Traité des deux préceptes de la Charité et
des 10 commandements de la Loi.
Par saint Thomas d'Aquin,
le Docteur des Docteurs
Opuscules 4
Tractatus de duobus
praeceptis charitatis et decem legis praeceptis.
Editions Louis Vivès, 1857
Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
1- LES COMMANDEMENTS DE L’AMOUR DE DIEU
1: PREMIER PRÉCEPTE: DE L'AMOUR DE DIEU
1 ter- VOUS N’AUREZ PAS DE DIEU ÉTRANGER
2- SECOND PRECEPTE: LE NOM DE DIEU_
3- SANCTIFIER LE JOUR DU SEIGNEUR_
2- LES COMMANDEMENTS DE L'AMOUR DU PROCHAIN
(3) 1. Trois choses sont
nécessaires à l'homme pour marcher dans la voie du salut: la science de la foi,
la science des désirs et la science des œuvres. De ces trois sciences, la
première nous est enseignée dans le Symbole, où sont formulés tous les dogmes
de notre religion; la seconde dans l'oraison dominicale, et la troisième dans
la loi. Nous allons nous occuper de la science des œuvres. Quatre lois
président à nos actions: la première est la loi naturelle, qui n'est autre
chose que la conscience, cette lumière intellectuelle que Bien a mise dans
notre âme, et qui nous montre ce que nous devons faire et ce que nous devons
éviter. Cette lumière intellectuelle, cette loi naturelle, Dieu on a fait don à
l'homme une fois créé. Cependant il ne manque pas de gens qui croient excuser
leurs fautes en prétextant l'ignorance de leurs devoirs; c'est à eux qu'il faut
appliquer ces paroles du roi prophète: "Beaucoup disent: Qui nous enseignera
ce qui est bien?" comme s'ils ne savaient point ce qu'ils doivent
faire. Mais le roi prophète leur répond en ces termes: "Seigneur, vous
avez mis en nous votre lumière," c'est-à-dire cette lumière
intellectuelle qui nous éclaire sur nos devoirs. Nul ne peut ignorer, par
exemple, qu'il ne doit point faire à autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui
fit, et las autres préceptes de la loi naturelles sont également gravés dans la
conscience de chacun. Cette loi, disons-nous, a été donnée a l'homme nu moment
de la création; mais le démon a soumis la créature de Dieu à une autre loi, à
la loi de concupiscence. Tant que le premier homme resta fidèle à son créa
leur, en observant les préceptes divins, la chair obéit aussi à l'esprit, et
les sens restèrent soumis à la raison.
(5) 2. Une fois que,
cédant aux perfides insinuations de Satan, l'homme se fut révolté contre Dieu,
les sens se révoltèrent aussi contre la raison, et la chair contre l'esprit. De
là vient que, tout en voulant le bien, qui lui est montré par la raison,
l'homme est entraîné au mal parla concupiscence. Cette lutte dont l'âme est le
théâtre, saint Paul l'a décrite dans une de ses Épi très aux Romains: "Je
vois, dit-il, dans mes sens une loi qui combat la loi de mon esprit.
"Il arrive souvent que la loi de concupiscence triomphe de la loi
naturelle, et que la chair l'emporte sur l'esprit; aussi l'Apôtre ajoute-t-il:
"Cette loi funeste m'asservit an péché. "L'homme, dominé par la loi
de concupiscence, plus forte sur lui que la loi naturelle, avait donc besoin
d'être détourné du mal et ramené au bien par une loi nouvelle. Ce fat la
mission de la loi mosaïque de répondre à ce besoin.
(7) 3. Remarquons ici
qu'il y a deux motifs qui détournent l'homme du mal et le ramènent au bien,
savoir la crainte et l'amour. De ces deux motifs, le premier qui agit sur lui,
c'est la crainte. Ce qui l'engage avant tout et le plus puissamment à éviter le
crime, c'est la pensée de l'enfer et des peines infligées au coupable par le
souverain juge. Voilà pourquoi l'Ecclésiaste a dit: "La crainte du
Seigneur est le commencement de la sagesse;" voilà pourquoi il dit
encore: "La crainte du Seigneur écarte le péché. "Sans doute
celui qui s'abstient de faire le mal par crainte du châtiment n'est pas encore
vertueux; mais il est arrivé au point de départ de la vertu. Ainsi la loi
mosaïque détournait l'homme du mal et le ramenait au bien par la menace et la
terreur. "Quiconque violait un précepte de cette loi sévère était mis à
mort" – "sans pitié, en présence de deux ou trois témoins," comme
le rappelle saint Paul aux Hébreux. Mais la crainte est un motif insuffisant
pour détourner l'homme du mal et le ramener au bien; la loi mosaïque
n'enchaînait à ses préceptes que l'homme physique, l'homme spirituel échappait
à son pouvoir. Il fallait donc à la vertu un nouveau motif, à la morale une
nouvelle loi; ce motif c'est l'amour, cette loi, c'est l'Évangile. Ainsi la loi
d'amour succéda à la loi de crainte.
(9) 4. Mais il faut
remarquer qu'entre la loi de crainte et la loi d'amour il existe une triple
différence. La première, c'est que la loi de crainte nous impose une obéissance
servile, tandis que la loi d'amour nous demande une soumission volontaire et
libre. Celui agit par crainte agit en esclave; mais celui dont les actions n'ont
d'autre motif que l'amour agit en homme libre, et son obéissance est toute
filiale. "Partout où est l'esprit du Seigneur, dit saint Paul, est
aussi la liberté. "En effet, grâce à l'amour, l'homme obéit à Dieu
comme un fils à son père. La seconde différence, c'est que la loi de crainte
promettait les biens temporels à ceux qui observeraient ses préceptes, tandis
que la loi d'amour promet les biens célestes pour récompense de la vertu.
Interprète de la loi de crainte, Isaïe fait parler ainsi le Seigneur: "Si
vous êtes soumis à mes commandements et docile à ma voix, vous jouirez de tous
les biens de la terre. "Auteur de la loi d'amour, Jésus-Christ nous
dit: "Si vous voulez posséder la vie éternelle, observez les
commandements de Dieu. "Précurseur de Jésus, Jean s'écrie: "Faites
pénitence, car le règne céleste est proche. "La troisième différence,
c'est que la loi de crainte est dure, tandis que la loi d'amour est pleine de
douceur. Pierre dit, en parlant des préceptes mosaïques: "Pourquoi
cherchez-vous à nous imposer un joug que nos pères n'ont pus supporter, et qui
nous accablerait?" Jésus-Christ dit, en parlant de la morale de l'Évangile:
"Mon joug est doux et mon fardeau est léger. "Saint Paul dit à
son tour: "Vous n'avez point reçu, comme les Juifs, l'esprit de crainte
qui rend l'homme esclave, mais l'esprit d'amour, qui fait l'homme enfant de
Dieu."
(11) 5. Ainsi donc, je le
répète, quatre lois président à nos actions: la loi naturelle, que Dieu a
gravée dans le cœur de l'homme en le créant; la loi de concupiscence, dont le
démon est l'auteur; la loi de crainte, promulguée par Moïse; et la loi d'amour,
apportée au monde par Jésus-Christ. Mais il est évident que tous les hommes ne
peuvent pas consacrer leur temps à l'élude de la morale: c'est pourquoi Jésus-Christ
a exposé les préceptes de la loi d'amour avec brièveté et précision, afin que
tous les hommes fussent à portée de les connaître et ne pussent, en les
violant, prétexter l'ignorance de leurs devoirs. "La parole du
Seigneur, dit saint Paul, retentira sur la terre, et tous la
comprendront. "Maintenant il faut remarquer que cette loi d'amour doit
être la règle de toutes les actions humaines. Dans les arts. nous appelons beau
ce qui est conforme au type de la beauté: ainsi, en morale, un acte est vertueux
quand il est d'accord avec la loi d'amour; tout acte qui s'écarte de cette
règle divine une peut être ni bon, ni juste. Si nous étudions maintenant les
effets de l'amour divin sur l'homme, nous en trouverons quatre principaux qui
méritent toute notre admiration.
(13) 6. Premièrement,
l'amour divin donne à l'homme la vie spirituelle. L'objet aimé existe dans le
coeur de celui qui aime: ainsi celui qui aime Dieu possède Dieu dans son cœur. "Quiconque
a la charité vit en Dieu, et Dieu vit en lui," dit saint Jean. L'amour
transforme encore celui qui aime et le rend semblable à l'objet aimé.
Aimons-nous un objet vil et méprisable, nous devenons vils et méprisables comme
lui. Ecoutez les paroles du prophète: "Ils sont devenus abominables
comme les objets qu'ils ont aimés. "Au contraire, si nous aimons Dieu,
nous devenons des hommes divins; car "celui qui est uni à Dieu reçoit
de lui la vie spirituelle. "Or, dit saint Augustin, "de même
que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme. "Le
corps est doué de vie, quand l'âme habite on lui et le fait agir; aussitôt que
l'âme s'envole le corps reste immobile, et n'est plus qu'un cadavre: ainsi
l'âme possède la vie parfaite, elle révèle sa puissance par la vertu, quand
elle est unie à Dieu par l'amour; elle languit et meurt dès que l'amour et Dieu
l'abandonnent. "Quiconque n'aime point demeure dans la mort. "Il
ne faut pas oublier que celui qui possède tous les dons du Saint-Esprit sans
l'amour ne possède point la vie. Le don des langues, le don de la foi et tous
les autres dons de la grâce, ne peuvent donner la vie s'ils ne sont point
joints à l'amour. Qu'un cadavre soit enveloppé de vêtements où l'or brille mêlé
aux pierres précieuses, ce n'en est pas moins un cadavre. Ainsi donc la vie
spirituelle, tel est le premier effet de l'amour divin.
(15) 7. En second lieu,
l'amour divin nous rend attentifs à observer les commandements de Dieu. "Celui
qui aime Dieu ne reste jamais oisif. "Il accomplit de grandes chose,
si l'amour l'anime véritablement; s'il se refuse à la pratique de la vertu,
l'amour n'habite point dans son cœur: par conséquent le signe le plus manifeste
de l'amour divin, c'est la promptitude à accomplir les commandements de Dieu.
Ne voyons-nous pas que celui qui aime se dévoue aux plus grandes, aux plus
difficiles entreprises pour obéir à la voix de l'objet aimé? "Celui qui m'aime, dit le Seigneur, gardera ma parole.
"Ajoutons qu'aimer Dieu fidèlement, c'est accomplir toute la loi
divine. Remarquons aussi que les préceptes de la loi divine sont de deux sortes:
les uns sont positifs et commandent le bien; les autres sont négatifs, et
défendent le mal. L'amour divin accomplit également les uns et les autres, car
il ne peut faire le mal, et sa plénitude consiste à faire le bien.
(17) 8. Le troisième effet
de l'amour divin, c'est de nous offrir un refuge contre l'adversité. Rien ne
peut nuire, tout sert à celui qui aime Dieu, tout concourt à son avantage: les
peines, les afflictions lui semblent douces. Et pourrait-il en être autrement,
quand celui-là même dont le cœur n'est animé que d'un amour terrestre souffre
tout avec joie pour l'objet aimé?
(19) 9. Le quatrième et
dernier effet principal de l'amour divin, c'est de nous conduire au suprême
bonheur. La béatitude éternelle n'est promise qu'à ceux dont le cœur est
pénétré de cet amour sublime; toutes les vertus sans lui sont insuffisantes
pour nous mériter les récompenses célestes. "Il ne me reste plus, dit
saint Paul, qu'à recevoir la couronne que le souverain juge me réserve.
Cette couronne ne m'attend pas seul; elle attend aussi tous ceux qui, comme
moi, aiment le Seigneur. "Ajoutons qu'il y a différents degrés dans la
béatitude éternelle, suivant les différents degrés de l'amour divin, et non
suivant ceux de toute autre vertu. Bien des hommes se sont soumis plus que les
Apôtres à de rigoureuses abstinences. Cependant les Apôtres tiennent le premier
rang dans le royaume du ciel, parce que, plus que tous les autres hommes, ils
étaient pénétrés de l'amour divin. "Ils avaient reçu, comme dit saint
Paul, les prémices du Saint-Esprit," et voilà pourquoi ils sont
récompensés plus magnifiquement.
(21) 10. Mais, outre ces
quatre effets principaux de l'amour divin, il en est encore d'autres que nous
ne devons point passer sons silence. D'abord il nous obtient de Dieu la
rémission de nos péchés. Si un homme offense son prochain et lui voue plus tard
une tendre amitié, celui qu'il a offensé n'oublie-t-il pas ses torts
d'autrefois en faveur de son affection? C'est ainsi que Dieu pardonne à ceux
qui l'aiment, les offenses dont ils se sont rendus coupables envers lui. "L'amour,
dit l'Apôtre, couvre une foule de fautes. "Il les couvre si bien
qu'il les dérobe aux regards de Dieu. L'Apôtre dit que l'amour couvre une foule
de fautes, et Salomon assure qu'il les couvre toutes; c'est ce que prouve
l'exemple de Madeleine, de cette pécheresse repentante que le Seigneur montrait
à ses disciples, en disant: "Il lui sera beaucoup pardonné, parce
qu'elle a beaucoup aimé. "Mais, objectera-t-on, l'amour suffit-il à
lui seul pour effacer nos fautes, et ne faut-il pas qu'il soit joint au
repentir? Je réponds à cela qu'il est impossible d'avoir un amour sincère sans
avoir en même temps un sincère repentir de ses fautes. Plus nous aimons
quelqu'un, et plus nous éprouvons de regrets quand nous l'avons offensé.
(23) 11. Un autre effet de
l'amour divin, c'est d'éclairer le cœur. "Nous sommes tous, selon
l'expression de Job, plongés dans les ténèbres. "Souvent nous ne
savons que faire, que désirer; mais l'amour divin illumine notre âme, il nous
enseigne tout ce qui est nécessaire à notre salut. Où règne l'amour divin règne
aussi le Saint-Esprit, qui connaît toutes choses, qui nous guide "dans
la voie de la justice," suivant l'expression du roi prophète: "Vous
qui craignez Dieu, dit l'Ecclésiastique, aimez-le, et vos cœurs seront
éclairés;" c'est-à-dire, vous saurez tout ce qui est nécessaire à
votre salut.
(25) 12. Un autre effet de
l'amour divin, c'est de produire dans l'homme un contentement parfait. Nul ne
peut goûter de jouissance réelle que dans le sein de Dieu. Quiconque désire
quelque chose ne peut trouver de satisfaction et de repos que dans la
possession de l'objet de ses désirs; souvent même, quand l'homme est agité par
une affection terrestre, il désire ardemment ce qu'il ne possède pas, et il
dédaigne, il méprise ce qu'il a obtenu. Il n'en est pas ainsi quand le cœur est
rempli de l'amour divin. Celui qui aime Dieu le possède tout entier, et il
trouve en lui son repos et son bonheur. "Celui qui aime Dieu demeure en
Dieu, et Dieu demeure en lui."
(27) 13. L'amour divin
produit encore en nous une paix parfaite. Quand le cœur de l'homme est animé
d'un amour terrestre, il arrive souvent qu'après avoir possédé l'objet de ses
désirs, il est encore inquiet, il désire encore autre chose; car "le
cœur de l'impie est comme une mer bouillonnante, qui ne peut se calmer." -
"Point de paix pour les impies, dit le Seigneur. "II n'en est pas
ainsi de celui qu'anime l'amour divin. Quand on aime Dieu, on jouit d'une paix
parfaite. "Seigneur, s'écrie le Psalmiste, une paix profonde est
le partage de ceux qui aiment ta sainte loi; rien ne saurait troubler leur âme.
"Pourquoi cela? N'est-ce point que Dieu seul peut remplir l'immensité
de nos désirs? L'immensité de Dieu n'est-elle pas plus grande encore que le
vide de notre cœur? "Mon Dieu, s'écrie saint Augustin, vous nous
avez faits pour vous, et notre cœur est inquiet tant qu'il ne se repose pas en
vous." - "Ô mon âme! s'écrie aussi le roi prophète, bénis le Seigneur
qui remplit tous tes désirs."
(29) 14. Un autre effet de
l'amour divin, c'est d'ennoblir la nature humaine. Toutes les créatures rendent
hommage à la majesté divine, toutes sont soumises à Dieu comme à leur Créateur,
comme au souverain de l'univers; mais, grâce à l'amour, nous cessons d'être
esclaves; nous devenons libres, nous devenons les amis de Dieu. "Je ne
vous donnerai plus le titre de serviteurs, mais celui d'amis," dit le
Seigneur à ses disciples. Cependant, objectera-t-on, saint Paul et tous les
apôtres ne se donnent-ils pas à eux-mêmes le titre de serviteurs de Dieu? Il
est vrai; mais remarquons qu'il y a deux espèces de servitude: la première est
une servitude de crainte; elle est pénible et sans mérite. Je dis sans mérite;
celui qui ne s'abstient de faire le mal que par crainte du châtiment n'a droit
à aucune récompense; et sa soumission est encore celle d'un esclave. La seconde
est une servitude d'amour. Quand on a pour motif de ses actions, non pas la
crainte du châtiment, mais l'amour divin, on n'agit point en esclave, on agit
en homme libre, parce qu'on obéit volontairement à Dieu. Voilà pourquoi le
Seigneur dit à ses disciples: "Je ne vous donnerai plus le titre de
serviteurs. "Cette explication ne suffit-elle point? saint Paul
lui-même la complétera. "Vous n'avez point, dit-il, reçu comme
les Juifs, l'esprit de crainte qui rend l'homme esclave, mais l'esprit d'amour
qui le rend libre et enfant de Dieu." - "La crainte est étrangère à
l'amour," ajoute saint Jean. La crainte est pénible, et l'amour est
plein de douceur.
(31) 15. L'amour divin ne
rend pas seulement l'homme libre, il le fait enfant de Dieu. Oui, grâce à
l'amour," nous obtenons le litre d'enfants de Dieu, et nous le sommes
véritablement," selon ce que dit encore saint Jean. Nous acquérons ainsi
un droit à l'héritage de notre Père céleste, et cet héritage, c'est la vie
éternelle. "L'Esprit saint, dit le grand Apôtre, nous rend ce
témoignage, que nous sommes enfants de Dieu. Si nous sommes enfants de Dieu,
nous sommes aussi ses héritiers; si nous sommes héritiers de Dieu, nous
sommes cohéritiers du Christ." - "Les justes, dit aussi Salomon,
sont enfants de Dieu."
(33) 16. Ce qui précède
fait assez comprendre les avantages de l'amour divin. Il est donc de notre
devoir de faire tous nos efforts pour acquérir et pour conserver une chose si
avantageuse. Mais remarquons d'abord que nul ne peut avoir par lui-même l'amour
divin, et que c'est Dieu seul qui le donne. "Si Dieu nous a montré tant
de bonté," dit saint Jean, ce n'est point à cause de notre amour pour
lui, mais a cause de son amour pour nous. "Car l'amour que Dieu a pour
nous n'est point l'effet de l'amour que nous avons pour lui, mais l'amour que
nous avons pour Dieu est l'effet de l'amour qu'il a pour nous. "Ajoutons
que, bien que tous les dons viennent du Père des lumières, celui de l'amour
divin est supérieur à tous les autres. On peut posséder tous les autres dons
sans posséder l'amour divin et le Saint-Esprit; mais le Saint-Esprit est
inséparable de l'amour divin, et il est impossible de posséder l'un sans
posséder aussi l'antre. "L'amour divin, dit l'Apôtre, a pénétré dans
nos cœurs avec le Saint-Esprit qui nous a été donné. "Il n'en est pas
de même des autres dons. On peut, je le répète, posséder le don des langues, le
don de la science, le don de prophétie, sans posséder le Saint Esprit, sans posséder l'amour divin. Bien que
l'amour divin soit un don de Dieu et le plus grand de tous, nous devons, pour
le posséder, disposer notre cœur à le recevoir et à le garder.
