RÉPONSE A 43 QUESTIONS DU FRÈRE
JEAN DE VERCEIL
SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES
FRÈRES PRÊCHEURS
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE
L'ÉGLISE
(écrit authentique)
OPUSCULE 10
Editions Louis Vivès, 1857
Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr,
2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
I- QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIERE
ARTICLE 1: Dieu meut-il les corps immédiatement?
ARTICLE III: Les anges sont-ils les moteurs des corps
célestes?
ARTICLE XIII: Les anges sont-ils les auteurs de tout ce
qui naît sur la terre?
ARTICLE XIV: Les anges le sont également de tous les
minéraux, etc., etc.?
ARTICLE XV: Les anges ont-ils une puissance infinie sur
les créatures inférieures?
ARTICLE XVII: Les anges, moteurs de l’univers, sont-ils
au nombre des vertus?
II- QUESTIONS SUR LES SPHERES CELESTES
ARTICLE XX: En serait-il de même de tous les éléments?
ARTICLE XXI: Et également tout l’univers dans ce qu’il y
a de corruptible?
ARTICLE XXIII: En serait-il de même de tous les animaux
privés de raison?
III- QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITES
ARTICLE XXV: Les corps des damnés le seront-ils aussi?
ARTICLE XXVII: La sentence de J.-C. au jour du jugement
portera-t-elle sur le corps ou sur l’âme?
IV- QUESTIONS SUR LA RAISON DE LA REDEMPTION
V- QUESTIONS SUR L'ESCHATOLOGIE
ARTICLE XXXI: L’enfer est-il au centre ou autour du
centre de la terre?
ARTICLE XL: Les damnés, dans l’enfer, répandront-ils des
larmes matérielles?
ARTICLE XLI: Le ver qui doit ronger le coeur des damnés
est-il matériel?
ARTICLE XLII: Peut-on mesurer la distance de la surface
de la terre au centre?
Prooemium [70612] De 43
articulis, pr. Reverendo in
Christo patri fratri Ioanni magistro ordinis fratrum praedicatorum, frater
Thomas de Aquino cum debita reverentia seipsum ad obedientiam promptum.
Paternitatis vestrae litteras feria quarta ante Pascha recepi, dum Missarum
solemnia agerentur, multos articulos interclusa schedula continentes, quibus
singulis mihi respondendum mandabatis, responsionis forma taxata: an scilicet
sancti sint illius sententiae vel opinionis quam continet articulus. Et si
sancti sint vel non illius sententiae vel opinionis quam articulus continet;
an ego illius opinionis vel sententiae. Et si non sim, an tolerabiliter dici
possit. Quibus articulis statim sequenti die secundum formam a vobis
traditam, praetermissis aliis occupationibus, secundum quod mihi occurrit,
respondere curavi. Fuisset tamen mihi facilius respondere, si vobis scribere
placuisset rationes, quibus dicti articuli vel asseruntur vel impugnantur.
Sic enim potuissem magis ad intentionem dubitantium respondere. Nihilominus
tamen, quantum percipere potui, in singulis ad id quod dubitationem facit,
respondere curavi; hoc tamen in principio protestans, quod plures horum
articulorum ad fidei doctrinam non pertinent, sed magis ad philosophorum
dogmata. Multum autem nocet talia quae ad pietatis doctrinam non spectant,
vel asserere vel negare quasi pertinentia ad sacram doctrinam. Dicit enim
Augustinus in V Confess., cap. V: cum audio Christianum aliquem ista,
scilicet quae philosophi de caelo aut stellis, et de solis et lunae motibus
dixerunt, nescientem, et aliud pro alio sentientem, patienter intueor
opinantem hominem: nec illi obesse video, cum de te, domine creator omnium
nostrum, non credat indigna, si forte situs et habitus creaturae corporalis
ignoret; obest autem, si haec ad ipsam pietatis doctrinam pertinere
arbitretur, et pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Quod autem obsit, manifestat Augustinus in
I super Genesim ad litteram, cap. XIX: turpe est, inquit, nimis et
perniciosum, ac maxime cavendum, ut Christianum de his rebus quasi secundum
Christianas litteras loquentem ita delirare quilibet infidelis audiat, ut,
quemadmodum dicitur, toto caelo errare conspiciens risum tenere vix possit.
Et non tam molestum est quod errans homo videatur; sed quod auctores nostri
ab eis qui foris sunt, talia sensisse creduntur; et cum magno eorum exitio de
quorum salute satagimus, tamquam indocti reprehenduntur, atque respuuntur.
Unde mihi videtur tutius esse ut haec quae philosophi communius senserunt, et
nostrae fidei non repugnant, neque sic esse asserenda ut dogmata fidei, licet
aliquando sub nomine philosophorum introducantur; neque sic esse neganda
tamquam fidei contraria; ne sapientibus huius mundi contemnendi doctrinam
fidei, occasio praebeatur. |
Prologue
Au révérend frère en J.-C. notre père, Jean de Verceil, docteur de
l’ordre des frères prêcheurs, son frère Thomas d’Aquin, salut et obéissance
respectueuse. J’ai reçu pendant la messe de la quatrième férie de la semaine
d’avant Pâques, un paquet de votre paternité contenant plusieurs articles
dans une lettre cachetée, à chacun desquels vous une priez de répondre, en
m’indiquant la forme que je devais employer, pour savoir si les saints
docteurs sont de l’opinion contenue dans cet écrit et si je partage moi-même
leur manière de voir quelle qu’elle soit; et si, sans cependant la partager,
je la crois pourtant soutenable. Mettant aussitôt toute autre occupation de
côté, je me suis mis à l’oeuvre dès le lendemain et j’ai tâché de faire de
mon mieux, en gardant la forme que vous m’avez prescrite. Il m’eût été bien
plus facile de répondre, si vous eussiez voulu me permettre de vous donner
les raisons pour ou contre ces différentes propositions. Car de cette façon,
j’aurais pu bien plus facilement résoudre toutes les difficultés. Néanmoins,
j’ai fait tous mes efforts pour répondre à toutes les questions douteuses,
tout en faisant observer d’abord qu’un grand nombre de ces articles
n’appartient pas à la doctrine de la foi, mais bien plus aux opinions des
philosophes. Or, se prononcer pour ou contre des idées qui ne touchent pas à
la doctrine de la foi, comme si c’était des dogmes définis, c’est nuire à la
piété des fidèles. Car saint Augustin dit dans son cinquième livre des
Confessions: "Lors que j’entends un chrétien ignorant ce que les
philosophes ont écrit du firmament et des étoiles, du cours du soleil et des
phases de la lune et prenant une chose pour une autre, je regarde patiemment
discourir cet homme et je ne crois pas devoir lui faire opposition lorsqu'il
n’avance rien d’indigne de vous, Seigneur tout-puissant, Créateur de nous
tous, quand même il ignorerait la nature et l’ordre du monde matériel." Il s’y oppose donc si on veut donner son opinion comme une vérité
doctrinale et qu’on soutienne avec audace ce qu’on ignore. Saint Augustin explique
pourquoi il le contredit dans son premier livre sur la Genèse ad litteram:
"il est honteux, dit-il, fatal à l’Eglise et fort regrettable de voir
un chrétien, qui, se mêlant de parler de la science chrétienne, s’égare comme
le ferait un infidèle, et qui, comme on a l’habitude de le dire, se trompe de
toute la hauteur des cieux et commet des erreurs si grossières qu’on peut à
peine s’empêcher de lui rire au nez." Ce qu’il a de plus fâcheux, n’est pas sans doute de voir qu’un homme se trompe, mais de voir de si étranges opinions attribuées aux écrivains sacrés par ceux qui sont hors de la foi et qui rejettent leur autorité avec un suprême dédain en les taxant d’ignorance, au grand détriment de ceux dont le salut nous est si cher. Il me semble donc qu’il est bien plus sûr de ne pas assurer comme des vérités reconnues, les opinions des philosophes qui ne répugnent pas à notre foi, malgré qu’elles soient appuyées de l’autorité d’un grand nom, ni de les nier comme opposées à la foi, de peur de donner occasion aux sages du siècle de mépriser la doctrine chrétienne. |
Articulus 1 [70613] De 43 articulis, a. 1 arg. Primus articulus in schedula propositus,
est, an Deus moveat aliquod corpus immediate. [70614] De 43 articulis,
a. 1 ad arg. Ad quod
respondendum videtur, quod ordo communis divinitus institutus hoc habet, ut
corporalis creatura ab ipso moveatur spiritu mediante. Dicit enim Augustinus
in III de Trinit., cap. IV: quemadmodum corpora grossiora et inferiora per
subtiliora et superiora quodam ordine reguntur, ita omnia corpora per
spiritum vitae rationalem; et VIII super Genes. ad litteram, cap. XXII,
dicit quod Deus spiritualem creaturam corporali praeposuit. Neque
tamen divina potentia est huic ordini alligata, quin possit quandoque praeter
ordinem causarum secundarum aliquid agere, cum sibi placuerit; ut patet in
operibus miraculosis. Dicit enim Augustinus, XXVI contra Faustum: appellamus
naturam cognitum nobis cursum solitum naturae, contra quem Deus cum aliquid
facit, magnalia vel mirabilia nominantur. |
I-
QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIERE
ARTICLE 1: Dieu meut-il les corps immédiatement?
