COMMENTAIRE DU LIVRE DE JOB

(Approche du sens littéral)

 

PAR SAINT THOMAS d’AQUIN

Docteur de l'Église

 

Commentaire réalisé durant l’année universitaire 1272-1273

 

 

Édition numérique à partir de la traduction du Père Jean Kreit,

Missionnaire de la Congrégation du cœur immaculé de Marie (Scheut)

 1980

http://docteurangelique.free.fr, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

En rouge : Texte de la Bible Crampon.         

En vert : Texte utilisé par saint Thomas (vulgate).

 

 

INTRODUCTION PAR LE PÈRE JEAN KREIT_ 4

UN MOT SUR LE COMMENTAIRE_ 8

LE CONCORDISME DE SAINT THOMAS D'AQUIN_ 9

PLAN DU LIVRE DE Job_ 10

PROLOGUE AU LIVRE DE JOB PAR SAINT THOMAS 11

PREMIÈRE PARTIE : COMMENT JOB FUT FRAPPÉ PAR DIEU (Chapitre 1-21) 14

Job 1 — Job frappé dans ses biens et ses proches 14

CONFÉRENCE 1 — Qui est Job (Job 1, 1-6) 14

CONFÉRENCE 2 — Satan (Job 1, 6-12) 20

CONFÉRENCE 3 — L'épreuve (Job 1, 13-19) 29

CONFÉRENCE 4 — Job ne pécha pas (Job 1, 20-22) 34

Job 2 — Job frappé dans sa chair 38

CONFÉRENCE 1 — Satan veut frapper Job dans sa chair (Job 2, 1-6) 38

CONFÉRENCE 2 — Job brisé (Job 2, 7- 13) 42

Job 3 — La plainte de Job_ 47

CONFÉRENCE 1 — Job maudit son jour (Job 3, 1-10) 47

CONFÉRENCE 2 — Job préfèrerait être mort (Job 3, 11-19) 55

CONFÉRENCE 3 — Comme tout le monde (Job 3, 20-26) 59

Job 4 — Discours d'Eliphaz 63

CONFÉRENCE 1 — L'impatience de Job (Job 4, 1-6) 63

CONFÉRENCE 2 — Dieu ne peut avoir frappé qu'avec justice (Job 4, 7-11) 66

CONFÉRENCE 3 — Vision d'Eliphaz (Job 4, 12-21) 69

Job 5 — Suite du discours d'Eliphaz 78

CONFÉRENCE 1 — Seuls les pécheurs sont dans le malheur (Job 5, 1-7) 79

CONFÉRENCE 2 — Dieu est juste (Job 5, 8-16) 83

CONFÉRENCE 3 — Job doit se repentir (Job 5, 17, 27) 87

Job 6 — Discours de Job_ 91

CONFÉRENCE 1 — Job : "Ne plus être, dormir…" (Job 6, 1-12) 91

CONFÉRENCE 2 — Job : "Mes amis sont des traîtres" (Job 6, 13-30) 97

Job 7 — La condition humaine_ 102

CONFÉRENCE 1 — Job : "La vie est un combat de douleur" (Job 7, 1-4) 102

CONFÉRENCE 2 — Job : "Les malheurs de la vie" (Job 7, 5-10) 105

CONFÉRENCE 3 — Job : "Job se plein de son sort" (Job 7, 11-16) 109

CONFÉRENCE 4 — Job : "Prière" (Job 7, 16-21) 112

Job 8 — Discours de Baldad - l’allégorie du jonc 118

CONFÉRENCE 1 — Baldad : "Dieu est juste" (Job 8, 1-7) 118

CONFÉRENCE 2 — Baldad : "La pensée "correcte" sur la justice de Dieu" (Job 8, 8-22) 121

Job 9 — La question du mal, première approche_ 128

CONFÉRENCE 1 — Job : "Dieu" (Job 9, 1-7) 128

CONFÉRENCE 2 — Job : "La sagesse de Dieu" (Job, 9, 8-10) 133

CONFÉRENCE 3 — Job ne peut se lever contre Dieu (Job 9, 11-21) 135

CONFÉRENCE 4 — Job : "Le malheur frappe les bons et les mauvais" (Job 9, 22-35) 142

Job 10 — Le problème spécial de la souffrance du juste_ 149

CONFÉRENCE 1 — Job : "Souviens-toi de ma misère" (Job 10, 1-13) 149

CONFÉRENCE 2 — Job : "Je suis innocent" (Job 10, 14-17) 157

CONFÉRENCE 3 — Job : "Pitié" (Job 10, 18-22) 159

Job 11 — Loi et transcendance divines 164

CONFÉRENCE 1 — Sophar : "Dieu est grand" (Job 11, 1-10) 164

CONFÉRENCE 2 — Sophar : "Dieu est infini" (Job 11, 11-20) 169

Job 12 — Ce que l’expérience nous apprend sur Dieu_ 173

CONFÉRENCE 1 — Job : "Dieu va sécourir" (Job 12, 1-10) 173

CONFÉRENCE 2 — Job : "Dieu tient tout dans sa main" Job 12, 11-25_ 178

Job 13 — Prospérité et adversité_ 185

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mes amis sont pervers" (Job 13, 1-12) 185

CONFÉRENCE 2 — Job : "J'en appelle à Dieu" (Job 13, 13-28) 190

Job 14 — La vraie rétribution_ 198

CONFÉRENCE 1 — Job : "La sollicitude divine" (Job 14, 1-4) 198

CONFÉRENCE 2 — Job : "Le Jour désiré" (Job, 14, 5-6) 200

CONFÉRENCE 3 — Job : "L'arbre reverdit" (Job, 14, 7-12) 202

CONFÉRENCE 4 — Job : "Résurrection…"? (Job 14, 13-17) 204

CONFÉRENCE 5 — Job : "On ne revient pas de la mort" (Job 14, 18-22) 208

Job 15 — Nouvelle condamnation de Job_ 210

CONFÉRENCE 1 — Éliphaz : "L’orgueil de Job" (Job 15, 1-13) 210

CONFÉRENCE 2 — Éliphaz : "Châtiment De Dieu" (Job 15, 14-27) 214

CONFÉRENCE 3 — Éliphaz : "La fin du méchant" (Job 15, 28-35) 219

Job 16 — Réponse de Job à Eliphaz 222

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mon épreuve" (Job 16, 1-20) 222

CONFÉRENCE 2 — Job : "Fausses paroles de mes amis" (Job 16, 21-22) 229

Job 17 — Job compte seulement sur l'amitié divine (Job 17, 1-9) 231

CONFÉRENCE 1 — Job en appelle à Dieu (Job 17, 1-9) 231

CONFÉRENCE 2 — Job : "le ridicule de mes amis" (Job 17, 10-16) 235

Job 18 — L'inexorable destin du méchant 238

CONFÉRENCE 1 — Baldad : "Le méchant périt toujours!" (Job 18, 1-11) 238

CONFÉRENCE 2 — Baldad : "Les peines des pécheurs" (Job 18, 12-21) 242

Job 19 — Réponse de Job à Baldad_ 246

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mon malheur" (Job 19, 1-22) 246

CONFÉRENCE 2 — Job : "Mon rédempteur vit. Je le verrai" (Job 19, 23-29) 253

Job 20 — Réponse de Sophar : Oui pour la vie future mais déjà sur terre des sanctions 257

CONFÉRENCE 1 — Sophar : "Tu es forcement méchant" (Job 20, 1-13) 258

CONFÉRENCE 2 — Sophar : "Punition du méchant"(Job 20, 14-29) 262

Job 21 — Deuxième réponse de Job à Sophar et dernières précisions 269

CONFÉRENCE 1 — LA PROSPÉRITÉ DES MÉCHANTS EST UN FAIT (Job 21, 1-21) 269

CONFÉRENCE 2 — Job : "Ce n'est pas vrai" (Job 21, 22-34) 276

DEUXIEME PARTIE : FIDELITE DE JOB (Job 22-42) 281

Job 22 — Troisième discours d'Eliphaz 281

CONFÉRENCE 1 — Eliphaz : "Job est présomptueux" (Job 22, 1-14) 281

CONFÉRENCE 2 — Eliphaz : "Dieu est juste. Que Job se repente" (Job 22, 15-30) 286

Job 23 — Discours de Job qui en appelle au jugement de Dieu_ 291

CONFÉRENCE UNIQUE — Job : Je suis juste (Job 23) 291

Job 24 — Conciliation du mal avec la puissance et la sagesse de Dieu_ 299

CONFÉRENCE UNIQUE — Job : "Je ne nie pas que Dieu châtie les impies" (Job 24) 299

Job 25 — Courte réponse de Baldad_ 309

CONFÉRENCE UNIQUE — Baldad (Job 25) 309

Job 26 — Ultime réponse de Job_ 312

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 26) 312

Job 27 — Suite de la réponse de Job_ 319

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 27) 319

Job 28 — Job continue son discours : éloge de la sagesse_ 327

CONFÉRENCE 1 — Job : La sagesse n'est pas dans l'or (Job 28, 1-11) 327

CONFÉRENCE 2 — Job : "La sagesse est dans l'esprit" (Job 28, 12-28) 332

Job 29 — Suite du discours de Job_ 339

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 29) 339

Job 30 — Discours de Job, sa détresse présente_ 347

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 30) 347

Job 31 — Job demande justice_ 357

CONFÉRENCE 1 — Job : "J'étais chaste, juste et bon" (Job 31, 1-23) 357

CONFÉRENCE 2 — Job montre ce qu'il était (Job 31, 24-38) 365

Job 32 — Discours d'Eliud_ 371

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse d’Eliud (Job 32) 371

Job 33 — Eliud exhorte Job au repentir 378

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "Es-tu juste? (Job 33, 1-12) 378

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Dieu te montre que tu n'es pas juste"(Job 33, 12-33) 382

Job 34 — Discours sur la justice divine_ 390

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "pédagogie divine sur les individus" (Job 34, 1-23) 390

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "pédagogie divine sur les nations" (Job 34, 24-37) 399

Job 35 — Suite du discours d’Eliud- Pour Dieu la conduite de l’homme n'est pas indifférente_ 404

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse d’Eliud (Job 35) 404

Job 36 — Dieu seul est juste_ 409

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "pédagogie divine sur Job" (Job 36, 1-20) 409

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Hymne pour Dieu" (Job 36, 22-31) 417

Job 37 — L'Hymne à Jahvé (suite) 420

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "La sagesse de Dieu" (Job 37, 32; 38, 13) 420

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Conclusion"(Job 37, 14-24) 427

Job 38 — La réponse de Yahvé_ 433

CONFÉRENCE 1 — Yahvé répond (Job 38, 1-12) 433

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : "Ce que j'ai créé" (Job 38, 13-35) 440

CONFÉRENCE 3 — Yahvé : "Mes animaux"(Job 38, 36-41) 451

Job 39 — Les merveilles du monde animal 454

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Dieu (Job 35) 454

Job 40 — L'empire de Dieu sur les puissances du mal 466

CONFÉRENCE 1 — Yahvé : "Qui es-tu, Job?"(Job 40, 1-9) 466

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : Behémoth et l'éléphant (Job 40, 10, 19) 472

CONFÉRENCE 3 — Yahvé : "Le Leviathan"(Job 40, 20-28) 480

Job 41 — L'immense puissance de Satan_ 485

CONFÉRENCE 1 — Yahvé à l'abri de tout reproche (Job 41, 1-8) 485

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : Satan frappe les pécheurs" (Job 41, 9-25) 489

Job 42 — Regrets de Job_ 497

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 42) 497

ÉPILOGUE AU LIVRE DE JOB PAR SAINT THOMAS (Job 42, 7-17) 499

 

 

 

INTRODUCTION PAR LE PÈRE JEAN KREIT

 

Comme on le lira dans le prologue que saint Thomas a composé pour l'exposition du Livre de Job, l'auteur inspiré veut montrer la nécessité d'une providence qui gouverne le monde, en particulier les choses humaines dans le point délicat de la souffrance du juste ou de l'innocent.

Si Dieu gouverne le monde matériel comme le monde spirituel cela veut dire que les créatures ont aussi leur part comme causes secondes ou contingentes; ou si l'on veut, le gouvernement divin n'est pas un pouvoir absolu : il faut tenir compte de la liberté de l'homme, du concours bienfaisant des bons anges et de la malice des mauvais anges. Mais au-dessus de ce monde  libre Dieu règne. On résume ainsi toute l'action de la providence telle qu'elle nous est présentée par saint Thomas.

Dans le point particulier de la souffrance humaine tout en remontant à l'envie du diable cause du péché et, par celui-ci, de la souffrance, c'est de la part de Dieu un dessein bien arrêté de faire tourner au bien des bons et par leur exemple à l'édification des autres le mal qui s’est ainsi introduit en ce monde. C'est ce qu'on entend exprimer quand on dit que la miséricorde divine dépasse éminemment sa justice.

Du point de vue de l'homme ici-bas sa vie, dit Job, est un combat et un service (7, 1). C'est une lutte où il y a comme un entrainement continuel a de rudes tâches afin d'être toujours prêt à subir les assauts des puissances infernales. C'est donc une milice dans le sens plein du mot latin : service militaire, métier de soldat; c'est aussi le temps de guerre, on a l'expression "militiae domique" c'est-à-dire en guerre comme en paix; c'est entrer en campagne; vient alors le sens de milice en français c'est-à-dire l'armée ; enfin comme dernier sens du mot latin il s'agit de l'esprit militaire, à savoir la bravoure et le courage.

C'est encore un service : selon la traduction grecque des Septante, il s'agit d'un journalier à la paie ou qui reçoit un salaire chaque jour qu'il a travaillé. La vie de l'homme n'est donc pas une vie de sécurité ; toutefois saint Thomas· y voit la relation de peine, de labeur : « Le père de famille confie de gros travaux aux meilleurs ouvriers et quand vient la paie et les gratifie davantage ».

Si l'on voulait résumer tout le Livre de Job on ne pourrait mieux le faire qu'en faisant appel à cette page de la Bible qui inaugure toute l'histoire de l'humanité et où nous est expliquée la condition de l'homme face à la volonté divine et celle-ci mise en jeu et finalement en échec par l'intervention du serpent tentateur : échec non définitif, nous apprend aussitôt Jahvé lui-même; le tout nous étant présenté en sa forme littéraire dramatique et lyrique au Livre de Job.

Les enseignements du Livre de Job peuvent se résumer en deux titres : ce que fut Job et sa fidélité dans l'épreuve; soit comme titre de la première partie : la Tentation; et la fidélité de Job pour la deuxième partie.

D'où en exergue respectivement les deux citations scripturaires : d'une part la doctrine de la rétribution des œuvres selon le sens bien particulier que nous découvrons au cours des discussions de Job avec ses amis et que le Christ définit : «  Que donnera l'homme en échange de son âme » (Mat. 16, 26). D'autre part quant à la victoire que remporte Job sur les terribles assauts de Satan elle a son équivalent dans ce texte aux Hébreux : « Nous n'avons pas ici de demeure permanente » (13, 14).

Les lectures, les relectures, les mises au point et les corrections auxquelles se trouve confrontée une traduction d'un livre de la Bible et de son commentaire amènent à la constatation que nous avons une œuvre dont l'impact sur toute la révélation est évidente. Job est comme la charnière entre les livres historiques et les prophètes. Après les affrontements de Dieu avec le peuple infidèle, Job vient se placer comme le prototype de l'humanité en lutte avec son ennemi juré, Satan. Puis viennent les prophètes recevant de Jahvé la lourde tâche d'enseigner quelle est la volonté de Dieu sur tout homme venant en ce monde. Les prophètes préparent la venue du rédempteur que Job lui-même a entrevu dans son admirable acte de foi : « Je sais que mon rédempteur est vivant et que je le verrai dans ma chair ».

A tous ces titres Job est une figure du Christ. Il est en quelque sorte une expression littéraire, de genre lyrique ou dramatique, du serviteur de Jahvé prophétiquement annoncé par le second Isaïe (ch. 49-53).

Figure du Christ souffrant et prototype de l'humanité en butte aux machinations diaboliques Job est entièrement dans la tradition chrétienne de l'ascèse c'est-à-dire de la lutte contre soi-même et contre la concupiscence, à l'imitation du Christ et selon sa doctrine du renoncement pour faire la volonté du Père : Il Si quelqu'un ne renonce pas à soi-même et ne porte sa croix il ne peut être mon disciple (Mt. 16, 24).

Tout d'abord il y a la nécessité de décider de la direction de notre vie et donc de faire un choix. Pour l'être spirituel et libre qu'est l'homme, appelé à la jouissance de Dieu dans l'adoration et la louange il ne peut y arriver qu'en prenant conscience de sa destinée et doit s'y préparer : « Celui qui s'approche de Dieu doit savoir qu'il est et qu'il rémunère les bons » (Hb. 11, 6). L'homme ne peut éviter le choix; c'est pour cela qu'il a la raison, une volonté et une liberté. Saint Thomas écrit dans son Compendium theologiae (ch. 174, in fine): « L'âme qui se trouvera s'être proposée une fin dernière quelle qu'elle soit au moment de la mort, en cette fin demeurera pour toujours ».