(35) 17. Deux choses sont
principalement nécessaires pour obtenir l'amour divin. Il faut d'abord entendre
avec assiduité la parole de Dieu. La manière dont naissent les affections
terrestres est une preuve de cette vérité. Quand nous entendons dire du bien
d'une personne, ne sommes-nous pas portés à l'aimer? C'est ainsi qu'en
entendant la parole de Dieu, notre cœur s'enflamme d'amour pour lui. "Seigneur,
s'écrie le roi prophète, votre parole est de feu, et elle enflamme
d'amour ce cœur qui vous est dévoué." - "La parole du Seigneur,"
dit-il encore, enflamma le cœur de Joseph. "Ces deux disciples de
Jésus, qui avaient rencontré leur maître après sa résurrection, se disaient
l'un à l'autre, tout brûlants de l'amour divin: "Notre cœur ne
s'enflammait-il pas dans notre poitrine, tandis qu'il nous parlait en chemin et
nous expliquait les Écritures!" Nous lisons, dans les actes des
Apôtres, que, Simon Pierre prêchant l'Évangile a Césarée, le Saint-Esprit
descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole divine. N'arrive-t-il pas
souvent que la prédication amollit les cœurs les plus durs, et leur inspiré
tout à-coup l'amour divin?
(37) 18. Pour obtenir
l'amour divin, il faut, en second lieu, entretenir sans cesse son esprit de
bonnes pensées. "Mon cœur s'enflamme au milieu de ses méditations pieuses,"
dit le Psalmiste. Si vous voulez obtenir l'amour divin, occupez-vous de pieuses
méditations. Il serait bien insensible, celui qui, eu songeant aux bienfaits du
Seigneur, aux périls qu'il a évités, à la béatitude qui lui est promise, ne
s'enflammerait pas d'amour pour Dieu, "Il a le cœur bien dur celui qui,
s'il n'aime pas le premier, ne paie pas au moins de retour l'amour qu'on a pour
lui. "On peut dire, en général, que les mauvaises pensées détruisent
l'amour divin, et que les bonnes le font naître, le nourrissent, et veillent à
sa conservation. "Otez, dit le Seigneur, ôtez de devant mes yeux
vos mauvaises pensées." - "Les mauvaises pensées, dit Salomon,
éloignent de Dieu. "Deux conditions principales sont nécessaires à
l'accroissement de l'amour divin.
(39) 19. Il faut d'abord
éloigner son cœur des objets terrestres. Le cœur ne peut se donner complètement
à des objets divers; nul ne peut aimer à la fois le monde et Dieu. C'est
pourquoi plus notre cœur s'éloigne des affections terrestres, plus il s'affermit
dans l'amour divin. "Ce qui tue l'amour divin, dit saint Augustin,
c'est le désir d'obtenir ou de conserver les biens temporels; ce qui le
vivifie, c'est l'affaiblissement des passions; ce qui le rend parfait, c'est
l'absence de toute passion, car la passion est la source de tous les maux."
Quiconque veut accroître en lui l'amour divin doit donc travailler à détruire
en lui les passions. J'entends par passion l'amour des biens temporels. Pour le
détruire il faut d'abord craindre Dieu, qui seul ne peut être craint sans être
aimé. L'institution des ordres religieux n'a pas d'autre but que
l'accomplissement de cette œuvre. L'état monastique nous éloigne des vanités du
monde et des objets terrestres, il élève notre âme vers le ciel et vers Dieu. "Le
soleil brille après avoir été voilé de nuages," lisons-nous dans le
livre des Macabées. Le soleil voilé de nuages, c'est l'esprit humain quand il
est obscurci par les affections terrestres; le soleil qui brille, c'est
l'esprit humain quand il se dégage des affections terrestres pour s'élever à
l'amour divin.
(41) 20. La seconde
condition nécessaire à l'accroissement de l'amour divin, c'est une patience
inébranlable dans l'adversité. Les peines que nous endurons pour une personne
aimée augmentent notre tendresse pour elle, loin de la diminuer. "Des
torrents d'eau ne pourraient éteindre l'amour," dit le Cantique des
cantiques. Ces torrents d'eau, ce sont les tribulations de la vie, et ces
tribulations endurées pour Dieu affermissent l'amour divin dans les âmes
saintes, bien loin de l'affaiblir. L'artiste contemple avec plus d'amour
l'œuvre qui lui a coûté plus d'efforts et de peines. C'est ainsi que les cœurs
fidèles aiment d'autant plus Dieu qu'ils souffrent davantage pour lui.
"Les eaux se multiplièrent et l'arche s'éleva avec elles." Les
eaux du déluge, en sont les afflictions du monde; l'arche qui s'élève, c'est
l'Église ou l'âme du juste.
De l'amour de Dieu.
(3) 21. Quand les
docteurs de la loi mosaïque demandèrent à Jésus quel était le plus grand et le
premier commandement, il leur répondit: "Vous aimerez le Seigneur,
votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit; tel
est le plus grand et le premier commandement." Et en effet, il est le
plus important et le plus sublime de tous, il contient à lui seul tous les
autres. Quatre conditions sont nécessaires à l'accomplissement parfait de ce
précepte.
(5) 22. La première,
c'est une reconnaissance profonde pour les bienfaits de Dieu. Tout ce que nous
possédons, soit en nous, soit hors de nous, vient de lui; il faut donc que nous
lui rendions hommage de tout et que nous l'aimions d'un amour sans bornes. Ne
serait ce point une coupable ingratitude que de ne pas aimer son bienfaiteur?
Le souvenir des bienfaits du Seigneur n'abandonnait jamais David: "Mon
Dieu, s'écrie-t-il, tout vous appartient, nous ne faisons que vous rendre ce
que nous avons reçu de votre main." Aussi l'Ecclésiastique fait-il
l'éloge du roi prophète en ces termes: "Il a glorifié de toute son âme
le nom du Seigneur; il a aimé d'un amour sans bornes le Dieu qui l'avait créé."
(7) 23. La seconde
condition, c'est un profond respect pour la majesté divine. "Dieu est
plus grand que notre cœur;" ainsi, quand même nous le servirions de
tout notre cœur, notre soumission ne serait pas encore assez humble. "Glorifiez
le Seigneur de toutes vos forces, dit l'Ecclésiastique, vous n'atteindrez
jamais jusqu'à lui. Bénissez le Seigneur, exaltez-le de toute la puissance de
votre âme, car il est au-dessus de toute louange."
(9) 24. La troisième
condition, c'est le renoncement aux vanités du monde et aux affections
terrestres. C'est faire injure à Dieu que de lui égaler quelque chose. "A
quel rang me faites-vous descendre?" dit le Seigneur à ceux qui le
rabaissent au niveau des créatures. Nous faisons injure à Dieu, nous dégradons
sa majesté quand nous mêlons les affections terrestres à l'amour divin; ou
plutôt, il est impossible d'aimer à la fois le monde et Dieu. "Une
couche trop étroite ne peut recevoir deux personnes, dit Isaïe, et un manteau
trop court ne peut les couvrir en même temps." Ce manteau trop court,
cette couche trop étroite c'est le cœur de l'homme, qui peut à peine contenir
Dieu lui seul, et que Dieu abandonne quand il lui faut le partager avec le
monde. Il ne souffre point de rival dans notre cœur, non plus qu'un époux dans
le cœur de son épouse. N'a-t-il pas dit lui-même: "Je suis votre Dieu
jaloux?" II ne veut point que nous aimions quoi que ce soit autant que
lui; il ne veut point que nous aimions autre chose que lui.
(11) 25. La quatrième
condition, c'est l'horreur du péché. Nul ne saurait aimer Dieu en vivant dans
le mal. "Vous ne pouvez, est-il dit, servir en même temps Dieu et Mammon."
Ainsi quiconque vit dans le péché n'aime point Dieu. Il l'aimait ce pieux
monarque qui l'invoquait en ces termes: "Seigneur, souvenez-vous que
j'ai marché sous vos yeux dans la voie de la vérité et dans la pureté de mon
cœur." - "Jusques à quand, s'écrie le prophète Élie, balancerez-vous
incertains entre le bien et le mal?" Telle est, en effet,
l'incertitude du pécheur: tantôt il se laisse entraîner sur les pas du démon,
tantôt il s'efforce de chercher Dieu; mais cette incertitude déplaît au
Seigneur: "Venez à moi, nous dit-il, de tout votre cœur." Deux
espèces d'hommes pèchent contre ce précepte: les uns, en évitant un vice, par
exemple, la luxure, tombent dans un autre, par exemple, l'avarice. Ils ne sont
pas moins coupables que ceux qui tombent dans ces deux vices à la fois; "car,
dit l'apôtre saint Jacques, celui qui viole un seul précepte de la loi
divine viole toute la loi." Il en est d'autres qui confessent une
partie de leurs péchés et taisent le reste, ou bien qui partagent l'aveu de
leurs fautes entre deux confesseurs. Ceux-là ne méritent point l'absolution;
ils commettent, au contraire, une nouvelle faute en cherchant à tromper Dieu et
en profanant un sacrement. "C'est une impiété, dit un sage, d'attendre de
Dieu un pardon incomplet." - "Répandez vos cœurs en présence de
l'Éternel," dit aussi le Psalmiste. Et en effet, on doit révéler tout son
cœur dans la confession.
(13) 26. Nous avons montré
que l'homme est tenu de se donner à Dieu; mais comment peut-il se donner à lui?
Qu'y a-t-il en nous que nous puissions et que nous devions lui consacrer? Il y
a dans l'homme quatre choses qu'il peut et qu'il doit consacrer à Dieu; savoir:
le cœur, l'âme, l'esprit et la force. "Vous aimerez le Seigneur votre
Dieu, dit l'Évangile, de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout
votre esprit et de toute votre puissance," c'est-à-dire de toute votre
force.
(15) 27. Remarquons que le
mot cœur signifie ici l'intention. L'intention est d'une telle importance dans
nos actes qu'elle leur imprime à tous son propre caractère, en sorte que le
bien fait dans une intention mauvaise devient un mal. "Si votre œil est
mauvais, est-il dit, tout votre corps restera dans les ténèbres;"
c'est-à-dire, si votre intention est mauvaise, toute la masse de vos bonnes
œuvres restera sans mérite. Ainsi, dans toutes nos œuvres, notre intention doit
avoir Dieu pour but: "Soit que vous mangiez, dit l'Apôtre, soit que
vous buviez, quelque chose enfin que vous fassiez, faites tout pour la gloire
de Dieu."
(17) 28. Mais il ne suffit
pas que l'intention soit bonne pour que l'action le soit aussi. Il faut que
cette bonne intention soit accompagnée d'une volonté droite, et c'est ce que
veut nous faire entendre l'Évangile quand il nous commande d'aimer Dieu de
toute notre âme; car l'âme, c'est la volonté. Souvent on agit avec une bonne
intention, mais sans mérite, parce que, outre cette bonne intention, on n'a pas
une volonté droite. Par exemple, dérober pour nourrir un pauvre qui meurt de
faim, c'est agir avec une bonne intention, mais la bonté de l'intention
n'excuse pas le mal que l'on commet par défaut de rectitude dans la volonté: "Ceux-là
sont coupables, dit saint Paul, qui veulent faire le mal pour qu'il en arrive
un bien." La rectitude de la volonté est unie à la bonté de
l'intention quand la volonté humaine est aussi d'accord avec la volonté divine;
et c'est ce que nous demandons chaque jour en disant à notre Père céleste:
"Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. "C'est
ce même accord qu'exprime le roi prophète quand il dit: "Seigneur, je veux
faire votre sainte volonté. "Voilà donc pourquoi l'Évangile nous
ordonne d'aimer aussi Dieu de toute notre âme; car l'âme, je le répète, est
souvent prise pour la volonté dans l'Écriture sainte: "La désobéissance,
dit le Seigneur, déplaît à mon âme, c'est-à-dire est en désaccord avec ma
volonté."
(19) 29. Quelquefois enfin
l'intention est bonne, la volonté est droite, mais la pensée est coupable; et
voilà pourquoi l'Évangile nous recommande d'aimer Dieu de tout notre esprit.
Nous devons donner à Dieu toutes nos pensées afin qu'elles soient saintes: "Notre
mission, dit l'Apôtre, est de soumettre toute intelligence à la loi du Christ."
Bien des hommes, sans accomplir l'acte même du péché, en gardent complaisamment
la pensée dans leur esprit. C'est à eux qu'il faut appliquer ces paroles du
Seigneur: "Otez de devant mes yeux vos pensées criminelles." Il
en est d'autres qui, pleins de confiance dans leur sagesse orgueilleuse, ne
veulent point soumettre leur raison à la foi; ceux-là ne donnent pas à Dieu
leur esprit. C'est à eux que Salomon adresse ces paroles: "Ne vous fiez
point à votre prudence."
(21) 30. Mais il ne suffit
pas d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre
esprit; nous devons aussi l'aimer de toute notre puissance, de toute notre
force: "Seigneur, dit le roi prophète, c'est à vous servir que je veux
consacrer ma force." Il est des hommes qui consacrent leur force au
péché, qui ne révèlent leur puissance que dans le vice; c'est à eux que s'adressent
ces menaçantes paroles d'Isaïe: "Malheur à vous qui n'avez de force que
pour vous livrer à la débauche et de courage que pour vous enivrer!"
Il en est d'autres qui déploient au détriment de leur prochain la puissance
qu'ils devraient déployer en servant ses intérêts: "Arrachez à la mort
celui qui va périr," dit Salomon; c'est ainsi qu'il convient de se
montrer fort et puissant. Nous devons donc, pour accomplir pleinement le
précepte de l'amour divin, donner à Dieu notre cœur, notre âme, notre esprit,
notre puissance, c'est-à-dire dans toutes nos œuvres avoir Dieu pour but de
notre intention, de notre volonté, de nos pensées et de nos efforts.
De l'amour du prochain
(3) 31. Quand les
docteurs de la loi demandèrent à Jésus quel était le précepte fondamental de la
morale, il fit à cette question unique deux réponses: "Vous aimerez,
leur dit-il, le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre
âme, de tout votre esprit et de toute votre force;" nous avons traité
de cette première partie du précepte; "et vous aimerez, ajouta-t-il,
votre prochain comme vous-même." Remarquons que l'accomplissement de
cette seconde partie du précepte renferme l'accomplissement de tous les devoirs
de l'homme envers l'homme: "L'entier accomplissement de la loi, dit
l'Apôtre, c'est la charité." Quatre motifs nous invitent à l'amour
du prochain.
(5) 32. Le premier, c'est
l'amour divin: "Celui-là ment qui prétend aimer Dieu en détestant son
prochain." N'est-ce point mentir que de prétendre aimer quelqu'un en
détestant ses enfants et sa famille? Or tous les fidèles sont les enfants de
Dieu, ils ne forment qu'une famille dont Dieu est le père: "Vous êtes,
dit saint Paul, le corps et les membres de Jésus-Christ." Par
conséquent, celui qui hait son frère ne peut aimer Dieu, qui est notre père
commun.
(7) 33. Le second motif
qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'obéissance que nous devons à la
volonté divine. Entre autres préceptes que Jésus-Christ nous a laissés avant de
quitter la terre, il a principalement recommandé à notre obéissance celui de
l'amour du prochain, en disant à ses disciples: "Voici le précepte que
je vous donne: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés." On
ne peut donc accomplir la volonté de Dieu en détestant son prochain, et le
témoignage le plus éclatant de notre soumission à la loi divine, c'est l'amour
que nous avons pour nos frères. Aussi Notre Seigneur lui-même a-t-il dit: "Voici
à quoi tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, c'est à l'amour que vous
aurez les uns pour les autres." Il n'a point dit: On vous reconnaîtra
au pouvoir qui vous sera donné de ressusciter les morts, ou bien à quelque
autre signe éclatant, mais "à l'amour que vous aurez les uns pour les
autres." Saint Jean appréciait toute l'importance du précepte de son
divin maître; aussi disait-il: "Nous avons passé de la mort à la vie;
et pourquoi? Parce que nous aimons nos frères; celui qui ne les aime point
demeure dans la mort."
(9) 34. Le troisième
motif qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'identité de notre nature:
"Tout être vivant, dit l'Ecclésiastique, aime son semblable;"
et puisque les hommes se ressemblent tous par leur nature, ils doivent s'aimer
mutuellement, et la haine de l'homme contre l'homme n'est pas seulement une
violation de la loi divine, c'est aussi une violation de la loi naturelle.
(11) 35. Le quatrième
motif qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'utilité générale. Grâce à
la charité, ce qui est avantageux à chacun le devient à tous; c'est la charité
qui unit les fidèles dans le sein de l'Église et qui établit entre eux une
communauté de sentiments, de besoins et d'intérêts. "Seigneur, s'écrie
le roi prophète, je m'unis à ceux qui vous craignent et qui observent votre
sainte loi."
(13) 36. "Vous
aimerez votre prochain comme vous-même;" tel est le second précepte de la loi morale. Nous
avons dit combien nous devons aimer notre prochain; il nous reste à dire
comment nous devons l'aimer. L'Évangile nous l'indique en nous disant: "Vous
aimerez votre prochain comme vous-même." Il y a dans cette parole de
l'Évangile cinq choses à considérer, et qui sont les éléments essentiels de
l'amour du prochain.
(15) 37. Premièrement,
nous devons aimer notre prochain avec vérité, c'est-à-dire l'aimer pour
lui-même et non pour nous. Remarquons à ce sujet qu'il y a trois sortes d'amour
dont une seule est l'amour vrai. L'amour repose quelquefois sur l'intérêt: "Un
ami, dit l'Ecclésiastique, n'est souvent qu'un compagnon de plaisir,
souvent il nous abandonne dans les jours de détresse." Ce n'est point
là le véritable amour; il naît de l'égoïsme, et l'égoïsme le tue. Tant qu'il
règne dans notre cœur, ce n'est pas le bonheur du prochain, mais le nôtre que
nous souhaitons. Quelquefois l'amour a pour motif le plaisir; ce n'est point
encore là le véritable amour, il meurt avec le plaisir qui le fait naître. Tant
qu'il règne dans notre cœur, nous aimons encore notre prochain non pour
lui-même, mais pour nous. Quelquefois enfin l'amour a pour base la vertu, et
c'est le seul véritable amour. Alors nous n'aimons point notre prochain pour
nous-mêmes, mais pour lui.
(17) 38. Secondement, nous
devons aimer notre prochain avec mesure, c'est-à-dire ne pas l'aimer plus que
Dieu ni autant que Dieu, mais juste autant que nous devons nous aimer
nous-mêmes. "Il a modéré son amour pour moi," est-il dit dans
le Cantique des cantiques. Notre Seigneur a pris soin de nous indiquer la
mesure d'affection que nous devons à notre prochain en disant: "Celui
qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui
aime son fils et sa fille plus que moi n'est pas non plus digne de moi."
(19) 39. Troisièmement,
nous devons aimer notre prochain avec efficacité. L'homme ne se borne point
pour lui-même à un amour stérile; il fait tous ses efforts pour obtenir ce qui
lui est avantageux, pour éviter ce qui lui est funeste. C'est ainsi qu'il doit
aimer son prochain. "Que notre amour, dit saint Jean, ne se
témoigne point par de vaines paroles, mais par des actes de dévouement sincère."
Ceux-là sont les pires de nos ennemis dont la bouche est remplie de paroles
d'amitié et le cœur plein de sentiments de haine. C'est d'eux que parle le roi
prophète quand il dit: "Leur bouche a des paroles de paix pour le
prochain et leur cœur cache des pensées criminelles." - "Que
votre amour soit sans feinte," dit aussi l'Apôtre.
(21) 40. Quatrièmement,
nous devons aimer notre prochain avec persévérance, comme nous faisons pour
nous-mêmes: "Un véritable ami aime toujours, et la puissance de son
affection se révèle dans les jours de détresse;" il nous est fidèle
dans le malheur comme dans la prospérité, et c'est quand la fortune nous
abandonne qu'il s'attache plus fortement à nous, ainsi que l'observe Salomon.
Deux choses contribuent à la durée de l'amitié: d'abord la patience; en effet,
un homme irascible ne cherche que les querelles; ensuite l'humilité, qui
produit la patience; car "la discorde est compagne de l'orgueil."
Celui qui est fier de lui-même et qui méprise les autres ne peut supporter
leurs défauts.
