai. Donc ces deux énoncés, qui découlent nécessairement de la négation du principe de contradiction, se détruisant eux-mêmes, manifestent le néant de cette négation elle-même.

   Si Aristote prend la peine de défendre la validité de la connaissance sensible et le caractère nécessaire du tout premier principe de la démonstration, c’est que ces deux pôles de la connaissance humaine étaient contestés à son époque. Ils ne le sont pas moins par la philosophie moderne et contemporaine, au sein même de nos universités où, par crainte de passer pour dogmatique si on affirme un énoncé comme absolu ou nécessaire, on en vient à affirmer que tout est relatif, faisant du relativisme le seul absolu. Comme la pollution universellement répandue sur notre planète, cette pensée unique semble occuper toute la sphère de nos élites intellectuelles et même celle des hommes ordinaires. Le ¨tout est relatif¨ semble avoir été adopté comme la vérité la plus évidente, comme le sommet de la sagesse, parce qu’on aime bien croire au fond, comme Protagoras et bien d’autres, que ¨l’homme est la mesure de toute chose¨.

   C’est pourquoi Aristote, voyant l’étendue de la maladie, s’applique méthodiquement à manifester l’inanité de cette sagesse apparente (livre IV, leçon 12, n. 680.) : ¨Ce qui résulte de ces doctrines est la pire des conséquences. Car si ceux qui auront le plus contemplé la vérité dans la mesure où cela est possible à l’homme, c’est-à-dire les philosophes que nous venons d’examiner, et qui sont aussi ceux qui ont le plus recherché et aimé la vérité, en sont arrivés à proférer de telles opinions et de tels énoncés sur la vérité, comment ne serait-il pas juste que ces philosophes s’affligent de ce que leurs méditations soient vaines si la vérité ne peut être découverte? ¨ Une autre version nous dit : ¨Comment n’est-il pas juste d’abandonner et de repousser ceux qui entreprennent de philosopher.¨ C’est-à-dire, comment ne serait-il pas juste que l’homme ne s’attache pas à ceux qui veulent s’adonner à la philosophie et qu’il finisse plutôt par les mépriser. Car si l’homme ne peut rien savoir de vrai sur la vérité, rechercher la vérité se ramène à rechercher ce qui est inaccessible à l’homme, tout comme celui qui poursuit les oiseaux qui fuient à son approche. Ces derniers s’éloignent d’autant plus de lui qu’il les poursuit davantage.¨

            Il faut qu’il y ait du nécessaire dans la connaissance et au premier titre dans les premiers principes de la démonstration, autrement il faudrait remonter à l’infini dans les principes pour prouver une conclusion; ainsi, jamais une conclusion ne pourrait trouver une assise inébranlable. Et s’il y a du premier et du nécessaire dans la connaissance, c’est parce qu’il y a du nécessaire et du premier dans l’être. Rien d’étonnant à cela puisque notre intelligence est elle-même une forme d’être. Et la métaphysique est la recherche des tout premiers principes de l’être en tant qu’être et non de l’être en tant que mobile ou en tant que possédant une quantité.

            L’être mobile est un composé de puissance et d’acte, de matière et de forme. Mais aucun être naturel n’est un être parfaitement autonome. Au départ, il existe en puissance et il ne peut arriver à exister en acte que par l’intervention d’un agent qui existe déjà en acte. Le bois ne devient pas statue de lui-même, ni la semence un animal. L’antériorité actuelle de l’artiste et de l’animal adulte est nécessaire. Mais on ne peut remonter à l’infini dans les causes et les principes de l’être comme on ne peut le faire pour les principes de la démonstration. Le devenir est un chemin vers l’être : il doit lui-même avoir un principe premier qui ne tire pas son origine du devenir. Si tout principe du devenir était lui-même un composé de puissance et d’acte, il devrait être causé par un autre tel principe et aucun ne pourrait être premier car il serait dépendant d’un autre pour être conduit à l’existence, et cela à l’infini.

            Il faut donc que le tout premier principe d’être soit l’Être lui-même, c’est-à-dire Celui qui est Acte pur, qui n’a en Lui aucune puissance; autrement, il aurait besoin d’un autre pour exister ou pour ne pas exister et ainsi il ne serait plus premier. Non! Il est l’Être lui-même, Celui qui ne peut pas ne pas exister. Il est Celui qui ne dépend d’aucun autre et dont tous les autres dépendent pour exister. Il est l’Être nécessaire, nous sommes des êtres contingents. Son existence n’est donc pas assujettie au devenir, puisque le devenir est un passage d’une puissance à un acte, le mode d’être de la contingence. Et il n’est pas matériel, puisque toute matière est en puissance à un changement, à un devenir.

            Mais pour tout être, l’acte est une perfection et le devenir est un acheminement vers cette perfection. En ce sens, le devenir n’a pas d’autre finalité que la réalisation d’un acte pour lequel le sujet est encore en puissance. Mais le principe premier de tout être n’a pas besoin d’un devenir : il est Acte pur de toute éternité car s’il avait un commencement, il aurait encore une fois besoin d’une cause pour le faire passer de la puissance à l’acte et ne serait pas premier. Cet Acte pur est la perfection de l’être et forcément celui dont l’être même est son opération, celle de cet Esprit qui est la Première Intelligence qui, se saisissant Elle-même, saisit tout le reste car tout le reste vient d’Elle : autrement il serait en puissance à cette opération. Il est l’accomplissement même de l’être dans sa plénitude. Il ne manque rien à sa perfection, il n’y a rien qu’il puisse désirer car le désir est le signe d’un manque, d’une puissance.

            Or, nous voyons bien que pour nous qui sommes perfectibles et non perfection, l’atteinte de la moindre perfection est cause de plaisir; l’atteinte d’une grande perfection est cause de joie. Or l’Acte pur est la perfection à laquelle il ne manque rien de toute éternité. Cet Acte, qu’on appelle Dieu, est donc le Bien dans sa totalité et la jouissance de ce Bien dans sa totalité. Dieu est Joie! Donc, aucune petitesse, aucune mesquinerie, aucune faiblesse dans cet Acte pur, car toute faiblesse est le signe certain d’une puissance. Voir Dieu comme étant mesquin, tyrannique, despotique et vengeur, c’est le voir à notre image, non pas selon le mode de la raison, mais selon celui de l’imagination, c’est-à-dire selon les limites de notre fragilité, de notre contingence.

            Dieu est le premier Moteur, celui qui meut tout sans être mû Lui-même. Il meut comme le premier Intelligible, dans la mesure où une autre intelligence peut le saisir, et comme ce qui est désirable par-dessus tout, car il est le Bien ultime, par ce qui est doté de volonté. Il meut en quelque sorte à la manière dont nous sommes mus par la fin qui nous attire à elle. Dieu est le Bien absolu qui attire tout à Lui. Tout vient de Lui, tout est fait pour Lui. Il est l’Être; nous avons de l’être et l’être que nous avons, nous le tenons de Lui. Tout notre être n’a donc de sens que pour Lui. Il est le Bien dans sa plénitude et ce n’est qu’en Lui que nous pouvons trouver notre bonheur. À ce titre, notons deux choses qui font intimement partie de notre expérience interne commune. D’une part nous cherchons tous le bonheur avec inquiétude, toujours à l’affût du bien qui pourrait nous combler : personnes, activités, biens matériels. D’autre part nous constatons tous que rien de cela ne peut nous remplir tout à fait. Bien plus, la plupart des choses finissent par nous apparaître dans toute leur finitude, pour ne pas dire futilité dans certains cas. Il reste toujours un vide immense, un manque, une souffrance de vivre que rien de fini ne peut guérir. L’éphémère et le fini, pourrait-on même le varier et le multiplier à l’infini, sont impuissants à nous donner la Joie.

            À ce titre notre civilisation du divertissement, de ¨l’entertaining¨ est révélatrice du vide de l’humanité contemporaine. Il faut que les médias, toujours, aient un nouvel objet à nous présenter pour nous sortir de l’ennui, signe du vide. Ce phénomène montre bien que nous avons besoin d’un aliment plus substantiel : cette faim que nous éprouvons plus ou moins nettement, c’est une faim d’Absolu, cet Absolu dont nous sommes distraits par des ¨bébelles¨ dont nous nous lassons si rapidement et qui nous laissent toujours plus déçus. Cette déception à l’égard de l’éphémère nous rappelle que nous sommes faits par Dieu et pour Lui et qu’à travers les biens apparents et les biens partiels, c’est Lui au fond que nous recherchons car ce que nous désirons vraiment, c’est être parfaitement heureux, toujours.

            Mais une image peut être utile sous certains rapports déterminés. Ainsi, le rapport du nécessaire au contingent est un peu comme celui de la montagne à la forêt qui pousse dessus, ou comme celui du soleil aux vivants qui s’en nourrissent. La montagne et le soleil peuvent exister sans le reste, mais le reste ne peut exister sans eux. Ils sont antérieurs, ils sont premiers par rapport au reste. Au contraire, le bien du reste dépend d’eux. Les vivants ne peuvent atteindre leur maturité et leur perfection sans le soleil et la forêt ne peut atteindre sa maturité sans s’appuyer sur la stabilité de la montagne sur laquelle elle étend ses racines pour pouvoir s’élever.

            L’existence même du relatif suppose celle de l’absolu, comme celle du contingent suppose celle du nécessaire. Le ¨tout est relatif¨ est un non-sens puisque le relatif, coupé de l’absolu et laissé à lui-même, est voué au néant. En voulant nier l’absolu, on cherche à présenter le relatif comme le seul absolu. Platon dirait, à sa façon, que nous prenons l’ombre pour la réalité. C’est que nous cherchons, tout comme Protagoras, à nous faire Dieu puisque nous nous posons comme ¨la mesure de toute chose¨.

            À la toute fin des Métaphysiques, au livre XII, Saint Thomas, commentant Aristote, explique au moyen de l’exemple de l’armée qu’il y a deux sortes de biens dans les choses. Il y a d’abord un bien intérieur : celui de l’ordre de l’armée par lequel chacune de ses parties est ainsi disposée par rapport aux autres suivant la forme de l’armée conçue par son chef. Mais il y a un bien extérieur à l’armée elle-même et qui réside dans son chef qui lui a fait acquérir cette forme en vue de parvenir à la victoire. La forme de l’armée est un bien qui est ordonné à un bien supérieur : la victoire.

            Il en est ainsi pour toute chose produite par l’art : l’ordre que je constate dans cette poterie, dû à sa forme, est un bien puisque c’est la fin de son travail de fabrication. Mais cette forme est elle-même destinée à un usage. Et c’est même cet usage qui est premier dans l’intention de l’artiste et qui commande la forme qui, prise en elle-même, n’est qu’un moyen qui conduit à la fin ultime. La poterie n’existe pas pour elle-même : elle est relative à un usage, à un besoin, tout comme l’armée n’existe pas pour elle-même mais pour assurer la victoire, pour maintenir la paix ou pour assurer la défense du pays. La poterie, tout comme l’armée, existe en vue de celui qui lui a donné sa forme. L’armée existe pour la gloire du chef dont elle participe. De même la poterie existe pour la vie de l’artiste dont elle participe en quelque sorte. Toute chose trouve son accomplissement et sa joie dans l’opération pour laquelle elle est faite. Si la poterie était vivante, elle serait heureuse de servir la fin pour laquelle elle a été créée.

            Il en est de même pour les choses naturelles. À partir d’une semence, la nature vise à produire une forme animale, un insecte comme l’abeille par exemple. Cette forme est la fin de ce devenir qu’est la génération, mais cette forme elle-même, qui est un bien, est ordonnée à une finalité : la nature en effet a donné cette forme à l’abeille pour qu’elle remplisse une mission spécifique dans la nature qui sert à l’harmonie globale de la terre et de l’univers. L’univers dans son ensemble est un tout ordonné et merveilleux dans sa beauté. Tout comme une œuvre d’art, il peut être examiné soit quant à l’ordre et à la forme qu’il possède en lui-même et qui est un bien. Ce bien suffit déjà à produire en nous une joie. Mais il peut aussi être regardé comme le signe d’une intention, tout comme la forme du couteau est le signe de l’intention de celui qui l’a fait : couper; comme l’armée est le signe de l’intention pour laquelle elle a été créée : la victoire, la paix ou l’ordre dans la cité.

            Vue de cette manière, la connaissance de l’œuvre conduit nécessairement à la connaissance de l’artiste, celle du physique à celle du ¨métaphysique¨ ou de l’artiste divin. La connaissance de l’œuvre artificielle, une coupe ou une automobile, nous dit l’intention de celui qui les a faites. De même, l’examen de l’Univers doit nous dire l’intention de l’artiste divin. Or, le moindre regard sur la nature nous manifeste une harmonie universelle, une beauté qui  en elle-même nous dépasse et tient du sublime parce qu’elle vient de cet Être premier, de cette Intelligence première qui est Beauté et Sublime. Cette harmonie de l’univers est un bien en elle-même et l’admiration qu’elle suscite en nous est le chemin qui conduit au Bien en soi. Le bien de l’univers est l’expression de la Bienveillance. Puisque ce bien est aimable, comment la Bienveillance elle-même ne le serait-elle pas davantage?

            Le bien de l’univers n’est pas la Bienveillance; elle n’en est même pas une production univoque à la manière d’une génération comme le cheval engendre un cheval. L’univers a été produit par la Bienveillance : non à la manière d’un engendrement, mais à la manière d’une création, comme l’artiste crée la statue : la statue n’est pas de même nature que l’artiste, mais elle est à sa ressemblance en quelque sorte; néanmoins la statue n’est pas une production purement équivoque, sans rapport à l’artiste : elle lui ressemble en ceci qu’elle correspond à son intention : en ce sens la statue est comme un analogue de l’artiste. Il en est de même pour l’univers : il est une création de Dieu, un analogue qui est l’expression de son intention, de sa volonté. Tout comme le musicien, en créant sa symphonie, veut transmettre et communiquer un sentiment, de même Dieu, en créant l’univers, veut communiquer son intention : inviter, appeler l’univers et chacun des êtres qui le constitue à participer, dans la mesure de sa nature propre, à participer à sa Bienveillance, à sa Joie.

            Cet appel s’adresse d’une manière particulière à l’être humain. Ce dernier y répond déjà d’une manière limitée et à de brefs et trop rares moments lorsque, se retirant des préoccupations pratiques de son existence, il s’abandonne à cette paix qu’il éprouve à contempler l’ordre et la beauté de la nature. Ces brefs instants de bonheur sont déjà un début de louange au Créateur, comme un appel à une Joie parfaite et durable, la Joie de contempler la Beauté elle-même qui est la Source de la beauté de l’univers. Il est naturel à la raison de chercher à comprendre, de rechercher les causes, et elle ne peut être pleinement satisfaite si elle ne parvient pas à la Cause première, à l’Être en tant qu’être qui est le principe de tous les autres êtres.

   L’être humain, libre, se trouve donc devant un choix : soit Dieu existe, soit il n’existe pas. À mon avis, si la volonté se laisse quelque peu éclairer par la raison, devant l’évidence de l’ordre sublime de l’Univers, il faut nécessairement conclure que Dieu existe. Néanmoins, la volonté peut refuser cet éclairage et ne pas emprunter le sentier de la nature qui conduit à Dieu. La volonté humaine peut chercher à apposer sur sa tête le diadème de Dieu et à crier que si Dieu existait, ce ne serait plus l’homme qui serait Dieu. Plutôt que de participer de la Bonté de Dieu, l’homme veut se faire Dieu. La fable de Lafontaine illustre bien ce démon qui habite le cœur de l’être humain : la grenouille, voulant se faire aussi grosse que le bœuf, éclate.

   L’histoire moderne et contemporaine de notre monde illustre encore davantage l’éclatement d’une humanité qui se prend pour Dieu et présentement les signes se multiplient qui suscitent comme une désespérance croissante d’un bonheur futur pour une humanité qui ne se laisse gouverner que par la tyrannie de ses fantaisies, toujours plus asservie à la cohorte des esclavages qu’elle s’est créés au nom de la liberté. L’humanité peine à s’incliner devant le seul vrai Dieu, devant la Bonté et la Source de toute vie, mais elle s’agenouille et se couche aisément devant l’arbitraire, pour ne pas dire l’aberration de ses appétits toujours plus dévorants et destructeurs.

 

Serge Pronovost,

À Neuville au Québec,

Ce 29 Juin 2016.

               

               

               

 

 

 

 

 

PROOEMIUM

Textum Taurini 1950 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

PROÈME DE SAINT THOMAS ─ Dans lequel il montre que la science la plus universelle de toutes porte sur les intelligibles les plus universels, et à partir de là il conclut qu’on lui attribue à juste titre trois noms, à savoir ceux de théologie, de métaphysique et de philosophie première.

 [81566] Sententia Metaphysicae, pr.Sicut docet philosophus in politicis suis, quando aliqua plura ordinantur ad unum, oportet unum eorum esse regulans, sive regens, et alia regulata, sive recta. Quod quidem patet in unione animae et corporis; nam anima naturaliter imperat, et corpus obedit. Similiter etiam inter animae vires: irascibilis enim et concupiscibilis naturali ordine per rationem reguntur. Omnes autem scientiae et artes ordinantur in unum, scilicet ad hominis perfectionem, quae est eius beatitudo. Unde necesse est, quod una earum sit aliarum omnium rectrix, quae nomen sapientiae recte vindicat. Nam sapientis est alios ordinare. Quae autem sit haec scientia, et circa qualia, considerari potest, si diligenter respiciatur quomodo est aliquis idoneus ad regendum. Sicut enim, ut in libro praedicto philosophus dicit, homines intellectu vigentes, naturaliter aliorum rectores et domini sunt: homines vero qui sunt robusti corpore, intellectu vero deficientes, sunt naturaliter servi: ita scientia debet esse naturaliter aliarum regulatrix, quae maxime intellectualis est. Haec autem est, quae circa maxime intelligibilia versatur. Maxime autem intelligibilia tripliciter accipere possumus. Primo quidem ex ordine intelligendi. Nam ex quibus intellectus certitudinem accipit, videntur esse intelligibilia magis. Unde, cum certitudo scientiae per intellectum acquiratur ex causis, causarum cognitio maxime intellectualis esse videtur. Unde et illa scientia, quae primas causas considerat, videtur esse maxime aliarum regulatrix. Secundo ex comparatione intellectus ad sensum. Nam, cum sensus sit cognitio particularium, intellectus per hoc ab ipso differre videtur, quod universalia comprehendit. Unde et illa scientia maxime est intellectualis, quae circa principia maxime universalia versatur. Quae quidem sunt ens, et ea quae consequuntur ens, ut unum et multa, potentia et actus. Huiusmodi autem non debent omnino indeterminata remanere, cum sine his completa cognitio de his, quae sunt propria alicui generi vel speciei, haberi non possit. Nec iterum in una aliqua particulari scientia tractari debent: quia cum his unumquodque genus entium ad sui cognitionem indigeat, pari ratione in qualibet particulari scientia tractarentur. Unde restat quod in una communi scientia huiusmodi tractentur; quae cum maxime intellectualis sit, est aliarum regulatrix. Tertio ex ipsa cognitione intellectus. Nam cum unaquaeque res ex hoc ipso vim intellectivam habeat, quod est a materia immunis, oportet illa esse maxime intelligibilia, quae sunt maxime a materia separata. Intelligibile enim et intellectum oportet proportionata esse, et unius generis, cum intellectus et intelligibile in actu sint unum. Ea vero sunt maxime a materia separata, quae non tantum a signata materia abstrahunt, sicut formae naturales in universali acceptae, de quibus tractat scientia naturalis, sed omnino a materia sensibili. Et non solum secundum rationem, sicut mathematica, sed etiam secundum esse, sicut Deus et intelligentiae. Unde scientia, quae de istis rebus considerat, maxime videtur esse intellectualis, et aliarum princeps sive domina. Haec autem triplex consideratio, non diversis, sed uni scientiae attribui debet. Nam praedictae substantiae separatae sunt universales et primae causae essendi. Eiusdem autem scientiae est considerare causas proprias alicuius generis et genus ipsum: sicut naturalis considerat principia corporis naturalis. Unde oportet quod ad eamdem scientiam pertineat considerare substantias separatas, et ens commune, quod est genus, cuius sunt praedictae substantiae communes et universales causae. Ex quo apparet, quod quamvis ista scientia praedicta tria consideret, non tamen considerat quodlibet eorum ut subiectum, sed ipsum solum ens commune. Hoc enim est subiectum in scientia, cuius causas et passiones quaerimus, non autem ipsae causae alicuius generis quaesiti. Nam cognitio causarum alicuius generis, est finis ad quem consideratio scientiae pertingit. Quamvis autem subiectum huius scientiae sit ens commune, dicitur tamen tota de his quae sunt separata a materia secundum esse et rationem. Quia secundum esse et rationem separari dicuntur, non solum illa quae nunquam in materia esse possunt, sicut Deus et intellectuales substantiae, sed etiam illa quae possunt sine materia esse, sicut ens commune. Hoc tamen non contingeret, si a materia secundum esse dependerent. Secundum igitur tria praedicta, ex quibus perfectio huius scientiae attenditur, sortitur tria nomina. Dicitur enim scientia divina sive theologia, inquantum praedictas substantias considerat. Metaphysica, inquantum considerat ens et ea quae consequuntur ipsum. Haec enim transphysica inveniuntur in via resolutionis, sicut magis communia post minus communia. Dicitur autem prima philosophia, inquantum primas rerum causas considerat. Sic igitur patet quid sit subiectum huius scientiae, et qualiter se habeat ad alias scientias, et quo nomine nominetur

            Ainsi que l’enseigne le Philosophe dans ses Politiques, quand plusieurs choses sont ordonnées à une même fin, il faut que l’une d’elles tienne le rôle de mesure et de direction et que les autres soient mesurées et dirigées par elle. Et c’est ce qui apparaît clairement dans l’union de l’âme et du corps; car c’est l’âme qui commande par nature alors que le corps obéit. Il en est aussi de même pour les puissances de l’âme : en effet, conformément à un ordre qui est naturel, l’irascible et le concupiscible sont réglés par la raison. Mais toutes les sciences et tous les arts sont ordonnés à une même fin, à savoir à la perfection de l’homme qui est son bonheur. Il suit de là qu’il est nécessaire que l’une d’elle soit comme la mesure de toutes les autres, laquelle revendique à bon droit le nom de sagesse. Car il appartient au sage de diriger les autres.

            Mais il est possible de considérer quelle est cette science et sur quel objet elle porte si on examine avec soin de quelle manière quelqu’un est apte à commander. En effet, ainsi que le dit le Philosophe dans le livre cité précédemment, tout comme les hommes qui sont remarquables par leur intelligence sont naturellement les guides et les chefs des autres, alors que ceux qui sont robustes physiquement et plutôt faibles d’esprit sont naturellement ceux qui obéissent, de même, la science qui doit être par nature la mesure de toutes les autres est celle qui est la plus élevée sous le rapport de l’intelligence. Mais cette science est celle qui se rapporte à ce qu’il y a de plus intelligible.

            Cependant, le plus intelligible peut s’entendre de trois manières.

            En premier lieu il peut certes s’entendre à partir de l’ordre de l’intellection. Car cela même à partir de quoi l’intelligence acquiert la certitude semble être plus intelligible. Par conséquent, puisque la certitude est acquise par l’intelligence à partir des causes, la connaissance des causes apparaît être la plus intellectuelle. De là, cette science qui examine les causes premières est manifestement celle qui est digne de commander les autres.

            En deuxième lieu, il peut s’entendre à partir de la comparaison de l’intelligence au sens. Car comme le sens est apte à connaître le particulier, l’intelligence diffère de lui en ceci qu’elle est capable de saisir l’universel. C’est pourquoi c’est la science qui porte sur les principes les plus universels qui est la science la plus intellectuelle. Et ces principes sont certes l’être et les principes qui en découlent comme l’un et le multiple, la puissance et l’acte. Mais de tels principes ne doivent pas demeurer totalement dans l’inconnu car sans eux une connaissance achevée des principes qui sont propres à un genre ou à une espèce ne peut être acquise. Et de plus on ne doit pas traiter de ces principes dans une science particulière : car puisque tous les genres d’êtres ont besoin d’eux pour être connus, pour la même raison on en ferait l’examen dans n’importe quelle science particulière. Il s’ensuit donc que de tels principes doivent être examinés dans une science commune ou universelle qui, parce qu’elle est la plus intellectuelle, est la mesure des autres.

            En troisième lieu, on peut l’entendre à partir de la connaissance même de l’intelligence. Car lorsqu’une chose, du fait même qu’elle est dégagée de la matière, possède une puissance intellectuelle, il faut bien que ce soient les réalités les plus séparées de la matière qui soient les plus intelligibles. En effet, il faut que l’intelligible et l’intelligence soient proportionnés et appartiennent au même genre puisque l’intelligence et l’intelligible en acte ne font qu’un. Mais les réalités qui sont les plus séparées de la matière sont celles qui ne sont pas seulement tirées d’une matière particulière, ¨comme le sont les formes naturelles considérées universellement et qui font l’objet de l’examen de la science de la nature¨, mais celles qui existent indépendamment de toute matière sensible. Et cela non seulement selon la raison, comme les entités mathématiques, mais aussi selon l’être, comme Dieu et les intelligences. Il suit de là que la science qui examine ces sortes de réalités est manifestement la plus intellectuelle et qu’elle est la règle et la mesure des autres.

            Mais ce triple examen ne doit pas être attribué à plusieurs mais à une seule et même science. Car les substances séparées dont on vient de parler sont universelles et elles représentent les causes premières de tout ce qui doit exister. Mais c’est à une même science qu’il appartient d’examiner les causes propres d’un genre déterminé ainsi que ce genre lui-même, tout comme il appartient au philosophe de la nature d’examiner les principes du corps naturel. Il faut donc qu’il appartienne à la même science d’examiner les substances séparées ainsi que l’être entendu universellement, lequel est le genre, dont ces substances sont les causes universelles.

            Il devient évident à partir de là que bien que cette science porte sa considération sur ces trois points, ce n’est pas n’importe lequel de ces points qu’elle examine en tant que sujet, mais seulement l’être commun lui-même. En effet, le sujet d’une science est ce dont on recherche les causes et les propriétés et non pas les causes mêmes du genre dont il est question. Car dans un genre donné, la connaissance des causes est comme la finalité à laquelle tend la recherche correspondant au genre propre à cette science. Mais bien que le sujet de cette science soit l’être entendu universellement, cette dernière porte cependant dans sa totalité sur ce qui est séparé de la matière à la fois selon l’être et selon la raison. Car on dit que sont séparées de la matière selon l’être et selon la raison non seulement ces réalités qui ne peuvent jamais exister dans la matière, comme Dieu et les substances intellectuelles, mais aussi celles qui peuvent exister sans la matière comme l’être commun, c’est-à-dire l’être entendu universellement, ce qui ne pourrait cependant se produire si elles dépendaient de la matière quant à leur existence même.

            Donc, conformément aux trois points précédents à partir desquels la perfection de cette science est recherchée, on obtient trois noms. On l’appelle en effet science divine ou théologie pour cette raison qu’elle examine les substances séparées. On l’appelle métaphysique, pour cette raison qu’elle examine l’être et les notions qui en découlent. Ces notions, qui vont au-delà du monde physique, se découvrent par voie de résolution, comme les notions les plus universelles qui sont connues après les moins universelles. Mais on l’appelle philosophie première pour cette raison qu’elle examine les causes premières des choses. On peut donc voir quel est le sujet de cette science, son rapport aux autres sciences ainsi que les noms qui lui sont attribués.

 

 

LIBER 1

 

LIVRE I ─ De la nature et de la perfection de cette science divine qu’on appelle sagesse. On rapporte et on réfute les opinions des anciens philosophes sur les causes et les principes des choses.

 

 

LECTIO 1

[81567] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 1Huic autem scientiae Aristoteles prooemium praemittit, in quo duo tradit. Primo quidem ostendit circa quid haec scientia versetur. Secundo qualis sit ista scientia, ibi, quia vero non activa. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod huius scientiae, quae sapientia dicitur, est considerare causas. Secundo quales vel quas causas considerat, ibi, quoniam autem scientiam hanc. Circa primum praemittit quaedam ex quibus ad propositum arguit. Secundo ex praedictis rationem sumit, ibi, cuius autem gratia nunc. Circa primum duo facit. Primo ostendit in communi scientiae dignitatem. Secundo, ostendit cognitionis ordinem, ibi, animalia quidem igitur et cetera. Scientiae autem dignitatem ostendit per hoc quod naturaliter desideratur ab omnibus tamquam finis. Unde circa hoc duo facit. Primo proponit intentum. Secundo probat, ibi, signum autem. Proponit igitur primo, quod omnibus hominibus naturaliter desiderium inest ad sciendum.

[81568] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 2Cuius ratio potest esse triplex: primo quidem, quia unaquaeque res naturaliter appetit perfectionem sui. Unde et materia dicitur appetere formam, sicut imperfectum appetit suam perfectionem. Cum igitur intellectus, a quo homo est id quod est, in se consideratus sit in potentia omnia, nec in actum eorum reducatur nisi per scientiam, quia nihil est eorum quae sunt, ante intelligere, ut dicitur in tertio de anima: sic naturaliter unusquisque desiderat scientiam sicut materia formam.

[81569] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 3Secundo, quia quaelibet res naturalem inclinationem habet ad suam propriam operationem: sicut calidum ad calefaciendum, et grave ut deorsum moveatur. Propria autem operatio hominis inquantum homo, est intelligere. Per hoc enim ab omnibus aliis differt. Unde naturaliter desiderium hominis inclinatur ad intelligendum, et per consequens ad sciendum.

[81570] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 4Tertio, quia unicuique rei desiderabile est, ut suo principio coniungatur; in hoc enim uniuscuiusque perfectio consistit. Unde et motus circularis est perfectissimus, ut probatur octavo physicorum, quia finem coniungit principio. Substantiis autem separatis, quae sunt principia intellectus humani, et ad quae intellectus humanus se habet ut imperfectum ad perfectum, non coniungitur homo nisi per intellectum: unde et in hoc ultima hominis felicitas consistit. Et ideo naturaliter homo desiderat scientiam. Nec obstat si aliqui homines scientiae huic studium non impendant; cum frequenter qui finem aliquem desiderant, a prosecutione finis ex aliqua causa retrahantur, vel propter difficultatem perveniendi, vel propter alias occupationes. Sic etiam licet omnes homines scientiam desiderent, non tamen omnes scientiae studium impendunt, quia ab aliis detinentur, vel a voluptatibus, vel a necessitatibus vitae praesentis, vel etiam propter pigritiam vitant laborem addiscendi. Hoc autem proponit Aristoteles ut ostendat, quod quaerere scientiam non propter aliud utilem, qualis est haec scientia, non est vanum, cum naturale desiderium vanum esse non possit.

[81571] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 5Deinde ostendit quod proposuerat, per signum: quia cum sensus ad duo nobis deserviant; scilicet ad cognitionem rerum, et ad utilitatem vitae; diliguntur a nobis propter seipsos, inquantum cognoscitivi sunt, et etiam propter hoc, quod utilitatem ad vitam conferunt. Et hoc patet ex hoc, quod ille sensus maxime ab omnibus diligitur, qui magis cognoscitivus est, qui est visus, quem diligimus non solum ad agendum aliquid, sed etiam si nihil agere deberemus. Cuius causa est, quia iste sensus, scilicet visus, inter omnes magis facit nos cognoscere, et plures differentias rerum nobis demonstrat.

[81572] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 6In quo manifestum est quod duas praeeminentias visus in cognoscendo ad alios sensus ponit. Unam quidem quia perfectius cognoscit. Quod quidem visui accidit, eo quod spiritualior est inter omnes sensus. Quanto enim aliqua vis cognoscitiva est immaterialior, tanto est perfectior in cognoscendo. Quod autem visus sit immaterialior, patet si consideretur eius immutatio, qua ab obiecto immutatur. Nam, cum omnia alia sensibilia immutent organum et medium sensus secundum aliquam materialem immutationem, sicut tactus obiectum calefaciendo et infrigidando, obiectum vero gustus, afficiendo sapore aliquo organum gustus mediante saliva, obiectum autem auditus per motum corporalem, obiectum autem odoratus per fumalem evaporationem, solum obiectum visus non immutat nec organum nec medium nisi spirituali immutatione. Non enim pupilla nec aer coloratur, sed solum speciem coloris recipiunt secundum esse spirituale. Quia igitur sensus in actu consistit in actuali immutatione sensus ab obiecto, manifestum est illum sensum spiritualiorem esse in sua operatione, qui immaterialius et spiritualius immutatur. Et ideo visus certius et perfectius iudicat de sensibilibus inter alios sensus.

[81573] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 7Aliam autem praeeminentiam ponit, quia nobis plura demonstrat. Quod quidem accidit ex ratione sui obiecti. Tactus enim et gustus, et similiter odoratus et auditus sunt cognoscitivi illorum accidentium, in quibus distinguuntur inferiora corpora a superioribus. Visus autem est cognoscitivus illorum accidentium, in quibus communicant inferiora corpora cum superioribus. Nam visibile actu est aliquid per lucem, in qua communicant inferiora corpora cum superioribus, ut dicitur secundo de anima; et ideo corpora caelestia solo visu sunt sensibilia.

[81574] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 8Est autem alia ratio, quia visus plures differentias rerum demonstrat; quia sensibilia corpora praecipue per visum et tactum cognoscere videmur, et adhuc magis per visum. Cuius ratio ex hoc sumi potest: quod alii tres sensus sunt cognoscitivi eorum quae a corpore sensibili quodammodo effluunt, et non in ipso consistunt: sicut sonus est a corpore sensibili, ut ab eo fluens et non in eo manens: et similiter fumalis evaporatio cum qua et ex qua odor diffunditur. Visus autem et tactus percipiunt illa accidentia quae rebus ipsis immanent, sicut color et calidum et frigidum. Unde iudicium tactus et visus extenditur ad res ipsas, iudicium autem auditus et odoratus ad ea quae a rebus ipsis procedunt, non ad res ipsas. Et inde est quod figura et magnitudo et huiusmodi, quibus ipsa res sensibilis disponitur, magis percipitur visu et tactu, quam aliis sensibus. Et adhuc amplius magis visu quam tactu, tum propter hoc quod visus habet maiorem efficaciam ad cognoscendum, ut dictum est, tum propter hoc, quod quantitas et ea quae ad ipsam sequuntur, quae videntur esse sensibilia communia, proximius se habent ad obiectum visus quam ad obiectum tactus. Quod ex hoc patet, quod obiectum visus omne corpus habens aliquam quantitatem aliquo modo consequitur, non autem obiectum tactus.

[81575] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 9Deinde cum dicit animalia quidem prosequitur de ordine cognitionis. Et primo quantum ad bruta animalia. Secundo quantum ad homines, ibi, alia quidem igitur et cetera. Circa vero bruta animalia tangit primo quidem id in quo omnia animalia communicant. Secundo id in quo animalia differunt, et seinvicem excedunt, ibi, ex sensibus. Communicant autem omnia animalia in hoc quod naturaliter sensus habent. Nam ex hoc animal est animal, quod habet animam sensitivam, quae natura est animalis, sicut forma unicuique propria est natura eius. Quamvis autem omnia animalia sensum habeant naturaliter, non tamen omnia habent omnes sensus, sed solum perfecta. Omnia vero habent sensum tactus. Ipse enim est quodammodo fundamentum omnium aliorum sensuum. Non autem habent omnia sensum visus, quia sensus visus est omnibus aliis perfectior in cognoscendo, sed tactus magis necessarius. Est enim cognoscitivus eorum, ex quibus animal constat, scilicet calidi, frigidi, humidi et sicci. Unde sicut visus inter omnes est perfectior in cognoscendo, ita tactus est magis necessarius, utpote primus existens in via generationis. Ea enim quae sunt perfectiora, secundum hanc viam, sunt posteriora respectu illius individui, quod de imperfecto ad perfectionem movetur.

[81576] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 10Deinde cum dicit ex sensibus ponit diversitatem cognitionis, quae est in brutis: et tangit etiam tres gradus cognitionis in huiusmodi animalibus. Quaedam enim sunt, quae licet sensum habeant, non tamen habent memoriam, quae ex sensu fit. Memoria enim sequitur phantasiam, quae est motus factus a sensu secundum actum, ut habetur in secundo de anima. In quibusdam vero animalibus ex sensu non fit phantasia, et sic in eis non potest esse memoria: et huiusmodi sunt animalia imperfecta, quae sunt immobilia secundum locum, ut conchilia. Cum enim animalibus cognitio sensitiva sit provisiva ad vitae necessitatem et ad propriam operationem, animalia illa memoriam habere debent, quae moventur ad distans motu progressivo: nisi enim apud ea remaneret per memoriam intentio praeconcepta, ex qua ad motum inducuntur, motum continuare non possent quousque finem intentum consequerentur. Animalibus vero immobilibus sufficit ad proprias operationes, praesentis sensibilis acceptio, cum ad distans non moveantur; et ideo sola imaginatione confusa habent aliquem motum indeterminatum, ut dicitur tertio de anima.

[81577] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 11Ex hoc autem, quod quaedam animalia memoriam habent, et quaedam non habent, sequitur quod quaedam sunt prudentia et quaedam non. Cum enim prudentia ex praeteritorum memoria de futuris provideat (unde secundum Tullium in secundo rhetoricae, partes eius ponuntur memoria, intelligentia, et providentia), in illis animalibus prudentia esse non potest, qui memoria carent. Illa vero animalia, quae memoriam habent, aliquid prudentiae habere possunt. Dicitur autem prudentia aliter in brutis animalibus, et aliter hominibus inesse. In hominibus quidem est prudentia secundum quod ex ratione deliberant quid eos oporteat agere; unde dicitur sexto Ethicorum, quod prudentia est recta ratio agibilium. Iudicium autem de rebus agendis non ex rationis deliberatione, sed ex quodam naturae instinctu, prudentia in aliis animalibus dicitur. Unde prudentia in aliis animalibus est naturalis aestimatio de convenientibus prosequendis, et fugiendis nocivis, sicut agnus sequitur matrem et fugit lupum.

[81578] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 12Inter ea vero, quae memoriam habent, quaedam habent auditum et quaedam non. Quaecumque autem auditum non habent, ut apes, vel si quod aliud huiusmodi animal est, licet prudentiam habere possint, non tamen sunt disciplinabilia, ut scilicet per alterius instructionem possint assuescere ad aliquid faciendum vel vitandum: huiusmodi enim instructio praecipue recipitur per auditum: unde dicitur in libro de sensu et sensato, quod auditus est sensus disciplinae. Quod autem dicitur apes auditum non habere, non repugnat ei, quod videntur ex quibusdam sonis exterreri. Nam sicut sonus vehemens occidit animal, et scindit lignum, ut in tonitruo patet, non propter sonum, sed propter commotionem aeris vehementem in quo est sonus: ita animalia, quae auditu carent, iudicium de sonis non habendo possunt per sonos aereos exterreri. Illa vero animalia, quae memoriam et auditum habent, et disciplinabilia et prudentia esse possunt.

[81579] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 13Patet igitur tres esse gradus cognitionis in animalibus. Primus est eorum, quae nec auditum nec memoriam habent: unde nec disciplinabilia sunt, nec prudentia. Secundus est eorum quae habent memoriam, sed non auditum; unde sunt prudentia, et non disciplinabilia. Tertius est eorum, quae utrumque habent, et sunt prudentia et disciplinabilia. Quartus autem modus esse non potest, ut scilicet sit aliquod animal, quod habeat auditum, et non habeat memoriam. Sensus enim, qui per exterius medium suum sensibile apprehendunt, inter quos est auditus, non sunt nisi in animalibus quae moventur motu progressivo, quibus memoria deesse non potest, ut dictum est.

[81580] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 14Deinde cum dicit alia quidem ostendit gradus cognitionis humanae. Et circa hoc duo facit. Primo namque ostendit in quo cognitio humana excedit praedictorum cognitionem. Secundo ostendit quomodo humana cognitio per diversos gradus distribuatur, ibi, fit autem ex memoria. Dicit ergo in prima parte, quod vita animalium regitur imaginatione et memoria: imaginatione quidem, quantum ad animalia imperfecta; memoria vero quantum ad animalia perfecta. Licet enim et haec imaginationem habeant, tamen unumquodque regi dicitur ab eo quod est principalius in ipso. Vivere autem hic non accipitur secundum quod est esse viventis, sicut accipitur in secundo de anima: cum dicitur, vivere viventibus est esse. Nam huiusmodi vivere animalis non est ex memoria et imaginatione, sed praecedit utrumque. Accipitur autem vivere pro actione vitae, sicut et conversationem hominum vitam dicere solemus. In hoc vero, quod cognitionem animalium determinat per comparationem ad regimen vitae, datur intelligi quod cognitio inest ipsis animalibus non propter ipsum cognoscere, sed propter necessitatem actionis.

[81581] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 15Supra memoriam autem in hominibus, ut infra dicetur, proximum est experimentum, quod quaedam animalia non participant nisi parum. Experimentum enim est ex collatione plurium singularium in memoria receptorum. Huiusmodi autem collatio est homini propria, et pertinet ad vim cogitativam, quae ratio particularis dicitur: quae est collativa intentionum individualium, sicut ratio universalis intentionum universalium. Et, quia ex multis sensibus et memoria animalia ad aliquid consuescunt prosequendum vel vitandum, inde est quod aliquid experimenti, licet parum, participare videntur. Homines autem supra experimentum, quod pertinet ad rationem particularem, habent rationem universalem, per quam vivunt, sicut per id quod est principale in eis.

[81582] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 16Sicut autem se habet experimentum ad rationem particularem, et consuetudo ad memoriam in animalibus, ita se habet ars ad rationem universalem. Ideo sicut perfectum vitae regimen est animalibus per memoriam adiuncta assuefactione ex disciplina, vel quomodolibet aliter, ita perfectum hominis regimen est per rationem arte perfectam. Quidam tamen ratione sine arte reguntur; sed hoc est regimen imperfectum.

[81583] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 17Deinde cum dicit fit autem ostendit diversos gradus humanae cognitionis. Et circa hoc duo facit. Primo comparat experimentum ad artem quidem. Secundo comparat artem speculativam ad activam, ibi, primum igitur conveniens et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit generationem artis et experimenti. Secundo praeeminentiam unius ad alterum, ibi, ad agere quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit utriusque praedictorum generationem. Secundo manifestat per exemplum, ibi, acceptionem quidem enim et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit generationem experimenti. Secundo artis generationem ibi, hominibus autem et cetera. Dicit ergo primo, quod ex memoria in hominibus experimentum causatur. Modus autem causandi est iste; quia ex multis memoriis unius rei accipit homo experimentum de aliquo, quo experimento potens est ad facile et recte operandum. Et ideo quia potentiam recte et faciliter operandi praebet experimentum, videtur fere esse simile arti et scientiae. Est enim similitudo eo quod utrobique ex multis una acceptio alicuius rei sumitur. Dissimilitudo autem, quia per artem accipiuntur universalia, per experimentum singularia, ut postea dicetur.

[81584] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 18Deinde cum dicit hominibus autem ponit generationem artis: et dicit, quod ex experientia in hominibus fit scientia et ars: et probat per auctoritatem Poli, qui dicit, quod experientia facit artem, sed inexperientia casum. Quando enim aliquis inexpertus recte operatur, a casu est. Modus autem, quo ars fit ex experimento, est idem cum modo praedicto, quo experimentum fit ex memoria. Nam sicut ex multis memoriis fit una experimentalis scientia, ita ex multis experimentis apprehensis fit universalis acceptio de omnibus similibus. Unde plus habet hoc ars quam experimentum: quia experimentum tantum circa singularia versatur, ars autem circa universalia.

[81585] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 19Quod consequenter per exempla exponit, cum dicit, acceptionem quidem etc.: quia cum homo accepit in sua cognitione quod haec medicina contulit Socrati et Platoni tali infirmitate laborantibus, et multis aliis singularibus, quidquid sit illud, hoc ad experientiam pertinet: sed, cum aliquis accipit, quod hoc omnibus conferat in tali specie aegritudinis determinata, et secundum talem complexionem, sicut quod contulit febricitantibus et phlegmaticis et cholericis, id iam ad artem pertinet.

[81586] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 20Deinde cum dicit ad agere comparat artem ad experimentum per modum praeeminentiae. Et secundum hoc duo facit. Primo comparat quantum ad actionem. Secundo quantum ad cognitionem, ibi, sed tamen scire et cetera. Dicit ergo, quod quantum ad actum pertinet, experientia nihil videtur differre ab arte. Cum enim ad actionem venitur, tollitur differentia, quae inter experimentum et artem erat per universale et singulare: quia sicut experimentum circa singularia operatur, ita et ars; unde praedicta differentia erat in cognoscendo tantum. Sed quamvis in modo operandi ars et experimentum non differant, quia utraque circa singularia operatur, differunt tamen in efficacia operandi. Nam experti magis proficiunt in operando illis qui habent rationem universalem artis sine experimento.

[81587] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 21Cujus causa est, quia actiones sunt circa singularia, et singularium sunt omnes generationes. Universalia enim non generantur nec moventur nisi per accidens, inquantum hoc singularibus competit. Homo enim generatur hoc homine generato. Unde medicus non sanat hominem nisi per accidens; sed per se sanat Platonem aut Socratem, aut aliquem hominem singulariter dictum, cui convenit esse hominem, vel accidit inquantum est curatus. Quamvis enim esse hominem per se conveniat Socrati, tamen curato et medicato per accidens convenit: haec est enim per se, Socrates est homo: quia si Socrates definiretur, poneretur homo in eius definitione, ut in quarto dicetur. Sed haec est per accidens, curatus vel sanatus est homo.

[81588] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 22Unde cum ars sit universalium, experientia singularium, si aliquis habet rationem artis sine experientia, erit quidem perfectus in hoc quod universale cognoscat; sed quia ignorat singulare cum experimento careat, multotiens in curando peccabit: quia curatio magis pertinet ad singulare quam ad universale, cum ad hoc pertineat per se, ad illud per accidens.

[81589] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 23Deinde cum dicit sed tamen comparat experimentum ad artem quantum ad cognitionem. Et circa hoc duo facit. Primo ponit praeeminentiam artis ad experimentum. Secundo probat, ibi, hoc autem est quia hi quidem et cetera. Proponit autem praeeminentiam artis et scientiae quantum ad tria. Scilicet quantum ad scire, quod quidem magis arbitramur esse per artem quam per experimentum. Item quantum ad obviare, quod in disputationibus accidit. Nam habens artem potest disputando obviare his quae contra artem dicuntur, non autem habens experimentum. Item quantum ad hoc quod artifices plus accedunt ad finem sapientiae, quam experti, tamquam magis sit, idest contingat, scire sapientiam sequentem omnia, idest dum sequitur universalia. Ex hoc enim artifex sapientior iudicatur, quam expertus quia universalia considerat. Vel aliter. Tamquam magis sit scire secundum sapientiam omnia sequentem, idest universalia. Alia litera, tamquam magis secundum scire sapientia omnia sequente: quasi dicat: tamquam sapientia sequente omnia idest consequente ad unumquodque, magis sit secundum scire, quam secundum operari: ut scilicet dicantur sapientes magis qui magis sciunt, non qui magis sunt operativi. Unde alia litera hunc sensum habet planiorem, qui sic dicit: tamquam secundum illud quod est scire magis, omnes sequuntur sapientiam.

[81590] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 24Consequenter cum dicit hoc autem probat praedictam praeeminentiam tripliciter. Prima probatio talis est. Illi, qui sciunt causam et propter quid, scientiores sunt et sapientiores illis qui ignorant causam, sed solum sciunt quia. Experti autem sciunt quia, sed nesciunt propter quid. Artifices vero sciunt causam, et propter quid, et non solum quia: ergo sapientiores et scientiores sunt artifices expertis.

[81591] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 25Primo primam probat cum dicit, unde et architectores et cetera. Probatio talis est. Illi qui sciunt causam et propter quid comparantur ad scientes tantum quia, sicut architectonicae artes ad artes artificum manu operantium. Sed architectonicae artes sunt nobiliores: ergo et illi qui sciunt causas et propter quid, sunt scientiores et sapientiores scientibus tantum quia.

[81592] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 26Huius probationis prima ex hoc apparet, quia architectores sciunt causas factorum. Ad cuius intellectum sciendum est, quod architector dicitur quasi principalis artifex: ab archos quod est princeps, et techne quod est ars. Dicitur autem ars principalior illa, quae principaliorem operationem habet. Operationes autem artificum hoc modo distinguuntur: quia quaedam sunt ad disponendum materiam artificii, sicut carpentarii secando ligna et complanando disponunt materiam ad formam navis. Alia est operatio ad inductionem formae; sicut cum aliquis ex lignis dispositis et praeparatis navem compaginat. Alia est operatio in usum rei iam constitutae; et ista est principalissima. Prima autem est infima, quia prima ordinatur ad secundam, et secunda ad tertiam. Unde navisfactor est architector respectu eius qui praeparat ligna. Gubernator autem, qui utitur navi iam facta, est architector respectu navis factoris.

[81593] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 27Et, quia materia est propter formam, et talis debet esse materia quae formae competat, ideo navisfactor scit causam, quare ligna debeant esse sic disposita; quod nesciunt illi qui praeparant ligna. Similiter, cum tota navis sit propter usum ipsius, ille qui navi utitur, scit quare talis forma debeat esse; ad hoc enim debet talis esse, ut tali usui conveniens sit. Et sic patet, quod ex forma artificii sumitur causa operationum, quae sunt circa dispositionem materiae. Et ex usu sumitur causa operationum, quae sunt circa formam artificiati.

[81594] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 28Et sic manifestum est, quod architectores factorum causas sciunt. Illos vero, scilicet manu artifices, iudicamus vel denominamus, sicut quaedam inanimatorum. Et hoc non ideo quia faciunt operationes artificiales, sed quia quae faciunt, incognita faciunt. Sciunt enim quia, sed causas non cognoscunt; sicut etiam ignis exurit absque aliqua cognitione. Est igitur quantum ad hoc similitudo inter inanimata et manu artifices, quod sicut absque causae cognitione inanimata operantur ut ordinata ab aliquo superiori intellectu in proprium finem, ita et manu artifices. Sed in hoc est differentia: quia inanimata faciunt unumquodque suorum operum per naturam, sed manu artifices per consuetudinem: quae licet vim naturae habeat inquantum ad unum inclinat determinate, tamen a natura differt in hoc, quod est circa ea quae sunt ad utrumlibet secundum humanam cognitionem. Naturalia enim non consuescimus, sicut dicitur in secundo Ethicorum. Nec etiam cognitione carentium est consuescere. Haec autem quae dicta sunt, sic sunt consideranda tamquam ex eis appareat, quod aliqui non sunt sapientiores secundum quod est practicos, id est operatores esse, quod convenit expertis; sed secundum quod aliqui habent rationem de agendis, et cognoscunt causas agendorum, ex quibus rationes sumuntur: quod convenit architectoribus.

[81595] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 29Deinde cum dicit et omnino ponit secundam rationem: quae talis est. Signum scientis est posse docere: quod ideo est, quia unumquodque tunc est perfectum in actu suo, quando potest facere alterum sibi simile, ut dicitur quarto Meteororum. Sicut igitur signum caliditatis est quod possit aliquid calefacere, ita signum scientis est, quod possit docere, quod est scientiam in alio causare. Artifices autem docere possunt, quia cum causas cognoscant, ex eis possunt demonstrare: demonstratio autem est syllogismus faciens scire, ut dicitur primo posteriorum. Experti autem non possunt docere, quia non possunt ad scientiam perducere cum causam ignorent. Et si ea quae experimento cognoscunt aliis tradant, non recipientur per modum scientiae, sed per modum opinionis vel credulitatis. Unde patet quod artifices sunt magis sapientes et scientes expertis.

[81596] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 30Deinde cum dicit amplius autem ponit tertiam rationem; quae talis est. Cognitiones singularium magis sunt propriae sensibus quam alicui alteri cognitioni, cum omnis cognitio singularium a sensu oriatur. Sed tamen, nec unum, idest nullum sensum dicimus sapientiam, scilicet propter hoc quod licet aliquis sensus cognoscat quia, tamen, non propter quid cognoscit. Tactus enim iudicat quod ignis calidus est, non tamen apprehendit propter quid: ergo experti qui habent singularium cognitionem causam ignorantes, sapientes dici non possunt.

[81597] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 31Deinde cum dicit primum quidem comparat artem activam speculativae. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod ars speculativa magis est sapientia quam activa. Secundo respondet cuidam obiectioni, ibi, in moralibus. Ostendit autem quod primo dictum est, tali ratione. In quibuscumque scientiis vel artibus invenitur id propter quod homines scientes prae aliis hominibus in admiratione vel honore habentur, illae scientiae sunt magis honorabiles, et magis dignae nomine sapientiae. Quilibet autem inventor artis habetur in admiratione, propter hoc quod habet sensum et iudicium et discretionem causae ultra aliorum hominum sensum, et non propter utilitatem illorum quae invenit: sed magis admiramur, sicut sapientem et ab aliis distinguentem. Sapientem quidem, quantum ad subtilem inquisitionem causarum rei inventae: distinguentem vero, quantum ad investigationem differentiarum unius rei ad aliam. Vel aliter, ab aliis distinguentem, ut passive legatur, quasi in hoc ab aliis distinguatur. Unde alia litera habet, differentem. Ergo scientiae aliquae sunt magis admirabiles et magis dignae nomine sapientiae propter eminentiorem sensum, et non propter utilitatem.

[81598] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 32Cum igitur plures artes sint repertae quantum ad utilitatem, quarum quaedam sunt ad vitae necessitatem, sicut mechanicae; quaedam vero ad introductionem in aliis scientiis, sicut scientiae logicales: illi artifices dicendi sunt sapientiores, quorum scientiae non sunt ad utilitatem inventae, sed propter ipsum scire, cuiusmodi sunt scientiae speculativae.

[81599] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 33Et quod speculativae scientiae non sint inventae ad utilitatem, patet per hoc signum: quia, iam partis, id est acquisitis vel repertis omnibus huiusmodi, quae possunt esse ad introductionem in scientiis, vel ad necessitatem vitae, vel ad voluptatem, sicut artes quae sunt ordinatae ad hominum delectationem: speculativae non sunt propter huiusmodi repertae, sed propter seipsas. Et quod non sint ad utilitatem inventae, patet ex loco quo inventae sunt. In locis enim illis primo repertae sunt, ubi primo homines studuerunt circa talia. Alia litera habet, et primum his locis ubi vacabant, id est ab aliis occupationibus quiescentes studio vacabant quasi necessariis abundantes. Unde et circa Aegyptum primo inventae sunt artes mathematicae, quae sunt maxime speculativae, a sacerdotibus, qui sunt concessi studio vacare, et de publico expensas habebant, sicut etiam legitur in Genesi.

[81600] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 34Sed quia usus nomine artis fuerat et sapientiae et scientiae quasi indifferenter, ne aliquis putet haec omnia esse nomina synonyma idem penitus significantia hanc opinionem removet, et remittit ad librum Moralium, idest ad sextum Ethicorum, ubi dictum est, in quo differant scientia et ars et sapientia et prudentia et intellectus. Et ut breviter dicatur, sapientia et scientia et intellectus sunt circa partem animae speculativam, quam ibi scientificum animae appellat. Differunt autem, quia intellectus est habitus principiorum primorum demonstrationis. Scientia vero est conclusionis ex causis inferioribus. Sapientia vero considerat causas primas. Unde ibidem dicitur caput scientiarum. Prudentia vero et ars est circa animae partem practicam, quae est ratiocinativa de contingentibus operabilibus a nobis. Et differunt: nam prudentia dirigit in actionibus quae non transeunt ad exteriorem materiam, sed sunt perfectiones agentis: unde dicitur ibi quod prudentia est recta ratio agibilium. Ars vero dirigit in factionibus, quae in materiam exteriorem transeunt, sicut aedificare et secare: unde dicitur quod ars est recta ratio factibilium.

[81601] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 1 n. 35Deinde cum dicit cuius autem ostendit ex praehabitis principale propositum; quod scilicet sapientia sit circa causas. Unde dicit quod hoc est cuius gratianunc sermonem facimus, idest ratiocinationem praedictam: quia scientia illa quae denominatur sapientia, videtur esse circa primas causas, et circa prima principia. Quod quidem patet ex praehabitis. Unusquisque enim tanto sapientior est, quanto magis accedit ad causae cognitionem: quod ex praehabitis patet; quia expertus est sapientior eo qui solum habet sensum sine experimento. Et artifex est sapientior experto quocumque. Et inter artifices architector est sapientior manu artifice. Et inter artes etiam et scientias, speculativae sunt magis scientiae quam activae. Et haec omnia ex praedictis patent. Unde relinquitur quod illa scientia, quae simpliciter est sapientia, est circa causas. Et est similis modus arguendi, sicut si diceremus: illud quod est magis calidum, est magis igneum: unde quod simpliciter est ignis, est calidum simpliciter.

LEÇON 1 ─ Grandeur de la Sagesse

(nn.1-35; [1-13])

À partir de quelques principes qu’il pose comme fondements, - à savoir la dignité de cette science qui est désirée par tous, et les degrés de la connaissance humaine, - et qui contribuent à la génération de cette science, il conclut que cette dernière porte sur les causes.

 

1. Aristote fait précéder cette science d’un proème dans lequel il enseigne deux choses.

   En premier lieu il montre certes sur quel objet porte cette science [1]. En deuxième lieu il montre de quelle sorte de science il s’agit, là [27] où il dit : ¨ Car en réalité elle n’est pas une science pratique¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il appartient à cette science, qu’on appelle sagesse, de considérer les causes [1]. En deuxième lieu il montre les sortes de causes qu’elle étudie, là [14] où il dit : ¨ Mais puisque nous recherchons cette science ¨.

   Il fait précéder le premier point de certaines considérations à partir desquelles il argumente en vue du propos [1]. En deuxième lieu à partir d’elles il tire un raisonnement, là [13] où il dit : ¨ Mais grâce auxquelles maintenant ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre en général la dignité de cette science [1]. En deuxième lieu il montre l’ordre de la connaissance, là [2] où il dit : ¨ Donc les animaux etc.¨.

   Il montre la dignité de la science au moyen de ceci que les hommes la désirent naturellement comme leur fin. C’est pourquoi à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente son propos [1]. En deuxième lieu il le manifeste, là [1] où il dit : ¨ Mais un signe ¨.

   Il avance donc en premier lieu [1] qu’il y a dans tous les hommes un désir naturel de savoir.

2. La raison de ceci peut être triple. La première certes est que chaque chose désire naturellement la perfection qui lui convient. C’est pourquoi on dit de la matière qu’elle désire la forme comme ce qui est imparfait désire atteindre sa perfection. Donc puisque l’intelligence, grâce à laquelle l’homme est ce qu’il est, si on la considère en elle-même, est toutes les choses en puissance et ne devient l’une d’elles en acte qu’au moyen de la science puisqu’avant l’intellection elle n’est aucune des choses qui existent, ainsi qu’on le voit au troisième livre de L’Âme, alors chacun désire naturellement cette science comme la matière désire la forme.

3. La deuxième est que toute chose possède une inclination naturelle à poser l’opération qui lui est propre, comme la chaleur tend à réchauffer et comme ce qui est lourd tend à se mouvoir vers le bas. Mais l’opération qui est propre à l’homme en tant qu’homme est d’intelliger. C’est par là en effet qu’il diffère de tous les autres êtres. C’est pourquoi le désir de l’homme tend naturellement à intelliger et par conséquent à savoir.

4. La troisième est qu’il est désirable à toute chose de s’unir à son principe; c’est en cela même que consiste la perfection de toute chose. Et c’est pourquoi le mouvement circulaire est le plus parfait de tous, ainsi qu’on le prouve au huitième livre des Physiques, car il unit le terme à son principe. Mais aux substances séparées, lesquelles sont les principes de l’intelligence humaine et auxquelles cette dernière se rapporte comme l’imparfait au parfait, l’homme ne s’unit qu’au moyen de son intelligence : et c’est pourquoi c’est en cela même que consiste le bonheur humain et c’est ainsi que l’homme désire naturellement la science. Et si certains hommes ne consacrent aucune étude à cette science, cela ne s’oppose pas à ce que nous venons de dire car il arrive fréquemment que ceux qui désirent une fin sont empêchés pour quelque raison d’y parvenir, soit en raison de la difficulté qu’elle présente, soit en raison du temps qui doit être accordé à d’autres occupations. Ainsi encore, bien que tous les hommes désirent la science, ce ne sont pas tous les hommes qui se consacrent à l’étude de la science car ils sont retenus par d’autres choses, soit par les plaisirs, soit par les nécessités de la vie présente, soit encore par paresse ils évitent le travail exigé par l’apprentissage. C’est ce qu’avance Aristote pour montrer que la recherche de la science, sans être ordonnée à quelque chose d’autre comme à une fin utile, comme c’est le cas pour cette science, n’est pas vaine; la raison en est qu’un désir naturel ne peut être vain.

5. Ensuite il montre au moyen d’un signe ce qu’il vient d’avancer : car puisque les sens sont à notre service pour deux finalités, à savoir la connaissance des choses et l’utilité de la vie, nous les aimons à la fois pour eux-mêmes dans la mesure où ils nous servent à connaître, et pour cette raison qu’ils contribuent utilement aux nécessités de la vie. Et cela est évident du fait que tous aiment davantage le sens qui est le plus cognitif, à savoir la vue que nous aimons non seulement pour faire quelque chose, mais même si nous ne devions rien faire avec ce sens. Et la raison de ceci est que ce sens, à savoir la vue, est celui qui parmi tous les sens nous fait le plus connaître et nous manifeste le plus de différences entre les choses.

6. En quoi il est évident que la vue présente deux supériorités sur les autres sens à l’égard de la connaissance. Le premier certes est qu’il connaît plus parfaitement. Et cela se produit chez la vue car c’est là le sens le plus spirituel. En effet une puissance cognitive est d’autant plus parfaite dans son acte de connaissance qu’elle est plus immatérielle. Mais que la vue soit un sens plus immatériel, on le voit si on considère l’immutation par laquelle la vue est modifiée physiquement par son objet. Car alors que tous les autres sensibles modifient l’organe et le milieu du sens conformément à quelque modification matérielle, comme le fait l’objet du toucher en le réchauffant ou en le refroidissant, l’objet du goûter en affectant par quelque saveur l’organe du goûter par l’intermédiaire de la salive, l’objet de l’ouïe au moyen d’un mouvement corporel et l’objet de l’odorat au moyen de l’émanation des effluves, seul l’objet de la vue ne modifie ni l’organe ni son milieu si ce n’est par une modification spirituelle. En effet, ni la pupille ni l’air lui-même ne se colorent, mais ils reçoivent seulement l’espèce de la couleur selon son existence spirituelle. Donc puisque le sens en acte consiste dans une immutation en acte du sens par son objet, il est évident que le sens qui est le plus spirituel dans son opération est celui qui est modifié de la manière la plus immatérielle et la plus spirituelle. Et c’est pourquoi c’est la vue qui, parmi tous les autres sens, est celui qui juge des sensibles de la manière la plus certaine et la plus parfaite.

7. Elle présente une autre supériorité car elle nous manifeste plus de choses, ce qui se produit certes en raison de son objet. En effet, le toucher et le goûter, tout comme l’odorat et l’ouïe, connaissent les accidents par lesquels se distinguent les corps inférieurs de ceux qui sont supérieurs. La vue cependant connaît les accidents qui sont communs à la fois aux corps inférieurs et aux corps supérieurs. Car le visible en acte ne se réalise que grâce à la lumière dans laquelle communiquent les deux sortes de corps, ainsi qu’on le dit au deuxième livre de l’Âme; et c’est pourquoi les corps célestes ne sont perceptibles que par la vue.

8. Il existe encore une autre raison pour laquelle la vue nous montre plus de différences sur les choses que les autres sens. C’est parce que nous voyons que c’est principalement au moyen de la vue et du toucher que nous connaissons les corps sensibles, et surtout au moyen de la vue. Et la raison peut en être tirée de ceci que les trois autres sens connaissent des qualités qui s’échappent en quelque sorte du corps sensible et qui ne font pas partie de sa constitution, tout comme le son qui provient d’un corps sensible en tant que découlant de lui et non comme qualité qui demeure en lui; et il en est de même de l’évaporation des effluves avec laquelle et par laquelle l’odeur se diffuse. Mais la vue et le toucher perçoivent ces accidents qui demeurent dans les choses elles-mêmes comme la couleur, le chaud et le froid. C’est pourquoi le jugement du toucher et celui de la vue portent sur les choses elles-mêmes alors que ceux de l’ouïe et de l’odorat portent sur ce qui procède des choses et non sur les choses elles-mêmes. Et c’est pour cette raison que la figure, la dimension et les qualités de ce genre, par lesquelles la chose sensible elle-même est constituée, sont davantage perçues par la vue et par le toucher que par les autres sens. Et elles le sont bien davantage par la vue que par le toucher tant pour cette raison que la vue possède une plus grande capacité à connaître, ainsi que nous l’avons déjà dit, que pour cette raison que la quantité et les autres qualités qui en découlent et qui sont les sensibles communs, ont une plus grande proximité avec l’objet de la vue qu’avec celui du toucher. Ce qui devient évident à partir de ceci que l’objet de la vue résulte en quelque manière de tout corps possédant une quantité, ce qui n’est pas le cas pour l’objet du toucher.

9. Ensuite lorsqu’il dit [2] : ¨ Certes les animaux ¨.

   Il poursuit son exposé sur l’ordre de la connaissance [2].

   Et en premier lieu il le fait à l’égard des brutes animales [2]. En deuxième lieu il le fait à l’égard des hommes, là [4] où il dit : ¨ Donc, les autres animaux etc.¨.

   Et en vérité au sujet des autres animaux il touche d’abord certes ce qu’ils partagent tous en commun [2]. En deuxième lieu il traite de ce qui les distingue et de ce qui les oppose les uns aux autres, là [3] où il dit : ¨ À partir des sens ¨.

   Mais tous les animaux ont ceci en commun qu’ils possèdent tous naturellement des sens. Car l’animal est un animal du fait qu’il possède une âme sensible qui appartient par nature à l’animal tout comme la forme d’un être est la nature propre de cet être. Cependant, bien que tous les animaux possèdent naturellement des sens, ce ne sont pas tous les animaux qui possèdent tous les sens, mais seulement ceux qui sont parfaits. Cependant tous les animaux possèdent le sens du toucher. C’est lui en effet qui est comme le fondement de tous les autres sens. Ce ne sont pas tous les animaux qui possèdent le sens de la vue, lequel est plus parfait que tous les autres dans l’ordre de la connaissance alors que le sens du toucher est le plus important dans l’ordre de la nécessité. C’est lui en effet qui connaît les qualités à partir desquelles l’homme tire sa conservation comme le chaud et le froid, le sec et l’humide. C’est pourquoi tout comme la vue parmi tous les sens est le plus parfait dans l’ordre de la connaissance, ainsi le toucher est le plus important dans l’ordre de la nécessité et comme le premier à exister dans l’ordre de la génération. En effet, ce qu’il y a de plus parfait dans l’ordre de génération apparaît en dernier par rapport à tel individu dont le mouvement procède de l’imparfait au parfait.

10. Ensuite lorsqu’il dit [3] : ¨ À partir des sens ¨.

   Il présente la diversité des connaissances qu’on retrouve chez la brute : et il touche encore trois degrés de connaissances chez les animaux de cette sorte. Il y en a en effet certains qui, bien qu’ils possèdent des sens, ne sont cependant pas dotés de mémoire, laquelle a le sens pour fondement. La mémoire en effet découle de l’image, laquelle provient du mouvement produit par le sens en acte, ainsi qu’on le voit dans le deuxième livre de L’Âme. Et chez certains animaux en vérité la sensation n’entraîne pas la production d’une image et ainsi chez eux il ne peut y avoir de mémoire : et c’est ce qui se passe chez les animaux imparfaits, lesquels sont immobiles selon lieu comme le sont les coquillages. Puisqu’en effet la connaissance sensible a été donnée aux animaux afin de pourvoir aux nécessités de la vie et à leurs opérations propres, ce sont les animaux qui se déplacent d’un lieu à un autre par un mouvement continu qui doivent posséder la mémoire : ils ne pourraient pas poursuivre leur mouvement jusqu’à l’atteinte du but visé s’il ne demeurait pas en eux grâce à la mémoire une représentation de ce but qui les pousse à se mouvoir. En vérité la perception sensible qui s’actualise au moment présent suffit aux animaux immobiles pour poser leurs opérations propres puisqu’ils ne se déplacent pas au loin; et c’est pourquoi, ainsi qu’on le voit au troisième livre de l’Âme, ils ne possèdent qu’un mouvement indéterminé à partir d’une image imprécise.

11. Du fait que certains animaux possèdent la mémoire et d’autres non, il s’ensuit que certains sont capables de prudence et d’autres non. Puisqu’en effet la prudence prévoit le futur à partir de la mémoire du passé (c’est pourquoi Cicéron dans le deuxième livre de sa Rhétorique présente les parties de la prudence comme étant la mémoire, l’intelligence et la prévoyance), cette dernière ne peut exister chez les autres animaux qui sont dépourvus de mémoire. Et en vérité, ces animaux dotés de mémoire peuvent posséder quelque chose de la prudence. On dit en effet que la prudence existe de manière différente chez les brutes animales et chez l’homme. Certes la prudence existe chez les hommes d’après une délibération par la raison sur les choses qu’il faut faire; c’est pourquoi on dit au sixième livre des Éthiques que la prudence est la raison droite sur les choses qu’il faut faire. Mais on dit que la prudence chez les autres animaux est un jugement sur les choses à faire qui ne provient pas d’une délibération de la raison mais d’un instinct naturel. C’est pourquoi la prudence chez les autres animaux est une certaine estimation naturelle de ce qui doit être recherché pour sa bonté et de ce qui doit être fui pour sa méchanceté, tout comme l’agneau suit sa mère et fuit le loup.

12. En vérité, parmi ceux qui sont dotés de mémoire, certains possèdent l’ouïe et d’autres non. Et tous ceux-là qui ne possèdent pas l’ouïe, comme les abeilles ou tout autre animal de cette sorte, bien qu’ils puissent posséder une certaine prudence, ne sont pas dociles, de sorte qu’ils pourraient acquérir au moyen d’un autre un savoir qui servirait à faire quelque chose ou à éviter de faire autre chose : c’est au moyen de l’ouïe qu’un tel enseignement est reçu principalement; c’est pourquoi on dit au livre du Sens et du Senti que l’ouïe est le sens de l’enseignement. Mais dire que les abeilles soient dépourvues de l’ouïe, cela ne s’oppose pas à ce qu’elles paraissent être épouvantées par des sons. Car tout comme un bruit puissant peut tuer un animal et fendre du bois, ainsi qu’on le voit pour le tonnerre, ce n’est pas en raison du son que cela se produit mais en raison d’une terrible secousse de l’air dans lequel le son se trouve : ainsi les animaux qui sont dépourvus du sens de l’ouïe, ne pouvant discerner les sons, peuvent cependant être épouvantés par les sons qui sont dans l’air. Mais ces animaux qui possèdent à la fois la mémoire et le sens de l’ouïe peuvent à la fois être prudents et capables d’être enseignés, c’est-à-dire être dociles.

13. Il est donc évident qu’il existe trois degrés de la connaissance chez les animaux. Le premier d’entre eux est celui où on ne retrouve ni l’ouïe ni la mémoire et dont les animaux ne peuvent être ni prudents ni enseignables. Le deuxième degré appartient à ceux qui possèdent la mémoire mais non pas l’ouïe; c’est pourquoi ceux-là sont prudents mais ne sont pas dociles. Le troisième degré se vérifie chez ceux qui possèdent les deux et qui sont à la fois prudents et dociles. Il ne peut cependant exister un quatrième degré dans lequel on verrait des animaux qui seraient dotés de l’ouïe mais privés de mémoire. En effet les sens qui appréhendent leur sensible au moyen d’un milieu extérieur, parmi lesquels on retrouve l’ouïe, n’existent que chez les animaux qui se meuvent par un mouvement progressif et auxquels la mémoire ne peut manquer, ainsi que nous l’avons déjà dit (n. 10).

14. Ensuite lorsqu’il dit [4] : ¨ Les autres certes ¨.

   Il montre les degrés de la connaissance humaine.

   Et à ce sujet il fait deux choses. Car en premier lieu il montre en quoi la connaissance humaine dépasse celle des autres animaux [4]. En deuxième lieu il montre comment la connaissance humaine est distribuée à travers différents degrés, là [5] où il dit : ¨ Elle se produit à partir de la mémoire ¨.

   Dans la première partie [4] il dit donc que la vie des animaux est réglée par l’imagination et par la mémoire : par l’imagination chez les animaux imparfaits, par la mémoire chez les animaux parfaits. En effet, bien que ces derniers possèdent aussi l’imagination, on dit cependant que toute être est réglé par ce qu’il y a de premier en lui. Mais la vie ne s’entend pas ici selon qu’elle est l’être du vivant, ainsi qu’on l’entend au deuxième livre de l’Âme lorsqu’on y dit que ¨ la vie est l’être même du vivant¨. Car cette vie de l’animal ne lui vient pas de l’imagination et de la mémoire mais plutôt elle les précède toutes les deux. La vie s’entend plutôt ici dans le sens des opérations de la vie tout comme nous avons l’habitude de dire que la vie des hommes consiste dans leurs relations. Ainsi, du fait qu’Aristote définit la vie des animaux par rapport à la conduite de leur vie, il nous est donné de comprendre que la connaissance est attribuée aux animaux non pas en vue de la connaissance elle-même, mais en vue des nécessités de l’action.

15. Mais chez les hommes, juste au-dessus de la mémoire, ainsi que nous le verrons plus loin, il y a l’expérience à laquelle les animaux ne participent que faiblement. L’expérience en effet se tire de la comparaison de plusieurs singuliers conservés dans la mémoire. Mais une telle comparaison est propre à l’homme et appartient à la puissance cogitative qu’on appelle raison particulière, laquelle compare les intentions individuelles comme la raison universelle compare les intentions universelles. Et parce que c’est à partir de plusieurs sens et de la mémoire que les animaux ont coutume de poursuivre ou d’éviter quelque chose, c’est à cause de cela qu’ils semblent participer, quoique faiblement, de quelque chose qui tient de l’expérience. Mais les hommes possèdent, au-dessus de l’expérience qui appartient à la raison particulière, la raison universelle par laquelle ils vivent comme par ce qui est premier en eux.

16. Mais l’art se rapporte à la raison universelle de la même manière que l’expérience à la raison particulière et que la coutume à la mémoire chez les animaux. C’est pourquoi, tout comme la conduite parfaite de la vie se retrouve chez les animaux grâce à la mémoire accompagnée d’une coutume provenant d’une discipline ou de quelque autre manière, de même la conduite parfaite de la vie humaine se réalise grâce à la raison achevée par l’art. Certains cependant se règlent selon la raison sans l’art, mais c’est là une manière de se gouverner qui est imparfaite.

17. Ensuite lorsqu’il dit [5] : ¨ Mais il se produit ¨, il manifeste les différentes degrés de la connaissance humaine.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu certes il compare l’expérience à l’art. En deuxième lieu il compare l’art spéculatif à celui qui est pratique, là [12] où il dit : ¨ Il convient donc en premier lieu etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre la génération de l’art et de l’expérience [5]. En deuxième lieu il montre la supériorité de l’un à l’égard de l’autre, là [7] où il dit : ¨ Donc pour agir certes etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la génération de l’un et de l’autre [5]. En deuxième lieu il les manifeste au moyen d’un exemple, là [6] où il dit : ¨ En effet, en posséder une représentation etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la génération de l’expérience [5]. En deuxième lieu il présente celle de l’art, là [6] où il dit : ¨ Mais chez les hommes etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [5] que c’est à partir de la mémoire que naît l’expérience chez les hommes. Et voici quel en est le mode de production : l’homme acquiert l’expérience de quelque chose à partir de plusieurs souvenirs de cette chose, et cette expérience rend l’homme capable d’agir facilement et correctement. Et c’est pourquoi, parce que l’expérience produit la capacité d’agir facilement et correctement, elle apparaît être semblable à l’art et à la science. Il y a en effet une ressemblance en ceci que d’un côté comme de l’autre une seule et même représentation d’une chose est tirée de plusieurs actes. La différence tient cependant en ceci que dans le cas de l’art, les représentations sont universelles alors que dans le cas de l’expérience, elles sont singulières, ainsi qu’on le verra plus loin.

18. Ensuite, lorsqu’il dit [6] : ¨ Chez les hommes cependant¨.

   Il présente la génération de l’art : et il dit que l’art et la science apparaissent chez les hommes à partir de l’expérience : et il le prouve par l’autorité de Polos qui dit que l’expérience engendre l’art mais que l’inexpérience produit le hasard. En effet lorsque quelqu’un d’inexpérimenté agit correctement, il agit par hasard. Le mode cependant selon lequel l’art naît de l’expérience est identique au mode précédent selon lequel l’expérience naît de la mémoire. Car tout comme à partir de plusieurs faits mémorisés naît une seule connaissance expérimentale, de même à partir de l’appréhension de plusieurs faits expérimentés naît une représentation universelle de tous les cas semblables. D’où l’on voit que l’art ajoute à l’expérience en ce sens que cette dernière porte seulement sur les particuliers alors que l’art a pour objet l’universel.

19. Et c’est ce qu’il explique par la suite au moyen d’un exemple, lorsqu’il dit [6] : ¨ La représentation certes etc.¨ : car lorsqu’un homme a acquis dans sa connaissance ce que cette médecine a apporté à Socrate et à Platon souffrant de telle maladie, tout comme à plusieurs autres individus, quel que soit par ailleurs le soulagement apporté, cela relève de l’expérience; mais lorsque quelqu’un comprend que ce remède apporte ce soulagement à tous les hommes pour ce qui est de telle espèce déterminée de maladie et suivant tel type de complexion, comme ce qu’il apporte à ceux qui font de la fièvre, aux flegmatiques et aux bilieux, alors cela appartient déjà à l’art.

20. Ensuite lorsqu’il dit [7] : ¨ Pour agir¨, il compare l’art à l’expérience par mode de supériorité.

   Et conformément à cela il fait deux choses. En premier lieu il les compare quant à l’action [7]. En deuxième lieu il les compare quant à la connaissance, là [8] où il dit : ¨ Mais néanmoins, savoir etc.¨.

   Il dit donc [7] que pour ce qui appartient à l’acte lui-même, l’expérience ne semble différer en rien de l’art. En effet, lorsqu’on en vient à l’action elle-même, l’opposition qui apparaissait entre l’expérience et l’art, comme entre l’universel et le singulier, disparaît; car l’opération de l’art, comme celle de l’expérience, porte sur le singulier. C’est pourquoi l’opposition précédente portait sur la connaissance seulement. Mais bien que l’art et l’expérience ne diffèrent pas quant au mode d’opération, car l’un et l’autre opèrent sur des singuliers, ils diffèrent cependant par l’efficacité de l’opération. La raison en est que ceux qui ont l’expérience progressent davantage dans leurs opérations que ceux qui possèdent la raison universelle de l’art sans l’expérience.

21. La raison en est que les actions portent sur des singuliers et que toutes les générations produisent des singuliers. Les universels en effet ne sont pas engendrés et ne sont pas assujettis au mouvement si ce n’est pas accident, dans la mesure où la génération et le mouvement appartiennent aux singuliers. Un homme en effet est engendré par cet homme qui a lui-même été engendré. C’est pourquoi le médecin ne guérit pas l’homme si ce n’est par accident; mais c’est par soi qu’il guérit Socrate ou Platon ou tout autre homme entendu comme un individu et auquel il appartient d’être homme ou qu’il lui arrive de l’être en tant qu’il est guéri. En effet, bien que d’être homme appartienne par soi à Socrate, cependant cela lui appartient par accident en tant qu’il est soigné et guéri. En effet, c’est par soi qu’on dit de Socrate qu’il est homme : car si on définissait Socrate, homme entrerait dans sa définition, ainsi qu’on le dira au quatrième livre. Mais c’est par accident qu’on dit de l’homme qu’il est soigné et guéri.

22. C’est pourquoi puisque l’art porte sur l’universel et l’expérience sur le particulier, si quelqu’un possède la raison de l’art sans l’expérience, il sera parfait en ceci qu’il connaît l’universel; mais parce qu’il ignore le singulier alors qu’il manque d’expérience, il se trompera fréquemment dans l’acte de soigner car cet acte s’adresse davantage au singulier qu’à l’universel puisque c’est à lui qu’il s’adresse par soi et à l’autre par accident.

23. Ensuite lorsqu’il dit [8] : ¨ Mais cependant ¨, il compare l’expérience à l’art quant à la connaissance.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente la supériorité de l’art sur l’expérience [8]. En deuxième lieu il la prouve, là [9] où il dit : ¨ Il en est ainsi cependant car ceux qui certes etc.¨.

   Mais il présente [8] la supériorité de l’art et de la science sous trois rapports. C’est-à-dire quant au savoir, que nous jugeons devoir exister davantage par l’art que par l’expérience. En outre cette supériorité se manifeste quant aux objections qui se produisent dans les débats ou les discussions. Car celui qui possède l’art peut dans la discussion présenter des objections aux choses qui sont dites contre l’art sans toutefois posséder l’expérience. Elle se manifeste encore quant à ceci que ceux qui possèdent l’art parviennent davantage à la finalité de la sagesse que ceux qui possèdent l’expérience; le texte dit : ¨ En tant qu’il appartient davantage à celui qui possède l’art ¨, c’est-à-dire qu’il lui est davantage possible ¨ de connaître la sagesse qui saisit toute chose ¨, à savoir alors qu’il poursuit l’universel. C’est par là en effet qu’on juge que l’artiste est plus sage que celui qui possède l’expérience, à savoir parce qu’il considère l’universel. On peut encore lire autrement ces paroles : ¨ Comme le savoir existe davantage selon la sagesse qui saisit tout ¨, à savoir les principes universels. Une autre formulation pourrait être : ¨ Comme plus conformément au savoir par une sagesse qui saisit tout¨ : comme s’il disait : ¨ Comme par une sagesse qui saisit tout¨ c’est-à-dire qui poursuit tout ce qui existe, ¨est davantage conforme au savoir¨, qu’à l’opération : à savoir de telle sorte qu’on appelle davantage sages ceux qui savent et non pas ceux qui posent des opérations. C’est pourquoi une autre formulation rend ce sens d’une manière plus claire, laquelle dit : ¨ Comme c’est davantage selon le savoir que tous poursuivent la sagesse¨.

24. Par la suite lorsqu’il dit [9] : ¨ Mais cela ¨, il prouve cette supériorité de trois manières.

   La première preuve se présente ainsi. Ceux qui connaissent la cause et la raison d’être sont plus savants et plus sages que ceux qui ignorent la cause et qui ne connaissent que les faits, à savoir qu’il en est ainsi. Mais ceux qui ont l’expérience savent qu’il en est ainsi des choses, mais ignorent la cause. En réalité ceux qui possèdent l’art connaissent la cause et la raison d’être des choses et non seulement qu’elles sont ainsi : donc ceux qui possèdent l’art sont plus savants et plus sages que ceux qui ont l’expérience.

25. En premier lieu il manifeste la majeure de la preuve lorsqu’il dit : ¨ C’est pourquoi sont à la fois premiers etc.¨. Et voici cette preuve. Ceux qui connaissent la cause et la raison d’être des choses se comparent à ceux qui connaissent seulement les faits, comme les arts architectoniques se comparent aux arts manuels. Mais les arts architectoniques sont plus nobles : donc ceux qui connaissent les causes et les raisons d’être des choses sont plus savants et plus sages que ceux qui connaissent seulement les faits.

26. À son tour la majeure de l’argument précédent devient évidente à partir de ceci que les architectes connaissent les causes des faits. Pour le comprendre, il faut savoir que le terme  d’architecte, entendu universellement, se dit de l’artiste qui est le premier ou le principal dans son domaine : il vient du mot grec ¨ archos ¨, qui veut dire premier et de ¨ technè ¨, qui veut dire art. Mais on dit que l’art qui est premier ou principal est celui qui pose l’opération principale. Mais les opérations de l’art se distinguent ainsi : certains travaillent à la disposition de la matière de l’œuvre artificielle, comme les charpentiers qui, en coupant et en aplanissant le bois, disposent la matière à recevoir la forme du navire. Autre est l’opération qui conduit à la forme, comme lorsqu’un artiste, à partir des pièces de bois déjà disposées et préparées, assemble le navire. Autre est l’opération qui fait usage de la chose déjà assemblée et c’est là l’opération principale ou première. L’opération qui a été présentée en premier lieu est humble car elle est ordonnée à la deuxième et la deuxième est ordonnée à la troisième. C’est pourquoi celui qui fabrique le navire est comme un architecte à l’égard de celui qui prépare le bois. Mais le pilote qui se sert du navire déjà construit est comme un architecte qui est premier et qui commande à celui qui l’a construit.

27. Et, parce que la matière existe en vue de la forme et qu’elle doit être telle qu’elle convienne à la forme, c’est pour cela que celui qui fabrique le navire connaît la cause ou la raison pour laquelle les pièces de bois doivent être taillées ou disposées ainsi, ce qu’ignorent ceux qui ont pour tâche de préparer ces pièces. De la même manière, puisque la totalité du navire existe en vue de son usage, celui qui se sert du navire sait pourquoi sa forme doit être telle; en effet, sa forme doit être telle qu’elle convienne à son usage. Et ainsi il devient évident que c’est la forme de l’œuvre artificielle qui commande les opérations qui se rapportent à la disposition de la matière tout comme son usage ou sa finalité est la cause qui commande les opérations qui se rapportent à la forme de la chose artificielle.

28. Et ainsi il est manifeste que ceux qui sont des architectes tels qu’on l’entend présentement connaissent les causes des faits. Mais ceux-là, c’est-à-dire les manœuvres, nous les considérons et les nommons comme des choses inanimées. Et cela non pas parce qu’ils posent des opérations artificielles, mais parce qu’en un sens ils ignorent ce qu’ils font. Ils savent en effet les choses qu’ils font, mais ils ignorent les causes qui expliquent pourquoi ils les font ainsi, semblables au feu qui brûle sans le savoir. Il existe donc sous ce rapport une ressemblance entre les choses inanimées et les manœuvres car tout comme les choses inanimées, privées de la connaissance de la cause, sont ordonnées à la finalité qui leur est propre par une intelligence supérieure, il en est de même pour les manœuvres. Mais il existe entre les deux une différence en cela que c’est par la nature que les choses inanimées posent leurs opérations alors que les manœuvres les posent par coutume ou habitude, laquelle, bien qu’elle possède la force de la nature en ceci qu’elle incline à un effet déterminé, en diffère cependant en cela qu’elle est apte, conformément à la connaissance humaine, à des effets opposés. En effet, ainsi qu’on le lit au deuxième livre des Éthiques, ce qui est naturel n’est pas matière à apprentissage. Et il n’appartient pas à ceux qui sont privés de connaissance d’apprendre. Mais ce que nous venons de dire doit être considéré de telle manière que nous puissions y voir ce que nous avons déjà dit, à savoir que certains ne sont pas plus sages du fait qu’ils sont ¨pratiques¨, c’est-à-dire du fait qu’ils posent une opération, ce qui s’attribue aussi à ceux qui ont de l’expérience, mais du fait qu’ils possèdent la connaissance des raisons de leurs opérations et qu’ils connaissent les causes qui les commandent, causes à partir desquelles se tirent les raisons, ce qui appartient aux architectes entendus universellement.

29. Ensuite lorsqu’il dit [10] : ¨ Et en général ¨.

   Il présente le deuxième argument que voici. Le signe de celui qui possède une science est sa capacité à enseigner : et la raison de ceci en est que tout être a atteint la perfection de son acte quand il est rendu apte à produire un être semblable à lui, ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Météoriques. Ainsi donc, comme le signe de la chaleur est qu’elle peut réchauffer quelque chose, ainsi le signe de celui qui sait est qu’il peut enseigner, c’est-à-dire causer la science chez un autre. Mais ceux qui possèdent un art peuvent enseigner car, puisqu’ils connaissent les causes, ils peuvent démontrer à partir d’elles : mais la démonstration est un syllogisme qui fait savoir ainsi qu’on le dit au premier livre des Seconds Analytiques. Cependant ceux qui ont l’expérience ne peuvent enseigner car, ignorant les causes, ils ne peuvent conduire à la science. Et s’ils transmettent à d’autres les choses qu’ils connaissent par expérience, elles ne seront pas reçues par mode de science mais par mode d’opinion ou de foi. D’où il est évident que ceux qui possèdent la connaissance d’un art sont plus sages et plus savants que ceux qui ne connaissent que par expérience.

30. Ensuite lorsqu’il dit [11] : ¨ Mais plus encore ¨.

   Il présente le troisième argument que voici. La connaissance des singuliers est plus propre aux sens qu’à toute autre sorte de connaissance puisque toute connaissance des singuliers nous vient des sens. Cependant, ¨ pour aucun d’eux ¨ nous ne disons qu’il est une sagesse, c’est-à-dire que nous n’attribuons la sagesse à aucun sens pour cette raison que bien que tout sens connaisse qu’il en est ainsi, il n’en connaît cependant pas la raison. Le toucher en effet connaît que le feu est chaud mais il n’en connaît pas la raison : donc ceux qui ont l’expérience, possédant la connaissance des singuliers mais ignorant la cause, ne peuvent être appelés sages.

31. Ensuite lorsqu’il dit [12] : ¨ En premier lieu certes ¨, il compare l’art pratique à celui qui est spéculatif.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que l’art spéculatif est davantage sagesse que l’art pratique. En deuxième lieu il répond à une certaine objection, là [12] où il dit :   ¨ Dans les questions d’ordre moral ¨.

   Mais il manifeste ce qui a été dit en premier lieu au moyen du raisonnement suivant. Dans toutes les sciences et dans tous les arts où on retrouve la raison pour laquelle les hommes savants sont considérés avec admiration et respect en comparaison des autres hommes, ces sciences sont vues comme étant plus honorables et plus dignes de porter le nom de sagesse. Mais tout inventeur d’un art est considéré avec admiration pour cette raison qu’il possède un sens, un jugement et un discernement de la cause qui dépasse le sens des autres hommes et non à cause de l’utilité des choses qu’il a inventées : mais nous l’admirons davantage ¨ comme étant sage ¨ et comme ¨ distinct des autres ¨. Nous admirons sa sagesse certes quant à la poursuite minutieuse de la cause de la chose découverte : nous le voyons comme supérieur aux autres quant à la recherche des différences qui existent d’une chose à une autre. Ou bien on peut encore considérer l’expression ¨ se distinguant des autres ¨ comme étant attribuée sous la forme passive comme s’il était en cela distingué ou séparé des autres. De là dans une autre présentation on lit ¨ supérieur ¨. Donc, certaines sciences sont plus admirables et plus dignes du nom de sagesse en raison d’un jugement supérieur et non à cause de leur utilité.

32. Donc, puisque certaines sciences sont inventées pour leur utilité, dont certaines le sont pour les nécessités de la vie, comme les arts mécaniques, et d’autres en vérité comme introduction ou préparation aux autres sciences, comme la logique, cependant on doit dire que sont plus sages les hommes d’art dont les sciences ne sont pas inventées en vue de leur utilité, mais en vue du savoir lui-même, et font partie des sciences spéculatives.

33. Et que les sciences spéculatives ne soient pas inventées pour l’utilité, cela est évident au moyen de ce signe : car ¨ une fois possédés ¨, c’est-à-dire une fois acquis ou inventés, tous les arts de cette sorte qui sont tels qu’ils peuvent servir soit d’outils pour les autres sciences, soit de moyens pour répondre aux nécessités de la vie ou au seul agrément, comme les arts qui sont ordonnés au plaisir des hommes, les disciplines spéculatives au contraire n’ont pas été inventées pour des finalités de cette sorte, mais pour elles-mêmes. Et qu’elles ne soient pas inventées pour l’utilité, cela devient évident par l’examen du lieu d’où elles ont été inventées. En effet elles ont été inventées en premier dans les lieux où en premier les hommes se sont adonnés à l’étude de ces sortes de choses. Un autre manuscrit dit : ¨ Et d’abord en ces lieux où ils avaient du loisir ¨, c’est-à-dire que libérés des autres occupations, ils s’adonnaient à l’étude car ils vivaient comme dans l’abondance des choses nécessaires à la vie. Et c’est pourquoi c’est d’abord chez les Égyptiens que furent inventées les mathématiques, qui sont une discipline très spéculative, par ceux qui appartenaient à la caste sacerdotale, à qui on concédait de grands loisirs pour s’adonner à l’étude et qui recevaient une pension du trésor public ainsi qu’on le lit aussi dans le livre de la Genèse.

34. Et parce qu’on usait presqu’indifféremment des noms d’art, de sagesse et de science et afin que personne ne pense que ces noms seraient synonymes, c’est-à-dire que leur signification serait tout à fait identique, il écarte cette opinion en renvoyant au livre relatif aux questions d’ordre moral, c’est-à-dire au sixième livre des Éthiques où on dit en quoi diffèrent entre eux la science, l’art, la sagesse, la prudence et l’intelligence. Et pour le dire brièvement, la sagesse, la science et l’intelligence se rapportent à la partie spéculative de l’âme qu’il appelle ici la partie scientifique de l’âme. Elles diffèrent cependant entre elles, car l’intelligence est l’habitus des premiers principes de la démonstration. La science est l’habitus des conclusions qui se tirent des causes inférieures ou secondes, alors que la sagesse examine les causes premières. C’est pourquoi au même endroit on l’appelle aussi la tête des sciences. En vérité, la prudence et l’art se rapportent à la partie pratique de l’âme qui raisonne sur nos opérations contingentes mais elles diffèrent en ceci que la prudence nous dirige dans les actions qui ne passent pas dans une matière extérieure mais qui sont ordonnées à la perfection de celui qui agit : c’est pourquoi on dit de la prudence qu’elle est la raison droite à l’égard de nos agissements. L’art au contraire nous dirige dans les fabrications, lesquelles passent dans une matière extérieure, comme l’art de la construction et celui de la couture : c’est pourquoi on dit que l’art est la raison droite relative aux choses que l’on peut fabriquer.

35. Ensuite lorsqu’il dit [13] : ¨ Mais c’est en vue de quoi ¨, il manifeste son propos principal à partir de ce qui a été établi, à savoir que la sagesse se rapporte à la connaissance des causes. C’est pourquoi il dit que c’est la raison pour laquelle ¨ nous faisons maintenant cet exposé ¨, c’est-à-dire le développement qui précède : car cette science qu’on appelle la sagesse, se laisse voir comme se rapportant aux premières causes et aux premiers principes, ce qui apparaît avec clarté à partir de ce qui a été établi précédemment. Chaque homme en effet est d’autant plus sage qu’il parvient davantage à la connaissance de la cause, ce qui apparaît clairement dans ce qui précède. Car celui qui a l’expérience est plus sage que celui qui ne possède que le sens sans l’expérience. Celui qui possède l’art est plus sage que tout homme qui possède l’expérience. Et parmi tous les arts, celui qui est architectonique ou qui commande est plus sage que l’art du manœuvre. Et même parmi les arts et les sciences, les sciences spéculatives sont davantage des sciences que celles qui sont pratiques. Et tout cela est évident à la suite de ce que nous avons examiné. D’où il suit que cette science qui est la sagesse entendue purement et simplement, et non seulement sous un certain rapport, a pour objet d’étude les causes. Et cette manière d’argumenter est semblable à celle qu’on présenterait en disant : ce qui est plus chaud est plus près de la nature du feu; par conséquent le feu entendu purement et simplement  est chaud purement et simplement.

 

 

LECTIO 2

[81602] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 1Postquam philosophus ostendit quod sapientia sit quaedam scientia circa causas existens, hic vult ostendere circa quales causas et circa qualia principia sit. Ostendit autem quod est circa causas maxime universales et primas; et argumentatur a definitione sapientiae. Unde circa hoc tria facit. Primo colligit definitionem sapientiae ex his quae homines de homine sapiente et sapientia opinantur. Secundo ostendit quod omnia ista conveniunt universali scientiae, quae considerat causas primas et universales, ibi, istorum autem et cetera. Tertio concludit propositum, ibi, ex omnibus ergo et cetera. Circa primum ponit sex opiniones hominum communes quae de sapientia habentur. Primam, ibi, primum itaque et cetera. Quae talis est: quod communiter omnes accipimus sapientem maxime scire omnia, sicut eum decet, non quod habeat notitiam de omnibus singularibus. Hoc enim est impossibile, cum singularia sint infinita, et infinita intellectu comprehendi non possint.

[81603] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 2Deinde cum dicit postea difficilia secundam ponit: et est ista, quod illum sapientem ponimus esse, qui est potens ex virtute sui intellectus cognoscere difficilia, et illa quae non sunt levia communiter hominibus ad sciendum; quia commune est omnibus sentire, idest sensibilia cognoscere. Unde hoc est facile, et non est sophon, idest aliquid sapientis et ad sapientem pertinens: et sic patet, quod id quod proprie ad sapientem pertinet, non leviter ab omnibus cognoscitur.

[81604] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 3Deinde cum dicit adhuc certiorem tertiam ponit: et est, quod nos dicimus illum sapientem esse qui de his quae scit, habet certitudinem magis quam alii communiter habeant.

[81605] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 4Deinde cum dicit et magis quartam ponit: et est talis. Illum dicimus magis sapientem in omni scientia, qui potest assignare causas cuiuslibet quaesiti, et per hoc docere.

[81606] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 5Deinde cum dicit sed et hanc quintam ponit: et est, quod illa de numero scientiarum est sapientia, quae per se est magis eligibilis et voluntaria, idest volita gratia scientiae, et propter ipsum scire, quam illa scientia, quae est causa quorumque aliorum contingentium quae possunt ex scientia generari; cuiusmodi est necessitas vitae, delectatio et huiusmodi alia.

[81607] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 6Deinde cum dicit et hanc sextam ponit: et est talis, quod istam sapientiam, de qua facta est mentio, oportet esse vel dicimus esse magis antiquiorem, idest digniorem, famulante scientia. Quod quidem ex praehabitis intelligi potest. Nam in artibus mechanicis famulantes sunt illae, quae exequuntur manu operando praecepta superiorum artificum, quos supra architectores et sapientes nominavit.

[81608] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 7Et quod magis conveniat ratio sapientiae scientiis imperantibus quam famulantibus, probat per duo. Primo, quia scientiae famulantes ordinantur a superioribus scientiis. Artes enim famulantes ordinantur in finem superioris artis, sicut ars equestris ad finem militaris. Sed sapientem secundum omnem opinionem non decet ordinari ab alio, sed ipsum potius alios ordinare. Item inferiores architectores persuadentur a superioribus, inquantum credunt superioribus artificibus circa operanda vel fienda. Credit enim navisfactor gubernatori docenti qualis debet esse forma navis. Sapienti autem non convenit ut ab alio persuadeatur, sed quod ipse aliis persuadeat suam scientiam.

[81609] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 8Istae igitur sunt tales opiniones, quas homines accipiunt de sapientia et sapiente. Ex quibus omnibus potest quaedam sapientiae descriptio formari: ut ille sapiens dicatur, qui scit omnia etiam difficilia per certitudinem et causam, ipsum scire propter se quaerens, alios ordinans et persuadens. Et sic patet quasi maior syllogismi. Nam omnem sapientem oportet talem esse; et e converso, quicumque est talis, sapiens est.

[81610] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 9Deinde cum dicit istorum autem ostendit quod omnia praedicta conveniunt ei qui cognoscit primas causas et universales; et eo ordine prosequitur quo supra posuit. Unde primo posuit quod habenti scientiam universalem maxime insit omnia scire; quod erat primum. Quod sic patet. Quicumque enim scit universalia, aliquo modo scit ea quae sunt subiecta universalibus, quia scit ea in illa: sed his quae sunt maxime universalia sunt omnia subiecta, ergo ille qui scit maxime universalia, scit quodammodo omnia.

[81611] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 10Deinde cum dicit sed fere autem ostendit eidem inesse secundum, tali ratione. Illa quae sunt maxime a sensibilibus remota, difficilia sunt hominibus ad cognoscendum; nam sensitiva cognitio est omnibus communis, cum ex ea omnis humana cognitio initium sumat. Sed illa quae sunt maxime universalia, sunt sensibilibus remotissima, eo quod sensus singularium sunt: ergo universalia sunt difficillima hominibus ad cognoscendum. Et sic patet quod illa scientia est difficillima, quae est maxime de universalibus.

[81612] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 11Sed contra hoc videtur esse quod habetur primo physicorum. Ibi enim dicitur quod magis universalia sunt nobis primo nota. Illa autem quae sunt primo nota, sunt magis facilia. Sed dicendum, quod magis universalia secundum simplicem apprehensionem sunt primo nota, nam primo in intellectu cadit ens, ut Avicenna dicit, et prius in intellectu cadit animal quam homo. Sicut enim in esse naturae quod de potentia in actum procedit prius est animal quam homo, ita in generatione scientiae prius in intellectu concipitur animal quam homo. Sed quantum ad investigationem naturalium proprietatum et causarum, prius sunt nota minus communia; eo quod per causas particulares, quae sunt unius generis vel speciei, pervenimus in causas universales. Ea autem quae sunt universalia in causando, sunt posterius nota quo ad nos, licet sint prius nota secundum naturam, quamvis universalia per praedicationem sint aliquo modo prius quo ad nos nota quam minus universalia, licet non prius nota quam singularia; nam cognitio sensus qui est cognoscitivus singularium, in nobis praecedit cognitionem intellectivam quae est universalium. Facienda est etiam vis in hoc quod maxime universalia non dicit simpliciter esse difficillima, sedfere. Illa enim quae sunt a materia penitus separata secundum esse, sicut substantiae immateriales, sunt magis difficilia nobis ad cognoscendum, quam etiam universalia: et ideo ista scientia, quae sapientia dicitur, quamvis sit prima in dignitate, est tamen ultima in addiscendo.

[81613] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 12Deinde cum dicit scientiarum vero ostendit tertium eidem inesse, tali ratione. Quanto aliquae scientiae sunt priores naturaliter, tanto sunt certiores: quod ex hoc patet, quia illae scientiae, quae dicuntur ex additione ad alias, sunt minus certae scientiis quae pauciora in sua consideratione comprehendunt ut arithmetica certior est geometria, nam ea quae sunt in geometria, sunt ex additione ad ea quae sunt in arithmetica. Quod patet si consideremus quid utraque scientia considerat ut primum principium scilicet unitatem et punctum. Punctus enim addit supra unitatem situm: nam ens indivisibile rationem unitatis constituit: et haec secundum quod habet rationem mensurae, fit principium numeri. Punctus autem supra hoc addit situm. Sed scientiae particulares sunt posteriores secundum naturam universalibus scientiis, quia subiecta earum addunt ad subiecta scientiarum universalium: sicut patet, quod ens mobile de quo est naturalis philosophia, addit supra ens simpliciter, de quo est metaphysica, et supra ens quantum de quo est mathematica: ergo scientia illa quae est de ente, et maxime universalibus, est certissima. Nec illud est contrarium, quia dicitur esse ex paucioribus, cum supra dictum sit, quod sciat omnia. Nam universale quidem comprehendit pauciora in actu, sed plura in potentia. Et tanto aliqua scientia est certior, quanto ad sui subiecti considerationem pauciora actu consideranda requiruntur. Unde scientiae operativae sunt incertissimae, quia oportet quod considerent multas singularium operabilium circumstantias.

[81614] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 13Deinde cum dicit est et doctrinalis ostendit quartum eidem inesse, tali ratione. Illa scientia est magis doctrix vel doctrinalis, quae magis considerat causas: illi enim soli docent, qui causas de singulis dicunt; quia scire per causam est, et docere est scientiam in aliquo causare. Sed illa scientia quae universalia considerat, causas primas omnium causarum considerat: unde patet quod ipsa est maxime doctrix.

[81615] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 14Deinde cum dicit et noscere ostendit quintum eidem inesse, tali ratione. Illarum scientiarum maxime est scire et cognoscere earum causa, idest propter seipsas et non propter alias, quae sunt de maxime scibilibus: sed illae scientiae quae sunt de primis causis, sunt de maxime scibilibus: igitur illae scientiae maxime sui gratia desiderantur. Primam sic probat. Qui desiderat scire propter scire, magis desiderat scientiam: sed maxima scientia est de maxime scibilibus: ergo illae scientiae sunt magis desideratae propter seipsas quae sunt de magis scibilibus. Secundam probat sic. Illa, ex quibus et propter quae alia cognoscuntur, sunt magis scibilia his quae per ea cognoscuntur: sed per causas et principia alia cognoscuntur et non e converso, et cetera.

[81616] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 15Deinde cum dicit maxime vero ostendit sextum inesse eidem: et est ratio talis. Illa scientia se habet ad alias ut principalis, sive ut architectonica ad servilem sive ad famulantem, quae considerat causam finalem, cuius causa agenda sunt singula; sicut apparet in his, quae supra diximus. Nam gubernator, ad quem pertinet usus navis, qui est finis navis, est quasi architector respectu navisfactoris, qui ei famulatur. Sed praedicta scientia maxime considerat causam finalem rerum omnium. Quod ex hoc patet, quia hoc cuius causa agendo sunt singula, est bonum uniuscuiusque, idest particulare bonum. Finis autem bonum est in unoquoque genere. Id vero, quod est finis omnium, idest ipsi universo, est hoc quod est optimum in tota natura: et hoc pertinet ad considerationem praedictae scientiae: ergo praedicta est principalis, sive architectonica omnium aliarum.

[81617] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 16Deinde cum dicit ex omnibus concludit ex praedictis conclusionem intentam; dicens, quod ex omnibus praedictis apparet, quod in eamdem scientiam cadit nomen sapientiae, quod quaerimus; scilicet in illam scientiam, quae est theorica, idest speculativa primorum principiorum et causarum. Hoc autem manifestum est quantum ad sex primas conditiones, quae manifeste pertinent consideranti universales causas. Sed, quia sexta conditio tangebat finis considerationem, quae apud antiquos non manifeste ponebatur esse causa, ut infra dicetur; ideo specialiter ostendit, quod haec conditio est eiusdem scientiae, quae scilicet est considerativa primarum causarum; quia videlicet ipse finis, qui est bonum, et cuius causa fiunt alia, est una de numero causarum. Unde scientia, quae considerat primas et universales causas, oportet etiam quod consideret universalem finem omnium, quod est optimum in tota natura.

LEÇON 2 ─ L’objet de la sagesse

(nn. 36-51; [14-26]).

 

À partir de six traits qui caractérisent la sagesse, il en arrive à établir que la sagesse elle-même se rapporte aux causes les plus universelles et premières, et aux premiers principes.

 

36. Après avoir montré que la sagesse est une science  qui se rapporte aux causes, il veut ici montrer à quelle sorte de causes et de principes elle se rapporte. Mais il montre qu’elle a pour objet les causes les plus universelles et premières; et il établit son argumentation à partir de la définition de la sagesse.

   C’est pourquoi à ce sujet il fait trois choses. En premier il recueille une définition de la sagesse à partir des opinions que différents hommes ont présentées au sujet de l’homme sage et de la sagesse [14]. En deuxième lieu il montre que ces opinions conviennent toutes à cette science universelle qui considère les causes premières et universelles, là [20] où il dit : ¨ Mais de ceux-là etc.¨. En troisième lieu il conclut son propos, là [26] où il dit : ¨ Donc, à partir de tout etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente six opinions communément répandues chez les hommes au sujet de la sagesse.

   Il présente ici la première en disant [14] : ¨ Ainsi donc la première etc.¨, laquelle se présente ainsi : nous reconnaissons tous généralement que le sage est celui qui au plus haut point connaît tout, pour autant que cela lui convient, sans toutefois avoir la connaissance de tous les singuliers. Ce qui est impossible puisque ces derniers sont infinis et que l’infini ne peut être saisi par l’intelligence.

37. Ensuite lorsqu’il dit [15] : ¨ Puis les choses difficiles ¨.

   Il présente la deuxième opinion par laquelle on affirme que le sage est celui qui a la capacité par la puissance de son intelligence de connaître les choses difficiles et qui ne sont pas facilement accessibles à la connaissance des hommes en général; car la sensation, par laquelle on connaît les qualités sensibles des choses, est commune à tous les hommes. Par conséquent cette connaissance est facile et n’est pas en elle-même une sagesse, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une propriété du sage et ne lui appartient pas en tant que tel : et ainsi il apparaît que ce qui appartient en propre au sage n’est pas facilement connu de tous.

38. Ensuite lorsqu’il dit [16] : ¨ Et plus certaine encore ¨.

   Il présente la troisième opinion : nous disons encore que le sage est celui qui possède, au sujet des choses qu’il sait, une connaissance plus certaine que celle qui est généralement détenue par les autres.

39. Ensuite lorsqu’il dit [17] : ¨ Et plus encore ¨.

    Il présente la quatrième opinion : nous affirmons qu’un homme, en toute science, est plus sage lorsqu’il peut désigner les causes de la chose qu’il examine et grâce auxquelles il peut aussi enseigner.

40. Ensuite lorsqu’il dit [18]: ¨ Mais cette ¨.

 Il présente la cinquième opinion : parmi toutes les sciences, celle-là est la sagesse qui est la plus désirable et la plus digne d’être recherchée, c’est-à-dire qui est poursuivie en tant que science et qu’on veut davantage connaître pour elle-même que cette science qui est cause d’effets contingents qui peuvent découler de la science et qui répondent aux nécessités de la vie, à l’agrément ou à d’autres besoins de la sorte.

41. Ensuite lorsqu’il dit [19] : ¨ Et cette ¨.

   Il présente la sixième opinion : cette sagesse, dont il est fait mention, doit être, ou nous disons qu’elle doit être ¨plus ancienne¨, c’est-à-dire plus digne, ¨qu’une science qui est subordonnée¨, ce qui peut être compris à la lumière de ce que nous avons établi précédemment. Car dans les arts mécaniques, ceux qui sont subordonnés sont ceux qui sont exécutés par des manœuvres soumis à ceux qui maîtrisent les arts supérieurs et que nous avons nommés précédemment architectes et sages.

42. Et que la définition de la sagesse convienne davantage au savoir de ceux qui commandent qu’au savoir de ceux qui sont subordonnés, il le prouve au moyen de deux raisonnements. En premier lieu, les sciences subordonnées sont ordonnées par les sciences supérieures. En effet, les arts subordonnés sont ordonnés à la finalité de l’art supérieur, comme l’art équestre est ordonné à la finalité de l'art militaire. Mais on pense généralement qu’il ne convient pas au sage d’être ordonné à la finalité d’un autre, mais plutôt de régler les autres quant à leur finalité. De même, les architectes inférieurs sont persuadés par les architectes supérieurs en ceci qu’ils ont foi en eux touchant les opérations à accomplir et qui relèvent de leurs arts. En effet, celui qui fabrique le navire accorde sa foi en celui qui pilote le navire lorsque ce dernier lui enseigne quelle doit être la forme du navire. Mais il ne convient pas au sage d’être déterminé par un autre, mais il est plutôt lui-même celui par lequel  les autres sont déterminés dans leurs sciences.

43. Telles sont donc ces opinions que les hommes partagent sur la sagesse et sur l’homme sage, et à partir desquelles il est possible de former une certaine définition de la sagesse : on appelle sage celui qui sait toute chose, même les plus difficiles, avec certitude et au moyen de la cause, qui recherche le savoir pour lui-même et qui ordonne et détermine les autres dans leurs sciences respectives. Et cela apparaît ainsi comme la majeure d’un syllogisme, car tout sage doit être tel et inversement tous ceux qui sont tels sont des sages.

44. Ensuite lorsqu’il dit [20] : ¨ De ces éléments cependant ¨, il montre que tous les éléments de la définition qui précèdent correspondent à celui qui connaît les causes premières et universelles; et conformément à cette disposition il poursuit ce qu’il avait affirmé précédemment, dont premièrement ceci qu’il appartient au plus haut point à celui qui possède la science universelle de tout connaître. Ce qui devient évident si on considère que quiconque en effet connaît l’universel, connaît du même coup d’une certaine manière tous les cas particuliers qui sont contenus en lui car c’est en lui qu’il les connaît : mais à l’égard de ce qui existe de plus universel, toutes les choses sont dans une relation de subordination; donc, celui qui connaît le plus universel connaît tout d’une certaine manière.

45. Ensuite lorsqu’il dit [21] : ¨ Cependant, presque ¨.

   Il montre, au moyen de ce raisonnement, que c’est à la même personne qu’appartient le second élément de définition. Les réalités qui sont les plus éloignées des réalités sensibles sont aussi celles qui sont les plus difficiles à connaître par les hommes; car la connaissance sensible est commune à tous puisque c’est d’elle que toute connaissance humaine tire son origine. Mais les réalités les plus universelles sont les plus éloignées des réalités sensibles du fait que les sens se rapportent aux singuliers : donc les réalités les plus universelles sont les plus difficiles à connaître par les hommes. Et ainsi il est évident que cette science qui se rapporte aux réalités les plus universelles est la plus difficile à connaître.

46. Mais ce qu’on établit au premier livre des Physiques semble s’opposer à ce qu’on vient de dire. On y dit en effet que c’est ce qu’il y a de plus universel qui nous est connu en premier. Mais ce qu’on connaît en premier est aussi ce qu’il y a de plus facile à connaître. - Il faut cependant dire que ce qui est le plus universel selon la simple appréhension nous est connu en premier car, ainsi que le dit Avicenne, c’est d’abord la notion d’être qui apparaît dans l’intelligence, et la notion d’animal vient en elle avant la notion d’homme. Tout comme dans l’être naturel, qui procède de la puissance à l’acte, l’animal est antérieur à l’homme, de même dans la génération de la science l’intelligence conçoit l’animal antérieurement à l’homme. Néanmoins, du point de vue de la recherche des propriétés et des causes des choses naturelles, ce sont les notions les moins communes qui nous sont connues en premier, du fait que c’est au moyen des causes les plus particulières appartenant à un genre ou à une espèce que nous remontons aux causes les plus universelles. Mais l’universel dans l’ordre de la causalité est postérieur quant à notre connaissance quoiqu’il soit antérieur quant à ce qui est connaissable selon sa nature, bien que l’universel par mode de prédication soit en un sens connu quant à nous antérieurement à ce qui est moins universel quoiqu’il ne le soit pas antérieurement aux singuliers; car la connaissance sensible, qui se rapporte aux singuliers, précède en nous la connaissance intellectuelle qui a pour objet propre l’universel. - Mais il faut faire effort ici pour voir qu’il ne dit pas que les notions les plus universelles sont les plus difficiles à saisir, mais il dit plutôt qu’elles le sont ¨presque¨. En effet, les réalités qui sont tout à fait séparées de la matière selon l’être, comme le sont les substances immatérielles, sont plus difficiles, même que les notions les plus universelles, à connaître de nous; et c’est pourquoi cette science, bien qu’elle soit première dans l’ordre de la dignité, est cependant la dernière dans l’ordre de l’acquisition.

47. Ensuite lorsqu’il dit [22] : ¨ Mais parmi les sciences ¨.

    C’est par le raisonnement suivant qu’il montre que le troisième élément de définition appartient lui aussi au sage. Une science est d’autant plus certaine qu’elle est antérieure par nature, ce qui devient évident au moyen de ceci que ces sciences dont on dit qu’elles découlent des autres par manière d’ajout sont moins certaines que celles dont l’étude saisit peu de choses, comme par exemple l’arithmétique est plus certaine que la géométrie car les choses que l’on considère en géométrie le sont à partir d’ajouts à ce qui est examiné en arithmétique. Cela devient évident si on considère ce que chacune de ces deux sciences examine comme premier principe, à savoir l’unité et le point. Le point en effet ajoute le lieu à la notion d’unité. Car c’est l’être indivisible qui constitue la notion d’unité : et cette dernière, selon qu’elle a raison de mesure, devient le principe du nombre. Mais à cela le point ajoute la notion de lieu. Mais les sciences particulières sont postérieures par nature aux sciences universelles car ce qu’on y expose ajoute aux objets respectifs des sciences universelles ainsi qu’on le voit pour l’être mobile, objet de la philosophie de la nature, qui ajoute à l’être entendu purement et simplement, examiné en métaphysique, et à l’être ayant une quantité, objet de la mathématique : donc cette science, dont l’objet est l’être et les notions les plus universelles, est la plus certaine. Et cela ne pose pas de difficulté de dire que les sciences les plus universelles portent sur peu de choses alors qu’on a dit plus haut que par elles on connaît tout. Car l’universel contient certes peu de chose en acte, mais une multitude en puissance. Et une science est d’autant plus certaine que peu de choses à examiner sont exigées quant à la considération de son objet. C’est pourquoi les sciences pratiques sont les moins certaines car elles doivent se pencher sur une multitude de circonstances relatives aux œuvres singulières qu’elles ont à réaliser.

48. Ensuite lorsqu’il dit [23] : ¨ Celle qui peut être enseignée est ¨.

   Il montre, au moyen du raisonnement suivant, que le quatrième élément de définition appartient encore au sage. Cette science est d’autant plus celle d’un maître capable d’enseigner qu’elle examine davantage les causes : en effet, ceux-là seuls enseignent qui sont capables de dire quelles sont les causes des effets singuliers observés; car connaître au moyen des causes et enseigner, c’est engendrer la science dans un autre. Mais cette science dont on parle qui considère l’universel se trouve à examiner les causes premières qui sont au principe de toutes les autres causes : d’où il suit qu’elle est elle-même la plus capable d’enseigner.

49. Ensuite lorsqu’il dit [24] : ¨ Et connaître ¨.

   Il manifeste, par le raisonnement suivant, que le cinquième élément de la définition appartient aussi au sage. Il appartient au plus haut point à ces sciences qui savent et connaissent les causes des réalités qui sont suprêmement connaissables d’être les plus désirables pour elles-mêmes; mais ces sciences qui ont pour objet les causes premières portent sur ce qui est le plus suprêmement connaissable; ces sciences sont donc au plus haut point désirables pour elles-mêmes. – Et il prouve ainsi la majeure. Celui qui désire davantage la science est celui qui désire davantage connaître pour connaître : mais c’est la science qui porte sur l’objet suprêmement connaissable qui est la science suprême; donc ce sont les sciences qui portent ce qui est suprêmement connaissable qui sont les plus désirables pour elles-mêmes. – Et il prouve ainsi la mineure. Ces principes à partir desquels et en vue desquels tout le reste est connu sont plus connaissable que ceux qui sont connus par eux : mais c’est par les causes et les principes que le reste est connu et non l’inverse; donc, ce sont eux qui sont le plus suprêmement connaissables.

50. Ensuite lorsqu’il dit [25] : ¨ En vérité il appartient au plus haut point ¨.

   Il montre finalement, par ce raisonnement, que le sixième élément de la définition appartient lui aussi au sage. C’est la science qui considère la cause finale, en vue de laquelle tous les moyens singuliers doivent être mis en opération, qui est la science qui se rapporte aux autres comme étant première ou comme architectonique à l’égard de celles qui lui sont subordonnées ou qui sont à son service, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce que nous avons dit plus haut. Car le pilote du navire auquel revient l’usage du navire qui est aussi sa finalité, est comme un architecte à l’égard de celui qui le fabrique et qui est son subordonné. Mais la science dont nous traitons considère au plus haut point la cause finale de toute chose. Ce qui apparaît à partir de ceci que cela même, en vue de quoi les moyens singuliers doivent être mis en opération, est pour une chose son bien, c’est-à-dire le bien qui lui correspond. Quel que soit le genre de choses qu’on examine, la fin est le bien. En réalité, ce qui est le bien de toutes les choses, c’est-à-dire de l’ensemble de l’univers, est ce qu’il y a de meilleur dans toute la nature : et c’est à cela que se rapporte l’examen de cette science; donc, c’est cette science qui est première ou architectonique à l’égard de toutes les autres.

51. Ensuite lorsqu’il dit [26] : ¨ À partir de tout ¨.

   Il termine, à partir de ce qui précède, par la conclusion qu’il se proposait en disant qu’à partir de tout ce qui a été dit il est évident que c’est à la même science, laquelle est l’objet de notre recherche, que revient le nom de sagesse, c’est-à-dire à cette science qui est théorique et spéculative à l’égard des premiers principes et des premières causes. Et cela est particulièrement évident si on se rapporte aux six éléments de définition qui précèdent et qui appartiennent manifestement à celui qui doit considérer les causes universelles. Mais, parce que le sixième élément visait la considération de la finalité qui chez les Anciens n’était pas clairement établie comme une cause, ainsi que nous le verrons plus loin, c’est pourquoi il a voulu montrer d’une manière spéciale que cet élément appartient à la même science, c’est-à-dire à celle qui considère les causes premières; car il est clair que la fin, qui est le bien et cela même en vue de quoi tout le reste vient à exister, fait partie de l’ensemble des causes. C’est pourquoi la science qui considère les causes premières et universelles doit aussi examiner la finalité universelle de toutes les choses qui est aussi la perfection de toute la nature.

 

 

LECTIO 3

[81618] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 1Ostenso circa quae versatur consideratio huius scientiae, ostendit qualis sit scientia ista. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit dignitatem huius scientiae. Secundo ostendit ad quem terminum ista scientia pervenire conetur, ibi, oportet vero aliqualiter et cetera. Circa primum facit quatuor. Primo ostendit quod non est scientia activa, sed speculativa. Secundo, quod ipsa est libera maxime, ibi, sed ut dicimus et cetera. Tertio, quod non est humana, ibi, propter quod et iuste. Quarto, quod est honorabilissima, ibi, nec ea aliam. Primum ostendit dupliciter. Primo per rationem. Secundo per signum, ibi, testatur autem hoc et cetera.

[81619] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 2Primo ergo ponit talem rationem. Nulla scientia in qua quaeritur ipsum scire propter seipsum, est scientia activa, sed speculativa: sed illa scientia, quae sapientia est, vel philosophia dicitur, est propter ipsum scire: ergo est speculativa et non activa. Minorem hoc modo manifestat. Quicumque quaerit fugere ignorantiam sicut finem, tendit ad ipsum scire propter seipsum: sed illi, qui philosophantur, quaerunt fugere ignorantiam sicut finem: ergo tendunt in ipsum scire propter seipsum.

[81620] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 3Quod autem ignorantiam fugere quaerant, patet ex hoc, quia illi, qui primo philosophati sunt, et qui nunc philosophantur, incipiunt philosophari propter admirationem alicuius causae: aliter tamen a principio, et modo: quia a principio admirabantur dubitabilia pauciora, quae magis erant in promptu, ut eorum causae cognoscerentur: sed postea ex cognitione manifestorum ad inquisitionem occultorum paulatim procedentes incoeperunt dubitare de maioribus et occultioribus, sicut de passionibus lunae, videlicet de eclypsi eius, et mutatione figurae eius, quae variari videtur, secundum quod diversimode se habet ad solem. Et similiter dubitaverunt de his quae sunt circa solem, ut de eclypsi eius, et motu ipsius, et magnitudine eius. Et de his quae sunt circa astra, sicut de quantitate ipsorum, et ordine, et aliis huiusmodi, et de totius universi generatione. Quod quidam dicebant esse generatum casu, quidam intellectu, quidam amore.

[81621] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 4Constat autem, quod dubitatio et admiratio ex ignorantia provenit. Cum enim aliquos manifestos effectus videamus, quorum causa nos latet, eorum tunc causam admiramur. Et ex quo admiratio fuit causa inducens ad philosophiam, patet quod philosophus est aliqualiter philomythes, idest amator fabulae, quod proprium est poetarum. Unde primi, qui per modum quemdam fabularem de principiis rerum tractaverunt, dicti sunt poetae theologizantes, sicut fuit Perseus, et quidam alii, qui fuerunt septem sapientes. Causa autem, quare philosophus comparatur poetae, est ista, quia uterque circa miranda versatur. Nam fabulae, circa quas versantur poetae, ex quibusdam mirabilibus constituuntur. Ipsi etiam philosophi ex admiratione moti sunt ad philosophandum. Et quia admiratio ex ignorantia provenit, patet quod ad hoc moti sunt ad philosophandum ut ignorantiam effugarent. Et sic deinde patet, quod scientiam,persecuti sunt, idest studiose quaesierunt, solum ad cognoscendum, et non causa alicuius usus idest utilitatis.

[81622] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 5Notandum est autem, quod cum prius nomine sapientiae uteretur, nunc ad nomen philosophiae se transfert. Nam pro eodem accipiuntur. Cum enim antiqui studio sapientiae insistentes sophistae, idest sapientes vocarentur, Pythagoras interrogatus quid se esse profiteretur, noluit se sapientem nominare, sicut sui antecessores, quia hoc praesumptuosum videbatur esse; sed vocavit se philosophum, idest amatorem sapientiae. Et exinde nomen sapientis immutatum est in nomen philosophi, et nomen sapientiae in nomen philosophiae. Quod etiam nomen ad propositum aliquid facit. Nam ille videtur sapientiae amator, qui sapientiam non propter aliud, sed propter seipsam quaerit. Qui enim aliquid propter alterum quaerit, magis hoc amat propter quod quaerit, quam quod quaerit.

[81623] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 6Deinde cum dicit testatur autem probat idem per signum; dicens, quod hoc quod dictum est, scilicet quod sapientia vel philosophia non sit propter aliquam utilitatem quaesita, sed propter ipsam scientiam, testatur accidens, idest eventus, qui circa inquisitores philosophiae provenit. Nam cum eis cuncta fere existerent, quae sunt ad necessitatem vitae, et quae sunt ad pigritiam, idest ad voluptatem, quae in quadam vitae quiete consistit, et quae sunt etiam ad eruditionem necessaria, sicut scientiae logicales, quae non propter se quaeruntur, sed ut introductoriae ad alias artes, tunc primo incoepit quaeri talis prudentia, idest sapientia. Ex quo patet, quod non quaeritur propter aliquam necessitatem aliam a se, sed propter seipsam: nullus enim quaerit hoc quod habetur. Unde, quia omnibus aliis habitis ipsa quaesita est, patet quod non propter aliquid aliud ipsa quaesita est, sed propter seipsam.

[81624] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 7Deinde cum dicit sed ut dicimus hic probat secundum, scilicet quod ipsa sit libera; et utitur tali ratione. Ille homo proprie dicitur liber, qui non est alterius causa, sed est causa suiipsius. Servi enim dominorum sunt, et propter dominos operantur, et eis acquirunt quicquid acquirunt. Liberi autem homines sunt suiipsorum, utpote sibi acquirentes et operantes. Sola autem haec scientia est propter seipsam: ergo ipsa sola est libera inter scientias.

[81625] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 8Et notandum, quod hoc potest dupliciter intelligi. Uno modo quod hoc quod dicitur haec sola demonstret in genere omnem scientiam speculativam. Et tunc verum est quod solum hoc genus scientiarum propter seipsum quaeritur. Unde et illae solae artes liberales dicuntur, quae ad sciendum ordinantur: illae vero quae ordinantur ad aliquam utilitatem per actionem habendam, dicuntur mechanicae sive serviles. Alio modo, ut demonstret specialiter istam philosophiam, sive sapientiam, quae est circa altissimas causas; quia inter causas altissimas etiam est finalis causa, ut supra dictum est. Unde oportet, quod haec scientia consideret ultimum et universalem finem omnium. Et sic omnes aliae scientiae in eam ordinantur sicut in finem; unde sola ista maxime propter se est.

[81626] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 9Deinde cum dicit propter quod hic probat tertium scilicet quod non sit humana. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo excludit quorumdam errorem, ibi, quare secundum Simonidem et cetera. Ostendit autem propositum suum tali ratione. Scientia, quae est maxime libera, non potest esse ut possessio naturae illius, quae multipliciter est ministra vel ancilla: humana autem natura in multis, idest quantum ad multa est ministra: ergo praedicta scientia non est humana possessio. Dicitur autem humana natura ministra, inquantum multipliciter necessitatibus subditur. Ex quo provenit, quod quandoque praetermittit id quod est secundum se quaerendum, propter ea quae sunt necessaria vitae; sicut dicitur in tertio topicorum, quod philosophari melius est quam ditari, licet ditari quandoque sit magis eligendum, puta indigenti necessariis. Ex quo patet, quod illa sapientia tantum propter seipsam quaeritur, quae non competit homini ut possessio. Illud enim habetur ab homine ut possessio, quod ad nutum habere potest, et quo libere potest uti. Ea autem scientia, quae propter se tantum quaeritur, homo non potest libere uti, cum frequenter ab ea impediatur propter vitae necessitatem. Nec etiam ad nutum subest homini, cum ad eam perfecte homo pervenire non possit. Illud tamen modicum quod ex ea habetur, praeponderat omnibus quae per alias scientias cognoscuntur.

[81627] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 10Deinde cum dicit quare secundum hic excludit errorem cuiusdam Simonidis poetae, qui dicebat, quod soli Deo competit hunc honorem habere, quod velit illam scientiam, quae est propter seipsam quaerenda, et non propter aliud. Sed non est dignum viro, quod non quaerat illam scientiam quae est secundum suam conditionem, quae scilicet ordinatur ad necessaria vitae, quibus homo indiget.

[81628] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 11Iste autem error Simonidis proveniebat ex aliquorum poetarum errore, qui dicebant, quod res divina invidet, et ex invidia ea quae ad honorem suum pertinent non vult Deus ab omnibus acceptari. Et si in aliis Deus hominibus invidet, multo magis est iustum in hoc, scilicet in scientia propter se quaesita, quae est honorabilissima inter omnia. Et secundum eorum opinionem, sequitur, quod omnes imperfecti sunt infortunati. Fortunatos enim esse homines dicebant ex providentia deorum, qui eis bona sua communicabant. Unde ex invidia deorum sua bona communicare nolentium, sequitur, quod homines extra perfectionem huius scientiae remanentes sint infortunati.

[81629] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 12Sed radix huius opinionis est falsissima; quia non est conveniens, quod aliqua res divina invideat. Quod ex hoc patet, quia invidia est tristitia de prosperitate alicuius. Quod quidem accidere non potest, nisi quia bonum alterius aestimatur ab invido ut proprii boni diminutio. Deo autem non convenit esse tristem, cum non sit alicui malo subiectus. Nec etiam per bonum alterius eius bonum diminui potest; quia ex eius bonitate, sicut ex indeficienti fonte, omnia bona effluunt. Unde etiam Plato dixit, quod a Deo est omnis relegata invidia. Sed poetae non solum in hoc, sed in multis aliis mentiuntur, sicut dicitur in proverbio vulgari.

[81630] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 13Deinde cum dicit nec ea aliam ostendit quartum, scilicet quod haec scientia sit honorabilissima, tali ratione. Illa scientia est maxime honorabilis, quae est maxime divina, sicut etiam Deus honorabilior est rebus omnibus: sed ista scientia est maxime divina: ergo est honorabilissima. Minor sic probatur. Aliqua scientia dicitur esse divina dupliciter; et haec sola scientia utroque modo divina dicitur. Uno modo scientia divina dicitur quam Deus habet. Alio modo, quia est de rebus divinis. Quod autem haec sola habeat utrumque, est manifestum; quia, cum haec scientia sit de primis causis et principiis, oportet quod sit de Deo; quia Deus hoc modo intelligitur ab omnibus, ut de numero causarum existens, et ut quoddam principium rerum. Item talem scientiam, quae est de Deo et de primis causis, aut solus Deus habet, aut si non solus, ipse tamen maxime habet. Solus quidem habet secundum perfectam comprehensionem. Maxime vero habet, inquantum suo modo etiam ab hominibus habetur, licet ab eis non ut possessio habeatur, sed sicut aliquid ab eo mutuatum.

[81631] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 14Ex his autem ulterius concludit, quod omnes aliae scientiae sunt necessariae magis quam ista ad aliquam vitae utilitatem: minus enim sunt propter se quaesitae. Sed nulla aliarum dignior ista potest esse.

[81632] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 15Deinde cum dicit oportet vero hic ponit terminum, in quem proficit ista scientia; et dicit quod ordo eius consistit vel terminatur ad contrarium eius quod erat in illis qui prius istam scientiam quaerebant. Sicut etiam in generationibus naturalibus et motibus accidit. Nam unusquisque motus terminatur ad contrarium eius a quo motus incipit. Unde, cum inquisitio sit motus quidam ad scientiam, oportet quod terminetur ad contrarium eius a quo incipit. Initiata est autem (ut praedictum est) inquisitio huius scientiae ab admiratione de omnibus: quia primi admirabantur pauciora, posteriores vero occultiora. Quae quidem admiratio erat, si res ita se haberet sicut automata mirabilia, idest quae videntur mirabiliter a casu accidere. Automata enim dicuntur quasi per se accidentia. Admirantur enim homines praecipue quando aliqua a casu eveniunt hoc modo, ac si essent praevisa vel ex aliqua causa determinata. Casualia enim non a causa sunt determinata, et admiratio est propter ignorantiam causae. Et ideo cum homines nondum poterant speculari causas rerum, admirabantur omnia quasi quaedam casualia. Sicut admirantur circa conversiones solis, quae sunt duae; scilicet duos tropicos, hyemalem et aestivalem. Nam in tropico aestivali incipit sol converti versus meridiem, cum prius versus Septemtrionem tenderet. In tropico autem hyemali e converso. Et etiam circa hoc quod diameter non est commensurabilis lateri quadrati. Cum enim non mensurari videatur esse solius indivisibilis, sicut sola unitas est quae non mensuratur a numero, sed ipsa omnes numeros mensurat, mirum videtur si aliquid quod non est indivisibile non mensuratur; ac per hoc id quod non est minimum non mensuratur. Constat autem, quod diametrum quadrati et latus eius non sunt indivisibilia, sive minima. Unde mirum videtur si non sunt commensurabilia.

[81633] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 16Cum ergo philosophiae inquisitio ab admiratione incipiat, oportet ad contrarium finire vel proficere; et ad id proficere quod est dignius, ut proverbium vulgare concordat, quo dicitur, quod semper proficere est in melius. Quid enim sit illud contrarium et dignius, patet in praedictis mirabilibus; quia quando iam homines discunt causas praedictorum, non mirantur. Ut geometer non admiratur si diameter sit incommensurabilis lateri. Scit enim causam huius; quia scilicet proportio quadrati diametri ad quadratum lateris non est sicut proportio numeri quadrati ad numerum quadratum, sed sicut proportio duorum ad unum. Unde relinquitur, quod proportio lateris ad diametrum non sit sicut proportio numeri ad numerum. Et ex hoc patet quod commensurari non possunt. Illae enim solae lineae sunt commensurabiles, quarum proportio ad invicem est sicut proportio numeri ad numerum. Erit ergo finis huius scientiae in quem proficere debemus, ut causas cognoscentes, non admiremur de earum effectibus.

[81634] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 3 n. 17Patet igitur ex praedictis quae sit natura huius scientiae, quia est speculativa, libera, non humana, sed divina: et quae est eius intentio, qua oportet habere quaestionem et totam methodum et totam hanc artem. Intendit enim circa primas et universales rerum causas, de quibus etiam inquirit et determinat. Et propter harum cognitionem ad praedictum terminum pervenit, ut scilicet non admiretur cognitis causis.

LEÇON 3 ─ Caracéristiques de la Sagesse

(nn. 52-68; [27-33]).

Il montre que la métaphysique est une science spéculative, libérale, qu’elle n’est pas une possession humaine et qu’elle est, parmi toutes les autres sciences, la plus honorable; il affirme de plus quel en est la finalité et le terme.

 

52. Ayant montré l’objet vers lequel se tourne cette science, il nous montre ici la nature de cette science.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre la dignité de cette science [27]. En deuxième lieu il montre à quel terme cette science cherche à parvenir, là [33] où il dit : ¨ En vérité il faut en quelque sorte etc.¨.

   Au sujet du premier point, il fait quatre choses. En premier lieu il montre qu’elle n’est pas une science pratique, mais une science spéculative [27]. En deuxième lieu, qu’elle est suprêmement libre, là [29] où il dit : ¨ Mais comme nous disons, etc.¨. En troisième lieu, qu’elle n’est pas humaine, là [30] où il dit : ¨ Pour cette raison et à juste titre ¨. En quatrième lieu, qu’elle est la plus honorable, là [32] où il dit : ¨ Et il n’y a pas une autre science ¨.

   Il manifeste le premier point de deux façons. En premier lieu par un raisonnement [27]. En deuxième lieu par un signe, là [28] où il dit : ¨ Cependant, cela atteste etc.¨.

53. Donc en premier lieu il présente ce raisonnement [27]. Aucune science dans laquelle le savoir est recherché pour lui-même n’est une science pratique, mais dans ce cas, au contraire, toute science est spéculative : mais cette science, qui est la sagesse, ou qu’on appelle philosophie, recherche le savoir pour lui-même; elle est donc spéculative et non pratique. Et il manifeste ainsi la mineure. Quiconque cherche comme finalité à fuir l’ignorance recherche le savoir pour lui-même : mais ceux qui philosophent cherchent comme finalité à fuir l’ignorance; donc, ils recherchent le savoir pour lui-même.

54. Mais qu’ils cherchent à fuir l’ignorance, cela devient évident si on considère que ceux qui furent parmi les premiers à philosopher, tout comme ceux qui philosophent maintenant, commencèrent à le faire en raison d’un étonnement à l’égard d’une cause : ils le firent cependant différemment au commencement et selon un mode différent; car au début ils s’étonnaient pour peu de questions qui s’offraient davantage comme d’elles-mêmes à leur esprit de manière à ce qu’ils puissent en connaître les causes. Mais par la suite, à partir de la connaissance de ces vérités plus manifestes et procédant peu à peu à la recherche de ce qui moins évident, ils commencèrent à s’interroger sur des questions plus élevées et plus mystérieuses, comme sur les propriétés de la lune, c’est-à-dire sur ses éclipses et sur les différentes figures décrites par ses mouvements qui semblaient varier selon ses différentes positions par rapport au soleil. Et de même ils s’interrogeaient sur les propriétés du soleil, comme ses éclipses, son mouvement et son étendue. Ils s’interrogeaient encore sur les astres, en particulier sur leur nombre, leurs dispositions respectives les uns à l’égard des autres et sur d’autres questions du même genre, ainsi que sur la genèse de l’ensemble de l’Univers, dont certains affirmaient qu’il venait du hasard, d’autres d’une intelligence et d’autres enfin de l’amour.

55. Il est évident cependant qu’une question et un étonnement proviennent d’une ignorance. En effet, lorsque nous observons des phénomènes évidents dont la cause nous est cachée, alors nous nous étonnons de leurs causes. Et, à partir de cet étonnement, qui nous a menés à la philosophie, il est évident que le philosophe est d’une certaine manière un amateur de mythes, c’est-à-dire qu’il aime les fables qui sont le propre des poètes. C’est pourquoi les premiers, qui par manière de fable traitèrent des principes des choses, furent appelés poètes théologiens, comme Persée et certains autres qui furent du nombre des sept sages. La raison pour laquelle le philosophe est comparé au poète est que l’un et l’autre sont tournés vers le merveilleux. Car les fables dont traitent les poètes sont construites à partir de faits merveilleux. Et c’est aussi à partir d’un étonnement que les philosophes furent conduits à philosopher. Et parce que l’étonnement vient d’une ignorance, il est évident que c’est pour fuir l’ignorance qu’ils furent conduits à philosopher. Et ainsi il apparaît ensuite qu’ils poursuivirent la science, c’est-à-dire qu’ils en firent une recherche attentive, dans le seul but de connaître, et non en vue de quelque ¨emploi¨ ou de quelque utilité.

56. Il faut cependant noter que le nom de sagesse dont on se servait autrefois a été changé en celui de philosophie car on entend ces deux termes de la même manière. Comme en effet les anciens qui s’appliquaient à l’étude de la sagesse étaient appelés sophistes, c’est-à-dire sages, Pythagore, interrogé sur ce qu’il déclarait être, refusa, contrairement à ses prédécesseurs, de s’appeler sage parce que l’usage de ce terme lui semblait faire preuve de présomption; il préféra se donner le nom de philosophe qui signifie amant de la sagesse. Et ainsi le nom de sage fut remplacé par celui de philosophe et le nom de sagesse par celui de philosophie. Et même ce nom contribue à manifester quelque chose de notre propos car c’est celui qui recherche la sagesse pour elle-même et non en vue d’autre chose qui apparaît être un amant de la sagesse. En effet, celui qui recherche une chose en raison d’une autre chose manifeste par là qu’il recherche davantage la raison pour laquelle la chose est recherchée que la chose recherchée elle-même.

57. Ensuite lorsqu’il dit [28] : ¨ Cependant cela atteste etc.¨.

   Il prouve la même chose au moyen d’un signe en disant que ce qui a été dit précédemment, à savoir que la sagesse ou la philosophie n’est pas recherchée en vue d’une utilité mais pour le savoir lui-même, cela est attesté par un ¨accident¨, c’est-à-dire par un fait qui se passa à l’époque de ceux qui recherchaient la philosophie. Car pour eux, puisque toutes les choses qui intéressent les nécessités de la vie et le loisir, à savoir l’agrément qui consiste en une certaine tranquillité de vie, ainsi que celles aussi qui sont nécessaires aux connaissances comme les sciences logiques qui ne sont pas recherchées pour elles-mêmes mais qui préparent aux autres sciences et aux autres arts, avaient toutes été déjà inventées, c’est alors qu’une telle prudence ou sagesse commença en premier à être recherchée. D’où il est manifeste qu’une telle sagesse n’est pas recherchée en vue d’une utilité en dehors d’elle-même, mais pour elle-même. En effet, personne ne recherche ce qu’il possède déjà. C’est pourquoi, puisqu’elle fut recherchée alors que tout le reste était déjà possédé, il est évident qu’elle ne fut pas recherchée en ayant en vue quelque chose d’autre, mais pour elle-même.

58. Ensuite lorsqu’il dit [29] : ¨ Mais comme nous le disons ¨.

   Il prouve ici le deuxième point, à savoir que cette science est libre, au moyen de ce raisonnement. On dit qu’un homme est libre à proprement parler lorsqu’il n’existe pas pour un autre mais qu’il est à lui-même sa propre fin. Les esclaves en effet appartiennent à leurs maîtres et tout ce qu’ils font ils le font pour leurs maîtres et c’est à ces derniers que revient tout ce qu’ils acquièrent. Mais les hommes libres sont leurs propres maîtres et c’est pour eux-mêmes que sont accomplies toutes leurs acquisitions et toutes leurs opérations. Mais cette science est la seule à exister pour elle-même; elle est donc la seule parmi toutes les sciences à être libre.

59. Et il faut noter que ce qui est dit ici peut s’entendre de deux manières. En un sens, lorsqu’on dit que ¨ cette science est la seule ¨, on peut vouloir désigner le genre de toutes les sciences spéculatives. Et alors il vrai de dire que seul ce genre de sciences est recherché pour lui-même. C’est pourquoi on dit aussi que les arts libéraux qui sont ceux qui sont ordonnés au savoir alors que ceux qui sont ordonnés à quelque utilité au moyen d’une opération, on les appelle au contraire arts mécaniques ou serviles. En un autre sens, cette même expression peut désigner plus spécialement cette partie de la philosophie, à savoir la sagesse, qui se rapporte aux causes les plus élevées; car parmi les causes les plus élevées se trouve aussi la cause finale, ainsi que nous l’avons dit précédemment (n. 51). D’où il importe que cette science examine aussi la finalité universelle et ultime de tout ce qui existe. Et ainsi toutes les autres sciences sont ordonnées à cette dernière science comme à leur finalité. C’est pourquoi cette science est la seule à exister au plus haut point pour elle-même.

60. Ensuite, lorsqu’il dit [30] : ¨ C’est pourquoi ¨.

   Il prouve ici le troisième point, à savoir que cette science n’est pas une possession humaine.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre son propos [30]. En deuxième lieu il écarte une erreur exprimée par certains, là [31] où il dit : ¨ C’est pourquoi d’après Simonide etc.¨.

   Et il manifeste son propos au moyen de ce raisonnement. La science qui est suprêmement libre ne peut être la possession de cette nature qui de tant de manières est esclave ou servile : mais la nature humaine est esclave ¨en beaucoup de choses¨, c’est-à-dire à l’égard d’une multitude de choses : cette science, la sagesse, n’est pas une possession humaine. – On dit cependant que la nature humaine est esclave dans la mesure où elle est assujettie de plusieurs manières aux nécessités de la vie. D’où il suit qu’elle néglige souvent ce qui doit être recherché pour soi-même au profit de ces choses qui sont nécessaires à la vie ainsi qu’il est dit au troisième livre des Topiques que la philosophie est préférable à la richesse, bien que la richesse doive parfois être préférée, spécialement par ceux qui manquent de ce qui est nécessaire à la vie. D’où il est évident que cette sagesse est la seule science à être désirée pour elle-même, et elle n’appartient pas à l’homme à la manière d’une possession. En effet, ce qui est possédé par l’homme à la manière d’une possession est soumis à son pouvoir et il peut s’en servir à volonté. Mais cette science, qui est la seule à être recherchée pour elle-même, l’homme ne peut s’en servir librement puisqu’il est fréquemment empêché de s’y adonner en raison des nécessités de la vie. Et elle n’est pas soumise à la volonté de l’homme puisque ce dernier est incapable d’y accéder parfaitement. Cependant, le peu qu’il puisse en tirer surpasse de beaucoup tout ce qu’il peut connaître par les autres sciences.

61. Ensuite lorsqu’il dit [31] : ¨ C’est pourquoi d’après ¨.

   Il écarte ici l’erreur du poète Simonide qui disait que c’est à Dieu seul qu’il appartient d’avoir cet honneur de vouloir cette science qui est recherchée pour elle-même et non pour autre chose. Et qu’il ne convient pas à l’homme de ne pas rechercher cette science qui est conforme à sa condition, c’est-à-dire celle qui est ordonnée aux choses nécessaires à la vie dont l’homme a besoin.

62. Mais cette erreur de Simonide provenait d’une erreur de certains poètes qui affirmaient que la divinité est jalouse et que Dieu, par jalousie, ne veut pas que ce qui lui revient comme honneur soit reçu en partage par tous. Et si Dieu est jaloux des hommes pour les autres choses, il doit l’être à plus forte raison pour celle-ci, à savoir pour la science qui est recherchée pour elle-même et qui est la plus honorable de toutes. Et d’après leur opinion il s’ensuit que tous ceux qui sont imparfaits sont malheureux. Ils disaient en effet que les hommes tirent leur bonheur de la providence des dieux qui leur communiquent leurs biens. C’est pourquoi les dieux, en raison de leur jalousie, ne voulant pas communiquer aux hommes leurs biens, il s’ensuit que les hommes devaient être malheureux de demeurer à l’écart de la perfection de cette science.

63. Mais l’origine de cette erreur est la plus fausse; car il ne convient pas à la divinité d’être jalouse. Cela apparaît évident si on considère que la jalousie consiste à s’attrister du bien qui arrive à un autre. Ce qui ne peut certes se produire à moins que le bien qui arrive à autrui soit évalué par celui qui est jaloux comme une diminution de son propre bien. Mais il ne convient pas à Dieu d’être triste puisqu’il ne peut être assujetti à aucun mal et que son bien ne peut être diminué par le bien d’un autre car c’est de sa bonté que découlent, comme d’une source inépuisable, tous les autres biens. C’est pourquoi Platon dit encore que toute jalousie est étrangère à Dieu. Mais les poètes, ainsi que le dit le proverbe populaire, sont menteurs non seulement sur ce point mais sur beaucoup d’autres.

64. Ensuite lorsqu’il dit [32] : ¨ Et on ne doit pas penser qu’une autre ¨.

   Il manifeste le quatrième point, à savoir que cette science est la plus honorable, au moyen du raisonnement suivant. C’est la science la plus divine qui est la plus honorable, tout comme Dieu est plus honorable que toute autre chose : mais cette science est la plus divine; elle est donc la plus honorable. – Voici comment il prouve la mineure. On dit d’une science qu’elle est divine de deux manières; et cette science est la seule à être appelée divine selon ces deux manières. En un sens on dit d’une science qu’elle est divine parce que c’est celle que Dieu possède. En un autre sens, une science est dite divine parce qu’elle porte sur les réalités divines. – Mais que cette science soit la seule à être appelée divine en ces deux sens, cela est évident; car puisque cette science porte sur les causes premières et sur les premiers principes, il faut qu’elle se rapporte à Dieu car c’est de cette manière que Dieu est compris de tous, à savoir comme faisant partie des causes et comme étant le principe des choses. De plus, ou bien Dieu est le seul à posséder cette science qui se rapporte à Dieu et aux causes premières, ou bien, s’il n’est pas le seul à la posséder, il est le seul à la posséder suprêmement. Il est le seul en effet à la posséder d’une compréhension parfaite. On dit que Dieu possède cette science éminemment car même les hommes la possèdent à leur manière, bien que ce ne soit pas à titre de propriété, mais à titre d’emprunt qui a son origine en Dieu.

65. À partir de là il conclut plus loin que toutes les autres sciences sont plus nécessaires que cette dernière pour répondre aux besoins de la vie puisqu’en effet elles sont moins recherchées pour elles-mêmes. Aucune autre cependant ne peut être plus digne qu’elle.

66. Ensuite lorsqu’il dit [33] : ¨ Il faut en vérité ¨.

   Il présente ici le terme vers lequel tend cette science; et il dit que son ordre de progression consiste ou aboutit à l’opposé de ce qui existait comme attitude chez ceux qui à l’origine recherchaient cette science, comme cela se produit d’ailleurs dans la génération et le mouvement des choses naturelles. Car tout mouvement se termine à l’opposé du point de départ d’où le mouvement a pris son origine. C’est pourquoi, comme une recherche est un certain mouvement vers le savoir, il faut qu’elle se termine à l’opposé de ce qui était son point de départ. Mais, ainsi que nous l’avons vu (n. 53), la recherche de cette science a commencé par un étonnement se rapportant à toute chose car les premiers philosophes s’étonnaient de peu de choses et ceux qui ont suivi de choses plus mystérieuses. Et cet étonnement se présentait comme si la chose se comportait comme un merveilleux automate qui semble merveilleusement se mouvoir par hasard. On appelle en effet automates les êtres qui se meuvent comme par eux-mêmes. En effet les hommes s’étonnent principalement quand les choses se produisent par hasard de telle manière qu’elles paraissent avoir été prévues et produites à partir d’une cause déterminée. En effet ce qui se produit par hasard ne vient pas d’une cause déterminée et l’étonnement survient en raison de l’ignorance de la cause. Et c’est pourquoi, comme les hommes ne pouvaient pas encore considérer les causes des choses, ils admiraient toute chose comme étant le fruit du hasard, tout comme ils s’étonnaient des mouvements du soleil qui sont doubles, à savoir les deux tropiques de l’hiver et de l’été. Car dans le tropique de l’été, le soleil commence à se tourner vers le sud alors qu’il inclinait précédemment vers le nord, alors que pour le tropique de l’hiver le changement est à l’opposé. Et ils s’étonnaient encore de ce que le diamètre n’est pas mesurable au côté du carré. Puisqu’en effet il semble appartenir seulement à l’indivisible de ne pouvoir être mesuré, tout comme l’unité est la seule à ne pas être mesurée par un nombre et qu’elle est la seule à mesurer tous les nombres, il semble étonnant que ce qui n’est pas indivisible ne soit pas mesuré et que ce qui n’est pas une quantité minimale ne soit pas mesuré par une quantité minimale. On constate cependant que le diamètre du carré ainsi que son côté ne sont pas des quantités indivisibles ou minimales. C’est pourquoi il paraît étonnant qu’ils ne puissent être mesurés.

67. Donc, puisque la recherche philosophique commence par un étonnement, il faut donc qu’elle se termine ou qu’elle progresse vers un opposé; et elle doit progresser vers ce qu’il y a de plus digne, ainsi que le dit le proverbe qui veut que le progrès se fait toujours vers ce qu’il y a de meilleur. Mais quel est ce terme opposé et plus digne, cela apparaît dans les merveilles qui précèdent; car aussitôt que les hommes découvrent les causes de ce qui apparaissait à leurs yeux, ils ne s’en étonnent plus. Tout comme le géomètre ne s’étonne plus que la diagonale ne soit pas commensurable au côté puisqu’il en connaît la cause, car la proportion du carré de la diagonale au carré du côté n’est pas identique à la proportion d’un nombre carré à un autre nombre carré, mais dans la proportion de deux à un. Et c’est pourquoi il est évident qu’ils ne peuvent être mesurés. En effet, les seules lignes qui sont commensurables sont celles dont les proportions entre elles sont comme celle d’un nombre à un autre nombre. Le terme de cette science vers lequel nous devons progresser sera donc, lorsque nous connaîtrons les causes, de ne plus nous étonner de leurs effets.

68. La nature de cette science apparaît donc à partir de ce qui précède : elle est spéculative, libre, non humaine et divine; de là apparaît aussi son propos, lequel se trouve à déterminer son questionnement, sa méthode, ainsi que cette science dans sa totalité. Elle s’intéresse en effet aux causes premières et universelles des choses qu’elle cherche à découvrir et à déterminer. Et c’est à cause de cette connaissance qu’elle parvient au terme dont nous avons parlé, pour ne plus s’étonner des effets une fois les causes connues.

 

 

LECTIO 4

[81635] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 1Posito prooemio, in quo ostendit intentionem huius scientiae et dignitatem et terminum, incipit prosequi scientiam praefatam: et dividitur in duas partes. Primo ostendit quid priores philosophi de causis rerum tradiderunt. Secundo veritatem huius scientiae incipit prosequi in secundo libro, ibi, de veritate quidem theoria et cetera. Prima autem pars dividitur in duas. Primo ponit opiniones philosophorum de causis rerum. Secundo improbat eas quantum ad hoc quod male dixerunt ibi, ergo quicumque et cetera. Circa primum duo facit. Primo resumit enumerationem causarum, quam in secundo physicorum diffusius fuerat prosecutus. Secundo prosequitur opinionem philosophorum, ibi, accipiemus tamen et cetera.

[81636] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 2Dicit ergo, quod quia hoc manifestum est, scilicet quod sapientia est causarum speculatrix, debemus incipere a causis rerum scientiam sumendo. Quod etiam ex ratione scientiae congruum videtur; quia tunc unumquodque scire dicimus aliquem, quando putamus non ignorare causam. Causae autem quadrupliciter dicuntur: quarum una est ipsa causa formalis, quae est ipsa substantia rei, per quam scitur quid est unaquaeque res. Constat enim, ut dictum est secundo physicorum, quod non dicimus aliquid esse alicuius naturae priusquam acceperit formam. Et quod forma sit causa, patet; quia quaestionem qua dicitur quare est aliquid, reducimus tamquam ad rationem ultimam ad causam formalem, incipiendo a formis proximis et procedendo usque ad ultimam. Patet autem, quod quare quaerit de causa et principio. Unde patet quod forma est causa. Alia vero causa est materialis. Tertia vero causa est efficiens, quae est unde principium motus. Quarta causa est finalis, quae opponitur causae efficienti secundum oppositionem principii et finis. Nam motus incipit a causa efficiente, et terminatur ad causam finalem. Et hoc est etiam cuius causa fit aliquid, et quae est bonum uniuscuiusque naturae.

[81637] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 3Sic igitur causam finalem per tria notificat; scilicet quia est terminus motus, et per hoc opponitur principio motus, quod est causa efficiens: et quia est primum in intentione, ratione cuius dicitur cuius causa: et quia est per se appetibile, ratione cuius dicitur bonum. Nam bonum est quod omnia appetunt. Unde exponens quo modo causa finalis efficienti opponatur, dicit quod est finis generationis et motus, quorum principium est causa efficiens. Per quae duo videtur duplicem finem insinuare. Nam finis generationis est forma ipsa, quae est pars rei. Finis autem motus est aliquid quaesitum extra rem quae movetur. De his dicit sufficienter se tractasse in libro physicorum, ne ab eo ad praesens diffusior expositio causarum quaereretur.

[81638] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 4Deinde cum dicit accipiemus tamen hic ponit opinionem philosophorum de causis. Et circa hoc duo facit. Primo assignat rationem, quare hoc faciendum sit. Secundo incipit prosequi suam intentionem, ibi, primum igitur et cetera. Dicit ergo, quod quamvis de causis tractatum sit in physicis, tamen nunc accipiendum est opiniones philosophorum, qui prius venerunt ad perscrutandum naturam entium, qui prius philosophati sunt de veritate quam Aristoteles; quia et ipsi causas et principium ponunt. Nobis igitur, qui eis supervenimus, considerare eorum opiniones, erit aliquid prius, idest aliquod praeambulum,methodo, idest in arte, quae nunc a nobis quaeritur. Unde et litera Boetii habet, accedentibus igitur ad opus scientiae prae opere viae quae nunc est aliquid erit: alia litera habet, supervenientibus igitur quae nunc est aliquid erit vitae opus via, et legenda est sic, nobis igitur supervenientibus ei, quae nunc est via, idest in praesenti methodo et arte, consideranda erit horum opinio, quasi aliquod vitae opus, idest necessarium sicut opera quae sunt ad vitae conservationem, ut intelligatur quasi quadam metaphora uti in loquendo, per vitae opus, quodlibet necessarium accipiens. Utilitas autem est illa, quia aut ex praedictis eorum inveniemus aliud genus a causis praenumeratis, aut magis credemus his, quae modo diximus de causis, quod, scilicet sint quatuor.

[81639] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 5Deinde cum dicit primum igitur hic incipit antiquorum philosophorum opiniones prosequi; et circa hoc duo facit. Primo recitat aliorum opiniones. Secundo reprobat, ibi, ergo quicumque. Circa primum duo facit. Primo recitat singulorum opinionem de causis. Secundo colligit in summa quae dicta sunt, ibi, breviter igitur et cetera. Prima pars dividitur in duas. Prima ponit opiniones praetermittentium causam formalem. Secundo ponit opinionem Platonis, qui primo causam formalem posuit, ibi, post dictas vero philosophias et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem illorum, qui posuerunt principia aliquas res manifestas. Secundo illorum, qui adinvenerunt extrinseca principia, ibi, Leucippus et cetera. Circa primum duo facit. Primo tangit opiniones antiquorum de causa materiali. Secundo de causa efficiente, ibi, procedentibus autem sic. Circa primum duo facit. Primo ponit quid senserunt de causa materiali. Et primo ponit opiniones ponentium causam materialem in generali. Secundo prosequitur eorum opiniones in speciali, ibi, Thales et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit quid senserunt de causa materiali. Secundo quid senserunt de rerum generatione, quod ex primo sequebatur, ibi, et propter hoc nec generari et cetera.

[81640] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 6Dicit ergo primo, quod plurimi eorum qui primo philosophati sunt de rerum naturis, posuerunt principia omnium esse sola illa, quae reducuntur ad speciem causae materialis. Et ad hoc dicendum accipiebant quatuor conditiones materiae, quae ad rationem principii pertinere videntur. Nam id ex quo res est, principium rei esse videtur: huiusmodi autem est materia; nam ex materia dicimus materiatum esse, ut ex ferro cultellum. Item illud ex quo fit aliquid, cum sit et principium generationis rei, videtur esse causa rei, quia res per generationem procedit in esse. Ex materia autem primo res fit, quia materia rerum factioni praeexistit. Et ex ipsa etiam non per accidens aliquid fit. Nam ex contrario vel privatione aliquid per accidens dicitur fieri, sicut dicimus quod ex nigro sit album. Tertio illud videtur esse rerum principium, in quod finaliter omnia per corruptionem resolvuntur. Nam sicut principia sunt prima in generatione, ita sunt ultima in resolutione. Et hoc etiam materiae manifeste contingit. Quarto, cum principia oportet manere, id videtur esse principium, quod in generatione et corruptione manet. Materia autem, quam dicebant esse substantiam rei, manet in omni transmutatione; sed passiones mutantur, ut forma, et omnia quae adveniunt supra substantiam materiae. Et ex his omnibus concludebant, quod materia est elementum et principium omnium eorum quae sunt.

[81641] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 7Deinde cum dicit et propter hic ponit secundarium quod ponebant quasi ex praecedentibus sequens, scilicet nihil simpliciter generari vel corrumpi in entibus. Nam quando fit aliqua mutatio circa passiones substantia manente, non dicimus aliquid esse generatum vel corruptum simpliciter, sed solum secundum quid: sicut cum Socrates fit bonus aut musicus, non dicitur fieri simpliciter, sed fieri hoc. Et similiter quando deponit huiusmodi habitum, non dicitur corrumpi simpliciter sed secundum quid. Materia autem quae est rerum substantia secundum eos, semper manet. Omnis autem mutatio fit circa aliqua quae adveniunt ei, ut passiones. Et ex hoc concludebant quod nihil generatur vel corrumpitur simpliciter, sed solum secundum quid.

[81642] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 8Quamvis autem sic convenirent in ponendo causam materialem, tamen differebant in eius positione quantum ad duo: scilicet quantum ad pluralitatem: quia quidam ponebant unam, quidam plures: et quantum ad speciem, quia quidam ponebant ignem, quidam aquam et cetera. Similiter ponentium plura, quidam haec, quidam illa principia materialia rebus attribuebant.

[81643] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 9Deinde cum dicit Thales quidem. Hic incipit recitare opiniones singulorum, de causa materiali. Et primo ponit opinionem ponentium unam causam materialem. Secundo ponentium plures, ibi, Empedocles vero. Circa primum tria facit. Quia primo ponit opinionem ponentium aquam esse principium omnium. Secundo ponentium aerem, ibi, Anaximenes et cetera. Tertio ponentium ignem, ibi, Hyppasus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem Thaletis, qui dicebat aquam esse rerum principium. Secundo ponit opinionis probationem, ibi, forsan enim et cetera. Dicit ergo, quod Thales princeps talis philosophiae, idest speculativae, dixit aquam esse primum rerum principium. Dicitur autem Thales speculativae philosophiae princeps fuisse, quia inter septem sapientes, qui post theologos poetae fuerunt, ipse solus ad considerandum rerum causas se transtulit, aliis sapientibus circa moralia occupatis. Nomina septem sapientum sunt ista. Primus Thales Milesius tempore Romuli, et apud Hebraeos tempore Achaz regis Israel. Secundus fuit Pittacus Mitylenaeus, apud Hebraeos regnante Sedechia, et apud Romanos Tarquinio prisco. Alii quinque fuerunt Solon Atheniensis, Chilon Lacedaemonius, Periander Corinthius, Cleobulus Lydius, Bias Priennensis, qui fuerunt omnes tempore Babylonicae captivitatis. Quia igitur inter hos solus Thales rerum naturas scrutatus est, suasque disputationes literis mandans emicuit, ideo hic princeps huius scientiae dicitur.

[81644] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 10Nec debet inconveniens videri, si opiniones hic tangit eorum, qui solum de scientia naturali tractaverunt; quia secundum antiquos qui nullam substantiam cognoverunt nisi corpoream et mobilem, oportebat quod prima philosophia esset scientia naturalis, ut in quarto dicetur. Ex hac autem positione ulterius procedebat ad hoc, quod terra esset super aquam fundata, sicut principiatum supra suum principium.

[81645] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 11Deinde cum dicit forsan enim hic ponit rationes quibus Thales potuit induci ad praedictam positionem. Et primo ostendit quomodo ad hoc inducebatur ratione. Secundo quomodo inducebatur primorum auctoritate, ibi, sunt et aliqui antiquiores et cetera. Inducebatur autem duplici ratione. Una quae sumitur ex consideratione causae ipsius rei. Alia quae sumitur ex consideratione generationis rerum, ibi, et quia cunctorum et cetera. Haec ergo media sunt ordinata. Nam ex primo sequitur secundum. Quod enim est aliis principium essendi, est etiam primum principium ex quo res generantur. Tertium sequitur ex secundo. Nam unumquodque per corruptionem resolvitur in id ex quo generatum est. Quartum autem sequitur ex secundo et tertio. Nam quod praecedit generationem rerum, et remanet post corruptionem, oportet esse semper manens.

[81646] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 12Primo modo utebatur tribus signis ad ostendendum aquam esse principium essendi rebus: quorum primum est, quia nutrimentum viventium oportet esse humidum. Ex eodem autem viventia nutriuntur et sunt; et sic humor videtur esse principium essendi. Secundum signum est, quia esse cuiuslibet rei corporeae, et maxime viventis, per proprium et naturalem calorem conservatur: calor autem ex humore fieri videtur, cum ipse humor sit quasi caloris materia: unde ex hoc videtur quod humor sit rebus principium essendi. Tertium signum est, quia vita animalis in humido consistit. Unde propter desiccationem naturalis humidi, animal moritur, et per eius conservationem, animal sustentatur. Vivere autem viventibus est esse. Unde ex hoc etiam patet quod humor sit rebus principium essendi. Et haec etiam tria signa seinvicem consequuntur. Ideo enim animal humido nutritur, quia calor naturalis humido sustentatur; et ex his duobus sequitur, quod vivere animalis sit semper per humidum. Id autem ex quo aliquid fit, idest ex quo aliquid esse consequitur, est principium omnibus quae ex illo esse habent. Et propter hoc accepit hanc opinionem quod humor esset omnibus principium.

[81647] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 13Similiter etiam accepit signum ex rerum generatione, quia generationes viventium, quae sunt nobilissima in entibus, fiunt ex seminibus. Semina autem sive spermata omnium viventium habent humidam naturam. Unde ex hoc etiam apparet, quod humor est generationis rerum principium. Si autem omnibus praedictis coniungatur quod aqua est humiditatis principium, sequitur quod aqua sit primum rerum principium.

[81648] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 14Deinde cum dicit sunt autem hic ostendit quomodo Thales inducebatur ad praedictam positionem per auctoritates antiquorum. Et dicit quod aliqui fuerunt antiquiores Thalete et multum ante generationem hominum qui erant tempore Aristotelis, qui fuerunt primo theologizantes, qui visi sunt hanc opinionem de natura habuisse, scilicet quod aqua est principium omnium.

[81649] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 15Ad cuius evidentiam sciendum est, quod apud Graecos primi famosi in scientia fuerunt quidam poetae theologi, sic dicti, quia de divinis carmina faciebant. Fuerunt autem tres, Orpheus, Museus et Linus, quorum Orpheus famosior fuit. Fuerunt autem tempore, quo iudices erant in populo Iudaeorum. Unde patet, quod diu fuerunt ante Thaletem, et multo magis ante Aristotelem qui fuit tempore Alexandri. Isti autem poetae quibusdam aenigmatibus fabularum aliquid de rerum natura tractaverunt. Dixerunt enim quod Oceanus, ubi est maxima aquarum aggregatio, et Thetis, quae dicitur dea aquarum, sunt parentes generationis: ex hoc sub fabulari similitudine dantes intelligere aquam esse generationis principium.

[81650] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 16Hanc sententiam alia fabulosa narratione velaverunt, dicentes, quod sacramentum vel iuramentum deorum erat per aquam quamdam, quam poetae dicunt Stygem, et dicunt eam esse paludem infernalem. Ex hoc autem quod deos dicebant iurare per aquam, dederunt intelligere, quod aqua erat nobilior ipsis deis, quia sacramentum vel iuramentum fit id quod est honorabilius. Hos autem quod est prius, est honorabilius. Perfectum enim praecedit imperfectum natura et tempore simpliciter, licet in uno aliquo imperfectio perfectionem praecedat tempore. Unde per hoc patet quod aquam existimabant priorem esse ipsis diis, quos intelligebant esse corpora caelestia. Et quia isti antiquissimi aquam dixerunt esse rerum principium, si aliqua opinio fuit prior ista de naturalibus, non est nobis manifesta. Sic igitur patet quid Thales de prima causa rerum dicitur existimasse.

[81651] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 17Quidam autem philosophus, qui vocatur Hyppon, non fuit dignatus aliquid superaddere his propter suae scientiae vel intelligentiae imperfectionem. Unde in libro de anima ponitur inter grossiores, ubi dicitur quod posuit aquam esse animam et principium rerum, sumens argumentum ex rerum seminibus, ut hic dictum est de Thalete. Unde patet quod nihil addit supra Thaletis sententiam. Vel potest intelligi quod quia imperfecte dixit, non reddidit se dignum, ut eius sententia hic contineretur cum aliis.

[81652] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 18Deinde cum dicit Anaximenes autem hic ponuntur opiniones ponentium aerem esse principium, qui fuerunt Diogenes et Anaximenes ponentes aerem priorem aqua esse naturaliter, et principium omnium simplicium corporum, scilicet quatuor elementorum, et per consequens omnium aliorum. Fuit autem Anaximenes tertius a Thalete. Fuit autem discipulus Anaximandri, qui fuit discipulus Thaletis. Diogenes vero discipulus Anaximenis fuisse dicitur. Haec tamen differentia fuit inter opinionem Diogenis et Anaximenis: quia Anaximenes aerem simpliciter posuit principium rerum, Diogenes autem dixit quod aer rerum principium esse non posset, nisi quia compos erat divinae rationis. Ex quo provenit opinio quae tangitur primo de anima. Ratio autem quare aerem ponebat rerum principium, potuit sumi ex respiratione, per quam vita animalium reservatur; et quia ex immutatione aeris videntur variari generationes et corruptiones rerum.

[81653] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 19Deinde cum dicit Hyppasus autem hic ponit quod duo philosophi Hyppasus et Heraclitus posuerunt ignem esse primum principium ut materiam. Et potuerunt moveri ex eius subtilitate, sicut infra dicetur.

[81654] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 20Deinde cum dicit Empedocles vero hic ponit opiniones ponentium plura principia materialia. Et primo Empedoclis, qui posuit plura finita. Secundo Anaxagorae, qui posuit plura infinita, ibi, Anaxagoras vero et cetera. Ponit ergo primo, opinionem Empedoclis quantum ad hoc quod tria praedicta elementa, scilicet aquam, aerem et ignem dicit esse rerum principia, addens eis quartum, scilicet terram.

[81655] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 21Secundo quantum ad hoc, quod ista etiam elementa dixit semper manere et non generari nec corrumpi, sicut illi qui posuerunt unam causam materialem; sed per congregationem horum et divisionem secundum multitudinem et paucitatem dixit ex eis alia generari et corrumpi, inquantum ista quatuor per concretionem in unum et disgregationem ex uno dividuntur.

[81656] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 22Deinde cum dicit Anaxagoras vero hic ponit opinionem Anaxagorae, qui fuit alter discipulus Anaximenis, qui fuit condiscipulus Diogenis: patria quidem Clazomenius, prior aetate quam Empedocles, sed factis sive operibus posterior, vel quia posterius philosophari incoepit, vel quia in numero principiorum minus bene dixit quam Empedocles. Dixit enim principia materialia esse infinita, cum sit dignius finita principia et pauciora accipere, quod fecit Empedocles, ut dicitur in primo physicorum. Non enim solum dixit principia rerum esse ignem et aquam et alia elementa, sicut Empedocles; sed omnia quae sunt consimilium partium, ut caro, os, medulla et similia, quorum infinitas minimas partes principia rerum posuit, ponens in unoquoque infinitas partes singulorum inesse propter id quod in inferioribus unum ex alio generari posse invenit, cum generationem rerum non diceret esse nisi per separationem a mixto, ut planius explicavit primo physicorum.

[81657] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 23Secundo etiam Anaxagoras convenit cum Empedocle in hoc, scilicet quod generatio et corruptio rerum non est nisi per concretionem et discretionem partium praedictarum infinitarum, et quod aliter nec generari nec corrumpi contingit aliquid. Sed huiusmodi rerum principia infinita, ex quibus rerum substantiae efficiuntur, permanere dixit sempiterna.

[81658] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 24Concludit ergo Aristoteles quod ex praedictis philosophorum opinionibus aliquis cognoscet solam causam, quae continetur sub specie causae materialis.

LEÇON 4 ─ Les anciens et le principe matériel

(nn. 69-92; [34-44])

 

Présentation des opinions de ceux qui parlèrent du principe matériel.

 

69. Ayant présenté son proème dans lequel il manifeste le propos, la dignité et le terme de cette science, il commence ici à s’avancer dans la recherche même de la science mentionnée qu’il divise en deux parties.

   Il montre en premier lieu ce que les premiers philosophes ont enseigné sur les causes des choses [34]. En deuxième lieu il commence à rechercher la vérité qui se rapporte à cette science-ci au deuxième livre, là [144] où il dit : ¨ Certes la recherche philosophique sur la vérité etc.¨.

   Et la première partie se divise en deux. En premier lieu il présente les opinions des philosophes relatives aux causes des choses [34]. En deuxième lieu il les réfute quant à ce qu’il y a de faux dans leurs dires, là [86] où il dit : ¨ Donc, tous etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il reprend l’énumération des causes [34] dont il avait fait une recherche plus étendue au deuxième livre des Physiques. En deuxième lieu il poursuit sa recherche par l’examen des opinions des philosophes, là [35] où il dit : ¨ Rappelons cependant etc.¨.

70. Il dit donc [34] que parce que cela est manifeste, à savoir que la sagesse est une recherche des causes, nous devons commencer à établir la science par les causes des choses. Ce qui semble aussi convenir à la nature même de la science car nous disons que quelqu’un connaît quelque chose quand nous pensons qu’il n’en ignore pas la cause. Mais les causes se disent de quatre manières : l’une d’entre elles est la cause formelle elle-même, laquelle est l’essence même de la chose par laquelle on sait ce qu’est une chose. Il est évident en effet, comme on le dit au deuxième livre des Physiques que nous ne pouvons dire la nature d’une chose avant qu’elle ait reçu sa forme. Et que la forme soit une cause, cela est évident car la question par laquelle nous nous demandons pourquoi une chose existe, nous la ramenons à la cause formelle comme à sa nature ultime, partant des formes les plus rapprochées pour parvenir à la forme ultime. Il est manifeste cependant que se demander pourquoi, c’est rechercher la cause et le principe. De là il est évident que la forme est une cause. Une autre cause est la cause matérielle. La troisième cause par ailleurs est la cause efficiente qui est le principe d’où le mouvement tire son origine. La quatrième cause est la cause finale qui s’oppose à la cause efficiente comme le principe s’oppose à la finalité car tout mouvement commence par la cause efficiente et se termine à la cause finale. Et cette dernière cause est encore ce en vue de quoi une chose est sujette au devenir, laquelle est le bien de toute nature.

71. Ainsi donc il manifeste la cause finale par trois caractéristiques. Il dit d’abord qu’elle est le terme du mouvement, en quoi elle s’oppose au principe du mouvement qui est la cause efficiente; ensuite qu’elle est première dans l’intention et c’est pour cette raison qu’on dit d’elle qu’elle est cela même en vue de quoi tout le reste existe; enfin qu’elle est désirable pour elle-même et c’est pour cette raison qu’on l’appelle aussi bien. Car le bien est justement ce que tous désirent. C’est pourquoi, expliquant de quelle manière la cause finale s’oppose à la cause efficiente, il dit à son sujet qu’elle est le terme de la génération et du mouvement dont la cause efficiente est le principe. Et au moyen de ces deux devenirs naturels il semble suggérer deux finalités. Car la finalité de la génération est la forme elle-même qui est une partie constitutive de la chose, alors que la finalité du mouvement est quelque chose qui est recherché en dehors de la chose qui est mue. Et il dit avoir suffisamment traité de ces points au livre des Physiques afin de ne pas avoir à faire ici une explication plus complète des causes.

72. Ensuite lorsqu’il dit [35] : ¨ Rappelons cependant etc.¨.

   Il présente ici l’opinion des philosophes au sujet des causes.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il désigne la raison pour laquelle cela doit être fait. En deuxième lieu il commence à poursuivre son propos, là [36] où il dit : ¨ Donc, en premier lieu etc.¨.

   Il dit donc [35] que bien qu’on ait traité des causes dans les Physiques, nous devons cependant rappeler les opinions des philosophes qui, les premiers,  en sont venus à l’examen de la nature des choses et qui, avant Aristote, ont philosophé sur la vérité, car eux-mêmes ont posé l’existence de causes et de principes. Pour nous donc qui venons à leur suite, la considération de leurs opinions sera comme une ¨première étape¨, c’est-à-dire comme un préambule à la ¨méthode¨ c’est-à-dire à cette science que nous recherchons maintenant. C’est pourquoi, comme le dit Boèce : ¨ À nous donc qui sommes en train d’entreprendre une œuvre de science, avant cette œuvre de science qui s’ouvre à nous maintenant il y aura quelque chose à présenter ¨. Une autre traduction dit : ¨ Arrivant donc à ce qui est pour nous œuvre de science, il nous faudra maintenant présenter quelque chose de vital ¨ et qui doit être interprétée ainsi : ¨ Parvenant donc à ceci qui est pour nous œuvre de science ¨, c’est-à-dire que dans la méthode et la science actuelle, il faudra considérer les opinions de ceux-ci ¨comme quelque chose de vital¨, c’est-à-dire comme quelque chose de nécessaire comme le sont les opérations qui concourent à la conservation de la vie, de telle sorte qu’on comprenne, lorsqu’il se sert d’une métaphore en parlant d’une opération vitale, qu’il s’agit là d’une œuvre qui est nécessaire et utile. Et cette utilité est celle-ci : ou bien à partir de leurs opinions nous trouverons une espèce de causes distincte de celles que nous avons déjà énumérées, ou bien nous adhérerons encore plus fermement à la manière dont nous avons parlé des causes en les présentant comme étant de quatre espèces.

73. Ensuite lorsqu’il dit [36] : ¨ Donc, en premier ¨.

   Il commence ici à exposer les opinions des anciens philosophes; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il nous présente leurs opinions [36]. En deuxième lieu il les rejette, là [86] où il dit : ¨ Donc, tous ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion de chacun d’eux au sujet des causes [36]. En deuxième lieu il rassemble comme en un résumé tout ce qu’ils ont dit, là [79] où il dit : ¨ Brièvement donc etc.¨.

   La première partie se divise en deux. La première des deux présente les opinions de ceux qui ont omis la cause formelle [36]. La deuxième présente l’opinion de Platon qui fut le premier à parler d’une cause formelle, là [69] où il dit : ¨ En vérité, suite aux philosophies dont nous venons de parler etc.¨.

  Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion de ceux qui présentèrent comme principes des choses évidentes [36]. En deuxième lieu il présente l’opinion de ceux qui parvinrent à des principes extérieurs, là [55] où il dit : ¨ Leucippe etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il touche les opinions des anciens au sujet de la cause matérielle [36]. Deuxièmement, il présente les opinions de ceux qui traitèrent de la cause efficiente, là [45] où il dit : ¨ Mais à ceux qui procèdent ainsi etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente ce qu’ils ont perçu de la cause matérielle. Et en premier lieu il présente les opinions de ceux qui en ont parlé d’une manière universelle [36]. En deuxième lieu il présente les opinions de ceux qui en ont parlé d’une manière plus spécifique, là [38] où il dit : ¨ Thalès etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente ce qu’ils ont perçu de la cause matérielle [36]. En deuxième lieu il présente ce qu’ils ont perçu au sujet de la génération des choses et qui découle de ce qui avait été posé en premier, là [37] où il dit : ¨ Et à cause de cela ils croyaient que rien ne pouvait être engendré etc.¨.

74. Il dit donc en premier lieu que la plupart de ceux qui au début ont philosophé sur la nature des choses ont affirmé que les seuls principes de toutes les choses étaient ceux qui se réduisent à l’espèce de la cause matérielle. Et pour affirmer cela, ils admettaient quatre conditions de la matière qui semblaient appartenir à la notion de principe. Car ce à partir de quoi la chose existe semble être le principe de cette chose : mais il semble en être ainsi pour la matière car c’est à partir d’elle que nous disons d’une chose réalisée qu’elle est matérielle, comme le couteau qui vient du fer. – De plus, puisque cela même à partir de quoi une chose devient est aussi le principe de la génération de cette chose, cela semble aussi être la cause de cette chose car c’est au moyen de la génération qu’une chose vient à exister. Mais c’est à partir de la matière que la chose est d’abord sujette au devenir, car la matière préexiste à la réalisation des choses. En effet, ce n’est pas par accident qu’une chose devient à partir de la matière. Mais c’est plutôt à partir d’un opposé ou d’une privation qu’une chose devient par accident, comme lorsque nous disons que le blanc vient du noir. – Troisièmement, le principe des choses semble être ce à quoi toutes les choses se réduisent à la fin par la corruption. Car tout comme les principes sont premiers dans la génération, ils sont derniers dans la décomposition. Et c’est ce qui se produit manifestement pour la matière. – Quatrièmement, puisque les principes doivent demeurer, cela même paraît être principe qui demeure à travers la génération et la corruption. Et la matière, qu’ils affirmaient être la substance des choses, demeure à travers tout changement; mais les propriétés changent, tout comme la forme, ainsi que tout ce qui s’ajoute à la substance de la matière. Et à partir de toutes ces caractéristiques de la matière, ils concluaient que cette dernière est l’élément et le principe de tout ce qui existe.

75. Ensuite lorsqu’il dit [37] : ¨ Et pour cette raison ¨.

   Il présente ici comme un corollaire qui découle de ce qui précède, à savoir que rien dans les êtres ne pouvait être engendré ni corrompu purement et simplement. Car lorsqu’il se produit un changement relatif aux propriétés alors que la substance demeure la même, on ne dit pas qu’un être est engendré ou corrompu purement et simplement mais seulement sous un certain rapport, tout comme on ne dit pas que Socrate, qui devient bon ou musicien, est engendré purement et simplement, mais seulement qu’il devient tel. Et de même, lorsqu’il abandonne une de ses propriétés, on ne dit pas qu’il est corrompu purement et simplement mais seulement sous un certain rapport. Mais la matière qui est, selon eux, la substance des choses, demeure toujours. Mais tout changement se rapporte à des manières d’être de cette substance, par exemple à ses propriétés. Et c’est à partir de là qu’ils concluaient que rien n’est engendré ni corrompu purement et simplement, mais seulement sous un certain rapport.

76. Mais bien qu’ils s’accordaient à poser ainsi la cause matérielle comme principe de tout ce qui existe, leurs opinions s’opposaient sous deux rapports : à savoir quant au nombre des principes car certains posaient un seul principe, d’autres plusieurs; ils différaient aussi quant à la sorte des principes matériels, car certains disaient que le feu était ce principe, d’autres prétendaient que l’eau était le principe matériel, etc. Et de même, pour ceux qui en présentaient plusieurs, certains avançaient que tels étaient les principes matériels alors que d’autres attribuaient aux choses d’autres principes matériels.

77. Ensuite lorsqu’il dit [38] : ¨ Un certain Thalès ¨.

   Il commence à citer ici les opinions de chacun d’eux au sujet de la cause matérielle.

   Et en premier lieu il présente l’opinion de ceux qui font la promotion d’une seule cause matérielle [38]. En deuxième lieu il présente l’opinion de ceux qui mettent de l’avant plusieurs causes, là [43] où il dit : ¨ D’un autre côté, Empédocle ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente l’opinion de ceux qui affirment que l’eau est le principe de toutes les choses [38]. En deuxième lieu, il le fait pour ceux qui affirment que l’air est ce principe, là [41] où il dit : ¨ Anaximène etc.¨. En troisième lieu, il fait de même pour ceux qui affirment que le feu est le principe, là [42] où il dit : ¨ Hippase etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion de Thalès, qui affirmait que l’eau était le principe des choses [38]. En deuxième lieu il présente l’argumentation soutenant cette position, là [39] où il dit : ¨ Peut-être en effet etc. ¨.

   Il dit donc [38] que Thalès fut le fondateur de cette philosophie spéculative qui dit que l’eau est le premier principe des choses. On dit que Thalès fut le fondateur de cette philosophie spéculative car parmi les sept sages qui vinrent après les poètes théologiens, il fut le premier à s’appliquer à la considération des causes des choses alors que les autres sages étaient occupés à l’examen des questions morales. Les noms des sept sages sont les suivants. Le premier était Thalès de Milet à l’époque de Romulus chez les Romains et à l’époque d’Achaz, roi d’Israël, chez les Hébreux. Le deuxième fut Pittacos de Mitylène, à l’époque où Sédécias régnait chez les Hébreux et  Tarquin l’Ancien chez les Romains. Les cinq autres sages furent Solon l’Athénien, Chilon le Lacédémonien, Périandre de Corinthe, Cléobule de Lydie et Bias de Priène qui vécurent tous à l’époque de la captivité à Babylone. Donc, parce parmi eux tous Thalès fut le seul à examiner les natures des choses et à manifester ses discussions en les faisant connaître par des écrits, c’est pourquoi  on dit de ce dernier qu’il fut le fondateur de cette science.

78. Et il ne doit pas paraître inconvenant qu’Aristote ne touche ici que les opinions de ceux qui ne traitèrent que de la science de la nature car chez les anciens qui ne connaissaient pas d’autres substances que celles qui sont corporelles et mobiles, il fallait bien que la première philosophie soit la science de la nature, ainsi qu’on le dira au quatrième livre. À partir de cette position, Thalès s’avançait plus loin à dire que la Terre s’appuyait sur l’eau comme ce qui est né d’un principe se fonde sur ce principe.

79. Ensuite lorsqu’il dit [39] : ¨ Peut-être en effet ¨.

   Il présente ici les raisons pour lesquelles Thalès pouvait être conduit à une telle position.

   Et en premier lieu il montre comment il pouvait y être conduit par la raison. Deuxièmement il montre comment il y était conduit par l’autorité des Anciens, là [40] où il dit : ¨ Et il y a certains Anciens etc.¨.

   Thalès était donc conduit à cette position pour deux raisons [39]. La première se tire de la considération de la cause de la chose elle-même. La deuxième se tire de la considération de la génération des choses, là [39] où il dit : ¨ Et parce que de toutes etc.¨. Et ces deux méthodes sont ordonnées l’une à l’autre. Car c’est de la première raison que découle la deuxième. En effet, ce qui est principe d’existence pour les autres choses est aussi le premier principe à partir duquel la chose est engendrée. Et de cette deuxième découle une troisième car par la corruption toute chose se ramène à cela même à partir de quoi elle fut engendrée. Et une quatrième découle de la deuxième et de la troisième car ce qui précède la génération et qui demeure après sa corruption doit toujours demeurer le même.

80. Conformément à la première méthode, il se servait de trois signes pour montrer que l’eau est le principe de l’existence des choses, dont le premier est que la nourriture des vivants doit être humide. Mais c’est à partir du même aliment que les vivants se nourrissent et existent; et c’est ainsi que l’eau est principe d’existence. – Le deuxième signe est que l’existence de toute chose corporelle et principalement de tout être vivant se conserve au moyen d’une chaleur naturelle qui lui est propre : mais la chaleur semble provenir d’une nature liquide puisque c’est cette dernière elle-même qui est comme la matière de la chaleur; et ainsi c’est à partir de là qu’il semble que l’eau soit le principe d’existence des choses. – Le troisième signe est que la vie animale se maintient dans l’humide. On voit à partir de là que c’est en raison de la dessiccation de sa nature humide que l’animal meurt et que c’est en raison de sa conservation qu’il se maintient dans l’existence. Mais la vie est l’existence même des vivants. C’est pourquoi c’est à partir de cela aussi qu’il apparaît que l’humide est pour les choses leur principe d’existence. – Et ces trois signes découlent aussi les uns des autres. C’est ainsi en effet que l’animal se nourrit de l’humide parce que la chaleur naturelle se conserve par l’humide; et il suit de ces deux points que la vie de l’animal apparaît toujours au moyen de l’humide. Mais l’élément à partir duquel une chose devient, c’est-à-dire ce à partir de quoi s’ensuit une existence, se trouve à être le principe de toutes ces choses qui possèdent l’existence à partir de lui. Et voilà pourquoi Thalès adhéra à cette opinion que l’eau est le principe de toutes les choses.

81. De même encore il découvrit un signe à partir de la génération des choses car les vivants, qui sont les plus nobles des êtres naturels, sont engendrés à partir d’une semence. Mais les semences ou les spermes de tous les vivants ont une nature humide. D’où il apparaît à partir de cela aussi que la nature liquide est le principe de la génération des choses. Mais si à partir de tout ce qui précède on fait ce rapprochement que l’eau est le principe de tout ce qui est humide ou liquide, il s’ensuit que l’eau est le premier principe des choses.

82. Ensuite lorsqu’il dit [40] : ¨ Mais il y a cependant ¨.

   Il montre ici comment Thalès fut conduit à cette position par l’autorité des Anciens. Et il dit que certains de ceux qui ont précédé Thalès et qui ont vécu bien avant la génération des hommes qui étaient contemporains d’Aristote, et qui furent d’abord des théologiens, paraissent avoir adopté cette opinion sur la nature, à savoir que l’eau est le principe de toutes les choses.

83. Pour en avoir l’évidence, il faut savoir que chez les Grecs les premiers à être célèbres dans le domaine de la science furent certains poètes théologiens ainsi appelés parce qu’ils composaient des chants qu’ils adressaient aux dieux. Et il y en eut trois, dont les noms sont Orphée, Muse et Linus, parmi lesquels Orphée fut le plus célèbre. Ils vivaient au temps où les juges faisaient partie du peuple d’Israël. D’où il est évident qu’ils vivaient longtemps avant Thalès et beaucoup plus longtemps avant Aristote qui vivait à l’époque d’Alexandre. Mais ces poètes traitèrent de certains points  sur la nature des choses au moyen de certaines paraboles apparentées à des fables. Ils dirent en effet que l’Océan, où se trouve rassemblée la plus grande quantité d’eau, et Téthis, qu’on appelait la déesse des eaux, sont les auteurs de la génération du Monde : à partir de là, selon un mode qui imite le mythe, ils donnaient à entendre que l’eau est le principe de toute génération.

84. Ils enveloppèrent cette proposition d’un autre récit fabuleux en disant que le consentement ou le serment des dieux se faisait au moyen d’une eau à laquelle les poètes donnent le nom de Styx en ajoutant qu’elle est un marais infernal. Et à partir de cela même qu’ils affirmaient que c’est au moyen de l’eau que les dieux faisaient des serments, ils donnèrent à entendre que l’eau elle-même était d’une nature plus noble que celle des dieux car le serment lui-même devient ce qu’il y a de plus honorable. Ce qui est antérieur en effet est ce qu’il y a de plus honorable. En effet, le parfait précède l’imparfait par nature et selon le temps purement et simplement bien que chez un tel l’imperfection précède la perfection selon le temps. D’où il apparaît au moyen de ceci qu’ils croyaient que l’eau était antérieure aux dieux eux-mêmes qu’ils croyaient être des corps célestes. Et parce que ces plus Anciens disaient que l’eau est le principe des choses, s’il existe une opinion sur les choses naturelles qui est antérieure à celle-là, elle ne nous est pas connue. Donc,  voici comment se présente ce qui est dit sur Thalès touchant son opinion sur la première cause des choses.

85. Mais un philosophe du nom de Hippon ne fut pas capable d’ajouter à cela en raison de l’imperfection de sa science et de son intelligence. C’est pourquoi on le présente dans le livre intitulé de l’Âme comme l’un des plus médiocres penseurs, où on dit qu’il affirma que l’eau est l’âme et le principe des choses, tirant son argumentation des semences des choses, tout comme on l’a dit ici au sujet de Thalès. D’où il est évident qu’il n’ajoute rien à l’opinion de Thalès. On pourrait  encore dire qu’en raison de l’imperfection de son discours, il ne mérita pas que son opinion soit contenue dans ce livre avec celle des autres.

86. Ensuite, lorsqu’il dit [41] : ¨ Mais Anaximène ¨.

   Il présente ici les opinions de ceux qui ont affirmé, tels Diogène et Anaximène, que l’air est le principe et qu’étant antérieur par nature à l’eau, il est le principe de tous les corps simples, à savoir des quatre éléments, et par conséquent de tous les autres corps. Anaximène fut cependant le troisième à partir de Thalès. En effet il dut le disciple d’Anaximandre qui fut lui-même disciple de Thalès. À dire vrai, on dit que Diogène fut le disciple d’Anaximène. – Il y avait cependant une différence entre l’opinion de Diogène et celle d’Anaximène car c’est purement et simplement que ce dernier affirmait que l’air est le principe des choses alors que Diogène disait que l’air ne peut être le principe des choses que parce qu’il est uni à la raison divine. C’est de là que vient l’opinion qui est considérée au premier livre de l’Âme. Et la raison pour laquelle on affirmait que l’air est le principe des choses avait pu être tirée de la respiration au moyen de laquelle la vie des animaux est conservée et aussi parce que c’est à partir des changements de l’air que les générations et les corruptions des choses semblent varier.

87. Ensuite lorsqu’il dit [42] : ¨ Mais Hippase ¨.

   Il dit ici que les deux philosophes Hippase et Héraclite ont affirmé que c’est le feu qui est le premier principe matériel. Et ils purent y être poussés en raison de sa subtilité, ainsi qu’on le dira plus loin.

88. Ensuite lorsqu’il dit [43] : ¨ De son côté Empédocle ¨

   Il présente ici les opinions de ceux qui ont fait la promotion de plusieurs principes matériels.

   Et en premier lieu, il présente celle d’Empédocle qui affirma l’existence de plusieurs principes finis. En deuxième lieu il présente celle d’Anaxagore qui affirma qu’il existe plusieurs principes infinis, là [44] où il dit : ¨ Mais Anaxagore etc.¨.

   Il présente donc en premier lieu [43] l’opinion d’Empédocle quant à ceci qu’il affirma que les trois précédents éléments, à savoir l’eau, l’air et le feu, sont les principes des choses, auxquels il ajouta aussi la terre.

89. Il la présente aussi en deuxième lieu quant à cela qu’il dit que ces mêmes éléments ne sont ni engendrés ni corrompus et qu’ils subsistent toujours, tout comme l’affirmaient ceux ne présentaient qu’un seul principe matériel; mais il dit que c’est à partir d’eux que les autres choses sont engendrées ou corrompus, par assemblage ou division de ces derniers selon l’abondance ou la rareté, dans la mesure où ces quatre éléments en s’assemblant forment une chose et qu’en se séparant d’elle ils se divisent.

90. Ensuite lorsqu’il dit [44] : ¨ Par ailleurs, Anaxagore ¨.

   Il présente ici l’opinion d’Anaxagore qui fut un autre disciple d’Anaximène, condisciple de Diogène, dont le pays natal était Clazomène, qui était antérieur à Empédocle quant à l’âge mais qui par les œuvres qu’il a produites lui était postérieur, soit parce qu’il commença à philosopher plus tard car sur le nombre des principes il parla moins bien qu’Empédocle. Il dit en effet que les principes matériels sont infinis, bien qu’il soit plus convenable d’admettre des principes finis et en petit nombre, comme le fit Empédocle, ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques. Non seulement en effet il a dit comme Empédocle que les principes des choses sont le feu, l’eau et les autres éléments; mais pour toutes les choses qui sont constituées de parties semblables, comme la chair, les os et la moelle, et dont il affirmait que les parties minimales et infinies étaient les principes des choses, il affirma que dans chacune d’elles est contenue une infinité de parties de chacun des éléments pour cette raison que dans les corps inférieurs une chose se trouve à pouvoir être engendrée à partir d’une autre, alors qu’il disait qu’il ne peut exister de génération des choses que par séparation des parties du corps mixte, comme nous l’avons expliqué plus clairement au premier livre des Physiques.

91. Deuxièmement Anaxagore était aussi d’accord avec Empédocle en ceci, à savoir qu’il croyait qu’il ne pouvait y avoir de génération et de corruption des choses que par l’union ou la séparation de ces parties infinies et qu’il ne peut arriver qu’une chose naisse ou périsse d’une autre manière. Et il dit que de tels principes infinis des choses, à partir desquels les substances des choses étaient produites, devaient subsister éternellement.

92. Aristote termine donc en disant qu’à partir des opinions de ces philosophes que nous avons présentées, on ne peut connaître qu’une seule cause qui se ramène à l’espèce de la cause matérielle.

 

 

LECTIO 5

[81659] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 1Postquam posuit opinionem de causa materiali, hic ponit opinionem de causa efficiente: quae est unde principium motus. Et dividitur in duas. Primo ponit opiniones eorum, qui simpliciter assignaverunt causam motus et generationis. Secundo prosequitur opinionem illorum, qui posuerunt causam efficientem, quae est etiam principium boni et mali in rebus, ibi, post hos et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit rationem cogentem ad ponendum causam moventem. Secundo ostendit qualiter ad positionem diversi diversimode se habuerunt, ibi, igitur omnino qui talem et cetera. Dicit ergo: quidam philosophi sic processerunt in causa materiali ponenda; sed et ipsa rei evidens natura dedit eis viam ad veritatis cognitionem vel inventionem, et coegit eos quaerere dubitationem quamdam quae inducit in causam efficientem, quae talis est. Nulla res vel subiectum transmutat seipsum, sicut lignum non transmutat seipsum ut ex eo lectus fiat: nec aes est sibi causa transmutandi, ut ex eo fiat statua: sed oportet aliquid aliud esse quod est eis mutationis causa, quod est artifex. Sed ponentes causam materialem unam vel plures, dicebant ex ea sicut ex subiecto fieri generationem et corruptionem rerum: ergo oportet quod sit aliqua alia causa mutationis; et hoc est quaerere aliud genus principii et causae, quod nominatur, unde principium motus et cetera.

[81660] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 2Deinde cum dicit igitur omnino hic ostendit quod ad praedictam rationem tripliciter philosophi se habuerunt. Illi enim, qui istam viam a principio tetigerunt, et dixerunt unam causam materialem, non multum se gravabant in solutione huius quaestionis: erant enim contenti ratione materiae, causam motus penitus negligentes.

[81661] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 3Alii vero dicentes omnia unum esse, quasi per praedictam rationem devicti, non valentes pervenire ad assignandam causam motus, negaverunt totaliter motum. Unde dixerunt, quod totum universum est unum ens immobile. In quo differebant a primis naturalibus, qui dicebant unam causam esse omnium rerum substantiam, quae tamen movetur per rarefactionem et condensationem, ut sic ex uno plura quodammodo fierent: licet non dicerent quod mutaretur secundum generationem et corruptionem simpliciter: hoc enim quod nihil simpliciter generaretur vel corrumperetur fuit antiqua opinio ab omnibus confessa, ut ex supradictis patet. Sed istis posterioribus proprium fuit differentiae quod totum est unum immobile, sicut omni motu carens. Hi fuerunt Parmenides et Melissus, ut infra dicetur. Ergo patet quod illis, qui dicunt totum unum immobile, non contigerit intelligere eos talem causam scilicet causam motus, quia ex quo motum subtrahunt, frustra quaerunt causam motus nisi tantum Parmenides: quia iste etsi poneret unum secundum rationem, ponebat tamen plura secundum sensum, ut infra dicetur. Unde inquantum plura ponebat, conveniebat ei ponere plures causas, quarum una esset movens, et alia mota: quia sicut pluralitatem secundum sensum ponebat, ei oportebat quod poneret motum secundum sensum. Nam ex uno subiecto non potest intelligi pluralitas constituta, nisi per aliquem modum motus.

[81662] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 4Tertii fuerunt qui plures facientes rerum substantias, consenserunt praedictae rationi ponentes causam motus. Ponebant enim calidum vel frigidum causas, vel ignem et terram: quorum igne utebantur ut habente mobilem, idest motivam naturam; aqua vero et terra et aere contrario, vel ut habentibus naturam passivam: et sic ignis erat ut causa efficiens, alia vero ut causa materialis.

[81663] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 5Deinde cum dicit post hos hic ponit opiniones ponentium causam efficientem non solum ut principium motus, sed etiam ut principium boni vel mali in rebus. Et circa hoc duo facit. Primo narrat eorum opiniones. Secundo ostendit in quo in ponendo causas defecerunt, ibi, isti quidem. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionis rationes, ex quibus movebantur ad ponendum aliam causam a praedictis. Secundo ostendit quomodo diversimode causam posuerunt, ibi, dicens et aliquis et cetera. Dicit ergo primo, quod post praedictos philosophos qui solum unam causam materialem posuerunt, vel plures corporales, quarum una erat activa, alia ut passiva: et post alia prima principia ab eis posita, iterum fuerunt ab ipsa veritate coacti, ut aiebamus, idest sicut supra dictum est, ut quaererent principium, habitum idest consequenter se habens ad praedicta, scilicet causam boni, quae quidem est causa finalis, licet ab eis non poneretur nisi per accidens, ut infra patebit. Ponebatur enim ab eis solum causa boni per modum causae efficientis. Et ad hoc cogebantur, quia praemissa principia non sufficiebant ad generandum naturam entium, in qua quidem inveniuntur aliqua bene se habere. Quod demonstrat conservatio corporum in propriis locis, extra quae corrumpuntur. Et ulterius utilitates, quae proveniunt ex partibus animalium, quae hoc modo dispositae inveniuntur secundum quod congruit ad bonum esse animalis.

[81664] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 6Huiusmodi autem bonae dispositionis vel habitudinis, quam quaedam res iam habent, quaedam vero adipiscuntur per aliquam factionem, non sufficienter ponitur causa vel ignis, vel terra, vel aliquod talium corporum: quia ista corpora determinate agunt ad unum secundum necessitatem propriarum formarum, sicut ignis calefacit et tendit sursum, aqua vero infrigidat et tendit deorsum. Praedictae autem utilitates, et bonae dispositiones rerum exigunt habere causam non determinatam ad unum tantum, cum in diversis animalibus diversimode inveniantur partes dispositae, et in unoquoque secundum congruentiam ipsorum naturae.

[81665] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 7Unde non est conveniens, quod ignis vel terra vel aliquod huiusmodi sit causa praedictae bonae habitudinis rerum: nec fuit conveniens, quod ipsi hoc aestimaverint: nec iterum bene se habet dicere, quod sint automata idest per se evenientia et casualia, et quod a fortuna tantum immutetur eorum causalitas: licet aliqui eorum hoc dixerint, ut Empedocles et quicumque posuerunt causam materialem tantum: sicut patet secundo physicorum. Quod tamen patet etiam esse falsum, per hoc quod huiusmodi bonae dispositiones inveniuntur vel semper, vel in maiori parte. Ea autem quae sunt a casu vel a fortuna, non sunt sicut semper, sed nec sicut frequenter, sed ut raro. Et propter hoc necessarium fuit alterum invenire principium bonae dispositionis rerum, praeter quatuor elementa. Alia litera habet, nec ipsi automato et fortunae; et est idem sensus quod prius.

[81666] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 8Deinde cum dicit dicens et hic ponit in speciali opiniones de praedicto principio. Et primo ponit opiniones ponentium unam causam. Secundo ponentium duas, ibi, quoniam vero contraria bonis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opiniones ponentium causam primam efficientem intellectum. Secundo ponentium amorem, ibi, suspicatus est autem et cetera. Dicit ergo quod post praedictam rationem apparuit aliquis dicens intellectum esse in tota natura, sicut est in animalibus, et ipsum esse causam mundi et ordinis totius, idest universi, in quo ordine consistit bonum totius, et uniuscuiusque. Et hic purificavit priores philosophos, ad puram veritatem eos reducens qui inconvenientia dixerunt, huiusmodi causam non tangentes. Hanc autem sententiam manifeste tangit Anaxagoras, licet causam huiusmodi sententiam proferendi dederit ei primo quidam alius philosophus, scilicet Hermotimus Clazomenius. Unde patet quod illi qui sunt opinati sic, simul posuerunt idem rebus esse principium, quod bene haberent se, et quod esset unde principium motus est.

[81667] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 9Deinde cum dicit suspicatus est ponit opinionem ponentium amorem esse principium primum; quem tamen non ita expresse vel plane, posuerunt. Et ideo dicit, quod suspicio fuit apud aliquos, quod Hesiodus quaesivisset huiusmodi principium bonae habitudinis rerum, vel quicumque alius posuit amorem vel desiderium in rebus. Cum enim Parmenides universi generationem monstrare tentaret, dixit, quod amor deorum providit omnibus, ut mundus constitueretur. Nec est contra sensum eius, qui posuit unum ens immobile, quod hic dicit; quia hic ponebat plura secundum sensum, licet unum secundum rationem, ut supra dictum est, et infra dicetur. Deos autem corpora caelestia appellabat, vel forte aliquas substantias separatas.

[81668] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 10Sed Hesiodus dixit quod primo omnium fuit chaos, et deinde facta est terra latior, ut esset receptaculum aliorum: posuerunt enim receptaculum et locum principium esse, ut dicitur quarto physicorum. Et posuit rerum principium amorem, qui condocet omnia immortalia. Et hoc ideo, quia communicatio bonitatis ex amore provenire videtur. Nam beneficium est signum et effectus amoris. Unde, cum ex rebus immortalibus huiusmodi corruptibilia esse habeant, et omnem bonam dispositionem, oportet hoc amori immortalium attribuere. Immortalia autem posuit vel ipsa corpora caelestia, vel ipsa principia materialia. Sic autem posuit chaos et amorem, quasi necessarium sit in rerum existentiis esse non solum materiam motuum, sed et ipsam causam agentem, quae res moveat et congreget; quod videtur ad amorem pertinere. Nam et in nobis amor ad actiones movet, et quia est omnium affectionum principium. Nam et timor et tristitia et spes, non nisi ex amore procedunt. Quod autem amor congreget, ex hoc patet; quia ipse amor est unio quaedam amantis et amati, dum amans amatum quasi se reputat. Iste autem Hesiodus ante philosophorum tempora fuit in numero poetarum.

[81669] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 11Quis autem horum sit prior, idest potior in scientia, utrum ille qui dixit amorem esse primum principium, vel qui dixit intellectum, posterius poterit iudicari, scilicet ubi agetur de Deo. Et hoc iudicium distributionem vocat: quia per hoc unicuique suus gradus attribuitur dignitatis. Alia translatio planius habet: hos quidem igitur quomodo congruat transire, et quis de hoc sit prior, posterius poterit iudicari.

LEÇON 5 ─ Les anciens et le principe spirituel

(nn. 93-103; [45-49])

Il présente les opinions de ceux qui, outre le principe matériel, estimèrent qu’il existe un esprit, un amour ou quelque principe agent.

 

93. Après avoir présenté l’opinion de ceux qui veulent expliquer l’existence des choses par la cause matérielle, il présent ici l’opinion de ceux qui en vinrent à une cause efficiente qui est celle à partir de laquelle le mouvement commence.

   Et il divise cette section en deux parties. En premier lieu il présente l’opinion de ceux qui désignèrent simplement la cause du mouvement et de la génération [45]. En deuxième lieu il poursuit avec l’opinion de ceux qui posèrent l’existence d’une cause efficiente qui est aussi principe du bien et du mal dans les choses, là [47] où il dit : ¨ Après ceux-là etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la raison qui les a poussés à affirmer l’existence d’une cause du mouvement [45]. Deuxièmement il montre de quelle manière différents penseurs se positionnèrent différemment à l’égard de cette opinion, là [46] où il dit : ¨ Donc, ceux qui s’adonnèrent totalement etc.¨.

   Il dit donc [45] que certains philosophes s’avancèrent ainsi à affirmer l’existence d’une seule cause, celle qui est de nature matérielle; mais la nature même des choses, par son évidence, leur indiqua la voie à suivre pour connaître et découvrir la vérité et les poussa à se poser une question qui conduit à la cause efficiente et qui se présente ainsi. Aucune chose ou aucun sujet ou substrat ne se transforme lui-même : par exemple, le bois ne se transforme pas lui-même de manière à produire un lit et il en est de même pour l’airain à l’égard de la statue. Mais il faut qu’il existe quelque chose d’autre qui pour eux soit cause de transformation, qui est l’artisan. Mais ceux qui affirmaient l’existence d’une cause matérielle simple ou multiple disaient que c’est à partir d’elle comme à partir d’un sujet que la génération et la corruption des choses se produit : il faut donc qu’il existe une autre cause du changement. Et faire cela, se demander quelle est cette autre chose, c’est se mettre à la recherche d’une autre espèce de principe et de cause et qui a pour nom : ce d’où le mouvement commence etc.

94. Ensuite, lorsqu’il dit [46] : ¨ Donc, totalement ¨.

   Il montre ici que les philosophes se rapportèrent au raisonnement précédent de trois manières différentes. Ceux en effet qui au tout début s’attachèrent à cette recherche et qui affirmèrent qu’il existe une seule cause matérielle, ne se donnèrent pas beaucoup de peine pour résoudre cette question : ils se satisfaisaient de la nature de la cause matérielle et ils négligeaient totalement la cause du mouvement.

95. D’autres en vérité, disant que toutes les choses sont l’Un, comme vaincus par la raison précédente et ne voulant pas en arriver à assigner la cause du mouvement, durent nier complètement le mouvement. C’est pourquoi ils dirent que tout l’univers est l’Un immobile. Et en cela ils différaient des premiers naturalistes qui disaient qu’une seule cause matérielle était la substance de toutes les choses naturelles et qui cependant était sujette au mouvement par la condensation et la raréfaction, de telle manière qu’ainsi, à partir d’une chose plusieurs étaient produites d’une certaine manière, bien qu’ils n’allaient pas jusqu’à dire que cette matière se changeait d’après une génération ou une corruption pure et simple. En effet affirmer que rien n’est engendré ou corrompu purement et simplement était une opinion communément admise chez les Anciens, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède. Mais il fut propre à ceux qui ont suivi de dire que la Nature entière est l’Un immobile privé de tout mouvement. Et ceux-là furent Parménide et Melissée, ainsi qu’on le verra plus loin. Il est donc évident que ceux-là qui affirmèrent que tout ce qui existe est l’Un immobile furent loin d’arriver à saisir une telle cause, c’est-à-dire la cause du mouvement car du fait qu’ils nient le mouvement, ce serait en vain qu’ils en rechercheraient la cause, sauf pour ce qui est de Parménide : car ce dernier, bien qu’il affirmait l’un selon la raison, posait cependant l’existence du multiple selon le sens, ainsi qu’on le verra plus loin. C’est pourquoi, dans la mesure où il affirmait la multiplicité, il s’accordait avec ceux qui affirmaient l’existence de plusieurs causes dont l’une était le moteur et les autres étaient mues; car comme il affirmait l’existence du multiple selon le sens, il lui fallait aussi affirmer l’existence du mouvement selon le sens. Car à partir d’un sujet unique, on ne peut comprendre l’apparition du multiple que par une certaine forme de mouvement.

96. Une troisième catégorie de philosophes, qui posèrent plusieurs éléments à l’origine des choses, se rangea à la raison précédente en affirmant une cause du mouvement. Ils affirmaient en effet que le chaud et le froid sont ces causes, soit le feu et l’eau, dont ils désignaient le feu comme possédant le mouvement, à savoir la nature motrice, et l’eau, la terre et l’air au contraire comme possédant la nature passive : et ainsi le feu se présentait comme la cause efficiente et les autres éléments comme la cause matérielle.

97. Ensuite lorsqu’il dit [47] : ¨ Après ceux-là ¨.

   Il présente ici l’opinion de ceux qui affirmaient l’existence d’une cause efficiente comme étant non seulement cause du mouvement, mais comme étant aussi principe du bien et du mal dans les choses.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il rapporte leurs opinions [47]. En deuxième lieu il montre en quoi leur exposé sur les causes est déficient, là [51] où il dit : ¨ Ceux-là certes ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les raisons qui fondent cette opinion et à partir desquelles ils étaient portés à poser l’existence d’une cause distincte des précédentes [47]. En deuxième lieu il montre comment ils présentèrent différemment cette cause, là [48] où il dit : ¨ Et lorsque quelqu’un dit etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [47] que suite aux philosophes dont nous venons de parler et qui affirmaient l’existence soit d’une seule cause matérielle, soit de plusieurs causes corporelles dont l’une était active et les autres passives, et suite aux autres premiers principes posés par eux, encore une fois ils furent comme contraints par la vérité elle-même, ¨ainsi que nous l’avons dit¨, c’est-à-dire comme on l’avons vu plus tôt, à rechercher un principe ¨ causal ¨, c’est-à-dire qui se rapporte logiquement à ceux qui précèdent, à savoir la cause du bien, qui est certes la cause finale, bien qu’elle n’était considérée par eux que comme une cause par accident, ainsi qu’il apparaîtra plus loin. En effet la cause du bien n’était établie par eux qu’à la manière d’une cause efficiente. Et ils furent poussés à cela parce que les principes matériels se montraient insuffisants à engendrer la nature des êtres dans laquelle se retrouve le bien, ce que manifeste la conservation des corps dans les lieux qui leur sont propres et en dehors desquels ils se corrompent. De plus, les avantages qui proviennent des parties des animaux vont dans le même sens puisqu’elles se trouvent à être disposées d’une manière qui est conforme à ce qui convient au bien-être de l’animal.

98. Mais les bonnes dispositions ou conditions de cette sorte, que certaines choses possèdent dès le début et que d’autres acquièrent par les actes, le feu, la terre ou un autre corps de la sorte ne peuvent arriver à les expliquer suffisamment. Car ces corps sont déterminés à produire toujours un seul et même effet conformément à la nécessité de leurs formes propres, tout comme le feu réchauffe et tend vers le haut et que l’eau refroidit et tend vers le bas. Mais les avantages et les bonnes dispositions des choses dont nous venons de parler exigent d’avoir une cause qui n’est pas déterminée à un seul effet seulement car les parties se trouvent à être disposées différemment dans des animaux différents et dans chacun selon ce qui convient à sa nature.

99. D’où il ne convient pas que le feu ou la terre ou quelque autre corps de la sorte soit la cause de la bonne disposition des choses dont nous venons de parler. Et il n’est même pas vraisemblable que ceux qui l’ont affirmé l’aient pensé; et de plus il n’était même pas convenable de dire que les choses étaient comme des automates, c’est-à-dire des êtres qui arrivent à exister par hasard et que les changements qu’on observe chez eux n’ont pour seule cause que la fortune, bien que certains d’entre eux l’aient dit, comme Empédocle et ceux qui établirent seulement la cause matérielle comme espèce de causalité, ainsi qu’on le voit au deuxième livre des Physiques. Cependant, cette affirmation se montre encore comme étant fausse du fait que ces bonnes dispositions se retrouvent chez les animaux soit toujours, soit la plupart du temps. Mais ce qui est le fruit du hasard ou de la fortune ne se produit pas toujours ni même la plupart du temps, mais rarement. Et c’est pourquoi il fut nécessaire de rechercher, en dehors des quatre éléments, un principe distinct responsable des bonnes dispositions qu’on retrouve dans les choses. On lit dans un autre manuscrit : ¨ Et on ne peut les attribuer à un automate et à la fortune ¨; et la signification en est la même que la précédente.

100. Ensuite lorsqu’il dit [48] : ¨ Et disant ¨.

   Il présente ici chacune des opinions en particulier se rapportant au principe qui précède.

   Et en premier lieu il présente les opinions de ceux qui affirment une seule cause [48]. En deuxième lieu il présente les opinions de ceux qui affirment l’existence de deux causes, là [50] où il dit : ¨ Puisqu’en vérité s’opposent aux biens etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les opinions de ceux qui ont affirmé que la première cause efficiente est une intelligence [48]. En deuxième lieu il présente celle de ceux qui affirmèrent que la première cause efficiente est l’amour, là [49] où il dit : ¨ Mais on soupçonna etc.¨.

   Il dit donc que, faisant suite au raisonnement qui précède, quelqu’un apparut en disant qu’une intelligence est présente dans toute la nature, comme elle l’est dans les animaux, et que cette dernière est la cause du monde et de l’ordre qu’on retrouve dans tout, c’est-à-dire dans l’univers, et que c’est dans cet ordre que consiste le bien de l’ensemble et de chacune de ses parties. Et cet homme éclaira les philosophes qui l’avaient précédé et qui avaient dit des faussetés sans avoir vu cette sorte de cause, en les ramenant à la pure vérité. Nous savons qu’Anaxagore exprima clairement cette pensée bien qu’un autre philosophe, Hermotime de Clamozène, lui a d’abord donné cette cause comme devant être enseignée. D’où il est évident que ceux qui ont pensé ainsi affirmèrent simultanément que pour les choses ce principe est le même qui fait que les choses sont bien disposées et qui est ce d’où le mouvement commence.

101. Ensuite lorsqu’il dit [49] : ¨ On soupçonna ¨.

   Il présente l’opinion de ceux qui ont affirmé que l’amour est le principe sans cependant l’établir d’une manière distincte et claire. Et c’est pourquoi il dit que certains conjecturèrent qu’Hésiode avait recherché un tel principe des bonnes dispositions des choses ou que quelqu’un d’autre avait affirmé la présence d’un amour ou d’un désir dans les choses. Puisqu’en effet Parménide tentait d’expliquer la génération de l’univers, il dit que c’est l’amour des dieux qui pourvoit à tout ce qui contribue à la constitution du monde. Et ce qu’il dit ici n’est pas contraire à son opinion qui posait l’existence d’un être immobile, car bien qu’il affirmait l’Un selon la raison, il affirmait ici une pluralité selon le sens, ainsi que nous l’avons dit plus haut et que nous le rappellerons plus loin. Car il appelait dieux les corps célestes ou peut-être quelques substances séparées.

102. Mais Hésiode dit qu’à l’origine il y avait le Chaos et ensuite la vaste Terre comme réceptacle de toutes les choses : ils affirmaient en effet que le réceptacle et le lieu sont des principes, ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Physiques. Et il ajoute que l’amour, comme principe, est celui qui forme tous les êtres immortels. Et il en est ainsi parce que la communication de la bonté paraît provenir de l’amour. Car un bienfait ou une faveur est un signe et un effet de l’amour. D’où, puisque c’est des êtres immortels que les choses corruptibles tiennent leur être et toute bonne disposition, c’est à l’amour de ces êtres immortels qu’il faut attribuer tout cela. Mais Hésiode affirma que ces êtres immortels sont soit les corps célestes, soit les principes matériels eux-mêmes. – Il affirma cependant l’existence du chaos et de l’amour comme principes comme s’il était nécessaire qu’il y ait dans les existences des choses non seulement la matière des mouvements mais aussi la cause agente elle-même qui meut les choses et les rassemble, fonction qui semble appartenir à l’amour. Car en nous l’amour est à la fois le principe des actions et de toutes les affections. Car la crainte, la tristesse et l’espoir ne procèdent que de l’amour. Mais que l’amour soit un principe de rassemblement, cela est évident à partir de ceci que l’amour lui-même est une certaine union de l’amant à l’aimé, alors que l’amant se réfléchit* dans l’aimé. Cependant cet Hésiode fut du nombre des poètes bien avant l’époque des philosophes.

103. Mais quel est celui qui est premier parmi ces philosophes, c’est-à-dire celui dont le savoir est le meilleur? Est-ce celui qui affirme que l’amour est le premier principe ou celui qui dit que c’est une intelligence? On pourra en juger par la suite, c’est-à-dire dans le chapitre où on traitera de Dieu. Et ce jugement appelle une division car c’est par ce jugement que chacun se voit attribuer le degré de sa dignité. Un autre document dit plus clairement : Comment donc convient-il certes de négliger ceux-là et lequel sur ce sujet est préférable, on pourra en juger plus loin.

 

 

LECTIO 6

[81670] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 1Hic ponit opinionem ponentium contrarietatem in huiusmodi, et rationem eos moventem, quae talis erat. In rerum natura videbantur aliqua esse contraria bonis, quia in natura non solum invenitur ordinatum et bonum, sed aliquando inordinatum et turpe: non potest autem dici quod mala non habeant causam, sed accidant a casu: quia mala sunt plura melioribus, et prava sunt plura bonis simpliciter: quae autem sunt a casu sine causa determinata non sunt ut in pluribus, sed ut in paucioribus. Unde, cum contrariorum sint contrariae causae, oportet non solum causam rerum ponere amorem, ex quo proveniunt ordinationes et bona: sed et odium, ex quo proveniunt inordinationes et turpia vel mala: ut sic singula mala et bona proprias causas habeant.

[81671] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 2Et quod ista fuerit ratio movens Empedoclem patet, si quis assequatur sententiam eius, et accipiat sententiam, quam dicere voluit, et non ad verba, quae imperfecte et quasi balbutiendo dixit. Dixit enim quod amoris est congregare, odii disgregare: sed quia ex congregatione est rerum generatio, ex qua rebus est esse et bonum: per segregationem vero est corruptio, quae est via ad non esse et malum, iam patet quod voluit amorem esse causam aggregatorum, idest bonorum, et odium esse causam malorum. Et ita si quis dicat, quod Empedocles fuit primus, qui dixit bonum et malum esse principia, forsitan bene dixit.

[81672] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 3Si tamen secundum Empedoclem fuit hoc quod bonum est causa omnium bonorum, et malum omnium malorum. Quod enim aliquorum malorum posuit causam malam, scilicet corruptionis, et aliquorum bonorum bonum, scilicet generationis, manifestum est: sed quia non sequebatur quod omnia bona essent per amicitiam, nec omnia mala per odium, cum distinctio partium mundi adinvicem esset per odium, et confusio per amicitiam, ideo non usquequaque posuit bonum causam bonorum, et malum causam malorum.

[81673] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 4Deinde cum dicit isti quidem hic ostendit, quod in ponendo praedictas causas deficiebant. Et primo loquitur generaliter de eis. Secundo specialiter, ibi, Anaxagoras autem et cetera. Dicit ergo primo, quod praedicti philosophi, scilicet Anaxagoras et Empedocles, usque ad hoc pervenerunt, quod posuerunt duas causas illarum quatuor, quae sunt determinatae in physicis, scilicet materiam et causam motus; sed obscure et non manifeste tradiderunt, quia non exprimebant quod illa, quae causas esse ponebant, ad ista causarum genera reducerentur. Sed in hoc quod de causis posuerunt duas, convenienter assimilabantur bellatoribus non eruditis, qui ab adversariis circumducti faciunt aliquando bonos ictus, sed non per artem, sed a casu. Quod ex hoc patet, quia etsi aliquando accidit eis, non tamen semper aut frequenter. Similiter etiam praedicti philosophi non sunt usi dicere quod dicunt, nec usi sunt scientibus, idest sicut scientes. Unde alia translatio habet, sed nec illi scientiam, nec hi assimilati sunt scientibus dicere quod dicunt. Quod ex hoc patet, quia cum praedictas causas posuissent, fere non sunt eis usi, quia in paucis utebantur. Unde videtur quod non ex arte, sed quadam inducti necessitate eas casualiter induxerunt.

[81674] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 5Deinde cum dicit Anaxagoras autem hic ostendit in quo specialiter eorum uterque defecerit. Et primo de Anaxagora. Secundo de Empedocle, ibi, et Empedocles. Dicit ergo primo, quod Anaxagoras utitur intellectu ad mundi generationem; in quo videtur artificialiter loqui, non dubitans de causis generationis mundi, ex necessitate attrahit, idest producit ipsum intellectum, non valens reducere mundi generationem in aliquam aliam causam distinguentem res, nisi in aliquod in se distinctum et immixtum, cuiusmodi est intellectus. Sed in omnibus aliis assignat causas magis ex omnibus aliis, quam ex intellectu, sicut in specialibus rerum naturis.

[81675] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 6Deinde cum dicit et Empedocles hic ostendit in quo deficiat Empedocles. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit in quo deficit. Secundo quid proprium prae aliis dixit, ibi, Empedocles igitur. Dicit ergo primo, quod Empedocles in determinando de particularibus rerum naturis, plus utitur causis a se positis, scilicet quatuor elementis, et odio et amore, quam Anaxagoras, quia singulorum generationem et corruptionem in praedictas causas reducit, non autem Anaxagoras in intellectum. Sed in duobus deficit. Primo, quia non sufficienter huiusmodi causas tradit. Utitur enim eis quasi dignitatibus per se notis, quae non sunt per se nota, ut dicitur primo physicorum: dum scilicet supponebat quasi per se notum, quod lis determinato tempore dominabatur in elementis, et alio tempore determinato amor.

[81676] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 7Secundo, quia in his quae quaerit, non invenitur illud quod est ab eo confessum, idest suppositum quasi principium, scilicet quod amor congreget et odium disgreget; quia in multis locis oportet quod e contrario amor secernat, idest dividat, et odium concernat, idest congreget; quia quando ipsum universum in partes suas per odium, distrahitur, idest deiicitur, quod est in generatione mundi, tunc omnes partes ignis in unum conveniunt, et similiter singulae partes aliorum elementorum, concernunt, idest adinvicem coniunguntur. Sic igitur odium, non solum partes ignis dividit a partibus aeris, sed etiam partes ignis coniungit adinvicem. E contrario autem, cum elementa in unum conveniunt per amorem, quod accidit in destructione universi, tunc necesse est ut partes ignis adinvicem separentur, et similiter singulorum partes adinvicem secernantur. Non enim posset ignis commisceri aeri nisi partes ignis adinvicem separarentur, et similiter partes aeris nisi invicem se elementa praedicta penetrarent, ut sic amor sicut coniungit extranea, ita dividat similia, secundum quod sequitur ex eius positione.

[81677] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 8Deinde cum dicit Empedocles quidem hic ostendit quomodo Empedocles prae aliis philosophis proprium posuit. Et dicit quod duo prae aliis posuit. Unum est quod causam unde motus divisit in duas contrarias partes. Aliud est quod causam materialem dixit esse quatuor elementa: non quod utatur quatuor elementis ut quatuor, sed ut duobus, quia ignem comparat aliis tribus dicens, quod ignis habet naturam activam, et alia passivam. Et hoc potest aliquis sumere ex elementis rerum ab ipso traditis, vel elementis principiis suae doctrinae quae posuit. Alia litera habet ex versibus, quia dicitur metrice suam philosophiam scripsisse. Et huic concordat alia translatio quae dicit, ex rationibus. Hic igitur, ut dictum est et sic tot primus posuit principia, quia quatuor, et ea quae dicta sunt.

LEÇON 6 ─ Les anciens philosophes et les deux causes du bien et du mal

(nn. 104-111; [50-54])

 

Il présente les positions de ceux qui ajoutaient à la matière deux principes efficients, celui des biens et celui des maux, à savoir l’amour et la haine, et il les convainc d’insuffisance.

 

104. Il présente ici l’opinion de ceux qui ont vu une opposition dans la nature [50], ainsi que la raison qui les y a poussés, que voici. Certaines caractéristiques présentes dans la nature des choses paraissaient être opposées au bien car dans la nature on retrouve non seulement ce qui est ordonné et bon, mais aussi ce qui est désordonné et laid : mais on ne peut cependant affirmer que les maux n’ont pas de cause et qu’ils se produisent par hasard car les maux sont plus abondants que les biens et ce qui est pervers est purement et simplement plus fréquent que ce qui est bien; cependant, ce qui vient du hasard et n’est issu d’aucune cause déterminée ne se produit pas la plupart du temps mais rarement. De là, puisqu’à des effets opposés correspondent des causes opposées, il faut non seulement poser l’amour comme cause des choses d’où proviennent les biens et les bonnes dispositions, mais il faut aussi affirmer que la haine est le principe d’où proviennent les désordres, les laideurs et les maux, de telle manière que chacun des maux et des biens ait sa propre cause.

105. Et que telle fut bien la raison qui poussa Empédocle à adopter cette position; cela est évident si on considère son opinion et qu’on la comprend quant à ce qu’il a voulu dire et non quant aux paroles elles-mêmes qu’il a exprimées imparfaitement et comme en balbutiant. Il dit en effet qu’il appartient à l’amour d’unir et à la haine de diviser : mais parce que la génération des choses se fait à partir de l’union d’où proviennent l’existence et les biens des choses, et que c’est par la division qu’apparaît la corruption qui est un processus vers le non-être et le mal, il est déjà évident qu’il voulut que l’amour soit la cause de ce qui est uni, c’est-à-dire des biens, et que la haine soit la cause des maux. – Et ainsi, si quelqu’un disait qu’Empédocle fut le premier à affirmer que le bien et le mal sont les principes des choses, il aurait probablement raison.

106. Si cependant la position d’Empédocle fut bien que le bien est cause de tous les biens et le mal cause de tous les maux. Il est manifeste en effet qu’il affirme qu’il existe une cause mauvaise de certains maux, par exemple de la corruption, et une cause bonne de certains biens, par exemple de la génération; mais parce qu’il ne résultait pas que tous les biens existent par l’amitié et tous les maux par la haine, alors que la distinction des parties de l’univers entre elles se faisait par la haine et leur confusion par l’amitié, c’est pourquoi il n’affirma pas que c’est toujours et en tout lieu que le bien est la cause des biens et que le mal est la cause des maux.

107. Ensuite lorsqu’il dit [51] : ¨ Certes ceux-ci ¨.

   Il montre ici que leurs positions étaient insuffisantes à l’égard des causes précédentes.

   Et en premier lieu il en parle comme en général. Deuxièmement il parle plus précisément de chacun d’eux en particulier, là où il dit [52] : ¨ Mais Anaxagore etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [51] que les philosophes précédents, à savoir Anaxagore et Empédocle, en arrivèrent à affirmer l’existence de deux des quatre causes présentées dans les Physiques, à savoir la matière et la cause du mouvement; mais ils en ont traité d’une manière vague et obscure car ils n’ont pas exprimé formellement que ces choses qu’ils présentaient comme des causes se ramenaient à ces genres de causes. Mais en cela qu'au sujet des causes ils n’en ont posé que deux, on peut les comparer avec raison à des combattants non expérimentés qui, entourés d’ennemis, font parfois de bons coups comme par hasard et non par science; ce qui devient évident si on considère que cela leur arrive parfois mais non pas toujours ou souvent. – De la même manière encore, ces philosophes ne maîtrisent pas ce qu’ils disent et ne sont pas en possession de savoirs à la manière des savants. De là l’expression de cet autre manuscrit : ¨ Et ce que ceux-là disent, on ne peut le comparer à ce que dit la science ni à ce que disent les hommes de science.¨. Ce qui devient évident à partir de ceci qu’après avoir présenté leurs causes, ils ne s’en servent pratiquement pas puisqu’ils n’y recourent que rarement. D’où on peut voir que ce n’est pas en suivant un art qu’ils déterminèrent fortuitement leurs causes, mais comme conduits par une certaine nécessité.

108. Ensuite lorsqu’il dit [52] : ¨ Mais Anaxagore etc.¨.

   Il montre ici en quoi spécialement chacun des deux se trompa.

   Et en premier lieu il parle d’Anaxagore. Deuxièmement il parle d’Empédocle, là [53] où il dit : ¨ Et Empédocle ¨.

   Il dit donc en premier lieu [52] qu’Anaxagore se sert de l’Intelligence pour expliquer la génération de l’Univers; mais il semble qu’il n’en parle que d’une manière artificielle car ne doutant pas des causes du devenir de l’Univers, poussé par la nécessité, il tire à lui, c’est-à-dire qu’il invente cette Intelligence, ne réussissant pas à ramener la génération du monde à une autre cause permettant de distinguer les choses, si ce n’est à cette cause qui est en soi séparée et sans mélange, à savoir l’Intelligence. Mais dans tous les autres cas, comme dans l’explication des natures spécifiques des choses, c’est à toutes les autres causes plutôt qu’à l’Intelligence qu’il attribue la génération des choses.

109. Ensuite lorsqu’il dit [53] : ¨ Et Empédocle ¨.

   Il montre ici en quoi l’explication d’Empédocle est insuffisante.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre en quoi son explication est insuffisante. En deuxième lieu il montre ce qu’il dit en propre comparativement aux autres, là [54] où il dit : ¨ Donc, Empédocle ¨.

   Il dit donc en premier lieu [53], qu’Empédocle, en déterminant des natures spécifiques des choses, se sert davantage des causes qu’il a lui-même posées, c’est-à-dire des quatre éléments et de la haine et de l’amour, que ne le fait Anaxagore, car il ramène la génération et la corruption de chaque chose naturelle en particulier aux causes précédentes, alors qu’Anaxagore ne les ramène pas à l’Intelligence. Mais il se montre faible sous deux rapports. En premier lieu, il ne traita pas de ces causes d’une manière suffisante. Il s’en sert en effet comme d’axiomes connus par eux-mêmes alors qu’elles ne sont pas évidentes par elles-mêmes, ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques, à savoir par exemple qu’il considérait comme une évidence qu’à certains moments c’était la haine qui dominait dans les éléments alors qu’à d’autres c’était l’amour.

110. En deuxième lieu, on ne retrouve pas dans sa recherche ce qu’il proclame lui-même, c’est-à-dire ce qu’il suppose lui-même comme principe, à savoir que l’amour réunit et que la haine sépare; car il affirme au contraire en plusieurs occasions que l’amour sépare, c’est-à-dire divise, et que la haine réunit, c’est-à-dire rassemble; car alors que l’Univers lui-même est ¨ dispersé ¨ en ses parties par la haine, c’est-à-dire qu’il est éclaté, ce qui se produit lors de la génération de l’univers, alors toutes les parties du feu se réunissent en un seul feu et de même toutes les parties des autres éléments ¨s’assemblent¨, c’est-à-dire s’unissent les unes aux autres. Ainsi donc, non seulement la haine sépare-t-elle les parties du feu de celles de l’air, mais elle réunit entre elles les parties du feu. À l’inverse cependant, alors que les divers éléments sont rassemblés dans l’unité par l’amour, ce qui se produit dans la destruction de l’univers, alors il est nécessaire que les parties du feu se séparent les unes des autres et que pareillement les parties des autres éléments se distinguent les unes des autres. En effet, le feu ne peut se mélanger à l’air à moins que les parties du feu ne se séparent les unes des autres et de même les parties de l’air ne peuvent pénétrer les autres éléments à moins de se séparer les unes des autres afin que l’amour, en divisant ce qui est semblable, puisse réunir ce qui est étranger, selon ce qui suit de sa position.

111. Ensuite lorsqu’il dit [54] : ¨ Certes Empédocle ¨.

   Il montre ici comment Empédocle a présenté sa propre position avant les autres philosophes. Et il dit qu’il présenta deux points avant les autres. Le premier est qu’il divisa en deux parties opposées la cause d’où procède le mouvement. L’autre est qu’il affirma que la cause matérielle se présente sous la forme des quatre éléments. Non pas qu’il se servit des quatre éléments comme séparément, mais comme s’ils étaient deux en fait, car il compare le feu aux trois autres en disant que ce dernier possède une nature active alors que les trois autres ont une nature passive. Et chacun peut avoir l’évidence de cela par la considération des éléments des choses dont il a lui-même traité ou des ¨ éléments ¨ vus comme principes de la doctrine qu’il établit. On peut le voir à l’occasion d’un manuscrit tiré de ses vers où on dit qu’il a transcrit sa philosophie sous forme métrique. Et une autre traduction s’accorde avec cela où on dit : ¨ D’après ses raisons ¨. Ici donc, ¨ comme nous l’avons dit ¨, il fut le premier à poser ce nombre de principes, à savoir les quatre éléments, ainsi que les choses qui ont été dites.

 

 

LECTIO 7

[81678] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 1Hic incipit ponere positiones eorum, qui posuerunt de principiis positiones extraneas non manifestas. Et primo illorum qui posuerunt plura principia rerum. Secundo illorum, qui posuerunt tantum unum ens, ibi, sunt autem aliqui et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem Leucippi et Democriti, qui posuerunt principia rerum corporea. Secundo ponit opinionem Pythagoricorum, qui posuerunt principia rerum incorporea, ibi, in his autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem Democriti et Leucippi de causa materiali rerum. Secundo de causa diversitatis, quomodo scilicet ex materia plures res diversificantur, in quo etiam apparet causa generationis et corruptionis rerum: in quo etiam cum antiquis philosophis conveniebant, ibi, et quemadmodum in unum et cetera. Dicit ergo, quod duo philosophi, qui amici dicuntur, quia in omnibus se sequebantur, scilicet Democritus et Leucippus, posuerunt rerum principia plenum et inane, sive vacuum; quorum plenum est ens, et vacuum sive inane non ens.

[81679] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 2Ad huius autem opinionis evidentiam recolendum est hoc quod philosophus dicit in primo de generatione, ubi diffusius eam tradit. Cum enim quidam philosophi posuissent omnia esse unum ens continuum, immobile: quia nec motus sine vacuo esse potest, ut videtur, nec etiam rerum distinctio, ut dicebant, cum continuitatis privationem, ex qua oportet intelligere corporum diversitatem, nisi per vacuum non possent comprehendere, vacuum autem nullo modo esse ponerent, supervenit Democritus, qui eorum rationi consentiens, diversitatem autem et motum a rebus auferre non valens, vacuum esse posuit, et omnia corpora ex quibusdam indivisibilibus corporibus esse composita: propter hoc, quia non videbatur sibi quod ratio posset assignari quare ens universum magis in una parte esset divisum quam in alia; ne poneret totum esse continuum, praeelegit ponere ubique totum et totaliter esse divisum; quod esse non posset si remaneret aliquod divisibile indivisum. Huiusmodi autem indivisibilia corpora invicem coniungi non possunt, nec esse ut ponebat, nisi vacuo mediante: quia nisi vacuum inter duo eorum interveniret, oporteret ex eis duobus unum esse continuum quod ratione praedicta non ponebat. Sic igitur uniuscuiusque corporis magnitudinem constitutam dicebat ex illis indivisibilibus corporibus implentibus indivisibilia spatia, et ex quibusdam spatii vacuis ipsis indivisibilibus corporibus interiacentibus, quae quidem poros esse dicebat.

[81680] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 3Ex quo patet quod cum vacuum sit non ens, et plenum sit ens, non magis ponebat rei constitutionem ens quam non ens: quia nec corpora magis quam vacuum, nec vacuum magis quam corpora; sed ex duobus simul dicebat, ut dictum est corpus constitui. Unde praedicta duo ponebat rerum causas sicut materiam.

[81681] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 4Deinde cum dicit et quemadmodum hic ostendit in quo conveniebant praedicti philosophi cum antiquis philosophis, qui ponebant unam tantum materiam. Ostendit autem quod conveniebant cum eis in duobus. Primo quidem, quia sicut sunt ponentes unam materiam, et ex illa materia una generabant aliam secundum diversas materiae passiones, quae sunt rarum et densum, quae accipiebant ut principia omnium aliarum passionum; ita et isti, scilicet Democritus et Leucippus, dicebant, quod causae differentes erant aliorum, scilicet corporum constitutorum ex indivisibilibus, videlicet quod per aliquas differentias illorum indivisibilium corporum et pororum diversa entia constituebantur.

[81682] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 5Eas autem differentias dicebant esse, unam secundum figuram, quae attenditur ex hoc quod aliquid est angulatum, circulare et rectum: aliam secundum ordinem quae est secundum prius et posterius: aliam secundum positionem, quae est secundum ante et retro, dextrum et sinistrum, sursum et deorsum. Et sic dicebant quod unum ens differt ab alio vel rhysmo idest figura, vel diathyge idest ordine, vel trope idest positione.

[81683] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 6Et hoc probat per exemplum in literis Graecis, in quibus una litera differt ab alia figura: sicut et in nostris differt una ab altera: a enim differt ab n, figura; an vero et na, differunt secundum ordinem, nam una ante aliam ordinatur. Una etiam differt ab altera positione, ut z ab n, sicut et apud nos videmus quod semivocales post liquidas poni non possunt ante quas ponuntur mutae in eadem syllaba. Sicut ergo propter triplicem diversitatem in literis ex eisdem literis diversimode se habentibus fit tragoedia et comoedia, ita ex eisdem corporibus indivisibilibus diversimode habentibus fiunt diversae species rerum.

[81684] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 7Aliud vero in quo conveniebant isti philosophi cum antiquis est, quod sicut antiqui neglexerunt ponere causam ex qua motus inest rebus, ita et isti, licet illa indivisibilia corpora dicerent esse per se mobilia. Sic ergo patet quod per praedictos philosophos nihil dictum est nisi de duabus causis, scilicet de causa materiali ab omnibus, et de causa movente a quibusdam.

[81685] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 8Deinde cum dicit in his autem hic ponit opiniones Pythagoricorum ponentium numeros esse substantias rerum. Et circa hoc duo facit. Primo ponit opiniones de rerum substantia. Secundo de rerum principiis, ibi, sed cuius gratia advenimus. Circa primum ponit duo, ex quibus inducebantur ad ponendum numeros esse rerum substantias. Secundum ponit ibi, amplius autem harmoniarum et cetera. Dicit ergo quod Pythagorici philosophi fuerunt, in his, idest, contemporanei aliquibus dictorum philosophorum, et ante hos, quia fuerunt quidam quibusdam priores. Sciendum est autem duo fuisse philosophorum genera. Nam quidam vocabantur Ionici, qui morabantur in illa terra, quae nunc Graecia dicitur: et isti sumpserunt principium a Thalete, ut supra dictum est. Alii philosophi fuerunt Italici, in illa parte Italiae quae quondam magna Graecia dicebatur, quae nunc Apulia et Calabria dicitur: quorum philosophorum princeps fuit Pythagoras natione Samius, sic dictus a quadam Calabriae civitate. Et haec duo philosophorum genera simul concurrerunt. Et propter hoc dicit quod fuerunt, in his et ante hos.

[81686] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 9Isti autem Italici philosophi, qui et Pythagorici dicuntur, primi produxerunt quaedam mathematica, ut ea rerum sensibilium substantias et principia esse dicerent. Dicit ergo, primi, quia Platonici eos sunt secuti. Ex hoc autem moti sunt ut mathematica introducerent, quia erant nutriti in eorum studio. Et ideo principia mathematicorum credebant esse principia omnium entium. Consuetum est enim apud homines, quod per ea quae noverunt, de rebus iudicare velint. Et quia inter mathematica numeri sunt priores, ideo conati sunt speculari similitudines rerum naturalium, et quantum ad esse et quantum ad fieri, magis in numeris quam in sensibilibus elementis, quae sunt terra et aqua et huiusmodi. Sicut enim praedicti philosophi passiones rerum sensibilium adaptant passionibus rerum naturalium, per quamdam similitudinem ad proprietates ignis et aquae et huiusmodi corporum: ita mathematici adaptabant proprietates rerum naturalium ad numerorum passiones, quando dicebant quod aliqua passio numerorum est causa iustitiae, et aliqua causa animae et intellectus, et aliqua causa temporis, et sic de aliis. Et sic passiones numerorum intelliguntur esse rationes et principia quaedam omnium apparentium in rebus sensibilibus, et quantum ad res voluntarias, quod designatur per iustitiam, et quantum ad formas substantiales rerum naturalium, quod designatur per intellectum et animam: et quantum ad accidentia, quod designatur per tempus.

[81687] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 10Deinde cum dicit amplius autem hic ponit secundum motivum. Considerabant enim passiones harmoniarum, consonantiarum musicalium et earum rationes, scilicet proportiones, ex natura numerorum. Unde cum soni consonantes sint quaedam sensibilia, eadem ratione sunt conati et cetera alia sensibilia secundum rationem et secundum totam naturam assimilare numeris, ita quod numeri sunt primi in tota natura.

[81688] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 11Et propter hoc etiam aestimaverunt quod principia numerorum essent principia omnium entium existentium, et totum caelum nihil aliud esse dicebant nisi quamdam naturam et harmoniam numerorum, idest proportionem quamdam numeralem, similem proportioni, quae consideratur in harmoniis. Unde quaecumque habebant confessa, idest manifesta, quae poterant adaptare numeris et harmoniis adaptabant, et quantum ad caeli passiones, sicut sunt motus et eclypses et huiusmodi et quantum ad partes, sicut sunt diversi orbes: et quantum ad totum caeli ornatum, sicut sunt diversae stellae et diversae figurae in constellationibus.

[81689] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 12Et si aliquid deficiebat in rebus manifestis quod non videretur numeris adaptari, advocabant, idest ipsi de novo ponebant continuatum esse eis omne negotium, idest ad hoc quod totum negotium eorum quod erat adaptare sensibilia ad numeros, continuaretur, dum omnia sensibilia numeris adaptarent, sicut patet in uno exemplo. In numeris enim denarius videtur esse perfectus, eo quod est primus limes, et comprehendit in se omnium numerorum naturam: quia omnes alii numeri non sunt nisi quaedam repetitio denarii. Propter quod Plato usque ad decem faciebat numerum, ut dicitur quarto physicorum. Unde et Pythagoras, sphaeras, quae moventur in caelo, dixit decem, quamvis novem solum harum sint apparentes: quia deprehenduntur septem motibus planetarum, octava ex motu stellarum fixarum, nona vero ex motu diurno, qui est motus primus. Sed et Pythagoras addit decimam quae esset antictona idest in contrarium mota in inferioribus sphaeris, et per consequens in contrarium sonans. Dicebat enim ex motu caelestium corporum fieri quamdam harmoniam: unde sicut harmonia fit ex proportione sonorum contrariorum, scilicet gravis et acuti, ita ponebat quod in caelo erat unus motus in oppositam partem aliis motibus, ut fieret harmonia. Et secundum hanc positionem motus diurnus pertinebat ad decimam sphaeram, quae est ab oriente in occidentem, aliis sphaeris revolutis e contrario ab occidente in orientem. Nona vero secundum eum esse poterat, quae primo revolvebat omnes sphaeras inferiores in contrarium primi motus. De his autem quae ad opinionem istam Pythagorae pertinent, determinatum est diffusius et certius in ultimis libris huius scientiae.

LEÇON 7 ─

(nn. 112-123; [55-58]).

 

Il apporte ici les opinions de Démocrite et de Leucippe qui affirmèrent que l’Univers a été engendré par des corps indivisibles comme par une matière; ensuite, il fait connaître deux raisons par lesquelles les Pythagoriciens ont été amenés à croire que les nombres sont la substance des choses.

 

112. Il commence ici à présenter les opinions de ceux qui présentèrent au sujet des principes des positions bizarres et non évidentes.

   Et il le fait en premier lieu pour ceux qui présentèrent plusieurs principes des choses [55]. En deuxième lieu il le fait pour ceux qui ne posèrent qu’un seul être, là [63] où il dit : ¨ Il y en a certains cependant etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les positions de Leucippe et de Démocrite qui établirent des principes corporels des choses [55]. En deuxième lieu, il présente l’opinion des Pythagoriciens qui présentèrent des principes incorporels des choses, là [57] où il dit : ¨ À ces époques cependant etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la position de Leucippe et de Démocrite au sujet de la cause matérielle des choses [55]. En deuxième lieu il présente leur position sur la cause de la diversité, à savoir comment à partir de la matière on obtient plusieurs choses différentes, en quoi apparaît aussi la cause de la génération et de la corruption des choses et en quoi aussi ils s’accordaient avec les philosophes anciens, là [56] où il dit : ¨ Et de même que dans l’un etc.¨.

   Il dit donc [55] que deux philosophes qu’on appelle des amis du fait qu’ils s’accordaient sur de nombreux points, à savoir Leucippe et Démocrite, déclarèrent que les principes des choses sont le plein et le rare ou le vide, le plein étant l’être et le vide étant le non-être.

113. Mais pour manifester cette opinion il faut se rappeler ce que dit le Philosophe au premier livre de la Génération où il s’étend davantage sur cette opinion. On y voit en effet que certains philosophes affirmaient que toutes les choses ne sont qu’un seul être continu et immobile, et parce que d’après eux, à ce qu’il semble, le mouvement, tout comme la distinction des choses, ne peut exister sans le vide; et puisqu’ils ne pouvaient saisir la privation de la continuité, à partir de laquelle il faut comprendre la diversité des corps, que par la notion de vide dont ils avaient pourtant affirmé qu’il n’existe d’aucune manière, survint alors Démocrite qui, sympathisant avec leur argumentation et ne se sentant pas capable de retirer aux choses leurs diversités et leurs mouvements, établit l’existence du vide et affirma que tous les corps étaient composés de particules indivisibles; à cause de cela, parce qu’il ne voyait pas quelle raison pouvait être assignée pour expliquer pourquoi l’être de l’univers était plus divisée dans une partie que dans une autre, et afin de ne pas affirmer que tout l’univers est continu, il préféra affirmer qu’il est partout entièrement divisé, ce qui aurait été impossible s’il restait un divisible indivisé. Mais de telles particules indivisibles ne peuvent s’unir les unes aux autres ni exister, ainsi qu’il le disait, qu’au moyen du vide : car si le vide n’intervenait pas entre elles, il faudrait qu’à partir d’elles il existe un être continu, ce qu’il se refusait d’affirmer pour la raison qui précède. Ainsi donc il disait que la dimension constitutive de tout corps existe à la fois à partir de ces particules indivisibles remplissant les espaces indivisibles, et à partir de ces  espaces vides indivisibles eux-mêmes, qu’il appelait des pores, et qui s’intercalent entre les particules indivisibles.

114. D’où il devient évident que, puisque le vide est du non-être et que le plein est de l’être, il n’affirmait pas que les choses étaient davantage constituées d’être que de non-être, car les particules n’existent pas davantage que le vide et ce dernier pas davantage que les particules; mais au contraire, il affirmait que les corps sont constitués simultanément des deux. Et de là il affirmait que les particules et le vide sont les causes des choses en tant que matière.

115. Ensuite lorsqu’il dit [56] : ¨ Et de la même manière ¨.

   Il montre ici en quoi ces deux philosophes s’accordaient avec les anciens philosophes qui posaient l’existence d’une seule matière.

   Et il montre qu’ils s’entendaient avec eux sur deux points. Et certes en premier lieu sur ceci que tout comme les anciens posaient l’existence d’une seule matière à partir de laquelle une autre était engendrée selon les différentes propriétés de la matière que sont le rare et le dense qu’ils considéraient comme les principes de toutes les autres propriétés, de même ceux-là, à savoir Leucippe et Démocrite, affirmaient que les causes des choses différentes, c’est-à-dire des corps constitués de particules indivisibles, sont différentes; il est évident que par les différences existant dans ces particules et dans ces pores indivisibles, des êtres différents devaient être constitués.

116. Et ils affirmaient que ces différences étaient au nombre de trois dont l’une était selon la figure qui doit s’entendre à partir de ceci qu’un corps est soit anguleux, circulaire ou droit; la deuxième était selon l’ordre qui doit s’entendre selon l’avant et l’après; la troisième était selon la position qui doit s’entendre selon l’avant et l’arrière, la droite et la gauche, le haut et le bas. Et ainsi ils disaient qu’un être diffère d’un autre ¨ soit par la configuration ¨, c’est-à-dire par la figure, ¨soit par l’arrangement ¨, c’est-à-dire par l’ordre, ¨ soit par la tournure ¨, c’est-à-dire par la position.

117. Et il manifeste cela au moyen d’un exemple tiré de l’alphabet grec, dans lequel une lettre diffère d’une autre par la figure tout comme dans le nôtre : A en effet diffère de N par la figure; AN diffère de NA par l’ordre car dans un cas l’une est antérieure à l’autre alors que dans l’autre cas c’est l’autre qui est antérieure à l’une; l’une diffère encore de l’autre par la position comme Z diffère de N ainsi que nous voyons que les semi-voyelles ne peuvent chez nous être placées après les liquides précédées d’une muette dans la même syllabe.  Donc,  tout comme  en raison de cette triple diversité dans les lettres, de ces mêmes lettres disposées différemment peuvent naître une tragédie ou une comédie, de même à partir d’un rapport différent entre les différentes particules indivisibles peuvent apparaître des choses ayant des natures différentes.

118. L’autre point sur lequel ils s’entendaient avec les anciens philosophes est que tout comme ces derniers négligèrent d’établir la cause à partir de laquelle le mouvement apparaît dans les choses, Leucippe et Démocrite firent de même, bien qu’ils affirmèrent que ces particules indivisibles étaient mobiles par elles-mêmes. – Ainsi donc, il est évident que ces philosophes ne traitèrent que de deux causes : tous parlèrent de la cause matérielle et certains de la cause motrice.

119. Ensuite lorsqu’il dit [57] : ¨ À ces époques cependant ¨.

   Il présente ici les opinions des Pythagoriciens qui affirmaient que les nombres sont les substances des choses.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente les opinions sur la substance des choses [57]. En deuxième lieu il présente celles qui portent sur les principes des choses, là [59] où il dit : ¨ Mais ce grâce à quoi nous trouvons ¨.

   Au sujet du premier point il présente deux raisons à partir desquelles ils étaient conduits à affirmer que les nombres sont les essences des choses. Il présente la deuxième, là [58] où il dit : ¨ Mais en outre des harmonies etc.¨.

   Il dit donc [57] que les philosophes Pythagoriciens ont existé ¨ dans ces temps-là ¨, c’est-à-dire à l’époque de certains des philosophes dont nous avons parlé ¨ et même antérieurement à eux ¨ car certains ont précédé quelques-uns d’entre eux. Il faut savoir qu’ils se divisèrent en deux genres de philosophes. Car certains se faisaient appeler Ioniens, lesquels demeuraient sur cette terre qu’on appelle maintenant la Grèce et leur début remonte à Thalès, ainsi que nous l’avons dit. Les autres philosophes furent des italiques qui vivaient dans cette partie de l’Italie qu’on appelait autrefois la Grande Grèce et qu’on appelle maintenant l’Apulie et la Calabre, et dont le principal philosophe fut Pythagore de Samos, ainsi nommé à partir du nom d’une cité de Calabre. Et ces deux catégories de philosophes coïncidèrent dans le temps et c’est pour cette raison qu’il dit à leur sujet ¨ qu’ils vécurent à cette époque et même avant ¨.

120. Mais ces philosophes italiques, aussi appelés Pythagoriciens, furent les premiers à se mettre à l’étude des mathématiques de telle manière qu’ils affirmèrent que les nombres sont les substances et les principes des choses sensibles. Il dit donc qu’ils furent ¨les premiers¨ parce que les Platoniciens les suivirent en cela par la suite. Mais ils furent poussés à faire progresser les mathématiques du fait qu’ils avaient été nourris dans l’étude de cette discipline. Et c’est pourquoi ils croyaient que les principes des mathématiques étaient les principes de tout ce qui existe. Il est en effet habituel chez les humains de vouloir juger des choses au moyen de ce qu’on connaît déjà. Et comme parmi les réalités mathématiques les nombres sont premiers, ils furent davantage portés à considérer des similitudes des choses naturelles, à la fois quant à leur être et à leur devenir, dans les nombres que dans les éléments sensibles que sont l’eau, la terre, et d’autres éléments de la sorte. En effet, comme les tout premiers philosophes faisaient correspondre les propriétés des réalités sensibles aux propriétés des éléments naturels au moyen d’une ressemblance tirée des propriétés du feu, de l’eau et des autres éléments, de même les mathématiciens faisaient correspondre les propriétés des choses naturelles aux propriétés des nombres lorsqu’ils disaient par exemple que telle propriété des nombres est cause de la justice, que telle autre est cause de l’âme et de l’intelligence, et qu’une autre est cause du temps et ainsi du reste. C’est ainsi que les propriétés des nombres étaient comprises comme étant les causes et les principes de tout ce que l’on voit dans les choses sensibles, à la fois pour ce qui se rapporte aux réalités volontaires exprimées par le nom de justice, pour ce qui concerne les formes substantielles des choses naturelles désignées par les noms d’intelligence et d’âme, et pour ce qui se rattache aux accidents signifiés par le terme de temps.

121. Ensuite lorsqu’il dit [58] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici la deuxième raison qui les poussa à penser ainsi. En effet, c’est à partir de la nature des nombres qu’ils considéraient les propriétés des harmonies, les consonances musicales ainsi que leurs rapports, à savoir les proportions. De là, comme les consonances des sons sont en quelque sorte des réalités sensibles, pour la même raison ils ont été portés à assimiler aux nombres, à la fois selon leur notion et selon toute leur nature, toutes les autres réalités sensibles, de telle sorte que les nombres devenaient la réalité fondamentale de tout l’Univers.

122. Et c’est pour cette raison encore qu’ils croyaient que les principes des nombres sont les principes de tout ce qui existe et qu’ils disaient que la voûte des cieux dans sa totalité n’est rien d’autre que la nature et l’harmonie des nombres, c’est-à-dire une certaine proportion numérique semblable à la proportion qu’on voit dans les harmonies. Et de là, toutes les choses qu’ils pouvaient enseigner, ¨qui se révélaient à eux¨ et qui pouvaient concorder avec les nombres et les harmonies, ils les assimilaient aux nombres, tant pour les propriétés de la voûte céleste comme les mouvements des corps célestes et leurs éclipses, que pour ses parties comme le sont les différentes orbites, que pour toute l’organisation du ciel dont font partie les différentes étoiles et les différentes figures qu’on observe dans les constellations.

123. Et si un des éléments qui se manifestaient dans les choses semblait vouloir résister à une assimilation aux nombres, ¨ ils mettaient tout en œuvre ¨, c’est-à-dire qu’ils lui ajoutaient un élément nouveau et ¨ s’arrangeaient pour le constituer conforme à leurs vues ¨, afin de pouvoir continuer toute leur grande affaire,  qui était de conformer les réalités sensibles aux nombres, alors que tout ce qui tombait sous leurs yeux, ils l’assimilait aux nombres ainsi qu’on le voit dans l’exemple qui suit. Parmi les nombres en effet, dix semblait être un nombre parfait du fait qu’il est la première limite et qu’il contient en lui la nature de tous les nombres car tous les autres nombres ne sont d’une certaine manière qu’une répétition du nombre dix. C’est la raison pour laquelle, ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Physiques, il n’y avait que dix nombres aux yeux de Platon. C’est pourquoi Pythagore dit que les sphères qui sont en mouvement dans le ciel sont au nombre de dix, bien qu’on ne voyait que neuf d’entre elles : car sept sont aperçues à partir des mouvements des planètes, une huitième à partir du mouvement des étoiles fixes, une neuvième à partir du mouvement du soleil qui est le premier mouvement. Mais Pythagore en ajouta une dixième qui était ¨antichtone¨, c’est-à-dire mue dans un mouvement contraire à celui des sphères inférieures et par conséquent dans une harmonie contraire. Il disait en effet qu’une certaine harmonie provenait du mouvement des corps célestes; par conséquent, tout comme une harmonie provient d’une proportion entre des sons contraires, à savoir entre le grave et l’aigu, de même il affirmait qu’il existe dans le ciel un mouvement qui est en partie opposé aux autres mouvements de manière à produire une harmonie. Et d’après cette opinion le mouvement du soleil appartenait à la dixième sphère dont le mouvement va de l’est à l’ouest et qui est contraire aux mouvements des autres sphères dont les révolutions sont d’ouest en est. En vérité d’après lui, la neuvième sphère pouvait être celle qui au commencement faisait tourner toutes les sphères inférieures dans un sens contraire à celui du premier mouvement. Mais nous avons déterminé plus abondamment et avec plus de précision de tout ce qui se rapporte à cette opinion de Pythagore dans les derniers livres de ce traité.

 

 

LECTIO 8

[81690] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 1Hic ponit opinionem Pythagoricorum de principiis. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quid circa rerum principia aestimabant. Secundo ad quod genus causae principia ab eis posita reducuntur, ibi, ab his igitur ambobus et cetera. Ponit autem circa primum tres opiniones. Secunda incipit ibi, eorumdem autem alii et cetera. Tertia ibi, quemadmodum videtur. Dicit ergo primo, quod huius gratia venit ad opiniones Pythagoricorum recitandas, ut ostenderet per eorum opiniones, quae sunt rerum principia, et quomodo rerum principia ab eis posita incidunt in causas suprapositas. Videntur enim Pythagorici ponere numerum esse principium entium sicut numerum, et passiones numeri esse sicut passiones entium, et sicut habitus; ut per passiones intelligamus accidentia cito transeuntia, per habitus accidentia permanentia. Sicut ponebant quod passio alicuius numeri secundum quam dicitur aliquis numerus par, erat iustitia propter aequalitatem divisionis, quia talis numerus aequaliter per media dividitur usque ad unitatem, sicut octonarius in duos quaternarios, quaternarius vero in duos binarios, et binarius in duas unitates. Et simili modo alia accidentia rerum assimilabant accidentibus numerorum.

[81691] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 2Principia vero numerorum dicebant esse par et impar, quae sunt primae numerorum differentiae. Paremque numerum dicebant esse principium infinitatis, imparem vero principium finitatis, sicut exponitur in tertio physicorum: quia infinitum in rebus praecipue videtur sequi divisionem continui. Par autem est numerus aptus divisioni. Impar enim sub se numerum parem concludit addita unitate, quae indivisionem causat. Probat etiam hoc, quia numeri impares per ordinem sibi additi semper retinent figuram quadrati, pares autem figuram variant. Ternarius enim unitati quae est principium numerorum additus facit quaternarium, qui primus est quadratus. Nam bis duo quatuor sunt. Rursus quaternario quinarius additus, qui est impar, secundum novenarium constituit, qui est etiam quadratus: et sic de aliis. Si vero binarius qui est primus par, unitati addatur, triangularem numerum constituit, scilicet ternarium. Cui si addatur quaternarius, qui est secundus par, constituit heptangulum numerum, qui est septenarius. Et sic deinceps numeri pares sibiinvicem additi, figuram non eamdem servant. Et hac ratione infinitum attribuebant pari, finitum vero impari. Et quia finitum est ex parte formae, cui competit vis activa, ideo pares numeros dicebant esse feminas, impares vero masculos.

[81692] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 3Ex his vero duobus, scilicet pari et impari, finito et infinito, non solum numerum constituebant, sed etiam ipsum unum, idest unitatem. Unitas enim et par est virtute et impar. Omnes enim differentiae numeri unitati conveniunt in virtute, quia quaecumque differentiae numeri in unitate resolvuntur. Unde in ordine imparium primum invenitur unitas. Et similiter in ordine parium et quadratorum et perfectorum numerorum, et sic de aliis numeri differentiis: quia unitas licet non sit actu aliquis numerus, est tamen omnis numerus virtute. Et sicut unum dicebat componi ex pari et impari, ita numerum ex unitatibus: caelum vero et omnia sensibilia ex numeris. Et hic erat ordo principiorum quem ponebant.

[81693] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 4Deinde cum dicit eorumdem autem hic ponit aliam opinionem Pythagoricorum de principiis; dicens, quod de numero eorumdem Pythagoricorum fuerunt aliqui, qui non posuerunt unam tantum contrarietatem in principiis, sicut praedicti; sed posuerunt decem principia secundum coelementationem dicta, idest accipiendo unumquodque illorum cum suo coelemento, idest cum suo contrario. Et huius positionis ratio fuit, quia non solum accipiebant prima principia, sed etiam proxima principia singulis rerum generibus attributa. Ponebant ergo primo finitum et infinitum, sicut et illi qui praedicti sunt; et consequenter par et impar, quibus finitum et infinitum attribuitur. Et quia par et impar sunt prima rerum principia, et primo ex eis causantur numeri, ponebant tertio differentiam numerorum, scilicet unum et plura, quae duo ex pari et impari causabantur. Et quia ex numero constituebantur magnitudines, secundum quod in numeris positionem accipiebant (nam secundum eos punctus nihil aliud erat quam unitas positionem habens, et linea dualitas positionem habens), ideo consequenter ponebant principia positionum dextrum et sinistrum. Dextrum enim invenitur perfectum, sinistrum autem imperfectum. Et ideo dextrum erat ex parte imparis, sinistrum ex parte paris. Quia vero naturalia super magnitudines mathematicas addunt virtutem activam et passivam, ideo ulterius ponebant principia masculum et feminam. Masculum enim ad virtutem activam pertinet, femineum ad passivam: quorum masculum pertinet ad imparem, femineum vero ad parem numerum, ut dictum est.

[81694] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 5Ex virtute autem activa et passiva sequitur in rebus motus et quies: quorum motus quia deformitatem habet et alteritatem, in ordine infiniti et paris ponitur, quies vero in ordine finiti et imparis. Differentiae autem motuum primae sunt circulare et rectum. Et ideo consequenter rectum ad parem numerum pertinet; unde et lineam rectam dualitatem esse dicebant. Curvum vero sive circulare ratione uniformitatis pertinet ad imparem, qui indivisionem ex forma unitatis retinet.

[81695] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 6Nec solum ponebant principia rerum quantum ad actiones naturales et motus, sed etiam quantum ad actiones animales. Et quantum quidem ad cognitionem ponebant lucem et tenebras: quantum vero ad appetitum, bonum et malum. Nam lux est cognitionis principium, tenebra vero ignorantiae ascribitur. Bonum etiam est in quod appetitus tendit, malum vero a quo recedit.

[81696] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 7Diversitas autem perfectionis et imperfectionis non solum in naturalibus et voluntariis virtutibus et motibus invenitur, sed etiam in magnitudine et figuris. Quae quidem figurae intelliguntur ut supervenientes substantiis magnitudinum, sicut virtutes motus et actiones substantiis rerum naturalium. Et ideo quantum ad hoc ponebant principium quadrangulare, idest quadratum, et altera parte longius. Dicitur autem quadratum figura constans ex quatuor lateribus aequalibus, cuius quatuor anguli sunt recti; et provenit talis figura ex ductu alicuius lineae in seipsam. Unde cum ex ipsa unitate causetur, ad numerum imparem pertinet. Figura vero altera parte longior dicitur, cuius omnes anguli sunt recti, et latera vicissim sibi opposita sunt aequalia, non tamen omnia latera sunt aequalia omnibus. Unde patet quod sicut quadratum consurgit ex ductu unius lineae in seipsam, ita figura altera parte longior, ex ductu duarum linearum in unam. Et sic pertinet ad numerum parem, qui primus est dualitas.

[81697] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 8Deinde cum dicit quemadmodum hic ponit tertiam opinionem Pythagoricorum, dicens, quod Alcmaeon Crotoniates, sic dictus a civitate unde oriundus fuit, videtur suscipere quantum ad aliquid idem quod praedicti Pythagorici dixerunt, scilicet quod plura contraria sint principia. Aut enim accepit a Pythagoricis, aut illi ab isto. Et quod utrumque esse potuerit, patet per hoc quod fuit contemporaneus Pythagoricorum: ita tamen quod incoepit philosophari Pythagora sene existente. Sed qualitercumque fuerit, multum similiter enunciavit Pythagoricis. Dixit enim multa quae sunt humanorum idest multa rerum sensibilium esse in quadam dualitate constituta, intelligens per dualitatem opposita contrarie. Sed tamen in hoc differt a praedictis, quia Pythagorici dicebant determinatas contrarietates esse rerum principia. Sed ille proiecit quasi inordinate ponens quascumque contrarietates, quae a fortuna ad mentem suam deveniebant, esse rerum principia: sicut album nigrum, dulce amarum, et sic de aliis.

[81698] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 9Deinde cum dicit ab his igitur hic colligit ex praedictis quid Pythagorici de principiis senserunt, et quomodo principia ab eis posita ad aliquod genus causae reducantur. Dicit ergo quod ex ambobus praedictis, scilicet Alcmaeone et Pythagoricis una communis opinio accipi potest, scilicet quod principia entium sunt contraria; quod non est ab aliis dictum. Quod intelligendum est circa causam materialem. Nam circa causam efficientem posuit Empedocles contrarietatem. Antiqui vero naturales, contraria posuerunt principia, ut rarum et densum; contrarietatem tamen ex parte formae assignantes. Empedocles vero etsi principia materialia posuerit quatuor elementa, non tamen posuit ea principia prima materialia ratione contrarietatis, sed propter eorum naturas et substantiam: isti vero contrarietatem ex parte materiae posuerunt.

[81699] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 10Quae etiam sint ista contraria quae isti posuerunt, patet ex dictis. Sed quomodo praedicta principia contraria ab eis posita possunt conduci idest reduci ad praedictas species causarum, non est manifeste articulatum, idest distincte expressum ab eis. Tamen videtur quod huiusmodi principia ordinentur secundum speciem causae materialis. Dicunt enim quod substantia rerum constituitur et plasmatur ab istis principiis, sicut ex his quae insunt: quod est ratio causae materialis. Materia enim est ex qua fit aliquid cum insit. Quod quidem dicitur ad differentiam privationis, ex qua etiam dicitur aliquid fieri, non tamen inest, sicut dicitur musicum fieri ex non musico.

LEÇON 8.

(nn. 124-133; [59-62])

Le Philosophe présente ici trois opinions des Pythagoriciens se rapportant aux principes des choses à partir desquels il déduit que les principes sont les contraires et qu’ils se ramènent à cette espèce de cause qui est la cause matérielle.

 

124. Le Philosophe présente ici l’opinion des Pythagoriciens se rapportant aux principes.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre ce qu’ils croyaient au sujet des principes des choses [59]. En deuxième lieu il montre à quel genre de cause se ramènent les principes posés par eux, là [62] où il dit : ¨ Donc, par ces deux etc. ¨.

   Au sujet du premier point il présente leurs trois opinions. Il amène la deuxième là [60] où il dit : ¨ D’autres, parmi les mêmes etc.¨. Il présente la troisième là [61] où il dit : ¨De même, il semble¨.

   Il dit donc en premier lieu [59] que si nous rappelons les opinions des Pythagoriciens, c’est en vue de montrer, au moyen de leurs opinions, quels sont les principes des choses et de quelle manière les principes posés par eux se rapportent aux causes déjà présentées. En effet, les Pythagoriciens semblent affirmer que le nombre, en tant que nombre, est le principe de tous les êtres et que ses propriétés correspondent aux propriétés et aux dispositions des êtres, de telle manière que par le terme de propriété nous entendions les accidents qui passent facilement et par celui de disposition ou d’habitus ceux qui sont permanents. Ainsi ils affirmaient que la propriété du nombre qu’on appelle pair était la justice en raison de l’égalité qu’on retrouve quand on le divise car tel nombre se trouve à être divisé de manière égale par sa moitié jusqu’à parvenir à l’unité, tout comme huit divisé par deux aboutit à deux fois quatre, quatre à deux fois deux et enfin deux à deux fois un. Et de la même manière les autres accidents des choses étaient assimilés aux accidents des nombres.

125. Ils affirmaient en vérité que les principes des nombres étaient le pair et l’impair, lesquels constituent la première différence spécifique des nombres. Ils affirmaient que le nombre pair est le principe de l’infini et que le nombre impair est celui du fini, ainsi qu’on l’expose au troisième livre des Physiques : car l’infini dans les choses semble principalement découler de la division du continu et le nombre pair est le nombre qui est apte à être divisé. Le nombre impair en effet, contient en lui le nombre pair auquel on ajoute l’unité qui le rend indivisible. Il prouve aussi cela par ceci que les nombres impairs, si on les additionne en ordre les uns aux autres, retiennent toujours la figure du carré alors que les nombres pairs retiennent une figure variable. Le nombre trois en effet, ajouté à l’unité qui est le principe des nombres devient le nombre quatre qui est le premier carré car deux fois deux font quatre. De plus, cinq, qui est un nombre impair, ajouté à quatre, conduit à la formation du nombre neuf qui est lui aussi un carré : et il en est de même des autres. – Mais si le nombre deux, qui est le premier nombre pair, est ajouté à l’unité, il conduit à la formation du nombre triangulaire qui est trois. Et si on ajoute à ce dernier le nombre quatre qui est le deuxième nombre pair, on aboutit au nombre heptangulaire qui est sept. Et ainsi les nombres pairs successivement additionnés les uns aux autres ne gardent pas la même figure. Et c’est pour cette raison qu’ils attribuaient l’infini au nombre pair et le fini au nombre impair. Et parce que le fini se tient du côté de la forme à laquelle appartient la puissance active, c’est pourquoi ils affirmaient encore que les nombres pairs étaient féminins et les nombres impairs masculins.

126. À partir de ces deux éléments, à savoir le pair et l’impair, le fini et l’infini, ils établissaient non seulement le nombre, mais l’un lui-même, c’est-à-dire l’unité elle-même. L’unité en effet est à la fois le pair et l’impair en puissance. En effet, toutes les différences du nombre appartiennent en puissance à l’unité car toutes ces différences du nombre se ramènent à l’unité. C’est pourquoi l’unité se retrouve en premier dans la succession des nombres impairs. Et il en est de même dans la succession des nombres pairs, des carrés, des nombres parfaits et de toutes les autres différences du nombre : car bien que l’unité ne soit pas un nombre déterminé en acte, elle est néanmoins tout nombre en puissance. Et tout comme ils disaient que l’un est composé du pair et de l’impair, et que tout nombre est composé d’unités, de même ils affirmaient encore que le ciel et toutes les réalités sensibles sont composés de nombres. Et tel était l’ordre des principes qu’ils posaient.

127. Ensuite, lorsqu’il dit [60] : ¨ De ces mêmes philosophes cependant ¨.

   Il présente la deuxième opinion des Pythagoriciens au sujet des principes en disant que parmi ces mêmes Pythagoriciens, certains, contrairement à ceux dont on vient de parler, n’affirmèrent pas une seule contrariété dans les principes, mais ils établirent dix principes qu’ils classèrent en couples complémentaires, c’est-à-dire en entendant chacun d’eux comme composé de deux éléments complémentaires qui s’opposent l’un à l’autre. Et la raison qui fondait cette opinion était qu’ils n’approuvaient pas seulement les principes universels, mais aussi les principes plus particuliers attribués à chaque genre de choses. Ils affirmaient donc en premier lieu le fini et l’infini tout comme ceux qui ont précédé; par la suite, ils posaient le pair et l’impair auxquels le fini et l’infini sont attribués. Et parce que le pair et l’impair sont les premiers principes des choses et que c’est d’abord à partir d’eux que les nombres sont produits, ils posèrent en troisième lieu cette différence des nombres et qui est l’un et le multiple et qui ont tous deux pour cause le pair et l’impair. Et parce que les étendues sont constituées à partir du nombre, selon que c’est d’après le nombre qu’elles reçoivent leurs positions (car c’est d’après eux que le point n’est rien d’autre que l’unité possédant une position et que la ligne est une dualité possédant une position), c’est pourquoi par la suite ils affirmaient que la gauche et la droite sont les principes des positions. En effet, la droite se trouve à être la perfection, la gauche l’imperfection. Et c’est pourquoi la droite se tenait du côté de l’impair et la gauche du côté du pair. Et parce que les choses naturelles ajoutent aux dimensions mathématiques les puissances active et passive, c’est pourquoi ils ajoutèrent par la suite les principes masculin et féminin. Le principe masculin se rapporte en effet à la puissance active et le féminin à la passive, tout comme ils se rapportent respectivement à l’impair et au pair, ainsi que nous l’avons dit précédemment.

128. Mais c’est respectivement des puissances active et passive que découlent le mouvement et le repos dans les choses. Et le mouvement, en raison de sa difformité et de sa diversité se range du côté de l’infini et du pair alors que le repos se range du côté du fini et de l’impair. Mais les premières différences du mouvement sont le circulaire et le rectiligne. Et c’est pourquoi par conséquent le droit appartient au nombre pair, d’où ils affirmaient que la ligne droite est une dualité. Et en vérité le courbe ou le circulaire par sa nature uniforme se rapporte à l’impair qui conserve l’indivision à cause de la forme de l’unité.

129. Et ils n’établissaient pas les principes uniquement par rapport aux actions naturelles et au mouvement, mais aussi par rapport aux actions animales. Et par rapport à la connaissance ils posaient la lumière et les ténèbres comme principes; et par rapport à l’appétit, ils posaient le bien et le mal. Car la lumière est principe de connaissance, alors que les ténèbres sont attribuées à l’ignorance. Aussi, le bien est ce vers quoi tend l’appétit alors que le mal est ce dont il s’éloigne.

130. Mais l’opposition entre le parfait et l’imparfait ne se retrouve pas seulement dans les vertus naturelles et volontaires et dans leurs mouvements, mais aussi dans l’étendue et dans les figures. Et les figures doivent certes s’entendre comme s’ajoutant aux substances possédant de l’étendue tout comme les puissances, les mouvements et les actions s’ajoutent en quelque sorte aux substances des choses naturelles. Et c’est pourquoi quant à cela ils posaient comme principes le carré et le rectangle. Mais on appelle carrée la figure qui est constituée de quatre côtés égaux et dont les quatre angles sont droits; et une telle figure provient de la conduite d’une ligne sur elle-même. De là, comme elle tire son origine de l’unité elle-même, elle se rapporte au nombre impair. Mais en vérité on dit que le rectangle est la figure dont tous les angles sont droits, mais au lieu d’avoir tous leurs côtés égaux, ce sont seulement les côtés mutuellement opposés qui le sont. D’où il est évident que tout comme la figure du carré naît de la conduite d’une seule ligne sur elle-même, la figure du rectangle découle de la conduite de deux lignes en une seule figure. Et ainsi cette dernière se rapporte au nombre pair dont le nombre deux est le premier.

131. Ensuite lorsqu’il dit [61] : ¨ De même ¨.

   Il présente ici la troisième opinion des Pythagoriciens en disant qu’Alcméon de Crotone, ainsi nommé en raison de sa cité d’origine, semble avoir adhéré à une doctrine identique à celle des Pythagoriciens dont nous venons de parler, c’est-à-dire qu’il posa comme principes plusieurs couples de contraires, soit que lui-même reçut d’eux cette doctrine, soit que lui-même la leur transmit. Et que les deux possibilités doivent être envisagées, cela devient évident du fait qu’il était contemporain des Pythagoriciens, de telle manière cependant qu’il commença à philosopher à l’époque où Pythagore tirait sur sa vieillesse. Mais quelle que soit la vérité à ce sujet, nombreux sont ses énoncés qui sont semblables à ceux des Pythagoriciens. Il dit en effet qu’un grand nombre ¨ de choses humaines ¨, c’est-à-dire de nombreuses réalités sensibles, sont constituées comme en dualités, entendant par dualités des oppositions de contrariété. – Mais il diffère des Pythagoriciens en ceci que ces derniers affirmaient que ce sont des contrariétés soumises à un ordre déterminé qui sont les principes des choses alors que celui-ci avançait, sans suivre un ordre défini, que des contrariétés qui se présentaient comme par hasard à son esprit étaient les principes des choses, comme par exemple le blanc et le noir, le doux et l’amer, et de même pour le reste.

132. Ensuite lorsqu’il dit [62] : ¨ Donc, de ces ¨.

   Il rassemble ici ce que les Pythagoriciens ont pensé au sujet des principes, et montre comment les principes posés par eux se ramènent à un genre déterminé de cause.

   Il dit donc qu’à partir de ces deux écoles de pensée, à savoir celle d’Alcméon et celle des Pythagoriciens, nous pouvons dégager une pensée commune, à savoir que les principes des êtres sont les contraires, ce que ne disent pas les autres philosophes. – Ces contraires, il faut les entendre comme devant se ranger sous la cause matérielle. Car Empédocle a établi une contrariété qui se range sous la cause efficiente. Les anciens physiciens de leur côté affirmaient que les contraires, comme le dense et le rare, étaient les principes, désignant cependant cette contrariété comme étant issue de la forme. Empédocle par ailleurs, bien qu’il ait établi les quatre éléments en tant que principes matériels, ne présenta pas ces premiers principes matériels sous le rapport de la contrariété mais sous le rapport de leur nature et de leur substance, alors que ceux-là affirmèrent que la contrariété se tire de la matière elle-même.

133. Aussi, quels sont ces contraires que ceux-là établirent, cela est évident à partir de ce qui précède. Mais comment ces principes contraires posés par eux peuvent ¨ être conduits ¨, c’est-à-dire peuvent être ramenés à l’une des espèces de causes présentées précédemment, cela n’a pas été clairement ¨ articulé ¨, c’est-à-dire distinctement exprimé par eux. Cependant, il semble que de tels principes doivent se ranger sous l’espèce de la cause matérielle. Ils disent en effet que la substance même des choses est constituée et façonnée par ces principes comme à partir d’éléments immanents, ce qui relève de la nature de la cause matérielle. La matière en effet est ce à partir de quoi, à l’intérieur même de la chose, cette chose est produite. Et cette définition de la matière se trouve à la distinguer de la privation, à partir de laquelle aussi on dit qu’une chose est produite, mais qui n’est pas un principe interne; c’est ainsi que l’on dit que c’est à partir de l’état de non-musicien qu’on devient musicien.

 

 

LECTIO 9

[81700] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 1Hic ponit opiniones philosophorum de toto universo, sicut de uno ente; et circa hoc duo facit. Primo ponit eorum opiniones in communi. Secundo ostendit quomodo consideratio huius opinionis ad praesentem tractatum pertineat, et quomodo non, ibi, igitur ad praesentem et cetera. Dicit ergo quod aliqui alii philosophi a praedictis fuerunt, qui enuntiaverunt, de omni, idest de universo quasi de una natura, idest quasi totum universum esset unum ens vel una natura. Quod tamen non eodem modo omnes posuerunt, sicut infra patebit. Ipso tamen modo, quo diversificati sunt, nec bene dixerunt, nec naturaliter. Nullus enim eorum naturaliter locutus est, quia motum rebus subtrahunt. Nullus etiam bene locutus est, quia positionem impossibilem posuerunt, et per rationes sophisticas: sicut patet primo physicorum.

[81701] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 2Deinde cum dicit igitur ad hic ostendit quomodo consideratio huius positionis ad praesentem tractatum pertinet, et quomodo non. Et primo ostendit quod non pertinet, si consideretur eorum positio. Secundo ostendit quod pertinet, si consideretur positionis ratio, vel positionis modus, ibi, sed quidem secundum causam et cetera. Dicit ergo, quod quia isti philosophi posuerunt tantum unum ens, et unum non potest suiipsius esse causa, patet, quod ipsi non potuerunt invenire causas. Nam positio, idest pluralitas, causarum diversitatem in rebus exigit. Unde, quantum ad praesentem perscrutationem quae est de causis, non congruit ut sermo de eis habeatur. Secus autem est de antiquis naturalibus, qui tantum ens posuerunt esse unum, de quibus debet hic sermo haberi. Illi enim ex illo uno generant multa, sicut ex materia, et sic ponunt causam et causatum. Sed isti de quibus nunc agitur, alio modo dicunt. Non enim dicunt quod sint omnia unum secundum materiam, ita quod ex uno omnia generentur; sed dicunt quod simpliciter sunt unum.

[81702] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 3Et ratio huius diversitatis est, quod antiqui naturales apponebant motum illis, qui ponebant unum principium et unum ens, dicentes ipsum esse mobile. Et ideo per aliquem modum motus, sicut per rarefactionem et condensationem poterant ex illo uno diversa generari. Et per hunc modum dicebant generari totum universum secundum diversitatem, quae in partibus eius invenitur. Et tamen quia non ponebant variationem secundum substantiam, nisi secundum accidentia, ut supra dictum est, ideo relinquebatur quod totum universum esset unum secundum substantiam, diversificatum tamen secundum accidentia. Sed isti dicebant illud quod ponebant esse unum penitus immobile. Et ideo ex illo uno non poterat aliqua diversitas rerum causari. Et propter hoc nec secundum substantiam nec secundum accidentia pluralitatem in rebus ponere poterant.

[81703] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 4Deinde cum dicit sed quidem hic ostendit quomodo eorum opinio pertineat ad praesentem perscrutationem. Et primo generaliter de omnibus. Secundo specialiter de Parmenide, ibi, igitur hi. Dicit ergo primo, quod licet diversitatem rebus auferrent, et per consequens causalitatem, tamen eorum opinio est propria praesenti inquisitioni, secundum tantum quantum dicetur: quantum scilicet ad modum ponendi, et quantum ad rationem positionis.

[81704] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 5Parmenides enim qui fuit unus ex eis, videtur tangere unitatem secundum rationem, idest ex parte formae. Argumentatur enim sic. Quicquid est praeter ens, est non ens: et quicquid est non ens, est nihil: ergo quicquid est praeter ens est nihil. Sed ens est unum. Ergo quicquid est praeter unum, est nihil. In quo patet quod considerabat ipsam rationem essendi quae videtur esse una, quia non potest intelligi quod ad rationem entis aliquid superveniat per quod diversificetur: quia illud quod supervenit enti, oportet esse extraneum ab ente. Quod autem est huiusmodi, est nihil. Unde non videtur quod possit diversificare ens. Sicut etiam videmus quod differentiae advenientes generi diversificant ipsum, quae tamen sunt praeter substantiam eius. Non enim participant differentiae genus, ut dicitur quarto topicorum. Aliter genus esset de substantia differentiae, et in definitionibus esset nugatio, si posito genere, adderetur differentia, si de eius substantia esset genus, sicut esset nugatio si species adderetur. In nullo etiam differentia a specie differret. Ea vero quae sunt praeter substantiam entis, oportet esse non ens, et ita non possunt diversificare ens.

[81705] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 6Sed in hoc decipiebantur, quia utebantur ente quasi una ratione et una natura sicut est natura alicuius generis; hoc enim est impossibile. Ens enim non est genus, sed multipliciter dicitur de diversis. Et ideo in primo physicorum dicitur quod haec est falsa, ens est unum: non enim habet unam naturam sicut unum genus vel una species.

[81706] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 7Sed Melissus considerabat ens ex parte materiae. Argumentabatur enim unitatem entis, ex eo quod ens non generatur ex aliquo priori, quod proprie pertinet ad materiam quae est ingenita. Arguebat enim sic: quod est generatum, habet principium; ens non est generatum, ergo non habet principium. Quod autem caret principio, et fine caret; ergo est infinitum. Et si est infinitum, est immobile: quia infinitum non habet extra se quo moveatur. Quod autem ens non generetur, probat sic. Quia si generatur, aut generatur ex ente, aut ex non ente; atqui nec ex non ente, quia non ens est nihil, et ex nihilo nihil fit. Nec ex ente; quia sic aliquid esset antequam fieret; ergo nullo modo generatur. In qua quidem ratione patet quod tetigit ens ex parte materiae; quia non generari ex aliquo prius existente materiae est. Et quia finitum pertinet ad formam, infinitum vero ad materiam, Melissus qui considerabat ens ex parte materiae, dixit esse unum ens infinitum. Parmenides vero, qui considerabat ens ex parte formae, dixit ens esse finitum. Sic igitur inquantum consideratur ens ratione materiae et formae, tractare de his pertinet ad praesentem considerationem, quia materia et forma in numero causarum ponuntur.

[81707] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 8Xenophanes vero qui fuit primus inter dicentes omnia esse unum, unde etiam Parmenides fuit eius discipulus, non explanavit qua ratione diceret omnia esse unum, nec sumendo rationem aliquam ex parte materiae, nec ex parte formae. Et sic de neutra natura scilicet neque de materia neque de forma visus esttangere hos id est pertingere et adaequare eos irrationalitate dicendi; sed respiciens ad totum caelum dixit esse ipsum unum Deum. Antiqui enim dicebant ipsum mundum esse Deum. Unde videns omnes partes mundi in hoc esse similes, quia corporeae sunt, iudicavit de eis quasi omnia essent unum. Et sicut praedicti posuerunt unitatem entium per considerationem eorum quae pertinent ad formam vel ad materiam, ita iste respiciens ad ipsum compositum.

[81708] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 9Deinde cum dicit igitur ii his specialiter intendit dicere quomodo opinio Parmenidis ad perscrutationem praesentem pertineat; concludens ex praedictis, quod quia diversitatem ab entibus auferebant, et per consequens causalitatem, quantum ad praesentem quaestionem pertinet, omnes praetermittendi sunt. Sed duo eorum, scilicet Xenophanes et Melissus, sunt penitus praetermittendi, quia aliquantulum fuerunt, agrestiores, idest minus subtiliter procedentes. Sed Parmenides visus est dicere suam opinionem, magis videns, idest quasi plus intelligens. Utitur enim tali ratione. Quicquid est praeter ens, est non ens: quicquid est non ens, dignatur esse nihil idest dignum reputat esse nihil. Unde ex necessitate putat sequi quod ens sit unum, et quicquid est aliud ab ente, sit nihil. De qua quidem ratione manifestius dictum est primo physicorum.

[81709] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 10Licet autem Parmenides ista ratione cogatur ad ponendum omnia esse unum; tamen quia sensui apparebat multitudinem esse in rebus, coactus sequi ea quae apparent, voluit in sua positione utrique satisfacere, et apparentiae sensus et rationi. Unde dixit quod omnia sunt unum secundum rationem, sed sunt plura secundum sensum. Et inquantum ponebat pluralitatem secundum sensum, potuit in rebus ponere causam et causatum. Unde posuit duas causas, scilicet calidum et frigidum: quorum unum attribuebat igni, aliud terrae. Et unum videbatur pertinere ad causam efficientem, scilicet calidum et ignis; aliud ad causam materialem, scilicet frigidum et terra. Et ne eius positio suae rationi videretur esse opposita, qua concludebat quod quicquid est praeter unum, est nihil: dicebat quod unum praedictorum, scilicet calidum, erat ens: alterum vero quod est praeter illud unum ens, scilicet frigidum, dicebat esse non ens secundum rationem et rei veritatem, sed esse ens solum secundum apparentiam sensus.

[81710] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 11In hoc autem aliquo modo ad veritatem appropinquat. Nam principium materiale non est ens in actu cui attribuebat terram; similiter etiam alterum contrariorum est ut privatio, ut dicitur primo physicorum. Privatio autem ad rationem non entis pertinet. Unde et frigidum quodammodo est privatio calidi, et sic est non ens.

[81711] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 12Deinde cum dicit igitur ex hic recolligit ea, quae dicta sunt de opinionibus antiquorum; et circa hoc duo facit. Primo recolligit ea quae dicta sunt de opinionibus antiquorum naturalium. Secundo quae dicta sunt de opinionibus Pythagoricorum qui mathematicam introduxerunt, ibi, Pythagorici et cetera. Concludit ergo primo ex dictis, quod ex his praedictis, qui idem considerabant, scilicet esse causam materialem rerum substantiam, et qui iam incipiebant per rationem sapere causas rerum inquirendo ipsas, accepimus eas quae dictae sunt. A primis namque philosophis acceptum est quod principium omnium rerum est corporeum. Quod patet per hoc, quod aqua et huiusmodi quae principia rerum ponebant, quaedam corpora sunt. In hoc autem differebant, quod quidam ponebant illud principium corporeum esse unum tantum, sicut Thales, Diogenes, et similes. Quidam vero ponebant esse plura, sicut Anaxagoras, Democritus et Empedocles. Utrique tamen, tam isti qui ponebant unum, quam illi qui ponebant plura esse, huiusmodi corporea principia ponebat in specie causae materialis. Quidam vero eorum non solum causam materialem posuerunt, sed cum ea addiderunt causam unde principium motus: quidam eam unam ponentes, sicut Anaxagoras intellectum, et Parmenides amorem: quidam vero duas, sicut Empedocles amorem et odium.

[81712] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 13Unde patet quod praedicti philosophi qui fuerunt usque ad Italicos, scilicet Pythagoram, et absque illis idest separatam opinionem habentes de rebus non communicando opinionibus Pythagoricorum, obscurius dixerunt de principiis, quia non assignabant ad quod genus causae huiusmodi principia reducerentur: et tamen utebantur duabus causis, scilicet principio motus et materia; et alteram istarum, scilicet ipsam unde principium motus, quidam fecerunt unam, ut dictum est, quidam duas.

[81713] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 14Deinde cum dicit Pythagorici vero hic recolligit quae dicta sunt a Pythagoricis, et quantum ad id quod erat commune cum praedictis, et quantum ad id quod erat eis proprium. Commune tamen fuit aliquibus praedictorum et Pythagoricorum, quod ponerent duo principia aliqualiter eodem modo cum praedictis. Sicut enim Empedocles ponebat duo principia contraria, quorum unum erat principium bonorum, et aliud principium malorum, ita et Pythagorici: ut patet ex coordinatione principiorum contrariorum supposita a Pythagoricis.

[81714] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 15In hoc tamen non eodem modo, quia Empedocles illa principia contraria ponebat in specie causae materialis, ut supra dictum est. Pythagorici autem addiderunt quod erat eis proprium supra opinionem aliorum; primo quidem quia dicebant quod hoc quod dico unum finitum et infinitum non erant accidentia aliquibus aliis naturis, sicut igni aut terrae, aut alicui huiusmodi. Sed hoc quod dico unum finitum et infinitum, erant substantiae eorumdem, de quibus praedicabantur. Et ex hoc concludebant quod numerus, qui ex unitatibus constituitur, sit substantia rerum omnium. Alii vero naturales, licet ponerent unum et finitum, seu infinitum, tamen attribuebant ista alicui alteri naturae, sicut accidentia attribuuntur subiecto, ut igni, vel aquae, vel alicui huiusmodi.

[81715] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 16Secundo addiderunt super alios philosophos, quia inceperunt dicere et definire de ipso quid est, scilicet substantia et rerum quidditate. Sed tamen valde simpliciter de hoc tractaverunt, superficialiter definientes. Non enim attendebant in assignandis definitionibus nisi unum tantum. Dicebant enim quod si aliquis terminus dictus inesset alicui primo, quod erat substantia illius rei; sicut si aliquis aestimet quod proportio dupla sit substantia dualitatis: quia talis proportio primo in numero binario invenitur. Et quia ens primo inveniebatur in uno quam in multis, nam multa ex uno constituuntur, ideo dicebant quod ens est ipsa substantia unius. Sed haec eorum determinatio non erat conveniens: quia licet dualitas sit dupla, non tamen idem est esse dualitatis et dupli, ita quod sint idem secundum rationem, sicut definitio et definitum. Si autem etiam esset verum quod illi dicebant, sequeretur quod multa essent unum. Contingit enim aliqua multa primo inesse alicui uni, sicut dualitati primo inest paritas et proportio dupla. Et sic sequitur quod par et duplum sint idem: similiter quod cuicumque inest duplum sit idem dualitati, ex quo duplum est dualitatis substantia. Quod quidem etiam et Pythagoricis contingebat. Nam multa et diversa assignabant quasi unum essent, sicut proprietates numerales dicebant idem esse cum proprietatibus naturalium rerum.

[81716] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 17Sic igitur concludit quod tot est accipere a prioribus philosophis, qui posuerunt tantum unum principium materiale, et ab aliis posterioribus qui posuerunt plura principia.

LEÇON 9.

(nn. 134-150; [63-68]).

Le Philosophe présente ici les positions de Parménide et de Mélissée au sujet des causes; il résume également les choses qui ont été dites tant par les Pythagoriciens que par les autres naturalistes par rapport à la cause matérielle et à la cause efficiente.

 

134. Il présente ici les opinions des philosophes sur l’ensemble de l’univers comme s’il était un seul être; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente leurs opinions comme en général [63]. En deuxième lieu il montre comment la considération de ces opinions appartient à l’étude de ce traité et en quel sens elle ne lui appartient pas, là [63] où il dit : ¨ Il appartient donc à la présente etc.¨.

   Il dit donc [63] qu’il y eut des philosophes, distincts des précédents, qui affirmèrent ¨ de l’ensemble ¨, c’est-à-dire de l’univers dans sa totalité qu’il était une nature unique, c’est-à-dire que tout l’univers était comme un seul être ou une seule nature. Ce que tous cependant n’affirmèrent pas de la même façon, ainsi qu’il apparaîtra plus loin. Peu importe cependant la façon par laquelle ils différèrent, leur langage ne se révéla conforme ni à la raison ni à la nature. Aucun d’eux en effet ne parla conformément à la nature car ils retirèrent aux choses le mouvement. Et aucun d’eux ne parla d’une manière conforme à la raison car ils établirent, au moyen d’argumentations sophistiques, des positions impossibles à défendre ainsi qu’on le voit au premier livre des Physiques.

135. Ensuite lorsqu’il dit [64] : ¨ Donc, à l’égard de ¨.

   Il montre ici en quel sens la considération de cette opinion appartient au traité actuel et en quel sens elle ne lui appartient pas.

   Et en premier lieu il montre qu’elle ne lui appartient pas si on examine la position pour ce qu’elle est en elle-même. En deuxième lieu il montre qu’elle lui appartient si on examine la raison qui fonde cette position ou la manière dont elle se présente, là [65] où il dit : ¨ Mais certes d’après la cause etc.¨.

   Il dit donc [64] que parce que ces philosophes ne posèrent qu’un seul être, et qu’un seul et même être ne peut être à lui-même sa propre cause, il est évident qu’eux-mêmes ne purent découvrir des causes. Car c’est l’affirmation de la pluralité qui exige dans les choses la diversité des causes. De là, quant à l’examen des causes que nous devons faire dans ce traité, il ne convient pas de discuter de leur position. – Cependant il en est différemment des anciens naturalistes qui affirmèrent eux aussi l’existence d’un être unique et dont nous devons parler ici. En effet ces derniers font engendrer la multitude des êtres à partir de l’Un entendu comme matière et c’est ainsi qu’ils se trouvent à affirmer l’existence d’une cause et d’un effet. Mais ceux dont nous parlons présentement parlent d’une manière différente. Ils ne disent pas en effet que toutes les choses sont une selon la matière, de telle sorte que toutes les choses seraient engendrées à partir de l’Un, mais ils disent plutôt qu’elles sont un purement et simplement.

136. Et la raison qui fonde cette différence entre ces doctrines est que les anciens naturalistes, à ceux qui affirmaient qu’il n’existe qu’un seul principe et un seul être, ajoutaient le mouvement en disant que l’Être lui-même est mobile. Et c’est pourquoi, au moyen d’une certaine forme de mouvement, comme par raréfaction et par condensation, ils pouvaient engendrer à partir de l’Un la totalité des êtres. Et c’est de cette manière qu’ils pouvaient dire que la totalité de l’Univers était engendrée selon la diversité qu’on retrouve dans la multitude de ses parties. Cependant, comme ils n’affirmaient pas le changement dans les choses selon la substance mais seulement selon les accidents, comme nous l’avons dit plus haut, c’est pourquoi il s’en suivait que l’ensemble de l’univers était un selon la substance et néanmoins multiple selon les accidents. – À l’opposé, ceux dont nous parlons maintenant affirmaient que l’Être qu’ils posaient comme Un était tout à fait immobile. Et c’est pourquoi à partir de cet Un aucune diversité ne pouvait être engendrée. Et c’est pour cette raison qu’ils ne pouvaient affirmer aucune pluralité dans les choses, ni selon la substance ni selon les accidents.

137. Ensuite lorsqu’il dit [65] : ¨ Mais certes ¨.

   Il montre ici comment  l’opinion de ces derniers intéresse l’étude actuelle.

   Et il le fait en premier lieu d’une manière générale à l’égard de tous ces philosophes. En deuxième lieu il le fait plus spécialement à l’égard de Parménide, là [66] où il dit : ¨Ceux-là donc¨.

   Il dit donc en premier lieu [65] que bien qu’elle niait la diversité des choses et par conséquent la causalité, cette opinion intéresse la recherche actuelle seulement dans la mesure où on puisse le dire présentement, à savoir quant à la manière dont elle se présente et quant à la raison qui la fonde.

138. Parménide en effet fut un de ces philosophes qui semble avoir considéré l’unité selon la raison, c’est-à-dire du côté de la forme, et qui argumente de la manière suivante. Tout ce qui est en dehors de l’Être est du non-être et le non-être n’est rien; par conséquent, ce qui est en dehors de l’être n’est rien. Mais l’être est un; donc, il n’y a rien qui existe en dehors de l’un. – Et en disant cela il est évident que c’est la notion même d’exister qu’il considérait, laquelle se montre comme étant une et simple, car on ne peut comprendre que quelque chose s’ajoute à la notion d’existence et au moyen de quoi cette dernière se différencierait : car ce qui s’ajoute à l’être doit lui être étranger en quelque sorte. Mais ce qui se présente ainsi n’est rien. De là, on ne voit pas comment l’être puisse se différencier. Tout comme nous voyons encore que les différences qui s’ajoutent au genre, tout en restant cependant étrangères à sa substance, le différencient. En effet, les différences ne participent pas du genre, ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Topiques. S’il en était autrement, le genre ferait partie de l’essence de la différence et dans les définitions il y aurait redondance si, ayant posé le genre on ajoutait la différence, tout comme il y aurait redondance si on ajoutait l’espèce au genre. En effet, la différence ne différerait alors en rien de l’espèce. Et c’est ainsi que selon cette position tout ce qui est étranger à la substance de l’être doit être du non-être et c’est ainsi qu’ils sont impuissants à diversifier l’être.

139. Mais ils se trompaient en cela car ils se servaient de l’être comme d’une notion et d’une nature unique comme il en est de la nature d’un genre, ce qui est impossible. L’être en effet n’est pas un genre mais il s’attribue à de nombreux genres de plusieurs manières différentes. Et c’est pourquoi dans le premier livre des Physiques on dit qu’il est faux d’affirmer que l’être est un : en effet, il ne possède pas une nature unique comme c’est le cas pour un genre ou une espèce.

140. Mais Mélissée considérait l’être du côté de la matière. Il défendait en effet l’unité de l’être à partir du fait que l’être n’est pas engendré à partir d’un principe qui lui serait antérieur, ce qui appartient en propre à une matière qui n’est pas engendrée. Son argumentation se présentait de cette manière : ce qui est engendré a un début; mais comme l’être n’est pas engendré, il ne peut avoir de début. Mais ce qui est privé de début est aussi privé de terme ou de fin; l’être est donc infini. Et s’il est infini, il est aussi immobile car l’infini ne peut avoir en dehors de lui un principe qui puisse le mouvoir. – Mais que l’être ne soit pas engendré, il le prouve ainsi. Car s’il était engendré, il le serait soit par l’être, soit par le non-être; certes il ne peut être engendré par le non-être car le non-être n’est rien et de rien, rien ne peut sortir. Il ne peut être engendré non plus par l’être car ainsi quelque chose se trouverait à exister avant même de devenir; l’être ne peut donc être engendré d’aucune manière. – Et dans ce raisonnement il est évident que Mélissée considère l’être du côté de la matière : car c’est à la matière qu’il appartient de ne pas être engendrée à partir d’un principe qui lui préexisterait. Et parce que le fini est propre à la forme et l’infini à la matière, Mélissée, qui considérait l’être du côté de la matière, affirma qu’il existe un être infini. Parménide, à l’opposé, qui considérait l’être du côté de la forme, affirma que l’être est fini. Ainsi donc, dans la mesure où l’être est considéré sous le rapport de la matière et de la forme, il convient à notre recherche d’examiner ces opinions, car la matière et la forme doivent être rangées parmi les causes.

141. En vérité Xénophane, qui fut le premier à dire que toutes les choses sont une, ce qui explique que Parménide fut son disciple, ne donna aucune raison qui aurait pu être tirée soit du côté de la matière, soit du côté de la forme, pour fonder cette opinion. Et ainsi, par l’irrationalité de son discours, il ne semble avoir saisi la nature d’aucune de ces deux causes, à savoir ni de la matière ni de la forme, c’est-à-dire qu’il ne semble pas être parvenu à les distinguer. Mais, portant son observation sur l’ensemble de l’Univers, il dit que l’Un lui-même est Dieu. En effet les Anciens affirmaient que l’Univers lui-même est Dieu. De là, voyant que toutes les parties de l’Univers sont semblables en ceci qu’elles sont toutes de nature corporelle, il jugea qu’elles n’étaient toutes qu’un seul être. Et tout comme les philosophes précédents affirmèrent l’unité des êtres par la considération de ce qui se rapporte à la forme ou à la matière, de même ce dernier le fit par la considération de ce qui se rapporte au composé lui-même.

142. Ensuite lorsqu’il dit [66] : ¨ Donc ceux-là ¨.

   Il cherche ici à dire comment l’opinion de Parménide en particulier se rapporte à la recherche actuelle. Et il conclut à partir de ce qui a été dit que parce qu’ils niaient la diversité des êtres et par conséquent la causalité, sous ce rapport ils doivent tous être écartés de la présente recherche. Mais deux d’entre eux spécialement, à savoir Xénophane et Mélissée, doivent être tout à fait mis de côté car ils furent quelque peu grossiers, c’est-à-dire qu’ils procédèrent moins finement. Mais Parménide parut présenter son opinion d’une manière ¨ plus clairvoyante ¨, c’est-à-dire plus intelligente. Voici en effet le raisonnement qu’il présente. Tout ce qui est en dehors de l’être est du non-être : et tout non-être ¨ est regardé comme n’étant rien ¨, c’est-à-dire qu’il est considéré comme ne comptant pour rien. C’est pourquoi il croit devoir s’ensuivre nécessairement que l’être est un et que tout ce qui diffère de l’être n’est rien. Et ce raisonnement fut examiné avec plus clairement au premier livre des Physiques.

143. Mais bien qu’il était poussé par ce raisonnement à affirmer que tout ce qui existe est un, cependant parce qu’il apparaissait aux sens qu’il existe une multiplicité dans les choses, poussé à suivre ces apparences, il voulut que sa position donne satisfaction à la fois à la raison et aux apparences provenant des sens. C’est pourquoi il dit que toutes les choses ne sont qu’une selon la raison mais qu’elles sont multiples selon les sens. Et dans la mesure où il affirmait la multiplicité selon le sens, il put établir la causalité dans les choses. De là il affirma l’existence de deux causes, à savoir le chaud et le froid, dont l’un était attribué au feu et l’autre à la terre. Et l’une semblait se ranger du côté de la cause efficiente, à savoir le chaud et le feu, et l’autre du côté de la cause matérielle, à savoir le froid et la terre. – Et afin que sa position ne paraisse pas s’opposer à son raisonnement au moyen duquel il concluait que tout ce qui est en dehors de l’Un n’est rien, il disait que l’une des deux causes précédentes, à savoir le chaud, est l’être; et il ajoutait que l’autre cause par ailleurs qui est en dehors de cet être unique, à savoir le froid, est du non-être à la fois selon la raison et la vérité des choses, mais qu’il est de l’être seulement selon l’apparence du sens.

144. Et en disant cela il s’approchait en quelque sorte de la vérité. Car le principe matériel, représenté par la terre, n’est pas de l’être en acte; de même encore l’autre contraire est comme une privation ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques. Mais la privation appartient à la nature du non-être. De là, comme le froid est d’une certaine manière la privation du chaud, il se trouve à être ainsi du non-être.

145. Ensuite lorsqu’il dit [67] : ¨ Donc, à partir ¨.

   Il résume ici ce qui a été dit au sujet des opinions des Anciens; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il rappelle ce qui a été dit au sujet des opinions des anciens physiciens. Deuxièmement il rappelle ce qui a été dit par rapport aux opinions des Pythagoriciens qui fondèrent les mathématiques, là [68] où il dit : ¨ Les Pythagoriciens etc. ¨.

   Il conclut donc en premier lieu [67] qu’à partir de ce qui précède, que nous avons recueilli ce qui a été dit  par ces philosophes qui ont précédé et qui considéraient tous que la cause matérielle est la substance des choses, eux qui déjà dans leurs recherches commençaient à discerner les causes des choses. Car nous entendons dire des premiers philosophes que le principe des choses est de nature corporelle. Ce qui apparaît évident du fait que l’eau et les autres choses de même sorte qu’ils posaient comme principes sont des corps. Ils différaient cependant en cela que certains, comme Thalès, Diogène et d’autres, affirmaient que le principe corporel était unique, alors que d’autres, comme Anaxagore, Démocrite et Empédocle, prétendaient qu’il était multiple. D’un côté comme de l’autre cependant, à la fois du côté de ceux qui affirmaient l’unité du principe que de ceux qui affirmaient sa multiplicité, on rangeait les principes corporels dans la cause matérielle. Mais certains d’entre eux n’établirent pas seulement une cause matérielle, mais ils ajoutèrent à cette dernière la cause d’où procède le mouvement. Cette cause, certains affirmaient qu’elle était unique, comme l’intelligence pour Anaxagore et l’amour pour Parménide alors que d’autres, comme Empédocle, affirmaient qu’elle était multiple, comme l’amour et la haine.

146. D’où il apparaît que les philosophes précédents jusqu’à l’École Italique exclusivement, c’est-à-dire jusqu’à Pythagore, ¨ et sans eux ¨, c’est-à-dire possédant une opinion distincte de celle des Pythagoriciens sur les choses puisqu’ils ne partageaient pas leurs positions, parlèrent obscurément des principes puisqu’ils ne précisaient pas à quel genre de causes de tels principes se ramenaient; et cependant ils se servent de fait de deux sortes de causes, à savoir du principe du mouvement et de la matière; et la première d’entre elles, à savoir le principe d’où commence le mouvement, certains affirmèrent qu’elle est unique, d’autres qu’elle est double.

147. Ensuite lorsqu’il dit [68] : ¨ Mais les Pythagoriciens  ¨.

   Il rassemble ici tout ce qui a été dit par les Pythagoriciens, à la fois quant à ce qu’ils partageaient avec ceux qui les précédaient et quant à ce qu’ils disaient en propre. Quant à ce qu’ils partageaient en commun avec certains de leurs prédécesseurs, certains des Pythagoriciens affirmaient en quelque sorte de la même manière l’existence de deux principes. En effet, tout comme Empédocle affirmait l’existence de deux principes contraires, dont l’un était le principe du bien et l’autre le principe du mal, les Pythagoriciens faisaient de même ainsi qu’on le voit à partir de la coordination des principes contraires qu’ils supposaient.

148. Cependant ils ne procèdent pas en cela de la même manière car Empédocle rangeait ces principes contraires dans l’espèce de la cause matérielle, ainsi que nous l’avons vu plus tôt. Les Pythagoriciens ajoutèrent cependant à cette opinion ce qui les distinguait de leurs prédécesseurs; et en premier lieu certes ils affirmaient  que ce qu’ils appelaient l’un, le fini et l’infini n’étaient pas comme des accidents attribués à des natures distinctes d’elles comme le feu, la terre ou d’autres natures corporelles de même sorte, mais au contraire que l’un, le fini et l’infini étaient la substance même de ces choses auxquelles elles étaient attribuées. Et c’est à partir de là qu’ils concluaient que le nombre, qui est constitué d’unités, est la substance de toutes les choses. À l’opposé, les naturalistes, bien qu’ils aient affirmé l’existence de l’un, du fini et de l’infini, les attribuaient cependant à quelque autre nature comme le feu, l’eau ou une autre nature corporelle de cette sorte, de la même manière qu’on attribue des accidents à un sujet.

149. En deuxième lieu ils allèrent plus loin comme philosophes que ceux qui les avaient précédé car ce sont eux qui, les premiers, commencèrent à parler du ¨ ce qu’est ¨ des choses, c’est-à-dire de la substance et de la quiddité des choses et cherchèrent à les définir. Cependant, par leurs définitions superficielles, leurs réflexions à ce sujet se révélèrent sans doute simplistes. En attribuant leurs définitions ils ne songeaient en effet qu’à l’un. Ils disaient en effet que si un terme se trouvait à être en premier lieu dans un sujet il était la substance même de ce sujet, comme si quelqu’un croyait par exemple que le double est la substance même du nombre deux parce que ce dernier est le premier nombre dans lequel se retrouve cette proportion. Et parce que l’être se retrouve dans l’un avant de se manifester dans le multiple car ce dernier est constitué d’unités, ils affirmaient que l’être est la substance même de l’un. Mais cette définition est incorrecte car bien que le nombre deux soit double, ce n’est cependant pas la même chose d’être deux et d’être double de telle manière que le nombre deux et le double seraient identiques selon la raison comme le sont le défini et la définition. Et encore, si leur affirmation était vraie, il s’ensuivrait que le multiple serait l’un. Il arrive en effet que le multiple appartienne d’abord à l’un tout comme le pair et le double se rapportent d’abord au nombre deux. Et ainsi il s’ensuivrait que le pair et le double seraient identiques : et de la même manière, tout ce qui se verrait attribuer le double serait identique au nombre deux du fait que le double serait l’essence du nombre deux. Ce qu’il arrivait encore aux Pythagoriciens de concéder. Ils attribuaient ainsi des notions nombreuses et diverses comme si elles n’étaient qu’une seule notion, tout comme ils affirmaient que les propriétés des nombres sont identiques aux propriétés des choses naturelles.

150. Il termine donc en disant que telles sont les choses que nous devons retenir des premiers philosophes qui affirmèrent l’existence d’un seul principe matériel et des autres qui les suivirent et qui affirmèrent l’existence de plusieurs principes.

 

 

LECTIO 10

[81717] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 1Positis opinionibus antiquorum de causa materiali et efficiente, hic tertio ponit opinionem Platonis, qui primo manifeste induxit causam formalem. Et dividitur in partes duas. Primo enim ponit opinionem Platonis. Secundo colligit ex omnibus praedictis quid de quatuor generibus causarum ab aliis philosophis sit positum, ibi, breviter et recapitulariter et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem Platonis de rerum substantiis. Secundo de rerum principiis, ibi, quoniam autem species et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit opinionem Platonis quantum ad hoc quod posuit ideas. Secundo quantum ad hoc quod posuit substantias medias, scilicet mathematica separata, ibi, amplius autem praeter sensibilia. Dicit ergo primo, quod post omnes praedictos philosophos supervenit negocium Platonis, qui immediate Aristotelem praecessit. Nam Aristoteles eius discipulus fuisse perhibetur. Plato siquidem in multis secutus est praedictos philosophos naturales, scilicet Empedoclem, Anaxagoram et alios huiusmodi, sed alia quaedam habuit propria praeter illos praedictos philosophos, propter philosophiam Italicorum Pythagoricorum. Nam ipse ut studiosus erat ad veritatis inquisitionem, ubique terrarum philosophos quaesivit, ut eorum dogmata sciret. Unde in Italiam Tarentum venit, et ab Archita Tarentino Pythagorae discipulo de opinionibus Pythagoricis est instructus.

[81718] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 2Cum enim naturales philosophos, qui in Graecia fuerunt, sequi videret, et intra eos aliqui posteriores ponerent omnia sensibilia semper esse in fluxu, et quod scientia de eis esse non potest, quod posuerunt Heraclitus et Cratylus, huiusmodi positionibus tamquam novis Plato consuetus, et cum eis conveniens in hac positione ipse posterius ita esse suscepit, unde dixit particularium scibilium scientiam esse relinquendam. Socrates etiam, qui fuit magister Platonis, et discipulus Archelai, qui fuit auditor Anaxagorae, propter hanc opinionem, quae suo tempore surrexerat, quod non potest esse de sensibilibus scientia, noluit aliquid de rerum naturis perscrutari, sed solum circa moralia negociatus est. Et ipse prius incepit in moralibus quaerere quid esset universale, et insistere ad definiendum.

[81719] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 3Unde et Plato tamquam eius auditor, recipiens Socratem, idest sequens suscepit hoc ad inquirendum in rebus naturalibus, quasi in eis hoc posset evenire, ut universale in eis acciperetur de quo definitio traderetur, ita quod definitio non daretur de aliquo sensibilium, quia cum sensibilia sint sempertransmutantium, idest transmutata, non potest alicuius eorum communis ratio assignari. Nam omnis ratio oportet quod et omni et semper conveniat, et ita aliquam immutabilitatem requirit. Et ideo huiusmodi entia universalia, quae sunt a rebus sensibilibus separata, de quibus definitiones assignantur, nominavit ideas et species existentium sensibilium: ideas quidem, idest formas, inquantum ad earum similitudinem sensibilia constituebantur: species vero inquantum per earum participationem esse substantiale habebant. Vel ideas inquantum erant principium essendi, species vero inquantum erant principium cognoscendi. Unde et sensibilia omnia habent esse propter praedictas et secundum eas. Propter eas quidem inquantum ideae sunt sensibilibus causae essendi. Secundum eas vero inquantum sunt eorum exemplaria.

[81720] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 4Et quod hoc sit verum, patet ex eo, quod singulis speciebus attribuuntur multa individua univocorum, idest multa individua univocae speciei praedicationem suscipientia et hoc secundum participationem; nam species, vel idea est ipsa natura speciei, qua est existens homo per essentiam. Individuum autem est homo per participationem, inquantum natura speciei in hac materia designata participatur. Quod enim totaliter est aliquid, non participat illud, sed est per essentiam idem illi. Quod vero non totaliter est aliquid habens aliquid aliud adiunctum, proprie participare dicitur. Sicut si calor esset calor per se existens, non diceretur participare calorem, quia nihil esset in eo nisi calor. Ignis vero quia est aliquid aliud quam calor, dicitur participare calorem.

[81721] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 5Similiter autem cum idea hominis separata nihil aliud habeat nisi ipsam naturam speciei, est essentialiter homo. Et propterea ab eo vocabatur per se homo. Socrates vero vel Plato, quia habet praeter naturam speciei principium individuans quod est materia signata, ideo dicitur secundum Platonem participare speciem.

[81722] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 6Hoc autem nomen participationis Plato accepit a Pythagora. Sed tamen transmutavit ipsum. Pythagorici enim dicebant numeros esse causas rerum sicut Platonici ideas, et dicebant quod huiusmodi existentia sensibilia erant quasi quaedam imitationes numerorum. Inquantum enim numeri qui de se positionem non habent, accipiebant positionem, corpora causabant. Sed quia Plato ideas posuit immutabiles ad hoc quod de eis possent esse scientiae et definitiones, non conveniebat et in ideis uti nomine imitationis. Sed loco eius usus est nomine participationis. Sed tamen est sciendum, quod Pythagorici, licet ponerent participationem, aut imitationem, non tamen perscrutati sunt qualiter species communis participetur ab individuis sensibilibus, sive ab eis imitetur, quod Platonici tradiderunt.

[81723] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 7Deinde cum dicit amplius autem hic ponit opinionem Platonis de mathematicis substantiis: et dicit quod Plato posuit alias substantias praeter species et praeter sensibilia, idest mathematica; et dixit quod huiusmodi entia erant media trium substantiarum, ita quod erant supra sensibilia et infra species, et ab utrisque differebant. A sensibilibus quidem, quia sensibilia sunt corruptibilia et mobilia, mathematica vero sempiterna et immobilia. Et hoc accipiebant ex ipsa ratione scientiae mathematicae, nam mathematica scientia a motu abstrahit. Differunt vero mathematica a speciebus, quia in mathematicis inveniuntur differentia secundum numerum, similia secundum speciem: alias non salvarentur demonstrationes mathematicae scientiae. Nisi enim essent duo trianguli eiusdem speciei, frustra demonstraret geometra aliquos triangulos esse similes; et similiter in aliis figuris. Hoc autem in speciebus non accidit. Nam cum in specie separata nihil aliud sit nisi natura speciei, non potest esse singularis species nisi una. Licet enim alia sit species hominis, alia asini, tamen species hominis non est nisi una, nec species asini, et similiter de aliis.

[81724] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 8Patet autem diligenter intuenti rationes Platonis, quod ex hoc in sua positione erravit, quia credidit, quod modus rei intellectae in suo esse sit sicut modus intelligendi rem ipsam. Et ideo quia invenit intellectum nostrum dupliciter abstracta intelligere, uno modo sicut universalia intelligimus abstracta a singularibus, alio modo sicut mathematica abstracta a sensibilibus, utrique abstractioni intellectus posuit respondere abstractionem in essentiis rerum: unde posuit et mathematica esse separata et species. Hoc autem non est necessarium. Nam intellectus etsi intelligat res per hoc, quod similis est eis quantum ad speciem intelligibilem, per quam fit in actu; non tamen oportet quod modo illo sit species illa in intellectu quo in re intellecta: nam omne quod est in aliquo, est per modum eius in quo est. Et ideo ex natura intellectus, quae est alia a natura rei intellectae, necessarium est quod alius sit modus intelligendi quo intellectus intelligit, et alius sit modus essendi quo res existit. Licet enim id in re esse oporteat quod intellectus intelligit, non tamen eodem modo. Unde quamvis intellectus intelligat mathematica non cointelligendo sensibilia, et universalia praeter particularia, non tamen oportet quod mathematica sint praeter sensibilia, et universalia praeter particularia. Nam videmus quod etiam visus percipit colorem sine sapore, cum tamen in sensibilibus sapor et color simul inveniantur.

[81725] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 9Deinde cum dicit quoniam autem hic ponit opinionem Platonis de rerum principiis: et circa hoc duo facit. Primo ponit quae principia rebus Plato assignavit. Secundo ad quod genus causae reducuntur, ibi, palam autem ex dictis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit cuiusmodi principia Plato assignaverit. Secundo ostendit quomodo Plato cum Pythagoricis communicet, et in quo differat ab eis, ibi, unum tamen substantiam. Dicit ergo primo, quod quia secundum Platonem species separatae sunt causae omnibus aliis entibus, ideo elementa specierum putaverunt esse elementa omnium entium. Et ideo assignabant rebus pro materia magnum et parvum, et quasi substantiam rerum, idest formam dicebant esse unum. Et hoc ideo, quia ista ponebant esse principia specierum. Dicebant enim quod sicut species sunt sensibilibus formae, ita unum est forma specierum. Et ideo sicut sensibilia constituuntur ex principiis universalibus per participationem specierum, ita species, quas dicebat esse numeros, constituuntur secundum eum, ex illis, scilicet magno et parvo. Unitas enim diversas numerorum species constituit per additionem et subtractionem, in quibus consistit ratio magni et parvi. Unde cum unum opinaretur esse substantiam entis, quia non distinguebat inter unum quod est principium numeri, et unum quod convertitur cum ente, videbatur sibi quod hoc modo multiplicarentur diversae species separatae ex una quae est communis substantia, sicut ex unitate diversae species numerorum multiplicantur.

[81726] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 10Deinde cum dicit unum tamen hic comparat opinionem Platonis Pythagorae. Et primo ostendit in quo conveniebant. Secundo in quo differebant, ibi, pro infinito. Conveniebant autem in duabus positionibus. Quarum prima est quod unum sit substantia rerum. Dicebant enim Platonici, sicut etiam Pythagorici, quod hoc quod dico unum non probatur de aliquo alio ente, sicut accidens de subiecto, sed hoc signat substantiam rei. Et hoc ideo, quia, ut dictum est, non distinguebant inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri.

[81727] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 11Secunda positio sequitur ex prima. Dicebant enim Platonici (similiter ut Pythagorici) numeros esse causas substantiae omnibus entibus. Et hoc ideo quia numerus nihil aliud est quam unitates collectae. Unde si unitas est substantia, oportet quod etiam numerus.

[81728] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 12Deinde cum dicit pro infinito hic ostendit in quo differebant. Et circa hoc duo facit. Primo enim ponit differentiam inter eos. Secundo differentiae causam, ibi, unum igitur et numeros et cetera. Est autem ista differentia in duobus. Primo quantum ad hoc Pythagorici ponebant (ut dictum est) duo principia, ex quibus constituebantur, scilicet finitum et infinitum: quorum unum, scilicet infinitum, se habet ex parte materiae. Plato vero loco huius unius quod Pythagoras posuit, scilicet infiniti, fecit dualitatem, ponens ex parte materiae magnum et parvum. Et sic infinitum quod Pythagoras posuit unum principium, Plato posuit consistere ex magno et parvo. Et hoc est proprium opinionis suae in comparatione ad Pythagoram.

[81729] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 13Secunda differentia est, quia Plato posuit numeros praeter sensibilia, et hoc dupliciter. Ipsas enim species, numeros esse dicebat, sicut supra habitum est. Et iterum inter species et sensibilia posuit mathematica (ut supra dictum est) quae secundum suam substantiam numeros esse dicebat. Sed Pythagorici dicunt ipsas res sensibiles esse numeros, et non ponunt mathematica media inter species et sensibilia, nec iterum ponunt species separatas.

[81730] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 14Deinde cum dicit unum igitur hic ostendit causam differentiae. Et primo secundae. Secundo causas differentiae primae, ibi, dualitatem autem fere et cetera. Dicit ergo quod ponere unum et numeros praeter res sensibiles, et non in ipsis sensibilibus, sicut Pythagorici fecerunt, et iterum introducere species separatas, evenit Platonicis propter scrutationem, quae est in rationibus, idest propter hoc quod perscrutati sunt de definitionibus rerum, quas credebant non posse attribui rebus sensibilibus, ut dictum est. Et hac necessitate fuerunt coacti ponere quasdam res quibus definitiones attribuuntur. Sed Pythagorici qui fuerunt priores Platone, non participaverunt dialecticam, ad quam pertinet considerare definitiones et universalia huiusmodi, quarum consideratio induxit ad introductionem idearum.

[81731] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 15Deinde cum dicit dualitatem autem hic ostendit causam alterius differentiae, quae scilicet ex parte materiae est. Et primo ponit causam huiusmodi differentiae. Secundo ostendit Platonem non rationabiliter motum esse, ibi, attamen e contrario. Dicit ergo quod ideo Platonici fecerunt dualitatem esse numerum, qui est alia natura a speciebus, quia omnes numeri naturaliter generantur ex dualitate praeter numeros primos. Dicuntur autem numeri primi, quos nullus numerat, sicut ternarius, quinarius, septenarius, undenarius, et sic de aliis. Hi enim a sola unitate constituuntur immediate. Numeri vero, quos aliquis alius numerus numerat, non dicuntur primi, sed compositi, sicut quaternarius, quem numerat dualitas; et universaliter omnis numerus par a dualitate numeratur. Unde numeri pares materiae attribuuntur, cum eis attribuatur infinitum, quod est materia, ut supra dictum est. Hac ratione posuit dualitatem, ex qua sicut aliquo echimagio, idest ex aliquo exemplari omnes alii numeri pares generantur.

[81732] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 16Deinde cum dicit attamen e contrario hic ostendit Platonem irrationabiliter posuisse. Et circa hoc duo facit. Primo enim ex ratione naturali ostendit hoc. Secundo etiam ponit rationem naturalem, quae Platonem movebat ad suam opinionem, ibi, videtur autem ex una materia. Dicit ergo quod quamvis Plato poneret dualitatem ex parte materiae, tamen e converso contingit, sicut attestantur opiniones omnium aliorum philosophorum naturalium, qui posuerunt contrarietatem ex parte formae, et unitatem ex parte materiae, sicut patet primo physicorum. Ponebant enim rerum materiam aerem, vel aquam, aliquid huiusmodi, ex quo diversitatem rerum constituebant per rarum et densum, quae ponebant quasi principia formalia. Non enim est rationabile ponere sicut Plato posuit. Et hoc ideo quia ex materia viderunt philosophi multa fieri per successionem formarum in ipsa. Illa enim materia, quae modo substat uni formae, post modum substare poterit pluribus, uno corrupto et alio generato. Sed una species sive una forma solum semel generat, idest constituit aliquid generatum. Cum enim aliquid generatur accipit formam quidem, quae forma eadem numero non potest alteri generato advenire, sed esse desinit generato corrupto. In quo manifeste apparet quod una materia ad multas formas se habet, et non e converso una forma ad multas materias se habet. Et sic videtur rationabilius ponere ex parte materiae unitatem, sed dualitatem sive contrarietatem ex parte formae, sicut posuerunt naturales, quam e converso, sicut posuit Plato.

[81733] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 17Deinde cum dicit videtur autem hic ponit rationem e converso ex his sensibilibus acceptam secundum opinionem Platonis. Videbat enim Plato quod unumquodque recipitur in aliquo secundum mensuram recipientis. Unde diversae receptiones videntur provenire ex diversis mensuris recipientium. Una autem materia est una mensura recipiendi. Vidit etiam quod agens, qui inducit speciem, facit multas res speciem habentes, cum sit unus, et hoc propter diversitatem quae est in materiis. Et huius exemplum apparet in masculo et femina. Nam masculus se habet ad feminam sicut agens et imprimens speciem ad materiam. Femina autem impraegnatur ab una actione viri. Sed masculus unus potest impraegnare multas feminas. Et inde est quod posuit unitatem ex parte speciei, et dualitatem ex parte materiae.

[81734] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 18Est autem attendendum quod haec diversitas inter Platonem et naturales accidit propter diversam de rebus considerationem. Naturales enim considerant tantum quae sunt sensibilia, prout sunt subiecta transmutationi, in qua unum subiectum successive accipit contraria. Et ideo posuerunt unitatem ex parte materiae, et contrarietatem ex parte formae. Sed Plato ex consideratione universalium deveniebat ad ponendum principia sensibilium rerum. Unde, cum diversitatis multorum singularium sub uno universali causa sit divisio materiae, posuit diversitatem ex parte materiae, et unitatem ex parte formae. Et tales sunt mutationes illorum principiorum, quae posuit Plato, idest participationes, vel ut ita dicam influentias in causata: sic enim nomen immutationis Pythagoras accipit. Vel immutationes dicit inquantum Plato mutavit opinionem de principiis, quam primi naturales habuerunt, ut ex praedictis patet. Et sic patet ex praedictis, quod Plato de causis quaesitis a nobis ita definivit.

[81735] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 19Deinde cum dicit palam autem hic ostendit ad quod genus causae principia a Platone posita reducantur. Dicit ergo, ex dictis palam esse quod Plato usus est solum duobus generibus causarum. Causa enim ipsa, idest causa, quae est causa ei, quod quid est, idest quidditatis rei, scilicet causa formalis, per quam rei quidditas constituitur: et etiam usus est ipsa materia. Quod ex hoc patet, quia species quas posuit sunt aliis, idest sensibilibus causae eius quod quid est, idest causae formales: ipsis vero speciebus causa formalis est hoc quod dico unum, et illa videtur substantia de qua sunt species: sicut ens unum ponit causam formalem specierum: ita magnum et parvum ponit earum causam quasi materialem, ut supra dictum est. Et hae quidem causae, scilicet formalis et materialis, non solum sunt respectu specierum, sed etiam respectu sensibilium, quia unum dicitur in speciebus: idest id quod hoc modo se habet ad sensibilia, sicut unum ad speciem, est ipsa species, quia ea dualitas quae respondet sensibilibus pro materia est magnum et parvum.

[81736] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 20Ulterius Plato assignavit causam eius quod est bonum et malum in rebus, et singulis elementis ab eo positis. Nam causam boni ascribebat speciei, causam vero mali materiae. Sed tamen causam boni et mali conati sunt investigare quidam primorum philosophorum, scilicet Anaxagoras et Empedocles, qui ad hoc specialiter aliquas causas in rebus constituerunt, ut ab eis possent assignare principia boni et mali. In hoc autem quod boni causas et mali tetigerunt, aliquo modo accedebant ad ponendum causam finalem, licet non per se, sed per accidens eam ponerent, ut infra dicetur.

LEÇON 10.

(nn. 151-170; [69-78])

Il montre que les opinions des Platoniciens sur les Idées procèdent des anciens : de plus il présente leurs opinions au sujet des principes et des causes des choses et il les réfute.

 

151. Ayant présenté les opinions des Anciens sur la cause matérielle et la cause efficiente, le Philosophe présente ici en troisième lieu l’opinion de Platon qui fut le premier à introduire la cause formelle.

   Et il divise cet examen en deux parties. En premier lieu en effet il présente l’opinion de Platon [69]. En deuxième lieu il recueille, à partir de tout ce qui a été dit, ce qui est affirmé par les autres philosophes au sujet des quatre espèces de causes, là [79] où il dit : ¨ Brièvement et comme en résumant etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion de Platon se rapportant aux substances mêmes des choses [69]. En deuxième lieu il présente celle qui se rapporte aux principes des choses, là [71] où il dit : ¨ Mais quoique les espèces etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’opinion de Platon quant à sa position sur l’existence des idées [69]. En deuxième lieu il présente sa position sur l’existence de substances intermédiaires, à savoir les substances mathématiques séparées, là [70] où il dit : ¨ En outre cependant, en dehors des substances sensibles etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [69] que suite à tous les philosophes précédents est apparue la théorie de Platon qui précéda immédiatement Aristote. Car on rapporte qu’Aristote fut son disciple. Si toutefois Platon suivit en plusieurs points la pensée des philosophes naturalistes précédents comme Anaxagore, Empédocle et d’autres, il s’en distingua néanmoins par d’autres points en raison de la fréquentation qu’il établit avec les Pythagoriciens de l’École Italique. Car comme il était lui-même appliqué à la recherche de la vérité, il rechercha en tout lieu la fréquentation des philosophes afin de connaître leur doctrine. C’est pourquoi il vint à Tarente en Italie pour y être instruit des opinions de Pythagore par un de ses disciples nommé Architas.

152. Comme en effet il semblait suivre les philosophes naturalistes qui vivaient en Grèce, et parmi eux certains qui affirmaient postérieurement que toutes les réalités sensibles changent continuellement et au sujet desquelles on ne peut établir aucune science, ce que prétendaient en particulier Héraclite et Cratyle, Platon, habitué à ces positions quelque peu nouvelles et étant d’accord avec eux sur cette position, admit lui-même plus tard qu’il devait en être ainsi et conclut à partir de là qu’on devait renoncer à toute science des particuliers. Socrate aussi, qui fut le maître de Platon et disciple d’Archelaüs qui était l’élève d’Anaxagore, à cause de cette opinion qui naissait à son époque et qui prétendait qu’on ne peut avoir aucune science des réalités sensibles, ne voulut pas porter son examen sur la nature des choses sensibles et s’occupa uniquement des questions de nature morale. Et c’est lui-même qui le premier commença à rechercher l’universel en matière morale et à s’arrêter sur les définitions.

153. Et de là Platon, en tant que disciple, ¨ accueillit la pensée de Socrate ¨, c’est-à-dire que le suivant en cela, il entreprit d’appliquer cette démarche à l’étude des choses naturelles comme s’il pouvait arriver qu’on saisisse en elles l’universel à partir duquel on pourrait tirer une définition de telle manière cependant que la définition ne serait attribuée à aucune des réalités sensibles elles-mêmes, car puisque ces dernières sont toujours ¨mouvantes ¨, c’est-à-dire en continuelle transformation, on ne peut attribuer, croyait-il, une nature commune à aucune d’elles. Car il faut que toute nature exprimée dans une définition puisse toujours être attribuée à tous ceux qui la possèdent et exige donc une certaine immutabilité. Et c’est pourquoi il appela Idées ou espèces des êtres sensibles ces êtres universels séparés des choses sensibles et auxquels les définitions sont attribuées : il les appelle ¨ Idées certes ¨, c’est-à-dire formes, dans la mesure où les réalités sensibles étaient constituées à leur ressemblance; il les appelle encore espèces dans la mesure où c’est d’elles que les choses sensibles recevaient une existence substantielle par mode de participation. Il les appelait donc Idées dans la mesure où elles étaient principes d’existence, et espèces dans la mesure où elles étaient principes de connaissance. Et c’est pourquoi toutes les choses sensibles possèdent l’existence à cause d’elles et conformément à elles : à cause d’elles dans la mesure où les Idées sont certes les causes de l’existence des réalités sensibles; conformément aux Idées dans la mesure où ces dernières sont leurs exemplaires.

154. Et la vérité de ces affirmations apparaît du fait qu’à de ¨ nombreux individus sont attribuées des espèces particulières de manière univoque ¨, c’est-à-dire que de nombreux individus reçoivent l’attribution d’une espèce univoque et cela conformément à un mode de participation; car l’espèce ou l’idée est la nature même par laquelle l’homme existe au moyen de l’essence. Mais tel homme en tant qu’individu existe par participation dans la mesure où il participe de cette nature de l’espèce dans une matière déterminée. Tout ce qui est totalement une réalité ne participe pas de cette réalité mais lui est par essence identique. Mais cet être qui n’est pas totalement une réalité mais se trouve à avoir en lui quelque chose d’autre qui lui est associé, c’est de lui à proprement parler qu’on dit qu’il participe de cette réalité. Par exemple, si la chaleur était telle qu’elle existait par elle-même, on ne dirait pas d’elle qu’elle participe de la chaleur car il n’y aurait rien d’autre en elle que la chaleur. Mais parce que le feu est quelque chose d’autre que la chaleur, on dit de lui qu’il participe de la chaleur.

155. Et de la même manière puisque l’Idée de l’homme séparé n’a rien d’autre en elle que la nature même de l’espèce, elle est l’homme par essence. Et voilà pourquoi Platon l’appelait l’homme en soi. Mais Socrate ou Platon, parce qu’ils ont en eux, en dehors de la nature de l’espèce, un principe individuant qui est la matière singulière, Platon dit à leur sujet qu’ils participent de l’espèce.