Le premier article renfermé dans cette lettre est celui-ci: Dieu meut-il les corps immédiatement? Je vois qu'on doit répondre à cette question, que tel est l’ordre établi de Dieu que toute créature corporelle reçoit le mouvement par l’intermédiaire d’un esprit. Car saint Augustin dit dans son troisième livre de la Trinité: "De même que les corps grossiers et inférieurs reçoivent le mouvement et l’harmonie du corps supérieur et subtil, de même tout est gouverné par un esprit raisonnable et vivant." Et il écrit dans son traité sur la Genèse ad litteram, que Dieu a préposé la créature spirituelle à la conduite de la créature corporelle. Cependant la puissance divine n’est pas tellement enchaînée à cet ordre qu’elle ne puisse quelquefois y contrevenir, en dehors des causes secondes, lorsqu’elle le juge à propos, comme cela a lieu dans les miracles. Car saint Augustin écrit contre Fauste, XXVI: "Nous appelons nature le cours apparent de la nature, et nous donnons le nom de miracle à ce que Dieu fait contre les lois établies." |
Articulus 2 [70615] De 43 articulis, a. 2 arg. Secundus articulus est, an omnia quae moventur
naturaliter, moveantur ministerio Angelorum moventium corpora caelestia. |
ARTICLE II: Tout ce qui est un naturellement, l’est-il par
le ministère des anges qui gouvernent les corps célestes?
|
Articulus 3 [70616] De 43 articulis, a. 3 arg. Tertius articulus est, an Angeli sint motores
corporum caelestium. [70617] De 43 articulis, a. 3 ad arg. His duobus articulis simul respondendum videtur,
quia secundus dependet ex tertio, et tertius ex primo. Si enim corpora
reguntur a Deo mediante spirituali creatura; ad ipsum autem opus regiminis
divini pertinet motio corporum, ut Augustinus dicit, VIII super Genes. ad
litteram, consequens est quod Deus per spiritualem creaturam moveat caelestia
corpora. Et ibi expresse dicit Augustinus: sicut per tempus et locum movet
corpus, ipse tamen per tempus non est conditus spiritus; ita per tempus movet
conditum spiritum ipse tamen nec per tempus nec per locum motus conditor
spiritus. Esse quidem
animata corpora caelestia Damascenus negat in II libro, cap. VI, licet hoc Augustinus sub dubio
relinquat in II super Genes. ad litteram cap. XVIII. Sed caelestia corpora a
spirituali creatura moveri, a nemine sanctorum vel philosophorum negatum
legisse me memini. Hoc igitur supposito quod Angeli moveant caelestia
corpora, hoc in dubium nulli sapienti vertitur quin omnes motus naturales
inferiorum corporum ex motu caelestis corporis causentur; quod et ratione a
philosophis est probatum, et experimento patet, et auctoritatibus sanctorum
confirmatur: quia, ut dictum est, Augustinus in III de Trinit. dicit, quod corpora
grossiora et inferiora per subtiliora et superiora quodam ordine reguntur;
et Dionysius dicit, IV cap. de divinis nominibus, quod solis radius ad
generationem sensibilium corporum confert, et ad vitam ipsam movet, et
nutrit, et auget et perficit. Unde
consequens est quod omnia quae naturaliter moventur, moveantur ministerio
Angelorum moventium corpora caelestia. |
ARTICLE III: Les anges sont-ils les moteurs des corps
célestes?
On peut répondre à ces deux questions à la fois, parce que la seconde est contenue dans la troisième et celle-ci dans la première. "Car si Dieu gouverne la nature corporelle par l’intermédiaire d’une créature spirituelle, le mouvement des corps dépend de l’action divine dans le gouvernement du monde," comme le dit saint Augustin dans son commentaire de la Genèse ad litteram; par conséquent, Dieu meut les corps célestes par le moyen des créatures spirituelles. Et dans le même endroit il dit expressément: "Comme il donne le mouvement aux corps dans le temps et dans un certain lieu, l’esprit n’est cependant pas créé pour un temps, de même il meut l’esprit créé pour un temps, cependant l’esprit créateur n’est mû ni pour un temps, ni dans un lieu déterminé." Saint Jean Damascène soutient que les corps célestes ne sont pas animés, quoique saint Augustin laisse cette question douteuse dans son deuxième livre de son commentaire sur la Genèse ad litteram. Mais je ne me souviens pas d’avoir vu dans aucun écrit des saints Pères et des philosophes que les corps célestes n’étaient pas mus par une créature spirituelle. Supposé donc que les anges soient les moteurs des corps célestes, aucun homme sensé ne peut en faire un doute parce que tous les mouvements naturels des corps inférieurs ont leur cause dans celui d’un corps céleste ce qui s’appuie sur la raison, les écrits des philosophes et ce que confirme également l’expérience et l’autorité des saints Pères: parce que, comme nous l’avons dit, saint Augustin écrit dans son traité de la Trinité, que "les corps grossiers et inférieurs reçoivent le mouvement et une ce harmonie des corps plus légers et supérieurs." Et saint Denis dans le quatrième chapitre de son traité des Noms divins, dit que "les rayons du soleil produisent la génération des corps sensibles, leur inspirent la vie elle-même, l’entretiennent, l’accroissent et la perfectionnent. D’où il faut conclure que tout ce qui a un mouvement naturel le reçoit par le ministère des anges, qui sont les moteurs des corps célestes. |
Articulus 4 [70618] De 43 articulis, a. 4 arg. Quartus articulus est, an infallibiliter sit
probatum Angelos esse motores corporum caelestium apud aliquos. |
ARTICLE IV: Est-il infailliblement démontré par quelques
auteurs que les anges sont les moteurs des corps célestes.
|
Articulus 5 [70619] De 43 articulis, a. 5 arg. Quintus articulus est, an infallibiliter sit
probatum, Angelos esse motores caelestium corporum, supposito Deum non esse
immediatum motorem illorum corporum. [70620] De 43 articulis, a. 5 ad arg. His respondeo, quod philosophi tam Platonici quam
Peripatetici hoc probare conati sunt rationibus quas efficaces putaverunt: et
eorum rationes fundantur super praedicto rerum ordine, quod scilicet Deus
inferiora per superiora regit, ut etiam sancti doctores tradunt. Quod autem
corpora caelestia a sola natura sua moveantur, sicut gravia et levia, est
omnino impossibile: unde nisi moveantur a Deo immediate, consequens est quod
vel sint animata caelestia corpora, et moveantur a propriis animabus; vel
quod moveantur ab Angelis, quod melius dicitur. Fuerunt tamen aliqui
philosophi, qui posuerunt corpus primum caelestium corporum moveri a Deo, non
mediante alia intelligentia, sed mediante anima propria; alia vero caelestia
corpora moveri mediantibus intelligentiis et animabus. |
ARTICLE V: Est-il bien rigoureusement prouvé que les anges
sont les moteurs des corps célestes, supposé que Dieu n’en soit pas le moteur
direct et immédiat?