(23) 41. Cinquièmement,
nous devons aimer notre prochain avec justice et sainteté, c'est-à-dire ne pas
l'aimer jusqu'à faire le mal pour lui; car ce n'est pas ainsi que nous devons
nous aimer nous-mêmes, et une pareille amitié serait contraire à l'amour divin,
qui doit être la règle principale de notre conduite, et que Salomon appelle la
source des nobles affections.
(25) 42. "Vous
aimerez votre prochain comme vous-même." Les Juifs et les Pharisiens
comprenaient mal ce précepte en croyant que Dieu ordonnait aux hommes d'aimer
leurs amis et de haïr leurs ennemis. Le terme de prochain était pour eux
synonyme de celui d'ami; mais cette interprétation est fausse, et la preuve en
est dans ces paroles de Jésus-Christ: "Aimez vos ennemis." Il
ne faut pas oublier que quiconque déteste son frère n'est point en état de
grâce: "Celui qui déteste son frère, dit saint Jean, est plongé
dans les ténèbres."
(27) 43. Il y a cependant
ici une distinction à faire. Des hommes d'une sainteté éminente ont connu la
haine: "Seigneur, s'écrie le roi prophète, je hais d'une haine profonde
ceux qui foulent aux pieds votre sainte loi. Jésus-Christ déclare lui-même
qu'on "ne peut être son disciple si on ne hait pas et son père, et sa
mère, et toute sa famille." Or nous devons en toutes choses suivre
l'exemple de ce divin maître et savoir aimer et haïr, comme lui, à propos; car
Dieu connaît aussi l'amour et la haine. Pourquoi cela? c'est qu'il y a dans
l'homme deux choses à considérer, la nature humaine et le vice. La nature
humaine, dans tout homme, a droit à l'amour; dans tout homme, le vice mérite la
haine. Souhaiter à son prochain la damnation éternelle, c'est détester en lui
la nature humaine et aimer le péché; mais faire des vœux pour son salut, c'est
détester en lui le péché et aimer la nature humaine. "Seigneur, dit
le psalmiste, vous haïssez tous ceux qui font le mal." - "Seigneur,
dit Salomon, vous aimez tout ce qui existe et vous ne haïssez rien de ce que
vous avez fait. "Quels sont donc les objets de l'amour et de la haine
de Dieu? L'objet de son amour, c'est la nature; l'objet de sa haine, c'est le
mal.
(29) 44. Ajoutons que
l'homme peut quelquefois faire du mal à son prochain sans péché. C'est ce qui
arrive quand il lui fait du mal avec la volonté de servir ses véritables
intérêts; et Dieu lui-même en agit souvent de la sorte avec nous. Ainsi il
afflige le pécheur d'infirmités et de maladies afin de le ramener au bien;
ainsi encore il accable le méchant sous les coups de l'adversité, afin que
cette dure leçon lui fasse, selon l'expression d'Isaïe, ouvrir les yeux sur ses
égarements. On peut donc sans péché désirer la chute d'un tyran qui désole
l'Église; on le peut, dis-je, sans péché, en tant qu'on désire le bien de
l'Église par la chute du tyran. "Béni soit le Seigneur qui a frappé les
impies!" lisons-nous dans le livre des Macchabées.
(31) 45. Et c'est na
devoir pour tous non seulement de souhaiter la ruine des méchants, mais encore
d'y travailler dans l'intérêt général. Certes ce n'est point un péché que de
donner la mort à ceux qui l'ont méritée par leurs crimes. "Les princes,
dit saint Paul, sont les ministres de Dieu, et ce n'est point en vain qu'ils
sont armés du glaive de la justice." Ceux qui veillent au maintien des
lois ne violent point le précepte de la charité en frappant le coupable; s'ils
le punissent, c'est quelquefois pour le châtier, quelquefois pour garantir la
sûreté publique, qui est plus précieuse que la vie d'un homme. Cependant on ne
serait pas exempt de péché en punissant le coupable avec la seule intention de
ne point lui nuire, et si l'on ne joignait à cette intention celle de servir
ses véritables intérêts, c'est-à-dire de lui infliger un châtiment salutaire et
de lui procurer la vie éternelle.
(33) 46. On peut vouloir
du bien à son prochain de deux manières: d'abord d'une manière générale, en
tant qu'il est la créature de Dieu et qu'il a part à la promesse de la vie
éternelle; puis d'une manière spéciale, en tant qu'il est notre ami ou notre
parent. On ne peut refuser à personne l'affection générale qu'on doit à
l'humanité; tout homme est obligé de prier pour les autres, quels qu'ils
soient, et de les secourir dans leurs besoins; mais nous ne sommes pas tenus
d'accorder à qui que ce soit des marques particulières de bienveillance, à
moins qu'on nous demande le pardon d'une offense. Celui qui nous adresse une
pareille demande n'est plus pour nous une personne indifférente, et ne pas
l'admettre dans notre intimité ce serait repousser un ami, ce serait nous
priver d'une puissante intercession auprès de Dieu. Jésus-Christ n'a-t-il pas
dit: "Si vous pardonnez aux hommes leurs péchés, votre Père céleste
vous pardonnera aussi les vôtres; si vous ne faites point grâce aux hommes,
votre Père céleste ne vous fera point grâce non plus?" Ne disons-nous
pas à Dieu, dans l'oraison dominicale: "Pardonnez-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés?"
(35) 47. "Vous
aimerez votre prochain comme vous-même." Nous avons dit que c'est un
péché de refuser le pardon qu'on nous demande: le plus haut degré de vertu que
nous puissions atteindre, c'est d'aimer tendrement ceux qui nous ont fait du
mal; nous n'y sommes pas obligés, mais de nombreux motifs nous y engagent.
(37) 48. Le premier, c'est
le maintien de notre dignité. Les divers degrés de dignité se reconnaissent à
des signes divers, et nul ne doit perdre le signe de sa dignité propre. Or,
entre toutes les dignités, la plus élevée est celle que nous donne le titre
d'enfants de Dieu, et le signe qui la fait reconnaître, c'est notre amour pour
nos ennemis. "Aimez vos ennemis, est-il dit dans l'Évangile, afin
que vous soyez les dignes enfants de votre Père qui est dans les cieux." En
effet, il ne suffit pas d'aimer ceux qui nous aiment pour être enfants de Dieu.
Les publicains et les gentils observent aussi bien que nous cette loi de la
nature.
(39) 49. Le second motif
qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est le triomphe des nobles
affections sur les passions mauvaises. Le désir de la supériorité en toutes
choses est inné dans l'homme. Il faut donc on qu'à force de bonté nous
obligions celui qui nous offense à nous aimer, et alors nous sommes vainqueurs;
ou que nous nous laissions entraîner à la haine par une influence étrangère, et
alors nous sommes vaincus. "Ne permettez pas au mal de triompher de
vous, dit saint Paul, mais triomphez du mal par le bien."
(41) 50. Le troisième
motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est notre intérêt
même. Nous les forçons ainsi à devenir nos amis. "Si votre ennemi a
faim, dit encore saint Paul, donnez-lui à manger; s'il a soif, donnez
lui à boire; ainsi faisant, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête."
- "Rien ne provoque à l'amour, dit saint Augustin, comme d'aimer
le premier. Nul n'a le cœur assez dur pour ne pas payer au moins de retour
l'amour qu'on lui témoigne." - "Un ami fidèle est le plus
précieux de tous les trésors," suivant Salomon: "Et quand le
Seigneur voit marcher un homme dans la bonne voie, il change le cœur de ses
ennemis," dit encore le Sage couronné.
(43) 51. Le quatrième
motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est que, grâce à ce
généreux effort de vertu, nos prières sont plus agréables à Dieu. "Quand
même Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, dit le Seigneur, je
ne ferais point de grâce à ce peuple." - "Si Dieu, observe saint
Grégoire, cite de préférence Moïse et Samuel, et s'il exprime par cela même
le pouvoir qu'ils ont sur lui, c'est que Moïse et Samuel avaient aimé leurs
ennemis, qu'ils avaient prié pour eux." Jésus-Christ pria aussi pour
ses bourreaux, et les prières du bienheureux saint Étienne en faveur de ceux
qui le lapidaient furent d'une très grande utilité à l'Église, en obtenant la
conversion de Paul.
(45) 52. Le cinquième et
dernier motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est le désir
de sortir du péché, désir qui doit être le plus puissant de tous dans notre
cœur. Quelquefois il nous arrive de pécher et de ne point chercher Dieu; alors
Dieu nous ramène à lui en nous faisant sentir rudement le besoin de son appui. "Je
couvrirai votre chemin d'épines," nous dit-il par la bouche du
prophète Osée. C'est ainsi qu'il frappa Paul d'aveuglement sur le chemin de
Damas, afin de le ramener à lui. "Seigneur, s'écrie le Psalmiste,
je me suis égaré comme une brebis loin du troupeau; venez chercher votre
serviteur." Dieu vient à notre secours, si nous pardonnons à nos
ennemis, si nous les ramenons au bien par l'indulgence et la bonté. "Dieu,
est-il dit dans l'Évangile, se servira à votre égard de la mesure dont vous
vous serez servis à l'égard des autres." - "Pardonnez, et il
vous sera pardonné." - "Heureux ceux qui font miséricorde, car
ils obtiendront miséricorde à leur tour." Or le plus éclatant
témoignage de miséricorde, c'est de pardonner à ceux qui nous font du mal.
Du premier précepte de la loi: "Vous
n'aurez point de dieux étrangers."
(3) 53. Du premier précepte de la loi: "Vous n'aurez point de dieux étrangers."
Ainsi que nous l'avons
dit, la loi du Christ est une loi d'amour; elle repose toute entière sur la
charité. Les devoirs de la charité sont formulés dans deux préceptes, dont l'un
est relatif à l'amour de Dieu, et l'autre relatif à l'amour du prochain. Nous
avons déjà parlé de ces deux préceptes. Maintenant il est bon de savoir que la
loi donnée à Moïse au sommet du Sinaï renfermait dix préceptes gravés sur deux
tables de pierre. Sept étaient gravés sur la première, et trois sur la seconde;
ceux là se rapportent à l'amour de Dieu, et ceux-ci à l'amour du prochain.
Ainsi, toute la loi morale repose sur deux préceptes fondamentaux.
(5) 54. Le premier des
sept préceptes relatifs à l'amour de Dieu est celui-ci: "Vous n'aurez
point de dieux étrangers." Pour bien comprendre ce précepte, il faut
savoir que la plupart des peuples anciens se rendaient coupables de sa
violation. Les uns adoraient les démons, comme le témoignent ces paroles du
Psalmiste: "Tous les dieux des nations sont des démons." Un
pareil culte est le plus grand et le plus horrible de tous les péchés.
Maintenant encore ce culte abominable est maintenu par tous ceux qui s'adonnent
à la divination et à la sorcellerie; car selon saint Augustin, il est
impossible d'être initié aux secrets des sciences occultes sans faire un pacte
avec le diable. "Je ne veux point, dit saint Paul aux fidèles, que
vous deveniez les associés du Démon. Vous ne pouvez, ajoute-t-il, vous asseoir
tour à tour à la table du Seigneur, et à celle du démon."
(7) 55. D'autres
adoraient les corps célestes; ils prenaient les astres pour des divinités,
comme le témoignent ces paroles du sage Salomon: "Ils ont pris pour des
divinités le soleil et la lune, ces flambeaux de la terre." Moïse
défendit sévèrement aux Juifs de suivre à ce sujet l'exemple des autres peuples:
"Gardez-vous, leur dit-il, quand vous élèverez vos regards vers
le ciel et que vous contemplerez le soleil, la lune et toutes les étoiles,
gardez-vous bien de vous laisser séduire par leur éclat, et d'adorer ces astres
brillants que le Seigneur, votre Dieu, a semés dans l'espace pour luire sur
toutes les nations." Les astrologues pèchent donc contre cette
défense, puisqu'ils attribuent aux corps célestes créés pour l'homme le pouvoir
de régir les destinées humaines, pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu seul.
(9) 56. D'autres
adoraient les éléments répandus dans les sphères inférieures, comme le
témoignent encore ces paroles de Salomon: "Ils prenaient pour des
divinités le feu ou l'air." Ceux-là se rendent coupables de ce culte
honteux et frivole, qui donnent leur cœur à des objets indignes de leur amour. "Sachez,
dit saint Paul, que le fornicateur, le libertin et l'avare sont des idolâtres."
D'autres adoraient les hommes, et parmi eux de faibles mortels se faisaient
passer pour des dieux. Trois causes ont donné naissance à ce genre d'idolâtrie.
(11) 57. La première,
c'est l'affection. "Un père, gémissant sur la perte d'un fils ravi à sa
tendresse par une mort prématurée, lui dressa une statue, et commença d'adorer
comme un Dieu celui qui était mort comme un mortel, et il établit dans sa
maison un culte et des sacrifices en son honneur."
(13) 58. La seconde, c'est
l'adulation. Les hommes, voulant témoigner leur vénération à un prince, à un
héros, qui ne pouvait recueillir en personne leurs hommages, cherchèrent un
moyen de l'honorer quoique absent; ils lui élevèrent donc des statues qu'ils
adorèrent à sa place. Nous invoquerons encore l'autorité de Salomon. "Les
hommes, dit-il, voulant honorer un monarque absent, rendirent un culte à
son image, afin de lui témoigner leur vénération comme s'il était présent."
Tels sont encore aujourd'hui tous ceux qui ont plus de respect pour le
monde que pour Dieu. "Quiconque, dit Notre Seigneur, aime son
père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi." - "Ne
mettez point, dit le Psalmiste, votre confiance dans les princes et les
enfants des hommes: ce n'est pas en eux que vous trouverez votre salut."
(15) 59. La troisième
cause de ce genre d'idolâtrie, c'est la présomption. Certains rois, dans
l'enivrement de leur orgueil, se sont donné à eux-mêmes le titre de dieux. Tel
fut Nabuchodonosor, ce monarque impie, à qui le prophète Ézéchiel adresse ces
paroles: "Ton cœur s'est gonflé d'orgueil, et tu as dit: Je suis dieu."
Ceux-là imitent son impiété, chez qui les sens aveuglent la raison. Eux aussi
s'adorent comme des dieux, en cherchant les voluptés charnelle, ils rendent un
culte à leur corps: "Ils se font un dieu de leur ventre," suivant
l'expression de l'apôtre Philippe. Nous devons donc éviter avec soin tout ce
qui est contraire au culte du vrai Dieu.
(17) 60. "Vous
n'aurez point de dieux étrangers." Ainsi que nous l'avons dit, le
premier précepte de la loi morale est celui qui nous interdit tout autre culte
que celui du vrai Dieu. Cinq raisons principales nous invitent à
l'accomplissement de ce précepte.
(19) 61. La première,
c'est la grandeur de Dieu: refuser nos hommages à cette grandeur souveraine,
c'est outrager le monarque des cieux. Toute dignité a droit aux respects, et le
vassal qui se révolte contre son suzerain est coupable de lèse-majesté et
traître à son roi. Tels sont quelques hommes à l'égard de Dieu. "Ils
ont, dit saint Paul, outragé la gloire du Dieu éternel, en rendant
hommage à la vaine ressemblance de la créature périssable." Or rien
n'irrite autant le Seigneur qu'une pareille injure, "Je ne céderai
point, dit-il par la bouche du prophète Isaïe, je ne céderai point ma
gloire à un autre, ni mon culte aux idoles." Ce qui fait la grandeur
de Dieu, c'est son omniscience: son nom même exprime l'idée d'un regard auquel
rien n'échappe. Et, en effet, le signe caractéristique de la divinité, c'est la
connaissance de toutes choses. "Annoncez-nous les événements de
l'avenir, et nous croirons que vous êtes des dieux." - "Rien n'est
caché, rien n'est secret pour l'Éternel." Or ceux-là outragent sa
grandeur qui ont recours à la divination pour connaître l'avenir. "N'est-ce
pas Dieu seul que les hommes doivent consulter pour les vivants et pour les
morts?"
(21) 62. La seconde raison
qui nous engage à rester fidèle au culte du vrai Dieu, c'est sa bonté pour
nous. Tous les biens nous viennent de lui comme d'une source féconde et
inépuisable, "Vous n'avez, Seigneur, qu'à ouvrir la main, et l'univers
est plein de vos bienfaits." Cette bonté infinie n'est pas un attribut
moins essentiel à la Divinité que l'omniscience, et le mot Dieu lui-même
emporte avec lui l'idée d'une puissance bienfaisante. Ne serait-ce donc pas le
comble de l'ingratitude d'oublier tout ce que Dieu a fait pour nous,
d'abandonner son culte, et d'adorer à sa place de vaines idoles, comme les
enfants d'Israël, après leur sortie d'Egypte? Nous abandonnons le culte du vrai
Dieu quand nous plaçons notre espoir ailleurs qu'en lui, quand nous demandons à
d'autres qu'à lui les secours dont nous avons besoin. "Heureux celui
qui place son espérance dans le nom du Seigneur." - "Maintenant que
vous connaissez Dieu, pourriez-vous encore retourner au culte honteux et
frivole des éléments?"
(23) 63. La troisième
raison qui nous engage à n'adorer que Dieu, c'est l'obligation où nous sommes
de rester fidèles à nos promesses. Nous avons renoncé à Satan, nous avons
promis notre cœur à Dieu seul; cet engagement est sacré, et ce serait un crime
de le violer. "Si l'infraction à la loi de Moïse était punie de mort en
présence de deux ou trois témoins, quel supplice ne mériterait pas celui qui
aurait foulé aux pieds la loi du fils de Dieu, qui aurait souillé le sang de la
nouvelle alliance, ce sang précieux répandu sur la terre pour purifier le
monde, et qui aurait outragé le Saint-Esprit, ce dispensateur de la grâce
d'en-haut?" - "La femme qui, du vivant de son époux, passe dans les
bras d'un autre, est adultère; elle mérite d'être brûlée vive. Malheur donc à
l'âme infidèle qui se sépare du Dieu vivant pour offrir au monde un amour
criminel!"
(25) 64. La quatrième
raison qui nous invite à n'adorer que Dieu, c'est l'accablante servitude que le
démon fait peser sur ses adorateurs. Écoutez ce que le Seigneur dit aux Juifs
rebelles par la bouche de Jérémie: "Vous servirez jour et nuit des
dieux étrangers, qui ne vous laisseront point un instant de repos." Le
démon ne se contente pas de nous faire commettre un seul péché; il nous conduit
de fautes en fautes. Or le pécheur est l'esclave du péché, et ce n'est pas sans
peine qu'on recouvre sa liberté, une fois qu'on a subi le joug des passions
mauvaises: c'est ce qui faisait dire à saint Grégoire: "La faute que
n'efface point la pénitence nous entraîne plus avant dans le gouffre du vice."
La soumission que Dieu nous demande n'a rien de pénible, parce que sa loi n'a
rien d'onéreux. "Venez à moi, nous dit-il, car mon joug est doux
et mon fardeau est léger." Et en effet tout ce qu'il exige de nous,
c'est que nous fassions pour lui ce que nous faisons pour le péché. Que dit
saint Paul? "Déployez maintenant, dans la pratique de la vertu, la
force que vous avez déployée dans la pratique du mal." Est-il donc une
loi plus douce que celle de Dieu? Voulez-vous juger, au contraire, de la
pesanteur du joug de Satan? Méditez ces paroles que Salomon met dans la bouche
des méchants: "Nous avons marché, accablés sous le poids de la fatigue,
dans la voie pénible de l'iniquité et de la perdition." Méditez encore
ces paroles de Jérémie: "Les méchants font laborieusement le mal."
(27) 65. Enfin la
cinquième raison qui nous invite à n'adorer que le vrai Dieu, c'est l'immensité
de la récompense qu'il réserve à ses serviteurs. Les mahométans espèrent des
fleuves de lait et de miel, les Juifs la terre promise; mais les chrétiens
espèrent la gloire des anges. "Ils seront, a dit Jésus-Christ, semblables
aux anges de Dieu dans le ciel." Et voilà pourquoi Pierre disait à son
divin maître: "Seigneur, vers quel autre que vous pourrions-nous aller?
vous nous promettez la vie éternelle."
Du second précepte de la loi. "Vous ne
prononcerez pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu."
