Traité des deux préceptes de la Charité et des 10 commandements de la Loi.

Par saint Thomas d'Aquin, le Docteur des Docteurs

 

Opuscules 4

Tractatus de duobus praeceptis charitatis et decem legis praeceptis.

Editions Louis Vivès, 1857

Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2004

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

PROLOGUE_ 1

1- LES COMMANDEMENTS DE L’AMOUR DE DIEU_ 7

1: PREMIER PRÉCEPTE: DE L'AMOUR DE DIEU_ 7

1 bis- DE L’AMOUR DU PROCHAIN_ 9

1 ter- VOUS N’AUREZ PAS DE DIEU ÉTRANGER_ 13

2- SECOND PRECEPTE: LE NOM DE DIEU_ 16

3- SANCTIFIER LE JOUR DU SEIGNEUR_ 18

2- LES COMMANDEMENTS DE L'AMOUR DU PROCHAIN_ 23

4- HONORER PÈRE ET MÈRE_ 23

5- NE PAS TUER_ 26

6- ADULTÈRE_ 30

7- NE PAS VOLER_ 33

8- FAUX TÉMOIGNAGE_ 35

9- CONVOITISE DU BIEN_ 38

10- CONVOITER LA FEMME_ 39

CONCLUSION_ 41

 

 

 

PROLOGUE

 

(3) 1. Trois choses sont nécessaires à l'homme pour marcher dans la voie du salut: la science de la foi, la science des désirs et la science des œuvres. De ces trois sciences, la première nous est enseignée dans le Symbole, où sont formulés tous les dogmes de notre religion; la seconde dans l'oraison dominicale, et la troisième dans la loi. Nous allons nous occuper de la science des œuvres. Quatre lois président à nos actions: la première est la loi naturelle, qui n'est autre chose que la conscience, cette lumière intellectuelle que Bien a mise dans notre âme, et qui nous montre ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter. Cette lumière intellectuelle, cette loi naturelle, Dieu on a fait don à l'homme une fois créé. Cependant il ne manque pas de gens qui croient excuser leurs fautes en prétextant l'ignorance de leurs devoirs; c'est à eux qu'il faut appliquer ces paroles du roi prophète: "Beaucoup disent: Qui nous enseignera ce qui est bien?" comme s'ils ne savaient point ce qu'ils doivent faire. Mais le roi prophète leur répond en ces termes: "Seigneur, vous avez mis en nous votre lumière," c'est-à-dire cette lumière intellectuelle qui nous éclaire sur nos devoirs. Nul ne peut ignorer, par exemple, qu'il ne doit point faire à autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fit, et las autres préceptes de la loi naturelles sont également gravés dans la conscience de chacun. Cette loi, disons-nous, a été donnée a l'homme nu moment de la création; mais le démon a soumis la créature de Dieu à une autre loi, à la loi de concupiscence. Tant que le premier homme resta fidèle à son créa leur, en observant les préceptes divins, la chair obéit aussi à l'esprit, et les sens restèrent soumis à la raison.

 

(5) 2. Une fois que, cédant aux perfides insinuations de Satan, l'homme se fut révolté contre Dieu, les sens se révoltèrent aussi contre la raison, et la chair contre l'esprit. De là vient que, tout en voulant le bien, qui lui est montré par la raison, l'homme est entraîné au mal parla concupiscence. Cette lutte dont l'âme est le théâtre, saint Paul l'a décrite dans une de ses Épi très aux Romains: "Je vois, dit-il, dans mes sens une loi qui combat la loi de mon esprit. "Il arrive souvent que la loi de concupiscence triomphe de la loi naturelle, et que la chair l'emporte sur l'esprit; aussi l'Apôtre ajoute-t-il: "Cette loi funeste m'asservit an péché. "L'homme, dominé par la loi de concupiscence, plus forte sur lui que la loi naturelle, avait donc besoin d'être détourné du mal et ramené au bien par une loi nouvelle. Ce fat la mission de la loi mosaïque de répondre à ce besoin.

 

(7) 3. Remarquons ici qu'il y a deux motifs qui détournent l'homme du mal et le ramènent au bien, savoir la crainte et l'amour. De ces deux motifs, le premier qui agit sur lui, c'est la crainte. Ce qui l'engage avant tout et le plus puissamment à éviter le crime, c'est la pensée de l'enfer et des peines infligées au coupable par le souverain juge. Voilà pourquoi l'Ecclésiaste a dit: "La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse;" voilà pourquoi il dit encore: "La crainte du Seigneur écarte le péché. "Sans doute celui qui s'abstient de faire le mal par crainte du châtiment n'est pas encore vertueux; mais il est arrivé au point de départ de la vertu. Ainsi la loi mosaïque détournait l'homme du mal et le ramenait au bien par la menace et la terreur. "Quiconque violait un précepte de cette loi sévère était mis à mort" – "sans pitié, en présence de deux ou trois témoins," comme le rappelle saint Paul aux Hébreux. Mais la crainte est un motif insuffisant pour détourner l'homme du mal et le ramener au bien; la loi mosaïque n'enchaînait à ses préceptes que l'homme physique, l'homme spirituel échappait à son pouvoir. Il fallait donc à la vertu un nouveau motif, à la morale une nouvelle loi; ce motif c'est l'amour, cette loi, c'est l'Évangile. Ainsi la loi d'amour succéda à la loi de crainte.

 

(9) 4. Mais il faut remarquer qu'entre la loi de crainte et la loi d'amour il existe une triple différence. La première, c'est que la loi de crainte nous impose une obéissance servile, tandis que la loi d'amour nous demande une soumission volontaire et libre. Celui agit par crainte agit en esclave; mais celui dont les actions n'ont d'autre motif que l'amour agit en homme libre, et son obéissance est toute filiale. "Partout où est l'esprit du Seigneur, dit saint Paul, est aussi la liberté. "En effet, grâce à l'amour, l'homme obéit à Dieu comme un fils à son père. La seconde différence, c'est que la loi de crainte promettait les biens temporels à ceux qui observeraient ses préceptes, tandis que la loi d'amour promet les biens célestes pour récompense de la vertu. Interprète de la loi de crainte, Isaïe fait parler ainsi le Seigneur: "Si vous êtes soumis à mes commandements et docile à ma voix, vous jouirez de tous les biens de la terre. "Auteur de la loi d'amour, Jésus-Christ nous dit: "Si vous voulez posséder la vie éternelle, observez les commandements de Dieu. "Précurseur de Jésus, Jean s'écrie: "Faites pénitence, car le règne céleste est proche. "La troisième différence, c'est que la loi de crainte est dure, tandis que la loi d'amour est pleine de douceur. Pierre dit, en parlant des préceptes mosaïques: "Pourquoi cherchez-vous à nous imposer un joug que nos pères n'ont pus supporter, et qui nous accablerait?" Jésus-Christ dit, en parlant de la morale de l'Évangile: "Mon joug est doux et mon fardeau est léger. "Saint Paul dit à son tour: "Vous n'avez point reçu, comme les Juifs, l'esprit de crainte qui rend l'homme esclave, mais l'esprit d'amour, qui fait l'homme enfant de Dieu."

 

(11) 5. Ainsi donc, je le répète, quatre lois président à nos actions: la loi naturelle, que Dieu a gravée dans le cœur de l'homme en le créant; la loi de concupiscence, dont le démon est l'auteur; la loi de crainte, promulguée par Moïse; et la loi d'amour, apportée au monde par Jésus-Christ. Mais il est évident que tous les hommes ne peuvent pas consacrer leur temps à l'élude de la morale: c'est pourquoi Jésus-Christ a exposé les préceptes de la loi d'amour avec brièveté et précision, afin que tous les hommes fussent à portée de les connaître et ne pussent, en les violant, prétexter l'ignorance de leurs devoirs. "La parole du Seigneur, dit saint Paul, retentira sur la terre, et tous la comprendront. "Maintenant il faut remarquer que cette loi d'amour doit être la règle de toutes les actions humaines. Dans les arts. nous appelons beau ce qui est conforme au type de la beauté: ainsi, en morale, un acte est vertueux quand il est d'accord avec la loi d'amour; tout acte qui s'écarte de cette règle divine une peut être ni bon, ni juste. Si nous étudions maintenant les effets de l'amour divin sur l'homme, nous en trouverons quatre principaux qui méritent toute notre admiration.

 

(13) 6. Premièrement, l'amour divin donne à l'homme la vie spirituelle. L'objet aimé existe dans le coeur de celui qui aime: ainsi celui qui aime Dieu possède Dieu dans son cœur. "Quiconque a la charité vit en Dieu, et Dieu vit en lui," dit saint Jean. L'amour transforme encore celui qui aime et le rend semblable à l'objet aimé. Aimons-nous un objet vil et méprisable, nous devenons vils et méprisables comme lui. Ecoutez les paroles du prophète: "Ils sont devenus abominables comme les objets qu'ils ont aimés. "Au contraire, si nous aimons Dieu, nous devenons des hommes divins; car "celui qui est uni à Dieu reçoit de lui la vie spirituelle. "Or, dit saint Augustin, "de même que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme. "Le corps est doué de vie, quand l'âme habite on lui et le fait agir; aussitôt que l'âme s'envole le corps reste immobile, et n'est plus qu'un cadavre: ainsi l'âme possède la vie parfaite, elle révèle sa puissance par la vertu, quand elle est unie à Dieu par l'amour; elle languit et meurt dès que l'amour et Dieu l'abandonnent. "Quiconque n'aime point demeure dans la mort. "Il ne faut pas oublier que celui qui possède tous les dons du Saint-Esprit sans l'amour ne possède point la vie. Le don des langues, le don de la foi et tous les autres dons de la grâce, ne peuvent donner la vie s'ils ne sont point joints à l'amour. Qu'un cadavre soit enveloppé de vêtements où l'or brille mêlé aux pierres précieuses, ce n'en est pas moins un cadavre. Ainsi donc la vie spirituelle, tel est le premier effet de l'amour divin.

 

(15) 7. En second lieu, l'amour divin nous rend attentifs à observer les commandements de Dieu. "Celui qui aime Dieu ne reste jamais oisif. "Il accomplit de grandes chose, si l'amour l'anime véritablement; s'il se refuse à la pratique de la vertu, l'amour n'habite point dans son cœur: par conséquent le signe le plus manifeste de l'amour divin, c'est la promptitude à accomplir les commandements de Dieu. Ne voyons-nous pas que celui qui aime se dévoue aux plus grandes, aux plus difficiles entreprises pour obéir à la voix de l'objet aimé? "Celui  qui m'aime, dit le Seigneur, gardera ma parole. "Ajoutons qu'aimer Dieu fidèlement, c'est accomplir toute la loi divine. Remarquons aussi que les préceptes de la loi divine sont de deux sortes: les uns sont positifs et commandent le bien; les autres sont négatifs, et défendent le mal. L'amour divin accomplit également les uns et les autres, car il ne peut faire le mal, et sa plénitude consiste à faire le bien.

 

(17) 8. Le troisième effet de l'amour divin, c'est de nous offrir un refuge contre l'adversité. Rien ne peut nuire, tout sert à celui qui aime Dieu, tout concourt à son avantage: les peines, les afflictions lui semblent douces. Et pourrait-il en être autrement, quand celui-là même dont le cœur n'est animé que d'un amour terrestre souffre tout avec joie pour l'objet aimé?

 

(19) 9. Le quatrième et dernier effet principal de l'amour divin, c'est de nous conduire au suprême bonheur. La béatitude éternelle n'est promise qu'à ceux dont le cœur est pénétré de cet amour sublime; toutes les vertus sans lui sont insuffisantes pour nous mériter les récompenses célestes. "Il ne me reste plus, dit saint Paul, qu'à recevoir la couronne que le souverain juge me réserve. Cette couronne ne m'attend pas seul; elle attend aussi tous ceux qui, comme moi, aiment le Seigneur. "Ajoutons qu'il y a différents degrés dans la béatitude éternelle, suivant les différents degrés de l'amour divin, et non suivant ceux de toute autre vertu. Bien des hommes se sont soumis plus que les Apôtres à de rigoureuses abstinences. Cependant les Apôtres tiennent le premier rang dans le royaume du ciel, parce que, plus que tous les autres hommes, ils étaient pénétrés de l'amour divin. "Ils avaient reçu, comme dit saint Paul, les prémices du Saint-Esprit," et voilà pourquoi ils sont récompensés plus magnifiquement.

 

(21) 10. Mais, outre ces quatre effets principaux de l'amour divin, il en est encore d'autres que nous ne devons point passer sons silence. D'abord il nous obtient de Dieu la rémission de nos péchés. Si un homme offense son prochain et lui voue plus tard une tendre amitié, celui qu'il a offensé n'oublie-t-il pas ses torts d'autrefois en faveur de son affection? C'est ainsi que Dieu pardonne à ceux qui l'aiment, les offenses dont ils se sont rendus coupables envers lui. "L'amour, dit l'Apôtre, couvre une foule de fautes. "Il les couvre si bien qu'il les dérobe aux regards de Dieu. L'Apôtre dit que l'amour couvre une foule de fautes, et Salomon assure qu'il les couvre toutes; c'est ce que prouve l'exemple de Madeleine, de cette pécheresse repentante que le Seigneur montrait à ses disciples, en disant: "Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'elle a beaucoup aimé. "Mais, objectera-t-on, l'amour suffit-il à lui seul pour effacer nos fautes, et ne faut-il pas qu'il soit joint au repentir? Je réponds à cela qu'il est impossible d'avoir un amour sincère sans avoir en même temps un sincère repentir de ses fautes. Plus nous aimons quelqu'un, et plus nous éprouvons de regrets quand nous l'avons offensé.

 

(23) 11. Un autre effet de l'amour divin, c'est d'éclairer le cœur. "Nous sommes tous, selon l'expression de Job, plongés dans les ténèbres. "Souvent nous ne savons que faire, que désirer; mais l'amour divin illumine notre âme, il nous enseigne tout ce qui est nécessaire à notre salut. Où règne l'amour divin règne aussi le Saint-Esprit, qui connaît toutes choses, qui nous guide "dans la voie de la justice," suivant l'expression du roi prophète: "Vous qui craignez Dieu, dit l'Ecclésiastique, aimez-le, et vos cœurs seront éclairés;" c'est-à-dire, vous saurez tout ce qui est nécessaire à votre salut.

 

(25) 12. Un autre effet de l'amour divin, c'est de produire dans l'homme un contentement parfait. Nul ne peut goûter de jouissance réelle que dans le sein de Dieu. Quiconque désire quelque chose ne peut trouver de satisfaction et de repos que dans la possession de l'objet de ses désirs; souvent même, quand l'homme est agité par une affection terrestre, il désire ardemment ce qu'il ne possède pas, et il dédaigne, il méprise ce qu'il a obtenu. Il n'en est pas ainsi quand le cœur est rempli de l'amour divin. Celui qui aime Dieu le possède tout entier, et il trouve en lui son repos et son bonheur. "Celui qui aime Dieu demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui."

 

(27) 13. L'amour divin produit encore en nous une paix parfaite. Quand le cœur de l'homme est animé d'un amour terrestre, il arrive souvent qu'après avoir possédé l'objet de ses désirs, il est encore inquiet, il désire encore autre chose; car "le cœur de l'impie est comme une mer bouillonnante, qui ne peut se calmer." - "Point de paix pour les impies, dit le Seigneur. "II n'en est pas ainsi de celui qu'anime l'amour divin. Quand on aime Dieu, on jouit d'une paix parfaite. "Seigneur, s'écrie le Psalmiste, une paix profonde est le partage de ceux qui aiment ta sainte loi; rien ne saurait troubler leur âme. "Pourquoi cela? N'est-ce point que Dieu seul peut remplir l'immensité de nos désirs? L'immensité de Dieu n'est-elle pas plus grande encore que le vide de notre cœur? "Mon Dieu, s'écrie saint Augustin, vous nous avez faits pour vous, et notre cœur est inquiet tant qu'il ne se repose pas en vous." - "Ô mon âme! s'écrie aussi le roi prophète, bénis le Seigneur qui remplit tous tes désirs."

 

(29) 14. Un autre effet de l'amour divin, c'est d'ennoblir la nature humaine. Toutes les créatures rendent hommage à la majesté divine, toutes sont soumises à Dieu comme à leur Créateur, comme au souverain de l'univers; mais, grâce à l'amour, nous cessons d'être esclaves; nous devenons libres, nous devenons les amis de Dieu. "Je ne vous donnerai plus le titre de serviteurs, mais celui d'amis," dit le Seigneur à ses disciples. Cependant, objectera-t-on, saint Paul et tous les apôtres ne se donnent-ils pas à eux-mêmes le titre de serviteurs de Dieu? Il est vrai; mais remarquons qu'il y a deux espèces de servitude: la première est une servitude de crainte; elle est pénible et sans mérite. Je dis sans mérite; celui qui ne s'abstient de faire le mal que par crainte du châtiment n'a droit à aucune récompense; et sa soumission est encore celle d'un esclave. La seconde est une servitude d'amour. Quand on a pour motif de ses actions, non pas la crainte du châtiment, mais l'amour divin, on n'agit point en esclave, on agit en homme libre, parce qu'on obéit volontairement à Dieu. Voilà pourquoi le Seigneur dit à ses disciples: "Je ne vous donnerai plus le titre de serviteurs. "Cette explication ne suffit-elle point? saint Paul lui-même la complétera. "Vous n'avez point, dit-il, reçu comme les Juifs, l'esprit de crainte qui rend l'homme esclave, mais l'esprit d'amour qui le rend libre et enfant de Dieu." - "La crainte est étrangère à l'amour," ajoute saint Jean. La crainte est pénible, et l'amour est plein de douceur.

 

(31) 15. L'amour divin ne rend pas seulement l'homme libre, il le fait enfant de Dieu. Oui, grâce à l'amour," nous obtenons le litre d'enfants de Dieu, et nous le sommes véritablement," selon ce que dit encore saint Jean. Nous acquérons ainsi un droit à l'héritage de notre Père céleste, et cet héritage, c'est la vie éternelle. "L'Esprit saint, dit le grand Apôtre, nous rend ce témoignage, que nous sommes enfants de Dieu. Si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes aussi ses héritiers; si nous sommes héritiers de Dieu, nous sommes cohéritiers du Christ." - "Les justes, dit aussi Salomon, sont enfants de Dieu."

 

(33) 16. Ce qui précède fait assez comprendre les avantages de l'amour divin. Il est donc de notre devoir de faire tous nos efforts pour acquérir et pour conserver une chose si avantageuse. Mais remarquons d'abord que nul ne peut avoir par lui-même l'amour divin, et que c'est Dieu seul qui le donne. "Si Dieu nous a montré tant de bonté," dit saint Jean, ce n'est point à cause de notre amour pour lui, mais a cause de son amour pour nous. "Car l'amour que Dieu a pour nous n'est point l'effet de l'amour que nous avons pour lui, mais l'amour que nous avons pour Dieu est l'effet de l'amour qu'il a pour nous. "Ajoutons que, bien que tous les dons viennent du Père des lumières, celui de l'amour divin est supérieur à tous les autres. On peut posséder tous les autres dons sans posséder l'amour divin et le Saint-Esprit; mais le Saint-Esprit est inséparable de l'amour divin, et il est impossible de posséder l'un sans posséder aussi l'antre. "L'amour divin, dit l'Apôtre, a pénétré dans nos cœurs avec le Saint-Esprit qui nous a été donné. "Il n'en est pas de même des autres dons. On peut, je le répète, posséder le don des langues, le don de la science, le don de prophétie, sans posséder le Saint  Esprit, sans posséder l'amour divin. Bien que l'amour divin soit un don de Dieu et le plus grand de tous, nous devons, pour le posséder, disposer notre cœur à le recevoir et à le garder.