Je réponds à ces deux questions que les philosophes platoniciens et du portique se sont efforcés de le prouver par des raisons qu’ils ont cru péremptoires et qui s’appuient sur ce que nous avons dit de l’harmonie universelle, c’est-à-dire que Dieu gouverne les corps inférieurs par les supérieurs, comme le disent les saints docteurs eux-mêmes. Or, que les corps célestes soient mus par leur seule nature, aussi bien les plus lourds que les plus légers, est. une chose tout-à-fait impossible, en sorte que s’ils ne sont pas gouvernés immédiatement par Dieu lui-même, il s’ensuit ou bien que les corps célestes sont animés et reçoivent le mouvement de leurs propres âmes, ou bien des anges, ce qui paraît plus vraisemblable. Cependant on trouve des philosophes qui ont soutenu que le premier des corps célestes est gouverné par Dieu sans l’intermédiaire d’une autre intelligence, mais par l’intermédiaire de son âme propre et que les autres corps célestes le sont par le moyen des intelligences et des âmes. |
Articulus 6 [70621] De 43 articulis, a. 6 arg. Sextus articulus est an omnia inferiora
naturaliter in esse producta per viam motus, regantur per Angelos mediantibus
motibus corporum caelestium. |
ARTICLE VI: Les corps inférieurs qui sont produits
naturellement par l’effet du mouvement sont-ils gouvernés par les anges, à
l’aide de la marche des corps célestes?
|
Articulus 7 [70622] De 43 articulis, a. 7 arg. Septimus articulus est, an omnia inferiora quae
naturaliter in esse producuntur, fiant per Angelos mediantibus motibus
corporum caelestium, secundum quod facere attribuitur causis naturalibus;
idest educantur de potentia in actum. [70623] De 43 articulis, a. 7 ad arg. Horum etiam responsio dependet ex praemissis. Si
enim corpora caelestia per suum motum sunt causa generationis et corruptionis
et omnium motuum naturalium inferiorum, consequens est quod si Angeli sunt
causa motus caeli, sint etiam causa generationis et corruptionis et omnium
motuum naturalium inferiorum corporum: unde et Gregorius in IV dialogorum
dicit, quod in hoc mundo visibili nihil nisi per creaturam invisibilem
disponi potest. Et ut breviter dicam, omnes praedicti articuli vel parum
vel nihil faciunt ad doctrinam fidei, sed sunt penitus physici. |
ARTICLE VII: Tous les corps inférieurs, qui sont produits
naturellement, le sont-ils par les anges, par l’intermédiaire des mouvements
des corps célestes, dans ce sens que leur action est l’effet des causes
naturelles, c’est-à-dire qu’ils passent de la puissance à l’acte?
La réponse à ces deux questions dépend des prémisses. Car si les corps célestes ont dans leur mouvement la cause de la génération et de la corruption et de tous les mouvements naturels des corps inférieurs, il est clair que si les anges sont la cause du mouvement du ciel, ils sont également la cause de la génération et de la décomposition et de tous les mouvements naturels des corps inférieurs. Ce qui fait dire à saint Grégoire dans son quatrième livre des Dialogues que "rien de visible ne peut être fait dans ce monde que par les créatures invisibles." En un mot, je dirai que toutes ces questions
importent peu ou pas du tout à la doctrine de la foi, mais plutôt aux
sciences naturelles. |
Articulus 8 [70624] De 43 articulis, a. 8 arg. Octavus articulus est, an ordine naturae faber
posset movere manum ad aliquid operandum sine angelico ministerio movente
corpora caelestia. [70625] De 43 articulis, a. 8 ad arg. Huic videtur per distinctionem respondendum. Quod
enim aliquis non posset movere manum, potest esse dupliciter. Uno modo ex
defectu animae moventis, ut scilicet animae deficiat potentia motiva
corporis; et sub hoc intellectu falsum est quod dicitur: nam anima fabri
movet manum per liberum arbitrium, quod non subiacet neque caelestibus
corporibus neque Angelis, sed soli Deo. Alio modo potest intelligi ex defectu
corporalis membri; sicut homo qui habet manum ligatam vel aridam, non potest
eam movere: et hoc modo, cessante motu caeli, organum corporis non posset ab
anima moveri, quia non remaneret vivum; quia corpora caelestia ad vitam
movent inferiora corpora, ut patet ex auctoritate Dionysii supra inducta. Si
tamen divina virtute praeter naturae ordinem corpus hominis vivum remaneret
cessante motu caeli, et conservaretur in dispositione illa qua est mobile ab
anima, posset homo per liberum arbitrium quamlibet partem movere corporis. |
ARTICLE VIII: Un ouvrier peut-il appliquer la main à son
oeuvre, sans le ministère des anges, qui donnent le mouvement aux corps célestes?
Il faut distinguer. Car on peut être empêché de mettre la main à une oeuvre d’une double manière. Premièrement, à défaut d’une âme motrice; comme, par exemple, si l’âme n’avait pas la puissance motrice des corps, et, sous ce rapport, ce qu’on objecte est faux. Car l’âme de l’ouvrier fait mouvoir sa main, en vertu de son libre arbitre, qui ne dépend pas des corps célestes, ni des anges, mais seulement de Dieu. Secondement, à défaut des membres du corps; ainsi, un homme qui a les mains liées ou paralysées, ne peut les étendre. Et dans ce sens, le mouvement du ciel venant à s’arrêter, les organes corporels ne pourraient recevoir de mouvement de l’âme, parce qu’ils cesseraient de vivre, les corps célestes étant la source de la vie des corps inférieurs, selon l’opinion de saint Denis, que nous avons exposée plus haut. Si, cependant, par un miracle qui intervertirait l’ordre de la nature, le corps de l’homme continuait de vivre, malgré l’interruption du mouvement du ciel, et qu’il restât dans cet état que l’âme peut encore faire mouvoir, l’homme pourrait, par son libre arbitre, faire mouvoir toutes les parties de son corps. |
Articulus 9 [70626] De 43 articulis, a. 9 arg. Nonus articulus est, an omnia beneficia
exteriora naturaliter de potentia ad actum reducta habeamus per Angelos
moventes corpora caelestia. [70627] De 43
articulis, a. 9 ad arg. Dico, quod
huius etiam responsio dependet ex praemissis. Naturaliter enim de potentia ad
actum deduci, nihil est aliud quam naturaliter moveri. Si ergo omnis motus naturalis
inferiorum corporum causatur a motu superiorum corporum, consequens est quod
huiusmodi beneficia proveniant ex ministerio Angelorum moventium caelestia
corpora. |
ARTICLE IX: Tous les biens extérieurs qui ont passé
naturellement de la puissance à l’acte, nous viennent-ils des anges moteurs
des corps célestes?
La réponse à cette question dépend encore des prémisses. Car, passer naturellement de la puissance à l’acte, n’est autre chose qu’être mû naturellement. Si donc tout mouvement naturel des causes inférieures est produit par le mouvement des corps supérieurs, il s’ensuit que tous ces biens nous viennent par le ministère des anges, qui sont les moteurs des corps célestes. |
Articulus 10 [70628] De 43 articulis, a. 10 arg. Decimus articulus est, an propter praedicta
beneficia quae habemus per Angelos, eos revereri debeamus. [70629] De 43 articulis, a.
10 ad arg. Ad hoc plana est
responsio: quia non debemus eos revereri reverentia latriae ut auctores
dictorum beneficiorum, sed ut ministros reverentia duliae, quia propter haec
beneficia debemus eos diligere. Dicit enim Augustinus in I de Doctr.
Christiana: in praecepto quo debemus diligere proximum, et sancti Angeli
continentur, a quibus tanta nobis officia impenduntur misericordiae. |
ARTICLE X: A cause de ces biens qui nous viennent des
anges, devons-nous vénérer ces intelligences célestes?