(3) 66. Du second précepte de la loi. "Vous ne prononcerez pas en vain le nom du
Seigneur votre Dieu." Tel est le second précepte de la loi morale. De même
qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que nous devons adorer, il n'y a aussi qu'un seul
Dieu que nous devons respecter par-dessus tout, et d'abord quant à son nom.
(5) 67. Remarquons ici
que le mot vain se prend dans trois acceptions différentes: quelquefois il veut
dire faux, et c'est dans ce sens que l'emploie le roi prophète quand il dit:
"Leurs paroles sont des paroles vaines. "C'est donc prononcer en vain
le nom de Dieu quand on invoque ce nom sacré pour servir d'appui au mensonge. "Gardez-vous
de faire un faux serment," dit le Seigneur par la bouche du prophète
Zacharie: "Vous mourrez, vous qui mentez au nom de l'Éternel,"
dit-il encore par la bouche du même prophète. C'est un crime, en effet,
d'invoquer ce nom auguste pour servir d'appui au mensonge; c'est faire injure à
Dieu, c'est se faire tort à soi-même, ainsi qu'à tous les hommes. C'est faire
injure à Dieu: car donner à un serment l'autorité de son nom, c'est invoquer
son témoignage: par conséquent, lorsqu'on invoque ce témoignage à l'appui d'un
mensonge, ou bien on s'imagine que Dieu ne connaît point la vérité, et alors on
fait injure à sa sagesse et à son omniscience; ou bien on suppose qu'il aime le
mensonge, et alors on fait injure à sa bonté; ou bien on croit qu'il ne peut pas
manifester la vérité et punir le mensonge, et alors on fait injure à sa
puissance. De plus, c'est se faire tort à soi-même; car c'est se soumettre au
jugement de Dieu. Dire: J'atteste le nom de Dieu que cela est, c'est dire: Que
Dieu me punisse si cela n'est pas. Enfin, c'est faire tort à tous les hommes;
car c'est détruire, autant qu'il est en soi, le lien social, qui n'existe que
par la confiance. Le but du serment est de rendre certain ce qui est douteux. "Toute
discussion est terminée, dit saint Paul, quand l'une des deux parties
adverses appuie ses prétentions de l'autorité du serment." Ainsi donc,
celui qui fait un faux serment insulte à la gloire de Dieu; il se nuit à
lui-même, et il nuit aux autres.
(7) 68. Vain est
quelquefois synonyme de frivole, et c'est dans ce sens que l'emploie le roi
prophète, quand il dit: "Le Seigneur connaît les pensées des hommes; il
sait qu'elles sont vaines." C'est donc prononcer en vain le nom de
Dieu, que d'invoquer son autorité pour appuyer une chose frivole. La loi
mosaïque ne défendait que le faux serment; mais la loi évangélique ne permet de
jurer, même pour certifier une chose vraie, que dans le cas d'extrême nécessité;
c'est ce que nous voyons dans ces paroles de Jésus-Christ: "Il a été
dit aux anciens: Vous ne commettrez point de parjure; et moi, je vous dis: Ne
jurez point du tout." La raison de cette sévère défense, c'est la
légèreté de notre langue, légèreté telle, que nul de nous ne peut y mettre un
frein, et qu'elle nous expose à nous parjurer pour la moindre chose. Il faut
donc, suivant le précepte de l'Évangile, ne rien affirmer que par ces deux
simples mots, "oui et non." Remarquez bien qu'il en est du
serment comme de la médecine: c'est une ressource qu'on ne doit employer que
dans les cas de nécessité. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous dit: "Tout ce
que vous dites de plus que oui et non est un nul. "Voilà pourquoi
l'Ecclésiastique nous dit aussi: "Ne vous habituez point à jurer; c'est
là une habitude dangereuse; que le nom de Dieu et de ses saints ne soit pas
toujours dans votre bouche, c'est là une profanation qui ne restera pas impunie."
(9) 69. Quelquefois le
mot vain exprime l'idée de péché ou d'injustice, et c'est dans ce sens que
l'emploie le Psalmiste, quand il dit: "Enfants des hommes, jusques à
quand votre cœur sera-t-il amoureux des vanités?" C'est donc prononcer
en vain le nom de Dieu que de s'engager par un serment à faire le mal. Le
caractère de la justice, c'est la pratique de la vertu et l'horreur du crime.
Si on jure de commettre un vol ou toute autre action coupable, on prononce un
serment contraire à la justice, et c'est en même temps un crime de l'accomplir
et un parjure de le prononcer. Tel fut le serment prononcé par Hérode, et qui
coûta la vie à saint Jean-Baptiste. On prononce aussi un serment contraire à la
justice quand on jure de ne point faire ce qui est bien, par exemple, de ne pas
entrer dans le sein de l'Eglise, ou dans un ordre religieux; et, malgré qu'on
ne soit pas tenu d'accomplir un pareil serment, c'est un parjure de le prononcer.
Ainsi donc tout serment faux, frivole ou injuste est un péché.
(11) 70. Enfin vain est
quelquefois synonyme d'insensé, et c'est dans ce sens que l'emploie Salomon
quand il dit: "Tous les hommes que n'éclaire point l'esprit de Dieu
sont des hommes vains." C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu
que de blasphémer ce nom auguste, et la loi mosaïque punissait de mort un
pareil crime.
(13) 71. "Vous
ne prononcerez pas en vain le nom du Seigneur, votre Dieu." Il est bon
de savoir que le nom de Dieu peut être prononcé dans six buts différents.
Premièrement, on peut le prononcer pour affirmer une chose vraie: on confesse
alors que Dieu est la vérité même, et un pareil aveu glorifie celui dont on
invoque le témoignage. Aussi est-il ordonné dans le Deutéronome de ne jurer que
par le nom du vrai Dieu, et c'est violer ce précepte que de jurer par un autre
nom: "Vous ne jurerez point par le nom des dieux étrangers"
est-il dit dans l'Exode. On jure quelquefois par le nom des créatures; mais
remarquons que c'est encore jurer par le nom de Dieu. Jurer sur son âme ou sur
sa tête, c'est remettre sa vie entre les mains du Dieu qui punit le mensonge. "J'en
atteste Dieu sur mon âme," dit saint Paul aux Corinthiens. Jurer par
l'Évangile c'est aussi jurer par Dieu, qui a donné l'Évangile au monde, et
c'est un péché que d'invoquer pour une chose futile le témoignage de Dieu ou
celui de (14) l'Évangile.
(16) 72. Secondement, on
peut prononcer le nom de Dieu pour la sanctification de l'âme. C'est ainsi que
le baptême sanctifie: "Vous avez été purifiés, dit saint Paul, vous
avez été sanctifiés, vous avez été justifiés au nom de notre Seigneur
Jésus-Christ." Or ce qui donne au baptême sa vertu sanctifiante, c'est
l'invocation de la très sainte Trinité: "Seigneur, dit Jérémie, vous
êtes en nous et nous avons invoqué sur nous votre saint nom."
(18) 73. Troisièmement, on
peut prononcer le nom de Dieu pour repousser l'esprit malin, et c'est ainsi
qu'avant de recevoir le baptême nous renonçons à Satan par la bouche de nos parrains:
"Seigneur, dit Isaïe, que votre nom soit invoqué sur nous, et
vous nous délivrerez de l'esclavage du péché." Par conséquent, c'est
avoir prononcé en vain le nom de Dieu que de revenir au péché après avoir
renoncé à Satan, à ses pompes et à ses œuvres.
(20) 74. Quatrièmement, on
peut prononcer le nom de Dieu pour confesser la foi qu'on a en ce nom sacré et
pour le glorifier: "Comment, dit saint Paul, invoqueraient-ils le
Seigneur ceux qui ne croient pas en lui?" - "Quiconque, dit le
même apôtre, invoque le Seigneur et croit en lui sera sauvé." Or il
y a deux manières de confesser le nom de Dieu; on le confesse par la parole,
afin de manifester la grandeur divine: "Quiconque, dit le Seigneur,
confesse mon nom est le proclamateur de ma gloire." C'est donc
prononcer en vain le nom de Dieu que de parler du Très-Haut avec irrévérence.
On confesse le nom de Dieu par les œuvres quand ces œuvres servent à manifester
aussi la grandeur divine: "Que les hommes, dit Jésus-Christ,
voient vos bonnes œuvres et qu'ils apprennent à glorifier votre Père céleste."
Combien il est de gens dont les œuvres sont pour les hommes une occasion
d'insulter à la majesté divine! C'est à eux que s'adressent ces paroles du
Seigneur: "Mon nom est blasphémé à cause de vous parmi les nations."
(22) 75. Cinquièmement, on
peut prononcer le nom de Dieu pour se défendre contre les embûches de l'esprit
malin: "Le nom du Seigneur est un fort rempart; derrière ce rempart le
juste est en sûreté et brave ses ennemis." - "C'est en mon
nom, dit Jésus-Christ, que les démons seront chassés;" - "et
ce nom, suivant qu'il est écrit dans les Actes des apôtre, est le seul
sur la terre qui puisse nous sauver."
(24) 76. Sixièmement, on
peut prononcer le nom de Dieu pour donner de la plénitude à ses œuvres: "Quelque
chose que vous fassiez, dit l'Apôtre, faites tout au nom de notre
Seigneur Jésus-Christ;" - "Notre appui, dit le psalmiste, est
dans le nom du Seigneur." Quelquefois on n'achève pas une œuvre
commencée au nom de Dieu; par exemple, lorsqu'on ne remplit pas un vœu qu'on a
fait librement, c'est aussi prononcer en vain le nom de Dieu. "Si vous
avez fait un vœu au Seigneur, dit l'Ecclésiastique, ne tardez pas à le
remplir; car une promesse infidèle et légère lui déplaît."
Du troisième précepte de la loi. "Souvenez-vous
de sanctifier le jour de sabbat; "
(3) 77. Du troisième précepte de la loi. "Souvenez-vous de sanctifier le jour de
sabbat;" tel est le troisième précepte de la loi morale, et c'est avec
raison qu'il est le troisième. Premièrement, nous devons honorer Dieu du fond
du cœur, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce précepte: "Vous
n'aurez point de dieux étrangers." Secondement nous devons l'honorer
par la parole, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce précepte: "Vous
ne prononcerez pas en vain Je nom du Seigneur votre Dieu." Troisièmement,
nous devons l'honorer par les œuvres, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce
précepte: "Sanctifiez le jour du sabbat." Dieu a voulu qu'il y
eût un jour spécialement consacré à son culte, et il l'a voulu pour cinq
raisons principales.
(5) 78. La première,
c'est la destruction de l'erreur. Il prévoyait bien dans sa sagesse qu'une
époque viendrait où certains hommes oseraient affirmer l'éternité du monde, où,
suivant les expressions de l'apôtre saint Pierre, "des esprits égares
par les trompeuses lumières de la raison diraient: Qu'est devenue la promesse
de la résurrection? Depuis que nos pères se sont endormis du sommeil de la mort
rien n'est changé, tout demeure éternellement le même." Insensés!
comme si l'origine de l'univers n'avait pu précéder la naissance de leurs pères;
comme si le ciel et la terre ne pouvaient être détruits après eux pour faire
place à une nouvelle terre et à un nouveau ciel! Il fallait donc qu'il y eut un
jour spécialement consacré au culte divin, afin que cette solennité rappelât
sans cesse au souvenir des hommes que Dieu a créé le monde en six jours et
qu'il s'est reposé le septième. Les Juifs observaient le samedi en mémoire de
la première création; mais Jésus-Christ a fait sortir une création nouvelle du
sein de la première; l'homme céleste a été créé après l'homme terrestre. "Depuis
la venue de Jésus-Christ, dit saint Paul, la circoncision n'a plus de
valeur morale." L'humanité a été renouvelée par la grâce et créée une
seconde fois par la résurrection du Fils de Dieu. "De même que le
Christ est ressuscité d'entre les morts pour s'asseoir à la droite du Père,
nous avons aussi reçu une seconde naissance qui nous donne droit au céleste héritage;
et si le Fils de Dieu est mort comme un mortel, les mortels doivent, comme lui,
renaître à une vie nouvelle." Or, la résurrection du Christ ayant eu
lieu le dimanche, c'est ce jour que nous observons en mémoire de la nouvelle
création de l'humanité, de même que les Juifs observaient le samedi en mémoire
de la création primitive du monde.
(7) 79. Secondement, Dieu
a donné ce précepte pour instruire les hommes à croire au Rédempteur. La
corruption n'atteignit point le corps du Christ dans le sépulcre; lui-même a
dit par la bouche du prophète: "Ma chair reposera dans l'espérance de
la vie, et Dieu ne permettra point à la corruption d'approcher de mon corps
sacré." Dieu a donc voulu qu'on sanctifiât le jour du sabbat,
c'est-à-dire du samedi, afin que le repos des hommes dans ce jour solennel fût
un symbole du repos de la chair du Rédempteur dans le sépulcre, de même que les
sacrifices sanglants étaient le symbole de sa mort. Nous n'avons point conservé
les sacrifices sanglants de l'ancienne loi, parce que les images et les
symboles doivent cesser quand la réalité se montre, ainsi que l'ombre disparaît
quand le soleil brille à l'horizon. Cependant le samedi est encore en honneur
parmi nous, il est spécialement consacré à la glorieuse Vierge Marie, qui, dans
ce jour où son divin Fils reposait dans le tombeau, ne perdit rien de l'ardeur
de sa foi.
(9) 80. Troisièmement,
Dieu a donné ce précepte pour confirmer la vérité de sa promesse. Ce qui nous
est promis, c'est le repos: "En ce jour-là, dit Isaïe, Dieu vous fera
reposer de vos travaux et de votre ancienne servitude." - "Mon
peuple, dit le Seigneur par la bouche du même prophète, mon peuple se
reposera dans le calme de la paix, dans les tabernacles de la sécurité et dans
l'abondance de tous les biens." Remarquez que notre attente est de
nous reposer de trois choses: des travaux de la vie présente, de la persécution
de la chair et de la servitude du démon. Cette promesse du repos, Jésus-Christ
l'a renouvelée en disant: "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et
j'adoucirai vos peines; portez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur, et que vous trouverez en moi le repos de votre âme; car mon
joug est doux et mon fardeau est léger." Si Dieu a travaillé pendant
six jours et ne s'est reposé que le septième, c'est pour nous montrer que nous
devons mettre la dernière main à nos œuvres avant de chercher le repos. Mais
que sont les peines de cette vie en comparaison de la tranquille béatitude dont
nous jouirons dans la vie future? Un siècle occupe infiniment moins de place
dans l'éternité qu'un seul jour dans une durée de mille ans.
(11) 81. Quatrièmement,
Dieu a donné ce précepte pour entretenir dans l'homme l'amour divin. "Le
corps est un pesant fardeau pour l'âme," et elle a besoin de faire
beaucoup d'efforts pour se relever sous le poids qui l'accable, pour n'être pas
toujours baissée vers la terre. Il faut donc qu'il y ait une époque déterminée
où elle puisse se dégager du sein de la matière et s'élancer dans le monde
spirituel. Pour certaines âmes, cette époque n'est point fixée, elle revient à
chaque instant: "Je bénirai en tout temps le Seigneur, dit le
Psalmiste, et sa louange sera sans cesse dans ma bouche." - "Priez
sans interruption," dit saint Paul aux fidèles. Pour ces âmes d'élite,
la vie entière est une fête continuelle; pour d'autres, cette époque revient à
de courts intervalles de temps: "Seigneur, dit encore le Psalmiste,
j'ai chanté vos louanges sept fois par jour. "Enfin, pour les âmes
ordinaires, cette époque revient une fois par semaine, et le jour où elles
doivent s'occuper exclusivement des choses du ciel a été déterminé, de peur
qu'abandonnées à leur propre discrétion elles ne perdissent tout à fait l'amour
divin. "En ce jour, dit Isaïe, vous vous réjouirez dans le Seigneur;"
- "Alors, dit Job, le Tout-Puissant remplira votre cœur de
délices, et vous élèverez vos regards vers Dieu." En effet, ce jour
n'est pas destiné à de frivoles amusements, mais à la prière et au service
divin. Aussi, suivant saint Augustin, serait-ce un moins grand péché de
labourer la terre ce jour-là que de se livrer à des réjouissances mondaines.
(13) 82. Cinquièmement,
Dieu a donné ce précepte pour forcer les maîtres à laisser un peu de repos à
leurs serviteurs. Sans cet ordre émané du ciel, les riches ne cesseraient,
impitoyables pour eux-mêmes et pour leurs domestiques, de travailler à
l'augmentation de biens périssables; et ceci s'applique surtout aux Juifs,
parce qu'ils sont d'une avarice sordide. Et voilà pourquoi Moïse leur
recommande si fortement d'interrompre toute espèce de travail le jour du sabbat:
"Observez, leur dit-il, le jour du sabbat, afin que votre
serviteur et votre servante se reposent ainsi que vous. Ce jour-là, ajoute-t-il
encore, vous ne ferez aucune œuvre, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni
votre serviteur, ni votre servante, ni votre âne, ni votre bœuf, ni aucune de
vos bêtes; vous prendrez du repos, vous et tout ce qui vous appartient."
Telles sont donc les raisons principales pour lesquelles Dieu a voulu qu'il y
eût un jour spécialement destiné à son culte.
(15) 83. "Souvenez-vous
de sanctifier le jour du sabbat." Les Juifs, avons-nous dit, célèbrent
le samedi et les chrétiens le dimanche, puis les autres fêtes principales.
Voyons donc comment nous devons célébrer ces jours solennels. Remarquons
d'abord que Dieu n'a pas dit: Observez le jour du sabbat; mais bien: "Souvenez-vous
de sanctifier le jour du sabbat. "Or le mot saint a deux acceptions
différentes: il est quelquefois synonyme de pur, comme dans ce passage des
Épîtres de saint Paul: "Vous avez été purifiés, vous avez été
sanctifiés." Quelquefois il est synonyme de sacré: ainsi une chose est
sainte quand elle est consacrée au culte de Dieu, comme une église, un calice,
etc. Nous devons donc célébrer les jours de fêtes de deux manières, savoir en
purifiant nos cœurs, et en consacrant nos loisirs au service divin. Par
conséquent, il y a deux questions à examiner dans le précepte qui nous occupe:
d'abord ce que nous devons éviter, puis ce que nous devons faire un jour de
fête.
(17) 84. Nous devons
éviter trois choses: la première, c'est le travail corporel: "Vous
sanctifierez le jour du sabbat, est-il dit dans Jérémie, en ne vous
livrant à aucune œuvre servile;" et le même commandement se trouve
dans le Lévitique. Or le travail corporel est une œuvre servile, tandis que le
travail de l'esprit est une œuvre libre, une œuvre à laquelle nul homme ne peut
être astreint. Remarquons cependant que le travail corporel peut être permis un
jour de fête, pour quatre motifs principaux. Premièrement, à cause de la
nécessité. Ainsi Jésus-Christ ne blâma point ses disciples de ce qu'ils
arrachaient des épis dans un champ le jour du sabbat. Secondement, à cause de
l'intérêt de l'Église. Ainsi nous lisons dans l'Évangile que les prêtres
faisaient ce jour-là tout ce qui était nécessaire dans le temple.
Troisièmement, à cause de l'utilité du prochain. Ainsi Notre Seigneur guérit,
pendant le sabbat, un homme dont la main était desséchée, et confondit les
pharisiens, qui lui reprochaient son action, en leur citant l'exemple de la
brebis égarée. Quatrièmement, à cause d'une autorité supérieure. Ainsi Dieu
ordonna aux Juifs d'opérer sur eux la circoncision le jour du sabbat.