Ensuite l'aspect de la vie chrétienne qui est un combat au service de Dieu contre l'ennemi du genre humain est continuellement affirmé dans l'Écriture sainte et dans toute la tradition chrétienne. N'est-ce pas Notre Seigneur lui­-même prédisant la lutte de la part de ceux-là mêmes qui nous sont les plus proches, le jour où on veut le suivre? Quant au service pour Dieu la parabole du serviteur fidèle indique assez le sérieux qu'il nous faut apporter dans la vie.

Nous connaissons aussi la tentation du malin à l'adresse du Sauveur; et on l'a vu tomber du ciel à la prédication des disciples. Satan a demandé au Christ de pouvoir passer au crible les apôtres comme on fait du froment sur l'aire; mais Jésus a prié pour Pierre afin que sa foi ne défaille point. Nous trouvons ici ce que nous apprendra saint Thomas dans son commentaire : d'un côté une action diabolique et d'un autre côté une permission divine en cette action mais aussi une limitation divine aux entreprises du démon.

Parmi les Apôtres citons en premier lieu saint Paul où il est souvent question de la lutte contre les puissances du mal et contre soi-même. Le chrétien devra prendre les armes et se revêtir d'une armure en même temps que de la force de Dieu : « Mes frères fortifiez-vous dans le Seigneur et dans sa force toute puissante. Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu afin de pouvoir tenir contre les ruses du démon. Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang (c'est-à-dire les hommes qui sont les instruments du démon), mais contre les puissances, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais des régions de l'air. C'est pourquoi prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le jour mauvais, et rester debout, parfaits en toutes choses. Tenez donc ferme, ayant à vos reins la vérité pour ceinture, ayant revêtu la cuirasse de la justice ... Par dessus tout cela prenez le bouclier de la foi avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin. Prenez aussi le casque du salut et l'épée de l'Esprit qui est la parole de Dieu» (Eph. 6, 10-17). Les courses du stade, la palestre où luttent les athlètes, qu'est-ce autre chose que la discipline de l'ascèse chrétienne? (1 Cor 9, 24-27).

Saint Pierre dans le texte bien connu nous représente l'adversaire, le diable, circulant et cherchant qui dévorer. Ici c'est une réminiscence du texte de Job où Satan avoue devant Yahvé qu'il a parcouru la terre dans tous les sens (1 P 5, 8 et Job 1, 7).

Saint Jean dans l'Apocalypse à partir du chapitre quatrième nous fait en symboles hauts en couleur le tableau des luttes de l'enfer contre l'Église; On peut encore retrouver là en maints endroits la doctrine de Job du gouvernement divin et du rôle des causes secondes.

Aussitôt que les Apôtres eurent annoncé l'Évangile ils sont pris à partie par les chefs de la nation juive parce qu'ils annoncent le Christ ressuscité (Act. 4, 1-22 et 5, 17-41); ce sont Jacques et Etienne, le diacre, qui scellent de leur sang leur fidélité au Christ (ib. 12, 2 et 6, 8-7, 59). Admirables sont les récits de captivités où les apôtres sont délivrés par un ange ainsi que Pierre dont les chaînes tombent et qui voit devant lui s'ouvrirent les portes de la prison (ib. 5, 17-25 et 12, 6-17). Enfin ce récit des actes où Paul et Silas sont arrêtés à Troas, mis en prison et miraculeusement délivrés sous l'effet d'un tremblement de terre; le résultat fut la conversion du gardien de la prison (16, 25-34).

Suivra bientôt « brillante dans sa blancheur », comme chante le Te Deum, l'armée des premiers martyrs encouragés sans doute par l'exemple des deux grands apôtres fondant l'Église plus par leur mort que par leur doctrine ou mieux à cause de la doctrine, l'une n'allant pas sans l'autre. Néron en 64 fait brûler vifs les chrétiens enveloppés dans la poix pour éclairer ses orgies dans ses jardins la nuit. Et jusqu'en 313 défilera devant nous partout dans l'Empire l'immense cohorte des martyrs.

Pour en revenir au livre de Job, l'auteur inspiré a voulu mettre en scène la lutte de Satan contre un prototype d'homme, comme on l'a dit plus haut, mais dont il fait une cible pour l'amener à la révolte contre Dieu telle que Lucifer l'avait voulue pour lui-même. Pour venger sa déchéance et sa honte il s'est attaqué à l'homme : l'épreuve de Job en est l'illustration dramatique; mais Job en sortira victorieux.

On se trouve ici en présence d'un genre littéraire analogue aux tragiques grecs où les situations sont poussées jusqu'à la limite des forces humaines confrontées aux puissances du destin. Job est un cas typique et extrême qui nous fait saisir combien sérieux est l'engagement entre l'homme et le démon. Et quand on dit l'homme il s'agit de la famille humaine jusque dans le truchement des états ou des différentes communautés comme le fera comprendre le commentaire.

Quant à Job il suggère un ennemi auquel est livré le genre humain. Mais pour lui-même c'est Jahvé qui a voulu l'épreuve en vue d'une autre vie, puisqu'aussi bien, dira-t-il, Jahvé ne peut avoir fait l'homme, s'en être soucié infiniment, et finir par le détruire. C'est son argument contre ses amis qui ne voient dans les adversités que le châtiment du péché, dans la prospérité terrestre la récompense de la vertu. Seulement dans son plaidoyer, Job tente de se justifier au point que Dieu paraîtrait n'avoir pas eu connaissance de son innocence. Job serait-il plus juste que Dieu, ripostent ses amis.

Nous sommes ainsi amenés à une théophanie où Yahvé décrit avec quel amour de son œuvre mais aussi de son interlocuteur tout ce qu'il a fait pour l'homme. Job alors confesse humblement son ignorance, son audace d'avoir osé interroger Dieu. Et c'est à ce moment que Yahvé dit à son serviteur le mot clef de l'épreuve : « Souviens-toi de la guerre! » (40, 27).

Le Livre de Job est donc bien l'affirmation que le genre humain est engagé dans une lutte, guerre défensive mais inévitable, voulue par Dieu lui-même en vue de la conquête d'une autre vie qui n'est pas matérielle comme celle que l'homme s'imagine pouvoir réaliser ici-bas. Satan ne dit-il pas à Jésus que tous les royaumes de la terre lui ont été donnés? (Mat. 4, 8).

Faisant l'application pratique à nous mêmes on peut se demander si les générations actuelles, plus peut-être que les 'précédentes, ont suffisamment conscience de cette exigence essentielle de l'Evangile et synthétisée dans les Huit Béatitudes : qu'on ne trouve le bonheur que dans une résistance aux divers appétits qui s'élèvent en nous.

Souviens-toi de la guerre! Il y a guerre de l'homme avec le mal; et les guerres des hommes en sont comme la résultante quand l'homme se laisse vaincre par le mal. L'homme tend vers l'impossible quand à sa portée Dieu est là pour le défendre et le conduire à la vraie victoire par la conquête de soi pour la conquête du divin.

On est donc loin dans l'espérance chrétienne d'une attente béate et vague d'une récompense qu'on se promet. Si dans la lutte le chrétien se détache de lui-même et des faux prétextes du monde c'est pour lutter à armes égales avec le tentateur. « Tous ceux qui combattent s'imposent toute espèce d'abstinences pour une couronne périssable; nous, pour une couronne impérissable ... je traite durement mon corps et je le tiens en servitude de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé, » dit l'Apôtre aux licencieux de Corinthe» (l C 9, 25 et 27). La religion chrétienne n'est pas un anesthésique comme nous en accusent certains qui promettent pour les calendes grecques un bonheur tout de matière où l'esprit que nous sommes ne peut trouver son compte.

Il y a une victoire pour ceux qui luttent, un salaire incomparable pour le bon et fidèle serviteur. Soldat du Christ dont il porte le nom il met toute sa confiance et sa force dans son chef qui a vaincu le monde avec toutes ses convoitises et qui a remporté la victoire pour que nous puissions la remporter par sa grâce méritée pour nous. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre « Le Dieu de la paix écrasera Satan sous vos pieds» (Rom. 16, 20) : exégèse admirable de la parole de Jahvé au serpent : « Sa descendance t'écrasera la tête et tu essaieras en vain de la mordre au talon. » (Gen. 3, 15). Pour nous cette parole a pris un sens spécial et les générations chrétiennes y ont pressenti l'immaculée Vierge Marie qui entre toutes les filles d'Ève et ses fils a remporté par une disposition divine une victoire que son Fils lui avait préparée.

Trois enseignements résumeront et concluront le tout : celui de saint Pierre; un de saint Jean Chrysostome et enfin celui du pape Paul VI de glorieuse mémoire.

« En ce jour là c'est-à-dire dans le dernier temps vous tressaillirez de joie, bien que maintenant s'il le faut, vous soyez pour un peu de temps affligés de diverses épreuves, afin que votre foi ainsi éprouvée, plus précieuse que l'or périssable, bien qu'on l'éprouve par le feu, vous soit un sujet de louange, d'honneur et de gloire au jour de l'avènement de Jésus-Christ... C'est une grâce de supporter par amour pour Dieu des peines que l'on souffre injustement. Quelle gloire y a-t-il en effet à supporter de mauvais traitements pour avoir fauté? Mais supporter la souffrance quand on fait le bien, c'est une grâce devant Dieu. Car c'est à quoi vous avez été appelés, puisque le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces, lui qui n'a pas commis le péché et dans la bouche duquel on n'a pas trouvé de fraude; lui qui outragé ne rendait pas d'outrages; qui maltraité ne faisait pas de menaces, mais s'en remettait à celui qui juge avec justice; lui qui sur le gibet a porté lui-même nos péchés dans son corps, afin que morts au péché nous vivions pour la justice; lui dont la meurtrissure nous a guéris » (l P 1, 6-7 et 2, 19-24).

« Les Apôtres du Christ, dit saint Jean Chrysostome, sont les maîtres des croyants; les confesseurs formés par eux luttent très courageusement; les martyrs triomphent parfaitement et les troupes des chrétiens toujours armées pour Dieu se soumettent le diable. Chez tous ce sont toujours les mêmes vertus, des luttes différentes, de glorieuses victoires.

Et donc toi chrétien, soldat délicat, tu penses pouvoir vivre sans lutter, triompher sans combattre? Déploie tes forces, lutte courageusement, combats âprement dans cette bataille!

Examine le pacte; considère ta condition; connais ton métier; ce pacte que tu as promis, la condition à laquelle tu accèdes, la milice à laquelle tu es inscrit». (Sermon sur les martyrs : qu'on doit les imiter ou ne pas les louer)[1].

Enfin le pape Paul VI : « Le secret de la vraie vie, fondée sur la vérité, sur l'amour avec la grâce de Dieu; la vie des hommes forts, austères et joyeux, des hommes qui vivent même dans la pauvreté la vie de la société d'aujourd'hui, mais soutenus par des idées vraies, par une communauté transcendante qui rend heureux même dans l'adversité; en un mot la vie à laquelle nous appelle le baptême, pleine de chants intérieurs et qui ne s'éteint pas avec la mort; la vie simple, bonne, honnête, la vie chrétienne : alors nous pouvons l'enseigner et vous aider à la vivre. » (Audience du 23-11­ 1977)

 

UN MOT SUR LE COMMENTAIRE

 

Les auteurs à propos de l'Exposition sur Job ne tarissent pas d'éloges. Ils font remarquer que saint Thomas doit avoir écrit à un moment de sa carrière professorale qui fut des moins mouvementées. « A lire sans hâte on est frappé par la sérénité du commentaire. L'explication fait absolument abstraction des conjonctures temporelles. Personne n'ignore que saint Thomas poussé par le zèle intérieur qui l'anime ne peut rester impassible devant ses contemporains qui combattent la vérité. L'Exposition n'est pas polémique; pas une seule fois saint Thomas ne se départit de son calme. Il explique pas à pas le texte sacré sans aucune allusion formelle à une erreur contemporaine. La seule fois où les tenants d'une fausse doctrine peuvent être identifiés avec les modernes, il s'agit non pas d'Averroïstes mais de Néo dualistes cathares ».

« C'est une œuvre de sagesse et de contemplation. Elle demande à être lue avec lenteur, dans le calme. C'est s'assurer un profit spirituel de haute qualité parce que contempler avec saint Thomas pour guide c'est découvrir la vérité, ici, Dieu dans son action providentielle. Nous lisons le texte sacré avec son interprète qui en donne l'intelligence ici par un mot à propos, là dans une comparaison naturelle éclairante».

« Son sens de l'analogie basé sur notre mode de connaissance qui part des sens il le met à profit pour notre plus grande satisfaction rationnelle. Ses explications philosophiques et théologiques sont simples et sobres. Si plus d'une fois nous devons reprendre la lecture de plus haut c'est à cause de la densité intellectuelle de l'œuvre inspirée».

« Pour saint Thomas l'histoire de Job est un thème de discussion sur le problème métaphysique de la providence; la nature de l'objet de la dispute, la souffrance d'un juste, fixe les limites du débat. Celui-ci en effet présuppose que l'on est d'accord sur le fait du gouvernement divin des choses naturelles. Le doute se pose au sujet des affaires humaines parce que la souffrance n'est pas épargnée aux justes; or que ceux-ci soient affligés sans cause cela contrarie l'idée de providence et l'on propose l'exemple du bienheureux Job ».

Arrivé presqu'au terme de son Exposition, au ch. 39 v.34, quand Job confesse devant Dieu son intempérance de langage « Moi qui ait parlé à la gère, que puis-je répondre? » Saint Thomas ayant eu le temps de mûrir le sens profond de l'œuvre, distingue trois sortes de discours de Job : les discours où il est entraîné par sa sensibilité; ceux où il dispute rationnelle ment avec ses amis; ceux enfin où il cède à l'inspiration divine. Et saint Thomas tire la leçon : « Il faut considérer, étant donné que la parole que vient d'adresser le Seigneur à Job ne le fut pas en un son extérieur mais inspirée de l'intérieur, que Job a été d'abord entraîné par sa sensibilité, et parce que la raison humaine doit se laisser diriger par l'inspiration divine, après que le Seigneur eut parlé, il réprouve les paroles dites selon la raison humaine ». Explication si éclairante, si conforme à la nature de l'homme; elle donne un sens nouveau à ce qui avait paru inconciliable avec les sentiments de l'âme juste. Elle permet de suivre les étapes successives par lesquelles passe le juste affligé, depuis l'origine du bouleversement de sa sensibilité jusqu'à sa totale conversio ad Deum, sans faire violence à l'unité de sa personne. Car c'est bien le même homme qui maudit le jour de sa naissance et qui confesse avoir parlé sans intelligence; qui regrette ne pas être mort dès le sein maternel et se repent sur la poussière et la cendre. Cette unité n'est pas artificielle; elle respecte les lois les plus profondes de la psychologie humaine et religieuse. Là est le secret de la satisfaction de l'esprit à la lecture de l'Exposition sur Job.

Quant à l'adversité temporelle, on ne peut admettre, dit saint Thomas d'accord avec Job, qu'elle soit la punition du péché (1, 10); le motif est beaucoup plus élevé selon la conception du théologien chrétien (ib. II) : le Seigneur veut que la vertu des saints soit connue de tous, et des bons et des chants.

L’intention que le docteur angélique découvre dans le livre sacré, son objet, est que les affaires humaines sont régies par Dieu, comme on le lira dans le Prologue, mais en fonction de la lutte du bien et du mal : le bien c'est Dieu, le mal c'est Satan.

 

LE CONCORDISME DE SAINT THOMAS D'AQUIN

 

Pourrait-on affirmer que le docteur angélique ait voulu mettre d'accord les données de la science de son temps avec les vérités révélées?

Il faut semble-t-il distinguer entre l'expérience commune et la recherche savante. Saint Thomas constate que l'Écriture sainte décrit les choses selon leur aspect extérieur et direct qu'elles ont pour nous et pour les hommes de tous les temps et de tous les lieux, comme par exemple quand on parle du lever et du coucher du soleil.

Quant à la recherche et la connaissance scientifiques, nous savons que les théologiens de l’époque de saint Thomas, en particulier saint Albert le Grand, ont introduit dans la théologie l'observation des sciences. Les philosophes et les théologiens de ce temps se sont beaucoup intéressés à la connaissance rationnelle et encyclopédique telle qu'Aristote l'avait présentée. Les docteurs chrétiens ont donc voulu intégrer en quelque sorte ces faits d'expérience et d'observation, que nous pourrions intituler scientifiques, dans leur interprétation du donné révélé.