La réponse est facile nous ne leur devons pas une culte de latrie, comme étant les auteurs de ces bienfaits, mais un culte de dulie, comme les ministres de Dieu, parce que nous devons les aimer à cause de ces bienfaits. Car saint Augustin dit dans son traité de la Doctrine chrétienne: "Le précepte de l’amour du prochain nous ordonne d’aimer les anges, de qui nous recevons tant de bons offices de charité. |
Articulus 11 [70630] De 43 articulis, a. 11 arg. Undecimus articulus est, an Angeli moventes
corpora caelestia, mediantibus motibus corporum caelestium sint factores
omnium corporum humanorum naturaliter in esse productorum, secundum quod
facere attribuitur causis naturalibus, idest sint de potentia in actum
eductores. |
ARTICLE XI: Les anges qui font mouvoir les corps célestes
par l’intermédiaire du mouvement de ces mêmes corps célestes, sont-ils les
auteurs de tous les corps humains produits naturellement, en ce sens que leur
création soit l’effet de causes naturelles, c’est-à-dire qu’ils les font
passer de la puissance à l’acte?
|
Articulus 12 [70631] De 43 articulis, a. 12 arg. Duodecimus articulus est, an Angeli moventes
caelestia corpora, mediantibus motibus caelestium corporum sint factores
etiam omnium animalium irrationalium quae moventur vel vivunt tam in mari
quam in terra, naturaliter in esse productorum. |
ARTICLE XII: Les anges, moteurs des corps célestes,
sont-ils les auteurs, à l’aide des mouvements des corps célestes, de tous les
animaux privés de raison, qui se meuvent ou qui vivent tant sur la terre que
dans la mer?
|
Articulus 13 [70632] De 43 articulis, a. 13 arg. Tertius decimus, an etiam omnium terrae
nascentium eodem modo. |
ARTICLE XIII: Les anges sont-ils les auteurs de tout ce
qui naît sur la terre?
|
Articulus 14 [70633] De 43 articulis, a. 14 arg. Quartus decimus, an etiam omnium metallorum et
cetera. [70634] De 43 articulis, a. 14 ad arg. Ad omnes istos articulos est una responsio. Quia
cum corpora caelestia sint causa generationis inferiorum corporum, ut patet
per auctoritatem Dionysii supra inductam, consequens est quod Angeli moventes
caelestia corpora sint etiam huius generationis causa: unde Augustinus in
libro LXXXIII quaestionum dicit, quod unaquaeque res visibilis in hoc
mundo habet angelicam potestatem sibi praepositam. |
ARTICLE XIV: Les anges le sont également de tous les
minéraux, etc., etc.?
Il n’y a qu’une réponse à toutes ces questions. Comme les corps célestes sont la cause de la génération de tous les corps inférieurs, comme nous l’avons prouvé par l’autorité de saint Denis, il s’ensuit que les anges, qui font mouvoir les corps célestes, sont aussi la cause de cette production. Ce qui fait dire à saint Augustin, dans son quatre-vingt-troisième livre des Questions, que "toute créature visible dans ce monde est soumise au pouvoir des anges." |
Articulus 15 [70635] De 43 articulis, a. 15 arg. Quintus decimus articulus est, an Angelus habeat
virtutem infinitam inferius. [70636] De 43 articulis, a. 15 ad arg. Ad quod dicendum, quod hoc potest capi
dupliciter. Uno modo quod virtus Angeli non sit comprehensibilis ab aliquo
inferiorum; et hoc modo inducitur in libro de causis, et a philosophis
Platonicis: et Dionysius dicit, VI cap. caelestis hierarchiae: quot quidem
sunt et quales supercaelestium substantiarum ornatus, et qualiter secundum
ipsas hierarchiae perficiuntur, solam manifeste scire dico deificam ipsarum
hierarchiam; praeterea et ipsas cognovisse proprias virtutes et
illuminationes, et ipsorum sanctam et supermundanam bonam ordinationem.
Impossibile est enim nos scire supercaelestium mentium ministeria. Hoc enim
dicitur esse unicuique infinitum quod est ei incomprehensibile. Alio modo
potest sic intelligi quod habeat infinitam virtutem supra ea quae infra ipsum
sunt; et hoc est falsum et erroneum. Posset etiam dici virtus Angeli infinita
inferius, quia non est finita per aliquam materiam corporalem in qua
recipiatur, sicut sunt finitae virtutes formarum materialium. Est tamen
simpliciter finita virtus Angeli secundum mensuram suae essentiae, quae
finita est. |
ARTICLE XV: Les anges ont-ils une puissance infinie sur
les créatures inférieures?
Cet article quinzième peut avoir un double sens. 1° D’abord on peut se demander si quelque ordre des créatures inférieures comprend bien la puissance des anges, ce que l’on conclut de ce que l’on voit dans le livre des causes, des écrits des philosophes platoniciens, et de ce que dit, saint Denis, au sixième chapitre de la Hiérarchie céleste. "Je dis que leur divine hiérarchie seule connaît parfaitement leur nombre, la gloire de leur substance céleste, et leurs admirables perfections selon leur ordre hiérarchique, et qu’en outre ils ont la connaissance de leurs vertus particulières, leurs connaissances glorieuses et leur ordre sacré, excellent et surnaturel. Il nous est impossible, à nous, de savoir le ministère de ces substances célestes. Car ce qui est inaccessible à notre intelligence, est infini pour nous. 2° On peut l’entendre dans ce sens qu’ils ont une puissance infinie sur ce qui leur est inférieur, ce qui est faux et erroné. On pourrait dire aussi que la puissance angélique est infinie pour ce qui lui est inférieur, parce qu’elle n’est pas infinie par une matière corporelle où elle habite, comme sont infinies les vertus des formes de la matière. Cependant la vertu es anges est bornée et finie par la mesure de leur essence même, qui est finie. |
Articulus 16 [70637] De 43 articulis, a. 16 arg. Sextus decimus articulus est, an Angelus possit
movere totam molem terrae, et usque ad globum lunae, licet nunquam moverit
vel moturus sit. [70638] De 43 articulis, a. 16 ad arg. Videtur mihi dicendum, quod naturali sua virtute
hoc non potest: quia nulla virtus creaturae potest immutare ordinem
principalium partium universi, ad quem pertinet quod terra sit in medio
locata. Videtur tamen mihi contrarium posse tolerari absque fidei periculo,
si tamen referat intentionem suam ad ponderis quantitatem, non ad praedictum
ordinem universi. Certum est enim quod naturali sua virtute Angelus potest
alicuius ponderis terram movere; sed usque ad quanti ponderis quantitatem
movere possit, non potest a nobis determinari. Si autem quaeritur de motu
circulari, per quem dictus ordo non variatur, videtur quod naturaliter terra quiescat,
ut vult philosophus in Lib. de caelo. |
ARTICLE XVI: L’ange peut-il soulever toute la masse de la
terre, et l’élever jusqu’à la région de la lune, bien qu’il ne l’ait jamais
fait et qu’il ne le fasse jamais?
Il me semble qu’on doit répondre qu’il ne le peut pas, par la seule force de sa puissance naturelle, parce que la puissance d’aucune créature n’est capable de changer l’ordre des principales parties de l’univers, qui fixe l’hémisphère de la terre au milieu du monde. Cependant on peut soutenir le contraire sans blesser la foi, si on veut dire seulement qu’un ange peut soulever ce poids immense, et qu’on n’entende pas qu’il peut intervertir l’ordre de l’univers. Car il est certain que l’ange peut, par sa vertu naturelle, soulever le poids énorme de la terre. Mais nous ne pouvons pas dire la quantité du poids qu’il peut soulever. Si on nous demande quelle est la marche de l’ordre du système planétaire, sur lequel est établi l’ordre invariable du monde, nous répondrons qu’il nous semble que la terre est immobile, comme l’a dit le Philosophe, dans son traité du Ciel. |
Articulus 17 [70639] De 43 articulis, a. 17 arg. Decimus septimus articulus est, an Angeli
moventes orbes sint de numero virtutum. [70640] De 43 articulis, a. 17 ad arg. Videtur mihi quod satis probabiliter hoc dici
possit; nec video quid inconveniens inde sequatur, cum et Origenes exponens
illud Matth. XXIV, 29: virtutes caelorum commovebuntur, dicat, quod conveniens
est caelorum rationabiles virtutes pati stuporem remotas a primis functionibus
suis. Hoc tamen omnino asserendum non videtur. |
ARTICLE XVII: Les anges, moteurs de l’univers, sont-ils au
nombre des vertus?
Il me semble qu’on peut le soutenir avec probabilité t sans inconvénient, lorsqu’Origène, expliquant ces paroles de saint Matthieu, ch. XXIV, "les vertus des cieux seront ébranlées," dit qu’il convient que les vertus raisonnables des cieux seront plongées dans la stupeur de se voir privées de leurs premières fonctions. Cependant on ne doit pas soutenir cette opinion avec trop d’assurance. |
Articulus 18 [70641] De 43 articulis, a. 18 arg. Decimus octavus articulus est, an illud Eccle. I,
6: in circuitu pergit spiritus, sic possit exponi: spiritus, puta
angelicus, pergit in circuitu caeli, et pergendo caelum movere facit in
circuitu. [70642] De 43 articulis, a. 18 ad arg. Non video quare haec expositio sustineri non
possit; praesertim cum dicat Augustinus in I super Gen. ad litteram cap. XX,
quod ideo multis exitibus verba Scripturae exponuntur, ut se ab irrisione
cohibeant litteris saecularibus inflati. |
ARTICLE XVIII: Peut-on entendre ces paroles de premier ch.
de l’Ecclésiaste: "L’esprit marche autour du monde," l’Esprit, à
savoir, l’ange fait le tour du ciel?