 

(35) 17. Deux choses sont principalement nécessaires pour obtenir l'amour divin. Il faut d'abord entendre avec assiduité la parole de Dieu. La manière dont naissent les affections terrestres est une preuve de cette vérité. Quand nous entendons dire du bien d'une personne, ne sommes-nous pas portés à l'aimer? C'est ainsi qu'en entendant la parole de Dieu, notre cœur s'enflamme d'amour pour lui. "Seigneur, s'écrie le roi prophète, votre parole est de feu, et elle enflamme d'amour ce cœur qui vous est dévoué." - "La parole du Seigneur," dit-il encore, enflamma le cœur de Joseph. "Ces deux disciples de Jésus, qui avaient rencontré leur maître après sa résurrection, se disaient l'un à l'autre, tout brûlants de l'amour divin: "Notre cœur ne s'enflammait-il pas dans notre poitrine, tandis qu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures!" Nous lisons, dans les actes des Apôtres, que, Simon Pierre prêchant l'Évangile a Césarée, le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole divine. N'arrive-t-il pas souvent que la prédication amollit les cœurs les plus durs, et leur inspiré tout à-coup l'amour divin?

 

(37) 18. Pour obtenir l'amour divin, il faut, en second lieu, entretenir sans cesse son esprit de bonnes pensées. "Mon cœur s'enflamme au milieu de ses méditations pieuses," dit le Psalmiste. Si vous voulez obtenir l'amour divin, occupez-vous de pieuses méditations. Il serait bien insensible, celui qui, eu songeant aux bienfaits du Seigneur, aux périls qu'il a évités, à la béatitude qui lui est promise, ne s'enflammerait pas d'amour pour Dieu, "Il a le cœur bien dur celui qui, s'il n'aime pas le premier, ne paie pas au moins de retour l'amour qu'on a pour lui. "On peut dire, en général, que les mauvaises pensées détruisent l'amour divin, et que les bonnes le font naître, le nourrissent, et veillent à sa conservation. "Otez, dit le Seigneur, ôtez de devant mes yeux vos mauvaises pensées." - "Les mauvaises pensées, dit Salomon, éloignent de Dieu. "Deux conditions principales sont nécessaires à l'accroissement de l'amour divin.

 

(39) 19. Il faut d'abord éloigner son cœur des objets terrestres. Le cœur ne peut se donner complètement à des objets divers; nul ne peut aimer à la fois le monde et Dieu. C'est pourquoi plus notre cœur s'éloigne des affections terrestres, plus il s'affermit dans l'amour divin. "Ce qui tue l'amour divin, dit saint Augustin, c'est le désir d'obtenir ou de conserver les biens temporels; ce qui le vivifie, c'est l'affaiblissement des passions; ce qui le rend parfait, c'est l'absence de toute passion, car la passion est la source de tous les maux." Quiconque veut accroître en lui l'amour divin doit donc travailler à détruire en lui les passions. J'entends par passion l'amour des biens temporels. Pour le détruire il faut d'abord craindre Dieu, qui seul ne peut être craint sans être aimé. L'institution des ordres religieux n'a pas d'autre but que l'accomplissement de cette œuvre. L'état monastique nous éloigne des vanités du monde et des objets terrestres, il élève notre âme vers le ciel et vers Dieu. "Le soleil brille après avoir été voilé de nuages," lisons-nous dans le livre des Macabées. Le soleil voilé de nuages, c'est l'esprit humain quand il est obscurci par les affections terrestres; le soleil qui brille, c'est l'esprit humain quand il se dégage des affections terrestres pour s'élever à l'amour divin.

 

(41) 20. La seconde condition nécessaire à l'accroissement de l'amour divin, c'est une patience inébranlable dans l'adversité. Les peines que nous endurons pour une personne aimée augmentent notre tendresse pour elle, loin de la diminuer. "Des torrents d'eau ne pourraient éteindre l'amour," dit le Cantique des cantiques. Ces torrents d'eau, ce sont les tribulations de la vie, et ces tribulations endurées pour Dieu affermissent l'amour divin dans les âmes saintes, bien loin de l'affaiblir. L'artiste contemple avec plus d'amour l'œuvre qui lui a coûté plus d'efforts et de peines. C'est ainsi que les cœurs fidèles aiment d'autant plus Dieu qu'ils souffrent davantage pour lui. "Les eaux se multiplièrent et l'arche s'éleva avec elles." Les eaux du déluge, en sont les afflictions du monde; l'arche qui s'élève, c'est l'Église ou l'âme du juste.

 

1- LES COMMANDEMENTS DE L’AMOUR DE DIEU

 

1: PREMIER PRÉCEPTE: DE L'AMOUR DE DIEU

 

De l'amour de Dieu.

 

(3) 21. Quand les docteurs de la loi mosaïque demandèrent à Jésus quel était le plus grand et le premier commandement, il leur répondit: "Vous aimerez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit; tel est le plus grand et le premier commandement." Et en effet, il est le plus important et le plus sublime de tous, il contient à lui seul tous les autres. Quatre conditions sont nécessaires à l'accomplissement parfait de ce précepte.

 

(5) 22. La première, c'est une reconnaissance profonde pour les bienfaits de Dieu. Tout ce que nous possédons, soit en nous, soit hors de nous, vient de lui; il faut donc que nous lui rendions hommage de tout et que nous l'aimions d'un amour sans bornes. Ne serait ce point une coupable ingratitude que de ne pas aimer son bienfaiteur? Le souvenir des bienfaits du Seigneur n'abandonnait jamais David: "Mon Dieu, s'écrie-t-il, tout vous appartient, nous ne faisons que vous rendre ce que nous avons reçu de votre main." Aussi l'Ecclésiastique fait-il l'éloge du roi prophète en ces termes: "Il a glorifié de toute son âme le nom du Seigneur; il a aimé d'un amour sans bornes le Dieu qui l'avait créé."

 

(7) 23. La seconde condition, c'est un profond respect pour la majesté divine. "Dieu est plus grand que notre cœur;" ainsi, quand même nous le servirions de tout notre cœur, notre soumission ne serait pas encore assez humble. "Glorifiez le Seigneur de toutes vos forces, dit l'Ecclésiastique, vous n'atteindrez jamais jusqu'à lui. Bénissez le Seigneur, exaltez-le de toute la puissance de votre âme, car il est au-dessus de toute louange."

 

(9) 24. La troisième condition, c'est le renoncement aux vanités du monde et aux affections terrestres. C'est faire injure à Dieu que de lui égaler quelque chose. "A quel rang me faites-vous descendre?" dit le Seigneur à ceux qui le rabaissent au niveau des créatures. Nous faisons injure à Dieu, nous dégradons sa majesté quand nous mêlons les affections terrestres à l'amour divin; ou plutôt, il est impossible d'aimer à la fois le monde et Dieu. "Une couche trop étroite ne peut recevoir deux personnes, dit Isaïe, et un manteau trop court ne peut les couvrir en même temps." Ce manteau trop court, cette couche trop étroite c'est le cœur de l'homme, qui peut à peine contenir Dieu lui seul, et que Dieu abandonne quand il lui faut le partager avec le monde. Il ne souffre point de rival dans notre cœur, non plus qu'un époux dans le cœur de son épouse. N'a-t-il pas dit lui-même: "Je suis votre Dieu jaloux?" II ne veut point que nous aimions quoi que ce soit autant que lui; il ne veut point que nous aimions autre chose que lui.

 

(11) 25. La quatrième condition, c'est l'horreur du péché. Nul ne saurait aimer Dieu en vivant dans le mal. "Vous ne pouvez, est-il dit, servir en même temps Dieu et Mammon." Ainsi quiconque vit dans le péché n'aime point Dieu. Il l'aimait ce pieux monarque qui l'invoquait en ces termes: "Seigneur, souvenez-vous que j'ai marché sous vos yeux dans la voie de la vérité et dans la pureté de mon cœur." - "Jusques à quand, s'écrie le prophète Élie, balancerez-vous incertains entre le bien et le mal?" Telle est, en effet, l'incertitude du pécheur: tantôt il se laisse entraîner sur les pas du démon, tantôt il s'efforce de chercher Dieu; mais cette incertitude déplaît au Seigneur: "Venez à moi, nous dit-il, de tout votre cœur." Deux espèces d'hommes pèchent contre ce précepte: les uns, en évitant un vice, par exemple, la luxure, tombent dans un autre, par exemple, l'avarice. Ils ne sont pas moins coupables que ceux qui tombent dans ces deux vices à la fois; "car, dit l'apôtre saint Jacques, celui qui viole un seul précepte de la loi divine viole toute la loi." Il en est d'autres qui confessent une partie de leurs péchés et taisent le reste, ou bien qui partagent l'aveu de leurs fautes entre deux confesseurs. Ceux-là ne méritent point l'absolution; ils commettent, au contraire, une nouvelle faute en cherchant à tromper Dieu et en profanant un sacrement. "C'est une impiété, dit un sage, d'attendre de Dieu un pardon incomplet." - "Répandez vos cœurs en présence de l'Éternel," dit aussi le Psalmiste. Et en effet, on doit révéler tout son cœur dans la confession.

 

(13) 26. Nous avons montré que l'homme est tenu de se donner à Dieu; mais comment peut-il se donner à lui? Qu'y a-t-il en nous que nous puissions et que nous devions lui consacrer? Il y a dans l'homme quatre choses qu'il peut et qu'il doit consacrer à Dieu; savoir: le cœur, l'âme, l'esprit et la force. "Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, dit l'Évangile, de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toute votre puissance," c'est-à-dire de toute votre force.

 

(15) 27. Remarquons que le mot cœur signifie ici l'intention. L'intention est d'une telle importance dans nos actes qu'elle leur imprime à tous son propre caractère, en sorte que le bien fait dans une intention mauvaise devient un mal. "Si votre œil est mauvais, est-il dit, tout votre corps restera dans les ténèbres;" c'est-à-dire, si votre intention est mauvaise, toute la masse de vos bonnes œuvres restera sans mérite. Ainsi, dans toutes nos œuvres, notre intention doit avoir Dieu pour but: "Soit que vous mangiez, dit l'Apôtre, soit que vous buviez, quelque chose enfin que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu."

 

(17) 28. Mais il ne suffit pas que l'intention soit bonne pour que l'action le soit aussi. Il faut que cette bonne intention soit accompagnée d'une volonté droite, et c'est ce que veut nous faire entendre l'Évangile quand il nous commande d'aimer Dieu de toute notre âme; car l'âme, c'est la volonté. Souvent on agit avec une bonne intention, mais sans mérite, parce que, outre cette bonne intention, on n'a pas une volonté droite. Par exemple, dérober pour nourrir un pauvre qui meurt de faim, c'est agir avec une bonne intention, mais la bonté de l'intention n'excuse pas le mal que l'on commet par défaut de rectitude dans la volonté: "Ceux-là sont coupables, dit saint Paul, qui veulent faire le mal pour qu'il en arrive un bien." La rectitude de la volonté est unie à la bonté de l'intention quand la volonté humaine est aussi d'accord avec la volonté divine; et c'est ce que nous demandons chaque jour en disant à notre Père céleste: "Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. "C'est ce même accord qu'exprime le roi prophète quand il dit: "Seigneur, je veux faire votre sainte volonté. "Voilà donc pourquoi l'Évangile nous ordonne d'aimer aussi Dieu de toute notre âme; car l'âme, je le répète, est souvent prise pour la volonté dans l'Écriture sainte: "La désobéissance, dit le Seigneur, déplaît à mon âme, c'est-à-dire est en désaccord avec ma volonté."

 

(19) 29. Quelquefois enfin l'intention est bonne, la volonté est droite, mais la pensée est coupable; et voilà pourquoi l'Évangile nous recommande d'aimer Dieu de tout notre esprit. Nous devons donner à Dieu toutes nos pensées afin qu'elles soient saintes: "Notre mission, dit l'Apôtre, est de soumettre toute intelligence à la loi du Christ." Bien des hommes, sans accomplir l'acte même du péché, en gardent complaisamment la pensée dans leur esprit. C'est à eux qu'il faut appliquer ces paroles du Seigneur: "Otez de devant mes yeux vos pensées criminelles." Il en est d'autres qui, pleins de confiance dans leur sagesse orgueilleuse, ne veulent point soumettre leur raison à la foi; ceux-là ne donnent pas à Dieu leur esprit. C'est à eux que Salomon adresse ces paroles: "Ne vous fiez point à votre prudence."

 

(21) 30. Mais il ne suffit pas d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit; nous devons aussi l'aimer de toute notre puissance, de toute notre force: "Seigneur, dit le roi prophète, c'est à vous servir que je veux consacrer ma force." Il est des hommes qui consacrent leur force au péché, qui ne révèlent leur puissance que dans le vice; c'est à eux que s'adressent ces menaçantes paroles d'Isaïe: "Malheur à vous qui n'avez de force que pour vous livrer à la débauche et de courage que pour vous enivrer!" Il en est d'autres qui déploient au détriment de leur prochain la puissance qu'ils devraient déployer en servant ses intérêts: "Arrachez à la mort celui qui va périr," dit Salomon; c'est ainsi qu'il convient de se montrer fort et puissant. Nous devons donc, pour accomplir pleinement le précepte de l'amour divin, donner à Dieu notre cœur, notre âme, notre esprit, notre puissance, c'est-à-dire dans toutes nos œuvres avoir Dieu pour but de notre intention, de notre volonté, de nos pensées et de nos efforts.

 

1 bis- DE L’AMOUR DU PROCHAIN

 

 

 

De l'amour du prochain

 

(3) 31. Quand les docteurs de la loi demandèrent à Jésus quel était le précepte fondamental de la morale, il fit à cette question unique deux réponses: "Vous aimerez, leur dit-il, le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toute votre force;" nous avons traité de cette première partie du précepte; "et vous aimerez, ajouta-t-il, votre prochain comme vous-même." Remarquons que l'accomplissement de cette seconde partie du précepte renferme l'accomplissement de tous les devoirs de l'homme envers l'homme: "L'entier accomplissement de la loi, dit l'Apôtre, c'est la charité." Quatre motifs nous invitent à l'amour du prochain.

 

(5) 32. Le premier, c'est l'amour divin: "Celui-là ment qui prétend aimer Dieu en détestant son prochain." N'est-ce point mentir que de prétendre aimer quelqu'un en détestant ses enfants et sa famille? Or tous les fidèles sont les enfants de Dieu, ils ne forment qu'une famille dont Dieu est le père: "Vous êtes, dit saint Paul, le corps et les membres de Jésus-Christ." Par conséquent, celui qui hait son frère ne peut aimer Dieu, qui est notre père commun.

 

(7) 33. Le second motif qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'obéissance que nous devons à la volonté divine. Entre autres préceptes que Jésus-Christ nous a laissés avant de quitter la terre, il a principalement recommandé à notre obéissance celui de l'amour du prochain, en disant à ses disciples: "Voici le précepte que je vous donne: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés." On ne peut donc accomplir la volonté de Dieu en détestant son prochain, et le témoignage le plus éclatant de notre soumission à la loi divine, c'est l'amour que nous avons pour nos frères. Aussi Notre Seigneur lui-même a-t-il dit: "Voici à quoi tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, c'est à l'amour que vous aurez les uns pour les autres." Il n'a point dit: On vous reconnaîtra au pouvoir qui vous sera donné de ressusciter les morts, ou bien à quelque autre signe éclatant, mais "à l'amour que vous aurez les uns pour les autres." Saint Jean appréciait toute l'importance du précepte de son divin maître; aussi disait-il: "Nous avons passé de la mort à la vie; et pourquoi? Parce que nous aimons nos frères; celui qui ne les aime point demeure dans la mort."

 

(9) 34. Le troisième motif qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'identité de notre nature: "Tout être vivant, dit l'Ecclésiastique, aime son semblable;" et puisque les hommes se ressemblent tous par leur nature, ils doivent s'aimer mutuellement, et la haine de l'homme contre l'homme n'est pas seulement une violation de la loi divine, c'est aussi une violation de la loi naturelle.

 

(11) 35. Le quatrième motif qui nous invite à l'amour du prochain, c'est l'utilité générale. Grâce à la charité, ce qui est avantageux à chacun le devient à tous; c'est la charité qui unit les fidèles dans le sein de l'Église et qui établit entre eux une communauté de sentiments, de besoins et d'intérêts. "Seigneur, s'écrie le roi prophète, je m'unis à ceux qui vous craignent et qui observent votre sainte loi."

 

(13) 36. "Vous aimerez votre prochain comme vous-même;" tel est le second précepte de la loi morale. Nous avons dit combien nous devons aimer notre prochain; il nous reste à dire comment nous devons l'aimer. L'Évangile nous l'indique en nous disant: "Vous aimerez votre prochain comme vous-même." Il y a dans cette parole de l'Évangile cinq choses à considérer, et qui sont les éléments essentiels de l'amour du prochain.

 

(15) 37. Premièrement, nous devons aimer notre prochain avec vérité, c'est-à-dire l'aimer pour lui-même et non pour nous. Remarquons à ce sujet qu'il y a trois sortes d'amour dont une seule est l'amour vrai. L'amour repose quelquefois sur l'intérêt: "Un ami, dit l'Ecclésiastique, n'est souvent qu'un compagnon de plaisir, souvent il nous abandonne dans les jours de détresse." Ce n'est point là le véritable amour; il naît de l'égoïsme, et l'égoïsme le tue. Tant qu'il règne dans notre cœur, ce n'est pas le bonheur du prochain, mais le nôtre que nous souhaitons. Quelquefois l'amour a pour motif le plaisir; ce n'est point encore là le véritable amour, il meurt avec le plaisir qui le fait naître. Tant qu'il règne dans notre cœur, nous aimons encore notre prochain non pour lui-même, mais pour nous. Quelquefois enfin l'amour a pour base la vertu, et c'est le seul véritable amour. Alors nous n'aimons point notre prochain pour nous-mêmes, mais pour lui.

 

(17) 38. Secondement, nous devons aimer notre prochain avec mesure, c'est-à-dire ne pas l'aimer plus que Dieu ni autant que Dieu, mais juste autant que nous devons nous aimer nous-mêmes. "Il a modéré son amour pour moi," est-il dit dans le Cantique des cantiques. Notre Seigneur a pris soin de nous indiquer la mesure d'affection que nous devons à notre prochain en disant: "Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui aime son fils et sa fille plus que moi n'est pas non plus digne de moi."

 

(19) 39. Troisièmement, nous devons aimer notre prochain avec efficacité. L'homme ne se borne point pour lui-même à un amour stérile; il fait tous ses efforts pour obtenir ce qui lui est avantageux, pour éviter ce qui lui est funeste. C'est ainsi qu'il doit aimer son prochain. "Que notre amour, dit saint Jean, ne se témoigne point par de vaines paroles, mais par des actes de dévouement sincère." Ceux-là sont les pires de nos ennemis dont la bouche est remplie de paroles d'amitié et le cœur plein de sentiments de haine. C'est d'eux que parle le roi prophète quand il dit: "Leur bouche a des paroles de paix pour le prochain et leur cœur cache des pensées criminelles." - "Que votre amour soit sans feinte," dit aussi l'Apôtre.

 

(21) 40. Quatrièmement, nous devons aimer notre prochain avec persévérance, comme nous faisons pour nous-mêmes: "Un véritable ami aime toujours, et la puissance de son affection se révèle dans les jours de détresse;" il nous est fidèle dans le malheur comme dans la prospérité, et c'est quand la fortune nous abandonne qu'il s'attache plus fortement à nous, ainsi que l'observe Salomon. Deux choses contribuent à la durée de l'amitié: d'abord la patience; en effet, un homme irascible ne cherche que les querelles; ensuite l'humilité, qui produit la patience; car "la discorde est compagne de l'orgueil." Celui qui est fier de lui-même et qui méprise les autres ne peut supporter leurs défauts.

