DE L'ACHAT ET DE LA VENTE À TEMPÉRAMENT De emptione et venditione
ad tempus (Œuvre
authentique) Editions Louis Vivès, 1857 Édition
numérique, http://docteurangelique.free.fr,
2008 Les
œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin Traduction
reprise et corrigée par JF Delannoy |
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Prooemium [70475] De
emptione, pr. Carissimo sibi
in Christo fratri Iacobo Viterbiensi lectori Florentino, frater Thomas de Aquino
salutem. |
Au très cher frère en notre
Seigneur Jacques de Viterbe, lecteur florentin, le frère Thomas d'Aquin,
salut. |
Caput 1 [70476] De emptione, cap. 1 Recepi litteras vestras cum quibusdam casibus super quibus electi Capuani et meam sententiam petebatis. Super quibus collatione
habita cum eodem Capuano electo et postmodum cum domino Hugone cardinali, duxi ad primum casum taliter respondendum: quod - supposito
quod illa consuetudo de dilatione solutionis usque ad spatium trium mensium, sicut proponitur, sit ad commune bonum mercatorum, scilicet pro expediendis mercationibus, et
non in fraudem usurarum introducta - videtur esse distinguendum. Quia aut vendit venditor suas mercationes ad terminum praedictum ultra quantitatem iusti pretii propter expectationem, aut secundum iusti pretii quantitatem. Si primo
modo, non est dubium usurarium esse contractum, cum expectatio temporis sub pretio cadat. Nec potest
esse excusatio si secundus venditor sit primi minister,
cum ob nullam causam liceat pro termino expectationis pecuniae pretium augeri. Si autem secundo modo, non est
usura. Nec obstat si pro minori
pretio daret si statim pecunia solveretur. Quod per simile potest in aliis debitis videri; quia si alicui debeatur aliquid ad certum terminum, quandocumque de eo quod est sibi
debitum dimitteret si sibi citius solveretur,
in quo casu constat eum cui debetur ab usurae peccato omnino esse immunem.
Licet enim plus accipere de debito propter temporis dilationem usuram sapiat, minus tamen accipere
ut sibi citius solvatur usuram non sapit, maxime ex parte eius qui minus
recipit, quamvis ex parte
eius qui minus dat ut citius solvat, videatur esse aliquis modus usurae cum spatium temporis vendat. Unde etiam in casu proposito plus esset de usura timendum emptori qui ubi ante tres menses solvat, minus iusta extimatione
pannos emit, quam venditori qui minus accipit
ut citius ei solvatur. |
(1) J'ai reçu votre lettre relative à certains cas sur
lesquels vous souhaitiez avoir mon sentiment et celui de l'honorable Capouan.
Après en avoir devisé avec ledit Capouan, puis avec monseigneur le cardinal
Hugues, je suis parvenu à la conclusion suivante quant au premier cas. En
supposant que cet usage de différer le paiement à trois mois, comme dans le
cas proposé, soit à l'avantage mutuel des marchands (comme pour l'expédition
des marchandises) et non en vue d'une fraude usuraire, je pense qu'il faut
faire une distinction : soit le vendeur vend sa marchandise au terme
susdit plus que le juste prix à raison de l'attente de son argent, soit il la
vend au juste prix. Dans la première situation, c’est sans nul doute un
contrat usuraire, puisque le délai est mis à prix; et ce ne serait pas non
plus une excuse si le second vendeur n'était que le commis du premier, parce
qu'il n'est permis en aucune façon d'augmenter le prix en raison de l'attente
du paiement. Dans la deuxième situation, il n'y a pas usure, même s’il réduit
le prix de sa marchandise s'il est payé immédiatement, comme on peut le voir
par analogie avec d'autres dettes. En effet, si une somme est due à quelqu'un
à un terme donné, quelque remise que consente le créancier pour être payé
plus tôt, le débiteur est innocent de toute usure; car, quoiqu'il y ait usure
à recevoir plus qu'il n'est dû à cause de l'attente du paiement, il n'y a pas
usure à recevoir moins qu'il n'est dû pour être payé plus tôt, surtout à
l'égard de celui qui reçoit moins – quoique, à l'égard de celui qui donne
moins pour avancer le paiement, il semble y avoir une certaine usure, puisqu'il
« vend du temps ». C'est pourquoi, dans le cas proposé, il y aurait
plus à craindre un péché d’usure pour l'acheteur qui, pour moins payer en
avançant le paiement, achète de la marchandise au-dessous de sa valeur
estimée, que pour le vendeur qui demande moins pour être payé plus tôt. |
Caput 2 [70477] De emptione, cap. 2 Ex quo etiam patet quid sit dicendum ad secundum casum. Quia si mercatores Tusciae portantes pannos de nundinis Latiniaci, ut eos usque ad tempus resurrectionis expectent, plus vendant pannos quam valeant
secundum communem forum, non est dubium esse usuram.