Je ne vois pas en quoi cette exposition serait fautive surtout quand on a pour soi l’autorité de saint Augustin, qui dit dans son premier livre du commentaire de la Genèse, ad litteram, que les paroles de l'Ecriture sainte peuvent s’expliquer diversement, afin d’ôter tout prétexte de raillerie à ceux qui se targuent d’une vaine connaissance des lettres humaines." |
Articulus 19 [70643] De 43 articulis, a. 19 arg. Decimus nonus articulus est, an si motus caeli
cessaret, ordine naturae omne ferrum in elementa in instanti resolveretur. |
II-
QUESTIONS SUR LES SPHERES CELESTES
ARTICLE XIX: Si, par un changement dans l’ordre de la
nature, le cours du ciel cessait, tous les métaux seraient-ils convertis en
un instant en d’autres éléments?
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Articulus 20 [70644] De 43 articulis, a. 20 arg. Vigesimus articulus est, an similiter esset de omni
elemento corruptibili. |
ARTICLE XX: En serait-il de même de tous les éléments?
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Articulus 21 [70645] De 43 articulis, a. 21 arg. Vigesimus primus articulus est, an similiter
totus mundus quantum ad corruptibile. |
ARTICLE XXI: Et également tout l’univers dans ce qu’il y a
de corruptible?
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Articulus 22 [70646] De 43 articulis, a. 22 arg. Vigesimus secundus articulus est, an si non esset
lux stellarum, ordine naturae omnes homines corruptibiles morerentur in
instanti. |
ARTICLE XXII: Si la lumière des étoiles et des
constellations perdait son éclat, tous les hommes mortels cesseraient-ils
d’exister par un ordre soudain de la nature?
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Articulus 23 [70647] De 43 articulis, a. 23 arg. Vigesimus tertius articulus est, an similiter
omnia animalia irrationalia. [70648] De 43 articulis,
a. 23 ad arg. Ad
omnia ista est eadem responsio. Ut enim
dictum est, superiora corpora per suum motum et lumen sunt causa generationis
et corruptionis et vitae corporalis in inferioribus corporibus. Non est ergo
dubium quin remota tali causa removeatur effectus: praesertim cum valde
consonum fidei videatur, secundum quam ponimus, quod transeunte figura huius
mundi, et motu caeli cessante per voluntatem Dei, sola elementa innovata
remanebunt, et homines immortales effecti erunt virtute divina. Sed si fiat
vis in hoc quod dicitur, in instanti, dicitur quod licet talis resolutio non
sit in instanti, cum sit motus, principium tamen eius in instanti esse
potest. |
ARTICLE XXIII: En serait-il de même de tous les animaux
privés de raison?
La réponse est la même pour toutes ces questions. Car, comme nous l’avons dit, les corps supérieurs sont, par leur mouvement et leur lumière, la cause de la génération, et de la dissolution, et de la vie corporelle dans les corps inférieurs. Il n’est pas douteux qu’en ôtant la cause, l’effet soit détruit, surtout lorsqu’il est si conforme à la foi, d’après laquelle nous établissons que la figure de ce monde étant détruite, et le cours du ciel interrompu par un ordre de la volonté de Dieu, les seuls éléments ne seront plus renouvelés et les hommes deviendront immortels par une grâce de Dieu. Mais si la révolution dont nous parlons se fait en un instant, on peut dire qu'une telle dissolution ne peut être instantanée, puisqu’elle est une commotion; sa cause peut être cependant instantanée. |
Articulus 24 [70649] De 43 articulis, a. 24 arg. Vigesimus quartus articulus est, an post diem
iudicii omnia corpora sanctorum erunt incorruptibilia per naturam, sive
naturaliter, quia cessabit motus caeli, qui est causa corruptionis. |
III-
QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITES
ARTICLE XXIV: Tous les corps des saints, après le jour du
jugement, seront incorruptibles par nature ou naturellement, parce que le
mouvement de la sphère céleste qui est la cause de leur dissolution, cessera alors?
|
Articulus 25 [70650] De 43 articulis, a. 25 arg. Vigesimus quintus articulus, an similiter corpora
damnatorum. [70651] De 43 articulis, a. 25 ad arg. Ad hoc videtur dicendum, quod cum dicitur aliquid
incorruptibile esse per naturam significatur per naturam esse incorruptionis
causam; cum praepositio per causam designet. Est autem duplex causa: scilicet
per se, et per accidens. Per se quidem causa alicuius est quod directe est
illius causa per suam virtutem, sicut aqua est causa infrigidandi; per accidens
autem est causa alicuius, quod indirecte causat illud, puta removendo causam
contrariam; sicut removens ignem de domo est causa infrigidationis eius. Cum
ergo dicitur cessante motu caeli corpus hominis esse incorruptibile per
naturam, si ly per dicit causam per se, falsum est: non enim ad hoc se
extendit virtus naturae creatae, ut causare possit incorruptionem corporis ex
contrariis compositi. Si autem dicit causam per accidens, sic aliquo modo
verum est quod dicitur; quia subtracta causa universalis corruptionis
naturalis, subtrahitur corruptio. In hoc etiam sensu melius diceretur
negative quam privative; puta si sic diceretur: cessante motu caeli, corpus
hominis, si divina virtute remaneat, non erit corruptibile per naturam.
Verum, quia semper id quod est per se potius est eo quod est per accidens,
potius videtur dicendum, quod erit corruptibile per naturam, sed
incorruptibile per gratiam, vel iustitiam. Vel si contrarium dicatur, debet
dici cum determinatione sanum sensum exprimente. |
ARTICLE XXV: Les corps des damnés le seront-ils aussi?
Il me semble qu’on doit répondre à cette question, que quand on dit qu’une chose est incorruptible par nature, on entend que la nature est la cause de l’incorruptibilité, parce que la préposition par dénote la cause. Or, il y a une double cause, la cause en soi et celle par accident. La cause en soi est celle qui produit un effet directement et en soi, comme, par exemple, l’eau est la cause du rafraîchissement. La cause par accident est celle qui produit un effet indirectement, par exemple, en écartant une cause contraire; comme en ôtant le feu d’un appartement, on donne la cause de son refroidissement. Ainsi lorsqu’on soutient que si le mouvement du ciel s’arrêtait, le corps de l’homme serait incorruptible par nature, si par la préposition, par, on veut dire qu’il est incorruptible par lui-même, cette proposition est fausse. Car la puissance de la nature créée ne va pas jusqu’à rendre incorruptible un corps composé d’éléments contraires; mais si on veut dire qu’elle en est la cause par accident, ceci est vrai, parce qu’en retranchant la cause de toute la corruption naturelle, on retranche la corruption. Mais on dirait mieux en ce sens que la cause est plutôt négative qu’affirmative, comme si on disait, le mouvement du ciel venant à cesser, le corps de l’homme, s’il est maintenu par la puissance de Dieu, ne sera pas corruptible par nature. Mais comme ce qui est par soi, existe plutôt que ce qui est par accident, il vaut mieux dire, qu’il était corruptible par nature, mais incorruptible par grâce ou par justice: mais si on dit le contraire, il faut le rendre en termes clairs et intelligibles. |
Articulus 26 [70652] De 43 articulis, a. 26 arg. Vigesimus sextus articulus est, an damnati in
suis corporibus in Inferno sentiant poenas ignis per apprehensionem et
receptionem speciei ignis per modum afflictivum et laesivum. [70653] De 43 articulis, a. 26 ad arg. Ad hoc dicendum est, quod cum secundum fidem
dicamus corpora damnatorum in Inferno afflictionem ex igne pati, nec tempus
consumi, secundum illud Augustini, XXI de Civit. Dei, c. II: humana
corpora non solum nunquam morte dissolventur, sed in aeternorum quoque ignium
durabunt tormentis, necesse est in eis ponere id quod afflictionem facit,
idest receptionem speciei sensibilis. Oportet etiam removere id quod consummare posset,
scilicet transmutationem naturae corporum. Nec video
quid calumniae habeat articulus. |
ARTICLE XXVI: Les damnés dans l’enfer éprouvent-ils dans
leurs corps les peines du feu, en recevant et subissant la substance de feu
d’une manière afflictive et douloureuse?