 

(23) 41. Cinquièmement, nous devons aimer notre prochain avec justice et sainteté, c'est-à-dire ne pas l'aimer jusqu'à faire le mal pour lui; car ce n'est pas ainsi que nous devons nous aimer nous-mêmes, et une pareille amitié serait contraire à l'amour divin, qui doit être la règle principale de notre conduite, et que Salomon appelle la source des nobles affections.

 

(25) 42. "Vous aimerez votre prochain comme vous-même." Les Juifs et les Pharisiens comprenaient mal ce précepte en croyant que Dieu ordonnait aux hommes d'aimer leurs amis et de haïr leurs ennemis. Le terme de prochain était pour eux synonyme de celui d'ami; mais cette interprétation est fausse, et la preuve en est dans ces paroles de Jésus-Christ: "Aimez vos ennemis." Il ne faut pas oublier que quiconque déteste son frère n'est point en état de grâce: "Celui qui déteste son frère, dit saint Jean, est plongé dans les ténèbres."

 

(27) 43. Il y a cependant ici une distinction à faire. Des hommes d'une sainteté éminente ont connu la haine: "Seigneur, s'écrie le roi prophète, je hais d'une haine profonde ceux qui foulent aux pieds votre sainte loi. Jésus-Christ déclare lui-même qu'on "ne peut être son disciple si on ne hait pas et son père, et sa mère, et toute sa famille." Or nous devons en toutes choses suivre l'exemple de ce divin maître et savoir aimer et haïr, comme lui, à propos; car Dieu connaît aussi l'amour et la haine. Pourquoi cela? c'est qu'il y a dans l'homme deux choses à considérer, la nature humaine et le vice. La nature humaine, dans tout homme, a droit à l'amour; dans tout homme, le vice mérite la haine. Souhaiter à son prochain la damnation éternelle, c'est détester en lui la nature humaine et aimer le péché; mais faire des vœux pour son salut, c'est détester en lui le péché et aimer la nature humaine. "Seigneur, dit le psalmiste, vous haïssez tous ceux qui font le mal." - "Seigneur, dit Salomon, vous aimez tout ce qui existe et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait. "Quels sont donc les objets de l'amour et de la haine de Dieu? L'objet de son amour, c'est la nature; l'objet de sa haine, c'est le mal.

 

(29) 44. Ajoutons que l'homme peut quelquefois faire du mal à son prochain sans péché. C'est ce qui arrive quand il lui fait du mal avec la volonté de servir ses véritables intérêts; et Dieu lui-même en agit souvent de la sorte avec nous. Ainsi il afflige le pécheur d'infirmités et de maladies afin de le ramener au bien; ainsi encore il accable le méchant sous les coups de l'adversité, afin que cette dure leçon lui fasse, selon l'expression d'Isaïe, ouvrir les yeux sur ses égarements. On peut donc sans péché désirer la chute d'un tyran qui désole l'Église; on le peut, dis-je, sans péché, en tant qu'on désire le bien de l'Église par la chute du tyran. "Béni soit le Seigneur qui a frappé les impies!" lisons-nous dans le livre des Macchabées.

 

(31) 45. Et c'est na devoir pour tous non seulement de souhaiter la ruine des méchants, mais encore d'y travailler dans l'intérêt général. Certes ce n'est point un péché que de donner la mort à ceux qui l'ont méritée par leurs crimes. "Les princes, dit saint Paul, sont les ministres de Dieu, et ce n'est point en vain qu'ils sont armés du glaive de la justice." Ceux qui veillent au maintien des lois ne violent point le précepte de la charité en frappant le coupable; s'ils le punissent, c'est quelquefois pour le châtier, quelquefois pour garantir la sûreté publique, qui est plus précieuse que la vie d'un homme. Cependant on ne serait pas exempt de péché en punissant le coupable avec la seule intention de ne point lui nuire, et si l'on ne joignait à cette intention celle de servir ses véritables intérêts, c'est-à-dire de lui infliger un châtiment salutaire et de lui procurer la vie éternelle.

 

(33) 46. On peut vouloir du bien à son prochain de deux manières: d'abord d'une manière générale, en tant qu'il est la créature de Dieu et qu'il a part à la promesse de la vie éternelle; puis d'une manière spéciale, en tant qu'il est notre ami ou notre parent. On ne peut refuser à personne l'affection générale qu'on doit à l'humanité; tout homme est obligé de prier pour les autres, quels qu'ils soient, et de les secourir dans leurs besoins; mais nous ne sommes pas tenus d'accorder à qui que ce soit des marques particulières de bienveillance, à moins qu'on nous demande le pardon d'une offense. Celui qui nous adresse une pareille demande n'est plus pour nous une personne indifférente, et ne pas l'admettre dans notre intimité ce serait repousser un ami, ce serait nous priver d'une puissante intercession auprès de Dieu. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit: "Si vous pardonnez aux hommes leurs péchés, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres; si vous ne faites point grâce aux hommes, votre Père céleste ne vous fera point grâce non plus?" Ne disons-nous pas à Dieu, dans l'oraison dominicale: "Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés?"

 

(35) 47. "Vous aimerez votre prochain comme vous-même." Nous avons dit que c'est un péché de refuser le pardon qu'on nous demande: le plus haut degré de vertu que nous puissions atteindre, c'est d'aimer tendrement ceux qui nous ont fait du mal; nous n'y sommes pas obligés, mais de nombreux motifs nous y engagent.

 

(37) 48. Le premier, c'est le maintien de notre dignité. Les divers degrés de dignité se reconnaissent à des signes divers, et nul ne doit perdre le signe de sa dignité propre. Or, entre toutes les dignités, la plus élevée est celle que nous donne le titre d'enfants de Dieu, et le signe qui la fait reconnaître, c'est notre amour pour nos ennemis. "Aimez vos ennemis, est-il dit dans l'Évangile, afin que vous soyez les dignes enfants de votre Père qui est dans les cieux." En effet, il ne suffit pas d'aimer ceux qui nous aiment pour être enfants de Dieu. Les publicains et les gentils observent aussi bien que nous cette loi de la nature.

 

(39) 49. Le second motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est le triomphe des nobles affections sur les passions mauvaises. Le désir de la supériorité en toutes choses est inné dans l'homme. Il faut donc on qu'à force de bonté nous obligions celui qui nous offense à nous aimer, et alors nous sommes vainqueurs; ou que nous nous laissions entraîner à la haine par une influence étrangère, et alors nous sommes vaincus. "Ne permettez pas au mal de triompher de vous, dit saint Paul, mais triomphez du mal par le bien."

 

(41) 50. Le troisième motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est notre intérêt même. Nous les forçons ainsi à devenir nos amis. "Si votre ennemi a faim, dit encore saint Paul, donnez-lui à manger; s'il a soif, donnez lui à boire; ainsi faisant, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête." - "Rien ne provoque à l'amour, dit saint Augustin, comme d'aimer le premier. Nul n'a le cœur assez dur pour ne pas payer au moins de retour l'amour qu'on lui témoigne." - "Un ami fidèle est le plus précieux de tous les trésors," suivant Salomon: "Et quand le Seigneur voit marcher un homme dans la bonne voie, il change le cœur de ses ennemis," dit encore le Sage couronné.

 

(43) 51. Le quatrième motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est que, grâce à ce généreux effort de vertu, nos prières sont plus agréables à Dieu. "Quand même Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, dit le Seigneur, je ne ferais point de grâce à ce peuple." - "Si Dieu, observe saint Grégoire, cite de préférence Moïse et Samuel, et s'il exprime par cela même le pouvoir qu'ils ont sur lui, c'est que Moïse et Samuel avaient aimé leurs ennemis, qu'ils avaient prié pour eux." Jésus-Christ pria aussi pour ses bourreaux, et les prières du bienheureux saint Étienne en faveur de ceux qui le lapidaient furent d'une très grande utilité à l'Église, en obtenant la conversion de Paul.

 

(45) 52. Le cinquième et dernier motif qui nous engage à aimer ceux qui nous font du mal, c'est le désir de sortir du péché, désir qui doit être le plus puissant de tous dans notre cœur. Quelquefois il nous arrive de pécher et de ne point chercher Dieu; alors Dieu nous ramène à lui en nous faisant sentir rudement le besoin de son appui. "Je couvrirai votre chemin d'épines," nous dit-il par la bouche du prophète Osée. C'est ainsi qu'il frappa Paul d'aveuglement sur le chemin de Damas, afin de le ramener à lui. "Seigneur, s'écrie le Psalmiste, je me suis égaré comme une brebis loin du troupeau; venez chercher votre serviteur." Dieu vient à notre secours, si nous pardonnons à nos ennemis, si nous les ramenons au bien par l'indulgence et la bonté. "Dieu, est-il dit dans l'Évangile, se servira à votre égard de la mesure dont vous vous serez servis à l'égard des autres." - "Pardonnez, et il vous sera pardonné." - "Heureux ceux qui font miséricorde, car ils obtiendront miséricorde à leur tour." Or le plus éclatant témoignage de miséricorde, c'est de pardonner à ceux qui nous font du mal.

 

 

1 ter- VOUS N’AUREZ PAS DE DIEU ÉTRANGER

 

 

 

Du premier précepte de la loi: "Vous n'aurez point de dieux étrangers."

 

(3) 53. Du premier précepte de la loi: "Vous n'aurez point de dieux étrangers." Ainsi que nous l'avons dit, la loi du Christ est une loi d'amour; elle repose toute entière sur la charité. Les devoirs de la charité sont formulés dans deux préceptes, dont l'un est relatif à l'amour de Dieu, et l'autre relatif à l'amour du prochain. Nous avons déjà parlé de ces deux préceptes. Maintenant il est bon de savoir que la loi donnée à Moïse au sommet du Sinaï renfermait dix préceptes gravés sur deux tables de pierre. Sept étaient gravés sur la première, et trois sur la seconde; ceux là se rapportent à l'amour de Dieu, et ceux-ci à l'amour du prochain. Ainsi, toute la loi morale repose sur deux préceptes fondamentaux.

 

(5) 54. Le premier des sept préceptes relatifs à l'amour de Dieu est celui-ci: "Vous n'aurez point de dieux étrangers." Pour bien comprendre ce précepte, il faut savoir que la plupart des peuples anciens se rendaient coupables de sa violation. Les uns adoraient les démons, comme le témoignent ces paroles du Psalmiste: "Tous les dieux des nations sont des démons." Un pareil culte est le plus grand et le plus horrible de tous les péchés. Maintenant encore ce culte abominable est maintenu par tous ceux qui s'adonnent à la divination et à la sorcellerie; car selon saint Augustin, il est impossible d'être initié aux secrets des sciences occultes sans faire un pacte avec le diable. "Je ne veux point, dit saint Paul aux fidèles, que vous deveniez les associés du Démon. Vous ne pouvez, ajoute-t-il, vous asseoir tour à tour à la table du Seigneur, et à celle du démon."

 

(7) 55. D'autres adoraient les corps célestes; ils prenaient les astres pour des divinités, comme le témoignent ces paroles du sage Salomon: "Ils ont pris pour des divinités le soleil et la lune, ces flambeaux de la terre." Moïse défendit sévèrement aux Juifs de suivre à ce sujet l'exemple des autres peuples: "Gardez-vous, leur dit-il, quand vous élèverez vos regards vers le ciel et que vous contemplerez le soleil, la lune et toutes les étoiles, gardez-vous bien de vous laisser séduire par leur éclat, et d'adorer ces astres brillants que le Seigneur, votre Dieu, a semés dans l'espace pour luire sur toutes les nations." Les astrologues pèchent donc contre cette défense, puisqu'ils attribuent aux corps célestes créés pour l'homme le pouvoir de régir les destinées humaines, pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu seul.

 

(9) 56. D'autres adoraient les éléments répandus dans les sphères inférieures, comme le témoignent encore ces paroles de Salomon: "Ils prenaient pour des divinités le feu ou l'air." Ceux-là se rendent coupables de ce culte honteux et frivole, qui donnent leur cœur à des objets indignes de leur amour. "Sachez, dit saint Paul, que le fornicateur, le libertin et l'avare sont des idolâtres." D'autres adoraient les hommes, et parmi eux de faibles mortels se faisaient passer pour des dieux. Trois causes ont donné naissance à ce genre d'idolâtrie.

 

(11) 57. La première, c'est l'affection. "Un père, gémissant sur la perte d'un fils ravi à sa tendresse par une mort prématurée, lui dressa une statue, et commença d'adorer comme un Dieu celui qui était mort comme un mortel, et il établit dans sa maison un culte et des sacrifices en son honneur."

 

(13) 58. La seconde, c'est l'adulation. Les hommes, voulant témoigner leur vénération à un prince, à un héros, qui ne pouvait recueillir en personne leurs hommages, cherchèrent un moyen de l'honorer quoique absent; ils lui élevèrent donc des statues qu'ils adorèrent à sa place. Nous invoquerons encore l'autorité de Salomon. "Les hommes, dit-il, voulant honorer un monarque absent, rendirent un culte à son image, afin de lui témoigner leur vénération comme s'il était présent." Tels sont encore aujourd'hui tous ceux qui ont plus de respect pour le monde que pour Dieu. "Quiconque, dit Notre Seigneur, aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi." - "Ne mettez point, dit le Psalmiste, votre confiance dans les princes et les enfants des hommes: ce n'est pas en eux que vous trouverez votre salut."

 

(15) 59. La troisième cause de ce genre d'idolâtrie, c'est la présomption. Certains rois, dans l'enivrement de leur orgueil, se sont donné à eux-mêmes le titre de dieux. Tel fut Nabuchodonosor, ce monarque impie, à qui le prophète Ézéchiel adresse ces paroles: "Ton cœur s'est gonflé d'orgueil, et tu as dit: Je suis dieu." Ceux-là imitent son impiété, chez qui les sens aveuglent la raison. Eux aussi s'adorent comme des dieux, en cherchant les voluptés charnelle, ils rendent un culte à leur corps: "Ils se font un dieu de leur ventre," suivant l'expression de l'apôtre Philippe. Nous devons donc éviter avec soin tout ce qui est contraire au culte du vrai Dieu.

 

(17) 60. "Vous n'aurez point de dieux étrangers." Ainsi que nous l'avons dit, le premier précepte de la loi morale est celui qui nous interdit tout autre culte que celui du vrai Dieu. Cinq raisons principales nous invitent à l'accomplissement de ce précepte.

 

(19) 61. La première, c'est la grandeur de Dieu: refuser nos hommages à cette grandeur souveraine, c'est outrager le monarque des cieux. Toute dignité a droit aux respects, et le vassal qui se révolte contre son suzerain est coupable de lèse-majesté et traître à son roi. Tels sont quelques hommes à l'égard de Dieu. "Ils ont, dit saint Paul, outragé la gloire du Dieu éternel, en rendant hommage à la vaine ressemblance de la créature périssable." Or rien n'irrite autant le Seigneur qu'une pareille injure, "Je ne céderai point, dit-il par la bouche du prophète Isaïe, je ne céderai point ma gloire à un autre, ni mon culte aux idoles." Ce qui fait la grandeur de Dieu, c'est son omniscience: son nom même exprime l'idée d'un regard auquel rien n'échappe. Et, en effet, le signe caractéristique de la divinité, c'est la connaissance de toutes choses. "Annoncez-nous les événements de l'avenir, et nous croirons que vous êtes des dieux." - "Rien n'est caché, rien n'est secret pour l'Éternel." Or ceux-là outragent sa grandeur qui ont recours à la divination pour connaître l'avenir. "N'est-ce pas Dieu seul que les hommes doivent consulter pour les vivants et pour les morts?"

 

(21) 62. La seconde raison qui nous engage à rester fidèle au culte du vrai Dieu, c'est sa bonté pour nous. Tous les biens nous viennent de lui comme d'une source féconde et inépuisable, "Vous n'avez, Seigneur, qu'à ouvrir la main, et l'univers est plein de vos bienfaits." Cette bonté infinie n'est pas un attribut moins essentiel à la Divinité que l'omniscience, et le mot Dieu lui-même emporte avec lui l'idée d'une puissance bienfaisante. Ne serait-ce donc pas le comble de l'ingratitude d'oublier tout ce que Dieu a fait pour nous, d'abandonner son culte, et d'adorer à sa place de vaines idoles, comme les enfants d'Israël, après leur sortie d'Egypte? Nous abandonnons le culte du vrai Dieu quand nous plaçons notre espoir ailleurs qu'en lui, quand nous demandons à d'autres qu'à lui les secours dont nous avons besoin. "Heureux celui qui place son espérance dans le nom du Seigneur." - "Maintenant que vous connaissez Dieu, pourriez-vous encore retourner au culte honteux et frivole des éléments?"

 

(23) 63. La troisième raison qui nous engage à n'adorer que Dieu, c'est l'obligation où nous sommes de rester fidèles à nos promesses. Nous avons renoncé à Satan, nous avons promis notre cœur à Dieu seul; cet engagement est sacré, et ce serait un crime de le violer. "Si l'infraction à la loi de Moïse était punie de mort en présence de deux ou trois témoins, quel supplice ne mériterait pas celui qui aurait foulé aux pieds la loi du fils de Dieu, qui aurait souillé le sang de la nouvelle alliance, ce sang précieux répandu sur la terre pour purifier le monde, et qui aurait outragé le Saint-Esprit, ce dispensateur de la grâce d'en-haut?" - "La femme qui, du vivant de son époux, passe dans les bras d'un autre, est adultère; elle mérite d'être brûlée vive. Malheur donc à l'âme infidèle qui se sépare du Dieu vivant pour offrir au monde un amour criminel!"

 

(25) 64. La quatrième raison qui nous invite à n'adorer que Dieu, c'est l'accablante servitude que le démon fait peser sur ses adorateurs. Écoutez ce que le Seigneur dit aux Juifs rebelles par la bouche de Jérémie: "Vous servirez jour et nuit des dieux étrangers, qui ne vous laisseront point un instant de repos." Le démon ne se contente pas de nous faire commettre un seul péché; il nous conduit de fautes en fautes. Or le pécheur est l'esclave du péché, et ce n'est pas sans peine qu'on recouvre sa liberté, une fois qu'on a subi le joug des passions mauvaises: c'est ce qui faisait dire à saint Grégoire: "La faute que n'efface point la pénitence nous entraîne plus avant dans le gouffre du vice." La soumission que Dieu nous demande n'a rien de pénible, parce que sa loi n'a rien d'onéreux. "Venez à moi, nous dit-il, car mon joug est doux et mon fardeau est léger." Et en effet tout ce qu'il exige de nous, c'est que nous fassions pour lui ce que nous faisons pour le péché. Que dit saint Paul? "Déployez maintenant, dans la pratique de la vertu, la force que vous avez déployée dans la pratique du mal." Est-il donc une loi plus douce que celle de Dieu? Voulez-vous juger, au contraire, de la pesanteur du joug de Satan? Méditez ces paroles que Salomon met dans la bouche des méchants: "Nous avons marché, accablés sous le poids de la fatigue, dans la voie pénible de l'iniquité et de la perdition." Méditez encore ces paroles de Jérémie: "Les méchants font laborieusement le mal."

 

(27) 65. Enfin la cinquième raison qui nous invite à n'adorer que le vrai Dieu, c'est l'immensité de la récompense qu'il réserve à ses serviteurs. Les mahométans espèrent des fleuves de lait et de miel, les Juifs la terre promise; mais les chrétiens espèrent la gloire des anges. "Ils seront, a dit Jésus-Christ, semblables aux anges de Dieu dans le ciel." Et voilà pourquoi Pierre disait à son divin maître: "Seigneur, vers quel autre que vous pourrions-nous aller? vous nous promettez la vie éternelle."