156. Mais ce nom de participation, Platon l’emprunta à Pythagore mais il le modifia. Les Pythagoriciens en effet disaient que les nombres sont les causes des choses, tout comme les Platoniciens disaient que ce sont les idées qui en sont les causes, et ils ajoutaient que les êtres sensibles étaient comme des imitations des nombres. Dans la mesure en effet où les nombres, qui d’eux-mêmes n’ont aucune position, recevaient une position, ils étaient causes des corps. Mais parce que Platon affirma l’existence d’Idées immuables afin qu’on puisse obtenir à leur sujet les sciences et les définitions, il ne convenait pas de se servir pour les idées du nom d’imitation. Et c’est pourquoi, au lieu de ce nom, Platon se servit du nom de participation. Il faut cependant savoir que les Pythagoriciens, bien qu’ils établirent la participation ou l’imitation, ne précisèrent pas de quelle manière les individus sensibles participent de l’espèce universelle ou comment ils l’imitant, ce que firent au contraire les Platoniciens.

157. Ensuite lorsqu’il dit [70] : ¨ De plus cependant ¨.

   Il présente ici l’opinion de Platon au sujet des substances mathématiques : et il dit que Platon affirma l’existence d’autres substances, différentes à la fois des Idées et des réalités sensibles, à savoir les substances mathématiques; et il dit que de telles substances étaient, parmi les trois sortes de substances, des substances intermédiaires de telle manière qu’elles étaient supérieures aux réalités sensibles mais inférieures aux espèces et qu’elles différaient des deux. Elles différaient des réalités sensibles en ceci que ces dernières sont corruptibles et mobiles alors que les substances mathématiques étaient éternelles et immobiles. Et ils tenaient cela de la nature même de la science mathématique qui fait abstraction du mouvement. Et par ailleurs ces sortes de substances mathématiques différent aussi des espèces ou Idées en cela qu’on retrouve en elles une différence selon le nombre mais une ressemblance selon l’espèce, car autrement les démonstrations de la science mathématique ne tiendraient plus. Ce serait en vain en effet que la géométrie démontrerait que deux triangles sont égaux s’il n’existait pas deux triangles de même espèce, et il en serait de même pour les autres figures. Mais cela ne se produit pas du côté des espèces. Car puisque dans l’espèce ou l’idée séparée il n’y a rien d’autre que la nature de l’espèce, on ne peut y retrouver qu’une seule espèce singulière qui ne se retrouve que dans un seul individu. En effet, bien que l’espèce de l’homme diffère de l’espèce de l’âne, il n’y a cependant qu’une seule espèce de l’homme, une seule espèce de l’âne, et il en est de même pour les autres réalités sensibles.

158. Mais un examen attentif des raisons de Platon montre qu’il s’égara dans sa position du fait qu’il crut que pour ce qui est de la chose qu’on cherche à comprendre, sa manière d’exister est identique à la manière de la comprendre. Et c’est pourquoi, lorsqu’il découvrit que notre intelligence saisit de deux manières ce qui est séparé, à savoir d’une part à la manière dont nous comprenons les universels comme séparés des singuliers et d’autre part à la manière dont nous saisissons que les êtres mathématiques sont séparés des réalités sensibles, il affirma qu’à chacune de ces deux formes d’abstraction de l’intelligence correspondait une abstraction dans les essences des choses : de là il affirma que les êtres mathématiques, tout comme les espèces, existent séparément. Mais cette conclusion n’était pas nécessaire. Car l’intelligence, bien qu’elle comprenne les choses du fait qu’elle leur devienne semblable grâce à l’espèce intelligible au moyen de laquelle elle devient en acte, cependant il n’est pas nécessaire que cette espèce existe dans l’intelligence à la manière dont elle existe dans la chose à comprendre : car tout ce qui existe dans une chose y existe à la manière de cette chose dans laquelle il existe. Et c’est pourquoi à partir de la nature de l’intelligence, qui diffère de la nature de la chose à comprendre, il est nécessaire que le mode de comprendre par lequel l’intelligence comprend, diffère du mode d’exister par lequel la chose existe. En effet, bien qu’il faille que ce que l’intelligence comprend existe dans la chose, cependant les deux modes ne sont pas les mêmes. C’est pourquoi, bien que l’intelligence saisisse les êtres mathématiques indépendamment des réalités sensibles et les universels indépendamment des particuliers dans lesquels ils existent, il ne s’ensuit pas que les êtres mathématiques existent séparément des réalités sensibles et que les universels existent en dehors des particuliers. Car nous voyons que même la vue perçoit la couleur sans la saveur, bien que les deux se retrouvent néanmoins ensemble dans les réalités sensibles.

159. Ensuite lorsqu’il dit [71] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il présente ici l’opinion de Platon se rapportant aux principes des choses : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il dit quels principes Platon attribua aux choses [71]. En deuxième lieu il montre à quel genre de causes ces principes se ramènent, là [78] où il dit : ¨ Mais manifestement, à partir de ce qui a été dit etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. Il dit quelle sorte de principes Platon attribua aux choses [71]. En deuxième lieu il montre ce que Platon partageait comme pensée avec les Pythagoriciens à ce sujet et en quoi il s’en distinguait, là [72] où il dit : ¨ On dit cependant que l’un est la substance ¨.

   Il dit donc en premier lieu [71] que parce que d’après Platon les Idées séparées sont les causes de tous les autres êtres, c’est pourquoi les Platoniciens pensèrent que les éléments des Idées sont aussi les éléments de tous les êtres. Et c’est pourquoi ils attribuaient comme matière aux choses le grand et le petit et comme ¨ substance des choses ¨, c’est-à-dire comme forme, ils leur attribuaient l’un. Et il en était ainsi pour cette raison qu’ils affirmaient que c’étaient là les principes des Idées. Ils disaient en effet que tout comme les espèces ou les Idées sont les formes des réalités sensibles, de même l’un est la forme des espèces. Et pour cette raison, tout comme les réalités sensibles sont constituées à partir des principes universels par une participation des espèces, de même les espèces, qu’il disait être les nombres, sont constituées d’après lui, ¨à partir de celles-là¨, c’est-à-dire à partir des notions du grand et du petit. C’est l’unité en effet qui, par l’addition et la soustraction, constitue les différentes espèces de nombre dans lesquelles consiste les notions de grand et de petit. C’est pourquoi, comme il croyait que l’un était la substance de l’être car il ne voyait pas la différence qu’il y a entre l’un qui est le principe du nombre et l’un qui se convertit avec l’être, il lui semblait que les différentes espèces séparées se multiplieraient à partir d’une même espèce qui est la substance commune, de la même manière que les différentes espèces de nombres se multiplient à partir de l’un pris selon la quantité.

160. Ensuite lorsqu’il dit [72] : ¨ L’un cependant ¨.

   Il compare ici l’opinion de Platon à celle de Pythagore.

   Et en premier lieu il montre en quoi ils s’accordaient. En deuxième lieu il montre en quoi ils différaient, là [73] où il dit : ¨ Mais au lieu de l’infini ¨.

   Mais ils s’accordaient sur deux points [72], dont le premier est que l’un est la substance des choses. Les Platoniciens en effet affirmaient, tout comme les Pythagoriciens que ce qu’on appelle l’un n’est pas tel qu’il appartient à un autre être comme un accident appartient à un sujet, mais il est plutôt la substance même d’une chose. Et la raison de cela est que, comme nous l’avons déjà dit, ils ne distinguaient pas l’un qui se convertit avec l’être de l’un selon la quantité qui est le principe du nombre.

161. Le deuxième point découle du premier. Les Platoniciens en effet affirmaient (comme les Pythagoriciens) que les nombres étaient les causes de la substance de tous les êtres. Et la raison de cela en est que le nombre n’est rien d’autre qu’une collection d’unités. D’où il suit que, si l’unité est la substance des êtres, le nombre l’est aussi.

162. Ensuite lorsqu’il dit [73] : ¨ Au lieu de l’infini ¨.

   Il montre ici en quoi ils différaient d’opinion.

   Et à sujet il fait deux choses. En premier lieu en effet il présente la différence qui les distingue. En deuxième lieu il présente la cause de cette différence, là [74] où il dit : ¨ Donc s’il sépare l’un et les nombres etc.¨.

   Mais cette différence présente deux aspects [73]. Le premier consiste en ce que les Pythagoriciens posaient (comme nous l’avons dit) l’existence de deux principes à partir desquels les choses étaient constituées, à savoir le fini et l’infini dont l’un, c’est-à-dire l’infini, se tient du côté de la matière. Mais Platon remplaça cet unique principe, que Pythagore affirmait être infini, par une dyade, à savoir le grand et le petit, qu’il disait se tenir du côté de la matière. Et ainsi l’infini, que Pythagore affirmait être un principe, Platon dit à son sujet qu’il était constitué du grand et du petit. Et c’est là un des aspects par lesquels l’opinion de Platon diffère de celle de Pythagore.

163. Le deuxième aspect de la différence est que Platon affirma que les nombres étaient séparés des réalités sensibles, et cela de deux manières. Il disait en effet que les Idées elles-mêmes sont des nombres, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Et de plus il posa les êtres mathématiques (comme nous l’avons vu plus haut) comme intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles, et au sujet desquels il affirmait qu’ils sont des nombres quant à leur substance. Mais les Pythagoriciens affirmaient plutôt que ce sont les réalités sensibles elles-mêmes qui sont des nombres et ils ne posaient pas l’existence d’êtres mathématiques comme intermédiaires entre les espèces et les réalités sensibles ni non plus l’existence d’espèces séparées.

164. Ensuite lorsqu’il dit [74] : ¨ Donc l’un ¨.

   Il montre ici la cause de ces différences.

   Et en premier lieu il montre la cause de la deuxième différence. En deuxième lieu il montre les causes de la première différence, là [75] où il dit : ¨ Mais s’il pose tout à fait la dyade etc.¨.

   Il dit donc [74] que poser que l’un et les nombres existent en dehors des choses sensibles et non en elles comme le firent les Pythagoriciens, et de plus inventer des espèces séparées, cela advint aux Platoniciens en raison de l’examen attentif ¨ qu’ils portèrent aux considérations d’ordre logique ¨, c’est-à-dire pour cette raison qu’ils approfondirent les définitions des choses qu’ils croyaient ne pas pouvoir attribuer aux réalités sensibles, ainsi que nous l’avons déjà dit. Et c’est par cette nécessité qu’ils furent poussés à inventer des réalités auxquelles les définitions pouvaient être attribuées. Mais les Pythagoriciens, qui précédèrent Platon, ne s’étaient pas adonnés à la dialectique, à laquelle il appartient de considérer les définitions et les universels de cette sorte, et dont la considération conduisit Platon à l’invention de ces Idées.

165. Ensuite lorsqu’il dit [75] : ¨ Mais la dyade ¨.

   Il montre la cause de l’autre différence, c’est-à-dire de celle qui se tient du côté de la matière.

   Et en premier lieu il présente la cause de cette différence. En deuxième lieu il montre que Platon n’y a pas été poussé avec raison, là [76] où il dit : ¨ Et pourtant au contraire ¨.

   Il dit donc [75] que la raison pour laquelle les Platoniciens affirmèrent que la dyade est un nombre, qui est d’une autre nature que celle des Idées, est que tous les nombres, à l’exception des nombres premiers, sont engendrés à partir de la dyade. On dit en effet des nombres premiers que ce sont ceux que nul autre n’engendre comme c’est le cas pour trois, cinq, sept, neuf, onze et il en est ainsi des autres. Ces derniers en effet ne sont immédiatement constitués que de la seule unité. Mais en vérité les nombres qu’un autre nombre peut engendrer ne s’appellent pas premiers mais composés comme par exemple quatre qui est engendré par deux; et plus universellement, tous les nombres pairs sont engendrés par la dyade. De là, tous les nombres pairs sont attribués à la matière puisque c’est l’infini qui leur est attribué, lequel est un trait de la matière, ainsi que nous l’avons dit plus haut. C’est pour cette raison que Platon posa la dyade comme principe à partir duquel tous les autres nombres pairs sont engendrés comme à partir de ¨quelque figure¨, c’est-à-dire comme à partir d’un certain modèle.

166. Ensuite lorsqu’il dit [76] : ¨ Et pourtant au contraire ¨.

   Il montre ici que ce n’est pas avec raison que Platon fit cette affirmation.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu en effet il montre cela à partir d’une raison naturelle. En deuxième lieu il présente aussi une raison naturelle qui poussait Platon vers cette opinion, là [77] où il dit : ¨ Mais il semble que d’une seule matière ¨.

   Il dit donc [76] que bien que Platon posa la dyade du côté de la matière, c’est pourtant le contraire qui se produit ainsi que l’attestent les opinions de tous les autres philosophes de la nature qui affirmèrent que la contrariété se tient du côté de la forme et que l’unité se range du côté de la matière, ainsi qu’on le voit au premier livre des Physiques. Ils affirmaient en effet que la matière des choses est soit l’air, soit l’eau ou quelque autre matière de la sorte à partir de laquelle la diversité des choses était engendrée par raréfaction ou condensation, ces deux dernières étant présentées par eux comme des principes formels. En effet, ce que Platon affirme n’est pas raisonnable. Et il en est ainsi parce que c’est à partir de la matière que les philosophes ont paru faire apparaître une multitude d’êtres au moyen d’une succession de formes en elle. En effet cette matière qui se tient maintenant sous cette forme pourra par la suite se tenir sous plusieurs autres, une fois que cet être sera détruit et que d’autres seront engendrés. Mais une seule espèce ou une seule forme ¨n’engendre qu’une seule fois¨, c’est-à-dire qu’elle n’engendre qu’un seul être. En effet puisque ce qui est engendré reçoit une forme, cette forme ne peut être numériquement la même que celle qui advient lors de la génération d’un autre être, puisqu’elle cesse d’exister lorsque ce qui est engendré par elle est détruit. Et en cela il est évident qu’une même matière peut se rapporter à plusieurs formes mais qu’une même forme, au contraire, ne peut s’unir à plusieurs matières. Et ainsi il paraît plus raisonnable de poser l’unité du côté de la matière et la dyade ou la contrariété du côté de la forme, ainsi que le firent les philosophes naturalistes, plutôt que le contraire comme le fit Platon.

167. Ensuite lorsqu’il dit [77] : ¨ Il semble cependant ¨.

   Il présente ici à l’inverse une raison tirée de l’expérience sensible et que Platon admettait comme conforme à sa position. Platon voyait en effet que tout ce qui est reçu dans un autre y est reçu conformément à la mesure de celui qui reçoit. C’est pourquoi les réceptions différentes semblent provenir des mesures différentes qu’on retrouve chez ceux qui reçoivent. Mais une matière est une mesure d’un élément récepteur. Il voit encore qu’un agent qui introduit une espèce ou une forme produit plusieurs choses possédant cette forme qui reste la même, puisqu’il est un, et cela en raison d’une certaine aptitude à la diversité qu’on retrouve dans les matières. Et on voit encore un exemple de cela chez le mâle et la femelle. Car le mâle se rapporte à la femelle comme l’agent qui imprime une forme à la matière. Mais une femelle est fécondée par une seule action d’un mâle alors qu’un même mâle peut féconder plusieurs femelles. Et c’est à partir de là que Platon posa l’unité du côté de la forme et la dyade du côté de la matière.

168. Il faut cependant noter que cette différence de position entre Platon et les naturalistes provient d’une manière différente de considérer les choses. Les naturalistes considèrent les réalités sensibles seulement dans la mesure où elles sont sujettes au changement dans lequel un même sujet reçoit successivement les contraires. Et c’est pourquoi ils posèrent l’unité du côté de la matière et la contrariété du côté de la forme. – Mais c’est à partir de la considération des universels que Platon en arrivait à poser les principes des choses sensibles. De là, comme la cause de la diversité de nombreux individus sous un même universel est la division de la matière, c’est pourquoi il posa la diversité du côté de la matière et l’unité du côté de la forme. ¨ Et telles sont donc les changements dans les principes ¨ que Platon posa et qui se rapportent aux participations ou, pour le dire autrement, aux influences qu’on retrouve dans les effets : c’est ainsi en effet que Pythagore entend le nom de changement. Ou bien il parle de changements dans la mesure où Platon changea l’opinion que les premiers naturalistes se faisaient sur les principes, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui précède. Et ainsi il apparaît, suite à ce que nous avons dit, que c’est ainsi que Platon définit les causes qui sont l’objet de notre recherche.

169. Ensuite lorsqu’il dit [78] : ¨ Mais manifestement ¨. Il montre ici à quel genre de cause se ramènent les principes posés par Platon. Il dit donc qu’il est manifeste à partir de ce qui est dit que Platon fit usage seulement de deux sortes de causes : la cause ¨elle-même¨, c’est-à-dire la cause de ¨l’essence¨, c’est-à-dire la cause de la quiddité de la chose, à savoir la cause formelle, au moyen de laquelle la quiddité de la chose est constituée; et il se servit aussi de la matière elle-même. Ce qui devient évident si on voit que les espèces ou les Idées qu’il posa ¨sont aux autres choses¨, c’est-à-dire aux réalités sensibles, les causes de ¨leur essence¨, à savoir les causes formelles; mais pour les espèces elles-mêmes la cause formelle est ce qu’on appelle l’un et cette dernière est vue comme la substance même des espèces. Et tout comme il affirme que l’être un est la cause formelle des espèces, de même il dit que le grand et le petit sont comme leur cause matérielle ainsi que nous l’avons dit plus haut. Et ces causes, c’est-à-dire la cause formelle et la cause matérielle se rapportent certes non seulement aux espèces mais aussi aux réalités sensibles; car l’un se dit comme étant ¨dans les espèces¨ : c’est-à-dire que ce qui se rapporte aux réalités sensibles de la même manière que l’un se rapporte à l’espèce, c’est l’espèce elle-même. Car cette dyade qui correspond aux réalités sensibles en tant que cause matérielle, c’est le grand et le petit.

170. Par la suite Platon désigna ce qui est la cause du bien et du mal dans les choses et dans les éléments particuliers qu’il posa. Car c’est à l’espèce qu’il imputa la cause du bien et à la matière celle du mal. Cependant, certains des premiers philosophes, comme Anaxagore et Empédocle, ont été poussés à rechercher la cause du bien et du mal, et pour cela ont spécialement établi certaines causes dans les choses de telle sorte que par elles les principes du bien et du mal puissent être identifiés. Mais en cela même qu’ils traitèrent des causes du bien et du mal ils parvinrent d’une certaine manière à établir la cause finale, non pas quant à ce que cette dernière est en elle-même, mais ils l’établirent comme par accident ainsi que nous le verrons par la suite.

 

 

LECTIO 11

[81737] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 1Hic recolligit omnia quae ab antiquis de causis sunt dicta: et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quod priores philosophi nullam causam de quatuor generibus causarum ab eis suprapositis addere potuerunt. Secundo ostendit qualiter praedictas causas tetigerunt, ibi, sed omnes obscure et cetera. Tertio concludit conclusionem principaliter intentam, ibi, quod quidem igitur recte et cetera. Dicit ergo, quod breviter et sub quodam capitulo sive compendio pertranseundo dictum est, quid philosophi, et quomodo locuti sunt de principiis rerum et de veritate, quantum ad ipsam rerum substantiam. Sed ex eorum dictis tantum haberi potest, quod nullus eorum, qui de causis et principiis rerum dixerunt, potuit dicere aliquas causas praeter illas, quae distinctae sunt secundo physicorum.

[81738] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 2Deinde cum dicit sed omnes hic ponit qualiter illas causas posuerunt. Et primo in generali. Secundo in speciali, ibi, illi namque et cetera. Dicit ergo primo, quod non solum nihil addiderunt, sed quo modo appropinquaverunt, et hoc non manifeste, sed obscure. Non enim assignaverunt secundum quod genus causae principia ab eis posita rerum causae essent; sed solum posuerunt illa, quae ad aliquod genus causae adaptari possunt.

[81739] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 3Deinde cum dicit illi namque hic ostendit in speciali quomodo singulas causas tetigerunt. Et primo quomodo tetigerunt causam materialem. Secundo quomodo causam efficientem, ibi, alii vero. Tertio quomodo causam formalem, ibi. Quod quid erat esse vero et cetera. Quarto quomodo causam finalem, ibi, cuius vero causa et cetera. Dicit ergo primo, quod illi, scilicet priores philosophi, omnes in hoc conveniunt, quod dant rebus aliquod principium quasi materiam. Differunt tamen in duobus. Primo, quia quidam posuerunt unam materiam, sicut Thales et Diogenes et similes: quidam plures, sicut Empedocles. Secundo, quia quidam posuerunt rerum materiam esse aliquod corpus, sicut praedicti philosophi. Quidam incorporeum, sicut Plato qui posuit dualitatem. Posuit enim Plato magnum et parvum, quae non dicunt aliquod corpus. Italici vero, idest Pythagorici posuerunt infinitum, quod iterum non est corpus. Empedocles vero quatuor elementa quae sunt corpora. Similiter Anaxagoras posuit infinitatem similium partium idest infinitas partes consimiles principia esse. Et hi omnes tetigerunt talem causam, scilicet materialem. Et etiam illi qui dixerunt aerem aut aquam aut ignem esse principium, vel aliquod medium inter haec elementa, scilicet igne spissius, aere subtilius; omnes enim tales praedicti tale corpus posuerunt esse primum elementum. Et sic patet quod dicit, quod philosophi quantum ad haec, quae praedicta sunt, posuerunt solam causam materialem.

[81740] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 4Deinde cum dicit alii quidem hic ponit opiniones de causa efficiente, dicens, quod alii praedictorum philosophorum posuerunt cum causa materiali causam unde principium motus: sicut quicumque posuerunt causam rerum amorem, odium, et intellectum; aut qui faciunt aliqua principia agentia praeter haec, sicut Parmenides qui posuit ignem quasi causam agentem.

[81741] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 5Deinde cum dicit quod quid hic ponit opiniones de causa formali; et dicit quod causa, per quam scitur quid est rei substantia, idest causam formalem, nullus manifeste rebus attribuit, et si aliquid tangerent antiqui philosophi quod pertineret ad causam formalem, sicut Empedocles qui posuit os et carnem habere aliquam rationem per quam sunt huiusmodi; non tamen hoc quod pertinet ad causam formalem ponebant per modum causae.

[81742] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 6Sed inter alios maxime appropinquaverunt ad ponendum causam formalem qui posuerunt species, et eas rationes qui ad species pertinent, sicut unitatem et numerum et alia huiusmodi. Species enim et ea quae sunt modo praedicto in speciebus, ut unitas et numerus, non suscipiuntur vel ponuntur ab eis ut materia rerum sensibilium, cum potius ex parte rerum sensibilium materiam ponant. Nec ponunt eas ut causas unde motus proveniat rebus, immo magis sunt rebus causa immobilitatis. Quicquid enim necessarium in sensibilibus invenitur, hoc ex speciebus causari dicebant, et ipsas, scilicet species, dicebant esse absque motu. Ad hoc enim ab eis ponebantur, ut dictum est, quod immobiles existentes uniformiter se haberent, ita quod de eis possent dari definitiones et fieri demonstrationes. Sed secundum eorum opinionem species rebus singulis praestant quidditatem per modum causae formalis, et unitas hoc ipsum praestat speciebus.

[81743] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 7Deinde cum dicit cuius vero hic ponit opiniones quorumdam de causa finali, dicens quod philosophi quodammodo finem cuius causa motus et transmutationes et actiones fiunt, dicunt esse causam, et quodammodo non dicunt, nec dicunt eodem modo, quo vera causa est. Illi enim qui dicunt causam esse intellectum vel amorem, ponunt eas causas quasi bonum. Dicebant enim huiusmodi esse causas ut res bene se habeant. Boni enim causa esse non potest nisi bonum. Unde sequitur quod ponerent intellectum et amorem esse causam, sicut bonum est causa. Bonum autem potest intelligi dupliciter. Uno modo sicut causa finalis, inquantum aliquid fit gratia alicuius boni. Alio modo per modum causae efficientis, sicut dicimus quod bonus homo facit bonum. Isti ergo philosophi non dixerunt praedictas causas esse bonas, quasi horum causa aliquod entium sit aut fiat, quod pertinet ad rationem causae finalis; sed quia a praedictis, scilicet intellectu et amore, procedebat motus quidam ad esse et fieri rerum, quod pertinet ad rationem causae efficientis.

[81744] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 8Similiter autem Pythagorici et Platonici qui dixerunt rerum substantiam esse ipsum unum et ens, uni etiam et enti attribuebant bonitatem. Et sic dicebant talem naturam, scilicet bonum, esse rebus sensibilibus causam substantiae, vel per modum causae formalis, sicut Plato posuit, vel per modum materiae sicut Pythagorici. Non tamen dicebant quod esse rerum aut fieri esset huius causa, scilicet unius et entis, quod pertinet ad rationem causae finalis. Et sic sicut naturales posuerunt bonum esse causam, non per modum causae formalis, sed per modum causae efficientis: ita Platonici posuerunt bonum esse causam per modum causae formalis et non per modum causae finalis: Pythagorici vero per modum causae materialis.

[81745] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 9Unde patet quod accidebat eis quodammodo dicere bonum esse causam, et quodammodo non dicere. Non enim simpliciter dicebant bonum esse causam, sed per accidens. Bonum enim secundum propriam rationem est causa per modum causae finalis. Quod ex hoc patet, quod bonum est, quod omnia appetunt. Id autem, in quod tendit appetitus, est finis: bonum igitur secundum propriam rationem est causa per modum finis. Illi igitur ponunt bonum simpliciter esse causam, qui ponunt ipsum esse causam finalem. Qui autem attribuunt bono alium modum causalitatis, ponunt ipsum esse causam, et hoc per accidens, quia non ex ratione boni, sed ratione eius cui accidit esse bonum, ut ex hoc quod est esse activum vel perfectivum. Unde patet quod isti philosophi causam finalem non ponebant nisi per accidens, quia scilicet ponebant pro causa, id cui convenit esse finem, scilicet bonum; non tamen posuerunt ipsum esse causam per modum finalis causae, ut dictum est.

[81746] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 11 n. 10Deinde cum dicit quod quidem hic concludit conclusionem principaliter intentam, scilicet quod determinatio facta superius de causis quae et quot sint, recta fuit. Huius enim testimonium videntur praebere praedicti philosophi, nullum genus causae valentes addere supra praedicta. Et haec utilitas provenit ex praedictarum opinionum recitatione. Alia autem utilitas est, quia inde palam est, quod principia rerum sunt quaerenda in ista scientia, ut omnia quae antiqui posuerunt, et quae superius sunt determinata, aut aliquod horum. Maxime enim haec scientia considerat causam formalem et finalem et aliquo modo etiam moventem. Nec solum oportet praedictas opiniones recitasse; sed post haec transeundo dicendum est quomodo quilibet horum dixerit, et in quo bene, et in quo male; et quomodo ea quae dicuntur de principiis habent aliquam dubitationem.

LEÇON 11.

(nn. 171-180; [79-85])

 

Que les anciens philosophes, tout comme le fit Aristote par la suite, ne posèrent que quatre genres de causes et ce qu’il reste encore à considérer à leur sujet.

 

171. Il recueille ici tout ce qui a été dit par les anciens philosophes au sujet des causes : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il montre que les premiers philosophes ne purent ajouter aucune cause aux quatre genres de causes présentés antérieurement. En deuxième lieu il montre de quelle manière ils ont traité de ces causes, là [80] où il dit : ¨ Mais c’est comme confusément que tous etc.¨. En troisième lieu il conclut son propos principal, là [85] où il dit : ¨ Ce qui est donc certes correctement etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [79] que c’est brièvement et sommairement ou comme en parcourant un raccourci que nous avons vu les philosophes qui ont parlé des principes des choses et de la vérité qui se rapporte à la substance même des choses. Mais seulement à partir de ce qu’ils ont dit, on peut savoir qu’aucun de ceux qui ont parlé des causes et des principes des choses ne put parler de causes différentes de celles qui ont été distinguées au deuxième livre des Physiques.

172. Ensuite lorsqu’il dit [80] : ¨ Mais tous ¨.

   Il présente ici la manière dont ils procédèrent pour poser ces causes.

   Et en premier lieu il le fait comme en général. En deuxième lieu il le fait d’une manière plus spécifique, là [81] où il dit : ¨ Car ceux qui etc.¨. Il dit donc en premier lieu [80] que non seulement ils n’ajoutèrent rien, mais de quelle manière ils s’en approchèrent : à savoir, non pas d’une manière évidente mais comme dans l’obscurité. En effet ils n’identifièrent pas à quel genre de cause les principes des choses posés par eux appartenaient comme causes des choses; au contraire, ils ont seulement posés ces principes qui pouvaient par la suite être rangés dans un des genres de causes.

173. Ensuite lorsqu’il dit [81] : ¨ Car ceux-là ¨.

   Il montre plus spécifiquement comment ils traitèrent de chacune de ces causes.

   Et en premier lieu il montre comment ils parlèrent de la cause matérielle [81]. En deuxième lieu, comment ils parlèrent de la cause efficiente, là [82] où il dit : ¨ Les autres en vérité ¨.  En troisième lieu, comment ils traitèrent de la cause formelle, là [83] où il dit : ¨ En vérité ce qu’est etc.¨. En quatrième lieu, comment ils considérèrent la cause finale, là [84] où il dit : ¨ En vérité, la cause en vue de laquelle etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [81] que ceux-là, c’est-à-dire les premiers philosophes, s’accordent tous en cela qu’ils attribuent aux choses un certain principe matériel. – Ils diffèrent cependant sur deux points. Et premièrement en ceci que certains, comme Thalès, Diogène et d’autres comme eux, ne posèrent qu’une seule matière alors que d’autres, comme Empédocle, en posèrent plusieurs. Deuxièmement, ils diffèrent en ceci qu’ils affirmaient que la matière des choses était un corps, ce qui était le cas pour les philosophes que nous venons de nommer. Certains au contraire prétendaient que cette matière était incorporelle, comme Platon qui posa la dyade. En effet Platon posa le grand et le petit qui ne réfèrent pas immédiatement à un corps. L’École Italique de son côté, c’est-à-dire les Pythagoriciens, posèrent l’infini qui à son tour n’est pas un corps. Empédocle quant à lui posa les quatre éléments qui sont de nature corporelle. De la même manière Anaxagore posa ¨l’infinité des parties semblables¨, c’est-à-dire qu’il affirma que les parties homéomères infinies étaient les principes. Et tous ceux-là traitèrent de ¨cette cause¨, c’est-à-dire de la cause matérielle. Et même ceux qui affirment que l’air, l’eau ou le feu est le principe, ou encore un intermédiaire entre ces éléments qui serait plus dense que le feu mais plus subtil que l’air, tous ces philosophes qui ont précédé ont affirmé que tel corps est le premier élément. Et ainsi ce qu’Aristote dit devient évident, à savoir que ces philosophes, quant à ce qu’ils ont dit, n’ont établi que la seule cause matérielle.

174. Ensuite lorsqu’il dit [82] : ¨ Certains autres ¨.

   Il présente ici les opinions relatives à la cause efficiente en disant que d’autres parmi les philosophes dont nous avons parlé ont établi, avec la cause matérielle, l’existence de la cause d’où procède le mouvement, comme ceux qui affirmèrent que l’amour, la haine et l’intelligence sont la cause des choses, ou comme ceux qui, comme Parménide, inventent en dehors de ceux que nous venons d’énumérer, d’autres principes efficients en disant que le feu est la cause efficiente.

175. Ensuite lorsqu’il dit [83] : ¨ L’essence ¨.

   Il présente ici les opinions qui se rapportent à la cause formelle; et il dit que la cause par laquelle on connaît la nature d’une chose, à savoir la cause formelle, n’est attribuée aux choses par aucun d’eux d’une façon claire; mais si les anciens philosophes ont touché quelque chose qui se rapporte à la cause formelle, comme Empédocle qui affirma que la chair et les os possèdent un ordre au moyen duquel ils sont ainsi disposés, cependant ce n’est pas par mode de causalité qu’ils établirent cela même qui appartient à la cause formelle en tant que cause.

176. Mais parmi les autres philosophes, ceux qui s’approchèrent le plus d’une définition de la cause formelle furent ceux qui traitèrent des Idées et des caractéristiques qui s’y rapportent comme l’unité, le nombre etc. En effet les Idées et ce qu’on y retrouve, comme l’unité et le nombre, ne sont pas considérées et établies par eux comme la matière des choses sensibles, puisqu’ils affirment de préférence l’existence d’une matière du côté des choses sensibles elles-mêmes. Et ces mêmes Idées, ils ne les présentent pas non plus comme les causes à partir desquelles le mouvement se produit dans les choses, mais bien plutôt comme une cause d’immobilité pour les choses. Ils disaient en effet que tout ce qu’on retrouve de nécessaire dans les réalités sensibles était causé en elles par les espèces ou les Idées et ils affirmaient de plus que ces dernières n’étaient pas sujettes au mouvement. Ils établissaient en effet l’existence d’Idées immobiles et toujours identiques à elles-mêmes afin que par là on puisse leur donner des définitions et produire à leur sujet des démonstrations. Mais d’après eux, les Idées fournissaient à chacune des réalités individuelles sa nature à la manière d’une cause formelle, et c’est l’unité qui garantissait cela même, à savoir leur nature, aux Idées.

177. Ensuite lorsqu’il dit [84] : ¨ Quant à la cause finale en vérité ¨.

   Il rapporte ici les opinions de certains au sujet de la cause finale en disant que les philosophes en un sens affirment que la finalité en vue de laquelle les mouvements, les changements et les actions se produisent est la cause et en un autre sens ils n’en parlent pas ni n’en parlent de la même manière comme d’une véritable cause. Ceux en effet qui affirment que la cause est une Intelligence ou un Amour présentent ces causes comme étant un bien. Ils disaient en effet que ces dernières causes étaient causes de la bonne disposition des choses. La cause du bien ne peut être en effet que le bien. D’où il suit qu’ils affirmaient l’existence d’une Intelligence et d’un Amour comme cause à la manière dont le bien est cause. Mais on peut entendre le bien de deux manières. En premier sens on peut l’entendre comme la cause finale dans la mesure où quelque chose se produit en vue de quelque bien. En un autre sens on peut l’entendre à la manière d’une cause efficiente, comme lorsque nous disons qu’un homme bon fait le bien. Donc ces philosophes ne dirent pas que ces causes étaient des biens comme si c’était en vue d’elles que chacune des choses existait ou accomplissait son devenir, ce qui appartient à la cause finale; mais ils disaient que ces causes étaient des biens parce que c’est d’elles, c’est-à-dire de l’Intelligence et de l’Amour, que procède le mouvement vers l’être et le devenir des choses, ce qui appartient à la cause efficiente.

178. C’est de la même manière que les Pythagoriciens et les Platoniciens, qui affirmaient que l’un et l’être lui-même est l’essence des choses, attribuaient la bonté à l’un et à l’être. Et c’est ainsi qu’ils affirmaient qu’une telle nature, à savoir le bien, était pour les choses sensibles la cause de leur essence, soit à la manière d’une cause formelle, ainsi que l’affirma Platon, soit à la manière d’une cause matérielle ainsi que le pensaient les Pythagoriciens. Ils ne disaient pas cependant que l’être et le devenir des choses était ordonné à cela, c’est-à-dire à l’un et à l’être, ce qui appartient à la nature de la cause finale. Et c’est ainsi que les philosophes naturalistes établirent que le bien est une cause, non pas à la manière d’une cause formelle, mais à la manière d’une cause efficiente; ensuite les Platoniciens posèrent le bien à la manière d’une cause formelle et non à la manière d’une cause finale; les Pythagoriciens, quant à eux, l’établirent comme une cause matérielle.

179. D’où il est évident qu’il leur arriva, en quelque sorte, de parler et de ne pas parler du bien comme d’une cause. En effet ils ne disaient pas que le bien est une cause en lui-même purement et simplement mais ils en parlaient comme d’une cause par accident. En effet, le bien selon sa nature propre est cause selon la modalité d’une cause finale. Ce qui apparaît clairement à partir de ceci que le bien est ce que tous désirent. Mais ce vers quoi tend l’appétit est pour lui une fin : le bien est donc selon sa nature propre une cause à la manière d’une cause finale. Ceux donc qui affirment que c’est en lui-même et purement et simplement que le bien est une cause, ce sont ceux qui affirment que le bien est une cause finale. Mais ceux qui attribuent au bien un autre mode de causalité se trouvent à affirmer qu’il est cause par accident car ce n’est pas à partir de la notion de bien qu’ils le font mais à partir de celui à qui il arrive d’être bon de telle sorte qu’en faisant cela ils se trouvent à le présenter comme une cause efficiente. D’où il est évident que ces philosophes n’établirent la cause finale que par accident puisqu’ils posaient comme cause ce à quoi il convient d’être une fin ou un bien; ils n’établirent cependant pas que le bien est cause à la manière d’une cause finale, ainsi que nous l’avons dit.

180. Ensuite lorsqu’il dit [85] : ¨ Ce qui certes ¨.

   Il termine ici par le propos principal qu’il cherchait à conclure, à savoir que la limite qui a été établie précédemment sur la nature et le nombre des causes était juste. En effet, tous les philosophes que nous avons vus semblent fournir un témoignage en faveur de cette division, étant eux-mêmes incapables d’ajouter aucune autre espèce de causes à celles que nous avions établies. Et telle est la première utilité qui provient de la relation des opinions précédentes. Il y a cependant un autre avantage car il est évident à partir de là que les principes des choses qui doivent être recherchés dans cette science sont soit tous ceux que les anciens philosophes ont posés et que nous avons déterminés précédemment, soit l’un d’entre eux. Car cette science examine principalement la cause formelle et la cause finale et même, d’une certaine manière, la cause efficiente. Et il ne faut pas se limiter à relater les opinions précédentes mais il faut par la suite passer à la considération des difficultés qui peuvent naître de leur manière de parler, voir s’ils ont bien ou mal parlé et examiner comment ce qu’ils ont dit sur les principes peut soulever certaines difficultés.

 

 

LECTIO 12

[81747] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 1Postquam recitavit opiniones philosophorum de principiis, hic incipit eas improbare. Et dividitur in duas partes. Primo improbat singulas opiniones. Secundo recolligit ea quae dicta sunt, et continuat se ad sequentia, ibi, quoniam ergo dictas causas et cetera. Prima dividitur in duas partes. Primo reprobat opiniones eorum qui naturaliter locuti sunt. Secundo reprobat opiniones illorum qui non naturaliter sunt locuti, scilicet Pythagorae et Platonis, eo quod altiora principia posuerunt quam naturales, ibi, quicumque vero et cetera. Circa primum duo facit. Primo improbat opiniones eorum qui posuerunt unam causam materialem. Secundo eorum qui posuerunt plures, ibi, idem quoque et si quis. Circa primum duo facit. Primo improbat opiniones praedictas in generali. Secundo in speciali, ibi, et ad hoc et cetera. Improbat autem in generali triplici ratione. Prima ratio talis est. Quia in rebus non solum sunt corporea, sed etiam quaedam incorporea, ut patet ex libro de anima. Sed ipsi non posuerunt principia nisi corporea: quod ex hoc patet, quia ipsi ponebant,unum omne idest universum esse unum secundum substantiam, et esse unam naturam quasi materiam, et eam esse corpoream, et habentem mensuramidest dimensionem: corpus autem non potest esse causa rei incorporeae; ergo patet quod in hoc deliquerunt insufficienter rerum principia tradentes. Et non solum in hoc, sed in multis, ut ex sequentibus rationibus apparet.

[81748] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 2Deinde cum dicit de generatione hic ponit secundam rationem quae talis est. Quicumque habet necesse determinare de motu, oportet quod ponat causam motus: sed praedicti philosophi habebant necesse tractare de motu: quod ex duobus patet: tum quia ipsi conabantur dicere causas generationis et corruptionis rerum, quae sine motu non sunt: tum etiam quia de rebus omnibus naturaliter tractare volebant: naturalis autem consideratio requirit motum, eo quod natura est principium motus et quietis, ut patet secundo physicorum: ergo debebant tractare de causa, quae est principium motus. Et ita cum illam auferrent causam, nihil de ea dicendo, patet etiam quod in hoc deliquerunt.

[81749] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 3Deinde cum dicit amplius autem hic ponit tertiam rationem. Quaelibet enim res naturalis habet substantiam, idest formam partis, et quod quid est, idest quidditatem quae est forma totius. Formam dicit, inquantum est principium subsistendi: et quod quid est, inquantum est principium cognoscendi, quia per eam scitur quid est res: sed praedicti philosophi formam non ponebant esse alicuius causam: ergo insufficienter de rebus tractabant, in hoc etiam delinquentes, quod causam formalem praetermittebant.

[81750] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 4Deinde cum dicit nullus enim hic reprobat opiniones eorum in speciali: et hoc dupliciter. Primo quantum ad hoc quod ponebant elementa praeter ignem esse principia. Secundo quantum ad hoc quod praetermittebant terram, ibi, si vero est, quod est generatione et cetera. Primo ergo resumit eorum positionem, qui videlicet ponebant esse elementum quodlibet simplicium corporum praeter terram. Et rationem opinionis ostendit, quia ipsi videbant simplicia corpora ex invicem generari, ita quod quaedam fiunt ex illis per concretionem sive per inspissationem, sicut grossiora ex subtilioribus.

[81751] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 5Ostendit etiam modum procedendi contra eorum opiniones ex eorum rationibus. Ponebant enim hac ratione aliquod istorum esse principium, quia ex eo generabantur alia concretione vel discretione. Qui duo modi multum differunt quantum ad prioritatem vel posterioritatem eius ex quo aliquid generatur. Nam secundum unum modum videtur esse prius id ex quo generatur aliquid per concretionem. Et hanc rationem primo ponit. Secundum vero alium modum videtur esse prius illud, ex quo generatur aliquid per rarefactionem; et ex hoc sumit secundam rationem.

[81752] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 6Quod enim illud ex quo generatur aliquid per concretionem sit primum, hoc attestatur opinioni, quae nunc habetur, quod illud sit elementum maxime omnium, ex quo alia fiunt per concretionem. Quod quidem patet per rationem, et eorum positiones. Per rationem quidem: quia id ex quo fiunt alia per concretionem est hoc quod est subtilissimum inter corpora, minutissimas partes habens. Et hoc esse videtur simplicius. Unde si simplex est prius composito, videtur quod hoc sit primum. Per eorum vero positiones: quia quicumque posuerunt ignem esse principium, posuerunt ipsum primum esse principium, quia est subtilissimum corporum. Similiter autem alii visi sunt hanc rationem sequi, existimantes tale esse elementum corporum, quod est subtiles partes habens. Quod ex hoc patet, quod nullus posteriorum prosecutus est poetas theologos, qui dixerunt terram esse elementum. Et manifestum est quod hoc renuerunt ponere, propter magnitudinem partialitatis idest propter grossitiem partium. Constat autem quod quodlibet aliorum trium elementorum accepit aliquem philosophorum, qui iudicavit ipsum esse principium. Sed quia non dixerunt terram principium esse, ideo non potest dici quod hoc non dixerunt, quia esset contra communem opinionem. Nam multitudo hominum hoc existimabat, quod terra esset substantia omnium. Et Hesiodus etiam, qui fuit unus de theologicis poetis, dixit quod inter alia corpora primum facta est terra. Et sic patet quod opinio quod terra esset principium, fuit antiqua, quia ab ipsis poetis theologicis posita, qui fuerunt ante naturales philosophos: et publica, quia in eam consenserunt plures. Unde restat quod hac sola ratione posteriores naturales evitaverunt ponere terram esse principium, propter grossitiem partium. Sed constat quod terra habet grossiores partes quam aqua, et aqua quam aer, et aer quam ignis, et si quid est medium inter ea grossius est quam ignis. Unde patet, sequendo hanc rationem, quod nullus eorum recte dixit, nisi qui posuit ignem esse principium. Nam ex quo ratione subtilitatis aliquid ponitur principium, necessarium est illud poni primum principium quod est omnium subtilissimum.

[81753] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 7Deinde cum dicit si vero hic ponit aliam rationem, per quam e converso videtur quod terra sit maxime elementum. Constat enim quod illud quod est in generatione posterius, est prius secundum naturam; eo quod natura in finem generationis tendit, sicut in id quod est primum in eius intentione. Sed quanto aliquid est magis densum et compositum, tanto est etiam posterius generatione: quia in via generationis ex simplicibus proceditur ad composita, sicut ex elementis fiunt mixta, et ex mixtis humores et membra: ergo illud quod est magis compositum et spissum illud est prius secundum naturam. Et sic sequitur contrarium eius quod prima ratio concludebat, scilicet quod aqua sit prior aere, et terra prior aqua quasi primum principium.

[81754] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 8Est autem attendendum quod differt quaerere illud quod est prius in uno et eodem, et illud quod est prius simpliciter. Si enim quaeratur quid est prius simpliciter, oportet perfectum esse prius imperfecto, sicut et actum potentia. Nihil enim reducitur de imperfecto ad perfectum, vel de potentia in actum, nisi per aliquod perfectum ens actu. Et ideo, si loquamur de primo universi, oportet ipsum esse perfectissimum. Sed respectu unius particularis, quod procedit de potentia in actum perfectum, potentia est prius tempore actu, licet posterius natura. Constat etiam quod primum omnium oportet esse simplicissimum, eo quod composita dependent a simplici et non e converso. Necessarium ergo erat antiquis naturalibus quod utrumque attribuerent primo principio totius universi, scilicet cum summa simplicitate maximam perfectionem. Haec autem duo non possunt simul attribui alicui principio corporali. Nam in corporibus generabilibus et corruptibilibus sunt simplicissima imperfecta; ideo cogebantur quasi rationibus contrariis diversa principia ponere. Praeeligebant autem rationem simplicitatis, quia non considerabant res nisi secundum modum, secundum quem aliquid exit de potentia in actum; in cuius ordine non oportet id quod est principium esse perfectius. Huiusmodi autem contrarietatis dissolutio haberi non potest, nisi ponendo primum entium principium incorporeum: quia hoc erit simplicissimum, ut de eo inferius Aristoteles probabit.

[81755] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 9Concludit autem in fine quod de positionibus eorum, qui dixerunt unam causam materialem, ea sufficiant quae ad praesens dicta.

[81756] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 10Deinde cum dicit idem quoque hic ponit rationes contra ponentes plures causas materiales. Et primo contra Empedoclem. Secundo contra Anaxagoram, ibi, Anaxagoram et cetera. Dicit ergo primo, quod idem accidit Empedocli qui posuit quatuor corpora esse materiam, quia patiebatur eamdem difficultatem ex praedicta contrarietate. Nam ex ratione simplicitatis, ignis videbatur esse maxime principium, alia vero ratione terra, ut dictum est. Quaedam etiam inconvenientia accidunt Empedocli eadem cum praedictis. Sicut de hoc quod non posuit causam formalem, et de praedicta contrarietate simplicitatis et perfectionis in corporalibus, licet contra eum non sit ratio de ablatione causae moventis. Sed quaedam alia inconvenientia accidunt ei, propria praeter ea quae accidunt ponentibus unam causam materialem.

[81757] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 11Et hoc patet tribus rationibus. Quarum prima talis est. Quia prima principia non generantur ex invicem, eo quod principia semper oportet manere, ut dictum est primo physicorum. Sed ad sensum videmus quod quatuor elementa ex invicem generantur, unde et de eorum generatione in scientia naturali determinatur. Ergo inconvenienter posuit quatuor elementa prima rerum principia.

[81758] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 12Deinde cum dicit et de moventium hic ostendit secundum inconveniens quod pertinet ad causam moventem. Ponere enim plures causas moventes et contrarias non omnino dictum est recte, nec omnino rationabiliter. Si enim causae moventes accipiantur proxime, oportet eas esse contrarias, cum earum effectus contrarii appareant. Si autem accipiatur prima causa, tunc oportet esse unum, sicut apparet in duodecimo huius scientiae, et in octavo physicorum. Cum igitur ipse intendat ponere primas causas moventes, inconvenienter posuit eas contrarias.

[81759] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 13Deinde cum dicit et ex toto hic ponit tertiam rationem quae ducit ad inconveniens, et est talis. In omni alteratione oportet esse idem subiectum quod patitur contraria. Et hoc ideo, quia ex uno contrario non fit alterum, ita quod unum contrarium in alterum convertatur, sicut ex calido non fit frigidum, ita quod ipse calor fiat frigus vel e converso, licet ex calido fiat frigidum suppositum uno subiecto tantum, inquantum unum subiectum quod suberat calori, postea subest frigori. Empedocles vero non posuit unum subiectum contrariis, immo contraria in diversis subiectis posuit, sicut calidum in igne, et frigidum in aqua. Nec iterum posuit istis duobus unam naturam subiectam; ergo nullo modo potuit alterationem ponere. Et hoc est inconveniens quod alteratio totaliter auferatur.

[81760] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 14Deinde cum dicit Anaxagoram vero hic prosequitur de opinione Anaxagorae: et circa hoc duo facit. Primo ostendit qualiter opinio Anaxagorae est suscipienda quasi vera, et quomodo quasi falsa in generali. Secundo explicat utrumque in speciali, ibi, nam absurdo existente et cetera. Dicit ergo primo quod si quis vult suscipere opinionem Anaxagorae veram de eo quod posuit duo principia, scilicet materiam et causam agentem, accipiat eam secundum rationem quam videtur ipse secutus, quasi quadam necessitate veritatis coactus, ut sequeretur eos, qui hanc rationem exprimunt. Ipse vero non articulavit eam, idest non expresse distinxit. Eius ergo opinio est vera quantum ad hoc quod non expressit, falsa quantum ad hoc quod expressit.

[81761] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 15Et hoc in speciali patet sic. Quia si totaliter accipiatur eius opinio secundum quod in superficie apparebat ex eius dictis, apparebit maior absurditas propter quatuor rationes. Primo, quia hoc ipsum quod est, omnia in principio mundi fuisse permixta, est absurdum, cum distinctio partium mundi aestimetur secundum sententiam Aristotelis sempiterna. Secunda ratio est, quia impermixtum se habet ad permixtum sicut simplex ad compositum: sed simplicia praeexistunt compositis, et non e converso: ergo impermixta oportet praeexistere mixtis, cuius contrarium Anaxagoras dicebat. Tertia ratio est, quia non quodlibet natum est misceri cuilibet in corporibus; sed illa sola nata sunt adinvicem misceri, quae nata sunt adinvicem transire per aliquam alterationem, eo quod mixtio est miscibilium alteratorum unio. Anaxagoras vero ponebat quodlibet esse mixtum cuilibet. Quarta ratio est, quia eorumdem est permixtio et separatio: non enim dicuntur misceri nisi illa quae apta nata sunt separata existere: sed passiones et accidentia sunt permixta substantiis, ut Anaxagoras dicebat: ergo sequeretur quod passiones et accidentia possent a substantiis separari, quod est manifeste falsum. Istae igitur absurditates apparent, si consideretur opinio Anaxagorae superficialiter.

[81762] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 16Tamen si quis exequatur articulariter, idest distincte et manifeste perquirat quod Anaxagoras vult dicere, idest ad quod eius intellectus tendebat, licet exprimere nesciret, apparebit eius dictum mirabilius et subtilius praecedentium philosophorum dictis. Et hoc propter duo. Primo, quia magis accessit ad veram materiae cognitionem. Quod ex hoc patet, quia in illa permixtione rerum quando nihil erat ab alio discretum, sed omnia erant permixta, de illa substantia sic permixta, quam ponebat rerum materiam, nihil vere poterat de ea praedicari, ut patet de coloribus; non enim poterat de ea praedicari aliquis specialis color, ut diceretur esse alba, vel nigra, vel secundum aliquem alium colorem colorata; quia secundum hoc oporteret illum colorem non esse aliis permixtum. Et similiter color in genere non poterat de ea praedicari, ut diceretur esse colorata; quia de quocumque praedicatur genus, necesse est aliquam eius speciem praedicari, sive sit praedicatio univoca sive denominativa. Unde si illa substantia esset colorata, de necessitate haberet aliquem determinatum colorem, quod est contra praedicta. Et similis ratio est de humoribus idest saporibus, et de omnibus aliis huiusmodi. Unde nec ipsa genera prima poterant de ipso praedicari, ut scilicet esse qualis vel quanta vel aliquid huiusmodi. Si enim genera praedicarentur, oportet quod aliqua specierum particularium inesset ei; quod est impossibile, si ponantur omnia esse permixta; quia iam ista species, quae de illa substantia diceretur, esset ab aliis distincta. Et haec est vera natura materiae, ut scilicet non habeat actu aliquam formam, sed sit in potentia ad omnes; quia et ipsum mixtum non habet actu aliquid eorum quae in eius mixtionem conveniunt, sed potentia tantum. Et propter hanc similitudinem materiae primae ad mixtum, videtur posuisse mixtionem praedictam, licet aliqua differentia sit inter potentiam materiae et potentiam mixti. Nam miscibilia, etsi sint in potentia in mixto, tamen non sunt in eo in potentia pure passiva. Manent enim virtute in mixto. Quod ex hoc potest patere, quia mixtum habet motum et operationes ex virtute corporum miscibilium; quod non potest dici de his, quae sunt in potentia in materia prima. Est et alia differentia: quia mixtum etsi non sit actu aliquod miscibilium, est tamen aliquid actu: quod de materia prima dici non potest. Sed hanc differentiam videtur removere Anaxagoras ex hoc, quod non posuit particularem aliquam mixtionem, sed universalem omnium.

[81763] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 17Secundo, subtilius caeteris dixit, quia magis accessit ad verum cognitionem primi principii agentis. Dixit enim omnia esse permixta praeter intellectum; et hunc dixit solum esse impermixtum et purum.

[81764] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 18Ex quibus patet, quod ipse posuit duo esse principia, et ipsum intellectum posuit esse unum, secundum quod ipse est simplex et impermixtus; et alterum principium posuit materiam primam, quam ponimus sicut indeterminatam, antequam determinetur, et antequam aliquam speciem participet. Materia enim, cum sit infinitarum formarum, determinatur per formam, et per eam consequitur aliquam speciem.

[81765] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 19Patet igitur quod Anaxagoras secundum illa quae exprimit, nec dixit recte, nec plene. Tamen videbatur directe dicere aliquid propinquius opinionibus posteriorum, quae sunt veriores, scilicet opinioni Platonis et Aristotelis qui recte de materia prima senserunt, quae quidem opiniones tunc erant magis apparentes.

[81766] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. 20Ultimo excusat se Aristoteles a perscrutatione diligentiori harum opinionum, quia sermones dictorum philosophorum sunt proprii sermonibus naturalibus, ad quos pertinet tractare de generatione et corruptione. Ipsi enim fere posuerunt principia et causas talis substantiae, scilicet materialis et corruptibilis. Dicit autem fere, quia de aliis substantiis non tractabant, quamvis quaedam principia ab eis posita possent ad alia etiam extendere, ut patet de intellectu maxime. Quia igitur non posuerunt principia communia omnibus substantiis, quod pertinet ad istam scientiam, sed principia solum substantiarum corruptibilium, quod pertinet ad scientiam naturalem; ideo diligens inquisitio de praedictis opinionibus magis pertinet ad scientiam naturalem quam ad istam.

LEÇON 12.

(nn. 181-200; [86-97]).

 

Il réfute ceux qui ne purent admettre comme principes de l’Univers qu’un seul ou plusieurs principes matériels; de plus il montre comment Anaxagore a bien ou mal parlé au sujet de la matière.

 

181. Après avoir mentionné les opinions des philosophes se rapportant aux principes, le Philosophe commence ici à les réfuter.

   Et il divise cette réfutation en deux parties. En premier lieu il réfute chacune des opinions [86]. En deuxième lieu il résume les choses qui ont été dites et il poursuit avec celles qui doivent suivre, là [134] où il dit : ¨ Donc, puisque les causes dont on a parlé etc.¨.

   Le premier point se divise en deux parties. En premier lieu il rejette les opinions de ceux qui ont parlé en tant que naturalistes [86]. En deuxième lieu il rejette les opinions de ceux qui n’ont pas parlé en tant que naturalistes, à savoir celles de Pythagore et de Platon, du fait qu’ils posèrent des principes plus élevés que ceux posés par les philosophes de la nature, là [98] où il dit : ¨ En vérité tous ceux qui etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il rejette les opinions de ceux qui posèrent une seule cause matérielle [86]. En deuxième lieu il rejette les opinions de ceux qui en posèrent plusieurs, là [94] où il dit : ¨ Et de plus la même chose s’appliquerait si quelqu’un etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu c’est globalement qu’il rejette les opinions qui précèdent [86]. En deuxième lieu il rejette chacune d’elles en particulier, là [89] où il dit : ¨ Et pour cela etc.¨.

   Il les rejette donc globalement pour trois raisons, dont voici la première [86]. Car dans les choses on ne retrouve pas seulement des principes corporels, mais aussi des principes incorporels ainsi qu’on le voit dans le livre intitulé de l’Âme. Mais ces philosophes ne posèrent que des principes corporels : ce qui devient évident du fait qu’ils affirmaient que ¨ l’un dans sa totalité ¨, à savoir l’univers, est un selon sa substance et qu’il est comme d’une seule nature matérielle et que cette dernière est corporelle et qu’elle possède une ¨ mesure ¨, c’est-à-dire une étendue : mais un corps ne peut être la cause d’une réalité incorporelle; il est donc évident qu’en cela ils commirent une faute en enseignant les principes des choses d’une manière insuffisante. Et ils s’égarèrent non seulement en cela mais en plusieurs autres points, ainsi qu’on peut le voir à partir des raisons qui suivent.

182. Ensuite lorsqu’il dit [87] : ¨ Au sujet de la génération ¨.

   C’est ici qu’il présente sa deuxième raison. Quiconque doit traiter du mouvement  doit aussi poser la cause du mouvement : mais les philosophes qui précèdent devaient nécessairement traiter du mouvement, ce qui est évident si on considère ces deux raisons, à savoir tant parce qu’eux-mêmes s’efforçaient de donner les causes de la génération et de la corruption des choses, ces dernières ne pouvant exister sans le mouvement, que parce qu’ils voulaient traiter de toutes les choses en tant que physiciens; or l’étude de la nature requiert l’examen du mouvement du fait que la nature est principe de mouvement et de repos, comme on le voit au deuxième livre des Physiques. Par conséquent, ils devaient traiter de cette cause qui est principe de mouvement. Et ainsi, comme ils omettaient cette cause en n’en disant rien, il est évident qu’en cela aussi ils manquèrent la cible.

183. Ensuite lorsqu’il dit [88 ss.] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici sa troisième raison. Toute chose naturelle possède en effet une ¨ substance ¨, c’est-à-dire la forme d’une partie, et un ¨ ce que c’est ¨, à savoir une quiddité qui est la forme du tout. Il parle de la forme qui est principe de permanence dans l’existence, et de la quiddité qui est principe de connaissance, car c’est grâce à elle qu’on sait ce qu’est la chose. Mais les philosophes qui précèdent ne posaient pas la forme comme cause. Ils ne traitèrent donc pas des choses d’une manière satisfaisante en se trompant aussi en cela qu’ils omettaient la cause formelle.

184. Ensuite lorsqu’il dit [92] : ¨ Aucun en effet ¨.

   Il repousse ici les opinions de chacun d’eux en particulier et il le fait de deux manières.

   Et il le fait premièrement quant à ceci qu’ils posaient que les éléments, à l’exception du feu, étaient les principes. Deuxièmement, il le fait quant à cela qu’ils omettaient la terre comme principe, là [93] où il dit : ¨ S’il est vrai que dans l’ordre de la génération etc.¨.

   En premier lieu [92] il résume donc la position de ceux qui ont apparemment établi comme élément n’importe quel corps simple à l’exception de la terre. Et il montre la raison de cette opinion du fait qu’eux-mêmes voyaient les corps simples comme s’engendrant les uns des autres de sorte que certains proviennent des autres par mode d’agrégation ou de condensation, comme les corps grossiers naissent des plus subtils.

185.  Il manifeste encore la manière de procéder pour argumenter à l’encontre de leurs positions à partir de leurs raisonnements. Ils affirmaient en effet qu’un de ces éléments était le principe pour cette raison que c’était à partir de lui que les autres étaient engendrés soit par mode d’union soit par mode de séparation, lesquels modes diffèrent considérablement quant à la priorité ou à la postériorité de cela même à partir de quoi quelque chose est engendré. Car d’après le premier mode ce qui semble premier est ce à partir de quoi quelque chose est engendré au moyen de l’union. Et c’est cette raison qu’il présente en premier. Mais d’après le deuxième mode, semble être premier ce à partir de quoi quelque chose est engendré au moyen de la séparation ou de la raréfaction. Et c’est à partir de là qu’il tire la deuxième raison.

186. En effet, que cela même à partir de quoi quelque chose est engendré par mode d’union soit premier, cela est attesté par l’opinion que nous avons maintenant devant nous et qui prétend que l’élément suprême de tous les autres est celui à partir duquel tous les autres sont produits par mode d’union. Ce qui devient certes évident à la fois par la raison et par leurs positions. Par la raison certes car ce à partir de quoi les autres sont engendré par mode d’union est celui qui est le plus subtil de tous les corps du fait qu’il possède les parties les plus fines. C’est lui qui se manifeste comme étant le plus simple. De là, si le simple est antérieur au composé, c’est lui qui apparaît comme étant premier. Cela devient aussi évident à partir de leurs positions car tous ceux qui posent le feu comme étant principe affirment aussi qu’il est le premier principe puisqu’il est le plus subtil de tous les corps. De la même manière les autres philosophes semblent suivre cette raison, estimant que tel doit être l’élément de tous les corps, à savoir celui qui possède les parties les plus fines. Ce qui devient évident du fait qu’aucun des philosophes par la suite n’a suivi l’opinion des poètes théologiens qui posaient la terre comme élément. Et il est évident qu’ils refusèrent d’endosser cette opinion ¨ en raison de l’étendue des parties ¨, c’est-à-dire en raison de la grossièreté des parties. Mais on voit que chacun des trois autres éléments a reçu l’adhésion d’un des philosophes qui l’établit comme principe. Mais parce qu’ils n’ont pas affirmé que la terre est le principe, on ne peut pour cela prétendre que nul ne l’a affirmé parce que cela allait à l’encontre de l’opinion commune. Car de nombreux hommes ont cru que la terre est la substance de tout ce qui existe. Et Hésiode aussi, qui fut un des poètes théologiens, affirma que parmi tous les corps, la terre fut produite en premier. Et ainsi il apparaît que cette opinion, qui soutient que la terre est le principe, est très ancienne car elle fut établie par les poètes théologiens eux-mêmes qui ont précédé les philosophes de la nature; elle fut aussi populaire car une multitude d’hommes adhérait à cette opinion. D’où il reste que les philosophes de la nature qui ont suivi ont évité d’établir la terre comme principe pour cette seule raison que ses parties sont grossières. Mais il apparaît que les parties de la terre sont plus grossières que celles de l’eau, que celles de l’eau le sont plus que celles de l’air, que celles de l’air le sont plus que celles du feu et s’il existe un corps intermédiaire parmi eux, il est plus grossier que le feu. D’où il est évident que, pour être cohérent avec cette raison, aucun de ces philosophes de s’exprima correctement à l’exception de ceux qui affirmèrent que le feu est le principe. Car si quelque chose doit être établi comme principe en raison de sa subtilité, il est nécessaire que celui qu’on pose comme premier principe soit le plus subtil.

187. Ensuite lorsqu’il dit [93] : ¨ Si en vérité ¨.

   Il présente ici une autre raison au moyen de laquelle il apparaît que la terre au contraire soit le tout premier élément. On voit en effet que ce qui est postérieur dans l’ordre de la génération est antérieur par nature du fait que la nature tend au terme de la génération comme à ce qui est premier dans son intention. Mais quelque chose est d’autant plus postérieur dans l’ordre de la génération qu’il est plus dense et plus composé : car dans l’ordre de la génération la nature procède du simple au composé, comme elle produit les corps mixtes à partir des éléments et les membres à partir des fluides mixtes; par conséquent, c’est ce qui est le plus composé et le plus dense qui est le premier dans l’ordre de la nature. Et c’est ainsi que cette conclusion, à savoir que l’eau est antérieure à l’air et que la terre est antérieure à l’eau comme principe,  s’oppose à celle qui découlait de la première raison

188. Mais il faut remarquer que la recherche de ce qui est premier dans un même sujet diffère de la recherche de ce qui est premier absolument. Si on recherche ce qui est premier absolument, il est nécessaire que le parfait précède l’imparfait tout comme l’acte précède la puissance. Rien en effet ne peut passer de l’imparfait au parfait ou de la puissance à l’acte si ce n’est au moyen d’un être parfait en acte. Et c’est pourquoi, si nous parlons de ce qui est premier dans l’univers, il faut que ce soit l’être le plus parfait. Mais par rapport à un seul et même individu, qui procède de la puissance à l’acte parfait, la puissance est antérieure à l’acte dans l’ordre du temps, bien qu’elle lui soit postérieure dans l’ordre de nature. On voit aussi que le premier de tous les êtres doit être le plus simple du fait que ce sont les composés qui dépendent du simple et non l’inverse. Il était donc nécessaire aux naturaliste d’attribuer ces deux caractéristiques au premier principe de tout l’univers, c’est-à-dire à la fois la perfection absolue et la simplicité la plus pure. Mais ces deux caractéristiques ne peuvent s’attribuer simultanément à aucun principe corporel. Car parmi les corps, assujettis à la génération et à la corruption, les plus simples sont imparfaits; et c’est pourquoi ils étaient poussés comme par des raisons contraires à établir plusieurs principes. Ils préféraient cependant la raison de simplicité car ils ne pouvaient examiner les choses que selon le deuxième mode selon lequel une chose passe de la puissance à l’acte et dans cet ordre, il n’est pas nécessaire que ce qui est le plus simple soit aussi le plus parfait. – Cependant, une telle contrariété ne peut être résolue qu’en affirmant que le premier principe des êtres est incorporel car c’est ainsi qu’il sera le plus simple comme le prouvera Aristote par la suite.

189. Et il conclut à la fin qu’au sujet de ceux qui ont posé une seule cause matérielle, ce qui en a été dit suffit.

190. Ensuite lorsqu’il dit [94] : ¨ La même chose aussi ¨.

   Il présente ici des raisons à l’encontre de ceux qui ont posé plusieurs causes matérielles.

   Et en premier lieu il le fait à l’égard d’Empédocle. En deuxième lieu il le fait à l’égard d’Anaxagore, là [97] où il dit : ¨ Anaxagore etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [94] qu’on voit la même chose se produire chez Empédocle qui posa quatre corps comme matière car il était soumis au même problème rencontré dans la  contrariété précédente. Car en raison de la simplicité, c’est le feu qui paraissait être au plus haut point le principe mais pour l’autre raison, c’est la terre qui semblait être ce principe, ainsi que nous l’avons dit. Certains inconvénients se retrouvent encore chez Empédocle et qui sont identiques à ceux qu’on a observés chez ceux qui précèdent, comme de ne pas poser une cause formelle et de se buter à la contrariété précédente de la simplicité et de la perfection dans les choses corporelles, bien qu’on ne puisse l’accuser d’avoir écarté la cause du mouvement. Mais à côté des défauts qu’il partage avec ceux qui ont posé une seule cause matérielle, on en retrouve chez lui d’autres difficultés qui lui sont propres.

191. Et cela est évident pour trois raisons, dont voici la première. Car les premiers principes ne sont pas engendrés les uns des autres, du fait que les principes doivent toujours rester les mêmes ainsi qu’il a été dit au premier livre des Physiques. Mais nous voyons que les quatre éléments sont engendrés les uns des autres, et c’est pourquoi on traite de leur génération en science de la nature. C’est donc à tort qu’il posa les quatre éléments comme principes premiers des choses.

192. Ensuite lorsqu’il dit [95] : ¨ Et au sujet de ceux qui se meuvent ¨.

   Il montre ici la deuxième difficulté qui se rapporte à la cause du mouvement. En effet, poser plusieurs causes contraires du mouvement, ce n’est pas s’exprimer d’une manière tout à fait correcte ni d’une manière tout à fait rationnelle. Si en effet on entend par causes du mouvement celles qui sont les plus prochaines, il faut qu’elles soient contraires puisque leurs effets se montrent tels. Mais si on entend par là la cause première du mouvement, il faut qu’elle soit unique ainsi qu’on le voit dans le douzième livre de ce traité ainsi que dans le huitième livre des Physiques. Donc, puisqu’Empédocle cherchait à établir les premières causes du mouvement, c’est à tort qu’il affirma qu’elles étaient contraires.

193. Ensuite lorsqu’il dit [96] : ¨ Et de tout ¨.

   Il présente ici une troisième raison qui révèle une difficulté et qui est la suivante. Dans toute altération il faut qu’il y ait un même sujet qui supporte les contraires. Et il en est ainsi parce qu’un contraire ne peut apparaître à partir d’un autre de telle manière qu’un des contraires se convertirait en l’autre comme le froid ne peut venir du chaud, de telle manière que ce serait la chaleur elle-même qui deviendrait froide ou inversement, bien que ce soit à partir du chaud qu’apparaisse le froid seulement s’il est supporté par un sujet, dans la mesure où un même sujet, qui était soumis à la chaleur, est maintenant soumis au froid. Empédocle en vérité ne posa pas un sujet sous les contraires; bien plutôt, il posa les contraires dans des sujets différents, comme la chaleur dans le feu et le froid dans l’eau. Et de plus il ne posa pas sous ces deux contraires une même nature commune; il ne put donc en aucune manière admettre l’altération. Et que de cette manière l’altération soit complètement écartée, cela présente une grande difficulté.

194. Ensuite lorsqu’il dit [97] : ¨ Pour ce qui est d’Anaxagore en vérité ¨.

   Il passe ici à l’opinion d’Anaxagore : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre comment l’opinion d’Anaxagore doit être reçue comme vraie, et comment elle doit être reçue comme fausse dans son ensemble.

   En deuxième lieu il explique chacun de ces deux points en particulier, là [97] où il dit : ¨ Il est absurde d’affirmer etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu que si quelqu’un veut soutenir l’opinion d’Anaxagore comme étant vraie du fait qu’il posa deux principes, à savoir la cause matérielle et la cause efficiente, qu’il la reçoive conformément à une raison que lui-même adopte, comme contraint par la force de la vérité, pour suivre ceux qui expriment explicitement cette raison. Lui-même en vérité n’articula pas cette vérité, c’est-à-dire qu’il ne l’établit pas d’une manière distincte et explicite. Son opinion est donc vraie quant à ce qu’il n’exprima pas, mais elle est fausse quant à ses énoncés eux-mêmes.

195. Et cela devient évident et en particulier de cette manière. Car si son opinion était reçue dans son ensemble telle qu’elle apparaissait extérieurement à partir de ses énoncés, elle apparaîtrait alors dans toute son absurdité pour quatre raisons. En premier lieu cela même, qui consiste à affirmer qu’à l’origine du monde toutes les choses étaient mélangées, est absurde puisque la distinction des parties de l’univers est vue comme étant éternelle selon l’opinion d’Aristote. – La deuxième raison est que ce qui n’est pas mélangé se rapporte à ce qui est mélangé comme le simple se rapporte au composé : mais le simple préexiste au composé et non l’inverse; donc, le non mélangé doit préexister au mélangé, ce qui est contraire à ce qu’affirmait Anaxagore. – La troisième raison est que ce n’est pas n’importe quoi qui est apte à se mélanger au hasard à n’importe quel corps mais ceux-là seuls sont aptes à se mélanger les uns aux autres qui sont aptes à passer des uns aux autres au moyen d’une altération, du fait qu’un mélange n’est rien d’autre que l’union des éléments pouvant être mélangés et ayant subi une altération. Anaxagore au contraire affirmait que n’importe quoi se mélangeait à n’importe quoi. – La quatrième raison est que c’est à l’égard des mêmes choses qu’il y a mélange et séparation : en effet ce n’est que des choses qui sont aptes à exister séparément qu’on dit qu’elles sont mélangées : mais les propriétés et les accidents sont mélangés aux substances ainsi que le disait Anaxagore : il s’ensuit donc que les propriétés et les accidents pourraient être séparés des substances, ce qui est manifestement faux. Ce sont donc là les absurdités qui apparaissent suite à une considération superficielle de l’opinion d’Anaxagore.

196. Cependant, si on examine ¨ d’une manière articulée ¨, c’est-à-dire si on approfondit distinctement et clairement ce qu’Anaxagore ¨ veut dire ¨, c’est-à-dire ce vers quoi son intelligence tendait bien qu’il ne sût comment l’exprimer, ses paroles apparaîtront plus admirables et plus subtiles que celles des philosophes qui l’ont précédé. Et cela pour deux raisons. Et en premier lieu parce qu’il parvint davantage à une véritable connaissance de la matière. Ce qui apparaît à partir de ceci que dans ce mélange des choses, alors que rien n’était séparé du reste mais que toutes les choses étaient mélangées, rien ne pouvait être véritablement attribué à cette substance ainsi mélangée qu’il appelait la matière des choses ainsi qu’on le voit pour les couleurs; on ne pouvait en effet attribuer à cette matière une couleur particulière, de sorte qu’on aurait pu dire d’elle qu’elle était blanche, noire ou d’une autre couleur car alors il aurait fallu dire que cette couleur n’était pas mélangée au reste. De même encore la couleur comme genre ne pouvait être attribuée au mélange de sorte qu’on ne pouvait dire de lui qu’il était coloré; car tout ce qui reçoit l’attribution d’un genre reçoit aussi l’attribution d’une de ses espèces, que cette attribution soit univoque ou dérivée. C’est pourquoi si cette substance primitive était colorée, elle aurait nécessairement une couleur déterminée, ce qui est contraire à l’hypothèse examinée. Et la même raison vaut pour les ¨ fluides ¨, c’est-à-dire pour les saveurs et pour toutes les autres qualités de la sorte. Et c’est pourquoi aucun des genres premiers ne pouvait lui être attribué comme la qualité, la quantité, ou un aucun autre genre de cette sorte. Si en effet les genres lui étaient attribués, il faudrait alors que certaines espèces déterminées lui appartiennent, ce qui est impossible si on pose que tout est mélangé; car déjà cette espèce qui serait attribuée à cette substance originelle serait distincte et séparée des autres. Et telle est la véritable nature de la matière, c’est-à-dire qu’elle est telle qu’elle ne possède aucune forme en acte mais qu’elle est en puissance à toutes les formes; car le mélange lui-même ne possède en acte aucune des choses qui se rencontrent dans le mélange mais il les possède en puissance seulement. Et c’est à cause de cette ressemblance de la matière première au mélange qu’il semble avoir posé ce mélange, bien qu’il y ait une différence entre la puissance de la matière et celle du mélange. Car bien que ce qui peut être mélangé existe en puissance dans le mélange, cependant il n’existe pas en lui dans une puissance purement passive. Il existe en effet dans le mélange d’une manière active. Ce qui peut devenir évident à partir de ceci que le mélange possède son mouvement et ses opérations à partir de l’action des corps mélangés, ce qui ne peut être attribué à ce qui existe en puissance dans la matière première. Mais il existe une autre différence. Car le mélange, bien qu’il ne soit en acte aucun de ses éléments, est cependant lui-même quelque chose en acte, ce qu’on ne peut dire de la matière première. Mais Anaxagore semble écarter cette différence du fait qu’il n’affirma pas l’existence d’un mélange particulier mais plutôt d’un mélange commun à tous les mélanges.

197. En deuxième lieu Anaxagore parla d’une manière plus judicieuse que tous les autres car il s’éleva davantage à une vraie connaissance de la première cause efficiente. Il affirma en effet que tout était mélangé à l’exception de l’Intelligence; et c’est d’Elle seulement qu’il dit qu’elle était sans mélange et pure.

198. Et c’est à partir de là qu’il devient évident qu’Anaxagore affirma l’existence de deux principes; à la fois celle de l’Intelligence elle-même qu’il affirma être une, d’où il découle qu’elle est simple et sans mélange, et celle de ce principe qui est la matière première que nous affirmons être indéterminée, antérieure à toute détermination et à toute participation à une espèce. La matière en effet, étant apte à une infinité de formes, c’est au moyen d’une forme qu’elle est déterminée et grâce à elle qu’elle parvient à appartenir à une espèce.

199. Il est donc évident que l’opinion d’Anaxagore, quant à son expression même, ne fut ni juste ni complète. Cependant, il semblait dire quelque chose qui s’approchait directement des opinions de ceux qui l’ont suivi et qui étaient plus proches de la vérité, c’est-à-dire des opinions de Platon et d’Aristote qui ont porté un juste jugement sur la matière première, lesquelles opinions étaient alors plus évidentes.

200. À la fin Aristote se dispense d’un examen plus attentif de ces opinions car les discours que font ces philosophes lors de leurs exposés sont propres au domaine de la science de la nature à laquelle il appartient de traiter de la génération et de la corruption. Eux-mêmes en effet ont presqu’entièrement posé les principes et les causes de telles substances, à savoir des substances matérielles et corruptibles. Mais il dit ¨ presqu’entièrement ¨ parce qu’ils n’ont pas traité des autres substances, bien que certains principes posés par eux pouvaient aussi s’appliquer aux autres substances ainsi qu’on le voit surtout pour l’Intelligence. Donc, puisqu’ils n’ont pas posé les principes communs à toutes les substances, ce qui appartient en propre à la science qui nous intéresse présentement, mais seulement les principes des substances corruptibles, ce qui relève de la science de la nature, c’est pourquoi une étude plus détaillée de ces opinions relève davantage de la science de la nature que de la science qui est ici l’objet de nos préoccupations.

 

 

LECTIO 13

[81767] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 1Hic disputat contra opiniones Pythagorae et Platonis, qui altera principia posuerunt quam naturalia. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod consideratio harum opinionum magis pertinet ad scientiam praesentem, quam praedictarum. Secundo incipit contra eas disputare, ibi, ergo qui Pythagorici sunt vocati. Dicit ergo primo, quod illi qui faciunt theoricam, idest considerationem de omnibus entibus, et ponunt, quod entium quaedam sunt sensibilia, quaedam insensibilia, perscrutantur de utroque genere entium. Unde investigare de opinionibus eorum, qui bene et qui non bene dixerunt, magis pertinet ad perscrutationem quam proponimus tradere in hac scientia. Nam haec scientia est de omnibus entibus, non de aliquo particulari genere entis. Et sic illa quae pertinent ad omnia entis genera, magis sunt hic consideranda quam illa quae pertinent ad aliquod particulare genus entis et cetera.

[81768] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 2Deinde cum dicit ergo qui hic disputat contra opiniones praedictorum philosophorum. Et primo contra Pythagoram. Secundo contra Platonem, ibi, qui vero ideas. Circa primum duo facit. Primo ostendit in quo Pythagoras conveniebat cum naturalibus, et in quo ab eis differebat. Secundo disputat contra eius opinionem, ibi, ex quo tamen modo motus et cetera. Sciendum est ergo, quod Pythagorici in uno conveniebant cum naturalibus, in alio ab eis differebant. Differebant quidem in positione principiorum; usi sunt enim principiis rerum extraneo modo a naturalibus. Cuius causa est, quia principia rerum non acceperunt ex sensibilibus sicut naturales, sed ex mathematicis, quae sunt sine motu, unde non sunt naturalia. Quod autem mathematica dicuntur esse sine motu, referendum est ad illas scientias, quae sunt pure mathematicae, sicut arithmetica et geometria. Astrologia enim considerat motum, quia astrologia est media scientia inter mathematicam et naturalem. Principia enim sua astrologia et aliae mediae applicant ad res naturales, ut patet secundo physicorum.

[81769] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 3Conveniebat autem Pythagoras cum naturalibus quantum ad ea quorum principia quaerebat. Disputabat enim et tractabat de omnibus naturalibus. Tractabat enim de generatione caeli, et observabat omnia quae accidunt circa partes caeli, quae dicuntur diversae sphaerae, vel etiam diversae stellae: et quae accidunt circa passiones vel circa eclipses luminarium, et quae accidunt circa operationes et circa motus corporum caelestium, et circa eorum effectus in rebus inferioribus; et singulis huiusmodi dispensabat causas, adaptando scilicet unicuique propriam causam. Et videbatur etiam in hoc consentire aliis naturalibus, quod solum sit illud ens, quod est sensibile, quod comprehenditur a caelo quod videmus. Non enim ponebat aliquod corpus sensibile infinitum, sicut alii naturales posuerunt. Nec iterum ponebat plures mundos, sicut posuit Democritus. Ideo autem videbatur aestimare quod nulla entia essent nisi sensibilia, quia non assignabat principia et causas nisi talibus substantiis. Nihilominus tamen causae et principia, quae assignabat, non erant propria et determinata sensibilibus, sed erant sufficientia ascendere ad superiora entia, idest ad entia intellectualia. Et erant adhuc magis convenientia quam rationes naturalium, quae non poterant extendi ultra sensibilia, quia ponebant principia corporea. Pythagoras vero, quia ponebat principia incorporea, scilicet numeros, quamvis non poneret principia nisi corporum sensibilium, ponebat tamen entium intelligibilium, quae non sunt corpora, principia pene, sicut et Plato posterius fecit.

[81770] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 4Deinde cum dicit ex quo tamen hic ponit tres rationes contra opinionem Pythagorae: quarum prima talis est. Pythagoras non poterat assignare, quomodo motus adveniat rebus, quia non ponebat principia nisi finitum et infinitum, par et impar, quae ponebat principia sicut substantia, sive materialia principia. Sed oportebat eum concedere motum rebus inesse. Quomodo enim esset possibile sine motu et transmutatione esse generationem et corruptionem in corporibus, et operationes eorum, quae geruntur circa caelum, quae per motus quosdam fiunt? Patet quod nullo modo. Unde cum Pythagoras consideravit de generatione et corruptione, et eis quae geruntur circa caelum, patet quod insufficienter posuit non assignans aliqua principia motus.

[81771] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 5Deinde cum dicit amplius autem hic ponit secundam rationem. Pythagoras enim ponebat ex numeris componi magnitudines. Sed sive hoc probet, sive concedatur, non poterat ex numeris assignare causam, quare quaedam sunt gravia, quaedam levia. Quod ex hoc patet, quia rationes numerorum non magis adaptantur corporibus sensibilibus quam mathematicis quae sunt non gravia et levia. Unde patet, quod ipsi nihil dixerunt plus de corporibus sensibilibus, quam de mathematicis. Et sic patet, quod cum corpora sensibilia, ut ignis et terra et huiusmodi, inquantum talia, addant aliquid supra mathematica, nihil proprium de istis sensibilibus dixerunt secundum veram aestimationem. Et sic iterum patet, quod insufficienter posuerunt, praetermittentes assignare causas eorum, quae sunt propria sensibilibus.

[81772] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 6Deinde cum dicit amplius autem hic ostendit tertiam rationem, quae procedit ex hoc, quod Pythagoras videbatur ponere duo contraria. Ponebat enim ex una parte, quod numerus et numeri passiones sunt causa eorum quae sunt in caelo, et omnium generabilium et corruptibilium a principio mundi: ex alia vero ponebat, quod non erat aliquis alius numerus praeter istum numerum ex quo constituitur mundi substantia, numerum enim substantiam rerum posuit. Hoc autem quomodo est accipere, cum idem non sit causa suiipsius? Nam Pythagoras ex hoc dicit demonstrari, quod unumquodque horum sensibilium est numerus secundum substantiam suam, quia in hac parte universi sunt entia contingentia, de quibus est opinio, et quae subsunt tempori inquantum aliquando sunt et aliquando non sunt. Si autem generabilia et corruptibilia essent partim supra aut subtus, in ordine universi esset inordinatio, vel per modum iniustitiae, dum, scilicet, aliqua res sortiretur nobiliorem locum vel minus nobilem quam sibi debeatur: aut per modum discretionis, inquantum corpus si poneretur extra locum suum, divideretur a corporibus similis naturae: vel per modum mixtionis et confusionis, dum corpus extra suum locum positum oportet permisceri alteri corpori, sicut si aliqua pars aquae esset in aliquo loco aeris, vel in loco terrae. Et videtur in hoc tangere duplicem convenientiam corporis naturalis ad suum locum. Unam ex ordine situs, secundum quod nobiliora corpora sortiuntur altiorem locum, in quo videtur quaedam iustitia. Aliam autem ex similitudine vel dissimilitudine corporum locatorum adinvicem, cui contrariatur discretio et permixtio. Quia igitur res secundum quod determinatum situm habent, in universo convenienter se habent, quia situs in modico mutaretur sequeretur inconveniens, ut dictum et manifestum est, quod omnes partes universi sunt ordinatae secundum determinatam proportionem; omnis enim determinata proportio est secundum numeros. Unde ostendebat Pythagoras, quod omnia entia essent numerus. Sed ex alia parte videmus quod magnitudines constitutae in diversis locis sunt plures et diversae, quia singula loca universi consequuntur propriae passiones, quibus corpora diversificantur. Nam aliae sunt passiones corporis existentis sursum et deorsum. Cum igitur Pythagoras ratione praedicta dicat omnia sensibilia numerum, et videamus accidere diversitatem in sensibilibus secundum diversa loca, utrum sit idem et unus numerus tantum, qui est, in caelo, idest in toto corpore sensibili quod in caelo includatur, de quo oportet accipere quod est substantia uniuscuiusque sensibilis? Aut praeter hunc numerum qui est substantia rerum sensibilium, est alius numerus qui est eorum causa? Plato autem dixit alium numerum, qui est substantia sensibilium, et qui est causa. Et quia ipse Plato existimavit sicut Pythagoras, numeros esse ipsa corpora sensibilia et causas eorum, sed numeros intellectuales aestimavit causas insensibilium, numeros vero sensibiles causas esse et formas sensibilium. Quid quia Pythagoras non fecit, insufficienter posuit.

[81773] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 13 n. 7Concludit autem in fine quod ista sufficiant de Pythagoricis opinionibus, nam eas tetigisse sufficit.

LEÇON 13.

(nn. 201-207; [98-102]).

 

Il réfute l’opinion des Pythagoriciens au moyen de trois raisons.

 

201. Aristote argumente ici contre les opinions de Pythagore et de Platon qui posèrent des principes différents des principes naturels.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que la considération de ces opinions relève davantage de la science qui nous occupe présentement que la considération des opinions précédentes [98]. En deuxième lieu il commence à argumenter contre elles, là [99] où il dit : ¨ Donc, ceux qu’on appelle Pythagoriciens etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [98] que ceux qui ¨ font une étude spéculative ¨, c’est-à-dire ceux dont le regard se porte sur tous les êtres et qui affirment que parmi les êtres certains sont sensibles et certains ne le sont pas, portent leur attention sur les deux genres d’êtres. C’est pourquoi le fait de scruter les opinions de ceux qui, dans cette optique, ont bien ou moins bien parlé des êtres, relève davantage de l’étude que nous nous proposons de livrer dans cette science. Car cette science-ci porte sur toutes les formes d’êtres et non seulement sur un genre particulier d’êtres. Et ainsi ce qui appartient à tous les genres d’êtres doit ici davantage être considéré que ce qui appartient à un genre particulier d’êtres etc.

202. Ensuite lorsqu’il dit [99] : ¨ Donc, ceux qui ¨.

   Il argumente ici contre les opinions des philosophes que nous venons de nommer.

   Et en premier lieu il argumente contre Pythagore [99]. En deuxième lieu il argumente contre Platon, là [103] où il dit : ¨ En vérité ceux qui posent les Idées ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre en quoi Pythagore ressemblait aux philosophes de la nature et en quoi il en différait [99]. En deuxième lieu il argumente contre son opinion, là [100] où il dit : ¨ De quelle manière cependant le mouvement etc.¨.

   Il faut donc savoir [99] que les Pythagoriciens s’accordaient sur un point avec les philosophes naturalistes et qu’ils s’en écartaient sur un autre. Ils en différaient certes sur les principes qu’ils posaient; ils faisaient appel en effet aux principes des choses selon un mode qui était étranger aux naturalistes. – La raison en est qu’ils ne tiraient pas les principes des choses à partir des choses sensibles comme le faisaient les naturalistes, mais à partir des êtres mathématiques qui, parce qu’ils sont sans mouvement, ne font pas partie des êtres naturels. Mais quand on dit que les êtres mathématiques sont sans mouvement, on se réfère à ces sciences qui sont purement mathématiques comme l’arithmétique et la géométrie. En effet, l’astronomie considère le mouvement car il s’agit là d’une science qui est intermédiaire entre la science mathématique et la science de la nature. En effet, l’astronomie et les autres sciences intermédiaires appliquent leurs principes aux choses naturelles ainsi qu’on le voit au deuxième livre des Physiques.

203. Mais Pythagore était en accord avec les Naturalistes sur les choses dont il cherchait les principes. En effet, il discourait et traitait de toutes les choses naturelles. Il traitait de la génération du ciel et il observait tout ce qui se passait dans les différentes parties du ciel et qu’on appelle les différentes sphères ou même aussi les différentes étoiles : tout ce qui se passe relativement à leurs propriétés ou relativement à leurs éclipses et tout ce qui se produit par rapport à leurs différentes opérations et aux mouvements des corps célestes et aussi il notait les effets de ces mouvements sur les réalités inférieures, attribuant à toutes les choses leurs causes en ajustant à chacune la cause qui lui est propre. Et il semblait aussi s’accorder avec les autres naturalistes sur l’idée que la réalité se  limite aux seuls êtres sensibles qui sont contenus dans la sphère du ciel que nous observons. Mais il n’affirmait pas, comme le faisaient les autres naturalistes, l’existence d’un corps sensible infini, ni l’existence de plusieurs mondes à l’exemple de Démocrite. Il semblait croire qu’il n’existait que des êtres sensibles pour cette raison qu’il n’attribuait des principes et des causes qu’à de telles substances. Néanmoins, les principes et les causes qu’il attribuait n’étaient pas propres et limités aux seules réalités sensibles mais ils étaient capables de s’appliquer à des réalités supérieures, c’est-à-dire à des réalités intellectuelles. Et de plus ces principes et ces causes étaient plus convenables que les causes des choses naturelles qui ne pouvaient s’appliquer à d’autres réalités qu’aux réalités sensibles parce qu’ils s’identifiaient à des principes corporels. En vérité Pythagore, parce qu’il posait des principes incorporels, à savoir les nombres, bien qu’il les posait comme principes des seuls corps sensibles, se trouvait cependant presque à poser les principes des êtres intelligibles qui ne sont pas des corps, ainsi que le fit Platon par la suite.

204. Ensuite lorsqu’il dit [100] : ¨ De quelle manière cependant ¨.

   Il présente ici trois raisons à l’encontre de la position de Pythagore, dont voici la première. Le système de Pythagore ne pouvait expliquer comment se produisait le mouvement car il ne posait comme principes que le fini et l’infini, le pair et l’impair, lesquels principes étaient posés comme substances et principes des êtres matériels. Mais il lui fallait admettre que le mouvement existait dans les choses. Comment en effet pouvait-il être possible, sans le mouvement et le changement, d’expliquer la génération et la corruption dans les corps ainsi que les révolutions des corps qui ont lieu dans le ciel et qui ne peuvent se produire que par le mouvement? Il est évident que cela n’est nullement possible. C’est pourquoi, puisque Pythagore porta son étude sur la génération et la corruption ainsi que sur les révolutions des corps célestes, il est évident que sa position, négligeant les principes du mouvement, fut insuffisante.

205. Ensuite lorsqu’il dit [101] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il présente ici sa deuxième raison. Pythagore en effet affirmait que les étendues résultaient des nombres. Mais qu’il le prouve ou qu’il l’admette sans preuve, il ne pouvait expliquer en partant des nombres pourquoi certains corps sont lourds et d’autres légers. Ce qui apparaît à partir de ceci que la nature des nombres n’est pas plus adaptée aux corps sensibles qu’aux êtres mathématiques qui font abstraction de la lourdeur et de la légèreté. D’où il est évident qu’ils n’ont rien dit de plus au sujet des corps sensibles qu’au sujet des êtres mathématiques. Et ainsi il est évident que, puisque les corps sensibles, comme le feu, la terre et les autres corps du même genre ajoutent une dimension aux êtres mathématiques, ils ne dirent rien de ce qui appartient en propre aux réalités sensibles et qui aurait été conforme à une juste évaluation. Et c’est ainsi qu’il apparaît de plus que ce qu’ils ont établi est insuffisant puisqu’ils omirent d’identifier les causes de ce qui appartient en propre aux réalités sensibles.

206. Ensuite lorsqu’il dit [102] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il manifeste ici sa troisième raison qui procède du fait que Pythagore semblait poser deux énoncés qui s’opposent. Il affirmait en effet d’un côté que le nombre et les propriétés du nombre sont la cause de ce qui existe dans le ciel et de tout ce qui peut être engendré et corrompu dès l’origine de l’univers; d’un autre côté par ailleurs il affirmait qu’il n’existait pas d’autre nombre en dehors de ce nombre à partir duquel la substance de l’univers est constituée puisqu’il posait en effet que le nombre est la substance des choses. Mais comment peut-on accepter cela puisqu’un même être ne peut être pour lui-même cause de sa propre existence? Car Pythagore disait qu’il est démontré que chacune des réalités sensibles est un nombre quant à sa substance du fait que dans telle partie déterminée de l’univers il existe des êtres contingents, qui sont objets d’opinions, et qui sont soumis au temps dans la mesure où parfois ils existent et parfois non. Mais si les êtres qui peuvent être engendrés ou corrompus étaient en partie en haut et en partie en bas, il y aurait un dérèglement dans l’ordre de l’univers : soit à la manière d’une injustice, c’est-à-dire alors même qu’une chose recevrait en partage une position plus noble ou moins noble que celle qui lui serait due; soit à la manière d’une séparation, dans la mesure où un corps, s’il était placé en dehors du lieu qui lui est propre, serait séparé de ceux qui ont la même nature; soit à la manière d’un mélange et d’une confusion, alors qu’un corps, placé en dehors du lieu qui lui est propre, devrait se mélanger à un autre corps, comme si une partie d’eau se retrouvait dans un lieu appartenant à l’air ou à la terre. Et il semble toucher en cela à la double convenance d’un corps naturel avec son lieu, la première se tenant du côté de l’ordre du lieu, selon que les corps les plus nobles reçoivent en partagent un lieu plus noble, ce qui semble témoigner d’une certaine justice, la deuxième se tenant du côté de la ressemblance ou de la différence des corps situés les uns par rapport aux autres, auxquelles s’opposent respectivement la séparation et le mélange. Donc les choses, selon qu’elles possèdent un lieu déterminé, se présentent d’une façon harmonieuse dans l’univers puisque si le lieu était changé légèrement, des problèmes s’ensuivraient puisque nous avons dit et manifesté que toutes les parties de l’univers sont disposées selon une proportion déterminée; en effet toute proportion déterminée découle des nombres. C’est pourquoi Pythagore cherchait à montrer que tous les êtres sont un nombre. Mais d’un autre côté nous observons que les étendues qui sont constituées dans divers lieux sont nombreuses et diverses car les caractéristiques propres à un être découlent des lieux particuliers de l’univers par lesquels les corps sont différenciés. Car les propriétés des corps existant en haut sont différentes des propriétés des corps qui existent en bas. Donc, puisque Pythagore, pour la raison qui précède, affirme que toutes les réalités sensibles sont un nombre, et que nous voyons se produire dans les réalités sensibles une grande diversité qui découle de la diversité des lieux , il faut se demander si c’est de ce seul et même nombre qui est ¨ dans le ciel ¨, c’est-à-dire dans toute réalité sensible qui est comprise dans le ciel, qu’on doit entendre qu’il est la substance de toute réalité sensible; ou bien existe-t-il, en dehors de ce nombre qui est la substance des choses sensibles, un autre nombre qui en est la cause? Platon, quant à lui, affirma que le nombre qui est la substance des réalités sensibles diffère de celui qui en est la cause. Car Platon lui-même, tout comme Pythagore, estima que les nombres sont les corps sensibles eux-mêmes et qu’ils en sont les causes, mais il pensa que les nombres intellectuels sont les causes des réalités insensibles mais que les nombres sensibles sont les causes et les formes des réalités sensibles. Mais comme Pythagore ne fit pas cette distinction, son exposé fut insuffisant.

207. Il conclut à la fin que ces considérations sur les opinions des Pythagoriciens suffisent et que c’est assez de les avoir parcourues.

 

 

LECTIO 14

[81774] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 1Hic disputat contra opinionem Platonis: et dividitur in duas partes. Primo disputat contra eius opinionem, quantum ad hoc quod ponebat de rerum substantiis. Secundo quantum ad hoc quod de rerum principiis, ibi, omnino autem sapientia. Prima dividitur in duas partes. Primo enim disputat contra hoc quod ponebat substantias species. Secundo quantum ad hoc quod ponebat de mathematicis, ibi, amplius si sunt numeri. Circa primum duo facit. Primo enim disputat contra ipsam positionem Platonis. Secundo contra rationem ipsius, ibi, amplius autem secundum quos et cetera. Dicit ergo primo, quod Platonici ponentes ideas esse quasdam substantias separatas, in hoc videntur deliquisse, quia cum ipsi quaerentes causas horum sensibilium entium, praetermissis sensibilibus, adinvenerunt quaedam alia nova entia aequalia numeris sensibilibus. Et hoc videtur inconveniens: quia qui quaerit causas aliquarum rerum, debet ipsas certificare, non alias res addere, ex quarum positione accrescat necessitas inquisitionis: hoc enim simile est ac si aliquis vellet numerare res aliquas, quas non putet se posse numerare sicut pauciores, sed vult eas numerare multiplicando eas per additionem aliquarum rerum. Constat enim quod talis stulte movetur, quia in paucioribus est via magis plana, quia melius et facilius certificantur pauca quam multa. Et numerus tanto est certior quanto est minor, sicut propinquior unitati, quae est mensura certissima. Sicut autem numeratio est quaedam rerum certificatio quantum ad numerum, ita inquisitio de causis rerum est quaedam certa mensura ad certificationem naturae rerum. Unde sicut numeratae pauciores res facilius certificantur quantum ad earum numerum, ita pauciores res facilius certificantur quantum ad earum naturam. Unde cum Plato ad notificandum res sensibiles tantum, multiplicaverit rerum genera, adiunxit difficultates, accipiens quod est difficilius ad manifestationem facilioris, quod est inconveniens.

[81775] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 2Et quod ideae sint aequales numero, aut non pauciores sensibilibus, de quibus Platonici inquirunt causas (quibus Aristoteles se connumerat, quia Platonis discipulus fuit) et determinaverunt procedentes de his sensibilibus ad praedictas species, manifestum est si consideretur, qua ratione Platonici ideas induxerunt: hac, scilicet, quia videbant in omnibus univocis unum esse in multis. Unde id unum ponebant esse speciem separatam. Videmus tamen, quod circa omnes substantias rerum aliarum ab ideis invenitur unum in multis per modum univocae praedicationis, inquantum inveniuntur multa unius speciei et hoc non solum in sensibilibus corruptibilibus, sed etiam in mathematicis, quae sunt sempiterna: quia et in eis multa sunt unius speciei, ut supra dictum est. Unde relinquitur quod omnibus speciebus rerum sensibilium respondeat aliqua idea. Quaelibet igitur earum est quoddam aequivocum cum istis sensibilibus, quia communicat in nomine cum eis. Sicut enim Socrates dicitur homo, ita et illa. Tamen differunt ratione. Ratio enim Socratis est cum materia. Ratio vero hominis idealis est sine materia. Vel secundum aliam literam, unaquaeque species dicitur esse aliquid univocum, inquantum scilicet est unum in multis, et convenit cum illis de quibus praedicatur, quantum ad rationem speciei. Ideo autem dicit aequales, aut non pauciores, quia ideae vel ponuntur solum specierum, et sic erunt aequales numero istis sensibilibus, si numerentur hic sensibilia secundum diversas species, et non secundum diversa individua quae sunt infinita. Vel ponuntur ideae non solum specierum, sed etiam generum; et sic sunt plures ideae quam species sensibilium, quia ideae tunc erunt species omnes, et praeter haec omnia et singula genera. Et propter hoc dicit aut non pauciores quidem, sed plures. Vel aliter, ut dicantur esse aequales, inquantum ponebat eas esse sensibilium; non pauciores autem sed plures, inquantum ponebat eas non solum species sensibilium, sed etiam mathematicorum.

[81776] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 3Deinde cum dicit amplius autem hic disputat contra Platonem quantum ad rationem suae positionis. Et circa hoc duo facit. Primo tangit modos in generali, quibus rationes Platonis deficiebant. Secundo exponit illos in speciali, ibi, quia secundum rationes scientiarum. Dicit ergo primo, quod secundum nullum illorum modorum videntur species esse, secundum quos nos Platonici ostendimus species esse. Et hoc ideo quia ex quibusdam illorum modorum non necessarium est fieri syllogismum, idest quasdam rationes Platonis, quia scilicet non de necessitate possunt syllogizare species esse: ex quibusdam vero modis fit syllogismus, sed non ad propositum Platonis: quia per quasdam suas rationes ostenditur, quod species separatae sunt quarumdam rerum, quarum esse species Platonici non putaverunt similiter, sicut et illarum quarum putaverunt, esse species.

[81777] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 4Deinde cum dicit quia secundum hic prosequitur istos modos in speciali. Et primo prosequitur secundum, ostendendo quod sequitur per rationem Platonis species esse aliquorum, quorum species non ponebat. Secundo prosequitur primum, ostendens quod rationes Platonis non sunt sufficientes ad ostendendum esse ideas, ibi, omnium autem dubitabit aliquis et cetera. Circa primum ponit septem rationes: quarum prima talis est. Una rationum inducentium Platonem ad ponendum ideas sumebatur ex parte scientiae: quia videlicet scientia cum sit de necessariis, non potest esse de his sensibilibus, quae sunt corruptibilia, sed oportet quod sit de entibus separatis incorruptibilibus. Secundum igitur hanc rationem ex scientiis sumptam, sequitur quod species sint omnium quorumcumque sunt scientiae. Scientiae autem non solum sunt de hoc quod est esse unum in multis, quod est per affirmationem, sed etiam de negationibus: quia sicut sunt aliquae demonstrationes concludentes affirmativam propositionem, ita sunt etiam demonstrationes concludentes negativam propositionem: ergo oportet etiam negationum ponere ideas.

[81778] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 5Deinde cum dicit et secundum hic ponit secundam rationem. In scientiis enim non solum intelligitur quod quaedam semper se eodem modo habent, sed etiam quod quaedam corrumpuntur; aliter tolleretur scientia naturalis, quae circa motum versatur. Si igitur oportet esse ideas omnium illorum quae in scientiis intelliguntur, oportet esse ideas corruptibilium inquantum corruptibilia, hoc est inquantum sunt haec sensibilia singularia; sic enim sunt corruptibilia. Non autem potest dici secundum rationem Platonis, quod scientiae illae, quibus intelligimus corruptiones rerum, intelligantur corruptiones horum sensibilium; quia horum sensibilium non est intellectus, sed imaginatio vel phantasia, quae est motus factus a sensu secundum actum, secundum quod dicitur in secundo de anima.

[81779] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 6Deinde cum dicit amplius autem hic ponit tertiam rationem, quae continet duas conclusiones, quas certissimis rationibus dicit concludi. Una est, quia si ideae sunt omnium, quorum sunt scientiae, scientiae autem non solum sunt de absolutis, sed etiam sunt de his quae dicuntur ad aliquid, sequitur hac ratione faciente quod ideae sunt etiam eorum quae sunt ad aliquid: quod est contra opinionem Platonis; quia cum ideae separatae sint secundum se existentes, quod est contra rationem eius quod est ad aliquid, non ponebat Plato eorum quae sunt ad aliquid, aliquod esse genus idearum, quia secundum se dicuntur.

[81780] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 7Alia conclusio est quae ex aliis rationibus certissimis sequitur, quod scilicet sit tertius homo. Quod quidem tripliciter potest intelligi. Uno modo quod intelligatur, quod homo idealis sit tertius a duobus hominibus sensibilibus, qui communis hominis praedicationem suscipiunt. Sed haec non videtur eius esse intentio, licet non tangatur secundo elenchorum: haec enim est positio contra quam disputat: unde ad hoc non duceret quasi ad inconveniens.

[81781] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 8Alio modo potest intelligi, ut dicatur tertius homo, scilicet qui sit communis et homini ideali et homini sensibili. Cum enim homo sensibilis et homo idealis conveniant in ratione, sicut duo homines sensibiles, et sicut homo idealis ponitur tertius praeter duos homines sensibiles, ita alius homo debet poni tertius praeter hominem idealem et hominem sensibilem. Et hoc etiam non videtur hic esse eius intentio, quia ad hoc inconveniens statim alia ratione ducet: unde esset superfluum hic ad idem inconveniens ducere.

[81782] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 9Tertio modo potest intelligi, quia Plato ponebat in quibusdam generibus tria, quaedam scilicet sensibilia, mathematica et species, sicut in numeris et lineis et omnibus huiusmodi. Non est autem maior ratio quare in quibusdam rebus ponantur media quam in aliis; ergo oportebat etiam in specie hominis ponere hominem medium, qui erit tertius inter hominem sensibilem et idealem: et hanc etiam rationem in posterioribus libris Aristoteles ponit.

[81783] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 10Deinde cum dicit et omnino hic ponit quartam rationem quae talis est. Quicumque per suam rationem removet aliqua, quae sunt apud eum magis nota quam ipsa positio, inconvenienter ponit. Sed istae rationes, quas Plato posuit, de speciebus separatis, auferunt quaedam principia, quae Platonici dicentes esse species magis volunt esse vera quam hoc ipsum quod est, ideas esse: ergo Plato inconvenienter posuit. Minorem autem sic manifestat. Ideae secundum Platonem sunt priores rebus sensibilibus et mathematicis: sed ipsae ideae sunt numeri secundum eum, et magis numeri impares quam pares, quia numerum imparem attribuebat formae, parem autem materiae. Unde et dualitatem dixit esse materiam. Sequitur ergo quod alii numeri sunt priores dualitate, quam ponebat sicut materiam sensibilium, ponens magnum et parvum. Cuius contrarium Platonici maxime asserebant, scilicet dualitatem esse primam in genere numeri.

[81784] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 11Item si, sicut per superiorem rationem probatum est, oportet esse aliquas ideas relationum, quae sint secundum se ad aliquid, et ipsa idea est prior eo quod participat ideam, sequitur quod hoc ipsum quod est ad aliquid est prius absoluto quod secundum se dicitur. Nam huiusmodi substantiae sensibiles, quae participant ideas, absolute dicuntur. Et similiter de omnibus est quaecumque illi qui sequuntur opinionem de ideis dicunt opposita principiis per se notis, quae etiam ipsi maxime concedebant.

[81785] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 12Deinde cum dicit amplius autem hic ponit quintam rationem, quae talis est. Ideae ponebantur a Platone, ut eis competerent rationes sive definitiones positae in scientiis, ut etiam de eis scientiae esse possent. Sed intelligentia una, idest simplex et indivisibilis, qua scitur de unoquoque quid est, non solum est circa substantias sed etiam de aliis, scilicet accidentibus. Et similiter scientiae non solum sunt substantiae, et de substantia, sed etiam inveniuntur scientiae aliorum, scilicet accidentium: ergo patet quod ad aestimationem, secundum quam vos Platonici esse dicitis ideas, sequitur quod species non solum essent substantiarum, sed etiam multorum aliorum, scilicet accidentium. Et hoc idem sequitur non solum propter definitiones et scientias, sed etiam accidunt multa alia talia, scilicet plurima, ex quibus oportet ponere ideas accidentium secundum rationes Platonis. Sicut quia ponebat ideas principia essendi et fieri rerum, et multorum huiusmodi, quae conveniunt accidentibus.

[81786] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 13Sed ex alia parte secundum quod Plato opinabatur de ideis, et secundum necessitatem, qua sunt necessariae sensibilibus inquantum scilicet sunt participabiles a sensibilibus, est necessarium ponere quod ideae sint solum substantiarum. Quod sic patet. Ea quae sunt secundum accidens non participantur: sed ideam oportet participari in unoquoque inquantum non dicitur de subiecto. Quod sic patet. Quia si aliquod sensibile participat per se duplo, idest duplo separato (sic enim appellabat Plato omnia separata, scilicet per se entia): oportet quod participet sempiterno; non quidem per se, quia tunc sequeretur quod dupla sensibilia essent sempiterna, sed per accidens: inquantum scilicet ipsum per se duplum quod participatur est sempiternum. Ex quo patet quod participatio non est eorum quae accidentia sunt, sed solummodo substantiarum. Unde secundum opinionem Platonis non erat aliquod accidens species separata, sed solum substantia: et tamen secundum rationem sumptam ex scientiis oportebat quod esset species etiam accidentium, ut dictum est.

[81787] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 14Deinde cum dicit haec vero hic ponit sextam rationem, quae talis est. Istae res sensibiles substantiam significant in rebus quae videntur et similiter illic, ut in rebus intelligibilibus, quae substantiam significant, quia tam intelligibilia quam sensibilia substantiam ponebant: ergo necesse est ponere praeter utrasque substantias, scilicet intelligibiles et sensibiles, aliquid commune eis quod sit unum in multis: ex hac enim ratione Platonici ideas ponebant, quia inveniebant unum in multis, quod credebant esse praeter illa multa.

[81788] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 15Et quod hoc ponere sit necessarium, scilicet aliquod unum praeter substantias sensibiles et praeter species, sic ostendit. Aut enim ideae et sensibilia quae participant ideas sunt unius speciei aut non. Si sunt unius speciei, omnium autem multorum in specie convenientium oportet ponere secundum positionem Platonis unam speciem separatam communem, oportebit igitur aliquid ponere commune sensibilibus et ipsis ideis, quod sit separatum ab utroque. Non potest autem responderi ad hanc rationem quod ideae quae sunt incorporales et immateriales non indigent aliis speciebus superioribus; quia similiter mathematica quae ponuntur a Platone media inter sensibilia et species, sunt incorporea et immaterialia: et tamen, quia plura eorum inveniuntur unius speciei, Plato posuit eorum speciem communem separatam, qua etiam participant non solum mathematica, sed etiam sensibilia. Si igitur est una et eadem dualitas, quae est species vel idea dualitatis, quae quidem est etiam in dualitatibus sensibilibus quae sunt corruptibiles, sicut exemplar est in exemplato et in dualitatibus etiam mathematicis quae sunt multae unius speciei, sed tamen sunt sempiternae, eadem ratione in eadem dualitate, scilicet quae est idea et in alia quae est mathematica, vel sensibilis, erit alia dualitas separata. Non enim potest reddi propter quid illud sit, et hoc non sit.

[81789] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 16Si autem detur alia pars, scilicet sensibilia quae participant ideas non sunt eiusdem speciei cum ideis: sequitur quod nomen quod dicitur de ideis et de substantia sensibili dicatur omnino aequivoce. Illa enim dicuntur aequivoce, quorum solum nomen commune est, ratione speciei existente diversa. Nec solum sequitur quod sint quocumque modo aequivoca, sed simpliciter aequivoca, sicut illa quibus imponitur unum nomen sine respectu ad aliquam communicationem, quae dicuntur aequivoca a casu. Sicut si aliquem hominem aliquis vocaret Calliam et aliquod lignum.

[81790] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 17Hoc autem ideo addidit Aristoteles quia posset aliquis dicere quod non omnino aequivoce aliquod nomen praedicatur de idea et de substantia sensibili, cum de idea praedicetur essentialiter, de substantia vero sensibili per participationem. Nam idea hominis secundum Platonem dicitur per se homo, hic autem homo sensibilis dicitur per participationem. Sed tamen talis aequivocatio non est pura; sed nomen quod per participationem praedicatur, dicitur per respectum ad illud quod praedicatur per se, quod non est pura aequivocatio, sed multiplicitas analogiae. Si autem essent omnino aequivoca a casu idea et substantia sensibilis, sequeretur quod per unum non posset cognosci aliud, sicut aequivoca non se invicem notificant.

LEÇON 14.

(nn. 208-224; [103-111]).

 

De plusieurs manières il argumente contre les Idées des Platoniciens.

 

208. Aristote argumente ici contre l’opinion de Platon : et cet exposé de divise en deux parties.

   En premier lieu il argumente contre son opinion quant à ce qu’il affirmait sur les substances des choses [103]. En deuxième lieu il le fait quant à ce qu’il affirmait sur les principes des choses, là [133] où il dit : ¨ Mais d’une façon générale la sagesse ¨.

   La première partie se divise en deux. Dans la première en effet il argumente contre la position de Platon qui considérait les Idées comme des substances [103]. Dans la deuxième il argumente contre ce qu’il affirmait au sujet des entités mathématiques, là [122] où il dit : ¨ De plus, si les nombres sont etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il argumente contre la position même de Platon [103]. En deuxième lieu il argumente contre la raison qui fondait cette position, là [104] où il dit : ¨ Mais de plus selon eux etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [103] que les Platoniciens, en affirmant que les Idées étaient des substances séparées, ont semblé errer; car puisqu’eux-mêmes cherchaient les causes de ces réalités sensibles, ils inventèrent des êtres nouveaux en nombre égal à ces êtres sensibles. Et cela présente un problème : car celui qui recherche les causes de certaines choses se doit de les manifester et non d’en ajouter d’autres, ce qui du coup augmente la difficulté de la recherche : cette situation est semblable à celle qu’on observerait en voyant quelqu’un qui, voulant compter des choses qu’il croirait ne pouvoir compter parce qu’elles sont peu nombreuses, voudrait les compter en les multipliant par l’addition d’autres choses. On voit en effet qu’une telle tendance serait absurde car on trouve plus facilement sa voie en peu de choses qu’en plusieurs parce qu’un petit nombre de choses est mieux et plus facilement mis en évidence qu’un grand nombre. Et un nombre est d’autant plus évident qu’il est petit puisqu’il est plus près de l’unité qui est la mesure la plus certaine. Mais comme l’action de compter les choses est une manifestation des choses quant à leur nombre, de même la recherche sur les causes des choses est une mesure certaine quant à la manifestation de la nature des choses. C’est pourquoi, tout comme les choses comptées sont plus facilement mises en évidence quant à leur nombre lorsqu’elles sont peu nombreuses, de même aussi elles sont plus facilement mises en évidence quant à leur nature lorsqu’elles sont en petit nombre. C’est pourquoi, puisque Platon, pour connaître les choses sensibles, leur ajouta un autre genre de choses, il se trouva aussi à multiplier les difficultés de la recherche, en partant de ce qui est plus difficile pour manifester ce qui est plus facile, ce qui est absurde comme façon de procéder.

209. Et parce que les Idées ne sont pas moins nombreuses mais égales en nombre aux réalités sensibles dont les Platoniciens (et dont Aristote estime faire partie car il fut un disciple de Platon) recherchèrent les causes et les fixèrent en partant de ces choses sensibles pour arriver aux Idées, cela devient évident si on considère pour quelle raison les Platoniciens ont été conduits à poser les Idées : cette raison, c’est qu’ils voyaient que dans toutes les réalités univoques, c’est comme la même forme qu’on retrouve en plusieurs. C’est pourquoi ils affirmèrent que cette forme était une espèce séparée. Nous voyons cependant que pour ce qui est de toutes les substances des choses autres que les idées, on retrouve l’unité dans la multiplicité par mode d’attribution univoque dans la mesure où on observe différents individus d’une même espèce. Et il en est ainsi non seulement dans les réalités sensibles et corruptibles, mais aussi dans les êtres mathématiques qui sont éternels car on y retrouve de nombreuses entités qui sont de même espèce, ainsi que nous l’avons dit précédemment. D’où il suit qu’à chacune des espèces des réalités sensibles correspond une Idée. Mais chacune de ces Idées entretient une relation équivoque avec ces réalités sensibles car elle communique avec elles par le nom seulement. En effet, tout comme on dit de Socrate qu’il est un homme, de même on le dit aussi de telle Idée. Les deux diffèrent cependant par la définition. On retrouve en effet une matière dans la définition de Socrate, ce qui n’est pas le cas pour la définition de l’homme idéal. Ou pour le dire en d’autres mots, chaque espèce s’attribue de manière univoque dans la mesure où elle est la même pour les nombreux individus qui en font partie et pour autant qu’elle convient adéquatement à ceux auxquels elle est attribuée quant à la définition de l’espèce. Et c’est pourquoi il dit que ces Idées sont soit égales, soit pas moins nombreuses car soit on pose des Idées uniquement pour les espèces et alors elles seront égales en nombre aux réalités sensibles si on dénombre ces dernières d’après leurs espèces et non d’après les différents individus qui sont infinis. On bien encore on pose les Idées non seulement à l’égard des espèces des substances, mais aussi à l’égard de chacun des autres genres; et ainsi il y aura plus d’Idées que d’espèces de réalités sensibles car les Idées correspondront alors non seulement à toutes les espèces, mais aussi à chacune des autres catégories. Et c’est pour cette raison qu’il dit que les Idées ne sont pas moins nombreuses certes, mais plus nombreuses. Ou pour le dire autrement, les Idées sont dites égales selon qu’il les posait comme correspondant aux espèces des réalités sensibles, et pas moins nombreuses mais plus nombreuses dans la mesure où il les posait comme correspondant non seulement aux espèces des réalités sensibles, mais aussi aux espèces des êtres mathématiques.

210. Ensuite lorsqu’il dit [104] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il argumente ici contre Platon quant à la raison qui fondait son opinion.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il touche comme globalement les manières par lesquelles les raisons de Platon faisaient défaut. En deuxième lieu il explique chacune d’elles en particulier, là [105] où il dit : ¨ Car d’après les arguments tirés des sciences etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [104] que les Idées ne semblent exister selon aucune de ces manières d’après lesquelles nous, Platoniciens, cherchons à montrer que les Idées existent. Et il en est ainsi parce que certaines d’entre elles ¨ ne conduisent pas à une conclusion ¨ nécessaire, c’est-à-dire que les arguments de Platon sont incapables de conclure avec nécessité que les Idées existent; certains autres arguments concluent avec nécessité mais pas dans le sens de ce que Platon se propose de montrer car certains de ses arguments tendent à montrer qu’il existe des Idées séparées de choses pour lesquelles les Platoniciens eux-mêmes n’admettaient pas l’existence des Idées, tout comme ils tendent à montrer qu’il existe des Idées séparées pour des choses pour lesquelles ils en admettaient.

211. Ensuite lorsqu’il dit [105] : ¨ Car d’après ¨.

   Il parcourt ici chacune de ces manières en particulier.

   Et en premier lieu il décrit la deuxième manière en montrant qu’il découle de l’argument de Platon qu’il existe des Idées de certaines choses pour lesquelles il ne posait pas d’Idées. En deuxième lieu il expose la première manière en montrant que les arguments de Platon ne suffisent pas à démontrer que les Idées existent, là [112] où il dit : ¨ De toutes les questions à se poser, on se demandera surtout etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente sept raisons, dont voici la première [105]. Une des raisons qui poussait Platon à poser des Idées se tirait de la science : car puisque la science porte évidemment sur le nécessaire, il ne peut y avoir de science relativement aux réalités sensibles qui sont corruptibles, mais seulement par rapport à des êtres séparés et incorruptibles. Donc, d’après cette raison tirée des sciences, il s’ensuit qu’il y aura des Idées de toutes les choses dont il y aura science. Mais il y a science non seulement pour l’unité qu’on retrouve dans la multiplicité à la manière d’une affirmation, mais aussi à la manière d’une négation car tout comme il existe des démonstrations qui parviennent à une conclusion affirmative, il y en a qui parviennent à une conclusion négative. Il faut donc poser des Idées même pour les négations.

212. Ensuite lorsqu’il dit [106] : ¨ Et d’après ¨.

   Il présente ici la deuxième raison. Dans les sciences en effet on comprend non seulement qu’il y a des choses qui sont toujours les mêmes, mais aussi que certaines choses se corrompent; autrement, il faudrait abolir la science de la nature qui a pour objet l’être en tant que mobile. S’il faut donc qu’il existe des Idées pour tout ce qui est compris dans les sciences, il faut donc qu’il existe des Idées des êtres corruptibles en tant que corruptibles, c’est-à-dire dans la mesure où ils sont ces êtres sensibles singuliers, car c’est à ce titre qu’ils sont corruptibles. Cependant on ne peut dire, suite à l’opinion de Platon, que ces sciences par lesquelles nous comprenons les corruptions des choses font saisir les corruptions de ces sensibles; car on ne peut avoir une intelligence de ces sensibles, mais seulement une imagination ou une image, lesquelles sont un mouvement produit par le sens en acte, conformément à ce qui est dit au deuxième livre de l’Âme.

213. Ensuite lorsqu’il dit [107] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il présente ici la troisième raison qui contient deux conclusions qu’il dit découler d’arguments plus certains. La première est que s’il existe des Idées pour tout ce qui est examiné dans les sciences, comme les sciences ne se rapportent pas seulement à ce qui existe par soi ou de manière absolue mais aussi à ce qui existe relativement, il s’ensuit pour cette raison qu’il y aura des Idées qui correspondront à ce qui existe relativement, ce qui est contraire à l’opinion de Platon; car puisque les Idées séparées sont des êtres qui existent par soi ou absolument, ce qui est contraire à la nature même du relatif, c’est pourquoi Platon n’établissait pas le relatif dans une catégorie d’Idées puisqu’elles existent par soi.

214. La deuxième conclusion qui découle d’arguments plus certains est qu’il existe un Troisième Homme, ce qui peut s’entendre de trois manières. La première manière de l’entendre, c’est que le troisième homme est l’homme idéal distinct des deux hommes sensibles qui reçoivent l’attribution de l’homme universel. Mais cette interprétation ne semble pas concorder avec son intention, bien qu’elle ne soit pas considérée au deuxième livre des Réfutations Sophistiques : l’interprétation qu’il vise est en effet une position contre laquelle il argumente; et l’interprétation que nous venons de donner ne pourrait pas amener Platon à se contredire.

215. La deuxième manière de voir cette expression, c’est de la considérer comme étant commune à la fois à l’homme idéal et à l’homme sensible. Puisqu’en effet l’homme idéal et l’homme sensible se rencontrent dans une même définition tout comme deux hommes sensibles le font, et comme l’homme idéal est posé comme étant troisième à côté de deux hommes sensibles, de même un autre homme doit être posé comme étant troisième entre l’homme idéal et l’homme sensible. Et cette interprétation ne semble pas correspondre non plus à son intention car il nous conduira immédiatement à cette difficulté par une autre raison : c’est pourquoi il est superflu ici de rencontrer la même difficulté.

216. Il y a une troisième manière d’entendre cette expression, car Platon posait dans tous les genres trois sortes de réalités, à savoir les êtres sensibles, les êtres mathématiques et les Idées, tout comme il le faisait pour les nombres, les lignes et les choses de cette sorte. Mais il n’y a pas plus de raisons de poser des intermédiaires dans certaines choses plutôt que dans d’autres. Il fallait donc aussi poser un homme intermédiaire dans l’espèce de l’homme et qui serait le troisième homme entre l’homme sensible et l’homme idéal : et c’est cette raison qu’Aristote présente aussi dans les livres qui suivent.

217. Ensuite lorsqu’il dit [108] : ¨ Dans l’ensemble ¨.

   Il présente ici la quatrième raison que voici. Celui qui par sa raison écarte des évidences qui sont pour lui plus connues que la position même qu’il soutient, c’est à tort qu’il soutient cette position. Mais ces raisons que Platon a soutenues au sujet des Idées séparées écartent certains principes, que les Platoniciens, qui affirmaient l’existence des espèces, voulaient être plus vrais que ce qui existe et qu’ils appelaient les Idées; c’est donc à tort que Platon soutint l’existence de telles Idées. Et voici comment Aristote manifeste la mineure. Selon Platon les Idées sont antérieures aux êtres sensibles et aux êtres mathématiques et ces mêmes Idées sont des nombres selon lui et davantage encore des nombres impairs que des nombres pairs car c’est à la forme qu’il attribuait le nombre impair et à la matière le nombre pair. C’est pourquoi il affirma que la dyade est la matière. Il s’ensuit donc que les autres nombres sont antérieurs à la dyade qu’il établissait comme matière des êtres sensibles en posant le grand et le petit. Mais les Platoniciens soutenaient au plus haut point le contraire de cet énoncé, c’est-à-dire que la dyade est première dans le genre du nombre.

218. De plus si, comme on l’a montré au moyen d’un argument précédent, il est nécessaire qu’il existe des Idées des relations qui sont par elles-mêmes dans le genre du relatif, et que l’Idée elle-même soit antérieure à ce qui participe de l’Idée, il s’ensuit que le relatif est antérieur de manière absolue à ce qu’on dit exister par soi. Car on dit des substances sensibles qui participent des Idées qu’elles existent par soi. Et il en est de même pour tous ceux qui ont suivi cette opinion sur les Idées et qui font des énoncés qui entrent en contradiction avec les principes connus par eux-mêmes qu’ils admettaient pourtant eux-mêmes au plus haut point.

219. Ensuite lorsqu’il dit [109] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il présente ici la cinquième raison que voici. Platon voyait dans les Idées une correspondance avec les définitions qui sont établies dans les sciences, de sorte qu’on pouvait aussi en acquérir la science. Mais ¨ l’intelligence qui est une ¨, c’est-à-dire celle qui est simple et indivisible et par laquelle on connaît la nature de toute chose, ne porte pas seulement sur les substances ¨ mais aussi sur les autres catégories ¨, à savoir sur les accidents. Et de même il n’y a pas seulement des sciences des substances et au sujet des substances mais il en existe aussi ¨ au sujet des autres ¨, c’est-à-dire au sujet des accidents : il est donc évident qu’il découle de votre opinion à vous, Platoniciens, selon laquelle il existe des Idées, qu’il existe des Idées non seulement des substances, mais aussi de nombreuses autres choses encore, à savoir des accidents. Et cette conséquence même découle non seulement des définitions et des sciences, mais de beaucoup ¨d’autres choses de la sorte¨, c’est-à-dire de nombreuses raisons pour lesquelles il est nécessaire de poser des Idées des accidents d’après les arguments de Platon. Car il affirmait que les Idées sont les principes de l’existence et du devenir des choses, ainsi que beaucoup d’autres choses de la sorte qui se rapportent aussi aux accidents.

220. Mais d’un autre côté d’après l’opinion que Platon se faisait sur les Idées et d’après la nécessité par laquelle elles sont nécessaires aux réalités sensibles, c’est-à-dire ¨ dans la mesure où ¨ les réalités sensibles en participent, il est nécessaire de poser que les Idées ne se rapportent qu’aux substances. Ce qui devient évident de cette manière. Les choses qui n’existent que par accident ne sont pas participées. Mais il faut que l’Idée soit participée dans chaque chose dans la mesure où elle ne se dit pas d’un sujet. Ce qui devient évident de cette manière. Car si un être sensible participe ¨ du double par soi ¨, c’est-à-dire du double séparé (c’est ainsi en effet que Platon appelait toutes les Idées séparées, à savoir les êtres par soi), il faut qu’il participe aussi de l’éternel mais non pas par soi, car alors il s’ensuivrait que les doubles sensibles seraient éternels mais par accident, c’est-à-dire dans la mesure où il appartient au double par soi qui est participé d’être éternel. D’où il apparaît que la participation ne se réalise pas à partir des accidents, mais seulement à partir des substances. C’est pourquoi, d’après l’opinion même de Platon il n’y avait pas d’accidents parmi les Espèces séparées mais seulement des substances; et cependant, d’après la raison que Platon tirait des sciences, il devait exister des Idées même des accidents, ainsi que nous l’avons dit.

221. Ensuite lorsqu’il dit [111] : ¨ Mais en vérité ce qui ¨.

   Il présente ici la sixième raison que voici. Ces réalités sensibles signifient la substance dans les choses qu’on voit et il en est de même en cela dans les choses intelligibles qui signifient elles aussi la substance, car ils posaient que les dernières tout comme les premières sont des substances : il est donc nécessaire de poser, en dehors de ces deux sortes de substances, à savoir celles qui sont intelligibles et celles qui sont sensibles, quelque chose qui leur soit commun et qui soit comme l’unité dans une multiplicité : c’est à partir de cette raison que les Platoniciens posaient les Idées car ils se trouvaient à inventer une unité dans une multiplicité qu’ils croyaient exister en dehors de cette multiplicité.

222. Et qu’il était nécessaire de poser cela, c’est-à-dire de poser une unité en dehors des réalités sensibles et en dehors des Idées, il le manifeste ainsi. Ou bien en effet les idées et les réalités sensibles qui participent de ces Idées sont d’une même espèce ou bien elles ne le sont pas. – Si elles sont d’une même espèce ou partagent une même forme, comme il faut poser d’après l’opinion de Platon une même Idée séparée commune à toute cette multiplicité qui se rencontre dans une même espèce, il faudra poser quelque chose qui soit commun à la fois aux réalités sensibles et aux Idées elles-mêmes et qui soit séparé à la fois des unes et des autres. Et on ne peut répondre à cet argument que les Idées, qui sont incorporelles et immatérielles, n’ont pas besoin d’espèces ou d’Idées qui les transcenderaient; car de la même manière les êtres mathématiques que Platon pose comme intermédiaires entre les réalités sensibles et les Idées sont eux aussi incorporels et immatériels : et cependant puisque plusieurs d’entre eux se rencontrent dans une même espèce, Platon posa pour eux une même espèce commune et séparée et dont participent non seulement les êtres mathématiques mais aussi les êtres sensibles. Si donc il existe une seule et même dyade qui est certes l’espèce ou l’Idée de la dualité qui existe à la fois dans les dualités sensibles qui sont corruptibles, comme le modèle existe dans ses copies, et aussi dans les êtres mathématiques, qui dans leur multiplicité appartiennent à une même espèce mais qui sont éternels, pour la même raison pour la même dualité, c’est-à-dire pour celle qui est l’Idée et pour l’autre qui est soit mathématique soit sensible, il existera aussi une autre dualité séparée. On ne peut donner une raison  qui expliquerait pourquoi il en est ainsi dans un cas et non dans l’autre.

223. Mais si on accorde l’autre possibilité, à savoir que les réalités sensibles qui participent des Idées ne partagent pas une même espèce avec ces dernières, il s’ensuit que le nom qu’on attribuera aux idées et aux réalités sensibles s’attribuera d’une manière tout à fait équivoque. Et on appelle équivoques les choses dont le nom seul est commun et dont la définition diffère quant à l’espèce. Et il ne s’ensuit pas seulement qu’elles soient équivoques dans une certaine mesure, mais qu’elles le soient absolument comme le sont ces réalités auxquelles on donne un même nom sans égard à une communauté de nature et qu’on appelle homonymes, comme si on appelait homme à la fois Callias et un morceau de bois.

224. Mais Aristote ajoute cette distinction pour cette raison qu’on pourrait dire que ce n’est pas d’une manière purement équivoque qu’un nom est attribué à la fois à une Idée et à une substance sensible puisque que c’est essentiellement que ce nom est attribué à l’Idée et que c’est par participation qu’il est attribué à la substance sensible. Car Platon appelle l’Idée de l’homme l’homme par soi et il appelle l’homme sensible l’homme par participation. Cependant on ne retrouve pas là une équivoque absolue; au contraire le nom qui est attribué par participation se dit en ayant égard à ce qui est attribué par soi et ne peut donc être attribué d’une manière purement équivoque mais constitue plutôt une multiplicité analogique. Si cependant l’Idée et la substance sensible étaient purement équivoques, il s’ensuivrait qu’on ne pourrait connaître l’une par l’autre comme c’est le cas pour les réalités purement équivoques.

 

 

LECTIO 15

[81791] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 1Hic improbat opinionem Platonis quantum ad hoc quod non concludebat quod concludere intendebat. Intendebat enim Plato concludere ideas esse per hoc, quod sunt necesse sensibilibus rebus secundum aliquem modum. Unde Aristoteles ostendens quod ideae ad nihil possunt sensibilibus utiles esse, destruit rationes Platonis de positione idearum: et ideo dicit, quod inter omnia dubitabilia, quae sunt contra Platonem, illud est maximum, quod species a Platone positae non videntur aliquid conferre rebus sensibilibus, nec sempiternis, sicut sunt corpora caelestia: nec his, quae fiunt et corrumpuntur, sicut corpora elementaria. Quod sigillatim de omnibus ostendit propter quae Plato ponebat ideas, cum dicit nec enim.

[81792] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 2Ibi incipit quinque ostendere. Primo quod non prosunt ad motum. Secundo quod non prosunt ad scientias, ibi, sed nec ad scientiam. Tertio quod non prosunt exemplaria, ibi, dicere vero exemplaria et cetera. Quarto quod non prosunt sicut substantiae, ibi, amplius opinabitur. Quinto quod non prosunt sicut causae fiendi, ibi, in Phaedone vero et cetera. Dicit ergo primo, quod species non possunt conferre sensibilibus, ita quod sint eis causa motus vel transmutationis alicuius. Cuius rationem hic non dicit, sed superius tetigit, quia videlicet ideae non introducebantur propter motum, sed magis propter immobilitatem. Quia enim Platoni videbatur quod omnia sensibilia semper essent in motu, voluit aliquid ponere extra sensibilia fixum et immobile, de quo posset esse certa scientia. Unde species non poterant ab eo poni sicut principia sensibilia motus, sed potius sicut immobiles, et immobilitatis principia: ut scilicet si aliquid fixum et eodem modo se habens in rebus sensibilibus invenitur, hoc sit secundum participantiam idearum, quae per se sunt immobiles.

[81793] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 3Deinde cum dicit sed nec ad ostendit secundo, quod species non prosunt sensibilibus ad scientiam, tali ratione. Cognitio uniuscuiusque perficitur per cognitionem suae substantiae, et non per cognitionem aliquarum substantiarum extrinsecarum: sed substantiae separatae quas dicebant species, sunt omnino aliae ab istis substantiis sensibilibus: ergo earum cognitio non auxiliatur ad scientiam illorum sensibilium.

[81794] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 4Nec potest dici quod illae species sunt substantiae istorum sensibilium: nam cuiuslibet rei substantia est in eo cuius est substantia. Si igitur illae species essent substantiae rerum sensibilium, essent in his sensibilibus: quod est contra Platonem.

[81795] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 5Nec iterum potest dici quod illae species adsint istis substantiis sensibilibus, sicut participantibus eas. Hoc enim modo Plato opinabatur aliquas species horum sensibilium causas esse. Sicut nos intelligeremus ipsum album per se existens, ac si esset quoddam album separatum, permisceri albo quod est in subiecto, et albedinem participare, ut sic etiam dicamus quod homo iste, qui est separatus, permisceatur huic homini qui componitur ex materia et natura speciei, quam participat. Sed haec ratio est valde mobilis, idest destructibilis: hanc enim rationem primo tetigit Anaxagoras qui posuit etiam formas et accidentia permisceri rebus. Et secundo tetigit Hesiodus et alii quidam. Et ideo dico quod est valde mobilis, scilicet quia facile est colligere multa impossibilia contra talem opinionem. Sequitur enim, sicut supra dixit contra Anaxagoram, quod accidentia et formae possunt esse sine substantiis. Nam ea sola nata sunt misceri quae possunt separatim existere.

[81796] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 6Sic igitur non potest dici quod species sic conferant ad scientiam sensibilium ut eorum substantiae, nec quod sint eis principia existendi per modum participandi. Nec etiam potest dici quod ex speciebus sicut ex principiis sunt alia, scilicet sensibilia secundum ullum eorum modum qui consueverunt dici. Unde si eadem sunt principia essendi et cognoscendi, oportet quod species non conferant ad scientias, cum principia essendi esse non possint. Ideo autem dicit secundum ullum modum consuetorum dici, quia Plato invenerat novos modos aliquid ex alio cognoscendi.

[81797] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 7Deinde cum dicit dicere vero hic tertio ostendit, quod species non conferant sensibilibus sicut exemplaria. Et primo proponit intentum. Secundo probat, ibi, nam quid opus est et cetera. Dicit ergo primo, quod dicere species esse exemplaria sensibilium et mathematicorum eo quod huiusmodi causas participent, est dupliciter inconveniens. Uno modo, quia vanum et nulla utilitas est huiusmodi exemplaria ponere, sicut ostendet. Alio modo quia est simile metaphoris quas poetae inducunt, quod ad philosophum non pertinet. Nam philosophus ex propriis docere debet. Ideo autem hoc dicit esse metaphoricum, quia Plato productionem rerum naturalium assimilavit factioni rerum artificialium, in quibus artifex ad aliquid exemplar respiciens, operatur aliquid simile suae arti.

[81798] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 8Deinde cum dicit nam quid est hic probat propositum tribus rationibus. Hoc enim videtur esse opus exemplaris, idest utilitas, quod artifex respiciens ad exemplar inducat similitudinem formae in suo artificio. Videmus autem in operatione naturalium rerum, quod similia ex similibus generantur, sicut ex homine generatur homo. Aut ergo similitudo ista provenit in rebus generatis propter respectum alicuius agentis ad exemplar, aut non. Si non, quid eratopus, idest utilitas quod aliquod agens sic respiciens ad ideas sicut ad exemplaria? Quasi dicat, nullum. Si autem similitudo provenit ex respectu ad exemplar separatum, tunc non poterit dici quod causa huius similitudinis in genito sit forma inferioris generantis. Fiet enim aliquid simile propter respectum ad hoc exemplar separatum, et non per respectum ad agens hoc sensibile. Et hoc est quod dicit et non simile illi, idest agenti sensibili. Ex quo sequitur hoc inconveniens quod aliquis generetur similis Socrati, sive posito, sive remoto Socrate. Quod videmus esse falsum; quia nisi Socrates agat in generatione, nunquam generabitur aliquis similis Socrati. Si igitur hoc est falsum, quod non similitudo generatorum dependeat a proximis generantibus, vanum et superfluum est ponere aliqua exemplaria separata.

[81799] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 9Sciendum autem quod illa ratio, etsi destruat exemplaria separata a Platone posita, non tamen removet divinam scientiam esse rerum omnium exemplarem. Cum enim res naturales naturaliter intendant similitudines in res generatas inducere, oportet quod ista intentio ad aliquod principium dirigens reducatur, quod est in finem ordinans unumquodque. Et hoc non potest esse nisi intellectus cuius sit cognoscere finem et proportionem rerum in finem. Et sic ista similitudo effectuum ad causas naturales reducitur, sicut in primum principium, in intellectum aliquem. Non autem oportet quod in aliquas alias formas separatas: quia ad similitudinem praedictam sufficit praedicta directio in finem, qua virtutes naturales diriguntur a primo intellectu.

[81800] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 10Deinde cum dicit similiter autem hic ponit secundam rationem, quae talis est. Sicut Socrates ex eo quod est Socrates addit aliquid supra hominem, ita etiam homo addit aliquid supra animal: et sicut Socrates participat hominem, ita homo participat animal. Sed si praeter istum Socratem sensibilem poneretur alius Socrates sempiternus, quasi exemplaris, sequeretur quod huius Socratis sensibilis essent plura exemplaria, scilicet Socrates sempiternus et idea hominis: ergo et eadem ratione species hominis habet plura exemplaria. Erit enim exemplar eius et animal et bipes et iterum autosanthropos, idest idea hominis. Hoc autem est inconveniens quod unius exemplati sint plura exemplaria: ergo inconveniens est ponere huiusmodi sensibilium exemplaria.

[81801] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 11Deinde cum dicit amplius autem hic ponit tertiam rationem, quae talis est. Sicut se habet species ad individuum, ita se habet genus ad speciem. Si igitur species sunt exemplaria sensibilium individuorum, ut Plato ponit, ipsarum etiam specierum erunt aliqua exemplaria, scilicet genus specierum: quod est inconveniens: quia tunc sequeretur quod idem, scilicet species, erit exemplum alterius, scilicet individui sensibilis, et imago ab alio exemplata, scilicet a genere; quod videtur esse inconveniens.

[81802] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 12Deinde cum dicit amplius opinabitur hic quarto ostendit quod species non conferunt rebus sensibilibus sicut earum substantiae vel causae formales, quia hic opinabitur, idest hoc est opinativum (ut impersonaliter ponatur), quod impossibile est separari substantiam ab eo cuius est substantia. Sed hae separantur ab eo cuius sunt ideae, idest a sensibilibus: ergo non sunt substantiae sensibilium.

[81803] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 13Deinde cum dicit in Phaedone hic ostendit quod non conferunt species sensibilibus ad eorum fieri, quamvis Plato dixerit in Phaedone, idest in quodam suo libro, quod species sunt causae rebus sensibilibus essendi et fiendi. Sed hoc improbat duabus rationibus: quarum prima talis est. Posita causa ponitur effectus: sed existentibus speciebus non propter hoc fiunt entia particularia sive individua participantia species, nisi sit aliquid motivum quod moveat ad speciem. Quod ex hoc patet, quia species semper eodem modo sunt secundum Platonem. Si igitur eis positis essent vel fierent individua participantia eas, sequeretur quod semper essent huiusmodi individua, quod patet esse falsum: ergo non potest dici quod species sint causae fieri et esse rerum; et praecipue cum non poneret species causas esse motivas, ut supra dictum est. Sic enim a substantiis separatis immobilibus ponit Aristoteles procedere et fieri et esse inferiorum, inquantum illae substantiae sunt motivae caelestium corporum, quibus mediantibus causatur generatio et corruptio in istis inferioribus.

[81804] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 14Deinde cum dicit et multa hic ponit secundam rationem, quae talis est. Sicut se habent artificialia ad causas artificiales, ita se habent naturalia ad causas naturales. Sed videmus quod multa alia a naturalibus, ut domus et annulus, fiunt in istis inferioribus, quorum Platonici species non ponebant: ergo et alias, scilicet naturalia contingit esse et fieri propter tales causas proximas, quales contingit esse nunc dictas, scilicet artificiales; ut scilicet sicut res artificiales fiunt a proximis agentibus, ita et res naturales.

LEÇON 15.

(nn. 225-238; [112-121]).

 

Il résout ces raison par lesquelles les Platoniciens étaient poussés

 à affirmer l’existence des Idées.

 

225. Aristote réfute ici l’opinion de Platon quant à cela qu’il ne conclut pas ce qu’il cherchait à conclure. Platon cherchait en effet à conclure que les Idées existent pour cette raison qu’elles sont nécessaires aux choses sensibles d’une certaine manière. C’est pourquoi Aristote, en montrant que les Idées ne peuvent être utiles en rien aux choses sensibles, détruit les raisons qui fondaient l’opinion de Platon sur les Idées : et c’est pourquoi il dit [112] que parmi tout ce qui fait difficulté et qui va à l’encontre de l’opinion de Platon, le point le plus important est que les Idées posées par Platon ne semblent apporter aucun concours ni aux choses sensibles, ni aux êtres éternels dont font partie les corps célestes, ni aux réalités qui sont engendrées et corrompues comme le sont les corps élémentaires. – Ce qu’il manifeste en particulier pour toutes les choses pour lesquelles Platon posait l’existence des Idées, lorsqu’il dit [113] : ¨ En effet, elles ne etc.¨.

226. Il commence ici à manifester cinq points.

En premier lieu que les Idées ne sont d’aucun secours pour expliquer le mouvement [113]. En deuxième lieu qu’elles ne sont d’aucune utilité pour les sciences, là [114] où il dit : ¨ Mais ni pour la science ¨. En troisième lieu qu’elles ne sont pas utiles en tant qu’exemplaires, là [115] où il dit : ¨ En vérité, dire que les exemplaires etc.¨. En quatrième lieu qu’elles ne sont pas utiles en tant que substances, là [119] où il dit : ¨ De plus on croira etc.¨. En cinquième lieu qu’elles n’apportent rien en tant que causes du devenir, là [120] où il dit : ¨ En vérité dans le Phédon etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [113] que les Idées ne peuvent rien apporter aux choses sensibles de sorte qu’elles seraient pour elles causes de mouvement ou de quelque changement. Il n’en donne pas la raison ici, mais il la mentionna précédemment car les Idées ne furent manifestement pas établies pour expliquer le mouvement mais plutôt pour expliquer ce qui ne change pas. Puisqu’en effet il semblait à Platon que toutes les choses sensibles étaient toujours en mouvement, il voulut établir en dehors des choses sensibles un principe stable et immobile au sujet duquel on pourrait avoir une science certaine. C’est pourquoi les Idées ne pouvaient être posées par lui comme principes sensibles du mouvement, mais plutôt comme étant immobiles et comme principes d’immobilité, de telle sorte que si on retrouvait dans les êtres sensibles quelque chose de stable qui se produit toujours de la même manière, cela se produirait en elles conformément à une participation des Idées qui sont en elles-mêmes immobiles.

227. Ensuite lorsqu’il dit [114] : ¨ Mais ni pour ¨.

   Il montre en deuxième lieu, pour la raison suivante, que les Idées ne sont pas utiles à la connaissance des choses sensibles. La connaissance de toute chose trouve son achèvement dans la connaissance de sa substance et non par la connaissance d’une substance qui lui serait extrinsèque; mais les substances séparées que les Platoniciens appelaient les Idées sont absolument d’une autre nature que les substances sensibles; donc, leur connaissance ne contribue en rien à la connaissance des choses sensibles.

228. Et on ne peut non plus affirmer que ces Idées sont les substances des êtres sensibles : car la substance de toute chose se retrouve dans la chose dont elle est la substance. Si donc ces Idées étaient les substances des êtres sensibles, elles se retrouveraient dans ces derniers, ce qui est contraire à la position de Platon.

229. Et on ne peut non plus affirmer que ces Idées sont présentes à ces êtres sensibles de telle sorte que ces derniers en participent. C’est de cette manière en effet que Platon croyait que les Idées étaient les causes des êtres sensibles. C’est comme si nous croyions que le blanc existant par lui-même, comme s’il existait une blancheur séparée, s’unissait au blanc qui est dans un sujet qui participerait de la blancheur; comme si nous disions encore que cet homme séparé s’unissait à cet homme qui est composé d’une matière et d’une nature spécifique dont il participe. Mais cette raison est extrêmement ¨ fragile ¨, c’est-à-dire réfutable; c’est Anaxagore en effet qui fut le premier à la présenter en posant que même les formes et les accidents s’entremêlent aux choses. Ensuite Hésiode et certains autres emboîtèrent le pas. Et c’est pourquoi je dis que cette raison est extrêmement légère car il est facile de recueillir de nombreuses incohérences à l’encontre de cette opinion. Il s’ensuit en effet d’après cette opinion, tout comme nous l’avons dit précédemment à l’encontre d’Anaxagore, que les formes et les accidents pourraient exister sans les substances. Car seul ce qui peut exister séparément des autres êtres peut s’y mélanger.

230. Ainsi donc il est impossible d’affirmer que les Idées apportent quelque chose à la connaissance des êtres sensibles parce qu’elles en seraient les substances, ni qu’elles seraient pour eux principes d’existence par mode de participation. On ne peut non plus affirmer que ¨les autres¨, c’est-à-dire les êtres sensibles existent à partir des Idées comme à partir de leurs principes, et cela d’aucune des manières dont on a l’habitude de parler. C’est pourquoi, si les principes de l’existence et de la connaissance sont les mêmes, il s’ensuit que les Idées n’apportent rien aux sciences puisqu’elles ne peuvent être principes d’existence. Et c’est pourquoi il dit que les Idées ne sont principes selon aucune des manières de parler en usage car Platon avait inventé de nouvelles manières de connaître une chose à partir d’une autre.

231. Ensuite lorsqu’il dit [115] : ¨ D’un autre côté, dire ¨.

   Il montre ici en troisième lieu que les Idées n’apportent rien aux êtres sensibles en tant qu’exemplaires.

   Et en premier lieu il présente son propos. En deuxième lieu il le prouve, là [116] où il dit : ¨ Car quel est le travail etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [115] qu’affirmer que les Idées sont les exemplaires des êtres sensibles qui en participent comme de leur cause, cela présente un problème de deux manières. Car premièrement, il est vain et inutile de poser de tels exemplaires, ainsi qu’il le montrera.

 – Deuxièmement, parce que cette manière de parler ressemble aux métaphores que produisent les poètes, laquelle manière de parler ne convient pas au philosophe. Car le philosophe doit enseigner à partir de ce qui appartient en propre aux choses. Et c’est pourquoi Aristote dit que ce langage est métaphorique car Platon assimilait la production des choses naturelles à la fabrication des choses artificielles dans lesquelles l’artisan produit un objet semblable à son art en ayant le regard tourné vers un certain exemplaire.

232. Ensuite lorsqu’il dit [116] : ¨ Car quel est le travail etc.¨.

   Il prouve ici son propos au moyen de trois arguments.

   Il semble en effet que ce soit là la fonction d’un exemplaire, c’est-à-dire son utilité, que l’artisan, ayant son regard tourné vers lui, introduise dans son œuvre une forme qui lui ressemble. Mais nous voyons dans les opérations des choses naturelles que des êtres semblables sont engendrés à partir d’êtres qui leur sont semblables, tout comme un homme est engendré à partir d’un homme. Donc ou bien cette ressemblance se produit dans les choses engendrées en raison d’un regard de l’agent vers un exemplaire, ou bien il n’en est rien. – Si ce n’est pas le cas, quel sera alors l’avantage, c’est-à-dire l’utilité pour l’agent d’avoir le regard fixé sur l’Idée comme sur un exemplaire? Aussi bien dire qu’il sera nul. – Mais si cette ressemblance est produite en tenant compte d’un exemplaire séparé, alors on ne pourra dire que la cause de cette ressemblance dans ce qui est engendré est la forme de celui qui engendre immédiatement. En effet un être semblable sera produit en ne prenant en considération que cet exemplaire séparé, sans égard pour cet agent sensible. Et c’est ce qu’Aristote dit : ¨ et non semblable à celui-ci ¨, c’est-à-dire à l’agent sensible. D’où il suit cette difficulté que quelqu’un est engendré, semblable à Socrate, mais avec ou sans la présence de Socrate. Ce que nous voyons être faux; car à moins que Socrate ne soit actif dans l’acte d’engendrer, jamais ne sera engendrée une personne semblable à Socrate. Si donc cela est faux, à savoir que la ressemblance qu’on retrouve dans ce qui est engendré ne dépend pas de géniteurs prochains, il est vain et superflu de poser l’existence d’exemplaires séparés.

233. Il faut cependant savoir que cet argument, bien qu’il réfute les exemplaires séparés posés par Platon, n’empêche en rien la science divine d’être l’exemplaire de toutes les choses. Puisqu’en effet les choses naturelles cherchent naturellement à introduire des ressemblances dans les choses qu’elles engendrent, il faut que cette intention se ramène à un principe qui la dirige et qui est la finalité qui ordonne toute chose. Et il ne peut en être ainsi que par l’Intelligence à laquelle il appartient de connaître la finalité et le rapport des choses à la finalité. Et ainsi cette ressemblance des effets à leurs causes naturelles se ramène, comme à son premier principe, à une Intelligence. Et il n’est pas nécessaire de les ramener à d’autres formes séparées : car pour expliquer cette ressemblance, la direction vers la finalité dont nous venons de parler suffit et c’est par elle que les vertus naturelles sont dirigées par l’Intelligence première.

234. Ensuite lorsqu’il dit [117] : ¨ Mais de la même manière ¨.

   Il présente ici le deuxième argument qui se présente ainsi. Tout comme Socrate, du seul fait qu’il est Socrate, ajoute quelque chose à l’homme, de même encore l’homme ajoute quelque chose à l’animal; et tout comme Socrate participe de l’homme, l’homme participe de l’animal. Mais si en dehors de ce Socrate sensible on posait un autre Socrate, éternel, à titre d’exemplaire, il s’ensuivrait qu’il y aurait plusieurs exemplaires de ce Socrate sensible, à savoir le Socrate éternel et l’Idée de l’homme et pour la même raison l’Idée de l’homme aurait plusieurs exemplaires. Son exemplaire en effet serait à la fois l’animal, le bipède et de plus ¨l’homme en soi¨, c’est-à-dire l’Idée de l’homme. Mais cela pose difficulté que pour une même copie il y ait plusieurs exemplaires. Il n’est donc pas juste de poser l’existence d’exemplaires de cette sorte pour les êtres sensibles.

235. Ensuite lorsqu’il dit [118] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il présente ici le troisième argument. Le genre est à l’espèce ce que l’espèce est à l’individu. Si donc, comme le dit Platon, les espèces  sont les exemplaires des individus sensibles, les genres de ces espèces seront eux aussi les exemplaires de ces espèces elles-mêmes, ce qui pose un problème; car alors il s’ensuivrait que la même chose, à savoir l’espèce, serait à la fois l’exemplaire de l’un, c’est-à-dire de l’individu sensible, et la copie d’un autre, c’est-à-dire du genre; et cela se manifeste comme étant problématique.

236. Ensuite lorsqu’il dit [119] : ¨ De plus on croira ¨.

   Il manifeste ici en quatrième lieu que les Idées n’apportent rien aux êtres sensibles en tant que substances ou causes formelles de ces derniers, car ¨ on croira ici ¨, c’est-à-dire qu’on pourra croire cela (comme on le dit d’une manière impersonnelle), à savoir qu’il est impossible que la substance soit séparée de ce dont elle est la substance. Mais ces Idées sont séparées de ce dont elles sont les Idées, à savoir des êtres sensibles; elles ne sont donc pas les substances des êtres sensibles.

237. Ensuite lorsqu’il dit [120] : ¨ Dans le Phédon ¨.

   Aristote montre ici que les Idées n’apportent rien aux êtres sensibles quant à leur devenir, bien que Platon ait dit ¨ dans le Phédon ¨, c’est-à-dire dans un de ses livres, que les Idées sont causes des choses sensibles quant à leur être et à leur devenir.

   Mais il réfute cette position au moyen de deux arguments dont voici le premier.

   Une fois la cause posée, l’effet l’est aussi; mais même en supposant que les Idées existent, ce n’est pas pour cela qu’apparaissent les êtres particuliers ou les individus qui sont censés participer des Idées, à moins qu’intervienne une cause motrice qui meut vers l’Idée. Ce qui devient évident à partir de ceci que selon Platon les Idées sont toujours identiques à elles-mêmes. Si donc celles-ci posées, existaient ou apparaissaient les individus qui en participent, il s’ensuivrait que ces individus seraient toujours identiques à eux-mêmes, ce qui est évidemment faux; on ne peut donc dire que les Idées sont les causes de l’être et du devenir des choses, d’autant plus que Platon n’établissait pas les Idées comme des causes motrices, ainsi que nous l’avons dit précédemment. C’est ainsi en effet qu’Aristote affirme que le devenir et l’être des choses inférieures procèdent des substances immobiles séparées dans la mesure où ces substances sont les causes motrices des corps célestes par l’intermédiaire desquels sont causées la génération et la corruption dans ces êtres inférieurs.

238. Ensuite lorsqu’il dit [121] : ¨ Et beaucoup ¨.

   Il présente ici le deuxième argument qui se présente ainsi. Le rapport des choses artificielles aux causes artificielles est le même que celui des choses naturelles aux causes naturelles. Mais nous voyons que beaucoup d’autres choses que les choses naturelles, comme une maison ou un anneau, sont produites parmi les choses inférieures et pour lesquelles les Platoniciens n’établissaient pas une correspondance avec des Idées; donc, ¨pour les autres choses aussi¨, c’est-à-dire pour les choses naturelles aussi, il est possible d’exister et de devenir pour les mêmes raisons, à savoir en raison des mêmes sortes de causes prochaines qu’on voit opérer dans les choses artificielles dont on vient de parler; c’est-à-dire que les choses naturelles, tout comme les choses artificielles, sont produites à partir de causes motrices prochaines.

 

 

LECTIO 16

[81805] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 1Hic improbat opinionem Platonis de speciebus inquantum ponebat eas esse numeros. Et circa hoc duo facit. Primo disputat contra ea quae posita sunt ab ipso de numeris. Secundo contra ea quae posita sunt ab ipso de aliis mathematicis, ibi, volentes autem substantias et cetera. Circa primum ponit sex rationes: quarum prima talis est. Eorum quae sunt idem secundum substantiam, unum non est causa alterius: sed sensibilia secundum substantiam sunt numeri secundum Platonicos et Pythagoricos: si igitur species sunt etiam numeri, non poterunt species esse causae sensibilium.

[81806] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 2Si autem dicatur quod alii numeri sunt species, et alii sunt sensibilia, sicut ad literam Plato ponebat: ut si dicamus quod hic numerus est homo, et ille alius numerus est Socrates et alius numerus est Callias, istud adhuc non videtur sufficere: quia secundum hoc sensibilia et species conveniunt in ratione numeri: et eorum, quae sunt idem secundum rationem, unum non videtur esse causa alterius: ergo species non erunt causae horum sensibilium.

[81807] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 3Non iterum potest dici quod sunt causae; quia illi numeri, si sunt species, sunt sempiterni. Illa enim differentia non sufficit ad hoc quod quaedam ponantur causae aliorum; quia aliqua differunt per sempiternum et non sempiternum secundum esse suum absolute consideratum; sed per causam et causatum differunt secundum habitudinem unius ad alterum: ergo diversa numero non differunt per causam et causatum per hoc, quod quaedam sunt sempiterna, et quaedam non sempiterna.

[81808] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 4Si autem dicatur quod haec sensibilia sunt quaedam rationes, idest proportiones numerorum, et per hunc modum numeri sunt causae horum sensibilium, sicut videmus in symphoniis, idest in musicis consonantiis, quia numeri dicuntur esse causae consonantiarum, inquantum proportiones numerales, quae applicantur sonis, consonantias reddunt: palam est quod oportebat praeter ipsos numeros in sensibilibus ponere aliquod unum secundum genus, cui applicantur proportiones numerales: ut scilicet eorum, quae sunt illius generis proportiones, sensibilia constituant; sicut praeter proportiones numerales in consonantiis inveniuntur soni. Si autem illud, cui applicatur illa proportio numeralis in sensibilibus est materia, manifestum est quod oportebat dicere, quod ipsi numeri separati qui sunt species, sint proportiones alicuius unius, scilicet ad aliquod aliud. Oportet enim dicere quod hic homo, qui est Callias vel Socrates, est similis homini ideali qui dicitur autosanthropos idest per se homo. Si igitur Callias non est numerus tantum, sed magis est ratio quaedam vel proportio in numeris elementorum, scilicet ignis, terrae, aquae et aeris; et ipse homo idealis erit quaedam ratio vel proportio in numeris aliquorum; et non erit homo idealis numerus per suam substantiam. Ex quo sequitur, quod nullus numerus erit praeter ea, id est praeter res numeratas. Si enim numerus specierum est maxime separatus, et ille non est separatus a rebus, sed est quaedam proportio rerum numeratarum, nunc nullus alius numerus erit separatus: quod est contra Platonicos.

[81809] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 5Sequitur autem, quod homo idealis sit proportio aliquorum numeratorum, sive ponatur esse numerus, sive non: tam enim secundum ponentes substantias esse numeros, quam secundum naturales, qui numeros substantias esse non dicebant, oportet quod in rerum substantiis aliquae proportiones numerales inveniantur: quod patet praecipue ex opinione Empedoclis, qui ponebat unamquamque rerum sensibilium constitui per quamdam harmoniam et proportionem.

[81810] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 6Deinde cum dicit amplius ex hic ponit secundam rationem, quae talis est. Ex multis numeris fit unus numerus. Si igitur species sunt numeri, ex multis speciebus fiet una species, quod est impossibile. Nam si ex multis diversarum specierum aliquid unum in specie constituatur, hoc fit per mixtionem, in qua non salvantur species eorum quae miscentur, sicut ex quatuor elementis fit lapis. Et iterum ex huiusmodi diversis secundum speciem non fit aliquod unum ratione specierum, quia ipsae species non coniunguntur ad aliquod unum constituendum, nisi secundum rationem individuorum, qui alterantur, ut possint permisceri: ipsae autem species numerorum binarii et ternarii simul coniunctae numerum constituunt quinarium, ita quod in quinario uterque numerus remanet et salvatur.

[81811] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 7Sed quia ad hanc rationem posset responderi ex parte Platonis, quod ex multis numeris non fit unus numerus, sed quilibet numerus immediate constituitur ex unitatibus, ideo consequenter cum dicit sed si nec excludit etiam hanc responsionem. Si enim dicitur quod aliquis numerus maior, ut millenarius, non constituatur ex eis, scilicet ex duobus vel pluribus numeris minoribus, sed constituitur ex unis, idest ex unitatibus, remanebit quaestio quomodo se habent unitates adinvicem, ex quibus numeri constituuntur? Aut enim oportet, quod omnes unitates sint conformes adinvicem, aut quod sint difformes adinvicem.

[81812] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 8Sed primo modo sequuntur multa inconvenientia, et praecipue quantum ad ponentes species esse numeros; quia sequitur quod diversae species non differant secundum substantiam, sed solum secundum excessum unius speciei super aliam. Inconveniens etiam videtur, quod unitates nullo modo differant; et tamen sunt multae, cum diversitas multitudinem consequatur.

[81813] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 9Si vero non sint conformes, hoc potest esse dupliciter. Uno modo, quia unitates unius numeri sunt differentes ab unitatibus alterius numeri, sicut unitates binarii ab unitatibus ternarii; et tamen unitates unius et eiusdem numeri sibi invicem sunt conformes. Alio modo ut unitates eiusdem numeri non sibi invicem, nec unitatibus alterius numeri conformes existant. Hanc divisionem significat, cum dicit, nec eaedem sibi invicem, idest quae ad eumdem numerum pertinent, nec aliae omnes etc., scilicet quae pertinent ad diversos numeros. Quocumque autem modo ponatur difformitas inter unitates, videtur inconveniens. Nam omnis difformitas est per aliquam formam vel passionem; sicut videmus quod corpora difformia differunt calido et frigido, albo et nigro, et huiusmodi passionibus: unitates autem huiusmodi passionibus carent, cum sint impassibiles secundum Platonicos; ergo non poterit inter ea poni talis difformitas vel differentia, quae causatur ab aliqua passione. Et sic patet quod ea quae Plato ponit de speciebus et numeris, nec sunt rationabilia, sicut illa quae per certam rationem probantur, nec sunt intelligentiae confessa, sicut ea quae sunt per se nota, et solo intellectu certificantur, ut prima demonstrationis principia.

[81814] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 10Deinde cum dicit amplius autem hic ponit tertiam rationem contra Platonem, quae talis est. Omnia mathematica, quae a Platone sunt dicta intermedia sensibilium et specierum, sunt ex numeris, aut simpliciter, sicut ex propriis principiis, aut sicut ex primis. Et hoc ideo dicit, quia secundum unam viam videtur quod numeri sint immediata principia aliorum mathematicorum; nam unum dicebant constituere punctum, binarium lineam, ternarium superficiem, quaternarium corpus. Secundum vero aliam viam videntur resolvi mathematica in numeros, sicut in prima principia et non in proxima. Nam corpora dicebant componi ex superficiebus, superficies ex lineis, lineas ex punctis, puncta autem ex unitatibus, quae constituunt numeros. Utroque autem modo sequebatur numeros esse principia aliorum mathematicorum.

[81815] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 11Sicut igitur alia mathematica erant media inter sensibilia et species, ita necessarium est facere aliquod genus numeri, quod sit aliud a numeris qui sunt species, et a numeris qui sunt substantia sensibilium: et quod de huiusmodi numero sit arithmetica, sicut de proprio subiecto, quae est una mathematicarum, sicut geometria de magnitudinibus mathematicis. Hoc autem ponere videtur superfluum esse. Nam nulla ratio poterit assignari quare sunt numeri medii inter praesentia, idest sensibilia et eas scilicet species, cum tam sensibilia quam species sint numeri.

[81816] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 12Deinde cum dicit amplius autem hic ponit quartam rationem, quae talis est. Ea quae sunt in sensibilibus et in mathematicis sunt causata ex speciebus: si igitur aliqua dualitas in sensibilibus et in mathematicis invenitur, oportet quod utraque unitas huius posterioris dualitatis sit causata ex priori dualitate, quae est species dualitatis. Et hoc est impossibile, scilicet quod unitas ex dualitate causetur. Hoc enim praecipue oportet dicere, si unitates unius numeri sint alterius speciei ab unitatibus alterius, quia tunc a specie ante illius numeri unitates, species sortientur. Et sic oportet quod unitates posterioris dualitatis sint causatae ex priori dualitate.

[81817] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 13Deinde cum dicit amplius quare hic ponit quintam rationem, quae talis est. Multa non conveniunt ad unum constituendum, nisi propter aliquam causam, quae potest accipi vel extrinseca, sicut aliquod agens quod coniungit, vel intrinseca, sicut aliquod vinculum uniens. Vel si aliqua uniuntur per seipsa, oportet ut unum sit ut potentia, et aliud ut actus. Nullum autem horum potest dici in unitatibus quare numerus idest ex qua causa numerus erit quoddamcomprehensum, idest congregatum ex pluribus unitatibus: quasi dicat: non erit hoc assignare.

[81818] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 14Deinde cum dicit amplius autem hic ponit sextam rationem, quae talis est. Si numeri sunt species et substantiae rerum, oportet, sicut praemissum est, dicere vel quod unitates sint differentes, aut convenientes. Si autem differentes, sequitur quod unitas, inquantum unitas, non sit principium. Quod patet per similitudinem sumptam a naturalium positione. Naturales enim aliqui posuerunt quatuor corpora esse principia. Quamvis autem commune sit ipsis hoc quod est esse corpus, non tamen ponebant corpus commune esse principium, sed magis ignem, terram, aquam et aerem, quae sunt corpora differentia. Unde, si unitates sint differentes, quamvis omnes conveniant in ratione unitatis, non tamen erit dicendum, quod ipsa unitas inquantum huiusmodi sit principium; quod est contra positionem Platonicorum. Nam nunc ab eis dicitur, quod unum sit principium, sicut primo de naturalibus dicitur quod ignis aut aqua aut aliquod corpus similium partium principium sit. Sed si hoc est verum quod conclusum est contra positionem Platonicorum, scilicet quod unum inquantum unum non sit principium et substantia rerum, sequeretur quod numeri non sunt rerum substantia. Numerus enim non ponitur esse rerum substantia, nisi inquantum constituitur ex unitatibus, quae dicuntur esse rerum substantiae. Quod iterum est contra positionem Platonicorum, quam nunc prosequitur, qua scilicet ponitur, quod numeri sint species.

[81819] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 15Si autem dicas quod omnes unitates sunt indifferentes, sequitur quod omne, idest universum totum sit aliquid unum et idem, ex quo substantia rei cuiuslibet est ipsum unum, quod est commune indifferens. Et ulterius sequitur, quod idem illud sit unum principium omnium: quod est impossibile ratione ipsius rationis, quae de se est inopinabilis, ut scilicet sint omnia unum secundum rationem substantiae; tum quia includit contradictionem ex eo quod ponit unam esse substantiam rerum, et tamen ponit illud unum esse principium. Nam unum et idem non est sui ipsius principium: nisi forte dicatur quod unum multipliciter dicitur, ut distincto uno ponantur omnia esse unum genere, et non specie vel numero.

[81820] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 16Volentes autem substantias hic disputat contra positionem Platonis quantum ad hoc quod posuit de magnitudinibus mathematicis. Et primo ponit eius positionem. Secundo obiicit contra ipsam, ibi, attamen quomodo habebit et cetera. Dicit ergo primo, quod Platonici volentes rerum substantias reducere ad prima principia, cum ipsas magnitudines dicerent esse substantias rerum sensibilium, lineam, superficiem et corpus, istorum principia assignantes, putabant se rerum principia invenisse. Assignando autem magnitudinum principia, dicebant longitudines, idest lineas componi ex producto et brevi, eo quod principia rerum omnium ponebant esse contraria. Et quia linea est prima inter quantitates continuas, ei per prius attribuebant magnum et parvum, ut per hoc quod haec duo sunt principia lineae, sint etiam principia aliarum magnitudinum. Dicit autem ex aliquo parvo et magno, quia parvum et magnum etiam in speciebus ponebantur, ut dictum est, sed secundum quod per situm determinatur et quodammodo particulari ad genus magnitudinum, constituunt primo lineam, et deinde alias magnitudines. Planum autem, idest superficiem eadem ratione dicebant componi ex lato et arcto, et corpus ex profundo et humili.

[81821] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 17Deinde cum dicit attamen quomodo hic obiicit contra praedictam positionem duabus rationibus: quarum prima talis est. Quorum principia sunt diversa, ipsa etiam sunt diversa; sed principia dictarum magnitudinum secundum praedictam positionem sunt diversa. Latum enim et arctum, quae ponuntur principia superficiei, sunt alterius generis quam profundum et humile, quae ponuntur principia corporis. Et similiter potest dici de longo et brevi quod differunt ab utroque; ergo etiam linea et superficies et corpus erunt adinvicem distincta. Quomodo ergo poterat dici quod superficies haberet in se lineam, et quod corpus habeat lineam et superficiem? Et ad huius rationis confirmationem inducit simile de numero. Multum enim et paucum, quae simili ratione ponuntur principia rerum, sunt alterius generis a longo et brevi, lato et stricto, profundo et humili. Et ideo numerus non continetur in his magnitudinibus, sed est separatus per se. Unde et eadem ratione nec superius inter praedicta erit etiam in inferioribus, sicut linea non in superficie, nec superficies in corpore.

[81822] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 18Sed quia posset dici, quod quaedam praedictorum contrariorum sunt genera aliorum, sicut quod longum esset lati genus, et latum genus profundi; hoc removet tali ratione. Sicut habent se principia adinvicem, et principiata: si igitur latum est genus profundi, et superficies erit genus corporis. Et ita corpus erit aliquod planum, idest aliqua species superficiei: quod patet esse falsum.

[81823] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 19Deinde cum dicit amplius puncta hic ponit secundam rationem, quae sumitur ex punctis; circa quam Plato videtur dupliciter deliquisse. Primo quidem, quia cum punctus sit terminus lineae, sicut linea superficiei, et superficies corporis; sicut posuit aliqua principia, ex quibus componuntur praedicta, ita debuit aliquid ponere ex quo existerent puncta; quod videtur praetermisisse.

[81824] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 20Secundo, quia circa puncta videbatur diversimode sentire. Quandoque enim contendebat totam doctrinam geometricam de hoc genere existere, scilicet de punctis, inquantum scilicet puncta ponebat principia et substantiam omnium magnitudinum. Et hoc non solum implicite, sed etiam explicite punctum vocabat principium lineae, sic ipsum definiens. Multoties vero dicebat, quod lineae indivisibiles essent principia linearum, et aliarum magnitudinum; et hoc genus esse, de quo sit geometria, scilicet lineae indivisibiles. Et tamen per hoc quod ponit ex lineis indivisibilibus componi omnes magnitudines, non evadit quin magnitudines componantur ex punctis, et quin puncta sint principia magnitudinum. Linearum enim indivisibilium necessarium esse aliquos terminos, qui non possunt esse nisi puncta. Unde ex qua ratione ponitur linea indivisibilis principium magnitudinum, ex eadem ratione et punctum principium magnitudinis ponitur.

LEÇON 16.

(nn. 239-258; [122-132]).

 

Au moyen de nombreux arguments, Aristote renverse la position de Platon qui affirme que les Idées et les espèces des êtres sensibles sont des nombres. De plus, il réfute la position qui prétend que le grand et le petit sont les principes de l’étendue.

 

239. Le Philosophe rejette ici l’opinion de Platon sur les Idées quant à ceci qu’il affirmait qu’elles sont des nombres.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il argumente contre ce que Platon affirma au sujet des nombres [122]. Deuxièmement il argumente contre ce qu’il affirma au sujet des autres entités mathématiques, là [130] où il dit : ¨ Mais voulant ramener les substances etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente six arguments dont voici le premier [122]. Parmi les choses qui sont identiques selon la substance, l’une n’est pas la cause d’une autre. Mais d’après les Platoniciens et les Pythagoriciens, les êtres sensibles sont des nombres selon la substance : si donc les Idées aussi sont des nombres, ils ne pourront affirmer que ces dernières sont les causes des êtres sensibles.

240. Mais si on dit qu’autres sont les nombres des Idées et ceux des êtres sensibles ainsi que Platon l’affirmait mot pour mot, comme si nous disions que l’homme est ce nombre et que Socrate est cet autre nombre et encore que Callias en est un autre, cela ne suffit pas encore à renverser l’objection car même là d’après Platon les êtres sensibles et les Idées se rencontrent dans la nature du nombre : et encore une fois, parmi les choses qui sont identiques selon la nature, l’une ne semble pas pouvoir être la cause d’une autre; donc, les Idées se seront pas les causes des êtres sensibles.

241. De plus, on ne peut dire que les Idées soient des causes pour cette raison que ces nombres qui sont des Idées sont éternels. Cette différence en effet ne suffit pas à affirmer que certains soient les causes des autres car si certains diffèrent en ceci qu’ils sont éternels et d’autres non, c’est quant à leur être considéré absolument; mais si certains sont des causes et d’autres des effets, c’est selon un rapport de l’un à l’autre : donc des êtres qui diffèrent par le nombre ne diffèrent pas sous le rapport de la cause et de l’effet du seul fait que certains sont éternels et d’autres non.

242. Mais si on dit que ces êtres sensibles sont des ¨ rapports¨, c’est-à-dire des proportions entre les nombres et que de cette manière les nombres sont les causes de ces êtres sensibles, à la manière de ce que l’on voit dans les ¨symphonies¨, c’est-à-dire dans les accords musicaux, car on dit que les nombres sont les causes des accords dans la mesure où les proportions numériques appliquées aux sons engendrent des accords, il est clair qu’en dehors de ces nombres il fallait poser dans les êtres sensibles un principe d’unité selon le genre auquel les proportions numériques puissent être appliquées comme à un sujet, de telle manière que les êtres sensibles soient constitués à partir des choses qui font l’objet des proportions de ce genre, tout comme en dehors des proportions numériques qu’on retrouve dans les accords il y a forcément des sons. Mais si cela même à quoi on applique cette proportion numérique dans les êtres sensibles est la matière, il est évident qu’il fallait dire que ces nombres séparés eux-mêmes qui sont les Idées sont des rapports d’une chose à une autre. Il faut en effet dire que cet homme qui est Callias ou Socrate, est semblable à l’homme idéal qu’on appelle ¨ l’homme en soi ¨, c’est-à-dire l’homme par soi. Si donc Callias n’est pas seulement un nombre, mais un certain rapport ou une proportion dans les nombres des éléments, à savoir du feu, de la terre, de l’eau et de l’air, l’homme idéal sera lui-même un certain rapport ou une proportion dans les nombres de certaines autres choses et ainsi cet homme idéal ne sera pas un nombre quant à sa nature même. D’où il suit qu’il n’y aura plus aucun nombre ¨ en dehors d’elles ¨, c’est-à-dire en dehors des choses auxquelles on attribue les nombres. Si en effet le nombre des Idées est ce qu’il y a de plus séparé et que ce dernier n’est pas séparé des choses mais qu’il est plutôt une certaine proportion numérique de choses prises comme des sujets, alors il n’existera aucun autre nombre séparé, ce qui est contraire à la position de Platon.

243. Mais il s’ensuit que l’homme idéal soit une proportion numérique entre certains éléments, qu’on affirme ou non qu’il soit un nombre, tant en effet de la part de ceux qui affirment que les substances sont des nombres que de la part des naturalistes qui n’affirmaient pas que les substances sont des nombres : il faut qu’on retrouve dans les substances des choses certaines proportions numériques, ce qu’Empédocle exprime d’une façon particulièrement claire, lui qui affirmait que toute réalité sensible est constituée d’une harmonie et d’une proportion.

244. Ensuite lorsqu’il dit [123] : ¨ En outre à partir ¨.

   Il présente ici le deuxième argument que voici. À partir de plusieurs nombres on obtient un nombre unique. Si donc les Idées sont des nombres, à partir de plusieurs Idées on obtiendra une Idée unique, ce qui est impossible. Car si à partir de plusieurs choses d’espèces différentes est constituée une chose d’une seule espèce, cela se fera par un mélange dans lequel ne sont pas conservées les espèces de ce qui est mélangé tout comme dans la production de la pierre les espèces des quatre éléments ne sont pas conservées. Et de plus à partir d’une telle diversité selon l’espèce on n’obtient pas une unité en raison des espèces car ce ne sont pas les espèces elles-mêmes qui s’unissent pour obtenir une unité, mais c’est en raison des éléments individuels qui sont altérés pour pouvoir être mélangés; mais les espèces mêmes des nombres deux et trois s’unissent ensemble pour constituer le nombre cinq de telle manière que dans ce dernier nombre les deux autres demeurent et sont conservés.

245. Mais parce que Platon pourrait encore objecter à cet argument que ce n’est pas à partir de plusieurs nombres qu’on obtient un nombre unique mais que tout nombre est engendré immédiatement à partir des unités contenues dans les nombres, c’est pourquoi Aristote écarte aussi cette réponse lorsqu’il dit par la suite [124] : ¨ Mais si on dit que ce n’est pas etc.¨.

   Si en effet on dit qu’un nombre plus grand, par exemple mille, n’est pas constitué ¨à partir d’eux¨, c’est-à-dire à partir de deux ou de plusieurs nombres plus petits, mais qu’il est constitué ¨à partir de  l’un¨, c’est-à-dire à partir des unités contenues dans les nombres, il restera à savoir quelle sorte de rapport il y a entre ces unités et à partir de quelles unités les nombres sont constitués. En effet il faut ou bien que toutes ces unités soient spécifiquement identiques entre elles  ou bien qu’elles ne le soient pas.

246. Si elles le sont, il s’ensuivra de nombreuses difficultés et surtout pour ceux qui posent que les Idées sont des nombres car il s’ensuit que les différentes Idées ne diffèrent pas quant à leur nature, mais seulement quant au plus ou au moins d’une Idée par rapport à une autre. Il s’ensuit encore une difficulté si les unités ne diffèrent d’aucune manière; et cependant elles sont une multiplicité alors que la différence découle de la multiplicité.

247. Si d’un autre côté les unités ne sont pas spécifiquement identiques, cela peut se produire de deux manières. Premièrement, soit que les unités d’un nombre sont différentes de celles d’un autre nombre, comme les unités du nombre deux différeraient de celles du nombre trois, alors que les unités d’un seul et même nombre seraient identiques entre elles; deuxièmement, soit que les unités d’un seul et même nombre ne soient ni identiques entre elles ni identiques aux unités d’un autre nombre. Et c’est cette division qu’Aristote veut signifier lorsqu’il dit ¨ ni identiques entre elles ¨, c’est-à-dire entre celles qui se rapportent à un même nombre, ¨ ni identiques à tous les autres ¨, c’est-à-dire ni à celles qui se rapportent à des nombres différents. – Mais de quelque manière qu’on pose une différence entre les unités, des problèmes apparaissent. Car toute différence existe au moyen d’une forme ou d’une propriété tout comme nous voyons que les corps dissemblables diffèrent par le chaud et le froid, le blanc et le noir, et par d’autres propriétés de cette sorte; mais les unités sont privées des propriétés de cette sorte puisqu’elles sont impassibles selon les Platoniciens; on ne pourra donc établir entre elles une telle dissemblance ou une telle différence qui est causée par une passibilité. Et ainsi il est évident que ce que Platon affirme au sujet des Idées et des nombres n’est ni ¨rationnel¨ comme doit l’être ce qui est prouvé au moyen d’un raisonnement valide, ni ¨une révélation de l’intelligence¨ comme l’est tout ce qui est connu par soi et qui est certifié par la seule intelligence comme le sont les premiers principes de la démonstration.

248. Ensuite lorsqu’il dit [126] : ¨ Mais en outre ¨.

   Voici le troisième argument qu’il présente contre Platon. Tous les êtres mathématiques, que Platon appelait des intermédiaires entre les êtres sensibles et les Idées, tirent leurs origines des nombres soit d’une manière absolue, comme à partir de leurs principes propres, soit comme à partir de leurs premiers principes. Et il dit cela car selon la première manière il semble que les nombres soient les principes immédiats des autres êtres mathématiques car ils affirmaient que l’un est le principe du point, deux celui de la ligne, trois celui de la surface et quatre celui du corps. Et selon la deuxième manière les êtres mathématiques semblent se ramener aux nombres comme dans leurs principes premiers et non comme en leurs principes prochains. Car ils affirmaient que les corps sont composés de surfaces, les surfaces de ligne, les lignes de points et que les points sont composés à leur tour des unités qui constituent les nombres. Mais selon les deux cas il s’ensuivait que les nombres sont les principes des autres êtres mathématiques.

249. Donc tout comme les autres êtres mathématiques étaient des intermédiaires entre les êtres sensibles et les Idées, ainsi il est nécessaire de poser l’existence d’un genre de nombres qui soit différent à la fois de celui qu’on retrouve dans les Idées et de celui qui constitue la substance des êtres sensibles et il est nécessaire que ce soit ce genre de nombres que l’arithmétique, qui est une partie des mathématiques, considère comme son objet propre tout comme la géométrie considère le sien comme étant les étendues mathématiques. Mais affirmer cela semble superflu car il n’y a aucune raison qui puisse expliquer pourquoi il faut poser l’existence de nombres intermédiaires ¨entre ce monde¨, c’est-à-dire les réalités sensibles qui nous entourent et ¨celui-là¨, c’est-à-dire le monde des Idées, puisque l’un comme l’autre sont déjà des nombres.

250. Ensuite lorsqu’il dit [127] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici le quatrième argument. Tout ce qu’on retrouve dans les êtres sensibles et dans les êtres mathématiques a pour cause les Idées; si donc on retrouve une dyade dans les êtres sensibles comme dans les êtres mathématiques il faut que les deux unités de chacune de ces dernières dyades soient causées par la première dyade qui est l’Idée même de la dyade. Mais cela même est impossible, à savoir que l’unité soit causée par la dyade. C’est ce qu’il faut dire en effet, surtout si les unités d’un nombre sont d’une autre espèce que celles d’un autre nombre car alors les Idées seraient obtenues par une Idée antérieure aux unités de ce nombre. Et c’est ainsi qu’il faut que les unités d’une dyade postérieure soient causées à partir d’une dyade antérieure.

251. Ensuite lorsqu’il dit [128] : ¨ En outre c’est pourquoi ¨.

   Il présente ici son cinquième argument. De nombreux éléments ne se rencontrent pour constituer une unité qu’au moyen d’une cause qu’on peut entendre soit comme extrinsèque, comme un agent qui unit, soit comme intrinsèque à la manière d’un lien qui unit. Ou si des éléments s’unissent par eux-mêmes, il faut que l’un d’eux tienne lieu de puissance et l’autre d’acte. Mais aucune de ces possibilités ne peut être attribuée aux unités et qui pourrait expliquer ¨pourquoi le nombre¨, c’est-à-dire pour quelle raison le nombre serait ¨un composé¨, c’est-à-dire une réunion de plusieurs unités; c’est comme s’il disait : on ne pourra l’attribuer.

252. Ensuite lorsqu’il dit [129] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici le sixième argument. Si les nombres sont les Idées et les substances des choses, il faut alors dire, comme nous l’avons fait précédemment, soit que les unités sont différentes, soit qu’elles sont semblables. – Mais si elles sont différentes, il s’ensuit alors que l’unité en tant qu’unité n’est pas principe. Ce qui devient évident au moyen de la ressemblance tirée de l’opinion des naturalistes. Certains naturalistes en effet affirmaient que quatre corps étaient les principes. Mais bien qu’il soit commun à ces éléments d’être des corps, ils n’affirmaient cependant pas que le corps, pris universellement, est principe, mais plutôt que c’est le feu, la terre, l’eau et l’air, qui sont des corps distincts, qui le sont. De là, si les unités sont différentes, bien que toutes s’accordent dans la nature de l’unité, il ne faudra cependant pas affirmer que l’unité elle-même en tant que telle est le principe, ce qui est contraire à l’opinion des Platoniciens car ils affirment maintenant que l’Un est le principe à la manière dont les Naturalistes affirmaient en premier que le feu, l’eau, ou un autre corps composé d’éléments semblables, est le principe des choses naturelles. Mais si ce qui a été conclu à l’encontre de la position des Platoniciens est vrai, à savoir que l’un en tant qu’un n’est pas le principe et la substance des choses, il s’ensuit que les nombres ne sont pas la substance des choses. Le nombre en effet n’est posé par eux comme substance des choses que dans la mesure où il est composé d’unités qu’eux-mêmes posent  comme étant la substance des choses. Et cela aussi est contraire à la position des Platoniciens que nous examinons ici et qui prétend que les Idées sont des nombres.

253. Mais si tu dis que toutes les unités sont comme indifférenciées, il s’ensuit que ¨tout¨, c’est-à-dire l’ensemble de l’univers, soit une seule et même chose, d’où il suivra que la substance de toute chose sera cet un lui-même qui est commun et indifférencié. Et de plus il s’ensuivra que ce même un sera le principe de tous les êtres : ce qui est impossible à cause de ce raisonnement lui-même qui est impensable, à savoir que tous les êtres n’en seraient plus qu’un sous le rapport de la substance; car ce raisonnement implique une contradiction du fait qu’il pose que la substance des êtres est une et il pose néanmoins que cet un est le principe; car un même être ne peut être principe de lui-même, à moins bien sûr que l’on dise que l’un se dit de plusieurs manières de sorte qu’ayant distingué l’un, tous les êtres soient posés comme étant un par le genre et non par l’espèce ou par le nombre.

254. Ensuite lorsqu’il dit [130] : ¨ Mais voulant ramener les substances ¨

   Il argumente ici contre la position de Platon quant à ce qu’il affirmait au sujet des grandeurs mathématiques.

   Et en premier lieu il présente son opinion. En deuxième lieu il s’oppose à elle, là [131] où il dit : ¨ Et cependant, comment contiendra-t-elle etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [130] que les Platoniciens, voulant ramener les substances des choses à leurs premiers principes, comme ils affirmaient que les étendues elles-mêmes sont les substances des choses sensibles, en assignant les principes des étendues comme étant la ligne, la surface et le corps, ils croyaient avoir trouvé les principes des choses. Mais en identifiant les principes des étendues, ils disaient que ¨les longueurs¨, c’est-à-dire les lignes, étaient composées du court et du long du fait qu’ils posaient que les principes de toutes les choses étaient les contraires. Et parce que la ligne est la première de toutes les quantités continues, c’est à elle en premier qu’ils attribuaient le petit et le grand de telle manière qu’étant ainsi principes de la ligne, ils soient aussi principes des autres étendues. Mais il dit ¨à partir du petit et du grand¨ parce que, comme nous l’avons dit, ils posaient le petit et le grand dans les Idées aussi, mais selon que par le lieu le petit et le grand sont déterminés et en quelque sorte particularisés au genre des étendues, ils constituent en premier lieu la ligne et ensuite les autres étendues. ¨Mais le plan¨, c’est-à-dire la surface, était considéré par eux comme étant composé du large et de l’étroit et le corps du l’épais et du mince.

255. Ensuite lorsqu’il dit [131] : ¨ Et cependant comment ¨.

   Il s’oppose ici à cette position au moyen de deux raisonnements dont voici le premier. Les choses dont les principes sont différents sont elles aussi différentes. Mais selon l’opinion précédente les principes de ces étendues sont différents. En effet le large et l’étroit, dont on affirme qu’ils sont les principes de la surface sont d’un autre genre que l’épais et le mince dont on affirme qu’ils sont les principes du corps. Et de même on pourrait dire que le long et le court diffèrent des deux premières divisions; donc, la ligne, la surface et le corps aussi différeront entre eux. Donc, comment pourrait-on dire que la surface contient en elle la ligne et que le corps contient à son tour la ligne et la surface? Et pour confirmer cet argument il introduit une comparaison avec le nombre. En effet, le beaucoup et le peu qui pour la même raison sont posés comme principes des choses appartiennent aussi à un autre genre que le long et le court, le large et l’étroit, l’épais et le mince. Et c’est pourquoi le nombre n’est pas contenu dans ces étendues mais en est séparé de soi. De là et pour la même raison ce qui est logiquement antérieur dans ce qui précède ne sera pas contenu dans une grandeur postérieure ou inférieure, comme la ligne ne le sera pas dans la surface ni la surface dans le corps.

256. Mais parce qu’on pourrait dire que certains des contraires qui précèdent sont les genres des autres, comme le long serait le genre du large et le large celui de l’épais, il rejette cette énoncé pour la raison suivante. Le rapport entre les effets est le même que celui qui existe entre les principes : si donc le large est le genre de l’épais, la surface sera le genre du corps et ainsi le corps sera comme une surface, c’est-à-dire une espèce de surface, ce qui est évidemment faux.

257. Ensuite lorsqu’il dit [132] : ¨ En outre le point ¨.

   Il présente ici son deuxième argument qui procède de la notion de point et sur laquelle Platon semble s’être égaré de deux manières. En premier lieu certes parce que comme le point est le terme de la ligne, tout comme la ligne est le terme de la surface et cette dernière celui du corps, comme il posa des principes à partir desquels sont constituées les étendues précédentes, il aurait dû en poser aussi pour ce qui se rapporte à l’existence des points. Ce qu’il semble avoir omis.

258. En deuxième lieu, parce qu’il semble avoir porté un jugement différent sur les points. Il prétendait en effet parfois que toute la science de la géométrie portait sur ce genre, à savoir sur les points, c’est-à-dire dans la mesure où il affirmait que les points sont les principes et la substance de toutes les étendues. Et ses vues là-dessus n’étaient pas seulement implicites, mais il appelait explicitement le point le principe de la ligne comme s’il en faisait une définition. En plusieurs occasions en vérité il disait que les lignes indivisibles étaient les principes des lignes et des autres étendues et que ce genre, à savoir les lignes indivisibles, appartenait à la géométrie. Et cependant, en affirmant ainsi que toutes les étendues sont constituées de lignes indivisibles, il ne pouvait éviter que les étendues soient composées de points et que les points soient les principes des  étendues. En effet, il est nécessaire que même les lignes indivisibles aient des termes et ces termes ne peuvent être que des points. Par conséquent, l’argument qui dans cette doctrine pose la ligne indivisible comme principe des étendues vaut aussi pour poser que le point comme principe des étendues.

 

 

LECTIO 17

[81825] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 1Hic improbat positionem Platonis quantum ad hoc, quod ponebat de rerum principiis. Et primo quantum ad hoc quod ponebat principia essendi. Secundo quantum ad hoc quod ponebat principia cognoscendi, ibi, quomodo autem aliquis et cetera. Circa primum ponit sex rationes; quarum prima sumitur ex hoc, quod genera causarum praetermittebat. Unde dicit quod omnino sapientia, scilicet philosophia habet inquirere causas de manifestis, idest de his, quae sensui apparent. Ex hoc enim homines inceperunt philosophari, quod causas inquisiverunt, ut in prooemio dictum est. Platonici autem, quibus se connumerat, rerum principia praetermiserunt, quia nihil dixerunt de causa efficiente, quae est principium transmutationis. Causam vero formalem putaverunt se assignare ponentes ideas. Sed, dum ipsi putaverunt se dicere substantiam eorum, scilicet sensibilium, dixerunt quasdam esse alias substantias separatas ab istis diversas. Modus autem, quo assignabant illa separata esse substantias horum sensibilium, est supervacuus, idest efficaciam non habens nec veritatem. Dicebant enim quod species sunt substantiae eorum inquantum ab istis participantur. Sed hoc quod de participatione dicebant, nihil est, sicut ex supradictis patet. Item species, quas ipsi ponebant, non tangunt causam finalem, quod tamen videmus in aliquibus scientiis, quae demonstrant per causam finalem, et propter quam causam omne agens per intellectum et agens per naturam operatur, ut secundo physicorum ostensum est. Et sicut ponendo species non tangunt causam quae dicitur finis, ita nec causam quae dicitur principium, scilicet efficientem, quae fini quasi opponitur. Sed Platonicis praetermittentibus huiusmodi causas facta sunt naturalia, ac si essent mathematica sine motu, dum principium et finem motus praetermittebant. Unde et dicebant quod mathematica debent tractari non solum propter seipsa, sed aliorum gratia, idest naturalium, inquantum passiones mathematicorum sensibilibus attribuebant.

[81826] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 2Deinde cum dicit amplius autem hic ponit secundam rationem, quae talis est. Illud, quod ponitur tamquam rei materia, magis est substantia rei et praedicabile de re, quam illud quod est separatum a re: sed species est separata a rebus sensibilibus: ergo secundum Platonicorum opinionem magis aliquid suscipiet substantiam subiectam, ut materiam, esse substantiam mathematicorum quam speciem separatam. Magis etiam suscipiet eam praedicari de re sensibili quam speciem praedictam. Platonici enim ponebant magnum et parvum esse differentiam substantiae et materiei. Haec enim duo principia ponebant ex parte materiae, sicut naturales ponentes rarum et densum esse primas differentias subiecti idest materiae, per quas scilicet materia transmutabatur, dicentes eas quodammodo scilicet magnum et parvum. Quod ex hoc patet, quia rarum et densum sunt quaedam superabundantia et defectio. Spissum enim est quod habet multum de materia sub eisdem dimensionibus. Rarum quod parum. Et tamen Platonici substantiam rerum sensibilium magis dicebant species quam mathematica, et magis praedicari.

[81827] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 3Deinde cum dicit et de motu hic ponit tertiam rationem, quae talis est. Si ea, quae sunt in sensibilibus, causantur a speciebus separatis, necessarium est dicere quod sit in speciebus idea motus, aut non. Si est ibi aliqua species et idea motus, etiam constat quod non potest esse motus sine eo quod movetur, necesse erit quod species moveantur; quod est contra Platonicorum opinionem, qui ponebant species immobiles. Si autem non sit idea motus, ea autem quae sunt in sensibilibus causantur ab ideis, non erit assignare causam, unde motus veniat ad ista sensibilia. Et sic aufertur tota perscrutatio scientiae naturalis, quae inquirit de rebus mobilibus.

[81828] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 4Deinde cum dicit et quod hic ponit quartam rationem, quae talis est. Si unum esset substantia rerum omnium sicut Platonici posuerunt, oporteret dicere quod omnia sint unum, sicut et naturales, qui ponebant substantiam omnium esse aquam, et sic de elementis aliis. Sed facile est monstrare, quod omnia non sunt unum: ergo positio quae ponit substantiam omnium esse unum, est improbabilis.

[81829] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 5Si autem aliquis dicat quod ex positione Platonis non sequitur quod omnia sint unum simpliciter, sed aliquod unum, sicut dicimus aliqua esse unum secundum genus, vel secundum speciem; si quis velit dicere sic omnia esse unum, nec hoc etiam poterit sustineri, nisi hoc quod dico unum, sit genus, vel universale omnium. Per hunc enim modum possemus dicere omnia esse unum specialiter, sicut dicimus hominem et asinum esse animal substantialiter. Hoc autem quibusdam videtur impossibile, scilicet quod sit unum genus omnium; quia oporteret, quod differentia divisiva huius generis non esset una, ut in tertio dicetur, ergo nullo modo potest poni quod substantia rerum omnium sit unum.

[81830] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 6Deinde cum dicit nullam namque hic ponit quintam rationem, quae talis est. Plato ponebat post numeros, longitudines et latitudines et soliditates esse substantias rerum sensibilium, ex quibus scilicet corpora componerentur. Hoc autem secundum Platonis positionem nullam rationem habere videtur, quare debeant poni nec in praesenti, nec in futuro. Nec etiam videtur habere aliquam potestatem ad hoc quod sint sensibilium causae. Per praesentia enim hic oportet intelligi immobilia, quia semper eodem modo se habent. Per futura autem corruptibilia et generabilia, quae esse habent post non esse. Quod sic patet. Plato enim ponebat tria genera rerum; scilicet sensibilia, et species, et mathematica quae media sunt. Huiusmodi autem lineae et superficies, ex quibus componuntur corpora sensibilia, non est possibile esse species, quia species sunt numeri essentialiter. Huiusmodi autem sunt post numeros. Nec iterum potest dici quod sunt intermedia inter species et sensibilia. Huiusmodi enim sunt entia mathematica, et a sensibilibus separata: quod non potest dici de illis lineis et superficiebus ex quibus corpora sensibilia componuntur. Nec iterum possunt esse sensibilia. Nam sensibilia sunt corruptibilia; huiusmodi autem incorruptibilia sunt, ut infra probabitur in tertio. Ergo vel ista nihil sunt, vel sunt quartum aliquod genus entium, quod Plato praetermisit.

[81831] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 7Deinde cum dicit et omnino hic ponit sextam rationem, quae talis est. Impossibile est invenire principia alicuius multipliciter dicti, nisi multiplicitas dividatur. Ea enim quae solo nomine convenientia sunt et differunt ratione, non possunt habere principia communia, quia sic haberent rationem eamdem, cum rei cuiuscumque ratio ex suis principiis sumatur. Distincta autem principia his, quibus solum nomen commune est, assignari impossibile est, nisi his quorum principia sunt assignanda adinvicem diversis. Cum igitur ens multipliciter dicatur et non univoce de substantia et aliis generibus, inconvenienter assignat Plato principia existentium, non dividendo abinvicem entia.

[81832] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 8Sed quia aliquis posset aliquibus ratione differentibus, quibus nomen commune est, principia assignare, singulis propria principia captando, sine hoc quod nominis communis multiplicitatem distingueret, hoc etiam Platonici non fecerunt. Unde et aliter, idest alia ratione inconvenienter rerum principia assignaverunt quaerentes ex quibus elementis sunt entia, secundum hunc modum, quo quaesierunt, ut scilicet non omnibus entibus sufficientia principia assignarent. Non enim ex eorum dictis est accipere ex quibus principiis est agere aut pati, aut curvum aut rectum, aut alia huiusmodi accidentia. Assignabant enim solum principia substantiarum, accidentia praetermittentes.

[81833] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 9Sed si aliquis defendendo Platonem dicere vellet, quod tunc contingit omnium entium elementa esse acquisita aut inventa, quando contingit solarum substantiarum principia habita esse vel inventa, hoc opinari non est verum. Nam licet principia substantiarum etiam quodammodo sint principia accidentium, tamen accidentia propria principia habent. Nec sunt omnibus modis omnium generum eadem principia, ut ostendetur infra, undecimo vel duodecimo huius.

[81834] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 10Deinde cum dicit quomodo autem disputat contra Platonem quantum ad hoc, quod ponebat ideas esse principia scientiae in nobis. Et ponit quatuor rationes: quarum prima est. Si ex ipsis ideis scientia in nobis causatur, non continget addiscere rerum principia. Constat autem quod addiscimus. Ergo ex ipsis ideis scientia non causatur in nobis. Quod autem non contingeret aliquid addiscere sic probat. Nullus enim praecognoscit illud quod addiscere debet; sicut geometra, etsi praecognoscat alia quae sunt necessaria ad demonstrandum, tamen ea quae debet addiscere non debet praecognoscere. Et similiter est in aliis scientiis. Sed si ideae sunt causa scientiae in nobis, oportet quod omnium scientiam habeant, quia ideae sunt rationes omnium scibilium: ergo non possumus aliquid addiscere, nisi aliquis dicatur addiscere illud quod prius praecognovit. Unde si ponatur quod aliquis addiscat, oportet quod non praeexistat cognoscens illa quae addiscit, sed quaedam alia cum quibus fiat disciplinatus, idest addiscens praecognita omnia, idest universalia aut quaedam, idest singularia. Universalia quidem, sicut in his quae addiscuntur per demonstrationem et definitionem; nam oportet sicut in demonstrationibus, ita in definitionibus esse praecognita ea, ex quibus definitiones fiunt, quae sunt universalia; singularia vero oportet esse praecognita in his quae discuntur per inductionem.

[81835] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 11Deinde cum dicit sed si est hic ponit secundam rationem, quae talis est. Si ideae sunt causa scientiae, oportet nostram scientiam esse nobis connaturalem. Sensibilia enim per haec naturam propriam adipiscuntur, quia ideas participant secundum Platonicos. Sed potissima disciplina sive cognitio est illa quae est nobis connaturalis, nec eius possumus oblivisci, sicut patet in cognitione primorum principiorum demonstrationis, quae nullus ignorat: ergo nullo modo possumus omnium scientiam ab ideis in nobis causatam oblivisci. Quod est contra Platonicos, qui dicebant quod anima ex unione ad corpus obliviscitur scientiae, quam naturaliter in omnibus habet: et postea per disciplinam addiscit homo illud quod est prius notum, quasi addiscere nihil sit nisi reminisci.

[81836] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 12Deinde cum dicit amplius autem hic ponit tertiam rationem, quae talis est. Ad rerum cognitionem requiritur, quod homo non solum cognoscat formas rerum, sed etiam principia materialia, ex quibus componitur. Quod ex hoc patet, quia de his interdum contingit esse dubitationem, sicut de hac syllaba sma, quidam dubitant utrum sit composita ex tribus literis scilicet s, m, a, aut sit una litera praeter omnes praedictas habens proprium sonum. Sed ex ideis non possunt cognosci nisi principia formalia, quia ideae sunt formae rerum: ergo non sunt sufficientes causae cognitionis rerum principiis materialibus remanentibus ignotis.

[81837] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 13Deinde cum dicit amplius autem hic ponit quartam rationem, quae talis est. Ad cognitionem rerum oportet de sensibilibus notitiam habere, quia sensibilia sunt manifesta elementa materialia omnium rerum, ex quibus componuntur, sicut voces compositae, ut syllabae et dictiones componuntur ex propriis elementis. Si igitur per ideas scientia in nobis causatur, oportet quod per ideas causetur in nobis cognitio sensibilium. Cognitio autem in nobis causata ex ideis sine sensu est accepta, quia per sensum non habemus habitudinem ad ideas. In cognoscendo ergo sequitur quod aliquis non habens sensum possit cognoscere sensibilia, quod patet esse falsum. Nam caecus natus non potest habere scientiam de coloribus.

[81838] Sententia Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 14Deinde cum dicit quoniam ergo hic colligit ea, quae ab antiquis de principiis dicta sunt; dicens quod ex prius dictis est manifestum, quod antiqui philosophi conati sunt quaerere causas a nobis in libro physicorum determinatas, et quod per dicta eorum non habemus aliquam causam extra causas ibi declaratas. Has autem causas obscure dixerunt, et quodammodo omnes ab eis sunt tactae, quodammodo vero nullam earum tetigerunt. Sicut enim pueri de novo loqui incipientes imperfecte et balbutiendo loquuntur, ita philosophia priorum philosophorum nova existens, visa est balbutiendo et imperfecte de omnibus loqui circa principia. Quod in hoc patet quod Empedocles primo dixit quod ossa habent quamdam rationem idest commixtionem proportionis, quae quidem ratio est quod quid est et substantia rei. Sed similiter necessarium est de carne et de singulis aliorum, aut de nullo. Omnia enim ista ex elementis commixta sunt. Et propter hoc patet quod caro et os et omnia huiusmodi non sunt id quod sunt, propter materiam quae ab eo ponitur quatuor elementa, sed propter hoc principium, scilicet formale. Hoc autem Empedocles quasi ex necessitate veritatis coactus posuit aliquo alio expressius ista dicente, sed ipse manifeste non expressit. Et sicut expresse non manifestaverunt naturam formae, ita nec materiae, ut supra de Anaxagora dictum est. Et similiter nec alicuius alterius principii. De talibus ergo quae ab aliis imperfecte dicta sunt, dictum est prius. Iterum autem in tertio libro recapitulabimus de istis quaecumque circa hoc potest aliquis dubitare ad unam partem vel ad aliam. Ex talibus enim dubitationibus forsitan investigabimus aliquid utile ad dubitationes, quas posterius per totam scientiam prosequi et determinare oportet.

LEÇON 17.

(nn. 259-272; [133-143]).

 

Au moyen de plusieurs raisonnements il montre que les Idées ne peuvent être les principes ni de l’existence ni de la connaissance.

 

259. Aristote rejette ici l’opinion de Platon quant à ce qu’il affirmait au sujet des principes des choses.

   Et en premier lieu il le fait quant à ce qu’il affirmait sur les principes de l’existence [133]. Deuxièmement il le fait quant à ce qu’il affirmait sur les principes de la connaissance, là [139] où il dit : ¨ Mais comment quelqu’un etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente six raisonnements dont le premier se tire de ce [133] qu’il avait négligé les genres des causes. C’est pourquoi il dit que ¨ toute la sagesse ¨, c’est-à-dire la philosophie, se doit de rechercher les causes ¨ de ce qui est manifeste ¨, c’est-à-dire des choses qui se dévoilent aux sens. C’est à partir de là en effet que les hommes ont commencé à philosopher en menant leurs recherches sur les causes, ainsi que nous l’avons dit dans le proème. Cependant les Platoniciens, dont il estimait faire partie, ont passé sous silence les principes des choses car ils ne dirent rien de la cause efficiente qui est le principe du changement. Ils crurent identifier la cause formelle en posant l’existence des Idées. Mais alors qu’eux-mêmes pensaient exprimer la substance de ces choses, c’est-à-dire des choses sensibles, ils posèrent plutôt l’existence d’autres substances séparées et distinctes de ces dernières. Mais la manière par laquelle ils affirmèrent que ces substances séparées étaient la substance des choses sensibles est ¨ extrêmement vide de sens ¨, c’est-à-dire qu’elle est dépourvue de force et de vérité. Ils disaient en effet que ces substances séparées sont la substance des choses sensibles dans la mesure où ces dernières participent de l’existence des premières. Mais ce qu’ils affirmaient au sujet de la participation n’est rien, ainsi qu’il apparaît à partir de ce qui précède. De plus ces Idées qu’ils posaient n’effleurent même pas la cause finale dont il est cependant question dans certaines sciences, sur laquelle reposent leurs démonstrations et en raison de laquelle tout agent, que ce soit au moyen d’une intelligence ou de la nature, pose ses opérations, ainsi qu’on l’a établi au deuxième livre des Physiques. Et tout comme en posant les Idées ils n’effleurent pas la cause qu’on appelle la fin, de même encore ils ne disent rien de celle qu’on appelle principe, à savoir la cause efficiente, et qui correspond en quelque manière à la fin. Mais les Platoniciens, en omettant ces sortes de causes, rendirent les choses naturelles semblables à des êtres mathématiques dépourvus de mouvement puisqu’ils écartaient le principe et la fin du mouvement. Et c’est pourquoi ils prétendaient que les Mathématiques devaient être traitées non seulement pour elles-mêmes mais qu’on devait les examiner aussi en vue des autres objets de connaissance, c’est-à-dire en vue de la connaissance des êtres naturels, dans la mesure où ils attribuaient à ces derniers les propriétés des êtres mathématiques.

260. Ensuite lorsqu’il dit [134] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici son deuxième raisonnement. Ce qu’on affirme être la matière d’une chose est davantage la substance de cette chose et davantage attribuable à elle que ce qui est séparé de cette chose; mais l’Idée est séparée des choses sensibles; donc, d’après l’opinion des Platoniciens, on devrait admettre que la substance des êtres mathématiques est davantage leur sujet en tant que matière que l’Idée séparée. On devrait aussi admettre que cette matière mérite davantage d’être attribuée à la chose sensible qu’une telle Idée. Les Platoniciens en effet affirmaient que le grand et le petit étaient une différence de la substance et de la matière. Ils affirmaient en effet que ces deux principes se tenaient du côté de la matière, tout comme les Naturalistes affirmaient que le dense et le rare étaient les premières différences du ¨ sujet ¨, c’est-à-dire de la matière, et au moyen desquelles la matière était sujette aux changements, affirmant que ces différences étaient d’une certaine manière une sorte de grand et de petit. Ce qui devient évident si on considère que le rare et le dense sont une sorte de défaut et d’excès. Le dense en effet est ce qui possède une abondance de matière alors que le rare en possède peu sous les mêmes dimensions. Et néanmoins les Platoniciens affirmaient que les Idées étaient davantage la substance des êtres sensibles et devaient davantage leur être attribuées que les êtres mathématiques.

261. Ensuite lorsqu’il dit [135] : ¨ Et au sujet du mouvement ¨.

   Il présente ici son troisième raisonnement. Si ce qu’on retrouve dans les choses sensibles est causé par les Idées séparées il est nécessaire de dire si l’idée du mouvement se trouve ou non dans les Idées. S’il se trouve là quelque espèce ou idée du mouvement, il est aussi évident qu’il ne peut y avoir de mouvement sans un sujet qui est mû et il s’ensuivra alors que les Idées sont mues; ce qui est contraire à la position des Platoniciens qui affirmaient que les Idées sont immobiles. Si cependant il n’y a pas là d’idée du mouvement, puisque néanmoins ce qu’on retrouve dans les choses sensibles est causé par les Idées, on ne pourra y désigner une cause d’où puisse provenir le mouvement dans les réalités sensibles. Et c’est ainsi toute l’étude de la science de la nature qui disparaît, laquelle a justement pour objet l’être mobile.

262. Ensuite lorsqu’il dit [136] : ¨ Et que ¨.

   Il présente ici son quatrième raisonnement. Si l’Un était la substance de toutes les choses ainsi que l’affirmaient les Platoniciens, il faudrait dire que toutes les choses ne sont finalement qu’un seul être comme le disaient les Physiciens qui affirmaient que la substance de toutes les choses est l’eau ou un autre des éléments. Mais il est facile de montrer que toutes les choses ne sont pas un seul être : donc l’opinion qui affirme que la substance de toutes les choses est l’un est insoutenable.

263. Si cependant on disait que de la position de Platon il ne s’ensuit pas que tout soit un purement et simplement mais qu’il existe un certain un, tout comme nous disons que certaines choses sont une selon le genre ou selon l’espèce; si quelqu’un veut dire que c’est ainsi que tout est un, cela non plus ne pourra être soutenu à moins que ce que j’appelle l’un soit le genre ou l’universel de tous les êtres. De cette manière en effet nous pourrons dire que tout ce qui existe est un en un sens particulier, tout comme nous disons que l’homme et l’âne sont essentiellement un en tant que faisant partie du genre animal. Mais cela apparaît impossible dans certains cas, à savoir qu’il n’y ait qu’un seul genre pour tout car il faudrait alors que la différence qui divise ce genre ne soit pas une, ainsi que nous le dirons au troisième livre; on ne peut donc affirmer d’aucune manière que la substance de toutes les choses soit une.

264. Ensuite lorsqu’il dit [137] : ¨ Et quant à ¨.

   Il présente ici le cinquième raisonnement qui se présente ainsi. Platon affirmait que suite aux nombres, les longueurs, les surfaces et les solides sont les substances des choses sensibles et à partir desquels les corps sont composés. Mais d’après la position même de Platon on ne retrouve aucune raison qui pourrait expliquer pourquoi ils devraient exister maintenant ou dans le futur. Et ces grandeurs ne semblent encore posséder aucune capacité à être les causes des choses sensibles. En disant ¨ maintenant ¨, il faut entendre par là les réalités immobiles qui sont toujours identiques à elles-mêmes. En disant ¨ dans le futur ¨, il faut entendre les réalités sujettes au devenir et à la corruption qui passent du non-être à l’être. Et c’est de la manière suivante que cela devient évident. Platon en effet affirmait l’existence de trois genres de réalités : les réalités sensibles, les Idées et les êtres mathématiques qui sont comme des intermédiaires entre les deux qui précèdent; mais ces lignes et ces surfaces à partir desquelles les corps sensibles sont composés ne peuvent être des Idées puisque ces dernières sont essentiellement des nombres. De plus, ces grandeurs font suite aux nombres. Et on ne peut non plus affirmer que ces grandeurs soient des intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles puisque ce sont les êtres mathématiques qui le sont, eux qui sont séparés des réalités sensibles, ce qui n’est pas le cas pour ces lignes et ces surfaces à partir desquelles les corps sensibles sont composés. Et on ne peut non plus affirmer que ces grandeurs soient des réalités sensibles car ces dernières sont corruptibles alors que les grandeurs sont incorruptibles ainsi que nous le montrerons au troisième livre. Donc, ou bien ces grandeurs ne sont rien, ou bien elles sont un quatrième genre d’êtres que Platon a passé sous silence.

265. Ensuite lorsqu’il dit [138] : ¨ Et d’une manière générale ¨.

   Il présente ici son sixième raisonnement qui se présente ainsi. Il est impossible de parvenir à trouver les principes d’une multiplicité d’êtres entendus d’après différentes acceptions à moins de distinguer préalablement les différentes acceptions de l’être. Les êtres en effet qui n’ont en commun que le nom et qui diffèrent par la notion ou la définition ne peuvent avoir de principes communs car ils auraient ainsi une même définition puisque la définition d’une chose se tire de ses principes. Mais il n’est pas possible d’assigner des principes différents à ces choses dont seul le nom est commun à moins que ces choses auxquelles les principes doivent être assignés n’aient d’abord été distinguées les unes des autres. Donc, puisque l’être s’attribue de plusieurs manières et non pas univoquement à la substance et aux autres genres, c’est à tort que Platon assigna des principes aux êtres sans prendre le soin de les distinguer les uns des autres.

266. Mais parce qu’il serait aussi possible d’assigner des principes à des réalités qui diffèrent de nature mais qui ont un nom en commun, en rattachant à chacune les principes qui lui sont propres mais sans distinguer les différentes acceptions de ce nom commun, on observe que les Platoniciens ne l’ont pas fait. De là, ¨ c’est d’une autre manière ¨, c’est-à-dire que c’est pour une autre raison qu’ils assignèrent à tort les principes des choses lorsqu’ils cherchaient les éléments à partir desquels les êtres sont composés en suivant cette méthode de recherche, de sorte que ce ne fut pas à toutes les formes d’êtres qu’ils assignèrent des principes d’une manière satisfaisante. Ce n’est pas en les écoutant en effet qu’on pourrait apprendre de quels principes sont constitués le faire ou le pâtir, le courbe ou le rectiligne ou tout autre accident. Ce n’est qu’aux substances en effet qu’ils attribuaient des principes alors qu’ils négligeaient les accidents.

267. Mais si quelqu’un, cherchant à prendre la défense de Platon, voulait dire qu’on parvient maintenant à acquérir les éléments de tous les êtres quand il nous arrive de posséder les principes des seules substances, cette opinion serait fausse. Car bien que les principes des substances soient aussi d’une certaine manière les principes des accidents, ces derniers possèdent cependant des principes qui leur sont propres. Et, comme nous le montrerons plus loin au onzième et au douzième livre de ce traité, les principes ne sont pas en tous points identiques pour tous les genres.

268. Ensuite lorsqu’il dit [139] : ¨ Mais comment ¨.

   Aristote argumente ici contre Platon quant à ceci que ce dernier affirmait que les Idées étaient en nous principes de science.

   Et il présente quatre arguments, dont voici le premier. Si la science est causée en nous à partir des Idées elles-mêmes, il ne pourrait arriver que nous apprenions les principes des choses. Mais il est évident que nous les apprenons. Il ne peut donc arriver que nous apprenions les principes des choses à partir des Idées elles-mêmes. – Et c’est de la manière suivante qu’il prouve que nous ne pourrions pas apprendre quelque chose. En effet, nul ne connaît à l’avance ce qu’il doit apprendre, tout comme le géomètre, bien qu’il connaisse à l’avance d’autres choses qui sont nécessaires à sa démonstration, ne doit cependant pas connaître à l’avance les choses qu’il doit apprendre. Et il en est de même dans les autres sciences. Mais si les Idées sont causes de la science en nous, il est nécessaire qu’elles contiennent la science de toutes les choses car les Idées d’après cette opinion sont les notions de tout ce qu’il est possible de savoir; nous ne pourrions donc rien apprendre à moins de dire qu’on apprend ce qu’on connaît à l’avance. C’est pourquoi, si on affirme que quelqu’un apprend, il faut que la chose qu’il apprend ne préexiste pas en lui, mais seulement certaines autres choses au moyen desquelles il devient instruit, c’est-à-dire formé à la connaissance préalable de ¨ toutes les choses ¨, c’est-à-dire des universels, ou de ¨ certaines ¨, à savoir des singuliers. À la connaissance des universels certes, tout comme dans les choses qui s’apprennent au moyen de la démonstration et de la définition; car il faut, tout comme dans les démonstrations, que dans les définitions soient préalablement connues ces choses qui sont universelles et à partir desquelles  les définitions sont produites; et par ailleurs il faut que ces choses singulières soient connues à l’avance dans ce qui est appris par induction.

269. Ensuite lorsqu’il dit [140] : ¨ Mais si elle est ¨.

   Il formule ici son deuxième argument qui se présente comme suit. Si les Idées sont causes de la science, il faut que notre science nous soit innée. C’est par elles en effet que les choses sensibles parviennent à leur nature propre car elles participent des Idées selon les Platoniciens. Mais la science ou la connaissance qui est préférable est celle qui nous est innée et que nous ne pouvons oublier comme on le voit pour la connaissance des premiers principes de la démonstration que nul n’ignore : nous ne pourrions donc en aucune manière oublier la science de toute chose causée en nous par les Idées; mais cette conclusion est contraire à la position des Platoniciens qui affirmaient que l’âme, en raison de son union au corps, perd le souvenir de la science qu’elle possède naturellement en tous les hommes, et que par la suite, par l’apprentissage, l’homme apprend ce qui lui était connu antérieurement, comme si apprendre n’était rien d’autre que se ressouvenir.

270. Ensuite lorsqu’il dit [141] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici son troisième argument que voici. Pour connaître les choses, il est requis à l’homme de connaître non seulement leur forme, mais aussi les principes matériels à partir desquels elles sont composées. Ce qui devient évident du fait qu’il arrive qu’on se questionne parfois sur certaines choses, comme de savoir au sujet de cette syllabe SMA, si elle est composée de ces trois lettres, à savoir S, M et A ou si elle n’est pas composée, indépendamment de ces lettres, d’une autre lettre possédant un son qui lui est propre. Mais à partir des Idées on ne peut connaître que les principes formels car les Idées sont les formes des choses. Donc les causes de la connaissance des choses ne peuvent être satisfaisantes si on en ignore les principes matériels.

271. Ensuite lorsqu’il dit [142] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il présente ici son quatrième argument que voici. Pour connaître les choses il importe de posséder la connaissance sensible car les qualités sensibles sont les éléments matériels évidents de toutes les choses à partir desquels elles sont composées, tout comme les sons de voix composés, comme les syllabes et les mots, sont composés des éléments qui leur sont propres. Si donc la science est causée en nous par les Idées, il faut que ce soit aussi par elles que soit causée en nous la connaissance des choses sensibles. Mais la connaissance causée en nous à partir des Idées s’entend sans l’intervention des sens car ce n’est pas par les sens que nous sommes mis en rapport avec les Idées. Il s’ensuit donc pour la connaissance que celui qui ne posséderait pas les sens pourrait connaître les réalités sensibles, ce qui est manifestement faux car celui qui naît aveugle ne peut avoir la connaissance des couleurs.

272. Ensuite lorsqu’il dit [143] : ¨ Donc, puisque ¨.

   Il rassemble ici tout ce que les Anciens ont dit au sujet des principes, en affirmant qu’à partir de ce qui a été dit précédemment par eux il est manifeste que les anciens philosophes se sont efforcés de rechercher les causes que nous avons déterminées dans le livre des Physiques et que par l’examen de leurs propos nous ne pouvons retrouver aucune autre cause que celles que nous y avons manifestées. Mais ces causes, ils les ont exprimées d’une manière obscure et d’une certaine manière ils les effleurent toutes et d’une autre manière ils n’en considèrent aucune. En effet, tout comme les enfants qui commencent à parler au tout début parlent imparfaitement et comme en balbutiant, de même la philosophie des premiers philosophes, du fait qu’elle commence à exister, semble balbutier et parler imparfaitement de tout relativement aux principes. Ce qui apparaît en ceci qu’Empédocle dit en premier que les os possèdent un certain rapport, c’est-à-dire un mélange proportionné entre ses éléments, lequel rapport n’est certes rien d’autre que la quiddité ou l’essence de la chose. Mais il en est nécessairement de même pour la chair et les autres constituants organiques, ou bien il en est ainsi pour aucun. En effet tous ces constituants sont composés d’éléments. Et c’est pour cette raison que la chair et les os et tous les autres constituants ne sont pas ce qu’ils sont à cause de la matière qui a été identifiée par lui comme étant les quatre éléments mais à cause de ce principe, à savoir le principe formel. Mais Empédocle aurait néanmoins affirmé cela en étant comme contraint par la vérité si quelqu’un lui avait exprimé plus clairement ces vues, mais lui-même ne s’exprima pas clairement là-dessus. Et tout comme les anciens philosophes ne manifestèrent pas clairement la nature de la forme, ils ne le firent pas davantage pour la nature de la matière ainsi que nous l’avons dit précédemment au sujet d’Anaxagore. – Et de même ils ne manifestèrent pas davantage la nature des autres principes. Nous avons déjà parlé précédemment de ce qui a été formulé imparfaitement par les autres philosophes au sujet de ces autres principes. Mais de plus au troisième livre nous reviendrons sur ces points au sujet desquels on pourrait s’interroger dans un sens comme dans l’autre. Peut-être en effet qu’à partir de telles questions nous trouverons quelque chose d’utile à leur égard et que par la suite nous pourrons y répondre clairement comme il se doit au moyen d’une science achevée.

 

 

LIBER 2

LIVRE II ─ Comment l’homme se rapporte à la considération de la vérité. La connaissance de la vérité appartient en premier lieu à la philosophie première. Il n’est pas permis de procéder à l’infini dans les causes. Sur la manière de considérer la vérité.

 

 

LECTIO 1

[81839] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 1Postquam philosophus reprobavit opiniones antiquorum philosophorum de primis principiis rerum, circa quae versatur principaliter philosophi primi intentio, hic accedit ad determinandum veritatem. Aliter autem se habet consideratio philosophiae primae circa veritatem, et aliarum particularium scientiarum. Nam unaquaeque particularis scientia considerat quamdam particularem veritatem circa determinatum genus entium, ut geometria circa rerum magnitudines, arithmetica circa numeros. Sed philosophia prima considerat universalem veritatem entium. Et ideo ad hunc philosophum pertinet considerare, quomodo se habeat homo ad veritatem cognoscendam.

[81840] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 2Dividitur ergo ista pars in partes duas. In prima parte determinat ea quae pertinent ad considerationem universalis veritatis. In secunda incipit inquirere veritatem de primis principiis et omnibus aliis, ad quae extenditur huius philosophiae consideratio; et hoc in tertio libro, qui incipit, necesse est nobis acquisitam scientiam et cetera. Prima autem pars dividitur in partes tres. In prima dicit qualiter se habet homo ad considerationem veritatis. In secunda ostendit ad quam scientiam principaliter pertineat cognitio veritatis, ibi, vocari vero philosophiam veritatis et cetera. In tertia parte ostendit modum considerandae veritatis, ibi, contingunt autem auditiones et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit facilitatem existentem in cognitione veritatis. Secundo ostendit causam difficultatis, ibi, forsan autem et difficultate et cetera. Tertio ostendit quomodo homines se invicem iuvant ad cognoscendum veritatem, ibi, non solum autem his dicere et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit intentum, dicens, quod theoria, idest consideratio vel speculatio de veritate quodammodo est facilis, et quodammodo difficilis.

[81841] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 3Secundo ibi signum autem manifestat propositum. Et primo quantum ad facilitatem. Secundo quantum ad difficultatem, ibi, habere autem totum et partem et cetera. Facilitatem autem in considerando veritatem ostendit tripliciter. Primo quidem hoc signo, quod licet nullus homo veritatis perfectam cognitionem adipisci possit, tamen nullus homo est ita expers veritatis, quin aliquid de veritate cognoscat. Quod ex hoc apparet, quod unusquisque potest enuntiare de veritate et natura rerum, quod est signum considerationis interioris.

[81842] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 4Secundum signum ponit ibi et secundum dicens quod licet id quod unus homo potest immittere vel apponere ad cognitionem veritatis suo studio et ingenio, sit aliquid parvum per comparationem ad totam considerationem veritatis, tamen illud, quod aggregatur ex omnibus coarticulatis, idest exquisitis et collectis, fit aliquid magnum, ut potest apparere in singulis artibus, quae per diversorum studia et ingenia ad mirabile incrementum pervenerunt.

[81843] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 5Tertio manifestat idem per quoddam exemplum vulgaris proverbii, ibi quare si concludens ex praemissis, quod ex quo unusquisque potest cognoscere de veritate, licet parum, ita se habere videtur in cognitione veritatis, sicut proverbialiter dicitur: in foribus, idest in ianuis domorum, quis delinquet? Interiora enim domus difficile est scire, et circa ea facile est hominem decipi: sed sicut circa ipsum introitum domus qui omnibus patet et primo occurrit, nullus decipitur, ita etiam est in consideratione veritatis: nam ea, per quae intratur in cognitionem aliorum, nota sunt omnibus, et nullus circa ea decipitur: huiusmodi autem sunt prima principia naturaliter nota, ut non esse simul affirmare et negare, et quod omne totum est maius sua parte, et similia. Circa conclusiones vero, ad quas per huiusmodi, quasi per ianuam, intratur, contingit multoties errare. Sic igitur cognitio veritatis est facilis inquantum scilicet ad minus istud modicum, quod est principium, per se notum, per quod intratur ad veritatem, est omnibus per se notum.

[81844] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 6Deinde cum dicit habere autem manifestat difficultatem; dicens, quod hoc ostendit difficultatem quae est in consideratione veritatis, quia non possumus habere circa veritatem totum et partem. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod hoc dixit omnibus esse notum, per quod in alia introitur. Est autem duplex via procedendi ad cognitionem veritatis. Una quidem per modum resolutionis, secundum quam procedimus a compositis ad simplicia, et a toto ad partem, sicut dicitur in primo physicorum, quod confusa sunt prius nobis nota. Et in hac via perficitur cognitio veritatis, quando pervenitur ad singulas partes distincte cognoscendas. Alia est via compositionis, per quam procedimus a simplicibus ad composita, qua perficitur cognitio veritatis cum pervenitur ad totum. Sic igitur hoc ipsum, quod homo non potest in rebus perfecte totum et partem cognoscere, ostendit difficultatem considerandae veritatis secundum utramque viam.

[81845] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 7Deinde cum dicit forsan autem ostendit causam praemissae difficultatis. Ubi similiter considerandum est, quod in omnibus, quae consistunt in quadam habitudine unius ad alterum, potest impedimentum dupliciter vel ex uno vel ex alio accidere: sicut si lignum non comburatur, hoc contingit vel quia ignis est debilis, vel quia lignum non est bene combustibile; et similiter oculus impeditur a visione alicuius visibilis, aut quia est debilis aut quia visibile est tenebrosum. Sic igitur potest contingere quod veritas sit difficilis ad cognoscendum, vel propter defectum qui est in ipsis rebus, vel propter defectum qui est in intellectu nostro.

[81846] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 8Et quod quantum ad aliquas res difficultas contingat in cognoscendo veritatem ipsarum rerum ex parte earum, patet. Cum enim unumquodque sit cognoscibile inquantum est ens actu, ut infra in nono huius dicetur, illa quae habent esse deficiens et imperfectum, sunt secundum seipsa parum cognoscibilia, ut materia, motus et tempus propter esse eorum imperfectionem, ut Boetius dicit in libro de duabus naturis.

[81847] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 9Fuerunt autem aliqui philosophi, qui posuerunt difficultatem cognitionis veritatis totaliter provenire ex parte rerum, ponentes nihil esse fixum et stabile in rebus, sed omnia esse in continuo fluxu ut infra in quarto huius dicetur. Sed hoc excludit philosophus, dicens, quod quamvis difficultas cognoscendae veritatis forsan possit secundum aliqua diversa esse dupliciter, videlicet ex parte nostra, et ex parte rerum; non tamen principalis causa difficultatis est ex parte rerum, sed ex parte nostra.

[81848] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 10Et hoc sic probat. Quia, si difficultas esset principaliter ex parte rerum, sequeretur, quod illa magis cognosceremus, quae sunt magis cognoscibilia secundum suam naturam: sunt autem maxime cognoscibilia secundum naturam suam, quae sunt maxime in actu, scilicet entia immaterialia et immobilia, quae tamen sunt maxime nobis ignota. Unde manifestum est, quod difficultas accidit in cognitione veritatis, maxime propter defectum intellectus nostri. Ex quo contingit, quod intellectus animae nostrae hoc modo se habet ad entia immaterialia, quae inter omnia sunt maxime manifesta secundum suam naturam, sicut se habent oculi nycticoracum ad lucem diei, quam videre non possunt, quamvis videant obscura. Et hoc est propter debilitatem visus eorum.

[81849] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 11Sed videtur haec similitudo non esse conveniens. Sensus enim quia est potentia organi corporalis, corrumpitur ex vehementia sensibilis. Intellectus autem, cum non sit potentia alicuius organi corporei, non corrumpitur ex excellenti intelligibili. Unde post apprehensionem alicuius magni intelligibilis, non minus intelligimus minus intelligibilia, sed magis, ut dicitur in tertio de anima.

[81850] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 12Dicendum est ergo, quod sensus impeditur a cognitione alicuius sensibilis dupliciter. Uno modo per corruptionem organi ab excellenti sensibili; et hoc locum non habet in intellectu. Alio modo ex defectu proportionis ipsius virtutis sensitivae ad obiectum. Potentiae enim animae non sunt eiusdem virtutis in omnibus animalibus; sed sicuti homini hoc in sua specie convenit, quod habeat pessimum olfactum, ita nycticoraci, quod habeat debilem visum, quia non habet proportionem ad claritatem diei cognoscendam.

[81851] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 13Sic igitur, cum anima humana sit ultima in ordine substantiarum intellectivarum, minime participat de virtute intellectiva; et sicut ipsa quidem secundum naturam est actus corporis, eius autem intellectiva potentia non est actus organi corporalis, ita habet naturalem aptitudinem ad cognoscendum corporalium et sensibilium veritatem, quae sunt minus cognoscibilia secundum suam naturam propter eorum materialitatem, sed tamen cognosci possunt per abstractionem sensibilium a phantasmatibus. Et quia hic modus cognoscendi veritatem convenit naturae humanae animae secundum quod est forma talis corporis; quae autem sunt naturalia semper manent; impossibile est, quod anima humana huiusmodi corpori unita cognoscat de veritate rerum, nisi quantum potest elevari per ea quae abstrahendo a phantasmatibus intelligit. Per haec autem nullo modo potest elevari ad cognoscendum quidditates immaterialium substantiarum, quae sunt improportionatae istis substantiis sensibilibus. Unde impossibile est quod anima humana huiusmodi corpori unita, apprehendat substantias separatas cognoscendo de eis quod quid est.

[81852] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 14Ex quo apparet falsum esse quod Averroes hic dicit in commento, quod philosophus non demonstrat hic, res abstractas intelligere esse impossibile nobis, sicut impossibile est vespertilioni inspicere solem. Et ratio sua, quam inducit, est valde derisibilis. Subiungit enim, quoniam si ita esset, natura otiose egisset, quia fecit illud quod in se est naturaliter intelligibile, non esse intellectum ab aliquo; sicut si fecisset solem non comprehensum ab aliquo visu. Deficit enim haec ratio. Primo quidem in hoc, quod cognitio intellectus nostri non est finis substantiarum separatarum, sed magis e converso. Unde non sequitur, quod, si non cognoscantur substantiae separatae a nobis, quod propter hoc sint frustra. Frustra enim est, quod non consequitur finem ad quem est. Secundo, quia etsi substantiae separatae non intelliguntur a nobis secundum suas quidditates, intelliguntur tamen ab aliis intellectibus; sicut solem etsi non videat oculus nycticoracis, videt tamen eum oculus aquilae.

[81853] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 15Deinde cum dicit non solum ostendit quomodo se homines adinvicem iuvant ad considerandum veritatem. Adiuvatur enim unus ab altero ad considerationem veritatis dupliciter. Uno modo directe. Alio modo indirecte. Directe quidem iuvatur ab his qui veritatem invenerunt: quia, sicut dictum est, dum unusquisque praecedentium aliquid de veritate invenit, simul in unum collectum, posteriores introducit ad magnam veritatis cognitionem. Indirecte vero, inquantum priores errantes circa veritatem, posterioribus exercitii occasionem dederunt, ut diligenti discussione habita, veritas limpidius appareret.

[81854] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 16Est autem iustum ut his, quibus adiuti sumus in tanto bono, scilicet cognitione veritatis, gratias agamus. Et ideo dicit, quod iustum est gratiam habere, non solum his, quos quis existimat veritatem invenisse, quorum opinionibus aliquis communicat sequendo eas; sed etiam illis, qui superficialiter locuti sunt ad veritatem investigandam, licet eorum opiniones non sequamur; quia isti etiam aliquid conferunt nobis. Praestiterunt enim nobis quoddam exercitium circa inquisitionem veritatis. Et ponit exemplum de inventoribus musicae. Si enim non fuisset Timotheus qui multa de arte musicae invenit, non haberemus ad praesens multa, quae scimus circa melodias. Et si non praecessisset quidam philosophus nomine Phrynis, Timotheus non fuisset ita instructus in musicalibus. Et similiter est dicendum de philosophis qui enuntiaverunt universaliter veritatem rerum. A quibusdam enim praedecessorum nostrorum accepimus aliquas opiniones de veritate rerum, in quibus credimus eos bene dixisse, alias opiniones praetermittentes. Et iterum illi, a quibus nos accepimus, invenerunt aliquos praedecessores, a quibus acceperunt, quique fuerunt eis causa instructionis.

LEÇON 1.

(nn. 273-288; [144-150]).

 

Aristote montre que la contemplation de la vérité est tantôt facile, tantôt difficile. Il maintient que la difficulté naît parfois des choses elles-mêmes, quelquefois de l’intelligence. Il explique de plus comment les hommes s’entraident dans la considération de la vérité.

 

273. Après avoir rejeté les opinions des anciens philosophes au sujet des principes des choses sur lesquels se portait principalement leur intention, le Philosophe en arrive ici à fixer la vérité.

   Mais la considération de la philosophie première sur la vérité diffère de celle de chacune des autres sciences particulières. Car chacune des sciences particulières considère une vérité particulière qui se rapporte à un genre limité d’êtres, comme la géométrie porte sur les dimensions des choses et l’arithmétique sur les nombres. Mais la philosophie première examine la vérité des êtres dans son universalité. Et c’est pourquoi il appartient à cette sorte de philosophe de considérer comment l’homme se rapporte à la connaissance de la vérité.

274. Cette partie se divise donc en deux sections.

   Dans la première il détermine ce qui se rapporte à la considération de la vérité dans son universalité [144]. Dans la deuxième il commence à examiner la vérité qui se rapporte aux premiers principes et à tous les autres sujets auxquels s’applique la considération de cette philosophie; c’est ce qu’il fait dans le Troisième Livre qui commence ainsi [176] : ¨ Il nous est nécessaire pour l’acquisition de la science etc.¨

   La première section se divise à son tour en trois parties. Dans la première il dit de quelle manière l’homme se rapporte à la considération de la vérité [144]. Dans la deuxième il montre à quelle science principalement il appartient de connaître la vérité, là [151] où il dit : ¨ C’est à juste titre en vérité que la philosophie est appelée science de la vérité etc.¨. Dans la troisième partie il montre le mode à suivre dans la considération de la vérité, là [171] où il dit : ¨ Mais les leçons résultent etc.¨.

   Au sujet de la première partie il fait trois choses. En premier lieu il montre la facilité qu’on peut rencontrer dans la connaissance de la vérité [144]. En deuxième lieu il montre la cause de la difficulté qu’on peut y rencontrer, là [149] où il dit : ¨ Mais peut-être que la difficulté etc.¨. En troisième lieu il montre comment les hommes s’entraident mutuellement dans la connaissance de la vérité, là [150] où il dit : ¨ C’est non seulement à ceux-là qu’il est juste d’avoir etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. Premièrement il présente son propos en disant [144] que ¨ la théorie ¨, c’est-à-dire la considération ou l’étude spéculative de la vérité est en un sens facile, en un autre sens difficile.

275. Deuxièmement il manifeste son propos, là [145] où il dit : ¨ Mais un signe ¨

   Et en premier lieu il le manifeste quant à la facilité. En deuxième lieu il le fait quant à la difficulté, là [148] où il dit : ¨ Mais posséder à la fois le tout et la partie etc.¨.

   C’est de trois façons qu’il montre la facilité qu’on peut rencontrer dans la considération de la vérité. En premier lieu certes il le fait par ce signe [145] que bien qu’aucun homme ne peut parvenir à une connaissance parfaite de la vérité, cependant aucun n’en est privé au point de ne rien connaître de la vérité. Ce qui devient évident en voyant que chacun peut se prononcer sur la vérité et la nature des choses, ce qui est le signe d’une réflexion intérieure.

276. Il présente un deuxième signe, là [146] où il dit : ¨ et considéré en lui-même ¨, en disant que même si ce que chaque homme peut apporter ou ajouter par son travail et son talent à la connaissance de la vérité est en soi peu de choses en comparaison de la considération complète de la vérité, si on assemble cependant toutes ces ¨ réflexions ¨, c’est-à-dire toutes ces études et ces raisonnements, on obtient quelque chose de considérable comme on peut le voir dans tous les arts qui, grâce au travail et au talent de différents individus, sont parvenus à un développement étonnant.

277. En troisième lieu il présente un exemple tiré d’un proverbe populaire pour manifester la même vérité, là [147] où il dit : ¨ C’est pourquoi si ¨.

   Et il le fait en concluant à partir de ce qui précède que du fait que chacun puisse connaître quelque chose de la vérité, bien que ce soit là quelque chose de minime, chacun semble se rapporter à la connaissance de la vérité de la même manière que le dit le proverbe : ¨ Pour l’extérieur ¨, c’est-à-dire à l’égard des portes des maisons, ¨ qui pourrait se tromper? ¨. En effet, il est difficile de connaître les intérieurs des maisons et à leur égard il est facile à l’homme de se tromper : mais tout comme à l’égard de l’entrée d’une maison, laquelle apparaît et s’offre aussitôt aux regards de tous, nul ne se trompe, il en est de même encore pour la considération de la vérité : car les vérités au moyen desquelles on se trouve comme à entrer dans la connaissance des autres vérités sont connues de tous et nul ne peut se tromper à leur égard : tels sont les tout premiers principes connus naturellement comme par exemple que l’affirmation et la négation n’existent pas simultanément, que tout ensemble est plus grand que chacune de ses parties et d’autres vérités semblables. Mais pour ce qui est des conclusions dans lesquelles on entre comme par une porte au moyen de ces principes naturellement connus de tous, il arrive souvent de se tromper. Ainsi donc la connaissance de la vérité est facile, c’est-à-dire au moins quant à cette petite partie de la vérité qui, en tant que principe connu par soi au moyen duquel on entre dans l’ensemble de la vérité, est connu par soi de tous.

278. Ensuite lorsqu’il dit [148] : ¨ Mais posséder ¨.

   Il manifeste la difficulté de connaître la vérité en disant que ce qui manifeste la difficulté qu’il y a à connaître la vérité, c’est que nous ne pouvons posséder pour une même vérité à la fois le tout et la partie de la vérité. Et pour en donner l’évidence il faut considérer qu’Aristote dit que ce qui est connu de tous, c’est ce au moyen de quoi on entre dans les autres vérités. Mais il existe deux chemins au moyen desquels on avance dans la connaissance de la vérité. Le premier certes est celui dans lequel on procède par mode de résolution et selon lequel nous procédons du composé au simple et du tout à la partie, ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques, à savoir que nous procédons d’abord à partir d’une connaissance confuse. Et sur ce chemin la connaissance de la vérité atteint sa perfection lorsqu’elle parvient à une connaissance distincte de chacune des parties. – Le deuxième chemin est celui dans lequel on procède par mode de composition et au moyen duquel nous procédons du simple au composé et par lequel la connaissance de la vérité atteint sa perfection lorsqu’elle parvient à connaître distinctement le tout. Ainsi donc cela même, à savoir que l’homme ne peut parfaitement connaître à la fois le tout et la partie dans les choses, montre la difficulté qu’il y a à examiner la vérité selon l’un et l’autre des chemins.

279. Ensuite lorsqu’il dit [149] : ¨ Mais peut-être ¨.

   Il montre la cause de la difficulté qu’il vient de présenter. Et là il faut encore considérer que partout où il y a une certaine relation d’une chose à une autre, une difficulté peut se produire de deux manières et provenir d’un côté comme de l’autre : par exemple si le bois ne brûle pas cela se produit soit parce que le feu est faible, soit parce que ce morceau de bois n’est pas propre à la combustion; et de même l’œil peut être empêché de voir un objet visible soit parce que cet œil est infirme soit parce que l’objet de la vision est dans l’obscurité. Ainsi donc il peut arriver que la vérité soit difficile à connaître soit en raison d’un défaut qui se trouve dans les choses elles-mêmes, soit en raison d’un manque qui se trouve dans notre intelligence.

280. Et qu’il arrive que la difficulté de connaître la vérité des choses elles-mêmes se tienne du côté des choses, cela est évident. En effet, puisqu’une chose est connaissable dans la mesure où elle est en acte ainsi qu’on le dira plus loin au neuvième livre de ce traité, les réalités qui possèdent une existence faible et imparfaite sont en elles-mêmes peu aptes à être connues, comme le sont la matière, le mouvement et le temps, en raison de l’imperfection de leur être, ainsi que le dit Boèce dans son libre sur les Deux Natures.

281. Il y eut cependant certains philosophes qui affirmèrent que la difficulté de connaître la vérité provient en totalité des choses elles-mêmes, eux qui disent qu’il n’existe rien de stable et de permanent dans les choses mais qu’au contraire toutes les choses ne sont qu’un flux continuel ainsi qu’on le verra plus loin au quatrième livre de ce traité. Mais le Philosophe rejette cette position en disant que bien que la difficulté de connaître la vérité puisse à certains égards être double, c’est-à-dire se tenir tantôt de notre côté, tantôt du côté des choses, cependant la difficulté principale prend sa source non pas dans les choses mais en nous.

282. Et c’est ce qu’il prouve de la manière suivante. Car si la difficulté était due aux choses elles-mêmes, il s’ensuivrait que nous connaîtrions davantage les choses qui de par nature même sont les plus connaissables; mais les choses qui sont connaissables par excellence selon leur nature sont celles qui sont le plus en acte, à savoir les êtres immatériels et immobiles qui nous sont cependant les plus inconnus. D’où il est manifeste que la difficulté qu’on rencontre dans la connaissance de la vérité est due principalement à un défaut de notre intelligence. Il résulte de là que l’intelligence de notre âme se rapporte aux êtres immatériels, qui sont parmi tous les êtres ceux qui sont les plus manifestes quant à leur nature, de la même manière que les yeux du hibou à l’égard de la lumière du jour qu’ils ne peuvent voir, bien qu’ils puissent voir dans l’obscurité. Et il en est ainsi en raison de la faiblesse de leur vue.

283. Mais il pourrait sembler que cette similitude n’est pas appropriée. Le sens en effet, puisqu’il est la puissance d’un organe corporel, peut se corrompre en raison de la véhémence de l’objet sensible. Mais l’intelligence au contraire, puisqu’elle n’est pas la puissance d’un organe corporel, ne peut être corrompue par l’excellence de son objet intelligible. De là, suite à la saisie de ce qui est plus intelligible, nous ne saisissons pas moins mais davantage au contraire ce qui est moins intelligible, ainsi qu’on le dit au troisième livre de l’Âme.

284. Il faut donc dire que c’est de deux manières que le sens est empêché de connaître son objet sensible. La première, c’est par la corruption de son organe par le caractère extrême de son objet sensible et cet empêchement ne se retrouve pas dans notre intelligence. La deuxième se tire d’un défaut de proportion entre la puissance sensible elle-même et son objet. En effet, les puissances de l’âme n’ont pas toutes la même vigueur chez tous les animaux; mais alors qu’il convient à l’espèce humaine de posséder un odorat qui est faible, ainsi le hibou a une vue limitée qui n’est pas proportionnée à la connaissance de la lumière du jour.

285. Ainsi donc, puisque l’âme humaine est la dernière dans l’ordre des substances intellectuelles, c’est elle qui participe le moins de la puissance intellective; et certes puisqu’elle-même quant à sa nature est l’acte d’un corps, bien que sa puissance intellective n’est pas l’acte d’un organe corporel, elle possède ainsi une aptitude naturelle à connaître la vérité qui se rapporte aux êtres corporels et sensibles qui sont moins connaissables selon leur nature en raison de leur matérialité mais qui peuvent néanmoins être connus au moyen d’une abstraction à partir des images des choses sensibles. Et parce que ce mode de connaître la vérité convient à la nature de l’âme humaine selon qu’elle est l’acte d’un corps déterminé et que ce qui est naturel demeure toujours identique à soi-même, il est impossible que l’âme humaine ainsi unie à un corps puisse connaître la vérité des choses autrement qu’en s’élevant au moyen de ce qu’elle saisit par son intelligence en le tirant en quelque sorte des images. Au moyen de ces dernières en effet l’âme humaine ne peut d’aucune manière s’élever à la connaissance de la nature des substances immatérielles qui ne sont pas proportionnées aux substances sensibles. C’est pourquoi il est impossible que l’âme humaine ainsi unie à un corps puisse saisir les substances séparées de telle manière qu’elle en connaîtrait la nature.

286. Et à partir de là il devient évident que ce que dit Averroës dans son Commentaire est faux, à savoir que le Philosophe ne démontre pas ici qu’il nous est impossible de comprendre les réalités séparées comme il est impossible à la chauve-souris de regarder le soleil. Et la raison qu’apporte Averroës pour dire cela est ridicule au plus haut point. Il ajoute en effet, comme s’il était nécessaire qu’il en soit ainsi, que la nature aurait agi comme en vain en produisant quelque chose qui, tout en étant naturellement intelligible, ne puisse être saisi par une intelligence, comme si elle avait fait un soleil qui ne puisse être perçu par aucune faculté de vision.

   Mais cet argument est défectueux. Et il l’est d’abord en ceci que la connaissance de notre intelligence n’est pas la finalité des substances séparées, mais c’est plutôt le contraire qui est vrai. C’est pourquoi il ne suit pas, si nous ne connaissons pas les substances séparées, que pour cette raison elles existent en vain. N’existe en vain en effet que ce qui ne parvient pas à la fin pour laquelle il existe. – Deuxièmement, bien que les substances séparées ne puissent être saisies par nous quant à leur nature, elles peuvent néanmoins être comprises par d’autres intelligences tout comme le soleil qui, bien qu’il ne soit pas vu par l’œil du hibou, peut être vu par l’œil de l’aigle.

287. Ensuite lorsqu’il dit [150] : ¨ Non seulement ¨.

   Il montre comment les hommes s’entraident mutuellement dans la considération de la vérité.

   Mais il y a deux manières pour un homme d’être aidé par un autre dans la recherche de la vérité. La première est directe, l’autre indirecte.

   Un homme est aidé directement par ceux qui ont découvert des vérités : car, ainsi que nous l’avons dit, ce que chacun de ceux qui ont précédé a découvert sur la vérité, ajouté aux découvertes de tous les autres, introduit ceux qui suivent à une grande connaissance de la vérité.

   Un homme est aidé indirectement par les autres dans la recherche de la vérité dans la mesure où les erreurs de ceux qui ont précédé ont donné occasion à ceux qui ont suivi de faire un examen attentif de ces opinions afin de faire apparaître à partir de là la vérité avec plus d’évidence.

288. Il est cependant juste que nous ayons de la reconnaissance pour ceux qui nous ont aidés dans l’acquisition d’un si grand bien, à savoir la connaissance de la vérité. Et c’est pourquoi il dit que ¨il est juste d’avoir de la reconnaissance¨ non seulement à l’égard de ceux que nous estimons avoir trouvé la vérité et dont nous partageons les vues mais aussi à l’égard de ceux qui, dans leur recherche de la vérité, se sont exprimés plus superficiellement et dont nous ne partageons pas les opinions. Car même ceux-là nous ont apporté une contribution. Ils nous ont en effet donné l’occasion de nous exercicer dans la recherche de la vérité. – Et il nous présente un exemple tiré de ceux qui ont inventé la musique. Si en effet ¨ il n’y avait pas eu Timothée ¨ qui a découvert de larges facettes de l’art de la musique, nous ne posséderions pas à l’heure actuelle de nombreuses connaissances sur les mélodies. Et si un philosophe du nom de Phrynis ne l’avait pas précédé, Timothée lui-même n’aurait pas été si bien formé à la musique. Et on doit dire la même chose de tous les philosophes qui ont exprimé leurs vues sur la vérité des choses. En effet nous avons reçu de certains de nos prédécesseurs certaines doctrines sur la vérité des choses et nous adhérons à celles que nous croyons conformes à la vérité alors que nous écartons les autres opinions. Mais encore une fois ceux-là même de qui nous sommes nourris ont par le passé fait la rencontre d’hommes qui les ont précédés, desquels ils ont beaucoup reçu et qui furent la cause de leur formation.

 

 

LECTIO 2

[81855] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 1Postquam philosophus ostendit qualiter se habet homo ad considerationem veritatis, hic ostendit quod cognitio veritatis maxime ad philosophiam primam pertineat. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod ad philosophiam primam maxime pertineat cognitio veritatis. Secundo excludit quamdam falsam opinionem, per quam sua probatio tolleretur, ibi, at vero quod sit principium. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod ad philosophiam primam pertineat cognitio veritatis. Secundo quod maxime ad ipsam pertineat, ibi, nescimus autem verum sine causa et cetera. Haec autem duo ostendit ex duobus, quae supra probata sunt in prooemio libri: scilicet quod sapientia sit non practica, sed speculativa: et quod sit cognoscitiva causarum primarum.

[81856] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 2Ex primo autem horum sic argumentatur ad primam conclusionem. Theorica, idest speculativa, differt a practica secundum finem: nam finis speculativae est veritas: hoc enim est quod intendit, scilicet veritatis cognitionem. Sed finis practicae est opus, quia etsi practici, hoc est operativi, intendant cognoscere veritatem, quomodo se habeat in aliquibus rebus, non tamen quaerunt eam tamquam ultimum finem. Non enim considerant causam veritatis secundum se et propter se, sed ordinando ad finem operationis, sive applicando ad aliquod determinatum particulare, et ad aliquod determinatum tempus. Si ergo huic coniunxerimus, quod sapientia sive philosophia prima non est practica, sed speculativa, sequetur quod recte debeat dici scientia veritatis.

[81857] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 3Sed quia multae sunt scientiae speculativae, quae veritatem considerant, utpote geometria et arithmetica, fuit necessarium consequenter ostendere, quod philosophia prima maxime consideret veritatem, propter id quod supra ostensum est, scilicet quod est considerativa primarum causarum. Et ideo argumentatur sic. Scientia de vero non habetur nisi per causam: ex quo apparet, quod eorum verorum, de quibus est scientia aliqua, sunt aliquae causae, quae etiam veritatem habent. Non enim potest sciri verum per falsum, sed per aliud verum. Unde et demonstratio, quae facit scientiam, ex veris est, ut dicitur in primo posteriorum.

[81858] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 4Deinde adiungit quamdam universalem propositionem, quae talis est. Unumquodque inter alia maxime dicitur, ex quo causatur in aliis aliquid univoce praedicatum de eis; sicut ignis est causa caloris in elementatis. Unde, cum calor univoce dicatur et de igne et de elementatis corporibus, sequitur quod ignis sit calidissimus.

[81859] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 5Facit autem mentionem de univocatione, quia quandoque contingit quod effectus non pervenit ad similitudinem causae secundum eamdem rationem speciei, propter excellentiam ipsius causae. Sicut sol est causa caloris in istis inferioribus: non tamen inferiora corpora possunt recipere impressionem solis aut aliorum caelestium corporum secundum eamdem rationem speciei, cum non communicent in materia. Et propter hoc non dicimus solem esse calidissimum sicut ignem, sed dicimus solem esse aliquid amplius quam calidissimum.

[81860] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 6Nomen autem veritatis non est proprium alicui speciei, sed se habet communiter ad omnia entia. Unde, quia illud quod est causa veritatis, est causa communicans cum effectu in nomine et ratione communi, sequitur quod illud, quod est posterioribus causa ut sint vera, sit verissimum.

[81861] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 7Ex quo ulterius concludit quod principia eorum, quae sunt semper, scilicet corporum caelestium, necesse est esse verissima. Et hoc duplici ratione. Primo quidem, quia non sunt quandoque vera et quandoque non, et per hoc transcendunt in veritate generabilia et corruptibilia, quae quandoque sunt et quandoque non sunt. Secundo, quia nihil est eis causa, sed ipsa sunt causa essendi aliis. Et per hoc transcendunt in veritate et entitate corpora caelestia: quae etsi sint incorruptibilia, tamen habent causam non solum quantum ad suum moveri, ut quidam opinati sunt, sed etiam quantum ad suum esse, ut hic philosophus expresse dicit.

[81862] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 8Et hoc est necessarium: quia necesse est ut omnia composita et participantia, reducantur in ea, quae sunt per essentiam, sicut in causas. Omnia autem corporalia sunt entia in actu, inquantum participant aliquas formas. Unde necesse est substantiam separatam, quae est forma per suam essentiam, corporalis substantiae principium esse.

[81863] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 9Si ergo huic deductioni adiungamus, quod philosophia prima considerat primas causas, sequitur ut prius habitum est, quod ipsa considerat ea, quae sunt maxime vera. Unde ipsa est maxime scientia veritatis.

[81864] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 10Ex his autem infert quoddam corollarium. Cum enim ita sit, quod ea, quae sunt aliis causa essendi, sint maxime vera, sequitur quod unumquodque sicut se habet ad hoc quod sit, ita etiam se habet ad hoc quod habeat veritatem. Ea enim, quorum esse non semper eodem modo se habet, nec veritas eorum semper manet. Et ea quorum esse habet causam, etiam veritatis causam habent. Et hoc ideo, quia esse rei est causa verae existimationis quam mens habet de re. Verum enim et falsum non est in rebus, sed in mente, ut dicetur in sexto huius.

[81865] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 11Deinde cum dicit at vero removet quoddam, per quod praecedens probatio posset infringi: quae procedebat ex suppositione huius, quod philosophia prima considerat causas primas. Hoc autem tolleretur si causae in infinitum procederent. Tunc enim non essent aliquae primae causae. Unde hoc hic removere intendit: et circa hoc duo facit. Primo proponit intentum. Secundo probat propositum, ibi, mediorum enim extra quae est aliquid et cetera. Dicit ergo primo: palam potest esse ex his, quae dicentur, quod sit aliquod principium esse et veritatis rerum; et quod causae existentium non sunt infinitae, nec procedendo in directum secundum unam aliquam speciem causae, puta in specie causarum efficientium; nec etiam sunt infinitae secundum speciem, ita quod sint infinitae species causarum.

[81866] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 2 n. 12Exponit autem quod dixerat causas infinitas esse in directum. Primo quidem in genere causae materialis. Non enim possibile est procedere in infinitum in hoc, quod aliquid fiat ex aliquo, sicut ex materia, puta ut caro fiat ex terra, terra vero ex aere, aer ex igne, et hoc non stet in aliquo primo, sed procedat in infinitum. Secundo exemplificat in genere causae efficientis; dicens, quod nec possibile est ut causa, quae dicitur unde principium motus, in infinitum procedat: puta cum dicimus hominem moveri ad deponendum vestes ab aere calefacto, aerem vero calefieri a sole, solem vero moveri ab aliquo alio, et hoc in infinitum. Tertio exemplificat in genere causarum finalium; et dicit, quod similiter non potest procedere in infinitum illud quod est cuius causa, scilicet causa finalis; ut si dicamus quod iter sive ambulatio est propter sanitatem, sanitas autem propter felicitatem, felicitas autem propter aliquid, et sic in infinitum. Ultimo facit mentionem de causa formali: et dicit quod similiter non potest procedi in infinitum in hoc quod est quod quid erat esse, idest in causa formali quam significat definitio. Sed exempla praetermittit, quia sunt manifesta, et probatum est in primo posteriorum, quod non proceditur in infinitum in praedicatis, puta quod animal praedicetur de homine in eo quod quid est, et vivum de animali, et sic in infinitum.

LEÇON 2.

(nn. 289-300; [151-152]).

 

Aristote prouve que la métaphysique est la première et la plus excellente science de la vérité. Il établit que, pour tout genre de cause dans lequel on doive construire une preuve, on ne doit en aucune manière procéder à l’infini.

 

289. Après avoir montré comment l’homme se rapporte à la considération de la vérité, le Philosophe entreprend ici de montrer que la connaissance de la vérité relève de la philosophie première de la manière la plus excellente.

   Et à ce sujet il fait deux choses. Et en premier lieu il montre que la connaissance de la vérité se rapporte à la philosophie première de la manière la plus excellente [151]. En deuxième lieu il écarte une opinion fausse qui tendrait à rejeter sa preuve, là [152] où il dit : ¨ Et en vérité qu’il y ait un premier principe etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que c’est à la philosophie première qu’appartient la connaissance de la vérité. En deuxième lieu il montre que c’est de la manière la plus excellente qu’elle lui appartient, là [151] où il dit : ¨ Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaître la cause etc.¨.

   Et il manifeste ces deux choses à partir de deux points qui ont été prouvés dans le proème de ce livre, à savoir que la sagesse n’est pas une science pratique mais spéculative, et qu’elle cherche à connaître les causes premières.

290. Et il argumente de la manière suivante pour manifester la première conclusion [151] à partir du premier point. C’est par sa finalité qu’une science théorique ou spéculative diffère d’une science pratique : car la fin de la spéculation est la vérité puisque ce qu’elle poursuit en effet c’est la connaissance de la vérité. Mais la fin d’une science pratique est une œuvre à réaliser car bien que les hommes pratiques, à savoir ceux qui réalisent une œuvre, cherchent à connaître la vérité et la manière dont elle se manifeste dans les choses, ils ne la recherchent cependant pas comme étant une finalité ultime. En effet, ils ne considèrent pas la cause de la vérité en elle-même et pour elle-même mais comme étant ordonnée à la fin de l’opération, c’est-à-dire en l’appliquant à une œuvre déterminée et particulière et à un moment déterminé. Si donc nous adhérons à ceci, à savoir que la sagesse ou la philosophie première n’est pas une science pratique mais une science spéculative, il s’ensuit que c’est à juste titre qu’elle doit être appelée la science de la vérité.

291. Mais parce qu’il existe plusieurs sciences spéculatives qui examinent la vérité, comme la géométrie et l’arithmétique, il était nécessaire par la suite de montrer que c’est la philosophie première qui considère la vérité de la manière la plus excellente pour cette raison que nous avons manifestée plus haut, à savoir que c’est elle qui considère les causes premières. Et c’est pourquoi il argumente de la manière suivante. En vérité on ne parvient à la science qu’au moyen des causes : à partir de là, il devient évident que ces vérités sur lesquelles porte une science proviennent de causes qui possèdent aussi la vérité. En effet, on ne peut connaître le vrai au moyen du faux, mais au moyen d’une autre vérité. Et c’est pourquoi la démonstration qui engendre la science procède du vrai, ainsi qu’on le dit au deuxième livre des Seconds Analytiques.

292. Ensuite il ajoute une proposition universelle, que voici. Celui qu’on appelle le plus excellent parmi d’autres est celui à partir duquel est causée dans les autres l’attribution d’un prédicat d’une manière univoque, tout comme le feu est la cause de la chaleur dans les éléments. C’est pourquoi, puisque la chaleur se dit d’une manière univoque à la fois du feu et des corps élémentaires, il s’ensuit que le feu est la forme la plus excellente de la chaleur.

293.  Mais il fait mention de l’attribution univoque parce qu’il arrive parfois qu’un effet ne parvient pas à ressembler à la cause selon la même nature spécifique en raison de l’excellence extrême de la cause elle-même. Par exemple, le soleil est la cause de la chaleur dans les corps inférieurs mais ces derniers ne peuvent recevoir l’impression du soleil ou des autres corps célestes selon la même nature spécifique puisque ces corps célestes ne partagent pas avec eux la matière. Et c’est pour cette raison que nous ne disons pas que le soleil, comme le feu, est le plus chaud ou la forme la plus excellente de la chaleur, mais qu’il transcende même la forme la plus excellente de la chaleur qui est le feu.

294. Mais le nom de vérité n’est pas propre à une espèce donnée mais il se rapporte universellement à tous les êtres. Et de là, parce que ce qui est cause de vérité est une cause qui communique avec son effet à la fois par un nom et par une nature commune, il s’ensuit que cela même qui est cause de vérité dans ce qui en découle est la vérité par excellence.

295. À partir de quoi il conclut par la suite que les principes des réalités qui sont éternelles, à savoir ceux des corps célestes, sont nécessairement ceux qui sont les plus vrais de tous; et il présente cette conclusion pour deux raisons. D’abord parce qu’ils ne sont pas ¨vrais à tel moment déterminé mais non à un autre¨, et ils dépassent ainsi quant à la vérité les êtres assujettis au devenir et à la corruption dont l’existence se limite à un temps déterminé. Ensuite, ces principes ne doivent leur existence à aucune cause, mais ce sont eux plutôt qui sont la cause de l'existence des autres êtres. Et c’est à cause de cela qu’ils transcendent les corps célestes eux-mêmes par l’être et par la vérité : car bien que ces derniers soient incorruptibles, ils ont cependant une cause non seulement quant à leurs mouvements, comme certains l’ont pensé, mais aussi quant à leur existence, ainsi que le Philosophe le dit de façon explicite.

296. Et il est nécessaire qu’il en soit ainsi car il est naturel que tout ce qui est composé et qui est tel par participation se ramène comme à sa cause à ce qui existe par nature. Mais tous les êtres corporels sont des êtres en acte dans la mesure où ils participent de certaines formes. C’est pourquoi il est nécessaire que la substance séparée, qui est une forme par sa nature même, soit le principe de la substance corporelle.

297. Si donc nous ajoutons à cette conclusion que la philosophie première considère les causes premières, il s’ensuit, comme nous l’avons établi précédemment, que c’est elle qui considère les vérités les plus excellentes. Et c’est pourquoi c’est elle qui est la science suprême de la vérité.

298. Mais à partir de ces conclusions il infère un certain corollaire. Puisqu’en effet il en est ainsi, à savoir que ceux qui sont pour les autres causes de leur existence sont aussi ceux qui possèdent la vérité la plus excellente, il s’ensuit que toute réalité se rapporte à la vérité comme elle se rapporte à l’existence. En effet, les réalités dont l’existence n’est pas toujours la même ne possèdent pas non plus une vérité qui est toujours la même. Et celles dont l’existence est causée sont aussi celles dont la vérité est causée. Et il en est ainsi parce que c’est l’existence même de la chose qui est cause de la justesse ou de la vérité du jugement que l’esprit peut porter sur cette chose. En effet, le vrai et le faux ne sont pas dans les choses mais dans l’esprit, ainsi qu’on le verra au sixième livre de ce traité.

299. Ensuite lorsqu’il dit : ¨ Et en vérité ¨.

   Il écarte une opinion par laquelle la preuve qui précède, et qui partait de ce principe que la philosophie première considère les causes premières, pourrait être affaiblie. Ce principe en effet serait détruit si les causes des êtres étaient infinies. Alors en effet il ne pourrait exister une cause première. Et c’est pourquoi le Philosophe cherche ici à réfuter cette opinion : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente son propos. En deuxième lieu il prouve son propos, là [153] où il dit : ¨Pour les intermédiaires en effet pour lesquels il existe quelque chose etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [152] ceci : il se peut manifestement à partir de ce qui a été dit qu’il y ait un principe de l’existence et de la vérité des choses et que les causes des êtres ne soient pas infinies, ni en procédant d’après une série verticale à l’intérieur d’une seule et même espèce de cause, par exemple à l’intérieur de l’espèce des causes efficientes, ni en procédant d’après l’espèce, de sorte qu’il y aurait une infinité d’espèces de causes.

300. Mais il explique ce qu’il a dit au sujet des causes infinies qui procéderaient d’après une série verticale. Et il le fait certes en premier lieu dans le genre de la cause matérielle. En effet il n’est pas possible de procéder à l’infini en ceci qu’une chose proviendrait d’une autre comme d’une matière, de sorte par exemple que la chair proviendrait de la terre, la terre de l’air, l’air du feu et que ce procédé, ne s’arrêtant pas à une matière qui serait la première, se poursuivrait à l’infini. Il le fait deuxièmement en donnant un exemple dans le genre de la cause efficiente en disant qu’il n’est pas possible qu’on puisse remonter à l’infini à l’intérieur de cette cause qu’on appelle celle d’où procède le mouvement, par exemple lorsque nous disons que l’homme est porté à enlever ses vêtements en raison de l’air qui est chaud, que l’air est réchauffé par le soleil, que le soleil à son tour est mû par un autre corps et ainsi de suite à l’infini. Troisièmement il donne un exemple tiré du genre de la cause finale; et il dit de la même manière, que pour ce qui est de ¨ ce en vue de quoi ¨, c’est-à-dire la cause finale, on ne peut remonter à l’infini dans les causes comme si nous disions que le voyage ou la promenade est en vue de la santé, la santé en vue du bonheur, le bonheur en vue d’autre chose et ainsi à l’infini. Et finalement il fait mention de la cause formelle et il dit que de la même manière on ne peut procéder à l’infini à l’intérieur de ¨ la quiddité ¨, c’est-à-dire à l’intérieur de la cause formelle qui est signifiée par la définition. Mais il néglige de donner des exemples car ils sont évidents et parce qu’il prouve au premier livre des Seconds Analytiques qu’on ne procède pas à l’infini dans les prédicats, comme on prétendrait le faire en disant par exemple que l’animal s’attribue essentiellement à l’homme, le vivant à l’animal, et ainsi de suite à l’infini.

 

 

LECTIO 3

[81867] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 1Postquam philosophus praemisit quod causae entium non sunt infinitae, hic probat propositum. Et primo, quod non sint infinitae in directum. Secundo, quod non sint infinitae secundum speciem, ibi, sed si infinitae essent et cetera. Circa primum quatuor facit. Primo ostendit propositum in causis efficientibus vel moventibus. Secundo in causis materialibus, ibi, at vero nec in deorsum. Tertio in causis finalibus, ibi, amplius autem quod est cuius causa et cetera. Quarto in causis formalibus, ibi, sed nec quod quid erat esse et cetera. Circa primum sic procedit. Primo proponit quamdam propositionem: scilicet, quod in omnibus his, quae sunt media inter duo extrema, quorum unum est ultimum, et aliud primum, necesse est quod illud quod est primum, sit causa posteriorum, scilicet medii et ultimi.

[81868] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 2Et hanc propositionem manifestat per divisionem: quia, si oporteat nos dicere quid sit causa inter aliqua tria, quae sunt primum, medium et ultimum, ex necessitate dicemus causam esse id quod est primum. Non enim possumus dicere id quod est ultimum, esse causam omnium, quia nullius est causa; alioquin non est ultimum, cum effectus sit posterior causa. Sed nec possumus dicere quod medium sit causa omnium; quia nec est causa nisi unius tantum, scilicet ultimi.

[81869] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 3Et ne aliquis intelligat, quod medium nunquam habeat post se nisi unum, quod est ultimum, quod tunc solum contingit, quando inter duo extrema est unum medium tantum, ideo ad hoc excludendum concludit quod nihil ad propositum differt, utrum sit unum tantum medium, vel plura: quia omnia plura media accipiuntur loco unius, inquantum conveniunt in ratione medii. Et similiter non differt utrum sint media finita vel infinita; quia dummodo habeant rationem medii, non possunt esse prima causa movens. Et quia ante omnem secundam causam moventem requiritur prima causa movens, requiritur quod ante omnem causam mediam sit causa prima, quae nullo modo sit media, quasi habens aliam causam ante se. Sed, si praedicto modo ponantur causae moventes procedere in infinitum, sequitur, quod omnes causae sunt mediae. Et sic universaliter oportet dicere, quod cuiuslibet infiniti, sive in ordine causae, sive in ordine magnitudinis, omnes partes sint mediae: si enim esset aliqua pars quae non esset media, oporteret, quod vel esset prima vel ultima: et utrumque repugnat rationi infiniti, quod excludit omnem terminum et principium et finem.

[81870] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 4Est autem et ad aliud attendendum: quod, si alicuius finiti sint plures partes mediae, non omnes partes simili ratione sunt mediae. Nam quaedam magis appropinquant primo, quaedam magis appropinquant ultimo. Sed in infinito quod non habet primum et ultimum, nulla pars potest magis appropinquare vel minus principio aut ultimo. Et ideo usque ad quamcumque partem, quam modo signaveris, omnes partes similiter sunt mediae. Sic igitur, si causae moventes procedant in infinitum, nulla erit causa prima: sed causa prima erat causa omnium: ergo sequeretur, quod totaliter omnes causae tollerentur: sublata enim causa tolluntur ea quorum est causa.

[81871] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 5Deinde cum dicit at vero ostendit, quod non est possibile procedere in infinitum in causis materialibus. Et primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, dupliciter enim fit hoc ex hoc et cetera. Circa primum considerandum est, quod patiens subiicitur agenti: unde procedere in agentibus est sursum ire, procedere autem in patientibus est in deorsum ire. Sicut autem agere attribuitur causae moventi, ita pati attribuitur materiae. Unde processus causarum moventium est in sursum, processus autem causarum materialium est in deorsum. Quia ergo ostenderat, quod non est in infinitum procedere in causis moventibus quasi in sursum procedendo, subiungit, quod nec possibile est ire in infinitum in deorsum, secundum scilicet processum causarum materialium, supposito, quod sursum ex parte causarum moventium inveniatur aliquod principium.

[81872] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 6Et exemplificat de processu naturalium, qui est in deorsum: ut si dicamus quod ex igne fit aqua, et ex aqua terra, et sic in infinitum. Et utitur hoc exemplo secundum opinionem antiquorum naturalium, qui posuerunt unum aliquod elementorum esse principium aliorum quodam ordine.

[81873] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 7Potest autem et aliter exponi, ut intelligamus, quod in causis moventibus manifesti sunt ad sensum ultimi effectus, qui non movent: et ideo non quaeritur, si procedatur in infinitum in inferius secundum illud genus, sed si procedatur in superius. Sed in genere causarum materialium e converso supponitur unum primum, quod sit fundamentum et basis aliorum; et dubitatur utrum in infinitum procedatur in deorsum secundum processum eorum quae generantur ex materia. Et hoc sonat exemplum propositum: non enim dicit ut ignis ex aqua, et hoc ex alio, sed e converso, ex igne aqua et ex hoc aliud: unde supponitur prima materia, et quaeritur, an sit processus in infinitum in his quae generantur ex materia.

[81874] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 8Deinde cum dicit dupliciter autem probat propositum: et circa hoc quatuor facit. Primo distinguit duos modos, quibus fit aliquid ex aliquo. Secundo ostendit duplicem differentiam inter illos duos modos, ibi, ergo sic ex puero. Tertio ostendit quod secundum neutrum eorum contingit procedere in infinitum, ibi, utroque autem modo impossibile est et cetera. Quarto ostendit secundum quem illorum modorum ex primo materiali principio alia fiant, ibi, simul autem impossibile et cetera. Dicit ergo primo, quod duobus modis fit aliquid ex aliquo proprie et per se. Et utitur isto modo loquendi, ut excludat illum modum, quo dicitur improprie aliquid fieri ex aliquo ex hoc solo, quod fit post illud: ut si dicamus, quod quaedam festa Graecorum, quae dicebantur Olympia, fiunt ex quibusdam aliis festis, quae dicebantur Isthmia, puta si nos diceremus quod festum Epiphaniae fit ex festo natalis. Hoc autem non proprie dicitur, quia fieri est quoddam mutari: in mutatione autem non solum requiritur ordo duorum terminorum, sed etiam subiectum idem utriusque: quod quidem non contingit in praedicto exemplo: sed hoc dicimus, secundum quod imaginamur tempus esse ut subiectum diversorum festorum.

[81875] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 9Sed oportet proprie dicere aliquid fieri ex aliquo, quando aliquod subiectum mutatur de hoc in illud. Et hoc dupliciter. Uno modo sicut dicimus, quod ex puero fit vir, inquantum scilicet puer mutatur de statu puerili in statum virilem: alio modo sicut dicimus, quod ex aqua fit aer per aliquam transmutationem.

[81876] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 10Deinde cum dicit ergo sic ostendit duas differentias inter praedictos modos. Quarum prima est, quia dicimus ex puero fieri virum, sicut ex eo quod est in fieri, fit illud quod iam est factum; aut ex eo quod est in perfici, fit illud quod iam est perfectum. Illud enim quod est in fieri et in perfici, est medium inter ens et non ens, sicut generatio est medium inter esse et non esse. Et ideo, quia per medium venitur ad extremum, dicimus, quod ex eo quod generatur fit illud quod generatum est, et ex eo quod perficitur, fit illud quod perfectum est. Et sic dicimus, quod ex puero fit vir, vel quod ex addiscente fit sciens, quia addiscens se habet ut in fieri ad scientem. In alio autem modo, quo dicimus ex aere fieri aquam, unum extremorum non se habet ut via vel medium ad alterum, sicut fieri ad factum esse; sed magis ut terminus a quo recedit, ut ad alium terminum perveniatur. Et ideo ex uno corrupto fit alterum.

[81877] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 11Deinde cum dicit propter quod concludit ex praemissa differentia, aliam differentiam. Quia enim in primo modo unum se habet ad alterum ut fieri ad factum esse, et medium ad terminum, patet, quod habent ordinem naturaliter adinvicem. Et ideo non reflectuntur adinvicem, ut indifferenter unum fiat ex altero. Unde non dicimus quod ex viro fiat puer sicut dicimus e converso. Cuius ratio est, quia illa duo ex quorum uno secundum istum modum dicitur alterum fieri, non se habent adinvicem sicut duo termini mutationis alicuius; sed sicut ea, quorum unum est post alterum. Et hoc est quod dicit, quod illud quod fit, idest terminus generationis, scilicet esse, non fit ex generatione, quasi ipsa generatio mutetur in esse; sed est post generationem, quia naturali ordine consequitur ad generationem, sicut terminus est post viam, et ultimum post medium. Unde, si consideramus ista duo, scilicet generationem et esse, non differunt ab illo modo quem exclusimus, in quo consideratur ordo tantum; sicut cum dicimus, quod dies fit ex aurora, quia est post auroram. Et propter istum naturalem ordinem, non dicimus e converso, quod aurora fit ex die, idest post diem. Et ex eadem ratione non potest esse, quod puer fiat ex viro. Sed secundum alterum modum, quo aliquid fit ex altero, invenitur reflexio. Sicut enim aqua generatur ex aere corrupto, ita aer generatur ex aqua corrupta. Et hoc ideo, quia ista duo non se habent adinvicem secundum naturalem ordinem, scilicet ut medium ad terminum; sed sicut duo extrema quorum utrumque potest esse et primum et ultimum.

[81878] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 12Deinde cum dicit utroque autem ostendit quod non sit procedere in infinitum secundum utrumque istorum modorum. Et primo secundum primum, prout dicimus ex puero fieri virum. Illud enim ex quo dicimus aliquid fieri, sicut ex puero virum, se habet ut medium inter duo extrema, scilicet inter esse et non esse: sed positis extremis impossibile est esse infinita media: quia extremum infinitati repugnat: ergo secundum istum modum non convenit procedere in infinitum.

[81879] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 13Similiter etiam nec secundum alium; quia in alio modo invenitur reflexio extremorum adinvicem, propter hoc quod alterius corruptio est alterius generatio, ut dictum est. Ubicumque autem est reflexio, reditur ad primum, ita scilicet quod id quod fuit primo principium, postea sit terminus. Quod in infinitis non potest contingere, in quibus non est principium et finis. Ergo nullo modo ex aliquo potest aliquid fieri in infinitum.

[81880] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 14Deinde cum dicit simul autem ostendit quod praedictorum modorum ex prima materia aliquid fiat. Ubi considerandum est, quod Aristoteles utitur hic duabus communibus suppositionibus, in quibus omnes antiqui naturales conveniebant: quarum una est, quod sit aliquod primum principium materiale, ita scilicet quod in generationibus rerum non procedatur in infinitum ex parte superiori, scilicet eius ex quo generatur. Secunda suppositio est, quod prima materia est sempiterna. Ex hac igitur secunda suppositione statim concludit, quod ex prima materia non fit aliquid secundo modo, scilicet sicut ex aere corrupto fit aqua, quia scilicet illud quod est sempiternum, non potest corrumpi.

[81881] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 3 n. 15Sed quia posset aliquis dicere, quod primum principium materiale non ponitur a philosophis sempiternum, propter hoc quod unum numero manens sit sempiternum, sed quia est sempiternum per successionem, sicut si ponatur humanum genus sempiternum: hoc excludit ex prima suppositione, dicens, quod, quia generatio non est infinita in sursum, sed devenitur ad aliquod primum principium materiale, necesse est quod, si aliquid sit primum materiale principium, ex quo fiunt alia per eius corruptionem, quod non sit illud sempiternum de quo philosophi dicunt. Non enim posset esse illud primum materiale principium sempiternum, si eo corrupto alia generarentur, et iterum ipsum ex alio corrupto generaretur. Unde manifestum est, quod ex primo materiali principio fit aliquid, sicut ex imperfecto et in potentia existente, quod est medium inter purum non ens et ens actu; non autem sicut aqua ex aere fit corrupto.

LEÇON 3.

(nn. 301-315; [153-159])

 

Aristote prouve, à l’intérieur des causes efficientes et des causes matérielles, qu’il existe une cause première, en montrant comment quelque chose est produit à partir d’une matière première.

 

301. Après avoir énoncé comme préliminaire que les causes des êtres ne sont pas infinies, le Philosophe prouve ici son propos.

   Et en premier lieu il montre qu’elles ne sont pas infinies dans une série verticale à l’intérieur d’une même espèce [153]. En deuxième lieu il montre qu’elles ne sont pas infinies quant aux espèces, là [170] où il dit : ¨ Mais si elles étaient infinies etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait quatre choses. En premier lieu il manifeste son propos à l’intérieur des causes efficientes ou motrices [153]. En deuxième lieu il le fait à l’intérieur des causes matérielles, là [154] où il dit : ¨ Cela n’est pas possible non plus en descendant etc.¨. En troisième lieu il le fait à l’intérieur des causes finales, là [160] où il dit : ¨ Mais de plus, ce en vue de quoi etc.¨. Enfin il le fait à l’intérieur des causes formelles, là [164] où il dit : ¨ Mais la quiddité ne etc.¨.

   Au sujet du premier point il procède de la manière suivante. En premier lieu il présente une proposition [153], à savoir que dans toute série où il y a des intermédiaires entre deux extrêmes dont l’un est le dernier et l’autre le premier, il est nécessaire que l’extrême qui est le premier soit la cause de ce qui suit, à savoir des intermédiaires et du dernier.

302. Et il manifeste cette proposition au moyen d’une division. Car s’il nous fallait dire quelle est la cause parmi ces trois éléments, à savoir le premier, les intermédiaires et le dernier, nous dirions nécessairement que la cause est ce qui est premier. Nous ne pouvons dire en effet que ce qui est dernier est la cause de tous les autres car il n’est la cause d’aucun d’eux; s’il en était autrement, il ne serait pas dernier, puisqu’un effet est postérieur à sa cause. Nous ne pouvons dire non plus que l’intermédiaire est la cause de tous les autres car il n’est la cause que d’un seul, à savoir du dernier.

303. Et afin que personne ne pense que l’intermédiaire n’a jamais à sa suite qu’un seul élément qui est le dernier et qu’entre les deux extrêmes il n’y a qu’un seul intermédiaire, c’est pourquoi il ajoute pour écarter cette interprétation qu’il ne fait aucune différence qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire ou qu’il y en ait plusieurs : car tous les nombreux intermédiaires sont considérés comme n’étant qu’un seul dans la mesure où ils ont en commun la même nature d’intermédiaire. – Et de même cela ne change rien que les intermédiaires soient finis ou infinis; car aussi longtemps qu’ils ont la nature d’intermédiaires, ils ne peuvent être la cause première du mouvement. Et parce qu’antérieurement à toute cause seconde du mouvement est exigée une cause première du mouvement, il est nécessaire qu’avant toute cause intermédiaire existe une cause première qui ne soit intermédiaire d’aucune manière, c’est-à-dire qui ne soit précédée d’aucune autre cause. Mais si, à la manière dont certains le font, on affirme que les causes du mouvement procèdent à l’infini, il s’ensuit alors que toutes les causes sont intermédiaires. Et ainsi il faut dire universellement que pour tout infini, que ce soit dans l’ordre de la causalité ou dans celui de l’étendue, toutes les parties sont intermédiaires : si en effet il existait une partie qui ne soit pas intermédiaire, il faudrait qu’elle soit ou bien première ou bien dernière alors que ces deux extrêmes répugnent à la nature de l’infini, lequel exclut tout terme, tout commencement et toute fin.

304. Mais il nous faut porter notre attention sur un autre point, à savoir que si pour une réalité finie il existe plusieurs parties intermédiaires, toutes ces parties ne sont pas intermédiaires au même titre. Car certaines ont une plus grande proximité avec ce qui est premier, d’autres avec ce qui est dernier. Mais pour une réalité qui serait infinie et qui ne posséderait aucun extrême, à savoir ni un premier ni un dernier, aucune partie ne pourrait avoir une plus ou moins grande proximité avec un premier ou un dernier. Et c’est pourquoi, dans ce cas, quelles que soient les parties que tu pourras signaler, elles seront toutes intermédiaires au même titre. Ainsi donc, si les causes motrices procèdent à l’infini, aucune d’elles ne sera cause première; mais comme une cause première est la cause de toutes les autres, il s’ensuivra donc que toutes les causes disparaîtront; en effet, si on enlève la cause, disparaît du même coup tout ce dont elle est la cause.

305. Ensuite lorsqu’il dit [154] : ¨ D’un autre côté ¨.

   Il montre qu’il n’est pas possible de procéder à l’infini dans les causes matérielles.

   Et en premier lieu il présente son propos. En deuxième lieu il le prouve, là [155] où il dit : ¨ Une chose procède d’une autre de deux manières etc.¨.

   Au sujet du premier point [154] il faut considérer qu’un patient est soumis à un agent. C’est pourquoi si on procède dans la ligne des agents on va vers le haut et si on procède dans la ligne des patients on va vers le bas. Mais tout comme on attribue l’agir à la cause motrice, de même on attribue le subir à la matière. Et c’est pourquoi on considère le processus des causes motrices comme étant un processus qui remonte vers le haut et celui des causes matérielles comme allant vers le bas. Donc, puisqu’il avait montré qu’on ne doit pas remonter à l’infini dans les causes motrices comme en procédant vers le haut, il ajoute qu’il n’est pas possible non plus de descendre à l’infini vers le bas, c’est-à-dire selon le processus des causes matérielles, en supposant qu’en procédant vers le haut du côté des causes motrices on parvient à un principe.

306. Et il donne un exemple au sujet des choses naturelles qui en est un vers le bas, comme si nous disions que l’eau vient du feu, la terre de l’eau, et ainsi à l’infini. Et il se sert de cet exemple conformément à l’opinion des anciens naturalistes qui affirmaient qu’un des éléments était le principe des autres selon un certain ordre.

307. Mais on pourrait expliquer la chose autrement si nous comprenions que dans les causes motrices les effets ultimes qui sont immobiles sont manifestes aux sens; et c’est pourquoi on ne se demande pas s’il faut procéder à l’infini vers le bas dans ce genre de causes mais plutôt si on doit y procéder vers le haut. Mais dans le genre des causes matérielles au contraire on suppose un principe premier qui soit le fondement et la base de tous les autres; et on se demande dans ce cas si on doit procéder à l’infini vers le bas conformément au processus des réalités qui sont engendrées à partir de la matière. Et cet exemple semble s’harmoniser avec le propos : en effet il ne dit pas que le feu vient de l’eau et celle-ci d’autre chose, mais au contraire que du feu vient l’eau et d’elle autre chose : c’est pourquoi on suppose ici une matière qui est première et on se demande à partir de là si on doit procéder à l’infini dans les choses qui sont engendrées à partir de cette matière.

308. Ensuite lorsqu’il dit [155] : ¨ Mais c’est de deux manières ¨.

   Il manifeste son propos et à ce sujet il fait quatre choses.

   En premier lieu il distingue deux modalités selon lesquelles une chose vient d’une autre [155]. En deuxième lieu il montre deux différences qui ressortent de ces deux modalités, là [156] où il dit : ¨ Donc ainsi que de l’enfant ¨. En troisième lieu il montre que pour aucune de ces modalités il arrive de procéder à l’infini, là [158] où il dit : ¨ Mais il est impossible dans un cas comme dans l’autre etc.¨. En quatrième lieu il montre selon laquelle de ces modalités les autres choses sont produites à partir d’un premier principe matériel, là [159] où il dit : ¨ Mais en même temps il est impossible etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [155] que c’est d’après deux modalités qu’une chose procède d’une autre par soi et à proprement parler. - Et il se sert de cette manière de parler pour écarter une autre modalité par laquelle on dit improprement qu’une chose procède d’une autre, c’est-à-dire au sens où une chose procède d’une autre du seul fait qu’elle vient après cette autre chose : par exemple, si nous disions que certains jeux des Grecs, qu’on appelait Olympiques, procèdent d’autres jeux qu’on appelait Isthmiques simplement parce qu’ils viennent après, tout comme si nous disions dans le même sens que la fête de l’Épiphanie procède de la fête de la Nativité. Mais ce n’est pas là parler proprement car il est évident que le devenir est un certain changement et que dans un changement il n’est pas seulement requis qu’il y ait un ordre entre deux termes, mais aussi qu’il y ait un même sujet pour l’un et l’autre terme, ce qui n’est pas le cas pour l’exemple qui précède; mais nous parlons de cette manière parce que nous nous imaginons en quelque sorte que le temps est le sujet de ces différentes fêtes.

309. Mais on dit qu’une chose procède d’une autre au sens propre quand un même sujet passe d’un état à un autre. Et ce passage peut se faire selon deux modalités. La première, c’est comme lorsque nous disons que l’homme mature procède de l’enfant, c’est-à-dire dans la mesure où l’enfant passe du statut de la puérilité à celui de la virilité; le deuxième, c’est comme lorsque nous disons que l’air procède de l’eau au moyen d’une certaine modification.

310. Ensuite lorsqu’il dit [156] : ¨ Ainsi donc ¨.

   Il montre deux différences qui apparaissent entre les deux modalités qui précèdent. Dont la première est que nous disons que l’homme procède de l’enfant, comme de ce qui est en devenir procède ce qui est déjà achevé ou comme de ce qui chemine vers la perfection procède ce qui l’a déjà atteinte. En effet, cela même qui est en train de devenir ou de cheminer vers la perfection est un intermédiaire entre l’être et le non-être tout comme la génération est un intermédiaire entre l’être et le non-être. Et c’est pour cette raison, parce que c’est au moyen de l’intermédiaire qu’on parvient au terme extrême, que nous disons que ce qui est devenu procède de ce qui est en train de devenir et que ce qui est parfait procède de ce qui est en train de se perfectionner. Et c’est de cette manière que nous disons que l’homme procède de l’enfant ou que le savant procède de celui qui est en train d’apprendre car ce dernier se rapporte au savant comme ce qui est en devenir se rapporte à ce qui est achevé. – Mais pour l’autre modalité par laquelle nous disons que l’eau procède de l’air, l’un des extrêmes ne se rapporte pas à l’autre comme un chemin ou un intermédiaire, comme ce qui est en train de devenir se rapporte à ce qui est achevé, mais plutôt comme un premier terme duquel il s’éloigne pour parvenir à un autre terme. Et c’est pourquoi cet autre terme implique la destruction du premier.

311. Ensuite lorsqu’il dit : ¨ Et c’est pour cette raison ¨.

   Il infère une autre différence à partir de celle qui précède. En effet parce que dans la première modalité l’un des termes se rapporte à l’autre comme ce qui est en train de devenir se rapporte à ce qui est achevé et comme un intermédiaire par rapporte à un extrême, il est évident qu’il y a naturellement un ordre entre les deux. Et c’est pour cette raison qu’il n’y a pas de réversibilité entre eux de sorte que n’importe quel des deux procéderait indifféremment de l’autre. C’est pourquoi nous ne disons pas que l’enfant procède de l’homme achevé comme nous disons le contraire. Et la raison en est que ces deux termes, dont on dit que l’un procède de l’autre selon cette modalité, ne se rapportent pas entre eux comme les deux termes d’un changement mais comme deux termes dont l’un vient à la suite de l’autre. Et c’est ce qu’Aristote dit, à savoir que ¨ ce qui est engendré ¨, c’est-à-dire le terme de la génération, à savoir l’être, n’est pas un produit de la génération comme si la génération elle-même se changeait en être, mais plutôt il vient après la génération car c’est par un ordre naturel qu’il fait suite à la génération comme le terme fait suite au chemin et l’extrême à l’intermédiaire. De là, si nous considérons ces deux termes, à savoir la génération et l’être, ils ne diffèrent pas de cette modalité que nous écartons et dans laquelle on considère seulement l’ordre, comme lorsque nous disons que le jour procède de l’aurore parce qu’il fait suite à l’aurore. Et c’est en raison de cet ordre naturel que nous ne disons pas au contraire que l’aurore procède du jour, c’est-à-dire qu’elle vient après le jour. Et c’est pour la même raison qu’il ne peut arriver que l’enfant procède de l’homme achevé. – Mais d’après l’autre modalité par laquelle une chose procède d’une autre, on retrouve une conversion. En effet tout comme l’eau est engendrée à partir de la destruction de l’air, de même l’air est engendré à partir de la destruction de l’eau. Et il en est ainsi parce que ces deux termes ne se rapportent pas l’un à l’autre selon un ordre naturel, c’est-à-dire comme un intermédiaire se rapporte à un terme, mais plutôt comme deux extrêmes dont l’un comme l’autre peut être le premier et le dernier.

312. Ensuite lorsqu’il dit [158] : ¨ Mais à l’un et à l’autre ¨.

   Il montre qu’on ne doit procéder à l’infini pour aucune de ces modalités. Et il le fait en premier lieu à l’égard de la première modalité, comme dans le cas où nous disons que l’homme fait procède de l’enfant. En effet, ce à partir de quoi nous disons qu’une chose procède d’une autre, comme dans le cas où l’homme achevé procède de l’enfant, cela même se rapporte comme un intermédiaire entre deux extrêmes, à savoir entre l’être et le non-être : mais poser des extrêmes, c’est rendre du même coup impossible l’existence d’une infinité d’intermédiaires car il est dans la nature même de l’extrême de répugner à l’infinité; il ne convient donc pas de procéder à l’infini selon cette modalité.

313. De la même manière il ne convient pas non plus de procéder ainsi selon l’autre modalité car on y retrouve une conversion réciproque des deux extrêmes pour cette raison que la destruction de l’un est la génération de l’autre, ainsi qu’on l’a déjà dit. Mais partout où il y a conversion, on revient à quelque chose de premier, à savoir de telle manière que ce qui était principe au départ se retrouve comme terme par la suite; ce qui ne peut se produire pour les infinis où on ne peut retrouver ni commencement ni fin. Il ne peut donc arriver, selon aucune de ces modalités, qu’un être qui procède de d’autres êtres à l’infini.

314. Ensuite lorsqu’il dit [159] : ¨ Mais en même temps ¨.

   Il montre que pour les deux modalités, quelque chose procède d’une matière première. Et il faut ici considérer qu’Aristote se sert ici de deux présupposés communs partagés par tous les anciens physiciens, dont le premier est qu’il existe un premier principe matériel de telle sorte que dans la génération des choses on ne procédait pas à l’infini en remontant dans les causes, c’est-à-dire en remontant dans ce à partir de quoi se fait la génération. – Le deuxième présupposé était que la matière première est éternelle et à partir de ce deuxième présupposé Aristote conclut aussitôt qu’il ne peut y avoir à partir de la matière première de devenir selon la deuxième modalité, c’est-à-dire à la manière dont l’eau est engendrée à partir de la destruction de l’air car ce qui est éternel ne peut être détruit.

315. Mais parce qu’on pourrait encore dire que ces anciens physiciens n’affirmaient pas que le premier principe matériel est éternel pour cette raison qu’il reste le même par le nombre mais parce qu’il est éternel par succession, comme lorsque nous affirmons que le genre humain est éternel, le Philosophe écarte cette objection à partir du premier présupposé en disant que parce que la génération n’est pas infinie vers le haut mais qu’elle parvient à un premier principe matériel, il faut nécessairement, s’il existe un premier principe matériel à partir duquel les autres soient engendrés grâce à sa destruction, que ce premier principe dont parlent les philosophes ne serait pas éternel. En effet, ce premier principe matériel ne pourrait être éternel si, lui une fois détruit, les autres étaient engendrés et si à son tour lui-même était engendré à partir de la destruction d’un autre. De là il est manifeste qu’une chose procède d’un premier principe matériel comme de ce qui est imparfait et qui existe en puissance et qui est comme un intermédiaire entre le pur non-être et l’être en acte, et non pas comme l’eau procède de la destruction de l’air.

 

 

LECTIO 4

[81882] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 1Postquam probavit philosophus, quod in causis moventibus et materialibus non proceditur in infinitum, hic ostendit idem in causa finali, quae nominaturcuius causa fit aliquid. Et ostendit propositum quatuor rationibus: quarum prima talis est. Id, quod est cuius causa, habet rationem finis. Sed finis est id quod non est propter alia, sed alia sunt propter ipsum. Aut ergo est aliquid tale, aut nihil: et si quidem fuerit aliquid tale, ut scilicet omnia sint propter ipsum, et ipsum non sit propter alia, ipsum erit ultimum in hoc genere; et ita non procedetur in infinitum: si autem nihil inveniatur tale, non erit finis. Et ita tolletur hoc genus causae, quod dicitur cuius causa.

[81883] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 2Secundam rationem ponit ibi, sed qui, quae derivatur ex praemissa ratione. Ex prima enim ratione conclusum est quod qui ponunt infinitatem in causis finalibus, removeant causam finalem. Remota autem causa finali, removetur natura et ratio boni: eadem enim ratio boni et finis est; nam bonum est quod omnia appetunt, ut dicitur in primo Ethicorum. Et ideo illi qui ponunt infinitum in causis finalibus, auferunt totaliter naturam boni, licet ipsi hoc non percipiant.

[81884] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 3Tertiam rationem ponit ibi, et nullus, quae talis est. Si sit infinitum in causis finalibus, nullus poterit pervenire ad ultimum terminum, quia infinitorum non est ultimus terminus: sed nullus conatur ad aliquid faciendum nisi per hoc, quod se existimat venturum ad aliquid, sicut ad ultimum terminum: ergo ponentes infinitum in causis finalibus excludunt omnem conatum ad operandum, etiam naturalium rerum: nullius enim rei motus naturalis est nisi ad id ad quod nata est pervenire.

[81885] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 4Quartam rationem ponit ibi neque utique quae talis est. Qui ponit infinitum in causis finalibus, excludit terminum, et per consequens excludit finem cuius causa fit aliquid. Sed omne agens per intellectum agit causa alicuius finis: ergo sequetur quod inter causas operativas non sit intellectus, et ita tolletur intellectus practicus. Quae cum sint inconvenientia, oportet removere primum, id scilicet ex quo sequuntur, scilicet infinitum a causis finalibus.

[81886] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 5Deinde cum dicit sed nec ostendit quod non sit infinitum in causis formalibus: et circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi: semper enim et cetera. Circa primum considerandum est quod unumquodque constituitur in specie per propriam formam. Unde definitio speciei maxime significat formam rei. Oportet ergo accipere processum in formis secundum processum in definitionibus. In definitionibus enim una pars est prior altera, sicut genus est prius differentia, et differentiarum una est prior altera. Idem ergo est quod in infinitum procedatur in formis et quod in infinitum procedatur in partibus definitionis. Et ideo volens ostendere quod non sit procedere in infinitum in causis formalibus, proponit non esse infinitum in partibus definitionis. Et ideo dicit quod non convenit hoc quod est quod quid erat esse, in infinitum reduci ad aliam definitionem, ut sic semper multiplicetur ratio. Puta qui definit hominem in definitione eius ponit animal. Unde definitio hominis reducitur ad definitionem animalis, quae ulterius reducitur ad definitionem alicuius alterius, et sic multiplicatur ratio definitiva. Sed hoc non convenit in infinitum procedere.

[81887] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 6Non autem hoc dicimus quasi in uno et eodem individuo multiplicentur formae secundum numerum generum et differentiarum, ut scilicet in homine sit alia forma a qua est homo, et alia a qua est animal, et sic aliis; sed quia necesse est ut in rerum natura tot gradus formarum inveniantur, quod inveniuntur genera ordinata et differentiae. Est enim in rebus invenire aliquam formam, quae est forma, et non est forma corporis; et aliquam quae est forma corporis, sed non est forma animati corporis; et sic de aliis.

[81888] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 7Deinde cum dicit semper enim probat propositum quatuor rationibus. Quarum prima talis est. In multitudine formarum vel rationum semper illa quae est prius est magis. Quod non est intelligendum quasi sit completior; quia formae specificae sunt completae. Sed dicitur esse magis, quia est in plus quam illa quae est posterior, quae non est ubicumque est prior. Non enim ubicumque est ratio animalis, est ratio hominis. Ex quo argumentatur, quod si primum non est, nec habitum idest consequens est. Sed si in infinitum procedatur in rationibus et formis, non erit prima ratio vel forma definitiva; ergo excludentur omnes consequentes.

[81889] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 8Secundam rationem ponit ibi amplius scire quae talis est. Impossibile est aliquid sciri prius quam perveniatur ad individua. Non autem accipitur hic individuum singulare, quia scientia non est de singularibus. Sed individuum potest dici uno modo ipsa ratio speciei specialissimae, quae non dividitur ulterius per essentiales differentias. Et secundum hoc intelligitur quod non habetur perfecta scientia de re, quousque perveniatur ad speciem specialissimam; quia ille qui scit aliquid in genere, nondum habet perfectam scientiam de re. Et secundum hanc expositionem oportet dicere, quod sicut prima ratio concludebat, quod in causis formalibus non proceditur in infinitum in sursum, ita haec ratio concludit, quod non proceditur in infinitum in deorsum. Sic enim non esset devenire ad speciem specialissimam. Ergo ista positio destruit perfectam scientiam.

[81890] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 9Sed quia formalis divisio non solum est secundum quod genus dividitur per differentias, per cuius divisionis privationem species specialissima potest dici individuum, sed etiam est secundum quod definitum dividitur in partes definitionis, ut patet in primo physicorum; ideo individuum potest hic dici, cuius definitio non resolvitur in aliqua definientia. Et secundum hoc, supremum genus est individuum. Et secundum hoc erit sensus, quod non potest haberi scientia de re per aliquam definitionem, nisi deveniatur ad suprema genera, quibus ignoratis impossibile est aliquod posteriorum sciri. Et secundum hoc concludit ratio, quod in causis formalibus non procedatur in infinitum in sursum, sicut et prius.

[81891] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 10Vel ad idem concludendum potest aliter exponi individuum, ut scilicet propositio immediata dicatur individuum. Si enim procedatur in infinitum in definitionibus in sursum, nulla erit propositio immediata. Et sic universaliter tolletur scientia, quae est de conclusionibus deductis ex principiis immediatis.

[81892] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 11Deinde cum dicit et cognoscere tertiam rationem ponit quae procedit non solum ad scientiam excludendam, sed ad excludendum simpliciter omnem cognitionem humanam. Et circa hanc rationem duo facit. Primo ponit rationem. Secundo excludit obiectionem quamdam, ibi, non enim simile et cetera. Ratio autem talis est. Unumquodque cognoscitur per intellectum suae formae: sed si in formis procedatur in infinitum, non poterunt intelligi; quia infinitum inquantum huiusmodi, non comprehenditur intellectu: ergo ista positio universaliter destruit cognitionem.

[81893] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 12Deinde cum dicit non enim excludit quamdam obviationem. Posset enim aliquis dicere, quod illud quod habet infinitas formas, potest cognosci, sicut et linea, quae in infinitum dividitur. Sed hoc excludit, dicens, quod non est simile de linea, cuius divisiones non stant, sed in infinitum procedunt. Impossibile enim est quod aliquid intelligatur nisi in aliquo stetur; unde linea, inquantum statuitur ut finita in actu propter suos terminos, sic potest intelligi; secundum vero quod non statur in eius divisione, non potest sciri. Unde nullus potest numerare divisiones lineae secundum quod in infinitum procedunt. Sed infinitum in formis est infinitum in actu, et non in potentia, sicut est infinitum in divisione lineae; et ideo, si essent infinitae formae, nullo modo esset aliquid scitum vel notum.

[81894] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 13Deinde cum dicit sed materiam ponit quartam rationem, quae talis est. In omni eo quod movetur necesse est intelligere materiam. Omne enim quod movetur est in potentia: ens autem in potentia est materia: ipsa autem materia habet rationem infiniti, et ipsi infinito, quod est materia, convenit ipsum nihil, quia materia secundum se intelligitur absque omni forma. Et, cum ei quod est infinitum, conveniat hoc quod est nihil, sequitur per oppositum, quod illud per quod est esse, non sit infinitum, et quod infinito, idest materiae, non sit esse infinitum. Sed esse est per formam: ergo non est infinitum in formis.

[81895] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 14Est autem hic advertendum quod hic ponit nihil esse de ratione infiniti, non quod privatio sit de ratione materiae, sicut Plato posuit non distinguens privationem a materia; sed quia privatio est de ratione infiniti. Non enim ens in potentia habet rationem infiniti, nisi secundum quod est sub ratione privationis, ut patet in tertio physicorum.

[81896] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 4 n. 15Deinde cum dicit sed si infinitae ostendit quod non sunt infinitae species causarum, tali ratione. Tunc putamus nos scire unumquodque quando cognoscimus omnes causas eius: sed, si sunt infinitae causae secundum adiunctionem unius speciei ad aliam, non erit pertransire istam infinitatem, ita quod possint omnes causae cognosci: ergo etiam per istum modum excludetur cognitio rerum.

LEÇON 4.

(nn. 316-330; [160-170]).

 

Le Philosophe montre qu’il y a une stabilité et un terme tant dans les causes finales que dans les causes formelles et que les espèces de causes ne sont pas infinies.

 

316. Après avoir montré qu’on ne procède pas à l’infini dans les causes efficientes et matérielles, le Philosophe montre ici qu’il en est de même pour la cause finale qu’on appelle aussi ¨ celle en vue de laquelle ¨ une chose se produit [160].

   Et il manifeste son propos au moyen de quatre raisonnements, dont voici le premier. Cela même qui est ¨ ce en vue de quoi ¨ a raison de fin. Mais la fin est ce qui n’existe pas en vue d’autre chose mais plutôt ce en vue de quoi le reste existe. Donc ou bien il existe quelque chose de tel, à savoir une fin, ou bien il n’existe rien de tel. Et certes s’il existe une chose qui est telle que tout le reste existe en vue d’elle et qu’elle-même n’existe en vue d’aucune autre, elle sera elle-même le terme ultime dans ce genre et par conséquent on ne pourra y procéder à l’infini; mais si on ne retrouve rien de tel, il n’y aura pas de finalité et ainsi ce genre de causes, qu’on appelle ¨ce en vue de quoi¨, disparaîtra.

317. Il présente son deuxième raisonnement là [161] où il dit : ¨ Mais qui ¨.

   Et ce raisonnement découle du premier. En effet à partir du premier raisonnement on conclut que ceux qui affirment une infinité de causes finales se trouvent du même coup à détruire la cause finale. Mais si on fait disparaître la cause finale, on fait disparaître du même coup la nature et la notion de bien : en effet, la nature du bien est identique à celle de la finalité car le bien est ce que tous désirent, ainsi qu’on le dit au premier livre des Éthiques. Et c’est pourquoi ceux qui affirment que les causes finales sont infinies se trouvent à faire disparaître la nature du bien même s’ils ne s’en rendent pas compte.

318. Il présente son troisième raisonnement là [162] où il dit : ¨ Et aucun ¨.

   Et voici ce raisonnement. Si l’infini existe au cœur des causes finales, personne ne pourra parvenir à un terme ultime au sein de ce genre de causalité car il n’existe pas de terme ultime pour ce qui est infini; mais personne n’est porté à faire quelque chose à moins de penser qu’il doive parvenir à quelque chose comme à un terme ultime : donc, ceux qui posent l’infini dans les causes finales se trouvent à écarter toute tendance à une opération, même celle des choses naturelles. En effet, tout mouvement naturel d’une chose n’existe que pour cela même en vue de quoi il tend naturellement.

319. Il présente ici [163] son quatrième raisonnement lorsqu’il dit : ¨ Et c’est toujours ¨.

   Qui pose l’infini dans les causes finales fait disparaître le terme et par conséquent la fin en vue de laquelle une chose devient. Mais tout ce qui agit par une intelligence agit en vue d’une fin; il s’ensuit donc d’après cette position qu’il n’y a pas d’intelligence dans les causes opérationnelles et que de cette manière l’intelligence pratique disparaît. Mais comme cette conséquence est impossible, il importe d’écarter l’antécédent, à savoir ce à partir de quoi découle le conséquent, c’est-à-dire affirmer l’existence de l’infini dans les causes finales.

320. Ensuite lorsqu’il dit [164] : ¨ Mais non plus ¨.

   Il montre que l’infini ne réside pas non plus au sein des causes formelles : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente son propos. En deuxième lieu il manifeste son propos, là [165] où il dit : ¨ En effet, toujours etc. ¨.

   Au sujet du premier point [164] il faut considérer que toute chose est constituée dans son espèce au moyen de la forme qui lui est propre. C’est pourquoi la définition d’une espèce signifie principalement la forme de la chose. On doit donc entendre la manière de procéder dans les formes conformément à la manière de procéder dans les définitions. Dans les définitions en effet une partie est antérieure à une autre comme le genre est antérieur à la différence et une différence est antérieure à une autre. Donc, ce qui procéderait à l’infini dans les formes doit être identique à ce qui procéderait à l’infini dans les parties de la définition. Et c’est pourquoi, voulant montrer qu’on ne peut procéder à l’infini dans les causes formelles, Aristote montre qu’on ne peut procéder à l’infini dans les parties de la définition. Et c’est pourquoi il dit qu’il ne convient pas que ce qui tient lieu de quiddité se ramène à l’infini à une autre définition, de sorte qu’ainsi une définition se trouverait à être multipliée continuellement. Par exemple, qui définit l’homme pose l’animal dans sa définition. De là la définition de l’homme se ramène à celle de l’animal, laquelle se ramène à la définition de quelque chose d’autre et c’est ainsi que s’accroît la notion définitive. Mais il ne convient pas que cet accroissement procède à l’infini.

321. Mais nous ne disons pas cela comme si dans un seul et même individu les formes se multipliaient selon le nombre des genres et des différences, comme si dans l’homme autre était la forme par laquelle il est homme, autre était celle par laquelle il est animal et ainsi de suite; mais nous parlons ainsi parce qu’il est nécessaire qu’on retrouve dans la nature des choses autant de degrés de formes qu’on peut rencontrer de degrés de genres et de différences. En effet on doit retrouver dans les choses une forme qui est simplement forme et non pas la forme d’un corps, et une autre qui est la forme d’un corps sans être la forme d’un corps animé, et ainsi de suite pour le reste.

322. Ensuite lorsqu’il dit [165] : ¨ En effet, toujours ¨.

   Il manifeste son propos au moyen de quatre raisonnements, dont voici le premier. Parmi la multiplicité des formes et des définitions, celle qui ¨l’est davantage¨ est celle qui est antérieure. Et cela ne doit pas s’entendre au sens où elle serait plus complète car ce sont les formes spécifiques qui sont complètes. Mais on dit qu’elle est davantage définition au sens où elle est plus universelle que celle qui est postérieure, laquelle ne se retrouve pas partout où se retrouve celle qui est antérieure. En effet ce n’est pas partout où on retrouve la définition de l’animal que l’on retrouve celle de l’homme. D’où il conclut que s’il n’y a pas de terme premier, ¨ il n’y a pas non plus de terme second ¨, c’est-à-dire de terme suivant. Mais si on procédait à l’infini dans les définitions et dans les formes, on ne retrouverait pas une définition première et une forme définitive et ainsi toutes les définitions suivantes seraient écartées.

323. Il présente son deuxième raisonnement là [166] où il dit : ¨ De plus la science ¨, lequel se présente ainsi. Il n’est pas possible de connaître quelque chose avant d’être parvenu à l’individu. – Mais il ne faut pas entendre ici l’individu comme s’il s’agissait du singulier car la science ne porte pas sur le singulier. Mais l’individu peut s’entendre en un sens comme étant la définition même de l’espèce la plus particulière qui ne peut plus être divisée ultérieurement par des différences essentielles. Et c’est d’après cette signification qu’on comprend que la science parfaite d’une chose n’est obtenue que lorsqu’on parvient à la connaissance de l’espèce la plus particulière car celui qui ne  connaît une chose que d’une manière générale ou seulement selon le genre n’en possède pas encore une connaissance parfaite. Et c’est d’après cette explication qu’il faut dire que tout comme le premier raisonnement concluait qu’on ne peut procéder en remontant à l’infini dans les causes formelles, de même ce raisonnement conclut qu’on ne peut procéder non plus à l’infini en descendant. En effet, si on pouvait le faire on ne pourrait parvenir à l’espèce la plus particulière. Cette position signifie donc la destruction de la science parfaite.

324. Mais parce qu’une division formelle n’existe pas uniquement d’après une division du genre en différences, ce qui explique que l’espèce la plus particulière ou la plus ultime peut être dite indivisible du fait qu’elle est privée de cette division, mais qu’elle existe aussi d’après la division du défini en parties de définitions, ainsi qu’on le voit au premier livre des Physiques, c’est pourquoi on peut ici appeler individu ce dont la définition ne se décompose pas à son tour en éléments de définition. Et c’est d’après cette sorte de division que le genre suprême est un individu. Et c’est en ce sens qu’on ne peut posséder la science d’une chose au moyen d’une définition qu’en parvenant aux genres suprêmes sans la connaissance desquels il est impossible de connaître ce qui vient après eux dans la définition. Et c’est suite à ces considérations que ce raisonnement-ci conclut que dans les causes formelles on ne peut remonter à l’infini vers le haut tout comme l’avait déjà conclu le raisonnement précédent.

325. Ou bien pour conclure la même chose on pourrait encore présenter différemment l’individu, à savoir au sens où on dit d’une proposition immédiatement évidente qu’elle est un individu. En effet, si on devait procéder en remontant à l’infini vers le haut dans les définitions, on ne parviendrait jamais à former une proposition immédiate et cela signifierait la disparition complète de la science, laquelle porte sur les conclusions qui sont déduites de ces principes immédiatement évidents.

326. Ensuite lorsqu’il dit [167] : ¨ Et connaître ¨.

   Il présente son troisième raisonnement qui conclut non seulement la disparition de la science, mais la disparition pure et simple de toute connaissance humaine.

   Et par rapport à ce raisonnement il fait deux choses. En premier lieu il présente le raisonnement. En deuxième lieu il écarte une objection, là [168] où il dit : ¨ En effet ce n’est pas la même etc.¨.

   Et voici ce raisonnement [167]. Toute chose est connue par la compréhension de sa forme; mais si on procédait à l’infini dans les formes, elles ne pourraient être connues car l’infini en tant que tel ne peut être saisi par l’intelligence; cette position détruit donc toute connaissance.

327. Ensuite lorsqu’il dit [168] : ¨ En effet, ce n’est pas etc.¨.

   Il écarte une objection. On pourrait dire en effet que ce qui possède une infinité de formes peut être connu tout comme la ligne qui se divise à l’infini. Mais il écarte cette objection en disant qu’il n’en est pas de même de la ligne dont les divisions de demeurent pas mais procèdent à l’infini. Il est impossible en effet qu’une chose soit comprise à moins qu’il y ait en elle quelque chose de stable ou d’immobile; c’est pourquoi la ligne, dans la mesure où elle est établie comme finie en acte en raison de ses termes, peut être comprise; mais selon qu’elle ne demeure pas dans sa division elle ne peut l’être. C’est pourquoi nul ne peut compter les divisions de la ligne selon qu’elles procèdent à l’infini. Mais lorsqu’on parle d’infini dans les formes, on parle de l’infini en acte et non de l’infini en puissance comme c’est le cas pour l’infini relatif aux divisions de la ligne; et c’est pourquoi, s’il existait une infinité de formes, il n’y aurait rien dont on pourrait avoir la science ou la connaissance.

328. Ensuite lorsqu’il dit [169] : ¨ Mais la matière ¨.

   Il présente son quatrième raisonnement que voici. On ne peut comprendre le mouvement sans comprendre la matière. En effet, tout ce qui se meut est en puissance; mais l’être en puissance est matière; en outre, la matière elle-même a raison d’indétermination et à l’indéterminé même qui est matière il convient d’attribuer le néant car la matière, en tant que telle, doit être comprise comme étant privée de toute forme. Et comme il convient d’attribuer le néant à ce qui est indéterminé, il s’ensuit par l’opposé que ce au moyen de quoi il y a de l’être ne soit pas indéterminé, et que  ¨l’indéterminé¨, c’est-à-dire la matière, n’ait pas une existence indéterminée. Mais c’est au moyen de la forme qu’il y a de l’être. On ne peut donc retrouver l’infini ou l’indéterminé dans les formes.

329. Il faut cependant remarquer ici qu’Aristote affirme que le néant fait partie de la nature même de l’infini et non que la privation fasse partie de la nature de la matière ainsi que Platon, ne distinguant pas la privation de la matière, l’affirma; et le Philosophe parle ainsi parce que c’est la privation qui fait partie de la nature de l’infini. En effet, l’être en puissance ne contient pas en lui-même la notion d’infini, à moins qu’on le comprenne sous la notion de privation, ainsi qu’on le voit au troisième livre des Physiques.

330. Ensuite lorsqu’il dit [170] : ¨ Mais si elles étaient infinies etc.¨.

   Il montre, au moyen du raisonnement suivant, que les espèces de causes ne sont pas infinies. C’est lorsque nous connaissons toutes les causes d’un être que nous croyons alors en avoir la science; mais si les causes étaient infinies de sorte qu’on pourrait toujours ajouter une espèce de cause à une autre, il nous serait impossible de parcourir cette infinité et de pouvoir connaître toutes les causes. Ce n’est donc là qu’une autre manière de rendre impossible la connaissance des choses.

 

 

LECTIO 5

[81897] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 1Postquam philosophus ostendit, quod consideratio veritatis partim est difficilis et partim facilis, et quod maxime pertinet ad primum philosophum, hic ostendit, quis sit modus conveniens ad considerandum veritatem: et circa hoc duo facit. Primo enim ponit diversos modos, quos homines sequuntur in consideratione veritatis. Secundo ostendit quis sit modus conveniens, ibi, propter quod oportet erudiri et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit efficaciam consuetudinis in consideratione veritatis. Secundo concludit diversos modos, quibus homines utuntur in consideratione, propter diversas consuetudines, ibi, alii vero si non mathematicae et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit virtutem consuetudinis in consideratione veritatis. Secundo manifestat per signum, ibi, quantam vero vim habeat et cetera. Dicit ergo primo, quod auditiones contingunt in hominibus de his quae sunt secundum consuetudines. Ea enim, quae sunt consueta, libentius audiuntur et facilius recipiuntur. Dignum enim videtur nobis, ut ita dicatur de quocumque, sicut consuevimus audire. Et si qua dicantur nobis praeter ea quae consuevimus audire, non videntur nobis similia in veritate his quae consuevimus audire. Sed videntur nobis minus nota et magis extranea a ratione, propter hoc quod sunt inconsueta. Illud enim quod est consuetum, est nobis magis notum.

[81898] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 2Cuius ratio est, quia consuetudo vertitur in naturam; unde et habitus ex consuetudine generatur, qui inclinat per modum naturae. Ex hoc autem quod aliquis habet talem naturam vel talem habitum, habet proportionem determinatam ad hoc vel illud. Requiritur autem ad quamlibet cognitionem determinata proportio cognoscentis ad cognoscibile. Et ideo secundum diversitatem naturarum et habituum accidit diversitas circa cognitionem. Videmus enim, quod hominibus secundum humanam naturam sunt innata prima principia; et secundum habitum virtutis apparet unicuique bonum, quod convenit illi virtuti: sicut et gustui videtur aliquid conveniens, secundum eius dispositionem. Sic igitur, quia consuetudo causat habitum consimilem naturae, contingit quod ea quae sunt consueta sint notiora.

[81899] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 3Deinde cum dicit quantam vero manifestat quod dixerat per quoddam signum; ostendens, quod leges ab hominibus positae ostendunt per experientiam, quantam vim habeat consuetudo: in quibus quidem legibus propter consuetudinem magis valent fabulariter et pueriliter dicta, ad hoc quod eis assentiatur, quam cognitio veritatis. Loquitur autem hic philosophus de legibus ab hominibus adinventis, quae ad conservationem civilem sicut ad ultimum finem ordinantur; et ideo quicumque invenerunt eas, aliqua quibus hominum animi retraherentur a malis et provocarentur ad bona secundum diversitatem gentium et nationum in suis legibus tradiderunt, quamvis multa eorum essent vana et frivola, quae homines a pueritia audientes magis approbabant quam veritatis cognitionem. Sed lex divinitus data ordinat hominem ad veram felicitatem cui omnis falsitas repugnat. Unde in lege Dei nulla falsitas continetur.

[81900] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 4Deinde cum dicit alii vero hic ostendit quomodo homines in consideratione veritatis propter consuetudinem diversos modos acceptant: et dicit, quod quidam non recipiunt quod eis dicitur, nisi dicatur eis per modum mathematicum. Et hoc quidem convenit propter consuetudinem his, qui in mathematicis sunt nutriti. Et quia consuetudo est similis naturae, potest etiam hoc quibusdam contingere propter indispositionem: illis scilicet, qui sunt fortis imaginationis, non habentes intellectum multum elevatum. Alii vero sunt, qui nihil volunt recipere nisi proponatur eis aliquod exemplum sensibile, vel propter consuetudinem, vel propter dominium sensitivae virtutis in eis et debilitatem intellectus. Quidam vero sunt qui nihil reputent esse dignum ut aliquid eis inducatur absque testimonio poetae, vel alicuius auctoris. Et hoc etiam est vel propter consuetudinem, vel propter defectum iudicii, quia non possunt diiudicare utrum ratio per certitudinem concludat; et ideo quasi non credentes suo iudicio requirunt iudicium alicuius noti. Sunt etiam aliqui qui omnia volunt sibi dici per certitudinem, idest per diligentem inquisitionem rationis. Et hoc contingit propter bonitatem intellectus iudicantis, et rationes inquirentis; dummodo non quaeratur certitudo in his, in quibus certitudo esse non potest. Quidam vero sunt qui tristantur, si quid per certitudinem cum diligenti discussione inquiratur. Quod quidem potest contingere dupliciter. Uno modo propter impotentiam complectendi: habent enim debilem rationem, unde non sufficiunt ad considerandum ordinem complexionis priorum et posteriorum. Alio modo propter micrologiam, idest parvorum ratiocinationem. Cuius similitudo quaedam est in certitudinali inquisitione, quae nihil indiscussum relinquit usque ad minima. Imaginantur autem quidam, quod sicut in symbolis conviviorum non pertinet ad liberalitatem, quod debeant etiam minima computari in ratiocinio, ita etiam sit quaedam importunitas et illiberalitas, si homo velit circa cognitionem veritatis etiam minima discutere.

[81901] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 5Deinde cum dicit propter quod ostendit quis sit modus conveniens ad inquirendum veritatem; et circa hoc duo facit. Primo enim ostendit, quomodo homo possit cognoscere modum convenientem in inquisitione veritatis. Secundo ostendit, quod ille modus qui est simpliciter melior, non debet in omnibus quaeri, ibi, acribologia vero et cetera. Dicit ergo primo, quod quia diversi secundum diversos modos veritatem inquirunt; ideo oportet quod homo instruatur per quem modum in singulis scientiis sint recipienda ea quae dicuntur. Et quia non est facile quod homo simul duo capiat, sed dum ad duo attendit, neutrum capere potest; absurdum est, quod homo simul quaerat scientiam et modum qui convenit scientiae. Et propter hoc debet prius addiscere logicam quam alias scientias, quia logica tradit communem modum procedendi in omnibus aliis scientiis. Modus autem proprius singularum scientiarum, in scientiis singulis circa principium tradi debet.

[81902] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 6Deinde cum dicit acribologia vero ostendit quod ille modus, qui est simpliciter optimus, non debet in omnibus quaeri; dicens quod acribologia idest diligens et certa ratio, sicut est in mathematicis, non debet requiri in omnibus rebus, de quibus sunt scientiae; sed debet solum requiri in his, quae non habent materiam. Ea enim quae habent materiam, subiecta sunt motui et variationi: et ideo non potest in eis omnibus omnimoda certitudo haberi. Quaeritur enim in eis non quid semper sit et ex necessitate; sed quid sit ut in pluribus. Immaterialia vero secundum seipsa sunt certissima, quia sunt immobilia. Sed illa quae in sui natura sunt immaterialia, non sunt certa nobis propter defectum intellectus nostri, ut praedictum est. Huiusmodi autem sunt substantiae separatae. Sed mathematica sunt abstracta a materia, et tamen non sunt excedentia intellectum nostrum: et ideo in eis est requirenda certissima ratio. Et quia tota natura est circa materiam, ideo iste modus certissimae rationis non pertinet ad naturalem philosophum. Dicit autem forsan propter corpora caelestia, quia non habent eodem modo materiam sicut inferiora.

[81903] Sententia Metaphysicae, lib. 2 l. 5 n. 7Et, quia in scientia naturali non convenit iste certissimus rationis modus, ideo in scientia naturali ad cognoscendum modum convenientem illi scientiae, primo perscrutandum est quid sit natura: sic enim manifestum erit de quibus sit scientia naturalis. Et iterum considerandum est, si unius scientiae, scilicet naturalis, sit omnes causas et principia considerare, aut sit diversarum scientiarum. Sic enim poterit scire quis modus demonstrandi conveniat naturali. Et hunc modum ipse observat in secundo physicorum, ut patet diligenter intuenti.

LEÇON 5.

(nn. 331-337; [171-175]).

 

Le Philosophe montre ici à quel point sont importantes la coutume et la nature dans la recherche de la vérité, à partir de différents types d’hommes qui, influencés par elles, accueillent différemment la vérité. Il déduit à partir de là quel mode convient à la recherche de la vérité.

 

331. Après avoir montré que la considération de la vérité est en partie facile et en partie difficile, et qu’elle relève principalement de la philosophie première, le Philosophe montre ici quel mode convient à la considération de la vérité : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente différents modes que les hommes ont empruntés pour considérer la vérité [171]. En deuxième lieu il montre quel est le mode qui convient, là [174] où il dit : ¨ C’est pour cette raison qu’il importe d’être formé etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre la force de l’habitude dans la considération de la vérité [171]. En deuxième lieu il embrasse différentes modes dont les hommes se servent dans la considération de la vérité en raison de différentes coutumes, là [173] où il dit : ¨ D’autres en vérité, si ce n’est pas selon un mode mathématique etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [171] que les résultats de ce que les hommes entendent dépendent de leurs habitudes. En effet, les choses qui nous sont plus habituelles sont entendues avec plus de bienveillance et sont reçues plus facilement. Il nous apparaît préférable en effet qu’on nous parle de toute chose de la manière qu’on y est habitué. Et si on nous dit quelque chose qui diffère par le langage de ce qu’on a coutume d’entendre sur une chose, cela ne nous apparaît pas égal en vérité à ce que nous avons l’habitude d’entendre et par la suite cela nous apparaît moins évident et plus étranger à la raison du seul fait que c’est inhabituel. En effet, ce à quoi nous sommes accoutumés nous est plus connu.

332. La raison en est que la coutume devient comme une nature; et de là l’habitude, qui inclinent à la manière dont le fait la nature, est engendrée par la coutume. Mais du fait qu’une chose possède telle nature ou telle habitude, elle a un rapport déterminé à ceci ou à cela. Mais pour qu’il y ait connaissance, il est nécessaire qu’il y ait un rapport déterminé entre un sujet connaissant et un objet connaissable. Et c’est pourquoi la diversité qu’on retrouve dans la connaissance découle de la diversité des natures et des habitudes. Nous voyons en effet que chez les hommes les premiers principes sont innés conformément à leur nature, et que tout homme, conformément à l’habitude de la vertu, voit comme un bien ce qui correspond à cette vertu, tout comme une chose apparaît convenir au goût selon qu’elle est conforme à sa disposition. Ainsi donc, puisque la coutume produit une disposition permanente semblable à celle que produit la nature, il en résulte que les choses auxquelles nous sommes accoutumés nous sont plus connues.

333. Ensuite lorsqu’il dit [172] : ¨ À quel point en vérité ¨.

   Il manifeste au moyen d’un signe ce qu’il vient de dire en attirant l’attention sur le fait que les lois établies par les hommes nous montrent par expérience à quel point la coutume est forte, dans lesquelles on voit que ce qui y est dit par des fables et par un langage puéril mérite davantage l’adhésion que la connaissance de la vérité. – Le Philosophe parle ici des lois inventées par les hommes qui sont ordonnées à la conservation civile comme à leur fin ultime; c’est pourquoi tous ceux qui les inventèrent transmirent dans leurs lois des principes par lesquels les esprits des hommes seraient éloignés des maux et exhortés aux biens, et cela dépendamment des pays et des nations, bien que plusieurs de ces lois étaient inutiles et futiles, et auxquelles les hommes par immaturité accordaient davantage leur approbation qu’à la connaissance de la vérité. Mais la loi donnée par Dieu est ordonnée au vrai bonheur qui répugne à toute fausseté. C’est pourquoi la loi divine ne contient aucune fausseté.

334. Ensuite lorsqu’il dit [173] : ¨ Certains en vérité ¨.

   Il montre ici comment les hommes, en raison de la coutume, admettent des modalités différentes de considérer la vérité : et il dit que certains n’acceptent ce qui leur est dit que si cela leur est transmis selon un mode mathématique. Et cela certes convient à ceux qui par l’habitude ont été nourris dans les mathématiques. Et parce que la coutume est semblable à la nature, cela peut encore arriver à certains en raison d’une indisposition, c’est-à-dire à ceux qui ont une vive imagination et qui ne possèdent pas une intelligence élevée. – D’autres en vérité ne veulent rien entendre à moins qu’on ne leur propose un exemple sensible en raison soit de la coutume, soit en raison de la domination de la faculté sensible en eux et de la faiblesse de leur intelligence. – D’autres encore estiment que rien ne mérite de leur être présenté qu’au moyen du témoignage d’un poète ou d’une autre autorité. Et cela aussi est dû à la coutume ou à un manque de jugement car ils ne peuvent discerner par eux-mêmes ce que la raison peut conclure avec certitude; et c’est pourquoi, ne se fiant pas à leur propre jugement, ils font appel au jugement d’une personne reconnue. – Il y en a encore d’autres qui veulent tout recevoir avec certitude, c’est-à-dire au moyen d’une recherche rigoureuse de la raison. Et cela se produit en raison de l’excellence de l’intelligence de celui qui juge et qui cherche les raisons, pourvu que la certitude ne soit pas recherchée dans les choses où elle ne peut exister. – Il y en a d’autres encore qui s’attristent si on mène une recherche avec certitude et au moyen d’une discussion rigoureuse. Et cela peut se produire de deux manières. Premièrement en raison d’une impuissance à faire les liens : leur raison est faible en effet et c’est pourquoi ils ne sont pas capables de considérer l’ordre des relations qui existent entre les antécédents et les conséquents. Deuxièmement en raison d’une rigueur extrême, c’est-à-dire de la spéculation sur des futilités. Ce dont on retrouve une certaine analogie avec la recherche de la certitude qui ne laisse rien sans examen, jusqu’aux détails. Certains en effet s’imaginent que, si l’homme veut examiner jusqu’aux détails dans la connaissance de la vérité, cela est importun et indigne d’un homme libre tout comme dans les assemblées des convives il ne convient pas à un homme libre de s’acharner à discuter sur des futilités.

335. Ensuite lorsqu’il dit [174] : ¨ C’est pour cette raison ¨.

   Il montre quel est le mode qui convient à la recherche de la vérité; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre comment l’homme peut arriver à connaître le mode qui convient à la recherche de la vérité. En deuxième lieu il montre que ce mode, qui est le meilleur en lui-même, ne doit pas être recherché dans toutes les matières, là [175] où il dit : ¨ En vérité la rigueur etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [174] que parce que différents philosophes recherchent la vérité selon différentes modalités, c’est pourquoi il importe à l’homme d’être formé sur les modalités selon lesquelles doivent être reçues les choses qui sont dites dans chacune des sciences. – Et parce qu’il n’est pas facile à l’homme de saisir deux choses simultanément, car alors qu’il en poursuit deux il peut bien arriver qu’il n’en saisisse aucune, il est absurde de rechercher en même temps une science et le mode qui convient à cette science. Et c’est pour cette raison qu’il faut d’abord chercher à acquérir la logique avant toute autre science car la logique enseigne le mode commun de procéder dans toutes les autres sciences. Mais pour ce qui est du mode propre à chacune des sciences, c’est dans chacune de ces autres sciences qu’il doit être enseigné dans les débuts.

336. Ensuite lorsqu’il dit [175] : ¨ En vérité la rigueur ¨.

   Il montre que ce mode, qui est simplement le meilleur en lui-même, ne doit pas être recherché dans toutes les matières, en disant que ¨ la rigueur ¨, c’est-à-dire la raison qui poursuit la vérité avec la plus grande exactitude et la plus grande certitude comme on la voit à l’œuvre dans les mathématiques, ne doit pas être recherchée dans tous les genres de choses auxquels les sciences se rapportent mais seulement dans les choses qui sont dépourvues de matière. En effet, les réalités qui possèdent une matière sont soumises au mouvement et au changement et c’est pourquoi on ne peut retrouver en elles une certitude absolue. En effet, on ne recherche pas en elles ce qui se produit toujours et nécessairement, mais ce qu’il en est dans la plupart des cas. D’un autre côté les réalités immatérielles sont en elles-mêmes les plus certaines car elles sont toujours immobiles, identiques à elles-mêmes. Néanmoins, ces réalités qui sont en elles-mêmes et par nature immatérielles ne nous sont pas plus certaines en raison d’un défaut de notre intelligence, ainsi que nous l’avons dit précédemment : telles sont les substances séparées qui en font partie. Cependant les réalités mathématiques qui sont abstraites de la matière ne dépassent pas les capacités de notre intelligence : et c’est pourquoi à l’égard de ces réalités il est nécessaire que la raison se présente sous sa forme la plus rigoureuse. Et parce que toute la nature baigne dans la matière, c’est pourquoi ce mode le plus rigoureux de la raison ne convient pas à la philosophie de la nature. Cependant, s’il dit ¨ peut-être ¨, c’est en raison des corps célestes qui ne possèdent pas une matière à la manière des corps inférieurs.

337. Et parce que ce mode le plus certain de la raison ne convient pas à la science de la nature, c’est pourquoi en science de la nature, pour arriver à connaître le mode qui convient à cette science, il faut d’abord examiner ce qu’est la Nature car c’est ainsi qu’il sera possible d’avoir l’évidence des choses ou de l’objet sur lequel porte cette science. Et de plus il faut considérer s’il appartient à une seule science, à savoir la science de la nature, ou à différentes sciences d’examiner toutes les causes et tous les principes. C’est ainsi en effet qu’il deviendra possible de savoir quel mode de démonstration convient à la science de la nature. Et c’est cette manière de procéder qui est suivie par le Philosophe au deuxième livre des Physiques, ainsi que peut le voir celui qui examine attentivement.

 

 

LIBER 3

LIVRE III ─ De la manière de rechercher la vérité et des difficultés qu’il faut résoudre dans cette science sur les genres de causes, les substances, les principes des choses et à quelle science il appartient de résoudre ces difficultés.

 

 

LECTIO 1

[81904] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 1Postquam philosophus in secundo libro ostendit modum considerandae veritatis, hic procedit ad veritatis considerationem. Et primo procedit modo disputativo, ostendens ea quae sunt dubitabilia circa rerum veritatem. Secundo incipit determinare veritatem. Et hoc in quarto libro, qui incipit ibi, est scientia quaedam quae speculatur. Prima autem pars dividitur in partes duas. In prima dicit de quo est intentio, in secunda exequitur propositum, ibi, est autem dubitatio prima quod et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim dicit de quo est intentio. Secundo rationem assignat suae intentionis, ibi, inest autem investigare volentibus et cetera. Dicit ergo primo, quod ad hanc scientiam, quam quaerimus de primis principiis, et universali veritate rerum, necesse est ut primum aggrediamur ea de quibus oportet, dubitare, antequam veritas determinetur. Sunt autem huiusmodi dubitabilia propter duas rationes. Vel quia antiqui philosophi aliter susceperunt opinionem de eis quam rei veritas habeat, vel quia omnino praetermiserunt de his considerare.

[81905] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 2Deinde cum dicit inest autem assignat quatuor rationes suae intentionis: et primo dicit quod volentibus investigare veritatem contingit prae opere, idest ante opus bene dubitare, idest bene attingere ad ea quae sunt dubitabilia. Et hoc ideo quia posterior investigatio veritatis, nihil aliud est quam solutio prius dubitatorum. Manifestum est autem in solutione corporalium ligaminum, quod ille qui ignorat vinculum, non potest solvere ipsum. Dubitatio autem de aliqua re hoc modo se habet ad mentem, sicut vinculum corporale ad corpus, et eumdem effectum demonstrat. Inquantum enim aliquis dubitat, intantum patitur aliquid simile his qui sunt stricte ligati. Sicut enim ille qui habet pedes ligatos, non potest in anteriora procedere secundum viam corporalem, ita ille qui dubitat, quasi habens mentem ligatam, non potest ad anteriora procedere secundum viam speculationis. Et ideo sicut ille qui vult solvere vinculum corporale, oportet quod prius inspiciat vinculum et modum ligationis, ita ille qui vult solvere dubitationem, oportet quod prius speculetur omnes difficultates et earum causas.

[81906] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 3Deinde cum dicit et quia quaerentes secundam rationem ponit; et dicit quod illi qui volunt inquirere veritatem non considerando prius dubitationem, assimilantur illis qui nesciunt quo vadant. Et hoc ideo, quia sicut terminus viae est illud quod intenditur ab ambulante, ita exclusio dubitationis est finis qui intenditur ab inquirente veritatem. Manifestum est autem quod ille qui nescit quo vadat, non potest directe ire, nisi forte a casu: ergo nec aliquis potest directe inquirere veritatem, nisi prius videat dubitationem.

[81907] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 4Deinde cum dicit et adhuc tertiam rationem ponit; et dicit, quod sicut ex hoc quod aliquis nescit quo vadat, sequitur quod quando pervenit ad locum quem intendebat nescit utrum sit quiescendum vel ulterius eundum, ita etiam quando aliquis non praecognoscit dubitationem, cuius solutio est finis inquisitionis, non potest scire quando invenit veritatem quaesitam, et quando non; quia nescit finem suae inquisitionis, qui est manifestus ei qui primo dubitationem cognovit.