Mais à partir de la Renaissance, qui avait elle aussi redécouvert les anciens, un nouvel essor des sciences obligera la pensée chrétienne à revoir ses positions. Un clivage va donc se produire entre la connaissance philosophique proprement dite et les sciences de la nature, et par voie de conséquence entre la théologie et la science. Qu'on se rappelle Galilée pour concrétiser la chose !

Il y a donc lieu de distinguer en théologie quand elle fait appel aux connaissances rationnelles, ce qui est l'acquit des sciences et ce qui se fonde sur la philosophie; d'autant plus que la science évolue et procède par hypothèses ou approximations successives qui sont la loi même du progrès. Or si les vérités de la foi peuvent recevoir des développements sous l'action même de l'Esprit qui les a révélées : elles n'évoluent pas. Elles ont en quelque sorte une vie intérieure comme la plante sort de la semence.

Quant à l'introduction par les scolastiques et par saint Albert le Grand et son disciple saint Thomas en particulier, d'explications en marge de la théologie, ils s'efforcent de les mettre en accord avec le texte de l'Écriture, sans cependant s'écarter des principes des disciplines philosophiques. Quand donc on se trouve devant certaines données acceptées par saint Thomas et qui ne sont plus de notre temps, il ne faut pas en faire un prétexte pour rejeter en bloc l'enseignement de ce saint docteur; il ne faut pas s'attacher uniquement à la lettre. Pensons plutôt qu'il le ferait encore en recourant aux découvertes de la science moderne.

En somme et pour conclure, saint Thomas cherche un terme analogique, une comparaison comme il le fait si souvent, le rapprochement de faits sensibles avec les vérités de la foi qui elles ne nous sont pas connues par raisonnement, ni accessibles directement. Nous le savons bien : toute notre connaissance ne nous parvient que par les sens.

 

 

PLAN DU LIVRE DE Job

 

Le Livre de Job peut se répartir en deux sections : la première qui se termine avec le chapitre 21 et la seconde qui va du chapitre 22 au chapitre 42. C’est cette dernière partie que nous abordons ici avec comme guide saint Thomas dont on ne cessera jamais d’admirer la pénétration, la perspicacité de pensée.

La première partie avait fini par établir, contrairement aux estimations des amis de Job, qu’une sanction sera exercée après la mort pour les actions humaines, bonnes et mauvaises. Car il est inadmissible que l’adversité d’ici- bas soit le châtiment des péchés personnels et la prospérité la récompense de la vertu, tandis qu’après la mort tout est fini.

C’est pratiquement à partir du chapitre 7 que le débat avait pris un départ bien défini : la vie de l’homme sur la terre est un combat en vue d’une victoire. Et l’homme n’est pas comme s’il n’était que mortel, sinon Jahvé n’en prendrait pas un soin particulier. Aux chapitres 9 et Job a abordé le problème de la souffrance du juste. Le mal a donc un rôle dans l’existence humaine; il est lui aussi un entraînement épreuve impliquant un but à atteindre.

Puis on revient au débat sur le sort des bons et des méchants, sur leur conduite décrite dans les détails tandis que Job proclame son innocence à la face de Jahvé (ch. 13). Après la belle allégorie de l’arbre qui toujours reprend vie, Job s’interroge à nouveau sur la différence de l’homme d’avec les autres créatures corruptibles et donc il sait que Jahvé lui prépare une autre existence (ch. 14).

Malgré la grandeur de son épreuve Job reste attaché à son Dieu : "Mets- moi près de toi et qu’alors toute main lutte contre moi " (17, 3). Ainsi on s’achemine vers un dénouement : tout en clamant l’immensité de sa souffrance le saint homme avec emphase fait l’admirable profession de foi : "Je sais que mon rédempteur est vivant et que je le verrai dans ma chair " (19, 15-27)

En conséquence se produit un revirement chez les amis de Job et dont Sophar est l’interprète : il y a une sanction après la mort (20, 27).

Continuant sur sa lancée Job montre que les impies loin d’être éprouvés ici-bas jouissent de tous les biens de la terre mais que le châtiment inter viendra après la mort, alors qu’il a exposé plus haut l’espérance des justes en une rémunération dans la vie future. Par avance donc nous rejoignons ici l’Evangile où le Christ annonce : "Que donnera l’homme en échange de son âme?"; ce que l’épître aux Hébreux exprime en ces termes : "Nous n’avons pas ici de demeure permanente; mais nous sommes à la recherche de celle qui doit encore venir".

La deuxième partie du Livre de Job parachève cette position : le long discours de Job aux chapitres 26 à 31 mettra un point final à la contestation avec ses trois amis.

Toutefois Eliphaz aura auparavant continué son opposition sous le double grief que Job est coupable de péché et qu’il a nié la divine providence (ch. 22). Mais Job réfutera la chose (23 et 24) pendant que Baldad retiendra la culpabilité. Cette escarmouche est très brève (25) et elle fait place à la réponse définitive de Job sans que Sophar intervienne.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines; l’intervention d’un quatrième larron fait rebondir l’affaire. Selon saint Thomas, ce personnage du nom d’Eliud, avance des arguments plus pénétrants et plus proches de la vérité que ceux des amis. Mais Job ne répondra plus.

 

La Théophanie

 

Jusqu’ici nous avons vu des hommes confrontés aux plus graves problèmes que nous nous posons tous; et souvent nous nous arrêtons à la dureté des faits en une sorte de résignation. Le mérite de Job fut d’y avoir pénétré sous l’action de l’Esprit. N’a-t-on pas affaire en effet en toutes choses au domaine de la foi? Dieu n’intervient-il pas sans aucun arrêt dans les moindres détails de notre vie?" En lui nous vivons, nous nous mouvons Troisième discours d’Eliphaz et nous sommes". Il était donc nécessaire que Dieu mît fin à cette recherche parfois passionnée à laquelle il nous a été donné d’assister.

Tout autre que Dieu ne peut satisfaire notre esprit en quête de vérité. Mais Jahvé lui-même fera toucher du doigt qu’il est impossible à l’homme de posséder la vérité toute entière. Il se contentera de choisir quelques faits et de poser la question : "Pourrais-tu me dire où habite la lumière et l’en droit des ténèbres? (38, 19)" D’où vient la sagesse dans les entrailles de l’homme? (ib. 36).

La réponse que nous devons donner, Job la fera à notre place : "Moi qui ai parlé à la légère, que puis-je dire? Je mettrai la main sur ma bouche. J’ai dis une fois et j’aurais mieux fait de me taire; une autre fois je me tairai" (39, 34-35).

Job qui au chapitre sept avait déclaré que la vie est un combat, reçoit en quelque sorte confirmation dans les descriptions que fait Jahvé de deux animaux fabuleux, Béhémoth et Léviathan : ils personnifient Satan. Job avait entrevu l’existence d’un être malfaisant. Il va donc apprendre dans le détail ce que Satan opère dans le monde. Il saura de plus que Jahvé mettra un jour le point final au mal dont le seul et vrai responsable est l’adversaire, le diable.

Telle est en résumé la thèse développée tout au long du Livre de Job œuvre homogène qui progresse avec une grande sûreté de diagnostic. Il serait dommageable à plus d’un titre qu’elle demeure comme enterrée et soustraite à la lecture et à la méditation des hommes de bonne volonté. C’est la raison de cette traduction qui vise, tout en étant fidèle au texte de saint Thomas, à rendre service à tous les chrétiens d’abord, à tous ceux ensuite que la vérité interroge, comme nous avons vu Jahvé interroger son serviteur Job.

 

 

Textum Leoninum Romae 1965 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Édition numérique à partir de la traduction du P. J. Kreit, 1980

 

 

Prooemium

 

PROLOGUE AU LIVRE DE JOB PAR SAINT THOMAS

 [84898] Super Iob, pr. Sicut in rebus quae naturaliter generantur paulatim ex imperfecto ad perfectum pervenitur, sic accidit hominibus circa cognitionem veritatis; nam a principio parvum quid de veritate attigerunt, posterius autem quasi pedetentim ad quandam pleniorem mensuram veritatis pervenerunt : ex quo contigit multos a principio propter imperfectam cognitionem circa veritatem errasse. Inter quos aliqui extiterunt qui divinam providentiam auferentes omnia fortunae et casui attribuebant : et priorum quidem intantum ad hoc invaluit opinio ut ponerent mundum casu factum esse et ea quae naturaliter generantur casui attribuerent, sicut perspici potest ex positionibus antiquorum naturalium ponentium solum causam materialem; posteriorum etiam quidam, ut Democritus et Empedocles, plurima casui attribuebant. Sed posteriorum philosophorum diligentia perspicacius intuens veritatem, evidentibus indiciis et rationibus ostenderunt res naturales providentia agi : non enim tam certus cursus in motu caeli et siderum et in aliis naturae effectibus inveniretur nisi haec omnia a quodam intellectu supereminente ordinata gubernarentur. Opinione igitur plurimorum firmata in hoc quod res naturales non casu sed providentia agerentur propter ordinem qui manifeste apparet in eis, emersit dubitatio apud plurimos de actibus hominum, utrum res humanae casu procederent an aliqua providentia vel ordinatione superiori gubernarentur. Cui quidem dubitationi maxime fomentum ministravit quod in eventibus humanis nullus certus ordo apparet : non enim semper bonis bona eveniunt aut malis mala, neque rursus semper bonis mala aut malis bona, sed indifferenter bonis et malis et bona et mala. Hoc igitur est quod maxime corda hominum commovit ad opinandum res humanas providentia divina non regi, sed quidam eas casualiter procedere dicunt nisi quatenus providentia et consilio humano reguntur, quidam vero caelesti fato eorum eventus attribuunt. Haec autem opinio maxime humano generi nociva invenitur; divina enim providentia sublata, nulla apud homines Dei reverentia aut timor cum veritate remanebit, ex quo quanta desidia circa virtutes, quanta pronitas ad vitia subsequatur satis quilibet perpendere potest : nihil enim est quod tantum revocet homines a malis et ad bona inducat quantum Dei timor et amor. Unde eorum qui divino spiritu sapientiam consecuti sunt ad aliorum eruditionem, primum et praecipuum studium fuit hanc opinionem a cordibus hominum amovere; et ideo post legem datam et prophetas, in numero Hagiographorum, idest librorum per spiritum Dei sapienter ad eruditionem hominum conscriptorum, primus ponitur liber Iob, cuius tota intentio circa hoc versatur ut per probabiles rationes ostendatur res humanas divina providentia regi. Proceditur autem in hoc libro ad propositum ostendendum ex suppositione quod res naturales divina providentia gubernentur. Id autem quod praecipue providentiam Dei circa res humanas impugnare videtur est afflictio iustorum : nam quod malis interdum bona eveniant, etsi irrationabile primo aspectu videatur et providentiae contrarium, tamen utcumque habere potest aliquam excusationem ex miseratione divina; sed quod iusti sine causa affligantur totaliter videtur subruere providentiae fundamentum. Proponitur igitur ad quaestionem intentam, quasi quoddam thema, multiplex et gravis afflictio cuiusdam viri in omni virtute perfecti qui dicitur Iob. Fuerunt autem aliqui quibus visum est quod iste Iob non fuerit aliquid in rerum natura, sed quod fuerit quaedam parabola conficta ut esset quoddam thema ad providentiae disputationem, sicut frequenter homines confingunt aliqua facta ad disputandum de eis. Et quamvis ad intentionem libri non multum differat utrum sic vel aliter fuerit, refert tamen quantum ad ipsam veritatem. Videtur enim praedicta opinio auctoritati sacrae Scripturae obviare : dicitur enim Ez. XIV 14 ex persona domini si fuerint tres viri isti in medio eius, Noe, Daniel et Iob, ipsi iustitia sua liberabunt animas suas; manifestum est autem Noe et Danielem homines in rerum natura fuisse, unde nec de tertio eis connumerato, scilicet de Iob, in dubium debet venire. Dicitur etiam Iac. V 11 ecce beatificamus eos qui sustinuerunt; sufferentiam Iob audistis et finem domini vidistis. Sic igitur credendum est Iob hominem in rerum natura fuisse. Quo autem tempore fuerit vel ex quibus parentibus originem duxerit, quis etiam huius libri fuerit auctor, utrum scilicet ipse Iob hunc librum conscripserit de se quasi de alio loquens, an alius de eo ista retulerit, non est praesentis intentionis discutere. Intendimus enim compendiose secundum nostram possibilitatem, de divino auxilio fiduciam habentes, librum istum qui intitulatur beati Iob secundum litteralem sensum exponere; eius enim mysteria tam subtiliter et diserte beatus Papa Gregorius nobis aperuit ut his nihil ultra addendum videatur.

 

Dans les choses engendrées dans la nature, on va peu à peu de l’imparfait au parfait. Il en est de même pour l’humanité dans la connaissance de la vérité. Au début, elle atteignit peu de choses de la vérité. Puis, comme insensiblement, elle s'est approchée du vrai. D’où il s’est fait que nombreux furent ceux qui à cause de l’imperfection de la connaissance ont erré au sujet du vrai. Parmi eux il en est qui excluant la divine providence attribuaient tout à la fortune et au hasard. Dans les débuts l’opinion prévalut que le monde avait été l’œuvre du hasard comme aussi les choses engendrées naturellement, comme on peut le percevoir à partir des opinions des anciens naturalistes qui n’admettaient rien que la cause matérielle. Après eux vinrent ceux qui, comme Démocrite et Empédocle, attribuaient beaucoup de choses au hasard. Mais l’application des philosophes postérieurs à pénétrer plus profondément dans le vrai montra par des indices et des raisons évidentes que la providence régit les choses naturelles; en effet le cours si sûr dans le mouvement du ciel et des astres et dans les autres effets naturels ne pourrait avoir lieu si tout cela n’était ordonné et gouverné par quelque intelligence suréminente.

Donc affermis dans leur opinion que les choses naturelles sont régies non par le hasard mais par la providence à cause de l’ordre qui y est manifeste, le doute persistait chez la plupart au sujet des actions humaines si elles procédaient du hasard ou si elles étaient gouvernées par quelque providence ou disposition supérieure. Favorisaient grandement ce doute les événements humains où aucun ordre certain n’apparaît. En effet ce n’est pas toujours aux bons que les bonnes choses arrivent et les mauvaises aux méchants, ni inversement les mauvaises aux bons et les bonnes aux méchants, mais indifféremment aux bons et aux méchants, les bonnes et les mauvaises. C’est donc cela qui impressionne surtout les cœurs des hommes pour leur faire penser que la divine providence ne gouverne pas les choses humaines; et les uns disent qu’elles arrivent par hasard à moins que n’interviennent quelque prévision ou conseil de la part des hommes; d’autres attribuent les événements à une fatalité céleste.

Or une telle opinion cause un très grand tort aux hommes. Si en effet on nie la divine providence, ne subsisteront plus chez les hommes ni le respect pour Dieu ni la vraie crainte. N’importe qui peut mesurer à suffisance combien grandes seront et la désaffection pour la vertu et la propension au vice. Rien en effet ne retire les hommes du mal et les entraîne au bien comme la crainte amoureuse de Dieu. D’où chez ceux qui ont atteint à la sagesse sous le souffle divin afin d’en instruire les autres, le premier et principal souci fut d’enlever cette opinion du cœur des hommes. Et donc après la promulgation de la Loi et après les Prophètes vient en premier lieu le Livre de Job au nombre des hagiographies ou livres sapientiaux écrits sous l’inspiration divine pour l’enseignement des hommes. Toute son attention s’applique à montrer par des raisons probantes que la divine providence gouverne les choses humaines.

Pour mettre ce propos en évidence on procède dans ce livre à partir de la position que les choses naturelles sont gouvernées par la providence divine. Or ce qui semble le plus en opposition avec elle au sujet des choses humaines est l’affliction des justes; car les méchants jouissent parfois de bonnes choses, bien que cela paraisse à première vue irrationnel et contraire à la providence, cependant et, quoi qu’il en soit, on trouve une justification si on se réfère à la divine miséricorde. Mais que des justes souffrent sans motif c’est ce qui paraît renverser totalement le fondement de la providence. En vue donc de ce problème nous est proposée sous forme de thèse la multiple et grande épreuve d’un homme parfait en vertu du nom de Job.

Certains ont pensé que Job n’avait pas existé mais qu’il s’agissait d’une sorte de fiction sous forme d’allégorie pour servir de matière à un débat sur la providence, comme souvent on imagine certains faits pour en discuter. Bien que cela importe peu au but de ce livre, que ce soit ainsi ou autrement, il faut tenir compte de la vérité. En effet cette opinion est en opposition avec l’autorité de l’Ecriture sainte. En Ezéchiel, le Seigneur s’exprime ainsi : "S’il se trouvait trois hommes au milieu de vous : Noé, Daniel et Job, ceux-ci sauveraient leur vie à cause de leur justice"; (14, 14) Or Noé et Daniel sont bien des personnages historiques et donc on ne peut mettre en doute que Job le soit aussi. On lit encore en saint Jacques : "Voici que nous proclamons bienheureux ceux qui ont soutenu l’épreuve; vous avez appris l’endurance de Job et le terme que le Seigneur y a mis" (5, 11). Il faut donc bien admettre l’existence de Job.