 

 

2- SECOND PRECEPTE: LE NOM DE DIEU

 

 

 

Du second précepte de la loi. "Vous ne prononcerez pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu."

 

(3) 66. Du second précepte de la loi. "Vous ne prononcerez pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu." Tel est le second précepte de la loi morale. De même qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que nous devons adorer, il n'y a aussi qu'un seul Dieu que nous devons respecter par-dessus tout, et d'abord quant à son nom.

 

(5) 67. Remarquons ici que le mot vain se prend dans trois acceptions différentes: quelquefois il veut dire faux, et c'est dans ce sens que l'emploie le roi prophète quand il dit: "Leurs paroles sont des paroles vaines. "C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu quand on invoque ce nom sacré pour servir d'appui au mensonge. "Gardez-vous de faire un faux serment," dit le Seigneur par la bouche du prophète Zacharie: "Vous mourrez, vous qui mentez au nom de l'Éternel," dit-il encore par la bouche du même prophète. C'est un crime, en effet, d'invoquer ce nom auguste pour servir d'appui au mensonge; c'est faire injure à Dieu, c'est se faire tort à soi-même, ainsi qu'à tous les hommes. C'est faire injure à Dieu: car donner à un serment l'autorité de son nom, c'est invoquer son témoignage: par conséquent, lorsqu'on invoque ce témoignage à l'appui d'un mensonge, ou bien on s'imagine que Dieu ne connaît point la vérité, et alors on fait injure à sa sagesse et à son omniscience; ou bien on suppose qu'il aime le mensonge, et alors on fait injure à sa bonté; ou bien on croit qu'il ne peut pas manifester la vérité et punir le mensonge, et alors on fait injure à sa puissance. De plus, c'est se faire tort à soi-même; car c'est se soumettre au jugement de Dieu. Dire: J'atteste le nom de Dieu que cela est, c'est dire: Que Dieu me punisse si cela n'est pas. Enfin, c'est faire tort à tous les hommes; car c'est détruire, autant qu'il est en soi, le lien social, qui n'existe que par la confiance. Le but du serment est de rendre certain ce qui est douteux. "Toute discussion est terminée, dit saint Paul, quand l'une des deux parties adverses appuie ses prétentions de l'autorité du serment." Ainsi donc, celui qui fait un faux serment insulte à la gloire de Dieu; il se nuit à lui-même, et il nuit aux autres.

 

(7) 68. Vain est quelquefois synonyme de frivole, et c'est dans ce sens que l'emploie le roi prophète, quand il dit: "Le Seigneur connaît les pensées des hommes; il sait qu'elles sont vaines." C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu, que d'invoquer son autorité pour appuyer une chose frivole. La loi mosaïque ne défendait que le faux serment; mais la loi évangélique ne permet de jurer, même pour certifier une chose vraie, que dans le cas d'extrême nécessité; c'est ce que nous voyons dans ces paroles de Jésus-Christ: "Il a été dit aux anciens: Vous ne commettrez point de parjure; et moi, je vous dis: Ne jurez point du tout." La raison de cette sévère défense, c'est la légèreté de notre langue, légèreté telle, que nul de nous ne peut y mettre un frein, et qu'elle nous expose à nous parjurer pour la moindre chose. Il faut donc, suivant le précepte de l'Évangile, ne rien affirmer que par ces deux simples mots, "oui et non." Remarquez bien qu'il en est du serment comme de la médecine: c'est une ressource qu'on ne doit employer que dans les cas de nécessité. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous dit: "Tout ce que vous dites de plus que oui et non est un nul. "Voilà pourquoi l'Ecclésiastique nous dit aussi: "Ne vous habituez point à jurer; c'est là une habitude dangereuse; que le nom de Dieu et de ses saints ne soit pas toujours dans votre bouche, c'est là une profanation qui ne restera pas impunie."

 

(9) 69. Quelquefois le mot vain exprime l'idée de péché ou d'injustice, et c'est dans ce sens que l'emploie le Psalmiste, quand il dit: "Enfants des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il amoureux des vanités?" C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu que de s'engager par un serment à faire le mal. Le caractère de la justice, c'est la pratique de la vertu et l'horreur du crime. Si on jure de commettre un vol ou toute autre action coupable, on prononce un serment contraire à la justice, et c'est en même temps un crime de l'accomplir et un parjure de le prononcer. Tel fut le serment prononcé par Hérode, et qui coûta la vie à saint Jean-Baptiste. On prononce aussi un serment contraire à la justice quand on jure de ne point faire ce qui est bien, par exemple, de ne pas entrer dans le sein de l'Eglise, ou dans un ordre religieux; et, malgré qu'on ne soit pas tenu d'accomplir un pareil serment, c'est un parjure de le prononcer. Ainsi donc tout serment faux, frivole ou injuste est un péché.

 

(11) 70. Enfin vain est quelquefois synonyme d'insensé, et c'est dans ce sens que l'emploie Salomon quand il dit: "Tous les hommes que n'éclaire point l'esprit de Dieu sont des hommes vains." C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu que de blasphémer ce nom auguste, et la loi mosaïque punissait de mort un pareil crime.

 

(13) 71. "Vous ne prononcerez pas en vain le nom du Seigneur, votre Dieu." Il est bon de savoir que le nom de Dieu peut être prononcé dans six buts différents. Premièrement, on peut le prononcer pour affirmer une chose vraie: on confesse alors que Dieu est la vérité même, et un pareil aveu glorifie celui dont on invoque le témoignage. Aussi est-il ordonné dans le Deutéronome de ne jurer que par le nom du vrai Dieu, et c'est violer ce précepte que de jurer par un autre nom: "Vous ne jurerez point par le nom des dieux étrangers" est-il dit dans l'Exode. On jure quelquefois par le nom des créatures; mais remarquons que c'est encore jurer par le nom de Dieu. Jurer sur son âme ou sur sa tête, c'est remettre sa vie entre les mains du Dieu qui punit le mensonge. "J'en atteste Dieu sur mon âme," dit saint Paul aux Corinthiens. Jurer par l'Évangile c'est aussi jurer par Dieu, qui a donné l'Évangile au monde, et c'est un péché que d'invoquer pour une chose futile le témoignage de Dieu ou celui de (14) l'Évangile.

 

(16) 72. Secondement, on peut prononcer le nom de Dieu pour la sanctification de l'âme. C'est ainsi que le baptême sanctifie: "Vous avez été purifiés, dit saint Paul, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés au nom de notre Seigneur Jésus-Christ." Or ce qui donne au baptême sa vertu sanctifiante, c'est l'invocation de la très sainte Trinité: "Seigneur, dit Jérémie, vous êtes en nous et nous avons invoqué sur nous votre saint nom."

 

(18) 73. Troisièmement, on peut prononcer le nom de Dieu pour repousser l'esprit malin, et c'est ainsi qu'avant de recevoir le baptême nous renonçons à Satan par la bouche de nos parrains: "Seigneur, dit Isaïe, que votre nom soit invoqué sur nous, et vous nous délivrerez de l'esclavage du péché." Par conséquent, c'est avoir prononcé en vain le nom de Dieu que de revenir au péché après avoir renoncé à Satan, à ses pompes et à ses œuvres.

 

(20) 74. Quatrièmement, on peut prononcer le nom de Dieu pour confesser la foi qu'on a en ce nom sacré et pour le glorifier: "Comment, dit saint Paul, invoqueraient-ils le Seigneur ceux qui ne croient pas en lui?" - "Quiconque, dit le même apôtre, invoque le Seigneur et croit en lui sera sauvé." Or il y a deux manières de confesser le nom de Dieu; on le confesse par la parole, afin de manifester la grandeur divine: "Quiconque, dit le Seigneur, confesse mon nom est le proclamateur de ma gloire." C'est donc prononcer en vain le nom de Dieu que de parler du Très-Haut avec irrévérence. On confesse le nom de Dieu par les œuvres quand ces œuvres servent à manifester aussi la grandeur divine: "Que les hommes, dit Jésus-Christ, voient vos bonnes œuvres et qu'ils apprennent à glorifier votre Père céleste." Combien il est de gens dont les œuvres sont pour les hommes une occasion d'insulter à la majesté divine! C'est à eux que s'adressent ces paroles du Seigneur: "Mon nom est blasphémé à cause de vous parmi les nations."

 

(22) 75. Cinquièmement, on peut prononcer le nom de Dieu pour se défendre contre les embûches de l'esprit malin: "Le nom du Seigneur est un fort rempart; derrière ce rempart le juste est en sûreté et brave ses ennemis." - "C'est en mon nom, dit Jésus-Christ, que les démons seront chassés;" - "et ce nom, suivant qu'il est écrit dans les Actes des apôtre, est le seul sur la terre qui puisse nous sauver."

 

(24) 76. Sixièmement, on peut prononcer le nom de Dieu pour donner de la plénitude à ses œuvres: "Quelque chose que vous fassiez, dit l'Apôtre, faites tout au nom de notre Seigneur Jésus-Christ;" - "Notre appui, dit le psalmiste, est dans le nom du Seigneur." Quelquefois on n'achève pas une œuvre commencée au nom de Dieu; par exemple, lorsqu'on ne remplit pas un vœu qu'on a fait librement, c'est aussi prononcer en vain le nom de Dieu. "Si vous avez fait un vœu au Seigneur, dit l'Ecclésiastique, ne tardez pas à le remplir; car une promesse infidèle et légère lui déplaît."

 

3- SANCTIFIER LE JOUR DU SEIGNEUR

 

 

 

Du troisième précepte de la loi. "Souvenez-vous de sanctifier le jour de sabbat; "

 

(3) 77. Du troisième précepte de la loi. "Souvenez-vous de sanctifier le jour de sabbat;" tel est le troisième précepte de la loi morale, et c'est avec raison qu'il est le troisième. Premièrement, nous devons honorer Dieu du fond du cœur, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce précepte: "Vous n'aurez point de dieux étrangers." Secondement nous devons l'honorer par la parole, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce précepte: "Vous ne prononcerez pas en vain Je nom du Seigneur votre Dieu." Troisièmement, nous devons l'honorer par les œuvres, et c'est ce qui nous est ordonné dans ce précepte: "Sanctifiez le jour du sabbat." Dieu a voulu qu'il y eût un jour spécialement consacré à son culte, et il l'a voulu pour cinq raisons principales.

 

(5) 78. La première, c'est la destruction de l'erreur. Il prévoyait bien dans sa sagesse qu'une époque viendrait où certains hommes oseraient affirmer l'éternité du monde, où, suivant les expressions de l'apôtre saint Pierre, "des esprits égares par les trompeuses lumières de la raison diraient: Qu'est devenue la promesse de la résurrection? Depuis que nos pères se sont endormis du sommeil de la mort rien n'est changé, tout demeure éternellement le même." Insensés! comme si l'origine de l'univers n'avait pu précéder la naissance de leurs pères; comme si le ciel et la terre ne pouvaient être détruits après eux pour faire place à une nouvelle terre et à un nouveau ciel! Il fallait donc qu'il y eut un jour spécialement consacré au culte divin, afin que cette solennité rappelât sans cesse au souvenir des hommes que Dieu a créé le monde en six jours et qu'il s'est reposé le septième. Les Juifs observaient le samedi en mémoire de la première création; mais Jésus-Christ a fait sortir une création nouvelle du sein de la première; l'homme céleste a été créé après l'homme terrestre. "Depuis la venue de Jésus-Christ, dit saint Paul, la circoncision n'a plus de valeur morale." L'humanité a été renouvelée par la grâce et créée une seconde fois par la résurrection du Fils de Dieu. "De même que le Christ est ressuscité d'entre les morts pour s'asseoir à la droite du Père, nous avons aussi reçu une seconde naissance qui nous donne droit au céleste héritage; et si le Fils de Dieu est mort comme un mortel, les mortels doivent, comme lui, renaître à une vie nouvelle." Or, la résurrection du Christ ayant eu lieu le dimanche, c'est ce jour que nous observons en mémoire de la nouvelle création de l'humanité, de même que les Juifs observaient le samedi en mémoire de la création primitive du monde.

 

(7) 79. Secondement, Dieu a donné ce précepte pour instruire les hommes à croire au Rédempteur. La corruption n'atteignit point le corps du Christ dans le sépulcre; lui-même a dit par la bouche du prophète: "Ma chair reposera dans l'espérance de la vie, et Dieu ne permettra point à la corruption d'approcher de mon corps sacré." Dieu a donc voulu qu'on sanctifiât le jour du sabbat, c'est-à-dire du samedi, afin que le repos des hommes dans ce jour solennel fût un symbole du repos de la chair du Rédempteur dans le sépulcre, de même que les sacrifices sanglants étaient le symbole de sa mort. Nous n'avons point conservé les sacrifices sanglants de l'ancienne loi, parce que les images et les symboles doivent cesser quand la réalité se montre, ainsi que l'ombre disparaît quand le soleil brille à l'horizon. Cependant le samedi est encore en honneur parmi nous, il est spécialement consacré à la glorieuse Vierge Marie, qui, dans ce jour où son divin Fils reposait dans le tombeau, ne perdit rien de l'ardeur de sa foi.

 

(9) 80. Troisièmement, Dieu a donné ce précepte pour confirmer la vérité de sa promesse. Ce qui nous est promis, c'est le repos: "En ce jour-là, dit Isaïe, Dieu vous fera reposer de vos travaux et de votre ancienne servitude." - "Mon peuple, dit le Seigneur par la bouche du même prophète, mon peuple se reposera dans le calme de la paix, dans les tabernacles de la sécurité et dans l'abondance de tous les biens." Remarquez que notre attente est de nous reposer de trois choses: des travaux de la vie présente, de la persécution de la chair et de la servitude du démon. Cette promesse du repos, Jésus-Christ l'a renouvelée en disant: "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et j'adoucirai vos peines; portez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et que vous trouverez en moi le repos de votre âme; car mon joug est doux et mon fardeau est léger." Si Dieu a travaillé pendant six jours et ne s'est reposé que le septième, c'est pour nous montrer que nous devons mettre la dernière main à nos œuvres avant de chercher le repos. Mais que sont les peines de cette vie en comparaison de la tranquille béatitude dont nous jouirons dans la vie future? Un siècle occupe infiniment moins de place dans l'éternité qu'un seul jour dans une durée de mille ans.

 

(11) 81. Quatrièmement, Dieu a donné ce précepte pour entretenir dans l'homme l'amour divin. "Le corps est un pesant fardeau pour l'âme," et elle a besoin de faire beaucoup d'efforts pour se relever sous le poids qui l'accable, pour n'être pas toujours baissée vers la terre. Il faut donc qu'il y ait une époque déterminée où elle puisse se dégager du sein de la matière et s'élancer dans le monde spirituel. Pour certaines âmes, cette époque n'est point fixée, elle revient à chaque instant: "Je bénirai en tout temps le Seigneur, dit le Psalmiste, et sa louange sera sans cesse dans ma bouche." - "Priez sans interruption," dit saint Paul aux fidèles. Pour ces âmes d'élite, la vie entière est une fête continuelle; pour d'autres, cette époque revient à de courts intervalles de temps: "Seigneur, dit encore le Psalmiste, j'ai chanté vos louanges sept fois par jour. "Enfin, pour les âmes ordinaires, cette époque revient une fois par semaine, et le jour où elles doivent s'occuper exclusivement des choses du ciel a été déterminé, de peur qu'abandonnées à leur propre discrétion elles ne perdissent tout à fait l'amour divin. "En ce jour, dit Isaïe, vous vous réjouirez dans le Seigneur;" - "Alors, dit Job, le Tout-Puissant remplira votre cœur de délices, et vous élèverez vos regards vers Dieu." En effet, ce jour n'est pas destiné à de frivoles amusements, mais à la prière et au service divin. Aussi, suivant saint Augustin, serait-ce un moins grand péché de labourer la terre ce jour-là que de se livrer à des réjouissances mondaines.

 

(13) 82. Cinquièmement, Dieu a donné ce précepte pour forcer les maîtres à laisser un peu de repos à leurs serviteurs. Sans cet ordre émané du ciel, les riches ne cesseraient, impitoyables pour eux-mêmes et pour leurs domestiques, de travailler à l'augmentation de biens périssables; et ceci s'applique surtout aux Juifs, parce qu'ils sont d'une avarice sordide. Et voilà pourquoi Moïse leur recommande si fortement d'interrompre toute espèce de travail le jour du sabbat: "Observez, leur dit-il, le jour du sabbat, afin que votre serviteur et votre servante se reposent ainsi que vous. Ce jour-là, ajoute-t-il encore, vous ne ferez aucune œuvre, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni votre âne, ni votre bœuf, ni aucune de vos bêtes; vous prendrez du repos, vous et tout ce qui vous appartient." Telles sont donc les raisons principales pour lesquelles Dieu a voulu qu'il y eût un jour spécialement destiné à son culte.

 

(15) 83. "Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat." Les Juifs, avons-nous dit, célèbrent le samedi et les chrétiens le dimanche, puis les autres fêtes principales. Voyons donc comment nous devons célébrer ces jours solennels. Remarquons d'abord que Dieu n'a pas dit: Observez le jour du sabbat; mais bien: "Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat. "Or le mot saint a deux acceptions différentes: il est quelquefois synonyme de pur, comme dans ce passage des Épîtres de saint Paul: "Vous avez été purifiés, vous avez été sanctifiés." Quelquefois il est synonyme de sacré: ainsi une chose est sainte quand elle est consacrée au culte de Dieu, comme une église, un calice, etc. Nous devons donc célébrer les jours de fêtes de deux manières, savoir en purifiant nos cœurs, et en consacrant nos loisirs au service divin. Par conséquent, il y a deux questions à examiner dans le précepte qui nous occupe: d'abord ce que nous devons éviter, puis ce que nous devons faire un jour de fête.

 

(17) 84. Nous devons éviter trois choses: la première, c'est le travail corporel: "Vous sanctifierez le jour du sabbat, est-il dit dans Jérémie, en ne vous livrant à aucune œuvre servile;" et le même commandement se trouve dans le Lévitique. Or le travail corporel est une œuvre servile, tandis que le travail de l'esprit est une œuvre libre, une œuvre à laquelle nul homme ne peut être astreint. Remarquons cependant que le travail corporel peut être permis un jour de fête, pour quatre motifs principaux. Premièrement, à cause de la nécessité. Ainsi Jésus-Christ ne blâma point ses disciples de ce qu'ils arrachaient des épis dans un champ le jour du sabbat. Secondement, à cause de l'intérêt de l'Église. Ainsi nous lisons dans l'Évangile que les prêtres faisaient ce jour-là tout ce qui était nécessaire dans le temple. Troisièmement, à cause de l'utilité du prochain. Ainsi Notre Seigneur guérit, pendant le sabbat, un homme dont la main était desséchée, et confondit les pharisiens, qui lui reprochaient son action, en leur citant l'exemple de la brebis égarée. Quatrièmement, à cause d'une autorité supérieure. Ainsi Dieu ordonna aux Juifs d'opérer sur eux la circoncision le jour du sabbat.