[81908] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 5Et quia quartam rationem ponit, quae sumitur ex parte auditoris. Auditorem enim oportet iudicare de auditis. Sicut autem in iudiciis nullus potest iudicare nisi audiat rationes utriusque partis, ita necesse est eum, qui debet audire philosophiam, melius se habere in iudicando si audierit omnes rationes quasi adversariorum dubitantium.

[81909] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 6Est autem attendendum, quod propter has rationes consuetudo Aristotelis fuit fere in omnibus libris suis, ut inquisitioni veritatis vel determinationi praemitteret dubitationes emergentes. Sed in aliis libris singillatim ad singulas determinationes praemittit dubitationes: hic vero simul praemittit omnes dubitationes, et postea secundum ordinem debitum determinat veritatem. Cuius ratio est, quia aliae scientiae considerant particulariter de veritate: unde et particulariter ad eas pertinet circa singulas veritates dubitare: sed ista scientia sicut habet universalem considerationem de veritate, ita etiam ad eam pertinet universalis dubitatio de veritate; et ideo non particulariter, sed simul universalem dubitationem prosequitur.

[81910] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 7Potest etiam et alia esse ratio; quia dubitabilia, quae tangit, sunt principaliter illa, de quibus philosophi aliter opinati sunt. Non autem eodem ordine ipse procedit ad inquisitionem veritatis, sicut et alii philosophi. Ipse enim incipit a sensibilibus et manifestis, et procedit ad separata, ut patet infra in septimo. Alii vero intelligibilia et abstracta voluerunt sensibilibus applicare. Unde, quia non erat eodem ordine determinaturus, quo ordine processerunt alii philosophi, ex quorum opinionibus dubitationes sequuntur; ideo praeelegit primo ponere dubitationes omnes seorsum, et postea suo ordine dubitationes determinare.

[81911] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 1 n. 8Tertiam assignat Averroes dicens hoc esse propter affinitatem huius scientiae ad logicam, quae tangitur infra in quarto. Et ideo dialecticam disputationem posuit quasi partes principales huius scientiae.

LEÇON 1.

(nn. 338-345; [176-180]).

 

Il montre au moyen de quatre raisons qu’il convient d’examiner ce qui fait difficulté dans la recherche de la vérité.

 

338. Après avoir montré dans le deuxième livre la manière de considérer la vérité, le Philosophe procède ici à la considération de la vérité.

   Et en premier lieu il procède selon un mode dialectique en montrant ce qui pose problème relativement à la vérité des choses [176]. En deuxième lieu il commence à établir la vérité, ce qu’il fait dans le quatrième livre qui commence là [294] où il dit : ¨ Il y a une science qui examine etc.¨.

   La première partie cependant se divise en deux sections. Dans la première section il dit sur quoi porte son intention [176]. Dans la deuxième il exécute son propos, là [182] où il dit : ¨ Mais il y a un premier problème que etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il dit quel est son propos. En deuxième lieu il présente une raison qui fonde son propos, là [177] où il dit : ¨ Mais il appartient à ceux qui veulent rechercher etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [176] que pour cette science que nous recherchons et qui porte sur les premiers principes et sur la vérité universelle des choses, il nous est nécessaire en premier lieu d’aborder les points qui posent un problème avant de déterminer la vérité. Et de tels problèmes existent pour deux raisons : soit parce que les anciens ont soutenu sur les principes des opinions qui différaient de ce que la vérité des choses semblait manifester, soit parce qu’ils ont complètement omis de les considérer.

339. Ensuite lorsqu’il dit [177] : ¨ Mais il appartient ¨.

   Il présente quatre raisons qui fondent son propos : et il dit en premier lieu que ceux qui veulent rechercher la vérité se doivent d’abord ¨ avant de le faire ¨, c’est-à-dire avant de s’y engager, ¨ de bien identifier le problème ¨, c’est-à-dire de parvenir avec justesse aux points qui posent une difficulté. Et il en est ainsi parce que la recherche de la vérité qui a lieu par la suite n’est rien d’autre que la résolution des problèmes posés antérieurement. Mais il est manifeste pour le dénouement des liens corporels que celui qui ignore comment le lien est fait ne peut arriver à le dénouer. Mais une difficulté sur un sujet donné se rapporte à l’esprit de la même manière que le lien corporel se rapporte au corps et se trouve à manifester en même temps le même effet. Dans la mesure en effet où l’esprit se trouve face à une difficulté relativement à une chose, il éprouve quelque chose de semblable à ceux dont les membres sont attachés solidement. En effet, tout comme celui qui a les pieds attachés ne peut progresser sur la route qui mène à sa destination, de même celui dont l’esprit se trouve face à une difficulté, son esprit étant comme attaché, ne peut continuer à avancer sur la route de la recherche spéculative. Et c’est pourquoi, tout comme celui qui veut dénouer le lien corporel doit d’abord examiner ce lien ainsi que la manière dont il est fait, de même celui qui veut répondre à une question se doit d’abord d’examiner tous les problèmes soulevés par cette question ainsi que leurs causes.

340. Ensuite lorsqu’il dit [178] : ¨ Et parce que ceux qui cherchent etc.¨.

   Il présente la deuxième raison en disant que ceux qui veulent rechercher la vérité sans prendre la peine d’examiner avant les difficultés qu’elle implique sont semblables à ceux qui ne savent pas où ils vont. Et il en est ainsi parce que tout comme le terme de la route est ce vers quoi tend celui qui marche, de même la disparition de la difficulté est la fin qui est poursuivie par celui qui recherche la vérité. Mais il est manifeste que celui qui ignore où il va ne peut avancer en ligne droite, si ce n’est par hasard; donc, de la même manière, il est impossible à quelqu’un de procéder en ligne droite dans la recherche de la vérité à moins d’examiner préalablement les difficultés.

341. Ensuite lorsqu’il dit [179] : ¨ Et de plus ¨.

   Il présente sa troisième raison en disant que tout comme du fait que quelqu’un qui ignore où il va ignore s’il doit s’y arrêter ou s’il doit continuer quand il parvient au lieu de sa destination, de même encore celui qui ne connaît pas à l’avance les difficultés soulevées par une question dont les solutions sont le but même de la recherche ne peut savoir s’il est parvenu ou non à la vérité recherchée car il ignore le but de sa recherche qui est manifeste à celui qui a d’abord pris connaissance des difficultés.

342. Et lorsqu’il dit [180] : ¨ Et parce que ¨.

   Il présente la quatrième raison qui se tient du côté de l’auditeur. Il faut en effet que l’auditeur soit capable de juger de ce qu’il entend. Mais tout comme dans les tribunaux nul ne peut porter un jugement sans entendre les raisons des deux parties en opposition, de même il est nécessaire que celui qui devient auditeur en philosophie portera de meilleurs jugements s’il prend la peine d’écouter toutes les raisons qui se rapportent aux difficultés soulevées par les opinions opposées.

343. Il faut cependant remarquer qu’à cause de ces raisons la coutume d’Aristote fut presque toujours la même dans tous ses traités, à savoir qu’avant de rechercher et de d’établir la vérité, il présenta d’abord les difficultés soulevées par ses prédécesseurs. Mais dans d’autres traités il fait précéder séparément chaque réponse vraie des difficultés qui lui correspondent alors qu’ici au contraire il présente à l’avance toutes les difficultés et par la suite seulement, conformément à l’ordre qui convient, il établit les vérités. – Et la raison en est que les autres sciences considèrent la vérité d’une manière plus limitée et c’est pourquoi il leur convient de s’interroger sur chacune de ces vérités d’une manière particulière : mais tout comme cette science-ci considère la vérité d’une manière universelle, de même encore il lui convient d’examiner l’ensemble des problèmes sur la vérité; et c’est pourquoi ce n’est pas séparément, mais d’un seul coup qu’elle envisage l’ensemble des problèmes.

344. Mais il peut y avoir une deuxième raison qui justifie cette manière de procéder; c’est que les problèmes qu’il touche sont principalement ceux au sujet desquels les autres philosophes ont émis des opinions différentes des siennes. Car dans la recherche de la vérité, le Philosophe ne procède pas de la même manière que les autres philosophes. Ce dernier en effet procède des réalités sensibles et évidentes aux réalités séparées, ainsi qu’on le verra plus loin au septième livre, alors que les autres au contraire cherchaient à appliquer aux réalités sensibles ce qu’ils croyaient savoir sur les réalités intelligibles et abstraites. C’est pourquoi, puisque ce qui était à déterminer ne procédait pas d’un ordre identique à celui qu’observaient les autres philosophes dans leur manière de procéder et que les problèmes découlaient de leurs opinions, il préféra d’abord présenter tous les problèmes à part et par la suite les résoudre selon l’ordre qui lui est propre.

345. Averroès désigne une troisième raison en disant que cette façon de faire est due à l’affinité de cette science avec la logique, laquelle affinité est examinée plus loin au quatrième livre. Et c’est pourquoi il affirma que l’argumentation dialectique est comme la partie principale de cette science.

 

 

LECTIO 2

[81912] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 1Secundum ea quae praedixit philosophus, incipit praemittere dubitationes determinationi veritatis; et dividit in duas partes. In prima ponit dubitationes. In secunda causas dubitationum, inducendo rationes ad singulas dubitationes, ibi, primum ergo de quibus in primis dicimus et cetera. Dictum est autem in secundo libro, quod prius oportet quaerere modum scientiae, quam ipsam scientiam. Et ideo primo ponit dubitationes pertinentes ad modum considerationis huius scientiae. Secundo ponit dubitationes pertinentes ad prima principia, de quibus est ista scientia, ut in primo libro dictum est; et hoc ibi, et utrum principia et elementa et cetera. Ad modum autem scientiae huius duo pertinent, ut in secundo dictum est: scilicet consideratio causarum, ex quibus scientia demonstrat; et iterum res de quibus scientia considerat. Unde circa primum duo facit. Primo movet dubitationem pertinentem ad considerationem causarum. Secundo movet multas dubitationes pertinentes ad ea de quibus est scientia, ibi, et utrum substantiae principia et cetera. Dicit ergo quod prima dubitatio est quam dubitando proposuimus in fine secundi libri, qui est quasi prooemium ad totam scientiam, scilicet utrum consideratio causarum quatuor, secundum quatuor genera, pertineat ad unam scientiam, vel ad multas et diversas. Et hoc est quaerere utrum unius scientiae, et praecipue huius, sit demonstrare ex omnibus causis, vel magis diversae scientiae ex diversis demonstrent.

[81913] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 2Deinde cum dicit et utrum movet dubitationes de his, de quibus considerat ista scientia. Et primo inquirit de quibus considerat ista scientia sicut de substantiis. Secundo de quibus considerat ista scientia sicut de accidentibus, ibi, et utrum circa substantias et cetera. Circa primum duo facit. Primo multiplicat, quaestiones ex parte ipsius scientiae, quae est de substantia. Secundo ex parte substantiarum ipsarum, ibi, et hoc idem quoque et cetera. Circa primum ponit tres quaestiones. Supposito enim ex his quae in primo libro dicta sunt, quod ista scientia consideret principia prima, prima quaestio hic erit utrum ad hanc scientiam solum pertineat cognoscere prima principia substantiae, aut etiam ad hanc scientiam pertineat considerare de primis principiis demonstrationis, ex quibus omnes scientiae demonstrant; ut puta quod haec scientia consideret utrum contingat unum et idem simul affirmare et negare, vel non: et similiter de aliis demonstrationis principiis primis et per se notis.

[81914] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 3Secunda quaestio est, si ista scientia est considerativa substantiae sicut primi entis, utrum sit una scientia considerans omnes substantias, vel sint plures scientiae de diversis substantiis. Videtur enim quod de pluribus substantiis debeant esse plures scientiae.

[81915] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 4Tertia quaestio est, si sint plures scientiae de pluribus substantiis, utrum omnes sint cognatae, idest unius generis, sicut geometria et arithmetica sunt in genere mathematicae scientiae, vel non sint unius generis, sed quaedam earum sint in genere sapientiae, quaedam vero in aliquo alio genere, puta in genere scientiae naturalis, vel mathematicae. Videtur enim secundum primum aspectum, quod non sint unius generis, cum substantiae materiales et immateriales non eodem modo cognoscantur.

[81916] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 5Deinde cum dicit et hoc idem multiplicat quaestiones ex parte substantiae; et ponit duas quaestiones: quarum prima est, utrum dicendum sit, quod sint solum substantiae sensibiles, ut antiqui naturales posuerunt, vel etiam praeter substantias sensibiles sint aliae substantiae immateriales et intelligibiles, ut posuit Plato.

[81917] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 6Secunda quaestio est, si sunt aliquae substantiae separatae a sensibilibus, utrum sint unicae, idest unius generis tantum, aut sint plura genera talium substantiarum, sicut quidam attendentes duplicem abstractionem, scilicet universalis a particulari, et formae mathematicae a materia sensibili, posuerunt utrumque genus subsistere. Et ita ponebant substantias separatas quae sunt universalia abstracta subsistentia, inter quae et substantias sensibiles particulares posuerunt mathematica subsistentia separata, scilicet numeros, magnitudines et figuras. De istis igitur quaestionibus sicut nunc moventur, perscrutandum est inferius; primo quidem disputative, secundo determinando veritatem.

[81918] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 7Deinde cum dicit et utrum circa inquirit utrum consideratio huius scientiae de accidentibus sit. Et ponit tres quaestiones. Quarum prima est, utrum speculatio huius scientiae sit solum circa substantias, propter hoc quod dicitur philosophia substantiae: aut etiam sit circa ea quae per se substantiis accidunt, eo quo ad eamdem scientiam pertinere videtur ut consideret subiectum et per se accidentia subiecti.

[81919] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 8Secunda quaestio est, utrum haec scientia consideret de quibusdam quae videntur esse per se accidentia entis, et consequi omnia entia: scilicet de eodem et diverso, simili et dissimili, et de contrarietate, et de priori et posteriori, et omnibus aliis huiusmodi, de quibus dialectici tractant, qui habent considerationem de omnibus. Sed tamen de huiusmodi perscrutantur, non ex necessariis, sed ex probabilibus. Ex una enim parte videtur quod cum sint communia, pertineant ad philosophum primum. Ex alia parte videtur quod ex quo dialectici ista considerant, quorum est ex probabilibus procedere, quod non pertineat ad considerationem ipsius philosophi cuius est demonstrare.

[81920] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 2 n. 9Tertia quaestio est, cum ad ista communia accidentia entis quaedam per se consequantur, utrum ad philosophum pertineat circa unumquodque horum solum considerare quid est, aut etiam illa quae consequuntur ad ipsa, puta utrum unum uni sit contrarium.

LEÇON 2.

(nn. 346-354; [181-184]).

 

Il soulève des difficultés qui se rapportent à la manière de procéder propre à cette science.

 

346. Conformément à ce qu’il avait annoncé, le Philosophe commence ici à faire précéder l’établissement de la vérité de la présentation des difficultés et il divise cette étape en deux parties.

   Dans la première il présente les difficultés [181]. Dans la deuxième il présente les causes des difficultés en identifiant les raisons de chacune des difficultés, là [190] où il dit : ¨ En premier lieu donc, au sujet des difficultés que nous avons signalées au début etc.¨.

   Cependant nous avons dit au deuxième livre qu’il importe de rechercher d’abord le mode d’une science plutôt que la science elle-même. Et c’est pourquoi il présente en premier lieu les difficultés qui se rapportent  au mode grâce auquel cette science-ci considère la vérité [181]. En deuxième lieu il présente les difficultés qui se rapportent aux premiers principes sur lesquels porte cette science ainsi que nous l’avons dit au premier livre et il le fait là [185] où il dit : ¨ Et est-ce que les principes et les éléments etc.¨.

   Mais deux choses se rapportent au mode de cette science ainsi que nous l’avons dit au deuxième livre, à savoir premièrement l’examen des causes à partir desquelles la science fait ses démonstrations et deuxièmement les choses mêmes que la science considère. Et c’est pourquoi il fait deux choses au sujet du premier point. En premier lieu il soulève une difficulté qui se rapporte à la considération des causes [181] et en deuxième lieu il soulève plusieurs difficultés se rapportant aux choses mêmes que la science considère, là [182] où il dit : ¨ Et si les principes de la substance etc.¨.

   Il dit donc [181] que la première difficulté est celle que nous avons proposée en nous interrogeant à la fin du deuxième livre qui est comme un proème à toute cette science, à savoir si l’examen des quatre causes d’après les quatre genres de causes relève d’une seule science ou de plusieurs sciences différentes. Soulever cette question revient à se demander s’il appartient à une seule science, et principalement à celle-ci, de démontrer à partir de toutes les causes ou s’il ne convient pas plutôt que différentes sciences conduisent leurs démonstrations à partir de causes différentes.

347. Ensuite lorsqu’il dit [182] : ¨ Et si ¨.

   Il soulève des difficultés sur les choses que cette science considère.

   Et en premier lieu il s’interroge sur les choses que cette science considère en tant que substances. [182]. En deuxième lieu il s’interroge sur les choses que cette science considère en tant qu’accidents, là [184] où il dit : ¨ Et si sur les substances etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il multiplie les questions du côté de la science elle-même qui porte sur la substance. En deuxième lieu il les multiplie du côté des substances elles-mêmes, là [183] où il dit : ¨ Et de même encore cela etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente trois questions [182]. En prenant pour acquis en effet, à partir de ce qui a été dit au premier livre, que cette science considère les premiers principes, la première question consiste à se demander s’il appartient à cette science de connaître seulement les premiers principes de la substance ou s’il ne lui appartient pas encore de considérer les premiers principes de la démonstration à partir desquels toutes les sciences conduisent leurs démonstrations, de sorte par exemple que cette science examinerait s’il est possible ou non d’affirmer et de nier simultanément une seule et même chose  et qu’elle examinerait de même tous les autres premiers principes de la démonstration connus par eux-mêmes.

348. La deuxième question est de savoir, si cette science considère la substance en tant qu’être premier, s’il y a une seule science qui examine toutes les substances ou si ce ne sont pas plutôt plusieurs sciences qui examinent différentes sortes de substances. Il semble en effet qu’il doive exister différentes sciences se rapportant à différentes sortes de substances.

349. La troisième question est de savoir, s’il existe plusieurs sciences pour examiner plusieurs substances, si elles sont toutes de même espèce, c’est-à-dire si elles appartiennent à un même genre, comme la géométrie et l’arithmétique sont dans le genre de la science mathématique, ou si elles n’appartiennent pas à un même genre alors que certaines d’entre elles seraient dans le genre de la sagesse et que d’autres seraient dans un autre genre, par exemple dans le genre de la science de la nature ou dans celui de la science mathématique. Il semble en effet au premier regard qu’elles ne soient pas toutes du même genre puisque les substances matérielles et immatérielles ne sont pas connues de la même manière.

350. Ensuite lorsqu’il dit [183] : ¨ Et de même cela ¨.

   Il multiplie les questions du côté de la substance; et il présente deux questions, dont la première est de savoir s’il faut dire qu’il existe seulement des substances sensibles ainsi que les anciens physiciens l’affirmèrent, ou s’il n’existe pas encore, à part des substances sensibles, des substances immatérielles et intelligibles ainsi que l’affirmait Platon.

351. La deuxième est de savoir, s’il existe des substances séparées des substances sensibles, si elles ¨ sont d’une seule forme ¨, c’est-à-dire si elles font partie d’un seul genre ou si elles se distribuent dans plusieurs genres différents, tout comme ceux qui, supposant qu’il existe deux sortes de séparation ou d’abstraction, à savoir l’universel du particulier et les formes mathématiques de la matière sensible, affirmaient que les deux genres subsistent. Ainsi ils affirmaient l’existence de substances séparées qui sont des universels qui subsistent séparément et entre ces dernières substances et les substances sensibles particulières ils posaient l’existence de formes mathématiques subsistant séparément, à savoir les nombres, les grandeurs et les figures. Toutes ces questions que nous soulevons maintenant, il nous faudra donc les examiner par la suite; et nous le ferons d’abord d’une manière dialectique, puis en  établissant fermement la vérité.

352. Ensuite lorsqu’il dit [184] : ¨ Et si sur ¨.

   Il se demande si cette science doit aussi porter sur les accidents. Et il présente trois questions dont la première est de savoir si cette science doit examiner seulement les substances pour cette raison qu’on l’appelle la philosophie de la substance, ou si elle doit aussi embrasser les attributs qui résultent essentiellement de la substance, du fait qu’il semble appartenir à la même science d’examiner à la fois le sujet et les accidents qui découlent par eux-mêmes du sujet.

353. La deuxième question est de savoir si cette science doit examiner les aspects qui semblent être les accidents essentiels de l’être et qui accompagnent tous les êtres, à savoir par exemple le même et l’autre, le semblable et le dissemblable, l’identique et le contraire, l’antérieur et le postérieur et toutes les notions de cette sorte dont traitent les dialecticiens qui portent leur examen sur tous les êtres. Ces derniers cependant examinent tous les genres de choses en faisant procéder leurs recherches de principes probables et non de prémisses nécessaires. D’un côté en effet, puisque ces notions sont communes, elles semblent appartenir à l’étude de la philosophie première. D'un autre côté il semble que, du fait que ce sont les dialecticiens, auxquels il appartient de procéder à partir du probable, qui examinent ces notions, l’étude de ces notions ne relève pas de la philosophie première à laquelle il appartient de démontrer.

354. La troisième question est de savoir, puisqu’il y a des choses qui découlent essentiellement de ces accidents communs de l’être, s’il appartient au philosophe d’examiner seulement chacun de ces accidents quant à sa nature ou s’il lui appartient aussi d’examiner ce qui découle de chacun d’eux, par exemple de savoir si pour une même chose il n’existe qu’un seul contraire.

 

 

LECTIO 3

[81921] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 1Postquam philosophus movit quaestiones pertinentes ad modum considerandi huius scientiae, hic movet quaestiones pertinentes ad res de quibus ista scientia considerat. Et quia ista scientia considerat de principiis primis, ut in primo dictum est, ideo movet hic quaestiones de principiis rerum. Prima autem rerum principia ponebantur et species et mathematica. Unde primo movet quaestiones pertinentes ad species. Secundo quaestiones pertinentes ad mathematica, ibi, adhuc autem utrum numeri, aut longitudines et cetera. Circa primum duo facit. Primo quaerit quae sunt principia. Secundo qualia sunt, ibi, amplius autem utrum principia numero aut specie determinata et cetera. Quia vero principia ponebantur universalia separata, primo quaeritur utrum universalia sint principia. Secundo utrum res separatae sint principia, ibi, maxime vero quaerendum est et cetera. Circa primum ponit duas quaestiones; quarum prima est, utrum genera sint principia et elementa rerum, aut ea in quae sicut in ultima dividitur quodcumque singulare existens. Et ratio huius dubitationis est, quia elementum est ex quo primo componitur res, et in quod ultimo dividitur. Invenimus autem duplicem modum compositionis et divisionis: unum scilicet secundum rationem, prout species resolvuntur in genera. Et secundum hoc videntur genera esse principia et elementa, ut Plato posuit. Alio modo secundum naturam sicut corpora naturalia componuntur ex igne et aere et aqua et terra, et in haec resolvuntur. Et propter hoc naturales posuerunt esse prima principia elementa.

[81922] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 2Secunda quaestio est, supposito quod genera sint principia rerum, utrum principia sint universalia dicta de individuis, scilicet species specialissimae, quas genera appellat secundum Platonicorum consuetudinem, quia continent sub se plura individua, sicut genera plures species; aut magis sint principia prima generalissima, ut puta quid sit magis principium, utrum animal vel homo, qui est principium quoddam secundum Platonicos, et magis vere existens quam singulare. Oritur autem haec dubitatio propter duas divisiones rationis. Quarum una est secundum quam genera dividimus in species. Alia vero est secundum quam species resolvimus in genera. Semper enim videtur illud quod est ultimus terminus divisionis esse primum principium et elementum in componendo.

[81923] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 3Deinde cum dicit maxime vero quaerit de principiis ex parte separationis: et movet quatuor quaestiones, quarum prima est, cum primi naturales posuerint solum causam materialem, utrum aliquid aliud praeter materiam sit causa secundum se, aut non.

[81924] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 4Secunda quaestio est, supposito quod aliquid praeter materiam sit causa, utrum illud sit separabile a materia, sicut posuit Plato, aut sicut posuit Pythagoras.

[81925] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 5Tertia quaestio est, si est aliquid separabile a materia, utrum sit unum tantum, sicut posuit Anaxagoras, aut plura numero sicut posuit Plato et ipse Aristoteles.

[81926] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 6Quarta quaestio est, utrum aliquid sit praeter synolon, id est simul totum, aut nihil; aut in quibusdam sit aliquid, et in quibusdam non: et qualia sint in quibus sunt et qualia in quibus non. Exponit autem quid sit synolon vel simul totum, scilicet quando praedicatur aliquid de materia. Ad cuius intellectum considerandum est quod Plato posuit hominem et equum et ea quae sic praedicantur, esse quasdam formas separatas. Per hoc autem homo praedicatur de Socrate vel Platone, quod materia sensibilis participat formam separatam. Socrates ergo vel Plato dicitur synolon vel simul totum, quia constituitur per hoc quod materia participat formam separatam. Et est quasi quoddam praedicatum de materia. Quaerit ergo philosophus hic utrum quod quid est individui, sit aliquid aliud praeter ipsum individuum, vel non: aut etiam in quibusdam est aliud et in quibusdam non aliud. Quam quidem quaestionem philosophus determinabit in septimo.

[81927] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 7Deinde cum dicit amplius autem movet quaestiones circa modum existendi principiorum. Et quia ens dividitur per unum et multa, per actum et potentiam, primo quaerit quomodo sint principia secundum unitatem et multitudinem. Secundo quomodo sint secundum actum et potentiam, ibi, et potestate aut actu. Circa primum movet quatuor quaestiones: quarum prima est, utrum principia sint determinata secundum numerum, aut secundum speciem. Puta quia dicimus tria esse principia naturae. Potest autem intelligi, vel quia sunt determinata secundum numerum, ita scilicet quod sola una numero forma sit principium naturae, et sola una numero materia et privatio. Et potest intelligi quod sit determinata secundum speciem, ita, scilicet, quod sint multa principia materialia quae conveniant in specie materialis principii, et sic de aliis. Et quia quidam philosophorum assignabant causas formales, sicut Platonici, quidam autem solas materiales, sicut antiqui naturales, addit quod ista quaestio habet locum in rationibus, idest in causis formalibus, et in subiecto, idest in causis materialibus.

[81928] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 8Secunda quaestio est, utrum corruptibilium et incorruptibilium sint eadem principia aut diversa. Et si sint diversa, utrum omnia sint incorruptibilia, vel corruptibilium principia sint corruptibilia et incorruptibilium incorruptibilia.

[81929] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 9Tertia quaestio est, utrum unum et ens significent ipsam substantiam rerum et non aliquid aliud additum supra substantiam rerum, sicut dicebant Pythagorici et Platonici, vel non significent ipsam substantiam rerum, sed sit aliquid aliud subiectum unitati et entitati, scilicet ignis aut aer, aut aliquid aliud huiusmodi, ut antiqui naturales posuerunt. Hanc autem quaestionem dicit esse difficillimam et maxime dubitabilem, quia ex ista quaestione dependet tota opinio Platonis et Pythagorae, qui ponebant numeros esse substantiam rerum.

[81930] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 10Quarta quaestio est, utrum principia rerum sint sicut quaedam universalia, vel sicut aliqua singularia, idest utrum ea quae ponuntur esse principia habeant rationem principii secundum rationem universalem, vel secundum quod unumquodque eorum est aliquid et singulare.

[81931] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 11Deinde cum dicit et potestate quaerit utrum principia sint secundum potentiam vel secundum actum. Et haec quaestio maxime videtur pertinere ad principia materialia. Potest enim esse dubitatio, utrum primum materiale principium sit aliquod corpus in actu, ut ignis aut aer, ut antiqui naturales posuerunt, aut aliquid existens in potentia tantum, ut Plato posuit. Et quia motus est actus existentis in potentia, et est quodammodo medium inter potentiam et actum, ideo adiungit aliam quaestionem, utrum principia sint causae rerum solum secundum motum, sicut naturales posuerunt sola principia motus, vel materialia, vel efficientia: vel etiam sint principia aliter quam per motum, sicut Plato posuit per quamdam participationem huius sensibilia ab immaterialibus causari. Has autem quaestiones ideo se movisse dicit, quia magnam dubitationem habent, ut patet ex discordia philosophorum circa eas.

[81932] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 12Deinde cum dicit adhuc autem movet quaestiones pertinentes ad mathematica, quae quidem principia rerum ponuntur: et movet duas quaestiones. Quarum prima est, utrum numeri et longitudines et figurae et puncta sint quaedam substantiae, ut Pythagorici vel Platonici posuerunt; vel non, sicut posuerunt naturales.

[81933] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 13Secunda quaestio est, si sunt substantiae, utrum sint separatae a sensibilibus, ut posuerunt Platonici, aut in sensibilibus, ut Pythagorici.

[81934] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 3 n. 14Moventur autem quaestiones istae tamquam disputandae infra et determinandae: quia in his non solum difficile est veritatem inquirere, sed etiam non est facile bene dubitare de eis, inveniendo scilicet probabiles rationes dubitationis.

LEÇON 3.

(nn. 355-368; [185-189]).

 

Il soulève des questions qui se rapportent aux choses mêmes sur lesquelles cette science porte son examen.

 

355. Après avoir soulevé des questions qui se rapportent à la manière de procéder suivant laquelle cette science examine les choses, le Philosophe soulève ici des questions qui se rapportent aux choses mêmes que cette science examine. Et parce que cette science examine les premiers principes des choses, ainsi que nous l’avons dit au tout début, c’est pourquoi il soulève ici des questions sur les principes des choses.

   Cependant on affirmait que les premiers principes des choses étaient les Idées et les êtres mathématiques. C’est pourquoi en premier lieu il soulève des questions qui se rapportent aux Idées [185]. En deuxième lieu il soulève des questions qui se rapportent aux entités mathématiques, là [189] où il dit : ¨ Mais en outre, est-ce que les nombres ou les longueurs etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il se demande quels sont les principes [185]. En deuxième lieu il se demande de quelle nature ils sont, là [187] où il dit : ¨ Mais en outre, est-ce que les principes sont déterminés par le nombre ou par l’espèce etc.¨.

   Mais parce qu’on prétendait que les principes étaient des universels séparés, il se demande en premier lieu si les universels sont les principes [185]. En deuxième lieu il se demande si les êtres séparés sont les principes, là [186] où il dit : ¨ On doit surtout examiner etc.¨.

   Au sujet du premier point [185] il soulève deux questions dont la première est de savoir si les genres sont principes et les éléments des choses ou bien s’ils sont ce en quoi se divise ultimement tout individu qui existe. Et la raison qui fonde cette question est qu’un élément est à la fois ce à partir de quoi se compose d’abord une chose et ce en quoi elle se divise ultimement. Mais nous retrouvons deux sortes de compositions et de divisions : la première qui existe selon la raison et d’après laquelle les espèces se résolvent dans leurs genres. Et d’après cette modalité les genres semblent être les principes et les éléments, ainsi que l’affirmait Platon. La deuxième existe selon la nature ainsi qu’on le voit chez les corps naturels qui sont composés de feu, d’air, d’eau et de terre et sont décomposés ou divisés en eux. Et c’est pour cette raison que les physiciens affirmèrent que les éléments sont les premiers principes.

356. La deuxième question est de savoir, en supposant que les genres sont les principes des choses, si ces principes sont les universels attribués aux individus, à savoir les espèces les plus particulières, qu’il appelle genres conformément à la coutume des Platoniciens, car elles contiennent immédiatement sous elles une multitude d’individus, tout comme les genres contiennent une multitude d’espèces; ou bien si ces principes ne sont pas plutôt les genres premiers les plus universels : par exemple, qu’est-ce qui a davantage raison de principe, l’animal ou l’homme, ce dernier étant un certain principe selon les Platoniciens et qui possède bien davantage une véritable existence que tel individu. Mais ce problème est soulevé en raison des deux divisions de la raison, dont la première est celle selon laquelle les genres sont divisés en espèces et la deuxième est celle selon laquelle les espèces se ramènent à des genres. En effet ce qui tient lieu de terme ultime de la division apparaît toujours comme le premier principe et l’élément de la composition.

357. Ensuite lorsqu’il dit [186] : ¨ Surtout en vérité ¨.

   Il s’interroge sur les principes du côté de la séparation de la matière : et il soulève quatre questions dont la première est de savoir, puisque les premiers physiciens posèrent seulement l’existence d’une cause matérielle, s’il peut exister ou non quelque chose d’autre en dehors de la cause matérielle qui soit cause par soi.

358. La deuxième question est de savoir, s’il existe quelque chose d’autre qui soit cause en dehors de la matière, si cette cause est séparable de la matière à la manière dont l’affirmait Platon ou à la manière dont l’affirmait Pythagore.

359. La troisième est de savoir, si cette cause est séparable de la matière, s’il n’y en a qu’une seule ainsi que l’affirmait Anaxagore, ou s’il en existe plusieurs en nombre ainsi que le prétendaient Platon et Aristote lui-même.

360. La quatrième question est de savoir s’il existe quelque chose ¨ en dehors du composé ¨, c’est-à-dire de l’individu complet, ou s’il n’existe rien en dehors de lui; ou bien encore se peut-il que pour certains êtres il existe quelque chose en dehors du composé mais qu’il n’en soit pas ainsi pour d’autres et si c’est le cas, quels sont ces êtres pour lesquels il existe quelque chose en dehors du composé et ceux pour lesquels il n’en existe pas?  – Mais il explique ce qu’est un composé ou un tout complet en disant que c’est quand on attribue quelque chose à la matière. Et pour le comprendre il faut considérer que Platon affirmait que l’homme et le cheval, ainsi que toute autre attribution, étaient des formes séparées. Et l’attribution de l’homme à Socrate ou à Platon se réalise au moyen d’une participation des formes séparées de la part de la matière sensible. Donc on dit que Socrate ou Platon sont des composés ou des touts complets parce qu’ils sont constitués grâce à ceci que la matière participe d’une forme séparée. Et c’est ainsi que le composé est comme l’attribution d’un prédicat à une matière. Le Philosophe se demande donc ici si l’essence de l’individu est quelque chose qui existe ou non en dehors de l’individu lui-même, ou si elle existe séparément pour certains individus mais non pour d’autres. Et certes le Philosophe répondra à cette question au septième livre de ce traité.

361. Ensuite lorsqu’il dit [187] : ¨ Mais outre ¨.

   Il soulève des questions sur le mode d’existence des principes.

   Et parce que l’être se divise par l’un et le multiple, par l’acte et la puissance, il se demande en premier lieu comment les principes existent selon l’un et le multiple. En deuxième lieu il se demande comment ils existent selon l’acte et la puissance, là [188] où il dit : ¨ Et par la puissance ou par l’acte ¨.

   Au sujet du premier point [187] il soulève quatre questions dont la première est de savoir si les principes sont déterminés selon le nombre ou selon l’espèce. Par exemple, si nous disons qu’il y a trois principes dans la nature, on pourrait penser qu’ils sont déterminés selon le nombre, c’est-à-dire de telle manière qu’une seule forme numériquement parlant serait principe de la nature et qu’il n’y aurait de même qu’une seule matière et une seule privation comme principes de la nature. Mais on pourrait aussi penser que ces principes sont déterminés selon l’espèce, c’est-à-dire de telle manière qu’il y ait plusieurs principes matériels qui seraient contenus à l’intérieur de la même espèce du principe matériel et qu’il en serait de même pour les autres sortes de principes. Et parce que certains des philosophes, comme les Platoniciens, assignaient aux choses des principes formels alors que d’autres, comme les physiciens, leur assignaient seulement des principes matériels, il ajoute que cette question se range ¨dans les formes¨, c’est-à-dire dans les causes formelles et ¨dans le sujet¨, c’est-à-dire dans les causes matérielles.

362. La deuxième question est de savoir si les principes sont les mêmes ou s’ils diffèrent pour les êtres corruptibles et pour les êtres incorruptibles. Et s’ils diffèrent, ces principes sont-ils tous incorruptibles ou bien sont-ils corruptibles pour les êtres corruptibles et incorruptibles pour les êtres incorruptibles?

363. La troisième question est de savoir si l’un et l’être signifient la substance même des choses et non pas quelque chose d’autre qui serait ajouté à la substance des choses, ainsi que le prétendaient les Pythagoriciens et les Platoniciens, ou bien s’ils ne signifient pas la substance même des choses et alors il y aurait plutôt quelque chose d’autre qui serait le sujet de l’un et de l’être et qui leur servirait de substrat, comme le feu, l’air ou quelque autre matière de ce genre, ainsi que l’affirmaient les anciens physiciens. Et le Philosophe ajoute que cette question est la plus difficile de toutes et celle qui pose le plus grave problème car c’est de la réponse à cette question que dépend la valeur de la position de Platon et de Pythagore qui affirmaient que les nombres sont la substance des choses.

364. La quatrième question est de savoir si les principes des choses sont ¨comme des universels ou semblables à des individus¨, c’est-à-dire si ce qu’on affirme être les principes a raison de principe entendu universellement ou bien au contraire chacun d’eux est-il un principe à la manière d’un individu?

365. Ensuite lorsqu’il dit [188] : ¨ Et par la puissance ¨.

   Il se demande si les principes existent selon la puissance ou selon l’acte. Et cette question semble se rapporter surtout aux principes matériels. On pourrait en effet se demander si le premier principe matériel est un corps en acte, comme le feu ou l’air, ainsi que les anciens physiciens l’affirmaient, ou bien est-il quelque chose qui existe en puissance seulement ainsi que Platon l’affirmait. Et parce que le mouvement est l’acte de ce qui est en puissance et qu’il est en quelque sorte un intermédiaire entre la puissance et l’acte, c’est pour cette raison qu’il ajoute une nouvelle question, à savoir si les principes sont les causes des choses seulement selon le mouvement comme le pensaient les physiciens qui établirent seulement les principes du mouvement, à savoir les principes matériels et les principes efficients; ou bien sont-ils principes sous un autre rapport que par rapport au mouvement ainsi que l’affirmait Platon qui disait que les êtres sensibles sont causés par les êtres immatériels au moyen d’une certaine participation. Et le Philosophe affirme avoir soulevé ces questions parce qu’elles posent des difficultés considérables ainsi qu’on le voit par les oppositions entre les philosophes à leur sujet.

366. Ensuite lorsqu’il dit [189] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il soulève des questions qui se rapportent aux entités mathématiques qu’on affirme être les principes des choses : et il soulève deux questions dont la première est de savoir si les nombres, les longueurs, les figures et les points sont des substances, ainsi que les Pythagoriciens et les Platoniciens l’affirmaient, ou s’ils ne le sont pas ainsi que le prétendaient les physiciens.

367. La deuxième question est de savoir, s’ils sont des substances, si ce sont des substances qui existent séparément des êtres sensibles comme le disaient les Platoniciens, ou si ce sont des substances immanentes à ces êtres comme le disaient les Pythagoriciens.

368. Mais ces difficultés sont soulevées pour qu’on les discute et qu’on y réponde par la suite : car non seulement est-il difficile de rechercher la vérité à leur sujet mais il n’est pas même facile, au moyen d’arguments probables, de bien poser ces difficultés.

 

 

LECTIO 4

[81935] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 1Postquam philosophus movit quaestiones, quae faciunt dubitationem in ista scientia, hic incipit de eis disputare; et dividitur in tres partes. In prima disputat de quaestionibus pertinentibus ad considerationem huius scientiae. In secunda de quaestionibus pertinentibus ad substantias, ibi, amplius autem utrum sensibiles substantiae et cetera. In tertia parte de quaestionibus pertinentibus ad principia substantiarum, ibi, et de principiis utrum oporteat genera et elementa et cetera. Circa primum tria facit. Primo enim disputat de consideratione huius scientiae quantum ad causas per quas demonstratur. Secundo quantum ad prima demonstrationis principia, ibi, at vero de principiis demonstrationis et cetera. Tertio quantum ad ipsas substantias, ibi, totaliter quae substantiarum utrum una est et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim resumit quaestionem de qua disputare intendit, concludens ex ipso enumerationis ordine, quod primo disputandum est de istis, de quibus primum dictum est in enumeratione quaestionum, utrum scilicet ad unam scientiam vel ad plures pertineat speculari omnia genera causarum; ut sic ordo disputationis ordini quaestionum motarum respondeat.

[81936] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 2Secundo ibi unius enim ponit rationes ad quaestionem; et circa hoc tria facit. Primo enim ponit rationem ad ostendendum, quod considerare omnia genera causarum non pertineat ad unam scientiam. Secundo movet alteram quaestionem: supposito quod ad diversas scientias pertineat diversa genera causarum considerare, cuius causae consideratio pertinet ad philosophum primum. Et disputat ad diversas quaestionis partes; et hoc, ibi, at vero si scientiae causarum sunt plures et cetera. Tertio ex hac disputatione secunda concludit conclusionem primarum rationum, ibi, quapropter videtur alterius esse scientiae et cetera. Circa primum ponit duas rationes; dicens, quod cum unius scientiae sit considerare contraria, quomodo erit unius scientiae considerare principia, cum non sint contraria? Quae quidem ratio si secundum superficiem consideretur, nullius videtur esse momenti. Videtur enim procedere ex destructione antecedentis, ac si sic argumentaretur: si principia sunt contraria, sunt unius scientiae: ergo, si non sunt contraria, non sunt unius scientiae.

[81937] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 3Posset ergo dici, quod philosophus in his disputationibus non solum probabilibus rationibus utitur, sed etiam interdum sophisticis, ponens rationes quae ab aliis inducebantur. Sed non videtur esse rationabile, quod in tanta re tantus philosophus tam frivolam et parum apparentem rationem induxisset. Unde aliter dicendum est, quod si quis recte consideret naturam diversorum, quae ad eamdem scientiam pertinent, quaedam pertinent ad unam scientiam secundum sui diversitatem, quaedam vero secundum quod reducuntur ad aliquod unum. Multa quidem igitur alia diversa inveniuntur pertinere ad unam scientiam, secundum quod reducuntur ad aliquod unum; puta, ut ad unum totum, vel ad unam causam, vel ad unum subiectum. Sed contraria et quaelibet opposita pertinent ad unam scientiam secundum se ipsa, eo quod unum est ratio cognoscendi alterum. Et ex hoc efficitur ista propositio probabilis, quod omnia diversa, quae sunt contraria, pertineant ad unam scientiam. Unde sequeretur, si principia sunt diversa et non sunt contraria, quod non pertineant ad unam scientiam.

[81938] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 4Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ponit, quae talis est. Diversorum pertinentium ad unam scientiam, quaecumque scientia considerat unum considerat et aliud, ut patet in contrariis, quorum diversitas secundum se pertinet ad unam scientiam non per reductionem ad aliquid aliud unum: sed non quaecumque scientia considerat unam causam considerat omnes causas: ergo consideratio omnium causarum non pertinet ad unam scientiam.

[81939] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 5Minorem probat per hoc, quod diversae scientiae sunt de diversis entibus; et multa entia sunt, quibus non possunt attribui omnes causae. Quod primo manifestat in causa, quae dicitur, unde principium motus: non enim videtur, quod possit esse principium motus in rebus immobilibus. Ponuntur autem quaedam entia immobilia, et praecipue secundum Platonicos ponentes numeros et substantias paratas. Unde, si qua scientia de his considerat, non potest considerare de causa quae est unde principium motus.

[81940] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 6Secundo manifestat idem de causa finali, quae habet rationem boni. Boni enim natura non videtur posse inveniri in rebus immobilibus, si hoc concedatur, quod omne quod est bonum secundum se et propter suam naturam, est finis. Et hoc modo causa est, inquantum propter ipsam et causa eius omnia fiunt et sunt. Dicit autem, quod est bonum secundum se et propter suam naturam, ad excludendum bonum utile, quod non dicitur de fine, sed magis de eo quod est ad finem. Unde quae sic solum dicuntur bona inquantum sunt utilia ad aliud, non sunt bona secundum se et propter suam naturam. Sicut potio amara non est secundum se bona, sed solum secundum quod ordinatur ad finem sanitatis, quae est secundum se bona: finis autem, et cuius causa fit aliquid, videtur esse terminus alicuius actus: omnes autem actiones videntur esse cum motu. Ergo videtur sequi, quod in rebus immobilibus non possit esse hoc principium, scilicet causa finalis, quae habet rationem boni. Et quia quae sunt per se existentia absque materia, necesse est quod sint immobilia, ideo non videtur esse possibile, quod sit aliquid autoagathon, idest per se bonum, ut Plato ponebat. Omnia enim immaterialia et non participata vocabat per se existentia, sicut ideam hominis vocabat hominem per se, quasi non participatum in materia. Unde et per se bonum dicebat id quod est sua bonitas non participata, scilicet primum principium omnium.

[81941] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 7Et ad hanc rationem confirmandam inducit quoddam signum. Ex hoc enim quod finis non potest esse in rebus immobilibus, videtur procedere quod in scientiis mathematicis, quae abstrahunt a materia et motu, nihil probatur per hanc causam, sicut probatur in scientia naturali, quae est de rebus mobilibus, aliquid per rationem boni. Sicut cum assignamus causam quare homo habet manus, quia per eas melius potest exequi conceptiones rationis. In mathematicis autem nulla demonstratio fit hoc modo, quod hoc modo sit quia melius est sic esse, aut deterius si ita non esset. Puta si diceretur quod angulus in semicirculo est rectus, quia melius est quod sic sit quam quod sit acutus vel obtusus. Et quia posset forte aliquis esse alius modus demonstrandi per causam finalem, puta si diceretur, si finis erit, necesse est id quod est ad finem praecedere: ideo subiungit, quod nullus omnino in mathematicis facit mentionem alicuius talium pertinentium ad bonum vel ad causam finalem. Propter quod quidam sophistae, ut Aristippus, qui fuit de secta Epicureorum, omnino neglexit demonstrationes quae sunt per causas finales, reputans eas viles ex hoc quod in artibus illiberalibus sive mechanicis, ut in arte tectonica, idest aedificatoria, et coriaria, omnium rationes assignantur ex hoc quod est aliquid melius vel deterius. In mathematicis vero, quae sunt nobilissimae et certissimae scientiae, nulla fit mentio de bonis et malis.

[81942] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 8Deinde cum dicit at vero interponit aliam quaestionem: et primo proponit eam. Et habet duas partes. Prima enim pars quaestionis est. Si diversae causae considerentur a pluribus scientiis, ita quod altera scientia sit alterius causae considerativa, quae illarum debet dici scientia quae quaeritur? Idest philosophia prima? Utrum scilicet illa quae considerat causam formalem, aut quae considerat causam finalem, vel quae considerat aliquam aliarum? Secunda pars quaestionis est, si aliquae res sint quae habeant plures causas, quis maxime cognoscit rem illam eorum qui considerant illas causas?

[81943] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 9Secundo cum dicit contingit enim manifestat partem secundam quaestionis per hoc, quod una et eadem res invenitur, quae habet omnes modos causarum: sicut domus causa unde principium motus, est ars et aedificator. Id vero cuius causa vel finis causa domus est opus, idest usus eius, qui est habitatio. Causa vero sicut materia est terra, ex qua fiunt lateres et lapides. Causa vero sicut species vel forma, est ipsa ratio domus, quam artifex praeconceptam mente in materia ponit.

[81944] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 10Tertio ibi igitur ex reassumit quaestionem, scilicet quam dictarum scientiarum possumus vocare sapientiam, secundum ea quae de sapientia prius determinavimus in principio libri: utrum scilicet illam, quae considerat causam formalem, vel quae considerat causam finalem, vel aliquam aliarum causarum. Et ponit consequenter rationes ad singulas trium causarum: dicens, quod ratio quaedam videtur de qualibet scientia, idest quae est per quamcumque causam, quod appelletur nomine sapientiae. Et primo quantum ad scientiam quae est per causam finalem. Dictum est enim in principio libri, quod ista scientia, quae sapientia dicitur, est maxime principalis et ordinativa aliarum, quasi subditarum. Sic igitur inquantum sapientia est senior, idest prior ordine dignitatis, et principalior quadam auctoritate ordinandi alias, quia non est iustum quod aliae scientiae contradicant ei, sed ab ea accipiant sua principia, sicut ei servientes; videtur quod illa scientia, quae est finis et boni, idest quae procedit per causam finalem, sit digna nomine sapientiae. Et hoc ideo, quia omnia alia sunt propter finem, unde finis est quodammodo causa omnium aliarum causarum. Et sic scientia, quae procedit per causam finalem, est principalior. Cuius signum est, quod artes illae, ad quas pertinent fines, principantur et praecipiunt aliis artibus, sicut gubernatoria navifactivae. Unde, si sapientia est principalis et praeceptiva respectu aliarum, maxime videtur quod procedat per causam finalem.

[81945] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 11Deinde cum dicit inquantum vero inducit rationem de causa formali. Dictum est enim in prooemio libri, quod sapientia est primarum causarum, et eius quod est maxime scibile, et quod est maxime certum. Et secundum hoc videtur quod sit substantiae, idest per causam formalem: quia inter diversos modos sciendi, magis dicimus scire illum qui scit aliquid esse, quam qui scit aliquid non esse. Unde et in posterioribus philosophus probat, quod demonstratio affirmativa est potior quam negativa. Inter eos autem, qui sciunt aliquid affirmare, unum alio magis dicimus scire. Sed inter omnes maxime dicimus scire illum, qui cognoscit quid est res, non autem qui scit quanta est, vel qualis, et quid possit facere vel pati. Sic igitur in cognoscendo ipsam rem absolute perfectissimum est scire quid est res, quod est scire substantiam rei. Sed etiam in aliis cognoscendis, puta proprietatibus rei, magis dicimus scire singula, de quibus sunt demonstrationes, quando etiam de ipsis accidentibus vel proprietatibus scimus quod quid est; quia quod quid est non solum invenitur in substantiis, sed etiam in accidentibus.

[81946] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 12Et ponit exemplum de tetragonismo, idest quadratura superficiei aeque distantium laterum non quadratae, quam quadrare dicimur, cum invenimus quadratum ei aequale. Cum autem omnis superficies aeque distantium laterum et rectorum angulorum ex duabus lineis contineatur, quae rectum continent angulum, ita, quod totalis superficies nihil est aliud quam ductus unius earum in alia, tunc invenimus quadratum aequale superficiei praedictae, quando invenimus lineam quae sit media in proportione inter duas lineas praedictas. Puta, si linea a, ad lineam b se habet sicut linea b ad lineam c, quadratum lineae b est aequale superficiei, quae continetur in c et a, ut probatur in sexto Euclidis.

[81947] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 13Et apparet manifeste in numeris. Sex enim est medium in proportione inter novem et quatuor. Novem enim se habet ad sex in proportione sesquialtera, et similiter sex ad quatuor. Quadratum autem senarii est trigintasex. Quod etiam perficitur ex ductu quaternarii in novenarium. Quater enim novem sunt trigintasex. Et simile est in omnibus aliis.

[81948] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 14Deinde ponit rationem de causa movente circa generationes videmus enim quod circa generationes et actiones, et circa omnem transmutationem maxime dicimur aliquid scire quando cognoscimus principium motus, et quod motus nihil est aliud quam actus mobilis a movente, ut dicitur in tertio physicorum. Praetermittit autem de causa materiali, quia illa imperfectissime se habet ad hoc quod sit principium cognoscendi: non enim fit cognitio per id quod est in potentia, sed per id quod est in actu, ut infra in nono dicetur.

[81949] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 15His igitur positis ad secundam quaestionem pertinentibus, inducit rationem ex eisdem rationibus supra positis ad primam quaestionem, scilicet quod alterius scientiae sit considerare omnes istas causas, eo quod in diversis rebus diversae causae videntur habere principalitatem, sicut in mobilibus principium motus, in scibilibus quod quid est, finis autem in his quae ordinantur ad finem.

[81950] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 16Hanc autem quaestionem Aristoteles in sequentibus expresse solvere non invenitur: potest tamen eius solutio ex his quae ipse inferius in diversis locis determinat, colligi. Determinat enim in quarto, quod ista scientia considerat ens inquantum est ens; unde et eius est considerare primas substantias, non autem scientiae naturalis, quia supra substantiam mobilem sunt aliae substantiae. Omnis autem substantia vel est ens per seipsam, si sit forma tantum; vel si sit composita ex materia et forma, est ens per suam formam; unde inquantum haec scientia est considerativa entis, considerat maxime causam formalem. Primae autem substantiae non cognoscuntur a nobis ut sciamus de eis quod quid est, ut potest aliqualiter haberi ex his quae in nono determinantur: et sic in earum cognitione non habet locum causa formalis. Sed quamvis ipsae sint immobiles secundum seipsas, sunt tamen causa motus aliorum per modum finis; et ideo ad hanc scientiam, inquantum est considerativa primarum substantiarum, praecipue pertinet considerare causam finalem, et etiam aliqualiter causam moventem. Causam autem materialem secundum seipsam nullo modo, quia materia non convenienter causa est entis, sed alicuius determinati generis, scilicet substantiae mobilis. Tales autem causae pertinent ad considerationem particularium scientiarum, nisi forte considerentur ab hac scientia inquantum continentur sub ente. Sic enim ad omnia suam considerationem extendit.

[81951] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 17His autem visis, rationes inductas facile est solvere. Primo enim nihil prohibet diversas causas ad hanc scientiam pertinere unam existentem, licet non sint contraria, quia reducuntur ad unum, scilicet ad ens commune, sicut dictum est. Similiter nihil prohibet, etsi non quaelibet scientia consideret omnes causas, quin aliqua scientia possit considerare omnes vel plures earum inquantum reducuntur ad aliquid unum. Sed specialiter descendendo, dicendum est, quod nihil prohibet in immobilibus considerari et principium motus, et finem sive bonum; in immobilibus inquam quae sunt tamen moventia sicut sunt primae substantiae: in his autem quae neque moventur nec movent, non est consideratio principii motus, nec finis sub ratione finis motus, quamvis possit considerari finis sub ratione finis alicuius operationis sine motu. Sicut si ponantur esse substantiae intelligentes non moventes, ut Platonici posuerunt, nihilominus tamen inquantum habent intellectum et voluntatem oportet ponere in eis finem et bonum, quod est obiectum voluntatis. Mathematica autem non moventur, nec movent, nec habent voluntatem. Unde in eis non consideratur bonum sub nomine boni et finis. Consideratur tamen in eis id quod est bonum, scilicet esse et quod quid est. Unde falsum est, quod in mathematicis non sit bonum, sicut ipse infra in nono probat.

[81952] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 4 n. 18Ad quaestionem vero secundam iam patet responsio; quia ad hanc scientiam pertinet consideratio trium causarum, de quibus rationes inducit.

LEÇON 4.

(nn. 369-386; [190-197]).

 

Si les genres de causes se rapportent à une seule science ou à plusieurs.

 

369. Après avoir soulevé des questions qui causent problème dans cette science, il commence ici à en débattre; et il divise cette section en trois parties.

   Dans la première il discute des questions qui se rapportent à l’étude de cette science [190]. Dans la deuxième il discute des questions qui se rapportent aux substances, là [208] où il dit : ¨ Mais de plus est-ce que les substances sensibles etc.¨. Dans la troisième il examine les questions qui se rapportent aux principes des substances, là [220] où il dit : ¨ Et au sujet des principes, faut-il que les genres et les éléments etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu en effet il fait porter la discussion sur la sorte d’étude menée par cette science quant aux causes au moyen desquelles elle mène ses démonstrations [190]. Deuxièmement il le fait quant aux premiers principes de la démonstration, là [198] où il dit : ¨ Et en vérité au sujet des principes de la démonstration etc.¨. Troisièmement il le fait quant aux substances elles-mêmes, là [202] où il dit : ¨ Mais est-ce qu’il y a une seule science pour toutes les substances etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet [190] il rappelle la question sur laquelle il désire discuter, en concluant à partir de l’ordre même des questions énumérées qu’il faut d’abord débattre du sujet dont on a parlé en premier dans l’énumération des questions, c’est-à-dire se demander d’abord si l’examen de tous les genres de causes relève d’une seule ou de différentes sciences, de telle sorte que l’ordre de la discussion corresponde à l’ordre des questions soulevées.

370. En deuxième lieu, là [191] où il dit : ¨ À une seule science en effet ¨.

   Il présente les réflexions qui se rapportent à cette question. Et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu en effet il présente un argument pour montrer que la considération de tous les genres de causes ne relève pas d’une seule science [191]. En deuxième lieu il soulève une autre question : en supposant que la considération de tous les genres de causes appartienne à différentes sciences, quel genre de causes la philosophie première examinera-t-elle? Et il argumente à l’égard des différentes parties de la question, là [193] où il dit : ¨ Et qui plus est, s’il y a plusieurs sciences des causes etc.¨. En troisième lieu à partir de cette deuxième discussion il tire la conclusion des premiers arguments, là [197] où il dit : ¨ Pour cette raison il semblerait qu’il appartient à des sciences différentes etc.¨.

   Au sujet du premier point [191] il présente deux arguments en disant que puisqu’il appartient à la même science d’examiner les contraires, comment la considération des principes pourrait-elle n’appartenir qu’à une seule science puisque ces derniers ne sont pas contraires? Mais cet argument, si on ne le considère qu’en surface, ne semble avoir aucun poids. Il semble en effet procéder par la négation de l’antécédent comme s’il se présentait de la manière suivante : si les principes sont contraires, ils relèvent de la même science; donc, s’ils ne sont pas contraires, ils ne relèvent pas de la même science.

371. Certains pourraient donc dire que le Philosophe dans ces discussions ne sert pas seulement d’arguments probables, mais aussi parfois d’arguments sophistiques en présentant des arguments qui ont été introduits par d’autres. – Mais il ne semble pas raisonnable de penser que pour une chose si importante un tel Philosophe nous présente un argument si futile et si peu évident. C’est pourquoi il faut plutôt dire que si on considère correctement la nature des opposés qui se rapportent à une même science, certains se rapportent à une même science d’après leur différences mêmes alors que d’autres se rapportent à une même science dans la mesure où ils se ramènent à quelque chose d’un. Donc, plusieurs autres opposés se trouvent certes à appartenir à une même science selon qu’ils se ramènent à quelque chose d’un, par exemple à un même ensemble, à une même cause ou encore à un même sujet. Mais c’est en eux-mêmes que les contraires et certains opposés se ramènent à une même science du fait que la connaissance de l’un fait connaître l’autre. Et c’est à partir de là qu’est produite cette proposition probable, à savoir que tous les opposés qui sont contraires se rapportent à une même science. D’où il s’ensuit que si les principes sont opposés sans être contraires, ils ne relèvent pas d’une même science.

372. Ensuite lorsqu’il dit [192] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le deuxième argument que voici. De différentes choses qui se rapportent à une même science, toute science qui en examine une examine aussi l’autre ainsi qu’on le voit pour les contraires dont la diversité se rapporte d’elle-même à une même science et non parce qu’elle se ramène à quelque chose d’autre comme à un principe unique : mais une science qui considère une cause ne considère pas nécessairement toutes les causes; donc, la considération de toutes les causes ne se rapporte pas à une seule et même science.

373. Il prouve la mineure au moyen de ceci, à savoir que les différentes sciences portent sur différentes sortes d’êtres et qu’il y a beaucoup d’êtres auxquels on ne peut attribuer toutes les causes. Et il manifeste cela en premier lieu à l’égard de la cause agente d’où procède le mouvement : on ne voit pas en effet comment il pourrait y avoir un principe du mouvement chez les êtres immobiles. Mais certains, principalement les Platoniciens qui posent l’existence des nombres et des substances séparées, affirment que certains êtres sont immobiles. De là, si une science considère cette sorte d’êtres, elle ne peut faire appel à la cause agente d’où procède le mouvement.

374. En deuxième lieu il manifeste la même chose à l’égard de la cause finale qui a raison de bien. En effet, la nature du bien ne semble pas pouvoir être retrouvée dans les êtres immobiles, si on admet ceci que tout ce qui est bien en soi et en raison de sa nature est une fin. Et la fin est cause pour cette raison qu’elle existe pour elle-même et que c’est en vue d’elle que les autres deviennent et existent. Mais il parle de ce qui est bien en soi-même et en raison de sa nature pour le distinguer du bien utile qui ne s’attribue pas à la fin mais plutôt à ce qui est en vue de la fin. C’est pourquoi les choses qu’on appelle ainsi des biens seulement dans la mesure où elles sont utiles à quelque chose d’autre ne sont pas des biens en elles-mêmes et en raison de leur nature, comme une potion amère qui n’est pas un bien en elle-même mais seulement dans la mesure où elle est ordonnée à cette fin, à savoir la santé, laquelle est bonne en elle-même : mais la fin et ce en vue de quoi le reste existe se manifeste comme étant le terme d’un acte; mais on voit que toutes les actions semblent s’accompagner de mouvement. On voit donc qu’il s’ensuit que chez les êtres immobiles on ne peut retrouver ce principe, à savoir la cause finale qui a raison de bien. Et parce qu’il est nécessaire que les êtres qui existent par eux-mêmes sans matière soient immobiles, c’est pourquoi on ne peut voir qu’il y ait en eux un ¨ Bien en soi ¨, c’est-à-dire un bien par soi, ainsi que l’affirmait Platon. En effet, ce dernier appelait êtres en soi tous les êtres immatériels qui existent sans participation avec la matière, comme il appelait l’Idée de l’homme l’homme en soi qui n’est pas participé dans la matière. Et c’est pourquoi il appelait encore bien en soi ce qui est à soi-même son propre bien sans participation avec la matière, à savoir le principe premier de tous les êtres.

375. Et il présente un signe pour confirmer cet argument. En effet, du fait que la fin ne peut exister dans les êtres immobiles, il semble découler que dans les sciences mathématiques, qui sont abstraites de la matière et du mouvement, on ne prouve rien par cette cause finale comme on le fait au contraire en science naturelle, laquelle porte sur les êtres mobiles et manifeste certaines vérités par la notion de bien. Tout comme lorsque nous désignons la raison pour laquelle l’homme possède les mains, nous disons que c’est parce que c’est par elles que l’homme peut le mieux parvenir à réaliser ce que conçoit la raison. Mais dans les mathématiques on ne démontre rien de cette manière par laquelle on cherche à montrer qu’il est préférable qu’il en soit ainsi  et qu’il serait dommageable qu’il n’en soit pas ainsi, par exemple si on disait que dans un demi-cercle l’angle est droit plutôt qu’aigu ou obtus parce qu’il est préférable qu’il en soit ainsi. Et parce qu’on pourrait peut-être dire qu’il existe une autre manière de démontrer au moyen de la cause finale, par exemple si on disait que s’il doit exister une fin, ce qui est en vue de la fin doit précéder, c’est pourquoi il ajoute qu’aucun mathématicien ne fait la moindre mention au sujet de quelque chose de pareil pouvant se rapporter au bien ou à la cause finale. C’est pour cette raison que certains sophistes tels Aristippe qui faisait partie de la secte des Épicuriens, dédaignèrent complètement les démonstrations réalisées au moyen des causes finales, parce qu’ils les considéraient comme vulgaires du fait que dans les arts serviles ou mécaniques, comme dans celui du ¨ charpentier ¨, c’est-à-dire l’art de la construction,  ou du ¨ cordonnier ¨, on donne toutes les raisons des opérations à partir du meilleur ou du pire. Mais dans les mathématiques, qui sont les sciences les plus nobles et les plus certaines, on ne fait aucune allusion au bien ou au mal.

376. Ensuite, lorsqu’il dit [193] : ¨ Et qui plus est ¨.

   Il fait intervenir une autre question : et en premier lieu il la présente en deux volets.

   En effet, le premier volet de la question est le suivant : si les différentes causes sont considérées par de nombreuses sciences de telle sorte qu’une science différente examine une cause différente, laquelle d’entre elles devra-t-on appeler ¨ celle que nous recherchons ¨, c’est-à-dire la philosophie première? En d’autres mots, est-ce que ce sera celle qui considère la cause formelle, celle qui examine la cause finale ou celle encore qui s’intéresse à une autre cause? Le deuxième volet de la question est le suivant : s’il existe des choses qui possèdent plusieurs causes, quel sera celui, parmi ceux qui étudient toutes ces causes, qui connaîtra le mieux la chose en question?

377. En deuxième lieu, lorsqu’il dit [194] : ¨ Il arrive en effet ¨.

   Il manifeste la deuxième partie de la question en montrant qu’il arrive que dans une même chose on retrouve toutes les sortes de causes, comme par exemple pour la maison la cause agente est l’art ou le constructeur; ce en vue de quoi elle est faite ou sa finalité est ¨ sa fonction ¨, c’est-à-dire l’usage qu’on en fait et qui est de l’habiter; sa cause en tant que matière est la terre et les pierres à partir desquelles on élève les murs; enfin la cause en tant qu’espèce ou forme est la nature même de la maison qui, conçue à l’avance dans l’esprit de l’architecte, est réalisée dans une matière.

378. En troisième lieu là [195] où il dit : ¨ Donc à partir ¨.

   Il repose la question, à savoir laquelle des sciences dont nous avons parlé mérite le nom de sagesse, d’après les choses que nous avons antérieurement établies au sujet de la sagesse au début de ce traité : en d’autres mots, est-ce celle qui s’attache à la cause formelle, celle qui s’intéresse à la cause finale ou celle qui considère une autre cause? Et il présente par la suite des raisons en faveur de chacune de ces trois causes en disant qu’il apparaît raisonnable que ¨ n’importe quelle science ¨ qui se rapporte à ¨ n’importe quelle sorte de cause ¨ se voit attribuer le nom de sagesse. Et en premier lieu il présente une raison en faveur de la science qui démontre au moyen de la cause finale. Il a été dit en effet au début de ce traité que cette science qu’on appelle la sagesse est première et architectonique à l’égard des autres qui lui sont comme subordonnées. Ainsi donc, dans la mesure où la sagesse est revêtue de cet ¨ honneur ¨, c’est-à-dire dans la mesure où elle est antérieure dans l’ordre de dignité et première par l’autorité qu’elle possède à ordonner les autres sciences, car il n’est pas juste que les autres sciences la contredisent mais il convient plutôt qu’elles reçoivent d’elle leurs principes comme si elles étaient ses servantes, il semble bien que c’est cette science ¨ qui se rapporte à la fin et au bien ¨, c’est-à-dire celle qui procède au moyen de la cause finale, qui mérite d’être appelée sagesse. Et il en est ainsi parce que tout le reste est en vue de la fin et que pour cela la fin est en quelque sorte la cause de toutes les autres causes. Et c’est ainsi que la science qui dans ses démonstrations procède au moyen de la cause finale est première. Un signe en est que ces arts qui se rapportent à la fin commandent aux autres arts tout comme le pilote du navire commande à celui qui le construit. C’est pourquoi, si la sagesse est première et commande aux autres sciences, on voit parfaitement qu’elle doive procéder au moyen de la cause finale.

379. Ensuite lorsqu’il dit [196] : ¨ De plus dans la mesure ¨.

   Il présente la raison qui est en faveur de la cause formelle. On a dit en effet dans le proème de ce traité que la sagesse se rapporte aux causes premières, à ce qui est le plus connaissable et le plus certain. Et d’après cela il semble que la sagesse se rapporte à ¨ l’essence ¨, c’est-à-dire à la cause formelle : car parmi les différentes manières de savoir, nous disons que celui qui sait que quelque chose existe sait plus que celui qui sait que quelque chose n’existe pas. C’est pourquoi dans les Seconds Analytiques le Philosophe prouve que la démonstration par l’affirmative est supérieure  à la démonstration par la négative. Et parmi ceux qui savent quelque chose par l’affirmative, nous disons que certains savent plus que d’autres.  Et nous disons que parmi tous ceux qui savent, celui qui sait le plus est celui qui connaît ce qu’est la chose et non pas celui qui connaît sa quantité, sa qualité, ce qu’elle peut faire et subir. Ainsi donc la connaissance tout à fait parfaite de la chose elle-même consiste à connaître ce qu’elle est, c’est-à-dire a connaître son essence. Mais même dans la connaissance des autres dimensions de la chose, par exemple de ses propriétés, nous disons que nous connaissons davantage chacune d’elles pour lesquelles il y a démonstrations, lorsque même au sujet de ces accidents et de ces propriétés nous connaissons ce qu’ils sont; car l’essence ne se retrouve pas seulement dans les substances mais aussi dans les accidents.

380. Et il présente l’exemple du carré, c’est-à-dire la quadrature d’une surface qui n’est pas carrée mais rectangulaire, ayant des côtés de dimensions égales. C’est ce que nous appelons construire un carré, lorsque nous trouvons un carré qui lui est égal. Mais puisque toute surface de côtés égaux et d’angles droits est contenue par deux lignes qui contiennent un angle droit de telle sorte que la surface totale n’est rien d’autre que la conduite de l’une vers l’autre, alors nous retrouvons un carré de surface égale à la figure précédente lorsque nous retrouvons une ligne qui est intermédiaire en proportion entre les deux lignes précédentes. Par exemple, si la ligne A se rapporte à la ligne B de la même manière que la ligne B à la ligne C, le carré de la ligne B égal à la surface qui est contenue par les lignes C et A, ainsi qu’on le prouve au sixième livre d’Euclide.

381. Et cela apparaît manifestement dans les nombres. En effet, six est intermédiaire en proportion entre neuf et quatre. Neuf en effet se rapporte à six dans la proportion d’une fois et demie tout comme six se rapporte à quatre dans la même proportion. Mais le carré de six est de trente-six, nombre qu’on retrouve encore si on multiplie neuf par quatre. En effet, quatre fois neuf donne trente-six. Et il en est de même pour tous les autres nombres.

382. Ensuite lorsqu’il dit [197] : ¨ En ce qui concerne les générations ¨, il présente une raison en faveur de la cause efficiente.

   Nous voyons en effet qu’en ce qui concerne les générations et les actions de même que tous les changements nous disons connaître parfaitement une chose lorsque nous en connaissons le principe du mouvement, alors que le mouvement n’est rien d’autre que l’acte d’un mobile par un agent ou un moteur, ainsi qu’on le dit au troisième livre des Physiques. Le Philosophe néglige ici la cause matérielle car en tant que principe de connaissance, elle se rapporte à la connaissance de la vérité de la manière la plus imparfaite qui soit : en effet, la connaissance ne se réalise pas au moyen de ce qui existe en puissance, mais au moyen de ce qui existe en acte comme on le verra plus loin au neuvième livre.

383. Après avoir présenté ces raisons qui se rapportent à la deuxième partie de la question, il présente ici, à partir des mêmes raisons présentées plus haut, un raisonnement pour répondre à la première partie de la question, à savoir s’il appartient à des sciences différentes d’examiner chacune de ces sortes de causes du fait que dans différentes choses semblent dominer différentes causes, tout comme dans les êtres mobiles c’est le principe du mouvement qui est premier, dans les êtres  qui peuvent être connus c’est l’essence alors que dans les choses qui sont ordonnées à une fin, c’est la fin elle-même qui est première.

384. Mais Aristote ne semble pas répondre par la suite à cette question d’une manière explicite. Sa réponse peut cependant être obtenue à partir de ce qu’il établit plus loin en différentes occasions. Il établit en effet au quatrième livre que cette science-ci considère l’être en tant qu’être; c’est pourquoi c’est à elle et non à la science de la nature, qu’il appartient de considérer les substances premières car il existe d’autres sortes de substances que l’être mobile. Mais toute substance est soit une être par elle- même si elle est une forme seule, soit un être par sa forme si elle est un composé de matière et de forme; de là, dans la mesure où cette science considère l’être, elle doit considérer surtout la cause formelle. Mais les substances premières ne sont pas connues de nous de manière à ce que nous en connaissions l’essence ainsi que nous pouvons arriver en quelque sorte à le voir à partir de ce qui est déterminé au neuvième livre : et ainsi, la cause formelle n’a pas sa place dans la connaissance de ces substances. Mais bien que ces dernières substances soient immobiles en elles-mêmes, elles sont cependant causes de mouvement pour les autres choses par mode de finalité; et c’est pourquoi il appartient à cette science, dans la mesure où elle considère les substances premières, de faire appel principalement à la cause finale et en quelque sorte aussi à la cause efficiente, mais en aucune manière à la cause matérielle en tant que telle car il ne convient pas à la matière d’être cause de l’être en tant qu’être, mais seulement cause de ce genre particulier d’êtres, à savoir l’être mobile. De telles causes relèvent au contraire de sciences particulières, à moins qu’il arrive qu’elles soient considérées par cette science dans la mesure où elles sont impliquées de quelque manière dans la notion d’être. C’est ainsi en effet que cette science porte son regard sur tout ce qui existe.

385. Voyant cela, il nous est facile de dénouer les arguments produits précédemment. En premier lieu en effet rien n’empêche qu’il appartienne à cette seule science d’examiner différentes causes bien qu’elles ne soient pas contraires car elles se trouvent toutes à être ramenées à un principe d’unité, à savoir à l’être commun, ainsi que nous l’avons dit. De la même manière rien n’empêche, bien qu’il n’appartienne pas à n’importe quelle science d’examiner toutes les causes, qu’une science puisse considérer toutes les causes ou plusieurs d’entre elles dans la mesure où elles se ramènent à un principe d’unité. Mais plus distinctement, si on en vient à des disciplines particulières, il faut dire que rien n’empêche de considérer dans les êtres immobiles à la fois le principe du mouvement et la fin ou le bien; dans les être immobiles, dira-t-on, qui sont cependant principes de mouvement en tant que substances premières; mais pour les substances qui ne sont ni en mouvement ni principes de mouvement il n’y a pas lieu de considérer un principe de mouvement ni la fin en tant que fin du mouvement, bien que la fin puisse être considérée sous le rapport de la fin d’une opération qui se réalise sans le mouvement. Par exemple si on affirme l’existence de substances intelligentes qui ne soient pas principes de mouvement comme le faisaient les Platoniciens, il faut néanmoins affirmer en elles l’existence d’une fin et d’un bien, qui sont l’objet même de la volonté, dans la mesure où elles sont douées d’une intelligence et d’une volonté. Mais les entités mathématiques ne sont pas soumises au mouvement, elles n’en sont pas la cause et ne sont pas douées de volonté. C’est pourquoi en elles on ne considère pas le bien sous le nom de bien et de fin. On considère cependant en elles ce qui est bien, à savoir l’être et l’essence. C’est pourquoi il est faux de dire que le bien n’existe pas dans les êtres mathématiques ainsi qu’il le prouve plus loin au neuvième livre de ce traité.

386. Par ailleurs la réponse à la deuxième question apparaît déjà avec évidence car il appartient à cette science d’examiner trois sortes de causes en faveur desquelles il a produit des arguments.

 

 

LECTIO 5

[81953] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 1Postquam disputavit de prima quaestione quae erat de consideratione causarum, hic intendit disputare de consideratione principiorum demonstrationis, ad quam scientiam pertineat; et circa hoc tria facit. Primo movet quaestionem. Secundo disputat ad unam partem, ibi, unius igitur esse et cetera. Tertio disputat ad aliam partem, ibi, at vero si alia et cetera. Dicit ergo primo, quod dubitatio est de principiis demonstrationis, utrum considerare de his pertineat ad unam scientiam vel ad plures. Et exponit quae sunt demonstrationis principia. Et dicit, quod sunt communes conceptiones omnium ex quibus procedunt omnes demonstrationes, inquantum scilicet singula principia propriarum conclusionum demonstratarum habent firmitatem virtute principiorum communium. Et exemplificat de primis principiis maxime sicut quod necesse est de unoquoque aut affirmare aut negare. Et aliud principium est quod impossibile est idem simul esse et non esse. Est ergo haec quaestio, utrum haec principia et similia pertineant ad unam scientiam vel ad plures. Et si ad unam, utrum pertineant ad scientiam quae est considerans substantiam, vel ad aliam. Et si ad aliam, quam earum oportet nominare sapientiam vel philosophiam primam quam nunc quaerimus.

[81954] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 2Deinde cum dicit unius igitur obiicit ad unam partem quaestionis, scilicet ad ostendendum quod non est unius scientiae considerare principia omnia, supple demonstrationis, et substantiam. Et ponit duas rationes: quarum prima talis est. Cum omnes scientiae utantur praedictis principiis demonstrationis; nulla ratio esse videtur quare magis pertineat ad unam quam ad aliam: nec etiam videtur rationabile, quod eorum consideratio pertineat ad omnes scientias, quia sic sequeretur quod idem tractaretur in diversis scientiis, quod esset superfluum. Videtur igitur relinqui, quod nulla scientia consideret de principiis istis: ergo per quam rationem non pertinet ad aliquam aliarum scientiarum tradere cognitionem de huiusmodi demonstrationis principiis, per eamdem rationem non pertinet ad scientiam cuius est considerare de substantia.

[81955] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 3Secunda ratio ponitur ibi simul autem, quae talis est. Modus de quo est cognitio in scientiis est duplex. Unus modus secundum quod de unoquoque cognoscitur quid est. Alius modus secundum quod cognitio per demonstrationem acquiritur. Primo autem modo non pertinet ad aliquam scientiam tradere cognitionem de principiis demonstrationis, quia talis cognitio principiorum praesupponitur ante omnes scientias. Quod enim unumquodque horum sit ens ex nunc novimus, idest statim a principio cognoscimus quid significent haec principia, per quorum cognitionem statim ipsa principia cognoscuntur. Et, quia talis cognitio principiorum inest nobis statim a natura, concludit, quod omnes artes et scientiae, quae sunt de quibusdam aliis cognitionibus, utuntur praedictis principiis tamquam naturaliter notis.

[81956] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 4Similiter autem probatur, quod praedictorum principiorum cognitio non traditur in aliqua scientia per demonstrationem; quia si esset aliqua demonstratio de eis, oporteret tria tunc principia considerari; scilicet genus subiectum, passiones, et dignitates. Et ad huius manifestationem, subdit, quod impossibile est de omnibus esse demonstrationem: non enim demonstrantur subiecta, sed de subiectis passiones. De subiectis vero oportet praecognoscere an est et quid est, ut dicitur in primo posteriorum. Et hoc ideo, quia necesse est demonstrationem esse ex aliquibus, sicut ex principiis, quae sunt dignitates, et circa aliquod, quod est subiectum, et aliquorum, quae sunt passiones. Ex hoc autem statim manifestum est ex uno horum trium, quod dignitates non demonstrantur; quia oporteret quod haberent aliquas dignitates priores, quod est impossibile. Unde praetermisso hoc modo procedendi tamquam manifesto, procedit ex parte subiecti. Cum enim una scientia sit unius generis subiecti, oporteret quod illa scientia, quae demonstraret dignitates, haberet unum subiectum. Et sic oporteret, quod omnium scientiarum demonstrativarum esset unum genus subiectum, quia omnes scientiae demonstrativae utuntur huiusmodi dignitatibus.

[81957] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 5Deinde cum dicit at vero obiicit ad aliam partem. Si enim dicatur, quod alia scientia sit, quae est de huiusmodi principiis, et alia, quae est de substantia, remanebit dubitatio quae ipsarum sit principalior et prior. Ex una enim parte dignitates sunt maxime universales, et principia omnium, quae traduntur in quibuscumque scientiis. Et secundum hoc videtur quod scientia, quae est de huiusmodi principiis, sit principalissima. Ex alia vero parte, cum substantia sit primum et principale ens; manifestum est, quod prima philosophia est scientia substantiae. Et si non est eadem scientia substantiae et dignitatum non erit de facili dicere cuius alterius sit considerare veritatem et falsitatem circa dignitates, si non est primi philosophi qui considerat substantiam.

[81958] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 5 n. 6Hanc autem quaestionem determinat philosophus in quarto huius; et dicit, quod ad philosophum potius pertinet consideratio dignitatum, inquantum ad ipsum pertinet consideratio entis in communi, ad quod per se pertinent huiusmodi principia prima, ut maxime apparet in eo quod est maxime primum principium, scilicet quod impossibile est idem esse et non esse. Unde omnes scientiae particulares utuntur huiusmodi principiis sicut utuntur ipso ente, quod tamen principaliter considerat philosophus primus. Et per hoc solvitur ratio prima. Secunda autem ratio solvitur per hoc, quod philosophus non considerat huiusmodi principia tamquam faciens ea scire definiendo vel absolute demonstrando; sed solum elenchice, idest contradicendo disputative negantibus ea, ut in quarto dicetur.

LEÇON 5.

(nn. 387-392; [198-201]).

 

On rappelle les principes de la démonstration et de la substance, au sujet desquels on se demande s’ils relèvent d’une seule ou de plusieurs sciences.

 

387. Après avoir discuté de la première question qui se rapportait à la considération des causes, il cherche ici à discuter de la considération des principes de la démonstration pour montrer de quelle science elle relève; et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il soulève la question [198]. En deuxième lieu il argumente contre un parti pris à l’égard de la question, là [199] où il dit : ¨ Donc, qu’il appartienne à une seule science etc.¨. En troisième lieu il argumente contre l’autre parti pris à l’égard de la question, là [201] où il dit : ¨ Et d’un autre côté s’il appartient à une autre science etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [198] que la question est de savoir, au sujet des principes de la démonstration, si leur examen relève d’une seule science ou de plusieurs. Et il explique quels sont les principes de la démonstration. Et il dit que ce sont les conceptions communes sur lesquelles tous s’appuient pour construire leurs démonstrations, c’est-à-dire dans la mesure où tous les principes particuliers qui conduisent à la démonstration de leurs conclusions propres n’ont de fermeté qu’en vertu de la fermeté de ces conceptions ou de ces principes communs sur lesquels ils s’appuient. Et il donne des exemples de ces premiers principes, comme la nécessité pour l’intelligence de devoir soit affirmer soit nier un même prédicat d’un même sujet. Et un autre de ces principes est qu’il est impossible à la même chose à la fois d’être et de ne pas être. Cette question est donc de savoir si l’étude de ces principes relève d’une seule science ou de plusieurs; et si elle relève d’une seule science, relève-t-elle de la science qui examine la substance ou relève-t-elle d’une autre science? Et si elle relève d’une autre science, laquelle des deux faudra-t-il appeler sagesse ou philosophie première et qui est la science que nous sommes en train de chercher?

388. Ensuite lorsqu’il dit [199] : ¨ Qu’elle appartienne donc à une seule ¨.

   Il argumente donc à l’encontre d’un parti pris à l’égard de la question, c’est-à-dire pour montrer qu’il n’appartient pas à une seule et même science de considérer d’une manière complète à la fois tous les principes de la démonstration et la substance. Et il présente deux arguments, dont voici le premier. Puisque toutes les sciences se servent de ces principes de la démonstration, il semble qu’il n’y ait aucune raison pour laquelle l’étude de ces principes relèverait d’une science plutôt que d’une autre; et il ne semble pas davantage rationnel que leur considération appartienne à toutes les sciences car il s’ensuivrait ainsi que la même chose serait enseignée dans différentes sciences, ce qui serait inutile. Il semble donc qu’il ne reste que ceci à conclure : aucune science ne fait l’étude de ces principes : donc la raison par laquelle on conclut qu’il n’appartient pas à une des autres sciences d’enseigner la connaissance de ces principes de la démonstration vaut aussi bien pour conclure que cette connaissance n’appartient pas non plus à la science à laquelle il convient d’examiner la substance.

389. Il présente ici le deuxième argument, là [200] où il dit : ¨ Mais en même temps ¨ et que voici.

   Il y a deux modes de connaître dans les sciences. Le premier selon lequel on connaît d’une chose ce qu’elle est et le deuxième mode est celui par lequel la connaissance d’une chose est acquise par démonstration. Mais il n’appartient à aucune science d’enseigner la connaissance des principes de la démonstration par le premier mode car une telle connaissance des principes est présupposée connue antérieurement à toutes les sciences. En effet, de l’existence de ces principes nous avons une ¨ connaissance immédiate ¨, c’est-à-dire que nous connaissons dès le début la  signification de ces principes grâce à laquelle les principes eux-mêmes sont aussitôt connus. Et parce qu’une telle connaissance des principes nous est donnée de manière immédiate par la nature, il conclut de là que tous les arts et toutes les sciences qui se rapportent à d’autres connaissances se servent de ces principes qui nous sont comme naturellement connus.

390. Mais de la même manière il prouve que la connaissance de ces principes n’est enseignée dans aucune science au moyen de démonstrations car si on pouvait les démontrer, il faudrait alors considérer trois principes à leur égard : un genre comme sujet, des propriétés et des axiomes. Et pour manifester cela, il ajoute qu’il est impossible qu’il y ait démonstration pour tout : en effet, on ne démontre pas les sujets mais les propriétés qui s’attribuent aux sujets. Ce qu’il faut connaître à l’avance sur les sujets, c’est qu’ils existent et ce qu’ils sont, ainsi qu’on le dit au premier livre des Seconds Analytiques. Et il en est ainsi parce qu’il est nécessaire que la démonstration procède d’un point de départ qui est comme un principe, à savoir les axiomes, qu’elle porte sur un objet à titre de sujet et qu’elle en manifeste des propriétés. À partir de là il est aussitôt évident en s’appuyant sur un de ces trois points que les axiomes ne peuvent être démontrés car il faudrait alors qu’ils s’appuient sur d’autres axiomes qui leur seraient présupposés, ce qui est impossible. À partir de là, ce mode de procéder étant manifestement écarté, il procède à partir du sujet. En effet puisqu’une science se rapporte à un seul genre de sujet, il faudrait que cette science qui démontrerait les axiomes possède un seul sujet et par conséquent il faudrait qu’il n’y ait qu’un seul genre de sujet pour toutes les sciences qui procèdent par démonstration puisque ces dernières se servent toutes de ces axiomes.

391. Ensuite lorsqu’il dit [201] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il argumente à l’encontre du deuxième parti pris à l’égard de la question. Si on dit en effet que la science qui examine ces principes diffère de celle qui examine la substance, un problème demeure : laquelle de ces deux sciences sera première et antérieure à l’autre? D’un côté en effet les axiomes sont les plus universels et les principes de tout le reste qui est enseigné dans toutes les sciences et d’après cela il semble que la science qui se rapporte à ces principes soit la plus digne. – D’un autre côté, puisque la substance est ce qu’il y a de premier et de principal dans l’être, la forme d’être la plus fondamentale, il est manifeste que la philosophie première est la science de la substance. Et si la science de la substance n’est pas la même que celle des axiomes, il ne sera pas facile de déterminer à quelle autre science il appartiendra de considérer la vérité ou la fausseté par rapport à ces axiomes si ce n’est pas à la philosophie première à laquelle il appartient de considérer la substance.

392. Mais c’est au quatrième livre de ce traité que le Philosophe établit la réponse à cette question, où il dit que c’est plutôt au philosophe qu’il appartient surtout de considérer les axiomes dans la mesure où c’est à lui qu’il appartient d’étudier l’être commun auquel se rapportent essentiellement les premiers principes, ainsi qu’on le voit le plus clairement dans celui qui, parmi les premiers principes est le tout premier, à savoir qu’il est impossible à la même chose d’être et de ne pas être simultanément et sous le même rapport. De là, toutes les sciences se servent de tels principes tout comme elles se servent de la notion d’être que la philosophie première est cependant la première à considérer. Et c’est ainsi qu’est résolu le premier argument. – Le deuxième argument est résolu de la manière suivante : le philosophe ne considère pas ces principes comme en les faisant connaître par mode de définition et de démonstration proprement dites mais seulement par mode de réfutation, c’est-à-dire d’une manière dialectique en amenant ceux qui les nient à se contredire, ainsi qu’on le dira au quatrième livre de ce traité.

 

 

LECTIO 6

[81959] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 1Postquam disputavit duas quaestiones pertinentes ad considerationem huius scientiae, hic disputat tertiam, quae est de consideratione substantiarum et accidentium. Et dividitur in partes duas, secundum quod circa hoc duas quaestiones disputat. Secunda incipit ibi, amplius autem utrum sensibiles substantiae et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet quaestionem, quae est, utrum omnium substantiarum sit una scientia, aut plures scientiae considerent diversas substantias.

[81960] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 2Secundo ibi siquidem ergo obiicit ad primam partem; scilicet ad ostendendum quod una scientia sit de omnibus substantiis: quia si non esset una de omnibus substantiis, non posset assignari, ut videtur, cuius substantiae sit considerativa haec scientia, eo quod substantia, in quantum substantia, est principaliter ens. Unde non videtur quod magis pertineat ad considerationem principalis scientiae una substantia quam alia.

[81961] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 3Tertio ibi unam vero obiicit in contrarium, dicens quod non est rationabile ponere unam esse scientiam omnium substantiarum. Sequeretur enim quod esset una scientia demonstrativa de omnibus per se accidentibus. Et hoc ideo, quia omnis scientia demonstrativa aliquorum accidentium, speculatur per se accidentia circa aliquod subiectum: et hoc ex aliquibus conceptionibus communibus. Quia igitur scientia demonstrativa non speculatur accidentia nisi circa subiectum aliquod, sequitur quod ad eamdem scientiam pertineat considerare aliquod genus subiectum, ad quam pertineat considerare per se accidentia illius generis, et e converso, dummodo demonstratio fiat ex eisdem principiis.

[81962] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 4Sed quandoque contingit quod demonstrare quia ita est, per aliqua principia, pertinet ad aliquam scientiam, et demonstrare principia ex quibus demonstrabatur quia ita est, pertinet ad unam scientiam, quandoque quidem ad eamdem, quandoque vero ad aliam. Ad eamdem quidem, sicut geometria demonstrat, quod triangulus habet tres angulos aequales duobus rectis, per hoc quod angulus exterior trianguli est aequalis duobus interioribus sibi oppositis, quod tantum demonstrare pertinet ad geometriam. Ad aliam vero scientiam, sicut musicus probat quod tonus non dividitur in duo semitonia aequalia, per hoc quod proportio sesquioctava cum sit superparticularis, non potest dividi in duo aequalia. Sed hoc probare non pertinet ad musicum sed ad arithmeticum. Sic ergo patet, quod quandoque accidit diversitas in scientiis propter diversitatem principiorum, dum una scientia demonstrat principia alterius scientiae per quaedam altiora principia.

[81963] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 5Sed supposita identitate principiorum non potest esse diversitas in scientiis, dummodo sint eadem accidentia et idem genus subiectum, quasi una scientia consideret subiectum, et eadem accidentia. Unde sequitur, quod scientia quae considerat substantiam consideret etiam accidentia; ita quod si sint plures scientiae considerantes substantias, erunt considerantes accidentia. Si vero una earum sola sit quae consideret substantias, una sola erit quae considerabit accidentia. Hoc autem est impossibile; quia sic sequeretur non esse nisi unam scientiam, cum nulla scientia sit quae non demonstret accidentia de aliquo subiecto: non ergo ad unam scientiam pertinet considerare omnes substantias.

[81964] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 6Haec autem quaestio determinatur in quarto huius, ubi ostenditur quod ad primam scientiam, ad quam pertinet considerare de ente inquantum est ens, pertinet considerare de substantia inquantum est substantia: et sic considerat omnes substantias secundum communem rationem substantiae; et per consequens ad eam pertinet considerare communia accidentia substantiae. Particularia vero accidentia quarumdam substantiarum pertinet considerare ad particulares scientias, quae sunt de particularibus substantiis; sicut ad scientiam naturalem pertinet considerare accidentia substantiae mobilis. Verumtamen in substantiis est etiam ordo: nam primae substantiae sunt substantiae immateriales. Unde et earum consideratio pertinet proprie ad philosophum primum. Sicut si non essent aliae substantiae priores substantiis mobilibus corporalibus, scientia naturalis esset philosophia prima, ut dicitur infra in sexto.

[81965] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 7Deinde cum dicit amplius autem ponit aliam quaestionem de consideratione substantiae et accidentis. Et circa hoc etiam tria facit. Primo movet quaestionem, quae est, utrum consideratio huius scientiae sit solum circa substantiam, aut etiam circa ea quae accidunt substantiis. Puta si dicamus quod lineae, superficies et solida sint quaedam substantiae, ut quidam posuerunt, quaeritur utrum eiusdem scientiae sit considerare ista, et per se accidentia horum, quae demonstrantur in scientiis mathematicis; aut alterius.

[81966] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 8Secundo ibi nam si obiicit ad unam partem. Si enim eiusdem scientiae est considerare accidentia et substantias; cum scientia quae considerat accidentia sit demonstrativa accidentium, sequitur quod scientia quae considerat substantiam, sit demonstrativa substantiarum: quod est impossibile: cum definitio declarans substantiam, quae significat quod quid est, non demonstretur. Sic ergo non erit eiusdem scientiae substantias considerare et accidentia.

[81967] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 9Tertio ibi si vero obiicit in contrarium: quia si diversae scientiae considerant substantiam et accidens, non erit assignare quae scientia speculetur accidentia circa substantiam, quia talis scientia considerabit utrumque, cum tamen hoc videatur ad omnes scientias pertinere: quia omnis scientia considerat per se accidentia circa subiectum, ut dictum est.

[81968] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 6 n. 10Hanc autem quaestionem determinat philosophus in quarto huius; dicens, quod ad eam scientiam, ad quam pertinet considerare de substantia et ente, pertinet etiam considerare de per se accidentibus substantiae et entis. Non tamen sequetur quod eodem modo consideret utrumque, scilicet demonstrando substantiam, sicut demonstrat accidens; sed definiendo substantiam et demonstrando accidens inesse vel non inesse, ut plenius habetur in fine noni huius.

LEÇON 6.

(nn. 393-402; [202-207]).

 

Appartient-il à une seule science ou à plusieurs d’examiner toutes les substances? Et cette science qui examine la substance, examine-t-elle aussi les accidents qui découlent nécessairement de la substance?

 

393. Après avoir discuté des deux questions qui se rapportent à la considération de cette science, le Philosophe discute ici d’une autre question qui porte sur la considération des substances et des accidents.

   Et cette question se divise en deux parties selon qu’à ce sujet il discute de deux questions. La deuxième commence là [208] où il dit : ¨ Mais en outre est-ce que les substances sensibles etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il soulève la question [202] qui est la suivante : ¨ Est-ce qu’il n’y a qu’une science unique pour toutes les substances ou y a-t-il au contraire plusieurs sciences pour différentes substances?

394. En deuxième lieu, là [203] où il dit : ¨ Donc, si toutefois ¨.

   Il argumente en faveur de la première partie de la question, c’est-à-dire pour montrer que toutes les substances relèvent d’une seule science car s’il n’y avait pas une seule science pour toutes les substances, on ne verrait pas quelle substance notre science devrait considérer du fait que la substance en tant que telle est l’être premier. C’est pourquoi on ne voit pas qu’une substance plus qu’une autre appartienne à la considération de la science qui est première.

395. En troisième lieu, là [204] où il dit : ¨ D’un autre côté, qu’il n’y ait qu’une seule ¨.

   Il argumente en sens contraire en disant qu’il n’est pas rationnel d’affirmer qu’il n’y a qu’une seule science pour toutes les substances. Il s’ensuivrait en effet qu’il n’y aurait qu’une seule science dont les démonstrations porteraient sur tous les accidents qui découlent essentiellement de toutes les substances. Et il en est ainsi car toute science dont les démonstrations manifestent des accidents examine des accidents qui découlent essentiellement d’un sujet et elle le fait en partant des conceptions communes. Donc, puisqu’une science démonstrative n’examine les accidents qu’en rapport avec un sujet, il s’ensuit que la science à laquelle il appartient de considérer un genre de sujets est la même que celle à laquelle il appartient d’examiner les accidents essentiels de ce genre, et inversement, pourvu que la démonstration est construite à partir des mêmes principes.

396. Mais il arrive que démontrer qu’il en est ainsi au moyen de certains principes appartienne à une science et que la manifestation des principes à partir desquels on démontre qu’il en est ainsi appartienne parfois à la même science, parfois à une autre. Les deux manifestations relèvent de la même science comme c’est le cas pour le géomètre qui démontre que le triangle possède des angles intérieurs égaux à deux droits en partant du principe que l’angle extérieur d’un triangle est égal aux deux angles intérieurs qui lui sont opposés, principe qu’il appartient au seul géomètre de démontrer. – Mais il appartient parfois à une autre science de manifester les principes, comme c’est le cas pour le musicien qui prouve que le ton ne se divise pas en deux demi-tons égaux en partant du principe que puisque la proportion d’une octave et demi est de un plus une fraction, elle ne peut être divisée en deux parties égales. Cependant il n’appartient pas au musicien de manifester ce principe, mais à l’arithméticien. Ainsi donc il est évident qu’une diversité dans les sciences résulte d’une diversité dans les principes, lorsqu’une science manifeste les principes d’une autre science au moyen de principes plus élevés.

397. Mais si on suppose que les principes demeurent les mêmes, il ne peut y avoir diversité dans les sciences, pourvu que les accidents et le genre du sujet restent les mêmes, comme c’est la même science qui examine le sujet et les accidents de ce sujet. D’où il suit que la science qui examine une substance examine aussi ses accidents, de telle manière que s’il y a plusieurs sciences qui examinent les substances, elles seront plusieurs aussi à en examiner les accidents. Si d’un autre côté il n’y en a qu’une seule à considérer les substances, il y en aura aussi une seule à en considérer les accidents. Mais cela est impossible car alors il n’y aurait plus qu’une seule science car toute science cherche à démontrer les accidents qui se rapportent à un sujet : il n’appartient donc pas à une seule science de considérer toutes les substances.

398. Mais le Philosophe répond à cette question au quatrième livre de ce traité que c’est à la philosophie première, à laquelle il appartient de considérer l’être en tant qu’être, qu’il appartient encore de considérer la substance en tant que substance : et c’est ainsi qu’il considère toutes les substances sous la raison commune de substance; et par conséquent c’est à elle qu’il appartient aussi de considérer les accidents communs de la substance. D’un autre côté c’est à des sciences particulières qui portent sur des substances particulières qu’il appartient de considérer les accidents propres à certaines substances, tout comme il appartient à la science de la nature de considérer les accidents qui sont propres à la substance mobile. Mais cependant dans les substances on retrouve encore un ordre car les substances premières sont les substances immatérielles. C’est pourquoi la considération de ces dernières relève en propre de la philosophie première, tout comme, s’il n’existait pas de substances antérieures aux substances mobiles et corporelles, la science de la nature serait la philosophie première, ainsi qu’on le dit au sixième livre de ce traité.

399. Ensuite lorsqu’il dit [205] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente une autre question sur la considération de la substance et des accidents.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il soulève une question, à savoir si les considérations de cette science doivent porter seulement sur la substance ou si elles doivent aussi porter sur ses accidents. Par exemple si nous disions que les lignes, les surfaces et les solides sont des substances, ainsi que certains l’affirmèrent, on se demanderait s’il appartient à la même science de considérer ces prétendues substances et les accidents qui en découlent nécessairement et qui sont démontrés dans les sciences mathématiques, ou si ces deux objets d’étude relèvent de sciences différentes.

400. En deuxième lieu, là [206] où il dit : ¨ Car si ¨.

   Il argumente à l’encontre de la première partie de la question. Si en effet il appartient à la même science de considérer à la fois les accidents et les substances, puisque la science qui considère les accidents se trouve aussi à les démontrer, il s’ensuit que la science qui examinerait la substance se trouverait aussi à la démontrer, ce qui est impossible puisque la définition qui fait connaître la substance n’est pas démontrée. Il n’appartiendrait donc pas à la même science de considérer les substances et les accidents.

401. En troisième lieu, là [207] où il dit : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il argumente en sens contraire en disant que s’il appartient à des sciences différentes de considérer les substances et les accidents, on ne verra pas à quelle science attribuer l’examen des accidents relatifs à telle substance car une telle science se trouvera à examiner à la fois les unes et les autres puisque c’est ce qu’on observe dans toutes les sciences car encore une fois toute science se trouve à examiner les accidents qui découlent nécessairement d’un sujet, ainsi qu’on l’a déjà dit.

402. Le Philosophe répond néanmoins à cette question au quatrième livre de ce traité en disant que la science à laquelle il appartient de considérer la substance et l’être, est aussi celle à laquelle il appartient de considérer les accidents qui découlent essentiellement de la substance et de l’être. Il ne s’ensuit pas cependant que ce soit de la même manière qu’elle examine les unes et les autres, c’est-à-dire en démontrant les substances comme elle le fait pour les accidents; mais au contraire elle le fait en définissant les substances et en démontrant que les accidents appartiennent ou non à la substance, comme on le verra d’une manière plus satisfaisante à la fin du neuvième livre de ce traité.

 

 

LECTIO 7

[81969] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 1Postquam disputavit philosophus quaestiones pertinentes ad considerationem huius scientiae, hic disputat quaestiones pertinentes ad ipsas substantias, de quibus principaliter considerat ista scientia. Et circa hoc tria facit. Primo movet quaestiones. Secundo ostendit unde accipi possint rationes ad unam partem, ibi, quomodo ergo dicimus et cetera. Tertio obiicit ad partem contrariam, ibi, multis autem modis habentibus difficultatem et cetera. Circa primum movet duas quaestiones: quarum prima est, utrum in universitate rerum solae substantiae sensibiles inveniantur, sicut aliqui antiqui naturales dixerunt, aut etiam inveniantur quaedam aliae substantiae, praeter sensibiles, sicut posuerunt Platonici.

[81970] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 2Secunda quaestio est, supposito quod sint aliquae substantiae, praeter sensibiles, utrum illae substantiae sint unius generis, aut magis sint plura genera harum substantiarum. Utramque enim opinionem recipit. Quidam enim posuerunt praeter substantias sensibiles esse solas species separatas, idest per se hominem immaterialem, et per se equum: et sic de aliis speciebus. Alii vero posuerunt quasdam alias intermedias substantias inter species et sensibilia, scilicet mathematica, de quibus dicebant esse mathematicas scientias.

[81971] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 3Et huius ratio est, quia ponebant duplicem abstractionem rerum: puta abstractionem intellectus, qui dicitur abstrahere uno modo universale a particulari, iuxta quam abstractionem ponebant species separatas per se subsistentes. Alio modo formas quasdam a materia sensibili, in quarum scilicet definitione non ponitur materia sensibilis, sicut circulus abstrahitur ab aere. Iuxta quam ponebant mathematica abstracta, quae dicebant media inter species et sensibilia, quia conveniunt cum utrisque. Cum speciebus quidem, inquantum sunt separata a materia sensibili; cum sensibilibus autem, inquantum inveniuntur plura ex eis in una specie, sicut plures circuli et plures lineae.

[81972] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 4Deinde cum dicit quomodo ergo ostendit quomodo ad unam partem argumentari possit; et dicit quod hoc dictum est in primis sermonibus, idest in primo libro, quomodo species ponantur causae rerum sensibilium, et substantiae quaedam per se subsistentes. Unde ex his quae ibi dicta sunt in recitatione opinionis Platonis, accipi possunt rationes ad partem affirmativam.

[81973] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 5Deinde cum dicit multis autem obiicit ad partem negativam. Et primo ad ostendendum quod non sunt species separatae a sensibilibus. Secundo ad ostendendum quod non sunt mathematica separata, ibi, amplius autem siquis praeter species et cetera. Supra autem in primo libro multas rationes posuit contra ponentes species: et ideo illis rationibus praetermissis ponit quamdam rationem, quae videtur efficacissima; et dicit, quod cum positio ponentium species separatas, multas habeat difficultates, illud quod nunc dicetur non continet minorem absurditatem aliquo aliorum, scilicet quod aliquis dicat quasdam esse naturas praeter naturas sensibiles, quae sub caelo continentur. Nam caelum est terminus corporum sensibilium, ut in primo de caelo et mundo probatur. Ponentes autem species, non ponebant eas esse infra caelum, nec extra, ut dicitur in tertio physicorum. Et ideo convenienter dicit, quod ponebant quasdam naturas praeter eas quae sunt in caelo. Dicebant autem contrarias naturas esse easdem secundum speciem et rationem, et in istis sensibilibus: quinimmo dicebant illas naturas esse species horum sensibilium; puta quod homo separatus est humanitas hominis huius sensibilis, et quod homo sensibilis est homo participatione illius hominis. Hanc tamen differentiam ponebant inter ea, quia illae naturae immateriales sunt sempiternae, istae vero sensibiles sunt corruptibiles.

[81974] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 6Et quod ponerent illas naturas easdem istis patet per hoc, quod sicut in istis sensibilibus invenitur homo, equus, et sanitas, ita in illis naturis ponebanthominem per se, idest sine materia sensibili, et similiter equum et sanitatem; et nihil aliud ponebant in substantiis separatis, nisi quod erant materialiter in sensibilibus. Quae quidem positio videtur esse similis positioni ponentium deos esse humanae speciei, quae fuit positio Epicureorum, ut Tullius dicit in libro de natura deorum. Sicut enim qui ponebant deos humanae speciei, nihil aliud fecerunt quam ponere homines sempiternos secundum suam naturam, ita et illi qui ponebant species nihil aliud faciunt quam ponunt res sensibiles sempiternas, ut equum, bovem, et similia.

[81975] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 7Est autem valde absurdum, quod id quod secundum suam naturam est corruptibile, sit eiusdem speciei cum eo, quod per suam naturam est incorruptibile: quin potius corruptibile et incorruptibile differunt specie, ut infra dicetur in decimo huius. Potest tamen contingere quod id quod secundum suam naturam est corruptibile, virtute divina perpetuo conservetur in esse.

[81976] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 8Deinde cum dicit amplius autem obiicit contra ponentes mathematica media inter species et sensibilia. Et primo contra illos, qui ponebant mathematica media, et a sensibilibus separata. Secundo contra illos, qui ponebant mathematica, sed in sensibilibus esse, ibi, sunt autem et aliqui qui dicunt et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit rationes contra primam opinionem, secundo obiicit pro ea, ibi, at vero nec sensibilium et cetera. Contra primum obiicit tribus viis: quarum prima est, quod sicut scientia quaedam mathematica est circa lineam, ita etiam sunt quaedam mathematicae scientiae circa alia subiecta. Si igitur sunt quaedam lineae praeter lineas sensibiles, de quibus geometra tractat, pari ratione in omnibus aliis generibus, de quibus aliae scientiae mathematicae tractant, erunt quaedam praeter sensibilia. Sed hoc ponere ostendit esse inconveniens in duabus scientiis mathematicis.

[81977] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 9Primo quidem in astrologia, quae est una scientiarum mathematicarum, cuius subiectum est caelum et caelestia corpora. Sequetur ergo secundum praedicta, quod sit aliud caelum praeter caelum sensibile, et similiter alius sol et alia luna, et similiter de aliis corporibus caelestibus. Sed hoc est incredibile: quia illud aliud caelum, aut est mobile, aut immobile. Si est immobile, hoc videtur esse irrationabile, cum videamus naturale esse caelo quod semper moveatur. Unde et astrologus aliquid considerat circa motum caeli. Dicere vero quod caelum sit separatum, et sit mobile, est impossibile, eo quod nihil separatum a materia potest esse mobile.

[81978] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 10Deinde ostendit idem esse inconveniens in aliis scientiis mathematicis, scilicet in perspectiva, quae considerat lineam visualem, et in harmonica idest musica, quae considerat proportiones sonorum audibilium. Impossibile est autem haec esse intermedia inter species et sensibilia; quia si ista sensibilia sint intermedia, scilicet soni et visibilia, sequetur etiam quod sensus sunt intermedii. Et cum sensus non sint nisi in animali, sequetur quod etiam animalia sint intermedia inter species et corruptibilia; quod est omnino absurdum.

[81979] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 11Deinde cum dicit dubitabit autem secunda via talis est. Si in illis generibus, de quibus sunt scientiae mathematicae, invenitur triplex gradus rerum; scilicet sensibilia, species, et intermedia; cum de omnibus speciebus et omnibus sensibilibus videatur esse similis ratio, videtur sequi quod inter quaelibet sensibilia et suas species sunt aliqua media: unde remanet dubitatio ad quae rerum genera se extendant scientiae mathematicae. Si enim scientia mathematica, puta geometria, differt a geodaesia, quae est scientia de mensuris sensibilibus, in hoc solum quod geodaesia est de mensuris sensibilibus, geometria vero de intermediis non sensibilibus, pari ratione praeter omnes scientias, quae sunt de sensibilibus, erunt secundum praedicta quaedam scientiae mathematicae de intermediis: puta si scientia medicinalis est de quibusdam sensibilibus, erit quaedam alia scientia praeter scientiam medicinalem, et praeter unamquamque similem scientiam, quae erit media inter medicinalem quae est de sensibilibus, et medicinalem quae est de speciebus. Sed hoc est impossibile; quia cum medicina sit circa salubria, idest circa sanativa, si medicina est media, sequitur quod etiam sanativa sint media praeter sensibilia sanativa et praeter autosanum, idest per se sanum, quod est species sani separati: quod est manifeste falsum. Relinquitur ergo, quod istae scientiae mathematicae non sunt circa aliqua quae sunt media inter sensibilia et species separatas.

[81980] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 12Deinde cum dicit similiter autem tertiam viam ponit, per quam destruitur quoddam, quod praedicta positio ponebat; quod scilicet esset aliqua scientia circa sensibiles magnitudines: et sic si inveniretur alia scientia circa magnitudines, ex hoc haberetur quod essent magnitudines mediae. Unde dicit, quod hoc non est verum quod geodaesia sit scientia sensibilium magnitudinum, quia sensibiles magnitudines sunt corruptibiles. Sequeretur ergo quod geodaesia esset de magnitudinibus corruptibilibus. Sed scientia videtur corrumpi corruptis rebus de quibus est. Socrate enim non sedente, iam non erit vera opinio qua opinabamur eum sedere. Sequeretur ergo quod geodaesia vel geosophia, ut alii libri habent, corrumpatur corruptis magnitudinibus sensibilibus; quod est contra rationem scientiae, quae est necessaria et incorruptibilis.

[81981] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 13Posset tamen haec ratio ad oppositum induci: ut dicatur quod per hanc rationem intendit probare, quod nullae scientiae sunt de sensibilibus. Et ita oportet quod omnes scientiae vel sint de rebus mediis, vel sint de speciebus.

[81982] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 14Deinde cum dicit at vero obiicit pro praedicta positione in hunc modum. De ratione scientiae est, quod sit verorum. Hoc autem non esset, nisi esset de rebus prout sunt. Oportet igitur res, de quibus sunt scientiae, tales esse, quales traduntur in scientiis. Sed sensibiles lineae non sunt tales, quales dicit geometra. Et hoc probat per hoc, quod geometria probat, quod circulus tangit regulam, idest rectam lineam solum in puncto, ut patet in tertio Euclidis. Hoc autem non invenitur verum in circulo et linea sensibilibus. Et hac ratione usus fuit Protagoras, destruens certitudines scientiarum contra geometras. Similiter etiam motus et revolutiones caelestes non sunt tales, quales astrologus tradit. Videtur enim naturae repugnare, quod ponantur motus corporum caelestium per excentricos, et epicyclos, et alios diversos motus, quos in caelo describunt astrologi. Similiter etiam nec quantitates corporum caelestium sunt tales, sicut describunt eas astrologi. Utuntur enim astris ut punctis, cum tamen sint corpora magnitudinem habentia. Unde videtur quod nec geometria sit de sensibilibus magnitudinibus, nec astrologia de caelo sensibili. Relinquitur igitur, quod sint de aliquibus aliis mediis.

[81983] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 15Deinde cum dicit sunt autem obiicit contra aliam positionem. Et primo ponit intentum. Secundo inducit rationes ad propositum, ibi, non enim in talibus et cetera. Dicit ergo primo, quod quidam ponunt esse quasdam naturas medias inter species et sensibilia, et tamen non dicunt ea esse separata a sensibilibus, sed quod sunt in ipsis sensibilibus. Sicut patet de opinione illorum, qui posuerunt dimensiones quasdam per se existentes, quae penetrant omnia corpora sensibilia, quas quidam dicunt esse locum corporum sensibilium, ut dicitur in quarto physicae, et ibidem improbatur. Unde hic dicit, quod prosequi omnia impossibilia, quae sequuntur ad hanc positionem, maioris est negocii. Sed nunc aliqua breviter tangere sufficit.

[81984] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 16Deinde cum dicit non enim inducit quatuor rationes contra praedictam positionem: quarum prima talis est. Eiusdem rationis videtur esse quod praeter sensibilia ponantur species et mathematica media, quia utrumque ponitur propter abstractionem intellectus: si igitur ponuntur mathematica esse in sensibilibus, congruum est quod non solum ita se habeant in eis, sed etiam quod species ipsae sint in sensibilibus, quod est contra opinionem ponentium species. Ponunt enim eas esse separatas: et non esse alicubi.

[81985] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 17Secundam rationem ponit ibi, amplius autem quae talis est. Si mathematica sunt alia a sensibilibus, et tamen sunt in eis, cum corpus sit quoddam mathematicum, sequitur quod corpus mathematicum simul est in eodem cum corpore sensibili: ergo duo solida, idest duo corpora erunt in eodem loco; quod est impossibile, non solum de duobus corporibus sensibilibus, sed etiam de corpore sensibili et mathematico: quia utrumque habet dimensiones, ratione quarum duo corpora prohibentur esse in eodem loco.

[81986] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 18Tertiam rationem ponit ibi, et non esse moto enim aliquo movetur id quod in eo est: sed sensibilia moventur: si igitur mathematica sunt in sensibilibus, sequetur quod mathematica moveantur: quod est contra rationem mathematicorum, quae non solum abstrahunt a materia, sed etiam a motu.

[81987] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 19Quartam rationem ponit ibi totaliter autem quae talis est. Nihil rationabiliter ponitur nisi propter aliquam causarum; et praecipue si ex tali positione maius inconveniens sequatur. Sed ista positio ponitur sine causa. Eadem enim inconvenientia sequentur ponentibus mathematica esse media et in sensibilibus, quae sequuntur ponentibus ea non esse in sensibilibus, et adhuc quaedam alia propria et maiora, ut ex praedictis patet. Haec igitur positio est irrationabilis. Ultimo autem concludit quod praedictae quaestiones habent multam dubitationem, quomodo se habeat veritas in istis.

[81988] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 7 n. 20Has autem quaestiones pertractat philosophus infra, duodecimo, tertiodecimo et quartodecimo huius, ostendens non esse mathematicas substantias separatas, nec etiam species. Et ratio quae movebat ponentes mathematica et species sumpta ab abstractione intellectus, solvitur in principio decimitertii. Nihil enim prohibet aliquid quod est tale, salva veritate considerari ab intellectu non inquantum tale; sicut homo albus potest considerari non inquantum albus: et hoc modo intellectus potest considerare res sensibiles, non inquantum mobiles et materiales, sed inquantum sunt quaedam substantiae vel magnitudines; et hoc est intellectum abstrahere a materia et motu. Non autem sic abstrahit secundum intellectum, quod intelligat magnitudines et species esse sine materia et motu. Sic enim sequeretur quod vel esset falsitas intellectus abstrahentis, vel quod ea quae intellectus abstrahit, sint separata secundum rem.

LEÇON 7.

(nn. 403-422; [208-219]).

 

Existe-t-il seulement des substances sensibles ou retrouve-t-on au contraire d’autres substances en dehors des substances sensibles? De même il réfute ceux qui ont cru qu’il existait des entités mathématiques entre les Idées et les réalités sensibles ou dans les réalités sensibles elles-mêmes.

 

403. Après avoir discuté des questions qui se rapportent à la considération de cette science, il discute ici de questions qui se rapportent aux substances mêmes sur lesquelles cette science porte principalement ses considérations.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il soulève les questions [208]. En deuxième lieu il montre d’où on peut tirer des arguments en faveur d’une partie de la question, là [209] où il dit : ¨ Donc, dans quel sens disons-nous etc.¨. En troisième lieu il argumente à l’encontre de la partie opposée de la question, là [210] où il dit : ¨ Mais c’est de plusieurs manières que cette position présente des difficultés etc.¨.

   Au sujet du premier point [208] il soulève deux questions dont la première est de savoir si dans l’ensemble de tout le réel on ne retrouve que les seules réalités sensibles ainsi que l’affirmèrent les anciens physiciens, ou si on ne retrouve pas encore d’autres sortes de substances en dehors des substances sensibles ainsi que l’affirmèrent les Platoniciens.

404. La deuxième question, en supposant qu’il existe d’autres sortes de substances en dehors des substances sensibles, est de savoir si ces substances appartiennent à un seul genre ou à des genres différents. Il accueille et examine en effet les deux opinions. Certains en effet affirmèrent qu’en dehors des substances sensibles n’existent que les seules Idées séparées, à savoir par exemple l’homme en soi et le cheval en soi, réalités immatérielles, et qu’il en est de même pour les autres Idées. D’autres par ailleurs affirmèrent l’existence de substances intermédiaires entre les Idées séparées et les substances sensibles, à savoir les entités mathématiques qui sont l’objet selon eux des sciences mathématiques.

405. Et la raison en est qu’ils affirmaient l’existence de deux formes d’abstraction à l’égard des choses, à savoir une abstraction de l’intelligence de laquelle on dit en un premier sens qu’elle dégage l’universel du particulier et c’est conformément à ce sens qu’ils posaient l’existence d’Idées séparées subsistant par elles-mêmes, et une autre abstraction de l’intelligence de laquelle on dit en un autre sens qu’elle dégage certaines formes de la matière sensible dans la définition desquelles on ne retrouve pas la matière sensible, comme la définition du cercle est dégagée du bronze auquel il peut être uni. Et c’est conformément à ce sens qu’ils posaient l’existence d’entités mathématiques abstraites de la matière et dont ils disaient qu’elles sont intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles car elles ont des points communs avec les deux. Les entités mathématiques ressemblent certes aux Idées en ceci que toutes deux sont séparées de la matière sensible, mais elles ont du commun avec les réalités sensibles dans la mesure où à partir d’elles on retrouve une multiplicité d’individus à l’intérieur de la même espèce, par exemple une multitude de cercles et une multitude de lignes.

406. Ensuite lorsqu’il dit [209] : ¨ Donc, comment ¨.

   Il montre comment on peut argumenter en faveur de la partie affirmative, à savoir qu’il existe des substances différentes des substances sensibles; et il dit qu’on a dit ¨ dans les premiers discours ¨, c’est-à-dire au premier livre de ce traité, comment on affirmait que les Idées sont les causes des choses sensibles et qu’elles sont des substances subsistant par elles-mêmes. C’est pourquoi, à partir des choses qui ont été dites ici dans la lecture de l’opinion de Platon, on peut tirer des raisons en faveur de l’affirmative.

407. Ensuite lorsqu’il dit [210] : ¨ Mais par de nombreuses ¨.

   Il argumente en faveur de la négative.

   Et en premier lieu il le fait pour montrer qu’il n’existe pas d’Idées séparées des réalités sensibles [210]. En deuxième lieu il le fait pour montrer qu’il n’existe pas d’entités mathématiques séparées, là [211] où il dit : ¨ Mais en outre si à part des Idées etc.¨.

   Mais précédemment au premier livre le Philosophe a présenté plusieurs arguments à l’encontre de ceux qui affirmaient l’existence des Idées : et c’est pourquoi, passant ces arguments sous silence, il en présente un qui apparaît comme le plus efficace; et il dit [210] que puisque l’opinion de ceux qui affirment l’existence des Idées pose de nombreuses difficultés, ce qui est sur le point d’être dit maintenant ne contient pas une moins grande absurdité que certaines des autres assertions, à savoir lorsqu’on dit qu’il existe certaines natures à part des natures sensibles, qui sont contenues sous le ciel. Car le ciel est la limite des corps sensibles, ainsi qu’on le prouve au premier livre du Ciel et du Monde. Mais ceux qui affirmaient l’existence d’Idées n’affirmaient pas qu’elles existent sous le ciel ni à l’extérieur de lui, ainsi qu’on le dit au troisième livre des Physiques. Et c’est pourquoi il dit avec raison qu’ils affirmaient plutôt qu’il existe certaines natures au-delà de celles qui existent dans le ciel. Mais ils affirmaient que les natures contraires sont les mêmes à la fois dans l’Idée, dans la raison, et dans nos réalités sensibles; bien plus, ils affirmaient que ces natures sont les espèces des réalités sensibles, par exemple que l’homme séparé est l’humanité de cet homme sensible et que ce dernier n’est homme que parce qu’il participe de l’homme séparé. Ils établissaient cependant cette différences entre les premières et les dernières, à savoir que les natures immatérielles sont éternelles et que les natures sensibles sont corruptibles.

408. Et il est évident qu’ils affirmaient que ces natures sont identiques aux réalités matérielles au moyen de ceci que tout comme dans les réalités sensibles on retrouve l’homme, le cheval et la santé, de même ils affirmaient parmi ces natures l’existence de ¨ l’homme par soi ¨, c’est-à-dire de l’homme dépourvu de matière sensible, du cheval et de la santé par soi; et ils n’affirmaient rien d’autre au sujet des substances séparées si ce n’est qu’elles se retrouvaient dans les réalités sensibles unies à la matière. On voit certes que cette opinion est semblable à celle des penseurs qui affirmaient que les dieux sont de la même nature que l’homme; et telle fut l’opinion des Épicuriens, ainsi que l’affirme Cicéron dans le livre sur la Nature des Dieux. En effet, tout comme ceux qui affirmaient que les dieux étaient de même nature que l’homme n’en faisaient rien d’autre que des hommes éternels, de même ceux qui affirmaient l’existence des Idées ne faisaient rien d’autre que de poser des réalités sensibles éternelles comme le cheval, le bœuf et d’autres choses de même sorte.

409. Il est cependant absurde au plus haut point d’affirmer que ce qui a une nature corruptible soit de même nature que ce qui a une nature incorruptible; mais au contraire ce qui est corruptible diffère par nature de ce qui est incorruptible, comme on le dira plus loin au dixième livre de ce traité. Il peut cependant arriver que ce qui est corruptible selon sa nature puisse être éternellement conservé dans l’être par la puissance divine.

410. Ensuite lorsqu’il dit [211] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il argumente à l’encontre de ceux qui affirmaient qu’il existe des entités mathématiques intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles.

   Et en premier lieu il le fait à l’encontre de ceux qui affirmaient qu’il existe des entités mathématiques intermédiaires, et qu’elles sont séparées de la matière [211]. En deuxième lieu, il argumente à l’encontre de ceux qui affirmaient qu’il existe des entités mathématiques, mais qu’elles existent dans les réalités sensibles, là [215] où il dit : ¨ Mais il y en a certains qui affirment etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente des arguments à l’encontre de la première opinion [211]. En deuxième lieu il argumente en sa faveur, là [214] où il dit : ¨ Mais d’un autre côté ni des choses sensibles etc.¨.

   Il argumente à l’encontre de la première position au moyen de trois voies, dont voici la première [211], à savoir que tout comme une partie de la science mathématique porte sur la ligne, de même il y a d’autres parties de la science mathématique qui portent sur d’autres sujets. Si donc il existe des lignes en dehors des lignes sensibles et dont traite le géomètre, pour la même raison dans tous les autres genres dont traite les autres parties de la science mathématique il existera d’autres intermédiaires en dehors des réalités sensibles. Mais il montre dans deux sciences mathématiques que le fait d’affirmer cela pose des difficultés.

411. Et il le fait en premier lieu pour la science de l’astronomie qui est une des sciences mathématiques dont le sujet est le ciel et les corps célestes. Il s’ensuit donc d’après l’opinion précédente qu’il doit y avoir un autre ciel en dehors du ciel sensible, et de même un autre soleil et une autre lune, et de même d’autres corps célestes en dehors de ceux qu’on observe. Mais on ne peut croire en de telles assertions car cet autre ciel est soit mobile soit immobile. S’il est immobile, cela paraîtra irrationnel puisque nous voyons qu’il est naturel au ciel de se mouvoir constamment. Et c’est pourquoi tout ce que considère l’astronome se rapporte au mouvement du ciel. Mais d’un autre côté, dire qu’il existe un ciel séparé et qu’il est mobile c’est formuler une impossibilité du fait que rien de ce qui est séparé de la matière ne peut être mobile.

412. Ensuite il manifeste la même problématique dans d’autres sciences mathématiques, à savoir dans la perspective, qui considère la ligne visible, et ¨ dans l’harmonie ¨, c’est-à-dire dans la musique qui considère les proportions entre les sons qu’on peut entendre. Mais il est impossible que ces êtres soient des intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles car si ces qualités sensibles sont des intermédiaires, à savoir ces sons et ces qualités visibles, il existera aussi des sensations intermédiaires correspondantes. Et puisque la sensation n’existe que dans la nature animale, il s’ensuit qu’il existera des animaux intermédiaires entre l’Idée d’animal et les animaux corruptibles, ce qui est tout à fait absurde.

413. Ensuite lorsqu’il dit [212] : ¨ Mais on se demandera encore ¨.

   La deuxième voie est la suivante. Si dans ces genres de sujets sur lesquels portent les sciences mathématiques on retrouve trois ordres de réalités, à savoir les réalités sensibles, les Idées, et les intermédiaires, puisque pour toutes les Idées et toutes les réalités sensibles qui leur correspondent il semble y avoir une notion semblable, il semble s’ensuivre aussi qu’entre toutes les réalités sensibles et les Idées qui leur correspondent il y ait des intermédiaires : et à partir de là il reste à savoir à quel genre ou à quel ordre de réalités s’appliquent les sciences mathématiques. Si en effet la science mathématique, par exemple la géométrie, diffère de l’arpentage qui porte sur les mesures sensibles, uniquement en ceci que l’arpentage porte sur les mesures sensibles alors que la géométrie porte sur les mesures intermédiaires qui ne sont pas sensibles, pour la même raison à côté de toutes les autres sciences qui se rapportent aux réalités sensibles il y aura d’après l’opinion précédente certaines sciences mathématiques qui porteront sur les intermédiaires : par exemple, s’il y a une science de la médecine qui se rapporte aux corps sensibles, il y aura une autre science de la médecine indépendamment de la première et en dehors de toute autre science de même sorte, qui sera intermédiaire entre la médecine qui se rapporte aux réalités sensibles et la médecine qui se rapporte aux Idées. Mais cela est impossible car puisque la médecine se rapporte à ce qui est ¨ sain ¨, c’est-à-dire à ce qui produit la santé, il s’ensuit que, s’il existe une médecine intermédiaire, il existera aussi des choses saines intermédiaires en dehors des choses saines sensibles et du sain en soi, c’est-à-dire le sain par soi qui est l’Idée séparée de la santé. Et cela est manifestement faux. Il s’ensuit donc que ces sciences mathématiques ne se rapportent pas à des entités mathématiques qui seraient intermédiaires entre les réalités sensibles et les Idées séparées.

414. Ensuite lorsqu’il dit [213] : ¨ Mais de même ¨.

   Il présente la troisième voie par laquelle est détruit un élément contenu dans la position précédente, à savoir qu’il y aurait une science qui porterait sur les grandeurs sensibles; et ainsi, s’il se trouvait une autre science qui se rapporte aux grandeurs, il s’ensuivrait de là qu’il existerait des grandeurs intermédiaires. C’est pourquoi le Philosophe dit qu’il n’est pas vrai de dire que l’arpentage est une science qui se rapporte aux grandeurs sensibles car les grandeurs sensibles sont corruptibles. Il s’ensuivrait donc que l’arpentage porterait sur des grandeurs corruptibles. Mais il semble qu’une fois détruites les choses sur lesquelles elle porte, la science qui les considère serait elle-même détruite. En effet, Socrate n’étant plus assis, aussitôt ne sera plus vraie l’opinion par laquelle on croyait qu’il était assis. Il s’ensuivrait donc que l’arpentage ou ¨la science des lieux¨ comme d’autres livres la nomment disparaîtrait une fois disparues les grandeurs sensibles. Mais cela est contraire à la nature de la science dont l’objet est le nécessaire et l’incorruptible.

415. Mais cet argument pourrait conduire à une conclusion opposée, comme de dire qu’au moyen de cet argument Aristote cherche à montrer qu’aucune science ne porte sur les réalités sensibles et qu’il faudrait alors que toutes les sciences se rapportent soit aux réalités intermédiaires, soit aux Idées séparées.

416. Ensuite lorsqu’il dit [214] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la position précédente de la manière suivante. Il est dans la nature même de la science d’avoir pour fin la vérité, ce qui ne pourrait être si elle ne portait pas sur les choses telles qu’elles sont. Il faut donc que les choses sur lesquelles les sciences portent, soient telles qu’elles sont enseignées dans les sciences. Mais les lignes sensibles ne sont pas telles que le dit le géomètre. Et il le manifeste au moyen de ceci que la géométrie prouve que le cercle ne touche ¨ une droite ¨, c’est-à-dire une ligne droite, qu’en un seul point, ainsi qu’on le voit au troisième livre d’Euclide. Mais cela n’est pas ce qu’on observe comme étant vrai dans le cercle et les lignes sensibles. Et Protagoras se servit de cette raison pour détruire la certitude de la science face aux géomètres. – De la même manière encore les mouvements et les révolutions célestes ne sont pas tels que l’astronome les décrit. La nature semble en effet répugner à ce que les mouvements des corps célestes soient établis au moyen des excentriques, des épicycles et des autres sortes de mouvements décrits dans le ciel par les astronomes. – De même encore les quantités des corps célestes ne pas non plus telles que décrites par les astronomes. Ils considèrent en effet les astres comme s’ils étaient des points alors qu’ils sont des corps ayant des dimensions. D’où il apparaît que ni la géométrie ne porte sur les grandeurs sensibles ni l’astronomie sur le ciel sensible. Il reste donc que ces sciences portent sur des entités intermédiaires.

417. Ensuite lorsqu’il dit [215] : ¨ Il y a cependant ¨.

   Il argumente à l’encontre de l’autre position.

   Et en premier lieu il présente son propos. En deuxième lieu il amène des raisons en faveur du propos, là [216] où il dit : ¨ Il n’est pas en effet rationnel dans de tels etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [215] que certains affirment qu’il y a des natures intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles qui ne disent cependant pas qu’elles sont séparées de ces dernières  mais au contraire qu’elles sont immanentes aux réalités sensibles, ainsi qu’on le voit dans l’opinion de ceux qui affirment qu’il existe des grandeurs qui subsistent par elles-mêmes, qui pénètrent tous les corps, et que certains appellent le lieu des corps sensibles ainsi qu’on le dit et qu’on le réfute au quatrième livre des Physiques. D’où il dit que le fait de parcourir toutes les incohérences auxquelles conduit une telle opinion serait une tâche immense et qu’il suffit maintenant d’en considérer quelques-unes brièvement.

418. Ensuite lorsqu’il dit [216] : ¨ Il n’est pas en effet ¨.

   Il amène quatre raisons pour réfuter l’opinion précédente, dont voici la première. C’est pour la même raison qu’on pose en dehors des réalités sensibles les Idées et les entités mathématiques intermédiaires, car on affirme l’existence des deux en raison de l’abstraction de l’intelligence. Si donc on affirme que les entités mathématiques intermédiaires sont immanentes aux réalités sensibles, il serait cohérent d’affirmer la même chose pour les Idées, à savoir qu’elles aussi devraient être immanentes aux réalités sensibles; ce qui est pourtant contraire à l’opinion de ceux qui affirmaient l’existence des Idées : ils prétendaient en effet qu’elles étaient séparées et qu’on ne pouvait les retrouver dans le monde sensible.

419. Il présente la deuxième raison, là [217] où il dit : ¨ Mais en outre ¨, et qui se présente ainsi.

   Si les entités mathématiques intermédiaires diffèrent des réalités sensibles mais qu’elles leur sont pourtant immanentes, puisqu’un corps est une certaine réalité mathématique, il s’ensuit que le corps mathématique existera avec le corps sensible dans le même lieu : donc, il y aura ¨ deux solides ¨, c’est-à-dire deux corps qui occuperont un même lieu, ce qui est impossible non seulement pour deux corps sensibles mais aussi pour le corps sensible et le corps mathématique car les deux possèdent des dimensions par la nature desquelles deux corps sont empêchés d’occuper un même lieu simultanément.

420. Il présente ici la troisième raison, là [218] où il dit : ¨ Et qu’elles ne sont pas ¨.

   Un être étant mû, est mû aussi ce qui se trouve en lui; mais les réalités sensibles sont en mouvement; si donc les entités mathématiques existent dans les réalités sensibles, il s’ensuit qu’elles-mêmes seront en mouvement : ce qui est contraire à l’opinion des mathématiciens qui affirmaient que ces entités ne sont pas seulement séparées de la matière mais qu’elles sont immobiles.

421. Il présente la quatrième raison, là [219] où il dit : ¨ Mais en général ¨, que voici.

   On ne peut rien affirmer d’une manière rationnelle si on n’appuie pas cette affirmation sur une cause et surtout si cette affirmation entraîne de plus grandes impossibilités. Mais cette position n’est pas fondée sur une cause. En effet, ceux qui affirment que les entités mathématiques sont intermédiaires et qu’elles existent dans les réalités sensibles sont conduits aux mêmes impossibilités que ceux qui affirment qu’elles n’existent pas dans les réalités sensibles, en plus de présenter d’autres difficultés qui leur sont propres et qui sont plus considérables encore, ainsi qu’on le voit dans ce qui précède. Cette position est donc irrationnelle. – Finalement il conclut cependant que les questions qui précèdent présentent de grandes difficultés pour ce qui est de parvenir à la vérité à leur sujet.

422. Mais le Philosophe traite systématiquement de ces questions plus loin, aux livres douze, treize et quatorze de ce traité, où il montre que ni les substances mathématiques séparées ni les Idées séparées n’existent. Et la raison qui poussait ceux qui posaient l’existence des entités mathématiques et des Idées, tirée de l’abstraction de l’intelligence, est dénouée au début du treizième livre. Rien en effet n’empêche qu’une réalité qui est telle soit considérée par l’intelligence non en tant qu’elle est telle, de telle manière cependant que l’intelligence demeure dans le vrai, tout comme l’homme blanc peut être envisagé non en tant qu’il est blanc : et c’est ainsi que l’intelligence peut envisager les choses sensibles, non en tant qu’elles sont mobiles et matérielles, mais en tant qu’elles sont des substances et qu’elles possèdent des dimensions; et c’est là ce que fait l’intelligence lorsqu’elle fait abstraction de la matière et du mouvement. L’homme ne fait cependant pas abstraction conformément à son intelligence de telle manière qu’il comprendrait les grandeurs et les espèces comme existant sans la matière et le mouvement. S’il en était ainsi il s’ensuivrait en effet soit que l’intelligence qui fait abstraction est dans la fausseté, soit que ce qui est ainsi abstrait par l’intelligence a une existence séparée dans la réalité.

 

 

LECTIO 8

[81989] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 1Postquam philosophus disputavit de quaestionibus motis de substantiis, hic disputat de quaestionibus motis de principiis. Et dividitur in partes duas. In prima disputat de quaestionibus, quibus quaerebatur quae sunt principia. Secundo de quaestionibus quibus quaerebatur qualia sint principia, et hoc ibi, adhuc autem utrum substantia. Circa primum disputat de duabus quaestionibus. Primo utrum universalia sint principia. Secundo utrum sint aliqua principia a materia separata, ibi, est autem habita de his disputatio et cetera. Circa primum disputat duas quaestiones: quarum prima est, utrum genera sint principia; secunda, quae genera, utrum scilicet prima genera, vel alia, ibi, ad hoc autem si maxime principia sunt genera et cetera. Circa primum duo facit. Primo movet quaestionem. Secundo disputat. Secunda ibi, ut vocis elementa et cetera. Est ergo quaestio prima de principiis, utrum oportet recipere vel opinari quod ipsa genera, quae de pluribus praedicantur, sint elementa et principia rerum, vel magis sint dicenda principia et elementa ea, ex quibus unumquodque est, sicut ex partibus. Sed addit duas conditiones: quarum una est cum insint, quod ponitur ad differentiam contrarii et privationis. Dicitur enim album fieri ex nigro, vel non albo, quae tamen non insunt albo. Unde non sunt eius elementa. Alia conditio est qua dicit primis, quod ponitur ad differentiam secundorum componentium. Sunt enim corpora animalium ex carnibus et nervis quae insunt animali non tamen dicuntur animalis elementa, quia non sunt haec prima ex quibus animal componitur, sed magis ignis, aer, aqua et terra, ex quibus etiam existunt carnes et nervi.

[81990] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 2Deinde cum dicit ut vocis disputat ad hanc quaestionem: et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quod ea, ex quibus primis aliquid componitur, sint principia et elementa. Secundo obiicit ad partem contrariam, ibi, inquantum autem cognoscimus unumquodque et cetera. Tertio excludit quamdam responsionem qua posset dici, quod utraque sunt principia et elementa, ibi, at vero nec utrobique et cetera. Circa primum primo ponit tres rationes: quarum prima procedit ex naturalibus, in quibus manifestat propositum secundum duo exempla: quorum primum est de voce dearticulata, cuius principium et elementum non dicitur esse commune, quod est vox, sed magis illa, ex quibus primis componuntur omnes voces, quae dicuntur literae. Secundum exemplum ponit in diagrammatibus idest in demonstrativis descriptionibus figurarum geometricarum. Dicuntur enim horum diagrammatum esse elementa non hoc commune quod est diagramma, sed magis illa theoremata, quorum demonstrationes insunt demonstrationibus aliorum theorematum geometralium, aut omnium, aut plurimorum; quia scilicet aliae demonstrationes procedunt ex suppositione primarum demonstrationum. Unde et liber Euclidis dicitur liber elementorum, quia scilicet in eo demonstrantur prima geometriae theoremata, ex quibus aliae demonstrationes procedunt.

[81991] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 3Secundam rationem ponit ibi amplius autem quae procedit in rebus naturalibus. Et dicit quod illi, qui ponunt elementa corporum vel plura vel unum, illa dicunt esse principia et elementa corporum, ex quibus componuntur et constant tamquam in eis existentibus. Sicut Empedocles dicit, elementa corporum naturalium esse ignem et aquam, et alia huiusmodi, quae simul cum his elementa rerum dicit, ex quibus primis cum insint corpora naturalia constituuntur. Ponebant autem praeter haec duo, alia quatuor principia, scilicet aerem et terram, litem et amicitiam, ut in primo dictum est. Non autem dicebat, nec Empedocles nec alii naturales philosophi, quod genera rerum essent earum principia et elementa.

[81992] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 4Tertiam rationem ponit ibi adhuc autem quae procedit in artificialibus: et dicit quod siquis velit speculari naturam, idest definitionem indicantem essentiam aliorum corporum a corporibus naturalibus, scilicet artificialium, puta si vult cognoscere lectum, oportet considerare ex quibus partibus componitur et modum compositionis earum, et sic cognoscet naturam lecti. Et post hoc concludit quod genera non sunt principia entium.

[81993] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 5Deinde cum dicit quod si cognoscimus obiicit ad partem contrariam: et ponit tres rationes, quarum prima talis est. Unumquodque cognoscitur per suam definitionem. Si igitur idem est principium essendi et cognoscendi, videtur, quod id quod est principium definitionis sit principium rei definitae. Sed genera sunt principia definitionum, quia ex eis primo definitiones constituuntur: ergo genera sunt principia rerum quae definiuntur.

[81994] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 6Secundam rationem ponit ibi et si est quae talis est. Per hoc accipitur scientia de unaquaque re, quod scitur species eius secundum quam res est: non enim potest cognosci Socrates nisi per hoc quod scitur quod est homo. Sed genera sunt principia specierum, quia species constituuntur ex genere et differentia: ergo genera sunt principia eorum quae sunt.

[81995] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 7Tertiam rationem ponit ibi videntur autem et sumitur ex auctoritate Platonicorum, qui posuerunt unum et ens esse principia, et magnum et parvum, quibus utuntur ut generibus: ergo genera sunt principia.

[81996] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 8Deinde cum dicit sed non possibile excludit quamdam responsionem, qua posset dici quod utraque sunt principia; dicens quod non est possibile dicere utrobique esse principia, ut elementa, id est partes ex quibus componitur aliquid, et genera. Et hoc probat tali ratione. Unius rei una est ratio definitiva manifestans eius substantiam, sicut et una est substantia uniuscuiusque: sed non est eadem ratio definitiva quae datur per genera et quae datur per partes ex quibus aliquid componitur: ergo non potest esse utraque definitio indicans substantiam rei. Ex principiis autem rei potest sumi ratio definitiva significans substantiam eius. Impossibile est ergo quod principia rerum sint simul genera, et ea ex quibus res componuntur.

[81997] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 9Deinde cum dicit adhuc autem disputat secundam quaestionem. Et primo movet eam. Secundo ad eam rationes inducit ibi, nam siquidem universalia et cetera. Dicit ergo quod si ponamus quod genera sint maxime principia, quae oportet existimare magis esse principia? Utrum prima de numero generum, scilicet communissima, aut etiam infima, quae proxima praedicantur de individuis, scilicet species specialissimas. Hoc enim habet dubitationem, sicut ex sequentibus patet.

[81998] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 10Deinde cum dicit nam siquidem obiicit ad propositam quaestionem: et circa hoc tria facit. Primo enim inducit rationes ad ostendendum quod prima genera non possunt esse principia. Secundo inducit rationes ad ostendendum, quod species ultimae magis debent dici principia, ibi, at vero et si magis. Tertio obiicit ad propositum, ibi, iterum autem et cetera. Circa primum ponit tres rationes: quarum prima talis est. Si genera sunt magis principia quanto sunt universalia oportet quod illa quae sunt maxime universalia, quae scilicet dicuntur de omnibus, sint prima inter genera et maxime principia. Tot ergo erunt rerum principia, quod sunt huiusmodi genera communissima. Sed communissima omnium sunt unum et ens, quae de omnibus praedicantur: ergo unum et ens erunt principia et substantiae omnium rerum. Sed hoc est impossibile; quia non possunt omnium rerum esse genus, unum et ens: quia, cum ens et unum universalissima sint, si unum et ens essent principia generum, sequeretur quod principia non essent genera. Sic ergo positio, qua ponitur communissima generum esse principia, est impossibilis, quia sequitur ex ea oppositum positi, scilicet quod principia non sunt genera.

[81999] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 11Quod autem ens et unum non possint esse genera, probat tali ratione. Quia cum differentia addita generi constituat speciem, de differentia praedicari non poterit nec species sine genere, nec genus sine speciebus. Quod autem species de differentia praedicari non possit, patet ex duobus. Primo quidem, quia differentia in plus est quam species, ut Porphyrius tradit. Secundo, quia cum differentia ponatur in definitione speciei, non posset species praedicari per se de differentia, nisi intelligeretur quod differentia esset subiectum speciei, sicut numerus est subiectum paris, in cuius definitione ponitur. Hoc autem non sic se habet; sed magis differentia est quaedam forma speciei. Non ergo posset species praedicari de differentia, nisi forte per accidens. Similiter etiam nec genus per se sumptum, potest praedicari de differentia praedicatione per se. Non enim genus ponitur in definitione differentiae, quia differentia non participat genus, ut dicitur in quarto topicorum. Nec etiam differentia ponitur in definitione generis: ergo nullo modo per se genus praedicatur de differentia. Praedicatur tamen de eo quod habet differentiam, idest de specie, quae habet differentiam in actu. Et ideo dicit, quod de propriis differentiis generis non praedicatur species, nec genus sine speciebus, quia scilicet genus praedicatur de differentiis secundum quod sunt in speciebus. Nulla autem differentia potest accipi de qua non praedicetur ens et unum, quia quaelibet differentia cuiuslibet generis est ens et est una, alioquin non posset constituere unam aliquam speciem entis. Ergo impossibile est quod unum et ens sint genera.

[82000] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 12Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ponit, quae talis est. Si genera dicuntur principia quia sunt communia et praedicantur de pluribus, oportebit quod omnia quae pari ratione erunt principia, quia sunt communia, et praedicata de pluribus, sint genera. Sed omnia quae sunt media inter prima genera et individua, quae scilicet sunt coaccepta cum differentiis aliquibus, sunt communia praedicata de pluribus: ergo sunt principia et sunt genera: quod patet esse falsum. Quaedam enim eorum sunt genera, sicut species subalternae; quaedam vero non sunt genera, sicut species specialissimae. Non ergo verum est, quod prima genera sive communia sint principia prima.

[82001] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 13Praeterea. Si prima genera sunt principia, quia sunt principia cognitionis specierum, multo magis differentiae sunt principia, quia differentiae sunt principia formalia specierum. Forma autem et actus est maxime principium cognoscendi. Sed differentias esse principia rerum est inconveniens, quia secundum hoc erunt quasi infinita principia. Sunt enim, ut ita dicatur, infinitae rerum differentiae; non quidem infinitae secundum rerum naturam, sed quoad nos. Et quod sint infinitae, patet dupliciter. Uno modo siquis consideret multitudinem ipsam differentiarum secundum se. Alio modo siquis accipiat primum genus quasi primum principium. Manifestum enim est quod sub eo continentur innumerabiles differentiae. Non ergo prima genera sunt principia.

[82002] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 14Deinde cum dicit at vero ostendit, quod species specialissimae sunt magis principia quam genera; et ponit tres rationes, quarum prima talis est. Unum secundum Platonicos maxime videtur habere speciem, idest rationem principii. Unum vero habet rationem indivisibilitatis, quia unum nihil est aliud quam ens indivisum. Dupliciter est autem aliquid indivisibile: scilicet secundum quantitatem, et secundum speciem. Secundum quantitatem, quidem, sicut punctus et unitas: et hoc indivisibile opponitur divisioni quantitatis. Secundum speciem autem, sicut quod non dividitur in multas species. Sed inter haec duo indivisibilia prius et principalius est quod est indivisibile secundum speciem, sicut et species rei est prior quam quantitas eius; ergo illud quod est indivisibile secundum speciem, est magis principium eo quod est indivisibile secundum quantitatem. Et quidem secundum quantitatis numeralis divisionem videtur esse magis indivisibile genus, quia multarum specierum est unum genus: sed secundum divisionem speciei magis est indivisibilis una species. Et sic ultimum praedicatum de pluribus quod non est genus plurium specierum, scilicet species specialissima, est magis unum secundum speciem quam genus. Sicut homo et quaelibet alia species specialissima, non est genus aliquorum hominum. Est ergo magis principium species quam genus.

[82003] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 15Deinde cum dicit amplius in quibus secundam rationem ponit, quae procedit ex quadam positione Platonis; qui quando aliquid unum de pluribus praedicatur, non secundum prius et posterius, posuit illud unum separatum, sicut hominem praeter omnes homines. Quando vero aliquid praedicatur de pluribus secundum prius et posterius, non ponebat illud separatum. Et hoc est quod dicit quod in quibus prius et posterius est, scilicet quando unum eorum de quibus aliquod commune praedicatur est altero prius, non est possibile in his aliquid esse separatum, praeter haec multa de quibus praedicatur. Sicut si numeri se habent secundum ordinem, ita quod dualitas est prima species numerorum, non invenitur idea numeri praeter omnes species numerorum. Eadem ratione non invenitur figura separata, praeter omnes species figurarum.

[82004] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 16Et huius ratio esse potest, quia ideo aliquod commune ponitur separatum, ut sit quoddam primum quod omnia alia participent. Si igitur unum de multis sit primum, quod omnia alia participent, non oportet ponere aliquod separatum, quod omnia participant. Sed talia videntur omnia genera; quia omnes species generum inveniuntur differre secundum perfectius et minus perfectum. Et, per consequens, secundum prius et posterius secundum naturam. Si igitur eorum quorum unum est prius altero, non est accipere aliquod commune separatum, si genus praeter species inveniatur, erunt schola aliorum, idest erit eorum alia doctrina et regula, et non salvabitur in eis praedicta regula. Sed manifestum est quod inter individua unius speciei, non est unum primum et aliud posterius secundum naturam, sed solum tempore. Et ita species secundum scholam Platonis est aliquid separatum. Cum igitur communia sint principia inquantum sunt separata, sequitur quod sit magis principium species quam genus.

[82005] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 17Deinde cum dicit amplius autem tertiam rationem ponit quae sumitur ex meliori et peiori: quia in quibuscumque invenitur unum alio melius, semper illud quod est melius, est prius secundum naturam. Sed horum quae sic se habent non potest poni unum genus commune separatum: ergo eorum quorum unum est melius et aliud peius non potest poni unum genus separatum. Et sic redit in idem quod prius. Haec enim ratio inducitur quasi confirmatio praecedentis, ad ostendendum, quod in speciebus cuiuslibet generis invenitur prius et posterius.

[82006] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 18Et ex tribus his rationibus concludit propositum; scilicet quod species specialissimae quae immediate de individuis praedicantur, magis videntur esse principia quam genera. Ponitur enim genitivus generum loco ablativi more Graecorum. Unde litera Boetii planior est, quae expresse concludit huiusmodi praedicata magis esse principia quam genera.

[82007] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 19Deinde cum dicit iterum autem obiicit in contrarium tali ratione. Principium et causa est praeter res quarum est principium et causa, et possibile est ab eis esse separatum. Et hoc ideo quia nihil est causa sui ipsius. Et loquitur hic de principiis et causis extrinsecis, quae sunt causae totius rei. Sed aliquid esse praeter singularia non ponitur, nisi quia est commune et universaliter de omnibus praedicatum: ergo quanto aliquid est magis universale, tanto magis est separatum, et magis debet poni principium. Sed genera prima sunt maxime universalia: ergo genera prima sunt maxime principia.

[82008] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 8 n. 20Harum autem quaestionum solutio innuitur ex hac ultima ratione. Secundum hoc enim genera vel species universalia principia ponebantur, inquantum ponebantur separata. Quod autem non sint separata et per se subsistentia ostendetur in septimo huius. Unde et Commentator in octavo ostendet quod principia rerum sunt materia et forma, ad quorum similitudinem se habent genus et species. Nam genus sumitur a materia, differentia vero a forma, ut in eodem libro manifestabitur. Unde, cum forma sit magis principium quam materia, secundum hoc etiam erunt species magis principia quam genera. Quod vero contra obiicitur ex hoc quod genera sunt principia cognoscendi speciem et definitiones ipsius, eodem modo solvitur sicut et de separatione. Quia enim separatim accipitur a ratione genus sine speciebus, est principium in cognoscendo. Et eodem modo esset principium in essendo, si haberet esse separatum.

LEÇON 8.

(nn. 423-442; [220-234]).

 

Il argumente pour savoir si les genres sont des principes, et si ce sont ceux qui sont les plus universels ou ceux qui sont les plus prochains par rapport aux individus.

 

423. Après avoir discuté des questions soulevées au sujet des substances, le Philosophe discute ici des questions soulevées au sujet des principes.

   Et il divise cette considération en deux parties. Dans la première il discute de questions dans lesquelles il se cherchait à découvrir quels sont les principes [220]. Dans la deuxième il discute de questions dans lesquelles il se demandait quelle est la nature de ces principes, là [245] où il dit : ¨ Mais de plus est-ce que la substance etc.¨.

   Au sujet du premier point il discute de deux questions. En premier lieu pour savoir si les universels sont des principes [220]. En deuxième lieu pour savoir s’il existe des principes séparés de la matière, là [235] où il dit : ¨ Mais cette question a été discutée etc.¨.*

   Au sujet du premier point il discute de deux questions dont la première est de savoir si les genres sont des principes [220]; la deuxième est de savoir, si c’est le cas, quels genres le sont, c’est-à-dire est-ce que ce sont les genres premiers qui sont les principes ou bien d’autres genres, là [228] où il dit : ¨ Mais pour cela est-ce que ce sont surtout les genres qui sont les principes etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il soulève la question [220]. En deuxième lieu il la discute, là [221] où il dit : ¨ Comme les éléments des mots etc.¨.

   La première question au sujet des principes [220] est donc de savoir si on doit penser que ce sont les genres eux-mêmes, lesquels sont attribués à une multitude, qui sont les éléments et les principes des choses ou si on ne doit pas plutôt appeler principe et élément ce à partir de quoi les choses existent comme à partir de leurs parties constitutives. – Et il ajoute deux conditions dont la première est ¨ puisqu’elles font partie ¨, ce qu’il affirme à la différence du contraire et de la privation. On dit en effet que le blanc vient du noir ou du non-blanc, lesquels ne font cependant pas partie du blanc et n’en sont donc pas des éléments. La deuxième condition est celle qu’il exprime en disant ¨ premières ¨, ce qu’il ajoute pour les distinguer des composantes secondaires. En effet, les corps des animaux sont composés de chair et de nerfs qui font partie de l’animal sans être appelés pour autant éléments de l’animal parce qu’ils ne sont pas les parties premières à partir desquelles l’animal est composé, mais ce sont plutôt le feu, l’air, l’eau et la terre qui le sont et à partir desquels même la chair et les nerfs existent.

424. Ensuite lorsqu’il dit [221] : ¨ Comme les éléments du mot ¨.

   Il discute cette question : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il montre que c’est ce à partir de quoi une chose est composée en premier qui tient lieu de principe et d’élément pour cette chose [221]. En deuxième lieu il argumente en faveur de la position adverse, là [224] où il dit : ¨ Mais dans la mesure où nous connaissons une chose etc.¨. En troisième lieu il écarte une réponse par laquelle on pourrait dire que les deux sont des principes et des éléments, là [227] où il dit : ¨ Et d’un autre côté ni l’un ni l’autre etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente d’abord trois raisons dont la première procède des choses naturelles dans lesquelles il manifeste son propos au moyen de deux exemples dont le premier porte sur les sons de voix articulés dont on ne dit pas communément que le principe et l’élément s’identifie au mot lui-même, mais plutôt à ces parties premières à partir desquelles tous les mots sont composés et qu’on appelle lettres. Il présente le deuxième exemple dans le domaine des figures, c’est-à-dire dans les descriptions démonstratives des figures géométriques. En général en effet on ne dit pas que les éléments de ces figures sont ce qui constitue la figure elle-même, mais que ces éléments sont plutôt ces théorèmes dont les démonstrations sont impliquées dans les démonstrations des autres théorèmes géométriques, soit toujours soit dans la plupart des cas car ces autres démonstrations procèdent des premières en les prenant pour acquises. Et c’est pourquoi on appelle le livre d’Euclide le livre des éléments parce que c’est dans ce livre qu’il démontre les premiers théorèmes géométriques d’où procèdent toutes les autres démonstrations.

425. Il présente la deuxième raison là [222] où il dit : ¨ Mais en outre ¨, laquelle procède des choses naturelles. Et il dit que ceux qui admettent plusieurs éléments des choses, comme ceux qui n’en reconnaissent qu’un seul, disent tous que les principes et les éléments des corps sont les parties à partir desquelles ces corps sont constitués et composés. C’est ainsi qu’Empédocle dit que les éléments des corps naturels sont le feu et l’eau et d’autres éléments du même genre qu’il appelle aussi éléments des choses tout comme les précédents puisque c’est à partir de ces parties premières et immanentes que sont constitués les corps naturels. En dehors de ces deux premiers éléments, ils affirmaient l’existence de quatre autres principes, à savoir l’air et la terre, ainsi que la haine et l’amitié, ainsi qu’on l’a dit au premier livre. Cependant Empédocle, pas plus que les autres philosophes naturalistes, n’affirma jamais que ce sont les genres des choses qui sont leurs éléments et leurs principes.

426. Il présente la troisième raison [223] là où il dit : ¨ Mais en outre ¨, qui procède des choses artificielles. Et il dit que si quelqu’un veut ¨ examiner la nature ¨, c’est-à-dire la définition signifiant l’essence des corps autres que naturels, à savoir des choses artificielles, par exemple si on veut connaître la nature du lit, il faut considérer les parties à partir desquelles elles sont composées ainsi que leur mode de composition. Et c’est ainsi que sera connue la nature du lit. Et suite à cela il conclut que les genres ne sont pas des principes.

427. Ensuite lorsqu’il dit [224] : ¨ Que si nous connaissons  ¨.

   Il argumente en faveur de la partie adverse : et il présente trois arguments, dont voici le premier. Toute chose est connue au moyen de sa définition. Si donc le principe de l’existence est identique au principe de la connaissance, il apparaît que ce qui est principe de définition est aussi principe de la chose définie. Mais les genres sont les principes des définitions car c’est à partir d’eux que les définitions sont d’abord constituées : les genres sont donc les principes des choses qui sont définies.

428. Il présente ici le deuxième argument là 225] où il dit : ¨ Et s’il est vrai que ¨, que voici.

   La science de toute chose est acquise au moyen de la connaissance de l’espèce selon laquelle cette chose existe : en effet, Socrate ne peut être connu que par le fait qu’on sait de lui qu’il est homme. Mais les genres sont les principes des espèces puisque les espèces sont constituées des genres et des différences : les genres sont donc les principes des choses qui existent.

429. Il présente le troisième argument là [226] où il dit : ¨ Mais ils semblent ¨.

   Et cet argument est tiré de l’autorité des Platoniciens qui affirmaient que l’un et l’être ainsi que le grand et le petit sont des principes dont ils se servaient comme de genres : donc les genres sont des principes.

430. Ensuite lorsqu’il dit [227] : ¨ Mais il n’est pas possible ¨.

   Il écarte une réponse par laquelle on pourrait affirmer que les deux sont des principes; c’est pourquoi il dit qu’il n’est pas possible de dire que les deux sont des ¨ principes ¨, à savoir à la fois les éléments, c’est-à-dire les parties à partir desquelles une chose est composée, et les genres. Et il le prouve au moyen de l’argument qui suit. Il n’existe pour une chose qu’une seule définition manifestant son essence tout comme il n’existe pour cette chose qu’une seule essence. Mais la définition qui est donnée par les genres n’est pas  la même que celle qui est donnée par les éléments, c’est-à-dire par les parties à partir desquelles une chose est composée. Il n’est donc pas possible que les deux définitions se trouvent à signifier l’essence de la chose. Mais c’est à partir des principes de la chose qu’on peut tirer la définition signifiant son essence. Il est donc impossible que les principes soient simultanément les genres et les parties à partir desquelles les choses sont composées.

431. Ensuite lorsqu’il dit [228] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il discute de la deuxième question.

   Et en premier lieu il soulève la question. En deuxième lieu il présente des arguments qui s’y rapportent, là [229] où il dit : ¨ Car si les universels etc.¨.

   Il dit donc que si nous affirmions que les genres sont le plus véritablement des principes, lesquels devrait-on estimer être davantage des principes? Est-ce que ce sont les premiers parmi ¨les genres¨, c’est-à-dire les genres les plus universels ou bien les derniers qui sont attribués le plus immédiatement aux individus, à savoir les espèces les plus particulières, qui sont les principes? Cela en effet pose un problème ainsi qu’on le voit par la suite.

432. Ensuite lorsqu’il dit [229] : ¨ Car si ¨.

   Il argumente à l’égard de la question présentée et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il apporte des arguments pour montrer que les genres premiers ne peuvent être des principes [229]. En deuxième lieu il apporte des arguments pour montrer que ce sont les espèces dernières ou plus particulières qu’on doit davantage appeler principes, là [231] où il dit : ¨ Et d’un autre côté si c’est davantage ¨. En troisième lieu il argumente en faveur du propos, là [234] où il dit : ¨ Mais par ailleurs etc. ¨.

   Au sujet du premier point [229] il présente trois arguments, dont voici le premier. Si les genres sont d’autant plus principes qu’ils sont universels, il faut que ce soient ceux qui sont les plus universels, à savoir ceux qui sont attribués à la totalité des êtres, qui soient les genres premiers et le plus véritablement des principes. Il y aura donc autant de principes des choses qu’il existera de tels genres communs ou universels. Mais les notions les plus communes de toutes sont l’un et l’être qui sont attribués à la totalité des êtres : l’un et l’être sont donc les principes et les substances de toutes les choses. Mais cela est impossible car l’un et l’être ne peuvent être le genre de toutes les choses; en effet, puisque l’un et l’être sont ce qu’il y a de plus universel, s’ils étaient les principes des genres, il s’ensuivrait que les genres ne seraient pas les principes. Ainsi donc cette position, par laquelle on affirme que les genres les plus communs sont les principes, est impossible à soutenir car elle conduit à une conclusion, à savoir que les principes ne sont pas les genres, qui contredit la position elle-même.

433. Mais il prouve au moyen de l’argument suivant que l’un et l’être ne peuvent être des genres. Car puisque la différence ajoutée au genre constitue l’espèce, on ne pourra attribuer à la différence ni les espèces sans le genre, ni le genre sans les espèces. Mais que l’espèce ne puisse être attribuée à la différence, on peut le voir à partir de deux points. En premier lieu certes en ceci que la différence est plus universelle que l’espèce ainsi que l’enseigne Porphyre. – En deuxième lieu en cela que puisque la différence est placée dans la définition de l’espèce, l’espèce ne pourrait s’attribuer d’elle-même à la différence à moins de voir la différence comme le sujet de l’espèce tout comme le nombre est le sujet du nombre pair dans la définition duquel il est posé. Mais il n’en est pas ainsi car c’est plutôt la différence qui est la forme de l’espèce. Donc l’espèce ne peut être attribuée à la différence à moins que ce soit par accident. De même encore le genre entendu en tant que tel ne peut être attribué à la différence par une attribution essentielle. Le genre en effet n’est pas placé dans la définition de la différence car cette dernière ne participe pas du genre ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Topiques. Et la différence non plus n’est pas placée dans la définition du genre : il n’y a donc aucune manière pour le genre de s’attribuer par soi à la différence. Mais il s’attribue cependant à ce qui ¨possède une différence¨, c’est-à-dire à l’espèce qui possède une différence en acte. C’est pourquoi il dit que ni l’espèce ni le genre sans les espèces ne s’attribue aux différences propres du genre car le genre ne s’attribue aux différences que pour autant qu’elles soient contenues dans les espèces. Mais on ne peut trouver aucune différence ne pouvant recevoir l’attribution de l’être et de l’un car toute différence se rapportant à un genre donné est de l’être et est une, autrement elle ne pourrait constituer une espèce particulière d’être. Il est donc impossible que l’un et l’être soient des genres.

434. Ensuite lorsqu’il dit [230] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le deuxième argument que voici. Si les genres sont appelés principes parce qu’ils sont universels et qu’ils s’attribuent à une multitude, pour la même raison il faudra que tout ce qui sera principe, du fait de son universalité et de son s’attribution à une multitude, soit un genre. Mais tout ce qui est intermédiaire entre les genres premiers et les individus et qui est reçu avec certaines différences est un universel qui est attribué à une multitude : il s’agit donc là de principes et de genres. Mais cela est évidemment faux car bien que certains d’entre eux soient des genres, comme les espèces subalternes, d’autres, comme les espèces les plus particulières, ne le sont pas. Il n’est donc pas vrai que les genres premiers ou universels soient les premiers principes.

435. De plus, si les genres premiers sont des principes du fait qu’ils sont les principes de la connaissance des espèces, les différences le seront encore bien davantage du fait qu’elles sont les principes formels des espèces. Mais c’est la forme et l’acte qui sont le plus véritablement principes de connaissance. Mais il ne convient pas que les différences soient les principes des choses car il en découlerait que les principes seraient pratiquement infinis. Il y a en effet, ainsi qu’on le dit, une infinité de différences dans les choses : elles ne sont pas certes infinies par rapport à la nature même des choses, mais par rapport à nous. Et on peut voir de deux manières qu’elles sont infinies. Premièrement en considérant la multitude même des différences elles-mêmes. Deuxièmement en entendant le genre premier comme un premier principe. Il est évident en effet que sous lui sont contenues des différences innombrables. Les genres premiers ne sont donc pas des principes.

436. Ensuite lorsqu’il dit [231] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il montre que les espèces les plus particulières sont davantage des principes que les genres; et il présente trois arguments, dont voici le premier. D’après les Platoniciens, l’un semble au plus haut point présenter ¨ le caractère ¨, c’est-à-dire la raison de principe. D’un autre côté l’un a raison d’indivisibilité car l’un n’est rien d’autre que l’être indivisé. Mais quelque chose est indivisible de deux manières, à savoir selon la quantité et selon l’espèce. Selon la quantité certes comme le sont le point et l’unité et cet indivisible s’oppose à la division de la quantité. Mais est indivisible selon l’espèce ce qui ne peut être divisé en plusieurs espèces. Mais parmi ces deux formes d’indivisibilité, celle qui est antérieure et première est l’indivisible selon l’espèce, tout comme l’espèce d’une chose est antérieure à sa quantité; donc, ce qui est indivisible selon l’espèce est davantage principe que ce qui est indivisible selon la quantité. Et le genre apparaît être davantage indivisible selon la division de la quantité numérique parce qu’il n’y a qu’un seul genre pour de nombreuses espèces. Mais une même espèce est davantage indivisible selon la division de l’espèce. Et ainsi ce qui s’attribue ultimement à plusieurs et qui n’est pas un genre de plusieurs espèces, à savoir l’espèce la plus particulière, est davantage un selon l’espèce que ne l’est le genre, tout comme l’homme ou toute autre espèce particulière n’est pas le genre des hommes individuels. L’espèce est donc davantage principe que le genre.

437. Ensuite lorsqu’il dit [232] : ¨ En outre dans celles qui ¨.

   Il présente le deuxième argument qui procède d’une position de Platon qui affirma que, lorsque quelque chose d’un est attribué à plusieurs mais non pas selon l’avant et l’après, cette chose est séparée, tout comme l’homme en soi est séparé de tous les hommes individuels; et d’un autre côté il n’affirma pas que, quand quelque chose est attribué à plusieurs selon l’avant et l’après, ce prédicat était séparé. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que ¨ pour les choses dans lesquelles il y a de l’avant et de l’après ¨, c’est-à-dire quand l’une des choses, auxquelles quelque chose de commun est attribué, est antérieure à une autre, il n’est pas possible qu’il y ait pour ces choses quelque chose de séparé et qui existe en dehors de cette multitude à laquelle se fait l’attribution. Tout comme si on retrouve un ordre entre les nombres de telle sorte que la dyade soit la première espèce des nombres, on ne retrouvera pas une Idée du nombre existant en dehors de toutes les espèces de nombres. Et pour la même raison on ne retrouvera pas une figure séparée existant en dehors de toutes les espèces de figures.

438. Et la raison de cela peut bien en être qu’on pose un principe commun et séparé pour cette raison qu’il y ait quelque chose de premier dont tous les autres êtres participent. S’il y en a donc un parmi la multitude dont tous les autres participent, il n’est pas nécessaire de poser un être séparé dont tous les autres participent. Mais tels semblent être tous les genres car on voit que toutes les espèces des genres diffèrent selon le plus parfait et le moins parfait et donc selon l’avant et l’après selon la nature. Si donc parmi les choses dont l’une est antérieure à l’autre on ne doit pas admettre un principe commun et séparé, si le genre se trouve ici à s’opposer aux espèces, il y aura ¨ une autre doctrine pour les autres ¨, c’est-à-dire qu’il y aura une autre doctrine et une autre règle pour les autres et la règle précédente ne pourra être conservée. Mais il est évident que parmi les individus d’une même espèce il n’y en a pas un qui soit premier et l’autre qui soit second selon la nature mais seulement selon le temps. Et c’est ainsi que l’espèce est un principe séparé d’après la doctrine de Platon. Donc, puisque les principes sont communs dans la mesure où ils sont séparés, il suit de là que l’espèce soit davantage principe que le genre.

439. Ensuite lorsqu’il dit [233] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici la troisième raison qui se tire du meilleur et du pire. Dans tous les domaines où on retrouve une chose meilleure qu’une autre, toujours ce qui est meilleur est antérieur selon la nature. Mais parmi les choses qui se retrouvent dans cette condition on ne peut poser un genre commun et séparé : donc parmi les choses dont l’une est meilleure et l’autre pire on ne peut poser un genre séparé. Et on en revient ainsi à ce que nous avons établi précédemment. Cet argument en effet conduit à la confirmation de l’argument précédent pour montrer que dans les espèces de tous les genres on retrouve de l’avant et de l’après.

440. Et à partir de ces quatre arguments il conclut son propos, à savoir que les espèces particulières ou dernières qui s’attribuent immédiatement aux individus semblent être davantage des principes que les genres. Genre est mis ici au génitif au lieu de l’ablatif conformément à la manière de faire des Grecs. C’est pourquoi le texte de Boèce est plus clair en concluant explicitement que de tels prédicats dont davantage des principes que les genres.

441. Ensuite lorsqu’il dit [234] : ¨ Mais de plus ¨.

   Il argumente en faveur de la partie contraire au moyen de l’argument suivant. Le principe et la cause doivent exister en dehors des choses dont ils sont le principe et la cause et il est possible qu’ils en soient séparés. Et il en est ainsi car rien n’est la cause de soi-même. Et il parle ici des principes et des causes extrinsèques qui sont les causes de toute la chose. Mais on n’affirme qu’il existe quelque chose en dehors des singuliers que parce que cela est attribué communément et universellement à tous les individus. Donc, quelque chose est d’autant plus séparé et doit d’autant plus être posé comme principe qu’il est plus universel. Mais les genres premiers sont les plus universels; par conséquent, les genres premiers sont le plus véritablement des principes.

442. Mais la solution à ces questions est indiquée par ce dernier argument. Les genres et les espèces en effet sont posés dans ce dernier argument comme des principes universels dans la mesure où ils sont posés comme étant séparés. Mais c’est au septième livre de ce traité qu’on montre qu’ils ne sont pas séparés et qu’ils ne subsistent pas par eux-mêmes. C’est pourquoi le Commentateur montrera au huitième livre que les principes des choses sont la matière et la forme auxquelles se rapportent le genre et l’espèce d’une manière analogue. Car le genre se tire de la matière et l’espèce de la forme ainsi qu’on le montrera dans le même livre. C’est pourquoi, puisque la forme est davantage principe que la matière, par conséquent aussi les espèces seront davantage principes que les genres. D’un autre côté s’il argumente à l’encontre de cette position du fait que les genres sont les principes de la connaissance de l’espèce et de sa définition, il résout cette difficulté de la même manière qu’il l’a fait pour la séparation. En effet, c’est parce que le genre est saisi séparément des espèces par la raison qu’il est principe de connaissance. Et de la même manière, le genre serait principe d’existence s’il possédait une existence séparée.

 

 

LECTIO 9

[82009] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 1Postquam philosophus disputavit quaestionem de universalibus, utrum sint principia, hic consequenter movet quaestionem de separatis, utrum scilicet aliquid sit separatum a sensibilibus, quod sit eorum principium. Et circa hoc pertractat duas quaestiones: quarum prima est, an universalia sint separata a singularibus. Secunda est, an sit aliquid formale separatum ab his quae sunt composita ex materia et forma, ibi, amplius autem si quam maxime et cetera. Circa primum tria facit. Primo describit dubitationem. Secundo obiicit ad unam partem, ibi, nam si non est et cetera. Tertio obiicit ad partem aliam, ibi, at vero et cetera. Est ergo haec dubitatio de eo quod tactum est in ultima ratione praecedentis quaestionis, utrum scilicet universale sit separatum a singularibus, sicut praemissa ratio supponebat. Et hoc est quod dicit, de qua ratio nunc existit, idest de qua immediate praecedens ratio praecessit. De hac autem dubitatione ita dicit: primo quod est habita, idest consequenter se habens ad praemissa: quia sicut iam dictum est, ex hoc dependet consideratio praecedentis quaestionis. Nam si universalia non sunt separata, non sunt principia: si autem sunt separata, sunt principia. Secundo dicit de ea, quod est difficillima omnium dubitationum huius scientiae. Quod ostenditur ex hoc quod eminentissimi philosophi de ea diversimode senserunt. Nam Platonici posuerunt universalia esse separata, aliis philosophis contra ponentibus. Tertio dicit de ea quod est maxime necessaria ad considerandum, quia scilicet ex ea dependet tota cognitio substantiarum tam sensibilium quam immaterialium.

[82010] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 2Deinde cum dicit nam si non obiicit ad ostendendum, quod universalia sint separata a singularibus. Singularia enim sunt infinita: infinita autem cognosci non possunt. Unde singularia omnia cognosci non possunt nisi inquantum reducuntur ad aliquid unum, quod est universale. Sic igitur scientia de rebus singularibus non habetur, nisi inquantum sciuntur universalia. Sed scientia non est nisi verorum et existentium: ergo universalia sunt aliqua per se existentia praeter singularia.

[82011] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 3Deinde cum dicit at vero si obiicit in contrarium hoc modo. Si necesse est universalia esse aliquid praeter singularia, oportet quod genera sint praeter singularia, vel prima generum, vel etiam ultima, quae sunt immediate ante singularia. Sed hoc est impossibile, ut ex praecedenti dubitatione patet; ergo universalia non sunt a singularibus separata. Hanc autem dubitationem solvit philosophus in septimo huius, ubi ostendit multipliciter universalia non esse substantias per se subsistentes. Nec oportet, sicut multoties dictum est, quod aliquid eumdem modum essendi habeat in rebus, per quem modum ab intellectu scientis comprehenditur. Nam intellectus immaterialiter cognoscit materialia: et similiter naturas rerum, quae singulariter in rebus existunt, intellectus cognoscit universaliter, idest absque consideratione principiorum et accidentium individualium.

[82012] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 4Deinde cum dicit amplius autem prosequitur de alia quaestione: utrum scilicet aliquid sit separatum a compositis ex materia et forma: et circa hoc duo facit. Primo movet quaestionem. Secundo prosequitur eam, ibi, si igitur et cetera. Circa primum considerandum est, quod primo movet quaestionem, utrum universale sit separatum a singularibus. Contingit autem aliquod singulare esse compositum ex materia et forma: non tamen omne singulare ex materia et forma est compositum, nec secundum rei veritatem: quia substantiae separatae sunt quaedam particulares substantiae, quia per se stantes et per se operantes; nec etiam secundum opinionem Platonicorum, qui ponebant etiam in mathematicis separatis esse quaedam particularia, ponendo plura ex eis in una specie. Et quamvis dubitari possit, utrum etiam in his quae non sunt composita ex materia et forma, sit aliquid separatum sicut universale a singulari, tamen hoc maxime habet dubitationem in rebus compositis ex materia et forma. Et ideo dicit, quod maxime est dubitabile, utrum sit aliquid, praeter simul totum etc. idest praeter rem compositam ex materia et forma. Et quare dicatur simul totum compositum, exponit subdens, ut quando praedicatur aliquid de materia. Ponebat enim Plato quod sensibilis materia participabat universalia separata. Et ex hoc erat quod universalia praedicantur de singularibus. Et ipsae participationes universalium formarum in materialibus sensibilibus constituunt simul totum, quasi universalis forma per modum participationis cuiusdam sit de materia praedicata. In his autem quaestionem trimembrem proponit: utrum scilicet praeter omnia huiusmodi sit aliquid separatum, aut praeter quaedam eorum et non praeter alia, aut praeter nihil eorum.

[82013] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 5Deinde cum dicit si igitur prosequitur praedictam dubitationem: et circa hoc duo facit. Primo obiicit contra hoc, quod poni posset nihil separatum esse ab his quae sunt composita ex materia et forma. Secundo obiicit ad oppositum, ibi, sed si hoc et cetera. Circa primum, obiicit duplici via. Primo quidem ex hoc, quod ea quae sunt composita ex materia et forma sunt sensibilia: unde proponit quod ea quae sunt composita ex materia et forma sunt singularia. Singularia autem non sunt intelligibilia, sed sensibilia. Si igitur nihil est praeter singularia composita ex materia et forma nihil erit intelligibile, sed omnia entia erunt sensibilia. Scientia autem non est nisi intelligibilium: ergo sequitur quod nullius rei sit scientia: nisi aliquis dicat quod sensus et scientia sunt idem, ut antiqui naturales posuerunt: sicut dicitur in primo de anima. Utrumque autem horum est inconveniens: scilicet vel quod non sit scientia, vel quod scientia sit sensus: ergo et primum est inconveniens, scilicet quod nihil sit praeter singularia composita ex materia et forma.

[82014] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 6Deinde cum dicit amplius autem secundo obiicit ex hoc quod composita ex materia et forma sunt mobilia. Inducit talem rationem. Omnia sensibilia composita ex materia et forma corrumpuntur et in motu sunt: si igitur nihil sit praeter huiusmodi entia, sequetur quod nihil sit sempiternum nec immobile.

[82015] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 7Deinde cum dicit at vero ostendit esse inconveniens, scilicet quod nihil sit sempiternum et immobile: et primo ex parte materiae. Secundo ex parte formae, ibi, amplius autem cum sit et cetera. Dicit ergo primo, quod si nihil est sempiternum, non est possibile esse generationem alicuius rei. Et hoc probat sic. Quia in omni generatione necesse est aliquid quod fit, et aliquid ex quo fit. Si ergo id ex quo fit aliquid, iterum generatur, oportet quod ex aliquo generetur. Aut ergo necesse est quod in infinitum procedatur in materiis, aut quod stet processus in aliquo primo, quod sit aliquod primum materiale principium non generatum: nisi forte dicatur quod generetur ex non ente, quod est impossibile. Si autem in infinitum procederetur, numquam posset compleri generatio, quia infinita non est transire: ergo vel oportet ponere aliquid ingenitum materiale principium, aut impossibile est esse aliquam generationem.

[82016] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 8Deinde cum dicit amplius autem ostendit idem ex parte causae formalis: et ponit duas rationes: quarum prima talis est. Omnis generatio et motus necesse est quod habeat aliquem finem. Et hoc probat, quia nullus motus est infinitus, sed cuiuslibet motus est aliquis finis. Hoc autem planum est in illis motibus, qui finiuntur in suis terminis. Sed videtur habere instantiam in motu circulari, qui potest esse perpetuus et infinitus, ut probatur in octavo physicorum. Et quamvis supposita sempiternitate motus, tota continuitas circularis motus sit infinita, secundum quod circulatio succedit circulationi, tamen quaelibet circulatio secundum speciem suam, completa et finita est. Quod autem ei succedat alia circulatio, hoc accidit quantum ad circulationis speciem.

[82017] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 9Et quod dixerat de motu universaliter, specialiter ostendit de generatione: non enim potest esse aliqua generatio una infinita, quia non potest aliquid generari quod impossibile est pervenire ad finem generationis, cuius finis est factum esse. Et quod factum esse sit terminus generationis, ex hoc patet: quia quod generatum est, necesse est esse quando primo factum est, id est quando primo terminatur generatio eius. Oportet igitur quod cum forma secundum quam aliquid est, sit terminus generationis, quod non sit procedere in infinitum in formis, sed quod sit aliqua forma ultima, cuius non sit aliqua generatio. Omnis enim generationis finis est forma, ut dictum est. Et sic videtur quod sicut materiam, ex qua aliquid generatur, oportet esse ingenitam, ex eo quod non proceditur in infinitum, ita etiam quod formam aliquam oportet esse ingenitam, ex hoc quod in infinitum non procedatur in formis.

[82018] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 10Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ponit quae talis est. Si materia aliqua est prima quia est ingenita, multo rationabilius est quod sit substantia, idest forma ingenita, cum per formam res habeat esse; materia vero magis sit subiectum generationis et transmutationis. Si vero neutrum eorum sit ingenitum, nihil omnino erit ingenitum; cum omne quod est, pertineat ad rationem materiae vel formae, vel sit compositum ex utroque. Hoc autem est impossibile, ut nihil sit ingenitum, sicut probatum est. Ergo relinquitur quod necesse est aliquid esse praeter synolon, idest simul totum, idest praeter singulare compositum ex materia et forma. Et hoc dico aliquid quod sit forma et species. Materia enim per se non potest esse separata a singularibus, quia non habet esse nisi per aliud. De forma vero hoc magis videtur, per quam est esse rerum.

[82019] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 11Deinde cum dicit sed si hoc obiicit in contrarium. Si enim aliquis ponat aliquam formam esse separatam praeter singularia composita ex materia et forma, erit dubitatio in quibus hoc sit ponendum et in quibus non. Manifestum enim est quod hoc non est ponendum in omnibus, praecipue in artificialibus. Non enim est possibile quod sit aliqua domus praeter hanc domum sensibilem compositam ex materia et forma.

[82020] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 9 n. 12Hanc autem dubitationem solvit Aristoteles partim quidem in duodecimo huius: ubi ostendit esse quasdam substantias a sensibilibus separatas, quae sunt secundum seipsas intelligibiles: partim vero in septimo huius, ubi ostendit formas et species rerum sensibilium non esse a materia separatas. Non tamen sequitur, quod de rebus sensibilibus non possit haberi scientia, vel quod scientia sit sensus. Non enim oportet, quod eumdem modum essendi habeant res in seipsis, quem habent in consideratione scientis. Quae enim seipsis materialia sunt, ab intellectu immaterialiter cognoscuntur, ut etiam supra dictum est. Nec etiam oportet, si forma non est separata a materia, quod generetur: quia formarum non est generatio, sed compositorum, ut in septimo huius ostendetur. Patet ergo in quibus oportet ponere separatas formas, et quibus non. Nam omnium eorum quae sunt secundum suam naturam sensibilia, formae non sunt separatae. Sed illa quae sunt secundum naturam suam intelligibilia, sunt a materia separata. Non enim substantiae separatae sunt naturae horum sensibilium, sed sunt altioris naturae, alium habentes ordinem in rebus.

LEÇON 9.

(nn. 443-455; 235-244]).

 

Il se demande s’il existe des universels qui soient séparés des individus sensibles, même de ceux qui sont composés de matière et de forme.

 

443. Après avoir examiné la question des universels pour savoir s’ils sont des principes, il soulève ici par la suite la question sur les formes séparées pour savoir s’il y a des formes qui existent séparément des réalités sensibles et qui seraient leurs principes.

   Et à ce sujet il examine deux questions dont la première est de savoir si les universels existent séparément des singuliers [235]. La deuxième est de savoir s’il existe un principe formel séparé des choses qui sont composées de matière et de forme, là [238] où il dit : ¨ Mais si de plus nous admettons une réalité qui existe au plus haut point etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il décrit le problème [235]. En deuxième lieu il argumente en faveur d’une partie, là [236] où il dit : ¨ Car s’il n’y a pas etc.¨. En troisième lieu il argumente en faveur de l’autre partie, là [237] où il dit : ¨ Et d’un autre côté etc.¨.

  Il y a donc ce problème au sujet de ce qui a été traité dans le dernier argument se rapportant à la question précédente et qui est de savoir si l’universel existe séparément des singuliers ainsi que le supposait l’argument précédent. Et c’est ce qu’Aristote dit ici [235] : ¨Au sujet de laquelle il existe maintenant une raison¨, c’est-à-dire sur laquelle porte l’argument qui précède immédiatement. Mais sur ce problème il parle ainsi en disant en premier lieu ¨qu’il se rattache¨, c’est-à-dire qu’il découle de ce qui précède : car, ainsi qu’on l’a déjà dit, c’est de la réponse que nous allons y apporter que dépendra la valeur de l’argument contenu dans la question précédente. Car si les universels ne sont pas séparés, ils ne sont pas des principes; mais s’ils sont séparés, ils sont des principes. – Il dit en deuxième lieu au sujet de ce problème que c’est le plus difficile de tous ceux qui se rapportent à cette science. Ce qui est évident du fait que les plus éminents philosophes y ont répondu différemment. Car les Platoniciens ont affirmé, en s’opposant ainsi aux autres philosophes, que les universels sont séparés. – Il dit en troisième lieu à son sujet que c’est celui qu’il est le plus nécessaire d’examiner car c’est de la réponse à cette question que dépend toute la connaissance qu’on peut acquérir tant au sujet des substances sensibles qu’au sujet des substances immatérielles.

444. Ensuite lorsqu’il dit [236] : ¨ Car s’il n’y a pas ¨.

   Il argumente pour montrer que les universels sont séparés des singuliers. Les singuliers en effet sont infinis; mais on ne peut connaître l’infini. De là il suit qu’aucun infini ne peut être connu à moins d’être ramené à quelque chose d’un, qui est l’universel. Ainsi donc on ne peut parvenir à une science des choses singulières à moins de connaître l’universel. Mais la science a pour objet la vérité et l’être; donc, les universels sont des réalités qui existent par elles-mêmes en dehors des singuliers.

445. Ensuite lorsqu’il dit [237] : ¨ Et d’un autre côté si ¨.

   Il argumente de la manière suivante en faveur de la conclusion contraire. S’il est nécessaire que les universels soient des réalités qui existent en dehors des singuliers, il faut que les genres, soit les premiers, soit les derniers qui précèdent immédiatement les singuliers, existent en dehors des singuliers. Mais cela est impossible ainsi qu’on le voit à partir de l’examen de la question précédente; donc les universels n’existent pas séparément et en dehors des singuliers.

446. Mais le Philosophe répond à cette question au septième livre de ce traité où il montre de plusieurs façons que les universels ne sont pas des substances qui subsistent par elles-mêmes. Et il n’est pas nécessaire, ainsi que nous l’avons dit en plusieurs occasions, qu’un être ait dans la réalité des choses un mode d’existence qui soit identique au mode grâce auquel il est saisi par l’intelligence de celui qui sait. Car c’est selon un mode immatériel que l’intelligence saisit les substances matérielles; et de la même manière c’est d’une manière universelle, c’est-à-dire sans considérer les principes et les accidents individuels, que l’intelligence connaît les natures des choses qui existent d’une manière individuelle dans les choses.

447. Ensuite lorsqu’il dit [238] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il poursuit avec l’autre question qui est de savoir s’il existe quelque chose qui existe séparément et en dehors des êtres composés de matière et de forme : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il soulève la question. En deuxième lieu il s’engage dans la résolution de cette question, là [239] où il dit : ¨ Si donc etc.¨.

   Au sujet du premier point il faut considérer qu’en premier lieu il soulève la question de savoir si les universels sont séparés des singuliers. Mais il arrive que certains singuliers soient composés de matière et de forme et que d’autres ne le soient pas, à la fois selon la vérité des choses, car les substances séparées sont des substances particulières qui existent et agissent par elles-mêmes, et aussi selon l’opinion des Platoniciens qui affirmaient encore que parmi les entités mathématiques séparées il y en avait aussi qui étaient particulières car il en tirait plusieurs d’une même espèce. Et bien qu’on puisse se demander s’il existe quelque chose en dehors même du particulier qui n’est pas composé de matière et de forme, à la manière dont l’universel pourrait être séparé du singulier, cette question pose davantage un problème pour les choses qui sont composées de matière et de forme. Et c’est pourquoi il dit qu’il est très difficile de savoir s’il existe quelque chose ¨ en dehors du tout etc.¨, c’est-à-dire en dehors de la chose qui est composée de matière et de forme. Et pourquoi il appelle le composé ¨ce qui ensemble forme un tout¨, il l’explique en ajoutant : ¨ comme quand quelque chose est attribué à la matière¨. Platon affirmait en effet que la matière sensible participe des universels séparés. Et c’est à cause de cela, selon lui, que les universels pouvaient s’attribuer aux singuliers. Et ce sont ces participations des formes universelles dans les singuliers matériels qui constituent ¨ce qui ensemble forme un tout¨, c’est-à-dire à la manière dont une forme universelle, en raison d’une participation, est attribuée à une matière. Et par rapport à cela il présente une question à trois volets : est-ce par rapport à tous les composés de matière et de forme, par rapport à certains d’entre eux seulement ou simplement par rapport à aucun d’eux qu’il existe quelque chose de séparé?

448. Ensuite lorsqu’il dit [239] : ¨ Si donc ¨.

   Il s’engage dans la résolution de cette question : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il argumente à l’encontre de la position qui pourrait soutenir qu’il n’existe rien en dehors de ce qui est composé de matière et de forme. En deuxième lieu il argumente en faveur de la position contraire, là [244] où il dit : ¨ Mais si cela etc.¨.

   Au sujet du premier point [239] il argumente de deux manières. En premier lieu certes il le fait en partant du fait que toutes les choses composées de matière et de forme sont des réalités sensibles : c’est pourquoi il soutient que les réalités composées de matière et de forme sont des singuliers. Et les singuliers ne peuvent être saisis par l’intelligence mais par les sens. Si donc il n’existe rien en dehors des singuliers composés de matière et de forme, il n’y aura rien d’intelligible, mais seulement des réalités perceptibles par les sens. Mais la science ne porte que sur ce qui est intelligible. Il s’ensuit donc qu’il n’y aurait aucune science, à moins d’affirmer que la connaissance sensible et la science ne font qu’un, ainsi que les anciens physiciens l’affirmaient ainsi qu’on le voit au premier livre de l’Âme. Mais ces deux dernières conséquences sont incorrectes, à savoir de dire qu’il n’y a pas de science et que la science se ramène à la connaissance sensible; donc, l’antécédent d’où elles découlent est lui-même incorrect, à savoir de dire qu’il n’existe rien en dehors des singuliers composés de matière et de forme.

449. Ensuite lorsqu’il dit [240] : ¨ Mais en outre ¨.

   En deuxième lieu il argument à partir du fait que les composés de matière et de forme sont mobiles. Et il apporte l’argument suivant. Toutes les réalités sensibles, composées de matière et de forme, sont assujetties à la corruption et au mouvement : si donc il n’existe rien en dehors de ces sortes de réalités, il s’ensuit qu’il n’y aura rien d’éternel et d’immobile.

450. Ensuite lorsqu’il dit [241] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il montre que cela n’est pas juste, c’est-à-dire de dire qu’il n’existe rien d’éternel et d’immobile : et en premier lieu il le montre du côté de la matière. En deuxième lieu il le fait du côté de la forme, là [242] où il dit : ¨ Mais en outre si existe etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [241] que si rien n’est éternel, il n’est possible pour aucune chose d’être engendrée, ce qu’il prouve de la manière suivante. Car dans toute génération il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui devient et quelque chose à partir de quoi il y ait devenir. Si donc ce à partir de quoi il y a devenir est engendré à son tour, il faut qu’il le soit à partir d’un autre et alors il faudra soit procéder à l’infini dans les matières, soit que le processus s’arrête dans quelque chose de premier qui soit comme un premier principe matériel non engendré, à moins de dire qu’il procède lui-même du néant, ce qui est bien sûr impossible. Mais s’il fallait procéder à l’infini, le devenir ne serait jamais achevé car il est impossible de remonter à l’infini; donc, ou bien on pose un principe matériel non engendré (et éternel), ou bien la génération est impossible.

451. Ensuite lorsqu’il dit [242] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il montre la même chose du côté de la cause formelle. Et il présente deux arguments, dont voici le premier. Il est nécessaire que toute génération et tout mouvement aient une fin. Et il le prouve en montrant que nul mouvement n’est infini mais que tous ont un terme. Et cela se voit clairement dans les choses en mouvement qui s’arrêtent à leurs termes. Mais il semble y avoir une exception dans le mouvement circulaire qui peut être éternel et infini ainsi qu’on le montre au huitième livre des Physiques. Et bien que l’éternité du mouvement soit prise pour acquise, si toute la continuité du mouvement circulaire est infinie, c’est parce qu’un cycle succède à un autre indéfiniment; mais tout cycle en lui-même et conformément à sa nature forme un tout complet et fini. Mais qu’à un cycle succède un autre cycle, cela découle de la nature du cycle.

452. Et ce qu’il dit du mouvement en général, il le montre en particulier pour la génération. En effet, il ne peut y avoir une même génération qui soit infinie car rien ne peut être engendré qui ne peut parvenir au terme de sa génération dont la fin est sa réalisation. Et que la réalisation soit le terme de la génération, on le voit à partir de ceci que la chose engendrée existe nécessairement ¨dès le premier moment où elle a été réalisée¨, c’est-à-dire dès le premier moment où sa génération se termine. Il faut donc, puisque la forme selon laquelle une chose existe est le terme de sa génération, qu’on ne puisse procéder à l’infini dans les formes mais qu’il y ait une forme ultime non soumise à la génération. En effet, la fin de la génération est toujours la forme, ainsi qu’on l’a déjà dit. Et ainsi on peut voir que tout comme la matière à partir de laquelle une chose est engendrée, ne doit pas elle-même être engendrée du fait qu’on n’y procède pas à l’infini, de même il faut encore qu’une forme ne soit pas engendrée du fait qu’on ne peut procéder à l’infini dans les formes.

453. Ensuite lorsqu’il dit [243] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente son deuxième argument qui se présente ainsi. S’il existe une matière qui soit première parce qu’elle n’est pas engendrée, il est beaucoup plus rationnel qu’il y ait une substance qui soit première, c’est-à-dire une forme qui ne soit pas engendrée, puisque c’est au moyen de la forme qu’une chose possède l’être, la matière de son côté étant davantage le sujet de la génération et du changement. Si d’un autre côté aucune d’elles n’est inengendrée rien absolument ne sera inengendré puisque tout ce qui existe ou bien se rapporte à la notion de matière ou de forme ou bien est un composé de matière et de forme. Mais il est impossible que rien ne soit inengendré ainsi que nous l’avons prouvé. Il reste donc qu’il est nécessaire qu’il existe quelque chose ¨ en dehors du tout ensemble ¨, c’est-à-dire en dehors du composé ou en dehors de ce singulier qui est composé de matière et de forme. Et ce quelque chose, je dis que c’est la forme et l’espèce. En effet, la matière ne peut par elle-même être séparée des singuliers car elle ne possède d’existence que par un autre. D’un autre côté cette capacité semble davantage relever de la forme grâce à laquelle toute chose possède l’existence.

454. Ensuite lorsqu’il dit [244] : ¨ Mais si cela ¨.

   Il argumente en faveur de la conclusion opposée. Si en effet on affirme qu’il existe une forme séparée en dehors des singuliers composés de matière et de forme, on se demandera pour quels singuliers cela doit être affirmé et pour lesquels cela doit être nié. Il est évident en effet que cela ne doit pas être affirmé pour tous les êtres, en particulier pour les choses artificielles. Il n’est pas possible en effet qu’il existe une maison séparée en dehors de cette maison sensible composée de matière et de forme.

455. Mais Aristote résout ce problème en partie dans le douzième livre de ce traité où il montre qu’il existe des substances séparées des substances sensibles et qui sont intelligibles en elles-mêmes; il le résout aussi en partie au septième livre de ce traité où il montre que les formes et les natures des choses sensibles n’existent pas séparément de la matière. Il ne suit cependant pas de là qu’on ne puisse acquérir aucune science sur les choses sensibles et que la science se ramène à la sensation. Il ne faut pas en effet que les choses possèdent en elles-mêmes un mode d’existence identique à celui qu’elles ont dans l’intelligence de celui qui les comprend. En effet, les choses qui en elles-mêmes sont matérielles sont connues par l’intelligence selon un mode immatériel, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Et il n’est pas nécessaire non plus, si la forme n’est pas séparée de la matière, qu’elle soit engendrée car il n’appartient pas aux formes d’être engendrées mais plutôt au composé, ainsi qu’on le montrera au septième livre de ce traité. Il est donc clair pour quels êtres il faut affirmer l’existence de formes séparées et pour lesquels il faut la nier. Car pour tous les êtres qui sont sensibles de par leur nature, les formes ne sont pas séparées. Mais tous les êtres qui sont intelligibles quant à leur nature même ont des formes qui sont séparées de la matière. En effet les substances séparées ne sont pas de même nature que les substances sensibles mais elles sont d’une nature plus élevée et possèdent un rang supérieur parmi les êtres.

 

 

LECTIO 10

[82021] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 1Postquam philosophus inquisivit quae sunt principia, et utrum sint aliqua a materia separata, hic inquirit qualia sint principia. Et primo inquirit de unitate et multitudine ipsorum. Secundo inquirit, utrum sint in potentia vel in actu, ibi, his autem affine est quaerere et cetera. Tertio utrum principia sint universalia vel singularia, ibi, et utrum universalia sint et cetera. Circa primum duo facit. Primo inquirit qualiter principia se habeant ad unitatem. Secundo qualiter ipsum unum se habeat ad rationem principii, ibi, omnium autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo inquirit specialiter de principio formali, utrum sit unum omnium existentium in una specie. Secundo inquirit idem de omnibus generaliter principiis, ibi, amplius autem et cetera. Tertio inquirit, utrum eadem sint principia aut diversa corruptibilium et incorruptibilium, ibi, non minor autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo movet dubitationem. Secundo obiicit ad quaestionem, ibi, sed impossibile est. Est ergo dubitatio, utrum sit una substantia, idest forma omnium existentium in una specie, puta hominum.

[82022] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 2Deinde cum dicit sed impossibile obiicit ad unam partem quaestionis: scilicet ad ostendendum quod non sit una forma omnium existentium in una specie: et hoc duabus rationibus, quarum prima talis est. Ea quae sunt in una specie, sunt multa et differentia: si igitur omnium in una specie existentium sit una substantia, sequetur quod ea quorum substantia est una, sint multa et differentia: quod est irrationabile.

[82023] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 3Deinde cum dicit simul autem hic ponit secundam rationem, quae talis est. Illud, quod est in se unum et indivisum, non componitur cum aliquo diviso ad constitutionem multorum. Sed manifestum est quod materia dividitur in diversis singularibus. Si igitur substantia formalis esset una et eadem, non esset assignare quomodo singulum horum singularium sit materia habens talem substantiam, quae est una et indivisa, ita quod singulariter sit simul totum habens haec duo, scilicet materia et formam substantialem, quae est una et indivisa.

[82024] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 4In contrarium autem non obiicit, quia rationes, quae ad sequentem quaestionem proponuntur ad oppositum praedictarum rationum, sunt etiam illae quae sunt propositae supra de separatione universalium. Nam si sit universale separatum, necesse est ponere unam numero substantiam eorum quae conveniunt in specie, quia universale est substantia singularium. Huius autem quaestionis veritas determinatur in septimo huius, ubi ostendetur, quod quid est, idest essentiam cuiuslibet rei non esse aliud quam rem ipsam, nisi per accidens, ut ibi dicetur.

[82025] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 5Deinde cum dicit amplius autem movet dubitationem de unitate principiorum in communi. Utrum scilicet principia rerum sint eadem numero, vel eadem specie et numero diversa: et circa hoc duo facit. Primo ponit rationes ad ostendendum, quod sint eadem numero. Secundo ad oppositum, ibi, at vero et cetera. Circa primum, ponit tres rationes et praemittit dubitationem, dicens, quod idem potest quaeri universaliter de principiis rerum, quod quaesitum est de substantia, utrum scilicet principia rerum sint eadem numero.

[82026] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 6Et inducit primam rationem, ad ostendendum, quod sint eadem numero. Non enim invenitur in principiatis nisi quod ex principiis habent: si igitur in principiis non inveniatur unum numero, sed solum unum specie, nihil erit in principiatis unum numero, sed solum unum specie.

[82027] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 7Secunda ratio talis est: quia illud quod est ipsum unum vel ipsum ens, oportet quod sit unum numero. Dicit autem ipsum unum vel ipsum ens, unitatem aut ens abstractum. Si igitur principium rerum non sit unum numero, sed solum unum specie, sequetur, quod nihil sit ipsum unum et etiam ipsum ens, idest quod ens et unum non per se subsistant.

[82028] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 8Tertia ratio est, quia scientia habetur de rebus per hoc, quod unum invenitur in multis, sicut homo communis invenitur in omnibus hominibus; non enim est scientia de singularibus, sed de uno quod invenitur in eis. Omnis autem scientia vel cognitio principiatorum dependet ex cognitione principiorum. Si igitur principia non sunt unum numero, sed solum unum specie, sequitur, quod scientia non sit de rebus.

[82029] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 9Deinde cum dicit at vero si obiicit in contrarium tali ratione. Si principia sunt unum numero, ita quod quodlibet principiorum in se consideratum sit unum, non erit dicere de principiis existentium, quod hoc modo se habent sicut principia sensibilium. Videmus enim in sensibilibus, quod diversorum sunt diversa principia secundum numerum, sed eadem secundum speciem; sicut et eorum quorum sunt principia, sunt diversa secundum numerum, sed eadem secundum speciem. Sicut videmus quod diversarum syllabarum secundum numerum, quae conveniunt in specie, sunt principia eaedem literae secundum speciem, sed non secundum numerum. Si quis autem dicat quod non est ita in principiis entium, sed omnium entium principia sunt unum numero; sequetur quod nihil sit in rebus praeter elementa; quia quod est unum numero, est singulare. Sic enim appellamus singulare quod est unum numero, sicut universale quod est in multis. Quod autem est singulare, non multiplicatur nec invenitur nisi singulariter. Si igitur ponatur quod omnium syllabarum essent principia eaedem literae numero, sequeretur quod illae literae nunquam possent multiplicari, ut scilicet essent duo aut plura: et sic non posset seorsum inveniri in syllaba ista ba, vel da. Et eadem ratio est de aliis literis. Pari igitur ratione si omnium entium sint principia eadem numero, sequetur quod nihil sit praeter principia: quod videtur inconveniens: quia cum principium alicuius sit, non erit principium nisi sit aliquid praeter ipsum.

[82030] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 10 n. 10Haec autem quaestio solvetur in duodecimo. Ibi enim ostendetur quod principia quae sunt intrinseca rebus, scilicet materia et forma, vel privatio, non sunt eadem numero omnium, sed analogia sive proportione. Principia autem separata, scilicet substantiae intellectuales, quarum suprema est Deus, sunt unum numero unaquaeque secundum seipsam. Id autem quod est ipsum unum et ens, Deus est; et ab ipso derivatur unitas secundum numerum in rebus omnibus. Scientia autem est de his, non quia sint unum numero in omnibus, sed quia est unum in multis secundum rationem. Ratio autem quae est ad oppositum verificatur in principiis essentialibus, non autem in principiis separatis, cuiusmodi sunt agens et finis. Multa enim possunt produci ab uno agente vel movente et ordinari in unum finem.

LEÇON 10.

(nn. 456-465; [245-249]).

 

Il se demande s’il existe une seule substance pour tous les êtres et si les principes sont les mêmes ou différents pour tous les êtres.

 

456. Après avoir cherché à découvrir quels sont les principes et si certains sont séparés de la matière, le Philosophe cherche ici à découvrir quelle est leur nature.

   Et en premier lieu il s’interroge sur leur unité et sur leur multiplicité [245]. Il se demande ensuite s’ils sont en puissance ou en acte, là [287] où il dit : ¨ Mais une autre difficulté liée étroitement aux difficultés précédentes etc.¨. En troisième lieu il se demande si les principes sont universels ou particuliers, là [290] où il dit : ¨ Et est-ce qu’ils sont universels etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il se demande comment les principes se rapportent à l’unité [245]. En deuxième lieu il se demande comment l’unité elle-même se rapporte à la notion de principe, là [266] où il dit : ¨ Mais de toutes etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il se demande en particulier au sujet du principe formel s’il est un pour tous les individus d’une même espèce [245]. En deuxième lieu il se demande la même chose pour tous les principes en général, là [248] où il dit : ¨ Mais en outre etc.¨. En troisième lieu il se demande si les principes sont les mêmes ou s’ils sont différents pour les êtres corruptibles et ceux qui sont incorruptibles, là [250] où il dit : ¨ Mais il n’est pas moins etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il soulève la difficulté [245]. En deuxième lieu il argumente à l’égard de la question, là [246] où il dit : ¨ Mais il est impossible ¨.

   On se demande donc s’il existe une seule substance, c’est-à-dire une seule forme pour tous les êtres qui existent à l’intérieur d’une même espèce, par exemple l’espèce humaine.

457. Ensuite lorsqu’il dit [246] : ¨ Mais il est impossible ¨.

   Il argumente en faveur d’une partie de la question, c’est-à-dire pour montrer qu’il n’existe pas une seule forme pour tous les êtres qui se tiennent à l’intérieur d’une même espèce : et il le fait au moyen de deux arguments, dont voici le premier. Ce qu’on retrouve à l’intérieur d’une même espèce est multiple et varié; si donc il n’y a qu’une seule substance formelle pour tous les êtres qui existent à l’intérieur d’une même espèce, il s’ensuit que, cela même dont la substance est une, est multiple et varié : ce qui n’est pas rationnel.

458. Ensuite lorsqu’il dit [247] : ¨ Mais en même temps ¨.

   Il présente ici le deuxième argument que voici. Cela même qui en soi est un et indivisé ne se compose pas avec quelque chose de divisé pour constituer une multiplicité. Mais il est évident que la matière se divise en une multiplicité d’individus différents. Si donc la substance formelle était la même pour tous les individus d’une même espèce, nous ne pourrions pas  expliquer comment chacun des singuliers est une matière possédant telle substance, laquelle est une et indivisible, de telle manière que chaque individu soit simultanément un composé possédant ces deux principes, à savoir la matière et la forme substantielle, laquelle est une et indivisée.

459. Mais il n’argumente pas ici en faveur de la partie contraire car les arguments, qui pour la question suivante sont présentés en faveur d’une conclusion opposée à celle des arguments précédents, sont les mêmes que ceux qui sont présentés plus haut au sujet de la séparation des universels. Car s’il existait un universel séparé, il serait nécessaire de poser numériquement parlant une seule substance pour tout ce qui se rencontre dans une même espèce car l’universel est la substance des singuliers. Et c’est au septième livre de ce traité que le Philosophe établit la vérité au sujet d’une telle question où il montre que ce qu’est une chose, à savoir l’essence de n’importe quelle chose, n’est rien d’autre que la chose elle-même, sauf par accident, ainsi qu’on le dira à ce moment.

460. Ensuite lorsqu’il dit [248] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il soulève une difficulté au sujet de l’unité des principes en général, à savoir si les principes sont pour toutes les choses les mêmes selon le nombre ou s’ils sont les mêmes selon l’espèce mais différents par le nombre : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente les arguments pour montrer que les principes sont les mêmes par le nombre. En deuxième lieu il présente les arguments qui tendent à montrer le contraire, là [249] où il dit : ¨ Et d’un autre côté etc.¨.

   Au sujet du premier point [248] il présente trois arguments qu’il fait précéder d’une question en disant qu’on peut se poser universellement au sujet des principes la même question qui a été posée au sujet de la substance, à savoir si les principes sont les mêmes par le nombre pour toutes les choses.

461. Et il apporte le premier argument pour montrer que les principes sont les mêmes par le nombre. On ne retrouve en effet dans les effets que ce qu’ils tiennent des principes. Si donc dans les principes on ne retrouve pas l’unité par le nombre mais seulement l’unité par l’espèce on ne retrouvera aucunement dans les effets l’unité par le nombre mais seulement l’unité par l’espèce.

462. Le deuxième argument est le suivant : l’un en soi et l’être en soi doivent être un numériquement parlant. Et par l’un en soi et l’être en soi, il désigne l’Un et l’Être séparé. Si donc le principe des choses n’est pas un numériquement mais seulement spécifiquement, il s’ensuit que rien ne pourra être l’un en soi et l’être en soi, car l’un et l’être ne pourra plus alors subsister par lui-même.

463. Il présente ici le troisième argument : on acquiert la science au sujet des choses au moyen de la découverte d’une unité dans la multiplicité, comme découvre la nature humaine à travers la multiplicité des hommes individuels; il n’existe pas en effet de science des individus mais seulement du principe d’unité qu’on découvre en eux. Mais toute science ou toute connaissance des effets dépend de la connaissance des principes. Si donc les principes ne sont pas un numériquement mais seulement spécifiquement, il s’ensuit que la science ne se rapporte pas aux choses elles-mêmes.

464. Ensuite lorsqu’il dit [249] : ¨ Et si d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la conclusion opposée au moyen de l’argument suivant. Si les principes sont un numériquement parlant de telle manière que chacun d’eux considéré en lui-même soit un, on ne pourra pas dire au sujet des principes des êtres qu’ils se présentent de la même manière que les principes des réalités sensibles. Nous voyons en effet qu’à des réalités sensibles différentes correspondent des principes différents par le nombre mais identiques par l’espèce tout comme les choses elles-mêmes qui viennent de ces principes sont différentes par le nombre mais identique par l’espèce. Par exemple nous voyons qu’à des syllabes qui diffèrent par le nombre mais qui sont identiques par l’espèce correspondent des principes, à savoir les lettres, qui sont identiques par l’espèce mais non par le nombre. Mais si on dit qu’il n’en est pas ainsi pour les principes des êtres et qu’au contraire les principes de tous les êtres sont un numériquement parlant, il s’ensuit qu’il n’y aura rien dans les choses en dehors des éléments; car ce qui est un par le nombre est individuel. Nous appelons en effet singulier ce qui est un numériquement, tout comme nous appelons universel qui est un dans le multiple. Mais ce qui est individuel ne peut être multiplié et ne se rencontre que dans un individu. Si donc on affirmait que les principes de toutes les syllabes, à savoir les lettres, sont identiques par le nombre, il s’ensuivrait que ces lettres ne pourraient jamais être multipliées de manière à ce qu’on en retrouve deux ou plusieurs : et ainsi on ne pourrait les retrouver séparément dans la syllabe BA ou dans cette autre syllabe DA. Et la même raison vaut pour les autres lettres. Donc pour la même raison, si les principes sont les mêmes par le nombre pour tous les êtres, il s’ensuit qu’il n’existe rien en dehors des principes : ce qui est manifestement faux car lorsqu’il existe un principe de quelque chose, il n’est un principe que s’il existe quelque chose en dehors de ce principe.

465. Mais ce problème est résolu au douzième livre de ce traité. C’est là en effet qu’Aristote montre que les principes qui sont intrinsèques aux choses, à savoir la matière, la forme et la privation, ne sont pas les mêmes pour toutes les choses par le nombre, mais seulement par analogie ou par proportion. Mais les principes séparés, à savoir les substances intellectuelles parmi lesquelles la substance suprême est Dieu, possèdent toutes en elles-mêmes une unité numérique. Mais celui qui est l’unité elle-même et l’être lui-même est Dieu; et c’est de Lui que dérive dans toutes les choses l’unité selon le nombre. Et la science se rapporte à tous ces êtres non pas parce qu’on retrouve en eux tous une unité selon le nombre mais parce qu’on retrouve en eux tous une unité selon la raison. Et cet argument qui est en faveur de la conclusion opposée se vérifie dans les principes essentiels et non pas dans les principes externes dont font partie le principe agent et la finalité. De nombreuses choses en effet peuvent être produites par un même principe agent ou moteur et être ordonnées à une même finalité.

 

 

LECTIO 11

[82031] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 1Postquam philosophus inquisivit universaliter, utrum principia sint eadem numero omnia quae sunt unius speciei, vel eadem specie, hic inquirit utrum eadem numero sint principia corruptibilium et incorruptibilium: et circa hoc tria facit. Primo proponit quaestionem. Secundo inducit rationem ad ostendendum quod non sunt eadem principia corruptibilium et incorruptibilium, ibi, nam si eadem et cetera. Tertio inducit rationes ad ostendendum quod non sunt diversa, ibi, si vero diversa et cetera. Dicit ergo primo, quod quaedam dubitatio est, quae non minus relinquitur modernis philosophis Platonem sequentibus, quam fuit apud antiquos philosophos, qui etiam dubitaverunt, utrum corruptibilium et incorruptibilium sint eadem principia vel diversa.

[82032] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 2Deinde cum dicit nam si eadem obiicit ad ostendendum quod non sunt eadem principia corruptibilium et incorruptibilium: et circa hoc tria facit. Primo ponit rationem. Secundo improbat solutionem positae rationis, quam poetae theologi adhibebant, ibi, qui quidem et cetera. Tertio excludit solutionem quam adhibebant quidam philosophi naturales, ibi, a dicentibus et cetera. Dicit ergo, quod si ponantur corruptibilium et incorruptibilium esse eadem principia, cum ex eisdem principiis idem sequatur effectus, videtur quod omnia vel sint corruptibilia, vel omnia sint incorruptibilia. Relinquitur ergo quaestio quomodo quaedam sunt corruptibilia et quaedam incorruptibilia, et propter quam causam.

[82033] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 3Deinde cum dicit qui quidem excludit solutionem poetarum theologorum. Et primo ponit eorum solutionem. Secundo obiicit contra praedictam positionem, ibi, palam quod haec omnia sibi nota dicentes et cetera. Tertio se excusat a diligentiori improbatione huius positionis, ibi, sed de fabulose et cetera. Circa primum considerandum est, quod apud Graecos, aut naturales philosophos, fuerunt quidam sapientiae studentes, qui deis se intromiserunt occultantes veritatem divinorum sub quodam tegmine fabularum, sicut Orpheus, Hesiodus et quidam alii: sicut etiam Plato occultavit veritatem philosophiae sub mathematicis, ut dicit Simplicius in commento praedicamentorum. Dicit ergo, quod sectatores Hesiodi, et omnes, qui dicebantur theologi, curaverunt persuadere solis sibi, et nos alios spreverunt; quia scilicet veritatem, quam intellexerunt, taliter tradiderunt, quod eis solum possit esse nota. Si enim per fabulas veritas obumbretur, non potest sciri quid verum sub fabula lateat, nisi ab eo qui fabulam confixerit. Ii igitur Hesiodistae prima rerum principia deos nominaverunt; et dixerunt, quod illi de numero deorum, qui non gustaverunt de quodam dulci cibo, qui vocatur nectar vel manna, facti sunt mortales; illi vero qui gustaverunt, facti sunt immortales.

[82034] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 4Potuit autem sub hac fabula aliquid veritatis occulte latere, ut scilicet per nectar et manna intelligatur ipsa suprema bonitas primi principii. Nam omnis dulcedo dilectionis et amoris ad bonitatem refertur. Omne autem bonum a primo bono derivatur. Potuit ergo esse intellectus eorum quod ex participatione propinqua summae bonitatis aliqua incorruptibilia reddantur, sicut quae perfecte participant divinum esse. Quaedam vero propter longe distare a primo principio, quod est non gustare manna et nectar, non possunt perpetuitatem conservare secundum idem numero, sed secundum idem specie: sicut dicit philosophus in secundo de generatione. Sed utrum hoc intenderint occulte tradere, vel aliud, ex hoc dicto plenius percipi non potest.

[82035] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 5Deinde cum dicit palam quod obiicit contra praedictam positionem: et dicit, quod praedicti Hesiodistae quid significare voluerint per ista nomina nectar et manna, fuit eis notum, sed non nobis. Et ideo quomodo afferantur istae causae ad istam quaestionem solvendam, et ad incorruptionem praestandam rebus, dixerunt supra nostrum intellectum. Si enim intelligantur ista verba secundum quod sonant, nullius efficaciae esse videntur. Dii enim, qui gustaverunt nectar et manna, aut gustaverunt propter delectationem, aut propter necessitatem essendi. His enim de causis aliqui sumunt cibum. Siquidem sumpserunt ista propter delectationem, non possunt nectar et manna esse eis causa existendi, ita quod per hoc incorruptibiles reddantur: quia delectatio est quoddam consequens ad esse. Si autem propter necessitatem essendi praedicta sumpserunt, non erunt semper iterum cibo indigentes. Videtur ergo quod corruptibiles existentes prius tamquam cibo indigentes, per cibum facti sunt incorruptibiles. Quod iterum videtur inconveniens; quia cibus non nutrit in sua specie, nisi corruptus transeat in speciem nutriti. Quod autem est corruptibile, non potest alii incorruptionem praestare.

[82036] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 6Deinde cum dicit sed de fabulose excusat se a diligentiori huius opinionis investigatione: et dicit quod de illis, qui philosophari voluerunt fabulose, veritatem scilicet sapientiae sub fabulis occultantes non est dignum cum studio intendere. Quia si quis contra dicta eorum disputaret secundum quod exterius sonant, ridiculosa sunt. Si vero aliquis velit de his inquirere secundum veritatem fabulis occultatam, immanifesta est. Ex quo accipitur quod Aristoteles disputans contra Platonem et alios huiusmodi, qui tradiderunt suam doctrinam occultantes sub quibusdam aliis rebus, non disputat secundum veritatem occultam, sed secundum ea quae exterius proponuntur.

[82037] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 7Deinde cum dicit a dicentibus disputat contra responsionem quorumdam philosophorum naturalium. Et circa hoc tria facit. Primo recitat rationem. Secundo ponit responsionem, ibi, etenim quam existimabit et cetera. Tertio improbat ipsam, ibi, videbitur autem et cetera. Dicit ergo primo, quod praetermissis illis, qui sub fabulis veritatem tradiderunt, oportet a tradentibus veritatem per modum demonstrationis inquirere de quaestione praedicta: scilicet, si ex eisdem principiis sunt omnia existentia, quare quaedam existentium naturaliter sunt sempiterna, quaedam vero corrumpantur. Et quia nec ipsi causam dicunt quare hoc sit, nec rationabile est sic se habere, ut ex eisdem principiis existentium quaedam sint corruptibilia, quaedam sempiterna: videtur manifeste sequi quod non sunt eadem principia nec causae corruptibilium et sempiternorum.

[82038] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 8Deinde cum dicit etenim quam ponit quamdam solutionem: et dicit, quod ratio assignata circa praedictam dubitationem, quae maxime videtur esse conveniens ad quaestionem, est quam assignavit Empedocles: qui tamen idem passus est cum aliis: quia ratio quam assignavit, non est conveniens, sicut nec aliorum, ut ostendetur. Posuit enim quaedam principia communia corruptibilium et incorruptibilium; sed posuit quoddam principium esse causam specialem corruptionis, scilicet odium elementorum: ita scilicet quod adiunctio huius causae ad alia principia facit corruptionem in rebus.

[82039] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 9Deinde cum dicit videbitur autem improbat praedictam rationem Empedoclis: et hoc tripliciter. Primo quidem ostendendo, quod ratio ab eo assignata non convenit suae positioni. Secundo ostendendo, quod non est sufficiens, ibi, similiter quoque ipsius transmutationis et cetera. Tertio ostendendo quod non est ad propositum, ibi, attamen tantum solum dicit et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit suam rationem non convenire aliis eius positionibus ex parte odii. Secundo ex parte ipsius Dei, ibi, propter quod et cetera. Tertio ex parte amoris, ibi, similiter autem nec amor et cetera. Dicit ergo primo, quod inconvenienter Empedocles ponit odium esse causam corruptionis: quia non minus secundum eius positionem videtur esse causa generationis in omnibus rebus, nisi in una re tantum. Ponebat enim omnia alia essentialiter composita ex odio simul cum aliis principiis, nisi solus Deus, quem ponebat compositum esse ex aliis principiis praeter odium. Deum autem appellabat caelum, sicut supradictum est in primo, quod Xenophanes ad totum caelum respiciens, ipsum unum dicit esse Deum. Ponebat autem Empedocles caelum esse compositum ex quatuor elementis, et ex amicitia: non autem ex lite sive ex odio, considerans indissolubilitatem caeli. Sed quantum ad alias res dicebat, quod omnia sunt ex odio quaecumque sunt, erunt vel fuerunt: sicut arbores pullulantes, et viri, et feminae, et bestiae quae sunt animalia terrestria: et vultures, quae sunt volantia diu viventia: et pisces nutriti in aqua, et dii longaevi. Videtur autem hos deos vocare vel stellas, quas ponebat quandoque corrumpi, licet post longum tempus: vel Daemones quos ponebant Platonici esse animalia aerea. Vel etiam dii quos ponebant Epicurei in forma humana, sicut supra dictum est. Ex hoc ergo quod omnia animalia praeter unum sunt generata ex odio, potest haberi quod odium sit causa generationis.

[82040] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 10Et praeter hoc etiam ex alia ratione. Manifestum est enim secundum positionem Empedoclis quod, si non esset odium in rebus, omnia essent unum. Odium enim est causa distinctionis secundum Empedoclem. Unde inducit verba Empedoclis dicentis, quod quando omnes res in unum conveniunt, ut puta quando fit chaos, tunc ultimum stabit odium separans et dissolvens. Unde litera Boetii habet: ea enim convenit, tunc ultimam scit discordiam. Et sic patet quod, cum esse mundi consistat in distinctione rerum, odium est causa generationis mundi.

[82041] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 11Deinde cum dicit propter quod ponit secundam rationem sumptam ex parte Dei: et dicit, quod cum Empedocles poneret odium non esse de compositione Dei, accidit secundum rationes eius, quod Deus, qui est felicissimus secundum omnium dicta, et per consequens maxime cognoscens, sit minus prudens omnibus aliis cognoscentibus. Sequetur enim, secundum positionem Empedoclis, quod non cognoscat omnia elementa, quia non habet odium; unde non cognoscit ipsum. Cognoscit autem simile simili secundum opinionem Empedoclis qui dixit, quod per terram cognoscimus terram, per aquam cognoscimus aquam et affectum, idest amorem vel concordiam cognoscimus per affectum, idest amorem vel concordiam: et similiter odium per odium, quod est triste sive grave vel malum secundum literam Boetii, qui dicit discordiam autem discordia malum. Sic igitur patet, quod Aristoteles reputat inconveniens, et contra id quod ponitur Deus felicissimus, quod ipse ignoret aliquid eorum, quae nos scimus. Sed quia ista ratio videbatur esse praeter propositum, ideo ad principale propositum rediens, dicit, quod redeundo ad illud unde prius erat ratio, manifestum est quod accidit Empedocli quod odium non sit magis causa corruptionis quam existendi.

[82042] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 12Deinde cum dicit similiter autem ponit tertiam rationem ex parte amoris: et dicit, quod similiter etiam amor non est causa generationis vel existendi, ut ipse ponebat, si alia eius positio attendatur. Dicebat enim quod cum omnia elementa in unum congregabuntur, tunc erit corruptio mundi. Et sic amor corrumpit omnia: ergo quantum ad totum mundum amor erat causa corruptionis, odium autem generationis. Quantum autem ad singulares odium erat causa corruptionis et amor generationis.

[82043] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 13Deinde cum dicit similiter quoque ostendit quod ratio eius non fuit sufficiens. Dicebat enim quamdam transmutationem esse in rebus odii et amicitiae, ita scilicet quod amor quandoque omnia uniebat, et postmodum omnia odium separabat. Sed causam, quare sic transmutabatur, ut quodam tempore dominaretur odium, et alio tempore amor, nullam aliam dicebat, nisi quia sic aptum natum est esse.

[82044] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 14Et ponit consequenter verba Empedoclis, quae, quia in Graeco metrice scripta sunt, habent aliquam difficultatem et diversitatem a communi modo loquendi. Sunt autem haec verba eius, sed itaque magnum odium in membris nutritum est, et ad honorem intendebat perfecto tempore, qui mutabilis dissolvit sacramentum. Litera vero Boetii sic habet sed cum magna discordia in membris alita sit in honores: quia processit completo anno, qui illis mutatis amplo rediit sacramento. Ad cuius intellectum notandum est, quod loquitur poetice de toto mundo, ad similitudinem unius animalis, in cuius membris et partibus primo quidem est magna convenientia, quam amorem nominabat sive concordiam: sed postea paulatim incipit aliqua dissonantia esse, quam dicit discordiam. Et similiter in partibus universi a principio erat magna concordia, sed postea paulatim nutritur odium quousque odium praecedat ad honorem, idest ad hoc quod dominetur super elementa. Quod quidem fit perfecto tempore quodam determinato, vel completo quodam anno, quem ponebat Empedocles: qui, scilicet odium et discordia, vel annus mutabilis existens dissolvit sacramentum, idest unionem praeexistentem elementorum, vel annus sive odium rediit amplo sacramento, quia quadam potentia et secreta virtute rediit ad dominandum in rebus.

[82045] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 15Post quae verba Empedoclis Aristoteles faciens vim in hoc quod dixerat mutabilis, subiungit exponens quasi necessarium ens transmutari: quasi dicat: sic praedicta dixit Empedocles ac si necessarium sit esse transmutationem odii et amoris: sed nullam causam ostendit huius necessitatis. In uno enim animali est manifesta causa transmutationis et odii et amoris, propter motum caeli, qui causat generationem et corruptionem in rebus. Sed talis causa non potest assignari totius universi sic transmutati per amicitiam et litem. Unde patet, quod eius ratio fuit insufficiens.

[82046] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 16Deinde cum dicit attamen tantum ostendit quod praedicta ratio Empedoclis non est ad propositum: et dicit quod hoc solum videtur dicere confesse, idest manifeste, quod non ponit quaedam existentium ex principiis esse corruptibilia, et quaedam non corruptibilia, sed omnia ponit esse corruptibilia praeter sola elementa. Et ita videtur evadere praedictam dubitationem, qua dubitabatur, quare quaedam sunt corruptibilia et quaedam non, si sunt ex eisdem principiis? Unde etiam patet, quod eius ratio non est ad propositum, quia interemit id de quo est dubitatio.

[82047] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 17Sed potest quaeri quomodo hic dicit, quod Empedocles ponebat omnia esse corruptibilia praeter elementa, cum supra dixerit unum esse Deum, scilicet ex aliis principiis compositum praeter quam ex odio? Sed dicendum, quod Empedocles ponebat duplicem corruptionem in rebus, sicut ex praedictis patet. Unam quidem secundum confusionem totius universi, quam faciebat amor; et ab hac corruptione nec ipsum Deum faciebat immunem, cum in eo poneret amorem, qui alia ei commiscebat. Aliam autem corruptionem ponebat singularium rerum, quarum principium est odium. Et hanc corruptionem excludebat a Deo per hoc, quod in eo odium non ponebat. Sic igitur Aristoteles epilogando concludit tot dicta esse ad ostendendum, quod non sunt eadem principia corruptibilium et incorruptibilium.

[82048] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 18Deinde cum dicit si vero obiicit ad contrariam partem per duas rationes: quarum prima est: si non sint eadem principia corruptibilium et incorruptibilium, relinquitur quaestio, utrum principia corruptibilium sint corruptibilia, an incorruptibilia. Si dicatur quod sint corruptibilia, ostendit hoc esse falsum duplici ratione. Quarum prima est: omne corruptibile corrumpitur in ea ex quibus est: si igitur principia corruptibilium sunt corruptibilia, oportet iterum ponere alia principia ex quibus sint. Et hoc inconveniens est, nisi ponantur principia procedere in infinitum. Ostensum autem est in secundo quod secundum nullum genus causae contingit in principiis procedere in infinitum. Similiter etiam est inconveniens si dicatur, quod fit status in principiis corruptibilibus; cum corruptio videatur esse per resolutionem in aliqua priora.

[82049] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 19Secunda ratio est, quia si principia corruptibilium sint corruptibilia, oportet quod corrumpantur, quia omne corruptibile corrumpetur. Sed postquam sunt corrupta non possunt esse principia; quia quod corrumpitur vel corruptum est, non potest causare aliquid. Cum ergo corruptibilia semper causentur per successionem, non potest dici, quod principia corruptibilium sint corruptibilia.

[82050] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 20Si autem dicatur, quod principia corruptibilium sunt incorruptibilia, manifestum est quod principia incorruptibilium sunt incorruptibilia. Relinquitur ergo quaestio, quare ex quibusdam incorruptibilibus principiis producantur effectus corruptibiles, et ex quibusdam effectus incorruptibiles. Hoc enim non videtur esse rationabile; sed aut est impossibile, aut indiget multa manifestatione.

[82051] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 21Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ad principale propositum ponit, quae sumitur ex communi opinione omnium. Nullus enim conatus est hoc dicere, quod sint diversa principia corruptibilium et incorruptibilium; sed omnes dicunt eadem esse principia omnium. Et tamen id quod primo obiectum est, scilicet pro prima parte, ac si esset aliquid modicum omnes leviter transeunt, quod est concedere. Unde litera Boetii habet, sed primum obiectum deglutiunt, sicut hoc parvum quoddam opinantes.

[82052] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 11 n. 22Huius autem dubitationis solutio ponitur in duodecimo: ubi philosophus ostendit prima quidem principia activa vel motiva esse eadem omnium sed quodam ordine. Nam prima quidem sunt principia simpliciter incorruptibilia et immobilia. Sunt autem secunda incorruptibilia et mobilia, scilicet caelestia corpora, quae per sui motum causant generationem et corruptionem in rebus. Principia autem intrinseca non sunt eadem numero corruptibilium et incorruptibilium, sed secundum analogiam. Nec tamen principia intrinseca corruptibilium, quae sunt materia et forma, sunt corruptibilia per se, sed solum per accidens. Sic enim corrumpitur materia et forma corruptibilium, ut habetur in primo physicorum.

LEÇON 11.

(nn. 466-487; [250-265]).

 

Le Philosophe argumente pour savoir si les principes sont identiques ou différents pour les être corruptibles et les êtres incorruptibles.

 

466. Après s’être demandé en général si tous les principes qui sont de même espèce ou qui sont identiques par l’espèce sont aussi identiques par le nombre, le Philosophe cherche ici à savoir si les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles sont identiques par le nombre : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il présente la difficulté [250]. En deuxième lieu il apporte l’argument qui sert à montrer que les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles ne sont pas les mêmes, là [251] où il dit : ¨ Car s’ils sont les mêmes etc.¨. En troisième lieu il apporte les arguments pour montrer que les principes des uns et des autres ne dont pas différents, là [264] où il dit : ¨ Si d’un autre côté ils étaient différents etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [250] qu’il y a un problème qui n’est pas moins négligé par les philosophes modernes qui suivent Platon qu’il le fut par les anciens philosophes qui se demandèrent aussi si les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles sont identiques ou différents.

467. Ensuite lorsqu’il dit [251] : ¨ Car s’ils sont identiques ¨.

   Il argumente pour montrer que les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles ne sont pas les mêmes : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il présente l’argument [251]. En deuxième lieu il réfute la solution qui prétend répondre à  l’argument présenté et à laquelle les poètes théologiens adhéraient, là [252] où il dit : ¨ Certes ceux qui etc.¨. En troisième lieu il rejette la solution à laquelle adhéraient les philosophes de la nature, là [255] où il dit : ¨ Par ceux qui s’expriment par démonstrations etc.¨.

   Il dit donc [251] que si on affirme que les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles sont les mêmes, puisque les mêmes effets découlent des mêmes principes, il semblerait que tous les êtres devraient être corruptibles ou qu’ils devraient tous être incorruptibles. Il reste donc à se demander comment il se fait que certains soient corruptibles alors que d’autres sont incorruptibles, et pour quelle cause il en est ainsi.

468. Ensuite lorsqu’il dit [252] : ¨ Certes ceux qui etc.¨.

   Il écarte la solution des poètes théologiens.

   Et en premier lieu il présente leur solution [252]. En deuxième lieu il argumente contre cette solution, là [253] où il dit : ¨ Manifestement toutes ces paroles leur sont familières etc.¨. Troisièmement il s’excuse de ne pas présenter une réfutation plus soignée de cette position, là [254] où il dit : ¨ Mais au sujet de ces fabulations etc.¨.

   Au sujet du premier point [252] il faut considérer que chez les Grecs, du moins chez les philosophes de la nature, certains de ceux qui recherchaient la sagesse dieux, comme Orphée, Hésiode et certains autres, ont eu recours aux dieux pour cacher sous le manteau des fables la vérité au sujet des choses divines, tout comme Platon cacha la vérité de la philosophie sous le manteau des mathématiques, ainsi que le dit Simplicius dans son commentaire des Prédicaments. Il dit donc que les disciples d’Hésiode et tous ceux qui s’appelaient théologiens s’appliquèrent à ne persuader qu’eux-mêmes et dédaignèrent tous les autres y compris nous-mêmes, à savoir que la vérité qu’ils crurent comprendre, ils l’enseignèrent de telle sorte qu’elle ne pouvait être connue que d’eux seuls. Si en effet la vérité est obscurcie par les fables, nul ne peut savoir ce qui se tient de vrai sous la fable, sauf celui qui l’a construite. Donc ces contemporains d’Hésiode attribuèrent aux premiers principes le nom de dieux et affirmèrent que ceux parmi les dieux qui n’avaient pas goûté de ce doux aliment qu’on appelle nectar ou manne avaient été faits mortels alors que ceux au contraire qui y avaient goûté avaient une nature immortelle.

469. Mais sous cette fable quelque chose de la vérité aurait pu se tenir caché, à savoir de telle manière que par les mots nectar et manne on comprenne la bonté suprême elle-même du premier principe. Car toute douceur d’affection et d’amour se rapporte à la bonté. Ainsi, on peut comprendre leurs paroles en ce sens qu’en raison d’une participation rapprochée de la bonté suprême, certains ont été rendus incorruptibles, comme ceux qui participent parfaitement de l’être divin. D’autres au contraire, en raison de leur éloignement du premier principe, à savoir ceux qui n’ont pas goûté la manne et le nectar, n’ont pas pu se conserver dans une perpétuité numérique, mais seulement dans une perpétuité selon l’espèce, ainsi que le dit le Philosophe au deuxième livre de la Génération. Mais est-ce bien cela ou autre chose qu’ils ont cherché à enseigner de manière occulte, il n’est pas possible de le voir clairement à partir de leurs dires.

470. Ensuite lorsqu’il dit [253] : ¨ Il est clair que ¨.

Il argumente contre la position qui précède : et il dit que ce que les partisans d’Hésiode ont voulu signifier par les noms de nectar et de manne était connu d’eux mais non de nous. Et c’est pourquoi, par rapport à la manière dont ces causes contribuent à répondre à cette question et à défendre l’incorruptibilité des choses, ce qu’ils dirent dépasse notre intelligence. Si en effet on interprète ces paroles au sens propre, elles ne semblent posséder aucune force. En effet les dieux goûtèrent le nectar et la manne soit en raison de la délectation, soit parce qu’ils étaient nécessaires à leur existence. C’est pour ces raisons en effet qu’on prend de la nourriture. S’ils prirent ces aliments en raison du plaisir, le nectar et la manne ne purent être pour les dieux la cause de leur existence de telle manière que par eux ils auraient été rendus incorruptibles car la délectation est plutôt une conséquence de l’existence. Mais si c’est en raison de la nécessité d’exister qu’ils prirent ces aliments, ils n’auront pas toujours besoin de se nourrir à nouveau. Il semble donc que des êtres corruptibles ayant eu antérieurement besoin d’aliments sont rendus incorruptibles au moyen d’aliments, ce qui à nouveau apparaît impossible car il est dans la nature d’un aliment de nourrir que si, une fois détruit, il passe à l’espèce de celui qui est nourri. Mais on ne voit pas comment ce qui est corruptible pourrait causer l’incorruptibilité chez un autre.

471. Ensuite lorsqu’il dit [254] : ¨ Mais au sujet de ces discours sous forme de fables etc.¨.

   Il se justifie de ne pas apporter un examen plus attentif à cette opinion : et il dit que ceux qui pratiquèrent la philosophie selon un mode qui relève de la fable en dissimulant la vérité de la sagesse sous des contes, ne méritent pas qu’on cherche à les étudier avec plus d’attention. Car si on les considère quant à ce qu’elles signifient au sens strict, elles sont trop ridicules pour qu’on se donne la peine d’argumenter contre elles. Si d’un autre côté on estime que sous ces fables se cache une vérité, cette dernière est trop peu évidente pour qu’elle mérite qu’on en fasse la recherche. Et c’est pourquoi on admet qu’Aristote, lorsqu’il argumente contre Platon et d’autres philosophes de la sorte qui enseignèrent en dissimulant leur doctrine sous d’autres choses, n’argumente pas à partir d’une vérité qui serait cachée, mais à partir des paroles mêmes qu’ils expriment extérieurement.

472. Ensuite lorsqu’il dit [255] : ¨ Par ceux qui disent ¨.

   Il argumente à l’encontre de la réponse apportée par certains philosophes de la nature.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il rappelle l’argument [255]. En deuxième lieu il présente la réponse de ces philosophes de la nature, là [256] où il dit : ¨ Il pose en effet un principe qu’il estimait etc.¨. En troisième lieu il réfute cette réponse, là [257] où il dit : ¨ Mais il paraîtra etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [255] qu’ayant mis de côté ceux qui enseignent la vérité sous le voile des fables, il nous faut rechercher la réponse à la question qui précède en nous tournant vers ceux qui procèdent par mode de démonstration; et cette question est de savoir si tout ce qui existe, aussi bien ce qui est éternel par nature que ce qui est soumis à la corruption, procède des mêmes principes. Et parce qu’eux-mêmes ne disent pas quelle est la cause qui explique pourquoi il en est ainsi et qu’il n’est pas même rationnel que les choses se passent ainsi, à savoir de telle manière qu’à partir des mêmes principes certains des êtres soient corruptibles alors que d’autres soient éternels, il semble évident qu’il s’ensuive que les principes et les causes des êtres corruptibles et des êtres éternels ne soient pas les mêmes.

473. Ensuite lorsqu’il dit [256] : ¨ En effet il pose une cause que.¨.

   Il présente une solution : et il dit qu’au sujet de la difficulté précédente, la réponse présentée qui apparaît la plus véritablement juste est celle que présenta Empédocle qui se heurta cependant aux mêmes difficultés que les autres car la réponse qu’il apporta n’est pas plus correcte que celle des autres, ainsi qu’on le montrera. Il affirma en effet qu’il existe certains principes communs aux êtres corruptibles et aux êtres incorruptibles mais il identifia aussi un principe comme étant une cause particulière de corruption pour les éléments, à savoir la haine, de telle manière que c’est l’ajout de cette cause aux autres principes qui entraîne la corruption dans les choses.

474. Ensuite lorsqu’il dit [257] : ¨ Il paraîtra cependant ¨.

   Il rejette la réponse précédente d’Empédocle et il le fait de trois manières.

   En premier lieu il le fait certes en montrant que la réponse d’Empédocle n’est pas cohérente avec sa propre position [257]. Il le fait en deuxième lieu en montrant que cette réponse est  insuffisante, là [261] où il dit : ¨ De la même manière encore lui-même n’apporte aucune cause du changement etc.¨. Il le fait en troisième lieu en montrant qu’elle ne se rapporte pas au propos, là [263] où il dit : ¨ Et cependant il est le seul à dire etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre que sa réponse n’est pas cohérente avec les autres positions qu’il tient sur la haine. En deuxième lieu il montre qu’il en est de même pour celles qu’il tient sur Dieu lui-même, là [258] où il dit : ¨ C’est pour cette raison etc.¨. En troisième lieu, il montre la même chose pour celles qu’il tient sur l’amour, là [260] où il dit : ¨ Mais de même l’amour non plus etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [257] que c’est à tort qu’Empédocle affirma que la haine est cause de corruption car d’après sa position elle n’est pas moins cause de génération des choses, sauf peut-être pour un seul être. Il affirmait en effet que toutes les réalités sont essentiellement composées de la haine et des autres principes, sauf Dieu qui est composé des autres principes à l’exception de la haine. Et le ciel, il l’appelait Dieu, ainsi que nous l’avons vu précédemment au premier livre de ce traité, alors que pour Xénophane, considérant l’ensemble de l’univers, c’est l’unité elle-même qui était appelé Dieu. Empédocle affirmait cependant que le ciel était composé des quatre éléments et de l’amitié mais non de la discorde ou de la haine, considérant l’incorruptibilité du ciel. Mais pour ce qui est des autres choses, il disait qu’elles sont toutes, peu importe ce qu’elles sont, ce qu’elles seront ou ce qu’elles furent, composées de haine : comme les arbres qui croissent, les hommes, les femmes, les bêtes qui sont des animaux terrestres, ainsi que les oiseaux de proie qui vivent longtemps, les poissons qui se nourrissent dans l’eau et les dieux qui vivent longtemps. Mais ces créatures, il semble qu’il les appelle dieux ou étoiles et il disait à leur sujet qu’elles étaient parfois corruptibles, bien qu’après une longue durée, ou qu’il les appelle encore démons dont les Platoniciens affirmaient qu’ils sont des animaux aériens, ou encore des dieux auxquels les Épicuriens attribuaient la forme humaine, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Donc, du fait qu’en dehors de l’Un tous les animaux sont engendrés à partir de la haine, on peut conclure de là que la haine est aussi cause de génération.

475. Et indépendamment de cette raison, il est possible de montrer que sa réponse n’est pas cohérente avec sa position sur la haine pour une autre raison. En effet il est manifeste d’après la position d’Empédocle que s’il n’y avait pas de haine dans les choses, tout serait un. La haine en effet est cause de distinction chez Empédocle. C’est pourquoi Aristote présente les paroles d’Empédocle affirmant que quand toutes les choses sont réunies dans l’unité, par exemple lorsqu’apparaît le chaos, alors finalement s’élèvera la haine qui sépare et qui divise. C’est pourquoi on lit dans Boèce : il les accorde en effet, alors il connaît la discorde finale. Et ainsi il est évident que, puisque l’existence du monde consiste dans la distinction des choses, la haine est la cause de la génération du monde.

476. Ensuite lorsqu’il dit [258] : ¨ C’est pour cette raison que ¨.

   Il présente son deuxième argument tiré de la position d’Empédocle sur Dieu: et il dit que, puisqu’Empédocle affirmait que la haine n’entrait pas dans l’être de Dieu, il résulte de son discours que Dieu, qui selon les dires de tous est le plus heureux des êtres et par conséquent celui qui possède le plus haut savoir, est moins sage que les autres êtres doués de connaissance. Il s’ensuivait en effet d’après l’opinion d’Empédocle que, puisque Dieu n’a pas en lui la haine, il ne connaît pas tous les éléments; de là il ne la connaît pas. Mais d’après l’opinion d’Empédocle il n’y a connaissance du semblable que par le semblable car il affirme que c’est par la terre qu’on connaît la terre, par l’eau que l’on connaît l’eau et ¨ par l’affection ¨, c’est-à-dire par l’amour et l’amitié que l’on connaît ¨ l’affection ¨, c’est-à-dire l’amour et l’amitié; et de même, il affirme que c’est ¨ par la haine que l’on connaît la haine ¨, ce qui est dur, violent et pénible selon les paroles de Boèce qui dit que ¨ c’est par la discorde que l’on connaît le mal de la discorde ¨. Ainsi donc il apparaît qu’Aristote estime injuste de dire que Dieu ignore des choses que nous connaissons, ce qui va à l’encontre de l’affirmation qu’on fait à son sujet en disant de lui qu’il est le plus heureux de tous les êtres. – Mais parce que cet argument semblait être en dehors du propos, c’est pourquoi, revenant au propos principal, il dit [259] qu’en revenant à ce qui était le point de départ de l’argument précédent, il est évident qu’il résulte de l’examen de la position d’Empédocle que la haine n’est pas davantage cause de la corruption que de l’existence des êtres.

477. Ensuite lorsqu’il dit [260] : ¨ Mais de la même manière ¨.

   Il présente le troisième argument qui se tire du côté de l’amour : et il dit que de la même manière encore, l’amour n’est pas la cause de la génération ou de l’existence comme Empédocle le prétendait, si on examine une autre de ses affirmations. Il disait en effet que lorsque tous les éléments se rassembleront dans l’unité, il y aura alors destruction du monde. Et ainsi l’amour se trouve à tout détruire : donc quant à l’ensemble de l’univers l’amour était pour lui cause de corruption alors que la haine était cause de génération; mais quant à chacun des individus de l’univers, la haine était cause de corruption alors que l’amour était cause de génération.

478. Ensuite lorsqu’il dit [261] : ¨ De même encore ¨.

   Il dit que son discours n’était pas suffisant. Il disait en effet que le changement existe dans les choses à cause de la haine et de l’amour, c’est-à-dire de telle manière que parfois l’amour unit toutes les choses alors que par la suite la haine les sépare. Mais la cause de ces transformations du monde qui font qu’à un moment donné c’est la haine qui domine alors qu’à un autre c’est l’amour, il n’en dit rien, sauf de dire que c’est la nature qui fait qu’il en est ainsi.

479. Et il présente par la suite les paroles mêmes d’Empédocle qui, parce qu’elles sont écrites en Grec dans la forme métrique, présentent une certaine difficulté et une certaine différence par rapport à la manière commune de parler. Et telles sont ces paroles tirées de lui [262] : ¨ Mais ainsi une grande haine fut nourrie dans ses membres, et tendait vers la gloire en un temps achevé, qui, changeante, détruisit le lien ¨. Ce que la lecture de Boèce rend de la manière suivante : ¨ Mais lorsqu’une grande haine fut nourrie dans ses membres en vue de la gloire, car elle se développa pendant une année complète, celle-ci revint à une grande union une fois ces choses changées ¨. – Pour comprendre ceci, il faut noter qu’Empédocle parle ici de l’univers d’une manière poétique, comme s’il était un animal dans les membres et les parties duquel existait au début une grande harmonie qu’il appelait l’amour ou l’amitié : mais par la suite peu à peu commença à naître un certain déséquilibre qu’il appelait la discorde. Et de même dans les parties de l’univers existait au début une grande harmonie mais peu à peu par la suite une haine grandit jusqu’à ce qu’elle l’emporte ¨ dans les honneurs ¨, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle domine sur les éléments. Ce qui se réalisa à un moment déterminé et achevé ou suite à une année complète, d’après ce que soutenait Empédocle : ¨laquelle¨, c’est-à-dire la haine ou la discorde ou l’année présentement en cours détruisit ¨l’harmonie¨, c’est-à-dire l’union antérieure entre les éléments, ou bien l’année ou la haine en revint à une grande harmonie car par une puissance et une force secrètes elle revint à dominer dans les choses.

480. Suite à ces paroles d’Empédocle, Aristote, se concentrant sur l’expression ¨changeant¨ ajoute pour l’expliquer qu’il est nécessaire que l’être change, comme s’il avait dit : Ainsi Empédocle a dit ce qui précède comme si le passage de la haine à l’amour était nécessaire, mais il n’indique aucune cause de cette nécessité. En effet, dans un animal en particulier la cause manifeste de l’alternance de l’amour et de la haine se trouve dans les mouvements des corps célestes qui sont causes de génération et de corruption dans les choses. Mais une telle cause ne peut être attribuée à l’ensemble de l’univers de telle manière qu’il serait transformé par l’amitié et la haine. D’où il est évident que son discours fut insuffisant.

481. Ensuite lorsqu’il dit [263] : ¨ Et cependant il est le seul ¨.

   Il montre que le discours précédent d’Empédocle ne se rapporte pas au propos. Et il dit que la seule chose qu’Empédocle semble reconnaître ¨clairement¨, c’est-à-dire manifestement, c’est qu’il n’affirme pas qu’à partir des principes apparaissent des êtres corruptibles et d’autres incorruptibles, mais il affirme au contraire que tous les êtres, sauf les éléments, sont corruptibles. Et il semble ainsi éviter le problème précédent qui est de savoir pourquoi certains êtres sont corruptibles et d’autres non s’ils proviennent tous des mêmes principes. Et c’est pourquoi encore son discours ne se rapporte pas au propos puisqu’il fait disparaître ce sur quoi porte le problème.

482. Mais on pourrait se demander pourquoi il dit ici qu’Empédocle affirmait que tous les êtres, sauf les éléments, sont corruptibles puisqu’il avait dit précédemment que l’un est dieu et qu’il est composé des autres éléments à l’exception de la haine. Et il faut dire qu’Empédocle affirmait l’existence de deux sortes de corruptions dans les choses ainsi qu’on le voit à partir de ce qui précède. La première existe d’après le mélange de tout l’univers dont l’amour est la cause; et il ne mettait pas dieu à l’abri de cette corruption puisqu’il mettait en lui l’amour qui mélangeait à lui tout le reste. La deuxième corruption qu’Empédocle posait est celle qui se rapporte à chaque chose individuelle et dont le principe est la haine. Et il excluait ce type de corruption de Dieu du fait qu’il affirmait que la haine n’est pas en Lui. Ainsi donc Aristote en résumant conclut que toutes ces choses n’ont pour but que de montrer que les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles ne sont pas les mêmes.

483. Ensuite lorsqu’il dit [264] : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la conclusion opposée au moyen de deux arguments, dont voici le premier. Si les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles ne sont pas les mêmes, il reste la question de savoir si les principes des êtres corruptibles sont corruptibles ou incorruptibles. Si on dit qu’ils sont corruptibles, il montre que cela est faux pour deux raisons, dont voici la première. Tout être corruptible est réduit par la corruption aux éléments à partir desquels il est engendré; si donc les principes des êtres corruptibles sont corruptibles, il faudra une nouvelle fois affirmer l’existence d’autres principes à partir desquels ces principes sont apparus. Mais cela est incorrect, à moins d’affirmer qu’il faille procéder à l’infini dans les principes. Mais on a montré au deuxième livre de ce traité qu’on ne peut procéder à l’infini dans les principes dans aucun genre de causes. De même encore, même si on affirme que dans les principes corruptibles on finit par s’arrêter à un premier, la situation ne sera pas plus tenable car toute corruption semble se réaliser par la résolution en des éléments antérieurs.

484. La deuxième raison, c’est que si les principes des êtres corruptibles sont corruptibles, il faut qu’ils se corrompent car tout être corruptible est appelé à se corrompre. Mais après la corruption, ils ne peuvent plus être des principes parce que ce qui se corrompt ou ce qui est corrompu ne peut plus rien causer. Donc, puisque tous les êtres corruptibles sont toujours produits par succession, on ne peut dire que les principes des êtres corruptibles soient corruptibles.

485. Mais si on affirme d’un autre côté que les principes des êtres corruptibles sont incorruptibles, il est manifeste que les principes des êtres incorruptibles sont eux aussi incorruptibles. Il reste donc la question de savoir pourquoi, à partir de certains principes incorruptibles sont causés des effets corruptibles alors qu’à partir de certains autres principes incorruptibles sont produits des effets incorruptibles. Cela en effet ne semble pas rationnel : ou bien cela est impossible ou bien cela demande à être manifesté considérablement.

486. Ensuite lorsqu’il dit [265] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le deuxième argument en vue du propos principal, lequel est tiré de l’opinion commune. Nul en effet n’est porté à affirmer que les principes des êtres corruptibles et ceux des êtres incorruptibles sont différents, mais ils affirment plutôt que ces principes sont les mêmes pour tous les êtres. Et cependant, ce que nous avons présenté au début comme objection, à savoir dans la première partie, tous n’ont fait que l’effleurer avec légèreté comme si c’était là quelque chose de peu d’importance. C’est pourquoi on lit dans Boèce : ¨Ils avalent ce qui leur est présenté en premier comme s’ils croyaient que c’est là quelque chose de négligeable¨.

487. Cependant la solution à ce problème est présentée au douzième livre où le Philosophe montre certes que les premiers principes actifs ou moteurs sont les mêmes pour tous mais selon un certain ordre car les premiers principes sont purement et simplement incorruptibles et immobiles. D’autre part les principes seconds, à savoir les corps célestes, sont incorruptibles et mobiles, lesquels par leurs mouvements causent la génération et la corruption dans les choses. Mais les principes intérieurs des êtres corruptibles et des êtres incorruptibles ne sont pas les mêmes par le nombre, mais seulement par analogie. Et cependant les principes intérieurs des êtres corruptibles, à savoir la matière et la forme, ne sont pas corruptibles en eux-mêmes, mais seulement par accident. C’est ainsi en effet que la matière et la forme des êtres corruptibles se corrompent, ainsi qu’on le montre au premier livre des Physiques.

 

 

LECTIO 12

[82053] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 1Postquam philosophus inquisivit utrum principia sint eadem vel diversa, hic inquirit quomodo se habeat ipsum unum ad hoc quod sit principium: et circa hoc tria facit. Primo inquirit, an ipsum unum sit principium. Secundo inquirit an numeri, qui ex uno oriuntur vel consequuntur, sint principia rerum, ibi, horum autem habita dubitatio et cetera. Tertio inquirit utrum species, quae sunt quaedam unitates separatae, sint principia, ibi, omnino vero dubitabit aliquis et cetera. Et circa primum tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo ponit opiniones ad utramque partem, ibi, hi namque illo modo. Tertio ponit rationes ad utramque partem, ibi, accidit autem si quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod inter omnes alias quaestiones motas una est difficilior ad considerandum, propter efficaciam rationum ad utramque partem, in qua etiam veritatem cognoscere est maxime necessarium, quia ex hoc dependet iudicium de substantiis rerum. Est ergo quaestio ista, utrum unum et ens sint substantiae rerum, ita scilicet quod neutrum eorum oporteat attribuere alicui alteri naturae quae quasi informetur unitate et entitate, sed potius ipsa unitas et esse rei sit eius substantia: vel e contrario oportet inquirere quid sit illud, cui convenit esse unum vel ens, quasi quaedam alia natura subiecta entitati et unitati.

[82054] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 2Deinde cum dicit hi namque ponit opiniones ad utramque partem: et dicit, quod philosophorum quidam opinati sunt naturam rerum se habere uno modo, quidam alio. Plato enim et Pythagorici non posuerunt quod unum et ens advenirent alicui naturae, sed unum et ens essent natura rerum, quasi hoc ipsum quod est esse et unitas sit substantia rerum. Alii vero philosophi de naturalibus loquentes, attribuerunt unum et ens aliquibus aliis naturis, sicut Empedocles reducit unum ad aliquid notius, quod dicebant esse unum et ens. Et hoc videtur esse amor, qui est causa unitatis in omnibus. Alii vero philosophi naturales attribuerunt quibusdam causis elementaribus, sive ponerent unum primum, ut ignem vel aerem, sive etiam ponerent plura principia. Cum enim ponerent principia rerum materialia esse substantias rerum, oportebat quod in unoquoque eorum constituerent unitatem et entitatem rerum, ita quod quicquid aliquis poneret esse principium, ex consequenti opinaretur, quod per illud attribuitur omnibus esse et unum, sive poneret unum principium sive plura.

[82055] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 3Deinde cum dicit accidit autem ponit rationes ad utramque partem. Et primo ponit rationes pro opinione Platonis et Pythagorae. Secundo ponit rationes in contrarium pro opinione naturalium, ibi, at vero si erit et cetera. Circa primum, utitur tali divisione. Necesse est ponere quod vel ipsum unum et ens separatum sit quaedam substantia, vel non: si dicatur quod non est aliqua substantia quae sit unum et ens, sequuntur duo inconvenientia. Quorum primum est, quod dicitur unum et ens quod sint maxime universalia inter omnia. Si igitur unum et ens non sunt separata quasi ipsum unum aut ens sit substantia quaedam, sic sequitur quod nullum universale sit separatum: et ita sequetur quod nihil erit in rebus nisi singularia: quod videtur esse inconveniens, ut in superioribus quaestionibus habitum est.

[82056] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 4Aliud inconveniens est, quia numerus non est aliud quam unitates: ex unitatibus enim componitur numerus. Unitas enim nihil aliud est quam ipsum unum. Si igitur ipsum unum, non sit separatum quasi substantia per se existens, sequetur quod numerus non erat quaedam natura separata ab his quae sunt in materia. Quod potest probari esse inconveniens, secundum ea quae dicta sunt in superioribus. Sic ergo non potest dici quod unum et ens non sit aliqua substantia per se existens.

[82057] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 5Si ergo detur alia pars divisionis, scilicet quod aliquid sit ipsum unum et ens separatum existens, necesse est quod ipsum sit substantia omnium eorum, de quibus dicitur unum et ens. Omne enim separatum existens, quod de pluribus praedicatur, est substantia eorum de quibus praedicatur. Sed nihil aliud praedicatur ita universaliter de omnibus sicut unum et ens; ergo unum et ens erit substantia omnium.

[82058] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 6Deinde cum dicit at vero obiicit ad partem contrariam; et ponit duas rationes, quarum secunda incipit ibi, amplius si indivisibile et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit rationem. Secundo ostendit quomodo ex ratione inducta quaestio redditur difficilis, ibi, utrobique vero difficile et cetera. Est ergo prima ratio talis. Si est aliquid, quod est ipsum ens et ipsum unum, quasi separatum existens, oportebit dicere quod idipsum sit unum quod ens. Sed quicquid est diversum ab ente non est; ergo sequetur secundum rationem Parmenidis, quod quicquid est praeter unum sit non ens. Et ita necesse erit omnia esse unum; quia non poterit poni quod id quod est diversum ab uno, quod est per se separatum, sit aliquod ens.

[82059] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 7Deinde cum dicit utrobique vero ostendit quomodo ista ratio difficultatem facit in opinione Platonis ponentis numerum esse substantiam rerum: et dicit quod ex utraque parte sequitur difficultas contra eum, sive dicatur quod ipsum unum separatum sit substantia quaedam, sive quod non sit. Quodcumque enim horum ponatur, videtur impossibile esse, quod numerus sit substantia rerum. Quia si ponatur quod unum non sit substantia, dictum est prius, quare numerus non potest poni substantia.

[82060] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 8Si autem ipsum unum fuerit substantia, oportet quod eadem dubitatio ponatur circa unum et ens. Aut enim praeter ipsum unum, quod est separatum per se existens, est aliud aliquod unum, aut non. Et si quidem non sit aliquod aliud unum, non erit iam multitudo, sicut Parmenides dicebat. Si autem sit aliquod aliud unum oportebit, quod illud aliud unum, cum non sit hoc ipsum quod est unum, quod sit materialiter ex aliquo quod est praeter ipsum unum, et per consequens praeter ens. Et sic necesse est ut illud aliquid, ex quo fit illud secundum unum, non sit ens. Et sic ex ipso uno quod est praeter ipsum unum, non potest constitui multitudo in entibus: quia omnia entia aut sunt unum, aut multa, quorum unumquodque est unum. Hoc autem unum est materialiter ex eo quod non est unum nec ens.

[82061] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 9Deinde cum dicit amplius si ponit secundam rationem; et circa hoc tria facit. Primo ponit rationem. Secundo solvit eam, ibi, sed quoniam et cetera. Tertio ostendit adhuc difficultatem remanere, ibi, sed quomodo ex uno et cetera. Dicit ergo primo, quod si ipsum unum separatum sit indivisibile, sequitur secundum hoc, aliud, quod supponebat Zeno, quod nihil sit. Supponebat enim Zeno, quod illud, quod additum non facit maius, et ablatum non facit minus, non est aliquid existentium. Hoc autem supponit ac si idem sit ens quod magnitudo. Manifestum est enim quod non est magnitudo, illud scilicet quod additum non facit maius et subtractum non facit minus. Sic ergo si omne ens esset magnitudo, sequeretur quod illud, quod non facit maius et minus additum et subtractum, non sit ens.

[82062] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 10Et adhuc perfectius si aliquid velit hoc verificare, oportebit quod omne ens sit magnitudo corporalis. Corpus enim secundum quamcumque dimensionem additum et subtractum facit maius et minus. Aliae vero magnitudines, ut superficies et lineae, secundum aliquam dimensionem additam facerent maius, secundum autem aliquam non. Linea enim addita lineae secundum longitudinem facit maius, non autem secundum latitudinem. Superficies autem addita superficiei facit quidem maius secundum latitudinem et longitudinem, sed non secundum profunditatem. Punctus autem et unitas nullo modo faciunt maius vel minus. Sic ergo secundum principium Zenonis sequeretur quod punctus et unitas sint omnino non entia, corpus autem omnimodo ens, superficies et linea quodammodo entia et quodammodo non entia.

[82063] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 11Deinde cum dicit sed quoniam solvit propositam rationem: et dicit, quod quia Zeno proponendo tale principium speculatur onerose, idest ruditer et grosse, ita quod secundum ipsum non contingit aliquid esse indivisibile, oportet quod aliqua responsio praedictae rationi detur, et si non sit ad rem, sit tamen ad hominem. Dicemus autem quod unum etsi additum alteri non faciat maius, facit tamen plus. Et hoc sufficit ad rationem entis, quod faciat maius in continuis, et plus in discretis.

[82064] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 12Deinde cum dicit sed quomodo ostendit difficultatem, quae adhuc remanet Platonicis post praedictam solutionem. Et inducit duas difficultates. Quarum prima est, quia Platonici ponebant, quod illud unum indivisibile, non solum est causa numeri, qui est pluralitas quaedam, sed etiam est causa magnitudinis. Si igitur detur, quod unum additum faciat plus, quod videtur sufficere ad hoc quod unum sit causa numeri, quomodo poterit esse quod ex tali uno indivisibili, aut ex pluribus talibus, fiat magnitudo, ut Platonici posuerunt? Simile enim hoc videtur, si aliquis ponat lineam ex punctis. Nam unitas est indivisibilis sicut et punctus.

[82065] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 13Secundam difficultatem ponit ibi at vero et dicit: si quis existimet ita, quod numerus sit effectus ex uno indivisibili, et ex aliquo alio quod non sit unum, sed participet unum sicut quaedam materialis natura, ut quidam dicunt; nihilominus remanet quaerendum propter quid, et per quem modum illud, quod fit ex illo uno formali et alia natura materiali, quae dicitur non unum, quandoque est numerus, quandoque autem est magnitudo. Et praecipue si illud non unum materiale sit inaequalitas, quae significatur per magnum, et sit eadem natura. Non enim est manifestum quomodo ex hac inaequalitate quasi materia et uno formali fiant numeri; neque etiam quomodo ex aliquo numero formali et hac inaequalitate quasi materiali fiant magnitudines. Ponebant enim Platonici quod ex primo uno et ex prima dualitate fiebat numerus, ex quo numero et a qua inaequalitate materiali fiebat magnitudo.

[82066] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 12 n. 14Huius autem dubitationis solutio ab Aristotele in sequentibus traditur. Quod enim sit aliquod separatum, quod sit ipsum unum et ens, infra in duodecimo probabit, ostendens unitatem primi principii omnino separati, quod tamen non est substantia omnium eorum quae sunt unum, sicut Platonici putabant, sed est omnibus unitatis causa et principium. Unum autem, secundum quod dicitur de aliis rebus, dicitur dupliciter. Uno modo secundum quod convertitur cum ente: et sic unaquaeque res est una per suam essentiam, ut infra in quarto probabitur, nec aliquid addit unum supra ens nisi solam rationem indivisionis. Alio modo dicitur unum secundum quod significat rationem primae mensurae, vel simpliciter, vel in aliquo genere. Et hoc quidem si sit simpliciter minimum et indivisibile, est unum quod est principium et mensura numeri. Si autem non sit simpliciter minimum et indivisibile, nec simpliciter, sed secundum positionem erit unum et mensura, ut as in ponderibus, et diesis in melodiis, et mensura pedalis in lineis: et ex tali uno nihil prohibet componi magnitudinem: et hoc determinabit in decimo huius. Sed quia Platonici aestimaverunt idem esse unum quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente; ideo posuerunt unum quod est principium numeri, esse substantiam cuiuslibet rei, et per consequens numerum, inquantum ex pluribus substantialibus principiis, rerum compositarum substantia consistit vel constat. Hanc autem quaestionem diffusius pertractabit in tertiodecimo et quartodecimo.

LEÇON 12.

(nn. 488-501; [266-274]).

 

Il se demande si l’un et l’être sont la substance et le principe de toutes les choses.

 

488. Après avoir cherché à savoir si les principes sont les mêmes pour tous les êtres ou s’ils sont différents, le Philosophe se demande ici comment l’un se rapporte à la notion de principe : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il se demande si l’un lui-même est un principe [266]. En deuxième lieu il se demande si les nombres qui naissent de l’un ou qui en proviennent, sont les principes des choses, là [275] où il dit : ¨ Mais un problème qui se rattache à ceux-là etc.¨. En troisième lieu il se demande si les Idées, lesquelles sont certaines unités séparées, sont des principes, là [284] où il dit : ¨ D’un autre côté on peut se demander d’une manière générale etc.¨.

   Et au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il soulève un problème [266]. En deuxième lieu il présente les opinions qui se rapportent aux deux parties, là [267] où il dit : ¨ Car ceux-ci considèrent de cette façon etc.¨. En troisième lieu il présente les arguments qui se rapportent à chacune des deux parties, là [268] où il dit : ¨ Il s’ensuit cependant si certes on etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [266] que parmi toutes les questions soulevées, il y en a une qui est plus difficile à considérer à cause de la force des arguments présentés par les deux parties, et pour laquelle il est encore suprêmement nécessaire de connaître la vérité car c’est sur elle que reposera le jugement qu’on devra porter sur les substances des choses. Cette question est donc de savoir si l’un et l’être sont les substances des choses de telle manière qu’aucun des deux ne doive être attribué à une autre nature qui serait comme informée par l’un et par l’être mais plutôt de telle sorte que l’un et l’être mêmes de la chose seraient la substance de cette nature; ou alors au contraire s’il n’en est pas ainsi, il faut se demander quel est cet autre principe auquel appartient l’unité et l’existence et qui est comme une autre nature servant de substrat à l’un et à l’être.

489. Ensuite lorsqu’il dit [267] : ¨ Car ceux qui ¨.

   Il présente les opinions relatives aux deux parties : et il dit que certains des philosophes crurent que la nature des choses se présente d’une manière alors que d’autres pensèrent qu’elle se présente autrement. En effet, Platon et les Pythagoriciens n’affirmèrent pas que l’un et l’être s’ajoutent à une nature mais plutôt ils disaient que l’un et l’être sont la nature des choses au sens où c’est cela même qui est l’être et l’unité qui est la substance des choses. D’un autre côté d’autres philosophes parlant des choses naturelles attribuèrent l’un et l’être à d’autres natures, comme Empédocle qui ramena l’un à quelque chose de plus connu et à quoi ils attribuait l’un et l’être. Et cela semble avoir été l’amour qui est la cause de l’unité dans toutes les choses. Enfin d’autres philosophes naturalistes attribuèrent l’unité et l’être à certaines causes élémentaires qu’ils présentèrent soit comme étant un premier principe unique, comme le feu ou l’air, soit comme étant des principes multiples. Puisqu’en effet ils affirmaient que ce sont les principes matériels des choses qui sont leur substance, il fallait que ce soit dans l’un d’eux qu’ils établissent l’unité et l’être des choses de telle manière que, peu importe ce qu’un tel affirmait être principe unique ou multiple, il estimait par la suite à partir de là que c’est grâce à ce principe matériel que l’être et l’unité sont attribués à toutes les choses.

490. Ensuite lorsqu’il dit [268] : ¨ Il s’ensuit cependant ¨.

   Il présente les raisons qui se rapportent aux deux parties.

   Et en premier lieu il présente les arguments qui sont en faveur de l’opinion de Platon et de Pythagore. En deuxième lieu il présente les arguments opposés en faveur de l’opinion des naturalistes, là [269] où il dit : ¨ Et d’un autre côté s’il existe etc.¨.

   Au sujet du premier point [268] il se sert de la division suivante. Il est nécessaire d’affirmer ou bien que l’un et l’être séparé est une substance, ou bien qu’il ne l’est pas : si on dit qu’il n’y a pas de substance qui soit l’un et l’être, deux problèmes découlent de là. Le premier, c’est que du fait qu’on dit que l’un et l’être sont parmi les universels ceux qui le sont suprêmement, si l’un et l’être n’existe pas séparément en tant que substance, il s’ensuit qu’aucun universel n’existe séparément et que par conséquent il n’existerait rien d’autre dans les choses que les singuliers; ce qui apparaît comme inadmissible ainsi que nous l’avons établi dans les questions précédentes.

491. Le deuxième problème est que le nombre n’est rien d’autre que des unités : en effet le nombre est composé d’unités. L’unité en effet n’est rien d’autre que l’un lui-même. Si donc l’un lui-même n’est pas séparé en tant que substance existant par elle-même, il s’ensuit que le nombre ne sera pas une nature séparée de celles qui existent dans la matière. Et on peut montrer que cette conséquence est incorrecte en s’appuyant sur les choses qui ont été dites précédemment. Ainsi donc on ne peut affirmer que l’un et l’être n’est pas une substance existant par elle-même.

492. Si donc on accorde l’autre partie de la division, à savoir que l’un et l’être existe séparément en tant que substance, il s’ensuit qu’il soit la substance de toutes les choses auxquelles l’un et l’être est attribué. En effet tout être existant séparément et qui est attribué à plusieurs est la substance des choses auxquelles il est attribué. Mais rien d’autre que l’un et l’être n’est ainsi attribué à tous d’une manière si universelle; l’un et l’être sera donc la substance de tous les êtres.

493. Ensuite lorsqu’il dit [269] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la partie contraire; et il présente deux arguments, dont le deuxième commence là [271] où il dit : ¨ En outre si l’un est indivisible etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente l’argument [269]. En deuxième lieu il montre comment la question est rendue difficile une fois l’argument présenté, là [270] où il dit : ¨ Les deux présentent des difficultés etc.¨.

   Le premier argument se présente donc de la manière suivante [269]. S’il existe quelque chose qui est l’être en soi et l’un en soi existant comme séparément, il faudra dire cela même que l’un s’identifie avec l’être. Mais quiconque est autre que l’être n’existe pas; il s’ensuit donc d’après le raisonnement de Parménide que quiconque est en dehors de l’un n’est rien. Et ainsi il sera nécessaire que tous les êtres soient un car on ne pourra soutenir qu’il existe une être autre que l’un qui existe par soi et séparément.

494. Ensuite lorsqu’il dit [270] : ¨ D’un autre côté les deux ¨.

   Il montre comment cet argument pose un problème à l’opinion de Platon qui affirme que le nombre est la substance des choses : et il dit que dans les deux cas, qu’on affirme que l’un en soi séparé soit une substance ou qu’on affirme qu’il n’en est pas une, il s’ensuit un problème pour l’opinion de Platon. Dans les deux cas en effet il semble impossible que le nombre soit la substance des choses. Car si on affirme que l’un en soi n’est pas une substance, nous avons déjà dit pourquoi le nombre ne peut être posé comme substance.

495. Mais si l’un en soi est une substance, il faut poser la même difficulté que celle soulevée au sujet de l’être. Ou bien en effet en dehors de l’un en soi qui existe par soi et séparément il existe un autre un ou bien il n’en existe pas. Et s’il n’existe pas un autre un, il n’y aura pas une multiplicité d’êtres ainsi que le disait Parménide. Mais s’il existe un autre un, il faudra que cet autre un, puisqu’il n’est pas l’un en soi, existe matériellement à partir d’un autre qui existe en dehors de l’un en soi et par conséquent en dehors de l’être. Et il faudra nécessairement que cet autre d’où provient le deuxième un ne soit pas de l’être. Et ainsi on ne peut établir une multiplicité dans les êtres à partir de cet un qui existerait en dehors de l’un en soi. Car tous les êtres sont ou bien un ou bien une multiplicité dont chacun est une unité. Mais cet un existe matériellement à partir de ce qui n’est ni un ni être.

496. Ensuite lorsqu’il dit [271] : ¨ Si en outre ¨.

   Il présente le deuxième argument et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente l’argument [271]. En deuxième lieu il le résout, là [272] où il dit : ¨ Mais puisque etc.¨. En troisième lieu il montre en outre qu’une difficulté demeure, là [273] : ¨ Mais comment à partir de l’un etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [271] que si l’un en soi et séparé est indivisible il s’ensuit d’après cela autre chose que supposait Zénon, à savoir qu’il n’est rien. En effet Zénon supposait que ce qui, étant ajouté ne rend pas plus grand et retranché ne rend pas plus petit, n’existe pas. Il supposait en effet que l’être s’identifie avec la grandeur. Et il est manifeste en effet que cela, qui étant ajouté de rend pas plus grand et retranché ne rend pas plus petit, n’est pas une grandeur. Ainsi donc si tout être était une grandeur il s’ensuivrait que cela, qui ne rend pas plus grand et plus petit une fois ajouté et retranché, n’est pas de l’être.

497. Et si quelqu’un voulait vérifier cela plus parfaitement encore, il verrait que selon cette opinion  tout être doit être une grandeur corporelle. Tout corps en effet ajouté ou retranché rend plus grand et plus petit selon n’importe quelle dimension. D’un autre côté les autres grandeurs, comme les surfaces et les lignes rendent plus grand selon une certaine dimension mais non selon une autre. En effet, une ligne ajoutée à une autre selon la longueur la rend plus grande, mais non selon la largeur. Et une surface ajoutée à une autre la rend plus grande selon la longueur et la largeur mais non selon la profondeur. Mais le point et l’unité ne rendent en aucune manière plus grand ou plus petit. Il s’ensuivrait donc d’après l’opinion de Zénon que le point et l’unité seraient du non-être absolu, que le corps serait l’être à parler absolument, et que la surface et la ligne seraient de l’être sous un certain rapport et du non-être sous un autre rapport.

498. Ensuite lorsqu’il dit [272] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il résout l’argument présenté : et il dit que, parce que Zénon raisonne ¨ lourdement ¨, c’est-à-dire d’une manière grossière et sans nuances en présentant un tel principe, de telle manière qu’il ne peut arriver selon lui qu’il y ait quelque chose d’indivisible, il faut donner une réponse à cet argument qui est le sien, réponse qui, si elle ne se rapporte pas au problème en lui-même, se rapporte au moins à l’argumentation de l’homme qui est Zénon. Et c’est pourquoi nous disons que l’un, même si ajouté à un autre n’augmente pas la grandeur, il augmente néanmoins le nombre. Et il suffit à la notion d’être qu’elle augmente la dimension dans les quantités continues et le nombre dans les quantités discrètes.

499. Ensuite lorsqu’il dit [273] : ¨ Mais comment ¨.

   Il montre la difficulté qui demeure encore pour les Platoniciens suite à la résolution précédente. Et il présente deux difficultés dont la première est que les Platoniciens affirmaient que cet un indivisible est non seulement la cause du nombre qui est une certaine multiplicité mais aussi la cause de la grandeur. Si donc on accorde que l’un ajouté à un autre augmente le nombre et que cela semble suffire à faire de l’un la cause du nombre, comment pourra-t-on expliquer que la grandeur provienne d’un tel un indivisible ou de plusieurs, ainsi que le soutenaient les Platoniciens? C’est comme si on soutenait que la ligne provient de la multiplicité des points car l’unité, tout comme le point, est indivisible.

500. Il présente la deuxième difficulté là [274] où il dit : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Et il dit que si on estime que le nombre provient de l’un indivisible et d’un autre qui n’est pas l’un mais qui en participe à titre de nature matérielle, ainsi que certains le prétendent, il reste néanmoins à se demander pour quelle raison et de quelle manière ce qui provient de cet un formel et de cette nature matérielle qui n’est pas l’un, est tantôt un nombre et tantôt une grandeur, surtout si ce principe matériel qui n’est pas l’un est l’inégalité qui est signifiée par le grand et qui est de même nature. En effet il n’est pas évident de voir comment les nombres peuvent provenir de cette inégalité quasi matérielle et de l’un formel ou comment les grandeurs peuvent provenir du nombre formel et de cette inégalité quasi matérielle. Les Platoniciens affirmaient en effet que le nombre provient de la première unité et de la première dualité et que la grandeur provient de ce nombre et de l’inégalité matérielle.

501. Et Aristote présente la réponse à cette question dans les livres qui suivent. C’est plus loin dans le douzième livre qu’il prouvera qu’il existe un Être séparé qui est à la fois l’Un et l’Être en soi en montrant l’unité du tout premier principe absolument séparé de tout et qui n’est cependant pas la substance de toutes les choses qui possèdent de l’unité, contrairement à ce qu’affirmaient les Platoniciens, mais qui est plutôt pour elles principe et cause de leur unité. Mais l’un, selon qu’on l’attribue aux autres êtres, se dit de deux manières. Premièrement selon qu’il se convertit avec l’être : et ainsi toute chose est une de par son essence ainsi qu’on le prouvera au quatrième livre et en ce sens l’un n’ajoute rien à l’être que la seule notion d’indivision; - Deuxièmement,        il se dit aussi des autres choses selon qu’il signifie la notion de mesure première soit purement et simplement, soit dans un genre déterminé; et s’il s’agit purement et simplement de l’un minimal et indivisible, il s’agit de l’un qui est principe et mesure du nombre. Mais s’il ne s’agit pas de l’un minimal indivisible purement et simplement, il n’est pas un et mesure de façon absolue mais seulement selon une situation donnée et il s’agira alors d’une unité de mesure comme celle qu’on retrouve pour les poids ou comme le dièse en musique ou encore comme le pied pour les lignes : et alors rien n’empêche qu’une grandeur soit composée d’une telle unité, ce qui sera établi au dixième livre de ce traité. Mais parce que les Platoniciens confondaient l’un comme principe du nombre et l’un qui se convertit avec l’être, c’est pourquoi ils ont affirmé que l’un qui est principe du nombre est aussi la substance de toutes les choses et par conséquent que le nombre, parce qu’il est issu d’une multiplicité de principes substantiels, soutient ou constitue la substance des choses composées. Le Philosophe traitera plus à fond cette question par la suite, au treizième et au quatorzième livre.

 

 

LECTIO 13

[82067] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 1Postquam philosophus inquisivit utrum unum et ens sint substantia rerum, hic inquirit utrum numerus et magnitudo sint substantia rerum: et circa hoc tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo obiicit pro una parte, ibi, nam si non sunt et cetera. Tertio obiicit ad contraria, ibi, at vero si hoc quidem confessum est et cetera. Dicit ergo primo, quod dubitatio habita, idest consequens ad praemissam, est, utrum numeri et magnitudines, scilicet corpora et superficies et termini eorum, ut puncta, sint aliquae substantiae vel a rebus separatae, vel etiam sint substantiae ipsorum sensibilium, aut non. Dicit autem hanc dubitationem esse consequentem ad praemissam; quia in praemissa dubitatione quaerebatur utrum unum sit substantia rerum; unum autem est principium numeri; numerus autem videtur esse substantia magnitudinis; sicut et punctum, quod est principium magnitudinis, nihil aliud videtur quam unitas positionem habens, et linea dualitas positionem habens. Prima autem superficies est ternarius positionem habens, corpus autem quaternarius positionem habens.

[82068] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 2Deinde cum dicit nam si non obiicit ad ostendendum quod praedicta sint substantiae rerum: et circa hoc duo facit. Primo obiicit ad ostendendum quod praedicta sunt substantiae rerum. Secundo ostendit quomodo philosophi praecedentes secuti fuerunt rationes primas, ibi, propter quod multi. Circa primum duo facit. Primo enim obiicit ad ostendendum quod corpus sit substantia rerum. Secundo quod multo magis alia, ibi, at vero corpus et cetera. Dicit ergo primo, quod si praedicta non sunt substantiae quaedam, fugiet a nobis quid sit substantialiter ens, et quae sunt substantiae entium. Manifestum est enim quod passiones et motus, et relationes, et dispositiones seu ordines, et orationes secundum quod voce proferuntur, prout ponuntur in genere quantitatis, non videntur alicuius significare substantiam, quia omnia huiusmodi videntur dici de aliquo subiecto, et nihil eorum significare hoc aliquid, idest aliquid absolutum et per se subsistens. Et hoc specialiter manifestum est in praemissis, qui non dicuntur absolute, sed eorum ratio in quadam relatione consistit. Inter omnia vero, quae maxime videntur significare substantiam, sunt ignis et terra et aqua, ex quibus componuntur corpora multa. Praetermittit autem aerem, quia minus est sensibilis, unde aliqui opinati sunt aerem nihil esse. In his autem corporibus inveniuntur quaedam dispositiones, scilicet calor et frigus et aliae huiusmodi passiones vel passibiles qualitates, quae non sunt substantiae secundum praedicta. Unde relinquitur quod solum corpus sit substantia.

[82069] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 3Deinde cum dicit at vero, procedit ulterius ad alia, quae etiam videntur magis esse substantia quam corpus: et dicit, quod corpus videtur minus esse substantia quam superficies, et superficies minus quam linea, et linea minus quam punctus aut unitas. Et hoc probat per duo media: quorum unum est; quia id, per quod aliquid definitur, videtur esse substantia eius: nam definitio significat substantiam. Sed corpus definitur per superficiem, et superficies per lineam, et linea per punctum, et punctus per unitatem, quia dicunt quod punctus est unitas positionem habens: ergo superficies est substantia corporis, et sic de aliis.

[82070] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 4Secundum medium est, quia cum substantia sit primum in entibus, illud quod est prius, videtur esse magis substantia: sed superficies natura prior est corpore, quia superficies potest esse sine corpore non autem corpus sine superficie: ergo superficies est magis substantia quam corpus. Et idem potest argui de omnibus aliis per ordinem.

[82071] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 5Deinde cum dicit propter quod ostendit quomodo philosophi praecedentes secuti fuerunt praedictas rationes; et dicit, quod propter praedictas rationes multi antiquorum philosophorum, et maxime illi, qui fuerunt priores, nihil opinabantur esse ens et substantiam nisi corpus, omnia vero alia esse quaedam accidentia corporis. Et inde est, quod quando volebant inquirere principia entium, inquirebant principia corporum, ut supra in primo circa opiniones antiquorum naturalium habitum est. Alii vero posteriores philosophi, qui reputabantur sapientiores praedictis philosophis, quasi altius attingentes ad principia rerum, scilicet Pythagorici et Platonici, opinati sunt numeros esse rerum substantias, inquantum scilicet numeri componuntur ex unitatibus. Unum autem videtur esse una substantia rerum. Sic ergo videtur secundum praemissas rationes et philosophorum opiniones, quod si praedicta non sunt substantiae rerum, scilicet numeri et lineae et superficies et corpora, nihil erit ens. Non est enim dignum ut, si ista non sunt entia, quod accidentia eorum entia vocentur.

[82072] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 6Deinde cum dicit at vero obiicit in contrarium: et ponit quatuor rationes: quarum prima talis est. Si quis confitetur, quod longitudines et puncta sint magis substantiae quam corpora, sequetur quod, si huiusmodi non sint substantiae, et corpora non sint substantiae; et per consequens nihil erit substantia, quia accidentia corporum non sunt substantiae, ut supra dictum est. Sed puncta et linea et superficies non sunt substantiae. Haec enim oportet aliquorum corporum esse terminos; nam punctus est terminus lineae, linea superficiei, et superficies corporis. Non autem videtur qualium corporum sint illae superficies, quae sunt substantiae, vel lineae, vel puncta. Manifestum enim est, quod lineae et superficies sensibilium corporum non sunt substantiae; variantur enim per modum aliorum accidentium circa idem subiectum. Sequetur ergo quod nihil erit substantia.

[82073] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 7Secundam rationem ponit ibi, amplius autem quae talis est. Omnia praedicta videntur esse quaedam corporis dimensiones: vel secundum latitudinem, ut superficies: vel secundum profunditatem, ut corpus: vel secundum longitudinem, ut linea. Sed dimensiones corporis non sunt substantiae: ergo huiusmodi non sunt substantiae.

[82074] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 8Tertiam rationem ponit ibi, adhuc autem quae talis est. In corpore solido simili modo inest, scilicet potentialiter, quaelibet figura, quae potest protrahi ex illo solido per aliquam dimensionem. Sed manifestum est quod in quodam magno lapide nondum secto non inest Mercurius idest figura Mercurii, in actu, sed solum in potentia: ergo similiter in cubo, idest in corpore habente sex superficies quadratas, non inest medietas cubi, quae est quaedam alia figura, actu. Sed hoc modo est actu, quando iam cubus dividitur in duas medietates. Et quia omnis protractio novae figurae in solido exciso fit secundum aliquam superficiem, quae terminat figuram, manifestum est quod nec etiam superficies talis erit in corpore in actu, sed solum in potentia: quia si quaecumque superficies praeter exteriorem essent in actu in corpore solido, pari ratione esset in actu superficies, quae terminat medietatem figurae. Quod autem dictum est de superficie, intelligendum est in linea, puncto, unitate. Haec enim in continuo non sunt in actu, nisi solum quantum ad illa quae terminant continuum, quae manifestum est non esse substantiam corporis. Aliae vero superficies vel lineae non possunt esse corporis substantiae, quia non sunt actu in ipso. Substantia autem actu est in eo cuius est substantia. Unde concludit quod inter omnia, maxime videtur esse substantia corpus; superficies autem et lineae magis videntur esse substantia quam corpus. Haec autem si non sunt entia in actu, nec sunt aliquae substantiae, videtur effugere cognitionem nostram, quid sit ens, et quae sit rerum substantia.

[82075] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 9Quartam rationem ponit ibi nam cum et primo ponit ipsam. Secundo manifestat eam in quodam simili, ibi, similiter autem se habet et cetera. Dicit ergo primo, quod cum dictis inconvenientibus etiam irrationabilia accidunt ex parte generationis et corruptionis, ponentibus lineas et superficies esse substantias rerum. Omnis enim substantia, quae prius non fuit et postea est, aut prius fuit et postea non est, videtur hoc pati cum generatione et corruptione. Et hoc manifeste apparet in omnibus his quae per motum causantur. Puncta autem et lineae et superficies quandoque quidem sunt, quandoque vero non sunt, et tamen non generantur nec corrumpuntur; ergo nec sunt substantiae.

[82076] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 10Probat autem utrumque suppositorum. Primo quidem, quod quandoque sint et quandoque non sint. Contingit enim corpora prius divisa copulari in unum aut prius copulata dividi. Quando autem corpora primum divisa copulantur, fit una superficies duorum corporum, quia partes corporis continui copulantur ad unum communem terminum, qui est superficies una. Quando vero corpus unum dividitur in duo, efficiuntur duae superficies. Quia non potest dici quod quando corpora duo componuntur, quod duae superficies eorum maneant, sed utraeque corrumpuntur, idest desinunt esse. Similiter quando corpora dividuntur, incipiunt esse de novo duae superficies prius non existentes. Non enim potest dici quod superficies quae est indivisibilis secundum profunditatem, dividatur in superficies duas secundum profunditatem: aut linea, quae est indivisibilis secundum latitudinem, dividatur secundum latitudinem: aut punctum, quod omnino est indivisibile, quocumque modo dividatur. Et sic patet quod ex uno non possent fieri duo in via divisionis: nec ex duobus praedictorum potest fieri unum in via compositionis. Unde relinquitur quod puncta et linea et superficies quandoque esse incipiant, et quandoque esse deficiant.

[82077] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 11Consequenter probat secundum quod supponebatur, scilicet quod ista non generantur nec corrumpuntur. Omne enim quod generatur, ex aliquo generatur: et omne quod corrumpitur, in aliquid corrumpitur sicut in materiam. Sed non est dare aliquam materiam, ex qua ista generentur et in qua corrumpantur, propter eorum simplicitatem; ergo non generantur nec corrumpuntur.

[82078] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 12Deinde cum dicit similiter autem manifestat praedictam rationem in simili. Ita enim se habet nunc in tempore, sicut punctus in linea. Nunc autem non videtur generari et corrumpi: quia si generaretur vel corrumperetur, oporteret quod generatio et corruptio ipsius mensurarentur aliquo tempore vel instanti. Et sic mensura ipsius nunc, esset vel aliud nunc in infinitum, vel tempus, quod est impossibile. Et licet nunc non generetur et corrumpatur, tamen videtur semper esse aliud et aliud nunc: non quidem quod differant secundum substantiam, sed secundum esse. Quia substantia ipsius nunc, respondet subiecto mobili. Variatio autem ipsius nunc secundum esse, respondet variationi motus, ut ostenditur in quarto physicorum. Similiter ergo videtur se habere de puncto in comparatione ad lineam, et de linea in comparatione ad superficiem, et de superficie in comparatione ad corpus; scilicet quod non corrumpantur nec generentur, et tamen aliqua variatio attendatur circa huiusmodi. Eadem enim ratio est de omnibus his: omnia enim huiusmodi similiter sunt termini, secundum quod in extremo considerantur, vel divisiones secundum quod sunt in medio. Unde, sicut secundum defluxum motus variatur nunc secundum esse, licet maneat idem secundum substantiam propter identitatem mobilis, ita etiam variatur punctus, nec fit aliud et aliud propter divisionem lineae, licet non corrumpatur nec generetur simpliciter. Et eadem ratio est de aliis.

[82079] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 13 n. 13Hanc autem quaestionem philosophus pertractat in decimotertio et decimoquarto. Et veritas quaestionis huius est, quod huiusmodi mathematica non sunt substantiae rerum, sed sunt accidentia supervenientia substantiis. Deceptio autem quantum ad magnitudines provenit ex hoc, quod non distinguitur de corpore secundum quod est in genere substantiae, et secundum quod est in genere quantitatis. In genere enim substantiae est secundum quod componitur ex materia et forma, quam consequuntur dimensiones in materia corporali. Ipsae autem dimensiones pertinent ad genus quantitatis, quae non sunt substantiae, sed accidentia, quibus subiicitur substantia composita ex materia et forma. Sicut etiam supra dictum est, quod deceptio ponentium numeros esse substantias rerum, proveniebat ex hoc quod non distinguebant inter unum quod est principium numeri, et unum quod convertitur cum ente.

LEÇON 13.

(nn. 502-514; [275-283]).

 

Est-ce que les nombres et les grandeurs sont les substances et les principes des choses?

 

502. Après s’être demandé si l’un et l’être sont la substance des choses, le Philosophe se demande ici si le nombre et la grandeur sont la substance des choses : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il soulève la question [275]. En deuxième lieu il argumente en faveur d’une partie, là [276] où il dit : ¨ Car s’ils ne sont pas etc.¨. En troisième lieu il argumente en faveur de la partie opposée, là [279] où il dit : ¨ Mais si d’un autre côté on adhère à cela etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [275] que la difficulté ¨ qui se rattache ¨, c’est-à-dire qui découle de la question précédente est de savoir si les nombres et les grandeurs, à savoir les corps et les surfaces ainsi que leurs termes, par exemple le point, sont des substances ou non, qu’elles soient séparées des choses ou qu’elles soient les substances des choses sensibles elles-mêmes. Mais il dit que cette question découle de la précédente parce que dans cette dernière on se demandait si l’un est la substance des choses; or l’un est le principe du nombre et le nombre se présente comme la substance de la grandeur, tout comme le point, qui est principe de la grandeur, n’est rien d’autre que l’unité ayant une position alors que la ligne est la dyade ayant une position. Par ailleurs la surface est le nombre trois ayant une position alors que le corps est le nombre quatre ayant une position.

503. Ensuite lorsqu’il dit [276] : ¨ Car si ce ne sont pas etc.¨.

   Il argumente pour montrer que le nombre et la grandeur sont les substances des choses : et à ce sujet il fait deux choses.

   Il argumente pour montrer que le nombre et la grandeur sont les substances des choses [276]. En deuxième lieu il montre comment les philosophes qui ont précédé ont suivi les raisons qui précèdent, là [278] où il dit : ¨ C’est la raison pour laquelle de nombreux etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il argumente pour montrer que le corps est la substance des choses [276]. En deuxième lieu il argumente pour montrer que ce sont bien davantage d’autres choses qui le sont, là [277] où il dit : ¨ Et d’un autre côté le corps etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [276] que si les nombres et les grandeurs ne sont pas des substances, on ne verra plus ce qu’est substantiellement un être ni quelles sont les substances des êtres. Il est évident en effet que les propriétés, les mouvements, les relations, les dispositions ainsi que les discours selon qu’ils sont exprimés par les sons de voix, dans la mesure où ils se rangent dans le genre de la quantité, ne semblent pas signifier la substance elle-même car toutes les caractéristiques de cette sorte semblent plutôt s’attribuer à un sujet et ne rien exprimer de la substance ¨ d’une chose déterminée ¨, c’est-à-dire d’un être achevé et qui subsiste par lui-même. Et cela est spécialement évident dans les cas qui précèdent et qui ne se disent pas d’une manière absolue mais dont la notion consiste dans une certaine relation. Mais d’un autre côté, parmi ce qui semble surtout signifier la substance, il y a le feu, la terre et l’eau à partir desquels les nombreux corps sont composés. IL ne fait pas mention de l’air car, étant moins perceptible, certains ont cru qu’il n’était rien. Mais dans ces corps élémentaires on retrouve certaines dispositions comme le chaud, le froid et d’autres propriétés de la sorte ou des qualités passives qui ne sont pas des substances conformément à ce qui a été dit précédemment. D’où il suit que seul un corps est une substance.

504. Ensuite lorsqu’il dit [277] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il continue avec l’examen d’autres choses qui semblent être bien davantage des substances que ne l’est le corps : et il dit que le corps semble être moins une substance que la surface et la surface semble l’être moins que la ligne et la ligne moins que le point ou l’unité. Et il le manifeste grâce à deux moyens dont le premier est que c’est la définition d’une chose qui paraît être sa substance : car c’est la définition qui signifie la substance. Mais le corps se définit par la surface, la surface par la ligne, la ligne par le point et le point par l’unité car on dit que le point est l’unité qui possède une position; donc la surface est la substance du corps et il en est ainsi pour le reste.

505. Le deuxième moyen est le suivant : puisque la substance est première parmi les êtres, ce qui est premier semblera être davantage une substance; mais la surface est antérieure au corps par nature car la surface peut exister sans le corps mais le corps ne peut exister sans la surface : la surface est donc davantage substance que le corps. Et on peut argumenter dans le même sens pour les autres dimensions suivant leur ordre.

506. Ensuite lorsqu’il dit [278] : ¨ C’est pour cette raison que ¨.

   Il montre comment les philosophes qui ont précédé ont suivi les raisons qui précèdent; et il dit que c’est pour les raisons qui précèdent que parmi les anciens philosophes et surtout parmi les tout premiers, nombreux furent ceux qui crurent qu’il n’y a pas d’autres formes d’êtres et de substances que les corps et que tout le reste se ramène à des accidents des corps. Et c’est pour cette raison que, lorsqu’ils voulaient se mettre à la recherche des principes des êtres, ils ne se préoccupaient que des principes corporels ainsi que nous l’avons rapporté plus haut au premier livre qui portait sur les opinions des anciens physiciens. D’autres philosophes par la suite, comme les Pythagoriciens et les Platoniciens, qui avaient la réputation d’être plus sages que les précédents et de s’élever plus parfaitement à la considération des principes des choses, affirmèrent que ce sont les nombres qui sont les substances des choses, dans la mesure où ces derniers sont composés d’unités. Car c’est l’un qui semblait être la seule substance des choses. Ainsi donc il apparaît d’après les arguments qui précèdent et les opinions des philosophes, que si ce qui précède, à savoir les nombres et les lignes ainsi que les surfaces et les corps, n’est pas la substance des choses, il n’y aura aucun être. En effet, si ce ne sont pas là des êtres, leurs accidents ne mériteront pas d’être appelés des êtres.

507. Ensuite lorsqu’il dit [279] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la partie opposée : et il présente quatre arguments, dont voici le premier. Si on croit que les lignes et les points sont davantage substances que les corps, il s’ensuit, si ces limites ne sont pas des substances, que les corps ne le sont pas davantage; et par conséquent qu’il n’y aura aucune substance car les accidents des corps ne sont pas des substances, ainsi que nous l’avons déjà dit. Mais les points, les lignes et les surfaces ne sont pas des substances. Il faut en effet que ces derniers soient les termes des corps; car le point est le terme de la ligne, la ligne est celui de la surface et la surface est celui du corps. On ne voit cependant pas de quels corps ces surfaces, ces lignes et ces points seraient les substances. Il est évident en effet que les lignes et les surfaces des corps sensibles ne sont pas des substances : elles varient en effet de la même manière que les autres accidents par rapport à un même sujet. Il s’ensuivrait donc que rien ne serait substance.

508. Il présente le deuxième argument là [280] où il dit : ¨ Mais de plus ¨.

   Et cet argument se présente ainsi : tous les termes que nous venons de nommer ne sont que des dimensions du corps, soit selon la largeur comme la surface, soit selon la profondeur comme le corps, soit selon la longueur comme le point. Mais les dimensions du corps ne sont pas des substances. Donc ces termes ne sont pas des substances.

509. Il présente le troisième argument que voici là [281] où il dit : ¨ Mais en outre ¨.

   De la même manière, c’est-à-dire en puissance, une figure existe dans un corps solide d’où elle peut être tirée par une division. Mais il est évident que dans une grosse pierre non encore coupée ne se trouve pas ¨ Mercure ¨, c’est-à-dire la figure de Mercure en acte, mais qu’elle y existe seulement en puissance. Donc de la même manière dans un cube, c’est-à-dire dans un corps possédant six surfaces carrées, on ne retrouve pas en acte la moitié du cube, laquelle est une autre figure. On ne la retrouve de cette manière, c’est-à-dire en acte, que lorsque le cube a déjà été divisé en deux moitiés. Et puisque toute révélation d’une nouvelle figure dans un solide préalablement taillé se réalise selon une surface qui limite la figure, il est évident qu’une telle surface n’existera pas davantage en acte dans le corps mais seulement en puissance : car si toute autre surface que la surface extérieure existait en acte dans le corps solide, pour la même raison la surface qui délimite la moitié de la figure y existerait en acte. Et ce que nous venons de dire de la surface, il faut l’appliquer aussi à la ligne, au point et à l’unité. Ces limites en effet n’existent pas en acte dans le continu, sauf celles qui se trouvent à le délimiter et qui ne sont manifestement pas la substance du corps. D’un autre côté, les autres surfaces et les autres lignes ne le sont pas non plus car elles n’existent pas en acte dans le corps. Mais la substance existe en acte dans l’être dont elle est la substance. Il conclut de là que, si parmi tout ce que nous voyons c’est surtout le corps qui apparaît être une substance, mais que les surfaces et les lignes semblent cependant davantage être des substances que les corps et que néanmoins, si ces dernières ne sont pas des êtres en acte, par conséquent elles ne sont pas non plus des substances, on ne peut voir comment on peut arriver à connaître ce qu’est l’être et ce qu’est la substance des choses.

510. Il présente le quatrième argument, là [282] où il dit : ¨ Car avec ¨.

   Et en premier lieu il présente l’argument. En deuxième lieu il le manifeste par une analogie, là [283] où il dit : ¨ Mais il en est de même de etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [283] qu’en plus des incohérences dont nous venons de parler, ceux qui affirment que les lignes et les surfaces sont les substances des choses sont conduits à d’autres conséquences irrationnelles du côté de la génération et de la corruption. En effet, toute substance qui a déjà existé et qui par la suite n’existe plus ou qui n’existait pas avant et existe par la suite, subit un processus de génération et de corruption. Et cela apparaît clairement dans toutes les choses qui sont produites au moyen du changement. Mais le point, la ligne et la surface se trouvent parfois à exister et parfois à ne pas exister sans toutefois subir la génération et la corruption. Ils ne sont donc pas des substances.

511. Mais il manifeste chacun des deux principes. Et il manifeste d’abord ceci, à savoir que ces termes tantôt existent, tantôt n’existent pas. Il arrive en effet que des corps qui étaient antérieurement séparés s’unissent pour n’en former qu’un seul et que ce qui était antérieurement uni en vienne à être divisé. Mais lorsque des corps antérieurement divisés s’unissent, alors une seule surface se trouve à être produite pour les deux corps car les parties du corps continu s’unissent pour former un terme commun qui est une même surface. Quand d’un autre côté un même corps se divise en deux, deux surfaces apparaissent. Car lorsque deux corps s’unissent pour n’en former qu’un seul, on ne peut dire que les deux surfaces précédentes demeurent, mais plutôt que les deux sont détruites et cessent d’exister. De la même manière lorsque les corps se divisent, deux surfaces qui n’existaient pas antérieurement commencent à exister. En effet, nul ne peut dire que la surface, qui est indivisible selon la profondeur, se divise en deux surfaces selon la profondeur, ou que la ligne qui est indivisible selon la largeur se divise selon la largeur, ou encore que le point qui est absolument indivisible, puisse être divisé de quelque manière que ce soit. Et ainsi il est évident qu’à partir d’un seul et même terme on ne peut en obtenir deux par voie de division et qu’à partir de deux termes antérieurs on ne peut en obtenir un seul par voie de composition. Il résulte nécessairement de là que tantôt le point, la ligne et la surface commencent à exister et tantôt ils cessent d’exister.

512. Par la suite il manifeste le deuxième principe qu’il supposait, à savoir que ces termes ne sont pas assujettis à la corruption et à la génération. Tout ce qui est engendré est engendré à partir de quelque chose. Et tout ce qui se corrompt se corrompt en quelque chose qui est comme une certaine matière. Mais, en raison de la simplicité de ces termes, on ne peut trouver de matière à partir de laquelle ils seraient engendrés et en laquelle ils seraient corrompus; ils ne sont donc ni engendrés ni corrompus.

513. Ensuite lorsqu’il dit [283] : ¨ Mais de la même manière ¨.

   Il manifeste l’argument précédent par une analogie. En effet l’instant présent se rapporte au temps comme le point à la ligne. Mais l’instant présent ne se trouve pas à être engendré ou corrompu car s’il l’était, il faudrait que sa génération ou sa corruption puisse être mesurée par un temps ou par un instant. Et ainsi la mesure de cet instant serait soit un autre instant présent et l’on irait ainsi à l’infini, soit un temps, ce qui est impossible. Et bien que l’instant ne soit ni engendré ni corrompu, cependant il semble toujours différent et suivi d’un autre instant : non pas qu’ils diffèrent selon la substance, mais seulement selon l’existence. Car la substance du moment présent ou de l’instant correspond au sujet en mouvement. Mais la variation de l’instant selon l’existence correspond à la variation du mouvement, ainsi qu’on le voit au quatrième livre des Physiques. C’est donc de la même manière que le point semble se rapporter à la ligne, la ligne à la surface et la surface au corps, à savoir qu’ils ne sont ni engendrés ni corrompus mais qu’un certain changement s’applique à eux. Une même notion s’attribue en effet à eux tous : tous en effet sont également des termes selon qu’on les considère à l’extrémité, ou comme des divisions selon qu’ils sont au milieu. De là, tout comme l’instant varie selon l’existence d’après l’écoulement du mouvement bien qu’il demeure le même selon la substance en raison du fait que le mobile reste le même, c’est ainsi encore que le point varie sans devenir autre encore et encore en raison d’une division de la ligne bien qu’il ne soit ni engendré ni corrompu à parler absolument. Et la même raison vaut pour le reste.

514. C’est au treizième et au quatorzième livre de ce traité que le Philosophe approfondit cette question. Et la vraie réponse à cette question est que les entités mathématiques de cette sorte ne sont pas les substances des choses, mais des accidents qui s’ajoutent aux substances. L’erreur quant aux grandeurs provient du fait qu’on ne distingue pas le corps en tant que contenu dans le genre de la substance du corps en tant que contenu dans le genre de la quantité. En effet c’est d’après le genre de la substance que le corps est composé de matière et de forme d’où découlent les dimensions dans la matière corporelle. Cependant les dimensions elles-mêmes se rapportent au genre de la quantité et à ce titre elles ne sont pas des substances mais des accidents qui ont pour sujet la substance composée de matière et de forme. Il en est de même pour ce que nous avons encore dit plus haut, à savoir que l’erreur de ceux qui affirmaient que les nombres sont les substances des choses provient du fait qu’ils ne distinguaient pas l’un qui est principe du nombre de l’un qui se convertit avec l’être.

 

 

LECTIO 14

[82080] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 14 n. 1Postquam philosophus inquisivit utrum mathematica sint principia rerum sensibilium, hic inquirit utrum supra mathematica sint aliqua alia principia, puta quae dicuntur species, quae sunt substantiae et principia horum sensibilium. Et circa hoc tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo inducit rationem ad unam partem, ibi, nam si ideo. Tertio obiicit ad partem contrariam, ibi, at vero si ponimus et cetera. Dicit ergo primo, quod supposito quod mathematica non sint principia rerum sensibilium et eorum substantia, ulterius aliquis dubitabit quae est ratio quare praeter substantias sensibiles et praeter mathematica quae sunt media inter sensibilia et species, oportet iterum ponere tertium genus, scilicet ipsas species, idest ideas vel formas separatas.

[82081] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 14 n. 2Deinde cum dicit nam si ideo obiicit ad unam partem: et videtur haec esse ratio quare oportet species ponere praeter sensibilia et mathematica: quia mathematica a praesentibus idest a sensibilibus, quae in universo sunt, differunt quidem in aliquo, quia mathematica abstrahunt a materia sensibili; non tamen differunt in hoc, sed magis conveniunt, quia sicut in sensibilibus inveniuntur plura numero differentia eiusdem speciei, utpote plures homines, aut plures equi, ita etiam in mathematicis inveniuntur plura numero differentia eiusdem speciei, puta plures trianguli aequilateri, et plures lineae aequales. Et si ita est, sequitur quod sicut principia sensibilium non sunt determinata secundum numerum, sed secundum speciem, ita etiam sit in mediis idest in mathematicis. Manifestum est enim quod in sensibilibus propter hoc quod sunt plura individua unius speciei sensibilis, principia sensibilium non sunt determinata numero, sed specie, nisi forte accipiantur principia propria huius individui, quae sunt etiam in numero determinata et individualia. Et ponit exemplum in vocibus. Manifestum est enim quod vocis literatae, literae sunt principia; non tamen sunt aliquo numero determinato individualium literarum, sed solum secundum speciem sunt determinatae literae secundum aliquem numerum, quarum aliae sunt vocales, et aliae consonantes: sed haec determinatio est secundum speciem, non secundum numerum. Non enim unum solum est a sed multa, et sic de aliis literis. Sed si accipiantur hae literae, quae sunt principia huius determinatae syllabae vel dictionis aut orationis, sic sunt determinatae numero. Et eadem ratione, cum sint multa mathematica numero differentia in una specie, non poterunt esse mathematica principia mathematicorum determinata numero, sed determinata specie solum: puta si dicamus quod principia triangulorum sunt tria latera et tres anguli. Sed haec determinatio est secundum speciem: contingit enim quodlibet eorum in infinitum multiplicari. Si igitur nihil esset praeter sensibilia et mathematica; sequeretur quod substantia speciei non esset una secundum numerum, et quod principia entium non essent determinata in aliquo numero, sed erunt determinata solum secundum speciem. Si ergo est necessarium quod sint determinata secundum numerum (alioquin contingeret esse principia rerum infinita numero), sequitur quod necesse sit species esse praeter mathematica et sensibilia.

[82082] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 14 n. 3Et hoc est quod Platonici volunt dicere, quod sequitur ex necessitate ad positiones eorum quod sit in singularium substantia species aliquid unum, cui non conveniat aliquid secundum accidens. Homini enim individuo convenit aliquid secundum accidens, scilicet album vel nigrum; sed homini separato, qui est species secundum Platonicos, nihil convenit per accidens, sed solum quod pertinet ad rationem speciei. Et quamvis hoc dicere intendant, non tamen benedearticulant, idest non bene distinguunt.

[82083] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 14 n. 4Deinde cum dicit at vero obiicit in contrarium: et dicit, quod si ponamus species separatas esse, et quod principia rerum non sunt solum determinata specie, sed etiam numero, quaedam inconvenientia sequuntur, quae superius in quadam quaestione sunt tacta. Hanc autem dubitationem philosophus determinat duodecimo et quartodecimo huius libri. Et veritas dubitationis est quod sicut mathematica non sunt praeter sensibilia, ita nec species rerum separatae praeter mathematica et sensibilia. Principia autem rerum efficientia et moventia sunt quidem determinata numero; sed principia rerum formalia quorum sunt multa individua unius speciei, non sunt determinata numero, sed solum specie.

LEÇON 14.

(nn. 515-518; [284-286]).

 

Est-ce qu’en dehors des entités mathématiques et des réalités sensibles il existe des Idées qui existent séparément des choses.

 

515. Après s’être demandé si les entités mathématiques sont les principes des choses sensibles, le Philosophe cherche ici à savoir si outre les entités mathématiques il y a d’autres principes, par exemple ce qu’on appelle les Idées, qui seraient les substances et les principes des réalités sensibles.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il soulève la question [284]. En deuxième lieu il apporte un argument en faveur d’une des parties, là [285] où il dit : ¨ Car si pour cette raison ¨. En troisième lieu il apporte un argument en faveur de la partie contraire, là [286] où il dit : ¨ Et si d’un autre côté nous affirmons etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [284] que si on suppose que les entités mathématiques ne sont pas les principes et les substances des choses sensibles, on pourrait se demander ultérieurement quelle est la raison pour laquelle en dehors des substances sensibles et des entités mathématiques, vues comme des intermédiaires entre les réalités sensibles et les Idées il faudrait encore poser un troisième genre, à savoir les ¨ espèces ¨ elles-mêmes, c’est-à-dire les Idées ou les formes séparées.

516. Ensuite lorsqu’il dit [285] : ¨ Car si pour cette raison ¨.

   Il argumente en faveur d’une partie. Et la raison pour laquelle des Idées doivent être posées en dehors des réalités sensibles et des entités mathématiques semble être celle-ci : les entités mathématiques diffèrent certes ¨ de ce qui apparaît ici-bas ¨, c’est-à-dire des réalités sensibles présentes dans l’univers, en ceci qu’elles sont séparées de la matière sensible; cependant elles n’en diffèrent pas mais elles leur ressemblent en cela que, tout comme ces dernières, on y retrouve une multiplicité qui diffère par le nombre à l’intérieur d’une même espèce, comme par exemple une multiplicité d’hommes à l’intérieur de l’espèce humaine et une multiplicité de chevaux à l'intérieur de l’espèce chevaline; de même dans les entités mathématiques on retrouve une multiplicité qui diffère par le nombre à l’intérieur d’une même espèce, par exemple plusieurs triangles équilatéraux et plusieurs lignes de longueur égale. Et s’il en est ainsi, il s’ensuit que tout comme les principes des réalités sensibles ne sont pas déterminés selon le nombre, mais selon l’espèce, ainsi il en est encore de même ¨ dans les intermédiaires ¨, c’est-à-dire pour les entités mathématiques. Il est manifeste en effet que dans les réalités sensibles, pour cette raison qu’on retrouve une multiplicité d’individus pour une même espèce sensible donnée, les principes de ces réalités ne sont pas limités par le nombre mais par l’espèce, à moins qu’on entende par principes ceux qui sont propres à tel individu et qui sont eux aussi individuels et déterminés en nombre. Et il donne l’exemple des mots. Il est évident que les lettres sont les principes des mots écrits mais elles ne le sont pas par un nombre déterminé de lettres individuelles, mais s’il leur arrive d’être limitées par le nombre, c’est  seulement selon l’espèce, dont certaines sont des voyelles et les autres des consonnes, mais cette limite est selon l’espèce et non selon le nombre. En effet il n’y a pas qu’un seul A mais plusieurs et il en est de même des autres lettres. Mais si on considère ces lettres comme les principes de telle syllabe, de tel mot ou de tel discours, elles seront aussi limitées par le nombre. Et pour la même raison, puisqu’il existe une multiplicité d’entités mathématiques distinctes par le nombre à l’intérieur d’une même espèce, les principes mathématiques de ces entités ne pourront pas être limités par le nombre mais seulement par l’espèce, comme par exemple si on dit que les principes des triangles sont les trois côtés et les trois angles. Mais cette limite est seulement selon l’espèce puisqu’il arrive à n’importe quel de ces principes de se multiplier à l’infini. Si donc il n’existait rien en  dehors des réalités sensibles et des entités mathématiques, il s’ensuivrait que la substance d’une espèce ne serait pas une selon le nombre et que les principes des êtres ne seraient pas limités à un nombre déterminé mais seraient limités seulement selon l’espèce. Si donc il est nécessaire que les principes des êtres soient limités par le nombre (autrement il résulterait que les principes des êtres seraient infinis en nombre), il s’ensuit qu’il est nécessaire qu’il y ait des Idées en dehors des entités mathématiques et des réalités sensibles.

517. Et ce que les Platoniciens veulent dire, c’est qu’il découle nécessairement de leur position qu’il y ait dans la substance des singuliers une espèce qui soit quelque chose d’un et à laquelle rien ne puisse s’attribuer par accident. C’est par accident en effet que quelque chose appartient à l’homme individuel, par exemple le blanc ou le noir; mais à l’homme séparé qui est l’espèce selon les Platoniciens, rien n’appartient par accident mais seulement ce qui est contenu dans la notion de l’espèce. Et bien que ce soit là ce qu’ils cherchent à dire, ils ne ¨ l’articulent ¨ pas clairement, c’est-à-dire d’une manière nuancée.

518. Ensuite lorsqu’il dit [286] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la partie adverse : et il dit que si nous affirmions qu’il existe des espèces ou des Idées séparées et que les principes des choses ne sont pas limités seulement par l’espèce mais aussi par le nombre, il s’en suivrait certaines difficultés qui ont été considérées précédemment à l’occasion d’une question. Mais c’est au douzième et au quatorzième livre de ce traité que le Philosophe répond à cette question. Et la vérité qui correspond à cette question est que tout comme il n’existe pas d’entités mathématiques séparées en dehors des réalités sensibles, de même il n’existe pas d’Idées séparées des choses en dehors des entités mathématiques et des réalités sensibles. Les principes efficients et moteurs des choses sont certes limités par le nombre, mais les principes formels des choses, dont il existe de nombreux individus dans une même espèce, ne sont pas limités par le nombre mais seulement par l’espèce.

 

 

LECTIO 15

[82084] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 1Postquam philosophus inquisivit quae sunt principia, hic inquirit quomodo sunt. Et primo utrum sint in potentia vel in actu. Secundo utrum sint universalia vel singularia, ibi, et utrum universalia et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo obiicit ad unam partem, ibi, nam si aliter et cetera. Tertio obiicit in contrarium, ibi, si vero potestate et cetera. Quaerit ergo primo, utrum prima principia sint in potentia, vel aliquo alio modo, idest in actu. Et haec dubitatio inducitur propter antiquos naturales, qui ponebant sola principia materialia, quae sunt in potentia. Platonici autem ponentes species quasi principia formalia, ponebant eas esse in actu.

[82085] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 2Deinde cum dicit nam si aliter probat quod principia sint in potentia. Si enim essent aliter, scilicet in actu, sequeretur quod aliquid esset prius principiis; potentia enim actu prius est. Quod patet ex hoc, quod prius est a quo non convertitur consequentia essendi: sequitur autem si est, quod possit esse; non autem ex necessitate sequitur, si est possibile, quod sit actu. Hoc autem est inconveniens quod aliquid sit prius primo principio; ergo impossibile quod primum principium sit aliter quam in potentia.

[82086] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 3Deinde cum dicit si vero obiicit in contrarium; quia si principia rerum sint in potentia, sequitur quod nihil sit entium in actu; nam illud quod est possibile esse, nondum est ens. Et hoc probat per hoc quod id quod fit, non est ens; quod enim est, non fit. Sed nihil fit nisi quod possibile est esse; ergo omne quod est possibile esse, est non ens. Si igitur principia sint tantum in potentia, erunt non entia. Si autem principia non sint, nec effectus sunt: sequitur ergo quod contingit nihil esse in entibus. Et concludit epilogando quod secundum praedicta necessarium est dubitare de principiis propter praemissas rationes.

[82087] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 4Haec autem quaestio determinabitur in nono huius, ubi ostendetur quod actus est simpliciter prior potentia, sed potentia est prior actu tempore in eo quod movetur de potentia ad actum. Et sic oportet primum principium esse in actu et non in potentia ut ostendit in duodecimo huius.

[82088] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 5Deinde cum dicit et utrum inquirit utrum principia sint per modum universalium aut per modum singularium: et circa hoc tria facit. Primo proponit dubitationem. Secundo obiicit ad unam partem, ibi, nam si universalia et cetera. Tertio obiicit ad aliam, ibi, si autem non universalia et cetera. Est ergo dubitatio, utrum principia sint universalia, vel existant per modum quorumdam singularium.

[82089] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 6Deinde cum dicit nam si probat quod principia non sunt universalia tali ratione. Nullum communiter praedicatum de multis significat hoc aliquid, sed significat tale sive quale; non quidem secundum qualitatem accidentalem, sed secundum qualitatem substantialem; est enim quaedam substantialis qualitas, ut infra in quinto huius dicetur. Et ratio huius est quia hoc aliquid dicitur secundum quod in se subsistit; quod autem in se subsistit, non potest esse in multis ens, quod est de ratione communis. Quod enim in multis est, in se subsistens non est; nisi et ipsum esset multa, quod est contra rationem communis. Nam commune est, quod est unum in multis. Sic igitur patet, quod nullum communium significat hoc aliquid, sed significat formam in multis existentem.

[82090] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 7Addit autem minorem, scilicet quod substantia significat hoc aliquid. Et hoc quidem verum est quantum ad primas substantias, quae maxime et proprie substantiae dicuntur, ut habetur in praedicamentis: huiusmodi enim substantiae sunt in se subsistentes. Relinquitur ergo quod principia, si sunt universalia, non sunt substantiae. Et ita vel substantiarum non erunt aliqua principia, vel oportebit dicere quod non sint substantiae substantiarum principia.

[82091] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 8Sed quia aliquis posset concedere quod aliquid communiter praedicatum significet hoc aliquid, consequenter diluitur cum dicit sed si est. Ostendit quod inconveniens ex hoc sequitur. Si enim id quod communiter praedicatur sit hoc aliquid, sequeretur quod omne id de quo illud commune praedicatur, sit hoc aliquid quod est commune. Sed planum est, quod de Socrate praedicatur et homo et animal, quorum utrumque, scilicet homo et animal, est quoddam commune praedicatum. Unde si omne commune praedicatum sit hoc aliquid, sequitur quod Socrates sit tria hoc aliquid, quia Socrates est Socrates, quod est hoc aliquid: ipse etiam est homo, quod est secundum praedicta hoc aliquid: ipse etiam est animal, quod similiter est hoc aliquid. Erit ergo tria hoc aliquid. Et ulterius sequitur quod sit tria animalia: nam animal praedicatur de ipso et de homine et de Socrate. Cum ergo hoc sit inconveniens, inconveniens est quod aliquid communiter praedicatum sit hoc aliquid. Haec igitur sunt inconvenientia quae sequuntur, si universalia sunt principia.

[82092] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 9Deinde cum dicit si autem obiicit in contrarium. Cum enim omnes scientiae sint universales, non sunt singularium, sed universalium. Si igitur aliqua principia non sint universalia, sed singularia, non erunt scibilia secundum seipsa. Si ergo de eis debet aliqua scientia haberi, oportebit esse aliqua priora principia, quae sunt universalia. Sic igitur oportet prima principia esse universalia, ad hoc quod scientia habeatur de rebus; quia ignoratis principiis necesse est alia ignorare.

[82093] Sententia Metaphysicae, lib. 3 l. 15 n. 10Haec autem quaestio determinatur in septimo huius; ubi ostenditur quod universalia non sunt substantiae, nec principia rerum. Non autem propter hoc sequitur, quod si principia et substantiae rerum sint singularia, quod eorum non possit esse scientia; tum quia res immateriales etsi sint singulariter subsistentes, sunt tamen etiam intelligibiles; tum etiam quia de singularibus est scientia secundum universales eorum rationes per intellectum apprehensas.

LEÇON 15.

(nn. 519-528; [287-293]).

 

Si les principes des choses existent en acte ou en puissance et s’ils sont universels ou singuliers.

 

519. Après s’être demandé ce que sont les principes, le Philosophe se demande ici comment ils existent.

   Et en premier lieu il se demande s’ils existent en puissance ou en acte [287]. En deuxième lieu il se demande s’ils sont universels ou singuliers, là [290] où il dit : ¨ Et sont-ils universels etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il soulève la question [287]. En deuxième lieu il argumente en faveur d’une partie, là [288] où il dit : ¨ Car s’ils existent d’une autre manière etc.¨. En troisième lieu, il argumente en faveur de la partie adverse, là [289] où il dit : ¨S’ils existent en puissance etc.¨.

   Il cherche donc en premier lieu à savoir si les premiers principes existent en puissance ou ¨ d’une autre manière ¨, c’est-à-dire en acte. Et cette question est amenée en raison des anciens physiciens qui admettaient seulement des principes matériels, lesquels existent en puissance alors que les Platoniciens, en posant l’existence des Idées en tant que principes formels, affirmaient qu’elles existent en acte.

520. Ensuite lorsqu’il dit [288] : ¨ Car s’ils existent autrement ¨.

   Il montre que les principes existent en puissance. Si en effet ils existaient autrement, c’est-à-dire en acte, il s’ensuivrait qu’il existerait quelque chose antérieurement aux principes puisque la puissance est antérieure à l’acte. Ce qui devient évident à partir de ceci qu’est antérieur ce avec quoi la conséquence à être ne se convertit pas : si en effet une chose existe, il s’ensuit qu’elle peut exister; mais si elle peut exister, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle existe en acte. Et il n’est pas juste de dire qu’il existe quelque chose antérieurement au premier principe; il est donc impossible que le premier principe existe autrement qu’en puissance.

521. Ensuite lorsqu’il dit [289] : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il argumente en faveur de la partie adverse; car si les principes des choses existaient en puissance, il s’ensuivrait qu’aucun être n’existerait en acte. Car ce qui n’existe qu’en puissance n’est pas encore un être. Et il le prouve au moyen de ceci que ce qui est en train de devenir n’est pas encore de l’être et que ce qui existe déjà n’est pas en train de devenir. Mais rien ne devient quelque chose sans posséder en lui la puissance à être cette chose. Donc, tout ce qui a en lui la puissance à être une chose est du non-être. Si donc les principes n’existent qu’en puissance ils seront du non-être. Mais si les principes n’existent pas, leurs effets n’existeront pas non plus. Il résulte donc de ce qui précède que rien n’existera. Il termine donc comme par un résumé en disant que suite à ce qui précède il est nécessaire, en raison des arguments présentés, de continuer à s’interroger sur les principes.

522. C’est au neuvième livre de ce traité que le Philosophe répond à cette question où il montre que l’acte, à parler absolument, est antérieur à la puissance mais que la puissance est antérieure à l’acte selon le temps dans les êtres individuels qui, assujettis au mouvement, passent de la puissance à l’acte. Et ainsi il faut donc que les principes existent en acte et non en puissance ainsi qu’il le montre au douzième livre de ce traité.

523. Ensuite lorsqu’il dit [290] : ¨ Et est-ce que ¨.

   Il se demande si les principes existent à la manière des universels ou à la manière des singuliers : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il présente la difficulté [290]. En deuxième lieu il argumente en faveur d’une partie, là [291] où il dit : ¨ Car s’ils existent comme des universels etc.¨. En troisième lieu il argumente en faveur de la partie adverse, là [293] où il dit : ¨ Mais s’ils n’existent pas comme des universels etc.¨.

   La question est donc de savoir [290] si les principes sont des universels ou s’ils existent à la manière des singuliers.

524. Ensuite lorsqu’il dit [291] : ¨ Car si ¨.

   Il montre, au moyen de l’argument suivant, que les principes ne sont pas des universels. Rien de ce qui est attribué en commun ou universellement à plusieurs ne désigne un être individuel et déterminé mais plutôt une propriété ou une qualité et la qualité désignée n’est pas une qualité accidentelle mais une qualité selon la substance; il existe en effet une qualité substantielle ainsi qu’on le verra au cinquième livre de ce traité. La raison en est qu’on appelle individu ce qui subsiste en soi-même; mais ce qui subsiste par soi-même ne peut exister dans plusieurs êtres, ce qui est plutôt la définition même de l’universel ou du commun. En effet ce qui existe en plusieurs ne subsiste pas en soi-même, à moins d’être lui-même multiple, ce qui est contraire à la définition même du commun car le commun est ce qui est un en plusieurs. Il est donc évident qu’aucun universel ne signifie un être individuel et déterminé mais plutôt une forme qui existe en plusieurs.

525. Il ajoute cependant une précision à la mineure, à savoir qu’une substance, à savoir ce qui subsiste en soi, désigne un être individuel. Et cela est certes vrai quant aux substances premières qu’on appelle à proprement parles substances ainsi qu’on l’établit dans les Prédicaments : de telles substances existent en effet en elles-mêmes. Il reste donc que les principes, s’ils sont universels, ne sont pas des substances. Et ainsi ou bien les substances n’auront pas de principes ou bien il faudra dire que les substances ne sont pas les principes des substances.

526. Mais parce que quelqu’un pourrait concéder que ce qui est attribué en commun à plusieurs signifie une substance individuelle, il réfute cela par la suite lorsqu’il dit [292] : ¨ Mais s’il est ¨.

   Il montre qu’une difficulté résulterait d’une telle concession. Si en effet ce qui est attribué universellement à plusieurs était une substance individuelle, il s’ensuivrait que tout ce à quoi cet universel est attribué serait cet individu qui est universel. Mais il est évident qu’on attribue à Socrate d’être homme et animal et que ces deux attributions sont universelles. C’est pourquoi, si toute attribution est une substance individuelle, il s’ensuit qu’il y a dans Socrate trois substances individuelles car Socrate est à la fois Socrate comme individu, mais il est aussi l’individu homme et l’individu animal, d’après cette opinion. Il y aura donc en lui trois individus. Et il s’ensuit par la suite qu’il y a en lui trois animaux car l’animal est attribué à la fois de lui-même, de l’homme et de Socrate. Puisque ces conséquences sont absurdes, il est ridicule de dire que ce qui est attribué universellement est une substance individuelle. Ce sont donc là les absurdités qui découlent de cette affirmation, à savoir de prétendre que les principes sont universels.

527. Ensuite lorsqu’il dit [293] : ¨ Si cependant ¨.

   Il argumente en faveur de la partie adverse. Puisqu’en effet toutes les sciences sont universelles, elles portent toutes sur l’universel et non sur le singulier. Si donc certains principes ne sont pas universels mais singuliers, ils ne seront pas connaissables en eux-mêmes. Si donc on doit en acquérir une science, ils devront supposer des principes antérieurs qui sont universels. Ainsi donc il faut que les premiers principes soient universels pour que les choses puissent être connues de science. Car si on ignore les principes, nécessairement le reste demeurera inconnu.

528. Le Philosophe répond à cette question au septième livre de ce traité où il montre que les universels ne sont ni des substances ni les principes des choses. Il ne s’ensuit pas pour cela, si les principes des choses sont singuliers, qu’on ne peut en acquérir une connaissance de science : d’une part parce que les réalités immatérielles, bien qu’elles subsistent par elles-mêmes et individuellement, sont aussi intelligibles néanmoins; d’autre part aussi parce qu’on peut acquérir la science au sujet des singuliers conformément à leurs natures universelles saisies par l’intelligence.

 

 

LIBER 4

LIVRE IV ─ Des choses dont la considération appartient à la métaphysique, à savoir l’être, l’un et le multiple, le même et le différent et les premiers principes de la démonstration.

 

 

LECTIO 1

[82094] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 1In praecedenti libro philosophus disputative processit de illis, quae debent in hac scientia considerari: hic incipit procedere demonstrative determinando veritatem quaestionum prius motarum et disputatarum. Fuit autem in praecedenti libro disputatum tam de his quae pertinent ad modum huius scientiae, scilicet ad quae se extendit huius scientiae consideratio, quam etiam de his quae sub consideratione huius scientiae cadunt. Et quia prius oportet cognoscere modum scientiae quam procedere in scientia ad ea consideranda de quibus est scientia, ut in secundo libro dictum est: ideo dividitur haec pars in duas. Primo dicit de quibus est consideratio huius scientiae. Secundo dicit de rebus quae sub consideratione huius scientiae cadunt, in quinto libro, ibi, principium dicitur aliud quidem et cetera. Prima in duas. Primo subiectum stabilit huius scientiae. Secundo procedit ad solvendum quaestiones motas in libro praecedenti de consideratione huius scientiae, ibi, ens autem multis. Circa primum tria facit. Primo supponit aliquam esse scientiam cuius subiectum sit ens. Secundo ostendit quod ista non est aliqua particularium scientiarum, ibi, haec autem et cetera. Tertio ostendit quod haec est scientia quae prae manibus habetur, ibi, quoniam autem principia et cetera. Quia vero scientia non solum debet speculari subiectum, sed etiam subiecto per se accidentia: ideo dicit primo, quod est quaedam scientia, quae speculatur ens secundum quod ens, sicut subiectum, et speculatur ea quae insunt enti per se, idest entis per se accidentia.

[82095] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 2Dicit autem secundum quod est ens, quia scientiae aliae, quae sunt de entibus particularibus, considerant quidem de ente, cum omnia subiecta scientiarum sint entia, non tamen considerant ens secundum quod ens, sed secundum quod est huiusmodi ens, scilicet vel numerus, vel linea, vel ignis, aut aliquid huiusmodi.

[82096] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 3Dicit etiam et quae huic insunt per se et non simpliciter quae huic insunt, ad significandum quod ad scientiam non pertinet considerare de his quae per accidens insunt subiecto suo, sed solum de his quae per se insunt. Geometra enim non considerat de triangulo utrum sit cupreus vel ligneus, sed solum considerat ipsum absolute secundum quod habet tres angulos aequales et cetera. Sic igitur huiusmodi scientia, cuius est ens subiectum, non oportet quod consideret de omnibus quae insunt enti per accidens, quia sic consideraret accidentia quaesita in omnibus scientiis, cum omnia accidentia insint alicui enti, non tamen secundum quod est ens. Quae enim sunt per se accidentia inferioris, per accidens se habent ad superius, sicut per se accidentia hominis non sunt per se accidentia animalis. Necessitas autem huius scientiae quae speculatur ens et per se accidentia entis, ex hoc apparet, quia huiusmodi non debent ignota remanere, cum ex eis aliorum dependeat cognitio; sicut ex cognitione communium dependet cognitio rerum propriarum.

[82097] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 4Deinde cum dicit haec autem hic ostendit, quod ista scientia non sit aliqua particularium scientiarum, tali ratione. Nulla scientia particularis considerat ens universale inquantum huiusmodi, sed solum aliquam partem entis divisam ab aliis; circa quam speculatur per se accidens, sicut scientiae mathematicae aliquod ens speculantur, scilicet ens quantum. Scientia autem communis considerat universale ens secundum quod ens: ergo non est eadem alicui scientiarum particularium.

[82098] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 5Deinde cum dicit quoniam autem hic ostendit, quod ista scientia, quae prae manibus habetur, habet ens pro subiecto, tali ratione. Omne principium est per se principium et causa alicuius naturae: sed nos quaerimus prima rerum principia et altissimas causas, sicut in primo dictum est: ergo sunt per se causa alicuius naturae. Sed non nisi entis. Quod ex hoc patet, quia omnes philosophi elementa quaerentes secundum quod sunt entia, quaerebant huiusmodi principia, scilicet prima et altissima; ergo in hac scientia nos quaerimus principia entis inquantum est ens: ergo ens est subiectum huius scientiae, quia quaelibet scientia est quaerens causas proprias sui subiecti.

[82099] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 6Deinde cum dicit ens autem hic procedit ad solvendum quaestiones in praecedenti libro motas de consideratione huius scientiae: et dividitur in tres partes. Primo solvit quaestionem, qua quaerebant, utrum huius scientiae esset consideratio de substantiis et accidentibus simul, et utrum de omnibus substantiis. Secundo solvit quaestionem qua quaerebatur utrum huius scientiae esset considerare de omnibus istis, quae sunt unum et multa, idem et diversum, oppositum, contrarium et huiusmodi, ibi, si igitur ens et unum et cetera. Tertio solvit quaestionem, qua quaerebatur utrum huius scientiae esset considerare demonstrationis principia, ibi, dicendum est autem utrum unius et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod huius scientiae est considerare tam de substantiis quam de accidentibus. Secundo quod principaliter de substantiis ibi, ubique vero proprie et cetera. Tertio quod de omnibus substantiis, ibi, omnis autem generis. Circa primum, utitur tali ratione. Quaecumque communiter unius recipiunt praedicationem, licet non univoce, sed analogice de his praedicetur, pertinent ad unius scientiae considerationem: sed ens hoc modo praedicatur de omnibus entibus: ergo omnia entia pertinent ad considerationem unius scientiae, quae considerat ens inquantum est ens, scilicet tam substantias quam accidentia.

[82100] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 7In hac autem ratione primo ponit minorem. Secundo maiorem, ibi, quemadmodum ergo salubrium omnium. Tertio conclusionem, ibi, manifestum igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod ens sive quod est, dicitur multipliciter. Sed sciendum quod aliquid praedicatur de diversis multipliciter: quandoque quidem secundum rationem omnino eamdem, et tunc dicitur de eis univoce praedicari, sicut animal de equo et bove. Quandoque vero secundum rationes omnino diversas; et tunc dicitur de eis aequivoce praedicari, sicut canis de sidere et animali. Quandoque vero secundum rationes quae partim sunt diversae et partim non diversae: diversae quidem secundum quod diversas habitudines important, unae autem secundum quod ad unum aliquid et idem istae diversae habitudines referuntur; et illud dicitur analogice praedicari, idest proportionaliter, prout unumquodque secundum suam habitudinem ad illud unum refertur.

[82101] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 8Item sciendum quod illud unum ad quod diversae habitudines referuntur in analogicis, est unum numero, et non solum unum ratione, sicut est unum illud quod per nomen univocum designatur. Et ideo dicit quod ens etsi dicatur multipliciter, non tamen dicitur aequivoce, sed per respectum ad unum; non quidem ad unum quod sit solum ratione unum, sed quod est unum sicut una quaedam natura. Et hoc patet in exemplis infra positis.

[82102] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 9Ponit enim primo unum exemplum, quando multa comparantur ad unum sicut ad finem, sicut patet de hoc nomine sanativum vel salubre. Sanativum enim non dicitur univoce de diaeta, medicina, urina et animali. Nam ratio sani secundum quod dicitur de diaeta, consistit in conservando sanitatem. Secundum vero quod dicitur de medicina, in faciendo sanitatem. Prout vero dicitur de urina, est signum sanitatis. Secundum vero quod dicitur de animali, ratio eius est, quoniam est receptivum vel susceptivum sanitatis. Sic igitur omne sanativum vel sanum dicitur ad sanitatem unam et eamdem. Eadem enim est sanitas quam animal suscipit, urina significat, medicina facit, et diaeta conservat.

[82103] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 10Secundo ponit exemplum quando multa comparantur ad unum sicut ad principium efficiens. Aliquid enim dicitur medicativum, ut qui habet artem medicinae, sicut medicus peritus. Aliquid vero quia est bene aptum ad habendum artem medicinae, sicut homines qui sunt dispositi ut de facili artem medicinae acquirant. Ex quo contingit quod ingenio proprio quaedam medicinalia operantur. Aliquid vero dicitur medicativum vel medicinale, quia eo opus est ad medicinam, sicut instrumenta quibus medici utuntur, medicinalia dici possunt, et etiam medicinae quibus medici utuntur ad sanandum. Et similiter accipi possunt alia quae multipliciter dicuntur, sicut et ista.

[82104] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 11Et sicut est de praedictis, ita etiam et ens multipliciter dicitur. Sed tamen omne ens dicitur per respectum ad unum primum. Sed hoc primum non est finis vel efficiens sicut in praemissis exemplis, sed subiectum. Alia enim dicuntur entia vel esse, quia per se habent esse sicut substantiae, quae principaliter et prius entia dicuntur. Alia vero quia sunt passiones sive proprietates substantiae, sicut per se accidentia uniuscuiusque substantiae. Quaedam autem dicuntur entia, quia sunt via ad substantiam, sicut generationes et motus. Alia autem entia dicuntur, quia sunt corruptiones substantiae. Corruptio enim est via ad non esse, sicut generatio via ad substantiam. Et quia corruptio terminatur ad privationem, sicut generatio ad formam, convenienter ipsae etiam privationes formarum substantialium esse dicuntur. Et iterum qualitates vel accidentia quaedam dicuntur entia, quia sunt activa vel generativa substantiae, vel eorum quae secundum aliquam habitudinem praedictarum ad substantiam dicuntur, vel secundum quamcumque aliam. Item negationes eorum quae ad substantiam habitudinem habent, vel etiam ipsius substantiae esse dicuntur. Unde dicimus quod non ens est non ens. Quod non diceretur nisi negationi aliquo modo esse competeret.

[82105] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 12Sciendum tamen quod praedicti modi essendi ad quatuor possunt reduci. Nam unum eorum quod est debilissimum, est tantum in ratione, scilicet negatio et privatio, quam dicimus in ratione esse, quia ratio de eis negociatur quasi de quibusdam entibus, dum de eis affirmat vel negat aliquid. Secundum quid autem differant negatio et privatio, infra dicetur.

[82106] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 13Aliud autem huic proximum in debilitate est, secundum quod generatio et corruptio et motus entia dicuntur. Habent enim aliquid admixtum de privatione et negatione. Nam motus est actus imperfectus, ut dicitur tertio physicorum.

[82107] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 14Tertium autem dicitur quod nihil habet de non ente admixtum, habet tamen esse debile, quia non per se, sed in alio, sicut sunt qualitates, quantitates et substantiae proprietates.