On doit répondre à ceci, que comme la foi nous enseigne que les damnés souffrent dans l’enfer la peine du feu et qu’ils ne sont pas détruits par le temps, selon ces paroles de saint Augustin du vingt unième chap. de la Cité de Dieu: "Les corps humains non seulement ne seront pas détruits par la mort, mais ils resteront dans les tourments des flammes éternelles, il faut admettre nécessairement ce qui fait le supplice, c’est-à-dire qu’ils seront atteints par une substance sensible. De même il faut en écarter ce qui produit la décomposition et la consommation, c’est-à-dire la transmutation de la nature des corps. Or, je ne vois pas ce que cet article contient de faux. |
Articulus 27 [70654] De 43 articulis, a. 27 arg. Vigesimus septimus articulus est, an sententia
Christi in iudicio erit corporalis, vel spiritualis. [70655] De 43 articulis, a. 27 ad arg. Dicitur, quod licet utrumque esse possit,
probabilius tamen videtur quod sit spiritualis, quia et alia quae tunc
agentur, spiritualiter divina virtute agentur. Ut enim dicit Augustinus, XX
de Civit. Dei, c. XIV: divina virtute fiet ut cuique opera sua vel bona
vel mala, cuncta in memoriam revocentur, et mentis intuitu mira celeritate
cernantur, ut accuset vel excuset scientia conscientiam, atque ita simul
omnes et singuli iudicentur. |
ARTICLE XXVII: La sentence de J.-C. au jour du jugement
portera-t-elle sur le corps ou sur l’âme?
Quoique l’un ou l’autre soit possible, il est plus probable cependant qu’elle portera sur l’âme, parce qu’alors tout ce qui se fera spirituellement sera fait par la puissance de Dieu. Car, comme dit saint Augustin dans le vingtième chap. de la Cité de Dieu: "Il arrivera alors que par la puissance de Dieu, chacun se rappellera ses bonnes et ses mauvaises actions, qui se présenteront subitement aux yeux de l’âme comme un vaste tableau, afin que cette connaissance condamne ou absolve la conscience, et qu’ainsi tous et chacun soient jugés à la fois." |
Articulus 28 [70656] De 43 articulis, a. 28 arg. Vigesimus octavus articulus est an Christus venit
tollere nisi peccatum originale principaliter, seu principalius inter omnia
peccata quae tollere venit. [70657] De 43 articulis, a. 28 ad arg. Ad quod dicendum, quod Christus, quantum est in se,
venit tollere omnia peccata. Donum enim Christi, ut apostolus dicit Rom. V,
15, excedit peccatum Adae: nam unum tantum ex uno in condemnationem; gratia
autem ex multis delictis in iustificationem. Tanto autem principalius contra
aliquod peccatum venit, quanto est maius. Peccatum autem quod originaliter
contrahitur, licet sit minus gravitate et reatu poenae, est tamen maximum
communitate, secundum illud apostoli Rom. V, 12: in quo omnes peccaverunt.
Et quantum ad hoc potest dici, quod Christus principaliter venit tollere
originale: unde super illud Ioan. I, 29: ecce qui tollit peccatum mundi,
dicit Glossa: peccatum mundi dicitur peccatum originale, quod est commune
toti mundo. |
IV-
QUESTIONS SUR LA RAISON DE LA REDEMPTION
ARTICLE XXVIII: Notre Seigneur Jésus-Christ n’est-il venu
effacer que le péché originel seulement, ou bien l’a-t-il effacé plus
particulièrement encore qu’il n’est venu abolir?
On doit dire que Notre Seigneur Jésus-Christ en tant qu’il est en lui, est venu détruire tous les péchés du monde. Car le don de Jésus-Christ, comme le dit l’Apôtre dans le chap. V de son Epître aux Romains, dépasse le péché d’Adam: Car nous avons été condamnés par le jugement de Dieu par un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce pour un seul péché." Or, il est venu d’autant plus particulièrement pour un péché, qu’il est plus grand. Or le péché originel, quoique moindre en gravité et en châtiment, est cependant le plus grand par son universalité, d’après ces paroles de saint Paul aux Romains, "tous ont péché en un seul." En ce sens, on peut dire que Notre Seigneur Jésus-Christ est venu particulièrement le péché originel qui est commun à tous |
Articulus 29 [70658] De 43 articulis, a. 29 arg. Vigesimus nonus articulus est, an nomina
sanctorum digito Dei scripta sint in caelis ad honorem eorum. [70659] De 43 articulis, a. 29 ad arg. Videtur mihi non esse verum. Si tamen dicatur
quod sic, nullum est periculum. |
ARTICLE XXIX: Les noms des saints sont-ils écrits dans le
ciel par le doigt de Dieu pour leur honneur?
Ceci me semble faux, bien qu’il n’y ait rien de dangereux à l’affirmer. |
Articulus 30 [70660] De 43 articulis, a. 30 arg. Trigesimus articulus est, an nomina impiorum in
Inferno existentium, digito Dei scripta sint in terra ad vituperium eorum. [70661] De 43 articulis, a. 30 ad arg. Non hoc verum puto, si corporaliter intelligatur.
In nullo tamen fides obsistit, ut mihi videtur. |
V-
QUESTIONS SUR L'ESCHATOLOGIE
ARTICLE XXX: Les noms des
impies qui sont dans l’enfer, sont- ils écrits, sur la terre, pour leur
confusion, par le doigt de Dieu?
Je ne crois pas cette idée vraie, prise matériellement. Mais elle ne blesse pas la foi, à mon avis. |
Articulus 31 [70662] De 43 articulis, a. 31 arg. Trigesimus primus articulus est, an Infernus sit
in centro vel circa centrum terrae. [70663] De 43 articulis, a. 31 ad arg. Ad hoc dicendum videtur, quod locus Inferni sit
infra terram; unde Augustinus in libro Retractationum II, cap. XXIV dicit: de
Inferis magis, ut videtur, dicere debuissem quod sub terris sint, quam
rationem reddere cur sub terris esse dicantur. Ubi tamen sit Infernus, an
circa centrum terrae, vel circa superficiem, nihil arbitror ad doctrinam
fidei pertinere: et superfluum est de talibus sollicitari asserendo vel
improbando. |
ARTICLE XXXI: L’enfer est-il au centre ou autour du centre
de la terre?
Je crois qu’on doit dire que l’enfer est au-dessous de la terre. Car saint Augustin dit dans son livre des Rétractations: "Il semble que j’aurais à dire que l’enfer est sous la terre, plutôt que de donner les raisons pou lesquelles on le croit ainsi." Mais il importe peu à la doctrine de la foi, qu’il soit au-dessous de la terre, à son centre ou à sa surface, comme il est superflu de discuter de telles matières, qu’on tienne pour l’affirmative ou pour la négative. |
Articulus 32 [70664] De 43 articulis, a. 32 arg. Trigesimus secundus articulus est, an liceat
disputare an anima Christi sit ex traduce, determinando quod verum est. [70665] De 43 articulis, a. 32 ad arg. Hic articulus dubie positus est. Si enim
intelligatur quod liceat disputare et determinare hoc esse verum quod anima
Christi sit ex traduce, erroneum est, quia nullius hominis anima est ex
traduce: multo ergo minus anima Christi, cuius etiam corpus est virtute
spiritus sancti formatum. Si autem intelligatur quod liceat disputare an
anima Christi sit ex traduce, et circa hoc determinare illud quod veraciter
fides Catholica tenet, scilicet quod non, non video quare hoc non liceat, cum
quotidie in scholis magistrorum disputetur et de Trinitate et de aliis
articulis fidei, non propter dubitationem, sed propter veritatis intellectum
et manifestationem et confirmationem. Posset tamen hoc per accidens in aliquo
casu esse malum: puta si coram simplicibus et paratis ad errandum talia
disputarentur. |
ARTICLE XXXII: L'âme de Jésus-Christ vient-elle d’un autre
corps (et par métempsycose) et se fixer une opinion?