A quelle époque se passe le récit? Quels furent les parents de Job? Qui est l’auteur? C’est-à-dire Job lui-même parlant au nom d’un autre ou un autre que lui, ce n’est pas le lieu d’en discuter. Confiant en le secours divin nous voulons exposer ce livre brièvement et dans la mesure du possible selon le sens littéral. En effet le sens mystique en a été expliqué très subtilement et de façon diserte par le bienheureux pape Grégoire et il ne semble pas qu’on puisse encore y ajouter.

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE : COMMENT JOB FUT FRAPPÉ PAR DIEU (Chapitre 1-21)

 

"Que donnera l’homme en échange de son âme?" (Matthieu 16, 26)

Caput 1

Job 1 — Job frappé dans ses biens et ses proches

 

CONFÉRENCE 1 — Qui est Job (Job 1, 1-6)

 

Job, 1, 1 Il y avait dans le pays de Hus un homme nommé Job; cet homme était intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. 2 Il lui naquit sept fils et trois filles. 3 Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cent ânesses et un très grand nombre de serviteurs; et cet homme était le plus grand de tous les fils de l'Orient. 4 Ses fils avaient coutume d'aller les uns chez les autres et de se donner un festin, chacun à leur tour, et ils envoyaient inviter leurs trois sœurs à venir manger et boire avec eux. 5 Et, quand le cercle des festins était fini, Job envoyait chercher ses fils et les purifiait; puis il se levait de bon matin et offrait un holocauste pour chacun d'eux, car il se disait : "Peut-être mes fils ont-ils péché et offensé Dieu dans leur cœur!..." Et Job faisait ainsi chaque fois.

1 Il était un homme au pays de Hus du nom de Job. C’était un homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal, 2 furent nés sept fils et trois filles. Il posséda sept mille brebis et trois mille chameaux; aussi cinq cents paires de bœufs et cinq cents ânes et un grand nombre de serviteurs; et cet homme était grand parmi les Orientaux. 4 fils sortaient festoyer en leur demeure chacun â son jour. Et ils envoyaient et chercher leurs trois sœurs pour manger et boire le vin avec eux. 5 après la tournée des festins, Job mandait quelqu’un pour la sanction; lui-même levé de grand matin offrait des holocaustes pour chacun, car il se disait en lui-même tr Peut-être mes fils ont-ils péché et maudit Dieu en leur cœur. Ainsi faisait Job toujours.