 

(19) 85. La seconde chose que nous devons éviter un jour de fête, c'est le péché. "Veillez attentivement sur vos âmes, est-il dit dans Jérémie, et ne leur imposez point de fardeau le jour du sabbat." Or le fardeau des âmes, c'est le péché. "Le poids de mes iniquités, dit le Psalmiste, m'accable comme un lourd fardeau." Le péché est aussi une œuvre servile, car, suivant l'expression de saint Jean: "Celui qui fait le mal est l'esclave du péché." Par conséquent, la défense qui nous est faite de nous livrer à aucune œuvre servile pendant le jour consacré au Seigneur peut s'étendre à toute action mauvaise, et c'est violer cette défense que de pécher alors, puisque le péché est une œuvre servile, et que toute œuvre servile entreprise ce jour-là est une offense à Dieu. "Je ne puis, dit-il aux Juifs, supporter plus longtemps vos sabbats et vos fêtes, parce que l'injustice règne dans vos assemblées. Mon âme déteste vos calendes et vos solennités; elle s'ennuie de vos pompeuses cérémonies."

 

(21) 86. Troisièmement, nous devons éviter l'oisiveté. "L'oisiveté est mère du vice," dit l'Ecclésiastique. "Travaillez sans cesse à quelque bonne œuvre, écrit saint Jérôme à Rustique, afin que le démon vous trouve occupé." Il est donc à propos de ne célébrer que les fêtes principales, si l'homme doit rester oisif pendant les autres. Nous lisons, dans le livre des Macchabées, que les Juifs ayant été surpris par leurs ennemis, pendant le sabbat, se laissèrent vaincre et tuer, parce qu'ils croyaient qu'il leur était défendu de combattre et de se défendre dans un pareil jour. C'est ainsi que se laissent surprendre et vaincre par le démon, ceux qui restent oisifs pendant les jours de fêtes. Mais les Juifs reconnurent leur méprise et résolurent de "combattre désormais quiconque viendrait les attaquer le jour du sabbat. "C'est ainsi que les fidèles doivent résister en tout temps aux persécutions de l'esprit malin, et ne pas craindre d'accomplir une bonne œuvre pendant les jours consacrés au Seigneur.

 

(23) 87. "Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat." Ainsi que nous l'avons dit, l'homme doit sanctifier les jours de fêtes. Nous avons fait remarquer aussi que le mot saint a deux significations différentes; que tantôt il se prend dans le sens de pur, tantôt dans le sens de consacré à Dieu. Enfin nous avons montré ce qu'on doit éviter pendant les jours spécialement destinés au service divin. Il nous reste à montrer ce qu'on doit faire pendant ces mêmes jours. On doit s'occuper alors de trois choses.

 

(25) 88. Premièrement, il faut offrir au Seigneur un sacrifice agréable. Nous lisons dans la loi mosaïque que Dieu avait ordonné aux Juifs de lui sacrifier chaque jour deux agneaux, l'un le matin, l'autre le soir, et de doubler le nombre des victimes le jour du sabbat. Ce précepte nous enseigne que nous devons redoubler de zèle et de piété pendant les jours spécialement consacrés au culte divin, et faire alors tout ce qui dépend de nous pour témoigner au Seigneur la reconnaissance qu'il a droit d'attendre de ses créatures. Car, suivant l'expression du roi prophète: "Tout lui appartient, et nous ne faisons que lui rendre ce que nous avons reçu de lui." Nous ne pouvons pas, il est vrai, immoler de nombreuses victimes sur ses autels; car la loi évangélique est venue abolir les sacrifices sanglants de l'ancienne loi; mais nous pouvons lui offrir notre âme en holocauste, c'est-à-dire pleurer nos péchés et lui adresser de ferventes prières. "Le sacrifice agréable au Seigneur, dit le Psalmiste, c'est un cœur contrit et pénétré de repentir." - "Seigneur, dit-il encore, que ma prière s'élève vers vous comme la fumée de l'encensoir." Les jours de fêtes sont consacrés à des joies graves et sérieuses, aux joies qu'éprouve l'esprit et que fait naître la prière. Nous pouvons affliger aussi en nous la chair par le jeûne. "Je vous en conjure au nom de la miséricorde divine, dit saint Paul aux fidèles; que votre corps soit une hostie vivante et sans tache, et digne d'être offerte au Seigneur." Nous pouvons encore offrir à Dieu un sacrifice de louanges, et voilà pourquoi les églises retentissent de chants pieux en l'honneur de l'Éternel. Enfin nous pouvons offrir à Dieu le sacrifice de biens périssables, en faisant d'abondantes aumônes. "N'oubliez pas, dit l'Apôtre, les devoirs de la charité et le lien fraternel qui vous unit." C'est là un sacrifice qui plaît au Seigneur, et qui doit être plus abondant en un jour de fête qu'en tout autre jour, parce qu'il est consacré à l'allégresse générale. "Envoyez leur part aux indigents, disait Néhémie aux Juifs délivrés de la captivité; car c'est aujourd'hui la fête des tabernacles, et tous doivent se réjouir dans le Seigneur."

 

(27) 89. Secondement, il faut se nourrir de la parole de Dieu. Ainsi font les Juifs qui, le jour du sabbat, lisent et méditent l'ancien Testament. Les chrétiens, dont la piété doit être plus parfaite que celle des Juifs, sont donc tenus d'assister, le dimanche et les jours de fêtes, à l'office divin, et d'aller recueillir dans les églises la nourriture céleste que les ministres du Seigneur distribuent aux fidèles du haut de la chaire évangélique. "Celui qui aime Dieu écoute la parole de Dieu." Ils doivent également ne tenir que des conversations pieuses. "Qu'il ne sorte pas de votre bouche une seule parole mauvaise, dit l'Apôtre; si vous avez quelque chose de bon à dire, dites-le, afin d'édifier votre prochain." Écoutez ce qui est bon à entendre, dire ce qui est bon à dire, voilà deux choses éminemment utiles au pécheur; car elles changent son cœur, et lui inspirent l'amour de la vertu. "Ma parole, dit le Seigneur, est comme un feu qui brûle et comme un marteau qui brise la pierre." Au contraire, les justes eux-mêmes se laissent entraîner a l'amour du mal en écoutant ce qu'ils ne doivent pas entendre, en disant ce qu'ils ne doivent pas dire. "Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs, dit l'Apôtre; veillez donc à votre salut, vous qui marchez dans la voie de la justice, et gardez-vous du péché." - "Seigneur, s'écrie le Psalmiste, je conserve votre parole au fond de mon cœur." La parole divine éclaire l'ignorant; c'est une "lumière qui guide ses pas," suivant l'expression de roi prophète; elle enflamme aussi les cœurs tièdes, et les remplit d'ardeur.

 

(29) 90. Troisièmement, il faut se livrer à la contemplation de Dieu; mais ce devoir n'en est un que pour les hommes parfaits. "Reposez-vous et voyez combien le Seigneur est doux." La contemplation, c'est le repos de l'âme; l'âme se fatigue comme le corps, et comme lui elle a besoin de se reposer. Or l'asile où elle peut trouver le repos, c'est Dieu. "Seigneur, soyez mon abri et mon refuge," dit le Psalmiste. "J'entrerai dans ma demeure, et je me reposerai dans le sein de la sagesse," dit Salomon.

 

(31) 91. Mais, avant que l'âme puisse arriver à ce degré sublime de quiétude, il faut qu'elle passe par trois autres degrés successifs de repos. Il faut d'abord qu'elle soit à l'abri des agitations qui naissent du péché. "Le cœur de l'impie est comme une mer bouillonnante qui ne peut se calmer." Il faut ensuite qu'elle se mette hors de l'atteinte des passions charnelles; car la chair conspire contre l'esprit, de même que l'esprit conspire contre la chair. Il faut enfin qu'elle abandonne toute occupation mondaine. "Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, vous vous agitez pour bien des choses; mais une seule chose est nécessaire, etc." C'est après avoir passé, dis-je, par ces trois degrés successifs de repos, que l'âme arrive au plus haut degré de quiétude, qu'elle se repose dans le sein de Dieu. C'est pour arriver là que les saints ont tout abandonné sur la terre. La quiétude, c'est la perle inestimable dont parle l'Évangile, et que celui qui l'a trouvée achète au prix de tous ses biens. La quiétude, c'est la vie éternelle, c'est l'éternel bonheur; puissions-nous l'obtenir! Puisse chacun de nous répéter, en parlant de la céleste Jérusalem, ces paroles du roi prophète: "C'est là que j'habiterai à jamais, c'est là que je reposerai dans les siècles des siècles!"

 

 

2- LES COMMANDEMENTS DE L'AMOUR DU PROCHAIN

 

4- HONORER PÈRE ET MÈRE

 

 

 

Du quatrième précepte de la loi. "Honorez votre père et votre mère, etc."

 

(3) 92. Du quatrième précepte de la loi. "Honorez votre père et votre mère, etc." La perfection de l'homme consiste dans l'amour de Dieu et dans l'amour du prochain. A l'amour de Dieu se rapportent les trois préceptes gravés sur la première table que Dieu donna à Moïse; à l'amour du prochain se rapportent les sept autres préceptes gravés sur la seconde table de la loi. Mais, ainsi que saint Jean le dit, "l'amour doit se témoigner non pas par de vaines paroles, mais par des actes de dévouement sincère." L'homme, dont le cœur est plein d'un amour vrai doit éviter le mal et faire le bien; et c'est pourquoi les préceptes de la loi morale sont tantôt négatifs, et défendent le mal, tantôt positifs, et commandent le bien. Il est toujours en notre pouvoir d'éviter le mal, mais il n'est pas toujours en notre pouvoir de faire le bien; et c'est ce qui a fait dire à saint Augustin que nous sommes tenus d'aimer tous les hommes, mais que nous ne sommes pas obligés de donner à tous des marques particulières de bienveillance. C'est donc un devoir pour nous de faire du bien, d'abord à ceux qui nous sont unis par les liens du sang, car, suivant l'Apôtre, négliger sa famille, c'est se conduire en infidèle et non en chrétien. Or, nos parents les plus proches, ceux qui nous sont le plus intimement unis, ce sont nos père et mère. "Nous devons, dit saint Ambroise, aimer d'abord Dieu, puis notre père et notre mère." Et c'est ce qui nous ordonne ce précepte divin, quand il nous commande de les honorer.

 

(5) 93. Pourquoi devons-nous les honorer? Un philosophe a répondu à cette question en disant que la grandeur des bienfaits que nous avons reçus d'eux ne nous permet pas de les traiter comme si nous étions leurs égaux. Ainsi un père offensé par son fils peut fort bien le chasser de sa maison, mais la réciproque n'est pas vraie. Quels sont donc les bienfaits que nous avons reçus d'eux? Nous avons d'abord reçu la vie: "Honorez votre père, dit l'Ecclésiastique, et n'oubliez point les douleurs que vous avez coûtées à votre mère; souvenez-vous que sans eux vous ne seriez pas au monde." Secondement, ils nous ont nourris, ils ont soutenu notre faiblesse, ils ont fourni à tous nos besoins. L'homme entre faible et nu dans ce monde; mais ceux qui lui ont donné la vie ne l'abandonnent point à sa faiblesse et à sa misère. Troisièmement, ils nous ont instruits, ils nous ont élevés: "Nos pères selon la chair, dit l'Apôtre, ont été nos premiers maîtres;" - "Avez-vous des enfants, dit l'Ecclésiastique, instruisez-les." Or les parents doivent enseigner à leurs enfants deux choses principales: la crainte de Dieu et l'horreur du péché. Ils doivent leur donner de bonne heure cet enseignement salutaire; car, suivant les saintes Ecritures, "l'homme qui marche dans la bonne voie dès son enfance ne s'en écartera pas aux jours de sa vieillesse; et celui-là est heureux qui a été soumis jeune encore au joug de la vertu." Cet enseignement salutaire, le pieux Tobie l'avait donné à son fils, et tous les parents devraient imiter l'exemple de ce saint homme. Combien ils sont coupables ceux qui se réjouissent de la malice de leurs enfants! "Tous les enfants qui naissent du péché, dit Salomon, sont de vivants témoignages de la faute de leurs parents," et Dieu punit le père dans ses fils.

 

(7) 94. Ainsi donc nos parents nous ont donné la vie, ils nous ont nourris, ils nous ont élevés. Puisque nous tenons d'eux la vie, nous devons avoir pour eux plus de respect que des serviteurs pour leurs maîtres, sans toutefois les honorer plus que les créatures ne doivent honorer leur créateur. "Celui qui craint le Seigneur, dit l'Ecclésiastique, honore ses parents, il leur est soumis, il leur parle avec respect et obéit sans murmure à leur volonté. Honorez donc votre père et votre mère, afin que la bénédiction divine repose sur vous." N'est-ce pas d'ailleurs nous honorer nous-mêmes que d'honorer les auteurs de nos jours? L'Ecclésiastique ne dit-il pas: "L'honneur du père fait la gloire du fils, de même que la honte du fils fait le déshonneur du père?" Puisqu'ils nous ont nourris dans notre enfance, nous devons à notre tour les nourrir dans leur vieillesse. "Ayez soin de la vieillesse de votre père; dit encore l'Ecclésiastique; n'attristez point ses derniers jours, et s'il devient faible et languissant, ne le méprisez point dans l'orgueil de votre force. Combien il est coupable celui qui abandonne son père! Combien il est maudit de Dieu celui qui fait pleurer sa mère!"

 

(9) 95. Que les mauvais fils songent à la piété filiale de la cigogne, et qu'ils rougissent de honte et de confusion. Quand la vieillesse, dit Cassiodore, a brisé l'aile de ses parents et les a rendus incapables de chercher eux-mêmes leur nourriture, sa tendresse supplée à leur vigueur éteinte: elle réchauffe de ses plumes leurs membres engourdis, elle leur apporte les aliments qu'elle a trouvés, ranime leurs forces languissantes, et par une pieuse reconnaissance, jeune, elle rend à son tour à ceux qui lui ont donné la vie, les soins qu'elle en a reçus aux jours de sa faiblesse. Enfin, puisque nos parents ont été nos premiers instituteurs, nous devons leur obéir. "Enfants, dit l'Apôtre, obéissez à vos parents, excepté en ce qui est contraire à la religion;" car, suivant l'expression de saint Jérôme, "c'est le seul cas où la désobéissance soit un devoir et la révolte une piété." - "Celui qui n'abandonne pas son père et sa mère pour me suivre, dit Notre Seigneur, ne peut être mon disciple." C'est qu'en effet, Dieu est notre véritable père: "N'est-il pas votre père celui qui vous protège, qui vous a faits ce que vous êtes et qui vous a tirés du néant?"

 

(11) 96. "Honorez votre père et votre mère." Entre tous les préceptes, celui-ci est le seul auquel le législateur ait ajouté la promesse d'une récompense, et cette promesse est celle d'une longue vie sur la terre. La raison en est qu'il ne voulait point laisser croire que le respect filial fût une vertu sans mérite, bien qu'elle soit une vertu naturelle. Mais il faut savoir qu'il y a cinq choses désirables promises à ceux qui honoreront leurs parents.

 

(13) 97. La première récompense promise au respect filial, c'est la grâce dans le présent et surtout la gloire dans l'avenir. "Honorez votre père et votre mère, dit l'Ecclésiastique, afin que la bénédiction divine repose sur vous. "Le contraire est dû à ceux qui les offensent, et ceux-là sont maudits de Dieu dans la loi ancienne; car, est-il dit dans l'Évangile, "celui qui commet l'iniquité dans les petites choses la commet également dans les grandes." Mais la vie naturelle n'est rien, pour ainsi dire, quand on la compare à la vie de grâce. Si donc on ne reconnaît point le bienfait de cette vie naturelle qu'on doit à ses parents, on est indigne de la vie de grâce, qui lui est supérieure, et par conséquent de la vie de gloire, qui est encore supérieure à la vie de grâce.

 

(15) 98. La seconde récompense promise au respect filial, c'est "une longue carrière." Dieu nous commande d'honorer nos parents, afin que nous vivions longtemps sur la terre. "Celui qui honore son père, dit l'Ecclésiastique, jouira d'une plus longue vie." Remarquez bien que la vie est longue quand elle est pleine et qu'elle a pour mesure non pas le nombre des années, mais celui des actions, ainsi que l'a dit un philosophe. Or la vie est pleine quand elle est vertueuse, par conséquent l'homme vertueux et saint vit longtemps, alors même que sa mort est prématurée sous le rapport des années. "Le juste, dit Salomon, a rempli une longue carrière bien qu'il l'ait achevée de bonne heure; son âme plaisait à Dieu, et c'est pourquoi Dieu s'est hâté de le rappeler à lui et de le retirer du sein des iniquités humaines." Celui-là, certes, fait un grand bénéfice qui gagne en un jour ce qu'un autre gagne à peine dans un an. Et remarquez qu'il n'est pas rare qu'une vie trop longue soit cause d'une mort funeste et pour l'âme et pour le corps, comme le prouve l'exemple de Judas. Ainsi, je le répète, une des récompenses promises au respect filial, c'est une longue vie sur la terre; il suit de là que la mort est la juste punition de ceux qui outragent leurs parents; car nous tenons la vie de nos parents, comme les guerriers tiennent un fief de leur roi; et de que les vassaux infidèles méritent de perdre le fief qu'ils ont reçu de leur suzerain, les mauvais fils méritent de perdre la vie qu'ils ont reçue de leurs parents. "Celui qui se moque de son père et qui méprise sa mère mérite d'avoir les yeux crevés par les corbeaux du torrent et dévorés par les aiglons." Les aiglons, ce sont les rois et les princes; les corbeaux, ce sont les officiers de justice. Si quelquefois les mauvais fils échappent à la mort corporelle, ils ne peuvent échapper à la mort spirituelle. Aussi un père ne doit-il pas laisser trop de pouvoir à ses enfants. "Tant que vous avez la vie et que vous respirez, dit l'Ecclésiastique, restez inébranlable et ferme; ne donnez point pouvoir sur vous à votre fils, ni à votre femme, ni à votre ami, et ne vous livrez pas à leur discrétion, de peur que vous n'ayez à vous repentir de votre faiblesse."

 

(17) 99. La troisième récompense promise an respect filial, c'est le bonheur d'avoir des enfants reconnaissants et dévoués. Naturellement le père amasse pour ses enfants; mais la réciproque n'est pas vraie. "Celui qui honore son père, dit l'Ecclésiastique, sera heureux dans ses fils." - "La mesure que vous aurez employée pour les autres, dit l'Évangile, sera aussi employée pour vous."

 

(19) 100. La quatrième récompense promise an respect filial, c'est une réputation honorable; car un fils s'honore en honorant son père, et il se couvre de honte en l'abandonnant.

 

(21) 101. La cinquième récompense promise au respect filial, c'est la prospérité; car, suivant l'Ecclésiastique, "la bénédiction d'un père affermit la maison de ses enfants, et la malédiction d'une mère la fait écrouler de fond en comble."