Cet article trente-unième a été posé en forme de question. Si on ne veut pas entendre qu’il soit permis de discuter et de se demander s’il est vrai que l’âme de Jésus-Christ lui vienne d’un autre, cette proposition est fausse, parce que l’âme d’aucun homme ne lui a été donnée de cette manière, et à plus forte raison l’âme de Jésus-Christ dont le corps a été formé par la vertu du Saint-Esprit. Mais si on entend qu’il soit permis de discuter si l’âme de Jésus-Christ lui a été donnée par un intermédiaire et de tâcher de rappeler ce qu’enseigne la foi catholique à cet égard, ou ce qu’elle condamne, je ne vois pas comment cela serait coupable, lorsqu’on dispute tous les jours dans les chaires des docteurs sur la Trinité et sur d’autres articles de foi, non pour élever des difficultés sur ces questions, mais pour en faciliter l’intelligence, en fixer le sens et en établir les preuves. Cependant ceci pourrait être coupable par accident et dans certain cas, par exemple, si on agitait ces questions en présence de personnes simples et ignorantes, ou disposées à l’erreur. |
Articulus 33 [70666] De 43 articulis, a. 33 arg. Trigesimus tertius articulus est, an illud verbum
philosophi de animalibus Lib. XVI, cap. VI, scilicet: corpus spermatis,
cum quo exit spiritus, qui est virtus principii animae, qui est separatus a
corpore, et est res divina; et talis dicitur intellectus, sic possit vel
debeat exponi, idest: ille spiritus seu virtus formativa dicitur intellectus
per similitudinem, quia sicut intellectus operatur sine organo, ita illa
virtus. [70667] De 43 articulis, a. 33 ad arg. Dicitur, quod illam auctoritatem philosophi hoc
modo exponit Commentator eius Meteororum VII. Nec dicitur res divina quia sit
per essentiam Deus, sed per quandam similitudinis participationem; sicut
quodlibet magnum et admirabile solet dici divinum. Nec video quid pertineat
ad doctrinam fidei, qualiter philosophi verba exponantur. |
ARTICLE XXXIII: La part matérielle du sperme avec laquelle
sort la vertu du principe de l’âme, peut-elle être appelée intellect?
Le trente-troisième article contient cette question d’Aristote dans son Traité des Animaux, chap. XVI, savoir: la part matérielle du sperme avec laquelle sort l’esprit qui est la vertu du principe de l’âme, lequel est séparé du corps, et est un être divin et ainsi défini, est appelé intellect, peut-elle et doit-elle être entendue ainsi, c’est-à-dire, cet esprit ou cette puissance de production est appelée intellect par similitude, parce que de même que l’intellect opère sans les organes, de même cette puissance. Le commentateur de ce philosophe l’explique aussi dans son Traité des Météores, VII: "On ne l’appelle pas une chose divine parce qu’elle est Dieu par essence, mais par une certaine participation de ressemblance, on a coutume d’appeler divin ce qui est grand et admirable." Et je ne pense pas que cette explication de la pensée d’Aristote porte atteinte à la foi. |
Articulus 34 [70668] De 43 articulis, a. 34 arg. Trigesimus quartus articulus est, an aliquid de
substantia caeli intret compositionem corporis naturaliter compositi ex
quatuor elementis per effectum suae virtutis. |
ARTICLE XXXIV: Entre-t-il quelque chose de la substance du
ciel dans la composition d’un corps formé naturellement des quatre éléments,
par l’effet de sa propre vertu?
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Articulus 35 [70669] De 43 articulis, a. 35 arg. Trigesimus quintus articulus est, an aliquid de
substantia caeli intret compositionem corporis vivi et animati. [70670] De 43 articulis, a. 35 ad arg. Dicitur, quod cum aliquid dicitur de substantia
caeli, si haec praepositio de designet causam materialem, sic credo esse
falsum, non tamen periculosum, nec contra fidem. Si autem designet
habitudinem causae efficientis, sic puto non solum esse verum, sed
necessarium, ut patet per auctoritatem Dionysii supra inductam: et hic sensus
determinatur per hoc quod dicitur, per effectum suae virtutis. |
ARTICLE XXXV: Un corps vivant et animé reçoit-il quelque
chose, dans sa composition, de la substance du ciel?
On répond que lorsqu’on dit qu’une chose est de la substance du ciel, si cette préposition de, désigne une cause matérielle, je crois cette idée fausse, mais sans danger et nullement opposée à la foi. Et si on entend l’effet de la cause efficiente, je la crois non seulement vraie, mais nécessaire, comme le prouve saint Denis que nous avons cité plus haut, et ce sens est fixé par ces mots, par l’effet de sa vertu. |
Articulus 36 [70671] De 43 articulis, a. 36 arg. Trigesimus sextus articulus est, an corpora
sanctorum glorificata lucebunt plus quam sol, et sol septuplum quam nunc, et
corpora sanctorum septuplum quam tunc sol. [70672] De 43 articulis,
a. 36 ad arg. Dicitur
ad primum, quod Chrysostomus exponens illud Matth. XIII, 43: tunc iusti fulgebunt sicut sol in
regno patris eorum, dicit: non quia ita solum sicut sol, sed quia hoc
sidere nihil lucidius scimus. Alia vero quae sequuntur, non occurrit
quare tute dici non possint; praesertim cum in innovatione mundi certum sit
secundum Catholicam doctrinam quod tota creatura corporalis meliorabitur, quae
revelationem filiorum Dei expectat, ut dicitur Rom. VIII, 19. Hieronymus
etiam dicit super illud Matth. XXIV, 29: sol obscurabitur, et luna non
dabit lumen suum: non hoc diminutione luminis accidet, cum solem legamus
septuplum luminis habiturum; sed comparatione verae lucis, omnia visui
apparebunt tenebrosa. |
ARTICLE XXXVI: On demande si les corps des saints qui
seront glorifiés brilleront plus que le soleil, et si l’éclat du soleil sera
sept fois plus vif que maintenant, et si celui des corps sera sept fois plus
beau que le soleil renouvelé?
On répond à la première question que saint Jean Chrysostome expliquant ces paroles de S. Mathieu, ch. XXXIII, "Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père," dit: "Ils ne brilleront pas seulement comme le soleil, mais nous parlons ainsi parce que nous ne connaissons rien de plus brillant que le soleil." Ce n’est pas le cas d’exposer ce qui suit, parce qu’on ne peut le faire qu’en tâtonnant; surtout quand on est certain, d’après la foi catholique, que dans la rénovation du monde, toute créature corporelle qui attend la révélation des enfants de Bien, sera perfectionnée, selon les paroles de saint Paul aux Romains, ch. VIII Saint Jérôme dit aussi sur ces paroles de saint Matthieu, ch. XXIV: "Le soleil sera couvert de ténèbres et la lune perdra sa lumière." Cela n’aura pas lieu à cause de la diminution de la lumière, puisque nous lisons que le soleil sera sept fois plus lumineux, mais tout paraîtra ténébreux à nos regards, en comparaison de la véritable lumière. |
Articulus 37 [70673] De 43 articulis, a. 37 arg. Trigesimus septimus articulus est, an Angeli quos
vidit Maria Magdalena circa sepulcrum domini post eius resurrectionem,
lacrymabili voce consolati sint eam. [70674] De 43 articulis, a. 37 ad arg. Ad hoc mihi dicendum videtur, quod ea quae in
apparitione Angelorum contingunt, ad quandam significationem sunt referenda,
non ad proprietatem substantiae ipsorum, ut patet per Dionysium, ult. cap.
Cael. Hierarch.; unde sicut in Scripturis sacris aliqua per similitudinem
leguntur de Deo ad iram vel tristitiam vel aliquid humanum pertinentia; ita
etiam nihil prohibet in apparitionibus Angelorum aliquid tale propter aliquam
significationem demonstrari. Et licet Angelis resurrectionis nuntiis magis
congruant signa gaudii propter rem nuntiatam, nihil tamen prohibet quin
aliqua doloris signa ostenderent, ut tales se mulieri flenti ostenderent,
qualem se ipsam interius exhibebat, sicut Gregorius dicit de domino apparente
duobus discipulis in effigie peregrini. |
ARTICLE XXXVII: Les anges que Marie-Madeleine vit auprès
du tombeau du Sauveur après sa résurrection, la consolèrent-ils en lui
adressant la parole avec larmes?