[84899] Super Iob, cap. 1 Vir erat in terra Hus et cetera. Quia, sicut dictum est, intentio huius libri tota ordinatur ad ostendendum qualiter res humanae providentia divina regantur, praemittitur quasi totius disputationis fundamentum quaedam historia in qua cuiusdam viri iusti multiplex afflictio recitatur : hoc enim est quod maxime videtur divinam providentiam a rebus humanis excludere. Huius igitur viri primo persona describitur, et quantum ad sexum dum dicitur vir erat : hic enim sexus ad perferendas molestias invenitur robustior; describitur etiam quantum ad patriam cum dicitur in terra Hus, quae est in partibus orientis, et quantum ad nomen cum dicitur nomine Iob : et videntur haec duo posita esse ad insinuandum hoc quod dicitur non esse parabolam sed rem gestam. Et ne aliquis adversitates quae postmodum inducuntur pro peccatis huius viri ei accidisse crederet, consequenter describitur eius virtus, per quam a peccatis demonstratur immunis. Sciendum siquidem est hominem tripliciter peccare : sunt enim quaedam peccata quibus peccatur in proximum, sicut homicidia, adulteria, furta et alia huiusmodi; quaedam quibus peccatur in Deum, sicut periurium, sacrilegium, blasphemia et huiusmodi; quaedam quibus unusquisque in se ipsum peccat, secundum illud apostoli Cor. VI 18 qui fornicatur, in corpus suum peccat. In proximum autem quis peccat dupliciter, occulte per dolum et manifeste per vim; hic autem vir per dolum proximum non circumvenit, unde dicitur et erat vir ille simplex : simplicitas enim proprie dolositati opponitur; nulli violentiam intulit, sequitur enim et rectus : rectitudo enim ad iustitiam proprie pertinet, quae in aequalitate consistit, secundum illud Is. XXVI 7 semita iusti recta est, rectus callis iusti ad inambulandum. Quod autem in Deum non peccaverit aperte ostenditur per hoc quod subditur ac timens Deum, in quo reverentia ad Deum designatur. Quod etiam in se ipsum non peccaverit ostenditur in hoc quod subditur ac recedens a malo, quia malum odio habuit propter se ipsum, non solum propter nocumentum proximi vel offensam Dei. Descripta igitur huius viri et persona et virtute, eius prosperitas consequenter ostenditur, ut ex praecedenti prosperitate gravior sequens iudicetur adversitas, simul etiam ad ostendendum quod ex prima Dei intentione iustis semper bona tribuuntur non solum spiritualia sed etiam temporalia; sed quod aliquando iusti adversitatibus premantur accidit propter aliquam specialem causam : unde et a principio homo sic institutus fuit ut nullis subiaceret perturbationibus si in innocentia permansisset. Principium autem prosperitatis temporalis, post bonam consistentiam personae propriae, consistit in personis coniunctis et praecipue in natis qui sunt quodammodo aliquid parentum. Describitur igitur primo eius prosperitas quantum ad fecunditatem prolis, cum dicitur natique sunt ei septem filii et tres filiae. Convenienter numerosior multitudo marium quam feminarum ponitur quia parentes magis affectare solent filios quam filias, tum quia id quod perfectius est desiderabilius est, mares autem comparantur ad feminas sicut perfectum ad imperfectum, tum quia in auxilium rerum gerendarum solent esse parentes magis nati quam natae. Deinde ostenditur prosperitas eius quantum ad multitudinem divitiarum et praecipue in animalibus : nam circa principium humani generis, propter hominum paucitatem, agrorum possessio non ita pretiosa erat sicut animalium, et maxime in partibus orientis in quibus usque hodie sunt pauci habitatores prae latitudine regionis. Inter animalia autem primo ponuntur ea quae maxime deserviunt ad victum et vestitum personae, scilicet oves, unde dicitur et fuit possessio eius septem millia ovium; secundo ponuntur ea quae maxime deserviunt ad onera deferenda, scilicet cameli, et hoc est quod subditur et tria millia camelorum; tertio ponuntur ea quae deserviunt ad culturam agrorum, et hoc est quod subditur quingenta quoque iuga boum; quarto ponuntur animalia quibus homines ad vecturam utuntur, unde sequitur et quingentae asinae, ex quibus muli generantur, quibus antiqui maxime insidebant. Sub istis autem quatuor generibus animalium comprehenduntur omnia alia quae ad eosdem usus deserviunt, puta sub ovibus omnia victui et vestitui necessaria, et sic de reliquis. Et quia homines multas divitias possidentes ad eas gubernandas multitudine indigent famulorum, convenienter subditur ac familia multa nimis. Consequenter ponitur prosperitas eius quantum ad honorem et famam quae longe lateque diffundebatur, et hoc est quod dicitur eratque vir ille magnus inter omnes Orientales, idest honoratus et famosus. Ad maiorem autem ipsius Iob commendationem consequenter disciplina domus eius describitur, quae immunis erat ab illis vitiis quae opulentia gignere solet. Plerumque namque divitiarum abundantia discordiam parit, unde legitur in Genesi quod Abraham et Loth nequiverunt simul habitare, ad vitandum iurgium quod ex rerum abundantia proveniebat. Frequenter etiam homines multa possidentes, dum ea quae possident immoderate amant, eis tenacius utuntur, unde dicitur Eccl. VI 1 est et aliud malum quod vidi sub sole, et quidem frequens apud homines : vir cui dedit Deus divitias et substantiam et honorem, et nihil deest animae eius ex omnibus quae desiderat, nec tribuit ei Deus potestatem ut comedat ex eo. Ab his igitur malis immunis erat domus beati Iob : erat enim ibi concordia et iocunda et aequa frugalitas, quod significatur cum dicitur et ibant filii eius et faciebant convivia per domos unusquisque in die sua. Haec autem caritas et concordia non solum inter fratres erat sed usque ad sorores extendebatur, quae frequenter despiciuntur a fratribus propter superbiam quam opulentia plurimum gignit, unde subditur et mittentes vocabant tres sorores suas ut comederent et biberent cum eis vinum. Simul etiam designatur in hoc securitas quae de castitate filiarum habebatur; alias enim non circumducendae erant sed includendae, secundum illud sapientis Eccli. XXVI 13 in filia non avertente se firma custodiam, ne inventa occasione abutatur se. Sicut autem in domo Iob frugalitas et concordia vigebat, sic in ipso Job vigebat sancta sollicitudo puritatis quam frequenter divitiae obruunt vel etiam minuunt, secundum illud Deut. Incrassatus est dilectus et recalcitravit, et postea sequitur dereliquit Deum factorem et cetera. Et quidem de sua puritate intantum sollicitus erat quod ab his quae inquinare poterant totaliter procul erat : dictum est enim supra quod erat timens Deum et recedens a malo. Sed etiam circa filiorum puritatem maxime sollicitus erat; permittebat siquidem eos convivia agere eorum indulgens aetati : quaedam enim in iuvenibus tolerantur quae in personis gravibus reprehensibilia sunt. Et quia in conviviis vix aut numquam homines vitare possunt quin vel per ineptam laetitiam vel per inordinatam loquacitatem aut etiam immoderatum cibi usum offendant, filiis quos a conviviis non arcebat purificationis exhibebat remedium, unde dicitur cumque in orbem transissent dies convivii, mittebat ad eos Iob et sanctificabat illos. Dicuntur autem in orbem dies transire convivii quia cum septem filii essent et unusquisque in die sua convivium faceret, per omnes dies septimanae seriatim huiusmodi consummabant convivia; postmodum quasi circulariter sive orbiculariter, sicut in diebus septimanae ita in conviviis ad principium rediebatur. Notandum autem quod licet Iob filiis indulgeret ut convivia agerent, tamen ipse suam gravitatem conservans eorum conviviis se non immiscebat : unde dicitur quod mittebat ad eos, non quod ipse ad eos iret. Modus autem sanctificationis quo per internuntium sanctificabat potest intelligi dupliciter : vel quia salubribus monitis eos instrui faciebat ut si quid in conviviis deliquerant emendarent, vel etiam expiationis aliquem ritum habebant quo huiusmodi delicta expiabantur, sicut et sacrificia etiam ante legem data fuerunt, et primitiarum et decimarum oblatio. In conviviis autem homines interdum non solum impuritatem incurrunt modis praedictis, sed etiam gravioribus peccatis immerguntur usque ad Dei contemptum, propter lasciviam ratione absorpta et a reverentia divina abstracta, sicut in Exodo dicitur sedit populus manducare et bibere et surrexerunt ludere, idest fornicari vel idolis immolare. Iob igitur non solum contra levia delicta filiis sanctificando subveniebat, sed etiam contra graviora remedium studebat apponere quo eis Deus placaretur, unde sequitur consurgensque diluculo offerebat holocausta per singulos. In quibus verbis ostenditur perfectio devotionis ipsius, et quantum ad tempus quia diluculo consurgebat, secundum illud Psalmi mane astabo tibi etc.; et quantum ad modum oblationis quia holocausta offerebat quae totaliter comburebantur ad honorem Dei, nulla parte relicta in usum offerentis vel eius pro quo offerebatur sicut erat in hostiis pacificis et pro peccato : dicitur enim holocaustum quasi totum incensum; et quantum ad numerum quia per singulos filios holocausta offerebat : singula enim peccata convenientibus satisfactionibus sunt expianda. Causam autem oblationis holocaustorum subiungit dicens dicebat enim, scilicet Iob in corde suo, non quidem de peccatis filiorum certus sed dubitans, ne forte peccaverint filii mei, scilicet opere vel verbo, et benedixerint Deo in cordibus suis. Quod quidem dupliciter intelligi potest. Uno modo ut totum intelligatur coniunctim : quamvis enim benedicere Deum sit bonum, tamen benedicere Deum de hoc quod homo peccavit significat voluntatem in peccatis quiescentem, et quantum ad hoc vituperatur, sicut in Zacharia dicitur contra quosdam : pasce pecora occisionis, quae qui possederant occidebant et non dolebant et vendebant ea dicentes : benedictus dominus. Divites facti sumus. Alio modo ut intelligatur divisim, et sic per hoc quod dicitur benedixerint, intelligitur maledixerint : crimen enim blasphemiae tam horribile est ut pia ora ipsum nominare proprio nomine reformident, sed ipsum per contrarium significant. Et convenienter pro peccato blasphemiae holocausta offeruntur, quia ea quae in Deum committuntur honoratione divina sunt expurganda. Solet autem contingere quod divinus cultus a quibusdam devote perficiatur si rarus sit, cum autem frequens fuerit in fastidium venit, quod est peccatum accidiae, cum aliquis scilicet tristatur de spirituali labore. Cui quidem vitio Iob subiectus non erat, nam subditur sic faciebat Iob cunctis diebus, quasi perseverantem in divino cultu devotionem conservans. Quadam autem die cum venissent et cetera. Post prosperitatem beati Iob enumeratam ponitur adversitas ipsius, et primo inducitur causa ipsius. Et ne quis putaret adversitates iustorum absque divina providentia procedere et per hoc aestimaret res humanas providentiae subiectas non esse, praemittitur quomodo Deus de rebus humanis curam habet et eas dispensat. Hoc autem symbolice et sub aenigmate proponitur secundum consuetudinem sacrae Scripturae, quae res spirituales sub figuris rerum corporalium describit, sicut patet Is. VI 1 vidi dominum sedentem super solium excelsum et elevatum, et in principio Ezechielis et in pluribus aliis locis. Et quamvis spiritualia sub figuris rerum corporalium proponantur, non tamen ea quae circa spiritualia intenduntur per figuras sensibiles ad mysticum sensum pertinent sed litteralem, quia sensus litteralis est qui primo per verba intenditur, sive proprie dicta sive figurate. Sciendum est autem quod divina providentia tali ordine res gubernat quod inferiora per superiora dispensat; corpora enim generabilia et corruptibilia subduntur motui corporum caelestium, et similiter inferiores spiritus rationales mortalibus corporibus uniti, scilicet animae, per superiores spiritus incorporeos administrantur. Hoc autem habet ecclesiastica traditio quod inter incorporeos spiritus quidam sunt boni qui, puritatem in qua creati sunt conservantes, divina gloria perfruuntur a Dei voluntate numquam recedentes : et hi quidem spiritus in Scripturis interdum dicuntur Angeli, idest nuntii, quia divina hominibus annuntiant, interdum autem filii Dei dicuntur inquantum Deo per participationem gloriae assimilantur. Mali autem spiritus quidam sunt, non per naturam aut per creationem cum cuiusque naturae auctor sit Deus nec summum bonum potest esse causa nisi bonorum, sed sunt mali per propriam culpam; huiusmodi autem spiritus in Scripturis Daemones dicuntur, et eorum primus dicitur Diabolus, quasi deorsum cadens, vel etiam Satan, idest adversarius. Utrique igitur spiritus homines ad aliqua agenda movent, boni quidem ad bona mali autem ad mala. Et sicut homines moventur a Deo per spiritus supra dictos, ita etiam ea quae per homines aguntur dicuntur in Scripturis eisdem spiritibus mediantibus ad divinum examen referri. Ad ostendendum igitur quod tam bona quam mala quae homines agunt divino iudicio subsunt, dicitur quadam autem die cum venissent filii Dei ut assisterent coram domino, affuit inter eos etiam Satan. Sciendum vero est quod Angeli, qui hic filii Dei dicuntur, assistere dicuntur domino dupliciter : uno modo inquantum Deus ab eis conspicitur, sicut scriptum est in Daniele millia millium ministrabant ei et decies centena millia assistebant ei, alio modo inquantum ipsi Angeli et eorum actus a Deo conspiciuntur; nam qui alicui domino assistunt, et eum conspiciunt et ab eo conspiciuntur. Primo igitur modo assistere non convenit Angelis nisi beatis qui divina visione perfruuntur, nec his omnibus sed illis tantum qui inter eos superiores existunt, qui magis intime divina visione perfruuntur et ad exteriora ministeria, secundum Dionysii sententiam, non exeunt : unde et a ministrantibus in praedicta auctoritate Danielis assistentes distinguuntur. Secundo autem modo assistere convenit non solum omnibus bonis Angelis sed etiam malis et etiam hominibus, quia quaecumque per eos aguntur divino conspectui et examini subduntur, et propter hoc dicitur quod cum venirent filii Dei ut assisterent coram domino, affuit inter eos etiam Satan. Et quamvis ea quae per Angelos bonos vel malos administrantur continue divino conspectui et examini subdantur, et sic semper et filii Dei assistant et Satan adsit inter eos, dicitur tamen quadam die, secundum morem Scripturae quae ea quae supra tempus sunt interdum per tempus designat ex aliquibus quae dicuntur in tempore; sicut in principio Genesis dicitur Deus aliqua dixisse primo vel secundo die quamvis eius dicere sit aeternum, propter hoc quod ea quae ab ipso dicuntur fiebant in tempore. Ita et nunc, quia factum de quo nunc intenditur determinato tempore extitit, dicuntur administratores huius facti quadam die coram domino astitisse quamvis coram domino assistere numquam desistant. Considerandum est etiam quod ad Dei iudicium aliter referuntur ea quae per bonos Angelos aguntur aliter ea quae per malos. Nam boni Angeli hoc intendunt ut ea quae agunt referantur in Deum, et ideo dicitur quod filii Dei venerunt ut assisterent coram domino, quasi proprio motu et intentione omnia divino iudicio subdentes; mali vero Angeli non intendunt ea quae agunt referre in Deum, sed eis nolentibus hoc accidit ut quicquid agunt subdatur divino iudicio, et ideo non dicitur de Satan quod venit ut assisteret coram domino sed solum quod affuit inter eos. Dicitur autem inter eos tum propter naturae parilitatem, tum ad insinuandum quod mala non sunt ex principali intentione sed superveniunt bonis quasi per accidens. Est autem differentia inter ea quae per bonos Angelos et malos aguntur : nam boni Angeli nihil agunt nisi ad quod divino iussu et voluntate moventur, in omnibus enim voluntatem divinam sequuntur; mali vero sua voluntate discordant a Deo, unde ea quae ipsi agunt a Deo aliena existunt quantum ad eorum intentionem. Et quia non consuevimus interrogare de his quae nos facimus sed de his quae absque nobis fiunt, ideo non dicitur quod dominus aliquid quaesierit a filiis Dei sed solum a Satan, et hoc est quod subditur cui dixit dominus : unde venis? Et notandum est quod non dicit ei dominus quid facis? Aut ubi es? Sed unde venis?, Quia ea ipsa facta quae per Daemones procurantur interdum ex divina voluntate proveniunt, dum per eos vel puniuntur mali vel exercentur boni; sed Daemonum intentio semper mala est et a Deo aliena, et ideo a Satan quaeritur unde venis? Quia eius intentio, a qua procedit tota ipsius actio, a Deo est aliena. Sciendum autem est quod dicere dupliciter accipitur, nam quandoque refertur ad conceptum cordis, quandoque autem ad significationem qua huiusmodi conceptus alteri exprimitur. Secundum igitur primum modum dicere Dei est aeternum et nihil est aliud quam generare filium qui est verbum ipsius. Secundo autem modo temporaliter Deus aliqua dicit, diversimode tamen secundum quod congruit eis quibus dicit : nam hominibus corporeos sensus habentibus aliquando Deus locutus est corporeo sono formato in aliqua subiecta creatura, sicut vox sonuit in Baptismo et in transfiguratione Christi : hic est filius meus dilectus; aliquando autem per imaginariam visionem, sicut multotiens legitur in prophetis; aliquando autem intelligibili expressione, et hoc modo intelligendum est Deum ad Satan dixisse inquantum eum intelligere facit quod ea quae ipse agit a Deo conspiciuntur. Sicut ergo dicere Dei ad Satan est ei notitiam praebere, ita respondere Satan Deo est non quidem alicuius rei Deo notitiam tradere sed considerare omnia sua divino conspectui aperta esse, et secundum hunc modum dicitur qui respondens ait : circuivi terram et perambulavi eam. Per hoc igitur quod dominus dicit ad Satan unde venis? Intentionem et acta Diaboli Deus examinat; per hoc autem quod Satan respondet circuivi terram et perambulavi eam, quasi suorum actuum Deo rationem reddit, ut ex utroque ostendatur omnia quae per Satan fiunt divinae providentiae subiecta esse. Per circuitum autem Satan calliditas eius ostenditur ad explorandum quos decipere possit, secundum illud I Petri ult. adversarius vester Diabolus tamquam leo rugiens circuit, quaerens quem devoret. Convenienter autem per circuitum calliditas designatur, sicut per rectum simplex iustitia, nam rectum est cuius medium non exit ab extremis : quia igitur actio iusti a suo principio quod est voluntas et fine intento non discrepat, convenienter iustis ascribitur rectitudo; callidorum autem est aliud praetendere et aliud intendere, et sic id quod demonstrant ex suo opere exit ab extremis dum nec voluntati concordat nec fini : unde recte callidi circuire dicuntur, propter quod scriptum est in circuitu impii ambulant. Sciendum vero est quod etsi Diabolus erga cunctos tam bonos quam malos calliditatis suae studio utatur, effectum tamen calliditatis suae in solis malis consequitur, qui recte terra nominantur; cum enim homo compositus sit ex natura spirituali et carne terrena, malum hominis in hoc consistit quod, derelictis spiritualibus bonis ad quae secundum rationalem mentem ordinatur, terrenis bonis inhaeret quae sibi competunt secundum carnem terrenam : et ideo mali inquantum naturam terrenam sequuntur recte terra dicuntur. Huiusmodi igitur terram non solum circuit Satan sed etiam perambulat, quia in eis effectum suae malitiae complet : in perambulatione enim complementum processus ipsius designatur, sicut e contrario de viris iustis dicitur quod in eis Deus perambulat, unde apostolus Cor. VI 16 inducit inhabitabo in illis et inambulabo inter eos. Potest etiam et ex hoc aliud intelligi. Triplex enim est status viventium : quidam sunt super terram, idest in caelo, ut Angeli et beati omnes, quidam in terra sicut homines mortali carne viventes, quidam autem sub terra ut Daemones et damnati omnes. Primos igitur Satan neque circuit neque perambulat, quia in caelestibus civibus nihil malitiae potest esse, sicut nec in caelestibus corporibus invenitur aliquod malum naturae; eos autem qui sunt in Inferno perambulat sed non circuit, quia eos totaliter suae malitiae subiectos habet, nec oportet ut ad eos decipiendos aliqua calliditate utatur; eos autem qui sunt in terra circuit et perambulat, quia et caliditate eos decipere nititur et quosdam eorum ad suam malitiam trahit, qui maxime per terram designantur, ut dictum est. Et quod per terram homines terreni designentur satis aperte ostenditur per hoc quod dominus Iob, quamvis in terra habitantem, a terra segregare videtur. Nam cum Satan dixisset circuivi terram et perambulavi eam, subiungitur dixitque dominus ad eum : numquid considerasti servum meum Iob, quod non sit ei similis in terra? Frustra enim quaesitum videretur an Iob considerasset qui terram circuisse et perambulasse se asserebat, nisi servum suum Iob praeter terram esse intelligeret. Et manifeste ostendit in quo a terra segregetur in hoc quod dicit servum meum Iob. Homo enim quasi medius constitutus est inter Deum et res terrenas, nam mente inhaeret Deo carne autem rebus terrenis coniungitur; omne autem medium duorum eo magis ab uno extremo recedit quo magis alteri appropinquat : homo igitur quanto magis Deo inhaeret tanto remotior est a terra. Hoc autem est servum Dei esse quod mente Deo inhaerere, nam servus est qui non sui causa est : ille autem qui mente Deo inhaeret se ipsum in Deum ordinat quasi servus amoris non timoris. Et notandum est quod affectiones terrenae aliquo modo a remotis imitantur spirituales affectus quibus mens Deo coniungitur, sed ad eorum similitudinem nullo modo pervenire possunt : nam et amor terrenus ab amore Dei deficit, et per consequens omnis affectio, nam cuiuslibet affectionis est amor principium. Unde convenienter postquam dixerat numquid considerasti servum meum Iob, subditur quod non sit similis ei in terra? Quia nihil in terrenis spiritualibus aequari potest. Quamvis et possit aliter intelligi : nam in unoquoque sancto est aliqua virtutis praeminentia quantum ad aliquem specialem usum, propter quod de singulis confessorum in Ecclesia canitur non est inventus similis illi qui conservaret legem excelsi, nisi quod in Christo omnia secundum perfectissimam excellentiam fuerunt; et secundum hunc modum intelligi potest quod nullus in terra habitantium similis erat Iob, inquantum Iob praeminebat quantum ad aliquem usum virtutis. In quo autem Iob fuerit servus Dei et nullus ei similis in terra, ostendit cum subdit homo simplex et rectus ac timens Deum et recedens a malo, quae quia supra exposita sunt ad praesens dimittantur. Considerandum autem quod Deus iustorum vitam non solum ad eorum bonum ordinat sed aliis eam conspicuam reddit; sed conspicientes eam non similiter afficiuntur ad ipsam : nam boni eam pro exemplo habentes ex ipsa proficiunt, mali vero si non corriguntur ut eius exemplo boni fiant, ex sanctorum vita inspecta deficiunt dum vel per invidiam torquentur vel falsis iudiciis eam pervertere conantur, secundum illud apostoli Cor. II 15 Christi odor bonus sumus Deo, et in his qui salvi fiunt et in his qui pereunt : aliis quidem odor mortis in mortem, aliis autem odor vitae in vitam. Sic igitur Deus sanctorum vitam non solum ab electis considerari vult ad profectum salutis sed etiam ab iniquis ad cumulum damnationis, quia ex vita sanctorum condemnabilis ostenditur perversitas impiorum, secundum illud quod dicitur Sap. IV 16 condemnat iustus mortuus vivos impios. Et ideo dominus ad Satan dicit numquid considerasti servum meum Iob etc., quasi dicat : terram quidem circuis et perambulas, sed servum meum Iob solum considerare potes et eius virtutem mirari. Solet autem perversorum hominum, quorum princeps est Satan et eorum hic personam gerit, talis esse consuetudo ut, sanctorum vitam quia reprehendere non possunt, non ex recta intentione eos agere calumnientur, secundum illud Eccli. XI 33 bona in mala convertens insidiatur et in electis imponet maculam. Et hoc apparet ex hoc quod subditur cui respondens Satan ait : numquid frustra Iob timet Deum? Quasi dicat : negare non possum quin bona faciat, sed hoc non agit ex recta intentione propter tuum amorem et honestatis, sed propter temporalia quae a te consecutus est. Et ideo dicit numquid frustra Iob timet Deum? Illud enim frustra facere dicimur ex quo id quod intendimus assequi non possumus; Iob autem tibi servit propter temporalia quae a te assecutus est, unde non est frustra quod tibi serviendo te timet. Et quod temporalem prosperitatem consecutus sit ostendit quantum ad duo. Primo quantum ad immunitatem malorum, quia scilicet praeservatus erat a Deo ab omni adversitate, et hoc est quod dicit nonne tu vallasti, idest protexisti sicut protegit vallum aut murus, eum, quantum ad suam personam, ac domum eius, quantum ad prolem et familiam, et universam substantiam eius, quantum ad possessiones; et addit per circuitum, ut perfecta immunitas ostendatur, quia illud quod per circuitum vallatur ex nulla parte potest pati insultum. Secundo ostendit eius prosperitatem quantum ad multiplicationem bonorum, et hoc est quod dicit operibus manuum eius benedixisti. Et quidem cum Deus dicendo omnia faciat, benedicere Dei est bonitatem rebus dare : tunc ergo Deus operibus alicuius benedicit quando ea ad bonum perducit ut finem debitum consequantur. Et quia quaedam bona homini proveniunt absque suo opere et intentione, propter hoc addit et possessio eius crevit in terra. Sic igitur Satan calumniatur facta beati Iob quasi ea ex intentione ageret bonitatis terrenae; unde manifestum est quod bona quae agimus non referuntur ad prosperitatem terrenam quasi ad praemium, alias non esset perversa intentio si quis propter prosperitatem temporalem Deo serviret; et similiter e contrario adversitas temporalis non est propria poena peccatorum, de quo fere in toto libro quaestio erit. Vult autem ostendere Satan quod propter prosperitatem terrenam quam consecutus erat Iob Deo servierat per oppositum : si enim cessante prosperitate terrena Iob Deum timere desineret, manifestum fieret quod propter prosperitatem terrenam qua fruebatur Deum timebat; et ideo subdit sed extende paululum manum tuam et tange cuncta quae possidet, scilicet ea auferendo, nisi in faciem benedixerit tibi, idest manifeste maledixerit, supple male mihi accidat. Et notandum quod ex magna adversitate etiam vere iustorum interdum corda commoventur, sed simulate iusti ex modica adversitate turbantur velut nullam virtutis radicem habentes. Vult ergo Satan innuere quod Iob non vere iustus erat sed simulate, et ideo dicit quod si etiam paululum adversitate tangatur murmuraret contra Deum, quod est Deum blasphemare. Et signanter dicit nisi in faciem benedixerit tibi, ut significet quia etiam in prosperitate in corde suo Deum quodammodo blasphemabat dum eius amori temporalia praeponebat, sed prosperitate sublata etiam in faciem blasphemaret, idest manifeste. Potest et aliter intelligi hoc quod dicit nisi in faciem benedixerit tibi, ut benedictio proprie sumatur et sit sensus : si tu paululum eum tangas prosperitatem terrenam auferendo, haec mihi accidant nisi manifestum fiat quod antea benedixerit tibi non in vero corde sed in facie, idest ad apparentiam hominum. Et quia, sicut dictum est, dominus sanctorum virtutem vult omnibus esse notam, et bonis et malis, placuit sibi ut sicut bona facta eius omnes conspexerant ita etiam recta eius intentio omnibus fieret manifesta : et ideo voluit Iob prosperitate terrena privare, ut eo in Dei timore perseverante manifestum fieret quod ex recta intentione et non propter temporalia Deum timebat. Sed sciendum est quod Deus malos punit et per bonos Angelos et per malos, sed bonis numquam adversitatem inducit nisi per malos : et ideo super beatum Iob adversitatem non nisi per Satan induci voluit, et propter hoc subditur dixit ergo dominus ad Satan : ecce universa quae habet in manu tua sunt, idest potestati tuae trado, tantum in eum ne extendas manum tuam. Ex quo manifeste datur intelligi quod iustis viris Satan non quantum vult sed quantum permittitur nocere potest. Considerandum etiam quod dominus dictum non praecepit Satan ut Iob offenderet sed solum ei potestatem dedit, quia voluntas nocendi inest cuilibet malo ex se ipso sed potestas non nisi a Deo. Patet igitur ex praedictis hanc fuisse causam adversitatis beati Iob ut eius virtus omnibus fieret manifesta, unde et de Tobia dicitur quod ideo dominus ei tentationem evenire permisit ut posteris daretur exemplum patientiae eius sicut et sancti Iob. Cavendum autem est ne credatur dominum ex verbis Satan inductum esse ad permittendum Iob affligi, sed aeterna dispositione hoc ordinavit ad manifestandam virtutem Iob contra omnes calumnias impiorum : et ideo praemittitur calumnia et subsequitur divina permissio. Egressusque est Satan a facie domini et cetera. Posita causa adversitatis beati Iob, consequenter ostenditur qualiter ei huiusmodi adversitas supervenit. Et quia tota inducta est per Satan, ideo de ipso primo dicitur egressusque est Satan a facie domini, quasi ad utendum potestate sibi permissa. Et signanter dicitur quod egressus est a facie domini, nam Satan secundum quod potestas ei permittitur nocendi alicui coram facie domini est, quia ex rationabili Dei voluntate hoc accidit, sed dum exequitur permissam sibi potestatem a facie domini exit, quia ab intentione permittentis recedit; quod in proposito apparet : permissum enim fuit ei a Deo ut posset nocere Iob ad manifestandam eius virtutem, sed Satan non propter hoc eum afflixit sed ut eum ad impatientiam et blasphemiam provocaret. Simul autem in hoc manifeste apparet verum esse quod supra diximus, Satan affuisse inter filios Dei coram eo assistentes secundum quod assistere dicuntur Deo aliqui prout divino iudicio et examini subduntur, non secundum quod assistere coram Deo dicuntur qui Deum vident : unde et hic non dicitur quod Satan abiecerit a facie sua Deum sed quod egressus est a facie domini, quasi ab intentione providentiae eius recedens licet ordinem providentiae effugere non valens. Considerandum est autem quod in adversitate enarranda ordo contrarius observatur ordini quo fuerat prosperitas enarrata. Nam in prosperitate enarrata a potioribus ad minora processit incipiens a persona ipsius Iob, et post hoc posuit prolem et deinde animalia, primo oves et deinceps alia : et hoc rationabiliter quia perpetuitas quae in persona salvari non potest quaeritur in prole, ad cuius sustentationem possessionibus indigetur. In adversitate autem proponitur e converso : nam primo narratur amissio substantiae, secundo oppressio prolis, tertio afflictio propriae personae, et hoc ad adversitatis augmentum, nam ille qui maiori adversitate oppressus est minorem non sentit, sed post minorem sentitur maior. Et ideo ut a singulis adversitatibus Iob propriam afflictionem sentiret et sic magis ad impatientiam commoveretur, incepit Satan a minori adversitate Iob affligere et paulatim processit ad maiora. Considerandum est etiam quod ab his quae subito superveniunt hominis animus magis commovetur, nam praecogitata adversa facilius tolerantur; et ideo ut Iob magis commoveretur, in tempore maximae iocunditatis quando minus de adversitate cogitari poterat, ei Satan adversitatem induxit, ut etiam ex ipsa iocunditate praesenti adversitas gravior appareret : nam contraria iuxta se posita magis elucescunt. Et ideo dicitur cum autem quadam die filii et filiae eius comederent et biberent vinum, quod specialiter ponitur ad iocunditatis indicium, secundum illud Eccli. XXXI 35 vinum in iocunditate creatum est, non in ebrietate, ab initio; in domo fratris sui primogeniti, quod etiam ad maiorem solemnitatem ponitur : probabile enim est quod in domo primogeniti solemnius convivium celebraretur; nuntius venit ad Iob qui diceret : boves arabant, ut ex memoria fructus damnum intolerabilius videretur; et asinae pascebantur iuxta eos, quod etiam ponitur ad augmentum doloris, dum consideraret quod eo tempore hostes supervenerunt quo plura simul possent rapere; et irruerunt Sabaei, hostes scilicet a remotis venientes, a quibus non de facili recuperari possent quae rapuissent; tuleruntque omnia, ne si aliqua reliquissent, ea saltem sufficerent ad necessarium usum et ad propaginem; et pueros percusserunt gladio, quod viro iusto gravius fuit; et evasi ego solus ut nuntiarem tibi, quasi dicat : ideo hoc divina dispositione evenit ut ego solus evaderem, ut tu posses habere nuntium tanti damni, quasi Deus te dolore affligere intendit. Hac autem adversitate nuntiata statim altera nuntiatur, ne si aliquod intervallum fieret interim ad cor suum rediret et se ad patientiam praepararet, et sic sequentia facilius sustineret; et propter hoc subditur cumque adhuc ille loqueretur venit alter et dixit : ignis Dei, idest a Deo missus, descendit de caelo, ut quasi eius menti imprimeretur quod non solum ab hominibus sed etiam a Deo persecutionem pateretur, et sic facilius contra Deum provocaretur; et tactas oves puerosque consumpsit, quasi divinitus hoc procuratum sit ut statim ad tactum ignis omnia consumarentur, quod est supra naturalem virtutem ignis; et effugi ego solus ut nuntiarem tibi. Sequitur sed adhuc illo loquente venit alius et dixit : Chaldaei, qui erant feroces et potentes; unde ad eorum potentiam ostendendam subditur fecerunt tres turmas, ut sic vindicta sperari non possit nec recuperatio damni; de quo damno subditur et invaserunt camelos et cetera. Sequitur de oppressione prolis : adhuc loquebatur ille et ecce alius intravit et dixit : filiis tuis et filiabus vescentibus et bibentibus vinum in domo fratris sui, ut ex hoc eorum mors tristior foret quo Iob poterat dubitare eos in statu alicuius peccati fuisse morte praeventos : nam et ipse propterea sanctificabat eos et holocausta per singulos offerebat quia timebat ne in conviviis aliquod peccatum incurrissent. Et ne forte posset credi quod paenituerint et animae suae providerint, subditur repente ventus vehemens irruit a regione deserti et concussit quatuor angulos domus, quod dicitur ad ostendendum vehementiam venti qui praeter consuetudinem totam domum simul subvertit, ut per hoc ostendatur ex divina voluntate processisse, et sic facilius contra Deum moveretur dum affligebatur ab eo cui devota mente servierat. Et ad maiorem doloris cumulum subditur damnum interemptae prolis, cum dicitur quae corruens oppressit liberos tuos et mortui sunt, scilicet omnes, ne saltem in aliquo evadente ex liberis posteritatis spes remaneret. Et hoc eo magis credebatur dolorosum quo liberis omnibus interemptis, aliquis famulorum evadere potuit ad concitandum dolorem, nam sequitur et effugi ego solus ut nuntiarem tibi. Considerandum vero est quod cum omnis praedicta adversitas sit per Satan inducta, necesse est confiteri quod Deo permittente Daemones possunt turbationem aeris inducere, ventos concitare, et facere ut ignis de caelo cadat. Quamvis enim materia corporalis non oboediat ad nutum Angelis neque bonis neque malis ad susceptionem formarum sed soli creatori Deo, tamen ad motum localem natura corporea nata est spirituali naturae oboedire; cuius indicium in homine apparet, nam ad solum imperium voluntatis moventur membra ut opus a voluntate dispositum prosequantur. Quaecumque igitur solo motu locali fieri possunt, haec per naturalem virtutem non solum spiritus boni sed etiam mali facere possunt, nisi divinitus prohibeantur; venti autem et pluviae et aliae huiusmodi aeris perturbationes ex solo motu vaporum resolutorum ex terra et aqua fieri possunt, unde ad huiusmodi procuranda naturalis virtus Daemonis sufficit : sed interdum ab hoc divina virtute prohibentur ut non liceat eis facere omne quod naturaliter possunt. Nec est contrarium quod dicitur Ier. XIV 22 numquid sunt in sculptilibus gentium qui pluant? Aliud enim est naturali cursu pluere, quod solius Dei est qui causas naturales ad hoc ordinavit, aliud vero est causis naturalibus a Deo ad pluendum ordinatis interdum artificialiter uti ad pluviam, vel ventum interdum quasi extraordinarie producendum. Tunc surrexit Iob et cetera. Enumerata adversitate beati Iob, agitur hic de patientia quam in adversitate monstravit. Sciendum autem est ad evidentiam eorum quae hic dicuntur quod circa corporalia bona et circa animi passiones antiquorum philosophorum diversa opinio fuit. Nam Stoici dixerunt bona exteriora nulla bona hominis esse, et quod pro eorum amissione nulla tristitia animo sapientis poterat inesse; Peripateticorum vero sententia fuit quod bona exteriora sunt quidem aliqua hominis bona, non quidem principalia sed quasi instrumentaliter ordinata ad principale hominis bonum, quod est bonum mentis : et propter hoc sapientem in amissionibus exteriorum bonorum moderate tristari concedebant, ita scilicet quod per tristitiam ratio non absorberetur ut a rectitudine declinaret. Et haec sententia verior est et ecclesiasticae doctrinae concordat, ut patet per Augustinum in libro de civitate Dei. Hanc igitur sententiam Iob secutus, tristitiam quidem in adversitate monstravit, tamen sic moderatam ut rationi subiecta esset, et ideo dicitur quod tunc surrexit Iob et scidit tunicam suam, quod apud homines solet esse tristitiae indicium. Notandum vero est quod dicit tunc, scilicet post mortem filiorum auditam, ut de eis magis quam de amissione rerum doluisse videatur. De amicis enim mortuis non dolere duri et insensibilis cordis esse videtur, sed virtuosi est hunc dolorem non immoderatum habere, secundum illud apostoli Thess. IV 13 nolumus vos ignorare de dormientibus, ut non contristemini sicut et ceteri qui spem non habent : et hoc in beato Iob fuit, unde et status mentis eius per actum exteriorem apparuit. Quia enim ratio erecta stetit, congruenter dicitur quod Iob surrexit, quamvis homines dolentes magis soleant prosterni; quia vero tristitiam patiebatur sed non penetrantem usque ad intima rationis perturbanda, in exterioribus tristitiae signum ostendit quantum ad duo, scilicet quantum ad ea quae sunt extra naturam corporis, unde dicitur et scidit tunicam suam, et quantum ad ea quae de natura corporis procedunt, unde dicitur et tonso capite, quod apud eos qui comam nutriunt solet esse doloris indicium. Unde haec duo signa tristitiae convenienter praemissis adversitatibus respondent, nam scissio tunicae respondet amissioni rerum, tonsio capitis amissioni filiorum. Tunc autem mens erecta stat quando humiliter Deo subicitur : unumquodque enim tanto in maiori nobilitatis altitudine consistit quanto magis suo perfectivo substat, sicut aer dum subditur luci et materia dum subditur formae; quod igitur mens beati Iob per tristitiam deiecta non erat sed in sua rectitudine persistens, manifestatur per hoc quod Deo se humiliter subdidit, nam sequitur corruens in terram adoravit, ad humilitatis et devotionis indicium demonstrandum. Et non solum factis statum suae mentis declaravit sed etiam verbis; rationabiliter enim demonstravit, etsi tristitiam pateretur, se tristitiae non debere succumbere. Primo quidem ex condicione naturae, unde dicitur et dixit : nudus egressus sum de utero matris meae, scilicet terrae quae est communis mater omnium, nudus revertar illuc, idest in terram; et secundum hunc modum dicitur Eccli. XL 1 occupatio magna creata est hominibus, et iugum grave super filios Adam a die exitus de ventre matris eorum usque in diem sepulturae in matrem omnium. Potest et aliter intelligi, ut quod dicitur de utero matris meae accipiatur ad litteram de utero mulieris quae genuit eum, quod autem dicitur nudus revertar illuc intelligitur quod haec dictio illuc facit simplicem relationem : non enim aliquis iterato in ventrem matris revertitur, sed revertitur in illum statum quem habuit in utero matris quantum ad aliquid, scilicet quantum ad hoc quod est alienum esse a conversatione humana. Hoc igitur dicens rationabiliter ostendit quod propter amissionem exteriorum bonorum non debet homo tristitia absorberi, quia exteriora bona non sunt ei connaturalia sed accidentaliter adveniunt, quod ex hoc patet quia homo sine eis in hunc mundum venit et sine eis recedit : unde accidentalibus bonis sublatis, si substantiale remaneat, non debet homo tristitia superari etsi eum tristitia tangat. Secundo ostendit idem ex divina operatione dicens dominus dedit, dominus abstulit : ubi primo consideranda est vera eius sententia de providentia divina circa res humanas. In hoc enim quod dixit dominus dedit, confessus est prosperitatem mundanam hominibus advenire non casualiter neque ex fato stellarum nec ex solo humano studio sed ex dispensatione divina; in hoc vero quod dicit dominus abstulit, confitetur etiam adversitates mundanas in hominibus divinae providentiae iudicio provenire. Hoc autem inducit quod non habet homo iustam querelam de Deo si temporalibus bonis spolietur, quia qui gratis dedit potuit vel usque ad finem vel ad tempus largiri : unde cum ante finem homini temporalia aufert, homo conqueri non potest. Tertio ostendit idem ex beneplacito divinae voluntatis dicens sicut domino placuit ita factum est; est autem amicorum idem velle et nolle : unde si ex beneplacito divino procedit quod aliquis bonis temporalibus spolietur, si Deum amat, debet voluntatem suam voluntati divinae conformare, ut hac consideratione tristitia non absorbeatur. Hae igitur tres rationes debito ordine ponuntur : nam in prima ratione ponitur quod bona temporalia sunt homini extranea, in secunda quod a Deo homini dantur et auferuntur, in tertia quod hoc accidit secundum beneplacitum divinae voluntatis. Unde ex prima ratione concluditur quod homo propter amissionem temporalium bonorum non debet tristitia absorberi, ex secunda quod nec etiam potest conqueri, ex tertia quod etiam debet gaudere. Non enim esset placitum Deo quod aliquis adversitatem pateretur nisi propter aliquod inde proveniens bonum : unde adversitas, licet ipsa ex se amara sit et tristitiam generet, tamen ex consideratione utilitatis propter quam Deo placet debet esse iocunda, sicut et de apostolis dicitur ibant apostoli gaudentes etc.; nam et de sumptione medicinae amarae aliquis ratione gaudet propter spem sanitatis licet sensu turbetur. Et quia gaudium est materia gratiarum actionis, ideo hanc tertiam rationem in gratiarum actionem concludit dicens sit nomen domini benedictum. Benedicitur quidem nomen domini ab hominibus inquantum de eius bonitate notitiam habent, quod scilicet omnia bene dispenset et nihil agat iniuste. Sic igitur concluditur innocentia Iob cum dicitur in omnibus his non peccavit Iob labiis suis, ut scilicet per verba impatientiae motum exprimeret, neque stultum quid contra Deum locutus est, idest blasphemum, ut scilicet de divina providentia blasphemaret : stultitia enim sapientiae opponitur quae proprie est cognitio divinorum.