[82108] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 15Quartum autem genus est quod est perfectissimum, quod scilicet habet esse in natura absque admixtione privationis, et habet esse firmum et solidum, quasi per se existens, sicut sunt substantiae. Et ad hoc sicut ad primum et principale omnia alia referuntur. Nam qualitates et quantitates dicuntur esse, inquantum insunt substantiae; motus et generationes, inquantum tendunt ad substantiam vel ad aliquid praedictorum; privationes autem et negationes, inquantum removent aliquid trium praedictorum.

[82109] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 16Deinde cum dicit quemadmodum ergo hic ponit maiorem primae rationis; dicens, quod est unius scientiae speculari non solum illa quae dicuntur secundum unum, idest secundum unam rationem omnino, sed etiam eorum quae dicuntur per respectum ad unam naturam secundum habitudines diversas. Et huius ratio est propter unitatem eius ad quod ista dicuntur; sicut patet quod de omnibus sanativis considerat una scientia, scilicet medicinalis, et similiter de aliis quae eodem modo dicuntur.

[82110] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 17Deinde cum dicit manifestum igitur hic ponit conclusionem intentam quae per se est manifesta.

[82111] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 18Ubique vero hic ponit quod haec scientia principaliter considerat de substantiis, etsi de omnibus entibus consideret, tali ratione. Omnis scientia quae est de pluribus quae dicuntur ad unum primum, est proprie et principaliter illius primi, ex quo alia dependent secundum esse, et propter quod dicuntur secundum nomen; et hoc ubique est verum. Sed substantia est hoc primum inter omnia entia. Ergo philosophus qui considerat omnia entia, primo et principaliter debet habere in sua consideratione principia et causas substantiarum; ergo per consequens eius consideratio primo et principaliter de substantiis est.

[82112] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 1 n. 19Deinde cum dicit omnis autem hic ostendit quod primi philosophi est considerare de omnibus substantiis, tali ratione. Omnium eorum qui sunt unius generis, est unus sensus et una scientia, sicut visus est de omnibus coloribus, et grammatica considerat omnes voces. Si igitur omnia entia sint unius generis aliquo modo, oportet quod omnes species eius pertineant ad considerationem unius scientiae quae est generalis: et species entium diversae pertineant ad species illius scientiae diversas. Hoc autem dicit, quia non oportet quod una scientia consideret de omnibus speciebus unius generis secundum proprias rationes singularum specierum, sed secundum quod conveniunt in genere. Secundum autem proprias rationes pertinent ad scientias speciales, sicut est in proposito. Nam omnes substantiae, inquantum sunt entia vel substantiae, pertinent ad considerationem huius scientiae: inquantum autem sunt talis vel talis substantia, ut leo vel bos, pertinent ad scientias speciales.

LEÇON 1.

(nn. 529-547; [294-300]).

 

Il prouve que cette science a pour objet l’être en tant qu’être et qu’elle a pour sujet proportionné à cet objet la substance et l’accident.

 

529. Alors que dans le livre précédent le Philosophe s’est engagé selon un mode dialectique dans les questions qui doivent être considérées par cette science, il commence ici à s’avancer selon un mode démonstratif dans un développement où il établit la vérité correspondant à chacune des questions précédemment soulevées et débattues dialectiquement.

   Mais dans le livre précédent l’argumentation dialectique a porté tant sur ce qui appartient au mode de cette science, c’est-à-dire sur ce qui est exactement le sujet sur lequel cette science porte sa considération, que sur les choses mêmes qui tombent sous la considération de cette science. Et parce qu’il faut connaître le mode d’une science avant de procéder dans les choses devant être considérées par cette science, ainsi que nous l’avons dit au deuxième livre de ce traité, c’est pour cette raison que cette partie se divise en deux.

   En premier lieu il parle du sujet étudié par cette science [294]. En deuxième lieu, au cinquième livre, il parle des choses qui tombent sous la considération de cette science, là [403] où il dit : ¨ Principe se dit certes d’abord etc.¨.

   La première partie se divise en deux. Dans la première il établit le sujet de cette science [294]. Dans la deuxième il procède à la solution des questions soulevées dans le livre précédent et qui portaient sur le mode selon lequel cette science conduit ses considérations, là [297] où il dit : ¨ Mais l’être se prend de plusieurs etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il suppose qu’il existe une science dont le sujet est l’être [294]. En deuxième lieu il montre que cette science ne peut être une des sciences particulières, là [295] où il dit : ¨ Mais cette science etc.¨. En troisième lieu il montre que cette science est celle qui fait l’objet de notre recherche, là [296] où il dit : ¨ Mais puisque les principes etc.¨.

   D’un autre côté, parce qu’une science ne doit pas seulement examiner le sujet qui lui est propre mais aussi les accidents essentiels qui lui appartiennent, c’est pourquoi il dit en premier lieu [294] qu’il existe une science qui étudie comme sujet l’être en tant qu’être et qui examine aussi ¨ ce qui appartient par soi à l’être ¨, c’est-à-dire les accidents essentiels de l’être.

530. Il parle cependant de l’être ¨ en tant qu’être ¨ parce que les autres sciences, qui se rapportent à des êtres particuliers, considèrent elles aussi l’être, puisque tous les sujets des sciences sont des êtres; cependant, elles n’étudient pas l’être en tant qu’être, mais seulement en tant qu’il est telle sorte d’être, à savoir par exemple le nombre, la ligne, le feu ou telle autre sorte d’être.

531. Et il dit encore ¨ et ce qui lui appartient par soi ¨ et non pas ce qui lui appartient purement et simplement, pour montrer qu’il n’appartient pas à une science d’examiner ce qui s’attribue accidentellement à son sujet, mais seulement ce qui s’attribue à lui essentiellement. Le géomètre en effet ne cherche pas à savoir si le triangle est en cuivre ou en bois mais il le considère uniquement en lui-même pour savoir si ses trois angles sont égaux etc. Ainsi donc une telle science qui a pour sujet l’être ne doit pas chercher à connaître tout ce qui appartient accidentellement à l’être car ainsi elle se trouverait à faire porter sa recherche sur tous les accidents sur lesquels toutes les autres sciences font porter leur recherche, puisque ces accidents appartiennent à des êtres particuliers et non à l’être en tant qu’être. En effet, les accidents essentiels de ce qui est inférieur se rapportent accidentellement à ce qui est supérieur : par exemple, les accidents essentiels de l’homme ne sont pas les accidents essentiels de l’animal. Mais la nécessité de cette science qui étudie l’être et les accidents essentiels de l’être en tant qu’être apparaît avec évidence à partir de ceci que nous ne devons pas demeurer ignorants de ces choses, puisque c’est de leur connaissance que dépend la connaissance des autres choses, tout comme c’est de la connaissance du commun que dépend la connaissance de ce qui est propre.

532. Ensuite lorsqu’il dit [295] : ¨ Mais cette ¨.

   Il montre, au moyen du raisonnement suivant que cette science n’est pas une des sciences particulières. Aucune science particulière ne considère l’être universellement en tant que tel, mais uniquement des aspects d’un être par lesquels il se distingue des autres, aspects qu’elle examine comme étant des accidents essentiels de cet être, tout comme la science mathématique examine cette sorte d’être qui est l’être quantitatif. Mais la science universelle examine l’être universel, à savoir l’être en tant qu’être : elle diffère donc de toute autre science particulière.

533. Ensuite lorsqu’il dit [296] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il montre ici, au moyen du raisonnement suivant, que cette science sur laquelle nous portons nos considérations a pour sujet l’être. Tout principe est par soi principe et cause d’une certaine nature : mais les principes que nous recherchons sont les premiers principes des choses et les causes les plus élevées ainsi que nous l’avons établi au premier livre; cette nature dont ils sont donc la cause par soi ne peut être que l’être. Ce qui devient évident à partir de ceci que tous les philosophes qui cherchaient les éléments des êtres recherchaient de tels principes, à savoir ceux qui sont les premiers et les plus élevés et qui sont ceux de l’être; nous recherchons donc dans cette science les principes de l’être en tant qu’être. L’être est donc le sujet de cette science car toute science doit rechercher les causes qui sont propres à son sujet.

534. Ensuite lorsqu’il dit [297] : ¨ Mais l’être ¨.

   Il procède ici à la solution des questions soulevées au livre précédent au sujet du mode selon lequel cette science porte ses considérations, ce qu’il fait en trois étapes.

   En premier lieu il répond à cette question qui était de savoir s’il appartient à cette science de  porter son attention à la fois sur les substances et les accidents des substances, et si elle doit examiner toutes les substances. Deuxièmement il répond à la question qui était de savoir s’il appartient à cette science d’examiner toutes ces notions, à savoir l’un et le multiple, le même et le différent, l’opposé, le contraire et les autres notions de cette sorte, là [301] où il dit : ¨ Si donc l’être et l’un etc.¨. Troisièmement il répond à celle par laquelle on se demande s’il lui appartient d’examiner les principes de la démonstration, là [319] où il dit : ¨ Mais il faut dire s’il appartient à une etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre qu’il appartient à cette science d’examiner à la fois les substances et leurs accidents [297]. En deuxième lieu il montre qu’elle doit examiner surtout les substances, là [299] où il dit : ¨ La science a toujours pour objet propre etc.¨. En troisième lieu il montre qu’elle doit porter sa recherche sur toutes les substances, là [300] où il dit : ¨ Mais de tout genre ¨.

   Au sujet du premier point [297] il se sert du raisonnement suivant. Tout ce qui reçoit universellement l’attribution de l’un, qui n’est cependant pas attribué de manière univoque mais de manière analogue, relève de la considération d’une seule science. Mais c’est de cette manière que l’être s’attribue à tous les êtres; donc, tous les êtres, aussi bien les substances que les accidents, relèvent de la considération de cette seule science qui étudie l’être en tant qu’être.

535. Et dans ce raisonnement il établit d’abord la mineure [297]. Deuxièmement il manifeste la majeure, là [298] où il dit : ¨ De même que pour tout ce qui est sain etc.¨. Troisièmement il établit la conclusion, là [299] où il dit : ¨ Il est donc évident etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [297] que l’être, ou ce qui est, se dit de plusieurs manières. Mais il faut savoir qu’il existe plusieurs manières de s’attribuer à différents sujets. Parfois certes l’attribution se fait  selon une définition tout à fait identique et on dit alors que l’attribution qui est faite à plusieurs est univoque, tout comme l’animal s’attribue univoquement au cheval et au bœuf. – D’un autre côté parfois l’attribution se fait d’après des définitions complètement différentes et on dit alors que l’attribution qui est faite est équivoque, comme le chien se dit aussi bien de l’animal que de la constellation. – Mais parfois encore l’attribution se fait d’après des définitions qui sont en partie différentes et en parties semblables : différentes certes selon qu’elles s’appliquent à des natures différentes; semblables selon que ces natures différentes se rapportent à une même chose qui tient lieu de principe unique : et cela a pour nom ¨ attribution analogique ¨, ou attribution de proportion, pour autant qu’une chose d’après sa nature  se rapporte à ce principe unique.

536. Il faut de plus savoir que ce principe unique auquel se rapportent les natures différentes est un par le nombre et non seulement par la raison, tout comme est un par le nombre ce qui est désigné par le nom univoque. Et c’est pourquoi Aristote dit que bien que l’être s’attribue de multiples manières, il ne s’attribue pas cependant d’une manière équivoque, mais par rapport à un principe unique; non à un principe unique qui serait un seulement par la raison mais qui est un à la manière d’une nature qui est une. Et cela devient évident au moyen des exemples présentés par la suite.

537. En effet il présente en premier lieu un exemple d’attribution analogue quand plusieurs natures se rapportent à un principe unique comme à leur fin, ainsi qu’on le voit par l’usage du mot sain. Sain en effet ne se dit pas de la diète, de la médecine, de l’urine et de l’animal d’une manière univoque. Car la définition de la santé selon qu’elle se dit de la diète consiste dans la conservation de la santé; selon qu’elle se dit de la médecine elle consiste dans la production de la santé; selon qu’elle s’attribue à l’urine elle est le signe de la santé et selon qu’elle se dit de l’animal sa définition signifie le sujet de la santé ou ce qui est capable de la recevoir. Ainsi donc, chacune des attributions de la santé se rapporte à une seule et même santé. En effet, c’est la même santé que l’animal reçoit, dont l’urine est le signe, que la médecine produit et que la diète conserve.

538. En deuxième lieu il présente un exemple d’attribution analogique lorsque plusieurs natures se rapportent à un principe unique comme à leur principe efficient. On dit en effet qu’est médical celui par exemple qui possède l’art de la médecine, comme le médecin expérimenté; on le dit aussi de ceux qui sont propres à posséder l’art de la médecine, comme ceux qui sont disposés à acquérir facilement l’art de la médecine et à qui il arrive, grâce à cette facilité et à leur talent personnel, de produire certains remèdes. Est appelé aussi médical ce dont la fonction est de conduire à la guérison, comme les instruments dont les médecins se servent peuvent être appelés médicaux, et même les remèdes dont ils se servent pour réaliser la guérison.

539. Et tout comme dans les cas qui précèdent, de même encore l’être s’attribue de différentes manières. Cependant, tout ce qui reçoit l’attribution de l’être la reçoit par rapport à un principe unique. Mais ce premier principe n’est pas une finalité ou un principe efficient comme dans les exemples précédents, mais plutôt un sujet. Autres en effet sont les choses qui sont appelées des êtres parce qu’elles possèdent l’être par soi à la manière des substances, lesquelles sont appelées êtres au premier titre et antérieurement à toute autre forme d’être. Autres par ailleurs sont les êtres qui sont plutôt des propriétés ou des qualités des substances et qui sont comme les accidents essentiels d’une substance. D’autres choses encore sont appelées des êtres parce qu’ils sont comme des processus qui sont ordonnées à une substance, comme le mouvement et la génération. Mais d’autres choses sont appelées des êtres parce qu’elles détruisent la substance. La corruption en effet est un chemin vers le non-être comme la génération est un chemin vers la substance. Et parce que la corruption a pour terme une privation tout comme la génération a pour terme une forme, c’est pourquoi on appelle avec raison les corruptions les privations des formes substantielles. Et de plus certaines qualités ou accidents sont appelés des êtres parce qu’ils sont des facteurs de production et de génération des substances ou des choses qui d’une manière ou d’une autre ont rapport à la substance. De plus, l’être se dit même des négations de ce qui se rapporte à la substance et des négations de la substance elle-même. C’est pourquoi nous disons que le non-être est du non-être, ce qu’on ne dirait pas si l’être n’appartenait pas d’une certaine manière à la négation.

540. Il faut cependant savoir que les précédentes formes d’êtres peuvent se ramener à quatre. Car la première de ces formes est la plus faible car elle n’existe que dans la raison, à savoir la négation et la privation, que nous appelons des êtres de raison parce que la raison les traite comme si elles étaient des êtres alors qu’elle affirme ou nie quelque chose à leur sujet. Cependant la négation diffère de la privation selon un certain rapport qui sera expliqué plus loin.

541. La deuxième forme qui est la plus proche de la première en termes de faiblesse est celle selon laquelle on appelle êtres la génération, la corruption et le mouvement. Cette dernière forme en effet contient un mélange de privation et de négation. Car le mouvement est un acte imparfait ainsi qu’on le dit au troisième livre des Physiques.

542. Mais on dit que, bien que la troisième forme d’être ne contienne aucun mélange de non-être, elle présente cependant une forme  d’être qui est faible puisqu’elle n’existe pas par elle-même mais dans un autre, comme c’est le cas pour les qualités, les quantités et les propriétés des substances.

543. La quatrième forme d’être est la plus parfaite qui dans sa nature possède l’existence sans aucun mélange de privation et qui possède l’être d’une manière ferme et solide et qui existe comme par elle-même comme c’est le cas pour les substances. Et c’est à cette forme que se rapportent toutes les autres formes d’être comme à leur principe premier. Car on dit que les qualités et les quantités existent dans la mesure où elles sont dans une substance, que le mouvement et la génération sont des êtres dans la mesure où ils tendent vers la substance ou vers ce qui lui appartient, enfin que les privations et les négations sont des êtres dans la mesure où ils enlèvent quelque chose aux trois formes d’être qui précèdent.

544. Ensuite lorsqu’il dit [298] : ¨ Et de même donc ¨.

   Il manifeste ici la majeure du raisonnement qui précède en disant qu’il appartient à une même science d’examiner non seulement ce qui s’attribue ¨ selon une seule notion ¨, c’est-à-dire d’après une définition qui est absolument la même, mais aussi ce qui s’attribue à l’égard d’une même nature selon des rapports différents. Et la raison qui explique qu’il en soit ainsi se trouve dans l’unité du principe avec lequel les différentes choses ont une relation, comme on peut voir que c’est une seule science, la médecine, qui étudie tout ce qui se rapporte différemment à la santé; et il en est de même pour toutes les autres attributions qui se font de la même manière, c’est-à-dire de manière analogue.

545. Ensuite lorsqu’il dit [299] : ¨ Il est donc évident ¨.

  Il présente la conclusion visée et devenue évidente par elle-même, à savoir qu’il appartient à une seule science d’étudier tous les êtres en tant qu’êtres.

546. Ensuite lorsqu’il dit [299 bis] : ¨ En vérité partout ¨.

   Il soutient ici, au moyen du raisonnement suivant, que cette science a surtout pour objet les substances, même si elle examine toutes les formes d’êtres. Toute science qui a pour objet plusieurs choses qui se rapportent à un principe premier, a pour objet propre et premier ce premier principe dont les autres dépendent quant à l’être et à cause duquel elles reçoivent leur nom; et cela est vrai partout. Mais la substance est la première de toutes les formes d’être. Donc le philosophe qui considère tous les êtres se doit d’abord et avant tout d’examiner les principes et les causes des substances; il suit donc de là que son étude doit d’abord et principalement se porter sur les substances.

547. Ensuite lorsqu’il dit [300] : ¨ Mais tout ¨.

   Il montre ici, au moyen du raisonnement suivant, qu’il appartient à la philosophie première d’examiner toutes les substances. Pour toutes les choses qui appartiennent à un même genre, il n’y a qu’un seul sens et une seule science, tout comme toutes les couleurs ne sont connues que par un seul sens, la vue, et comme tous les sons de voix articulés ne sont étudiés que par une seule science, la grammaire. Si donc tous les êtres n’appartiennent d’une certaine manière qu’à un seul genre, il faut que toutes les espèces de ce genre appartiennent à l’étude d’une seule science qui est leur science commune, et que les différentes espèces d’être se rapportent à des divisions spécifiques de cette science générique. Mais Aristote dit cela pour montrer qu’il ne faut pas qu’une même science examine toutes les espèces d’un même genre d’après ce qui les définit en propre en tant qu’espèces distinctes, mais d’après ce qu’elles partagent en commun dans ce genre. Car sous le rapport de ce qui les définit en propre, les espèces différentes se rapportent à des sciences spécifiques ainsi que nous l’avons établi dans le propos. Car toutes les substances, pour autant qu’elles sont des êtres ou des substances, relèvent de l’étude de cette science; mais pour autant qu’elles sont telles ou telles autres substances particulières, comme le lion ou le bœuf, elles relèvent de sciences spécifiques.

 

 

LECTIO 2

[82113] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 1Hic procedit ad ostendendum quod ad considerationem unius scientiae pertinent considerare huiusmodi communia, scilicet unum et multa, idem et diversum: et circa hoc duo facit. Primo ostendit hoc de singulis per proprias rationes. Secundo de omnibus simul per quasdam rationes communes, ibi, et philosophi est de omnibus posse speculari. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod de omnibus hic considerare debet philosophus. Secundo docet modum considerandi, ibi, quare quoniam unum multipliciter et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod ad hanc scientiam pertineat considerare de uno et de speciebus unius. Secundo quod ad eamdem scientiam pertineat considerare de omnibus oppositis, ibi, quoniam autem unius est opposita considerare. Circa primum duo facit. Primo enim ostendit quod huius scientiae est considerare de uno. Secundo quod eius sit considerare de speciebus unius, ibi, quare quotcumque unius. Dicit ergo primo, quod ens et unum sunt idem et una natura. Hoc ideo dicit, quia quaedam sunt idem numero quae non sunt una natura, sed diversae, sicut Socrates, et hoc album, et hoc musicum. Unum autem et ens non diversas naturas, sed unam significant. Hoc autem contingit dupliciter. Quaedam enim sunt unum quae consequuntur se adinvicem convertibiliter sicut principium et causa. Quaedam vero non solum convertuntur ut sint idem subiecto, sed etiam sunt unum secundum rationem, sicut vestis et indumentum.

[82114] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 2Unum autem et ens significant unam naturam secundum diversas rationes. Unde sic se habent sicut principium et causa, sed non sicut tunica et vestis, quae sunt nomina penitus synonyma. Nihil tamen differt ad propositum, si similiter accipiamus ea dici, sicut illa quae sunt unum et subiecto et ratione. Sed hoc erit magis prae opere, idest magis utile ad hoc quod intendit. Intendit enim probare quod unum et ens cadunt sub eadem consideratione, et quod habent species sibi correspondentes. Quod manifestius probaretur si unum et ens essent idem re et ratione, quam si sint idem re et non ratione.

[82115] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 3Quod autem sint idem re, probat duabus rationibus, quarum primam ponit ibi, idem enim, quae talis est. Quaecumque duo addita uni nullam diversitatem afferunt, sunt penitus idem: sed unum et ens addita homini vel cuicumque alii nullam diversitatem afferunt: ergo sunt penitus idem. Minor patet: idem enim est dictum homo, et unus homo. Et similiter est idem dictum, ens homo, vel quod est homo: et non demonstratur aliquid alterum cum secundum dictionem replicamus dicendo, est ens homo, et homo, et unus homo. Quod quidem probat sic.

[82116] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 4Idem enim est generari et corrumpi hominem, et id quod est homo. Quod ex hoc patet, quia generatio est via ad esse, et corruptio mutatio ab esse ad non esse. Unde nunquam generatur homo, quin generetur ens homo: nec unquam corrumpitur homo, quin corrumpatur ens homo. Quae autem simul generantur et corrumpuntur sunt unum.

[82117] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 5Et sicut dictum est quod ens et homo non separantur in generatione et corruptione, similiter apparet de uno. Nam cum generatur homo, generatur unus homo: et cum corrumpitur, similiter corrumpitur. Unde manifestum est quod appositio in istis ostendit idem; et per hoc quod additur vel unum vel ens, non intelligitur addi aliqua natura supra hominem. Ex quo manifeste apparet, quod unum non est aliud praeter ens: quia quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibiinvicem sunt eadem.

[82118] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 6Patet autem ex praedicta ratione, non solum quod sunt unum re, sed quod differunt ratione. Nam si non differrent ratione, essent penitus synonyma; et sic nugatio esset cum dicitur, ens homo et unus homo. Sciendum est enim quod hoc nomen homo, imponitur a quidditate, sive a natura hominis; et hoc nomen res imponitur a quidditate tantum; hoc vero nomen ens, imponitur ab actu essendi: et hoc nomen unum, ab ordine vel indivisione. Est enim unum ens indivisum. Idem autem est quod habet essentiam et quidditatem per illam essentiam, et quod est in se indivisum. Unde ista tria, res, ens, unum, significant omnino idem, sed secundum diversas rationes.

[82119] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 7Deinde cum dicit amplius autem hic ponit secundam rationem ad idem; quae talis est. Quaecumque duo praedicantur de substantia alicuius rei per se et non per accidens, illa sunt idem secundum rem: sed ita se habent unum et ens, quod praedicantur per se et non secundum accidens de substantia cuiuslibet rei. Substantia enim cuiuslibet rei est unum per se et non secundum accidens. Ens ergo et unum significant idem secundum rem.

[82120] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 8Quod autem ens et unum praedicentur de substantia cuiuslibet rei per se et non secundum accidens, sic potest probari. Si enim praedicarentur de substantia cuiuslibet rei per aliquod ens ei additum, de illo iterum necesse est praedicari ens, quia unumquodque est unum et ens. Aut ergo iterum de hoc praedicatur per se, aut per aliquid aliud additum. Si per aliquid aliud, iterum esset quaestio de illo addito, et sic erit procedere usque ad infinitum. Hoc autem est impossibile: ergo necesse est stare in primo, scilicet quod substantia rei sit una et ens per seipsam, et non per aliquid additum.

[82121] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 9Sciendum est autem quod circa hoc Avicenna aliud sensit. Dixit enim quod unum et ens non significant substantiam rei, sed significant aliquid additum. Et de ente quidem hoc dicebat, quia in qualibet re quae habet esse ab alio, aliud est esse rei, et substantia sive essentia eius: hoc autem nomen ens, significat ipsum esse. Significat igitur (ut videtur) aliquid additum essentiae.

[82122] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 10De uno autem hoc dicebat, quia aestimabat quod illud unum quod convertitur cum ente, sit idem quod illud unum quod est principium numeri. Unum autem quod est principium numeri necesse est significare quamdam naturam additam substantiae: alioquin cum numerus ex unitatibus constituatur, non esset numerus species quantitatis, quae est accidens substantiae superadditum. Dicebat autem quod hoc unum convertitur cum ente, non quia significat ipsam rei substantiam vel entis, sed quia significat accidens quod inhaeret omni enti, sicut risibile quod convertitur cum homine.

[82123] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 11Sed in primo quidem non videtur dixisse recte. Esse enim rei quamvis sit aliud ab eius essentia, non tamen est intelligendum quod sit aliquod superadditum ad modum accidentis, sed quasi constituitur per principia essentiae. Et ideo hoc nomen ens quod imponitur ab ipso esse, significat idem cum nomine quod imponitur ab ipsa essentia.

[82124] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 12De uno autem non videtur esse verum, quod sit idem quod convertitur cum ente, et quod est principium numeri. Nihil enim quod est in determinato genere videtur consequi omnia entia. Unde unum quod determinatur ad speciale genus entis, scilicet ad genus quantitatis discretae, non videtur posse cum ente universali converti. Si enim unum est proprium et per se accidens entis, oportet quod ex principiis causetur entis in quantum ens, sicut quodlibet accidens proprium ex principiis sui subiecti. Ex principiis autem communibus entis inquantum est ens, non intelligitur causari aliquod particulariter ens sufficienter. Unde non potest esse quod ens aliquod determinati generis et speciei sit accidens omnis entis.

[82125] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 13Unum igitur quod est principium numeri, aliud est ab eo quod cum ente convertitur. Unum enim quod cum ente convertitur, ipsum ens designat, superaddens indivisionis rationem, quae, cum sit negatio vel privatio, non ponit aliquam naturam enti additam. Et sic in nullo differt ab ente secundum rem, sed solum ratione. Nam negatio vel privatio non est ens naturae, sed rationis, sicut dictum est. Unum vero quod est principium numeri addit supra substantiam, rationem mensurae, quae est propria passio quantitatis, et primo invenitur in unitate. Et dicitur per privationem vel negationem divisionis, quae est secundum quantitatem continuam. Nam numerus ex divisione continui causatur. Et ideo numerus ad scientiam mathematicam pertinet, cuius subiectum extra materiam esse non potest, quamvis sine materia sensibili consideretur. Hoc autem non esset, si unum quod est principium numeri, secundum esse a materia separaretur in rebus immaterialibus existens, quasi cum ente conversum.

[82126] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 14Quare quotcumque hic concludit quod philosophi est considerare de partibus unius, sicut de partibus entis. Et primo hoc ostendit. Secundo etiam ostendit, quod secundum diversas partes entis et unius, sunt diversae partes philosophiae, ibi, et tot partes. Dicit ergo primo, quod ex quo unum et ens idem significant, et eiusdem sunt species eaedem, oportet quod tot sint species entis, quot sunt species unius, et sibiinvicem respondentes. Sicut enim partes entis sunt substantia, quantitas et qualitas etc., ita et partes unius sunt idem, aequale et simile. Idem enim unum in substantia est. Aequale, unum in quantitate. Simile, unum in qualitate. Et secundum alias partes entis possent sumi aliae partes unius, si essent nomina posita. Et sicut ad unam scientiam, scilicet ad philosophiam, pertinet consideratio de omnibus partibus entis, ita et de omnibus partibus unius, scilicet eodem et simili et huiusmodi. Et ad hocprincipium, scilicet unum, reducuntur omnia contraria fere.

[82127] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 15Et hoc addit, quia in quibusdam non est ita manifestum. Et tamen hoc esse necesse est; quia cum in omnibus contrariis alterum habeat privationem inclusam, oportet fieri reductionem ad privativa prima, inter quae praecipue est unum. Et iterum multitudo, quae ex uno causatur, causa est diversitatis differentiae et contrarietatis, ut infra dicetur. Et haec dicit esse considerata in ecloga, idest in electione contrariorum, idest in tractatu, quae est pars electa ad tractandum de contrariis, scilicet in decimo huius.

[82128] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 2 n. 16Et tot partes hic ostendit partes philosophiae distingui secundum partes entis et unius; et dicit, quod tot sunt partes philosophiae, quot sunt partes substantiae, de qua dicitur principaliter ens et unum et de qua principalis est huius scientiae consideratio et intentio. Et, quia partes substantiae sunt ordinatae adinvicem, nam substantia immaterialis est prior substantia sensibili naturaliter; ideo necesse est inter partes philosophiae esse quamdam primam. Illa tamen, quae est de substantia sensibili, est prima ordine doctrinae, quia a notioribus nobis oportet incipere disciplinam: et de hac determinatur in septimo et octavo huius. Illa vero, quae est de substantia immateriali est prior dignitate et intentione huius scientiae, de qua traditur in duodecimo huius. Et tamen quaecumque sunt prima, necesse est quod sint continua aliis partibus, quia omnes partes habent pro genere unum et ens. Unde in consideratione unius et entis diversae partes huius scientiae uniuntur, quamvis sint de diversis partibus substantiae; ut sic sit una scientia inquantum partes praedictae sunt consequentes hoc, id est unum et ens, sicut communia substantiae. Et in hoc philosophus est similis mathematico. Nam mathematica habet diversas partes, et quamdam principaliter sicut arithmeticam, et quamdam secundario sicut geometriam, et alia consequenter se habent his, sicut perspectiva, astrologia et musica.

LEÇON 2.

(nn. 548-563; [301-305])

 

Qu’il appartient à cette science de spéculer sur l’être et sur l’un et que c’est de leurs divisions que découlent aussi les divisions de la philosophie.

 

548. Le Philosophe poursuit ici son exposé pour montrer qu’il appartient à une seule science de considérer les notions communes telles que l’un et le multiple, le même et l’autre; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il le fait pour chacune d’elles au moyen de raisons propres [301]. En deuxième lieu il le fait pour toutes globalement au moyen de raisons communes, là [310] où il dit : ¨ Il appartient au philosophe de pouvoir spéculer sur toutes les choses. ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre ici que le philosophe doit porter son examen sur toutes les choses [301]. En deuxième lieu il enseigne le mode selon lequel il doit faire cet examen, là [308] où il dit : ¨ C’est pourquoi, puisque l’un s’entend de plusieurs manières etc. ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que c’est à cette science qu’il appartient de considérer l’un et les espèces de l’un [301]. En deuxième lieu il montre que c’est à cette science qu’il appartient de considérer tous les opposés, là [306] où il dit : ¨ Mais puisqu’il appartient à une seule science de considérer les opposés etc. ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il montre qu’il appartient à cette science de porter son examen sur l’un [301]. En deuxième lieu qu’il lui appartient aussi d’examiner les espèces de l’un, là [304] où il dit : ¨ C’est pourquoi il y a autant d’espèces de l’un etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [301] que l’être et l’un sont identiques et d’une seule et même nature. Et il dit cela parce qu’il existe des choses qui sont unes par le nombre mais qui ne sont pas d’une seule nature, mais de natures différentes, tout comme Socrate, ce blanc et ce musicien. Cependant l’un et l’être ne possèdent pas des natures différentes, mais signifient une seule nature. Et cela se produit de deux manières. Certaines choses en effet sont unes en ce qu’elles sont corrélatives l’une de l’autre de manière à se convertir comme le principe et la cause. Mais certaines autres se convertissent non seulement de manière à ce qu’elles soient identiques par le sujet, mais aussi de manière à ce qu’elles soient identiques par la notion, comme l’habillement et le vêtement.

549. Mais l’un et l’être signifient une seule et même nature d’après des notions différentes. Ainsi donc ils se rapportent l’un à l’autre comme le principe à la cause et non comme la tunique au vêtement qui sont des noms synonymes. – Mais cela ne changerait rien au propos si nous entendions l’un et l’être comme identiques à la fois par le sujet et par la notion. Cela en effet serait ¨ davantage favorable à l’œuvre ¨, c’est-à-dire davantage utile au propos. Il se propose en effet de prouver que l’être et l’un relèvent d’une même considération et qu’ils possèdent des espèces qui se correspondent, ce qui serait prouvé encore plus manifestement si l’un et l’être étaient identiques à la fois par la chose et par la notion que s’ils étaient identiques uniquement par la chose et non par la notion.

550. Mais que l’être et l’un soient identiques par la chose ou le sujet, il le prouve au moyen de deux raisonnements dont il présente le premier, là [302] où il dit : ¨ Identiques en effet ¨.

   Dans tous les cas où deux choses ajoutées à une autre n’apportent aucune différence, ces deux choses sont parfaitement identiques : mais l’un et l’être ajoutés à l’homme ou à toute autre chose n’apportent aucune différence : ils sont donc parfaitement identiques. La mineure est évidente : dire homme et dire un homme, c’est dire la même chose. Et de même, dire être homme et dire homme, c’est dire la même chose : et on n’arriverait pas à montrer quelque chose de différent si on disait qu’être homme, homme et un homme, c’est encore dire la même chose. Et c’est ce qu’il prouve de la manière suivante.

551. En effet la génération et la corruption d’un homme et de ce qu’est l’homme, c’est la même chose, ce qui devient évident à partir de ceci que la génération est un acheminement vers l’être et que la corruption est un changement de l’être vers le non-être. C’est pourquoi jamais l’homme n’est engendré sans que soit engendré l’être d’un homme, et jamais l’homme n’est corrompu sans que soit corrompu l’être d’un homme. Mais ce qui est engendré et corrompu simultanément est un.

552. Et comme il a dit que l’être et l’homme ne sont pas séparés dans la génération et la corruption, la même chose devient évidente pour l’un. Car lorsque l’homme est engendré, c’est un homme qui est engendré et lorsque l’homme se corrompt, c’est un homme qui se corrompt. D’où il est manifeste que l’addition opérée ici montre la même chose : en ajoutant soit l’un soit l’être, on n’entend pas ajouter une autre nature à l’homme. D’où il apparaît clairement que l’un n’est rien d’autre en dehors de l’être car là où deux choses sont ajoutées à une autre sans la changer, ces deux choses sont identiques entre elles.

553. Mais il apparaît clairement à partir du raisonnement précédent que l’un et l’être sont identiques par la chose, mais qu’ils sont différents par la notion. Car s’ils ne différaient pas par la notion, ils seraient parfaitement synonymes et il y aurait ainsi répétition à dire être homme et à dire un homme. Il faut savoir en effet que le nom Homme est imposé soit par la quiddité soit par la nature de l’homme et que le nom Chose est imposé par la quiddité seulement; d’un autre côté le nom Être s’applique à l’acte d’exister et le nom Un s’applique à la notion du rang ou de l’indivisibilité. L’un en effet est l’être indivisé. Mais ce qui possède une essence et une quiddité au moyen de cette essence et ce qui est en soi indivisé, c’est la même chose. D’où il suit que la chose, l’être et l’un signifient tout à fait la même nature, mais d’après des notions différentes.

554. Ensuite lorsqu’il dit [303] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici le deuxième raisonnement que voici en vue de la même conclusion. Deux notions qui, par soi et non par accident, s’attribuent à la substance d’une chose, sont identiques par la chose : mais il en est ainsi pour l’un et pour l’être car ils s’attribuent par soi et non par accident à la substance d’une chose. En effet la substance de toute chose est une par soi et non par accident. Donc l’être et l’un sont identiques par la chose.

555. Mais on peut prouver de la manière suivante que l’un et l’être s’attribuent par soi et non par accident à la substance de toute chose. Si en effet ils s’attribuaient à la substance d’une chose par une forme d’être qui s’y ajouterait, il serait nécessaire par la suite d’attribuer l’être à cette dernière forme d’être ajoutée car tout est un et de l’être. Mais cet être qui lui serait attribué le serait à son tour soit par soi, soit par quelque chose d’autre qui s’ajouterait à sa substance. Si c’était par quelque chose d’autre, la même question se reposerait au sujet de cette forme ajoutée et il faudrait ainsi procéder à l’infini. Ce qui est impossible. Il est donc nécessaire de tenir fermement notre première position, à savoir que c’est par elle-même ou essentiellement et non par quelque chose d’ajouté  que la substance d’une chose est une et qu’elle existe.

556. Il faut cependant savoir qu’à ce sujet Avicenne en jugea autrement. Il pensa en effet que l’être et l’un ne signifient pas la substance de la chose mais plutôt quelque chose d’ajouté. Et il disait certes cela au sujet de ce qui est parce que dans toute chose qui reçoit l’être d’un autre, l’existence de cette chose et sa substance ou son essence diffèrent. Mais le nom être signifie l’existence elle-même. Il signifie donc quelque chose qui s’ajoute à l’essence.

557. Et il affirmait cela aussi de l’un car il estimait que cet un qui se convertit avec l’être est identique à cet un qui est principe du nombre. Mais cet un qui est principe du nombre signifie nécessairement quelque chose qui s’ajoute à la substance; autrement, puisque le nombre est constitué d’unités, il ne serait pas une espèce de la quantité, laquelle est un accident qui s’ajoute à la substance. Mais il disait que cet un se convertit avec l’être non pas parce qu’il signifie la substance même de la chose ou de l’être, mais parce qu’il signifie un accident qui existe dans tout être, tout comme la capacité de rire se convertit avec l’homme.

558. Mais pour ce qui est de l’être il ne semble pas avoir parlé avec justesse. Bien que l’être d’une chose soit en effet distinct de son essence, il ne doit cependant pas être compris comme une forme qui s’y ajoute à la manière d’un accident, mais comme étant constitué par les principes de l’essence. Et c’est pourquoi ce nom être qui est imposé par l’existence elle-même signifie la même chose que le nom qui est imposé par l’essence elle-même.

559. Mais au sujet de l’un il n’apparaît pas vrai que celui qui se convertit avec l’être soit identique à celui qui est le principe du nombre. En effet, rien de ce qui est contenu dans un genre déterminé ne semble découler de tous les êtres. C’est pourquoi l’un qui est limité à un genre particulier d’êtres, c’est-à-dire à celui de la quantité discrète, ne semble pouvoir se convertir avec l’être dans son universalité. Si en effet l’un est un accident propre et essentiel de l’être, il faut qu’il soit causé à partir des principes propres de l’être en tant qu’être, comme tout accident propre l’est à partir des principes de son sujet. Mais on ne peut comprendre que les principes communs de l’être en tant qu’être suffisent à causer un être particulier. C’est pourquoi il est impossible qu’un être appartenant à un genre et à une espèce déterminés soit un accident de tout être.

560. Donc l’un qui est principe du nombre diffère de celui qui se convertit avec l’être. En effet l’un qui se convertit avec l’être désigne l’être lui-même en ajoutant uniquement la notion d’indivision qui, parce qu’elle est une négation ou une privation, ne peut ajouter aucune nature à l’être. Et ainsi l’un ne diffère en rien de l’être selon la chose mais seulement selon la raison. Car la négation ou la privation n’est pas un être de nature mais un être de raison, ainsi que nous l’avons dit. D’un autre côté l’un qui est principe du nombre ajoute à la substance la notion de mesure qui est un accident propre de la quantité et qu’on retrouve d’abord dans l’unité. Et on dit que l’un existe par la négation et la privation de la division qui s’opère dans la quantité continue car le nombre est causé par la division du continu. Et c’est pourquoi le nombre relève de la science mathématique dont le sujet ne peut exister en dehors de la matière bien qu’il soit examiné en faisant abstraction de la matière sensible. Mais il n’en serait pas ainsi si l’un qui est principe du nombre existait, selon son être, séparément de la matière dans les êtres immatériels de manière à se convertir avec l’être.

561. Ensuite lorsqu’il dit [304] : ¨ C’est pourquoi autant ¨.

   Il conclut ici qu’il appartient au philosophe de considérer les parties de l’un comme il lui appartient de considérer les parties de l’être.

   Et en premier lieu il manifeste cela. En deuxième lieu il montre aussi que c’est conformément aux différentes parties de l’un et de l’être que se déploient les différentes parties de la philosophie, là [305] où il dit : ¨ Et autant de parties ¨.

   Il dit donc en premier lieu que du fait que l’un et l’être signifient la même chose et que d’un même sujet les espèces sont les mêmes, il faut qu’il y ait autant d’espèces de l’être qu’il y a d’espèces de l’un et qu’elles se correspondent mutuellement. En effet, tout comme les parties de l’être sont la substance, la quantité, la qualité etc., ainsi les parties de l’un sont les mêmes, en nombre égal et semblables. Le même en effet est l’un dans la substance, l’égal est l’un dans la quantité et le semblable est l’un dans la qualité. Et d’après les autres parties de l’être on pourrait tirer d’autres parties de l’un si des noms avaient été établis. Et comme c’est à une même science, c’est-à-dire à la philosophie, qu’il appartient de considérer toutes les parties de l’être, de même c’est à elle qu’il appartient de considérer toutes les parties de l’un, à savoir le même, le semblable et les ainsi de suite. Et c’est à ce ¨ principe ¨, c’est-à-dire à l’un, que se ramènent ¨presque¨ tous les contraires.

562. Et il ajoute ¨ presque ¨ parce que cela n’est pas également évident partout. Et cependant il est nécessaire qu’il en soit ainsi; car puisque dans tous les contraires l’un des deux contient en lui une privation, il faut en venir aux premières privations dont la première est l’un. Et de plus le multiple qui a l’un pour principe, est cause de la diversité de la différence et de la contrariété ainsi qu’on le verra plus loin. Et il dit que ces choses seront considérées ¨ dans un traité ¨, c’est-à-dire dans une section à part sur les ¨ des contraires ¨, c’est-à-dire dans ce  traité, le douzième livre, qui est cette partie choisie pour traiter des contraires.

563. Ensuite lorsqu’il dit [305] : ¨ Et en autant de parties ¨.

   Il montre ici que les parties de la philosophie se distinguent d’après les parties de l’être et de l’un; et il dit qu’il y a autant de parties de la philosophie qu’il y a des parties de la substance à laquelle s’attribuent principalement l’être et l’un et sur laquelle portent principalement la considération et le propos de cette science. Et parce que les sortes de substances sont ordonnées entre elles, car la substance immatérielle est première et antérieure par nature à la substance sensible, il est nécessaire que parmi les parties de la philosophie il y en ait une qui soit première. Mais cette partie de la philosophie qui se rapporte à la substance sensible est la première dans l’ordre de l’enseignement car il nous est nécessaire d’acquérir la science en partant de ce qui nous est le plus connu. Et c’est au septième et au huitième livre de ce traité qu’on traite de la partie qui se rapporte à la substance sensible. D’un autre côté cette partie de la philosophie qui se rapporte à la substance immatérielle est antérieure dans l’ordre de dignité et d’intention de cette science et c’est au douzième livre de ce traité qu’on l’examine. Et cependant, quelles que soient les parties qui sont premières, il est nécessaire qu’elles se présentent de manière continue par rapport aux autres car toutes les parties ont l’être et l’un pour genre. C’est pourquoi c’est dans la considération de l’un et de l’être que les différentes parties de cette science sont unies bien qu’elles se rapportent à différentes parties de la substance, de telle manière qu’une seule science existe dans la mesure où ses parties découlent toutes des parties de ¨cela¨, c’est-à-dire de l’être et de l’un comme de ce qui est commun à toutes les sortes de substances. Et en cela le philosophe est semblable au mathématicien. Car la mathématique possède différentes parties et une d’elles est première, l’arithmétique, une autre est seconde comme la géométrie, et d’autres encore qui découlent de celles-ci, comme la perspective, l’astronomie et la musique.

 

 

LECTIO 3

[82129] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 1Hic ostendit, quod considerare de oppositis pertinet ad scientiam istam: et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod eius est considerare de negatione et privatione. Secundo de contrariis, ibi, sed uni et cetera. Dicit ergo, quod, cum ad unam scientiam pertineat considerare opposita, sicut ad medicinam considerare sanum et aegrum, et ad grammaticam congruum et incongruum: uni autem opponitur multitudo: necesse est, quod illius scientiae sit speculari negationem et privationem, cuius est speculari unum et multitudinem. Propter quod utriusque est considerare unum; scilicet ex utroque dependet unius consideratio, de cuius ratione est negatio et privatio. Nam sicut dictum est, unum est ens non divisum: divisio autem ad multitudinem pertinet, quae uni opponitur. Unde cuius est considerare unum, eius est considerare negationem vel privationem.

[82130] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 2Negatio autem est duplex: quaedam simplex per quam absolute dicitur quod hoc non inest illi. Alia est negatio in genere, per quam aliquid non absolute negatur, sed infra metas alicuius generis; sicut caecum dicitur non simpliciter, quod non habet visum, sed infra genus animalis quod natum est habere visum. Et haec adest differentia huic quod dico unum praeter quod est in negatione, idest per quam distat a negatione: quia negatio dicit tantum absentiam alicuius, scilicet quod removet, sine hoc quod determinet subiectum. Unde absoluta negatio potest verificari tam de non ente, quod est natum habere affirmationem, quam de ente, quod est natum habere et non habet. Non videns enim potest dici tam Chimaera quam lapis quam etiam homo. Sed in privatione est quaedam natura vel substantia determinata, de qua dicitur privatio: non enim omne non videns potest dici caecum, sed solum quod est natum habere visum. Et sic, cum negatio, quae in ratione unius includitur, sit negatio in subiecto (alias non ens, unum dici posset): patet, quod unum differt a negatione simpliciter, et magis trahit se ad naturam privationis, ut infra decimo huius habetur.

[82131] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 3Sciendum est autem quod quamvis unum importet privationem implicitam, non tamen est dicendum quod importet privationem multitudinis: quia cum privatio sit posterior naturaliter eo cuius est privatio, sequeretur quod unum esset posterius naturaliter multitudine. Item quod multitudo poneretur in definitione unius. Nam privatio definiri non potest nisi per suum oppositum, ut quid est caecitas? Privatio visus. Unde cum in definitione multitudinis ponatur unum (nam multitudo est aggregatio unitatum), sequitur quod sit circulus in definitionibus. Et ideo dicendum quod unum importat privationem divisionis, non quidem divisionis quae est secundum quantitatem, nam ista divisio determinatur ad unum particulare genus entis, et non posset cadere in definitione unius. Sed unum quod cum ente convertitur importat privationem divisionis formalis quae fit per opposita, cuius prima radix est oppositio affirmationis et negationis. Nam illa dividuntur adinvicem, quae ita se habent, quod hoc non est illud. Primo igitur intelligitur ipsum ens, et ex consequenti non ens, et per consequens divisio, et per consequens unum quod divisionem privat, et per consequens multitudo, in cuius ratione cadit divisio, sicut in ratione unius indivisio; quamvis aliqua divisa modo praedicto rationem multitudinis habere non possint nisi prius cuilibet divisorum ratio unius attribuatur.

[82132] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 4Sed uni pluralitas hic ostendit quod philosophi est considerare contraria. Uni enim multitudo opponitur, ut dictum est. Opposita autem est unius scientiae considerare. Cum igitur ista scientia consideret unum et idem, aequale et simile, necesse est quod consideret opposita his, scilicet multum, alterum sive diversum, dissimile, et inaequale, et quaecumque alia reducuntur ad illa, sive etiam ad unum et pluralitatem. Et inter ista una est contrarietas. Nam contrarietas est quaedam differentia, eorum scilicet quae maxime differunt in eodem genere: differentia vero est quaedam alteritas sive diversitas, ut decimo huius habetur: igitur contrarietas pertinet ad considerationem huius scientiae.

[82133] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 5Quare quoniam hic tradit modum, quo philosophus de his debet determinare: et dicit, quod cum omnia praedicta deriventur ab uno, et unum multipliciter dicatur, etiam omnia ista necesse est multipliciter dici: scilicet idem et diversum et alia huiusmodi. Sed tamen quamvis multipliciter dicantur omnia, tamen quae significantur per quodlibet horum nominum est cognoscere unius scientiae, scilicet philosophiae. Non enim sequitur, quod si aliquid dicitur multipliciter, quod propter hoc sit alterius scientiae vel diversae. Diversa enim significata si neque dicuntur secundum unum, idest secundum unam rationem, scilicet univoce, nec ratione diversa referuntur ad unum, sicut est in analogicis: tunc sequitur, quod sit alterius, idest diversae scientiae de his considerare, vel ad minus unius per accidens. Sicut caeleste sidus, quod est canis, considerat astrologus, naturalis autem canem marinum et terrestrem. Haec autem omnia referuntur ad unum principium. Sicut enim quae significantur per hoc nomen unum, licet sint diversa, reducuntur tamen in unum primum significatum; similiter est dicendum de his nominibus, idem, diversum, contrarium, et huiusmodi. Et ideo circa unumquodque istorum philosophus duo debet facere: videlicet primo dividere quot modis dicitur unumquodque. Et haec divisio consequenter assignatur in unoquoque praedicato idest in unoquoque istorum nominum de pluribus praedicatorum, ad quod primum dicatur; sicut quid est primum significatum huius nominis idem vel diversum et quomodo ad illud omnia alia referantur; aliquid quidem inquantum habet illud, aliquid autem inquantum facit illud, vel secundum alios huiusmodi modos.

[82134] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 3 n. 6Deinde cum dicit palam ergo inducit conclusionem ex omnibus praecedentibus; scilicet quod huius scientiae est ratiocinari de his communibus et de substantia: et hoc fuit unum quaesitum inter quaestiones in tertio disputatas.

LEÇON 3.

(nn. 564-569; [306-309]).

 

Aristote enseigne que l’un et le multiple, comme tous les autres opposés, relèvent d’une même science et comment il en est ainsi.

 

564. Il montre ici qu’il appartient à une même science d’examiner les opposés : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre qu’il lui appartient de considérer la négation et la privation [306]. En deuxième lieu il montre qu’il lui appartient d’examiner les contraires, là [307] où il dit : ¨ Mais à l’un etc.¨.

   Il dit donc [306] que puisqu’il appartient à la même science de considérer les opposés comme il appartient au médecin d’étudier la santé et la maladie et à la grammaire d’examiner ce qui est conforme à une langue et ce qui ne l’est pas, comme le multiple s’oppose à l’un, il est nécessaire qu’il appartienne à cette science qui étudie l’un et le multiple de spéculer sur la négation et la privation parce que ¨dans les deux cas¨, il appartient aux deux sciences d’examiner l’un; c’est-à-dire que la considération de l’un, dans la définition duquel on retrouve la négation et la privation, relève des deux. Car ainsi que nous l’avons dit, l’un est l’être non divisé; mais la division se rapporte à la multiplicité qui s’oppose à l’un. Donc, c’est à celui à qui il appartient de considérer l’un qu’il appartient de considérer la négation et la privation.

565. Mais il y a deux sortes de négations. La première est simple, au moyen de laquelle on dit que ceci n’existe absolument pas dans cela. La deuxième est une négation dans un genre déterminé, et au moyen de laquelle quelque chose n’est pas nié de manière absolue, mais seulement à l’intérieur des limites d’un genre déterminé; ainsi, l’aveugle ne se dit pas simplement de ce qui ne possède pas la vue mais désigne ce qui, à l’intérieur du genre animal, est apte à la posséder. Et cette différence est présente dans ce que j’appelle l’un qui est en dehors de  ¨ce qui est contenu dans la négation¨, et par laquelle il s’écarte de la négation; car la négation dit seulement l’absence de quelque chose qu’elle supprime sans en déterminer le sujet. C’est pourquoi la négation absolue peut se vérifier tant du non-être qui est apte à recevoir une affirmation, que de l’être qui est apte à recevoir une affirmation  et mais qui ne la possède pas. Ne pas voir en effet peut se dire aussi bien de la chimère, de la pierre et de l’homme. Mais dans la privation il y a une nature ou une substance déterminée à laquelle se rapporte la privation : en effet, ce n’est pas tout ce qui ne voit pas qu’on peut appeler aveugle, mais seulement celui qui est apte à posséder la vue. Et ainsi puisque la négation, qui est contenue dans la notion de l’un, est une négation dans un sujet (autrement on pourrait dire du non-être qu’il est un), il est évident que l’un diffère de la négation absolue et qu’il se tient plutôt du côté de la nature de la privation ainsi qu’on le verra plus loin au dixième livre.

566. Mais il faut savoir que bien que l’un suppose une privation implicite, il ne faut pas dire pour autant qu’il suppose une privation du multiple : car puisque la privation est par nature postérieure à ce dont elle est une privation, il s’ensuivrait que l’un serait pas nature postérieur au multiple. De plus il s’ensuivrait que le multiple serait placé dans la définition de l’un. Car une privation ne peut être définie que par son opposé : la cécité en effet n’est rien d’autre que la privation de la vue. C’est pourquoi puisque l’un est placé dans la définition du multiple (car le multiple est la somme des unités), il s’ensuit qu’il y aurait comme un cercle vicieux dans les définitions. Et c’est pourquoi il faut plutôt dire que l’un implique une privation de division, non pas certes d’une division qui est selon la quantité car cette division se limite à un genre particulier d’être et ne pourrait tomber dans la définition de l’un. Mais l’un qui se convertit avec l’être implique la privation d’une division formelle qui se réalise au moyen des opposés et dont la racine première est l’opposition de l’affirmation et de la négation. Car ces opposés sont divisés entre eux comme ceux qui sont tels que celui-ci n’est pas celui-là. Donc, ce qui est saisi en premier lieu par l’intelligence, c’est l’être lui-même et par conséquent le non-être et par conséquent la division et par conséquent l’un qui est privé de division et par conséquent le multiple dans la définition duquel tombe la division tout comme dans la définition de l’un tombe l’indivision, bien que certaines des choses divisées de la manière qui précède ne puissent recevoir l’attribution du multiple que si auparavant l’un ait été attribué à chacun d’eux.

567. Ensuite lorsqu’il dit [307] : ¨ Mais le multiple est opposé à l’un ¨.

   Il montre ici qu’il appartient au philosophe de considérer les contraires. Le multiple s’oppose en effet à l’un, ainsi que nous l’avons dit. Mais il appartient à la même science de considérer les opposés. Donc puisque cette science considère l’un et le même, l’égal et le semblable, il nécessaire aussi qu’elle considère leurs opposés, à savoir le multiple, l’autre ou le différent, le dissemblable et l’inégal, ainsi que tous les autres opposés qui se ramènent à ceux-ci ou même ceux qui se ramènent à l’un et au multiple. Et parmi ces opposés il existe une sorte qui est la contrariété. Car la contrariété est la différence qu’on observe chez ceux qui diffèrent le plus à l’intérieur d’un même genre. La différence par ailleurs est une certaine altérité ou diversité, ainsi qu’on le voit au dixième livre : la contrariété relève donc de la considération de cette science.

568. Ensuite lorsqu’il dit : ¨ En conséquence, puisque ¨.

   Il enseigne ici le mode selon lequel le philosophe doit traiter des opposés; et il dit que puisque tous les opposés qui précèdent dérivent de l’un et que l’un se dit de plusieurs manières, il faut encore que tous ceux-là aussi, à savoir le même et le différent, ainsi que tous les autres opposés de cette sorte, se disent de plusieurs manières. Cependant, bien qu’ils se disent tous de plusieurs manières, c’est à une même science, la philosophie, qu’il appartient de connaître ce qui est signifié par chacun de ces noms. En effet, du fait qu’un terme se dise de plusieurs manières, il ne s’ensuit pas que pour cette seule raison ce terme doive être l’objet de différentes sciences. Il appartiendrait à différentes sciences ou au moins à une par accident de considérer les différentes significations d’un même terme si d’une part elles n’étaient pas attribuées ¨d’après une seule¨, c’est-à-dire selon une même notion, à savoir de manière univoque, et si d’autre part ces différentes significations ne se rapportaient pas à un principe unique comme c’est le cas dans les attributions analogues. Ainsi par exemple c’est à l’astronome qu’il appartient de considérer cet astre céleste qui a pour nom le chien et que c’est au naturaliste qu’il appartient de considérer le chien de mer et le chien qui vit sur terre. – Mais les significations des opposés présentés plus haut se rapportent toutes en effet à un même principe. En effet, tout comme les choses qui se trouvent à être signifiées par le nom un, bien qu’elles soient diverses, se ramènent toutes cependant à un premier signifié, il en est de même pour ces noms, à savoir le même, le différent, le contraire et les autres noms de cette sorte. Et c’est pourquoi le philosophe doit faire deux choses à l’égard de chacun d’eux : il doit évidemment en premier distinguer les différentes significations de chacun de ces termes; et cette division ayant été assignée ¨pour chacun des prédicats¨, c’est-à-dire pour chacun de ces termes attribués à de nombreux sujets, il doit identifier ce qui est premier pour chacun des prédicats, comme de déterminer ce qui est le premier signifié du nom Même ou du nom Autre et comment tous les autres signifiés se rapportent à ce premier signifié; une chose en effet reçoit ce nom dans la mesure où elle possède en elle cette notion première, une autre dans la mesure où elle la produit et d’autres selon d’autres modalités.

569. Ensuite lorsqu’il dit [309] : ¨ Il est donc évident ¨.

   Il tire une conclusion de tout ce qui précède, à savoir qu’il appartient à cette science de raisonner sur ces notions communes et sur la substance : et c’était là une des questions discutées au troisième livre.

 

 

LECTIO 4

[82135] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 1Hic ostendit per rationes communes, quod de omnibus praedictis philosophus debet considerare. Et primo ostendit propositum. Secundo conclusionem inducit intentam, ibi, quod quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo ex dictis infert quoddam corollarium, ibi, et propter hoc et cetera. Ostendit autem primum tribus rationibus. Secunda ibi, signum autem et cetera. Tertia ibi, amplius autem et cetera. Prima ratio, talis est. Omnes dubitationes, quae possunt moveri, sunt in aliqua scientia solvendae: sed de praedictis communibus moventur quaedam quaestiones, sicut de eodem et de diverso movetur illa quaestio utrum sit idem Socrates, et Socrates sedens: et de contrariis movetur ista quaestio, utrum unum sit contrarium uni, et quot modis dicitur: ergo oportet, quod in aliqua scientia ista solvantur, quae consideret de eodem et contrario et aliis praedictis.

[82136] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 2Et quod hoc pertineat ad philosophum et ad nullum alium, sic probat. Eius est considerare primas passiones entis, cuius est considerare ens secundum quod est ens. Sed praedicta omnia sunt per se accidentia entis et unius secundum quod huiusmodi. Sicut enim numerus, inquantum huiusmodi, habet proprias passiones, ut superfluum, aequale, commensuratum et huiusmodi, quorum quaedam insunt alicui numero absolute, ut par et impar, quaedam uni per comparationem ad alterum, ut aequale: et etiam substantia habet proprias passiones ut firmum, idest corpus, et alia huiusmodi. Similiter et ens inquantum ens, habet quaedam propria, quae sunt communia praedicta. Ergo consideratio eorum pertinet ad philosophum. Et ideo tradentes philosophiam non peccaverunt de his tractando tamquam non philosophantes, idest tamquam ista non pertineant ad considerationem philosophiae; sed quia de his tractantes de substantia nihil audiunt, quasi substantiae omnino obliviscantur, cum tamen ipsa sit primum inter illa, de quibus philosophus debet considerare.

[82137] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 3Deinde cum dicit signum autem hic ponit secundam rationem ad idem ostendendum, quae est per signum, quae talis est. Dialectici et sophistae induunt figuram eamdem philosopho, quasi similitudinem cum eo habentes: sed dialectici et sophistae disputant de praedictis: ergo et philosophi est ea considerare. Ad manifestationem autem primae ostendit quomodo dialectica et sophistica cum philosophia habeant similitudinem, et in quo differunt ab ea.

[82138] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 4Conveniunt autem in hoc, quod dialectici est considerare de omnibus. Hoc autem esse non posset, nisi consideraret omnia secundum quod in aliquo uno conveniunt: quia unius scientiae unum subiectum est, et unius artis una est materia, circa quam operatur. Cum igitur omnes res non conveniant nisi in ente, manifestum est quod dialecticae materia est ens, et ea quae sunt entis, de quibus etiam philosophus considerat. Similiter etiam sophistica habet quamdam similitudinem philosophiae. Nam sophistica est visa sive apparens sapientia, non existens. Quod autem habet apparentiam alicuius rei, oportet quod aliquam similitudinem cum illa habeat. Et ideo oportet quod eadem consideret philosophus, dialecticus et sophista.

[82139] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 5Differunt autem abinvicem. Philosophus quidem a dialectico secundum potestatem. Nam maioris virtutis est consideratio philosophi quam consideratio dialectici. Philosophus enim de praedictis communibus procedit demonstrative. Et ideo eius est habere scientiam de praedictis, et est cognoscitivus eorum per certitudinem. Nam certa cognitio sive scientia est effectus demonstrationis. Dialecticus autem circa omnia praedicta procedit ex probabilibus; unde non facit scientiam, sed quamdam opinionem. Et hoc ideo est, quia ens est duplex: ens scilicet rationis et ens naturae. Ens autem rationis dicitur proprie de illis intentionibus, quas ratio adinvenit in rebus consideratis; sicut intentio generis, speciei et similium, quae quidem non inveniuntur in rerum natura, sed considerationem rationis consequuntur. Et huiusmodi, scilicet ens rationis, est proprie subiectum logicae. Huiusmodi autem intentiones intelligibiles, entibus naturae aequiparantur, eo quod omnia entia naturae sub consideratione rationis cadunt. Et ideo subiectum logicae ad omnia se extendit, de quibus ens naturae praedicatur. Unde concludit, quod subiectum logicae aequiparatur subiecto philosophiae, quod est ens naturae. Philosophus igitur ex principiis ipsius procedit ad probandum ea quae sunt consideranda circa huiusmodi communia accidentia entis. Dialecticus autem procedit ad ea consideranda ex intentionibus rationis, quae sunt extranea a natura rerum. Et ideo dicitur, quod dialectica est tentativa, quia tentare proprium est ex principiis extraneis procedere.

[82140] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 6A sophista vero differt philosophus prohaeresi, idest electione vel voluptate, idest desiderio vitae. Ad aliud enim ordinat vitam suam et actiones philosophus et sophista. Philosophus quidem ad sciendum veritatem; sophista vero ad hoc quod videatur scire quamvis nesciat.

[82141] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 7Licet autem dicatur, quod philosophia est scientia, non autem dialectica et sophistica, non tamen per hoc removetur quin dialectica et sophistica sint scientiae. Dialectica enim potest considerari secundum quod est docens, et secundum quod est utens. Secundum quidem quod est docens, habet considerationem de istis intentionibus, instituens modum, quo per eas procedi possit ad conclusiones in singulis scientiis probabiliter ostendendas; et hoc demonstrative facit, et secundum hoc est scientia. Utens vero est secundum quod modo adinvento utitur ad concludendum aliquid probabiliter in singulis scientiis; et sic recedit a modo scientiae. Et similiter dicendum est de sophistica; quia prout est docens tradit per necessarias et demonstrativas rationes modum arguendi apparenter. Secundum vero quod est utens, deficit a processu verae argumentationis.

[82142] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 8Sed in parte logicae quae dicitur demonstrativa, solum doctrina pertinet ad logicam, usus vero ad philosophiam et ad alias particulares scientias quae sunt de rebus naturae. Et hoc ideo, quia usus demonstrativae consistit in utendo principiis rerum, de quibus fit demonstratio, quae ad scientias reales pertinet, non utendo intentionibus logicis. Et sic apparet, quod quaedam partes logicae habent ipsam scientiam et doctrinam et usum, sicut dialectica tentativa et sophistica; quaedam autem doctrinam et non usum, sicut demonstrativa.

[82143] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 9Amplius contrariorum hic ponit tertiam rationem, quae talis est. Quaecumque reducuntur in unum et ens, debent considerari a philosopho, cuius est considerare unum et ens: sed omnia contraria reducuntur ad unum et ens: ergo omnia contraria sunt de consideratione philosophi, cuius est considerare unum et ens.

[82144] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 10Quod autem omnia contraria reducantur ad unum et ens, ostendit quidem primo quantum ad ens hoc modo. Inter duo contraria, quae a philosophis principia ponuntur, ut in primo habitum est, semper unum quidem est alteri correlativum, et ei coordinatum est, ut privatio. Quod ex hoc patet: quia semper alterum contrariorum est imperfectum respectu alterius, et sic quamdam perfectionis privationem alterius importat. Privatio autem est quaedam negatio, ut dictum est supra; et sic est non ens. Et sic patet quod omnia contraria reducuntur in ens et non ens.

[82145] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 11Similiter etiam ostendit quod reducuntur in unum et multitudinem, per quoddam exemplum. Status enim sive quies reducitur in unitatem. Illud enim quiescere dicitur, quod uno modo se habet nunc et prius, ut in sexto physicorum traditur. Motus autem ad multitudinem pertinet; quia quod movetur, diversimode se habet nunc et prius; quod multitudinem importat.

[82146] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 12Deinde ibi entia vero ostendit alio modo, quod contraria reducuntur ad ens: quia principia et principiata sunt unius considerationis. Principia autem entium, inquantum huiusmodi, confitentur philosophi esse contraria. Omnes enim dicunt entia et substantias entium ex contrariis componi, ut in primo physicorum dictum est, et primo huius. Et quamvis in hoc conveniant quod entium principia sint contraria, differunt tamen quantum ad contraria quae ponunt. Quidam enim ponunt par et impar, sicut Pythagorici. Et alii calorem et frigus, sicut Parmenides. Quidam finem sive terminum et infinitum, idest finitum et infinitum, sicut idem Pythagoras. Nam pari et impari, finitum et infinitum attribuebant, ut in primo habitum est. Alii concordiam et discordiam, sicut Empedocles. Patet ergo quod contraria reducuntur in considerationem entis.

[82147] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 13Deinde ulterius ibi omnia vero dicit, quod sicut praedicta contraria reducuntur ad ens, ita habent reduci ad unum et multitudinem. Quod apparet. Nam imparitas aliquid unitatis habet propter indivisionem: paritas autem ad naturam multitudinis pertinet propter suam divisionem. Sic autem finis sive terminus ad unitatem pertinet, quae est terminus omnis resolutionis: infinitum autem pertinet ad multitudinem, quae in infinitum augetur. Concordia etiam unitatis est manifeste. Discordia vero multitudinis. Calor autem ad unitatem pertinet, inquantum habet unire homogenea. Frigus autem ad multitudinem, inquantum habet ea separare. Nec solum ista contraria reducuntur sic in unum et multitudinem, sed etiam alia. Sed ista reductio sive introductio ad unum et multitudinem accipiatur sive sumatur, idest supponatur nunc a nobis, quia longum esset per singula contraria hoc discutere.

[82148] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 14Deinde ostendit consequenter quod omnia contraria reducuntur ad unum et ens. Constat enim quod omnia tam principia quam quae sunt de aliis, idest principiata, inducunt in unum et ens tamquam in genera; non quod sint vere genera; sed ratione suae communitatis quamdam similitudinem generum habent. Si igitur contraria omnia sunt principia vel ex principiis, oportet quod ad unum et ens reducantur. Sic igitur patet, quod dupliciter ostendit contraria reduci ad ens. Primo per naturam privationis. Secundo per hoc quod contraria sunt principia. Quod vero reducantur ad unum, ostendit per exemplum et per quamdam reductionem. Finaliter autem ostendit quod reducantur ad unum et ens inquantum sunt genera.

[82149] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 15Palam igitur hic ostendit conversim, scilicet quod ista scientia considerat ens, quia considerat praedicta, tali ratione. Omnia entia reducuntur ad contraria; quia vel sunt contraria, vel sunt ex contrariis: contraria vero reducuntur ad unum et multitudinem, quia unum et multitudo sunt principia contrariorum: unum autem et multitudo sunt unius scientiae, scilicet philosophiae: ergo et eius est considerare ens secundum quod est ens. Sciendum est tamen, quod praedicta omnia in unius scientiae considerationem cadunt, sive dicantur secundum unum, idest univoce, sive non, sicut fortasse verum est. Sed tamen quamvis unum dicatur multipliciter, omnia tamen alia, idest omnes significationes, reducuntur ad unam primam significationem. Et similiter est etiam de contrariis, quae dicuntur multipliciter, sed omnes significationes ad unam primam reducuntur. Et propter hoc, si etiam unum et ens non est unum universale quasi genus existens, sicut supra ponebatur, sive dicamus quod universale sit unum in omnibus secundum opinionem nostram, sive quod sit aliquid separatum a rebus secundum opinionem Platonis, sicut fortassis non est verum: tamen dicuntur secundum prius et posterius: sicut et aliae significationes referuntur ad unum primum, et aliae se habent consequenter respectu illius primi. Utitur tamen adverbio dubitandi, quasi nunc supponens quae inferius probabuntur.

[82150] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 16Sciendum tamen est quod hoc, quod dixit, omnia entia contraria esse vel ex contrariis, non posuit secundum suam opinionem, sed accepit quasi opinionem philosophorum antiquorum: entia enim immobilia nec sunt contraria, nec ex contrariis. Unde nec Plato circa sensibiles substantias immobiles posuit contrarietatem. Fecit enim unitatem ex parte formae, contrarietatem ex parte materiae. Antiqui vero philosophi solummodo substantias sensibiles posuerunt, in quibus necesse est contrarietatem esse secundum quod mobiles sunt.

[82151] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 17Deinde cum dicit et propter inducit quoddam corollarium ex praedictis; dicens, quod geometriae non est speculari de praedictis, quae sunt accidentia entis inquantum est ens, scilicet quid est contrarium, aut quid est perfectum, et huiusmodi. Sed si consideret, hoc erit ex conditione, idest ex suppositione, quasi supponens ab aliquo priori philosopho, a quo sumit quantum est necessarium ad suam materiam. Et hoc quod dicitur de geometria, similiter est intelligendum in qualibet alia particulari scientia.

[82152] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 4 n. 18Deinde cum dicit quod quidem colligit quae sunt supra ostensa; dicens, manifestum esse, quod ad unam scientiam pertinet considerare ens secundum quod est ens, et ea quae per se illi insunt. Et per hoc patet, quod illa scientia non solum est considerativa substantiarum, sed etiam accidentium, cum de utrisque ens praedicetur. Et est considerativa eorum quae dicta sunt, scilicet eiusdem et diversi, similis et dissimilis, aequalis et inaequalis, negationis et privationis, et contrariorum; quae supra diximus esse per se entis accidentia. Et non solum est considerativa istorum, de quibus ostensum est singillatim propriis rationibus, quae cadunt in consideratione huius scientiae; sed etiam considerat de priori et posteriori, genere et specie, toto et parte, et aliis huiusmodi, pari ratione, quia haec etiam sunt accidentia entis inquantum est ens.

LEÇON 4.

(nn. 570-587; [310-318]).

 

Il prouve que la philosophie première examine tous les contraires puisqu’elle étudie l’être, l’un et les contraires dont l’examen ne relève d’aucune science particulière.

 

570. Aristote montre ici, au moyen de raisons communes, que le philosophe doit examiner tout ce qui précède.

   Et en premier lieu il manifeste son propos [310]. En deuxième lieu il présente la conclusion qu’il se proposait de prouver, là [318] où il dit : ¨ Ainsi donc, qu’il etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il manifeste le propos [310]. En deuxième lieu il tire un corollaire de ce qu’il a dit, là [317] où il dit : ¨ Et pour cette raison etc.¨.

   Il manifeste en premier le propos au moyen de trois raisonnements. Il présente le deuxième raisonnement là [311] où il dit : ¨ Mais un signe etc.¨. Il présente le troisième raisonnement là [313] où il dit : ¨ Mais en outre etc.¨.

   Le premier raisonnement se présente ainsi [310]. Toutes les questions qu’on peut soulever trouvent leurs réponses dans une science; mais au sujet des notions communes qui précèdent on soulève des questions, comme au sujet du même et de l’autre on soulève la question de savoir si Socrate est identique à Socrate assis; et au sujet des contraires on soulève cette question de savoir si une même chose a un seul contraire et quels sont les significations de ce terme; il faut donc qu’il y ait une science dans laquelle on répond à ces questions et dans laquelle on étudie ce que sont ces notions comme le même, le contraire et les autres notions dont nous avons parlé précédemment.

571. Et que cette étude relève de la philosophie et de nulle autre discipline, il le prouve ainsi. C’est à la science à laquelle il appartient de considérer l’être en tant qu’être qu’il appartient de considérer les premières propriétés de l’être. Mais toutes les notions qui précèdent sont des accidents par soi ou essentiels de l’être et de l’un en tant que tels. En effet, tout comme le nombre en tant que nombre possède ses accidents propres comme l’abondant, l’égal et le commensurable et les propriétés de cette sorte dont certaines appartiennent au nombre considéré absolument comme le pair et l’impair, alors que d’autres appartiennent à un nombre dans son rapport à un autre comme l’égal; de même la substance possède ses accidents propres ¨ comme le solide¨, c’est-à-dire la corporéité et d’autres de même sorte. De même encore, l’être en tant qu’être possède ses propriétés qui sont les notions communes qui précèdent. Leur étude relève donc de la philosophie. Et c’est pourquoi ceux qui se sont adonnés à la philosophie ne se sont pas trompés sur ces notions parce qu’ils les considéraient comme ¨n’étant pas philosophiques¨, c’est-à-dire parce qu’elles ne relevaient pas de l’étude de la philosophie, mais plutôt parce qu’en les examinant ils ne comprirent rien à la substance et la négligèrent comme totalement, bien qu’elle soit la première de toutes les notions que le philosophe se doit d’examiner.

572. Ensuite lorsqu’il dit [311] : ¨ Mais un signe ¨.

   Pour montrer la même chose il présente ici le deuxième raisonnement qui est un signe et que voici. Les dialecticiens et les sophistes présentent le même visage que le philosophe, ayant avec lui une certaine ressemblance; mais les dialecticiens et les sophistes discutent de ces notions. Il appartient donc au philosophe d’examiner ces notions. Mais pour manifester la majeure il montre de quelle manière les dialecticiens et les sophistes ressemblent au philosophe et en quoi ils en diffèrent.

573. Mais ils lui ressemblent en ceci qu’il appartient au dialecticien d’examiner toutes choses, ce qui ne serait pas possible s’il ne les considérait pas toutes d’après un principe unique dans lequel elles se rencontrent toutes car il n’y a qu’un seul sujet pour une même science, tout comme il n’y a qu’une seule matière pour un même art et sur laquelle il opère. Donc, puisque toutes les choses ne se rencontrent que dans l’être, il est évident que la matière de la dialectique est l’être ainsi que tout ce qui appartient à l’être. Et c’est là-dessus que le philosophe lui aussi porte son attention. – De la même manière encore le sophiste entretient une ressemblance avec le philosophe. Car la sophistique est ¨une apparence¨, c’est-à-dire une sagesse apparente, une sagesse qui n’est pas réelle. Mais pour qu’elle ait l’apparence de quelque chose, il faut qu’elle ait une ressemblance avec cette chose. Et c’est pourquoi il faut que le philosophe, le dialecticien et le sophiste considèrent les mêmes choses.

574. Ils diffèrent cependant les uns des autres. Le philosophe diffère certes du dialecticien par sa puissance car la considération du philosophe est d’une plus grande force que celle du dialecticien. En effet, c’est selon un mode démonstratif que le philosophe examine les notions communes dont nous avons parlé et c’est pourquoi il lui appartient d’en acquérir la science et de les connaître avec certitude. Car la connaissance certaine ou la science est l’effet de la démonstration. Le dialecticien de son côté procède à l’égard de ces mêmes notions à partir de principes probables et c’est pourquoi il n’engendre pas la science, mais une certaine opinion. Et il en est ainsi parce qu’il y a deux sortes d’êtres, à savoir l’être de raison et l’être de nature. Mais l’être de raison se dit à proprement parler de ces intentions que la raison découvre en examinant les choses, comme les intentions du genre, de l’espèce et les autres intentions semblables qu’on ne retrouve pas dans la nature des choses mais qui découlent de l’examen de la raison. Et ce sont de telles intentions qui sont à proprement parler le sujet de la logique. Mais de telles intentions intelligibles correspondent en quelque sorte aux êtres de nature du fait que tous les êtres de nature tombent sous la considération de la raison. Et c’est pourquoi le sujet de la logique s’applique à tous les êtres auxquels s’attribue l’être de nature. De là Aristote conclut que le sujet de la logique correspond au sujet de la philosophie qui est l’être de nature. Le philosophe procède donc à partir des principes de l’être de nature pour prouver les choses qui doivent être examinées par rapport à ces accidents communs de l’être. Mais c’est à partir des intentions de la raison, qui sont extérieures à la nature des choses, que le dialecticien procède pour considérer ces mêmes accidents. Et c’est pourquoi on dit que la dialectique est une démarche qui est dans la ligne de l’essai car il est propre à l’essai de procéder à partir de principes extérieurs.

575. D’un autre côté le philosophe diffère du sophiste par ¨ ce à quoi il est attaché ¨, c’est-à-dire par le choix ou l’amour ou par la sorte de désir de vivre. Le philosophe en effet ordonne sa vie et ses actions à autre chose que ne le fait le sophiste. Le philosophe ordonne certes sa vie à la connaissance de la vérité alors que le sophiste l’ordonne à l’apparence du savoir alors qu’il demeure ignorant.

576. Mais bien qu’on dise que c’est la philosophie qui est une science et non la dialectique et la sophistique, on n’écarte cependant pas pour autant que la dialectique et la sophistique soient des sciences. On peut considérer la dialectique de deux manières : soit selon qu’elle enseigne, soit selon qu’elle utilise. Selon qu’elle enseigne, elle considère ces intentions en établissant un mode ou une méthode par laquelle elle peut procéder grâce à elles à la manifestation de conclusions dans chacune des sciences particulières d’une manière probable. Et c’est d’une manière démonstrative qu’elle établit ce mode ou cette méthode et c’est à ce titre qu’elle est une science. D’un autre côté selon qu’elle utilise ce mode appliqué à une matière pour conclure quelque chose avec probabilité dans chacune des sciences, elle s’éloigne alors du mode de la science. – Et il faut dire la même chose de la sophistique car dans la mesure où elle enseigne elle transmet par des raisonnements nécessaires et démonstratifs le mode selon lequel on argumente d’une manière apparente. Mais selon qu’elle s’en sert, elle s’écarte du processus de la véritable argumentation.

577. Mais dans la partie de la logique qu’on appelle démonstrative, seule la doctrine ou la méthode se rapporte à la logique alors que son usage appartient à la philosophie et aux autres sciences particulières qui portent sur les êtres de nature. Et il en est ainsi parce que l’usage de la logique démonstrative consiste à utiliser les principes des choses sur lesquelles porte la démonstration, et auxquelles se rapportent les sciences du réel, sans recourir aux intentions logiques. Et c’est ainsi qu’il devient évident que certaines parties de la logique, comme la dialectique et la sophistique, comportent à la fois la science, doctrine et usage, alors que d’autres, comme la logique démonstrative, ne contiennent que la doctrine et non l’usage.

578. Ensuite lorsqu’il dit [313] : ¨ En outre des contraires ¨.

   Il présente ici le troisième raisonnement que voici. Tout ce qui se ramène à l’un et à l’être doit être examiné par le philosophe auquel il appartient d’examiner l’un et l’être. Mais tous les contraires se ramènent à l’un et à l’être : donc tous les contraires relèvent de l’étude du philosophe auquel il appartient de considérer l’un et l’être.

579. Mais que tous les contraires se ramènent à l’un et à l’être, il le montre certes en premier lieu par rapport à l’être de la manière suivante. Parmi deux contraires, que les philosophes ont reconnus comme étant des principes comme nous l’avons vu au premier livre, l’un est toujours corrélatif et coordonné à l’autre à la manière d’une privation. Ce qui devient évident à partir de ceci : toujours en effet l’un des contraires est imparfait par rapport à l’autre et implique une certaine privation de la perfection de l’autre. Mais la privation est une certaine négation ainsi que nous l’avons établi plus haut, et elle se trouve ainsi à exprimer du non-être. Et c’est ainsi qu’il est évident que tous les contraires se ramènent à l’être et au non-être.

580. De la même manière encore il montre, au moyen d’un exemple, que tous les contraires se ramènent à l’un et au multiple. En effet l’immobilité ou le repos se ramène à l’unité. On dit en effet que se repose celui qui est d’abord et maintenant dans un seul état, ainsi qu’on l’enseigne au sixième livre des Physiques. Mais le mouvement se rapporte au multiple car celui qui se meut se comporte d’abord et maintenant de différentes manières, ce qui implique la multiplicité.

581. Ensuite lorsqu’il dit [314] : ¨ D’un autre côté les êtres ¨.

   Il montre d’une autre manière que les contraires se ramènent à l’être car les principes et leurs conséquences relèvent de la même étude. Mais les principes des êtres en tant que tels sont reconnus par les philosophes comme étant les contraires. Tous en effet affirment que les êtres et les substances des êtres sont composés des contraires ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques et au premier livre de ce traité. Et bien qu’ils s’accordent pour dire que les principes des êtres sont les contraires, ils diffèrent cependant sur les contraires qu’ils posent comme principes. Certains en effet posent comme principes le pair et l’impair, comme les Pythagoriciens, d’autres, comme Parménide, le chaud et le froid, d’autres encore, comme Pythagore, ¨la limite¨, c’est-à-dire le fini et ¨l’illimité¨, c’est-à-dire l’infini. Car ils attribuaient respectivement le fini et l’infini au pair et à l’impair, ainsi que nous l’avons vu au premier livre. D’autres, comme Empédocle posaient comme principes l’amitié et la haine. Il apparaît donc que l’examen des contraires relève de la considération de l’être.

582. Ensuite lorsqu’il dit ultérieurement [315] : ¨ D’un autre côté tout ¨.

   Et il dit que tout comme les contraires qui précèdent se ramènent à l’être, de même ils doivent être ramenés à l’un et au multiple. Ce qui apparaît de la manière qui suit car l’impair possède quelque chose de l’unité en raison de son indivisibilité alors que le pair se rapporte à la nature du multiple en raison de sa divisibilité. Ainsi la fin ou le terme se rapporte à l’unité qui est le terme de toute résolution alors que l’infini s’apparente au multiple qui peut croître à l’infini. L’amitié appartient aussi manifestement à l’unité et la haine à la multiplicité. La chaleur de son côté a rapport à l’unité car elle tend à unir ce qui est homogène mais le froid a rapport à la multiplicité car il tend à les séparer. Et ce ne sont pas seulement ces contraires qui se ramènent à l’un et au multiple, mais aussi les autres. – Mais cette ¨réduction¨ ou ce retour des contraires à l’un et au multiple est admis ou ¨reconnu¨ maintenant par nous, c’est-à-dire pris pour acquis par nous car il serait long d’en discuter par l’examen de chacune des séries de contraires.

583. Ensuite il montre par après que tous les contraires se ramènent à l’un et à l’être. Il est évident en effet que tous les principes comme tout ¨le reste¨, à savoir les effets qui en découlent, aboutissent à l’un et à l’être comme à leur genre. Non pas qu’ils soient véritablement des genres, mais en raison de leur caractère commun ils présentent une certaine ressemblance avec les genres. Si donc tous les contraires sont des principes ou viennent de principes, il faut qu’ils se ramènent à l’un et à l’être. – Ainsi donc il est évident qu’il montre de deux manières que les contraires se ramènent à l’être. Premièrement au moyen de la nature de la privation. Deuxièmement au moyen de ceci que les contraires sont des principes. Mais que d’un autre côté ils se ramènent à l’un, il le montre par un exemple et au moyen d’une certaine réduction. Finalement il montre que les contraires se ramènent à l’un et à l’être dans la mesure où ces derniers sont comme des genres.

584. Ensuite lorsqu’il dit [316] : ¨ Il résulte donc clairement ¨.

   Il montre ici réciproquement, au moyen d’un raisonnement, que cette science examine l’être puisqu’elle examine les contraires. Tous les êtres se ramènent à des contraires car ou bien ils sont des contraires ou bien ils en viennent ; mais les contraires se ramènent à l’un et au multiple car l’un et le multiple sont les principes des contraires; mais l’un et le multiple relèvent d’une même science, à savoir la philosophie; c’est donc à elle qu’il appartient de considérer l’être en tant qu’être. Il faut cependant savoir que toutes les notions qui précèdent tombent sous la considération d’une même science, soit qu’ils se disent ¨conformément à une même notion¨, c’est-à-dire d’une manière univoque, soit non comme cela est peut-être le cas. Cependant, bien que l’un se dise de plusieurs manières, toutes les manières, c’est-à-dire toutes les autres significations se ramènent à une même première signification. Et il en est de même aussi pour les contraires qui se disent aussi de plusieurs manières, mais où toutes les significations se ramènent à une même signification première. Et pour cette raison, même si l’un et l’être ne sont pas un universel à la manière d’un genre ainsi qu’on l’affirmait précédemment,  qu’on entende par universel ce qui est commun et qu’on retrouve dans toutes les choses d’après notre opinion, ou qu’on l’entende comme une forme séparée comme le faisait Platon, bien qu’il apparaît probable que cela soit faux, il reste néanmoins que l’un et l’être, comme les contraires qui en découlent, se disent selon l’avant et l’après, certaines significations manifestant une simple relation à un principe premier et unique, alors que d’autres significations témoignent d’un rapport de consécution hiérarchisé suivant ce terme premier. Il se sert d’un adverbe de doute (peut-être) en prenant pour acquis maintenant ce qui sera prouvé plus loin.

585. Il faut cependant savoir que ce qu’il a affirmé, à savoir que tous les êtres sont des contraires ou sont composés de contraires, il ne l’a pas affirmé comme expression de sa propre opinion, mais il l’a exprimé comme étant l’opinion des philosophes anciens : les êtres immobiles en effet ne sont ni des contraires ni des composés de contraires. C’est pourquoi Platon n’attribua pas la contrariété aux substances sensibles immobiles. Il établit en effet l’unité du côté de la forme et la contrariété du côté de la matière. D’un autre côté les anciens philosophes ne posèrent que des substances sensibles dans lesquelles il est nécessaire de retrouver la contrariété en raison de leur mobilité.

586. Ensuite lorsqu’il dit [317] : ¨ Et c’est pour cette raison ¨.

   Il présente un corollaire qu’il tire de ce qui précède en disant qu’il n’appartient pas à la géométrie de spéculer sur les notions qui précèdent et qui sont les accidents de l’être en tant qu’être, comme par exemple de déterminer ce qu’est la contrariété, la perfection et les autres notions de la sorte. Mais s’il considère ces notions, ce sera ¨ de manière conditionnelle ¨, c’est-à-dire en les prenant comme des principes et en les supposant manifestées par la philosophie première à laquelle il les empruntera dans la mesure où elles seront nécessaires pour mettre en lumière sa propre matière. Et ce qu’il dit de la géométrie il faut l’entendre aussi pour toutes les autres sciences particulières.

587. Il résume les choses qui ont été manifestées plus haut en disant qu’il est manifeste qu’il appartient à une même science de considérer l’être en tant qu’être ainsi que ce qui lui appartient essentiellement. Et cela est évident au moyen de ceci que cette science n’examine pas seulement les substances, mais aussi les accidents puisque c’est aux unes et aux autres que l’être s’attribue. En effet cette science examine ces notions dont nous avons parlé et qui sont le même et l’autre, le semblable et le dissemblable, l’égal et l’inégal, l’affirmation et la négation, et les contraires, notions au sujet desquelles nous avons dit plus haut qu’elles sont des accidents essentiels de l’être. Et non seulement elle considère ces notions au sujet desquelles, une à une, nous avons montré au moyen de raisons propres qu’elles tombent sous la considération de cette science, mais elle examine aussi des notions comme l’avant et l’après, le genre et l’espèce, le tout et la partie et d’autres notions de même sorte et elle le fait pour la même raison, à savoir parce que ces notions sont elles aussi des accidents de l’être en tant qu’être.

 

 

LECTIO 5

[82153] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 1Hic solvit aliam quaestionem in tertio motam; scilicet utrum ad istam scientiam pertineat considerare prima principia demonstrationis. Et dividitur in duo. Primo ostendit, quod eius est considerare universaliter de omnibus his principiis. Secundo specialiter de primo eorum ibi, congruit autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet quaestionem, quae est, utrum unius scientiae sit considerare de substantia et de principiis quae in scientiis mathematicis vocantur dignitates, aut est alterius et alterius scientiae considerare. Appropriat autem ista principia magis mathematicis scientiis, quia certiores demonstrationes habent, et manifestius istis principiis per se notis utuntur, omnes suas demonstrationes ad haec principia resolventes.

[82154] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 2Palam autem secundo solvit: quae quidem solutio est, quia una scientia intendit de utrisque praedictis: et haec est philosophia, quae prae manibus habetur.

[82155] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 3Omnibus enim tertio probat solutionem propositam: et circa hoc duo facit. Primo probat propositum. Secundo conclusionem principalem inducit, ibi, quoniam igitur et cetera. Probat autem solutionem propositam dupliciter. Primo per rationem. Secundo per signum, ibi, unde nullus et cetera. Ratio talis est. Quaecumque insunt omnibus entibus, et non solum alicui generi entium separatim ab aliis, haec pertinent ad considerationem philosophi: sed praedicta principia sunt huiusmodi: ergo pertinent ad considerationem philosophi. Minorem sic probat. Illa, quibus utuntur omnes scientiae, sunt entis inquantum huiusmodi: sed prima principia sunt huiusmodi: ergo pertinent ad ens inquantum est ens.

[82156] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 4Rationem autem, quare omnes scientiae eis utuntur, sic assignat; quia unumquodque genus subiectum alicuius scientiae recipit praedicationem entis. Utuntur autem principiis praedictis scientiae particulares non secundum suam communitatem, prout se extendunt ad omnia entia, sed quantum sufficit eis: et hoc secundum continentiam generis, quod in scientia subiicitur, de quo ipsa scientia demonstrationes affert. Sicut ipsa philosophia naturalis utitur eis secundum quod se extendunt ad entia mobilia, et non ulterius.

[82157] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 5Deinde cum dicit unde nullus probat quod dixerat, per signum. Et primo inducit probationem. Secundo excludit quorumdam errorem, ibi, sed quoniam est adhuc. Dicit ergo primo, quod nullus intendens primo tradere scientiam alicuius particularis entis, conatus est aliquid dicere de primis principiis utrum sint vera aut non: nec geometra, aut arithmeticus, qui tamen istis principiis plurimum utuntur, ut supra dictum est. Unde patet quod consideratio dictorum principiorum ad hanc scientiam pertinet.

[82158] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 6Deinde cum dicit nisi physicorum excludit errorem quorumdam: et circa hoc duo facit. Primo excludit errorem eorum, qui de praedictis se intromittebant, cum ad eos non pertineret. Secundo eorum, qui de eis alio modo volebant tractare quam de eis sit tractandum, ibi, quicumque autem utuntur et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis nulla scientiarum particularium de praedictis principiis se intromittere debeat, quidam tamen naturalium de his se intromiserunt; et hoc non sine ratione. Antiqui enim non opinabantur aliquam substantiam esse praeter substantiam corpoream mobilem, de qua physicus tractat. Et ideo creditum est, quod soli determinent de tota natura, et per consequens de ente; et ita etiam de primis principiis quae sunt simul consideranda cum ente. Hoc autem falsum est; quia adhuc est quaedam scientia superior naturali: ipsa enim natura, idest res naturalis habens in se principium motus, in se ipsa est unum aliquod genus entis universalis. Non enim omne ens est huiusmodi: cum probatum sit in octavo physicorum, esse aliquod ens immobile. Hoc autem ens immobile superius est et nobilius ente mobili, de quo considerat naturalis. Et quia ad illam scientiam pertinet consideratio entis communis, ad quam pertinet consideratio entis primi, ideo ad aliam scientiam quam ad naturalem pertinet consideratio entis communis; et eius etiam erit considerare huiusmodi principia communia. Physica enim est quaedam pars philosophiae: sed non prima, quae considerat ens commune, et ea quae sunt entis inquantum huiusmodi.

[82159] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 7Deinde cum dicit quicumque vero excludit alium errorem circa modum tractandi huiusmodi principia. Quidam enim tractabant de istis principiis volentes ea demonstrare: et quaecumque isti dixerunt de veritate praedictorum principiorum, quomodo oporteat ea recipere per vim demonstrationis, vel quomodo oporteat contingere veritatem in omnibus istis ita se habere, hoc fecerunt propter ignorantiam, vel propter imperitiam analyticorum, idest illius partis logicae, in qua ars demonstrandi traditur: quia oportet scientes de his pervenire, idest omnis scientia per demonstrationem acquisita ex his principiis causatur. Sed non oportet audientes, idest discipulos instruendos in aliqua scientia, quaerere de his sicut de aliquibus demonstrandis. Vel secundum aliam literam oportet de his pervenire scientes, idest oportet, quod qui acquirunt scientiam per demonstrationem perveniant ad cognoscendum huiusmodi principia communia, et non quod quaerant ea sibi demonstrari.

[82160] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 5 n. 8Deinde cum dicit quoniam igitur concludit conclusionem principaliter intentam: scilicet quod philosophi erit considerare de omni substantia inquantum huiusmodi, et de primis syllogismorum principiis. Ad huius autem evidentiam sciendum, quod propositiones per se notae sunt, quae statim notis terminis cognoscuntur, ut dicitur primo posteriorum. Hoc autem contingit in illis propositionibus, in quibus praedicatum ponitur in definitione subiecti, vel praedicatum est idem subiecto. Sed contingit aliquam propositionem quantum in se est esse per se notam, non tamen esse per se notam omnibus, qui ignorant definitionem praedicati et subiecti. Unde Boetius dicit in libro de hebdomadibus, quod quaedam sunt per se nota sapientibus quae non sunt per se nota omnibus. Illa autem sunt per se nota omnibus, quorum termini in conceptionem omnium cadunt. Huiusmodi autem sunt communia, eo quod nostra cognitio a communibus ad propria pervenit, ut dicitur in primo physicorum. Et ideo istae propositiones sunt prima demonstrationum principia, quae componuntur ex terminis communibus, sicut totum et pars, ut, omne totum est maius sua parte; et sicut aequale et inaequale, ut, quae uni et eidem sunt aequalia, sibi sunt aequalia. Et eadem ratio est de similibus. Et quia huiusmodi communes termini pertinent ad considerationem philosophi, ideo haec principia de consideratione philosophi sunt. Determinat autem ea philosophus non demonstrando, sed rationes terminorum tradendo, ut quid totum et quid pars et sic de aliis. Hoc autem cognito, veritas praedictorum principiorum manifesta relinquitur.

LEÇON 5.

(nn. 588-595; [319-325]).

 

Il répond ici à une question soulevée au livre trois où on discutait de l’étude des premiers principes de la démonstration.

 

588. Il répond ici à une question soulevée au troisième livre et qui était celle de savoir s’il appartient à cette science de considérer les premiers principes de la démonstration.

   Et il divise cette section en deux parties. Il montre en premier lieu qu’il appartient à cette science de considérer universellement tous ces principes [319]. En deuxième lieu il montre qu’il lui appartient de considérer spécialement le premier d’entre eux, là [326] où il dit : ¨ Mais il convient etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il soulève la question [319] qui est de savoir s’il appartient à une seule science de considérer la substance et les principes qu’on appelle axiomes dans les sciences mathématiques ou s’il appartient à d’autres sciences de les considérer. Mais ce sont les sciences mathématiques qui s’approprient davantage ces principes parce qu’elles possèdent des démonstrations plus certaines et qu’elles se servent plus manifestement de ces principes connus par eux-mêmes du fait que toutes leurs démonstrations se résolvent en revenant à ces principes.

589. Ensuite lorsqu’il dit [320] : ¨ Mais il est évident ¨.

   En deuxième lieu il répond à la question; et cette réponse est que c’est une même science qui considère la substance et les axiomes et que cette science qui s’offre à nous est la philosophie.

590. Ensuite lorsqu’il dit [321] : ¨ En effet ils s’appliquent à tous ¨.

   En troisième lieu il prouve la réponse qu’il vient de donner et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il prouve la réponse [321]. En deuxième lieu il amène la conclusion principale, là [325] où il dit ¨ Donc puisque etc.¨.

   Mais c’est de deux manières qu’il prouve la réponse présentée. Il le fait premièrement au moyen d’un raisonnement [321]. Puis il le fait au moyen d’un signe là [322] où il dit : ¨ C’est pourquoi aucun etc.¨.

   Et voici ce raisonnement [321]. Tout ce qui appartient à tous les êtres et non seulement à un genre déterminé d’êtres à l’exclusion des autres relève de la considération du philosophe; mais les principes dont on parle présentement sont de cette sorte; ils relèvent donc de la considération du philosophe. Et voici comment il prouve la mineure. Les notions et les principes dont se servent toutes les sciences appartiennent à l’être en tant qu’être; mais les premiers principes sont de cette nature; ils appartiennent donc à l’être en tant qu’être.

591. Et il identifie la raison pour laquelle toutes les sciences se servent des premiers principes. Tout genre de choses qui est le sujet d’étude d’une science reçoit l’attribution de l’être. Mais les sciences particulières ne se servent pas de ces principes dans toute leur universalité selon qu’ils s’appliquent à tous les êtres, mais seulement dans la mesure où ils sont utiles à leurs propos et où ils s’appliquent aux questions qui sont contenues dans le genre qui correspond au sujet de ces sciences et pour lesquelles ces mêmes sciences apportent des démonstrations. Tout comme la philosophie de la nature s’en sert dans la mesure où ils s’appliquent aux questions qui se rapportent à l’être mobile et pas davantage.

592. Ensuite lorsqu’il dit [322] : ¨ C’est pourquoi aucun ¨.

   Il prouve ce qu’il avait dit au moyen d’un signe. Et en premier lieu il amène la preuve. En deuxième lieu il écarte une erreur commise par certains, là [323] où il dit : ¨Mais puisqu’il y a en outre¨.

   Il dit donc en premier lieu [322] qu’aucun de ceux qui cherchent à enseigner une science à l’égard d’un genre d’êtres particuliers n’est porté à parler des premiers principes pour en questionner la vérité. Et même la géométrie et l’arithmétique ne s’en préoccupent pas même si elles s’en servent abondamment ainsi que nous l’avons dit. D’où il apparaît que la considération de ces principes relève de cette science, la philosophie.

593. Ensuite lorsqu’il dit [323] : ¨ Sauf les physiciens ¨.

   Il écarte l’erreur de certains et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il écarte l’erreur de ceux qui se mêlèrent d’examiner ces principes même si cela ne relevait pas de leur discipline. En deuxième lieu il écarte l’erreur de ceux qui voulaient traiter de ces principes selon un mode différent de celui selon lequel il faut considérer ces principes, là [324] où il dit : ¨ Mais tous ceux qui se servent etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [323] que bien qu’aucune science particulière ne doive se mêler de traiter de ces principes, cependant certains des naturalistes s’en mêlèrent. Et cela n’est pas sans raison. Les anciens philosophes en effet ne croyaient pas qu’il existait d’autres substances que les substances corporelles et mobiles étudiées par le physicien. Et c’est pourquoi ils croyaient qu’ils étaient les seuls à traiter de toute la nature et par conséquent de l’être et aussi des premiers principes qui doivent être considérés en même temps que l’être. Mais cela est faux parce qu’encore une fois il existe une science supérieure à la science de la nature : en effet la nature elle-même, c’est-à-dire la chose naturelle possédant en elle un principe de mouvement, est seulement un genre déterminé de tout ce qui existe. En effet elle n’est pas tout l’être car, ainsi qu’il a été prouvé au huitième livre des Physiques, il existe un être immobile. Et cet être immobile est supérieur et plus noble que l’être mobile étudié par le physicien. Et parce que c’est à la science à laquelle il appartient de considérer l’être premier qu’il appartient aussi de considérer l’être commun ou l’être en tant qu’être, c’est pourquoi aussi il appartient à une science autre que la science de la nature de considérer l’être commun. Et c’est à cette autre science qu’il appartiendra aussi de considérer les principes communs. La physique en effet est une partie de la philosophie mais elle n’est pas la philosophie première qui considère l’être commun et ce qui appartient à l’être en tant qu’être.

594. Ensuite lorsqu’il dit [324] : ¨ D’un autre côté tous ceux qui ¨.

   Il écarte une autre erreur sur la manière de traiter de ces principes. Certains en effet ont traité de ces principes en cherchant à les démontrer : et dans leurs discussions sur la vérité de ces principes, ceux-ci ont dit comment il fallait les admettre par la force de la démonstration et à quelles conditions on devait les accepter comme vrais, ce qu’ils firent en raison de leur ignorance ¨des analytiques¨, c’est-à-dire de cette première partie de la logique dans laquelle on enseigne l’art de la démonstration : car il faut que ¨toute science provienne d’eux¨, c’est-à-dire que toute science qui est acquise par la démonstration est engendrée à partir de ces principes. Mais il ne faut pas que ¨les auditeurs¨, c’est-à-dire les disciples qui sont formés dans une science donnée, cherchent à en acquérir la démonstration. Ou bien encore, selon un autre manuscrit où on lit : ¨il faut que la science procède à partir de ces principes¨, il faut que ceux qui acquièrent la science au moyen de la démonstration procèdent à partir de la connaissance de ces principes et qu’ils ne cherchent pas à ce qu’on leur fasse la démonstration de ces principes.

595. Ensuite lorsqu’il dit [325] : ¨ Donc, puisque ¨.

   Il termine par la conclusion principale qu’il se proposait, à savoir que c’est au philosophe qu’il appartient de considérer toute substance en tant que substance ainsi que les premiers principes du syllogisme. Et pour en avoir l’évidence il faut savoir que les propositions connues par elles-mêmes sont celles qui sont connues aussitôt que leurs termes le sont, ainsi qu’on le dit dans les Seconds Analytiques. Mais cela se produit dans ces propositions dans lesquelles le prédicat est contenu dans la définition du sujet ou s’identifie avec le sujet. – Mais il arrive que ce soit en elle-même qu’une proposition soit connue par elle-même et non pas de tous car il arrive à certains d’ignorer la définition du sujet et du prédicat. C’est pourquoi Boèce affirme dans son livre sur les Semaines que certains principes sont connus par eux-mêmes des sages mais non de tous. Mais les principes qui sont connus par soi de tous sont ceux dont les termes tombent dans la conception de tous. Et de tels principes sont communs du fait que notre connaissance procède du commun au propre ainsi qu’on le dit au premier livre des Physiques. Et c’est pourquoi ces propositions sont les premiers principes des démonstrations du fait qu’elles sont composées de termes communs comme le tout et la partie, comme dans cette proposition-ci : Tout ensemble est plus grand que sa partie; et comme l’égal et l’inégal, comme dans cette proposition-là : Ceux qui sont égaux à un même troisième sont égaux entre eux. Et la même raison vaut pour les autres propositions composées de termes communs. Et parce que les termes communs de cette sorte appartiennent à la considération du philosophe, c’est pourquoi les propositions qui en sont composées relèvent aussi de son examen. – Cependant le philosophe ne les établit pas au moyen de la démonstration, mais en s’arrêtant sur les définitions de ces termes pour préciser ce qu’est un tout, une partie ainsi que d’autres termes de cette sorte. Une fois cela connu, la vérité de ces principes est laissée comme évidente.

 

 

LECTIO 6

[82161] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 1Hic ostendit principaliter, quod ad primum philosophum pertinet considerare de primo demonstrationis principio: et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod eius est de ipso considerare. Secundo de ipso tractare incipit, ibi, principium vero et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod huius scientiae est considerare de primo demonstrationis principio. Secundo ostendit quid sit illud, ibi, et firmissimum et cetera. Tertio excludit quosdam errores circa idem principium, ibi, sunt autem quidam et cetera. Utitur autem ad primum tali ratione. In unoquoque genere ille est maxime cognoscitivus, qui certissima cognoscit principia; quia certitudo cognitionis ex certitudine principiorum dependet. Sed primus philosophus est maxime cognoscitivus et certissimus in sua cognitione: haec enim erat una de conditionibus sapientis, ut in prooemio huius libri patuit, scilicet quod esset certissimus cognitor causarum; ergo philosophus debet considerare certissima et firmissima principia circa entia, de quibus ipse considerat sicut de genere sibi proprie subiecto.

[82162] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 2Deinde cum dicit et firmissimum hic ostendit quid sit firmissimum sive certissimum principium: et circa hoc duo facit. Primo dicit quae sunt conditiones certissimi principii. Deinde adaptat eas uni principio, ibi, quid vero sit et cetera. Ponit ergo primo, tres conditiones firmissimi principii. Prima est, quod circa hoc non possit aliquis mentiri, sive errare. Et hoc patet, quia cum homines non decipiuntur nisi circa ea quae ignorant: ideo circa quod non potest aliquis decipi, oportet esse notissimum.

[82163] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 3Secunda conditio est ut sit non conditionale, idest non propter suppositionem habitum, sicut illa, quae ex quodam condicto ponuntur. Unde alia translatio habet. Et non subiiciantur, idest non subiiciantur ea, quae sunt certissima principia. Et hoc ideo, quia illud, quod necessarium est habere intelligentem quaecumque entium hoc non est conditionale, idest non est suppositum, sed oportet per se esse notum. Et hoc ideo, quia ex quo ipsum est necessarium ad intelligendum quodcumque, oportet quod quilibet qui alia est cognoscens, ipsum cognoscat.

[82164] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 4Tertia conditio est, ut non acquiratur per demonstrationem, vel alio simili modo; sed adveniat quasi per naturam habenti ipsum, quasi ut naturaliter cognoscatur, et non per acquisitionem. Ex ipso enim lumine naturali intellectus agentis prima principia fiunt cognita, nec acquiruntur per ratiocinationes, sed solum per hoc quod eorum termini innotescunt. Quod quidem fit per hoc, quod a sensibilibus accipitur memoria et a memoria experimentorum et ab experimento illorum terminorum cognitio, quibus cognitis cognoscuntur huiusmodi propositiones communes, quae sunt artium et scientiarum principia. Manifestum est ergo quod certissimum principium sive firmissimum, tale debet esse, ut circa id non possit errari, et quod non sit suppositum et quod adveniat naturaliter.

[82165] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 5Deinde cum dicit quid vero ostendit cui principio praedicta determinatio conveniat: et dicit, quod huic principio convenit tamquam firmissimo, quod est impossibile eidem simul inesse et non inesse idem: sed addendum est, et secundum idem: et etiam alia sunt determinanda circa hoc principium, quaecumque determinari contingit ad logicas difficultates, sine quibus videtur contradictio cum non sit.

[82166] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 6Quod autem praedicta huic principio conveniant, sic ostendit. Impossibile enim est quemcumque suscipere, sive opinari, quod idem sit simul et non sit: quamvis quidam arbitrentur Heraclitum hoc opinatum fuisse. Verum est autem, quod Heraclitus hoc dixit, non tamen hoc potuit opinari. Non enim necessarium est, quod quicquid aliquis dicit, haec mente suscipiat vel opinetur.

[82167] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 7Si autem aliquis diceret, quod contingeret aliquem opinari idem simul esse et non esse, sequitur hoc inconveniens, quod contingit contraria eidem simul inesse. Et haec determinentur nobis, idest ostendantur quadam propositione consueta et in logicis determinata. Ostensum est enim in fine perihermenias, quod opiniones sunt contrariae, non quae sunt contrariorum, sed quae sunt contradictionis per se loquendo. Hae enim non sunt contrariae opiniones primo et per se, ut si unus opinetur, quod Socrates est albus, et alius opinetur quod Socrates est niger. Sed, quod unus opinetur quod Socrates est albus, et alius opinetur quod Socrates non est albus.

[82168] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 8Si igitur quis opinetur simul duo contradictoria esse vera, opinando simul idem esse et non esse, habebit simul contrarias opiniones: et ita contraria simul inerunt eidem, quod est impossibile. Non igitur contingit aliquem circa haec interius mentiri et quod opinetur simul idem esse et non esse. Et propter hoc omnes demonstrationes reducunt suas propositiones in hanc propositionem, sicut in ultimam opinionem omnibus communem: ipsa enim est naturaliter principium et dignitas omnium dignitatum.

[82169] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 9Et sic patent aliae duae conditiones; quia inquantum in hanc reducunt demonstrantes omnia, sicut in ultimum resolvendo, patet quod non habetur ex suppositione. Inquantum vero est naturaliter principium, sic patet quod advenit habenti, et non habetur per acquisitionem.

[82170] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 10Ad huius autem evidentiam sciendum est, quod, cum duplex sit operatio intellectus: una, qua cognoscit quod quid est, quae vocatur indivisibilium intelligentia: alia, qua componit et dividit: in utroque est aliquod primum: in prima quidem operatione est aliquod primum, quod cadit in conceptione intellectus, scilicet hoc quod dico ens; nec aliquid hac operatione potest mente concipi, nisi intelligatur ens. Et quia hoc principium, impossibile est esse et non esse simul, dependet ex intellectu entis, sicut hoc principium, omne totum est maius sua parte, ex intellectu totius et partis: ideo hoc etiam principium est naturaliter primum in secunda operatione intellectus, scilicet componentis et dividentis. Nec aliquis potest secundum hanc operationem intellectus aliquid intelligere, nisi hoc principio intellecto. Sicut enim totum et partes non intelliguntur nisi intellecto ente, ita nec hoc principium omne totum est maius sua parte, nisi intellecto praedicto principio firmissimo.

[82171] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 11Deinde cum dicit sunt autem ostendit quomodo circa praedictum principium ab aliquibus est erratum: et circa hoc duo facit. Primo tangit errorem illorum, qui contradicebant praedicto principio. Secundo eorum, qui ipsum demonstrare volebant, ibi, dignantur autem et cetera. Dicit ergo, quod quidam, sicut dictum est de Heraclito, dicebant quod contingit idem simul esse et non esse, et quod contingit hoc existimare. Et hac positione utuntur multi naturales, ut infra patebit: sed nos nunc accipimus supponendo praedictum principium esse verum, scilicet quod impossibile sit idem esse et non esse, sed ex sui veritate ostendimus quod est certissimum. Ex hoc enim quod impossibile est esse et non esse, sequitur quod impossibile sit contraria simul inesse eidem, ut infra dicetur. Et ex hoc quod contraria non possunt simul inesse, sequitur quod homo non possit habere contrarias opiniones, et per consequens quod non possit opinari contradictoria esse vera, ut ostensum est.

[82172] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 12Deinde cum dicit dignantur autem tangit errorem quorumdam, qui praedictum principium demonstrare volebant: et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod non possit demonstrari simpliciter. Secundo quod aliquo modo potest demonstrari, ibi, est autem demonstrare et cetera. Dicit ergo primo, quod quidam dignum ducunt, sive volunt demonstrare praedictum principium. Et hoc propter apaedeusiam, idest ineruditionem sive indisciplinationem. Est enim ineruditio, quod homo nesciat quorum oportet quaerere demonstrationem, et quorum non: non enim possunt omnia demonstrari. Si enim omnia demonstrarentur, cum idem per seipsum non demonstretur, sed per aliud, oporteret esse circulum in demonstrationibus. Quod esse non potest: quia sic idem esset notius et minus notum, ut patet in primo posteriorum. Vel oporteret procedere in infinitum. Sed, si in infinitum procederetur, non esset demonstratio; quia quaelibet demonstrationis conclusio redditur certa per reductionem eius in primum demonstrationis principium: quod non esset si in infinitum demonstratio sursum procederet. Patet igitur, quod non sunt omnia demonstrabilia. Et si aliqua sunt non demonstrabilia, non possunt dicere quod aliquod principium sit magis indemonstrabile quam praedictum.

[82173] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 13Est autem hic ostendit, quod aliquo modo potest praedictum principium demonstrari; dicens, quod contingit praedictum principium demonstrari argumentative. In Graeco habetur elenchice, quod melius transfertur redarguitive. Nam elenchus est syllogismus ad contradicendum. Unde inducitur ad redarguendum aliquam falsam positionem. Et propter hoc isto modo ostendi potest, quod impossibile sit idem esse et non esse. Sed solum si ille qui ex aliqua dubitatione negat illud principium, dicit aliquid idest aliquid nomine significat. Si vero nihil dicit, derisibile est quaerere aliquam rationem ad illum qui nulla utitur ratione loquendo. Talis enim in hac disputatione, qui nihil significat, similis erit plantae. Animalia enim bruta etiam significant aliquid per talia signa.

[82174] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 14Differt enim demonstrare simpliciter principium praedictum, et demonstrare argumentative sive elenchice. Quia si aliquis vellet demonstrare simpliciter praedictum principium, videretur petere principium, quia non posset aliquid sumere ad eius demonstrationem, nisi aliqua quae ex veritate huius principii dependerent, ut ex praedictis patet. Sed quando demonstratio non erit talis, scilicet simpliciter, tunc est argumentatio sive elenchus et non demonstratio.

[82175] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 6 n. 15Alia litera sic habet et melius, alterius autem cum huius causa sit, argumentatio erit, et non demonstratio, idest cum huiusmodi processus a minus notis ad hoc magis notum principium fiat causa alterius hominis qui hoc negat, tunc poterit esse argumentatio sive elenchus, et non demonstratio, scilicet syllogismus contradicens ei poterit esse, cum id quod est minus notum simpliciter est concessum ab adversario, ex quo poterit procedi ad praedictum principium ostendendum quantum ad ipsum, licet non simpliciter.

LEÇON 6.

(nn. 596-610; [326-331]).

 

Il montre que la philosophie première doit traiter du premier principe de la démonstration et il explique de quelle sorte est ce principe et il montre aussi comment les Anciens se sont égarés au sujet de ce principe.

 

596. Le Philosophe montre surtout ici qu’il appartient à la philosophie première d’examiner le premier principe de la démonstration : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre qu’il lui appartient de considérer ce principe [326]. En deuxième lieu il commence à en traiter là [332] où il dit : ¨ D’un autre côté le principe etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre qu’il appartient à la philosophie première d’examiner le premier principe de la démonstration [326]. En deuxième lieu il montre quel est ce principe, là [327] où il dit : ¨ Et le plus ferme etc.¨. En troisième lieu il écarte certaines erreurs relativement à ce même principe, là [329] où il dit : ¨ Mais il y en a certains etc.¨.

   Mais voici le raisonnement dont il se sert pour manifester le premier point [326]. Dans tout genre de connaissance, celui qui a la connaissance la plus parfaite est celui qui connaît les principes les plus certains car la certitude d’une connaissance dépend de la certitude de ses principes. Mais la philosophie première est la discipline dont la connaissance est la plus parfaite et la plus certaine; c’est là en effet une des conditions de l’existence de la sagesse ainsi qu’on l’a vu dans le proème de ce livre en établissant qu’elle est la connaissance la plus certaine des causes; le philosophe se doit donc d’examiner les principes des êtres qui sont les plus certains et les plus fermes et que lui-même considère comme étant le genre et le sujet qui lui est propre.

597. Ensuite lorsqu’il dit [327] : ¨ Et le plus ferme ¨.

   Il montre ici quel est le plus ferme et le plus certain des principes : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre quelles sont les conditions qui permettent d’établir le principe le plus certain. Ensuite il les applique à un principe, là [328] où il dit : ¨ Mais quel est véritablement ce principe etc.¨.

   Il présente donc en premier lieu [327] trois conditions qui permettent d’établir la fermeté d’un principe. La première est qu’on ne puisse mentir ou se tromper à son égard. Et cela est évident car puisque les hommes ne se trompent qu’à l’égard de ce qu’ils ignorent c’est pourquoi ce à l’égard de quoi on ne peut se tromper doit être ce qu’il y a de plus connu.

598. La deuxième condition est qu’il ne soit pas ¨conditionné¨, c’est-à-dire obtenu en raison d’une supposition comme c’est le cas pour les principes qui sont établis à partir d’une condition. C’est pourquoi un autre manuscrit nous dit : ¨ Et ils ne sont pas soumis ¨, c’est-à-dire que les principes les plus certains ne sont pas sous la dépendance de d’autres principes. Et il en est ainsi parce que ce qu’il est nécessaire de posséder pour comprendre tout être ¨n’est pas conditionné¨, c’est-à-dire ne doit pas dépendre d’un autre principe mais doit plutôt être connu par soi. Et il en est ainsi parce que ce d’où on part et qu’il est nécessaire de connaître pour connaître tout le reste doit d’abord être connu par quiconque antérieurement à toute autre connaissance.

599. La troisième condition est qu’il ne soit pas acquis par mode de démonstration ou par un procédé similaire mais qu’il advienne comme par nature à celui qui le possède, qu’il soit connu comme s’il était donné naturellement et non comme s’il était acquis. En effet les premiers principes deviennent connus par la lumière naturelle elle-même de l’intellect agent et ils ne sont pas acquis par voie de raisonnement mais seulement du fait que leurs termes sont connus. Et cela se produit suivant le processus suivant : à partir des sensibles naît la mémoire, de la mémoire l’expérience, et de l’expérience naît la connaissance de ces termes qui, une fois connus, font connaître ces propositions communes qui sont les principes des sciences et des arts. Il est donc évident que le principe le plus certain et inébranlable doive être tel qu’on ne puisse se tromper à son sujet, qu’il ne dépende pas d’un autre et qu’il advienne naturellement.

600. Ensuite lorsqu’il dit [328] : ¨ Mais quel est-il? ¨.

   Il montre à quel principe s’appliquent les caractéristiques qui précèdent : et il dit que c’est à ce principe qu’il appartient d’être le plus ferme, à savoir : il est impossible à la même chose d’être et de ne pas être simultanément; mais il faut ajouter : et sous le même rapport; et même d’autres caractéristiques doivent être déterminées sur ce principe pour prévenir ¨des difficultés logiques¨ et sans lesquelles il semble y avoir contradiction alors qu’il n’y en a pas.

601. Mais que les conditions précédentes appartiennent bien à ce principe, il le montre de la manière suivante. Il est impossible en effet à quelqu’un d’admettre ou de croire que la même chose est et n’est pas ainsi simultanément bien que certains aient pensé qu’Héraclite fut de cette opinion. Mais s’il est vrai qu’Héraclite ait dit cela, il est impossible qu’il l’ait cru. En effet, ce que quelqu’un dit, il n’est pas nécessaire qu’il l’admette ou le pense dans son esprit.

602. Mais si on disait qu’il arrive à quelqu’un de croire que la même chose est et n’est pas ainsi simultanément, il s’ensuivrait cette difficulté qu’il arrive à des contraires d’exister simultanément dans un même sujet. Et c’est là en effet ¨ce qui est établi¨, c’est-à-dire ce qui nous est manifesté par une proposition généralement admise et établie dans les ouvrages logiques. On montre en effet à la fin du Perihermenias que les opinions contraires ne sont pas celles qui portent sur les contraires, mais celles qui à parler proprement sont contradictoires. Celles-ci en effet ne sont pas des opinions contraires au sens premier du mot et par elles-mêmes, comme si un tel croyait que Socrate est blanc et un autre croyait qu’il est noir, mais plutôt comme si un tel croyait qu’il est blanc et un autre croyait qu’il n’est pas blanc.

603. Si donc quelqu’un croyait que deux contradictoires sont vraies en même temps en croyant que la même chose est et n’est pas ainsi simultanément, il aurait ainsi simultanément des opinions contraires et ainsi des contraires appartiendraient simultanément à un même sujet, ce qui est impossible. Il n’arrive donc pas à quelqu’un de se tromper intérieurement sur cela et de croire que le même sujet est et n’est pas ainsi simultanément. Et c’est pour cette raison que toutes les démonstrations ont des propositions qui se ramènent à cette proposition comme à une position ultime commune à tous. C’est cette proposition en effet qui est le principe et l’axiome de tous les autres axiomes.

604. Et c’est ainsi que deviennent évidentes les deux autres conditions car dans la mesure où c’est à cette proposition que ceux qui démontrent réduisent tout, comme par une résolution à ce qui est ultime, il est évident qu’elle n’est pas obtenue à partir d’un autre principe. D’un autre côté, dans la mesure où elle est naturellement première, il est ainsi clair qu’elle advient comme naturellement à celui qui la possède et qu’elle n’est pas le résultat d’une acquisition.

605. Mais pour manifester cela il faut savoir que, puisque l’opération de l’intelligence est double, à savoir la première par laquelle l’intelligence connaît l’essence et qu’on appelle l’intelligence des indivisibles, et l’autre par laquelle l’intelligence compose et divise, on retrouve dans chacune d’elles quelque chose de premier. Dans la première opération certes il y a quelque chose de premier qui se présente dans la conception de l’intelligence et c’est ce que j’appelle l’être; et par cette opération rien ne peut être conçu dans l’esprit sans la conception de l’être. Et parce que ce principe, à savoir qu’il est impossible à une même chose d’être et de ne pas être simultanément, dépend de l’intelligence de l’être, tout comme cet autre principe, à savoir que tout ensemble est plus grand que sa partie, dépend de l’intelligence du tout et de la partie, c’est pourquoi ce principe sur l’être est-il aussi naturellement premier dans la deuxième opération de l’intelligence qui compose et divise. Et selon cette deuxième opération de l’intelligence, il n’est pas possible à quelqu’un de comprendre quelque chose sans avoir compris ce principe. En effet, tout comme le tout et la partie ne sont pas compris sans comprendre l’être, de même le principe qui pose que tout ensemble est plus grand que sa partie ne peut être compris sans avoir compris le principe précédent qui est le plus ferme, à savoir qu’il est impossible à la même chose d’être et de ne pas être simultanément.

606. Ensuite lorsqu’il dit [329] : ¨ Mais il y a ¨.

   Il montre comment certains se trompés à l’égard de ce principe : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il dénonce l’erreur de ceux qui ont nié le principe qui précède. Deuxièmement, il dénonce l’erreur de ceux qui cherchaient à le démontrer, là [330] où il dit : ¨ Ils réclamaient cependant etc.¨.

   Il dit donc [329] que certains, comme on l’a dit au sujet d’Héraclite, affirmaient qu’il arrive à une même chose d’être et de ne pas être ainsi simultanément et qu’il arrive de le penser. Et plusieurs physiciens se sont servis de cette position, ainsi qu’on le verra plus loin; mais quant à nous, nous reconnaissons que ce principe est vrai, à savoir qu’il est impossible pour la même chose à la fois d’être et de ne pas être ainsi sous le même rapport, et nous montrons à partir de sa vérité qu’il est le principe le plus certain. En effet, à partir du fait qu’il est impossible pour une même chose à la fois d’être et de ne pas être simultanément, il s’ensuit qu’il est impossible aux contraires d’appartenir simultanément à un même être comme on le dira plus loin. Et du fait que les contraires ne peuvent appartenir simultanément à un même être, il s’ensuit que l’homme ne peut avoir en lui des opinions contraires et par conséquent qu’il ne peut croire que les contradictoires sont vraies simultanément, ainsi qu’il a été montré.

607. Ensuite lorsqu’il dit [330] : ¨ Ils réclamaient cependant ¨.

   Il critique l’erreur de ceux qui cherchaient à démontrer le principe qui précède : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre que ce principe ne peut être démontré purement et simplement. En deuxième lieu il montre qu’il peut être démontré d’une certaine manière, là [331] où il dit : ¨ Mais il est possible de démontrer etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [330] que certains réclamaient ou voulaient que ce principe soit démontré. Et cela en raison d’une ¨ grossière ignorance ¨, c’est-à-dire en raison d’un manque d’instruction et de formation. En effet celui qui manque de formation ne peut discerner ce qui peut être démontré de ce qui ne le peut pas; en effet, ce ne sont pas tous les objets de connaissance qui peuvent être démontrés. Si tous pouvaient être démontrés, puisqu’une même chose ne peut être démontrée par elle-même mais par une autre, on aboutirait à des démonstrations circulaires. Et cela est impossible car il faudrait alors que la même chose soit à la fois plus connue et moins connue, ainsi qu’on le voit au premier livre des Seconds Analytiques. Ou bien il faudrait encore qu’on procède à l’infini. Mais si on procédait à l’infini, il n’y aurait plus de démonstration car toute conclusion d’une démonstration est rendue certaine du fait qu’elle se ramène au premier principe de la démonstration, ce qui ne pourrait se faire si la démonstration procédait en remontant à l’infini dans les principes. Il est donc évident que tout n’est pas démontrable. Et si certains principes ne sont pas démontrables, on ne peut affirmer qu’un principe soit plus indémontrable que celui qui précède.

608. Ensuite lorsqu’il dit [331] : ¨ Il y a cependant ¨.

   Il montre qu’en un certain sens ce principe peut être démontré en disant qu’il arrive que ce principe soit démontré par mode d’argumentation; en grec on dit ¨elenchice¨, ce qui se traduirait en disant par mode de réfutation. Car la réfutation est un syllogisme de la contradiction. C’est pourquoi elle conduit à réfuter une position fausse. Et c’est pour cette raison qu’on peut montrer par ce mode qu’il est impossible au même sujet à la fois d’être et de ne pas être. Mais cela est possible seulement si celui qui nie ce principe en partant d’une difficulté ¨dit quelque chose¨, c’est-à-dire exprime sa pensée par des mots. Si d’un autre côté il ne dit rien, il serait ridicule de chercher un argument contre celui qui ne se sert d’aucun argument par la parole. En effet, une telle personne qui dans un débat ne signifie rien par les sons de voix est semblable à une plante. Même les brutes animales en effet se trouvent à signifier quelque chose au moyen de tels signes.

609. Ce n’est pas la même chose en effet de chercher à démontrer ce principe purement et simplement et de chercher à le démontrer par mode de réfutation ou de contradiction. Car si quelqu’un voulait démontrer ce principe purement et simplement, il aboutirait à une pétition de principe car il ne pourrait arriver, pour appuyer sa démonstration, à trouver d’autres principes que ceux qui dépendent de la vérité de ce principe, ainsi que nous l’avons vu dans ce qui précède. Mais quand la démonstration de ce principe n’est pas de cette sorte, c’est-à-dire pure et simple, alors on dit à proprement parler qu’il y a argumentation ou réfutation mais non démonstration.

610. Un autre manuscrit, meilleur à notre avis, se présente ainsi : ¨ Mais si la cause de la pétition de principe est un autre, alors il y aura argumentation ou réfutation et non démonstration ¨, c’est-à-dire que lorsque ce processus, qui va du moins connu pour aller vers ce principe plus connu, se produit à cause d’un autre homme qui nie ce principe plus connu, alors là on pourra argumenter contre lui ou le réfuter, et non démontrer, et on pourra former contre lui un syllogisme de la contradiction puisqu’alors ce qui est moins connu purement et simplement est concédé par l’adversaire et qu’à partir de là on pourra procéder à la manifestation du principe plus connu à l’égard de l’adversaire, bien qu’il ne s’agisse pas là d’une démonstration pure et simple.

 

 

LECTIO 7

[82176] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 1Hic incipit elenchice disputare contra negantes praedictum principium: et dividitur in duas partes. Primo disputat contra eos, qui dicunt contradictoria simul esse vera. Secundo contra illos qui dicunt quod contingit ea simul esse falsa, verum nec iterum et cetera. Circa primum duo facit. Primo disputat contra praedictos errantes in communi. Secundo ostendit quomodo in speciali sit disputandum contra diversos, ibi, est autem non idem modus. Circa primum duo facit. Primo disputat rationem negantium praedictum principium. Secundo ostendit quod opinio Protagorae in idem redit cum praedicta positione, ibi, est autem ab eadem et cetera. Circa primum ponit septem rationes. Secunda ibi, omnino vero destruunt. Tertia ibi, amplius si contradictiones. Quarta ibi, amplius autem circa omnia et cetera. Quinta ibi, amplius igitur quomodo. Sexta ibi, unde et maxime manifestum est. Septima ibi, amplius quia si maxime. Circa primum duo facit. Primo ostendit ex quo principio oporteat procedere contra negantes primum principium. Secundo ex illo principio procedit, ibi, primum quidem igitur manifestum et cetera. Dicit ergo primo, quod ad omnia talia inopinabilia non oportet accipere pro principio, quod aliquid velit supponere hoc determinate esse vel non esse, idest non oportet accipere pro principio aliquam propositionem, qua asseratur aliquid de re vel negetur ab ea: hoc enim esset quaerere principium ut prius dictum est. Sed oportet accipere pro principio, quod nomen significet aliquid, et ipsi qui profert, inquantum se loquentem intelligit, et alii qui eum audit. Si autem hoc non concedit, tunc talis non habebit propositum nec secum, nec cum alio; unde superfluum erit cum eo disputare; sed cum hoc dederit, iam statim erit demonstratio contra eum: statim enim invenitur aliquid definitum et determinatum quod per nomen significatur distinctum a suo contradictorio, ut infra patebit. Sed tamen hoc non erit demonstrans praedictum principium simpliciter, sed tantum erit ratio sustinens contra negantes. Ille enim qui destruit rationem, idest sermonem suum, dicendo quod nomen nihil significat, oportet quod sustineat, quia hoc ipsum quod negat, proferre non potest nisi loquendo et aliquid significando.

[82177] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 2Deinde cum dicit primum quidem procedit ex dicta suppositione ad propositum ostendendum. Et primo singulariter in uno. Secundo generaliter in omnibus, ibi, amplius si homo et cetera. Dicit ergo primo, quod si nomen aliquid significat, primo hoc erit manifestum quod haec propositio erit vera, et eius contradictoria quam negat est falsa. Et sic ad minus hoc habemus, quia non omnis affirmatio est vera cum sua negatione.

[82178] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 3Deinde cum dicit dico autem ostendit universaliter de omnibus, scilicet quod contradictoria non sint simul vera. Et circa hoc quatuor facit. Primo ponit quaedam quae sunt necessaria ad propositum concludendum. Secundo concludit propositum, ibi, necesse itaque. Tertio probat quoddam quod supposuerat, ibi, nam esse hominem et cetera. Quarto excludit quamdam cavillationem, ibi, si autem respondeatur. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod nomen unum significat. Secundo ex hoc ostendit ulterius quod hoc nomen homo, significet id quod est hominem esse, non autem id quod est non esse, ibi, nec sic contingit et cetera. Tertio ostendit quod homo significat unum ibi, si autem non significat et cetera. Dicit ergo primo, quod si homo significat aliquid unum, sit hoc unum, animal bipes. Hoc enim unum dicitur nomen significare, quod est definitio rei significatae per nomen; ut si est hominis esse animal bipes, idest si hoc est quod quid est homo, hoc erit significatum per hoc nomen homo.

[82179] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 4Si autem dicat nomen plura significat, aut significabit finita, aut infinita. Si autem finita, nihil differt, secundum aliam translationem, ab eo quod ponitur significare unum, quia significat multas rationes diversarum rerum finitas, et singulis eorum possunt adaptari diversa nomina. Ut si homo significet multa, et unius eorum sit ratio animal bipes, ponetur unum nomen secundum hanc rationem, quod est homo: et si sunt plures aliae rationes, ponentur alia plura nomina, dummodo rationes illae sint finitae. Et sic redibit primum quod nomen significet unum.

[82180] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 5Si autem nomen non significat finitas rationes, sed infinitas, manifestum est quod nulla erit ratio sive disputatio. Quod sic patet. Quod enim non significat unum, nihil significat. Et hoc sic probatur. Nomina significant intellectus. Si igitur nihil intelligitur, nihil significatur. Sed si non intelligitur unum, nihil intelligitur; quia oportet quod qui intelligit ab aliis distinguat. Ergo si non significat unum, non significat. Sed si nomina non significant, tolletur disputatio, et quae est secundum veritatem et quae est ad hominem. Ergo patet quod si nomina infinita significent, non erit ratio sive disputatio. Sed si contingit intelligere unum, imponatur ei nomen, et sic teneatur quod nomen significet aliquid.

[82181] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 6Deinde cum dicit nec sic contingit ostendit secundum; scilicet quod hoc nomen homo non significet id quod est homini non esse: nomen enim significans unum, non solum significat unum subiecto, quod ideo dicitur unum quia de uno, sed id quod est unum simpliciter, scilicet secundum rationem. Si enim hoc vellemus dicere, quod nomen significat unum quia significat ea quae verificantur de uno, sic sequeretur quod musicum et album et homo unum significarent, quoniam omnia verificantur de uno. Et ex hoc sequeretur, quod omnia essent unum: quia si album dicitur de homine, et propter hoc est unum cum eo, cum dicatur etiam de lapide, erit unum cum lapide. Et quae uni et eidem sunt eadem, sibiinvicem sunt eadem. Unde sequeretur quod homo et lapis sit unum, et unius rationis. Et sic sequeretur quod omnia nomina sint univoca, idest unius rationis, vel synonyma secundum aliam literam, idest omnino idem significantia re et ratione.

[82182] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 7Quamvis autem esse et non esse verificentur de eodem secundum negantes principium primum, tamen oportet quod alius sit hoc quod esse hominem et hoc quod est non esse; sicut aliud est ratione album et musicum, quamvis de eodem verificentur. Ergo patet quod esse et non esse non erunt idem ratione et re, quasi uno nomine significatum univoce.

[82183] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 8Sciendum est autem quod esse hominem vel esse homini sive hominis, hic accipitur pro quod quid est hominis. Ex hoc ergo concluditur quod hoc quod dico homo, non significat hoc quod dico hominem non esse, sicut propriam rationem. Sed quia dixerat supra quod idem nomen potest plura significare secundum diversas rationes, ideo subiungit nisi secundum aequivocationem, ad determinandum quod homo univoce non significet esse hominem, et non esse hominem; sed aequivoce potest utrumque significare; ut si id quod vocamus hominem in una lingua, vocent alii non hominem in alia lingua. Non enim est nostra disputatio si idem secundum nomen contingat esse et non esse, sed si idem secundum rem.

[82184] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 9Deinde cum dicit si autem probat tertium, scilicet quod homo et non homo non significat idem, tali ratione. Homo significat hoc quod est esse hominem, et quod quid est homo: non homo autem significat non esse hominem, et quod quid est non homo. Si ergo homo et non homo non significant aliquid diversum, tunc id quod est esse homini non erit diversum ab hoc quod est non esse homini, vel non esse hominem. Et ita unum eorum praedicabitur de altero. Et erunt etiam secundum rationem unum. Cum enim dicimus aliqua unum significare, intelligimus quod significent rationem unam, sicut vestis et indumentum. Si igitur esse hominem et non esse hominem sunt hoc modo unum, scilicet secundum rationem, unum et idem erit illud quod significabit illud quod est esse hominem, et id quod est non esse hominem. Sed datum est vel demonstratum, quia diversum nomen est quod significat utrumque. Ostensum est enim quod hoc nomen homo significat hominem, et non significat non esse hominem: ergo patet quod esse hominem et non esse hominem, non sunt unum secundum rationem. Et sic patet propositum quod homo et non homo diversa significant.

[82185] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 10Deinde cum dicit necesse itaque ostendit principale propositum ex prioribus suppositis, tali ratione. Necesse est quod homo sit animal bipes: quod patet ex praehabitis. Haec enim est ratio quam hoc nomen significat. Sed quod necesse est esse, non contingit non esse: hoc enim significat necessarium, scilicet non possibile non esse, vel non contingens non esse, vel impossibile non esse: ergo impossibile est sive non contingens vel non possibile hominem non esse animal bipes. Sic ergo patet quod non contingit utrumque verum esse affirmationem et negationem; scilicet quod si animal bipes, et quod non sit animal bipes. Et eadem ratio ex significationibus nominum sumpta potest accipi de non homine, quia necesse est non hominem esse non animal bipes, cum hoc significet nomen: ergo impossibile est esse animal bipes.

[82186] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 11Ea autem, quae supra monstrata sunt, valent ad propositum: quia si consideretur quod homo et non homo idem significarent, vel quod hoc nomen homo significaret esse hominem et non esse hominem, posset adversarius negare istam: necesse est hominem esse animal bipes. Posset enim dicere, quod non magis necessarium est dicere hominem esse animal bipes, quam non esse animal bipes, si haec nomina homo et non homo idem significarent, vel si hoc nomen homo utrumque significet, scilicet id quod est esse hominem, et id quod est non esse hominem.

[82187] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 12Deinde cum dicit nam hominem hic probat quoddam quod supposuerat. Ad probandum autem quod hoc nomen, homo, non significat id quod est non esse hominem, assumpsit quod id quod est esse hominem, et id quod est non esse hominem, sint diversa, quamvis verificentur de eodem. Et hoc intendit hic probare tali ratione. Magis opponuntur esse hominem et non esse hominem quam homo et album: sed homo et album sunt diversa secundum rationem, licet sint idem subiecto; ergo et esse hominem et non esse hominem sunt diversa secundum rationem. Minorem sic probat. Si enim omnia quae dicuntur de eodem sunt unum secundum rationem quasi significata uno nomine, sequitur quod omnia sunt unum, sicut supra dictum est et expositum. Si ergo hoc non contingit, continget illud quod dictum est, scilicet quod esse hominem et non esse hominem sunt diversa. Et per consequens sequitur ultima conclusio supradicta, scilicet quod homo sit animal bipes, et quod impossibile est ipsum esse non animal bipes.

[82188] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 13Deinde cum dicit si respondeatur excludit quamdam cavillationem per quam praedictus processus posset impediri. Posset enim adversarius interrogatus, an necesse sit hominem esse animal bipes, non respondere affirmationem vel negationem, sed dicere, necesse est hominem esse animal bipes, et non esse animal bipes. Hoc autem excludit hic philosophus dicens praedictam conclusionem sequi, dummodo velit respondere ad interrogatum simpliciter. Si autem interroganti simpliciter de affirmatione, velit addere negationem in sua responsione, ut dictum est, non ad interrogatum responderet. Quod sic probat. Contingit enim unam et eamdem rem esse hominem et album et mille alia huiusmodi. Hic tamen si quaeratur, utrum homo sit albus, respondendum est tantum id quod uno nomine significatur. Nec sunt addenda alia omnia. Verbi gratia: si quaeratur, utrum hoc sit homo, respondendum est, quod est homo. Et non est addendum quod est homo et albus et magnus et similia; quia oportet omnia quae accidunt alicui simul respondere, aut nullum. Omnia autem simul non possunt, cum sint infinita: infinita enim eidem accidunt ad minus secundum relationes ad infinita antecedentia et consequentia, et infinita non est pertransire. In respondendo ergo, nullum eorum quae accidunt quaesito est respondendum, sed solum quod quaeritur. Licet ergo supponatur millies quod sit idem homo et non homo; cum tamen quaeritur de homine, non est respondendum de non homine, nisi respondeantur omnia quae possunt homini accidere. Si enim hoc fieret, non esset disputandum, quia nunquam compleretur disputatio, cum impossibile sit infinita pertransire.

[82189] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 14Deinde cum dicit omnino vero ponit secundam rationem, quae sumitur ex ratione praedicati substantialis et accidentalis: quae talis est. Si affirmatio et negatio verificantur de eodem, sequitur quod nihil praedicabitur in quid sive substantialiter, sed solum per accidens. Et sic in praedicatis per accidens erit procedere in infinitum. Sed hoc est impossibile: ergo primum.

[82190] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 15Circa hanc rationem duo facit. Primo ponit conditionalem. Secundo probat destructionem consequentis, ibi, si vero omnia secundum accidens et cetera. Circa primum sic procedit: dicens quod illi qui hoc dicunt, scilicet affirmationem et negationem simul esse vera, omnino destruunt substantiam, idest substantiale praedicatum, et quod quid erat esse, idest quod praedicatur in eo quod quid: necesse est enim eis dicere quod omnia accidunt, idest per accidens praedicantur, et quod non sit hominem esse aut animal esse, et quod non sit quod significet quid est homo, aut quid est animal.

[82191] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 16Quod sic probat. Si aliquid est quod est hominem esse, idest quod quid est homo substantialiter, scilicet de homine praedicatum; illud non erit non esse hominem, nec erit esse non hominem. Huius enim quod est esse hominem sunt praedictae duae negationes; scilicet non esse hominem, vel esse non hominem. Patet ergo quod affirmatio et negatio non verificantur de eodem; quia scilicet de eo quod est esse hominem non verificatur non esse hominem, vel esse non hominem.

[82192] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 17Conditionalem autem positam, quod si aliquid sit quod quid est homo, quod illud non sit non esse hominem, vel esse non hominem, sic probat. Propositum est enim supra et probatum quod hoc quod significat nomen est unum. Et iterum est positum quod illud quod significat nomen, est substantia rei, scilicet quod quid est res. Unde patet quod aliquid significat substantiam rei, et idem quod est significatum non est aliquid aliud. Si igitur illud quod est esse hominem, sive quod quid est homo, fuerit vel non esse hominem, vel esse non hominem, constat quidem quod erit alterum a se. Unde oportet dicere, quod non sit definitio significans quod quid est esse rei; sed sequetur ex hoc quod omnia praedicentur secundum accidens.

[82193] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 18In hoc enim distinguitur substantia ab accidente, idest praedicatum substantiale ab accidentali, quia unumquodque est vere id quod praedicatur substantialiter de eo; et ita non potest dici illud quod praedicatur substantialiter esse non unum, quia quaelibet res non est nisi una. Sed homo dicitur albus, quia albedo vel album accidit ei. Non autem ita quod sit id quod vere est album vel albedo. Ergo non oportet quod id quod praedicatur per accidens sit unum tantum. Sed multa possunt per accidens praedicari. Substantiale vero praedicatum est unum tantum. Et sic patet, quod ita est esse hominem quod non est non esse hominem. Si autem utrumque fuerit, iam substantiale praedicatum non erit unum tantum, et sic non erit substantiale sed accidentale.

[82194] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 19Deinde cum dicit si vero destruit consequens; ostendens hoc esse impossibile quod aliquid non praedicetur substantialiter, sed omnia accidentaliter; quia si omnia per accidens praedicentur, non erit aliquid praedicatum universale. (Dicitur autem hic praedicatum universale sicut in posterioribus, secundum quod praedicatur de aliquo per se et secundum quod ipsum est). Hoc autem est impossibile: quia si semper aliquid praedicatur de altero per accidens, oportet quod accidentalis praedicatio procedat in infinitum, quod est impossibile hac ratione.

[82195] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 20Praedicatio enim accidentalis non complectitur nisi duos modos. Unus modus est secundum quod accidens de accidente praedicatur per accidens, et hoc ideo, quia ambo accidunt eidem subiecto, sicut album praedicatur de musico, quia ambo accidunt homini. Alius modus est quo accidens praedicatur de subiecto, sicut Socrates dicitur musicus, non quia ambo accidunt alicui alteri subiecto, sed quia unum eorum accidit alteri. Cum igitur sint duo modi praedicationis per accidens, in neutro contingit esse praedicationem in infinitum.

[82196] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 21Constat enim quod illo modo, quo accidens praedicatur de accidente, non contingit abire in infinitum, quia oportet devenire ad subiectum. Iam enim dictum est, quod haec est ratio praedicationis huius, quia ambo praedicantur de uno subiecto; et sic descendendo a praedicato ad subiectum contingit invenire pro termino ipsum subiectum.

[82197] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 22Sed illo modo praedicandi per accidens quo accidens praedicatur de subiecto, ut cum dicitur Socrates est albus, non contingit abire in infinitum in superius ascendendo a subiecto ad praedicatum, ita ut dicamus quod Socrati accidit album et quod Socrati albo accidit aliquod aliud. Hoc enim non posset esse nisi duobus modis. Uno modo quia ex albo et Socrate fieret unum. Et sic sicut Socrates est unum subiectum albedinis, ita Socrates albus esset subiectum alterius accidentis. Hoc autem non potest esse, quia non fit aliquid unum ex omnibus quibuscumque praedicatis. Ex subiecto enim et accidente non fit unum simpliciter, sicut fit unum ex genere et differentia. Unde non potest dici quod Socrates albus, sit unum subiectum.

[82198] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 23Alius modus esset quod sicut Socrates est subiectum albi, ita ipsi albo insit aliquid aliud accidens, ut musicum. Sed hoc etiam non potest esse, propter duo. Primo, quia non erit aliqua ratio, quare musicum dicatur magis accidere albo quam e converso. Unde non erit ordo inter album et musicum, sed e converso respicient se adinvicem. Secundo, quia simul cum hoc definitum est vel determinatum, quod iste est alius modus praedicandi per accidens in quo accidens praedicatur de accidente, ab illo modo quo accidens praedicatur de subiecto, et musicum de Socrate. In isto autem modo de quo nunc loquitur, non dicitur praedicatio accidentalis, quia accidens praedicetur de accidente; sed illo modo quo prius locuti sumus.

[82199] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 24Sic igitur manifestum est, quod in accidentali praedicatione non est abire in infinitum: quare patet quod non omnia praedicantur secundum accidens. Et ulterius quod aliquid erit significans substantiam. Et ulterius quod contradictio non verificatur de eodem.

[82200] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 7 n. 25Sciendum autem est circa praedictam rationem, quod licet accidens non sit subiectum alterius, et sic non sit ordo accidentis ad accidens quantum ad rationem subiiciendi, est tamen ordo quantum ad rationem causae et causati. Nam unum accidens est causa alterius, sicut calidum et humidum dulcis et sicut superficies coloris. Subiectum enim per hoc quod subiicitur uni accidenti, est susceptivum alterius.

LEÇON 7.

(nn. 611-635; [332-342]).

 

Il fait précéder la méthode selon laquelle il faut procéder au début contre ceux qui nient le premier principe; et de là il affirme au moyen de deux raisonnements que les contradictoires ne peuvent être présentées comme vraies en même temps.

 

611. Il commence ici à argumenter par mode de réfutation contre ceux qui nient le premier principe : et ce propos se divise en deux parties.

   En premier lieu il argumente contre ceux qui affirment que les contradictoires sont vraies en même temps [332]. En deuxième lieu il argumente contre ceux qui affirment qu’il arrive qu’elles soient fausses en même temps, là [383] où il dit : ¨ Et de plus il n’est pas vrai etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il argumente en général contre l’ensemble de ceux qui font ces erreurs [332]. En deuxième lieu il montre comment il faut argumenter d’une manière particulière face à des approches différentes parmi eux, là [353] où il dit : ¨ La manière n’est cependant pas la même ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il discute de la raison de ceux qui nient le premier principe [332]. En deuxième lieu il montre que la position de Protagoras se ramène à la position qui précède, là [352] où il dit : ¨ Mais c’est de la même etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente sept raisons. Il présente la deuxième là [341] où il dit : ¨ Ils détruisent totalement ¨; la troisième là [343] où il dit : ¨ En outre si les contradictions ¨; la quatrième là [347] où il dit : ¨ Mais en outre pour toutes etc.¨; la cinquième là [348] où il dit : ¨ En outre comment donc ¨; la sixième là [349] où il dit : ¨ De là il est très évident ¨; enfin la septième là [351] où il dit : ¨ Car en outre si au plus haut point ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre d’où il faut partir pour procéder contre ceux qui nient le premier principe [332]. En deuxième lieu il procède à partir de ce principe, là [333] où il dit : ¨ D’abord certes il est évident etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [332] qu’à l’égard de telles opinions il ne faut pas prendre pour point de départ que l’adversaire voudra accorder que quelque chose de précis est ¨ ou n’est pas ¨, c’est-à-dire qu’il ne faut pas s’attendre obtenir pour point de départ une proposition par laquelle quelque chose soit affirmé ou nié d’un sujet : cela en effet reviendrait à vouloir se faire concéder dès le début le principe qui est en question. Mais il faut plutôt prendre pour point de départ que le nom signifie quelque chose de précis à la fois pour celui qui le dit, dans la mesure où il comprend ce qu’il dit, et pour celui qui l’écoute. Si l’adversaire ne veut pas concéder cela, il ne pourra avoir de propos ni avec lui-même ni avec les autres et de là il sera inutile de chercher à discuter avec lui; mais aussitôt qu’il aura accordé ce que signifie tel mot, alors il pourra y avoir argumentation contre lui : en effet on se trouve alors devant quelque chose de déterminé et de précis qui est signifié par le nom et qui est distinct de son contradictoire, ainsi qu’on le verra plus loin. – Cependant, il ne s’agira pas là d’une démonstration pure et simple du premier principe mais seulement d’une argumentation qui résiste à ceux qui nient. En effet celui qui ¨ détruit le raisonnement ¨, à savoir son discours en disant que le nom ne signifie rien se doit de soutenir que cela même qu’il nie, il ne peut l’avancer qu’en parlant et en signifiant quelque chose.

612. Ensuite lorsqu’il dit [333] : ¨ D’abord certes ¨.

   Ayant manifesté ce point de départ, il procède à la manifestation de son propos. Et en premier lieu il le fait en particulier pour une contradictoire. En deuxième lieu il le fait en général pour toutes les contradictoires, là [334] où il dit : ¨ De plus si l’homme etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [333] que si le nom signifie quelque chose, il sera d’abord évident que cette proposition sera vraie et que la contradictoire qu’elle nie est fausse. Et ainsi nous aurons au moins obtenu ceci que ce n’est pas toute affirmation qui est vraie avec sa négation.

613. Ensuite lorsqu’il dit [335] : ¨ Mais je dis ¨.

   Il manifeste universellement pour l’ensemble des contradictoires qu’elles ne sont pas vraies en même temps. Et à ce sujet il fait quatre choses. En premier lieu il explique certains points qui sont nécessaires pour conclure le propos [335]. En deuxième lieu il conclut le propos, là [338] où il dit : ¨ C’est pourquoi il est nécessaire ¨. En troisième lieu il prouve ce qu’il avait supposé, là [339] où il dit : ¨ Car la quiddité de l’homme etc.¨. En quatrième lieu il écarte une subtilité, là [340] où il dit : ¨ Mais si on répondait ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre qu’un nom ne signifie qu’une seule chose [335]. En deuxième lieu il montre par la suite à partir de là que le nom homme signifie ce que c’est que d’être homme et non pas ce que c’est que de ne pas l’être, là [336] où il dit : ¨ Et ainsi il ne peut arriver que etc.¨. En troisième lieu il montre que le nom homme signifie une seule chose, là [337] où il dit : ¨ Mais si cela ne signifie pas etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [335] qu’on suppose que le nom homme signifie une chose unique et que cette chose unique est animal bipède. Mais cette chose unique qui est signifiée par le nom, on dit que c’est la définition de la chose signifiée par le nom; ainsi par exemple, s’il appartient en propre à l’homme d’être un ¨ animal bipède ¨, c’est-à-dire que si cela est la quiddité de l’homme, c’est ce qui sera signifié par ce nom homme.

614. Mais si on disait qu’un nom a plusieurs significations, ou bien elles sont finies ou bien elles sont infinies. Si elles sont finies, le nom qui les signifie ne diffère en rien du nom dont on affirme qu’il ne signifie qu’une seule chose, puisqu’il signifie plusieurs définitions finies de choses différentes et qu’on pourrait appliquer différents noms à chacune d’elles. Par exemple si le nom homme signifiait plusieurs choses et que l’une d’elles était la définition ¨ animal bipède ¨, on donnerait un nom pour cette définition, à savoir homme; et s’il y avait plusieurs autres définitions, on attribuerait à chacune un nom différent, pour autant que ces définitions soient limitées par le nombre. Et ainsi on en revient à ce qu’on disait en premier, à savoir qu’un nom ne signifie qu’une seule chose.

615. Mais si le nom ne signifie pas des définitions limitées par le nombre mais des définitions illimitées, il est évident qu’il n’y aura aucune définition ni aucune discussion, ce qui est évident par ce qui suit. En effet, ce qui ne signifie pas une chose ne signifie rien, ce qu’il prouve de la manière suivante. Les noms signifient l’intelligence. Si donc rien n’est compris, rien ne sera signifié. Mais si une chose unique n’est pas comprise, rien ne sera compris car il faut que celui qui comprend distingue du reste ce qu’il a compris. Donc, s’il ne signifie pas une chose unique, il ne signifie rien du tout. Mais si les noms ne signifient rien, on fait disparaître la discussion à la fois par rapport à la vérité elle-même et par rapport aux opinions des hommes. Il est donc évident que si les noms avaient des significations infinies, il n’y aurait plus de définition ou de discussion. Mais si l’intelligence arrive à saisir une chose unique, elle lui impose un nom et obtient ainsi qu’un nom signifie quelque chose.

616. Ensuite lorsqu’il dit [336] : ¨ Et ainsi il ne peut arriver que ¨.

   Il manifeste le deuxième point, à savoir que le nom homme ne signifie pas ce que c’est que de ne pas être homme : en effet le nom qui signifie une seule chose ne signifie pas seulement ce qui est un par le sujet, et qu’on appelle un parce que c’est à un même sujet que se fait l’attribution, mais il signifie ce qui est un à parler absolument, c’est-à-dire qui est un selon la définition. Si en effet nous voulions dire que le nom signifie une seule chose parce qu’il signifie tout ce qui s’attribue en vérité à un seul sujet, il s’ensuivrait que blanc, musicien et homme signifieraient une seule chose puisqu’ils s’attribuent tous à un même sujet. Et il suivrait de là que tout serait un : car si la blancheur se dit de l’homme et que pour cette raison elle fait un avec lui, puisqu’on l’attribue aussi à la pierre elle fera un aussi avec la pierre. Et les choses qui font un avec une même chose sont identiques entre elles. Il s’ensuivrait donc que l’homme et la pierre ne seraient plus qu’une seule chose et auraient une seule définition. Et ainsi il s’ensuivrait que tous les noms seraient univoques, c’est-à-dire qu’ils auraient la même signification, ou pour le dire autrement, ils seraient synonymes et ils signifieraient absolument la même chose à la fois par la chose et par la définition.

617. Cependant bien que l’être et le non-être s’attribuent au même sujet d’après ceux qui nient le tout premier principe, il faut cependant que ce que c’est que d’être homme diffère de ce que c’est de ne pas l’être, tout comme la notion de blancheur diffère par la définition de la notion de musicien, bien que les deux s’attribuent à un même sujet. Il est donc évident que l’être et le non-être ne seront identiques ni la définition ni par la chose et ne peuvent être signifiés par un seul nom univoque.

618. Il faut cependant savoir qu’être un homme ou que l’être de l’homme doit s’entendre ici pour ce qu’est l’homme, sa quiddité. De là donc il conclut que ce que j’appelle homme ne signifie pas ce que j’appelle non-homme comme si c’était là sa définition propre. – Mais parce qu’il avait dit plus haut que le même nom peut avoir plusieurs significations d’après différentes définitions, c’est pourquoi il ajoute ¨ sauf selon la simple homonymie ¨ pour préciser que homme, attribué de manière univoque, ne peut signifier simultanément ce que c’est que d’être un homme et ce que c’est que de ne pas être un homme. Mais s’il est attribué de manière équivoque il peut signifier les deux simultanément, comme si ce que nous appelons homme dans une langue les autres l’appelaient non-homme dans une autre langue. Notre discussion en effet n’a pas pour propos de savoir si le même peut à la fois être et ne pas être selon le nom, mais s’il peut en être ainsi selon la chose.

619. Ensuite lorsqu’il dit [337] : ¨ Mais si ¨.

   Il manifeste le troisième point, à savoir que homme et non-homme ne signifient pas la même chose. Et il le fait au moyen de ce raisonnement. Homme signifie ce que c’est que d’être un homme, la quiddité de l’homme : mais non-homme signifie ne pas être un homme et ce que c’est que de ne pas être un homme. Si donc homme et non-homme n’ont pas des significations différentes, alors ce que c’est que d’être un homme, la quiddité de l’homme, ne différera pas de la quiddité de non-homme et ainsi ils pourront réciproquement s’attribuer l’un à l’autre. – Et de plus ils auront une même définition. Lorsque nous disons en effet que certaines choses signifient une seule et même chose, nous comprenons qu’ils ont une même définition comme vêtement et habillement. Si donc être un homme et ne pas être un homme sont un en ce sens, c’est-à-dire selon la définition, alors ce que c’est que d’être un homme et ce que c’est que de ne pas être un homme signifieront une seule et même chose. – Mais il a été concédé ou démontré qu’un nom différent signifie chacun des deux, que ce nom homme signifie la quiddité de l’homme et ne signifie pas la quiddité de non-homme : il est donc évident qu’être un homme et ne pas être un homme ne sont pas un d’après une même définition. Et ainsi ce qu’on se proposait de montrer est évident, à savoir qu’homme et non-homme ont des significations différentes.

620. Ensuite lorsqu’il dit [338] : ¨ C’est pourquoi il est nécessaire ¨.

   Il manifeste, au moyen du raisonnement suivant, le propos principal à partir de ce qui a été posé précédemment. L’homme est nécessairement un animal bipède, ce qui est évident à partir de ce que nous avons établi précédemment. Telle est en effet la définition signifiée par ce nom. Mais ce qui existe nécessairement ne peut pas ne pas exister : c’est cela même que signifie le mot nécessaire, à savoir ce qui ne peut pas ne pas être ou ce à quoi il ne peut arriver de ne pas être ou à quoi il est impossible de ne pas être ; il est donc impossible ou il ne peut arriver à l’homme de ne pas être un animal bipède. Ainsi donc il est évident qu’il ne peut arriver à l’affirmation et à la négation d’être toutes deux vraies simultanément, à savoir précisément pour l’homme d’être un animal bipède et de ne pas en être un. Et la même raison tirée des significations des noms peut s’appliquer à non-homme, car il est nécessaire qu’un non-homme ne soit pas un animal bipède, puisque c’est là ce que signifie ce nom : il est donc impossible à non-homme d’être un animal bipède.

621. Mais les choses que nous avons manifestées plus haut contribuent aussi à manifester le propos car si on considérait que homme et non-homme signifient la même chose ou que le nom homme signifie à la fois être homme et ne pas être homme, l’adversaire pourrait nier la proposition suivante, à savoir qu’il est nécessaire à l’homme d’être un animal bipède. Il pourrait dire en effet qu’il n’est pas davantage nécessaire de dire que l’homme est un animal bipède que de dire qu’il n’est pas un animal bipède, si les noms homme et non-homme signifiaient la même chose, ou si le nom homme signifiait à la fois ce que c’est que d’être homme et ce que c’est que de ne pas être homme.

622. Ensuite lorsqu’il dit [339] : ¨ Car l’homme ¨.

   Il prouve ici quelque chose qu’il avait supposé. Et pour prouver que ce nom homme ne signifie pas ce que c’est que de ne pas être homme, il prétend que ce que c’est que d’être homme diffère de ce que c’est que de ne pas être homme, bien que les deux peuvent se vérifier de la même chose. Et c’est là ce qu’il cherche à prouver au moyen du raisonnement suivant. Il y a plus de différences entre être un homme et ne pas être un homme qu’entre homme et blanc : mais homme et blanc diffèrent par la définition bien qu’ils soient un par le sujet; donc être un homme et ne pas être un homme diffèrent aussi par la définition. – Et il prouve la mineure de la manière suivante. Si en effet tout ce qui s’attribue à un même sujet était une seule et même chose d’après une seule définition signifiée par un seul nom, il s’ensuivrait une identité de toutes les choses, ainsi que nous l’avons dit et expliqué précédemment. Si donc les choses ne se passent pas ainsi, il en résulte ce que nous avons dit, à savoir qu’être un homme diffère de ne pas être un homme. Et par conséquent la conclusion ultime annoncée plus haut s’ensuit nécessairement, à savoir que l’homme est un animal bipède et qu’il lui est impossible de ne pas être un animal bipède.

623. Ensuite lorsqu’il dit [340] : ¨ Si on répondait ¨.

   Il écarte un sophisme par lequel pourrait être empêchée la procédure qui précède. En effet l’adversaire, interrogé pour savoir s’il est nécessaire que l’homme soit un animal bipède, pourrait ne pas répondre par l’affirmation et la négation, mais dire qu’il est nécessaire que l’homme soit un animal bipède et qu’il n’en soit pas un. – Mais le Philosophe écarte ici ce sophisme en disant que la conclusion précédente suit nécessairement aussi longtemps que l’adversaire veut répondre simplement à la question. Mais si à une question simple sur une affirmation il répond en ajoutant des négations, il ne répond pas à l’interrogation ainsi que nous l’avons dit. Et c’est ce qu’il prouve de la manière suivante. Il arrive en effet à une seule et même chose d’être à la fois homme et blanche et de posséder mille autre caractéristiques de cette sorte. Si on demandait cependant ici si l’homme est blanc, il faudrait seulement répondre ce qui est signifié par ce seul nom et ne pas faire l’énumération de tous les autres accidents. Par exemple, si on demande si telle chose est un homme, il faut répondre qu’elle est un homme et ne pas ajouter qu’elle est un homme, qu’elle est blanche, grande, ainsi que d’autres attributs de même sorte car ces accidents qui s’attribuent à un même sujet, ou bien il faut les énumérer tous, ou bien il faut n’en mentionner aucun. Mais on ne peut les énumérer tous à la fois puisqu’ils sont infinis; l’infini s’attribue en effet à un même sujet au moins d’après des relations à des antécédents et à des conséquents infinis; et il ne faut pas procéder à l’infini. Il ne faut donc pas répondre à ce qui est demandé en répondant par la multiplicité de ce qui peut s’attribuer au sujet, mais seulement par ce qui est demandé. Donc, bien qu’on suppose mille fois qu’homme et non-homme soient identiques, puisqu’on demande s’il est un homme, l’adversaire ne doit pas répondre qu’il est non-homme, à moins d’ajouter à la réponse tous les autres accidents qui peuvent s’attribuer ou non à l’homme. Si en effet on devait procéder ainsi, il n’y aurait plus lieu de discuter car jamais la discussion n’aboutirait puisqu’il est impossible de parcourir l’infini.

624. Ensuite lorsqu’il dit [341] : ¨ En général à vrai dire ¨.

   Il présente un deuxième raisonnement qui se tire de la notion du prédicat substantiel et accidentel, et qui se présente ainsi. Si l’affirmation et la négation se vérifiaient d’un même sujet, il s’ensuivrait que rien ne serait attribué essentiellement ou substantiellement, mais uniquement d’une manière accidentelle. Et ainsi il faudrait procéder à l’infini dans les attributions par accident. Mais cela est impossible. L’affirmation et la négation ne se vérifient donc pas simultanément d’un même sujet.

625. Et au sujet de cette raison il fait deux choses. En premier lieu il présente une conditionnelle. En deuxième lieu il prouve la destruction du conséquent, là [342] où il dit : ¨ Si d’un autre côté on dit que tout n’existe que par accident etc.¨.

   Au sujet du premier point il procède de la manière suivante, en disant que ceux qui parlent ainsi en prétendant que l’affirmation et la négation se vérifient simultanément d’un même sujet, détruisent absolument ¨ la substance ¨, c’est-à-dire l’attribution substantielle ¨ et la quiddité ¨, c’est-à-dire ce qui est attribué quant à l’essence même de la chose. Il est nécessaire en effet de leur répondre ¨ que si tout n’est qu’accident¨, c’est-à-dire si tout ne s’attribue qu’accidentellement, il n’y aura plus ni quiddité de l’homme ni quiddité de l’animal et qu’il n’y aura plus rien pour signifier ce qu’est l’homme ou ce qu’est l’animal.

626. Et c’est là ce qu’il prouve de la manière suivante. S’il existe quelque chose qui soit la quiddité de l’homme, c’est-à-dire ce qu’est l’homme essentiellement, et qui lui soit attribué, cela ne pourra être ni la non-quiddité de l’homme, ni la quiddité de non-homme. La non-quiddité de l’homme et la quiddité de non-homme ne sont en effet que deux négations de la quiddité de l’homme. Il est donc évident que l’affirmation et la négation ne se vérifient pas du même sujet, c’est-à-dire que la non-quiddité de l’homme ou la quiddité de non-homme ne se vérifient pas de ce qui est la quiddité de l’homme.

627. Et c’est ainsi qu’il prouve la conditionnelle qu’il a présentée, à savoir que s’il existe quelque chose qui soit la quiddité de l’homme, cela ne sera ni la non-quiddité de l’homme ni la quiddité de non-homme. Il a été établi et prouvé plus haut que ce qui est signifié par le nom est une seule chose. Et de plus il a été établi que ce qui est signifié par le nom est la substance de la chose, à savoir la quiddité de la chose. Il est donc évident que le nom signifie la substance même de la chose et que la quiddité qui est signifiée par lui n’est rien d’autre. Donc si on veut que la quiddité de l’homme, c’est-à-dire ce qu’est l’homme, soit la non-quiddité de l’homme ou la quiddité de non-homme, il en résulte alors que la quiddité de l’homme sera quelque chose d’autre. Il faut donc dire, si on suit ces philosophes, qu’il n’y aurait pas de définition signifiant la quiddité de la chose mais il découlerait de là que tout ce qui serait attribué le serait par accident.

628. C’est en cela en effet que se distinguent la substance et l’accident, c’est-à-dire le prédicat substantiel et le prédicat accidentel car toute chose n’est véritablement que ce qui lui est attribué essentiellement et ainsi on ne peut dire que ce qui lui est attribué essentiellement ne soit pas un car toute chose est une. Mais on dit que l’homme est blanc parce qu’il lui arrive d’être blanc mais non pas de telle manière que son essence s’identifie en vérité à l’essence de la blancheur. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui lui est attribué par accident soit un car une multitude de caractéristiques peuvent lui être attribuées par accident. D’un autre côté, ce qui lui est attribué essentiellement se limite à l’unité. Et ainsi il est évident que la quiddité de l’homme est telle qu’elle n’est pas la non-quiddité de l’homme. Si les deux étaient identiques, l’attribution substantielle ne serait plus une et alors l’attribution ne serait plus essentielle mais accidentelle.

629. Ensuite lorsqu’il dit [342] : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il détruit le conséquent en montrant qu’il est impossible qu’on ne puisse faire d’attributions essentielles et que toute attribution soit accidentelle, car si tout n’était attribué que par accident, il n’y aurait plus de prédicat universel. (On appelle en effet prédicat universel, tout comme on le fait dans les Seconds Analytiques, celui qui est attribué par soi à un sujet et d’après ce que ce sujet est en lui-même). Mais cela est impossible, car si l’attribution à un sujet se fait toujours par accident, il faudra que l’attribution accidentelle procède à l’infini, ce qui est impossible pour la raison qui suit.

630. L’attribution accidentelle ne s’obtient en effet que de deux façons. La première est obtenue selon que l’accident est attribué par accident à l’accident et la raison en est que les deux se rencontrent dans le même sujet, comme le blanc s’attribue au musicien parce que ces deux accidents se rencontrent dans l’homme. La deuxième est celle selon laquelle un accident est attribué à un sujet, tout comme on dit que Socrate est musicien, non pas parce que les deux se produisent dans un autre sujet, mais parce que l’un d’eux se produit dans l’autre. Donc, puisqu’il existe deux modes d’attribution par accident, dans aucun des deux il ne peut se produire une attribution à l’infini.

631. Il est certain en effet que selon ce mode par lequel un accident est attribué à un accident il ne peut arriver qu’on procède à l’infini car il faut là aussi en arriver à un sujet. On a déjà dit en effet que la raison qui fonde cette attribution, c’est que les deux s’attribuent à un sujet; et ainsi, en descendant du prédicat au sujet, il résulte qu’on finit par rencontrer comme terme le sujet lui-même.

632. Mais selon ce mode d’attribution par accident selon lequel un accident est attribué à un sujet, comme lorsque nous disons que Socrate est blanc, il ne peut arriver qu’on procède à l’infini vers le haut en remontant du sujet au prédicat de telle manière que nous dirions qu’il arrive à Socrate d’être blanc et qu’il arrive ensuite à Socrate étant blanc un autre accident. Cela en effet ne pourrait se produire que de deux manières. La première parce qu’à partir de Socrate et de blanc on obtiendrait quelque chose d’un. Et ainsi tout comme Socrate est le sujet de la blancheur, de même Socrate blanc serait le sujet d’un autre accident. Mais cela ne peut être car ce n’est pas à partir de l’ensemble des prédicats qu’on obtient quelque chose d’un. En effet à partir du sujet et de l’accident on n’obtient pas quelque chose qui est un purement et simplement contrairement à ce qu’on observe à partir du genre et de la différence. De là on ne peut dire que Socrate blanc est un sujet.

633. La deuxième manière serait que tout comme Socrate est le sujet de blanc, de même il y aurait dans le blanc un autre accident, à savoir musicien. Mais cela aussi ne peut être et cela pour deux raisons. Premièrement parce qu’il n’y aura pas plus de raisons  pour dire que musicien est l’accident du blanc que pour dire que le blanc est l’accident de musicien. De là on ne trouvera pas d’ordre entre blanc et musicien mais au contraire on pourra dire qu’ils se réfléchissent mutuellement. *Deuxièmement parce que nous avons déjà précisé et déterminé que ce mode d’attribution par accident par lequel un accident est attribué à un accident diffère de celui par lequel un accident est attribué à un sujet, comme quand musicien est attribué à Socrate. Et dans ce dernier mode dont nous parlons maintenant, on ne dit pas que l’attribution est accidentelle parce que l’accident serait attribué à un accident mais seulement selon ce mode dont nous avons parlé en premier, à savoir quand l’accident est attribué à un sujet.

634. Ainsi donc il est évident qu’on ne peut procéder à l’infini dans l’attribution des accidents et c’est pourquoi il apparaît que ce ne sont pas tous les prédicats qui sont attribués selon un mode accidentel et que finalement il devra y avoir des prédicats qui signifieront l’essence et que par conséquent les contradictoires ne pourront se vérifier d’un même sujet.

635. Il faut cependant savoir au sujet du raisonnement qui précède que bien qu’un accident ne puisse être le sujet d’un autre accident et qu’ainsi un accident ne puisse être ordonné à un autre comme à un sujet, il existe cependant un ordre entre les accidents sous le rapport de la causalité; car un accident peut être la cause d’un autre accident comme le chaud et l’humide sont cause de la douceur et que la surface est cause de la couleur. En effet un accident est sujet d’un autre accident en ce sens qu’étant comme sous-jacent à un autre, il est comme réceptif à son égard.

 

 

LECTIO 8

[82201] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 1Ponit tertiam rationem, quae sumitur ex uno et diverso: et est ratio talis. Si affirmatio et negatio verificantur simul de eodem, omnia sunt unum. Hoc autem est falsum; ergo et primum. Circa hanc rationem tria facit. Primo ponit conditionalem et exemplificat, quia scilicet sequeretur si contradictiones simul verificantur de eodem, quod idem essent triremis, idest navis habens tres ordines remorum, et murus et homo.

[82202] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 2Secundo cum dicit quemadmodum est ostendit quod idem inconveniens sequitur ad duas alias positiones. Primo ad opinionem Protagorae, qui dicebat quod quicquid alicui videtur, hoc totum est verum; quia si alicui videtur quod homo non sit triremis, non erit triremis; et si alteri videtur quod sit triremis, erit triremis; et sic erunt contradictoria vera.

[82203] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 3Secundo ad opinionem Anaxagorae, qui dicebat omnes res simul esse, quasi nihil sit vere unum ab aliis determinatum, sed omnia sint unum in quadam confusione. Dicebat enim, quod quodlibet sit in quolibet, sicut in primo physicorum ostensum est. Quod ideo accidebat Anaxagorae, quia ipse videtur loqui de ente indeterminato, idest quod non est determinatum in actu. Et cum putaret loqui de ente perfecto, loquebatur de ente in potentia, sicut infra patebit. Quod autem est in potentia et non endelechia, idest in actu, est indefinitum. Potentia enim non finitur nisi per actum.

[82204] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 4Tertio cum dicit sed dicenda probat conditionalem primo propositam esse veram. Et primo quantum ad hoc quod omnia affirmative dicta unum essent. Secundo quantum ad hoc quod affirmationes a suis negationibus non distinguerentur in veritate et falsitate, ibi, et quia non est necesse et cetera. Dicit ergo primo, quod illud primum est ab eis supponendum ex quo ponunt affirmationem et negationem simul verificari de eodem, quod de quolibet est affirmatio et negatio vera. Constat enim quod de unoquoque magis videtur praedicari negatio alterius rei, quam negatio propria. Inconveniens enim esset si alicui inesset sua negatio et non inesset negatio alterius rei, per quam significatur quod illa res non inest ei: sicut si verum est dicere quod homo non est homo, multo magis est verum dicere quod homo non est triremis. Patet ergo, quod de quocumque necessarium est praedicari negationem, quod praedicatur de eo affirmatio. Et ita per consequens praedicabitur negatio, cum affirmatio et negatio sint simul vera; aut si non praedicabitur affirmatio, praedicabitur negatio alterius magis quam negatio propria. Sicut si triremis non praedicatur de homine, praedicabitur de eo non triremis, multo magis quam non homo. Sed ipsa negatio propria praedicatur, quia homo non est homo: ergo et negatio triremis praedicabitur de eo, ut dicatur quod homo non est triremis. Sed si praedicatur affirmatio, praedicabitur negatio, cum simul verificentur: ergo necesse est quod homo sit triremis et eadem ratione quodlibet aliud. Et sic omnia erunt unum. Hoc igitur contingit dicentibus hanc positionem, scilicet quod contradictio verificetur de eodem.

[82205] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 5Deinde cum dicit et quia non deducit aliud inconveniens, quod scilicet non distinguatur negatio ab affirmatione in falsitate, sed utraque sit falsa. Dicit ergo quod non solum praedicta inconvenientia sequuntur ad praedictam positionem, sed etiam sequitur quod non sit necessarium affirmare et negare, idest quod non sit necessarium affirmationem vel negationem esse veram, sed contingit utramque esse falsam. Et sic non erit distantia inter verum et falsum. Quod sic probat.

[82206] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 6Si verum sit quod aliquid sit homo et non homo, verum est quod id non erit homo, nec erit non homo. Et hoc patet. Horum enim duorum quae sunt homo et non homo, sunt duae negationes, scilicet non homo et non non homo. Si autem ex primis duabus fiat una propositio, ut dicamus, Socrates non est homo nec non homo, sequitur quod nec affirmatio nec negatio sit vera, sed utraque falsa.

[82207] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 7Deinde cum dicit amplius autem ponit quartam rationem quae sumitur ex certitudine cognitionis; et est talis. Si affirmatio et negatio simul verificantur, aut ita est in omnibus, aut ita est in quibusdam, et in quibusdam non: si autem non est verum in omnibus, illae, in quibus non est verum, erunt confessae, idest simpliciter et absolute concedendae, vel erunt certae, idest certitudinaliter verae secundum aliam translationem; idest in eis ita erit vera negatio, quod affirmatio erit falsa, vel e converso.

[82208] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 8Si autem hoc est verum in omnibus, quod contradictio verificetur de eodem, hoc contingit dupliciter. Uno modo quod de quibuscumque sunt verae affirmationes, sunt verae negationes, et e converso. Alio modo quod de quibuscumque verificantur affirmationes, verificentur negationes, sed non e converso.

[82209] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 9Et si hoc secundum sit verum, sequitur hoc inconveniens, quod aliquid firmiter vel certitudinaliter est non ens; et ita erit firma opinio, quae scilicet est de negativa; et hoc ideo, quia negativa semper est vera, eo quod quandocumque est affirmativa vera, est etiam negativa vera. Non autem affirmativa semper erit vera, quia positum est, quod non de quocumque est vera negativa, sit vera affirmativa; et ita negativa erit firmior et certior quam affirmativa: quod videtur esse falsum: quia dato quod non esse sit certum et notum, tamen semper erit certior affirmatio quam negatio ei opposita, quia veritas negativae semper dependet ex veritate alicuius affirmativae. Unde nulla conclusio negativa infertur, nisi in praemissis sit aliqua affirmativa. Conclusio vero affirmativa ex negativa non probatur.

[82210] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 10Si autem dicatur primo modo, scilicet quod de quibuscumque est affirmare, ita de eis est negare; similiter de quibuscumque est negare, de eis est affirmare, ut scilicet affirmatio et negatio convertantur: hoc contingit dupliciter: quia si semper negatio et affirmatio sunt simul verae, aut erit divisim dicere de utraque quod sit vera, verbi gratia, quod sit divisim dicere quod haec est vera, homo est albus, iterum haec est vera, homo non est albus: aut non est divisum utramque dicere veram sed solum coniunctim, ut si dicamus quod haec copulativa sit vera, homo est albus et homo non est albus.

[82211] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 11Et siquidem dicamus hoc secundo modo, ut scilicet non sit utraque vera divisim sed solum coniunctim, tunc sequuntur duo inconvenientia: quorum primum est, quod non dicet ea, idest quod non asseret nec affirmationem nec negationem, et quod ambae erunt nihil, idest quod ambae sunt falsae: vel secundum aliam translationem et non erit nihil, idest sequitur quod nihil sit verum, nec affirmatio nec negatio. Et si nihil est verum, nihil poterit dici nec intelligi. Quomodo enim aliquis pronuntiabit vel intelliget non entia? Quasi dicat, nullo modo.

[82212] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 12Secundum inconveniens est, quia sequitur quod omnia sint unum, quod in priori ratione est dictum. Sequitur enim quod sit idem homo et Deus et triremis, et etiam contradictiones eorum, scilicet non homo et non Deus et non triremis. Et sic patet, quod si affirmatio et negatio simul dicuntur de unoquoque, tunc nihil differt unum ab alio. Si enim unum ab alio differret, oporteret quod aliquid diceretur de uno, quod non diceretur de alio. Et sic sequeretur quod aliquid esset verum determinate et proprium huic rei, quod non conveniret alteri. Et sic non de quolibet verificaretur affirmatio vel negatio. Constat autem quod ea quae nullo modo differunt, sunt unum; et ita sequetur omnia unum esse.

[82213] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 13Si autem dicatur primo modo, scilicet quod non solum coniunctim est dicere affirmationem et negationem, sed etiam divisim, sequuntur quatuor inconvenientia: quorum unum est, quod haec positio significat ipsum dictum, idest demonstrat hoc esse verum quod immediate est dictum. Unde alia litera habet accidit quod dictum est, scilicet quod omnia sunt unum; quia sic etiam similiter affirmatio et negatio de unoquoque dicetur, et non erit differentia unius ad aliud.

[82214] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 14Secundum est quod omnes verum dicerent, quia quilibet vel dicit affirmationem vel negationem, et utraque est vera; et omnes mentientur, quia contradictorium eius quod quisque dicit, erit verum. Et idem etiam homo seipsum dicere falsum confitetur; quia cum dicit negationem esse veram, dicit se falsum dixisse cum dixit affirmationem.

[82215] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 15Tertium est quia manifestum est quod adhuc non poterit esse perscrutatio vel disputatio. Non enim potest disputari cum aliquo qui nihil concedit. Ille enim nihil dicit, quia nec dicit absolute quod est ita, nec dicit quod non est ita; sed dicit quod est ita et non est ita. Et iterum ambo ea negat dicens quod nec est ita nec non ita, sicut ex praecedenti ratione apparet. Si enim non omnia ista neget, sequitur quod ipse noverit aliquid determinate verum; quod est contra positum. Vel secundum quod alia translatio habet, et planius, iam utique erit determinatum.

[82216] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 8 n. 16Quartum sequitur per definitionem veri et falsi. Verum enim est cum dicitur esse quod est vel non esse quod non est. Falsum autem est cum dicitur non esse quod est, aut esse quod non est. Ex quo patet per definitionem veri et falsi, quod quando affirmatio est vera, tunc negatio est falsa: tunc enim dicit non esse, quod est: et si negatio est vera, tunc affirmatio est falsa: tunc enim dicitur esse de eo quod non est. Non ergo contingit vere idem affirmare et negare. Sed forte adversarius ad hoc ultimum poterit dicere, quod hic est petitio principii. Qui enim ponit contradictionem simul esse veram, non recipit hanc definitionem falsi, scilicet quod falsum est dicere quod non est esse, vel quod est non esse.

LEÇON 8.

(nn. 636-651; [343-347]).

 

Il apporte deux raisonnements pour montrer la même chose; le premier par lequel il conclut que si les contradictoires se vérifient simultanément d’un même sujet, toutes les choses n’en seront plus qu’une; le deuxième qu’il tire de la certitude de la connaissance.

 

636. Il présente le troisième raisonnement qu’il tire des notions de l’un et du différent; et tel est ce raisonnement. Si l’affirmation et la négation se vérifient simultanément d’un même sujet, tous les êtres ne seront plus qu’un. Mais cela est faux. L’antécédent l’est donc aussi.

   Et au sujet de ce raisonnement il fait trois choses.  En premier lieu il présente la conditionnelle qu’il illustre par un exemple [343], c’est-à-dire que si les contradictoires se vérifiaient simultanément d’un même sujet, il en découlerait qu’une trirème, à savoir un navire qui possède trois rangées de rames, une muraille et un homme seraient identiques.

637. Ensuite lorsqu’il dit [344] : ¨ Comme il est ¨.

   Il montre que la même difficulté découle de deux autres positions.

   Et premièrement de la position de Protagoras qui prétendait que ce qui apparaît vrai à quelqu’un, cela est tout à fait vrai; car s’il apparaît à quelqu’un que l’homme n’est pas une trirème, il ne sera pas une trirème; mais s’il apparaît à un autre qu’il en est une, il sera une trirème; et c’est ainsi que les contradictoires seraient amenées à être vraies.

638. Et deuxièmement de la position d’Anaxagore qui disait que toutes les choses existent simultanément confondues, comme si aucune chose n’existait comme étant réellement une et distincte des autres, mais comme si toutes existaient dans une unité de confusion. Il disait en effet que tout est en tout, ainsi qu’on l’a montré au premier livre des Physiques. Et il en fut ainsi chez Anaxagore car il parut parler de l’être indéterminé, c’est-à-dire de l’être qui n’est pas déterminé en acte. Et alors même qu’il crut parler de l’être dans sa perfection, il traita de l’être en puissance ainsi qu’on le verra plus loin. Mais ce qui existe en puissance et non ¨ en entéléchie ¨, c’est-à-dire en acte, est indéterminé. La puissance en effet n’est délimitée que par l’acte.

639. En troisième lieu lorsqu’il dit [345] : ¨ Mais doivent être admises ¨.

   Il prouve que la conditionnelle présentée au début est vraie.

   Et premièrement quant à ceci que toutes les choses qui seraient dites affirmativement n’en serait plus qu’une. Deuxièmement quant à cela que les affirmations ne se distingueraient pas de leurs négations par la vérité ou la fausseté, là [346] où il dit : ¨ Et parce qu’il n’est pas nécessaire etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [345] que ce que ces philosophes supposent et à partir de quoi ils affirment que l’affirmation et la négation se vérifient simultanément d’un même sujet, c’est que l’affirmation et la négation sont vraies en même temps de n’importe quel sujet. Il est évident en effet que pour n’importe quel sujet il faille davantage attribuer la négation d’une autre chose que sa négation propre. Il apparaîtrait incompréhensible en effet qu’un sujet contienne sa propre négation sans contenir aussi la négation d’une autre chose par laquelle on veut signifier que ceci n’appartient pas à cela : par exemple, s’il est vrai que l’homme n’est pas homme, il est davantage vrai de dire que l’homme n’est pas une trirème. Il apparaît donc, suivant cette position, que partout où il sera nécessaire d’attribuer la négation à un sujet, il sera nécessaire aussi de lui attribuer l’affirmation et aussi par conséquent la négation puisque l’affirmation et la négation sont simultanément vraies; ou bien, si ce n’est pas l’affirmation qui est attribuée, ce sera davantage la négation de l’autre qui sera attribuée que la négation propre. Par exemple si trirème n’est pas attribué affirmativement à l’homme, on lui attribuera davantage de ne pas être une trirème que de ne pas être un homme. Mais la négation propre est attribuée, car l’homme n’est pas homme : donc la négation de trirème lui sera aussi attribuée comme quand on dit que l’homme n’est pas une trirème. Mais si  la négation est attribuée, l’affirmation le sera aussi puisqu’elles se vérifient simultanément du même sujet : par conséquent, il s’ensuit nécessairement que l’homme soit une trirème et, pour la même raison, qu’il soit n’importe quoi d’autre. Et c’est ainsi que tous les êtres n’en sont plus qu’un. Et c’est à cette conséquence qu’aboutissent ceux qui soutiennent que les contradictoires se vérifient simultanément du même sujet.

640. Ensuite lorsqu’il dit [346] : ¨ Et parce qu’on n’est pas ¨.

   Il déduit de là une autre impossibilité, à savoir que la négation ne se distinguerait pas de l’affirmation par la fausseté, mais les deux seraient fausses. Il dit donc que ce ne sont pas seulement les difficultés qui précèdent qui découlent de la position examinée présentement, mais il suit aussi de là qu’il ne serait plus nécessaire ¨ soit d’affirmer soit de nier ¨, c’est-à-dire qu’il ne serait plus nécessaire que l’affirmation ou la négation soit vraie, mais il en résulterait que les deux seraient fausses. Ainsi, il n’y aurait plus aucune différence entre le vrai et le faux. Ce qu’il prouve par ce qui suit.

641. S’il est vrai que le même être soit un homme et qu’il soit non-homme, il est aussi vrai qu’il ne sera pas un homme et qu’il ne sera pas non-homme. Et cela est évident. En effet, pour homme et non-homme il y a deux négations, à savoir non-homme pour le premier, et non non-homme pour le second. Mais si à partir des deux premières on forme une proposition comme pour dire que Socrate n’est pas un homme et qu’il n’est pas non plus non-homme, il s’ensuit que ni l’affirmation ni la négation ne sera vraie, mais que les deux seront fausses.

642. Ensuite lorsqu’il dit [347] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le quatrième raisonnement qu’il tire de la certitude de la connaissance et qu’il présente ainsi. Si l’affirmation et la négation se vérifient simultanément dans un même sujet, ou bien il en est ainsi dans tous les cas ou bien dans quelques-uns il en est ainsi mais pas dans d’autres : si l’énoncé n’est pas vrai dans tous les cas, ceux pour lesquels il n’est pas vrai seront ¨reconnus¨, c’est-à-dire purement et simplement admis comme étant ¨certains¨, c’est-à-dire comme étant vrais avec certitude d’après une autre traduction : en d’autres mots, dans ces contradictoires, la négation sera vraie et l’affirmation fausse ou inversement.

643. Mais si l’énoncé est vrai dans tous les cas, à savoir que la contradiction se vérifie simultanément du même, cela se produit de deux manières. Premièrement de telle sorte que pour tout sujet, là où les affirmations sont vraies les négations le sont aussi et inversement. Deuxièmement de telle sorte que pour tout sujet, là où les affirmations se vérifient, les négations se vérifient aussi, mais non inversement.

644. Et si cette dernière possibilité est vraie, il s’ensuit cette absurdité qu’il y aura quelque chose qui, avec certitude, est du non-être; et ainsi, il y aura une opinion ferme qui portera sur la négation : et il en est ainsi parce que la négative est toujours vraie du fait qu’on pose qu’à chaque fois que l’affirmative est vraie, la négative l’est aussi. Cependant l’affirmative ne sera pas toujours vraie car on pose que ce n’est pas à chaque fois que la négative est vraie que l’affirmative l’est et c’est ainsi que la négative sera plus ferme et plus certaine que l’affirmative, ce qui est manifestement comme faux. Car si on accorde que le non-être est certain et connu, l’affirmation sera cependant toujours plus certaine que la négation qui lui est opposée car la vérité d’une négative dépend toujours de la vérité d’une affirmative. C’est pourquoi aucune conclusion négative n’est inférée à moins qu’il y ait parmi les prémisses une affirmative et aucune conclusion affirmative ne peut être prouvée à partir d’une prémisse négative.

645. Mais si on parle de la première possibilité, à savoir de celle où tout ce qu’il est possible d’affirmer, on peut aussi le nier et où tout ce qu’il est possible de nier il est possible aussi de l’affirmer, de manière à ce que l’affirmation et la négation se convertissent mutuellement, cela peut se produire de deux manières. Car si l’affirmation et la négation sont toujours  simultanément vraies, ou bien il faudra dire pour l’une et l’autre qu’elle sont vraies prises séparément, en d’autres mots qu’il faudra dire séparément que cette proposition est vraie, à savoir l’homme est blanc, et en second lieu que celle-ci est vraie, à savoir l’homme n’est pas blanc; ou bien encore on ne dira pas que ces propositions sont vraies simultanément, mais qu’elles le sont ensemble, comme si nous disions que cette copulative est vraie : l’homme est blanc et l’homme n’est pas blanc.

646. Si toutefois nous disions en ce deuxième sens que les deux propositions ne sont pas vraies séparément mais seulement ensemble, il s’ensuivrait alors deux difficultés, dont la première est que l’adversaire ¨ ne dit pas ce qu’il dit ¨, c’est-à-dire qu’il ne soutient ni l’affirmation ni la négation et que les deux ¨ ne seront rien ¨, c’est-à-dire que les deux seront fausses; ou bien, d’après une autre version, ¨ il n’existera absolument rien ¨, c’est-à-dire qu’il s’ensuivra que rien ne sera vrai, ni l’affirmation ni la négation. Et si rien n’est vrai, rien ne pourra être dit et être compris. Comment en effet quelqu’un pourrait-il parvenir à exprimer ou à saisir des non-êtres? En posant cette question, c’est comme si Aristote voulait signifier que cela n’est possible d’aucune manière.

647. La deuxième difficulté est qu’il s’ensuivrait que toutes les êtres ne seraient plus qu’un, ce qui a été dit dans un argument précédent. Il s’ensuivrait en effet que l’homme, Dieu et la trirème sont une seule et même chose, tout comme leurs négations, à savoir non-homme, non-Dieu et non-trirème. Et ainsi il est évident que si l’affirmation et la négation se disent simultanément de toute chose, alors une chose ne diffère en rien des autres. Si en effet l’une différait d’une autre, il faudrait qu’on attribue à l’une quelque chose qui ne pourrait pas être attribué à l’autre. Et ainsi il s’ensuivrait que quelque chose serait déterminément vrai et propre à cette chose et qui n’appartiendrait pas à l’autre. Et par conséquent l’affirmation et la négation ne se vérifieraient pas de tout. Il est évident cependant que les choses qui ne diffèrent en aucune façon ne font qu’une et il s’ensuivrait ainsi que tous les êtres ne seraient plus qu’un seul être.

648. Si cependant on disait en ce premier sens que ce n’est pas seulement ensemble qu’il faut soutenir l’affirmation et la négation mais aussi séparément, il s’ensuivrait quatre difficultés, dont la première est que cette position ¨ signifie cela même qui est dit ¨, à savoir qu’elle démontre que cela même qui vient d’être dit est vrai. C’est pourquoi une autre version dit : ¨ Il en résulte ce qui a été dit ¨, à savoir que tous les êtres n’en sont plus qu’un; car ainsi encore et de la même manière l’affirmation et la négation formulées par rapport à tout sujet fera en sorte qu’il n’y aura plus aucune différence de l’un à l’autre.

649. La deuxième difficulté est que tous, puisque quiconque parle se trouve soit à affirmer soit à nier, diraient vrai puisque les deux sont vraies; et tout le monde dira le faux car la contradictoire de ce que chacun avancera sera vraie. Et de même encore l’adversaire lui-même devra admettre que ce qu’il dit lui-même est faux car puisqu’il affirme que la négation est vraie, il affirme avoir parlé faussement quand il a exprimé l’affirmation.

650. La troisième difficulté est qu’il est manifeste qu’on ne pourra poursuivre plus loin l’examen ou la discussion. On ne peut en effet discuter avec quelqu’un qui ne concède rien. Celui-là en effet ne dit rien car il ne dit pas à parler absolument qu’il en est ainsi et il ne dit pas non plus qu’il n’en est pas ainsi; mais il dit plutôt qu’il en est ainsi et qu’il n’en est pas ainsi. Et de plus il nie ces deux propositions en disant qu’il n’en est ni ainsi ni autrement tout comme on le voit dans le raisonnement précédent. Si en effet il ne niait pas tous ces énoncés, il s’ensuivrait qu’il connaîtrait quelque chose comme étant déterminément vrai, ce qui est contraire à sa position. Ou bien encore, ainsi qu’une autre version nous le rend plus clairement, ¨ déjà assurément il y aurait quelque chose de défini ¨.

651. La quatrième difficulté découle de la définition du vrai et du faux. En effet, nous disons la vérité quand nous disons être ce qui est ou quand nous disons ne pas être ce qui n’est pas. Mais nous disons le faux quand nous disons ne pas être ce qui est ou quand nous disons être ce qui n’est pas. Et de là il est évident, au moyen de ces définitions du vrai et du faux, que lorsque l’affirmation est vraie, la négation est nécessairement fausse : c’est alors en effet que l’interlocuteur affirme ne pas être ce qui est; il est évident aussi à partir de ces mêmes définitions que si la négation est vraie, l’affirmation est nécessairement fausse : dans ce cas en effet il affirme l’être de ce qui n’est pas. Il en résulte donc qu’on ne peut véritablement affirmer et nier la même chose. – Mais peut-être que l’adversaire pourra finalement répliquer à ceci que c’est là une pétition de principe. En effet, celui qui affirme que les contradictoires sont simultanément vraies n’accepte pas cette définition du faux, à savoir que le faux consiste à dire que ce qui est n’est pas et que ce qui n’est pas est.

 

 

LECTIO 9

[82217] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 1Hic ponit quintam rationem, quae sumitur ex veritatis ratione, quae talis est. Dictum est quod affirmatio et negatio simul vera ponuntur: ergo ille, qui suscipit sive opinatur sic se habere, idest affirmationem tantum aut non sic se habere, scilicet ille, qui opinatur negationem esse veram tantum, mentitus est: qui vero opinatur ambo simul, dicit verum. Cum igitur verum sit quando ita est in re sicut est in opinione, vel sicut significatur voce, sequitur quod ipsum quod dicit erit aliquid determinatum in rebus, scilicet quia entium natura talis erit qualis dicitur, ut non patiatur affirmationem et negationem simul. Vel secundum aliam literam quia talis est entium natura: quasi dicat, ex quo hoc quod dicitur est determinate verum, sequitur quod res habeat naturam talem. Si autem dicatur quod ille qui existimat simul affirmationem et negationem, non opinatur verum, sed magis ille qui existimat illo modo, quod vel tantum affirmatio vel tantum negatio sit vera, adhuc manifestum est quod entia se habebunt in aliquo modo determinate. Unde alia translatio habet planiusquodammodo et hoc erit verum determinate, et non erit simul non verum ex quo sola affirmatio vel negatio est vera.

[82218] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 2Sed si omnes praedicti, scilicet et illi qui dicunt utramque partem contradictionis, et illi qui dicunt alteram mentiuntur, et omnes etiam verum dicunt; cum tali qui hoc ponit, non est disputandum nec aliquid dicendum ut disputetur cum eo; vel secundum aliam literam, talis homo non asserit aliquid nec affirmat. Sicut enim alia translatio dicit, nec asserere nec dicere aliquid huiusmodi est, quia similiter unumquodque et dicit et negat. Et si ipse sicut similiter affirmat et negat exterius, ita et similiter interius opinatur et non opinatur, et nihil suscipit quasi determinate verum, in nullo videtur differre a plantis; quia etiam bruta animalia habent determinatas conceptiones. Alius textus habet ab aptis natis: et est sensus, quia talis, qui nihil suscipit, nihil differt in hoc quod actu cogitat ab illis, qui apti nati sunt cogitare, et nondum cogitat actu; qui enim apti nati sunt cogitare de aliqua quaestione, neutram partem asserunt, et similiter nec isti.

[82219] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 3Deinde cum dicit unde et maxime ponit sextam rationem, quae sumitur ab electione et fuga: et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem. Secundo excludit quamdam cavillosam responsionem, ibi, si autem non scientes et cetera. Dicit ergo primo, quod manifestum est quod nullus homo sic disponitur ut credat affirmationem et negationem simul verificari; nec illi qui hanc positionem ponunt, nec etiam alii. Si enim idem esset ire domum et non ire, quare aliquis iret domum et non quiesceret, si putaret quod hoc ipsum quiescere, esset ire domum? Patet ergo, ex quo aliquis vadit et non quiescit, quod aliud putat esse ire et non ire.

[82220] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 4Et similiter si aliquis incedit per aliquam viam, quae forte directe vadit ad puteum vel ad torrentem, non recte incedit per viam illam, sed videtur timere casum in puteum aut in torrentem. Et hoc ideo, quia incidere in torrentem vel puteum non putat esse similiter bonum et non bonum, sed absolute putat esse non bonum. Si autem putaret esse bonum sicut et non bonum, non magis vitaret quam eligeret. Cum ergo vitet et non eligat, palam est quod ipse suscipit sive opinatur quod unum sit melius, scilicet non incidere in puteum, quod novit esse melius.

[82221] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 5Et si hoc est in non bono et bono, similiter necesse est esse in aliis, ut videlicet opinetur quod hoc sit homo, et illud non homo: et hoc sit dulce et illud non dulce. Quod ex hoc patet, quia non omnia aequaliter quaerit et opinatur, cum ipse putet melius aquam bibere dulcem quam non dulcem, et melius videre hominem quam non hominem. Et ex ista diversa opinione sequitur quod determinate quaerit unum et non aliud. Oporteret siquidem quod similiter utraque quaereret, scilicet dulce et non dulce, hominem et non hominem, si existimaret quod essent eadem contradictoria. Sed, sicut dictum est, nullus est qui non videatur hoc timere et illa non timere. Et sic per hoc ipsum quod homo afficitur diversimode ad diversa, dum quaedam timet et quaedam desiderat, oportet quod non existimet idem esse quodlibet et non esse.

[82222] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 6Sic ergo patet quod omnes opinantur se habere veritatem vel in affirmativa tantum, vel in negativa, et non utraque simul. Et si non in omnibus, saltem in bonis et malis, vel in melioribus et in deterioribus. Ex hac enim differentia provenit quod quaedam quaeruntur et quaedam timentur.

[82223] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 7Deinde cum dicit si autem non excludit quamdam cavillationem. Posset enim aliquis dicere quod homines quaedam desiderant tamquam bona, et alia fugiunt tamquam non bona, non quasi scientes veritatem, sed quasi opinantes, quod non idem sit bonum et non bonum, licet idem sit secundum rei veritatem. Sed si hoc est verum, quod homines non sunt scientes, sed opinantes, multo magis debent curare ut addiscant veritatem. Quod sic patet; quia infirmus magis curat de sanitate quam sanus. Ille autem, qui opinatur non verum, non disponitur salubriter ad veritatem in comparatione ad scientem: habet enim se ad scientem sicut infirmus ad sanitatem. Defectus enim scientiae est opinio falsa, sicut aegritudo sanitatis. Et sic patet, quod homines debent curare de veritate invenienda: quod non esset, si nihil esset verum determinate, sed simul aliquid verum et non verum.

[82224] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 8Deinde cum dicit amplius quia ponit septimam rationem, quae sumitur ex diversis gradibus falsitatis. Dicit ergo, quod etsi maxime verum sit quod omnia sic se habeant et non sic, idest quod affirmatio et negatio sint simul vera, et omnia sint simul vera et falsa, sed tamen in natura entium oportet quod aliquid sit magis et minus verum. Constat enim quod non similiter se habet ad veritatem, quod duo sunt paria, et tria sunt paria: nec similiter se habet ad mendacium dicere quod quatuor sunt pente idest quinque, et quod sint mille. Si enim sunt falsa similiter, manifestum est quod alterum est minus falsum, scilicet dicere quatuor esse quinque, quam dicere quatuor esse mille. Quod autem est minus falsum, est verum magis vel propinquius vero, sicut et minus nigrum, quod est albo propinquius. Patet ergo quod alter eorum magis dicit verum, idest magis appropinquat veritati, scilicet ille qui dicit quatuor esse quinque. Sed non esset aliquid affinius vero vel propinquius, nisi esset aliquid simpliciter verum, cui propinquius vel affinius esset magis verum et minus falsum. Relinquitur ergo quod aliquid oportet ponere esse absolute verum, et non omnia vera et falsa; quia sequitur ex hoc quod contradictio sit simul vera. Et si per praedictam rationem non sequitur quod aliquid sit absolute verum, tamen iam habetur quod aliquid est verius et firmius sive certius alio. Et sic non eodem modo se habet ad veritatem et certitudinem affirmatio et negatio. Et ita per hanc rationem et per alias praecedentes erimus liberati vel remoti a ratione, idest opinione non mixta, idest non temperata (unde alius textus habet, distemperata): tunc enim opinio est bene contemperata, quando praedicatum non repugnat subiecto: cum autem opinio implicat opposita, tunc non bene contemperatur. Talis autem est praedicta positio, quae dicit contradictionem verificari.

[82225] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 9Item prohibet ne mente aliquid possimus definire vel determinare. Prima enim ratio distinctionis consideratur in affirmatione et negatione. Unde qui affirmationem et negationem unum esse dicit, omnem determinationem sive distinctionem excludit.

[82226] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 10Deinde cum dicit est autem ostendit quod opinio Protagorae reducitur in eamdem sententiam cum praedicta positione. Dicebat enim Protagoras, quod omnia, quae videntur alicui esse vera, omnia sunt vera. Et siquidem haec positio est vera, necesse est primam positionem esse veram, scilicet quod affirmatio et negatio sint simul vera. Et per consequens, quod omnia sint simul vera et falsa, sicut ex hac positione sequitur, ut supra ostensum est. Quod sic ostendit. Multi enim homines opinantur sibiinvicem contraria: et putant quod illi, qui non eadem opinantur quod ipsi, mentiantur, et e converso. Si ergo quidquid alicui videtur hoc est verum, sequitur quod utrique mentiantur, et verum dicant, quod idem sit et non sit. Et sic ad opinionem Protagorae sequitur quod contradictio simul verificetur.

[82227] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 9 n. 11Similiter etiam si hoc est verum quod contradictio simul verificetur, necessarium est opinionem Protagorae esse veram, scilicet quod omnia quae videntur aliquibus esse vera, sint vera. Constat enim quod aliqui habent diversas opiniones; quorum quidam sunt mentientes, et quidam sunt verum dicentes, quia opinantur sibiinvicem opposita. Si ergo omnia opposita sunt simul vera, quod sequitur si contradictoria simul verificentur, necessario sequitur quod omnes dicant verum, et quod videtur alicui sit verum; et sic patet quod eiusdem sententiae vel intellectus vel rationis est utraque positio, quia ad unam sequitur alia de necessitate.

LEÇON 9.

(nn. 652-662; [348-352]).

 

Il réfute au moyen de trois raisonnements ceux qui nient le premier principe.

 

652. Il présente ici un cinquième raisonnement [348] qu’il tire de la notion de vérité et que voici.

   On a déjà dit que l’affirmation et la négation sont posées par certains comme étant simultanément vraies : donc, celui qui admet ou qui croit ¨ qu’il en est ainsi ¨, c’est-à-dire qui soutient l’affirmation seulement ¨ ou qu’il n’en est pas ainsi ¨, c’est-à-dire qui croit que c’est la négation seulement qui est vraie, sera dans l’erreur; et inversement celui qui admettra les deux simultanément sera dans le vrai. Donc, puisque le vrai existe quand il en est dans la chose comme il en est dans l’opinion ou encore comme ce qui est signifié par le son de voix, il s’ensuit que cela même qu’il dit sera quelque chose de déterminé dans les choses parce que la nature des êtres sera telle que ce qui est dit, de telle manière que l’affirmation et la négation ne pourront être soutenues simultanément. Ou encore, selon une autre version ¨ parce que telle est la nature des êtres ¨, comme s’il disait que du fait que ce qui est dit est déterminément vrai, il s’ensuit que la chose possède une telle nature. Si cependant on dit que celui qui adhère simultanément à l’affirmation et à la négation n’a pas une opinion vraie mais que celui qui est dans le vrai est plutôt celui qui pense que c’est seulement l’affirmation ou la négation qui est vraie, il est encore évident que les êtres continueront d’être déterminément selon une certaine nature. C’est pourquoi une autre version nous dit plus clairement : ¨ et en quelque sorte cela sera déterminément vrai et ne pourra être simultanément faux ¨. D’où il suit que seule l’affirmation ou la négation peut être vraie.

653. Mais si tous ceux-là, à savoir à la fois ceux qui soutiennent les deux parties de la contradiction et ceux qui n’en soutiennent qu’une partie, ¨sont dans l’erreur¨ et sont tous aussi dans la vérité, il ne faut ni discuter ni rien dire pour discuter avec celui qui prétend cela; ou encore, selon un autre document, un tel homme n’affirme rien et ne soutient rien. En effet, tout comme on le formule dans une autre version, il ne s’agit là ni de soutenir ni de dire quelque chose parce qu’un tel homme se trouve également à affirmer et à nier quelque chose. Et si lui-même, tout comme il se trouve à affirmer et à nier extérieurement, se trouve de la même manière à adhérer et à ne pas adhérer intérieurement à telle opinion, il ne semble différer en rien des plantes car même les brutes animales possèdent des représentations déterminées. Un autre texte dit ¨ de ceux qui sont nés capables ¨ et cette expression a du sens car celui qui n’adhère à rien ne diffère en rien, en ceci qu’il pense en acte, de ceux qui sont naturellement aptes à penser et qui ne pensent pas encore en acte; en effet, ceux qui sont naturellement aptes à réfléchir sur une question ne soutiennent aucune des deux parties et il en est de même pour eux.

654. Ensuite lorsqu’il dit [349] : ¨ De là vient, de toute etc.¨.

   Il présente le sixième raisonnement qui se tire du choix et de la fuite et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente le raisonnement. En deuxième lieu il écarte une réponse sophistique, là [350] où il dit : ¨ Si cependant ce ne sont pas des savants etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [349] qu’il est manifeste que nul n’est vraiment disposé à croire que l’affirmation et la négation se vérifient simultanément, ni ceux qui défendent cette position, ni les autres. Si en effet c’était la même chose d’aller à la maison et de ne pas y aller, pourquoi quelqu’un irait à la maison au lieu de se reposer, s’il croyait que se reposer et aller à la maison, c’est la même chose? Il est donc évident, du fait que quelqu’un va à la maison au lieu de se reposer, qu’il pense qu’il y a une différence entre aller à la maison et ne pas y aller.

655. Et de même si quelqu’un marche sur un chemin qui par aventure conduit directement à un puits ou à un torrent, pourquoi ne s’avance-t-il pas directement sur ce chemin et semble-t-il craindre de tomber dans le puits ou dans le torrent? Il en est ainsi parce qu’il ne croit pas que la chute dans le torrent ou dans le puits est également bonne et pas bonne, mais il croit plutôt déterminément qu’elle n’est pas bonne. Mais s’il croyait qu’elle est aussi bien bonne que pas bonne, il ne chercherait pas davantage à éviter le puits ou le torrent qu’à choisir de s’y diriger. Donc, puisqu’il les évite au lieu de les choisir, c’est manifestement parce qu’il admet ou qu’il croit qu’une chose est préférable, à savoir ne pas tomber dans le puits, et qu’il sait que cela est préférable à tomber dans le puits.

656. Et s’il en est ainsi pour le bien et pour ce qui ne l’est pas, il en est nécessairement de même pour le reste de sorte qu’il est évident qu’il juge que ceci est un homme et que cela n’est pas un homme, et que ceci est doux et que cela n’est pas doux. Ce qui est évident du fait qu’il ne recherche pas et ne croit pas tout indifféremment, puisque lui-même croit qu’il est préférable de boire de l’eau douce plutôt que de boire de l’eau qui n’est pas douce, et qu’il est préférable de voir un homme que de voir ce qui n’est pas un homme. Et à partir de cette différence dans le jugement, il s’ensuit qu’il recherche déterminément une chose et non une autre. Il faudrait toutefois qu’il recherche également les deux, à savoir le doux et le non-doux, l’homme et le non-homme, s’il estimait vraiment que les contradictoires sont également la même chose. Mais, ainsi qu’on l’a dit, il n’y a personne qui ne semble pas craindre ceci et ne pas craindre cela. Et ainsi, par cela même que l’homme est affecté diversement par différentes choses alors qu’il craint certaines et qu’il désire d’autres, il faut bien qu’il n’évalue pas de la même manière l’être d’une chose et son non-être.

657. Et ainsi il est donc évident que tous croient posséder la vérité soit dans l’affirmation seulement, soit dans la négation, mais non dans les deux simultanément. Et si tous ne croient pas posséder la vérité pour toute chose, ils croient la posséder au moins pour les biens et les maux ou pour le meilleur et pour le pire. En effet, c’est à cause de cette différence que provient le fait que certaines choses sont désirées et que d’autres sont craintes.

658. Ensuite lorsqu’il dit [350] : ¨ Si cependant on dit que ce n’est pas etc.¨.

   Il écarte un sophisme. Quelqu’un pourrait dire en effet que les hommes recherchent certaines choses comme étant bonnes et qu’ils en évitent d’autres comme n’étant pas bonnes non pas parce qu’ils connaissent la vérité selon la science mais parce qu’ils se sont formés l’opinion que ce qui est bien et ce qui n’est pas bien ne sont pas identiques, bien qu’ils le soient selon la vérité des choses. Mais si cela est vrai que les hommes ne connaissent pas de science mais seulement selon le mode de l’opinion, ils devraient bien davantage se soucier de rechercher la vérité. En voici la preuve : un malade se soucie davantage de la santé que quelqu’un qui est sain. Mais celui dont l’opinion n’est pas vraie n’est pas disposé sainement à l’égard de la vérité si on le compare à celui qui a une connaissance de science : il se compare en effet à celui qui possède la science comme le malade se compare à celui qui est en santé. En effet, l’opinion fausse est une privation de la science tout comme la maladie est une privation de la santé. Et ainsi il est évident que les hommes doivent se préoccuper de découvrir la vérité : ce qui ne pourrait avoir lieu il n’existait pas de vérité absolue et que tout était également et simultanément vrai et faux.

659. Ensuite lorsqu’il dit [351] : Parce qu’en outre ¨.

   Il présente le septième raisonnement qui se tire du côté des différents degrés de la fausseté. Il dit donc que bien qu’on suppose tant qu’on voudra que toutes les choses sont ainsi et qu’elles ne sont pas ainsi, à savoir que l’affirmation et la négation sont simultanément vraies, et que tout soit simultanément vrai et faux, il faut qu’il y ait cependant dans la nature des choses quelque chose qui soit plus vrai et quelque chose qui soit moins vrai. Il est évident en effet qu’il ne se rapporte pas semblablement à la vérité de dire que deux est un nombre pair et que trois est un nombre pair; et de la même manière il ne se rapporte de la même manière à la fausseté de dire que quatre est cinq et de dire que quatre est mille. Si en effet les deux énoncés sont faux, il est évident qu’il est moins faux d’affirmer que quatre est cinq que d’affirmer que quatre est mille. Mais ce qui est moins faux est plus rapproché du vrai tout comme le moins noir est plus rapproché du blanc. Il est donc évident que l’un des deux dit davantage la vérité ou s’approche davantage de la vérité, à savoir celui qui affirme que quatre est cinq. Mais il ne pourrait exister une plus grande affinité ou une plus grande proximité à l’égard de la vérité s’il n’existait pas une vérité absolue à l’égard de laquelle ce qui aurait une plus grande proximité ou une plus grande affinité serait plus vrai ou moins faux. Il reste donc qu’il faille poser l’existence d’une vérité absolue et que tout n’est pas également  et simultanément vrai et faux car autrement il suivrait de là que les contradictoires seraient simultanément vraies. Et s’il ne découlait pas du raisonnement précédent qu’il doive exister une vérité absolue, il faudrait néanmoins concéder que certains énoncés sont davantage vrais, fermes et certains que d’autres; et par voie de conséquence, il en découle que l’affirmation et la négation ne se rapportent pas également ou de la même manière à la vérité et à la certitude. Et ainsi, grâce à ce raisonnement et aux autres qui ont précédé, nous serons libérés ou à l’abri de cette pensée ou de cette opinion qui manque de nuances et de modération (c’est pourquoi une autre version la qualifie d’immodérée) : en effet, une opinion est bien tempérée ou équilibrée quand le prédicat ne répugne pas au sujet mais lorsque l’opinion contient une contradiction, alors elle n’est pas bien équilibrée. Telle est cependant l’opinion que nous venons d’examiner et qui prétend que les contradictoires se vérifient simultanément.

660. Cette même opinion empêche aussi que nous puissions par notre esprit définir ou délimiter quoi que ce soit. En effet, la première notion que nous avons de la distinction ou de la différence entre les choses réside dans l’affirmation et la négation. C’est pourquoi ceux qui prétendent que l’affirmation et la négation sont une seule et même chose se trouvent à nier toute définition et toute distinction entre les choses.

661. Ensuite lorsqu’il dit [352] : ¨ Il y a cependant ¨.

   Il montre que l’opinion de Protagoras se ramène à la même façon de voir que l’opinion précédente. Protagoras disait en effet que tout ce qui apparaît vrai à chacun est vrai. Et si toutefois cette opinion est vraie, il est nécessaire que celle qui précède le soit aussi, à savoir celle qui dit que l’affirmation et la négation sont simultanément vraies et par conséquent que tous les énoncés sont simultanément vrais et faux, ce qui découle de cette position ainsi que nous l’avons montré. Et ce qu’il vient de dire, il le manifeste de la manière suivante. De nombreux hommes en effet ont des opinions contraires les unes aux autres et ils croient que ceux qui ne pensent pas comme eux sont dans l’erreur et il en est ainsi réciproquement. Si donc tout ce qui apparaît à chacun est vrai, il s’ensuit que les uns et les autres sont dans l’erreur et dans la vérité et que la même chose doit à la fois être et ne pas être. Et c’est ainsi qu’il découle de l’opinion de Protagoras que les contradictoires se vérifient simultanément.

662. De la même manière encore, s’il est vrai que les contradictoires se vérifient simultanément, il est nécessaire que la position de Protagoras soit vraie, à savoir que tout ce qui apparaît à chacun comme étant vrai est vrai. Il est évident en effet que certains ont des opinions qui s’opposent, dont quelques-unes sont fausses et d’autres vraies, puisqu’elles sont mutuellement opposées les unes aux autres. Si donc toutes les positions opposées sont simultanément vraies, ce qui suit si les contradictoires se vérifient simultanément, il s’ensuit nécessairement que tous diront la vérité et que ce qui apparaît à chacun sera vrai. Et ainsi il est évident que les deux positions appartiennent à la même façon de penser et qu’elles sont de même nature car l’une découle nécessairement de l’autre.

 

 

LECTIO 10

[82228] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 1Postquam determinavit philosophus et posuit rationes contra negantes primum principium, hic ostendit quomodo diversimode est procedendum, quo ad diversos, qui ex diversis viis in praedictum errorem devenerunt: et dividitur in duas partes. Primo ostendit quod diversimode est procedendum contra diversos. Secundo incipit procedere alio modo quam supra, ibi, venit autem dubitantibus. Dicit ergo primo, quod non est idem modus homiliae, idest popularis allocutionis, vel bonae constructionis, secundum aliam translationem, idest ordinatae dispositionis vel intercessionis, sicut in Graeco habetur, idest persuasionis, ad omnes praedictas positiones, scilicet de veritate contradictionis et veritate eorum quae apparent. Dupliciter enim aliqui incidunt in praedictas positiones. Quidam enim ex dubitatione. Cum enim eis occurrunt aliquae sophisticae rationes, ex quibus videantur sequi praedictae positiones, et eas nesciunt solvere, concedunt conclusionem. Unde eorum ignorantia est facile curabilis. Non enim obviandum est eis vel occurrendum ad rationes quas ponunt, sed ad mentem, ut scilicet solvatur dubitatio de mentibus, per quam in huiusmodi opiniones inciderunt. Et tunc ab istis positionibus recedunt.

[82229] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 2Alii vero praedictas positiones prosequuntur non propter aliquam dubitationem eos ad huiusmodi inducentem, sed solum causa orationis, idest ex quaedam protervia, volentes huiusmodi rationes impossibiles sustinere propter seipsas, quia contraria earum demonstrari non possunt. Et horum medela est argumentatio vel arguitio quae est in voce orationis et in nominibus, idest per hoc quod ipsa vox orationis aliquid significat. Significatio autem orationis a significatione nominum dependet. Et sic oportet ad hoc principium redire, quod nomina aliquid significant; sicut supra philosophus usus est.

[82230] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 3Deinde cum dicit venit autem quia superius obviavit super hoc ex significatione nominum, hic incipit obviare dubitantibus solvendo eorum dubitationes. Et primo quantum ad illos, qui ponebant contradictoria esse simul vera. Secundo quantum ad illos qui ponebant omnia apparentia esse vera, ibi, similiter autem. Circa primum duo facit. Primo ponit dubitationem quae movet quosdam ad concedendum contradictoria esse simul vera. Secundo solvit, ibi, igitur ex his. Dicit ergo, quod opinio de hoc quod contradictio simul verificetur, quibusdam venit per modum dubitationis ex sensibilibus, in quibus apparet generatio et corruptio et motus. Videbatur enim quod ex aliquo uno fiebant contraria, sicut ex aqua fit et aer qui est calidus, et terra quae est frigida. Sed omne quod fit, fit ex prius existente. Quod enim non est, non contingit fieri, cum ex nihilo nihil fiat. Oportet ergo quod res fuerit simul in se habens contradictionem; quia si ex uno et eodem fit calidum et frigidum, fit per consequens calidum et non calidum.

[82231] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 4Propter hanc autem rationem Anaxagoras dixit quod omnia in omnibus miscentur. Ex hoc enim quod videbat quodlibet ex quolibet fieri, putabat quod nihil posset fieri ex alio nisi ante fuisset ibi. Et huic rationi videtur acquievisse Democritus. Posuit enim vacuum et plenum in qualibet parte corporis coniungi. Quae quidem se habent sicut ens et non ens. Nam plenum se habet sicut ens, vacuum vero sicut non ens.

[82232] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 5Deinde cum dicit igitur ex solvit praedictam dubitationem dupliciter. Primo sic, dicens quod sicut dictum est, illis qui ex dubitatione opinantur praedicta inconvenientia, obviandum est ad mentem. Igitur ad suscipientes, idest opinantes contradictoria simul verificari, ex his, idest praedicta ratione dicimus, quod quodammodo recte dicunt, et quodammodo ignorant quid dicunt, inconvenienter loquentes. Ens enim dupliciter dicitur; ens actu, et ens in potentia. Cum igitur dicunt quod ens non fit ex non ente, quodammodo verum dicunt, et quodammodo non. Nam ens fit ex non ente actu, ente vero in potentia. Unde etiam aliquo modo idem potest esse simul ens et non ens, et aliquo modo non potest. Contingit enim quod idem sit contraria in potentia, non tamenperfecte, idest in actu. Si enim tepidum est in potentia calidum et frigidum, neutrum tamen in actu.

[82233] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 10 n. 6Deinde cum dicit amplius autem secundam solutionem ponit ibi, dicens, quod dignum dicimus, quod ipsi suscipiant vel opinentur aliquam substantiam esse cui nec insit motus, nec generatio, nec corruptio, quod probatum est octavo physicorum. Tali autem substantiae non poterit concludi ex ratione praedicta, quod insint contraria, quia ex ea non fit aliquid. Et haec solutio videtur procedere secundum Platonicos, qui propter mutabilitatem sensibilium coacti sunt ponere ideas immobiles, scilicet de quibus dentur definitiones, et fiant demonstrationes, et certa scientia habeatur; quasi de his sensibilibus propter eorum mutabilitatem et admixtionem contrarietatis in eis certa scientia esse non possit. Sed prima solutio sufficientior est.

LEÇON 10.

(nn. 663-668; [353-356])

 

Il détruit la raison de ceux qui affirment que les contradictoires se vérifient simultanément; et de quelle manière il faut discuter avec ceux qui nient les premiers principes.

 

663. Après avoir établi et présenté des raisonnements à l’encontre de ceux qui nient le premier principe, le Philosophe montre ici comment il faut procéder différemment à l’égard de chacun de ceux qui ont été conduits à cette erreur à partir de chemins différents. Et il divise cette section en deux parties.

   En premier lieu il montre qu’il faut procéder d’une manière différente à l’égard des différents penseurs qui ont commis cette erreur [353]. En deuxième lieu il commence à procéder selon un mode différent de celui emprunté plus haut, là [354] où il dit : ¨ Mais il est arrivé à ceux qui ont connu des difficultés etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [353] qu’il ne faut pas adopter la même méthode de ¨discussion¨, soit par exemple une harangue populaire, soit un ¨discours bien construit¨, ou, selon une autre version, un ordre logique convainquant, soit encore un mode ¨d’intervention¨ comme on le dit en grec, c’est-à-dire une approche persuasive, à l’égard de toutes les positions qui précèdent, à savoir à l'égard de celles qui prétendent que les contradictoires sont vraies simultanément et sur celles qui posent que ce qui apparaît vrai à chacun est vrai. C’est de deux manières en effet que certains en sont arrivés à prendre ces positions. Certains en effet y ont été conduits à partir d’une difficulté : ayant rencontré des arguments sophistiques qu’ils ne pouvaient dénouer et desquels semblaient suivre ces positions, ils ont concédé la conclusion. C’est pourquoi leur ignorance est facile à guérir. En effet il ne faut pas s’opposer à eux ou attaquer les raisons qu’ils présentent mais il faut s’adresser à leur esprit afin que la difficulté par laquelle ils sont tombés dans ces opinions soit effacée de leur esprit et qu’ainsi ils s’écartent de ces positions.

664. D’autres se sont engagés dans de telles positions non pas en raison d’une difficulté qui les y aurait conduits, mais ¨ pour le seul plaisir de l’argumentation ¨, c’est-à-dire à cause d’une certaine impudence, recherchant des arguments impossibles à soutenir par eux-mêmes, parce qu’ils sont incapables de démontrer les vérités contraires. Et dans ce cas le remède réside dans la réfutation des arguments ¨qu’on retrouve dans leurs discours et dans les noms¨ dont ils se servent, du fait que l’expression même du discours signifie quelque chose. Mais la signification du discours dépend de la signification des noms. Et ainsi il faut en revenir à ce principe dont s’est servi le Philosophe précédemment, à savoir que les noms signifient quelque chose.

665. Ensuite lorsqu’il dit [354] : ¨ Mais il est arrivé ¨.

   Parce qu’il s’est attaqué plus haut à ces positions à partir de la signification des noms, il commence à s’attaquer ici à ceux qui sont enlisés dans ces difficultés en dénouant leurs difficultés elles-mêmes.

   Et en premier lieu il le fait à l’égard de ceux qui posaient que les contradictoires sont vraies simultanément [354]. En deuxième lieu il le fait à l’égard de ceux qui prétendent que tout ce qui apparaît vrai est vrai, là [357] où il dit : ¨ Mais de même ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la difficulté qui a poussé certains à concéder que les contradictoires sont vraies simultanément [354]. En deuxième lieu il dénoue cette difficulté, là [355] où il dit : ¨ Donc, à partir de ces etc.¨.

   Il dit donc [354] que certains ont été conduits à cette opinion, à savoir que les contradictoires sont vraies simultanément, à cause d’une difficulté qu’ils ont rencontrée dans les choses sensibles dans lesquelles on retrouve la génération, la corruption et le mouvement. Il leur semblait en effet que les contraires provenaient d’une même chose, comme l’air qui est chaud et la terre qui est froide semblent provenir de l’eau. Mais tout ce qui est le résultat d’un devenir vient de quelque chose qui existe antérieurement. En effet ce qui n’a aucune existence ne peut devenir puisque rien ne peut venir de rien. Il faut donc que la chose possède à l’avance et simultanément en elle la contradiction et les contraires car si c’est d’une seule et même chose que procèdent à la fois le chaud et le froid, il fallait bien que le chaud et le froid y préexistent déjà simultanément.

666. Et c’est pour cette raison qu’Anaxagore disait que tout est mélangé dans tout. En effet, du fait qu’il voyait que quelque chose venait à exister à partir d’une autre chose, il pensait qu’il fallait bien qu’aucune chose ne pouvait procéder d’une autre sans y exister déjà préalablement. Et Démocrite lui-même semblait adhérer à ce raisonnement. Il affirma en effet que le vide et le plein se trouvent à être réunis dans toutes les parties des êtres à la manière de l’être et du non-être car le vide se compare au non-être et le plein à l’être.

667. Ensuite lorsqu’il dit [355] : ¨ Donc, à partir de ¨.

   Il résout de deux manières la difficulté qui précède. Et en premier lieu il le fait de la manière suivante, en disant, comme il l’a fait précédemment, que c’est en s’adressant à leur esprit qu’il faut répondre à ceux qui ont été conduits à ces problèmes à partir d’une difficulté qu’ils ont rencontrée. Donc, ¨à ceux qui admettent¨, c’est-à-dire à ceux qui croient que les contradictoires se vérifient simultanément ¨ à partir de ces difficultés ¨, c’est-à-dire en raison de la difficulté que nous venons de présenter, nous disons que d’une certaine manière ils parlent correctement mais que d’une autre manière ils ignorent ce qu’ils disent et produisent un discours incorrect. En effet, l’être se dit de deux manières, à savoir en acte et en puissance. Donc, lorsqu’ils disent que l’être ne peut venir du non-être, d’une certaine manière ils sont dans la vérité mais d’une autre manière ils sont dans l’erreur. Car l’être vient du non-être en acte mais de l’être en puissance. C’est pourquoi encore d’une certaine manière la même chose peut simultanément être et ne pas être, mais d’une autre manière cela est impossible. Il arrive en effet que la même chose soit simultanément les contraires en puissance, mais cela est impossible ¨d’une manière parfaite¨, c’est-à-dire en acte. Si en effet le tiède est à la fois chaud et froid en puissance, il n’est cependant ni l’un ni l’autre en acte.

668. Ensuite lorsqu’il dit [356] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente ici la deuxième solution en disant qu’il est juste de recommander à ceux-là de considérer et de penser qu’il existe une substance à laquelle n’appartient ni le mouvement, ni la génération ni la corruption, ce qui a été prouvé au huitième livre des Physiques. Mais pour une telle substance, on ne pourra s’appuyer sur le raisonnement qui précède pour conclure que les contraires y préexistent, car elle n’est pas sujette au devenir. Et cette solution semble procéder des Platoniciens, qui en raison de la mutabilité des choses sensibles ont été portés à poser l’existence d’Idées immobiles pour lesquelles il devenait possible de donner des définitions, produire des démonstrations et accéder à une science certaine, comme s’il n’était pas possible d’acquérir une science certaine des choses sensibles en raison de leur mutabilité et du mélange des contraires qu’on rencontre en elles. Mais la première raison suffit à dénouer la difficulté qui précède.

 

 

LECTIO 11

[82234] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 11 n. 1Postquam philosophus solvit dubitationem, ex qua inducebantur antiqui ad ponendum contradictoria simul esse vera, hic removet illa, ex quibus aliqui inducebantur ad ponendum omne, quod apparet, esse verum. Dividitur autem pars ista in duas. Primo ponit dubitationes, ex quibus aliqui movebantur ad praedictam positionem ponendam. Secundo removet dubitationes praedictas, ibi, nos autem et ad hanc orationem. Circa primum duo facit. Primo ponit rationem eorum, ex qua movebantur ad ponendum omne, quod apparet, esse verum. Secundo assignat causam praedictae rationis, ibi, omnino vero propter existimare. Dicit ergo primo, quod sicut opinio, quae ponebat contradictoria simul esse vera, veniebat ex quibusdam sensibilibus, in quibus contingit contradictoria fieri ex aliquo uno, similiter et veritas quae est circa apparentia, idest opinio de veritate apparentium, venit ex quibusdam sensibilibus, illis scilicet qui non protervientes, sed dubitantes in hanc positionem incidunt. Et hoc quia de eisdem sensibilibus inveniuntur contrariae opiniones diversorum. Et hoc tripliciter. Primo, quia quibusdam gustantibus videtur dulce, quod aliis videtur amarum esse. Et sic homines de omnibus sensibilibus contrariam opinionem habent. Secundo, quia multa animalia contraria iudicant de sensibilibus nobis. Illud enim quod videtur sapidum bovi vel asino, mali saporis ab homine iudicatur. Tertio, quia idem homo in diversis temporibus diversimode iudicat de sensibilibus. Quod enim nunc videtur sibi dulce et sapidum, alio tempore sibi videtur amarum et insipidum.

[82235] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 11 n. 2Nec potest assignari ratio certa per quam fiat manifestum, quae opinionum istarum sit vera, aut quae sit falsa; quia non magis una earum videtur vera uni, quam alteri altera. Ergo oportet quod aequaliter sint verae, vel aequaliter falsae. Et ideo dixit Democritus, quod aut nihil est determinate verum in rebus; aut si quid est verum, non est nobis manifestum. Cognitionem enim rerum accipimus per sensus. Iudicium autem sensus non est certum, cum non semper eodem modo iudicet. Unde nulla certitudo videtur nobis esse de veritate, ut possimus dicere, quod haec opinio determinate est vera et contraria determinate est falsa.

[82236] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 11 n. 3Sed quia posset aliquis dicere, contra hanc opinionem, quod aliqua regula potest sumi per quam discernitur inter contrarias opiniones quae earum sit vera, ut videlicet dicamus quod illud est verum iudicium de sensibilibus quod dant sani, non quod dant aegrotantes; et de veritate hoc est verum iudicium, quod dant sapientes et intelligentes, non autem quod dant insipientes vel stulti: ideo in principio removet istam responsionem per hoc, quod iudicium certum de veritate non convenienter potest sumi ex multitudine et paucitate, ut scilicet dicatur esse verum quod multis videtur, falsum autem quod videtur paucis; cum quandoque illud quod est pluribus opinabile, non sit simpliciter verum. Sanitas autem et aegritudo, sive sapientia et stultitia, non videntur differre nisi secundum multitudinem et paucitatem. Si enim omnes vel plures essent tales quales sunt illi qui nunc reputantur desipientes vel stulti, illi reputarentur sapientes. Et qui nunc reputantur sapientes, reputarentur stulti. Et similiter est de sanitate et aegritudine. Non ergo credendum est magis iudicio sani et sapientis de falsitate et veritate, quam iudicio infirmi et insipientis.

LEÇON 11.

(nn. 669-671; [357])

 

Pour quelles raisons certains ont pensé que les choses sont telles qu’elles apparaissent.

 

669. Après avoir résolu la difficulté à partir de laquelle les anciens avaient été conduits à affirmer que les contradictoires se vérifient simultanément, le Philosophe résout ici les difficultés à partir desquelles certains autres étaient conduits à affirmer que la vérité se réduit aux apparences.

   Et il divise cette section en deux parties. En premier lieu il présente les difficultés [357] à partir desquelles certains étaient conduits à soutenir l’opinion qui précède. En deuxième lieu il écarte les difficultés qui précèdent, là [363] où il dit : ¨ Mais nous répondons à ce discours etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la raison pour laquelle ils étaient poussés à affirmer que tout ce qui semble vrai est vrai [357]. En deuxième lieu il identifie la cause de cette raison, là [358] où il dit : ¨ Et en général, c’est parce qu’ils jugent etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [357] que tout comme l’opinion qui affirmait que les contradictoires sont simultanément vraies procédait de la considération des choses sensibles dans lesquelles les contradictoires semblent provenir d’une même chose, de même ¨ la vérité concernant les apparences ¨, c’est-à-dire l’opinion relative à la vérité des apparences procède de la considération de certaines réalités sensibles chez ceux qui tombent dans cette opinion non en raison d’une impudence mais en raison d’une difficulté rencontrée par leur intelligence. Et il en est ainsi parce qu’on rencontre chez différentes personnes des opinions contraires relativement à des réalités sensibles identiques. Et cela se produit de trois manières. Et premièrement parce qu’à ceux qui goûtent une chose, cette même chose semble douce à certains et amère à d’autres. Et ainsi les hommes portent sur toutes les choses sensibles des jugements contraires. Deuxièmement, parce que de nombreux animaux jugent des choses sensibles d’une manière qui est contraire à la nôtre. En effet, ce qui semble goûteux au bœuf ou à l’âne apparaît à l’homme comme étant désagréable au goût. Troisièmement parce que le même homme perçoit différemment les choses sensibles à des moments différents. En effet, ce qui nous apparaît maintenant doux et goûteux nous apparaît plus tard amère et sans saveur.

670. Et on ne peut donner une raison ferme grâce à laquelle il deviendrait évident qu’une de ces opinions est vraie et que les autres sont fausses car une de ces raisons ne paraît pas plus vraie à un tel que telle autre raison à un tel autre. Il faut donc qu’elles soient également vraies ou également fausses. Et c’est pourquoi Démocrite a dit que ou bien il n’y a rien qui soit déterminément vrai dans les choses, ou bien s’il y a du vrai, il ne nous est pas manifeste. C’est par les sens en effet que la connaissance des choses entre en nous. Mais le jugement du sens n’est pas certain puisqu’il ne juge pas toujours de la même manière. C’est pourquoi il nous semble ne pouvoir exister aucune certitude sur la vérité de telle sorte que nous pourrions dire que telle opinion est déterminément vraie et que l’opinion contraire est déterminément fausse.

671. Mais parce qu’on pourrait dire à l’encontre de cette opinion qu’on peut établir des règles grâce auxquelles on parviendrait à discerner parmi les opinions contraires laquelle est vraie, de telle sorte que nous pourrions dire avec évidence que le vrai jugement sur les choses sensibles est celui que donnent ceux qui sont en santé et non celui que donnent ceux qui sont malades, et que le vrai jugement sur la vérité est celui que donnent ceux qui sont sages et intelligents et non celui que donnent ceux qui sont sots et insensés, c’est pourquoi au début Aristote écarte cette réponse en disant qu’un jugement certain sur la vérité ne peut se tirer avec justesse du plus ou moins grand nombre, de sorte qu’on pourrait dire qu’est vrai ce qui apparaît tel à la majorité et qu’est faux ce qui apparaît vrai à la minorité, car parfois ce que le plus grand nombre croit être vrai n’est pas vrai purement et simplement. Mais la santé et la maladie, tout comme la sagesse et la sottise, ne semblent différer que selon le plus ou moins grand nombre. Si donc la totalité ou la plus grande partie de l’humanité était telle qu’elle serait constituée de ceux qu’on reconnaît maintenant comme étant sots et stupides, c’est elle-même alors qui serait reconnue comme étant sage et la minorité qu’on reconnaît maintenant comme étant sage serait alors reconnue comme étant stupide. Et il en est de même pour la santé et la maladie. Il ne faut donc pas davantage se fier, en matière de vérité et de fausseté, au jugement du sage et de celui qui est en santé davantage qu’à celui du malade et du sot.

 

 

LECTIO 12

[82237] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 1Ostendit causam praedictae positionis. Et primo ex parte sensus. Secundo ex parte sensibilium, ibi, huius autem opinionis causa et cetera. Circa primum tria facit. Primo ponit causam praedictae positionis ex parte sensus. Secundo recitat diversorum opiniones, quae in hanc causam concordaverunt, ibi, ex his Empedocles et cetera. Tertio invehit contra eos, ibi, quare gravissimum. Dicit ergo primo, quod antiqui hoc opinabantur, quod prudentia sive sapientia vel scientia non esset nisi sensus. Non enim ponebant differentiam inter sensum et intellectum. Cognitio autem sensus fit per quamdam alterationem sensus ad sensibilia: et ita quod sensus aliquid sentiat, provenit ex impressione rei sensibilis in sensum. Et sic semper cognitio sensus respondet naturae rei sensibilis, ut videtur. Oportet igitur, secundum eos, quod illud, quod videtur secundum sensum, sit de necessitate verum. Cum autem coniunxerimus quod omnis cognitio est sensitiva, sequitur quod omne quod alicui apparet quocumque modo, sit verum.

[82238] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 2Haec autem ratio non solum deficit in hoc, quod ponit sensum et intellectum idem, sed et in hoc quod ponit iudicium sensus nunquam falli de sensibilibus. Fallitur enim de sensibilibus communibus et per accidens, licet non de sensibilibus propriis, nisi forte ex indispositione organi. Nec oportet, quamvis sensus alteretur a sensibilibus, quod iudicium sensus sit verum ex conditionibus rei sensibilis. Non enim oportet quod actio agentis recipiatur in patiente secundum modum agentis, sed secundum modum patientis et recipientis. Et inde est quod sensus non est quandoque dispositus ad recipiendum formam sensibilis secundum quod est in ipso sensibili; quare aliter aliquando iudicat quam rei veritas se habeat.

[82239] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 3Deinde cum dicit ex his enim recitat diversorum opiniones assentientium causis praedictis. Omnia autem dicta eorum, quae inducit, tendunt ad duo. Quorum primum est, quod intellectus sit idem cum sensu. Aliud est, quod omne quod videtur sit verum. Dicit ergo, quod ex praedictis rationibus Empedocles et Democritus et singuli aliorum sunt facti rei talibus opinionibus, ut est dicere verisimile, idest sicut verisimiliter coniecturare possumus ex eorum dictis.

[82240] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 4Dicit enim Empedocles quod illi, qui permutant habitum, idest dispositionem corporis, permutant etiam prudentiam; quasi intellectus cuius est prudentia, sequatur habitudinem corporis, sicut et sensus. Nam prudentia crescit in hominibus ad apparens, idest per hoc quod aliquid de novo incipit apparere homini, profectus scientiae fit in homine: sed hoc fit per hoc quod dispositio corporis variatur. Alia translatio habet melius: ad praesens enim voluntas vel consilium augetur hominibus, quasi dicat: secundum dispositiones diversas praesentes, nova consilia, sive novae voluntates, sive novae prudentiae hominibus augentur; quasi consilium sive voluntas non sequatur aliquam vim intellectivam in homine, quae sit praeter sensum, sed solam dispositionem corporis quae variatur secundum praesentiam diversarum rerum. In aliis autem libris suis dicit Empedocles quod quantum ad alterationem transformat, idest secundum quantitatem qua homo transformatur in alteram dispositionem corporis, tanta eis est semper cura inquit, id est quod tot curae sive sollicitudines seu prudentiae hominibus adveniunt. Quod quidem est difficile. Alia translatio melius sic habet. Quia quantumcumque mutati fiant, intantum secundum ipsas semper sapere alia statutum est sive stultum. Vel ipsis affuit secundum aliam literam: quasi dicat, quod quantumcumque homo mutatur in dispositione corporis, intantum semper alia sapientia, quasi alium intellectum et aliam sapientiam habens.

[82241] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 5Deinde ponit opinionem Parmenidis ad idem; dicens, quod Parmenides de rerum veritate enuntiat eodem modo sicut Empedocles. Dicit enim quod sicut unusquisque habet dispositionem membrorum valde circumflexorum, vel multae flexionis, secundum aliam literam, ita intellectus hominibus: quasi dicat, quod in membris hominis est multa varietas et circumvolutio ad hoc quod talis membrorum dispositio adaptetur ad operationem intellectus, qui sequitur membrorum complexionem, secundum eum. Ipse enim dicit quod idem est quod curavit, idest quod curam habet sive prudentiam de membris ex natura membrorum: et quod est in omnibus, idest in singulis partibus universi, et quod est in omni, idest in toto universo. Sed tamen aliter nominatur in toto universo, et in singulis partibus universi et etiam in homine. Et hoc in toto universo, dicitur Deus. In singulis autem partibus universi, dicitur natura. In homine autem, dicitur intellectus. Et sic hoc habet plus in homine quam in aliis partibus universi, quia in homine illa virtus intelligit propter complexionem determinatam membrorum, non autem in aliis rebus. In quo etiam datur intelligi quod intellectus sequitur complexionem corporis, et per consequens non differt a sensu. Alia translatio planius habet sic. Idem enim quod quidam sapit membrorum, non est in hominibus et omnibus et omnium. Plus enim est intellectus.

[82242] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 6Deinde ponit opinionem Anaxagorae qui pronuntiavit ad quosdam suos socios vel amicos reducendo eis ad memoriam, quia talia sunt eis entia, qualia suscipiunt sive opinantur. Et hoc est secundum quod in illis dictis philosophorum tangitur, scilicet quod veritas sequatur opinionem.

[82243] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 7Deinde ponit opinionem Homeri, de quo dicunt, quod videbatur eamdem opinionem habere. Fecit enim in sua recitatione Hectorem iacere quasi in extasi a plaga sibi illata aliud cunctantem, idest aliud cogitantem quam prius, vel aliena sapientem, secundum aliam translationem, scilicet ab his quae prius sapuerat, quasi cunctantem quidem et non cunctantem, idest in illo strato, in quo iacebat percussus, esset sapiens et non sapiens: sed non quantum ad eadem; quia quantum ad illa, quae tunc sibi videbantur sapiens erat; quantum autem ad illa quae prius sapuerat et iam sapere desierat, non erat sapiens. Alia translatio sic habet: sapientes quidem et desipientes: quasi dicat, fuit de Hectore qui sapiebat aliena post plagam, ita contingit et de aliis quod sunt simul sapientes et desipientes, non secundum eadem sed secundum diversa.

[82244] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 8Ex omnibus autem praedictis philosophorum opinionibus concludit conclusionem intentam, scilicet quod si utraeque sint prudentiae, scilicet secundum quas homo existimat contraria mutatus de una dispositione in aliam; quod omne id quod existimatur sit verum. Non enim esset prudentia existimare falsum. Unde sequitur quod entia similiter se habeant sic et non sic.

[82245] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 9Deinde cum dicit quare et invehit contra praedictos philosophos, dicens, quod gravissimum accidens est quod eis accidit. Nam si illi, qui maxime viderunt verum inquantum contingit ab homine posse videri, scilicet praedicti philosophi, qui etiam sunt maxime quaerentes et amantes verum, tales opiniones et tales sententias proferunt de veritate, quomodo non est dignum praedictos philosophos dolere de hoc, quod eorum studium frustratur, si veritas inveniri non potest? Alia litera habet quomodo non est dignum relinquere vel respuere philosophari conantes? Idest quod homo non adhaereat his, qui volunt philosophari, sed eos contemnat. Nam si nullum verum potest ab homine de veritate sciri, quaerere veritatem est quaerere illud, quod non potest homo habere, sicut ille qui prosequitur vel fugat volatilia. Quanto enim magis prosequitur, tanto magis ab eo elongantur.

[82246] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 10Deinde cum dicit huius autem assignat causam praemissae opinionis ex parte sensibilium; scilicet quae causa praedictae opinionis etiam ex parte sensibilium ponebatur. Nam, cum sensibile sit prius sensu naturaliter, oportet quod dispositio sensuum sequatur sensibilium dispositionem. Assignat autem ex parte sensibilium duplicem causam; quarum secunda ponitur, ibi, amplius autem omnium et cetera. Dicit ergo primo, quod causa opinionis praedictorum philosophorum fuit, quia cum ipsi intenderent cognoscere veritatem de entibus, et videretur eis quod sola sensibilia entia essent, totius veritatis doctrinam diiudicaverunt ex natura sensibilium rerum. In rebus autem sensibilibus multum est de natura infiniti sive indeterminati, quia in eis est materia, quae quantum est de se non determinatur ad unum, sed est in potentia ad multas formas: et est in eis natura entis similiter ut diximus, videlicet quod esse rerum sensibilium non est determinatum, sed ad diversa se habens. Unde non est mirum si non determinatam cognitionem ingerit sensibus, sed huic sic, et alteri aliter.

[82247] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 11Et propter hoc praedicti philosophi decenter sive verisimiliter loquuntur ratione praedicta. Non tamen verum dicunt in hoc quod ponunt nihil determinatum esse in rebus sensibilibus. Nam licet materia quantum est de se indeterminate se habeat ad multas formas, tamen per formam determinatur ad unum modum essendi. Unde cum res cognoscantur per suam formam magis quam per materiam, non est dicendum quod non possit haberi de rebus aliqua determinata cognitio. Et tamen quia verisimilitudinem aliquam habet eorum opinio, magis congruit dicere sicut ipsi dicebant, quam sicut dicit Epicharmus ad Xenophanem, qui forte dicebat omnia immobilia et necessaria esse, et per certitudinem sciri.

[82248] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 12Deinde cum dicit amplius autem ponit secundam causam ex parte sensibilium sumptam; dicens quod philosophi viderunt omnem hanc naturam, scilicet sensibilem, in motu esse. Viderunt etiam de permutante, idest de eo quod movetur, quod nihil verum dicitur inquantum mutatur. Quod enim mutatur de albedine in nigredinem, non est album nec nigrum inquantum mutatur. Et ideo si natura rerum sensibilium semper permutatur, et omnino, idest quantum ad omnia, ita quod nihil in ea est fixum, non est aliquid determinate verum dicere de ipsa. Et ita sequitur quod veritas opinionis vel propositionis non sequatur modum determinatum essendi in rebus, sed potius id quod apparet cognoscendi; ut hoc sit esse verum unumquodque quod est alicui apparere.

[82249] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 13Et quod ista fuerit eorum ratio, ex hoc patet. Nam ex hac susceptione sive opinione pullulavit opinio dictorum philosophorum summa vel extrema, idest quae invenit quid summum vel extremum huius sententiae, quae dicebat heraclizare, idest sequi opinionem Heracliti, vel sequentium Heraclitum secundum aliam literam, idest qui dicebant se opinionem Heracliti sequi qui posuit omnia moveri, et per hoc nihil esse verum determinate. Et hanc opinionem habuit Cratylus, qui ad ultimum ad hanc dementiam devenit, quod opinatus est quod non oportebat aliquid verbo dicere, sed ad exprimendum quod volebat, movebat solum digitum. Et hoc ideo, quia credebat quod veritas rei quam volebat enuntiare, primo transibat, quam oratio finiretur. Breviori autem spatio digitum movebat. Iste autem Cratylus reprehendit vel increpavit Heraclitum. Heraclitus enim dixit quod non potest homo bis intrare in eodem flumine, quia antequam intret secundo, aqua quae erat fluminis iam defluxerat. Ipse autem existimavit, quod nec semel potest homo intrare in eumdem fluvium, quia ante etiam quam semel intret, aqua fluminis defluit et supervenit alia. Et ita non solum etiam non potest homo bis loqui de re aliqua antequam dispositio mutetur, sed etiam nec semel.

LEÇON 12.

(nn. 672-684; [358-362]).

 

Il présente deux raisons pour lesquelles quelques-uns des anciens ont cru que la vérité des choses consiste dans les apparences.

 

672. Il montre la cause de l’opinion précédente.

   Et il le fait en premier en partant du sens [358]. En deuxième lieu il le fait en partant des qualités sensibles, là [361] où il dit : ¨ Mais la cause de cette opinion etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente la cause de cette opinion en partant du sens [358]. En deuxième lieu il rapporte les opinions des différents penseurs qui ont tous cette cause en commun, là [359] où il dit : ¨ Parmi eux Empédocle etc.¨. En troisième lieu il s’attaque à eux, là [360] où il dit : ¨ C’est pourquoi le plus nuisible ¨.

   Il dit donc en premier lieu [358] que certains anciens ont cru ceci, à savoir que la prudence, la sagesse et la science n’étaient rien d’autre que le sens. Ils ne posaient en effet aucune différence entre l’intelligence et le sens. Mais la connaissance sensible se produit par une certaine altération du sens en présence des choses sensibles de telle manière que ce que le sens perçoit résulte de l’impression de la chose sensible dans le sens. Et ainsi la connaissance sensible correspond toujours à la nature de la chose sensible ainsi qu’on le verra. Il faut donc, selon eux, que ce qui est perçu par le sens soit nécessairement vrai. Mais lorsque nous épousons cette idée que toute connaissance est une connaissance sensible, il s’ensuit que tout ce qui apparaît de quelque manière que ce soit à quelqu’un est vrai.

673. Mais cette raison n’est pas fautive uniquement en ceci qu’elle pose que le sens et l’intelligence sont une seule et même chose, mais aussi en cela qu’elle affirme que le jugement du sens sur les choses sensibles ne se trompe jamais. De fait le sens se trompe sur les sensibles communs et sur les sensibles par accident, bien qu’il ne se trompe pas sur les sensibles propres, à moins d’une indisposition de l’organe. Et bien que le sens soit altéré par les sensibles, il ne faut pas que la vérité du jugement du sens se tire des conditions de la chose sensible. En effet ce n’est pas selon le mode de l’agent que l’action de l’agent est reçue dans le patient, mais c’est plutôt selon le mode du patient et de celui qui la reçoit. Et c’est de là que le sens n’est parfois pas disposé à recevoir la forme du sensible telle qu’elle existe dans le sensible lui-même; et c’est pourquoi le jugement du sens s’écarte parfois de la vérité des choses.

674. Ensuite lorsqu’il dit [359] : ¨ C’est à partir de ces raisons en effet ¨.

   Il rapporte les opinions de différents personnages qui se rangent dans les causes qui précèdent. Mais toutes leurs paroles qu’il rapporte tendent à deux choses dont la première est que l’intelligence est identique au sens. La deuxième est que tout ce que le sens perçoit est vrai. Il dit donc qu’à partir des raisons ou des causes qui précèdent, Empédocle, Démocrite et tous les autres ont été emportés par de telles opinions sur les choses, autant qu’on ¨puisse le dire vraisemblablement¨, c’est-à-dire dans la mesure où nous pouvons le conjecturer avec vraisemblance à partir de ce qu’ils ont dit.

675. Empédocle dit en effet que ceux qui changent de constitution, c’est-à-dire de disposition corporelle, changent aussi quant à la prudence, comme si l’intelligence, dont la prudence fait partie, découlait tout comme le sens de la disposition corporelle. Car d’après lui, la prudence croît dans les hommes ¨d’après ce qui se présente aux sens¨, c’est-à-dire qu’un progrès de la science s’opère en l’homme au moyen de quelque chose de nouveau qui commence à apparaître à l’homme : mais cela se produit au moyen d’une variation d’une disposition corporelle. Une autre version plus heureuse nous dit : ¨En effet, en face de ce qui se manifeste présentement, la volonté ou le conseil augmente chez les hommes¨, comme s’il disait que c’est d’après les nouvelles dispositions des choses qui se montrent présentent à eux  que les hommes voient augmenter en eux de nouvelles pensées, de nouvelles volontés ou de nouvelles réflexions, comme si le conseil ou la volonté ne relevaient pas d’une puissance intellectuelle présente en l’homme et qui est différente du sens, mais de la seule disposition du corps qui varie selon la présence de différentes choses qui se présentent à lui. Dans d’autres de ses livres Empédocle dit que c’est d’après la quantité de la  transformation qui a lieu chez l’homme, c’est-à-dire que c’est d’après la quantité par laquelle l’homme est transformé en une autre disposition corporelle que, dit-il, il lui arrive plus de soins, c’est-à-dire que se présentent alors à l’homme plus de soins, plus de soucis ou plus de prudence. Ce qui comporte certes une difficulté. Une autre version nous dit plus clairement : ¨ Car il apporte des jugements d’autant plus différents que s’opèrent en lui des changements¨ Ou encore : ¨autant affluent en lui des pensées différentes¨, d’après une autre version, comme s’il disait qu’il arrive d’autant plus à l’homme d’avoir toujours une autre pensée, une autre intelligence et une autre sagesse qu’il lui arrive de subir des changements dans ses dispositions corporelles.

676. Ensuite il présente l’opinion de Parménide sur la même question en disant que Parménide a parlé de la même manière qu’Empédocle sur la vérité des choses. Il dit en effet que ceux dont les membres sont disposés avec une grande souplesse ou qui ¨sont très flexibles¨,  d’après une autre version, ainsi en est-il de leur intelligence; c’est comme s’il disait que dans les membres de l’homme il existe une grande variété et une grande souplesse afin qu’une telle disposition des membres s’ajuste à l’opération de l’intelligence qui d’après lui dépend de la constitution des membres. Parménide dit lui-même en effet que ¨ce qui a soin¨, c’est-à-dire ce qui prend soin ou ce qui veille sur les membres à partir de la constitution des membres est la même chose que ce qui existe ¨dans toutes¨, c’est-à-dire dans chacune des parties de l’univers et ¨dans le tout¨, c’est-à-dire dans l’ensemble de l’univers. On donne cependant un nom différent à cette même chose selon qu’elle veille sur l’ensemble de l’univers, sur chacune des parties de l’univers et sur l’homme. Selon qu’elle veille sur l’ensemble de l’univers, il l’appelle Dieu; sur chacune des parties de l’univers, il l’appelle nature et sur l’homme, il l’appelle Intelligence. Et cette chose a une présence plus grande chez l’homme que chez les autres parties de l’univers car dans l’homme la puissance intellectuelle opère en raison d’une constitution déterminée des membres, ce qui n’est pas le cas dans les autres choses. Et en cela encore Parménide nous donne à penser que l’intelligence dépend de la complexion corporelle et que par conséquent elle ne diffère pas du sens. Une autre version nous dit plus clairement que ce que chacun connaît des membres n’est pas la même chose chez les hommes ni chez tous, ni en toutes les choses. L’intelligence en effet est quelque chose de plus.

677. Ensuite il présente l’opinion d’Anaxagore qui déclara ceci à certains de ses amis et de ses proches, en se rappelant à leur mémoire, que pour eux les êtres devaient être tels qu’ils les conçoivent. Et cela est conforme à ce qui a déjà été dit sur les philosophes précédents, à savoir que pour eux la vérité dépend de l’opinion.

678. Ensuite il présente l’opinion d’Homère au sujet duquel on dit qu’il semblait avoir la même opinion. En effet dans son récit il nous présente Hector, comme délirant à cause de la blessure qui lui a été portée, proférer ¨d’autres pensées¨, c’est-à-dire des pensées différentes de celles qu’il avait avant, ou d’après une autre version, des pensées étrangères, c’est-à-dire différentes de celles qui lui étaient familières, comme si,  passant d’une pensée à une autre sur cette couverture sur laquelle il était étendu, blessé, il était sage et n’était pas sage, mais pas à l’égard des mêmes choses; car à l’égard des choses qu’il considérait alors, il était sage mais quant à ce qu’il pensait avant et que déjà il cessait de penser, il n’était pas sage. Une autre version nous dit : ¨Ceux qui savent et qui ne savent pas¨, comme si on voulait y dire que tout comme Hector après sa blessure jugeait autrement des choses, il en est de même pour ceux qui ont des pensées différentes non pas sur les mêmes choses, mais sur des choses différentes.

679. À partir de toutes les opinions précédentes exprimées par ces philosophes, il infère la conclusion qu’il avait l’intention de prouver, c’est-à-dire que, si les deux pensées relèvent de la sagesse, à savoir celles selon lesquelles l’homme pense les contraires après être passé d’une disposition à une autre, il s’ensuit que toute opinion est vraie. En effet, penser faux ne relèverait pas de l’intelligence ou de la science. C’est pourquoi il s’ensuit que les êtres sont à la fois ainsi et non ainsi.

680. Ensuite lorsqu’il dit [360] : ¨ Et c’est pourquoi ¨.

   Il argumente contre les philosophes cités ci-dessus en disant que ce qui résulte de ces doctrines est la pire des conséquences. Car si ceux qui auront le plus contemplé la vérité dans la mesure où cela est possible à l’homme, c’est-à-dire les philosophes que nous venons d’examiner, et qui sont aussi ceux qui ont le plus recherché et aimé la vérité, en sont arrivés à proférer de telles opinions et de tels énoncés sur la vérité, comment ne serait-il pas juste que ces philosophes s’affligent de ce que leurs méditations soient vaines si la vérité ne peut être découverte? Une autre version nous dit : ¨ Comment n’est-il pas juste d’abandonner et de repousser ceux qui entreprennent de philosopher.¨ C’est-à-dire, comment ne serait-il pas juste que l’homme ne s’attache pas à ceux qui veulent s’adonner à la philosophie et qu’il finisse plutôt par les mépriser. Car si l’homme ne peut rien savoir de vrai sur la vérité, rechercher la vérité se ramène à rechercher ce qui est inaccessible à l’homme, tout comme celui qui poursuit ou fuit les oiseaux. Ces derniers s’éloignent d’autant plus de lui qu’il les poursuit davantage.

681. Ensuite lorsqu’il dit [361] : ¨ Mais la raison de ¨.

   Il identifie la cause de cette dernière opinion en partant du sensible, c’est-à-dire quelle est la cause de cette opinion qui était présentée comme se tenant du côté des choses sensibles. Car puisque le sensible est antérieur au sens par nature, il faut que la disposition des sens suive la disposition des choses sensibles. Mais il désigne deux causes du côté du sensible dont la deuxième est présentée là [362] où il dit : ¨ Mais en outre toute etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu que la cause de l’opinion des philosophes précédents fut que puisqu’ils cherchaient à connaître la vérité sur les êtres et qu’il leur semblait qu’il n’existe que des êtres sensibles, ils construisirent un système sur l’ensemble vérité de l’être en partant de la nature des choses sensibles. Mais dans les choses sensibles on retrouve en abondance la nature de l’infini et de l’indéterminé car on retrouve en elles la matière qui d’elle-même n’est pas ordonnée à une seule fin mais est plutôt en puissance à une multiplicité de formes : et la nature de l’être qu’on retrouve en ces choses est telle que nous l’avons dit, à savoir que l’être des choses sensibles n’est pas déterminé mais se prête à une multiplicité. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que cette forme d’être n’offre pas à l’homme une connaissance déterminée et qu’elle se présente ainsi à l’un et autrement à un autre.

682. Et c’est pour cette raison que les philosophes qui précèdent ont parlé convenablement ou avec vraisemblance de cette cause. Ils ne disent cependant pas la vérité lorsqu’ils affirment qu’il n’existe rien de déterminé dans les choses sensibles. Car bien que la matière, considérée en elle-même, soit indéterminée par rapport à une multitude de formes, cependant elle est déterminée par la forme à recevoir une modalité définie d’être. De là, puisque les choses sont connues par leur forme plus que par leur matière, il n’est pas juste d’affirmer qu’on ne puisse parvenir à une connaissance déterminée des choses. Et cependant, puisque leur opinion possède une certaine vraisemblance, il est davantage convenable de parler comme ils l’ont fait que de parler comme l’a fait Épicharme à l’égard de Xénophane, lorsqu’il disait que tout est immobile et nécessaire et peut donc être connu avec certitude.

683. Ensuite lorsqu’il dit [362] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente la deuxième cause qui se tire des choses sensibles en disant que ces philosophes voyaient bien que toute cette nature, la nature sensible, est sujette au mouvement. Ils voyaient aussi qu’au sujet du mobile, c’est-à-dire de ce qui se meut, rien ne peut être dit qui soit vrai pour autant qu’il se meut. Ce qui en effet passe du blanc au noir n’est ni blanc ni noir dans la mesure où il subit ce changement. Et c’est pourquoi, si la nature des choses sensibles est toujours en mouvement et ¨d’une manière absolue¨, c’est-à-dire sous tous les rapports, de sorte qu’il n’y a plus rien de stable en elle, on ne pourrait plus rien dire d’elle qui serait déterminément vrai. Et c’est ainsi qu’il s’ensuit que la vérité d’une position ou d’une proposition ne pourrait découler d’un mode déterminé d’être dans les choses, mais plutôt de ce qui apparaît à celui qui connaît de sorte que ne serait vrai que ce qui apparaît vrai à chacun.

684. Et que telle fut bien la raison était bien la leur et qui les poussa à adopter leur position, cela devient évident à partir de ce qui suit. Car c’est à partir de ce jugement ou de cette position que se multiplia l’opinion de ces philosophes ¨de la manière la plus radicale et la plus extrême¨, c’est-à-dire que cette raison est présente dans son expression la plus parfaite dans cet énoncé qu’on retrouvait dans la bouche de ces philosophes qui disaient suivre la pensée d’Héraclite ou des disciples d’Héraclite comme le formule une autre version, lequel prétendait que tout est toujours en mouvement et que pour cette raison il n’y a rien qui soit déterminément vrai. Et Cratyle soutint cette opinion, lequel parvint à une telle extravagance qu’il crut qu’il était préférable de ne rien dire et pour exprimer sa volonté, il se limita à remuer le doigt. Et il en vint à cette extrémité car il croyait que la vérité de la chose qu’il voulait exprimer passait avant même qu’il ait le temps de finir son discours. C’est pourquoi, il se contentait de remuer le doigt dans un espace de temps plus bref. Mais ce Cratyle alla même jusqu’à corriger et à faire des reproches à Héraclite. Héraclite disait en effet qu’un homme ne peut entrer deux fois dans le même fleuve car avant même qu’il y entre pour la deuxième fois cette eau qui était dans le fleuve s’était déjà écoulée. Mais Cratyle estima qu’un homme ne peut pas même entrer une seule fois dans le même fleuve car avant même qu’il y entre, l’eau du fleuve s’est déjà écoulée et est remplacée par une autre. Et de même, non seulement encore un homme ne peut parler deux fois d’une chose avant qu’elle change, mais il ne peut pas même en parler une seule fois avant qu’elle change.

 

 

LECTIO 12

[82237] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 1Ostendit causam praedictae positionis. Et primo ex parte sensus. Secundo ex parte sensibilium, ibi, huius autem opinionis causa et cetera. Circa primum tria facit. Primo ponit causam praedictae positionis ex parte sensus. Secundo recitat diversorum opiniones, quae in hanc causam concordaverunt, ibi, ex his Empedocles et cetera. Tertio invehit contra eos, ibi, quare gravissimum. Dicit ergo primo, quod antiqui hoc opinabantur, quod prudentia sive sapientia vel scientia non esset nisi sensus. Non enim ponebant differentiam inter sensum et intellectum. Cognitio autem sensus fit per quamdam alterationem sensus ad sensibilia: et ita quod sensus aliquid sentiat, provenit ex impressione rei sensibilis in sensum. Et sic semper cognitio sensus respondet naturae rei sensibilis, ut videtur. Oportet igitur, secundum eos, quod illud, quod videtur secundum sensum, sit de necessitate verum. Cum autem coniunxerimus quod omnis cognitio est sensitiva, sequitur quod omne quod alicui apparet quocumque modo, sit verum.

[82238] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 2Haec autem ratio non solum deficit in hoc, quod ponit sensum et intellectum idem, sed et in hoc quod ponit iudicium sensus nunquam falli de sensibilibus. Fallitur enim de sensibilibus communibus et per accidens, licet non de sensibilibus propriis, nisi forte ex indispositione organi. Nec oportet, quamvis sensus alteretur a sensibilibus, quod iudicium sensus sit verum ex conditionibus rei sensibilis. Non enim oportet quod actio agentis recipiatur in patiente secundum modum agentis, sed secundum modum patientis et recipientis. Et inde est quod sensus non est quandoque dispositus ad recipiendum formam sensibilis secundum quod est in ipso sensibili; quare aliter aliquando iudicat quam rei veritas se habeat.

[82239] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 3Deinde cum dicit ex his enim recitat diversorum opiniones assentientium causis praedictis. Omnia autem dicta eorum, quae inducit, tendunt ad duo. Quorum primum est, quod intellectus sit idem cum sensu. Aliud est, quod omne quod videtur sit verum. Dicit ergo, quod ex praedictis rationibus Empedocles et Democritus et singuli aliorum sunt facti rei talibus opinionibus, ut est dicere verisimile, idest sicut verisimiliter coniecturare possumus ex eorum dictis.

[82240] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 4Dicit enim Empedocles quod illi, qui permutant habitum, idest dispositionem corporis, permutant etiam prudentiam; quasi intellectus cuius est prudentia, sequatur habitudinem corporis, sicut et sensus. Nam prudentia crescit in hominibus ad apparens, idest per hoc quod aliquid de novo incipit apparere homini, profectus scientiae fit in homine: sed hoc fit per hoc quod dispositio corporis variatur. Alia translatio habet melius: ad praesens enim voluntas vel consilium augetur hominibus, quasi dicat: secundum dispositiones diversas praesentes, nova consilia, sive novae voluntates, sive novae prudentiae hominibus augentur; quasi consilium sive voluntas non sequatur aliquam vim intellectivam in homine, quae sit praeter sensum, sed solam dispositionem corporis quae variatur secundum praesentiam diversarum rerum. In aliis autem libris suis dicit Empedocles quod quantum ad alterationem transformat, idest secundum quantitatem qua homo transformatur in alteram dispositionem corporis, tanta eis est semper cura inquit, id est quod tot curae sive sollicitudines seu prudentiae hominibus adveniunt. Quod quidem est difficile. Alia translatio melius sic habet. Quia quantumcumque mutati fiant, intantum secundum ipsas semper sapere alia statutum est sive stultum. Vel ipsis affuit secundum aliam literam: quasi dicat, quod quantumcumque homo mutatur in dispositione corporis, intantum semper alia sapientia, quasi alium intellectum et aliam sapientiam habens.

[82241] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 5Deinde ponit opinionem Parmenidis ad idem; dicens, quod Parmenides de rerum veritate enuntiat eodem modo sicut Empedocles. Dicit enim quod sicut unusquisque habet dispositionem membrorum valde circumflexorum, vel multae flexionis, secundum aliam literam, ita intellectus hominibus: quasi dicat, quod in membris hominis est multa varietas et circumvolutio ad hoc quod talis membrorum dispositio adaptetur ad operationem intellectus, qui sequitur membrorum complexionem, secundum eum. Ipse enim dicit quod idem est quod curavit, idest quod curam habet sive prudentiam de membris ex natura membrorum: et quod est in omnibus, idest in singulis partibus universi, et quod est in omni, idest in toto universo. Sed tamen aliter nominatur in toto universo, et in singulis partibus universi et etiam in homine. Et hoc in toto universo, dicitur Deus. In singulis autem partibus universi, dicitur natura. In homine autem, dicitur intellectus. Et sic hoc habet plus in homine quam in aliis partibus universi, quia in homine illa virtus intelligit propter complexionem determinatam membrorum, non autem in aliis rebus. In quo etiam datur intelligi quod intellectus sequitur complexionem corporis, et per consequens non differt a sensu. Alia translatio planius habet sic. Idem enim quod quidam sapit membrorum, non est in hominibus et omnibus et omnium. Plus enim est intellectus.

[82242] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 6Deinde ponit opinionem Anaxagorae qui pronuntiavit ad quosdam suos socios vel amicos reducendo eis ad memoriam, quia talia sunt eis entia, qualia suscipiunt sive opinantur. Et hoc est secundum quod in illis dictis philosophorum tangitur, scilicet quod veritas sequatur opinionem.

[82243] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 7Deinde ponit opinionem Homeri, de quo dicunt, quod videbatur eamdem opinionem habere. Fecit enim in sua recitatione Hectorem iacere quasi in extasi a plaga sibi illata aliud cunctantem, idest aliud cogitantem quam prius, vel aliena sapientem, secundum aliam translationem, scilicet ab his quae prius sapuerat, quasi cunctantem quidem et non cunctantem, idest in illo strato, in quo iacebat percussus, esset sapiens et non sapiens: sed non quantum ad eadem; quia quantum ad illa, quae tunc sibi videbantur sapiens erat; quantum autem ad illa quae prius sapuerat et iam sapere desierat, non erat sapiens. Alia translatio sic habet: sapientes quidem et desipientes: quasi dicat, fuit de Hectore qui sapiebat aliena post plagam, ita contingit et de aliis quod sunt simul sapientes et desipientes, non secundum eadem sed secundum diversa.

[82244] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 8Ex omnibus autem praedictis philosophorum opinionibus concludit conclusionem intentam, scilicet quod si utraeque sint prudentiae, scilicet secundum quas homo existimat contraria mutatus de una dispositione in aliam; quod omne id quod existimatur sit verum. Non enim esset prudentia existimare falsum. Unde sequitur quod entia similiter se habeant sic et non sic.

[82245] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 9Deinde cum dicit quare et invehit contra praedictos philosophos, dicens, quod gravissimum accidens est quod eis accidit. Nam si illi, qui maxime viderunt verum inquantum contingit ab homine posse videri, scilicet praedicti philosophi, qui etiam sunt maxime quaerentes et amantes verum, tales opiniones et tales sententias proferunt de veritate, quomodo non est dignum praedictos philosophos dolere de hoc, quod eorum studium frustratur, si veritas inveniri non potest? Alia litera habet quomodo non est dignum relinquere vel respuere philosophari conantes? Idest quod homo non adhaereat his, qui volunt philosophari, sed eos contemnat. Nam si nullum verum potest ab homine de veritate sciri, quaerere veritatem est quaerere illud, quod non potest homo habere, sicut ille qui prosequitur vel fugat volatilia. Quanto enim magis prosequitur, tanto magis ab eo elongantur.

[82246] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 10Deinde cum dicit huius autem assignat causam praemissae opinionis ex parte sensibilium; scilicet quae causa praedictae opinionis etiam ex parte sensibilium ponebatur. Nam, cum sensibile sit prius sensu naturaliter, oportet quod dispositio sensuum sequatur sensibilium dispositionem. Assignat autem ex parte sensibilium duplicem causam; quarum secunda ponitur, ibi, amplius autem omnium et cetera. Dicit ergo primo, quod causa opinionis praedictorum philosophorum fuit, quia cum ipsi intenderent cognoscere veritatem de entibus, et videretur eis quod sola sensibilia entia essent, totius veritatis doctrinam diiudicaverunt ex natura sensibilium rerum. In rebus autem sensibilibus multum est de natura infiniti sive indeterminati, quia in eis est materia, quae quantum est de se non determinatur ad unum, sed est in potentia ad multas formas: et est in eis natura entis similiter ut diximus, videlicet quod esse rerum sensibilium non est determinatum, sed ad diversa se habens. Unde non est mirum si non determinatam cognitionem ingerit sensibus, sed huic sic, et alteri aliter.

[82247] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 11Et propter hoc praedicti philosophi decenter sive verisimiliter loquuntur ratione praedicta. Non tamen verum dicunt in hoc quod ponunt nihil determinatum esse in rebus sensibilibus. Nam licet materia quantum est de se indeterminate se habeat ad multas formas, tamen per formam determinatur ad unum modum essendi. Unde cum res cognoscantur per suam formam magis quam per materiam, non est dicendum quod non possit haberi de rebus aliqua determinata cognitio. Et tamen quia verisimilitudinem aliquam habet eorum opinio, magis congruit dicere sicut ipsi dicebant, quam sicut dicit Epicharmus ad Xenophanem, qui forte dicebat omnia immobilia et necessaria esse, et per certitudinem sciri.

[82248] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 12Deinde cum dicit amplius autem ponit secundam causam ex parte sensibilium sumptam; dicens quod philosophi viderunt omnem hanc naturam, scilicet sensibilem, in motu esse. Viderunt etiam de permutante, idest de eo quod movetur, quod nihil verum dicitur inquantum mutatur. Quod enim mutatur de albedine in nigredinem, non est album nec nigrum inquantum mutatur. Et ideo si natura rerum sensibilium semper permutatur, et omnino, idest quantum ad omnia, ita quod nihil in ea est fixum, non est aliquid determinate verum dicere de ipsa. Et ita sequitur quod veritas opinionis vel propositionis non sequatur modum determinatum essendi in rebus, sed potius id quod apparet cognoscendi; ut hoc sit esse verum unumquodque quod est alicui apparere.

[82249] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 12 n. 13Et quod ista fuerit eorum ratio, ex hoc patet. Nam ex hac susceptione sive opinione pullulavit opinio dictorum philosophorum summa vel extrema, idest quae invenit quid summum vel extremum huius sententiae, quae dicebat heraclizare, idest sequi opinionem Heracliti, vel sequentium Heraclitum secundum aliam literam, idest qui dicebant se opinionem Heracliti sequi qui posuit omnia moveri, et per hoc nihil esse verum determinate. Et hanc opinionem habuit Cratylus, qui ad ultimum ad hanc dementiam devenit, quod opinatus est quod non oportebat aliquid verbo dicere, sed ad exprimendum quod volebat, movebat solum digitum. Et hoc ideo, quia credebat quod veritas rei quam volebat enuntiare, primo transibat, quam oratio finiretur. Breviori autem spatio digitum movebat. Iste autem Cratylus reprehendit vel increpavit Heraclitum. Heraclitus enim dixit quod non potest homo bis intrare in eodem flumine, quia antequam intret secundo, aqua quae erat fluminis iam defluxerat. Ipse autem existimavit, quod nec semel potest homo intrare in eumdem fluvium, quia ante etiam quam semel intret, aqua fluminis defluit et supervenit alia. Et ita non solum etiam non potest homo bis loqui de re aliqua antequam dispositio mutetur, sed etiam nec semel.

LEÇON 13.

(nn. 685-691; [363-368])

 

Il montre au moyen de six raisonnements que le changement dans les choses sensibles ne s’oppose absolument pas à leur vérité.

 

685. Le Philosophe argumente ici à l’encontre des positions qui précèdent.

   Et il le fait en premier lieu à l’égard de ce qu’ils affirmaient sur la mutabilité des choses sensibles [363]. Il le fait en deuxième lieu sur ce qu’ils disaient au sujet de l’apparence des sens, là [369] où il dit : ¨ Mais au sujet de la vérité qui n’existe pas etc.¨.

   Au sujet du premier point [363] il présente six raisonnements, dont voici le premier. Celui qui estime qu’il n’y a pas de vérité pour ce qui n’existe pas professe une opinion qui est vraie s’il dit cela : car ce qui change, tant qu’il change, n’est ni ce vers quoi il se meut, ni ce d’où il est parti dans son changement : donc, c’est là ce qui peut être dit avec justesse au sujet de ce qui change. Ainsi donc nous pouvons dire à l’égard de cet argument ¨ou de ce discours¨ ou de cette opinion qui affirme que rien de vrai ne peut être dit au sujet de ce qui change parce qu’il ¨est en train de se transformer¨, c’est-à-dire qu’il change ¨quand il se transforme¨, c’est-à-dire quand il est transformé, qu’il s’agit là d’un discours ou d’un argument qui révèle une certaine vérité ¨chez eux¨, c’est-à-dire chez ceux qui professent l’opinion ¨de ne pas croire¨ qu’il existe en ces choses une nature.

686. Ensuite lorsqu’il dit [364] : ¨ Et encore ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement que voici. Tout ce qui change possède déjà quelque chose du terme vers lequel il change. Car ce qui change, alors même qu’il change, est en partie dans le terme vers lequel il change et en partie dans le terme d’où il est parti dans son changement, ainsi qu’on le prouve au sixième livre des Physiques; ou encore, selon une autre version, ¨ce qui perd quelque chose possède encore quelque chose de ce qui est perdu¨. Et à partir de là on donne à comprendre que dans ce qui est en mouvement, il reste quelque chose du terme d’où est parti le mouvement : car le terme d’où procède le mouvement est rejeté aussi longtemps que la chose est en mouvement; mais il ne pourrait être rejeté si quelque chose de lui ne demeurait pas dans le sujet en mouvement. Et de ce qui devient, nécessairement quelque chose doit déjà exister : car tout ce qui devient devenait, ainsi qu’on le prouve au sixième livre des Physiques. Il est aussi évident que si quelque chose se corrompt, il y a encore quelque chose qui existe car si ce qui est corrompu n’existait absolument plus, il aurait déjà été dans le non-être et n’aurait pu être corrompu. Mais de la même manière, si une chose est engendrée il faut qu’il existe une matière à partir de laquelle elle puisse être engendrée ainsi qu’un agent par lequel elle soit engendrée. Mais pour cela il n’est pas possible de procéder à l’infini car ainsi qu’on l’a prouvé au deuxième livre de ce traité, on ne peut procéder à l’infini ni dans les causes matérielles, ni dans les causes efficientes. Ainsi donc il y a un grand problème à affirmer que rien ne peut être dit de vrai au sujet de l’être mobile : tant parce que dans le sujet qui se meut et qui est engendré il y a quelque chose du terme final que parce que dans toute génération et dans tout mouvement il est nécessaire d’établir quelque chose d’inengendré et d’immobile du côté de la matière et de l’agent.

687. Ensuite lorsqu’il dit [365] : ¨ Mais ces ¨.

   Il présente le troisième raisonnement. Et ce raisonnement les contredit quant à la raison d’où ils tirèrent leur opinion, à savoir que toutes les choses sensibles sont toujours en mouvement. En effet, ils furent poussés à dire cela à partir de ce qu’ils observaient dans les choses sujettes à croissance. Ils voyaient en effet qu’une chose ne croît que selon une faible quantité au cours d’une année et ils croyaient que le mouvement de croissance était continu de telle manière que la quantité selon laquelle tend la croissance se divise proportionnellement aux parties du temps de telle manière que dans chacune des parties il se produisait une augmentation de quantité dont la proportion par rapport à la quantité totale était la même que la proportion d’une partie du temps à la totalité du temps. De là, puisque ce mouvement de croissance est insensible, ils croyaient de même que tout ce qui paraît être au repos se meut d’un mouvement insensible.

688. Il dit donc contre ces philosophes que, mettant de côté ce qui a été dit, il est évident que le mouvement selon la quantité n’est pas identique au mouvement selon la qualité et au mouvement selon la forme. Et bien qu’il leur concède que le mouvement selon la quantité soit continu dans les choses et que toutes les choses qui sont sujettes à ce mouvement se meuvent insensiblement, il n’est cependant pas nécessaire pour cette raison que toutes les choses se meuvent continuellement selon la qualité ou selon la forme. Et ainsi on pourra acquérir une connaissance déterminée des choses car ces dernières sont davantage connues par leur espèce que par leur quantité.

689. Ensuite lorsqu’il dit [366] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le quatrième raisonnement en disant qu’ils méritent d’être corrigés et de subir des reproches, ceux qui ¨pensent ainsi¨, c’est-à-dire ceux qui croient que toutes  les choses sensibles sont toujours en mouvement, pour cette raison qu’elles sont peu nombreuses les choses sensibles qui se trouvent dans cette situation puisqu’il y a de nombreuses choses sensibles qui sont immobiles, du moins pour ce qui est du mouvement local. Il est évident en effet que seuls les êtres sensibles qui nous environnent dans la sphère des êtres actifs et passifs sont soumis à la génération et à la corruption. Mais un tel lieu n’est presque rien en comparaison de tout l’univers. Car toute notre terre ne représente qu’une quantité négligeable si on la compare à la totalité de la sphère céleste. Et c’est pourquoi la terre se compare à cette dernière comme un centre à la circonférence ainsi que les astronomes le prouvent par le fait qu’il y a toujours six signes du zodiaque qui apparaissent au-dessus de la terre, ce qui n’aurait pas lieu si la terre nous cachait une partie du ciel perceptible par le sens. Il fut insensé en effet de juger de toute la nature sensible d’après cette petite partie; il aurait été plus juste de juger de toute la nature sensible d’après la manière d’être des corps célestes qui dépassent de beaucoup les autres corps en quantité.

690. Ensuite lorsqu’il dit [367] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le cinquième raisonnement en disant qu’à l’encontre de cette position il faut encore ajouter ce qui a déjà été dit dans ce même livre, à savoir qu’il existe une ¨nature immobile¨, c’est-à-dire celle du premier moteur, ce qui a été prouvé au huitième livre des Physiques. Et c’est là ce qu’il faut soutenir contre eux et à quoi ils doivent donner leur assentiment, ainsi qu’on l’a montré ailleurs. Et c’est pourquoi il est faux d’affirmer que tout est toujours en mouvement et qu’on ne peut rien dire de vrai au sujet des choses.

691. Ensuite lorsqu’il dit [368] : ¨ Et encore ¨.

   Il présente le sixième raisonnement en disant que cette opinion par laquelle ils affirment que tout est en mouvement contredit leur première opinion, à savoir celle par laquelle ils soutenaient que les contradictoires se vérifient simultanément de la même chose : car si la même chose est et n’est pas simultanément, il s’ensuit davantage que tout devrait être immobile plutôt que tout devrait être en mouvement. En effet, rien ne passe à un état qu’il possède déjà en lui, tout comme ce qui est déjà blanc ne peut passer à la blancheur. Mais s’il arrive à la même chose d’être et de ne pas être simultanément, tout sera dans tout ainsi que nous l’avons prouvé plus haut et toutes les choses n’en seront plus qu’une. Et ainsi il n’y aura plus rien en quoi une chose pourra être changée.

 

 

LECTIO 14

[82257] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 1Hic incipit procedere contra ipsam rationem de veritate apparentium: et circa hoc duo facit. Primo improbat hanc opinionem. Secundo inducit conclusionem intentam, ibi, igitur quia cunctorum. Circa primum duo facit. Primo disputat contra illos, qui praedictam positionem propter aliquam rationem vel dubitationem posuerunt. Secundo contra protervientes, ibi, sunt autem quidam. Circa primum ponit septem rationes. Circa primam sic dicit. Ostensum est, quod non omnia sunt mutabilia, sed de veritate quod non omne apparens sit verum, ista consideranda sunt: quorum primum est quod sensus non est proprie causa falsitatis, sed phantasia, quae non est idem sensui: quasi dicat: diversitas iudiciorum, quae dantur de sensibilibus, non provenit ex sensu, sed ex phantasia, ad quam propter aliquod impedimentum naturae proveniunt deceptiones sensuum. Phantasia autem non est eadem sensui, ut probatur tertio de anima, sed est motus factus a sensu secundum actum. Unde quod ipsi attribuerunt sensui istam diversitatem iudiciorum, per quam unus iudicatur falsum sentire de hoc, de quo alius verum sentit, non convenienter faciunt. Alia translatio melius habet, et primum quidem quia nec sensus falsus proprii est. Sed phantasia non idem est sensui: quasi dicat, quod nullus sensus de proprio obiecto decipitur, sicut visus non decipitur de coloribus. Ex quo patet quod iudicium sensus de sensibili proprio est determinatum. Unde oportet determinatam veritatem esse in rebus.

[82258] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 2Et si obiiciatur quod aliquando etiam circa sensibilia propria error accidit, respondet quod hoc non est ex sensu, sed ex phantasia, per cuius indispositionem aliquando contingit quod id quod per sensum accipitur, aliter ad ipsam perveniat quam sensu percipiatur, sicut patet in phreneticis in quibus organum phantasiae est laesum.

[82259] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 3Deinde cum dicit deinde dignum secundam rationem ponit, circa quam sic dicit. Dignum est admirari si aliqui de hoc quaerunt, vel dubitant, secundum aliam literam, utrum magnitudines tales sint quales videntur a remotis, vel quales videntur a propinquis. Quasi enim per se verum est quod sensus propinquas magnitudines iudicat tales esse quales sunt, remotas autem minores quam sint, quia quod a remotiori videtur, videtur minus, ut in perspectiva probatur.

[82260] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 4Et simile est si quis dubitat utrum colores sint tales quales videntur a remotis, vel quales videntur a propinquis. Constat enim quod virtus agentis quanto plus in remotis porrigitur in agendo, tanto deficientior eius invenitur effectus. Ignis enim minus calefacit quae distant, quam quae sunt propinqua. Unde et color corporis perfecti sensitivi non ita immutat perfecte in remoto ut in propinquo diaphanum. Et propter hoc verius est iudicium sensus de coloribus sensibilibus in propinquo quam in remoto.

[82261] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 5Et simile est etiam si quis dubitat utrum aliqua talia sint qualia videntur sanis, aut qualia videntur laborantibus, idest infirmis. Sani enim habent organa sensuum bene disposita, et ideo species sensibilium in eis recipiuntur prout sunt, et propter hoc verum est iudicium sanorum de sensibilibus. Organa vero infirmorum sunt indisposita. Unde non convenienter immutantur a sensibilibus. Et propter hoc eorum iudicium de eis non est rectum, ut patet in gustu: cuius organum quia in infirmis corruptis humoribus est infectum, ea quae sunt boni saporis eis insipida videntur.

[82262] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 6Et simile iterum est utrum pondera sint ita gravia sicut videntur debilibus, vel sicut videntur robustis. Constat enim quod robusti de ponderibus iudicant secundum quod sunt. Non autem ita est in debilibus in quibus difficultas ad sustinendum pondus, non solum provenit ex magnitudine ponderis, quemadmodum in robustis, sed etiam ex paucitate virtutis. Unde etiam parva pondera eis magna videntur.

[82263] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 7Simile est si aliqui dubitant utrum veritas sic se habeat sicut videtur dormientibus aut sicut videtur vigilantibus. In dormientibus enim ligati sunt sensus, et ita iudicium eorum de sensibilibus non potest esse liberum, sicut est iudicium vigilantium, quorum sensus sunt soluti. Supra autem dictum est quod mirandum est si dubitant, quia ex eorum actibus apparet quod non dubitant, nec existimant omnia praedicta iudicia aequaliter esse vera. Si enim aliquis existens in Lybia in somnis videat se esse Athenis, vel aliquis existens Parisiis videat se esse in Hungaria in somnis, a somno surgens non talia operatur, qualia operaretur si in vigilia hoc percepisset. Iret enim ad Odion, idest ad locum quemdam qui est Athenis, si in vigilia se Athenis esse videret, quod non facit si hoc somniavit. Ergo patet quod putat similiter esse verum, quod videtur dormienti et vigilanti.

[82264] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 8Similiter potest argui de aliis quaestionibus praedictis. Licet enim oretenus de talibus quaerant, tamen de eis in mente non dubitant. Unde patet rationem, esse nullam, qua ponebant omne quod videtur esse verum. Hoc enim ponebant, quia diversarum opinionum non potest accipi quae verior sit, sicut supra dictum est.

[82265] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 9Deinde cum dicit amplius autem tertiam rationem ponit; dicens quod de futuris, sicut Plato dicebat, non similiter est propria, idest principalis firma et vera et digna credi opinio medici, et ignorantis medicinam, sicut de hoc futuro quod est infirmatum sanari vel non sanari. Nam medicus, qui scit causam sanitatis, potest aliqua signa sanitatis futurae praescire, quae nescit artis medicinalis ignarus. Unde patet quod stulta est opinio, qua creditur omnes opiniones aequaliter esse veras.

[82266] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 10Deinde cum dicit amplius autem quartam rationem ponit, quia in sensibilibus non similiter est propria, idest vera et credibilis iudicatio sensus de alieno sensibili, et de proprio. Sicut visus non similiter iudicat de coloribus et gustus. Sed credendum est de coloribus iudicio visus. Et de chymis, idest saporibus, iudicio gustus. Unde si visus iudicet aliquid dulce esse, et gustus percipit idem esse amarum, credendum est magis gustui quam visui.

[82267] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 11Et similiter etiam non est aequalis ponderis iudicium sensus de proprio sensibili, et de eo quod est proprio propinquum. Propinqua autem propriis sensibilibus hic dicuntur sensibilia communia, ut magnitudo, numerus, et huiusmodi, circa quae magis decipitur sensus quam circa sensibilia propria, minus tamen quam circa sensibilia alterius sensus, vel circa ea quae sunt sensibilia per accidens. Et ita patet quod stultum est dicere omnia iudicia aequaliter esse vera.

[82268] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 12Deinde cum dicit quorum unusquisque quintam rationem ponit; dicens, quod nullus sensus in eodem tempore simul dicit circa idem ita se habere et non habere. In eodem enim tempore non dicit visus aliquid esse album et non album, nec bicubitum et non bicubitum, nec dulce et non dulce. Sed quamvis in diversis temporibus videatur iudicium sensus opposita de eodem iudicare, nunquam tamen dubitatio accidit ex iudicio circa passionem ipsam sensibilem, sed circa passionis subiectum, verbi gratia, de eodem subiecto, scilicet vino, gustui quandoque videtur quod est dulce, et quandoque quod non est dulce. Quod provenit vel propter mutationem corporis sensibilis, vel instrumenti quod est infectum amaris humoribus; et sic quicquid gustat ei non dulce videtur; vel propter mutationem ipsius vini. Sed nunquam gustus mutat iudicium suum quin ipsam dulcedinem talem iudicet esse qualem perpendit in dulci, quando iudicavit eam esse dulcem; sed de ipsa dulcedine semper verum dicit, et semper eodem modo. Unde si iudicium sensus est verum, sicut ipsi ponunt, sequitur etiam quod natura dulcis ex necessitate sit talis, et sic aliquid erit determinate verum in rebus. Sequitur etiam quod nunquam affirmatio vel negatio sunt simul vera, quia nunquam sensus simul dicit aliquid esse dulce et non dulce, ut dictum est.

[82269] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 13Deinde cum dicit quamvis et sextam rationem ponit, dicens, quod praedictae rationes omnes vel opiniones sicut auferunt omnia substantialia praedicata, ut supra ostensum est, ita auferunt omnia praedicata necessaria. Sequitur enim quod nihil de altero praedicatur substantialiter aut necessario. Et quod non substantialiter, ex supra dictis patet. Quod autem non necessario, sic probatur. Quia necessarium est, quod non contingit aliter se habere. Si ergo omne quod est, est sic vel aliter, secundum eos qui dicunt contradictoria simul esse vera, et oppositas opiniones, sequetur quod nihil sit necessarium in rebus.

[82270] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 14Deinde cum dicit et ex toto septimam rationem ponit, dicens. Si omne apparens est verum, nec aliquid est verum nisi ex hoc ipso quod est apparens sensui, sequetur quod nihil est nisi inquantum sensibile est in actu. Sed si solum sic aliquid est, scilicet inquantum est sensibile, sequetur quod nihil sit si non erunt sensus. Et per consequens si non erunt animata vel animalia. Hoc autem est impossibile.

[82271] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 15Nam hoc potest esse verum quod sensibilia inquantum sensibilia non sunt, idest si accipiantur prout sunt sensibilia in actu, quod non sunt sine sensibus. Sunt enim sensibilia in actu secundum quod sunt in sensu. Et secundum hoc omne sensibile in actu est quaedam passio sentientis, quae non potest esse si sentientia non sunt. Sed quod ipsa sensibilia quae faciunt hanc passionem in sensu non sint, hoc est impossibile. Quod sic patet. Remoto enim posteriori, non removetur prius: sed res faciens passiones in sensu non est ipsemet sensus, quia sensus non est suimet, sed alterius, quod oportet esse prius sensu naturaliter, sicut movens moto naturaliter est prius. Visus enim non videt se sed colorem.

[82272] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 14 n. 16Et si contra hoc dicatur quod sensibile et sensus sunt relativa adinvicem dicta, et ita simul natura, et interempto uno interimitur aliud; nihilominus sequitur propositum; quia sensibile in potentia non dicitur relative ad sensum quasi ad ipsum referatur, sed quia sensus refertur ad ipsum, ut in quinto huius habetur. Patet igitur quod impossibile est dici quod ex hoc sunt aliqua vera, quia sensui apparent. Quod ponunt illi qui ponunt omnia apparentia esse vera, ut ex praedictis patet.

LEÇON 14.

(nn. 692-707; [369-375]).

 

Il prouve par sept raisonnements que la vérité des choses ne consiste pas dans l’apparence.

 

692. Il commence ici à procéder contre cet argument en faveur de la vérité des apparences : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il réfute cette opinion [369]. En deuxième lieu il tire la conclusion qu’il se proposait de manifester, là [381] où il dit : ¨ Mais parce que de tout ce que nous avons dit ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il argumente contre ceux qui présentèrent l’opinion qui précède à cause d’une raison ou d’une difficulté particulière [369]. En deuxième lieu il argumente contre les impudents, là [376] où il dit : ¨ Mais il y en a certains ¨.

   Au sujet du premier point il présente sept raisonnements. Et dans le premier il dit ceci [369]. On a montré que ce ne sont pas toutes les choses qui sont en mouvement, mais ¨ au sujet de la vérité qui pose que ce n’est pas tout ce qui apparaît vrai qui est vrai ¨, il faut considérer ceci : et d’abord que le sens n’est pas à proprement parler la cause de la fausseté, mais c’est l’imagination qui n’est pas identique au sens; c’est comme s’il disait que la diversité des jugements qu’on porte sur les choses sensibles n’a pas pour cause le sens mais l’imagination à cause de laquelle, en raison d’un défaut de nature, il arrive au sens de se tromper. Mais l’imagination n’est pas identique au sens, ainsi qu’on le prouve au troisième livre de l’Âme, mais elle est un certain mouvement qui résulte du sens en acte. De là, attribuer au sens cette diversité de jugement, par laquelle un tel juge faussement en percevant ceci et un autre juge correctement en percevant la même chose, cela n’est pas juste. Une autre version plus heureuse dit : ¨Et d’abord certes parce que le sens ne se trompe pas sur son objet propre. Mais l’imagination n’est pas le sens¨ : c’est comme s’il disait qu’aucun sens ne se trompe sur son objet propre, comme la vue qui ne se trompe pas sur les couleurs. À partir de là il est évident que le jugement du sens sur son sensible propre est déterminé. D’où il faut qu’il existe une vérité déterminée dans les choses.

693. Et si on objectait que parfois il se produit une erreur même sur les sensibles propres, il faudrait répondre que cela n’origine pas du sens mais de l’imagination par une indisposition de laquelle il arrive parfois que ce qui est reçu par le sens parvient à cette dernière sous une forme différente de celle qui était reçue par le sens, ainsi qu’on le voit chez les frénétiques chez lesquels l’organe de l’imagination est blessé.

694. Ensuite lorsqu’il dit [370] : ¨ Ensuite il est juste ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement dans lequel il dit qu’il est juste de s’étonner de ce que certains ¨ se questionnent ¨ à ce sujet ou ¨ se demandent ¨ d’après une autre version, si les dimensions sont telles qu’elles le paraissent de loin ou si elles sont telles qu’elles le paraissent de près. En effet, le sens juge quasiment comme étant ¨ vrai par soi ¨ que les dimensions qui sont rapprochées sont telles qu’elles sont en réalité alors que celles qui sont éloignées apparaissent comme étant plus petites qu’elles ne le sont réellement, car ce qui est éloigné semble plus petit, ainsi qu’on le vérifie dans la perspective.

695. Et il en serait de même si on se demandait si les couleurs sont vraiment telles qu’elles apparaissent vues de loin ou si elles sont telles qu’elles apparaissent vues de près. Il est évident en effet que la puissance d’un agent est d’autant plus faible à parvenir à son effet qu’elle doive davantage s’étendre de loin pour agir sur lui. Le feu en effet réchauffe moins bien les objets plus éloignés que ceux qui sont plus près. De là la couleur d’un corps parfaitement perceptible ne modifie pas l’air d’une manière aussi parfaite quand il est éloigné que quand il est rapproché. Et c’est pour cette raison que le jugement du sens sur les couleurs sensibles est plus juste à l’égard de ce qui est rapproché qu’à l’égard de ce qui est éloigné.

696. Et il en serait de même encore si on se demandait si les choses sont telles qu’elles apparaissent à ceux qui sont en santé ou si elles ne sont pas plutôt telles qu’elles apparaissent à ¨ceux qui souffrent¨, c’est-à-dire à ceux qui sont malades. Ceux qui sont en santé en effet possèdent des organes des sens qui sont bien disposés et c’est pourquoi les espèces des choses sensibles sont reçues en eux telles qu’elles sont en réalité et c’est pour cette raison que le jugement de ceux qui sont en santé sur les choses sensibles est vrai. D’un autre côté les organes des malades sont mal disposés. C’est pourquoi ils ne sont pas modifiés correctement par les choses sensibles. Et c’est pourquoi le jugement qu’ils portent sur ces dernières n’est pas juste, ainsi qu’on le voit pour le sens du goûter dont l’organe, quand il est vicié par des humeurs corrompues, perçoit ce qui est savoureux comme étant insipide.

697. Et il en serait encore de même si on demandait si les charges possèdent un poids tel qu’il apparaît aux faibles ou tel qu’il apparaît aux forts. Il est évident en effet que les forts jugent des poids tels qu’ils sont. Il n’en est pas de même chez les faibles dont la difficulté qu’ils éprouvent à porter des charges ne provient pas seulement du poids de la charge elle-même, comme c’est le cas chez ceux qui sont forts, mais aussi des limites de leur force. C’est pourquoi les poids qui sont petits leur paraissent considérables.

698. Il en est encore forcément de même si on se demande si la vérité est telle qu’elle apparaît à ceux qui dorment ou telle qu’elle apparaît à ceux qui sont éveillés. Chez ceux qui dorment en effet les sens sont comme liés et ainsi leur jugement sur les choses sensibles ne peut être libre comme l’est le jugement de ceux qui sont éveillés et dont les sens  sont déliés. Mais on dit plus haut qu’il est étonnant de voir ces penseurs se poser de telles questions parce qu’on peut voir à leurs actes qu’ils n’en doutent pas et qu’ils ne croient pas que tous les jugements qui précèdent soient également vrais. Si en effet un résident de Lybie dans son sommeil se voyait à Athènes ou si un résident de Paris rêvait qu’il est en Hongrie, il ne ferait pas au sortir de son sommeil les mêmes choses qu’il aurait faites s’il avait perçu cela dans un état de veille car alors en effet il serait allé à l’Odéon, c’est-à-dire à ce lieu qui est à Athènes si éveillé il se voyait réellement à Athènes, ce qu’il ne fait manifestement pas s’il l’a seulement rêvé. Il est donc évident que cette opinion prétend être également vrai ce qui apparaît à celui qui dort et ce qui apparaît à celui qui est éveillé.

699. Et on pourrait argumenter de la même manière au sujet des autres questions qui précèdent. En effet, bien que par les mots ils se posent de telles questions, ils ne doutent cependant pas dans leur esprit des réponses à ces questions. C’est pourquoi toute leur argumentation, par laquelle ils soutiennent que la vérité se réduit à l’apparence, est nulle. En effet ils croyaient cela parce que selon eux on ne pouvait arriver à distinguer de la multitude des opinions laquelle est plus vraie, ainsi qu’on l’a déjà dit précédemment.

700. Ensuite lorsqu’il dit [371] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le troisième raisonnement en disant qu’en ce qui concerne l’avenir, ainsi que le disait Platon, n’est pas également ¨solide¨, ferme, vraie, et digne de foi l’opinion du médecin et l’opinion de celui qui ignore la médecine pour ce qui est de savoir si le malade retrouvera ou non la santé. Car le médecin, qui connaît la cause de la santé, peut connaître à l’avance certains signes de la santé future qui ne sont pas connus par celui qui ignore l’art de la médecine. D’où il est évident que l’opinion, qui prétend que toutes les opinions sont également vraies, est insensée.

701. Ensuite lorsqu’il dit [372] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le quatrième raisonnement. Pour les choses sensibles, le jugement d’un sens sur un sensible qui lui est étranger n’a pas la même ¨solidité¨, c’est-à-dire la même vérité et la même crédibilité que celle qu’il a sur le sensible qui lui est propre. Par exemple, le jugement que la vue porte sur les saveurs n’a pas la même valeur que celui qu’elle porte sur les couleurs. Mais il faut avoir confiance au jugement de la vue sur les couleurs. ¨ Et au sujet des sucs ¨, c’est-à-dire des saveurs, il faut se fier au jugement du goûter. De là, si la vue jugeait que quelque chose est doux et si le goûter percevait la même chose comme étant amère, il faudrait davantage se fier au goûter qu’à la vue.

702. Et de la même manière encore le jugement d’un sens sur son objet propre n’a pas la même valeur que celui qu’il porte sur un objet voisin de son objet propre. On appelle ici sensibles communs les qualités sensibles qui sont voisines des qualités sensibles propres. Et telles sont par exemple la dimension, le nombre et les qualités de cette sorte, à l’égard desquelles le sens se trompe davantage qu’à l’égard des qualités sensibles qui lui sont propres, mais moins qu’à l’égard des qualités sensibles qui se rapportent à un autre sens ou à l’égard des sensibles par accident. Et ainsi il est insensé de dire que tous les jugements sont également vrais.

703. Ensuite lorsqu’il dit [373] : ¨ Dont aucun ¨.

   Il présente le cinquième raisonnement en disant qu’aucun sens au même moment ne dit par rapport à un même sujet qu’il est à la fois ainsi et pas ainsi. Aucun sens ne nous dit dans le même temps qu’il en est ainsi et qu’il n’en est pas ainsi simultanément pour le même sujet. La vue en effet ne nous dit pas dans le même temps qu’une chose est blanche et qu’elle n’est pas blanche simultanément, ni qu’elle est de deux coudées et qu’elle n’est pas de deux coudées, ni qu’elle est douce et qu’elle n’est pas douce simultanément. Mais bien qu’à des moments différents un même sens semble porter des jugements opposés sur un même sujet, jamais cependant la question ne se pose en raison d’un jugement sur la qualité sensible elle-même, mais en raison d’un jugement sur le sujet qui subit la qualité, en d’autres mots sur le sujet lui-même, à savoir par exemple le vin qui semble parfois doux au goûter et parfois semble ne pas être doux. Et cela se produit soit en raison d’un changement dans le corps sensible ou dans l’organe qui est gâté par une humeur amère et alors tout ce qu’il goûtera ne lui semblera pas doux; - soit en raison d’un changement dans le vin lui-même. Mais jamais le goûter ne modifie son jugement de sorte qu’il juge que la douceur même était telle qu’il l’évalua en tant que telle quand il jugea que la chose était douce; mais sur la douceur elle-même le goûter dit toujours vrai et toujours de la même manière. Mais, ainsi qu’ils le disent eux-mêmes, si le jugement du sens est vrai, il s’ensuit aussi que la nature de la douceur soit nécessairement telle et par conséquent qu’il y aura quelque chose de déterminément vrai dans les choses. Il s’ensuit également que jamais l’affirmation et la négation ne sont simultanément vraies, car jamais le sens ne dit simultanément qu’une chose est douce et qu’elle n’est pas douce, ainsi que nous l’avons dit.

704. Ensuite lorsqu’il dit [374] : ¨ Et bien que ¨.

   Il présente le sixième raisonnement en disant que tous les arguments et toutes les opinions qui précèdent, tout comme elles suppriment toutes les attributions substantielles ainsi que nous l’avons vu,  elles suppriment aussi toutes les attributions nécessaires. Il suit en effet de là que rien n’est attribué à un autre d’une manière substantielle ou nécessaire. Et que rien d’après eux ne puisse être attribué à un autre substantiellement, cela est évident à partir de ce que nous avons vu précédemment. Que rien ne puisse l’être d’une manière nécessaire, il le prouve de la manière suivante. Le nécessaire en effet est ce qui ne peut être autrement. Si donc tout ce qui existe est ainsi et autrement d’après ceux qui soutiennent que les contradictoires sont vraies simultanément, tout comme le sont les opinions qui sont opposées, il s’ensuit alors que rien n’est nécessaire dans les choses.

705. Ensuite lorsqu’il dit [375] : ¨ Et en général ¨.

   Il présente le septième raisonnement en disant que si tout ce qui apparaît est vrai,  et que rien n’est vrai à moins de se manifester aux sens, il s’ensuit alors que rien n’existe à moins d’être perceptible en acte. Mais si une chose ne peut exister que de cette manière, à savoir dans la mesure où elle est perceptible, il s’ensuit alors que rien n’existe s’il n’y a pas de sens. Et par conséquent que rien n’existe s’il n’existe pas d’être animés ou des animaux. Ce qui est manifestement faux.

706. Car il peut être vrai que les choses sensibles, en tant qu’elles sont sensibles, n’existent pas, c’est-à-dire dans la mesure où on les considère comme des sensibles en acte : alors en effet elles n’existent pas sans les sens. Le sensible en acte en effet est ce qui existe dans le sens. Et conformément à cette définition tout sensible en acte est une passion de celui qui sent, laquelle ne peut avoir lieu s’il n’existe pas un sujet capable de sentir. Mais que les choses sensibles elles-mêmes qui rendent cette passion possible dans le sens n’existent pas, cela est impossible. Ce qui devient évident de la manière suivante. En effet, si on supprime ce qui est postérieur, l’antérieur ne se trouve pas à disparaître du même coup : mais la chose qui cause la passion dans le sens n’est pas le sens lui-même, car la sensation n’est pas la sensation d’elle-même mais de quelque chose d’autre qui doit naturellement être antérieur à la sensation, tout comme le moteur est naturellement antérieur à ce qui est mû. En effet, ce n’est pas elle-même que la vue voit mais la couleur.

707. Et si on répond à cela que le sensible et le sens sont relatifs l’un à l’autre et par nature simultanés et que si l’un disparaît l’autre aussi, néanmoins notre propos tient toujours car le sensible en puissance ne se dit pas relativement au sens comme s’il se rapportait à lui comme à quelque chose de premier, mais plutôt parce que le sens s’attribue à lui ainsi qu’on l’établit au cinquième livre de ce traité. Il est donc évident qu’on ne peut dire à partir de là que quelque chose est vrai du seul fait que cela est apparu aux sens, ce que prétendent ceux qui affirment que tout ce qui apparaît aux sens est vrai, ainsi que nous l’avons vu précédemment.

 

 

LECTIO 15

[82273] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 1Disputat contra illos, qui praedictam rationem non ex ratione, sed ex pertinacia susceperunt: et circa hoc duo facit. Primo ponit qualiter isti moventur ad hanc opinionem ponendam. Secundo ostendit qualiter est resistendum, ibi, qui vero vim in solo verbo et cetera. Dicit ergo primo, quod praeter praedictos qui in praedictam opinionem ex quibusdam dubitationibus inciderunt, sunt aliqui qui interrogant persuasos in his, scilicet opinionibus, idest deceptos, ut eos in deceptione detineant, et has solas rationes habent ad suam opinionem confirmandam. Alia translatio habet: sunt autem quidam qui deficiunt sive dubitant huiusmodi persuasorum has rationes solum dicentium. Et est sensus, quia quidam deceptorum, qui praedictam opinionem tenent, has solas dubitationes tenent, et his rationibus utuntur, quae infra dicentur. Si enim dicatur eis quod inter contrarias opiniones credendum est magis sanis quam infirmis, et sapientibus quam ignorantibus, et vigilantibus quam dormientibus, ipsi iterato quaerunt quomodo possit diiudicari sanus per certitudinem ab infirmo, et vigilans a dormiente, et sapiens a stulto: et breviter in omnibus diversitatibus opinionum quomodo potest discerni quis illorum iudicat recte in omnibus, cum quibusdam videatur aliquis esse sapiens qui aliis videtur stultus, et sic de aliis.

[82274] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 2Sed istae dubitationes stultae sunt. Similes enim sunt illi dubitationi, qua dubitatur, utrum nunc dormiamus, an vigilemus. Horum enim omnium distinctio per se non est. Omnes autem dubitationes praedictae idem valent, quia ex eadem radice procedunt. Volunt enim isti sophistae quod omnium possent accipi rationes demonstrativae. Patet enim quod ipsi quaerebant accipere aliquod principium, quod esset eis quasi regula ad discernendum inter infirmum et sanum, inter vigilantem et dormientem. Nec erant contenti istam regulam qualitercumque scire, sed eam volebant per demonstrationem accipere. Ergo quod ipsi decepti sunt, manifestum est in eorum actibus secundum quod diximus. Ex quibus apparet quod positio eorum sit falsa. Nam si aequaliter efficax esset iudicium dormientis et vigilantis, eadem sequerentur in actibus hominum ex utroque iudicio; quod patet esse falsum. Alia litera habet: quandoque vero quod non persuasi sunt: et est sententia convenientior praemissis. Ipsi enim licet hoc ponant et oretenus quaerant, non tamen mente in hoc decipiuntur quod credant similiter esse verum iudicium dormientis et vigilantis; quod ex eorum actibus patet, ut dictum est.

[82275] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 3Sed quamvis non sint decepti ut in hoc dubitent, haec tamen est passio eorum, idest infirmitas mentis quod quaerunt rationem demonstrativam eorum quorum non est demonstratio. Nam principium demonstrationis non est demonstratio, idest de eo demonstratio esse non potest. Et hoc est eis facile ad credendum, quia non est hoc difficile sumere etiam per demonstrationem. Ratio enim demonstrativa probat quod non omnia demonstrari possunt, quia sic esset abire in infinitum.

[82276] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 4Deinde cum dicit qui vero disputat contra istos, vel contra alios, qui nec hac ratione moventur ad ponendum omnia apparentia esse vera, quia non potest per demonstrationem accipi regula, per quam certitudinaliter possit discerni inter iudicantes vere et non vere, sed solum ex quadam protervia rationem praedictam ponunt. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod tales protervientes tendant ducere ad impossibile. Secundo qualiter resistendum est eis apparenter, ibi, verum si non omnia. Tertio qualiter eis obviandum est secundum veritatem, ibi, et sicut praedictum est et cetera. Dicit ergo primo, quod illi qui quaerunt vim in solo verbo, idest qui non moventur ex aliqua ratione, nec propter difficultatem alicuius dubitationis, nec propter defectum demonstrationis, sed solum verbis innituntur, et credunt quod omnia possunt dicere quae improbari non possunt, isti tales quaerunt ducere ad aliquod impossibile. Volunt enim ad hoc ducere, quod contraria sint simul vera, per hoc quod omnia apparentia sunt vera.

[82277] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 5Deinde cum dicit verum si docet ex eorum positione eis resistere, et praedictum inconveniens evitare; dicens, quod nisi ponantur omnia quae sunt esse ad aliquod, non potest dici, quod omne apparens sit verum. Si enim sunt quaedam in rebus, quae secundum se habent esse absolutum, non per relationis sensum vel opinionem, non idem erit eis esse quod apparere: hoc enim dicit relationem ad sensum vel opinionem, quia apparens alicui apparet. Et ita oportebit quod non apparens sit verum. Patet igitur quod quicumque dicit omnia apparentia esse vera, facit omnia entia esse ad aliquid, scilicet in respectu ad opinionem vel sensum. Et ideo contra praedictos sophistas, qui quaerunt vim in oratione, si aliquis dignetur eis dare orationem, idest concedere hanc positionem, quam ipsi ponunt, custodiendum sive observandum est eis ne deducantur ad concedendum contradictoria simul esse vera; quia non est dicendum absolute quod omne apparens est verum; sed quod apparet, est verum cui apparet, et quantum apparet, et quando apparet et sicut apparet: hoc enim licitum erat nobis apponere, ex quo res non habent esse absolutum, sed relativum tantum.

[82278] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 6Ideo autem hoc observandum est volentibus hanc positionem concedere, quia si aliquis concedat eis quod omne apparens est verum, et ita non concedat cum praedictis determinationibus, sicut dictum est, sequeretur quod statim dicat contraria simul esse vera. Contingit enim quod idem secundum visum videtur mel propter similem colorem mellis, et secundum gustum non mel propter dissimilem saporem. Et similiter cum duo oculi sint dissimiles, non eadem est visio quae fit per utrumque oculum, vel non eadem videntur utrique visui qui fit per utrumque oculum. Ut si pupilla unius oculi infecta sit aliquo grosso vel nigro vapore, alia vero pura, videbuntur per oculum infectum omnia nigra vel obscura, per alium autem non. Ideo autem dico hoc esse custodiendum vel observandum, quia hoc est necessarium apud praedictos sophistas, qui dicunt ex causis praedictis omne apparens esse verum.

[82279] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 7Et ex hoc sequi potest, quod omnia similiter sunt vera et falsa, propter hoc quod non omnibus eadem apparent, nec etiam eadem ad seipsum, cum multoties idem homo secundum idem tempus iudicet contraria secundum diversos sensus. Sicut visus iudicat esse unum, quod tactus iudicat esse duo propter variationem digitorum, qua contingit quod idem tangibile per diversa instrumenta tangibilia, scilicet tactus per diversos digitos, ad vim tactivam pervenit ac si essent duo tangibilia. Nullatenus autem eidem homini secundum eumdem sensum similiter et in eodem tempore, videtur quod hoc sit verum, scilicet contraria simul esse.

[82280] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 8Ideo autem forsan est necessarium sic respondere praedictis sophistis, qui dicunt non propter dubitationem sed orationis causa, quasi ex protervia ipsam orationem propter seipsam concedentibus, quia hoc non est verum simpliciter, sed huic verum. Ex hoc enim non sequitur contradictoria simul esse vera. Esse enim huic verum, et non esse verum illi, non est contradictorium.

[82281] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 9Deinde cum dicit et sicut docet resistere sophistis praedictis secundum veritatem, et non solum ad hominem; scilicet non concedendo falsam opinionem, quam ipsi ponunt. Et hoc duabus rationibus: quarum prima sic dicit. Sicut dictum est prius, si omne apparens est verum, necesse est facere omnia ad aliquid, scilicet ad opinionem et sensum. Et ex hoc sequitur hoc inconveniens quod nihil sit, nec fiat, nullo opinante. Si autem hoc falsum est, quia multa sunt et fiunt de quibus nulla est opinio vel cognitio, sicut quae sunt in profundo maris vel in visceribus terrae, manifestum est quod non omnia sunt ad aliquid, idest ad opinionem et sensum. Et ita non omne apparens est verum.

[82282] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 10Deinde cum dicit amplius si ponit secundam rationem, dicens, quod unum non refertur nisi ad unum; et non ad quodcumque unum, sed ad unum determinatum. Sicut patet quod sint idem subiecto dimidium et aequale; non tamen ad aequale dicitur duplum, sed magis ad dimidium. Aequale vero dicetur ad aequale. Et similiter si ipse homo qui est opinans sit etiam opinatus, non refertur homo ad opinans inquantum est opinans, sed inquantum est opinatus. Si igitur omnia entia inquantum sunt huiusmodi, referuntur ad opinans inquantum opinans est, sequetur quod hoc quod dico opinans non sit unum, cum ad unum non referatur nisi unum, sed infinita secundum speciem, cum infinita referantur ad ipsum; quod est impossibile. Unde non potest dici quod omnia relative dicantur ad opinans, nec per consequens quod omne apparens vel opinans sit verum.

[82283] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 11Deinde cum dicit igitur quia concludit conclusionem suam intentam: et circa hoc duo facit. Primo ponit ipsam principalem conclusionem. Secundo inducit quoddam corollarium ex ea, ibi, si igitur impossibile. Dicit ergo primo, quod ex praedictis patet, quod inter omnes opiniones vel sententias ista est firmissima, qua dicitur oppositas dictiones sive propositiones sive contradictiones non simul esse veras. Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras, et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum.

[82284] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 15 n. 12Deinde cum dicit quoniam autem concludit corollarium, dicens, ex dictis, quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem, manifestum est, quod nec etiam contraria eidem inesse possunt; quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio, quam in aliis oppositis, licet utrumque contrariorum sit natura aliqua; quod non est in affirmatione et negatione, vel in privatione et habitu. Alterum enim eorum est imperfectum respectu alterius, sicut nigrum respectu albi, et amarum respectu dulcis. Et sic habet privationem quamdam adiunctam. Privatio autem est aliqua negatio substantiae, idest in aliquo subiecto determinato. Et est etiam ab aliquo genere determinato. Est enim negatio infra genus. Non enim omne non videns dicitur caecum, sed solum in genere videntium. Sic igitur patet quod contrarium includit privationem, et privatio est quaedam negatio. Si igitur impossibile est simul affirmare et negare, impossibile est contraria simul inesse eidem simpliciter, sed vel ambo insunt quo, idest secundum aliquid, sicut quando utrumque in potentia vel secundum partem, vel unum secundum quid et alterum simpliciter: sicut quando unum est in actu et alterum est in potentia; vel unum secundum plures et principaliores partes, alterum tantum secundum aliquam partem, sicut Aethiops est niger simpliciter et albus dente.

LEÇON 15.

(nn. 708-719; [376-382]).

 

Il triomphe de ceux qui, par un entêtement de leur esprit, crurent que les contradictoires se vérifient simultanément à partir des apparences; et il maintient de plus qu’il est impossible que les contraires existent simultanément dans un même sujet.

 

708. Il argumente contre ceux qui soutiennent l’argumentation précédente non pas parce qu’ils s’appuient sur des raisons mais par pur entêtement : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre comment ces derniers ont été poussés à soutenir cette position [376]. En deuxième lieu il montre comment il faut y résister, là [377] où il dit : ¨ Ceux qui ne recherchent la puissance que dans les seuls mots etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [376] qu’indépendamment de ceux qui sont tombés dans cette opinion en raison de certaines difficultés, il y a ceux qui interrogent, ¨ ceux qui sont persuadés de cela ¨, c’est-à-dire de ces opinions, à savoir ceux qui se trompent, afin de les maintenir dans ces erreurs, et n’ont que ces seules raisons pour confirmer leur opinion. Une autre version dit : ¨ Mais il y en a d’autres, parmi ceux qui sont persuadés de cette doctrine, qui ne s’interrogent sur ces questions que pour les seules raisons suivantes¨. Et le sens en est que parmi ceux qui sont tombés dans ces erreurs et qui soutiennent l’opinion précédente, il y a ceux qui ne s’intéressent qu’à ces seules questions et qui ne se servent que des seules raisons que nous sommes sur le point de présenter. Si on leur dit en effet que parmi les opinions qui sont opposées il faut davantage adhérer à celles de l’homme en santé qu’à celles de l’homme malade, à celles des sages plutôt qu’à celles des ignorants, à celles de ceux qui sont éveillés qu’à celles de ceux qui dorment, eux-mêmes demandent encore comment on peut arriver à discerner avec certitude l’homme sain de celui qui est malade, celui qui est éveillé de celui qui dort, et le sage de l’insensé : et, en bref, pour toutes les opinions opposées, comment il est possible de distinguer celui qui, parmi tous les autres, juge correctement de toutes ces questions, puisqu’à certains un tel paraît sage qui à d’autres paraît insensé. Et il en est de même pour toutes les questions.

709. Mais toutes ces questions sont insensées. Elles sont semblables à celles qu’on pose quand on se demande si dans le moment présent nous dormons ou si nous sommes éveillés. Il n’y a pas de différence essentielle entre ces questions et elles ont toutes la même valeur puisqu’elles procèdent toutes d’une racine commune. Ces sophistes en effet voudraient qu’on puisse découvrir les raisons de tout par mode de démonstration. Il est évident en effet qu’ils cherchaient à acquérir un principe qui leur serait comme une règle pour arriver à discerner le malade de celui qui est en santé, celui qui dort de celui qui est éveillé. Et ils ne voulaient pas se satisfaire de posséder cette règle d’une manière quelconque, ils désiraient encore l’acquérir par voie de démonstration. Donc, qu’ils tombèrent dans l’erreur, cela est évident si on compare leurs paroles à leurs actions, ainsi que nous l’avons dit. À partir d’elles en effet leur position apparaît comme étant fausse. Car si le jugement de celui qui dort avait la même valeur que le jugement de celui qui est éveillé, on verrait découler de ces deux jugements des effets semblables dans les actes des hommes, ce qui est évidemment faux. Un autre document nous dit : ¨ D’un autre côté il arrive parfois qu’ils ne soient pas convaincus ¨. Et cette version est plus juste que celles qui précèdent. Bien qu’eux-mêmes en effet soutiennent et revendiquent cela par la parole, ils n’arrivent cependant pas à tromper leur esprit car ils ne croient pas vraiment que le jugement de celui qui dort est semblable au jugement de celui qui est éveillé, ainsi qu’on peut le voir à leurs actions qui contredisent leurs paroles, comme nous l’avons déjà dit.

710. Et bien qu’ils ne se trompent pas dans le fait de poser ces questions, cela ¨est pour eux comme une maladie¨, c’est-à-dire une fragilité d’esprit de rechercher une raison démonstrative pour ce qui ne peut être démontré. Car ¨pour le principe de la démonstration il n’y a pas de démonstration¨, c’est-à-dire qu’on ne peut arriver à démontrer ce principe. Et cela leur serait facile à comprendre car cela n’est pas difficile à conclure même par voie de démonstration. En effet la raison démonstrative arrive à prouver que ce n’est pas tout qui est objet de démonstration car autrement il faudrait procéder à l’infini dans les principes.

711. Ensuite lorsqu’il dit [377] : ¨ Ceux qui d’un autre côté ¨.

   Il argumente contre ceux qui, contrairement aux autres, ne sont pas poussés à affirmer que tout ce qui apparaît est vrai pour cette raison qu’on ne peut acquérir par démonstration une règle par laquelle on pourrait discerner avec certitude ceux dont le jugement est vrai de ceux dont le jugement est faux, mais qui soutiennent cette opinion par pure impudence.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il montre que de tels impudents recherchent l’impossible [377]. En deuxième lieu il montre comment il faut leur résister selon les apparences, là [378] où il dit : ¨ Mais en vérité si tout n’est pas  etc.¨. En troisième lieu comment il faut s’opposer à eux selon la vérité, là [379] où il dit : ¨ Et ainsi qu’on l’a dit précédemment etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [377] que ceux qui recherchent ¨ la force dans les seuls mots ¨, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas mus par une raison ni par une difficulté se rapportant à une question, ni en raison d’un défaut de démonstration mais qui s’appuient seulement sur la force des mots et qui croient qu’on peut soutenir tout ce qui ne peut être réfuté, cherchent à marcher vers quelque chose d’impossible. Ils veulent en effet arriver à affirmer que les contraires sont simultanément vrais en soutenant ceci, à savoir que tout ce qui apparaît est vrai.

712. Ensuite lorsqu’il dit [378] : ¨ Mais si est vrai ¨.

   Il enseigne que c’est à partir de leur position qu’il faut s’opposer à eux et éviter la difficulté qui précède en disant qu’on ne peut soutenir que tout ce qui apparaît est vrai à moins d’affirmer que tout ce qui existe est relatif. En effet, si parmi les êtres il y en a certains qui possèdent par eux-mêmes une existence absolue et non seulement par rapport au sens ou à l’opinion, chez eux l’existence ne sera pas identique à l’apparence : cette dernière en effet implique une relation au sens ou à l’opinion car est apparent ce qui apparaît à quelqu’un. Et selon cette hypothèse, il faudra que ce qui n’est pas apparent soit vrai. Il est donc évident que celui qui dit que tout ce qui apparaît est vrai rend tous les êtres relatifs, c’est-à-dire que tout se rapporte au sens ou à l’opinion. Et c’est pourquoi à l'égard de ces sophistes qui recherchent la puissance par le discours, si on daigne leur ¨accorder ce langage¨, c’est-à-dire si on leur concède cette position qu’eux-mêmes soutiennent, il faut aussi se garder d’eux et les avoir à l’œil afin de ne pas être amené à leur concéder que les contradictoires sont vraies simultanément; car il ne faut pas accorder d’une manière absolue que tout ce qui apparaît est vrai mais plutôt que ce qui apparaît être tel est vrai pour celui à qui la chose apparaît ainsi, dans la mesure où elle lui apparaît, quand elle lui apparaît et comme elle lui apparaît : il nous était permis en effet d’ajouter ces précisions qui font que les choses ne possèdent pas une existence absolue mais seulement une existence relative.

713. Et c’est pourquoi cela doit être pris en considération par ceux qui veulent concéder cette position car si on leur concède que tout ce qui apparaît est vrai et qu’on le leur concède sans ajouter les limites qui précèdent telles que nous les avons présentées, il en résultera aussitôt qu’on devra aussi concéder que les contraires sont simultanément vrais. Il arrive en effet que la même chose paraisse être du miel à la vue à cause d’une ressemblance de couleur avec le miel, et qu’au goûter elle ne paraisse pas être du miel à cause d’une différence de saveur. Et de la même manière puisque les deux yeux sont différents, la vision qui a lieu par les deux yeux n’est pas la même, ou ce ne sont pas les mêmes choses qui apparaissent dans les deux visions qui procèdent respectivement de l’un et de l’autre œil. Par exemple, si la pupille d’un œil est gâtée par une fumée épaisse et noire alors que l’autre demeure propre, tout paraîtra noir et obscur à l’œil infecté mais non à l’œil qui est resté intact. Et c’est pourquoi je dis qu’il faut être sur ses gardes et être attentif à ces nuances lorsqu’on s’adresse aux sophistes dont on vient de parler et qui prétendent pour les raisons qui précèdent que tout ce qui apparaît est vrai.

714. Et à partir de là il peut suivre que toutes les choses sont vraisemblablement vraies et fausses puisqu’elles n’apparaissent pas à tous de la même manière et qu’il en est ainsi même par rapport à soi-même, puisqu’il arrive souvent qu’au même homme les choses apparaissent contraires dans le même temps selon des sens différents, tout comme la vue juge comme étant un ce que le toucher juge comme étant deux quand les doigts sont croisés, par quoi il arrive que le même objet tactile, par des instruments du toucher qui sont différents, à savoir le toucher au moyen de doigts différents, parvienne à la puissance tactile comme s’il s’agissait de deux objets tactiles différents. Mais il ne peut aucunement arriver chez le même homme selon le même sens, dans le même temps et de la même manière que cela soit vrai, à savoir que les contraires soient vraies en même temps.

715. Mais c’est pourquoi il est peut-être nécessaire de répondre à ces sophistes, qui parlent non en raison d’une difficulté à résoudre, mais pour le seul plaisir de parler, et qui accordent ce discours pour lui-même par impudence, que cela n’est pas vrai purement et simplement, à savoir que tout ce qui apparaît est vrai, mais seulement pour tel individu. Et de là en effet il ne s’ensuit pas que les contradictoires soient vraies simultanément. En effet, que cela soit vrai pour un tel mais non pour tel autre, cela n’est pas contradictoire.

716. Ensuite lorsqu’il dit [379] : ¨ Et tout comme ¨.

   Il montre comment il faut s’opposer à ces sophistes en s’appuyant sur la vérité et non seulement en cherchant à réfuter une position fausse établie par eux et qu’on aurait d’abord concédée. Et il le fait au moyen de deux raisonnements, dont le premier se présente ainsi. Comme on l’a dit précédemment, si tout ce qui apparaît est vrai, il est nécessaire que ¨ tout soit rendu relatif ¨, c’est-à-dire que tout dépendra de l’opinion et du sens. Et de là découle cet inconvénient que rien n’existe et rien n’existera si personne n’y pense. Mais si cela est faux, car nombreuses sont les choses qui existent et qui sont engendrées sur lesquelles personne ne s’est formé une opinion ou une pensée, comme celles qui existent dans les abîmes de la mer ou dans les profondeurs de la terre, il est manifeste que tout n’est pas relatif, c’est-à-dire que tout ne se rapporte pas à l’opinion et au sens et par conséquent que ce n’est pas tout ce qui apparaît qui est vrai.

717. Ensuite lorsqu’il dit [380] : ¨ Si en outre ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement en disant que l’un ne se rapporte qu’à l’un et non à n’importe quel un, mais à l’un qui est déterminé. C’est ce qu’on voit lorsqu’un même sujet est à la fois la moitié et l’égal. Cependant le double ne se dit pas relativement à ce qui est égal, mais plutôt à ce qui est la moitié. Et on dit qu’une chose est égale relativement à une autre qui lui est égale. Et de même si l’homme qui est en train de penser est aussi l’objet de la pensée, l’homme n’est pas le relatif du sujet pensant dans la mesure où il est en train de penser, mais dans la mesure où il est l’objet de la pensée. Si donc tous les êtres en tant que tels n’existent que relativement à un sujet pensant en tant qu’il pense, il s’ensuit que ce que j’appelle le sujet pensant ne sera pas un puisqu’à l’un ne se rapporte que l’un, mais il sera infini selon l’espèce puisqu’à lui se rapportent une infinité de choses spécifiquement différentes. Mais cette conséquence est impossible. De là on ne peut dire que tout soit relatif à l’opinion ou à la pensée ni par conséquent que tout ce qui apparaît et est pensé est vrai.

718. Ensuite lorsqu’il dit [381] : ¨ Donc parce que ¨.

   Il termine par la conclusion qu’il se proposait; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente la conclusion principale elle-même. En deuxième lieu il tire d’elle un corollaire [382] là où il dit : ¨ Si donc il est impossible ¨.

   Il dit donc en premier lieu [381] qu’il est évident à partir de ce qui vient d’être dit que parmi toutes les positions, la plus ferme est la suivante, à savoir celle par laquelle on dit que les énoncés ou les propositions qui s’opposent, ou encore les contradictoires, ne peuvent être vrais en même temps. Et aussi nous avons souligné les inconvénients qui résultent de la position qui prétend qu’ils sont simultanément vrais tout comme nous avons relevé la cause à partir de laquelle ils ont été poussés à présenter une telle opinion.

719. Ensuite lorsqu’il dit [382] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il tire de là un corollaire en disant qu’à partir de ce qui a été dit, à savoir qu’il est impossible que les contradictoires se vérifient simultanément d’un même sujet, il est évident aussi que les contraires ne peuvent appartenir simultanément au même sujet; car il est évident que dans les contraires, l’un des deux n’est pas moins la privation de l’autre que dans les autres opposés, bien que chacun des contraires soit une nature déterminée, ce qui n’est pas le cas pour l’affirmation et la négation ni pour la privation et l’habitus qui lui correspond. L’un d’eux en effet se trouve dans un rapport d’imperfection par rapport à l’autre, comme le noir par rapport au blanc et l’amer par rapport au doux. Et ainsi il y a une privation qui se rattache à lui. Mais la privation est ¨une négation dans la substance¨, c’est-à-dire dans un sujet déterminé et aussi dans un genre déterminé. La privation en effet est une négation qui se trouve à être comme subordonnée à un genre. En effet, ce n’est pas tout non-voyant qu’on appelle aveugle, mais seulement celui qui se situe dans le genre des voyants. Ainsi donc il est évident que le contraire implique une privation et que la privation est une certaine négation. Si donc il est impossible à la fois d’affirmer et de nier, il est impossible aux contraires d’appartenir simultanément au même sujet à parler absolument, mais plutôt, ou bien ¨ les deux appartiennent au sujet selon ¨ un certain rapport, comme lorsque les deux contraires lui appartiennent en puissance ou selon une partie, ou bien un des contraires appartient au sujet sous un certain rapport et l’autre lui appartient absolument, comme lorsque l’un des deux s’y trouve en acte et que l’autre s’y trouve en puissance; ou bien encore un des contraires appartient au sujet selon plusieurs ou les plus importantes parties alors que l’autre lui appartient seulement selon une partie, tout comme l’Éthiopien est noir à parler absolument, mais a des dents blanches.

 

 

LECTIO 16

[82285] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 1Postquam disputavit contra ponentes contradictoria simul esse vera, hic disputat contra ponentes esse medium inter contradictionem: hi enim dicunt non semper alteram partem contradictionis esse veram. Et circa hoc duo facit. Primo disputat contra ipsam positionem. Secundo contra quasdam alias quaestiones inopinabiles, hanc et superiorem positionem comitantes, ibi, his autem definitis. Circa primum duo facit. Primo ponit rationes contra dictam positionem. Secundo ostendit causam, quare aliqui moti sunt ad positionem illam ponendam, ibi, evenit autem quibusdam et cetera. Circa primum ponit septem rationes: dicens primo, quod sicut contradictoria non possunt simul esse vera, ita nec potest esse medium inter contradictionem; sed de unoquoque necessarium est aut affirmare aut negare.

[82286] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 2Et hoc manifestum est primo ex definitione veri vel falsi: non enim aliud est magis falsum quam dicere non esse quod est, aut esse quod non est. Et nihil aliud est magis verum quam dicere esse quod est, aut non esse quod non est. Patet igitur, quod quicumque dicit aliquid esse, aut dicit verum, aut dicit falsum: si dicit verum, oportet ita esse, quia verum est esse quod est. Si dicit falsum, oportet illud non esse, quia falsum nihil aliud est quam non esse quod est. Et similiter si dicit hoc non esse, si dicit falsum, oportet esse; si verum, oportet non esse; ergo de necessitate aut affirmativa aut negativa est vera. Sed ille, qui ponit medium inter contradictionem, non dicit quod necesse sit dicere de ente esse vel non esse, neque quod necesse sit de non ente. Et ita nec affirmans nec negans, de necessitate dicit verum vel falsum.

[82287] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 3Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ponit; quae talis est. Medium inter duo aliqua accipi potest uno modo vel participatione utriusque extremi, quod est medium in eodem genere, sicut viride vel pallidum inter album et nigrum. Alio modo per abnegationem, quod etiam est diversum in genere, sicut inter hominem et equum, quod nec est homo, nec est equus, ut lapis. Si ergo inter contradictoria est medium, aut hoc erit primo modo, aut secundo:

[82288] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 4Si secundo modo, tunc nihil permutatur: quod sic patet. Omnis enim permutatio est ex non bono in bonum, aut ex bono in non bonum. Quare etiam cum est mutatio inter contraria, ut inter album et nigrum, est mutatio inter contradictorie opposita. Nam nigrum est non album, ut ex praedictis patet. Secundum autem praedicta non posset fieri mutatio ex non bono in bonum, vel e converso: ergo nulla esset mutatio: cum tamen semper hoc appareat vel videatur, quod ex non bono in bonum fiat mutatio, vel e converso. Quod autem omnis talis mutatio tollatur ex praedicta positione facta, sic patet. Non enim potest esse mutatio nisi inter contraria et media quae sunt unius generis: nec potest esse mutatio de uno extremo in alterum nisi per medium. Si igitur est medium inter contradictoria per abnegationem, idest alterius generis, nulla poterit esse mutatio de extremo in medium, et ita per consequens de extremo in extremum.

[82289] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 5Si autem primo modo, scilicet quod sit medium in contradictione quasi eiusdem generis, participatione utriusque, sicut pallidum inter album et nigrum, sequitur hoc inconveniens, quod sit aliqua generatio quae terminetur ad album, et non fiat ex non albo; quia ad unum extremum non tantum fit mutatio ex alio extremo, sed etiam ex medio. Hoc autem non videtur esse verum, scilicet quod sit aliqua generatio terminata ad album quae non fiat ex non albo. Et sic patet quod nullo modo potest esse medium in contradictione.

[82290] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 6Deinde cum dicit amplius omne tertiam rationem ponit, quae talis est. Intellectus in omni conceptione sua, qua sentit et intelligit, aut affirmat aliquid aut negat. Ex definitione autem veri et falsi apparet quod sive aliquis affirmet sive neget, oportet ut verum dicat, aut mentiatur: quia quando intellectus sic componit vel affirmando vel negando sicut est in re, dicit; quando autem non sic, mentitur. Et ita patet quod semper oportet quod sit vera vel affirmatio vel negatio; quia oportet quod aliqua opinio sit vera, et omnis opinio affirmatio est vel negatio: unde oportet quod semper affirmatio vel negatio sit vera: et sic non est medium in contradictione.

[82291] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 7Deinde cum dicit amplius autem quartam rationem ponit, quae talis est. Si in contradictione ponatur medium, oportet hoc in omnibus contradictionibus dicere, quod scilicet praeter omnes contradictiones sit aliquid verum quod est medium inter eas, nisi hoc dicat aliquis orationis causa, idest absque omni ratione, solum quia placet ei ita dicere. Sed hoc non potest verum esse in omnibus, quia verum et non verum sunt contradictoria quaedam. Et ita sequeretur quod aliquis esset, qui nec verum diceret, nec non verum. Cuius contrarium patuit ex definitione veri et falsi.

[82292] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 8Similiter, cum ens et non ens sint contradictoria, sequitur quod aliquid sit praeter ens et non ens. Et ita erit quaedam transmutatio praeter generationem et corruptionem. Nam generatio est transmutatio ad esse, et corruptio ad non esse; ergo in nulla contradictione erit medium.

[82293] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 9Deinde cum dicit amplius in quintam rationem ponit, dicens, quod negatio in quibusdam generibus inest loco contrariae differentiae. Vel secundum aliam literam negatio implet contrarium, quia alterum contrariorum, quae necesse est esse in eodem genere, ex negatione rationem habet; sicut patet de pari et impari, iusto et iniusto. Si igitur inter affirmationem et negationem esset aliquod medium, in omnibus istis contrariis esset aliquod medium, cum affirmationem et negationem manifeste sequantur. Sicut in numero si esset aliquis numerus qui nec esset par nec impar. Hoc autem patet esse impossibile ex definitione paris et imparis. Nam par est quod potest dividi in aequalia. Impar vero quod non potest. Relinquitur ergo quod inter affirmationem et negationem non potest esse medium.