 

(23) 102. "Honorez votre père et votre mère." Il faut remarquer que ce nom de père ne s'applique pas seulement à celui qui nous à donné la vie, mais à quiconque mérite notre respect et notre vénération à quelque titre que ce soit. Ainsi on appelle pères les apôtres et les autres saints personnages qui sont pour nous des modèles de doctrine et de foi. "Vous pouvez, dit saint Paul aux Corinthiens, vous pouvez avoir mille pédagogues qui vous enseignent la doctrine du Christ, mais vous n'avez pas beaucoup de pères spirituels; c'est moi seul qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Évangile." - "Gloire aux hommes illustres d'autrefois, dit l'Ecclésiastique, car ils sont aussi nos pères." Oui, gloire a ces hommes Illustres, et que notre vénération pour eux se témoigne non par de vaines paroles, mais par l'imitation de leur vie. Or, si nous voulons imiter véritablement la vie des grands personnages que nous admirons, il faut que leurs vertu revivent tout entières en nous. "Souvenez-vous, dit saint Paul, souvenez-vous de ceux qui vous ont enseigné la parole divine, et que leur foi vous serve d'exemple." Les prélats méritent aussi le nom de pères; eux aussi ont droit au respect et à la vénération; ils sont les ministres de Dieu. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit à ses apôtres: "Celui qui vous écoute m'écoute moi-même, et celui qui vous méprise me méprise également?" Nous devons donc honorer les prélats, leur être soumis en toutes choses et leur payer la dîme. "Obéissez à vos chefs spirituels, dit l'Apôtre, soyez soumis à leur autorité." - "Honorez le Seigneur, dit l'auteur des Proverbes, honorez le Seigneur par des dons volontaires, et apportez-lui les prémices de vos fruits." Les rois et les princes méritent aussi le nom de pères, et nous voyons dans l'Écriture sainte que ce nom leur était autrefois accordé. C'est le titre le plus glorieux qu'on puisse leur donner: il les avertit qu'ils sont placés sur le trône pour veiller au bonheur des peuples et qu'ils doivent considérer leurs sujets comme leurs enfants. Tel est le devoir des rois à l'égard des peuples; celui des peuples à l'égard des rois est donc d'avoir pour eux un respect filial et de leur témoigner ce respect par une soumission pleine et entière. "Que tout homme, dit l'Apôtre, soit soumis aux puissances qui le gouvernent." Or cette soumission ne doit pas venir seulement de la crainte, mais aussi de l'amour; elle est commandée non seulement par la raison, mais aussi par la conscience. En effet, suivant l'Apôtre, toute puissance vient de Dieu, et nous devons, par conséquent, rendre hommage à qui de droit. "Mon fils, dit Salomon, craignez Dieu et le roi." Nos bienfaiteurs sont aussi nos pères: "Que les orphelins soient vos enfants," dit l'Ecclésiastique. En effet, la bienfaisance est un attribut de la paternité: "N'oubliez pas, dit encore l'Ecclésiastique, le service que vous a rendu celui qui vous a secouru dans vos besoins." L'oubli des services est une ingratitude odieuse; aussi lisons-nous dans le livre de la Sagesse que l'espérance de l'ingrat est toujours vaine et fond comme la neige. Enfin le titre de père est encore dû au vieillard: "Interrogez votre père, dit l'Écriture sainte, et il vous répondra; questionnez les vieillards, et ils vous instruiront. Levez-vous devant celui dont la tête est blanchie par les années et honorez sa personne; ne soyez point assez présomptueux pour vous mêler aux entretiens des personnes âgées: écoutez en silence, et votre modestie vous fera estimer." Ainsi donc le précepte que nous donne le Seigneur d'honorer nos parents s'applique aussi aux vieillards, à nos bienfaiteurs, à nos chefs temporels et à nos chefs spirituels; car eux aussi sont ici-bas l'image de notre Père céleste, et les mépriser, c'est mépriser Dieu lui-même.

 

 

5- NE PAS TUER

 

 

 

Du cinquième commandement de la loi. "Vous ne tuerez point."

 

(3) 103. Du cinquième commandement de la loi. "Vous ne tuerez point." La loi divine, en nous ordonnant d'aimer Dieu et notre prochain, nous commande non seulement de faire le bien, mais aussi d'éviter le mal. Or le plus grand mal que nous puissions faire à notre prochain, c'est de lui ôter la vie. "Vous ne tuerez point;" tel est le précepte qui défend le meurtre. Ce précepte a donné lieu à trois interprétations

 

(5) 104. Certains philosophes ont prétendu qu'il n'est pas même permis de tuer les animaux. Évidemment cette opinion est erronée; ce ne peut être un crime de faire servir à notre usage les créatures soumises à notre puissance. La nature veut que les plantes soient la pâture des animaux, que certains animaux deviennent à leur tour la proie des autres, et que le règne végétal et le règne animal fournissent à l'homme les aliments qui lui sont nécessaires. Cette loi de la nature est aussi ancienne que le monde, et Dieu lui-même l'a confirmée, en disant: "J'abandonne à votre pouvoir toutes les créatures vivantes, aussi bien que les végétaux." Un philosophe a dit que la chasse ressemble à une guerre légitime, et saint Paul déclare expressément qu'il est permis de manger toute espèce de viande.

 

(7) 105. D'autres ont pensé qu'il est défendu d'ôter la vie à l'homme, de quelque manière et pour quelque motif que ce soit. Ainsi les juges séculiers, qui condamnent les criminels à la peine de mort, en faisant l'application de la loi, sont pour eux des homicides. Mais cette doctrine est sans fondement; et saint Augustin fait une observation qui la renverse: c'est que Dieu n'a pu s'ôter à lui-même le droit de vie et de mort en donnant ce précepte; droit qu'il s'est reconnu lui-même en disant: "C'est moi qui ferai vivre, c'est moi qui ferai mourir. "Il suit de là que les juges séculiers ont aussi le droit de condamner à mort les criminels; car ils ne sont que les exécuteurs de la volonté de Dieu, et c'est lui qui prononce la sentence des coupables. Toute loi est un décret divin. "C'est par moi que les rois règnent, dit le Seigneur; c'est par moi que les législateurs punissent." - "Si vous faites le mal, dit saint Paul, tremblez; car ce n'est pas en vain que les magistrats sont armés du glaive de la justice; ils sont les ministres du Tout-Puissant." Nous voyons que la loi mosaïque punissait de mort les moindres délits. Ce qui est permis à Dieu est permis à ses ministres, en vertu du mandat qu'ils ont reçu de lui; et certes Dieu n'est point coupable, lui qui est le législateur suprême, en punissant le crime de mort. "La mort est le prix du crime," suivant l'expression de l'Apôtre; par conséquent, les ministres de Dieu ne sont point coupables non plus en exécutant ses décrets souverains. Le véritable sens du précepte est donc celui-ci: Vous ne tuerez point de votre autorité privée.

 

(9) 106. Enfin on a prétendu que ce précepte ne concerne que le meurtre commis sur autrui; et, de ce qu'il nous défend de tuer notre prochain, on a conclu qu'il nous permet de nous ôter la vie à nous-mêmes. L'histoire nous rapporte plus d'un exemple de ces morts volontaires. C'est ainsi que Samson périt sous les ruines du palais dont son bras avait ébranlé les colonnes; c'est ainsi que Caton se perça de son épée; c'est ainsi que ces jeunes filles dont parle saint Augustin se jetèrent au milieu des flammes. Mais le même écrivain sacré, en racontant ce dernier trait, a soin d'ajouter: "Celui qui se donne la mort ôte la vie à un homme." Si donc c'est un crime de tuer un homme, à moins qu'on ne soit investi pour cela d'une autorité divine, c'est également un crime de se tuer, à moins qu'on ne soit poussé à cette extrémité par la voix de Dieu ou l'inspiration du Saint-Esprit, ainsi qu'il arriva à Samson. Donc "vous ne tuerez point."  Il y a plusieurs manières d'être homicide.

 

(11) 107. On tue avec la main. "Vos mains sont pleines de sang," dit le Seigneur aux Juifs coupables. Cet acte de férocité horrible n'est pas seulement un attentat contre la loi divine, qui nous ordonne d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, c'est encore un crime contre nature; car " tout être vivant aime naturellement son semblable." Aussi est-il dit dans l'Exode: "Quiconque aura versé volontairement le sang d'un homme sera puni de mort." Cette punition, certes, est légitime. L'homicide est un monstre plus cruel que le loup des forêts qui recule à l'aspect du sang d'un autre loup.

 

(13) 108. On tue encore avec la bouche, et cela en excitant à la haine contre quelqu'un, en l'accusant, en le calomniant. "Redoutez les enfants des hommes, dit le Psalmiste; leurs dents sont des armes dangereuses, des traits funestes, et leur langue est un glaive acéré."

 

(15) 109. On est homicide en aidant au meurtre. "Mon fils, ne suivez point leurs pas; ils courent au crime, et ils sont impatiens de répandre le sang."

 

(17) 110. On tue en consentant au meurtre. "La mort est le juste châtiment de ceux qui consentent an crime aussi bien que de ceux qui l'accomplissent. "Or c'est consentir en quelque façon au meurtre que de le laisser commettre quand on peut empêcher son exécution. "Arrachez au péril ceux qui vont recevoir le coup mortel," dit l'auteur des Proverbes. C'est être homicide enfin, que de ne point sauver un malheureux quand on le peut, et de l'abandonner soit par négligence, soit par égoïsme. "Nourrissez le pauvre qui meurt de faim," dit saint Ambroise; si vous êtes sans pitié pour lui, c'est vous qui le tuez." Ajoutons qu'on peut tuer le corps sans tuer l'âme, ou tuer l'âme sans tuer le corps, et qu'il y a des cas où l'on peut tuer le corps et l'âme en même temps. On tue le corps en versant le sang, et on tue l'âme en l'entraînant à un pèche mortel. "Le démon, est-il dit dans l'Évangile, a été homicide dès le commencement du monde." Il a été homicide en tant qu'il a entraîné l'homme au péché. Il y a deux cas où l'on tue à la fois l'âme et le corps: le premier, c'est quand on ôte la vie à une femme enceinte; car alors le coup qui la frappe tue également le corps et l'âme de l'enfant qu'elle porte dans son sein; le second, c'est quand on s'ôte la vie à soi-même.

 

(19) 111. "Vous ne tuerez point." Le Christ nous enseigne, dans l'Évangile, que notre justice doit être plus parfaite que celle des scribes et des pharisiens; il veut nous faire entendre par là que nous devons apporter plus de zèle à l'accomplissement de la loi nouvelle que les Juifs n'en apportaient à l'accomplissement de la loi ancienne. Et la raison en est que plus la récompense est grande, plus on doit faire d'efforts pour l'obtenir. "Celui qui sème peu, dit l'Apôtre, recueillera peu." Or la loi mosaïque promettait à la vertu des récompenses temporelles et terrestres. "Si vous obéissez à ma voix, dit le Seigneur par la bouche du prophète Isaïe, vous jouirez de tous les biens de la terre." Mais la loi évangélique promet aux fidèles des récompenses éternelles et célestes: par conséquent, la justice, qui n'est autre chose que l'accomplissement des préceptes divins, doit être mieux pratiquée chez nous qu'elle ne l'était chez les Juifs, puisque le prix qui lui est réservé est plus grand chez nous que chez eux. Entre autres préceptes que Jésus-Christ nous a donnés à ce sujet, nous citerons le suivant: "Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens: Vous ne tuerez point, et moi je vous déclare que quiconque s'irrite contre son frère mérite d'être condamné." Il mérite d'être condamné à la peine que la loi mosaïque inflige au meurtrier quand elle dit: "Si un homme commet volontairement un meurtre, eût-il cherché un asile au pied des autels, arrachez-le de ce lieu sacré et faites-le mourir." Or on doit éviter la colère de cinq manières.

 

(21) 112. Premièrement, il faut prendre garde de s'emporter sans réflexion: "Que tout homme, dit l'apôtre saint Jacques, soit prompt à écouter, lent à prendre la parole, lent à s'irriter." La raison en est que la colère est un péché et qu'elle ne saurait rester impunie. Mais toute colère est-elle contraire à la vertu? Cette question a été résolue diversement. Les stoïciens ont prétendu que le sage n'éprouve aucune passion; bien plus, ils ont fait consister la véritable vertu dans la tranquillité de l'âme. Les péripatéticiens, de leur côté, ont dit que le sage peut éprouver un mouvement de colère, mais de colère modérée, et cette opinion est la plus vraisemblable; elle est à la fois fondée sur l'autorité et sur le raisonnement. Elle est fondée sur l'autorité, car nous voyons dans l'Évangile certaines passions attribuées à Jésus-Christ lui-même, ce modèle divin de la parfaite sagesse. Elle est fondée sur le raisonnement. En effet, si toutes les passions étaient contraires à la vertu, il y aurait certaines puissances de l'âme qui resteraient inutiles, ou plutôt qui seraient funestes, puisqu'elles ne se révéleraient que par une action désordonnée. Ainsi Dieu aurait donné à l'homme, pour son malheur, la faculté que nous appelons irascible et celle qui produit le désir. Il faut donc convenir que la colère est quelquefois coupable, quelquefois non; car ce mot de colère exprime trois choses différentes: il s'applique d'abord à un simple jugement que la raison prononce à part de toute émotion de l'âme; ce jugement de la raison n'est point la colère proprement dite; c'est une sentence équitable, et quand Dieu punit les méchants, il ne prend point conseil de la fureur, mais de la justice. L'Écriture sainte parle souvent de la colère du Seigneur, mais en donnant à cette expression le sens d'équité. C'est dans ce sens qu'il faut l'interpréter lorsque le prophète dit: "La colère du Seigneur s'appesantira sur moi, parce que j'ai péché contre lui." Ce mot de colère exprime aussi une passion; dans ce sens, la colère appartient, non plus à la raison, mais à la sensibilité. Comme passion, elle est tantôt coupable, tantôt légitime. En effet, bien que n'appartenant point à la raison, elle se laisse quelquefois gouverner par cette faculté supérieure, qui la contient dans de justes limites; par exemple, quand on s'irrite à propos, avec mesure et pour un sujet qui le mérite. Alors, loin d'être un péché, la colère est un acte de vertu, un zèle généreux. Aussi un philosophe a-t-il dit que la véritable douceur ne consiste pas à ne s'irriter jamais. Quelquefois la colère refuse d'obéir aux conseils de la raison et reste toute entière sous l'empire de la sensibilité; c'est alors seulement qu'elle est un péché; mais ce péché est tantôt véniel, tantôt mortel, suivant le degré de force du mouvement passionné qui le produit. Un péché est mortel ou par sa nature ou par les circonstances. Le meurtre parait être un péché mortel par sa nature, car il est directement opposé au précepte divin; le consentement que la raison accorde à l'exécution d'un pareil crime est aussi un péché mortel par sa nature; car si l'acte est tel, l'intention réfléchie qui précède l'acte le sera également. Mais il peut se faire qu'un acte criminel soit un péché mortel par sa nature, et que pourtant le mouvement passionné qui sollicite à le commettre ne soit pas lui-même un péché mortel; c'est ce qui arrive quand ce mouvement passionné n'obtient pas le consentement de la raison. Ainsi lorsqu'un mouvement de concupiscence nous pousse à la recherche de plaisirs coupables, et que la raison lui refuse son approbation, ce mouvement passionné n'est point un péché mortel. Ce que nous disons de la concupiscence, nous pouvons le dire de la colère: la colère est un mouvement passionné qui pousse l'homme à se venger d'une injure reçue; c'est là sa véritable définition.

(22) Si donc ce mouvement passionné a un tel caractère de violence que la raison ne puisse résister à son entraînement et soit forcée de lui obéir, il prend alors le caractère de péché mortel. Si, au contraire, il n'est pas assez violent, assez tyrannique pour arracher à la raison son consentement et son approbation, il garde le caractère de péché véniel. Ajoutons que si un mouvement passionné sollicite à un acte qui ne soit pas un péché mortel par sa nature, il garde encore le caractère de péché véniel, lors même qu'il obtient le consentement de la raison. Par conséquent la colère que Jésus-Christ a qualifiée de crime, en disant: "Quiconque s'irrite contre son frère mérite d'être condamné," doit s'entendre d'un mouvement passionné auquel la raison a consenti et qui tend à nuire au prochain, ce qui lui donne le caractère de péché mortel. Nous devons donc éviter la colère parce qu'elle est un péché; nous devons aussi l'éviter pour conserver cette indépendance dont l'amour est inné dans le cœur de l'homme aussi bien que la haine de la servitude. Or celui qui s'abandonne à sa fureur n'est pas maître de lui-même, il n'est pas libre. "Qui pourra, dit l'auteur des Proverbes, résister à l'impétuosité de sa colère? Un rocher est pesant, un monceau de sable est un lourd fardeau, mais la fureur de l'insensé est pour lui-même un fardeau plus lourd encore."

 

(24) 113. Nous avons dit que l'homme doit d'abord prendre garde de s'emporter sans réflexion. Il doit, en second lieu, prendre garde de conserver un long ressentiment. "Mettez-vous en colère, dit le Psalmiste, mais que ce soit sans pécher." - "Que le soleil ne se couche point sur votre colère," dit l'Apôtre. Pourquoi cela? Notre Seigneur lui-même nous l'explique dans l'Evangile: "Arrangez-vous au plus vite avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur qu'il ne vous livre au magistrat et ne vous fasse envoyer en prison. En vérité, je vous le dis, vous ne sortirez pas de là que vous n'ayez rendu jusqu'au dernier quadrain."

 

(26) 114. Troisièmement, l'homme doit prendre garde que sa colère ne dégénère en un sentiment plus coupable encore, c'est-à-dire en haine. Il y a cette différence entre la colère et la haine que la colère est une passion soudaine et peu durable, tandis que la haine est une passion persévérante et vivace, et c'est ce qui donne à celle-ci le caractère de péché mortel. "Quiconque déteste son frère, dit saint Jean, est homicide." En se dépouillant de la charité, il tue son prochain et il se lue lui-même. "N'ayez point de procès, dit aussi saint Augustin, ou, si vous en avez, terminez-les le plus promptement possible, de peur que la colère qui vous anime ne dégénère en haine, qu'elle ne fasse une poutre d'un fétu de paille et ne rende voire âme homicide." - "L'homme emporté, dit l'auteur des Proverbes, appelle les querelles." - "Maudite soit leur fureur, est-il dit dans la Genèse, parce qu'elle a été obstinée; maudite soit leur indignation, parce qu'elle a été cruelle."

 

(28) 115. Quatrièmement, l'homme doit prendre garde que sa colère ne se manifeste par des paroles amères et violentes. "L'insensé, dit l'auteur des Proverbes, laisse aussitôt percer au dehors la colère qui l'anime." Il peut la laisser percer de deux manières, par des injures et par un langage plein d'orgueil et d'arrogance. Touchant le premier cas, Notre Seigneur dit: "Quiconque aura traité son frère de fou sera condamné an feu de l'enfer." Touchant le second, il a dit: "Quiconque, en parlant à son frère, se sera servi contre lui du mot raca sera jugé par le conseil." - "Des paroles douces, dit l'auteur des Proverbes, brisent la violence de la colère, et un langage dur excite la fureur."

 

(30) 116. Cinquièmement, l'homme doit prendre garde que sa colère ne se manifeste par des actions. Toutes nos œuvres doivent lire inspirées par la justice et la miséricorde! Or la colère détruit la miséricorde et la justice. "La colère de l'homme, suivant l'expression de saint Jacques, n'accomplit pas les œuvres de Dieu." Quand même un homme irrité voudrait faire le bien, il ne le pourrait pas; et voilà pourquoi un philosophe disait à son esclave qui avait commis une faute: "Je te punirais si je n'étais en colère." - "La colère, dit l'auteur des Proverbes, ne connaît point la pitié." - "Ils ont commis le meurtre dans leur fureur," est-il dit dans la Genèse. Jésus-Christ avait donc raison de défendre la colère aussi bien que le meurtre, puisqu'elle en est l'origine première. Un bon médecin ne se contente pas de faire disparaître les symptômes extérieur du mal; il le détruit dans sa racine, afin qu'il ne reparaisse plus. Jésus-Christ, ce grand médecin des âmes, a donc voulu détruire en nous les principes du péché et surtout la colère, qui est le principe du meurtre.

 

 

6- ADULTÈRE

 

 

 

Du sixième précepte de la loi. "Vous ne commettrez point d'adultère."