(19) 85. La seconde chose
que nous devons éviter un jour de fête, c'est le péché. "Veillez
attentivement sur vos âmes, est-il dit dans Jérémie, et ne leur imposez
point de fardeau le jour du sabbat." Or le fardeau des âmes, c'est le
péché. "Le poids de mes iniquités, dit le Psalmiste, m'accable
comme un lourd fardeau." Le péché est aussi une œuvre servile, car,
suivant l'expression de saint Jean: "Celui qui fait le mal est
l'esclave du péché." Par conséquent, la défense qui nous est faite de
nous livrer à aucune œuvre servile pendant le jour consacré au Seigneur peut
s'étendre à toute action mauvaise, et c'est violer cette défense que de pécher
alors, puisque le péché est une œuvre servile, et que toute œuvre servile
entreprise ce jour-là est une offense à Dieu. "Je ne puis, dit-il
aux Juifs, supporter plus longtemps vos sabbats et vos fêtes, parce que
l'injustice règne dans vos assemblées. Mon âme déteste vos calendes et vos
solennités; elle s'ennuie de vos pompeuses cérémonies."
(21) 86. Troisièmement,
nous devons éviter l'oisiveté. "L'oisiveté est mère du vice,"
dit l'Ecclésiastique. "Travaillez sans cesse à quelque bonne œuvre,
écrit saint Jérôme à Rustique, afin que le démon vous trouve occupé." Il
est donc à propos de ne célébrer que les fêtes principales, si l'homme doit
rester oisif pendant les autres. Nous lisons, dans le livre des Macchabées, que
les Juifs ayant été surpris par leurs ennemis, pendant le sabbat, se laissèrent
vaincre et tuer, parce qu'ils croyaient qu'il leur était défendu de combattre
et de se défendre dans un pareil jour. C'est ainsi que se laissent surprendre
et vaincre par le démon, ceux qui restent oisifs pendant les jours de fêtes.
Mais les Juifs reconnurent leur méprise et résolurent de "combattre
désormais quiconque viendrait les attaquer le jour du sabbat. "C'est ainsi
que les fidèles doivent résister en tout temps aux persécutions de l'esprit
malin, et ne pas craindre d'accomplir une bonne œuvre pendant les jours
consacrés au Seigneur.
(23) 87. "Souvenez-vous
de sanctifier le jour du sabbat." Ainsi que nous l'avons dit, l'homme
doit sanctifier les jours de fêtes. Nous avons fait remarquer aussi que le mot
saint a deux significations différentes; que tantôt il se prend dans le sens de
pur, tantôt dans le sens de consacré à Dieu. Enfin nous avons montré ce qu'on
doit éviter pendant les jours spécialement destinés au service divin. Il nous
reste à montrer ce qu'on doit faire pendant ces mêmes jours. On doit s'occuper
alors de trois choses.
(25) 88. Premièrement, il
faut offrir au Seigneur un sacrifice agréable. Nous lisons dans la loi mosaïque
que Dieu avait ordonné aux Juifs de lui sacrifier chaque jour deux agneaux,
l'un le matin, l'autre le soir, et de doubler le nombre des victimes le jour du
sabbat. Ce précepte nous enseigne que nous devons redoubler de zèle et de piété
pendant les jours spécialement consacrés au culte divin, et faire alors tout ce
qui dépend de nous pour témoigner au Seigneur la reconnaissance qu'il a droit
d'attendre de ses créatures. Car, suivant l'expression du roi prophète: "Tout
lui appartient, et nous ne faisons que lui rendre ce que nous avons reçu de lui."
Nous ne pouvons pas, il est vrai, immoler de nombreuses victimes sur ses
autels; car la loi évangélique est venue abolir les sacrifices sanglants de
l'ancienne loi; mais nous pouvons lui offrir notre âme en holocauste,
c'est-à-dire pleurer nos péchés et lui adresser de ferventes prières. "Le
sacrifice agréable au Seigneur, dit le Psalmiste, c'est un cœur contrit
et pénétré de repentir." - "Seigneur, dit-il encore, que
ma prière s'élève vers vous comme la fumée de l'encensoir." Les jours
de fêtes sont consacrés à des joies graves et sérieuses, aux joies qu'éprouve
l'esprit et que fait naître la prière. Nous pouvons affliger aussi en nous la
chair par le jeûne. "Je vous en conjure au nom de la miséricorde divine,
dit saint Paul aux fidèles; que votre corps soit une hostie vivante et
sans tache, et digne d'être offerte au Seigneur." Nous pouvons encore
offrir à Dieu un sacrifice de louanges, et voilà pourquoi les églises
retentissent de chants pieux en l'honneur de l'Éternel. Enfin nous pouvons
offrir à Dieu le sacrifice de biens périssables, en faisant d'abondantes
aumônes. "N'oubliez pas, dit l'Apôtre, les devoirs de la charité
et le lien fraternel qui vous unit." C'est là un sacrifice qui plaît
au Seigneur, et qui doit être plus abondant en un jour de fête qu'en tout autre
jour, parce qu'il est consacré à l'allégresse générale. "Envoyez leur
part aux indigents, disait Néhémie aux Juifs délivrés de la captivité; car
c'est aujourd'hui la fête des tabernacles, et tous doivent se réjouir dans le
Seigneur."
(27) 89. Secondement, il
faut se nourrir de la parole de Dieu. Ainsi font les Juifs qui, le jour du
sabbat, lisent et méditent l'ancien Testament. Les chrétiens, dont la piété
doit être plus parfaite que celle des Juifs, sont donc tenus d'assister, le
dimanche et les jours de fêtes, à l'office divin, et d'aller recueillir dans
les églises la nourriture céleste que les ministres du Seigneur distribuent aux
fidèles du haut de la chaire évangélique. "Celui qui aime Dieu écoute
la parole de Dieu." Ils doivent également ne tenir que des
conversations pieuses. "Qu'il ne sorte pas de votre bouche une seule
parole mauvaise, dit l'Apôtre; si vous avez quelque chose de bon à dire,
dites-le, afin d'édifier votre prochain." Écoutez ce qui est bon à
entendre, dire ce qui est bon à dire, voilà deux choses éminemment utiles au
pécheur; car elles changent son cœur, et lui inspirent l'amour de la vertu. "Ma
parole, dit le Seigneur, est comme un feu qui brûle et comme un marteau qui
brise la pierre." Au contraire, les justes eux-mêmes se laissent
entraîner a l'amour du mal en écoutant ce qu'ils ne doivent pas entendre, en
disant ce qu'ils ne doivent pas dire. "Les mauvais entretiens
corrompent les bonnes mœurs, dit l'Apôtre; veillez donc à votre salut,
vous qui marchez dans la voie de la justice, et gardez-vous du péché."
- "Seigneur, s'écrie le Psalmiste, je conserve votre parole au
fond de mon cœur." La parole divine éclaire l'ignorant; c'est une "lumière
qui guide ses pas," suivant l'expression de roi prophète; elle
enflamme aussi les cœurs tièdes, et les remplit d'ardeur.
(29) 90. Troisièmement, il
faut se livrer à la contemplation de Dieu; mais ce devoir n'en est un que pour
les hommes parfaits. "Reposez-vous et voyez combien le Seigneur est
doux." La contemplation, c'est le repos de l'âme; l'âme se fatigue
comme le corps, et comme lui elle a besoin de se reposer. Or l'asile où elle
peut trouver le repos, c'est Dieu. "Seigneur, soyez mon abri et mon
refuge," dit le Psalmiste. "J'entrerai dans ma demeure, et je
me reposerai dans le sein de la sagesse," dit Salomon.
(31) 91. Mais, avant que
l'âme puisse arriver à ce degré sublime de quiétude, il faut qu'elle passe par
trois autres degrés successifs de repos. Il faut d'abord qu'elle soit à l'abri
des agitations qui naissent du péché. "Le cœur de l'impie est comme une
mer bouillonnante qui ne peut se calmer." Il faut ensuite qu'elle se
mette hors de l'atteinte des passions charnelles; car la chair conspire contre
l'esprit, de même que l'esprit conspire contre la chair. Il faut enfin qu'elle
abandonne toute occupation mondaine. "Marthe, Marthe, vous vous
inquiétez, vous vous agitez pour bien des choses; mais une seule chose est
nécessaire, etc." C'est après avoir passé, dis-je, par ces trois
degrés successifs de repos, que l'âme arrive au plus haut degré de quiétude,
qu'elle se repose dans le sein de Dieu. C'est pour arriver là que les saints
ont tout abandonné sur la terre. La quiétude, c'est la perle inestimable dont
parle l'Évangile, et que celui qui l'a trouvée achète au prix de tous ses
biens. La quiétude, c'est la vie éternelle, c'est l'éternel bonheur;
puissions-nous l'obtenir! Puisse chacun de nous répéter, en parlant de la
céleste Jérusalem, ces paroles du roi prophète: "C'est là que
j'habiterai à jamais, c'est là que je reposerai dans les siècles des siècles!"
Du quatrième précepte de la loi. "Honorez
votre père et votre mère, etc."
(3) 92. Du quatrième précepte de la loi. "Honorez votre père et votre mère,
etc." La perfection de l'homme consiste dans l'amour de Dieu et dans
l'amour du prochain. A l'amour de Dieu se rapportent les trois préceptes gravés
sur la première table que Dieu donna à Moïse; à l'amour du prochain se
rapportent les sept autres préceptes gravés sur la seconde table de la loi.
Mais, ainsi que saint Jean le dit, "l'amour doit se témoigner non pas
par de vaines paroles, mais par des actes de dévouement sincère." L'homme,
dont le cœur est plein d'un amour vrai doit éviter le mal et faire le bien; et
c'est pourquoi les préceptes de la loi morale sont tantôt négatifs, et
défendent le mal, tantôt positifs, et commandent le bien. Il est toujours en
notre pouvoir d'éviter le mal, mais il n'est pas toujours en notre pouvoir de
faire le bien; et c'est ce qui a fait dire à saint Augustin que nous sommes
tenus d'aimer tous les hommes, mais que nous ne sommes pas obligés de donner à
tous des marques particulières de bienveillance. C'est donc un devoir pour nous
de faire du bien, d'abord à ceux qui nous sont unis par les liens du sang, car,
suivant l'Apôtre, négliger sa famille, c'est se conduire en infidèle et non en
chrétien. Or, nos parents les plus proches, ceux qui nous sont le plus intimement
unis, ce sont nos père et mère. "Nous devons, dit saint Ambroise, aimer
d'abord Dieu, puis notre père et notre mère." Et c'est ce qui nous
ordonne ce précepte divin, quand il nous commande de les honorer.
(5) 93. Pourquoi
devons-nous les honorer? Un philosophe a répondu à cette question en disant que
la grandeur des bienfaits que nous avons reçus d'eux ne nous permet pas de les
traiter comme si nous étions leurs égaux. Ainsi un père offensé par son fils
peut fort bien le chasser de sa maison, mais la réciproque n'est pas vraie.
Quels sont donc les bienfaits que nous avons reçus d'eux? Nous avons d'abord
reçu la vie: "Honorez votre père, dit l'Ecclésiastique, et
n'oubliez point les douleurs que vous avez coûtées à votre mère; souvenez-vous
que sans eux vous ne seriez pas au monde." Secondement, ils nous ont
nourris, ils ont soutenu notre faiblesse, ils ont fourni à tous nos besoins.
L'homme entre faible et nu dans ce monde; mais ceux qui lui ont donné la vie ne
l'abandonnent point à sa faiblesse et à sa misère. Troisièmement, ils nous ont
instruits, ils nous ont élevés: "Nos pères selon la chair, dit
l'Apôtre, ont été nos premiers maîtres;" - "Avez-vous des
enfants, dit l'Ecclésiastique, instruisez-les." Or les parents
doivent enseigner à leurs enfants deux choses principales: la crainte de Dieu
et l'horreur du péché. Ils doivent leur donner de bonne heure cet enseignement
salutaire; car, suivant les saintes Ecritures, "l'homme qui marche dans
la bonne voie dès son enfance ne s'en écartera pas aux jours de sa vieillesse;
et celui-là est heureux qui a été soumis jeune encore au joug de la vertu."
Cet enseignement salutaire, le pieux Tobie l'avait donné à son fils, et tous
les parents devraient imiter l'exemple de ce saint homme. Combien ils sont
coupables ceux qui se réjouissent de la malice de leurs enfants! "Tous
les enfants qui naissent du péché, dit Salomon, sont de vivants
témoignages de la faute de leurs parents," et Dieu punit le père dans
ses fils.
(7) 94. Ainsi donc nos
parents nous ont donné la vie, ils nous ont nourris, ils nous ont élevés.
Puisque nous tenons d'eux la vie, nous devons avoir pour eux plus de respect
que des serviteurs pour leurs maîtres, sans toutefois les honorer plus que les
créatures ne doivent honorer leur créateur. "Celui qui craint le
Seigneur, dit l'Ecclésiastique, honore ses parents, il leur est soumis,
il leur parle avec respect et obéit sans murmure à leur volonté. Honorez donc
votre père et votre mère, afin que la bénédiction divine repose sur vous."
N'est-ce pas d'ailleurs nous honorer nous-mêmes que d'honorer les auteurs de
nos jours? L'Ecclésiastique ne dit-il pas: "L'honneur du père fait la
gloire du fils, de même que la honte du fils fait le déshonneur du père?"
Puisqu'ils nous ont nourris dans notre enfance, nous devons à notre tour les
nourrir dans leur vieillesse. "Ayez soin de la vieillesse de votre
père; dit encore l'Ecclésiastique; n'attristez point ses derniers jours,
et s'il devient faible et languissant, ne le méprisez point dans l'orgueil de
votre force. Combien il est coupable celui qui abandonne son père! Combien il
est maudit de Dieu celui qui fait pleurer sa mère!"
(9) 95. Que les mauvais
fils songent à la piété filiale de la cigogne, et qu'ils rougissent de honte et
de confusion. Quand la vieillesse, dit Cassiodore, a brisé l'aile de ses
parents et les a rendus incapables de chercher eux-mêmes leur nourriture, sa
tendresse supplée à leur vigueur éteinte: elle réchauffe de ses plumes leurs
membres engourdis, elle leur apporte les aliments qu'elle a trouvés, ranime
leurs forces languissantes, et par une pieuse reconnaissance, jeune, elle rend
à son tour à ceux qui lui ont donné la vie, les soins qu'elle en a reçus aux
jours de sa faiblesse. Enfin, puisque nos parents ont été nos premiers
instituteurs, nous devons leur obéir. "Enfants, dit l'Apôtre, obéissez
à vos parents, excepté en ce qui est contraire à la religion;" car,
suivant l'expression de saint Jérôme, "c'est le seul cas où la
désobéissance soit un devoir et la révolte une piété." - "Celui
qui n'abandonne pas son père et sa mère pour me suivre, dit Notre Seigneur, ne
peut être mon disciple." C'est qu'en effet, Dieu est notre véritable
père: "N'est-il pas votre père celui qui vous protège, qui vous a faits
ce que vous êtes et qui vous a tirés du néant?"
(11) 96. "Honorez
votre père et votre mère." Entre tous les préceptes, celui-ci est le
seul auquel le législateur ait ajouté la promesse d'une récompense, et cette
promesse est celle d'une longue vie sur la terre. La raison en est qu'il ne
voulait point laisser croire que le respect filial fût une vertu sans mérite,
bien qu'elle soit une vertu naturelle. Mais il faut savoir qu'il y a cinq
choses désirables promises à ceux qui honoreront leurs parents.
(13) 97. La première
récompense promise au respect filial, c'est la grâce dans le présent et surtout
la gloire dans l'avenir. "Honorez votre père et votre mère, dit
l'Ecclésiastique, afin que la bénédiction divine repose sur vous. "Le
contraire est dû à ceux qui les offensent, et ceux-là sont maudits de Dieu dans
la loi ancienne; car, est-il dit dans l'Évangile, "celui qui commet
l'iniquité dans les petites choses la commet également dans les grandes." Mais
la vie naturelle n'est rien, pour ainsi dire, quand on la compare à la vie de
grâce. Si donc on ne reconnaît point le bienfait de cette vie naturelle qu'on
doit à ses parents, on est indigne de la vie de grâce, qui lui est supérieure,
et par conséquent de la vie de gloire, qui est encore supérieure à la vie de
grâce.
(15) 98. La seconde
récompense promise au respect filial, c'est "une longue carrière."
Dieu nous commande d'honorer nos parents, afin que nous vivions longtemps sur
la terre. "Celui qui honore son père, dit l'Ecclésiastique, jouira
d'une plus longue vie." Remarquez bien que la vie est longue quand
elle est pleine et qu'elle a pour mesure non pas le nombre des années, mais
celui des actions, ainsi que l'a dit un philosophe. Or la vie est pleine quand
elle est vertueuse, par conséquent l'homme vertueux et saint vit longtemps,
alors même que sa mort est prématurée sous le rapport des années. "Le
juste, dit Salomon, a rempli une longue carrière bien qu'il l'ait
achevée de bonne heure; son âme plaisait à Dieu, et c'est pourquoi Dieu s'est
hâté de le rappeler à lui et de le retirer du sein des iniquités humaines."
Celui-là, certes, fait un grand bénéfice qui gagne en un jour ce qu'un autre
gagne à peine dans un an. Et remarquez qu'il n'est pas rare qu'une vie trop
longue soit cause d'une mort funeste et pour l'âme et pour le corps, comme le
prouve l'exemple de Judas. Ainsi, je le répète, une des récompenses promises au
respect filial, c'est une longue vie sur la terre; il suit de là que la mort
est la juste punition de ceux qui outragent leurs parents; car nous tenons la
vie de nos parents, comme les guerriers tiennent un fief de leur roi; et de que
les vassaux infidèles méritent de perdre le fief qu'ils ont reçu de leur
suzerain, les mauvais fils méritent de perdre la vie qu'ils ont reçue de leurs
parents. "Celui qui se moque de son père et qui méprise sa mère mérite
d'avoir les yeux crevés par les corbeaux du torrent et dévorés par les aiglons."
Les aiglons, ce sont les rois et les princes; les corbeaux, ce sont les
officiers de justice. Si quelquefois les mauvais fils échappent à la mort
corporelle, ils ne peuvent échapper à la mort spirituelle. Aussi un père ne
doit-il pas laisser trop de pouvoir à ses enfants. "Tant que vous avez
la vie et que vous respirez, dit l'Ecclésiastique, restez inébranlable
et ferme; ne donnez point pouvoir sur vous à votre fils, ni à votre femme, ni à
votre ami, et ne vous livrez pas à leur discrétion, de peur que vous n'ayez à
vous repentir de votre faiblesse."
(17) 99. La troisième
récompense promise an respect filial, c'est le bonheur d'avoir des enfants
reconnaissants et dévoués. Naturellement le père amasse pour ses enfants; mais
la réciproque n'est pas vraie. "Celui qui honore son père, dit
l'Ecclésiastique, sera heureux dans ses fils." - "La mesure
que vous aurez employée pour les autres, dit l'Évangile, sera aussi employée
pour vous."
(19) 100. La quatrième
récompense promise an respect filial, c'est une réputation honorable; car un
fils s'honore en honorant son père, et il se couvre de honte en l'abandonnant.
(21) 101. La cinquième
récompense promise au respect filial, c'est la prospérité; car, suivant
l'Ecclésiastique, "la bénédiction d'un père affermit la maison de ses
enfants, et la malédiction d'une mère la fait écrouler de fond en comble."
(23) 102. "Honorez
votre père et votre mère." Il faut remarquer que ce nom de père ne
s'applique pas seulement à celui qui nous à donné la vie, mais à quiconque
mérite notre respect et notre vénération à quelque titre que ce soit. Ainsi on
appelle pères les apôtres et les autres saints personnages qui sont pour nous des
modèles de doctrine et de foi. "Vous pouvez, dit saint Paul aux
Corinthiens, vous pouvez avoir mille pédagogues qui vous enseignent la
doctrine du Christ, mais vous n'avez pas beaucoup de pères spirituels; c'est
moi seul qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Évangile." - "Gloire
aux hommes illustres d'autrefois, dit l'Ecclésiastique, car ils sont
aussi nos pères." Oui, gloire a ces hommes Illustres, et que notre
vénération pour eux se témoigne non par de vaines paroles, mais par l'imitation
de leur vie. Or, si nous voulons imiter véritablement la vie des grands
personnages que nous admirons, il faut que leurs vertu revivent tout entières
en nous. "Souvenez-vous, dit saint Paul, souvenez-vous de ceux
qui vous ont enseigné la parole divine, et que leur foi vous serve d'exemple."