[82294] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 10Deinde cum dicit amplius in sextam rationem ponit, quae talis est. Ponentes aliquid medium inter affirmationem et negationem, ponunt aliquod tertium praeter illa duo, quae ponunt omnes communiter, dicentes nihil inter ea esse medium. Tria autem ad duo se habent in hemiolia, idest in sesquialtera proportione. Secundum igitur opinionem eorum qui ponunt inter affirmationem et negationem medium, in primo aspectu apparet quod omnia erunt hemiolia, idest in sesquialtera proportione ad ea quae ponuntur; quia non solum erunt affirmationes et negationes, sed etiam media. Non solum autem hoc sequetur, sed etiam quod sint in infinitum plura. Constat enim quod omne quod contingit affirmare, contingit negare. Contingit autem affirmare haec tria esse, scilicet affirmationem, negationem, et medium; ergo contingit ista tria negare. Et sicut negatio est aliud ab affirmatione, ita aliud erit quoddam quartum praeter tria praedicta. Erit enim eius substantia et ratio alia a praedictis, sicut et negationis alia ab affirmatione. Item ista quatuor contingit negare, et horum negatio erit verum, et sic in infinitum. Erunt igitur plura in infinitum quam modo ponantur. Quod videtur inconveniens.

[82295] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 11Deinde cum dicit amplius quando septimam rationem ponit, quae talis est. Si quis interrogaret utrum homo vel aliquid aliud sit album, oportet quod respondens vel assentiat vel non assentiat: et si assentiat, planum est quod dicit affirmationem esse veram; si autem non assentiat respondendo non, constat quod negat. Nec negat aliquid aliud quam illud quod ille interrogavit; et ipsa negatio est non esse, quia negativa. Relinquitur igitur, quod respondens ad quaestionem, vel necesse habet concedere affirmationem, vel proferre negativam; et ita inter haec duo non est medium.

[82296] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 12Deinde cum dicit evenit autem ostendit causam quare quidam in hanc opinionem incidunt: et circa hoc tria facit. Primo enim ostendit quare quidam hanc opinionem posuerunt. Secundo modum disputandi contra eos, ibi, principium autem ad hos omnes. Tertio ad quas opiniones philosophorum praedictae opiniones sequuntur, ibi, videtur autem Heracliti. Dicit ergo primo, quod praedicta opinio evenit quibusdam, sicut et aliae opiniones inopinabilium, ex duplici causa: quarum prima est, quia quando aliqui non possunt solvere orationes contentiosas, idest rationes litigiosas sive sophisticas factas eis ab aliis vel a seipsis, consentiunt rationi probanti, et concedunt conclusionem, dicentes verum esse quod syllogizatum est. Et ulterius ipsam nituntur confirmare aliquas alias rationes adinveniendo.

[82297] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 13Secunda est propter hoc, quod quidam volunt inquirere rationem probantem de omnibus; et ideo illa quae probari non possunt, nolunt concedere, sed negant. Prima autem principia quae sunt omnium conceptiones communes probari non possunt; et ideo eas negant, per hoc in positiones inopinabiles incidentes.

[82298] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 14Deinde cum dicit principium autem ostendit ex quo principio debeat procedi contra tales opiniones; et dicit quod ex definitione veri vel falsi vel aliquorum aliorum nominum, sicut ex supra dictis rationibus patet. Necesse est enim eis concedere definitiones rerum, si ponunt quod nomina aliquid significent. Nam ratio quam nomen significat est definitio rei. Si autem non concedunt omnia significare aliquid, tunc non differunt a plantis, sicut supra dictum est.

[82299] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 15Deinde cum dicit videtur autem ostendit ad quas opiniones praedictae positiones consequuntur: et dicit quod ad positionem Heracliti, qui dicebat omnia moveri simul, et per consequens esse et non esse. Et quia id quod movetur habet non esse admixtum cum esse, sequitur quod omnia sunt vera.

[82300] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 16 n. 16Ad positionem vero Anaxagorae sequitur quod aliquid sit medium contradictionis. Ipse enim ponebat quod quodlibet miscetur cum quolibet, propter hoc quod quodlibet fit ex quolibet. De permixto autem neutrum extremorum potest dici; sicut colores medii nec sunt albedo nec nigredo. Unde illud quod est mixtum, nec est bonum nec non bonum, nec album nec non album. Et sic est aliquid medium contradictionis. Et per consequens sequitur omnia esse falsa. Nihil enim secundum communem opinionem ponimus nisi affirmationem et negationem. Unde si affirmatio et negatio sunt falsa, sequitur omnia falsa esse.

LEÇON 16.

(nn. 720-735; [383-392]).

 

Il prouve qu’il n’existe aucun intermédiaire entre les contradictoires et il montre que cette hypothèse découle de l’opinion d’Héraclite et d’Anaxagore.

 

720. Après avoir argumenté contre ceux qui soutiennent que les contradictoires sont simultanément vraies, il argumente ici contre ceux qui affirment qu’il existe un intermédiaire entre elles : ce sont ceux en effet qui affirment que l’autre partie de la contradiction n’est pas toujours vraie.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il argumente contre la position elle-même [383]. En deuxième lieu il argumente contre d’autres difficultés inconcevables qui accompagnent cette position ainsi que celle présentée ci-dessus, là [393] où il dit : ¨ Ayant défini ces choses ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les raisonnements qui vont à l’encontre de la position présentée ci-dessus [383]. En deuxième lieu il montre la raison pour laquelle certains ont été amenés à soutenir cette position, là [390] où il dit : ¨ Mais il arriva à certains etc.¨.

   Au sujet du premier point il présente sept raisonnements en disant en premier lieu [383] que, tout comme les contradictoires ne peuvent être simultanément vraies, de même il ne peut exister un intermédiaire entre elles; au contraire, sur tout sujet, il est nécessaire soit d’affirmer soit de nier.

721. Et cela est évident en partant en premier lieu de la définition même du vrai et du faux : en effet il n’existe rien de plus faux que de dire que ce qui est n’est pas ou de dire que ce qui n’est pas est. Et il n’existe rien de plus vrai que de dire que ce qui est, est et que ce qui n’est pas, n’est pas. Il est donc évident que quiconque dit que quelque chose est, ou bien celui-là dit le vrai ou bien il dit le faux : s’il dit le vrai, il faut qu’il en soit ainsi car le vrai c’est dire que ce qui est, est; s’il dit le faux, il faut que la chose n’existe pas car le faux n’est rien d’autre que de dire que ce qui est n’est pas. Et de la même manière s’il dit que cela n’est pas et que ce soit faux, il faut que la chose existe; mais si c’est vrai, il faut que la chose n’existe pas. Il faut donc de toute nécessité que ce soit l’affirmative ou la négative qui soit vraie. Mais celui qui soutient qu’il existe un intermédiaire entre les contradictoires ne dit pas qu’il soit nécessaire de dire de l’être qu’il est ou qu’il n’est pas ni qu’il soit nécessaire de faire de même pour le non-être. Et ainsi il ne dit pas qu’en affirmant et en niant on dise nécessairement le vrai et le faux.

722. Ensuite lorsqu’il dit [384] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement que voici. Un intermédiaire entre deux choses peut s’entendre premièrement par participation des deux extrêmes, qui est un intermédiaire à l’intérieur du même genre que les extrêmes, comme l’ombragé ou le gris est intermédiaire entre le blanc et le noir. On peut l’entendre d’une deuxième manière par la négation, comme ce qui n’est ni homme ni cheval, par exemple une pierre, est intermédiaire entre l’homme et le cheval. Et il s’agit là d’un intermédiaire qui est différent par le genre. Si donc il existe un intermédiaire entre les contradictoires, ce sera ou bien selon la première manière ou bien selon la deuxième.

723. Si on entend l’intermédiaire selon la deuxième manière, alors il n’y aura pas de changement, ce qu’on peut voir par ce qui suit. En effet, tout changement procède du non-bien vers le bien ou du bien vers le non-bien. C’est pourquoi même lorsqu’il y a changement entre des contraires, comme entre le blanc et le noir, le changement a lieu entre des opposés par la contradiction car le noir est un non-blanc ainsi qu’on le voit dans ce qui précède. Mais pour les intermédiaires par la négation il ne peut se produire un changement du non-bien au bien ou inversement : il ne peut donc y avoir aucun changement puisque toujours nous voyons que le changement procède du non-bien au bien ou inversement. Mais que tout changement disparaît si on adhère à la position précédente, on peut le voir de la manière suivante. Il ne peut en effet y avoir de changements qu’entre des contraires et des intermédiaires qui sont de même genre et il ne peut y avoir un changement d’un extrême à l’autre qu’au moyen d’un intermédiaire. Si donc il existe entre les contradictoires par la négation un intermédiaire qui soit de genre différent, il ne pourra y avoir aucun passage d’un extrême à l’intermédiaire ni par conséquent d’un extrême à un autre extrême.

724. Mais si on entend intermédiaire dans le premier sens, c’est-à-dire qu’il existerait dans la contradiction un intermédiaire qui serait comme de même genre et qui participerait des deux contradictoires comme le gris participe à la fois du blanc et du noir, il s’ensuit alors cette difficulté qu’il y aurait un devenir qui se terminerait au blanc et qui ne procèderait pas du non-blanc car un changement vers un extrême ne se produit pas seulement à partir de l’autre extrême mais aussi à partir de l’intermédiaire. Mais on voit que cela n’est pas vrai, à savoir qu’il existe un devenir qui se termine au blanc sans procéder du non-blanc. Et c’est ainsi qu’il devient évident qu’en aucune manière il ne peut exister un intermédiaire entre les contradictoires.

725. Ensuite lorsqu’il dit [385] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le troisième raisonnement que voici. L’intelligence, dans toutes ses opérations par lesquelles elle sent et saisit le réel, ou bien affirme ou bien nie quelque chose. Mais à partir de la définition du vrai et du faux on voit, soit qu’on affirme soit qu’on nie, qu’il faut qu’on dise soit le vrai soit le faux; car quand l’intelligence, en affirmant ou en niant, compose comme il en est dans la chose, alors elle dit vrai; mais quand elle ne compose pas comme il en est dans la chose, elle dit faux. Et ainsi il est évident qu’il faille toujours que soit l’affirmation soit la négation soit vraie; car il faut qu’une opinion soit vraie et toute opinion est soit une affirmation soit une négation : de là il faut toujours que soit vraie soit l’affirmation soit la négation et qu’ainsi il n’y ait pas d’intermédiaire entre les contradictoires.

726. Ensuite lorsqu’il dit [386] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le quatrième raisonnement que voici. Si quelqu’un affirme la présence d’un intermédiaire dans la contradiction, il doit l’affirmer pour toutes les contradictions, c’est-à-dire qu’outre tous les extrêmes de la contradiction, il y ait quelque chose de vrai qui soit un intermédiaire entre eux, à moins qu’il ne dise cela ¨ pour le seul plaisir de parler ¨, c’est-à-dire sans aucune raison, seulement parce qu’il lui plaît de parler ainsi. Mais cela ne peut être vrai pour toutes les contradictions car le vrai et le non-vrai sont des contradictoires. Et ainsi il s’ensuivrait qu’il y aurait quelqu’un qui ne dirait ni vrai ni non-vrai. Mais c’est tout le contraire de cela qui apparaît à partir de la définition du vrai et du faux.

727. De la même manière, comme l’être et le non-être sont contradictoires, il s’ensuit qu’il existerait quelque chose entre l’être et le non-être. Et ainsi il y aurait une autre sorte de changement en dehors de la génération et de la corruption. Car la génération est un changement vers l’être alors que la corruption est un changement vers le non-être. Donc, dans aucune contradiction il ne peut exister un intermédiaire.

728. Ensuite lorsqu’il dit [387] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le cinquième raisonnement en disant que dans certains genres la négation tient lieu de la différence contraire ou encore d’après un autre manuscrit ¨la négation complète le contraire¨ car l’autre contraire, qui est nécessairement dans le même genre, tire sa définition de la négation comme on le voit pour le pair et l’impair, pour le juste et l’injuste. Si donc il existait un intermédiaire entre l’affirmation et la négation, il y aurait forcément aussi un intermédiaire pour tous ces contraires puisqu’ils découlent manifestement de l’affirmation et de la négation. C’est comme si parmi les nombres il y avait un nombre qui ne serait ni pair ni impair. Mais cela est manifestement impossible à partir des définitions mêmes du pair et de l’impair. Car le pair est ce qui peut être divisé en deux nombres égaux, ce qui n’est pas le cas pour l’impair. Il s’ensuit donc qu’entre l’affirmation et la négation il ne peut y avoir un intermédiaire.

729. Ensuite lorsqu’il dit [388] : ¨ En outre à ¨.

   Il présente le sixième raisonnement que voici. Ceux qui soutiennent qu’il existe un intermédiaire entre l’affirmation et la négation affirment l’existence d’un troisième terme entre elles, que tous présentent néanmoins en général comme ne pouvant souffrir la présence d’un intermédiaire. Mais trois se rapporte à deux comme ¨une fois et demie¨, c’est-à-dire dans la proportion d’une fois et demie. Donc, d’après l’opinion de ceux qui posent un intermédiaire entre l’affirmation et la négation, il apparaît au premier regard que toutes les choses ¨seront une fois et demie¨, c’est-à-dire dans la proportion d’une fois et demie par rapport à ce qu’on pose en elles. Car il n’y aura pas seulement des affirmations et des négations, mais aussi des intermédiaires. Mais ce n’est pas seulement cela qui découlerait de leur position, mais aussi que les réalités seraient infinies en nombre. Il est évident en effet que tout ce qui peut être affirmé peut aussi être nié. Mais si on peut affirmer ces trois choses, à savoir l’affirmation, la négation et l’intermédiaire, on peut aussi les nier et tout comme la négation est autre que l’affirmation, de même il y aura un quatrième terme différent des trois précédents, lequel aura une essence et une définition différentes de celle des termes précédents, tout comme celle de la négation diffère de celle de l’affirmation. Une fois de plus on pourra nier ces quatre termes et cette négation sera vraie, et on pourra procéder ainsi à l’infini. Les termes seront donc infiniment plus nombreux que ce qu’on supposait précédemment. Ce qui apparaît comme contraire à la vérité.

730. Ensuite lorsqu’il dit [389] : ¨ En outre quand ¨.

   Il présente le septième raisonnement que voici. Si on demandait si l’homme ou quelque chose d’autre est blanc, il faudrait que celui qui répond approuve ou désapprouve : et s’il approuve, il est clair qu’il dit que l’affirmation est vraie; mais s’il désapprouve en répondant non, il est évident qu’il nie. Et il ne nie rien d’autre que ce qui est proposé par celui qui interroge, à savoir que ceci est blanc, et la négation elle-même est du non-être car il s’agit d’un énoncé négatif. Il reste donc que celui qui répond à la question doit nécessairement ou bien concéder l’affirmation, ou bien soutenir la négation; et ainsi entre ces deux réponses il n’y a pas d’intermédiaire.

731.  Ensuite lorsqu’il dit [390] : ¨ Mais il arrive ¨.

   Il montre la raison pour laquelle certains sont tombés dans cette position : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu en effet il montre pourquoi certains ont été conduits à soutenir cette opinion [390]. En deuxième lieu il montre le mode selon lequel il faut argumenter contre eux, là [391] où il dit : ¨Mais le point de départ pour argumenter contre eux tous etc.¨. En troisième lieu il montre de quelles opinions de philosophes les opinions qui précèdent proviennent, là [392] où il dit : ¨Mais il semble que la position d’Héraclite¨.

   Il dit donc en premier lieu [390] que si l’opinion qui précède  se rencontre chez certains, comme d’autres opinions paradoxales, c’est pour deux raisons, dont la première est que lorsque certains ne peuvent résoudre des discours contentieux, c’est-à-dire des arguments qui leur sont rendus litigieux ou sophistiques par d’autres ou par eux-mêmes, ils se rendent à la raison de celui qui argumente et en concèdent la conclusion en disant que ce qui a été argumenté est vrai. Et par la suite ils s’efforcent de la confirmer en recherchant d’autres raisons.

732. La deuxième raison est que certains cherchent à trouver des raisons probantes pour tout; et c’est pourquoi ils ne veulent pas concéder mais plutôt ils nient les énoncés qui ne peuvent être prouvés. Mais les premiers principes, qui sont les conceptions communes se rapportant à tous les êtres, ne peuvent être prouvés et c’est là la raison pour laquelle ils les nient, tombant ainsi dans des positions insoutenables.

733. Ensuite lorsqu’il dit [391] : ¨ Mais le point de départ ¨.

   Il montre à partir de quel point de départ il faut procéder contre de telles opinions; et il dit qu’il faut procéder à partir de la définition du vrai et du faux ou de certains autres noms, ainsi qu’on le peut le voir à partir des raisonnements présentés plus haut. Il leur est nécessaire en effet de concéder des définitions des choses, s’ils accordent que les noms signifient quelque chose. Car la notion signifiée par le nom est la définition de la chose. Mais s’ils ne concèdent pas que tous les noms signifient quelque chose, alors ils ne diffèrent pas des plantes, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

734. Ensuite lorsqu’il dit [392] : ¨ Mais il semble ¨.

   Il montre à quelles opinions correspondent les positions qui précèdent. Et il dit que c’est à l’opinion d’Héraclite qui affirmait que toutes les choses se meuvent simultanément et par conséquent que tout est et n’est pas. Et parce que tout ce qui change se trouve à être comme un mélange d’être et de non-être, il s’ensuit d’après cela que tout est vrai.

735. Mais de dire qu’il existe un intermédiaire entre les contradictoires, cela provient d’un autre côté de l’opinion d’Anaxagore. Lui-même en effet soutenait que tout est mélangé à tout puisque tout provient de tout. Mais à un mélange on ne peut attribuer aucun des extrêmes, comme les couleurs intermédiaires ne sont ni le blanc ni le noir. De là le produit du mélange n’est ni bon ni non-bon, ni blanc ni non-blanc. Et tel serait un intermédiaire de la contradiction. Et il s’ensuit par conséquent que tout serait faux. En effet, conformément à l’opinion commune, nous ne posons rien si ce n’est en affirmant ou en niant. De là, si l’affirmation et la négation sont fausses, il s’ensuivra que tout sera faux.

 

 

LECTIO 17

[82301] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 1Disputat contra quasdam positiones, quae ad praedicta consequuntur. Et primo contra quosdam, qui destruunt principia logicae. Secundo contra quosdam, qui destruunt principia physicae, ibi, palam autem quia neque qui omnia et cetera. Philosophus enim primus debet disputare contra negantes principia singularium scientiarum, quia omnia principia firmantur super hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul vera, et quod nihil est medium inter ea. Illa autem sunt propriissima huius scientiae, cum sequantur rationem entis, quod est huius philosophiae primum subiectum. Verum autem et falsum pertinent proprie ad considerationem logici; consequuntur enim ens in ratione de quo considerat logicus: nam verum et falsum sunt in mente, ut in sexto huius habetur. Motus autem et quies sunt proprie de consideratione naturalis, per hoc quod natura definitur quod est principium motus et quietis. Ad errorem autem qui accidit circa esse et non esse, sequitur error circa verum et falsum: nam per esse et non esse verum et falsum definitur, ut supra habitum est. Nam verum est cum dicitur esse quod est, vel non esse quod non est. Falsum autem, e converso. Similiter autem ex errore, qui est circa esse vel non esse, sequitur error qui est circa moveri et quiescere. Nam quod movetur, inquantum huiusmodi, nondum est. Quod autem quiescit, est. Et ideo destructis erroribus circa esse et non esse, ex consequenti destruuntur errores circa verum et falsum, quietem et motum.

[82302] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 2Circa primum duo facit. Primo ponit opiniones falsas circa verum et falsum. Secundo reprobat eas, ibi, amplius autem palam et cetera. Dicit ergo, quoddefinitis, idest determinatis praedictis quae erant dicenda contra praedictas inopinabiles opiniones, manifestum est quod impossibile est quod quidam dixerunt quod univoce, idest uno modo sententiandum est de omnibus, ut dicamus omnia similiter esse falsa vel similiter esse vera. Quidam enim dixerunt nihil esse verum, sed omnia esse falsa, et quod nihil prohibet quin dicamus omnia sic esse falsa, sicut illa est falsa, diameter est commensurabilis lateri quadrati, quod est falsum. Alii vero dixerunt quod omnia sunt vera. Et huiusmodi orationes consequuntur ad opinionem Heracliti, sicut dictum est. Ipse enim dixit simul esse et non esse, ex quo sequitur omnia esse vera.

[82303] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 3Et ne forte aliquis diceret quod praeter has opiniones est etiam tertia, quae dicit quod omnia simul sunt vera et falsa, quasi tacitae obiectioni respondens dicit, quod qui hoc ponit, utrumque praedictorum ponit. Unde si duae primae opiniones sunt impossibiles, illam tertiam oportet esse impossibilem.

[82304] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 4Deinde cum dicit amplius autem ponit rationes contra praedictas opiniones; quarum prima talis. Constat quasdam esse contradictiones quas impossibile est simul esse veras nec simul falsas, sicut verum et non verum, ens et non ens. Et hoc magis potest sciri ex dictis. Si igitur harum contradictionum necesse est alteram esse veram et alteram falsam, non omnia sunt vera nec omnia sunt falsa.

[82305] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 5Deinde cum dicit sed ad omnes secundam rationem ponit, dicens, quod ad istas orationes, idest positiones, non oportet quaerere, idest petere concedendum aliquid esse vel non esse in rebus, quemadmodum supra dictum est; quia hoc videtur petere principium. Sed hoc petendum est, quod detur nomina aliquid significare; quo non dato, disputatio tollitur. Hoc autem dato, oportet ponere definitiones, sicut iam supra dictum est. Et ideo ex definitionibus contra eos disputare oportet, et praecipue in proposito, accipiendo definitionem falsi. Si autem non est aliud verum, quam illud affirmare, quod falsum est negare, et e converso: et similiter falsum non aliud est quam affirmare id quod negare est verum, et e converso: sequitur quod impossibile sit omnia esse falsa; quia necesse erit vel affirmationem vel negationem esse veram. Patet enim, quod verum nihil est aliud quam dicere esse quod est, vel non esse quod non est. Falsum autem, dicere non esse quod est, vel esse quod non est. Et ideo patet, quod verum est dicere illud esse, quod falsum est non esse; vel non esse, quod falsum est esse. Et falsum est dicere id esse, quod verum est non esse; vel non esse quod verum est esse. Et ita, ex definitione veri vel falsi, patet quod non sunt omnia falsa. Et ratione eadem patet quod non omnia sunt vera.

[82306] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 6Deinde cum dicit amplius si tertiam rationem ponit, quae talis est. Constat ex praedictis, quod necesse est de quolibet aut affirmare aut negare, cum nihil sit medium in contradictione. Igitur impossibile est omnia falsa esse. Et eadem ratione probatur quod impossibile est omnia esse vera, per hoc quod ostensum est, quod non est simul affirmare et negare.

[82307] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 7Deinde cum dicit contingit autem quartam rationem ponit, quae talis est. Ad omnes praedictas orationes, idest positiones, contingit hoc inconveniens quod seipsas destruunt. Et hoc est famatum, idest famosum ab omnibus dictum. Unde alius textus habet, accidit autem et id vulgare. Quod sic probat. Ille enim, qui dicit omnia esse vera, facit opinionem contrariam suae opinioni esse veram; sed contraria suae opinionis est quod sua opinio non sit vera: ergo qui dicit omnia esse vera, dicit suam opinionem non esse veram, et ita destruit suam opinionem. Et similiter manifestum est quod ille, qui dicit omnia esse falsa, dicit etiam seipsum dicere falsum.

[82308] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 8Et quia posset aliquis dicere quod dicens omnia vera excipit aut aufert ab universalitate suam contrariam, et similiter, qui dicit omnia esse falsa excipit suam opinionem: ideo hanc responsionem excludit; et dicit, quod si ille qui dicit omnia esse vera, excipiat suam contrariam, dicens solam eam esse non veram, et dicens omnia esse falsa excipiat suam opinionem dicens quod ipsa sola non est falsa, nihilominus sequitur quod contingat eis quaerere, idest repetere infinitas esse orationes veras contra ponentes omnia esse falsa, et infinitas falsas contra ponentes omnia vera esse. Si enim detur una opinio vera, sequetur infinitas esse veras. Et si detur una opinio falsa, sequetur infinitas esse falsas. Si enim haec positio vel opinio est vera: Socrates sedet, ergo et haec erit vera: Socratem sedere est verum. Et si illa est vera, ulterius haec erit vera, Socratem sedere esse verum est verum, et sic in infinitum. Semper enim qui dicit de oratione vera quod sit vera, verus est. Et qui dicit de oratione falsa quod sit vera, falsus est. Et hoc potest procedere in infinitum.

[82309] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 9Deinde cum dicit palam autem disputat contra opiniones destruentes principia naturae, scilicet motum et quietem: et circa hoc tria facit. Primo tangit falsitatem harum opinionum; dicens, quod ex praedictis est manifestum, quod nec opinio dicens omnia moveri, nec opinio dicens omnia quiescere, vera est.

[82310] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 10Deinde cum dicit nam si quiescunt secundo ostendit has opiniones esse falsas. Et primo ostendit quod opinio sit falsa, quae ponit omnia quiescere: quia si omnia quiescunt, tunc nihil removetur a dispositione, in qua aliquando est; et ideo quicquid est verum, semper erit verum, et quicquid est falsum, semper est falsum. Sed hoc videtur inconveniens: transmutatur enim veritas et falsitas propositionis. Nec hoc est mirum: quia homo, qui opinatur vel profert propositionem, aliquando non erat, postmodum fuit, et iterum non erit.

[82311] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 11Secundo ostendit esse falsam opinionem quae ponit omnia moveri, duabus rationibus. Quarum primam ponit ibi, si vero omnia. Quae talis est. Si omnia moventur et nihil est quiescens, nihil erit verum in rebus: quia quod est verum, iam est; quod autem movetur nondum est: ergo oportet omnia esse falsa: quod est impossibile, ut ostensum est.

[82312] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 12Deinde cum dicit amplius autem secundam rationem ponit, quae talis est. Omne quod permutatur, necessario est ens; quia omne quod permutatur, ex aliquo in aliud permutatur; et omne quod in aliquo permutatur, inest ei quod permutatur. Unde non oportet dicere quod quicquid est in re permutata, mutetur, sed quod aliquid sit manens; et ita non omnia moventur.

[82313] Sententia Metaphysicae, lib. 4 l. 17 n. 13Deinde cum dicit sed nec omnia tertiam rationem ponit, excludens quamdam falsam opinionem, quae posset occasionari ex praedictis. Posset enim aliquis credere quod, quia non omnia moventur nec omnia quiescunt, quod ideo omnia quandoque moventur et quandoque quiescunt. Et hoc removens, dicit, quod non est verum quod omnia quandoque quiescant et quandoque moveantur. Sunt enim quaedam mobilia, quae semper moventur; scilicet corpora super caelestia; et est quoddam movens, scilicet primum, quod semper est immobile, et semper eodem modo se habet, ut probatum est octavo physicorum.

LEÇON 17.

(nn. 736-748; [393-402]).

 

Il détruit deux opinions : d’abord celle par laquelle on prétend que tout est vrai et que tout est faux, et d’un autre côté cette autre par laquelle certains ont faussement cru que toutes les choses sont en mouvement et en repos.

 

736. Il discute de certaines positions qui découlent de celles qui précèdent.

   Et en premier lieu il argumente contre ceux qui détruisent les principes de la Logique [393]. En deuxième lieu il argumente contre ceux qui détruisent les principes de la Physique, là [398] où il dit : ¨ Mais il est évident qui ni ceux qui soutiennent que tout etc.¨.

   La philosophie première en effet doit argumenter contre ceux qui nient les principes de chacune des sciences particulières car tous ces principes se fondent sur ce principe que l’affirmation et la négation ne peuvent être vraies simultanément et qu’il n’existe aucun intermédiaire entre elles. Mais ces derniers sont les principes les plus propres à cette science, la philosophie première, puisqu’ils découlent de la notion d’être qui est le sujet premier de cette partie de la philosophie. Mais le vrai et le faux appartiennent en propre à la considération du logicien : ils découlent en effet de l’être de raison qu’examine le logicien car le vrai et le faux existent dans l’intelligence ainsi qu’on l’établit au sixième livre de ce traité. Mais le mouvement et le repos appartiennent en propre à la considération du physicien du fait que la nature se définit comme étant le principe du mouvement et du repos. Mais pour toute erreur qui se produit sur l’être et le non-être s’ensuit une erreur sur le vrai et le faux car c’est par l’être et le non-être que le vrai et le faux se définissent ainsi qu’on l’a établi précédemment. Car il y a vérité lorsqu’on dit que ce qui est, est ou que ce qui n’est pas, n’est pas. Mais il y a fausseté, quand on dit que ce qui est n’est pas et que ce qui n’est pas, est. Mais de la même manière, d’une erreur qui se rapporte à l’être et au non-être découle une erreur sur le mouvement et le repos. Car ce qui se meut, en tant que tel, n’est pas encore. Mais ce qui est en repos est. Et c’est pourquoi, une fois détruites les erreurs sur l’être et le non-être, se trouvent à être détruites du même coup les erreurs sur le vrai et le faux ainsi que celles qui portent sur le mouvement et le repos.

737. Au sujet du premier point il fait deux choses.

   En premier lieu il présente les opinions fausses sur le vrai et le faux [393]. En deuxième lieu il les réfute, là [394] où il dit : ¨ Mais il est clair en outre etc. ¨.

   Il dit donc [393] que ¨étant établies¨, c’est-à-dire étant déterminées les choses qui devaient être dites contre les opinions insoutenables qui précèdent, il est évident qu’il est impossible que certains aient dit qu’il faille se prononcer ¨univoquement¨, c’est-à-dire d’une manière absolue, sur toutes les choses de manière à dire que tout est également faux ou que tout est également vrai. Certains en effet ont dit que rien n’est vrai et que tout est faux et que rien ne nous empêche de dire que tout est faux à la manière dont cet énoncé est faux, à savoir que la diagonale est commensurable au côté du carré, ce qui est faux. D’autres par ailleurs ont dit que tout est vrai et de tels discours correspondent à l’opinion d’Héraclite, ainsi que nous l’avons dit. En effet, il disait lui-même tout est et n’est pas simultanément, d’où il s’ensuit que tout est vrai.

738. Et afin que par aventure personne ne dise qu’en dehors de ces  opinions il y en a encore une troisième qui soutient que tout est simultanément vrai et faux, Aristote, répondant presque tacitement à cette objection, dit que celui qui affirme cela se trouve à reprendre chacun des deux énoncés précédents. De là, si les deux premières opinions sont impossibles, cette troisième devra nécessairement l’être aussi.

739. Ensuite lorsqu’il dit [394] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente les raisonnements qui vont à l’encontre des opinions qui précèdent, dont voici le premier. Il est évident qu’il y a des propositions contradictoires qui ne peuvent être vraies simultanément ni fausses simultanément, comme le vrai et le non-vrai, l’être et le non-être. Et cela peut davantage être connu à partir de ce qui a été dit. Si donc il est nécessaire pour ces contradictoires que l’une soit vraie et que l’autre soit fausse, ce ne sont pas toutes les contradictoires qui sont vraies et ce ne sont pas non plus toutes les contradictoires qui sont fausses.

740. Ensuite lorsqu’il dit [395] : ¨ Mais à tous ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement en disant qu’à l’égard de tous ¨ces discours¨, c’est-à-dire de ces positions, il ne ¨faut pas rechercher¨, c’est-à-dire demander à concéder que quelque chose existe ou n’existe pas dans les choses, comme nous l’avons dit plus haut; car ce serait là faire une pétition de principe. Mais ce que l’on doit plutôt demander, c’est s’il est donné aux noms de signifier quelque chose; et si cela n’est pas accordé, la discussion ne peut avoir lieu. Mais si cela est accordé, il faut poser des définitions, ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut. Et pour cette raison, il faut argumenter contre eux à partir des définitions et principalement, en ce qui concerne le propos, en déterminant la définition du faux. Mais si le vrai n’est rien d’autre que d’affirmer ce qu’il est faux de nier et inversement; et de même si le faux n’est rien d’autre que d’affirmer ce qu’il est vrai de nier et inversement, alors il est impossible que tout soit faux car nécessairement ce sera soit l’affirmation soit la négation qui sera vraie. Il est évident en effet que le vrai n’est rien d’autre que de dire que ce qui est, est ou que ce qui n’est pas, n’est pas. Mais le faux consiste à dire que ce qui est, n’est pas ou que ce qui n’est pas, est. Et c’est pourquoi il est évident qu’il est vrai de dire que cela est dont il est faux de dire qu’il n’est pas; ou encore qu’il est vrai de dire que cela n’est pas dont il est faux de dire qu’il est. Et d’un autre côté il est faux de dire que cela est dont il est vrai de dire qu’il n’est pas ou que n’est pas ce qu’il est vrai de dire qu’il est. Et ainsi, à partir de la définition du vrai et du faux, il est évident que tout n’est pas faux et pour la même raison que tout n’est pas vrai.

741. Ensuite lorsqu’il dit [396] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le troisième raisonnement que voici. En partant de ce qui a été dit, il est évident qu’il est nécessaire pour toute chose d’affirmer ou de nier puisqu’il n’existe aucun intermédiaire entre les contradictoires. Il est donc impossible que tout soit faux. Et pour la même raison on voit qu’il est impossible que tout soit vrai après avoir montré qu’il est impossible d’affirmer et de nier simultanément.

742. Ensuite lorsqu’il dit [397] : ¨ Mais il arrive ¨.

   Il présente le quatrième raisonnement que voici. Il arrive à tous ces discours, c’est-à-dire à toutes ces opinions, ce défaut de se détruire eux-mêmes. Et cela est ¨décrié¨, c’est-à-dire reconnu de tous. C’est pourquoi un autre document nous dit : ¨ Mais ce problème se produit communément¨. Ce qu’il prouve de la manière suivante. En effet, celui qui dit que tout est vrai rend du même coup vraie l’opinion qui est contraire à la sienne; mais cette opinion qui est contraire à la sienne est justement que son opinion n’est pas vraie; donc, celui qui dit que tout est vrai dit que son opinion n’est pas vraie et se trouve ainsi à détruire sa propre opinion. Et de la même manière il est évident que celui qui dit que tout est faux se trouve aussi à dire que ce que lui-même dit est faux.

743. Et parce qu’on pourrait répondre à cela qu’en disant que tout est vrai on excepte ou on enlève de l’universalité de cet énoncé cette opinion contraire à la sienne et de même que celui qui dit que tout est faux excepte de là sa propre opinion, c’est pourquoi il rejette cette réponse en disant que si celui qui affirme que tout est vrai excepte de là l’opinion contraire en disant qu’elle seule n’est pas vraie et que celui qui affirme que tout est faux excepte sa propre opinion en disant qu’elle seule n’est pas fausse, il s’ensuit néanmoins qu’il leur arrive de ¨postuler¨, c’est-à-dire d’invoquer une infinité d’exceptions vraies contre ceux qui posent que tout est faux et une infinité d’exceptions fausses contre ceux qui posent que tout est vrai. Si en effet on accorde qu’une opinion est vraie, il s’ensuit que d’autres, en nombre infini, le seront aussi; et si on accorde qu’une opinion est fausse, il s’ensuit que d’autres, en nombre infini, le seront aussi. En effet si cette opinion ou cette position est vraie, à savoir que Socrate est assis, alors celle-ci le sera aussi : il est vrai que Socrate est assis; et si celle-ci est vraie, celle-là le sera aussi par la suite, à savoir qu’il est vrai qu’il soit vrai que Socrate est assis, et il en sera ainsi à l’infini. Toujours en effet celui qui dit d’un discours vrai qu’il est vrai dit lui-même vrai; et toujours celui qui dit d’un discours faux qu’il est vrai dit faux. Et on pourrait procéder ainsi à l’infini.

744. Ensuite lorsqu’il dit [398] : ¨ Mais il est évident ¨.

   Il argumente contre ceux qui suppriment les principes de la nature, à savoir le mouvement et le repos : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il dénonce la fausseté de ces opinions en disant qu’il est manifeste, à partir de ce qui précède, qu’aucune de ces deux opinions n’est vraie, ni celle qui soutient que tout est en mouvement, ni celle qui prétend que tout est en repos.

745. Ensuite lorsqu’il dit [399] : ¨ Car si tout est en repos ¨.

   Il manifeste en deuxième lieu que ces opinions sont fausses.

   Et en premier lieu il montre que l’opinion qui soutient que tout est en repos est fausse. Car si tout est en repos, aucun être ne pourra s’écarter de la disposition dans laquelle il se trouve à un moment donné; et c’est pourquoi tout ce qui est vrai maintenant serait toujours vrai et ce qui est faux maintenant serait toujours faux. Et on voit qu’il est incorrect de dire cela : en effet la vérité et la fausseté d’une proposition sont amenées à changer. Et cela n’est pas étonnant car l’homme qui pense et énonce une proposition n’existait pas à un moment donné, puis il exista et enfin un jour il n’existera plus.

746. En deuxième lieu il montre au moyen de deux raisonnements qu’est fausse l’opinion qui soutient que tout est en mouvement. Et il présente ce premier raisonnement là [400] où il dit : ¨ Si, d’un autre côté tout ¨.

   Lequel se présente ainsi. Si tout est en mouvement et que rien n’est en repos, rien dans les choses ne sera vrai : car ce qui est vrai existe déjà mais ce qui se meut n’existe pas encore et il faut alors que tout soit faux, ce qui est impossible ainsi qu’on l’a montré.

747. Ensuite lorsqu’il dit [401] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le deuxième raisonnement que voici. Tout ce qui change est nécessairement de l’être car tout ce qui change passe d’un état à un autre. Et tout état qui change en quelque chose est dans celui qui change. C’est pourquoi il ne faut pas dire que tout change dans la chose qui change, mais plutôt il y a quelque chose qui demeure inchangé. Et ainsi, ce n’est pas tout qui change.

748. Ensuite lorsqu’il dit [402] : ¨ Mais il n’est pas vrai non plus que tout ¨.

   Il présente un troisième raisonnement en écartant une opinion fausse qui pourrait naître de ce qui précède. On pourrait croire en effet, puisque ce n’est pas tout qui est en mouvement et que ce n’est pas tout qui est en repos, que toutes les choses sont tantôt en mouvement, tantôt en repos. Et pour rejeter cette position il dit qu’il n’est pas vrai de dire que tout est tantôt en mouvement et tantôt en repos. Il y a en effet des corps qui sont toujours en mouvement, tels les corps célestes; et il existe un moteur, à savoir le premier, qui est toujours immobile et toujours identique à lui-même ainsi qu’on le prouve au huitième livre des Physiques.

 

 

LIBER 5

LIVRE V ─ Distinction des intentions ou des significations des noms dont toutes les sciences se servent, et des choses signifiées par ces noms.

 

 

LECTIO 1

[82314] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 1In praecedenti libro determinavit philosophus quid pertineat ad considerationem huius scientiae; hic incipit determinare de rebus, quas scientia ista considerat. Et quia ea quae in hac scientia considerantur, sunt omnibus communia, nec dicuntur univoce, sed secundum prius et posterius de diversis, ut in quarto libro est habitum; ideo prius distinguit intentiones nominum, quae in huius scientiae consideratione cadunt. Secundo incipit determinare de rebus, quae sub consideratione huius scientiae cadunt, in sexto libro, qui incipit, ibi, principia et causae. Cuiuslibet autem scientiae est considerare subiectum, et passiones, et causas; et ideo hic quintus liber dividitur in tres partes. Primo determinat distinctiones nominum quae significant causas, secundo, illorum nominum quae significant subiectum huius scientiae vel partes eius, ibi, unum dicitur aliud secundum accidens. Tertio nominum quae significant passiones entis inquantum est ens, ibi, perfectum vero dicitur et cetera. Prima in duas. Primo distinguit nomina significantia causas. Secundo quoddam nomen significans quoddam quod consequitur ad causam, scilicet necessarium. Nam causa est ad quam de necessitate sequitur aliud, ibi, necessarium dicitur sine quo non contingit. Prima dividitur in duas. Primo distinguit nomina significantia causas generaliter. Secundo distinguit quoddam nomen, quod significat quamdam causam in speciali, scilicet hoc nomen natura, ibi, natura vero dicitur et cetera.

[82315] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 2Prima dividitur in tres. Primo distinguit hoc nomen, principium. Secundo hoc nomen, causa, ibi, causa vero dicitur. Tertio hoc nomen, elementum, ibi, elementum vero dicitur. Procedit autem hoc ordine, quia hoc nomen principium communius est quam causa: aliquid enim est principium, quod non est causa; sicut principium motus dicitur terminus a quo. Et iterum causa est in plus quam elementum. Sola enim causa intrinseca potest dici elementum. Circa primum duo facit. Primo ponit significationes huius nominis principium. Secundo reducit omnes ad unum commune, ibi, omnium igitur principiorum.

[82316] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 3Sciendum est autem, quod principium et causa licet sint idem subiecto, differunt tamen ratione. Nam hoc nomen principium ordinem quemdam importat; hoc vero nomen causa, importat influxum quemdam ad esse causati. Ordo autem prioris et posterioris invenitur in diversis; sed secundum id, quod primo est nobis notum, est ordo inventus in motu locali, eo quod ille motus est sensui manifestior. Sunt autem trium rerum ordines sese consequentes; scilicet magnitudinis, motus, et temporis. Nam secundum prius et posterius in magnitudine est prius et posterius in motu; et secundum prius et posterius in motu est prius et posterius in tempore, ut habetur quarto physicorum. Quia igitur principium dicitur quod in aliquo ordine, et ordo qui attenditur secundum prius et posterius in magnitudine, est prius nobis notus, secundum autem quod res sunt nobis notae secundum hoc a nobis nominantur, ideo hoc nomen principium secundum propriam sui inquisitionem significat id quod est primum in magnitudine, super quam transit motus. Et ideo dicit, quod principium dicitur illud unde aliquis rem primo moveat, idest aliqua pars magnitudinis, a qua incipit motus localis. Vel secundum aliam literam, unde aliquid rei primo movebitur, idest ex qua parte rei aliquid incipit primo moveri. Sicut in longitudine et in via quacumque, ex illa parte est principium, unde incipit motus. Ex parte vero opposita sive contraria, est diversum vel alterum, idest finis vel terminus. Sciendum est, quod ad hunc modum pertinet principium motus et principium temporis ratione iam dicta.

[82317] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 4Quia vero motus non semper incipit a principio magnitudinis, sed ab ea parte unde est unicuique in promptu magis ut moveatur, ideo ponit secundum modum, dicens, quod alio modo dicitur principium motus unde unumquodque fiet maxime optime, idest unusquisque incipit optime moveri. Et hoc manifestat per simile, in disciplinis scilicet in quibus non semper incipit aliquis addiscere ab eo quod est principium simpliciter et secundum naturam, sed ab eo unde aliquid facilius sive opportunius valet addiscere, idest ab illis, quae sunt magis nota quo ad nos, quae quandoque posteriora sunt secundum naturam.

[82318] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 5Differt autem hic modus a primo. Nam in primo modo ex principio magnitudinis designatur principium motus. Hic autem ex principio motus designatur principium in magnitudine. Et ideo etiam in illis motibus, qui sunt super magnitudines circulares non habentes principium, accipitur aliquod principium a quo optime vel opportune movetur mobile secundum suam naturam. Sicut in motu primi mobilis principium est ab oriente. In motibus etiam nostris non semper incipit homo moveri a principio viae, sed quandoque a medio, vel a quocumque termino, unde est ei opportunum primo moveri.

[82319] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 6Ex ordine autem, qui consideratur in motu locali, fit nobis etiam notus ordo in aliis motibus; et ideo sequuntur significationes principii, quae sumuntur secundum principium in generatione vel fieri rerum. Quod quidem principium dupliciter se habet. Aut enim est inexistens, idest intrinsecum; vel non est inexistens, idest extrinsecum.

[82320] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 7Dicitur ergo primo modo principium illa pars rei, quae primo generatur, et ex qua generatio rei incipit; sicut in navi fit primo sedile vel carina, quae est quasi navis fundamentum, super quod omnia ligna navis compaginantur. Similiter quod primo in domo fit, est fundamentum. In animali vero primo fit cor secundum quosdam, et secundum alios cerebrum, aut aliud tale membrum. Animal enim distinguitur a non animali, sensu et motu. Principium autem motus apparet esse in corde. Operationes autem sensus maxime manifestantur in cerebro. Et ideo qui consideraverunt animal ex parte motus, posuerunt cor principium esse in generatione animalis. Qui autem consideraverunt animal solum ex parte sensus, posuerunt cerebrum esse principium; quamvis etiam ipsius sensus primum principium sit in corde, etsi operationes sensus perficiantur in cerebro. Qui autem consideraverunt animal inquantum agit vel secundum aliquas eius operationes, posuerunt membrum adaptatum illi operationi, ut hepar vel aliud huiusmodi, esse primam partem generatam in animali. Secundum autem philosophi sententiam, prima pars est cor, quia a corde omnes virtutes animae per corpus diffunduntur.

[82321] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 8Alio autem modo dicitur principium, unde incipit rei generatio, quod tamen est extra rem; et hoc quidem manifestatur in tribus. Primo quidem in rebus naturalibus, in quibus principium generationis dicitur, unde primum natus est motus incipere in his quae fiunt per motum, sicut in his quae acquiruntur per alterationem, vel per aliquem alium motum huiusmodi. Sicut dicitur homo fieri magnus vel albus. Vel unde incipit permutatio, sicut in his quae non per motum, sed per solam fiunt mutationem; ut patet in factione substantiarum, sicut puer est ex patre et matre qui sunt eius principium, et bellum ex convitio, quod concitat animos hominum ad bellum.

[82322] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 9Secundo etiam manifestat in rebus agibilibus sive moralibus aut politicis, in quibus dicitur principium id, ex cuius voluntate vel proposito moventur et mutantur alia; et sic dicuntur principatus in civitatibus illi qui obtinent potestates et imperia, vel etiam tyrannides in ipsis. Nam ex eorum voluntate fiunt et moventur omnia in civitatibus. Dicuntur autem potestates habere homines, qui in particularibus officiis in civitatibus praeponuntur, sicut iudices et huiusmodi. Imperia autem illi, qui universaliter quibuscumque imperant, ut reges. Tyrannides autem obtinent, qui per violentiam et praeter iuris ordinem ad suam utilitatem civitates et regnum detinent.

[82323] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 10Tertium exemplum ponit in artificialibus, quia artes etiam simili modo principia esse dicuntur artificiatorum, quia ab arte incipit motus ad artificii constructionem. Et inter has maxime dicuntur principia architectonicae, quae a principio nomen habent, idest principales artes dictae. Dicuntur enim artes architectonicae quae aliis artibus subservientibus imperant, sicut gubernator navis imperat navifactivae, et militaris equestri.

[82324] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 11Ad similitudinem autem ordinis, qui in motibus exterioribus consideratur, attenditur etiam quidam ordo in rerum cognitione; et praecipue secundum quod intellectus noster quamdam similitudinem motus habet, discurrens de principiis in conclusiones. Et ideo alio modo dicitur principium, unde res primo innotescit; sicut dicimus principia demonstrationum esse suppositiones, idest dignitates et petitiones.

[82325] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 12His etiam modis et causae dicuntur quaedam principia. Nam omnes causae sunt quaedam principia. Ex causa enim incipit motus ad esse rei, licet non eadem ratione causa dicatur et principium, ut dictum est.

[82326] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 13Deinde cum dicit omnium igitur reducit omnes praedictos modos ad aliquid commune; et dicit quod commune in omnibus dictis modis est, ut dicatur principium illud, quod est primum, aut in esse rei, sicut prima pars rei dicitur principium, aut in fieri rei, sicut primum movens dicitur principium, aut in rei cognitione.

[82327] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 1 n. 14Sed quamvis omnia principia in hoc, ut dictum est, conveniant, differunt tamen, quia quaedam sunt intrinseca, quaedam extrinseca, ut ex praedictis patet. Et ideo natura potest esse principium et elementum, quae sunt intrinseca. Natura quidem, sicut illud a quo incipit motus: elementum autem sicut pars prima in generatione rei. Et mens, idest intellectus, et praevoluntas, idest propositum, dicuntur principia quasi extrinseca. Et iterum quasi intrinsecum dicitur principium substantia rei, idest forma quae est principium in essendo, cum secundum eam res sit in esse. Et secundum etiam praedicta, finis cuius causa fit aliquid, dicitur etiam esse principium. Bonum enim, quod habet rationem finis in prosequendo, et malum in vitando, in multis sunt principia cognitionis et motus, sicut in omnibus quae aguntur propter finem. In naturalibus enim, et moralibus et artificialibus, praecipue demonstrationes ex fine sumuntur.

LEÇON 1.

(nn. 749-762; [403-404]).

 

Il présente les cinq modalités suivant lesquelles le nom principe peut être attribué, qu’il ramène à une notion commune.

 

749. Dans le livre précédent le Philosophe déterminait ce qui appartient à la considération de cette science quant à son mode, alors qu’il commence ici à préciser les choses que cette science considère.

   Et parce que les noms qui sont examinés dans cette science sont communs à toutes les choses, ils ne s’attribuent pas à des choses différentes d’une manière univoque, mais selon un ordre d’antériorité et de postériorité ainsi qu’il a été établi au quatrième livre; c’est pourquoi il commence d’abord par distinguer les intentions ou les significations des noms qui tombent sous la considération de cette science [403]. En deuxième lieu il commence à traiter des choses qui tombent sous la considération de cette science au sixième livre, là [532] où il dit : ¨ Les principes et les causes ¨.

   Mais dans toute science il faut considérer le sujet, les propriétés et les causes; et c’est pourquoi ce cinquième livre se divise en trois parties.

   En premier lieu il délimite les distinctions des noms qui signifient les causes [403]; en deuxième lieu il détermine les distinctions des noms qui signifient le sujet de cette science et ses parties, là [423] où il dit : ¨ L’un se dit autrement selon l’accident ¨. En troisième lieu il le fait aussi pour les noms qui signifient les propriétés de l’être en tant qu’être, là [499] où il dit : ¨ Par ailleurs le parfait se dit etc. ¨.

   La première partie se divise en deux. En premier lieu il distingue les noms qui signifient les causes [403]. En deuxième lieu il distingue un nom dont la signification est consécutive à la notion de cause, à savoir le mot nécessaire, là [416] où il dit : ¨Nécessaire se dit de ce sans quoi il ne résulte pas¨. Car la cause est ce d’où découle nécessairement quelque chose d’autre.

   La première partie se divise à son tour en deux. En premier lieu il distingue les noms qui signifient les causes en général [403]. En deuxième lieu il distingue un nom qui signifie une cause en particulier, à savoir le nom nature, là [413] où il dit : ¨ Par ailleurs nature  se dit etc.¨.

750. La première partie se divise en trois sections. En premier lieu il distingue le nom Principe [403]. En deuxième lieu il distingue le nom Cause, là [405] où il dit : ¨ D’un autre côté le nom cause se dit ¨. En troisième lieu il distingue le nom Élément, là [411] où il dit : ¨ Par ailleurs le nom élément se dit ¨.

   Et il procède selon cet ordre parce que le nom principe est plus commun que le nom cause : il est possible en effet d’être principe sans être cause tout comme le principe du mouvement se dit du terme à partir duquel procède le mouvement. Et de plus le nom cause est plus universel que le nom élément. En effet, seule une cause intérieure peut être appelée élément.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les significations du nom Principe [403]. En deuxième lieu il ramène toutes ces significations à une même notion commune, là [404] où il dit : ¨ Donc, de tous les principes ¨.

751. Mais il faut savoir que le principe et la cause, bien qu’identiques quant au sujet, diffèrent cependant quant à la notion. Car le nom de principe implique un certain ordre, alors que celui de cause implique de son côté une influence sur l’être de ce qui est causé. L’ordre d’antériorité et de postériorité se retrouve cependant dans de nombreuses facettes du réel. Mais conformément à ce qui est connu de nous en premier, l’ordre est découvert dans le mouvement local du fait que cette sorte de mouvement est plus manifeste aux sens. Mais il y a trois ordres de choses qui sont consécutives les unes aux autres, à savoir l’étendue, le mouvement et le temps. Car c’est d’après l’avant et l’après qu’on retrouve dans l’étendue qu’existe l’avant et l’après qu’on observe dans le mouvement; et c’est d’après l’avant et l’après qu’on retrouve dans le mouvement qu’existe l’avant et l’après qui se manifestent dans le temps, ainsi qu’on le montre au quatrième livre des Physiques. Donc, puisque le nom de principe se dit de ce qui est compris dans un certain ordre et que l’ordre qui s’entend selon l’avant et l’après dans l’étendue est plus connu de nous, et que nous nommons les choses d’après ce que nous connaissons d’elles, c’est pourquoi le nom de principe, selon la recherche qui nous est propre, signifie ce qui est premier dans l’étendue sur laquelle passe le mouvement. Et c’est pourquoi Aristote dit que principe se dit de l’endroit ¨ d’où en premier quelqu’un meut une chose ¨, c’est-à-dire une partie de l’étendue d’où commence le mouvement local. Ou bien, d’après un autre document, on lit que principe désigne ¨D’où en premier quelque chose de la chose sera en mouvement¨, c’est-à-dire de quelle partie d’une chose un être commence en premier à être mu, comme sur une ligne ou sur une route le principe se tient du côté de cette partie de l’étendue d’où commence le mouvement. Mais sur la partie opposée ou contraire, se tient un principe ¨ différent ou autre ¨, c’est-à-dire la fin ou le terme. Il faut savoir que c’est à cette signification que se rapportent le principe du mouvement et le principe du temps, pour la raison qui a déjà été invoquée.

752. D’un autre côté, parce que le mouvement ne commence pas toujours par le principe de l’étendue, mais par la partie d’où il est davantage utile à chacun de se mouvoir, c’est pour cette raison qu’il présente une deuxième modalité ou une deuxième signification en disant que d’une autre manière on appelle principe de mouvement ¨ le meilleur point de départ pour toute chose ¨, c’est-à-dire d’où toute chose commence à se mouvoir de la meilleure façon. Et il manifeste cela au moyen d’une similitude tirée des sciences dans lesquelles quelqu’un ne commence pas toujours à apprendre en prenant comme point de départ ce qui est principe à parler absolument et selon la nature, mais à partir de cela d’où quelque chose ¨ peut être appris ¨ plus facilement et avec plus de profit, c’est-à-dire à partir de ce qui est le plus connu de nous et qui est parfois postérieur selon la nature.

753. Mais cette dernière modalité diffère de la première. Car dans la première c’est à partir du principe de l’étendue qu’on désigne le principe du mouvement. Mais ici c’est à partir du principe du mouvement qu’on désigne le principe dans l’étendue. Et c’est aussi pour cette raison que dans ces mouvements qui ont lieu sur des étendues circulaires ne possédant pas de principe, on entend par principe le point de départ duquel le mobile se meut de la manière la meilleure et la plus avantageuse conformément à sa nature. Tout comme dans le mouvement du premier mobile le point de départ se tient du côté de l’orient. Et même pour ce qui est de nos mouvements, l’homme ne commence pas toujours à se mouvoir à partir du point de départ de la route mais parfois du milieu de celle-ci ou à partir d’un autre terme d’où il lui est avantageux de se mouvoir en premier.

754. Mais à partir de l’ordre qu’on observe dans le mouvement local on arrive aussi à connaître l’ordre qui existe dans les autres sortes de mouvements; et c’est pourquoi des significations du nom principe découlent de là qui se prennent d’après le principe de la génération ou du devenir des choses. Et dans ce cas certes la notion de principe se présente de deux façons. En effet ou bien le principe ¨est dans¨, c’est-à-dire qu’il est intrinsèque, ou bien ¨il n’est pas dans¨, c’est-à-dire qu’il est extrinsèque.

755. On appelle donc, conformément à la première façon, principe cette partie de la chose qui est engendrée en premier et à partir de laquelle commence la génération de la chose, tout comme pour le navire la partie qui est engendrée en premier est le banc ou la carène qui est comme les fondations du navire sur lesquelles toutes les pièces de bois du navire sont assemblées. De la même manière ce qui est produit en premier lieu dans la maison, ce sont les fondations. Par ailleurs dans l’animal ce qui apparaît en premier c’est le cœur d’après certains, le cerveau ou tout autre membre selon d’autres. C’est par le sens et le mouvement en effet que l’animal se distingue de ce qui n’est pas animal. Mais le principe du mouvement semble se situer dans le cœur. Cependant les opérations des sens se manifestent principalement dans le cerveau. Et c’est pourquoi ceux qui ont considéré l’animal du point de vue du mouvement affirmèrent que le cœur est le principe de la génération des animaux. Mais ceux qui ont considéré l’animal uniquement du point de vue du sens affirmèrent que le principe de leur génération est le cerveau, bien que même pour le sens le premier principe se situe dans le cœur, quoique les opérations des sens trouvent leur réalisation dans le cerveau. Mais ceux qui ont considéré l’animal quant à son comportement ou d’après certaines de ses opérations affirmèrent qu’un membre adapté à cette opération, comme le foie, est la première partie qui est engendrée chez l’animal. Mais d’après l’opinion du Philosophe, c’est le cœur qui est la première partie car c’est par le cœur que toutes les puissances de l’âme se répandent à travers le corps.

756. Mais conformément à la deuxième façon on appelle principe ce d’où commence la génération d’une chose mais qui se tient cependant à l’extérieur de la chose; et cela apparaît clairement dans trois genres de choses. En premier lieu certes dans les choses naturelles dans lesquelles on appelle principe de la génération ce d’où il est naturel en premier que le mouvement commence dans les choses qui se réalisent au moyen du mouvement, tout comme dans les choses qui sont obtenues au moyen d’une altération ou par un autre mouvement de cette sorte, comme lorsqu’on dit que l’homme devient grand ou blanc. Mais on appelle aussi principe dans les choses naturelles ce d’où commence le changement dans les choses qui ne se produisent pas par le mouvement mais uniquement par un changement substantiel comme on le voit dans la production des substances, tout comme l’enfant est produit par le père et la mère qui en sont les principes, et tout comme la guerre a pour principe l’offense qui pousse les hommes à se faire la guerre.

757. En deuxième lieu il manifeste encore la signification du nom principe dans le domaine des actions humaines, qu’elles soient morales ou politiques, dans lesquelles on appelle principe la volonté ou le dessein à partir duquel les autres sont mus, changés ou influencés et c’est ainsi que sont appelés principes ou magistrats dans les cités ceux qui obtiennent les pouvoirs et la suprématie, et même ceux qu’on appelle des tyrans. Car c’est à partir de leur volonté que dans les cités tous les changements se trouvent à être réalisés. Mais on dit que des hommes possèdent des pouvoirs quand ils se voient confier des responsabilités particulières dans les cités, comme les juges et ceux qui ont des titres de cette sorte. Mais ceux qui possèdent la suprématie sont ceux qui se trouvent à commander à tous, comme le font les rois. Mais pour ce qui est des tyrans, c’est par la violence qu’ils parviennent au pouvoir et c’est en dehors de l’ordre du droit et en vue de leurs propres intérêts qu’ils détiennent le pouvoir et dominent les cités.

758. Il tire son troisième exemple du domaine des choses artificielles car les arts aussi sont appelés de la même façon principes des choses artificielles car c’est de l’art que procède le mouvement qui conduit à la construction de l’artefact. Et parmi les arts, ce sont les arts architectoniques surtout qu’on appelle principes car c’est du nom principe qu’ils ¨tiennent leur nom¨, c’est-à-dire qu’ils sont appelés arts principaux. En effet on appelle architectoniques les arts qui commandent aux autres arts qui leur sont subordonnés, comme le pilote du navire commande à celui qui le fabrique et comme le militaire commande au cavalier.

759. Mais l’ordre qu’il y a dans la connaissance des choses s’entend aussi à la ressemblance de l’ordre qu’on observe dans les mouvements extérieurs, surtout parce que notre intelligence manifeste une certaine ressemblance par rapport au mouvement puisqu’elle discourt en quelque sorte en passant des principes aux conclusions. Et c’est pourquoi d’une autre manière on appelle principe ce à partir de quoi elle connaît les choses, tout comme nous disons que les principes des démonstrations ¨ sont des prémisses ¨, c’est-à-dire des axiomes et des postulats.

760. C’est d’après ces mêmes modalités que les causes aussi sont appelées principes. ¨Car toutes les causes sont certains principes¨. En effet c’est à partir de la cause que commence le mouvement vers l’être de la chose, bien que ce ne soit pas pour la même raison qu’on parle de cause et de principe, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

761. Ensuite lorsqu’il dit [404] : ¨ Donc de tous ¨.

   Il ramène toutes les modalités qui précèdent à une notion commune; et il dit que le caractère commun à toutes les significations que nous avons présentées est qu’on appelle principe ce qui est premier soit dans l’être de la chose, comme quand on appelle principe la première partie de la chose, soit dans le devenir de la chose comme quand on appelle principe le premier moteur, soit dans l’ordre de la connaissance des choses.

762. Mais bien que tous les principes, comme nous l’avons dit, ont ceci en commun, ils diffèrent cependant car certains sont intrinsèques alors que d’autres sont extrinsèques, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède. Et c’est pourquoi la nature peut être  principe et aussi l’élément, lesquels sont intrinsèques. Certes la nature peut être principe en tant qu’elle est ce d’où procède le mouvement; mais l’élément est principe en tant qu’il est la première partie dans la génération de la chose. ¨Et l’esprit¨, à savoir l’intelligence, et ¨ Le choix ¨, c’est-à-dire le dessein, sont appelés principes, mais comme extérieurement à la chose. Et de plus on appelle principe intérieur ¨ la substance de la chose ¨, c’est-à-dire la forme qui est le principe de l’être puisque c’est par elle que la chose vient à exister. Et aussi, d’après ce qui précède, la fin en vue de laquelle quelque chose vient à exister s’appelle elle aussi principe. En effet, le bien qui a raison de fin devant être atteinte et le mal qui a raison de fin devant être évitée, sont en de nombreux domaines principes de connaissance et de mouvement comme dans toutes les choses qui sont réalisées en vue d’une fin. En effet, dans les choses naturelles comme dans les choses artificielles et dans les actions morales, les démonstrations se tirent principalement de la fin.

 

 

LECTIO 2

[82328] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 1Hic philosophus distinguit quot modis dicitur causa. Et circa hoc duo facit. Primo assignat species causarum. Secundo modos causarum, ibi, modi vero causarum. Circa primum duo facit. Primo enumerat diversas species causarum. Secundo reducit eas ad quatuor, ibi, omnes vero causae dictae. Circa primum duo facit. Primo enumerat diversas species causarum. Secundo manifestat quaedam circa species praedictas, ibi, accidit autem multoties et cetera. Dicit ergo primo, quod uno modo dicitur causa id ex quo fit aliquid, et est ei inexistens, idest intus existens. Quod quidem dicitur ad differentiam privationis, et etiam contrarii. Nam ex contrario vel privatione dicitur aliquid fieri sicut ex non inexistente, ut album ex nigro vel album ex non albo. Statua autem fit ex aere, et phiala ex argento, sicut ex inexistente. Nam cum statua fit, non tollitur ratio aeris, nec si fit phiala, tollitur ratio argenti. Et ideo aes statuae, et argentum phialae sunt causa per modum materiae. Et horum genera, quia cuiuscumque materia est species aliqua, materia est eius genus, sicut si materia statuae est aes, eius materia erit metallum, et mixtum, et corpus, et sic de aliis.

[82329] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 2Alio autem modo dicitur causa, species et exemplum, id est exemplar; et haec est causa formalis, quae comparatur dupliciter ad rem. Uno modo sicut forma intrinseca rei; et haec dicitur species. Alio modo sicut extrinseca a re, ad cuius tamen similitudinem res fieri dicitur; et secundum hoc, exemplar rei dicitur forma. Per quem modum ponebat Plato ideas esse formas. Et, quia unumquodque consequitur naturam vel generis vel speciei per formam suam, natura autem generis vel speciei est id quod significat definitio, dicens quid est res, ideo forma est ratio ipsius quod quid erat esse, idest definitio per quam scitur quid est res. Quamvis enim in definitione ponantur aliquae partes materiales, tamen id quod est principale in definitione, oportet quod sit ex parte formae. Et ideo haec est ratio quare forma est causa, quia perficit rationem quidditatis rei. Et sicut id quod est genus materiae, est etiam materia, ita etiam genera formarum sunt formae rerum; sicut forma consonantiae diapason, est proportio duorum ad unum. Quando enim duo soni se habent adinvicem in dupla proportione, tunc est inter eos consonantia diapason, unde dualitas est forma eius. Nam proportio dupla ex dualitate rationem habet. Et, quia numerus est genus dualitatis, ideo ut universaliter loquamur, etiam numerus est forma diapason, ut scilicet dicamus quod diapason est secundum proportionem numeri ad numerum. Et non solum tota definitio comparatur ad definitum ut forma, sed etiam partes definitionis, quae scilicet ponuntur in definitione in recto. Sicut enim animal gressibile bipes est forma hominis, ita animal, et gressibile, et bipes. Ponitur autem interdum materia in definitione, sed in obliquo; ut cum dicitur, quod anima est actus corporis organici physici potentia vitam habentis.

[82330] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 3Tertio modo dicitur causa unde primum est principium permutationis et quietis; et haec est causa movens, vel efficiens. Dicit autem, motus, aut etiam quietis, quia motus naturalis et quies naturalis in eamdem causam reducuntur, et similiter quies violenta et motus violentus. Ex eadem enim causa ex qua movetur aliquid ad locum, quiescit in loco. Sicut consiliator est causa. Nam ex consiliatore incipit motus in eo, qui secundum consilium agit ad rei conservationem. Et similiter pater est causa filii. In quibus duobus exemplis duo principia motus tetigit ex quibus omnia fiunt, scilicet propositum in consiliatore, et naturam in patre. Et universaliter omne faciens est causa facti per hunc modum, et permutans permutati.

[82331] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 4Sciendum est autem quod secundum Avicennam quatuor sunt modi causae efficientis; scilicet perficiens, disponens, adiuvans, et consilians. Perficiens autem dicitur causa efficiens, quae ultimam rei perfectionem causat, sicut quod inducit formam substantialem in rebus naturalibus, vel artificialem in artificialibus, ut aedificator domus.

[82332] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 5Disponens autem quod non inducit ultimam formam perfectivam, sed tantummodo praeparat materiam ad formam; sicut ille, qui dolat ligna et lapides, dicitur domum facere. Et haec non proprie dicitur efficiens domus; quia id, quod ipse facit, non est domus nisi in potentiam. Magis tamen proprie erit efficiens, si inducat ultimam dispositionem ad quam sequitur de necessitate forma; sicut homo generat hominem non causans intellectum, qui est ab extrinseco.

[82333] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 6Adiuvans autem dicitur causa secundum quod operatur ad principalem effectum. In hoc tamen differt ab agente principali, quia principale agens agit ad finem proprium, adiuvans autem ad finem alienum; sicut qui adiuvat regem in bello, operatur ad finem regis. Et haec est dispositio causae secundariae ad primam; nam causa secunda operatur propter finem primae causae in omnibus agentibus per se ordinatis, sicut militaris propter finem civilis.

[82334] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 7Consilians autem differt ab efficiente principali, inquantum dat finem et formam agendi. Et haec est habitudo primi agentis per intellectum ad omne agens secundum, sive sit naturale, sive intellectuale. Nam primum agens intellectuale in omnibus dat finem et formam agendi secundo agenti, sicut architector navis navim operanti, et primus intellectus toti naturae.

[82335] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 8Ad hoc autem genus causae reducitur quicquid facit aliquid quocumque modo esse, non solum secundum esse substantiale, sed secundum accidentale; quod contingit in omni motu. Et ideo non solum dicit quod faciens sit causa facti, sed etiam mutans mutati.

[82336] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 9Quarto modo dicitur causa finis; hoc autem est cuius causa aliquid fit, sicut sanitas est causa ambulandi. Et quia de fine videbatur minus quod esset causa, propter hoc quod est ultimum in esse, unde etiam ab aliis prioribus philosophis haec causa est praetermissa, ut in primo libro praehabitum est, ideo specialiter probat de fine quod sit causa. Nam haec quaestio quare, vel propter quid, quaerit de causa: cum enim quaeritur quare, vel propter quid quis ambulat, convenienter respondentes dicimus, ut sanetur. Et sic respondentes opinamur reddere causam. Unde patet quod finis est causa. Non solum autem ultimum, propter quod efficiens operatur, dicitur finis respectu praecedentium; sed etiam omnia intermedia quae sunt inter primum agens et ultimum finem, dicuntur finis respectu praecedentium; et eodem modo dicuntur causa unde principium motus respectu sequentium: sicut inter medicinam, quae est primum agens in hoc ordine, et sanitatem quae est ultimus finis, sunt ista media: scilicet attenuatio, quae est propinquissima sanitati in his, qui superabundant in humoribus, et purgatio, per quam acquiritur attenuatio, et pharmacia, idest medicina laxativa, et ex qua purgatio causatur, et organaidest instrumenta quibus medicina vel pharmacia praeparatur et ministratur. Huiusmodi etiam omnia sunt propter finem; et tamen unum eorum est finis alterius. Nam attenuatio est finis purgationis, et purgatio pharmaciae. Haec autem intermedia posita differunt adinvicem in hoc, quaedam eorum sunt organa, sicut instrumenta quibus medicina praeparatur et ministratur, et ipsa medicina ministrata qua natura utitur ut instrumento; quaedam vero sunt opera, idest operationes, sive actiones, ut purgatio et attenuatio.

[82337] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 10Concludit ergo quod causae toties dicuntur, idest quatuor modis. Et addit fere propter modos causarum quos infra ponet. Vel etiam ideo, quia illae eaedem species non eadem ratione in omnibus inveniuntur.

[82338] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 11Deinde cum dicit accidit autem ponit quaedam, quae consequuntur circa causas ex praedictis; et sunt tria: quorum primum est, quod quia causa multis modis dicitur, contingit multas causas esse unius rei non secundum accidens, sed secundum se. Quod enim secundum accidens multae sint causae unius rei, hoc difficile non videbatur; quia rei, quae est causa per se alicuius effectus, multa possunt accidere, qua omnia illius effectus possunt etiam causa per accidens dici: sed, quod causae per se sint multae unius, hoc fit manifestum ex hoc, quod causae multipliciter dicuntur. Statuae enim causa per se et non per accidens est factor statuae, et aes; sed non eodem modo. Hoc enim est impossibile quod eiusdem secundum idem genus, sint multae causae per se eodem ordine; licet possint esse plures causae hoc modo, quod una sit proxima, alia remota: vel ita, quod neutrum sit causa sufficiens, sed utrumque coniunctim; sicut patet in multis, qui trahunt navem. Sed in proposito diversis modis ista duo sunt causa statuae: aes quidem ut materia, artifex vero ut efficiens.

[82339] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 12Secundum ponit ibi, et adinvicem dicit, quod etiam contingit, quod aliqua duo adinvicem sibi sunt causae: quod impossibile est in eodem genere causae. Manifestum vero fit multipliciter dictis causis. Sicut dolor ex incisione vulneris est causa sanitatis, ut efficiens sive principium motus: sanitas autem est causa illius doloris, ut finis. Secundum enim idem genus causae aliquid esse causam et causatum est impossibile. Alia litera habet melius laborare causa est euexiae, idest bonae dispositionis, quae causatur ex labore moderato, qui ad digestionem confert et superfluos humores consumit.

[82340] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 13Sciendum est autem, quod cum sint quatuor causae superius positae, earum duae sibiinvicem correspondent, et aliae duae similiter. Nam efficiens et finis sibi correspondent invicem, quia efficiens est principium motus, finis autem terminus. Et similiter materia et forma: nam forma dat esse, materia autem recipit. Est igitur efficiens causa finis, finis autem causa efficientis. Efficiens est causa finis quantum ad esse quidem, quia movendo perducit efficiens ad hoc, quod sit finis. Finis autem est causa efficientis non quantum ad esse, sed quantum ad rationem causalitatis. Nam efficiens est causa inquantum agit: non autem agit nisi causa finis. Unde ex fine habet suam causalitatem efficiens. Forma autem et materia sibiinvicem sunt causa quantum ad esse. Forma quidem materiae inquantum dat ei esse actu; materia vero formae inquantum sustentat ipsam. Dico autem utrumque horum sibi invicem esse causam essendi vel simpliciter vel secundum quid. Nam forma substantialis dat esse materiae simpliciter. Forma autem accidentalis secundum quid, prout etiam forma est. Materia etiam quandoque non sustentat formam secundum esse simpliciter, sed secundum quod est forma huius, habens esse in hoc, sicut se habet corpus humanum ad animam rationalem.

[82341] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 2 n. 14Tertium ponit ibi, amplius autem dicit, quod idem contrariorum contingit esse causam. Quod etiam difficile videbatur vel impossibile, si similiter ad utrumque referatur; sed dissimiliter est causa utriusque. Illud enim, quod per sui praesentiam est causa huius, quando est absens causamur idest accusamus ipsum de contrario, idest dicimus ipsum esse causam contrarii. Sicut patet, quod gubernator per sui praesentiam est causa salutis navis, dicimus eius absentiam esse causam perditionis. Ne autem putetur quod hoc sit referendum ad diversa genera causarum sicut et priora duo, ideo subiungit quod utrumque istorum reducitur ad idem genus causae, scilicet ad causam moventem. Eodem enim modo oppositum est causa oppositi, quo haec est causa huius.

LEÇON 2.

(nn. 763-776; [405-408]).

 

Il énumère quatre sortes de causes et de là il conclut qu’il peut y avoir plusieurs causes pour un même effet et que des causes sont réciproquement causes les unes des autres et que les contraires ont une même cause.

 

763. Le Philosophe distingue ici de combien de sens se dit la cause.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il identifie les espèces de causes [405]. En deuxième lieu il identifie les modes des causes, là [410] où il dit : ¨ D’un autre côté les modes des causes ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il énumère les diverses espèces de causes [405]. En deuxième lieu il les ramène à quatre, là [409] où il dit : ¨ Par ailleurs toutes ces causes dont nous venons de parler ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il énumère les différentes espèces de causes [405]. En deuxième lieu il manifeste certains points au sujet des espèces qui précèdent, là [406] où il dit : ¨ Mais il arrive souvent etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [405] qu’en un premier sens cause se dit de ce à partir de quoi une chose est produite et qui lui ¨ est intérieure ¨, c’est-à-dire qui est à l’intérieur de la chose en devenir. Et ce qui est dit ici de cette sorte de cause a pour but de la distinguer de la privation et même du contraire. Car on dit que qu’une chose est produite à partir de la privation et du contraire comme à partir de ce qui n’existe pas en elle, comme le blanc vient du noir ou le blanc du non-blanc. Mais la statue vient du bronze et la coupe de l’argent comme de ce qui existe en elles. Car alors même que la statue est en devenir la nature du bronze ne disparaît pas tout comme lors de la production de la coupe, la nature de l’argent n’est pas supprimée. Et c’est pourquoi le bronze de la statue et l’argent de la coupe sont causes à la manière d’une matière. ¨Et les genres de ces dernières¨, car la matière de toute chose est une certaine espèce dont la matière est le genre, tout comme si la matière de la statue est le bronze, sa matière sera le métal, un alliage, un corps, et il en sera de même pour les autres matériaux.

764. En un deuxième sens cause se dit de l’espèce et du modèle, c’est-à-dire du paradigme; et c’est là la cause formelle qui se compare à la chose de deux manières. D’une première manière la cause formelle se compare à la chose comme sa forme intérieure et alors on l’appelle espèce. D’une autre manière la cause formelle se compare à la chose comme une forme qui est extérieure à la chose dont on dit pourtant que le devenir s’effectue à la ressemblance de cette forme. Et c’est d’après cette deuxième manière de comparer la cause formelle à la chose qu’on dit de la forme qu’elle est le paradigme de la chose. Et c’est en ce dernier sens que Platon affirmait que les Idées sont des formes. Et parce que c’est par sa forme propre que toute chose acquiert la nature d’un genre ou d’une espèce, et que la nature d’un genre ou d’une espèce est ce que signifie la définition en disant ce qu’est la chose, c’est pourquoi la forme est la raison de la ¨ quiddité ¨, c’est-à-dire la définition grâce à laquelle on connaît ce qu’est la chose. En effet, bien que dans la définition soient présentes certaines parties matérielles, cependant ce qui est principal dans la définition doit se tenir du côté de la forme. Et telle est la raison pour laquelle la forme est cause, car c’est par elle que s’accomplit l’intelligence de la quiddité de la chose. Et tout comme le genre d’une matière déterminée est aussi une matière, de même aussi les genres des formes sont eux aussi des formes des choses; tout comme cette forme de l’harmonie de l’octave se trouve dans la proportion de deux à un. En effet quand deux sons se rapportent l’un à l’autre dans le rapport de deux à un, alors il y a entre eux l’harmonie de l’octave alors le nombre deux se trouve à être leur forme. Car la proportion du double tire sa nature du nombre deux. Et, parce que le nombre est le genre du nombre deux, c’est pourquoi à parler plus universellement le nombre aussi est la forme de l’octave, de telle sorte que nous pouvons dire que l’octave découle de la proportion d’un nombre à un nombre. Et c’est non seulement l’ensemble de la définition qui se rapporte comme une forme au défini, mais aussi chacune des parties qui sont placées directement dans la définition. En effet, tout comme animal social et bipède est la forme de l’homme, il en est de même pour chacun d’eux séparément. Cependant il arrive parfois que la matière soit insérée dans la définition, mais ce n’est qu’indirectement comme lorsque l’on dit que l’âme est l’acte d’un corps physique organisé ayant la vie en puissance.

765. En un troisième sens cause se dit de ce d’où part le commencement du mouvement et du repos; et telle est la cause motrice ou efficiente. Mais il parle ici de la cause du mouvement et du repos car le mouvement et le repos naturels se ramènent à la même cause et il en est de même pour le repos et le mouvement violents. En effet, la cause pour laquelle une chose se meut vers un lieu est la même pour laquelle elle se repose dans ce lieu. ¨Tout comme le conseiller est cause¨. Car c’est à partir du conseiller que commence le mouvement en celui qui d’après ce conseil agit en vue de conserver la chose. Et de la même manière ¨le père est la cause du fils¨. Et dans ces deux exemples il touche deux principes du mouvement à partir desquels toutes les choses sont produites, à savoir le propos qui est présent dans celui qui décide, et la nature dans le père. Et en général c’est de cette manière que tout agent est la cause de ce qu’il fait et que celui qui fait changer est la cause de ce qui subit ce changement.

766. Mais il faut savoir que d’après Avicennes, il existe quatre modalités dans les causes efficientes, à savoir celle qui achève, celle qui dispose, celle qui assiste et celle qui conseille. On dit que la cause efficiente est celle qui achève lorsqu’elle est responsable de la perfection ultime de la chose, tout comme ce qui conduit à la forme substantielle dans les choses naturelles ou à la forme artificielle dans les choses artificielles, comme le fait l’architecte pour la maison.

767. La cause efficiente qui dispose ne conduit pas à la fin ultime qui donne sa perfection à la chose, mais elle ne fait que préparer la matière à recevoir la forme, tout comme on dit que celui qui coupe le bois et la pierre fabrique la maison, mais ce n’est pas là à proprement parler la cause efficiente de la maison car ce qu’il fait n’est encore que la maison en puissance. Mais la cause sera davantage efficiente au sens propre si elle conduit à une disposition finale de la matière d’où découlera nécessairement la forme, tout comme un homme engendre un autre homme sans toutefois être la cause de son intelligence qui est produite par une cause extérieure.

768. On dit de la cause efficiente qu’elle assiste selon qu’elle agit en vue de l’effet principal. Elle diffère cependant de l’agent principal en ceci que ce dernier agit en vue de sa fin propre alors que celui qui assiste agit en vue d’une fin étrangère, tout comme celui qui assiste le roi à la guerre agit en vue des besoins du roi. Et telle est la disposition d’une cause secondaire à l’égard d’une cause principale car dans tous les agents qui sont ordonnés par soi les uns aux autres, la cause seconde agit en vue de la finalité de la cause première, tout comme le militaire agit en vue de la finalité du citoyen.

769. Mais celui qui conseille diffère de l’agent principal dans la mesure où c’est lui qui présente à l’agent la finalité et la forme à réaliser. Et tel est le rapport du premier agent qui opère par l’intelligence à tout agent second, qu’il soit naturel ou intellectuel. Car pour toutes les choses le premier agent intellectuel donne à l’agent second la finalité et la forme à réaliser, tout comme l’architecte du navire le fait pour celui qui le fabrique et comme l’Intelligence première le fait pour toute la nature.

770. Mais à ce genre de cause se ramène tout ce qui fait que quelque chose vient d’une manière ou d’une autre à exister, non seulement selon l’existence substantielle mais aussi selon l’existence accidentelle, ce qui se produit dans tout mouvement. Et c’est pourquoi non seulement dit-il que celui qui fait est la cause de ce qui est fait mais aussi que celui qui meut est la cause de ce qui est mû.

771. En un quatrième sens on dit de la fin qu’elle est cause. La fin est ce en vue de quoi quelque chose est fait, comme la santé est la cause de la marche. Et parce qu’il était moins évident que la fin est une cause pour cette raison qu’elle vient en dernier à exister, c’est aussi pour cette raison qu’elle fut négligée par les anciens philosophes ainsi qu’on l’a montré au premier livre de ce traité et c’est aussi pour cela que le Philosophe apporte une attention spéciale à prouver que la fin est une cause. Car la question pourquoi ou en vue de quoi se trouve à exprimer la quête d’une cause : en effet, lorsqu’on demande pourquoi ou en vue de quoi quelqu’un marche, nous parlons correctement en répondant que c’est pour la santé. Et en répondant ainsi nous croyons en donner la cause. D’où il est manifeste que la fin est cause. Non seulement dit-on que l’objectif ultime en vue duquel agit la cause efficiente est une fin à l’égard de tout ce qui précède, mais encore tous les intermédiaires qui se trouvent entre l’agent premier et la finalité ultime sont aussi appelés des fins par rapport à ce qui les précède; et il en est de même pour tous les agents qui sont appelés causes par rapport à ceux qui les suivent. Ainsi entre le médecin qui est l’agent premier dans le domaine de la santé, et la santé elle-même qui est la finalité ultime à réaliser, on retrouve ces intermédiaires, à savoir l’amaigrissement qui est l’effet le plus rapproché de la santé chez ceux qui abondent en humeurs, la purgation par laquelle on parvient à l’amaigrissement, ¨et les remèdes¨, c’est-à-dire la médecine laxative grâce à laquelle on obtient la purgation, et ¨les organes¨, c’est-à-dire les instruments pour lesquels le remèdes sont préparés et auxquels ils sont administrés. Toutes les choses de cette sorte sont en vue d’une fin et cependant l’une d’elles est la fin de l’autre car l’amaigrissement est la fin de la purgation et la purgation à son tour est la fin des remèdes. Mais ces intermédiaires qu’on vient de présenter diffèrent entre eux en ceci que certains d’entre eux sont des instruments, comme ceux par lesquels les médicaments sont préparés et administrés, et les remèdes eux-mêmes qui sont administrés et dont la nature se sert comme d’instruments alors que d’autres intermédiaires sont soit un travail ou une opération, soit une action comme la purgation et l’amaigrissement.

772. Il conclut donc que ¨ les causes se disent toutes ¨ d’après ces quatre sortes. Et il ajoute ¨presque¨ en raison des modes de causalité qu’il présentera plus loin. Ou encore parce que ces mêmes espèces de causes ne se retrouvent pas pour la même raison dans toutes les choses.

773. Ensuite lorsqu’il dit [406] : ¨ Il arrive cependant ¨.

   Il présente certains points, au nombre de trois, qui découlent de ce que qui a été dit au sujet des causes. Le premier est que parce que le nom cause se dit de plusieurs manières, il arrive que plusieurs causes appartiennent à une même chose non par accident mais par soi. En effet qu’il y ait plusieurs causes par accident d’une même chose, cela ne semble pas difficile à voir; car à une chose qui est la cause par soi d’un effet, de nombreux accidents peuvent être attribués qui peuvent tous eux aussi être appelés causes par accidents de cet effet. Mais qu’il y ait plusieurs causes par soi d’une même chose, cela devient évident à partir de ceci qu’on comprend que le nom cause se dit de plusieurs manières. En effet, comme causes par soi et non par accident  de la statue, on retrouve le sculpteur et le bronze, mais non de la même manière. Il est en effet impossible que pour une même chose et selon un même genre il y ait plusieurs causes par soi selon un même ordre de causalité, bien qu’il puisse y avoir plusieurs causes par soi sous un même rapport, mais de telle sorte qu’une soit immédiate et l’autre éloignée, ou encore qu’aucune des deux séparément ne soit suffisante à produire l’effet mais qu’il faille pour cela le concours de plusieurs comme on le voit chez les nombreux manœuvres qui tirent le navire. Mais pour le propos qui nous occupe en rapport avec des sortes de causes différentes, le bronze et le sculpteur sont causes par soi de la statue : le bronze en tant que cause matérielle, le sculpteur en tant que cause efficiente.

774. Il présente le deuxième point, là [407] où il dit : ¨ Et réciproquement ¨.

   Et il dit qu’il arrive même que deux choses soient réciproquement causes l’une pour l’autre, ce qui ne peut cependant pas avoir lieu dans un même genre de causes. Mais cela se produit manifestement pour les causes de genres différents. Par exemple la douleur qui provient de la coupure occasionnée par une blessure est cause de la santé en tant que cause efficiente ou principe de mouvement mais la santé est cause de cette douleur en tant que cause finale. Mais il est impossible que dans un même genre de causes la même chose soit à la fois cause et effet. Un autre document nous dit d’une manière plus heureuse : ¨Le travail est cause de santé¨, c’est-à-dire d’une bonne disposition qui est causée par un travail modéré qui contribue à une bonne digestion et à consumer les humeurs superflues.

775. Il faut cependant savoir que puisque quatre causes ont été présentées plus haut, deux d’entre elles se correspondent mutuellement et il en est de même pour les deux autres. Car la cause efficiente et la cause finale se correspondent mutuellement car l’agent est le principe du mouvement alors que la fin en est le terme. Et il y a aussi correspondance entre la matière et la forme car cette dernière donne l’existence alors que la matière la reçoit. L’agent est donc cause de la fin et la fin est cause de l’agent. L’agent est certes cause de la fin quant à son être parce que par le mouvement qu’il entraîne l’agent arrive à achever cela, à savoir que la fin existe. La fin quant à elle est cause de l’agent, non pas certes quant à son être, mais sous le rapport de sa causalité. Car l’agent est cause pour autant qu’il agit : mais il n’agit qu’en raison d’une fin. C’est pourquoi l’agent tire sa causalité de la fin. Mais la forme et la matière sont réciproquement causes l’une de l’autre quant à l’être. La forme est certes cause de l’être de la matière dans la mesure où elle lui donne d’exister en acte; d’un autre côté la matière est cause de l’être de la forme pour autant qu’elle la soutient. Mais je dis que les deux sont, réciproquement l’une pour l’autre, causes d’existence soit d’une manière absolue, soit sous un certain rapport. Car la forme substantielle donne à la matière d’exister purement et simplement alors que la forme accidentelle, dans la mesure où elle est elle aussi une forme, donne à la matière d’exister sous un certain rapport. Aussi la matière parfois ne soutient pas la forme quant à son être absolu mais selon qu’elle est la forme de ceci possédant une existence dans telle matière, comme le fait le corps humain pour l’âme rationnelle.

776. Il présente le troisième point, là [408] où il dit : ¨ Mais en outre ¨.

   Il dit qu’il arrive à la même chose d’être cause des contraires. Ce qui semblerait difficile ou même impossible si elle se rapportait aux deux de la même manière; mais elle est cause des deux contraires d’une manière différente. En effet, ce qui par sa présence est cause de ceci, par son absence, ¨ nous alléguons ¨, c’est-à-dire nous l’accusons ¨ du contraire ¨, c’est-à-dire que nous disons qu’il est lui-même cause du contraire. Tout comme quand on voit que le pilote par sa présence est cause du salut du navire, nous disons que son absence il est cause de la perte du navire. Mais afin qu’on ne pense pas que cela se rapporte à différents genres de causes comme c’était le cas pour les deux conséquences examinées précédemment, c’est pourquoi il ajoute que chacun de ces deux exemples relatifs au pilote se rapportant à son absence ou à sa présence se ramène au même genre de causes, à savoir à la cause agente. C’est de la même manière en effet que, ceci étant cause de cela,  son opposé sera cause d’un effet opposé.

 

 

LECTIO 3

[82342] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 1Hic philosophus reducit omnes causas in quatuor modos causarum praedictos; dicens, quod omnia quae dicuntur causae, incidunt in praedictos quatuor modos. Dicuntur enim elementa, idest literae, causae syllabarum, et materia artificialium dicitur esse causa factorum per artem, et ignis et terra et huiusmodi omnia simplicia corpora, dicuntur esse causae corporum mixtorum. Et partes dicuntur esse causa totius. Et suppositiones, idest propositiones praemissae, ex quibus propositis syllogizatur, dicuntur esse causa conclusionis. Et in omnibus istis est una ratio causae, secundum quod dicitur causa illud ex quo fit aliquid, quod est ratio causae materialis.

[82343] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 2Sciendum est autem, quod propositiones dicuntur esse materia conclusionis, non quidem secundum quod sub tali forma existunt, vel secundum virtutem earum; (sic enim magis se habent in ratione causae efficientis); sed quantum ad terminos, ex quibus componuntur. Nam ex terminis praemissarum componitur conclusio, scilicet ex maiori et ex minori extremitate.

[82344] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 3Inter ea autem ex quibus res integratur, aliquid se habet per modum subiecti, sicut partes et alia quae praedicta sunt; alia vero se habent ut quod quid erat esse, scilicet totum, et compositio, et species, quae pertinent ad rationem formae, secundum quam quidditas rei completur. Sciendum est enim, quod quandoque una res simpliciter est alicuius materia, sicut argentum phialae; et tunc forma correspondens tali materiae potest dici species. Quandoque autem plures adinvicem adunatae sunt materia alicuius rei. Quod quidem contingit tripliciter. Quandoque enim adunantur secundum ordinem tantum, sicut homines in exercitu, vel domus in civitate; et sic pro forma respondet totum, quod designatur nomine exercitus vel civitatis. Quandoque autem non solum adunantur ordine, sed contactu et colligatione, sicut apparet in partibus domus; et tunc respondet pro forma compositio. Quandoque autem super hoc additur alteratio componentium, quod contingit in mixtione; et tunc forma est ipsa mixtio, quae tamen est quaedam compositionis species. Ex quolibet autem trium horum sumitur quod quid est rei, scilicet ex compositione et specie et toto: sicut patet si definiretur exercitus, domus et phiala. Sic ergo habemus duos modos causae.

[82345] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 4Secundum autem aliam rationem dicitur causa sperma et medicus et consiliator, et universaliter omne faciens, ex eo scilicet quod sunt principia motus et quietis. Unde iam hoc est aliud genus causae, propter aliam rationem causandi. Ponit autem sperma in hoc genere causae, quia secundum eius sententiam sperma vim habet activam, menstruum autem mulieris cedit in materiam concepti.

[82346] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 5Quarta vero ratio causandi est secundum quod aliqua dicuntur causae per modum finis et boni respectu aliorum. Illud enim cuius causa fit aliquid, est optimum inter alia et vult esse idest habet aptitudinem ut sit aliorum finis. Quia vero posset aliquis obiicere quod non semper bonum est finis, cum quandoque aliqui inordinate agentes malum finem sibi constituant, ideo respondet, quod nihil ad propositum differt dicere quod simpliciter sit bonum vel apparens bonum. Qui enim agit, agit per se loquendo propter bonum; hoc enim intendit; per accidens autem propter malum, inquantum accidit ei quod existimat bonum esse. Nullus enim agit propter aliquid intendens malum.

[82347] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 6Sciendum autem est, quod licet finis sit ultimus in esse in quibusdam, in causalitate tamen est prior semper. Unde dicitur causa causarum, quia est causa causalitatis in omnibus causis. Est enim causa causalitatis efficientis, ut iam dictum est. Efficiens autem est causa causalitatis et materiae et formae. Nam facit per suum motum materiam esse susceptivam formae, et formam inesse materiae. Et per consequens etiam finis est causa causalitatis et materiae et formae; et ideo potissimae demonstrationes sumuntur a fine, in illis in quibus agitur aliquid propter finem, sicut in naturalibus, in moralibus et artificialibus. Concludit igitur, quod praedicta sunt causae, et quod causae secundum tot species distinguuntur.

[82348] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 7Deinde cum dicit modi vero distinguit modos causarum. Est autem distinctio causae per species et per modos. Nam distinctio per species est penes diversas rationes causandi; et ideo est quasi divisio per differentias essentiales species constituentes. Divisio autem per modos est penes diversas habitudines causae ad causatum. Et ideo est in his quae habent eamdem rationem causandi, sicut per se et per accidens, remotum et propinquum. Unde est quasi per differentias accidentales non diversificantes speciem.

[82349] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 8Dicit ergo, quod multi sunt modi causarum, sed pauciores inveniuntur quando capitulatim, idest quodam compendio comprehenduntur. Per se enim et per accidens sunt duo modi; tamen reducuntur ad unum capitulum, secundum quod est eadem consideratio de utroque. Et similiter est de aliis modis oppositis. Causae enim multis modis dicuntur, non solum quantum ad diversas species causae, sed etiam quantum ad causas conspeciales, quae scilicet reducuntur ad unam speciem causae.

[82350] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 9Dicitur enim una prior, et altera posterior. Prius autem et posterius in causis invenitur dupliciter. Uno modo in causis diversis numero adinvicem ordinatis, quarum una est prima et remota, et alia secunda et propinqua; sicut in causis efficientibus homo generat hominem ut causa propinqua et posterior, sol autem ut causa prior et remota: et similiter potest considerari in aliis speciebus causarum. Alio modo in una et eadem causa numero secundum ordinem rationis qui est inter universale et particulare. Nam universale naturaliter est prius, particulare posterius.

[82351] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 10Praetermittit autem primum modum, et accipit secundum. In secundo enim modo immediate effectus ab utraque causa existit, scilicet priori et posteriori, quod in primo non convenit. Unde dicit, quod sanitatis causa est medicus et artifex in genere causae efficientis. Artifex quidem ut universale, et prius; medicus vero ut particulare, sive speciale, et posterius. Similiter etiam in causis formalibus dupliciter est causa formalis: ut diapason duplum, vel proportio dupla, vel dualitas est causa formalis, ut speciale et posterius; numerum autem, vel proportio numeri ad numerum vel ad unum, ut universale et prius. Et ita semper ea quae continent singularia, scilicet universalia, dicuntur causae priores.

[82352] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 11Alia divisio est causarum, secundum quod aliquid dicitur esse causa per se et per accidens. Sicut enim causa per se dividitur in universale et particulare, sive in prius et posterius, ita etiam causa per accidens. Unde non solum ipsae causae accidentales dicuntur causae per accidens, sed etiam ipsarum genera. Ut statuae factor, statuae causa est per se; Polycletus autem per accidens est causa, inquantum accidit ei factorem statuae esse. Et sicut Polycletus est causa statuae per accidens, ita omnia universalia continentia accidens, idest causam per accidens, dicuntur per accidens causae; sicut homo et animal, quae sub se continent Polycletum, qui est homo et animal.

[82353] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 12Et sicut causarum per se quaedam sunt propinquae, quaedam remotae, ut dictum est, ita et inter causas per accidens. Nam Polycletus est causa statuae magis propinqua quam album et musicum. Magis enim remotus modus praedicationis per accidens est, cum accidens praedicatur de accidente, quam cum accidens praedicatur de subiecto. Accidens enim non praedicatur de accidente, nisi quia ambo praedicantur de subiecto. Unde magis remotum est ut attribuatur uni accidenti quod est alterius, sicut musico quod est aedificatoris, quam quod attribuatur subiecto quod est accidentis, sicut Polycleto quod est aedificatoris.

[82354] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 13Sciendum autem est, quod aliquid potest dici causa per accidens alterius dupliciter. Uno modo ex parte causae; quia scilicet illud quod accidit causae, dicitur causa per accidens, sicut si album dicatur causa domus. Alio modo ex parte effectus; ut scilicet aliquid dicatur causa per accidens alicuius, quod accidit ei quod est effectus per se. Quod quidem potest esse tripliciter. Uno modo, quia habet ordinem necessarium ad effectum, sicut remotio impedimenti habet ordinem necessarium ad effectum. Unde removens prohibens dicitur movens per accidens; sive illud accidens sit contrarium, sicut cholera prohibet frigiditatem, unde scamonaea dicitur infrigidare per accidens, non quia causet frigiditatem sed quia tollit impedimentum frigiditatis, quod est ei contrarium, scilicet choleram: sive etiam si non sit contrarium, sicut columna impedit motum lapidis, unde removens columnam dicitur per accidens movere lapidem superpositum alio modo, quando accidens habet ordinem ad effectum, non tamen necessarium, nec ut in pluribus, sed ut in paucioribus, sicut inventio thesauri ad fossionem in terra. Et hoc modo fortuna et casus dicuntur causae per accidens. Tertio, quando nullum ordinem habent, nisi forte secundum existimationem; sicut si aliquis dicat se esse causam terraemotus, quia eo intrante domum accidit terraemotus.

[82355] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 14Tertia distinctio est, secundum quod prae omnibus his vel praeter omnia haec, quae dicuntur esse secundum se sive per se, et secundum accidens, quaedam sunt causae in potentia, quaedam ut agentia, idest in actu. Sicut aedificationis causa est aedificator in potentia. Hoc enim sonat habitum vel officium. Vel aedificans actu.

[82356] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 15Et eisdem modis, quibus dividuntur causae, possunt dividi causata in quibus vel quorum causae sunt causae. Potest enim dividi causatum per prius et posterius sive particulare et universale; sicut si dicamus, quod statuae factor est causa huius statuae, quod est posterius, aut statuae, quod est universalius et prius, aut imaginis, quod est adhuc universalius. Et similiter aliquid est causa formalis huius aeris, aut aeris, quod est universalius, aut materiae, quod est adhuc universalius. Et similiter potest dici in accidentalibus, scilicet in effectibus per accidens. Nam statuae factor qui est causa statuae, est etiam causa gravis vel albi vel rubei quae accidunt ex parte materiae, et non sunt ab hoc agente causata.

[82357] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 16Ulterius ponit quartam distinctionem causae, quae est in simplex et in compositum; ut simplex causa dicatur secundum quod accipitur causa statuae per se totum ut statuae factor, sive per accidens tantum, scilicet Polycletus. Composita autem secundum quod utrumque simul accipitur, ut dicatur causa statuae Polycletus statuae factor.

[82358] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 17Est autem alius modus quo causae possunt dici compositae, secundum quod plures causae concurrunt ad unius rei constitutionem; sicut plures homines ad trahendum navem, vel plures lapides, ut sint materia domus. Sed hoc praetermisit, quia nullum illorum est causa, sed pars causae.

[82359] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 3 n. 18His autem modis positis, colligit istorum modorum numerum, dicens, quod isti modi causarum sunt sex et variantur dupliciter, et ita efficiuntur duodecim. Hi enim modi sex sunt aut singulare, aut genus, quod superius dixit prius et posterius. Et secundum se et per accidens, ad quod etiam reducitur genus accidentis, nam genus accidentis est causa per accidens. Et iterum per complexum et simplex. Hi autem sex modi ulterius dividuntur per potentiam et per actum, et sunt duodecim. Ideo autem oportet omnes istos modos per potentiam et actum dividi, quia potentia et actus diversificant habitudinem causae ad effectum. Nam causae in actu particulares sunt simul et tolluntur cum suis effectibus, sicut hic medicans cum hoc convalescente, et hic aedificans cum hoc aedificato: non enim potest aliquid actu aedificari, nisi sit actu aedificans. Sed causae secundum potentiam non semper removentur cum effectibus; sicut domus et aedificator non simul corrumpuntur. In quibusdam tamen contingit, quod remota actione efficientis tollitur substantia effectus, sicut in his quorum esse est in fieri, vel quorum causa non solum est effectui causa fiendi sed essendi. Unde remota illuminatione solis ab aere, tollitur lumen. Dicit autem causas singulares, quia actus singularium sunt, ut in primo huius habitum est.

LEÇON 3.

(nn. 777-794; [409-410]).

 

Il ramène toutes les sortes de causes à quatre espèces; à partir de là, conformément à certaines modalités il présente quatre divisions parmi les causes, divisions qu’il ramène à l’acte et à la puissance.

 

777. Le Philosophe ramène ici toutes les causes aux quatre sortes de causes qui précèdent [409] en disant que tout ce qu’on appelle cause tombe dans les quatre sortes qui précèdent. On appelle en effet que les ¨ éléments ¨ c’est-à-dire les lettres, sont les causes  des syllabes et que la matière des choses artificielles est la cause des artefacts produits par l’art, et que le feu et la terre ainsi que tous les corps simples sont les causes des corps mixtes. On dit aussi que les parties sont la cause du tout. Et on dit aussi que ¨ les prémisses ¨, c’est-à-dire les propositions qui servent de principes et à partir desquelles on fait un syllogisme, sont les causes de la conclusion. Et tout ce qu’on vient d’énumérer a raison de cause dans un seul et même sens, c’est-à-dire selon qu’on dit que la cause est ce à partir de quoi une chose est produite, lequel sens a ainsi raison de cause matérielle.

778. Mais il faut savoir qu’on dit des propositions qu’elles sont la matière de la conclusion non pas parce qu’elles existent sous telle forme, ou à cause de leur capacité à produire la conclusion; (de cette manière en effet elles seraient davantage contenues dans le genre de la cause efficiente); mais c’est plutôt à cause des termes dont ces propositions sont composées. Car c’est à partir des termes de ces prémisses qu’on forme la conclusion, c’est-à-dire à partir des termes extrêmes qui sont le terme majeur et le terme mineur.

779. Mais parmi tout ce qui est intégré dans une chose, il y a quelque chose qui s’y présente à la manière d’un sujet, telles les parties et les éléments déjà annoncés, alors qu’autre chose s’y rapporte à la manière d’une ¨ quiddité ¨, à savoir le tout, la composition et l’espèce qui appartiennent à la notion de forme d’après laquelle la quiddité d’une chose est achevée. Il faut savoir en effet que parfois une chose est simplement la matière de quelque chose d’autre, comme l’argent pour la coupe et alors la forme qui correspond à cette matière peut être appelée espèce. Mais parfois ce sont plusieurs choses réunies ensemble qui sont la matière d’une autre chose. Et il arrive certes que cela se produise de trois manières. Parfois en effet ces choses sont réunies selon un ordre comme les hommes dans une armée ou les maisons dans la cité; et ainsi c’est le tout qui correspond à la forme à l’égard de ces parties et qu’on désigne par le nom d’armée ou de cité. Mais parfois les parties sont réunies non seulement par un ordre, mais aussi par un contact ou un assemblage comme on le voit pour les parties de la maison et alors c’est la composition qui correspond à ces parties comme forme. Mais parfois encore s’ajoute à cela un changement dans les composantes, ce qui se produit dans un mélange et alors la forme est le mélange lui-même qui demeure cependant une espèce de composition. C’est de ces trois notions que se tire l’essence de la chose, c’est-à-dire à partir de la composition, de l’espèce et du tout, comme on le verrait si on avait à définir une armée, une maison et une coupe. Ainsi donc nous avons deux modes de causes.

780. Mais c’est en un autre sens qu’on appelle causes la semence, le médecin, celui qui décide et en général tout agent, du fait qu’ils sont principes de mouvement et de repos. De là on a déjà affaire à un autre genre de cause, en raison d’un autre rapport de causalité. Il place en effet la semence dans ce genre de causalité parce que selon son opinion la semence possède une puissance active alors que la production menstruelle de la femme se range dans la matière de ce qui est engendré.

781. D’un autre côté la quatrième notion de causalité vient de ce que certaines chose sont appelées causes par mode de finalité et de bien par rapport à d’autres. En effet, ce en vue de quoi d’autres choses sont produites est préférable à ces autres choses ¨ et veut être ¨, c’est-à-dire possède une aptitude à être la fin des autres. Mais parce qu’on pourrait objecter que la fin n’est pas toujours un bien puisque parfois des agents déréglés s’engagent dans des fins qui leur sont néfastes, c’est pourquoi Aristote répond qu’il ne change rien au propos de dire que la fin soit un bien réel ou un bien apparent. Celui qui agit en effet agit à proprement parler en vue d’un bien et c’est ce qu’il vise; et c’est par accident qu’il agit en vue d’un mal, dans la mesure où un mal coïncide avec ce qu’il estime être un bien. Nul en effet ne tend vers une chose en recherchant son mal.

782. Mais il faut savoir que bien que pour certaines choses la fin soit dernière dans l’ordre de l’existence, elle est cependant toujours première dans l’ordre de causalité. C’est pourquoi on dit qu’elle est la cause des causes, car elle est la cause de la causalité de toutes les autres causes. Elle est en effet la cause de la causalité de l’agent, ainsi que nous l’avons déjà dit. Mais l’agent est la cause de la causalité de la matière et de la forme car c’est par son mouvement qu’il rend la matière réceptive à l’égard de la forme et qu’il introduit cette dernière dans la matière. Et par conséquent c’est aussi la fin qui est la cause de la causalité de la matière et de la forme; et c’est pourquoi les démonstrations les plus fortes sont celles qui se tirent de la fin pour les choses dans lesquelles on agit en vue d’une fin, c’est-à-dire dans les choses naturelles, dans les actions morales et dans le domaine des choses artificielles. Il conclut donc que telles sont les causes et qu’elles se distinguent selon ces quatre espèces.

783. Ensuite lorsqu’il dit [410] : ¨ D’un autre côté les modes ¨.

   Il distingue les modes des causes. On distingue en effet les causes par leurs espèces et par leurs modes. Car la distinction par les espèces se rapporte à des causes dont les définitions sont différentes et c’est pourquoi elle est comme une division par des différences essentielles qui constituent des espèces différentes. Mais la distinction par les modes se rapporte à des rapports différents de la cause à l’effet et c’est pourquoi on la retrouve dans les choses dont la causalité est de même nature. Telles sont par exemple les distinctions suivantes : par soi et par accident, prochaine et éloignée, etc. C’est pourquoi ces distinctions se font par des différences accidentelles qui n’entraînent pas un changement d’espèce.

784. Et il dit que les modes des causes sont nombreux, mais qu’on en retrouve un petit nombre quand, ¨ sommairement ¨, on les saisit comme en abrégé. En effet, par soi et par accident sont deux modes mais ils se ramènent à un seul titre puisqu’ils relèvent tous les deux d’une même considération. Et il en est de même pour les autres modes qui s’opposent. Les causes en effet se disent de plusieurs manières, non seulement celles qui sont d’espèces différentes, mais aussi celles qui sont comme d’une même famille, c’est-à-dire celles qui se ramènent à une même espèce de cause.

785. Une cause en effet peut être dite antérieure ou postérieure à une autre. Mais c’est de deux manières qu’on retrouve l’avant et l’après dans les causes. Premièrement dans des causes qui diffèrent par le nombre et qui sont ordonnées les unes aux autres, dont l’une est première et éloignée et l’autre seconde et prochaine; par exemple dans les causes efficientes un homme engendre un autre homme comme cause prochaine et postérieure, mais le soleil l’engendre comme cause première et éloignée et on pourrait faire la même considération pour les autres espèces de causes. Deuxièmement on peut retrouver le rapport d’antériorité et de postériorité pour une seule et même cause selon l’ordre de raison qui existe entre l’universel et le particulier. Car l’universel est naturellement antérieur et le particulier est par nature postérieur.

786. Mais il écarte le premier mode et passe au second. Dans le deuxième mode en effet l’effet existe immédiatement par les deux causes, c’est-à-dire par l’antérieure et par la postérieure, ce qui n’arrive pas dans le premier mode. De là il dit que la cause de la santé dans le genre de la cause efficiente est le médecin et l’homme qui possède l’art. L’homme qui possède l’art est la cause universelle et antérieure alors que le médecin est la cause particulière ou spécifique et postérieure. Et de la même manière encore dans l’ordre des causes formelles, la cause formelle s’entend de deux manière, comme pour l’octave le double, ou la proportion double ou le nombre deux est la cause formelle particulière et postérieure alors que le nombre ou la proportion du nombre au nombre ou à l’un est la cause formelle universelle et antérieure. Et ainsi ¨ toujours ce qui contient le singulier ¨ c’est-à-dire l’universel, est une cause dite antérieure.

787. Un autre mode de causalité se distingue selon qu’on dit d’une chose qu’elle est cause par soi ou par accident. En effet, tout comme la cause par soi se divise en universelle et particulière ou en antérieure et postérieure, il en est de même pour la cause par accident. C’est pourquoi ce ne sont pas seulement les causes accidentelles elles-mêmes qu’on appelle causes par accidents, mais aussi leurs genres. Comme celui qui fait la statue est cause par soi de la statue mais Polyclète en est la cause par accident parce qu’il lui arrive d’être sculpteur. Et tout comme Polyclète est cause par accident de la statue, de même tous les universels ¨ qui contiennent l’accident ¨, c’est-à-dire la cause par accident, sont appelés eux aussi causes par accident; tout comme homme et animal qui contiennent Polyclète, lequel est homme et animal.

788. Et tout comme parmi les causes par soi certaines sont prochaines alors que d’autres sont éloignées, ainsi que nous l’avons dit, il en est de même parmi les causes par accident. Car Polyclète est une cause qui est plus prochaine de la statue que le blanc ou le musicien. En effet, le mode d’attribution par accident est plus éloigné lorsque l’accident est attribué à l’accident que lorsqu’il est attribué au sujet. En effet, l’accident n’est attribué à l’accident que parce que les deux s’attribuent au sujet. En effet il est plus éloigné d’attribuer à un accident ce qui appartient à un autre accident, comme d’attribuer au musicien ce qui appartient au constructeur, que d’attribuer à un sujet ce qui appartient à un accident, comme d’attribuer à Polyclète ce qui appartient au constructeur.

789. Mais il faut savoir que c’est de deux manières qu’une chose peut être dite cause par accident d’une autre. Premièrement cela peut se faire du côté de la cause elle-même car l’accident de la cause s’appelle cause par accident, comme si on disait du blanc qu’il est la cause de la maison. Deuxièmement cela peut se faire du côté de l’effet de telle manière que quelque chose soit appelé cause par accident de quelque chose qui survient dans l’effet par soi. Ce qui peut se produire de trois manières. Premièrement parce que ce quelque chose possède un rapport nécessaire à l’effet, comme l’éloignement de l’obstacle a un rapport nécessaire à l’effet. C’est pourquoi on dit que celui qui écarte l’obstacle est un agent par accident, soit qu’il s’agisse là d’un accident qui est contraire, comme la bile empêche la fraîcheur; d’où on dit que la scammonée refroidit par accident non parce qu’elle cause la fraîcheur, mais parce qu’elle enlève l’empêchement qui est contraire à la fraîcheur, à savoir la bile. Soit encore qu’il s’agisse d’un accident qui n’est pas contraire, comme la colonne empêche la chute de la pierre, d’où l’on dit que celui qui enlève la colonne est la cause par accident de la chute de la pierre qui se trouvait dessus. Deuxièmement parce que ce quelque chose possède un rapport à l’effet qui n’est nécessaire et qui ne se réalise pas même dans la plupart des cas, mais rarement, comme la découverte d’un trésor en creusant la terre. Et c’est de cette manière qu’on dit de la fortune et du hasard qu’ils sont causes par accident. Troisièmement parce que ce quelque chose n’entretient aucun rapport avec l’effet, à moins que ce ne soit peut-être par le seul jugement de la personne, comme si quelqu’un disait être la cause du tremblement de terre du seul fait que ce dernier se produisit quand il entra dans la maison.

790. La troisième distinction à faire parmi les modes des causes est qu’en dehors de toutes ces causes qu’on appelle causes par soi et causes par accident, certaines sont des causes en puissance, alors que d’autres sont des agents, c’est-à-dire des causes en acte. Tout comme la cause de la construction est soit le constructeur en puissance, ce que signifie l’habitus ou le métier, soit le constructeur en acte.

791. Et à leur tour, les effets dont les causes sont les causes peuvent être distingués selon les mêmes modes qui permettent de distinguer les causes. En effet les effets peuvent se distinguer par l’avant et l’après ou par le particulier et l’universel, tout comme si nous disions que celui qui fait la statue est cause de cette statue qui est un effet postérieur, ou de la statue qui est un effet plus universel et antérieur, ou même de l’image qui est un effet encore plus universel. Et de la même manière quelque chose est la cause formelle de ce bronze, ou du bronze qui est une matière plus universelle, ou même de la matière, ce qui est un effet encore plus universel. Et on peut parler de la même manière pour ce qui existe par accident, c’est-à-dire pour les effets par accident. Car le sculpteur qui est la cause de la statue est aussi cause de la lourdeur ou de la blancheur ou de la rougeur qui peuvent survenir du côté de la matière et qui ne sont pas causées par cet agent.

792. Par la suite il présente une quatrième distinction relative au mode de causalité et qui se situe dans le simple et le composé, tout comme on dit d’une cause qu’elle est simple selon qu’on entend la cause de la statue comme étant soit seulement la cause par soi, c’est-à-dire le sculpteur, soit la cause par accident seulement, c’est-à-dire Polyclète. Mais on dit qu’une cause est composée lorsqu’on entend par cause à la fois la cause par soi et la cause par accident, comme lorsqu’on dit que la cause de la statue est le sculpteur Polyclète.

793. Mais il existe un autre mode selon lequel les causes peuvent être appelées composées et c’est celui d’après lequel plusieurs causes contribuent à produire un même effet, comme la multitude des hommes qui contribuent à tirer le navire ou la multitude des pierres à fabriquer la maison. Mais il négligea ce mode car ce qu’on retrouve là ce ne sont pas tant des causes que des parties de la cause.

794. Ces modes ayant été présentés, il se trouve à resserrer leur nombre en disant que ces modes de causes sont au nombre de six et que le double sens qui se rapporte à chacun permet de les augmenter à douze. Ces six modes sont soit le singulier, soit le genre qu’il appela plus haut l’antérieur et le postérieur; il y a aussi le par soi et le par accident, auquel se ramène aussi le genre de l’accident car le genre de l’accident est cause par accident. Et de plus il y a la distinction par le simple et le complexe. Mais ces six modes se distinguent par la suite par la puissance et par l’acte, et ainsi ils sont au nombre de douze. Mais la raison pour laquelle il faut distinguer tous ces modes par la puissance et par l’acte, c’est que la puissance et l’acte se trouvent à distinguer le rapport de la cause à l’effet. Car les causes en acte particulières existent et disparaissent simultanément avec leurs effets, comme on le voit pour ce médecin et son patient, pour ce constructeur et son édifice. En effet, rien ne peut être édifié en acte à moins qu’il y ait un constructeur en acte. Mais les causes en puissance ne disparaissent pas toujours avec leurs effets, comme la maison et le constructeur ne sont pas détruits simultanément. Pour certaines choses cependant il arrive que la substance de l’effet disparaisse si s’arrête l’action de l’agent, comme pour les choses dont l’être est dans le devenir ou pour celles dont la cause n’est pas seulement cause de devenir pour l’effet, mais aussi cause de son existence. C’est pourquoi si on enlève de l’air les rayons du soleil, la lumière disparaît. Et il dit que ces causes sont singulières parce que les actes appartiennent aux singuliers ou aux individus, ainsi qu’il l’a établi au premier livre de ce traité.

 

 

LECTIO 4

[82360] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 1Hic distinguit hoc nomen elementum. Circa quod duo facit. Primo assignat diversos modos elementi. Secundo ostendit quid in omnibus sit commune, ibi, omnium autem commune. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo elementum proprie dicatur. Secundo quomodo dicatur transumptive, ibi, et transferentes elementum et cetera. Ponit ergo primo, quamdam elementi descriptionem; ex qua colligi potest, quod quatuor sunt de ratione elementi. Quorum primum est, ut sit causa sicut ex quo: per quod patet, quod elementum ponitur in genere causae materialis.

[82361] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 2Secundum est, quod sit principium ex quo aliquid fiat primo. Cuprum enim est ex quo fit statua; non tamen est elementum, quia habet aliquam aliam materiam ex qua fit.

[82362] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 3Tertium est, quod sit inexistens sive intrinsecum: per quod differt elementum ab omni eo ex quo fit aliquid sicut ex transeunte, sive sit privatio, aut contrarium, sive materia contrarietati et privationi subiecta, quae est materia transiens. Ut cum dicimus, quod homo musicus fit ex homine non musico, vel musicum ex non musico. Elementa enim oportet manere in his quorum sunt elementa.

[82363] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 4Quartum est, quod habeat aliquam speciem, quae non dividatur in diversas species: per quod differt elementum a materia prima, qua nullam speciem habet, et etiam ab omnibus materiis, quae in diversas species resolvi possunt, sicut sanguis et huiusmodi. Propter hoc dicit, quod elementum est ex quo aliquid componitur, quantum ad primum. Primo, quantum ad secundum. Inexistente, quantum ad tertium. Indivisibili specie in aliam speciem, quantum ad quartum.

[82364] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 5Hanc autem definitionem manifestat in quatuor, in quibus utimur nomine elementi. Dicimus enim ipsas literas esse elementa vocis, quia ex eis omnis vox componitur, et primo. Quod ex hoc patet, quia omnes voces in literas resolvuntur, sicut in ultima. Quod est enim ultimum in resolutione, oportet esse primum in compositione. Literae autem non resolvuntur ulterius in alias voces specie diversas. Sed, si aliquo modo dividantur, particulae in quas fit divisio, erunt conformes, idest unius speciei, sicut omnes particulae aquae sunt aqua. Dividitur autem litera secundum tempora prolationis, prout litera longa dicitur habere duo tempora, brevis vero unum. Nec tamen partes, in quas sic dividuntur literae, sunt diversae secundum speciem vocis. Non est autem ita de syllaba: nam eius partes sunt diversae secundum speciem: alius enim sonus est secundum speciem, quem facit vocalis et consonans, ex quibus syllaba componitur.

[82365] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 6Secundum exemplum ponit in corporibus naturalibus, in quibus etiam quaedam dicimus elementa quorumdam. Illa enim dicuntur corporum esse elementa, in quae ultimo resolvuntur omnia corpora mixta: et per consequens ea sunt, ex quibus primo componuntur huiusmodi corpora. Ipsa autem corpora, quae elementa dicuntur, non dividuntur in alia corpora specie differentia, sed in partes consimiles, sicut quaelibet pars aquae est aqua. Et quicumque posuerunt tale corpus esse unum, scilicet in quod omnia resolvuntur, et ipsum non resolvitur in alia, dixerunt unum esse elementum. Quidam vero aquam, quidam autem aerem, quidam autem ignem. Qui vero posuerunt plura talia corpora, dixerunt etiam esse elementa plura. Sciendum est, quod cum in definitione elementi ponatur, quod non dividitur in diversa secundum speciem, non est intelligendum de partibus in quas aliquid dividitur divisione quantitatis: sic enim lignum esset elementum, quia quaelibet pars ligni est lignum: sed de divisione, quae fit secundum alterationem, sicut corpora mixta resolvuntur in simplicia.

[82366] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 7Tertium exemplum ponit in demonstrationibus; in quibus etiam utimur nomine elementi, sicut dicitur liber elementorum Euclidis. Et dicit, quod modo simili et propinquo dictis dicuntur elementa, quae sunt diagrammatum, idest descriptionum geometralium elementa. Et non solum hoc potest dici in geometria, sed universaliter in omnibus demonstrationibus. Illae enim demonstrationes, quae existunt in tribus terminis tantum, dicuntur esse aliorum elementa. Nam ex his componuntur aliae demonstrationes, et in ea resolvuntur. Quod sic patet. Secunda enim demonstratio accipit pro principio conclusionem primae demonstrationis, inter cuius terminos intelligitur medium, quod fuit primae demonstrationis principium. Et sic secunda demonstratio erit ex quatuor terminis; prima ex tribus tantum, tertia vero ex quinque, quarta ex sex, et sic quaelibet demonstratio unum terminum addit. In quo manifestum est demonstrationes primas in postremis includi: ut si sit haec demonstratio prima: omne b est a: omne c est b: ergo omne c est a: hoc includetur in hac, omne c est a: omne d est c: ergo omne d est a. Et ulterius ista in alia, quae concludit, omne e est a: ut quasi videatur esse ad hanc ultimam conclusionem unus syllogismus ex pluribus syllogismis compositus plura media habens, ut dicatur sic, omne b est a: et omne c est b: et omne d est c: et omne e est d: ergo omne e est a. Prima igitur demonstratio, quae habebat unum medium et solum tres terminos, est simplex et non resolvitur in aliam demonstrationem, sed omnes aliae resolvuntur in ipsam. Et ideo syllogismi primi, qui fiunt ex terminis tribus per unum medium, elementa dicuntur.

[82367] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 8Deinde cum dicit et transferentes ostendit quomodo elementum dicatur transumptive; dicens, quod ex hac praemissa ratione et significatione elementi transtulerunt quidam hoc nomen elementum ad significandum aliquid, quod est unum, et parvum, et ad multa utile. Ex hoc enim quod elementum est indivisibile in diversas species, acceperunt quod sit unum. Ex eo vero quod est primum, quod sit simplex. Ex eo vero, quod ex elementis alia componuntur, acceperunt quod sit utile ad multa. Unde hanc rationem elementi constituerunt, ut elementum dicerent omne illud, quod est parvum in quantitate, et simplex, quasi ex aliis non compositum, et indivisibile in diversa.

[82368] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 9Hac autem ratione elementi constituta, per transumptionem contingebat eis ut duos modos elementorum adinvenirent; quorum primus est, ut ea quae sunt maxime universalia, dicerent elementa. Universale enim est unum secundum rationem, et est simplex, quia eius definitio non componitur ex diversis, et est in multis, et sic est ad multa utile, sive sit in omnibus, sicut unum et ens; sive in pluribus, sicut alia genera. Per eamdem vero rationem contingebat eis secundo, quod punctum et unitatem dicerent esse principia vel elementa, quia utrumque eorum est unum simplex et ad multa utile.

[82369] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 10Sed in hoc a vera ratione elementi defecerunt, quia universalia non sunt materia, ex quibus componuntur particularia, sed praedicant eorum substantiam. Similiter et punctus non est materia linearum; non enim linea ex punctis componitur.

[82370] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 11Hac autem transumptiva elementi ratione constituta, patet solutio cuiusdam quaestionis in tertio libro disputatae; scilicet quid sit magis elementum, utrum genus vel species, et utrum genus magis quam differentia. Patet enim consequi quod genera magis sunt elementa, quia genera magis sunt universalia et indivisibilia. Non enim est ratio eorum et definitio, quam oporteat componi ex genere et differentia; sed definitiones proprie dantur de speciebus. Et si aliquod genus definitur, non definitur inquantum est genus, sed inquantum est species; et ideo species dividitur in diversa, et propter hoc non habent rationem elementi. Genus autem non dividitur in diversa: et ideo dixerunt genera esse elementa magis quam species. Alia translatio habet una enim est eorum ratio idest indivisibilis, quia genera, etsi non habeant definitionem, tamen id quod significatur per nomen generis, est quaedam conceptio intellectus simplex, quae ratio dici potest.

[82371] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 12Et sicut genus est magis elementum quam species, quia est simplicius; ita etiam magis quam differentia, licet ipsa simplex sit, quia genus est universalius. Quod ex hoc patet: quia cuicumque inest differentia, inest genus, cum per se differentiae non transcendant genus: non tamen oportet quod ad omne id sequatur differentia cui convenit genus.

[82372] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 4 n. 13Ultimo autem dicit, quod omnibus praedictis modis elementi hoc est commune, esse primum in unoquoque, sicut dictum est.

LEÇON 4.

(nn. 795-807; [411-412]).

 

Qu’en est-il à proprement parler de l’Élément et comment le nom Élément doit être compris dans les noms, dans les choses naturelles et dans les démonstrations. En outre, quelles sont les choses qui, par extension, sont dites éléments, quel est leur nombre et qu’y a-t-il de commun à toutes.

 

795. Il distingue ici le nom Élément.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il assigne les différentes significations du nom élément [411]. En deuxième lieu il montre ce qu’il y a de commun à toutes ces significations, là [412] où il dit : ¨ Mais ce qu’il y a de commun à tous ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre en quel sens élément se dit à proprement parler [411]. En deuxième lieu il montre comment on peut encore le dire par extension, là [412] où il dit : ¨ Et, par extension, élément etc.¨.

   Il présente dont en premier lieu une description de ce terme à partir de laquelle on peut comprendre que quatre notions entrent dans la définition de ce terme. Et la première notion est que l’élément est une cause à la manière d’une composante à partir de laquelle une chose est faite: et par là il est évident que l’élément se range dans le genre de la cause matérielle.

796. La deuxième notion est qu’il est un principe à partir duquel une chose est produite en premier. Le cuivre en effet est ce à partir de quoi la statue est produite, mais il n’en est pas l’élément parce qu’il est lui-même composé d’une autre matière.

797. La troisième notion est que l’élément est une cause intérieure ou intrinsèque : et par là l’élément diffère de tout ce à partir de quoi une chose est produite et qui serait passager, qu’il s’agisse de la privation ou du contraire ou encore de la matière qui est soumise à la contrariété et à la privation et qui est elle-même une matière passagère, comme lorsque nous disons que l’homme musicien vient de l’homme non-musicien, ou que le musicien vient du non-musicien. Les éléments en effet doivent subsister dans les êtres dont ils sont les éléments.

798. La quatrième notion est que l’élément possède une espèce qui ne peut plus être divisée en d’autres espèces : et par là l’élément diffère à la fois de la matière première qui ne possède aucune forme et de toutes les autres matières qui peuvent être ramenées à d’autres espèces, comme le sang et les matières de cette sorte. Et c’est pour cette raison qu’il dit en premier que l’élément est ce à partir de quoi une chose est composée; en deuxième lieu que l’élément doit être ¨premier¨; en troisième lieu qu’il doit être ¨intérieur¨; et en quatrième lieu qu’il est ¨d’une espèce indivisible en une autre espèce¨.

799. Mais il manifeste cette définition au moyen de quatre exemples dans lesquels nous nous servons du nom élément. Nous disons en effet que les lettres elles-mêmes sont les éléments du mot car ce sont elles qui sont les composantes premières de tout mot. Ce qui devient évident à partir de ceci que tous les mots se réduisent aux lettres comme à leurs composantes ultimes. En effet ce qui est dernier dans la division doit être premier dans la composition. Mais les lettres ne peuvent être divisées par la suite en d’autres parties d’espèces différentes. Mais si elles pouvaient l’être de quelque manière, les parties auxquelles conduirait cette division seraient ¨de même forme¨, c’est-à-dire d’une même espèce, comme toutes les gouttes d’eau sont de l’eau. Mais une lettre se divise selon les temps de sa prononciation, dans la mesure où on dit d’une lettre longue qu’elle possède deux temps et d’une lettre brève qu’elle n’en possède qu’un. Cependant les parties dans lesquelles se divisent ainsi les lettres ne sont pas d’espèces différentes. Il n’en est pas de même cependant pour la syllabe car ses parties sont différentes selon l’espèce : en effet le son qui produit une voyelle et celui qui produit une consonne, à partir desquelles se compose la syllabe, diffèrent selon l’espèce.

800. Il tire son deuxième exemple du domaine des choses naturelles parmi lesquelles nous disons aussi de certains corps qu’ils sont les éléments d’autres corps. Nous disons en effet que les éléments des corps sont ceux dans lesquels se divisent ultimement tous les corps mixtes : et par conséquent ce sont aussi ceux à partir desquels de tels corps sont composés en premier. Mais ces mêmes corps qu’on appelle éléments ne se divisent pas ultérieurement en d’autres corps d’espèces différentes mais en parties semblables les unes aux autres, comme toute particule d’eau est semblable à toute autre. Et tous ceux qui ont affirmé qu’un tel corps est unique, c’est-à-dire ce en quoi se divisent tous les corps mais qui ne se divise plus lui-même en d’autres corps, ils ont prétendu qu’il s’agissait là d’un seul élément. Certains ont prétendu qu’il s’agissait là de l’eau, d’autres de l’air, d’autres du feu. D’un autre côté ceux qui affirmèrent que de tels corps sont multiples posèrent aussi une multitude d’éléments. Il faut savoir que puisque dans la définition de l’élément on affirme qu’il ne se divise pas ultérieurement en des parties d’espèces différentes, il ne faut pas l’entendre des parties dans lesquelles une chose se divise d’après une division quantitative car de cette manière le bois deviendrait un élément puisque toutes les parties du bois sont du bois; mais il faut plutôt l’entendre d’une division selon l’altération, comme celle des corps mixtes qui se divisent en corps simples.

801. Il présente son troisième exemple qu’il tire des démonstrations dans lesquelles on se sert aussi du nom élément comme lorsque nous parlons du ¨livre des éléments¨ d’Euclide. Et Aristote dit que c’est par un mode semblable et rapproché de ce dont nous avons parlé qu’on appelle aussi éléments ce qui constitue ¨les figures¨, c’est-à-dire les éléments des descriptions géométriques. Et non seulement on peut parler d’éléments pour la géométrie, mais on peut en parler universellement pour toutes les démonstrations. En effet, ces premières démonstrations qui existent par trois termes seulement, on les appelle les éléments des autres démonstrations. Car c’est à partir d’elles que sont construites les autres démonstrations et c’est en elles qu’elles se résolvent. Et cela se manifeste de la manière suivante. En effet la deuxième démonstration accepte pour principe la conclusion de la première démonstration entre les termes de laquelle est compris un moyen terme qui était le principe de la première démonstration. Et ainsi la deuxième démonstration sera le fruit de quatre termes; alors que la première démonstration n’était le résultat que de trois termes, la troisième le sera de cinq, la quatrième de six et ainsi toute autre démonstration suivante ajoutera un terme. En cela il est manifeste que les premières démonstrations sont contenues dans celles qui suivent. Par exemple si on considère cette première démonstration, à savoir : Tout B est A; tout c est B; donc tout C est A. On peut voir que cette dernière démonstration est contenue dans celle qui suit : Tout C est A; tout D est C; donc tout D est A. Et ultimement, cette dernière le sera aussi dans une autre qui conclura que tout E est A. Il semble que ce soit comme s’il y avait, en vue de cette conclusion ultime, un syllogisme composé de plusieurs syllogismes et possédant plusieurs moyens termes, comme si on disait : Tout B est A; et tout C est B; et tout D est C; et tout E est D; donc tout E est A. Donc la première démonstration, qui ne possède qu’un seul moyen terme et seulement trois termes, est simple et ne se réduit pas à une autre démonstration, mais ce sont plutôt toutes les autres qui se réduisent à elle. Et c’est pourquoi on appelle éléments les syllogismes premiers qui sont engendrés grâce à un moyen terme faisant partie de trois termes.

802. Ensuite lorsqu’il dit [412] : ¨ Et par extension ¨.

   Et il montre comment le terme élément se dit aussi par extension en disant qu’à partir de la raison précédente et de la signification de l’élément, certains transportèrent le nom élément à la signification de quelque chose qui est un et petit et qui est utile à un grand nombre de choses. En effet, de ce que l’élément ne peut être divisé en plusieurs espèces, ils conçurent qu’il devait être un. D’un autre côté, du fait qu’il est premier, ils comprirent qu’il est simple. Et du fait que les autres choses sont constituées à partir des éléments, ils perçurent les éléments comme étant utiles à un grand nombre de choses. Et de là ils établirent cette définition de l’élément pour en venir à dire que l’élément est tout ce qui est petit en quantité, simple, non composé d’autres choses et qui ne peut être divisé en plusieurs parties d’espèces différentes.

803. Mais ayant établi cette définition de l’élément, il leur arriva de découvrir par extension deux modalités de l’élément, dont la première est qu’ils appelèrent éléments ce qui est le plus universel. L’universel en effet est un selon la raison et il est simple parce que sa définition n’est pas composée de différentes parties et il existe dans plusieurs, se trouvant ainsi en quelque sorte à être utile à plusieurs, soit qu’il existe dans toutes les choses comme l’un et l’être, soit qu’il existe dans plusieurs choses comme c’est le cas pour les autres genres. De plus pour la même raison il leur arriva en deuxième lieu d’appeler éléments ou principes le point et l’unité car chacun des deux est un, simple et utile à plusieurs.

804. Mais en faisant cela ils s’écartèrent de la véritable notion de l’élément, car les universels ne sont pas une matière à partir de laquelle les particuliers seraient composés mais plutôt ils se trouvent à attribuer leur substance. De la même manière, le point n’est pas la matière des lignes; en effet la ligne n’est pas composée de points.

805. Mais cette définition par extension de l’élément étant établie, la solution à une question débattue au troisième livre de ce traité devient évidente, à savoir est-ce le genre ou l’espèce qui est davantage un élément, et est-ce que le genre l’est davantage que la différence? Il est évident qu’il s’ensuit que les genres sont davantage éléments puisque les genres sont indivisibles et plus universels. En effet il n’existe pas pour les genres une nature ou une définition qui serait constituée d’un genre et d’une différence, mais c’est à proprement parler pour les espèces qu’on établit des définitions et s’il arrive de définir un genre, on ne le définit pas en tant que genre mais en tant qu’espèce; et c’est à cause de cela que l’espèce, qui elle se divise se divise en parties diverses, n’a pas raison d’élément. Mais le genre ne se divise pas et c’est pour cette raison que certains philosophes ont affirmé que les genres sont davantage des éléments que les espèces. Une autre version nous dit : ¨ En effet, une est la notion des genres ¨, c’est-à-dire indivisible, car les genres, bien qu’ils ne possèdent pas de définition, signifient cependant une certaine conception simple de l’intelligence qui peut être appelée notion.

806. Et tout comme le genre est davantage élément que l’espèce parce qu’il est plus simple, de même il l’est aussi davantage que la différence, bien qu’elle-même soit simple, car il est plus universel qu’elle. Ce qui devient évident à partir de ceci : car tout ce à quoi appartient la différence, le genre lui appartient aussi puisque les différences par soi ne dépassent pas le genre; il ne s’ensuit pas cependant que la différence se retrouve nécessairement partout où le genre s’attribue.

807. Et il dit à la fin que ce qu’il y a de commun à tous les modes de l’élément qui viennent d’être présentés, c’est qu’en toute chose il est premier, ainsi que nous l’avons dit.

 

 

LECTIO 5

[82373] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 1Hic distinguit hoc nomen natura: cuius quidem consideratio, licet non videatur ad primum philosophum, sed magis ad naturalem pertinere, ideo tamen hic hoc nomen natura distinguitur, quia natura secundum sui quamdam acceptionem de omni substantia dicitur, ut patebit. Et per consequens cadit in consideratione philosophi primi, sicut et substantia universalis. Circa hoc autem duo facit. Primo distinguit diversos modos, quibus natura dicitur. Secundo reducit omnes ad unum primum, ibi, ex dictis igitur. Circa primum duo facit. Primo ponit quinque modos principales. Secundo ponit duos alios adiunctos duobus ultimis, ibi, natura autem prima materia. Dicit ergo primo, quod natura dicitur uno modo generatio generatorum, vel ut alia litera habet melius,nascentium. Non enim omnia generata nascentia dici possunt; sed solum in viventibus, sicut in plantis, sive in animalibus, et in partibus eorum. Non autem generatio rerum non viventium potest dici natura proprie loquendo secundum communem usum vocabuli, sed solum generatio viventium; ut dicatur natura ipsa nativitas vel ipsa nascentia, quod ipsum nomen sonare videtur. Ut si quis porrigens dicat naturam. Litera ista corrupta est. Quod ex alia translatione patet, quae sic habet ut si quis producens dicat ypsilon. Physis enim, quod apud Graecos naturam significat, si pro generatione viventium accipiatur, habet primum ypsilon productum; si vero pro principio, sicut communiter utitur, habet primum ypsilon breve. Posset tamen per hanc literam intelligi quod hoc nomen natura de generatione viventium dicatur secundum quamdam porrectionem idest extensionem.

[82374] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 2Ex hoc autem quod ipsa nativitas primo natura dicta est, secutus est modus secundus, ut scilicet generationis principium, ex quo aliquid generatur, sive ex quo illud, quod nascitur generatur primo, sicut ex intrinseco principio, dicatur natura.

[82375] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 3Et per similitudinem nativitatis ad alios motus, ulterius processit huius nominis significatio, ut natura tertio modo dicatur id, unde est principium motus in quolibet entium secundum naturam, dummodo sit in eo inquantum huiusmodi, et non per accidens. Sicut in medico, qui infirmatur, inest principium sanationis, scilicet ars medicinae, non tamen inquantum est infirmus, sed inquantum medicus. Sanatur autem non inquantum est medicus, sed inquantum infirmus: et sic principium motus non est in eo inquantum movetur. Et haec est definitio naturae posita in secundo physicorum.

[82376] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 4Et, quia de nascentibus mentionem fecit, ostendit quid sit proprie nasci, ut habet alia litera, loco cuius haec litera improprie habet generari. Differt enim generatio in viventibus a generatione inanimatorum, quia inanimatum generatur, non ut coniunctum sive unitum generanti, ut ignis ab igne, et aqua ab aqua. In viventibus autem fit generatio per quamdam unionem ad generationis principium. Et, quia additio quanti ad quantum facit augmentum, ideo in generatione viventium videtur esse quoddam augmentum, sicut est cum ex arbore nascitur fructus, aut folium. Et ideo dicit, quod nasci dicuntur quaecumque augmentum habent, idest quoddam augmentum cum generationis principio.

[82377] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 5Differt autem hoc augmentum a specie motus quae augmentum dicitur, qua moventur iam nata. Nam in augmento aliquid augetur in seipso per hoc, quod id quod additur transit in substantiam eius cui additur, sicut nutrimentum in substantiam nutriti: id autem, quod nascitur apponitur ei ex quo nascitur, tamquam alterum et diversum, non sicut in eius substantiam transiens. Et ideo dicit, quod habet augmentum per diversum sive per alterum: quasi dicat, quod hoc augmentum fit per appositionem alicuius alterius, vel diversi.

[82378] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 6Sed appositio augmentum faciens potest intelligi dupliciter. Uno modo tangendo, idest per solum contactum. Alio modo per hoc quod est simul idest aliqua duo simul producuntur adinvicem coaptata, sicut brachium et nervus et aliquid esse apte, idest quod aliquid adaptetur ad alterum iam praeexistens, sicut capilli capiti, et dentes gingivis. Loco autem huius alia litera habet melius connasci et adnasci. In hac autem generatione viventium non solum fit appositio per tactum, sed etiam per quamdam coaptationem sive connascentiam; ut patet in embryonibus, qui non solum tanguntur in matrice, sed etiam alligantur in principio suae generationis.

[82379] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 7Ostendit autem quid inter duo praedicta differat; dicens, quod conflatio, idest colligatio sive connascentia, ut alia litera habet, differt a tactu, quia in tactu non est necessarium aliquid esse praeter tangentia, quod ea faciat unum. In colligatis autem sive coaptatis sive connatis vel adnatis oportet esse quid unum in ambobus quod pro tactu, idest loco tactus faciat ea simul apta esse idest coaptata vel ligata sive simul nasci. Intelligendum est autem quod id, quod facit ea unum, facit esse unum secundum quantitatem et continuitatem, et non secundum qualitatem; quia ligamentum non alterat ligata a suis dispositionibus.

[82380] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 8Ex hoc autem apparet, quia quod nascitur semper est coniunctum ei ex quo nascitur. Ideo natura numquam dicit principium extrinsecum, sed secundum omnes suas acceptiones dicit principium intrinsecum.

[82381] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 9Ex hac autem tertia ratione naturae sequitur quarta. Si enim principium motus rerum naturalium natura dicitur, principium autem motus rerum naturalium quibusdam videbatur esse materia, consequens fuit ut materia natura diceretur, quae quidem est principium rei, et quantum ad esse et quantum ad fieri. Ipsa etiam absque omni forma consideratur, nec a seipsa movetur, sed ab alio. Et ideo dicit quod natura dicitur ex quo aliquod entium primo est aut fit.

[82382] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 10Quod ideo dicit, quia materia essendi et fiendi est principium. Ex quo, dico, existente inordinato idest absque forma. Unde alia litera habet cum informe sit. In quibusdam enim ipse ordo habetur pro forma, sicut in exercitu et civitate. Ex quo, dico, immutabili ex sua potestate, idest, quod moveri non potest per suam potestatem, sed secundum potestatem sui superioris agentis. Nam materia non movet seipsam ad formam, sed movetur a superiori exteriori agente. Sicut si diceremus aes materiam statuae et vasorum aereorum, et ligna ligneorum, si huiusmodi vasa, naturalia corpora essent. Similiter est in omnibus aliis quae ex materia sunt vel fiunt. Unumquodque enim eorum fit ex sua materia, ea salvata. Dispositiones autem formae non salvantur in generatione; una enim forma introducitur altera abiecta. Et propter hoc formae videbantur esse quibusdam accidentia, et sola materia substantia et natura, ut dicitur secundo physicorum.

[82383] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 11Et hoc ideo, quia similiter existimabant formam et materiam in rebus naturalibus, sicut in rebus artificialibus, in quibus formae sunt accidentia, et sola materia substantia. Unde isto modo naturales dixerunt elementa esse materiam existentium secundum naturam, vel aquam, vel aerem, vel ignem aut terram, quam nullus elementum naturalium posuit solam, sed aliqui non naturales, ut in primo libro est habitum. Quidam autem posuerunt aliqua eorum esse elementa et naturam rerum, sicut Parmenides. Quidam vero omnia quatuor, sicut Empedocles. Quidam vero aliquid aliud, sicut Heraclitus vaporem.

[82384] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 12Quia vero motus rerum naturalium magis causatur ex forma quam ex materia, ideo supervenit quintus modus quo ipsa forma dicitur natura. Et sic alio modo natura dicitur ipsa substantia, idest forma rerum existentium secundum naturam, sicut naturam rerum dixerunt esse ipsam compositionem mixtorum; sicut Empedocles dixit, quod non est aliquid entium absolutum, sed solummodo commutatio seu relaxatio vel commixtio permixtorum, secundum aliam translationem, natura apud homines dicitur. Dicuntur enim quae sunt permixtionis diversae, naturam diversam habere.

[82385] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 13Ad ponendum autem formam esse naturam, hac ratione inducebantur, quia quaecumque sunt et fiunt naturaliter non dicuntur habere naturam, existente materia ex qua nata sunt fieri vel esse, nisi habeant speciem propriam et formam, per quam speciem consequantur. Videtur autem nomen speciei poni pro forma substantiali, et forma pro figura quae consequitur speciem, et est signum speciei. Si igitur forma est natura, nec aliquid potest dici habere naturam nisi quando habet formam, illud ergo quod compositum est ex materia et forma dicitur esse natura, idest secundum naturam, ut animalia et partes eorum, sicut caro et os et huiusmodi.

[82386] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 14Deinde cum dicit natura autem ponit duos modos adiunctos duobus ultimis praecedentibus, quorum primus additur quarto modo quo materia dicebatur natura. Et dicit, quod materia dicitur natura non quaecumque, sed prima. Quod potest intelligi dupliciter aut quantum ad id quod est genus; aut ex toto vel simpliciter prima. Sicut operum artificialium quae fiunt ex aere, prima materia secundum genus illud est aes. Prima vero simpliciter est aqua. Nam omnia quae liquescunt calido et indurantur frigido sunt aquea magis, ut dicitur quarto Meteororum.

[82387] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 15Secundus modus adiacet quinto modo praedicto quo forma dicebatur natura. Et secundum hunc modum non solum forma partis dicitur natura, sed species ipsa est forma totius. Ut si dicamus quod hominis natura non solum est anima, sed humanitas et substantia quam significat definitio. Secundum hoc enim Boetius dicit, quod natura est unumquodque informans specifica differentia. Nam specifica differentia est, quae complet substantiam rei et dat ei speciem. Sicut autem forma vel materia dicebatur natura, quia est principium generationis, quae secundum primam nominis impositionem natura dicitur; ita species et substantia dicitur natura, quia est finis generationis. Nam generatio terminatur ad speciem generati, quae resultat ex unione formae et materiae.

[82388] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 16Et ex hoc secundum quamdam metaphoram et nominis extensionem omnis substantia dicitur natura; quia natura quam diximus quae est generationis terminus, substantia quaedam est. Et ita cum eo quod natura dicitur, omnis substantia similitudinem habet. Et hunc modum etiam ponit Boetius. Ratione autem istius modi distinguitur hoc nomen natura inter nomina communia. Sic enim commune est sicut et substantia.

[82389] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 17Deinde dum dicit ex dictis reducit omnes modos praedictos ad unum. Sciendum est autem, quod reductio aliorum modorum ad unum primum, fieri potest dupliciter. Uno modo secundum ordinem rerum. Alio modo secundum ordinem, qui attenditur quantum ad nominis impositionem. Nomina enim imponuntur a nobis secundum quod nos intelligimus, quia nomina sunt intellectuum signa. Intelligimus autem quandoque priora ex posterioribus. Unde aliquid per prius apud nos sortitur nomen, cui res nominis per posterius convenit: et sic est in proposito. Quia enim formae et virtutes rerum ex actibus cognoscuntur, per prius ipsa generatio vel nativitas, naturae nomen accepit, et ultimo forma.

[82390] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 18Sed secundum rerum ordinem, formae prius competit ratio naturae, quia, ut dictum est, nihil dicitur habere naturam, nisi secundum quod habet formam.

[82391] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 5 n. 19Unde patet ex dictis, quod primo et proprie natura dicitur substantia, idest forma rerum habentium in se principium motus inquantum huiusmodi. Materia enim dicitur esse natura, quia est formae susceptibilis. Et generationes habent nomen naturae, quia sunt motus procedentes a forma, et iterum ad formas. Et idipsum, scilicet forma est principium motus rerum existentium secundum naturam, aut in actu, aut in potentia. Forma enim non semper facit motum in actu, sed quandoque in potentia tantum: sicut quando impeditur motus naturalis ab aliquo exteriori prohibente, vel etiam quando impeditur actio naturalis ex materiae defectu.

LEÇON 5.

(nn. 808-826; [413-415]).

 

Il présente cinq modes suivant lesquels se dit le nom Nature et il les ramène à un seul selon lequel c’est la forme et l’essence d’un tout qui est appelé nature.

 

808. Le Philosophe distingue ici le nom Nature dont la considération apparaît certes ne pas relever de la philosophie première mais de la philosophie de la nature, et c’est pourquoi cependant il distingue ici les différents sens de ce nom, car nature, d’après une de ses significations, s’attribue à toute substance ainsi qu’on le verra. Et par conséquent, sous ce rapport, tout comme la substance universelle, il tombe sous la considération de la philosophie première.

   Mais à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il distingue les différentes manières de dire le nom nature [413]. En deuxième lieu il ramène toutes ces significations à une signification première, là [415] où il dit : ¨ Donc à partir de ce qui a été dit ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les cinq principaux modes suivant lesquels on dit ce nom [413]. En deuxième lieu il présente deux autres modes qu’il ajoute aux deux derniers qui sont principaux, là [414] où il dit : ¨ La matière première est une nature ¨.

   Il dit donc en premier lieu [413] que nature se dit en un sens de la génération de ce qui est engendré ou encore, comme un autre document le rend plus heureusement, ¨ de ceux qui naissent ¨. En effet, ce n’est pas de toutes les choses qui sont engendrées qu’on peut dire qu’elles naissent, mais seulement des vivants, comme des plantes, des animaux ainsi que de leurs parties. Ce n’est cependant pas la génération des êtres non-vivants qui peut être appelée nature à proprement parler d’après l’usage commun du nom, mais seulement la génération des vivants, tout comme le nom nature désigne la naissance elle-même ou ceux-là même qui naissent, ainsi que ce nom lui-même semble le laisser entendre. ¨Comme si quelqu’un prononçait nature en allongeant la seconde syllabe¨. Mais cette expression est vicieuse, ainsi qu’on le voit à partir d’une autre version qui dit : ¨comme si quelqu’un appuyait sur upsilon¨. Physis en effet, qui chez les Grecs signifie nature, s’entend comme signifiant la génération des vivants, si la prononciation du upsilon est allongée; si d’un autre côté il s’entend comme un principe, tel qu’on s’en sert communément, alors son upsilon est bref. Mais d’après cette version du texte on pourrait aussi comprendre que le nom nature se dit de la génération des vivants selon un certain prolongement, c’est-à-dire par extension du terme.

809. Mais du fait que c’est d’abord la naissance elle-même qui a été le premier sens du mot ¨nature¨, découle de là la deuxième signification de ce nom, à savoir que c’est le principe de la génération à partir duquel une chose est engendrée, ou à partir duquel ce qui naît est engendré à l’origine comme à partir d’un principe intérieur, qui est alors appelé nature.

810. Et en raison de la ressemblance de la naissance avec les autres sortes de mouvements, la signification de ce nom se continue par la suite de telle manière que nature se dit en un troisième sens de ce d’où commence le mouvement pour tout être qui existe selon la nature et en lequel il réside essentiellement ou par soi et non par accident. Tout comme dans le médecin qui est malade réside le principe de la santé, c’est-à-dire l’art de la médecine, non en tant qu’il est malade, mais en tant qu’il est médecin. Et s’il est guéri, ce n’est pas en tant que médecin, mais en tant que malade : et ainsi le principe du mouvement ne se trouve pas en lui en tant qu’il est mû. Et c’est là la définition de la nature telle qu’elle est présentée au deuxième livre des Physiques.

811. Et parce qu’il a fait mention de ceux qui naissent, il montre ce que signifie à proprement parler naître, terme dont fait usage un autre document et qu’on a remplacé improprement  par ¨être engendré¨ dans la version que nous commentons présentement. En effet, la génération des vivants diffère de celle des non-vivants car l’inanimé est engendré sans être joint ou uni à celui qui engendre comme on le voit pour le feu engendré par le feu et pour l’eau engendrée par l’eau. Mais chez les vivants la génération s’effectue au moyen d’une union au principe de la génération. Et, parce que l’ajout d’une quantité à une autre entraîne un accroissement, c’est pourquoi on observe dans la génération des vivants une certaine croissance, comme lorsque de l’arbre naissent les fruits et les feuilles. Et c’est à cause de cela qu’il dit qu’on affirme de ceux qui naissent qu’ils sont ceux qui ¨ ont une croissance ¨, c’est-à-dire un certain accroissement par union au principe de leur génération.

812. Cependant cette croissance diffère de cette espèce de mouvement  qu’on appelle la croissance et par laquelle sont mus ceux qui sont déjà nés. Car dans la croissance une chose croît en elle-même grâce à ceci que ce qui est ajouté passe dans la substance de la chose elle-même à laquelle il est ajouté, comme l’aliment passe dans la substance de celui qui s’en nourrit. Mais à celui d’où il naît, celui qui naît s’ajoute comme un être autre et différent sans passer dans la substance de celui d’où il naît. Et c’est à cause de cela qu’Aristote dit que ce qui naît reçoit un accroissement ¨par quelque chose de distinct¨, ou par un autre, comme s’il disait que cette croissance s’opère par l’ajout de quelque chose d’autre ou de distinct.

813. Mais l’accroissement par ajout ou par apposition peut s’entendre de deux manières. Premièrement ¨par le toucher¨, c’est-à-dire par le seul contact. Deuxièmement, par ¨ce qui a lieu simultanément¨, c’est-à-dire par ceci que deux choses intimement adaptées l’une à l’autre sont produites simultanément, comme le bras et le nerf, et ¨une chose qui est jointe étroitement¨, c’est-à-dire une chose qui est adaptée à un autre qui existe déjà, comme les cheveux à la tête et les dents aux gencives. Mais au lieu de cela un autre document nous dit plus heureusement ¨qui naît uni et qui naît à côté¨. Néanmoins dans cette génération des vivants il n’y a pas seulement union par le contact, mais une véritable harmonie et comme un fusionnement ainsi qu’on le voit pour les embryons qui non seulement sont en contact avec la matrice, mais sont aussi unis au principe de leur génération.

814. Mais il montre ce qui distingue le simple contact de l’union naturelle en disant que la ¨fusion¨, c’est-à-dire le lien intime et la croissance simultanée ainsi que l’exprime un autre document, diffère du simple toucher car dans le toucher il n’est pas nécessaire qu’il existe quelque chose d’autre en dehors des éléments qui se touchent pour en faire quelque chose d’un. Mais dans les choses qui sont liées intimement ou qui sont unies ou qui naissent ensemble et qui sont apparentées intimement, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit un dans les deux êtres et ¨qui contrairement au toucher¨, c’est-à-dire au lieu du toucher, les rende simultanément ¨ajustés les uns aux autres¨, c’est-à-dire liés les uns aux autres ou comme fusionnés et fasse qu’ils se développent ensemble. Mais il faut comprendre que ce qui leur donne leur unité les rend un selon la quantité et la continuité et non selon la qualité; car le lien ne modifie pas les dispositions de ce qui est ainsi attaché par lui.

815. On le voit à partir de ceci que ce qui naît est toujours uni à ce d’où il naît. C’est pourquoi nature ne réfère jamais à un principe extérieur, mais toutes ses significations se rapportent à un principe interne.

816. Mais de cette troisième signification de la nature en découle une quatrième. Si en effet le principe du mouvement des choses naturelles s’appelle nature, comme il apparut à certains que le principe du mouvement des choses naturelles devait être la matière, il devait s’ensuivre que la matière soit appelée nature, laquelle est certes principe de la chose à la fois quant à son être et à son devenir. La matière elle-même, si on la considère sans aucune forme, ne se meut pas par elle-même mais par un autre. Et c’est pourquoi il dit qu’on appelle nature ce à partir de quoi un être existe ou devient en premier.

817. C’est pour cela qu’il dit que la matière est principe d’existence et de devenir. La matière, dit-il, qui est ce à partir de quoi existe une chose, ¨ existe sans ordre ¨, c’est-à-dire sans forme. C’est pourquoi un autre manuscrit dit : ¨Puisqu’elle est informe¨. Dans certaines choses en effet l’ordre lui-même tient lieu de forme, comme c’est le cas pour une armée ou une cité. Et je dis encore que cela même à partir de quoi une chose existe ¨ne peut changer par son propre pouvoir¨, c’est-à-dire que la matière ne peut se mouvoir par une puissance qui lui appartiendrait en propre, mais seulement par la puissance d’un agent qui lui est supérieur. Car ce n’est pas d’elle-même que la matière se meut vers la forme, mais elle y est mue par un agent extérieur qui la domine. C’est comme nous dirions que le bronze est la matière de la statue et des vases en bronze et que le bois est la matière de la statue et des vases en bois, si de telles choses étaient des corps naturels. Il en est de même pour toutes les autres choses qui existent ou deviennent à partir d’une matière. Chacune d’elles en effet provient de sa matière qu’elle conserve. Mais les dispositions de la forme ne sont pas conservées dans la génération; là en effet une nouvelle forme est introduite alors qu’une autre est rejetée. Et c’est pour cette raison que les formes apparaissaient à certains comme étant des accidents et que la matière seule leur semblait être substance et nature, ainsi qu’on le voit au deuxième livre des Physiques.

818. Et il en était ainsi parce qu’ils regardaient la forme et la matière des choses naturelles de la même manière que la forme et la matière des choses artificielles dans lesquelles les formes sont des accidents et où la matière seule est substance. C’est ainsi que c’est de cette manière que les Naturalistes affirmèrent que les éléments sont la matière des êtres qui existent selon la nature, comme l’eau, l’air, le feu, et enfin la terre qu’aucun ne présenta comme le seul élément des choses naturelles, sauf certains qui n’étaient pas des naturalistes, ainsi qu’il a été établi au premier livre de ce traité. Mais quelques-uns, comme Parménide, affirmèrent que certains de ces corps sont les éléments et la nature des choses. D’un autre côté certains, comme Empédocle, dirent que tous les quatre sont les éléments et la nature des choses. D’autres enfin, par exemple Héraclite, crurent que c’était quelque chose d’autre comme la vapeur.

819. D’un autre côté, parce que le mouvement des choses naturelles est davantage causé à partir de la forme qu’à partir de la matière, c’est pourquoi on en vint à un cinquième sens par lequel c’est la forme elle-même qui est appelée nature. Et c’est ainsi qu’en un autre sens, c’est ¨la substance elle-même¨ qui est appelée nature, c’est-à-dire la forme des choses qui existent selon la nature, comme ceux qui dirent, tel Empédocle, que la nature des choses est la composition même des corps mixtes, lequel affirma qu’aucun des êtres n’existe de manière absolue, avec une nature, mais que c’est seulement un changement ou un relâchement ou un mélange des éléments du mélange qui est appelé nature par les hommes selon une autre version. On dit en effet de ceux qui sont d’un mélange différent qu’ils ont une nature différente.

820. Mais c’est pour la raison qui suit qu’ils ont été amenés à poser que la forme est nature car toutes les choses qui existent et qui sont sujettes au devenir selon la nature, on ne dit pas à leur sujet qu’elles ont une nature du seul fait qu’existe la matière à partir de laquelle ils sont naturellement aptes à devenir ou à exister, s’ils ne possèdent pas encore l’espèce qui leur est propre et leur forme d’où découle cette espèce. Mais il semble que le nom d’espèce tient lieu de forme substantielle, et que le nom de forme signifie la configuration qui découle de l’espèce et qui en est le signe. Si donc la forme est nature, et qu’on ne peut dire d’une chose qu’elle possède une nature tant qu’elle n’a pas de forme, c’est donc que ce qui est composé de matière et de forme ¨s’appelle aussi nature¨, c’est-à-dire existe selon la nature, comme les animaux et leurs parties, comme la chair et les os et d’autres parties semblables.

821. Ensuite lorsqu’il dit [414] : ¨ Mais la nature ¨.

   Il présente deux autres modes qu’il ajoute aux deux derniers, dont ce premier qu’il ajoute au quatrième selon lequel la matière est appelée nature. Et il dit que ce n’est pas toute matière qui est appelée nature, mais seulement la matière première. La matière première peut s’entendre de deux manières : soit par rapport à son genre, soit quant à ce qu’elle est en elle-même prise absolument. Comme pour les choses artificielles qui sont produites à partir du bronze, la matière première selon le genre est le bronze. D’un autre côté, la matière première à parler absolument est l’eau. Car toutes les choses qui se liquéfient par l’action de la chaleur et qui se solidifient par l’action du froid sont surtout de nature aqueuse, comme on le dit au quatrième livre des Météoriques.

822. Il ajoute le deuxième mode au cinquième qu’il avait présenté et selon lequel c’est la forme qui est appelée nature. Et d’après ce mode, non seulement la forme d’une partie est appelée nature, mais aussi l’espèce elle-même qui est la forme du tout, comme si nous disions que la nature de l’homme n’est pas seulement l’âme, mais l’humanité et l’essence signifiée par la définition. C’est d’après cela que Boèce affirme que la nature est tout ce que la différence spécifique informe. Car la différence spécifique est ce qui complète la substance d’une chose et lui donne son espèce. Tout comme on disait de la forme et de  la matière qu’elles sont nature parce qu’elles sont principes de génération, cette dernière étant appelée nature d’après la première imposition du nom, de même l’espèce et la substance sont appelées nature parce qu’elles sont la fin de la génération. Car la génération a pour terme l’espèce de ce qui est engendré, cette espèce étant le résultat de l’union de la matière et de la forme.

823. Et à partir de là, d’après une certaine analogie et une extension du nom, toute substance est appelée nature; car la nature dont nous parlons qui est le terme de la génération est une certaine substance. Et ainsi toute substance entretient une ressemblance avec ce que nous appelons nature. Et Boèce aussi présente ce mode. Mais c’est en raison de ce mode que le nom nature se distingue parmi les noms communs. C’est ainsi en effet que le nom nature est commun tout autant que le nom substance.

824. Ensuite lorsqu’il dit [415] : ¨ À partir de ce qui a été dit ¨.

   Il ramène à un seul mode tous ceux qui précèdent. Mais il faut savoir que la réduction des autres modes à un premier peut se faire de deux manières. Premièrement d’après l’ordre des choses. Deuxièmement d’après l’ordre qui s’entend d’après l’imposition du nom. En effet, nous imposons les noms d’après ce que nous comprenons, car les noms sont les signes de ce que l’intelligence saisit. Mais nous comprenons parfois ce qui est antérieur à partir de ce qui est postérieur. C’est pourquoi une chose est d’abord nommée par nous d’un nom qui convient postérieurement à la chose et il en est ainsi pour le propos qui nous concerne. En effet, parce que les puissances et les formes des choses nous sont connues par leurs actes, c’est d’abord la génération et la naissance qui reçoivent le nom de nature, et c’est seulement par après que la forme reçoit ce nom.

825. Mais selon l’ordre des choses, c’est d’abord la forme qui a raison de nature car, ainsi que nous l’avons dit, on ne peut dire d’aucune chose qu’elle a une nature à moins qu’elle ait une forme.

826. D’où il est évident à partir de ce qui a été dit que ¨dans le sens premier et propre,  nature se dit de la substance¨, c’est-à-dire de la forme des êtres qui possèdent en eux, en tant que tels,  le principe de leur mouvement. On dit en effet de la matière qu’elle est nature parce qu’elle est apte à recevoir la forme. Et la génération elle aussi se voit attribuer le nom de nature parce qu’elle est un mouvement qui procède de la forme et qui se dirige vers une forme. Et cela même, à savoir la forme, est principe de mouvement, ou bien en acte ou bien en puissance, pour les choses qui existent selon la nature. La forme en effet ne produit pas toujours un mouvement en acte, mais parfois elle le produit en puissance seulement, comme lorsque le mouvement naturel est parfois empêché par un obstacle extérieur ou encore lorsque l’action naturelle est empêchée par un défaut qui se tient du côté de la matière.

 

 

LECTIO 6

[82392] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 1Postquam philosophus distinxit nomina, quae significant causas, hic distinguit nomen quod significat aliquid pertinens ad orationem causae; scilicet necessarium. Causa enim est ad quam de necessitate sequitur aliud. Et circa hoc duo facit. Primo distinguit modos necessarii. Secundo reducit omnes ad unum primum, ibi, et secundum hoc necessarium. Ponit autem in prima parte quatuor modos necessarii. Primus est, secundum quod dicitur aliquid necessarium, sine quo non potest aliquid vivere aut esse; quod licet non sit principalis causa rei, est tamen quaedam concausa. Sicut respirare est necessarium animali respiranti, quia sine respiratione vivere non potest. Ipsa enim respiratio, etsi non sit causa vitae, est tamen concausa, inquantum cooperatur ad contemperamentum caloris, sine quo non est vita. Et similiter est de cibo, sine quo animal vivere non potest, inquantum cooperatur ad restaurationem deperditi, et impedit totalem consumptionem humidi radicalis, quod est causa vitae. Igitur huiusmodi dicuntur necessaria, quia sine eis impossibile est esse.

[82393] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 2Secundum modum ponit ibi, et sine dicit, quod secundo modo dicuntur necessaria, sine quibus non potest esse vel fieri bonum aliquod, vel vitari aliquod malum, vel expelli; sicut bibere pharmacum, idest medicinam laxativam, dicimus esse necessarium, non quia sine hoc vivere animal non possit; sed ad expellendum, scilicet hoc malum quod est infirmitas, vel etiam vitandum. Est enim hoc necessarium ut non laboret, idest ut non infirmetur aliquis. Similiternavigare ad Aeginam, scilicet ad illum locum, est necessarium, non quia sine hoc non possit homo esse; sed quia sine hoc non potest acquirere aliquod bonum, idest pecuniam. Unde dicitur, quod necessaria est talis navigatio, ut aliquis pecuniam recipiat.

[82394] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 3Tertium modum ponit ibi, amplius enim dicit quod id quod infert violentiam, et etiam ipsa violentia necessarii nomen accepit; nam violentia necessaria dicitur, et qui vim patitur dicitur de necessitate id facere ad quod cogitur. Quid autem sit faciens vim, manifestat in naturalibus, et in voluntariis. In naturalibus quidem est impetus, sive inclinatio ad aliquem finem, cui respondet voluntas in natura rationali; unde et ipsa naturalis inclinatio appetitus dicitur. Utrumque autem, scilicet et impetum naturalis inclinationis, et propositum voluntatis, contingit impediri et prohiberi. Impediri quidem, in prosecutione motus iam incepti. Prohiberi autem, ne etiam motus incipiat. Illud ergo dicitur esse violentum, quod est praeter impetum, idest praeter inclinationem rei naturalis, et est impediens praevoluntatem, idest propositum in prosecutione motus voluntarii iam incepti, et prohibens etiam ne incipiat. Alia litera habet et hoc est secundum ormin, idest secundum impetum. Violentia enim est cum aliquid agit secundum impetum exterioris agentis, contra voluntatem vim passi. Violentum autem est secundum impetum vim faciens.

[82395] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 4Ex hac autem violenti definitione duas conclusiones inducit. Quarum prima est, quod omne violentum est triste sive flebile. Quod probat per cuiusdam poetae sive doctoris dictum; dicens, quod omnis res necessaria sive violenta est tristis sive lamentabilis: necessitas enim est quaedam violentia; sicut Sophocles poeta dicit: violentia me facere coegit ea, idest necessitas. Dictum est enim, quod violentia est impediens voluntatem. Ea autem, qua voluntati sunt contraria, contristant. Tristitia enim est de his quae nobis nolentibus accidunt.

[82396] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 5Secunda conclusio est, quod necessitas recte dicitur, quod est inculpabilis et irreprehensibilis. Dicitur enim quod necessitas magis meretur veniam quam increpationem. Et hoc ideo, quia non inculpamur nisi de his quae voluntarie facimus, de quibus etiam rationabiliter increpamur. Necessitas autem violentiae est contraria voluntati et excogitationi, ut dictum est; et ideo rationabilius dicitur, quod violenta non sunt culpabilia.

[82397] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 6Quartum modum ponit ibi, amplius quod dicit, quod necessarium etiam dicimus sic se habere, quod non contingit aliter se habere: et hoc est necessarium absolute. Prima autem necessaria sunt secundum quid.

[82398] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 7Differt autem necessarium absolute ab aliis necessariis: quia necessitas absoluta competit rei secundum id quod est intimum et proximum ei; sive sit forma, sive materia, sive ipsa rei essentia; sicut dicimus animal necesse esse corruptibile, quia hoc consequitur eius materiam inquantum ex contrariis componitur. Dicimus etiam animal necessario esse sensibile, quia consequitur eius formam: et animal necessario esse substantiam animatam sensibilem, quia est eius essentia.

[82399] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 8Necessarium autem secundum quid et non absolute est, cuius necessitas dependet ex causa extrinseca. Causa autem extrinseca est duplex; scilicet finis et efficiens. Finis autem est, vel ipsum esse absolutum, et ab hoc fine necessitas sumpta pertinet ad primum modum; vel bene esse, sive aliquod bonum habere, et ab hoc fine sumitur necessitas secundi modi.

[82400] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 9Necessitas autem quae est a movente exteriori, pertinet ad tertium modum. Nam violentia est quando aliquid movetur ab exteriori agente ad aliud ad quod ex propria natura aptitudinem non habet. Si enim secundum suam naturam ordinetur ad hoc quod recipiat motum ab exteriori agente, tunc motus non erit violentus, sed naturalis. Sicut patet de motu caelestium orbium a substantiis separatis, et de motu inferiorum corporum a superioribus.

[82401] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 10Deinde cum dicit et secundum reducit omnes modos ad unum: et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod omnes modi necessitatis, qui in rebus inveniuntur ad hunc ultimum modum pertinent. Secundo ostendit, quod secundum ultimum modum accipitur necessarium in demonstrativis, ibi, amplius demonstratio. Tertio infert quoddam corollarium ex praemissis, ibi, horum quidem itaque. Dicit ergo primo, quod secundum istum ultimum modum necessarii, omnes alii modi aliqualiter dicuntur. Quod primo ostendit in tertio modo. Illud enim quod vim patitur, de necessitate dicitur aliquid facere vel pati, propter hoc quod non contingit secundum proprium impetum aliquid agere propter violentiam agentis, quae est quaedam necessitas propter quam non contingit aliter se habere.

[82402] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 11Et similiter ostendit hoc in primo et secundo modo, in quibus necessitas sumitur ex causis vivendi vel essendi simpliciter, quantum ad primum modum: vel ex causis boni, quantum ad secundum modum. Sic enim in aliis modis necessarium dicebatur, sine quo non poterat esse ex una parte bonum, et ex alia parte vivere et esse. Et sic illa causa, sine qua non contingit vivere vel esse, vel bonum habere, vel malo carere, necessitas dicitur; quasi ex hoc sit prima ratio necessarii, quia impossibile est aliter se habere.

[82403] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 12Deinde cum dicit amplius demonstratio ostendit quod secundum ultimum modum accipitur necessarium in demonstrativis, et quantum ad conclusiones, et quantum ad principia. Demonstratio enim dicitur esse necessariorum, et dicitur esse ex necessariis. Necessariorum quidem esse dicitur, quia illud, quod simpliciter demonstratur, non contingit aliter se habere. Dicitur autem simpliciter demonstratum ad eius differentiam quod demonstratur in demonstratione quae est ad aliquem, et non simpliciter; quod in quarto libro dixit demonstrare ad hominem arguentem. In talibus enim demonstrationibus, quae sunt ad aliquem, contingit etiam impossibile concludi ex aliquibus impossibilibus positis. Sed, quia causae conclusionis in demonstrationibus sunt praemissae, cum demonstratio simpliciter scire faciat, quod non est nisi per causam, oportet etiam principia, ex quibus est syllogismus, esse necessaria quae impossibile sint aliter se habere. Nam ex causa non necessaria non potest sequi effectus necessarius.

[82404] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 13Deinde cum dicit horum quidem concludit ex praemissis tres conclusiones se invicem sequentes: quarum prima est, quod ex quo in demonstrationibus praemissae sunt causae conclusionis, et utraque sunt necessaria, sequitur quod aliqua sunt necessaria dupliciter. Quaedam quidem quorum altera sit causa necessitatis; quaedam vero quorum nulla sit causa necessitatis; et talia sunt necessaria propter seipsa. Et hoc est contra Democritum, qui dicebat quod necessariorum non sunt quaerendae causae, ut habetur in octavo physicorum.

[82405] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 14Secunda conclusio, quia, cum oporteat esse unum primum necessarium, a quo alia necessitatem habent, quia in causis non est procedere in infinitum, ut in secundo ostensum est, oportet hoc primum necessarium, quod etiam maxime proprie est necessarium, quia est omnibus modis necessarium, quod ipsum sit simplex. Ea enim, quae sunt composita, sunt mutabilia, et ita pluribus modis se possunt habere: quae autem pluribus modis habere se possunt, possunt se habere aliter et aliter; quod est contra rationem necessarii. Nam necessarium est, quod est impossibile aliter se habere. Unde oportet, quod primum necessarium non aliter et aliter se habeat, et per consequens nec pluribus modis. Et ita oportet ipsum esse simplex.

[82406] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 6 n. 15Tertia conclusio est, quod, cum violentum sit quod movetur ab aliquo exteriori agente praeter naturam propriam, principia autem necessaria sunt simplicia et immobilia, ut ostensum est, necessarium est ut si sunt aliqua sempiterna et immobilia sicut sunt substantiae separatae, quod in illis non sit aliquid violentum nec praeter naturam. Et hoc dicit, ne deceptio accidat in nomine necessitatis, cum dicitur de substantiis immaterialibus, nec per hoc intelligitur aliqua violentia in eis esse.

LEÇON 6.

(nn. 827-841; [416-422]).

 

Ayant expliqué quatre sens du nom Nécessaire, parmi lesquels le quatrième et le premier sont appelés nécessaires au sens propre, il explique à partir de là que certains nécessaires ont une cause et d’autres non : il conclut de plus que ce qui est nécessaire au sens propre et qui est le premier nécessaire est simple et que les êtres immobiles sont privés du nécessaire selon la violence.

 

827. Après avoir distingué les noms qui signifient les causes, le Philosophe distingue ici un nom qui signifie quelque chose qui a rapport avec le discours sur la causalité, à savoir le nom Nécessaire. Une cause en effet est ce d’où découle nécessairement autre chose.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il distingue les sens du mot nécessaire [416]. Le premier est celui selon lequel on appelle nécessaire ce sans quoi quelque chose ne peut vivre ou exister; bien que ce ne soit pas là la principale cause de la chose, elle est cependant une cause concomitante, tout comme respirer est nécessaire à l’animal qui respire car sans la respiration il ne peut vivre. En effet la respiration elle-même, bien qu’elle ne soit pas la cause de la vie, est cependant une cause concomitante dans la mesure où elle coopère à tempérer la chaleur sans quoi il n’y a pas la vie. Et il en est de même pour la nourriture sans laquelle l’animal ne peut vivre, dans la mesure où elle coopère à restaurer la perte d’énergie et empêche la consommation complète des liquides corporels de base qui sont la cause de la vie. Ce sont donc des choses de cette sorte qu’on appelle nécessaires car sans elles il est impossible à ces êtres d’exister.

828. Il présente le deuxième sens, là [417] où il dit : ¨ Et sans ¨.

   Il dit qu’en un deuxième sens on appelle nécessaires les choses sans lesquelles un bien ne peut exister ou être produit ou sans lesquelles un mal ne peut être évité ou chassé; tout comme nous disons que ¨boire une drogue¨, c’est-à-dire un médicament laxatif, est nécessaire, non parce que l’animal ne peut vivre sans lui, mais pour chasser ou éviter ce mal qui est la maladie. Ce nécessaire existe en effet ¨afin de ne pas être malade¨, c’est-à-dire afin que quelqu’un ne souffre pas d’une maladie. De la même manière, ¨naviguer vers Égine¨, c’est-à-dire vers ce lieu, est nécessaire non pas parce que sans cela l’homme ne peut exister, mais parce que sans cela il ne peut acquérir ce bien, à savoir l’argent qui s’y trouve. C’est pourquoi on dit que ce voyage est nécessaire afin que quelqu’un y reçoive l’argent.

829. Il présente le troisième sens, là [418] où il dit : ¨ En outre en effet ¨.

   Il dit que ce qui cause une contrainte, ainsi que la contrainte elle-même, reçoit le nom de nécessaire; car la contrainte est appelée nécessaire, et on dit de celui qui subit la force que c’est nécessairement qu’il fait ce à quoi il est forcé. Ce que c’est que de faire violence, il le manifeste dans les choses naturelles et dans les actes volontaires. Dans les choses naturelles on retrouve certes un élan ou une inclination vers une fin à laquelle correspond la volonté dans la nature rationnelle; c’est pourquoi on appelle appétit l’inclination naturelle elle-même. Mais les deux, à savoir à la fois l’élan de l’inclination naturelle et le propos volontaire, peuvent rencontrer des obstacles et être empêchés. Ils peuvent certes rencontrer des obstacles dans la poursuite du mouvement déjà commencé. Ils peuvent aussi être empêchés de manière à ce que le mouvement ne puisse pas même commencer. Donc, ¨ce qui est contraire à l’impulsion¨ est appelé violent ou forcé, c’est-à-dire contraire à l’inclination de la chose naturelle, et il fait ¨obstacle au propos délibéré¨, c’est-à-dire à ce qu’on se propose d’atteindre dans la poursuite du mouvement volontaire déjà commencé, et empêche même qu’il ne puisse commencer. Un autre document nous dit : ¨Et cela a lieu d’après une impulsion¨, c’est-à-dire d’après une poussée. Une violence ou une contrainte s’exerce quand quelque chose agit d’après la pression d’un agent extérieur et subit cette force contre sa volonté. Le violent cependant est  celui qui exerce une force conformément à sa propre impulsion.

830. Mais à partir de cette définition du forcé ou du contraint, il amène deux conclusions, dont la première est que celui qui est contraint est triste et affligé. Ce qu’il prouve en se servant des paroles du poète ou du maître en disant que toute chose nécessaire ou contrainte est triste ou pénible : la nécessité en effet est une certaine violence; ainsi que le dit le poète Sophocle : c’est la force, la violence ou la contrainte qui m’oblige à faire cela. Et par force, il veut dire la nécessité. Il a été dit en effet que la force est un obstacle à la volonté. Mais les choses qui sont contraires à la volonté rendent un homme triste. La tristesse en effet se rapporte aux choses qui nous arrivent alors que nous ne le voulions pas.

831. La deuxième conclusion est qu’on dit avec raison que ce qui est fait par nécessité ne mérite pas de reproches et d’accusations. On dit en effet que la nécessité mérite davantage la grâce que le blâme. Et il en est ainsi parce que nous ne portons d’accusations qu’à ceux qui agissent volontairement et auxquels nous adressons aussi avec raison des reproches. Mais la nécessité de la force, comme on le dit, est contraire à la volonté et à la réflexion et c’est pourquoi on dit avec encore plus de justesse que ceux qui agissent sous l’effet de la force ne sont pas coupables.

832. Il présente le quatrième sens, là [419] où il dit : ¨ En outre, que ¨.

   Il dit qu’on appelle encore nécessaire ce qui se présente de telle manière qu’il ne peut arriver à un être d’être autrement : et tel est le nécessaire à parler absolument, alors que les autres nécessaires ne le sont que sous un certain rapport.

833. Mais le nécessaire absolu diffère des autres nécessaires du fait que la nécessité absolue appartient à la chose selon ce qu’elle possède de plus intime ou avec quoi elle a le plus d’affinité, qu’il s’agisse de sa forme, de sa matière ou de son essence : c’est ainsi que nous disons de l’animal qu’il est nécessairement corruptible car cela découle de sa matière qui est composée de contraires; nous disons aussi que l’animal est nécessairement un être sensible car cela découle nécessairement de sa forme; nous disons enfin que l’animal est nécessairement une substance animée sensible car c’est là son essence.

834. Mais le nécessaire qui n’est nécessaire que sous un certain rapport et non pas d’une manière absolue est celui dont la nécessité dépend d’une cause extérieure. Mais il y a deux sortes de causes extérieures, à savoir la fin et l’agent. Mais la fin est ou bien l’existence elle-même considérée absolument, et alors la nécessité qui se tire de cette fin appartient au premier mode; ou bien la fin est un bien-être ou la possession d’un certain bien et c’est de cette fin que se tire la nécessité appartenant au second mode.

835. Mais la nécessité qui provient d’un agent extérieur appartient au troisième mode. Car la force ou la contrainte a lieu quand une chose est poussée par un agent extérieur vers un état qui est autre et pour lequel elle ne possède aucune aptitude de par sa nature propre. Si en effet c’était selon sa nature qu’elle était ordonnée à recevoir son mouvement d’un agent extérieur, alors son mouvement ne serait plus violent ou forcé mais naturel, ainsi qu’on le voit pour les mouvements des figures célestes causés par les substances séparées ou pour le mouvement des corps inférieurs causés par les corps supérieurs.

836. Ensuite lorsqu’il dit [420] : ¨ Et c’est d’après ¨.

   Il ramène tous ces modes à un seul : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il montre que tous les modes de nécessité qu’on retrouve dans les choses appartiennent à ce dernier mode [420]. En deuxième lieu il montre que c’est d’après ce dernier mode que se prend le nécessaire dans les démonstrations, là [421] où il dit : ¨En outre la démonstration¨. En troisième lieu il infère un corollaire qui découle de ce qui précède, là [422] où il dit : ¨ C’est pourquoi certes parmi les choses nécessaires etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [420] que c’est d’après ce dernier mode ou dernier sens du terme nécessaire que tous les autres modes se disent d’une manière ou d’une autre. Ce qu’il montre en premier lieu pour le troisième mode. En effet, on dit de celui qui subit une violence, que c’est par nécessité qu’il agit ou qu’il souffre pour cette raison qu’il ne parvient pas à agir selon son inclination propre à cause de la violence de l’agent qui est une nécessité à cause de laquelle il ne peut se trouver qu’il en soit autrement.

837. Et il montre la même chose par rapport aux deux premiers modes dans lesquels la nécessité se tire des causes de la vie et de l’existence considérées absolument pour ce qui est du premier mode, ou des causes du bien pour ce qui est du deuxième mode. C’est ainsi en effet que dans ces autres modes on appelle nécessaire d’un côté ce sans quoi le bien ne pourrait exister et d’un autre côté ce sans quoi la vie et l’existence ne pourraient avoir lieu. Et ainsi cette autre cause sans laquelle ne peuvent résulter ni la vie et l’existence ni la possession d’un bien, ni l’exemption du mal, on l’appelle nécessaire comme si la première définition de la nécessité venait de ce qui ne peut être autrement.

838. Ensuite lorsqu’il dit [421] : ¨ En outre la démonstration ¨.

   Il montre que c’est d’après ce dernier mode que doit s’entendre la nécessité dans les démonstrations, à la fois quant aux conclusions et quant aux principes. On dit en effet que la démonstration porte sur des conclusions nécessaires qui procèdent de prémisses nécessaires. On dit en effet que la démonstration porte sur ce qui est nécessaire car cela même qui est démontré, à parler absolument, ne peut être autrement. Mais on appelle démonstration proprement dite ou absolue celle qui se distingue de ce qui est démontré dans la démonstration ¨ad hominem¨, c’est-à-dire qui cherche à réfuter une position, et qui n’est pas une démonstration absolue à proprement parler, et qu’il avait appelée au quatrième livre une démonstration dirigée contre celui qui argumente de manière sophistique.  En effet, dans de telles démonstrations qui sont dirigées contre une position, il arrive de parvenir à des conclusions impossibles qui découlent nécessairement de ces positions insoutenables. Mais parce que dans les démonstrations les causes de la conclusion sont les prémisses, puisque la démonstration est ce qui produit le savoir à parler absolument, ce qui ne peut avoir lieu qu’au moyen de la cause, il faut encore que les principes nécessaires d’où procède le syllogisme soient ceux qui ne peuvent être autrement. Car un effet nécessaire ne peut découler d’une cause qui ne le serait pas.

839. Ensuite lorsqu’il dit [422] : ¨ Certes parmi les choses nécessaires etc.¨.

   Il infère à partir de ce qui précède trois conclusions qui découlent les unes des autres, dont la première est que du fait que dans les démonstrations les prémisses sont les causes de la conclusion, et que les deux sont nécessaires, il suit de là que certaines choses sont nécessaires de deux manières : certaines pour lesquelles quelque chose d’autre qu’elles-mêmes est cause de leur nécessité; d’un autre côté il y en a certaines qui n’ont rien en dehors d’elles-mêmes comme cause de leur nécessité et telles sont celles qui sont nécessaires en raison d’elles-mêmes. Et cela est contraire à la position de Démocrite qui soutenait qu’on ne doit pas rechercher les causes de ce qui est nécessaire, ainsi qu’on le voit au huitième livre des Physiques.

840. La deuxième conclusion est que, puisqu’il faut qu’il y ait un premier nécessaire duquel les autres tirent leur nécessité, car on ne peut procéder à l’infini dans les causes, ainsi qu’on a pu le voir au deuxième livre, il faut que ce premier nécessaire, qui est aussi le nécessaire à proprement parler car il est nécessaire à tous les autres modes, soit simple. En effet, les choses qui sont composées sont sujettes au changement et peuvent ainsi se présenter de plusieurs manières : mais ce qui peut se présenter de plusieurs manières peut aussi se présenter ainsi et autrement, ce qui s’oppose à la notion de nécessité. Car est nécessaire ce qui ne peut se présenter autrement. D’où il faut que le premier nécessaire ne puisse se présenter ainsi et autrement et qu’il ne puisse non plus se présenter de plusieurs manières. Et ainsi il faut que le premier nécessaire soit lui-même simple.

841. La troisième conclusion est que puisque le contraint est ce qui est mû par un agent extérieur contre sa nature propre et que les principes nécessaires sont ceux qui sont simples et immobiles, ainsi qu’il a été montré, il est nécessaire que, s’il existe des êtres éternels et immobiles comme les substances séparées, il ne puisse rien exister en elles de forcé ou qui serait contre nature. Et il dit cela afin qu’il ne se produise pas une erreur relativement au nom de nécessité lorsqu’on parle des substances séparées et qu’on n’entende pas par là qu’il existe en elles quelque contrainte ou violence que ce soit.

 

 

LECTIO 7

[82407] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 1Postquam philosophus distinxit nomina quae significant causas, hic distinguit nomina quae significant id quod est subiectum aliquo modo in ista scientia. Et dividitur in duas partes. Primo ponit sive distinguit nomina, quae significant subiectum huius scientiae. Secundo ea, quae significant partes subiecti, ibi, eadem dicuntur. Subiectum autem huius scientiae potest accipi, vel sicut communiter in tota scientia considerandum, cuiusmodi est ens et unum: vel sicut id de quo est principalis intentio, ut substantia. Et ideo primo distinguit hoc nomen unum. Secundo hoc nomen ens, ibi, ens dicitur et cetera. Tertio hoc nomen substantia, ibi, substantia dicitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit unum in per se et per accidens; et ostendit quot modis dicitur unum per accidens. Secundo quot modis dicitur unum per se, ibi secundum se vero unum et cetera.

[82408] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 2Dicit ergo, quod unum dicitur et per se et per accidens. Per accidens autem unum docet considerare primo in terminis singularibus; et hoc dupliciter. Uno modo secundum quod accidens comparatur ad subiectum. Alio modo secundum quod unum accidens comparatur ad aliud. In utroque autem istorum tria est accipere; scilicet unum compositum et duo simplicia. Si enim unum per accidens accipiatur secundum comparationem accidentis ad subiectum, sic sunt ista tria: primum est Coriscus, secundum est musicus, tertium Coriscus musicus. Et haec tria sunt unum per accidens. Nam idem subiecto est Coriscus et musicus. Et similiter, quando comparatur accidens ad accidens, tria est accipere; quorum primum est musicum, secundum est iustum, tertium est musicus iustus Coriscus. Et omnia praedicta dicuntur esse unum secundum accidens; tamen alia et alia ratione.

[82409] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 3Iustum enim et musicum, quae sunt duo simplicia in secunda acceptione, dicuntur unum per accidens, quia accidunt uni subiecto. Musicus vero et Coriscus, quae sunt duo simplicia in prima acceptione, dicuntur unum per accidens, quia alterum eorum, scilicet musicum accidit alteri, scilicet Corisco. Et similiter quantum ad aliquid musicus Coriscus cum Corisco, quod est compositum cum uno simplicium, in prima acceptione dicuntur unum per accidens, quia inter partes istas quae sunt in hac oratione, idest in hoc termino complexo, scilicet, Coriscus musicus, altera pars termini complexi, scilicet musicus, accidit alteri parti per se signatae, scilicet Corisco. Et eadem ratione potest dici, quod musicus Coriscus est unum cum iusto Corisco, quae sunt duo composita in secunda acceptione, quia ambae partes utriusque compositi accidunt uni, scilicet Corisco. Si enim idem est musicus et musicus Coriscus, et iustus et iustus Coriscus, cuicumque accidit musicum accidit musicus Coriscus; et quicquid accidit Corisco accidit Corisco iusto. Unde, si musicum accidit Corisco, sequitur, quod musicus Coriscus accidit iusto Corisco. Et sic nihil differt dicere musicum Coriscum accidere iusto Corisco, quam musicum accidere Corisco.

[82410] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 4Quia vero huiusmodi praedicata per accidens per prius praedicantur de singularibus, et per posterius de universalibus, cum tamen e converso sit de praedicatis per se, manifestat consequenter in terminis universalibus quod in singularibus ostenderat; dicens, quod similiter accipitur unum per accidens, si aliquod accidens dicatur cum aliquo nomine alicuius generis, vel cuiuscumque universalis, sicut accipitur unum per accidens in praedictis, quando accidens adiungitur nomini singulari; sicut cum dicitur, quod homo et musicus homo sunt unum per accidens, licet quantum ad aliquid differant.

[82411] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 5Singulares enim substantiae nec sunt in subiecto, nec de subiecto praedicantur. Unde tantum substant et nihil eis substat. Substantiae quidem universales dicuntur de subiecto, sed non sunt in subiecto. Unde non substant accidentibus, et eis aliquid substat. Cum ergo accidens adiungitur particulari substantiae, non potest esse alia ratio dicti, nisi quia accidens inest substantiae particulari, ut quia musicum inest Corisco cum dicitur Coriscus musicus.

[82412] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 6Sed, cum dicitur homo musicus, potest esse duplex ratio dicti. Aut enim hoc dicitur, quia musicum accidit homini, per quod significatur substantia, et ex hoc competit sibi quod possit substare accidenti. Aut hoc ideo dicit, quia ambo, scilicet homo et musicus, insunt alicui singulari, sicut Corisco: sicut musicum dicebatur iustum, quia eidem singulari insunt, et eodem modo, scilicet per accidens. Sed forsan hoc non eodem modo; sed universalis substantia inest singulari ut genus, sicut hoc nomen animal; aut si non sit genus, saltem est in substantia subiecti, idest ut substantiale praedicatum, sicut hoc nomen homo. Sed aliud, scilicet musicum, non est ut genus vel essentiale praedicatum, sed ut habitus vel passio subiecti, vel qualecumque accidens. Ponit autem haec duo, habitum et passionem, quia quaedam accidentia sunt manentia in subiecto, sicut habitus, qui sunt difficile mobiles; quaedam autem sunt accidentia pertranseuntia et non manentia, sicut passiones. Patet igitur quod isti sunt modi, quibus aliqua dicuntur unum per accidens.

[82413] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 7Deinde cum dicit secundum se ponit modos unius per se; et circa hoc duo facit. Primo ostendit quot modis dicitur unum. Secundo quot modis dicuntur multa, ibi, palam autem, et quia multa. Circa primum duo facit. Primo distinguit modos unius naturaliter, idest secundum conditiones in rebus inventas. Secundo vero logice, idest secundum intentiones logicales, ibi, amplius autem alia et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit modos unius. Secundo vero ponit quamdam proprietatem consequentem ad unum, ibi, uni vero esse, est principium. Circa primum duo facit. Primo ponit modos unius. Secundo reducit eos omnes ad unum, ibi, universaliter enim quaecumque. Ponit autem in prima parte quinque modos unius.

[82414] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 8Quorum primus est, quod eorum quae secundum se dicuntur unum, quaedam dicuntur unum esse natura continuitatis, idest essendo continua: vel eo quod sunt continua, sicut dicit alia translatio. Sed continua dicuntur aliqua dupliciter. Quaedam enim sunt continua, sicut dicit alia litera, per aliud, quaedam secundum se.

[82415] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 9Prosequitur ergo primo continua secundum aliud, dicens, quod continua per aliud sunt, sicut onus lignorum continuum est ratione ligaminis vel vinculi: et hoc modo ligna adinvicem conviscata dicuntur unum per viscum. Quod etiam contingit dupliciter: quia quandoque continuatio alligatorum fit secundum lineam rectam, quandoque autem secundum lineam indirectam, sicut est linea reflexa angulum continens, quae fit ex contactu duarum in una superficie, quarum applicatio non est directa. Per hunc enim modum partes animalis dicuntur unum et continuum. Sicut tibia, quae habet reflexionem, et angulum continet ad genu, dicitur una et continua, et similiter brachium.

[82416] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 10Sed, cum talis continuatio, quae est per aliud, possit esse vel fieri naturaliter et arte, magis unum sunt quae sunt continua per naturam, quam quae sunt continua per artem: quia in his quae sunt continua per naturam, illud unum, per quod fit continuatio, non est extraneum a natura rei quae per ipsum continuatur, sicut accidit in his quae sunt unum per artificium, in quibus vinculum, vel viscus, vel aliquid tale est omnino extraneum a natura colligatorum. Et ita ea quae sunt naturaliter colligata, prius accedunt ad ea quae sunt secundum se continua, quae sunt maxime unum.

[82417] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 11Et ad evidentiam huius, definit continuum, dicens, quod continuum dicitur id cuius est secundum se unus motus tantum, et non est possibile aliter. Non enim possibile est in continuo, ut diversae partes diversis motibus moveantur, sed totum continuum movetur uno motu. Dicit autem secundum se, quia possibile est ut continuum moveatur uno modo per se, et uno alio vel pluribus per accidens; sicut si homo movetur in navi per se contra motum navis, movetur nihilominus motu navis per accidens.

[82418] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 12Ad hoc autem quod sit unus motus, oportet quod sit indivisibilis: et hoc dico secundum tempus, ut videlicet simul dum movetur una pars continui, moveatur et alia. Non enim contingit in continuo quod una pars moveatur et alia quiescat, vel quod una quiescat et alia moveatur, ut sic motus diversarum partium continui sint in diversis partibus temporis.

[82419] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 13Ideo autem hic definit philosophus continuum per motum et non per unitatem termini, ad quem partes continui coniunguntur, sicut in praedicamentis et in libro physicorum habetur, quia ex ista definitione potest sumi diversus gradus unitatis in diversis continuis, sicut postea patebit, non autem ex definitione ibi data.

[82420] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 14Sciendum est autem, quod hoc quod hic dicitur, quod motus continui indivisibilis est secundum tempus, non est contrarium ei quod probatur in sexto physicorum, scilicet, quod tempus motus dividitur secundum partes mobilis. Hic enim loquitur philosophus quantum ad motum absolute, quia scilicet non ante incipit moveri una pars continui quam alia: ibi autem loquitur referendo ad aliquod signum, quod signatur in magnitudine, per quam fit motus. Illud enim signum, quod est prior pars magnitudinis, in priori tempore transitur, licet etiam in illa priori parte temporis aliae partes mobilis continui moveantur.

[82421] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 15Deinde cum dicit secundum se prosequitur de illis quae sunt secundum se continua, dicens, quod illa sunt secundum se continua quae non dicuntur unum per contactum. Quod sic probat. Illa enim, quae se tangunt, ut duo ligna, non dicuntur unum lignum, nec unum corpus, nec unum aliquid aliud quod pertineat ad genus continui. Et sic patet quod alia est unitas continuorum, et alia tangentium. Quae enim sunt se tangentia non habent unitatem continuitatis per seipsa, sed per aliquod vinculum quod ea coniungit. Sed illa quae sunt continua, dicuntur unum secundum se, quamvis habeant reflexionem. Duae enim lineae reflexae continuantur ad unum communem terminum, qui est punctus in loco ubi constituitur angulus.

[82422] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 16Sed tamen magis sunt unum quae per se sunt continua sine reflexione. Cuius ratio est, quia linea recta non potest habere nisi unum motum in omnibus partibus suis. Linea vero reflexa potest habere unum motum, et duos motus. Potest enim intelligi linea reflexa tota moveri in unam partem: et iterum potest intelligi quod una parte quiescente, alia pars, quae cum parte quiescente continet angulum, appropinquet per suum motum ad partem quiescentem, sicut quando tibia vel crus applicatur ad coxam, quae hic dicitur femur. Unde utrumque eorum, scilicet tibia vel coxa, sunt magis unum quam scelos, ut habetur in Graeco, idest quam id quod est compositum ex tibia et coxa.

[82423] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 17Sciendum autem, quod litera quae habet curvitatem loco reflexionis, falsa est. Constat enim quod partes lineae curvae angulum non continentes, oportet quod simul moveantur et simul quiescant, sicut partes lineae rectae; quod non accidit in reflexa, ut dictum est.

[82424] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 18Secundum modum ponit ibi, amplius alio dicit, quod secundo modo dicitur unum, non tantum ratione continuae quantitatis, sed ex eo quod subiectum totum est indifferens forma secundum speciem. Quaedam enim esse possunt continua quae tamen in subiecto sunt diversa secundum speciem; sicut si continuetur aurum argento, vel aliqua huiusmodi. Et tunc talia duo erunt unum si attendatur sola quantitas, non autem si attendatur natura subiecti. Si vero totum subiectum continuum sit unius formae secundum speciem, erit unum et secundum rationem quantitatis et secundum rationem naturae.

[82425] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 19Subiectum autem dicitur esse indifferens secundum speciem, quando eadem species sensibilis non dividitur, ita quod sint diversae formae sensibiles in diversis partibus subiecti, sicut quandoque contingit quod unius corporis sensibilis una pars est alba, et alia nigra. Hoc autem subiectum indifferens potest accipi dupliciter. Uno modo subiectum primum. Alio modo subiectum finale sive ultimum, ad quod pervenitur in fine divisionis. Sicut patet quod totum vinum dicitur unum esse, quia partes eius communicant in uno primo subiecto quod est indifferens secundum speciem. Et similiter est de aqua. Omnes enim liquores sive humores dicuntur unum in uno ultimo. Nam oleum et vinum et omnia huiusmodi resolvuntur ultimo in aquam vel aerem, qui in omnibus est radix humiditatis.

[82426] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 20Tertium modum ponit ibi, dicuntur autem dicit, quod aliqua dicuntur unum, quorum genus est unum, oppositis differentiis divisum. Et ille modus habet aliquam similitudinem cum praecedenti. Ibi enim aliqua dicebantur esse unum, quia genus subiectum est unum: hic etiam aliqua dicuntur esse unum, quia eorum genus, quod est subiectum differentiis, est unum; sicut homo et equus et canis dicuntur unum, quia communicant in animali, quasi in uno genere, subiecto differentiis. Differt tamen hic modus a praedicto, quia in illo modo subiectum erat unum non distinctum per formas; hic autem genus subiectum est unum distinctum per diversas differentias quasi per diversas formas.

[82427] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 21Et sic patet quod propinquissimo modo dicuntur aliqua esse unum genere, et similiter sicut aliqua dicuntur esse unum materia. Nam illa etiam quae dicuntur esse unum materia, distinguuntur per formas. Genus enim, licet non sit materia, quia non praedicaretur de specie, cum materia sit pars, tamen ratio generis sumitur ab eo quod est materiale in re; sicut ratio differentiae ab eo quod est formale. Non enim anima rationalis est differentia hominis, cum de homine non praedicetur; sed habens animam rationalem, quod significat hoc nomen rationale. Et similiter natura sensitiva non est genus hominis, sed pars. Habens etiam naturam sensitivam, quod nomine animalis significatur, est hominis genus. Similiter ergo et propinquus modus est quo aliqua sunt unum materia et unum genere.

[82428] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 22Sed sciendum est, quod unum ratione generis dicitur dupliciter. Quandoque enim aliqua dicuntur ita unum in genere sicut dictum est, quia scilicet eorum unum est genus qualitercumque. Quandoque vero non dicuntur aliqua esse unum in genere, nisi in genere superiori, quod cum adiunctione unitatis vel identitatis praedicatur de ultimis speciebus generis inferioris, quando sunt aliquae aliae superiores species supremi generis, in quarum una infinitae species conveniunt. Sicut figura est unum genus supremum continens sub se multas species, scilicet circulum, triangulum, quadratum, et huiusmodi. Et triangulus etiam continet diversas species, scilicet aequilaterum, qui dicitur isopleurus, et triangulum duorum aequalium laterum, qui dicitur aequitibiarum vel isosceles. Isti igitur duo trianguli dicuntur una figura, quod est genus remotum, sed non unus triangulus, quod est genus proximum. Cuius ratio est, quia hi duo trianguli non differunt per differentias quibus dividitur figura. Differunt autem per differentias quibus dividitur triangulus. Idem autem dicitur a quo aliquid non differt differentia.

[82429] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 23Quartum modum ponit ibi, amplius autem dicit quod unum etiam dicuntur, quaecumque ita se habent quod definitio unius, quae est ratio significans quid est esse, non dividitur a definitione alterius, quae significat etiam quid est esse eius. Ipsa enim definitio, scilicet secundum se, oportet quod sit divisibilis, cum constet ex genere et differentia. Sed potest esse quod definitio unius sit indivisibilis a definitione alterius, quando duo habent unam definitionem; sive illae definitiones significent totum hoc quod est in definito, sicut tunica et indumentum: et tunc sunt simpliciter unum, quorum definitio est una: sive illa communis definitio non totaliter comprehendat rationem duorum, quae in ea conveniunt, sicut bos et equus conveniunt in una definitione animalis. Unde numquam sunt unum simpliciter, sed secundum quid, in quantum scilicet utrumque eorum est animal. Et similiter augmentum et diminutio conveniunt in una definitione generis, quia utraque est motus secundum quantitatem. Similiter in omnibus superficiebus est una definitio huius speciei quae est superficies.

[82430] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 7 n. 24Quintum modum ponit ibi, omnino vero dicit, quod omnino idest perfecte et maxime sunt unum, quorum intellectus intelligens quidditatem eorum est omnino indivisibilis, sicut simplicia, quae non componuntur ex principiis materialibus et formalibus. Unde intellectus accipiens quidditatem eorum, non comprehendit ea, quasi componens definitionem eorum ex diversis principiis; sed magis per modum negationis, sicut punctus est, cuius pars non est: vel etiam per modum habitudinis ad composita, sicut si dicatur quod unitas est principium numeri. Et, quia talia habent intellectum indivisibilem in seipsis, ea autem quae sunt quocumque modo divisa, possunt intelligi separatim, ideo sequitur quod huiusmodi sunt inseparabilia, et secundum tempus, et secundum locum, et secundum rationem. Et propter hoc sunt maxime unum; praecipue illud quod est indivisibile in genere substantiae. Nam quod est indivisibile in genere accidentis, etsi ipsum in se non sit compositum, est tamen alteri compositum, idest subiecto in quo est. Indivisibilis autem substantia, neque secundum se composita est, nec alteri componitur. Vel ly substantia, potest esse ablativi casus. Et tunc est sensus, quod licet aliqua dicantur unum quia sunt indivisibilia secundum locum vel tempus vel rationem, tamen inter ea illa maxime dicuntur unum, quae non dividuntur secundum substantiam. Et redit in eumdem sensum cum priore.

LEÇON 7.

(nn. 842-865; [423-429]).

 

Il explique les trois modes de l’un par accident et il ajoute de plus cinq modes de l’un par soi.

 

842. Après avoir distingué les noms qui signifient les causes, le Philosophe distingue ici les noms qui signifient en quelque sorte le sujet de cette science.

   Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il présente ou il distingue les noms qui signifient le sujet de cette science [423]. En deuxième lieu il présente ceux qui signifient les parties du sujet, là [445] où il dit : ¨On appelle identiques¨.

   Mais le sujet de cette science peut s’entendre ou bien comme il doit être considéré universellement dans toute la science, à la manière de l’être et de l’un, ou bien comme ce sur quoi porte le propos principal, à savoir la substance. Et c’est pourquoi il distingue en premier lieu le nom un [423], et ensuite le nom être, là [435] où il dit : ¨ L’être se dit etc.¨. Et enfin c’est en troisième lieu qu’il distingue le nom substance, là [440] où il dit : ¨ La substance se dit etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue l’un par soi de l’un par accident; et il montre selon combien de sens se dit l’un par accident [423]. En deuxième lieu il montre selon combien de sens se dit l’un par soi, là [424] où il dit : ¨ D’un autre côté l’un par soi etc.¨.

843. Il dit donc [423] que l’un se dit à la fois par soi et par accident. Et il nous apprend à considérer l’un par accident d’abord dans des termes singuliers, ce qu’il fait de deux manières. Premièrement selon que l’accident se compare au sujet. Deuxièmement selon que l’accident se compare à un autre accident. Mais dans chacune de ces deux manières il y a trois termes à saisir, c’est-à-dire un composé et deux simples. Si en effet l’un par accident s’entend selon la comparaison de l’accident au sujet, on se retrouve ainsi face à ces trois termes : le premier est Coriscus, le deuxième est musicien et le troisième est Coriscus musicien. Et ces trois termes sont un par accident. Car Coriscus et musicien sont identiques par le sujet. Et de même, quand on compare l’accident à l’accident, il faut entendre trois termes, dont le premier est musicien, le deuxième est juste et le troisième est Coriscus le musicien juste. Et tout cela est dit un par accident mais pour des raisons différentes.

844. En effet, juste et musicien qui sont les deux termes simples contenus dans la deuxième acception sont appelés un par accident parce qu’ils se retrouvent dans un même sujet. D’un autre côté musicien et Coriscus qui sont les deux termes simples contenus dans la première acception sont appelées un par accident parce ¨l’un des deux¨, à savoir musicien, est dans l’autre, c’est-à-dire dans Coriscus. Et il en est de même d’une certaine façon relativement à musicien Coriscus par rapport à Coriscus, qui est un composé avec un terme simple, sont dits un par accident dans la première acception, car entre ces parties qui sont contenues dans cette expression, c’est-à-dire dans ce terme complexe qui est Coriscus musicien, l’autre partie du terme complexe, à savoir musicien, est accident de l’autre partie signifiée par soi, à savoir à Coriscus. Et pour la même raison on peut dire que musicien Coriscus est un avec juste Coriscus, qui sont les deux expressions composées de la deuxième acception, parce que les deux parties de chacune des expressions composées est un accident d’un seul et même sujet, c’est-à-dire de Coriscus. Si en effet musicien et musicien Coriscus sont un seul et même être et qu’il en est de même pour juste et juste Coriscus, celui auquel s’attribue musicien est aussi celui auquel s’attribue musicien Coriscus et tout ce qui s’attribue à Coriscus s’attribue aussi à juste Coriscus. Il suit de là que si musicien est un accident de Coriscus, musicien Coriscus est aussi accident de juste Coriscus. Et de cette manière, dire que musicien Coriscus est un accident de juste Coriscus ne diffère en rien de dire que musicien est un accident de Coriscus.

845. Mais d’un autre côté parce que de telles attributions par accident sont d’abord faites à des singuliers et par après à des universels, alors qu’on procède en sens contraire pour ce qui est des attributions par soi ou essentielles, il manifeste ensuite dans des termes universels ce qu’il avait manifesté dans des termes singuliers; et il dit que de la même manière, tout comme on entendait comme étant un par accident le fait qu’un accident soit ajouté à des noms singuliers dans les cas précédents, de même on entend comme un par accident le fait qu’un accident soit exprimé avec le nom d’un genre ou d’une notion universelle, comme lorsqu’on dit que homme et homme musicien sont un par accident, bien que sous un certain rapport il y ait une différence dans les deux cas.

846. En effet, les substances singulières n’existent pas dans un sujet et ne sont pas non plus attribuées à un sujet. De là elles ne sont que des substrats et rien ne leur est un substrat. Mais les substances universelles s’attribuent à un sujet mais n’existent pas dans un sujet. De là elles ne sont pas des substrats des accidents et quelque chose leur tient lieu de substrats. Donc, lorsqu’on attribue un accident à une substance particulière, il n’y a pas d’autre raison de le faire que d’affirmer que c’est dû au fait que l’accident existe dans la substance particulière, tout comme nous disons que Coriscus est musicien parce que musicien existe dans Coriscus.

847. Mais lorsqu’on dit homme musicien, il peut y avoir deux raisons de le dire. Ou bien en effet on le dit parce que musicien arrive à l’homme parce que l’homme est une substance et que de ce fait il lui appartient d’avoir le rôle de substrat à l’égard de l’accident. Ou bien on dit cela parce que les deux, à savoir homme et musicien, se trouvent à appartenir à un individu comme Coriscus : tout comme on disait du musicien qu’il est juste parce que les deux sont dans un même singulier et y existent de la même manière, c’est-à-dire par accident. Mais peut-être que ces deux accidents ne sont pas accidents de la même manière; car la substance universelle est dans la substance singulière à la manière d’un genre, comme il en est pour le nom animal; mais si elle n’est pas un genre, du moins existe-t-elle dans la substance du sujet, c’est-à-dire comme un prédicat substantiel, comme le nom homme. Mais l’autre accident, à savoir musicien, ne s’attribue pas comme un genre ou comme une attribution essentielle, mais comme un habitus ou une passion du sujet ou comme n’importe quel accident. Il présente ces deux noms, à savoir habitus et passion, parce qu’il y a des accidents qui demeurent dans le sujet, comme l’habitus, et qui ne peuvent changer que difficilement; mais d’autres sont des accidents éphémères et non permanents, comme les affections ou les passions. On voit donc que tout ce qu’on dit être un par accident l’est d’après ces significations.

848. Ensuite lorsqu’il dit [424] : ¨ Par soi ¨.

   Il présente les modes ou les sens de l’un par soi; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre de combien de manières se dit l’un par soi [424]. En deuxième lieu il montre de combien de manière se dit le multiple, là [434] où il dit : ¨Mais il est manifeste aussi que le multiple¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue les modes de l’un par soi d’après la nature, c’est-à-dire d’après les qualités qu’on découvre dans les choses [424]. Deuxièmement il les distingue d’un point de vue logique, c’est-à-dire d’après les intentions logiques, là [433] où il dit : ¨ Mais en outre, d’autres etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue les modes de l’un [424]. D’un autre côté en deuxième lieu il présente une propriété qui découle de l’un, là [432] où il dit : ¨ L’essence de l’un est d’être principe ¨.

   Au sujet du premier point, la distinction des sens de l’un d’après la nature, il fait deux choses. En premier lieu il présente les modes de l’un [424]. En deuxième lieu il les ramène tous à un seul, là [430] où il dit : ¨ D’une manière générale en effet, tout ce qui etc.¨.

   Mais dans cette première partie [424] il présente cinq modes de l’un.

849. En un premier sens, parmi tout ce qui peut se dire un par soi ou essentiellement, il y a des êtres dont on dit qu’ils sont un ¨par la nature de la continuité¨, c’est-à-dire dont l’essence est d’être continus : ou bien ¨du fait qu’ils sont continus¨ d’après une autre version. Mais c’est de deux manières qu’on dit de certaines choses qu’elles sont continues. Certaines en effet, d’après un autre document, sont continues par quelque chose d’autre qu’elles-mêmes alors que d’autres le sont par elles-mêmes.

850. Il traite donc en premier lieu des choses qui sont continues par quelque chose d’autre en disant que des êtres sont continus par un autre, comme la suite continue des morceaux de bois est une en raison du lien : et c’est de cette manière qu’on dit des pièces de bois collées ensemble qu’elles sont une au moyen de la résine. Ce qui se produit encore de deux manières : car parfois la continuité de ce qui est attaché ensemble s’effectue d’après une ligne droite, mais parfois d’après une ligne qui n’est pas droite, comme la ligne brisée qui contient un angle et qui est produite par la rencontre de deux lignes sur une surface et dont le rattachement ne se fait pas en ligne droite. Et c’est de cette manière en effet que l’un et le continu se dit des parties des animaux, tout comme on dit du tibia, qui se replie et présente un angle au genou, qu’il est un et continu. Et il en est de même pour le bras.

851. Mais puisqu’une telle continuité qui est produite par quelque chose d’autre peut arriver à exister ou à devenir par la nature et par l’art, on dit des êtres qui sont un par la nature qu’ils sont davantage un que ceux qui le sont par l’art : car dans ceux qui sont continus par la nature, cet un, grâce auquel apparaît la continuité, n’est pas étranger à la nature de la chose qui devient continue grâce à lui, comme cela se produit dans les choses qui sont une par l’art et dans lesquelles le lien, comme la colle ou tout autre moyen de cette sorte, est absolument étranger à la nature de ce qui est rattaché ensemble. Et ainsi, c’est ce qui est réuni ensemble par la nature qui s’approche en premier du continu par soi en raison d’une unité plus parfaite.

852. Et pour le montrer il définit le continu en disant qu’on appelle continu ce dont le mouvement est un par soi ou essentiellement et ne peut être autrement. Il n’est pas possible en effet dans le continu qu’il y ait différentes parties qui soient mues d’après des mouvements différents, mais au contraire l’ensemble de l’être continu ne se meut que par un seul mouvement. Mais il dit ¨en soi¨, parce qu’il est possible que le continu soit mû en soi d’un seul mouvement et d’autre part qu’il soit mû par accident d’une ou de plusieurs autres manières. Par exemple si un homme se meut par soi sur le navire dans une direction opposée au mouvement du navire, il est cependant mû par accident par le mouvement du navire.

853. Mais pour que le mouvement soit un, il doit être indivisible : et je dis qu’il doit être indivisible selon le temps, pour qu’il soit clair qu’alors même qu’une partie du continu se meut, toutes les autres se meuvent aussi. En effet il ne peut arriver dans le continu qu’une partie se meuve alors que les autres demeurent au repos, ou encore qu’une soit au repos alors que les autres se meuvent, de telle manière que les mouvements des différentes parties du continu se dérouleraient dans différentes parties du temps.

854. Et la raison pour laquelle le Philosophe définit ici le continu par le mouvement et non par l’unité du terme auquel les parties du continu sont unies, comme il le fait dans les Prédicaments et dans le livre des Physiques, c’est qu’à partir de cette définition on peut tirer différents degrés d’unité chez les différents continus ainsi qu’on le verra plus loin, ce qui n’est cependant pas le cas pour ce qui est de la définition qu’il donne dans ces livres-là.

855. Mais il faut savoir que ce qui est dit ici, c’est-à-dire que le mouvement du continu est indivisible selon le temps, ne s’oppose pas à ce qu’on prouve au sixième livre des Physiques, à savoir que le temps du mouvement se divise selon les parties du mobile. En effet le Philosophe parle ici du mouvement pris absolument parce qu’une partie du continu ne commence pas à se mouvoir avant une autre alors que là il parle du mouvement en se référant à un repère qui est établi dans l’espace et à travers lequel s’effectue le mouvement. En effet ce repère, qui est dans la première partie de l’étendue, est traversé dans un temps antérieur, bien que les autres parties du mobile continu se meuvent elles aussi dans cette partie antérieure du temps.

856. Ensuite lorsqu’il dit [425] : ¨ Par soi ¨.

   Il poursuit avec les choses qui sont continues par elles-mêmes en disant que les choses qui sont continues par elles-mêmes sont celles dont l’unité ne se réduit pas à une unité par le contact. Ce qu’il prouve de la manière suivante. En effet, les choses qui se touchent, comme le font deux lignes, on ne dit pas à leur sujet qu’elles ne sont qu’une seule ligne, un seul corps, ni un quelque chose d’autre qui appartient au genre du continu. Et ainsi il apparaît que l’unité du continu est autre que celle des choses qui se touchent. En effet, les choses qui se touchent les unes les autres ne possèdent pas par elles-mêmes l’unité du continu, mais au moyen d’un lien qui les unit. Mais les choses qui sont continues, on dit à leur sujet que c’est par elles-mêmes qu’elles sont une, même si elles présentent une flexion. En effet, deux lignes qui présentent une flexion se rejoignent dans un terme commun qui est le point qui occupe le lieu où l’angle est constitué.

857. Cependant, les choses qui sont continues par elles-mêmes et qui n’ont pas de flexion sont davantage une que celles qui en ont. Et la raison en est que la ligne droite ne peut avoir qu’un seul mouvement dans toutes ses parties alors que la ligne brisée peut avoir un ou deux mouvements. En effet, la ligne brisée peut être comprise comme étant totalement mue vers une partie; par ailleurs on peut comprendre qu’une de ses parties est au repos et que l’autre, qui avec la partie au repos contient l’angle, s’approche de la partie au repos par son mouvement, comme lorsque le tibia ou la jambe est appliquée sur la cuisse qu’on appelle ici le fémur. C’est pourquoi chacun des deux séparément, à savoir le tibia et le fémur sont davantage un que ¨ le membre ¨, c’est-à-dire que ce qui est composé du tibia et du fémur.

858. Mais il faut savoir que la version qui utilise le terme courbure au lieu de flexion est fausse. Il est évident en effet que les parties de la ligne courbe, ne contenant pas d’angle, doivent simultanément se mouvoir et se reposer, tout comme les parties de la ligne droite, ce qui n’a pas lieu là où il y a des flexions, ainsi que nous l’avons déjà dit.

859. Ensuite lorsqu’il dit [426] : ¨ En outre, en un autre sens ¨.

   Il présente le deuxième mode en disant qu’en un deuxième sens, l’un se dit non seulement par rapport à la notion de la quantité continue mais aussi du fait que tout le sujet est d’une forme qui ne diffère pas selon l’espèce. En effet certaines choses peuvent être continues qui cependant sont différentes spécifiquement dans le sujet, comme si l’or, ou d’autre choses du même genre, succède à l’argent sans interruption. Et alors, dans ce cas, on pourra dire de ces deux choses qu’elles sont une si on entend par là la seule quantité, mais non si on entend par unité la nature du sujet. D’un autre côté si l’ensemble du sujet continu est d’une seule forme selon l’espèce, il sera un à la fois sous le rapport de la quantité et sous le rapport de la nature.

860. Mais on dit que le sujet ne diffère pas selon l’espèce quand la même espèce sensible ne se divise pas de manière à ce qu’il y ait différentes formes sensibles dans différentes parties du sujet comme il arrive parfois que pour un même corps sensible une partie soit noire et l’autre blanche. Mais ce sujet qui ne diffère pas peut s’entendre de deux manières : en un premier sens comme sujet prochain; en un autre sens, comme sujet ultime auquel on parvient au terme de la division, comme on voit par exemple que tout le vin est un car toutes ses parties communiquent dans un seul sujet prochain qui ne diffère pas selon l’espèce. Et il en est de même pour l’eau. D’un autre côté on dit de tous les liquides et de tous les fluides qu’ils sont un dans un sujet ultime car l’huile, le vin et tous les autres liquides de cette sorte se ramènent ultimement à l’eau ou à l’air qui sont dans tous les liquides le fondement de leur humidité.

861. Il présente le troisième mode [427] là où il dit : ¨ Mais on dit ¨.

   Il dit qu’on appelle aussi un ce dont le genre, divisé par des différences spécifiques opposées, est un. Et ce mode présente une certaine similitude avec celui qui précède. On disait là en effet que certaines choses sont une car le genre du sujet demeure un; et ici aussi on dit que certaines choses sont une parce que leur genre, qui est le sujet des différences, est un, tout comme on dit que l’homme, le cheval et le chien sont un parce qu’ils communiquent dans l’animal comme dans un même genre qui est le sujet de leurs différences. Ce mode diffère cependant du précédent car alors, dans ce mode, le sujet possédait une unité qui ne se distinguait pas par des formes alors qu’ici le genre-sujet possède une unité qui se distingue au moyen de nombreuses différences qui sont comme autant de formes différentes.

862. Et ainsi il est clair que c’est d’après un sens très rapproché qu’on dit de certains êtres qu’ils sont un par le genre, tout comme on dit pareillement de certains autres qu’ils sont un par la matière. Car même ceux dont on dit qu’ils sont un par la matière se distinguent par des formes. Le genre en effet, bien qu’il ne soit pas matière, parce qu’il ne s’attribuerait pas à l’espèce puisque la matière est une partie, néanmoins la notion de genre se tire de ce qui est matériel dans la chose, tout comme la notion de différence se tire de ce qui y est formel. En effet l’âme rationnelle n’est pas la différence de l’homme puisqu’elle ne s’attribue pas à l’homme, mais c’est plutôt celui qui possède l’âme rationnelle qui est cette différence, et c’est cela même que signifie le nom rationnel. Et de la même manière la nature sensible n’est pas le genre de l’homme mais plutôt une partie de l’homme. C’est plutôt ce qui possède la nature sensible, qui est signifiée par le nom animal,  qui est le genre de l’homme. Donc, d’une manière très semblable et selon un sens très rapproché qu’on dit des choses qu’elles sont une par la matière et qu’elles sont une par le genre.

863. Mais il faut savoir que l’un sous le rapport du genre se dit de deux manières. Parfois en effet on dit de certains êtres qu’ils sont un par le genre à la manière dont nous l’avons dit, c’est-à-dire parce qu’elles se rencontrent d’une certaine manière dans un même genre. D’un autre côté parfois, on ne dit de certains êtres qu’ils sont un par le genre que par un genre supérieur qui avec l’ajout d’une unité et d’une identité s’attribue aux dernières espèces d’un genre inférieur, quand il y a d’autres espèces supérieures du genre suprême dans l’une desquelles se rencontrent une infinité d’espèces. Tout comme la figure est un genre suprême qui contient sous lui de nombreuses espèces comme le cercle, le triangle, le carré et d’autres figures de cette sorte. Et le triangle à son tour contient différentes espèces comme l’équilatéral, dont tous les côtés sont égaux, et celui qu’on appelle isocèle, dont deux côtés sont égaux. Nous disons donc de ces deux triangles qu’ils sont un par la figure, ce qui est leur genre éloigné, mais non qu’ils sont un par le triangle, ce qui est leur genre prochain. Et la raison en est que ces deux triangles ne diffèrent pas par des différences qui divisent la figure mais ils diffèrent par des différences qui divisent le triangle. Mais le même se dit de ce qui ne diffère pas d’un autre par une différence.

864. Il présente ici le quatrième mode, là [428] où il dit : ¨ Mais en outre ¨.

   Et il dit que l’un se dit encore de certaines choses qui se présentent de telle manière que la définition de l’une, qui exprime sa quiddité, ne se distingue pas de la définition de l’autre qui signifie aussi la quiddité de cette autre chose. Par ailleurs, chacune de ces définitions, prise en elle-même, doit être divisible puisqu’elle est constituée d’un genre et d’une différence. Mais il peut arriver que la définition de l’une ne puisse être divisée par la définition de l’autre quand les deux partagent une même définition; soit que ces définitions signifient tout ce qui est dans le défini, comme la tunique et le vêtement, et alors ces choses, dont la définition est une, sont une absolument; soit que cette définition commune ne contienne pas en totalité la nature des deux choses qui se rencontrent dans cette définition, tout comme le bœuf et le cheval se rencontrent dans une même définition de l’animal. C’est pourquoi dans ce cas il ne s’agit jamais de deux êtres qui sont un absolument, mais seulement sous un certain rapport, c’est-à-dire dans la mesure où chacun des deux est un animal. Et de la même manière la croissance et la décroissance se rencontrent dans une même définition du genre, car les deux sont un mouvement selon la quantité. Et de même pour toutes les surfaces il y a une seule et même définition de cette espèce qui est la surface.

865. Il présente le cinquième mode là [429] où il dit : ¨ D’un autre côté, dans tous les cas ¨.

   Et il dit que ¨dans tous les cas¨, les choses qui sont parfaitement et suprêmement une, sont celles dont l’intelligence qui comprend leur quiddité est absolument indivisible, comme dans le cas des êtres qui sont simples et qui ne sont pas composés de principes matériels et formels. De là, l’intelligence qui saisit leur quiddité ne les comprend pas comme en composant leur définition en partant de principes différents; mais elle les saisit plutôt par mode de négation, comme le point qui est ce qui n’a pas de partie, ou encore par mode de relation à l’égard des composés, comme lorsqu’on dit que l’unité est le principe du nombre. Et parce que de telles choses présentent en elles-mêmes une notion indivisible, et que celles au contraire qui sont divisibles d’une manière ou d’une autre peuvent être saisies séparément, c’est pourquoi il s’ensuit que de telles réalités sont inséparables à la fois selon le temps, selon le lieu et selon la raison. Et c’est pour cette raison qu’elles sont parfaitement une, et surtout ce qui est indivisible dans le genre de la substance. Car l’indivisible dans le genre de l’accident, bien qu’il ne soit pas composé en lui-même, est cependant composé à un autre, c’est-à-dire au sujet dans lequel il existe. Mais la substance de son côté est indivisible : elle n’est composée ni en elle-même ni à un autre. Ou bien encore le terme substance peut être pris ici comme un ablatif. Et alors le sens en est que bien qu’on dise de certaines choses qu’elles sont une parce qu’elles sont indivisibles selon le lieu, le temps et la raison, néanmoins parmi celles-là on dit que sont parfaitement une celles qui ne peuvent être divisées selon la substance. Ce qui revient à la signification précédente.

 

 

LECTIO 8

[82431] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 1Hic philosophus reducit omnes modos ad unum primum; et circa hoc duo facit. Primo ponit reductionem praedictam. Secundo super modos positos ponit alium modum unitatis, ibi, amplius autem et cetera. Dicit ergo primo, quod ex hoc patet, quod illa quae sunt penitus indivisibilia, maxime dicuntur unum: quia ad hunc modum omnes alii modi reducuntur, quia universaliter hoc est verum, quod quaecumque non habent divisionem, secundum hoc dicuntur unum, inquantum divisionem non habent. Sicut quae non dividuntur in eo quod est homo, dicuntur unum in homine, sicut Socrates et Plato. Et quae non dividuntur in ratione animalis, dicuntur unum in animali. Et quae non dividuntur in magnitudine vel mensura, dicuntur unum secundum magnitudinem, sicut continua.

[82432] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 2Et ex hoc potest accipi etiam numerus et diversitas modorum unius suprapositorum; quia unum aut est indivisibile simpliciter, aut indivisibile secundum quid. Siquidem simpliciter, sic est ultimus modus, qui est principalis. Si autem est indivisibile secundum quid, aut secundum quantitatem tantum, aut secundum naturam. Si secundum quantitatem, sic est primus modus. Si secundum naturam, aut quantum ad subiectum, aut quantum ad divisionem quae se tenet ex parte formae. Si quantum ad subiectum, vel quantum ad subiectum reale, et sic est secundus modus. Vel quantum ad subiectum rationis, et sic est tertius modus. Indivisibilitas autem formae, quae est indivisibilitas rationis, idest definitionis, facit quartum modum.

[82433] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 3Ex his autem modis ulterius aliqui alii modi derivantur. Plurima autem sunt, quae dicuntur unum, ex eo quod faciunt unum; sicut plures homines dicuntur unum, ex hoc quod trahunt navem. Et etiam dicuntur aliqua unum, ex eo quod unum patiuntur; sicut multi homines sunt unus populus, ex eo quod ab uno rege reguntur. Quaedam vero dicuntur unum ex eo quod habent aliquid unum, sicut multi possessores unius agri sunt unum in dominio eius. Quaedam etiam dicuntur unum ex hoc quod sunt aliquid unum; sicut multi homines albi dicuntur unum, quia quilibet eorum albus est.

[82434] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 4Sed respectu omnium istorum modorum secundariorum, primo dicuntur unum illa quae sunt unum secundum suam substantiam, de quibus supra dictum est in quinque modis suprapositis. Una namque substantia est, aut ratione continuitatis, sicut in primo modo: aut propter speciem subiecti, sicut in secundo modo, et etiam in tertio, prout unitas generis aliquid habet simile cum unitate speciei: aut etiam propter rationem, sicut in quarto et in quinto modo. Et quod adhuc ex his modis aliqua dicantur unum, patet per oppositum. Aliqua enim sunt numero plura, vel numerantur ut plura, quia non sunt continua, vel quia non habent speciem unam, vel quia non conveniunt in una ratione.

[82435] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 5Deinde cum dicit amplius autem addit alium modum a supradictis, qui non sumitur ex ratione indivisionis sicut praedicti, sed magis ex ratione divisionis; et dicit, quod quandoque aliqua dicuntur unum propter solam continuitatem, quandoque vero non, nisi sit aliquod totum et perfectum; quod quidem contingit quando habet aliquam unam speciem, non quidem sicut subiectum homogeneum dicitur unum specie quod pertinet ad secundum modum positum prius, sed secundum quod species in quadam totalitate consistit requirens determinatum ordinem partium; sicut patet quod non dicimus unum aliquid, ut artificiatum, quando videmus partes calceamenti qualitercumque compositas, nisi forte secundum quod accipitur unum pro continuo; sed tunc dicimus esse unum omnes partes calceamenti, quando sic sunt compositae, quod sit calceamentum et habeat aliquam unam speciem, scilicet calceamenti.

[82436] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 6Et ex hoc patet, quod linea circularis est maxime una; quia non solum habet continuitatem, sicut linea recta; sed etiam habet totalitatem et perfectionem, quod non habet linea recta. Perfectum est enim et totum, cui nihil deest: quod quidem contingit lineae circulari. Non enim potest sibi fieri additio, sicut fit lineae rectae.

[82437] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 7Deinde cum dicit uni vero ponit quamdam proprietatem consequentem unum; et dicit, quod ratio unius est in hoc, quod sit principium alicuius numeri. Quod ex hoc patet, quia unum est prima mensura numeri, quo omnis numerus mensuratur: mensura autem habet rationem principii, quia per mensuram res mensuratae cognoscuntur, res autem cognoscuntur per sua propria principia. Et ex hoc patet, quod unum est principium noti vel cognoscibilis circa quodlibet, et est in omnibus principium cognoscendi.

[82438] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 8Hoc autem unum, quod est principium cognoscendi, non est idem in omnibus generibus. In genere enim consonantiarum est unum, quod est diesis, quod est minimum in consonantiis. Diesis enim est semitonium minus. Dividitur enim tonus in duo semitonia inaequalia, quorum unus dicitur diesis. In vocibus autem unum primum et minimum est litera vocalis, aut consonans; et magis vocalis quam consonans, ut in decimo dicetur. Et in gravitatibus sive ponderibus est aliquid minimum, quod est mensura, scilicet uncia, vel aliquid aliud huiusmodi. Et in motibus est una prima mensura, quae mensurat alios motus, scilicet motus simplicissimus et velocissimus, sicut est motus diurnus.

[82439] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 9In omnibus tamen istis hoc est commune, quod illud, quod est prima mensura, est indivisibile secundum quantitatem, vel secundum speciem. Quod igitur est in genere quantitatis unum et primum, oportet quod sit indivisibile et secundum quantitatem. Si autem sit omnino indivisibile et secundum quantitatem et non habeat positionem, dicitur unitas. Punctus vero est id, quod est omnino indivisibile secundum quantitatem et tamen habet positionem. Linea vero est quod est divisibile secundum unam dimensionem tantum: superficies vero secundum duas. Corpus autem est omnibus modis divisibile secundum quantitatem, scilicet secundum tres dimensiones. Et hae descriptiones convertuntur. Nam omne quod duabus dimensionibus dividitur, est superficies, et sic de aliis.

[82440] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 10Sciendum est autem quod esse mensuram est propria ratio unius secundum quod est principium numeri. Hoc autem non est idem cum uno quod convertitur cum ente, ut in quarto dictum est. Ratio enim illius unius in sola indivisione consistit: huiusmodi autem unius in mensuratione. Sed tamen haec ratio mensurae, licet primo conveniat uni quod est principium numeri, tamen per quamdam similitudinem derivatur ad unum in aliis generibus, ut in decimo huius philosophus ostendet. Et secundum hoc ratio mensurae invenitur in quolibet genere. Haec autem ratio mensurae consequitur rationem indivisionis, sicut habitum est. Et ideo unum non omnino aequivoce dicitur de eo quod convertitur cum ente, et de eo quod est principium numeri; sed secundum prius et posterius.

[82441] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 11Deinde cum dicit amplius autem ponit aliam divisionem unius, quae est magis logica; dicens, quod quaedam sunt unum numero, quaedam specie, quaedam genere, quaedam analogia. Numero quidem sunt unum, quorum materia est una. Materia enim, secundum quod stat sub dimensionibus signatis, est principium individuationis formae. Et propter hoc ex materia habet singulare quod sit unum numero ab aliis divisum.

[82442] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 12Specie autem dicuntur unum, quorum una est ratio, idest definitio. Nam nihil proprie definitur nisi species, cum omnis definitio ex genere et differentia constet. Et si aliquod genus definitur, hoc est inquantum est species.

[82443] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 13Unum vero genere sunt, quae conveniunt in figura praedicationis, idest quae habent unum modum praedicandi. Alius enim est modus quo praedicatur substantia, et quo praedicatur qualitas vel actio; sed omnes substantiae habent unum modum praedicandi, inquantum praedicantur non ut in subiecto existentes.

[82444] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 14Proportione vero vel analogia sunt unum quaecumque in hoc conveniunt, quod hoc se habet ad illud sicut aliud ad aliud. Et hoc quidem potest accipi duobus modis, vel in eo quod aliqua duo habent diversas habitudines ad unum; sicut sanativum de urina dictum habitudinem significat signi sanitatis; de medicina vero, quia significat habitudinem causae respectu eiusdem. Vel in eo quod est eadem proportio duorum ad diversa, sicut tranquillitatis ad mare et serenitatis ad aerem. Tranquillitas enim est quies maris et serenitas aeris.

[82445] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 15In istis autem modis unius, semper posterius sequitur ad praecedens et non convertitur. Quaecumque enim sunt unum numero, sunt specie unum et non convertitur. Et idem patet in aliis.

[82446] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 16Deinde cum dicit palam autem ex modis unius accipit modos multorum; et dicit, quod multa dicuntur per oppositum ad unum. Et ideo quot modis dicitur unum, tot modis dicuntur multa; quia quoties dicitur unum oppositorum, toties dicitur et reliquum. Unde aliqua dicuntur multa propter hoc, quod non sunt continua. Quod est per oppositum ad primum modum unius.

[82447] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 17Alia dicuntur multa propter hoc quod materiam habent divisam secundum speciem, sive intelligamus de materia prima, idest proxima, aut de finali sive ultima, in quam ultimo fit resolutio. Per divisionem quippe proximae materiae dicuntur multa vinum et oleum: per divisionem vero materiae remotae, vinum et lapis. Et si materia accipiatur tam pro materia naturae quam pro materia rationis, scilicet pro genere quod habet similitudinem materiae, hic modus multitudinis sumitur per oppositum ad secundum et tertium modum unius.

[82448] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 18Alia vero dicuntur multa quae habent rationes, quod quid est esse dicentes, plures. Et hoc sumitur per oppositum ad quartum modum.

[82449] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 8 n. 19Quod autem opponitur quinto modo, nondum habet rationem pluralitatis nisi secundum quid et in potentia. Non enim ex hoc quod aliquid est divisibile propter hoc est multa nisi in potentia.

LEÇON 8.

(nn. 866-884; [430-434]).

 

Il ramène à un seul mode ou un seul sens tous les modes de l’unité auxquels il en ajoute un par lequel l’unité se tire de la perfection. De plus il infère que l’un est le principe de ce qui se compte. Il présente encore une autre division de l’unité selon laquelle on dit de certaines choses qu’elles sont une par le nombre, par l’espèce, par le genre, ou par la proportion. Enfin il explique de combien de manières se dit le multiple.

 

866. Le Philosophe ramène ici tous les modes de l’un à un mode premier; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente cette réduction dont il vient de parler [430]. En deuxième lieu il ajoute un autre mode d’unité à ceux présentés plus haut, là [431] où il dit : ¨ Mais en outre etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [430] que du fait que des êtres soient parfaitement indivisibles,  on voit bien que c’est à leur sujet qu’on doit dire qu’ils sont parfaitement un : car c’est à ce mode que tous les autres se ramènent puisqu’il est universellement vrai que ce qui ne comporte aucune division, c’est pour cette raison qu’on doit l’appeler un, du seul fait qu’il ne prête à aucune division. Comme les êtres qui ne se distinguent pas en tant qu’hommes, on dit à leur sujet qu’ils sont un par l’espèce homme, comme Socrate et Platon. Et ceux qui ne se distinguent pas par la définition de l’animal, on dit à leur sujet qu’ils sont un en tant qu’animaux. Et ceux qui ne se distinguent pas quant à l’étendue ou quant à la mesure, on dit à leur sujet qu’ils sont un quant à l’étendue, comme les continus.

867. Et c’est à partir de là qu’on peut entendre aussi le nombre et la diversité des modes de l’un présentés plus haut; car l’un est indivisible ou bien absolument ou bien sous un certain rapport. Si toutefois il l’est absolument, alors il s’agit là du dernier mode qui est le principal. Mais si l’un est indivisible sous un certain rapport, alors il l’est soit selon la quantité seulement, soit selon la nature. S’il l’est selon la quantité seulement, alors il s’agit là du premier mode. S’il l’est selon la nature, il l’est soit quant au sujet, soit quant à la division qui se tient du côté de la forme. Si c’est quant au sujet, ce sera soit quant au sujet réel, et il s’agira alors du deuxième mode, soit quant au sujet selon la raison et il s’agira alors du troisième mode. Mais l’indivisibilité de la forme, qui est une indivisibilité de raison, c’est-à-dire de définition, correspond au quatrième mode.

868. Et c’est de ces modes que découlent par la suite d’autres modes. Il y a en effet de nombreuses choses qu’on appelle une du fait qu’elles réalisent une même chose, comme on dit de plusieurs hommes qu’ils sont un du fait qu’ils tirent le navire. Et on dit encore de certaines choses qu’elles sont une du fait qu’elles subissent une même action, comme les hommes qui forment un même peuple du fait qu’ils sont dirigés par un même roi. D’un autre côté on dit de certains êtres qu’ils sont un du fait qu’ils possèdent une même chose, comme les nombreux propriétaires d’un même champ sont un dans le droit de propriété relatif à ce champ. On dit encore de certains autres qu’ils sont un du seul fait qu’ils sont un sous un certain rapport, comme on dit des nombreux hommes blancs qu’ils sont un parce que chacun d’eux est blanc.

869. Mais par rapport à tous ces modes secondaires, c’est d’abord de ceux qui sont un d’après la substance qu’on dit qu’ils sont un et dont nous avons parlé dans les cinq modes présentés plus haut. Car une substance est une soit en raison de sa continuité comme dans le premier mode, soit en raison de l’espèce du sujet comme dans le deuxième mode et aussi dans le troisième, dans la mesure où l’unité du genre présente une ressemblance avec l’unité de l’espèce; soit en raison de la définition comme dans les quatrième et cinquième modes. Et de plus, que ce soit à partir de ces modes qu’on dit de certaines choses qu’elles sont une, on le voit par les opposés. Certaines choses en effet sont multiples par le nombre ou sont comptées comme multiples, soit parce qu’elles ne sont pas continues, soit parce qu’elles ne possèdent pas une même espèce, soit parce qu’elles ne partagent pas une même définition.

870. Ensuite lorsqu’il dit [431] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il ajoute un autre mode à ceux qui précèdent, lequel ne se tire pas de la notion d’indivisibilité comme les précédents, mais plutôt de la notion de division; et il dit que nous disons parfois de certaines choses qu’elles sont une uniquement en raison de leur continuité et parfois non, à moins qu’elles ne soient un tout qui ait atteint sa perfection, ce qui se produit lorsque la chose est constituée dans une seule espèce, non pas certes comme on dit du sujet homogène qu’il est un par l’espèce, ce qui appartient au deuxième mode présenté précédemment, mais selon que l’espèce est constituée dans sa totalité, ce qui exige une organisation déterminée des parties. Ainsi, il est évident que nous ne disons pas d’une chose, par exemple une chose artificielle, qu’elle est une lorsque nous voyons les parties de la chaussure rangées sans ordre les unes à la suite des autres, à moins peut-être qu’on entende par un ce qui est un d’après la continuité; mais nous disons plutôt que toutes les parties de la chaussure sont une quand elles sont composées de telle manière qu’il existe une chaussure possédant une espèce une, à savoir celle de la chaussure.

871. Et à partir de là il est évident que la ligne circulaire est suprêmement une. Car non seulement possède-t-elle une continuité comme la ligne droite, mais elle possède aussi une totalité et une perfection, ce que ne possède pas la ligne droite. En effet, le tout et le parfait est ce à quoi rien ne manque, ce qui s’observe dans la ligne circulaire. On ne peut en effet rien lui ajouter comme on peut le faire pour la ligne droite.

872. Ensuite lorsqu’il dit [432] : ¨ Il appartient à l’un par ailleurs ¨.

   Il présente une propriété qui découle de l’un. Et il dit que la définition de l’un tient à ceci qu’il est le principe du nombre. Ce qui devient clair à partir de ceci que l’un est la première mesure du nombre, grâce auquel tout nombre est mesuré: mais la mesure a raison de principe car c’est grâce à la mesure que les choses mesurées peuvent être connues, et par ailleurs les choses sont connues par leurs principes propres. Et à partir de là il est évident que l’un est principe de ce qui est connu ou de ce qui est connaissable pour toute chose et qu’il est en toute chose principe de connaissance.

873. Mais cet un qui est principe de connaissance n’est pas le même dans tous les genres d’êtres. En effet l’un, dans le genre des harmonies, qui est le dièse, est la plus petite partie. Le dièse en effet est le plus petit demi-ton. Le ton en effet se divise en deux demi-tons inégaux, dont l’un s’appelle le dièse. Mais dans les sons de voix articulés, l’un premier et minimal est la lettre représentée par une voyelle ou par une consonne, et davantage par la voyelle que par la consonne, ainsi qu’on le dira au dixième livre. Et pour ce qui est des poids et des charges, l’unité minimale qui tient lieu de mesure est l’once ou une autre unité de ce genre. Et pour ce qui est des mouvements il existe une mesure première qui mesure les autres mouvements, à savoir le mouvement le plus simple et le plus rapide, c’est-à-dire le mouvement solaire.

874. Mais ce qu’il y a de commun à tous ces cas, c’est que ce qui tient lieu de mesure première est indivisible selon la quantité ou selon l’espèce. Donc, ce qui est un et premier dans le genre de la quantité, il faut qu’il soit indivisible selon la quantité. Mais s’il est tout à fait indivisible selon la quantité et qu’il ne possède pas de position, on l’appelle unité. Mais le point est ce qui est tout à fait indivisible, selon la quantité, et cependant possède une position. Par ailleurs la ligne est ce qui est divisible selon une seule dimension; la surface de son côté est divisible selon deux dimensions; le corps enfin est divisible selon la quantité de toutes les manières, c’est-à-dire selon les trois dimensions. Et ces définitions se convertissent car tout se divise selon deux dimensions est une surface. Et il en est de même pour le reste.

875. Il faut cependant savoir que d’être une mesure fait partie de la définition propre de l’un en tant qu’il est principe du nombre. Cet un ne doit cependant pas être confondu avec l’un qui se convertit avec l’être, ainsi qu’il a été établi au quatrième livre. La notion de ce dernier un consistait dans la seule indivision, alors que la notion de cette sorte d’un se ramène au concept de mesure. Néanmoins cette notion de mesure, bien qu’elle convienne en premier lieu à l’un qui est principe du nombre, s’applique cependant par une certaine ressemblance à l’un que l’on retrouve dans les autres genres, ainsi que le Philosophe le montrera au dixième livre de ce traité. Et c’est pour cette raison que la notion de mesure se retrouve dans tous les genres. Mais cette notion de mesure provient de la notion d’indivisibilité, ainsi qu’on l’a établi. Et c’est pourquoi ce n’est pas d’une manière purement équivoque, mais plutôt selon l’avant et l’après, que l’un se dit à la fois de ce qui se convertit avec l’être et de ce qui est le principe du nombre.

876. Ensuite lorsqu’il dit [433] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente une autre division de l’un qui est plutôt logique, en disant que certaines choses sont une par le nombre, d’autres par l’espèce, d’autres par le genre, d’autres enfin par analogie. Certes, sont une par le nombre celles dont la matière est une. La matière en effet, selon qu’elle se tient sous les dimensions signalées, est principe d’individuation de la forme. Et c’est pour cette raison qu’on obtient à partir de la matière un individu qui est un par le nombre et distinct des autres.

877. Mais on dit que sont une par l’espèce les choses dont la notion ou la définition est une. Car il n’y a que l’espèce à proprement parler qui se définit, puisque toute définition est constituée du genre et de la différence. Et si on définit un genre, c’est qu’on le prend comme une espèce.

878. D’un autre côté on dit que sont une par le genre les choses qui se rencontrent dans un type de ¨ catégorie ¨, c’est-à-dire auxquelles on attribue un même type de catégorie. Autre en effet est le mode par lequel la substance est attribuée, et autres sont ceux par lesquels la qualité et l’action sont attribuées; mais toutes les substances possèdent un même mode d’attribution, dans la mesure où elles sont attribuées comme n’existant pas dans un sujet.

879. Mais on dit que sont une par la proportion ou l’analogie les choses qui se rencontrent en ceci qu’elles se rapportent à une autre dans le même rapport qu’une troisième à une quatrième. Et cela peut certes s’entendre de deux manières, à savoir soit en ceci que deux choses présentent des rapports différents à l’égard d’un même terme, tout comme le terme ¨sain¨, dit de l’urine, signifie ce rapport : le signe de la santé; mais dit du remède, il signifie la santé sous le rapport de sa cause. Soit en cela que le rapport qu’il y a entre deux choses est le même que celui qui existe entre deux autres, tout comme le rapport qu’il y a entre le calme et la mer est le même que celui qui existe entre la sérénité et l’air. Le calme en effet est le repos de la mer tout comme la sérénité est le repos de l’air.

880. Mais dans ces modes de l’un, toujours le mode postérieur découle nécessairement de l’antérieur, mais sans se convertir. En effet, tout ce qui est un par le nombre est nécessairement un par l’espèce, mais ce qui est un par l’espèce n’est pas nécessairement un par le nombre. Et il en est de même pour les autres modalités de l’un.

881. Ensuite lorsqu’il dit [434] : ¨ Mais il est manifeste ¨.

   À partir des modes de l’un il recueille les sens du multiple. Et il dit que le multiple se dit par opposition à l’un. Et c’est pour cette raison qu’autant il y a de manière de dire le multiple qu’il y en a de dire l’un; car autant de fois se dit l’un des opposés, autant de fois se diront les autres. Et de là on dit de certaines choses qu’elles sont multiples pour cette raison qu’elles ne sont pas continues, ce qui se dit par opposition au premier mode de l’un.

882. Mais on dit de d’autres choses qu’elles sont multiples pour cette raison qu’elles ont une matière qui est divisée selon l’espèce, soit qu’on entende par matière ¨la matière première¨, c’est-à-dire la matière prochaine, soit la matière finale ou ultime dans laquelle se fait ultimement la résolution. Sans doute c’est par la distinction de la matière prochaine qu’on dit du vin et de l’huile qu’ils sont multiples; d’un autre côté c’est par la distinction de la matière éloignée qu’on dit que sont multiples le vin et la pierre. Et si par matière on peut entendre aussi bien la matière de la nature que celle de la raison, c’est-à-dire le genre qui est à la ressemblance de la matière naturelle, ce mode du multiple se prend par opposition au deuxième et troisième sens de l’un.

883. D’un autre côté on dit des autres choses qu’elles sont multiples parce qu’elles ont des définitions qui se trouvent à exprimer des quiddités qui sont différentes. Et ce mode du multiple se dit par opposition au quatrième mode de l’un.

884. Mais ce qui s’oppose au cinquième mode de l’un n’est multiple que sous un certain rapport et en puissance. En effet, ce n’est pas du seul fait qu’une chose est divisible que pour cette raison elle est multiple, si ce n’est en puissance.

 

 

LECTIO 9

[82450] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 1Hic philosophus distinguit quot modis dicitur ens. Et circa hoc tria facit. Primo distinguit ens in ens per se et per accidens. Secundo distinguit modos entis per accidens, ibi, secundum accidens quidem et cetera. Tertio modos entis per se, ibi, secundum se vero. Dicit ergo, quod ens dicitur quoddam secundum se, et quoddam secundum accidens. Sciendum tamen est quod illa divisio entis non est eadem cum illa divisione qua dividitur ens in substantiam et accidens. Quod ex hoc patet, quia ipse postmodum, ens secundum se dividit in decem praedicamenta, quorum novem sunt de genere accidentis. Ens igitur dividitur in substantiam et accidens, secundum absolutam entis considerationem, sicut ipsa albedo in se considerata dicitur accidens, et homo substantia. Sed ens secundum accidens prout hic sumitur, oportet accipi per comparationem accidentis ad substantiam. Quae quidem comparatio significatur hoc verbo, est, cum dicitur, homo est albus. Unde hoc totum, homo est albus, est ens per accidens. Unde patet quod divisio entis secundum se et secundum accidens, attenditur secundum quod aliquid praedicatur de aliquo per se vel per accidens. Divisio vero entis in substantiam et accidens attenditur secundum hoc quod aliquid in natura sua est vel substantia vel accidens.

[82451] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 2Deinde cum dicit secundum accidens ostendit quot modis dicitur ens per accidens; et dicit, quod tribus: quorum unus est, quando accidens praedicatur de accidente, ut cum dicitur, iustus est musicus. Secundus, cum accidens praedicatur de subiecto, ut cum dicitur, homo est musicus. Tertius, cum subiectum praedicatur de accidente, ut cum dicitur musicus est homo. Et, quia superius iam manifestavit quomodo causa per accidens differt a causa per se, ideo nunc consequenter per causam per accidens manifestat ens per accidens.

[82452] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 3Et dicit, quod sicut assignantes causam per accidens dicimus quod musicus aedificat, eo quod musicum accidit aedificatori, vel e contra, constat enim quodhoc esse hoc, idest musicum aedificare, nihil aliud significat quam hoc accidere huic, ita est etiam in praedictis modis entis per accidens, quando dicimus hominem esse musicum, accidens praedicando de subiecto: vel musicum esse hominem, praedicando subiectum de accidente: vel album esse musicum, vel e converso, scilicet musicum esse album, praedicando accidens de accidente. In omnibus enim his, esse, nihil aliud significat quam accidere. Hoc quidem, scilicet quando accidens de accidente praedicatur, significat quod ambo accidentia accidunt eidem subiecto: illud vero, scilicet cum accidens praedicatur de subiecto, dicitur esse, quia enti idest subiecto accidit accidens. Sed musicum esse hominem dicimus, quia huic, scilicet praedicato, accidit musicum, quod ponitur in subiecto. Et est quasi similis ratio praedicandi, cum subiectum praedicatur de accidente, et accidens de accidente. Sicut enim subiectum praedicatur de accidente ea ratione, quia praedicatur subiectum de eo, cui accidit accidens in subiecto positum; ita accidens praedicatur de accidente, quia praedicatur de subiecto accidentis. Et propter hoc, sicut dicitur musicum est homo, similiter dicitur musicum esse album, quia scilicet illud cui accidit esse musicum, scilicet subiectum, est album.

[82453] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 4Patet igitur, quod ea, quae dicuntur esse secundum accidens, dicuntur triplici ratione: aut eo quod ambo, scilicet subiectum et praedicatum, insunt eidem, sicut cum accidens praedicatur de accidente, aut quia illud, scilicet praedicatum, ut musicum, inest enti, idest subiecto, quod dicitur esse musicum; et hoc est cum accidens praedicatur de subiecto; aut quia illud, scilicet subiectum in praedicato positum, est illud cui inest accidens, de quo accidente illud, scilicet subiectum, praedicatur. Et hoc est scilicet cum subiectum praedicatur de accidente, ut cum dicimus, musicum est homo.

[82454] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 5Deinde cum dicit secundum se distinguit modum entis per se: et circa hoc tria facit. Primo distinguit ens, quod est extra animam, per decem praedicamenta, quod est ens perfectum. Secundo ponit alium modum entis, secundum quod est tantum in mente, ibi, amplius autem et esse significat. Tertio dividit ens per potentiam et actum: et ens sic divisum est communius quam ens perfectum. Nam ens in potentia, est ens secundum quid tantum et imperfectum, ibi, amplius esse significat et ens. Dicit ergo primo, quod illa dicuntur esse secundum se, quaecumque significant figuras praedicationis. Sciendum est enim quod ens non potest hoc modo contrahi ad aliquid determinatum, sicut genus contrahitur ad species per differentias. Nam differentia, cum non participet genus, est extra essentiam generis. Nihil autem posset esse extra essentiam entis, quod per additionem ad ens aliquam speciem entis constituat: nam quod est extra ens, nihil est, et differentia esse non potest. Unde in tertio huius probavit philosophus, quod ens, genus esse non potest.

[82455] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 6Unde oportet, quod ens contrahatur ad diversa genera secundum diversum modum praedicandi, qui consequitur diversum modum essendi; quia quoties ens dicitur, idest quot modis aliquid praedicatur, toties esse significatur, idest tot modis significatur aliquid esse. Et propter hoc ea in quae dividitur ens primo, dicuntur esse praedicamenta, quia distinguuntur secundum diversum modum praedicandi. Quia igitur eorum quae praedicantur, quaedam significant quid, idest substantiam, quaedam quale, quaedam quantum, et sic de aliis; oportet quod unicuique modo praedicandi, esse significet idem; ut cum dicitur homo est animal, esse significat substantiam. Cum autem dicitur, homo est albus, significat qualitatem, et sic de aliis.

[82456] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 7Sciendum enim est quod praedicatum ad subiectum tripliciter se potest habere. Uno modo cum est id quod est subiectum, ut cum dico, Socrates est animal. Nam Socrates est id quod est animal. Et hoc praedicatum dicitur significare substantiam primam, quae est substantia particularis, de qua omnia praedicantur.

[82457] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 8Secundo modo ut praedicatum sumatur secundum quod inest subiecto: quod quidem praedicatum, vel inest ei per se et absolute, ut consequens materiam, et sic est quantitas: vel ut consequens formam, et sic est qualitas: vel inest ei non absolute, sed in respectu ad aliud, et sic est ad aliquid. Tertio modo ut praedicatum sumatur ab eo quod est extra subiectum: et hoc dupliciter. Uno modo ut sit omnino extra subiectum: quod quidem si non sit mensura subiecti, praedicatur per modum habitus, ut cum dicitur, Socrates est calceatus vel vestitus. Si autem sit mensura eius, cum mensura extrinseca sit vel tempus vel locus, sumitur praedicamentum vel ex parte temporis, et sic erit quando: vel ex loco, et sic erit ubi, non considerato ordine partium in loco, quo considerato erit situs. Alio modo ut id a quo sumitur praedicamentum, secundum aliquid sit in subiecto, de quo praedicatur. Et si quidem secundum principium, sic praedicatur ut agere. Nam actionis principium in subiecto est. Si vero secundum terminum, sic praedicabitur ut in pati. Nam passio in subiectum patiens terminatur.

[82458] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 9Quia vero quaedam praedicantur, in quibus manifeste non apponitur hoc verbum est, ne credatur quod illae praedicationes non pertineant ad praedicationem entis, ut cum dicitur, homo ambulat, ideo consequenter hoc removet, dicens quod in omnibus huiusmodi praedicationibus significatur aliquid esse. Verbum enim quodlibet resolvitur in hoc verbum est, et participium. Nihil enim differt dicere, homo convalescens est, et homo convalescit, et sic de aliis. Unde patet quod quot modis praedicatio fit, tot modis ens dicitur.

[82459] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 10Nec est verum quod Avicenna dicit, quod praedicata, quae sunt in generibus accidentis, principaliter significant substantiam, et per posterius accidens, sicut hoc quod dico album et musicum. Nam album ut in praedicamentis dicitur, solam qualitatem significat. Hoc autem nomen album significat subiectum ex consequenti, inquantum significat albedinem per modum accidentis. Unde oportet, quod ex consequenti includat in sui ratione subiectum. Nam accidentis esse est inesse. Albedo enim etsi significet accidens, non tamen per modum accidentis, sed per modum substantiae. Unde nullo modo consignificat subiectum. Si enim principaliter significaret subiectum, tunc praedicata accidentalia non ponerentur a philosopho sub ente secundum se, sed sub ente secundum accidens. Nam hoc totum, quod est homo albus, est ens secundum accidens, ut dictum est.

[82460] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 11Deinde cum dicit amplius autem ponit alium modum entis, secundum quod esse et est, significant compositionem propositionis, quam facit intellectus componens et dividens. Unde dicit, quod esse significat veritatem rei. Vel sicut alia translatio melius habet quod esse significat quia aliquod dictum est verum. Unde veritas propositionis potest dici veritas rei per causam. Nam ex eo quod res est vel non est, oratio vera vel falsa est. Cum enim dicimus aliquid esse, significamus propositionem esse veram. Et cum dicimus non esse, significamus non esse veram; et hoc sive in affirmando, sive in negando. In affirmando quidem, sicut dicimus quod Socrates est albus, quia hoc verum est. In negando vero, ut Socrates non est albus, quia hoc est verum, scilicet ipsum esse non album. Et similiter dicimus, quod non est diameter incommensurabilis lateri quadrati, quia hoc est falsum, scilicet non esse ipsum non commensurabilem.

[82461] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 12Sciendum est autem quod iste secundus modus comparatur ad primum, sicut effectus ad causam. Ex hoc enim quod aliquid in rerum natura est, sequitur veritas et falsitas in propositione, quam intellectus significat per hoc verbum est prout est verbalis copula. Sed, quia aliquid, quod est in se non ens, intellectus considerat ut quoddam ens, sicut negationem et huiusmodi, ideo quandoque dicitur esse de aliquo hoc secundo modo, et non primo. Dicitur enim, quod caecitas est secundo modo, ex eo quod vera est propositio, qua dicitur aliquid esse caecum; non tamen dicitur quod sit primo modo vera. Nam caecitas non habet aliquod esse in rebus, sed magis est privatio alicuius esse. Accidit autem unicuique rei quod aliquid de ipsa vere affirmetur intellectu vel voce. Nam res non refertur ad scientiam, sed e converso. Esse vero quod in sui natura unaquaeque res habet, est substantiale. Et ideo, cum dicitur, Socrates est, si ille est primo modo accipiatur, est de praedicato substantiali. Nam ens est superius ad unumquodque entium, sicut animal ad hominem. Si autem accipiatur secundo modo, est de praedicato accidentali.

[82462] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 9 n. 13Deinde cum dicit amplius esse ponit distinctionem entis per actum et potentiam; dicens, quod ens et esse significant aliquid dicibile vel effabile in potentia, vel dicibile in actu. In omnibus enim praedictis terminis, quae significant decem praedicamenta, aliquid dicitur in actu, et aliquid in potentia. Et ex hoc accidit, quod unumquodque praedicamentum per actum et potentiam dividitur. Et sicut in rebus, quae extra animam sunt, dicitur aliquid in actu et aliquid in potentia, ita in actibus animae et privationibus, quae sunt res rationis tantum. Dicitur enim aliquis scire, quia potest uti scientia, et quia utitur: similiter quiescens, quia iam inest ei quiescere, et quia potest quiescere. Et non solum hoc est in accidentibus, sed etiam in substantiis. Etenim Mercurium, idest imaginem Mercurii dicimus esse in lapide in potentia, et medium lineae dicitur esse in linea in potentia. Quaelibet enim pars continui est potentialiter in toto. Linea vero inter substantias ponitur secundum opinionem ponentium mathematica esse substantias, quam nondum reprobaverat. Frumentum etiam quando nondum est perfectum, sicut quando est in herba, dicitur esse in potentia. Quando vero aliquid sit in potentia, et quando nondum est in potentia, determinandum est in aliis, scilicet in nono huius.

LEÇON 9.

(nn. 885-897; [435-439]).

 

Aristote divise ici l’être en être par soi et en être par accident; il explique ensuite les trois modes de l’être par accident. De là il présente trois divisions de l’être par soi : une première de l’être dans les dix catégories, une deuxième de l’être dans l’âme et une dernière de l’être dans l’acte et dans la puissance.

 

885. Le Philosophe distingue ici de combien de manières se dit l’être.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il distingue l’être en être par soi et en être par accident [435]. En deuxième lieu il distingue les modes de l’être par accident, là [436] où il dit : ¨L’être est certes par accident etc.¨. En troisième lieu il présente les modes de l’être par soi, là [437] où il dit : ¨ D’un autre côté l’être est par soi etc.¨.

   Il dit donc [435] que l’être se dit en un sens par soi et en un autre sens par accident. Il faut cependant savoir que cette division de l’être n’est pas identique à cette division par laquelle on divise l’être en substance et en accident. Ce qui devient évident du fait qu’Aristote lui-même divise par la suite l’être par soi en dix catégories, dont neuf se rangent dans le genre de l’accident. Donc la division de l’être en substance et en accident est une division qui est faite d’après une considération de l’être pris absolument, tout comme on dit de la blancheur, considérée en elle-même, qu’elle est un accident et qu’on dit de l’homme, considéré en lui-même, qu’il est une substance. Mais l’expression ¨être par accident¨, telle qu’employée ici, doit être entendue d’après une comparaison de l’accident à la substance. Et certes cette comparaison est signifiée par ce verbe, ¨est¨, comme lorsque l’on dit que l’homme est blanc. C’est pourquoi ce tout, à savoir l’homme est blanc, est un être par accident. D’où il est évident que la division de l’être en être par soi et en être par accident s’entend selon qu’un prédicat est attribué à un sujet par soi ou par accident. Au contraire, la division de l’être en substance et en accident s’entend selon qu’une chose, considérée en elle-même et séparément, est de par sa nature même soit une substance, soit un accident.

886. Ensuite lorsqu’il dit [436] : ¨ L’être est par accident ¨.

   Il montre de combien de manières se dit l’être par accident. Et il dit qu’il y en a trois, dont la première a lieu quand un accident est attribué à un accident, comme lorsqu’on dit que le juste est musicien. La deuxième a lieu quand un accident est attribué à un sujet, comme lorsqu’on dit que l’homme est musicien. La troisième a lieu quand un sujet est attribué à un accident, comme lorsqu’on dit que le musicien est homme. Et parce qu’il avait déjà manifesté plus haut comment la cause par accident diffère de la cause par soi, c’est pourquoi par conséquent il manifeste maintenant l’être par accident au moyen de la cause par accident.

887. Et il dit que tout comme en assignant une cause par accident nous disons que le musicien bâtit, du fait qu’il arrive au bâtisseur d’être musicien, ou inversement, il est évident en effet que ¨ ceci est cela ¨, à savoir que le musicien bâtit, ne signifie rien d’autre que ¨ cela est accident de ceci ¨, et il en est encore ainsi dans les modes de l’être par accident présentés plus haut, lorsque nous disons par exemple que l’homme est musicien en attribuant un accident à un sujet, ou que le musicien est homme en attribuant un sujet à un accident, ou que le blanc est musicien ou inversement que le musicien est blanc en attribuant un accident à un accident. Dans tous ces cas en effet le verbe ¨est¨ ne signifie rien d’autre que cela est accident de ceci. ¨Cela certes¨, à savoir quand un accident est attribué à un autre accident, signifie que les deux accidents sont les accidents d’un même sujet : ¨d’un autre côté cela¨, c’est-à-dire lorsqu’un accident est attribué un sujet, nous disons qu’il est ¨parce que c’est dans l’être¨, c’est-à-dire dans le sujet qu’il arrive à l’accident de se trouver. Mais nous disons que le musicien est homme ¨parce que c’est à cela¨ c’est-à-dire au prédicat homme, qu’il arrive d’être le musicien que l’on pose comme sujet. Et la raison qui fonde l’attribution est quasiment la même quand le sujet est attribué à l’accident que quand l’accident est attribué à un autre accident. En effet, tout comme le sujet est attribué à l’accident pour cette raison que le sujet est attribué à ce à quoi il arrive d’être l’accident qui se trouve dans le sujet, de même un accident est attribué à un accident parce qu’il est attribué du même coup au sujet même de cet accident. Et pour cette raison, tout comme nous disons que le musicien est homme, de la même manière nous disons que le musicien est blanc, simplement parce que cela même à quoi il arrive d’être musicien, à savoir le sujet, est blanc.

888. Il est donc évident que c’est pour trois raisons qu’on dit de certaines choses qu’elles sont par accident : soit pour cette raison que les deux, à savoir le sujet et le prédicat appartiennent au même sujet, comme lorsque l’accident est attribué à l’accident; soit ¨parce que cela¨, à savoir le prédicat, par exemple le musicien, ¨existe dans l’être¨, à savoir dans le sujet dont on dit qu’il est musicien; et il s’agit là du cas où l’accident est attribué au sujet; soit encore ¨parce que cela¨, c’est-à-dire le sujet placé dans le prédicat, est ce dans quoi existe l’accident auquel cela, à savoir le sujet, est attribué. Et cela est bien sûr le cas où le sujet est attribué à l’accident, comme lorsque nous disons que le musicien est homme.

889. Ensuite lorsqu’il dit [437] : ¨ L’être par soi ¨.

   Il distingue les modes de l’être par soi et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il distingue l’être, en tant qu’il existe en dehors de l’âme, et qui est l’être parfait, au moyen des dix prédicaments [437]. En deuxième lieu il présente un autre mode d’être selon qu’il existe seulement dans l’esprit, là [438] où il dit : ¨ Mais en outre l’être signifie ¨. En troisième lieu il divise l’être par l’acte et la puissance, là [439] où il dit : ¨ En outre l’être signifie à la fois l’être en puissance et ¨. Et l’être ainsi divisé est plus commun que l’être parfait; car l’être en puissance est seulement de l’être sous un certain rapport et de l’être imparfait.

   Il dit donc en premier lieu [437] qu’on appelle être par soi ce qui signifie tous les différents types d’attribution. Il faut savoir en effet que l’être ne peut être contracté à un être déterminé de la même manière que le genre peut être contracté aux espèces au moyen des différences. Car la différence, puisqu’elle ne participe pas du genre, est en dehors de l’essence du genre. Mais rien ne peut être en dehors de l’essence de l’être et qui par addition à l’être constituerait une espèce déterminée d’être. Car ce qui est en dehors de l’être n’est rien et ne peut donc être une différence. C’est pourquoi au troisième livre de ce traité le Philosophe a prouvé que l’être ne peut être un genre.

890. C’est pourquoi il faut que l’être soit contracté aux différents genres selon les différents modes d’attribution qui découlent de différents modes d’être; car ¨l’être est signifié d’autant de manières¨, c’est-à-dire qu’il y a autant de manières de signifier l’être, ¨qu’il y a de manières de dire l’être¨, c’est-à-dire qu’il y a de manières d’attribuer l’être. Et c’est pour cette raison que ce en quoi se divise l’être en premier s’appelle prédicament car chaque prédicament se distingue des autres d’après un mode différent d’attribution. Donc, puisque parmi tout ce qui est attribué, certains prédicats signifient la chose, c’est-à-dire la substance, d’autres la qualité, d’autres la quantité, et il en est de même pour les autres; il faut qu’à chaque mode d’attribution être signifie la même chose; comme lorsqu’on dit que l’homme est un animal, être signifie la substance. Mais lorsqu’on dit que l’homme est blanc, être signifie la qualité et ainsi de suite.

891. Il faut savoir en effet que le prédicat peut se rapporter au sujet de trois manières. Premièrement lorsqu’il est ce que le sujet est, comme lorsque je dis que Socrate est un animal. Car Socrate est ce que l’animal est. Et on dit de ce prédicat qu’il signifie la substance première, qui est la substance particulière à laquelle tout est attribué.

892. Deuxièmement, lorsque le prédicat se tire de ce qui se trouve dans le sujet et alors ou bien ce prédicat se trouve par soi et absolument dans le sujet, soit comme conséquence de sa matière et ainsi on obtient la catégorie de la quantité, soit comme conséquence de sa forme et on a alors affaire à la qualité; ou bien le prédicat s’y trouve non pas absolument mais en rapport avec quelque chose d’autre et ainsi il s’agit de la relation. Troisièmement, lorsque le prédicat se tire de ce qui est extérieur au sujet et cela peut se produire de deux manières. D’une part lorsque le prédicat se prend comme étant absolument extérieur au sujet : ce qui a lieu s’il n’est pas la mesure du sujet et il est alors attribué par mode d’habitus, comme lorsqu’on dit que Socrate est chaussé ou vêtu; mais s’il est la mesure du sujet, comme la mesure extérieure est soit le temps soit le lieu, alors on tire le prédicament soit du côté du temps et on aura alors le ¨quand¨, ou bien on le tire du côté du lieu et on aura alors affaire au prédicament ¨où¨, si on ne considère pas l’ordre des parties dans le lieu, car on serait alors dans le prédicament de la position. D’autre part lorsque le prédicat se prend comme ce d’où se tire le prédicament d’après quelque chose qui est intérieur au sujet auquel il est attribué. Et s’il en est tiré comme d’un principe, le prédicament est alors attribué en tant qu’action. Car le principe de l’action est intérieur au sujet. D’un autre côté s’il est dans le sujet en tant que terme, alors il sera attribué en tant que passion. Car la passion se termine dans le sujet qui pâtit.

893. Par ailleurs, puisque certains prédicaments sont attribués dans lesquels n’est manifestement pas placé le verbe ¨est¨, afin qu’on ne croit pas que ces attributions n’appartiennent pas à l’attribution de l’être, comme lorsqu’on dit que l’homme se promène, c’est pourquoi par la suite il écarte cette difficulté en disant que dans toutes les attributions de cette sorte une modalité de l’être se trouve à être signifiée. Tout verbe en effet se ramène à ce verbe ¨est¨ et en participe. En effet, il n’y a aucune différence entre dire que l’homme guérit et dire que l’homme est guérissant, et il en est de même pour les autres cas semblables. D’où il est évident que l’être se dit d’autant de manières qu’il y a de modes d’attribution.

894. Et ce qu’Avicenne dit n’est pas vrai, à savoir que les prédicats qui sont dans le genre de l’accident signifient d’abord la substance et par après l’accident, comme ce que j’appelle blanc et musicien. Car blanc, dit en tant que prédicament, signifie la seule qualité. Mais le mot blanc signifie conséquemment le sujet pour autant qu’il signifie la blancheur par mode d’accident. C’est pourquoi il faut qu’il inclue conséquemment le sujet dans sa définition. Car il appartient à l’accident d’être dans un sujet. En effet, bien que la blancheur signifie un accident, elle ne le signifie pas par mode d’accident mais par mode de substance. C’est pourquoi elle ne signifie aucunement avec le sujet. Si en effet elle signifiait principalement le sujet, le Philosophe ne rangerait pas les prédicats accidentels dans l’être par soi mais dans l’être par accident. Car ce tout qu’est l’homme blanc est un être par accident ainsi qu’on l’a dit.

895. Ensuite lorsqu’il dit [438] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente un autre mode d’être selon lequel être et est signifient la composition de la proposition que fait l’intelligence lorsqu’elle compose et divise. C’est pourquoi il dit que ¨être¨ signifie la vérité de la chose. Ou comme une autre version nous le rend d’une manière plus heureuse ¨ être signifie ¨ que ce qui est dit est vrai. C’est pourquoi on peut dire que la vérité de la chose est la vérité d’une proposition par mode de causalité car du seul fait qu’une chose est ou n’est pas, le discours sera vrai ou faux. En effet, lorsque nous disons que quelque chose est, nous voulons signifier que cette proposition est vraie. Et lorsque nous disons que quelque chose n’est pas, nous signifions que la proposition n’est pas vraie et cela soit en affirmant, soit en niant. Certes en affirmant, comme lorsque nous disons que Socrate est blanc, car cela est vrai. Mais aussi en niant, comme lorsque nous disons que Socrate est n’est pas blanc car cela est vrai, à savoir que Socrate est non-blanc. Et de la même manière nous disons que la diagonale n’est pas incommensurable avec le côté du carré parce que cela est faux, à savoir qu’elle n’est pas elle-même non-commensurable.

896. Mais il faut savoir que ce deuxième mode se compare au premier comme l’effet à sa cause. Du fait en effet que quelque chose existe dans la nature des choses, il s’ensuit la vérité ou la fausseté dans la proposition que l’intelligence signifie par ce verbe ¨est¨ qui est une copule verbale. Mais parce que l’intelligence considère comme de l’être ce qui est en soi du non-être, comme la négation et des concepts de cette sorte, c’est pourquoi il arrive parfois que l’être se dise de quelque chose selon le deuxième mode et non selon le premier. Selon le deuxième mode en effet on dit de la cécité qu’elle existe ou qu’elle est, du fait que cette proposition, par laquelle on dit que quelqu’un est aveugle, est vraie. Mais on ne peut dire selon le premier mode qu’il soit vrai que la cécité existe car la cécité n’a pas d’existence dans les choses, mais elle est plutôt une privation d’être. Mais il arrive à chaque chose que quelque chose soit affirmé en vérité à son sujet par l’intelligence ou par le son de voix. Car ce n’est pas la chose qui est relative à la science mais c’est plutôt la science qui est relative à la chose. Par ailleurs l’être que possède une chose dans sa nature est substantiel. Et c’est pourquoi, lorsque nous disons de Socrate qu’il est, si ce ¨est¨ s’entend selon le premier mode, il s’agit là d’un prédicat substantiel. Car l’être est plus élevé que chacun des êtres tout comme l’animal est plus élevé que l’homme. Mais si ce ¨est¨ s’entend selon le deuxième mode, il s’agit alors d’un prédicat accidentel.

897. Ensuite lorsqu’il dit [439] : ¨ En outre l’être ¨.

   Il présente une distinction de l’être par l’acte et la puissance en disant que l’être et l’existence signifient aussi ce qui peut se dire ou s’exprimer soit en puissance soit en acte. En effet, dans tous les termes qui précèdent et qui signifient les dix prédicaments, quelque chose se dit en acte et quelque chose se dit en puissance. Et à partir de là en effet il arrive à chacun des prédicaments d’être divisé par l’acte et la puissance. Et tout comme dans les choses qui existent en dehors de l’âme quelque chose se dit en acte et quelque chose se dit en puissance, il en est de même pour les actes de l’âme et pour les privations qui sont seulement des êtres de raison. On dit en effet de quelqu’un qu’il sait, à la fois parce qu’il peut se servir de sa science et parce qu’il s’en sert actuellement. Et de la même manière on dit de quelqu’un qui se repose, à la fois parce que le repos est déjà en lui et parce qu’il peut se reposer. Et cela est vrai non seulement des accidents mais aussi des substances. ¨ Et en effet nous disons de Mercure ¨, c’est-à-dire de l’image de Mercure, qu’elle est dans la pierre en puissance, et de la demi-ligne qu’elle est dans la ligne en puissance. En effet, toute partie d’un tout continu existe en puissance dans ce tout. Mais la ligne est rangée parmi les substances d’après l’opinion de ceux qui soutenaient que les êtres mathématiques sont des substances, opinion qu’Aristote n’avait pas encore réfutée. Et nous disons aussi du froment qu’il existe en puissance quand il n’a pas encore atteint sa perfection, comme quand il est encore en herbe. Mais quand une chose est en puissance et quand elle ne l’est pas encore, c’est ce qui devra être déterminé par la suite, c’est-à-dire au neuvième livre de ce traité.

 

 

LECTIO 10

[82463] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 1Hic ostendit quot modis dicitur substantia: et circa hoc duo facit. Primo ponit diversos modos substantiae. Secundo reducit omnes ad duos, ibi, accidit itaque. Circa primum ponit quatuor modos; quorum primus est secundum quod substantiae particulares dicuntur substantiae, sicut simplicia corpora, ut terra et ignis et aqua et huiusmodi. Et universaliter omnia corpora, etiam si non sint simplicia, sicut mixta similium partium, ut lapis, sanguis, caro, et huiusmodi. Et iterum animalia quae constant et huiusmodi corporibus sensibilibus, et partes eorum, ut manus et pedes et huiusmodi, et Daemonia, idest idola, quae in templis posita colebantur pro diis. Vel Daemonia dicit quaedam animalia rationabilia secundum Platonicos, quae Apuleius sic definit:Daemones sunt animalia corpore aerea, mente rationalia, animo passiva, tempore aeterna. Haec enim omnia praedicta dicuntur substantia, quia non dicuntur de alio subiecto, sed alia dicuntur de his. Et haec est descriptio primae substantiae in praedicamentis.

[82464] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 2Secundum modum ponit ibi alio vero dicit quod alio modo dicitur substantia quae est causa essendi praedictis substantiis quae non dicuntur de subiecto; non quidem extrinseca sicut efficiens, sed intrinseca eis, ut forma. Sicut dicitur anima substantia animalis.

[82465] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 3Deinde cum dicit amplius quaecumque ponit tertium modum, secundum opinionem Platonicorum et Pythagoricorum, dicens, quod quaecumque particulae sunt in praedictis substantiis, quae sunt termini earum, et significant hoc aliquid secundum opinionem eorum, in quibus destructis destruitur totum, dicuntur etiam substantiae. Sicut superficie destructa destruitur corpus, ut quidam dicunt, et destructa linea destruitur superficies. Patet etiam, quod superficies est terminus corporis, et linea terminus superficiei. Et secundum dictorum positionem, linea est pars superficiei, et superficies pars corporis. Ponebant enim corpora componi ex superficiebus et superficies ex lineis, et lineas ex punctis. Unde sequebatur, quod punctum sit substantia lineae, et linea superficiei, et sic de aliis. Numerus autem secundum hanc positionem videtur esse substantia totaliter omnium rerum, quia remoto numero nihil remanet in rebus: quod enim non est unum, nihil est. Et similiter quae non sunt plura, non sunt. Numerus etiam invenitur terminare omnia, eo quod omnia mensurantur per numerum.

[82466] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 4Iste autem modus non est verus. Nam hoc quod communiter invenitur in omnibus, et sine quo res esse non potest, non oportet quod sit substantia rei, sed potest esse aliqua proprietas consequens rei substantiam vel principium substantiae. Provenit etiam eis error specialiter quantum ad unum et numerum, eo quod non distinguebant inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri.

[82467] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 5Quartum modum ponit ibi amplius quod dicit quod etiam quidditas rei, quam significat definitio, dicitur substantia uniuscuiusque. Haec autem quidditas sive rei essentia, cuius definitio est ratio, differt a forma quam dixit esse substantiam in secundo modo, sicut differt humanitas ab anima. Nam forma est pars essentiae vel quidditatis rei. Ipsa autem quidditas vel essentia rei includit omnia essentialia principia. Et ideo genus et species dicuntur esse substantia eorum, de quibus praedicantur, hoc ultimo modo. Nam genus et species non significant tantum formam, sed totam rei essentiam.

[82468] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 6Deinde cum dicit accidit itaque reducit dictos modos substantiae ad duos; dicens, quod ex praedictis modis considerari potest, quod substantia duobus modis dicitur: quorum unus est secundum quod substantia dicitur id quod ultimo subiicitur in propositionibus, ita quod de alio non praedicetur, sicut substantia prima. Et hoc est, quod est hoc aliquid, quasi per se subsistens, et quod est separabile, quia est ab omnibus distinctum et non communicabile multis. Et quantum ad haec tria differt substantia particularis ab universali. Primo quidem, quia substantia particularis non praedicatur de aliquo inferiori, sicut universalis. Secundo, quia substantia universalis non subsistit nisi ratione singularis quae per se subsistit. Tertio, quia substantia universalis est in multis, non autem singularis, sed est ab omnibus separabilis et distincta.

[82469] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 7Sed etiam forma et species uniuscuiusque rei, dicitur tale, idest substantia. In quo includit et secundum et quartum modum. Essentia enim et forma in hoc conveniunt quod secundum utrumque dicitur esse illud quo aliquid est. Sed forma refertur ad materiam, quam facit esse in actu; quidditas autem refertur ad suppositum, quod significatur ut habens talem essentiam. Unde sub uno comprehenduntur forma et species, idest sub essentia rei.

[82470] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 10 n. 8Tertium autem modum praetermittit, quia falsus est, vel quia reducibilis est ad formam, quae habet rationem termini. Materiam vero, quae substantia dicitur, praetermittit, quia non est substantia in actu. Includitur tamen in primo modo, quia substantia particularis non habet quod sit substantia et quod sit individua in rebus materialibus, nisi ex materia.

LEÇON 10.

(nn. 898-905; [440-444]).

 

Il explique quatre modes du mot substance qu’il ramène à deux.

 

898. Il montre ici de combien de manière se dit le mot substance : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente les différents sens de ce mot [440]. En deuxième lieu il les ramène à deux, là [444] où il dit : ¨ C’est pourquoi il résulte de là ¨.

   Au sujet du premier point il présente les quatre modes, dont le premier est celui selon lequel on appelle substances les substances particulières comme les corps simples tels le feu, la terre, l’eau et les corps de cette sorte; et aussi, plus universellement, tous les corps même s’ils ne sont pas simples, comme les corps composés de parties semblables comme la pierre, le sang, la chair et d’autres corps de cette sorte; et on appelle encore substances tous les animaux qui existent et qui sont constitués de corps sensibles ainsi que leurs parties, comme la main, le pied et d’autres parties de ce genre, ainsi que ¨les démons¨, c’est-à-dire les idoles qui, placées dans les temples, sont honorées comme des dieux. Ou bien encore Aristote appelle démons certains animaux que les Platoniciens disaient rationnels et qu’Apulée définit ainsi : les démons sont des animaux qui sont aériens par le corps, rationnels par l’esprit, passibles par l’âme et éternels par la durée. En effet, on appelle substances tous les êtres qui précèdent parce qu’ils ne se disent pas d’un autre sujet mais parce qu’au contraire les autres réalités leur sont attribuées. Et telle est la définition de la première substance en tant que prédicament.

899. Il présente le deuxième mode, là [441] où il dit : ¨ Par ailleurs en un autre ¨.

   Il dit qu’en un autre sens on appelle substance ce qui est cause de l’existence des substances précédentes qui ne s’attribuent pas à un sujet; et il faut entendre ici par cause non pas la cause extérieure comme la cause efficiente, mais une cause qui leur est intérieure comme la forme, tout comme on dit de l’âme qu’elle est la substance de l’animal.

900. Ensuite lorsqu’il dit [442] : ¨ En outre toutes ¨.

   Il présente un troisième mode conforme à l’opinion des Platoniciens et des Pythagoriciens en disant que toutes les parties immanentes à ces substances, parties qui les limitent et définissent leur individualité selon eux, et dont la destruction entraîne la destruction du tout, sont aussi appelées substances. Tout comme le corps est détruit si la surface est détruite, selon certains, et que la surface elle-même est détruite si la ligne est détruite. Il est aussi évident que la surface est la limite du corps et que la ligne est celle de la surface. Et d’après l’opinion de ceux dont on vient de parler, la ligne est la partie de la surface comme la surface est la partie du corps. Ils soutenaient en effet que les corps sont composés de surfaces, que les surfaces sont composées de lignes et que les lignes sont composées de points. D’où il s’ensuivait que le point est la substance de la ligne, que la ligne est la substance de la surface et que la surface est la substance du corps. Mais d’après cette position le nombre était considéré comme la substance absolue de toutes les choses parce que d’après eux, si on supprime le nombre, rien ne demeure dans les choses : en effet, ce qui n’est pas un n’est rien. Et de la même manière ce qui n’est pas multiple n’est rien. Le nombre se trouve aussi à limiter toutes les choses du fait que toutes les choses sont mesurées par le nombre.

901. Mais ce mode est incorrect. Car ce qu’on retrouve communément dans toute chose sans quoi la chose ne peut exister n’est pas nécessairement la substance de la chose, mais peut être une propriété de la chose qui découle de la substance de la chose ou d’un principe de la substance. De plus cette erreur est survenue à cause d’une confusion à l’égard de l’un et du nombre, du fait qu’ils n’ont pas distingué l’un qui se convertit avec l’être de l’un qui est principe du nombre.

902. Il présente le quatrième mode là [443] où il dit : ¨ En outre, la quiddité ¨.

   Il dit que même la quiddité d’une chose exprimée par la définition est appelée substance de cette chose. Mais cette quiddité ou cette essence de la chose dont la définition est l’expression, diffère de la forme qu’il a appelée substance dans le deuxième mode, tout comme l’humanité diffère de l’âme. Car la forme est une partie de la quiddité ou de l’essence de la chose. Mais la quiddité elle-même ou l’essence de la chose inclut tous les principes essentiels. Et c’est pourquoi dans ce dernier mode on dit du genre et de l’espèce qu’ils sont la substance de ce à quoi ils sont attribués. Car le genre et l’espèce ne signifient pas seulement la forme, mais toute l’essence de la chose.

903. Ensuite lorsqu’il dit [444] : ¨ C’est pourquoi il en résulte ¨.

   Il ramène à deux tous ces modes de la substance, en disant qu’en partant des modes précédents, on peut considérer que la substance peut se dire de deux manières, dont la première est selon qu’on appelle substance le sujet ultime de la proposition, celui qui, comme la substance première, ne peut être attribuée à rien d’autre. Et cela est l’individu qui subsiste comme par lui-même et qui est séparable car il est distinct de tous les autres et ne peut être communiqué à plusieurs. Et c’est sous ces trois rapports que la substance particulière diffère de la substance universelle. En premier lieu certes parce que la substance particulière, contrairement à la substance universelle, ne peut être attribuée à un inférieur. En deuxième lieu parce que la substance universelle ne subsiste qu’en raison de la substance singulière qui, de son côté, subsiste par elle-même. En troisième lieu parce que la substance universelle se retrouve dans plusieurs, ce qui n’est pas le cas pour la substance individuelle qui est séparable et distincte de toutes les autres.

904. Mais même la forme et l’espèce de toute chose ¨s’appelle ainsi¨, à savoir substance, ce qui comprend à la fois le deuxième et le quatrième mode. En effet, l’essence et la forme ont ceci en commun que c’est d’après les deux qu’on se trouve à nommer ce par quoi une chose existe. Mais la forme se rapporte à la matière qu’elle fait exister en acte; la quiddité cependant se rapporte au sujet qui est l’individu possédant une telle essence. C’est pourquoi ¨ la forme et l’espèce ¨ sont rangées sous un même mode, à savoir sous l’essence de la chose.

905. Mais il néglige le troisième mode, soit parce qu’il est erroné, soit parce qu’il peut être ramené à la forme qui a raison de terme. – Et par ailleurs il passe aussi sous silence la matière qu’on appelle aussi substance, parce qu’elle n’est pas une substance en acte. Elle se trouve néanmoins à être comprise dans le premier mode car ce n’est qu’à partir de la matière que la substance particulière peut arriver à être une substance et à constituer un individu dans les choses matérielles.

 

 

LECTIO 11

[82471] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 1Postquam philosophus distinxit nomina, quae significant subiectum huius scientiae, hic distinguit nomina, quae significant partes eorum, quae sunt subiecta huius scientiae: et dividitur in partes duas. In prima distinguit nomina, quae significant partes unius. In secunda, nomina, quae significant partes entis; hoc ibi, potestas dicitur. Substantia enim quae etiam posita est subiectum huius scientiae, est unum solum praedicamentum non divisum in multa praedicamenta. Prima dividitur in duas. In prima distinguit nomina, quae significant partes unius. In secunda, nomina, quae significant, aliquod consequens ad rationem unius, scilicet prius et posterius. Nam unum esse, est principium esse, ut supra dictum est. Et hoc ibi, priora et posteriora dicuntur.

[82472] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 2Prima dividitur in duas. In prima distinguit nomina, quae significant primas partes unius et eius oppositi, scilicet multitudinis. In secunda distinguit nomina, quae significant quasdam secundarias partes, ibi, opposita dicuntur. Partes autem unius sunt idem, quod est unum in substantia: et simile, quod est unum in qualitate: et aequale, quod est unum in quantitate. Et e contrario partes multitudinis sunt diversum, dissimile et inaequale. Circa primum duo facit. Primo distinguit hoc nomen idem, et ea quae ei opponuntur. Secundo distinguit hoc nomen simile et dissimile oppositum eius, ibi, similia dicuntur. De aequali autem, et eius opposito, mentionem hic non facit, quia in eis multiplicitas non est ita manifesta. Circa primum tria facit. Primo distinguit hoc nomen idem. Secundo hoc nomen diversum, ibi, diversa vero dicuntur. Tertio hoc nomen differens, ibi, differentia vero. Circa primum duo facit. Primo ponit modos eiusdem per accidens. Secundo eiusdem per se, ibi, alia vero secundum se.

[82473] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 3Dicit ergo quod aliqua dicuntur eadem per accidens tribus modis. Uno modo sicut duo accidentia; ut album et musicum dicuntur idem, quia accidunt eidem subiecto. Secundo modo, quando praedicatum dicitur idem subiecto in quantum de eo praedicatur; ut cum dicitur, homo est musicus, quae dicuntur idem, quia accidit musicum homini, idest praedicatum subiecto. Tertio modo dicuntur idem per accidens, quando subiectum dicitur esse idem accidenti quasi de eo praedicatum: ut cum dicitur, musicus est homo, significatur quod homo sit idem musico. Quod enim praedicatur de aliquo, significatur idem esse illi. Et haec ratio identitatis est, quia subiectum accidit praedicato.

[82474] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 4Praeter hos autem modos eiusdem per accidens, in quibus sumitur accidens per se et subiectum per se, sunt alii modi in quibus accipitur accidens cum subiecto compositum. Et in hoc variantur duo modi: quorum unus significatur, quando accidens simpliciter praedicatur de composito ex accidente et subiecto. Et tunc significatur hoc, scilicet accidens esse idem utrique simul accepto; sicut musico homini, musicum. Alius modus significatur quando compositum praedicatur de subiecto simplici, ut cum dicitur, homo est homo musicus. Tunc enim illi, idest subiecto simplici, significatur esse idem horum utrumque simul acceptum, scilicet hoc quod dicitur homo musicus. Et similis ratio est, si accidens accipitur ut simplex, et subiectum cum compositione; ut si dicamus, musicus est homo musicus, aut e converso, quia et homini musico, quod est compositum, dicuntur idem per accidens et homo et musicum, quando haec duo de illo uno praedicantur, et e converso.

[82475] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 5Ex hoc autem concludit ulterius conclusionem, quod in omnibus praedictis modis praedicandi, in quibus idem per accidens praedicatur, non praedicatur aliquod nomen universaliter. Non enim est verum dicere, quod omnis homo sit idem musico. Quod sic patet. Ea enim sola de universalibus praedicantur universaliter, quae secundum se insunt eidem. Propter hoc enim modus praedicandi, qui est universaliter praedicari, convenit cum conditione subiecti, quod est universale, quia praedicatum per se de subiecto praedicatur. Sed accidentia non praedicantur secundum se de universalibus, sed ratione singularium. Et ideo de universalibus non praedicantur universaliter. Sed de singularibus praedicantur simpliciter, quia idem videtur esse subiecto Socrates et Socrates musicus; non tamen praedicantur de singulari universaliter, quia de nullo potest praedicari aliquid universaliter quod non est universale. Socrates autem non est universale: nam non est in multis. Et ideo non praedicatur universaliter aliquid de Socrate, ut dicatur, omnis Socrates sicut omnis homo. Igitur quae diximus sic dicuntur eadem, scilicet per accidens, ut dictum est.

[82476] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 6Deinde cum dicit alia vero ponit modos eiusdem per se; et dicit, quod aliqua dicuntur eadem secundum se eisdem modis, quibus dicitur unum per se. Omnes enim modi, quibus aliqua unum per se dicuntur, reducuntur ad duos: quorum unus est secundum quod dicuntur unum illa, quorum materia est una; sive accipiamus materiam eamdem secundum speciem, sive secundum numerum; ad quod pertinet secundus et tertius modus unius. Alio modo dicuntur unum, quorum substantia est una: vel ratione continuitatis, quod pertinet ad primum modum: vel propter unitatem et indivisibilitatem rationis, quod pertinet ad quartum et quintum. Unde et his modis dicuntur aliqua esse idem.

[82477] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 11 n. 7Ex hoc autem ulterius concludit, quod identitas est unitas vel unio; aut ex eo quod illa quae dicuntur idem, sunt plura secundum esse, et tamen dicuntur idem in quantum in aliquo uno conveniunt. Aut quia sunt unum secundum esse, sed intellectus utitur eo ut pluribus ad hoc quod relationem intelligat. Nam non potest intelligi relatio nisi inter duo extrema. Sicut cum dicitur aliquid esse idem sibiipsi. Tunc enim intellectus utitur eo quod est unum secundum rem, ut duobus. Alias eiusdem ad seipsum relationem designare non posset. Unde patet, quod si relatio semper requirit duo extrema, et in huiusmodi relationibus non sunt duo extrema secundum rem sed secundum intellectum solum, relatio identitatis non erit relatio realis, sed rationis tantum, secundum quod aliquid dicitur idem simpliciter. Secus autem est, quando aliqua duo dicuntur esse idem vel genere vel specie. Si enim identitatis relatio esset res aliqua praeter illud quod dicitur idem, res etiam, quae relatio est, cum sit idem sibi, pari ratione haberet aliam relationem, quae sibi esset idem, et sic in infinitum. Non est autem possibile in rebus in infinitum procedere. Sed in his quae sunt secundum intellectum nihil prohibet. Nam cum intellectus reflectatur super suum actum, intelligit se intelligere. Et hoc ipsum potest etiam intelligere, et sic in infinitum.

LEÇON 11.

(nn. 906-912; [445-446]).

 

Il explique les modes par lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont les mêmes, soit essentiellement, soit accidentellement.

 

906. Après avoir distingué les noms qui signifient le sujet de cette science, le Philosophe distingue ici ceux qui signifient les parties du sujet de cette science : et il divise cette section en deux parties.

   Dans la première il distingue les noms qui signifient les parties de l’un [445]. Dans la deuxième il distingue ceux qui signifient les parties de l’être, là où il dit : ¨ On dit de la puissance ¨. La substance en effet qui est elle aussi établie comme sujet de cette science est un seul prédicament qui n’est pas divisé en plusieurs prédicaments.

   La première partie se divise en deux. Dans la première il distingue les noms qui signifient les parties de l’Un [445]. Dans la deuxième il distingue les noms qui signifient ce qui découle de la notion de l’un, à savoir l’avant et l’après, là [457] où il dit : ¨On dit de l’antérieur et du postérieur¨. Car être un c’est être principe, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

907. La première partie se divise en deux. Dans la première il distingue les noms qui signifient les premières parties de l’un et de son opposé, à savoir du multiple [445]. Dans la deuxième il distingue les noms qui signifient des parties secondaires, là [451] où il dit : ¨On appelle opposés¨.

   Mais les parties de l’un sont le même ou l’identique, qui est l’un dans la substance; le semblable, qui est l’un dans la qualité; et l’égal, qui est l’un dans la quantité. Et au contraire  les parties du multiple sont l’autre ou le divers, le dissemblable et l’inégal.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue ce nom, le même, ainsi que ceux qui lui sont opposés [445]. En deuxième lieu il distingue ce nom, le semblable, ainsi que le dissemblable qui lui est opposé, là [449] où il dit : ¨ On appelle semblables ¨. Mais il ne fait pas mention ici de l’égal et de son opposé car en eux le multiple n’est pas aussi manifeste.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il distingue ce nom, à savoir le même [445]. En deuxième lieu il distingue ce nom, à savoir l’autre, là [447] où il dit : ¨ D’un autre côté on appelle autres ¨. En troisième lieu ce nom, le différent, là [448] où il dit : ¨ D’un autre côté on appelle différentes ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les modes accidentels du même [445]. En deuxième lieu il présente les modes essentiels du même, là [446] où il dit : ¨ Mais autre est le même par soi ¨.

908. Il dit donc [445] que le même par accident se dit de trois manières. Premièrement comme deux accidents, tout comme on dit du blanc et du musicien qu’ils sont identiques parce qu’ils se rencontrent dans un même sujet. Deuxièmement, quand on dit du prédicat qu’il est identique au sujet dans la mesure où il lui est attribué, comme lorsque nous disons que l’homme est musicien, dont on dit qu’ils sont identiques, parce que ¨ c’est à l’homme que musicien ¨ arrive, c’est-à-dire que c’est au sujet que le prédicat est attribué. Troisièmement on est en présence du même par accident quand on dit du sujet qu’il est identique à l’accident comme  lui étant attribué, comme lorsque nous disons que le musicien est homme, on signifie que l’homme est identique au musicien. En effet, ce qui est attribué à quelque chose, est signifié comme étant identique à ce à quoi  il est attribué. Et la raison de cette identité, c’est que le sujet est attribué au prédicat.

909. Mais en dehors de ces modes du même par accident, dans lesquels on tire un accident par soi et un sujet par soi, il y a d’autres modes dans lesquels se prend un accident qui est composé avec un sujet. Et cela peut varier de deux manières, dont la première est signifiée quand l’accident est simplement attribué au composé de l’accident et du sujet. Et alors on signifie cela, à savoir que l’accident est identique aux deux pris simultanément, tout comme le musicien est le même, ou identique à l’homme musicien. La deuxième est signifiée quand le prédicat composé est attribué à un sujet simple, comme lorsque nous disons que l’homme est l’homme musicien. Alors en effet c’est ¨ à celui-là ¨, c’est-à-dire au sujet simple qu’est signifié être identique chacun des deux pris simultanément, à savoir ce qu’on appelle l’homme musicien dans le prédicat. Et on est dans un cas semblable lorsque c’est l’accident qui est pris simplement et que le sujet est un composé, comme lorsque nous disons que le musicien est l’homme musicien ou inversement parce qu’à l’homme musicien qui est un composé on dit que sont identiques par accident et l’homme et le musicien, quand les deux sont attribués à ce même composé, ou inversement.

910. Et à partir de là il infère par la suite sa conclusion, à savoir que dans tous les modes d’attribution qui précèdent et dans lesquels le même par accident est attribué, aucun nom n’est attribué universellement. En effet il n’est pas vrai de dire que tout homme soit identique au musicien. Ce qui est évident de la manière suivante. En effet, seuls s’attribuent universellement aux universels les termes qui s’y rencontrent essentiellement. C’est pour cette raison en effet que le mode d’attribution, qui est une attribution universelle, s’accorde avec la condition du sujet, qui est universel, parce que le prédicat s’attribue par soi ou essentiellement au sujet. Mais les accidents ne s’attribuent pas par soi au sujet en tant qu’universel, mais seulement en tant que singulier. Et c’est pourquoi ils ne s’attribuent pas universellement aux universels. Mais ils s’attribuent absolument aux singuliers car on voit que Socrate et Socrate musicien sont identiques par le sujet. Les accidents ne peuvent cependant pas être attribués universellement aux singuliers car rien ne peut être attribué universellement à ce qui de soi n’est pas universel. Mais Socrate n’est pas universel car il ne peut se retrouver dans plusieurs. Et c’est pourquoi rien ne peut être attribué universellement à Socrate en disant tout Socrate comme on dit tout homme. C’est donc de cette manière qu’on appelle identiques les choses dont nous avons parlé, à savoir identiques par accident.

911. Ensuite lorsqu’il dit [446] : ¨ D’un autre côté, autres ¨.

   Il présente les modes du même par soi et il dit que le même par soi se dit selon les mêmes modes que l’un par soi. En effet tous les modes par lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont une par soi se ramènent à deux modes, dont le premier est celui selon lequel on dit de certaines choses qu’elles sont une parce que leur matière est une, que nous entendions cette matière d’après l’espèce ou d’après le nombre. Et c’est à ces deux acceptions que correspondent les deuxième et troisième modes de l’un. Le deuxième est celui selon lequel on dit de certaines choses qu’elles sont une parce que leur substance est une, que ce soit sous le rapport de leur continuité, ce qui correspond au premier mode de l’un, ou sous le rapport de l’unité et de l’indivisibilité de la notion, ce qui correspond aux quatrième et cinquième modes de l’un. Et c’est pourquoi c’est d’après ces mêmes modes qu’on dit de certaines choses qu’elles sont identiques par soi.

912. Et à partir de là il conclut par la suite que l’identité est une unité ou une union, soit du fait que ce qu’on appelle le même est multiple selon l’existence mais on l’appelle néanmoins le même parce qu’il se rencontre dans quelque chose d’un. Soit parce qu’il est un selon l’existence mais que l’intelligence le considère comme multiple pour y saisir une relation. Car on ne peut voir une relation qu’entre deux extrêmes, comme lorsqu’on dit qu’une chose est identique à elle-même. Alors en effet l’intelligence se sert de ce qui est un selon la chose comme s’il s’agissait là de deux choses. Autrement on ne pourrait désigner la relation du même au même. D’où il est manifeste que si la relation requiert toujours deux extrêmes et que dans ces relations les deux extrêmes n’existent pas selon la chose mais selon l’intelligence seulement, la relation d’identité ne sera pas une relation réelle, mais une relation de raison seulement; ce qui est le cas pour l’identité absolue. Mais il en est autrement quand on dit de deux choses qu’elles sont identiques selon le genre ou selon l’espèce. Si en effet la relation d’identité était comme une réalité extérieure à ce qui est dit identique, cette réalité aussi, qui est une relation, puisqu’elle serait identique à elle-même, aurait pour la même raison une autre relation, qui serait identique à elle-même, et on irait ainsi à l’infini. Il n’est cependant pas possible qu’on procède à l’infini dans les choses. Mais pour ce qui existe selon l’intelligence, rien ne l’empêche. Car puisque l’intelligence réfléchit sur son acte, elle comprend qu’elle comprend. Et cela même elle peut encore le comprendre et ainsi à l’infini.

 

 

LECTIO 12

[82478] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 1Hic ostendit quot modis dicitur diversum; et dicit, quod diversa dicuntur aliqua tripliciter. Dicuntur enim aliqua diversa specie, quorum species sunt plures, sicut asinus et bos. Quaedam vero dicuntur diversa numero, quia differunt secundum materiam, sicut duo individua unius speciei. Quaedam vero dicuntur diversa secundum rationem substantiae, idest definitionem declarantem substantiam rei. Contingit enim quaedam esse idem numero, scilicet subiecti, sed diversa ratione, sicut Socrates et hoc album.

[82479] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 2Et quia plures modi diversitatis accipi possunt, sicut quod dicatur diversum genere et diversum propter continui divisionem, ideo subiungit, quod diversum dicitur oppositum totaliter ad idem. Cuilibet enim modo eius, quod est idem, opponitur aliquis modus eius quod est diversum. Et propter hoc, quot modis dicitur idem, tot modis diversum.

[82480] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 3Et tamen alii modi unius, vel eius quod est idem, possunt reduci ad istos hic tactos. Diversitas enim generis includitur in diversitate speciei. Diversitas vero continuitatis in diversitate materiae, eo quod partes quantitatis se habent per modum materiae ad totum.

[82481] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 4Deinde cum dicit differentia vero hic distinguit quot modis dicitur hoc nomen differens. Assignat autem duos modos: quorum primus est, quod aliquid proprie dicitur differens secundum quod aliqua duo quae sunt aliquid idem entia, idest in aliquo uno convenientia, sunt diversa: sive conveniant in aliquo uno secundum numerum, sicut Socrates sedens a Socrate non sedente: sive conveniant in aliquo uno specie, sicut Socrates et Plato in homine: sive in aliquo uno genere, sicut homo et asinus in animali: sive in aliquo uno secundum proportionem, sicut quantitas et qualitas in ente. Ex quo patet, quod differens omne est diversum, sed non convertitur. Nam illa diversa, quae in nullo conveniunt, non possunt proprie dici differentia, quia non differunt aliquo alio, sed seipsis. Differens autem dicitur, quod aliquo alio differt. Secundus modus est prout differens communiter sumitur pro diverso; et sic differentia dicuntur etiam illa, quae habent diversum genus, et in nullo communicant.

[82482] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 5Deinde docet quibus conveniat esse differens secundum primum modum qui est proprius. Cum enim oporteat ea, quae proprie dicuntur differentia, in uno aliquo convenire; ea vero, quae conveniunt in specie, non distinguuntur nisi per accidentales differentias, ut Socrates albus vel iustus, Plato niger vel musicus; quae vero conveniunt in genere et sunt diversa secundum speciem, differunt differentiis substantialibus: illa propriissime dicuntur differentia, quae sunt eadem genere et diversa secundum speciem. Omne autem genus dividitur in contrarias differentias; non autem omne genus dividitur in contrarias species. Coloris enim species sunt contrariae, scilicet album, nigrum: et differentiae etiam, scilicet congregativum et disgregativum. Animalis autem differentiae quidem sunt contrariae, scilicet rationale et irrationale sed species animalis, ut homo et equus etc. non sunt contrariae. Illa igitur, quae propriissime dicuntur differentia, sunt quae vel sunt species contrariae, sicut album et nigrum: vel sunt species unius generis non contrariae, sed habentia contrarietatem in substantia ratione contrarii differentiarum quae sunt de substantia specierum.

[82483] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 6Deinde cum dicit similia dicuntur ostendit quot modis dicitur simile. Circa hoc autem duo facit. Nam primo assignat quot modis dicitur simile. Secundo quot modis dicitur dissimile, ibi, opposita vero. Circa primum duo facit. Primo ostendit quot modis dicitur simile. Secundo quomodo dicatur aliquid maxime simile, ibi, et secundum quae alterari. Ponit autem tres modos similitudinis. Constat enim quod unum in qualitate facit simile. Passio autem est affinis qualitati, eo quod praecipue passio in mutatione qualitatis, quae est alteratio, attenditur. Unde et quaedam species qualitatis est passio et passibilis qualitas. Et propter hoc similitudo non solum attenditur secundum convenientiam in qualitate, sed secundum convenientiam in passione. Quod quidem potest esse dupliciter. Aut ex parte passionis, aut ex parte eius ad quod passio terminatur.

[82484] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 7Sic igitur tripliciter aliqua sunt similia. Uno modo, quia patiuntur idem, sicut duo ligna, quae comburuntur, possunt dici similia. Alio modo ex hoc solo, quod patiuntur aliqua plura, similia dicuntur, sive patiuntur idem, sive diversa: sicut duo homines, quorum unus fustigatur, et alter incarceratur, dicuntur similes in patiendo. Tertio modo dicuntur similia quorum una est qualitas; sicut duo albi, et duo sidera in caelo habentia similem splendorem aut virtutem.

[82485] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 8Deinde cum dicit et secundum ostendit unde aliquid maxime dicatur simile. Quando enim sunt plures contrarietates, secundum quas attenditur alteratio, illud, quod secundum plures illarum contrarietatum est alicui simile, dicitur magis proprie simile. Sicut allium, quod est calidum et siccum, dicitur magis proprie simile igni, quam saccharum, quod est calidum et humidum. Et idem est inter duo quorum utrumque est simile alicui tertio secundum unam qualitatem tantum: illud quod est simile secundum qualitatem magis sibi propriam, magis proprie dicitur simile ei: sicut aer magis proprie similis est igni, quam terra. Aer enim assimilatur igni in calore, quae est qualitas sibi propria, magis quam siccitas in qua assimilatur sibi terra.

[82486] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 9Consequenter dicit, quod dissimilia dicuntur per oppositum ad similia.

[82487] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 10Deinde cum dicit opposita dicuntur hic distinguit secundarias partes pluralitatis, quae scilicet continentur sub differenti et diverso, quae sunt partes primae: et circa hoc tria facit. Primo ostendit quot modis dicuntur opposita. Secundo quot modis dicuntur contraria, ibi, contraria dicuntur. Tertio quot modis dicuntur diversa specie, ibi, diversa vero specie. Circa primum duo facit. Primo enim dicit quot modis dicuntur opposita; quia quatuor modis; scilicet contradictoria, contraria, privatio et habitus, et ad aliquid. Aliquid enim contraponitur alteri vel opponitur aut ratione dependentiae, qua dependet ab ipso, et sic sunt opposita relative. Aut ratione remotionis, quia scilicet unum removet alterum. Quod quidem contingit tripliciter. Aut enim totaliter removet nihil relinquens, et sic est negatio. Aut relinquit subiectum solum, et sic est privatio. Aut relinquit subiectum et genus, et sic est contrarium. Nam contraria non sunt solum in eodem subiecto, sed etiam in eodem genere.

[82488] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 11Secundo ibi et ex quibus ponit duos modos, secundum quos potest cognosci, quod aliqua sunt opposita: quorum primus est per comparationem ad motum. Nam in quolibet motu vel mutatione, terminus a quo, opponitur termino ad quem. Et ideo ex quibus est motus, et in quae est motus, sunt opposita, ut patet in generationibus. Nam generatio albi est ex non albo, et ignis ex non igne.

[82489] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 12Secundo modo per comparationem ad subiectum. Nam illa, quae non possunt inesse simul eidem susceptibili, oportet quod adinvicem opponantur, vel ipsa, vel ea in quibus sunt. Non enim potest idem corpus simul esse album et nigrum, quae sunt contraria. Homo vero et asinus non possunt de eodem dici, quia habent in suis rationibus differentias oppositas, scilicet rationale et irrationale. Et similiter pallidum et album; quia pallidum componitur ex nigro, quod est oppositum albo. Et notandum, quod signanter dicit, eidem susceptibili: quia quaedam non possunt alicui eidem subiecto simul inesse, non propter oppositionem quam habeant adinvicem, sed quia subiectum non est susceptibile utriusque; sicut albedo et musica non possunt simul inesse asino, possunt autem simul inesse homini.

[82490] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 13Deinde cum dicit contraria dicuntur hic ostendit quot modis contraria dicuntur: et circa hoc tria facit. Quorum primum est, quod assignat modos, quibus aliqua principaliter dicuntur contraria: inter quos ponit unum primum improprium: scilicet quod aliqua dicuntur contraria, quae non possunt simul adesse eidem, licet differant secundum genus: proprie enim contraria sunt quae sunt unius generis: sicut si diceretur, quod gravitas et motus circularis non sunt in eodem subiecto.

[82491] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 14Alium modum ponit proprium secundum quod contraria dicuntur in aliquo convenientia. Conveniunt enim contraria in tribus: scilicet in eodem genere, et in eodem subiecto, et in eadem potestate. Et ideo notificat secundum ista tria, illa quae sunt vere contraria; dicens, quod illa, quae plurimum differunt eorum quae sunt in eodem genere, dicuntur contraria, sicut album et nigrum in genere coloris. Et iterum illa, quae plurimum differunt in eodem susceptibili existentia, sicut sanum et aegrum in animali. Et iterum, quae plurimum differunt in eadem potestate contenta, sicut congruum et incongruum in grammatica. Potestates enim rationabiles ad opposita sunt. Dicit autem plurimum ad differentiam mediorum inter contraria, quae etiam conveniunt in eodem genere, subiecto et potestate, non tamen sunt plurimum differentia.

[82492] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 15Unde subiungit universalem rationem, secundum quam aliqua dicuntur contraria; quia scilicet eorum differentia est maxima, vel simpliciter, vel in eodem genere, vel in eadem specie. Simpliciter quidem, sicut in motu locali extrema sunt maxime distantia, sicut punctus orientis et occidentis, quae sunt extrema diametri totius orbis. In eodem genere, sicut specificae differentiae, quae dividunt genus. In eadem specie, sicut accidentales differentiae contrariae per quae differunt individua eiusdem speciei.

[82493] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 16Secundum ponit ibi, alia vero et ostendit qualiter aliqua secundario modo dicuntur contraria, propter hoc quod habent habitudinem ad ea quae principaliter sunt contraria; scilicet quia vel habent contraria in actu, sicut ignis et aqua dicuntur contraria, quia alterum est calidum et alterum frigidum; vel quia sunt susceptibilia contrariorum in potentia, sicut sanativum et aegrotativum. Vel quia sunt activa vel passiva contrariorum in potentia, ut calefactivum et infrigidativum, calefactibile et infrigidabile. Vel quia sunt contrariorum agentia et patientia in actu, sicut calefaciens et infrigidans, calefactum et infrigidatum. Vel quia sunt expulsiones, sive abiectiones, sive acceptiones contrariorum, vel etiam habitus aut privationes eorum. Nam privatio albi opposita est privationi nigri, sicut habitus habitui.

[82494] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 17Patet ergo quod tangit triplicem habitudinem circa contraria. Una quae est subiecti in actu, vel in potentia. Alia quae est activi et passivi in actu et potentia. Tertia quae est generationis et corruptionis, vel secundum se, vel quantum ad eorum terminos, qui sunt habitus et privatio.

[82495] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 18Tertium ponit ibi sed quoniam et ostendit qua de causa praedicta dicuntur multipliciter. Quia enim unum et ens dicuntur multipliciter, oportet quod ea quae dicuntur secundum ea, multipliciter dicantur; sicut idem et diversum, quae consequuntur unum et multa, et contrarium, quod sub diverso continetur. Et ita oportet, quod diversum dividatur secundum decem praedicamenta, sicut ens et unum.

[82496] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 19Diversa vero hic ostendit quot modis dicantur aliqua diversa specie: et ponit quinque modos: quorum primus est, quando aliqua sunt in eodem genere, et non sunt subalterna, sicut scientia et albedo sub qualitate, licet non contra se dividantur oppositis differentiis.

[82497] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 20Secundus est, quando sunt ea in eodem genere, et dividuntur contra invicem per aliquam differentiam; sive differentiae sint contrariae, sive non, ut bipes et quadrupes.

[82498] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 21Tertius modus est, quando sua subiecta habent contrarietatem, utpote quae dividuntur per differentias contrarias; sive ipsa sint contraria, ut album et nigrum, quae dividuntur per congregativum et disgregativum; sive non, ut homo et asinus, quae dividuntur per rationale et irrationale. Contraria enim oportet esse diversa specie, vel omnia, vel illa quae principaliter dicuntur esse contraria.

[82499] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 22Quartus modus est, quando sunt diversae species ultimae, eaedemque specialissimae in aliquo genere, ut homo et equus. Magis enim proprie dicuntur specie differre, quae solum specie differunt, quam quae specie et genere.

[82500] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 12 n. 23Quintus modus est, quando aliqua accidentia sunt in eodem subiecto, et tamen differunt adinvicem, eo quod impossibile est plura accidentia unius speciei in eodem subiecto esse. Eadem vero specie dicuntur per oppositum ad praedicta.

LEÇON 12.

(nn. 913-935; [447-456]).

 

Il explique les modes de l’autre, du différent, du semblable et de leurs opposés, ainsi que de l’autre selon l’espèce.

 

913. Le Philosophe montre de combien de manières se dit l’Autre [447]; et il dit que c’est de trois manières qu’on dit de certaines choses qu’elles sont autres. On dit de certaines choses en effet qu’elles sont autres par l’espèce parce que leurs espèces sont multiples, comme l’âne et le bœuf. Mais on dit d’autres choses qu’elles sont autres par le nombre, parce qu’elles diffèrent selon la matière, comme deux individus d’une même espèce. On dit d’autres choses enfin qu’elles sont autres selon ¨ la raison de substance ¨, c’est-à-dire selon la définition qui signifie la substance de la chose. Il arrive en effet que certaines choses soient identiques par le nombre, c’est-à-dire par le sujet, mais soient autres par la raison, comme Socrate et ce blanc.

914. Et parce que l’Autre peut être entendu de plusieurs manières, comme lorsqu’on parle de l’autre selon le genre et de l’autre selon la division du continu, c’est pourquoi Aristote ajoute qu’on appelle autre ce qui s’oppose totalement au même ou à l’identique. En effet, à tout mode du même s’oppose un mode correspondant de l’autre. Et c’est pour cette raison qu’il y a autant de modes de l’autre qu’il y a de modes du même.

915. Et cependant les autres modes de l’un ou de ce qui est le même peuvent se ramener à ceux mentionnés ici. En effet l’autre selon le genre est compris dans l’autre selon l’espèce, et l’autre selon la continuité  est compris dans l’autre selon la matière du fait que les parties de la quantité se rapportent au tout à la manière d’une matière.

916. Ensuite lorsqu’il dit [448] : ¨ D’un autre côté la différence ¨.

   Il distingue ici de combien de manières se dit le ¨Différent¨. Et il assigne deux modes, dont le premier est celui selon lequel on appelle à proprement parler différents ¨deux êtres qui ont quelque chose d’identique¨, c’est-à-dire qui se ressemblent sous un certain rapport tout en restant autres. Soit qu’ils se rencontrent dans quelque chose qui est un selon le nombre, comme Socrate assis et Socrate non-assis; soit qu’ils se rencontrent dans quelque chose qui est un par l’espèce, comme Socrate et Platon se rencontrent dans l’humanité; soit qu’ils se rencontrent dans un même genre, comme l’homme et l’âne se rencontrent dans l’animalité; soit ils se rencontrent enfin dans quelque chose qui est un selon l’analogie, comme la quantité et la qualité se rencontrent dans l’être. Il est manifeste à partir de là que tout ce qui est différent est autre, mais que tout ce qui est autre n’est pas nécessairement différent. Car ces choses qui sont autres ou diverses et qui n’ont rien en commun, on ne peut à proprement parler les appeler différentes parce qu’elles ne diffèrent pas par quelque chose d’autre mais par elles-mêmes. Mais on appelle différent ce qui diffère par quelque chose d’autre. Le deuxième mode est celui selon lequel le différent se prend communément de la même manière que l’autre. Et ainsi on appelle différentes même les choses qui ont des genres différents et qui n’ont rien en commun.

917. Ensuite il montre à quoi il appartient d’être différent selon le premier mode qui est le mode propre de la différence. En effet, puisqu’il faut que les choses qu’on appelle à proprement parler différentes partagent quelque chose en commun, et que celles d’un autre côté qui ont l’espèce en commun ne diffèrent que par des différences accidentelles, comme Socrate blanc ou Socrate juste, Platon noir ou Platon musicien; et que par ailleurs celles qui ont le genre en commun et qui dont l’espèce est autre diffèrent par des différences substantielles, il suit de là que ce sont ces choses-là qu’on appelle le plus proprement différentes, à savoir celles qui ont le même genre et qui sont autres selon l’espèce. Mais si tout genre se divise en différences contraires, ce n’est pas tout genre qui se divise en espèces contraires. En effet, les espèces de la couleur sont contraires, comme le blanc et le noir; mais ses différences aussi le sont, à savoir la concentration et la dispersion. Mais d’un autre côté si les différences de l’animal sont certes contraires, à savoir le rationnel et l’irrationnel, ses espèces au contraire, comme l’homme et le cheval, ne le sont pas. Donc, les choses qu’on appelle le plus proprement différentes sont ou bien celles dont les espèces sont contraires, comme le blanc et le noir, ou bien celles dont les espèces contenues dans le même genre ne sont pas contraires, mais qui possèdent dans leur substance une contrariété en raison de la contrariété des différences qui sont constitutives de la substance de ces espèces.

918. Ensuite lorsqu’il dit [449] : ¨ On appelle semblables ¨.

   Il montre de combien de manières se dit le semblable.

   Et à ce sujet il fait deux choses. Car en premier lieu il identifie les modes selon lesquels se dit le semblable [449]. En deuxième lieu il montre de combien de manières se dit le dissemblable, là [451] où il dit : ¨ D’un autre côté on appelle opposés ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre de combien de manières se dit le semblable [449]. En deuxième lieu il montre de quelle manière on dit d’une chose qu’elle est la plus semblable, là [450] où il dit : ¨ Et selon lesquels peuvent être altérées ¨.

   Mais il présente trois modes de similitude [449]. Il est évident en effet que l’un dans la qualité rend semblable. Mais la passion participe de la qualité du fait que la passion s’entend surtout d’un changement dans la qualité qu’on appelle altération. De là la passion et la qualité passible est une espèce de la qualité. Et c’est pour cette raison que la similitude ne s’entend pas seulement d’après une appartenance à une même qualité qualité, mais selon une appartenance à une passion commune. Et cela peut se produire de deux manières : soit du côté de la passion elle-même, soit du côté de ce à quoi la passion se termine.

919. Donc, c’est ainsi que c’est de trois manières qu’on dit de certaines choses qu’elles sont semblables. Premièrement parce qu’elles subissent la même chose, comme deux pièces de bois qui brûlent, peuvent être appelées semblables. Deuxièmement on appelle semblables plusieurs êtres du seul fait qu’ils subissent quelque chose, peu importe qu’ils subissent la même chose ou des choses différentes, tout comme on appelle semblables dans la passion deux hommes dont l’un est frappé et l’autre incarcéré. Troisièmement on appelle semblables les choses qui ont en commun une même qualité, comme deux choses qui sont blanches ou deux étoiles dans le ciel qui possèdent un même éclat et une même puissance.

920. Ensuite lorsqu’il dit [450] : ¨ Et selon ¨.

   Il montre à partir de quoi on dit d’une chose qu’elle est la plus semblable à une autre. Quand en effet il y a plusieurs contrariétés selon lesquelles s’entend l’altération qu’une chose peut subir, on appelle alors plus proprement semblable à une autre celle-là même qui est semblable à une autre selon plusieurs de ces contrariétés. Tout comme on dit de l’ail, qui est chaud et sec, qu’il est plus proprement semblable au feu que le sucre qui est chaud et humide. Et il en est de même pour deux choses qui sont semblables à une même troisième d’après une seule qualité : celle qui lui sera semblable d’après une qualité qui lui est davantage propre, on dira d’elle qu’elle lui est plus proprement semblable, tout comme on dit de l’air qu’il est plus proprement semblable au feu que la terre. Ainsi l’air est plus proprement semblable au feu que la terre, car c’est sous le rapport de la chaleur que l’air ressemble au feu, laquelle chaleur est une qualité qui est plus propre au feu que la sécheresse par laquelle la terre lui ressemble.

921. Il dit par conséquent que le dissemblable se dit par opposition au semblable.

922. Ensuite lorsqu’il dit [451] : ¨ L’opposé se dit ¨.

   Il distingue ici les parties secondaires du multiple, c’est-à-dire celles qui sont contenues dans le différent et dans l’autre qui en sont les parties premières; et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il dit en combien de sens se dit l’opposé. En deuxième lieu il montre en combien de sens se dit le contraire, là [453] où il dit : ¨ On appelle contraires ¨. En troisième lieu il montre en combien de sens on dit de certaines choses qu’elles sont autres par l’espèce, là [456] où il dit : ¨ D’un autre côté on appelle autres par l’espèce ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il dit en combien de sens se dit l’opposé [451]; car il se trouve qu’il y en a quatre, à savoir les contradictoires, les contraires, la privation et la possession, et la relation. En effet une chose s’oppose à une autre ou bien selon le rapport de la dépendance par lequel elle dépend d’elle et ainsi on a affaire aux opposés selon la relation; ou bien sous le rapport de la suppression, c’est-à-dire dans la mesure où l’un des opposés écarte l’autre, ce qui peut certes se produire de trois manières : soit en effet l’autre se trouve à être totalement écarté sans qu’il en reste rien, et il s’agit alors de la négation; soit il n’y a que le sujet qui demeure et ainsi on se trouve face à la privation; soit à la fois le sujet et le genre demeurent et il s’agit alors de la contrariété. Car les contraires ne sont pas seulement dans un même sujet, mais aussi dans un même genre.

923. En deuxième lieu, là [452] où il dit : ¨ Et à partir desquels ¨.

   Il présente deux manières d’après lesquelles on peut connaître qu’on se trouve face à des opposés, dont la première est par mode de comparaison au mouvement. Car dans tout mouvement ou dans tout changement, le terme du départ s’oppose à celui de l’arrivée. Et c’est pourquoi, ainsi qu’on le voit dans les générations, le point de départ d’où procède le mouvement s’oppose au point d’arrivée vers lequel il se dirige. Car la génération du blanc procède du non-blanc et celle du feu procède du non-feu.

924. La deuxième manière se fait par rapport au sujet. Car les choses qui ne peuvent coexister simultanément dans un même sujet apte à les recevoir, il faut, ou bien qu’elles s’opposent entre elles en elles-même, ou bien que les choses dans lesquelles elles se trouvent s’opposent entre elles. En effet, le même corps ne peut être à la fois blanc et noir, lesquels attributs sont des contraires. D’un autre côté, l’homme et l’âne ne peuvent se dire du même être puisqu’il y a dans leurs définitions des différences qui sont opposées, à savoir le rationnel et l’irrationnel. Et il en est de même pour le gris et le blanc car le gris est composé aussi du noir qui est opposé au blanc. Et il faut noter qu’Aristote dit expressément ¨au même sujet apte à les recevoir¨, car certaines choses ne peuvent se trouver simultanément dans un même sujet, non en raison d’une opposition qui se trouverait entre elles, mais parce qu’il n’y a pas dans le sujet une aptitude à recevoir les deux simultanément, tout comme la blancheur et la musique ne peuvent exister simultanément dans l’âne, mais elles peuvent exister simultanément dans l’homme.

925. Ensuite lorsqu’il dit [453] : ¨ On appelle contraires ¨.

   Il montre ici de combien de manières se dit le contraire : et à ce sujet il fait trois choses. Dont la première est qu’il assigne les modes ou les sens par lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont contraires en un sens premier; et parmi ces modes il en présente un premier qui est impropre, à savoir qu’on appelle certaines choses contraires parce qu’elles ne peuvent exister simultanément dans un même sujet, bien qu’elles diffèrent selon le genre : comme si on disait que la gravité et le mouvement circulaire ne sont pas dans un même sujet; en effet, on appelle contraires au sens propre les choses qui appartiennent à un même genre.

926. Il présente l’autre mode, celui qui est propre, à savoir celui selon lequel on appelle contraires les choses qui ont un point en commun. Les contraires en effet ont trois choses en commun : ils sont dans un même genre, dans un même sujet et dans une même puissance. Et c’est pourquoi il fait connaître par ces trois caractéristiques ce qui est véritablement contraire en disant qu’on appelle contraire ce qui est le plus éloigné parmi ce qui se trouve dans le même genre, comme le blanc et le noir dans le genre de la couleur. Et il dit qu’on appelle encore contraire ce qui diffère le plus parmi ce qui existe dans un même sujet, comme la santé et la maladie dans l’animal. Et aussi ce qui diffère le plus à l’intérieur d’une même puissance, comme ce qui est correct et ce qui est incorrect en grammaire. Les puissances rationnelles en effet sont aptes aux opposés. Mais il dit ¨le plus¨ à la différence des intermédiaires entre les contraires qui eux aussi ont en commun à la fois le genre, le sujet et la puissance, mais ne diffèrent pas le plus entre eux.

927. De là il ajoute une définition universelle d’après laquelle on dit de certaines choses qu’elles sont contraires. C’est-à-dire qu’elles sont contraires parce que la différence entre elles est maximale, ou bien d’une manière absolue, ou bien dans un même genre, ou bien dans une même espèce. D’une manière absolue certes, comme dans le mouvement local les extrêmes sont les points les plus éloignés les uns des autres, comme le point de l’orient et celui de l’occident sont les points extrêmes du diamètre de toute l’orbite céleste. Dans un même genre, comme les différences spécifiques qui divisent le genre. Dans une même espèce, comme les différences accidentelles contraires au moyen desquelles se distinguent les individus d’une même espèce.

928. Il présente la deuxième chose qu’il fait, là [454] où il dit : ¨ D’un autre côté les autres ¨.

   Et il montre de quelle manière on dit de certaines choses qu’elles sont contraires d’après un mode secondaire pour cette raison qu’elles ont rapport avec celles qui sont contraires selon un mode qui est premier; à savoir, soit qu’elles possèdent les contraires en acte, comme on dit du feu et de l’eau qu’ils sont des contraires parce que l’un est chaud alors que l’autre est froid; soit parce qu’ils sont susceptibles des contraires en puissance, comme ce qui peut guérir ou rendre malade; soit parce qu’ils peuvent produire ou subir les contraires en puissance, comme ce qui peut réchauffer ou refroidir, ou ce qui peut être réchauffé ou refroidi; soit encore parce qu’ils produisent ou subissent en acte les contraires, comme ce qui réchauffe ou refroidit, ce qui est réchauffé et ce qui est refroidi; soit enfin parce qu’ils sont des suppressions ou rejets, ou des acquisitions des contraires, ou encore des possessions ou des privations des contraires. Car la privation du blanc est opposée à la privation du noir, comme une possession peut s’opposer à une autre possession.

929. Il est donc évident qu’il touche ici à un triple rapport au sujet des contraires. Le premier qui se rapporte au sujet en acte ou en puissance. Le deuxième qui se rapporte à l’actif et au passif en acte et en puissance. Le troisième qui se rapporte à la génération et à la corruption, soit en elles-mêmes, soit quant à leurs termes qui sont la possession et la privation.

930. Troisièmement, là [454] où il dit : ¨ Mais puisque ¨.

   Et il dit pour quelle raison énoncée précédemment tous ces noms se disent de plusieurs manières. En effet, c’est parce que l’un et l’être se disent de plusieurs manières qu’il faut que ce qu’on dit d’après ces notions se dise aussi de plusieurs manières, comme le même et l’autre, qui découlent de l’un et du multiple, et le contraire qui est contenu sous l’autre ou le divers. Et il faut ainsi que l’autre se divise selon les dix prédicaments, tout comme l’être et l’un.

931. Et ensuite lorsqu’il dit [456] : ¨ D’un autre côté, l’autre ¨.

   Il montre ici de combien de manières se dit l’autre selon l’espèce : et il présente cinq modes, dont le premier apparaît quand les choses, tout en étant dans le même genre, ne sont pas subordonnées les unes aux autres, comme la science et la blancheur qui sont contenues dans la qualité, bien qu’elles ne se divisent pas entre elles par des différences opposées.

932. On retrouve le deuxième sens quand les choses sont contenues dans le même genre et qu’elles se divisent entre elles par une différence, que les différences soient contraires ou non, comme bipède et quadrupède.

933. Le troisième sens se présente quand les choses ont des sujets qui possèdent une contrariété, comme ceux qui sont divisés par des différences contraires, soit que ces sujets eux-mêmes soient contraires, comme le blanc et le noir qui se divisent par la concentration et la dispersion; soit qu’ils ne le soient pas, comme l’homme et l’âne, qui se distinguent par le rationnel et l’irrationnel. Il faut en effet que les contraires soient autres par l’espèce, et il faut qu’ils le soient tous, ou du moins ceux qui sont les principaux d’entre eux.

934. Dans un quatrième mode, sont aussi autres selon l’espèce les choses dont les définitions diffèrent dans les dernières espèces contenues dans le même genre, comme c’est le cas pour l’homme et le cheval. En effet, on appelle plus proprement autres par l’espèce les choses qui diffèrent uniquement par l’espèce que celles qui diffèrent à la fois par l’espèce et le genre.

935. Le cinquième mode est celui qu’on observe quand certains accidents sont dans un même sujet, et qu’ils diffèrent cependant entre eux, du fait qu’il est impossible à plusieurs accidents d’une même espèce d’être dans un même sujet. D’un autre côté le même par l’espèce se dit par opposition à ce qui précède.

 

 

LECTIO 13

[82501] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 1Postquam distinxit nomina, quae significant partes unius, hic distinguit nomina significantia ordinem, scilicet prius et posterius. Unum enim quemdam ordinem importat, eo quod uni esse est principium esse, ut supra dictum est. Et circa hoc duo facit. Primo assignat rationem communem prioris et posterioris. Secundo distinguit diversos modos prioris et posterioris secundum communem rationem, ibi, ut hoc quidem secundum locum. Dicit ergo primo, quod significatio prioris dependet a significatione principii. Nam principium in unoquoque genere est id, quod est primum in genere. Prius autem dicitur, quod est propinquius alicui determinato principio. Huiusmodi autem ordo principii, et eius, quod est principio propinquum, potest attendi multipliciter. Aut enim aliquid est principium et primum simpliciter et secundum naturam, sicut pater est principium filii. Aut est principium ad aliquid, idest per ordinem ad aliquid extrinsecum; sicut dicitur id, quod est secundum se posterius, esse prius quantum ad aliquid; vel quantum ad cognitionem, vel perfectionem, vel dignitatem, vel aliquo tali modo. Vel etiam dicitur aliquid esse principium et prius quantum ad ubi. Aut etiam aliquibus aliis modis.

[82502] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 2Deinde cum dicit ut hoc distinguit modos diversos, quibus dicitur aliquid prius et posterius. Et quia prius et posterius dicuntur in ordinem ad principium aliquod, principium autem est, ut supra dictum est, quod est primum in esse, aut in fieri, aut in cognitione: ideo pars ista dividitur in partes tres. In prima dicit quomodo dicitur aliquid esse prius secundum motum et quantitatem; nam ordo in motu, sequitur ordinem in quantitate. Per prius enim et posterius in magnitudine, est prius et posterius in motu, ut dicitur in quarto physicorum. Secundo ostendit, quomodo aliquid dicitur prius altero in cognitione, ibi, alio vero modo. Tertio, quomodo dicitur aliquid altero prius in essendo, idest secundum naturam, ibi, alia vero secundum naturam. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo aliquid sit prius et posterius secundum quantitatem in rebus continuis. Secundo, quomodo in rebus discretis, ibi, alia secundum ordinem.

[82503] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 3Et circa primum ponit tres modos. Primus modus attenditur secundum ordinem in loco: sicut aliquid dicitur esse prius secundum locum in hoc, quod est propinquius alicui loco determinato; sive ille locus determinatus accipiatur ut medium in aliqua magnitudine, sive ut extremum. Potest enim in ordine locali accipi ut principium, centrum mundi, ad quod feruntur gravia: ut sic ordinemus elementa, dicentes terram esse primum, aquam secundum et cetera. Et potest etiam accipi ut principium etiam ipsum caelum, ut si dicamus ignem esse primum, aerem secundum, et sic deinceps.

[82504] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 4Propinquitas autem ad principium in loco, quidquid sit illud, potest esse dupliciter. Uno modo secundum ordinem naturalem: sicut aqua propinquior est medio naturaliter quam aer, aer vero propinquior extremo, scilicet caelo. Alio modo sicut evenit, idest secundum quod ordinantur aliqua in loco a casu, vel a quacumque causa praeter naturam; sicut in lapidibus superpositis invicem in acervo, supremus est prior uno ordine, et alio est prior infimus. Et sicut id quod est propinquius principio, est prius, ita quod remotius a principio, est posterius.

[82505] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 5Alia secundum tempus secundus modus attenditur secundum ordinem temporis; quem ponit, dicens, quod alia dicuntur priora secundum tempus, et diversimode. Quaedam namque dicuntur priora, eo quod sunt remotiora a praesenti nunc, ut accidit in factis, idest in praeteritis. Bella enim Troiana dicuntur priora bellis Medis et Persicis, quibus Xerses rex Persarum et Medorum Graeciam expugnavit, quia remotiora sunt a praesenti nunc. Quaedam vero dicuntur priora, quia sunt affiniora vel propinquiora ipsi nunc; sicut dicitur quod prius est Menelaus Pyrrho, quia propinquius alicui nunc praesenti, respectu cuius utrumque erat futurum. Videtur autem haec litera falsa esse, quia utrumque erat praeteritum tempore Aristotelis quando haec sunt scripta. In Graeco autem habetur, quod prius est Nemea Pythion, quae quidem erant duae nundinae vel duo festa, quorum unum erat propinquius illi nunc quo haec scripta sunt, cum tamen utrumque esset futurum.

[82506] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 6Patet autem quod in hoc utimur ipso nunc, ut principio et primo in tempore; quia per propinquitatem vel remotionem respectu eius, dicimus aliquid esse prius vel posterius. Et hoc necessarium est dicere secundum ponentes aeternitatem temporis. Non enim potest accipi hac positione facta, aliquod principium in tempore, nisi ab aliquo nunc, quod est medium praeteriti et futuri, ut ex utraque parte tempus in infinitum procedat.

[82507] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 7Alia secundum motum tertius modus est secundum ordinem in motu: et hoc primo ponit quantum ad naturalia; dicens, quod aliqua dicuntur esse priora secundum ordinem in motu. Illud enim, quod est propinquius primo moventi, est prius; sicut puer est prius viro, quia est propinquior primo, scilicet generanti. Et hoc etiam prius dicitur per propinquitatem ad aliquod principium. Id enim, scilicet movens et generans, est principium quodammodo, non qualitercumque, sicut in loco accidebat, sed simpliciter et secundum naturam. Secundo ponit hunc ordinem motus etiam in rebus voluntariis; dicens, quod quaedam priora dicuntur secundum potestatem, sicuti homines, qui sunt in potestatibus constituti. Ille enim, qui excedit potestate, et qui est potentior, dicitur esse prior. Et hic est ordo dignitatis.

[82508] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 8Patet autem, quod hic ordo etiam est secundum motum, quia potentius et potestate excedens est secundum cuius praevoluntatem, idest propositum, necesse est sequi aliquid, quod est eo posterius in movendo; ita scilicet quod non movente illo potentiori vel priori, non moveatur posterius, et movente moveatur. Sicut se habet princeps in civitate. Nam ex eius imperio moventur alii ad exequendum imperata; eo vero non imperante, non moventur. Et patet, quod hoc etiam prius dicitur propter propinquitatem ad aliquod principium. Nam praevoluntas, idest propositum imperantis, hic accipitur ut principium, cui propinquiores sunt, et per consequens priores per quos propositum et imperium principis ad subditos defertur.