 

(3) 117. Du sixième précepte de la loi. "Vous ne commettrez point d'adultère." Après avoir défendu le meurtre, le législateur suprême nous défend l'adultère. Ce précepte est à sa place. L'homme et la femme deviennent, grâce au mariage, un seul et même corps. Dieu a dit: "Ils ne formeront à eux deux qu'une seule et même chair. "Après le meurtrier, qui attaque le prochain dans sa personne et dans sa vie, l'ennemi le plus dangereux pour l'homme c'est le libertin, qui l'attaque dans la personne et dans l'honneur de celle qui est la moitié de lui-même. L'adultère est également défendu à l'époux et à l'épouse. Cependant il est bon de le considérer en premier lieu par rapport à l'épouse, parce que ce crime semble plus grand quand c'est elle qui le commet. L'épouse adultère est coupable de trois fautes très graves qui sont ainsi indiquées par l'Ecclésiastique: "Toute femme qui abandonne son mari est trois fois coupable: d'abord elle a été incrédule à la loi du Très-Haut, ensuite elle a trahi sa foi, enfin elle s'est donnée à un autre."

 

(5) 118. Elle pèche donc par incrédulité, et cela de plusieurs manières. Elle n'a pas cru à la parole du Seigneur, qui a défendu l'adultère; elle agit contre l'ordre de Dieu, qui veut que l'union de l'homme et de la femme soit indissoluble; elle agit contre les statuts de l'Église, qui a béni son mariage; elle viole le serment qu'elle a prononcé a la face du ciel et en prenant Dieu pour témoin et pour garant de la foi jurée. "Le Seigneur, dit le prophète, a été témoin entre toi et l'épouse de ta jeunesse, laquelle tu as méprisée." Ainsi elle pèche par incrédulité en agissant contre la loi divine, contre les statuts de l'Eglise et contre la sainteté d'un sacrement établi par Dieu lui-même.

 

(7) 119. Elle pèche ensuite par trahison, parce qu'elle a abandonné son époux. "La femme, dit l'Apôtre, n'est pas maîtresse de sa personne; c'est son mari qui en est le maître." Aussi ne lui est-il pas même permis de garder la continence sans le consentement de celui qui a tout pouvoir sur sa personne. Si donc elle devient adultère, elle se rend coupable de trahison en se donnant à un autre, comme le serviteur infidèle qui se donne à un nouveau maître. "Elle a abandonné le guide de sa jeunesse, elle a oublié le pacte qui la liait à lui."

 

(9) 120. Enfin elle pèche par larcin, car elle introduit sous le toit conjugal les enfants d'un étranger, elle leur livre tout l'héritage paternel, et c'est un vol qu'elle fait à ses enfants légitimes. Une femme adultère devrait au moins, pour diminuer l'énormité de sa faute, vouer à l'état religieux les fruits d'un amour criminel, et faire en sorte qu'ils n'aient point de part à la succession de son mari. Ainsi donc la femme adultère est coupable de sacrilège, de trahison et de vol.

 

(11) 121. L'époux adultère n'est pas moins coupable, bien qu'il soit souvent indulgent pour ses propres faiblesses; il n'est pas moins coupable, dis-je, et cela par trois raisons principales.

 

(13) 122. Première raison. La femme a sur lui les mêmes droits que lui sur la femme. "Le mari, dit saint Paul, n'est point maître de sa personne; c'est la femme qui en est la maîtresse." Ainsi, comme époux, l'homme et la femme sont dans une dépendance mutuelle vis-à-vis l'un de l'autre, et les devoirs du mariage sont les mêmes pour tous deux. Ce fut pour marquer cette dépendance mutuelle des époux que Dieu forma la femme de l'une des côtes de l'homme et non de toute autre partie du corps humain. Le mariage n'a été ce qu'il doit être que depuis la promulgation de la loi chrétienne. Chez les Juifs, il était permis à un homme d'avoir plusieurs femmes; mais il ne l'était pas à une femme d'avoir plusieurs maris. Il n'y avait donc pas égalité de droits et de devoirs entre l'époux et l'épouse.

 

(15) 123. Seconde raison. La force est l'attribut de l'homme, et la faiblesse celui de la femme. La passion, pour ainsi dire, propre à la femme, c'est l'amour; la fragilité de ce sexe est donc une sorte d'excuse à ses fautes, et le mari qui exige de sa femme une fidélité qu'il ne veut point garder lui-même est un tyran injuste.

 

(17) 124. Troisième raison. L'homme a autorité sur la femme, il en est le chef. Aussi les femmes doivent-elles, suivant le précepte de l'Apôtre, garder un silence respectueux dans les églises, et se contenter de questionner leurs maris sous le toit conjugal. L'homme a donc mission de guider la femme, de l'éclairer de ses lumières; et voilà pourquoi c'est à lui que Dieu a donné ses préceptes et ses lois. Or le mépris des lois et des préceptes de Dieu est plus coupable dans un prêtre que dans un laïque, plus coupable dans un évêque que dans un simple prêtre. Car les ministres de la religion ont mission d'instruire les autres hommes, et cette mission est un devoir plus rigoureux pour ceux qui sont plus haut placés dans la hiérarchie ecclésiastique. De même, l'époux étant le guide et le chef de l'épouse, il est plus coupable qu'elle de fouler aux pieds la sainteté du mariage en commettant un adultère. Cependant, que les épouses n'oublient point le précepte que Jésus-Christ leur a donné: "Femmes, obéissez à vos maris; faites ce qu'ils vous ordonneront; mais gardez-vous de suivre leurs mauvais exemples."

 

(19) 125. "Vous ne commettrez point d'adultère." Nous avons dit que ce précepte regarde l'époux aussi bien que l'épouse. Ajoutons que certaines gens, tout en avouant que l'adultère est un crime, ne croient point que la simple fornication soit un péché mortel. Mais cette doctrine est renversée par ces paroles de saint Paul: "Dieu jugera les fornicateurs et les adultères;" et par cet autre passage du même Apôtre: "Ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les libertins, n'entreront dans le royaume de Dieu." Or, la seule chose qui puisse fermer à l'homme l'entrée du royaume céleste, c'est un péché mortel. Par conséquent, la simple fornication est un péché mortel. Mais, direz-vous, comment la simple fornication peut-elle être un péché mortel, puisqu'elle ne souille point comme l'adultère le corps d'une épouse? Je réponds à cela que si elle ne souille point le corps d'une épouse, elle souille le corps de Jésus-Christ, puisque notre corps à tous devient celui de Jésus-Christ qui prend possession de nous au moment du baptême. Si c'est un crime de déshonorer l'épouse de son prochain, c'en est un bien plus grand d'outrager le Christ lui-même. "Ne savez-vous pas, dit saint Paul aux fidèles, que votre corps est le corps de Jésus-Christ, que vos membres sont ses membres? Pourriez-vous donc faire des membres du Christ les membres d'une vile prostituée, en les souillant par la fornication? Loin de vous un pareil péché."

 

(21) 126. C'est donc une hérésie de croire que la simple fornication n'est pas un péché mortel. Disons à ce sujet que le précepte qui nous occupe, si nous l'interprétons dans son sens véritable et complet, ne défend pas seulement l'adultère, mais encore tous les plaisirs charnels, excepté ceux que le mariage a légitimés. Ajoutons que, suivant certaines gens, l'union des sexes dans le mariage n'est jamais par elle-même exempte de péché; mais cette doctrine est encore une hérésie. "Le mariage est respectable, dit l'Apôtre, et la couche nuptiale sans tache." Quelquefois l'union des sexes dans le mariage est si loin d'être un péché qu'elle est une œuvre méritoire; c'est ce qui arrive quand les époux ont la charité. En effet, lorsqu'elle est accompagnée de l'intention d'augmenter le nombre des créatures de Dieu en procréant des enfants, elle prend le caractère d'un acte de vertu; lorsqu'elle est accompagnée de l'intention de remplir un devoir, d'obéir à un droit, elle conserve encore le caractère d'un acte de justice. Cependant elle peut devenir selon les circonstances ou un péché véniel, ou un péché mortel. Lorsqu'elle n'a d'autre but que de satisfaire les appétits grossiers de la chair, mais sans dégénérer en libertinage, elle a le caractère de péché véniel; lorsqu'elle dépasse les besoins de la nature et les limites sévères du mariage, elle prend le caractère du pèche mortel. Disons maintenant pourquoi la fornication et l'adultère sont défendus. Il y a plusieurs motifs à cette défense.

 

(23) 127. Premier motif. Le libertinage perd l'âme. "L'époux adultère, dit l'auteur des Proverbes, perd son âme, à cause de la faiblesse de son cœur." Cette expression, la faiblesse de son cœur, signifie la lâche complaisance que l'esprit a pour la chair.

 

(25) 128. Second motif. Le libertinage mérite la mort. "L'époux adultère doit mourir," suivant le précepte de la loi mosaïque. Il peut échapper au châtiment dans cette vie; mais cette impunité est un malheur pour lui; car les châtiments endurés avec résignation sur la terre obtiennent au coupable la rémission de ses fautes. Cette impunité, d'ailleurs, ne sera pas de longue durée; et s'il a pu se soustraire à la justice humaine, il n'évitera pas la justice divine.

 

(27) 129. Troisième motif. Le libertinage est une cause de ruine. Ainsi l'enfant prodigue dont il est parlé dans l'Évangile dissipa tout son patrimoine, en vivant dans le désordre et dans la débauche. "Ne vous livrez point aux voluptés des sens, dit l'Ecclésiastique, de peur de perdre à la fois votre fortune et votre âme."

 

(29) 130. Quatrième motif. Le libertinage avilit jusqu'aux innocentes victimes qui ont puisé la vie à cette source impure. "Les fruits de l'adultère ne prospéreront pas, dit Salomon, et les enfants de l'étranger seront chassés de la demeure de l'époux. S'ils vivent et grandissent, la tache de leur naissance restera ineffaçable sur leur front, et leur vieillesse languira méprisée jusqu'à leur dernier jour." Jamais un bâtard n'est élevé aux dignités ecclésiastiques, et c'est tout au plus si l'on peut, sans honte pour l'Église, le laisser au dernier degré de la cléricature.

 

(31) 131. Cinquième motif. Le libertinage est un déshonneur pour ceux qui s'en rendent coupables, et surtout pour les femmes. "La réputation d'une femme souillée par le vice n'est plus qu'un lambeau déchiré, flétri et foulé aux pieds sur le grand chemin." Quant à l'homme, il se couvre de honte et d'ignominie, et rien ne peut effacer son opprobre. Saint Grégoire dit que les péchés de la chair sont plus infâmes et moins condamnables que les péchés de l'esprit. Pourquoi cela? C'est qu'ils nous ravalent au rang des brutes, et que l'homme, dans cet état d'abjection, mérite plus de mépris que de blâme. "L'homme était le roi de la terre; mais il n'a pas compris sa haute destinée, il est descendu au niveau des créatures soumises à son empire, et il est devenu semblable aux animaux qu'il était appelé à gouverner."

 

 

7- NE PAS VOLER

 

 

 

Du septième précepte de la loi. "Vous ne déroberez point."

 

(3) 132. Du septième précepte de la loi. "Vous ne déroberez point." Le législateur suprême nous a sur toutes choses imposé la loi de ne point nuire à notre prochain. Il nous a défendu d'abord de l'attaquer dans sa personne: "Vous ne tuerez point," tel est le premier article de la loi. Il nous a défendu ensuite de l'attaquer dans la personne qui le touche de plus près et qui est la moitié de lui-même: "Vous ne commettrez point d'adultère;" tel est le second article de la loi. Puis il nous a défendu de l'attaquer dans ses biens: "Vous ne déroberez point;" tel est le troisième article de la loi. Disons que ce dernier article concerne tout mode injuste d'acquisition. Il y a plusieurs manières de dérober.

 

(5) 133. Premièrement, on dérobe quand on s'empare en secret de ce qui appartient à autrui: "Si le père de famille savait à quelle heure le larron doit venir, etc." Cette manière de dérober est aussi lâche que coupable, c'est une espèce de trahison: "Honte à celui dont la main furtive ravit ce qui ne lui appartient pas "

 

(7) 134. Secondement, on dérobe en enlevant ouvertement et par la violence ce qu'on veut posséder. Ce genre de vol est aussi criminel qu'audacieux, et le nom de brigands flétrit ceux qui le commettent. Ce nom convient aussi aux mauvais princes et aux mauvais rois. Un prophète les a comparés à "des lions qui cherchent leur proie en rugissant;" et certes ils méritent plus le titre de brigands et de tigres que celui de princes et de rois; car ils font asseoir avec eux le crime sur ce trône où Dieu leur commande de faire asseoir la justice; ils se révoltent contre le souverain des cieux, par la puissance duquel ils régnent et gouvernent. Ils emploient tantôt la ruse, tantôt la force, tantôt l'autorité des lois pour dépouiller leurs sujets. "Malheur aux monarques qui font des lois injustes!" dit Isaïe. Saint Augustin dit aussi que tout impôt qui n'est pas commandé par la justice est un vol fait aux peuples, et il ajoute: "Qu'est-ce que la royauté, sinon un brigandage?"

 

(9) 135. Troisièmement, on dérobe en ne rendant pas à chacun ce qui lui est dû. Ainsi c'est commettre un vol que de ne pas payer le travail du mercenaire, de ne pas donner à un prince, à un prélat, à un simple clerc ce qu'on est tenu de lui donner. "Rendez à chacun ce qui lui est dû, dit saint Paul; payez le tribut et l'impôt à qui de droit." Nous devons une récompense aux rois qui veillent à notre tranquillité et à notre bonheur.

 

(11) 136. Quatrièmement, on dérobe en commettant une fraude dans le commerce, et c'est pourquoi il est dit dans le Deutéronome: "Vous ne vous servirez point de poids différents," et dans le Lévitique: "ne commettez point de fraude dans les jugements, dans les poids et dans les mesures; que vos balances soient justes ainsi que vos poids, vos boisseaux et vos septiers." - "Le Seigneur déteste les faux poids et les fausses balances," dit l'auteur des Proverbes. Le précepte qui défend à l'homme de dérober le bien d'autrui et la condamnation de ces cabaretiers avides de gain qui falsifient les boissons qu'ils vendent; il est aussi la condamnation des usuriers. "Seigneur, dit le Psalmiste, qui entrera dans vos tabernacles, etc.? celui qui n'aura point prêté à usure." Il est enfin la condamnation de tous ceux qui se livrent à un trafic injuste et frauduleux. Mais, dira-t-on, pourquoi ne vendrait-on pas l'usage de l'argent comme on vend celui d'un cheval ou d'une maison? Je réponds d'abord qu'il n'est pas permis de vendre deux fois le même objet. Or dans une maison il y a deux choses à considérer, l'usage et la propriété. Ces deux choses sont bien différentes, et je puis vendre l'usage sans vendre la propriété; il en est de même de tous les objets de commerce qui donnent lieu à une distinction semblable: mais il est des objets dont toute la valeur est dans l'usage qu'on en fait. On ne peut donc en vendre séparément l'usage et la propriété, comme on peut le faire d'une maison. Ainsi l'argent n'a de valeur qu'autant qu'il sert à nos dépenses et circule dans le commerce; le blé n'a de valeur qu'autant qu'il sert à notre nourriture; par conséquent, vendre séparément l'usage et la propriété de ces objets, c'est vendre deux fois la même chose, puisque ces objets n'ont d'autre prix que celui qui est attaché à leur jouissance.

 

(13) 137. Cinquièmement, on dérobe en achetant soit les dignités temporelles, soit les dignités spirituelles. Pour ce qui concerne les dignités temporelles, Job a dit: "L'ambitieux vomira les richesses qu'il a dévorées et Dieu les lui arrachera du ventre." Toute usurpation, soit d'un royaume, soit d'une province, soit d'un fief est un vol, et les usurpateurs sont tenus de rendre à qui de droit ce qu'ils ont acquis par la violence et l'injustice. Pour ce qui concerne les dignités temporelles, nous lisons dans l'Évangile: "En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque n'entre point par la porte dans la bergerie est un larron et un voleur." Par conséquent, la simonie est un vol.

 

(15) 138. "Vous ne déroberez point." Ce précepte, ainsi que nous l'avons dit, défend toute espèce d'acquisition injuste, et bien des raisons nous engagent à l'observer.

 

(17) 130. La première, c'est la gravité de la faute qu'il condamne, car cette faute est assimilée au meurtre. "Le pain de l'indigence est la vie du pauvre; quiconque le lui arrache est un homme de sang." - "Celui qui verse le sang de son prochain et celui qui retient à l'ouvrier le prix de son travail sont frères."

 

(19) 140. La seconde, c'est la grandeur du danger qui accompagne une pareille faute. Il n'est point de péché qui soit aussi dangereux que le vol. En effet, nul péché n'obtient de pardon avant que le coupable n'ait fait réparation et ne se soit repenti. Or on se repent bien vite de tous les autres péchés, par exemple, du meurtre, quand la colère est apaisée; de la fornication, quand les feux de la concupiscence sont éteints; mais pour le vol, bien qu'on puisse quelquefois s'en repentir, on ne fait pas aisément réparation; on n'est pas seulement obligé de rendre ce qu'on a dérobé, mais encore de réparer le dommage qui peut résulter du vol outre le vol lui-même. Voilà pourquoi il est dit dans l'Écriture sainte: "Malheur à celui qui amasse des richesses injustement acquises! Jusques à quand entassera-t-il autour de lui une boue épaisse?" Cette boue épaisse exprime les embarras qui l'environnent et qui seront un obstacle à la réparation de sa faute.

 

(21) 142. La troisième raison qui doit détourner l'homme du vol, c'est l'inutilité des biens mal acquis; ils ne servent à rien sous le point de vue spirituel: "Les trésors de l'impie, dit l'auteur des Proverbes, ne lui profiteront pas. "En effet, les richesses, sous le point de vue spirituel, doivent être employées au soulagement des malheureux et à des œuvres pieuses; mais ces œuvres pieuses sont sans mérite quand elles proviennent d'une source corrompue. "J'aime la justice, dit le Seigneur, et je déteste la rapine offerte en holocauste." - "Celui qui offre en sacrifice à Dieu la substance des pauvres ressemble à celui qui immole les enfants en présence du père. "Ces biens ne sont pas plus profitables sous le point de vue temporel, car ils durent peu. "Malheur à celui qui amasse des richesses et qui croit échapper aux coups de l'adversité!" - "Celui qui entasse des monceaux d'or qui sont le fruit de l'usure verra passer ses trésors entre les mains des pauvres; la fortune du pécheur deviendra l'héritage du juste."

 

(23) 142 bis. La quatrième raison qui doit détourner l'homme de toute voie injuste d'acquisition, c'est le mal qui en résulte pour lui; car les biens mal acquis font perdre même ceux qu'on possède légitimement. Une ruine complète attend celui qui a voulu augmenter sa fortune par des moyens criminels: "La flamme dévorera la maison de ceux qui s'enrichissent par la rapine." Ajoutons qu'ils ne se perdent pas seuls, et qu'ils perdent aussi leurs enfants avec eux, car ceux-ci sont tenus de rendre ce que leurs pères ont injustement acquis.

 

 

8- FAUX TÉMOIGNAGE

 

 

 

Du huitième précepte de la loi. "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain."

 

(3) 143. Du huitième précepte de la loi. "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain." Jusqu'ici le législateur suprême nous a défendu de nuire à notre prochain par nos actions; maintenant il nous défend de lui faire tort par nos paroles. Tel est le sens de ce précepte: "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain." La violation de ce précepte a lieu, ou bien en justice, ou bien dans le commerce de la vie.