Les prélats méritent aussi le nom de pères; eux aussi ont droit au respect et à
la vénération; ils sont les ministres de Dieu. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit à
ses apôtres: "Celui qui vous écoute m'écoute moi-même, et celui qui vous
méprise me méprise également?" Nous devons donc honorer les prélats,
leur être soumis en toutes choses et leur payer la dîme. "Obéissez à
vos chefs spirituels, dit l'Apôtre, soyez soumis à leur autorité." -
"Honorez le Seigneur, dit l'auteur des Proverbes, honorez le
Seigneur par des dons volontaires, et apportez-lui les prémices de vos fruits."
Les rois et les princes méritent aussi le nom de pères, et nous voyons dans
l'Écriture sainte que ce nom leur était autrefois accordé. C'est le titre le
plus glorieux qu'on puisse leur donner: il les avertit qu'ils sont placés sur
le trône pour veiller au bonheur des peuples et qu'ils doivent considérer leurs
sujets comme leurs enfants. Tel est le devoir des rois à l'égard des peuples;
celui des peuples à l'égard des rois est donc d'avoir pour eux un respect
filial et de leur témoigner ce respect par une soumission pleine et entière. "Que
tout homme, dit l'Apôtre, soit soumis aux puissances qui le gouvernent."
Or cette soumission ne doit pas venir seulement de la crainte, mais aussi de
l'amour; elle est commandée non seulement par la raison, mais aussi par la
conscience. En effet, suivant l'Apôtre, toute puissance vient de Dieu, et nous
devons, par conséquent, rendre hommage à qui de droit. "Mon fils,
dit Salomon, craignez Dieu et le roi." Nos bienfaiteurs sont aussi
nos pères: "Que les orphelins soient vos enfants," dit
l'Ecclésiastique. En effet, la bienfaisance est un attribut de la paternité: "N'oubliez
pas, dit encore l'Ecclésiastique, le service que vous a rendu celui qui
vous a secouru dans vos besoins." L'oubli des services est une
ingratitude odieuse; aussi lisons-nous dans le livre de la Sagesse que
l'espérance de l'ingrat est toujours vaine et fond comme la neige. Enfin le
titre de père est encore dû au vieillard: "Interrogez votre père,
dit l'Écriture sainte, et il vous répondra; questionnez les vieillards, et
ils vous instruiront. Levez-vous devant celui dont la tête est blanchie par les
années et honorez sa personne; ne soyez point assez présomptueux pour vous
mêler aux entretiens des personnes âgées: écoutez en silence, et votre modestie
vous fera estimer." Ainsi donc le précepte que nous donne le Seigneur
d'honorer nos parents s'applique aussi aux vieillards, à nos bienfaiteurs, à
nos chefs temporels et à nos chefs spirituels; car eux aussi sont ici-bas
l'image de notre Père céleste, et les mépriser, c'est mépriser Dieu lui-même.
Du cinquième commandement de la loi. "Vous ne tuerez point."
(3) 103. Du cinquième commandement de la loi. "Vous ne tuerez point." La loi divine, en nous ordonnant d'aimer
Dieu et notre prochain, nous commande non seulement de faire le bien, mais
aussi d'éviter le mal. Or le plus grand mal que nous puissions faire à notre
prochain, c'est de lui ôter la vie. "Vous ne tuerez point;"
tel est le précepte qui défend le meurtre. Ce précepte a donné lieu à trois
interprétations
(5) 104. Certains
philosophes ont prétendu qu'il n'est pas même permis de tuer les animaux.
Évidemment cette opinion est erronée; ce ne peut être un crime de faire servir
à notre usage les créatures soumises à notre puissance. La nature veut que les
plantes soient la pâture des animaux, que certains animaux deviennent à leur
tour la proie des autres, et que le règne végétal et le règne animal
fournissent à l'homme les aliments qui lui sont nécessaires. Cette loi de la
nature est aussi ancienne que le monde, et Dieu lui-même l'a confirmée, en
disant: "J'abandonne à votre pouvoir toutes les créatures vivantes,
aussi bien que les végétaux." Un philosophe a dit que la chasse
ressemble à une guerre légitime, et saint Paul déclare expressément qu'il est
permis de manger toute espèce de viande.
(7) 105. D'autres ont
pensé qu'il est défendu d'ôter la vie à l'homme, de quelque manière et pour
quelque motif que ce soit. Ainsi les juges séculiers, qui condamnent les
criminels à la peine de mort, en faisant l'application de la loi, sont pour eux
des homicides. Mais cette doctrine est sans fondement; et saint Augustin fait
une observation qui la renverse: c'est que Dieu n'a pu s'ôter à lui-même le
droit de vie et de mort en donnant ce précepte; droit qu'il s'est reconnu
lui-même en disant: "C'est moi qui ferai vivre, c'est moi qui ferai mourir.
"Il suit de là que les juges séculiers ont aussi le droit de condamner à
mort les criminels; car ils ne sont que les exécuteurs de la volonté de Dieu,
et c'est lui qui prononce la sentence des coupables. Toute loi est un décret
divin. "C'est par moi que les rois règnent, dit le Seigneur; c'est
par moi que les législateurs punissent." - "Si vous faites le mal, dit
saint Paul, tremblez; car ce n'est pas en vain que les magistrats sont armés
du glaive de la justice; ils sont les ministres du Tout-Puissant." Nous
voyons que la loi mosaïque punissait de mort les moindres délits. Ce qui est
permis à Dieu est permis à ses ministres, en vertu du mandat qu'ils ont reçu de
lui; et certes Dieu n'est point coupable, lui qui est le législateur suprême,
en punissant le crime de mort. "La mort est le prix du crime,"
suivant l'expression de l'Apôtre; par conséquent, les ministres de Dieu ne sont
point coupables non plus en exécutant ses décrets souverains. Le véritable sens
du précepte est donc celui-ci: Vous ne tuerez point de votre autorité privée.
(9) 106. Enfin on a
prétendu que ce précepte ne concerne que le meurtre commis sur autrui; et, de
ce qu'il nous défend de tuer notre prochain, on a conclu qu'il nous permet de
nous ôter la vie à nous-mêmes. L'histoire nous rapporte plus d'un exemple de
ces morts volontaires. C'est ainsi que Samson périt sous les ruines du palais
dont son bras avait ébranlé les colonnes; c'est ainsi que Caton se perça de son
épée; c'est ainsi que ces jeunes filles dont parle saint Augustin se jetèrent
au milieu des flammes. Mais le même écrivain sacré, en racontant ce dernier
trait, a soin d'ajouter: "Celui qui se donne la mort ôte la vie à un
homme." Si donc c'est un crime de tuer un homme, à moins qu'on ne soit
investi pour cela d'une autorité divine, c'est également un crime de se tuer, à
moins qu'on ne soit poussé à cette extrémité par la voix de Dieu ou
l'inspiration du Saint-Esprit, ainsi qu'il arriva à Samson. Donc "vous
ne tuerez point." Il y a
plusieurs manières d'être homicide.
(11) 107. On tue avec la
main. "Vos mains sont pleines de sang," dit le Seigneur aux
Juifs coupables. Cet acte de férocité horrible n'est pas seulement un attentat
contre la loi divine, qui nous ordonne d'aimer notre prochain comme nous-mêmes,
c'est encore un crime contre nature; car " tout être vivant aime
naturellement son semblable." Aussi est-il dit dans l'Exode: "Quiconque
aura versé volontairement le sang d'un homme sera puni de mort." Cette
punition, certes, est légitime. L'homicide est un monstre plus cruel que le
loup des forêts qui recule à l'aspect du sang d'un autre loup.
(13) 108. On tue encore
avec la bouche, et cela en excitant à la haine contre quelqu'un, en l'accusant,
en le calomniant. "Redoutez les enfants des hommes, dit le
Psalmiste; leurs dents sont des armes dangereuses, des traits funestes, et
leur langue est un glaive acéré."
(15) 109. On est homicide
en aidant au meurtre. "Mon fils, ne suivez point leurs pas; ils courent au
crime, et ils sont impatiens de répandre le sang."
(17) 110. On tue en
consentant au meurtre. "La mort est le juste châtiment de ceux qui
consentent an crime aussi bien que de ceux qui l'accomplissent. "Or
c'est consentir en quelque façon au meurtre que de le laisser commettre quand
on peut empêcher son exécution. "Arrachez au péril ceux qui vont
recevoir le coup mortel," dit l'auteur des Proverbes. C'est être
homicide enfin, que de ne point sauver un malheureux quand on le peut, et de
l'abandonner soit par négligence, soit par égoïsme. "Nourrissez le
pauvre qui meurt de faim," dit saint Ambroise; si vous êtes sans
pitié pour lui, c'est vous qui le tuez." Ajoutons qu'on peut tuer le
corps sans tuer l'âme, ou tuer l'âme sans tuer le corps, et qu'il y a des cas
où l'on peut tuer le corps et l'âme en même temps. On tue le corps en versant
le sang, et on tue l'âme en l'entraînant à un pèche mortel. "Le démon, est-il
dit dans l'Évangile, a été homicide dès le commencement du monde." Il
a été homicide en tant qu'il a entraîné l'homme au péché. Il y a deux cas où
l'on tue à la fois l'âme et le corps: le premier, c'est quand on ôte la vie à
une femme enceinte; car alors le coup qui la frappe tue également le corps et
l'âme de l'enfant qu'elle porte dans son sein; le second, c'est quand on s'ôte
la vie à soi-même.
(19) 111. "Vous ne tuerez point."
Le Christ nous enseigne, dans l'Évangile, que notre justice doit être plus
parfaite que celle des scribes et des pharisiens; il veut nous faire entendre
par là que nous devons apporter plus de zèle à l'accomplissement de la loi
nouvelle que les Juifs n'en apportaient à l'accomplissement de la loi ancienne.
Et la raison en est que plus la récompense est grande, plus on doit faire
d'efforts pour l'obtenir. "Celui qui sème peu, dit l'Apôtre, recueillera
peu." Or la loi mosaïque promettait à la vertu des récompenses
temporelles et terrestres. "Si vous obéissez à ma voix, dit le
Seigneur par la bouche du prophète Isaïe, vous jouirez de tous les biens de
la terre." Mais la loi évangélique promet aux fidèles des récompenses
éternelles et célestes: par conséquent, la justice, qui n'est autre chose que
l'accomplissement des préceptes divins, doit être mieux pratiquée chez nous
qu'elle ne l'était chez les Juifs, puisque le prix qui lui est réservé est plus
grand chez nous que chez eux. Entre autres préceptes que Jésus-Christ nous a
donnés à ce sujet, nous citerons le suivant: "Vous avez entendu qu'il a
été dit aux anciens: Vous ne tuerez point, et moi je vous déclare que quiconque
s'irrite contre son frère mérite d'être condamné." Il mérite d'être
condamné à la peine que la loi mosaïque inflige au meurtrier quand elle dit: "Si
un homme commet volontairement un meurtre, eût-il cherché un asile au pied des
autels, arrachez-le de ce lieu sacré et faites-le mourir." Or on doit
éviter la colère de cinq manières.
(21) 112. Premièrement, il
faut prendre garde de s'emporter sans réflexion: "Que tout homme,
dit l'apôtre saint Jacques, soit prompt à écouter, lent à prendre la parole,
lent à s'irriter." La raison en est que la colère est un péché et
qu'elle ne saurait rester impunie. Mais toute colère est-elle contraire à la
vertu? Cette question a été résolue diversement. Les stoïciens ont prétendu que
le sage n'éprouve aucune passion; bien plus, ils ont fait consister la
véritable vertu dans la tranquillité de l'âme. Les péripatéticiens, de leur
côté, ont dit que le sage peut éprouver un mouvement de colère, mais de colère
modérée, et cette opinion est la plus vraisemblable; elle est à la fois fondée
sur l'autorité et sur le raisonnement. Elle est fondée sur l'autorité, car nous
voyons dans l'Évangile certaines passions attribuées à Jésus-Christ lui-même,
ce modèle divin de la parfaite sagesse. Elle est fondée sur le raisonnement. En
effet, si toutes les passions étaient contraires à la vertu, il y aurait
certaines puissances de l'âme qui resteraient inutiles, ou plutôt qui seraient
funestes, puisqu'elles ne se révéleraient que par une action désordonnée. Ainsi
Dieu aurait donné à l'homme, pour son malheur, la faculté que nous appelons
irascible et celle qui produit le désir. Il faut donc convenir que la colère
est quelquefois coupable, quelquefois non; car ce mot de colère exprime trois
choses différentes: il s'applique d'abord à un simple jugement que la raison
prononce à part de toute émotion de l'âme; ce jugement de la raison n'est point
la colère proprement dite; c'est une sentence équitable, et quand Dieu punit
les méchants, il ne prend point conseil de la fureur, mais de la justice.
L'Écriture sainte parle souvent de la colère du Seigneur, mais en donnant à
cette expression le sens d'équité. C'est dans ce sens qu'il faut l'interpréter
lorsque le prophète dit: "La colère du Seigneur s'appesantira sur moi,
parce que j'ai péché contre lui." Ce mot de colère exprime aussi une
passion; dans ce sens, la colère appartient, non plus à la raison, mais à la
sensibilité. Comme passion, elle est tantôt coupable, tantôt légitime. En
effet, bien que n'appartenant point à la raison, elle se laisse quelquefois
gouverner par cette faculté supérieure, qui la contient dans de justes limites;
par exemple, quand on s'irrite à propos, avec mesure et pour un sujet qui le
mérite. Alors, loin d'être un péché, la colère est un acte de vertu, un zèle
généreux. Aussi un philosophe a-t-il dit que la véritable douceur ne consiste
pas à ne s'irriter jamais. Quelquefois la colère refuse d'obéir aux conseils de
la raison et reste toute entière sous l'empire de la sensibilité; c'est alors
seulement qu'elle est un péché; mais ce péché est tantôt véniel, tantôt mortel,
suivant le degré de force du mouvement passionné qui le produit. Un péché est
mortel ou par sa nature ou par les circonstances. Le meurtre parait être un
péché mortel par sa nature, car il est directement opposé au précepte divin; le
consentement que la raison accorde à l'exécution d'un pareil crime est aussi un
péché mortel par sa nature; car si l'acte est tel, l'intention réfléchie qui
précède l'acte le sera également. Mais il peut se faire qu'un acte criminel
soit un péché mortel par sa nature, et que pourtant le mouvement passionné qui
sollicite à le commettre ne soit pas lui-même un péché mortel; c'est ce qui
arrive quand ce mouvement passionné n'obtient pas le consentement de la raison.
Ainsi lorsqu'un mouvement de concupiscence nous pousse à la recherche de
plaisirs coupables, et que la raison lui refuse son approbation, ce mouvement
passionné n'est point un péché mortel. Ce que nous disons de la concupiscence,
nous pouvons le dire de la colère: la colère est un mouvement passionné qui
pousse l'homme à se venger d'une injure reçue; c'est là sa véritable
définition.
(22) Si donc ce mouvement passionné a un tel
caractère de violence que la raison ne puisse résister à son entraînement et
soit forcée de lui obéir, il prend alors le caractère de péché mortel. Si, au
contraire, il n'est pas assez violent, assez tyrannique pour arracher à la raison
son consentement et son approbation, il garde le caractère de péché véniel.
Ajoutons que si un mouvement passionné sollicite à un acte qui ne soit pas un
péché mortel par sa nature, il garde encore le caractère de péché véniel, lors
même qu'il obtient le consentement de la raison. Par conséquent la colère que
Jésus-Christ a qualifiée de crime, en disant: "Quiconque s'irrite
contre son frère mérite d'être condamné," doit s'entendre d'un
mouvement passionné auquel la raison a consenti et qui tend à nuire au
prochain, ce qui lui donne le caractère de péché mortel. Nous devons donc
éviter la colère parce qu'elle est un péché; nous devons aussi l'éviter pour
conserver cette indépendance dont l'amour est inné dans le cœur de l'homme
aussi bien que la haine de la servitude. Or celui qui s'abandonne à sa fureur
n'est pas maître de lui-même, il n'est pas libre. "Qui pourra, dit
l'auteur des Proverbes, résister à l'impétuosité de sa colère? Un rocher est
pesant, un monceau de sable est un lourd fardeau, mais la fureur de l'insensé
est pour lui-même un fardeau plus lourd encore."
(24) 113. Nous avons dit
que l'homme doit d'abord prendre garde de s'emporter sans réflexion. Il doit,
en second lieu, prendre garde de conserver un long ressentiment. "Mettez-vous
en colère, dit le Psalmiste, mais que ce soit sans pécher." -
"Que le soleil ne se couche point sur votre colère," dit
l'Apôtre. Pourquoi cela? Notre Seigneur lui-même nous l'explique dans
l'Evangile: "Arrangez-vous au plus vite avec votre adversaire pendant
que vous êtes en chemin avec lui, de peur qu'il ne vous livre au magistrat et
ne vous fasse envoyer en prison. En vérité, je vous le dis, vous ne sortirez
pas de là que vous n'ayez rendu jusqu'au dernier quadrain."
(26) 114. Troisièmement,
l'homme doit prendre garde que sa colère ne dégénère en un sentiment plus
coupable encore, c'est-à-dire en haine. Il y a cette différence entre la colère
et la haine que la colère est une passion soudaine et peu durable, tandis que
la haine est une passion persévérante et vivace, et c'est ce qui donne à
celle-ci le caractère de péché mortel. "Quiconque déteste son frère,
dit saint Jean, est homicide." En se dépouillant de la charité, il
tue son prochain et il se lue lui-même. "N'ayez point de procès,
dit aussi saint Augustin, ou, si vous en avez, terminez-les le plus
promptement possible, de peur que la colère qui vous anime ne dégénère en
haine, qu'elle ne fasse une poutre d'un fétu de paille et ne rende voire âme
homicide." - "L'homme emporté, dit l'auteur des Proverbes, appelle
les querelles." - "Maudite soit leur fureur, est-il dit dans la
Genèse, parce qu'elle a été obstinée; maudite soit leur indignation, parce
qu'elle a été cruelle."
(28) 115. Quatrièmement,
l'homme doit prendre garde que sa colère ne se manifeste par des paroles amères
et violentes. "L'insensé, dit l'auteur des Proverbes, laisse
aussitôt percer au dehors la colère qui l'anime." Il peut la laisser
percer de deux manières, par des injures et par un langage plein d'orgueil et
d'arrogance. Touchant le premier cas, Notre Seigneur dit: "Quiconque
aura traité son frère de fou sera condamné an feu de l'enfer." Touchant
le second, il a dit: "Quiconque, en parlant à son frère, se sera servi
contre lui du mot raca sera jugé par le conseil." - "Des paroles
douces, dit l'auteur des Proverbes, brisent la violence de la colère, et
un langage dur excite la fureur."
(30) 116. Cinquièmement,
l'homme doit prendre garde que sa colère ne se manifeste par des actions.
Toutes nos œuvres doivent lire inspirées par la justice et la miséricorde! Or
la colère détruit la miséricorde et la justice. "La colère de l'homme,
suivant l'expression de saint Jacques, n'accomplit pas les œuvres de Dieu."
Quand même un homme irrité voudrait faire le bien, il ne le pourrait pas;
et voilà pourquoi un philosophe disait à son esclave qui avait commis une faute:
"Je te punirais si je n'étais en colère." - "La
colère, dit l'auteur des Proverbes, ne connaît point la pitié." -
"Ils ont commis le meurtre dans leur fureur," est-il dit dans la
Genèse. Jésus-Christ avait donc raison de défendre la colère aussi bien que le
meurtre, puisqu'elle en est l'origine première. Un bon médecin ne se contente
pas de faire disparaître les symptômes extérieur du mal; il le détruit dans sa
racine, afin qu'il ne reparaisse plus. Jésus-Christ, ce grand médecin des âmes,
a donc voulu détruire en nous les principes du péché et surtout la colère, qui
est le principe du meurtre.
Du sixième précepte de la loi. "Vous ne
commettrez point d'adultère."