Ce commentaire est réalisé dans l’intention de montrer comment Dieu dans sa providence gouverne les choses. Le livre de Job fait précéder tout le débat sur la souffrance d'une histoire qui raconte la multiple affliction d’un juste. C’est surtout cette question des malheurs qui frappent indifféremment les justes qui semble exclure la divine providence des affaires humaines. On décrit donc d’abord le personnage et on dit qu’il est du sexe masculin était un homme. Car ce sexe plus robuste supporte mieux les épreuves. On nous dit quelle est sa patrie au pays de Hus qui est à l’Orient. On dit aussi son nom : du nom de Job. Et ces deux choses confirment ce que je disais : il s’agit d’un fait passé et non d’une parabole.

Et pour qu’on ne croie pas que le récit de ses adversités tende à prouver qu’il a péché, on décrit ensuite sa vertu et donc qu’il fut exempt de péché. Il faut savoir en effet qu’il y a trois sortes de péchés chez l’homme : les péchés contre le prochain : l’homicide, l’adultère, le vol etc.; les péchés contre Dieu : le parjure, le sacrilège, le blasphème etc.; les péchés contre soi-même selon ce que dit l’Apôtre : "Celui qui fornique pèche contre son corps" (1 Cor 6, 18). On peut offenser le prochain de deux manières : en secret par la ruse, ouvertement par la violence. Or cet homme n’a pas trompé son prochain et cet homme-là était simple; car la simplicité s’oppose à la ruse; il ne fit violence à personne il était droit; la droiture en effet ressortit à la justice qui est une égalité selon Isaïe : "Les chemins du juste sont droits et droite est la route où il avance" (26, 7). Il n’a pas péché contre Dieu, on le dit clairement : craignant Dieu, pour désigner son respect envers Dieu. Il n’a pas péché contre soi éloigné du mal, car il eut le mal en horreur pour lui-même et pas uniquement en ce qu’il nuit au prochain ou offense Dieu.

Après avoir décrit sa personne et sa vertu on montre sa prospérité avec laquelle contrastera plus péniblement sa prochaine adversité. On veut aussi nous montrer l’intention gratuite de Dieu d’accorder de bonnes choses aux justes non seulement au spirituel mais aussi au temporel. Mais si parfois l’adversité accable les justes c’est pour une cause spéciale; d’où au commencement l’homme fut ainsi établi que rien ne le troublerait s’il gardait l’innocence.

Or un élément de la prospérité temporelle, après la vertu, consiste en nos proches et surtout dans les enfants qui sont comme une chose des parents. On décrit donc d’abord sa prospérité quant à sa nombreuse descendance lui étaient nés sept fils et trois filles. C’est expressément qu’on note un plus grand nombre de fils, car les parents sont plus attachés aux fils qu’aux filles, tant parce que ce qui est plus parfait est plus désirable - le masculin est au féminin comme le parfait à l’imparfait - tant parce que pour gérer les affaires l’aide des fils est plus efficace que celle des filles.

On décrit ensuite sa prospérité pour la multitude de ses richesses, principalement en bétail; car au début du genre humain, à cause du peu d’habitants, posséder des champs importait moins que de nourrir des animaux, surtout en Orient où la population est très clairsemée.

Parmi les animaux il y a d’abord ceux qui procurent la nourriture et le vêtement de l’homme telles les brebis d’où on dit qu’il avait sept mille brebis; ensuite ceux qui transportent les fardeaux c’est-à-dire les chameaux et on dit qu’il en avait trois mille en outre ceux qui servent à la culture soit cinq cents paires de bœufs; enfin il y a les animaux de trait, d’où les cinq cents ânes dont le croisement avec le cheval donnent les mules que les anciens utilisaient comme montures. Dans ces quatre espèces d’animaux sont compris tous les autres destinés aux usages similaires et aussi ce qu’ils peuvent produire en nourriture et vêtement, comme on vient de le dire pour les brebis. Et parce que ceux qui ont de grandes richesses ont besoin d’une multitude de domestiques on ajoute : une domesticité nombreuse. La prospérité est accompagnée d’honneur et Job était universellement connu cet homme était grand parmi tous les Orientaux; on le respectait et on en parlait.