Il me semble qu’on doit répondre que ce qui arriva dans cette apparition des anges, a trait plutôt à leur mission qu’aux propriétés de leur substance, d’après ce que dit saint Denis au chapitre de la Hiérarchie céleste, comme de ce qu’on lit dans l’Ecriture sainte sur la colère, la tristesse de Dieu, et à toutes les différentes situations de la nature humaine. Or rien n’empêche de supposer que quelque chose de semblable n’arrive dans l’apparition des anges, pour signifier quelque sentiment particulier. Et malgré que les signes de la joie semblent mieux convenir aux anges qui annoncent la résurrection de Jésus-Christ, à cause de l’objet de leur mission, rien ne s’oppose néanmoins à ce qu’ils donnent quelques signes de douleur en apparaissant à cette femme en pleurs, exhalant avec larmes la douleur de son âme, comme saint Grégoire le dit du Sauveur qui apparut, sous la figure d’un voyageur, aux deux disciples d’Emmaüs. |
Articulus 38 [70675] De 43 articulis, a. 38 arg. Trigesimus octavus articulus est, an homo posset
videre oculo mentis omnia quae aguntur in corde hominis habentia impressionem
exterius in corpore, si haberet visum acutum ut Diabolus. [70676] De 43 articulis, a. 38 ad arg. De hoc ita dicit Augustinus in libro de
divinatione Daemonum: hominum dispositiones non solum voce prolatas, sed
et cogitatione conceptas Daemones consignant; quae cum ex anima exprimuntur
in corpore, tota facilitate perdiscunt; et in libro II Retractationum c.
XXX dicit: pervenire ista ad notitiam Daemonum, per nonnulla experimenta
compertum est. Verum signa quaedam dantur ex corpore cogitantium, illis
sensibilia, nos autem latentia. An autem alia in speciali cognoscant, aut
difficillime potest ab hominibus, aut omnino non potest inveniri. Ex
quibus patet quod Daemones cogitatione cordium cognoscere possunt quae per
aliquos corporis motus manifestantur. Nec hoc est mirum, cum etiam subtiles
medici per pulsum deprehendant interiores animae passiones; et dicitur Eccli.
XIX, 26: ex visu cognoscitur vir, et ab occursu faciei cognoscitur
sensatus. |
ARTICLE XXXVIII: Pourrait-on voir des yeux de l’esprit
tout ce qui se passe dans le coeur de l’homme, et qui laisse une certaine
impression extérieure dans le corps, si on avait une vue aussi pénétrante que
celle du démon?
Saint Augustin répond à ceci dans son Traité de la divination des démons: "Ils comprennent, dit-il, non seulement les dispositions des hommes exprimées verbalement, mais encore leurs pensées intimes,et les saisissent avec une merveilleuse facilité, lorsqu’elles s’impriment de l’esprit clans le corps." Et il ajoute dans le livre des Rétractations: "Il est constant, par une multitude d’expériences, que tout ceci arrive à la connaissance des démons. Ils reconnaissent même dans les corps humains, des signes de la pensée qui nous restent tout à fait inconnus. Nous pouvons très difficilement:, et il est peut-être tout à fait impossible de savoir s’ils connaissent autre chose en particulier, d’où on puisse conclure que les démons saisissent les pensées du coeur, qui sont exprimées par quelque mouvement du corps. Ceci n’est pas étonnant, puisque des médecins habiles connaissent les passions de l’âme par les battements du pouls. Et on lit au ch. XIX de l’Ecclésiastique: "On connaît l’homme au regard, et l’homme sage se fait connaître à ses traits." |
Articulus 39 [70677] De 43 articulis, a. 39 arg. Trigesimus nonus articulus est, an licet
ascendendo immediate Mars sit supra solem quantum ad situm, tamen sit
immediate supra lunam quantum ad dominium in prima hora Martis. [70678] De 43 articulis, a. 39 ad arg. Ad hoc dicendum videtur, quod si dominium Martis
et lunae referatur ad liberum arbitrium, est erroneum. Si autem referatur ad
corporales et naturales res, nulla sequitur absurditas in fidei doctrina.
Dicit enim Augustinus, V de Civ. Dei, c. VI: non usquequaque dici potest
ad solam corporum differentiam afflatus quosdam valere sidereos; immo
etiam hoc verum est secundum ordinem dierum; nam cum septem planetis septem
horae secundum astrologos deputentur, cum vigintiquatuor horae sint naturalis
diei, consequens est ut prima feria in vigesima secunda hora diei luna
dominium habeat, sicut et in prima eiusdem: unde reincipiendo a Saturno,
vigesimatertia hora ei deputabitur, et vigesimaquarta Iovi, prima diei
sequentis Marti deputabitur. Sed hoc
nihil ad doctrinam fidei pertinet nec asserere nec improbare. |
ARTICLE XXXIX: Quoiqu’en montant perpendiculairement Mars
soit au-dessus du soleil, quant à la position, est-il cependant immédiatement
au-dessus de la lune, quant à l’influence, à la première heure de Mars?
On doit répondre à ceci que, si l’influence de Mars et de la lune a rapport au libre arbitre, cette pensée est erronée. Si on ne l’applique qu’aux choses naturelles et sensibles, il n’y a rien qui puisse porter atteinte à la foi. Or saint Augustin dit dans la Cité de Dieu: "On ne peut pas toujours dire que certaines influences des astres agissent seulement d’après la différence des corps; bien plus, ceci est vrai d’après l’ordre des jours, car les astrologues comptent sept heures, d’après les sept planètes, et comme le jour ordinaire se compose de vingt-quatre heures, il s’ensuit que la lune exerce son influence à la vingt-deuxième heure du jour de la première férie, comme dans la première heure du même jour; en sorte qu’en recommençant depuis Saturne, il aura la vingt-troisième heure, la vingt-quatrième à Jupiter, et la première du jour suivant à Mars. Mais qu’on prenne telle ou telle opinion, ceci ne touche pas à la foi. |
Articulus 40 [70679] De 43 articulis, a. 40 arg. Quadragesimus articulus est, an in Inferno erit
fletus corporalis quantum ad lacrymarum resolutionem. [70680] De 43 articulis, a. 40 ad arg. Puto quod non erit: quia cum fletus ille sit
infinitus, et nihil corporibus damnatorum adiiciatur per nutrimentum,
sequeretur quod aliquando per fletum corpora resolverentur et consumerentur;
quod est contra fidem. |
ARTICLE XL: Les damnés, dans l’enfer, répandront-ils des
larmes matérielles?
Je pense que non; car comme ces pleurs sont éternels, et que leurs corps ne seront pas entretenus par la nourriture, il s’ensuivrait que quelques corps seraient entièrement consommés et cesseraient d’être, ce qui est contre la foi. |
Articulus 41 [70681] De 43 articulis, a. 41 arg. Quadragesimus primus articulus est, an in Inferno
erit corporalis vermis. [70682] De 43 articulis, a. 41 ad arg. Hoc Augustinus sub dubio relinquit, XXI de Civ.
Dei, licet in XX eiusdem dicat hoc probabilius videri, quod ignis referatur
ad corpus, vermis tropice ad animam: quod etiam mihi probabilius videtur. |
ARTICLE XLI: Le ver qui doit ronger le coeur des damnés
est-il matériel?
Saint Augustin laisse cette question douteuse dans le vingt unième livre de la Cité de Dieu, quoiqu’il dise dans le vingtième qu’il lui semble plus probable que le feu s’applique au corps, et que le ver entoure l’âme de ses replis, et cette opinion est la mienne. |
Articulus 42 [70683] De 43 articulis, a. 42 arg. Quadragesimus secundus articulus est, an sciri
possit distantia superficiei terrae ab eius centro. [70684] De 43 articulis, a. 42 ad arg. Videtur quod sic, secundum tamen modum
demonstrationis astrologicae, non geometricae. Haec sunt, pater reverende,
quae pro nunc occurrunt, licet plura sint extra theologiae limites requisita. |
ARTICLE XLII: Peut-on mesurer la distance de la surface de
la terre au centre?
Il me semble que la chose est possible, non géométriquement, mais seulement par l’astrologie. Voilà, mon Révérend Père, ce que je puis vous dire pour le moment sur ces différentes questions, dont plusieurs sont en dehors des limites de la théologie. |
Fin du dixième Opuscule de saint Thomas d’Aquin au docteur Jean de Verceil, supérieur général de l’ordre des Frères prêcheurs, en réponse aux 42 articles. |