[82509] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 9Deinde cum dicit alia secundum ordinem ponit modum secundum ordinem in rebus discretis; dicens, quod alia dicuntur priora secundum ordinem, qui invenitur in aliquibus rebus tantummodo quodam ordine associatis sibi, non per continuitatem, ut in praecedentibus accidebat. Huiusmodi autem sunt, quae distant ab aliquo uno determinato secundum aliquam rationem determinatam, ut parastata, tritostata. Parastata est prius tritostata. Parastata dicitur ille, qui stat iuxta aliquem, puta regem. Tritostata autem ille, qui stat tertius ab eo. Unde alia litera habet, praestans, tertio stante prius est. Patet autem, quod alia ratio distantiae est distare ut secundum, vel tertium. Et similiter paranitae sunt priores nitis. In chordis enim hypatae dicuntur quae sunt graves, nitae vero acutae dicuntur, mediocres autem vocantur mesae. Paranitae autem dicuntur quae sunt iuxta nitas mesis propinquiores.

[82510] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 10Patet etiam, quod hic dicitur etiam esse aliquid prius per propinquitatem ad aliquod principium. Sed differenter in utroque praedictorum exemplorum: quia in illis, scilicet parastata et tritostata, accipitur principium id quod est verum initium et extremum, scilicet ille, qui est summus inter alios vel vertex aliorum, ut rex vel aliquis alius talis. Sed in chordis accipitur ut principium, medium, et media chorda quae dicitur mesa, cui propinquiores dicuntur paranitae, et per hoc priores dicuntur nitis. Ista ergo dicuntur priora per hunc modum, scilicet per ordinem quantitatis vel continuae vel discretae.

[82511] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 11Secundo ibi alio vero ostendit quomodo aliquid dicitur prius altero in cognitione. Illud autem prius est cognitione, quod etiam prius est simpliciter, non secundum quid, sicut erat in loco: nam res per sua principia cognoscitur. Sed, cum cognitio sit duplex, scilicet intellectus vel rationis, et sensus, aliter dicimus aliqua priora secundum rationem, et aliter secundum sensum.

[82512] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 12Ponit autem tres modos, secundum quos aliquid est prius ratione sive cognitione intellectiva; quorum primus est secundum quod universalia sunt priora singularibus, licet in cognitione sensitiva accidat e converso. Ibi enim singularia sunt priora. Ratio enim est universalium, sensus autem singularium. Unde sensus non cognoscit universalia nisi per accidens, inquantum cognoscit singularia, de quibus universalia praedicantur. Cognoscit enim hominem inquantum cognoscit Socratem, qui est homo. E contrario autem intellectus cognoscit Socratem inquantum cognoscit hominem. Semper autem quod est per se est prius eo quod est per accidens.

[82513] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 13Secundum modum ponit et secundum dicit, quod secundum rationem prius est accidens quam totum, idest quam compositum ex subiecto et accidente; et musicus homo cognosci non potest sine ratione huius partis, quod est musicum. Eodem modo quaecumque alia simplicia sunt priora secundum rationem compositis, cum in sensu sit e converso. Nam sensui primo composita offeruntur.

[82514] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 14Tertium modum ponit ibi amplius priora dicit, quod priora dicuntur etiam secundum rationem, passiones, sicut rectitudo habetur prior levitate. Rectitudo enim est per se passio lineae, levitas autem superficiei, linea vero naturaliter est prior superficie. Secundum autem sensum prior est superficies linea, et passiones compositorum passionibus simplicium. Haec igitur dicuntur priora per hunc modum, scilicet per ordinem cognoscendi.

[82515] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 15Deinde cum dicit alia vero ponit modos, quibus dicitur aliquid prius secundum ordinem in essendo: et circa hoc duo facit. Primo ponit tres modos, quibus dicitur aliquid esse prius in essendo. Secundo reducit eos ad unum, ibi, modo itaque quodam. Dicit ergo primo, quod quaedam dicuntur esse priora,secundum naturam et substantiam, idest secundum naturalem ordinem in essendo. Et hoc tripliciter. Primo ratione communitatis aut dependentiae: secundum quod priora dicuntur, quae possunt esse sine aliis et illa non possunt esse sine eis. Et hoc est prius a quo non convertitur essendi consequentia, ut dicitur in praedicamentis. Et hac divisione, idest isto modo prioris et posterioris contra alios diviso usus est Plato. Voluit enim quod propter hoc universalia essent priora in essendo quam singularia, et superficies quam corpora, et lineae quam superficies, et numerus quam omnia alia.

[82516] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 16Secundus modus attenditur secundum ordinem substantiae ad accidens. Quia enim ens multipliciter dicitur, et non univoce, oportet, quod omnes significationes entis reducantur ad unam primam, secundum quam dicitur ens, quod est subiectum aliorum entium per se existens. Et propter hoc primum subiectum dicitur esse prius: unde substantia prius est accidente.

[82517] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 17Tertius modus attenditur secundum divisionem entis in actum et potentiam. Nam uno modo dicitur aliquid esse prius secundum potentiam et alio modo secundum actum: secundum potentiam quidem dimidium rei est prius re ipsa, et quaelibet pars toto, et materia quam substantia, idest quam forma. Haec enim omnia sic comparantur ad ea, respectu quorum sic dicuntur priora, ut potentia ad actum: secundum actum vero dicuntur praedicta esse posteriora. Nam praedicta non efficiuntur in actu nisi per dissolutionem. Resoluto enim toto in partes, incipiunt partes esse in actu.

[82518] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 13 n. 18Deinde cum dicit modo itaque concludit, quod omnes modi prioris et posterioris possunt reduci ad hos ultimos modos, et praecipue ad primum, prout prius dicitur quod potest esse sine aliis, et non e converso. Quaedam enim possunt esse sine aliis secundum generationem, per quem modum totum est prius partibus: quia, quando iam totum generatum est, partes non sunt in actu, sed in potentia. Quaedam vero contingit esse sine aliis secundum corruptionem, sicut pars sine toto, quando est iam totum corruptum et dissolutum in partes. Et similiter etiam alii modi prioris et posterioris ad hunc modum reduci possunt. Constat enim, quod priora non dependent a posterioribus, sicut e converso. Unde omnia priora aliquo modo possunt esse sine posterioribus, et non e converso.

LEÇON 13.

(nn. 936-953; [457-466]).

 

Les modes ou sens de l’antérieur et du postérieur se distinguent sous trois rapports : quant au devenir, quant à la connaissance et quant à l’être; et ces modes se ramènent à un seul : celui où antérieur se dit de ce dont dépend ou découle autre chose.

 

936. Après avoir distingué les noms qui signifient les parties de l’un, le Philosophe distingue ici les noms qui signifient l’ordre, c’est-à-dire l’antériorité et la postériorité. L’un en effet implique un ordre, du fait que  l’essence de l’un est d’être principe, ainsi que nous l’avons dit.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il désigne la notion commune à l’antérieur et au postérieur [457]. En deuxième lieu il distingue les différentes modes de l’antérieur et du postérieur d’après cette notion commune, là [458] où il dit : ¨ Comme ce qui est antérieur selon le lieu ¨.

   Il dit donc en premier lieu [457] que la signification du terme ¨antérieur¨ dépend de la signification du terme ¨principe¨. Car dans tout genre le principe est ce qui est premier dans ce genre. Mais l’antérieur se dit de ce qui est plus proche d’un principe déterminé. Mais l’ordre qu’il y a entre un principe de cette sorte et ce qui en est rapproché peut s’entendre de plusieurs manières. Ou bien en effet une chose est principe et première d’une manière absolue et par nature, comme le père est principe du fils; ou bien elle est un principe ¨relatif¨, c’est-à-dire par rapport à quelque chose d’extérieur, comme lorsqu’on dit que ce qui est en soi postérieur est antérieur sous un certain rapport, que ce soit sous le rapport de la connaissance, de la perfection, de la dignité ou d’une autre manière de cette sorte. Ou bien encore on dit d’une chose qu’elle est principe et antérieure quant au lieu ou bien encore selon d’autres modes.

937. Ensuite lorsqu’il dit [458] : ¨ Comme ce ¨.

   Il distingue différents modes selon lesquels on dit d’une chose qu’elle est antérieure et postérieure. Et parce que l’antérieur et le postérieur se disent par rapport à un principe, un principe est néanmoins, ainsi que nous l’avons dit plus haut, ce qui est premier dans l’être, dans le devenir ou dans la connaissance; et c’est pour cette raison que cette section-ci se divise en trois parties.

   Dans la première il dit comment on dit d’une chose qu’elle est antérieure selon le mouvement et la quantité [458]; car l’ordre dans le mouvement suit l’ordre dans la quantité. En effet, c’est au moyen de l’antérieur et du postérieur dans l’étendue qu’existe l’antérieur et le postérieur dans le mouvement, ainsi qu’on le dit au quatrième livre des Physiques. Dans la deuxième il montre comment une chose est dite antérieure à une autre dans la connaissance, là [462] où il dit : ¨ En un autre sens ¨. Dans la troisième, comment une chose est dite antérieure à une autre dans l’être, c’est-à-dire dans selon la nature, là [465] où il dit : ¨ Il y a aussi l’antérieur selon la nature ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre comment une chose est antérieure et postérieure selon la quantité dans les choses continues [458]. En deuxième lieu, il montre comment une chose est antérieure et postérieure selon la quantité dans les choses discrètes, là [461] où il dit : ¨ D’autres sont antérieures selon le rang ¨.

938. Et au sujet de la première partie [458] il présente trois modes ou trois sens. Le premier mode s’entend d’après l’ordre dans le lieu, comme on dit d’une chose qu’elle est antérieure selon le lieu en ceci qu’elle est plus proche d’un lieu déterminé; soit que ce lieu déterminé s’entende comme le milieu, soit qu’il s’entende comme l’extrémité d’une étendue. On peut en effet entendre comme principe, dans l’ordre selon le lieu, le centre du monde vers lequel les corps lourds sont attirés, de telle sorte que nous rangerions les éléments en disant que la terre est le premier des éléments, que l’eau est le second, etc. Et on peut encore entendre comme principe le ciel lui-même, de telle manière que nous dirions que le feu est le premier des éléments, que l’air est le second, et ainsi de suite.

939. Mais la proximité par rapport au principe dans le lieu, quel qu’il soit, peut être de deux sortes. La première proximité peut s’entendre selon l’ordre naturel, comme l’eau est naturellement plus proche du milieu que l’air alors que l’air par ailleurs est plus proche de l’extrême, à savoir du ciel. La deuxième proximité peut s’entendre ¨ telle qu’elle survient ¨, c’est-à-dire selon que les choses sont disposées dans le lieu par hasard ou par toute autre cause qui n’est pas naturelle. Par exemple, pour les pierres qui sont accumulées les unes sur les autres dans un tas, la plus élevée selon un ordre est antérieure, alors que selon un autre ordre c’est la plus basse qui est antérieure. Et tout comme ce qui est le plus rapproché du principe est antérieur, de même ce qui en est le plus éloigné est postérieur.

940. Ensuite lorsqu’il dit [459] : ¨ D’autres sont antérieurs selon le temps ¨.

   Le deuxième mode s’entend selon l’ordre du temps qu’il présente en disant que d’autres choses sont dites antérieures selon le temps, et de plusieurs manières. Car on appelle antérieures celles qui sont éloignées du moment présent, comme cela se produit dans les événements déjà réalisés, à savoir dans ceux qui sont passés. En effet, parce qu’elle est plus éloignée du moment présent, on dit de la guerre de Troie qu’elle est antérieure aux guerres des Mèdes et des Perses dans lesquelles Xerxès, roi des Perses et des Mèdes, soumit la Grèce. D’un autre côté, on dit de certains autres événements qu’ils sont antérieurs parce qu’ils sont plus voisins ou plus rapprochés du moment présent, comme on dit de Ménélas qu’il est antérieur à Pyrrhon parce qu’il est plus rapproché de l’instant actuel à l’égard duquel les deux étaient encore à venir. Mais il semble qu’il y ait une erreur dans cette version car les deux hommes étaient passés à l’époque où Aristote écrivit cet ouvrage. En grec on lit plutôt que les Jeux Néméens sont antérieurs aux Jeux Pythiques, qui étaient certes deux foires ou deux fêtes dont l’une était plus proche du moment où cet ouvrage fut écrit puisque les deux devaient avoir lieu dans l’avenir.

941. Mais il est clair que nous nous servons de l’instant actuel comme d’un principe et de ce qui est premier dans le temps car c’est par rapport au rapprochement ou à l’éloignement à l’égard de cet instant présent que nous disons de quelque chose qu’il est antérieur ou postérieur. Et d’après ceux qui soutiennent l’éternité du temps, il est nécessaire d’affirmer cela. En soutenant cette position en effet, on ne peut admettre un principe dans le temps que par l’instant actuel qui est comme le milieu entre le passé et l’avenir et d’où on pourrait procéder de chaque côté à l’infini.

942. Ensuite lorsqu’il dit [460] : ¨ D’autres sont antérieures selon le mouvement ¨.

   Il présente un troisième mode de l’antérieur et du postérieur qui se réalise d’après l’ordre qu’on retrouve dans le mouvement; et il le présente en premier lieu à l’égard des choses naturelles en disant qu’on dit de certaines qu’elles sont antérieures selon l’ordre qu’on retrouve dans le mouvement. En effet, c’est ce qui est le plus rapproché de l’agent premier qui est antérieur, tout comme l’enfant est antérieur à l’homme achevé parce qu’il est plus rapproché du premier, c’est-à-dire de celui qui engendre. Et cette antériorité se dit aussi par proximité à l’égard d’un principe. Cela même en effet, à savoir ce qui meut et qui engendre, est un principe qui ne s’actualise pas n’importe comment comme ce qui se réalise dans le lieu, mais il l’est d’une manière absolue et selon la nature. Il présente en deuxième lieu cet ordre selon le mouvement à l’égard des actes volontaires en disant qu’on dit de certaines choses qu’elles sont antérieures selon le pouvoir, comme les hommes qui sont établis dans l’autorité. En effet, c’est celui qui dépasse les autres par le pouvoir et qui est plus puissant qu’on appelle antérieur. Et cet ordre est celui de la dignité.

943. Mais il est évident que cet ordre est aussi selon le mouvement car celui qui a plus de pouvoir et qui est plus grand par l’autorité est celui ¨dont la volonté¨, c’est-à-dire dont le dessein est nécessairement suivi par celui qui lui est postérieur dans le mouvement, c’est-à-dire de telle manière que si celui qui l’emporte par la puissance et qui est antérieur ne le meut pas, le postérieur ne se meut pas et ce dernier se meut au contraire si le plus puissant le meut. C’est ce qu’on observe chez le chef de la cité. Car c’est à partir de ses ordres que se mettent en mouvement ceux qui doivent exécuter ses commandements; s’il n’ordonne rien, ils ne se mettent pas en mouvement. Et il est clair aussi que cet antérieur aussi se dit en raison d’une proximité à l’égard d’un principe. Car la ¨volonté¨, c’est-à-dire la visée de celui qui commande doit ici s’entendre comme un principe, et ceux qui en sont les plus rapprochés et par conséquent antérieurs, sont ceux au moyen desquels le dessein et le commandement du chef sont transmis aux subordonnés.

944. Ensuite lorsqu’il dit [461] : ¨ D’autres sont antérieurs selon le rang ¨.

   Il présente le mode de l’antériorité et de la postériorité selon le rang dans les choses qui sont discrètes, en disant qu’on dit de d’autres choses qu’elles sont antérieures selon le rang qu’on observe dans des choses qui sont seulement réunies les unes aux autres selon un certain ordre qui n’est pas celui de la continuité présenté dans les considérations précédentes. Sont de cette sorte les choses qui sont éloignées d’un premier lieu déterminé d’après un rang défini, comme celui qui se tient juste à côté du trône du roi et celui qui se tient au troisième rang. Celui qui se tient juste à côté, ou le conseiller, est antérieur à celui qui se tient au troisième rang. On appelle en effet conseiller celui qui se tient juste à côté de quelqu’un, par exemple à côté du roi. Mais on appelle celui qui est au troisième rang celui qui se tient à la troisième place à partir de lui. C’est pourquoi un autre document dit : ¨Celui qui se tient juste à côté est antérieur à celui qui se tient à la troisième place¨. Il appert que la raison de distance est autre selon qu’on est distant d’une chose comme second ou comme troisième. Et de la même manière, l’avant-dernière corde est antérieure à la dernière. Dans les cordes (de la lyre ou du luth), l’avant-dernière donne les sons graves, la dernière les sons aigus, celle du milieu les sons intermédiaires. Les avant-dernières sont appelées ainsi parce qu’elles sont proches des dernières, mais plus rapprochées des intermédiaires.

945. Il est clair qu’ici aussi l’antérieur se dit par proximité à un certain principe, mais différemment dans les deux exemples présentés : parmi ceux qui se tiennent près du roi, le principe se prend de ce qui est le vrai point de départ et l’extrémité, à savoir celui qui est au sommet du rang, comme le roi ou un autre. Dans les cordes, on prend comme principe le milieu et les cordes intermédiaires et ainsi les cordes les plus rapprochées, à savoir les avant-dernières, sont donc celles qu’on appelle antérieures par rapport aux dernières. Dans les derniers cas présentés, les choses sont dites antérieures d’après l’ordre de la quantité qui est soit continue, soit discrète.

946. En deuxième lieu, là [462] où il dit : ¨ Par ailleurs, d’une autre manière ¨.

   Il montre comment on dit d’une chose qu’elle est antérieure à une autre selon la connaissance. Mais ce qui est antérieur dans la connaissance est aussi ce qui est antérieur absolument et non sous un certain rapport, comme c’était le cas pour le lieu : car une chose est connue au moyen des principes qui lui sont propres. Mais puisqu’il y a deux sortes de connaissances, à savoir la connaissance intellectuelle ou rationnelle et la connaissance sensible, ce n’est pas de la même manière que nous disons de certaines choses qu’elles sont antérieures selon la raison et qu’elles sont antérieures selon le sens.

947. Et il présente trois sens selon lesquels on dit d’une chose qu’elle est antérieure selon la raison ou selon la connaissance intellectuelle, et le premier est celui selon lequel on dit de l’universel qu’il est antérieur au singulier, bien que cet ordre se trouve à être inversé dans la connaissance sensible, là où le singulier est antérieur à l’universel. En effet, l’objet de la raison est l’universel alors que celui du sens est le singulier. D’où le sens ne peut connaître l’universel que par accident, c’est-à-dire dans la mesure où il connaît le singulier auquel on attribue l’universel. Le sens en effet ne connaît l’homme que dans la mesure où il connaît Socrate qui est un homme. À l’inverse cependant l’intelligence ne connaît Socrate que dans la mesure où elle connaît l’homme. Mais toujours ce qui est par soi est antérieur à ce qui est par accident.

948. Il présente le deuxième sens, là [463] où il dit : ¨ Et deuxièmement ¨.

   Il dit que selon la raison ¨ l’accident est antérieur au tout ¨, c’est-à-dire au composé du sujet et de l’accident; et ainsi l’homme musicien ne peut être connu sans la notion de cette partie qui est le musicien. Et de la même manière toutes les autres notions simples sont antérieures selon la raison à celles qui sont composées, alors que pour le sens c’est le contraire car en premier ce sont les composés qui se présentent immédiatement aux sens.

949. Il présente le troisième sens, là [464] où il dit : ¨ Mais en outre sont antérieures ¨.

   Il dit qu’on appelle aussi antérieures selon la raison les propriétés des choses, comme le rectiligne qui est antérieur au poli. Le rectiligne est en effet une propriété par soi de la ligne alors que le poli est une propriété par soi de la surface. Et la ligne est par nature antérieure à la surface. Mais selon le sens la surface est antérieure à la ligne et les propriétés des réalités composées sont antérieures aux propriétés des réalités qui sont simples. On appelle donc antérieur selon ces trois dernières modalités ce qui est antérieur dans l’ordre de la connaissance.

950. Ensuite lorsqu’il dit [465] : ¨Par ailleurs, d’autres¨.

   Il présente les sens par lesquels on dit d’une chose qu’elle est antérieure par rapport à l’existence : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente trois sens par lesquels on peut dire d’un être qu’il est premier dans l’existence. En deuxième lieu il ramène tous ces modes à un seul, là [466] où il dit : ¨ C’est pourquoi, d’une certaine manière ¨.

   Il dit donc en premier lieu [465] qu’on dit de certaines choses qu’elles sont antérieures ¨ selon la nature et la substance ¨, c’est-à-dire selon l’ordre naturel de l’existence. Et il en est ainsi de trois manières. Premièrement par la notion de communauté et de dépendance d’après laquelle on appelle antérieurs les êtres qui peuvent exister sans les autres alors que les autres ne peuvent exister sans eux. Et cet antérieur est celui qui ne se convertit pas avec la conséquence de l’être, comme on le dit dans les prédicaments. Et c’est ¨ de cette distinction ¨, c’est-à-dire de cette modalité de l’antérieur et du postérieur dont se servit Platon indépendamment des autres modalités. C’est pour cette raison en effet qu’il voulait que sous le rapport de l’existence, les universels soient antérieurs aux singuliers, les surfaces aux corps, les lignes aux surfaces et enfin que les nombres soient antérieurs à tout le reste.

951. Le deuxième sens s’entend du rapport qui existe entre la substance et l’accident. En effet, parce que l’être se dit de plusieurs manières et non pas d’une manière univoque, il faut que toutes les significations de l’être se ramènent à une signification première selon laquelle on appelle être ce qui, existant par soi, est le sujet de tous les autres êtres. Et c’est pour cette raison qu’on dit de ce premier sujet qu’il est antérieur; et c’est pourquoi la substance est antérieure à l’accident.

952. Le troisième sens s’entend selon la division de l’être en acte et en puissance. Car c’est en un autre sens qu’on dit d’une chose qu’elle est antérieure selon la puissance et en un autre qu’elle est antérieure en acte : selon la puissance en effet la moitié d’une chose est antérieure à la chose elle-même, comme toute partie est antérieure au tout et aussi la matière ¨ à la substance ¨, c’est-à-dire à la forme. En effet, tous ces cas se comparent à ce par rapport à quoi on les appelle antérieurs comme la puissance se compare à l’acte; d’un autre côté, selon l’acte, on dit des cas précédents qu’ils sont postérieurs car ce n’est que par la destruction du tout qu’elles existent en acte. Ce n’est en effet que lorsque le tout est réduit en ses parties que ces dernières commencent à exister en acte.

953. Ensuite lorsqu’il dit [466] : ¨C’est pourquoi d’une certaine manière¨.

   Il conclut que tous les modes de l’antérieur et du postérieur peuvent être ramenés à ces derniers modes et surtout au premier, dans la mesure où on appelle premier ce qui peut exister sans les autres, mais non réciproquement. Certaines choses en effet peuvent exister sans les autres dans l’ordre de la génération, et selon ce mode le tout est antérieur aux parties; car, alors que le tout est déjà produit, les parties n’existent pas en acte mais en puissance. D’un autre côté, il arrive à certaines autres choses d’exister sans les autres selon la corruption, comme la partie sans le tout, quand le tout est déjà corrompu et réduit en ses parties. Et de la même manière, tous les autres modes de l’antérieur et du postérieur peuvent être ramenés à ce mode. Il est évident en effet que l’antérieur ne dépend pas du postérieur alors que le postérieur dépend de l’antérieur. C’est pourquoi tout ce qui est antérieur peut de quelque manière exister sans ce qui est postérieur, mais non réciproquement.

 

 

LECTIO 14

[82519] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 1Postquam distinxit nomina significantia partes unius, hic incipit distinguere nomina significantia partes entis. Et primo secundum quod ens dividitur per actum et potentiam. Secundo, prout dividitur ens in decem praedicamenta, ibi, quantum vero dicitur quod est divisibile. Circa primum distinguit hoc nomen potentia vel potestas. Nomen autem actus praetermittit, quia eius significationem sufficienter explicare non poterat, nisi prius natura formarum esset manifesta, quod faciet in octavo et nono. Unde statim in nono simul determinat de potentia et actu. Dividitur ergo pars ista in partes duas: in prima ostendit quot modis dicitur potentia. In secunda reducit omnes ad unum primum, ibi, quae vero secundum potentiam. Circa primum duo facit. Primo distinguit hoc nomen, potentia. Secundo hoc nomen, impotentia, ibi, impotentia autem. Circa primum duo facit. Primo ponit modos potentiae. Secundo modos possibilis, ibi, dicta vero potestate.

[82520] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 2Ponit ergo in prima parte quatuor modos potentiae vel potestatis. Quorum primus est, quod potentia dicitur principium motus et mutationis in alio inquantum est aliud. Est enim quoddam principium motus vel mutationis in eo quod mutatur, ipsa scilicet materia: vel aliquod principium formale, ad quod consequitur motus, sicut ad formam gravis vel levis sequitur motus sursum aut deorsum. Sed huiusmodi principium non potest dici de potentia activa, ad quam pertinet motus ille. Omne enim quod movetur ab alio movetur. Neque aliquid movet seipsum nisi per partes, inquantum una pars eius movet aliam, ut probatur in octavo physicorum. Potentia igitur, secundum quod est principium motus in eo in quo est, non comprehenditur sub potentia activa, sed magis sub passiva. Gravitas enim in terra non est principium ut moveat, sed magis ut moveatur. Potentia igitur activa motus oportet quod sit in alio ab eo quod movetur, sicut aedificativa potestas non est in aedificato, sed magis in aedificante. Ars autem medicinalis, quamvis sit potentia activa, quia per eam medicus curat, contingit tamen quod sit in aliquo sanato, non inquantum est sanatum, sed per accidens, inquantum accidit eidem esse medicum et sanatum. Sic igitur universaliter loquendo, potestas dicitur uno modo principium mutationis aut motus in alio, inquantum est aliud.

[82521] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 3Secundum modum ponit ibi, alia diverso dicit, quod quodam alio modo dicitur potestas principium motus vel mutationis ab altero inquantum est aliud. Et haec est potentia passiva, secundum quam patiens aliquid patitur. Sicut enim omne agens et movens, aliud a se movet, et in aliud a se agit; ita omne patiens, ab alio patitur: et omne motum, ab alio movetur. Illud enim principium, per quod alicui competit ut moveatur vel patiatur ab alio, dicitur potentia passiva.

[82522] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 4Posse autem pati ab alio dicitur dupliciter. Aliquando quidem, quicquid sit illud, quod aliquid potest pati, dicimus ipsum esse possibile ad illud patiendum, sive sit bonum, sive malum. Aliquando vero non dicitur aliquid potens ex eo quod potest pati aliquod malum, sed ex hoc quod potest pati aliquod excellentius. Sicut, si aliquis potest vinci, non dicimus potentem; sed si aliquis potest doceri vel adiuvari, dicimus eum potentem. Et hoc ideo, quia posse pati aliquem defectum quandoque attribuitur impotentiae; et posse non pati idem, attribuitur potentiae, ut infra dicetur.

[82523] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 5Alia tamen litera habet, aliquando autem non secundum omnem passionem, sed utique in contrarium. Quod quidem sic debet intelligi. Improprie enim dicitur pati, quicquid recipit aliquam perfectionem ab aliquo, sicut intelligere dicitur quoddam pati. Proprie autem pati dicitur quod recipit aliquid cum sui transmutatione ab eo quod est ei naturale. Unde et talis passio dicitur esse abiiciens a substantia. Hoc autem non potest fieri nisi per aliquod contrarium. Unde, quando aliquid patitur, secundum quod est contrarium suae naturae vel conditioni, proprie pati dicitur. Secundum quod etiam aegritudines passiones dicuntur. Quando vero aliquis recipit id quod est ei conveniens secundum suam naturam, magis dicitur perfici quam pati.

[82524] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 6Tertium modum ponit ibi amplius alia dicit, quod alia potestas dicitur, quae est principium faciendi aliquid non quocumque modo, sed bene, aut secundumpraevoluntatem, idest secundum quod homo disponit. Quando enim aliqui progrediuntur vel loquuntur, sed non bene, aut non secundum quod volunt, dicuntur non posse loqui aut progredi. Et similiter est in pati. Dicitur enim aliquid posse pati illud quod bene potest pati. Sicut dicuntur aliqua ligna combustibilia, quia de facili comburuntur, et incombustibilia, quae non possunt de facili comburi.

[82525] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 7Quartum modum ponit ibi amplius quicumque dicit, quod etiam potestates dicuntur omnes habitus sive formae vel dispositiones, quibus aliqua dicuntur vel redduntur omnino impassibilia, vel immobilia, aut non de facili mobilia in peius. Quod enim in peius mutentur, sicut quod frangantur, vel curventur, vel conterantur, vel qualitercumque corrumpantur, non inest corporibus per aliquam potentiam, sed magis per impotentiam et defectum alicuius principii, quod corrumpenti resistere non potest. Nunquam enim corrumpitur aliquid nisi propter victoriam corrumpentis supra ipsum. Quod quidem contingit ex debilitate propriae virtutis. Illis vero, quae non possunt tales defectus pati, aut vix aut paulatim, idest tarde vel modicum patiuntur, accidit eis propter potentiam, et in eo quod habent aliquo modo posse, idest cum quadam perfectione, ut non superentur a contrariis. Et per hunc modum dicitur in praedicamentis, quod durum vel sanativum significat potentiam naturalem non patiendi a corrumpentibus. Molle autem et aegrotativum impotentiam.

[82526] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 8Deinde cum dicit dicta vero ponit modos possibilis correspondentes praedictis modis potestatis. Primo autem modo potestatis respondent duo modi possibilis. Secundum potestatem enim activam aliquid dicitur potens agere dupliciter. Uno modo, quia ipse per seipsum agit immediate. Alio modo, quia agit mediante altero, cui potentiam suam communicat, sicut rex agit per ballivum. Dicit ergo, quod, cum potentia tot modis dicatur, possibile etiam et potens pluribus modis dicetur. Uno quidem modo, quod habet principium activum mutationis in seipso sicut stativum vel sistitivum, idest id quod facit aliud stare, dicitur esse potens ad sistendum aliquid aliud diversum ab eo. Alio vero modo, quando ipse non immediate operatur, sed aliud habet ab eo talem potestatem, ut possit immediate agere.

[82527] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 9Deinde cum dicit alio si secundo ponit secundum modum respondentem secundo modo potentiae, idest potentiae passivae; dicens, quod alio modo a praedicto dicitur possibile sive potens, quod potest mutari in aliquid, quicquid sit illud; scilicet sive possit mutari in peius, sive in melius. Et secundum hoc, aliquid dicitur corruptibile, quia potest corrumpi, quod est in peius mutari: vel non corruptibile, quia potest non corrumpi, si sit impossibile illud ipsum corrumpi.

[82528] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 10Oportet autem illud, quod est possibile ad aliquid patiendum, habere in se quamdam dispositionem, quae sit causa et principium talis passionis; et illud principium vocatur potentia passiva. Principium autem passionis potest inesse alicui passibili dupliciter. Uno modo per hoc, quod habet aliquid; sicut homo est possibilis pati infirmitatem propter abundantiam alicuius inordinati humoris in ipso. Alio vero modo est aliquid potens pati per hoc, quod privatur aliquo, quod posset repugnare passioni; sicut si homo dicatur potens infirmari propter subtractionem fortitudinis et virtutis naturalis. Et haec duo oportet esse in quolibet potente pati. Nunquam enim aliquid pateretur, nisi esset in eo subiectum, quod esset receptivum dispositionis, vel formae, quae per passionem inducitur; et nisi esset debilitas virtutis in patiente ad resistendum actioni agentis.

[82529] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 11Hi enim duo modi principii patiendi possunt reduci in unum, quia potest privatio significari ut habitus. Et sic sequetur, quod privari sit habere privationem. Et ita uterque modus erit in aliquid habendo. Quod autem privatio possit significari ut habitus, et ut aliquid habitum, ex hoc contingit, quod ens aequivoce dicitur. Et secundum unum modum et privatio et negatio dicitur ens, ut habitum est in principio quarti. Et sic sequitur quod etiam negatio et privatio possunt significari ut habitus. Et ideo possumus universaliter dicere, quod aliquid possibile sit pati propter hoc quod habet in se quemdam habitum et quoddam principium passionis; cum etiam privari sit habere aliquid, si contingat privationem habere.

[82530] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 12Deinde cum dicit alio in tertium modum ponit hic; et respondet quarto modo potentiae, secundum quod potentia dicebatur inesse alicui, quod non potest corrumpi, vel in peius mutari. Dicit ergo, quod alio modo dicitur possibile vel potens, inquantum non habet potestatem vel principium aliquod ad hoc quod corrumpatur. Et hoc dico ab alio inquantum est aliud; quia secundum hoc aliquid dicitur potens et vigorosum, quod ab exteriori vinci non potest, ut corrumpatur.

[82531] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 13Deinde cum dicit amplius autem quartum modum ponit, qui respondet tertio modo potentiae, secundum quem dicebatur potentia ad bene agendum vel patiendum. Dicit ergo, quod secundum praedictos modos, qui pertinent ad agendum vel patiendum, potest dici aliquid potens vel ex eo solum, quod aliquid accidit fieri vel non fieri, vel ex eo quod accidit etiam bene fieri. Sicut etiam dicitur potens agere, quia potest bene et faciliter agere, vel quia potest agere simpliciter. Et similiter potens pati et corrumpi, quia de facili hoc pati potest. Et iste modus potestatis etiam invenitur in rebus inanimatis ut in organis, idest in lyra et musicis instrumentis. Dicitur enim quod aliqua lyra potest sonare, quia bene sonat; alia non potest sonare, quia non bene sonat.

[82532] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 14Deinde cum dicit impotentia autem ostendit quot modis dicitur impotentia; et circa hoc duo facit. Primo distinguit hoc nomen impotentia. Secundo hoc nomen impossibile, ibi, impossibilia vero. Circa primum duo facit. Primo enim ostendit communem rationem huius nominis impotentia. Secundo ostendit quot modis dicatur, ibi, amplius autem. Dicit ergo primo, quod impotentia est privatio potentiae. Ad rationem autem privationis duo requiruntur; quorum primum est remotio habitus oppositi. Id autem, quod opponitur impotentiae, est potentia. Unde, cum potentia sit quoddam principium, impotentia erit sublatio quaedam talis principii, qualis dicta est esse potentia. Secundum quod requiritur, est quod privatio proprie dicta sit circa determinatum subiectum et determinatum tempus. Improprie autem sumitur absque determinatione subiecti et temporis. Non enim caecum proprie dicitur nisi quod est aptum natum habere visum, et quando est natum habere visum.

[82533] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 15Impotentia autem sic dicta dicit remotionem potentiae, aut omnino, idest universaliter, ut scilicet omnis remotio potentiae impotentia dicatur, sive sit aptum natum habere, sive non: aut dicitur remotio in eo quod est aptum natum habere quandocumque, aut solum tunc quando aptum natum est habere. Non enim similiter accipitur impotentia, cum dicimus puerum non posse generare, et cum virum et eunuchum simul. Puer enim dicitur impotens generare, quia subiectum est aptum ad generandum, non tamen pro illo tempore. Vir autem eunuchus dicitur impotens ad generandum, quia pro illo tempore esset quidem aptus, non tamen potest, quia caret principiis activis generationis. Unde hic magis salvatur ratio privationis. Mulus autem vel lapis dicitur impotens ad generandum, quia non potest nec etiam habet aptitudinem in subiecto existentem.

[82534] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 16Deinde cum dicit amplius autem dat intelligere impotentiae modos per oppositum ad modos potentiae. Sicut enim potentia est duplex, scilicet activa et passiva: et iterum utraque aut ad agendum et patiendum simpliciter, aut ad bene agendum et patiendum; ita secundum utramque potentiam est impotentia opposita. Et solum mobili et bene mobili idest potentiae activae, quae est ad movendum simpliciter, vel bene movendum: et potentiae passivae, quae est ad moveri simpliciter, vel bene moveri.

[82535] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 17Deinde cum dicit impossibilia vero ostendit quot modis dicitur impossibile: et circa hoc duo facit. Primo distinguit modos impossibilis. Secundo reducit illos modos ad unum, ibi, quae vero secundum. Circa primum tria facit. Primo dicit, quod uno modo dicuntur aliqua impossibilia secundum quod habent impotentiam praedictam, quae opponitur potentiae. Et huiusmodi modus in quatuor dividitur, sicut et impotentia.

[82536] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 18Ideo cum dicit alio modo, ponit alium modum, quo dicuntur aliqua impossibilia, non propter privationem alicuius potentiae, sed propter repugnantiam terminorum in propositionibus. Cum enim posse dicatur in ordine ad esse, sicut ens dicitur non solum quod est in rerum natura, sed secundum compositionem propositionis, prout est in ea verum vel falsum; ita possibile et impossibile dicitur non solum propter potentiam vel impotentiam rei: sed propter veritatem et falsitatem compositionis vel divisionis in propositionibus. Unde impossibile dicitur, cuius contrarium est verum de necessitate, ut diametrum quadrati esse commensurabilem eius lateri, est impossibile, quia hoc tale est falsum, cuius contrarium non solum est verum, sed etiam necessarium, quod quidem est non commensurabilem esse. Et propter hoc esse commensurabilem est falsum de necessitate, et hoc est impossibile.

[82537] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 19Tertio ibi, contrarium vero manifestat quid sit possibile oppositum impossibili secundo modo dicto. Impossibile enim opponitur possibili secundo modo dicto, sicut dictum est. Dicit ergo, quod possibile contrarium huic secundo impossibili est, cuius contrarium non est de necessitate falsum: sicut sedere hominem est possibile, quia non sedere, quod est eius oppositum, non est de necessitate falsum.

[82538] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 20Ex quo patet, quod ille modus possibilis in tres modos dividitur. Dicitur enim uno modo possibile quod falsum est, sed non ex necessitate: sicut hominem sedere dum non sedet, quia eius oppositum non est verum ex necessitate. Alio modo dicitur possibile quod est verum, sed non de necessitate, quia eius oppositum non est falsum de necessitate, sicut Socratem sedere dum sedet. Tertio modo dicitur possibile, quia licet non sit verum, tamen contingit in proximo verum esse.

[82539] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 21Deinde cum dicit secundum metaphoram ostendit quomodo potentia sumatur metaphorice; et dicit, in geometria dicitur potentia secundum metaphoram. Potentia enim lineae in geometria dicitur quadratum lineae per hanc similitudinem: quia sicut ex eo quod est in potentia fit illud quod est in actu, ita ex ductu alicuius lineae in seipsam, resultat quadratum ipsius. Sicut si diceremus, quod ternarius potest in novenarium, quia novenarius consurgit ex ductu ternarii in seipsum. Nam ter tria sunt novem. Sicut autem impossibile secundo modo acceptum non dicitur secundum aliquam impotentiam, ita et modi possibilis ultimo positi, non dicuntur secundum aliquam potentiam, sed secundum similitudinem, vel secundum modum veri et falsi.

[82540] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 22Deinde cum dicit quae vero reducit omnes modos possibilis et impossibilis ad unum primum: et dicit, quod possibilia, quae dicuntur secundum potentiam, omnia dicuntur per respectum ad unam primam potentiam, quae est prima potentia activa, de qua supra dictum est, quod est principium mutationis in alio inquantum est aliud. Nam omnia alia possibilia dicuntur per respectum ad istam potentiam. Aliquid enim dicitur possibile per hoc, quod aliquid aliud habet potentiam activam in ipsum, secundum quod dicitur possibile secundum potentiam passivam. Quaedam vero dicuntur possibilia in non habendo aliquid aliud talem potentiam in ipsa: sicut quae dicuntur potentia, quia non possunt corrumpi ab exterioribus agentibus. Quaedam vero potentia in sic habendo, idest in hoc quod habent potentiam, ut bene aut faciliter agant vel patiantur.

[82541] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 14 n. 23Et sicut omnia possibilia, quae dicuntur secundum aliquam potentiam, reducuntur ad unam primam potentiam; ita omnia impossibilia, quae dicuntur secundum aliquam impotentiam, reducuntur ad unam primam impotentiam, quae est opposita primae potentiae. Patet igitur, quod propria definitio potentiae primo modo dictae est principium permutationis in alio inquantum est aliud, quod est ratio potentiae activae.

LEÇON 14.

(nn. 954-976; [467-481]).

 

Il présente les définitions et les sens, propres et impropres, de la puissance et du possible et de l’impuissance et de l’impossible, qu’il ramène à un seul.

 

954. Après avoir distingué les noms qui signifient les parties de l’un, le Philosophe commence ici à distinguer les noms qui signifient les parties de l’être.

   Et il le fait en premier lieu selon que l’être se divise par l’acte et par la puissance [467]. En deuxième lieu, il le fait selon que l’être se divise en dix prédicaments, là [482] où il dit : ¨ D’un autre côté, quantité se dit de ce qui est divisible ¨.

   Au sujet du premier point il distingue ce nom de puissance ou de pouvoir. Mais il omet le nom d’acte parce qu’il ne pouvait pas expliquer sa signification de façon adéquate à moins de manifester antérieurement la nature des formes, ce qu’il fera au huitième et au neuvième livre. C’est pourquoi au neuvième livre il détermine aussitôt et simultanément de la puissance et de l’acte.

   Il divise donc cette section en deux parties : dans la première il montre de combien de manières se dit puissance [467]; dans la deuxième il ramène toutes les significations à une première signification, là [481] où il dit : ¨ D’un autre côté tous ceux qui se rapportent à la puissance ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue le nom de puissance [467]. En deuxième lieu il distingue le nom d’impuissance, là [476] où il dit : ¨Mais l’impuissance¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les sens du nom puissance [467]. En deuxième lieu il présente les sens du nom possible, là [471] où il dit : ¨ Les différents sens de la puissance ayant été dits ¨.

955. Il présente donc dans la première partie [467] les quatre sens du nom ¨puissance¨ ou ¨pouvoir¨, dont le premier est qu’on appelle puissance le principe de mouvement ou de changement dans un autre en tant qu’autre. Il existe en effet un certain principe de mouvement ou de changement dans ce qui est mû ou changé, à savoir la matière elle-même; ou bien encore il y a un principe formel d’où découle un mouvement, comme de la forme du lourd ou du léger découle un mouvement vers le bas ou vers le haut. Mais un tel principe, (à savoir la puissance telle qu’on vient de la définir) ne peut s’attribuer à la puissance active qui est responsable de ce mouvement. En effet, tout ce qui est mû est mû par un autre. Et une chose ne peut se mouvoir elle-même qu’au moyen d’une de ses parties, dans la mesure où une de ses parties en meut une autre, ainsi qu’on le prouve au huitième livre des Physiques. Donc la puissance, selon qu’elle est principe de mouvement dans la chose dans laquelle elle se trouve, n’est pas comprise dans une puissance active, mais plutôt dans une puissance passive. La gravité qui est présente dans la terre n’est pas un principe qui lui permet de mouvoir mais plutôt d’être mue. Il faut donc que la puissance active du mouvement soit présente dans un être distinct de celui qui est mû, tout comme la puissance de construire n’est pas dans ce qui est construit mais dans celui qui construit. Mais l’art de la médecine, bien qu’il soit une puissance active puisque c’est par lui que le médecin guérit, se retrouve parfois dans celui qui est guéri, non pas en tant qu’il est guéri, mais seulement par accident, dans la mesure où il arrive à la fois au même sujet d’être médecin et d’être guéri. Ainsi donc, à parler universellement, on appelle en un premier sens ¨puissance¨ le principe de changement ou de mouvement qui a lieu dans un autre en tant qu’autre.

956. Il présente le deuxième sens du nom puissance, là [468] où il dit : ¨ En un sens différent on dit de d’autres ¨.

   Il dit qu’en un autre sens on appelle puissance le principe de mouvement ou de changement par un autre en tant qu’autre. Et telle est la puissance passive selon laquelle un patient subit quelque chose. En effet, de même que tout agent ou tout moteur meut un autre que lui-même et agit sur un autre que lui-même, de même tout patient subit d’un autre ce qu’il subit, et tout ce qui est mû est mû par un autre. Ce principe en effet au moyen duquel il appartient à quelqu’un de subir ou d’être mû par un autre, on l’appelle puissance passive.

957. Mais pouvoir subir quelque chose d’un autre se dit de deux manières. Parfois certes, quelle que soit la chose que le patient est appelé à subir, nous disons de lui qu’il est capable ou qu’il est apte à le subir, qu’il s’agisse de quelque chose de bien ou de quelque chose de mal. D’un autre côté, parfois on n’appelle pas un être puissant ou capable du fait qu’il peut subir quelque chose de mal, mais plutôt du fait qu’il peut subir quelque chose de bien. Par exemple, si quelqu’un peut être vaincu, nous ne disons pas de lui qu’il est puissant ou capable, mais nous l’appellerons puissant s’il peut être enseigné ou être aidé. Et il en est ainsi parce que la puissance ou la capacité à subir un défaut, on l’attribue parfois à une impuissance; et inversement, la puissance ou la capacité de ne pas subir le même défaut, on l’attribue à une puissance ainsi qu’on le dira plus loin.

958. Cependant un autre document nous dit : ¨ Mais parfois ce n’est pas d’après toutes les sortes de modifications qu’il est apte à recevoir, mais seulement d’après celles qui sont en sens contraire¨. Et cela doit certes être entendu de la manière suivante. C’est improprement en effet que nous disons de celui qui reçoit une perfection d’un autre qu’il subit quelque chose (ou qu’il est soumis à une passion), comme si nous disions de l’acte de comprendre que c’est une certaine passion. Mais on dit au sens propre que subit ou pâtit celui qui reçoit quelque chose qui s’accompagne d’une modification en lui qui s’écarte de ce qui lui est naturel. C’est pourquoi on dit d’une telle passion qu’elle rejette ou qu’elle est contraire à la substance. Mais cela ne peut se produire que par un facteur de contrariété. C’est pourquoi, quand quelque chose subit une modification dans le sens de ce qui est contraire à sa nature ou à sa condition, c’est alors qu’on dit d’elle, à proprement parler, qu’elle subit ou qu’elle pâtit. Et en ce sens, d’après ce mode de signifier, même les maladies sont appelées passions. D’un autre côté, quand un être reçoit ce qui lui convient conformément à sa nature, au lieu de dire de lui qu’il subit une passion, on dit davantage de lui qu’il atteint une perfection.

959. Il présente le troisième sens du nom puissance, là [469] où il dit : ¨ D’autres en outre ¨.

   Il dit qu’on appelle en un autre sens puissance le principe permettant de faire quelque chose, non pas de quelque manière que ce soit, mais bien ou conformément à ¨la volonté¨, c’est-à-dire conformément à ce que l’homme décide. En effet, quand certaines personnes marchent ou parlent mais ne le font pas bien ou non comme elles voudraient le faire, nous disons d’elles qu’elles ne peuvent pas parler ou marcher. Et ¨il en est de même pour les passions¨. En effet, c’est de celui qui peut bien subir ou pâtir quelque chose que nous disons qu’il a la puissance de le subir ou de le pâtir. Ainsi, nous disons de certaines pièces de bois qu’elles sont combustibles parce qu’elles brûlent facilement et de certaines autres qu’elles ne sont pas combustibles parce qu’elles ne peuvent pas brûler facilement.

960. Il présente le quatrième sens, là [470] où il dit : ¨ En outre, tous ¨.

   Il dit qu’on appelle aussi puissances tous les habitus ou toutes les formes et les dispositions grâce auxquelles on dit de certains êtres qu’ils sont rendus impassibles ou immobiles, et qu’ils ne peuvent pas facilement changer dans le sens du pire. En effet, que des choses puissent changer dans le sens du pire, comme celles qui sont brisées, courbées ou broyées, ou qui sont détruites d’une manière ou d’une autre, cela ne se produit pas en elles en raison d’une puissance, mais plutôt en raison d’une impuissance ou d’un défaut de quelque principe qui ne peut résister au facteur de corruption. Toujours en effet un être connaît la corruption en raison de la victoire sur lui d’un agent de corruption, ce qui se produit certes à partir de la faiblesse de la puissance propre à celui qui subit. D’un autre côté, pour ce qui est de ceux qui ne peuvent subir ou pâtir de tels défauts, ¨ou qui en sont à peine affectés et légèrement¨, c’est-à-dire difficilement et très peu, cela ne s’observe chez eux qu’en raison d’une puissance et du fait qu’ils possèdent ¨en un certain sens une puissance¨, c’est-à-dire une certaine perfection qui leur permet de ne pas être dominés par ce qui leur est contraire. Et c’est en ce sens qu’on dit dans les Prédicaments que le dur et le sain signifient une puissance ou une aptitude naturelle à ne pas subir de modifications de la part d’agents de corruption. Mais ce qui est mou et malade renvoie à une impuissance à cet égard.

961. Ensuite lorsqu’il dit [471] : ¨ D’un autre côté ce qui a été dit ¨.

   Il présente les sens du possible qui correspondent aux sens précédents de la puissance. Mais au premier sens de la puissance correspondent deux sens du possible. D’après la puissance active en effet on dit d’un être qu’il peut agir de deux manières. En un premier sens parce qu’il agit de lui-même et de façon immédiate. En un autre sens parce qu’il agit par l’intermédiaire d’un autre auquel il communique sa puissance, comme le roi qui agit par l’intermédiaire de son ministre.

   Il dit donc que puisque puissance se dit de tant de manières, le possible ou le puissant se dira aussi de plusieurs manières. Certes en ce sens que le puissant se dit de celui qui possède en lui-même le principe actif de changement ¨comme celui du repos et de l’immobilité¨, c’est-à-dire qu’on dit de celui qui rend un autre immobile qu’il est puissant à tenir dans l’immobilité quelque chose d’autre qui est différent de lui. Par ailleurs puissant se dit en cet autre sens, à savoir quand un être n’agit pas lui-même de façon immédiatement mais qu’un autre tire de lui une telle puissance qui le rend capable d’agir immédiatement.

962. Ensuite lorsqu’il dit [472] : ¨ En un autre sens, si ¨.

   En deuxième lieu il présente le deuxième mode ou sens du possible correspondant au deuxième sens de la puissance, c’est-à-dire à la puissance passive, en disant qu’en un sens différent du précédent on appelle possible ou puissant ce qui peut être changé en un état, quel que soit cet état, c’est-à-dire qui peut être changé soit dans le sens du pire, soit dans le sens du mieux. Et conformément à ce sens, on dira d’une chose qu’elle est soit corruptible parce qu’il lui est ¨possible d’être corrompue ou détruite¨, c’est-à-dire d’être changée dans le sens du pire; soit qu’elle est incorruptible parce qu’elle est puissante à ne pas être corrompue, s’il est impossible à cette chose elle-même d’être corrompue.

963. Il faut donc que cette chose, à laquelle il est possible de subir quelque chose, possède en elle une disposition qui soit la cause et le principe d’une telle passion. Et ce principe s’appelle puissance passive. Mais le principe d’une passion peut exister dans un sujet passible de deux manières. En un premier sens, en ceci qu’il possède quelque chose en lui, tout comme il est possible à l’homme de subir une maladie en raison de l’abondance d’une humeur déréglée en lui. En un autre sens par ailleurs, il est possible à un être de subir quelque chose du fait qu’il est privé d’un facteur qui pourrait s’opposer à la passion, comme si on disait d’un homme qu’il est puissant ou qu’il lui est possible de tomber malade en raison de la diminution de sa force et de sa puissance naturelle. Et il faut que l’un et l’autre de ces deux sens existent dans tout ce qui est capable de passion. Jamais en effet un être ne serait soumis à une passion ou subirait quelque chose s’il n’existait pas en lui un sujet capable de recevoir une disposition ou une forme introduite en lui au moyen de la passion, et s’il n’existait pas dans le patient une faiblesse le rendant incapable de résister à l’action de l’agent.

964. Ces deux conditions du principe de la passion peuvent se ramener à un seul parce que la privation peut être signifiée comme une possession ou un habitus. Et il s’ensuit ainsi qu’être privé, c’est posséder une privation. Et ainsi les deux sens consistent dans la possession de quelque chose. Mais que la privation puisse signifier une possession et comme quelque chose de possédé, cela résulte de ce que l’être se dit de manière équivoque. Et selon un des sens de l’être, on dit à la fois de la privation et de la négation qu’elles sont de l’être ainsi qu’il a été établi au début du quatrième livre. Et c’est ainsi qu’il s’ensuit que même la privation et la négation peuvent signifier la possession. Et c’est pourquoi nous pouvons dire universellement qu’il est possible à un être d’être soumis à une passion ou de subir quelque chose pour cette raison qu’il a en lui une certaine possession et un certain principe de la passion, puisque même une privation est une possession de quelque chose, s’il est possible de posséder une privation [473].

965. Ensuite lorsqu’il dit [474] : ¨ Autrement, en ¨.

   Il présente ici le troisième sens du possible qui correspond au quatrième sens de la puissance selon lequel on disait de la puissance qu’elle appartient à un être qui ne peut être corrompu ou qui ne peut être changé dans le sens du pire. Il dit donc qu’en un autre sens on appelle possible ou puissant celui qui n’a pas en lui la puissance ou le principe d’être corrompu. Et je dis bien d’être corrompu par un autre en tant qu’autre. Car on dit d’un être qu’il est puissant et vigoureux dans la mesure où il ne peut être vaincu par un agent extérieur de manière à être détruit par lui.

966. Ensuite lorsqu’il dit [475] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente le quatrième sens du possible qui correspond au troisième sens de la puissance selon lequel la puissance était présentée comme ce qui conduit à bien agir et à bien pâtir. Il dit donc que d’après les sens précédents qui se rapportent à l’action ou à la passion, un être peut être appelé puissant ou capable soit simplement du fait de pouvoir être changé ou de ne pas pouvoir être changé, soit du fait de pouvoir être changé dans le sens du bien. Tout comme on dit aussi d’un tel qu’il est puissant à agir soit parce qu’il peut agir bien et avec facilité soit parce qu’il lui est possible d’agir tout simplement, de même on dit d’un tel qu’il lui est possible ou qu’il est capable de pâtir et d’être détruit parce qu’il lui est facile de pâtir ou de subir cela. Et ce sens de la puissance se retrouve aussi dans les choses inanimées ¨comme dans les instruments¨, par exemple dans la lyre et dans les autres instruments de musique. On dit en effet d’une lyre qu’elle peut résonner parce qu’elle résonne bien, et  d’une autre qu’elle ne peut pas résonner parce qu’elle ne résonne pas bien.

967. Ensuite lorsqu’il dit [476] : ¨ Mais l’impuissance ¨.

   Il montre selon combien de sens se dit l’impuissance; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il distingue les sens du nom impuissance [476]. En deuxième lieu il distingue les sens du nom impossible, là [478] où il dit : ¨ D’un autre côté on appelle impossibles ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il nous montre la notion commune qui se rapporte au nom d’impuissance [476]. En deuxième lieu il montre de combien de manières ce nom se dit, là [477] où il dit : ¨ Mais en outre ¨.

   Il dit donc en premier lieu que l’impuissance est la privation de la puissance. Mais deux éléments sont requis à la notion de privation, dont le premier est la suppression de la possession opposée. Mais ce qui s’oppose à l’impuissance, c’est la puissance. De là, puisque la puissance est un principe, l’impuissance sera une suppression de ce principe qu’on appelle puissance. Le deuxième élément qui est requis, c’est que la privation proprement dite se rapporte à un sujet déterminé et à un temps déterminé. C’est improprement qu’on utilise cette notion quand on l’entend indépendamment d’un sujet et d’un temps déterminés. En effet on appelle proprement aveugle que celui qui est apte à naître avec la possession de la vue et quand il est naturellement apte à la posséder.

968. Mais l’impuissance ainsi entendue signifie une suppression de la puissance, ¨soit absolument¨, c’est-à-dire universellement, de sorte qu’on appelle impuissance toute suppression d’une puissance, qu’il s’agisse d’un être qui soit naturellement apte à la posséder ou non; ou bien l’impuissance signifie la suppression d’une puissance dans un être qui devrait naturellement la posséder un jour ou l’autre ou seulement dans le temps où il devrait naturellement la posséder déjà. En effet ce n’est pas de la même manière qu’on doit entendre l’impuissance quand nous disons de l’enfant et de l’eunuque qu’ils sont impuissants à engendrer. En effet nous disons de l’enfant qu’il est impuissant à engendrer parce que, bien qu’il soit un sujet naturellement apte à engendrer, il ne le peut encore à ce moment-ci. Mais on dit de l’adulte eunuque qu’il est impuissant à engendrer parce que, bien qu’il devrait normalement être apte à engendrer à ce moment de sa vie, il ne le peut car il est privé des principes actifs de la génération. C’est pourquoi c’est davantage ici qu’est conservée la notion de privation. Mais on dit du mulet ou de la pierre qu’ils sont impuissants à engendrer parce qu’ils ne le peuvent et aussi parce qu’il n’y a en eux aucune aptitude présente dans le sujet.

969. Ensuite lorsqu’il dit [477] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il nous donne à comprendre les sens de l’impuissance par manière d’opposition aux modes de la puissance. En effet, tout comme il y a deux sortes de puissances, à savoir les puissances active et passive et qu’en outre chacune d’elles est ordonnée soit à l’agir ou au pâtir entendus simplement, soit à l’agir ou au pâtir dans le sens du bien, ainsi on peut opposer une impuissance correspondant à chacune de ces puissances. C’est-à-dire à la fois ¨à ce qui est seulement mobile et à ce qui est mobile dans le sens du bien¨, c’est-à-dire à la puissance active qui est ordonnée à simplement mouvoir et à celle qui est ordonnée à mouvoir dans le sens du bien, et à la puissance passive qui est ordonnée à être simplement mue et à celle qui est ordonnée à être mue dans le sens du bien.

970. Ensuite lorsqu’il dit [478] : ¨ D’un autre côté sont impossibles ¨.

   Il montre de combien de manières se dit l’impossible et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il distingue les sens de l’impossible. En deuxième lieu il ramène tous ces sens à un seul, là [481] où il dit : ¨ Par ailleurs les possibles qui se rapportent ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il dit [478] qu’en un sens on appelle impossible  l’impuissance qui précède et qui s’oppose à la puissance. Et un tel sens de l’impossible se divise en quatre, tout comme l’impuissance.

971. C’est pourquoi, lorsqu’il ajoute ¨ en un autre sens ¨ [478], il présente un autre sens par lequel on dit de certaines choses qu’elles sont impossibles, non pas en raison d’une privation à l’égard d’une puissance, mais en raison d’une incompatibilité entre les termes contenus dans les propositions. En effet, puisque la puissance se dit par rapport à l’être, et comme l’être se dit non seulement de ce qui existe dans la nature des choses mais aussi de la composition d’une proposition dans la mesure où il y a en elle du vrai ou du faux, de même le possible et l’impossible se disent non seulement en raison d’une puissance ou d’une impuissance présente dans la chose mais aussi en raison de la vérité ou de la fausseté de la composition ou de la division présente dans la proposition. De là on appelle impossible ce dont le contraire est nécessairement vrai. Par exemple, lorsqu’on dit que la diagonale du carré est commensurable à son côté, cela est impossible parce que c’est faux de telle manière que son contraire est non seulement vrai, mais nécessairement vrai, à savoir qu’il est certainement vrai qu’il n’est pas commensurable à son côté. Et c’est pour cette raison que cette affirmation, à savoir que la diagonale du carré est commensurable à son côté, est nécessairement fausse : et c’est pourquoi elle est impossible.

972. En troisième lieu, là [479] où il dit : ¨ D’un autre côté, le contraire ¨.

   Il manifeste quel est le possible qui s’oppose à l’impossible dit dans le deuxième sens. Comme on l’a dit, l’impossible s’oppose au possible dit en un deuxième sens. Il dit donc que le possible qui est contraire à ce deuxième sens de l’impossible est celui dont le contraire n’est pas nécessairement faux, tout comme il est possible à l’homme de s’asseoir parce que le fait de ne pas être assis, qui est son opposé, n’est pas nécessairement faux.

973. À partir de là il est clair que ce sens du possible se subdivise en trois. On dit en effet en un premier sens qu’est possible ce qui est faux mais pas nécessairement : par exemple que l’homme est assis alors qu’il ne l’est pas, parce que son opposé n’est pas nécessairement vrai. En un autre sens on dit qu’est possible ce qui est vrai mais pas nécessairement, parce que son opposé n’est pas nécessairement faux, tout comme de dire que Socrate est assis alors qu’il est debout. En un troisième sens on dit d’un énoncé qu’il est possible, parce que bien qu’il ne soit pas vrai, il le sera cependant prochainement.

974.  Ensuite lorsqu’il dit [480] : ¨ En un sens métaphorique ¨.

   Il montre comment on peut parler de puissance en un sens métaphorique; et il dit qu’en géométrie on parle de puissance en un sens métaphorique. En géométrie en effet la puissance de la ligne s’appelle le carré de la ligne selon la ressemblance qui suit : tout comme à partir de ce qui est en puissance on obtient quelque chose qui est en acte, de même en conduisant une ligne sur elle-même on obtient un carré de la ligne. C’est comme si nous disions que trois est neuf en puissance parce que neuf résulte de la multiplication de trois par lui-même. Car trois fois trois font neuf. Mais tout comme l’impossible entendu au deuxième sens ne se dit pas d’après une impuissance, de même les sens du possible présentés en dernier ne se disent pas d’après une puissance mais d’après une certaine ressemblance ou d’après le sens du vrai et du faux.

975. Ensuite lorsqu’il dit [481] : ¨ Par ailleurs, les possibles qui se rapportent ¨.

   Il ramène tous les sens du possible et de l’impossible à un premier sens. Et il dit que les possibles qui sont dénommés d’après une puissance sont tous dénommés par rapport à une première puissance, laquelle est la première puissance active dont nous avons parlé plus haut et qui est le principe du changement dans un autre en tant qu’autre. Car tous les autres possibles sont dénommés par rapport à cette première puissance. On dit en effet d’une chose qu’elle est possible du fait que quelque chose d’autre a une puissance active sur elle et suite à cela on dit qu’elle est possible selon une puissance passive. On dit par ailleurs de d’autres choses qu’elles sont possibles en ce sens que rien d’autre ne peut exercer une telle puissance sur elles, comme celles dont on dit qu’elles sont puissantes parce qu’elles ne peuvent être détruites par des agents extérieurs. On dit de d’autres choses enfin qu’elles sont possibles ¨en possédant de telle manière¨, c’est-à-dire en ce sens qu’elles possèdent en elles la puissance d’agir ou de pâtir avec facilité et dans le sens du bien.

976. Et tout comme tous les possibles qui se disent d’après une certaine puissance se ramènent tous à une première puissance, de même tous les impossibles qui se disent d’après une certaine impuissance se ramènent tous à une première impuissance qui est opposée à une première puissance. Il apparaît donc clairement que la définition propre de la puissance dite en un premier sens est bien celle-ci : le principe de changement dans un autre en tant qu’autre, ce qui est la définition de la puissance active.

 

 

LECTIO 15

[82542] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 1Quoniam ens non solum dividitur in potentiam et actum, sed etiam in decem praedicamenta, postquam philosophus distinxit hoc nomen potentia, hic incipit distinguere nomina, quae significant praedicamenta. Et primo nomen quantitatis. Secundo nomen qualitatis, ibi, quale autem. Tertio distinguit modos ad aliquid, ibi, ad aliquid dicuntur. Alia vero praedicamenta praetermittit, quia sunt determinata ad aliquod genus rerum naturalium; ut patet praecipue de agere et pati, et de ubi et quando. Circa primum tria facit. Primo ponit rationem quantitatis; dicens, quod quantum dicitur quod est divisibile in ea quae insunt. Quod quidem dicitur ad differentiam divisionis mixtorum. Nam corpus mixtum resolvitur in elementa, quae non sunt actu in mixto, sed virtute tantum. Unde non est ibi tantum divisio quantitatis; sed oportet quod adsit aliqua alteratio, per quam mixtum resolvitur in elementa. Et iterum addit, quod utrumque aut singulum, est natum esse unum aliquid, hoc est aliquid demonstratum. Et hoc dicit ad removendum divisionem in partes essentiales, quae sunt materia et forma. Nam neutrum eorum aptum natum est esse unum aliquid per se.

[82543] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 2Secundo ibi, multitudo ergo ponit species quantitatis; inter quas primae sunt duae; scilicet multitudo sive pluralitas, et magnitudo sive mensura. Utrumque autem eorum habet rationem quanti, inquantum multitudo numerabilis est et magnitudo est mensurabilis. Mensuratio enim propria pertinet ad quantitatem. Definitur autem multitudo sic. Multitudo est, quod est divisibile secundum potentiam in partes non continuas. Magnitudo autem quod est divisibile in partes continuas. Quod quidem contingit tripliciter: et secundum hoc sunt tres species magnitudinis. Nam, si sit divisibile secundum unam tantum dimensionem in partes continuas, erit longitudo. Si autem in duas, latitudo. Si autem in tres, profunditas. Ulterius autem, quando pluralitas vel multitudo est finita, dicitur numerus. Longitudo autem finita, dicitur linea. Latitudo finita, corpus. Si enim esset multitudo infinita, non esset numerus; quia quod infinitum est, numerari non potest. Similiter, si esset longitudo infinita, non esset linea. Linea enim est longitudo mensurabilis. Et propter hoc in ratione lineae ponitur, quod eius extremitates sunt duo puncta. Simile est de superficie et corpore.

[82544] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 3Tertio ibi, amplius autem distinguit modos quantitatis; et circa hoc tria facit. Primo distinguit quantum in id quod est quantum per se, sicut linea, et in id quod est quantum per accidens, sicut musicum.

[82545] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 4Secundo ibi, eorum vero distinguit quantum per se; quod quidem duplex est. Quaedam enim significantur per modum substantiae et subiecti, sicut linea, vel superficies, vel numerus. Quodlibet enim istorum substantialiter est quantum, quia in definitione cuiuslibet ponitur quantitas. Nam linea est quantitas continua secundum longitudinem divisibilis, finita: et similiter est de aliis.

[82546] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 5Quaedam vero per se pertinent ad genus quantitatis, et significantur per modum habitus vel passionis talis substantiae, scilicet lineae, quae est substantialiter quantitas, vel aliarum similium quantitatum: sicut multum et paucum significantur ut passiones numeri: et productum et breve, ut passiones lineae: et latum et strictum, ut passiones superficiei: et profundum et humile sive altum, ut passiones corporis: et similiter grave et leve, secundum opinionem illorum, qui dicebant multitudinem superficierum vel atomorum esse causam gravitatis in corporibus, paucitatem vero eorumdem, causam levitatis. Sed secundum veritatem grave et leve non pertinent ad quantitatem, sed ad qualitatem, ut infra ponet. Et similiter est de aliis talibus.

[82547] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 6Quaedam etiam sunt, quae communiter cuiuslibet quantitatis continuae passiones sunt, sicut magnum et parvum, maius et minus; sive haec dicantursecundum se, idest absolute, sive dicantur ad invicem, sicut aliquid dicitur magnum et parvum respective, sicut in praedicamentis habetur. Ista autem nomina, quae significant passiones quantitatis per se, transferuntur etiam ad alia quam ad quantitates. Dicitur enim albedo magna et parva, et alia huiusmodi.

[82548] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 7Sciendum autem est, quod quantitas inter alia accidentia propinquior est substantiae. Unde quidam quantitates esse substantias putant, scilicet lineam et numerum et superficiem et corpus. Nam sola quantitas habet divisionem in partes proprias post substantiam. Albedo enim non potest dividi, et per consequens nec intelligitur individuare nisi per subiectum. Et inde est, quod in solo quantitatis genere aliqua significantur ut subiecta, alia ut passiones.

[82549] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 8Tertio ibi, secundum accidens distinguit modos quantitatis per accidens: et ponit duos modos quantitatis per accidens: quorum unus est secundum quod aliqua dicuntur quanta per accidens ex hoc solo, quod sunt accidentia alicuius quanti, sicut album et musicum per hoc quod sunt accidentia alicuius subiecti, quod est quantum.

[82550] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 9Alio modo dicuntur aliqua quanta per accidens non ratione subiecti, in quo sunt, sed eo quod dividuntur secundum quantitatem ad divisionem alicuius quantitatis; sicut motus et tempus, quae dicuntur quaedam quanta et continua, propterea quod ea, quorum sunt, sunt divisibilia, et ipsa dividuntur ad divisionem eorum. Tempus enim est divisibile et continuum propter motum; motus autem propter magnitudinem; non quidem propter magnitudinem eius quod movetur, sed propter magnitudinem eius in quo aliquid movetur. Ex eo enim quod illa magnitudo est quanta, et motus est quantus. Et propter hoc quod motus est quantus, sequitur tempus esse quantum. Unde haec non solum per accidens quantitates dici possunt, sed magis per posterius, inquantum quantitatis divisionem ab aliquo priori sortiuntur.

[82551] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 15 n. 10Sciendum est autem, quod philosophus in praedicamentis posuit tempus quantitatem per se, cum hic ponat ipsum quantitatem per accidens; quia ibi distinxit species quantitatis secundum diversas rationes mensurae. Aliam enim rationem mensurae habet tempus, quod est mensura extrinseca, et magnitudo, quae est mensura intrinseca. Et ideo ponitur ibi ut alia species quantitatis. Hic autem considerat species quantitatis quantum ad ipsum esse quantitatis. Et ideo illa, quae non habent esse quantitatis nisi ex alio, non ponit hic species quantitatis, sed quantitates per accidens, ut motum et tempus. Motus autem non habet aliam rationem mensurae quam tempus et magnitudo. Et ideo nec hic nec ibi ponitur quantitatis species. Locus autem ponitur ibi species quantitatis, non hic, quia habet aliam rationem mensurae, sed non aliud esse quantitatis.

LEÇON 15.

(nn. 977-986; [482-486]).

 

Il explique ce qu’est donc la quantité en elle-même, quelles sont ses espèces et il distingue les êtres qui sont quantifiés par soi de ceux qui ne le sont que par accident.

 

977. Parce que l’être ne se divise pas seulement par la puissance et l’acte mais aussi par les dix prédicaments, après avoir distingué les sens du nom ¨puissance¨, le Philosophe commence ici à distinguer les noms qui signifient les prédicaments.

   Et en premier lieu il le fait pour le nom de quantité [482]. En deuxième lieu il examine le nom de qualité, là [487] où il dit : ¨ Mais la qualité ¨. En troisième lieu il examine les sens de la relation, là [492] où il dit : ¨ On appelle relatifs ¨. Il omet par ailleurs les autres prédicaments parce qu’ils sont limités au genre des choses naturelles comme on le voit surtout pour l’action et la passion, le lieu et le temps.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente la définition de la quantité [482] en disant que la quantité se dit de ce qui est divisible en ses parties constitutives internes. Ce qui se dit certes à la différence de la division des corps mixtes. Car le corps mixte se réduit à des éléments qui n’existent pas en acte mais en puissance seulement dans le mixte. C’est pourquoi cette division de la quantité n’est pas purement quantitative, mais il faut qu’une certaine altération y soit présente par laquelle le mixte soit réduit en ses éléments. Et il ajoute de plus que les deux parties ou chacune d’elles est apte à être ¨une chose une et individuelle¨, c’est-à-dire tel être qu’on peut désigner. Et il dit cela pour exclure cette division qu’on retrouve dans les parties essentielles qui sont la matière et la forme. Car aucune d’elles n’est apte par nature à être par elle-même une chose une et individuelle.

978. En deuxième lieu, là [483] où il dit : ¨ Le multiple est donc ¨,

  Il présente les espèces de la quantité parmi lesquelles les principales sont au nombre de deux, à savoir le multiple ou la pluralité d’une part, l’étendue ou la mesure d’autre part. Mais tous les deux ont raison de quantité, pour autant que le multiple puisse être compté et que l’étendue puisse être mesurée. La notion de mesure en effet appartient en propre à la quantité. Et voici comment on définit le multiple et l’étendue : le multiple est ce qui est divisible en puissance en ses parties non continues alors que l’étendue de son côté est ce qui est divisible en parties continues. Mais cette division en parties continues se produit de trois manières et c’est suite à cela qu’il existe trois espèces d’étendues. Car si l’étendue est divisible en parties continues selon une seule dimension, on est en présence de la longueur. Si elle a lieu selon deux dimensions, on a affaire à la largeur. Mais si elle se présente selon trois dimensions, il s’agit alors de la profondeur. De plus, quand la pluralité ou le multiple est fini, on l’appelle le nombre. Mais pour ce qui est de la longueur finie, on l’appelle la ligne alors que la largeur finie a pour nom la surface et la profondeur finie le corps. Si en effet il existait un multiple infini, ce ne serait pas un nombre car ce qui est infini ne peut être compté. De la même manière, s’il existait une longueur infinie, ce ne serait pas une ligne. La ligne en effet est une longueur qui peut être mesurée. Et c’est pour cette raison qu’on affirme dans la définition de la ligne qu’elle est limitée par les deux points qui se trouvent à ses extrémités. Et il en est de même pour la surface et le corps.

979. En troisième lieu, là [484] où il dit : ¨ Mais en outre ¨,

   Il distingue les sens de la quantité et à ce sujet il fait trois choses. Et premièrement il distingue la quantité par soi, comme la ligne, de la quantité par accident, comme le musicien.

980. Deuxièmement, là [485] où il dit : ¨ Par ailleurs, parmi celles-ci ¨,

   Il fait une distinction à l’intérieur même de la quantité par soi qu’il divise en deux parties. En effet, certaines quantités par soi sont signifiées par mode de substance et de sujet comme la ligne, la surface et le nombre. Chacun de ces cas en effet est essentiellement une quantité car on retrouve la quantité dans la définition de chacun d’eux. Car la ligne est une quantité continue et finie divisible selon la longueur; et il en est de même pour les autres.

981. Par ailleurs d’autres quantités par soi appartiennent au genre de la quantité et sont signifiées par mode d’habitus et de propriétés d’une telle substance, par exemple de la ligne, qui est essentiellement une quantité, ou de d’autres quantités semblables. Ainsi, l’abondant et le rare signifient des propriétés du nombre d’une part, et le long et le court des propriétés de la ligne d’autre part; de plus, le large et l’étroit signifient des propriétés de la surface alors que le profond ou le bas et l’élevé signifient des propriétés du corps : et il en est de même pour le lourd et le léger, d’après l’opinion de ceux qui soutenaient que la multiplicité des surfaces ou des atomes était la cause de la lourdeur présente dans les corps et que le petit nombre de ces mêmes atomes au contraire était la cause de leur légèreté. Mais en vérité le lourd et le léger ne relèvent pas de la quantité mais de la qualité ainsi qu’Aristote le précisera plus loin. Et il en est de même pour les autres quantités par soi de cette sorte.

982. Il y en a d’autres propriétés encore qui sont communes à toute quantité continue, comme le grand et le petit, le plus et le moins, soit qu’on les considère ¨en elles-mêmes¨, c’est-à-dire absolument, soit qu’on les considère ¨dans leurs relations¨ mutuelles, comme lorsqu’on dit d’une chose qu’elle est grande ou petite par rapport à une autre, comme on l’établit dans les Prédicaments. Mais ces noms, qui signifient des propriétés de la quantité par soi, sont aussi transférés à des prédicaments autres que la quantité. On dit en effet de la blancheur qu’elle est grande ou petite et on lui attribue d’autres caractéristiques de cette sorte.

983. Mais il faut savoir que la quantité, parmi tous les autres accidents, est plus proche de la substance. De là certains croient que les quantités, comme la ligne, la surface, le nombre et le corps, sont des substances. Car seule la quantité, après la substance, est susceptible de division dans les parties qui lui sont propres. En effet la blancheur ne peut être divisée et par conséquent ne peut être comprise comme étant individuée, si ce n’est au moyen d’un sujet. Et il suit de là que c’est seulement dans le genre de la quantité qu’on retrouve des ¨entités¨ qui sont signifiées comme des sujets et d’autres qui sont signifiées comme des propriétés.

984. Troisièmement, là [486] où il dit : ¨ Par accident ¨,

   Il distingue les modes de la quantité par accident et il en présente deux, dont le premier est celui selon lequel on dit de certaines choses qu’elles sont des quantités par accident du seul fait qu’elles sont des accidents d’une quantité, comme le blanc et le musicien sont des quantités par accident du seul fait qu’ils sont des accidents d’un sujet qui est une quantité.

985. En un deuxième sens on dit de certaines choses qu’elles sont des quantités par accident non pas en raison d’un sujet dans lequel elles se trouvent, mais du fait qu’elles se divisent selon la quantité d’après la division d’une quantité : comme le mouvement et le temps, auxquels on attribue la quantité et la continuité pour cette raison que ce à quoi ils se rapportent est divisible et qu’eux-mêmes sont divisés d’après cette division. En effet, le temps est divisible et continu en raison du mouvement et le mouvement est divisible et continu en raison de l’étendue, non pas certes en raison de l’étendue de ce qui est mû, mais en raison de l’étendue dans laquelle une chose est mue. En effet, du fait que cette étendue est une quantité, le mouvement lui-même devient une quantité. Et pour cette raison que le mouvement est une quantité, il s’ensuit que le temps est une quantité. Et c’est pourquoi on peut non seulement dire de ces notions qu’elles sont des quantités par accident, mais aussi qu’elles sont des quantités par analogie et comme postérieurement, dans la mesure où elles obtiennent la division de la quantité à partir de quelque chose qui leur est antérieur.

986. Mais il faut savoir que le Philosophe dans les Prédicaments présentait le temps comme une quantité par soi alors qu’ici il le présente comme une quantité par accident. La raison en est qu’alors il distinguait les espèces de la quantité d’après les différentes définitions de la mesure. La définition de la mesure que possède le temps, qui est une mesure extérieure, est différente de celle que possède l’étendue, qui est une mesure intérieure. Et c’est pourquoi il le présente là comme une autre espèce de la quantité. Mais ici il considère les espèces de la quantité quant à l’être même de la quantité. Et c’est pourquoi ces notions, comme le temps et le mouvement, qui ne possèdent l’être de la quantité qu’à partir d’un autre (l’étendue), il ne les présente pas ici comme des espèces de la quantité mais comme des quantités par accident. Mais le mouvement n’a pas d’autre rapport à la mesure que le temps et l’étendue. Et c’est pourquoi ni ici ni dans les Prédicaments il ne le présente comme une espèce de la quantité. Mais là il présente le lieu comme une espèce de la quantité et non ici, parce qu’il possède un autre rapport à la mesure mais pas un autre être quantitatif.

 

 

LECTIO 16

[82552] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 1Hic distinguit modos qualitatis: et circa hoc duo facit. Primo ponit quatuor modos qualitatis. Secundo reducit eos ad duos, ibi, fere vero secundum duos modos. Dicit ergo primo, quod unus modus qualitatis est secundum quod qualitas dicitur differentia substantiae, idest differentia, per quam aliquid ab altero substantialiter differt, quae intrat in definitionem substantiae. Et propter hoc dicitur, quod differentia praedicatur in quale quid. Ut si quaeratur, quale animal est homo? Respondemus quod bipes: et quale animal equus? Respondemus quod quadrupes: et qualis figura est circulus? Respondemus quod agonion, id est sine angulo; ac si ipsa differentia substantiae qualitas sit. Uno igitur modo ipsa differentia substantiae qualitas dicitur.

[82553] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 2Hunc autem modum qualitatis Aristoteles in praedicamentis praetermisit, quia non continetur sub praedicamento qualitatis, de quo ibi agebat. Hic autem agit de significationibus huius nominis, qualitas.

[82554] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 3Secundum ponit ibi, alio vero dicit, quod alius modus qualitatis vel qualis est secundum quod immobilia et mathematica dicuntur qualia. Mathematica enim abstrahunt a motu, ut in sexto huius dicetur. Mathematica enim sunt numeri, et magnitudines; et in utrisque utimur nomine qualis. Dicimus enim superficies esse quales, inquantum sunt quadratae vel triangulares. Et similiter numeri dicuntur quales, inquantum sunt compositi. Dicuntur autem numeri compositi, qui communicant in aliquo numero mensurante eos; sicut senarius numerus et novenarius mensurantur ternario, et non solum ad unitatem comparationem habent, sicut ad mensuram communem. Numeri autem incompositi, vel primi in sua proportione dicuntur, quos non mensurat alius numerus communis, nisi sola unitas.

[82555] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 4Dicuntur etiam numeri quales ad similitudinem superficiei et solidi, idest corporis. Secundum quidem imitationem superficiei, inquantum numerus ducitur in numerum, vel eumdem vel alium; ut cum dicitur bis tria, vel ter tria. Et hoc est quod dicit quoties quanti. Nam designatur quasi una dimensio in hoc quod dicitur tria, quasi vero secunda dimensio, hoc quod dicitur bis tria, vel etiam ter tria.

[82556] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 5Ad imitationem vero solidi, quando est duplex ductus, vel eiusdem numeri in seipsum, vel diversorum numerorum in unum, ut cum dicitur ter tria ter, vel bis tria bis, vel bis tria quater. Et hoc est quod dicit quoties quot quanti. Sic enim considerantur in numero quasi tres dimensiones ad modum solidi. In hac autem numerorum ordinatione, aliquid consideratur per modum substantiae; sicut hoc quod dico tria, vel quicumque numerus qui in alium ducitur. Aliquid vero per modum quantitatis; sicut ipse ductus unius numeri in alterum, vel in se ipsum; ut cum dico bis tria, binarius significatur per modum quantitatis mensurantis, ternarius vero per modum substantiae. Id ergo, quod existit in substantia numeri praeter ipsam quantitatem, quae est numeri substantia, dicitur qualitas eius, ut hoc quod significatur per hoc quod dicitur bis vel ter.

[82557] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 6Alia litera habet secundum quantitatem; et tunc substantia numeri dicitur ipse numerus simpliciter prolatus, ut quod dico tria. Quantitas autem secundum quam attenditur eius qualitas, dicitur ipsa multiplicatio numeri in numerum. Et huic concordat litera sequens, quae dicit, quod substantia cuiuslibet numeri est id quod semel dicitur. Sicut substantia senarii est quod dicitur semel sex, non quod dicitur bis tria, vel ter duo: sed hoc pertinet ad eius qualitatem. Dicere enim numerum esse superficialem vel solidum sive quadratum, sive cubicum, significat eum esse qualem. Hic autem modus qualitatis est quarta species in praedicamentis posita.

[82558] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 7Tertio ponit ibi, amplius quaecumque dicit, quod etiam qualitates dicuntur passiones substantiarum mobilium, secundum quas corpora per alterationem mutantur, ut calidum, frigidum, et huiusmodi. Et hic modus pertinet ad tertiam speciem qualitatis in praedicamentis positam.

[82559] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 8Quartum ponit ibi, amplius secundum dicit quod qualitas sive quale dicitur quarto modo secundum quod aliquid disponitur per virtutem et vitium, vel qualitercumque per bonum et malum, sicut per scientiam et ignorantiam, sanitatem et aegritudinem, et huiusmodi. Et haec est prima species qualitatis in praedicamentis posita.

[82560] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 9Praetermittit autem inter hos modos secundam qualitatis speciem, quia magis comprehenditur sub potentia, cum non significetur nisi ut principium passioni resistens; sed propter modum denominandi ponitur in praedicamentis inter species qualitatis. Secundum autem modum essendi magis continetur sub potentia, sicut et supra posuit.

[82561] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 10Deinde cum dicit fere vero reducit quatuor positos modos ad duos; dicens, quod quale dicitur aliquid fere secundum duos modos, inquantum alii duo de quatuor reducuntur ad alios duos. Horum autem unus principalissimus est primus modus, secundum quem differentia substantiae dicitur qualitas, quia per eum aliquid significatur informatum et qualificatum.

[82562] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 11Et ad hunc modum reducitur qualitas, quae est in numeris, et in mathematicis aliis, sicut quaedam pars. Huiusmodi enim qualitates sunt quasi quaedam differentiae substantiales mathematicorum. Nam ipsa significantur per modum substantiae potius quam alia accidentia, ut in capitulo de quantitate dictum est. Sunt autem huiusmodi qualitates differentiae substantiarum aut non motarum, aut non inquantum sunt motae: et hoc dicit, ut ostendat quantum ad propositum non differre, utrum mathematica sint quaedam substantiae per se existentes secundum esse, ut dicebat Plato, a motu separatae; sive sint in substantiis mobilibus secundum esse, sed separatae secundum rationem. Primo enim modo essent qualitates non motorum. Secundo autem, motorum, sed non inquantum sunt mota.

[82563] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 12Secundus modus principalis est, ut passiones motorum inquantum mota, et etiam differentiae motuum dicantur qualitates. Quae quidem dicuntur differentiae motuum, quia alterationes differunt secundum huiusmodi qualitates, sicut calefieri et infrigidari secundum calidum et frigidum.

[82564] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 13Et ad hunc modum reducitur ille modus secundum quem vitium et virtus dicitur qualitas. Hic enim modus est quasi quaedam pars illius. Virtus enim et vitium ostendunt quasdam differentias motus et actus secundum bene et male. Nam virtus est, per quam se aliquis habet bene ad agendum et patiendum; vitium autem secundum quod male. Et simile est de aliis habitibus, sive intellectualibus, ut scientia, sive corporalibus, ut sanitas.

[82565] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 16 n. 14Sed tamen bene et male maxime pertinet ad qualitatem in rebus animatis; et praecipue in habentibus prohaeresim idest electionem. Et hoc ideo, quia bonum habet rationem finis. Ea vero, quae agunt per electionem, agunt propter finem. Agere autem propter finem maxime competit rebus animatis. Res enim inanimatae agunt vel moventur propter finem, non tamquam cognoscentes finem, neque tamquam se agentes ad finem; sed potius ab alio diriguntur, qui eis naturalem inclinationem dedit, sicut sagitta dirigitur in finem a sagittante. Res autem irrationales animatae cognoscunt quidem finem et appetunt ipsum appetitu animali, et movent seipsa localiter ad finem tamquam iudicium habentes de fine; sed appetitus finis, et eorum quae sunt propter finem, determinatur eis ex naturali inclinatione. Propter quod sunt magis acta quam agentia. Unde nec in eis est iudicium liberum. Rationalia vero in quibus solum est electio, cognoscunt finem, et proportionem eorum, quae sunt in finem ipsum. Et ideo sicut seipsa movent ad finem, ita etiam ad appetendum finem, vel ea quae sunt propter finem, ex quo est in eis electio libera.

LEÇON 16.

(nn. 987-1000; [487-491]).

 

Il présente ici les quatre sens de la qualité qu’il ramène à deux.

 

987. Le Philosophe distingue ici les sens de la qualité et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente les quatre sens de la qualité [487]. En deuxième lieu il les ramène à deux modes, là [491] où il dit : ¨ Par ailleurs on peut sans doute ramener à deux modes ¨.

   Il dit donc en premier lieu [487] que le premier sens est celui selon lequel on appelle qualité ¨la différence de la substance¨, c’est-à-dire la différence par laquelle une chose diffère substantiellement d’une autre, et qui entre dans la définition de la substance. Et c’est pour cette raison qu’il dit que la différence s’attribue comme qualité substantielle. Par exemple, si on demandait quel animal est l’homme, nous répondrions qu’il est bipède; et si on demandait quel animal est le cheval, nous répondrions qu’il est quadrupède; et si on demandait encore quelle est cette figure qu’on appelle le cercle, nous répondrions que c’est celle qui est ¨sans angle¨, c’est-à-dire privée d’angles. Tous ces exemples manifestent qu’on parle alors de la différence de la substance comme si elle était une qualité. Donc en un premier sens on appelle qualité la différence même de la substance.

988. Mais Aristote, dans les Prédicaments, omet de parler de ce sens de la qualité parce qu’il n’est pas compris dans le prédicament de la qualité dont il était question dans ce traité alors qu’ici il est question des significations du nom qualité.

989. En deuxième lieu, lorsqu’il dit [488] : ¨ En un autre sens par ailleurs ¨,

   Il dit qu’il existe un autre sens de la qualité d’après lequel on attribue la qualité aux êtres immobiles et mathématiques. Les entités mathématiques en effet font abstraction du mouvement ainsi qu’on le dira au sixième livre de ce traité. Ces entités en effet sont les nombres et les étendues : et dans les deux cas on se sert du nom de qualité. Nous disons en effet de quelle sorte sont les surfaces dans la mesure où nous disons qu’elles sont carrées ou triangulaires. Et de la même manière nous disons de quelle sorte sont les nombres dans la mesure où nous disons s’ils sont composés. Mais on appelle composés les nombres qui ont en commun un nombre qui les mesure; tout comme le nombre six et le nombre neuf sont mesurés par le nombre trois, et ils ne sont pas mesurés uniquement par l’unité qui est la mesure commune à tous les nombres. Mais les nombres qui ne sont pas composés, on les appelle premiers dans leurs rapports aux autres, parce, outre l’unité, il n’y a pas d’autre nombre commun qui les mesure.

990. On attribue encore la qualité aux nombres en raison de leur ressemblance à la surface et ¨au solide¨, c’est-à-dire au corps. À l’imitation d’une surface,  on le fait dans la mesure où un nombre est composé par un nombre, soit par le même soit par un autre, comme lorsqu’on dit deux fois trois ou trois fois trois. Et c’est ce qu’il dit par les mots ¨tant de fois la quantité¨. Car quand on dit ¨trois¨, on présente le nombre comme s’il s’agissait d’une seule dimension, mais comme s’il s’agissait par ailleurs d’une deuxième dimension si on dit ¨deux fois trois¨ ou encore ¨trois fois trois¨.

991. Et d’un autre côté à l’imitation du corps, quand il y a une double composition, soit du même nombre par lui-même, soit différents nombres par un seul, comme lorsqu’on dit trois fois trois fois trois ou deux fois trois fois deux ou deux fois trois fois quatre, et c’est ce qu’il signifie par l’expression ¨tant de fois la quantité de la quantité¨, comme si on considérait en effet dans le nombre comme trois dimensions à la manière du solide. Dans cet arrangement des nombres, quelque chose est considéré à la manière d’une substance, comme le nombre trois ou tout autre nombre composé par un autre; d’un autre côté quelque chose d’autre est considéré à la manière d’une quantité, comme la composition même d’un nombre par un autre ou par lui-même, comme lorsque je dis deux fois trois, deux est signifié à la manière d’une quantité qui mesure et trois par ailleurs à la manière d’une substance. Donc, ce qui existe dans la substance du nombre en dehors de la quantité elle-même, qui est l’essence même du nombre, est dit être sa qualité, comme ce qu’on signifie par ceci en disant deux fois ou trois fois.

992. Un autre document nous dit ¨d’après la quantité¨; et alors on appelle substance du nombre le nombre lui-même tel qu’il se présente simplement comme lorsqu’on dit trois. Mais la quantité d’après laquelle se prend sa qualité se dit de la multiplication même du nombre par le nombre. Et le texte qui suit s’accorde avec cela, lequel affirme que la substance de tout nombre est ce qui se dit une fois. Par exemple, la substance du nombre six, c’est d’être une fois six, et non pas trois fois deux ou deux fois trois, ce qui se rapporte à sa qualité. En effet, dire d’un nombre qu’il est comme une surface ou comme un corps, ou encore qu’il est carré ou cubique, c’est dire de quelle sorte il est, sa qualité. Et ce mode de la qualité correspond à la quatrième espèce de la qualité présentée dans les Prédicaments.

993. En troisième lieu, là [489] où il dit : ¨ En outre, toutes ¨,

   Il dit qu’on appelle encore qualités les propriétés des substances mobiles d’après lesquelles les corps sont changés par mode d’altération, comme le chaud, le froid, et d’autres qualités de cette sorte. Et ce mode correspond à la troisième espèce de qualité présentée dans les Prédicaments.

994. En quatrième lieu, là [490] où il dit : ¨ En outre, c’est d’après ¨,

   Il dit que la qualité se dit en un quatrième sens selon qu’une chose est disposée par la vertu ou le vice, ou de quelque manière que ce soit par le bien ou le mal, comme par la science ou l’ignorance, ou par la santé ou la maladie, et par des dispositions de cette sorte. Et telle est la première espèce de qualité présentée dans les Prédicaments.

995. Mais parmi ces sens, il omet de présenter ici la deuxième espèce de qualité parce qu’elle est davantage comprise sous la puissance puisqu’elle n’est signifiée que comme principe capable de résister à la passion; mais en raison du mode de dénommer, elle est présentée dans les Prédicaments parmi les espèces de la qualité. Cependant, d’après son mode d’être, elle est davantage contenue sous la puissance, tout comme il l’a soutenu plus haut.

996. Ensuite lorsqu’il dit [491] : ¨ Par ailleurs, sans doute ¨.

   Il ramène à deux modes les quatre modes de la qualité qu’il vient de présenter en disant que c’est sans doute d’après deux modes que se dit la qualité, dans la mesure où deux des quatre se ramènent aux deux autres. Mais parmi tous ces modes le principal est le tout premier sens, selon lequel on appelle qualité la différence de la substance, car c’est grâce à lui que quelque chose d’informe est signifié comme recevant sa nature.

997. Et c’est à ce mode qu’il ramène la qualité qu’on rencontre dans les nombres et dans les autres entités mathématiques, comme si elle en était une partie. Ces qualités mathématiques en effet sont comme des différences substantielles des entités mathématiques qui sont elles-mêmes signifiées à la manière d’une substance plus que les autres accidents, ainsi qu’on l’a déjà dit dans le chapitre sur la quantité. Mais les qualités de cette sorte sont les différences de substances ¨ou bien qui ne sont pas en mouvement ou bien qui ne sont pas prises en tant que mobiles¨ : et il dit cela pour montrer que par rapport au propos, cela ne fait aucune différence que les entités mathématiques soient considérées comme des substances existant par elles-mêmes et indépendamment du mouvement comme le disait Platon, ou bien comme des substances soumises au mouvement quant à leur être mais indépendamment de lui quant à la raison. Dans le premier cas en effet elles seraient les qualités de substances qui ne sont pas mobiles, alors que dans le deuxième elles seraient les qualités de substances mobiles mais non considérées en tant que mobiles.

998. Le deuxième mode principal est celui selon lequel on appelle qualités les propriétés des substances mobiles en tant que mobiles, et même les différences des mouvements eux-mêmes. On appelle certes qualités les différences des mouvements parce que les altérations diffèrent d’après de telles qualités, comme d’être réchauffé ou refroidi diffèrent d’après le chaud et le froid.

999. Et c’est à ce mode qu’on ramène le mode selon lequel on appelle qualités la vertu et le vice. Ce dernier mode en effet est comme une partie du premier. En effet la vertu et le vice manifestent certaines différences à l’égard des mouvements et des actions sous le rapport du bien et du mal. Car la vertu est la qualité d’après laquelle quelqu’un se rapporte adéquatement à l’égard de l’action et de la passion alors que le vice est celle d’après laquelle il s’y rapporte inadéquatement. Et il en est de même pour les autres habitus, qu’ils soient intellectuels, comme la science, ou corporels, comme la santé.

1000. Mais c’est surtout dans les êtres animés que le bien et le mal se rapportent à la qualité; et davantage encore dans ceux qui possèdent ¨le libre arbitre¨, c’est-à-dire chez ceux qui sont capables de décider par eux-mêmes. Et il en est ainsi parce que le bien a raison de fin. Les êtres en effet qui agissent par choix agissent en vue d’une fin. Mais agir en vue d’une fin appartient surtout aux êtres animés. Même si les êtres inanimés agissent ou se meuvent en vue d’une fin, ils ne le font pas comme s’ils connaissaient la fin, ni comme s’ils agissaient d’eux-mêmes en vue de la fin; mais plutôt, ils sont dirigés par un autre qui leur donne une inclination naturelle, tout comme c’est par l’archer que la flèche se dirige vers la cible. Mais certains être inanimés irrationnels connaissent la fin et y tendent par un appétit animal, et se meuvent eux-mêmes selon le lieu vers la fin comme s’ils étaient capables d’un jugement sur la fin; mais l’appétit de la fin et des moyens qui y sont ordonnés est déterminé en eux à partir d’une inclination naturelle. Et c’est pour cette raison qu’on peut dire à leur sujet qu’ils sont plus soumis à une action, c’est-à-dire qu’ils sont plus des patients que de véritables agents. C’est pourquoi il n’y a pas en eux de jugement libre. D’un autre côté, les êtres rationnels, qui sont les seuls à pouvoir choisir, connaissent la fin et le rapport qu’il y a entre les moyens et la fin elle-même. Et c’est pourquoi, tout comme ils se meuvent d’eux-mêmes vers la fin, de même ils se meuvent d’eux-mêmes à désirer la fin ainsi que les moyens qui sont ordonnés à la fin; et c’est à partir de là qu’on peut voir qu’il y a en eux le libre arbitre.

 

 

LECTIO 17

[82566] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 1Hic determinat philosophus de ad aliquid: et circa hoc duo facit. Primo ponit modos eorum, quae sunt ad aliquid secundum se. Secundo eorum, quae sunt ad aliquid ratione alterius, ibi, illa vero quia sua genera. Circa primum duo facit. Primo enumerat modos eorum, quae secundum se ad aliquid dicuntur. Secundo prosequitur de eis, ibi, dicuntur autem prima. Ponit ergo tres modos eorum, quae ad aliquid dicuntur: quorum primus est secundum numerum et quantitatem, sicut duplum ad dimidium, et triplum ad tertiam partem, et multiplicatum, idest multiplex, ad partem multiplicati, idest ad submultiplex, et continens ad contentum. Accipitur autem continens pro eo, quod excedit secundum quantitatem. Omne enim excedens secundum quantitatem continet in se illud quod exceditur. Est enim hoc et adhuc amplius; sicut quinque continet in se quatuor, et tricubitum continet in se bicubitum.

[82567] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 2Secundus modus est prout aliqua dicuntur ad aliquid secundum actionem et passionem, vel potentiam activam et passivam; sicut calefactivum ad calefactibile, quod pertinet ad actiones naturales, et sectivum ad sectibile, quod pertinet ad actiones artificiales, et universaliter omne activum ad passivum.

[82568] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 3Tertius modus est secundum quod mensurabile dicitur ad mensuram. Accipitur autem hic mensura et mensurabile non secundum quantitatem (hoc enim ad primum modum pertinet, in quo utrumque ad utrumque dicitur: nam duplum dicitur ad dimidium, et dimidium ad duplum), sed secundum mensurationem esse et veritatis. Veritas enim scientiae mensuratur a scibili. Ex eo enim quod res est vel non est, oratio scita vera vel falsa est, et non e converso. Et similiter est de sensibili et sensu. Et propter hoc non mutuo dicuntur mensura ad mensurabile et e converso, sicut in aliis modis, sed solum mensurabile ad mensuram. Et similiter etiam imago dicitur ad id cuius est imago, tamquam mensurabile ad mensuram. Veritas enim imaginis mensuratur ex re cuius est imago.

[82569] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 4Ratio autem istorum modorum haec est. Cum enim relatio, quae est in rebus, consistat in ordine quodam unius rei ad aliam, oportet tot modis huiusmodi relationes esse, quot modis contingit unam rem ad aliam ordinari. Ordinatur autem una res ad aliam, vel secundum esse, prout esse unius rei dependet ab alia, et sic est tertius modus. Vel secundum virtutem activam et passivam, secundum quod una res ab alia recipit, vel alteri confert aliquid; et sic est secundus modus. Vel secundum quod quantitas unius rei potest mensurari per aliam; et sic est primus modus.

[82570] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 5Qualitas autem rei, inquantum huiusmodi, non respicit nisi subiectum in quo est. Unde secundum ipsam una res non ordinatur ad aliam, nisi secundum quod qualitas accipit rationem potentiae passivae vel activae, prout est principium actionis vel passionis. Vel ratione quantitatis, vel alicuius ad quantitatem pertinentis; sicut dicitur aliquid albius alio, vel sicut dicitur simile, quod habet unam aliquam qualitatem. Alia vero genera magis consequuntur relationem, quam possint relationem causare. Nam quando consistit in aliquali relatione ad tempus. Ubi vero, ad locum. Positio autem ordinem partium importat. Habitus autem relationem habentis ad habitum.

[82571] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 6Deinde cum dicit dicuntur autem prosequitur tres modos enumeratos; et primo prosequitur primum. Secundo prosequitur secundum, ibi, activa vero et passiva. Tertio tertium, ibi, ergo secundum numerum. Circa primum duo facit. Primo ponit relationes quae consequuntur numerum absolute. Secundo ponit relationes quae consequuntur unitatem absolute, ibi, et amplius aequale. Dicit ergo, quod primus modus relationum, qui est secundum numerum, distinguitur hoc modo: quia vel est secundum comparationem numeri ad numerum, vel numeri ad unum. Et secundum comparationem ad utrumque dupliciter: quia vel est secundum comparationem numeri indeterminate ad numerum, aut ad unum determinate. Et hoc est quod dicit, quod prima, quae dicuntur ad aliquid secundum numerum, aut dicuntur simpliciter, idest universaliter, vel indeterminate, aut determinate. Et utrolibet modo ad eos, scilicet numeros. Aut ad unum, idest ad unitatem.

[82572] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 7Sciendum est autem, quod omnis mensuratio, quae est in quantitatibus continuis, aliquo modo derivatur a numero. Et ideo relationes, quae sunt secundum quantitatem continuam, etiam attribuuntur numero.

[82573] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 8Sciendum est etiam, quod proportio numeralis dividitur primo in duas; scilicet aequalitatis, et inaequalitatis. Inaequalitatis autem sunt duae species; scilicet excedens et excessum, et magis et minus. Inaequale autem excedens in quinque species dividitur.

[82574] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 9Numerus enim maior quandoque respectu minoris est multiplex; quando scilicet aliquoties continet ipsum, sicut sex continet duo ter. Et si quidem contineat ipsum bis, dicitur duplum; sicut duo ad unum vel quatuor ad duo. Si ter, triplum. Si quater, quadruplum. Et sic inde.

[82575] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 10Quandoque vero numerus maior continet totum numerum minorem semel, et insuper unam aliquam partem eius. Et tunc dicitur superparticularis. Et si quidem contineat totum et medium, vocatur sesquialterum, sicut tria ad duo. Si autem tertiam, sesquitertius, sicut quatuor ad tria. Si quartam, sesquiquartus, sicut quinque ad quatuor. Et sic inde.

[82576] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 11Quandoque numerus maior continet minorem totum semel; et insuper non solum unam partem, sed plures partes. Et sic dicitur superpartiens. Et si quidem contineat duas partes, dicitur superbipartiens, sicut quinque se habent ad tria. Si vero tres, dicitur supertripartiens, sicut septem se habent ad quatuor. Si autem quatuor, sic est superquadripartiens; et sic se habet novem ad quinque. Et sic inde.

[82577] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 12Quandoque vero numerus maior continet totum minorem pluries, et insuper aliquam partem eius; et tunc dicitur multiplex superparticularis. Et si quidem contineat ipsum bis et mediam partem eius, dicitur duplum sesquialterum, sicut quinque ad duo. Si autem ter et mediam partem eius, vocabitur triplum sesquialterum, sicut se habent septem ad duo. Si autem quater et dimidiam partem eius, dicitur quadruplum sesquialterum, sicut novem ad duo. Possent etiam ex parte superparticularis huiusmodi proportionis species sumi, ut dicatur duplex sesquitertius, quando maior numerus habet minorem bis et tertiam partem eius, sicut se habent septem ad tria: vel duplex sesquiquartus, sicut novem ad quatuor, et sic de aliis.

[82578] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 13Quandoque etiam numerus maior habet minorem totum pluries, et etiam plures partes eius, et tunc dicitur multiplex superpartiens. Et similiter proportio potest dividi secundum species multiplicitatis, et secundum species superpartientis, si dicatur duplum superbipartiens, quando habet maior numerus totum minorem bis et duas partes eius, sicut octo ad tria. Vel etiam triplum superbipartiens, sicut undecim ad tres. Vel etiam duplum supertripartiens, sicut undecim ad quatuor. Habet enim totum bis, et tres partes eius.

[82579] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 14Et totidem species sunt ex parte inaequalitatis eius qui exceditur. Nam numerus minor dicitur submultiplex, subparticularis, subpartiens, submultiplex subparticularis, submultiplex subpartiens, et sic de aliis.

[82580] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 15Sciendum autem quod prima species proportionis, scilicet multiplicitas, consistit in comparatione unius numeri ad unitatem. Quaelibet enim eius species invenitur primo in aliquo numero respectu unitatis. Duplum primo invenitur in binario respectu unitatis. Et similiter proportio tripli in ternario respectu unitatis, et sic de aliis. Primi autem termini in quibus invenitur aliqua proportio, dant speciem ipsi proportioni. Unde in quibuscumque aliis terminis consequenter inveniatur, invenitur in eis secundum rationem primorum terminorum. Sicut proportio dupla primo invenitur inter duo et unum. Unde ex hoc proportio recipit rationem et nomen. Dicitur enim proportio dupla proportio duorum ad unum. Et propter hoc, si etiam unus numerus respectu alterius numeri sit duplus, tamen hoc est secundum quod minor numerus accipit rationem unius, et maior rationem duorum. Sex enim se habet in dupla proportione ad tria, inquantum tria se habent ad sex ut unum ad duo. Et simile est in tripla proportione, et in omnibus aliis speciebus multiplicitatis. Et ideo dicit, quod ista relatio dupli, est per hoc quod numerus determinatus, scilicet duo, refertur ad unum, idest ad unitatem.

[82581] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 16Sed hoc quod dico, multiplex, importat relationem numeri ad unitatem; sed non alicuius determinati numeri, sed numeri in universali. Si enim determinatus numerus accipiatur ut binarius vel ternarius, esset una species multiplicitatis, ut dupla vel tripla. Sicut autem duplum se habet ad duo, et triplum ad tria, quae sunt numeri determinati, ita multiplex ad multiplicitatem, quia significat numerum indeterminatum.

[82582] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 17Aliae autem proportiones non possunt attendi secundum numerum ad unitatem, scilicet neque proportio superparticularis, neque superpartiens, neque multiplex superparticularis, neque multiplex superpartiens. Omnes enim hae proportionum species attenduntur secundum quod maior numerus continet minorem semel, vel aliquoties; et insuper unam vel plures partes eius. Unitas autem partem habere non potest: et ideo nulla harum proportionum potest attendi secundum comparationem numeri ad unitatem, sed secundum comparationem numeri ad numerum. Et sic est duplex, vel secundum numerum determinatum, vel secundum numerum indeterminatum.

[82583] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 18Si autem secundum numerum determinatum, sic est hemiolum, idest sesquialterum, aut subhemiolum, idest supersesquialterum. Proportio enim sesquialtera primo consistit in his terminis, scilicet ternario et binario; et sub ratione eorum in omnibus aliis invenitur. Unde quod dicitur hemiolum vel sesquialterum importat relationem determinati numeri ad determinatum numerum, scilicet trium ad duo.

[82584] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 19Quod vero dicitur superparticulare, refertur ad subparticulare, non secundum determinatos numeros, sicut etiam multiplex refertur ad unum, sed secundum numerum indeterminatum. Primae enim species inaequalitatis superius numeratae accipiuntur secundum indeterminatos numeros, ut multiplex, superparticulare, superpartiens et cetera. Species vero istorum accipiuntur secundum numeros determinatos, ut duplum, triplum, sesquialterum, sesquitertium, et sic de aliis.

[82585] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 20Contingit enim aliquas quantitates continuas habere proportionem adinvicem, sed non secundum aliquem numerum, nec determinatum, nec indeterminatum. Omnium enim quantitatum continuarum est aliqua proportio; non tamen est proportio numeralis. Quorumlibet enim duorum numerorum est una mensura communis, scilicet unitas, quae aliquoties sumpta, quemlibet numerum reddit. Non autem quarumlibet quantitatum continuarum invenitur esse una mensura communis; sed sunt quaedam quantitates continuae incommensurabiles: sicut diameter quadrati est incommensurabilis lateri. Et hoc ideo, quia non est proportio eius ad latus, sicut proportio numeri ad numerum, vel numeri ad unum.

[82586] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 21Cum ergo dicitur in quantitatibus, quod haec est maior illa, vel se habet ad illam ut continens ad contentum, non solum haec ratio non attenditur secundum aliquam determinatam speciem numeri, sed nec etiam quod sit secundum numerum, quia omnis numerus est alteri commensurabilis. Omnes enim numeri habent unam communem mensuram, scilicet unitatem. Sed continens et contentum non dicuntur secundum aliquam commensurationem numeralem. Continens enim ad contentum dicitur, quod est tantum, et adhuc amplius. Et hoc est indeterminatum, utrum sit commensurabile, vel non commensurabile. Quantitas enim qualiscumque accipiatur, vel est aequalis, vel inaequalis. Unde, si non est aequalis, sequitur quod sit inaequalis et continens, etiam si non sit commensurabilis. Patet igitur quod omnia praedicta dicuntur ad aliquid secundum numerum, et secundum passiones numerorum, quae sunt commensuratio, proportio, et huiusmodi.

[82587] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 22Deinde cum dicit et amplius ponit relativa, quae accipiuntur secundum unitatem, et non per comparationem numeri ad unum vel ad numerum; et dicit quod alio modo a praedictis dicuntur relative, aequale, simile, et idem. Haec enim dicuntur secundum unitatem. Nam eadem sunt, quorum substantia est una. Similia, quorum qualitas est una. Aequalia, quorum quantitas est una. Cum autem unum sit principium numeri et mensura, patet etiam, quod haec dicuntur ad aliquid secundum numerum, idest secundum aliquid ad genus numeri pertinens; non eodem modo tamen haec ultima cum primis. Nam primae relationes erant secundum numerum ad numerum, vel secundum numerum ad unum; hoc autem secundum unum absolute.

[82588] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 23Deinde cum dicit activa vero prosequitur de secundo modo relationum, quae sunt in activis et passivis: et dicit, quod huiusmodi relativa sunt relativa dupliciter. Uno modo secundum potentiam activam et passivam; et secundo modo secundum actus harum potentiarum, qui sunt agere et pati; sicut calefactivum dicitur ad calefactibile secundum potentiam activam et passivam. Nam calefactivum est, quod potest calefacere; calefactibile vero, quod potest calefieri. Calefaciens autem ad calefactum, et secans ad id quod secatur, dicuntur relative secundum actus praedictarum potentiarum.

[82589] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 24Et differt iste modus relationum a praemissis. Quae enim sunt secundum numerum, non sunt aliquae actiones nisi secundum similitudinem, sicut multiplicare, dividere et huiusmodi, ut etiam in aliis dictum est, scilicet in secundo physicorum; ubi ostendit, quod mathematica abstrahunt a motu, et ideo in eis esse non possunt huiusmodi actiones, quae secundum motum sunt.

[82590] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 25Sciendum etiam est quod eorum relativorum, quae dicuntur secundum potentiam activam et passivam, attenditur diversitas secundum diversa tempora. Quaedam enim horum dicuntur relative secundum tempus praeteritum, sicut quod fecit, ad illud quod factum est; ut pater ad filium, quia ille genuerit, iste genitus est; quae differunt secundum fecisse, et passum esse. Quaedam vero secundum tempus futurum, sicut facturus refertur ad faciendum. Et ad hoc genus relationum reducuntur illae relationes, quae dicuntur secundum privationem potentiae, ut impossibile et invisibile. Dicitur enim aliquid impossibile huic vel illi; et similiter invisibile.

[82591] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 26Deinde cum dicit ergo secundum prosequitur de tertio modo relationum; et dicit quod in hoc differt iste tertius modus a praemissis, quod in praemissis, unumquodque dicitur relative ex hoc, quod ipsum ad aliud refertur; non ex eo quod aliud referatur ad ipsum. Duplum enim refertur ad dimidium, et e converso; et similiter pater ad filium, et e converso; sed hoc tertio modo aliquid dicitur relative ex eo solum, quod aliquid refertur ad ipsum; sicut patet, quod sensibile et scibile vel intelligibile dicuntur relative, quia alia referuntur ad illa. Scibile enim dicitur aliquid, propter hoc, quod habetur scientia de ipso. Et similiter sensibile dicitur aliquid quod potest sentiri.

[82592] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 27Unde non dicitur relative propter aliquid quod sit ex eorum parte, quod sit qualitas, vel quantitas, vel actio, vel passio, sicut in praemissis relationibus accidebat; sed solum propter actiones aliorum, quae tamen in ipsa non terminantur. Si enim videre esset actio videntis perveniens ad rem visam, sicut calefactio pervenit ad calefactibile; sicut calefactibile refertur ad calefaciens, ita visibile referretur ad videntem. Sed videre et intelligere et huiusmodi actiones, ut in nono huius dicetur, manent in agentibus, et non transeunt in res passas; unde visibile et scibile non patitur aliquid, ex hoc quod intelligitur vel videtur. Et propter hoc non ipsamet referuntur ad alia, sed alia ad ipsa. Et simile est in omnibus aliis, in quibus relative aliquid dicitur propter relationem alterius ad ipsum, sicut dextrum et sinistrum in columna. Cum enim dextrum et sinistrum designent principia motuum in rebus animatis, columnae et alicui inanimato attribui non possunt, nisi secundum quod animata aliquo modo se habeant ad ipsam, sicut columna dicitur dextra, quia homo est ei sinister. Et simile est de imagine respectu exemplaris, et denario, quo fit pretium emptionis. In omnibus autem his tota ratio referendi in duobus extremis, pendet ex altero. Et ideo omnia huiusmodi quodammodo se habent ut mensurabile et mensura. Nam ab eo quaelibet res mensuratur, a quo ipsa dependet.

[82593] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 28Sciendum est autem, quod quamvis scientia secundum nomen videatur referri ad scientem et ad scibile, dicitur enim scientia scientis, et scientia scibilis, et intellectus ad intelligentem et intelligibile; tamen intellectus secundum quod ad aliquid dicitur, non ad hoc cuius est sicut subiecti dicitur: sequeretur enim quod idem relativum bis diceretur. Constat enim quoniam intellectus dicitur ad intelligibile, sicut ad obiectum. Si autem diceretur ad intelligentem, bis diceretur ad aliquid; et cum esse relativi sit ad aliud quodammodo se habere, sequeretur quod idem haberet duplex esse. Et similiter de visu patet quod non dicitur ad videntem, sed ad obiectum quod est color vel aliquid aliud tale. Quod dicit propter ea, quae videntur in nocte non per proprium colorem, ut habetur in secundo de anima.

[82594] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 29Quamvis et hoc recte posset dici, scilicet quod visus sit videntis. Refertur autem visus ad videntem, non inquantum est visus, sed inquantum est accidens, vel potentia videntis. Relatio enim respicit aliquid extra, non autem subiectum nisi inquantum est accidens. Et sic patet, quod isti sunt modi, quibus aliqua dicuntur secundum se ad aliquid.

[82595] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 30Deinde cum dicit illa vero ponit tres modos, quibus aliqua dicuntur ad aliquid non secundum se, sed secundum aliud. Quorum primus est, quando aliqua dicuntur ad aliquid propter hoc quod sua genera sunt ad aliquid, sicut medicina dicitur ad aliquid, quia scientia est ad aliquid. Dicitur enim, quod medicina est scientia sani et aegri. Et isto modo refertur scientia per hoc quod est accidens.

[82596] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 31Secundus modus est, quando aliqua abstracta dicuntur ad aliquid, quia concreta habentia illa abstracta ad aliud dicuntur; sicut aequalitas et similitudo dicuntur ad aliquid, quia simile et aequale ad aliquid sunt. Aequalitas autem et similitudo secundum nomen non dicuntur ad aliquid.

[82597] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 17 n. 32Tertius modus est, quando subiectum dicitur ad aliquid, ratione accidentis; sicut homo vel album dicitur ad aliquid, quia utrique accidit duplum esse; et hoc modo caput dicitur ad aliquid, eo quod est pars.

LEÇON 17.

(nn. 1001-1032; [492-498]).

 

Il distingue le relatif par soi du relatif par accident, ou tous les sens ¨du relatif¨; de plus de nombreuses considérations sont faites sur les proportions.

 

1001. Le Philosophe détermine ici ce qu’il en est de la relation : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il détermine les sens de ce qui est relatif par soi [492]. En deuxième lieu il détermine les modes de ce qui est relatif en raison de quelque chose d’autre, là [497] où il dit : ¨ D’un autre côté, celles dont les genres ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il énumère les sens de ce qu’on appelle relatif par soi [492]. En deuxième lieu il poursuit son examen à leur sujet, là [493] où il dit : ¨ Mais on dit des premiers ¨.

   Il présente trois sens de ce qu’on appelle relatif [492], dont le premier est celui qui se dit selon le nombre et la quantité, comme le double à la moitié, le triple au tiers, et le ¨multiplié¨, c’est-à-dire le multiple à la partie ¨multipliée¨, c’est-à-dire au sous-multiple, ¨et le contenant au contenu¨. Mais le contenant est pris pour ce qui excède selon la quantité. En effet, ce qui dépasse selon la quantité contient en lui ce qui est dépassé. Et effet, le contenant est le contenu et plus encore, tout comme cinq contient en lui quatre et comme ce qui a trois coudées contient en lui ce qui a deux coudées.

1002. Le deuxième sens est celui selon lequel on dit de certaines choses qu’elles sont relatives selon l’action et la passion, ou selon la puissance active et la puissance passive, comme ce qui réchauffe à l’égard de ce qui peut être réchauffé, ce qui se rapporte aux actions naturelles, ou comme ce qui coupe à l’égard de ce qui est sécable, ce qui se rapporte aux actions artificielles, mais plus universellement tout ce qui est actif à l’égard de ce qui est passif.

1003. Le troisième sens est celui selon lequel on dit d’une chose qu’elle est mesurable par rapport à une mesure. Mais le mesurable et la mesure sont pris ici non selon la quantité (cela en effet se dit du premier mode dans lequel chacun des deux se dit mutuellement de l’autre : car le double se dit à l’égard de la moitié et la moitié à l’égard du double), mais d’après la mesure de l’être et de la vérité. La vérité de la science en effet est mesurée par le connaissable. C’est du fait qu’une chose est ou qu’elle n’est pas qu’il convient au discours d’être vrai ou faux, et non l’inverse. Et il en est de même pour le sensible et le sens. Et c’est pour cette raison que la mesure et le mesurable ne s’attribuent pas réciproquement l’un à l’autre de manière à se convertir, comme dans les autres sens, mais seulement dans le sens du mesurable à l’égard de la mesure. En effet, la vérité de l’image se mesure à partir de la chose dont elle est une image.

1004. Et voici quelle est la raison de ces sens. En effet puisque la relation qui est dans les choses consiste dans une certaine ordonnance d’une chose par rapport à une autre, il faut que les relations existent par autant de manières qu’il y a de manières pour une chose d’être ordonnée à une autre. Mais une chose est ordonnée à une autre soit selon l’être, dans la mesure où l’existence d’une chose dépend d’une autre, et ainsi on se trouve face au troisième sens; ou bien selon la puissance active et la puissance passive, selon qu’un être reçoit quelque chose d’un autre ou qu’il confère quelque chose à un autre, et on se trouve alors en présence du deuxième sens; ou enfin selon que la quantité d’une chose peut être mesurée par une autre, ce qui constitue le premier sens.

1005. Mais la qualité d’une chose en tant que telle ne se rapporte qu’au sujet dans lequel elle se trouve. De là, en tant que telle, la qualité n’ordonne pas une chose à une autre, à moins qu’on ne l’entende sous la raison de puissance active ou passive, dans la mesure où elle est principe d’action ou de passion, ou bien sous la raison de quantité ou de ce qui appartient à la quantité, comme on dit d’une chose qu’elle est plus blanche qu’une autre ou qu’elle possède une qualité par laquelle elle lui est semblable. Les autres genres d’être par ailleurs découlent plus de la relation qu’ils ne peuvent la causer. Car le ¨quand¨ consiste dans une certaine relation au temps, le ¨où¨ dans une relation au lieu. Mais la position implique une ordonnance entre les parties alors que ¨l’habitus¨ signifie une relation du possédant au possédé.

1006. Ensuite lorsqu’il dit [493] : ¨ Mais on appelle ¨.

   Il traite des trois sens énumérés plus haut et en premier lieu il examine le premier sens [494]. En deuxième lieu il poursuit la recherche sur le deuxième sens, là [495] où il dit : ¨ D’un autre côté la relation de l’actif au passif ¨. En troisième lieu il poursuit avec le troisième sens, là [496] où il dit : ¨ Donc selon le nombre ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les relations qui découlent du nombre considéré absolument [493]. En deuxième lieu il présente les relations qui découlent de l’unité prise absolument, là [494] où il dit : ¨ Et en outre l’égal ¨.

   Il dit donc [493] que le premier sens des relations, celui qui est selon le nombre, se distingue de cette manière : car ou bien il se prend selon la comparaison du nombre au nombre, ou bien selon la comparaison du nombre à l’unité. Et dans les deux cas elle se fait de deux manières : ou bien la comparaison se fait d’une manière indéterminée du nombre au nombre, ou bien elle se fait d’une manière déterminée du nombre à l’unité. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que les premiers, dont on dit qu’ils sont relatifs selon le nombre, le sont soit ¨absolument¨, c’est-à-dire universellement ou indéterminément, soit déterminément. Et dans les deux manières, ils le sont ¨par rapport à eux¨, c’est-à-dire aux nombres, ou ¨par rapport à l’un¨, c’est-à-dire à l’unité.

1007.  Mais il faut savoir que toute mesure qui se rapporte aux quantités continues découle de quelque manière du nombre. Et c’est pourquoi les relations qui sont établies selon la quantité continue sont elles aussi attribuées au nombre.

1008. Il faut encore savoir que la proportion numérique se divise d’abord en deux parties, à savoir l’égalité et l’inégalité. Mais il y a deux espèces d’inégalité, à savoir celle qui existe entre ce qui surpasse et ce qui est surpassé d’une part, et celle qui existe entre le plus et le moins d’autre part. Mais l’inégal qui surpasse se divise en cinq espèces.

1009. En effet, le nombre qui est plus grand à l’égard d’un plus petit est parfois un multiple; c’est-à-dire que parfois il le contient plusieurs fois, comme six qui contient trois fois deux. Et s’il le contient deux fois, on dit alors qu’il en est le double, comme on le voit dans le rapport qu’il y a de deux à un ou de quatre à deux. S’il le contient trois fois, on dit le lui qu’il en est le triple. S’il le contient quatre fois, on dit de lui qu’il en est le quadruple, et ainsi de suite.

1010. Par ailleurs le nombre plus grand contient parfois une seule fois le nombre plus petit dans sa totalité, avec en plus une partie de ce nombre, on appelle alors ce nombre plus grand superparticulier et s’il le contient une fois plus la moitié, on l’appelle alors sesquialtère, comme lorsqu’on compare trois à deux. Mais s’il le contient une fois et un tiers, alors on l’appelle sesquitiers, comme dans le rapport de quatre à trois. S’il le contient une fois et un quart, on l’appelle sesquiquart, comme dans le rapport de cinq à quatre, et ainsi de suite.

1011. Parfois le nombre plus grand contient le plus petit une seule fois dans sa totalité mais en outre non seulement une de ses parties mais plusieurs et alors on l’appelle superpartien. Et s’il en contient deux parties, on l’appelle superbipartien, comme dans le cas de cinq par rapport à trois. Si par ailleurs il en contient trois, on l’appelle supertripartien, comme dans le cas du rapport de sept à quatre; mais s’il en contient quatre on dit alors de lui qu’il est superquadripartien, comme dans le rapport de neuf à cinq. Et ainsi de suite.

1012. Mais parfois encore le nombre plus grand contient plusieurs fois le nombre plus petit dans sa totalité avec en outre une de ses parties et on dit alors de lui qu’il est multiple superparticulier. Et s’il le contient deux fois et demie, on dit de lui qu’il est double sesquialtère, comme dans le rapport de cinq à deux. S’il le contient trois fois et demie, on dit de lui qu’il est triple sesquialtère, comme dans le rapport de sept à deux. Mais s’il le contient quatre fois et demie, on dit de lui qu’il est quadruple sesquialtère, comme dans le rapport de neuf à deux. Mais de telles espèces de proportions pourraient aussi se tirer du côté du superparticulier, comme on appelle double sesquitiers le nombre qui contient le plus petit deux fois et un tiers, comme dans le rapport de sept à trois, ou double sesquiquart, comme dans le rapport de neuf à quatre, et ainsi de suite.

1013. Parfois encore le nombre plus grand contient plusieurs fois le nombre plus petit dans sa totalité avec en outre plusieurs de ses parties et on dit alors de lui qu’il est multiple superpartien. Et de la même manière la proportion peut se diviser d’après l’espèce de la multiplicité et d’après l’espèce du superpartien, si on dit double superbipartien le nombre plus grand qui possède deux fois le plus petit dans sa totalité en plus de contenir deux de ses parties, comme dans le rapport de huit à trois ou comme quand on appelle triple superbipartien le rapport de onze à trois, ou double supertripartien le rapport de onze à quatre, puisqu’il contient deux fois le plus petit dans sa totalité en plus de contenir trois de ses parties.

1014. Et il existe autant d’espèces du côté de l’inégalité de ce qui est surpassé. Car le nombre plus petit s’appelle alors sous-multiple, sous-particulier, sous-partien, sous-multiple sous-particulier, sous-multiple sous-partien, et il en est de même pour le reste.

1015. Il faut cependant savoir que la première espèce de proportion, à savoir la multiplicité, consiste dans la comparaison d’un nombre à l’unité. En effet, toute espèce de proportion se retrouve d’abord dans un nombre par rapport à l’unité. Le double se retrouve en premier dans le rapport de deux à un. Et de la même manière, la proportion du triple se retrouve en premier dans le rapport de trois à un, et il en est de même pour les autres proportions. Mais ce sont les premiers termes dans lesquels se retrouve une proportion qui donnent son espèce à cette proportion elle-même. C’est pourquoi, quels que soient les autres termes dans lesquels se retrouve par la suite cette proportion, elle s’y retrouve conformément au rapport des premiers termes. Tout comme la proportion du double se retrouve en premier dans le rapport de deux à un. C’est donc de là que cette proportion reçoit sa définition et son nom. En effet, on appelle double la proportion de deux à un. Et c’est pour cette raison que si un autre nombre est le double d’un autre, c’est parce que le plus petit nombre tient le rôle de l’unité et que le plus grand tient le rôle du nombre deux. En effet, six se rapporte à trois dans la proportion du double dans la mesure où six est à trois ce que deux est à un. Et il en est de même pour la proportion du triple et dans toutes les autres espèces de multiplicité. Et c’est pourquoi il dit que cette relation du double se réalise du fait qu’un nombre déterminé, à savoir deux, ¨se rapporte à un¨, c’est-à-dire à l’unité.

1016. Mais ce que j’appelle le multiple implique une relation du nombre à l’unité, non pas d’un nombre déterminé, mais du nombre en général. Si en effet on prenait un nombre déterminé comme deux ou trois, on obtiendrait une seule espèce de multiplicité comme le double ou le triple. Mais tout comme le double se rapporte à deux et le triple à trois, lesquels sont des nombres déterminés, de même le multiple se rapporte à la multiplicité, qui signifie une relation numérique indéterminée.

1017. Mais les autre proportions ne peuvent se prendre dans le rapport du nombre à l’unité, à savoir ni la proportion superparticulière, ni celle qui est superpartienne, ni celle qui est plusieurs fois superparticulière, ni celle qui est plusieurs fois superpartienne. Toutes ces espèces de proportions en effet se prennent selon que le nombre le plus grand contient le plus petit une seule fois ou plusieurs fois, avec en plus une ou plusieurs de ses parties. Mais l’unité ne possède aucune partie : et c’est pourquoi aucune de ces proportions ne peut se prendre selon la comparaison du nombre à l’unité, mais selon la comparaison d’un nombre à un nombre. Et ainsi le double est soit celui d’un nombre déterminé, soit celui d’un nombre indéterminé.

1018. Mais s’il est le double d’un nombre déterminé, on est ainsi en présence de ¨l’hémiolum¨, c’est-à-dire du sesquialtère, soit du ¨sous-hémiolum¨, c’est-à-dire du supersesquialtère. En effet, la proportion du sesquialtère consiste en premier lieu en ces termes, à savoir trois et deux, et elle se retrouve dans tous les autres nombres qui sont sous le rapport de ces deux premiers nombres. C’est pourquoi ce qu’on appelle hémiolum ou sesquialtère comporte la relation d’un nombre déterminé à un nombre déterminé, à savoir de trois à deux.

1019. Ce qu’on appelle le superparticulier se rapporte au sous-particulier non selon des nombres déterminés, comme c’est le cas aussi pour le multiple à l’égard de l’un, mais selon un nombre indéterminé. En effet les premières espèces de l’inégalité énumérées ci-dessus s’entendent selon des nombres indéterminés comme le multiple, le superparticulier, le superpartien etc. D’un autre côté les espèces de ces inégalités-ci s’entendent selon des nombres déterminés comme le double, le triple, le sesquialtère, le sesquitiers, et ainsi de suite.

1020. Il arrive en effet que certaines quantités continues aient entre elles une proportion mais non selon un nombre, ni déterminé ni indéterminé. Il y a en effet une proportion entre toutes les quantités continues, mais non pas toujours une proportion numérique. Pour n’importe quels deux nombres il existe en effet une mesure commune, à savoir l’unité, qui, prise un certain nombre de fois, donne n’importe quel nombre. Mais ce n’est pas pour toutes les quantités continues qu’il se trouve qu’il y ait une mesure commune; il y a en effet certaines quantités continues qui sont incommensurables, comme la diagonale du carré qui n’est pas commensurable au côté. La raison en est qu’il n’y a pas de proportion de la diagonale au côté du carré comme il y a une proportion d’un nombre à un nombre ou d’un nombre à l’unité.

1021. Donc puisqu’on dit pour les quantités que celle-ci est plus grande que celle-là ou qu’elle s’y rapporte comme le contenant au contenu, non seulement ce rapport ne se prend pas d’après une espèce déterminée de nombre mais elle ne se prend pas même selon le nombre car tout nombre est commensurable à un autre. En effet, tous les nombres possèdent une mesure commune qui est l’unité. Mais le contenant et le contenu ne se disent pas d’après une communauté de mesure numérique. En effet le contenant se dit par rapport au contenu comme lui étant égal avec quelque chose de plus. Et s’il est commensurable ou non commensurable, cela n’est pas déterminé. Quelle que soit la quantité qu’on prenne, elle est ou bien égale, ou bien inégale. C’est pourquoi, si elle n’est pas égale, il s’ensuit qu’elle soit inégale et qu’elle contienne, même si elle n’est pas commensurable. Il est donc évident que tout ce qui précède est dénommé relatif selon le nombre et selon les propriétés du nombre qui sont la mesure, la proportion et ainsi de suite.

1022. Ensuite lorsqu’il dit [494] : Et en outre ¨.

   Il présente les relatifs qui se prennent par rapport à l’unité, et non par comparaison du nombre à l’un ou du nombre au nombre; et il dit qu’en un sens différent des précédents, on appelle relatifs l’égal, le semblable et le même. En effet, tous ces modes se disent d’après l’unité. En effet, les choses dont la substance est une sont identiques. Celles dont la qualité est une sont semblables. Et celles dont la quantité est une sont égales. Mais puisque l’un est principe du nombre et mesure, il est aussi évident que toutes ces notions sont dites relatives ¨d’après le nombre¨, c’est-à-dire d’après quelque chose qui appartient au genre du nombre, mais pas de la même manière pour ces dernières que pour les premières présentées plus haut. Car les premières relations étaient établies d’après un rapport du nombre au nombre ou du nombre à l’un alors qu’ici elles se rapportent à l’un d’une manière absolue.

1023. Ensuite lorsqu’il dit [495] : ¨ D’un autre côté la relation de l’actif ¨

   Il poursuit avec le deuxième sens des relatifs qui sont dans l’actif et dans le passif. Et il dit que les relatifs de cette sorte sont relatifs de deux manières. En un premier sens d’après la puissance active et la puissance passive; et en un deuxième sens, d’après les actes de ces puissances qui sont l’action et la passion; par exemple, le chauffant se dit par rapport au chauffable dans  la relation d’une puissance active à une puissance passive. Car le chauffant est ce qui peut chauffer et le chauffable ce qui peut être chauffé. Mais le chauffant à l’égard du chauffé, tout comme le coupant à l’égard du coupé, se disent relativement selon les actes des puissances précédentes.

1024. Et ce sens des relatifs diffère de ceux qui précèdent. En effet, ce qui existe selon le nombre n’est pas une action, si ce n’est selon l’analogie, comme multiplier, diviser et les opérations de cette sorte, comme on l’a dit encore dans d’autres livres, à savoir dans le deuxième livre des Physiques, où Aristote montre que les entités mathématiques font abstraction du mouvement, et que c’est pour cela que des actions de cette sorte, qui existent selon le mouvement, ne peuvent avoir lieu en elles.

1025. Il faut encore savoir que de ces relatifs qui se disent selon la puissance active et passive, une différence se prend d’après des temps différents. En effet, certains d’entre eux se disent relativement d’après un temps passé, comme ce qui a fait à l’égard de ce qui a été fait, comme le père à l’égard du fils parce que celui-là a engendré alors que celui-ci a été engendré, lesquels diffèrent comme avoir fait et avoir subi. Par ailleurs d’autres diffèrent d’après un temps futur, comme ce qui doit faire par rapport à ce qui doit être fait. Et c’est à ce genre de relations que se ramènent ces relations qui se disent d’après la privation d’une puissance, comme l’impossible et l’invisible. On dit en effet d’une chose qu’elle est impossible à celui-ci ou à celui-là; et il en est de même pour l’invisible.

1026. Ensuite lorsqu’il dit [496] : ¨ Donc, d’après ¨.

   Il poursuit avec le troisième sens des relations et il dit que ce troisième sens diffère des précédents en ceci que dans ces derniers on dit d’une chose qu’elle est relative du fait qu’elle-même se rapporte à une autre et non du fait qu’une autre se rapporte à elle. Le double en effet se rapporte à la moitié, et inversement; et de même le père se rapporte au fils et inversement. Mais en ce troisième sens on dit d’une chose qu’elle est relative du seul fait que quelque chose d’autre se rapporte à elle comme on le voit pour le sensible et le connaissable ou l’intelligible dont on dit qu’ils sont relatifs parce qu’autre chose se rapporte à eux. On dit du connaissable en effet qu’il est relatif pour cette raison que la science se rapporte à lui. Et de même on dit du sensible qu’il est relatif parce qu’il peut être senti.

1027. C’est pourquoi on ne dit pas de ces cas qu’ils sont relatifs parce qu’il y aurait, de leur côté, une qualité, une quantité, une action ou une passion qui les rendrait tels, comme cela se produisait dans les cas précédents; mais on dit qu’ils sont relatifs en raison des actions d’autres êtres qui cependant ne se terminent pas en eux. Si en effet l’acte de voir était l’action du voyant qui parvient à la chose vue comme le réchauffement parvient au chauffable, le visible se rapporterait au voyant comme le chauffable se rapporte au chauffant. Mais voir, comprendre et les actes de cette sorte demeurent dans les agents et ne passent pas dans les choses qui les subissent, ainsi qu’on le dira au neuvième livre de ce traité; et c’est pourquoi le visible et le connaissable ne subissent rien du fait qu’ils sont compris ou vus. Et c’est pour cette raison qu’eux-mêmes ne se rapportent pas à d’autres, mais ce sont plutôt les autres qui se rapportent à eux. Et il en est de même pour tous les autres cas dans lesquels une chose est appelée relative en raison d’une relation d’une autre à elle comme dans le cas de la droite et de la gauche pour une colonne. En effet, puisque la droite et la gauche désignent des principes de mouvement dans les choses animées, elles ne peuvent être attribuées à une colonne ou à une autre chose inanimée, à moins qu’un être animé ait un certain rapport avec elle, comme lorsqu’on dit qu’une colonne est à droite parce qu’un homme se tient à sa gauche. Et il en est de même pour une image par rapport à son modèle ou d’un denier par rapport au prix de la vente. Mais dans tous ces cas, toute la raison du rapport entre les deux extrêmes dépend de l’un des deux. Et c’est pourquoi dans tous ces cas le rapport entre les deux est celui de la relation du mesurable à la mesure. Car une chose est mesurée par cela même dont elle-même dépend.

1028. Mais il faut savoir que bien que la science d’après son nom semble se rapporter à la fois au savant et au connaissable, puisqu’on parle aussi bien de la science du savant que de la science du connaissable, et que l’intelligence se dit à la fois de l’intelligent et de l’intelligible, cependant l’intelligence, en tant qu’elle se dit relativement, ne se dit pas par rapport à l’intelligent comme à son sujet : il s’ensuivrait en effet que la même chose serait dite relative deux fois. Il est évident en effet que l’intelligence est relative à l’intelligible comme à son objet. Mais si on disait qu’elle est relative au sujet intelligent, on la dirait relative deux fois et puisque l’essence du relatif est d’avoir un certain rapport à autre chose, il s’ensuivrait que la même chose aurait deux essences. Et de même pour la vue il est évident qu’elle ne se dit pas par rapport au voyant mais par rapport à son objet qui est la couleur ¨ou relativement à quelque chose d’autre qui est tel¨. Et il dit cela en raison des choses qu’on voit dans la nuit mais non au moyen des couleurs qui leur sont propres, comme on l’établit au deuxième livre de l’Âme.

1029. On peut cependant dire cela avec raison, à savoir que la vue est la vue du voyant. Cependant, la vue ne se rapporte pas au voyant en tant qu’elle est la vue, mais en tant qu’elle est un accident ou une puissance qui appartient au voyant. En effet, la relation se rapporte à quelque chose d’extérieur, et non au sujet, à moins qu’on la considère comme un accident. Et c’est ainsi qu’on voit que tels sont les sens par lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont des relatifs par soi.

1030. Ensuite lorsqu’il dit [497] : ¨ D’un autre côté, celles-là ¨.

   Il présente trois sens selon lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont relatives par rapport à quelque chose d’autre et non par soi, dont le premier est celui selon lequel on appelle relatif ce dont le genre est relatif, comme on dit de la médecine qu’elle est relative parce que la science est relative. On dit en effet de la médecine qu’elle est la science de la santé et de la maladie. Et en ce sens la science est relative du fait qu’elle est un accident.

1031. Le deuxième sens est celui selon lequel on dit de ce qui est abstrait qu’il est relatif parce que les êtres concrets auxquels ils s’appliquent sont appelés relatifs; par exemple, on appelle relatives l’égalité et la similitude parce que le semblable et l’égal sont relatifs. Mais on n’appelle pas relatives l’égalité et la similitude comme telles d’après le nom.

1032. Le troisième sens est celui selon lequel on dit du sujet qu’il est relatif en raison d’un accident, comme on dit de l’homme ou du blanc qu’ils sont relatifs parce qu’il arrive aux deux d’être doubles; et en ce sens on dit de la tête qu’elle est relative du fait qu’elle est une partie.

 

 

LECTIO 18

[82598] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 1Postquam philosophus distinxit nomina, quae significant causas, et subiectum, et partes subiectorum huius scientiae; hic incipit distinguere nomina quae significant ea quae se habent per modum passionis; et dividitur in duas partes. In prima distinguit nomina ea quae pertinent ad perfectionem entis. In secunda distinguit nomina quae pertinent ad entis defectum, ibi, falsum dicitur uno modo. Circa primum duo facit. Primo distinguit nomina significantia ea quae pertinent ad perfectionem entis. Secundo pertinentia ad totalitatem. Perfectum enim et totum, aut sunt idem, aut fere idem significant, ut dicitur in tertio physicorum. Secunda ibi, ex aliquo esse dicitur. Circa primum duo facit. Primo distinguit hoc nomen perfectum. Secundo distinguit quaedam nomina, quae significant quasdam perfectiones perfecti, ibi, terminus dicitur. Circa primum duo facit. Primo ponit modos, quibus aliqua dicuntur perfecta secundum se. Secundo modos, quibus aliqua dicuntur perfecta per respectum ad alia, ibi, alia vero. Circa primum duo facit. Primo ponit tres modos quibus aliquid secundum se dicitur perfectum. Secundo ostendit quomodo secundum hos modos aliqua diversimode perfecta dicuntur, ibi, secundum se dicta quidem igitur.

[82599] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 2Dicit ergo primo, quod perfectum uno modo dicitur, extra quod non est accipere aliquam eius particulam; sicut homo dicitur perfectus, quando nulla deest ei pars. Et dicitur tempus perfectum, quando non est accipere extra aliquid quod sit temporis pars; sicut dicitur dies perfectus, quando nulla pars diei deest.

[82600] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 3Alio modo dicitur aliquid perfectum secundum virtutem; et sic dicitur aliquid perfectum, quod non habet hyperbolem, idest superexcellentiam vel superabundantiam ad hoc quod aliquid bene fiat secundum genus illud, et similiter nec defectum. Hoc enim dicimus bene se habere, ut dicitur in secundo Ethicorum, quod nihil habet nec plus nec minus quam debet habere. Et sic dicitur perfectus medicus et perfectus fistulator, quando non deficit ei aliquid, quod pertineat ad speciem propriae virtutis, secundum quam dicitur, quod hic est bonus medicus, et ille bonus fistulator. Virtus enim cuiuslibet est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit.

[82601] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 4Secundum autem hunc modum utimur translative nomine perfecti etiam in malis. Dicimus enim perfectum sycophantam, idest calumniatorem, et perfectum latronem, quando in nullo deficit ab eo quod competit eis inquantum sunt tales. Nec est mirum si in istis quae magis sonant defectum, utimur nomine perfectionis; quia etiam cum sint mala, utimur in eis nomine bonitatis per quamdam similitudinem. Dicimus enim bonum furem et bonum calumniatorem, quia sic se habent in suis operationibus, licet malis, sicut boni in bonis.

[82602] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 5Et quod aliquid dicatur perfectum per comparationem ad virtutem propriam, provenit quia virtus est quaedam perfectio rei. Unumquodque enim tunc est perfectum quando nulla pars magnitudinis naturalis, quae competit ei secundum speciem propriae virtutis, deficit ei. Sicut autem quaelibet res naturalis, habet determinatam mensuram naturalis magnitudinis secundum quantitatem continuam, ut dicitur in secundo de anima, ita etiam quaelibet res habet determinatam quantitatem suae virtutis naturalis. Equus enim habet quantitatem dimensivam determinatam secundum naturam cum aliqua latitudine. Est enim aliqua quantitas, ultra quam nullus equus protenditur in magnitudine. Et similiter est aliqua quantitas, quam non transcendit in parvitate. Ita etiam ex utraque parte determinatur aliquibus terminis quantitas virtutis equi. Nam aliqua est virtus equi, qua maior in nullo equo invenitur: et similiter est aliqua tam parva, qua nulla est minor.

[82603] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 6Sicuti igitur primus modus perfecti accipiebatur ex hoc quod nihil rei deerat de quantitate dimensiva sibi naturaliter determinata, ita hic secundus modus accipitur ex hoc quod nihil deest alicui de quantitate virtutis sibi debitae secundum naturam. Uterque autem modus perfectionis attenditur secundum interiorem perfectionem.

[82604] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 7Amplius quibus tertium modum ponit per respectum ad exterius; dicens, quod illa dicuntur tertio modo perfecta quibus inest finis, idest quae iam consecuta sunt suum finem; si tamen ille finis fuerit studiosus, idest bonus: sicut homo, quando iam consequitur beatitudinem. Qui autem consequitur finem suum in malis, magis dicitur deficiens quam perfectus; quia malum est privatio perfectionis debitae. In quo patet, quod mali, quando suam perficiunt voluntatem, non sunt feliciores, sed miseriores. Quia vero omnis finis est quoddam ultimum, ideo per quamdam similitudinem transferimus nomen perfectum ad ea, quae perveniunt ad ultimum, licet illud sit malum. Sicut dicitur aliquid perfecte perdi, vel corrumpi, quando nihil deest de corruptione vel perditione rei. Et per hanc metaphoram, mors dicitur finis, quia est ultimum. Sed finis non solum habet quod sit ultimum, sed etiam quod sit cuius causa fit aliquid. Quod non contingit morti vel corruptioni.

[82605] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 8Deinde cum dicit secundum se ostendit quomodo aliqua diversimode se habeant ad praedictos modos perfectionis; et dicit, quod quaedam dicuntur secundum se perfecta: et hoc dupliciter. Alia quidem universaliter perfecta, quia nihil omnino deficit eis absolute, nec aliquam habent hyperbolem, idest excedentiam, quia a nullo videlicet penitus in bonitate exceduntur, nec aliquid extra accipiunt, quia nec indigent exteriori bonitate. Et haec est conditio primi principii, scilicet Dei, in quo est perfectissima bonitas, cui nihil deest de omnibus perfectionibus in singulis generibus inventis.

[82606] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 9Alia dicuntur perfecta in aliquo genere, ex eo quod quantum ad illud genus pertinet, nec habent hyperbolem, idest excedentiam, quasi aliquid eis deficiat eorum, quae illi generi debentur; nec aliquid eorum, quae ad perfectionem illius generis pertinent, est extra ea, quasi eo careant; sicut homo dicitur perfectus, quando iam adeptus est beatitudinem.

[82607] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 10Et sicut fit haec distinctio quantum ad secundum modum perfectionis supra positum, ita potest fieri quantum ad primum, ut tangitur in principio caeli et mundi. Nam quodlibet corpus particulare est quantitas perfecta secundum suum genus, quia habet tres dimensiones, quibus non sunt plures. Sed mundus dicitur perfectus universaliter, quia omnino nihil extra ipsum est.

[82608] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 18 n. 11Deinde cum dicit alia vero ponit modum, secundum quem aliqua dicuntur perfecta per respectum ad aliud: et dicit, quod alia dicuntur perfecta secundum ipsa, idest per comparationem ad perfecta, quae sunt secundum se perfecta. Vel ex eo, quod faciunt aliquid perfectum aliquo priorum modorum; sicut medicina est perfecta, quia facit sanitatem perfectam. Aut ex eo, quod habent aliquid perfectum; sicut homo dicitur perfectus, qui habet perfectam scientiam. Aut repraesentando tale perfectum; sicut illa, quae habent similitudinem ad perfecta; ut imago dicitur perfecta, quae repraesentat hominem perfecte. Aut qualitercumque aliter referantur ad ea, quae dicuntur per se perfecta primis modis.

LEÇON 18.

(nn. 1033-1043; [499-502]).

 

Le parfait par soi se dit selon trois sens qui se ramènent à deux; de plus il établit comment ce qui est parfait en raison de quelque chose d’autre est dit parfait.

 

1033. Après avoir distingué les noms qui signifient les causes, les sujets et les parties des sujets de cette science, le Philosophe commence ici à distinguer les noms qui signifient ce qui se présente à la manière d’une propriété; et il divise cette section en deux parties.

   Dans la première il distingue ces noms qui se rapportent à la perfection de l’être [499]. Dans la deuxième il distingue les noms qui se rapportent au manque d’être, là [526] où il dit : ¨ En un sens on appelle faux ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue les noms qui se rapportent à la perfection de l’être [492]. En deuxième lieu, dans une deuxième partie [514] où il dit : ¨ Venir de se dit ¨,  il distingue ceux qui se rapportent à la totalité de l’être. En effet, ou bien le parfait et le tout sont la même chose ou bien ils signifient à peu près la même chose, comme on le dit au troisième livre des Physiques.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il distingue les sens de ce nom, à savoir le Parfait [499]. En deuxième lieu il distingue les sens de certains noms qui signifient certaines perfections du parfait, là [503] où il dit : ¨ On appelle terme ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente les sens selon lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont parfaites en elles-mêmes [499]. En deuxième lieu il présente les modes selon lesquels on dit de certaines choses qu’elles sont parfaites par rapport à quelque chose d’autre, là [502] où il dit : ¨ Par ailleurs, d’autres sont parfaites ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente trois sens par lesquels on dit d’une chose qu’elle est parfaite en elle-même [499]. En deuxième lieu il montre comment, conformément à ces sens, le parfait se dit différemment à l’égard de certaines choses, là [501] où il dit : ¨ Donc, ce qu’on appelle parfait par soi est certes ¨.

1034. Il dit donc en premier lieu [499] que le parfait se dit, en un premier sens, de ce en dehors de quoi il n’est pas possible de saisir aucune de ses partie; tout comme on dit que l’homme est parfait quand il ne lui manque aucune de ses parties. Et encore on dit du temps d’une chose qu’il est parfait quand il n’est pas possible d’appréhender en dehors de lui un temps qui soit une partie de ce temps : par exemple, on dit que le jour est parfait quand il ne lui manque aucune partie du jour.

1035. En un autre sens parfait se dit par rapport à la puissance; et c’est ainsi qu’on appelle parfait ce qui n’a pas ¨d’hyperbole¨, c’est-à-dire celui qui n’est pas dépassé dans son genre dans l’accomplissement de quelque chose de bien et chez qui on ne retrouve pas de défaut. Comme on le dit au deuxième livre des Éthiques, est bon celui qui ne possède ni plus ni moins que ce qu’il doit posséder. C’est ainsi que nous disons d’un médecin ou d’un joueur de flûte qu’ils sont parfaits quand il ne leur manque rien de ce qui appartient à l’espèce de la vertu qui leur est propre et d’après laquelle on dit de celui-ci qu’il est un bon médecin et de celui-là qu’il est un bon joueur de flûte. En effet la vertu pour un homme est ce qui rend bon celui qui la possède et qui rend bonne l’œuvre qu’il accomplit.

1036. Mais suite à cette manière de signifier, nous nous servons du mot parfait, comme par extension, même pour les maux. Nous disons en effet de quelqu’un qu’il est un parfait sycophante, c’est-à-dire un calomniateur accompli, ou d’un autre qu’il est un voleur accompli, quand il ne leur manque rien de ce qui doit leur appartenir en tant que tels. Et il n’est pas étonnant que, dans ces cas qui signifient davantage le défaut, nous nous servions du nom de perfection; car même lorsqu’il s’agit de maux, nous nous servons pour eux du nom de bonté comme par une certaine ressemblance. Nous disons en effet d’un tel qu’il est un bon voleur ou un bon calomniateur parce que dans ses opérations, qui sont mauvaises, il se présente de la même manière que celui qui est bon à l’égard des bonnes opérations.

1037. Et qu’on dise d’une chose qu’elle est parfaite par rapport à la vertu qui lui est propre, cela s’explique par ceci qu’une vertu est une perfection d’une chose. En effet, toute chose est parfaite quand il ne lui manque aucune partie de l’étendue naturelle qui lui appartient conformément à l’espèce de la vertu qui lui est propre. Mais tout comme toute chose naturelle possède une mesure déterminée d’étendue naturelle selon la quantité continue, ainsi qu’on le dit au deuxième livre de l’Âme, de même encore toute chose possède encore une quantité déterminée de puissance naturelle. En effet, conformément à sa nature, le cheval possède une dimension déterminée, à l’intérieur de certaines limites, au-delà de laquelle aucun cheval ne peut s’étendre dans l’espace. Et de même il y a aussi une certaine quantité qu’il ne peut dépasser en petitesse. C’est encore ainsi que la quantité de la vertu du cheval se trouve à être limitée par des termes d’un côté comme de l’autre. Car il y a une vertu du cheval qui ne peut être dépassée dans aucun cheval, et il y en a aussi une si petite qu’il n’est pas possible d’en trouver de plus petite.

1038. Donc, tout comme le premier sens du parfait se prenait de ce qu’il ne manque rien à la chose de la quantité d’étendue qui lui est naturellement fixée, de même ici le deuxième sens se prend de ce que rien ne manque à un être de la quantité de vertu qui lui convient selon sa nature. Mais les deux sens s’entendent d’après une perfection intérieure.

1039. Ensuite, lorsqu’il dit [500] : ¨ En outre, à ceux ¨.

   Il présente un troisième sens du parfait par rapport à quelque chose d’extérieur, en disant que parfait se dit en un troisième sens ¨des choses dans lesquelles se trouve la fin¨, c’est-à-dire des choses qui sont déjà parvenues à leur fin, si toutefois cette fin est ¨vertueuse¨, c’est-à-dire bonne : comme lorsque l’homme parvient au bonheur. Mais celui qui poursuit sa fin dans le mal, on l’appelle vide plutôt que comblé ou parfait, car le mal est la privation de la perfection attendue. Et c’est par là qu’on voit que les méchants, quand ils réalisent ce qu’ils veulent, ne s’en trouvent pas plus heureux mais plus misérables. D’un autre côté, parce que toute fin est un certain terme ultime, c’est pourquoi nous appliquons le nom de perfection, comme par extension en raison d’une certaine ressemblance, à tout ce qui parvient à réaliser son objectif ultime, même s’il est mauvais. Tout comme nous disons d’une chose qu’elle est parfaitement perdue ou qu’elle est parfaitement détruite quand il ne lui manque rien pour qu’elle soit totalement perdue ou détruite. Et c’est par cette même manière métaphorique de parler qu’on dit de la mort qu’elle est une fin, parce qu’elle est le terme ultime de la vie. Mais la fin n’a pas seulement raison de terme mais de ce en vue de quoi la chose vient à l’existence, ce qui n’est pas le cas pour la mort ou pour la corruption.

1040. Ensuite lorsqu’il dit [501] : ¨ Par soi ¨.

   Il montre comment certaines choses se rapportent différemment aux sens du parfait présentés ci-dessus; et il dit qu’on dit de certains être qu’ils sont parfaits en eux-mêmes de deux manières. Certes on dit de certains qu’ils sont parfaits absolument parlant parce qu’il ne leur manque absolument rien, et qu’ils n’ont aucune ¨hyperbole¨, c’est-à-dire qu’il n’y a rien qui les dépasse en excellence, parce qu’il est clair qu’ils ne sont dépassés d’une manière absolue par aucun être dans le sens de la bonté, et qu’ils ne reçoivent rien en dehors d’eux parce qu’ils n’ont pas besoin d’une bonté extérieure à eux. Et telle est la condition du premier principe, à savoir Dieu, dans lequel se trouve la bonté la plus parfaite et à qui il ne manque rien de toutes les perfections qu’on rencontre dans chacun des genres particuliers d’être.

1041. Mais on dit de d’autres êtres qu’ils sont parfaits dans un genre donné du fait que, quant à ce qui appartient à ce genre déterminé, ils n’ont pas ¨d’hyperbole¨, d’une part ils ne sont dépassés par rien, comme s’il leur manquait quelque chose de ce qui doit appartenir à ce genre, et d’autre part il n’y a rien en dehors d’eux qui se rapporte à la perfection de ce genre et dont ils seraient privés : tout comme on dirait d’un homme qu’il est parfait parce qu’il est déjà parvenu au bonheur.

1042. Et tout comme cette distinction s’applique au deuxième sens du parfait présenté ci-dessus, de même elle peut s’appliquer au premier sens, comme on le fait au début du traité sur Le Ciel et le Monde. Car tout corps particulier est une quantité parfaite selon son genre car il possède trois dimensions auxquelles on ne peut en ajouter davantage. Mais on peut dire de l’univers qu’il est absolument parfait parce qu’absolument rien n’existe en dehors de lui.

1043. Ensuite lorsqu’il dit [502] : ¨ Par ailleurs, d’autres ¨.

   Il présente le sens selon lequel on dit de certains êtres qu’ils sont parfaits par rapport à quelque chose d’autre : et il dit que d’autres êtres sont appelés parfaits ¨d’après eux¨, c’est-à-dire par comparaison à ceux qui sont parfaits en eux-mêmes. Et il en est ainsi soit du fait qu’ils font quelque chose de parfait d’après un des premiers sens énumérés, comme lorsqu’on dit d’un médecin qu’il est parfait parce qu’il produit parfaitement la santé; soit du fait qu’ils possèdent quelque chose de parfait, comme on dit d’un homme qu’il est parfait parce qu’il possède une science parfaite; soit du fait qu’ils représentent une telle perfection, tout comme les choses qui présentent une ressemblance par rapport à celles qui sont parfaites : par exemple, on dit de l’image qu’elle est parfaite parce qu’elle représente parfaitement un homme. Sont encore dites parfaites les choses qui pourraient se rapporter d’une manière ou d’une autre à celles qu’on appelle parfaites en elles-mêmes d’après les sens qui précèdent.

 

 

LECTIO 19

[82609] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 1Hic prosequitur de nominibus, quae significant conditiones perfecti. Perfectum autem, ut ex praemissis patet, est terminatum et absolutum, non dependens ab alio, et non privatum, sed habens ea, quae sibi secundum suum genus competunt. Et ideo primo ponit hoc nomen terminus. Secundo hoc quod dicitur per se, ibi, et secundum quod dicitur. Tertio hoc nomen habitus, ibi, habitus vero dicitur. Circa primum tria facit. Primo ponit rationem termini; dicens, quod terminus dicitur quod est ultimum cuiuslibet rei, ita quod nihil de primo terminato est extra ipsum terminum; et omnia quae sunt eius, continentur intra ipsum. Dicit autem primi quia contingit id, quod est ultimum primi, esse principium secundi; sicut nunc quod est ultimum praeteriti, est principium futuri.

[82610] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 2Et quaecumque secundo ponit quatuor modos, quibus dicitur terminus; quorum primus est secundum quod in qualibet specie magnitudinis, finis magnitudinis, vel habentis magnitudinem, dicitur terminus; sicut punctus dicitur terminus lineae, et superficies corporis, vel etiam lapidis habentis quantitatem.

[82611] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 3Secundus modus est similis primo, secundum quod unum extremum motus vel actionis dicitur terminus, hoc scilicet ad quod est motus, et non a quo: sicut terminus generationis est esse, non autem non esse; quamvis quandoque ambo extrema motus dicantur terminus largo modo, scilicet a quo, et in quod; prout dicimus, quod omnis motus est inter duos terminos.

[82612] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 4Tertius modus dicitur terminus, cuius causa fit aliquid; hoc enim est ultimum intentionis, sicut terminus secundo modo dictus est ultimum motus vel operationis.

[82613] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 5Quartus modus est secundum quod substantia rei, quae est essentia et definitio significans quod quid est res, dicitur terminus. Est enim terminus cognitionis. Incipit enim cognitio rei ab aliquibus signis exterioribus quibus pervenitur ad cognoscendum rei definitionem; quo cum perventum fuerit, habetur perfecta cognitio de re. Vel dicitur terminus cognitionis definitio, quia infra ipsam continentur ea, per quae scitur res. Si autem mutetur una differentia, vel addatur, vel subtrahatur, iam non erit eadem definitio. Si autem est terminus cognitionis, oportet quod sit rei terminus, quia cognitio fit per assimilationem cognoscentis ad rem cognitam.

[82614] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 6Deinde cum dicit quare palam concludit comparationem termini ad principium; dicens, quod quoties dicitur principium, toties dicitur terminus, et adhuc amplius; quia omne principium est terminus, sed non terminus omnis est principium. Id enim ad quod motus est, terminus est, et nullo modo principium est: illud vero a quo est motus, est principium et terminus, ut ex praedictis patet.

[82615] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 7Deinde cum dicit et secundum hic determinat de per se: et circa hoc tria facit. Primo determinat de hoc, quod dicitur secundum quod; quod est communius quam secundum se. Secundo concludit modos eius, quod dicitur secundum se, ibi, quare secundum se. Tertio, quia uterque dictorum modorum secundum aliquem modum significat dispositionem, determinat de nomine dispositionis, ibi, dispositio. Circa primum ponit quatuor modos eius quod dicitur secundum quod; quorum primus est, prout species, idest forma, et substantia rei, idest essentia, est id, secundum quod aliquid esse dicitur; sicut secundum Platonicos, per se bonum, idest idea boni, est illud, secundum quod aliquid bonum dicitur.

[82616] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 8Secundus modus est, prout subiectum, in quo primo aliquid natum est fieri, dicitur secundum quod, sicut color primo fit in superficie; et ideo dicitur, quod corpus est coloratum secundum superficiem. Hic autem modus differt a praedicto, quia praedictus pertinet ad formam, et hic pertinet ad materiam.

[82617] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 9Tertius modus est, prout universaliter quaelibet causa dicitur secundum quod. Unde toties dicitur secundum quod quoties et causa. Idem enim est quaerere secundum quod venit, et cuius causa venit; similiter secundum quod paralogizatum, aut syllogizatum est, et qua causa facti sunt syllogismi.

[82618] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 10Quartus modus est prout secundum quod significat positionem et locum; sicut dicitur, iste stetit secundum hunc, idest iuxta hunc, et ille vadit secundum hunc, idest iuxta hunc; quae omnia significant positionem et locum. Et hoc manifestius in Graeco idiomate apparet.

[82619] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 11Deinde cum dicit quare secundum concludit ex praedictis, quatuor modos dicendi per se, vel secundum se. Quorum primus est, quando definitio significans quid est esse uniuscuiusque, dicitur ei inesse secundum se, sicut Callias et quod quid erat esse Calliam, idest et essentia rei, ita se habent quod unum inest secundum se alteri. Non autem solum tota definitio dicitur de definito secundum se; sed aliquo modo etiam quaecumque insunt in definitione dicente quid est, praedicantur de definito secundum se, sicut Callias est animal secundum se. Animal enim inest in ratione Calliae. Nam Callias est quoddam animal; et poneretur in eius definitione, si singularia definitionem habere possent. Et hi duo modi sub uno comprehenduntur. Nam eadem ratione, definitio et pars definitionis per se de unoquoque praedicantur. Est enim hic primus modus per se, qui ponitur in libro posteriorum; et respondet primo modo eius quod dicitur secundum quod, superius posito.

[82620] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 12Secundus modus est, quando aliquid ostenditur esse in aliquo, sicut in primo subiecto, cum inest ei per se. Quod quidem contingit dupliciter: quia vel primum subiectum accidentis est ipsum totum subiectum de quo praedicatur (sicut superficies dicitur colorata vel alba secundum seipsam. Primum enim subiectum coloris est superficies, et ideo corpus dicitur coloratum ratione superficiei). Vel etiam aliqua pars eius; sicut homo dicitur vivens secundum se, quia aliqua pars eius est primum subiectum vitae, scilicet anima. Et hic est secundus modus dicendi per se in posterioribus positus, quando scilicet subiectum ponitur in definitione praedicati. Subiectum enim primum et proprium, ponitur in definitione accidentis proprii.

[82621] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 13Tertius modus est prout secundum se esse dicitur illud, cuius non est aliqua alia causa; sicut omnes propositiones immediatae, quae scilicet per aliquod medium non probantur. Nam medium in demonstrationibus propter quid est causa, quod praedicatum insit subiecto. Unde, licet homo habeat multas causas, sicut animal et bipes, quae sunt causae formales eius; tamen huius propositionis, homo est homo, cum sit immediata, nihil est causa; et propter hoc homo est homo secundum se. Et ad hunc modum reducitur quartus modus dicendi per se in posterioribus positus, quando effectus praedicatur de causa; ut cum dicitur interfectus interiit propter interfectionem, vel infrigidatum infriguit vel refriguit propter refrigerium.

[82622] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 19 n. 14Quartus modus est, prout illa dicuntur secundum se inesse alicui, quae ei soli inquantum soli insunt. Quod dicit ad differentiam priorum modorum, in quibus non dicebatur secundum se inesse ex eo quod est soli inesse. Quamvis etiam ibi aliquid soli inesset, ut definitio definito. Hic autem secundum se dicitur ratione solitudinis. Nam hoc quod dico secundum se, significat aliquid separatum; sicut dicitur homo secundum se esse, quando solus est. Et ad hunc reducitur tertius modus in posterioribus positus, et quartus modus dicendi secundum quod, qui positionem importabat.

LEÇON 19.

(nn. 1044-1057; [503-507]).

 

Il explique de combien de manières se disent les noms suivants : terme, ¨selon quoi¨, ¨par soi¨, et disposition.

 

1044. Il poursuit ici avec les noms qui signifient les conditions du parfait.

   Mais le parfait, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui précède, est quelque chose qui est achevé et absolu, qui ne dépend pas d’un autre, qui n’est pas atteint par la privation et qui possède ce qui doit lui appartenir conformément à son genre d’être. Et c’est pourquoi il présente en premier lieu le nom de Terme [503]. En deuxième lieu il présente ce qui se dit par quoi, là [506] où il dit : ¨ Et le selon quoi se dit ¨. En troisième lieu il présente le nom de disposition ou de manière d’être, là [509] où il dit : ¨ Par ailleurs on appelle disposition ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente la notion de terme [503] en disant que terme se dit de l’extrémité d’une chose, de telle sorte que rien du premier terminé n’est en dehors du terme lui-même et que tout ce qui lui appartient est contenu à l’intérieur de lui. Mais il dit ¨du premier¨ parce qu’il arrive que ce qui est le dernier dans le premier est le commencement du second, tout comme le moment présent est la dernière étape du passé et le commencement du futur.

1045. Ensuite lorsqu’il dit [504] : ¨ Et toutes ¨.

   Il présente en deuxième lieu les quatre sens suivant lesquels se dit le nom terme, dont le premier est celui selon lequel on parle, pour toute espèce de grandeur, de la fin d’une grandeur ou de tout ce qui possède une grandeur, tout comme on dit que le point est le terme d’une ligne et que la surface est le terme d’un corps ou encore d’une pierre qui possède une quantité.

1046. Le deuxième sens est semblable au premier, selon qu’une des extrémités du mouvement ou de l’action s’appelle terme, c’est-à-dire celui vers lequel tend le mouvement et non celui d’où il procède : tout comme le terme de la génération est l’être et non pas le non-être; bien que parfois on appelle termes les deux extrémités du mouvement en un sens large, à savoir à la fois le point de départ et le point d’arrivée, dans la mesure où nous disons que tout mouvement s’effectue entre deux termes.

1047. Le nom terme se dit en un troisième sens de ce en vue de quoi une chose est faite : tel est en effet le point ultime de l’intention tout comme le terme dit selon le deuxième mode est le point ultime du mouvement ou de l’opération.

1048. Le quatrième mode est celui selon lequel on appelle terme la substance de la chose, qui est l’essence et la définition qui signifie la quiddité de la chose. La définition est en effet le terme de la connaissance. La connaissance d’une chose commence en effet par certains signes extérieurs par lesquels on parvient à connaître la définition de la chose grâce à laquelle, quand on y est parvenu, on possède une connaissance parfaite de la chose. Ou encore on dit de la définition qu’elle est le terme de la connaissance parce que c’est en elle que sont contenues les notions au moyen desquelles la chose est connue. Mais si on modifie une seule différence, soit en ajoutant soit en diminuant, on n’aura plus la même définition. Mais si la définition est véritablement le terme de la connaissance, il faut qu’elle soit aussi le terme de la chose, car la connaissance se réalise au moyen de l’assimilation de celui qui connaît à la chose connue.

1049. Ensuite lorsqu’il dit [505] : ¨ C’est pourquoi il est évident ¨.

   Il conclut par une comparaison du terme au principe en disant que terme se dit en autant de sens que se dit principe, et plus encore. Car tout principe est un terme mais tout terme n’est pas un principe. En effet, ce vers quoi tend le mouvement est un terme et nullement un principe; d’un autre côté, ce d’où procède le mouvement est à la fois principe et terme, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit.

1050. Ensuite lorsqu’il dit [506] : ¨ Et l’en soi ¨.

   Il détermine ici de l’en soi : et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il détermine de ce qu’on appelle le selon quoi ou le ce par quoi, qui est plus commun que l’en soi [506]. En deuxième lieu il conclut les sens de ce qu’on appelle l’en soi, là [507] où il dit : ¨ C’est pourquoi l’en soi ¨. En troisième lieu, parce que chacun des deux sens présentés signifie d’une certaine manière la disposition, il détermine du nom de disposition, là [508] où il dit : ¨ La disposition ¨.

   Au sujet du premier point il présente les quatre sens de ce qu’on appelle le ce par quoi [506], dont le premier se prend comme ¨l’espèce¨, c’est-à-dire la forme et la ¨substance de la chose¨, c’est-à-dire l’essence, est ce par quoi on dit d’une chose qu’elle existe; tout comme, d’après les Platoniciens, ¨le bien par soi¨, c’est-à-dire l’idée du bien, est ce par quoi on dit d’une chose bonne qu’elle est bonne.

1051. Le deuxième sens du ce par quoi se prend comme le sujet premier dans lequel quelque chose est naturellement apte à devenir, comme c’est premièrement dans la surface que la couleur apparaît; et c’est pourquoi on dit que c’est par sa surface qu’un corps est coloré. Mais ce mode diffère du précédent parce que ce dernier se rapportait à la forme alors que celui-ci se rapporte à la matière.

1052. Le troisième sens se prend selon qu’on dit universellement de toute cause qu’elle est ce par quoi. C’est pourquoi le ¨ce par quoi¨ se dit autant de fois que se dit la cause. En effet c’est la même chose de se demander pourquoi un tel est venu et de se demander dans quel but il est venu; de la même manière, c’est la même chose de se demander pourquoi on a fait un paralogisme ou un syllogisme et de se demander quelle est la cause pour laquelle on a fait un paralogisme ou un syllogisme.

1053. Le quatrième sens est celui selon lequel le ¨ce par quoi¨ signifie la position et le lieu, comme lorsqu’on demande pourquoi celui-ci ¨se tient d’après de celui-là¨, c’est-à-dire à côté de celui-là, et pourquoi cet autre ¨marche d’après celui-là¨, c’est-à-dire à côté de celui-là; toutes ces expressions signifient la position et le lieu. Et cela apparaît plus clairement dans les idiomes qu’on retrouve dans la langue grecque.

1054. Ensuite lorsqu’il dit [507] : ¨ C’est pourquoi suite à cela ¨.

   Il termine, à partir de ce qu’il vient de dire, par la présentation de quatre sens selon lesquels se dit le par soi, dont le premier est quand la définition qui signifie la quiddité de la chose est dite exister par soi dans cette chose, tout comme Callias ¨et la quiddité de Callias¨, c’est-à-dire l’essence de cet être, se présentent de telle manière que l’un existe par soi dans l’autre. Mais ce n’est pas la seule définition dans sa totalité qui se dit par soi du défini, mais même chaque partie, présente dans la définition exprimant l’essence de la chose, s’attribue par soi au défini, comme c’est par soi que Callias est un animal. En effet, animal fait partie de la définition de Callias car Callias est un certain animal et le terme animal serait placé dans sa définition si les singuliers pouvaient avoir une définition. Et ces deux sens sont compris sous un seul. Car c’est pour la même raison que la définition et qu’une partie de la définition s’attribue par soi au défini. Et c’est en effet ce premier sens du par soi qui est présenté dans le livre des Seconds Analytiques et qui correspond au premier sens de ce qu’on appelle le ¨ce par quoi¨ que nous avons présenté plus haut.

1055. Le deuxième sens du par soi se présente quand on montre qu’une chose existe dans une autre comme dans son premier sujet lorsqu’elle y existe par soi. Ce qui se produit certes de deux manières : car ou bien le premier sujet d’un accident est le sujet lui-même pris dans sa totalité auquel s’attribue l’accident, (comme lorsqu’on dit de la surface que c’est par elle-même qu’elle est colorée ou qu’elle est blanche. En effet, le premier sujet de la couleur est la surface et c’est pourquoi on dit du corps que c’est en raison de sa surface qu’il est coloré); ou bien encore le premier sujet est une de ses parties, tout comme on dit que c’est par soi que l’homme est vivant parce qu’il y a une partie en lui, à savoir l’âme, qui est le premier sujet de la vie. Et tel est le deuxième mode selon lequel se dit le par soi présenté dans les Seconds Analytiques, c’est-à-dire quand le sujet est placé dans la définition du prédicat. En effet, le sujet qui est premier et propre est placé dans la définition de l’accident propre.

1056. Le troisième sens est celui selon lequel on appelle par soi ce qui n’a pas d’autre cause; c’est le cas de toutes les propositions immédiates, c’est-à-dire de celles qui n’ont pas besoin d’être prouvées par un moyen terme. Car dans les démonstrations ¨propter quid¨ ou par la cause, le moyen terme est la cause qui permet d’attribuer le prédicat au sujet. C’est pourquoi, bien que l’homme ait plusieurs causes, comme animal et bipède, qui sont ses causes formelles, néanmoins la proposition ¨l’homme est homme¨ n’a pas de cause puisqu’elle est immédiate; et c’est pour cette raison que c’est par soi que l’homme est homme. Et c’est à ce mode que se ramène le quatrième mode du par soi présenté dans les Seconds Analytiques, quand l’effet est attribué à sa cause, comme lorsqu’on dit que le mort est mort à cause du meurtre ou que le corps froid a refroidi à cause du froid.

1057. Le quatrième sens du par soi a lieu selon qu’on dit qu’existe par soi dans un autre ce appartient à lui seul en tant que seul sujet. Ce qui se dit à la différence des premiers sens dans lesquels exister par soi dans un autre ne se disait par pour cette raison qu’elle existe en elle seule. Bien qu’encore là, parmi ces sens, une chose appartiendrait à une seule autre, comme la définition au défini. Mais ici le par soi se dit en raison de l’unicité. Car ce que j’appelle le par soi signifie quelque chose de séparé, comme on dit que l’homme existe par soi quand il est unique. Et c’est à ce sens que se ramène le troisième sens présenté dans les Seconds Analytiques et le quatrième sens selon lequel se dit le ¨ce par quoi¨ qui implique la position.

 

 

LECTIO 20

[82623] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 1Quia uno modo secundum quod positionem significat, ideo consequenter philosophus prosequitur de nomine dispositionis; et ponit rationem communem huius nominis dispositio, dicens, quod dispositio nihil est aliud quam ordo partium in habente partes. Ponit autem modos quibus dicitur dispositio: qui sunt tres. Quorum primus est secundum ordinem partium in loco. Et sic dispositio sive situs est quoddam praedicamentum.

[82624] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 2Secundus modus est, prout ordo partium attenditur secundum potentiam sive virtutem; et sic dispositio ponitur in prima specie qualitatis. Dicitur enim aliquid hoc modo esse dispositum, utputa secundum sanitatem vel aegritudinem, ex eo quod partes eius habent ordinem in virtute activa vel passiva.

[82625] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 3Tertius modus est, prout ordo partium attenditur secundum speciem et figuram totius; et sic dispositio sive situs ponitur differentia in genere quantitatis. Dicitur enim quod quantitas alia est habens positionem, ut linea, superficies, corpus et locus; alia non habens, ut numerus et tempus.

[82626] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 4Ostendit etiam quod hoc nomen dispositio, ordinem significet. Significat enim positionem, sicut ipsa nominis impositio demonstrat: de ratione autem positionis est ordo.

[82627] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 5Habitus vero hic prosequitur de nomine habitus; et primo distinguit ipsum nomen habitus. Secundo quaedam nomina quae habent propinquam considerationem ad hoc nomen, ibi, passio dicitur. Ponit ergo primo duos modos, quibus hoc nomen dicitur. Quorum primus est aliquid medium inter habentem et habitum. Habere enim, licet non sit actio, significat tamen per modum actionis. Et ideo inter habentem et habitum intelligitur habitus esse medius, et quasi actio quaedam; sicut calefactio intelligitur esse media inter calefactum et calefaciens; sive illud medium accipiatur ut actus, sicut quando calefactio accipitur active; sive ut motus, sicut quando calefactio accipitur passive. Quando enim hoc facit, et illud fit, est media factio. In Graeco habetur poiesis, quod factionem significat. Et siquidem ulterius procedatur ab agente in patiens, est medium factio activa, quae est actus facientis. Si vero procedatur a facto in facientem, sic est medium factio passiva, quae est motus facti. Ita etiam inter hominem habentem vestem, et vestem habitam, est medius habitus; quia si consideretur procedendo ab homine ad vestem, erit ut actio, prout significatur in hoc quod dicitur habere: si vero e converso, erit ut passio motus, prout significatur in hoc quod dicitur haberi.

[82628] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 6Quamvis autem habitus intelligatur esse medius inter hominem et vestem, inquantum habet eam; tamen manifestum est, quod non contingit inter ipsum habitum et habentem esse aliud medium, quasi adhuc sit alius habitus medius inter habentem et ipsum medium habitum. Sic enim procederetur in infinitum, si dicatur quod convenit habere habitum habiti, idest rei habitae. Homo enim habet rem habitam, idest vestem. Sed illum habitum rei habitae non habet homo, alio medio habitu, sicut homo faciens facit factum factione media; sed ipsam mediam factionem non facit aliqua alia factione media. Et propter hoc etiam relationes, quibus subiectum refertur ad aliud, non referuntur ad subiectum aliqua alia relatione media, nec etiam ad oppositum; sicut paternitas neque ad patrem neque ad filium refertur aliqua alia relatione media: et si aliquae relationes mediae dicantur, sunt rationis tantum, et non rei. Habitus autem sic acceptus est unum praedicamentum.

[82629] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 7Secundo modo dicitur habitus dispositio, secundum quam aliquid disponitur bene et male; sicut sanitate aliquid disponitur bene, aegritudine male. Utroque autem, scilicet aegritudine et sanitate, aliquid disponitur bene vel male dupliciter; scilicet aut secundum se aut per respectum ad aliquid. Sicut sanum est quod est bene dispositum secundum se; robustum autem quod est bene dispositum ad aliquid agendum. Et ideo sanitas est habitus quidam, quia est talis dispositio qualis dicta est. Et non solum habitus dicitur dispositio totius, sed etiam dispositio partis, quae est pars dispositionis totius; sicuti bonae dispositiones partium animalis, sunt partes bonae habitudinis in toto animali. Et virtutes etiam partium animae, sunt quidam habitus; sicut temperantia concupiscibilis, et fortitudo irascibilis, et prudentia rationalis.

[82630] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 8Deinde cum dicit passio dicitur hic prosequitur de illis quae consequuntur ad habitum; et primo de his quae se habent ad ipsum per modum oppositionis. Secundo de eo quod se habet ad ipsum per modum effectus, scilicet de habere, quod ab habitu denominatur, ibi, habere multipliciter dicitur. Habitui autem opponitur aliquid, scilicet passio, sicut imperfectum perfecto. Privatio autem oppositione directa. Unde primo determinat de passione. Secundo de privatione, ibi, privatio dicitur. Ponit ergo primo, quatuor modos, quibus passio dicitur. Uno modo dicitur qualitas, secundum quam fit alteratio, sicut album et nigrum et huiusmodi. Et haec est tertia species qualitatis. Probatum enim est in septimo physicorum, quod in sola tertia specie qualitatis potest esse alteratio.

[82631] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 9Secundus modus est, secundum quod huiusmodi actiones qualitatis et alterationis, quae fiunt secundum eas, dicuntur passiones; et sic passio est unum praedicamentum, ut calefieri et infrigidari et huiusmodi.

[82632] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 10Tertio modo dicuntur passiones, non quaelibet alterationes, sed quae sunt nocivae, et ad malum terminatae, et quae sunt lamentabiles, sive tristes: non enim dicitur aliquid pati secundum hunc modum quod sanatur, sed quod infirmatur; vel etiam cuicumque aliquod nocumentum accidit: et hoc rationabiliter. Patiens enim per actionem agentis sibi contrarii, trahitur a sua dispositione naturali in dispositionem similem agenti. Et ideo magis proprie dicitur pati, cum subtrahitur aliquid de eo quod sibi congruebat, et dum agitur in ipso contraria dispositio, quam quando fit e contrario. Tunc enim magis dicitur perfici.

[82633] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 11Et quia illa, quae sunt modica, quasi nulla reputantur, ideo quarto modo dicuntur passiones, non quaecumque nocivae alterationes, sed quae habent magnitudinem nocumenti, sicut magnae calamitates et magnae tristitiae. Quia etiam excedens laetitia fit nociva, cum quandocumque propter excessum laetitiae aliqui mortui sint et infirmati; et similiter superabundantia prosperitatis in nocumentum vertitur his qui ea bene uti nesciunt: ideo alia litera habetmagnitudines lamentationum et exultationum passiones dicuntur. Cui concordat alia litera, quae dicit magnitudines dolorum et prosperorum.

[82634] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 12Sciendum est autem, quod quia haec tria, scilicet dispositio, habitus, et passio, non significant genus praedicamenti, nisi secundum unum modum significationis, ut ex praehabitis patet, ideo non posuit ea cum aliis partibus entis, scilicet quantitate, qualitate et ad aliquid. In illis enim vel omnes vel plures modi ad genera praedicamenti, significata per illa nomina, pertinebant.

[82635] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 13Privatio dicitur hic distinguit modos, quibus dicitur privatio; et quia privatio includit in sua ratione negationem et aptitudinem subiecti, ideo primo distinguit modos privationis ex parte aptitudinis. Secundo ex parte negationis, ibi, et quoties. Et circa primum ponit quatuor modos. Primus modus est, secundum quod aptitudo consideratur ex parte rei privatae, non ex parte subiecti. Dicitur enim hoc modo privatio, quando ab aliquo non habetur id quod natum est haberi, licet hoc quod ipso caret non sit natum habere; sicut planta dicitur privari oculis, quia oculi nati sunt haberi, licet non a planta. In his vero, quae a nullo nata sunt haberi, non potest dici aliquid privari, sicut oculus visu penetrante per corpora opaca.

[82636] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 14Secundus modus attenditur secundum aptitudinem subiecti. Hoc enim modo dicitur privari hoc solum quod natum est illud habere, aut secundum se, aut secundum genus suum: secundum se, sicut homo caecus dicitur privari visu, quem natus est habere secundum se. Talpa autem dicitur privari visu, non quia ipsa secundum se sit nata habere visum; sed quia genus eius, scilicet animal, natum est habere visum. Multa enim sunt a quibus aliquid non impeditur ratione generis, sed ratione differentiae; sicut homo non impeditur quin habeat alas ratione generis, sed ratione differentiae.

[82637] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 15Tertius modus attenditur ex parte circumstantiarum. Unde hoc modo dicitur aliquid privari aliquo, si non habet ipsum habitum cum natum sit habere. Sicut caecitas, quae est quaedam privatio, et tamen animal non dicitur caecum secundum omnem aetatem, sed solum si non habeat visum in illa aetate in qua natum est habere; unde canis non dicitur caecus ante nonum diem. Et sicut est de hac circumstantia quando, ita est et de aliis circumstantiis, scilicet in quo, ut in loco; sicut nox dicitur privatio lucis in loco ubi nata est esse lux, non in cavernis, ad quas lumen solis pervenire non potest; et secundum quid, sicut homo non dicitur edentulus, si non habet dentes in manu; sed si non habet secundum illam partem, secundum quam natus est habere; et ad quod, sicut homo non dicitur parvus, vel deficientis staturae si non est magnus respectu montis, vel respectu cuiuscumque alterius rei, ad cuius comparationem non est natus habere magnitudinem: et sic homo non dicitur tardus esse motu, si non currat ita velociter sicut lepus vel ventus; vel ignorans, si non intelligit sicut Deus.

[82638] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 16Quartus modus est secundum quod ablatio cuiuslibet rei per violentiam, dicitur privatio. Violentum enim est contra impetum naturalem, ut habitum est supra. Et ita ablatio per violentiam est respectu eius quod quis natus est habere.

[82639] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 17Deinde cum dicit et quoties distinguit modos privationis ex parte negationis. Graeci enim utuntur hac praepositione a in compositionibus ad designandas negationes et privationes, sicut nos utimur hac praepositione in. Dicit ergo quod quoties dicuntur negationes designatae ab hac praepositione a posita in principio dictionis per compositionem, toties dicuntur etiam privationes. Dicitur enim inaequale uno modo, quod non habet aequalitatem, si aptum natum est habere; et invisibile, quod non habet colorem; et sine pede, quod non habet pedes.

[82640] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 18Secundo modo dicuntur huiusmodi negationes non per hoc quod est omnino non habere; sed per hoc quod est prave vel turpiter habere; sicut dicitur non habere colorem, quia habet malum colorem vel turpem; et non habere pedes, quia habet parvos vel turpes.

[82641] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 19Tertio modo significatur aliquid privative vel negative ex hoc, quod est parum habere; sicut dicitur in Graeco apirenon, idest non ignitum, ubi est modicum de igne: et hic modus quodammodo continetur sub secundo, quia parum habere est quodammodo prave et turpiter habere.

[82642] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 20Quarto modo dicitur aliquid privative vel negative, ex eo quod non est facile, vel non bene; sicut aliquid dicitur insecabile, non solum quia non secatur, sed quia non facile, aut non bene.

[82643] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 21Quinto modo dicitur aliquid negative vel privative, ex eo quod est omnino non habere. Unde monoculus non dicitur caecus, sed ille qui in ambobus oculis caret visu.

[82644] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 22Ex hoc inducit quoddam corollarium; scilicet quod inter bonum et malum, iustum et iniustum, est aliquid medium. Non enim ex quocumque defectu bonitatis efficitur aliquis malus, sicut Stoici dicebant ponentes omnia peccata esse paria; sed quando multum a virtute recedit, et in contrarium habitum inducitur. Unde in secundo Ethicorum dicitur: ex eo quod homo recedit parum a medio virtutis, non vituperatur.

[82645] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 23Deinde cum dicit habere multipliciter hic ponit quatuor modos eius, quod est habere: quorum primus est, secundum quod habere aliquid est ducere illud secundum suam naturam in rebus naturalibus, aut secundum suum impetum in rebus voluntariis. Et hoc modo febris dicitur habere hominem, quia homo traducitur a naturali dispositione in dispositionem febrilem. Et hoc modo habent tyranni civitates, quia secundum voluntatem et impetum tyrannorum res civitatum aguntur. Et hoc etiam modo induti dicuntur habere vestimentum, quia vestimentum coaptatur induto ut accipiat figuram eius. Et ad hunc modum reducitur etiam habere possessionem, quia homo re possessa utitur secundum suam voluntatem.

[82646] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 24Secundus modus est, prout illud, in quo existit aliquid ut in proprio susceptibili, dicitur habere illud; sicut aes habet speciem statuae, et corpus habet infirmitatem. Et sub hoc modo comprehenditur habere scientiam, quantitatem, et quodcumque accidens, vel quamcumque formam.

[82647] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 25Tertius modus est, secundum quod continens dicitur habere contentum, et contentum haberi a continente; sicut dicimus quod lagena habet humidum, idest humorem aliquem, ut aquam vel vinum; et quod civitas habet homines, et navis nautas. Et secundum hunc modum etiam dicitur quod totum habet partes. Totum enim continet partem, sicut et locus locatum. In hoc enim differt locus a toto, quia locus est divisus a locato, non autem totum a partibus. Unde locatum est sicut pars divisa, ut habetur in quarto physicorum.

[82648] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 26Quartus modus est secundum quod aliquid dicitur habere alterum, ex eo, quod prohibet ipsum operari vel moveri secundum suum impetum; sicut columnae dicuntur habere corpora ponderosa imposita super eas, quia prohibent ea descendere deorsum secundum inclinationem. Et hoc etiam modo poetae dixerunt quod Atlas habet caelum. Fingunt enim poetae quod Atlas est quidam gigas qui sustinet caelum ne cadat super terram. Quod etiam quidam naturales dicunt, qui ponebant quod caelum quandoque corrumpetur et resolutum cadet super terram. Quod patet praecipue ex opinione Empedoclis, qui posuit mundum infinities corrumpi et infinities generari. Habuit autem poetica fictio ex veritate originem. Atlas quidem magnus astrologus, subtiliter motus caelestium corporum perscrutatus est, ex quo fictio processit quod ipse caelum sustineret. Differt autem hic modus a primo. Nam in primo habens, habitum cogebat sequi secundum suum impetum, et sic erat causa motus violenti. Hic autem habens, prohibet habitum moveri motu naturali, unde est causa quietis violentae. Ad hunc autem modum reducitur tertius modus quo continens dicitur habere contenta; ea ratione quia aliter contenta suo proprio impetu singula separarentur abinvicem, nisi continens prohiberet; sicut patet in lagena continente aquam, quae prohibet partes abinvicem separari.

[82649] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 20 n. 27Dicit autem in fine, quod esse in aliquo similiter dicitur sicut et habere; et modi essendi in aliquo consequuntur ad modos habendi. Octo autem modi essendi in aliquo in quarto physicorum positi sunt: quorum duo, scilicet secundum quod totum integrale est in partibus et e converso: duo etiam, scilicet secundum quod totum universale est in partibus, et e converso, et alius modus secundum quod locatum est in loco, consequuntur ad tertium modum habendi, secundum quod totum habet partes, et locus locatum. Modus autem secundum quod aliquid dicitur esse in aliquo, ut in efficiente vel movente, sicut quae sunt regni in rege, consequitur primum modum habendi hic positum. Modus autem essendi in, secundum quod forma est in materia, reducitur ad secundum modum habendi hic positum. Modus autem quo aliquid est in fine, reducitur ad modum habendi quartum hic positum; vel etiam ad primum, quia secundum finem moventur et quiescunt ea quae sunt ad finem.

LEÇON 20.

(nn. 1058-1084; [508-513]).

 

Après avoir présenté la définition de la disposition, il présente trois sens selon lesquels se dit la disposition, deux sens pour l’habitus tout comme pour la passion, puis huit pour la privation, mais quatre pour ¨l’avoir¨.

 

1058. Parce qu’en un sens le ce par quoi signifie la position, c’est pourquoi par la suite le Philosophe traite du nom de disposition [508]; et il présente la définition commune de ce nom, Disposition, en disant que la disposition n’est rien d’autre que l’ordre des parties dans ce qui possède des parties. Il présente cependant les sens, qui sont au nombre de trois, selon lesquels ce terme se dit, et dont le premier est selon l’ordre des parties dans le lieu. Et en ce sens la disposition ou la position est un prédicament.

1059. Le deuxième sens est celui selon lequel l’ordre des parties se prend d’après la puissance ou la vertu; et ainsi la disposition se range dans la première espèce de la qualité. On dit en effet d’un être qu’il est disposé de telle manière, c’est-à-dire d’après la santé ou la maladie du fait que ses parties sont ordonnées dans le sens d’une puissance active ou passive.

1060. Le troisième sens apparaît dans la mesure où l’ordre des parties se prend selon l’espèce ou la figure du tout; et ainsi la disposition ou la position se présente comme une différence dans le genre de la quantité. On dit en effet que la quantité qui possède une position, comme la ligne, la surface, le corps et le lieu, est différente de celle qui, comme le nombre et le temps, n’en possède pas.

1061. Il montre encore que ce nom de Disposition implique un ordre puisqu’il signifie la position ainsi que l’imposition même du nom l’indique : mais l’ordre fait partie de la notion même de position.

1062. Ensuite lorsqu’il dit [509] : ¨ D’un autre côté l’habitus ¨.

   Il poursuit ici son propos avec l’examen du nom habitus; et en premier lieu il précise la signification du nom habitus. En deuxième lieu il s’arrête à certains noms dont la considération a une relation étroite avec le nom d’habitus, là [510] où il dit : ¨ On appelle passion ¨.

   En premier lieu il présente donc deux sens d’après lesquels se dit ce nom [509], dont le premier est le fait d’être intermédiaire entre celui qui possède et ce qui est possédé. En effet, bien que posséder ne soit pas une action, cette notion est néanmoins signifiée à la manière d’une action. Et c’est pourquoi l’habitus est compris comme un intermédiaire et comme une certaine action entre celui qui possède et ce qui est possédé, tout comme l’acte de réchauffer est compris comme un intermédiaire entre ce qui réchauffe et ce qui est réchauffé, que cet intermédiaire soit compris comme un acte, comme quand le réchauffement est pris activement, ou qu’il soit pris comme un mouvement comme quand ce réchauffement est pris passivement. En effet quand ceci fait et que cela est fait, l’acte de faire est un intermédiaire. En grec on dit poiesis, ce mot signifiant l’acte de fabriquer. Si toutefois par la suite cet acte procède de l’agent vers le patient cet acte intermédiaire est actif puisqu’il est l’acte de celui qui fait. Si d’un autre côté on considère cet acte comme procédant de ce qui est fait par rapport à celui qui fait, de cette manière l’acte intermédiaire est pris comme passivement puisqu’il est le mouvement de ce qui est fait. Ainsi encore il y a un habitus intermédiaire entre l’homme qui porte le vêtement et le vêtement qui est porté car si on le considère comme procédant de l’homme au vêtement, cet habitus sera vu comme une action dans la mesure où c’est ce qu’on veut signifier lorsqu’on dit avoir ou posséder; si on le considère en sens inverse, l’habitus sera pris comme une passion de ce qui subit un mouvement dans la mesure où c’est ce qu’on veut signifier lorsqu’on dit ¨être possédé¨.

1063. Mais bien qu’on comprenne l’habitus comme un intermédiaire entre l’homme et le vêtement dans la mesure où le premier possède le second, il est cependant évident qu’il n’en résulte pas qu’il y ait un autre intermédiaire entre l’habitus lui-même et celui qui possède une chose comme si en outre il y avait un autre habitus intermédiaire entre celui qui possède et l’habitus intermédiaire lui-même. En effet on procéderait ainsi à l’infini si on disait qu’il faut posséder un habitus ¨de ce qui est possédé¨, c’est-à-dire de la chose possédée. L’homme en effet possède ¨une chose possédée¨, c’est-à-dire un vêtement. Mais cet habitus ou cette possession de la chose possédée, l’homme ne la possède pas par un autre habitus intermédiaire, comme on voit que l’homme en train de faire une chose fait une œuvre par une action intermédiaire; mais il ne fait pas l’action intermédiaire elle-même au moyen d’une autre action intermédiaire. Et c’est pour cette raison que même les relations au moyen desquelles un sujet se rapporte à un autre ne se rapportent pas au sujet ni même à son opposé au moyen d’une autre relation intermédiaire, tout comme la paternité ne se rapporte pas au fils ou au père au moyen d’une autre relation intermédiaire : et si certaines relations sont appelées intermédiaires, ce sont alors des relations de raison seulement et non des relations qui se rapportent à la chose. Et ainsi, l’habitus pris en ce sens se range dans un des prédicaments.

1064. Le deuxième mode ou le deuxième sens du terme habitus est celui selon lequel on dit qu’il est une disposition d’après laquelle un être est bien ou mal disposé, comme on le voit chez celui qui est bien disposé par la santé ou mal disposé par la maladie. Mais dans les deux cas, c’est-à-dire pour la maladie et la santé, c’est de deux manières qu’un être est bien ou mal disposé : à savoir, soit en lui-même, soit en rapport avec autre chose, tout comme est sain celui qui est bien disposé en lui-même mais vigoureux celui qui est bien disposé à faire quelque chose. Et c’est pourquoi la santé est un habitus parce qu’elle est une disposition telle que nous l’avons déjà décrite. Et non seulement on appelle habitus la disposition du tout, mais aussi la disposition de la partie qui fait partie de la disposition du tout, tout comme les bonnes dispositions des parties de l’animal sont des parties de la bonne disposition de tout l’animal. Et même les vertus des parties de l’âme sont des habitus, comme la tempérance à l’égard du concupiscible, la force par rapport à l’irascible et la prudence par rapport à la partie rationnelle.

1265. Ensuite lorsqu’il dit [510] : ¨ On appelle passion ¨.

   Il continue ici avec l’examen de ce qui découle de l’habitus; et il le fait en premier avec ce qui se rapporte à l’habitus par mode d’opposition [510]. En deuxième lieu, il traite de ce qui se rapporte à l’habitus par mode d’effet, c’est-à-dire de l’avoir qui en latin tire son nom de l’habitus, là [513] où il dit : ¨ Avoir se dit de plusieurs manières ¨.

   Mais à l’habitus s’oppose quelque chose, à savoir la passion, comme l’imparfait s’oppose au parfait. Mais la privation s’y oppose par une opposition directe. C’est pourquoi en premier lieu il détermine de la passion [510] et en second lieu de la privation, là [511] où il dit : ¨ La privation se dit ¨.

   Il présente donc en premier lieu [510] les quatre sens selon lesquels se dit la passion. En un premier sens la passion se dit de la qualité d’après laquelle a lieu une altération, comme celle du blanc, du noir et de d’autres qualités de cette sorte. Et ce sens est la troisième espèce de qualité. On prouve en effet au septième livre des Physiques que c’est seulement dans la troisième espèce de qualité qu’il peut y avoir altération.

1066. Le deuxième sens est celui selon lequel on appelle passions les actions de la qualité et de l’altération en tant qu’elles se produisent d’après ces qualités et ces altérations; et en ce sens la passion est un des prédicaments, comme par exemple d’être réchauffé, refroidi, etc.

1067. Le troisième sens est celui selon lequel on appelle passions non pas n’importe quelle altération, mais celle qui est nuisible, qui aboutit à un mal, et qui est misérable ou triste : en effet, ce n’est pas d’après ce sens qu’on dit d’un être qu’il pâtit quand il guérit, mais plutôt quand il devient malade ou encore quand il lui arrive un préjudice quelconque : et il est rationnel qu’il en soit ainsi. En effet, c’est par l’action d’un agent qui lui est contraire que le patient passe d’une disposition qui lui est naturelle à une disposition qui l’assimile à l’agent. Et c’est pourquoi on parle plus proprement de passion lorsqu’est retiré d’un sujet quelque chose qui lui convenait et qu’une disposition contraire agit en lui, que lorsque le processus a lieu en sens inverse. Dans ce dernier cas en effet on doit plutôt parler de perfection que de passion.

1068. Et parce que ce qui est petit et de peu d’importance est considéré comme n’entraînant aucune conséquence, c’est pourquoi en un quatrième sens on appelle passions non pas n’importe quelles altérations nuisibles, mais celles qui entraînent de grands dommages comme les cruelles infortunes et les tristesses extrêmes. Mais parce que même une joie excessive devient nocive, comme il arrive parfois alors que certains meurent ou deviennent malades en raison d’une joie excessive, et que de même la surabondance de prospérité devient nuisible à ceux qui ne savent pas bien se servir de leurs biens, c’est pour cette raison qu’un autre document nous dit : ¨On appelle passion les pleurs et les joies extrêmes¨. Et un autre document encore s’accorde avec le premier lorsqu’il dit : ¨Les grandes tribulations et les extrêmes souffrances¨.

1069. Mais il faut savoir que ces trois notions, à savoir la disposition, l’habitus et la passion ne signifient pas un genre de prédicament, sauf pour un seul mode de signification ainsi que nous l’avons vu; c’est pourquoi Aristote ne les rangea pas avec les autres parties de l’être, à savoir avec la quantité, la qualité et la relation. Pour ces dernières notions en effet, soit tous les modes soit la plupart d’entre eux se rapportent aux genres de prédicaments qui sont signifiés par ces noms.

1070. Ensuite lorsqu’il dit [511] : ¨ La privation se dit ¨.

   Il distingue ici les sens d’après lesquels se dit la privation; et parce que la privation inclut dans sa définition la négation et l’aptitude d’un sujet, c’est pourquoi il distingue en premier lieu les sens de privation d’après l’aptitude du sujet. Il le fait en deuxième lieu d’après la négation, là [512] où il dit : ¨ Et autant ¨.

   Et au sujet du premier point il présente quatre sens [511]. Le premier sens est celui selon lequel l’aptitude est considérée à partir de la chose qui est privée et non à partir du sujet. La privation se dit en effet en ce sens, à savoir quand un être ne possède pas ce qu’il est naturel de posséder, bien qu’il ne soit pas naturel à celui-là même qui en est privé de le posséder : comme lorsqu’on dit de la plante qu’elle est privée des yeux, car il est naturel, mais pas à la plante, d’avoir des yeux. D’un autre côté, pour ce qui est de ce qui ne peut être naturellement possédé par aucun être, on ne peut parler de privation, comme pour l’œil de voir à travers les corps qui sont opaques.

1071. Le deuxième sens se prend d’après l’aptitude du sujet. C’est d’après ce mode en effet qu’on dit être privé celui-là seul qui est naturellement apte à posséder cela, soit en lui-même, soit d’après son genre : en lui-même, comme lorsqu’on dit de l’homme aveugle qu’il est privé de la vue qu’il est naturellement apte à posséder en lui-même. Mais on dit de la taupe qu’elle est privée de la vue non pas parce qu’elle est naturellement apte en elle-même à la posséder, mais parce que son genre, à savoir le genre animal, est naturellement apte à la posséder. Nombreuses en effet sont les choses dont un être n’est pas privé en raison du genre, mais dont il l’est en raison de la différence spécifique, tout comme l’homme n’est pas empêché d’avoir des ailes en raison de son genre, mais en raison de sa différence.

1072. Le troisième sens se prend du côté des circonstances. Et à partir de là on dit en ce sens qu’un être est privé d’une chose s’il ne possède pas cet habitus quand il est naturellement apte à le posséder. Comme dans le cas de la cécité qui est une certaine privation; et cependant on ne dit pas de l’animal qu’il est aveugle à toutes les époques de sa vie, mais seulement s’il ne possède pas la vue à cet âge où il devrait naturellement la posséder; et de là on ne dit pas du chien qu’il est aveugle avant le neuvième jour de sa vie. Et tout comme il en est ainsi pour la circonstance du temps, de même il en est encore ainsi pour d’autres circonstances, comme celle de ¨l’en quoi¨, ou du lieu : tout comme on dit de la nuit qu’elle est une privation de la lumière pour les lieux où il est naturel qu’il y ait de la lumière et non dans les cavernes où la lumière du soleil ne peut parvenir; et il en est de même encore de la circonstance ¨sous un certain rapport¨ : par exemple, on ne dit pas de l’homme qu’il est sans dents parce qu’il n’a pas de dents dans sa main, mais s’il n’en possède dans cette partie du corps où il est apte à les posséder; et la même chose est encore vraie ¨quant à la relation¨ : par exemple, on ne dit pas de l’homme qu’il est petit ou qu’il est de faible stature s’il n’est pas grand par rapport à la montagne ou à toute autre chose comparativement à laquelle il n’est pas apte à posséder une telle dimension : et ainsi on ne dit pas de l’homme qu’il se meut lentement s’il ne court pas aussi rapidement que le lièvre ou le vent, ou qu’il est ignorant s’il ne comprend pas le monde à la manière de Dieu.

1073. Le quatrième sens de la privation se prend d’après la suppression de quelque chose par la violence. Est violent en effet ce qui est contraire à l’inclination naturelle ainsi que nous l’avons établi plus haut. Et ainsi la suppression par violence s’adresse à ce qu’il est naturel à un être de posséder.

1074. Ensuite lorsqu’il dit [512] : ¨ Et autant de fois ¨.

   Il distingue les modes de la privation du côté de la négation. Les Grecs en effet se servent du préfixe ¨a¨ dans les noms composés pour signifier les négations et les privations tout comme nous nous servons en latin du préfixe ¨in¨. Et Aristote dit qu’on peut parler de privation chaque fois que la négation est signifiée par ce préfixe ¨a¨ au début d’un mot. On dit en effet qu’est inégal, en un sens, ce qui n’a pas d’égalité s’il s’agit d’un être naturellement apte à en avoir; et on dit qu’est invisible ce qui n’a pas de couleur, et apode ce qui ne possède pas de pieds.

1075. En un deuxième sens on dit qu’il y a négation non seulement pour les cas où il n’y a absolument aucune possession, mais pour les cas où la possession est défectueuse ou grossière, tout comme on dit que n’a pas de couleur ce qui la possède faiblement ou grossièrement, ou que n’a pas de pieds celui qui les possède à peine et de manière insuffisante.

1076. En un troisième sens quelque chose est signifié par mode de privation ou de négation du fait qu’il s’agit d’une possession en petite quantité, tout comme on dit en grec qu’est ¨apurenon¨, c’est-à-dire non-enflammé, ce lieu où il y a une petite quantité de feu; et ce sens est contenu d’une certaine manière sous le second car posséder en petite quantité, c’est d’une certaine manière posséder faiblement ou grossièrement.

1077. En un quatrième sens quelque chose se dit par mode de privation ou de négation du fait qu’elle ne se produit pas facilement ou comme il convient, tout comme on dit d’une chose qu’elle est insécable non seulement parce qu’elle ne peut être coupée mais encore parce qu’elle se coupe difficilement ou parce qu’elle se coupe mal.

1078. En un cinquième sens quelque chose se dit par mode de négation ou de privation du fait qu’il n’y a absolument aucune possession. Tout comme on ne dit pas qu’est aveugle celui qui est borgne, mais celui dont les deux yeux sont privés de la vue.

1079. À partir de là il présente un corollaire, à savoir qu’entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, il y un intermédiaire. En effet, ce n’est pas à partir de n’importe quel manque de bien qu’un mal est produit, ainsi que le prétendaient les Stoïciens qui affirmaient que toutes les fautes sont égales. Mais c’est quand la faute s’écarte considérablement de la vertu et qu’elle mène à un habitus contraire que le mal existe vraiment. C’est pourquoi on dit dans le deuxième livre des Éthiques : un homme ne mérite pas d’être blâmé du seul fait qu’il s’écarte peu du milieu de la vertu.

1080. Ensuite lorsqu’il dit [513] : ¨ Avoir se dit de plusieurs manières ¨.

   Il présente ici quatre sens de ce qu’on appelle avoir ou posséder, dont le premier est celui selon lequel avoir une chose, c’est la mener conformément à sa nature dans les choses naturelles ou conformément à son intention dans les choses volontaires. C’est en ce sens qu’on dit de la fièvre qu’elle possède l’homme parce que l’homme est conduit d’une disposition qui lui est naturelle à une disposition fiévreuse. Et c’est en ce sens que les tyrans possèdent les cités, car c’est d’après les désirs et les inclinations des tyrans que les choses des cités sont conduites. Et c’est encore de la même manière qu’on dit de ceux qui sont habillés qu’ils possèdent un vêtement car le vêtement s’adapte à celui qui le porte pour recevoir sa forme. Et c’est à ce mode que se ramène encore la possession des biens car c’est conformément à sa volonté que l’homme se sert des biens qu’il possède.

1081. Le deuxième sens est celui selon lequel on dit que cela même, dans quoi existe une chose comme dans le substrat qui lui est propre, est dit avoir ou posséder cette chose : tout comme on dit de l’airain qu’il possède la forme de la statue et que le corps possède la maladie. Et c’est en ce sens qu’on doit entendre la possession de la science, d’une quantité, de n’importe quel accident ou de n’importe quelle forme.

1082. Le troisième sens est celui selon lequel on dit d’un contenant qu’il possède le contenu et que le contenu est possédé par le contenant, tout comme nous disons que le vase ¨possède le fluide¨, c’est-à-dire un certain liquide comme l’eau ou le vin; et que la cité possède les hommes et que le navire possède les matelots. Et c’est d’après ce sens encore qu’on dit du tout qu’il possède les parties. En effet le tout contient la partie comme le lieu contient ce qui est placé dans le lieu. Mais le lieu diffère du tout en ceci que le lieu demeure distinct et séparé de ce qui y est placé alors que ce n’est pas le cas pour le tout à l’égard de ses parties. Et c’est pourquoi ce qui est placé dans un lieu est comme une partie séparée ainsi qu’on l’établit au quatrième livre des Physiques.

1083. Le quatrième sens est celui selon lequel on dit d’une chose qu’elle en possède une autre du fait qu’elle l’empêche d’agir ou de se mouvoir conformément à sa tendance naturelle. Ainsi, on dit des colonnes qu’elles possèdent les corps lourds placés sur elles parce qu’elles les empêchent d’aller vers le bas conformément à leur tendance naturelle. Et c’est encore en ce sens que les poètes ont dit qu’Atlas possède le ciel. Les poètes en effet représentent Atlas comme un géant qui supporte le ciel afin qu’il ne tombe pas sur la terre. Mais c’est ce qu’affirment aussi certains naturalistes qui ont soutenu que le ciel connaîtra un jour une détérioration et que ses débris tomberont alors sur la terre. Ce qui est clair surtout si on examine l’opinion d’Empédocle qui soutint que l’univers avait été détruit et engendré une infinité de fois. Mais cette fiction poétique avait son origine dans une vérité. Un grand astronome du nom d’Atlas examina attentivement les mouvements des corps célestes et de là vient la légende selon laquelle c’est lui-même qui devait soutenir la voûte céleste. – Ce sens diffère cependant du premier car dans le premier sens celui qui possédait forçait ce qui est possédé à se conduire conformément à sa tendance et il était ainsi la cause d’un mouvement violent, alors qu’ici celui qui possède empêche ce qui est possédé de se mouvoir selon son mouvement naturel et il est ainsi cause d’un repos violent. Néanmoins, c’est à ce sens que se ramène le troisième sens par lequel on dit du contenant qu’il possède le contenu pour cette raison qu’autrement tous les individus contenus, de par leurs tendances propres, se sépareraient les uns des autres si le contenant ne les en empêchait, ainsi qu’on le voit dans le cas du vase qui contient l’eau, lequel empêche les parties de l’eau de se séparer les unes des autres.

1084. Mais il dit à la fin qu’exister dans un autre se dit de la même manière que posséder ou avoir, et que les manières d’exister dans quelque chose correspondent aux manières d’avoir ou de posséder. Mais au quatrième livre des Physiques on a établi qu’il y a huit manières d’exister dans quelque chose, dont deux d’entre elles, à savoir celles d’après lesquelles on dit du tout intégral qu’il existe dans les parties et inversement; deux autres sont celles selon lesquelles on dit du tout universel qu’il existe dans ses parties et inversement; une autre manière, selon laquelle un objet est placé est dans le lieu, correspond au troisième sens de posséder, selon lequel le tout possède les parties et le lieu ce qui y est placé. Mais le sens selon lequel on dit d’une chose qu’elle est dans quelque chose comme dans son agent ou dans celui qui la fait, comme les choses du royaume sont dans le roi, correspond au premier sens de l’avoir présenté ici. Mais le sens d’exister dans un autre selon lequel la forme existe dans la matière correspond au deuxième sens de l’avoir présenté ici. Par ailleurs, le sens par lequel une chose est dans sa fin se ramène au quatrième sens de l’avoir présenté ici ou encore au premier car c’est en raison de la fin que se meut ou se repose tout ce qui est ordonné à la fin.

 

 

LECTIO 21

[82650] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 1Hic incipit prosequi de his quae pertinent ad rationem totius et partis. Et primo de his quae pertinent ad partem. Secundo de his, quae pertinent ad totum, ibi, totum dicitur. Et quia ex partibus constituitur totum; ideo circa primum duo facit. Primo ostendit quot modis dicitur aliquid esse ex aliquo. Secundo quot modis dicitur pars, ibi, pars dicitur uno quidem modo. Circa primum tria facit. Primo ponit modos, quibus aliquid ex aliquo fieri dicitur proprie et primo. Secundo quo modo fit aliquid ex aliquo, sed non primo, ibi, alia vero si secundum partem. Tertio quo modo fit aliquid ex aliquo non proprie, ibi, alia vero. Circa primum ponit quatuor modos. Quorum primus est, secundum quod aliquid dicitur esse ex aliquo, ut ex materia. Quod quidem contingit dupliciter. Uno modo secundum quod accipitur materia primi generis, scilicet communis; sicut aqua est materia omnium liquabilium, quae omnia dicuntur esse ex aqua. Alio modo secundum speciem ultimam, idest specialissimam; sicut haec species, quae est statua, dicitur fieri ex aere.

[82651] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 2Secundo modo dicitur aliquid fieri ex alio ut ex primo principio movente, sicut pugna ex convitio, quod est principium movens animum convitiati ad pugnandum. Et sic etiam dicitur, quod domus est ex aedificante, et sanitas ex medicina.

[82652] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 3Tertio modo dicitur fieri ex aliquo, sicut simplex, ex composito ex materia et forma. Et hoc est in via resolutionis, sicut dicimus quod partes fiunt ex toto, et versus ex Iliade, idest ex toto tractatu Homeri de Troia; resolvitur enim Ilias in versus, sicut totum in partes. Et similiter dicitur quod lapides fiunt ex domo. Ratio autem huius est, quia forma est finis in generatione. Perfectum enim dicitur quod habet finem, ut supra habitum est. Unde patet, quod perfectum est quod habet formam. Quando igitur ex toto perfecto fit resolutio partium, est motus quasi a forma ad materiam; sicut e converso, quando partes componuntur, est motus a materia in formam. Et ideo haec praepositio ex quae principium designat, utrobique competit: et in via compositionis, quia determinat principium materiale; et in via resolutionis, quia significat principium formale.

[82653] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 4Quarto modo dicitur aliquod fieri ex aliquo sicut species ex parte speciei. Pars autem speciei potest accipi dupliciter: aut secundum rationem, aut secundum rem. Secundum rationem, sicut bipes est pars hominis, quia est pars definitionis eius, quamvis secundum rem non sit pars, quia aliter non praedicaretur de toto. Toti enim homini competit habere duos pedes. Secundum rem vero, sicut syllaba est ex elemento, idest ex litera sicut ex parte speciei. Hic autem quartus modus differt a primo. Nam ibi dicebatur aliquid esse ex parte materiae sicut statua ex aere. Nam haec substantia quae est statua, est composita ex sensibili materia tamquam ex parte substantiae. Sed haec species componitur ex parte speciei.

[82654] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 5Sunt enim partium, quaedam partes speciei, et quaedam partes materiae. Partes quidem speciei dicuntur, a quibus dependet perfectio speciei, et sine quibus esse non potest species. Unde et tales partes in definitione totius ponuntur, sicut anima et corpus in definitione animalis, et angulus in definitione trianguli, et litera in definitione syllabae. Partes vero materiae dicuntur ex quibus species non dependet, sed quodammodo accidunt speciei; sicut accidit statuae quod fiat ex aere, vel ex quacumque materia. Accidit etiam circulo quod dividatur in duos semicirculos: et angulo recto, quod angulus acutus sit eius pars. Unde huiusmodi partes non ponuntur in definitione totius speciei, sed potius e converso, ut in septimo huius erit manifestum. Sic ergo patet quod sic quaedam dicuntur ex aliquo fieri primo et proprie.

[82655] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 6Aliqua vero dicuntur ex aliquo fieri non primo, sed secundum partem. Et hoc secundum quaecumque praedictorum modorum; sicut puer dicitur fieri ex patre, sicut principio motivo, et matre sicut ex materia; quia quaedam pars patris movet, scilicet sperma, et quaedam pars matris est materia, scilicet menstruum. Et plantae fiunt ex terra; non tamen quidem ex toto, sed ex aliqua eius parte.

[82656] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 7Alio vero modo dicitur fieri aliquid ex aliquo non proprie, scilicet ex hoc ipso quod importat solum ordinem; et sic aliquid fieri dicitur ex aliquo, post quod fit, sicut nox fit ex die, idest post diem: et imber ex serenitate, idest post serenitatem. Hoc autem dicitur dupliciter. Quandoque enim inter ea, quorum unum dicitur fieri ex altero, attenditur ordo secundum motum, et non solum secundum tempus; quia vel sunt duo extrema eiusdem motus, ut cum dicitur quod album fit ex nigro: vel consequuntur aliqua extrema motus, sicut nox et dies consequuntur diversa ubi solis. Et similiter hiems et aestas. Unde in quibusdam dicitur hoc fieri post hoc, quia habent transmutationem adinvicem, ut in praedictis patet.

[82657] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 8Quandoque vero attenditur ordo secundum tempus tantum; sicut dicitur quod ex aequinoctio fit navigatio, idest post aequinoctium. Haec enim duo extrema non sunt duo extrema unius motus, sed ad diversos motus pertinent. Et similiter dicitur, ex Dionysiis fiunt Thargelia, quia fiunt post Dionysia. Haec autem sunt quaedam festa, quae apud gentiles celebrabantur, quorum unum erat prius et aliud posterius.

[82658] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 9Deinde cum dicit pars dicitur hic ponit quatuor modos, quibus aliquid dicitur esse pars. Primo modo pars dicitur, in quam dividitur aliquid secundum quantitatem: et hoc dupliciter. Uno enim modo quantumcumque fuerit quantitas minor, in quam quantitas maior dividitur, dicitur eius pars. Semper enim id quod aufertur a quantitate, dicitur pars eius; sicut duo aliquo modo sunt partes trium. Alio modo dicitur solum pars quantitas minor, quae mensurat maiorem. Et sic duo non sunt pars trium; sed sic duo sunt pars quatuor, quia bis duo sunt quatuor.

[82659] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 10Secundo modo ea dicuntur partes, in quae dividitur aliquid sine quantitate: et per hunc modum species dicuntur esse partes generis. Dividitur enim in species, non sicut quantitas, in partes quantitatis. Nam tota quantitas non est in una suarum partium. Genus autem est in qualibet specierum.

[82660] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 11Tertio modo dicuntur partes, in quas dividitur, aut ex quibus componitur aliquod totum; sive sit species, sive aliquid habens speciem, scilicet individuum. Sunt enim, sicut dictum est, quaedam partes speciei, et quaedam partes materiae, quae sunt partes individui. Aes enim est pars sphaerae aereae, aut cubi aerei, sicut materia, in qua species est recepta. Unde aes non est pars speciei, sed pars habentis speciem. Est autem cubus corpus contentum ex superficiebus quadratis. Angulus autem est pars trianguli sicut speciei, sicut supra dictum est.

[82661] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 12Quarto modo dicuntur partes, quae ponuntur in definitione cuiuslibet rei, quae sunt partes rationis sicut animal et bipes sunt partes hominis.

[82662] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 13Ex quo patet, quod genus quarto modo est pars speciei: aliter vero, scilicet secundo modo, species est pars generis. In secundo enim modo sumebatur pars pro parte subiectiva totius universalis; in aliis autem tribus pro parte integrali. Sed in primo pro parte quantitatis, in aliis autem duobus pro parte substantiae; ita tamen, quod pars secundum tertium modum est pars rei; sive sit pars speciei, sive pars individui. Quarto autem modo est pars rationis.

[82663] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 14Deinde cum dicit totum dicitur hic prosequitur de his quae pertinent ad totum. Et primo de toto in communi. Secundo de toto quodam, scilicet de genere, ibi, genus dicitur. Circa primum duo facit. Primo prosequitur de ipso nomine totius. Secundo de eius opposito, scilicet de colobon, ibi, colobon autem dicitur. Circa primum tria facit. Primo ponit rationem communem totius, quae consistit in duobus. Primo in hoc quod perfectio totius integratur ex partibus. Et significat hoc, cum dicit quod totum dicitur cui nulla suarum partium deest, ex quibus scilicet partibus dicitur totum natura, idest totum secundum suam naturam constituitur. Secundum est quod partes uniuntur in toto. Et sic dicit quod totum continens est contenta, scilicet partes, ita quod illa contenta sunt aliquid unum in toto.

[82664] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 15Secundo ibi, hoc autem ponit duos modos totius; dicens quod totum dicitur dupliciter; aut ita quod unumquodque contentorum a toto continente, sit ipsum unum, scilicet ipsum totum continens, quod est in toto universali de qualibet suarum partium praedicato. Aut ex partibus constituatur unum, ita quod non quaelibet partium sit unum illud. Et haec est ratio totius integralis, quod de nulla suarum partium integralium praedicatur.

[82665] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 16Tertio ibi, universale quidem exponit praedictos modos totius; et primo primum, dicens quod universale et quod totaliter idest quod communiter praedicatur, dicitur quasi sit aliquod unum totum ex hoc quod praedicatur de unoquoque, sicut universale, quasi multa continens ut partes, in eo quod praedicatur de unoquoque. Et omnia illa sunt unum in toto universali, ita quod unumquodque illorum est illud unum totum. Sicut animal continet hominem et equum et Deum, quia omnia sunt animalia, idest quia animal praedicatur de unoquoque. Deum autem hic dicit aliquod corpus caeleste, ut solem vel lunam, quae antiqui animata corpora esse dicebant et deos putabant. Vel animalia quaedam aerea, quae Platonici dicebant esse Daemones, et pro diis colebantur a gentibus.

[82666] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 17Secundo ibi, continuum vero exponit modum secundum totius qui pertinet ad totum integrale; et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem communem huius totius, et praecipue de toto quod dividitur in partes quantitativas, quod est manifestius; dicens, quod aliquid dicitur continuum et finitum, idest perfectum et totum. Nam infinitum non habet rationem totius, sed partis, ut dicitur in tertio physicorum; quando scilicet unum aliquod fit ex pluribus quae insunt toti. Et hoc dicit ad removendum modum quo aliquid fit ex aliquo sicut ex contrario.

[82667] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 18Partes autem ex quibus constituitur totum dupliciter possunt esse in toto. Uno modo in potentia, alio modo in actu. Partes quidem sunt in potentia in toto continuo; actu vero in toto non continuo, sicut lapides actu sunt in acervo. Magis autem est unum, et per consequens magis totum, continuum, quam non continuum. Et ideo dicit quod oportet partes inesse toti, maxime quidem in potentia sicut in toto continuo. Et si non in potentia, saltem energia, idest in actu. Dicitur enim energia, interior actio.

[82668] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 19Licet autem magis sit totum quando partes sunt in eo in potentia, quam quando sunt actu, tamen si respiciamus ad partes, magis sunt ipsae partes, quando sunt actu, quam quando sunt in potentia. Unde alia litera habet maxime quidem perfectione et actu. Sin autem, et potestate. Et subiungit etiam quod prius dictum est et maxime potestate. Sin autem, et energia. Unde videtur quod translator duas invenit literas et utramque transtulit, et errore factum est, sic ut coniungantur ambae quasi una litera. Et hoc patet ex alia translatione quae non habet nisi alterum tantum. Sic enim dicit continuum autem et finitum est, cum unum aliquod sit ex pluribus inhaerentibus, maxime quod potentia. Si autem non, actu sunt.

[82669] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 20Secundo ibi, horum vero ostendit duas diversitates in isto secundo modo totius: quarum prima est, quod continuorum quaedam sunt continua per artem, quaedam per naturam. Et illa quae sunt continua per naturam, magis sunt talia, idest tota, quam quae sunt per artem. Sicut de uno dictum est supra; scilicet quod illa quae sunt continua per naturam, magis sunt unum, ac si totalitas sit aliqua unio: ex quo patet quod, quod est magis unum, est magis totum.

[82670] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 21Deinde cum dicit amplius quanto secundam diversitatem ponit. Cum enim ita sit quod in quantitate sit ordo partium, quia est ibi principium, medium et ultimum, in quo ratio positionis consistit, oportet quod omnia tota ista continuam habeant positionem in suis partibus. Sed ad positionem partium totum continuum tripliciter se invenitur habere. Quaedam enim tota sunt in quibus diversa positio partium non facit diversitatem, sicut patet in aqua. Qualitercumque enim transponantur partes aquae, nihil differunt: et similiter est de aliis humidis, sicut de oleo, vino et huiusmodi. In his autem significatur totum per hoc quod dicitur omne, non autem ipso nomine totius. Dicimus enim, omnis aqua, vel omne vinum, vel omnis numerus; non autem totus, nisi secundum metaphoram: et hoc forte est secundum proprietatem Graeci idiomatis. Nam apud nos dicitur proprie.

[82671] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 22Quaedam vero sunt in quibus positio differentiam facit, sicut in homine, et in quolibet animali, et in domo et huiusmodi. Non enim est domus qualitercumque partes ordinentur, sed secundum determinatum ordinem partium: et similiter nec homo nec animal; et in his dicimus totum, et non omne. Dicimus enim de uno solo animali loquentes, totum animal, non omne animal.

[82672] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 23Quaedam vero sunt in quibus contingunt ambo, quia positio quodammodo facit differentiam in eis. In his autem dicimus utrumque, scilicet et omne et totum; et ista sunt in quibus facta transpositione partium manet eadem materia, sed non eadem forma sive figura; ut patet in cera, cuius qualitercumque transponantur partes, nihilominus est cera, licet non eiusdem figurae: et similiter est de vestimento, et de omnibus quae sunt similium partium, retinentium diversam figuram. Humida enim, etsi sunt similium partium, non tamen figuram possunt habere propriam, quia non terminantur terminis propriis, sed alienis: et ideo transpositio in eis nihil variat quod sit ex parte eorum.

[82673] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 24Ratio autem huius diversitatis est, quia omne, distributivum est: et ideo requirit multitudinem in actu, vel in potentia propinqua: et quia ea sunt similium partium, dividuntur in partes consimiles toti, fitque ibi multiplicatio totius. Nam si quaelibet pars aquae est aqua, in unaquaque aqua sunt multae aquae, licet in potentia; sicut in uno numero sunt multae unitates in actu. Totum vero significat collectionem partium in aliquo uno: et ideo in illis proprie dicitur totum in quibus, ex omnibus partibus acceptis simul, fit unum perfectum, cuius perfectio nulli partium competit, sicut domus et animal. Unde omne animal, non dicitur de uno animali, sed de pluribus: et ideo in fine dicit, quod in illis totis in quibus dicitur omne, ut de uno referente ad totum, potest dici omnia in plurali, ut in diversis referendo ad partes: sicut dicitur, omnis hic numerus et omnes hae unitates et omnis haec aqua, demonstrato toto, et omnes hae aquae, demonstratis partibus.

[82674] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 25Deinde cum dicit colobon vero hic determinat de eo, quod est oppositum toti, quod est colobon, pro quo alia translatio habet diminutum membro, sed non usquequaque convenienter. Nam colobon non dicitur solum in animalibus, in quibus solis sunt membra. Videtur autem esse colobon quod nos dicimus truncatum. Unde Boetius transtulit mancum, id est defectivum. Est ergo intentio philosophi ostendere quid requiratur ad hoc quod aliquid dicatur colobon. Et primo quid requiratur ex parte totius; secundo quid requiratur ex parte partis deficientis, ibi, adhuc autem neque quaelibet.

[82675] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 26Ad hoc autem, quod aliquod totum dici possit colobon, septem requiruntur. Primum est, ut illud totum sit quantum habens partes in quas dividatur secundum quantitatem. Non enim totum universale potest dici colobon si una species eius auferatur.

[82676] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 27Secundum est quod non quodlibet quantum potest dici colobon, sed oportet quod sit partibile, idest distinctionem habens, et totum, idest ex diversis partibus integratum. Unde ultimae partes, in quas aliquod totum resolvitur, licet habeant quantitatem, non possunt dici colobae, sicut caro vel nervus.

[82677] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 28Tertium est, quod duo non sunt coloba, vel aliquid habens duas partes, si altera earum auferatur. Et hoc ideo quia nunquam colobonium, idest quod aufertur a colobon, est aequale residuo, sed semper oportet residuum esse maius.

[82678] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 29Quartum est, quod numerus nullus potest esse colobus quotcumque partes habeat; quia substantia colobi manet parte subtracta; sicut si calix truncetur, adhuc manet calix; sed numerus non manet idem, ablata quacumque parte. Quaelibet enim unitas addita vel subtracta, variat numeri speciem.

[82679] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 30Quintum est, quia oportet quod habeat partes dissimiles. Ea enim, quae sunt similium partium, non possunt dici coloba, quia ratio totius salvatur in qualibet parte: unde, si auferatur aliqua partium, altera pars non dicitur coloba. Nec tamen omnia, quae sunt dissimilium partium, possunt dici coloba: numerus enim non potest dici colobus, ut dictum est, quamvis quodammodo habeat dissimiles partes, sicut duodenarius habet pro partibus dualitatem et Trinitatem. Aliquo tamen modo omnis numerus habet partes similes, prout omnis numerus ex unitatibus constituitur.

[82680] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 31Sextum est quod nullum eorum potest dici colobon, in quibus positio non facit differentiam, sicut aqua aut ignis. Oportet enim coloba talia esse, quod in suae ratione substantiae habeant determinatam positionem, sicut homo vel domus.

[82681] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 32Septimum est quod oportet esse continua coloba. Harmonia enim musicalis non potest dici coloba voce vel chorda subtracta, licet sit dissimilium partium: quia constituitur ex vocibus gravibus, et acutis; et licet partes eius habeant determinatam positionem: non enim qualitercumque voces graves et acutae ordinatae, talem constituunt harmoniam.

[82682] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 33Deinde cum dicit adhuc autem ostendit quae sunt conditiones colobi ex parte partis diminutae; et ponit tres: dicens quod sicut non quaelibet tota possunt dici coloba, ita nec cuiuslibet particulae ablatione potest aliquid dici colobon. Oportet enim primo quod pars ablata non sit pars substantiae principalis, quae scilicet rei substantiam constituit, et sine qua substantia esse non possit; quia, ut supra dictum est, colobon oportet manere ablata parte. Unde homo non potest dici colobus, capite abscisso.

[82683] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 34Secundo, ut pars subtracta non sit ubique, sed sit in extremitate. Unde si perforatur calix circa medium aliqua parte eius ablata, non potest dici colobus; sed, si accipiatur auris calicis, idest particula, quae est ad similitudinem auris, aut quaecumque alia extremitas. Et similiter homo non dicitur colobus, si amittat aliquid de carne, vel in tibia, vel in brachio, vel circa medium corporis; aut si amittens splenem, vel aliquam eius partem; sed si amittat aliquam eius extremitatem, ut manum aut pedem.

[82684] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 21 n. 35Tertio vero, ut non omni particula in extremitate existente ablata, aliquid dicatur colobum; sed, si sit talis pars, quae non regeneratur iterum, si tota auferatur, sicut manus, aut pes. Capillus autem totus incisus iterum regeneratur. Unde per eorum subtractionem, licet in extremitate sint, non dicitur colobus. Et propter hoc calvi non dicuntur colobi.

LEÇON 21.

(nn. 1085-11182; [514-523]).

 

Il explique les sens selon lesquels on dit d’une chose qu’elle provient d’une autre, et ceux selon lesquels se dit la partie, le tout et le tronqué.

 

1085. Il commence ici à traiter de ce qui appartient aux notions de tout et de partie.

   Et en premier lieu il examine ce qui se rapporte à la partie [514]. En deuxième lieu il traite de ce qui se rapporte au tout, là [516] où il dit : ¨ Le tout se dit ¨.

   Et parce que le tout est constitué de parties, c’est pourquoi il fait deux choses à l’égard du premier point. Il montre en premier lieu de combien de sens on dit d’une chose qu’elle provient d’une autre [514]. En deuxième lieu il montre de combien de manières se dit la partie, là [515] où il dit : ¨ La partie se dit certes en premier sens ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente les sens par lesquels on dit à proprement parler et en premier lieu d’une chose qu’elle provient d’une autre [514]. En deuxième lieu il montre de quelle manière une chose vient d’une autre mais non en premier lieu, là [ib.] où il dit : ¨D’un autre côté si c’est selon la partie que d’autres¨.  En troisième lieu il montre de quelle manière une chose vient d’une autre mais non à proprement parler, là [ib.] où il dit : ¨Par ailleurs, d’autres¨.

   Au sujet du premier point il présente quatre sens [514], dont le premier est celui selon lequel on dit d’une chose qu’elle provient d’une autre comme de sa matière. Ce qui certes se produit de deux manières. En un premier sens selon que la matière se prend comme ¨la matière du premier genre¨, c’est-à-dire comme la matière commune, comme l’eau est la matière de tous les corps qui peuvent se liquéfier et dont on dit qu’ils proviennent tous de l’eau. En un autre sens la matière se prend ¨d’après l’espèce dernière¨, c’est-à-dire celle qui est la plus spécifique, tout comme on dit de cette forme, qui est celle de la statue, qu’elle provient de l’airain.

1086. Le deuxième sens est celui selon lequel on dit d’une chose qu’elle provient d’une autre comme ¨d’un premier principe moteur¨ comme le combat vient de l’injure qui est le principe qui pousse l’âme de l’injurié à engager le combat. Et ainsi c’est aussi en ce sens qu’on dit que la maison provient du constructeur et que la santé provient du médecin.

1087. Provenir d’un autre se dit en un troisième sens comme le simple provient ¨du composé de matière et de forme¨. Et cela a lieu dans la voie de résolution, comme lorsque nous disons que les parties proviennent du tout, ¨et le vers de l’Iliade¨, c’est-à-dire de toute l’œuvre d’Homère sur la guerre de Troie; en effet, l’Iliade se décompose en vers, comme le tout se décompose en ses parties. Et de la même manière on dit que les pierres proviennent de la maison. Mais la raison de ceci est que la forme est la fin de la génération. En effet, on appelle parfait celui qui atteint sa fin, comme on l’a établi plus haut. D’où l’on voit que le parfait est ce qui possède sa forme. Donc, quand c’est à partir d’un tout parfait que se produit la décomposition des parties, le mouvement procède comme de la forme à la matière; au contraire, quand les parties sont composées, le mouvement procède de la matière à la forme. Et c’est pourquoi cette préposition ¨de¨, qui signifie un principe, se rencontre dans les deux cas : à la fois dans la voie de composition car elle détermine le principe matériel, et dans la voie de résolution où elle désigne le principe formel.

1088. En un quatrième sens on dit d’une chose qu’elle provient d’une autre comme ¨l’espèce provient de la partie de l’espèce¨. Mais la partie de l’espèce peut se prendre de deux manières : ou bien selon la raison ou bien selon la chose. Selon la raison comme bipède est partie de l’homme parce que c’est là une partie de sa définition bien que ce ne soit pas une partie selon la chose; autrement cette partie ne serait pas attribuée au tout. C’est à tout l’homme en effet qu’il appartient d’avoir deux pieds. D’un autre côté selon la chose, comme ¨la syllabe provient de l’élément¨, c’est-à-dire de la lettre comme d’une partie de l’espèce. Mais ici le quatrième sens diffère du premier car dans ce dernier cas on disait qu’une chose provient comme d’une partie de la matière, comme la statue provient de l’airain. Car cette substance qu’est la statue est composée d’une matière sensible comme d’une partie de sa substance. Mais cette espèce est composée d’une partie de l’espèce.

1089. Parmi les parties en effet, il y en a qui sont les parties de l’espèce et d’autres qui sont les parties de la matière. On appelle certes les parties de l’espèce celles dont dépend la perfection de l’espèce et sans lesquelles l’espèce ne peut exister. Et c’est pourquoi de telles parties sont placées dans la définition du tout, comme l’âme et le corps sont placés dans la définition de l’animal, l’angle dans la définition du triangle et la lettre dans la définition de la syllabe. D’un autre côté on appelle parties de la matière celles dont l’espèce ne dépend pas mais qui sont accidentelles d’une certaine manière dans l’espèce, comme il arrive à la statue de provenir de l’airain ou de quelque autre matière. Il arrive encore au cercle d’être divisé en deux demi-cercles, et à l’angle droit d’avoir un angle aigu comme partie. C’est pourquoi de telles parties ne sont pas placées dans la définition du tout de l’espèce, mais c’est plutôt le contraire qui se produit comme on le montrera au septième livre de ce traité. Ainsi donc il est clair que c’est ainsi qu’on dit de certaines choses qu’elles proviennent d’une autre à proprement parler et en un sens premier.

1090. D’un autre côté on dit de certaines choses qu’elles proviennent d’une autre non en un sens premier, mais selon une partie. Et cela d’après ¨chacun des modes qui précèdent¨, comme on dit de l’enfant qu’il vient du père comme d’un principe moteur, et de la mère comme d’un principe matériel; car il y a une partie du père qui joue le rôle de principe moteur, à savoir le sperme, et il y a une partie de la mère qui joue le rôle de principe matériel, à savoir le sang menstruel. Et de même les plantes viennent de la terre, non pas certes de toute la terre, mais d’une certaine partie de la terre.

1091. Par ailleurs on dit d’une chose d’après un autre sens, qu’elle provient d’une autre mais non proprement, pour cette raison même qu’elle comporte seulement une succession à son égard; et c’est en ce sens qu’on dit d’une chose qu’elle vient d’une autre parce qu’elle lui succède, comme ¨la nuit vient du jour¨, c’est-à-dire après le jour, et comme ¨la tempête vient du calme¨, c’est-à-dire après le calme. Mais ce sens se dit de deux manières. Parfois en effet entre les choses dont on dit de l’une qu’elle provient d’une autre, l’ordre ou la succession s’entend selon le mouvement et non seulement selon le temps car ou bien elles sont les deux extrêmes d’un même mouvement, comme lorsqu’on dit que le blanc provient du noir, ou bien elles suivent les extrémités d’un mouvement, comme la nuit et le jour sont consécutifs aux différents mouvements du soleil. Et il en est de même pour l’hiver et l’été. Et c’est pourquoi dans certains cas on dit qu’une chose vient d’une autre parce qu’elles se changent l’une en l’autre réciproquement comme on peut le voir dans les exemples précédents.

1092. D’un autre côté l’ordre ou la succession s’entend parfois selon le temps seulement, comme lorsqu’on dit que ¨la navigation provient de l’équinoxe¨, c’est-à-dire après l’équinoxe. Ces deux extrémités en effet ne sont pas celles d’un même mouvement, mais elles se rapportent à deux mouvements différents. Et de la même manière on dit que les Thargélies proviennent des Dionysiaques parce qu’elles viennent après les Dionysiaques. Ce sont là deux fêtes que les gentils célébraient et dont l’une était antérieure et l’autre postérieure dans le temps.

1093. Ensuite lorsqu’il dit [515] : ¨ La partie se dit ¨.

   Il présente ici quatre sens selon lesquels on dit d’une chose qu’elle est une partie. Et partie se dit en un premier sens de ce en quoi se divise une chose selon la quantité, et cela de deux manières. En un premier sens en effet, quelque grande que soit la quantité plus petite en laquelle la partie plus grande sera divisée, on dira d’elle qu’elle en est la partie. En effet, la quantité qui est retirée d’une autre, on dit toujours d’elle qu’elle en est une partie, tout comme deux est en un sens une partie de trois. En un autre sens on appelle seulement partie la quantité plus petite qui mesure la plus grande. Et en ce sens deux n’est pas une partie de trois, mais une partie de quatre car deux fois deux font quatre.

1094. D’après un deuxième sens on appelle parties celles en lesquelles une chose se divise même si elle est dépourvue de quantité : et c’est en ce sens qu’on dit des espèces qu’elles sont des parties du genre. En effet, le genre se divise en espèces non pas comme une quantité se divise en parties quantitatives. Car une quantité ne se retrouve pas dans sa totalité dans chacune de ses parties alors que le genre au contraire se retrouve en totalité dans chacune de ses espèces.

1095. En un troisième sens on appelle parties celles dans lesquelles se divise ou à partir desquelles se compose un tout, que ce tout soit une espèce ou quelque chose qui possède une espèce, comme l’individu. Il y a en effet, comme nous l’avons déjà dit, les parties de l’espèce, et d’autres parties qui sont les parties de la matière qui sont aussi les parties de l’individu. Le bronze en effet est une partie de la sphère en bronze ou du cube en bronze en tant que matière dans laquelle l’espèce ou la forme est reçue. C’est pourquoi le bronze n’est pas une partie de l’espèce, mais une partie de ce qui possède une espèce. Mais un corps cubique est borné par des surfaces carrées, tout comme l’angle est une partie du triangle en tant que partie de l’espèce, ainsi qu’on l’a déjà dit plus haut.

1096. En un quatrième sens on appelle parties celles qui sont placées dans la définition de la chose et qui sont des parties selon la raison, comme bipède et animal sont des parties de l’homme.

1097. D’où il est clair que le genre, d’après ce quatrième sens, est une partie de l’espèce; d’un autre côté, selon un autre sens, c’est-à-dire selon le deuxième, c’est l’espèce qui est une partie du genre. Dans le deuxième sens en effet la partie se prend comme la partie subjective d’un tout universel, mais dans les trois autres sens elle se prend comme la partie d’un tout intégral. Mais parmi ces trois derniers, la partie se prend dans le premier sens comme une partie de la quantité alors que dans les deux autres elle se prend comme une partie de la substance; mais de telle manière que d’après le troisième sens la partie se prend comme une partie de la chose, soit en tant que partie de l’espèce, soit en tant que partie de l’individu, alors que dans le quatrième sens elle se prend comme une partie selon la raison ou la définition.

1098. Ensuite lorsqu’il dit [516] : ¨ Le tout se dit ¨.

   Il continue ici avec ce qui se rapporte au tout.

   Et il le fait en premier lieu pour ce qui se rapporte au tout entendu communément [516]. En deuxième lieu il le fait pour un certain tout, à savoir pour le genre, là [524] où il dit : ¨ Le genre se dit ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il traite du nom même de tout [516]. En deuxième lieu il traite de son opposé, à savoir du tronqué, là [522] où il dit : ¨ Mais le tronqué se dit ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente la définition commune du tout [516] qui consiste en deux caractéristiques et d’abord en celle-ci que la perfection du tout résulte de la présence de toutes ses parties. Et c’est là ce qu’Aristote veut signifier lorsqu’il dit que ¨on appelle tout ce à quoi ne manque aucune de ses parties, à partir desquelles¨, c’est-à-dire à partir desquelles parties ¨un tout est dit nature¨, c’est-à-dire un tout est constitué selon sa nature. Ensuite la deuxième caractéristique consiste en cela que les parties sont unies dans le tout. Et c’est ainsi qu’il dit que le tout ¨contient les choses contenues¨, à savoir les parties, de telle manière que celles-ci contenues constituent une unité dans le tout.

1099. En deuxième lieu lorsqu’il dit [517] : ¨ Mais cela ¨.

   Il présente deux sens se rapportant au tout en disant que le tout se dit de deux manières. Ou bien de telle manière que chacune des parties contenues par le tout qui les contient soit ¨l’unité elle-même¨, c’est-à-dire le tout qui contient, et qui est dans un tout universel qui peut s’attribuer à chacune de ses parties. Ou bien de telle manière que l’unité résulte de la composition des parties de telle manière qu’aucune des parties ne soit cette unité. Et telle est la définition du tout intégral qui ne peut être attribué à aucune de ses parties intégrales.

1100. En troisième lieu, là [518] où il dit : ¨ Certes l’universel ¨.

   Il explique les sens précédents du tout; et en premier lieu il explique le premier sens en disant que l’universel ¨et ce qui est attribué en totalité ¨, c’est-à-dire ce qui est attribué universellement, se dit comme s’il était un certain tout du fait qu’il est attribué à chacune des individus en tant qu’universel, contenant en quelque sorte la multitude des êtres comme s’ils étaient des parties, du fait qu’il s’attribue à chacun d’eux. Et chacun d’eux constitue une unité dans le tout universel, de telle manière que chacun d’eux est ce tout. Par exemple, vivant contient homme, cheval et dieu car ¨tous sont des êtres vivants¨, c’est-à-dire parce que vivant s’attribue à chacun d’eux. Mais ce qu’il signifie ici par le nom dieu, c’est un corps céleste comme le soleil ou la lune, que les anciens disaient être des corps animés et qu’ils croyaient être des dieux. Ou bien ce terme désigne encore des vivants supérieurs ou aériens que les Platoniciens appelaient des démons et qui étaient honorés comme des dieux par les gentils.

1101. En deuxième lieu, là [519] où il dit : ¨ Par ailleurs le continu ¨.

   Il présente le deuxième sens du tout qui se rapporte au tout intégral; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente la définition commune de ce tout, et surtout du tout qui se divise en parties quantitatives, lequel est le plus manifeste, en disant qu’on dit d’une chose ¨continue et finie¨, qu’elle est parfaite et qu’elle constitue un tout. Car l’infini n’a pas raison de tout mais de partie, ainsi qu’on le dit au troisième livre des Physiques; et cette définition se vérifie pour les cas où une unité résulte de plusieurs éléments qui existent dans le tout. Et il dit cela pour écarter le sens par lequel une chose vient d’une autre comme de son contraire.

1102. Mais les parties à partir desquelles le tout est constitué peuvent exister dans le tout de deux manières. Premièrement en puissance et deuxièmement en acte. Les parties existent certes en puissance dans un tout continu, mais en acte dans un tout qui n’est pas continu, comme les pierres existent en acte dans le tas de pierres. Mais le tout continu constitue davantage une unité et est donc davantage un tout que le tout qui n’est pas continu. Et c’est pourquoi il dit qu’il faut que ce soit en puissance que les parties existent dans le tout de la manière la plus excellente, comme c’est le cas dans le tout continu. Et si elles n’y existent pas en puissance, elles y existent au moins ¨par l’énergie¨, c’est-à-dire en acte. L’énergie se dit en effet ici d’une action intérieure.

1103. Mais bien qu’on soit davantage en présence d’un tout quand les parties y existent en puissance que quand elles y existent en acte, cependant, si nous considérons les parties en tant que telles, ces dernières elles-mêmes existent davantage quand elles sont en acte que quand elles sont en puissance. C’est pourquoi un autre manuscrit nous dit : ¨suprêmement par la perfection et l’acte. Dans le cas contraire par la puissance.¨ Et il ajoute encore ce qui a été dit précédemment : ¨et suprêmement par la puissance. Dans le cas contraire par l’énergie¨. D’où on voit que le traducteur découvrit deux manuscrits et traduisit les deux, et il arriva par erreur que les deux textes furent réunis en un seul. Et cela apparaît clairement à partir d’une autre traduction qui ne contient qu’une seule des deux textes cités et qui dit en ces mots : ¨ Il y a un tout continu et fini quand une même chose résulte de plusieurs parties s’y trouvent, surtout quand ces dernières s’y trouvent en puissance ¨. Mais si elles n’y sont pas en puissance, elles y sont en acte.

1104. En deuxième lieu, là [520] où il dit : ¨ Par ailleurs, de ces sortes de tout ¨.

   Il montre deux différences dans ce deuxième sens du tout, dont la première est que certains des touts continus sont continus par l’art alors que d’autres le sont par la nature. Et ceux qui sont continus par la nature sont davantage ¨ tels ¨, à savoir des touts, que ceux qui sont continus par l’art. Et il en est ici comme ce que nous avons dit précédemment sur l’un : c’est-à-dire que ceux qui sont continus par la nature sont davantage un, comme si un tout se ramenait à une certaine unité; d’où il est manifeste que ce qui est davantage un est davantage un tout.

1105. Ensuite lorsqu’il dit [521] : ¨ En outre, les quantités ¨.

   Il présente la deuxième différence. Puisqu’en effet la quantité est telle qu’il y a un ordre entre ses parties parce qu’on y retrouve un commencement, un milieu et une fin, en quoi consiste la notion même de position, il faut que tous ces touts aient une position dans leurs parties. Mais le tout continu se présente de trois manières à l’égard de la position de ses parties. Il y a des touts en effet dans lesquels une position différente des parties ne fait pas de différence ainsi qu’on le voit pour ce qui est de l’eau. De quelque manière que soient transposées les parties de l’eau, cela ne change rien à l’eau; et il en est de même pour les autres liquides comme l’huile, le vin et les fluides de cette sorte. Mais dans ces sortes de choses le tout est signifié par le nom somme et non par le nom même de tout. Nous disons en effet la somme de l’eau ou la somme du vin ou la somme du nombre; mais dans ces cas, nous ne parlons pas de tout, si ce n’est en un sens métaphorique. Et cela provient peut-être d’une caractéristique propre à la langue grecque car chez nous, en latin, le terme tout s’applique même à ces cas.

1106. Mais il y a d’autres touts continus dans lesquels la position des parties fait une différence, comme on le voit chez l’homme ou dans tout autre animal, et même dans la maison et dans d’autres touts de cette sorte. En effet, les parties de la maison ne sont pas arrangées n’importe comment, mais elles se trouvent plutôt à être disposées suivant un ordre déterminé : et il en est de même pour l’homme ou pour tout autre animal; et c’est dans ces cas que nous parlons de tout et non de somme. Nous disons en effet, en parlant d’un seul et même animal, tout l’animal et non la somme de l’animal.

1107. Par ailleurs, il y a d’autres touts continus dans lesquels on retrouve les deux expressions parce que d’une certaine manière la position des parties fait une différence en eux. Mais dans ces cas nous disons les deux expressions, c’est-à-dire le tout et la somme; et tels sont ceux dans lesquels la matière demeure la même une fois faite la transposition des parties, mais pas la forme ou la figure du tout : par exemple on voit pour la cire que peu importe comment ses parties se trouvent à être transposées, elle demeure néanmoins de la cire, bien que sa figure ait changé; et il en est de même du vêtement et de toutes les choses dont les parties sont semblables et qui peuvent maintenir différentes figures. Les fluides en effet, bien qu’ils soient composés de parties semblables, ne peuvent posséder une figure qui leur soit propre car ils ne sont pas limités par des termes qui leur sont propres, mais par des limites extérieures : et c’est pourquoi la transposition des parties en eux ne change rien de leur côté.

1108. Et la raison de cette diversité est que la somme est distributive et c’est pourquoi elle exige une multiplicité de parties en acte ou en puissance prochaine. Et parce que ces touts sont faits de parties semblables, ils se divisent en parties qui sont semblables au tout et il se produit là comme une multiplication du tout. Car si tout partie de l’eau est de l’eau, dans toute quantité d’eau il y a, bien qu’en puissance, plusieurs quantités d’eau, tout comme dans un nombre il y a plusieurs unités en acte. D’un autre côté un tout signifie la réunion de plusieurs parties dans une certaine unité : et c’est pourquoi dans ces cas on parle proprement de tout dans lesquels, à partir de toutes les parties reçues simultanément, apparaît une unité parfaite, dont la perfection n’appartient à aucune des parties comme on le voit pour ces touts que sont la maison et l’animal. De là, la somme des animaux ne se dit pas d’un seul animal mais de plusieurs : et c’est pourquoi il dit à la fin que dans ces touts pour lesquels on parle de somme, de sorte que chaque unité se rapporte au tout, on peut aussi utiliser le terme ¨tous¨ au pluriel  pour désigner ces diverses unités comme parties divisées; par exemple, on dit tout ce nombre pour identifier le tout et toutes ces unités pour identifier les parties séparément, tout comme on dit toute cette eau pour indiquer le tout et toutes ces eaux pour indiquer les parties.

1109. Ensuite lorsqu’il dit [522] : ¨ Par ailleurs le tronqué ¨.

   Il traite ici de ce qui s’oppose au tout, à savoir le ¨colobon¨, qu’une autre version remplace par mutilé mais pas d’une manière tout à fait juste. Car le ¨colobon¨ ne se dit pas seulement des animaux qui sont les seuls à avoir des membres. Mais il semble que le ¨colobon¨ corresponde à ce que nous appelons le tronqué. Et c’est pourquoi Boèce a traduit ce terme par ¨mutilé¨, c’est-à-dire ¨défectueux¨. C’est donc l’intention du Philosophe de montrer ce qui est requis comme condition pour qu’une chose reçoive l’appellation de ¨colobon¨. Et en premier lieu il montre ce qui est requis du côté du tout; en deuxième lieu ce qui est requis du côté de la partie défectueuse, là [523] où il dit : ¨ Mais en outre ce ne sont pas n’importe quelles ¨.

1110. Mais pour qu’on puisse dire d’un tout qu’il est tronqué, sept conditions doivent être remplies. Dont la première est que ce tout soit une quantité possédant des parties dans lesquelles il est divisé selon la quantité. En effet, on ne peut dire d’un tout universel qu’il est tronqué du fait qu’on lui enlève une de ses parties.

1111. La deuxième condition est que ce n’est pas de toute quantité qu’on peut dire qu’elle est tronquée, mais il faut encore que cette quantité ¨soit partageable¨, c’est-à-dire qu’on puisse la séparer en parties distinctes et qu’elle forme un tout, c’est-à-dire qu’elle résulte de l’intégration de parties différentes. C’est pourquoi on ne peut pas dire que les dernières parties dans lesquelles un tout se réduit, comme la chair et le nerf, sont tronquées, bien qu’elles aient une quantité.

1112. La troisième condition est qu’on ne peut pas dire que le nombre deux, ou une chose qui possède deux parties, soit tronqué si on lui enlève une de ses parties. Et il en est ainsi parce que jamais ¨ce qui a été retranché¨, c’est-à-dire ce qui a été enlevé au tronqué, n’est égal à ce qui reste car il faut toujours que ce qui reste soit plus grand.

1113. La quatrième est que jamais un nombre ne peut être tronqué, quel que soit le nombre de ses parties. Car la substance du sujet qui est tronqué demeure une fois que la partie a été enlevée; tout comme si une coupe est tronquée, elle demeure une coupe; mais si on enlève à un nombre une de ses parties, ce n’est plus le même nombre. En effet, si on ajoute ou si on enlève une unité à un nombre, cela change l’espèce du nombre.

1114. La cinquième condition est qu’il faut que le tout possède des parties dissemblables. En effet, les choses qui sont composées de parties semblables ne peuvent être appelées tronquées parce que la définition du tout est conservée dans chacune de ses parties : de là, si on enlève à une telle chose une de ses parties, on ne pourra pas dire d’elle qu’elle est tronquée. Cependant on ne peut pas dire non plus que tout ce qui est fait de parties dissemblables est tronqué : en effet on ne peut pas dire du nombre qu’il soit tronqué, ainsi que nous l’avons dit, bien que d’une certaine manière il possède des parties dissemblables, tout comme le nombre douze a pour parties deux et trois. Cependant en un autre sens tout nombre possède des parties semblables dans la mesure où tout nombre est constitué d’unités.

1115. La sixième condition est qu’aucune chose, dans laquelle la position des parties ne fait pas une différence, comme l’eau ou le feu, ne peut être appelée tronquée. Il faut en effet, pour qu’une chose puisse être tronquée, qu’elle soit telle qu’on retrouve dans la définition de sa substance une position déterminée quant à ses parties, comme c’est le cas pour la maison.

1116. La septième condition est que le tronqué doit être un continu. En effet, une harmonie musicale ne peut être dite tronquée si on lui enlève une voix ou une corde, bien qu’elle soit composée de parties dissemblables, car elle est constituée de sons graves et aigues; et même si ses parties possèdent une position déterminée : ce ne sont pas en effet des voix graves et aigues ordonnées n’importe comment qui constituent une telle harmonie.

1117. Ensuite lorsqu’il dit [523] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il montre quelles sont les conditions du tronqué qui se tiennent du côté de la partie enlevée; et il en présente trois en disant que tout comme ce n’est pas de n’importe quel tout qu’on puisse dire qu’il est tronqué, de même ce n’est pas par le retranchement de n’importe quelle partie qu’on puisse dire d’une chose qu’elle est tronquée. Il faut en effet en premier lieu que la partie enlevée ne soit pas une partie principale de la substance, c’est-à-dire une partie qui constitue la substance de la chose et sans laquelle cette substance ne pourrait exister; car, ainsi que nous l’avons dit, il faut que le tronqué demeure la même chose une fois la partie enlevée. C’est pourquoi on ne peut dire de l’homme qu’il est tronqué si on lui coupe la tête.

1118. En deuxième lieu il faut que la partie ne se trouve pas n’importe où mais à une de ses extrémités. Par exemple si la coupe est percée par le milieu et qu’elle perd ainsi une de ses parties, on ne peut dire d’elle qu’elle est tronquée, mais seulement si on entend par partie ¨l’anse de la coupe¨, c’est-à-dire cette partie qui ressemble à une oreille, ou toute autre partie se situant à une de ses extrémités. Et de la même manière on ne dit pas de l’homme qu’il est tronqué du fait qu’il manque de chair dans sa jambe, dans son bras ou dans la partie médiane de son corps, ou encore si la rate ou quelque autre partie de son corps lui a été enlevée, mais seulement s’il a perdu une de ses extrémités comme la main ou le pied.

11182. Par ailleurs, en troisième lieu, ce n’est pas en raison de l’enlèvement de toute partie située dans une extrémité qu’on dit d’une chose qu’elle est tronquée. Mais il faut en outre que cette partie soit telle qu’elle ne puisse être régénérée à nouveau si elle est enlevée totalement, comme c’est le cas pour la main ou le pied. Mais si on coupe toute la chevelure, elle se régénère à nouveau. C’est pourquoi on ne dit pas d’un homme qu’il est tronqué par l’enlèvement de ses cheveux, bien qu’ils se situent à une de ses extrémités. Et c’est pour cette raison qu’on ne peut dire des chauves qu’ils sont tronqués.

 

 

LECTIO 22

[82685] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 1Hic determinat de quodam toto, scilicet de genere. Et primo ostendit quot modis dicitur genus. Secundo quot modis dicuntur aliqua diversa, ibi, diversa vero genere. Dicit ergo primo, quod genus dicitur quatuor modis. Primo generatio continua aliquorum habentium eamdem speciem. Sicut dicitur dum erit genus hominum, idest dum durabit generatio continua hominum. Iste est primus modus positus in Porphyrio, scilicet multitudo habentium relationem adinvicem et ad unum principium.

[82686] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 2Secundo modo dicitur genus illud a quo primo movente ad esse, idest a generante procedunt aliqua; sicut dicuntur Hellenes genere, quia descendunt a quodam Hellene nomine, et aliqui dicuntur Iones genere, quia descendunt a quodam Ione, sicut a primo generante. Magis autem denominantur aliqui a patre, qui est generans, quam a matre, quae dat materiam in generatione: et tamen aliqui denominantur genere a matre, sicut a quadam femina nomine Pleia, dicuntur aliquae Pleiades. Et iste est secundus modus generis in Porphyrio positus.

[82687] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 3Tertio modo dicitur genus, sicut superficies est genus figurarum superficialium, et solidum, idest corpus, dicitur esse genus figurarum solidarum, idest corporearum. Genus autem hoc non est quod significat essentiam speciei, sicut animal est genus hominis; sed quod est proprium subiectum, specie differentium accidentium. Superficies enim est subiectum omnium figurarum superficialium. Et habet similitudinem cum genere; quia proprium subiectum ponitur in definitione accidentis, sicut genus in definitione speciei. Unde subiectum proprium de accidente praedicatur ad similitudinem generis. Unaquaeque enim figurarum haec quidem, idest superficialis, est talis superficies. Hoc autem, idest figura solida, est tale solidum, ac si figura sit differentia qualificans superficiem vel solidum. Superficies enim se habet ad figuras superficiales, et solidum ad solidas, sicut genus quod subiicitur contrariis. Nam differentia praedicatur in eo quod quale. Et propter hoc, sicut cum dicitur animal rationale significatur tale animal, ita cum dicitur superficies quadrata, significatur talis superficies.

[82688] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 4Quarto modo genus dicitur, quod primo ponitur in definitione, et praedicatur in eo quod quid, et differentiae sunt eius qualitates. Sicut in definitione hominis primo ponitur animal, et bipes sive rationale, quod est quaedam substantialis qualitas hominis.

[82689] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 5Patet ergo quod tot modis dicitur genus. Uno modo secundum generationem continuam in eadem specie, quod pertinet ad primum modum. Alio modo secundum primum movens, quod pertinet ad secundum. Alio modo sicut materia, quod pertinet ad tertium et quartum modum. Hoc enim modo se habet genus ad differentiam, sicut subiectum ad qualitatem. Et ideo patet quod genus praedicabile, et genus subiectum, quasi sub uno modo comprehenduntur, et utrumque se habet per modum materiae. Licet enim genus praedicabile non sit materia, sumitur tamen a materia, sicut differentia a forma. Dicitur enim aliquid animal ex eo quod habet naturam sensitivam. Rationale vero ex eo, quod habet rationalem naturam, quae se habet ad sensitivam sicut forma ad materiam.

[82690] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 6Deinde cum dicit diversa vero hic ostendit quot modis dicuntur aliqua diversa genere; et ponit duos modos respondentes ultimis duobus modis generis. Primi enim duo modi non multum pertinent ad philosophicam considerationem. Primo igitur modo dicuntur aliqua genere diversa, quia eorum primum subiectum est diversum. Sicut primum subiectum colorum est superficies, primum autem subiectum saporum est humor. Unde quantum ad genus subiectum, sapor et color sunt diversa genere.

[82691] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 7Oportet autem quod duo diversa subiecta, talia sint, quorum unum non resolvatur in alterum. Solidum enim quodammodo resolvitur in superficies. Unde figurae solidi, et figurae superficiales non sunt diversorum generum. Et iterum oportet quod ambo non resolvantur in aliquod idem. Sicut species et materia sunt diversa genere, si secundum suam essentiam considerentur, quod nihil est commune utrique. Et similiter corpora caelestia et inferiora sunt diversa genere, inquantum non habent materiam communem.

[82692] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 8Alio modo dicuntur diversa genere, quae dicuntur secundum diversam figuram categoriae, idest praedicationis entis. Alia namque entia significant quid est, alia quale, alia aliis modis, sicut divisum est prius, ubi tractavit de ente. Istae enim categoriae nec resolvuntur invicem, quia una non continetur sub alia. Nec resolvuntur in unum aliquid, quia non est unum aliquod genus commune ad omnia praedicamenta.

[82693] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 9Patet autem ex dictis quod aliqua continentur sub uno praedicamento, et sunt unum genere hoc modo secundo, quae tamen sunt diversa genere primo modo. Sicut corpora caelestia et elementaria, et colores, et sapores. Primus autem modus diversitatis secundum genus consideratur magis a naturali, et etiam a philosopho, quia est magis realis. Secundus autem modus consideratur a logico, quia est rationis.

[82694] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 10Deinde cum dicit falsum dicitur hic distinguit nomina, quae significant defectum entis, vel ens incompletum. Et primo hoc nomen falsum. Secundo hoc nomen accidens. Circa primum tria facit. Primo ostendit quomodo dicatur falsum in rebus. Secundo quomodo in definitionibus, ibi, ratio vero falsa. Tertio quomodo sit falsum in hominibus, ibi, sed et homo falsus. Dicit ergo primo, quod falsum dicitur uno modo in rebus, per hoc quod oratio significans rem non congrue componitur. Quod quidem contingit dupliciter. Uno modo per hoc, quod aliquid componitur quod non debet componi, sicut est in falsis contingentibus. Alio modo per hoc quod est impossibile componi, sicut est in falsis impossibilibus. Si enim dicamus diametrum esse commensurabilem quadrati lateri, est falsum impossibile, quia impossibile est commensurabile componi diametro. Si autem dicatur te sedere, te stante, est falsum contingens, quia praedicatum non inest subiecto, licet non sit impossibile inesse. Unde unum istorum, scilicet impossibile, est falsum semper; sed aliud, scilicet contingens, non est falsum semper. Sic igitur falsa dicuntur, quae omnino sunt non entia. Nam oratio tunc esse falsa dicitur, quando non est id quod oratione significatur.

[82695] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 11Secundo modo dicitur falsum in rebus ex eo, quod aliqua quidem sunt entia in se, sed tamen sunt apta nata videri aut qualia non sunt, aut quae non sunt, sicut schiagraphia, idest umbrosa descriptio. Umbrae enim quandoque videntur res, quarum sunt umbrae, sicut umbra hominis videtur homo. Et eadem ratio est de somniis, quae videntur res verae, tamen non sunt nisi rerum similitudines. Et similiter dicitur aurum falsum, quod habet similitudinem auri veri. Differt autem hic modus a primo: quia in primo dicebatur aliquod falsum, ex eo quod non erat. Hic autem dicuntur aliqua falsa quae quidem in se sunt aliquid, sed non sunt illa quorum faciunt phantasiam, idest quorum habent apparentiam. Patet ergo quod res dicuntur falsae, aut quia non sunt, aut quia ab eis est apparentia eius quod non est.

[82696] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 12Deinde cum dicit ratio vero ostendit quomodo est falsum in definitionibus: et dicit quod ratio, idest definitio, inquantum est falsa, est non entium. Dicit autem inquantum est falsa, quia definitio dicitur falsa dupliciter. Aut secundum se; et sic non est definitio alicuius, sed penitus non entis. Aut est definitio vera in se, sed falsa est prout attribuitur alteri quam proprio definito, et sic dicitur falsa inquantum non est eius.

[82697] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 13Unde patet, quod omnis definitio, quae est vera definitio alicuius rei, est falsa definitio alterius; ut definitio quae est vera de circulo, est falsa de triangulo. Definitio autem cuiuslibet rei significans quod quid est, quodam modo est una tantum unius, et quodam modo sunt multae unius. Aliquo enim modo ipsum subiectum per se sumptum, et ipsum passum, idest cum passione sumptum, est idem, sicut Socrates et Socrates musicus. Aliquo modo non: est enim idem per accidens, sed non per se. Patet autem, quod eorum sunt definitiones diversae. Alia enim est definitio Socratis et Socratis musici; et tamen ambae sunt quodammodo eiusdem.

[82698] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 14Sed illa definitio, quae est falsa secundum se, non potest esse definitio alicuius rei. Definitio autem falsa secundum se vel simpliciter, dicitur ex eo, quod una pars definitionis non potest stare cum altera; sicut si diceretur, animal inanimatum.

[82699] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 15Patet autem ex hoc, quod stulta fuit opinio Antisthenis. Volebat enim, quod quia voces sunt signa rerum, quod sicut res non habet aliam essentiam nisi propriam, ita in propositione nihil posset praedicari de aliquo, nisi propria eius definitio, ut simpliciter vel semper de uno subiecto dicatur unum praedicatum. Et ex hoc sequitur, quod non sit contradictio; quia, si de homine praedicatur animal, quod est in eius ratione, non poterit de ipso praedicari non animal; et ita non poterit formari negativa propositio. Et ex hac positione etiam sequitur, quod non contingit aliquem mentiri: quia propria definitio rei vere praedicatur de re. Unde, si de nullo potest praedicari nisi propria definitio, nulla propositio erit falsa.

[82700] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 16Est autem eius opinio falsa, quia contingit praedicari de unoquoque non solum suam definitionem, sed etiam alterius. Quod quando fit, universaliter et omnino, est falsa praedicatio. Aliquo tamen modo potest esse vera praedicatio; sicut octo dicuntur dupla, inquantum habent rationem dualitatis, quia ratio dupli est ut se habeat sicut duo ad unum. Octo autem, inquantum sunt duplum, sunt quodammodo duo, quia dividuntur in duo aequalia. Haec ergo dicuntur falsa modo praedicto.

[82701] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 17Deinde cum dicit sed homo ostendit quomodo falsum dicatur de homine: et circa hoc duo facit. Primo ponit duos modos, quibus homo dicitur falsus: quorum primus est, quod homo dicitur falsus, qui est promptus vel gaudens in huiusmodi rationibus, scilicet falsis, et qui est electivus talium rationum non propter aliquod aliud, sed propter se. Unicuique enim habenti habitum fit delectabilis et in promptu operatio, quae est secundum habitum illum; et sic habens habitum operatur secundum habitum illum, non propter aliquod extrinsecum. Sicut luxuriosus fornicatur propter delectationem coitus: si autem fornicetur propter aliquid aliud, puta ut furetur, magis est fur quam luxuriosus. Similiter et qui eligit falsum dicere, propter lucrum, magis est avarus quam falsus.

[82702] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 18Secundus modus est prout homo dicitur falsus, qui facit aliis falsas rationes; quasi consimili modo sicut supra dicebamus res esse falsas quae faciunt falsam phantasiam. Patet autem ex praemissis, quod falsum pertinet ad non ens; ex quo homo dicitur falsus per respectum ad rationes falsas: et ratio dicitur falsa, inquantum est non entis.

[82703] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 19Secundo ibi, quare in excludit ex praemissis duas falsas opiniones: de quarum prima concludit ex praemissis, dicens, quod ex quo falsus homo est electivus et factivus falsarum opinionum, rationabiliter refutatur et reprobatur in Hippia, qui est liber quidam Platonis, oratio quaedam, quae dicebat, eamdem rationem esse veram et falsam. Haec enim opinio accipiebat illum hominem esse falsum qui potest mentiri; et sic, cum idem homo possit mentiri et verum dicere, idem homo esset verus et falsus. Similiter eadem oratio esset vera et falsa, quia eadem oratio vera et falsa potest esse, ut haec, Socrates sedet, eo sedente est vera, non sedente, est falsa. Constat autem, quod hic inconvenienter accipit, quia etiam homo sciens et prudens potest mentiri; non tamen est falsus, quia non est factivus vel electivus falsarum rationum vel opinionum, ex qua ratione dicitur homo falsus, ut dictum est.

[82704] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 20Deinde cum dicit amplius volentem secundam falsam opinionem excludit. Dicebat haec opinio, quod homo, qui facit turpia et prava volens, melior est eo qui facit nolens, quod est falsum. Nam quilibet vitiosus ex hoc definitur quod est promptus vel electivus malorum. Et tamen hoc falsum vult accipere per quamdam inductionem ex simili. Ille enim qui claudicat voluntarie, melior et dignior est eo, qui, claudicat non voluntarie. Et ita dicit, quod prava agere imitatur hoc quod est claudicare, ut scilicet sit eadem ratio de utroque. Et hoc quodammodo verum est. Nam claudicans voluntarie deterior est quantum ad morem, licet sit perfectior quantum ad virtutem gressivam. Et similiter qui agit prava voluntarie, deterior est quantum ad morem, licet forte non sit deterior quantum ad aliquam aliam potentiam. Sicut ille qui dicit falsum voluntarie, licet sit peior secundum morem, est tamen intelligentior eo qui credit se verum dicere, cum falsum dicat non voluntarie.

[82705] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 21Deinde cum dicit accidens est hic ultimo, distinguit nomen accidentis: et ponit duos modos, quibus dicitur hoc nomen accidens: quorum primus est, quod accidens dicitur id quod inest alicui, et quod contingit vere affirmare, non tamen ex necessitate, nec secundum magis idest ut in pluribus, sed ut in paucioribus; sicut, si aliquis fodiens aliquam fossam ad plantandum aliquam plantam, inveniat thesaurum. Hoc ergo, quod est fodientem fossam invenire thesaurum, est quoddam accidens. Neque enim unum est causa alterius ex necessitate, ut hoc sit ex hoc necessario. Neque etiam de necessitate se comitantur, ut hoc sit post hoc, sicut dies consequitur noctem, quamvis unum non sit causa alterius. Neque etiam secundum magis hoc contingit, sive ut in pluribus, hoc contingit, ut ille qui plantat, inveniat thesaurum. Et simili modo musicus dicitur esse albus, sed tamen hoc non est ex necessitate, nec fit ut in pluribus; ideo dicimus hoc per accidens. Differt autem hoc exemplum a primo. Nam in primo exemplo sumebatur accidens quantum ad fieri; in secundo vero quantum ad esse.

[82706] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 22Quia ergo sicut aliquid inest alicui subiecto determinate, ita et aliquid consideratur esse alicubi, idest in aliquo loco determinato, et quandoque, idest in aliquo tempore determinato, in omnibus contingit inesse per accidens, si non insit secundum quod huiusmodi. Sicut si album dicitur de musico, hoc est per accidens, quia non inest musico inquantum huiusmodi. Et similiter si sit abundantia pluviae in aestate, hoc est per accidens, quia non accidit in aestate inquantum est aestas; et similiter si grave sit sursum, hoc est per accidens, non enim est in tali loco secundum quod talis locus est, sed per aliquam causam extraneam.

[82707] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 23Et sciendum, quod accidentis hoc modo dicti, non est aliqua causa determinata, sed contingens, idest qualiscumque contingat, vel quia forte, idest causa fortuita, quae est causa indeterminata. Sicut accidit alicui quod veniat Aeginam, idest ad illam villam, si non propter hoc advenit ut illuc veniat, idest si non propter hoc incepit moveri ut ad hunc terminum perveniret, sed ab aliqua extranea causa illuc adductus est, sicut quia impulsus est ab hieme concitante tempestatem in mari, aut etiam captus est a latronibus, et illuc perductus praeter intentionem. Unde patet, quod hoc est per accidens, et causari potest ex diversis causis; sed tamen quod iste navigans ad hunc locum perveniat non est inquantum ipsum, idest inquantum erat navigans, cum intenderet ad alium locum navigare; sed hoc contingit inquantum alterum, idest secundum aliquam aliam causam extraneam. Hiems enim est causa veniendi quo non navigabat, idest ad Aeginam, aut latrones, aut aliquid aliud huiusmodi.

[82708] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 24Secundo modo dicitur accidens, quod inest alicui secundum se, et tamen non est de substantia eius. Et hic est secundus modus dicendi per se, ut supra dictum est. Nam primus erat prout secundum se dicitur de aliquo quod in eius definitione ponitur, ut animal de homine, quod nullo modo est accidens. Sed triangulo inest per se duos rectos habere, et non est de substantia eius; unde est accidens.

[82709] Sententia Metaphysicae, lib. 5 l. 22 n. 25Differt autem hic modus a primo, quia accidentia hoc secundo modo contingit esse sempiterna. Semper enim triangulus habet tres angulos aequales duobus rectis. Accidentium vero secundum primum modum, nullum contingit esse sempiternum, quia sunt semper ut in paucioribus: et huius ratio habetur in aliis, sicut infra in sexto huius, et in secundo physicorum. Accidens ergo secundum primum modum opponitur ad secundum se. Accidens vero secundo modo opponitur ad substantialiter. Et haec de quinto.

LEÇON 22.

(nn. 1119-1143; [524-531]).

 

Il explique que le genre se dit selon quatre modes et que ce qui est différente par le genre se dit de deux manières. Aussi, quand il manifeste que le faux se dit dans les choses, dans les définitions et dans les hommes, il renverse deux opinions sur le faux et il manifeste enfin les modes de l’accident.

 

1119. Le Philosophe traite ici d’un certain tout, à savoir du genre.

   Et il montre en premier lieu de combien de manières se dit le genre [524]. En deuxième lieu il montre de combien de manières se dit ce qui est différent par le genre, là [525] où il dit : ¨ Par ailleurs sont différents par le genre ¨.

   Il dit donc en premier lieu [524] que le genre se dit de quatre manières. Et en premier lieu de la génération continue de ceux qui possèdent une même espèce. Tout comme on dit que ¨le genre humain¨ durera aussi longtemps que durera la génération continue des hommes. Tel est le sens présenté par Porphyre, à savoir la multitude des hommes qui sont reliés entre eux et à un même principe.

1120. En un deuxième sens on appelle genre ce d’où les choses ¨viennent à l’être comme d’un premier moteur¨, c’est-à-dire ce d’où procèdent certaines choses comme de celui d’où elles sont engendrées. Tout comme on appelle Hellènes par le genre ceux qui descendent d’un dénommé Hellen, tout comme on dit de certains autres qu’ils sont Ioniens parce qu’ils descendent d’un dénommé Ion, comme de celui qui les a engendrés en premier. Mais un homme est davantage dénommé à partir du nom de son père qui l’a engendré qu’à partir du nom de sa mère qui donne la matière de la génération : et cependant certains sont dénommés comme faisant partie d’un genre à partir du nom de leur mère, tout comme certains sont dénommés Pléiades à partir d’une femme du nom de Pléia. Et tel est le deuxième sens du genre présenté par Porphyre.

1121. Le genre se dit en un troisième sens comme on dit que la surface est le genre des figures qui ont une surface, et que ¨le solide¨, c’est-à-dire le corps, est le genre des figures solides, c’est-à-dire corporelles. Mais ce genre n’est pas celui qui signifie l’essence de l’espèce, comme l’animal est le genre de l’homme, mais celui qui signifie le sujet propre des accidents qui diffèrent par l’espèce. En effet, la surface est le sujet de toutes les figures ayant une surface. Et un tel sujet ressemble au genre car le sujet propre est placé dans la définition de l’accident tout comme le genre est placé dans la définition de l’espèce. C’est pourquoi, tout comme le genre, le sujet propre est attribué à l’accident. ¨En effet, chacune des figures planes est telle surface¨, c’est-à-dire qu’elle est plane et qu’elle possède telle surface. ¨Mais cela¨, c’est-à-dire une figure solide, est un solide de telle sorte, comme si la figure était une différence qui qualifie la surface ou le solide. En effet, la surface se rapporte aux figures qui ont une surface et le solide aux figures solides comme le genre qui est le sujet des contraires. Car la différence est attribuée à celui dans lequel elle se trouve à titre de qualité. Et c’est pour cette raison que tout comme lorsque qu’on dit qu’animal rationnel signifie tel animal, de même lorsqu’on parle d’une surface carrée on parle de telle surface.

1122. En un quatrième sens le genre se dit de ce qui est placé en premier dans la définition, qui est attribué essentiellement à celui dans lequel il se trouve et dont les différences sont les qualités. Tout comme dans la définition de l’homme on place d’abord animal, puis bipède ou rationnel qui sont des qualités essentielles de l’homme.

1123. Il est donc évident que le genre se dit de tant de manières. En un premier sens d’après la génération continue à l’intérieur d’une même espèce, ce qui correspond au premier sens. En un autre sens d’après le premier moteur, ce qui correspond au deuxième sens. En un autre sens en tant que matière, ce qui appartient au troisième et au quatrième sens.  En effet le genre se rapporte à la différence de la même manière que le sujet se rapporte à la qualité. Et c’est pourquoi il est clair que le genre en tant que prédicable, tout comme le genre en tant que sujet, sont compris comme sous un même sens et que les deux se présentent à la manière d’une matière. En effet, bien que le genre comme prédicable ne soit pas la matière, il se tire cependant de la matière comme la différence se tire de la forme. On dit en effet d’un être qu’il est un animal du fait qu’il possède la nature sensible. Par ailleurs on dit d’un être qu’il est rationnel parce qu’il possède la nature rationnelle, laquelle se rapporte à la nature sensible comme la forme à la matière.

1124. Ensuite lorsqu’il dit [525] : ¨ Par ailleurs ce qui diffère par le genre ¨.

   Il montre ici de combien de manières se dit ce qui diffère par le genre; et il présente à ce sujet deux sens qui correspondent aux deux derniers sens du genre. Les deux premiers sens en effet ne relèvent pas tant de la considération philosophique.

   En un premier sens on dit de certaines choses qu’elles diffèrent par le genre parce que leur sujet premier diffère. Tout comme le sujet premier de la couleur est la surface alors que celui des saveurs est l’humide. De là, la saveur et la couleur diffèrent par le genre quant au genre en tant que sujet.

1125. Il faut cependant que les deux sujets différents soient tels qu’ils ne se ramènent pas l’un à l’autre. En effet, le solide se ramène d’une certaine manière à la surface. Il suit de là que les figures du solide et celles de la surface n’appartiennent pas à des genres différents. Et il faut de plus que les deux ne se ramènent pas à une même chose. Tout comme la forme et la matière sont différentes par le genre si, considérées selon leur essence, il n’y a rien de commun aux deux. Et de même les corps célestes et les corps inférieurs sont différents par le genre dans la mesure où ils ne possèdent pas une matière commune.

1126. En un autre sens on appelle différentes par le genre les choses qui sont dites ¨d’après un type différent de catégorie¨, c’est-à-dire d’attribution de l’être. Car certains types d’être signifie la substance, d’autres la qualité, d’autres signifient d’autres modalités de l’être, conformément à la division qu’il en fit là où il traita de l’être. Ces catégories en effet ne se réduisent pas l’une à l’autre car l’une n’est pas contenue dans une autre. Et elles ne se ramènent pas une autre qui leur serait commune car il n’y a pas de genre commun à tous les prédicaments.

1127. Mais il est clair à partir de ce qui vient d’être dit que certaines choses sont contenues sous un même prédicament et qu’elles sont une par le genre d’après ce deuxième mode, mais qui sont différentes par le genre d’après le premier mode. C’est le cas par exemple pour les corps célestes et les corps élémentaires d’une part, et pour les couleurs et les saveurs d’autre part. Le premier mode de diversité selon le genre fait davantage l’objet de la considération du naturaliste et même du philosophe parce qu’il se rapporte davantage au réel. Mais le deuxième mode relève de la considération du logicien parce qu’il se rapporte à la raison.

1128. Ensuite lorsqu’il dit [526] : ¨ Le faux se dit ¨.

   Il distingue ici les noms qui signifient le manque d’être ou l’être en tant qu’incomplet.

   Et en premier lieu il distingue le nom faux [526]. En deuxième lieu il distingue le nom accident [531].

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre comment se dit le faux dans les choses. Deuxièmement il montre comment il se dit dans les définitions, là [527] où il dit : ¨ D’un autre côté une définition fausse ¨. En troisième lieu il montre comment le faux se dit dans les hommes, là [528] où il dit : ¨ Mais un homme faux ¨.

   Il dit donc en premier lieu [526] que le faux se dit en un sens dans les choses par cela même que le discours signifiant la chose n’est pas composé comme il se doit. Ce qui se produit certes de deux manières. D’une première façon par ceci que ce qui est composé de doit pas l’être, comme dans les faux contingents. D’une deuxième façon par cela que ce qui est composé est impossible à composer, comme dans les faux impossibles. Si en effet nous disons que la diagonale est commensurable avec le côté du carré, c’est là un faux impossible car il est impossible au commensurable d’être composé avec la diagonale. Si cependant on dit que tu es assis alors que tu es debout, il s’agit là d’un faux contingent car le prédicat n’appartient pas au sujet bien qu’il ne soit pas impossible qu’il lui appartienne. De là l’un d’eux, à savoir l’impossible, est toujours faux; mais l’autre, le contingent, n’est pas toujours faux. Ainsi donc on appelle faux ce qui n’existe absolument pas car on dit alors que le discours est faux quand ce qui est signifié par lui n’existe pas.

1129. Le faux dans les choses se dit en un deuxième sens du fait que certaines choses, qui sont certes des êtres en elles-mêmes, sont cependant naturellement aptes à apparaître autrement qu’elles sont ou telles qu’elles ne sont pas du tout, comme les ¨peintures en trompe-l’œil¨, c’est-à-dire les représentations ombragées. En effet les ombres se présentent parfois comme les choses dont elles sont les ombres, comme l’ombre d’un homme peut sembler être cet homme. Et il en est de même des songes, qu’on confond parfois avec la réalité, et qui ne sont cependant qu’une ressemblance avec la réalité. Et de même on parle encore d’or faux parce qu’il présente une ressemblance avec l’or véritable. Ce dernier mode diffère cependant du premier parce que dans ce premier cas le faux se disait à partir de ce qui n’existait pas alors qu’ici on parle de certaines choses qui sont fausses mais qui sont quelque chose en elles-mêmes, mais non pas les choses ¨dont elles donnent une image¨, c’est-à-dire celles dont elles ont l’apparence. Il est donc clair qu’on dit des choses qu’elles sont fausses ou bien parce qu’elles n’existent pas, ou bien parce qu’elles ne sont pas celles dont elles ont l’apparence.

1130. Ensuite lorsqu’il dit [527] : ¨ Par ailleurs la définition ¨.

   Il montre comment le faux se retrouve dans les définitions et il dit que la ¨raison¨, c’est-à-dire la définition, dans la mesure où elle est fausse, se rapporte à du non-être. Mais il dit ¨dans la mesure où elle est fausse¨, parce que c’est de deux manières qu’on dit d’une définition qu’elle est fausse. Ou bien elle est fausse en elle-même et alors elle n’est pas la définition de quelque chose mais tout à fait celle du non-être. Ou bien la définition est vraie en elle-même, mais elle est fausse dans la mesure où elle est attribué à quelque chose d’autre que le défini qui lui est propre, et elle est ainsi dite fausse parce qu’elle n’appartient pas à ce défini.

1131. D’où on voit que toute définition qui est la vraie définition d’une chose est la fausse définition d’une autre; comme telle définition qui est vraie lorsqu’elle s’attribue au cercle, est fausse lorsqu’elle est attribuée au triangle. Mais la définition d’une chose signifiant la quiddité est en un certain sens unique à un sujet et en un autre sens il y en aura plusieurs pour un même sujet. En effet en un certain sens le sujet pris en lui-même, et ¨ce qui est affecté d’un attribut¨, c’est-à-dire le sujet qui reçoit une attribution, c’est la même chose, comme Socrate et Socrate musicien. En un autre sens ils ne sont pas identiques : leur identité en effet n’est qu’accidentelle et non essentielle. Il est évident que leurs définitions seront différentes. En effet, la définition de Socrate diffère de celle de Socrate musicien, mais les deux, d’une certaine manière, appartiennent cependant au même sujet.

1132. Mais cette définition qui est fausse en elle-même ne peut être la définition d’aucun être. Mais on dit d’une définition qu’elle est fausse en elle-même ou absolument du fait qu’une partie de la définition est incompatible avec une autre partie de la même définition, comme si on disait que l’homme est un animal inanimé.

1133. Il est clair à partir de là que l’opinion d’Antisthène était insensée. Il voulait en effet que, parce que les mots sont les signes des choses, que tout comme les choses n’ont pas d’autre essence que celle qui leur est propre, ainsi dans une proposition rien ne pourrait être attribué à un défini, sauf la définition qui lui est propre, de sorte que toujours ou absolument un seul prédicat se dirait d’un seul et même sujet. Et il découle de là qu’il ne peut y avoir de contradiction. Car si on dit de l’homme qu’il est un animal, ce qui fait partie de sa définition, on ne pourra dire de lui qu’il n’est pas un animal; et ainsi on ne pourra pas former une proposition négative. Et il suit encore de cette position qu’il ne pourrait arriver à quelqu’un de mentir parce que la définition propre à une chose s’attribue en vérité à cette chose. Il suit de là que, si on ne peut attribuer à un être que la définition qui lui est propre, aucune proposition ne sera fausse.

1134. Mais cette opinion est fausse parce qu’il arrive d’attribuer à un défini non seulement la définition qui lui est propre mais aussi celle d’un autre. Et lorsque cela se produit, l’attribution est fausse universellement et absolument. Mais en un autre sens cette sorte d’attribution peut être vraie, tout comme on dit de huit qu’il est double, dans la mesure où il comprend la définition de deux car la définition du double se présente comme le rapport de deux à un. Mais huit, en tant que double, est deux d’une certaine manière parce qu’il se divise en deux parties égales. Tels sont donc les différents sens selon lesquels se dit le faux.

1135. Ensuite lorsqu’il dit [528] : ¨ Mais l’homme ¨.

   Il montre comment le faux se dit de l’homme : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente deux modes ou deux sens d’après lesquels on dit de l’homme qu’il est faux, dont le premier est qu’on appelle faux l’homme qui est disposé à aimer de tels discours, c’est-à-dire ceux qui sont faux, et qui choisit de tels discours non pas pour quelque chose d’autre mais pour eux-mêmes. En effet, pour tous ceux qui possèdent un habitus, l’opération qui est conforme à cet habitus est agréable et facile; et ainsi celui qui possède un habitus agit conformément à cet habitus non pas en vue de quelque chose d’autre. Ainsi, le débauché s’adonne à la fornication pour le seul plaisir lié au coït : s’il s’y adonnait en vue d’autre chose, par exemple en vue de voler, il serait davantage voleur que débauché. De la même manière, celui qui choisit de dire le faux en vue de l’enrichissement est plus avare que faux.

1136. Le deuxième sens est celui selon lequel on appelle faux l’homme qui produit chez les autres de fausses notions, sens qui est pratiquement semblable à celui que nous avons présenté plus haut par rapport à la fausseté dans les choses et selon lequel on appelle fausses les choses qui sont aptes à produire chez l’homme de fausses représentations. Mais il est clair en s’appuyant sur ce qui précède que le faux se rapporte à ce qui n’existe pas; de là on parle d’un homme faux par rapport à ses énonciations fausses et on dit d’une énonciation qu’elle est fausse dans la mesure où elle se rapporte à ce qui n’existe pas.

1137. En deuxième lieu, là [529] où il dit : ¨ C’est pourquoi dans ¨.

   En s’appuyant sur ce qui précède il rejette deux opinions fausses; et au sujet de la première des deux, il conclut à partir de ce qu’il vient de dire que du fait qu’un homme faux aime et produit de fausses opinions, c’est avec raison que dans Hippias, qui est un livre de Platon, on réfute et on blâme un certain discours qui soutenait que le même énoncé est vrai et faux. En effet cette opinion soutenait que l’homme faux est celui qui peut mentir; et ainsi, puisque le même homme peut à la fois mentir et dire la vérité, on concluait que le même homme était à la fois vrai et faux. De la même manière le même discours était à la fois vrai et faux parce que le même discours pouvait être vrai ou faux tout comme celui qui dit que Socrate est assis est vrai s’il est assis, faux s’il n’est pas assis. Mais il est clair que cette opinion est admise à tort car même l’homme sage et prudent peut mentir mais il n’est pas faux parce qu’il n’aime pas les discours et les opinions fausses, il ne les choisit pas et ne cherche pas à les produire dans l’esprit des autres, ce qui constitue la vraie raison à partir de laquelle on dit de l’homme qu’il est faux, ainsi que nous l’avons déjà dit.

1138. Ensuite lorsqu’il dit [530] : ¨ En outre celui qui volontairement ¨.

   Il rejette la deuxième opinion fausse. Cette opinion soutenait que l’homme qui fait volontairement ce qui est laid et honteux est meilleur que celui qui le fait sans le vouloir, ce qui est faux. Car on définit tout vicieux comme étant celui qui aime le mal et choisit de le faire. Et cependant cette opinion veut admettre cette fausseté au moyen d’une certaine induction à partir du semblable. En effet, celui qui boîte volontairement est meilleur et a plus de mérite que celui qui boîte involontairement. Et ainsi cette opinion se trouve à dire qu’un agir qui est mauvais imite l’acte de claudiquer, de sorte que la raison du faux serait semblable dans les deux cas. Et cela est vrai en un sens. Car claudiquer volontairement est pire moralement bien  que plus parfait quant à la capacité de marcher comparativement à celui qui boîte involontairement. Et de la même manière celui qui fait le mal volontairement est dans une situation pire moralement parlant que celui qui fait le mal involontairement, bien qu’il ne soit peut-être pas dans une situation pire quant à une autre puissance. Par exemple, celui qui dit le faux volontairement, bien qu’il soit pire moralement parlant, est cependant plus intelligent que celui qui croit dire le vrai alors qu’il dit le faux sans le vouloir.

1139. Ensuite lorsqu’il dit [531] : ¨ L’accident est ¨.

   Il distingue ici finalement le nom d’accident et il présente deux sens selon lesquels se dit l’accident, dont le premier est celui selon lequel on appelle accident ce qui existe dans un autre et peut en être affirmé véritablement, mais pas nécessairement ni même ¨le plus souvent¨, c’est-à-dire dans la plupart des cas, mais rarement; tout comme celui qui, creusant un trou pour y planter un arbre, découvre un trésor. Donc cela même, à savoir découvrir un trésor, est un accident pour celui qui creuse un trou. En effet, l’un n’est pas la cause nécessaire de l’autre, de telle manière que l’une viendrait nécessairement de l’autre. Et ils ne s’accompagnent pas non plus nécessairement, de telle sorte que l’un viendrait nécessairement de l’autre comme le jour suit la nuit bien que l’un ne soit pas la cause de l’autre. Et cela ne se produit pas même le plus souvent, c’est-à-dire la plupart du temps que celui qui plante un arbre découvre un trésor. Et c’est d’une manière semblable qu’on dit du musicien qu’il est blanc, et cependant cela ne se produit pas nécessairement et n’arrive pas même dans la plupart des cas; c’est pourquoi nous disons que cela se produit par accident. Cependant cet exemple diffère du premier. Car dans le premier exemple l’accident se tirait d’un devenir alors que dans le deuxième il se prend quant à l’être.

1140. Donc, parce que quelque chose appartient à un sujet donné et qu’ainsi on considère que ce quelque chose ¨est dans un endroit¨, c’est-à-dire dans un lieu déterminé, et ¨à un moment donné¨, c’est-à-dire en un temps déterminé, il arrivera dans tous les cas à ce quelque chose d’être attribué par accident s’il n’appartient pas au sujet en tant que tel. Par exemple si on dit du musicien qu’il est blanc, cela se dit par accident parce que le blanc n’appartient pas au musicien en tant que musicien. Et de la même manière s’il y a abondance de pluie en été, cela est par accident parce que cela ne se produit pas en été parce que c’est l’été. Et de la même manière si un objet lourd est en haut, cela est par accident car il n’est pas en un tel lieu en tant que tel ni en tant qu’il est lourd, mais grâce à quelque cause extérieure.

1141. Et il faut savoir que pour l’accident pris en ce sens, il n’y a pas de cause déterminée, mais seulement une ¨cause contingente¨, c’est-à-dire qui survient d’une manière quelconque, ou ¨à cause du hasard¨, c’est-à-dire par une cause fortuite qui est une cause indéterminée. C’est en ce sens qu’il arrive à quelqu’un de venir à Égine, c’est-à-dire à cette ville, si ce n’est pas pour cette raison qu’il arriva ¨qu’il y vint¨, c’est-à-dire s’il n’est pas parti au début avec l’intention d’arriver à ce terme, mais qu’il y a été conduit par une cause externe, comme s’il y avait été poussé par l’hiver qui précipite la tempête dans la mer ou qu’il avait été pris par des voleurs et mené là contre sa volonté. D’où il est clair que l’arrivée en ce lieu est accidentelle et qu’elle peut être causée par une multitude de causes différentes; mais ce n’est pas ¨en tant que tel¨ que ce navigateur parvient à ce lieu, c’est-à-dire pas en tant qu’il est navigateur, puisqu’il avait l’intention de naviguer ailleurs; mais cela lui arrive ¨en tant qu’autre¨, en raison d’une autre cause, une cause étrangère. En effet, c’est l’hiver, ou encore les voleurs, qui est la cause de sa venue à Égine, endroit ¨vers lequel il ne naviguait pas¨.

1142. En un deuxième sens accident se dit de ce qui existe dans un être par soi sans faire partie de son essence. Et ceci est le deuxième sens selon lequel se dit le par soi, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Car le par soi se disait en un premier sens de ce qui est placé dans la définition d’un sujet, comme l’animal se dit de l’homme, ce qui en aucune manière n’est un accident. Mais il appartient par soi au triangle de posséder deux angles droits et cela ne fait cependant pas partie de son essence; c’est pourquoi il s’agit là d’un accident.

1143. Ce sens diffère cependant du premier car il arrive aux accidents pris en ce second sens d’être éternels. En effet, le triangle possède trois angles qui sont toujours égaux à deux angles droits. Par ailleurs, il n’arrive à aucun des accidents pris dans le premier sens d’être éternels car ils se produisent toujours rarement; et la raison de cela sera présentée dans d’autres parties de ce traité, comme plus loin dans le sixième livre et comme on l’a dit au deuxième livre des Physiques. Donc l’accident pris selon le premier sens s’oppose au par soi tandis que celui pris selon le deuxième sens s’oppose à l’essence. Et cela met fin au cinquième livre de ce traité.

 

 

LIBER 6

LIVRE VI ─ Du mode de traiter de l’être qui convient à la philosophie première et des sens qui sont habituellement attribués à l’être mais qui n’appartiennent pas à l’étude de cette science.

 

 

LECTIO 1

[82710] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 1Postquam philosophus in quarto huius ostendit, quod haec scientia considerat de ente et de uno, et de his quae consequuntur ad ens inquantum huiusmodi, et quod omnia ista dicuntur multipliciter, et in quinto huius eorum multiplicitatem distinxit, hic incipit de ente determinare, et de aliis quae consequuntur ad ens. Dividitur autem pars ista in duas. In prima ostendit per quem modum haec scientia debet determinare de ente. In secunda incipit de ente determinare, scilicet in principio septimi, ibi, ens dicitur multipliciter. Prima pars dividitur in duas. In prima ostendit modum tractandi de entibus, qui competit huic scientiae per differentiam ad alias scientias. In secunda removet a consideratione huius scientiae ens aliquibus modis dictum, secundum quos modos ens non intenditur principaliter in hac scientia, ibi, sed quoniam ens simpliciter. Prima autem pars dividitur in duas. In prima parte ostendit differentiam huius scientiae ad alias, per hoc, quod considerat principia entis inquantum est ens. Secundo, quantum ad modum tractandi de huiusmodi principiis, ibi, quoniam vero physica. Circa primum duo facit.

[82711] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 2Primo ostendit quomodo haec scientia convenit cum aliis in consideratione principiorum; dicens, quod ex quo ens est subiectum in huiusmodi scientia, ut in quarto ostensum est, et quaelibet scientia debet inquirere principia et causas, sui subiecti, quae sunt eius inquantum huiusmodi, oportet quod in ista scientia inquirantur principia et causae entium, inquantum sunt entia. Ita etiam est et in aliis scientiis. Nam sanitatis et convalescentiae est aliqua causa, quam quaerit medicus. Et similiter etiam mathematicorum sunt principia et elementa et causae, ut figurae et numeri et aliarum huiusmodi quae perquirit mathematicus. Et universaliter omnis scientia intellectualis qualitercumque participet intellectum: sive sit solum circa intelligibilia, sicut scientia divina; sive sit circa ea quae sunt aliquo modo imaginabilia, vel sensibilia in particulari, in universali autem intelligibilia, et etiam sensibilia prout de his est scientia, sicut in mathematica et in naturali; sive etiam ex universalibus principiis ad particularia procedant, in quibus est operatio, sicut in scientiis practicis: semper oportet quod talis scientia sit circa causas et principia.

[82712] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 3Quae quidem principia aut sunt certiora quo ad nos sicut in naturalibus, quia sunt propinquiora sensibilibus, aut simpliciora et priora secundum naturam, sicut est in mathematicis. Cognitiones autem quae sunt sensitivae tantum, non sunt per principia et causas, sed per hoc quod ipsum sensibile obiicitur sensui. Discurrere enim a causis in causata vel e contrario, non est sensus, sed solum intellectus. Vel certiora principia dicit ea quae sunt magis nota et exquisita. Simplicia autem ea, quae magis superficialiter exquiruntur, sicut est in scientiis moralibus, quorum principia sumuntur ex his quae sunt ut in pluribus.

[82713] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 4Secundum ibi, sed et omnes ostendit differentiam aliarum scientiarum ad istam quantum ad considerationem principiorum et causarum; dicens, quod omnes istae scientiae particulares, de quibus nunc facta est mentio, sunt circa unum aliquod particulare genus entis, sicut circa numerum vel magnitudinem, aut aliquid huiusmodi. Et tractat unaquaeque circumscripte de suo genere subiecto, idest ita de isto genere, quod non de alio: sicut scientia quae tractat de numero, non tractat de magnitudine. Nulla enim earum determinat de ente simpliciter, idest de ente in communi, nec etiam de aliquo particulari ente inquantum est ens. Sicut arithmetica non determinat de numero inquantum est ens, sed inquantum est numerus. De quolibet enim ente inquantum est ens, proprium est metaphysici considerare.

[82714] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 5Et, quia eiusdem est considerare de ente inquantum est ens, et de eo quod quid est, idest de quidditate rei, quia unumquodque habet esse per suam quidditatem, ideo etiam aliae scientiae particulares nullam mentionem, idest determinationem faciunt de eo quod quid est, idest de quidditate rei, et de definitione, quae ipsam significat. Sed ex hoc, idest ex ipso quod quid est ad alia procedunt, utentes eo quasi demonstrato principio ad alia probanda.

[82715] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 6Ipsum autem quod quid est sui subiecti aliae scientiae faciunt esse manifestum per sensum; sicut scientia, quae est de animalibus, accipit quid est animal per id quod apparet sensui, idest per sensum et motum, quibus animal a non animali discernitur. Aliae vero scientiae accipiunt quod quid est sui subiecti, per suppositionem ab aliqua alia scientia, sicut geometria accipit quid est magnitudo a philosopho primo. Et sic ex ipso quod quid est noto per sensum vel per suppositionem, demonstrant scientiae proprias passiones, quae secundum se insunt generi subiecto, circa quod sunt. Nam definitio est medium in demonstratione propter quid. Modus autem demonstrationis est diversus; quia quaedam demonstrant magis necessarie, sicut mathematicae scientiae, quaedam vero infirmius, idest non de necessitate; sicut scientiae naturales, in quibus multae demonstrationes sumuntur ex his quae non semper insunt, sed frequenter.

[82716] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 7Alia translatio habet loco suppositionis, conditionem. Et est idem sensus. Nam quod supponitur, quasi ex conditione accipitur: et quia principium demonstrationis est definitio, palam est ex tali inductione, quod demonstratio non est de substantia rei, idest de essentia eius; nec de definitione, quae significat quid est res; sed est aliquis alius modus, quo definitiones ostenduntur; scilicet divisione, et aliis modis, qui ponuntur in secundo posteriorum.

[82717] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 8Et sicut nulla scientia particularis determinat quod quid est, ita etiam nulla earum dicit de genere subiecto, circa quod versatur, est, aut non est. Et hoc rationabiliter accidit; quia eiusdem scientiae est determinare quaestionem an est, et manifestare quid est. Oportet enim quod quid est accipere ut medium ad ostendendum an est. Et utraque est consideratio philosophi, qui considerat ens inquantum ens. Et ideo quaelibet scientia particularis supponit de subiecto suo, quia est, et quid est, ut dicitur in primo posteriorum; et hoc est signum, quod nulla scientia particularis determinat de ente simpliciter, nec de aliquo ente inquantum est ens.

[82718] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 9Deinde cum dicit quoniam vero ostendit differentiam huius scientiae ad alias, quantum ad modum considerandi principia entis inquantum est ens. Et quia ab antiquis scientia naturalis credebatur esse prima scientia, et quae consideraret ens inquantum est ens, ideo ab ea, quasi a manifestiori incipiens, primo ostendit differentiam scientiae naturalis a scientiis practicis. Secundo differentiam eius a scientiis speculativis, in quo ostenditur modus proprius considerationis huius scientiae, ibi, oportet autem quod quid erat esse. Dicit ergo primo, quod scientia naturalis non est circa ens simpliciter, sed circa quoddam genus entis; scilicet circa substantiam naturalem, quae habet in se principium motus et quietis: et ex hoc apparet quod neque est activa, neque factiva. Differunt enim agere et facere: nam agere est secundum operationem manentem in ipso agente, sicut est eligere, intelligere et huiusmodi: unde scientiae activae dicuntur scientiae morales. Facere autem est secundum operationem, quae transit exterius ad materiae transmutationem, sicut secare, urere, et huiusmodi: unde scientiae factivae dicuntur artes mechanicae.

[82719] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 10Quod autem scientia naturalis non sit factiva, patet; quia principium scientiarum factivarum est in faciente, non in facto, quod est artificiatum; sed principium motus rerum naturalium est in ipsis rebus naturalibus. Hoc autem principium rerum artificialium, quod est in faciente, est primo intellectus, qui primo artem adinvenit; et secundo ars, quae est habitus intellectus; et tertio aliqua potentia exequens, sicut potentia motiva, per quam artifex exequitur conceptionem artis. Unde patet, quod scientia naturalis non est factiva.

[82720] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 11Et per eamdem rationem patet quod non est activa. Nam principium activarum scientiarum est in agente, non in ipsis actionibus, sive moribus. Hoc autem principium est prohaeresis, idest electio. Idem enim est agibile et eligibile. Sic ergo patet, quod naturalis scientia non sit activa neque factiva.

[82721] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 12Si igitur omnis scientia est aut activa, aut factiva, aut theorica, sequitur quod naturalis scientia theorica sit. Ita tamen est theorica, idest speculativa circa determinatum genus entis, quod scilicet est possibile moveri. Ens enim mobile est subiectum naturalis philosophiae. Et est solum circa talem substantiam, idest quidditatem et essentiam rei, quae secundum rationem non est separabilis a materia, ut in pluribus; et hoc dicit propter intellectum, qui aliquo modo cadit sub consideratione naturalis philosophiae, et tamen substantia eius est separabilis. Sic patet, quod naturalis scientia est circa determinatum subiectum, quod est ens mobile; et habet determinatum modum definiendi, scilicet cum materia.

[82722] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 13Deinde cum dicit oportet autem hic ostendit differentiam naturalis scientiae ad alias speculativas quantum ad modum definiendi: et circa hoc duo facit. Primo ostendit differentiam praedictam. Secundo concludit numerum scientiarum theoricarum, ibi quare. Circa primum tria facit. Primo ostendit modum proprium definiendi naturalis philosophiae; dicens, quod ad cognoscendum differentiam scientiarum speculativarum adinvicem, oportet non latere quidditatem rei, et rationem idest definitionem significantem ipsam, quomodo est assignanda in unaquaque scientia. Quaerere enim differentiam praedictamsine hoc, idest sine cognitione modi definiendi, nihil facere est. Cum enim definitio sit medium demonstrationis, et per consequens principium sciendi, oportet quod ad diversum modum definiendi, sequatur diversitas in scientiis speculativis.

[82723] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 14Sciendum est autem, quod eorum quae diffiniuntur, quaedam definiuntur sicut definitur simum, quaedam sicut definitur concavum; et haec duo differunt, quia definitio simi est accepta cum materia sensibili. Simum enim nihil aliud est quam nasus curvus vel concavus. Sed concavitas definitur sine materia sensibili. Non enim ponitur in definitione concavi vel curvi aliquod corpus sensibile, ut ignis aut aqua, aut aliquod corpus huiusmodi. Dicitur enim concavum, cuius medium exit ab extremis.

[82724] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 15Omnia autem naturalia simili modo definiuntur sicut simum, ut patet in partibus animalis tam dissimilibus, ut sunt nasus, oculus et facies, quam similibus, ut sunt caro et os; et etiam in toto animali. Et similiter in partibus plantarum quae sunt folium, radix et cortex; et similiter in tota planta. Nullius enim praedictorum definitio potest assignari sine motu: sed quodlibet eorum habet materiam sensibilem in sui definitione, et per consequens motum. Nam cuilibet materiae sensibili competit motus proprius. In definitione enim carnis et ossis, oportet quod ponatur calidum et frigidum aliquo modo contemperatum; et similiter in aliis. Et ex hoc palam est quis est modus inquirendi quidditatem rerum naturalium, et definiendi in scientia naturali, quia scilicet cum materia sensibili.

[82725] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 16Et propter hoc etiam de anima, quaedam speculatur naturalis, quaecumque scilicet non definitur sine materia sensibili. Dicitur enim in secundo de anima, quod anima est actus primus corporis physici organici potentia vitam habentis. Anima autem secundum quod non est actus talis corporis non pertinet ad considerationem naturalis, si qua anima potest a corpore separari. Manifestum est ergo ex praedictis quod physica est quaedam scientia theorica, et quod habet determinatum modum definiendi.

[82726] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 17Secundo ibi, sed est et mathematica ostendit modum proprium mathematicae; dicens quod etiam mathematica est quaedam scientia theorica. Constat enim, quod neque est activa, neque factiva; cum mathematica consideret ea quae sunt sine motu, sine quo actio et factio esse non possunt. Sed utrum illa de quibus considerat mathematica scientia, sint mobilia et separabilia a materia secundum suum esse, adhuc non est manifestum. Quidam enim posuerunt numeros et magnitudines et alia mathematica esse separata et media inter species et sensibilia, scilicet Platonici, ut in primo et tertio libro habitum est; cuius quaestionis veritas nondum est ab eo perfecte determinata; determinabitur autem infra.

[82727] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 18Sed tamen hoc est manifestum, quod scientia mathematica speculatur quaedam inquantum sunt immobilia et inquantum sunt separata a materia sensibili, licet secundum esse non sint immobilia vel separabilia. Ratio enim eorum est sine materia sensibili, sicut ratio concavi vel curvi. In hoc ergo differt mathematica a physica, quia physica considerat ea quorum definitiones sunt cum materia sensibili. Et ideo considerat non separata, inquantum sunt non separata. Mathematica vero considerat ea, quorum definitiones sunt sine materia sensibili. Et ideo, etsi sunt non separata ea quae considerat, tamen considerat ea inquantum sunt separata.

[82728] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 19Tertio ibi, si vero est ostendit modum proprium scientiae huius; dicens quod, si est aliquid immobile secundum esse, et per consequens sempiternum et separabile a materia secundum esse, palam est, quod eius consideratio est theoricae scientiae, non activae vel factivae, quarum consideratio est circa aliquos motus. Et tamen consideratio talis entis non est physica. Nam physica considerat de quibusdam entibus, scilicet de mobilibus. Et similiter consideratio huius entis non est mathematica; quia mathematica non considerat separabilia secundum esse, sed secundum rationem, ut dictum est. Sed oportet quod consideratio huius entis sit alterius scientiae prioris ambabus praedictis, scilicet physica et mathematica.

[82729] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 20Physica enim est circa inseparabilia et mobilia, et mathematica quaedam circa immobilia, quae tamen non sunt separata a materia secundum esse, sed solum secundum rationem, secundum vero esse sunt in materia sensibili. Dicit autem forsan, quia haec veritas nondum est determinata. Dicit autem quasdam mathematicas esse circa immobilia, sicut geometriam et arithmeticam; quia quaedam scientiae mathematicae applicantur ad motum sicut astrologia. Sed prima scientia est circa separabilia secundum esse, et quae sunt omnino immobilia.

[82730] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 21Necesse vero est communes causas esse sempiternas. Primas enim causas entium generativorum oportet esse ingenitas, ne generatio in infinitum procedat; et maxime has, quae sunt omnino immobiles et immateriales. Hae namque causae immateriales et immobiles sunt causae sensibilibus manifestis nobis, quia sunt maxime entia, et per consequens causae aliorum, ut in secundo libro ostensum est. Et per hoc patet, quod scientia quae huiusmodi entia pertractat, prima est inter omnes, et considerat communes causas omnium entium. Unde sunt causae entium secundum quod sunt entia, quae inquiruntur in prima philosophia, ut in primo proposuit. Ex hoc autem apparet manifeste falsitas opinionis illorum, qui posuerunt Aristotelem sensisse, quod Deus non sit causa substantiae caeli, sed solum motus eius.

[82731] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 22Advertendum est autem, quod licet ad considerationem primae philosophiae pertineant ea quae sunt separata secundum esse et rationem a materia et motu, non tamen solum ea; sed etiam de sensibilibus, inquantum sunt entia, philosophus perscrutatur. Nisi forte dicamus, ut Avicenna dicit, quod huiusmodi communia de quibus haec scientia perscrutatur, dicuntur separata secundum esse, non quia semper sint sine materia; sed quia non de necessitate habent esse in materia, sicut mathematica.

[82732] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 23Deinde cum dicit quare tres concludit numerum scientiarum theoricarum; et circa hoc tria facit. Primo concludit ex praemissis, quod tres sunt partes philosophiae theoricae, scilicet mathematica, physica et theologia, quae est philosophia prima.

[82733] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 24Deinde cum dicit non enim secundo assignat duas rationes quare haec scientia dicatur theologia. Quarum prima est, quia manifestum est, quod si alicubi, idest in aliquo genere rerum existit aliquod divinum, quod existit in tali natura, scilicet entis immobilis et a materia separati, de quo considerat ista scientia.

[82734] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 25Deinde cum dicit et honorabilissimam secundam rationem ponit quae talis est. Honorabilissima scientia est circa honorabilissimum genus entium, in quo continentur res divinae: ergo, cum haec scientia sit honorabilissima inter omnes, quia est honorabilior theoricis, ut prius ostensum est,- quae quidem sunt honorabiliores practicis, ut in primo libro habitum est -, manifestum est, quod ista scientia est circa res divinas; et ideo dicitur theologia, quasi sermo de divinis.

[82735] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 26Deinde cum dicit dubitabit autem tertio movetur quaedam quaestio circa praedeterminata: et primo movet eam, dicens, quod aliquis potest dubitare, utrum prima philosophia sit universalis quasi considerans ens universaliter, aut eius consideratio sit circa aliquod genus determinatum et naturam unam. Et hoc non videtur. Non enim est unus modus huius scientiae et mathematicarum; quia geometria et astrologia, quae sunt mathematicae, sunt circa aliquam naturam determinatam; sed philosophia prima est universaliter communis omnium. Et tamen e converso videtur, quod sit alicuius determinatae naturae, propter hoc quod est separabilium et immobilium, ut dictum est.

[82736] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 1 n. 27Deinde cum dicit si igitur secundo solvit, dicens quod si non est aliqua alia substantia praeter eas quae consistunt secundum naturam, de quibus est physica, physica erit prima scientia. Sed, si est aliqua substantia immobilis, ista erit prior substantia naturali; et per consequens philosophia considerans huiusmodi substantiam, erit philosophia prima. Et quia est prima, ideo erit universalis, et erit eius speculari de ente inquantum est ens, et de eo quod quid est, et de his quae sunt entis inquantum est ens: eadem enim est scientia primi entis et entis communis, ut in principio quarti habitum est.

LEÇON 1.

(nn. 1144-1170; [532-542]).

 

Il explique quel est donc le mode de traiter de l’être en tant qu’être ainsi que ce qui distingue cette science des autres.

 

1144. Après avoir montré, au quatrième livre de ce traité, que cette science considère l’être et l’un ainsi que les notions qui découlent de l’être en tant qu’être, et que toutes ces notions se disent d’après plusieurs sens, et après avoir distingué au cinquième livre les différents sens des mots qui les expriment, le Philosophe commence ici à déterminer de l’être ainsi que des autres notions qui découlent de l’être.

   Mais cette partie se divise en deux sections. Dans la première il montre au moyen de quelle mode cette science doit traiter de l’être [532]. Dans la deuxième il commence à traiter de l’être, c’est-à-dire au début du septième livre, là [560] où il dit : ¨ L’être se dit de plusieurs manières ¨.

   La première section se divise elle-même en deux parties. Dans la première il montre le mode de traiter des êtres qui appartient en propre à cette science par opposition aux autres sciences [532]. En deuxième lieu il exclut de la considération de cette science l’être tel qu’il se dit en d’autres sens et selon lesquels l’être ne constitue pas un objectif principal pour cette science, là [543] où il dit : ¨ Mais puisque l’être à parler absolument ¨.

   La première partie se divise en deux. Dans la première partie il montre ce qui distingue cette science des autres par ceci qu’elle considère les principes de l’être en tant qu’être [532]. En deuxième lieu il montre qu’elle se distingue des autres quant au mode de traiter de ces principes, là [534] où il dit : ¨ D’un autre côté, puisque la physique ¨.

   Et au sujet du premier point il fait deux choses.

1145. En premier lieu il montre comment cette science ressemble aux autres sciences quant à la considération des principes [532] en disant que du fait que l’être est le sujet de cette science, ainsi qu’on l’a montré au quatrième livre, et que toute science doit chercher à découvrir les principes et les causes de son sujet et qui sont les principes et les causes de ce sujet en tant que tel, il faut donc que dans cette science on recherche les principes et les causes des êtres en tant qu’êtres. Et il en est encore ainsi dans les autres sciences. Car à l’égard de la santé et de la convalescence il y a une cause que recherche le médecin. Et de la même manière encore pour les entités mathématiques il y a des principes, des causes et des éléments, comme ceux de la figure et du nombre, que recherche le mathématicien. Et universellement, toute science intellectuelle participe d’une manière ou d’une autre de l’intelligence : qu’elle porte uniquement sur des êtres intelligibles, comme la théologie, ou sur des êtres dont on puisse se faire une certaine représentation, qu’ils soient sensibles dans le particulier mais intelligibles dans l’universel, et même sensibles dans la mesure où ils sont sujets de science, comme c’est le cas dans la science mathématique et  naturelle. Ou bien encore une science procède de principes universels qu’elle applique à des objets particuliers ainsi qu’on peut le voir dans les sciences pratiques qui portent sur des opérations. Mais il faut dans tous les cas qu’une science se rapporte à des principes et à des causes.

1146. Et ces principes sont certes ou bien plus certains quant à nous comme c’est le cas pour les principes des choses naturelles parce qu’ils sont plus rapprochés des réalités sensibles, ou bien ils sont plus simples et antérieurs selon la nature comme c’est le cas pour les principes des entités mathématiques. Mais les connaissances qui sont uniquement sensibles ne se réalisent pas au moyen de principes et de causes mais du seul fait qu’une qualité sensible se présente au sens. En effet, discourir de la cause à l’effet ou inversement n’appartient pas au sens mais seulement à l’intelligence. – Ou bien encore peut-être qu’Aristote appelle plus certains les principes qui sont plus connus et qui ont été recherchés avec soin, et qu’il appelle simples les principes qui ont été examinés plus superficiellement comme c’est le cas dans les sciences morales, où les principes sont tirés de ce qui se produit la plupart du temps.

1147. En deuxième lieu, là [533] où il dit : ¨ Mais toutes ¨.

   Il montre la différence qu’il y a entre les autres sciences et celle-ci quant à la considération des principes et des causes, en disant que toutes ces sciences particulières dont il a été fait mention ici, se rapportent à un genre particulier d’être, par exemple au nombre ou à l’étendue, ou à un autre genre déterminé. Et chacune d’elles traite précisément ¨du genre qui est son sujet¨, c’est-à-dire de ce genre qui lui appartient en propre comme sujet et qui n’appartient à aucune autre science : tout comme la science qui traite du nombre ne traite pas de l’étendue. En effet, aucune de ces sciences particulières ne traite ¨de l’être entendu absolument¨, c’est-à-dire de l’être entendu universellement, ni même d’un être particulier en tant qu’être. Ainsi le mathématicien ne détermine pas du nombre en tant qu’être mais en tant que nombre. En effet, c’est au métaphysicien qu’il appartient de considérer tout être en tant qu’être.

1148. Et parce qu’il appartient à la même science de considérer l’être en tant qu’être ¨et le ce qu’est¨, c’est-à-dire la quiddité de la chose, car c’est par sa quiddité que toute chose possède l’existence, c’est pourquoi encore les autres sciences ne font ¨aucune mention¨, c’est-à-dire ne déterminent en rien de ¨l’essence¨, c’est-à-dire de la quiddité de la chose, ni de la définition qui signifie cette essence. Mais, ¨partant de là¨, c’est-à-dire de l’essence elle-même, elles s’avancent vers autre chose, se servant de l’essence comme d’un principe ayant déjà été manifesté pour prouver autre chose.

1149. Mais l’essence même de leur sujet, certaines sciences la rendent manifeste par les sens, tout comme la science qui porte sur les animaux reçoit l’essence de l’animal au moyen de ¨ce qui apparaît au sens¨, c’est-à-dire au moyen du sens et du mouvement par lesquels les animaux se distinguent des êtres qui ne sont pas des animaux. D’un autre côté d’autres sciences reçoivent l’essence de leur sujet d’une hypothèse qui relève d’une autre science, tout comme la géométrie tient de la philosophie première l’essence de la grandeur. Et ainsi, à partir de cette essence connue par le sens ou par un principe présupposé, ces sciences démontrent les propriétés essentielles qui appartiennent par soi au genre-sujet sur lequel elles portent. Car dans la démonstration ¨propter quid¨ ou par la cause, la définition tient lieu de moyen terme. Mais il existe différents modes de démonstration; car certaines sciences démontrent selon un mode plus nécessaire, comme les sciences mathématiques, d’autres ¨par ailleurs selon un mode plus faible¨, c’est-à-dire sans nécessité, comme on le voit dans les sciences de la nature où de nombreuses démonstrations ne se tirent pas de ce qui s’attribue toujours, mais seulement de ce qui s’attribue dans la plupart des cas.

1150. Au lieu de supposition ou d’hypothèse, un autre document parle de condition. Et le sens dans les deux cas reste le même. Car ce qui est supposé est reçu comme sous condition : et parce que le principe de la démonstration est la définition, il est clair qu’à partir d’une telle hypothèse la démonstration ne met pas en lumière ¨la substance de la chose¨, c’est-à-dire son essence, ni la définition qui signifie son essence, mais c’est un autre mode grâce auquel les définitions sont manifestées, à savoir un mode qui se fait par la division et par d’autres procédés qui sont présentés au deuxième livre des Seconds Analytiques.

1151. Et parce qu’aucune science particulière ne détermine l’essence de son sujet, de même encore aucune d’elle ne dit du genre-sujet sur lequel elle porte s’il existe ou pas. Et c’est avec raison qu’il en est ainsi : car c’est à la même science qu’il appartient de déterminer sur un sujet s’il existe et de manifester ce qu’il est. Il faut en effet admettre ce qu’est la chose comme moyen terme pour manifester si elle existe. Mais ces deux aspects relèvent de la considération du philosophe qui étudie l’être en tant qu’être. Et c’est pourquoi toute science particulière, relativement au sujet qui lui est propre, présuppose à la fois qu’il est et ce qu’il est, ainsi qu’on le dit au premier livre des Seconds Analytiques; et un signe de cela, c’est qu’aucune science particulière ne traite de l’être pris absolument ou d’un être particulier en tant qu’être.

1152. Ensuite lorsqu’il dit [534] : D’un autre côté, puisque ¨.

   Il manifeste que cette science diffère des autres quant à sa manière de considérer les principes de l’être en tant qu’être.

   Et parce que les Anciens croyaient que la science de la nature était la première des sciences et qu’elle devait considérer l’être en tant qu’être, c’est pourquoi c’est par elle qu’il commence comme à partir d’un cas plus manifeste, pour montrer en premier comment la science de la nature diffère des sciences pratiques. En deuxième lieu il montre comment elle diffère des autres sciences spéculatives, manifestant par là le mode de considération propre à notre science, là [535] où il dit : ¨ Il faut cependant que l’essence ¨.

   Il dit donc en premier lieu [534] que la science de la nature ne se rapporte pas à l’être pris absolument mais à un certain genre d’être, à savoir à la substance naturelle qui possède en elle le principe de son mouvement et de son repos : et il apparaît suite à cela qu’elle n’est ni une science ni de l’action ni une science de la fabrication. L’action diffère en effet de la fabrication : car l’agir a lieu d’après une opération qui demeure dans l’agent lui-même, comme choisir, comprendre et des actions de cette sorte : c’est pour cette raison qu’on dit des sciences actives qu’elles sont des sciences morales. Cependant, faire au sens de fabriquer a lieu d’après une opération qui passe à l’extérieur pour modifier une matière, comme couper, chauffer et des opérations de cette sorte. C’est pourquoi on appelle arts mécaniques les sciences de la fabrication.

1153. Mais que la science de la nature ne fasse pas partie des sciences de la fabrication, cela est évident, puisque le principe de ces dernières repose dans celui qui fabrique, non dans ce qui est fabriqué, c’est-à-dire l’artefact; mais le principe du mouvement des choses naturelles est dans les choses naturelles elles-mêmes. Par ailleurs ce principe des choses artificielles qui est dans celui qui fabrique, c’est d’abord l’intelligence qui en premier lieu découvre l’art; en deuxième lieu c’est l’art lui-même qui est un habitus de l’intelligence; en troisième lieu, c’est une puissance exécutrice comme la puissance motrice par laquelle l’artiste exécute la conception de l’art. D’où il est clair que la science de la nature n’est pas une science de la fabrication.

1154. Et pour la même raison il est clair qu’elle n’est pas non plus active. Car le principe des sciences actives repose dans l’agent, non dans les actions elles-mêmes ou dans les comportements. Mais ce principe est ¨la délibération¨, c’est-à-dire le choix délibéré et c’est le principe à la fois de l’action et de la fabrication. Ainsi donc, il est clair que la science de la nature n’est ni une science de l’action, ni une science de la fabrication.

1155. Si donc toute science est une science soit de l’action, soit de la fabrication, soit de nature théorique, il s’ensuit que la science de la nature est une science théorique. Cependant, elle ¨est théorique¨, c’est-à-dire spéculative, par rapport à un genre déterminé d’être, à savoir celui qui est susceptible de mouvement. C’est en effet l’être mobile qui est le sujet de la philosophie de la nature et cette dernière ne porte que sur ¨une telle substance¨, à savoir la quiddité et l’essence de la chose dont la définition n’est pas séparable de la matière dans la plupart des cas; et il ajoute cette précision à cause de l’intelligence qui d’une certaine façon tombe sous la considération de la philosophie de la nature mais dont la substance est séparable de la matière. Ainsi il est évident que la science de la nature se rapporte à un sujet déterminé qui est l’être mobile et qu’elle possède un mode de définir qui est lui aussi déterminé, c’est-à-dire qu’il est inséparable de la matière.

1156. Ensuite lorsqu’il dit [535] : ¨ Il faut cependant ¨.

   Il montre ici comment la science de la nature diffère des autres sciences quant au mode de définir : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il manifeste cette différence [535]. En deuxième lieu il termine par l’énumération des sciences théoriques, là [538] où il dit : ¨ C’est pourquoi ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il manifeste le mode de définir qui est propre à la philosophie de la nature [535] en disant que pour arriver à connaître la différence qu’il y a entre les sciences spéculatives, il ne faut pas ignorer comment doit être assignée dans chaque science la quiddité de la chose et la ¨raison¨, c’est-à-dire la définition qui la signifie. En effet, rechercher cette différence ¨sans cela¨, c’est-à-dire sans la connaissance du mode de définir propre à chaque science, revient à ne rien faire du tout. En effet, puisque la définition est le moyen terme de la démonstration et par conséquent le principe de la science, il faut que la diversité dans les sciences spéculatives découle de leurs différents modes de définir.

1157. Il faut cependant savoir que parmi les choses qui sont définies, certaines le sont comme le camus, d’autres comme le concave; et ces deux sortes de définitions sont vraiment différentes parce que la définition du camus se reçoit avec la matière sensible. Le camus en effet n’est rien d’autre qu’un nez courbé ou concave. Mais la concavité elle-même se définit sans la matière sensible. En effet, on n’inclut dans la définition du concave ou de la courbe aucune matière sensible comme le feu, l’eau ou quelque matière que ce soit. On appelle en effet concave la ligne dont le milieu est hors des extrémités.

1158. Mais toutes les choses naturelles se définissent à la manière du camus ainsi qu’on peut le voir pour les parties des animaux, aussi bien pour celles qui sont dissemblables, comme le nez, l’œil et le visage, que pour celles qui sont semblables, comme les chairs et les os, et même pour tout l’animal. Et il en est de même pour les parties des plantes comme les feuilles, les racines et les écorces, et même pour toute la plante. En effet, pour aucune des choses qui précèdent la définition ne peut être désignée en faisant abstraction du mouvement : au contraire, chacune de ces choses comporte une matière sensible dans sa définition et par conséquent le mouvement. Car à toute matière sensible appartient un mouvement qui lui est propre. En effet dans la définition de la chair et de l’os on doit retrouver le chaud et le froid tempérés d’une certaine manière; et il en est de même pour le reste. Et à partir de là on voit quel doit être le mode de rechercher la quiddité des choses naturelles et le mode de définir en science de la nature : c’est-à-dire en incluant la matière sensible dans la définition.

1159. Et c’est pour cette raison que le philosophe de la nature examine même l’âme quelle qu’elle soit, laquelle ne se définit pas sans la matière sensible. On dit en effet au deuxième livre de l’Âme que l’âme est l’acte premier du corps physique organisé ayant la vie en puissance. Mais l’âme, dans la mesure où elle n’est pas l’acte de tel corps, ne relève pas de la considération de la science de la nature si cette sorte d’âme peut exister indépendamment de la matière. Il est donc évident à partir de ce qui précède que la physique est une science théorique et qu’elle possède un mode de définir déterminé.

1160. En deuxième lieu, là [536] où il dit : ¨ Mais la mathématique aussi est ¨.

   Il manifeste le mode de définir qui est propre à la mathématique, en disant que la mathématique aussi est une science théorique ou spéculative. Il est évident en effet qu’elle n’est pas une science qui se rapporte à l’action ni une science qui vise la fabrication, puisqu’elle considère ce qui existe indépendamment du mouvement, sans lequel il ne peut y avoir d’action et de fabrication. Mais il n’est pas évident de savoir si les entités qu’examine la science mathématique sont mobiles ou si elles existent indépendamment de la matière. Certains en effet, à savoir les Platoniciens, ont soutenu que les nombres et les étendues, tout comme les autres entités mathématiques, étaient séparées de la matière et comme intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles, ainsi que nous l’avons établi au premier et au troisième livre; et par rapport à cette question, le Philosophe n’a pas encore parfaitement établi la vérité, ce qu’il fera cependant par la suite.

1161. Ce qui est évident néanmoins, c’est que la science mathématique examine des entités en tant qu’elles sont immobiles et séparés de la matière sensible, bien qu’elles ne soient selon l’existence ni immobiles ni séparées de la matière sensible. En effet, la définition de ces entités se présente sans la matière sensible, par exemple la définition du concave ou de la courbe. En cela donc la mathématique diffère de la physique, car la physique considère les réalités dont les définitions incluent la matière sensible. Et c’est pourquoi, ce qui existe sans être séparé de la matière, la physique le considère en tant que tel. La mathématique par ailleurs considère ce dont la définition fait abstraction de la matière sensible. Et c’est pourquoi, bien que les réalités qu’elle considère n’existent pas indépendamment de la matière, cependant la mathématique les considère en faisant abstraction de la matière.

1162. En troisième lieu, là [537] où il dit : ¨ Si par ailleurs il existe ¨.

   Il manifeste le mode qui est propre à la science dont il est question ici, à savoir la philosophie première, en disant que s’il existe un être qui soit immobile en lui-même et par conséquent éternel et séparé de la matière quant à son être, il est clair qu’il appartient à une science théorique d’en faire l’examen, et non à une science de l’action ou à une science de la fabrication qui toutes deux se rapportent à des mouvements. Et il est tout aussi clair que l’étude d’un tel être ne relève pas de la science de la nature car cette dernière a pour objet certains êtres, à savoir les êtres mobiles. Et de la même manière la considération de cet être ne relève pas non plus de la mathématique car cette dernière n’examine pas ce qui est séparé selon l’être mais ce qui est séparé selon la raison, comme on l’a déjà vu. Mais il faut que la considération de cet être relève d’une autre science qui est antérieure aux deux précédentes, à savoir la physique et la mathématique.

1163. La physique en effet a pour objets des êtres mobiles et inséparables de la matière, alors que la mathématique se rapporte à des êtres immobiles en un certain sens, c’est-à-dire qui ne sont pas séparés de la matière quant à l’être mais seulement selon la raison alors que quant à l’être elles existent dans une matière sensible. Et dans le texte Aristote dit ¨peut-être¨ parce que cette vérité n’a pas encore été démontrée. Il dit cependant que certaines parties de la mathématique se rapportent à des entités immobiles dans le sens que nous avons dit, comme la géométrie et l’arithmétique alors que d’autres, comme l’astronomie, s’appliquent à des entités mobiles. Mais la science ou la philosophie première s’intéresse à ce qui est séparé selon l’existence et qui est absolument immobile.

1164. Il est nécessaire par ailleurs que les causes communes soient éternelles. En effet, il faut que les causes premières de ce qui est sujet au devenir ne soient pas sujettes au devenir afin que le devenir ne procède pas à l’infini. Et il faut qu’il en soit ainsi surtout pour celles qui sont absolument immobiles et immatérielles. Car ces causes immatérielles et immobiles sont les causes des êtres sensibles qui nous sont plus manifestes, parce qu’elles possèdent l’être au plus haut degré et que par conséquent elles sont causes des autres êtres ainsi que nous l’avons vu au deuxième livre. Et par là il est clair que la science qui traite de tels êtres est la première de toutes les sciences et qu’elle considère les causes communes à tous les êtres. Et c’est pourquoi ces causes sont les causes des êtres en tant qu’êtres et ce sont celles que recherche la philosophie première ainsi que nous l’avons présenté au premier livre. Mais à partir de là on voit clairement qu’est fausse l’opinion de ceux qui ont soutenu qu’Aristote pensait que Dieu n’était pas la cause de la substance du ciel, mais seulement cause de son mouvement.

1165. Il faut cependant remarquer que, bien qu’il appartienne à la philosophie première de considérer les choses qui sont séparées de la matière et du mouvement à la fois selon l’être et la raison, ce ne sont pas seulement ces êtres qu’elle considère, mais aussi les êtres sensibles dans la mesure où ils sont des êtres. C’est alors sous cet angle que la philosophie première les examine. À moins qu’on ne dise, comme le fait Avicenne, que les causes communes dont traite cette science sont séparées selon l’être non pas parce qu’elles existent toujours sans la matière mais parce que ce n’est pas de toute nécessité, à la manière des entités mathématiques, qu’elles ont une existence dans la matière.

1166. Ensuite lorsqu’il dit [538] : ¨ C’est pourquoi il y a trois ¨.

   Il termine en déterminant le nombre des sciences théoriques; et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il conclut que les parties de la philosophie théorique sont au nombre de trois, à savoir la mathématique, la physique et la théologie ou la philosophie première.

1167. Ensuite lorsqu’il dit [539] : ¨ En effet, il n’est pas ¨.

   En deuxième lieu il présente deux raisons pour lesquelles cette science est appelée théologie. Dont la première est ¨qu’il est manifeste que si quelque part¨, c’est-à-dire s’il existe un être divin parmi tous les genres d’êtres, il existe dans une telle nature, c’est-à-dire comme un être immobile et séparé de la matière, qu’il appartient à cette science de considérer.

1168. Ensuite lorsqu’il dit [540] : ¨ Et la science la plus élevée ¨.

   Il présente la deuxième raison que voici. La science la plus honorable doit avoir pour objet le genre d’être le plus honorable dans lequel la réalité divine est contenue : donc puisque cette science est la plus honorable de toutes parce qu’elle est plus honorable que les autres sciences théoriques ainsi qu’on l’a vu précédemment, - qui sont elles-mêmes plus honorables que les sciences pratiques ainsi qu’on l’a établi au premier livre -, il est manifeste que notre science a pour objet la chose divine et c’est pourquoi on l’appelle théologie, comme si on parlait d’un discours sur le divin.

1169. Ensuite lorsqu’il dit [541] : ¨ On se demandera cependant ¨.

   En troisième lieu il soulève une question relativement à ce qui a été déterminé précédemment : et en premier lieu il soulève la question en disant qu’on pourrait se demander si la philosophie première est universelle au sens où elle considère l’être entendu universellement ou si son examen ne porte pas plutôt sur un genre déterminé d’être et sur une seule nature. Mais il ne semble pas qu’il en soit ainsi. En effet, le mode des sciences mathématiques et le mode de cette science ne sont pas un seul et même mode car la géométrie et l’astronomie, qui sont des parties des mathématiques, se rapportent à une nature déterminée alors que la philosophie première est absolument universelle à l’égard de tout ce qu’elle examine. – Et cependant il semble au contraire qu’elle porte sur une nature déterminée pour cette raison qu’elle examine les êtres immobiles et séparés, ainsi que nous l’avons dit.

1170. Ensuite lorsqu’il dit [542] : ¨ Si donc ¨.

   En deuxième lieu il répond à cette question en disant que s’il n’existait pas d’autres substances en dehors de celles qui sont constituées selon la nature et qui sont l’objet de la considération du physicien, la physique serait la science première. Mais s’il existe une substance immobile, cette dernière sera antérieure à la substance naturelle. Et par conséquent, c’est la philosophie qui examine une telle substance qui sera la philosophie première. Et parce qu’elle est première, elle sera universelle et il lui appartiendra d’examiner l’être en tant qu’être ainsi que la quiddité et les propriétés qui appartiennent à l’être en tant qu’être : c’est à la même science en effet qu’il appartient d’examiner l’être premier et l’être commun ainsi qu’on l’a établi au début du quatrième livre.

 

 

LECTIO 2

[82737] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 1Hic ostendit de quibus entibus principaliter haec scientia tractare intendit; et circa hoc tria facit. Primo repetit modos quibus aliquid dicitur ens. Secundo determinat naturam entis secundum duos modos de quibus principaliter non intendit, ibi, quoniam itaque multipliciter dicitur ens. Tertio ostendit quod de his modis entis principaliter non intendit, ibi, quoniam autem complexio. Dicit ergo primo, quod ens simpliciter, idest universaliter dictum, dicitur multipliciter, ut in quinto est habitum. Uno modo dicitur aliquid ens secundum accidens. Alio modo dicitur ens, idem quod verum propositionis; et non ens, idem quod falsum. Tertio modo dicitur ens quod continet sub se figuras praedicamentorum, ut quid, quale, quantum et cetera. Quarto modo praeter praedictos omnes, quod dividitur per potentiam et actum.