(3) 117. Du sixième précepte de la loi. "Vous ne commettrez point
d'adultère." Après avoir défendu le meurtre, le législateur suprême
nous défend l'adultère. Ce précepte est à sa place. L'homme et la femme
deviennent, grâce au mariage, un seul et même corps. Dieu a dit: "Ils
ne formeront à eux deux qu'une seule et même chair. "Après le
meurtrier, qui attaque le prochain dans sa personne et dans sa vie, l'ennemi le
plus dangereux pour l'homme c'est le libertin, qui l'attaque dans la personne
et dans l'honneur de celle qui est la moitié de lui-même. L'adultère est
également défendu à l'époux et à l'épouse. Cependant il est bon de le
considérer en premier lieu par rapport à l'épouse, parce que ce crime semble
plus grand quand c'est elle qui le commet. L'épouse adultère est coupable de
trois fautes très graves qui sont ainsi indiquées par l'Ecclésiastique: "Toute
femme qui abandonne son mari est trois fois coupable: d'abord elle a été
incrédule à la loi du Très-Haut, ensuite elle a trahi sa foi, enfin elle s'est
donnée à un autre."
(5) 118. Elle pèche donc
par incrédulité, et cela de plusieurs manières. Elle n'a pas cru à la parole du
Seigneur, qui a défendu l'adultère; elle agit contre l'ordre de Dieu, qui veut
que l'union de l'homme et de la femme soit indissoluble; elle agit contre les
statuts de l'Église, qui a béni son mariage; elle viole le serment qu'elle a
prononcé a la face du ciel et en prenant Dieu pour témoin et pour garant de la
foi jurée. "Le Seigneur, dit le prophète, a été témoin entre toi
et l'épouse de ta jeunesse, laquelle tu as méprisée." Ainsi elle pèche
par incrédulité en agissant contre la loi divine, contre les statuts de
l'Eglise et contre la sainteté d'un sacrement établi par Dieu lui-même.
(7) 119. Elle pèche
ensuite par trahison, parce qu'elle a abandonné son époux. "La femme, dit
l'Apôtre, n'est pas maîtresse de sa personne; c'est son mari qui en est le
maître." Aussi ne lui est-il pas même permis de garder la continence
sans le consentement de celui qui a tout pouvoir sur sa personne. Si donc elle
devient adultère, elle se rend coupable de trahison en se donnant à un autre,
comme le serviteur infidèle qui se donne à un nouveau maître. "Elle a
abandonné le guide de sa jeunesse, elle a oublié le pacte qui la liait à lui."
(9) 120. Enfin elle pèche
par larcin, car elle introduit sous le toit conjugal les enfants d'un étranger,
elle leur livre tout l'héritage paternel, et c'est un vol qu'elle fait à ses
enfants légitimes. Une femme adultère devrait au moins, pour diminuer
l'énormité de sa faute, vouer à l'état religieux les fruits d'un amour
criminel, et faire en sorte qu'ils n'aient point de part à la succession de son
mari. Ainsi donc la femme adultère est coupable de sacrilège, de trahison et de
vol.
(11) 121. L'époux adultère
n'est pas moins coupable, bien qu'il soit souvent indulgent pour ses propres
faiblesses; il n'est pas moins coupable, dis-je, et cela par trois raisons
principales.
(13) 122. Première raison.
La femme a sur lui les mêmes droits que lui sur la femme. "Le mari,
dit saint Paul, n'est point maître de sa personne; c'est la femme qui en est
la maîtresse." Ainsi, comme époux, l'homme et la femme sont dans une
dépendance mutuelle vis-à-vis l'un de l'autre, et les devoirs du mariage sont
les mêmes pour tous deux. Ce fut pour marquer cette dépendance mutuelle des
époux que Dieu forma la femme de l'une des côtes de l'homme et non de toute
autre partie du corps humain. Le mariage n'a été ce qu'il doit être que depuis
la promulgation de la loi chrétienne. Chez les Juifs, il était permis à un
homme d'avoir plusieurs femmes; mais il ne l'était pas à une femme d'avoir
plusieurs maris. Il n'y avait donc pas égalité de droits et de devoirs entre
l'époux et l'épouse.
(15) 123. Seconde raison.
La force est l'attribut de l'homme, et la faiblesse celui de la femme. La
passion, pour ainsi dire, propre à la femme, c'est l'amour; la fragilité de ce
sexe est donc une sorte d'excuse à ses fautes, et le mari qui exige de sa femme
une fidélité qu'il ne veut point garder lui-même est un tyran injuste.
(17) 124. Troisième
raison. L'homme a autorité sur la femme, il en est le chef. Aussi les femmes
doivent-elles, suivant le précepte de l'Apôtre, garder un silence respectueux
dans les églises, et se contenter de questionner leurs maris sous le toit conjugal.
L'homme a donc mission de guider la femme, de l'éclairer de ses lumières; et
voilà pourquoi c'est à lui que Dieu a donné ses préceptes et ses lois. Or le
mépris des lois et des préceptes de Dieu est plus coupable dans un prêtre que
dans un laïque, plus coupable dans un évêque que dans un simple prêtre. Car les
ministres de la religion ont mission d'instruire les autres hommes, et cette
mission est un devoir plus rigoureux pour ceux qui sont plus haut placés dans
la hiérarchie ecclésiastique. De même, l'époux étant le guide et le chef de
l'épouse, il est plus coupable qu'elle de fouler aux pieds la sainteté du
mariage en commettant un adultère. Cependant, que les épouses n'oublient point
le précepte que Jésus-Christ leur a donné: "Femmes, obéissez à vos
maris; faites ce qu'ils vous ordonneront; mais gardez-vous de suivre leurs
mauvais exemples."
(19) 125. "Vous ne
commettrez point d'adultère." Nous avons dit que ce précepte regarde l'époux aussi bien que l'épouse.
Ajoutons que certaines gens, tout en avouant que l'adultère est un crime, ne
croient point que la simple fornication soit un péché mortel. Mais cette
doctrine est renversée par ces paroles de saint Paul: "Dieu jugera les
fornicateurs et les adultères;" et par cet autre passage du même Apôtre:
"Ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les
libertins, n'entreront dans le royaume de Dieu." Or, la seule chose
qui puisse fermer à l'homme l'entrée du royaume céleste, c'est un péché mortel.
Par conséquent, la simple fornication est un péché mortel. Mais, direz-vous,
comment la simple fornication peut-elle être un péché mortel, puisqu'elle ne
souille point comme l'adultère le corps d'une épouse? Je réponds à cela que si
elle ne souille point le corps d'une épouse, elle souille le corps de
Jésus-Christ, puisque notre corps à tous devient celui de Jésus-Christ qui
prend possession de nous au moment du baptême. Si c'est un crime de déshonorer
l'épouse de son prochain, c'en est un bien plus grand d'outrager le Christ
lui-même. "Ne savez-vous pas, dit saint Paul aux fidèles, que
votre corps est le corps de Jésus-Christ, que vos membres sont ses membres?
Pourriez-vous donc faire des membres du Christ les membres d'une vile
prostituée, en les souillant par la fornication? Loin de vous un pareil péché."
(21) 126. C'est donc une
hérésie de croire que la simple fornication n'est pas un péché mortel. Disons à
ce sujet que le précepte qui nous occupe, si nous l'interprétons dans son sens
véritable et complet, ne défend pas seulement l'adultère, mais encore tous les
plaisirs charnels, excepté ceux que le mariage a légitimés. Ajoutons que,
suivant certaines gens, l'union des sexes dans le mariage n'est jamais par
elle-même exempte de péché; mais cette doctrine est encore une hérésie. "Le
mariage est respectable, dit l'Apôtre, et la couche nuptiale sans tache."
Quelquefois l'union des sexes dans le mariage est si loin d'être un péché
qu'elle est une œuvre méritoire; c'est ce qui arrive quand les époux ont la
charité. En effet, lorsqu'elle est accompagnée de l'intention d'augmenter le
nombre des créatures de Dieu en procréant des enfants, elle prend le caractère
d'un acte de vertu; lorsqu'elle est accompagnée de l'intention de remplir un
devoir, d'obéir à un droit, elle conserve encore le caractère d'un acte de
justice. Cependant elle peut devenir selon les circonstances ou un péché
véniel, ou un péché mortel. Lorsqu'elle n'a d'autre but que de satisfaire les
appétits grossiers de la chair, mais sans dégénérer en libertinage, elle a le
caractère de péché véniel; lorsqu'elle dépasse les besoins de la nature et les
limites sévères du mariage, elle prend le caractère du pèche mortel. Disons
maintenant pourquoi la fornication et l'adultère sont défendus. Il y a
plusieurs motifs à cette défense.
(23) 127. Premier motif.
Le libertinage perd l'âme. "L'époux adultère, dit l'auteur des
Proverbes, perd son âme, à cause de la faiblesse de son cœur." Cette
expression, la faiblesse de son cœur, signifie la lâche complaisance que
l'esprit a pour la chair.
(25) 128. Second motif. Le
libertinage mérite la mort. "L'époux adultère doit mourir," suivant
le précepte de la loi mosaïque. Il peut échapper au châtiment dans cette vie;
mais cette impunité est un malheur pour lui; car les châtiments endurés avec
résignation sur la terre obtiennent au coupable la rémission de ses fautes.
Cette impunité, d'ailleurs, ne sera pas de longue durée; et s'il a pu se
soustraire à la justice humaine, il n'évitera pas la justice divine.
(27) 129. Troisième motif.
Le libertinage est une cause de ruine. Ainsi l'enfant prodigue dont il est
parlé dans l'Évangile dissipa tout son patrimoine, en vivant dans le désordre
et dans la débauche. "Ne vous livrez point aux voluptés des sens, dit
l'Ecclésiastique, de peur de perdre à la fois votre fortune et votre âme."
(29) 130. Quatrième motif.
Le libertinage avilit jusqu'aux innocentes victimes qui ont puisé la vie à
cette source impure. "Les fruits de l'adultère ne prospéreront pas,
dit Salomon, et les enfants de l'étranger seront chassés de la demeure de
l'époux. S'ils vivent et grandissent, la tache de leur naissance restera
ineffaçable sur leur front, et leur vieillesse languira méprisée jusqu'à leur
dernier jour." Jamais un bâtard n'est élevé aux dignités
ecclésiastiques, et c'est tout au plus si l'on peut, sans honte pour l'Église,
le laisser au dernier degré de la cléricature.
(31) 131. Cinquième motif.
Le libertinage est un déshonneur pour ceux qui s'en rendent coupables, et
surtout pour les femmes. "La réputation d'une femme souillée par le
vice n'est plus qu'un lambeau déchiré, flétri et foulé aux pieds sur le grand
chemin." Quant à l'homme, il se couvre de honte et d'ignominie, et
rien ne peut effacer son opprobre. Saint Grégoire dit que les péchés de la
chair sont plus infâmes et moins condamnables que les péchés de l'esprit.
Pourquoi cela? C'est qu'ils nous ravalent au rang des brutes, et que l'homme,
dans cet état d'abjection, mérite plus de mépris que de blâme. "L'homme
était le roi de la terre; mais il n'a pas compris sa haute destinée, il est
descendu au niveau des créatures soumises à son empire, et il est devenu
semblable aux animaux qu'il était appelé à gouverner."
Du septième précepte de la loi. "Vous ne
déroberez point."
(3) 132. Du septième précepte de la loi. "Vous ne déroberez point." Le législateur suprême nous a sur toutes
choses imposé la loi de ne point nuire à notre prochain. Il nous a défendu
d'abord de l'attaquer dans sa personne: "Vous ne tuerez point,"
tel est le premier article de la loi. Il nous a défendu ensuite de l'attaquer
dans la personne qui le touche de plus près et qui est la moitié de lui-même: "Vous
ne commettrez point d'adultère;" tel est le second article de la loi.
Puis il nous a défendu de l'attaquer dans ses biens: "Vous ne déroberez
point;" tel est le troisième article de la loi. Disons que ce dernier
article concerne tout mode injuste d'acquisition. Il y a plusieurs manières de
dérober.
(5) 133. Premièrement, on
dérobe quand on s'empare en secret de ce qui appartient à autrui: "Si
le père de famille savait à quelle heure le larron doit venir, etc." Cette
manière de dérober est aussi lâche que coupable, c'est une espèce de trahison: "Honte
à celui dont la main furtive ravit ce qui ne lui appartient pas "
(7) 134. Secondement, on
dérobe en enlevant ouvertement et par la violence ce qu'on veut posséder. Ce
genre de vol est aussi criminel qu'audacieux, et le nom de brigands flétrit
ceux qui le commettent. Ce nom convient aussi aux mauvais princes et aux
mauvais rois. Un prophète les a comparés à "des lions qui cherchent
leur proie en rugissant;" et certes ils méritent plus le titre de
brigands et de tigres que celui de princes et de rois; car ils font asseoir
avec eux le crime sur ce trône où Dieu leur commande de faire asseoir la
justice; ils se révoltent contre le souverain des cieux, par la puissance
duquel ils régnent et gouvernent. Ils emploient tantôt la ruse, tantôt la
force, tantôt l'autorité des lois pour dépouiller leurs sujets. "Malheur
aux monarques qui font des lois injustes!" dit Isaïe. Saint Augustin
dit aussi que tout impôt qui n'est pas commandé par la justice est un vol fait
aux peuples, et il ajoute: "Qu'est-ce que la royauté, sinon un
brigandage?"
(9) 135. Troisièmement,
on dérobe en ne rendant pas à chacun ce qui lui est dû. Ainsi c'est commettre
un vol que de ne pas payer le travail du mercenaire, de ne pas donner à un
prince, à un prélat, à un simple clerc ce qu'on est tenu de lui donner. "Rendez
à chacun ce qui lui est dû, dit saint Paul; payez le tribut et l'impôt à
qui de droit." Nous devons une récompense aux rois qui veillent à
notre tranquillité et à notre bonheur.
(11) 136. Quatrièmement,
on dérobe en commettant une fraude dans le commerce, et c'est pourquoi il est
dit dans le Deutéronome: "Vous ne vous servirez point de poids
différents," et dans le Lévitique: "ne commettez point de
fraude dans les jugements, dans les poids et dans les mesures; que vos balances
soient justes ainsi que vos poids, vos boisseaux et vos septiers." -
"Le Seigneur déteste les faux poids et les fausses balances," dit
l'auteur des Proverbes. Le précepte qui défend à l'homme de dérober le bien
d'autrui et la condamnation de ces cabaretiers avides de gain qui falsifient
les boissons qu'ils vendent; il est aussi la condamnation des usuriers.
"Seigneur, dit le Psalmiste, qui entrera dans vos tabernacles, etc.?
celui qui n'aura point prêté à usure." Il est enfin la condamnation de
tous ceux qui se livrent à un trafic injuste et frauduleux. Mais, dira-t-on,
pourquoi ne vendrait-on pas l'usage de l'argent comme on vend celui d'un cheval
ou d'une maison? Je réponds d'abord qu'il n'est pas permis de vendre deux fois
le même objet. Or dans une maison il y a deux choses à considérer, l'usage et
la propriété. Ces deux choses sont bien différentes, et je puis vendre l'usage
sans vendre la propriété; il en est de même de tous les objets de commerce qui
donnent lieu à une distinction semblable: mais il est des objets dont toute la
valeur est dans l'usage qu'on en fait. On ne peut donc en vendre séparément
l'usage et la propriété, comme on peut le faire d'une maison. Ainsi l'argent
n'a de valeur qu'autant qu'il sert à nos dépenses et circule dans le commerce;
le blé n'a de valeur qu'autant qu'il sert à notre nourriture; par conséquent,
vendre séparément l'usage et la propriété de ces objets, c'est vendre deux fois
la même chose, puisque ces objets n'ont d'autre prix que celui qui est attaché
à leur jouissance.
(13) 137. Cinquièmement,
on dérobe en achetant soit les dignités temporelles, soit les dignités
spirituelles. Pour ce qui concerne les dignités temporelles, Job a dit: "L'ambitieux
vomira les richesses qu'il a dévorées et Dieu les lui arrachera du ventre."
Toute usurpation, soit d'un royaume, soit d'une province, soit d'un fief est un
vol, et les usurpateurs sont tenus de rendre à qui de droit ce qu'ils ont
acquis par la violence et l'injustice. Pour ce qui concerne les dignités
temporelles, nous lisons dans l'Évangile: "En vérité, en vérité, je
vous le dis, quiconque n'entre point par la porte dans la bergerie est un
larron et un voleur." Par conséquent, la simonie est un vol.
(15) 138. "Vous
ne déroberez point." Ce précepte, ainsi que nous l'avons dit, défend
toute espèce d'acquisition injuste, et bien des raisons nous engagent à l'observer.
(17) 130. La première,
c'est la gravité de la faute qu'il condamne, car cette faute est assimilée au
meurtre. "Le pain de l'indigence est la vie du pauvre; quiconque le lui
arrache est un homme de sang." - "Celui qui verse le sang de son
prochain et celui qui retient à l'ouvrier le prix de son travail sont frères."
(19) 140. La seconde,
c'est la grandeur du danger qui accompagne une pareille faute. Il n'est point
de péché qui soit aussi dangereux que le vol. En effet, nul péché n'obtient de
pardon avant que le coupable n'ait fait réparation et ne se soit repenti. Or on
se repent bien vite de tous les autres péchés, par exemple, du meurtre, quand
la colère est apaisée; de la fornication, quand les feux de la concupiscence
sont éteints; mais pour le vol, bien qu'on puisse quelquefois s'en repentir, on
ne fait pas aisément réparation; on n'est pas seulement obligé de rendre ce
qu'on a dérobé, mais encore de réparer le dommage qui peut résulter du vol
outre le vol lui-même. Voilà pourquoi il est dit dans l'Écriture sainte: "Malheur
à celui qui amasse des richesses injustement acquises! Jusques à quand
entassera-t-il autour de lui une boue épaisse?" Cette boue épaisse
exprime les embarras qui l'environnent et qui seront un obstacle à la
réparation de sa faute.
(21) 142. La troisième
raison qui doit détourner l'homme du vol, c'est l'inutilité des biens mal
acquis; ils ne servent à rien sous le point de vue spirituel: "Les
trésors de l'impie, dit l'auteur des Proverbes, ne lui profiteront pas.
"En effet, les richesses, sous le point de vue spirituel, doivent être
employées au soulagement des malheureux et à des œuvres pieuses; mais ces
œuvres pieuses sont sans mérite quand elles proviennent d'une source corrompue.
"J'aime la justice, dit le Seigneur, et je déteste la rapine
offerte en holocauste." - "Celui qui offre en sacrifice à Dieu la
substance des pauvres ressemble à celui qui immole les enfants en présence du
père. "Ces biens ne sont pas plus profitables sous le point de vue
temporel, car ils durent peu. "Malheur à celui qui amasse des richesses
et qui croit échapper aux coups de l'adversité!" - "Celui qui
entasse des monceaux d'or qui sont le fruit de l'usure verra passer ses trésors
entre les mains des pauvres; la fortune du pécheur deviendra l'héritage du
juste."
(23) 142 bis. La quatrième raison qui doit détourner l'homme de toute voie injuste
d'acquisition, c'est le mal qui en résulte pour lui; car les biens mal acquis
font perdre même ceux qu'on possède légitimement. Une ruine complète attend celui
qui a voulu augmenter sa fortune par des moyens criminels: "La flamme
dévorera la maison de ceux qui s'enrichissent par la rapine." Ajoutons
qu'ils ne se perdent pas seuls, et qu'ils perdent aussi leurs enfants avec eux,
car ceux-ci sont tenus de rendre ce que leurs pères ont injustement acquis.
Du huitième précepte de la loi. "Vous ne
prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain."
(3) 143. Du huitième précepte de la loi. "Vous ne prononcerez point de faux témoignage
contre votre prochain." Jusqu'ici le législateur suprême nous a défendu de nuire à notre prochain
par nos actions; maintenant il nous défend de lui faire tort par nos paroles.
Tel est le sens de ce précepte: "Vous ne prononcerez point de faux
témoignage contre votre prochain." La violation de ce précepte a lieu,
ou bien en justice, ou bien dans le commerce de la vie.
(5) 144. En justice, ce
précepte peut être violé de trois manières, vu qu'il peut l'être par trois
personnes; savoir, l'accusateur, le témoin et le juge. Ce précepte est violé
par l'accusateur, quand l'accusation portée devant les tribunaux est fausse. "Gardez-vous
d'accuser faussement votre prochain," est-il dit dans le Deutéronome.