Job se recommandait encore par la discipline de sa maison exempte de ces vices que l’opulence engendre généralement; car l’abondance des richesses donne naissance à la discordé. Dans la Genèse on dit qu’Abraham et Lot ne voulurent pas cohabiter afin de ne pas avoir de disputes, vu l’abondance de leurs biens (Gen 13). Fréquemment aussi ceux qui ont de grands biens parce qu’ils y sont immodérément attachés les retiennent avec ténacité. Qohélet dit : "Il y a encore un mal que j’ai vu sous le soleil et fréquent chez les hommes : celui à qui Dieu a donné les richesses, les biens, les honneurs et auquel rien ne manque aux désirs de son âme et Dieu ne lui a pas accordé de pouvoir s’en nourrir" (6, 1-2). De ces maux la maison de Job était exempte. Il y régnait une joyeuse concorde et une saine frugalité : ses fils allaient festoyer l’un chez l’autre chacun à son tour au jour fixé. Cette charité et cette concorde entre les frères s’étendaient à leurs sœurs, elles que les frères méprisent fréquemment à cause de la superbe que l’opulence engendre si souvent : on dit qu’ils envoyaient chercher les trois sœurs boire et manger avec eux. Par là on nous fait aussi comprendre qu’on était sûr de la chasteté des filles sinon elles n’auraient pas été conduites partout à la ronde mais tenues renfermées; le Siracide dit : "Une fille impudique doit être bien gardée de peur qu’elle n’abuse de l’occasion" (26, 10).

Or de même que régnaient frugalité et concorde chez les siens Job lui-même était plein de sollicitude pour la pureté des mœurs que souvent les richesses déparent ou amoindrissent, [dans le Deutéronome 32, 18 : "Il s’est engraissé, il s’est élargi et il a récalcitré". Et vraiment il avait un tel souci de pureté qu’il se tenait loin de tout ce qui pouvait le souiller. D’où non seulement on dit qu’il craignait Dieu et s’éloignait du mal mais qu’il était très soucieux de la pureté de ses fils; indulgent pour leur âge il les laissait festoyer. Certaines choses en effet sont tolérées chez les jeunes qui sont répréhensibles chez les personnes d’importance. Et parce que dans les festins on ne peut éviter le péché de frivolité, de bavardage désordonné ou de goinfrerie, Job offrait réparation pour ses fils qu’il n’écartait pas des festins lorsque la tournée des festins était finie il envoyait quelqu'un pour les purifier. On nous dit que les tournées de festins étaient achevées car comme ils étaient sept fils et que chacun faisait à son tour fête, tous les jours de la semaine y passaient et la série recommençait. Il faut noter qu’en permettant à ses fils de festoyer lui toutefois gardait son sérieux ne se mêlant pas à eux, c’est pourquoi il envoyait quelqu’un chez eux mais lui n’y allait pas.

De quelle sanctification s’agit-il quand on nous dit que par un messager il les purifiait? On peut l’entendre de deux manières : ou bien il faisait savoir qu’ils devaient amender ce en quoi ils avaient peut-être péché ou bien ils célébraient un rite d’expiation en réparation de ces fautes, tels les sacrifices qui avaient été pratiqués avant la loi : oblation des prémices et des dîmes.

Dans les festins non seulement on contracte des impuretés comme on vient de le dire mais encore on tombe dans des péchés plus graves jusqu’au mépris de Dieu et par la débauche certains y perdent la raison où tout respect pour Dieu disparaît, comme il est dit dans l’Exode 32, 6 : "Le peuple s’assit pour manger et boire, puis ils se levèrent pour les réjouissances" c’est-à-dire pour forniquer et immoler aux idoles. Job non seulement remédiait aux délits plus légers en faisant sacrifier pour ses fils mais il cherchait à appliquer une réparation contre des faits plus graves pour apaiser Dieu : d’où ce qui suit Levé de grand matin il offrait des holocaustes pour chacun d’eux. Par là on nous montre sa parfaite dévotion : d’abord pour l’heure, car dès l’aurore il était levé, selon le psaume 5, 5. "Dès le matin je me tiendrai devant toi"; ensuite quant à la nature de son offrande, car il offrait des holocaustes c’est-à-dire des victimes qui sont entièrement brûlées en l’honneur de Dieu sans rien réserver à l’offrant ou à celui pour qui on l’offre, comme c’était le cas pour les hosties pacifiques ou pour le péché enfin quant au nombre des holocaustes, car il le faisait ainsi pour chacun des fils; en effet chaque péché doit être expié d’une manière suffisante.

Le motif de ces sacrifices : il disait, c’est-à-dire en son cœur, sans être certain que ses fils eussent péché mais dans le doute de peur que mes fils aient péché en actes ou en paroles et qu’ils n’aient béni Dieu dans leur cœur; ce qui peut s’entendre de deux façons. Ou bien dans son contexte : bien qu’en effet bénir Dieu soit bon en soi, cependant le bénir quand on a péché signifie qu’on se plaît dans le péché, ce qui est répréhensible, comme on peut le lire en Zacharie s’élevant contre certains 11, 4-5 : "Fais paître les brebis d’abattoir; que leurs acheteurs tuent impunément, dont les vendeurs disent : Béni soit Jahvé, me voilà riche !" Ou bien hors du contexte et c’est alors maudire ou blasphémer. Le blasphème est un crime si horrible que les bouches pieu ses hésitent à lui donner un nom, de sorte qu’elles le nomment par son contraire. Il est donc juste d’offrir des holocaustes pour le péché de blasphème parce que les offenses commises contre Dieu doivent être lavées selon que l’exige l’honneur même de Dieu.

Il arrive habituellement que le culte divin rarement célébré l’est plus dévotement; devenu trop fréquent il engendre la routine qui est le péché de tiédeur lorsqu’on s’acquitte sans ardeur des choses spirituelles; ce qui n’était pas le cas pour Job, ainsi faisait-il tous les jours persévérant dans le culte divin avec grande dévotion.

 

CONFÉRENCE 2 — Satan (Job 1, 6-12)

 

6 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahvé, Satan vint aussi au milieu d'eux. 7 Et Yahvé dit à Satan : "D'où viens-tu?" Satan répondit à Yahvé et dit : "De parcourir le monde et de m'y promener." 8 Yahvé dit à Satan : "As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'y a pas d'homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal." 9 Satan répondit à Yahvé : "Est-ce gratuitement que Job craint Dieu? 10 Ne l'as-tu pas entouré comme une clôture, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient? Tu as béni l'œuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent le pays. 11 Mais étends la main, touche à tout ce qui lui appartient, et on verra s'il ne te maudit pas en face!" 12 Yahvé dit à Satan : "Voici, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir; seulement ne porte pas la main sur lui."

6 Un jour les fils de Dieu se présentèrent devant le Seigneur et Satan vint aussi avec eux. 7 le Seigneur lui dit : D’où viens-tu? Il répondit : J’ai parcouru la terre et l’ai visitée dans tous les sens. 8 le Seigneur de lui dire : N’as-tu pas remarqué mon serviteur Job qui n’a pas son pareil sur la terre, homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal? 9 Satan de répondre : Est-ce donc pour rien que Job craint Dieu, 10 l’as-tu pas protégé d’une haie, lui, sa maison et tout ce qui est d lui aux alentours? Tu as béni les travaux de ses mains et il a agrandi ses possessions sur la terre s'étends un peu ta main et porte atteinte à tout ce qu’il possède et lite maudira en face". 2 Seigneur dit donc à Satan "Voici, tout ce qu’il a, est en ton pouvoir; seulement n’étends pas la main sur lui."

 

Après avoir énuméré la prospérité du bienheureux Job il est question de son adversité et d’abord on en donne le motif. Et pour qu’on ne pense pas que le malheur des justes échappe à la divine providence et donc pour qu’on n’estime pas que les choses humaines ne sont pas sous le contrôle divin, on expose au préalable comment Dieu en prend soin et les gouverne. Cela est présenté symboliquement et sous forme allégorique, selon l’habitude de la sainte Ecriture qui décrit les choses spirituelles sous l’image des choses corporelles, comme il ressort en ce que dit Isaïe 6, 1 : "J’ai vu le Seigneur Dieu assis sur un trône haut et élevé"; de même au début d’Ezéchiel et en beaucoup d’endroits. Et bien que les choses spirituelles soient proposées sous des images corporelles cependant ce qui est visé n’est pas un sens mystique mais littéral soit au propre soit au figuré

Or il faut savoir que la divine providence gouverne les choses selon un ordre qui va de ce qui est supérieur à ce qui est inférieur. En effet les corps engendrés et corruptibles sont sous l’action des corps célestes et semblablement les esprits inférieurs rationnels, c’est-à-dire les âmes, sont administrés par des esprits supérieurs incorporels Or ceci est la tradition de l’Eglise que parmi les esprits incorporels il y a les bons qui ont gardé leur pureté première et qui jouissent de la gloire divine et ne se séparent plus de Dieu. Et ces esprits dans l’Ecriture sont parfois appelés anges c’est-à-dire messagers parce qu’ils annoncent aux hommes les secrets divins; parfois ils sont dits fils de Dieu, participant à la gloire de Dieu ils lui sont assimilés. Quant aux esprits mauvais ils ne le sont pas par nature ou par la création puisque Dieu est l’auteur de chacune des natures et que le souverain bien ne peut être cause que de ce qui est bon; ils sont mauvais par leur propre faute. L’Ecriture les appelle démons et leur chef est le diable comme étant tombé ou Satan c’est-à-dire l’adversaire. Les anges et les démons donc agissent sur l’homme, les anges pour le bien, les démons pour le mal. Et de même que les hommes sont mûs par Dieu au moyen de ces esprits, ainsi aussi, selon l’Ecriture, ce que les hommes font est rapporté à Dieu pour examen par ces mêmes esprits. C’est pourquoi afin de montrer que le bien et le mal fait par l’homme est soumis au jugement de Dieu on dit que un jour les fils de Dieu se présentèrent devant le Seigneur et que Satan vint aussi avec eux.

Les anges qui sont les fils de Dieu assistent devant Dieu de deux façons : d’une part en contemplant Dieu : Daniel 7, 10 : "Des millions le servaient et des myriades l’assistaient"; d’autre part en tant que les anges et leurs actes sont vus de Dieu; car ceux qui assistent un maître le voient et il les voit. Seuls les bons anges peuvent assister Dieu de la première manière et ils jouissent de la vision divine; ni tous ne le peuvent également, les esprits supérieurs jouissant plus intimement de cette vision et ils ne sont pas envoyés, selon Denys, pour des ministères extérieurs; d’où selon l’autorité de Daniel la distinction entre ceux qui assistent et ceux qui administrent De la seconde manière, assistent non seulement les bons anges mais aussi les mauvais anges, de même les hommes, car tout ce qu’ils font est soumis à l’examen et aux regards de Dieu et donc nous lisons que les fils de Dieu étant venus assister devant Dieu, Satan y était aussi. Et quoique les choses dont les anges bons ou mauvais ont la charge soient aussitôt soumises à l’examen et sous le regard de Dieu et qu’ainsi les fils de Dieu et Satan parmi eux sont dits assister, cependant on dit qu’il advint qu’un jour selon l’habitude de l’Ecriture qui parfois se sert de termes temporels pour désigner ce qui est au-dessus du temps, comme au début de la Genèse il est question que Dieu fit certaines choses le premier jour, le second jour, bien que ce qu’il dit alors soit éternel et le fit dans le temps. Ainsi maintenant le fait dont il s’agit ayant eu lieu à un certain moment les anges sont dits les administrateurs de ce fait ayant assisté un certain jour en présence de Dieu quoiqu’ils ne cessent jamais d’assister devant le Seigneur.

Il faut aussi savoir que pour le jugement de Dieu autre chose est ce que les bons anges rapportent à Dieu et autre chose les mauvais au sujet de leurs actes; car les bons cherchent à faire savoir à Dieu ce qu’ils font et donc on dit : que les fils de Dieu vinrent pour assister en présence de Dieu comme par un propre mouvement de leur volonté soumettant tout au jugement de Dieu; mais les mauvais anges ne cherchent pas à faire savoir ce qu’ils font, mais contrairement à leur volonté, tout ce qu’ils font est soumis au jugement de Dieu ou à la divine providence; et donc on ne dit pas que Satan vint pour se tenir devant Dieu mais seulement qu’il était présent parmi eux. On dit : parmi eux tant par l’égalité de nature que pour insinuer que le mal n’est pas directement voulu, mais survient au bien comme accessoire ment.

Or il y a une différence entre ce que les bons anges accomplissent et les mauvais; car les bons ne font rien que sous la motion divine qui décide et veut en toutes choses, en effet ils suivent la volonté divine. Les mauvais sont par leur volonté en désaccord avec Dieu d’où ce qu’ils font est étranger à Dieu quant à leur intention à eux. Et comme ce n’est pas dans notre habitude de nous interroger sur notre propre action mais sur ce qui se fait sans nous, donc on ne dit pas que le Seigneur s’est informé auprès des fils de Dieu mais seule ment auprès de Satan; et c’est ce qu’on nous dit : Auquel le Seigneur dit : D’où viens-tu? Remarquons que le Seigneur ne dit pas : Que fais-tu? Où es-tu? Mais d’où viens-tu? Car les événements mêmes que les démons provoquent, proviennent parfois de la volonté divine qui par eux punit les méchants ou exerce les bons; mais l’intention des démons est toujours mauvaise et étrangère à Dieu. Et donc il s’in forme auprès de Satan d’où viens-tu? car son intention d’où procède toute son action est étrangère à Dieu.

Dieu dit : dire peut avoir deux sens : car parfois il s’agit du concept intérieur parfois de l’expression de ce concept signifiée à un autre. Dans le premier sens, ce que Dieu dit est éternel et n’est autre que la génération du Fils qui est son propre verbe; dans le second sens, Dieu a certaines choses à communiquer, mais diversement selon les besoins de chacun. Car aux hommes qui ont des sens corporels, Dieu parle au moyen d’un son corporel formé dans une matière créée comme la voix qui retentit au baptême et à la transfiguration du Christ : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé". Parfois c’est par une vision imaginaire comme on le lit si souvent chez les prophètes. Parfois en langage intellectuel : et c’est de cette façon que Dieu “dit” à Satan, en tant qu’il lui fait comprendre que ce qu’il fait est connu de Dieu.

Donc de même que quand Dieu dit quelque chose à Satan il le lui faire connaître, ainsi Satan quand il répond à Dieu ne lui fait rien connaître, mais il considère que tout ce qu’il fait est à découvert devant Dieu; et selon cela on dit : lequel répondit : J’ai parcouru la terre et l’ai visitée dans tous les sens.

Donc le Seigneur en disant : à Satan : D’où viens-tu? Examine les intentions et les actions du diable; en répondant : J’ai parcouru la terre et je l’ai visitée dans tous les sens Satan en quelque sorte rend compte à Dieu de ses actes; des deux côtés on nous montre que ce que fait Satan est soumis à la divine providence. Circuler pour Satan cela veut dire sa ruse à rechercher qui il peut tromper, selon ce que dit saint Pierre : "Votre adversaire le diable comme un lion rugissant circule cherchant qui dévorer" (1 P. 5, 8). Cette circulation désigne bien la ruse, comme ce qui est droit, la simple justice : la ligne droite est le plus court chemin entre deux extrêmes. Comme donc l’action du juste est en accord avec son principe qui est la volonté de Dieu et avec la fin qu’il poursuit en Dieu il convient d’attribuer la rectitude aux justes, tandis que le propre des rusés est de prétendre autre chose que ce qu’ils intentent. Et ainsi ce qu’ils démontrent dans leurs œuvres s’écarte des extrêmes n’étant pas d’accord avec le principe ni avec la fin. D’où des hommes rusés on dit qu’ils circulent, en vertu de quoi il est écrit que les impies se promènent partout à l’entour (Ps. 11, 9). Or il faut savoir que si le diable s’emploie à faire usage de ruse envers tous, bons ou méchants, cependant c’est chez les méchants qu’il obtient le résultat de sa ruse et ils sont justement dits : la terre. En effet comme l’homme est composé d’une nature spirituelle et d’une chair (faite) de terre, le mal pour l’homme consiste en ce que, délaissant les biens spirituels auxquels il est ordonné selon son esprit rationnel, il adhère aux biens terrestres qui répondent à sa chair terrestre. Et donc les méchants qui suivent la chair sont dits de la terre. Cette terre Satan non seulement il y circule mais il la parcourt dans tous les sens parce que c’est chez eux qu’il accomplit son action malfaisante; ce parcours dans tous les sens est comme l’achèvement de son entreprise, comme au contraire on dit des justes que Dieu s’y promène; d’où ce que dit l’Apôtre : "J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux " (2 Cor 6, 16).