[82738] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 2Deinde cum dicit quoniam itaque determinat de modis entis quos praetermittere intendit. Et primo de ente per accidens. Secundo de ente quod est idem quod verum, ibi, quod autem ut verum et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod de ente per accidens non potest esse aliqua scientia. Secundo determinat ea quae sunt consideranda circa ens per accidens, ibi, attamen dicendum est et cetera. Dicit ergo primo, quod, cum ens multipliciter dicatur, ut dictum est, primo dicendum est de ente per accidens; ut quod minus habet de ratione entis, primo a consideratione huius scientiae excludatur. Hoc autem dicendum est de eo, quod nulla speculatio cuiuscumque scientiae potest esse circa ipsum. Et hoc probat dupliciter.

[82739] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 3Primo per signum; dicens, signum esse huius quod de ente per accidens non possit esse speculatio, quia nulla scientia quantumcumque sit studiosa autmeditativa, ut alia translatio habet, idest diligenter inquisitiva eorum quae ad ipsam pertinent, invenitur esse de ente per accidens. Sed nec etiam practica quae dividitur per activam et factivam, ut supra dictum est, neque scientia theorica.

[82740] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 4Et hoc manifestat primo in practicis scientiis, quia ille qui facit domum, si facit eam, non facit ea quae insunt domui factae, nisi per accidens, cum illa sint infinita, et sic non possunt cadere sub arte. Nihil enim prohibet domum factam esse istis voluptuosam, idest delectabilem, illis scilicet qui in ea prospere vivunt: aliis autem nocivam qui scilicet occasione domus aliquod detrimentum incurrunt. Et aliis utilem qui in domo aliquod emolumentum conquirunt, et etiam esse alteram et dissimilem omnibus entibus. Nullius autem eorum, quae per accidens insunt domui, factiva est ars aedificativa; sed solum est factiva domus, et eorum quae per se insunt domui.

[82741] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 5Et deinde ostendit idem in scientiis speculativis: quia simili modo nec geometria speculatur ea quae sunt accidentia figuris sic, idest per accidens, sed solum illa quae accidunt figuris per se. Speculatur enim hoc quod triangulus est habens duos rectos, idest tres angulos aequales duobus rectis; sed non speculatur, si aliquid alterum, utputa lignum vel aliquid huiusmodi, est trigonum. Haec enim per accidens conveniunt triangulo.

[82742] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 6Secundo ibi, et hoc probat idem per rationem; dicens, quod rationabiliter hoc accidit quod scientia non speculatur de ente per accidens; quia scientia speculatur de his quae sunt entia secundum rem; ens autem secundum accidens est ens quasi solo nomine, inquantum unum de alio praedicatur. Sic enim unumquodque est ens inquantum unum est. Ex duobus autem, quorum unum accidit alteri, non fit unum nisi secundum nomen; prout scilicet unum de altero praedicatur, ut cum musicum dicitur esse album, aut e converso. Non autem ita, quod aliqua res una constituatur ex albedine et musico.

[82743] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 7Unde Plato quod autem ens per accidens sit quasi solo nomine ens, probat dupliciter. Primo per auctoritatem Platonis. Secundo per rationem. Secunda ibi, palam autem et cetera. Dicit ergo, quod propter hoc quod ens per accidens quodammodo est ens solo nomine, ideo Plato quodammodo non male fecit cum ordinando diversas scientias circa diversa substantia, ordinavit scientiam sophisticam circa non ens. Rationes enim sophisticorum maxime sunt circa accidens. Secundum enim fallaciam accidentis fiunt maxime latentes paralogismi.

[82744] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 8Et ideo dicitur in primo elenchorum, quod secundum accidens faciunt syllogismos contra sapientes; ut patet in istis paralogismis, in quibus dubitatur utrum diversum an idem sit musicum et grammaticum. Ut fiat talis paralogismus. Musicum est aliud a grammatico; musicum autem est grammaticum, ergo musicum est alterum a se. Musicum enim est aliud a grammatico, per se loquendo; sed musicus est grammaticus per accidens. Unde non est mirum si sequitur inconveniens, non distincto quod est per accidens ab eo quod est per se. Et similiter si sic dicatur: Coriscus est alterum a Corisco musico: sed Coriscus est Coriscus musicus; ergo Coriscus est aliud a se. Hic etiam non distinguitur quod est per accidens ab eo quod est per se. Et similiter si dicatur: omne quod est et non fuit semper, est factum: sed musicus ens est grammaticus et non fuit semper: ergo sequitur quod musicus ens grammaticus sit factus, et grammaticus ens musicus. Quod quidem est falsum; quia nulla generatio terminatur ad hoc quod est grammaticum esse musicum; sed una ad hoc quod est grammaticum esse, alia ad hoc quod est musicum esse. Patet etiam, quod in hac ratione, prima est vera de eo quod est per se, sed in secunda assumitur quod est ens per accidens. Et similiter est in omnibus talibus rationibus, quae sunt secundum fallaciam accidentis. Videtur enim ens per accidens, esse propinquum non enti. Et ideo sophistica, quae est circa apparens et non existens, est praecipue circa ens per accidens.

[82745] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 9Palam autem secundo probat idem per rationem, dicens, quod etiam ex his rationibus, quibus utuntur sophistae, palam est, quod ens per accidens est propinquum non enti. Nam eorum, quae sunt entia alio modo quam per accidens, est generatio et corruptio: sed entis per accidens non est neque generatio neque corruptio. Musicum enim una generatione fit, et grammaticum alia. Non est autem una generatio grammatici musici, sicut animalis bipedis, vel sicut hominis risibilis. Unde patet, quod ens per accidens non vere dicitur ens.

[82746] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 10Deinde cum dicit attamen dicendum determinat de ente per accidens secundum quod est possibilis de eo determinatio. Quamvis enim ea, quibus convenit esse per accidens, non cadant sub consideratione alicuius scientiae, tamen ratio huius quod est esse per accidens, per aliquam scientiam considerari potest. Sicut etiam licet id quod est infinitum, secundum quod est infinitum, sit ignotum, tamen de infinito secundum quod infinitum aliqua scientia tractat. Et circa hoc duo facit. Primo determinat ea, quae sunt consideranda circa ens per accidens. Secundo excludit quamdam opinionem, per quam removetur ens per accidens, ibi, quod autem sint principia et esse et cetera.

[82747] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 11Circa primum duo facit. Primo dicit, quod est dicendum de ente per accidens inquantum contingit de ipso tractare, tria; scilicet quae est eius natura, et quae est eius causa; et ex his erit tertium manifestum, quare eius non potest esse scientia.

[82748] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 12Deinde cum dicit quoniam igitur prosequitur tria praedicta. Et primo quae sit causa entis per accidens; dicens, quod quia in entibus quaedam sunt semper similiter se habentia ex necessitate (non quidem secundum quod necessitas ponitur pro violentia, sed prout necessitas dicitur secundum quam non contingit aliter se habere, ut hominem esse animal); quaedam vero non sunt ex necessitate, nec semper, sed sunt secundum magis, idest ut in pluribus. Et hoc, scilicet ens ut in pluribus, est causa et principium quod aliquid sit per accidens. In rebus enim quae sunt semper, non potest esse aliquid per accidens; quia solum quod est per se potest esse necessarium et sempiternum, ut etiam in quinto habitum est. Unde relinquitur, quod solum in contingentibus potest esse ens per accidens.

[82749] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 13Contingens autem ad utrumlibet, non potest esse causa alicuius inquantum huiusmodi. Secundum enim quod est ad utrumlibet, habet dispositionem materiae, quae est in potentia ad duo opposita: nihil enim agit secundum quod est in potentia. Unde oportet quod causa, quae est ad utrumlibet, ut voluntas, ad hoc quod agat, inclinetur magis ad unam partem, per hoc quod movetur ab appetibili, et sic sit causa ut in pluribus. Contingens autem ut in paucioribus est ens per accidens cuius causa quaeritur. Unde relinquitur, quod causa entis per accidens sit contingens ut in pluribus, quia eius defectus est ut in paucioribus. Et hoc est ens per accidens.

[82750] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 14Secundo ibi, quod enim ostendit naturam entis per accidens, dicens: ideo dico quod id quod est in pluribus est causa entis per accidens, quia quod non est semper neque secundum magis, hoc dicimus esse per accidens. Et hoc est defectus eius quod est in pluribus, ut si fuerit hiems idest tempus pluviosum et frigus sub cane, idest in diebus canicularibus, hoc dicimus esse per accidens. Non tamen si tunc fuerit aestuatio, idest siccitas et calor. Hoc enim est semper vel ut in pluribus, sed illud non. Et similiter dicimus hominem esse album per accidens, quia hoc non est semper nec in pluribus. Hominem vero per se dicimus esse animal, non per accidens, quia hoc est semper. Et similiter aedificator facit sanitatem per accidens, quia aedificator non est aptus natus facere sanitatem inquantum huiusmodi, sed solus medicus. Aedificator autem facit sanitatem inquantum accidit eum esse medicum; et similiter opsopios, idest cocus coniectans, idest intendens facere voluptatem, idest delectationem in cibo, faciendo aliquem cibum bene saporatum, facit aliquid salubre. Cibus enim bonus et delectabilis quandoque est utilis ad sanitatem. Sed hoc non est secundum artem opsopoieticam, idest pulmentariam, quod faciat salubre, sed quod faciat delectabile. Et propter hoc dicimus hoc accidere.

[82751] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 15Et notandum quod in primo exemplo fuit ens per accidens secundum concursum in eodem tempore. In secundo per concursum in eodem subiecto, sicut album cum homine. In tertio secundum concursum in eadem causa agente, sicut aedificator et medicus. In quarto secundum concursum in eodem effectu, sicut in pulmento salubre et delectabile. Quamvis autem cocus faciat pulmentum delectabile, tamen hoc fit per accidens salubre. Cocus quidem facit modo quodam salubre secundum quid; sed simpliciter non facit, quia ars operatur per intentionem. Unde quod est praeter intentionem artis, non fit ab arte per se loquendo. Et ideo ens per accidens, quod est praeter intentionem artis, non fit ab arte. Aliorum enim entium, quae sunt per se, sunt quandoque aliquae potentiae factivae determinatae; sed entium per accidens nulla ars neque potentia determinata est factiva. Eorum enim quae sunt aut fiunt secundum accidens, oportet esse causam secundum accidens, et non determinatam. Effectus enim et causa proportionantur adinvicem; et ideo effectus per accidens habet causam per accidens, sicut effectus per se causam per se.

[82752] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 16Et quia supra dixerat quod ens ut in pluribus est causa entis per accidens, consequenter cum dicit quare quoniam ostendit qualiter ex eo quod est in pluribus, est ens per accidens; dicens, quod, quia non omnia ex necessitate et semper existunt et fiunt, sed plurima sunt secundum magis, idest ut in pluribus, ideo necesse est esse quod est secundum accidens, quod neque est semper neque secundum magis, ut hoc quod dico, albus est musicus. Quia tamen aliquando fit, licet non semper nec ut in pluribus, sequitur quod fit per accidens. Si enim non fieret aliquando id quod est in paucioribus, tunc id quod est in pluribus nunquam deficeret, sed esset semper et ex necessitate, et ita omnia essent sempiterna et necessaria; quod est falsum. Et, quia defectus eius quod est ut in pluribus, est propter materiam, quae non subditur perfecte virtuti agenti ut in pluribus, ideo materia est causa accidentis aliter quam ut in pluribus, scilicet accidentis ut in paucioribus: causa inquam non necessaria, sed contingens.

[82753] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 17Habito autem, quod non omnia sunt necessaria, sed aliquid est nec semper nec secundum magis, principium hoc oportet hic sumere, utrum nihil sit nec semper, nec secundum magis. Sed hoc patet esse impossibile; quia, cum id quod est ut in pluribus, sit causa entis per accidens, oportet esse et id quod est semper, et id quod est ut in pluribus. Igitur quod est praeter utrumque dictorum, est ens secundum accidens.

[82754] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 18Sed utrum iterum id quod est ut in pluribus inest alicui, quod autem est semper nulli inest, aut etiam sunt aliqua sempiterna, considerandum est posterius in duodecimo; ubi ostendet quasdam substantias esse sempiternas. Sic igitur per primam quaestionem quaeritur, utrum omnia sint per accidens. Per secundam vero, utrum omnia possibilia, et nihil sempiternum.

[82755] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 19Deinde cum dicit quod autem ostendit tertium praemissorum; scilicet quod scientia non sit de ente per accidens. Quod quidem dicit esse palam ex hoc, quod omnis scientia est aut eius quod est semper, aut eius quod est in pluribus. Unde cum ens per accidens nec sit semper, nec sit in pluribus, de eo non poterit esse scientia. Primam sic probat. Non enim potest aliquis doceri ab alio, vel docere alium, de eo quod nec est semper, nec ut frequenter. Hoc enim de quo est doctrina oportet esse definitum aut per hoc quod est semper, aut per hoc quod est in pluribus. Sicut quod melicratum, idest mixtum ex aqua et melle, utile est febricitantibus, determinatum est ut in pluribus.

[82756] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 2 n. 20Sed quod est praeter hoc, idest praeter id quod est semper et magis, non potest dici quando fiat, sicut quod fiat in tempore novilunii. Quia quod determinatur fieri in tempore novilunii, vel est semper, vel ut in pluribus. Vel potest esse hoc quod dicitur de nova luna aliud exemplum, eius scilicet quod determinatur semper; et quod addit, aut in pluribus fit, addit, propter differentiam eius per accidens, quod nec sic nec sic est. Unde subdit quod accidens sit praeter hoc, scilicet praeter ens semper et ens ut magis. Et haec minor est rationis principalis superius positae. Ulterius autem epilogando dicit quod dictum est, quid est ens per accidens, et quae est causa eius, et quod de eo non potest esse scientia.

LEÇON 2.

(nn. 1171-1190; [543-552]).

 

Sur quel être porte cette science.

 

1171. Le Philosophe montre ici de quels êtres cette science cherche à traiter principalement; et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il rappelle les sens d’après lesquels l’être se dit [543]. En deuxième lieu il détermine la nature de l’être d’après deux sens sur lesquels il ne fait pas porter principalement sa recherche, là [544] où il dit : ¨ C’est pourquoi, puisque l’être se dit de plusieurs manières ¨. En troisième lieu il montre que ce n’est pas à ces sens de l’être que cette science s’intéresse principalement, là [559] où il dit : ¨ Mais puisque la liaison ¨.

   Il dit donc en premier [543] que l’être pris absolument, c’est-à-dire l’être entendu universellement, se dit de plusieurs manières, ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre. En un premier sens l’être se dit par accident. En un deuxième sens l’être se dit de la vérité de la proposition et le non-être de sa fausseté. En un troisième sens l’être se dit de ce qui contient sous lui les types de catégories comme la substance, la qualité, la quantité, etc. En un quatrième sens et à part ces sens, l’être se dit de ce qui se divise par la puissance et par l’acte.

1172. Ensuite lorsqu’il dit [544] : ¨ C’est pourquoi, puisque ¨.

   Il précise les modes ou des sens de l’être qu’il a l’intention d’omettre.

   Et en premier lieu il parle de l’être par accident [544]. En deuxième lieu il parle de l’être qui s’identifie au vrai, là [556] où il dit : ¨ Quant à l’être qui se présente comme le vrai ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il ne peut y avoir de science au sujet de l’être par accident [544]. En deuxième lieu il détermine ce qui doit être considéré au sujet de l’être par accident, là [548] où il dit : ¨ Et cependant il faut dire etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [544] que puisque l’être se dit de plusieurs manières, ainsi que nous l’avons déjà dit, il faut en premier lieu dire de l’être par accident que, puisqu’il participe le moins de la notion d’être, il est le premier à être écarté de la considération de cette science. Il faut cependant dire à son sujet qu’il ne peut faire l’objet d’une étude de la part d’aucune science. Et c’est ce qu’il prouve de deux manières.

1173. Et il le fait en premier lieu au moyen d’un signe en disant que le signe de ce que l’être par accident  ne peut faire l’objet d’une étude, c’est qu’aucune science, ¨aussi appliquée¨ ou réfléchie soit-elle, comme une autre version nous le dit, c’est-à-dire appliquée avec soin aux choses qui se rapportent à elle, ne porte sur l’être par accident. Et cela s’applique aussi bien aux sciences pratiques, qui se divisent en sciences de l’action et de la fabrication, qu’aux sciences théoriques.

1174. Et il le manifeste d’abord dans les sciences pratiques car celui qui fabrique la maison, s’il la fait, ne fait pas les accidents qui surviennent à la maison une fois faite si ce n’est par accident car cela est infini et ne peut être compris dans le domaine de l’art. En effet, rien n’empêche que la maison soit ¨agréable¨ à certains, c’est-à-dire charmante à ceux qui y vivent avec bonheur, mais qu’elle soit ¨dangereuse¨ à d’autres, c’est-à-dire à ceux qui à l’occasion de la maison encourent un préjudice; et qu’à d’autres encore elle soit ¨utile¨, par exemple à ceux qui par la maison acquièrent un profit, et qu’elle se présente encore différemment à tous les autres. Mais l’art de la construction n’est cause d’aucune de ces choses qui arrivent par accident à la maison mais il est seulement cause de la production de la maison et de ce qui lui appartient par soi.

1175. Et ensuite il montre qu’il en est de même dans les sciences spéculatives car de la même manière la géométrie ne s’intéresse pas aux accidents qui se rencontrent dans ¨les figures de telle façon¨, c’est-à-dire par accident, mais seulement à ce qui appartient par soi aux figures. Elle considère en effet ceci, à savoir que le triangle possède ¨deux droits¨, c’est-à-dire trois angles dont la somme est égale à deux angles droits, mais elle ne cherche pas à savoir si quelque chose d’autre, par exemple une pièce de bois ou quelque chose de ce genre, est triangulaire. C’est par accident en effet que ces choses se rencontrent dans le triangle.

1176. En deuxième lieu, là [545] où il dit : ¨ Et cela ¨.

   Il prouve la même chose au moyen d’un raisonnement en disant que c’est avec raison que la science ne s’intéresse pas à l’être par accident car la science examine ce qui existe quant au réel; mais l’être par accident n’est de l’être que par le nom en tant que quelque chose est attribué à un autre. C’est ainsi en effet qu’une chose est de l’être dans la mesure où elle est une. Mais de deux choses, dont l’une appartient accidentellement à une autre, on ne peut obtenir quelque chose d’un que par le nom, c’est-à-dire dans les cas où un accident est attribué à un autre, comme lorsque nous disons du musicien qu’il est blanc ou inversement. Mais on n’assiste pas ainsi à la constitution d’une chose une à partir de blanc et de musicien.

1177. Ensuite lorsqu’il dit [546] : ¨ De là Platon ¨.

   Mais que l’être par accident ne soit de l’être que par le nom, il le prouve de deux manières. Il le fait en premier lieu en se servant de l’autorité de Platon et deuxièmement au moyen d’un raisonnement, là [547] où il dit : ¨ Mais il est évident etc. ¨.

   Il dit donc que parce que l’être par accident n’est en un sens de l’être que par le nom, c’est pourquoi Platon n’avait pas tort d’une certaine manière quand, en classant les différentes sciences d’après les différentes substances, il fit porter la sophistique sur le non-être. Les arguments sophistiques en effet se fondent principalement sur l’accident. En effet, les paralogismes se cachent surtout derrière le sophisme de l’accident.

1178. Et c’est pourquoi on dit au premier livre des Réfutations Sophistiques que c’est en partant de l’accident que les sophistes produisent leurs syllogismes contre les sages, comme on le voit dans ces paralogismes dans lesquels on se demande si le musicien et le grammairien sont différents ou identiques, de manière à produire le paralogisme suivant. Le musicien diffère du grammairien; mais le musicien est grammairien (par accident); donc le musicien diffère de lui-même. C’est par soi en effet, à proprement parler, que le musicien diffère du grammairien. Mais c’est par accident que le musicien est grammairien. De là, il n’est pas étonnant, n’ayant pas distingué ce qui est par accident de ce qui est par soi, qu’il s’ensuive un non-sens. – Et il en est de même si on dit que Coriscus diffère de Coriscus musicien d’une part, d’autre part que Coriscus est Coriscus musicien et que par conséquent Coriscus diffère de lui-même; ici aussi on ne distingue pas ce qui est par soi de ce qui est par accident. – Et il en est encore de même si on dit que tout ce qui est et qui n’est pas éternel a été engendré mais qu’étant musicien on est grammairien mais qu’on ne le fut pas toujours, il s’ensuit qu’étant musicien on est devenu grammairien et aussi qu’étant grammairien on est devenu musicien. Ce qui est certes faux car aucune génération ne se termine à ce qu’un grammairien soit un musicien, mais une génération se termine à ce qu’un être soit grammairien et une autre à ce qu’un être soit musicien. Il est encore évident que dans ce raisonnement la première proposition se prend de ce qui est par soi alors que la deuxième se prend de ce qui est par accident. Et il en est de même pour tous les autres raisonnements de ce genre et qui sont produits par le sophisme de l’accident. On voit par là en effet que l’être par accident est voisin du non-être. Et c’est pourquoi la sophistique, qui porte sur les apparences et le non-être, a pour objet principal l’être par accident.

1179. Ensuite lorsqu’il dit [547] : ¨ Il est évident cependant ¨.

   En deuxième lieu il prouve la même chose au moyen d’un raisonnement en disant que même à partir de ces raisonnements dont se servent les sophistes il est évident que l’être par accident est voisin du non-être. Car il y a génération et corruption pour les choses qui sont des êtres selon un mode différent de ce qui existe par accident, mais il n’y a ni génération ni corruption pour ce qui n’existe que par accident. En effet il y a une génération pour devenir musicien et une autre pour devenir grammairien mais il n’y a pas une génération du grammairien musicien comme il y a une génération de l’animal bipède ou de l’homme capable de rire. D’où il est clair que ce n’est pas à proprement parler qu’on dit de l’être par accident qu’il est un être.

1180. Ensuite lorsqu’il dit [548] : ¨ Et cependant il faut dire ¨.

   Il détermine de l’être par accident selon ce qu’il est possible d’en déterminer. En effet bien que les choses auxquelles il appartient d’exister par accident ne relèvent de la considération d’aucune science, cependant la définition de ce qui existe par accident peut être examinée par une science. De même, bien que ce qui est infini en tant que tel demeure inconnu, néanmoins il existe une science qui considère l’infini en tant que tel.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il détermine ce qui doit être considéré au sujet de l’être par accident [548]. En deuxième lieu il écarte une opinion par laquelle l’être par accident est supprimé, là [553] où il dit : ¨ Mais qu’il y ait des principes et des causes etc. ¨.

1181. Au sujet du premier point il fait deux choses.

   En premier lieu il dit [548] qu’il faut dire trois choses sur l’être par accident dans la mesure où il est possible d’en traiter, à savoir quelle est sa nature, quelle en est la cause, et finalement à partir de là le troisième point deviendra évident, à savoir pourquoi aucune science ne peut l’avoir pour objet.

1182. Ensuite lorsqu’il dit [549] : ¨ Donc, puisque ¨.

   Il commence à répondre aux trois questions présentées.

   Et il examine en premier lieu la cause de l’être par accident en disant que parmi les êtres certains sont toujours nécessairement dans le même état (dans la mesure où la nécessité ne se prend certes pas ici au sens de violence, mais au sens où on entend par là ce qui ne peut être autrement comme pour l’homme d’être un animal); et par ailleurs d’autres ne sont pas des êtres nécessaires et ne sont pas toujours dans le même état, mais existent ainsi ¨le plus souvent¨, c’est-à-dire dans la plupart des cas. Et c’est ¨cela¨, à savoir l’être qui est ainsi dans la plupart des cas, qui est la cause et le principe de ce qui existe par accident. En effet, parmi les choses qui sont toujours identiques à elles-mêmes, il n’y a pas de place pour l’être par accident car seul ce qui existe par soi peut être nécessaire et éternel comme on l’a encore établi au cinquième livre. D’où il suit que c’est seulement parmi les êtres contingents qu’il peut y avoir de l’être par accident.

1183. Mais le contingent qui se prête aussi bien à ceci qu’à cela, en tant que tel, ne peut être la cause de quelque chose. En effet, selon qu’il se prête aussi bien à ceci qu’à cela, il possède une matière qui est disposée de telle sorte qu’elle est en puissance à l’égard des deux opposés : rien en effet n’agit dans la mesure où il est en puissance. De là il faut qu’une cause qui prête à ceci comme à cela, par exemple la volonté, pour agir, penche davantage du côté d’une des parties du fait qu’elle soit mue par l’objet de l’appétit pour devenir ainsi cause dans la plupart des cas. Mais le contingent qui n’arrive que rarement est l’être par accident dont on recherche la cause. D’où il suit que la cause de l’être par accident soit le contingent entendu comme celui qui arrive à  produire son effet dans la plupart des cas parce que son défaut est ce qui se produit rarement. Et tel est l’être par accident.

1184. En deuxième lieu, là [550] où il dit : ¨ Ce qui en effet ¨.

   Il manifeste la nature de l’être par accident en disant ceci : c’est pourquoi je dis que ce qui se produit le plus souvent est la cause de l’être par accident parce que ce que nous appelons être par accident, c’est ce qui n’est pas toujours ainsi ni même le plus souvent. Et tel est le défaut de ce qui se produit le plus souvent : par exemple s’il ¨fait froid¨, c’est-à-dire si on connaît un temps pluvieux et froid ¨en été¨, c’est-à-dire lors des jours de canicule, on dit alors que cela s’est produit par accident, mais on ne dira pas cela si alors il y a ¨un four¨, c’est-à-dire un temps de sécheresse et de chaleur car c’est ce qui se produit soit toujours, soit le plus souvent, ce qui n’est pas le cas pour le froid en été. Et c’est de la même manière que nous disons de l’homme qu’il est blanc par accident car cela ne se produit pas toujours ni même le plus souvent. D’un autre côté nous disons que l’homme est un animal par soi et non par accident parce qu’il en est toujours ainsi. Et de la même manière, c’est par accident que le constructeur produit la santé parce que ce n’est pas lui qui est naturellement apte à produire la santé en tant que telle mais le médecin. Le constructeur ne produit la santé que dans la mesure où il lui arrive d’être médecin; et il en est de même pour ¨le cuisinier¨, c’est-à-dire pour celui qui fait à manger ¨en visant¨, c’est-à-dire en cherchant à produire ¨l’agrément¨, c’est-à-dire le plaisir dans la nourriture en faisant d’une nourriture bien savoureuse un aliment qui soit aussi bénéfique pour la santé. En effet, il arrive parfois à un aliment qui est délectable d’être utile à la santé. Mais il n’appartient pas par soi à ¨l’art du cuisinier¨ de faire des mets qui soient utiles à la santé, mais plutôt de faire des mets qui soient agréables. Néanmoins, si cela se produit, nous disons alors que c’est par accident.

1185. Il faut cependant noter que dans le premier exemple l’être par accident se présente d’après une rencontre dans le même temps; dans le deuxième, d’après une rencontre dans le même sujet comme le blanc dans l’homme; dans le troisième, d’après une rencontre dans la même cause agente, comme le constructeur et le médecin; dans le quatrième, d’après une rencontre dans le même effet, comme ce qui dans le même mets est à la fois agréable et utile à la santé. Mais bien qu’il appartienne au cuisinier de faire un mets qui soit agréable, c’est par accident que le mets finit par devenir utile à la santé. Et c’est certes en un certain sens sous un certain rapport seulement et non à parler absolument que l’action du cuisinier aboutit à un résultat qui est utile à la santé car c’est l’intention qui est la cause principale de l’opération de l’art. C’est pourquoi ce qui est en dehors de l’intention de l’art n’est pas l’effet de l’art. En effet, pour ce qui est des autres êtres qui existent par soi, il y a des puissances productrices déterminées mais en ce qui concerne les êtres qui existent par accident, il n’y a aucun art ni aucune puissance productrice déterminée. À ces derniers en effet qui existent ou qui sont engendrés par accident doit correspondre une cause par accident et non une cause déterminée. En effet, les causes et les effets doivent être proportionnés les uns aux autres, et c’est pourquoi à un effet par accident correspond une cause par accident alors qu’à un effet par soi correspond une cause par soi.

1186. Et parce qu’il avait dit plus haut que ce qui se produit dans la plupart des cas est la cause de l’être par accident, c’est pourquoi il dit par la suite [551] : ¨ C’est pourquoi, puisque ¨.

   Il montre alors de quelle manière l’être par accident résulte de ce qui se produit dans la plupart des cas en disant que puisque ce ne sont pas tous les êtres qui sont nécessaires et éternels, ni dans leur être ni dans leur devenir, ¨mais que la plupart font partie de ce qui se produit le plus souvent¨, c’est-à-dire dans la plupart des cas, il s’ensuit nécessairement l’existence de l’être par accident, lequel n’existe ni toujours ni même dans la plupart des cas, comme lorsque je dis que le musicien est blanc. Et cependant parce que cela se produit parfois, bien que ce ne soit pas toujours ni même dans la plupart des cas, il s’ensuit alors que cela se produit par accident. Si en effet ce qui existe rarement ne se produisait pas parfois, alors que ce qui se produit dans la plupart des cas ne se trouverait jamais en défaut mais se produirait toujours et nécessairement et ainsi tout serait éternel et nécessaire, ce qui est contraire à la vérité. Et parce que le manque qui se trouve au sein de ce qui se produit dans la plupart des cas est dû à la matière qui n’est pas parfaitement soumise à la puissance de celui qui agit ainsi dans la plupart des cas, c’est pourquoi la matière est la cause de ce qui se produit accidentellement autrement ¨que dans la plupart des cas¨, c’est-à-dire qu’elle est cause de l’accident qui se produit rarement, dit-il, en tant qu’elle est une cause non-nécessaire et contingente.

1187. Mais sachant que tous les êtres ne sont pas nécessaires mais qu’il y a quelque chose qui n’existe ni toujours ni même dans la plupart des cas, il faut prendre pour point de départ la question suivante, à savoir : se pourrait-il qu’il n’y ait rien qui existe toujours et rien qui existe dans la plupart des cas? Mais cela est évidemment impossible car puisque ce qui existe le plus souvent est la cause de ce qui existe par accident, il faut maintenir à la fois l’existence de ce qui existe toujours et de ce qui existe dans la plupart des cas. Donc, ce qui existe en dehors de ces deux derniers cas est l’être par accident.

1188. Mais on peut se demander aussi en outre si, ce qui se produit le plus souvent se retrouvant dans un être, cependant ce qui se produit toujours ne se retrouve dans aucun, ou encore s’il existe des êtres éternels; cela devra être examiné plus loin au douzième livre, où le Philosophe montrera qu’il existe des substances qui sont éternelles. Ainsi donc on se demande par la première question si tous les êtres sont des êtres par accident et par la seconde d’un autre côté on se demande si tous les êtres ne sont que possibles et s’il n’y a rien d’éternel.

1189. Ensuite lorsqu’il dit [552] : ¨ Mais que ¨.

   Il manifeste ici le troisième des points qu’il a présentés, à savoir qu’il n’y a pas de science qui porte sur l’être par accident. Et il dit certes qu’il en est évidemment ainsi du fait que toute science se rapporte soit à ce qui est toujours ainsi, soit à ce qui est ainsi dans la plupart des cas. C’est pourquoi, puisque l’être par accident ne se produit ni toujours ni dans la plupart des cas, il suit de là qu’aucune science ne peut avoir pour objet l’être par accident. Et il prouve la majeure de la manière suivante : en effet, nul ne peut être enseigné par un autre ou ne peut enseigner un autre sur ce qui n’existe ni toujours ni souvent. Il faut en effet que le sujet sur lequel porte une science soit défini ou bien au moyen de ce qui se produit toujours ou bien au moyen de ce qui se produit souvent. Tout comme on peut dire que ¨l’hydromel¨, c’est-à-dire un mélange d’eau et de miel, est bon pour les fiévreux car cela a été établi dans la plupart des cas.

1190. Mais pour ce qui ¨se produit en dehors de cela¨ [552], c’est-à-dire en dehors de ce qui se produit toujours et dans la plupart des cas, on ne pourra dire quand cet effet se produira : on ne pourra dire par exemple pourquoi l’hydromel ne produit pas son effet à tel moment, par exemple à l’époque de la nouvelle lune. Car même ce qui se produit à la nouvelle lune se manifeste déterminément ainsi, à savoir soit toujours soit le plus souvent. Ou on pourrait encore donner un autre exemple au sujet de la nouvelle lune relatif à ce qui se produit toujours ainsi; et ce qu’il ajoute, à savoir ¨ou à ce qui se produit dans la plupart des cas¨, il l’ajoute à la différence de ce qui se produit par accident qui n’est déterminément ni ainsi ni autrement. C’est pourquoi il ajoute ¨que l’accident est en dehors de cela¨, c’est-à-dire en dehors de ce qui se produit toujours et de ce qui se produit le plus souvent. Et c’est là la mineure du raisonnement principal présenté plus haut. – Et plus loin, comme en résumé, il dit ce qui a été montré, à savoir la nature de l’être par accident, sa cause, et qu’il ne peut faire l’objet d’aucune science.

 

 

LECTIO 3

[82757] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 1Postquam philosophus determinavit de ente per accidens, hic excludit quamdam opinionem, per quam tollitur totum ens per accidens. Quidam enim posuerunt, quod quicquid fit in mundo habet aliquam causam per se; et iterum quod qualibet causa posita, necesse est sequi effectum eius. Unde sequebatur quod per quamdam connexionem causarum omnia ex necessitate acciderent, et nihil esset per accidens in rebus. Et ideo hanc opinionem philosophus intendit destruere: et circa hoc tria facit. Primo enim destruit praedictam opinionem. Secundo infert quamdam conclusionem ex praedictis, ibi, palam ergo quia usque ad aliquod et cetera. Tertio movet quamdam quaestionem quae ex praedictis occasionatur, ibi, sed ad principium quale. Dicit ergo primo, quod palam erit ex sequentibus quod principia et causae generationis et corruptionis aliquorum sunt generabilia et corruptibilia, idest contingit generari et corrumpi sine generatione et corruptione, idest sine hoc quod sequatur generatio et corruptio. Non enim oportet, quod si generatio alicuius rei vel corruptio est causa generationis aut corruptionis rei alterius, quod posita generatione vel corruptione causae, de necessitate sequatur generatio vel corruptio effectus: quia quaedam causae sunt agentes ut in pluribus: unde eis positis, adhuc potest impediri effectus per accidens, sicut propter indispositionem materiae, vel propter occursum contrarii agentis, vel propter aliquid huiusmodi.

[82758] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 2Sciendum tamen, quod Avicenna probat in sua metaphysica, quod nullus effectus sit possibilis in comparatione ad suam causam, sed solum necessarius. Si enim posita causa, possibile est effectum non poni, et poni, id autem quod est in potentia inquantum huiusmodi reducitur in actum per aliquod ens actu, oportebit ergo quod aliquid aliud a causa faciat ibi sequi effectum in actu. Causa igitur illa non erat sufficiens. Et hoc videtur contra id, quod philosophus hic dicit.

[82759] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 3Sed sciendum, quod dictum Avicennae intelligi debet, supposito quod nullum impedimentum causae adveniat. Necesse est enim causa posita sequi effectum, nisi sit impedimentum, quod quandoque contingit esse per accidens. Et ideo philosophus dicit, quod non est necessarium generationem sequi vel corruptionem, positis causis generationis vel corruptionis.

[82760] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 4Si enim non est verum hoc quod dictum est, sequetur, quod omnia erunt ex necessitate, si tamen cum hoc quod dictum est, quod posita causa necesse est sequi effectum, ponatur etiam alia positio, scilicet quod cuiuslibet quod fit et corrumpitur, necesse sit esse aliquam causam per se et non per accidens. Ex his enim duabus propositionibus, sequitur omnia esse de necessitate. Quod sic probat.

[82761] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 5Si enim quaeratur de aliquo, utrum sit futurum vel non, sequitur ex praedictis, quod alterum sit de necessitate verum: quia si omne quod fit habet causam per se suae factionis, qua posita necesse est ipsum fieri, sequetur quod res illa, de qua quaeritur utrum sit futura, fiat, si sit hoc quod ponitur causa eius; et si illud non fuerit, quod non fiat. Et similiter oportet dicere, quod ista causa erit futura, si aliquod aliud quod est causa eius, erit futurum.

[82762] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 6Constat autem, quod tempus quantumcumque futurum accipiatur, sive post centum annos, sive post mille, est finitum, incipiendo a praesenti nunc usque ad illum terminum. Cum autem generatio causae praecedat tempore generationem effectus, oportet quod procedendo ab effectu ad causam auferamus aliquid de tempore futuro, et appropinquemus magis ad praesens. Omne autem finitum consumitur aliquoties ablato quodam ab ipso. Et ita sequitur quod procedendo ab effectu ad causam, et iterum ab illa causa ad eius causam, et sic deinceps, auferatur totum tempus futurum cum sit finitum, et ita perveniatur ad ipsum nunc.

[82763] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 7Quod quidem patet in hoc exemplo. Si enim omnis effectus habet aliquam causam per se, ad quam de necessitate sequitur, oportet quod iste de necessitate moriatur, vel per infirmitatem, vel per violentiam, si exit domum suam. Exitus enim a domo eius invenitur causa esse mortis eius, vel violentiae; puta si exiens domum invenitur a latronibus et occiditur; vel per infirmitatem; puta si exiens de domo ex aestu incurrit febrem et moritur. Et eodem modo hoc erit ex necessitate, scilicet quod exeat domum ad hauriendum aquam si sitit. Nam sitis invenitur esse causa ut exeat domum ad hauriendum aquam. Similiter per eamdem rationem hoc erit de necessitate, scilicet quod sitiat, si aliquid aliud erit quod est causa sitis: et ita sic procedens de effectu ad causam perveniet ad aliquod quod nunc est, idest in aliquod praesens, vel in aliquod factorum, idest in aliquod praeteritorum. Sicut si dicamus quod sitis erit si comedit mordicantia vel salsa, quae faciunt sitim: hoc autem, scilicet quod comedat salsa vel non comedat, est in praesenti. Et ita sequitur quod praedictum futurum, scilicet quod iste moriatur vel non moriatur, ex necessitate erit.

[82764] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 8Cum enim quaelibet conditionalis vera sit necessaria, oportet quod ex quo antecedens est positum, quod consequens ex necessitate ponatur. Sicut haec est vera, si Socrates currit, movetur. Posito ergo quod currat, necesse erit ipsum moveri, dum currit. Si autem quilibet effectus habet causam per se, ex qua de necessitate sequitur, oportet quod sit illa conditionalis vera, cuius antecedens est causa et consequens effectus. Et licet inter causam, quae nunc est praesens, et effectum qui erit futurus, quandoque sint plurima media, quorum unumquodque est effectus respectu praecedentium, et causa respectu sequentium; tamen sequitur de primo ad ultimum, quod conditionalis sit vera cuius antecedens est praesens et eius consequens quandoque futurum. Sicut hic, si comedit salsa, occidetur. Antecedens autem ponitur, ex quo praesens est; ergo de necessitate erit quod occidatur. Et ita omnia alia futura erunt necessaria, quorum causae proximae vel remotae, sunt praesentes.

[82765] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 9Et similis ratio est si aliquis procedens ab effectibus ad causas, supersiliat ad facta, idest ad praeterita, hoc est dicere si reducat effectus futuros in aliquam causam praeteritam non praesentem; quia hoc quod praeteritum est iam est secundum aliquem modum. Hoc autem dico inquantum est factum vel praeteritum. Licet enim vita Caesaris non sit nunc ut in praesenti, est tamen in praeterito. Verum enim est Caesarem vixisse. Et ita nunc est ponere verum esse antecedens conditionalis, in cuius antecedente est causa praeterita, et in consequente est causa futura. Et sic sequetur, cum omnes effectus futuros oporteat redigere in tales causas praesentes vel praeteritas, quod omnia futura ex necessitate eveniant. Sicut nos dicimus quod viventem fore moriturum est necessarium absolute, quia sequitur de necessitate ad aliquid quod iam factum est, scilicet duo contraria esse in eodem corpore per commixtionem. Haec enim conditionalis est vera: si aliquod corpus est compositum ex contrariis, corrumpetur.

[82766] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 10Hoc autem est impossibile, quod omnia futura ex necessitate eveniant. Ergo illa duo sunt impossibilia, ex quibus hoc sequebatur; scilicet quod quilibet effectus habeat causam per se, et quod causa posita necesse sit effectum poni. Quia ex hoc ipso sequeretur quod iam dictum est, quod quorumlibet effectuum futurorum essent aliquae causae iam positae. Sicut corruptionis animalis, iam sunt aliquae causae positae. Sed quod iste homo moriatur per infirmitatem vel violentiam, nondum habet aliquam causam positam ex qua de necessitate sequatur.

[82767] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 11Deinde cum dicit palam ergo infert quamdam conclusionem ex praedictis; dicens: ergo ex quo non quodlibet, quod fit, habet causam per se, palam, quod in futuris contingentibus, effectus futuri reductio ad causam per se, vadit usque ad aliquod principium; quod quidem principium non reducitur in aliquod principium adhuc per se, sed ipsum erit cuius causa erit quodcumque evenit, idest causa casualis, et illius causae casualis non erit aliqua alia causa; sicut iam praedictum est, quod ens per accidens non habet causam neque generationem. Verbi gratia, quod iste occidatur a latronibus habet causam per se quia vulneratur; et hoc etiam habet causam per se, quia a latronibus invenitur; sed hoc non habet nisi causam per accidens. Hoc enim quod iste qui negotiatur, ad negotium vadens, inter latrones incidat, est per accidens, ut ex praedictis patet. Unde eius non oportet ponere aliquam causam. Ens enim per accidens, ut supra dictum est, non habet generationem, et ita eius generationis causam per se quaerere non oportet.

[82768] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 12Deinde cum dicit sed ad principium movet quamdam quaestionem occasionatam ex dictis. Dixit enim supra immediate, quod causae entium per accidens reducuntur usque ad aliquod principium, cuius non est ponere aliam causam. Et ideo hic inquirit de hac reductione, vel anagoge, quod idem est, ad quale principium et ad qualem causam debeat fieri, idest ad quod genus causae vel principii: scilicet utrum ad aliquam causam primam, quae sit causa sicut materia; aut ad aliquam, quae sit causa sicut finis, cuius gratia aliquid fit; aut ad aliquam, quae sit causa sicut movens. Praetermittit autem de causa formali, quia quaestio hic habetur de causa generationis rerum, quae fiunt per accidens. In generatione autem, forma non habet causalitatem, nisi per modum finis. Finis enim et forma in generatione incidunt in idem numero. Hanc autem quaestionem hic motam non solvit: sed supponit eius solutionem ab eo quod est determinatum in secundo physicorum. Ibi enim ostensum est quod fortuna et casus, quae sunt causae eorum quae fiunt per accidens, reducuntur ad genus causae efficientis. Ergo concludit ex praemissis, quod praetermittendum est loqui de ente per accidens, ex quo determinatum est sufficienter secundum id quod de eo determinari potest.

[82769] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 13Attendendum est autem quod ea quae philosophus hic tradit, videntur removere quaedam, quae secundum philosophiam ab aliquibus ponuntur, scilicet fatum et providentiam. Vult enim hic philosophus, quod non omnia quae fiunt, reducantur in aliquam causam per se, ex qua de necessitate sequantur: alias sequeretur, quod omnia essent ex necessitate, et nihil per accidens esset in rebus. Illi autem, qui ponunt fatum, dicunt, contingentia, quae hic fiunt, quae videntur per accidens, esse reducibilia in aliquam virtutem corporis caelestis, per cuius actionem ea quae secundum se considerata per accidens fieri videntur, cum quodam ordine producantur. Et similiter illi, qui ponunt providentiam, ea quae aguntur hic, dicunt esse ordinata secundum ordinem providentiae.

[82770] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 14Ex utraque igitur positione duo videntur sequi, quae sunt contraria his, quae hic philosophus determinat: quorum primum est: in rebus nihil fit per accidens neque a fortuna neque a casu. Quae enim secundum aliquem ordinem procedunt, non sunt per accidens. Sunt enim vel semper vel in maiori parte. Secundum autem est, quod omnia ex necessitate eveniant. Si enim omnia ex necessitate eveniunt quorum causa vel ponitur in praesenti, vel iam est posita in praeterito, ut ratio philosophi procedit, eorum autem quae sunt sub providentia vel fato causa ponitur in praesenti, et iam posita est in praeterito, eo quod providentia est immutabilis et aeterna, motus etiam caeli est invariabilis: videtur sequi quod ea quae sunt sub providentia vel fato, ex necessitate contingant. Et ita, si omnia quae hic aguntur, fato et providentia subduntur, sequitur quod omnia ex necessitate proveniant. Videtur ergo quod secundum intentionem philosophi non sit ponere neque providentiam neque fatum.

[82771] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 15Ad horum autem evidentiam considerandum est, quod quanto aliqua causa est altior, tanto eius causalitas ad plura se extendit. Habet enim causa altior proprium causatum altius quod est communius et in pluribus inventum. Sicut in artificialibus patet quod ars politica, quae est supra militarem, ad totum statum communitatis se extendit. Militaris autem solum ad eos, qui in ordine militari continentur. Ordinatio, autem quae est in effectibus ex aliqua causa tantum se extendit quantum extendit se illius causae causalitas. Omnis enim causa per se habet determinatos effectus, quos secundum aliquem ordinem producit. Manifestum igitur est, quod effectus relati ad aliquam inferiorem causam nullum ordinem habere videntur, sed per accidens sibiipsis coincidunt; qui si referantur ad superiorem causam communem, ordinati inveniuntur, et non per accidens coniuncti, sed ab una per se causa simul producti sunt.

[82772] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 16Sicut floritio huius herbae vel illius, si referatur ad particularem virtutem, quae est in hac planta vel in illa, nullum ordinem habere videtur,- immo videtur esse accidens -, quod hac herba florente illa floreat. Et hoc ideo, quia causa virtutis huius plantae extendit se ad floritionem huius, et non ad floritionem alterius: unde est quidem causa, quod haec planta floreat, non autem quod simul cum altera. Si autem ad virtutem corporis caelestis, quae est causa communis, referatur, invenitur hoc non esse per accidens, quod hac herba florente illa floreat, sed esse ordinatum ab aliqua prima causa hoc ordinante, quae simul movet utramque herbam ad floritionem.

[82773] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 17Invenitur autem in rebus triplex causarum gradus. Est enim primo causa incorruptibilis et immutabilis, scilicet divina; sub hac secundo est causa incorruptibilis, sed mutabilis; scilicet corpus caeleste; sub hac tertio sunt causae corruptibiles et mutabiles. Hae igitur causae in tertio gradu existentes sunt particulares, et ad proprios effectus secundum singulas species determinatae: ignis enim generat ignem, et homo generat hominem, et planta plantam.

[82774] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 18Causa autem secundi gradus est quodammodo universalis, et quodammodo particularis. Particularis quidem, quia se extendit ad aliquod genus entium determinatum, scilicet ad ea quae per motum in esse producuntur; est enim causa movens et mota. Universalis autem, quia non ad unam tantum speciem mobilium se extendit causalitas eius, sed ad omnia, quae alterantur et generantur et corrumpuntur: illud enim quod est primo motum, oportet esse causam omnium consequenter mobilium.

[82775] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 19Sed causa primi gradus est simpliciter universalis: eius enim effectus proprius est esse: unde quicquid est, et quocumque modo est, sub causalitate et ordinatione illius causae proprie continetur.

[82776] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 20Si igitur ea quae hic sunt contingentia, reducamus in causas proximas particulares tantum, inveniuntur multa fieri per accidens, tum propter concursum duarum causarum, quarum una sub altera non continetur, sicut cum praeter intentionem occurrunt mihi latrones. (Hic enim concursus causatur ex duplici virtute motiva, scilicet mea et latronum). Tum etiam propter defectum agentis, cui accidit debilitas, ut non possit pervenire ad finem intentum; sicut cum aliquis cadit in via propter lassitudinem. Tum etiam propter indispositionem materiae, quae non recipit formam intentam ab agente, sed alterius modi sicut accidit in monstruosis partibus animalium.

[82777] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 21Haec autem contingentia, si ulterius in causam caelestem reducantur, multa horum invenientur non esse per accidens; quia causae particulares etsi non continentur sub se invicem, continentur tamen sub una causa communi caelesti; unde concursus earum potest habere aliquam unam causam caelestem determinatam. Quia etiam virtus corporis caelestis et incorruptibilis est et impassibilis, non potest exire aliquis effectus ordinem causalitatis eius propter defectum vel debilitatem ipsius virtutis. Sed quia agit movendo, et omne tale agens requirit materiam determinatam et dispositam, potest contingere quod in rebus naturalibus virtus caelestis non consequatur suum effectum propter materiae indispositionem; et hoc erit per accidens.

[82778] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 22Quamvis igitur multa, quae videntur esse per accidens reducendo ipsa ad causas particulares, inveniantur non esse per accidens reducendo ipsa ad causam communem universalem, scilicet virtutem caelestem, tamen etiam hac reductione facta, inveniuntur esse aliqua per accidens, sicut superius est habitum a philosopho. Quando enim agens aliquod inducit effectum suum ut in pluribus, et non semper, sequetur, quod deficiat in paucioribus, et hoc per accidens est. Si igitur corpora caelestia effectos suos inducunt in inferiora corpora, ut in pluribus, et non semper, propter materiae indispositionem, sequetur, quod ipsum sit per accidens, quod virtus caelestis effectum suum non consequatur.

[82779] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 23Licet etiam ex hoc inveniantur aliqua per accidens, facta reductione ad corpus caeleste: quia in istis inferioribus sunt aliquae causae agentes, quae possunt per se agere absque impressione corporis caelestis, scilicet animae rationales, ad quas non pertingit virtus corporis caelestis (cum sint formae corporibus non subiectae), nisi forte per accidens, inquantum scilicet ex impressione corporis caelestis fit aliqua immutatio in corpore, et per accidens in viribus animae, quae sunt actus quarumdam partium corporis, ex quibus anima rationalis inclinatur ad agendum, licet nulla necessitas inducatur, cum habeat liberum dominium super passiones, ut eis dissentiat. Illa igitur, quae in his inferioribus inveniuntur per accidens fieri reducendo ad has causas, scilicet animas rationales, prout non sequuntur inclinationem, quae est ex impressione caelesti, non invenientur per se fieri per reductionem ad virtutem corporis caelestis.

[82780] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 24Et sic patet, quod positio fati, quae est quaedam dispositio inhaerens rebus inferioribus ex actione corporis caelestis, non removet omnia ea quae sunt per accidens.

[82781] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 25Sed si ulterius ista contingentia reducantur in causam altissimam divinam, nihil inveniri poterit, quod ab ordine eius exeat, cum eius causalitas extendat se ad omnia inquantum sunt entia. Non potest igitur sua causalitas impediri per indispositionem materiae; quia et ipsa materia, et eius dispositiones non exeunt ab ordine illius agentis, quod est agens per modum dantis esse, et non solum per modum moventis et alterantis. Non enim potest dici, quod materia praesupponatur ad esse, sicut praesupponitur ad moveri, ut eius subiectum; quinimo est pars essentiae rei. Sicut igitur virtus alterantis et moventis non impeditur ex essentia motus, aut ex termino eius, sed ex subiecto, quod praesupponitur; ita virtus dantis esse non impeditur a materia, vel a quocumque, quod adveniat qualitercumque ad esse rei. Ex quo etiam patet, quod nulla causa agens potest esse in istis inferioribus, quae eius ordini non subdatur.

[82782] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 26Relinquitur igitur quod omnia, quae hic fiunt, prout ad primam causam divinam referuntur, inveniuntur ordinata et non per accidens existere; licet per comparationem ad alias causas per accidens esse inveniantur. Et propter hoc secundum fidem Catholicam dicitur, quod nihil fit temere sive fortuito in mundo, et quod omnia subduntur divinae providentiae. Aristoteles autem hic loquitur de contingentibus quae hic fiunt, in ordine ad causas particulares, sicut per eius exemplum apparet.

[82783] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 27Nunc autem restat videre quomodo positio fati et providentiae non tollit a rebus contingentiam, quasi omnia ex necessitate eveniant. Et de fato quidem manifestum est per ea quae dicta sunt. Iam enim est ostensum, quod licet corpora caelestia et eorum motus et actiones quantum in ipsis est necessitatem habeant, tamen effectus eorum in istis inferioribus potest deficere, vel propter indispositionem materiae, vel propter animam rationalem quae habet liberam electionem sequendi inclinationes, quae sunt ex impressione caelesti, vel non sequendi: et ita relinquitur, quod huiusmodi effectus non ex necessitate, sed contingenter proveniant. Non enim positio causae caelestis est positio causae talis, ad quam de necessitate sequatur effectus, sicut ad compositionem ex contrariis sequitur mors animalis, ut in litera tangitur.

[82784] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 28Sed de providentia maiorem habet difficultatem. Providentia enim divina falli non potest. Haec enim duo sunt incompossibilia, quod aliquid sit provisum a Deo, et non fiat: et ita videtur, quod ex quo providentia iam ponitur, quod eius effectum necesse sit sequi.

[82785] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 29Sed sciendum est, quod ex eadem causa dependet effectus, et omnia quae sunt per se accidentia illius effectus. Sicut enim homo est a natura, ita et omnia eius per se accidentia, ut risibile, et mentis disciplinae susceptibile. Si autem aliqua causa non faciat hominem simpliciter sed hominem talem, eius non erit constituere ea quae sunt per se accidentia hominis, sed solum uti eis. Politicus enim facit hominem civilem; non tamen facit eum mentis disciplinae susceptibilem, sed hac eius proprietate utitur ad hoc quod homo fiat civilis.

[82786] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 30Sicut autem dictum est, ens inquantum ens est, habet causam ipsum Deum: unde sicut divinae providentiae subditur ipsum ens, ita etiam omnia accidentia entis inquantum est ens, inter quae sunt necessarium et contingens. Ad divinam igitur providentiam pertinet non solum quod faciat hoc ens, sed quod det ei contingentiam vel necessitatem. Secundum enim quod unicuique dare voluit contingentiam vel necessitatem, praeparavit ei causas medias, ex quibus de necessitate sequatur, vel contingenter. Invenitur igitur uniuscuiusque effectus secundum quod est sub ordine divinae providentiae necessitatem habere. Ex quo contingit quod haec conditionalis est vera, si aliquid est a Deo provisum, hoc erit.

[82787] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 31Secundum autem quod effectus aliquis consideratur sub ordine causae proximae, sic non omnis effectus est necessarius; sed quidam necessarius et quidam contingens secundum analogiam suae causae. Effectus enim in suis naturis similantur causis proximis, non autem remotis, ad quarum conditionem pertingere non possunt.

[82788] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 3 n. 32Sic ergo patet, quod cum de divina providentia loquimur, non est dicendum solum, hoc est provisum a Deo ut sit, sed hoc est provisum a Deo, ut contingenter sit, vel ut necessario sit. Unde non sequitur secundum rationem Aristotelis hic inductam, quod ex quo divina providentia est posita, quod omnes effectus sint necessarii; sed necessarium est effectus esse contingenter, vel de necessitate. Quod quidem est singulare in hac causa, scilicet in divina providentia. Reliquae enim causae non constituunt legem necessitatis vel contingentiae, sed constituta a superiori causa utuntur. Unde causalitati cuiuslibet alterius causae subditur solum quod eius effectus sit. Quod autem sit necessario vel contingenter, dependet ex causa altiori, quae est causa entis inquantum est ens; a qua ordo necessitatis et contingentiae in rebus provenit.

LEÇON 3.

(nn. 1191-1222; [553-555]).

 

Le Philosophe ruine l’opinion de ceux qui pensent que l’être par accident est exclu de la totalité des choses qui existent.

 

1191. Après avoir traité de l’être par accident, le Philosophe écarte ici une opinion qui cherche à éliminer dans sa totalité l’être par accident.

   Certains en effet ont soutenu que tout ce qui se produit dans l’univers a une cause par soi, et en outre que toute cause ayant été posée, son effet s’ensuit nécessairement. D’où il s’ensuivait que, par une certaine interdépendance entre les causes, tout devait se produire par nécessité et que rien dans les choses ne se produisait par accident. Et c’est pourquoi le Philosophe cherche à réfuter cette opinion : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu en effet il détruit l’opinion précédente [553]. En deuxième lieu il tire une conclusion de ce qui précède, là [554] où il dit : ¨ Il est donc évident que jusqu’à un etc. ¨. En troisième lieu, à l’occasion de ce qui précède, il soulève une question [555] où il dit : ¨ Mais à quelle sorte de principe ¨.

    Il dit donc en premier lieu [553] qu’il sera évident à partir de ce qui suit que les principes et les causes mêmes de la génération et de la corruption des êtres ¨sont sujets à la génération et à la corruption¨, c’est-à-dire de telle manière qu’il leur arrive  d’être engendrés et corrompus sans qu’il s’ensuive une génération et une corruption. Il n’est pas nécessaire en effet que, si la génération ou la corruption d’une chose est la cause de la génération ou de la corruption d’une autre chose, une fois posée la génération ou la corruption de la cause, s’ensuive nécessairement la génération ou la corruption de l’effet : car certaines causes produisent leurs effet dans la plupart des cas : c’est pourquoi, une fois celles-ci posées, l’effet peut être empêché par la suite à l’occasion d’un accident, comme en raison d’une indisposition de la matière, ou en raison de l’intervention d’un agent contraire ou en raison de tout autre facteur de ce genre.

1192. Il faut cependant savoir qu’Avicenne prouve dans sa Métaphysique que par rapport à sa cause, nul effet n’est possible mais seulement nécessaire. Si en effet, une fois que la cause est posée, il est possible que l’effet ne soit pas posé et soit posé, et que ce qui est cependant en puissance en tant que tel n’entre en acte qu’au moyen de ce qui existe déjà en acte, il faudra donc là que quelque chose de distinct de la cause fasse passer l’effet de la puissance à l’acte. Ce qui implique que cette cause ne sera pas suffisante. Mais cela semble s’opposer à ce que le Philosophe dit ici.

1193. Mais il faut savoir que les paroles d’Avicenne doivent être comprises en supposant qu’aucun obstacle ne se présente à la cause. Il est nécessaire en effet que l’effet s’ensuive si la cause est posée, à moins que ne se présente un obstacle, ce qui se produit parfois d’une manière accidentelle. Et c’est en ce sens que le Philosophe dit ici qu’il n’est pas nécessaire que la génération ou la corruption s’ensuive une fois posées les causes de la génération et de la corruption.

1194. Si en effet ce que le dit le Philosophe n’était pas vrai, il s’ensuivrait que tout se produirait nécessairement, si cependant avec ce qu’on dit, à savoir une fois la cause posée l’effet suit nécessairement on présente aussi cette autre position, à savoir que pour toute chose qui est engendrée et corrompue, il est nécessaire qu’il y ait une cause par soi et non une cause par accident. De ces deux propositions en effet il découle que tout soit nécessaire. Ce qu’il prouve de la manière suivante.

1195. Si en effet on se demande au sujet d’une chose si elle existera ou non, il suit de ce qui a été dit qu’une seule des deux réponses sera nécessairement vraie : car si tout ce qui est produit a une cause par soi de sa production et que par la position de cette dernière la chose elle-même sera nécessairement produite, il s’ensuit que cette chose, au sujet de laquelle on se demande si elle existera, sera produite si existe d’abord ce qu’on affirme en être la cause; et si cette cause n’existe pas, la chose elle-même n’existera pas. Et de la même manière il faut dire que cette cause existera dans le futur si quelque chose d’autre qui en est la cause existe dans le futur.

1196. Il est clair cependant que si grand qu’on entende le temps futur, que ce soit suite à une durée de cent ans ou de mille ans, il est fini si on le prend en partant du moment présent jusqu’au terme qui a été déterminé. Mais puisque la génération de la cause précède dans le temps la génération de l’effet, il faut qu’en procédant de l’effet à la cause on enlève une partie du temps futur et qu’on approche davantage du moment présent. Mais tout ce qui est fini se trouve à être diminué d’une certaine quantité si on lui retire quelque partie. Et il s’ensuit ainsi qu’en procédant de l’effet à la cause, et par la suite de cette cause à sa cause et ainsi de suite, on fera disparaître la totalité du temps futur puisqu’il est fini et qu’on en arrivera ainsi au moment présent.

1197. Et cela apparaît clairement dans cet exemple. Si en effet tout effet a une cause par soi d’où il découle nécessairement, il faut de toute nécessité que celui-ci meure, soit par maladie, soit par mort violente s’il sort de sa maison. En effet, la sortie de sa maison se trouve à être la cause de sa mort, soit par violence, par exemple si en sortant de la maison il est découvert et tué par des voleurs; soit par maladie, par exemple dans le cas où en sortant de la maison, en raison d’une chaleur extrême il attrape la fièvre et meurt. Et de la même manière cela se produira nécessairement, à savoir qu’il sorte de la maison pour chercher de l’eau s’il a soif. Car la soif se trouve à être la cause de sa sortie de la maison pour puiser de l’eau. Et de la même manière, pour la même raison, cela sera nécessaire, à savoir qu’il ait soif, s’il y a quelque chose d’autre qui est cause de la soif : et en procédant ainsi de l’effet à la cause on parvient à un certain ¨événement actuel¨, c’est-à-dire à un certain événement présent, ou à ¨un événement déjà réalisé¨, c’est-à-dire à un événement passé. Comme si nous disions qu’il aura soif s’il mange des aliments piquants ou épicés qui produisent la soif : mais cela, à savoir qu’il mange des mets épicés ou piquants ou qu’il n’en mange pas, cela a lieu dans le moment présent. Et ainsi il s’ensuit que le ¨futur qui est prédit¨, à savoir qu’il mourra ou ne mourra pas, se produira nécessairement.

1198. En effet, puisque toute conditionnelle vraie est nécessaire, il faut que, du fait que l’antécédent est posé, le conséquent suive nécessairement. Tout comme cette conditionnelle est vraie, à savoir que si Socrate court, il est en mouvement. Donc, si on affirme qu’il court, il faudra nécessairement conclure qu’il est en mouvement. Mais si tout effet possède une cause par soi d’où il découle nécessairement, il faut que cette conditionnelle, dont l’antécédent est la cause et le conséquent est l’effet, soit vraie. Et bien qu’entre la cause qui est actuelle au moment présent et l’effet qui doit apparaître dans le futur il y ait parfois plusieurs intermédiaires, dont chacun est un effet par rapport à celui qui le précède et une cause par rapport à celui qui le suit, cependant du premier au dernier il s’ensuit que la conditionnelle, dont l’antécédent est présent et le conséquent est futur, sera vraie comme dans l’exemple suivant : s’il mange des mets épicés, il sera tué. Mais l’antécédent est affirmé du fait qu’il est présent; il arrivera donc nécessairement qu’il soit tué. Et ainsi tous les autres événements futurs seront aussi nécessaires dont les causes prochaines ou éloignées sont actuelles.

1199. Et le même raisonnement vaut si quelqu’un, procédant des effets aux causes, s’élance ¨vers ce qui a été fait¨, c’est-à-dire vers les événements passés, c’est-à-dire s’il cherche à ramener les effets futurs à une cause passée mais non présente; car ce qui est passé existe déjà d’une certaine manière. Et je dis cela dans la mesure où cet événement est déjà fait ou passé. En effet, bien que la vie de César ne soit pas actuelle comme existant dans le présent, elle existe cependant dans le passé. Il est vrai en effet que César a vécu. Et ainsi il faut maintenant affirmer que la conditionnelle est vraie dans l’antécédent de laquelle il y a une cause passée et dans le conséquent de laquelle se retrouve une cause future. Et ainsi il s’ensuivrait, puisqu’il faudrait ramener tous les effets futurs à de telles causes présentes ou passées, que tous les événements futurs se produiraient nécessairement. Comme lorsque nous disons que dans l’avenir tous les vivants devront mourir nécessairement car cela découle nécessairement de quelque chose qui est déjà réalisé sous nos yeux, à savoir la présence dans un même corps du mélange de deux contraires. Cette conditionnelle en effet est vraie, à savoir que si un corps est composé de contraires, il se corrompra.

1200. Mais il est impossible que tous les événements futurs se produisent nécessairement. Donc les deux prémisses d’où découlait cette conclusion sont impossibles, à savoir que tout effet a une cause par soi, et qu’une fois la cause posée il soit nécessaire que l’effet le soit aussi. Car de cela même il s’ensuivrait ce que nous avons déjà dit, à savoir que pour tous les effets futurs les causes existeraient déjà, comme pour la corruption future de l’animal, il y a des causes déjà actuellement présentes. Mais que cet homme meure d’une maladie ou d’une mort violente, cet événement n’a pas encore une cause actuellement posée dans le présent de laquelle il suivrait nécessairement.

1201. Ensuite lorsqu’il dit [554] : ¨ Il est donc clair ¨.

   Il infère une conclusion de ce qui vient d’être dit, en disant que du fait que ce n’est pas tout ce qui devient qui a une cause par soi, il est évident que pour ce qui des futurs contingents, le fait de ramener les effets futurs à une cause par soi se rend jusqu’à un certain principe qui ne se réduit pas davantage à un autre principe par soi, mais dont la cause sera ¨tout ce qui arrive¨, c’est-à-dire une cause accidentelle et il n’y aura pas d’autres causes de cette cause accidentelle; ainsi que nous l’avons déjà dit antérieurement, l’être par accident n’a pas de cause ni de génération. En un mot, le fait que celui-ci ait été tué par les voleurs a une cause par soi car il a subi une blessure; et cela même dépend d’une cause par soi car il a été découvert par les voleurs, mais ce dernier fait n’est produit que par une cause par accident. En effet, cela même que celui qui fait des affaires, en allant négocier, tombe entre les mains des voleurs, ne se produit que par accident ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit. Et c’est pourquoi il ne faut pas chercher à en trouver une cause. En effet, l’être par accident n’a pas de génération ainsi qu’on la dit et ainsi il ne faut pas chercher à découvrir la cause par soi de sa génération.

1202. Ensuite lorsqu’il dit [555] : ¨ Mais à quelle sorte de principe ¨.

   Il soulève une question suscitée par ce qu’il vient de dire. Il a dit en effet immédiatement plus haut que les causes des êtres par accident se ramènent jusqu’à un certain principe dont il ne faut pas chercher ultérieurement à trouver une autre cause. Et c’est pourquoi il s’interroge ici sur cette réduction ou sur cette ¨anagogie¨ ce qui revient au même, à savoir ¨à quelle sorte de principe et à quelle sorte de cause doit-on parvenir¨, c’est-à-dire à quel genre de cause ou de principe doit-on parvenir : à savoir, est-ce à une cause première qui serait cause à la manière d’une matière ou à une cause qui serait cause à la manière d’une fin en vue de laquelle la chose est produite ou encore à une autre cause qui serait cause à la manière d’un agent? Mais il écarte la cause formelle car la question porte ici sur la cause de la génération des choses qui sont produites par accident. Mais dans la génération, la forme n’a raison de cause qu’à la manière d’une fin. Dans la génération en effet la forme et la fin sont identiques par le nombre. – Mais ce n’est pas ici qu’il répond à la question qu’il vient de soulever, mais il suppose la réponse qu’il y a déjà apportée au deuxième livre des Physiques. C’est là en effet qu’il a montré que le hasard et la fortune, qui sont les causes de ce qui se produit par accident, se ramènent au genre de la cause efficiente. C’est pourquoi il conclut à partir de ce qui vient d’être présenté que pour ce qui est de l’être par accident, on doit passer à autre chose du fait qu’on a déjà suffisamment établi à son sujet ce qu’il était possible d’en dire.

1203. Il faut cependant remarquer que les choses qui sont ici enseignées par le Philosophe semblent s’opposer à une notion que certains soutiennent en philosophie, à savoir le destin et la providence. Ce que veut montrer ici le Philosophe, c’est que ce ne sont pas toutes les choses qui viennent à exister qui se ramènent à une cause par soi de laquelle elles découleraient nécessairement. Autrement tout se produirait nécessairement et rien dans les choses n’arriverait pas accident. Mais ceux qui posent l’existence du destin affirment que les événements contingents qui ont lieu dans ce monde et qui semblent se produire par accident se ramènent à la puissance d’un corps céleste par l’action duquel les choses qui paraissent se produire par accident, si on les considère en elles-mêmes, se produisent de fait en suivant un ordre. Et de la même manière, ceux qui posent l’existence d’une providence affirment que les événements qui ont lieu ici-bas sont réglés suivant l’ordre de cette providence.

1204. Donc, de ces deux positions découlent deux conséquences contraires à ce que le Philosophe établit ici, dont voici la première : dans les choses, rien ne se produit par accident, ni par fortune ni par hasard. En effet, les choses qui procèdent d’un ordre ne se produisent pas par accident. En effet, elles se produisent ou bien toujours ou bien dans la plupart des cas. Mais la deuxième conséquence est que toutes les choses arrivent nécessairement. Si en effet toutes les choses dont la cause est posée dans le présent ou a été posée dans le passé arrivent par nécessité à la manière dont le raisonnement du Philosophe l’enseigne, comme les choses qui sont soumises au destin ou à la providence ont déjà leur cause posée dans le présent  ou encore dans le passé du fait que la providence est immuable et éternelle et qu’en plus le mouvement du ciel est invariable,  il apparaît donc suivre de là que ce qui est soumis à la providence et au destin se produit nécessairement. Et ainsi, si toutes les choses se comportent de cette manière en étant soumises à la providence et au destin, il s’ensuit que toute chose arrive nécessairement. Il semble donc que d’après l’intention du Philosophe qu’il n’y a pas lieu de poser l’existence d’une providence ou d’un destin.

1205. Mais pour faire la lumière là-dessus, il faut considérer que plus une cause est élevée, plus elle s’applique à un grand nombre de cas. Une cause plus élevée possède un effet propre qui est plus élevé qui est plus commun et qui se manifeste dans de plus nombreux cas. C’est ainsi qu’on voit dans les arts que l’art politique, qui est au-dessus de l’art militaire, s’applique à l’ensemble de la communauté alors que l’art militaire ne s’applique qu’à ceux qui sont compris dans l’organisation de l’armée. Mais l’organisation ou l’ordre que l’on retrouve dans les effets à partir d’une certaine cause s’étend d’autant plus que s’étend la causalité de cette cause. En effet, toute cause par soi possède des effets déterminés qu’elle produit d’après un ordre. Mais il est manifeste que les effets qui se rapportent à une cause inférieure semblent ne posséder entre eux aucun ordre et ne se rencontrer les uns les autres que par accident; mais si on les rapporte à une cause supérieure et commune, ils se trouvent à être ordonnés et à être unis d’une manière qui n’est pas accidentelle, et à être produits simultanément par une seule et même cause par soi.

1206. Par exemple, si la floraison de telle ou telle autre plante est mise en rapport avec la puissance spécifique qui se retrouve dans cette plante-ci ou dans cette plante-là, elle ne semble suivre aucun ordre, - il semble même être accidentel – que cette plante-ci fleurisse en même temps que telle autre. Et il en est ainsi parce que la cause de la puissance de telle plante s’applique seulement à la floraison de cette plante et non à celle de telle autre et c’est pourquoi cette cause explique uniquement la floraison de cette plante mais elle n’explique pas que cette plante fleurisse en même temps qu’une autre. Mais si on rapporte la floraison à la puissance d’un corps céleste qui est une cause commune, on découvre que ce n’est pas par accident que cette plante fleurisse en même temps que telle autre mais que ce processus est réglé par une cause première qui ordonne tout cela et qui pousse les deux plantes à fleurir simultanément.

1207. Mais dans les choses on découvre trois degrés de causalité. Il y a en effet en premier lieu une cause incorruptible et immuable qui est Dieu; et en deuxième lieu il y a sous cette cause une cause incorruptible mais muable, à savoir le corps céleste; et sous cette dernière on retrouve en troisième lieu des causes corruptibles et muables. Donc ces causes qui existent au troisième degré sont particulières et sont déterminées à produire leurs effets propres au moyen de formes déterminées et particulières : en effet, le feu engendre le feu, l’homme engendre l’homme et la plante engendre la plante.

1208. Mais la cause qui appartient au deuxième degré est en quelque sorte universelle et en un autre sens, particulière. Elle est certes particulière parce qu’elle s’applique à un genre déterminé d’êtres, c’est-à-dire aux choses qui viennent à l’existence au moyen du mouvement; cette sorte de cause se trouve en effet à la fois à mouvoir et à être mue. Mais elle est universelle parce que sa causalité ne s’étend pas à une seule espèce d’êtres mobiles mais à tous les êtres qui sont assujettis à l’altération, à la génération et à la corruption : en effet, ce qui se trouve à être mû en premier est la cause de tout ce qui se meut par la suite.

1209. Mais la cause qui entre dans le premier degré est universelle absolument parlant : en effet, son effet propre est l’être; c’est pourquoi tout ce qui est et qui existe sous une forme ou une autre est proprement compris dans la causalité et dans l’ordonnance de cette cause.

1210. Si donc nous ramenions seulement à des causes prochaines et particulières les choses qui sont contingentes en ce monde, plusieurs nous sembleraient être produites par accident, tant en raison du concours de deux causes dont l’une n’est pas contenue dans une autre, comme lorsqu’indépendamment de mon intention des bandits surviennent. (Cette rencontre en effet est causée par deux puissances motrices, à savoir la mienne et la leur); tant aussi en raison d’un défaut de l’agent auquel il arrive une faiblesse telle qu’il ne puisse parvenir à la fin qu’il se proposait, comme lorsque quelqu’un tombe sur le chemin en raison de la fatigue; tant aussi en raison d’une indisposition de la matière qui ne reçoit pas la forme telle qu’elle est recherchée par l’agent, mais qui la reçoit autrement, à la manière dont elle est reçue dans les parties difformes des animaux.

1211. Mais ces faits contingents, si on les ramène par la suite à une cause céleste, plusieurs parmi eux se révèlent comme n’étant pas accidentels; car les causes particulières, bien qu’elles ne soient pas contenues les unes dans les autres, sont cependant contenues sous une cause commune céleste; c’est pourquoi leur rencontre peut avoir une même cause céleste déterminée. Aussi, parce que la puissance d’un corps céleste est à la fois incorruptible et impassible, un effet ne peut éviter l’ordre de sa causalité en raison d’un défaut ou d’une faiblesse de cette puissance. Mais parce que cette puissance agit par le mouvement, et que tout agent de cette sorte a besoin d’une matière déterminée et préparée à dessein, il peut arriver que dans les choses naturelles la puissance du corps céleste ne puisse parvenir à réaliser son effet en raison d’une indisposition de la matière. Il s’agira dans ce cas d’un défaut accidentel.

1212. Donc, bien que de nombreuses choses, qui semblent être accidentelles si on les ramène à des causes particulières, apparaissent ne pas être accidentelles si on les ramène à une cause commune et universelle, c’est-à-dire à la puissance d’un corps céleste, néanmoins même après avoir fait cela on voit que certaines choses sont produites par accident, ainsi que le Philosophe l’a établi plus haut. En effet, quand un agent produit son effet dans la plupart des cas et non pas toujours, il s’ensuit qu’il manque son but dans certains cas et le résultat obtenu alors est accidentel. Si donc c’est dans la plupart des cas  que les corps célestes produisent leurs effets dans les corps inférieurs et non pas toujours en raison d’une indisposition de la matière, il s’ensuit que cela même, à savoir que la puissance du corps céleste n’atteigne pas son effet, est accidentel.

1213. En dehors de cela on retrouve néanmoins des effets qui se produisent par accident, même si on ramène les événements à l’influence des corps célestes : car parmi les êtres inférieurs il existe des causes agentes, à savoir les âmes rationnelles, qui peuvent agir par elles-mêmes sans subir l’influence d’un corps céleste, et auxquelles ne parvient pas l’action provenant de la puissance d’un corps céleste (parce qu’elles sont des formes qui ne sont pas assujetties à un corps), sauf par accident, c’est-à-dire dans la mesure où à partir de l’action du corps céleste il se produit un changement dans le corps, et par accident dans les puissances de l’âme, qui sont les actes de ces parties du corps à partir desquelles l’âme rationnelle est portée à agir, bien qu’aucune nécessité ne l’y force puisqu’elle possède un libre contrôle sur les passions de manière à pouvoir s’y opposer. Donc, les effets qui en ce monde se trouvent à être engendrés par accident si on les ramène à ces causes, à savoir aux âmes rationnelles dans la mesure où elles ne suivent pas l’inclination qui provient de l’action d’un corps céleste, ne se trouvent pas à être engendrés par soi si on cherche à les ramener à la puissance d’un corps céleste.

1214. Ainsi donc cette opinion sur le destin, lequel est une certaine disposition inhérente aux êtres inférieurs à partir de l’action d’un corps céleste, ne fait pas disparaître du coup tout ce qui existe par accident.

1215. Mais si ultérieurement on veut ramener tous les événements contingents à la cause la plus élevée qui est Dieu, on ne pourra rien rencontrer qui échappe à son ordonnance puisque sa causalité s’étend à tous les êtres en tant qu’ils sont des êtres. Sa causalité ne peut donc être empêchée par une indisposition de la matière car la matière elle-même ainsi que ses dispositions n’échappent pas à l’ordonnance de cet agent qui est un agent à la manière de celui qui donne l’être et non seulement à la manière de celui qui met en mouvement ou qui entraîne un changement. On ne peut dire en effet que la matière est présupposée à l’être comme elle est présupposée au changement, en tant que sujet; mais elle est une partie de l’essence de la chose. Donc, tout comme la puissance de celui qui meut et qui altère n’est pas empêchée par l’essence du mouvement ou par son terme mais par le sujet qui est présupposé, de même la puissance de celui qui donne l’être n’est pas empêchée par la matière ou par quoi que ce soit qui puisse advenir d’une manière ou d’une autre à l’être de la chose. Et à partir de là on voit encore qu’il n’y a aucune cause agente présente en ce monde qui ne soit pas soumise à l’ordonnance de la cause divine.

1216. Il reste donc que toutes les choses qui sont sujettes à un devenir, dans la mesure où elles se rapportent à la cause divine, se trouvent à exister suivant son ordonnance et non pas par accident, bien qu’elles semblent exister par accident si on les met en relation avec les autres causes. Et c’est pour cette raison qu’on dit, conformément à la foi catholique, que rien dans l’univers ne se produit en vain ou par hasard et que tout ce qui arrive est assujetti à la divine providence. Mais Aristote parle ici des événements contingents qui se produisent en ce monde en tant qu’ils sont en relation avec les causes particulières, ainsi qu’on peut le voir par les exemples qu’il donne.

1217. Mais il nous reste maintenant à voir comment le fait de poser le destin et la providence n’élimine pas du même coup la contingence des choses de telle sorte que tout se produirait nécessairement. Et il est évident par ce que nous venons de dire qu’il en est ainsi au sujet de la fatalité. En effet nous avons déjà montré que bien que les corps célestes, tout comme leurs mouvements et leurs opérations, possèdent en eux-mêmes une nécessité, néanmoins leurs effets dans ces mondes inférieurs peuvent venir à manquer, soit à cause d’une indisposition de la matière, soit à cause de l’âme rationnelle qui possède un libre arbitre lui permettant soit de suivre les inclinations qui proviennent de l’action d’un corps céleste, soit de ne pas les suivre : et ainsi il reste que de tels effets ne sont pas produits nécessairement mais que c’est d’une manière contingente qu’ils viennent à exister. En effet, poser une cause céleste, ce n’est pas poser une cause telle que tout effet en découlerait nécessairement, comme la mort de l’animal découle nécessairement du fait qu’il est composé de contraires, ainsi que nous en avons glissé un mot dans le texte.

1218. Mais pour ce qui est de la providence, cette question présente une plus grande difficulté. En effet, la providence divine ne peut faillir. Ces deux énoncés en effet sont incompatibles, à savoir qu’une chose est prévue par Dieu et qu’elle ne se produit pas; et il apparaît ainsi que, du fait qu’on pose la providence, son effet doive s’ensuivre nécessairement.

1219. Mais il faut savoir que c’est de la même cause dont dépendent à la fois un  l’effet et tous les accidents par soi de cet effet. Par exemple en effet un homme est produit par la nature ainsi que tous ses accidents par soi comme la capacité de rire ainsi que la capacité à recevoir la science par son esprit. Mais si une cause ne produit pas l’homme purement et simplement mais seulement l’homme sous un certain rapport, il ne lui appartiendra pas de causer les accidents propres de l’homme mais seulement de s’en servir. En effet, il appartient au politique de rendre l’homme civil, non pas de le rendre capable de science par l’esprit mais il se sert de cette propriété qui appartient naturellement à l’homme pour le rendre civil.

1220. Mais comme nous l’avons dit, l’être en tant qu’être est causé par Dieu lui-même; c’est pourquoi, tout comme l’être lui-même est assujetti à la providence divine, de même aussi tous les accidents de l’être en tant qu’être, parmi lesquels on retrouve le nécessaire et le contingent, sont assujettis à la providence divine. Il appartient donc à la providence divine non seulement de faire tel être, mais de lui donner aussi soit la contingence, soit la nécessité. Et conformément à sa volonté de donner à chaque être soit la contingence soit la nécessité, elle lui a préparé des causes intermédiaires d’où il puisse procéder soit de manière contingente, soit nécessairement. Donc, selon qu’il est soumis à l’ordonnance de la providence divine, il arrive à tout effet d’avoir une nécessité. D’où il résulte que la conditionnelle suivante est vraie, à savoir que si une chose est prévue par Dieu, elle sera.

1221. Mais selon qu’un effet est considéré dans son assujettissement à l’ordonnance d’une cause prochaine, alors ce n’est pas tout effet qui est nécessaire; mais tel effet est nécessaire et tel autre est contingent, à la ressemblance de sa cause prochaine. Les effets, considérés dans leurs natures, sont semblables à leurs causes prochaines et non aux causes éloignées dont ils ne peuvent atteindre la perfection.

1222. On voit donc ainsi que lorsque nous parlons de la providence divine, il ne faut pas seulement dire qu’il est prévu par Dieu que ceci existe, mais qu’il est prévu par Dieu que ceci existe ou bien d’un manière contingente ou bien nécessairement. C’est pourquoi, d’après le raisonnement d’Aristote présenté ici, il ne s’ensuit pas, une fois la providence divine posée, que du même coup tous les effets soient nécessaires; mais il est nécessaire qu’un effet se présente soit avec nécessité, soit avec contingence. Et cela est propre à cette cause, à savoir à la providence divine. En effet les autres causes n’établissent pas la loi de la contingence et de la nécessité, mais elles se servent de cette loi établie par la cause supérieure. Mais ce qui est soumis à l’autorité de toute autre cause c’est seulement que son effet soit. Mais qu’elle soit selon un mode contingent ou nécessaire, cela dépend d’une cause plus élevée qui est la cause de l’être en tant qu’être et de laquelle provient l’ordonnance de la contingence ou de la nécessité dans les choses.

 

 

LECTIO 4

[82789] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 1Postquam determinavit philosophus de ente per accidens, hic determinat de ente, quod significat veritatem propositionis: et circa hoc duo facit. Primo determinat qualiter dicatur huiusmodi ens. Secundo removet ipsum a principali consideratione huius scientiae, ibi, quoniam autem complexio et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit qualiter huiusmodi ens dicatur. Secundo respondet cuidam quaestioni, ibi, quomodo autem quod simul et cetera. Tertio manifestat quoddam quod dixerat, ibi, non est autem verum et falsum in rebus et cetera. Dicit ergo quod ens quoddam dicitur quasi verum, idest quod nihil aliud significat nisi veritatem. Cum enim interrogamus si homo est animal, respondetur quod est; per quod significatur, propositionem praemissam esse veram. Et eodem modo non ens significat quasi falsum. Cum enim respondetur, non est, significatur quod proposita oratio sit falsa. Hoc autem ens, quod dicitur quasi verum, et non ens, quod dicitur quasi falsum, consistit circa compositionem et divisionem. Voces enim incomplexae neque verum neque falsum significant; sed voces complexae, per affirmationem aut negationem veritatem aut falsitatem habent. Dicitur autem hic affirmatio compositio, quia significat praedicatum inesse subiecto. Negatio vero dicitur hic divisio, quia significat praedicatum a subiecto removeri.

[82790] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 2Et cum voces sint signa intellectuum, similiter dicendum est de conceptionibus intellectus. Quae enim sunt simplices, non habent veritatem neque falsitatem, sed solum illae quae sunt complexae per affirmationem vel negationem.

[82791] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 3Et quia praedictum ens et non ens, scilicet verum et falsum, consistit in compositione et divisione, ideo similiter consistit circa partitionem contradictionis. Unaquaeque enim contradictionum partiuntur sibi invicem verum et falsum; ita quod altera pars est vera, et altera pars est falsa. Cum enim contradictio ex affirmatione et negatione constituatur, utraque autem harum ex praedicato sit et subiecto, praedicatum et subiectum dupliciter se possunt habere. Aut enim sunt coniuncta in rerum natura, sicut homo et animal; aut sunt disiuncta, ut homo et asinus.

[82792] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 4Si ergo formantur duae contradictiones: una ex terminis coniunctis, ut, homo est animal, homo non est animal; alia ex terminis disiunctis, ut, homo est asinus, homo non est asinus, utramque contradictionem inter se condividunt verum et falsum; ita quod verum pro parte sua habet affirmationem in composito, idest in terminis coniunctis, et negationem in disiuncto, idest in terminis disiunctis. Hae enim duae sunt verae, homo est animal et homo non est asinus. Sed falsum pro sua parte habet contradictionem partitionis, idest contradictoria eorum, quae cedunt in partem veri. Habet enim falsum pro sua parte negationem in coniuncto, et affirmationem in disiuncto. Hae enim duae sunt falsae, homo non est animal, et homo est asinus.

[82793] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 5Deinde cum dicit quomodo autem removet quamdam dubitationem, quae posset occasionari ex dictis. Dixerat enim quod verum et falsum consistunt in compositione et divisione, vocum quidem secundario, intellectus autem primo et principaliter: omnis autem compositio vel divisio plurium est: et ideo potest esse dubium, quomodo ista quae componuntur et dividuntur, intellectus intelligat: utrum scilicet simul, aut separatim. Sed dicit, quod hoc pertinet ad alium sermonem, scilicet ad librum de anima.

[82794] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 6Et quia simul dupliciter dicitur, quandoque enim significat unitatem, sicut dicimus simul esse secundum tempus quae sunt in uno et eodem instanti: quandoque vero significat coniunctionem et vicinitatem eorum quae consequenter se habent, sicut dicimus duos homines esse simul secundum locum, quorum loca sunt coniuncta et consequenter se habentia, et secundum tempus, quae se tempore consequuntur: ideo exponit quaestionem motam, qua quaesivit utrum simul aut separatim intelligat intellectus ea quae componuntur et dividuntur: dicens, quod non intelligit simul secundum quod aliqua dicuntur esse simul, ut consequenter se habent; sed secundum quod aliqua dicuntur esse simul in eo quod fit aliquid unum.

[82795] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 7Et in hoc innuitur solutio quaestionis. Si enim intellectus intelligat hominem et animal unumquodque secundum se, ut sunt duo quaedam, intelligit ea consequenter duabus conceptionibus simplicibus, non formans ex eis affirmationem neque negationem. Cum autem ex eis format compositionem vel divisionem, intelligit ambo ut unum, inquantum scilicet ex eis aliquod unum fit: sicut etiam partes cuiuslibet totius intelligit intellectus ut unum, intelligendo ipsum totum. Non enim intelligit domum intelligendo prius fundamentum et postea parietem et postea tectum; sed omnia ista intelligit simul, inquantum ex eis fit unum. Similiter intelligit praedicatum et subiectum simul, inquantum ex eis fit unum, scilicet affirmatio et negatio.

[82796] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 8Deinde cum dicit non est autem. Manifestat quoddam quod dixerat scilicet quod verum et falsum sint in compositione et divisione. Quod quidem probat per modum cuiusdam divisionis. Eorum enim, quae dicuntur voce, quaedam sunt in rebus extra animam, quaedam autem sunt in anima tantum. Album enim et nigrum sunt extra animam; sed rationes horum sunt in anima tantum. Posset autem aliquis credere, quod verum et falsum sint etiam in rebus sicut bonum et malum; ita quod verum sit quoddam bonum, et falsum sit quoddam malum: hoc enim oporteret si verum et falsum essent in rebus. Verum enim quamdam perfectionem naturae significat, falsum vero defectum. Omnis autem perfectio in rebus existens, ad perfectionem et bonitatem naturae pertinet, defectus vero et privatio ad malitiam.

[82797] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 9Sed ipse hoc negat; dicens, quod verum et falsum non sunt in rebus, ita quod verum rationis sit quoddam bonum naturae, et falsum sit quoddam malum; sed sunt tantum in mente, idest in intellectu.

[82798] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 10Intellectus autem habet duas operationes, quarum una vocatur indivisibilium intelligentia, per quam intellectus format simplices conceptiones rerum intelligendo quod quid est uniuscuiusque rei. Alia eius operatio est per quam componit et dividit.

[82799] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 11Verum autem et falsum, etsi sint in mente, non tamen sunt circa illam operationem mentis, qua intellectus format simplices conceptiones, et quod quid est rerum. Et hoc est quod dicit, quod verum et falsum, circa simplicia et quod quid est, nec in mente est. Unde relinquitur per locum a divisione, quod ex quo non est in rebus, nec est in mente circa simplicia et quod quid est, quod sit circa compositionem et divisionem mentis primo et principaliter; et secundario vocis, quae significat conceptionem mentis. Et ulterius concludit, quod quaecumque oportet speculari circa ens et non ens sic dictum, scilicet prout ens significat verum, et non ens falsum, posterius perscrutandum est, scilicet in fine noni et etiam in libro de anima, et in logicalibus. Tota enim logica videtur esse de ente et non ente sic dicto.

[82800] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 12Sciendum est autem, quod cum quaelibet cognitio perficiatur per hoc quod similitudo rei cognitae est in cognoscente; sicut perfectio rei cognitae consistit in hoc quod habet talem formam per quam est res talis, ita perfectio cognitionis consistit in hoc, quod habet similitudinem formae praedictae. Ex hoc autem, quod res cognita habet formam sibi debitam, dicitur esse bona; et ex hoc, quod aliquem defectum habet, dicitur esse mala. Et eodem modo ex hoc quod cognoscens habet similitudinem rei cognitae, dicitur habere veram cognitionem: ex hoc vero, quod deficit a tali similitudine, dicitur falsam cognitionem habere. Sicut ergo bonum et malum designant perfectiones, quae sunt in rebus: ita verum et falsum designant perfectiones cognitionum.

[82801] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 13Licet autem in cognitione sensitiva possit esse similitudo rei cognitae, non tamen rationem huius similitudinis cognoscere ad sensum pertinet, sed solum ad intellectum. Et ideo, licet sensus de sensibili possit esse verus, tamen sensus veritatem non cognoscit, sed solum intellectus: et propter hoc dicitur quod verum et falsum sunt in mente.

[82802] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 14Intellectus autem habet apud se similitudinem rei intellectae, secundum quod rationes incomplexorum concipit; non tamen propter hoc ipsam similitudinem diiudicat, sed solum cum componit vel dividit. Cum enim intellectus concipit hoc quod est animal rationale mortale, apud se similitudinem hominis habet; sed non propter hoc cognoscit se hanc similitudinem habere, quia non iudicat hominem esse animal rationale et mortale: et ideo in hac sola secunda operatione intellectus est veritas et falsitas, secundum quam non solum intellectus habet similitudinem rei intellectae, sed etiam super ipsam similitudinem reflectitur, cognoscendo et diiudicando ipsam. Ex his igitur patet, quod veritas non est in rebus, sed solum in mente, et etiam in compositione et divisione.

[82803] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 15Et si res dicatur aliquando falsa, vel etiam definitio, hoc erit in ordine ad affirmationem et ad negationem. Dicitur enim res falsa, ut in fine quinti habitum est, aut quae non est omnino, sicut diametrum commensurabilem; aut quia est quidem, sed est apta nata videri aliter quam sit. Et similiter definitio dicitur falsa aut quia nullius, vel quia assignatur alteri quam ei cuius est. In omnibus enim his modis patet quod falsum in rebus vel in definitionibus dicitur, ratione falsae enunciationis de ipsis.

[82804] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 16Et similiter patet de vero. Nam res dicitur vera, quando habet propriam formam, quae ei ostenditur inesse. Et definitio vera, quae vere competit ei cui assignatur.

[82805] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 17Patet etiam quod nihil prohibet verum esse quoddam bonum, secundum quod intellectus cognoscens accipitur ut quaedam res. Sicut enim quaelibet alia res dicitur bona sua perfectione, ita intellectus cognoscens, sua veritate.

[82806] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 18Apparet etiam ex his quae hic dicuntur, quod verum et falsum, quae sunt obiecta cognitionis, sunt in mente. Bonum vero et malum, quae sunt obiecta appetitus, sunt in rebus. Item quod, sicut cognitio perficitur per hoc quod res cognitae sunt in cognoscente, ita appetitus quicumque perficitur per ordinem appetentis ad res appetibiles.

[82807] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 19Deinde cum dicit quoniam autem excludit ens verum et ens per accidens a principali consideratione huius doctrinae; dicens, quod compositio et divisio, in quibus est verum et falsum, est in mente, et non in rebus. Invenitur siquidem et in rebus aliqua compositio; sed talis compositio efficit unam rem, quam intellectus recipit ut unum simplici conceptione. Sed illa compositio vel divisio, qua intellectus coniungit vel dividit sua concepta, est tantum in intellectu, non in rebus. Consistit enim in quadam duorum comparatione conceptorum; sive illa duo sint idem secundum rem, sive diversa. Utitur enim intellectus quandoque uno ut duobus compositionem formans; sicut dicitur, homo est homo: ex quo patet quod talis compositio est solum in intellectu, non in rebus. Et ideo illud, quod est ita ens sicut verum in tali compositione consistens, est alterum ab his quae proprie sunt entia, quae sunt res extra animam, quarum unaquaeque est aut quod quid est, idest substantia, aut quale, aut quantum, aut aliquod incomplexum, quod mens copulat vel dividit.

[82808] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 20Et ideo utrumque est praetermittendum; scilicet et ens per accidens, et ens quod significat verum; quia huius, scilicet entis per accidens, causa est indeterminata, et ideo non cadit sub arte, ut ostensum est. Illius vero, scilicet entis veri, causa est aliqua passio mentis, idest operatio intellectus componentis et dividentis. Et ideo pertinet ad scientiam de intellectu.

[82809] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 21Et alia ratio est, quia utrumque, scilicet ens verum et ens per accidens, sunt circa aliquod genus entis, non circa ens simpliciter per se quod est in rebus; et non ostendunt aliquam aliam naturam entis existentem extra per se entia. Patet enim quod ens per accidens est ex concursu accidentaliter entium extra animam, quorum unumquodque est per se. Sicut grammaticum musicum licet sit per accidens, tamen et grammaticum et musicum est per se ens, quia utrumque per se acceptum, habet causam determinatam. Et similiter intellectus compositionem et divisionem facit circa res, quae sub praedicamentis continentur.

[82810] Sententia Metaphysicae, lib. 6 l. 4 n. 22Unde si determinetur sufficienter illud genus entis quod continetur sub praedicamento, manifestum erit et de ente per accidens, et de ente vero. Et propter hoc huiusmodi entia praetermittuntur. Sed perscrutandae sunt causae et principia ipsius entis per se dicti, inquantum est ens. De quo palam est ex his quae determinavimus in quinto libro; ubi dictum est, quoties unumquodque talium nominum dicitur, quod ens dicitur multipliciter, sicut infra in principio septimi sequetur.

 

LEÇON 4.

(nn. 1223-1244; [556-559]).

 

Il explique comment l’être signifie le vrai et en quoi consistent le vrai et le faux; il conclut en outre que l’être en tant que vrai et l’être par accident sont exclus avec raison de cette science.

 

1223. Après avoir déterminé de l’être par accident, le Philosophe traite ici de l’être qui signifie la vérité d’une proposition : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il détermine la manière dont se dit un tel être [556]. En deuxième lieu il l’écarte du propos principal de cette science, là [559] où il dit : ¨ Mais puisque la composition etc. ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il montre de quelle manière se dit cet être qui signifie la vérité d’une proposition [556]. En deuxième lieu il répond à une question, là [557] où il dit : ¨ Mais comment ce qui est en même temps etc. ¨. En troisième lieu il manifeste quelque chose qu’il avait dit, là [558] où il dit : ¨ Mais le vrai et le faux ne sont pas dans les choses etc. ¨.

   Il dit donc ¨qu’une forme de l’être se dit comme à la manière du vrai¨ [556], c’est-à-dire qui ne signifie rien d’autre que la vérité. Si en effet nous demandons si l’homme est un animal, on répond que l’homme est un animal, et en répondant ainsi on veut signifier que cette proposition est vraie. Et de la même manière le non-être signifie comme à la manière du faux. En effet, lorsqu’on répond ¨n’est pas¨, on signifie que l’énoncé proposé est faux. Mais cet être qui se dit à la manière du vrai et ce non-être qui se dit à la manière du faux consistent respectivement en une certaine composition et en une certaine division. En effet, les sons de voix simples ne signifient ni le vrai ni le faux; mais au moyen de l’affirmation et de la négation, les sons de voix complexes comportent de la vérité ou de la fausseté. Mais on dit ici de l’affirmation qu’elle est une composition parce qu’elle signifie qu’un prédicat est inclus un sujet et on dit de la négation qu’elle est une division parce qu’elle signifie qu’un prédicat est exclu d’un sujet.

1224. Et parce que les sons de voix sont les signes des concepts, c’est de la même manière qu’il faut parler des conceptions de l’intelligence. Celles en effet qui sont simples ne comportent ni vérité ni fausseté, mais seulement celles qui sont rendues complexes par l’affirmation et la négation.

1225. Et parce que cet être et ce non-être dont nous parlons maintenant, à savoir le vrai et le faux, consistent en une composition et en une division, c’est pourquoi chacune des parties de la contradiction consiste de la même manière en une composition et en une division. En effet, chacune des contradictions se divise d’après le vrai et le faux de telle manière qu’une de ses parties est vraie et que l’autre est fausse. En effet, puisqu’une contradiction est constituée d’une affirmation et d’une négation mais que chacune d’elles est composée d’un prédicat et d’un sujet, le sujet et le prédicat peuvent se présenter de deux manières l’un par rapport à l’autre. Ou bien en effet ils sont unis dans la nature des choses, comme l’homme et l’animal; ou bien ils sont séparés, comme l’homme et l’âne.

1226. Si donc les contradictoires sont formées d’une part à partir de termes qui sont unis dans la réalité comme l’homme est un animal et l’homme n’est pas un animal, et d’autre part à partir de termes qui sont séparés dans la nature des choses, comme l’homme est un âne et l’homme n’est pas un âne, chacune des contradictoires se trouve à être partagée par le vrai et le faux de telle manière que le vrai pour sa part, ¨c’est l’affirmation de ce qui est composé¨, c’est-à-dire l’affirmation des termes qui sont unis dans la réalité, et ¨la négation de ce qui est séparé¨, c’est-à-dire des termes qui s’excluent dans la réalité. Ces deux parties en effet sont vraies, à savoir l’homme est un animal et l’homme n’est pas un âne. Mais le faux pour sa part, c’est ¨la contradiction de cette division¨, c’est-à-dire la contradictoire des énoncés précédents qui tombent du côté du vrai. Le faux en effet pour sa part, c’est la négation de ce qui est uni dans la réalité et l’affirmation de ce qui y est séparé. Sont fausses en effet les deux propositions suivantes, à savoir que l’homme n’est pas un animal et que l’homme est un âne.

1227. Ensuite, lorsqu’il dit [557] : ¨ Mais comment ¨.

   Il écarte une difficulté qui pourrait naître de ce qui vient d’être dit. Il avait dit en effet que le vrai et le faux consistent en une composition et en une division de l’intelligence en premier lieu et principalement, des sons de voix comme en second lieu : mais toute  composition et toute division se rapporte à une multiplicité : et c’est pourquoi on pourrait se demander comment l’intelligence arrive à saisir ce qui est ainsi composé et divisé, c’est-à-dire si elle les saisit simultanément ou séparément. Mais il dit que c’est à un autre traité, à savoir au livre intitulé de l’Âme, qu’il appartient de répondre à cette question.

1228. Et parce que ce mot, à savoir simultanément, se dit de deux manières, à savoir parfois au sens d’unité, comme lorsque nous disons que sont simultanés selon le temps les choses qui existent en un seul et même instant; mais d’un autre côté parfois au sens de rapprochement ou de proximité des choses qui se suivent, comme lorsque nous disons que deux hommes sont simultanés selon le lieu, dont les lieux sont rapprochés et se suivent de près, et qu’ils sont aussi simultanés selon le temps parce qu’ils se suivent immédiatement selon le temps : et c’est pourquoi il explique la question soulevée par laquelle il se demandait si c’est simultanément ou séparément que l’intelligence saisit les conceptions qu’elle compose et divise, en disant qu’elle ne les saisit pas simultanément au sens où simultanément se dit de ce qui se suit immédiatement, mais au sens où ce mot se dit de ce qui devient une unité.

1229. Et c’est en cela qu’est indiquée la réponse à la difficulté. Si en effet c’est en eux-mêmes que l’intelligence saisit l’homme et n’importe quel animal comme deux concepts, elle les saisit l’un après l’autre par deux conceptions simples distinctes sans former à partir d’elles une affirmation ou une négation. Mais lorsqu’à partir de ces conceptions elle forme une composition ou une division, elle les saisit toutes les deux comme une unité, c’est-à-dire dans la mesure où à partir d’elles est produite une unité : tout comme l’intelligence saisit les parties de n’importe quel tout comme étant une unité lorsqu’elle les considère comme intégrées au tout. En effet, l’intelligence ne saisit pas la maison en saisissant d’abord les fondations, puis les murs et par la suite le toit, mais elle saisit toutes ces parties simultanément dans la mesure où à partir d’elles est produite une unité. Et c’est de la même manière que l’intelligence saisit simultanément le sujet et le prédicat dans la mesure où à partir d’eux est constituée une nouvelle unité, à savoir l’affirmation ou la négation.

1230. Ensuite lorsqu’il dit [558] : ¨ Mais il n’y a pas ¨.

   Il manifeste ce qu’il avait dit, à savoir que le vrai et le faux sont dans une composition et une division. Et c’est ce qu’Aristote prouve certes par mode de division. En effet, parmi les choses qui sont exprimées par les sons de voix, certaines existent dans les choses en dehors de l’âme alors que d’autres existent dans l’âme seulement. En effet, le blanc et le noir existent en dehors de l’âme, mais leurs définitions existent dans l’âme seulement. Mais on pourrait croire que le vrai et le faux existent aussi dans les choses comme c’est le cas pour le bien et le mal, de telle manière que le vrai serait un certain bien et le faux un certain mal; il faudrait en effet qu’il en soit ainsi si le vrai et le faux existaient dans les choses. Le vrai en effet signifie une certaine perfection de la nature alors que le faux en signifie un manque de perfection. Mais toute perfection qui existe dans les choses appartient à la perfection et au bien de la nature alors que tout défaut et toute privation se rapportent au mal.

1231. Mais Aristote lui-même nie cela en disant que le vrai et le faux n’existent pas dans les choses de telle manière que la vérité de la raison serait un bien de la nature et que le faux en serait un mal, mais qu’ils ¨existent seulement dans l’esprit¨, c’est-à-dire dans l’intelligence.

1232. Mais l’intelligence possède deux opérations dont l’une s’appelle l’intelligence des indivisibles par laquelle l’intelligence forme les concepts simples des choses en saisissant ce qu’est chaque chose, son essence. L’autre opération est celle par laquelle l’intelligence compose et divise.

1233. Mais le vrai et le faux, bien qu’ils existent dans l’esprit, ne se rapportent cependant pas à cette opération de l’esprit par laquelle l’intelligence forme les concepts simples et les définitions des choses. Et c’est ce qu’il dit, à savoir que ¨le vrai et le faux n’existent pas dans l’intelligence dont l’opération porte sur les conceptions simples et les quiddités¨. C’est pourquoi il suit, au moyen du lieu de la division, que du fait que le vrai et le faux n’existent pas dans les choses ni même dans l’esprit par rapport aux concepts simples et aux définitions, ils ne peuvent exister premièrement et principalement que dans l’intelligence dont l’opération est la composition et la division; c’est comme secondairement que le vrai et le faux existent dans les sons de voix qui signifient les conceptions de l’esprit. Et par la suite il conclut que tout ce qu’il faut examiner sur l’être et le non-être pris en ce sens, c’est-à-dire au sens où l’être signifie le vrai et où le non-être signifie le faux, ¨il faudra l’approfondir par la suite¨, c’est-à-dire à la fin du neuvième livre de ce traité et même dans le livre de l’Âme et enfin dans les traités de logique. En effet, on voit que toute la logique se rapporte à l’être et au non-être entendus en ce sens.

1234. Il faut cependant savoir que puisque toute connaissance trouve sa perfection en ceci qu’une similitude de la chose connue est reçue dans celui qui connaît, comme la perfection de la chose connue consiste en ceci qu’elle possède telle forme par laquelle elle est telle chose, ainsi la perfection de la connaissance consiste en cela qu’elle possède une similitude de cette forme de la chose. Mais du fait que la chose connue possède la forme qui lui convient, on dit d’elle qu’elle est bonne et du fait qu’elle souffre d’un défaut, on dit d’elle qu’elle est mauvaise. Et dans le même sens, du fait que celui qui connaît possède en lui la similitude de la chose connue, on dit de lui qu’il possède une connaissance qui est vraie; d’un autre côté, du fait qu’il est privé de cette similitude, on dit qu’il possède une connaissance qui est fausse. Donc, tout comme le bien et le mal se rapportent à des perfections qui se trouvent dans les choses, de même le vrai et le faux se rapportent à la perfection de la connaissance.

1235. Mais bien que dans la connaissance sensible il puisse y avoir une ressemblance de la chose connue, il n’appartient cependant pas au sens mais à l’intelligence seulement de connaître la cause de cette ressemblance. Et c’est pourquoi, bien que le sens puisse être vrai par rapport au sensible, le sens ne connaît cependant pas la vérité que l’intelligence est seule à connaître; et c’est pour cette raison qu’on dit que le vrai et le faux sont dans l’esprit.

1236. Mais si l’intelligence possède en elle une similitude de la chose connue selon qu’elle conçoit les notions des conceptions incomplexes, ce n’est cependant pas pour cette raison qu’elle distingue la similitude elle-même, mais seulement lorsqu’elle compose et divise. En effet, lorsque l’intelligence conçoit ceci, à savoir animal raisonnable et mortel, elle possède en elle une similitude de l’homme; mais ce n’est pas pour cette raison qu’elle sait qu’elle possède cette similitude parce qu’elle ne juge pas que l’homme est un animal raisonnable et mortel : et c’est pourquoi c’est seulement dans cette deuxième opération de l’esprit qu’il y a vérité et fausseté selon laquelle non seulement l’intelligence possède une similitude de la chose intelligée, mais encore elle réfléchit sur cette similitude en la connaissant et en la distinguant. Il est donc évident à partir de là que la vérité n’est pas dans les choses, mais seulement dans l’esprit, et même plus précisément dans cette opération de l’esprit qui compose et divise.

1237. Et si parfois on dit de la chose ou même de la définition qu’elle est fausse, ce sera par rapport à l’affirmation et à la négation. On dit en effet d’une chose qu’elle est fausse, ainsi qu’on l’a établi à la fin du cinquième livre, ou bien parce qu’elle n’existe absolument pas, comme une diagonale commensurable, ou bien parce qu’elle existe mais qu’elle est apte à paraître autre qu’elle est vraiment. Et de la même manière on dit d’une définition qu’elle est fausse soit parce qu’elle n’appartient à aucun être, soit parce qu’on l’attribue à un autre être que celui auquel elle appartient. En effet, on voit bien dans tous ces cas que le faux se dit dans les choses ou dans les définitions en raison d’une énonciation fausse à leur sujet.

1238. Et il en est de même pour le vrai. Car on dit d’une chose qu’elle est vraie quand elle possède la forme qui lui est propre et qu’elle manifeste avoir en elle. Et on dit d’une définition qu’elle est vraie quand elle appartient vraiment à celui à qui elle est attribuée.

1239. On peut encore voir que rien n’empêche que le vrai soit un certain bien selon que l’intelligence qui connaît est entendue comme une certaine chose. En effet, tout comme on dit de n’importe quelle autre chose qu’elle est bonne en raison de la perfection qu’elle possède, de même on dira de l’intelligence qui connaît qu’elle est bonne dans la mesure où elle a atteint sa perfection, à savoir la vérité.

1240. Il apparaît encore à partir des choses qui sont dites ici que le vrai et le faux, qui sont l’objet de la connaissance, sont dans l’intelligence. D’un autre côté, le bien et le mal, qui sont l’objet de l’appétit, sont dans les choses. Il apparaît en outre que tout comme la connaissance trouve son achèvement par ceci que les choses connues existent dans le sujet qui connaît, ainsi tout appétit trouve sa perfection par ceci que celui qui désire est comme incliné et ordonné à la chose désirable.

1241. Ensuite lorsqu’il dit [559] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il exclut l’être en tant que vrai et l’être par accident de la considération principale de cette science en disant que la composition et la division, dans lesquelles se trouvent le vrai et le faux, sont dans l’esprit et non dans les choses. On retrouve toutefois une certaine composition dans les choses; mais une telle composition rend une chose une que l’intelligence reçoit comme étant une par une conception simple. Mais cette composition ou cette division, par laquelle l’intelligence unit ou sépare ses concepts, existe seulement dans l’intelligence et non dans les choses. Elle consiste en effet en une certaine comparaison de deux concepts; alors, ou bien ces deux concepts sont identiques selon la chose, ou bien ils sont différents. En effet, l’intelligence se sert parfois d’une seule chose comme si elle était double lorsqu’elle forme une composition, comme lorsqu’on dit que l’homme est homme : d’où l’on voit qu’une telle composition existe seulement dans l’intelligence et non dans les choses. Et c’est pourquoi ce qui est ainsi un être à la manière du vrai et qui consiste en une composition de cette sorte diffère des êtres qui sont proprement des êtres et qui sont des êtres qui existent en dehors de l’âme et dont chacun est ¨ou bien ce qui est¨, c’est-à-dire une substance, ou bien une qualité, ou bien une quantité, ou bien toute autre ¨réalité¨ simple que l’esprit unit ou sépare.

1242. Et c’est pourquoi ces deux formes d’être doivent être écartées de notre étude, à savoir à la fois l’être par accident et l’être qui signifie le vrai; car pour cet être, à savoir l’être par accident, la cause est indéterminée et c’est pourquoi il ne se range pas dans un art, ainsi qu’on l’a montré. D’un autre côté pour cet autre être, à savoir pour l’être en tant que vrai, la cause en est ¨une certaine passion de l’esprit¨, c’est-à-dire l’opération de l’intelligence qui compose et divise. Et c’est pourquoi il relève de la science qui porte sur ces opérations de l’intelligence.

1243. Et il y a une autre raison de les écarter de cette science, car l’un et l’autre, à savoir l’être en tant que vrai et l’être par accident, se rapportent à un genre d’être déterminé et non pas à l’être pris absolument et par soi qu’on retrouve dans les choses; et ils ne manifestent aucune autre nature de l’être qui existerait en dehors des êtres par soi. Il est évident en effet que l’être par accident vient de la rencontre accidentelle d’êtres qui existent en dehors de l’âme et dont chacun existe par soi. Par exemple, bien que le grammairien musicien existe par accident, cependant le grammairien et le musicien sont des êtres par soi car chacun d’eux pris séparément et par soi a une cause déterminée. Et de la même manière l’intelligence fait des compositions et des divisions par rapport à des choses qui sont toutes contenues dans les prédicaments.

1244. C’est pourquoi, si on traite suffisamment de ce genre d’être qui est contenu dans le prédicament, à la fois la nature de l’être par accident et celle de l’être en tant que vrai deviendront manifestes. Et c’est pourquoi de tels êtres sont mis de côté. Mais les causes et les principes de l’être au sens d’être par soi, c’est-à-dire en tant qu’être, doivent être approfondis. Au sujet de cet être nous possédons suffisamment de clartés à partir de ce que nous avons établi au cinquième livre, où nous avons dit que l’être, tout comme chacun des autres noms examinés, se dit de plusieurs façons;  et nous aurons l’occasion de revenir là-dessus plus loin au début du septième livre.

 

 

LIBER 7

LIVRE VII ─ On traite ici de l’essence des substances sensibles au moyen de raisons logiques et communes.

 

 

LECTIO 1

[82811] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 1Postquam philosophus removit a principali consideratione huius scientiae ens per accidens, et ens secundum quod significat verum, hic incipit determinare de ente per se, quod est extra animam, de quo est principalis consideratio huius scientiae. Dividitur autem pars ista in duas partes. Haec enim scientia et determinat de ente inquantum est ens, et de primis principiis entium, ut in sexto libro est habitum. In prima ergo parte determinatur de ente. In secunda de primis principiis entis, in duodecimo libro, ibi, de substantia quidem et cetera. Quia vero ens et unum se consequuntur, et sub eadem consideratione cadunt, ut in principio quarti est habitum, ideo prima pars dividitur in partes duas. In prima determinat de ente. In secunda de uno et de his quae consequuntur ad unum, in decimo libro, ibi, unum quia multis dicitur. Ens autem per se, quod est extra animam, dupliciter dividitur, ut in quinto libro est habitum. Uno modo per decem praedicamenta, alio modo per potentiam et actum. Dividitur ergo prima pars in duas. In prima determinat de ente secundum quod dividitur per decem praedicamenta. In secunda determinat de ente secundum quod dividitur per potentiam et actum, in nono libro, ibi, ergo de primo ente et cetera.

[82812] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 2Prima autem pars dividitur in duas. In prima ostendit quod ad determinandum de ente, prout in decem praedicamenta dividitur, oportet determinare de sola substantia. In secunda incipit de substantia determinare, ibi, dicitur autem substantia et si non multiplicius et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod de substantia est determinandum. Secundo ostendit quid de ea sit tractandum, ibi, videtur autem substantia. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod intendens tractare de ente, de sola substantia debet tractare per rationem. Secundo per consuetudinem aliorum, ibi, et quod olim, et nunc et cetera. Intendit ergo in prima parte talem rationem ponere. Illud quod est primum inter entia quasi ens simpliciter et non secundum quid, sufficienter demonstrat naturam entis: sed substantia est huiusmodi; ergo sufficit ad cognoscendum naturam entis determinare de substantia. Circa hoc autem duo facit. Primo ostendit, quod substantia sit primum ens. Secundo ostendit quomodo dicatur primum, ibi, multipliciter quidem igitur dicitur primum et cetera. Circa primum duo facit.

[82813] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 3Primo proponit intentum quod ens dicitur multipliciter, ut dictum est in quinto libro, in quo diviserat quoties dicuntur huiusmodi nomina, quia quoddam ens significat quid est et hoc aliquid, idest substantiam; ut per quid, intelligatur essentia substantiae, per hoc aliquid suppositum, ad quae duo omnes modi substantiae reducuntur, ut in quinto est habitum. Illud vero significat qualitatem vel quantitatem, aut aliquid aliorum praedicamentorum. Et cum ens tot modis dicatur, palam est quod inter omnia entia, primum est quod quid est, idest ens quod significat substantiam.

[82814] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 4Secundo ibi, nam quando probat propositum; et utitur tali ratione. Quod est per se et simpliciter in unoquoque genere, est prius eo quod est per aliud et secundum quid. Sed substantia est ens simpliciter et per seipsam: omnia autem alia genera a substantia sunt entia secundum quid et per substantiam: ergo substantia est prima inter alia entia.

[82815] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 5Minorem autem dupliciter manifestat. Primo ex ipso modo loquendi sive praedicandi; dicens, quod ex hoc palam est quod substantia sit primum entium, quia quando dicimus de aliquo quale quid sit, dicimus ipsum esse aut bonum aut malum. Haec enim significant qualitatem, quae aliud est a substantia et quantitate. Tricubitum autem significat quantitatem, et homo significat substantiam. Et ideo quando dicimus quale est aliquid, non dicimus ipsum esse tricubitum neque hominem. Sed quando dicimus quid est de aliquo, non dicimus ipsum esse album, nec calidum, quae significant qualitatem; nec tricubitum, quod significat quantitatem; sed hominem aut Deum, quae significant substantiam.

[82816] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 6Ex quo patet quod illa quae significant substantiam, dicunt quid est aliquid absolute. Quae autem praedicant qualitatem, non dicunt quid est illud de quo praedicatur absolute, sed quale quid. Et simile est in quantitate, et aliis generibus.

[82817] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 7Et ex hoc patet quod ipsa substantia dicitur ens ratione suiipsius, quia absolute significantia substantiam significant quid est hoc. Alia vero dicuntur entia, non quia ipsa habeant secundum se aliquam quidditatem, quasi secundum se entia, cum non ita dicant absolute quid: sed eo quod sunt talis entis, idest eo quod habent aliquam habitudinem ad substantiam quae est per se ens; quia non significant quidditatem; inquantum scilicet quaedam sunt qualitates talis entis, scilicet substantiae, et quaedam quantitates, et aliae passiones, vel aliquid aliud tale, quod significatur per alia genera.

[82818] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 8Secundo ibi, unde et probat idem per quoddam signum. Quia enim alia entia non sunt entia nisi secundum quod referuntur ad substantiam, ideo potest esse dubitatio de aliis entibus in abstracto significatis, quando non significant cum aliqua habitudine ad substantiam: utrum sint entia vel non entia, scilicet utrum vadere, sanare et sedere et unumquodque istorum in abstracto significatorum sit ens aut non ens. Et similiter est in aliis talibus, quae in abstracto significantur; sive significentur per modum actionis, ut praedicta, sive non, ut albedo sive nigredo.

[82819] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 9Pro tanto autem videntur accidentia in abstracto significata esse non entia, quia nihil ipsorum est aptum natum secundum se esse; immo cuiuslibet eorum esse est alteri inesse, et non est possibile aliquid eorum separari a substantia; et ideo quando significantur in abstracto quasi sint secundum se entia et a substantia separata, videtur quod sint non entia. Licet modus significandi vocum non consequatur immediate modum essendi rerum, sed mediante modo intelligendi; quia intellectus sunt similitudines rerum, voces autem intellectuum, ut dicitur in primo perihermenias.

[82820] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 10Licet autem modus essendi accidentium non sit ut per se sint, sed solum ut insint, intellectus tamen potest ea per se intelligere, cum sit natus dividere ea quae secundum naturam coniuncta sunt. Et ideo nomina abstracta accidentium significant entia quae quidem inhaerent, licet non significent ea per modum inhaerentium. Essent autem significata per huiusmodi nomina non entia, si non inessent in re.

[82821] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 11Et quia ista in abstracto significata videntur non entia, magis videntur entia nomina accidentium concreta. Magis autem videtur aliquid entium esse vadens et sedens et sanans quia determinatur eis aliquod subiectum per ipsam nominis significationem, inquantum significantur in concretione ad subiectum. Hoc autem subiectum est substantia. Et ideo unumquodque talium nominum, quae significant accidens in concreto, apparet in tali categoria, idest videtur importare praedicamentum substantiae; non ita quod praedicamentum substantiae sit pars significationis talium nominum (album enim, ut in praedicamentis dicitur, solam qualitatem significat); sed inquantum huiusmodi nomina significant accidentia ut inhaerentia substantiae. Bonum autem aut sedens non dicitur sine hoc, idest sine substantia. Significat enim accidens concretum substantiae.

[82822] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 12Et quia accidentia non videntur entia prout secundum se significantur, sed solum prout significantur in concretione ad substantiam, palam est quod singula aliorum entium sunt entia propter substantiam. Et ex hoc ulterius apparet, quod substantia est primum ens, et ens simpliciter, et non ens secundum aliquid, idest secundum quid, sicut est in accidentibus. Esse enim album non est simpliciter esse, sed secundum quid. Quod ex hoc patet, quia cum incipit esse albus, non dicimus quod incipiat esse simpliciter, sed quia incipiat esse albus. Cum enim Socrates incipit esse homo, dicitur simpliciter quod incipit esse. Unde patet quod esse hominem significat esse simpliciter. Esse autem album significat esse secundum quid.

[82823] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 13Deinde cum dicit multipliciter quidem. Ostendit quomodo substantia dicatur primum; et dicit quod cum hoc quod dico primum dicatur multis modis, ut in quinto est habitum, tribus modis substantia est prima inter omnia entia: scilicet secundum cognitionem, et secundum definitionem et secundum tempus. Et quod sit prima tempore aliis, ex hoc probatur, quod nullum aliorum praedicamentorum est separabile a substantia, sola autem substantia est separabilis ab aliis: nullum enim accidens invenitur sine substantia, sed aliqua substantia invenitur sine accidente. Et sic patet, quod non quandocumque est substantia, est accidens, sed e contrario: et propter hoc substantia est prior tempore.

[82824] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 14Et quod etiam sit prima secundum definitionem, patet, quia in definitione cuiuslibet accidentium oportet ponere definitionem substantiae. Sicut enim in definitione simi ponitur nasus, ita in definitione cuiuslibet accidentis ponitur proprium eius subiectum; et ideo sicut animal est prius definitione quam homo, quia definitio animalis ponitur in definitione hominis, eadem ratione substantia est prior definitione accidentibus.

[82825] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 15Quod etiam sit prior ordine cognitionis, patet. Illud enim est primum secundum cognitionem, quod est magis notum et magis manifestat rem. Res autem unaquaeque magis noscitur, quando scitur eius substantia, quam quando scitur eius quantitas aut qualitas. Tunc enim putamus nos maxime scire singula, quando noscitur quid est homo aut ignis, magis quam quando cognoscimus quale est aut quantum, aut ubi, aut secundum aliquod aliud praedicamentum. Quare etiam de ipsis, quae sunt in praedicamentis accidentium, tunc scimus singula, quando de unoquoque scimus quid est. Sicut quando scimus quid est ipsum quale, scimus qualitatem, et quando scimus quid est ipsum quantum, scimus quantitatem. Sicut enim alia praedicamenta non habent esse nisi per hoc quod insunt substantiae, ita non habent cognosci nisi inquantum participant aliquid de modo cognitionis substantiae, quae est cognoscere quid est.

[82826] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 16Deinde cum dicit et quod ostendit idem, scilicet quod de substantia sola est agendum, ex consuetudine aliorum philosophorum: dicens, quod cum sit quaesitum et semper dubitatum apud philosophos et olim quantum ad praeteritum, et nunc quantum ad praesens, quid est ens: hoc nihil aliud est quaerere et dubitare, quam quid est substantia rerum.

[82827] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 17Hoc enim ens, scilicet substantiam, quidam dixerunt esse unum vel immobile, sicut Parmenides et Melissus, vel mobile, sicut antiqui naturales ponentes unum tantum materiale principium rerum. Solam autem materiam putabant ens esse substantiam. Et sic patet, quod cum ponerent unum ens propter unum materiale principium, per unum ens intelligebant unam substantiam. Quidam vero posuerunt plura entia quam unum, qui scilicet posuerunt plura principia materialia, et per consequens plures rerum substantias. Quorum quidam posuerunt ea finita, ut Empedocles quatuor elementa; quidam vero infinita, ut Anaxagoras infinitas partes consimiles, et Democritus infinita indivisibilia corpora.

[82828] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 18Et ideo si alii philosophi tractantes de entibus attendebant ad solas substantias, et nobis etiam speculandum est de sic ente, idest de substantia quid ipsa sit. Et hoc inquam maxime, quia de hac principaliter intendimus. Et primo, quia per eam alia cognoscuntur et solum, ut est dicere quia de substantia sola determinando, de omnibus aliis notitiam facit. Et ita quodam modo solum de substantia determinat, et quodam modo non solum. Hoc autem significat cum dicit ut est dicere vel ut ita dicatur, quod consuevimus dicere de his quae non usquequaque sunt vera.

[82829] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 19Deinde cum dicit videtur autem ostendit quid determinandum sit de substantia: et circa hoc duo facit. Primo ponit opiniones aliorum de substantia. Secundo dicit, quid de earum veritate est inquirendum, ibi, de his ergo et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quid sit manifestum circa substantias; dicens, quod esse substantiam manifestissime inest corporibus. Unde animalia et plantas et partes eorum dicimus esse substantias, et etiam alia naturalia corpora, ut ignem, terram, et aquam et talium singula, idest talia elementaria corpora, sicut aerem et vaporem secundum opinionem Heracliti, et alia media secundum opinionem aliorum. Et etiam omnes partes elementorum, et etiam corpora, quae sunt composita ex elementis, vel ex aliquibus partibus elementorum, sicut particularia corpora mixta aut ex omnibus elementis, idest totis, sicut tota ipsa sphaera activorum et passivorum et sicut etiam caelumquod et quoddam corpus naturale praeter elementa dicimus esse substantiam, et partes eius, ut astra et luna, et sol.

[82830] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 20Sed utrum hae sensibiles substantiae sint solum substantiae secundum quod ponebant antiqui naturales, vel etiam sint aliquae aliae substantiae ab istis, sicut ponebant Platonici, vel etiam istae non sint substantiae, sed solum sint aliae substantiae ab istis, perscrutandum est.

[82831] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 21Secundo ibi, videntur quibusdam recitat opiniones philosophorum de substantiis non manifestis, dicens, quod quibusdam videtur, quod termini corporis sint rerum substantiae, ut scilicet superficies, et linea et punctus et unitas sint magis substantiae quam corpus et solidum. Et haec opinio dividitur: quia quidam nihil talium terminorum opinabantur esse separata a sensibilibus, scilicet Pythagorici. Alii vero ponebant quaedam entia sempiterna a sensibilibus separata, quae sunt plura et magis entia quam sensibilia: magis inquam entia, quia ista sunt incorruptibilia et immobilia, haec autem corruptibilia et mobilia; plura vero, quia sensibilia sunt unius ordinis tantum, separata vero duorum: sicut Plato posuit duas substantias separatas, idest duos ordines substantiarum separatarum, scilicet species vel ideas, et mathematica. Et tertium ordinem posuit substantias corporum sensibilium.

[82832] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 22Sed Leucippus, qui successor fuit Platonis, et ex sorore nepos, posuit plures ordines substantiarum, et in unoquoque etiam inchoavit ab uno, quod ponebat esse principium in quolibet ordine substantiarum. Sed aliud quidem unum ponebat esse principium numerorum, quos ponebat esse primas substantias post species; aliud autem magnitudinum, quas ponebat esse secundas substantias; et demum ponebat substantiam animae; et hoc modo protendebat ordinem substantiarum usque ad corruptibilia corpora.

[82833] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 23Sed quidam differebant a Platone et Leucippo, quia non distinguebant inter species, et primum ordinem mathematicorum, qui est numerorum. Dicebant enim species et numeros habere eamdem naturam, et omnia alia esse habita, idest consequenter se habentia ad numeros, scilicet lineas et superficies usque ad primam caeli substantiam, et alia sensibilia, quae sunt in ultimo ordine.

[82834] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 24Deinde cum dicit de his igitur. Ostendit quid circa praedicta dicendum sit; dicens, quod dicendum est quid de praedictis dicitur bene aut non bene, et quae sunt substantiae, et utrum praedicta mathematica et species sint aliquid praeter res sensibiles, aut non. Et illae substantiae si sint praeter sensibiles, quem modum essendi habeant. Et si ista non sunt praeter sensibiles substantias, utrum sit aliqua alia substantia separabilis, et quare et quomodo; aut nulla est substantia praeter sensibiles.

[82835] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 1 n. 25Hoc enim determinabit in duodecimo huius et infra. Sed tamen antequam haec determinentur, oportet primo ponere et describere quid sit substantia in istis sensibilibus, in quibus substantia manifesta invenitur. Quod quidem facit in hoc septimo et in octavo sequenti.

LEÇON 1.

(nn. 1245-1269; [560-567]).

 

Par un raisonnement, un signe et par la tradition des anciens, il prouve que dans cette science qui porte sur l’être en tant qu’être on ne doit traiter que de la seule substance qui se révèle antérieure à l’accident à la fois sous le rapport du temps, de la raison, de la connaissance et de la nature. Enfin on présente ce qu’on doit déterminer au sujet des substances, en partant aussi bien des opinions des anciens que de la position d’Aristote lui-même.

 

1245. Après avoir exclu l’être par accident et l’être en tant que vrai de la considération principale de cette science, le Philosophe commence ici à traiter de l’être par soi qui existe en dehors de l’âme et qui est l’objet principal que cette science cherche à examiner.

   Mais il divise cette section en deux parties. Cette science en effet traite de l’être en tant qu’être ainsi que des premiers principes des êtres, ainsi qu’on l’a établi dans le sixième livre.

   Donc dans la première partie on traitera de l’être [560]. Dans la deuxième partie on traitera des premiers principes de l’être, au douzième livre, là [1023] où il dit : ¨ Certes, au sujet de la substance etc. ¨.

   D’un autre côté, parce que l’être et l’un se suivent et tombent sous la même considération, ainsi qu’on l’a établi au début du quatrième livre, c’est pourquoi la première partie se divise en deux autres parties. Dans la première il traite de l’être [560]. Dans la deuxième partie il traite de l’un et de ce qui découle de l’un au dixième livre, là [814] où il dit : ¨ Parce que l’un se dit de plusieurs manières ¨.

   Mais l’être par soi qui existe en dehors de l’âme se divise de deux manières ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre. Par être par soi on entend en un premier sens les dix prédicaments, en un deuxième sens la puissance et l’acte. Il divise donc la première partie en deux. Dans la première il traite de l’être selon qu’il se divise par les dix prédicaments [560]. Dans la deuxième il traite de l’être selon qu’il se divise par la puissance et l’acte, au neuvième livre, là [742] où il dit : ¨ Donc, au sujet du premier être etc. ¨.

1246. Mais la première partie comporte deux volets. Dans le premier il montre que pour traiter de l’être par soi selon qu’il se divise en dix prédicaments, il faut traiter de la seule substance [560]. Dans le deuxième il commence à traiter de la substance, là [568] où il dit : ¨ Mais la substance se dit, sinon en un grand nombre de sens etc. ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’il faut traiter de la substance [560]. En deuxième lieu il montre de quoi il faut traiter à son sujet, là [565] où il dit : ¨Mais il semble que la substance¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre, au moyen d’un raisonnement, que celui qui cherche à traiter de l’être ne doit traiter que de la seule substance. En deuxième lieu il montre la même chose au moyen de ce que les autres philosophes avaient coutume de dire, là [564] où il dit : ¨ Et ce qu’autrefois et maintenant etc. ¨.

   Il cherche donc dans la première partie à présenter le raisonnement suivant. Ce qui tient la première place parmi les êtres, en tant qu’être pris absolument et non sous un certain rapport, cela même démontre suffisamment la nature de l’être; mais la substance est justement cette sorte d’être; il suffit donc d’établir ce qu’est la substance pour connaître la nature de l’être.

   Mais à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre que la substance tient la première place parmi les êtres ou qu’elle est l’être premier [560]. En deuxième lieu il montre comment se dit ce qui est premier, là [563] où il dit : ¨ Certes premier se dit en plusieurs sens etc. ¨.

1247. En premier lieu il présente son propos [560], à savoir que l’être se dit de plusieurs manières, ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre dans lequel il avait distingué en combien de sens se disent les noms de cette sorte, car une certaine sorte d’être signifie ¨ce qu’est la chose et cette chose particulière¨, c’est-à-dire la substance de sorte que par ¨ce qu’est¨ on entende l’essence de la substance et que par ¨cette chose¨ on entende le sujet qui possède cette essence; et c’est à ces deux modalités de la substance que se ramènent toutes les autres modalités ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre. D’un autre côté une autre sorte d’être signifie la qualité, une autre la quantité ou l’un des autres prédicaments. Et puisque l’être se dit de tant de manières, il est évident que parmi tous les êtres, l’être premier est ¨ce qu’est la chose¨, c’est-à-dire l’être qui signifie la substance.

1248. En deuxième lieu, lorsqu’il dit [561] : ¨ Car lorsque ¨.

   Il prouve son propos en formant le raisonnement suivant.

Ce qui existe par soi et à parler absolument dans tous les genres est antérieur à ce qui existe au moyen d’un autre et sous un certain rapport. Mais la substance est l’être pris absolument et qui existe par elle-même, et tous les autres genres d’être distincts de la substance sont seulement des êtres sous un certain rapport et qui existent par la substance; la substance est donc antérieure à toutes les autres formes d’êtres.

1249. Mais il manifeste la mineure de deux manières. En premier lieu il le fait à partir de la manière même de parler ou d’attribuer en disant qu’il est évident que la substance est le premier des êtres à partir de ceci que lorsque nous disons d’une chose une qualité, nous disons par exemple qu’elle est bonne ou mauvaise. Cette attribution en effet signifie la qualité et non la substance ou la quantité. Mais si nous disons qu’elle a trois coudées, nous signifions alors une quantité; et si nous disons qu’elle est homme, nous signifions sa substance. Et c’est pourquoi lorsque nous disons d’une chose une qualité, nous ne disons pas qu’elle a trois coudées ni qu’elle est un homme. Mais lorsque nous disons d’une chose ce qu’elle est, nous ne disons pas d’elle qu’elle est blanche ou qu’elle est chaude, ce qui se rapporte à la qualité, ni qu’elle a trois coudées, ce qui se rapporte à la quantité, mais qu’elle est un homme ou qu’elle est Dieu, ce qui désigne la substance.

1250. D’où il est évident que les termes qui signifient la substance disent ce qu’est la chose prise absolument. Mais ceux qui servent à attribuer la qualité ne disent pas du sujet auquel ils s’attribuent ce qu’il est absolument parlant, mais seulement une manière d’être. Et il en est de même pour la quantité et pour les autres genres.

1251. Et à partir de là il est évident que c’est en raison d’elle-même qu’on dit de la substance qu’elle est un être car ce qui signifie la substance prise absolument signifie ce qu’est cette chose. D’un autre côté les autres genres sont appelés des êtres non pas parce qu’ils possèdent une nature en eux-mêmes comme s’ils existaient par eux-mêmes, puisqu’ils ne signifient pas ce qu’est la chose prise absolument; mais on dit qu’ils sont des êtres ¨parce qu’ils appartiennent à telle sorte d’être¨, c’est-à-dire parce qu’ils ont une certaine relation avec la substance qui elle est un être par soi; et par là ils ne signifient pas la quiddité, c’est-à-dire pour autant que certains genres d’être sont des qualités de cet être, c’est-à-dire de la substance, alors que d’autres en sont des quantités, d’autres encore des passions ou toute autre détermination signifiée par les autres genres.

1252. En deuxième lieu, là [562] où il dit : ¨ Et de là ¨.

   Il prouve encore la mineure au moyen d’un signe. En effet, parce que les autres êtres ne sont des êtres que dans la mesure où ils se rapportent à la substance, c’est pourquoi on peut se demander à leur sujet, lorsqu’ils sont signifiés séparément, c’est-à-dire quand ils ne signifient pas dans une relation avec la substance, s’ils sont de l’être ou du non-être, c’est-à-dire si se promener, se bien porter, s’asseoir ou tout autre de ces genres signifiés séparément, est de l’être ou du non-être. Et il en est de même pour les autres cas de cette sorte qui sont signifiés en faisant abstraction de la substance, qu’ils soient signifiés par mode d’action, comme les exemples précédents, ou selon un autre mode, comme la blancheur ou la noirceur.

1253. Et pourtant il semble bien que les accidents signifiés séparément ne sont pas des êtres car aucun d’eux n’est apte par nature à exister par lui-même. Au contraire, l’être de chacun d’eux est un être dans un autre et il n’est possible à aucun d’exister indépendamment de la substance; et c’est pourquoi, lorsqu’ils sont signifiés séparément de la substance comme s’ils existaient à la manière des êtres par soi et séparément de la substance, ils apparaissent comme des non-êtres. Cependant, la manière de signifier des sons de voix ne suive pas la manière d’exister des choses d’une façon immédiate, mais par l’intermédiaire de la manière de comprendre; car ce sont les concepts qui sont les similitudes des choses alors que les sons de voix sont des similitudes des concepts ainsi qu’on le dit au premier livre du Périherménéias.

1254. Mais bien que la manière d’exister des accidents ne soit pas telle qu’ils existent par eux-mêmes mais seulement qu’ils soient existent dans une substance, l’intelligence peut cependant les saisir comme s’ils existaient par eux-mêmes, puisqu’elle est capable de diviser ce qui dans la nature est uni. Et c’est pourquoi les noms des accidents, présentés séparément, signifient certes des êtres qui sont inhérents bien qu’ils ne les signifient pas par mode d’inhérence. Mais ce qui est signifié par de tels noms ne seraient pas de l’être s’il n’était pas inhérent à des choses.

1255. Et parce que ce qui est ainsi signifié dans l’abstrait apparaît comme du non-être, c’est pourquoi les noms concrets des accidents se présentent comme des êtres. Mais c’est plutôt ¨ce qui se promène, ce qui est assis et ce qui se porte bien qui apparaît comme étant de l’être¨, car il y a un sujet qui est assigné à ces déterminations par la signification même du nom, dans la mesure où elles sont signifiées dans le concret en union avec un sujet. Mais ce sujet, c’est la substance. Et c’est pourquoi chacun de ces mots qui signifient l’accident dans le concret, ¨apparaît comme existant dans une telle catégorie¨, c’est-à-dire qu’on voit qu’il suppose le prédicament de la substance; non pas de telle manière que le prédicament de la substance soit une partie de la signification de tels mots (en effet, en tant qu’il se dit à titre de prédicament, blanc ne signifie que la qualité); mais seulement dans la mesure où de tels mots signifient les accidents comme inhérents à la substance. Et le bon ou l’assis ne se disent pas ¨sans cela¨, c’est-à-dire sans la substance. Ils signifient en effet des accidents concrets de la substance.

1256. Et parce que les accidents n’apparaissent pas comme des êtres dans la mesure où ils sont signifiés en eux-mêmes séparément mais seulement dans la mesure où ils sont signifiés dans le concret par rapport à une substance donnée, il est clair que chacun des autres êtres est un être à cause de la substance. Et à partir de là il apparaît par la suite que la substance est ¨l’être premier et l’être pris absolument et non pas l’être pris sous un certain rapport¨, c’est-à-dire l’être pris relativement comme c’est le cas pour les accidents. Être blanc en effet ce n’est pas être absolument, mais c’est seulement être sous un certain rapport. Ce qui devient évident à partir de ceci que quand une chose commence à devenir blanche, on ne dit pas à son sujet qu’elle commence à exister absolument, mais seulement qu’elle commence à être blanche. Au contraire, lorsque Socrate commence à être un homme, on dit de lui qu’il commence à exister absolument. D’où l’on voit qu’être un homme signifie être absolument. Mais être blanc signifie être sous un certain rapport ou relativement.

1257. Ensuite lorsqu’il dit [563] : ¨ Certes, c’est de plusieurs manières ¨.

   Il montre comment on dit de la substance qu’elle est première; et il dit que puisque ce que j’appelle premier se dit de plusieurs façons, comme on l’a établi au cinquième livre, c’est de trois façons que la substance est première parmi tous les êtres, à savoir d’après la connaissance, d’après la définition et d’après le temps. Et qu’elle soit antérieure aux autres par le temps, il le montre à partir de ceci qu’aucun des autres prédicaments n’est séparable de la substance mais qu’au contraire, seule la substance est séparable des autres prédicaments : en effet, aucun accident ne se retrouve sans la substance mais il y a une substance qui se retrouve sans l’accident. Et ainsi il est clair que ce n’est pas à chaque fois qu’il y a substance qu’il y a accident, mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai. Et c’est pour cette raison que la substance est antérieure ou première par le temps.

1258. Et que la substance soit de plus première selon la définition, cela est évident car dans la définition de tout accident il faut poser la définition de la substance; tout comme en effet dans la définition du camus il faut poser le nez, ainsi dans la définition de tout accident il faut poser son sujet propre; et c’est pourquoi, tout comme l’animal est antérieur à l’homme par la définition car la définition de l’animal est posée dans la définition de l’homme, pour la même raison la substance est antérieure aux accidents par la définition.

1259. Mais que la substance soit aussi antérieure dans l’ordre de la connaissance, cela est encore évident. En effet, ce qui est premier selon la connaissance, c’est ce qui est plus connu et qui fait connaître davantage la chose. Mais toute chose est davantage connue quand on connaît sa substance que quand on connaît sa qualité ou sa quantité. Nous croyons en effet connaître plus parfaitement une chose quand nous connaissons ce qu’elle est, par exemple quand nous connaissons ce qu’est un homme et ce qu’est le feu, que quand nous en connaissons la qualité, la quantité, le lieu ou tout autre prédicament de cette sorte. C’est pourquoi, même en ce qui concerne ces derniers, c’est-à-dire les prédicaments de l’accident, nous croyons connaître chacun d’eux lorsque nous connaissons à leur sujet ce qu’ils sont. Tout comme c’est quand nous connaissons ce qu’est la qualité en elle-même que nous savons ce qu’est la qualité et c’est quand nous connaissons ce qu’est la quantité en elle-même que nous savons ce qu’est la quantité. En effet, tout comme les autres prédicaments ne possèdent une existence que parce qu’ils existent dans une substance, de même ils n’arrivent à être connus que parce qu’ils participent dans une certaine mesure du mode de connaissance de la substance qui consiste à connaître ce qu’est la chose en elle-même.

1260. Ensuite lorsqu’il dit [564] : ¨ Et que ¨.

   Il montre la même chose, à savoir qu’il faut traiter de la seule substance, en partant de ce que les autres philosophes avaient coutume de dire, en disant que puisque ce qui fut toujours recherché et toujours soulevé comme question par les philosophes, ¨tant autrefois¨ quant au passé, ¨que maintenant¨ quant au présent, c’est ceci : qu’est-ce que l’être? Mais soulever ce problème, ce n’est rien faire d’autre que de chercher à savoir ou de se demander ce qu’est la substance des choses.

1261. ¨ Cet être en effet ¨, à savoir la substance, certains dirent, comme Parménide et Mélisse, qu’elle est une et immobile alors que d’autres affirmèrent, comme les anciens Physiciens, qu’elle est mobile, eux qui ont soutenu qu’il n’existait qu’un seul principe matériel des choses. Ils croyaient que seule la matière était l’être pris comme substance. Et on voit ainsi que puisqu’ils ne posaient qu’un seul être du fait qu’ils ne posaient qu’un seul principe matériel, par ce seul être ils n’entendaient qu’une seule substance. D’autres par ailleurs, c’est-à-dire ceux qui posèrent plusieurs principes matériels, affirmèrent qu’il existe plusieurs êtres plutôt qu’un seul, et par conséquent plusieurs substances des choses. Et parmi eux, certains ont soutenu, comme Empédocle qui affirma qu’il existe quatre éléments, que ces substances sont finies; d’autres au contraire ont soutenu qu’elles sont infinies, comme Anaxagore qui pensa qu’il n’y a qu’une infinité de parties semblables, et comme Démocrite qui crut qu’il existe une infinité de corps indivisibles.

1262. Et c’est pourquoi si les autres philosophes qui traitaient des êtres ne recherchaient que les seules substances, nous-mêmes aussi ne devons porter notre recherche que ¨sur cette sorte d’être¨, c’est-à-dire sur ce qu’est la substance. Et je dis cela surtout parce que c’est là notre propos principal. Et d’abord pour cette raison que c’est par elle que les autres prédicaments sont connus, ¨et seulement par elle pour ainsi dire¨, parce qu’en déterminant de la seule substance, nous ferons connaître tous les autres prédicaments. Et c’est ainsi qu’en un sens il traite seulement de la substance et qu’en un autre sens il ne traite pas seulement de celle-ci. Et c’est ce qu’il signifie lorsqu’il dit ¨pour ainsi dire¨, pour parler de la manière dont nous avons coutume de le faire pour ce qui n’est pas tout à fait vrai.

1263. Ensuite lorsqu’il dit [565] : ¨ Mais il semble ¨.

   Il montre ce qu’il faut établir au sujet de la substance : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente les opinions des autres philosophes sur la substance [565]. En deuxième lieu il dit ce qui doit être recherché comme étant vrai parmi celles-ci, là [567] où il dit : ¨ Donc, sur tous ces points etc. ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente ce qu’il y a d’évident relativement aux substances [565] en disant qu’il appartient manifestement aux corps d’être des substances. C’est pourquoi on dit des animaux, des plantes ainsi que de leurs parties respectives qu’ils sont des substances, et qu’on appelle encore ainsi même les autres corps naturels comme le feu, la terre et l’eau, ¨ainsi que d’autres corps de cette sorte¨, c’est-à-dire ces corps élémentaires que sont l’air et la vapeur d’après l’opinion d’Héraclite, ou d’autres corps intermédiaires d’après l’opinion de certains autres. Et on appelle encore substances toutes les parties de ces éléments et même les corps qui sont composés de ces éléments ou des parties de ces éléments, comme les corps mixtes composés d’une partie des éléments, ou comme ceux qui sont composés ¨de tous les éléments¨, c’est-à-dire de la totalité des éléments, comme la totalité des êtres actifs et passifs qui existent dans l’ensemble de l’univers; et ¨même la sphère céleste¨, qui est un corps naturel distinct des éléments, ainsi que ses parties comme les astres, la lune et le soleil,  nous disons d’elle qu’elle est une substance.

1264. Mais pour ce qui est de savoir si ces substances sensibles sont les seules substances ainsi que l’affirmaient les anciens physiciens, ou s’il existe encore d’autres substances distinctes de celles-ci ainsi que le soutenaient les Platoniciens, ou même si ces substances sensibles ne sont pas véritablement des substances mais si seules les autres le sont, c’est là une question qu’il faudra approfondir par la suite.

1265. En deuxième lieu, là [566] où il dit : ¨ Il semble à certains que ¨.

   Il relate les opinions des philosophes qui portent sur les substances qui ne sont pas évidentes en disant qu’il semblait à certains que les limites des corps, comme la surface, la ligne, le point et l’unité, étaient les substances des choses et même qu’elles étaient davantage des substances que les corps et les solides eux-mêmes. Et cette opinion se divise en deux : car certains, comme les Pythagoriciens, croyaient que de telles limites n’existent aucunement en dehors des réalités sensibles. D’autres par ailleurs soutenaient qu’il existe des êtres éternels séparément des réalités sensibles, qui sont plus nombreux et qui sont davantage des êtres que les êtres sensibles : et davantage des êtres, disent-ils, car ceux-ci sont immobiles et incorruptibles alors que ceux-là, les êtres sensibles, sont corruptibles et mobiles; plus nombreux, car les réalités sensibles n’appartiennent qu’à un seul ordre alors que les réalités séparées appartiennent à deux ordres : ainsi, ¨Platon posa deux sortes de substances séparées¨, c’est-à-dire deux ordres de substances séparées, à savoir les espèces ou les Idées d’une part, et les entités mathématiques d’autre part. Platon affirma par ailleurs que les substances des corps sensibles constituaient un troisième ordre de réalités.

1266. Mais Leucippe, qui fut le successeur de Platon et son neveu par sa sœur, posa plusieurs ordres de substances et en toute chose aussi il commença en partant de l’un qu’il affirma être un principe pour tous les ordres de substances. Mais il soutenait qu’autre était l’un qui était principe des nombres qu’il croyait être les premières substances après les Idées, qu’autre était l’un en tant que principes des étendues qu’il croyait être les deuxièmes substances; ensuite il posait à la fin la substance de l’âme; et de cette manière il étendait ainsi les ordres des substances jusqu’aux corps corruptibles.

1267. Mais certains se distinguaient de Platon et de Leucippe parce qu’ils n’établissaient pas de différences entre les Idées et le premier ordre des entités mathématiques qui est celui des nombres. Ils disaient en effet que les Idées et les nombres avaient la même nature, et que tous ¨les autres en dérivent¨, c’est-à-dire découlent des nombres, à savoir les surfaces, les lignes, jusqu’à la première substance du Ciel, et même jusqu’aux choses sensibles qui font partie du dernier ordre.

1268. Ensuite lorsqu’il dit [567] : ¨ Donc, au sujet de tous ces points ¨.

   Il montre ce qui doit être dit au sujet de tout ce qui précède, en disant que concernant tout ce vient d’être dit, il faut dire qui a parlé avec justesse et qui a parlé à tort, et quelles sont à véritablement parler les substances, et si les Idées et les entités mathématiques dont on vient de parler existent en dehors des choses sensibles ou non. Et si ces substances existent en dehors des réalités sensibles, quelle forme d’existence possèdent-elles? Au contraire, si elles n’existent pas en dehors des substances sensibles, existe-t-il une autre substance qui existe en dehors des substances sensibles, et si c’est le cas, pourquoi et comment? Se pourrait-il encore qu’il n’y ait aucune autre sorte de substance que la substance sensible?

1269. C’est plus loin, au douzième livre, qu’il répondra à ces questions mais avant d’y répondre, il faut d’abord présenter et décrire ce qu’est la substance dans les choses sensibles où la substance se révèle avec évidence, ce que fait Aristote dans ce septième livre et dans le huitième qui le suit.

 

 

LECTIO 2

[82836] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 1Postquam ostendit, quod principalis intentio huius scientiae est considerare de substantia, hic incipit de substantia determinare; et dividitur haec pars in duas. In prima ostendit modum et ordinem tractandi de substantia. In secunda prosequitur tractatum substantiae, ibi, et primo dicemus quaedam de eo. Modum autem et ordinem tractandi de substantia ostendit dividendo substantias in suas partes; et docendo de qua partium eius primo et principalius est determinandum, et quae partium ipsius praetermittendae sunt, et quae prius vel posterius considerandae. Unde dividitur prima pars in partes tres, secundum divisiones et subdivisiones, quas ponit de substantia. Secunda incipit ibi, tale vero modo quodam. Tertia vero incipit ibi, confitentur autem et cetera. Dicit ergo primo, quod substantia ad minus dicitur quatuor modis, si non dicatur multiplicius, idest pluribus modis. Sunt enim plures modi, quibus aliqui substantiam nominant; ut patet de dicentibus terminos corporis esse substantias, qui modus hic praetermittitur. Quorum quidem modorum primus est secundum quod quod quid erat esse, idest quidditas, vel essentia, sive natura rei dicitur eius substantia.

[82837] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 2Secundus modus est prout universale dicitur substantia esse, secundum opinionem ponentium ideas species, quae sunt universalia de singularibus praedicata, et sunt horum particularium substantiae.

[82838] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 3Tertius modus est secundum quod primum genus videtur esse substantia uniuscuiusque. Et per hunc modum unum et ens ponebant substantias esse omnium rerum, tanquam prima omnium genera.

[82839] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 4Quartus modus est secundum quod subiectum, idest substantia particularis dicitur esse substantia. Dicitur autem subiectum de quo alia dicuntur, vel sicut superiora de inferioribus, ut genera et species et differentiae; vel sicut accidens praedicatur de subiecto, ut accidentia communia et propria; sicut de Socrate praedicatur homo, animal, rationabile, risibile et album; ipsum autem subiectum non praedicatur de alio. Quod est intelligendum per se. Per accidens enim nihil prohibet Socratem de hoc albo praedicari, vel de animali, vel de homine; quia id, cui inest album, aut animal, aut homo, Socrates est. De seipso autem praedicatur per se, cum dicitur, Socrates est Socrates. Patet autem, quod subiectum hic dicitur, quod in praedicamentis nominatur substantia prima, ex hoc, quod eadem definitio datur de subiecto hic, et ibi de substantia prima.

[82840] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 5Unde concludit quod determinandum est de hoc, idest de subiecto vel de substantia prima, quia tale subiectum maxime videtur substantia esse. Unde in praedicamentis dicitur quod talis substantia est quae proprie et principaliter et maxime dicitur. Huiusmodi enim secundum se omnibus aliis substant, scilicet speciebus et generibus et accidentibus. Substantiae vero secundae, idest genera et species, substant solis accidentibus. Et hoc etiam non habent nisi ratione primarum. Homo enim est albus inquantum hic homo est albus.

[82841] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 6Unde patet quod fere eadem est divisio substantiae hic posita, cum illa quae ponitur in praedicamentis. Nam per subiectum intelligitur hic substantia prima. Quod autem dixit genus et universale, quod videtur ad genus et species pertinere, continetur sub substantiis secundis. Hoc autem quod quid erat esse hic ponitur, sed ibi praetermittitur, quia non cadit in praedicamentorum ordine nisi sicut principium. Neque enim est genus neque species neque individuum, sed horum omnium formale principium.

[82842] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 7Deinde cum dicit tale vero subdividit quartum modum praemissae divisionis; hoc scilicet quod dixerat subiectum: et circa hoc tria facit. Primo namque ponit divisionem. Secundo comparat partes divisionis adinvicem, ibi, quare si species et cetera. Tertio ostendit quomodo de istis partibus divisionis sit agendum, ibi, attamen eam quae nunc ex ambobus et cetera. Dicit ergo primo, quod subiectum, quod est prima substantia particularis, in tria dividitur; scilicet in materiam, et formam, et compositum ex eis. Quae quidem divisio non est generis in species, sed alicuius analogice praedicati, quod de eis, quae sub eo continentur, per prius et posterius praedicatur. Tam enim compositum quam materia et forma particularis substantia dicitur, sed non eodem ordine; et ideo posterius inquiret quid horum per prius sit substantia.

[82843] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 8Exemplificat autem hic membra in artificialibus, in quibus aes est ut materia, figura ut forma speciei, idest dans speciem, statua compositum ex his. Quae quidem exemplificatio non est accipienda secundum veritatem, sed secundum similitudinem proportionis. Figura enim et aliae formae artificiales non sunt substantiae, sed accidentia quaedam. Sed quia hoc modo se habet figura ad aes in artificialibus, sicut forma substantialis ad materiam in naturalibus, pro tanto utitur hoc exemplo, ut demonstret ignotum per manifestum.

[82844] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 9Deinde cum dicit quare si species comparat partes divisionis praemissae adinvicem: et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod forma sit magis substantia quam compositum. Secundo ostendit, quod materia sit maxime substantia, quod erat opinio quorumdam, ibi, et adhuc materia substantia sit. Tertio ostendit quod tam forma quam compositum est magis substantia quam materia, ibi, sed impossibile et cetera. Dicit ergo primo, quod species, idest forma, prior est materia. Materia enim est ens in potentia, et species est actus eius. Actus autem naturaliter prior est potentia. Et simpliciter loquendo prior tempore, quia non movetur potentia ad actum nisi per ens actu; licet in uno et eodem quod quandoque est in potentia, quandoque in actu, potentia tempore praecedat actum. Unde patet, quod forma est prior quam materia, et etiam est magis ens quam ipsa, quia propter quod unumquodque et illud magis. Materia autem non fit ens actu nisi per formam. Unde oportet quod forma sit magis ens quam materia.

[82845] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 10Et ex hoc ulterius sequitur, quod eadem ratione forma sit prior composito ex utrisque, inquantum est in composito aliquid de materia. Et ita participat aliquid de eo quod est posterius secundum naturam, scilicet de materia. Et iterum patet, quod materia et forma sunt principia compositi. Principia autem alicuius sunt eo priora. Et ita, si forma est prior materia, erit prior composito.

[82846] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 11Et quia posset alicui videri, quod ex quo philosophus ponit omnes modos, quibus dicitur substantia, quod hoc sufficeret ad sciendum quid est substantia; ideo subiungit dicens, quod nunc dictum est quid sit substantia solum typo, idest dictum est solum in universali, quod substantia est illud, quod non dicitur de subiecto, sed de quo dicuntur alia; sed oportet non solum ita cognoscere substantiam et alias res, scilicet per definitionem universalem et logicam: hoc enim non est sufficiens ad cognoscendum naturam rei, quia hoc ipsum quod assignatur pro definitione tali, est manifestum. Non enim huiusmodi definitione tanguntur principia rei, ex quibus cognitio rei dependet; sed tangitur aliqua communis conditio rei per quam talis notificatio datur.

[82847] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 12Deinde cum dicit et adhuc ostendit quod materia maxime sit substantia: et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem antiquorum per quam ponebant materiam maxime et solum esse substantiam. Secundo notificat quid sit materia, ibi, dico autem materiam quae secundum se. Dicit ergo primo, quod non solum forma est substantia, et compositum, sed et materia sit substantia secundum rationem praedictam. Si enim ipsa materia non sit substantia, fugit a nobis quae sit alia substantia praeter materiam. Quia si removeantur a rebus sensibilibus in quibus manifeste est substantia, alia quae planum est non esse substantiam, nihil remanet, ut videtur, nisi materia.

[82848] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 13In istis enim corporibus sensibilibus, quae omnes confitentur esse substantias, quaedam sunt sicut corporum passiones, ut calidum, frigidum et huiusmodi; de quibus manifestum est, quod non sunt substantiae. Sunt etiam in eis quaedam factiones, idest generationes et corruptiones et motus; de quibus etiam planum est quod non sunt substantiae. Sunt etiam in eis potentiae, quae sunt principia praedictarum factionum et motuum; scilicet potentiae, quae sunt in rebus ad agendum et patiendum: has etiam patet non esse substantias, sed magis ponuntur sub genere qualitatis.

[82849] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 14Et post omnia ista inveniuntur in corporibus sensibilibus dimensiones, scilicet longitudo, latitudo et profunditas, quae sunt quantitates quaedam, et non substantiae. Quantitas enim manifestum est quod non est substantia; sed illud cui praedictae dimensiones insunt, ut primum subiectum earum, est substantia. Sed remotis istis dimensionibus nihil videtur remanere nisi subiectum earum, quod est determinatum et distinctum per huiusmodi dimensiones. Haec autem est materia. Quantitas enim dimensiva videtur inesse materiae immediate, cum materia non dividatur ad recipiendum diversas formas in diversis suis partibus, nisi per huiusmodi quantitatem. Et ideo per huiusmodi considerationem videtur necessarium esse non solum quod materia sit substantia, sed quod ipsa sola sit substantia.

[82850] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 15Decepit autem antiquos philosophos hanc rationem inducentes, ignorantia formae substantialis. Non enim adhuc tantum profecerant, ut intellectus eorum se elevaret ad aliquid quod est supra sensibilia; et ideo illas formas tantum consideraverunt, quae sunt sensibilia propria vel communia. Huiusmodi autem manifestum est esse accidentia, ut album et nigrum, magnum et parvum, et huiusmodi. Forma autem substantialis non est sensibilis nisi per accidens; et ideo ad eius cognitionem non pervenerunt, ut scirent ipsam a materia distinguere. Sed totum subiectum, quod nos ponimus ex materia et forma componi, ipsi dicebant esse primam materiam, ut aerem, aut aquam, aut aliquid huiusmodi. Formas autem dicebant esse, quae nos dicimus accidentia, ut quantitates et qualitates, quorum subiectum proprium non est materia prima, sed substantia composita quae est substantia in actu: omne enim accidens ex hoc est, quod substantiae inest, ut habitum est.

[82851] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 16Deinde cum dicit dico autem. Quia ratio praedicta ostendens solam materiam esse substantiam, videtur processisse ex ignorantia materiae, ut dictum est; ideo consequenter dicit, quid sit materia est secundum rei veritatem, prout declaratum in primo physicorum. Materia enim in se non potest sufficienter cognosci, nisi per motum; et eius investigatio praecipue videtur ad naturalem pertinere. Unde et philosophus accipit hic de materia, quae in physicis sunt investigata, dicens: dico autem materiam esse quae secundum se, idest secundum sui essentiam considerata, nullatenus est neque quid, idest neque substantia, neque qualitas, neque aliquid aliorum generum, quibus ens dividitur, vel determinatur.

[82852] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 17Et hoc praecipue apparet motu. Oportet enim subiectum mutationis et motus alterum esse, per se loquendo, ab utroque terminorum motus, ut probatum est primo physicorum. Unde, cum materia sit primum subiectum substans non solum motibus, qui sunt secundum qualitatem et quantitatem et alia accidentia, sed etiam mutationibus quae sunt secundum substantiam, oportet, quod materia sit alia secundum sui essentiam ab omnibus formis substantialibus et earum privationibus, quae sunt termini generationis et corruptionis; et non solum quod sit aliud a quantitate et qualitate et aliis accidentibus.

[82853] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 18Attamen diversitatem materiae ab omnibus formis non probat philosophus per viam motus, quae quidem probatio est per viam naturalis philosophiae, sed per viam praedicationis, quae est propria logicae, quam in quarto huius dicit affinem esse huic scientiae. Dicit ergo, quod oportet aliquid esse, de quo omnia praedicta praedicentur; ita tamen quod sit diversum esse illi subiecto de quo praedicantur, et unicuique eorum quae de ipso praedicantur, idest diversa quidditas et essentia.

[82854] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 19Sciendum autem est, quod id, quod hic dicitur, non potest intelligi de univoca praedicatione secundum quod genera praedicantur de speciebus, in quarum definitionibus ponuntur; quia non est aliud per essentiam animal et homo; sed oportet hoc intelligi de denominativa praedicatione, sicut cum album praedicatur de homine; alia enim quidditas est albi et hominis. Unde subiungit, quod alia genera praedicantur hoc modo de substantia, scilicet denominative, substantia vero praedicatur de materia denominative.

[82855] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 20Non est ergo intelligendum, quod substantia actu existens (de qua hic loquimur) de materia praedicetur praedicatione univoca, sive quae est per essentiam. Iam enim supra dixerat, quod materia non est quid, neque aliquid aliorum. Sed intelligendum est de denominativa praedicatione, per quem modum accidentia de substantia praedicantur. Sicut enim haec est vera: homo est albus, non autem haec: homo est albedo, vel: humanitas est albedo, ita haec est vera: hoc materiatum est homo, non autem haec: materia est homo, vel: materia est humanitas. Ipsa ergo concretiva, sive denominativa praedicatio ostendit, quod sicut substantia est aliud per essentiam ab accidentibus, ita per essentiam aliud est materia a formis substantialibus. Quare sequetur quod illud quod est ultimum subiectum per se loquendo, neque est quid, idest substantia, neque quantitas, neque aliquid aliud quod sit in aliquo genere entium.

[82856] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 21Neque ipsae negationes possunt per se praedicari de materia. Sicut enim formae sunt praeter essentiam materiae, et ita quodammodo se habent ad ipsam per accidens, ita et negationes formarum quae sunt ipsae privationes, secundum accidens insunt materiae. Si enim per se inessent materiae, nunquam formae in materia possent recipi salvata materia. Hoc autem dicit philosophus ad removendum opinionem Platonis, qui non distinguebat inter privationem et materiam, ut in primo physicorum habetur. Concludit etiam finaliter quod considerantibus secundum praedictas rationes accidit solam materiam esse substantiam, ut prius inducta ratio concludebat.

[82857] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 22Deinde cum dicit sed impossibile ostendit contrarium huius conclusionis; dicens, quod impossibile est solam materiam esse substantiam, vel ipsam etiam esse maxime substantiam. Duo enim sunt, quae maxime propria videntur esse substantiae: quorum unum est, quod sit separabilis. Accidens enim non separatur a substantia, sed substantia potest separari ab accidente. Aliud est, quod substantia est hoc aliquid demonstratum. Alia enim genera non significant hoc aliquid.

[82858] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 23Haec autem duo, scilicet esse reparabile et esse hoc aliquid, non conveniunt materiae. Materia enim non potest per se existere sine forma per quam est ens actu, cum de se sit in potentia tantum; ipsa etiam non est hoc aliquid nisi per formam per quam fit actu. Unde esse hoc aliquid maxime competit composito.

[82859] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 24Et ideo patet quod species, idest forma, et compositum ex ambobus, scilicet ex materia et forma, magis videtur esse substantia quam materia; quia compositum et est separabile, et est hoc aliquid. Forma autem, etsi non sit separabilis, et hoc aliquid, tamen per ipsam compositum fit ens actu, ut sic possit esse separabile, et hoc aliquid.

[82860] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 25Deinde cum dicit attamen eam ostendit quomodo sit procedendum circa partes huius divisionis substantiae, quam prosecutus est, prout scilicet dividitur in materiam et in formam et compositum: et dicit, quod licet tam species quam compositum sit magis substantia quam materia, tamen ad praesens dimittenda est substantia quae ex ambobus composita, scilicet ex materia et forma. Et hoc propter duas rationes.

[82861] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 26Una ratio est, quia ipsa est posterior secundum naturam utraque, scilicet quam materia et quam forma; sicut compositum est posterius simplicibus, ex quibus componitur. Et ideo cognitio materiae et formae praecedit cognitionem substantiae compositae.

[82862] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 27Alia ratio est, quia huiusmodi substantia est aperta, idest manifesta, cum sensui subiaceat. Et ideo circa eius cognitionem non oportet immorari. Materia autem, licet non sit posterior sed quodammodo prior, tamen aliqualiter est manifesta. Dicit autem aliqualiter quia secundum essentiam suam non habet unde cognoscatur, cum cognitionis principium sit forma. Cognoscitur autem per quamdam similitudinem proportionis. Nam sicut huiusmodi substantiae sensibiles se habent ad formas artificiales, ut lignum ad formam scamni, ita prima materia se habet ad formas sensibiles. Propter quod dicitur primo physicorum, quod materia prima est scibilis secundum analogiam. Et ideo restat de tertia perscrutandum, scilicet de forma, quia ista est maxime dubitabilis.

[82863] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 28Deinde cum dicit confitentur autem ostendit modum et ordinem, et quomodo procedendum sit circa partes tertiae divisionis substantiae, prout substantia scilicet dividitur in substantias sensibiles et insensibiles. Et circa hoc tria facit.

[82864] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 29Primo ostendit, quod de substantiis sensibilibus prius est agendum, quia huiusmodi substantiae sensibiles sunt confessae apud omnes: omnes enim confitentur quasdam sensibiles esse substantias. Substantias autem non sensibiles, non omnes confitentur. Unde prius quaerendum est de substantiis sensibilibus sicut de notioribus.

[82865] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 30Secundo ibi, quoniam autem ostendit quid de substantiis sensibilibus sit determinandum: et dicit, quod cum prius divisum sit, quot modis dicatur substantia, inter istos modos unus modus est prout quod quid erat esse, idest quidditas et essentia rei, dicitur substantia. Unde speculandum est de ista primo, ostendendo scilicet quidditates substantiarum sensibilium.

[82866] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 31Tertio ibi, praeopere enim assignat rationem praemissi ordinis; et dicit, quod ideo prius dicendum est de essentiis substantiarum sensibilium, quia hoc estpraeopere, idest ante opus sicut praeparatorium et necessarium ad opus, ut ex his substantiis sensibilibus, quae sunt magis manifestae quo ad nos, transeamus ad illud, quod est notius simpliciter et secundum naturam, idest ad substantias intelligibiles, de quibus principaliter intendimus. Ita enim fit disciplina in omnibus rebus, sive omnibus hominibus, per ea quae sunt minus nota secundum naturam, procedendo ad ea quae sunt magis nota secundum naturam.

[82867] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 32Cum enim omnis disciplina fiat per ea quae sunt magis nota addiscenti, quem oportet aliqua praecognoscere ad hoc ut addiscat, oportet disciplinam nostram procedere per ea quae sunt magis nota quo ad nos, quae sunt saepe minus nota secundum naturam, ad ea quae sunt notiora secundum naturam, nobis autem minus nota.

[82868] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 33Nobis enim quorum cognitio a sensu incipit, sunt notiora quae sensui propinquiora. Secundum autem naturam sunt notiora, quae ex sui natura sunt magis cognoscibilia. Et haec sunt quae sunt magis entia, et magis actualia. Quae quidem sunt remota a sensu. Formae autem sensibiles sunt formae in materia.

[82869] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 34Et ideo in disciplinis oportet procedere ex minus notis secundum naturam ad magis nota, et hoc opus est, idest necessarium est hoc facere sicut in actibushoc est in actibus vel potentiis activis, in quibus ex bonis uniuscuiusque, idest ex his quae sunt bona isti et illi, fiunt ea quae totaliter sunt, idest universaliter bona, et per consequens unicuique bona. Militaris enim pervenit ad victoriam totius exercitus, quae est quoddam bonum commune ex singularibus victoriis huius et illius. Et similiter aedificativa ex compositione horum lapidum et illorum, pervenit ad constitutionem totius domus. Et similiter oportet in speculativis, ex his quae sunt notiora ipsi, scilicet addiscenti, pervenire oportet ad ea quae sunt naturae nota, quae etiam fiunt ultimo ipsi addiscenti nota.

[82870] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 35Hoc autem non est propter hoc, quod illa quae sunt magis nota huic vel illi, sint simpliciter magis nota, quia illa quae sunt singulis nota, idest quo ad hunc et illum, et prima in cognitione eorum, sunt multoties debiliter nota secundum naturam. Et hoc ideo, quia parum vel nihil habent de entitate. Secundum enim quod aliquid est ens, secundum hoc est cognoscibile. Sicut patet, quod accidentia et motus et privationes parum aut nihil habent de entitate; et tamen ista sunt magis nota quo ad nos quam substantiae rerum, quia sunt viciniora sensui, cum per se cadant sub sensu quasi sensibilia propria vel communia. Formae autem substantiales per accidens.

[82871] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 2 n. 36Dicit autem multoties quia quandoque eadem sunt magis nota et quo ad naturam et secundum nos, sicut in mathematicis, quae abstrahunt a materia sensibili. Et ideo ibi semper proceditur a notioribus secundum naturam, quia eadem sunt notiora quo ad nos. Et licet illa, quae magis sunt nota quo ad nos, sint debiliter nota secundum naturam, tamen ex huiusmodi male notis secundum naturam, quae tamen sunt magis cognoscibilia ipsi discenti, tentandum est cognoscere illa quae sunt omnino, idest universaliter et perfecte cognoscibilia, procedentes ad ea cognoscenda per haec ipsa, quae sunt debiliter nota secundum se, sicut iam dictum est.

LEÇON 2.

(nn. 1270-1305; [568-577]).

 

Ayant divisé la substance en matière, forme et corps, il montre laquelle est première et plus substance que les autres; à partir de là il enseigne de quelle substance il faut traiter et dans quel ordre.

 

1270. Après avoir montré que l’intention principale de cette science est d’examiner la substance, il commence ici à traiter de la substance; et il divise cette section en deux parties.

   Dans la première il manifeste le mode ainsi que l’ordre selon lequel il faut traiter de la substance [568]. Dans la deuxième il expose son traité sur la substance, là [578] où il dit : ¨ Et d’abord à son sujet nous disons certaines choses ¨.

   Mais il manifeste le mode ou le sens ainsi que l’ordre selon lequel il faut traiter de la substance en divisant les substances en deux parties, puis en enseignant de laquelle de ces parties il faut d’abord et principalement déterminer et lesquelles il faut écarter, et enfin laquelle il faut examiner en premier ou en deuxième lieu. C’est pourquoi la première partie se divise en trois d’après les divisions et les subdivisions qu’il présente au sujet de la substance. La deuxième commence là [569] où il dit : ¨ Or c’est dans un tel sens ¨; la troisième commence là [575] où il dit : ¨ Mais on reconnaît etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [568] que la substance se dit au moins de quatre manières, si elle ne se dit pas ¨en un plus grand nombre¨, c’est-à-dire d’après un plus grand nombre d’acceptions encore. Il existe en effet de nombreuses modalités d’après lesquelles certaines choses sont appelées substances, ainsi qu’on le voit chez ceux qui appellent substances les limites du corps, lequel sens est ici écarté. Mais certes parmi toutes les acceptions la première est celle selon laquelle on appelle substance d’une chose ¨ce qu’est la chose¨, c’est-à-dire sa quiddité, son essence ou sa nature.

1271. Le deuxième mode ou sens est celui selon lequel on dit de ¨l’universel¨ qu’il est substance, d’après l’opinion de ceux qui posent l’existence des Idées, qui sont les universels attribués aux singuliers, et qui sont les substances des choses particulières.

1272. Le troisième sens est celui selon lequel ¨le premier genre apparaît être la substance de toute chose¨ et c’est d’après ce mode que certains soutenaient que l’être et l’un sont les substances de toutes les choses comme à titre de premiers genres de tout ce qui existe.

1273. Le quatrième sens est celui selon lequel la substance se prend ¨en tant que sujet¨, c’est-à-dire au sens où on dit d’une substance particulière qu’elle est une substance. Mais on appelle sujet celui de qui les autres choses se disent, ou bien comme les supérieurs se disent des inférieurs, comme les genres, les espèces et les différences, ou bien comme l’accident est attribué à un sujet comme c’est le cas pour les accidents communs et les accidents propres, tout comme par exemple on dit de Socrate qu’il est homme, animal, raisonnable, capable de rire et blanc; mais le sujet lui-même ne s’attribue pas à un autre, ce qui doit s’entendre au sens d’une attribution par soi. Par accident en effet rien n’empêche que Socrate soit attribué à ce blanc, à animal ou à l’homme; car ce à quoi appartient le blanc, l’animal, l’homme, c’est Socrate. Mais c’est par soi que Socrate s’attribue à lui-même, comme lorsqu’on dit que Socrate est Socrate. Mais il est clair que le sujet se dit ici dans le même sens que ce qu’on appelle la substance première dans les Prédicaments du fait que la définition qu’on donne ici du sujet est la même que celle qu’on donne de la substance première à cet endroit.

1274. De là il conclut qu’il faut déterminer ¨de cela¨, c’est-à-dire du sujet ou de la substance première car un tel sujet apparaît au plus haut point être substance. C’est pourquoi on dit dans les Prédicaments qu’une telle substance est celle qui à proprement parler est la substance première et la plus excellente. C’est une telle substance en effet qui est le sujet de tout le reste, à savoir des genres, des espèces et des accidents. Les substances secondes de leur côté, c’est-à-dire les genres et les espèces, ne sont les sujets que des accidents, et même là elles ne le sont qu’en raison des substances premières. En effet, l’homme n’est blanc que parce que cet homme est blanc.

1275. D’où il est clair que cette division de la substance qui est présentée ici est pratiquement la même que celle qui est donnée dans les Prédicaments. Car par sujet on entend ici la substance première. Mais ce qu’il appelle ici substance au sens de genre et d’universel, ce qui semble appartenir au genre et à l’espèce, est contenu sous les substances secondes. Mais ce qui est présenté ici comme la quiddité ou l’essence est omis là (dans les Prédicaments) parce qu’elle n’entre pas dans l’ordre des prédicaments, sauf à titre de principe. La quiddité en effet n’est ni un genre, ni une espèce ni un individu, mais seulement un principe formel à l’égard de ces substances.

1276. Ensuite lorsqu’il dit [569] : ¨ Par ailleurs, un tel ¨.

   Il subdivise le quatrième sens de la division précédente, à savoir ce qu’il avait appelé sujet : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il présente la division [569]. En deuxième lieu il compare entre elles les parties de la division, là [570] où il dit : ¨ C’est pourquoi si l’espèce etc. ¨. En troisième lieu il montre comment il faut traiter des parties de cette division, là [574] où il dit : ¨ Et cependant celle qui est composée des deux etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [569] que le sujet, qui est la première substance particulière, se divise en trois, à savoir la matière, la forme et le composé des deux. Et cette division n’est certes pas celle du genre en ses espèces, mais celle d’un prédicat qui s’attribue par analogie à ce qui est contenu sous lui à titre premier ou second. En effet, chacun des trois, à savoir le composé, la matière et la forme, est appelé substance particulière, mais non dans le même ordre et c’est pourquoi par la suite il cherche à savoir lequel de ces trois est substance au sens propre et premier.

1277. Mais c’est au moyen d’un exemple tiré des choses artificielles qu’il illustre les membres de cette division, dans lequel l’airain est comme la matière, la figure est comme ¨la forme de l’espèce¨, c’est-à-dire la forme qui donne l’espèce, alors que la statue est le composé des deux premières, à savoir de l’airain et de la figure. Mais cette illustration ne doit pas se prendre selon la vérité mais comme une similitude de proportion. En effet, la figure et les autres formes artificielles ne sont pas des substances mais des accidents. Mais parce que dans les choses artificielles la figure se rapporte à l’airain comme la forme substantielle se rapporte à la matière dans les choses naturelles, c’est pour cette raison qu’on se sert de cet exemple, pour manifester ce qui est inconnu au moyen de ce qui est manifeste.

1278. Ensuite lorsqu’il dit [570] : ¨ C’est pourquoi si l’espèce ¨.

   Il compare entre elles les parties de la division qu’il vient de présenter : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il montre que la forme est davantage substance que le composé [570]. En deuxième lieu il montre que d’après l’opinion de certains, c’est surtout la matière qui est substance là [571] où il dit : ¨ Et de plus que la matière soit une substance ¨. En troisième lieu il montre que la forme et le composé sont davantage des substances que la matière, là [573] où il dit : ¨ Mais il est impossible etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [570] ¨que l’espèce¨, c’est-à-dire la forme, est antérieure à la matière. La matière en effet est de l’être en puissance alors que l’espèce est l’acte de cette puissance. Mais l’acte est par nature antérieur à la puissance. Et à parler absolument, il lui est aussi antérieur selon le temps car la puissance ne passe à l’acte que par un être en acte. Bien que dans un même sujet qui est tantôt en puissance tantôt en acte, la puissance précède l’acte dans le temps. De là il est clair que la forme est antérieure à la matière et qu’elle est même davantage de l’être que la matière car ce qui a raison de cause possède davantage d’être que ce dont il est la cause. Mais la matière ne devient de l’être en acte qu’au moyen de la forme. Il faut donc que la forme soit davantage de l’être que la matière.

1279. Et à partir de là il découle par la suite pour la même raison que la forme soit antérieure au composé des deux dans la mesure où dans le composé il y a quelque chose de la matière. Et ainsi le composé participe en quelque chose de ce qui est postérieur par nature, c’est-à-dire de la matière. Et il est évident de plus que la matière et la forme sont les principes du composé. Mais les principes d’un être sont antérieurs à cet être. Et ainsi, si la forme est antérieure à la matière, elle est aussi antérieure au composé.

1280. Et parce qu’il pourrait sembler à certains que, du fait que le Philosophe présente tous les modes selon lesquels se dit la substance, cela suffit à savoir ce qu’est la substance, c’est pourquoi il ajoute ce qu’il dit par la suite, à savoir que nous n’avons maintenant parlé de la substance ¨que sommairement¨, c’est-à-dire seulement d’une manière universelle, c’est-à-dire en disant que la substance est ce qui ne se dit d’aucun sujet mais que c’est d’elle au contraire que tout le reste se dit; mais il ne faut pas se limiter à connaître ainsi la substance et les autres choses, c’est-à-dire au moyen d’une définition commune et logique : cela en effet ne suffit pas pour connaître la nature de la chose car cela même qui est présenté ainsi à titre de définition est évident. En effet les principes de la chose, dont dépend la connaissance de la chose, ne sont pas considérés par une telle définition qui se limite à effleurer une condition commune de la chose qui ne peut en donner qu’une connaissance commune.

1281. Ensuite lorsqu’il dit [571] : ¨ Et de plus ¨.

   Il montre que la matière est véritablement une substance : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il présente le raisonnement des anciens par lequel ils affirmaient que la matière est suprêmement matière et qu’elle est la seule à l’être. En deuxième lieu il fait connaître ce qu’est la matière, là [572] où il dit : ¨ Mais j’appelle matière ce qui n’est par soi etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [571] que ce n’est pas seulement le composé et la forme qui sont des substances, mais que la matière aussi est une substance d’après la définition que nous en avons donnée précédemment. Si en effet la matière n’était pas une substance, on ne voit pas bien quoi d’autre le serait en dehors de la matière. Car si on enlève des choses sensibles, dans lesquelles se trouve manifestement une substance, tout ce qui n’est évidemment pas une substance, il ne reste rien d’autre que la matière ainsi qu’on peut le voir.

1282. En effet dans tous ces corps  sensibles, que tous reconnaissent comme étant des substances, certaines déterminations sont comme des passions des corps comme le chaud, le froid et des qualités de cette sorte et il est évident qu’il ne s’agit pas là de substances. On retrouve aussi en eux ¨certaines productions¨, à savoir les générations, les corruptions et les mouvements : et là encore il est clair que ce ne sont pas des substances. Mais il y a aussi en eux des puissances qui sont les principes de ces productions et de ces mouvements, à savoir les puissances actives et passives qu’on retrouve dans les choses : et on voit qu’elles non plus ne sont pas des substances, mais qu’elles se rangent plutôt dans le genre de la qualité.

1283. Et suite à toutes ces déterminations on retrouve dans les corps sensibles des dimensions, à savoir la longueur, la largeur et la profondeur qui sont des quantités et non des substances. Il est manifeste en effet que la quantité n’est pas une substance; mais ce dans quoi se retrouvent ces dimensions à titre de sujet premier, c’est la substance. Mais si on enlève toutes ces dimensions, il ne semble rien rester, sauf leur sujet qui est déterminé  et qui se caractérise par ces dimensions. Et ce sujet, c’est la matière. En effet, la quantité relative à la dimension semble appartenir immédiatement à la matière puisque ce n’est qu’au moyen d’une telle quantité que la matière se divise pour recevoir les différentes formes en chacune de ses différentes parties. Et c’est par une telle considération qu’il semblait aux anciens non seulement que la matière est une substance, mais qu’elle seule est une substance.

1284. Mais c’est l’ignorance de la forme substantielle qui a conduit les anciens philosophes à produire ce raisonnement erroné. Dans leurs considérations en effet, ils ne se sont pas avancés jusqu’à s’élever par leur intelligence à la contemplation de ce qui dépasse les réalités sensibles; et c’est pourquoi ils n’ont examiné, à titres de formes, que les sensibles propres et les sensibles communs. Mais il est manifeste que de telles formes, comme le blanc et le noir, le petit et le grand et d’autres sensibles de la sorte, ne sont que des accidents. Mais la forme substantielle n’est sensible que par accident; et c’est pourquoi ils ne sont pas parvenus à la connaître de manière à savoir la distinguer de la matière. Mais le sujet dans sa totalité, que nous voyons comme un composé de matière et de forme, eux-mêmes disaient de lui qu’il est la matière première, comme l’air, l’eau ou une autre matière de cette sorte. Mais ils appelaient formes ce que nous disons être des accidents, comme les quantités et les qualités, dont le sujet propre n’est pas la matière première mais cette substance composée qui est la substance en acte : en effet, ainsi qu’il a été établi, tout accident existe du fait qu’il est dans une substance.

1285. Ensuite lorsqu’il dit [572] : ¨ Mais je dis ¨.

   Mais puisque le raisonnement précédent, cherchant à montrer que seule la matière est une substance, procède d’une ignorance de la matière, ainsi que nous l’avons dit, c’est pourquoi il exprime par la suite la nature de la matière selon la vérité de la chose telle qu’elle est manifestée au premier livre des Physiques. La matière en effet ne peut être connue de manière satisfaisante que par le mouvement et c’est pourquoi son étude semble relever principalement du physicien. C’est pourquoi le Philosophe entend ici la matière telle qu’elle est étudiée chez les physiciens en disant : mais je dis que la matière est ¨ce qui par soi¨, c’est-à-dire considérée d’après son essence, n’est en aucune manière ¨quelque chose de déterminé¨, c’est-à-dire qu’elle n’est ni une substance, ¨ni une qualité, ni aucun des autres genres dans lesquels l’être se divise et se détermine¨.

1286. Et cela apparaît surtout dans le mouvement. Il faut en effet que le sujet du mouvement ou du changement soit distinct en lui-même de chacun des termes du mouvement ainsi qu’on le prouve au premier livre des Physiques. De là, puisque la matière est le sujet premier qui supporte non seulement les mouvements qui se font d’après la qualité, la quantité et les autres accidents, mais aussi les changements qui s’opèrent selon la substance, il faut que la matière, de par son essence même, soit distincte de toutes les formes substantielles ainsi que de leurs privations, lesquelles sont les termes de la génération et de la corruption, et non seulement qu’elle soit distincte de la qualité, de la quantité et des autres accidents.

1287. Cependant ce n’est pas par le mouvement que le Philosophe prouve que la matière se distingue de toutes les sortes de formes, car c’est là le chemin qu’emprunte le philosophe de la nature, mais c’est plutôt en se servant de l’attribution qu’il le fait ici car c’est là une méthode qui est propre au Logicien et dont il a dit au quatrième livre de ce traité qu’elle a une affinité avec la science qui nous occupe ici. Il dit donc qu’il faut qu’il existe quelque chose à quoi toutes les catégories qui précèdent soient attribuées mais de telle manière que ce quelque chose soit distinct à la fois du sujet même auquel elles sont attribuées et de chacune de ces catégories qui ¨lui sont attribuées¨, et dont la quiddité et l’essence soit distincte de tout cela.

1288. Il faut cependant savoir que ce dont on parle ici ne peut s’entendre à la manière d’une attribution univoque selon laquelle les genres s’attribuent aux espèces et dans les définitions desquelles ils sont placés; car l’animal et l’homme ne diffèrent pas par l’essence; mais il faut l’entendre ici au sens d’une attribution dérivée, comme lorsqu’on attribue le blanc à l’homme; en effet, autre est la quiddité du blanc, autre est celle de l’homme. De là il ajoute que c’est de cette manière que les autres genres sont attribués à la substance, c’est-à-dire de façon dérivée, et que la substance de son côté est attribuée à la matière de façon dérivée.

1289. Il ne faut cependant pas entendre ici que la substance qui existe en acte (et qui est celle dont on parle ici) s’attribue à la matière par une attribution univoque qui se fait par l’essence. En effet, il avait déjà dit plus haut que la matière n’est pas une chose déterminée ni aucune des autres catégories déterminées. Mais il faut entendre que cette attribution se fait d’une manière dérivée, par laquelle les accidents sont attribués à une substance. Tout comme est vraie la proposition suivante : l’homme est blanc, mais celle-là ne l’est pas, à savoir : l’homme est la blancheur ou encore l’humanité est la blancheur; de même, la proposition suivante est vraie : cet être matériel est un homme, mais ce n’est pas le cas pour la proposition suivante, à savoir : la matière est l’homme ou la matière est l’humanité. Donc l’attribution concrète elle-même ou dérivée montre que tout comme la substance diffère par nature des accidents, de même la matière diffère par nature des formes substantielles. C’est pourquoi il s’ensuit que le sujet ultime, à parler proprement, ¨n’est ni quelque chose¨, c’est-à-dire une substance, ni une quantité, ni quelque chose d’autre qui fasse partie d’un des genres d’êtres.

1290. Et les négations elles-mêmes ne peuvent être attribuées par soi à la matière. En effet, tout comme les formes sont en dehors de l’essence de la matière et qu’elles se rapportent ainsi à elle par accident d’une certaine manière, de même les négations, qui sont elles-mêmes les privations des formes, appartiennent par accident à la matière. Si en effet elles appartenaient par soi à la matière, jamais les formes ne pourraient être reçues dans la matière tant qu’elle serait conservée. Mais le Philosophe dit cela pour écarter l’opinion de Platon qui ne faisait pas la distinction entre la privation et la matière ainsi qu’on le montre au premier livre des Physiques. Il conclut encore finalement que pour ceux qui considèrent cette question d’après les raisons qui précèdent, il s’ensuit que seule la matière est une substance ainsi que le concluait le raisonnement présenté plus haut.

1291. Ensuite lorsqu’il dit [573] : ¨ Mais il est impossible ¨.

   Il manifeste le contraire de la conclusion précédente, en disant qu’il est impossible que la matière soit la seule à être une substance, ou même que ce soit elle qui le soit le plus. Il y a en effet deux caractéristiques qui semblent le plus appartenir en propre à la substance, dont la première est qu’elle soit séparable. L’accident en effet ne peut être séparé de la substance mais cette dernière peut être séparée de l’accident. La deuxième, c’est que la substance est une chose particulière et déterminée alors que les autres genres ne signifient pas une chose particulière et déterminée.

1292. Ces deux propriétés de la substance, à savoir être séparable et être une chose déterminée, n’appartiennent pas à la matière. En effet, la matière ne peut exister par elle-même sans la forme par laquelle elle existe en acte, puisque d’elle-même elle n’existe qu’en puissance; de plus, elle-même n’est pas un sujet déterminé et elle ne peut l’être qu’au moyen de la forme par laquelle elle existe en acte. D’où il suit que c’est surtout au composé qu’il convient d’être une chose déterminée.

1293. D’où l’on voit ¨que l’espèce¨, c’est-à-dire la forme, et ¨le composé des deux¨, c’est-à-dire le composé de la forme et de la matière, semblent bien davantage être substance que la matière; car le composé est à la fois séparable et une chose individuelle déterminée. Mais la forme, bien qu’elle ne soit ni séparable ni une chose déterminée, est cependant ce par quoi le composé vient à exister en acte de manière à pouvoir être séparable et être une chose déterminée.

1294. Ensuite lorsqu’il dit [574] : ¨ Et cependant celle-ci ¨.

   Il montre comment il faut procéder relativement aux parties de cette division de la substance, c’est-à-dire selon qu’elle se divise en matière, forme et composé : et il dit que bien que la forme et le composé soient davantage substance que la matière, cependant pour le moment il faut écarter la substance qui ¨est le composé des deux¨, c’est-à-dire le composé de la forme et de la matière. Et il doit en être ainsi pour deux raisons.

1295. La première raison est que le composé est postérieur par nature aux deux autres, à savoir à la forme et à la matière, tout comme le composé est postérieur aux éléments simples dont il est composé. Et c’est pourquoi la connaissance de la matière et de la forme doit précéder la connaissance de la substance composée.

1296. La deuxième raison est qu’une telle substance composée ¨est évidente¨, c’est-à-dire manifeste, puisqu’elle tombe sous le sens. Et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’insister sur la connaissance de celle-ci. Mais la matière, bien qu’elle ne soit pas postérieure mais antérieure en un certain sens, est elle aussi manifeste d’une certaine manière. Mais il dit ¨d’une certaine manière¨ parce que d’après sa nature elle ne peut être connue en elle-même puisque c’est la forme qui est principe de connaissance. Elle peut cependant être connue par une similitude de proportion. Car la matière première se rapporte aux formes sensibles de la même manière que les substances sensibles se rapportent aux formes artificielles, par exemple le bois à la forme de l’escabeau. Et c’est pour cette raison qu’on dit au premier livre des Physiques que la matière première est connaissable par analogie. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’il faut examiner la troisième sorte de substance, à savoir la forme, parce que c’est elle qui pose le plus de difficultés.

1297. Ensuite lorsqu’il dit [575] : ¨ Mais on s’accorde ¨.

   Il montre le mode, l’ordre et la manière dont il faut procéder à l’égard des parties de la troisième division de la substance, c’est-à-dire dans la mesure où la substance se divise en substances sensibles et en substances qui ne le sont pas. Et à ce sujet il fait trois choses.

1298. En premier lieu il montre qu’il faut d’abord traiter des substances sensibles car ces substances sensibles sont reconnues par tous comme étant des substances : tous en effet admettent que certaines êtres sensibles sont des substances. Mais tous ne reconnaissent pas sur les substances qui ne sont pas sensibles. C’est pourquoi il faut en premier lieu porter notre attention sur les choses sensibles qui nous sont plus connues.

1299. En deuxième lieu, là [576] où il dit : ¨ Mais puisque ¨.

   Il montre ce qui doit être déterminé au sujet des substances sensibles : et il dit que puisque nous avons antérieurement distingué les modes selon lesquels se dit la substance, parmi lesquels le premier mode est celui selon lequel on appelle substance ce qu’est la chose, à savoir sa quiddité ou son essence, c’est pourquoi il faut d’abord examiner la substance prise en ce sens, c’est-à-dire en manifestant les quiddités des substances sensibles.

1300. En troisième lieu, là [577] où il dit : ¨ Il est avantageux en effet ¨.

   Il donne la raison de l’ordre qui précède; et il dit qu’il faut d’abord parler des essences des substances sensibles parce que cela est ¨avantageux¨, c’est-à-dire que cela doit précéder le traité à titre d’étape préparatoire et nécessaire au traité, de telle manière qu’en partant de ces substances sensibles qui sont plus manifestes quant à nous, nous puissions passer par la suite à ce qui ¨est plus connu absolument et selon la nature¨, c’est-à-dire aux substances intelligibles qui constituent notre propos principal. C’est ainsi en effet que procèdent les sciences à l’égard de tous les genres de choses, ou que tous les hommes procèdent, c’est-à-dire en partant de ce qui est le moins connu selon la nature pour progresser vers ce qui est le plus connu selon la nature.

1301. Puisqu’en effet toute science s’acquiert au moyen de ce qui est le plus connu de la part de celui qui apprend, lequel doit connaître à l’avance certaines choses en vue d’apprendre, il faut que notre science procède à partir de ce qui est plus connu de nous et qui est souvent moins connu selon la nature, pour parvenir à ce qui est le plus connu selon la nature mais moins connu de nous.

1302. En effet, pour nous, dont la connaissance commence par les sens, ce qui est plus près des sens est plus connu. Mais ce qui est le plus connu selon la nature, c’est ce qui de par sa nature est plus connaissable. Mais les réalités de cette sorte sont celles qui sont davantage des êtres et qui sont plus en acte. Certes, ces réalités sont éloignées du sens, alors que les formes sensibles sont des formes existant dans une matière.

1303. Et c’est pourquoi dans les sciences il faut procéder à partir de ce qui est le moins connu selon la nature à ce qui l’est le plus, ¨et cela est bon¨, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de faire cela ¨comme dans les actions¨, à savoir dans les actes et les puissances actives dans lesquels, ¨à partir des biens propres à chacun, c’est-à-dire à partir des biens d’un tel et de ceux de tel autre, on parvient à ceux qui ¨sont totalement des biens¨, c’est-à-dire aux biens communs et qui sont par conséquent des biens pour chacun. Le bien du soldat, c’est de parvenir à la victoire de toute l’armée qui est un bien commun qui vient des victoires individuelles d’un tel et de tel autre. De même, pour le constructeur, le bien provient de la composition de ces pierres avec ces autres pierres pour parvenir à la constitution de toute la maison. Et il faut procéder de la même manière dans les sciences spéculatives, c’est-à-dire à partir de ce qui est plus connu de lui, c’est-à-dire de celui qui apprend, pour parvenir à ce qui est connu selon la nature et qui est aussi ce qui devient connu en dernier par lui.

1304. Mais il n’en est pas ainsi  parce que les choses qui  sont plus connues de celui-ci ou de celui-là seraient les plus connues à parler absolument, car ce qui est ¨connu de tels individus¨, c’est-à-dire de celui-ci ou de celui-là, est souvent faiblement connu selon la nature; et il en est ainsi parce que ces choses possèdent pas ou peu de réalité. Mais c’est selon qu’une chose possède de l’être ou de la réalité que suite à cela elle est connaissable. Ainsi, nous voyons que les accidents, les mouvements et leurs privations possèdent peu ou pas d’être et cependant ces derniers sont plus connus de nous que les substances des choses parce qu’ils sont plus voisins des sens du fait que d’eux-mêmes ils tombent sous le sens en tant que sensibles propres ou communs. Mais ce n’est que par accident que les formes substantielles sont accessibles aux sens.

1305. Mais il dit ¨le plus souvent¨ parce que parfois, les mêmes choses sont plus connues à la fois quant à nous et quant à la nature, comme les entités mathématiques qui font abstraction de la matière sensible. Et c’est pourquoi dans ce cas on procède toujours à partir de ce qui est plus connu selon la nature, car ces réalités sont aussi plus connues de nous. Et bien que les choses qui sont les plus connues de nous soient faiblement connues selon la nature, c’est cependant à partir de ce qui est mal connu selon la nature et qui est néanmoins plus connu de celui qui apprend qu’il faut s’efforcer de connaître les choses qui sont ¨absolument¨, c’est-à-dire universellement et parfaitement connaissables en progressant vers la connaissance de ces dernières au moyen de celles-là mêmes qui manquent d’être, ainsi que nous l’avons déjà dit.

 

 

LECTIO 3

[82872] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 1Postquam determinavit philosophus ordinem procedendi circa substantias, hic incipit determinare de substantiis sensibilibus, sicut praedixerat; et dividitur in duas partes. In prima determinat de essentia substantiarum sensibilium per rationes logicas et communes. In secunda per principia substantiarum sensibilium in octavo libro, ibi, ex his itaque dictis syllogizare oportet. Prima pars dividitur in duas. In prima ostendit cuiusmodi sit essentia substantiarum sensibilium. In secunda ostendit, quod huiusmodi essentia habet rationem principii et causae, ibi, quod autem oportet. Prima autem pars dividitur in partes duas. In prima determinat de essentia substantiarum sensibilium. In secunda ostendit universalia non esse substantias rerum sensibilium, ut quidam dicebant, ibi, quoniam vero de substantia perscrutatur.

[82873] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 2Prima autem pars dividitur in duas. In prima ostendit cuiusmodi sit substantia rerum sensibilium. In secunda ex quibus constituatur, sicut ex partibus, ibi, quoniam vero definitio ratio est. Prima dividitur in duas. In prima inquirit cuiusmodi sensibilium sit essentia substantiarum. In secunda inquirit causam generationis earum, ibi, eorum autem quae fiunt natura. Prima dividitur in duas. In prima ostendit quid sit essentia rerum sensibilium. In secunda qualiter se habeat ad ipsa sensibilia; utrum scilicet ut idem, vel ut diversum, ibi, utrum autem idem. Prima dividitur in duas. In prima ostendit quid est quod quid erat esse. Secundo quorum est, ibi, quoniam vero sunt et secundum alias. Circa primum duo facit. Primo removet ab eo quod quid erat esse praedicata per accidens. Secundo ea, quae praedicantur per se, sicut propriae passiones de subiecto, ibi, neque etiam hoc et cetera.

[82874] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 3Dicit ergo primo, quod de substantiis sensibilibus primo dicendum est, et ostendendum est in eis quod quid erat esse: ideo primum dicemus de eo quod est quod quid erat esse quaedam logice. Sicut enim supra dictum est, haec scientia habet quandam affinitatem cum logica propter utriusque communitatem. Et ideo modus logicus huic scientiae proprius est, et ab eo convenienter incipit. Magis autem logice dicit se de eo quod quid est dicturum, inquantum investigat quid sit quod quid erat esse ex modo praedicandi. Hoc enim ad logicum proprie pertinet.

[82875] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 4Hoc autem primo sciendum est de eo quod quid erat esse, quod oportet quod praedicetur secundum se. Illa enim quae praedicantur de aliquo per accidens, non pertinent ad quod quid erat esse illius. Hoc enim intelligimus per quod quid erat esse alicuius, quod convenienter responderi potest ad quaestionem de eo factam per quid est. Cum autem de aliquo quaerimus quid est, non possumus convenienter respondere ea quae insunt ei per accidens; sicut cum quaeritur quid est homo, non potest responderi, quod sit album vel sedens vel musicus. Et ideo nihil eorum, quae praedicantur per accidens de aliquo, pertinent ad quod quid erat esse illius rei: non enim musicum esse, est tibi esse.

[82876] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 5Sciendum autem est, quod in omnibus sequentibus per hoc quod dicit hoc esse, vel huic esse, intelligit quod quid erat esse illius rei; sicut homini esse vel hominem esse, intelligit id quod pertinet ad quod quid est homo. Quod est autem musicum esse, idest hoc ipsum quod quid est musicus, non pertinet ad hoc quod quid es tu. Si enim quaeratur, tu quid sis, non potest responderi quod tu sis musicus. Et ideo sequitur quod musicum esse non est tibi esse; quia ea quae pertinent ad quidditatem musici, sunt extra quidditatem tuam, licet musicus de te praedicetur. Et hoc ideo, quia tu non secundum teipsum es musicus, idest quia musicum non praedicatur de te per se, sed per accidens. Illud ergo pertinet ad quod quid est tui, quod tu es secundum teipsum, idest quia de te praedicatur per se et non per accidens; sicut de te praedicatur per se homo, animal, substantia, rationale, sensibile, et alia huiusmodi, quae omnia pertinent ad quod quid est tui.

[82877] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 6Deinde cum dicit neque etiam. Excludit ab eo quod est quod quid est, quod praedicatur secundum se, sicut passiones de subiectis; dicens: neque etiam hoc omne quod praedicatur secundum se de aliquo, pertinet ad hoc quod quid erat esse eius. Praedicatur enim per se passio de proprio subiecto, sicut color de superficie. Non tamen quod quid erat esse est, quod ita inest alicui secundum se, sicut superficiei inest album; quia non superficiei esse est album esse, idest hoc ipsum quod quid est superficies, non est quod quid est album. Alia enim est quidditas superficiei et albedinis.

[82878] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 7Et non solum hoc quod est esse album non est quod quid est superficiei; sed nec ipsum compositum ex utrisque, scilicet superficie et albedine, quod est esse superficiem albam vel esse superficiei albae. Quidditas enim vel essentia superficiei albae, non est quidditas vel essentia superficiei. Et si quaeratur quare? Responderi potest quia hoc adest ei, idest, quia cum dico superficiem albam, dicitur aliquid quod adhaeret superficiei tamquam extrinsecum, et non tamquam intrans essentiam eius. Unde hoc totum quod est superficies alba, non est de essentia superficiei.

[82879] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 8Praedicantur autem passiones de propriis subiectis ea ratione, quia propria subiecta in earum definitionibus ponuntur, sicut nasus ponitur in definitione simi, et numerus in definitione paris. Quaedam vero ita praedicantur per se, quod subiecta in eorum definitionibus non ponuntur, sicut animal per se de homine; nec homo ponitur in definitione animalis. Cum ergo ea quae praedicantur per accidens non pertineant ad quod quid est, nec illa quae praedicantur per se in quorum definitionibus ponuntur subiecta, relinquitur quod illa pertineant ad quod quid est, in quorum definitionibus non ponuntur subiecta. Et ideo concludit dicens, quod haec erit ratio in singulis, quod quid erat esse, in qua ratione dicente ipsum, idest describente praedicatum non inerit ipsum, idest subiectum; sicut in ratione animalis, non inest homo. Unde animal pertinet ad quod quid est homo.

[82880] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 9Probat autem deducendo ad inconveniens, quod ea quae praedicantur per se de aliquo sicut propria passio de subiecto, non pertineant ad quod quid est. Contingit enim de eodem subiecto plures passiones diversas per se praedicari; sicut per se praedicatur propria passio, coloratum et asperum et leve, quae sunt passiones superficiei. Eiusdem autem rationis est omnia huiusmodi praedicata ad quod quid est subiecti pertinere. Ergo si albedo pertinet ad quod quid est superficiei, pari ratione et levitas. Quae autem uni et eidem sunt eadem, sibiinvicem sunt eadem. Quare si superficiei album esse est superficiei esse semper, idest si semper et universaliter hoc verum est quod quidditas propriae passionis sit idem cum quidditate proprii subiecti, sequitur quod albo esse et levi esse, sit idem et unum, idest quod quidditas albedinis et levitas sit una et eadem. Hoc autem patet falsum esse. Relinquitur ergo quod quod quid erat esse propriae passionis et subiecti non est idem et unum.

[82881] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 10Deinde cum dicit quoniam vero. Inquirit quorum sit quod quid erat esse. Et primo movet quaestionem. Secundo solvit eam, ibi, at vero secundum se dictorum. Dicit ergo primo, quod sunt quaedam composita in aliis praedicamentis, et non solum in substantia. Quod quidem dicit propter hoc, quod substantiarum sensibilium, quae sunt compositae, quidditatem inquirit. Sicut enim in substantiis sensibilibus compositis est materia, quae subiicitur formae substantiali, ita etiam alia praedicamenta habent suum subiectum. Est enim aliquod subiectum unicuique eorum, sicut qualitati et quantitati et quando et ubi et motui, sub quo comprehenditur agere et pati. Unde sicut quoddam compositum est ignis ex materia et forma substantiali, ita est quaedam compositio ex substantiis et accidentibus.

[82882] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 11Et ideo perscrutandum est, cum aliqua sit definitio substantiarum compositarum ex formis et materiis, si etiam cuiuscumque istorum compositorum ex accidentibus et subiectis est ratio eius quod quid erat esse, idest si habent definitionem quae est ratio significans quod quid erat esse. Et iterum si est in eishoc ipsum quod quid erat esse quod significat definitio, idest si habent aliquam quidditatem sive aliquid quod potest responderi ad quid. Sicut hoc ipsum quod est albus homo, est quoddam compositum ex subiecto et accidente; utrum scilicet albo homini sit quod quid erat esse ei inquantum huiusmodi.

[82883] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 12Et quia forte aliquis posset dicere quod albus homo sunt duae res et non una, ideo subiungit, quod hoc ipsum quod dico albus homo, habeat unum nomen quod causa exempli sit vestis. Et tunc quaestio erit de isto uno, scilicet de veste, utrum habeat quod quid est, ut possimus dicere quid est vestem esse? Tunc enim, sicut hoc nomen homo significat aliquid compositum, scilicet animal rationale, ita et vestis significat aliquid compositum, scilicet hominem album. Et ita sicut homo habet definitionem, ita vestis poterit habere definitionem, sicut videtur.

[82884] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 13Deinde cum dicit at vero solvit praedictam quaestionem; et dividitur haec pars in duas partes secundum quod duas ponit solutiones. Secunda pars incipit ibi, aut et definitio sicut et quod quid. Dicit ergo primo, quod hoc ipsum quod dico, albus homo, sive vestis quae hoc ponitur significare, non est aliquod eorum quae dicuntur secundum se, immo est aliquid eorum quae dicuntur per accidens. Hoc enim, quod est, homo albus, est unum per accidens, et non per se, ut superius est habitum.

[82885] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 14Quod autem aliquid dicatur alteri esse unum per accidens, est dupliciter, ut uno modo homo est albus, et alio modo album est homo. Horum enim aliud quidem est ex additione, aliud vero non. In definitione enim hominis non est necessarium quod addatur definitio albi, vel nomen eius; in definitione vero albi necesse est quod ponatur homo, vel nomen hominis, vel eius definitio, si homo proprium subiectum eius est, vel aliquid aliud quod est eius proprium subiectum.

[82886] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 15Et ideo ad hoc exponendum subiungit, quod istorum duorum, quae dicuntur non secundum se, unum adiungitur alteri, eo quod ipsum accidens additur illi subiecto, quod in accidentis definitione ponitur cum definitur. Sicut si aliquis definiat album, oportet quod dicat rationem hominis albi; quia oportet quod in definitione accidentis ponatur subiectum. Et tunc definitio complectitur hominem album. Et sic erit quasi ratio hominis albi, et non albi tantum. Et hoc intelligendum est, ut dictum est, si homo sit proprium et per se subiectum albi. Hoc autem adiungitur alteri per accidens; non quia ipsum apponatur in definitione alterius, sed quia aliud apponitur ipsi in sua definitione; sicut album adiungitur homini per accidens, non quod ponatur in definitione hominis, sed quia homo ponitur in definitione eius. Unde si hoc nomen vestis significat hominem album, sicut positum est, oportet quod ille, qui definit vestem, eodem modo definiat vestem sicut definitur album. Nam sicut in definitione vestis oportet quod ponatur et homo et album, ita in definitione albi oportet quod ponatur utrumque.

[82887] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 16Itaque ex dictis patet quod album praedicatur de homine albo. Haec enim est vera, albus homo est albus, et e contrario. Tamen hoc ipsum quod est album esse hominem, non est quod quid erat esse albo. Sed neque vesti, quae significat compositum hoc quod est albus homo, ut dictum est. Sic igitur patet quod non potest esse idem quod quid erat esse eius quod est album, et eius quod est albus homo, sive vestis; per hoc quod album etiam si praedicetur de albo homine, non tamen est quod quid est esse eius.

[82888] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 17Item patet, quod si album habet quod quid erat esse et definitionem, non habet aliam quam illam quae est albi hominis: quia cum in definitione accidentis ponatur subiectum, oportet quod hoc modo definiatur album, sicut albus homo, ut dictum est. Et hoc sic patet: quia hoc quod est album non habet quod quid erat esse, sed solum hoc de quo dicitur, scilicet homo vel homo albus. Et hoc est quod dicit: ergo est quod quid erat esse aliquid aut totaliter, aut non: idest, ergo ex praedictis sequitur quod quod quid erat esse, non est nisi eius quod est aliquid, sive illud aliquid sit totaliter, id est compositum, ut homo albus, sive non totaliter, ut homo. Album autem non significat aliquid, sed aliquale.

[82889] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 18Et quod id quod quid erat esse, non sit nisi eius quod est aliquid, ex hoc patet: quod quidem quid erat esse, est quod aliquid erat esse. Esse enim quid, significat esse aliquid. Unde illa quae non significant aliquid, non habent quod quid erat esse. Sed quando aliquid de aliquo dicitur, ut accidens de subiecto, non est hoc aliquid: sicut cum dico, homo est albus, non significatur quod sit hoc aliquid, sed quod sit quale. Esse enim hoc aliquid convenit solis substantiis. Et ita patet, quod album et similia non possunt habere quod quid erat esse.

[82890] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 19Sed, quia aliquis posset dicere, quod sicut inveniuntur aliquae rationes nominum significantium substantiam, ita inveniuntur aliquae rationes nominum significantium accidentia; ideo concludit, quod quod quid erat esse non est omnium quae habent qualemcumque rationem notificantem nomen, sed eorum solum, quorum ratio est definitio.

[82891] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 20Ratio autem alicuius definitiva non est solum, si sit talis ratio, quae significat idem cum nomine; sicut hoc quod dico, arma gerens, significat idem cum armigero; quia sic sequeretur, quod omnes rationes essent termini, idest definitiones. Potest enim poni cuilibet rationi nomen, sicut potest poni huic rationi, quod est homo ambulans, vel homo scribens: nec tamen propter haec sequitur quod illa sint definitiones: quia secundum hoc sequeretur, quod etiam Ilias, idest poema factum de bello Troiano esset una definitio. Est enim totum illud poema una ratio exponens bellum Troianum. Patet igitur, quod non quaecumque ratio significans idem cum nomine est eius definitio, sed solum est definitio si fuerit alicuius primi, idest si significet aliquid per se dictum. Hoc enim est primum in praedicationibus quod per se praedicatur.

[82892] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 21Talia vero, scilicet prima, sunt quaecumque praedicantur per se, et non quia aliud de alio dicitur; sicut album praedicatur de homine non per se, quasi sit idem quod album et quod homo; sed praedicantur de seinvicem per accidens. Animal vero praedicatur de homine per se, et similiter rationale de animali. Et ideo hoc quod dico, animal rationale, definitio est hominis.

[82893] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 22Sic ergo patet quod quod quid erat esse non erit alicuius, quod non sit de numero specierum alicuius generis, sed solum his, idest solum speciebus. Species enim sola definitur, cum omnis definitio sit ex genere et differentiis. Illud autem, quod sub genere continetur et differentiis constituitur est species; et ideo solius speciei est definitio. Solae enim species videntur dici non secundum participationem et passionem, nec ut accidens.

[82894] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 23In quo removet tria quae videntur impedire quod aliquid non definiatur per aliquod genus. Primo namque ea de quibus genus praedicatur secundum participationem, non possunt definiri per illud genus, nisi sit de essentia illius definiti. Sicut ferrum ignitum, de quo ignis per participationem praedicatur, non definitur per ignem, sicut per genus; quia ferrum non est per essentiam suam ignis, sed participat aliquid eius. Genus autem non praedicatur de speciebus per participationem, sed per essentiam. Homo enim est animal essentialiter, non solum aliquid animalis participans. Homo enim est quod verum est animal. Item subiecta praedicantur de propriis passionibus, sicut nasus de simo; et tamen essentia nasi non est essentia simi. Species enim non se habent ad genus sicut propria generis passio; sed sicut id quod est per essentiam idem generi. Potest etiam album praedicari de homine per accidens; nec essentia hominis est essentia albi, sicut essentia generis est essentia speciei. Unde videtur, quod sola ratio speciei quae ex genere et differentiis constituitur, sit definitio.

[82895] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 24Sed in aliis quidem si est eis nomen positum, potest esse ratio declarans quid significat nomen. Quod quidem contingit dupliciter. Uno modo sicut quando nomen minus notum manifestatur per magis notum quod de eo praedicatur: ut si hoc nomen philosophia notificetur per hoc nomen sapientia. Et hoc est quod dicit quod autem huic inest, scilicet quando ratio exponens nomen accipitur ab aliquo nomine notiori quod praedicatur de eo.

[82896] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 3 n. 25Alio modo quando accipitur ad expositionem nominis simplicis aliqua oratio notior; sicut si ad exponendum hoc nomen philosophus, accipitur haec oratio, amator sapientiae. Et hoc est quod dicit, aut pro sermone simplici quasi ad expositionem huius simplicis dictionis, certior oratio accipitur. Tamen talis ratio non erit definitio; nec id quod per eam significatur, erit quod quid erat esse.

LEÇON 3.

(nn. 1306-1330; [578-581]).

 

Il montre ce qu’est la quiddité d’une chose et à quelle sorte de choses la quiddité appartient.

 

1306. Après avoir déterminé l’ordre selon lequel il va procéder pour examiner les substances, le Philosophe commence ici à déterminer des substances sensibles ainsi qu’il l’avait déjà indiqué précédemment; et il divise cette section en deux parties.

   Dans la première il détermine de la substance des substances sensibles au moyen de raisons logiques et communes [578]. Dans la deuxième il le fait au moyen des principes des substances sensibles au huitième livre de ce traité, là [691] où il dit : ¨ C’est pourquoi à partir de là il faut syllogiser etc. ¨.

   La première partie se divise en deux. Dans la première il montre de quelle sorte est l’essence des substances sensibles [578]. Dans la deuxième il montre qu’une telle essence a raison de principe et de cause, là [682] où il dit : ¨ Mais ce qu’il faut ¨.

   Mais la première partie se divise elle-même en deux parties. Dans la première il détermine de l’essence des substances sensibles [578]. Dans la deuxième il montre que les universels ne sont pas les substances des choses sensibles comme certains le soutenaient, là [650] où il dit : ¨ D’un autre côté puisqu’on approfondit la substance ¨.

1307. Mais la première partie se divise en deux. Dans la première il montre de quelle sorte est la substance des choses sensibles [578]. Dans la deuxième il montre de quelles parties elle est constituée, là [622] où il dit : ¨ D’un autre côté, puisque la définition est la cause ¨.

   La première se divise en deux. Dans la première il cherche à savoir de quelle sorte est l’essence des substances sensibles [578]. Dans la deuxième il cherche à découvrir la cause de leur génération, là [598] où il dit : ¨ Mais les choses qui sont produites par la nature ¨.

   La première se divise en deux. Dans la première il montre quelle est l’essence des choses sensibles [578]. Dans la deuxième il montre de quelle manière cette essence se rapporte aux réalités sensibles elles-mêmes, à savoir comme étant différente ou identique à elles, là [588] où il dit : ¨ Mais si elle est identique ¨.

   La première se divise en deux. Dans la première il montre ce qu’est la quiddité [578]. En deuxième lieu il montre de quelles choses il y a quiddité, là [580] où il dit : ¨ D’un autre côté puisqu’il y a aussi des composés avec les autres ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il exclut de la quiddité les prédicats qui sont attribués par accident [578]. En deuxième lieu il en écarte aussi ceux qui sont attribués par soi à la manière dont les propriétés sont attribuées à un sujet, là [579] où il dit : ¨ Et même cela n’est pas etc. ¨.

1308. Il dit donc en premier lieu [578] qu’au sujet des substances sensibles il faut parler en premier lieu et manifester en elles quelle est leur quiddité : c’est pourquoi nous parlerons d’abord de ce qu’est la quiddité en suivant un mode logique. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus haut, cette science a une certaine affinité avec la Logique en raison de leurs rapports communs. Et c’est pourquoi le mode logique est approprié à cette science et c’est avec raison qu’il commence par là. Mais il dit qu’il va davantage parler de la quiddité suivant un mode logique dans la mesure où il va examiner la quiddité à partir du mode d’attribution. Cette façon de faire en effet appartient en propre au logicien.

1309. Mais il faut d’abord savoir ceci au sujet de la quiddité, à savoir qu’elle doit s’attribuer par soi au sujet. En effet, ce qui est attribué par accident à un sujet n’appartient pas à sa quiddité. En effet, ce que nous entendons par la quiddité d’une chose, c’est ce qui peut répondre avec raison à cette question qu’on fait sur une chose lorsqu’on demande : qu’est-ce que c’est?  Mais lorsqu’on pose cette question au sujet d’une chose, on ne peut répondre en vérité au moyen de ce qui lui appartient par accident; par exemple, si nous demandons : qu’est-ce que l’homme?, la réponse ne sera pas adéquate si on répond qu’il est blanc, assis ou musicien. Et c’est pourquoi rien de ce qui s’attribue à un être par accident n’appartient à la quiddité de cet être : en effet, être musicien, ce n’est pas là ce que tu es.

1310. Il faut cependant savoir que dans tout ce qui va suivre, par les expressions ¨être cela¨ ou ¨l’être de cela¨, il entend la quiddité ou l’essence de cette chose; tout comme par l’être de l’homme ou être homme, il entend ce qui appartient à la quiddité de l’homme. Mais ce que c’est que d’¨être musicien¨, c’est-à-dire la quiddité même d’être musicien, n’appartient pas à ce que tu es toi. Si en effet on demandait ce que tu es, on ne pourrait répondre correctement en disant que tu es musicien. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’être musicien n’est pas ton être à toi car ce qui appartient à la quiddité du musicien est étranger à ta quiddité bien que musicien te soit attribué. Et il en est ainsi parce que ¨ce n’est pas en tant que toi-même que tu es musicien¨, c’est-à-dire parce que musicien ne s’attribue pas à toi par soi mais par accident. Donc, ce qui appartient à ta quiddité, c’est ce que tu es ¨en tant que tel¨, c’est-à-dire parce que cela t’est attribué par soi et non par accident. Ainsi par exemple, si on t’attribue homme, animal, substance, rationnel, sensible et d’autres prédicats de cette sorte qui te sont attribués par soi, ils appartiennent tous à ta quiddité.

1311. Ensuite lorsqu’il dit [579] : ¨ Mais tout ce qui est par soi n’est pas ¨.

   Il exclut de la quiddité certaines choses qui sont attribuées par soi, comme les propriétés qui sont attribuées à un sujet, en disant que ce n’est pas tout ce qui est attribué par soi à un sujet qui appartient à sa quiddité. C’est par soi en effet qu’est attribuée une propriété au sujet qui lui est propre, comme on attribue la couleur à une surface. Mais la quiddité n’est pas ce qui appartient par soi à une chose à la manière dont le blanc appartient par soi à la surface; car l’être de la surface ou sont essence n’est pas ¨d’être blanc¨, c’est-à-dire que cela même qu’est une surface (son essence) n’est pas l’essence du blanc. En effet, autre est la quiddité de la surface et autre est celle de la blancheur.

1312. Et non seulement ce que c’est que d’être blanc n’est pas ce que c’est que d’être une surface, mais même le composé des deux ne l’est pas, à savoir le composé de la surface et de la blancheur qui constitue une surface blanche ou l’essence d’une surface blanche. En effet, la quiddité ou l’essence d’une surface blanche n’est pas la quiddité ou l’essence de la surface. Et si on demandait pourquoi, on pourrait répondre que c’est ¨parce que cela lui est ajouté¨, c’est-à-dire parce que lorsque je dis surface blanche, je dis quelque chose qui est rattaché à la surface comme extérieurement et non comme entrant dans son essence. De là, ce tout qu’est une surface blanche ne fait pas partie de l’essence de la surface.

1313. Mais les propriétés sont attribuées à leurs sujets propres pour cette raison que leurs sujets propres sont placés dans leurs définitions, comme le nez est placé dans la définition du camus et que le nombre est placé dans la définition du pair. D’un autre côté, d’autres prédicats sont attribués  par soi à leurs sujets de telle manière que les sujets ne se retrouvent pas dans leurs définitions; par exemple, c’est par soi que l’animal s’attribue à l’homme, mais l’homme ne se retrouve pas dans la définition de l’animal. Donc, puisque ce qui s’attribue par accident n’appartient pas à la quiddité, ni ce qui s’attribue par soi mais dans la définition duquel est placé le sujet, il reste que ce qui appartient à la quiddité, c’est ce qui s’attribue par soi mais dans la définition duquel on ne retrouve pas le sujet. Et c’est pourquoi il conclut en disant que pour chaque être, la définition, c’est-à-dire la quiddité, sera celle dans laquelle, ¨en l’exprimant lui-même¨, à savoir en décrivant le prédicat, ¨on ne retrouve pas cet être lui-même¨, c’est-à-dire le sujet, tout comme dans la définition de l’animal, on ne retrouve pas l’homme et c’est pourquoi animal appartient à la quiddité de l’homme.

1314. Mais il montre au moyen d’une conséquence par l’absurde que ce qui s’attribue par soi, à la manière dont une détermination propre s’attribue à un sujet ne fait pas partie de la quiddité. Il arrive en effet que plusieurs déterminations différentes soient attribuées par soi à un même sujet. Tout comme le coloré, le rugueux et le léger, étant des déterminations propres à la surface, s’attribuent par soi à la surface. Mais c’est pour la même raison que tous les prédicats de cette sorte sont censés appartenir à la quiddité du sujet. Donc, si la blancheur appartient à la quiddité de la surface, pour la même raison la légèreté lui appartiendra aussi. Mais ceux qui sont identiques à une seule et même chose sont identiques entre eux. ¨C’est pourquoi, si la quiddité de la surface blanche est toujours la quiddité de la surface¨, c’est-à-dire si toujours et universellement il est vrai de dire que la quiddité de la détermination propre est identique à la quiddité du sujet propre, il s’ensuit que être blanc et être léger soient ¨une seule et même chose¨, c’est-à-dire que la quiddité de la blancheur soit identique à la quiddité de la légèreté. Mais il est évident que cela est faux. Il reste donc que la quiddité de la détermination propre et celle du sujet ne sont pas identiques.

1315. Ensuite lorsqu’il dit [580] : ¨ D’un autre côté puisque ¨.

   Il se demande à quels êtres appartient la quiddité. Et en premier lieu il soulève la question. En deuxième lieu il y répond, là [581] où il dit : ¨ Et d’un autre côté, de ce qui se dit par soi ¨.

   Il dit donc en premier lieu [580] qu’il y a aussi des composés dans les autres prédicaments et non seulement dans la substance. Et certes il dit cela pour cette raison que c’est sur la quiddité des substances sensibles, qui sont composées, qu’il mène sa recherche. En effet tout comme dans les substances sensibles composées il y a la matière qui est comme le sujet de la forme substantielle, de même les autres prédicaments se trouvent à avoir leur sujet. Pour chacun d’eux en effet, à savoir la quantité, la qualité, le temps, le lieu et le mouvement qui comprend l’action et la passion, il y a un sujet. De là, tout comme le feu est un certain composé de matière et de forme substantielle, de même il y a des composés de substances et d’accidents.

1316. Et c’est pourquoi il faut examiner, puisqu’il y a une définition des substances composées de matières et de formes, s’il y a aussi, pour chacun de ces composés d’accidents et de sujets, une définition signifiant sa quiddité¨, c’est-à-dire s’ils possèdent une définition qui soit la notion qui signifie leur quiddité. Et de plus il faut se demander s’il y a en eux ¨cela même qui tient lieu de quiddité¨ et que la définition signifie, c’est-à-dire s’ils possèdent une quiddité ou quelque chose qui puisse correspondre à ce qu’ils sont. Par exemple, cela même qu’on appelle homme blanc, est un certain composé à partir d’un sujet et d’un accident; alors, est-ce qu’il y a une quiddité qui appartienne à l’homme blanc en tant que tel?

1317. Et parce qu’on pourrait peut-être dire qu’un homme blanc n’est pas une seule chose mais deux, c’est pourquoi il ajoute que si on suppose que cela même que j’appelle homme blanc possède un nom qui par exemple est vêtement, la question sera maintenant de savoir au sujet de cette chose unique, à savoir du vêtement, s’il possède une quiddité de telle sorte que nous puissions dire ce que c’est que d’être un vêtement ou l’essence du vêtement. Alors en effet, tout comme le nom homme signifie quelque chose de composé, à savoir l’animal rationnel, de même le nom vêtement signifie un composé, à savoir l’homme blanc. Et ainsi tout comme l’homme possède une définition, de même le vêtement pourrait avoir une définition, comme il semble que ce soit le cas.

1318. Ensuite lorsqu’il dit [581] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il répond à cette question en deux étapes qui correspondent à chacune des deux réponses. La deuxième partie commence là [582] où il dit : ¨ Ou bien la définition, tout comme la quiddité ¨.

   Il dit donc en premier lieu [581] que cela même que j’appelle l’homme blanc ou le nom vêtement dont on dit qu’il le signifie, ne fait pas partie des choses dont on dit qu’elles sont par soi mais au contraire de celles dont on dit qu’elles sont par accident. En effet, ce qui est, l’homme blanc, est un par accident et non par soi comme on l’a établi plus haut.

1319. Mais que deux choses soient une par accident, cela se dit de deux manières. Premièrement à la manière dont on dit que l’homme est blanc et deuxièmement à la manière dont on dit que le blanc est homme. De ceux-là en effet autre certes est celui qui provient d’une addition, autre celui qui n’en provient pas. En effet, dans la définition de l’homme il n’est pas nécessaire d’ajouter la définition du blanc ni même son nom; d’un autre côté dans la définition du blanc il est nécessaire d’ajouter l’homme, ou le nom d’homme, ou la définition de l’homme si l’homme est son sujet propre ou quelque chose d’autre qui serait son sujet propre.

1320. Et c’est pourquoi pour expliquer cela il ajoute que pour ces deux exemples qui ne se disent pas par soi, l’un est ajouté à l’autre du fait que l’accident lui-même est ajouté à ce sujet qui est placé dans la définition de l’accident quand ce dernier est défini. Par exemple, si quelqu’un définit le blanc, il faut qu’il dise la définition de l’homme blanc car il faut qu’on affirme le sujet dans la définition de l’accident. Et alors la définition se trouve à embrasser l’homme blanc. Et ainsi il y aura comme une définition de l’homme blanc et non seulement du blanc. Et cela doit s’entendre ainsi, comme nous l’avons dit, si l’homme est le sujet propre et par soi du blanc. Mais dans ce cas l’un est ajouté à l’autre par accident non pas parce qu’on dit de lui qu’il fait partie de la définition de l’autre, mais plutôt parce que l’autre est ajouté dans sa définition à lui; par exemple, le blanc est ajouté à l’homme par accident non pas parce qu’on le place dans la définition de l’homme mais plutôt parce que l’homme est placé dans sa définition. D’où il suit que si le nom de vêtement signifie l’homme blanc, ainsi que nous l’avons supposé plus haut, il faut que celui qui définit le vêtement le définisse de la même manière que se définit le blanc. Car tout comme dans la définition du vêtement il faut qu’on pose à la fois l’homme et le blanc, de même dans la définition du blanc il faut qu’on pose les deux.

1321. C’est pourquoi à partir de ce qui vient d’être dit il est évident que le blanc est attribué à l’homme blanc. En effet, la proposition suivante, tout comme son inversion, est vraie : l’homme blanc est blanc. Mais que cela même qui est blanc soit un homme, cela ne fait pas la quiddité du blanc ni du vêtement qui signifie ce composé qui est l’homme blanc, comme on l’a dit. Ainsi donc il est manifeste que la quiddité du blanc ne peut être la même que celle de l’homme blanc ou du vêtement. Même si le blanc est attribué à l’homme blanc, il ne s’ensuit cependant pas qu’il fasse partie de sa quiddité.

1322. De plus il est clair que si le blanc possède une quiddité et une définition, il n’en possède par une autre que celle qui appartient à l’homme blanc : car puisqu’on pose le sujet dans la définition de l’accident, il faut que le blanc se définisse de la manière dont se définit l’homme blanc, comme nous l’avons dit. Et cela est évident de la manière suivante : car le blanc ne possède pas de quiddité mais seulement ce de quoi il se dit, à savoir l’homme ou l’homme blanc. Et c’est ce qu’il dit : ¨ Donc la quiddité est quelque chose soit en totalité, soit elle n’existe pas ¨ : c’est-à-dire que par conséquent, à partir de ce qui a été dit, il s’ensuit que la quiddité n’appartient qu’à ce qui est une chose déterminée, qu’il s’agisse là ¨d’un quelque chose qui constitue une totalité¨, c’est-à-dire un composé comme l’homme blanc, soit qu’il ne s’agisse pas d’un composé, comme l’homme. Et le blanc ne signifie pas un être individuel, mais une qualité.

1323. Et que ce qui constitue une quiddité n’appartienne qu’à une chose déterminée, on le voit à partir de ceci : certes une quiddité, c’est une quiddité de quelque chose de déterminé. En effet, être ceci ou cela signifie être quelque chose. C’est pourquoi ce qui ne signifie pas quelque chose de déterminé ne possède pas de quiddité. Mais quand une chose se dit d’une autre comme l’accident se dit d’un sujet, elle ne se dit pas comme une chose déterminée : par exemple lorsque je dis que l’homme est blanc, cela ne signifie pas  qu’il est cette chose déterminée mais seulement qu’il a  telle qualité. En effet, être une chose déterminée ne convient qu’aux seules substances. Et ainsi il est manifeste que le blanc et les déterminations semblables ne peuvent avoir de quiddité.

1324. Mais parce qu’on pourrait dire que tout comme on retrouve des notions pour les noms qui signifient les substances, de même on retrouve des notions pour les noms signifiant les accidents, c’est pourquoi il ajoute que la quiddité ne se retrouve pas dans tout ce qui possède n’importe quelle notion faisant connaître le nom, mais seulement dans les cas où la notion est une définition.

1325. Mais la notion qui définit une chose n’est pas celle qui se limite à signifier la même chose que le nom; tout comme lorsque je dis que celui qui porte les armes signifie la même chose que l’homme armé; car ainsi il s’ensuivrait que toutes les notions seraient ¨des limites¨, c’est-à-dire des définitions. En effet il peut toujours y avoir un nom correspondant à n’importe quelle notion, comme c’est le cas pour cette notion, à savoir que l’homme se promène ou que l’homme écrit : et cependant il ne s’ensuit pas pour cela que ce soient là des définitions; il s’ensuivrait autrement que ¨même l’Iliade¨, c’est-à-dire le poème réalisé sur la guerre de Troie, serait une définition. En effet, ce poème dans sa totalité est comme une énonciation présentant la guerre de Troie. Il est donc clair que ce n’est pas n’importe quelle énonciation qui signifie la même chose qu’un nom qui en est la définition, mais il y aura définition seulement si l’énonciation ¨se rapporte à quelque chose de premier¨, c’est-à-dire si elle signifie quelque chose qui se dit par soi. En effet, on appelle premières parmi les attributions celles qui s’attribuent par soi.

1326. Par ailleurs de telles attributions, c’est-à-dire celles qui sont premières, sont toutes celles qui s’attribuent par soi et non du seul fait qu’une chose est attribuée à une autre, tout comme le blanc ne s’attribue pas à l’homme par soi comme si c’était la même chose que d’être blanc et d’être homme; mais ils s’attribuent l’un à l’autre par accident. D’un autre côté c’est par soi qu’animal s’attribue à l’homme et de même que rationnel s’attribue à l’animal. Et c’est pourquoi je dis qu’animal rationnel est la définition de l’homme.

1327. Ainsi donc il est clair qu’il n’y aura pas de quiddité pour ce qui ne fait pas partie des espèces immanentes à un genre, mais il y en aura ¨seulement pour celles-ci¨, c’est-à-dire pour les espèces. En effet, c’est l’espèce seule qui est définie puisque toute définition se fait par le genre et les différences. Mais ce qui est contenu sous un genre et constitué de différences est une espèce; et c’est pourquoi il n’y a de définition que pour l’espèce. On voit en effet que seules les espèces ne se disent ni par participation et propriété, ni par accident.

1328. Et en cela il écarte trois choses qui semblent empêcher que quelque chose ne soit défini par un genre. Car en premier lieu les choses auxquelles le genre est attribué par participation ne peuvent être définies par ce genre à moins qu’il ne se rapporte à l’essence du défini. Tout comme le fer brûlant auquel le feu est attribué par participation n’est pas défini par le feu comme par un genre car le fer n’est pas du feu par son essence mais il participe de quelque chose du feu. Mais le genre n’est pas attribué aux espèces par participation mais par essence. C’est par son essence en effet que l’homme est un animal et non parce qu’il participe à quelque chose de l’animalité. L’homme en effet est ce qu’est véritablement l’animal. – De plus les sujets sont attribués à leurs propriétés essentielles comme le nez l’est au camus et cependant l’essence du nez n’est pas celle du camus. En effet, les espèces ne se rapportent pas au genre comme des propriétés du genre mais comme ce qui est par essence identique au genre. Aussi, il se peut encore que le blanc soit attribué à l’homme par accident et l’essence de l’homme n’est pas l’essence du blanc comme l’essence du genre est l’essence de l’espèce. D’où l’on voit que c’est seulement l’énonciation de l’espèce, laquelle se fait à partir du genre et des différences, qui constitue à proprement parler une définition.

1329. Mais dans d’autres cas où un nom est posé, il peut y avoir une énonciation qui indique ce que le nom signifie. Ce qui se produit certes de deux manières. Premièrement comme lorsqu’un nom moins connu se trouve à être manifesté par un nom plus connu qui lui est attribué, comme lorsque le nom de philosophie est manifesté par le nom de sagesse. Et c’est là ce que le Philosophe dit par ces mots : ¨Mais ce qui appartient à cela¨, c’est-à-dire quand l’énonciation expliquant le nom se prend à partir d’un nom plus connu qui lui est attribué.

1330. Deuxièmement quand une énonciation plus connue est prise pour expliquer un nom simple; tout comme, pour expliquer le nom philosophe, on se sert de cette énonciation : celui qui aime la sagesse. Et c’est ce qu’il dit : ¨ou au lieu d’un mot simple¨, comme pour expliquer ce mot simple, on prend une énonciation ¨plus certaine¨. Cependant une telle énonciation ne sera pas une définition et ce qui est signifié par elle ne sera pas une quiddité.

 

 

LECTIO 4

[82897] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 1Hic ponit secundam solutionem propositae quaestionis: et circa hoc tria facit. Primo ponit solutionem. Secundo probat eam, ibi, illud autem palam, et cetera. Tertio removet quasdam dubitationes, quae possent ex praedictis oriri, ibi, habet autem dubitationem. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo definitio et quod quid est invenitur in substantia et accidentibus. Secundo quomodo de utrisque praedicetur, ibi, oportet quidem igitur intendere. Dicit ergo primo, quod dicendum est, sicut in praedicta solutione est dictum, quod quod quid est et definitio non sit accidentium, sed substantiarum: aut oportet secundum alium modum solvendi dicere, quod definitio dicitur multipliciter sicut et quod quid est. Ipsum enim quod quid est, uno modo significat substantiam et hoc aliquid. Alio modo significat singula aliorum praedicamentorum, sicut qualitatem et quantitatem et alia huiusmodi talia. Sicut autem ens praedicatur de omnibus praedicamentis, non autem similiter, sed primum de substantia, et per posterius de aliis praedicamentis, ita et quod quid est, simpliciter convenit substantiae, aliis autem alio modo, idest secundum quid.

[82898] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 2Quod enim aliquo modo, idest secundum quid aliis conveniat quid est, ex hoc patet, quod in singulis praedicamentis respondetur aliquid ad quaestionem factam per quid. Interrogamus enim de quali sive qualitate quid est, sicut quid est albedo, et respondemus quod est color. Unde patet, quod qualitas est de numero eorum, in quibus est quod quid est.

[82899] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 3Non tamen simpliciter in qualitate est quid est, sed quid est qualitatis. Cum enim quaero quid est homo, et respondetur, animal; ly animal, quia est in genere substantiae, non solum dicit quid est homo, sed etiam absolute significat quid, id est substantiam. Sed cum quaeritur quid est albedo, et respondetur, color, licet significet quid est albedo, non tamen absolute significat quid, sed quale. Et ideo qualitas non habet quid simpliciter, sed secundum quid. Invenitur enim in qualitate quid huiusmodi, ut cum dicimus quod color est quid albedinis. Et hoc quid, magis est substantiale quam substantia.

[82900] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 4Propter hoc enim quod omnia alia praedicamenta habent rationem entis a substantia, ideo modus entitatis substantiae, scilicet esse quid, participatur secundum quamdam similitudinem proportionis in omnibus aliis praedicamentis; ut dicamus, quod sicut animal est quid hominis, ita color albedinis, et numerus dualitatis; et ita dicimus qualitatem habere quid non simpliciter, sed huius. Sicut aliqui dicunt logice de non ente loquentes, non ens est, non quia non ens sit simpliciter, sed quia non ens est non ens. Et simpliciter qualitas non habet quid simpliciter, sed quid qualitatis.

[82901] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 5Deinde cum dicit oportet igitur. Ostendit quomodo quod quid est et definitio praedicetur de eo quod invenitur in substantiis et accidentibus; et dicit, quod ex quo definitio et quod quid est invenitur aliquo modo in accidentibus et in substantia, oportet igitur intendere ad considerandum quomodo oportet dicere, idest praedicare definitionem circa singula; non tamen magis quam quomodo se habent; ut videlicet, non ea dicamus univoce praedicari quorum non est una ratio in essendo.

[82902] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 6Quapropter id quod dictum est de definitione et quod quid est in substantia et accidentibus, est manifestum: scilicet quod quod quid erat esse primo et simpliciter inest substantiae, et consequenter aliis: non quidem ita quod in aliis sit simpliciter quod quid erat esse, sed quod quid erat esse huic vel illi, scilicet quantitati vel qualitati. Manifestum est enim quod oportet definitionem et quod quid est vel aequivoce praedicari in substantia et accidentibus, vel addentes et auferentes secundum magis et minus, sive secundum prius et posterius, ut ens dicitur de substantia et accidente. Et sicut dicimus, quod non scibile est scibile secundum quid, idest per posterius, quia de non scibili hoc scire possumus quod non scitur; sic et de non ente hoc dicere possumus, quia non est.

[82903] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 7Non enim est rectum quod quod quid est et definitio dicatur de substantia et de accidentibus, neque aequivoce, neque simpliciter et eodem modo, idest univoce. Sed sicut medicabile dicitur de diversis particularibus per respectum ad unum et idem, non tamen significat unum et idem de omnibus de quibus dicitur, nec etiam dicitur aequivoce. Dicitur enim corpus medicabile, quia est subiectum medicinae; et opus medicabile, quia exercetur a medicina, ut purgatio et vas medicinale, quia eo utitur medicina, ut clystere. Et sic patet quod non dicitur omnino aequivoce medicinale de his tribus, cum in aequivocis non habeatur respectus ad aliquod unum. Nec iterum univoce dicitur secundum unam rationem. Non enim est eadem ratio secundum quam dicitur medicinale id quo utitur medicina, et quod facit medicinam. Sed dicitur analogice per respectum ad unum, scilicet ad medicinam. Et similiter quod quid est et definitio, non dicitur nec aequivoce nec univoce, de substantia et accidente, sed per respectum ad unum. Dicitur enim de accidente in respectu ad substantiam, ut dictum est.

[82904] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 8Et quia posuerat duas solutiones, subiungit quod nihil differt qualitercumque aliquis velit dicere de praemissa quaestione; sive dicatur quod accidentia non habent definitionem, sive quod habent, sed per posterius secundum quid. Quod tamen dicitur in prima solutione quod non habent definitionem accidentia, intelligitur per prius et simpliciter.

[82905] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 9Deinde cum dicit illud autem probat secundo positam solutionem dicens, illud palam esse quod definitio et quod quid erat esse, primo et simpliciter est substantiarum, non tamen solum et substantiarum, cum etiam accidentia aliquo modo habeant definitionem et quod quid erat esse, non tamen primum. Et hoc sic patet. Non enim omnis ratio, qua nomen per rationem exponitur, idem est quod definitio; nec nomen expositum per quamcumque rationem, semper est definitum; sed alicui determinatae rationi competit quod sit definitio; illi scilicet quae significat unum. Si enim dicam quod Socrates est albus et musicus et Crispus, ista ratio non significat unum, sed multa, nisi forte per accidens, et ideo talis ratio non est definitio.

[82906] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 10Non tamen sufficit quod sit unum in continuitate illud quod per rationem significatur, ad hoc quod sit definitio. Sic enim Ilias, idest poema de bello Troiano esset definitio, quia illud bellum in quadam continuitate temporis est peractum. Aut etiam non sufficit quod sit unum per colligationem; sicut haec ratio non esset definitio domus, si dicerem, quod domus est lapides et cementum et ligna. Sed tunc ratio significans unum erit definitio, si significet unum aliquod illorum modorum, quorum quoties unum per se dicitur. Unum enim dicitur multipliciter sicut et ens. Ens autem hoc quidem significat hoc aliquid, aliud quantitatem, aliud qualitatem, et sic de aliis; et tamen per prius substantiam et consequenter alia. Ergo simpliciter unum per prius erit in substantia, et per posterius in aliis.

[82907] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 11Si igitur ad rationem definitionis pertinet quod significet unum, sequitur quod erit ratio albi hominis definitio, quia albus homo est quodammodo unum. Sed alio modo erit definitio ratio albi, et ratio substantiae; quia ratio substantiae erit definitio per prius, ratio albi per posterius, sicut unum per prius et posterius de utroque dicitur.

[82908] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 12Deinde cum dicit habet autem removet quasdam dubitationes circa praedeterminata; et dividitur in duas, secundum duas dubitationes quas removet. Secunda, ibi, est autem et alia dubitatio. Praenotanda autem sunt duo ad evidentiam primae particulae. Quorum primum est, quod quidam dicebant nullam definitionem esse ex additione, idest quod in nulla definitione ponitur aliquid, quod sit extra essentiam definiti. Et videbantur pro se habere hoc, quod definitio significat essentiam rei. Unde illud quod est extra essentiam rei, non debet poni in eius definitione, ut videtur.

[82909] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 13Secundum est, quod quaedam accidentia sunt simplicia, et quaedam copulata. Simplicia dicuntur, quae non habent subiectum determinatum, quod in eorum definitione ponatur, sicut curvum et concavum et alia mathematica. Copulata autem dicuntur, quae habent determinatum subiectum, sine quo definiri non possunt.

[82910] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 14Est ergo dubitatio, si aliquis velit dicere quod ratio, quae est ex additione, non est definitio illorum accidentium quae sunt simplicia, sed copulatorum erit definitio. Videtur enim, quod nullius eorum possit esse definitio. Palam est ergo, quod si illa definiuntur, necesse est eorum definitionem ex additione facere, cum sine propriis subiectis definiri non possint. Sicut si accipiamus haec tria, idest nasus, et concavitas, et simitas: concavitas est simpliciter accidens, praecipue in comparatione ad nasum, cum non sit nasus de intellectu concavi. Simitas autem est accidens compositum, cum sit nasus de intellectu eius. Et ita simitas erit quoddam dictum ex duobus, inquantum significat hoc in hoc, idest determinatum accidens in determinato subiecto, et nec concavitas nec simitas est passio nasi secundum accidens, sicut album inest Calliae et homini per accidens, inquantum Callias est albus, cui accidit hominem esse. Sed simum est passio nasi secundum se. Naso enim inquantum huiusmodi competit esse simum. Alia autem translatio loco eius quod est concavum, habet aquilinum. Et est planior sensus; quia in definitione aquilini ponitur nasus, sicut in definitione simi. Sed sicut masculinum per se competit animali, et aequale quantitati, et omnia alia quaecumque secundum se dicuntur existere in aliquo, quia de omnibus est eadem ratio, et huiusmodi sunt in quibus, idest in quorum rationibus existit nomen eius cuius est passio, idest substantia, aut etiam ratio eius. Semper enim in definitionibus potest poni ratio loco nominis: sicut si dicimus quod homo est animal rationale mortale, potest poni loco nominis animalis definitio, ut dicatur quod homo est substantia animata sensibilis rationalis mortalis. Similiter si dicam quod masculus est animal potens generare in alio, possum etiam dicere quod masculus est substantia animata sensibilis potens generare in aliquo alio.

[82911] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 15Et sic patet, quod non contingit separatim ostendere, idest notificare aliquod praedictorum accidentium quae diximus copulata, sicut contingit notificare album sine hoc quod in eius definitione sive ratione ponatur homo. Sed non contingit ita notificare femininum sine animali; quia oportet quod animal ponatur in definitione feminini sicut et in definitione masculini. Quare patet, quod non est alicuius praedictorum accidentium copulatorum quod quid erat esse et definitio vera, si nulla definitio est ex additione, sicut contingit in definitionibus substantiarum.

[82912] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 16Aut si est aliqua definitio eorum, cum non possint nisi ex additione definiri, aliter erit definitio eorum quam substantiarum, quemadmodum diximus in solutione secunda. Et sic in hac conclusione innuit solutionem dubitationis praemissae. Quod enim dicebatur, quod nulla definitio est ex additione, verum est de definitione prout invenitur in substantiis. Sic autem praedicta accidentia non habent definitionem, sed alio modo per posterius.

[82913] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 17Deinde cum dicit est autem ponit secundam dubitationem: circa quam duo facit. Primo movet dubitationem. Secundo ponit solutionem, ibi, sed latet et cetera. Dicit ergo primo, quod est alia dubitatio de praedictis. Aut enim est idem dicere nasus simus et nasus concavus, aut non. Si idem, sequetur quod idem sit simum et concavum: quod patet esse falsum, cum alia sit definitio utriusque.

[82914] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 18Si autem non est idem dicere nasum simum et nasum concavum, propter hoc quod simum non potest intelligi sine re cuius est per se passio, idest sine naso, cum simum sit concavitas in naso, concavum vero potest dici sine naso; sequetur, si hoc quod dico simum plus habet quam concavum, quod hoc, scilicet quod est nasus, vel non possit dici nasus simus, vel si dicatur, erit bis idem dictum, ut dicamus, quod nasus simus est nasus nasus concavus. Semper enim loco nominis potest poni definitio illius nominis. Unde cum dicitur nasus simus, poterit removeri nomen simi, et addi naso definitio simi, quae est nasus concavus. Sic ergo videtur dicere, quod nasum simum, nihil aliud est quam dicere, nasum nasum concavum, quod est inconveniens. Propter quod, inconveniens videtur dicere quod in talibus accidentibus sit quod quid erat esse.

[82915] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 19Quod si hoc non est verum, quod in eis non sit quod quid erat esse, in infinitum fiet repetitio eiusdem nominis, semper posita nominis definitione pro nomine. Constat enim, quod cum dico, nasus concavus, loco concavi potest accipi simum, quia concavitas in naso non est nisi simitas, et loco simi iterum nasus concavus, et sic in infinitum.

[82916] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 20Palam est itaque, ut videtur, quod solius substantiae est definitio. Si enim esset aliorum praedicamentorum, oporteret quod esset ex additione subiecti, sicut definitio aequalitatis et definitio imparis oporteret quod sumeretur ex definitione suorum subiectorum. Non enim definitio imparis est sine numero; nec definitio feminini, quod significat quamdam qualitatem animalis, est sine animali. Si ergo definitio aliquorum est ex additione, sequetur quod bis accidat idem dicere, sicut in praemissis est ostensum. Unde, si verum est quod hoc inconveniens sequatur, sequitur quod accidentia copulata non habent definitionem.

[82917] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 21Deinde cum dicit sed latet solvit praemissam quaestionem; dicens, quod moventem praedictam quaestionem latet, quod rationes, non dicuntur certe, idest certitudinaliter, quasi ea quae dicuntur univoce, sed dicuntur secundum prius et posterius, ut supra dictum est. Si autem praedicta accidentia copulata habent terminos, idest rationes aliquas, oportet quod alio modo sint illi termini quam definitiones: aut quod definitio et quod quid erat esse, quod significatur per definitionem, dicatur multipliciter.

[82918] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 22Quare sic quidem, idest simpliciter per prius, nullius erit definitio nisi substantiae, nec etiam quod quid erat esse. Sic autem, idest secundum quid et posterius, erit etiam aliorum. Substantia enim quae habet quidditatem absolutam, non dependet in sua quidditate ex alio. Accidens autem dependet a subiecto, licet subiectum non sit de essentia accidentis; sicut creatura dependet a creatore et tamen creator non est de essentia creaturae, ita quod oporteat exteriorem essentiam in eius definitione poni. Accidentia vero non habent esse nisi per hoc quod insunt subiecto: et ideo eorum quidditas est dependens a subiecto: et propter hoc oportet quod subiectum in accidentis definitione ponatur, quandoque quidem in recto, quandoque vero in obliquo.

[82919] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 23In recto quidem, quando accidens significatur ut accidens in concretione ad subiectum: ut cum dico, simus est nasus concavus. Tunc enim nasus ponitur in definitione simi quasi genus, ad designandum quod accidentia non habent subsistentiam, nisi ex subiecto. Quando vero accidens significatur per modum substantiae in abstracto, tunc subiectum ponitur in definitione eius in obliquo, ut differentia; sicut dicitur, simitas est concavitas nasi.

[82920] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 24Patet igitur quod cum dico, nasum simum, non oportet loco simi accipere nasum concavum; quia nasus non ponitur in definitione simi, quasi sit de essentia eius; sed quasi additum essentiae. Unde simum et concavum per essentiam idem sunt. Sed simum addit supra concavum, habitudinem ad determinatum subiectum: et sic determinato subiecto quod est nasus, nihil differt simus a concavo; nec oportet aliquid loco simi ponere nisi concavum: et sic non erit dicere loco eius, nasus concavus, sed solum concavus.

[82921] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 4 n. 25Ultimo concludit ex praedictis, quod palam est, quod definitio quae est ratio eius quod quid erat esse, et ipsum quod quid erat esse, solum est substantiarum, sicut prima solutio habebat. Vel est primo et simpliciter earum, et per posterius et secundum quid accidentium, ut in secunda solutione dicebatur.

LEÇON 4.

(nn. 1331-1355; [582-587]).

 

Il montre qu’il y a des définitions seulement pour les substances, mais aussi pour les accidents mais non de la même manière; en outre, à partir de la réponse à deux questions il manifeste de quelle manière sont produites les définitions de la substance et de l’accident.

 

1331. Il présente ici la deuxième réponse à la question présentée plus tôt et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il présente la réponse [582]. En deuxième lieu il la prouve, là [584] où il dit : ¨ Mais ce qui est évident etc. ¨. En troisième lieu il écarte certaines difficultés qui pourraient naître de ce qui précède, là [585] où il dit : ¨ Mais il se présente une difficulté ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre comment la définition et la quiddité se retrouvent dans la substance et dans les accidents [582]. En deuxième lieu il montre comment elles s’attribuent aux deux, là [583] où il dit : ¨ Donc, il faut certes examiner ¨.

   Il dit donc en premier lieu [582] qu’il faut dire, comme on l’a dit dans la précédente réponse, que la quiddité et la définition n’appartient pas aux accidents mais aux substances; ou bien encore il faut dire, d’après une autre manière de répondre, que la définition tout comme la quiddité se dit de plusieurs manières. En effet, la quiddité en elle-même signifie en un premier sens la substance et cette chose individuelle. En un autre sens elle signifie chacun des prédicaments comme la qualité, la quantité et les autres prédicaments. Mais tout comme l’être s’attribue à tous les prédicaments mais pas de la même manière, mais principalement à la substance et secondairement aux autres prédicaments, de même la quiddité convient absolument parlant à la substance, ¨mais aux autres d’une autre manière¨, c’est-à-dire seulement sous un certain rapport.

1332. En effet, que la quiddité convienne aux autres prédicaments ¨d’une certaine manière¨, c’est-à-dire sous un certain rapport, cela est évident du fait que pour chacun des prédicaments on répond quelque chose à la question qu’est-ce que c’est. Nous demandons en effet au sujet de la qualité ce qu’elle est, comme lorsque nous demandons ce qu’est la blancheur, et que nous répondons qu’elle est une couleur. D’où il est clair que la qualité fait partie des prédicaments où se retrouve la quiddité.

1333. Cependant, ce n’est pas la quoi pris absolument qui se retrouve dans la qualité, mais seulement le quoi de la qualité. En effet, lorsque je demande ce qu’est l’homme et qu’on répond que c’est un animal, animal ici, parce qu’il est dans le genre de la substance, ne dit pas seulement ce qu’est l’homme, mais il signifie aussi absolument le quoi, c’est-à-dire la substance. Mais lorsqu’on demande ce qu’est la  blancheur et qu’on répond qu’elle est une couleur, bien qu’on signifie ce qu’est la blancheur, on ne signifie cependant pas absolument le quoi, mais une manière d’être, la qualité. Et c’est pourquoi la qualité ne possède pas le quoi pris absolument mais seulement ¨ce qui suit le quoi¨. C’est cette sorte de quoi qu’on retrouve dans la qualité, comme lorsque nous disons que la couleur est le quoi de la blancheur. Et ce quoi est davantage substantiel, au sens où il suit la substance, qu’il n’est une substance.

1334. En effet, parce que tous les autres prédicaments n’ont raison d’être que par la substance, c’est pour cette raison que le mode d’être de la substance, c’est-à-dire être un quoi, est participé par tous les autres prédicaments selon une certaine similitude de proportion; comme lorsque nous disons que tout comme animal est le quoi ou l’essence de l’homme, de même la couleur est le quoi du blanc et le nombre celui du chiffre deux; et de même nous disons que la qualité ne possède pas le quoi pris absolument, mais seulement tel quoi. Tout comme certains, en parlant du non-être d’une manière logique, disent que le non-être est, non pas parce que le non-être existe absolument, mais parce que le non-être est du non-être. Et de la même manière la qualité ne possède pas le quoi absolument, mais seulement le quoi de la qualité.

1335. Ensuite lorsqu’il dit [583] : ¨ Il faut donc ¨.

   Il montre comment la quiddité et la définition s’attribue à ce qu’on retrouve dans les substances et dans les accidents; et il dit que du fait que la quiddité et la définition se retrouvent d’une certaine manière dans les substances et dans les accidents, il faut donc chercher à examiner comment il faut ¨dire¨, c’est-à-dire comment attribuer la définition dans chacun des cas, mais pas davantage que ne le permet leur manière d’être, c’est-à-dire de manière à ce que nous ne disions pas que s’attribue de manière univoque ce qui ne possède pas une même définition quant à l’être.

1336. C’est pourquoi ce qui a été dit au sujet de la définition et de la quiddité dans la substance et dans les accidents est manifeste, à savoir que la quiddité se retrouve principalement et absolument dans la substance et secondairement ou en un sens dérivé dans les autres prédicaments et non pas de telle manière que la quiddité existe dans les autres prédicaments d’une manière absolue, mais plutôt qu’il y existe seulement ¨la quiddité de ceci ou de cela¨, c’est-à-dire celle de la quantité ou de la qualité. Il est manifeste en effet qu’il faut que la définition et la quiddité s’attribuent dans la substance et les accidents soit de manière équivoque, soit en ajoutant ou en enlevant selon le plus et le moins ou selon l’avant et l’après, de la même manière que l’être se dit de la substance et de l’accident. Et tout comme nous disons que ¨l’inconnaissable est connaissable en un certain sens¨, c’est-à-dire secondairement, puisque qu’au sujet de l’inconnaissable nous pouvons connaître qu’il n’est pas connu, de même nous pouvons dire cela du non-être, parce qu’il n’est pas.

1337. En effet il n’est pas juste que la quiddité et la définition se disent de la substance et des accidents soit d’une manière équivoque, soit absolument et de la même manière, c’est-à-dire d’une manière univoque. Mais elles doivent se dire comme le terme médical se dit de différents cas particuliers par rapport à une seule et même chose sans revêtir une seule et même signification pour chacun des cas particuliers auxquels il s’attribue, et sans toutefois s’attribuer à eux d’une manière équivoque. On dit en effet du corps qu’il est médical parce qu’il est le sujet de la médecine; on dit d’une opération qu’elle est médicale parce qu’elle est posée par le médecin, comme une purgation et un vase sont dits médicaux parce que le médecin s’en sert, par exemple le clystère. Et ainsi on voit que le terme médical ne se dit pas de ces trois choses d’une manière absolument équivoque puisque les significations équivoques ne se rapportent pas à un point commun. Mais le terme médical ne se dit pas non plus d’une manière purement univoque d’après une même définition. En effet, ce n’est pas d’après le même rapport que médical se dit de ce dont se sert le médecin et de ce que produit le médecin. Mais le terme médical se dit de tous ces cas par analogie parce qu’il se rapporte à un point commun et unique, à savoir l’art médical. Et de la même manière la quiddité et la définition ne se disent de la substance et des accidents ni d’une manière équivoque ni d’une manière univoque, mais par rapport à un point commun. Ils se disent en effet des accidents dans la mesure où ils se rapportent d’abord à la substance, ainsi que nous l’avons dit.

1338. Et parce qu’il avait présenté deux réponses, il ajoute que peu importe comment on désire s’exprimer à l’égard de la question qui précède : soit qu’on dise que les accidents ne possèdent pas une définition, soit qu’on dise qu’ils en possèdent une mais comme secondairement et dans une certaine mesure. Mais lorsqu’on dit dans la première réponse que les accidents ne possèdent pas de définition, cela s’entend de la définition prise dans un sens premier et absolu.

1339. Ensuite lorsqu’il dit [584] : ¨ Mais cela ¨.

   En deuxième lieu il prouve la réponse qu’il vient de donner en disant qu’il est évident que la définition et la quiddité appartient principalement et absolument aux substances, mais qu’elles n’appartiennent pas seulement aux substances puisque même les accidents en un autre sens possèdent une définition et une quiddité, mais non principalement. Et cela devient évident de la manière suivante. En effet ce n’est pas toute énonciation par laquelle le nom est expliqué au moyen de cette énonciation qui est identique à une définition; et ce n’est pas non plus tout nom qui est expliqué par n’importe quelle énonciation qui est un défini; mais c’est à une énonciation déterminée qu’il appartient d’être une définition, c’est-à-dire à celle-là qui signifiera un objet un. En effet, si je disais par exemple que Socrate est blanc, musicien et frisé, cette énonciation ne signifierait par un objet un mais plusieurs choses qui ne sont une que par accident et c’est pourquoi une telle énonciation n’est pas une définition.

1340. Mais il ne suffit pas que ce qui est signifié par une énonciation soit un par la continuité pour faire de cette énonciation une définition. Car de cette manière en effet ¨l’Iliade¨, c’est-à-dire le poème sur la guerre de Troie, serait une définition car cette guerre se déroule dans une certaine continuité de temps. Il ne suffit pas non plus que l’énonciation soit une par le lien ou l’assemblage, tout comme l’énonciation suivante ne serait pas une définition de la maison si je disais que la maison, c’est les pierres, le ciment et les pièces de bois. Mais alors l’énonciation signifiant quelque chose de un sera une définition autant de fois qu’elle signifiera l’un de ces sens d’après lequel l’un se dit par soi. L’un en effet se dit, tout comme l’être, en plusieurs sens. Mais l’être signifie soit telle substance individuelle, soit la quantité, soit la qualité et ainsi de suite; et cependant il signifie en premier lieu la substance et secondairement les autres catégories. Donc, l’un pris absolument se retrouvera principalement dans la substance et secondairement dans les autres catégories.

1341. Si donc il appartient à la notion de la définition qu’elle signifie l’un, il s’ensuit qu’il y aura une définition pour la notion de l’homme blanc car l’homme blanc est un en un certain sens, mais pas dans le même sens où il y a une définition de la notion du blanc et une définition de la notion de substance; car la définition de la notion de substance sera une définition dans un sens premier alors que celle de la notion du blanc le sera dans un sens second, tout comme l’un se dit en un sens premier de la substance et en un sens second de l’accident.

1342. Ensuite lorsqu’il dit [585] : ¨ Mais il y a ¨.

   Il écarte certaines difficultés relativement à ce qui a été établi; et il divise cette considération en deux parties correspondant aux deux difficultés qu’il écarte. Il présente la deuxième là [586] où il dit : ¨ Mais il y a encore une autre difficulté ¨.

   Mais il y a deux choses à noter pour manifester la première partie [585], dont la première est que certains affirmaient que nulle définition ne se fait ¨à partir d’une addition¨, c’est-à-dire que dans aucune définition on ne doit placer quelque chose qui est en dehors de l’essence du défini. Et semblait jouer en leur faveur cette vérité, à savoir que la définition exprime l’essence de la chose. Et de là, il semble que ce qui se trouve en dehors de l’essence de la chose ne doit pas être placé dans sa définition.

1343. La deuxième est que certains accidents sont simples et d’autres sont composés. On appelle simples ceux qui n’ont pas un sujet déterminé placé dans leur définition, comme le courbé et le concave et d’autres entités mathématiques de cette sorte. Mais on appelle composés les accidents qui ont un sujet déterminé sans lequel ils ne peuvent être définis.

1344. La question est donc de savoir si on veut dire que l’énonciation qui se fait par une addition n’est pas une définition pour les accidents qui sont simples mais qu’elle le serait pour ceux qui sont composés. Il semble en effet qu’il ne puisse y avoir de définition pour aucun d’eux. Il est donc clair que si ceux-là sont définis, il est nécessaire que leur définition se fasse à partir d’une addition puisqu’ils ne peuvent être définis sans leurs sujets propres. Ainsi, si nous prenons ces trois exemples, à savoir le nez, la concavité et le camus : la concavité est un accident simple surtout si on le compare au nez puisque le nez n’entre pas dans la compréhension du concave. Mais le camus est un accident composé puisque le nez entre dans sa compréhension ou sa définition. Et ainsi le camus sera dit en quelque sorte à partir des deux, dans la mesure où il signifie ¨ceci dans cela¨, c’est-à-dire un accident déterminé dans un sujet déterminé, et la concavité tout comme le camus ne sont pas des propriétés du nez par accident, comme le blanc appartient par accident à Callias ou à l’homme, dans la mesure où Callias est blanc, auquel il arrive aussi d’être un homme. Mais c’est par soi que le camus est une propriété du nez. En effet, c’est au nez en tant que nez qu’il appartient d’être camus. Mais une autre version, au lieu de concave, dit aquilin. Et dans ce cas, le sens est plus clair car le nez est présent dans la définition d’aquilin comme il entre dans la définition de camus. Mais tout comme le mâle appartient par soi à l’animal, et l’égal à la quantité, il en est de même pour tous les autres prédicats qui sont dits exister par soi dans un autre, car pour eux tous on retrouve un même rapport, et ¨ils sont ceux dans lesquels¨, c’est-à-dire qu’ils sont ceux dans la définition desquels existe le nom de ce ¨à quoi appartient la propriété¨, c’est-à-dire la substance ou même sa définition. Dans les définitions en effet on peut toujours placer la définition du nom au lieu du nom lui-même : ainsi, si nous disons que l’homme est un animal rationnel et mortel, on peut placer au lieu du nom animal sa définition, comme lorsqu’on dit que l’homme est une substance animée sensible, rationnelle et mortelle. De la même manière, si je disais que le mâle est l’animal pouvant engendrer dans un autre, je pourrais aussi dire que le mâle est la substance animée sensible pouvant engendrer dans un autre.

1345. Et il est ainsi évident qu’on ne peut séparément ¨manifester¨, c’est-à-dire faire connaître quelque chose de ces accidents qu’on appelle composés comme on peut faire connaître le blanc sans faire entrer le sujet homme dans sa définition ou sa notion. Mais on ne peut pas notifier ou faire connaître la femelle sans l’animal; car il faut que l’animal soit placé dans la définition de la femelle comme dans celle du mâle. De là on voit qu’il ne peut y avoir de quiddité ou de définition à proprement parler pour ces accidents composés s’il est vrai qu’aucune définition ne se fait à partir d’une addition comme cela se produit dans les définitions des substances.

1346. Mais s’il existe une définition pour ce qui ne peut être défini sans recourir à une addition, cette définition différera de celles des substances comme nous en avons parlé dans la deuxième réponse. Et il indique ainsi dans cette conclusion la réponse à la question précédente. En effet, ce qu’on disait, à savoir que nulle définition ne se fait à partir d’une addition, cela est vrai pour la définition qui se rencontre dans les substances. Et de cette manière les accidents composés n’ont pas de définition mais en un autre sens ils en ont une comme secondairement.

1347. Ensuite lorsqu’il dit [586] : ¨ Mais il y a ¨.

   Il présente la deuxième difficulté : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il soulève la question. En deuxième lieu il présente la réponse à cette question, là [587] où il dit : ¨ Mais nous ne voyons pas etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [586] qu’il y a une autre difficulté au sujet de ce qui précède. Ou bien en effet c’est la même chose de dire un nez camus et un nez concave, ou bien ce n’est pas la même chose. Si c’est la même chose, il s’ensuit que camus et concave signifient la même chose : ce qui est évidemment faux, puisque la définition de l’un diffère de celle de l’autre.

1348. Mais si dire nez camus ce n’est pas la même chose que dire nez concave pour cette raison que camus ne peut être défini ¨sans la chose dont il est un attribut par soi¨, c’est-à-dire sans le nez, puisque le camus est une concavité du nez et que le concave par ailleurs peut se dire sans le nez, il s’ensuit, si ce que j’appelle camus dit plus que la simple concavité, que cela, c’est-à-dire ce qu’est le nez, ne peut être appelé un nez camus; ou bien, si on le dit, on répéterait deux fois la même chose comme si on disait que le nez camus est un nez nez concave. En effet, au lieu du nom on peut toujours présenter la définition de ce nom. De là si on dit nez camus, on pourra enlever le nom de camus et ajouter au nez la définition de camus qui est nez concave. Si donc il semble que dire nez camus n’est rien d’autre que dire nez nez concave, il semble qu’il y ait là un problème. Pour cette raison, il ne semble pas juste de dire que pour de tels accidents il y ait une quiddité.

1349. Et s’il n’est pas vrai qu’il y ait en eux une quiddité, il y aura une répétition à l’infini du même nom s’il faut ainsi toujours poser la définition à la place du nom. Il est clair en effet que lorsque je dis nez concave, au lieu de concave je peux prendre camus car la concavité dans le nez n’est rien d’autre que le camus, puis je peux encore remplacer camus par nez concave, et ainsi à l’infini.

1350. Et c’est pourquoi il est manifeste, comme on le voit, qu’il n’y a de définition que pour la substance. Si en effet il y avait définition pour les autres prédicaments, il faudrait qu’elle se fasse à partir d’une addition du sujet, comme la définition de l’égalité et la définition de l’impair doit se tirer de la définition de leur sujet. En effet, on ne peut définir l’impair sans le nombre, ni le féminin, qui signifie une qualité de l’animal, sans l’animal. Donc, là où il y a définition à partir d’une addition, il s’ensuit qu’il arrive de dire deux fois la même chose comme on l’a vu pour les exemples précédents. C’est pourquoi, s’il est vrai que ce problème en découle, il s’ensuit que les accidents composés ne possèdent pas de définitions.

1351. Ensuite lorsqu’il dit [587] : ¨ Mais on ne voit pas ¨.

   Il résout la question précédente en disant que celui qui soulève la question précédente ne voit pas que les définitions ne se disent pas ¨avec précision¨, c’est-à-dire avec certitude comme celles qui se disent d’une manière univoque, mais elles se disent selon l’avant et l’après comme nous l’avons dit plus haut. Mais si les accidents composés dont on vient de parler possèdent des limites, c’est-à-dire certaines définitions, il faut que ces limites se présentent autrement que les définitions ou encore que la l’essence et la quiddité, qui est signifiée par la définition, se disent d’après plusieurs sens.

1352. C’est pourquoi, ¨ainsi certes¨, c’est-à-dire prise absolument et principalement, la définition, tout comme la quiddité, n’existe que pour la substance. ¨Mais autrement¨, c’est-à-dire prise secondairement, elle existe aussi pour les autres prédicaments. En effet, la substance qui possède une quiddité absolue ne dépend pas d’un autre pour sa quiddité. Mais l’accident dépend d’un sujet, bien que le sujet ne fasse pas partie de l’essence de l’accident, tout comme la créature dépend du créateur et cependant le créateur ne fait pas partie de l’essence de la créature de telle sorte qu’il faudrait poser une essence extérieure dans sa définition. D’un autre côté les accidents ne possèdent d’être que parce qu’ils existent dans un sujet : et c’est pourquoi leur quiddité est dépendante du sujet : et c’est pour cette raison qu’il faut que le sujet soit placé dans la définition de l’accident, parfois directement, parfois indirectement.

1353. Le sujet est placé dans la définition de l’accident directement quand l’accident est signifié comme existant concrètement dans un sujet, comme lorsque je dis que le camus est un nez concave. Alors en effet le nez est placé dans la définition du camus comme à titre de genre pour signifier que les accidents n’ont de subsistance qu’à partir du sujet. D’un autre côté lorsque l’accident est signifié comme séparément à la manière d’une substance, alors le sujet est placé dans sa définition d’une façon indirecte, à la manière d’une différence, comme lorsqu’on dit que le camus est la concavité du nez.

1354. Il est donc clair que lorsque je dis ¨nez camus¨, il ne faut pas prendre, au lieu de camus, ¨nez concave¨; car le nez n’est pas placé dans la définition de camus comme s’il faisait partie de son essence, mais plutôt comme un ajout à son essence. Et c’est pourquoi le camus et le concave sont identiques par l’essence. Mais le camus ajoute au concave un rapport à un sujet déterminé : et ainsi, une fois déterminé ce sujet qui est le nez, le camus ne diffère en rien du concave; et il ne faut rien mettre à la place du camus sauf le concave; et ainsi, à la place du camus, il n’y aura pas lieu de dire nez concave, mais seulement concave.

1355. Il conclut finalement de ce qu’il vient de dire qu’il est évident que la définition, qui est l’énonciation de la quiddité, ainsi que la quiddité elle-même, n’appartiennent qu’aux substances ainsi qu’on l’établissait dans la première réponse. Ou bien on peut encore dire que la définition, à parler absolument et principalement, n’appartient qu’aux substances mais qu’elle appartient aussi aux accidents comme secondairement et sous un certain rapport, comme on le disait dans la deuxième réponse.

 

 

LECTIO 5

[82922] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 1Postquam determinavit philosophus quid est quod quid erat esse, et quorum, consequenter inquirit quomodo se habeat quod quid erat esse ad id cuius est, utrum scilicet ut idem, vel ut diversum. Et circa hoc tria facit. Primo movet quaestionem. Secundo solvit eam, ibi, singulum enim non aliud. Tertio ostendit quod ex solutione praedicta, possunt solvi sophisticae rationes, quae circa haec fiunt, ibi, sophistici vero elenchi. Dicit ergo primo, quod perscrutandum est utrum quod quid erat esse cuiuscumque, et unumquodque cuius est quod quid erat esse, sit idem aut diversum; sicut utrum quod quid erat esse homini et homo sit idem aut diversum, et similiter de aliis. Hoc enim inquirere et manifestare, est aliquid praeopere, idest praenecessarium ad perscrutationem de substantia, quam intendimus facere in sequentibus. Intendit enim inquirere inferius, utrum universalia sint substantiae rerum, et utrum partes definitorum intrent in definitionem eorum; et ad hoc valet ista perscrutatio, quam nunc proponit.

[82923] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 2Deinde cum dicit singulum enim solvit propositam quaestionem. Et circa hoc tria facit. Primo ponit quaestionis solutionem. Secundo probat eam, ibi, in dictis vero secundum se. Tertio ostendit contrarium solutionis praedictae esse absurdum et impossibile, ibi, absurdum vero apparebit. Circa primum duo facit. Primo enim ostendit quid prima facie circa quaestionem propositam verum esse videatur. Secundo ostendit in quo eius contrarium accidat, ibi, in dictis quidem itaque. Dicit ergo primo, quod statim, in primo aspectu, hoc videtur esse dicendum, quod in omnibus rebus singulum non sit aliud a sui substantia. Hoc autem quod est quod quid erat esse, est substantia eius cuius est quod quid erat esse. Unde videtur per hanc rationem in primo aspectu quod quod quid erat esse sit idem, et non alterum ab unoquoque cuius est.

[82924] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 3Deinde cum dicit in dictis quidem. Ostendit in quibus quod praemissum est non sit verum; dicens, quod quod quid erat esse pro tanto videtur esse non aliud ab eo cuius est, quia est eius substantia: itaque in illis, quae praedicantur secundum accidens, et non dicunt substantiam subiecti, videtur esse diversum quod quid erat esse praedicati a subiecto. Alterum enim est id quod est esse albo homini, idest quod quid erat esse albi hominis, ab eo quod est albus homo.

[82925] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 4Quod sic videtur, quia cum dicitur, homo albus, supponitur homo; idem enim est homo, et homo albus, ut dicunt. Si enim albus haberet esse aliud a subiecto, aliquid praedicaretur de composito, ratione albi, vel posset praedicari, quia non esset contra rationem albi. Quod enim praedicatur de homine albo, non praedicatur de eo nisi quia praedicatur de homine. Accidens enim non est subiectum, nisi ratione substantiae. Unde secundum quod in albo intelligitur homo, homo et homo albus sunt idem; et pro tanto id quod erit esse albo homini, erit etiam esse homini. Si ergo quod quid erat esse albi hominis, sit idem albo homini, erit etiam idem homini: sed non est idem homini, ergo quod quid erat esse albi hominis non est idem albo homini. Et sic in his quae sunt secundum accidens, quod quid erat esse alicuius non erit idem cum eo cuius est quod quid erat esse.

[82926] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 5Quod autem quod quid erat esse albi hominis non sit idem homini, patet, quia non est necesse, quod quaecumque dicuntur secundum accidens de aliquo subiecto, quod sint eadem illi: subiectum enim est quodammodo medium inter duo accidentia, quae praedicantur de ipso, inquantum illa duo accidentia non uniuntur nisi unitate subiecti, sicut album et musicum unitate hominis de quo praedicantur: est ergo homo ut medium, album autem et musicum sunt extremitates. Si autem album esset idem homini per essentiam, pari ratione et musicum; et ita ista duo extrema album et musicum essent per essentiam idem; quia quaecumque uni et eidem sunt eadem, etiam sibiinvicem sunt eadem. Hoc autem est falsum, quod istae extremitates sint eaedem per essentiam: sed forsan hoc videtur esse verum, quod sint eaedem per accidens. Hoc autem certum est quod album et musicum sunt idem per accidens.

[82927] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 6Sed ex hoc posset aliquis opinari, quod sicut album et musicum sunt idem per accidens, ita etiam hoc, quod est esse albo, et quod est esse musico, idest quod quid est utriusque sit idem per accidens. Sed hoc non videtur esse verum. Album enim et musicum sunt idem per accidens ex hoc, quod utrumque est idem per accidens homini. Non autem quod quid est esse albi, nec hoc quod quid est musici, sunt idem cum eo quod est quod quid est esse hominis. Unde quod quid est esse albi, et quod quid est esse musici, non sunt idem per accidens, sed solum album et musicum.

[82928] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 7Deinde cum dicit in dictis vero manifestat solutionem propositam. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat eam quantum ad ea quae dicuntur per se. Secundo quantum ad ea quae dicuntur per accidens, ibi, secundum accidens vero dictum. Circa primum duo facit. Primo manifestat propositam quaestionem quantum ad ea quae dicuntur per se. Secundo concludit conclusionem intentam, ibi, necesse igitur est unum esse. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod in his, quae dicuntur per se, non est aliud quod quid erat esse, et id cuius est. Secundo quod non est separatum, ibi, et siquidem absolute. Dicit ergo primo, quod in illis, quae dicuntur per se, semper necesse est idem esse quod quid erat esse et id cuius est. Quod patet si ponantur aliquae substantiae abstractae ab istis sensibilibus, quibus non sunt aliquae aliae substantiae abstractae nec aliquae naturae priores eis. Huiusmodi enim substantias Platonici dicunt esse ideas abstractas. Si enim quod quid erat esse est aliud ab eo cuius est, oportebit hoc esse verum in omnibus in quibus est quod quid erat esse, cuiuslibet autem substantiae est quod quid erat esse, erit ergo aliquid aliud a qualibet substantia quod quid erat esse eius. Et ita etiam quod quid erat esse substantiae idealis erit aliud ab ea; et ita si ipsum bonum, idest si idea boni, et quod est bono esse, idest quod quid erat esse huius ideae, est alterum; et similiter ipsum animal, et quod est animali esse; et ipsum ens, et quod est enti esse, et ita in omnibus aliis ideis; sequetur quod sicut istae substantiae ideales ponuntur praeter substantias sensibiles, ita erunt aliae substantiae, et aliae naturae et ideae praeter ideas dictas a Platonicis, quae erunt quod quid erat esse illarum idearum; et etiam illae aliae substantiae sunt priores ideis. Et hoc dico sequetur si quod quid erat esse, substantiae est, idest si quaelibet substantia habet quod quid erat esse, ut dictum est. Vel si hoc quod quid erat esse pertinet ad substantiam rei: illud enim, a quo substantia rei dependet, est prius ea.

[82929] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 8Deinde cum dicit et si quidem. Ostendit quod hoc, quod est quod quid erat esse non est separatum ab eo cuius est, dicens, et si quidem sint absolute abinvicem, idest si quod quid erat esse et id cuius est, non solum sunt diversa, sed etiam sunt abinvicem separata, sequuntur duo inconvenientia: quorum primum est, quod harum rerum non sit scientia quarum quod quid est ab eis separatur. Secundum inconveniens est, quod haec eadem erunt non entia.

[82930] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 9Et exponit quod dixerat absolute, ut videlicet nec ipsi bono, idest ideae boni, quae ponitur secundum Platonicos insit hoc quod est esse bono, idest quod quid est esse boni. Nec iterum scilicet huic bono, inest esse bonum, idest quidditas boni: quasi dicat absolutionem praedictam esse intelligendam secundum separationem quidditatis boni ab idea boni, et a particulari bono, quod dicitur per participationem ideae. Vel aliter. Nec huic esse bonum, idest nec hoc, scilicet quod quid erat esse, competit esse bonum, ut scilicet quod quid erat esse boni sit separatum a bono, et e converso.

[82931] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 10Et quod praedicta inconvenientia sequantur hac positione facta, patet: quia scientia uniuscuiusque in hoc consistit, quod sciatur quod quid erat esse illi: et hoc similiter se habet et in bono et in omnibus aliis. Quare sequitur, quod si huic quod est esse bono, idest quidditati boni, non inest bonum, nec etiam eiquod est esse enti, idest quidditati entis, inest ens, nec similiter ei quod est uni, inest unum; quia similiter aut omnia, aut nullum eorum sunt eadem cum suis quidditatibus. Si autem bonum propter separationem praedictam non inest ei, quod est esse bonum, ergo nec e contrario esse bonum inerit bono. Quare etiam nec quod est esse enti erit idem cum ente, nec aliquod aliorum habebit in se unum quod quid est. Et ita si unumquodque scitur per quod quid est, nulla res poterit sciri: quod fuit primum inconveniens.

[82932] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 11Iterum patet quod sequitur secundum, idest quod nihil erit ens, nec bonum, nec animal, nec aliquid huiusmodi; quia non poterit bonum esse illud, cui non inest hoc, quod est bono esse, idest quod quid est boni. Si igitur quod quid est boni est separatum a bono, et quod quid erat entis ab ente, sequetur quod ista, quae dicuntur bona et entia, non sunt bona, nec entia: quod fuit secundum inconveniens.

[82933] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 12Deinde cum dicit necesse igitur concludit philosophus conclusionem principaliter intentam; dicens, quod ex quo per diversitatem et separationem eius quod quid erat esse a rebus, sequitur quod res nec sunt scitae, nec entes, quod est inconveniens, necesse est igitur esse unum benignum, et hoc quod est benigno esse, idest quod quid est benigni, et bonum et bono esse, idest quod quid est boni. Et ponit haec duo, ut benignum pertineat ad bona particularia, quae Platonici dicebant bona per participationem, bonum autem ad ipsam ideam boni. Et similiter est de omnibus aliis, quae dicuntur per se et primo, et non per aliud sive per accidens, quia in illis est alia ratio, ut dictum est. Ad hoc enim quod res sint scitae, et quod sint entes, hoc est sufficiens, scilicet quod quod quid erat rei sit idem cum re si extiterit, idest si fuerit verum, quamvis non sint species ideales, quas Platonici ponebant.

[82934] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 13Licet non propter aliud ponerent Platonici species, nisi ut per eas possit haberi scientia de istis sensibilibus, ut per earum participationem essent. Sed forsan magis est sufficiens ad praedictam positionem, quod quod quid est esse rei sit idem cum re quam ipsae species, etiam si verum sit quod sint species, quia species sunt separatae a rebus. Magis autem aliquid cognoscitur et habet esse per id quod est sibi coniunctum et idem, quam per id quod est ab eo separatum.

[82935] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 14Ex hoc autem philosophus dat intelligere destructiones specierum. Si enim species non ponuntur nisi propter scientiam rerum, et esse earum, et ad hoc sufficit alia positio, etiam hoc non posito et eo posito magis quam hoc, sequitur quod vanum sit ponere species.

[82936] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 15Similiter ad idem ostendendum, scilicet quod non sunt species, palam est, quia si sunt ideae quales Platonici eas esse dicebant, sequetur quod id, quod est subiectum, scilicet quod haec res sensibilis non sit substantia. Ponebant enim Platonici, quod necesse est ideas esse substantias, et non esse de aliquo subiecto. Proprium enim est substantiae in subiecto non esse. Sed si ista subiecta, idest, si ista sensibilia sint substantiae, oportet quod sint secundum participationem illarum specierum; et ita illae species erunt de subiecto.

[82937] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 16Ex his itaque rationibus manifestum est, quod unum est et idem non secundum accidens, unumquodque et quod quid erat esse eius. Et similiter in sciendo, idem est scire unumquodque, et scire quid est eius. Quare secundum expositionem prout unum esse dicuntur quae sunt unum in essendo et in sciendo, necesse est ambo, scilicet rem et quod quid erat esse eius, esse unum aliquid.

[82938] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 17Deinde cum dicit secundum accidens manifestat solutionem positam quantum ad ea, quae dicuntur secundum accidens; dicens, quod in his quae dicuntur secundum accidens non est verum dicere, quod sit idem quod quid erat esse, et ipsum cuius est quod quid erat esse. Et hoc propter duplex significare. Cum enim dicitur homo albus, ex parte subiecti potest aliquid attribui ei ratione subiecti, vel accidentis ratione. Si ergo diceremus, quod quod quid est albi hominis sit idem homini albo, duo possunt significari: scilicet quod sit idem homini, vel quod sit idem albo. Et hoc est quod dicit. Etenim potest significare subiectum cui accidit album, et accidens. Quare patet, quod quodammodo est idem quod quid est albi hominis cum homine albo, et quodammodo non idem. Non enim est idem homini, nec etiam albo homini respectu subiecti, sed tamen est idem ipsi passioni, idest albo. Idem enim est quod quid erat albo et album. Licet non possit dici quod sit idem cum homine albo, ne intelligatur esse idem cum subiecto.

[82939] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 18Deinde cum dicit absurdum vero ostendit quod contrarium dictae solutionis est absurdum. Quod quidem necessarium fuit propter hoc, quod superius probavit solutionem positam esse veram suppositis speciebus, quas postmodum destruxerat. Unde necessarium fuit, ut reiteraret probationem, probans ex parte eius quod quid erat esse, quod supra probaverat ex parte specierum. Et circa hoc ponit duas rationes.

[82940] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 19Circa quarum primam dicit, quod dicere aliud esse quod quid erat esse rei, et rem ipsam, apparebit absurdum si quis unicuique eorum quod quid erat esse imposuerit nomen. Tunc enim eadem ratione, et ipsum, et quod quid erat esse erit aliud quod quid erat esse. Verbi gratia. Equus est quaedam res habens quod quid erat esse equo. Quod quidem si sit alia res ab equo, habeat haec res quoddam nomen, et vocetur a. A ergo, cum sit quaedam res, habebit quod quid erat esse, alterum a se, sicut equus; et ita huic, quod est equo esse, erit aliud quod quid erat esse: quod patet esse absurdum. Procedit autem haec ratio eodem modo circa quod quid est, sicut prima ratio processerat circa ideas. Et si aliquis dicat quod quod quid est esse quidditatis equi, est ipsa substantia, quae est quidditas equi, quid prohibet statim a principio dicere, quod quaedam sunt suum quod quid erat esse? Quasi dicat, nihil.

[82941] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 20Sed sciendum, quod non solum res et quod quid erat esse eius sunt unum quocumque modo, sed etiam sunt unum secundum rationem, ut ex dictis potest esse manifestum. Non enim est unum secundum accidens unum et quod quid erat esse uni; sed est unum per se; et ita sunt secundum rationem unum.

[82942] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 21Secundam rationem ponit ibi, amplius si quae talis est. Si aliud est quod quid erat esse rei et res, hoc procederet in infinitum. Oportet enim dicere quod sint duae res, quarum altera sit unum, et altera quod quid erat esse uni. Et eadem ratione erit tertia res quae est quod quid erat esse ei, quod est quod quid esse unius; et sic in infinitum. Cum ergo non sit procedere in infinitum, palam est quod unum et idem est in his, quae dicuntur primo et per se, et non per accidens, unumquodque et id quod est unicuique esse, idem esse.

[82943] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 22Deinde cum dicit sophistici autem dicit palam esse quod eadem solutione qua soluta est prima quaestio, solvuntur sophistici elenchi, qui faciunt ad hanc positionem, ad ostendendum scilicet quod non idem sunt quod quid erat esse rei et res. Ut cum quaerunt sophistae, si est idem Socrates et Socrati esse, et ostendunt, quod non, quia si idem est Socrates et Socrati esse, Socrates autem est albus, sequetur quod idem sit album et Socrati esse et cetera. Solutio patet ex praecedentibus. Sic enim non differt, nec ex quibus interrogabit aliquis, nec ex quibus fuerit solvens, idest non differt ex quibus procedat aliquis argumentando, nec quibus quaestionibus adaptet aliquis solutionem, dummodo sit eadem radix solutionis. Patet igitur ex dictis, quando quod quid erat esse uniuscuiusque est idem cum unoquoque, et quando non. Est enim idem in his quae sunt per se, non in his quae sunt per accidens.

[82944] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 23Sciendum est etiam ad evidentiam eorum, quae dicta sunt, quod quod quid est esse est id quod definitio significat. Unde, cum definitio praedicetur de definito, oportet quod quid est esse de definito praedicari. Non igitur est quod quid est esse hominis humanitas quae de homine non praedicatur, sed animal rationale mortale. Humanitas enim non respondetur quaerenti quid est homo, sed animal rationale et mortale. Sed tamen humanitas accipitur ut principium formale eius, quod est quod quid erat esse; sicut animalitas sumitur ut principium generis, et non genus; rationalitas ut principium differentiae, et non ut differentia.

[82945] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 24Humanitas autem pro tanto non est omnino idem cum homine, quia importat tantum principia essentialia hominis, et exclusionem omnium accidentium. Est enim humanitas, qua homo est homo: nullum autem accidentium hominis est, quo homo sit homo, unde omnia accidentia hominis excluduntur a significatione humanitatis. Hoc autem ipsum quod est homo, est quod habet principia essentialia, et cui possunt accidentia inesse. Unde, licet in significatione hominis non includantur accidentia eius, non tamen homo significat aliquid separatum ab accidentibus; et ideo homo significat ut totum, humanitas significat ut pars.

[82946] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 5 n. 25Si autem est aliqua res, in qua non sit aliquod accidens, ibi necesse est, quod nihil differat abstractum a concreto. Quod maxime patet in Deo.

LEÇON 5.

(nn. 1356-1380; [588-597]).

 

On montre que, en ce qui concerne ce qui se dit pas soi, l’essence est identique et inséparable de ce dont elle est l’essence mais qu’en ce qui concerne ce qui se dit par accident, l’essence est en un certain sens identique à ce dont elle est l’essence mais pas d’une manière absolue.

 

1356. Après avoir déterminé ce qu’est la quiddité et à quoi elle appartient, le Philosophe se demande par la suite comment la quiddité se rapporte à ce dont elle est la quiddité, à savoir si elle lui est identique ou différente.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il soulève la question [588]. En deuxième lieu il y répond, là [589] où il dit : ¨ En effet, chaque être ne semble pas différer ¨. En troisième lieu il montre qu’à partir de la réponse qui précède, certains arguments sophistiques qui apparaissent relativement à la même question peuvent être résolus, là [597] où il dit : ¨ Par ailleurs, les arguments sophistiques ¨.

   Il dit donc en premier lieu [588] qu’il faut examiner avec plus d’attention si la quiddité d’une chose et la chose dont elle est la quiddité ne sont qu’une seule et même chose ou s’ils diffèrent; ainsi, est-ce que l’homme et la quiddité de l’homme sont identiques ou différents? Et de même pour le reste. En effet, examiner cette question et y répondre est quelque chose ¨d’utile¨, c’est-à-dire de nécessaire et de prérequis à l’étude de la substance que nous nous proposons de faire dans les livres suivants. Il cherche en effet à examiner plus loin si les universels sont les substances des choses et si les parties des définis entrent dans leur définition; et c’est en raison de cette finalité que l’approfondissement que nous nous proposons maintenant est utile.

1357. Ensuite lorsqu’il dit [589] : ¨ Chaque être en effet ¨.

   Il répond à la question présentée.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente la réponse à la question [589]. En deuxième lieu il prouve cette réponse, là [591] où il dit : ¨ Par ailleurs pour ce qui se dit par soi ¨. En troisième lieu il montre que la position contraire à la réponse qui précède est absurde et impossible, là [595] où il dit : ¨ D’un autre côté il apparaîtra absurde ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il montre ce qui à première vue semble vrai relativement à la question présentée [589]. En deuxième lieu il montre en quel cas c’est le contraire qui se présente comme vrai, là [590] où il dit : ¨ C’est pourquoi certes pour ce qui se dit ¨.

   Il dit donc en premier lieu [589] qu’aussitôt, au premier regard, il semble bien qu’il faut dire que pour tous les genres de choses, chaque être n’est rien d’autre que sa substance. Mais la quiddité est la substance de ce dont elle est la quiddité. De là, à première vue, il semble pour cette raison que la quiddité soit identique et non pas différente de chaque chose dont elle est la quiddité.

1358. Ensuite lorsqu’il dit [590] : ¨ C’est pourquoi certes pour ce qui se dit ¨.

   Il montre à l’égard de quoi ce qui vient d’être dit n’est pas vrai en disant que la quiddité semble d’autant plus ne pas différer de ce dont elle est la quiddité qu’elle en est la substance : c’est pourquoi, dans les cas où ce qui est attribué l’est par accident sans signifier la substance du sujet, alors la quiddité du prédicat semble différer du sujet. En effet, ¨ce qu’est l’être de l’homme blanc¨, c’est-à-dire la quiddité de l’homme blanc, diffère de celui qui est un homme blanc.

1359. Et on peut le voir de la manière suivante car lorsqu’on dit homme blanc, l’homme est supposé comme sujet; en effet, homme et homme blanc c’est la même chose, disent-ils. Si en effet le blanc possédait une existence distincte du sujet, quelque chose serait attribué au composé en raison du blanc ou pourrait lui être attribué car cela ne s’opposerait pas à la notion du blanc. En effet, ce qui est attribué à l’homme blanc ne lui est attribué que parce qu’il est attribué à l’homme. L’accident en effet n’est un sujet qu’en raison de la substance. De là, selon que l’homme est considéré dans le blanc, l’homme et l’homme blanc sont identiques et dans cette mesure,  telle sera l’être de l’homme blanc, telle sera l’être de l’homme. Si donc la quiddité de l’homme blanc était identique à l’homme blanc, elle serait aussi identique à l’homme; mais elle n’est pas identique à l’homme; donc, la quiddité de l’homme blanc n’est pas identique à l’homme blanc. Et ainsi, pour ce qui est par accident, la quiddité d’une chose ne sera pas identique à ce dont elle est la quiddité.

1360. Mais il est évident que la quiddité de l’homme blanc n’est pas identique à l’homme car il n’est pas nécessaire que ce qui se dit par accident d’un sujet soit identique à lui : le sujet en effet est comme un intermédiaire entre deux accidents qui lui sont attribués, dans la mesure où ces deux accidents ne sont unis que par l’unicité de ce sujet, tout comme le blanc et le musicien ne sont unis que par l’unité de l’homme auquel ils sont attribués : l’homme est donc pris comme un intermédiaire dont le blanc et le musicien sont des extrêmes. Mais si le blanc était identique à l’homme par l’essence, pour la même raison le musicien le serait aussi; et ainsi ces deux extrêmes, à savoir le blanc et le musicien, seraient aussi identiques par essence; car toutes les choses identiques à une seule et même chose distincte sont aussi identiques entre elles. Il est faux cependant que ces extrêmes soient identiques par essence. Mais peut-être semble-t-il vrai qu’ils soient identiques par accident. Il est certain en effet que le blanc et le musicien soient identiques par accident.

1361. Mais tout comme le blanc et le musicien sont identiques par accident, à partir de là on pourrait croire que de la même manière la quiddité du blanc et ¨la quiddité du musicien¨, c’est-à-dire ces deux quiddités, sont identiques par accident. Mais il ne semble pas que cela soit vrai. En effet, le blanc et le musicien sont identiques par accident du fait que les deux sont identiques à l’homme par accident. Mais ni la quiddité du blanc ni celle du musicien ne sont identiques à ce qui est la quiddité de l’homme. Et c’est pourquoi la quiddité du blanc et celle du musicien ne sont pas identiques par accident, mais c’est seulement le blanc et le musicien qui le sont.

1362. Ensuite, lorsqu’il dit [591] : ¨ Par ailleurs, pour ce qui se dit ¨.

   Il manifeste la réponse présentée.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il la manifeste quant à ce qui se dit par soi [591]. En deuxième lieu il la manifeste quant à ce qui se dit par accident, là [594] où il dit : ¨ D’un autre côté pour ce qui se dit par accident ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il manifeste la question présentée quant à ce qui se dit par soi [591]. En deuxième il tire la conclusion qu’il se proposait, là [593] : ¨Il est donc nécessaire que ce soit une¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre qu’en ce qui concerne ce qui se dit par soi, la quiddité ne diffère pas de ce dont elle est la quiddité [591]. En deuxième lieu il montre que cette quiddité n’est pas séparée, là [592] où il dit : ¨ Et si on sépare totalement ¨.

   Il dit donc en premier lieu [591] que pour ce qui se dit par soi, il est toujours nécessaire que la quiddité soit identique à ce dont elle est la quiddité. Ce qui est évident si on pose des substances séparées des réalités sensibles, substances auxquelles ne correspondraient pas d’autres substances séparées ni d’autres natures qui leur seraient antérieures. En effet, les Platoniciens affirmaient que de telles substances étaient les Idées séparées. Si en effet la quiddité diffère de ce dont elle est la quiddité, cela devra être vrai pour toutes les choses dans lesquelles il y a une quiddité; mais dans toute substance il y a une quiddité; donc, pour toute substance, la quiddité différera de la substance. Et ainsi encore la quiddité de la substance idéale différera de cette substance; et ainsi, ¨si le bien lui-même¨, c’est-à-dire si l’idée du bien, diffère de ¨ce qu’est l’être du bien¨, c’est-à-dire de la quiddité de cette idée, il en sera de même pour l’idée de l’animal et la quiddité de cette idée et pour l’idée de l’être et la quiddité de l’être, ainsi que pour toutes les autres idées; il s’ensuivrait que tout comme ces substances idéales sont posées en dehors des substances sensibles, de même il y aurait d’autres substances, d’autres natures et d’autres idées en dehors des Idées mises de l’avant par les Platoniciens, et qui seraient les quiddités de ces Idées; et même, ces autres substances seraient antérieures aux Idées. Et je dis que cela s’ensuivrait ¨si la quiddité appartient à la substance¨, c’est-à-dire si toute substance possède une quiddité, ainsi qu’on l’a déjà dit. Ou bien si cette quiddité appartient à la substance de la chose : alors, ce dont la substance de la chose dépend est antérieur à la substance.

1363. Ensuite lorsqu’il dit [592] : ¨ Et certes, si ¨.

   Il montre que la quiddité n’est pas séparée de ce dont elle est quiddité en disant ¨ Et si certes elles sont absolument séparées l’une de l’autre, c’est-à-dire que si la quiddité et ce dont elle est la quiddité sont non seulement différents mais de plus séparées l’une de l’autre, il s’ensuit deux absurdités dont la première est qu’il ne pourra y avoir de science de ces choses dont la quiddité est séparée. La deuxième absurdité est que ces mêmes choses seront du non-être.

1364. Et il explique ¨complètement¨ ce qu’il avait dit, c’est-à-dire afin qu’il soit clair que ¨ce n’est pas dans le bien en soi¨, c’est-à-dire dans l’Idée du bien que posaient les Platoniciens, ¨que se trouve ce que c’est que d’être un bien¨, c’est-à-dire la quiddité du bien; et ce n’est pas non plus dans ce bien particulier que se trouve ¨l’être le bien¨, c’est-à-dire la quiddité du bien : c’est comme s’il disait que cette exclusion totale dont il vient de parler doit s’entendre suivant la séparation de la quiddité du bien à la fois de l’Idée du bien elle-même et de tout bien particulier, ce dernier se disant d’après une participation de l’Idée du bien. Ou bien encore on peut l’entendre de la manière suivante : ¨Et il n’appartient pas à cela d’être un bien¨, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à cela, c’est-à-dire à la quiddité, d’être un bien, c’est-à-dire de telle sorte que la quiddité soit séparée du bien et inversement.

1365. Et il est évident que ces deux difficultés découlent de cette position car pour toute chose la science consiste en ceci que la quiddité de son objet soit connu : et il en est de même pour le bien et pour tous les autres objets de science. C’est pourquoi cette difficulté s’ensuit, si dans ¨l’être du bien¨, c’est-à-dire dans la quiddité du bien ne se trouve pas le bien, si dans ¨ce que c’est que d’être un être¨, c’est-à-dire dans la quiddité de l’être, ne se trouve pas l’être, et si de la même manière dans la quiddité de l’un ne se trouve pas l’un, de la même manière ou bien tout est  identique à sa quiddité, ou bien rien ne le sera. Mais si le bien n’appartient pas, en raison de l’hypothèse précédente de la séparation, à ce qui est la quiddité du bien, inversement par conséquent la quiddité du bien ne se trouvera pas non plus dans le bien. C’est pourquoi encore la quiddité de l’être ne sera pas identique à l’être et rien d’autre n’aura en lui une quiddité unique. Et ainsi, si toute chose est connue par sa quiddité, aucune chose ne pourra être connue : et c’était là la première absurdité.

1366. En outre il est évident que ¨la deuxième difficulté s’ensuit¨, c’est-à-dire que rien ne sera de l’être, ou du bien, ou un animal, ni rien d’autre de ce genre; car ne pourra être un bien ce dans quoi ne se trouve pas ce ¨que c’est que d’être un bien¨, c’est-à-dire la quiddité du bien. Si donc la quiddité du bien est séparée du bien, et que la quiddité de l’être est séparée de l’être, il s’ensuit que ces choses qu’on appelle des biens et des êtres, ne seront ni des biens ni des êtres : et c’était là la deuxième absurdité.

1367. Ensuite lorsqu’il dit [593] : ¨ Il est donc nécessaire ¨.

   Le Philosophe termine ici par la conclusion principale qu’il poursuivait en disant que du fait que si les quiddités des choses sont distinguées et séparées des choses  dont elles sont les quiddités, il s’ensuit nécessairement que les choses ne peuvent plus être connues et qu’elles ne sont plus des êtres, ce qui présente une impossibilité; ¨il est donc nécessaire que le bon et ce qu’est l’être du bon, c’est-à-dire la quiddité du bon, ne soient qu’une seule et même chose, ¨et qu’il en soit de même à la fois pour le bien et l’être du bien¨, c’est-à-dire la quiddité du bien. Et il présente ces deux expressions de sorte que le bon appartienne aux biens particuliers, dont les Platoniciens disaient qu’ils sont des biens par participation, eux qui rapportaient le bien à l’Idée même du bien. Et il en est de même pour tout le reste de ce qui se dit par soi et à titre premier et non par un autre et par accident parce qu’il se trouve en ceux-là une autre définition, comme nous l’avons dit. En effet, pour que les choses soient connues et qu’elles soient des êtres, cela leur suffit, à savoir que la quiddité de la chose soit identique à la chose ¨si de tels êtres existent¨, c’est-à-dire s’il est vrai qu’il existe des êtres par soi, même si les espèces idéales, posées par les Platoniciens, n’existaient pas.

1368. Quoique les Platoniciens n’aient posé l’existence des Idées que pour cette raison, à savoir que grâce à elles on puisse parvenir à une connaissance de science de ces choses sensibles, puisque ces dernières se trouvaient d’après eux à exister par participation à ces Idées. Mais peut-être suffit-il, pour établir la position précédente, que la quiddité de la chose, plus que les Idées, soit identique à la chose, même s’il était vrai que les Idées existent, car ces Idées sont séparées des choses. Mais une chose est davantage connue et possède davantage d’existence par ce qui lui est identique et qui fait un avec elle que par ce qui en est séparé.

1369. Mais à partir de là le Philosophe donne à entendre la disparition des Idées. Si en effet ces dernières ne sont posées que pour expliquer la connaissance et l’existence des choses et qu’une autre position suffit à expliquer cela, et que même si les Idées ne sont pas posées cette dernière position se trouve même à les expliquer mieux, il s’ensuit qu’il est vain de poser des Idées.

1370. De même pour montrer la même chose, à savoir que les Idées n’existent pas, il est évident que si les Idées sont telles que l’affirment les Platoniciens, il s’ensuivrait que ce qui tient lieu de sujet, à savoir les choses sensibles, ne serait pas une substance. Les Platoniciens affirmaient en effet qu’il est nécessaire que les Idées soient des substances et qu’elles ne s’attribuent pas à un sujet. Il est propre en effet à une substance de ne pas exister dans un sujet. Mais si ces sujets, c’est-à-dire si ces réalités sensibles étaient des substances, il faudrait qu’elles existent d’après une participation de ces Idées; et ainsi ces Idées leur seraient attribuées comme à un sujet.

1371. C’est pourquoi il est manifeste, à partir de ces raisons, qu’une chose et sa quiddité ne sont qu’une seule et même chose et non par accident. Et de même dans la connaissance, connaître une chose et sa quiddité, c’est connaître la même chose. ¨C’est pourquoi d’après cet exposé¨ dans la mesure où on dit que ce qui est un quant à l’existence et ce qui est un quant à la connaissance ne font qu’un, il est nécessaire que les deux, à savoir la chose et sa quiddité, ne soient qu’une seule et même chose.

1372. Ensuite lorsqu’il dit [594] : ¨ Mais l’être par accident ¨.

   Il manifeste la réponse qu’il vient de donner quant à ce qui se dit par accident, en disant que pour ce qui se dit par accident, il n’est pas vrai de dire que la quiddité et ce dont elle est la quiddité soient la même chose. Et cela en raison de deux modes de signifier. Lorsqu’en effet on dit que l’homme est blanc, du côté du sujet quelque chose peut lui être attribué en raison du sujet ou en raison de l’accident. Si donc nous disions que la quiddité de l’homme blanc est identique à l’homme blanc, on pourrait signifier deux choses : c’est-à-dire soit qu’elle soit identique à l’homme, soit qu’elle soit identique au blanc. Et c’est là ce qu’il dit. En effet, elle peut signifier le sujet ¨dont le blanc est un accident, et l’accident lui-même¨. C’est pourquoi il est clair qu’en un sens la quiddité de l’homme blanc est identique à l’homme blanc mais qu’en un autre sens elle ne lui est pas identique. En effet elle n’est pas identique à l’homme, ni même à l’homme blanc par rapport au sujet mais elle est cependant identique ¨à la propriété elle-même¨, c’est-à-dire au blanc. En effet, la quiddité du blanc est identique au blanc, quoiqu’on ne puisse dire qu’elle soit identique à l’homme blanc pour ne pas laisser entendre par là qu’elle soit identique au sujet.

1373. Ensuite lorsqu’il dit [595] : ¨ D’un autre côté il est absurde ¨.

   Il montre qu’une réponse contraire à la réponse présentée serait absurde. Et il est certes nécessaire de faire cela pour cette raison qu’il a prouvé plus haut que la réponse présentée est vraie si on suppose l’existence des Idées qui se sont trouvées à être détruites par la suite. De là il était nécessaire de réitérer la preuve en prouvant à partir de la quiddité ce qu’il avait prouvé plus haut à partir des Idées. Et à ce sujet il présente deux raisonnements.

1374. Et à cet égard il présente le premier en disant qu’affirmer que la quiddité de la chose diffère de la chose, cela même apparaîtra absurde si on impose un nom à chacune des quiddités. Alors en effet, pour la même raison, il y aura une autre quiddité pour correspondre à cette première quiddité et à la chose dont elle est la quiddité. Par exemple, le cheval est une certaine réalité possédant la quiddité du cheval. Laquelle, si elle est une réalité distincte du cheval, cette réalité devra posséder un nom et on l’appellera A. Donc A, puisqu’il est une certaine chose, aura aussi une quiddité qui sera distincte de lui, en tant que cheval en soi; et ainsi pour cela, c’est-à-dire pour le cheval en soi il faudra une autre quiddité : ce qui est évidemment absurde. Mais ce raisonnement qui porte sur la quiddité procède de la même manière que le raisonnement précédent sur les Idées. Et si on disait que la quiddité de la quiddité du cheval est la substance même qui est la quiddité du cheval, qu’est-ce qui nous empêche de dire dès le début que certaines choses sont immédiatement leur propre quiddité? C’est comme s’il disait que rien ne l’empêche.

1375. Mais il faut savoir que la chose et sa quiddité ne sont pas seulement une seule chose d’une certaine manière, mais aussi qu’elles sont une selon la raison ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède. En effet, l’un et la quiddité de l’un ne sont pas une seule chose par accident, mais c’est par soi ou essentiellement qu’elles sont une même chose. Et ainsi elles sont une même chose selon la raison.

1376. Il présente le deuxième raisonnement là [596] où il dit : ¨ Si en outre ¨.

   Et voici ce raisonnement. Si la quiddité d’une chose était autre que la chose elle-même, on irait ainsi à l’infini. Il faut dire en effet qu’il y deux choses dont l’une est l’un et l’autre est la quiddité de l’un. Et pour la même raison il y aura une troisième chose qui sera la quiddité de la quiddité de l’un, et ainsi à l’infini. Donc, puisqu’il ne faut pas procéder à l’infini, il est évident que, pour les êtres qui se disent par soi et à titre premier et non par accident, chaque être et sa quiddité ne sont qu’une seule et même chose.

1377. Ensuite lorsqu’il dit [597] : ¨ Mais les arguments sophistiques ¨.

   Il dit qu’il est évident que c’est par la même solution par laquelle la première question a été résolue que sont résolus aussi les arguments sophistiques qui s’opposent à notre position, c’est-à-dire ceux qui cherchent à montrer qu’un être est autre chose que sa quiddité. Comme lorsque les sophistes se demandent si Socrate et la quiddité de Socrate sont identiques et qu’ils répondent que non parce que si Socrate et sa quiddité étaient identiques, comme Socrate est blanc, il s’ensuivrait que le blanc et la quiddité de Socrate seraient identiques etc. La solution est évidente si on regarde ce qui précède. ¨Ainsi en effet il n’y a de différence ni dans ce à partir de quoi on pose les questions, ni dans ce à partir de quoi on trouve les réponses¨, c’est-à-dire qu’il n’y a de différence ni dans le point de départ d’où procède celui qui argumente, ni dans les questions auxquelles il apporte une réponse, tant que la racine de la réponse reste la même. Il est donc clair, à partir de ce qui est dit, quand la quiddité d’une chose est identique à cette chose et quand elle ne l’est pas. Elle est en effet la même pour ce qui est des êtres qui existent par soi et non pour ceux qui existent par accident.

1378. Mais il faut encore savoir, pour avoir l’évidence de ce qui vient d’être dit, que la quiddité est ce qui est signifié par la définition. De là, puisque la définition s’attribue au défini, il faut aussi que la quiddité s’attribue elle aussi au défini. Donc, l’humanité, qui ne s’attribue pas à l’homme, n’est pas la quiddité de l’homme, mais c’est plutôt animal rationnel et mortel qui l’est. En effet, l’humanité ne répond pas à la question de savoir ce qu’est l’homme, mais c’est plutôt animal rationnel et mortel qui y répond. Mais cependant l’humanité se prend comme le principe formel de ce qui tient lieu de quiddité, tout comme l’animalité se prend comme principe du genre et non comme le genre, alors que la rationalité se prend comme principe de la différence et non comme la différence.

1379. Mais l’humanité n’est pourtant pas absolument identique à l’homme, car elle apporte avec elle seulement les principes essentiels de l’homme à l’exclusion de tous les accidents. L’humanité en effet est ce par quoi l’homme est homme : mais aucun des accidents de l’homme n’est ce par quoi l’homme est homme, et c’est pourquoi tous les accidents de l’homme sont écartés de la signification de l’humanité. Mais cela même qu’est l’homme, c’est ce qui possède les principes essentiels et en quoi les accidents peuvent se retrouver. De là, quoique dans la signification de l’homme ses accidents ne soient pas inclus, cependant l’homme ne signifie pas quelque chose de séparé des accidents; et c’est pourquoi l’homme signifie à la manière d’une tout alors que l’humanité signifie à la manière d’une partie.

1380. Mais s’il existe un être dans lequel ne se trouve aucun accident, il sera alors nécessaire dans ce cas que l’abstrait ne diffère en rien du concret. Ce qui est surtout évident en ce qui concerne Dieu.

 

 

LECTIO 6

[82947] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 1Postquam philosophus ostendit quid est quod quid erat esse, et quorum est, et quod non est aliud ab eo cuius est, hic intendit ostendere, quod quidditates et formae existentes in istis sensibilibus non generantur ab aliquibus formis extra materiam existentibus, sed a formis quae sunt in materia. Et hic erit unus modorum, quo destruitur positio Platonis ponentis species separatas, quas ponebat esse necessarias ad hoc, quod per eas scientia de istis rebus sensibilibus haberetur, et ad hoc, quod earum participatione res sensibiles existerent, et ad hoc, quod essent principia generationis rerum sensibilium. Ostendit autem iam in praecedenti capitulo, quod species separatae non sunt necessariae ad scientiam rerum sensibilium, nec ad esse earum; cum ad hoc sufficiat quod quid est rei sensibilis in re sensibili existens, et idem ei. Unde restat ostendere, quod species separatae non sunt necessariae ad generationem sensibilium, quod ostendit in hoc capitulo. Dividitur ergo in partes duas. In prima praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad propositum ostendendum. In secunda ostendit propositum, ibi, quoniam vero ab aliquo fit quod fit. Circa primum duo facit. Primo proponit quasdam divisiones circa rerum generationem. Secundo manifestat eas, ibi, et generationes autem naturales. Ponit autem duas divisiones: quarum prima accipitur penes ea quae generantur, et modum generationis. Secunda penes ea quae ad generationem requiruntur: et hanc ponit ibi, omnia vero quae fiunt. Dicit ergo primo, quod eorum quae fiunt, quaedam fiunt a natura, quaedam ab arte, et quaedam a casu sive automato, idest per se vano. Cuius divisionis ratio est, quia causa generationis, aut est causa per se, aut est causa per accidens. Si enim est causa per se: vel est principium motus in quo est, et sic est natura; vel est extra ipsum, et sic est ars. Natura enim est principium motus, in eo in quo est. Ars vero non est in artificiato quod fit per artem, sed in alio.

[82948] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 2Si vero est causa per accidens, sic est casus et fortuna. Fortuna quidem in his quae aguntur ab intellectu. Casus autem etiam in aliis. Utrumque vero subautomato, idest sub per se vano comprehenditur, quia vanum est quod est ordinatum ad finem, et non attingit ad illum. Et tam casus quam fortuna invenitur in his quae fiunt propter aliquid, cum accidit aliquid praeter id quod intendebatur ab aliqua causa per se determinata. Unde et per se dicitur, inquantum causam determinatam habet; et vanum, inquantum praeter intentionem accidit.

[82949] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 3Deinde cum dicit omnia vero ponit secundam divisionem, quae sumitur penes ea, quae ad generationem requiruntur. Omnia enim quae fiunt, fiunt ab aliquo agente, et ex aliquo, sicut ex materia, et iterum fiunt aliquid quod est terminus generationis. Et, quia supra dixerat quod hoc aliquid proprie est in substantiis, ideo hic docet generalius esse sumendum, ut per aliquid intelligatur quodlibet praedicamentum, in quo potest esse generatio simpliciter vel secundum quid, per se vel per accidens. Hoc enim quod dixit aliquid, vel significat hoc, idest substantiam, aut quantum, aut quale, aut quando, vel aliquod aliud praedicamentum.

[82950] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 4Et huius divisionis ratio est, quia in omni generatione fit aliquid actu, quod prius erat in potentia. Nihil autem potest dici de potentia in actum procedere, nisi per aliquod ens actu, quod est agens, a quo fit generatio; potentia vero pertinet ad materiam, ex qua aliquid generatur; actus vero ad id quod generatur.

[82951] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 5Deinde cum dicit et generationes manifestat quod haec tria inveniantur in tribus modis generationis. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat propositum. Secundo inducit conclusionem principaliter intentam, ibi, quare sicut dicitur. Circa primum tria facit. Primo ostendit hoc in generatione naturali. Secundo et in generatione quae fit secundum artem, ibi, generationes vero aliae. Tertio in generationibus quae fiunt a casu, ibi, si vero a casu. Circa primum quatuor facit. Primo manifestat quae generationes sint naturales; dicens, quod istae generationes sunt naturales, quarum principium est natura, non autem ars, aut aliquis intellectus, sicut cum generatur ignis, aut planta, aut animal ex virtute naturali rebus indita.

[82952] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 6Deinde cum dicit hoc autem exemplificat in generationibus naturalibus tria praemissa; dicens, quod in generatione naturali, hoc quidem est, ex quo fit quod generatur, quod dicitur materia. Hoc autem a quo generatur aliquid eorum quae sunt secundum naturam, quod dicitur agens. Hoc vero est aliquid, scilicet quod generatur, ut homo aut planta, aut aliquid talium, quae maxime dicimus esse substantias, idest substantias particulares compositas, de quibus magis est manifestum quod sint substantiae, ut supra habitum est. Materia autem et forma, quae est principium actionis in agente, non sunt substantiae, nisi inquantum sunt principia substantiae compositae.

[82953] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 7Inter autem haec tria, duo se habent ut generationis principia, scilicet materia et agens; tertium autem se habet ut generationis terminus, idest compositum quod generatur. Et quia natura est generationis principium, tam materia, quam forma, quae est principium generationis in agente, dicitur natura, ut patet secundo physicorum. Compositum autem generatum, dicitur esse a natura vel secundum naturam.

[82954] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 8Deinde cum dicit omnia vero probat quod unum trium, scilicet principium ex quo, inveniatur in omni generatione; non solum in naturali, sed etiam in artificiali (de aliis enim duobus est manifestum): dicens, quod omnia quae fiunt vel secundum naturam vel secundum artem, habent materiam ex qua fiunt. Omne enim quod generatur vel per artem vel per naturam, est possibile esse et non esse. Cum enim generatio sit de non esse in esse mutatio, oportet id quod generatur quandoque quidem esse, quandoque non esse: quod non esset nisi esset possibile esse et non esse. Hoc autem quod est in unoquoque in potentia ad esse et non esse, est materia. Est enim in potentia ad formas per quas res habent esse, et ad privationes per quas habent non esse, ut ex supra habitis patet. Relinquitur ergo, quod in omni generatione oportet esse materiam.

[82955] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 9Deinde cum dicit universaliter vero ostendit quomodo praedicta tria se habent ad naturam; dicens, quod universaliter quodlibet praedictorum trium quodammodo est natura. Nam principium ex quo est generatio naturalis, scilicet materia, dicitur natura. Et propter hoc generationes simplicium corporum dicuntur naturales, licet principium activum generationis eorum sit extrinsecum; quod videtur esse contra rationem naturae, quia natura est principium intrinsecum, in qua est naturalis aptitudo ad talem formam; et ab hoc principio tales generationes dicuntur naturales.

[82956] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 10Et iterum illud secundum quod fit generatio, scilicet forma generati, dicitur esse natura, sicut planta, aut animal. Generatio enim naturalis est, quae est ad naturam, sicut dealbatio quae est ad albedinem.

[82957] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 11Et iterum principium, a quo fit generatio, sicut ab agente, est natura dicta secundum speciem, quae scilicet est eiusdem speciei cum natura generati, sed tamen est in alio secundum numerum. Homo enim generat hominem; nec tamen genitum et generans sunt idem numero, sed specie tantum.

[82958] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 12Et propter hoc dicitur in secundo physicorum quod forma et finis generationis incidunt in idem numero. Agens autem incidit cum eis in idem specie, sed non in idem numero. Materia vero neque in idem specie, neque in idem numero.

[82959] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 13Alia litera habet quod principium a quo, est secundum speciem dicta natura, aut conformis, quia videlicet non semper generans et genitum sunt eiusdem speciei, sed semper habent aliquam conformitatem, sicut cum equus generat mulum. Et ultimo concludit, quod illa, quae generantur per naturam, sic generantur sicut expositum est.

[82960] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 14Deinde cum dicit generationes vero determinat de his quae generantur per artem: et circa hoc duo facit. Primo distinguit generationem quae est secundum artem ab aliis generationibus, quae sunt secundum naturam. Secundo ostendit quomodo fiat generatio ab arte, ibi, ab arte vero fiunt. Dicit ergo primo, quod generationes, quae sunt aliae a naturalibus, dicuntur factiones. Quamvis enim nomine factionis, quae in Graeco dicitur praxis, possimus uti in rebus naturalibus, sicut cum dicimus quod calidum et ens actu, facit actu esse tale: magis tamen proprie utimur in his quae fiunt per intellectum, in quibus intellectus agentis habet dominium super illud quod facit, ut possit sic vel aliter facere: quod in rebus naturalibus non contingit; immo agunt ad aliquem effectum, determinato modo ab aliquo superiori praestito eis. Huiusmodi autem factiones vel fiunt ab arte, vel a potestate, vel a mente.

[82961] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 15Potestas autem hic videtur pro violentia sumi. Quaedam enim in his, quae non natura fiunt, constituuntur ex sola virtute agentis, in quibus non multum requiritur ars aliqua, vel aliquis ordinatus processus intellectus; quod maxime contingit in corporibus trahendis, vel proiiciendis, aut expellendis.

[82962] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 16Cum autem ordo intellectus ad effectum requiritur, quandoque quidem hoc contingit per artem, quandoque vero per solum intellectum, habitu artis nondum perfecto. Sicut enim aliquis argumentatur per artem, aliquis vero sine arte, ut idiotae; ita etiam aliquod opus artis aliquis per artem, aliquis sine arte facere potest in huiusmodi per artem factibilibus.

[82963] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 17Harum autem generationum quae fiunt vel arte vel potestate, vel mente, quaedam fiunt a casu et a fortuna: quando scilicet aliquod agens per intellectum intendit finem aliquem per suam actionem, et provenit aliquis finis praeter intentionem agentis. Sicut cum aliquis intendit se confricare, et ex hoc sequitur sanitas, ut postea dicetur.

[82964] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 18Et hoc similiter contingit in artificialibus, sicut in factis a natura. Virtus enim, quae est in spermate, ut infra dicetur, assimilatur arti. Sicut enim ars per determinata media pervenit ad formam quam intendit, ita et virtus formativa, quae est in spermate. Sicut autem contingit effectum qui fit per artem etiam praeter intentionem artis aut intellectus fieri, et tunc dicitur a casu accidere: ita etiam et in illis, scilicet in rebus naturalibus, eadem fiunt et ex spermate et sine spermate. Quae quidem cum fiunt ex spermate, fiunt a natura; cum autem sine spermate, fiunt a casu. Et de his perscrutandum est posterius in hoc eodem capitulo.

[82965] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 19Haec autem verba hic posita, duplicem habent dubitationem. Prima, quia cum cuiuslibet rei naturalis sit determinatus modus generationis, non videntur esse eadem quae generantur ex spermate, et per putrefactionem. Quod Averroes in octavo physicorum sentire videtur; dicens, quod non potest esse idem animal in specie quod generatur ex spermate, et quod generatur ex putrefactione. Avicenna autem e contrario sentit, quod omnia quae generantur ex semine, eadem specie possunt generari sine semine per putrefactionem, vel per aliquem modum commixtionis terrenae materiae.

[82966] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 20Sententia Aristotelis videtur esse media inter has duas opiniones, quod scilicet aliqua possunt et sine semine generari, et ex semine; non tamen omnia, ut infra dicet. Sicut nec in artificialibus omnia possunt fieri per artem et sine arte; sed quaedam fiunt per artem tantum, ut domus. Animalia enim perfecta videntur non posse generari nisi ex semine; animalia vero imperfecta quae sunt vicina plantis, videntur posse generari et ex semine et sine semine. Sicut plantae producuntur aliquando sine semine per actionem solis in terra ad hoc bene disposita; et tamen plantae sic productae producunt semina, ex quibus plantae similes in specie generantur.

[82967] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 21Et hoc rationabiliter accidit. Quia quanto aliquid perfectius est, tanto plura ad eius completionem requiruntur. Et propter hoc ad plantas et ad animalia imperfecta, sufficit ad agendum sola virtus caelestis. In animalibus vero perfectis requiritur cum virtute caelesti etiam virtus seminis. Unde dicitur in secundo physicorum quod homo generat hominem et sol.

[82968] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 22Secunda dubitatio est, quia videntur animalia generata sine semine ex putrefactione, non fieri a casu, sed ex determinato agente, scilicet ex virtute caelesti, quae in generatione eorum supplet vicem virtutis generativae, quae est in semine: et hoc etiam vult Commentator in nono huius.

[82969] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 23Sed sciendum est quod nihil prohibet aliquam generationem esse per se, cum refertur ad unam causam, quae tamen est per accidens et casualis, cum refertur in aliam causam. Sicut in ipso exemplo philosophi patet. Cum enim sanitas ex confricatione sequitur praeter intentionem confricantis, ipsa quidem sanatio, si referatur ad naturam, quae est corporis regitiva, non est per accidens, sed per se intenta. Si vero referatur ad intellectum confricantis, erit per accidens et casualis. Similiter etiam generatio animalis ex putrefactione generati, si referatur ad causas particulares, hic inferius agentes, invenitur esse per accidens et casualis. Non enim calor, qui causat putredinem, intendit naturali appetitu generationem huius vel illius animalis, quae ex putrefactione sequitur, sicut virtus, quae est ex semine, intendit productionem talis speciei. Sed si referatur ad virtutem caelestem, quae est universalis regitiva virtus generationum et corruptionum in istis inferioribus, non est per accidens, sed per se intenta; quia de eius intentione est ut educantur in actu omnes formae quae sunt in potentia materiae. Et sic recte assimilavit hic Aristoteles ea quae fiunt ab arte, his quae fiunt a natura.

[82970] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 24Deinde cum dicit ab arte vero ostendit modum generationis, quae est ab arte; et praecipue quantum ad principium effectivum. De principio enim materiali iam supra dixerat cum locutus fuerat de generatione naturali. Circa hoc autem duo facit. Primo ostendit quid sit principium activum in generatione quae est per artem. Secundo ostendit quomodo ab hoc principio generatio procedat, ibi, fit itaque sanitas. Dicit ergo primo, quod illa fiunt ab arte, quorum species factiva est in anima. Per speciem autem exponit quod quid erat esse cuiuslibet rei factae per artem, ut quod quid erat esse domus, quando fit domus. Et hoc etiam nominat primam substantiam, idest primam formam. Et hoc ideo, quia a forma quae est in anima nostra, procedit forma quae est in materia in artificialibus; in naturalibus autem e contrario.

[82971] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 25Haec autem forma quae est in anima, differt a forma, quae est in materia. Nam contrariorum formae in materia sunt diversae et contrariae, in anima autem est quodammodo una species contrariorum. Et hoc ideo, quia formae in materia sunt propter esse rerum formatarum: formae autem in anima sunt secundum modum cognoscibilem et intelligibilem. Esse autem unius contrarii tollitur per esse alterius; sed cognitio unius oppositi non tollitur per cognitionem alterius, sed magis iuvatur. Unde formae oppositorum in anima non sunt oppositae. Quinimmo substantia, idest quod quid erat esse privationis, est eadem cum substantia oppositi, sicut eadem est ratio in anima sanitatis et infirmitatis. Per absentiam enim sanitatis cognoscitur infirmitas. Sanitas autem, quae est in anima, est quaedam ratio, per quam cognoscitur sanitas et infirmitas; et consistit in scientia, idest in cognitione utriusque.

[82972] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 26Deinde cum dicit fit itaque ostendit quomodo ab hoc principio procedatur ad sanitatem. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo sanitas quae est in anima, sit principium sanationis. Secundo quomodo diversimode accipitur principium in actione artis, ibi, generationum vero et motuum. Dicit ergo quod, cum sanitas quae est in anima, sit principium sanitatis quae fit per artem, ita fit sanitas in materia aliquo intelligente quod sanitas est hoc, scilicet vel regularitas vel adaequatio calidi, frigidi, humidi et sicci. Et ideo necesse est, si sanitas debet contingere, quod hoc existat, scilicet regularitas vel aequalitas humorum. Et si regularitas vel aequalitas debeat esse, oportet quod sit calor, per quem humores reducantur ad aequalitatem; et ita semper procedendo a posteriori ad prius, intelliget illud quod est factivum caloris, et quod est factivum illius, donec reducatur ad aliquod ultimum, quod ipse statim posset facere, sicut hoc quod est dare talem potionem; et demum motus incipiens ab illo quod statim potest facere, nominatur factio ordinata ad sanandum.

[82973] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 27Patet ergo, quod sicut in naturalibus ex homine generatur homo, ita in artificialibus accidit quodammodo ex sanitate fieri sanitatem, et ex domo domum; scilicet ex ea quae est sine materia in anima existens, illa quae habet materiam. Ars enim medicinalis, quae est principium sanationis, nihil est aliud quam species sanitatis, quae est in anima; et ars aedificativa est species domus in anima. Et ista species sive substantia sine materia, est quam dixit supra quod quid erat esse rei artificiatae.

[82974] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 28Deinde cum dicit generationum vero ostendit quomodo diversimode accipitur principium in actionibus artis; et dicit quod in generationibus et motibus artificialibus est aliqua actio quae vocatur intelligentia et aliqua quae vocatur factio. Ipsa enim excogitatio artificis vocatur intelligentia, quae incipit ab hoc principio, quae est species rei fiendae per artem. Et haec operatio protenditur, ut supra dictum est, usque ad illud quod est ultimum in intentione, et primum in opere. Et ideo illa actio quae incipit ab ultimo, ad quod intelligentia terminatur, vocatur factio, quae est motus iam in exteriorem materiam.

[82975] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 29Et sicut diximus de actione artis respectu formae, quae est ultimus finis generationis artificialis, similiter est de omnibus aliis intermediis. Sicut ad hoc quod convalescat, oportet quod adaequentur humores. Hoc igitur ipsum quod est adaequari, est unum de intermediis, quod est propinquissimum sanitati. Et sicut medicus, ad hoc quod faceret sanitatem, incipiebat considerando quid est sanitas: ita, ad hoc quod faciat adaequationem, oportet quod sciat quid est adaequatio; videlicet quod adaequatio est hoc, scilicet debita proportio humorum in respectu ad naturam humanam. Hoc autem erit si corpus fuerit calefactum; quando scilicet quis infirmatur propter defectum caloris. Et iterum oportet quod sciat quod quid est hoc, scilicet calefieri: sicut si dicatur quod calefieri est immutari a medicina calida. Et hoc, scilicet dare medicinam calidam, existit statim in potestate medici, et est iam in ipso, idest in potestate eius, ut talem medicinam det.

[82976] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 30Sic igitur patet, quod principium faciens sanitatem, unde incipit motus ad sanandum, est species, quae est in anima, vel ipsius sanitatis, vel aliorum intermediorum, per quae acquiritur sanitas. Et hoc dico, si sanatio fiat ab arte. Si autem fiat alio modo, non erit principium sanitatis species quae est in anima; hoc enim est proprium in operationibus artis.

[82977] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 31Deinde cum dicit si vero manifestat quomodo fiunt generationes casuales: et dicit, quod quando sanatio fit a casu, tunc principium sanitatis fit ab hoc, quod est principium faciendi sanitatem apud eum qui facit sanitatem secundum artem. Sed hoc est intelligendum de principio factionis, quod est ultimum in intelligendo, et primum in exequendo. Sicut in medicando principium sanitatis aliquando forsan fit a calefactione. Et hinc etiam incipit sanatio, quando aliquis a casu sanatur, quia calorem aliquis excitat confricatione praeter intentionem confricantis. Calor itaque in corpore excitatus per fricationem vel medicationem, aut est pars sanitatis, quasi intrans substantiam sanitatis, sicut cum ipsa alteratio calefactionis ad sanitatem sufficit; aut sequitur ad calorem aliquid quod est pars sanitatis, sicut cum per calorem fit sanitas per hoc quod calor dissolvit aliquos humores compactos, quorum dissolutio est iam constituens sanitatem. Aut etiam hoc potest esse per plura media; sicut cum calor consumit humores superfluos impedientes aliquos meatus in corpore; quibus consumptis fit debitus motus spirituum ad aliquas determinatas partes corporis: et hoc ultimum est iam faciens sanitatem. Et quod est ita, scilicet quod est proximum sanitatis factivum est aliqua pars sanitatis, idest intrans in constitutionem sanitatis. Et similiter est in aliis artificialibus. Nam partes domus sunt lapides, quorum compositio iam est aliquid domus.

[82978] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 32Deinde cum dicit quare sicut concludit conclusionem principaliter intentam: et circa hoc duo facit. Primo includit conclusionem intentam. Secundo removet quamdam dubitationem, ibi, ex quo vero ut materia fit. Dicit ergo primo, quod ex quo omne quod generatur, generatur ex materia, et iterum generatur a suo simili, impossibile est aliquid esse factum, nisi aliquid praeexistat, sicut dicitur communiter. Communis enim philosophorum naturalium sententia erat, quod ex nihilo nihil fit. Palam est autem, quod id quod praeexistit, oportet quod sit pars rei generatae. Constat enim, quod materia quae praeexistit est pars generati. Quod ex hoc probari potest: quia materia est in generato, et ipsa fit generatum dum in actum educitur. Nec solum pars quae est materia praeexistit; sed, sicut ex dictis patet, etiam praeexistit pars quae est in ratione, scilicet forma. Haec enim duo, scilicet materia et forma, sunt partes generati.

[82979] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 33Utroque enim modo possumus assignare quid sint circuli aerei vel circuli multi, secundum aliam literam, idest particulares et distincti; et dicentes materiam quae est aes, et dicentes speciem, idest formam, quae est talis figura. Et recte dicit multos circulos particulares. Nam circulus secundum speciem et formam est unus tantum. Multiplicatur autem et individuatur per materiam. Et haec, scilicet figura, est genus, in quod primo collocatur circulus aereus. Et ita patet ex dictis, quod circulus aereus in sua definitione habet materiam. Quod autem species geniti praeexistat, supra ostensum est in naturalibus et in artificialibus generationibus.

[82980] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 34Deinde cum dicit ex quo vero removet quamdam dubitationem. Illud enim ex quo aliquid fit ut ex materia, quandoque praedicatur non in abstracto, sed denominative. Quaedam enim dicuntur non esse illud, idest materia, sed illiusmodi. Sicut statua non dicitur lapis, sed lapidea. Sed homo convalescens non dicitur illud ex quo, idest non recipit praedicationem eius ex quo fieri dicitur. Fit enim convalescens ex infirmo. Nec dicitur quod convalescens sit infirmus.

[82981] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 35Huiusmodi autem causa est, quia dupliciter dicitur aliquid fieri ex aliquo: scilicet ex privatione, et ex subiecto quod dicitur materia: sicut dicitur quod homo fit sanus, et quod laborans fit sanus. Dicitur autem magis aliquid fieri ex privatione quam ex subiecto; sicut magis dicitur aliquis fieri sanus ex laborante, quam ex homine. Sed hoc fieri hoc, magis dicimus in subiecto quam in privatione. Magis enim dicimus proprie quod homo fit sanus, quam quod laborans. Et ideo ille qui est sanus, non dicitur laborans, sed magis dicitur homo; et e converso homo dicitur sanus. Sic ergo id quod fit, praedicatur de subiecto, non autem de privatione.

[82982] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 6 n. 36Sed in quibusdam privatio est non manifesta et innominata; sicut privatio cuiuscumque figurae in aere, non habet nomen, nec etiam privatio domus in lateribus et in lignis. Et ideo utimur materia, pro materia et privatione simul. Et propter hoc, sicut illic dicimus, quod sanus fit ex laborante, ita hic dicimus quod statua fit ex aere, et domus ex lapidibus et lignis. Et propter hoc etiam, sicut ibi id ex quo fit aliquid, sicut ex privatione, non praedicatur de subiecto, quia non dicimus quod sanus sit laborans, ita nec hic dicimus quod statua sit lignum; sed praedicatur abstractum in concreto, dicendo quod non est lignum, sed lignea, nec aes, sed aerea, nec lapis, sed lapidea. Et similiter domus non est lateres, sed lateritia. Quia si quis diligenter inspiciat, nec fit statua ex ligno, nec domus ex lateribus simpliciter loquendo, sed per aliquam permutationem. Fiunt enim ista ex istis sicut ex aliquo permutato, et non sicut ex permanente. Aes enim infiguratum non manet dum fit statua, nec lateres incompositi dum fit domus. Et propter hoc in praedictis ita dicitur, idest talis fit praedicatio.

LEÇON 6.

(nn. 1381-1416; [598-610]).

 

Pour anéantir les Idées posées en raison de la génération, il avance d’abord que parmi ce qui est sujet au devenir, il y a certaines choses qui sont produites par la nature, d’autres par l’art et quelques-unes par le hasard; il manifeste encore que toute chose vient d’une autre et en vue de quelque chose.

 

1381. Après avoir montré ce qu’est la quiddité et à quoi elle appartient, et qu’elle n’est pas autre que ce à quoi elle appartient, le Philosophe cherche ici à montrer que les quiddités et les formes existant dans ces réalités sensibles ne sont pas produites par des formes existant en dehors de la matière, mais par des formes inhérentes à la matière. Et c’est ici un des modes par lesquels la position de Platon est détruite, lui qui posait l’existence d’Idées séparées qui selon lui étaient nécessaires à l’acquisition grâce à elles d’une connaissance de science au sujet de ces choses sensibles et à l’existence même de ces choses par une participation de ces Idées, et que ces dernières étaient les principes mêmes de la génération des choses sensibles. Mais Aristote a déjà montré dans le chapitre précédent que les espèces ou les Idées séparées ne sont nécessaires ni à la science des choses sensibles ni à leur existence, puisqu’il suffit pour cela que la quiddité d’une chose sensible existe dans cette même chose et lui soit identique. De là, il reste à montrer que les Idées séparées ne sont pas nécessaires à la génération des choses sensibles, ce qu’il montre dans ce chapitre-ci.