Mais si l'on ne doit point accuser faussement son prochain, on ne doit point
non plus taire la vérité à son égard. "Si votre frère a péché contre
vous, est- il dit dans l'Évangile, allez le trouver, et reprochez-lui sa faute.
"Ce précepte est violé par le témoin quand le témoignage, qui vient à
l'appui de l'accusation ou de la défense, n'est point l'expression de la vérité.
"Le faux témoignage ne restera pas impuni," dit l'autour des
Proverbes; en effet, c'est un crime qui renferme tous ceux dont nous avons
parlé précédemment. Celui qui s'en rend coupable mérite quelquefois le nom de
meurtrier, quelquefois celui de voleur, etc. Il doit subir le châtiment auquel
le condamne la loi mosaïque. "Lorsque après un mûr examen, dit le
Deutéronome, on aura découvert qu'un témoin, a porté un faux témoignage
contre son frère, on lui fera subir la peine qu'il voulait faire tomber sur une
tête innocente: vous n'aurez point pitié de lui, vous exigerez vie pour vie,
œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied." - "La
langue, du faux témoin, dit l'auteur des Proverbes, est une arme
dangereuse, un trait envenimé, un glaive acéré." Ce précepte est violé
par le juge, quand la sentence qu'il prononce n'est point équitable. "Vous
ne jugerez point injustement, est-il dit dans le Lévitique, vous ne
mépriserez point la personne du pauvre, et vous n'aurez point des égards pour
celle du riche; jugez justement votre prochain."
(7) 145. Dans le commerce
de la vie, cinq espèces d'hommes pèchent contre le précepte qui nous occupe.
Premièrement, sont coupables de la violation du
précepte divin ceux qui déchirent la réputation d'autrui. Rien n'est si cher à
l'homme que son honneur: "Mieux vaut bonne renommée que tout l'éclat de
l'opulence;" or, le venin de la calomnie tue l'honneur. "L'envieux
qui déchire en secret la réputation de son prochain est comme le serpent qui
mord sans être vu." Il n'y a donc point d'espoir de salut pour ceux
qui commettent ce lâche péché, à moins qu'ils ne rendent à leurs victimes le
trésor qu'ils lui ont ravi.
Secondement, sont coupables de la violation du
précepte divin ceux qui écoutent avec plaisir le mal qu'on dit de leur prochain:
"N'écoutez point les mauvaises langues, dit l'Ecclésiastique; fermez
l'oreille à leurs propos méchants." On ne doit pas prêter une oreille
complaisante à la médisance et à la calomnie; on doit au contraire, montrer au
médisant et au calomniateur un visage où la sévérité peigne l'indignation. "Le
vent du nord dissipe les nuages: un visage froid et austère réduit au silence
la langue du médisant et du calomniateur."
Troisièmement, sont coupables de la violation du
précepte divin les rapporteurs, qui aiment à répéter tout ce qu'ils entendent: "Le
Seigneur déteste celui dont les paroles inconsidérées sèment la discorde dans
les familles. Celui qui ne retient point sa langue est maudit, il met partout
le trouble et la division."
Quatrièmement, sont coupables de la violation du
précepte divin les flatteurs: "ils louent, dit le Psalmiste, les
désirs criminels du pécheur, et ils encouragent l'iniquité." - "O mon
peuple! dit le Seigneur, ceux qui vantent ton bonheur te trompent."
- "Celui qui est juste, dit le roi prophète, me reprendra dans sa
miséricorde, et il me reprochera mes fautes."
Cinquièmement, sont coupables de la violation du
précepte divin ceux qui murmurent sans cesse; c'est là une faute que les
peuples commettent souvent contre le pouvoir qui les gouverne. "Vous ne
murmurerez point," dit saint Paul aux fidèles; "gardez-vous de
murmurer, dit Salomon, car cela ne sert de rien. La résignation des
peuples adoucira la fureur des princes, et amollira la dureté de leur cœur."
(9) 146.
"Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain."
Ce précepte défend à l'homme toute
espèce de mensonge. "Gardez-vous de tout mensonge," dit
l'Ecclésiastique. En effet, rien n'est plus funeste que l'habitude de mentir,
et cela pour quatre raisons principales.
Première raison. L'habitude du mensonge assimile
l'homme au démon. Le menteur est fils du diable: on reconnaît au langage de
chacun sa religion et sa patrie. "Votre langage vous trahit," est-il
dit dans l'Évangile. Ainsi, certains hommes sont de la famille du démon et sont
appelés enfants du diable, parce qu'ils parlent un langage menteur, et que
Satan est l'esprit d'erreur, le père du mensonge. Il a menti à nos premiers
parents en leur disant: "Vous ne mourrez point." D'autres sont
les enfants de Dieu, parce qu'ils parlent un langage vrai, et que Dieu est la
vérité même.
Seconde raison. L'habitude du mensonge tend à la
destruction de la société. Le lien qui unit les hommes et les fait vivre
ensemble, c'est la confiance; et la confiance ne pourrait exister si la
franchise et la vérité étaient bannies de la terre. "Que le mensonge ne
règne point parmi vous, dit saint Paul, que chacun parle à son prochain
avec franchise et vérité, car nous sommes tous membres d'un même corps."
Troisième raison. L'habitude du mensonge fait qu'un
homme se perd de réputation. Celui qui a cette funeste habitude n'inspire plus
de confiance, lors même qu'il dit la vérité: "Peut-il sortir quelque
chose de pur d'une bouche impure, et la vérité peut-elle sortir de la bouche du
menteur?"
Quatrième raison. L'habitude du mensonge est la perte
de l'âme. "Le menteur tue son âme," dit Salomon. "Seigneur,
dit le Psalmiste, vous perdrez tous ceux qui parlent le langage de l'erreur,"
Le mensonge peut donc être un péché mortel.
(11) 147. C'est un péché
mortel de mentir dans les choses qui sont de foi, et c'est ce qui arrive aux
prélats, aux prédicateurs, aux maîtres, qui n'enseignent point la vérité qu'ils
ont mission d'enseigner. Un semblable mensonge est le plus criminel de tous. "Vous
aurez parmi vous, dit l'apôtre saint Pierre, vous aurez parmi vous des
maîtres menteurs qui introduiront dans l'Église des doctrines funestes et de
coupables hérésies." Certains hommes, qui ont mission d'enseigner la
vérité, enseignent quelquefois le mensonge, afin de paraître savants. C'est à
eux que s'adressent ces paroles d'Isaïe: "Prophètes menteurs! De qui
vous êtes-vous moqués? Contre qui avez-vous ouvert la bouche et tiré la langue?
N'êtes-vous pas une race criminelle? N'êtes-vous pas des enfants pervers?"
On ment aussi quelquefois pour nuire à son prochain, et un semblable mensonge
est aussi un péché mortel.
(13) 148. Un mensonge a le
caractère de péché véniel quand il n'a point pour but d'enseigner l'erreur et
de nuire au prochain. Ce genre de péché peut être commis de plusieurs manières.
On ment quelquefois par excès d'humilité, principalement dans la confession. A
ce sujet, saint Augustin observe que "si l'homme doit prendre garde de
taire ce qu'il a fait, il doit aussi prendre garde de dire ce qu'il n'a pas
fait." - "Est-ce que Dieu a besoin de vos mensonges?" dit
Job. "Il y a, dit l'Ecclésiastique, des gens qui s'humilient par
esprit d'hypocrisie et de ruse; il y a aussi des justes qui s'avilissent par
excès d'humilité." On peut mentir par mauvaise honte, et c'est ce qui
arrive quand, après avoir avancé quelque chose de faux, on s'aperçoit de son
erreur et qu'on rougit de la rétracter. "Ne combattez point la vérité,
dit l'Ecclésiastique; si vous mentez par ignorance, rougissez de votre
faute, mais ne rougissez pas de l'avouer." On peut mentir par intérêt
personnel; c'est ce qui arrive quand on a recours au mensonge pour obtenir ce
qu'on désire ou éviter ce que l'on craint. "Nous avons mis notre
espérance dans le mensonge et nous lui avons demandé notre salut," est-il
dit dans Isaïe. "Celui qui attend sa sûreté du mensonge se nourrit de
vent," dit l'auteur des Proverbes. On peut mentir par charité, et
c'est ce qui arrive quand on a recours au mensonge pour soustraire quelqu'un à
la mort, à un danger, à un malheur. Un pareil mensonge est encore un péché,
suivant saint Augustin: "Vous ne couvrirez point votre visage d'un
masque trompeur, dit l'Ecclésiastique, et vous ne souillerez point voire
âme d'un mensonge." Enfin on peut mentir par frivolité; mais il faut
se garder d'un pareil jeu, parce que l'habitude de mentir en jouant peut
conduire à des mensonges plus sérieux et faire tomber dans un péché mortel.
Du neuvième précepte de la loi. "Vous ne
désirerez point le bien de votre prochain."
(3) 149. Du neuvième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point le bien de votre
prochain." Il y a
cette différence entre la loi divine et la loi humaine, que la loi humaine juge
seulement les actions et les paroles, et que la loi divine juge en outre les
pensées. La raison en est que l'homme ne considère que les apparences
extérieures, tandis que Dieu voit à la fois ce qui est hors de nous et ce qui
se passe au fond de notre âme. "Il est le Dieu de mon cœur," dit le
Psalmiste. "L'homme, est-il dit dans le livre des Rois, ne peut
étendre sa vue au-delà des objets sensibles; mais le regard de Dieu pénètre
dans les plus secrets replis du coeur." Nous avons parlé jusqu'à
présent des préceptes relatifs au actions et aux paroles; il nous reste donc à
parler de ceux qui sont relatifs aux pensées. Aux yeux de Dieu, l'intention est
réputée pour le fait, et voilà pourquoi il nous défend de désirer le bien de
notre prochain après nous avoir défendu de le dérober. Bien des raisons nous
font un devoir d'observer ce précepte.
(5) 150. Première raison.
La concupiscence ne connaît point de bornes, ses désirs sont infinis. Or tout
homme sage doit savoir se modérer et s'arrêter à propos, ou plutôt nul ne doit
s'engager dans une voie sans fin et sans issue. "L'avare, dit
l'Ecclésiastique, ne sera jamais rassasié d'or." - "Malheur à
vous, dit aussi le prophète Isaïe, malheur à vous qui joignez maison à
maison et champ à champ!" Pourquoi les désirs de l'homme sont-ils
infinis? C'est que son cœur est destiné à recevoir Dieu. "Seigneur, dit
saint Augustin, vous nous avez faits pour vous et notre cœur est inquiet tant
qu'il ne se repose pas en vous. Par conséquent, tout ce qui n'est pas lui est
trop peu de chose pour remplir l'immensité de nos désirs, selon l'expression du
roi prophète.
(7) 151. Seconde raison.
La concupiscence détruit notre bonheur en détruisant notre repos. Les gens
avides sont toujours tourmentés de l'ambition d'acquérir ce qu'ils n'ont point
et de la crainte de perdre ce qu'ils ont. "L'opulence trouble le
sommeil du riche," dit l'Ecclésiastique. "Là où est votre
trésor, là est aussi votre cœur," est-il dit dans l'Évangile; aussi le
Christ a-t-il comparé à des épines les soucis qui naissent de l'amour des
richesses.
(9) 152. Troisième
raison. La concupiscence détruit toute l'utilité des richesses; l'avare se
prive lui-même, et il prive les autres des avantages de la fortune; il ne jouit
de ses trésors qu'en les contemplant. "L'opulence ne sert de rien à
l'homme cupide et tenace."
(11) 153. Quatrième
raison. La concupiscence détruit l'équité. "Ne recevez point de
présents, est-il dit dans l'Exode; les présents aveuglent la prudence
des sages et corrompent la conscience des justes." - "Celui qui aime
l'or, dit l'Ecclésiastique, ne peut rendre la justice."
(13) 154. Cinquième
raison. La concupiscence tue l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Elle tue
l'amour du prochain, car, suivant saint Augustin, plus on a de cupidité, moins
on a de charité, et réciproquement. Elle tue l'amour de Dieu; "on ne
peut servir deux maîtres ni donner en même temps son cœur à Dieu et à Mammon."
(15) 155. Sixième raison.
La concupiscence mène aux actions les plus détestables. En effet, la cupidité
est la source de tout mal. Si donc la concupiscence maîtrise l'homme, elle
l'entraîne au meurtre, au vol et à tous les crimes. Voilà pourquoi saint Paul
dit dans une de ses épîtres à Timothée: "Ceux qui sont possédés de
l'amour des richesses tombent dans les filets du diable; ils s'abandonnent à
des désirs funestes qui les aveuglent et les conduisent à l'abîme de la
perdition." Il faut remarquer que la cupidité est un péché mortel
quand elle n'est point contenue par la raison, et qu'elle n'est qu'un péché
véniel quand elle reste dans des limites raisonnables.
Du dixième précepte de la loi. "Vous ne
désirerez point la femme de votre prochain."
(3) 156. Du dixième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point la
femme de votre prochain." Saint Jean dit que tous les biens de ce monde ne sont
que des objets de concupiscence pour la chair, des objets de cupidité pour les
yeux et des objets d'ambition pour l'esprit. Ainsi tous les objets de nos
désirs sont compris dans ces trois divisions. Deux sortes de désirs sont
défendus par ce précepte: "Vous ne désirerez point la maison de votre
prochain;" à savoir, le désir des richesses et le désir des honneurs;
le désir de posséder la maison de son prochain comprend à la fois ces deux
désirs, ces deux passions, la cupidité et l'ambition. "La gloire et les
richesses habitent dans sa maison," dit le Psalmiste. Ainsi l'idée de
maison renferme, dans l'Écriture sainte, l'idée de richesses et d'honneurs, et
celui qui désire la maison de son prochain est à la fois cupide et ambitieux.
Après avoir défendu la cupidité et l'ambition, le législateur suprême nous
défend la concupiscence charnelle. Tel est le sens de ce précepte: "Vous
ne désirerez point la femme de votre prochain." Mais, depuis la faute
d'Adam, nul mortel n'est à l'abri de la concupiscence. Notre divin Sauveur et
la glorieuse Vierge sa mère ont seuls conservé une pureté sans tache. La
concupiscence est quelquefois accompagnée d'un péché véniel, quelquefois d'un
péché mortel. Elle est accompagnée d'un péché mortel quand elle maîtrise
l'homme. "Que le péché ne règne point dans votre corps périssable,"
dit l'Apôtre; il ne dit pas que le péché n'existe pas en vous; car,
ajoute-t-il, "je sais que le bien n'habite pas en moi," c'est-à-dire
dans ma chair.
(5) 157. Or le péché
règne dans la chair, premièrement quand la concupiscence règne dans le cœur et
maîtrise la raison. C'est pourquoi l'Apôtre, après avoir dit: "Que le
pèche ne règne point dans votre corps," ajoute ces mots: "Et
qu'il ne soumette pas votre raison à l'empire des passions charnelles." -
"Celui qui voyant une femme la désire est déjà adultère dans son cœur,"
dit l'Évangile; l'intention, aux yeux de Dieu, est réputée pour le fait.
(7) 158. Secondement,
quand la concupiscence se révèle par des paroles. "Le cœur inspire la
bouche, dit encore l'Evangile. "Qu'il ne sorte jamais de votre bouche une
seule parole mauvaise," dit saint Paul. Ils ne sauraient donc être
innocents ceux qui composent de vaines chansons; c'est l'avis des philosophes
eux-mêmes, puisque Platon proscrit les poètes de sa république idéale.
(9) 159. Troisièmement,
quand la concupiscence se révèle par des actes. "Vous avez fait servir
vos membre à des œuvres d'iniquité," dit saint Paul. Tels sont les
trois degrés de la concupiscence. Ajoutons qu'on n'évite pas sans peine ce
péché, qu'il faut lutter avec courage pour se soustraire à son empire; c'est un
ennemi domestique qu'il nous faut chasser de chez nous.
Or on peut
triompher de la concupiscence de quatre manières.
(11) 160. Premièrement, on
doit fuir les occasions extérieures; par exemple, les mauvaises sociétés, les
entretiens criminels, et en général toutes les séductions. "N'arrêtez
point vos regards sur une jeune fille, dit l'Ecclésiastique, de peur que
sa beauté ne trouble votre âme; n'examinez point ce qui se passe dans les rues
de la ville, de peur de vous égarer en chemin. Détournez les yeux à la vue
d'une belle femme et gardez-vous d'admirer son visage; les attraits de la femme
ont causé la perte de bien des hommes, et les désirs qu'ils allument sont comme
des feux dévorants." - "Comment, dit l'autour des Proverbes, l'homme
pourrait-il cacher la flamme dans son sein sans qu'elle consume ses vêtements?"
Voilà pourquoi il fut ordonné à Loth de fuir loin des environs de Sodome.
(13) 161. Secondement, on
doit fermer son cœur à toutes les mauvaises pensées, car elles produisent la
concupiscence. Pour fermer son cœur aux images importunes des voluptés, il faut
avoir recours aux mortifications. "Je châtie mon corps et je le réduis
en servitude," dit l'Apôtre.
(15) 162. Troisièmement,
on doit se fortifier par la prière;" si Dieu ne garde lui-même la
ville, c'est en vain que les sentinelles veillent de peur de surprise," -
"Je sais, dit Salomon, que je ne puis être chaste si Dieu ne
m'accorde la chasteté." - "Ce genre de démons, dit l'Évangile, ne
peut être chassé que par la prière et le jeûne." En effet, si deux
adversaires étaient aux prises et que vous voulussiez prendre le parti de l'un
d'eux contre l'autre, il vous faudrait porter secours au premier et tâcher
d'affaiblir le second. Or entre l'esprit et la chair il y a une lutte
continuelle; si donc vous voulez que l'esprit triomphe, il faut que vous lui
portiez secours, et c'est de la prière que ce secours peut venir, et en même
temps il faut que vous affaiblissiez la chair, et c'est par le jeûne qu'elle
peut être affaiblie.
(17) 163. Quatrièmement,
on doit se livrer avec une ardeur assidue à des occupations pieuses. "L'oisiveté
est la mère du vice," dit l'Ecclésiastique. "Quel fut le crime
de Sodome? dit Isaïe; ce fut l'orgueil, la mollesse et l'oisiveté."
- "Faites toujours quelque chose de bien, dit saint Jérôme, afin
que le démon vous trouve occupé." Or, entre toutes les occupations, la
meilleure, sans contredit, est l'étude des saintes Écritures. "Aimez
l'étude des saintes Écritures, dit encore saint Jérôme, et vous
n'aimerez point les plaisirs sensuels."
(3) 164. Telle est l'explication que nous avions à donner des dix préceptes de la loi divine, de ces préceptes augustes dont Notre Seigneur lui-même a fait voir l'importance et la sublimité, en disant: "Si vous voulez entrer dans la vie éternelle, observez les commandements. "Deux préceptes principaux résument toute la loi, savoir celui de l'amour de Dieu et celui de l'amour du prochain. L'amour divin renferme trois sortes de devoirs:
Premièrement, il impose à l'homme l'obligation de
n'adorer que Dieu, et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de la loi:
"Vous n'adorerez point des dieux étrangers."
Secondement, il impose à l'homme l'obligation d'honorer Dieu, et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de la loi: "Vous ne prononcerez pas en vain le nom de votre Dieu."
Troisièmement, il impose à l'homme l'obligation de
chercher le repos en Dieu; et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de
la loi: "Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat."
L'amour du prochain renferme deux sortes de devoirs:
Premièrement, il impose à l'homme l'obligation de rendre à chacun l'honneur qui lui est dû: "Honorez votre père et votre mère."
Secondement, il impose à l'homme l'obligation de ne
point faire tort à autrui; soit en actions, dans sa personne, dans la personne
qui lui est le plus étroitement unie, et dans ses biens: "Vous ne
tuerez point; vous ne commettrez point d'adultère; vous ne déroberez point;"
soit en paroles: "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre
votre prochain;" soit en pensées: "Vous ne désirerez point le
bien de votre prochain; vous ne désirerez point la femme de votre prochain."
Fin du traité des préceptes de la Loi ancienne et de la Loi
nouvelle.