Si autem non plus quam
valeant sed quantum
valent, plus tamen quam acciperent si statim eis solveretur, non est usura. |
(2) Il est facile de voir ainsi ce
qu'il y a à répondre au second cas. Si les marchands toscans au retour de la
foire de Viterbe vendent leur marchandise au-dessus du cours usuel en
attendant leur argent jusqu'à Pâques, il n'y a pas de doute qu'il y a usure.
Mais s'ils ne la vendent pas plus qu'elle ne vaut mais plus que leur prix
associé à un paiement immédiat, il n'y a pas usure. |
Caput 3 [70478] De emptione, cap. 3 In tertio casu similiter dicendum videtur. Quia si illi qui pecuniam mutuo cum usuris accipiunt, illam usuram recuperare volunt plus vendendo pannos quam valeant
propter expectationem praedictam, non est dubium esse
usuram cum manifeste tempus
vendatur. Nec excusantur
ex hoc quod volunt se conservare
indemnes, quia nullus debet
se conservare indemnem mortaliter peccando. Et licet expensas alias licite factas, puta in portatione pannorum, possint licite recuperare de eorum venditione, non tamen possunt recuperare usuras quas dederunt, cum haec fuerit iniusta
datio; et praesertim cum dando usuras peccaverint tanquam occasionem peccandi usurariis praebentes, cum necessitas quae ponitur - ut scilicet honorabilius vivant et maiores mercationes faciant - non sit talis necessitas
quae sufficiat ad excusandum peccatum praedictum. Patet enim a simili quia non posset quis in venditione pannorum recuperare expensas quas incaute et imprudenter fecisset. |
(3) On donnera la même réponse pour
le troisième cas. Si des personnes reçoivent de l'argent d'une manière
usuraire et veulent compenser cette usure en vendant leur marchandise plus
qu'elle ne vaut sous prétexte qu'ils en attendent le paiement; il n'y a pas
de doute qu'il y a usure, puisque évidemment ils « vendent du
temps ». C'est une mauvaise excuse que de dire que cela sert à
s'indemniser, parce qu'il n'est permis à personne de chercher à s'indemniser
en péchant mortellement; et quoiqu'il leur soit permis de se couvrir dans la
vente des frais légitimes (comme le transport), ils ne peuvent cependant recouvrer
les versement usuraires qu'ils ont faits, parce que ces versement étaient
injustes du fait qu'ils ont ainsi fourni une occasion de péché aux
usuriers ; et même s’ils allèguent qu’ils y étaient forcés (pour vivre
plus honorablement, ou étendre leur commerce), cette nécessité ne suffit pas
à les innocenter de ce péché. On voit aussi, de même, pourquoi il n'est pas
permis de se dédommage, dans la vente de sa marchandise, de frais encourus
sottement et imprudemment. |
Caput 4 [70479] De emptione, cap. 4 Patet etiam ex praedictis quod in
quarto casu quaerebatur.
Nam ille qui ad certum terminum debet, si ante terminum solvit ut ei de debito aliquid dimittatur, usuram committere videtur, quia manifeste tempus solutionis pecuniae vendit. Unde ad restitutionem tenetur. Nec excusatur per hoc
quod solvendo ante terminum
gravatur, vel quod ad hoc
ab aliquo inducitur, quia
eadem ratione possent omnes usurarii excusari. Haec est mea et praedictorum, scilicet electi Capuani et Hugonis cardinalis, in praedictis casibus firma et determinata sententia. Vale. |
(4) On voit également par là la
réponse à donner au quatrième cas. En effet, celui qui, devant faire un
paiement à un moment déterminé, devance le terme mais en retenant une partie
de ce qu'il doit, est coupable d'usure, parce que manifestement il
« vend le temps » correspondant à l'avance qu'il consent; c'est
pourquoi il est tenu de rendre ce montant. Il ne peut pas invoquer l’excuse
qu'il encourt une gène pour payer avant le terme, ou qu'il le fait sur
l'invitation d'un autre, parce que de telles raisons serviraient à excuser
tous les usuriers. Voilà, sur ces cas, l’avis
ferme et déterminé des susnommés, à savoir l’honorable Capouan et le cardinal
Hugues, et de moi-même. Bien à vous. Fin
du soixante-sizième Opuscule. |