 

(5) 144. En justice, ce précepte peut être violé de trois manières, vu qu'il peut l'être par trois personnes; savoir, l'accusateur, le témoin et le juge. Ce précepte est violé par l'accusateur, quand l'accusation portée devant les tribunaux est fausse. "Gardez-vous d'accuser faussement votre prochain," est-il dit dans le Deutéronome. Mais si l'on ne doit point accuser faussement son prochain, on ne doit point non plus taire la vérité à son égard. "Si votre frère a péché contre vous, est- il dit dans l'Évangile, allez le trouver, et reprochez-lui sa faute. "Ce précepte est violé par le témoin quand le témoignage, qui vient à l'appui de l'accusation ou de la défense, n'est point l'expression de la vérité. "Le faux témoignage ne restera pas impuni," dit l'autour des Proverbes; en effet, c'est un crime qui renferme tous ceux dont nous avons parlé précédemment. Celui qui s'en rend coupable mérite quelquefois le nom de meurtrier, quelquefois celui de voleur, etc. Il doit subir le châtiment auquel le condamne la loi mosaïque. "Lorsque après un mûr examen, dit le Deutéronome, on aura découvert qu'un témoin, a porté un faux témoignage contre son frère, on lui fera subir la peine qu'il voulait faire tomber sur une tête innocente: vous n'aurez point pitié de lui, vous exigerez vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied." - "La langue, du faux témoin, dit l'auteur des Proverbes, est une arme dangereuse, un trait envenimé, un glaive acéré." Ce précepte est violé par le juge, quand la sentence qu'il prononce n'est point équitable. "Vous ne jugerez point injustement, est-il dit dans le Lévitique, vous ne mépriserez point la personne du pauvre, et vous n'aurez point des égards pour celle du riche; jugez justement votre prochain."

 

(7) 145. Dans le commerce de la vie, cinq espèces d'hommes pèchent contre le précepte qui nous occupe.

Premièrement, sont coupables de la violation du précepte divin ceux qui déchirent la réputation d'autrui. Rien n'est si cher à l'homme que son honneur: "Mieux vaut bonne renommée que tout l'éclat de l'opulence;" or, le venin de la calomnie tue l'honneur. "L'envieux qui déchire en secret la réputation de son prochain est comme le serpent qui mord sans être vu." Il n'y a donc point d'espoir de salut pour ceux qui commettent ce lâche péché, à moins qu'ils ne rendent à leurs victimes le trésor qu'ils lui ont ravi.

Secondement, sont coupables de la violation du précepte divin ceux qui écoutent avec plaisir le mal qu'on dit de leur prochain: "N'écoutez point les mauvaises langues, dit l'Ecclésiastique; fermez l'oreille à leurs propos méchants." On ne doit pas prêter une oreille complaisante à la médisance et à la calomnie; on doit au contraire, montrer au médisant et au calomniateur un visage où la sévérité peigne l'indignation. "Le vent du nord dissipe les nuages: un visage froid et austère réduit au silence la langue du médisant et du calomniateur."

Troisièmement, sont coupables de la violation du précepte divin les rapporteurs, qui aiment à répéter tout ce qu'ils entendent: "Le Seigneur déteste celui dont les paroles inconsidérées sèment la discorde dans les familles. Celui qui ne retient point sa langue est maudit, il met partout le trouble et la division."

Quatrièmement, sont coupables de la violation du précepte divin les flatteurs: "ils louent, dit le Psalmiste, les désirs criminels du pécheur, et ils encouragent l'iniquité." - "O mon peuple! dit le Seigneur, ceux qui vantent ton bonheur te trompent." - "Celui qui est juste, dit le roi prophète, me reprendra dans sa miséricorde, et il me reprochera mes fautes."

Cinquièmement, sont coupables de la violation du précepte divin ceux qui murmurent sans cesse; c'est là une faute que les peuples commettent souvent contre le pouvoir qui les gouverne. "Vous ne murmurerez point," dit saint Paul aux fidèles; "gardez-vous de murmurer, dit Salomon, car cela ne sert de rien. La résignation des peuples adoucira la fureur des princes, et amollira la dureté de leur cœur."

 

(9) 146. "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain."  Ce précepte défend à l'homme toute espèce de mensonge. "Gardez-vous de tout mensonge," dit l'Ecclésiastique. En effet, rien n'est plus funeste que l'habitude de mentir, et cela pour quatre raisons principales.

Première raison. L'habitude du mensonge assimile l'homme au démon. Le menteur est fils du diable: on reconnaît au langage de chacun sa religion et sa patrie. "Votre langage vous trahit," est-il dit dans l'Évangile. Ainsi, certains hommes sont de la famille du démon et sont appelés enfants du diable, parce qu'ils parlent un langage menteur, et que Satan est l'esprit d'erreur, le père du mensonge. Il a menti à nos premiers parents en leur disant: "Vous ne mourrez point." D'autres sont les enfants de Dieu, parce qu'ils parlent un langage vrai, et que Dieu est la vérité même.

Seconde raison. L'habitude du mensonge tend à la destruction de la société. Le lien qui unit les hommes et les fait vivre ensemble, c'est la confiance; et la confiance ne pourrait exister si la franchise et la vérité étaient bannies de la terre. "Que le mensonge ne règne point parmi vous, dit saint Paul, que chacun parle à son prochain avec franchise et vérité, car nous sommes tous membres d'un même corps."

Troisième raison. L'habitude du mensonge fait qu'un homme se perd de réputation. Celui qui a cette funeste habitude n'inspire plus de confiance, lors même qu'il dit la vérité: "Peut-il sortir quelque chose de pur d'une bouche impure, et la vérité peut-elle sortir de la bouche du menteur?"

Quatrième raison. L'habitude du mensonge est la perte de l'âme. "Le menteur tue son âme," dit Salomon. "Seigneur, dit le Psalmiste, vous perdrez tous ceux qui parlent le langage de l'erreur," Le mensonge peut donc être un péché mortel.

 

(11) 147. C'est un péché mortel de mentir dans les choses qui sont de foi, et c'est ce qui arrive aux prélats, aux prédicateurs, aux maîtres, qui n'enseignent point la vérité qu'ils ont mission d'enseigner. Un semblable mensonge est le plus criminel de tous. "Vous aurez parmi vous, dit l'apôtre saint Pierre, vous aurez parmi vous des maîtres menteurs qui introduiront dans l'Église des doctrines funestes et de coupables hérésies." Certains hommes, qui ont mission d'enseigner la vérité, enseignent quelquefois le mensonge, afin de paraître savants. C'est à eux que s'adressent ces paroles d'Isaïe: "Prophètes menteurs! De qui vous êtes-vous moqués? Contre qui avez-vous ouvert la bouche et tiré la langue? N'êtes-vous pas une race criminelle? N'êtes-vous pas des enfants pervers?" On ment aussi quelquefois pour nuire à son prochain, et un semblable mensonge est aussi un péché mortel.

 

(13) 148. Un mensonge a le caractère de péché véniel quand il n'a point pour but d'enseigner l'erreur et de nuire au prochain. Ce genre de péché peut être commis de plusieurs manières. On ment quelquefois par excès d'humilité, principalement dans la confession. A ce sujet, saint Augustin observe que "si l'homme doit prendre garde de taire ce qu'il a fait, il doit aussi prendre garde de dire ce qu'il n'a pas fait." - "Est-ce que Dieu a besoin de vos mensonges?" dit Job. "Il y a, dit l'Ecclésiastique, des gens qui s'humilient par esprit d'hypocrisie et de ruse; il y a aussi des justes qui s'avilissent par excès d'humilité." On peut mentir par mauvaise honte, et c'est ce qui arrive quand, après avoir avancé quelque chose de faux, on s'aperçoit de son erreur et qu'on rougit de la rétracter. "Ne combattez point la vérité, dit l'Ecclésiastique; si vous mentez par ignorance, rougissez de votre faute, mais ne rougissez pas de l'avouer." On peut mentir par intérêt personnel; c'est ce qui arrive quand on a recours au mensonge pour obtenir ce qu'on désire ou éviter ce que l'on craint. "Nous avons mis notre espérance dans le mensonge et nous lui avons demandé notre salut," est-il dit dans Isaïe. "Celui qui attend sa sûreté du mensonge se nourrit de vent," dit l'auteur des Proverbes. On peut mentir par charité, et c'est ce qui arrive quand on a recours au mensonge pour soustraire quelqu'un à la mort, à un danger, à un malheur. Un pareil mensonge est encore un péché, suivant saint Augustin: "Vous ne couvrirez point votre visage d'un masque trompeur, dit l'Ecclésiastique, et vous ne souillerez point voire âme d'un mensonge." Enfin on peut mentir par frivolité; mais il faut se garder d'un pareil jeu, parce que l'habitude de mentir en jouant peut conduire à des mensonges plus sérieux et faire tomber dans un péché mortel.

 

 

9- CONVOITISE DU BIEN

 

 

 

Du neuvième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point le bien de votre prochain."

 

(3) 149. Du neuvième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point le bien de votre prochain." Il y a cette différence entre la loi divine et la loi humaine, que la loi humaine juge seulement les actions et les paroles, et que la loi divine juge en outre les pensées. La raison en est que l'homme ne considère que les apparences extérieures, tandis que Dieu voit à la fois ce qui est hors de nous et ce qui se passe au fond de notre âme. "Il est le Dieu de mon cœur," dit le Psalmiste. "L'homme, est-il dit dans le livre des Rois, ne peut étendre sa vue au-delà des objets sensibles; mais le regard de Dieu pénètre dans les plus secrets replis du coeur." Nous avons parlé jusqu'à présent des préceptes relatifs au actions et aux paroles; il nous reste donc à parler de ceux qui sont relatifs aux pensées. Aux yeux de Dieu, l'intention est réputée pour le fait, et voilà pourquoi il nous défend de désirer le bien de notre prochain après nous avoir défendu de le dérober. Bien des raisons nous font un devoir d'observer ce précepte.

 

(5) 150. Première raison. La concupiscence ne connaît point de bornes, ses désirs sont infinis. Or tout homme sage doit savoir se modérer et s'arrêter à propos, ou plutôt nul ne doit s'engager dans une voie sans fin et sans issue. "L'avare, dit l'Ecclésiastique, ne sera jamais rassasié d'or." - "Malheur à vous, dit aussi le prophète Isaïe, malheur à vous qui joignez maison à maison et champ à champ!" Pourquoi les désirs de l'homme sont-ils infinis? C'est que son cœur est destiné à recevoir Dieu. "Seigneur, dit saint Augustin, vous nous avez faits pour vous et notre cœur est inquiet tant qu'il ne se repose pas en vous. Par conséquent, tout ce qui n'est pas lui est trop peu de chose pour remplir l'immensité de nos désirs, selon l'expression du roi prophète.

 

(7) 151. Seconde raison. La concupiscence détruit notre bonheur en détruisant notre repos. Les gens avides sont toujours tourmentés de l'ambition d'acquérir ce qu'ils n'ont point et de la crainte de perdre ce qu'ils ont. "L'opulence trouble le sommeil du riche," dit l'Ecclésiastique. "Là où est votre trésor, là est aussi votre cœur," est-il dit dans l'Évangile; aussi le Christ a-t-il comparé à des épines les soucis qui naissent de l'amour des richesses.

 

(9) 152. Troisième raison. La concupiscence détruit toute l'utilité des richesses; l'avare se prive lui-même, et il prive les autres des avantages de la fortune; il ne jouit de ses trésors qu'en les contemplant. "L'opulence ne sert de rien à l'homme cupide et tenace."

 

(11) 153. Quatrième raison. La concupiscence détruit l'équité. "Ne recevez point de présents, est-il dit dans l'Exode; les présents aveuglent la prudence des sages et corrompent la conscience des justes." - "Celui qui aime l'or, dit l'Ecclésiastique, ne peut rendre la justice."

 

(13) 154. Cinquième raison. La concupiscence tue l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Elle tue l'amour du prochain, car, suivant saint Augustin, plus on a de cupidité, moins on a de charité, et réciproquement. Elle tue l'amour de Dieu; "on ne peut servir deux maîtres ni donner en même temps son cœur à Dieu et à Mammon."

 

(15) 155. Sixième raison. La concupiscence mène aux actions les plus détestables. En effet, la cupidité est la source de tout mal. Si donc la concupiscence maîtrise l'homme, elle l'entraîne au meurtre, au vol et à tous les crimes. Voilà pourquoi saint Paul dit dans une de ses épîtres à Timothée: "Ceux qui sont possédés de l'amour des richesses tombent dans les filets du diable; ils s'abandonnent à des désirs funestes qui les aveuglent et les conduisent à l'abîme de la perdition." Il faut remarquer que la cupidité est un péché mortel quand elle n'est point contenue par la raison, et qu'elle n'est qu'un péché véniel quand elle reste dans des limites raisonnables.

 

 

10- CONVOITER LA FEMME

 

 

 

Du dixième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point la femme de votre prochain."

 

(3) 156. Du dixième précepte de la loi. "Vous ne désirerez point la femme de votre prochain." Saint Jean dit que tous les biens de ce monde ne sont que des objets de concupiscence pour la chair, des objets de cupidité pour les yeux et des objets d'ambition pour l'esprit. Ainsi tous les objets de nos désirs sont compris dans ces trois divisions. Deux sortes de désirs sont défendus par ce précepte: "Vous ne désirerez point la maison de votre prochain;" à savoir, le désir des richesses et le désir des honneurs; le désir de posséder la maison de son prochain comprend à la fois ces deux désirs, ces deux passions, la cupidité et l'ambition. "La gloire et les richesses habitent dans sa maison," dit le Psalmiste. Ainsi l'idée de maison renferme, dans l'Écriture sainte, l'idée de richesses et d'honneurs, et celui qui désire la maison de son prochain est à la fois cupide et ambitieux. Après avoir défendu la cupidité et l'ambition, le législateur suprême nous défend la concupiscence charnelle. Tel est le sens de ce précepte: "Vous ne désirerez point la femme de votre prochain." Mais, depuis la faute d'Adam, nul mortel n'est à l'abri de la concupiscence. Notre divin Sauveur et la glorieuse Vierge sa mère ont seuls conservé une pureté sans tache. La concupiscence est quelquefois accompagnée d'un péché véniel, quelquefois d'un péché mortel. Elle est accompagnée d'un péché mortel quand elle maîtrise l'homme. "Que le péché ne règne point dans votre corps périssable," dit l'Apôtre; il ne dit pas que le péché n'existe pas en vous; car, ajoute-t-il, "je sais que le bien n'habite pas en moi," c'est-à-dire dans ma chair.

 

(5) 157. Or le péché règne dans la chair, premièrement quand la concupiscence règne dans le cœur et maîtrise la raison. C'est pourquoi l'Apôtre, après avoir dit: "Que le pèche ne règne point dans votre corps," ajoute ces mots: "Et qu'il ne soumette pas votre raison à l'empire des passions charnelles." - "Celui qui voyant une femme la désire est déjà adultère dans son cœur," dit l'Évangile; l'intention, aux yeux de Dieu, est réputée pour le fait.

 

(7) 158. Secondement, quand la concupiscence se révèle par des paroles. "Le cœur inspire la bouche, dit encore l'Evangile. "Qu'il ne sorte jamais de votre bouche une seule parole mauvaise," dit saint Paul. Ils ne sauraient donc être innocents ceux qui composent de vaines chansons; c'est l'avis des philosophes eux-mêmes, puisque Platon proscrit les poètes de sa république idéale.

 

(9) 159. Troisièmement, quand la concupiscence se révèle par des actes. "Vous avez fait servir vos membre à des œuvres d'iniquité," dit saint Paul. Tels sont les trois degrés de la concupiscence. Ajoutons qu'on n'évite pas sans peine ce péché, qu'il faut lutter avec courage pour se soustraire à son empire; c'est un ennemi domestique qu'il nous faut chasser de chez nous.

 

Or on peut triompher de la concupiscence de quatre manières.

 

(11) 160. Premièrement, on doit fuir les occasions extérieures; par exemple, les mauvaises sociétés, les entretiens criminels, et en général toutes les séductions. "N'arrêtez point vos regards sur une jeune fille, dit l'Ecclésiastique, de peur que sa beauté ne trouble votre âme; n'examinez point ce qui se passe dans les rues de la ville, de peur de vous égarer en chemin. Détournez les yeux à la vue d'une belle femme et gardez-vous d'admirer son visage; les attraits de la femme ont causé la perte de bien des hommes, et les désirs qu'ils allument sont comme des feux dévorants." - "Comment, dit l'autour des Proverbes, l'homme pourrait-il cacher la flamme dans son sein sans qu'elle consume ses vêtements?" Voilà pourquoi il fut ordonné à Loth de fuir loin des environs de Sodome.

 

(13) 161. Secondement, on doit fermer son cœur à toutes les mauvaises pensées, car elles produisent la concupiscence. Pour fermer son cœur aux images importunes des voluptés, il faut avoir recours aux mortifications. "Je châtie mon corps et je le réduis en servitude," dit l'Apôtre.

 

(15) 162. Troisièmement, on doit se fortifier par la prière;" si Dieu ne garde lui-même la ville, c'est en vain que les sentinelles veillent de peur de surprise," - "Je sais, dit Salomon, que je ne puis être chaste si Dieu ne m'accorde la chasteté." - "Ce genre de démons, dit l'Évangile, ne peut être chassé que par la prière et le jeûne." En effet, si deux adversaires étaient aux prises et que vous voulussiez prendre le parti de l'un d'eux contre l'autre, il vous faudrait porter secours au premier et tâcher d'affaiblir le second. Or entre l'esprit et la chair il y a une lutte continuelle; si donc vous voulez que l'esprit triomphe, il faut que vous lui portiez secours, et c'est de la prière que ce secours peut venir, et en même temps il faut que vous affaiblissiez la chair, et c'est par le jeûne qu'elle peut être affaiblie.

 

(17) 163. Quatrièmement, on doit se livrer avec une ardeur assidue à des occupations pieuses. "L'oisiveté est la mère du vice," dit l'Ecclésiastique. "Quel fut le crime de Sodome? dit Isaïe; ce fut l'orgueil, la mollesse et l'oisiveté." - "Faites toujours quelque chose de bien, dit saint Jérôme, afin que le démon vous trouve occupé." Or, entre toutes les occupations, la meilleure, sans contredit, est l'étude des saintes Écritures. "Aimez l'étude des saintes Écritures, dit encore saint Jérôme, et vous n'aimerez point les plaisirs sensuels."

 

 

CONCLUSION

 

 

(3) 164. Telle est l'explication que nous avions à donner des dix préceptes de la loi divine, de ces préceptes augustes dont Notre Seigneur lui-même a fait voir l'importance et la sublimité, en disant: "Si vous voulez entrer dans la vie éternelle, observez les commandements. "Deux préceptes principaux résument toute la loi, savoir celui de l'amour de Dieu et celui de l'amour du prochain. L'amour divin renferme trois sortes de devoirs:

Premièrement, il impose à l'homme l'obligation de n'adorer que Dieu, et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de la loi: "Vous n'adorerez point des dieux étrangers."

Secondement, il impose à l'homme l'obligation d'honorer Dieu, et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de la loi: "Vous ne prononcerez pas en vain le nom de votre Dieu."

Troisièmement, il impose à l'homme l'obligation de chercher le repos en Dieu; et c'est ce qui nous est ordonné dans cet article de la loi: "Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat."

 

L'amour du prochain renferme deux sortes de devoirs:

Premièrement, il impose à l'homme l'obligation de rendre à chacun l'honneur qui lui est dû: "Honorez votre père et votre mère."

Secondement, il impose à l'homme l'obligation de ne point faire tort à autrui; soit en actions, dans sa personne, dans la personne qui lui est le plus étroitement unie, et dans ses biens: "Vous ne tuerez point; vous ne commettrez point d'adultère; vous ne déroberez point;" soit en paroles: "Vous ne prononcerez point de faux témoignage contre votre prochain;" soit en pensées: "Vous ne désirerez point le bien de votre prochain; vous ne désirerez point la femme de votre prochain."

 

 

Fin du traité des préceptes de la Loi ancienne et de la Loi nouvelle.