   Et cette section se divise en deux parties. Dans la première il présente d’abord certaines notions qui sont nécessaires à la manifestation du propos [598]. Dans la deuxième il manifeste le propos, là [611] où il dit : ¨ D’un autre côté puisque ce qui est sujet au devenir vient de quelque chose ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente certaines divisions relativement à la génération des choses [598]. En deuxième lieu il manifeste ces divisions, là [600] où il dit : ¨ Mais les générations qui sont naturelles ¨.

   Mais il présente deux divisions dont la première se rapporte aux choses qui sont engendrées et au mode de génération [598]. La deuxième se rapporte à ce qui est requis à la génération, ce qu’il présente là [599] où il dit : ¨ D’un autre côté toutes les choses qui sont soumises au devenir ¨.

   Il dit donc en premier lieu [598] que parmi les choses qui sont assujetties au devenir, certaines sont produites par la nature, d’autres par l’art et certaines autres par la chance ou ¨le hasard¨, c’est-à-dire par ce qui est vain en soi. Et la raison de cette division réside en ceci que la cause de la génération est ou bien une cause par soi, ou bien une cause par accident. Si en effet elle est une cause par soi, ou bien le principe du mouvement se trouve dans la chose même où il y a le mouvement et ainsi ce principe est la nature; ou bien le principe du mouvement se trouve à l’extérieur de la chose en mouvement et le principe est alors l’art. La nature en effet est le principe de mouvement qui se trouve à l’intérieur de ce qui est en mouvement. L’art par ailleurs ne se trouve pas dans l’œuvre qui est en train d’être réalisée par l’art, mais dans un autre.

1382. Si d’un autre côté il existe une cause par accident du devenir, il s’agit alors de la chance ou de la fortune. La fortune pour ce qui est des choses produites par l’intelligence et on parle de hasard pour le reste des causes par accident. Mais les deux sont comprises dans le ¨hasard¨, c’est-à-dire dans ce qui est vain en soi car le vain est ce qui est ordonné à une fin mais qui ne l’atteint pas. Et aussi bien la chance que la fortune se retrouvent dans les choses qui sont produites en vue d’une autre comme lorsqu’il se produit quelque chose qui est en dehors de ce qui était recherché par une cause par soi déterminée. De là on appelle par soi ces effets dans la mesure où ils ont leur origine dans une cause déterminée; mais on les appelle aussi vains dans la mesure où ils se produisent en quelque sorte en s’opposant à l’intention.

1383. Ensuite lorsqu’il dit [599] : ¨ Toutes les choses par ailleurs ¨.

   Il présente la deuxième division qui se tire des choses qui sont requises à la génération. En effet toutes les choses qui deviennent viennent d’un agent, et à partir de quelque chose qui tient lieu de matière, et de plus elles deviennent quelque chose qui est comme le terme de la génération. Et parce qu’il avait dit plus haut que ce quelque chose, un être individuel, fait proprement partie des substances, c’est pourquoi il enseigne ici que le terme quelque chose doit se prendre plus universellement de manière à comprendre par là tout prédicament dans lequel peut se retrouver la génération prise absolument ou sous un certain rapport, par soi ou par accident. En effet, en ce sens, ce qu’il appelle quelque chose signifie alors ¨cela¨, c’est-à-dire soit la substance, soit la quantité, soit la qualité, soit le temps, soit tout autre prédicament.

1384. Et la raison de cette division tient à ceci que dans toute génération quelque chose est produit en acte qui existait d’abord en puissance. Mais on ne peut dire d’une chose qu’elle passe de la puissance à l’acte, à moins que ce soit au moyen d’un être qui est déjà en acte et qui se trouve à être l’agent par lequel se produit la génération; par ailleurs la puissance se rapporte à la matière à partir de laquelle une chose est engendrée alors que l’acte se rapporte à ce qui est engendré.

1385. Ensuite lorsqu’il dit [600] : ¨ Et les générations ¨.

   Il montre que ces trois notions se retrouvent dans les trois sortes de générations.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il manifeste son propos [600]. En deuxième lieu il tire la conclusion qu’il recherchait principalement, là [609] où il dit : ¨ C’est pourquoi, tout comme on dit ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il manifeste cela dans la génération naturelle [600]. En deuxième lieu il le manifeste dans la génération qui a lieu conformément à l’art, là [604] où il dit : ¨ Mais les autres générations ¨. En troisième lieu il le montre dans les générations qui se produisent par hasard, là [608] où il dit : ¨ Si d’un autre côté se produit par hasard ¨.

   Au sujet du premier point il fait quatre choses. En premier lieu il montre quelles générations sont naturelles [600] en disant que les générations qui sont naturelles sont celles dont le principe est la nature et non pas l’art ou une intelligence, comme lorsqu’est produit le feu ou une plante ou un animal à partir d’une puissance naturelle enracinée dans les choses.

1386. Ensuite lorsqu’il dit [601] : ¨ Mais cela ¨.

   Il manifeste dans les générations naturelles les trois principes présentés plus haut en disant que dans toute génération naturelle on retrouve certes ce à partir de quoi la chose est engendrée et qu’on appelle la matière. Mais ce par quoi se trouve à être engendré un des êtres qui sont produits selon la nature, c’est ce qu’on appelle l’agent. D’un autre côté cette chose elle-même, c’est-à-dire ce qui est engendré, comme l’homme ou la plante ou une autre chose de la sorte, c’est ce que ¨nous appelons substances au sens premier du terme¨, c’est-à-dire des substances particulières et composées dont il est davantage évident qu’elles sont des substances ainsi que nous l’avons établi plus haut. Mais la matière et la forme, laquelle est principe d’action dans l’agent, ne sont pas des substances si ce n’est dans la mesure où elles sont des principes des substances composées.

1387. Mais parmi ces trois notions, deux se présentent comme des principes de la génération, à savoir la matière et l’agent; mais le troisième se présente comme le terme de la génération, à savoir le composé qui est engendré. Et parce que la nature est le principe de la génération, tant la matière que la forme, cette dernière étant le principe de la génération dans l’agent, sont appelées nature ainsi qu’on le voit au deuxième livre des Physiques. Mais on dit du composé qu’il existe par nature ou conformément à la nature.

1388. Ensuite lorsqu’il dit [602] : ¨ Par ailleurs, toutes les choses ¨.

   Il prouve qu’une des trois notions, c’est-à-dire le principe à partir duquel a lieu la génération, se retrouve dans toutes les générations, non seulement dans la génération naturelle, mais aussi dans la génération artificielle (pour ces deux conditions en effet la chose est manifeste), en disant que toutes les choses qui sont produites soit selon la nature soit selon l’art possèdent une matière à partir de laquelle elles sont produites. En effet, il est possible d’être et de ne pas être à tout ce qui est produit soit par la nature soit par l’art. En effet, puisque toute génération est un passage du non-être à l’être, il faut que ce qui est engendré tantôt existe, tantôt n’existe pas : ce qui n’aurait pas lieu s’il n’était pas possible d’être et de ne pas être. Mais ce qui dans toute chose est en puissance à être ou à ne pas être, c’est la matière. Celle-ci en effet est en puissance à des formes grâce auxquelles les choses possèdent de l’être et à des privations par lesquelles elles ont du non-être, ainsi qu’on le voit à partir ce qui a été établi plus haut. Il s’ensuit donc que dans toute génération il faut qu’il y ait une matière.

1389. Ensuite lorsqu’il dit [603] : ¨ Par ailleurs, à parler universellement ¨.

   Il montre comment ces trois notions se rapportent à la nature en disant qu’à parler universellement chacune de ces trois notions est nature en un certain sens. Car on appelle nature le principe à partir duquel commence la génération naturelle, à savoir la matière. Et c’est pour cette raison qu’on appelle naturelles les générations des corps simples, bien que le principe actif de leur génération soit extérieur; ce qui apparaît contraire à la définition de la nature car la nature est un principe intérieur dans lequel se trouve une aptitude naturelle à telle forme; et c’est à cause de ce principe que de telles générations sont appelées naturelles.

1390. Et de plus ce conformément à quoi se produit la génération, c’est-à-dire la forme de ce qui est engendré, s’appelle aussi nature, comme la plante ou l’animal. La génération naturelle en effet est celle qui est ordonnée à la nature, tout comme l’action de blanchir est ordonnée à la blancheur.

1391. Et de plus le principe, en tant qu’agent, par lequel se fait la génération, est appelé nature d’après l’espèce dont il fait partie, et qui est identique à l’espèce de celui qui est engendré tout en restant cependant autre par le nombre. En effet, un homme engendre un homme et cependant celui qui est engendré et son géniteur ne sont pas identiques par le nombre mais par l’espèce seulement.

1392. Et c’est pour cette raison qu’on dit au deuxième livre des Physiques que la forme et la fin de la génération coïncident numériquement. Mais l’agent se trouve à leur être identique par l’espèce mais non par le nombre. La matière de son côté ne leur est identique ni par l’espèce ni par le nombre.

1393. Un autre document dit que le principe par lequel se fait la production est appelé nature d’après l’espèce ou encore qu’il est conforme à la nature car il est clair que le géniteur et ce qui est engendré ne sont pas toujours de la même espèce, mais qu’ils ont toujours une certaine conformité, comme dans le cas où le cheval engendre le mulet. Et il conclut à la fin que les choses qui sont engendrées par la nature sont engendrées de la manière dont nous l’avons expliqué.

1394. Ensuite lorsqu’il dit [604] : ¨ Par ailleurs, les autres générations ¨.

   Il détermine des choses qui sont produites par l’art : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il distingue les productions qui proviennent de l’art des autres générations qui sont réalisées conformément à la nature [604]. En deuxième lieu il montre comment se réalise ce qui est produit par l’art, là [605] où il dit : ¨ Par ailleurs quant à ce qui est produit par l’art ¨.

   Il dit donc en premier lieu [604] que les générations qui sont autres que naturelles s’appellent des fabrications. Quoiqu’en effet nous puissions aussi nous servir du nom de production, qu’on appelle en grec ¨praxis¨, pour les choses naturelles, comme lorsque nous disons que ce qui est chaud en acte produit la chaleur en acte dans telle autre chose; cependant, nous nous servons à proprement parler de ce nom pour les choses qui sont réalisées par l’intelligence et sur lesquelles l’intelligence de l’agent a une complète maîtrise de manière à pouvoir les faire ainsi ou autrement, ce qui ne peut avoir lieu pour les choses naturelles; au contraire, ces dernières agissent en vue d’un effet déterminée, d’après un mode déterminé par l’action d’un principe supérieur qui les dépasse. Mais de telles productions ou fabrications proviennent soit de l’art, soit d’une puissance, soit d’une intelligence.

1395. Mais puissance semble se prendre ici au sens de violence. En effet, certaines parmi les choses qui ne sont pas produites par la nature sont réalisées par la seule puissance de l’agent là où un art ou un processus ordonné de l’intelligence n’est pas véritablement requis, ce qui se produit surtout dans les opérations où on tire, lance ou pousse des corps.

1396.  Mais lorsqu’un ordre de l’intelligence est requis à la production d’un effet, cela a lieu certes parfois par l’art, parfois par la seule intelligence, par une possession de l’art qui n’est pas encore parfaite. En effet, tout comme on argumente parfois par l’art, parfois sans art, comme le fait un ignorant, de même encore on peut parfois faire une œuvre d’art au moyen d’un art, mais on peut parfois réaliser sans art des choses qui se produisent habituellement en recourant à un art.

1397. Mais parmi les choses qui sont produites soit par l’art, soit par une puissance, soit par l’intelligence, certaines sont le résultat du hasard ou de la fortune : c’est-à-dire quand un agent par son intelligence cherche à réaliser une fin au moyen de son action et qu’une autre fin survient qui est comme étrangère à fin de l’agent comme lorsque quelqu’un cherche à se frictionner et qu’à partir de là s’ensuit la santé, comme on le verra plus loin.

1398. Et cela se produit de la même manière dans les choses artificielles comme dans celles qui sont produites par la nature. En effet, la puissance qui se trouve dans la semence, ainsi qu’on le verra par la suite, se compare à celle qui se trouve dans l’art. En effet, tout comme l’art parvient à la fin qu’il recherche grâce à des moyens déterminés, la puissance formatrice qui se trouve dans la semence fait de même. Mais tout comme il arrive que l’effet qui est produit par l’art est produit sans l’intention de l’art ou de l’intelligence, et alors on dit à son sujet qu’il est produit par le hasard, de même pour les autres générations, c’est-à-dire pour les choses naturelles, les mêmes choses sont produites à la fois à partir d’une semence et sans semence. Lorsqu’elles viennent d’une semence, elles sont produites par la nature; lorsqu’elles ne viennent pas d’une semence, elles sont produites par le hasard. Et il faudra approfondir ces choses par la suite dans ce même chapitre.

1399. Mais ces paroles présentées ici posent un double problème. Le premier est que puisqu’il existe un mode déterminé de génération pour chaque chose naturelle, on ne voit pas comment les choses qui sont engendrées à partir d’une semence peuvent être les mêmes que celles qui le sont par la putréfaction. Et c’est là ce que semble penser Averroès dans le huitième livre des Physiques où il dit que l’animal qui est engendré à partir d’une semence ne peut être identique par l’espèce à celui qui est engendré par une putréfaction. Avicenne pense au contraire que toutes les choses qui sont identiques par l’espèce peuvent être engendrées à la fois à partir d’une semence et sans semence par une putréfaction ou par quelque mélange d’une matière faite de terre.

1400. Par rapport à ces deux opinions, la pensée d’Aristote semble être intermédiaire. Selon lui en effet, certains animaux peuvent être engendrés à la fois à partir d’une semence et sans semence, mais non pas tous ainsi qu’il le dira plus loin. Tout comme dans les choses artificielles, ce ne sont pas toutes les choses qui sont produites à la fois par l’art et sans l’art, mais plutôt certaines sont produites par l’art seulement, comme une maison. En effet, les animaux parfaits ne semblent pouvoir être engendrés qu’à partir d’une semence; par ailleurs, les animaux imparfaits qui sont proches des plantes semblent pouvoir être engendrés à la fois à partir d’une semence et sans semence. De même, les plantes sont parfois produites sans semence par l’action du soleil sur une terre qui est bien disposée à cela; et néanmoins les plantes ainsi produites produisent des semences à partir desquelles des plantes de même espèce sont engendrées.

1401. Et c’est avec raison que les choses se produisent ainsi. Car plus une chose est parfaite et plus elle requiert de conditions pour parvenir à son achèvement. Et c’est pour cette raison que pour la production des plantes et des animaux imparfaits, l’action de la seule puissance du ciel suffit. Chez les animaux parfaits par ailleurs, la puissance de la semence est requise en plus de la puissance du ciel. C’est pourquoi on dit au deuxième livre des Physiques que c’est l’homme et le soleil qui engendre l’homme.

1402. Le deuxième problème est que les animaux engendrés sans semence et à partir d’une putréfaction semblent ne pas être produits par hasard mais à partir d’un agent déterminé, c’est-à-dire à partir de la puissance du ciel qui dans leur génération remplace la force de la puissance génératrice qui se trouve dans la semence : et c’est ce que croit aussi le Commentateur au neuvième livre de ce traité.

1403. Mais il faut savoir que rien n’empêche qu’une génération soit par soi ou essentielle lorsqu’on la rapporte à une cause, mais qu’elle soit par accident lorsqu’on la rapporte à une autre cause, tout comme on le voit dans l’exemple même que présente le Philosophe. En effet, lorsque la santé suit la friction indépendamment de l’intention de celui qui se frictionne, la santé elle-même, si on la rapporte à la nature qui règle la condition du corps, n’est pas recherchée par accident mais par soi. Si d’un autre côté on rapporte la santé à l’intelligence de celui qui se frotte, elle sera un effet accidentel et qui tient au hasard. De la même manière encore la génération de l’animal engendré à partir d’une putréfaction, si on la rapporte à des causes particulières agissant ici-bas, se trouve à être accidentelle et à tenir du hasard. En effet, la chaleur, qui est cause de putréfaction, ne recherche pas par une tendance naturelle la génération de tel ou tel autre animal qui résulte de la putréfaction, comme la puissance qui est dans la semence poursuit la génération de telle espèce. Mais si on la rapporte à la puissance du ciel qui est la puissance qui règle universellement toutes les générations et toutes les corruptions qui ont lieu ici-bas, cette sorte de génération n’est pas accidentelle, mais elle est recherchée par soi. Car il est de l’intention de la puissance du ciel de conduire à l’acte toutes les formes qui sont en puissance dans la matière. Et c’est ainsi que c’est avec raison qu’Aristote a ici assimilé les choses qui sont produites par l’art à celles qui sont produites par la nature.

1404. Ensuite lorsqu’il dit [605] : ¨ Quant aux choses qui sont produites par l’art ¨.

   Il manifeste le mode de génération des choses qui sont produites par l’art; et il le fait surtout quant au principe efficient. En effet, il a déjà parlé plus haut du principe matériel lorsqu’il a traité de la génération naturelle.

   Mais à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre quel est le principe actif dans la génération qui a lieu par l’art [605]. En deuxième lieu il montre comment la génération procède de ce principe, là [606] où il dit : ¨ C’est pourquoi la santé est produite ¨.

   Il dit donc en premier lieu [605] que les choses qui sont produites par l’art sont celles dont la forme existe dans l’âme de l’artiste qui les fait. Mais par forme il signifie la quiddité d’une chose produite par l’art, comme la quiddité d’une maison quand une maison est produite. ¨Et ce nom se trouve à nommer aussi la substance première¨, c’est-à-dire la première forme. Et il en est ainsi parce que c’est de la forme qui est dans notre âme que procède la forme qui est dans la matière des choses artificielles, alors que c’est l’inverse dans les choses naturelles.

1405. Mais cette forme qui est dans l’âme diffère de celle qui est dans la matière. Car dans la matière, les formes opposées sont différentes et opposées les unes aux autres alors que dans l’âme il n’existe qu’une seule forme pour les contraires. Et il en est ainsi parce que les formes dans la matière sont ordonnées à l’existence des choses qui sont formées : mais les formes existent dans l’âme à la manière du connaissable et de l’intelligible. Ainsi, l’existence d’une contraire dans la matière disparaît par l’avènement d’un autre contraire, mais la connaissance d’un opposé ne se trouve pas à disparaître par la connaissance d’un autre opposé, mais elle se trouve plutôt à être favorisée par cette autre connaissance. C’est pourquoi les formes des opposés qui sont dans l’âme ne sont pas opposées entre elles. Bien plutôt, ¨la substance¨, c’est-à-dire la quiddité de la privation est identique à la quiddité de son opposé, tout comme dans l’âme la notion de santé est identique à la notion de maladie. En effet, c’est par l’absence de la santé que la maladie est connue. Mais la santé qui est dans l’âme est une notion par laquelle sont connues à la fois la santé et la maladie; et cette notion consiste ¨dans la science¨, c’est-à-dire dans la connaissance de chacun des deux opposés.

1406. Ensuite lorsqu’il dit [606] : ¨ C’est pourquoi il se produit ¨.

   Il montre comment c’est par ce principe qu’on procède vers la santé.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre comment la santé qui est dans l’âme est principe de guérison [606]. En deuxième lieu il montre comment principe se prend de différentes manières dans l’action de l’art, là [607] où il dit : ¨ D’un autre côté, des générations et des mouvements ¨.

   Il dit donc [606] que puisque la santé qui est dans l’âme est le principe de la santé qui est produite par l’art, ainsi la santé est produite dans la matière par celui qui comprend que la santé est ¨cela¨, c’est-à-dire une régularité ou une certaine égalité entre le chaud et le froid, l’humide et le sec. Et c’est pourquoi il est nécessaire, si la santé doit résulter, que cela existe, à savoir l’équilibre ou l’égalité des humeurs. Et si l’équilibre ou l’égalité des humeurs doit exister, il faut qu’il y ait la chaleur grâce à laquelle les humeurs soient ramenées à une certaine égalité; et ainsi, toujours en remontant du postérieur à l’antérieur, il comprendra la cause qui produit la chaleur  et ce qui produit cette cause elle-même, jusqu’à ce qu’il parvienne à un ultime principe qu’il peut lui-même faire aussitôt, comme de donner telle potion; et dès lors le mouvement qui commence par là et qu’il peut faire aussitôt s’appelle la réalisation qui est ordonnée à la guérison.

1407. Il est donc évident que tout comme dans les choses naturelles un homme est engendré à partir d’un homme, de même dans les choses artificielles la génération de la santé résulte en un sens de la santé et la maison de la maison; c’est-à-dire que les choses qui possèdent une matière résultent de celles qui dans l’âme existent sans matière. En effet l’art de la médecine, qui est le principe de la guérison, n’est rien d’autre que la forme de la santé qui existe dans l’âme; et l’art de la construction est la forme de la maison qui existe dans l’âme. Et cette forme ou cette substance sans matière, c’est ce qu’il appelait plus haut la quiddité de la chose artificielle.

1408. Ensuite lorsqu’il dit [607] : ¨ Des générations par ailleurs ¨.

   Il montre comment le principe s’entend de différentes manières dans les actions de l’art; et il dit que dans les générations et les mouvements artificiels, il y a une opération qu’on appelle la conception et une autre qu’on appelle la réalisation. On appelle en effet conception l’invention même de l’artiste et qui commence par ce principe qui est la forme de la chose appelée à devenir par l’art. Et cette opération s’étend, ainsi qu’on l’a dit plus haut, jusqu’à cette étape qui est la dernière dans l’intention et la première dans l’exécution. Et c’est pourquoi cette opération, qui commence par la dernière dans l’intention et à laquelle se termine la conception, s’appelle réalisation, laquelle est déjà un mouvement dans une matière extérieure.

1409. Et ce que nous avons dit sur l’opération de l’art par rapport à la forme qui est la fin ultime de la production des choses artificielles, nous devons le dire aussi de tous les autres intermédiaires. Par exemple, pour que le patient guérisse, il faut que les humeurs s’équilibrent. Donc cet équilibre lui-même est un des intermédiaires et celui qui est le plus rapproché de la santé. Et tout comme le médecin, pour réaliser la santé, commençait par considérer ce qu’est la santé, de même pour réaliser l’équilibre, il faut qu’il sache ce qu’est cet équilibre; mais il est clair que l’équilibre ¨est cela¨, c’est-à-dire un rapport convenable entre les fluides qui se rapportent à la nature humaine. ¨Mais cela sera si le corps est réchauffé¨; c’est-à-dire quand quelqu’un est malade en raison d’un défaut de chaleur. Et en outre il faut qu’il sache ce que c’est que cela, à savoir ce que c’est que d’être réchauffé : comme si on disait que d’être réchauffé consiste à être modifié par une potion chaude. Et ¨cela¨, à savoir donner une potion chaude, existe déjà en puissance dans le médecin, et il est ¨déjà en lui-même¨, c’est-à-dire en son pouvoir de donner une telle potion.

1410. Ainsi donc il est évident que le principe qui produit la santé et d’où commence le mouvement vers la guérison est la forme qui est dans l’âme, forme soit de la santé elle-même, soit des autres intermédiaires par lesquels la santé est acquise. Et ce que je dis est valable si la santé est produite par l’art. Mais si elle est produite d’une autre manière, ce ne sera pas la forme qui est dans l’âme qui sera le principe de la santé. Cela en effet est propre aux opérations de l’art.

1411. Ensuite lorsqu’il dit [608] : ¨ Si par ailleurs ¨.

   Il manifeste comment sont produites les choses qui sont engendrées par hasard : et il dit que quand la santé est produite par hasard, alors le principe de la santé se fait par ce qui est le point de départ de la réalisation de la santé chez celui qui produit la santé conformément à l’art. Mais cela doit s’entendre du principe de production ou de réalisation qui est le dernier dans l’intelligence ou dans l’intention et le premier dans l’exécution. Par exemple, en soignant, le principe de la santé est produit parfois peut-être par le réchauffement. Et c’est à partir de là aussi que commence la guérison quand quelqu’un guérit par hasard, car par la friction il provoque la chaleur indépendamment de son intention. C’est pourquoi la chaleur provoquée dans le corps, soit par la friction soit par le remède, est ou bien une partie constitutive de la santé comme entrant dans la substance de la santé, tout comme le changement de chaleur suffit à produire la santé, ou bien la chaleur elle-même est suivie de quelque chose qui est une partie de la santé, comme lorsque par la chaleur la santé est produite par le fait que la chaleur dissout certains fluides qui s’étaient épaissis et dont la dissolution constitue déjà la santé. Ou bien encore cela peut se faire par plusieurs intermédiaires, comme lorsque la chaleur détruit certains fluides superflus qui obstruent des passages dans le corps, lesquels étant détruits, il se produit alors un mouvement approprié de la respiration vers certaines parties déterminées du corps : et c’est ce dernier intermédiaire qui réalise déjà la santé. ¨Et ce qui est ainsi¨, c’est-à-dire ce qui réalise le plus prochainement la santé ¨est une partie de la santé¨, c’est-à-dire qu’il entre dans la constitution de la santé. Et il en est de même pour les autres choses artificielles. Car les pierres sont les parties de la maison, dont la composition est déjà quelque chose de la maison.

1412. Ensuite lorsqu’il dit [609] : ¨ C’est pourquoi, tout comme ¨.

   Il infère la conclusion qu’il poursuivait principalement : et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il délimite la conclusion poursuivie. En deuxième lieu il écarte une difficulté, là [610] où il dit : ¨ D’un autre côté, ce à partir de quoi comme matière est produit ¨.

  Il dit donc en premier lieu [609] que du fait que tout ce qui est engendré est engendré à partir d’une matière, et qu’il est de plus engendré par ce qui lui est semblable, il n’est possible qu’un être soit produit que si quelque chose préexiste à cette production, ainsi qu’on le dit généralement. En effet, la pensée communément répandue, parmi les philosophes de la nature, était que de rien, rien ne peut devenir. Mais il est évident que ce qui préexiste doit être une partie de la chose engendrée. Il est clair en effet que la matière qui préexiste est une partie de la chose engendrée. Ce qui peut être prouvé à partir de ceci : car la matière se trouve dans ce qui est engendré et elle est elle-même engendrée lorsqu’elle est conduite à l’acte. Et ce n’est pas seulement la partie qui est matière qui préexiste mais comme cela est évident à partir de ce qui a déjà été dit, préexiste aussi cette partie qui est dans la raison, à savoir la forme. Et ces deux principes, à savoir la matière et la forme, sont des parties de ce qui est engendré.

1413. C’est de deux manières en effet que nous pouvons déterminer la nature des cercles d’airain ou des cercles multiples, d’après un autre document, c’est-à-dire des cercles particuliers et distincts; en disant qu’ils sont faits d’airain, ¨nous déterminons leur matière¨; en disant que telle est leur figure, ¨nous déterminons leur forme¨. Et c’est à juste titre qu’il parle de plusieurs cercles particuliers. Car d’après l’espèce ou la forme, il n’y a qu’un seul cercle. Mais c’est par la matière que le cercle se multiplie et s’individualise. Et celle-ci, à savoir la figure, est le genre dans lequel se situe d’abord le cercle d’airain. Et ainsi il est évident à partir de ce qui a été dit que le cercle d’airain possède une matière dans sa définition. – Mais que la forme de ce qui est engendré préexiste à sa réalisation, c’est ce qui a été montré plus haut dans les générations naturelles et dans les générations artificielles.

1414. Ensuite lorsqu’il dit [610] : ¨ Par ailleurs, le principe à partir duquel ¨.

   Il écarte une difficulté. En effet, le principe à partir duquel une chose est produite comme à partir de sa matière n’est parfois pas attribué comme séparément mais d’une manière dérivée : en effet, certaines chose sont dites ne pas être ¨cela¨, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas dites être telle matière, ¨mais de telle matière¨, tout comme on ne dit pas de la statue qu’elle est une pierre, mais qu’elle est de pierre. Mais l’homme qui est en train de se rétablir ¨ne reçoit pas le nom de ce d’où il est parti¨, c’est-à-dire qu’il ne reçoit pas l’attribution de ce à partir de quoi il devient en santé. En effet, l’homme qui recouvre la santé procède du malade. Et on ne dit pas que celui qui se rétablit est malade.

1415. Et la raison en est que c’est de deux manières qu’on dit d’une chose qu’elle vient d’une autre : soit de la privation, soit du sujet qu’on appelle la matière, comme on dit que l’homme devient sain et que le malade devient sain. Mais on dit que le devenir d’une chose procède davantage de sa privation que de son sujet. Tout comme on dit que c’est davantage du malade que de l’homme que procède celui qui devient sain. Mais que ceci devienne cela, cela se dit davantage dans le sujet que dans la privation. En effet, celui qui dit que l’homme devient sain parle plus proprement que celui qui dit que le malade devient sain. Et c’est pourquoi on ne dit pas de celui qui est sain qu’il est malade, mais plutôt qu’il est homme; et inversement on dit de l’homme qu’il est sain. Ainsi donc, ce qui devient  est attribué au sujet et non à la privation.

1416. Mais pour certaines choses la privation n’est pas manifeste et n’est pas nommée; tout comme la privation d’une figure quelconque dans l’airain ne possède pas de nom, ni la privation de la maison dans les pierres et le bois. Et c’est pourquoi on se sert du nom matière à la fois pour la matière et la privation. Et pour cette raison, tout comme nous disons là que le sain vient du malade, de même ici nous disons que la statue vient de l’airain et que la maison vient des pierres et du bois. Et pour cette raison aussi, tout comme dans le cas qui précède ce à partir de quoi une chose devient, comme à partir de sa privation, ne s’attribue pas à son sujet car on ne dit pas de celui qui est sain qu’il est malade, de même ici on ne dit pas de la statue qu’elle est du bois; mais l’abstrait s’attribue ici concrètement, en disant que la statue n’est pas le bois, mais qu’elle est de bois, ni qu’elle est l’airain, mais qu’elle est d’airain, ni qu’elle est la pierre, mais qu’elle est de pierre. Et de la même manière la maison n’est pas les briques, mais elle est de briques. Car si on examine la chose attentivement, à parler absolument, la statue ne vient pas du bois et la maison ne vient pas des pierres, mais elles proviennent toutes deux d’un changement. En effet, toutes deux proviennent d’une matière qui subit un changement et non d’une matière inchangée. En effet, l’airain ne demeure pas informe lors du devenir de la statue et les briques ne demeurent pas séparées lors du devenir de la maison. Et c’est pour cette raison que pour les cas qui précèdent ¨on parle ainsi¨, c’est-à-dire que l’attribution se fait de cette manière.

 

 

LECTIO 7

[82983] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 1Praemisit superius philosophus quaedam de generationibus rerum, quasi necessaria ad suum propositum ostendendum; scilicet ad ostendendum, quod causae generationis rerum non sunt ponendae species separatae. Ex quibus duo sunt iam manifestata per praemissa: scilicet quod omnis generatio est ex aliqua materia, et quod unumquodque quod generatur, generatur a suo simili. Nunc autem intendit ostendere propositum ex his quae supra investigata sunt. Et dividitur in partes tres. In prima ostendit quid sit illud quod generatur. In secunda ostendit, quod causa generationis non est species separata, ibi, utrum igitur est ne quaedam. In tertia determinat quaedam quae possent esse dubia circa praedeterminata, ibi, dubitabit autem aliquis. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod forma non generatur nisi per accidens. Secundo ostendit quod compositum generatur, ibi, aeream vero sphaeram. Dicit ergo primo, quod ea quae sunt ostensa supra vera sunt. Quorum unum est, quod omne quod fit, fit ab aliquo, et hoc est agens vel generans, a quo est principium generationis. Et aliud est, quod omne quod generatur, generatur ex aliquo, ut intelligatur id ex quo est generatio, non privatio, sed materia. Dictum est enim superius, quod aliter fit aliquid ex materia, et aliter ex privatione. Et tertium est quod in omni generatione oportet esse aliquid quod fit. Et hoc est vel sphaera, vel circulus, vel quodcumque aliorum.

[82984] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 2Ex istis suppositis debet esse manifestum, quod sicut agens generando non facit materiam, vel subiectum generationis, quae est aes, ita etiam non facit formam, scilicet hoc ipsum quod est sphaera, nisi forte per accidens. Facit enim aeream sphaeram quod est compositum. Et quia aerea sphaera, est sphaera, ideo per accidens facit sphaeram.

[82985] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 3Quod autem agens non faciat materiam, per se est manifestum, eo quod materia praeexistit factioni: unde non oportuit eum probare quod materia non fieret. Sed de formis poterat esse dubium, eo quod forma non invenitur nisi in termino actionis. Et ideo oportuit eum probare quod forma non fieret nisi per accidens. Et hoc ideo est, quia formae non proprie habent esse, sed magis sunt quibus aliqua habent esse. Unde si fieri est via in esse, illa tantum per se fiunt, quae per formas habent esse. Formae autem incipiunt esse, eo modo quo sunt in illis factis, quae per formas esse habent.

[82986] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 4Et quod forma non fiat, sic probat. Facere enim hoc aliquid, est facere hoc ex aliquo subiecto, quod est totaliter, idest universaliter verum in omni generatione. Facere enim hoc quod est aes rotundum, non est facere hoc ipsum quod est rotundum, scilicet rotunditatem; aut hoc ipsum quod est faceresphaeram, scilicet formam sphaerae; sed est facere aliquid alterum, scilicet speciem, non qualitercumque, sed in alio, scilicet in materia: quod est facere compositum. Quod sic patet. Si enim agens facit aliquid, oportet quod faciat ex aliquo alio sicut ex materia. Hoc enim superius subiiciebatur, scilicet quod omnis generatio ex materia fit, propter probationem superius inductam. Sicut agens dicitur facere sphaeram aeream. Et hoc ideo, quia facit hoc quod est sphaera aerea, ex hoc quod est aes. Si igitur etiam ipsam formam faciat, palam erit quod faciet eam similiter, scilicet ex aliqua materia. Et ita sicut sphaera aerea erit composita ex materia et forma, sic et forma sphaerae aereae erit composita ex materia et forma: et redibit eadem quaestio de forma formae, et sic in infinitum: et ita generationes procedent in infinitum, quia omne generatum habet materiam et formam. Palam igitur est quod non fit species rei generatae, nec aliquid aliud quodcumque fit, quod oporteat vocare formam in rebus sensibilibus, sicut ordo et compositio et figura quae in aliquibus tenet locum formae, maxime in artificialibus.

[82987] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 5Et quia generatio est eius quod fit, palam est quod nec generatio est formae, sed compositi. Nec iterum quod quid erat esse rei generatae generatur, nisi per accidens. Sed forma et quod quid erat esse, est quod fit in alio, idest in materia, non per se. Et dico quod fit, vel ab arte, vel a natura, vel potestate, idest a quocumque agente per violentiam.

[82988] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 6Dicit autem quod quid erat esse non fieri, quamvis sit idem rei factae. Supra enim ostensum est unamquamque rem esse idem cum suo quod quid erat esse. Sed tamen quod quid erat esse est quod per se pertinet ad speciem. Unde ab eo excluduntur conditiones individuales, quae per accidens sunt speciei. Species autem et alia universalia non generantur nisi per accidens, singularibus generatis.

[82989] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 7Sciendum tamen quod licet in litera dicatur, quod forma fit in materia, non tamen proprie dicitur. Forma enim proprie non fit, sed compositum. Sicut enim dicitur forma esse in materia, licet forma non sit, sed compositum per formam: ita etiam proprius modus loquendi est, ut dicamus compositum generari ex materia in talem formam. Formae enim proprie non fiunt, sed educuntur de potentia materiae, inquantum materia quae est in potentia ad formam fit actu sub forma, quod est facere compositum.

[82990] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 8Deinde cum dicit aeream vero ostendit, quod composita fiant, dicens, quod generans facit esse sphaeram aeream. Facit enim eam ex aere quod est materia, sicut ex principio generationis, et ex sphaera, quae est formae et generationis terminus. Facit enim hanc speciem, idest figuram sphaerae in hoc, idest in hac materia, inquantum scilicet transmutat hoc aes in sphaeram: et hoc est sphaera aerea, scilicet forma sphaerae in aere.

[82991] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 9Sed hoc, scilicet figura sphaerae est esse sphaerae, idest quod quid est sphaerae. Eius autem quod est esse sphaerae, idest ipsius quod quid est formae, non est omnino generatio; quia si esset eius generatio, oporteret quod esset ex aliquo sicut ex materia. Omne enim quod fit oportet esse divisibile, ita scilicet quod eius hoc sit hoc, idest una pars sit hoc, et hoc sit hoc, idest alia pars sit hoc. Et hoc exponit, scilicet quod una pars eius sit materia, et alia pars eius sit species. Si igitur quid est sphaerae quantum ad ipsam formam est quod sit figura aequalis ex medio, idest quod sit quaedam figura solida a cuius medio ad extremitates omnes lineae ductae sint aequales, oportet quod huius, scilicet sphaerae aereae hoc quidem, scilicet materia, sit in quo erat id quodfacit generans, scilicet forma; et hoc sit in illo, scilicet forma, quae scilicet est figura ex medio aequalis, et hoc sit omne, idest totum quod factum est, scilicet aerea sphaera.

[82992] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 10Palam igitur est ex dictis, quod si omne quod fit oportet esse divisibile, quod id quod est ut species, aut quod est ut substantia, idest ut quod quid erat esse non fit. Sed synodus, idest compositum quod dicitur et denominatur a tali forma, vel quidditate vel quod quid est, fit. Et iterum manifestum est quod omni generato inest materia, et quod cuiuslibet generati hoc est hoc, et hoc est hoc, idest una pars est materia, et alia forma.

[82993] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 11Deinde cum dicit utrum igitur ostendit quod ex quo formae non generantur sed composita, quod non oportet ponere species separatas esse causas generationis in istis inferioribus. Sciendum est autem, quod Platonici ponebant species esse causas generationis dupliciter. Uno modo per modum generantis, et alio modo per modum exemplaris. Primo ergo ostendit, quod species separatae non sunt causae generationis per modum generantis. Secundo, quod non per modum exemplaris, ibi, in quibusdam vero palam. Dicit ergo primo, quod considerandum est utrum sit aliqua forma universalis praeter huiusmodi singularia, scilicet quod sit quaedam sphaera a materia separata praeter has sphaeras quae sunt in materia. Aut etiam sit aliqua domus universalis sine materia, praeter lapides, ex quibus constituuntur istae domus particulares. Movet autem quaestionem in artificialibus propter naturalia, quorum species Plato separatas posuit a materia; ut intelligatur esse quaesitum, utrum sit homo universalis praeter carnes et ossa, ex quibus particulares homines constituuntur.

[82994] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 12Ad solutionem autem huius quaestionis, hic primo praemittit, quod si sit aliqua substantia hoc modo facta, nullo modo erit hoc aliquid, sed significabit tantum quale quid, quod non est determinatum. Socrates enim significat hoc aliquid et determinatum; homo vero significat quale quid, quia significat formam communem et indeterminatam, quia significat absque determinatione huius vel illius. Unde si sit homo praeter Socratem et Platonem et alios huiusmodi, non tamen erit hoc aliquid nec determinatum. Sed nos videmus quod in generationibus, semper illud quod facit et generat ex hoc, idest ex tali materia, est tale hoc, idest hoc determinatum, habens determinatam speciem. Oportet enim, sicut generatum est hoc aliquid, ita et generans esse hoc aliquid, cum generans sit simile genito, ut supra probatum est. Et quod genitum sit hoc aliquid, ex hoc patet: quia quod generatur est compositum. Sed hoc esse, scilicet compositum, quando est hoc, idest determinatum, est ut Callias, aut Socrates, sicut cum dicitur haec sphaera aerea. Sed homo et animal non significant hanc materiam ex qua est generatio, sicut nec sphaera aerea universaliter dicta. Si ergo compositum generatur, et non generatur nisi ex hac materia, per quam est hoc aliquid, oportet quod id quod generatur sit hoc aliquid. Et cum generatum sit simile generanti, oportet etiam, quod generans sit hoc aliquid. Et ita non sit species universalis, sine materia.

[82995] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 13Manifestum est ergo ex dictis, quod si sunt aliquae species praeter singularia, nihil sunt utiles ad generationes et substantias rerum, sicut consueti sunt quidam dicere specierum causa, idest ad hoc quod ponant species. Haec enim erat una causa, quare Platonici species ponebant, ut essent causa generationis in rebus. Si igitur species separatae non possunt esse causa generationis, manifestum erit quod non erunt species quaedam substantiae secundum se existentes.

[82996] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 14Sciendum est autem, quod omnes, qui non consideraverunt hoc, quod philosophus supra ostendit, quod formae non fiunt, passi sunt difficultatem circa factionem formarum. Propter hoc namque quidam coacti sunt dicere, omnes formas esse ex creatione. Nam ponebant formas fieri, et non poterant ponere quod fierent ex materia, cum materia non sit pars formae: unde sequebatur quod fierent ex nihilo, et per consequens quod crearentur. E contrario autem quidam posuerunt propter hanc difficultatem, formas praeexistere in materia actu, quod est ponere latitationem formarum; sicut posuit Anaxagoras.

[82997] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 15Sententia autem Aristotelis, qui ponit formas non fieri, sed compositum, utrumque excludit. Neque enim oportet dicere, quod formae sint causatae ab aliquo extrinseco agente, neque quod fuerint semper actu in materia, sed in potentia tantum. Et quod in generatione compositi sint eductae de potentia in actum.

[82998] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 16Deinde cum dicit in quibusdam ostendit, quod species separatae non possunt esse causa generationis per modum exemplaris; dicens, quod licet in aliquibus sit dubium utrum generans sit simile generato, tamen in quibusdam palam est quod generans sit quoddam tale, quale est generatum; non quidem idem numero, sed idem specie, ut patet in naturalibus. Homo enim generat hominem, similiter equus equum, et unaquaeque res naturalis aliam similem in specie sibi: nisi accidat aliquid praeter naturam, sicut est cum equus generat mulum. Et dicitur ista generatio praeter naturam, quia est praeter intentionem naturae particularis.

[82999] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 17Virtus enim formativa, quae est in spermate maris, naturaliter est ordinata ut producat omnino simile ei, a quo sperma est decisum; sed de secundaria intentione est, quod quando perfecta similitudo induci non potest, inducatur qualiscumque potest similis. Et, quia in generatione muli sperma equi non potest inducere speciem equi in materia, propter hoc quod non est proportionata ad suscipiendum speciem equi, inducit speciem propinquam. Unde etiam in generatione muli est aliquo modo generans simile generato. Est enim aliquod proximum genus, quod non est nominatum, commune equo et asino. Et sub illo genere continetur etiam mulus. Unde secundum illud genus potest dici quod simile generat simile. Ut si verbi gratia dicamus quod illud proximum genus sit iumentum, poterimus dicere, quod licet equus non generet equum, sed mulum, iumentum tamen generat iumentum.

[83000] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 18Patet igitur, quod omnia generata consequuntur speciei similitudinem ex virtute generantis. Quare palam est, quod non oportet ponere aliquam speciem separatam, quasi exemplar rebus generatis, ex cuius imagine res generatae speciei similitudinem consequantur, ut Platonici ponebant. Maxime enim huiusmodi exemplaria requirerentur in praedictis substantiis naturalibus, quae sunt maxime substantiae respectu artificialium. Sufficiens autem est in praedictis generans ad faciendum similitudinem speciei; et est sufficiens ponere causam speciei in materia, idest quod illud quod facit hoc generatum consequi talem speciem non sit species extra materiam, sed species in materia.

[83001] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 7 n. 19Omnis autem species, quae est in materia, scilicet in his carnibus et in his ossibus, est aliquod singulare, ut Callias et Socrates. Et ista etiam species causans similitudinem speciei in generando est diversa a specie generati secundum numerum propter diversam materiam. Cuius diversitas est principium diversitatis individuorum in eadem specie. Diversa namque est materia, in qua est forma hominis generantis et hominis generati. Sed utraque forma est idem secundum speciem. Nam ipsa species est individua, idest non diversificatur in generante et generato. Relinquitur ergo, quod non oportet ponere aliquam speciem praeter singularia, quae sit causa speciei in generatis, ut Platonici ponebant.

LEÇON 7.

(nn. 1417-1435; [611-614]).

 

Après avoir présenté ces préliminaires, le Philosophe montre ici que ce n’est pas la forme qui est sujette au devenir, mais le composé : et de là il argumente pour montrer que les Idées ne sont nécessaires ni en tant qu’agents de la génération, ni à titre d’exemplaires.

 

1417. Le Philosophe a présenté plus haut certaines notions sur les générations des choses à titre de préliminaires nécessaires à la manifestation de son propos, c’est-à-dire pour montrer qu’on ne doit pas affirmer que les Idées sont les causes de la génération des choses. Et au sujet des générations, deux choses sont déjà évidentes grâce à ces préliminaires : à savoir que toute génération ou tout devenir procède d’une matière et que toute chose qui est produite est produite à partir de son semblable. Mais maintenant il cherche à manifester son propos en partant de ce qui a été découvert plus haut.

   Et cette section se divise en trois parties. Dans la première il montre ce qui est engendré [611]. Dans la deuxième il montre que la cause de la génération n’est pas une Idée séparée, là [613] où il dit : ¨ Donc, n’y a-t-il pas certaines choses etc. ¨. Dans la troisième il précise certains points qui pourraient poser difficulté sur ce qui a été fixé plus tôt, là [615] où il dit : ¨ Mais on pourrait se demander ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que la forme n’est pas engendrée, si ce n’est par accident [611]. En deuxième lieu il montre que c’est le composé qui est engendré, là [613] où il dit : ¨ Par ailleurs, c’est une sphère d’airain etc. ¨.

   Il dit donc en premier lieu [611] que les choses qui ont été manifestées plus haut sont vraies. Dont la première est que tout ce qui est engendré est engendré par quelque chose et cela est l’agent ou la cause génératrice par laquelle commence la génération. La deuxième est que tout ce qui est engendré est engendré à partir de quelque chose qui doit s’entendre non comme la privation mais comme la matière. On a dit en effet plus haut que pour une chose, venir d’une matière c’est autre chose que de venir d’une privation. Et la troisième est que dans tout devenir il y a quelque chose qui est produit et qui est le résultat du devenir. Et cela est par exemple une sphère, un cercle ou tout autre objet.

1418. Ceci étant supposé, il doit être évident que tout comme l’agent du devenir ne fait pas la matière ou le sujet du devenir qui est l’airain, de même encore ¨il ne fait pas la forme¨, c’est-à-dire cela même qui est la sphère, si ce n’est par accident. Ce qu’il fait en effet, c’est une sphère d’airain, laquelle est le composé. Et parce que la sphère d’airain est une sphère, c’est pourquoi c’est par accident qu’il fait la sphère.

1419. Mais que l’agent ne fasse pas la matière, cela est évident par soi du fait que la matière préexiste à la réalisation : c’est pourquoi il ne lui était pas nécessaire de prouver que la matière n’est pas produite. Mais au sujet des formes il pouvait y avoir un doute du fait que la forme ne se retrouve qu’au terme de la production. Et c’est pourquoi il lui était nécessaire de prouver que la forme n’est produite que par accident. Et il en est ainsi parce que les formes, à proprement parler, ne possèdent pas l’existence mais sont plutôt ce par quoi les choses possèdent l’existence. De là, si le devenir est un chemin vers l’existence, les seules choses qui deviennent par soi sont celles qui possèdent l’existence au moyen des formes. Mais les formes commencent à exister à la manière selon laquelle elles existent dans les choses produites qui possèdent l’existence par les formes.

1420. Et c’est de la manière suivante qu’il prouve que la forme n’est pas engendrée. En effet, faire telle chose, c’est la faire à partir d’un sujet, ce qui est ¨absolument¨, c’est-à-dire universellement vrai pour toute génération. En effet, rendre rond l’airain, ce n’est pas faire cela même ¨qui est rond¨, c’est-à-dire la rondeur; ou ce n’est pas même faire ¨la sphère¨, c’est-à-dire la forme de la sphère; mais c’est plutôt faire ¨quelque chose d’autre¨, c’est-à-dire la forme non pas n’importe comment, ¨mais dans un autre¨, c’est-à-dire dans une matière : ce qui signifie produire le composé. Ce qui est évident de la manière suivante. Si en effet l’agent produit une chose, il faut qu’il la fasse à partir de quelque chose d’autre comme à partir d’une matière. Cela ¨en effet était supposé plus haut¨, à savoir que toute génération est produite à partir d’une matière, en raison d’une preuve avancée plus haut, tout comme on dit que l’agent produit une sphère d’airain. Et il en est ainsi parce qu’il produit cela qui est une sphère d’airain à partir de cela qui est l’airain. Si donc il faisait aussi la forme elle-même, il est clair qu’il la ferait de la même manière, à savoir à partir d’une matière. Et ainsi, tout comme la sphère d’airain sera composée de matière et de forme, de même aussi la forme de la sphère d’airain sera composée de matière et de forme : et la même question se posera à nouveau sur la forme de la forme, et ainsi à l’infini : et ainsi les générations procéderont à l’infini car tout ce qui est engendré possède une matière et une forme. Il est donc évident que la forme de la chose produite ou engendrée n’est pas elle-même produite et que rien d’autre n’est produit qu’on doive appeler forme dans les choses sensibles, comme l’ordre, la composition et la figure qui dans certaines choses, surtout les choses artificielles, tiennent lieu de forme.

1421. Et parce que la génération appartient à ce qui est engendré, il est évident que la génération n’appartient pas à la forme mais au composé. Et en outre la quiddité de la chose engendrée n’est elle-même engendrée que par accident. Mais la forme et la quiddité ¨est ce qui est engendré dans un autre¨, c’est-à-dire dans la matière et non par soi. Et je dis qu’elle est engendrée soit par l’art, soit par la nature, ¨soit par une puissance¨, c’est-à-dire par tout agent qui agit par violence.

1422. Mais il dit que la quiddité n’est pas engendrée, bien qu’elle soit identique à la chose produite. Il a été montré plus haut en effet que toute chose est identique à sa quiddité. Mais cependant la quiddité est ce qui appartient par soi à la forme. De là, toutes les conditions individuelles, qui appartiennent par accident à la forme, sont exclues de la quiddité. Mais les formes et les autres universels ne sont engendrés que par accident, une fois qu’ont été engendrés les êtres individuels.

1423. Il faut cependant savoir que bien qu’on dise dans un document que la forme est engendrée dans une matière, on ne s’exprime pas d’une façon appropriée. En effet, la forme, à proprement parler, n’est pas engendrée mais c’est le composé qui l’est. En effet, on dit par exemple que la forme existe dans la matière, bien que la forme n’existe pas, mais le composé par la forme, ainsi encore la manière appropriée de parler est de dire que le composé est engendré à partir d’une matière dans une forme qui est telle. En effet, les formes à proprement parler ne sont pas engendrées, mais elles sont tirées de la puissance de la matière dans la mesure où la matière qui est en puissance à la forme devient en acte sous la forme, et c’est là ce qu’on appelle produire un composé.

1424. Ensuite lorsqu’il dit [612] : ¨ Par ailleurs, c’est la sphère d’airain ¨.

   Il montre que ce sont les composés qui sont produits en disant que l’agent produit une sphère d’airain. Il la fait en effet à partir de l’airain qui est la matière comme à partir du principe de la génération, et de la sphère qui est la forme et le terme de la génération. En effet, il produit ¨cette forme¨, c’est-à-dire la figure de la sphère ¨dans cela¨, c’est-à-dire dans cette matière, dans la mesure où il transforme cet airain en sphère : et cela est une sphère d’airain, c’est-à-dire la forme de la sphère dans l’airain.

1425.  ¨ Mais cela ¨, c’est-à-dire la figure de la sphère ¨est l’être de la sphère¨, c’est-à-dire la quiddité de la sphère. ¨Mais de l’être de la sphère¨, c’est-à-dire de la quiddité de la forme, il n’y a absolument pas de génération; car s’il y avait une génération de la forme, il faudrait qu’il y ait un point de départ de cette génération à titre de matière. Il faut en effet que tout ce qui est produit soit divisible, c’est-à-dire de telle sorte que ¨ceci soit cela¨, c’est-à-dire qu’une partie soit ceci, ¨et que ceci soit cela¨, c’est-à-dire que telle autre partie soit cela. Et il explique cela en disant qu’une des parties de ce qui est produit est la matière et que l’autre partie est la forme. Si donc ce qu’est la sphère quant à la forme elle-même est ¨qu’elle soit une figure dont tous les points de la circonférence sont équidistants du centre¨, c’est-à-dire qu’elle soit une figure du milieu de laquelle jusqu’aux extrémités de la circonférence toutes les lignes conduites soient égales, il faut ¨que de cela¨, c’est-à-dire de la sphère d’airain, on distingue ¨certes ceci¨, c’est-à-dire la matière, dans laquelle existe ce que ¨fait l’agent¨, c’est-à-dire la forme; puis ceci qui est dans cela, à savoir la forme, c’est-à-dire la figure ¨qui¨ comporte une égalité à partir du centre; et enfin, ¨cela qui est le tout¨, à savoir la totalité ¨qui est produite¨, c’est-à-dire la sphère d’airain.

1426. Il est donc évident à partir de ce qui a été dit que, si tout ce qui est produit doit être divisible, ce qui tient lieu de forme ou qui est ¨comme une substance¨, c’est-à-dire qui tient lieu de quiddité, n’est pas engendré. Mais c’est ¨l’ensemble¨ qui est engendré, c’est-à-dire le composé qui est dénommé à partir d’une telle forme ou d’une telle quiddité. Et en outre il est manifeste qu’à tout ce qui est engendré appartient une matière et qu’une partie de ce qui est engendré est ¨ceci¨, à savoir la matière, et qu’une autre est ¨cela¨, à savoir la forme.

1427. Ensuite lorsqu’il dit [613] : ¨ Donc, est-ce que etc. ¨.

   Il montre que, du fait que ce ne sont pas les formes qui sont engendrées mais les composés, il ne faut pas affirmer que les Idées séparées sont les causes de la génération dans les corps inférieurs. Mais il faut savoir que les Platoniciens affirmaient que les Idées sont causes de génération de deux manières : premièrement à la manière d’un agent de production et deuxièmement à la manière d’une forme exemplaire.

   Il montre donc en premier lieu que les Idées séparées ne sont pas causes de la génération à la manière d’un agent de production [613]. En deuxième lieu qu’elles ne le sont pas non plus à la manière d’une forme exemplaire, là [614] où il dit : ¨ Il est manifeste par ailleurs que dans certains cas ¨.

   Il dit donc en premier lieu [613] qu’il faut examiner s’il existe une forme ¨universelle en dehors de ces singuliers¨, c’est-à-dire s’il existe une sphère séparée de la matière en dehors de ces sphères qui existent dans la matière. Ou encore s’il existe une maison universelle sans matière en dehors des pierres à partir desquelles sont constituées ces maisons particulières. Mais il soulève la question par rapport aux choses artificielles en ayant en vue les choses naturelles au sujet desquelles Platon affirmait que leurs formes étaient séparées de la matière, pour qu’on comprenne à partir de là que c’est comme si on se demandait au sujet de l’homme s’il existe un homme universel en dehors de la chair et des os à partir desquels les hommes particuliers sont constitués.

1428. Mais il fait ici précéder la réponse à cette question d’une considération, à savoir que s’il existe une substance produite de cette façon, il ne pourra jamais y avoir de choses individuelles, mais elle signifiera seulement une qualité qui n’est elle-même rien d’individuel et de défini. Socrate en effet signifie cet être individuel et défini; l’homme par ailleurs signifie une qualité de telle sorte car il signifie une forme commune et indéterminée qui es signifiée sans les déterminations qui appartiennent à celui-ci ou à celui-là. Si donc il existe un homme séparé en dehors de Socrate, de Platon et des autres hommes individuels, il ne sera pas un homme individuel et déterminé. Mais nous observons dans les générations que toujours ce qui produit et engendre ¨à partir de cela¨, c’est-à-dire à partir de telle matière, est ¨tel individu¨, c’est-à-dire tel être déterminé possédant une espèce déterminée. Il faut en effet, tout comme ce qui est engendré est tel individu, que ce qui engendre soit de même tel individu, puisque ce qui engendre doit être semblable à ce qui est engendré, ainsi que nous l’avons prouvé plus haut. Et que ce qui est engendré soit tel individu, c’est clair du fait que ce qui est engendré est un composé. ¨Mais cet être¨, à savoir le composé, quand ¨il est cela¨, c’est-à-dire quelque chose de déterminé, il est comme Callias ou Socrate, comme lorsque nous parlons de la sphère d’airain. Mais l’homme ou l’animal ne signifient par cette matière à partir de laquelle a lieu la génération, pas plus que la sphère d’airain entendue universellement. Si donc c’est le composé qui est engendré et qu’il ne peut être engendré qu’à partir de cette matière grâce à laquelle existera tel individu, il faut que ce qui est engendré soit tel individu. Et puisque ce qui est engendré est semblable à celui qui engendre, il faut aussi que celui qui engendre soit tel être individuel. Et ainsi celui qui engendre ne peut être une Idée universelle séparée de la matière.

1429. Il est donc évident à partir de ce qui a été dit que s’il existe des Idées en dehors des singuliers, elles ne sont utiles en rien aux générations et aux substances des choses, contrairement à ce que prétendaient ceux qui avaient coutume de parler de ¨la causalité des Idées¨ pour soutenir l’existence des Idées. C’était là en effet une raison pour laquelle les Platoniciens affirmaient l’existence des Idées, à savoir pour qu’il y ait une cause de la génération dans les choses. Si donc les Idées séparées ne peuvent être la cause de la génération, il sera manifeste que les Idées ne seront pas des substances existant par elles-mêmes.

1430. Il faut cependant savoir que tous ceux qui n’ont pas considéré ce que le Philosophe a manifesté plus haut, à savoir que les formes ne sont pas sujettes au devenir, ont éprouvé des problèmes à parler de la réalisation des formes. Car c’est pour cette raison que certains ont été portés à dire que toutes les formes sont l’effet d’une création. Car ils affirmaient que les formes sont engendrées et ils ne pouvaient soutenir qu’elles étaient engendrées à partir de la matière puisque la matière n’est pas une partie de la forme : d’où il s’ensuivait d’après eux que les formes  viennent de rien et par conséquent qu’elles sont créées. Et à l’opposé cependant d’autres soutenaient, à cause de ce problème, que les formes préexistent en acte dans la matière, ce qui revient à poser la latence des formes dans la matière ainsi que le fit Anaxagore.

1431. Mais la position d’Aristote, qui affirma que ce ne sont pas les formes qui sont produites mais le composé, exclut les deux opinions précédentes. En effet, il ne faut dire ni que les formes sont causées par un agent extérieur, ni qu’elles existent en acte dans la matière, mais plutôt qu’elles existent en puissance dans la matière et que dans la génération du composé elles sont conduites de la puissance à l’acte.

1432. Ensuite lorsqu’il dit [614] : ¨ Dans certains cas ¨.

   Il montre que les Idées séparées ne peuvent être cause de la génération à la manière d’une forme exemplaire en disant que bien que dans certains cas on peut se demander si celui qui engendre est semblable à celui qui est engendré, cependant dans certains cas il est évident que celui qui engendre est semblable à celui qui est engendré; il ne lui est certes pas identique par le nombre, mais par l’espèce, comme on le voit dans les choses naturelles. L’homme en effet engendre un homme, et de même le cheval engendre un cheval et toute chose naturelle engendre une autre chose qui lui est semblable par l’espèce, à moins qu’une chose ne soit produite contre nature, comme lorsque le cheval engendre un mulet. Et on dit de cette génération qu’elle est contre nature car elle est contre l’intention d’une nature particulière.

1433. En effet la puissance formatrice qui est dans la semence du mâle est naturellement ordonnée à la production d’un être qui est absolument semblable à celui d’où la semence est retranchée. Mais quand une ressemblance parfaite ne peut être obtenue, il relève d’une deuxième intention de produire une certaine ressemblance. Et, parce que dans la génération du mulet la semence du cheval ne peut introduire la forme du cheval dans la matière pour cette raison que cette matière n’est par proportionnée à recevoir la forme du cheval, elle introduit une forme qui lui est voisine. D’où on peut voir que même pour la génération du mulet celui qui engendre est en quelque sorte semblable à celui qui est engendré. En effet il y a comme un genre voisin, un genre innomé, commun à la fois au cheval et à l’âne. Et c’est sous ce genre qu’est contenu aussi le mulet. Par conséquent c’est d’après ce genre qu’on peut dire que le semblable engendre le semblable de telle manière que si nous disions en d’autres mots que la jument est ce genre voisin, nous pourrions dire, bien que le cheval n’engendre pas un cheval mais un mulet, que la jument engendre cependant une jument.

1434. Il est donc évident que tout ce qui est engendré poursuit, à partir de la puissance de celui qui engendre, une similitude d’espèce. C’est pourquoi il est évident qu’il n’est pas nécessaire de poser une espèce séparée à titre d’exemplaire pour les choses engendrées, de telle manière qu’à partir de l’image de cet exemplaire les choses engendrées poursuivraient la ressemblance de l’espèce, ainsi que le soutenaient les Platoniciens. D’après eux en effet, de tels exemplaires seraient surtout requis pour les substances naturelles dont nous venons de parler, lesquelles sont par excellence des substances si on les compare aux choses artificielles. Mais pour ces choses naturelles dont on  vient de parler, celui qui engendre suffit à produire une similitude d’espèce; et pour parvenir à cela il suffit ¨de poser que la cause de la forme est dans la matière¨, c’est-à-dire que ce qui fait que ce qui est engendré poursuit telle espèce, ce n’est pas une forme en dehors de la matière, mais une forme dans la matière.

1435. ¨Mais toute forme qui est dans la matière¨, c’est-à-dire qui existe dans ces chairs et dans ces os, est un être individuel comme Callias ou Socrate. Et même cette forme qui cause la similitude de l’espèce dans la génération est différente par le nombre de la forme de ce qui est engendré en raison d’une différence de matière. Et c’est une différence de matière qui est le principe de la différence des individus à l’intérieur de la même espèce. Car la matière dans laquelle se trouve la forme de l’homme qui engendre diffère de la matière dans laquelle se trouve la forme de l’homme engendré. Mais les deux formes sont identiques par l’espèce. Car l’espèce elle-même est ¨un individu¨, c’est-à-dire qu’elle n’est pas différenciée dans celui qui engendre et dans celui qui est engendré. Il reste donc qu’il ne faut pas poser une espèce ou une Idée en dehors des singuliers qui serait cause de la forme qui est présente dans ce qui est engendré, ainsi que le soutenaient les Platoniciens.

 

 

LECTIO 8

[83002] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 1Postquam ostendit philosophus, quod species separatae non sunt causa generationis in istis inferioribus, hic manifestat quaedam, quae possent esse dubia circa praedeterminata. Et dividitur in partes tres, secundum quod tria dubia sunt quae manifestare intendit. Secunda pars incipit ibi, palam vero ex dictis. Tertia ibi, non solum autem de substantia. Circa primum duo facit. Primo ponit dubitationem. Secundo solvit eam, ibi, causa vero et cetera. Oritur autem prima dubitatio ex eo quod supra dixerat, quod, quando principium sanitatis est species, quae est in anima, tunc sanitas fit ab arte. Quando vero sanitas non est ab hoc principio, sed a calefactione tantum, tunc fit sanitas a casu, sicut cum accidit sanitas ex confricatione. Hoc autem non potest accidere in domibus, quae fiunt ab arte. Domus enim numquam fit ab aliquo principio, nisi a specie domus in anima; et sic semper fit ab arte, et non a casu. Et ideo est dubitatio, quare quaedam fiunt quandoque quidem ab arte, quandoque quidem a casu, ut sanitas; quaedam vero non, sed fiunt tantum ab arte, et nunquam a casu, ut domus.

[83003] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 2Deinde cum dicit causa vero solvit quaestionem; et dicit causam praedictae differentiae in artificialibus hanc esse, quia materia, a qua incipit generatio, secundum quam contingit facere et fieri aliquid eorum, quae sunt ab arte, talis est, in qua existit aliqua pars rei. Oportet namque in materia qualibet esse aptitudinem ad formam. Non enim quodlibet artificiatum potest fieri ex qualibet materia, sed ex determinata. Sicut serra non fit ex lana, sed ex ferro. Ipsa ergo aptitudo ad formam artificiati, quae est in materia, iam est aliqua pars artificiati, quae est in materia; quia sine aptitudine artificiatum esse non potest. Sicut serra non potest esse sine duritie, per quam ferrum est ordinatum ad formam serrae.

[83004] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 3Sed haec pars dupliciter invenitur in materia. Quandoque quidem ita, quod per eam materia potest moveri a seipsa per partem formae in ea existentem. Quandoque vero non. Sicut in corpore humano, quod est materia sanationis, inest virtus activa, per quam corpus potest sanare seipsum. In lapidibus autem et lignis non est aliqua virtus activa, per quam possit moveri materia ad formam domus.

[83005] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 4Et si quidem materia sic possit moveri per partem formae, quam in se habet, ad formam, hoc contingit dupliciter. Quia quandoque potest sic moveri per principium intrinsecum, quod est pars praedicta, sicut moveretur per artem, ut accidit in sanatione; nam natura humani corporis eodem modo agit ad sanitatem sicut et ars. Quandoque vero non potest moveri materia per principium intrinsecum eodem modo sicut movetur ab arte, licet aliquo modo per ipsum moveri possit. Multa enim sunt, quae possunt a seipsis moveri, sed non sic sicut moventur ab arte, ut patet in saltatione. Homines enim non habentes artem saltandi possunt quidem movere seipsos, sed non illo modo, sicut movent se qui habent artem praedictam.

[83006] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 5Illa igitur artificialia, quae habent talem naturam, sicut lapides sunt materia domus, non possunt a seipsis moveri: impossibile est enim moveri ea nisi ab alio. Et hoc non solum est in artificialibus, sed etiam in naturalibus. Sic enim et materia ignis non potest moveri ad formam ignis nisi ab alio. Et inde est, quod forma ignis non generatur nisi ab alio. Et propter hoc quaedam artificialia non possunt fieri sine habente artem: quae scilicet in sua materia vel non habent aliquod principium motivum ad formam, vel non sic motivum sicut ars movet.

[83007] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 6Quae vero ab aliquo extrinseco principio moveri possunt non habente artem, possunt esse et fieri etiam sine habente artem. Movebuntur enim eorum materiae ab his quae non habent artem. Quod quidem ostendit dupliciter. Uno modo inquantum possunt moveri ab aliquibus aliis extrinsecis principiis non habentibus artem; sicut arborem plantare potest etiam qui non habet artem plantandi. Alio modo quando materia movetur ex parte, idest ab aliquo principio intrinseco, quod est aliqua pars formae. Sicut cum corpus humanum sanatur ab aliquo principio intrinseco, quod est aliqua pars formae.

[83008] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 7Sciendum est autem, quod occasione horum verborum, quae hic dicuntur, quidam ponunt, quod in omni generatione naturali est aliquod principium activum in materia, quod quidem est forma in potentia praeexistens in materia, quae est quaedam inchoatio formae. Unde haec formae pars dicitur. Quod quidem adstruere nituntur: primo ex hoc quod hic dicitur. Videtur enim hic Aristoteles dicere quod illa, in quorum materia non est principium activum, fiunt tantum ab arte. Oportet igitur, quod in materia illorum, quae fiunt a natura, insit aliquod principium activum.

[83009] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 8Secundo ex hoc, quod omnis motus, cuius principium non est in eo quod movetur, sed extra, est motus violentus, et non naturalis. Si igitur in his, quae generantur per naturam, non esset aliquod principium generationis activum in materia, tunc eorum generationes non essent naturales, sed violentae; aut non esset aliqua differentia inter generationem artificialem et naturalem.

[83010] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 9Et si obiiciatur contra eos, quod tunc ea, quae generantur naturaliter, non indigent extrinseco generante, si eorum generatio est a principio intrinseco: respondent quod sicut principium intrinsecum non est forma completa, sed quaedam inchoatio formae; ita etiam non est perfectum principium activum, ut per se possit agere ad generationem; sed habet aliquid de virtute activa ut cooperetur exteriori agenti. Nisi enim aliquid conferret mobile exteriori agenti, esset motus violentus: violentum enim est, cuius principium est extra, nil conferente vim passo, ut in primo Ethicorum dicitur.

[83011] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 10Haec autem opinio videtur propinqua ponentibus latitationem formarum. Cum enim nihil agat nisi secundum quod est in actu: si partes vel inchoationes formarum quae sunt in materia, habent aliquam virtutem activam, sequitur quod sint aliquo modo actu, quod est ponere latitationem formarum. Et praeterea, cum esse sit ante agere, non potest intelligi forma prius habere agere, quam sit in actu.

[83012] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 11Et ideo dicendum est, quod sicut sola viventia inveniuntur se movere secundum locum, alia vero moventur a principio extrinseco, vel generante, vel removente prohibens, ut dicitur octavo physicorum, ita secundum alios motus, sola viventia inveniuntur movere seipsa. Et hoc ideo quia inveniuntur habere diversas partes, quarum una potest esse movens et alia mota; quod oportet esse in omni movente seipsum, ut probatur in octavo physicorum. Sic igitur invenimus in generatione viventium esse principium activum intrinsecum quod est virtus formativa in semine. Et sicut est potentia augmentativa movens in motu augmenti et decrementi; ita est et in motu alterationis, quae est sanatio, principium movens intra. Nam cum cor non sit susceptivum infirmitatis, virtus naturalis, quae est in corde sano, totum corpus ad sanitatem alterat.

[83013] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 12De tali igitur materia habente in se principium activum loquitur hic philosophus, et non de rebus inanimatis. Quod ex hoc patet, quia materiam ignis comparat materiae domus in hoc, quod utraque movetur ad formam a principio extrinseco. Non tamen sequitur quod generatio inanimatorum corporum non sit naturalis. Non enim oportet ad motum naturalem, quod semper principium motus, quod est in mobili, sit principium activum et formale; sed quandoque est passivum et materiale. Unde et natura in secundo physicorum distinguitur per materiam et formam. Et ab hoc principio dicitur naturalis generatio simplicium corporum, ut dicit Commentator in secundo physicorum. Differentia tamen est inter materiam naturalium et artificialium: quia in materia rerum naturalium est aptitudo naturalis ad formam, et potest reduci in actum per agens naturale; non autem hoc contingit in materia artificialium.

[83014] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 13Deinde cum dicit palam vero manifestat secundum quod poterat esse dubium ex praedictis. Dixerat enim superius quod omne quod generatur, generatur a simili secundum speciem. Hoc autem non eodem modo se habet in omnibus: et ideo hic manifestare intendit, quomodo hoc diversimode in diversis inveniatur. Et circa hoc duo facit. Primo distinguit diversos modos quibus generatum est simile generanti. Secundo manifestat eos, ibi, causa namque faciendi. Sciendum est autem circa primum, quod omne quod generatur ab aliquo, aut generatur per se, aut generatur ab eo per accidens. Quod autem generatur ab aliquo per accidens, non generatur ab eo secundum quod huiusmodi. Unde non oportet in generante esse similitudinem generati. Sicut inventio thesauri non habet similitudinem aliquam in eo, qui fodiens ad plantandum invenit thesaurum per accidens. Sed generans per se, generat tale secundum quod huiusmodi. Unde oportet quod in generante per se, sit aliqualiter similitudo generati.

[83015] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 14Sed hoc contingit tripliciter. Uno modo quando forma generati praecedit in generante secundum eumdem modum essendi, et simili materia. Sicut cum ignis generat ignem, vel homo generat hominem. Et haec est generatio totaliter univoca.

[83016] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 15Alio modo quando forma generati praecedit in generante, non quidem secundum eumdem modum essendi, nec in substantia eiusdem rationis; sicut forma domus praecedit in artifice, non secundum esse materiale, sed secundum esse immateriale, quod habet in mente artificis, non in lapidibus et lignis. Et haec generatio est partim ex univoco quantum ad formam, partim ex aequivoco quantum ad esse formae in subiecto.

[83017] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 16Tertio modo quando ipsa tota forma generati non praecedit in generante, sed aliqua pars eius, aut aliqua pars partis; sicuti in medicina calida praecedit calor qui est pars sanitatis, aut aliquid ducens ad partem sanitatis. Et haec generatio nullo modo est univoca.

[83018] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 17Et ideo dicit, palam ex dictis est quod aut fiunt omnia quodammodo ex totaliter univoco, sicut naturalia, ut ignis ab igne, et homo ab homine. Aut ex eo quod est ex parte univocum, quantum ad formam, et ex parte aequivocum quantum ad esse formae in subiecto; sicut domus fit ex domo quae est ars in artifice, aut ab intellectu, sive artis habitu. Ipsa enim ars aedificativa est species domus. Aut tertio modo fiunt aliqua ex parte formae praeexistentis in generante, sive ex ipso generante, habente partem praedictam. Potest enim dici quod generatio fit vel ex forma, sive parte formae, vel ex habente formam, vel partem formae. Sed ex habente quidem sicut ex generante; ex forma sive parte formae, sicut ex eo quo generans generat. Nam forma non generat nec agit, sed habens formam per eam. Et hoc dico quod aliquid fit ex alio simili secundum aliquem praedictorum modorum, nisi fiat ex eo per accidens. Tunc enim non oportet huiusmodi similitudinem observari, sicut dictum est.

[83019] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 18Deinde cum dicit causa namque manifestat modos praedictos. Et primo in rebus artificialibus. Secundo in rebus naturalibus, ibi, similiter itaque his. Dicit ergo primo, quod ideo oportet quod sit fieri ex aliqua parte, quia prima causa faciendi secundum se, est pars generati praeexistentis in generante, quae est vel ipsa forma generantis, vel pars formae. Cum enim per motum calor generatur, in ipso motu est quodammodo calor sicut in virtute activa. Nam ipsa virtus causandi calorem quae est in motu, est aliquid de genere caloris. Et iste calor in motu existens virtute, facit calorem in corpore, non quidem generatione univoca, sed aequivoca; quia calor in motu, et in corpore calido, non est unius rationis. Is vero, scilicet calor, aut est ipsa sanitas, aut aliqua pars sanitatis, aut sequitur eum aliqua pars sanitatis, aut sanitas ipsa.

[83020] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 19Per haec quatuor quae ponit, dat intelligere quatuor modos, quibus potest se habere forma generantis ad formam geniti. Quorum primus est quando forma generati totaliter est in generante, sicut forma domus est in mente artificis, et sicut forma ignis generati est in igne generante. Secundus modus est quando pars formae generati est in generante, sicut cum medicina calida sanat calefaciendo. Nam calor factus est in sanato pars sanitatis. Tertius modus est quando pars formae est in generante, non actu, sed virtute; sicut quando motus calefaciendo sanat: calor enim est in motu virtute, et non actu. Quartus modus est quando ipsa tota forma est in generante virtute, sed non actu, sicut forma stuporis est in pisce stupefaciente manum. Et similiter est in aliis quae agunt a tota specie. Primum ergo modum designat in hoc quod dicit aut sanitas. Secundum in hoc quod dicit aut pars. Tertium in hoc quod dicit aut sequitur eum aliqua pars sanitatis. Quartum in hoc quod dicit, aut sanitas ipsa. Et quia motus causat calorem ad quem sequitur sanitas, propter hoc etiam dicitur motus facere sanitatem, quia id facit sanitatem cui consequitur vel accidit sanitas. Vel melius, quod consequitur, et accidit ex motu, scilicet calor, facit sanitatem.

[83021] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 20Quare patet, quod sicut in syllogismis, omnium principium est substantia, idest quod quid est rei (nam syllogismi demonstrativi sunt ex quid est, cum in demonstrationibus medium sit definitio), et hic, scilicet in operativis, generationes sunt ex quod quid est. In quo ostenditur similitudo intellectus speculativi et practici. Sicut enim intellectus speculativus procedit ad demonstrandum passiones de subiectis ex consideratione eius quod quid est, ita intellectus procedit ad operandum ex specie artificii, quae est eius quod quid est, ut supra dictum est.

[83022] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 21Deinde cum dicit similiter itaque manifestat quod dixerat de artificialibus, in rebus naturalibus; dicens, quod similiter se habent ea quae sunt constituta secundum naturam, his quae fiunt per artem. Sperma enim operatur ad generationem, sicut contingit in his quae fiunt per artem. Sicut enim artifex non est actu domus, nec habet formam quae sit domus actu, sed potestate; ita sperma non est animal actu, nec habet animam quae est species animalis actu, sed potestate tantum. Est enim in semine virtus formativa: quae hoc modo comparatur ad materiam concepti, sicut comparatur forma domus in mente artificis ad lapides et ligna: nisi quod forma artis est omnino extrinseca a lapidibus et lignis; virtus autem spermatis est intrinseca.

[83023] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 22Quamvis autem generatio animalis ex spermate, non sit a spermate sicut ab univoco, quia sperma non est animal; id tamen a quo est sperma, est aliqualiter univocum ei quod fit ex spermate. Nam sperma fit ab animali. Et in hoc est dissimilitudo inter generationem naturalem et generationem artificialem; quia non oportet quod forma domus in mente artificis sit a domo, licet quandoque hoc accidat, ut cum aliquis ad exemplar unius domus facit aliam. Sed semper oportet quod sperma sit ab animali.

[83024] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 23Exponit autem quod dixerat aliqualiter univocum, quia non oportet in omni generatione naturali esse omnimodam univocationem, sicut cum dicitur quod homo fit ex homine. Fit enim femina ex viro sicut ex agente; et mulus non fit ex mulo, sed ex equo vel asino, in quo tamen est aliqua similitudo, ut supra dixit. Et quod dixit quod a quo est sperma, oportet esse aliqualiter univocum, subiungit, intelligendum est si non fuerit orbatio, idest si non fuerit defectus naturalis virtutis in semine. Tunc enim generat aliquid quod non est simile generanti, sicut patet in monstruosis partubus.

[83025] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 24Et sicut in illis, idest in rebus artificialibus, aliqua fiunt non solum per artem, sed a casu, quando materia potest moveri a seipsa eo motu quo movetur ab arte; quando vero non potest hoc modo moveri, tunc non potest id quod fit ab arte, ab alio fieri quam ab arte: ita et hic possunt aliqua fieri a casu et sine spermate, illa quorum materia hoc modo potest moveri a seipsa eo motu quo movet sperma, idest ad generationem animalis. Sicut patet in his quae generantur ex putrefactione: quae quomodo dicantur esse a casu, et quomodo non, superius expositum est. Illa autem quorum materia non potest moveri a se ipsa eo motu quo a spermate movetur, impossibilia sunt fieri aliter quam ex ipsis seminibus; sicut patet de homine et equo et aliis animalibus perfectis. Patet autem ex his quae hic dicuntur, quod neque omnia animalia possunt generari et ex semine et sine semine, ut Avicenna ponit, neque nulla generantur utroque modo, ut ponit Averroes.

[83026] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 25Est autem advertendum quod per ea quae hic dicuntur, possunt solvi dubitationes illorum qui ponebant formas in istis generatis, non esse a generantibus naturalibus, sed a formis quae sunt sine materia. Hoc enim maxime visi sunt ponere propter animalia generata ex putrefactione, quorum formae non videntur procedere ex aliquibus similibus secundum speciem. Ulterius autem in animalibus etiam quae generantur ex semine, virtus activa generationis, quae est in semine, non est anima, ut ex hoc possit anima sequi in animali generato. Adhuc autem procedunt, quia in inferioribus istis non inveniuntur aliqua principia activa ad generationem, nisi calidum et frigidum, quae sunt formae accidentales. Et sic non videtur, quod per ea possint produci formae substantiales. Nec videtur quod ratio philosophi quam supra posuit contra ponentes exemplaria, teneat in omnibus; ut scilicet ad similitudinem speciei in generatis, sufficiant formae generantium.

[83027] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 26Sed omnes hae dubitationes solvuntur per literam Aristotelis, si diligenter inspiciatur. Dicitur enim in litera quod virtus activa quae est in spermate, etsi non sit anima in actu, est tamen anima in virtute; sicuti forma domus in anima, non est domus actu, sed virtute. Unde, sicut ex forma domus, quae est in mente, potest fieri forma domus in materia, ita ex virtute seminis, potest fieri anima completa, praeter intellectum qui est ab extrinseco, ut dicitur in sextodecimo de animalibus. Et adhuc amplius, inquantum virtus quae est in semine, est ab anima perfecta, cuius virtute agit. Media enim principia, agunt in virtute primorum.

[83028] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 27In his vero quae generantur ex putrefactione, etiam est in materia aliquod principium simile virtuti activae quae est in spermate, ex quo causatur anima in talibus animalibus. Et sicuti virtus quae est in spermate, est ab anima completa animalis, et a virtute caelestis corporis, ita virtus quae est in materia putrefacta generativa animalis, est a solo corpore caelesti, in quo sunt virtute omnes formae generatae, sicut in principio activo. Qualitates etiam activae, licet sint activae, non tamen agunt solum in virtute propria, sed in virtute formarum substantialium ad quae se habent sicut instrumenta; sicut dicitur in secundo de anima, quod calor ignis est sicut instrumentum animae nutritivae.

[83029] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 28Deinde cum dicit non solum manifestat tertium, quod poterat ex dictis esse dubium. Probaverat enim quod formae non generantur, sed composita. Posset autem aliquis dubitare, utrum hoc verum sit solum in formis substantialibus, aut etiam in accidentalibus. Cui dubitationi hic satisfacere intendit. Unde duo facit. Primo ostendit, quod hoc est verum in utrisque; dicens quod ratio superius posita non solum ostendit speciem, idest formam non fieri de substantia, idest circa praedicamentum substantiae, sed communis est similiter de omnibus primis, idest de praedicamentis, sicut de qualitate, et quantitate, et aliis praedicamentis, fit enim, ut aerea sphaera, idest quod est compositum, sicut aerea sphaera. Sed non fit sphaera, idest quod se habet per modum formae;nec aes idest quod se habet per modum materiae. Et si fit sphaera, aliquo modo loquendi, non fit per se, sed in aere; quia semper oportet praeexistere ad generationem materiam et speciem, ut supra est ostensum. Illud quoque quod est ut aerea sphaera, scilicet compositum, fit, et in quid, hoc est in praedicamento substantiae, et in qualitate et quantitate, et similiter in aliis praedicamentis. Non enim fit quale, idest ipsa qualitas, sed hoc totum quod estquale lignum. Nec fit quantum, idest ipsa quantitas, sed lignum quantum, aut animal quantum.

[83030] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 8 n. 29Sed proprium ostendit quid differat inter substantiam et accidentia; dicens, quod hoc oportet accipere ut proprium substantiae per comparationem ad accidentia; quia quando substantia generatur, necesse est semper praeexistere alteram substantiam, quae facit generationem. Sicut si animal generatur, oportet quod praeexistat animal generans in his quae generantur ex semine. Sed in quali et quanto et in aliis accidentibus non oportet quod praeexistat quale aut quantum actu, sed solum in potentia, quod est materiale principium et subiectum motus. Principium enim activum substantiae non potest esse nisi substantia; sed principium activum accidentium potest esse non accidens, scilicet substantia.

LEÇON 8.

(nn. 1436-1459; [615-621]).

 

Il explique pourquoi, dans les choses qui sont le résultat de l’art, certaines choses sont produites par l’art et par la nature alors que d’autres sont produites par l’art seulement; par la suite il manifeste que ce ne sont pas seulement les formes substantielles, mais aussi les formes accidentelles qui ne sont pas engendrées, et que seul le composé est engendré.

 

1436. Après avoir montré que les Idées séparées ne peuvent être la cause de la génération des réalités d’ici-bas, le Philosophe manifeste ici certains points qui pourraient poser difficulté relativement à ce qui a déjà été établi.

   Et cette section se divise en trois parties d’après trois questions auxquelles il cherche à répondre. La deuxième partie commence là [617] où il dit : ¨ D’un autre côté il est évident à partir de ce qui a été dit ¨. La troisième commence là [620] où il dit : ¨ Mais ce n’est pas seulement au sujet de la substance ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la difficulté [615]. En deuxième lieu il la résout, là [616] où il dit : ¨ Par ailleurs la cause ¨.

   Mais la première difficulté naît de ce qu’il avait dit plus haut, à savoir que quand le principe de la santé est la forme qui est dans l’âme, alors la santé est produite par l’art. D’un autre côté, quand la santé n’est pas produite par ce principe, mais seulement par le réchauffement, alors la santé est produite par le hasard, comme lorsque la santé est le résultat de la friction. Mais cela ne peut arriver dans toutes les choses qui sont produites par l’art. La maison en effet n’est jamais produite par un principe autre que la forme de la maison qui est dans l’âme; et de cette manière elle est toujours le résultat de l’art et jamais du hasard. Et c’est pourquoi on se demande pourquoi certaines choses sont parfois produites par l’art et parfois par le hasard, comme la santé, alors que d’autres par ailleurs ne sont produites que par l’art et jamais par le hasard, comme la maison.

1437. Ensuite lorsqu’il dit [616] : ¨ Par ailleurs la cause ¨.

   Il résout la difficulté; et il dit que la cause de cette différence dans les choses artificielles est la suivante, à savoir que la matière, par laquelle commence la génération,  d’où résulte la fabrication et la production des choses qui sont faites par l’art, est telle qu’il existe en elle une partie de la chose. Car il faut qu’il y ait dans toute matière une aptitude à la forme. En effet, un artefact ne peut provenir de n’importe quelle matière, mais d’une matière déterminée. Par exemple, une scie ne peut être réalisée à partir de la laine, mais à partir du fer. Donc, l’aptitude même à la forme de la chose artificielle qui se trouve dans la matière est déjà une partie de cette chose parce qu’elle se trouve dans la matière; car sans cette aptitude, l’œuvre d’art ne peut exister, tout comme la scie ne peut exister sans la dureté par laquelle le fer est ordonné à la forme de la scie.

1438. Mais c’est de deux manières que cette partie se trouve dans la matière. Parfois de telle manière que par elle la matière peut se mouvoir par elle-même par la partie de la forme qui existe en elle, et parfois elle ne le peut pas. Par exemple il y a dans le corps humain, qui est la matière de la santé, une puissance active par laquelle le corps peut guérir par lui-même. Mais dans les pierres et les pièces de bois il n’y a pas de puissance active par laquelle la matière peut se mouvoir d’elle-même vers la forme de la maison.

1439. Et si la matière peut ainsi se mouvoir d’elle-même vers la forme par cette partie de la forme qu’elle possède en elle, cela peut se produire de deux manières. Car parfois la matière peut ainsi se mouvoir au moyen d’un principe interne, qui est la partie dont on vient de parler, comme si elle était mue par l’art ainsi que cela se produit pour la santé; car c’est selon un mode identique à celui de l’art que la nature du corps humain vient à la santé. D’un autre côté parfois la matière ne peut se mouvoir grâce à un principe interne de la même manière qu’elle serait mue par l’art, bien que d’une certaine manière elle puisse se mouvoir par elle-même. En effet, il y a plusieurs choses qui peuvent se mouvoir par elles-mêmes, mais non pas à la manière dont elles seraient mues par l’art, ainsi qu’on le voit pour la danse. En effet, les hommes qui ne possèdent pas l’art de la danse peuvent certes se mouvoir par eux-mêmes, mais pas à la manière dont se meuvent ceux qui possèdent cet art.

1440. Donc pour ces choses artificielles qui possèdent une telle nature, comme dans le cas de la maison dont les pierres sont une matière qui ne peut se mouvoir par elle-même, il n’est possible en effet de les mouvoir que par un autre. Et il en est ainsi non seulement pour les choses artificielles, mais aussi pour les choses naturelles. C’est ainsi en effet que la matière du feu ne peut se mouvoir vers la forme du feu que par un autre. Et il suit de là que la forme du feu ne peut être produite que par un autre. Et c’est pour cette raison que certaines choses artificielles ne peuvent être produites que par celui qui possède l’art, à savoir celles qui ne possèdent pas dans leur matière un principe actif ordonné à la forme, ou dont le principe actif n’est pas apte à mouvoir de la même manière que l’art.

1441. Mais quant à celles qui peuvent être mues par un principe extérieur qui ne possède pas l’art, elles peuvent exister et être engendrées même sans celui qui possède l’art. Leurs matières en effet seront mues par ceux qui ne possèdent pas l’art. Ce qu’il manifeste de deux manières. Premièrement dans la mesure où elles peuvent être mues par d’autres principes extérieurs ne possédant pas l’art, car même celui qui ne possède pas l’art de planter des arbres peut planter des arbres. Deuxièmement, quand ¨la matière est mue du côté¨ d’un principe interne, c’est-à-dire par un principe interne qui est une partie de la forme. Comme lorsque le corps humain est guéri par un principe interne qui est une partie de la forme.

1442a. Mais il faut savoir qu’à l’occasion des paroles qui sont dites ici certains affirment que dans toute génération naturelle il y a un principe actif dans la matière, lequel est certes la forme qui préexiste en puissance dans la matière, et qui est un certain commencement de la forme. Et c’est ce commencement qu’on appelle une partie de la forme. Et c’est là ce que certains sont portés à assurer : et en premier lieu à partir de ce qui est dit ici. En effet, Aristote semble dire ici que les choses, dans la matière desquelles il n’y a pas de principe actif, ne sont produites que par l’art. Il faut donc que dans la matière des choses qui sont produites par la nature il y ait un principe actif.

1442b. En deuxième lieu à partir de ceci que tout mouvement dont le principe n’est pas dans celui qui est mû mais à l’extérieur de lui, est un mouvement violent et non un mouvement naturel. Si donc pour les choses qui sont engendrées par la nature il n’y avait pas un principe actif de la génération dans leur matière, alors leurs générations ne seraient pas naturelles mais violentes; ou encore il n’y aurait pas de différence entre la génération artificielle et la génération naturelle.

1442c. Et si on leur objecte que les choses qui sont engendrées par la nature n’ont pas besoin d’un agent extérieur de génération si leur génération se fait par un principe intérieur, ils répondent que tout comme le principe intérieur n’est pas la forme complète mais un début de forme, de même encore le principe actif n’est pas parfait au point qu’il pourrait de lui-même se porter vers la génération. Mais ce principe possède quelque chose de la puissance active de manière à pouvoir coopérer avec  l’agent extérieur. Si en effet le mobile ne contribuait en rien à l’action de l’agent extérieur, le mouvement serait violent : est violent en effet ce dont le principe est extérieur alors que celui qui le subit ne contribue en rien, ainsi qu’on le dit au premier livre des Éthiques.

1442d. Mais cette opinion est voisine de celle qui affirme que les formes sont latentes dans la matière. En effet, puisque rien n’agit que dans la mesure où il est en acte, et si les parties ou les commencements de formes qui sont dans la matière possèdent une certaine puissance active, il s’ensuit qu’en un sens elles sont en acte, ce qui revient à poser la latence des formes. Et en outre, puisque l’être précède l’agir, on ne peut comprendre que la forme possède l’agir avant qu’elle n’existe en acte.

1442e. Et c’est pourquoi il faut dire que tout comme seuls les vivants se trouvent à se mouvoir selon le lieu alors que les autres sont mus par un principe extérieur, qu’il soit un principe de production ou un principe qui enlève les obstacles, ainsi qu’on le dit au huitième livre des Physiques, de même encore seuls les vivants se trouvent à se mouvoir par eux-mêmes selon les autres mouvements. Et il en est ainsi parce qu’ils se trouvent à posséder différentes parties dont l’une peut être motrice et l’autre celle qui est mue : cela doit exister dans tout être qui se meut par lui-même, ainsi qu’on le prouve au huitième livre des Physiques. Ainsi donc nous retrouvons dans la génération des vivants un principe actif intérieur qui est la puissance formatrice de la semence. Et comme dans le mouvement de croissance et de décroissance il y a une puissance motrice de croissance, de même dans le mouvement d’altération qu’est la guérison il y a un principe intérieur de mouvement. Car alors que le cœur n’a pas été atteint par la maladie, la puissance naturelle qui se trouve dans le cœur sain conduit tout le corps à la santé.

1442f. Et c’est donc de cette matière qui possède en elle un principe actif dont parle ici le Philosophe et non des choses inanimées. Ce qui est évident à partir de ceci qu’il compare la matière du feu à la matière de la maison en ceci que les deux sont conduites à la forme par un principe extérieur. Il ne suit cependant pas de là que la génération des corps inanimés n’est pas naturelle. En effet, il n’est pas nécessaire au mouvement naturel que le principe du mouvement qui se trouve dans le mobile soit toujours un principe actif et formel; mais parfois le principe est passif et matériel. Et c’est pour cela qu’au deuxième livre des Physiques la nature se divise par la matière et la forme. Et c’est par ce principe qu’on appelle naturelle la génération des corps simples, ainsi que le dit le Commentateur au deuxième livre des Physiques. Il y a une différence cependant entre la matière des choses naturelles et celle des choses artificielles : car dans la matière des choses naturelles il y a une aptitude naturelle à la forme qui peut être conduite à l’acte par un agent naturel, ce qui ne peut avoir lieu dans la matière des choses artificielles.

1443. Ensuite lorsqu’il dit [617] : ¨ Il est évident par ailleurs ¨.

   Il manifeste la deuxième chose qui pouvait poser difficulté à partir de ce qui avait été dit. Le Philosophe avait dit plus haut que tout ce qui est engendré est engendré par un être qui lui est semblable par l’espèce. Mais cela ne se présente pas de la même manière dans tous les cas : et c’est pourquoi il cherche ici à manifester comment cela se produit différemment dans différents cas.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il distingue les différentes modalités par lesquelles ce qui est engendré est semblable à celui qui engendre. En deuxième lieu il manifeste ces modalités, là [618] où il dit : ¨ Car la cause de la production ¨.

   Il faut cependant savoir au sujet du premier point [617] que tout ce qui est engendré par un être est engendré par lui ou bien par accident ou bien par soi. Mais ce qui est engendré par accident par un être n’est pas engendré par lui en tant que tel. D’où il n’est pas nécessaire dans ce cas que se trouve dans celui qui engendre la ressemblance de ce qui est engendré, tout comme la découverte du trésor ne correspond à aucune similitude dans celui trouve un trésor par accident en creusant un trou pour planter un arbre. Mais celui qui engendre par soi c’est en tant que tel qu’il engendre tel être déterminé. Et c’est pourquoi il faut qu’il y ait en quelque sorte, dans celui qui engendre par soi, une similitude de celui qui est engendré.

1444. Mais cela peut se produire de trois manières. Premièrement quand la forme de celui qui est engendré préexiste dans celui qui engendre selon le même mode d’existence et selon une matière semblable. Comme lorsque le feu engendre le feu et qu’un homme engendre un homme. Et cette sorte de génération est tout à fait univoque.

1445. Deuxièmement quand la forme de celui qui est engendré préexiste dans celui qui engendre ni certes selon le même mode d’existence, ni quant à l’essence d’une même définition; par exemple la forme de la maison préexiste dans l’artisan non pas selon l’existence matérielle qu’elle possède dans les pierres et dans le bois, mais selon une existence immatérielle qu’elle possède dans l’esprit de l’artisan. Et ce type de génération est en partie univoque du côté de la forme, en partie équivoque du côté de l’existence de la forme dans son sujet.

1446. Troisièmement quand la forme de celui qui est engendré ne préexiste pas en totalité dans celui qui engendre, mais seulement une partie d’elle y préexiste, ou une partie d’une partie, tout comme dans la potion qui est chaude préexiste la chaleur qui est une partie de la santé, ou quelque chose qui conduit à une partie de la santé. Et ce type de génération n’est en aucune manière univoque.

1447. Et c’est pourquoi il dit : ¨De ce que nous venons de dire il résulte clairement que toutes les choses sont produites en un certain sens ou bien à partir de ce qui est totalement univoque, comme les choses naturelles¨, comme le feu est produit par le feu et l’homme par l’homme; ou bien à partir de ce qui est ¨en partie¨ univoque, quant à la forme et de ce qui est en partie équivoque quant à l’existence de la forme dans son sujet, tout comme la maison est produite à partir de la maison qui est dans l’art de l’artisan, ¨ou par l’intelligence¨, c’est-à-dire par l’habitus de l’art. En effet, l’art de la construction lui-même est la forme de la maison. Ou bien en un troisième sens certaines choses sont produites à partir d’une partie de la forme qui préexiste dans celui qui engendre ou à partir de celui qui engendre et qui possède cette partie. On peut en effet dire que la génération procède soit de la forme ou d’une partie de la forme, soit de celui qui possède la forme ou une partie de la forme. Mais de celui qui possède la forme comme de celui qui engendre; mais de la forme ou d’une partie de la forme comme de ce à partir de quoi engendre celui qui engendre. Car la forme d’elle-même n’engendre pas et n’agit pas, mais c’est plutôt celui qui possède la forme qui agit par elle. Et je dis qu’une chose vient d’une autre qui lui est semblable selon une des modalités précédentes, sauf si elle en provient par accident. Dans ce cas en effet il n’est pas nécessaire d’observer une telle similitude, ainsi que nous l’avons dit.

1448. Ensuite lorsqu’il dit [618] : ¨ Car la cause ¨.

   Il manifeste les modalités précédentes.

   Et en premier lieu il le fait dans les choses artificielles. En deuxième lieu il le fait dans les choses naturelles, là [619] où il dit : ¨ Et il en est de même pour les êtres ¨.

   Il dit donc en premier lieu [618] qu’il faut qu’il y ait pour cette raison un devenir à partir d’une partie, car la première cause de production par soi est la partie de ce qui est engendré préexistant dans celui qui engendre qui est ou bien la forme même de celui qui engendre, ou bien une partie de cette forme. En effet, puisque c’est au moyen du mouvement que la chaleur est engendrée, la chaleur est présente d’une certaine manière dans le mouvement comme dans une puissance active. Car la capacité même de produire la chaleur qui se trouve dans le mouvement est quelque chose du genre de la chaleur. Et cette chaleur qui existe en puissance dans le mouvement, c’est elle qui produit la chaleur dans le corps, non certes par une génération univoque, mais par une génération équivoque; car la chaleur qui est dans le mouvement et celle qui se trouve dans le corps chaud ne relèvent pas d’une même définition. Et celle-ci, à savoir la chaleur, est ou bien la santé elle-même ou une partie de la santé, ou bien elle est suivie par une partie de la santé ou par la santé elle-même.

1449. Au moyen des quatre distinctions qu’il vient de présenter, il donne à comprendre quatre modalités suivant lesquelles la forme de celui qui engendre peut se rapporter à la forme de celui qui est engendré. Dont la première est lorsque la forme de celui qui est engendré se trouve totalement dans celui qui engendre, comme la forme de la maison est dans l’esprit de l’artisan et comme la forme du feu engendré est dans le feu qui engendre. La deuxième modalité est lorsqu’une partie de la forme de celui qui est engendré se trouve dans celui qui engendre comme lorsque la potion chaude guérit en réchauffant. Car la chaleur produite est une partie de la santé dans celui qui est guéri. La troisième modalité est lorsqu’une partie de la forme est présente dans celui qui engendre, mais en puissance et non en acte, comme lorsque le mouvement guérit en réchauffant : la chaleur en effet est présente en puissance dans le mouvement et non en acte. La quatrième modalité est lorsque toute la forme elle-même est en puissance mais non en acte dans celui qui engendre, comme la forme de l’engourdissement se trouve dans le poisson qui engourdit la main. Et il en est de même pour tous les autres qui agissent par la forme dans sa totalité. Il identifie la première modalité par ces paroles : ¨Soit par la santé¨; il identifie la deuxième modalité par l’expression suivante : ¨Soit par une partie¨; il identifie la troisième par les mots suivants : ¨Soit elle est suivie par une partie de la santé¨; et enfin, par l’expression suivante, il identifie la quatrième modalité : ¨Soit par la santé elle-même¨. Et parce que le mouvement cause la chaleur qui est suivie par la santé, c’est pour cette raison encore qu’il dit que le mouvement cause la santé car ce qui produit la santé c’est ce qui est suivi ou d’où résulte la santé. Ou mieux encore ¨ce qui découle ou qui procède du mouvement¨, à savoir la chaleur, produit la santé.

1450. Et de là on voit que tout comme dans les syllogismes, le principe de toute production ¨est la substance¨, c’est-à-dire la quiddité de la chose (car les syllogismes démonstratifs partent de la quiddité puisque le moyen terme, dans les démonstrations, est la définition), de même ¨ici¨ dans les productions, les générations procèdent de la quiddité. Et en cela est manifestée la ressemblance qu’il y a entre l’intelligence spéculative et l’intelligence pratique. En effet, tout comme l’intelligence spéculative procède à partir de la considération de la quiddité pour démontrer les propriétés d’un sujet, de même l’intelligence pratique procède à partir de la forme de la chose artificielle, qui est sa quiddité ainsi que nous l’avons déjà dit, pour la réaliser.

1451. Ensuite lorsqu’il dit [619] : ¨ C’est pourquoi, de la même manière ¨

   Il manifeste dans les choses naturelles ce qu’il a dit au sujet des choses artificielles en disant que les choses qui sont constituées selon la nature se comportent de la même manière que celles qui sont produites par l’art. En effet, la semence opère pour la génération de la même manière que ce qu’on voit se produire pour les choses qui sont produites par l’art. En effet, tout comme l’artisan n’est pas la maison en acte et qu’il ne possède pas en acte la forme qui est celle de la maison, mais qu’il la possède seulement en puissance, de même la semence n’est pas l’animal en acte et elle ne possède pas non plus en acte l’âme qui est la forme de l’animal mais elle la possède seulement en puissance. Il y a en effet dans la semence une puissance formatrice qui se compare à la matière du fœtus de la même manière que la forme de la maison qui se trouve dans l’esprit de l’artisan se compare aux pierres et aux pièces de bois; cependant la puissance de la semence est une puissance intérieure.

1452. Cependant, bien que la génération de l’animal à partir de la semence ne provient pas de la semence d’une manière univoque car la semence n’est pas un animal, cependant ce par quoi la semence est produite est en quelque sorte univoque par rapport à ce qui est produit à partir de la semence. Car la semence provient d’un animal. Et en cela il y a une différence entre la génération naturelle et la génération artificielle : car la forme de la maison qui est dans l’esprit de l’artisan ne provient pas d’une maison, bien que parfois cela se produise, comme lorsqu’on produit une maison en prenant pour modèle une autre maison. Mais c’est toujours qu’il faut que la semence provienne d’un animal.

1453. Mais il explique ce qu’il avait dit par ces mots : ¨univoque en quelque sorte¨ car il n’est pas nécessaire que pour toute génération naturelle il y ait univocité absolue, comme lorsqu’on dit qu’un homme vient d’un homme. ¨En effet la femme vient de l’homme¨ comme de sa cause agente; et le mulet ne vient pas du mulet, mais du cheval et de l’âne entre lesquels il y a cependant une certaine ressemblance ainsi qu’Aristote l’a dit plus haut. Et ce qu’il a dit en disant que ce par quoi la semence est produite doit être en quelque sorte univoque, il ajoute que cela doit se comprendre de la manière suivante, à savoir ¨s’il n’y a pas de privation¨, c’est-à-dire s’il n’y a pas dans la semence un défaut de la puissance naturelle. Alors dans ce cas la semence ne produit pas quelque chose qui est semblable à celui qui engendre ainsi qu’on le voit dans les enfantements de monstres.

1454. Et ¨tout comme dans celles-là¨, c’est-à-dire dans les choses artificielles, certaines choses sont produites non seulement par l’art mais aussi par le hasard, lorsque la matière peut se mouvoir d’elle-même par ce mouvement par lequel elle est mue par l’art; mais quand par ailleurs elle ne peut se mouvoir de la sorte, alors ce qui est produit par l’art ne peut être produit par autre chose que par l’art : de même ici certaines choses peuvent être produites par hasard et sans semence, à savoir celles dont la matière peut se mouvoir d’elle-même de cette manière, à savoir ¨par ce mouvement par lequel la semence meut¨, c’est-à-dire en vue de la génération de l’animal. C’est ce qu’on peut voir dans les choses qui sont engendrées à partir d’une putréfaction : et comment on peut dire qu’elles sont produites par le hasard et comment on ne le peut pas, nous l’avons expliqué plus haut. Mais pour les choses dont la matière ne peut se mouvoir d’elle-même par ce mouvement par lequel elle est mue par la semence, il leur est impossible d’être produites autrement qu’à partir d’une semence; et c’est ce qu’on observe pour l’homme, le cheval et les autres animaux parfaits. Il est donc clair à partir de ce qui est dit ici que ce ne sont pas tous les animaux qui peuvent être produits à la fois à partir d’une semence et sans semence, ainsi que le soutenait Avicenne, et qu’on ne peut dire par ailleurs, ainsi que le prétendait Averroès, qu’aucun animal ne peut être engendré selon les deux modalités.

1455. Il faut cependant remarquer qu’au moyen de ce qui vient d’être dit, il est possible de résoudre les difficultés soulevées par ceux qui soutenaient que les formes des choses engendrées ne proviennent pas de ceux qui engendrent naturellement mais de formes qui existent sans la matière. Ceux-là en effet semblent avoir soutenu cette position surtout en raison des animaux engendrés à partir de la putréfaction et dont les formes ne semblent pas procéder d’êtres qui leur sont semblables par la forme. Par la suite cependant, même chez les animaux qui sont engendrés à partir d’une semence, la puissance active de génération qui est dans la semence n’est pas une âme telle que de là une âme pourrait résulter dans l’animal qui est engendré. Mais ils s’avancent encore plus loin, car selon eux dans ces corps inférieurs on ne retrouve pas des principes actifs pour la génération, à l’exception du chaud et du froid qui sont des formes accidentelles; et ainsi on ne peut voir comment les formes substantielles peuvent être produites par ces formes accidentelles. Et de plus on ne voit pas que cette argumentation, que le Philosophe a présentée plus haut contre ceux qui affirment l’existence de modèles, est valable pour tous les cas, à savoir que les formes de ceux qui engendrent suffisent à expliquer la ressemblance de forme qu’on observe chez ceux qui sont engendrés.

1456. Mais toutes ces difficultés se trouvent à être résolues par le texte d’Aristote si on prend la peine de l’examiner attentivement. En effet, ce qui est dit dans ce texte, c’est que la puissance active qui est dans la semence, bien qu’elle ne soit pas l’âme en acte, est cependant l’âme en puissance; tout comme la forme de la maison qui est dans l’âme n’est pas celle de la maison en acte, mais la maison en puissance. C’est pourquoi, tout comme à partir de la forme de la maison qui est dans l’esprit peut être produite la forme de la maison qui est dans la matière, de même à partir de la puissance qui est dans la semence, une âme complète peut être produite indépendamment d’une intelligence produite par un principe extérieur, ainsi qu’on le dit au seizième livre du traité des animaux. Et en outre il en est encore davantage ainsi, dans la mesure où la puissance qui est dans la semence provient d’une âme parfaite par la puissance de laquelle elle agit. En effet, les principes intermédiaires agissent par la puissance de ceux qui sont premiers.

1457. D’un autre côté, pour ce qui est des êtres qui sont engendrés à partir de la putréfaction, il y a aussi dans la matière un principe semblable à la puissance active qui est dans la semence et à partir duquel est produite une âme chez de tels animaux. Et, de même que la puissance qui est dans la semence provient de l’âme complète de l’animal et de la puissance du corps céleste, de même la puissance qui est dans la matière putréfiée productrice de l’animal provient du corps céleste seulement, dans lequel existent en puissance, comme dans un principe actif, toutes les formes qui sont engendrées. Même les qualités actives, bien qu’elles soient actives, n’agissent cependant pas seulement par la puissance qui leur est propre, mais par la puissance des formes substantielles auxquelles elles se rapportent comme des instruments; c’est ainsi qu’on dit au deuxième livre de l’Âme que la chaleur du feu est comme l’instrument de l’âme nutritive ou végétative.

1458. Ensuite lorsqu’il dit [620] : ¨ Non seulement ¨.

   Il manifeste le troisième point qui pouvait poser une difficulté à partir de ce qui avait été dit. Il avait prouvé en effet que ce ne sont pas les formes qui sont engendrées, mais les composés. Mais on pourrait se demander si cela est vrai seulement pour les formes substantielles ou si cela est vrai aussi pour les formes accidentelles. Et c’est à cette question qu’il cherche à répondre ici. Et c’est pourquoi il fait deux choses. En premier lieu il montre que cela est vrai pour les deux sortes de formes en disant que le raisonnement présenté plus haut ne manifeste pas seulement que ¨l’espèce¨, c’est-à-dire la forme, n’est pas produite ¨au sujet de la substance¨, c’est-à-dire par rapport au prédicament de la substance, mais que cela est également commun ¨à tous les genres premiers¨, c’est-à-dire que cela est commun à tous les prédicaments comme la qualité, la quantité et les autres catégories. ¨Tout comme en effet ce qui est produit c’est la sphère d’airain¨, à savoir ce composé qui est la sphère d’airain. ¨Mais ce n’est pas la sphère qui est produite¨, c’est-à-dire ce qui se présente à la manière d’une forme; ¨ni l’airain¨, c’est-à-dire ce qui se présente à la manière d’une matière. Et si, par manière de parler, on dit qu’une sphère est produite, ce n’est pas par elle-même qu’elle est produite, mais dans l’airain. Car il faut toujours qu’une matière et une forme préexistent à la génération, ainsi qu’on l’a montré plus haut. Et aussi ce qui existe ¨comme la sphère d’airain¨, à savoir le composé, est produit ¨à la fois dans le quoi¨, c’est-à-dire dans le prédicament de la substance, et dans celui de la qualité, de la quantité et de même dans tous les autres prédicaments. En effet, ce qui est produit ce n’est pas le ¨quel¨, c’est-à-dire la qualité elle-même, mais ce tout qui est ¨le bois ayant telle qualité¨. Et ce n’est pas ¨le combien¨ qui est produit, c’est-à-dire la quantité elle-même, mais plutôt telle quantité de bois ou un animal possédant telle quantité.

1459. Là [621] où il dit : ¨ Mais il y a une propriété ¨.

   Il montre une différence qu’il y a entre la substance et les accidents, en disant qu’il faut admettre qu’il y a un caractère propre à la substance si on la compare aux accidents car lorsqu’une substance est engendrée, il est toujours nécessaire que préexiste une autre substance responsable de cette génération. Par exemple, si un animal est engendré, il faut que préexiste un autre animal qui en soit le géniteur pour ce qui est de ceux qui engendrent à partir d’une semence. Mais pour ce qui est de la qualité, de la quantité et des autres accidents, il n’est pas nécessaire que préexiste une qualité ou une quantité en acte, mais seulement en puissance, c’est-à-dire dans le principe matériel et le sujet du mouvement. En effet, le principe actif d’une substance ne peut être qu’une autre substance, mais le principe actif des accidents peut être ce qui n’est pas un accident, c’est-à-dire une substance.

 

 

LECTIO 9

[83031] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 1Postquam philosophus ostendit quid est quod quid erat esse, et quorum est, et quomodo se habet ad ea quorum est, et quod non oportet ponere quidditates rerum separatas propter generationem, hic intendit ostendere ex quibus constituitur quod quid erat esse; et dividitur in duas partes. In prima ostendit ex quibus quod quid erat esse constituitur. In secunda ostendit quomodo ex illis fiat unum, ibi, nunc autem dicamus primum. Prima autem pars dividitur in duas. In prima movet dubitationem. In secunda solvit eam, ibi, aut multipliciter dicitur pars. Prima pars dividitur in duas dubitationes, quas movet, ad idem pertinentes; secundam ibi, amplius autem si priores sunt partes. Dicit ergo primo, quod omnis definitio est quaedam ratio, idest quaedam compositio nominum per rationem ordinata. Unum enim nomen non potest esse definitio, quia definitio oportet quod distincte notificet principia rerum quae concurrunt ad essentiam rei constituendam; alias autem definitio non sufficienter manifestaret essentiam rei. Et propter hoc dicitur in primo physicorum, quod definitio dividit definitum in singulare, idest exprimit distincte singula principia definiti. Hoc autem non potest fieri nisi per plures dictiones: unde una dictio non potest esse definitio, sed potest esse manifestativa eo modo, quo nomen minus notum manifestatur per magis notum. Omnis autem ratio partes habet, quia est quaedam oratio composita, et non simplex nomen. Et ideo videtur quod sicut se habet ratio rei ad rem, ita se habent partes rationis ad partes rei. Et propter hoc dubitatur, utrum oporteat rationem partium ponere in ratione totius, aut non.

[83032] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 2Et haec dubitatio exinde confirmatur: quia in quibusdam rationibus totorum, videntur esse rationes partium, et in quibusdam non. In definitione enim circuli non ponitur definitio incisionum circuli, idest partium ex circulo separatarum, sicut semicirculi et quartae partis circuli. Sed definitio syllabae continet in se definitionem elementorum, idest literarum. Si enim definitur syllaba, oportet quod dicatur esse aliqua vox composita ex literis. Et sic in definitione syllabae ponitur litera, et per consequens definitio eius, quia semper uti possumus definitione pro nomine. Et tamen circulus dividitur in incisiones ut in partes, sicut syllaba in elementa, idest in literas.

[83033] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 3Quod autem hic dicitur, quod sicut se habet definitio ad rem, ita se habet pars definitionis ad partem rei, videtur habere dubitationem. Definitio enim est idem rei. Unde videtur sequi quod partes definitionis sint idem partibus rei; quod patet esse falsum. Nam partes definitionis praedicantur de definitio, sicut de homine, animal et rationale; nulla autem pars integralis praedicatur de toto.

[83034] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 4Sed dicendum est, quod partes definitionis significant partes rei, inquantum a partibus rei sumuntur partes definitionis; non ita quod partes definitionis sint partes rei. Non enim animal est pars hominis, neque rationale; sed animal sumitur ab una parte, et rationale ab alia. Animal enim est quod habet naturam sensitivam, rationale vero quod habet rationem. Natura autem sensitiva est ut materialis respectu rationis. Et inde est quod genus sumitur a materia, differentia a forma, species autem a forma et materia simul. Nam homo est, quod habet rationem in natura sensitiva.

[83035] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 5Deinde cum dicit amplius autem ponit secundam dubitationem, quae est de prioritate partium. Omnes enim partes videntur esse priores toto, sicut simplex composito. Acutus enim angulus est pars recti anguli. Dividitur enim rectus angulus in duos vel plures angulos acutos. Et similiter digitus est pars hominis. Unde videtur, quod acutus angulus sit naturaliter prior recto, et digitus prior homine.

[83036] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 6Sed e contra videntur illa esse priora, scilicet rectus acuto, et homo digito. Et hoc dupliciter. Primo quidem secundum rationem. Per huic enim modum illa dicuntur esse priora, quae in eorum rationibus ponuntur, et non e contrario. Acutus enim et digitus dicuntur esse secundum rationem, idest definiuntur ex illis, scilicet homine et recto, ut dictum est. Unde videtur, quod homo et rectus angulus sint priores digito et acuto angulo.

[83037] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 7Secundo vero prout dicuntur esse aliqua priora ex eo, quod est esse sine invicem. Quae enim possunt esse sine aliis, et non e contrario, dicuntur esse priora, ut in quinto est habitum, sicut unum duobus. Homo autem potest esse sine digito. Digitus autem non potest esse sine homine, quia digitus abscisus non est digitus, ut infra dicetur. Unde videtur, quod homo sit prior digito. Et eadem ratio est de recto et acuto.

[83038] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 8Deinde cum dicit aut multipliciter solvit propositas quaestiones; et dividitur in tres partes. In prima ponit solutionem. In secunda exponit eam, ibi, dictum est igitur nunc ipsum. Tertio determinat quamdam dubitationem, quae ex praedicta solutione oriri potest, ibi, dubitatur autem merito. Ad evidentiam autem horum, quae in hoc capitulo dicuntur, sciendum est, quod circa definitiones rerum, et earum essentias duplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod tota essentia speciei est ipsa forma, sicut quod tota essentia hominis est anima. Et propter hoc dicunt, quod eadem secundum rem est forma totius quae significatur nomine humanitatis, et forma partis, quae significatur nomine animae, sed differunt solum secundum rationem: nam forma partis dicitur secundum quod perficit materiam, et facit eam esse in actu: forma autem totius, secundum quod totum compositum per eam in specie collocatur. Et ex hoc volunt, quod nullae partes materiae ponantur in definitione indicante speciem, sed solum principia formalia speciei. Et haec opinio videtur Averrois et quorumdam sequentium eum.

[83039] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 9Sed videtur esse contra intentionem Aristotelis. Dicit enim superius in sexto, quod res naturales habent in sui definitione materiam sensibilem, et in hoc differunt a mathematicis. Non autem potest dici, quod substantiae naturales definiantur per id quod non sit de essentia earum. Substantiae enim non habent definitionem ex additione, sed sola accidentia, ut supra est habitum. Unde relinquitur quod materia sensibilis sit pars essentiae substantiarum naturalium, non solum quantum ad individua, sed etiam quantum ad species ipsas. Definitiones enim non dantur de individuis, sed de speciebus.

[83040] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 10Unde est alia opinio, quam sequitur Avicenna; et secundum hanc forma totius, quae est ipsa quidditas speciei, differt a forma partis, sicut totum a parte: nam quidditas speciei, est composita ex materia et forma, non tamen ex hac forma et ex hac materia individua. Ex his enim componitur individuum, ut Socrates et Callias. Et haec est sententia Aristotelis in hoc capitulo, quam introducit ad excludendum opinionem Platonis de ideis. Dicebat enim species rerum naturalium esse per se existentes sine materia sensibili, quasi materia sensibilis non esset aliquo modo pars speciei. Ostenso ergo, quod materia sensibilis sit pars speciei in rebus naturalibus, ostenditur quod impossibile est esse species rerum naturalium sine materia sensibili, sicut hominem sine carnibus et ossibus, et sic de aliis.

[83041] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 11Et hic erit tertius modus destruendi ideas. Nam primo destruxit per hoc quod quod quid erat esse non est separatum ab eo cuius est. Secundo per hoc, quod species separatae a materia non sunt causae generationis, neque per modum generantis, neque per modum exemplaris. Nunc autem tertio improbat eam per hoc quod materia sensibilis in communi est ratio speciei.

[83042] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 12Dicit ergo solvendo, quod multipliciter dicitur pars, sicut in quinto est habitum. Et uno modo dicitur pars quantitativa, hoc scilicet quod mensurat totum secundum quantitatem, sicut bicubitum est pars cubiti, et binarius senarii. Sed hic modus partium praetermittatur ad praesens; non enim intendimus hic inquirere partes quantitatis; sed intendimus inquirere de partibus definitionis, quae significant substantiam rei. Unde perscrutandum est de illis partibus ex quibus substantia rei componitur.

[83043] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 13Pars autem substantiae est et materia, et forma, et ex quibus est aliquid compositum. Et quodlibet istorum trium, scilicet materia et forma et compositum ex his, est substantia, ut supra habitum est. Et ideo materia est quidem quodam modo pars alicuius, quodam modo non est, sed solum illa, ex quibus est ratio speciei, idest formae. Intelligimus enim concavitatem quasi formam, et nasum materiam, et simum quasi compositum. Et secundum hoc caro, quae est materia vel pars materiae, non est pars concavitatis, quae est forma vel species; nam caro est materia, in qua fit species. Sed tamen caro est aliqua pars simitatis, si tamen simitas intelligitur esse quoddam compositum, et non solum forma. Et similiter totius quidem statuae, quae est composita ex materia et forma, pars est aes; non autem est pars statuae secundum quod statua accipitur solum pro specie, idest pro forma.

[83044] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 14Et ut sciatur quid est species, et quid est materia, dicendum est illud ad speciem pertinere, quod convenit unicuique inquantum speciem habet. Sicuti inquantum habet speciem statuae, convenit alicui quod sit figuratum, vel aliquid aliud huiusmodi. Sed id quod est materiale ad speciem, nunquam dicendum est secundum se de specie. Sciendum tamen est, quod nulla materia, nec communis, nec individuata secundum se se habet ad speciem prout sumitur pro forma. Sed secundum quod species sumitur pro universali, sicut hominem dicimus esse speciem, sic materia communis per se pertinet ad speciem, non autem materia individualis, in qua natura speciei accipitur.

[83045] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 15Et ideo dicendum est, quod definitio circuli non continet in se definitionem incisionum, idest partium ex circulo incisarum, vel semicirculi vel quartae partis circuli. Sed definitio, quae est syllabae, comprehendit in se definitionem, quae est elementorum, idest litterarum. Et huius ratio est, quia elementa, idest literae, sunt partes syllabae quantum ad speciem suam, et non secundum materiam. Ipsa enim forma syllabae in hoc consistit, quod ex literis componatur. Sed incisiones circuli sunt partes non circuli secundum speciem accepti, sed huius circuli particularis, vel horum circulorum, sicut materia in qua fit species circuli.

[83046] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 16Et hoc accipi potest ex regula superius posita. Hoc enim dixit ad speciem pertinere, quod secundum se inest unicuique speciem habenti; ad materiam vero quod accidit speciei. Per se autem inest syllabae, quod ex literis componatur. Quod autem circulus sit actu divisus in semicirculos, hoc accidit circulo, non inquantum est circulus, sed inquantum est hic circulus, cuius haec linea dividitur quae est pars eius ut materia. Unde patet, quod semicirculus est pars circuli secundum materiam individualem. Unde ista materia, quae est haec linea, est propinquior speciei quam aes, quod est materia sensibilis, quando rotunditas quae est forma circuli, fit in aere. Quia species circuli nunquam est praeter lineam, est autem praeter aes. Et sicut partes circuli, quae sunt secundum materiam individualem, non ponuntur in eius definitione, ita etiam nec omnes literae ponuntur in definitione syllabae, quae scilicet sunt partes cum materia, ut literae descriptae in cera, vel prolatae in aere. Hae enim iam sunt partes syllabae, sicut materia sensibilis.

[83047] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 17Non enim oportet, quod omnes partes in quas res aliqua resoluta corrumpitur, sint partes substantiae. Non enim si linea divisa in duo dimidia corrumpitur, aut si homo resolutus in ossa et nervos et carnes corrumpitur, propter hoc sequitur quod linea sit ex dimidiis, et homo ex carnibus et ossibus, ita quod ista sint partes substantiae eius: sed sunt ex istis partibus sicut ex materia. Unde sunt partes eius quod est simul totum, idest compositum; sed speciei, idest formae, et cuius est ratio, idest eius quod definitur, non adhuc sunt partes. Quapropter nullae tales partes ponuntur in rationibus convenienter.

[83048] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 18Sciendum tamen, quod ratio talium partium in quorumdam definitionibus ponitur; scilicet in definitionibus compositorum, quorum sunt partes. In quorumdam vero definitionibus non oportet poni, scilicet in definitione formarum; nisi sint tales formae, quae sint simul sumptae cum materia. Licet enim materia non sit pars formae, tamen materia sine qua non potest concipi intellectu forma, oportet quod ponatur in definitione formae; sicut corpus organicum ponitur in definitione animae. Sicut enim accidentia non habent esse perfectum nisi secundum quod sunt in subiecto, ita nec formae nisi secundum quod sunt in propriis materiis. Et propter hoc, sicuti accidentia definiuntur ex additione subiectorum, ita et forma ex additione propriae materiae. Cum igitur in definitione formae ponitur materia, est definitio ex additione; non autem cum ponitur in definitione compositi.

[83049] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 19Vel hoc quod dicit si non fuerint simul sumpta, est exemplificatio eius quod dixerat horum non oportet inesse. In illis enim partes materiae non oportet in definitionibus poni, quae scilicet non sumuntur simul cum materia, vel quae non significant aliquid compositum ex materia et forma. Et hoc patet: quia propter hoc quod in quorumdam rationibus non ponitur materia, in quorumdam vero ponitur, contingit quod quaedam sint sicut ex principiis ex his in quae corrumpitur, idest ex partibus, in quas aliquid per corruptionem resolvitur. Et haec sunt illa, in quorum definitionibus ponuntur materiae. Quaedam vero non sunt ex praedictis partibus materialibus sicut ex principiis, sicut illa in quorum definitionibus non ponitur materia.

[83050] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 20Et quia in istorum definitionibus ponitur materia, quae sunt simul accepta cum materia, non autem in aliis, ideo quaecumque sunt simul sumpta species cum materia, idest quaecumque significant aliquid compositum ex materia et forma, ut simum aut aereus circulus, huiusmodi corrumpuntur in partes materiales, et pars istorum est materia. Illa vero, quae non concipiuntur in intellectu cum materia, sed sunt omnino sine materia, sicut illa quae pertinent solum ad rationem speciei et formae, ista vel non corrumpuntur omnino, vel non corrumpuntur taliter, idest per resolutionem in aliquas partes materiales. Quaedam enim formae sunt quae nullo modo corrumpuntur, sicut substantiae intellectuales per se existentes. Quaedam vero formae non per se existentes, corrumpuntur per accidens, corrupto subiecto.

[83051] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 21Quare patet, quod huiusmodi partes materiales sunt principia et partes eorum quae sunt sub ipsis, idest quae ab eis dependent, sicut dependet totum ex partibus ex quibus componitur; non autem sunt partes nec principia speciei. Et propter hoc, compositum, ut statua lutea, corrumpitur resoluta in materiam, idest in lutum, et sphaera aerea, in aes, et Callias, qui est homo particularis, in carnem et ossa. Et similiter circulus particularis constans ex his lineis divisis, corrumpitur in incisiones. Sicut enim Callias est aliquis homo qui concipitur cum materia individuali, ita circulus, cuius sunt partes istae incisiones, est aliquis circulus particularis, qui concipitur cum individuali materia. Hoc tamen differt quia singulares homines habent nomen proprium. Unde nomen speciei non aequivocatur ad individua: sed nomen circuli aequivoce dicitur de circulo qui simpliciter, idest universaliter dicitur, et de singulis particularibus circulis. Et hoc ideo quia singulis particularibus circulis non sunt nomina posita, sed nomina posita sunt singularium hominum.

[83052] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 9 n. 22Attendendum est autem, quod nomen speciei non aequivoce praedicatur de individuo, secundum quod praedicat de eo communem naturam speciei: praedicaretur autem aequivoce de eo, si praedicaretur inquantum significaret hoc individuum prout huiusmodi. Si enim dicam, Socrates est homo, non aequivocatur nomen hominis. Sed si hoc nomen homo, imponatur alicui singulari homini ut proprium nomen, aequivoce significabit speciem, et hoc individuum. Et similiter de nomine circuli, quod aequivoce significat speciem et hunc circulum.

LEÇON 9.

(nn. 1460-1481; [622-624]).

 

Il cherche à savoir de quelles parties la quiddité et la définition sont constituées et de quelle manière les parties sont antérieures au tout.

 

1460. Après avoir montré ce qu’est la quiddité, à quoi elle appartient et comment elle se rapporte à ce à quoi elle appartient et qu’il ne faut pas affirmer, à cause de la génération, que les quiddités des choses sont séparées, le Philosophe cherche ici à montrer de quoi la quiddité est constituée; et cette section se divise en deux parties.

   Dans la première il montre à partir de quoi la quiddité est constituée [622]. Dans la deuxième il montre comment à partir de ces éléments une unité est produite, là [640] où il dit : ¨ Mais maintenant parlons d’abord ¨.

   Mais la première partie se divise en deux. Dans la première il soulève une question [622]. Dans la deuxième il y répond, là [624] où il dit : ¨ Ou bien partie se dit en plusieurs sens ¨.

   La première partie se divise en deux questions qu’il soulève et qui se rapportent à la même chose; il soulève la deuxième là [623] où il dit : ¨ Mais en outre si les parties sont antérieures ¨.

   Il dit donc en premier lieu [622] que toute ¨définition est une certaine énonciation¨, c’est-à-dire une certaine composition de noms ordonnée par la raison. En effet, un seul nom ne peut constituer une définition, car une définition doit faire connaître distinctement les principes des choses qui contribuent à constituer l’essence de la chose car autrement la définition ne pourrait pas suffisamment faire connaître l’essence de la chose. Et c’est pour cette raison qu’on dit au premier livre des Physiques que la définition divise ¨le défini en chacune de ses parties¨, c’est-à-dire qu’elle exprime distinctement les principes propres au défini. Mais cela ne peut avoir lieu qu’au moyen de plusieurs distinctions : et c’est pourquoi un seul mot ne peut être une définition, mais il peut contribuer à manifester en ce sens qu’un nom moins connu est manifesté au moyen d’un nom plus connu. Mais tout énoncé possède des parties, car tout énoncé est une composition de paroles et non pas un nom simple. Et c’est pourquoi il apparaît que les parties de l’énonciation sont aux parties de la chose dans le même rapport que la définition de la chose à la chose elle-même. Et c’est pour cette raison qu’on se demande s’il faut ou non placer l’énonciation des parties dans l’énonciation du tout.

1461. Et dès lors cette question se confirme car dans certaines énonciations du tout semblent se retrouver les énonciations des parties alors que ce n’est pas le cas dans d’autres énonciations. En effet, dans la définition on ne place pas la définition ¨des segments du cercle¨, c’est-à-dire des parties séparées du cercle, comme les demi-cercles et les quarts de cercles. Mais la définition de la syllabe contient en elle la définition ¨des éléments¨, c’est-à-dire des lettres. Si en effet la syllabe est définie, il faut qu’on dise qu’elle est un son de voix composé de lettres. Et ainsi la lettre se trouve à être posée dans la définition de la syllabe, et il en est de même également pour la définition de la lettre car nous pouvons toujours nous servir de la définition à la place du nom. Et cependant le cercle se divise en segments comme en ses parties tout comme la syllabe se divise ¨en éléments¨, c’est-à-dire en lettres.

1462. Mais ce qui est dit ici, à savoir que la partie de la définition est à la partie de la chose dans le même rapport que la définition à la chose, cela semble poser une difficulté. En effet, la définition est identique à la chose. D’où il semble s’ensuivre que les parties de la définition soient identiques aux parties de la chose; ce qui est évidemment faux. Car les parties de la définition s’attribuent au défini tout comme à l’homme s’attribuent animal et rationnel alors qu’aucune partie intégrale ne s’attribue à son tout.

1463. Mais il faut dire que les parties de la définition signifient les parties de la chose dans la mesure où les parties de la définition se tirent des parties de la chose et non au sens où les parties de la définition sont les parties de la chose. En effet, ni animal ni rationnel ne sont des parties de l’homme; mais animal se tire d’une partie et rationnel se tire d’une autre partie. L’animal en effet est ce qui possède une nature sensible et rationnel est ce qui possède la raison. Mais la nature sensible est comme une matière par rapport à la raison. Et c’est pour cela que le genre se tire de la matière, que la différence se tire de la forme et que l’espèce se tire à la fois de la matière et de la forme. Car l’homme est cet être qui possède une nature rationnelle dans une nature sensible.

1464. Ensuite lorsqu’il dit [623] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il présente la deuxième question qui se rapporte à l’antériorité des parties. En effet, toutes les parties semblent être antérieures au tout, comme le simple est antérieur au composé. En effet, l’angle aigu est une partie de l’angle droit. En effet, l’angle droit se divise en deux ou en plusieurs angles aigus. Et de la même manière le doigt est une partie de l’homme. Et de là il pourrait sembler que l’angle aigu est antérieur à l’angle droit et que le doigt est antérieur à l’homme.

1465. Mais au contraire ce sont plutôt ceux-là qui semblent être antérieurs, à savoir l’angle droit à l’angle aigu et l’homme au doigt. Et cela de deux manières. Premièrement certes selon la raison et en ce sens on appelle antérieur à une chose ce qui est placé dans la définition de cette chose et non pas l’inverse. ¨En effet l’angle droit et le doigt se disent selon l’énonciation¨, c’est-à-dire qu’ils se définissent d’après ces notions, à savoir l’homme et l’angle droit, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est pourquoi il apparaît que l’homme et l’angle droit sont antérieurs respectivement au doigt et à l’angle aigu.

1466. Deuxièmement par ailleurs dans la mesure où on appelle antérieur à une autre ce qui peut exister sans cet autre. En effet, les choses qui peuvent exister sans les autres, et non l’inverse, on dit d’elles qu’elles sont antérieures aux autres, ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre, comme dans l’exemple où l’unité est antérieure à la dualité. Mais l’homme peut exister sans le doigt. Le doigt, au contraire, ne peut exister sans l’homme car le doigt coupé n’est plus un doigt, ainsi qu’on le dira plus loin. Et de là il apparaît que l’homme est antérieur au doigt et que l’angle droit et antérieur à l’angle aigu.

1467. Ensuite lorsqu’il dit [624] : ¨ Ou bien de plusieurs manières ¨.

   Il résout les difficultés qui viennent d’être présentées. Et cette solution se divise en trois parties. Dans la première il présente la solution [624]. Dans la deuxième il explique cette solution, là [625] où il dit : ¨ Donc maintenant cela même qui a été dit ¨. Dans la troisième il répond à une difficulté qui pourrait naître de la solution présentée, là [629] où il dit : ¨Mais il est naturel de se demander¨.

   Mais pour manifester davantage ce qui est dit dans ce chapitre, il faut savoir qu’au sujet des définitions des choses et de leurs essences, il existe deux opinions. Certains en effet affirment que toute l’essence de l’espèce est la forme elle-même, disant par exemple que toute l’essence de l’homme est l’âme. Et pour cette raison ils affirment que la forme du tout qui est signifiée par le nom d’humanité et que la forme de la partie qui est signifiée par le nom d’âme, sont identiques par la chose et ne diffèrent que par la raison : car la forme de la partie se dit selon qu’elle donne sa perfection à la matière et lui donne d’exister en acte, alors que la forme du tout se dit selon que le tout composé est établi par elle dans une espèce. Et à partir de là ils veulent qu’aucune partie de la matière ne soit placée dans la définition signifiant l’espèce, mais qu’y soient placés seulement les principes formels de l’espèce. Et telle semble avoir été l’opinion d’Averroès et de ceux qui l’ont suivi.

1468. Mais cela apparaît contraire à l’intention d’Aristote. Il dit en effet plus haut au sixième livre que les choses naturelles incluent dans leurs définitions la matière sensible et qu’en cela elles diffèrent des êtres mathématiques. Mais on ne peut dire que les substances sensibles se définissent par ce qui n’appartient pas à leur essence. En effet, les substances ne possèdent pas leurs définitions à partir d’une addition, mais il en est ainsi seulement pour les accidents, comme nous l’avons établi plus haut. D’où il reste que la matière sensible fait partie de l’essence des substances naturelles non seulement quant aux individus, mais aussi quant aux espèces elles-mêmes. En effet, ce n’est pas aux individus qu’on donne des définitions mais aux espèces.

1469. D’où il se présente une autre opinion à laquelle adhère Avicenne; et d’après cette opinion, la forme du tout, qui est la quiddité même de l’espèce, diffère de la forme de la partie tout comme le tout diffère de la partie : car la quiddité de l’espèce est composée de la matière et de la forme, non pas cependant de cette forme et de cette matière individuelles. En effet, c’est l’individu, comme Socrate et Callias, qui est composé de ces dernières. Et telle est la pensée d’Aristote dans ce chapitre, et il la présente ici afin d’écarter l’opinion de Platon sur les Idées. Ce dernier disait en effet que les espèces des choses sont des êtres qui existent par eux-mêmes sans matière sensible, comme si la matière sensible n’était en aucune manière une partie de l’espèce. Donc, ayant montré que la matière sensible est une partie de l’espèce dans les choses naturelles, il devient manifeste qu’il est impossible que les espèces des choses naturelles existent sans matière sensible, tout comme il est impossible à l’homme d’exister sans la chair et les os.

1470. Et telle est ici la troisième manière de détruire la doctrine des Idées. Car il l’a d’abord détruite par ceci que la quiddité n’est pas séparable de ce dont elle est la quiddité, puis deuxièmement par ceci que les Idées séparées de la matière ne sont cause de la génération ni à la manière d’une cause agente de la génération, ni à la manière d’un exemplaire. Mais troisièmement il la réfute maintenant ici par cela que la matière sensible fait partie de la définition de l’espèce.

1471. Il dit donc dans sa réponse [624] que partie se dit de plusieurs manières ainsi qu’on l’a établi au cinquième livre. Et partie se dit dans le sens de la quantité, à savoir ce qui mesure le tout selon la quantité comme la moitié d’une coudée est une partie d’une coudée et deux est une partie de six. Mais cette signification de partie est mise de côté pour l’instant : en effet, notre recherche ne porte pas sur les parties de la quantité, mais sur les parties de la définition qui signifient la substance de la chose. C’est pourquoi nous devons approfondir l’étude de ces parties dont la substance de la chose est composée.

1472. Mais les parties de la substance sont la matière et la forme à partir desquelles existe le composé. Et chacune de ces trois dimensions, à savoir la matière, la forme et le composé des deux, est substance ainsi qu’on l’a établi plus haut. Et c’est pourquoi la matière est certes en un sens partie d’un être et en un autre sens elle ne l’est pas, mais seuls le sont ¨ les éléments à partir desquels est constituée la définition de l’espèce¨, c’est-à-dire de la forme. Nous prenons en effet la concavité pour la forme, le nez pour la matière et le camus pour le composé des deux. Et d’après cette distinction, la chair, qui est une matière ou une partie de la matière, n’est pas une partie de la concavité qui est l’espèce ou la forme; car la chair est la matière dans laquelle la forme est produite. Mais cependant la chair est une partie du camus si le camus se comprend comme étant un composé et non seulement comme une forme. Et de la même manière l’airain est une partie de ce tout qu’est la statue qui est un composé de matière et de forme; il n’est cependant pas une partie de la statue selon que la statue se comprend seulement comme une espèce, c’est-à-dire comme une forme.

1473. Et afin de savoir ce qu’est l’espèce et ce qu’est la matière, il faut dire que ce qui appartient à l’espèce, c’est ce qui convient à toute chose dans la mesure où elle possède une espèce; par exemple, dans la mesure où une chose possède l’espèce de la statue, il lui convient de posséder une figure ou quelque chose d’autre de cette sorte. Mais ce qui est matériel par rapport à l’espèce ne doit jamais se dire par soi de l’espèce. Il faut cependant savoir qu’aucune matière, ni commune ni individuelle, ne se rapporte par soi à l’espèce entendue comme une forme. Mais selon que l’espèce est entendue universellement, comme nous disons que l’homme est une espèce, alors la matière commune appartient par soi à l’espèce, mais non la matière individuelle dans laquelle la nature de l’espèce est reçue.

1474. Et c’est pour cette raison qu’il faut dire que l’énonciation du cercle ne contient pas en elle ¨l’énonciation des segments¨, c’est-à-dire des parties retranchées du cercle, comme le demi-cercle ou le quart de cercle. Mais l’énonciation de la syllabe comprend en elle l’énonciation qui se rapporte ¨aux éléments¨, c’est-à-dire aux lettres. Et la raison en est que ¨les éléments¨, c’est-à-dire les lettres, sont les parties de la syllabe quant à son espèce et non quant à sa matière. En effet, la forme même de la syllabe consiste en ceci qu’elle est composée de lettres. Mais les segments du cercle sont des parties, non pas du cercle entendu en tant qu’espèce mais de ce cercle ou de ces cercles particuliers, comme une matière dans laquelle est produite l’espèce du cercle.

1475. Et cela peut s’entendre à partir de la règle présentée plus haut. En effet Aristote a dit que ce qui appartient à l’espèce, c’est ce qui existe par soi dans toute chose possédant une espèce, et par ailleurs qu’appartient à la matière ce qu’on retrouve dans l’espèce. Mais il appartient par soi à la syllabe d’être composée de lettres. Mais que le cercle soit en acte divisé en demi-cercles, cela arrive au cercle non pas en tant que cercle, mais en tant qu’il est tel cercle dont cette ligne, qui en est une partie comme une matière, est divisée. D’où l’on voit que le demi-cercle est une partie du cercle entendue comme matière individuelle de tel cercle. De là cette matière, qui est cette ligne, est plus proche de la forme que l’airain, qui est la matière sensible, quand la forme circulaire qui est la forme du cercle est produite dans l’airain. Car l’espèce du cercle n’est jamais en dehors de la ligne ou indépendante d’elle mais elle est indépendante de l’airain. Et tout comme les parties du cercle, entendues en tant que matière individuelle, ne sont pas placées dans sa définition, de même aussi dans la définition de la syllabe on ne place pas toutes les lettres, par exemple celles qui sont des parties unies à une matière, comme les lettres gravées dans la cire ou proférées dans l’air. En effet ces lettres sont déjà des parties de la syllabe à titre de matière sensible.

1476. En effet, il ne faut pas que toutes les parties, dans lesquelles une chose divisée est détruite, soient des parties de la substance. En effet, si la ligne divisée en deux moitiés est détruite ou si l’homme réduit à ses os, ses chairs et ses nerfs est détruit, il ne s’ensuit pas pour cette raison que la ligne provienne des moitiés de lignes et que l’homme provienne des chairs et des os de telle manière que ces parties seraient des parties de leur substance; mais ces êtres proviennent de ces parties comme de leur matière. De là elles sont des parties de ce qui est ¨le tout ensemble¨, c’est-à-dire du composé; ¨mais de l’espèce¨, c’est-à-dire de la forme, ¨et de à quoi se rapporte la définition¨, c’est-à-dire de ce qui est défini, elles ne sont pas des parties. C’est pourquoi aucune partie de cette sorte ne se place avec raison dans les définitions.

1477. Il faut cependant savoir que dans certains cas, l’énonciation de telles parties sera présente dans les définitions, c’est-à-dire dans les définitions des composés dont elles sont les parties. Dans d’autres cas par ailleurs, il ne faut pas les inclure dans les définitions, c’est-à-dire dans les définitions des formes, à moins que ces formes soient telles qu’elles se prennent simultanément avec la matière. En effet, bien que la matière ne soit pas une partie de la forme, cependant la matière, sans laquelle la forme ne peut être saisie par l’intelligence, doit être placée dans la définition de la forme, tout comme le corps organisé doit être inclus dans la définition de l’âme. En effet, tout comme les accidents ne possèdent une existence parfaite que selon qu’ils existent dans un sujet, de même les formes ne possèdent une existence parfaite que selon qu’elles existent dans leurs matières propres. Et c’est pour cette raison que, tout comme les accidents sont définis par l’addition de leurs sujets, de même la forme se définit par l’addition de sa matière propre. Donc, lorsque la matière est contenue dans la définition de la forme, il s’agit d’une définition par addition; ce qui n’est pas le cas cependant lorsque la matière est placée dans la définition du composé.

1478. Ou bien ce qu’il dit, à savoir ¨s’ils ne sont pas pris ensemble¨, est une illustration de ce qu’il avait dit, à savoir ¨il ne faut pas y inclure¨. Dans ces cas en effet, il ne faut pas inclure les parties de la matière dans les définitions, c’est-à-dire chez les êtres qui ne se prennent pas simultanément avec la matière ou qui ne signifient pas un composé de matière et de forme. Et cela est évident : car pour cette raison que dans certains cas la matière n’est pas incluse dans les définitions alors que dans d’autres cas elle y est incluse, il résulte de là que certains êtres soient ¨ constitués comme de leurs principes des éléments dans lesquels ils se corrompent¨, c’est-à-dire des parties dans lesquelles les choses sont réduites par la corruption. Et telles sont les choses dans les définitions desquelles la matière est incluse. D’un autre côté d’autres êtres ne sont pas constitués de parties matérielles de cette sorte comme de leurs principes, comme ceux dans la définition desquels la matière n’est pas incluse.

1479. Et parce que la matière est incluse dans les définitions des êtres qui s’entendent simultanément avec la matière, mais qu’elle n’est pas incluse dans les autres, ¨c’est pourquoi toutes les formes qui s’entendent simultanément avec la matière¨, c’est-à-dire tout ce qui signifie un composé de matière et de forme, comme le camus ou le cercle d’airain, tous ces êtres se corrompent en leurs parties matérielles et la matière fait partie de leurs définitions. D’un autre côté, celles qui ne sont pas saisies dans l’intelligence avec la matière mais qui existent absolument sans matière, comme celles qui se rapportent uniquement à la notion d’espèce ou de forme, celles-là ou bien ne se corrompent absolument pas, ou bien ne se corrompent pas ¨de telle manière¨, c’est-à-dire par une résolution en certaines parties matérielles. En effet, il y a des formes qui ne se corrompent en aucune manière, comme les substances intellectuelles qui subsistent par elles-mêmes. D’autres formes par ailleurs n’existent pas par elles-mêmes et se corrompent par accident une fois le sujet corrompu.

1480. C’est pourquoi de telles parties matérielles sont les principes et les parties des êtres ¨qui leur sont soumis¨, c’est-à-dire qui dépendent d’elles, tout comme le tout dépend des parties dont il est composé; mais elles ne sont ni les parties ni les principes de l’espèce. Et pour cette raison le composé, comme la statue d’argile, se corrompt lorsqu’elle se réduit à l’argile, et qu’il en est de même pour la sphère d’airain lorsqu’elle est réduite à l’airain et pour Callias, qui est tel homme particulier, lorsqu’il est divisé en chairs et en os. Et il en est de même pour ce cercle particulier constitué de ces lignes divisées et qui se corrompt lorsqu’on le ramène à ses segments. En effet, tout comme Callias est cet homme individuel qui se conçoit avec une matière individuelle, de même le cercle, dont ces segments sont les parties, est un cercle particulier qui se conçoit avec une matière individuelle. Il y a cependant une différence car les hommes individuels possèdent un nom propre. De là le nom de l’espèce ne s’attribue pas d’une manière équivoque aux individus. Mais le nom de cercle se dit d’une manière équivoque du cercle entendu ¨absolument¨, c’est-à-dire qui se dit universellement, et des cercles particuliers individuels. Et c’est pour cette raison qu’aucun nom n’est donné aux cercles individuels alors qu’au contraire des noms sont donnés aux hommes individuels.

1481. Il faut cependant remarquer que le nom de l’espèce n’est pas attribué de manière équivoque à l’individu selon qu’il lui attribue la nature commune de l’espèce; il lui serait attribué de manière équivoque s’il lui était attribué en tant que signifiant cet individu en tant que tel. Si en effet je disais que Socrate est un homme, le nom d’homme ne serait pas attribué de manière équivoque. Mais si ce nom d’homme était imposé à tel homme individuel comme un nom propre, c’est de manière équivoque qu’il signifiera l’espèce et cet individu. Et il en est de même pour le nom de cercle qui signifie de manière équivoque l’espèce du cercle et ce cercle.

 

 

LECTIO 10

[83053] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 1Quia solutio superius posita non erat usquequaque manifesta, nondum enim ostenderat quomodo partes sunt priores et posteriores, nec iterum distinxerat compositum universale a particulari, nec etiam speciem a forma: ideo hic solutionem superius positam explanat. Dividitur autem in partes duas. In prima explanat solutionem superius positam. In secunda docet qualiter sit ad quaestionem applicanda, ibi, interrogationi vero obviare. Prima dividitur in duas. Primo solvit quaestionem quantum ad hoc, quod quaesitum fuit de prioritate partium. Secundo quantum ad hoc, quod quaesitum fuit, utrum partes definiti intrent definitionem, ibi, sed rationis partes. Prima dividitur in duas. Primo ostendit quomodo partes sunt priores toto. Secundo manifestat per exemplum, ibi, quoniam vero. Dicit ergo primo, quod id quod superius est dictum in solutione proposita, verum quidem est in se, tamen repetendum est ut amplius fiat manifestum, quantum ad hoc quod dictum est. Oportet enim, quod omnes partes rationis, et in quas ratio dividitur, sint priores definito, vel omnes, vel quaedam. Et hoc dicitur propter hoc, quod partes formae quandoque non sunt de necessitate speciei, sed de perfectione; sicut visus et auditus, quae sunt partes animae sensibilis, non sunt de integritate vel necessitate animalis. Potest enim esse animal sine his sensibus. Sunt tamen de perfectione animalis, quia animal perfectum hos etiam sensus habet. Et sic universaliter est verum, quod illae partes quae ponuntur in definitione alicuius sunt universaliter priores eo.

[83054] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 2Sed acutus angulus, quamvis sit pars recti, non tamen ponitur in definitione eius, sed e converso; non enim ratio recti anguli resolvitur in definitionem acuti, sed e converso. Qui enim definit acutum, utitur recto definiendo. Angulus enim acutus est angulus minor recto. Et similiter est de circulo et semicirculo, qui definitur per circulum. Est enim media pars circuli. Similiter est de digito et homine, qui ponitur in definitione digiti: definitur enim digitus, quod est talis pars hominis. Dictum est enim supra, quod partes formae sunt partes rationis, non autem partes materiae. Si igitur solae partes rationis sunt priores, non autem materiae, sequitur quod quaecumque sint partes definiti, sicut materia, in quam scilicet resolvitur definitum ut compositum in materialia principia, sunt posteriora. Quaecumque vero sunt partes rationis et substantiae quae est secundum rationem, idest partes formae secundum quam sumitur ratio rei, sunt priora toto, aut omnia, aut quaedam, ratione superius dicta.

[83055] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 3Deinde cum dicit quoniam vero exponit quod dixerat per exempla; dicens, quod anima animalium cum sit substantia animati secundum rationem, idest forma animati, a qua animatum habet propriam rationem, est substantia, idest forma et species, et quod quid erat esse tali corpori, scilicet organico. Corpus enim organicum non potest definiri nisi per animam. Et secundum hoc anima dicitur quod quid erat esse tali corpori.

[83056] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 4Et quod hoc sit verum, patet per hoc quod si aliquis bene definiat cuiuscumque animalis partem, non potest eam bene definire nisi per propriam operationem. Sicut si dicatur quod oculus est pars animalis per quam videt. Ipsa autem operatio partium non existit sine sensu vel motu vel aliis operationibus partium animae. Et sic oportet quod definiens aliquam partem corporis, utatur anima.

[83057] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 5Et quia ita est, oportet quod partes eius, scilicet animae, sint priores - vel omnes, sicut in perfectis animalibus, vel quaedam, sicut in imperfectis animalibus,simul toto, idest eo quod est compositum ex anima et corpore. Et similiter est secundum unumquodque aliud, quia semper oportet quod partes formales sint priores quolibet composito.

[83058] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 6Sed corpus et partes corporis sunt posteriores hac substantia, scilicet forma, quae est anima, cum oporteat animam in eius definitione poni, ut iam dictum est. Et id quod dividitur in partes corporis, ut in materiam, non est ipsa substantia, idest forma, sed simul totum, idest compositum. Patet igitur quod partes corporis sunt priores simul toto, idest composito quodammodo, et quodammodo non.

[83059] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 7Sunt quidem priores sicut simplex composito, inquantum animal compositum ex eis constituitur. Sunt autem non priores secundum modum quo dicitur esse prius id quod potest esse sine alio; non enim partes corporis possunt esse separatae ab animali; non enim digitus quocumque modo se habens est digitus. Ille enim qui est decisus, vel mortuus, non dicitur digitus nisi aequivoce, sicut digitus sculptus vel depictus. Sed secundum hanc considerationem huiusmodi partes sunt posteriores composito animali, quia animal sine digito esse potest.

[83060] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 8Sed quaedam partes sunt, quae licet non sint priores toto animali hoc modo prioritatis, quia non possunt esse sine eo, sunt tamen secundum hanc considerationem simul; quia sicut ipsae partes non possunt esse sine integro animali, ita nec integrum animal sine eis. Huiusmodi autem sunt partes principales corporis, in quibus primo consistit forma, scilicet anima; scilicet cor, vel cerebrum. Nec ad propositum differt quicquid tale sit.

[83061] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 9Sciendum tamen, quod hoc compositum, quod est animal vel homo, potest dupliciter sumi: vel sicut universale, vel sicut singulare. Sicut universale quidem, sicut homo et animal. Sicut singulare, ut Socrates et Callias. Et ideo dicit, quod homo, et equus et quae ita sunt in singularibus, sed universaliter dicta, sicut homo et equus non sunt substantia, idest non sunt solum forma, sed sunt simul totum quoddam compositum ex determinata materia et determinata forma; non quidem ut singulariter, sed universaliter. Homo enim dicit aliquid compositum ex anima et corpore, non autem ex hac anima et hoc corpore. Sed singulare dicit aliquid compositum ex ultima materia, idest materia individuali. Est enim Socrates aliquid compositum ex hac anima et hoc corpore. Et similiter est in aliis singularibus.

[83062] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 10Sic igitur patet quod materia est pars speciei. Speciem autem hic intelligimus non formam tantum, sed quod quid erat esse. Et patet etiam quod materia est pars eius totius, quod est ex specie et materia, idest singularis, quod significat naturam speciei in hac materia determinata. Est enim materia pars compositi. Compositum autem est tam universale quam singulare.

[83063] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 11Deinde cum dicit sed rationis ostendit quae partes debeant poni in definitione. Cum enim ostensum sit quae partes sunt speciei et quae partes individui, quia materia communiter sumpta est pars speciei, haec autem materia determinata est pars individui: manifestum est, quod solum illae partes sunt partes rationis, quae sunt partes speciei; non autem quae sunt partes individui. In definitione enim hominis ponitur caro et os, sed non haec caro et hoc os. Et hoc ideo, quia ratio definitiva non assignatur nisi universaliter.

[83064] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 12Cum enim quod quid erat esse sit idem cum eo cuius est, ut supra ostensum est, illius tantum erit definitio, quae est ratio significans quod quid erat esse, quod est idem cum suo quod quid erat esse. Huiusmodi autem sunt universalia et non singularia. Circulus enim, et id quod est circulo esse, sunt idem; et similiter anima, et id quod est animae esse. Sed ipsorum, quae sunt composita ex specie et materia individuali, sicut circuli huius, aut alicuius aliorum singularium: horum non est definitio.

[83065] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 13Nec differt utrum singularia sint sensibilia vel intelligibilia. Singularia quidem sensibilia sunt sicut circuli aerei et lignei. Intelligibilia singularia sunt sicut circuli mathematici. Quod autem in mathematicis considerentur aliqua singularia, ex hoc patet, quia considerantur ibi plura unius speciei, sicut plures lineae aequales, et plures figurae similes. Dicuntur autem intelligibilia, huiusmodi singularia, secundum quod absque sensu comprehenduntur per solam phantasiam, quae quandoque intellectus vocatur secundum illud in tertio de anima: intellectus passivus corruptibilis est.

[83066] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 14Ideo autem singularium circulorum non est definitio, quia illa, quorum est definitio, cognoscuntur per suam definitionem; sed singularia non cognoscuntur nisi dum sunt sub sensu vel imaginatione, quae hic intelligentia dicitur, quia res considerat sine sensu, sicut intellectus. Sed huiusmodi singulares circuliabeuntes ab actu, idest recedentes ab actuali inspectione sensus, quantum ad sensibiles, aut imaginationis, quantum ad mathematicos, non est manifestum, utrum sint inquantum sunt singulares; sed tamen semper dicuntur et cognoscuntur per rationem universalis. Cognoscuntur enim hi circuli sensibiles, etiam quando non actu videntur, inquantum sunt circuli, non inquantum sunt hi circuli.

[83067] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 15Ratio autem huius est, quia materia, quae principium est individuationis, est secundum se ignota, et non cognoscitur nisi per formam, a qua sumitur ratio universalis. Et ideo singularia non cognoscuntur in sua absentia nisi per universalia. Materia autem non solum est principium individuationis in singularibus sensibilibus, sed etiam in mathematicis. Materia enim alia est sensibilis, alia intelligibilis. Sensibilis quidem ut aes et lignum, vel etiam quaelibet materia mobilis, ut ignis et aqua, et huiusmodi omnia; et a tali materia individuantur singularia sensibilia. Intelligibilis vero materia est, quae est in sensibilibus, non inquantum sunt sensibilia, sicut mathematica sunt. Sicut enim forma hominis est in tali materia, quae est corpus organicum, ita forma circuli vel trianguli est in hac materia quae est continuum vel superficies vel corpus.

[83068] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 16Concludit igitur quod dictum est, quomodo se habet de toto et parte, et de priori et de posteriori, idest cuius pars sit pars, et quomodo sit prior et quomodo posterior. Partes enim materiae individuae sunt partes compositi singularis, non autem speciei, nec formae. Partes autem materiae universalis, sunt partes speciei, sed non formae. Et quia universale definitur et non singulare, ideo partes materiae individualis non ponuntur in definitione, sed solum partes materiae communis, simul cum forma vel partibus formae.

[83069] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 17Deinde cum dicit interrogationi vero adaptat solutionem propositam quaestioni prius notae; dicens, quod necesse est obviare per praedictam solutionem interrogationi quando quis interrogat, utrum rectus angulus et circulus et animal sint priora partibus; aut e converso partes in quas huiusmodi dividuntur, et ex quibus componuntur, sunt priores. Dicendum quod non est simpliciter respondendum. Est enim duplex opinio. Quidam enim dicunt quod idem est tota species et forma, sicut anima quod homo. Quidam autem quod non, quia homo est compositum ex anima et corpore. Et secundum utramque opinionem est diversimode respondendum.

[83070] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 18Si enim idem est anima quod animal vel animatum, aut similiter unumquodque est idem cum forma uniuscuiusque, ut circulus idem cum forma circuli, et rectus angulus idem cum forma recti, dicendum est determinando quid sit posterius, et quo sit posterius; quia secundum hoc partes materiae sunt posteriores his, quae sunt in ratione, et sunt etiam posteriores aliquo recto, scilicet recto communi, sed sunt priores recto singulari. Hic enim rectus qui est aereus, est cum materia sensibili. Et hic rectus qui est cum lineis singularibus, est cum materia intelligibili. Sed ille rectus qui est sine materia, idest communis, erit posterior partibus formae quae sunt in ratione, sed erit prior partibus materiae quae sunt partes singularium. Nec erit secundum hanc opinionem distinguere inter materiam communem et individualem. Sed tamen simpliciter non erit respondendum, quia erit distinguendum inter partes materiae et partes formae.

[83071] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 10 n. 19Si autem alia opinio sit vera, scilicet quod anima sit aliud quam animal, sic erit dicendum et non dicendum partes esse priores toto, sicut determinatum est prius. Secundum enim hanc opinionem docuit superius distinguere non solum inter materiam et formam, sed inter materiam communem quae est pars speciei, et inter materiam individualem quae est pars individui.

LEÇON 10.

(nn. 1482-1500; [625-628]).

 

De quelle manière les parties sont antérieures au tout et pour quelle raison elles sont placées dans la définition.

 

1482. Parce que la réponse présentée plus haut n’était pas tout à fait manifeste, puisqu’il n’avait pas encore montré comment les parties sont antérieures et postérieures, qu’il n’avait pas non plus distingué le composé universel du composé particulier, ni de plus l’espèce de la forme, c’est pourquoi il développe ici la réponse présentée plus haut.

   Mais cette section se divise en deux parties. Dans la première il développe la réponse apportée plus haut [625]. Dans la deuxième il enseigne comment elle doit s’appliquer à la question, là [628] où il dit : ¨ Nous devons maintenant revenir sur la question ¨.

   La première partie se divise en deux. En premier lieu il répond à la question quant à ceci qu’on s’interrogeait sur l’antériorité des parties [625]. Deuxièmement il y répond quant à ceci qu’on se demandait si les parties du défini entrent dans la définition, là [627] où il dit : ¨ Mais les parties de la définition ¨.

   La première partie se divise en deux. Dans la première il montre comment les parties sont antérieures au tout [625]. Dans la deuxième il manifeste cela au moyen d’un exemple, là [626] où il dit : ¨ D’un autre côté, puisque ¨.

   Il dit donc en premier lieu [625] que ce qui a été dit plus haut dans la réponse présentée est certes vrai en soi, mais doit être repris afin que ce qui a été dit devienne davantage manifeste. Il faut en effet que toutes les parties de la définition dans lesquelles se divise la définition, soient antérieures au défini, soit en totalité, soit seulement pour certaines d’entre elles. Et il dit cela pour cette raison que les parties de la forme ne se rapportent pas parfois à ce qui appartient nécessairement à l’espèce, mais à sa perfection; tout comme la vue et l’ouïe, qui sont des parties de l’âme sensible, ne se rapportent pas intégralement et nécessairement à l’animal. En effet, l’animal peut exister sans ces sens. Ces derniers se rapportent cependant à la perfection de l’animal car l’animal possède aussi ces sens. Et ainsi il est universellement vrai que ces parties qui sont placées dans la définition d’un être lui sont universellement antérieures.

1483. Mais l’angle aigu, bien qu’il soit une partie de l’angle droit, n’est cependant pas placé dans sa définition, mais c’est le contraire qui est vrai. En effet la définition de l’angle droit ne se résout pas dans la définition de l’angle aigu, mais c’est le contraire qu’on observe. En effet celui qui définit l’angle aigu se sert de l’angle droit dans sa définition. En effet l’angle aigu est un angle plus petit que l’angle droit. Et le rapport est le même pour le cercle et le demi-cercle, lequel se définit au moyen du cercle : il est en effet cette partie qui est la moitié du cercle. Et il en est de même pour le doigt et l’homme qui est placé dans la définition du doigt : en effet, le doigt se définit comme étant telle partie de l’homme. On a dit en effet plus haut que les parties de la forme sont les parties de la définition, mais non les parties de la matière. Si donc seules les parties de la définition sont antérieures mais non celles de la matière, il s’ensuit que quelles que soient les parties du défini prises en tant que matière, c’est-à-dire dans laquelle le défini en tant que composé se divise comme dans ses principes matériels, elles seront postérieures au tout. ¨Au contraire, toutes les parties qui sont prises au sens de parties de la définition et de la substance prise selon la définition¨, c’est-à-dire les parties de la forme selon laquelle se tire la définition de la chose, elles seront antérieures au tout soit en totalité soit en partie, pour la raison présentée plus haut.

1484. Ensuite lorsqu’il dit [626] : Par ailleurs, puisque ¨.

   Il explique ce qu’il vient de dire au moyen d’un exemple, en disant que l’âme des animaux, puisqu’elle est l’essence de l’animé selon la définition, c’est-à-dire la forme de l’animé par laquelle l’animé possède sa définition propre, ¨est la substance¨, c’est-à-dire la forme et l’espèce et la quiddité ¨de tel corps¨, c’est-à-dire du corps organisé. Le corps organisé en effet ne peut être défini que par l’âme. Et c’est pour cette raison qu’on dit de l’âme qu’elle est la quiddité du corps.

1485. Et il est évident que cela soit vrai car si on veut bien définir chaque partie de l’animal, on ne peut la définir correctement que par son opération propre, comme lorsqu’on dit que l’œil est cette partie de l’animal grâce à laquelle il voit. Mais les opérations mêmes des parties n’existent pas sans les sens, ou sans le mouvement ou sans les autres opérations des parties de l’âme. Et ainsi il est nécessaire de faire appel à l’âme pour bien définir toutes les parties du corps.

1486. Et parce qu’il en est ainsi, il faut que ses parties, c’est-à-dire les parties de l’âme, soient antérieures – soit en totalité comme chez les animaux parfaits, soit en partie comme chez les animaux imparfaits, au ¨tout¨, c’est-à-dire au composé de l’âme et du corps. Et il en est de même pour tout autre composé, car il faut toujours que les parties formelles soient antérieures à n’importe quel composé.

1487. Mais le corps et les parties du corps sont postérieures ¨à cette substance¨, c’est-à-dire à la forme qui est l’âme, puisqu’il faut que l’âme soit placée dans leur définition, comme on l’a déjà dit. Et ce qui se divise en parties du corps comme en sa matière, n’est pas ¨l’essence elle-même¨, c’est-à-dire la forme, mais ¨le tout¨, c’est-à-dire le composé. Il est donc clair que les parties du corps soient, en un sens, antérieures ¨au tout¨, c’est-à-dire au composé, et qu’en un autre sens elles ne le soient pas.

1488. Elles sont certes antérieures au sens où le simple est antérieur au composé, dans la mesure où l’animal composé est constitué de ces parties. Mais elles ne sont pas antérieures au sens où on dit qu’est antérieur ce qui peut exister sans l’autre; les parties du corps ne peuvent en effet être séparées du corps de l’animal. En effet, ce n’est pas n’importe quel doigt qui est à proprement parler un doigt. En effet, ce n’est que d’une manière équivoque qu’on dit du doigt coupé ou mort, comme du doigt sculpté ou peint, qu’il est un doigt. Et de ce point de vue les parties du corps sont postérieures à ce composé qu’est l’animal, car l’animal peut exister sans le doigt.

1489. Mais il y a des parties, qui bien qu’elles ne soient pas antérieures à l’animal en tant que composé d’après cette sorte de priorité, à savoir parce qu’elles ne peuvent exister sans lui, lui sont cependant simultanées de ce point de vue; car tout comme ces mêmes parties ne peuvent exister sans l’animal dans sa totalité, de même l’animal ne peut exister sans elles dans son intégralité. Et ces parties sont les parties principales du corps, dans lesquelles consiste en premier ¨la forme¨, c’est-à-dire l’âme; il s’agit par exemple du cœur ou du cerveau. Mais il ne change rien au propos qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire qu’il existe de telles parties.

1490. Il faut cependant savoir que ce composé, qui est l’animal ou l’homme, peut se prendre de deux manières : soit comme un universel, soit comme un singulier. Comme un universel certes, par exemple l’homme et l’animal; comme un singulier, par exemple Socrate et Callias. Et c’est pourquoi il dit que l’homme et le cheval et tout ce qui est ainsi attribué aux individus, mais qui se dit universellement, comme l’homme et le cheval, ¨ne sont pas l’essence¨, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas seulement la forme, mais ils sont un certain tout composé d’une matière déterminée et d’une forme déterminée, non pas certes à la manière d’un singulier, mais d’un universel. Quand on dit homme, on veut signifier un composé d’âme et de corps et non un composé de telle âme et de tel corps. Mais un singulier signifie un composé ¨de la matière dernière¨, c’est-à-dire de la matière individuelle. Socrate en effet est un composé de cette âme et de ce corps. Et il en est de même pour les autres individus.

1491. Ainsi donc il est évident que la matière est une partie de l’espèce. Nous entendons ici par espèce non seulement la forme, mais la quiddité. Et il est aussi manifeste que la matière est une partie de ce tout qui est composé ¨de l’espèce et de la matière¨, c’est-à-dire de l’individu qui signifie la nature de l’espèce dans cette matière déterminée. La matière en effet est une partie du composé. Mais le composé peut aussi bien être universel qu’individuel.

1492. Ensuite lorsqu’il dit [627] : ¨ Mais de la définition ¨.

   Il montre quelle sorte de parties doit être placée dans la définition. Puisqu’en effet il a été montré quelles parties appartiennent à l’espèce et quelles parties appartiennent à l’individu, car la matière entendue universellement est partie de l’espèce alors que la matière déterminée est une partie de l’individu, il est manifeste que seules les parties de l’espèce sont des parties de la définition, et non pas celles qui sont les parties de l’individu. En effet, dans la définition de l’homme on inclut la chair et les os mais non pas ces chairs et ces os. Et il en est ainsi parce que l’énonciation qui définit ne s’attribue qu’universellement.

1493. En effet, puisque la quiddité est identique à ce dont elle est la quiddité, ainsi qu’on l’a montré plus haut, il n’y aura de définition, qui est l’énonciation qui signifie la quiddité, que pour ce qui est identique à sa quiddité. Mais tels sont les universels par opposition aux singuliers. En effet, le cercle est identique à la quiddité du cercle; et il en est de même pour l’âme et la quiddité de l’âme. Mais pour les choses mêmes qui sont des composés de l’espèce et de la matière individuelle, comme pour c’est le cas pour ce cercle ou pour tout autre individu, il n’y a pas de définition.

1494. Et cela ne change rien que les singuliers soient sensibles ou intelligibles. Les singuliers sensibles sont comme le cercle d’airain ou de bois. Les singuliers intelligibles sont comme les cercles mathématiques. Mais qu’en mathématiques on considère des singuliers, cela est évident car on examine plusieurs individus d’une même espèce, comme plusieurs lignes égales ou plusieurs figures semblables. Mais de tels individus mathématiques, on les appelle intelligibles selon qu’ils sont saisis sans le sens par la seule imagination qui est parfois appelée intelligence pour cette raison au troisième livre de l’Âme : ¨ L’intellect passif est corruptible ¨.

1495. Mais c’est pour cette raison qu’il n’y a pas de définition pour les cercles singuliers parce que les réalités pour lesquelles il y a définition sont connues au moyen de leur définition; mais les singuliers ne sont connus qu’alors même qu’ils tombent sous le sens ou l’imagination qui est appelée ici intelligence car elle considère la chose sans recourir au sens, tout comme l’intelligence. Mais ces cercles singuliers, ¨quand ils échappent à l’opération¨, c’est-à-dire quand ils disparaissent de l’examen actuel du sens quant aux réalités sensibles, et de l’imagination quant aux réalités mathématiques, nous ne savons plus s’ils existent ou non en tant que singuliers; mais ils peuvent toujours être définis et connus par la raison universelle. En effet, ces cercles sensibles peuvent être connus même quand ils ne sont pas vus en acte, dans la mesure où ils sont des cercles, mais non en tant qu’ils sont ces cercles.

1496. Mais la raison de ceci est que la matière, qui est principe d’individuation, est en elle-même inconnue, et n’est connue que par la forme d’où se tire la définition universelle. Et c’est pourquoi les singuliers ne sont connus en leur absence que par les universels. Mais la matière n’est pas seulement principe d’individuation pour les individus sensibles, mais aussi pour les individus mathématiques. En effet, autre est la matière de l’individu sensible, autre est celle de l’individu mathématique. La matière de l’individu sensible est comme l’airain et le bois ou toute autre matière mobile comme le feu et l’eau ou toute autre matière de la sorte; et c’est par une telle matière que les individus sensibles sont individués. D’un autre côté la matière intelligible est celle qui est dans les réalités sensibles, non pas à la manière dont les réalités sensibles existent, mais à la manière dont les réalités mathématiques existent. Tout comme en effet la forme de l’homme existe dans telle matière, qui est le corps organisé, de même la forme du cercle et du triangle existe dans cette matière qui est le continu, la surface ou le corps.

1497. Il conclut donc qu’il a été dit, à savoir comment les choses se présentent en ce qui concerne le tout et la partie, l’antérieur et le postérieur, c’est-à-dire de quoi une partie est partie et en quel sens la partie est antérieure et en quel sens elle est postérieure. En effet, les parties de la matière individuelle sont les parties du composé individuel et non celles de l’espèce ou de la forme. Mais les parties de la matière universelle sont des parties de l’espèce mais non pas de la forme. Et parce que l’universel se définit par opposition au singulier, c’est pourquoi les parties de la matière individuelle ne sont pas incluses dans la définition, mais seulement les parties de la matière commune le sont en même temps que la forme ou les parties de la forme.

1498. Ensuite lorsqu’il dit [628] : ¨ D’un autre côté, à la question ¨.

   Il applique la réponse présentée à la question signalée précédemment, en disant qu’il est nécessaire de répondre au moyen de la solution précédente à cette interrogation de celui qui demande si c’est l’angle droit, le cercle et l’animal qui sont antérieurs aux parties ou si au contraire ce ne sont pas plutôt les parties, en lesquelles ces touts se divisent et à partir desquelles ils sont composés, qui leur sont antérieures. Et il faut dire que la réponse ne peut être simple. Il existe en effet deux opinions à ce sujet. Certains en effet affirment que l’espèce dans sa totalité et la forme sont identiques, comme l’âme est identique à l’homme. D’autres cependant prétendent qu’il n’en est pas ainsi, car l’homme est un composé d’âme et de corps. Et à chacune des opinions il faut répondre différemment.

1499. Si en effet l’âme est identique à l’animal ou à l’être animé, ou si de la même manière toute chose est identique à sa forme, comme le cercle est identique à la forme du cercle et l’angle droit est identique à la forme de l’angle droit, il faut dire en le déterminant ce qui est postérieur et par quoi il est postérieur; car d’après cette opinion les parties de la matière sont postérieures à celles qui sont dans la définition et elles sont même postérieures ¨à une certain angle droit¨, c’est-à-dire à l’angle droit commun, mais elles sont antérieures à l’angle droit individuel. En effet cet angle droit qui est d’airain, existe avec une matière sensible. Et cet angle droit qui possède des lignes individuelles existe avec une matière intelligible. Mais cet angle droit qui ¨est sans matière¨, c’est-à-dire l’angle droit universel, sera postérieur aux parties de la forme qui sont dans la définition, mais il sera antérieur aux parties de la matière qui sont les parties de l’individu. Et d’après cette opinion il n’y aura pas lieu de distinguer entre la matière commune et la matière individuelle. Mais cependant il n’y aura pas lieu de répondre d’une manière qui soit simple car il faudra distinguer entre les parties de la matière et les parties de la forme.

1500. Si cependant l’autre opinion est vraie, à savoir que l’âme diffère de l’animal, alors il faudra dire et ne pas dire que les parties sont antérieures au tout, ainsi qu’on l’a déterminé précédemment. D’après cette opinion en effet il a enseigné plus haut non seulement la distinction entre la matière et la forme, mais aussi celle qui existe entre la matière commune, qui est une partie de l’espèce, et la matière individuelle qui est une partie de l’individu.

 

 

LECTIO 11

[83072] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 1In ista parte determinat quamdam dubitationem, quae poterat oriri ex solutione praemissae quaestionis. Distinxerat enim, solvendo praemissam quaestionem, inter partes speciei, et partes individui, quod est compositum ex specie et ex materia. Et ideo hic quaerit, quae sint partes speciei, et quae non. Dividitur ergo ista pars in partes tres. In prima determinat hanc dubitationem. In secunda ostendit quid restat dicendum, ibi, utrum autem praeter materiam. Tertio recapitulat ea quae dicta sunt, ibi, quid quidem igitur est quod quid erat. Circa primum tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo solvit, ibi, quaecumque quidem igitur et cetera. Tertio solutionem manifestando colligit, ibi, palam autem et cetera. Dicit ergo primo, quod cum dictum sit quod partes speciei ponuntur in definitionibus, non autem partes compositi ex specie et materia, merito dubitatur quae sunt partes speciei, et quae non sunt partes speciei sed simul sumpti, idest individui, in quo simul sumitur natura speciei cum materia ipsa individuante.

[83073] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 2Si enim hoc non sit manifestum, non poterimus aliquid recte definire, quia definitio nunquam est rei singularis, sed solum universalis, ut supra dictum est. Et inter universalia proprie est species, quae constituitur ex genere et differentia, ex quibus omnis definitio constat. Genus enim non definitur, nisi etiam sit species. Unde patet, quod nisi sciatur quae pars sit sicut materia, et quae non est sicut materia sed sicut ad speciem ipsam pertinens, non erit manifestum qualis debeat esse definitio rei assignanda, cum non assignetur nisi speciei, et oporteat in definitione speciei partes speciei ponere, et non partes quae sunt posteriores specie.

[83074] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 3Deinde cum dicit quaecumque quidem solvit propositam dubitationem. Et circa haec tria facit. Primo ponit solutionem secundum opinionem Platonicorum. Secundo improbat eam, ibi, accidit itaque unam. Tertio solvit secundum suam sententiam, ibi, quare omnia reducere. Circa primum duo facit. Primo solvit propositam dubitationem quantum ad sensibilia. Secundo quantum ad mathematica, ibi, quoniam autem. Primo ergo dicit, quod in quibusdam manifestum est, quod materia non sit pars speciei, sicut in omnibus illis quae manifeste apparent fieri in materiis diversis secundum speciem, sicut circulus invenitur fieri in aere et in lapide et in ligno. Unde manifestum est quod neque aes neque lapis neque lignum, est aliquid de substantia circuli, quasi pars existat huius speciei, quae est circulus. Est autem hoc manifestum propter hoc quod circulus a quolibet istorum separatur: nihil autem potest separari ab eo quod est pars speciei.

[83075] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 4Sed quaedam sunt, quorum species non inveniuntur fieri in diversis materiis secundum speciem, sed semper in eisdem. Sicut species hominis, quantum ad hoc quod visibiliter apparet, non invenitur nisi in carnibus et ossibus. Nihil tamen prohibet, ut etiam ista, quae non videntur a propria materia separata, similiter se habeant ad suas materias sicut illa quae esse possunt in diversis materiis, et ab unaquaque earum separari.

[83076] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 5Si enim poneremus quod non viderentur sensibiliter aliqui circuli nisi ex aere, nihilominus tamen sic esset pars speciei circuli aes. Et licet tunc non separaretur circulus actu ab aere, separaretur tamen mente, quia species circuli posset intelligi sine aere, ex quo aes non esset pars speciei circuli, licet difficile sit mente auferre et separare abinvicem quae actu non separantur. Non enim est hoc nisi illorum qui per intellectum supra sensibilia elevari possunt.

[83077] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 6Et similiter si hominis species semper apparet in carnibus et ossibus et talibus partibus, oportet quaerere, utrum istae partes sint speciei humanae et rationis, idest definitionis hominis; aut non sunt partes speciei, sed solum materia speciei, sicut aes circuli. Sed quia talis species non fit in aliis partibus materialibus quam in istis, ideo de facili non possumus separare hominem per intellectum a carnibus et ossibus. Videtur enim eadem ratio esse hic et in circulo, si omnes circuli essent aerei.

[83078] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 7Deinde cum dicit quoniam autem procedit ulterius prosequendo opinionem praetactam quantum ad mathematica; dicens, quod quia videtur hoc contingere in aliquibus, scilicet quod materia non sit pars speciei, quamvis species non inveniatur nisi in illa materia, sed non est manifestum quando et in quibus hoc contingat vel non contingat, ideo aliqui circa hoc dubitant non solum in naturalibus, sed etiam in mathematicis, ut in circulo et triangulo.

[83079] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 8Videtur enim eis, quod sicut materia sensibilis non est pars speciei in naturalibus, ita etiam quod materia intelligibilis non sit pars speciei in mathematicis. Materia autem figurarum mathematicarum intelligibilis, est continuum, ut linea vel superficies. Et ideo vult, quod linea non sit pars speciei circuli vel trianguli; quasi non sit competens quod triangulus et circulus definiantur per lineas et continuum, cum non sint partes speciei; sed omnia ista similiter dicantur ad circulum et triangulum, sicut carnes et ossa ad hominem, et aes et lapides ad circulum.

[83080] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 9Removendo autem a triangulo et circulo continuum, quod est linea, nihil remanet nisi unitas et numerus, quia triangulus est tres lineas habens, et circulus unam. Et ideo, quia lineas non dicunt esse partes speciei, referunt omnes species ad numeros, dicentes quod numeri sunt species mathematicorum omnium. Dicunt enim quod ratio duorum est ratio lineae rectae, propter hoc quod linea recta duobus punctis terminatur.

[83081] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 10Sed circa hoc inter Platonicos ponentes ideas, est differentia quaedam. Quidam enim non ponentes mathematica media inter species et sensibilia, dicentes species esse numeros, dicunt ipsam lineam esse dualitatem, quia non ponunt lineam mediam differentem a specie lineae.

[83082] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 11Quidam vero dicunt quod dualitas est species lineae, et non linea. Linea enim est quoddam mathematicum medium inter species et sensibilia; et dualitas est ipsa species. Et secundum eos, in quibusdam non differunt species et cuius est species, sicut in numeris, quia ipsas species dicebant esse numeros. Unde idem dicebant esse dualitatem et speciem dualitatis. Sed lineae hoc non accidit, secundum eos, quia linea iam dicit aliquid participans speciem, cum multae lineae inveniantur esse in una specie; quod non esset si ipsamet linea esset ipsa species.

[83083] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 12Deinde cum dicit accidit itaque improbat praedictam solutionem; et ponit tres rationes: quarum prima est. Si soli numeri sint species, omnia ista quae participant uno numero participant una specie. Multa autem sunt diversa specie quae participant uno numero. Unus enim et idem numerus est in triangulo propter tres lineas, et in syllogismo propter tres terminos, et in corpore propter tres dimensiones. Accidit igitur multorum specie diversorum esse unam speciem. Quod non solum Platonicis sed etiam Pythagoricis accidit, qui etiam ponebant naturam omnium rerum esse numeros.

[83084] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 13Secundam ponit ibi, et contingit. Quae talis est. Si carnes et ossa non sunt partes speciei humanae, nec lineae speciei trianguli, pari ratione nulla materia est pars speciei. Sed secundum Platonicos, in numero dualitas attribuitur materiae, unitas autem speciei: ergo sola unitas est species. Dualitas autem, et per consequens omnes alii numeri, tamquam materiam implicantes, non erunt species. Et sic una tantum erit species omnium rerum.

[83085] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 14Tertiam ponit ibi, quamvis sic. Quae talis est. Illa sunt unum quorum species una est. Si igitur omnium species est una, sequetur quod omnia sint unum secundum speciem, et non solum quae videntur esse diversa. Potest tamen dici quod hoc tertium non est alia ratio a secunda; sed est inconveniens, quod ex secunda conclusione sequitur secundae rationis.

[83086] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 15Posita ergo ratione cui praemissa solutio innitebatur, et positis rationibus contra praemissam solutionem, concludit: dictum esse quod illa quae sunt circa definitiones habent dubitationem et qua de causa. Et sic patet quod per omnia praemissa ostendere voluit difficultatem praemissae dubitationis.

[83087] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 16Deinde cum dicit quare omnia solvit praemissam quaestionem secundum propriam sententiam. Et primo quantum ad naturalia. Secundo quantum ad mathematica, ibi, circa mathematica. Dicit ergo primo, quod ex quo praedicta inconvenientia sequuntur removentibus a specie rei omnia quae sunt materialia, sive sint sensibilia, sive non, patet ex dictis quod superfluum est omnes species rerum reducere ad numeros vel unitatem, et auferre totaliter materiam sensibilem et intelligibilem, sicut Platonici faciebant.

[83088] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 17Quia quaedam species rerum non sunt formae sine materia; sed sunt hoc in hoc forsan, idest formae in materia: ita quod id quod resultat ex forma in materia existente species est. Aut si non sunt sicut forma in materia, sunt se habentia sicut illa quae habent formam in materia. Proprie enim formam in materia habent naturalia, quibus quodam modo assimilantur mathematica, etiam inquantum proportio figurae circuli vel trianguli ad lineas, est sicut proportio formae hominis ad carnes et ossa. Et ideo, sicut species hominis non est forma aliqua sine carnibus et ossibus, ita forma circuli vel trianguli non est aliqua forma sine lineis. Et ideo parabola quam consuevit dicere de animali Socrates iunior, non se bene habet.

[83089] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 18Videtur autem ipsum Platonem Socratem iuniorem nominare, quia in omnibus libris suis introducit Socratem loquentem, propter hoc quod fuerat magister eius. Opinionem autem Platonis, de materialitate naturalium specierum, vocat parabolam, quia fabulis assimilatur quae componuntur ad aliquam sententiam metaphorice insinuandam. Propter quod in tertio superius dixit, quod haec opinio assimilatur opinionibus fingentium deos esse, et quod formae eorum sunt sicut formae humanae. Ideo autem praedicta opinio non bene se habet, quia ducit extra veritatem, in eo quod facit opinari quod hoc modo contingat esse hominem sine partibus materialibus, scilicet sine carnibus et ossibus, sicut contingit circulum esse sine aere quod manifeste non pertinet ad species circuli.

[83090] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 19Sed hoc non est simile. Non enim similiter se habet homo ad carnes et ossa, sicut circulus ad aes; quia circulus non est aliquod sensibile secundum suam rationem. Potest enim intelligi sine materia sensibili. Unde aes, quod est materia sensibilis, non est pars speciei circuli. Sed animal videtur esse quoddam sensibile. Non enim potest definiri sine motu. Animal enim discernitur a non animali sensu et motu, ut patet in primo libro de anima. Et ideo non potest definiri animal sine partibus corporalibus habentibus se aliquo modo debito ad motum. Non enim manus est pars hominis quocumque modo se habens, sed quando est sic disposita quod potest perficere opus manus; quod non potest facere sine anima, quae est principium motus. Quare oportet quod manus cuiuscumque sit pars hominis, secundum quod est animata. Secundum vero quod est inanimata, non est pars, sicut manus mortua vel depicta. Unde oportet quod partes tales quae sunt necessariae ad perficiendum operationem speciei propriam, sint partes speciei; tam quae sunt ex parte formae, quam quae sunt ex parte materiae.

[83091] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 20Deinde cum dicit circa mathematica solvit quaestionem quantum ad mathematica. Videtur enim post solutionem de naturalibus positam, adhuc relinqui sub dubio de mathematicis. Dixerat enim quod, cum animal sit sensibile, non potest definiri sine partibus sensibilibus, sicut circulus potest definiri sine aere, quod est sensibilis materia. Et ideo circa mathematica quaeritur quare rationes, idest definitiones partium, non sunt partes rationum totorum, sicut quarehemicycla, idest semicirculi, non ponuntur in definitione circuli. Non enim potest dici, quod haec, scilicet hemicycla, sint sensibilia, sicut aes est sensibilis materia.

[83092] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 21Sed solvit quod hoc nihil differt quantum ad propositum, utrum scilicet partes materiae sint sensibilia vel non sensibilia; quia etiam non sensibilium est aliqua materia intelligibilis. Et talis materia, quae scilicet non est pars speciei, est omnis eius quod non est quod quid erat esse et species eadem secundum se, sed est hoc aliquid, idest particulare aliquod demonstratum: quasi dicat: in omni eo quod non est ipsa sua species, sed est aliquod individuum determinatum in specie, oportet esse aliquas partes materiae quae non sunt partes speciei. Socrates enim, quia non est ipsa sua humanitas, sed est habens humanitatem, ideo habet in se partes materiales quae non sunt partes speciei, sed quae sunt partes huius materiae individualis quae est individuationis principium, ut has carnes et haec ossa.

[83093] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 22Et similiter in hoc circulo sunt hae lineae quae non sunt partes speciei. Unde patet quod huiusmodi non sunt partes circuli qui est universalis, sed sunt partes singularium circulorum, sicut dictum est prius. Et propter hoc semicirculi non ponuntur in definitione circuli universalis, quia sunt partes singularium circulorum, et non universalis. Et hoc est verum tam in materia sensibili, quam in materia intelligibili. Utroque enim modo invenitur materia, ut ex dictis patet. Si autem esset aliquod individuum quod esset ipsa sua species, sicut si Socrates esset ipsa sua humanitas, non essent in Socrate aliquae partes quae non essent partes humanitatis.

[83094] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 23Deinde cum dicit palam autem recolligit praedictam solutionem, exemplificando eam in animali; dicens, palam esse quod anima est substantia prima, idest forma animalis, corpus autem materia, homo autem aut animal id quod est ex utrisque, scilicet in universali, sed Socrates et Coriscus quod est ex utrisque in particulari. Quia anima dicitur dupliciter, scilicet in universali et particulari, ut anima et haec anima. Ideo autem oportet quod significatur per modum totius, dici universaliter et singulariter, ea ratione quia anima dicitur dupliciter: quia hoc competit secundum utramque opinionem hominum de anima. Sicut enim supra dictum est, alii dicunt hominem et animal esse animam, alii vero dicunt hominem et animal non esse animam, sed totum, scilicet compositum ex anima et corpore.

[83095] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 24Patet ergo quod secundum illam opinionem quae dicit hominem esse animam, anima dicitur universaliter et singulariter, ut anima et haec anima; et homo etiam dicitur universaliter et particulariter sive singulariter, scilicet homo et hic homo. Similiter etiam secundum hanc opinionem, quae dicit hominem esse compositum ex anima et corpore, sequitur quod si simplicia dicuntur universaliter et singulariter, quod etiam compositum dicatur universaliter et singulariter. Sicut si anima est hoc, et corpus est hoc, quae sunt simpliciter dicta tamquam partes compositi, quod etiam dicatur universale et particulare sive singulare, non solum partes, sed etiam compositum.

[83096] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 25Deinde cum dicit utrum autem ostendit quid de cetero remaneat determinandum circa substantias. Et ponit quod duo remaneant determinanda. Quorum primum est quod, cum determinatum sit, quod substantia et quod quid est rerum sensibilium et materialium sunt ipsae partes speciei, restat determinare utrum talium substantiarum, scilicet materialium et sensibilium, sit aliqua substantia praeter materiam, ita quod oporteat quaerere aliquam substantiam istorum sensibilium alteram ab ea quae determinata est, sicut quidam dicunt numeros praeter materiam existentes, aut aliquid tale, idest species vel ideas, esse substantias horum sensibilium. Et de hoc perscrutandum est posterius.

[83097] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 26Haec enim perscrutatio est propria huic scientiae. In hac enim scientia tentamus determinare de substantiis sensibilibus huius gratia, idest propter substantias immateriales, quia speculatio circa substantias sensibiles et materiales quodammodo pertinet ad physicam, quae non est prima philosophia, sed secunda, sicut in quarto habitum est. Prima enim philosophia est de primis substantiis quae sunt substantiae immateriales, de quibus speculatur non solum inquantum sunt substantiae, sed inquantum substantiae tales, inquantum scilicet immateriales. De sensibilibus vero substantiis non speculatur inquantum sunt tales substantiae, sed inquantum sunt substantiae, aut etiam entia, vel inquantum per eas manuducimur in cognitionem substantiarum immaterialium. Physicus vero e converso determinat de substantiis materialibus, non inquantum sunt substantiae, sed inquantum materiales et habentes in se principium motus.

[83098] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 27Et quia posset aliquis credere quod scientia naturalis non specularetur circa totas substantias materiales et sensibiles, sed solum circa materias eorum, ideo hoc removet dicens, quod physicum non solum oportet considerare de materia, sed etiam de ea parte quae est secundum rationem, scilicet de forma. Et magis etiam de forma quam de materia, quia forma est magis natura quam materia, ut probatum est in secundo physicorum.

[83099] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 28Secundum vero quod restat determinandum, est quomodo partes quae sunt in ratione, idest in definitione se habent; utrum scilicet sint substantiae existentes in actu, et quare etiam definitio, cum componatur ex multis partibus, est una ratio. Palam enim est quod oportet definitionem esse unam tantum rationem, quia res est una. Definitio vero significat quid est res. Sed per quid aliqua res habens partes efficiatur una, speculandum est posterius.

[83100] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 29Deinde cum dicit quid quidem recapitulat ea quae sunt determinata; dicens, quod est dictum quid est quod quid erat esse, et quomodo id quod est quod quid erat esse, est quod praedicatur de omni, et quod praedicatur secundum se. Et iterum dictum est quare quorumdam ratio significans quod quid erat esse, continet in se partes definiti, sicut definitio syllabae continet literas, et quorumdam non, sicut definitio circuli non continet semicirculos. Dictum est etiam quod in ratione substantiae, idest formae, non ponuntur partes quae sunt partes substantiae sicut materia, quia tales non sunt partes substantiae illius, idest formae, sed partes totius compositi.

[83101] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 30Cuius quidem compositi aliquo modo est definitio, aliquo modo non est. Quia si accipiatur cum materia, scilicet individuali, non est eius definitio, quia singularia non definiuntur, ut supra est habitum. Cuius ratio est, quia talis materia individualis est quid infinitum et indeterminatum. Materia enim non finitur nisi per formam. Sed compositum acceptum secundum primam substantiam, idest secundum formam, habet definitionem. Definitur enim compositum acceptum in specie, non secundum individuum.

[83102] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 31Sicut autem individuum per materiam individuatur, ita unumquodque ponitur in sua specie per formam. Non enim homo est homo quia habet carnes et ossa, sed ex eo quod habet animam rationalem in carnibus et ossibus. Unde oportet quod definitio speciei accipiatur a forma, et quod illae partes materiae solum ponantur in definitione speciei, in quibus primo et principaliter est forma. Sicut ratio hominis est illa quae est animae. Ex hoc enim homo est homo, quod habet talem animam. Et propter hoc, si homo definitur, oportet quod definiatur per animam, et quod nihilominus in eius definitione ponantur partes corporis, in quibus primo est anima, sicut cor aut cerebrum, ut supra dixit.

[83103] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 32Ipsa namque substantia cuius pars non est materia est species, idest forma quae inest materiae, ex qua forma et materia dicitur tota substantia, idest determinatur et definitur. Sicut concavitas est quaedam forma. Ex ea enim et naso, dicitur nasus simus et simitas. Et similiter ex anima et corpore, dicitur homo et humanitas. Si enim nasus, qui est sicut materia, esset pars curvitatis, tunc cum dicitur nasus curvus, bis diceretur nasus. Semel enim diceretur proprio nomine, et semel prout includeretur in definitione curvi. (Si tamen poneretur in eius definitione sicut pars essentiae curvitatis, non quasi ex additione, ut supra dictum est). Quamvis autem materia non sit in essentia formae, est tamen in tota substantia composita. Sicut curvitas est in naso simo, et etiam materia individualis est in Callia.

[83104] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 33Dictum est etiam superius quod quod quid erat esse uniuscuiusque, est idem cum eo cuius est. Quod quidem est simpliciter verum in quibusdam, sicut in primis substantiis, idest in immaterialibus. Sicut ipsa curvitas est idem cum eo quod quid erat curvitatis, si tamen curvitas est de primis substantiis. Quod quidem dicit, quia etiam curvitas videtur esse forma in materia, licet non in materia sensibili, sed intelligibili, quae est ipsum continuum. Vel secundum aliam literam quae prima est. Est enim quaedam curvitas prima, sicut curvitas quae est in speciebus secundum Platonicos, in quibus speciebus communiter est verum quod quaelibet est idem cum suo quod quid est. Alia autem curvitas quae est in rebus sensibilibus vel in mathematicis, non est prima. Unde non est idem quod suum quod quid erat esse.

[83105] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 34Dicit autem exponendo, quod primam substantiam hic nominat non substantiam particularem, sicut in praedicamentis, sed quae non dicitur per hoc quod aliud sit in alio sicut in subiecto et materia, idest illae res quae sunt formae non in materia, sicut substantiae separatae. Quaecumque vero sunt sicut materia, vel etiam sunt concepta cum materia, sicut composita quae habent in sui ratione materiam, in istis non est idem quod quid erat esse, et id cuius est. Nec etiam est unum in his quae dicuntur secundum accidens, sicut Socrates et musicus sunt idem per accidens.

[83106] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 35Attendendum est autem quod ab hac sententia quam posuerat, scilicet quod quod quid est idem est cum unoquoque cuius est, duo hic excipit, scilicet illa quae dicuntur per accidens, et substantias materiales, cum superius non exceperit nisi illa quae dicuntur per accidens. Oportet autem non solum ista excludi, sed etiam substantias materiales. Sicut enim supra dictum est, quod quid erat esse est id quod significat definitio. Definitio autem non assignatur individuis, sed speciebus; et ideo materia individualis, quae est individuationis principium est praeter id quod est quod quid erat esse. Impossibile est autem in rerum natura esse speciem nisi in hoc individuo. Unde oportet quod quaelibet res naturae, si habeat materiam quae est pars speciei, quae est pertinens ad quod quid est, quod etiam habeat materiam individualem, quae non pertinet ad quod quid est. Unde nulla res naturae si materiam habeat, est ipsum quod quid est, sed est habens illud. Sicut Socrates non est humanitas, sed est humanitatem habens. Si autem esset possibile esse hominem compositum ex corpore et anima, qui non esset hic homo ex hoc corpore et ex hac anima compositus, nihilominus esset suum quod quid erat esse, quamvis haberet materiam.

[83107] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 11 n. 36Licet autem homo praeter singularia non sit in rerum natura, est tamen in ratione quae pertinet ad logicam considerationem. Et ideo superius ubi logice consideravit de quod quid erat esse, non exclusit substantias materiales, quin in illis etiam esset idem quod quid est, cum eo cuius est. Homo enim communis est idem cum suo quod quid est, logice loquendo. Nunc autem postquam iam descendit ad principia naturalia quae sunt materia et forma, et ostendit quomodo diversimode comparantur ad universale et particulare quod subsistit in natura, excipit hic ab eo quod supra dixerat idem esse quod quid est cum unoquoque, substantias materiales in rerum natura existentes. Relinquitur autem quod illae substantiae quae sunt formae tantum subsistentes, non habent aliquid per quod individuentur, quod sit extra rationem rei vel speciei significantem quod quid est. Et ideo in illis simpliciter verum est, quod quaelibet illarum est suum quod quid erat esse.

LEÇON 11.

(nn. 1501-1536; [629-639]).

 

Il manifeste quelles formes sont les parties de l’espèce et de la définition.

 

1501. Dans cette partie il règle un problème qui pouvait naître de la réponse à la question précédente. Il avait distingué en effet, en répondant à la question précédente, les parties de l’espèce des parties de l’individu qui est un composé de l’espèce et de la matière. Et c’est pourquoi il cherche ici à savoir quelles sont les parties de l’espèce et quelles sont celles qui ne le sont pas.

   Cette section se divise donc en trois parties. Dans la première il règle ce problème [629]. Dans la deuxième il montre ce qu’il reste à dire, là [638] où il dit : ¨ Mais si en dehors de la matière ¨. Dans la troisième il rappelle les choses qu’il a dites, là [639] où il dit : ¨ Donc, ce qu’est certes la quiddité ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il soulève le problème [629]. En deuxième lieu il le résout, là [630] où il dit : ¨ Donc, dans tous les cas certes etc.¨. En troisième lieu en manifestant la réponse il conclut, là [637] où il dit : ¨ Mais il est évident etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [629] que puisqu’on a dit que les parties de l’espèce sont placées dans les définitions, et non celles du composé de l’espèce et de la matière, c’est à juste titre qu’on se demande quelles sont les parties de l’espèce et quelles parties ne le sont pas parce qu’elles ne sont que les parties ¨de ce qui est pris ensemble¨, c’est-à-dire de l’individu dans lequel la nature de l’espèce se prend simultanément avec la matière individuelle.

1502. Si en effet cela ne devient pas évident, nous ne pourrons rien définir correctement, car une définition ne se rapporte jamais à une chose individuelle, mais seulement à l’universel, ainsi que nous l’avons établi plus haut. Et l’espèce, qui est constituée du genre et de la différence, en quoi consiste toute définition, fait proprement partie des universels. Le genre en effet n’est pas défini, à moins qu’il ne soit aussi une espèce. D’où il est clair qu’à moins de savoir quelle partie est comme une matière et laquelle n’est pas comme une matière mais comme appartenant à l’espèce elle-même, il ne sera pas évident quelle définition de la chose doit être assignée, car seule la définition de l’espèce est attribuée et il faut placer les parties de l’espèce dans la définition de l’espèce et non les parties qui sont postérieures à l’espèce.

1503. Ensuite lorsqu’il dit [630] : ¨ Dans tous les cas certes ¨.

   Il résout le problème qui vient d’être présenté.

   Et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente la solution d’après l’opinion des Platoniciens [630]. En deuxième lieu il la réfute, là [632] où il dit : ¨ C’est pourquoi il résulte de là qu’une seule ¨. En troisième lieu il la résout d’après sa propre pensée, là [635] où il dit : ¨ C’est pourquoi ramener toutes les choses ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il résout la difficulté quant aux choses sensibles [630]. En deuxième lieu il le fait quant aux entités mathématiques, là [631] où il dit : ¨ Mais puisque ¨.

   Il dit donc en premier lieu [630] que pour certaines choses il est manifeste que la matière n’est pas une partie de l’espèce, comme pour toutes celles qui apparaissent clairement être produites dans des matières différentes par l’espèce, comme le cercle qui se trouve à être produit dans l’airain, la pierre ou le bois. D’où il est évident que ni l’airain, ni la pierre ni le bois n’appartiennent à quelque chose de l’essence du cercle en tant que partie qui se tient dans cette espèce, à savoir celle du cercle. Et cela est manifeste pour cette raison que le cercle peut être séparé de chacune de ces matières : mais rien ne peut être séparé de ce qui est une partie de son espèce.

1504. Mais il y a certaines choses dont les espèces ne se trouvent pas à être produites dans des matières qui diffèrent par l’espèce, mais dans des matières qui sont toujours les mêmes. Comme l’espèce de l’homme, quant à ce qui apparaît à la vue, ne se trouve à exister que dans des chairs et dans des os. Cependant, rien n’empêche que même ces choses qui ne sont pas perçues comme existant séparément de leur matière propre se rapportent à leurs matières de la même manière que celles qui peuvent exister dans différentes matières et peuvent être séparées de chacune d’elles.

1505. Si en effet nous affirmions que nous ne voyons de nos yeux que des cercles qui sont faits d’airain, l’airain serait néanmoins ainsi une partie de l’espèce du cercle. Et alors, bien que le cercle ne serait pas séparé de l’airain en acte, il en serait cependant séparé par l’esprit car l’espèce du cercle peut être saisie sans l’airain et à partir de là l’airain ne serait pas une partie de l’espèce du cercle, bien qu’il soit difficile à l’esprit de séparer ce qui n’est pas séparé en acte. Cela en effet n’a lieu que chez les êtres qui par l’intelligence peuvent s’élever au-dessus des réalités sensibles.

1506. Et de la même manière, si l’espèce humaine se présente toujours dans des chairs et des os et dans de telles parties, il faut se demander si ces parties appartiennent à l’espèce humaine ¨et à l’énonciation¨, c’est-à-dire à la définition de l’homme ou s’ils n’appartiennent pas à l’espèce humaine et n’en sont que la matière comme l’airain l’est pour le cercle. Mais parce qu’une telle espèce n’est pas produite dans d’autres matières que dans celles-là, c’est pourquoi nous ne pouvons séparer facilement l’homme de la chair et des os par l’intelligence. Il semble en effet que la même raison vaudrait ici pour le cercle si tous les cercles étaient faits d’airain.

1507. Ensuite lorsqu’il dit [631] : ¨ Mais puisque ¨.

   Il continue par la suite sa recherche, quant aux entités mathématiques, sur l’opinion qu’il vient d’effleurer en disant que parce que cela semble se produire dans certains cas, à savoir que la matière ne fasse pas partie de l’espèce bien que cette dernière ne se rencontre que dans telle matière, il n’est cependant pas évident de dire quand et dans quels cas la matière est contenue dans l’espèce et dans quels cas elle ne l’est pas, c’est pourquoi certains soulèvent ce problème non seulement au sujet des choses naturelles mais même pour les entités mathématiques comme le cercle et le triangle.

1508. Il leur semble en effet que tout comme la matière sensible ne fait pas partie de l’espèce dans les choses naturelles, de même encore la matière intelligible ne fait pas partie de l’espèce dans les entités mathématiques. Mais la matière des figures mathématiques est le continu, comme la ligne et la surface. Et c’est pourquoi cette opinion veut que la ligne ne fasse pas partie de l’espèce du cercle ou du triangle comme s’il ne convenait pas que le triangle et le cercle se définissent par les lignes et le continu puisque ceux-ci ne feraient pas partie de leur espèce; à leurs yeux en effet, les lignes et le continu se rapportent au cercle et au triangle de la même manière que les chairs et les os se rapportent à l’homme et que l’airain et les pierres se rapportent au cercle.

1509. Mais en retirant du cercle et du triangle le continu qu’est la ligne, il ne reste rien si ce n’est l’unité et le nombre car le triangle est la figure qui possède trois lignes et le cercle celle qui n’en possède qu’une seule. Et c’est pourquoi, puisqu’ils disent que les lignes ne font pas partie de l’espèce, ils ramènent toutes les espèces mathématiques aux nombres en disant que les nombres sont les espèces de toutes les entités mathématiques. Ils disent en effet que la définition même du nombre deux est la définition de la ligne droite pour cette raison que la ligne droite est délimitée par deux points.

1510. Mais à ce sujet il existe une différence parmi les Platoniciens qui affirment l’existence des Idées séparées. Certains en effet, ne posant pas des entités mathématiques intermédiaires entre les Idées et les réalités sensibles, soutenant que les Idées sont des nombres, affirment que la ligne en soi est la dyade car ils ne posent pas une ligne intermédiaire distincte de l’Idée de la ligne.

1511. D’autres par ailleurs soutiennent que la dyade est l’Idée de la ligne, et non la ligne. La ligne en effet est un intermédiaire mathématique entre l’Idée et la réalité sensible; et la dyade est l’Idée elle-même. Et d’après eux, il y a des choses pour lesquelles l’Idée ne diffère pas de ce dont elle est l’Idée, comme dans les nombres, car ils affirmaient que les Idées elles-mêmes sont des nombres. De là ils soutenaient que la dyade et l’Idée de la dyade sont identiques. Mais selon eux, ce n’est plus le cas pour la ligne car celle-ci dit déjà quelque chose qui participe de l’Idée de la ligne puisque plusieurs lignes se trouvent à exister dans la même espèce, ce qui n’aurait pas lieu si la ligne elle-même était l’Idée même de la ligne.

1512. Ensuite lorsqu’il dit [632] : ¨ C’est pourquoi il suit de là ¨.

   Il réfute la réponse qui précède en présentant trois raisonnements, dont voici le premier. Si seuls les nombres sont des Idées ou des espèces, toutes ces choses qui participeront d’un seul et même nombre seront de même espèce. Mais il y a beaucoup de choses d’espèces différentes qui participent d’un seul et même nombre. En effet dans le triangle, en raison de ses trois côtés, il y a un seul et même nombre, tout comme dans le syllogisme où il y a trois termes et tout comme dans le corps où on retrouve trois dimensions. Il résultera donc qu’il n’y aura qu’une seule et même espèce pour une multitude de choses qui diffèrent pourtant selon l’espèce. Ce qui résulte non seulement de la position de Platon mais aussi de celle des Pythagoriciens qui soutenaient que la nature de toutes les choses était les nombres.

1513. Il présente le deuxième raisonnement là [633] où il dit : ¨ Et il résulte ¨.

   Si les chairs et les os ne font pas partie de l’espèce humaine et que la ligne ne fait pas partie de l’espèce du triangle, pour la même raison aucune matière ne fera partie d’une espèce. Mais d’après les Platoniciens, dans les nombres la dyade est attribuée à la matière et l’unité à l’espèce : donc, seule l’unité est une espèce. Mais la dyade et par conséquent tous les autres nombres, comme impliquant une matière, ne seront pas des espèces. Et ainsi il n’y aura plus qu’une seule espèce pour toutes les choses.

1514. Il présente le troisième raisonnement là [634] où il dit : ¨ Bien qu’ainsi ¨.

   Ces choses sont une dont l’espèce est une. Si donc il n’y a qu’une seule espèce pour toutes les choses, il s’ensuit que toutes les choses seront une selon l’espèce et non seulement celles qui paraissent être différentes. On pourrait cependant dire que ce troisième raisonnement n’est pas différent du deuxième; mais il est incorrect que ce qui découle de la deuxième conclusion appartienne au deuxième raisonnement.

1515. Donc, ayant présenté le raisonnement sur lequel s’appuyait la solution précédente et ayant présenté les raisonnements qui s’opposent à cette solution, il conclut : il a été dit que ce qui se rapporte aux définitions présente des difficultés et pour quelle raison il en est ainsi. Et il est clair qu’au moyen de tout ce qui précède il a voulu montrer la difficulté de la question qui précède.

1516. Ensuite lorsqu’il dit [635] : ¨ C’est pourquoi toutes les choses ¨.

   Il résout la question qui précède d’après sa propre pensée.

   Et il le fait d’abord par rapport aux choses naturelles. Deuxièmement il le fait par rapport aux entités mathématiques, là [636] où il dit : ¨ Par rapport aux entités mathématiques ¨.

   Il dit donc en premier lieu [635] que du fait que de nombreux inconvénients découlent de ce qu’on écarte de l’espèce de la chose tout ce qui se rapporte à la matière, qu’il s’agisse de la matière sensible ou non, il est évident à partir de ce qui a été dit qu’il est inutile de chercher à ramener toutes les espèces des choses aux nombres ou à l’unité et de supprimer totalement la matière sensible et intelligible comme le faisaient les Platoniciens.

1517. Car certaines espèces de choses ne sont pas des formes qui existent sans matière, mais qui sont ¨peut-être ceci dans cela¨, c’est-à-dire des formes qui sont dans la matière, de telle sorte que ce qui résulte de la forme qui existe dans la matière, c’est l’espèce. Ou si ces êtres ne sont pas comme une forme dans une matière, ils se présentent de la même manière que ceux qui sont des formes existant dans une matière. En effet, les être qui à proprement parler possèdent une forme dans une matière sont les êtres naturels, auxquels d’une certaine manière se comparent les entités mathématiques dans la mesure encore où le rapport de la figure du cercle ou du triangle aux lignes est semblable à celui de la forme de l’homme aux chairs et aux os. Et c’est pourquoi, tout comme l’espèce de l’homme n’est pas une forme sans la chair et les os, de même la forme du cercle ou du triangle n’est pas une forme sans les lignes. Et c’est pourquoi la comparaison de l’animal avec le cercle dont Socrate le Jeune avait l’habitude de se servir n’est pas correcte.

1518. Mais il semble que Socrate le Jeune désigne ici Platon lui-même parce que dans tous ses livres Platon nous présente Socrate en train de parler pour cette raison que ce dernier avait été son maître. Mais l’opinion de Platon sur la matérialité des espèces naturelles, il l’appelle métaphore car il assimile à des fables ce qui est composé en vue de répandre une position selon un mode métaphorique. Et c’est pour cette raison qu’il a dit plus haut au troisième livre que cette opinion se compare aux opinions de ceux qui se sont figurés qu’il existe des dieux et qui se représentent leurs formes comme étant semblables à la forme humaine. Et c’est pourquoi l’opinion qui précède n’est pas exacte car elle éloigne de la vérité en ceci qu’elle fait croire que l’homme peut exister sans ses parties matérielles, c’est-à-dire les chairs et les os, tout comme il arrive au cercle d’exister sans l’airain qui n’appartient manifestement pas à l’espèce du cercle.

1519. Mais le rapport n’est pas semblable. En effet, le rapport entre l’homme et ses chairs et ses os n’est pas semblable au rapport qu’il y a entre le cercle et l’airain; car le cercle n’est pas un être sensible quant à sa définition. Il peut être compris en effet sans recourir à la matière sensible. Et c’est pourquoi l’airain, qui est une matière sensible, n’entre pas dans la définition du cercle. Mais d’un autre côté l’animal est un être sensible qui ne peut en effet être défini sans le mouvement. L’animal en effet diffère de ce qui n’est pas animal par le sens et le mouvement, comme on peut le voir au premier livre de l’Âme. Et c’est pourquoi l’animal ne peut être défini sans ses parties corporelles qui se rapportent au mouvement selon un mode approprié. En effet, ce n’est pas selon qu’elle se présente n’importe comment que la main est une partie de l’homme, mais selon qu’elle est ainsi disposée qu’elle peut accomplir la fonction de la main; ce qu’elle ne peut faire sans l’âme qui est le principe du mouvement. C’est pourquoi il faut qu’une main soit animée pour qu’elle soit une partie de l’homme. Au contraire, si elle est inanimée, comme c’est le cas pour la main qui est morte ou celle qui est peinte, elle n’est pas une partie de l’homme. C’est pourquoi il faut que ces parties qui sont nécessaires à la réalisation de l’opération propre à l’espèce soient des parties de l’espèce, aussi bien celles qui se tiennent du côté de la forme que celles qui se tiennent du côté de la matière.

1520. Ensuite lorsqu’il dit [636] : ¨ Au sujet des notions mathématiques ¨.

   Il répond à la question par rapport aux entités mathématiques. Il semble en effet, suite à la réponse présentée au sujet des choses naturelles, qu’il reste encore une difficulté au sujet des entités mathématiques. Il avait dit en effet que puisque l’animal est un être sensible, il ne peut être défini sans ses parties sensibles contrairement au cercle qui peut être défini sans l’airain qui est une matière sensible. Et c’est pourquoi au sujet des entités mathématiques on se demande ¨pour quelles raisons¨ les définitions des parties ne font pas partie des définitions des touts : par exemple, pourquoi les ¨hémicycles¨, c’est-à-dire les demi-cercles, ne sont pas placés dans la définition du cercle. En effet, on ne peut dire que ceux-ci, à savoir les hémicycles, sont une matière sensible au sens où l’airain est une matière sensible.

1521. Mais il répond en disant qu’il ne change rien au propos que les parties de la matière soient sensibles ou qu’elles ne le soient pas; car même pour les êtres non-sensibles il existe une matière, à savoir une matière intelligible. Et une telle matière, à savoir celle qui n’est pas une partie de l’espèce, appartient à tout ce qui n’est pas identique en soit à sa quiddité et à son espèce ¨mais qui est cette chose¨, c’est-à-dire un individu particulier : c’est comme s’il disait que dans tout ce qui n’est pas sa propre espèce mais qui est plutôt un individu déterminé contenu dans une espèce, il faut qu’il y ait des parties de la matière qui ne sont pas des parties de l’espèce. En effet Socrate, parce qu’il n’est pas sa propre humanité, mais plutôt possède une humanité, c’est pour cette raison qu’il possède en lui des parties matérielles qui ne sont pas des parties de l’espèce mais qui sont des parties de cette matière individuelle, comme ces chairs et ces os, qui est principe d’individuation.

1522. Et de la même manière dans ce cercle il y a ces lignes qui ne font pas partie de l’espèce. D’où il est clair que de telles lignes ne sont pas des parties du cercle entendu universellement, mais elles sont des parties des cercles individuels, ainsi qu’on l’a dit précédemment. Et c’est pour cette raison que les demi-cercles ne sont pas placés dans la définition du cercle universel, à savoir parce qu’ils sont des parties de cercles individuels et non du cercle universel. Et cela est vrai tant pour la matière sensible que pour la matière intelligible. Dans les deux cas en effet on retrouve une matière comme on le voit à partir de ce qui précède. – Mais s’il existait un individu qui était sa propre espèce, par exemple si Socrate était sa propre humanité, il n’y aurait en Socrate aucune partie qui ne serait pas une partie de l’humanité.

1523. Ensuite lorsqu’il dit [637] : ¨ Mais il est clair ¨.

   Il reprend la réponse précédente en l’illustrant par l’exemple de l’animal, en disant qu’il est évident que l’âme ¨est la substance première¨, c’est-à-dire la forme de l’animal alors que le corps est la matière et que l’homme en général ¨ ou l’animal en général est le composé des deux¨, c’est-à-dire le composé de l’âme et du corps pris universellement; mais Socrate et Coriscus sont des composés des deux pris particulièrement. Car ¨l’âme se dit de deux manières¨, c’est-à-dire universellement et particulièrement, comme l’âme et cette âme. C’est pourquoi il faut que ce qui est signifié à la manière d’un tout se dise soit universellement, soit particulièrement, pour cette raison que l’âme se dit de deux manières. Car cela est valable pour les deux opinions que les hommes se font sur l’âme. En effet, tout comme on l’a dit plus haut, certains soutiennent que l’homme et l’animal sont l’âme alors que par ailleurs d’autres affirment que l’homme et l’animal ne sont pas l’âme, mais ¨le tout¨, c’est-à-dire le composé du corps et de l’âme.

1524. Il est donc clair que d’après cette opinion qui dit que l’homme est l’âme, l’âme se dit universellement et individuellement, comme lorsqu’on dit l’âme et cette âme; et l’homme aussi se dit universellement et particulièrement ou individuellement, comme lorsqu’on dit l’homme et cet homme. De la même manière encore, d’après cette autre opinion qui soutient que l’homme est un composé d’âme et de corps, il résultera, si les éléments simples se disent universellement et individuellement, que le composé aussi se dira universellement et individuellement. Par exemple, si l’âme est ceci et que le corps est cela, lesquels se disent simplement comme des parties du composé, il est évident que non seulement les parties mais aussi le composé des deux se dira universellement et particulièrement ou individuellement.

1525. Ensuite lorsqu’il dit [638] : ¨ Mais est-ce que ¨.

   Il montre ce qu’il reste d’autre à déterminer au sujet des substances. Et il dit qu’il reste deux choses à établir, dont la première est que puisque nous avons établi que l’essence et la quiddité des choses sensibles et matérielles sont les parties mêmes de l’espèce, il reste à déterminer si ¨de ces substances¨, c’est-à-dire des substances matérielles et sensibles, il y a une autre substance en dehors de leur matière, de telle sorte qu’il faudrait rechercher une substance de ces choses sensibles qui serait autre que celle qui a été fixée, comme certains soutiennent qu’il existe des nombres en dehors de la matière, ¨ou quelque chose d’analogue¨, c’est-à-dire des espèces ou des Idées qui seraient les substances de ces choses sensibles. Et c’est là ce qu’il faudra approfondir plus tard.

1526. Cet examen en effet est propre à cette science. Dans cette science en effet nous nous efforçons de déterminer des substances sensibles ¨en vue de cela¨, c’est-à-dire en vue des substances immatérielles, car l’étude qui a pour objet les substances sensibles et matérielles relève d’une certaine façon de la science de la nature qui n’est pas la philosophie première mais la philosophie seconde ainsi que nous l’avons établi au quatrième livre. La philosophie première se rapporte en effet aux substances premières qui sont des substances immatérielles et qu’on examine non seulement en tant qu’elles sont des substances, mais en tant qu’elles sont ces substances, à savoir en tant qu’elles sont immatérielles. Mais d’un autre côté dans cette science on n’examine pas les substances sensibles en tant qu’elles sont telles substances, à savoir qu’on ne les examine pas en tant qu’elles sont sensibles, mais en tant qu’elles sont des substances ou des êtres, ou dans la mesure où nous sommes conduits par elles à la connaissance des substances immatérielles. Le physicien au contraire détermine des substances matérielles non en tant qu’elles sont des substances, mais en tant qu’elles sont matérielles et qu’elles possèdent en elles un principe de mouvement.

1527. Et parce que certains pourraient croire que la science de la nature n’examine pas les substances matérielles et sensibles dans leur totalité mais uniquement leurs matières, c’est pourquoi il écarte cette opinion en disant que le physicien ne doit pas seulement considérer la matière mais même cette partie ¨qui est selon la définition¨, c’est-à-dire la forme. Et il doit même davantage considérer la forme que la matière car la forme est davantage nature que la matière, ainsi que nous l’avons prouvé au deuxième livre des Physiques.

1528. Par ailleurs, la deuxième chose qu’il reste à déterminer, c’est comment ¨les parties qui sont dans l’énonciation¨, c’est-à-dire dans la définition, doivent-elles se présenter pour en être vraiment les parties; est-ce que ces parties sont des substances qui existent en acte dans la définition? Et pourquoi encore la définition, qui est composée de différentes parties, arrive-t-elle à constituer une unité? Il est évident en effet qu’il faut que la définition arrive à constituer un discours unifié puisque la chose à définir est une. Et par ailleurs la définition signifie ce qu’est la chose. Mais grâce à quoi la chose qui possède une multiplicité de parties est-elle une? Il faudra approfondir cela par la suite.

1529. Ensuite lorsqu’il dit [639] : ¨ Mais ce qu’est ¨.

   Il rappelle ce qui a été établi en disant que nous avons montré ce qu’est la quiddité et comment elle s’attribue à tous et qu’elle s’attribue par soi. Et de plus nous avons montré pourquoi la définition signifiant la quiddité contient en elle dans certains cas des parties du défini, comme la définition de la syllabe contient les lettres, alors que dans d’autres cas elle ne les contient pas, comme la définition du cercle ne contient pas les demi-cercles. Nous avons dit encore que ¨dans la définition de la substance¨, c’est-à-dire de la forme, ne sont pas incluses les parties qui sont ces parties de la substance entendues comme matière car ces parties ne sont pas ¨les parties de cette substance¨, c’est-à-dire de la forme, mais celles du composé.

1530. Certes pour un tel composé il existe en un sens une définition, mais en un autre sens il n’y en a pas. Car si le composé se prend ¨avec de la matière¨, c’est-à-dire avec une matière individuelle, il n’y a pas de définition car les singuliers ne se définissent pas ainsi qu’on l’a établi plus haut. Et la raison en est qu’une telle matière individuelle est quelque chose d’infini et d’indéterminé. La matière en effet n’est limitée et déterminée que par la forme. Mais le composé pris ¨selon la substance première¨, c’est-à-dire selon la forme, possède une définition. En effet, le composé pris comme espèce se définit, contrairement au défini pris comme individu.

1531. Mais tout comme un individu est individué par une matière, ainsi tout être se positionne dans son espèce grâce à la forme. En effet, ce n’est pas parce qu’il possède des chairs et des os qu’un homme est un homme, mais du fait qu’il possède une âme rationnelle dans des chairs et des os. C’est pourquoi il faut que la définition de l’espèce se tire de la forme et que ce soient seulement ces parties, dans lesquelles se retrouve premièrement la forme, qui soient présentes dans la définition de l’espèce. Tout comme la définition de l’homme est celle qui se tire de l’âme. En effet, c’est du fait qu’il possède telle âme que l’homme est un homme. Et pour cette raison, si on définit l’homme, il faut qu’on le définisse par l’âme et que néanmoins on inclue dans sa définition les parties du corps dans lesquelles on retrouve premièrement l’âme, comme le cœur et le cerveau, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

1532. Car la substance même dont la partie n’est pas la matière ¨est l’espèce¨, c’est-à-dire la forme qui est dans la matière, et c’est à partir de cette forme et de cette matière que se définit et se détermine ¨ce qu’on appelle toute la substance¨. Tout comme la concavité est une forme. Et c’est à partir de cette forme et du nez que se dit le nez camus et le camus. Et de la même manière c’est à partir de l’âme et du corps que se dit l’homme et l’humanité. Si en effet le nez, qui est comme une matière, était une partie de la courbure, alors lorsque nous parlerions d’un nez courbé, nous énoncerions deux fois le nez. Nous le nommerions en effet une fois par son nom propre et aussi une autre fois pour autant qu’il serait inclus dans la définition de la courbure (s’il y était toutefois inclus comme une partie de l’essence de la courbure et non par une addition, ainsi que nous l’avons dit plus haut). Mais bien que la matière ne soit pas dans l’essence de la forme, elle est cependant présente dans la substance composée en tant que tout, tout comme la courbure est dans le nez camus et que la matière individuelle est dans Callias.

1533. Nous avons dit aussi plus haut que la quiddité de toute chose est identique à ce dont elle est la quiddité. Ce qui est vrai à parler absolument dans certains cas, comme dans ¨les substances premières¨, c’est-à-dire celles qui sont immatérielles. Tout comme la courbure elle-même est identique à la quiddité de la courbure si toutefois la courbure fait partie des substances premières. Et il dit cela certes car même la courbure apparaît être une forme qui existe dans une matière bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une matière sensible mais d’une matière intelligible qui est le continu. Ou bien, si on se réfère à un autre document, il en est ainsi dans la substance ¨qui est première¨. En effet, d’après les Platoniciens, il existe une courbure première, comme celle qui existe parmi les Idées, et on admet généralement comme vrai que chacune des Idées est identique à sa quiddité. Mais l’autre courbure qui existe dans les choses sensibles ou dans les entités mathématiques n’est pas première et c’est pourquoi elle n’est pas identique à sa quiddité.

1534. Mais il dit dans sa présentation que ce qu’il nomme ici substance première n’est pas la substance particulière qui est présentée dans les Prédicaments, mais celle qui ne s’attribue pas à une autre ¨comme à son sujet et à sa matière¨, c’est-à-dire ces réalités qui sont des formes qui n’existent pas dans une matière, comme les substances séparées. D’un autre côté toutes celles qui sont comme une matière ou encore qui se saisissent avec la matière, comme les composés qui contiennent une matière dans leur définition, pour celles-là la quiddité n’est pas identique à ce dont elle est la quiddité. Et ce que nous disons pour ces composés vaut aussi pour ce qui n’est un que par accident, comme Socrate et musicien qui ne sont identiques que par accident.

1535. Il faut cependant remarquer que par rapport à cet énoncé qu’il vient de présenter, à savoir que la quiddité est identique à ce dont elle est la quiddité, il présente deux exceptions, c’est-à-dire ce qui se dit par accident et les substances matérielles, alors que plus haut il n’avait présenté comme exception que ce qui s’attribue par accident. Mais il faut exclure non seulement ce dernier cas mais aussi les substances matérielles. En effet, tout comme nous l’avons dit précédemment, la quiddité est ce que la définition signifie. Et la définition ne s’attribue pas aux individus mais aux espèces; et c’est pourquoi la matière individuelle, qui est principe d’individuation, est en dehors de la quiddité. Mais il est impossible dans la nature des choses que l’espèce existe si ce n’est dans tel individu. D’où il faut que toute chose de la nature, si elle possède une matière qui est une partie de son espèce et qui appartient à sa quiddité, possède aussi une matière individuelle qui n’appartient pas à sa quiddité. D’où il suit qu’aucune chose de la nature, si elle possède une matière, n’est sa quiddité même, mais plutôt la possède. Tout comme Socrate n’est pas l’humanité, mais un être qui a de l’humanité. Si cependant il était possible qu’existe l’homme composé d’âme et de corps et qui ne serait pas cet homme composé de cette âme et de ce corps, il serait néanmoins sa propre quiddité même s’il possédait une matière.

1536. Cependant, bien que l’homme dans la nature des choses n’existe pas en dehors des individus humains, il existe cependant dans la raison et comme tel il relève de la considération de la logique. Et c’est pourquoi plus haut où il considéra la quiddité selon un mode logique, il ne fit pas une exception des substances matérielles car là aussi, en un sens, la quiddité est identique à ce dont elle est la quiddité. En effet l’homme universel, logiquement parlant, est identique à sa quiddité. Mais maintenant, après être descendu aux principes naturels qui sont la matière et la forme et avoir montré comment ils se comparent différemment à l’universel et au particulier qui subsiste dans la nature, il exclut ici les substances matérielles, lesquelles existent dans la nature des choses, de ce qu’il avait dit, à savoir que la quiddité est identique à tout ce dont elle est la quiddité. Il reste donc que ces substances qui sont des formes seulement et qui subsistent ne possèdent rien par quoi elles puissent être individuées et qui soit extérieur à la définition de la chose ou de l’espèce signifiant la quiddité. Et c’est pourquoi il est absolument vrai dans ces cas que chacune des substances de cette sorte est sa propre quiddité.

 

 

LECTIO 12

[83108] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 1Postquam ostendit philosophus quae partes in definitione ponantur, hic inquirit quomodo definitio ex partibus existens, possit esse una: et circa hoc tria facit. Primo movet dubitationem. Secundo obiicit ad utramque partem, ibi, in hoc namque homo. Tertio solvit quaestionem, ibi, oportet autem intendere et cetera. Dicit ergo, quod nunc primum debet dicere de definitione id quod non est de ea dictum in analyticis, idest in libro posteriorum. Ibi enim mota est quaedam dubitatio de definitione, et non soluta, quam oportet hic solvere, quia est praeopere rationibus de substantia, idest quia solutio huius quaestionis est pernecessaria ad ea quae sunt de substantia determinanda, de qua est principalis intentio huius scientiae. Est autem ista dubitatio, quare illud, cuius definitio est ratio, est unum, scilicet quod quid est. Definitio enim ratio est significans quod quid est, sicut definitio hominis est animal bipes. Ponatur enim quod haec sit eius definitio: quare igitur hoc, quod dicitur animal bipes, est unum, et non multa?

[83109] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 2Deinde cum dicit in hoc namque obiicit pro utraque parte: et primo ad ostendendum quod ex eis non fiat unum. Secundo ad contrarium, ibi, oportet autem unum. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod ex genere et differentia non fit unum. Secundo quod nec ex pluribus differentiis, ibi, si vero et participat. Dicit ergo primo, quod in hoc quod est homo et album, ista duo sunt multa, quando alterum eorum non inest alteri. Si enim album non insit homini, tunc homo et album nullo modo sunt unum. Unum vero sunt, quando alterum eorum inest alteri, et subiectum, quod est homo patitur alterum, idest suscipit hanc passionem, quae est album. Tunc autem ex his duobus fit unum per accidens quod est albus homo. Ex his accipitur, quod ex duobus, quorum unum non inest alteri, non fit unum. Sed hic, scilicet cum dicitur animal bipes, alterum eorum, scilicet animal, non participat altero, scilicet bipede, sicut homo albus participat albo. Et hoc ideo, quia animal est genus, bipes vero differentia. Genus vero non videtur participare differentiis. Sequeretur enim quod idem participaret simul contrariis. Differentiae enim sunt contrariae quibus genus differt, idest per quas genus dividitur; et pari ratione per quam participaret unam, participaret aliam. Si autem est impossibile quod idem participet contraria, impossibile erit, quod ex genere et differentia fiat unum.

[83110] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 3Deinde cum dicit si vero ostendit quod ex pluribus differentiis non potest fieri unum; dicens, quod si detur genus participare aliquo modo differentia, prout scilicet animal non accipitur in sua communitate, sed contrahitur per differentiam ad speciem, et sic per consequens ex genere et differentia fieri unum, tamen adhuc erit eadem ratio ad ostendendum quod definitio non significat unum, si sunt plures differentiae in definitione positae. Sicut si ponantur in definitione hominis istae tres differentiae, quarum prima sit gressibile vel habens pedes, secunda sit bipes, tertia vero non alatum. Non enim poterit dici quare ista sunt unum et non multa.

[83111] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 4Non enim est sufficiens ad hoc ratio quia insunt uni, utputa animali, quod est homo; sic enim sequeretur, quod omnia essent unum. Sequeretur enim quod omnia accidentia, quae insunt alicui subiecto, essent unum per se. Sic enim loquimur de uno et adinvicem et ad subiectum. Et cum ea quae accidunt uni subiecto accidant etiam alteri, sequeretur, quod illa duo subiecta etiam essent unum, puta nix et cygnus quibus inest albedo. Et sic deducendo sequeretur, quod omnia essent unum. Non ergo potest dici quod ex pluribus differentiis fiat unum, etiam dato quod ex genere et differentia fiat unum. Et sic ex duabus partibus videtur quod definitio non significet unum.

[83112] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 5Deinde cum dicit oportet autem obiicit in contrarium; ostendens quod definitio significet unum; dicens, quod oportet quaecumque in definitione ponuntur esse unum. Et hoc ideo, quia definitio est una ratio; et id quod significatur per ipsam, est substantia rei. Unde oportet quod definitio sit ratio significativa unius alicuius; quia substantia rei, quam definitio significat, est unum quid. Et etiam supra dictum est, quod definitio significat hoc aliquid, ubi ostensum est quod definitio est proprie substantiarum.

[83113] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 6Deinde cum dicit oportet autem solvit praemissam quaestionem; ostendens quod definitio significet unum: et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo ex genere et differentia fit unum. Secundo quomodo ex pluribus differentiis fiat unum, ibi, at vero oportet dividi. Dicit ergo primo, quod ad investigandum unitatem definitionum oportet primum intendere de definitionibus quae dantur secundum divisionem generis in differentias. Istae enim sunt definitiones verae, in quibus non est aliud quam primum genus et differentiae. Dantur enim et quaedam definitiones per aliqua accidentia, vel per aliquas proprietates, vel etiam per aliquas causas extrinsecas, quae non significant substantiam rei. Et ideo huiusmodi definitiones non sunt ad propositum, cum hic agatur de definitionibus ad substantias rerum investigandas.

[83114] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 7Ideo autem dico quod in definitione est primum genus cum differentiis, quia etsi aliquando in definitionibus ponantur aliqua genera intermedia inter genus primum quod est generalissimum, et species ultimas quae definiuntur, tamen illa genera media nihil aliud sunt quam genus primum, et differentiae comprehensae in intellectu generis medii cum hoc, idest cum genere primo. Sicut si in definitione hominis ponatur animal, quod est genus intermedium, patet quod animal nihil aliud est quam substantia, quae est genus primum, cum aliquibus differentiis. Est enim animal substantia animata sensibilis. Et similiter si intelligamus primum genus esse animal, habitum bipes; et iterum tertium genus, animal bipes non alatum. Et similiter si aliquod genus per plures differentias determinatur. Semper enim posterius genus comprehendit prius cum aliqua differentia. Et sic patet quod omnis definitio resolvitur in primum genus et aliquas differentias.

[83115] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 8Omnino autem non differt, utrum per plura aut per pauca definiatur aliquod definitum. Quare non differt, utrum per pauca, vel per duo, ita quod illorum duorum unum sit genus et aliud differentia. Sicut eius quod est animal bipes, animal est genus; et alterum, scilicet bipes, est differentia. Ostendendum est ergo primo, quomodo ex istis duobus fiat unum. Quod sic patet.

[83116] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 9Genus enim non est praeter ea quae sunt species generis. Non enim invenitur animal, quod non sit nec homo, nec bos, nec aliquid aliud huiusmodi. Aut si inveniatur aliquid quod est genus praeter species, sic acceptum ut est praeter species, non accipitur ut genus, sed ut materia. Contingit enim aliquod et esse genus aliquorum, et materiam. Sicut vox est genus literarum, et est materia. Et quod sit genus, patet per hoc quod differentiae additae voci faciunt species vocum literatarum. Et quod etiam sit materia, patet; quia ex hac, scilicet ex voce faciunt elementa, idest literas, sicut aliquid fit ex materia.

[83117] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 10Sciendum est autem quod, licet idem secundum nomen possit esse genus et materia, non tamen idem eodem modo acceptum. Materia enim est pars integralis rei, et ideo de re praedicari non potest. Non enim potest dici quod homo sit caro et os. Genus autem praedicatur de specie. Unde oportet quod significet aliquo modo totum. Sicut enim propter hoc quod est innominata privatio, aliquando simplici nomine materiae significatur materia cum privatione, ut supra dictum est, quod aes accipitur pro aere infigurato, cum dicimus quod ex aere fit statua; ita etiam quando forma est innominata, simplici nomine materiae intelligitur compositum ex materia et forma, non quidem determinata, sed communi; et sic accipitur ut genus. Sicut enim compositum ex materia et forma determinata est species, ita compositum ex materia et forma communi est genus.

[83118] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 11Et hoc in pluribus patet. Corpus enim potest accipi, et ut materia animalis, et ut genus. Si enim in intellectu corporis intelligatur substantia completa ultima forma, habens in se tres dimensiones, sic corpus est genus, et species eius erunt substantiae perfectae per has ultimas formas determinatas, sicut per formam auri, vel argenti, aut olivae, aut hominis. Si vero in intellectu corporis non accipiatur nisi hoc, quod est habens tres dimensiones cum aptitudine ad formam ultimam, sic corpus est materia.

[83119] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 12Et similiter est de voce. Si enim in intellectu vocis includatur ipsa vocis formatio in communi secundum formam quae distinguitur in diversas formas literarum et syllabarum, sic vox est genus. Si autem in intellectu vocis accipitur solum substantia soni, cui possibile est advenire praedictam formationem, sic vox erit materia literarum. Ex quo etiam patet quod vox, secundum quod est genus, non potest esse sine speciebus. Non enim potest esse sonus formatus, quin aliquam determinatam formam habeat huius vel illius literae. Sed si omnino careret forma literali prout est materia, sic inveniretur sine literis, sicut aes invenitur absque his quae fiunt ex aere.

[83120] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 13Si ergo praedicta sunt vera, palam est quod definitio est quaedam ratio ex differentiis unitatem habens; ita quod tota essentia definitionis, in differentia quodammodo comprehenditur. Ex hoc enim animal, quod est genus, non potest esse absque speciebus, quia formae specierum quae sunt differentiae, non sunt aliae formae a forma generis, sed sunt formae generis cum determinatione. Sicut patet quod animal est quod habet animam sensitivam. Homo autem est qui habet animam sensitivam talem, scilicet cum ratione. Leo vero qui habet talem, scilicet cum abundantia audaciae. Et sic de aliis. Unde cum differentia additur generi, non additur quasi aliqua diversa essentia a genere, sed quasi in genere implicite contenta, sicut determinatum continetur in indeterminato, ut album in colorato.

[83121] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 14Per quod etiam solvitur ratio superius inducta; quia nihil prohibet idem genus in se continere diversas differentias, sicut indeterminatum continet in se diversa determinata. Et etiam propter hoc solvitur, quia non hoc modo advenit differentia generi, ut diversa essentia ab eo existens, sicut advenit album homini.

[83122] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 15Deinde cum dicit at vero ostendit quod nec etiam multitudo differentiarum impedit unitatem definitionis. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit qualiter debeant sumi in definitione multae differentiae. Secundo ostendit quod si differentiae debito modo sumantur, non impediet multitudo differentiarum unitatem definitionis, ibi, si itaque. Dicit ergo primo, quod in definitionibus in quibus sunt multae differentiae, oportet non solum dividi genus in differentiam, sed etiam dividi differentiam primam in differentiam secundam. Sicut animalis differentia est pedalitas, secundum quam animal dicitur habens pedes, vel gressibile. Sed quia etiam haec differentia multipliciter invenitur, iterum oportet scire differentiam animalis habentis pedes, quae sit differentia eius, inquantum est habens pedes, scilicet per se et non per accidens.

[83123] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 16Et ideo, quia habenti pedes accidit habere alas, non est dicendum, dividendo differentiam, quod habentis pedes aliud est alatum, aliud non alatum, si homo bene velit dicere divisionem differentiarum. Sed tamen quandoque aliquis dividens differentias facit hoc ut scilicet dividat per ea quae sunt secundum accidens, propter hoc quod non potest invenire proprias et per se differentias. Aliquando enim necessitas cogit, ut utamur, loco per se differentiarum, differentiis per accidens, inquantum sunt signa quaedam differentiarum essentialium nobis ignotarum.

[83124] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 17Sed hoc modo est haec differentia dividenda habens pedes: scilicet: huiusmodi animalium, aliud est habens pedes scissos, et aliud non scissos. Istae enimsunt differentiae pedis, scilicet scissum et non scissum. Et ideo habens pedes scissos, per se dividet hanc differentiam quae est habens pedes. Scissio enim pedis est quaedam pedalitas: idest haec differentia quae est habere pedes scissos, est quoddam contentum sub hoc quod est habere pedes; et habent se adinvicem sicut determinatum et indeterminatum, sicut diximus de genere et differentia.

[83125] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 18Et ita semper procedendum est in divisione differentiarum, donec dividens veniat ad non differentia, idest ad ultimas differentias, quae non dividuntur ulterius in alias differentias; et tunc tot erunt species pedis quot differentiae: et species animalium habentium pedes aequales differentiis. Quaelibet enim individualis differentia constituet unam speciem specialissimam.

[83126] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 19Deinde cum dicit si itaque ostendit ex suppositis, quod multitudo differentiarum non impedit unitatem definitionis. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo inducit conclusionem intentam, ibi, quare palam et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo ex multis differentiis fit unum, si differentiae per se sumuntur. Secundo, quod hoc non potest esse si sumantur per accidens, ibi, si vero secundum accidens. Dicit ergo primo, quod si sic se habent differentiae acceptae in definitione sicut dictum est, scilicet quod semper sumantur per se differentiae et non per accidens, palam est quod ultima differentia erit tota substantia rei, et tota definitio. Includit enim in se omnes praecedentes particulas.

[83127] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 20Quod enim in differentia includatur genus, ostensum est, ex hoc quod genus non est sine differentiis. Sed quod ultima includat omnes praecedentes, palam est ex hoc quod nisi hoc dicatur, sequitur quod oporteat in terminis, idest definitionibus, multoties eadem dicere. Et hoc erit superfluum et nugatorium.

[83128] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 21Hoc autem inconveniens ideo accidit, quia si aliquis dicat in definiendo animal habens pedes bipes, quod oportebit eum dicere si bipes sit alia differentia ab habente pedes, non includens eam, nihil aliud dixit sic definiens, quam animal habens pedes, duos pedes habens. Bipes enim nihil aliud est quam duos pedes habens; in quo manifeste includitur, pedes habens. Unde patet quod, si utraque apponatur differentia, est nugatio.

[83129] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 22Et iterum si hoc quod est bipes dividat aliquis propria divisione, idest per ea quae sunt per se et non per accidens, sequetur ulterius multoties dici idem, et toties quot sumuntur differentiae. Ut si dicam quod animalis bipedis, aliud est habens pedes scissos in quinque digitos, aliud in quatuor: si quis vellet, definiens hominem, ponere omnes differentias intermedias, toties repeteret idem, quot differentias apponeret. Diceret enim quod homo est animal pedes habens, duos pedes habens, scissos in quinque digitos.

[83130] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 23Et quia ista sunt inconvenientia, igitur manifestum est quod si in definitione accipiantur differentiae, una erit ultima, scilicet quae est species et substantia, idest quae substantiam et speciem definiti comprehendet, et ab eius unitate definitio erit una.

[83131] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 24Deinde cum dicit si vero ostendit, quod hoc non potest dici si differentiae per accidens sumantur; dicens, quod si aliquis in dividendo et definiendo accipiat differentiam secundum accidens, sicut si dividatur quod habentium pedes, aliud est album, aliud est nigrum, tot erunt ultimae differentiae, quot factae sunt divisiones; quia una earum alteram non includet. Et de differentiis sic sumptis, procedebat ratio superius inducta contra unitatem definitionis. Huiusmodi enim differentiae sic per accidens acceptae non essent unum nisi subiecto; quod non sufficit ad unitatem definitionis.

[83132] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 25Deinde cum dicit quare palam concludit propositum. Et circa hoc duo facit. Primo ponit conclusionem; dicens, quod palam est ex praedictis quod quamvis in definitione ponatur genus et differentia, tamen definitio est ratio ex differentiis tantum, quia genus non est praeter differentias, ut supra dictum est. Et quamvis ponantur multae differentiae in definitione, tamen tota definitio dependet et constituitur ex ultima, quando fit divisio secundum rectum, idest a communiori ad minus commune descendendo secundum per se differentias, et non accipiendo quasi a latere differentias per accidens.

[83133] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 26Secundo ibi, palam autem manifestat conclusionem inductam per quoddam signum, dicens, palam autem erit, scilicet quod tota definitio constituatur ex ultima differentia, ex hoc quod, si quis transponat partes talium definitionum, sequetur inconveniens. Sicut si aliquis dicat definitionem hominis esse animal bipes, habens pedes. Ex quo enim dictum est bipes, superfluum est apponere, pedes habens. Sed si diceretur primo pedes habens, adhuc restaret inquirendum, utrum esset bipes, dividendo pedes habens.

[83134] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 27Ex hoc patet quod illae differentiae, secundum quod sunt multae, habent inter se ordinem determinatum. Non autem hoc potest intelligi quod in substantia rei sit aliquis ordo. Non enim potest dici, quod hoc substantiae sit prius, et illud posterius; quia substantia est tota simul et non per successionem, nisi in quibusdam defectivis, sicut sunt motus et tempus.

[83135] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 28Unde patet quod multae partes definitionis non significant multas partes essentiae ex quibus essentia constituatur sicut ex diversis; sed omnes significant unum quod determinatur ultima differentia. Patet etiam ex hoc, quod cuiuslibet speciei est una tantum forma substantialis; sicut leonis una est forma per quam est substantia, et corpus, et animatum corpus, et animal, et leo. Si enim essent plures formae secundum omnia praedicta, non possent omnes una differentia comprehendi, nec ex eis unum constitueretur.

[83136] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 12 n. 29Concludit ergo finaliter recapitulando, quod nunc primo tot sint dicta de definitionibus quae accipiuntur secundum divisiones generis in differentias, et differentiae in differentias quales quaedam sunt, quia videlicet sunt ex his quae praedicantur per se, et continentes in se partes speciei, et etiam unaquaeque est unum. Haec enim in praecedentibus de definitionibus sunt ostensa. Dicit autem primum, quia in sequentibus de definitione et quod quid est, aliqua determinantur.

LEÇON 12.

(nn. 1537-1565; [640-649]).

 

Il cherche à savoir comment il se fait que la définition signifie toujours l’un et comment il se fait que l’un existe.

 

1537. Après avoir montré quelles parties sont placées dans la définition, le Philosophe se demande ici comment la définition, qui existe à partir de plusieurs parties, peut être une : et à ce sujet il fait trois choses.

   En premier lieu il soulève la difficulté [640]. En deuxième lieu il argumente en faveur de chacune des parties, là [641] où il dit : ¨ Car en cela l’homme ¨. En troisième lieu il répond à la question, là [644] où il dit : ¨ Il faut cependant chercher etc.¨.

   Il dit donc en premier lieu [640] qu’il faut maintenant dire au sujet de la définition ce qu’on n’en dit pas ¨dans les analytiques¨, c’est-à-dire dans le livre des Seconds Analytiques. Là en effet est soulevée une difficulté sur la définition à laquelle on ne répond pas mais qu’on doit résoudre ici ¨parce qu’elle est utile à nos raisonnements sur la substance¨, c’est-à-dire parce que la réponse à ce problème est très nécessaire à ce qu’on doit déterminer sur la substance, laquelle est l’objectif principal de cette science. Cette difficulté est la suivante : pourquoi cela même dont la définition est l’énonciation, à savoir la quiddité, ¨est un¨. En effet, la définition est une énonciation qui signifie la quiddité, tout comme la définition de l’homme est animal bipède. En supposant en effet que ce soit bien là sa définition, pourquoi donc cela, qu’on appelle animal bipède, est-il un et non multiple?

1538. Ensuite lorsqu’il dit [641] : ¨ Car dans ce cas ¨.

   Il argumente en faveur de l’affirmative et de la négative et il le fait d’abord pour montrer qu’il ne peut y avoir unité à partir des parties [641]. En deuxième lieu il argumente pour montrer qu’il doit y avoir unité, là [643] où il dit : ¨ Mais il faut qu’il y ait unité ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que l’unité ne peut provenir du genre et de la différence [641]. En deuxième lieu, il montre qu’elle ne peut provenir non plus de plusieurs différences, là [642] où il dit : ¨ Si par ailleurs il participe ¨.

   Il dit donc en premier lieu [641] que dans le cas de homme et blanc, il y a multiplicité quand l’un des deux n’appartient pas à l’autre. Si en effet le blanc n’appartient pas à l’homme, alors l’homme et le blanc ne sont un d’aucune manière. D’un autre côté ils sont un quand l’un des deux appartient à l’autre et que le sujet, qui est l’homme ¨est affecté par l’autre¨, c’est-à-dire qu’il reçoit cet état qui est le blanc. Mais alors ce qui est ainsi obtenu à partir de ces deux notions, à savoir l’homme blanc, est un par accident. À partir de là on admet qu’à partir de deux choses, dont l’une n’est pas dans l’autre, on ne peut parvenir à une seule. Mais ¨ici¨, c’est-à-dire lorsqu’on dit animal bipède, ¨l’un des deux¨, c’est-à-dire l’animal, ne participe pas ¨de l’autre¨, c’est-à-dire de bipède, comme l’homme blanc participe de la blancheur. Et il en est ainsi parce que animal est le genre et que bipède est une différence. Le genre par ailleurs ne semble pas participer des différences. Il s’ensuivrait en effet qu’une même chose participerait simultanément des contraires. Les différences en effet sont les contraires ¨par lesquels le genre se divise¨, c’est-à-dire par lesquels le genre est divisé; et pour la même raison pour laquelle il participerait d’une différence, il participerait aussi de l’autre. Mais s’il est impossible que la même chose participe simultanément des contraires il sera impossible qu’à partir du genre et de la différence on parvienne à l’unité.

1539. Ensuite lorsqu’il dit [642] : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il montre qu’à partir de plusieurs différences on ne peut parvenir à l’unité, en disant que même si on accordait que le genre participe d’une certaine façon de la différence, c’est-à-dire dans la mesure où l’animal ne se prend pas dans son universalité, mais qu’il se limite à l’espèce au moyen de la différence et qu’ainsi par conséquent à partir du genre et de la différence on parviendrait à quelque chose d’un, cependant là encore la même raison vaudrait pour montrer que la définition ne signifie pas une unité s’il y a plusieurs différences dans la définition qu’on présente. Par exemple, si on présente dans la définition de l’homme ces trois différences, dont la première est pédestre, la deuxième bipède et la troisième sans ailes, il ne sera pas davantage possible de dire pourquoi ces trois prédicats constituent une unité plutôt qu’une multiplicité.

1540. Pour montrer cela en effet il ne suffit pas de dire que ces prédicats appartiennent à un seul et même sujet, par exemple à cet animal qui est un homme; s’il en était ainsi en effet, il s’ensuivrait que tous les accidents qui appartiennent à un sujet constitueraient une unité par soi. Nous parlons ici d’une unité entre les accidents eux-mêmes et d’une unité entre les accidents et le sujet. Et puisque les accidents d’un sujet sont aussi les accidents d’un autre sujet, il s’ensuivrait que ces deux sujets seraient un seul et même être, par exemple la neige et le cygne auxquels appartient la blancheur. Et il s’ensuivrait ainsi par conséquent que tous les êtres n’en seraient plus qu’un. On ne peut donc dire qu’à partir de plusieurs différences on puisse parvenir à une unité, même en concédant que l’un puisse résulter du genre et de la différence. Et ainsi, d’un côté comme de l’autre, on ne voit pas comment la définition pourrait signifier l’unité.

1541. Ensuite lorsqu’il dit [643] : ¨ Mais il faut ¨.

   Il argumente en faveur de la position contraire, en montrant que la définition signifie l’unité; et il dit qu’il faut que tout ce qui est placé dans la définition soit véritablement un. Et il en ainsi parce que la définition est une seule et même énonciation et que ce qui est signifié par elle est la substance de la chose. D’où il faut que la définition soit l’énonciation signifiant une seule et même chose car la substance de la chose, que la définition signifie, est une chose une. Et nous avons même dit plus haut que la définition signifie un être déterminé, où nous avons montré que la définition se rapporte proprement aux substances.

1542. Ensuite lorsqu’il dit [644] : ¨ Mais il faut ¨.

   Il résout la difficulté qui précède en montrant que la définition signifie l’unité et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il montre comment l’un provient du genre et de la différence. En deuxième lieu il montre comment l’un provient de plusieurs différences, là [645] où il dit : ¨ Et par ailleurs il faut que soit divisée ¨.

   Il dit donc en premier lieu [644] que pour conduire une recherche sur l’unité de la définition il faut d’abord porter son attention sur les définitions qui sont données d’après la division du genre en ses différences. Telles sont en effet les véritables définitions, dans lesquelles il n’y a rien d’autre que le genre premier et les différences. Il y a en effet certaines définitions qui s’obtiennent au moyen de certains accidents, de certaines propriétés et même de certaines causes extérieures, et qui ne signifient pas l’essence de la chose. Et c’est pourquoi de telles définitions ne se rapportent pas à notre propos puisqu’on traite ici des définitions qui se rapportent à notre recherche sur les substances des choses.

1543. Et c’est pourquoi je dis que dans la définition on retrouve le genre premier avec les différences car bien que parfois sont inclus dans les définitions certains genres intermédiaires entre le genre premier qui est le plus universel et les espèces dernières qui sont définies, cependant ces genres intermédiaires ne sont rien d’autre que le genre premier et les différences incluses dans l’intelligence du genre intermédiaire ¨avec cela¨, c’est-à-dire avec le genre premier. Par exemple, si dans la définition de l’homme on inclut l’animal, qui est le genre intermédiaire, il est évident que l’animal n’est rien d’autre que la substance, qui est le genre premier, avec certaines différences. En effet, l’animal est une substance animée et sensible. Et il en serait de même si nous entendions le genre premier comme étant l’animal, ¨ayant deux pieds¨ et le troisième genre comme étant ¨l’animal ayant deux pieds et sans ailes¨. Et il en est de même si un genre se trouve à être déterminé par plusieurs différences. Toujours en effet le genre second comprend le premier avec une différence. Et il est ainsi évident que toute définition se résout dans un genre premier et dans certaines différences.

1544. Et cela ne change absolument rien que le défini soit défini par plusieurs ou par peu de termes. Aussi, il importe peu qu’il soit défini par peu de termes ou par deux, pourvu que l’un des deux soit le genre et l’autre la différence. Par exemple, pour l’animal bipède, l’animal est le genre et l’autre, à savoir bipède, est la différence. Il faut donc montrer en premier comment il se fait qu’à partir de ces deux éléments on obtienne une unité et cela devient évident de la manière qui suit.

1545. Le genre en effet n’est pas en dehors des espèces qui lui sont immanentes. En effet, on ne peut rencontrer un animal qui ne soit ni un bœuf, ni un homme, ni un autre être de cette sorte. Ou s’il se trouve quelque chose qui est un genre en dehors des espèces, entendu comme existant en dehors des espèces, il ne se prend plus alors comme un genre, mais comme une matière. Il arrive en effet que quelque chose soit à la fois un genre et une matière pour certaines choses. Par exemple le son de voix est à la fois le genre et la matière des lettres. Et qu’il en soit le genre, cela est évident du fait que ce sont les différences ajoutées au son de voix qui produisent les espèces des sons de voix que sont les lettres. Et qu’il en soit la matière, cela aussi est évident car ¨à partir de lui¨, c’est-à-dire à partir du son de voix, ¨les éléments sont produits¨, c’est-à-dire les lettres, de la même manière qu’une chose est produite à partir d’une matière.

1546. Il faut cependant savoir que bien que le genre et la matière puissent être identiques par le nom, ils ne s’entendent cependant pas de la même manière. La matière en effet est une partie intégrale de la chose et c’est pourquoi elle ne peut être attribuée à la chose. On ne peut dire en effet que l’homme soit la chair et les os. Mais le genre s’attribue à l’espèce. C’est pourquoi il faut qu’il signifie à la manière d’un tout. En effet, tout comme pour cette raison qu’on est en présence d’une privation sans nom, la matière avec la privation est parfois nommée par le nom simple de la matière, comme nous avons dit plus haut que l’airain se prend pour l’airain sans figure, comme lorsque nous disons que la statue provient de l’airain; de même encore, quand la forme n’est pas nommée, le composé de matière et de forme, non pas déterminée mais commune, se comprend par le nom simple de la matière; et il s’entend ici comme un genre. En effet, tout comme le composé de matière et de forme déterminée est l’espèce, de même le composé de matière et de forme commune est le genre.

1547. Et cela se vérifie dans de nombreux cas. En effet le corps peut se prendre à la fois comme la matière de l’animal et comme un genre. Si en effet on comprend le corps comme étant une substance complétée par sa forme dernière et possédant en lui trois dimensions, le corps est alors considéré comme un genre et ses espèces seront des substances achevées au moyen de leurs formes dernières et déterminées, comme par la forme de l’or, de l’argent, de l’olive ou de l’homme. Si d’un autre côté on ne comprend le corps que comme ce qui possède trois dimensions avec une aptitude à recevoir une forme dernière, alors le corps est vu comme étant une matière.

1548. Et il en est de même pour le son de voix. Si en effet ce qu’on entend par son de voix inclut la formation commune du son de voix d’après une forme qui se divise en différentes sortes de lettres et de syllabes, alors le son de voix se prend comme un genre. Mais si on entend par son de voix uniquement la substance du son auquel il peut survenir la formation dont on vient de parler, alors le son de voix est considéré comme la matière des lettres. Et à partir de là on peut aussi voir que le son de voix pris en tant que genre ne peut exister sans ses espèces. En effet, il ne peut exister un son de voix formé qui ne possède pas la forme déterminée de telle ou telle autre lettre. Mais si, en tant que matière, il est totalement privé de forme, il se trouvera alors sans lettres, tout comme l’airain se présente sans les formes qui sont produites à partir de lui.

1549. Si donc ce que nous venons de dire est vrai, il est évident que la définition est une énonciation possédant une unité à partir des différences, de telle manière que toute l’essence de la définition se comprend en un sens dans la différence. En effet, du fait que l’animal, qui est le genre, ne peut exister sans ses espèces parce que les formes des espèces, qui sont les différences, ne sont pas des formes différentes de la forme du genre, mais sont les formes du genre avec une détermination. Ainsi, on voit que l’animal est ce qui possède une âme sensitive et que l’homme est celui qui possède ¨telle¨ âme sensitive, c’est-à-dire celle qui s’accompagne de la raison. D’un autre côté le lion est celui qui ¨possède telle¨ autre âme sensitive, c’est-à-dire celle qui s’accompagne de beaucoup de courage. Et il en est de même pour le reste. De là, lorsque la différence est ajoutée au genre, elle ne lui est pas ajoutée comme une essence distincte du genre, mais comme quelque chose qui est comme contenu implicitement dans le genre, comme le déterminé est contenu dans l’indéterminé, par exemple le blanc dans la couleur.

1550. Et par là on se trouve aussi à répondre à l’argument présenté plus haut; car rien n’empêche que le même genre contienne en lui plusieurs différences, tout comme l’indéterminé contient en lui différentes déterminations. Et c’est encore pour cette raison qu’il y a résolution, car la différence n’advient pas au genre comme une essence qui existerait en dehors de lui comme il arrive à l’homme d’être blanc.

1551. Ensuite lorsqu’il dit [645] : ¨ Et d’un autre côté ¨.

   Il montre que la multiplicité des différences n’empêche pas non plus l’unité de la définition.

  Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre comment doit se prendre la multiplicité des différences dans la définition. En deuxième lieu il montre que si les différences sont prises de la manière qui convient, la multitude des différences ne sera pas un obstacle à l’unité de la définition, là [646] où il dit : ¨ C’est pourquoi si ¨.

   Il dit donc en premier lieu [645] que dans les définitions dans lesquelles on retrouve plusieurs différences, il faut non seulement que le genre soit divisé en une différence, mais il faut aussi que la première différence soit divisée en une deuxième différence. Tout comme une différence du genre animal est ¨d’avoir des pieds¨, d’après laquelle on dit de l’animal qu’il a des pieds ou qu’il est pédestre. Mais parce que cette différence se présente aussi de plusieurs manières, il faut de plus savoir quelle différence il y a parmi les animaux ayant des pieds et qui est la vraie différence de cet animal en tant que tel, c’est-à-dire ¨en tant qu’il possède des pieds¨, c’est-à-dire une différence par soi et non par accident.

1552. Et parce qu’il arrive à celui qui possède des pieds d’avoir aussi des ailes, il ne faut pas dire, en divisant cette différence, que ceux qui possèdent des pieds se divisent d’une part en ceux qui ont des ailes et d’autre part en ceux qui n’en ont pas, si l’homme désire bien opérer la division des différences. Mais parfois néanmoins celui qui divise les différences ¨fait cela¨, c’est-à-dire qu’il opère sa division au moyen de ce qui est par accident pour cette raison qu’il ne peut arriver à trouver les différences propres et par soi. Parfois en effet la nécessité nous pousse à nous servir des différences par accident au lieu des différences par soi, dans la mesure où elles sont des signes des différences essentielles qui nous sont inconnues.

1553. Mais c’est de la manière suivante qu’il faut opérer la division parmi ¨ceux qui ont des pieds¨ : parmi les animaux de cette sorte, il y a ceux qui ont les pieds fendus et ceux dont les pieds ne sont pas fendus. En effet, telles ¨sont les différences du pied¨, c’est-à-dire fendus et non fendus. Et c’est pourquoi la possession de pieds fendus est une division par soi de cette différence qui est d’avoir des pieds. En effet, la séparation qu’il y a dans le pied est ¨une certaine manière d’être du pied¨ : c’est-à-dire que cette différence qui consiste à avoir les pieds fendus est contenue sous le fait d’avoir des pieds; et les deux se rapportent l’un à l’autre comme le déterminé à l’indéterminé, comme nous l’avons dit du rapport qu’il y a entre le genre et la différence.

1554. Et ainsi on doit toujours procéder dans la division des différences jusqu’à ce que ¨la division parvienne à une absence de différence¨, c’est-à-dire jusqu’aux dernières différences qui ne se divisent plus par la suite en d’autres différences; et alors il y aura autant d’espèces de pieds qu’il y a de différences entre eux, et les espèces animales pourvues de pieds seront en nombre égal aux différences. En effet, toute différence individuelle constitue une espèce ultime.

1555. Ensuite lorsqu’il dit [646] : ¨ C’est pourquoi si ¨.

   Il montre à partir de ce qu’il a posé que la multitude des différences n’est pas un obstacle à l’unité de la définition.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il manifeste le propos [646]. En deuxième lieu il infère la conclusion recherchée, là [648] où il dit : ¨ C’est pourquoi il est évident etc.¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre comment à partir de plusieurs différences on obtient l’unité si les différences sont prises par soi [646]. En deuxième lieu il montre que ce résultat ne peut être atteint si les différences sont prises par accident, là [647] où il dit : ¨ Si d’un autre côté la division en est une par accident ¨.

   Il dit donc en premier lieu [646] que si les différences reçues dans la définition se présentent ¨telles que nous l’avons dit¨, c’est-à-dire de telle sorte qu’elles sont toujours prises par soi et non par accident, alors il est clair que la dernière différence sera toute la substance de la chose et toute sa définition, puisqu’elle contient en elle tous les éléments qui précèdent.

1556. En effet, que le genre soit inclus dans la différence, on le voit du fait que le genre n’existe pas sans les différences. Mais que la dernière différence contienne toutes les précédentes, cela est évident du fait que si on ne le soutient pas, il s’ensuit qu’il faudra ¨dans les termes¨, c’est-à-dire dans les définitions, plusieurs fois répéter la même chose. Et cela serait inutile et superflu.

1557. Et cet inconvénient se produit pour cette raison que si quelqu’un donne comme définition animal ¨doté de pieds et bipède¨, il faudra lui dire que si bipède est une différence distincte de ¨doté de pieds¨ et ne l’inclut pas, il ne dit rien d’autre, en définissant de la sorte, que l’animal ayant des pieds a deux pieds. Bipède en effet ne signifie rien d’autre que d’avoir deux pieds, ce qui inclut manifestement le fait d’avoir des pieds. D’où il est clair que si on présente les deux différences, il y aura répétition.

1558. Et de plus si on divise bipède ¨par la division qui lui est propre¨, c’est-à-dire par des traits qui lui appartiennent par soi et non par accident, il s’ensuivra par la suite de nombreuses répétitions autant qu’on adoptera de différences. Par exemple, si je disais que l’animal bipède se divise en ceux qui ont les pieds séparés en cinq doigts et en ceux qui en ont quatre, et qu’on voulait, en définissant l’homme, présenter toutes les différences intermédiaires, on répéterait autant de fois la même chose qu’on apporterait de différences. On dirait en effet ainsi que l’homme est un animal ayant des pieds, ayant deux pieds, deux pieds séparés en cinq doigts.

1559. Et parce qu’il ne convient pas de procéder ainsi, il est donc évident que si dans la définition on reçoit plusieurs différences, il y en aura une seule, la dernière, c’est-à-dire ¨celle qui est la forme et la substance¨, c’est-à-dire celle qui comprendra la forme et la substance du défini et par l’unité de laquelle la définition sera une.

1560. Ensuite, lorsqu’il dit [647] : ¨ Si d’un autre côté ¨.

   Il montre qu’on ne peut plus parler ainsi si les différences se prennent par accident, en disant que si en divisant et en définissant les différences se prennent par accident, par exemple si on divise ceux qui sont dotés de pieds en ceux qui sont noirs et ceux qui sont blancs, il y aura autant de différences dernières qu’on fera de divisions, car aucune d’elles ne contiendra l’autre. Et c’est des différences prises en ce sens que procède l’argument présenté plus haut contre l’unité de la définition. En effet, ce n’est que par le sujet que de telles différences prises par accident peuvent parvenir à l’unité, ce qui est insuffisant pour causer l’unité de la définition.

1561. Ensuite lorsqu’il dit [648] : ¨ C’est pourquoi il est évident ¨.

   Il conclut son propos.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente la conclusion en disant qu’il est évident à partir de ce qui précède que bien que dans la définition on présente le genre et la différence, cependant la définition est une énonciation formée à partir des différences seulement car le genre n’est pas en dehors des différences ainsi que nous l’avons dit plus haut. Et bien qu’on présente plusieurs différences dans la définition, cependant toute la définition dépend et est constituée de la dernière différence quand la division est opérée ¨en ligne droite¨, c’est-à-dire en descendant du plus commun au moins commun conformément aux différences par soi et non en accueillant de tous côtés des différences par accident.

1562. En deuxième lieu, là [649] où il dit : ¨ Mais il est clair ¨.

   Il manifeste au moyen d’un signe la conclusion qu’il vient de présenter, en disant ¨Mais il apparaîtra clairement¨ c’est-à-dire que toute la définition est constituée de la dernière différence du fait que si on intervertit les parties de telles définitions, il s’ensuit un problème. Par exemple, si on dit que l’homme est un animal bipède doté de pieds. En effet, du fait qu’on dise de l’homme qu’il est bipède, il est superflu d’ajouter qu’il a des pieds. Mais si on disait d’abord qu’il est un animal doté de pieds, il resterait en outre à se demander, en faisant une division parmi ceux qui sont dotés de pieds, s’il est bipède.

1563. À partir de là il est clair que ces différences, selon qu’elles sont multiples, possèdent entre elles un ordre déterminé. Mais cela ne peut se comprendre d’après une succession qu’on retrouverait dans la substance de la chose. On ne peut dire en effet que cet élément de la substance est antérieur et que tel autre est postérieur; car la substance dans sa totalité existe simultanément et non par succession, sauf pour certaines choses qui présentent une imperfection comme le mouvement et le temps.

1564. D’où il est clair que les nombreuses parties de la définition ne signifient pas de nombreuses parties de l’essence à partir desquelles l’essence serait constituée comme à partir d’une multiplicité de termes; au contraire, toutes ces parties signifient une unité qui se trouve à être déterminée par la dernière différence. Il est encore clair à partir de là qu’à toute espèce ne correspond qu’une seule forme substantielle; par exemple, pour l’espèce du lion il n’y a qu’une seule forme par laquelle il est à la fois substance, corps, corps animé, animal et lion. Si en effet il y avait plusieurs formes correspondant à chacun des prédicats énumérés, elles ne pourraient toutes être saisies par une seule différence, et aucune unité ne pourrait être constituée à partir d’elles.

1565. Il conclut donc à la fin par un résumé en disant que pour cette fois, telles sont les choses que nous avons établies sur les définitions qui sont opérées selon des divisions du genre en ses différences, et de la différence en d’autres différences ¨qui sont de cette sorte¨, c’est-à-dire qui sont faites à partir des parties qui s’attribuent par soi, qui contiennent en elles les parties de l’espèce et qui contribuent toutes à l’unité de la définition. Ces choses en effet ont été manifestées dans des livres précédents sur les définitions. Mais il dit ¨pour cette fois¨ parce que par la suite, certains points se trouvent à être précisés sur la définition et la quiddité.

 

 

LECTIO 13

[83137] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 1Postquam determinavit philosophus de substantia secundum quod substantia dicitur quod quid est, hic determinat de substantia secundum quod universale a quibusdam dicitur substantia; et circa hoc duo facit. Primo continuat se ad praecedentia. Secundo prosequitur suam intentionem, ibi, videtur autem impossibile. Dicit ergo primo, quod quia in ista scientia est principalis perscrutatio de substantia, oportet iterum redire ad divisionem substantiae, ut videatur quid est dictum, et quid restat dicendum. Dicitur autem substantia, ut ex praedictis patet, id quod est tamquam subiectum, scilicet materia, quae se habet ad formam substantialem sicut subiectum, quod est substantia completa, ad formam accidentalem. Et alio modo dicitur substantia quod quid erat esse, quod pertinet ad formam. Tertio modo dicitur substantia quod ex his, idest compositum ex materia et forma. Et quarto modo dicitur substantia a quibusdam universale.

[83138] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 2Haec autem divisio substantiae hic posita in idem redit cum divisione posita in principio huius septimi, licet videatur esse diversa. Ibi enim posuit quatuor: scilicet subiectum, quod quid erat esse, et universale, et genus: et subiectum divisit in tria: scilicet in materiam et formam et compositum. Et, quia iam manifestum est quod quod quid erat esse se tenet ex parte formae, ponit quod quid erat esse, loco formae. Item, quia genus commune eadem ratione ponitur substantia qua et universale, ut ostendetur, concludit utrumque sub uno modo: et sic remanent tantum quatuor modi, qui hic ponuntur.

[83139] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 3De duobus ergo istorum modorum dictum est. Dictum est enim de quod quid erat esse, et iterum de subiecto, quod dicitur dupliciter. Uno modo sicut id quod est aliquid, et ens actu, sicut animal subiicitur suis passionibus, et quaecumque substantia particularis suis accidentibus. Alio modo sicut materia prima subiicitur actui, idest formae substantiali. De his autem dictum est, ubi ostensum est quomodo partes materiae pertineant ad speciem vel ad individuum. Sed quia non solum materia et quod quid est videntur esse causae, sed etiam universale quibusdam, scilicet Platonicis, videtur maxime esse causa et principium, ideo de hoc, scilicet universali, tractabimus in hoc eodem septimo. De substantiis autem compositis et sensibilibus tractabitur in octavo; quarum ea, quae in hoc septimo tractantur, sunt quasi principia.

[83140] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 4Deinde cum dicit videtur enim incipit inquirere utrum universalia sint substantiae: et dividitur in duas partes. In prima ostendit quod universalia non sunt substantiae, sicut quidam posuerunt. Secundo ostendit quantum ad quid recte dixerunt hoc ponentes, et quantum ad quid erraverunt, ibi, sed species dicentes hic quidem dicunt recte. Circa primum duo facit. Primo ostendit in communi quod universalia non sunt substantiae. Secundo specialiter de uno et ente, quae maxime ponebantur esse substantiae rerum, ibi, quoniam vero unum dicitur. Prima dividitur in duas. In prima ostendit, quod universalia non sunt substantiae. In secunda, quod non sunt separata, ibi, manifestum autem ex his. Circa primum duo facit. Primo ostendit universalia non esse substantias ex ea parte qua universalia praedicantur de multis. Secundo ex ea parte qua species ex universalibus componuntur, sicut ex partibus definitionis, ibi, amplius autem et impossibile et inconveniens. Dixerat enim superius in quinto, quod genus quodammodo est totum, inquantum praedicatur de pluribus, et quodammodo est pars, inquantum ex genere et differentia constituitur species. Circa primum duo facit. Primo enim ostendit, quod universale non est substantia, cum de pluribus praedicetur. Secundo excludit quamdam cavillosam responsionem, ibi, sed an sic quidem non contingit.

[83141] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 5Sciendum est autem, ad evidentiam huius capituli, quod universale dupliciter potest accipi. Uno modo pro ipsa natura, cui intellectus attribuit intentionem universalitatis: et sic universalia, ut genera et species, substantias rerum significant, ut praedicantur in quid. Animal enim significat substantiam eius, de quo praedicatur, et homo similiter. Alio modo potest accipi universale inquantum est universale, et secundum quod natura praedicta subest intentioni universalitatis: idest secundum quod consideratur animal vel homo, ut unum in multis. Et sic posuerunt Platonici animal et hominem in sua universalitate esse substantias.

[83142] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 6Quod Aristoteles in hoc capitulo intendit reprobare, ostendens quod animal commune vel homo communis non est aliqua substantia in rerum natura. Sed hanc communitatem habet forma animalis vel hominis secundum quod est in intellectu, qui unam formam accipit ut multis communem, inquantum abstrahit eam ab omnibus individuantibus. Ponit ergo ad propositum duas rationes.

[83143] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 7Circa quarum primam dicit, quod videtur ex sequentibus rationibus impossibile esse, quodcumque eorum, quae universaliter praedicantur, esse substantiam, secundum scilicet quod in sua universalitate accipitur. Quod primo probatur ex hoc, quod substantia uniuscuiusque, est propria ei, et non inest alii. Sed universale est commune multis, hoc enim dicitur universale, quod natum est multis inesse et de multis praedicari. Si ergo universale est substantia, oportet quod sit alicuius substantia. Cuius ergo substantia erit? Aut enim oportet quod sit substantia omnium, quibus inest, aut unius. Non est autem possibile quod sit substantia omnium: quia unum non potest esse substantia pluribus. Plura enim sunt quorum substantiae sunt plures et diversae.

[83144] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 8Sed si dicatur, quod sit substantia unius eorum quibus inest, sequetur quod omnia alia, quibus inest, sint illud unum, quibus ponitur esse substantia. Oportet enim quod pari ratione, eorum etiam sit substantia, cum et eis similiter insit. Quorum autem substantia est una, et quod quid erat esse unum, oportet et ipsa esse unum. Relinquitur ergo, quod ex quo universale non potest esse substantia omnium, de quibus dicitur, nec unius alicuius, quod nullius sit substantia.

[83145] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 9Sciendum autem quod ideo dicit quod universale est quod natum est pluribus inesse, non autem quod pluribus inest; quia quaedam universalia sunt quae non continent sub se nisi unum singulare, sicut sol et luna. Sed hoc non est quin ipsa natura speciei quantum est de se sit nata esse in pluribus; sed est aliquid aliud prohibens, sicut quod tota materia speciei comprehendatur in uno individuo, et quod non est necessarium multiplicari secundum numerum speciem, quae in uno individuo potest esse perpetua.

[83146] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 10Secundam rationem ponit ibi, amplius substantia dicit quod substantia dicitur, quae non est de subiecto: et dicitur universale semper de aliquo subiecto: ergo universale non est substantia. Videtur autem ratio haec non valere. Dictum est enim in praedicamentis, quod de ratione substantiae est, quod non sit in subiecto. Praedicari vero de subiecto non est contra rationem substantiae. Unde ponuntur ibi secundae substantiae quae praedicantur de subiecto.

[83147] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 11Sed dicendum quod secundum logicam considerationem loquitur philosophus in praedicamentis. Logicus autem considerat res secundum quod sunt in ratione; et ideo considerat substantias prout secundum acceptionem intellectus subsunt intentioni universalitatis. Et ideo quantum ad praedicationem, quae est actus rationis, dicit quod praedicatur de subiecto, idest de substantia subsistente extra animam. Sed philosophus primus considerat de rebus secundum quod sunt entia; et ideo apud eius considerationem non differt esse in subiecto et de subiecto. Hic enim accipit dici de subiecto, quod est in se aliqua res et inest alicui subiecto existenti in actu. Et hoc impossibile est esse substantiam. Sic enim haberet esse in subiecto. Quod est contra rationem substantiae: quod etiam in praedicamentis est habitum.

[83148] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 12Deinde cum dicit sed an sic quidem excludit quamdam cavillosam responsionem, qua posset aliquis obviare primae rationi, in qua dixerat, quod omnia sunt unum, quorum substantia et quod quid est sunt unum. Posset enim aliquis dicere, quod universale non est sicut substantia, ut quod quid erat esse, quod quidem sit proprium uni. Et ideo ad hoc excludendum philosophus dicit sed an. Potest dici obviando rationi primo inductae, quod non contingit universale esse substantiam, sicut quod quid erat esse est substantia; sed tantum est substantia in ipsis particularibus existens, sicut animal in homine et equo. Non enim ita est natura animalis in homine, quod sit propria ei, cum sit etiam equi. Quasi dicat, non potest sic responderi.

[83149] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 13Sequitur enim, si hoc quod est animal commune, sit substantia, quod huius substantiae sit aliqua ratio. Nec differt ad propositum si non est ratio definitiva omnium quae sunt in substantia, idest quae ponuntur in definitione, ne in infinitum procedatur in definitionibus, sed oportet omnes partes cuiuslibet definitionis iterum definiri. Nihil enim minus illa substantia oportet quod sit alicuius, licet non habeat definitionem, quam si haberet. Sicut si dicamus, quod licet hoc ipsum, quod est homo communis, non habeat definitionem, tamen oportet quod sit hominis substantia in quo existit, ipsius scilicet hominis communis. Quare idem accidit quod et prius; quia oportebit quod ista substantia communis, licet non ponatur propria alicui inferiorum, tamen erit propria illius substantiae communis in qua prima existit. Sicut si animal commune sit quaedam substantia, animal per prius praedicabitur de illa communi substantia, et significabit eius substantiam propriam, sive sit definibile, sive non. Unde non poterit, ex quo haec substantia est propria uni, de multis praedicari.

[83150] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 14Deinde cum dicit amplius autem ostendit, quod universale non est substantia, accipiendo rationes ex ea parte, qua universale est pars definitionis et essentiae. Et circa hoc duo facit. Primo ponit rationes ad propositum. Secundo excludit quamdam dubitationem, ibi, habet autem quod accidit dubitationem. Circa primum ponit quatuor rationes. Quarum primam ponit dicens, quod impossibile et inconveniens est, id quod est hoc aliquid et substantia, non esse ex substantiis, nec ex his quae sunt hoc aliquid, sed ex his quae significant quale, si tamen est ex aliquibus. Quod dicit propter substantias simplices. Sequitur enim, quod cum ea, ex quibus est aliquid, sint priora, quod prius sit id quod est non substantia, sed quale, eo quod est substantia, et eo quod est hoc aliquid. Quod est impossibile: quia impossibile est passiones et qualitates et accidentia esse priores substantia ratione, aut tempore, aut generatione.

[83151] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 15Quod enim non sint priores ratione, supra ostensum est, ex eo quod substantia ponitur in definitione accidentium et non e converso. Item quod non sint priores tempore, ex hoc supra probatum est, ex quo etiam hic probatur, quia sequeretur quod passiones essent separabiles a substantiis, quod est impossibile. Esse autem prius generatione continetur sub eo quod est prius tempore. Omne enim quod est prius generatione, est etiam prius tempore, licet non e converso. Ea enim, quae non habent ordinem ad generationem alicuius, licet sint priora tempore, non tamen sunt priora generatione: sicuti equus non est prior generatione leone, qui nunc est, licet sit prior tempore. Partes autem ex quibus aliquid constituitur, sunt priores generatione, et per consequens tempore, et quandoque etiam ratione, sicut supra ostensum est. Unde impossibile est quod ex non substantiis componatur substantia. Universalia autem significant non substantiam et hoc aliquid, sed significant quale quid, ut in praedicamentis dicitur de secundis substantiis. Ergo patet quod ex universalibus, si sunt quaedam res praeter singularia, non possunt componi singularia, quae sunt hoc aliquid.

[83152] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 16Sed videtur quod haec ratio inconvenienter procedat. Secundae enim substantiae, quae sunt genera et species in genere substantiae, etsi non significent hoc aliquid, sed quale, non tamen significant hoc modo quale, sicut passiones, quae significant qualitatem accidentalem, sed significant qualitatem substantialem. Ipse autem procedit hic ac si significarent qualitatem accidentalem.

[83153] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 17Sed dicendum est quod, si universalia sint res quaedam, sicut Platonici ponebant, oportebit dicere, quod non solum qualitatem substantialem, sed accidentalem significent. Omnis enim qualitas quae est alia res ab eo cuius est qualitas, est accidentalis. Sicut albedo est alia res a corpore cuius est qualitas, et est in eo cuius est qualitas sicut in subiecto; et ideo est accidens. Si ergo universalia, inquantum universalia sunt, sint res quaedam, oportebit quod sint aliae res a singularibus, quae non sunt universalia. Et ideo, si significant qualitatem eorum, oportet quod insint eis sicut substantiis. Et per consequens quod significent qualitatem accidentalem.

[83154] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 18Sed ponentibus quod genera et species non sunt aliquae res vel naturae aliae a singularibus, sed ipsamet singularia, sicut quod non est homo qui non sit hic homo, non sequitur quod secundae substantiae significent accidens vel passionem.

[83155] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 19Secundam rationem ponit ibi, amplius Socrati. Dicit, quod si universalia sunt substantiae, sequitur quod Socrati inerit substantiae substantia. Si enim omnia universalia sunt substantiae; sicut homo est substantia Socratis, ita animal erit substantia hominis. Et ita istae duae substantiae, una quae est homo, et alia quae est animal, erunt in Socrate. Et hoc est quod concludit: quare duorum erit substantia, idest: quare sequitur, quod hoc quod dico animal, sit substantia non solum hominis, sed etiam Socratis. Et ita una substantia erit in duobus; cum tamen supra ostensum sit, quod una substantia non est nisi unius.

[83156] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 20Et non solum in Socrate hoc accidit quod dictum est, sed totaliter in omnibus accidit, si homo et alia quae sic dicuntur sicut species, sint substantiae, et quod nihil eorum quae ponuntur in ratione specierum sit substantia, neque quod possit esse sine illis, in quorum definitione ponuntur, vel quod sint in aliquo alio, aut quod sit ipsummet aliud. Sicut quod non erit quoddam animal praeter aliqua animalia, idest praeter species animalis. Et similiter est de omnibus aliis quae ponuntur in definitionibus, sive sint genera, sive differentiae. Et hoc ideo, quia, cum species sint substantiae, si ea etiam quae in definitionibus specierum ponuntur sint substantiae, in singularibus erunt plures substantiae, et una substantia erit plurium, ut de Socrate dictum est. Patet igitur ex dictis, quod nullum universale est substantia; et nullum eorum quae communiter praedicantur, significat hoc aliquid, sed quale.

[83157] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 21Tertiam rationem ponit ibi, si autem. Dicit, quod si praedicta conclusio non concedatur, accident multa inconvenientia: inter quae erit unum, quod oportebit ponere tertium hominem. Quod quidem potest exponi dupliciter. Uno modo ut praeter duos homines singulares, qui sunt Socrates et Plato, sit tertius homo, qui est communis. Quod quidem non est inconveniens secundum ponentes ideas, licet secundum rectam rationem inconveniens videatur.

[83158] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 22Alio modo, ut praeter hominem singularem et communem, ponatur tertius, cum communicent in nomine et ratione, sicut et duo homines singulares, praeter quos ponitur tertius homo communis, et ob hanc causam, scilicet quia communicant in nomine et definitione.

[83159] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 23Quartam rationem ponit ibi amplius autem. Dicit, quod universalia non sunt substantiae secundum hanc rationem. Impossibile est enim aliquam substantiam esse ex pluribus substantiis, quae sunt in ea actu. Duo enim, quae sunt in actu, nunquam sunt unum actu; sed duo, quae sunt in potentia, sunt unum actu, sicut patet in partibus continui. Duo enim dimidia unius lineae sunt in potentia in ipsa linea dupla, quae est una in actu. Et hoc ideo, quia actus habet virtutem separandi et dividendi. Unumquodque enim dividitur ab altero per propriam formam. Unde ad hoc quod aliqua fiant unum actu, oportet quod omnia concludantur sub una forma, et quod non habeant singula singulas formas, per quas sint actu. Quare patet, quod si substantia particularis est una, non erit ex substantiis in ea existentibus actu; et sic, si est ex universalibus, universalia non erunt substantiae.

[83160] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 24Et secundum hunc modum Democritus recte dicit, quod impossibile est unum fieri ex duobus, et ex uno fieri duo. Est enim intelligendum, quod duo in actu existentia, nunquam faciunt unum. Sed ipse non distinguens inter potentiam et actum, posuit magnitudines indivisibiles esse substantias. Voluit enim, quod sicut in eo quod est unum, non sunt multa in actu, ita nec in potentia. Et sic quaelibet magnitudo est indivisibilis. Vel aliter. Recte, inquam, dixit Democritus, supposita sua positione, qua ponebat magnitudines indivisibiles esse etiam rerum substantias, et sic esse semper in actu, et ita ex eis non fieri unum. Et sicut est in magnitudinibus, ita est in numero, si numerus est compositio unitatum, sicut a quibusdam dicitur. Oportet enim quod vel dualitas non sit unum quid, sive quicumque alius numerus; sive quod unitas non sit actu in ea. Et sic dualitas non erunt duae unitates, sed aliquid ex duabus unitatibus compositum. Aliter numerus non esset unum per se et vere, sed per accidens, sicut quae coacervantur.

[83161] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 25Deinde cum dicit habet autem movet dubitationem circa praedicta; dicens, quod id, quod accidit ex praedictis, habet dubitationem. Dictum est enim, quod ex universalibus non potest esse aliqua substantia, propter hoc quod universale non significat hoc aliquid, sed quale. Secundo dictum est, quod ex substantiis in actu non potest esse aliqua substantia. Et sic videtur sequi, quod substantia non potest componi neque ex substantiis: ergo sequitur quod omnis substantia sit incomposita. Et ita, cum definitiones non dentur de substantiis incompositis (quod patet per hoc quod definitio est ratio habens partes, ut supra dictum est), sequitur, quod nullius substantiae sit definitio. Sed omnibus videtur, ut supra ostensum est, quod definitio, vel est solum substantiae, vel eius maxime. Nunc autem conclusum est, quod substantiae non sit definitio: ergo sequitur quod nullius sit definitio.

[83162] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 13 n. 26Dicendum est autem ad praedictam dubitationem, quod quodam modo substantia est ex substantiis, quodam modo non. Hoc autem erit manifestum magis ex posterioribus in hoc capitulo, et in octavo. Est enim ex substantiis in potentia, sed non in actu.

LEÇON 13.

(nn. 1566-1591; [650-658]).

 

On montre par de nombreux raisonnements que les universels ne sont pas des substances, ni ceux qui sont attribués à plusieurs ni ceux qui sont posés dans les définitions.

 

1566. Après avoir déterminé de la substance selon qu’elle se dit de la quiddité, le Philosophe détermine ici de la substance selon qu’elle se dit de l’universel d’après certains; et à ce sujet il fait deux choses.

   En premier lieu il fait suite à ce qui précède [650]. En deuxième lieu il poursuit son propos, là [651] où il dit : ¨ Mais il semble impossible ¨.

   Il dit donc en premier lieu [650] que parce que dans cette science l’examen principal porte sur la substance, il faut encore faire un retour sur la division de la substance pour voir ce qui a été dit et ce qu’il reste à dire. Mais on appelle substance, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède, ce qui est ¨le sujet¨, c’est-à-dire la matière qui est à la forme substantielle ce que la substance complète est à la forme accidentelle, c’est-à-dire une sorte de sujet. Et en un autre sens on appelle substance la quiddité qui se rapporte à la forme. Et en un troisième sens on appelle substance ¨ce qui existe à partir d’elles¨, à savoir le composé de matière et de forme. Et en un quatrième sens, d’après certains, c’est aussi l’universel qui reçoit cette appellation.

1567. Mais la division de la substance présentée ici revient à la même division qui a été présentée au début de ce septième livre, bien qu’elle paraisse être différente. Là en effet on présentait quatre divisions, à savoir le sujet, la quiddité, l’universel et le genre; et il divisait le sujet en trois parties, à savoir la matière, la forme et le composé. Et, parce qu’il est déjà évident que la quiddité se tient du côté de la forme, c’est pourquoi il présente la quiddité au lieu de la forme. En outre, parce que le genre commun est posé comme substance pour la même raison que l’universel l’est aussi, comme on le montrera, il enferme les deux sous une seule et même modalité de la substance et il ne demeure ainsi que les quatre modalités de la substance qui sont présentées ici.

1568. Nous avons donc parlé de deux de ces modalités. Nous avons en effet parlé de la quiddité et en outre du sujet qui se dit de deux manières. En un premier sens comme ce qui est quelque chose et un être en acte, comme l’animal est le sujet de ses propriétés, et comme toute substance particulière qui est le sujet de ses accidents. En un autre sens le sujet s’entend comme la matière première qui est ¨le sujet de l’acte¨, c’est-à-dire de la forme substantielle. Mais nous avons parlé de ces significations de la substance où nous avons montré comment les parties de la matière appartiennent à l'espèce ou à l’individu. Mais parce que non seulement la matière et la quiddité se présentent comme des causes mais aussi parce que, ¨aux yeux de certains¨, c’est-à-dire des Platoniciens, l’universel semble être une cause et un principe au sens fort du mot, c’est pourquoi ¨de cela¨, c’est-à-dire de l’universel, nous traiterons dans ce même septième livre.

1569. Ensuite lorsqu’il dit [651] : ¨ Il semble en effet ¨.

   Il commence la recherche visant à savoir si les universels sont des substances; et il divise cette étape en deux parties.

   Dans la première il montre que les universels ne sont pas des substances, contrairement à ce que certains soutenaient [651]. Dans la deuxième il montre sous quel rapport ont bien parlé ceux qui soutenaient cette opinion et sous quel rapport ils se sont trompés, là [681] où il dit : ¨ Mais ceux qui parlent en faveur des Idées parlent certes ici correctement ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que les universels en général ne sont pas des substances [651]. En deuxième lieu il le montre au sujet de l’un et de l’être en particulier dont on affirmait surtout qu’ils sont des substances, là [678] où il dit : ¨D’un autre côté puisque l’un se dit¨.

   La première section se divise en deux. Dans la première il montre que les universels ne sont pas des substances [651]. Dans la deuxième il montre qu’ils ne sont pas séparés, là [659] où il dit : ¨Mais il est manifeste à partir de là¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que les universels ne sont pas des substances pour cette raison qu’ils s’attribuent à plusieurs [651]. En deuxième lieu il montre que les universels ne sont pas des substances pour cette raison que les espèces sont composées des universels qui sont comme les parties de la définition, là [654] où il dit : ¨ Mais en outre il est impossible et absurde ¨. Il avait dit en effet plus haut au cinquième livre que le genre est en un sens un tout dans la mesure où il s’attribue à plusieurs et qu’en un autre sens il est comme une partie dans la mesure où l’espèce est constituée à partir du genre et de la différence.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu en effet il montre que l’universel ne peut être une substance puisqu’il s’attribue à plusieurs [651]. En deuxième lieu il écarte une réponse quelque peu subtile, là [653] où il dit : ¨ Mais s’il ne peut arriver que l’universel soit ainsi substance ¨.

1570. Il faut cependant savoir, pour bien comprendre ce chapitre, que l’universel peut se prendre de deux manières. En un premier sens on peut prendre l’universel comme étant la nature elle-même à laquelle l’intelligence attribue une intention d’universalité : et ainsi les universels, comme les genres et les espèces, signifient les substances des choses alors qu’ils sont attribués à ce qui existe dans les choses. En effet, animal signifie la substance de ce à quoi il est attribué et il en est de même pour homme. En un autre sens, l’universel peut se prendre en tant qu’universel et selon que la nature dont on vient de parler est soumise à l’intention d’universalité, c’est-à-dire selon qu’on considère l’animal ou l’homme comme étant une unité existant dans plusieurs. Et c’est en ce sens que les Platoniciens affirmaient que l’animal et l’homme, dans leur universalité, sont des substances.

1571. Et c’est là une position qu’Aristote cherche à réfuter dans ce chapitre en montrant que l’animal commun ou l’homme commun n’est pas une substance dans la nature des choses. Mais la forme de l’animal ou celle de l’homme possède cette universalité selon qu’elle existe dans l’intelligence qui reçoit une forme comme étant commune à plusieurs dans la mesure où elle la tire de tous les individus. Et il présente à ce propos deux raisons.

1572. Et pour ce qui est de la première de ces raisons [651], il dit qu’il semble, à partir des raisons qui suivent, qu’il soit impossible que ce qui s’attribue universellement, pris dans son universalité, quel qu’il soit, soit une substance. Ce qui se prouve en premier lieu à partir de ceci que pour toute chose, la substance est propre à cette chose et n’appartient pas à une autre chose. Mais l’universel est commun à plusieurs car en effet on appelle universel ce qui est apte à appartenir à plusieurs et à s’attribuer à plusieurs. Si donc l’universel est substance, il faut qu’il soit substance de quelque chose. Mais de quoi donc sera-t-il la substance? Ou bien en effet il faudra qu’il soit la substance de tous ceux auxquels il appartient, ou bien il sera la substance d’un seul. Mais il n’est pas possible qu’il soit la substance de tous : car le même ne peut être la substance de plusieurs. En effet ceux qui sont multiples sont ceux dont les substances sont multiples et différentes.

1573. Mais si on disait que l’universel est la substance d’un seul de ceux auxquels il appartient, il s’ensuivrait que toutes les autres choses auxquelles il appartient et pour lesquelles on affirme que l’universel est une substance, seront cet unique individu. Il faut en effet qu’il soit aussi la substance de ces autres choses pour cette même raison qu’il leur appartient également. Mais les êtres dont la substance est une et dont la quiddité est une doivent aussi eux-mêmes être un seul et même être. Il reste donc que, du fait que l’universel ne peut être la substance de tous ceux auxquels il s’attribue ni d’un seul parmi eux, il n’est la substance d’aucun.

1574. Il faut cependant savoir qu’il dit que l’universel est ce qui est apte à appartenir à plusieurs et non pas ce qui appartient à plusieurs, pour cette raison qu’il y a certains universels qui ne contiennent en eux qu’un seul individu, comme c’est le cas pour le soleil et la lune. Mais ce n’est pas que la nature même de l’espèce quant à elle-même ne soit pas apte à exister dans plusieurs, mais il y a quelque chose qui l’en empêche, comme lorsque toute la matière de l’espèce est contenue dans un seul individu ou qu’il n’est pas nécessaire que l’espèce soit multipliée selon le nombre puisque cette espèce peut se trouver à être éternelle dans un seul individu.

1575. Il présente le deuxième raisonnement là [652] où il dit : ¨ En outre la substance ¨.

   Il dit qu’on appelle substance ce qui n’est pas prédicat d’un sujet et on appelle universel ce qui se dit toujours d’un sujet : donc, l’universel n’est pas une substance. – Mais il semble que ce raisonnement ne soit pas valide. Il a été dit en effet dans les Prédicaments qu’il est de la nature même de la substance de ne pas être dans un sujet. Par ailleurs, l’attribution à un sujet n’est pas contraire à la nature de la substance. D’où il suit que ce sont là les substances secondes dont on dit qu’elles sont attribuées à un sujet.

1576. Mais il faut dire que c’est du point de vue du logicien que parle le Philosophe dans les Prédicaments. Mais le logicien considère les choses selon qu’elles sont dans la raison; et c’est pour cette raison qu’il considère les substances dans la mesure où selon l’acception de l’intelligence elles sont soumises à l’intention d’universalité. Et c’est pour cette raison, quant à l’attribution qui est un acte de la raison, il dit que la substance s’attribue ¨à un sujet¨, c’est-à-dire à la substance qui subsiste en dehors de l’âme. Mais la philosophie première s’intéresse aux choses selon qu’elles sont des êtres; et c’est pour cette raison que de son point de vue il n’y a pas de différence entre être dans un sujet et d’être attribué à un sujet. De ce point de vue en effet s’attribuer à un sujet se prend de ce qui est en soi une chose et qui appartient à un sujet existant en acte. Et il est impossible que cela soit une substance. De cette manière effet la chose posséderait une existence dans un sujet et cela est contraire à la définition même de la substance, ce qui se trouve à être établi aussi dans les Prédicaments.

1577. Ensuite lorsqu’il dit [653] : ¨ Mais s’il ne peut certes l’être ainsi ¨.

   Il écarte une réponse quelque peu subtile par laquelle on pourrait s’opposer au premier raisonnement dans lequel il avait dit que tous les êtres sont un dont la substance et la quiddité sont une. Quelqu’un pourrait dire en effet que l’universel n’est pas comme une substance à la manière d’une quiddité qui serait propre à un seul être. Et c’est pour cette raison que, pour écarter cela, le Philosophe dit ¨Mais est-ce que¨. On pourrait dire pour s’opposer au premier raisonnement présenté que l’universel n’est pas une substance à la manière dont la quiddité est une substance, mais qu’il est seulement une substance existant dans les cas particuliers, comme l’animal dans l’homme et dans le cheval. En effet la nature de l’animal dans l’homme n’est pas telle qu’elle lui appartient en propre puisqu’elle appartient aussi au cheval. C’est comme s’il disait qu’on ne peut répondre de cette manière.

1578. Il suit en effet, si ce qui est l’animal commun est une substance, qu’il y aura une définition de cette substance. Et il ne change rien au propos s’il n’y a pas de définition pour tous les éléments ¨qui sont dans la substance¨, c’est-à-dire qui sont placés dans la définition, afin qu’on ne procède pas à l’infini dans les définitions, mais il faut que toutes les parties de la définition soient en outre définies. Même s’il ne possédait pas de définition, il n’en faudrait pas moins que l’animal en général soit la substance de quelque chose, que s’il en avait une. C’est comme si nous disions que bien que cela même qui est l’homme en général ne possède pas de définition, il faut cependant qu’il soit la substance de l’homme dans lequel il existe, à savoir de l’homme commun. C’est pourquoi il se produira la même conséquence que précédemment; car il faudra que cette substance commune, bien qu’elle ne soit pas posée comme étant propre à un des inférieurs, soit cependant propre à cette substance commune dans laquelle elle existe en premier. Par exemple, si l’animal commun était une substance, animal s’attribuerait en premier lieu à cette substance commune et signifierait la substance qui lui est propre, qu’elle soit définissable ou non. Et de là il ne serait pas possible que cette substance soit attribuée à plusieurs du fait qu’elle serait propre à un seul.

1579. Ensuite lorsqu’il dit [654] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il montre que l’universel n’est pas une substance en tirant ses raisonnements de ce côté, à savoir selon que l’universel se prend comme une partie de la définition et de l’essence.

   Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il présente les raisonnements qui sont ordonnés au propos [654]. En deuxième lieu il écarte une difficulté, là [658] où il dit : ¨ Mais notre conclusion entraîne une difficulté ¨.

   Au sujet du premier point il présente quatre raisonnements, dont le premier [654], en disant qu’il est impossible et absurde qu’un être déterminé et une substance ne proviennent ni de substances ni d’êtres déterminés, mais de ce qui signifie la qualité, si jamais ils peuvent en provenir. Et il dit cela en raison des substances simples. Il s’ensuivrait en effet, puisque ce d’où une chose provient est antérieur à cette chose, que ce qui serait antérieur ne serait pas la substance mais la qualité qui serait antérieure à ce qui est substance et à ce qui est un être déterminé. Ce qui est impossible : car il est impossible que les propriétés, les qualités et les accidents soient antérieurs à la substance, que ce soit par la raison, par le temps ou par la génération.

1580. Et qu’ils ne soient pas antérieurs par la raison, nous l’avons montré plus haut, du fait que c’est la substance qui est placée dans la définition des accidents et non l’inverse. Qu’ils ne soient pas non plus antérieurs par le temps, nous l’avons montré plus haut à partir de ce que nous l’avons aussi prouvé ici, car il s’ensuivrait que les propriétés seraient séparables des substances, ce qui est impossible. Mais ce qui est premier dans l’ordre de la génération est contenu dans ce qui est premier dans l’ordre chronologique. En effet, ce qui est premier dans l’ordre de la génération est aussi premier dans le temps, bien que l’inverse ne soit pas nécessairement vrai. En effet, les choses qui ne sont pas ordonnées à la génération d’un être, bien qu’elles soient premières dans le temps, ne sont cependant pas premières dans l’ordre de la génération : par exemple, bien que le cheval qui existe maintenant soit antérieur au lion dans l’ordre du temps, il ne lui est cependant pas antérieur dans l’ordre de génération. Mais les parties à partir desquelles un être est constitué sont antérieures à cet être dans l’ordre de génération et par conséquent dans l’ordre du temps et parfois même dans l’ordre de la raison ainsi que nous l’avons montré plus haut. D’où il est impossible qu’une substance soit composée à partir de ce qui n’est pas une substance. Mais les universels signifient ce qui n’est ni substance ni un être déterminé, mais ils signifient plutôt la qualité ainsi qu’on le dit dans les Prédicaments au sujet des substances secondes. Ainsi donc il est clair qu’à partir des universels, s’ils sont des réalités existant en dehors des individus, on ne peut produire des individus qui sont des êtres déterminés.

1581. Mais il semble que ce raisonnement ne procède pas correctement. Les substances secondes en effet, lesquelles sont les genres et les espèces contenues dans le genre de la substance, bien qu’elles ne signifient pas tel individu déterminé mais une qualité, elles ne signifient cependant pas la qualité à la manière d’une propriété ou d’une détermination qui signifie une qualité accidentelle, mais elles signifient une qualité substantielle. Mais le Philosophe procède ici comme si les substances secondes signifiaient des qualités accidentelles.

1582. Mais il faut dire que si les universels étaient certaines réalités ainsi que le soutenaient les Platoniciens, il faudrait dire alors que ces universels ne signifient pas seulement des qualités substantielles mais aussi des qualités accidentelles. En effet, toute qualité qui est une réalité distincte de ce dont elle est une qualité, est accidentelle. Par exemple, la blancheur est une réalité distincte du corps dont elle est une qualité et elle existe comme dans un sujet dans ce dont elle est une qualité : et c’est pourquoi elle est une qualité accidentelle. Si donc les universels, en tant qu’universels, sont des réalités, il faudra qu’ils soient des réalités autres que les individus qui ne sont pas des universels. Et c’est pourquoi, s’ils signifient leurs qualités, il faudra qu’ils existent en eux comme dans des substances, et par conséquent qu’ils signifient une qualité accidentelle.

1583. Mais pour ceux qui posent que les genres et les espèces ne sont pas des réalités ou des natures autres que les individus mais qu’ils sont les individus eux-mêmes, par exemple qu’il n’existe pas d’homme qui ne soit pas cet homme, il ne s’ensuit pas que les substances secondes signifient l’accident ou la propriété.

1584. Il présente le deuxième raisonnement, là [655] où il dit : ¨ En outre, de Socrate ¨.

   Il dit que si les universels sont des substances, il dit qu’à Socrate appartiendra une substance d’une substance. Si en effet tous les universels sont des substances, comme l’homme qui est la substance de Socrate, de même l’animal sera la substance de l’homme. Et ainsi ces deux substances, dont l’une est l’homme et l’autre l’animal, seront dans Socrate. Et c’est là ce qu’il conclut : ¨C’est pourquoi il y aura substance de deux choses¨, c’est-à-dire : c’est pourquoi il s’ensuit que ce que j’appelle animal sera substance non seulement de l’homme, mais aussi de Socrate. Et ainsi une substance existera dans deux choses, bien que nous ayons montré plus haut qu’une substance n’appartient qu’à un seul être.

1585. Et ce que nous venons de dire se produira non seulement dans Socrate mais dans absolument tout, si l’homme est une substance et que de telles espèces ou Idées sont des substances; il en résulte que rien de ce qui est placé dans la définition des espèces n’est une substance, ni ce qui peut exister sans les autres dans la définition desquelles il est placé, ni ce qui existe dans un autre ni quoique ce soit d’autre. Par exemple, il n’y aura pas quelque autre animal ¨en dehors des animaux particuliers¨, c’est-à-dire en dehors des espèces animales particulières. Et il en est de même pour tous les autres éléments qui sont placés dans les définitions, que ce soient les genres ou les différences. Et il en est ainsi parce que, si les Idées sont des substances, et que même ce qui est placé dans les définitions des Idées est une substance, il y aura alors plusieurs substances dans les individus et il y aura aussi une même substance pour plusieurs êtres comme nous l’avons dit pour Socrate. Il est donc clair à partir de ce qui précède qu’aucun universel n’est une substance et que rien de ce qui est attribué universellement n’est un être déterminé, mais seulement une qualité de l’être.

1586. Il présente le troisième raisonnement là [656] où il dit : ¨ Mais autrement ¨.

   Il dit que si la conclusion qui précède n’est pas concédée, plusieurs inconvénients résulteront dont celui-ci : il faudra poser l’existence d’un troisième homme. Et cela peut s’expliquer de deux manières. Premièrement en ce sens qu’en dehors de ces deux hommes individuels qui sont Socrate et Platon, il y aura un troisième homme commun aux deux premiers. Ce qui n’est certes pas un inconvénient aux yeux de ceux qui posent l’existence des Idées, mais c’en est un pour ceux dont la raison est droite.

1587. Deuxièmement en ce sens qu’en dehors de l’homme individuel et de l’homme commun, puisqu’ils communiquent par le nom et par la définition, il y en aura un troisième homme, tout comme en dehors des deux hommes individuels on affirmait l’existence d’un troisième homme pour cette même raison qu’ils communiquent par le nom et par la définition.

1588. Il présente le quatrième raisonnement là [657] où il dit : ¨ Mais en outre ¨.

   Et il dit que les universels ne sont pas des substances d’après la raison qui suit. Il est impossible en effet qu’une substance provienne de plusieurs substances qui existent en acte en elle. En effet deux choses en acte n’en sont jamais une seule en acte. Mais deux choses qui existent en puissance peuvent en être une seule en acte ainsi qu’on peut le voir dans les parties du continu. En effet, les deux moitiés d’une même ligne existent en puissance dans la ligne elle-même qui est une en acte. Et il en est ainsi parce que l’acte possède une puissance de séparation et de division. En effet, toute chose est divisée par une autre grâce à la forme qui est propre à cet autre. De là, pour que plusieurs éléments deviennent une seule chose en acte, il faut qu’ils soient tous rassemblés sous une même forme et que chacun d’eux ne possède pas une forme individuelle grâce à laquelle il existe en acte. C’est pourquoi il est clair que si une substance particulière est une, elle ne proviendra pas de substances qui existent en acte en elle; et ainsi, si elle provient des universels, les universels ne seront pas des substances.

1589. Et c’est en ce sens que Démocrite parle correctement quand il dit qu’il est impossible qu’une chose provienne de deux choses. En effet cela doit être compris dans le sens que deux choses qui existent en acte n’en produisent jamais une seule en acte. Mais lui-même, ne faisant pas la distinction entre la puissance et l’acte, affirma que les étendues indivisibles sont des substances. Il voulait en effet, tout comme dans ce qui est un il n’y a pas plusieurs êtres en acte, que de même il n’y ait pas non plus plusieurs êtres en puissance. Et il s’ensuivait ainsi que toute grandeur est indivisible. Ou bien encore, Démocrite parla correctement à partir de sa position par laquelle il soutenait que les grandeurs indivisibles sont aussi les substances des choses et qu’ainsi elles existent toujours en acte et que l’un ne peut provenir d’elles. Et il en est pour le nombre comme pour les grandeurs si le nombre est une composition d’unités comme certains l’affirment. Il faut en effet ou bien que la dyade, ou tout autre nombre, ne soit pas une chose une ou bien que l’unité n’existe pas en acte en elle. Et ainsi le nombre deux ne sera pas deux unités, mais un composé de deux unités. Autrement le nombre ne serait pas véritablement un par soi, mais il serait un par accident, comme les choses qui sont entassées ou juxtaposées.

1590. Ensuite lorsqu’il dit [658] : ¨ Mais ceci présente ¨.

   Il soulève une difficulté relativement à ce qui précède, en disant que ce qui résulte de ce qui précède présente une difficulté. Nous avons dit en effet qu’une substance ne peut provenir des universels pour cette raison que l’universel ne signifie pas un être déterminé mais une qualité. Deuxièmement nous avons dit qu’une substance ne peut provenir de plusieurs substances en acte. Et il semble ainsi s’ensuivre qu’une substance ne peut être composée non plus à partir de substances : il s’ensuit donc qu’aucune substance n’est composée. Et ainsi, puisqu’on ne donne pas de définitions pour les substances qui ne sont pas composées (ce qui est évident du fait qu’une définition est une énonciation qui possède des parties, ainsi que nous l’avons dit plus haut), il s’ensuit qu’aucune substance ne se verrait attribuer une définition. Mais il apparaît clairement à tous, ainsi que nous l’avons montré plus haut, que la définition se rapporte soit seulement aux substances, soit surtout à elles. Et maintenant on conclut néanmoins qu’il n’y a pas de définition pour la substance : il s’ensuit donc que rien ne peut être défini.

1591. Il faut cependant dire à l’encontre de la difficulté qui précède qu’en un sens une substance provient de substances et qu’en un autre sens elle n’en provient pas. Mais cela sera plus évident dans la suite de ce chapitre et au huitième livre. En effet, une substance provient de substances en puissance et non de substances en acte.

 

 

LECTIO 14

[83163] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 1Postquam philosophus ostendit universalia non esse substantias absolute, hic ostendit, quod non sunt substantiae a sensibilibus separatae: et dividitur in partes duas. In prima ostendit, quod universalia non sunt substantiae separatae. In secunda manifestat quoddam, quod in superioribus dubium reliquerat, ibi, manifestum autem est quod substantiarum. Circa primum duo facit. Primo ostendit universalia non esse substantias separatas. Secundo ostendit quod si sunt separatae, non sunt definibiles, ibi, quoniam vero substantia altera. Circa primum duo facit. Primo ostendit inconvenientia, quae sequuntur ponentibus universalia esse substantias separatas, comparando genus ad species. Secundo comparando genus ad individua, ibi, amplius autem in sensibilibus. Circa primum tria facit. Primo proponit quamdam divisionem. Secundo prosequitur primum membrum divisionis, ibi, ratione namque palam. Tertio secundum, ibi, sed si alterum in unoquoque. Dicit ergo primo, quod ex praedictis etiam manifestum esse potest quid accidat de inconvenientibus, dicentibus ideas esse substantias et separabiles, quae dicuntur esse species universales, et simul cum hoc ponentibus speciem esse ex genere et differentiis. Hae enim duae positiones simul coniunctae, scilicet quod species componantur ex genere et differentia, et quod species universales sunt substantiae separatae, quae dicuntur ideae, ducunt ad inconvenientia. Si enim ponantur species esse separatae, constat quod unum genus est in pluribus speciebus simul, sicut animal in homine et equo. Aut ergo hoc ipsum quod est animal in homine et equo existens, est unum et idem numero; aut alterum in homine, et alterum in equo. Inducit autem hanc divisionem, quia Plato ponebat ideas specierum, non autem generum, cum tamen poneret communiter universalia esse substantias.

[83164] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 2Deinde cum dicit ratione namque prosequitur primum membrum divisionis. Et primo ostendit, quod sit unum et idem animal. Secundo ostendit inconvenientia, quae sequuntur hoc posito, ibi, si quidem ergo. Dicit ergo, quod manifestum est, quod animal est unum et idem in homine et equo secundum rationem. Si enim assignetur ratio animalis secundum quod dicitur de utrolibet, scilicet homine vel equo, eadem ratio assignabitur, quae est substantia animata sensibilis: univoce enim praedicatur genus de speciebus, sicut et species de individuis. Si ergo propter hoc, quod species praedicatur secundum unam rationem de omnibus individuis, est aliquis homo communis, qui est ipsum quod est homo secundum se existens, et est hoc aliquid, idest quoddam demonstrabile subsistens et separatum a sensibilibus, sicut Platonici ponunt; necesse est pari ratione et ea, ex quibus species constat, scilicet genus et differentiam, ut animal et bipes, significare similiter hoc aliquid, et esse separabilia a suis inferioribus, et esse substantias per se existentes. Quare sequitur quod animal erit unum numero per se existens, quod praedicatur de homine et equo.

[83165] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 3Deinde cum dicit si quidem ostendit inconvenientia, quae sequuntur ex hoc posito: quae sunt tria. Primum est, quia cum genus sit in specie sicut substantiam rei significans, sic erit animal in equo, sicut tu es in teipso, qui es substantia tuiipsius. Sic autem non est possibile aliquod unum esse in pluribus separatim existentibus. Non enim tu es nisi in teipso. Es enim in pluribus non separatim existentibus, sicut in carnibus et ossibus, quae sunt tui partes. Animal igitur si sit unum et idem, non poterit esse in pluribus speciebus, ut in homine et equo; cum species separatae secundum Platonicos sint quaedam substantiae adinvicem diversae.

[83166] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 4Secundum ponit ibi, et quare homo enim, quia est unum de multis praedicatum secundum Platonicos, non ponitur in particularibus, sed extra ea. Si ergo sit unum animal, quod praedicatur de omnibus speciebus; quare hoc ipsum quod est animal universale non est sine ipso, scilicet sine equo vel quacumque alia specie, ut per se separatum existens? Non potest ratio conveniens assignari ab eis.

[83167] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 5Tertium ponit ibi, deinde si dicens: constat, quod species constituitur ex genere et differentia. Aut igitur hoc est per hoc, quod genus participat differentiam sicut subiectum participat accidens, ut hoc modo intelligamus ex animali et bipede fieri hominem, sicut ex albo et homine fit homo albus; aut per aliquem alium modum.

[83168] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 6Et si quidem species fiat per hoc, quod genus participat differentiam, sicut quod animal per participationem bipedis fit homo, et per participationem multipedis fit equus, vel polypus, accidit aliquid impossibile. Cum enim genus, quod praedicatur de diversis speciebus, ponatur esse una substantia, sequitur quod contraria simul insunt ipsi animali, quod in se est unum et hoc ens, scilicet demonstrabile. Differentiae enim, quibus dividitur genus, sunt contrariae.

[83169] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 7Si autem non sit ex animali et bipede homo per modum participationis, quis modus erit cum aliquis dixerit animal esse bipes vel gressibile, constituens ex his duobus unum? Quasi dicat: de facili non potest assignari. Et ideo subiungit, sed forsan componitur, quasi dicat: numquid poterit dici, quod ex his duobus fiat unum per compositionem sicut domus fit ex lapidibus; aut per copulationem, sicut arca fit ex lignis conclavatis; aut per mixtionem, sicut electuarium fit ex speciebus alteratis? His enim modis invenitur ex duabus vel pluribus substantiis per se existentibus aliquid unum fieri.

[83170] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 8Sed omnes isti modi sunt inconvenientes. Non enim possent genus et differentiae praedicari de specie, sicut nec partes compositae vel copulatae vel mixtae praedicantur de suis totis. Et praeterea unum non venit in compositionem diversorum totaliter; sed partes divisim sunt, ita quod una pars eius sit in compositione huius et alia in compositione alterius, sicut una pars ligni venit in compositione domus, et alia in compositione arcae. Unde, si ex animali et bipede fieret homo et avis, modis praedictis, sequeretur quod non tota natura animalis esset in homine nec in ave, sed alia et alia pars. Et sic iterum non esset idem animal in utroque.

[83171] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 9Deinde cum dicit sed si alterum prosequitur secundum membrum divisionis; dicens, quod inconveniens sequitur si ponatur non unum animal esse in omnibus speciebus. Ducit autem ad quatuor inconvenientia: quorum primum ponit sic dicens. Ostensum est quid sequatur ponentibus universalia esse substantias, si ponatur unum animal esse in omnibus speciebus. Sed propter hoc potest aliquis dicere, quod sit alterum animal in unaquaque specie: ergo erunt infinita quorum substantia est animal, ut est consequens dicere ad praedictam positionem. Est enim animal substantia cuiuslibet speciei contentae sub animali. Non enim potest dici quod homo fiat ex animali secundum accidens, sed per se: et ita animal ad substantiam equi pertinet, et bovis, et aliarum specierum, quae sunt fere infinitae. Quod autem aliquod unum cedat in substantia infinitorum, videtur esse inconveniens.

[83172] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 10Secundum inconveniens ponit ibi, amplius multa dicit, quod sequitur etiam quod ipsum animal, idest substantia animalis universalis, erit multa, quia animal, quod est in unaquaque specie, est substantia illius speciei, de qua praedicatur. Non enim praedicatur de specie sicut de quodam alio diverso a se in substantia. Si autem non praedicatur animal de homine sicut de diverso poterit dici convenienter, quod homo erit ex illo, scilicet ex animali, sicut ex sua substantia; et quod illud, scilicet animal, sit etiam genus eius, praedicatum de eo in eo quod quid est. Relinquitur ergo, quod sicut illa de quibus praedicatur animal, sunt multa, ita ipsum animal universale esse multa.

[83173] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 11Deinde cum dicit et amplius ponit tertium inconveniens; dicens, quod ulterius ex praedictis sequitur, quod omnia illa, ex quibus est homo, scilicet superiora genera et differentiae, sint ideae; quod est contra positionem Platonicorum, qui ponebant solas species esse ideas particularium, genera vero et differentias non esse ideas specierum. Et hoc ideo, quia idea est proprie exemplar ideati secundum suam formam. Forma autem generis non est propria formis specierum, sicut forma speciei est propria individuis, quae conveniunt secundum formam, et differunt secundum materiam.

[83174] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 12Sed, si sunt diversa animalia secundum diversas species, unicuique speciei respondebit aliquid in substantia sui generis, sicut propria idea; et ita etiam erunt genera ideae, et similiter differentiae. Non ergo alteri universalium erit quod sit idea, et alteri quod sit substantia, sicut Platonici ponebant, dicentes quidem genera esse substantias specierum, species vero ideas individuorum. Impossibile namque est ita esse, ut ostensum est. Sequitur igitur ex praedictis quod ipsum animal, idest substantia animalis universalis, sit unumquodque eorum quae sunt in animalibus idest quae continentur inter species animalis.

[83175] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 13Quartum ponit ibi, amplius ex dicit quod iterum videtur esse dubium ex quo constituatur hoc quod est homo, et quomodo constituatur ex ipso animaliscilicet universali, aut quomodo possibile est animal esse, quod substantia hoc ipsum praeter ipsum animal, idest quomodo potest esse ut homo sit aliquid praeter animal quasi quaedam substantia per se existens, et tamen animal sit hoc ipsum quod est homo? Haec enim videntur esse opposita, quod homo sit praeter animal, et tamen animal sit hoc ipsum quod est homo.

[83176] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 14 n. 14Deinde cum dicit amplius autem improbat praedictam positionem per comparationem generum ad singularia; dicens quod haec eadem inconvenientia, quae accidunt ponentibus genera et universalia esse substantias in speciebus, accidunt et in sensibilibus singularibus, et etiam multa his absurdiora; inquantum natura generis magis remota est a singularibus sensibilibus et materialibus, quam a speciebus intelligibilibus et immaterialibus. Si itaque impossibile est sic esse, palam est quod idea non est ipsorum sensibilium, sicut Platonici dicunt.

LEÇON 14.

(nn. 1592-1605; [659-668]).

 

À partir de la comparaison du genre aux espèces et aux individus, il montre que les universels ne sont pas des substances séparées.

 

1592. Après avoir montré que les universels en eux-mêmes ne sont pas des substances prises absolument, le Philosophe montre ici qu’ils ne sont pas des substances séparées des réalités sensibles : et cette section se divise en deux parties.

   Dans la première il montre que les universels ne sont pas des substances séparées [659]. Dans la deuxième il manifeste un point qui plus haut était laissé en question, là [677] où il dit : ¨ Mais il est manifeste que parmi les questions ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre que les universels ne sont pas des substances séparées [659]. En deuxième lieu il montre que s’ils sont séparés, ils ne sont pas définissables, là [669] où il dit : ¨ Par ailleurs puisque autre est la substance ¨.

   Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il montre les incohérences qui découlent de l’opinion qui pose que les universels sont des substances séparées, en comparant le genre aux espèces [659]. En deuxième lieu il le fait en comparant le genre aux individus, là [668] où il dit : ¨ Mais en outre dans les réalités sensibles ¨.

   Au sujet du premier point il fait trois choses. En premier lieu il présente une division [659]. En deuxième lieu il examine le premier membre de la division, là [660] où il dit : ¨ Car il clair que dans la définition ¨. En troisième lieu il examine le deuxième membre de la division, là [664] où il dit : ¨Mais si dans toute espèce est autre¨.

   Il dit donc en premier lieu [659] qu’on peut aussi voir à partir de ce qui précède tout ce qui résulte d’incohérences du côté de ceux qui soutiennent que les Idées, qu’on appelle les espèces universelles, sont des substances séparées, et qui affirment en même temps avec cela que l’espèce provient du genre et des différences. En effet, ces deux positions tenues simultanément, à savoir que les espèces sont composées du genre et de la différence, et que les espèces universelles, qu’on appelle les Idées, sont des substances séparées, conduisent à de nombreux problèmes. Si en effet on pose que les espèces sont séparées, il reste évident par ailleurs qu’un même genre existe simultanément dans plusieurs espèces, comme l’animal qui existe à la fois dans l’homme et dans le cheval. Donc, ou bien cet animal qui existe à la fois dans l’homme et dans le cheval est un seul et même être par le nombre, ou bien il est autre dans l’homme et autre dans le cheval. Et le philosophe présente cette division parce que c’est en rapport aux espèces et non aux genres que Platon posait l’existence des Idées, bien qu’il affirmait communément que les universels sont des substances.

1593. Ensuite lorsqu’il dit [660] : ¨ Car par la définition ¨.

   Il examine le premier membre de la division.

   Et il montre en premier lieu que l’animal en soi est un seul et même être. En deuxième lieu il montre les problèmes qui découlent de cette position, là [661] où il dit : ¨ Donc, si ¨.

   Il dit donc qu’il est évident [660] que par la définition, l’animal en soi est un seul et même être à la fois dans l’homme et dans le cheval. Si en effet on devait présenter la définition de l’animal selon qu’il se dit des deux, c’est-à-dire de l’homme et du cheval, c’est la même définition qui serait désignée, à savoir : substance animée et sensible; en effet, c’est de manière univoque que le genre s’attribue aux espèces tout comme les espèces s’attribuent aux individus. Si donc, pour cette raison que l’espèce s’attribue à tous les individus d’après la même définition, il existe un homme universel qui est l’homme en soi existant par lui-même, et qui est ¨un être déterminé¨, c’est-à-dire un être subsistant et démontrable et en même temps séparé des réalités sensibles ainsi que le soutiennent les Platoniciens, il sera nécessaire pour la même raison que les éléments à partir desquels l’espèce est constituée, à savoir le genre et la différence comme animal et bipède, signifient eux-mêmes de la même manière un être déterminé, qu’ils soient séparés de leurs inférieurs et qu’ils soient des substances existant par elles-mêmes. C’est pourquoi il s’ensuit que l’animal sera un seul et même être par le nombre existant par lui-même et s’attribuant à la fois à l’homme et au cheval.

1594. Ensuite lorsqu’il dit [661] : ¨ Si certes ¨.

   Il montre les problèmes qui découlent de cette position et qui sont au nombre de trois.

   Et le premier problème est que puisque le genre est dans l’espèce à la manière de ce qui signifie la substance de la chose, ainsi l’animal en soi sera dans le cheval en soi comme tu es en toi-même, toi qui es ta propre substance. Mais de cette manière il n’est pas possible qu’un seul et même être reste un dans plusieurs êtres existant séparément. En effet, tu n’existes qu’en toi-même. En effet, tu existes dans plusieurs êtres qui n’existent pas séparément comme tes chairs et tes os qui sont tes parties. Si donc l’animal est un seul et même être, il ne pourra pas exister dans plusieurs espèces distinctes comme le cheval et l’homme, puisque les espèces séparées d’après les Platoniciens sont des substances distinctes les unes des autres.

1595. Il présente le deuxième problème, là [662] où il dit : ¨ Et pourquoi ¨.

   L’homme en effet, puisqu’il est d’après les Platoniciens un universel qui se dit de plusieurs, n’est pas posé par eux comme existant dans les particuliers mais en dehors d’eux. Si donc il existe un animal en soi qui s’attribue à toutes les espèces, pourquoi alors cela même qui est l’animal universel n’existe-t-il pas sans cela même, c’est-à-dire sans le cheval ou toute autre espèce, en tant qu’être existant par lui-même et séparément? Les Platoniciens ne peuvent en donner aucune raison valable.

1596. Il présente le troisième problème, là [663] où il dit : ¨ Ensuite, si ¨, en disant :

   Il est clair que l’espèce est constituée du genre et de la différence. Donc, ou bien cela a lieu de telle manière que le genre participe de la différence comme le sujet participe de l’accident, de sorte que nous entendions que l’homme est constitué d’animal et de bipède de la même manière que l’homme blanc est constitué du blanc et de l’homme, ou bien cela a lieu d’une autre manière.

1597. Et si une espèce est constituée par cette modalité selon laquelle le genre participe de la différence, de telle manière que l’animal qui participe de la bipédie devient homme et que l’animal qui participe de l’animal à pieds multiples devient cheval ou polype, il en résulte une impossibilité. En effet, puisqu’on dit du genre qui est attribué à différentes espèces qu’il est une substance, il s’ensuit que les contraires se retrouvent simultanément dans l’animal lui-même qui est une même substance, une et individuelle. En effet, les différences, dans lesquelles le genre se divise, sont contraires.

1598. Mais si l’homme ne provient pas de l’animal et de la bipédie par mode de participation, selon quel mode dira-t-on que l’animal est bipède ou qu’il est pédestre, constituant à partir de ces deux éléments quelque chose d’un? C’est comme s’il disait que cela ne sera pas facile à déterminer. C’est pourquoi il ajoute : ¨ Mais peut-être composera-t-on ¨, comme s’il disait : Jamais on ne pourra dire qu’à partir de ces deux éléments on obtient une unité par mode de composition comme on obtient une maison à partir des pierres, ou par mode d’assemblage comme l’armoire est obtenue par différentes pièces de bois clouées les unes aux autres, ou par mode de mélange, comme l’électuaire est obtenu à partir de différentes espèces qui ont été modifiées. Selon ces modalités en effet il se trouve qu’une même chose est obtenue à partir de deux ou de plusieurs substances existant par elles-mêmes.

1599. Mais toutes ces modalités sont également problématiques. En effet, le genre et les différences ne pourraient pas être attribués à l’espèce, tout comme les parties composées, assemblées ou mélangées ne peuvent être attribuées au tout qui leur correspond. Et en outre ce n’est pas en totalité qu’une partie entre dans la composition de différentes choses; mais les parties sont partagées de telle manière qu’une quantité de la partie entre dans la composition de ceci et qu’une autre quantité de la partie entre dans la composition d’une autre chose, comme une partie du bois entre dans la composition de la maison et une autre dans la composition de l’armoire. De là, si l’homme et l’oiseau provenaient de l’animal et de bipède selon les modalités qui précèdent, il s’ensuivrait que ce ne serait pas dans sa totalité que la nature de l’animal serait dans l’homme ou dans l’oiseau, mais une partie de la nature animale serait dans l’homme et une autre partie serait dans l’oiseau. Et en outre de cette manière ce ne serait pas le même animal qu’on retrouverait dans les deux.

1600. Ensuite lorsqu’il dit [664] : ¨ Mais si l’animal est autre ¨.

   Il examine le deuxième membre de la division, en disant qu’il s’ensuit d’autres problèmes  si on pose que ce n’est pas le même animal en soi qu’on retrouve dans toutes espèces. Cela en effet conduit à quatre problèmes dont voici le premier qu’il présente de la manière suivante. Nous avons montré ce qui résulte de l’opinion qui prétend que les universels sont des substances dans l’hypothèse où c’est le même animal en soi qui est dans toutes les espèces. Et pour cette raison quelqu’un pourrait dire que l’animal en soi est différent en chacune des espèces : alors, il faudra dire comme conséquence de cette opinion qu’elles seront infinies les espèces dont la substance est l’animal en soi. En effet, l’animal en soi est la substance de toutes les espèces contenues en lui. En effet, on ne peut dire que l’homme provient de l’animal par accident, mais il en provient plutôt par soi ou essentiellement. Et ainsi l’animal appartient à la substance du cheval, du bœuf et des autres espèces qui sont pratiquement infinies. Mais que cet animal en soi qui est un s’évanouisse dans des substances infinies, cela semble absurde.

1601. Il présente le deuxième problème, là [665] où il dit : ¨ En outre de nombreux ¨.

   Il dit qu’il s’ensuit encore que ¨l’animal en soi¨, c’est-à-dire la substance de l’animal universel, sera multiple, parce que l’animal, qui se retrouve dans chaque espèce, sera la substance même de cette espèce à laquelle il est attribué. En effet, l’animal ne s’attribue pas à l’espèce comme à quelque chose qui diffère de lui quant à la substance. Mais si l’animal n’est pas attribué à l’homme comme à quelque chose qui diffère de lui, on pourra dire avec justesse que l’homme vient de lui, c’est-à-dire de l’animal, comme de sa propre substance; on pourra encore dire que celui-là, à savoir l’animal, est aussi son genre qui s’attribue à lui dans sa quiddité. Il reste donc que tout comme les choses auxquelles s’attribue l’animal sont multiples, de même l’animal universel lui-même sera multiple.

1602. Ensuite lorsqu’il dit [666] : ¨ Et en outre ¨.

   Il présente le troisième problème en disant qu’il découle par la suite de ce qui précède que tous les éléments d’où provient l’homme, c’est-à-dire les genres supérieurs et les différences, sont des Idées, ce qui est contraire à la position des Platoniciens qui affirmaient que seules les espèces sont les Idées des choses particulières et que les genres et les différences par ailleurs ne sont pas des Idées des espèces. Et il en est ainsi parce que l’Idée est à proprement parler l’exemplaire, conformément à sa forme, de ce dont elle est l’Idée. Mais la forme du genre n’est pas propre aux formes des espèces comme la forme de l’espèce est propre aux individus qui se ressemblent quant à la forme et diffèrent quant à la matière.

1603. Mais si l’animal en soi diffère dans chacune des espèces différentes, à chaque espèce correspondra quelque chose dans la substance de son genre qui sera comme son Idée propre. Et de cette manière même les genres et semblablement les différences seront des Idées. Il n’appartiendra donc pas à un des universels d’être une Idée et à un autre d’être une substance comme le soutenaient les Platoniciens qui affirmaient que les genres sont les substances des espèces mais que les espèces sont les Idées des individus. Mais, comme nous l’avons vu, il est impossible qu’il en soit ainsi. Il suit donc de ce qui précède ¨que l’animal en soi¨, c’est-à-dire la substance de l’animal universel, appartient à chacun de ceux ¨qui se retrouvent parmi les animaux¨, c’est-à-dire qui sont contenus dans les espèces animales.

1604. Il présente le quatrième problème, là [667] où il dit : ¨ Mais en outre à partir de ¨.

   Il dit qu’il semble en outre qu’on doive se demander à partir de quoi est constitué ce qu’est l’homme et comment il est constitué ¨à partir de l’animal en soi¨, c’est-à-dire à partir de l’animal universel, ¨ou comment il est possible qu’il soit un animal et qu’il soit cette substance existant en dehors de l’animal en soi¨, c’est-à-dire comment peut-il se faire que l’homme existe en dehors de l’animal comme une substance existant par elle-même et cependant que l’animal soit cela même qu’est l’homme? En effet, il semble bien qu’il y ait contradiction à dire d’une part que l’homme existe en dehors de l’animal et d’autre part cependant que l’animal est cela même que l’homme est.

1605. Ensuite lorsqu’il dit [668] : ¨ Mais en outre ¨.

   Il réfute la position qui précède au moyen d’une comparaison des genres aux individus en disant que les mêmes problèmes, qui résultaient de la position qui soutient que les genres et les universels sont des substances dans les espèces, apparaissent à nouveau si on cherche à poser le même type de relation entre les Idées et les réalités sensibles et individuelles, et même d’une manière encore plus absurde, dans la mesure où la nature du genre est encore plus éloignée des singuliers sensibles et matériels qu’elle ne l’est des espèces intelligibles et immatérielles. Si donc il est impossible qu’il en soit ainsi pour les espèces, il est évident qu’il n’y a pas d’Idées des choses sensibles elles-mêmes comme le soutenaient les Platoniciens.

 

 

LECTIO 15

[83177] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 1In hoc loco philosophus ostendit, quod ideae quae ponuntur separatae a Platonicis, non possunt definiri. Et hoc ideo, quia Platonici ad hoc praecipue ponebant ideas, ut eis adaptarentur et definitiones et demonstrationes, quae sunt de necessariis, cum ista sensibilia videantur omnia in motu consistere. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit per rationes, quod ideae non possunt definiri. Secundo per signum, ibi, quoniam propter quid nullus. Circa primum ponit tres rationes: quarum primam ponit sic dicens, quod substantiarum alia est sicut ratio, idest sicut quod quid erat esse et forma, et alia est sicut compositum ex materia et forma, quod est totum simul coniunctum ex materia et forma. Dico autem eas esse alteras quia hoc quidem, scilicet substantia, quae est totum, sic est substantia sicut habens rationem conceptam cum materia; illa vero, quae est sicut forma et ratio et quod quid erat esse, est totaliter ratio et forma non habens materiam individualem adiunctam.

[83178] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 2Quaecumque igitur dicuntur substantiae hoc modo sicut composita, eorum potest esse corruptio. Ostensum est enim supra, quod eorum solum est generatio, quae ex materia et forma componuntur. Corruptio autem et generatio sunt circa idem.

[83179] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 3Ipsius autem substantiae, quae est sicut ratio vel quod quid est, non est ita corruptio quod ipsa per se corrumpatur. Ostensum est enim supra quod non est eius generatio, sed solum compositi; non enim fit quod quid erat esse domui, ut supra ostensum est, sed fit quod est proprium huic domui. Generatur enim haec domus particularis, non autem ipsa species domus. Sed tamen huiusmodi formae et quidditates aliquando sunt, et aliquando non sunt sine generatione et corruptione, idest sine hoc quod ipsa generentur vel corrumpantur per se, sed incipiunt esse et non esse aliis generatis et corruptis. Ostensum est enim supra quod nullus in naturalibus generat haec, scilicet formas et quidditates, nec etiam in artificialibus; sed hoc agens singulare generat et facit hoc singulare.

[83180] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 4Propter hoc autem, quod singularia generantur et corrumpuntur, substantiarum sensibilium singularium non potest esse nec definitio nec demonstratio. Habent enim materiam individualem; cuius natura est talis, ut id quod ex ea constituitur, contingat esse et non esse; quia ipsa materia quantum est in se, est in potentia ad formam, per quam res materialis est, et ad privationem per quam res materialis non est. Et ideo omnia singularia de numero ipsorum sensibilium, quorum materia est in potentia ad esse et non esse, sunt corruptibilia. Corpora tamen caelestia non habent materiam huiusmodi, quae sit in potentia ad esse et non esse, sed solum ad ubi. Et ideo non sunt corruptibilia.

[83181] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 5Si ergo demonstratio est necessariorum, ut probatum est in posterioribus, et definitio etiam est scientifica, idest faciens scire, quae est quasi medium demonstrationis, quae est syllogismus faciens scire; sicut non contingit quandoque esse scientiam et quandoque ignorantiam, quia quod scitur semper oportet esse verum, sed id quod est tale, idest quod quandoque potest esse verum, quandoque falsum, est opinio; ita etiam non contingit demonstrationem nec definitionem esse eorum quae possunt se aliter habere; sed solum opinio est huiusmodi contingentium.

[83182] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 6Si, inquam, ita est, palam est, quod non erit nec definitio nec demonstratio ipsorum singularium corruptibilium sensibilium. Non enim huiusmodi corruptibilia possunt esse manifesta scientiam habentibus de eis, scilicet cum recesserunt a sensu, per quem cognoscuntur. Et ideo salvatis eisdem rationibus in anima ipsorum singularium, idest speciebus, per quas cognosci possunt, non erit de eis nec definitio nec demonstratio. Et propter hoc oportet, cum aliquis eorum, qui student ad assignandum terminum, idest definitionem alicuius rei, definiat aliquod singulare, quod non ignoret, quia semper contingit auferre singulare, manente tali ratione, quam ipse fingit in anima. Et hoc ideo quia non contingit vere definire singulare. In his enim quae vere definiuntur, manet cognitio definiti quamdiu manet cognitio definitionis in anima.

[83183] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 7Si igitur singulare definiri non potest, itaque nec ideam possibile est definire. Ideam enim oportet esse singularem, secundum ea quae ponuntur de idea. Ponunt enim quod idea est quoddam per se existens ab omnibus aliis separatum. Haec autem est ratio singularis.

[83184] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 8Deinde cum dicit necessarium vero ponit secundam rationem: et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem. Secundo excludit quamdam cavillosam responsionem, ibi, si quis autem dicat. Fuit autem necessarium ut hanc rationem superadderet rationi suprapositae, quia ratio iam posita probabat singulare non esse definibile, ex eo quod est corruptibile et materiale; quae duo Platonici ideis non attribuebant. Unde ne per hoc sua probatio inefficax redderetur, subiungit aliam rationem, dicens:

[83185] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 9Necessarium esse omnem definitivam rationem esse ex pluribus nominibus. Ille enim qui definit, non faciet notificationem rei ponendo unum nomen tantum; quia si poneret unum tantum nomen, adhuc definitum remanebit nobis ignotum. Contingit enim uno nomine notiori assignato, ipsum nomen definiti notificari; non autem rem definitam, nisi principia eius exprimantur, per quae res omnis cognoscitur.

[83186] Sententia Metaphysicae, lib. 7 l. 15 n. 10Resolutio autem definiti in sua principia, quod definientes facere intendunt non contingit nisi pluribus nominibus positis. Et ideo dicit, quod si unum nomen tantum ponatur, quod adhuc remanebit definitum ignotum; s