De ceci on peut encore donner une autre interprétation. En effet, il y a, pour les vivants trois états possibles : il y en a qui sont au-dessus de la terre, c’est-à-dire au ciel comme le sont les anges et les bienheureux; d’autres sont sur terre, comme les hommes en leur chair mortel; d’autres enfin sont sous terre comme les démons et tous les damnés. Satan ne circule ni ne parcourt les premiers parce que chez les citoyens du ciel ne se trouve aucune malice, comme dans les corps célestes aucun mal naturel. Chez ceux qui sont en enfer, il parcourt mais ne circule pas parce qu’il les a totalement soumis à sa malice et il ne lui faut plus user de ruse pour les tromper. Mais chez ceux qui sont sur la terre il circule et il parcourt car il s’efforce de les tromper par ruse et il en attire en sa malice qui surtout sont désignés par la terre comme on l’a dit.

Que par la terre on désigne les hommes terrestres on le montre assez clairement en ce que le Seigneur paraît mettre à part de la terre Job qui cependant habite sur terre; car comme Satan avait dit : J’ai circulé et parcouru la terre, on ajoute : Le Seigneur lui dit : N’as-tu pas remarqué mon serviteur Job; il n'y a pas comme lui de semblable sur terre. Interrogation qui semble bien vaine de savoir s’il avait remarqué Job, lui qui assurait avoir circulé et parcouru la terre, s’il n’entendait par là que Job son serviteur était au-delà de la terre et il montre surtout en quoi il est mis à part de la terre, par ces mots Mon serviteur Job. L’homme en effet tient en quelque sorte le milieu entre Dieu et les choses de la terre : car par l’esprit il adhère à Dieu, par la chair il rejoint les choses terrestres. Or tout ce qui tient le milieu entre deux extrêmes s’écarte d’autant plus de l’un qu’il se rapproche de l’autre. Plus donc l’homme s’approche de Dieu plus il s’éloigne de la terre. Et cela est être serviteur de Dieu, adhérer de cœur à Dieu. Car le serviteur n’est pas pour soi; or celui qui adhère de cœur à Dieu s’ordonne vers Dieu en service d’amour et non de crainte.

Et il est à noter que les affections terrestres, d’une certaine façon et de loin, imitent les affections spirituelles qui unissent le cœur à Dieu, quoiqu’elles ne puissent nullement parvenir à leur ressemblance. Car l’amour terrestre ne peut se comparer à l’amour pour Dieu et conséquemment toute affection, car l’amour est le principe de toute affection. D’où justement après avoir dit : n’as-tu pas remarqué Job mon serviteur, il ajoute : il n’a pas son semblable sur la terre; car rien sur la terre ne peut égaler les choses spirituelles. On peut aussi l’interpréter autrement : car en chacun des saints on trouve une vertu dominante en vue d’un usage spécial. C’est pourquoi pour chacun des confesseurs l’Eglise chante qu’il ne se trouve pas de semblable qui ait gardé la loi du Très-Haut, hormis le Christ où tout était selon l’excellence la plus parfaite. De cette manière aussi peut-on comprendre que personne habitant sur terre n’était semblable à Job en tant qu’il excellait en une vertu spéciale. En quoi Job fut serviteur de Dieu et que nul ne lui était semblable sur terre on le montre en disant : Homme simple et droit et craignant Dieu et éloigné du mal. Ce que nous avons déjà vu plus haut et donc on ne doit plus y revenir.

Remarquons que le Seigneur ordonne la vie des justes non seule ment pour leur bien mais encore qu’il la rend visible aux autres; mais ceux qui la voient n’y sont pas également sensibles : car les bons la prennent en exemple et par elle ils font des progrès; les méchants s’ils n’en sont pas corrigés et devenus meilleurs par leur exemple, détournent leur regard de la vie des saints soit que l’envie les tourmente, soit qu’ils s’efforcent de la ruiner par de faux jugements : (de cela) l’Apôtre dit : "Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu et pour ceux qui sont sauvés et pour ceux qui se perdent; aux uns une odeur de mort pour la mort, aux autres un parfum de vie pour la vie" (2 Cor, 2, 15-16). Ainsi donc Dieu veut que la vie de saints soit connue des élus pour le progrès de leur salut mais aussi des méchants pour combler leur damnation; parce que l’exemple de la vie des saints condamne la perversité des impies, selon le livre de la Sagesse : "La mort du juste condamne la vie des impies " (4, 16). Et voilà pourquoi Dieu dit à Satan : "N’as-tu pas remarqué Job mon serviteur? Comme s’il disait : tu parcours la terre et tu y circules mais tu peux contempler mon seul serviteur Job et admirer sa vertu.

Or les hommes pervers dont le prince est Satan et qui ici les représente ne pouvant rien reprocher dans la vie des saints ont coutume de les accuser d’agir sans intention de bien faire : "Tournant le bien en mal il dénigre le juste et lui dresse des embûches " (Sir. 11, 33). C’est ce qui ressort de ce qui suit : Et Satan répondit : Est-ce pour rien que Job craint Dieu? comme s’il disait : je ne puis nier le bien qu’il fait, mais son intention n’est pas droite il agit non par amour et honnêteté mais pour les choses temporelles qu’il a obtenues de toi. En effet on agit en vain quand on n’obtient pas ce que l’on cherche. Or Job qui te sert pour des choses temporelles qu’il a obtenues de toi ce n’est pas pour rien qu’à ton service il te craint.

Et qu’il ait obtenu la prospérité temporelle on peut le constater à deux choses : d’abord à l’exemption de tous maux, c’est-à-dire que Dieu l’a préservé de toutes adversités et c’est ce qu’il dit : Ne l’as-tu pas protégé? Comme quand on élève une palissade ou un mur : lui, quant à sa personne et sa maison, quant à ses enfants et ses familiers et toute sa substance c’est-à-dire toutes ses possessions. Et il ajoute : tout à l’entour c’est-à-dire la parfaite immunité, car tout ce qui est entièrement entouré d’une clôture ne peut d’aucun côté être endommagé. Ensuite il montre sa prospérité dans la multitude de ses biens. Tu l’as béni dans les œuvres de ses mains. Et parce que Dieu fait toutes choses par sa parole Dieu dit du bien (bene-dicere) c’est conférer la bonté aux choses. Alors donc Dieu bénit les œuvres de quelqu’un quand il les fait bonnes et les rend prospères leur obtenant leur fin. Et parce que des biens arrivent à l’homme sans qu’il y ait travaillé et sans les avoir cherchés, à cause de cela il ajoute : Et ce qu’il possède s’est agrandi sur la terre. C’est donc ainsi que Satan déprécie ce que Job fait comme agissant dans le but de la prospérité terrestre. Il est donc évident que le bien que nous faisons ne se rapporte pas à la prospérité terrestre comme récompense sinon il n’y aurait aucune intention perverse si quelqu’un servait Dieu à cause de cette prospérité terrestre; et semblablement à l’inverse l’adversité temporelle n’est pas à proprement dit la peine du péché; c’est ce qui fera l’objet de tout le livre.

Or Satan veut montrer que Job avait servi Dieu à cause de la prospérité temporelle qu’il avait obtenue et qu’à l’opposé, si en effet cessait la prospérité terrestre, Job cesserait de craindre Dieu, il serait manifeste qu’il servait Dieu à cause d’elle. Et donc il ajoute : Etends la main et touche d tout ce qu’il possède c’est-à-dire en le lui enlevant sans qu’il te maudisse en face c’est-à-dire ouvertement, suppléez : et qu’il m’en arrive malheur. Et il est à noter que dans une grande adversité le cœur des vrais justes se laisse parfois émouvoir, tandis que les faux justes se laissent troubler lors d’une légère contrariété, car ils n’ont aucune profondeur de vertu. Donc Satan veut insinuer que Job n’était pas vraiment juste, mais par dissimulation. Et il dit donc que s’il était quelque peu éprouvé, il murmurerait contre Dieu; ce qui est blasphémer contre Dieu; c’est ce qu’il dit pertinemment sans qu’il te maudisse en face. Car même dans sa prospérité il blasphémait en son cœur contre Dieu en préférant les choses temporelles à son amour mais une fois qu’elles lui seraient enlevées il blasphémerait en face, c’est-à-dire ouvertement. On peut aussi l’entendre autrement : sans qu’il te bénisse en face : en prenant la bénédiction au sens propre et le sens est alors : si tu le touches un peu, c’est-à-dire en lui enlevant la prospérité terrestre, accorde moi, à preuve du contraire, qu’il t’a loué auparavant pour être vu des hommes, pour la forme et non d’un cœur sincère.

Et parce que, comme l’a vu (8b), le Seigneur veut que la vertu des saints soit connue de tous, des bons comme des méchants, il lui a plu que, de même que tous ont vu ses bonnes actions, ainsi aussi sa bonne intention soit manifestée; et donc il a voulu priver Job de sa prospérité temporelle pour que sa persévérance dans la crainte de Dieu montre à l’évidence qu’il craignait Dieu par intention droite et non pour des choses temporelles.

 Mais il faut savoir que Dieu punit les méchants au moyen des bons comme des mauvais anges; mais quant aux bons il ne leur envoie l’adversité que par le moyen des mauvais anges; et donc il n’a pas voulu éprouver le bienheureux Job sinon que par Satan; et voilà pourquoi on ajoute : Le Seigneur dit à Satan : Voici tout ce qu’il a, est en tes mains c’est-à-dire, je le livre en ta puissance seulement ne porte pas la main sur lui. D’où on nous fait clairement comprendre que Satan ne peut nuire aux hommes justes autant qu’il le veut mais autant qu’il le lui est permis. Il faut encore remarquer que le Seigneur n’a pas ordonné à Satan de nuire à Job mais lui a donné seulement la puissance "car tout méchant par lui-même veut nuire, mais le pouvoir est dans les mains de Dieu".

De ce qui précède il ressort donc que le motif de l’adversité de Job fut de montrer à tous à l’évidence sa vertu. D’où on dit aussi de Tobie que le Seigneur permit qu’il soit éprouvé pour donner aux descendants un exemple de sa patience, comme pour le saint homme Job. Il faut éviter de croire que ce sont les paroles de Satan qui ont amené Dieu à permettre l’affliction de Job; mais c’est par une disposition éternelle qu’il l’a voulu pour manifester la vertu de Job à l’en contre de toutes les calomnies des impies; et c’est pour cela que la calomnie vient avant et que la permission divine suit.

 

CONFÉRENCE 3 — L'épreuve (Job 1, 13-19)

 

 

12 Et Satan se retira de devant la face de Yahvé. 13 Or un jour que ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné, 14 un messager vint dire à Job : "Les bœufs étaient à labourer et les ânesses paissaient autour d'eux; 15 tout à coup les Sabéens sont survenus et les ont enlevés. Ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer." 16 Il parlait encore, lorsqu'un autre arriva et dit : "Le feu de Dieu est tombé du ciel; il a embrasé les brebis et les serviteurs et les a dévorés, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer." 17 Il parlait encore, lorsqu'un autre arriva et dit : "Les Chaldéens, partagés en trois bandes, se sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés. Ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer. 18 Il parlait encore, lorsqu'un autre arriva et dit : "Tes fils et tes filles mangeaient et buvaient du vin chez leur frère aîné, 19 et voilà qu'un grand vent s'est élevé de l'autre côté du désert et a saisi les quatre coins de la maison; elle s'est écroulée sur les jeunes gens, et ils sont morts, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer."

Satan se retira de devant le Seigneur. Un jour que ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin chez le plus âgé,' messager vint dire à Job : les bœufs étaient au labour et les ânesses paissaient tout près,' des Sabéens firent irruption, emportant tout avec eux, après avoir frappé du glaive les serviteurs, et seul j’ai pu m’échapper pour venir te l’annoncer. Il parlait encore qu’un autre Vint et dit : le feu de Dieu est tombé du ciel et frappant les brebis et les serviteurs il les a consumés et seul je me suis enfui pour Venir te l’annoncer. Il lui parlant encore, vint un autre et dit : des Chaldéens, en trois formations, se sont jetés sur les chameaux et les ont emmenés et ils ont frappé du glaive les serviteurs; et moi seul je me suis enfui pour te l’annoncer. 18 parlait encore qu’un autre entra et dit : tes fils et tes filles mangeaient et buvaient le vin en la maison du frère aîné, soudain un vent violent s’étant levé du côté du désert, ébranla les fondements de la maison qui en s‘écroulant ensevelit tes enfants et ils sont morts; moi seul j’ai pu m’enfuir pour te l’annoncer.

 

Sachant la raison de l’adversité de Job, on nous montre en conséquence comment cette adversité lui est survenue. Et parce que toute entière cette adversité est le fait de Satan on nous dit donc d’abord Satan sortit de devant la face du Seigneur, comme pour dire, afin de faire usage de la puissance qui lui était accordée; et on dit pertinemment de devant la face du Seigneur. Car Satan au moment où il reçoit la puissance de nuire à quelqu’un se trouve en face du Seigneur, parce que c’est ainsi voulu raisonnablement par Dieu; tandis que pour exécuter la puissance qui lui est accordée il se retire de la face du Seigneur. Car il s’écarta de l’intention de Dieu; ce qui paraît dans ce qui nous est proposé. En effet Dieu lui avait permis de nuire à Job afin de manifester sa vertu, mais Satan n’en fit rien et il s’efforça de provoquer l’impatience et le blasphème. On voit ici également la vérité de ce que nous avons dit plus haut : Satan avait été parmi les fils de Dieu qui se tenaient en présence de Dieu; ils sont en présence de Dieu en ce qu’ils sont soumis au jugement et au contrôle divins et non en ce qu’ils voient Dieu. Et donc ici on ne dit pas que Satan a rejeté Dieu de sa face, mais qu’il s’est retiré de la face de Dieu comme s’écartant de l’intention de la Providence, n’étant pas capable d’échapper aux dispositions de cette providence.

Il est à remarquer que dans le récit de l’adversité, l’ordre observé est l’inverse de celui où est racontée sa prospérité. Car dans cette dernière on va du plus grand au plus petit : la personne de Job lui- même, puis sa descendance, ensuite les animaux et d’abord les brebis et le reste; ce qui est rationnel car la perpétuité qui ne peut être sauvée dans la personne est cherchée dans la descendance laquelle pour subsister a besoin des biens matériels. Dans l’adversité on a l’in verse : on a d’abord la perte de la subsistance, puis la disparition de la descendance et enfin l’affliction de la personne. Cela fait que l’épreuve grandit : car celui qu’une trop grande adversité opprime ne ressent pas celle qui est moindre mais l’inverse est vrai. Et donc pour que de chacune des adversités Job en ressente une affliction appropriée et ainsi soit davantage provoqué à s’impatienter, Satan commence par affliger Job de la moindre adversité et insensiblement il va vers de plus grandes.

 Remarquons encore que les choses qui arrivent subitement aux hommes émeuvent davantage; car les adversités connues d’avance se supportent plus facilement. Et donc pour provoquer Job avec plus de succès, Satan suscite l’adversité au temps de son plus grand bonheur quand il était loin de penser à l’adversité, pour qu’en présence même de son bonheur le malheur apparaisse plus grand; car les contraires mis en présence l’un de l’autre s’éclairent davantage (Arist. 3 Reth. 17). Et donc on nous dit, un jour que les fils et les filles mangeaient et buvaient le vin, indice spéciale de la joie, selon l’Ecriture : "Au commencement le vin a été fait pour la réjouissance et non pour l’ébriété" (Sir. 31, 35). Cela se passait chez le fils aîné pour marquer plus de solennité; en effet il est assez probable que dans la maison du fils aîné on célébrait un festin solennel. Un messager arrive auprès de Job et lui dit : les bœufs étaient au labour; par ce rappel de la récolte le dommage paraissait plus intolérable. Et les ânesses paissaient auprès : ceci augmente encore la douleur tandis qu’il considérait que les Sabéens arrivèrent au moment où ils pouvaient s’emparer d’un plus grand butin. Et les Sabéens firent irruption, ennemis qui viennent de loin dont on ne pourrait pas facilement récupérer le butin. Ils se saisirent de tout ne laissant rien qui pourrait suffire au plus pressé et qui permettrait la propagation de l’espèce. Et ils frappèrent du glaive les serviteurs : lourde épreuve pour un homme juste. Et seul je me suis échappé pour te l’annoncer : comme s’il voulait dire, c’est donc par une disposition divine que j’ai pu échapper pour que tu puisses être informé d’un si grand malheur dont Dieu a voulu t’infliger la douleur.

A peine cette adversité lui est-elle annoncée que d’une autre aussitôt la nouvelle lui est apportée; or un répit lui eut permis de rentrer en lui-même, de se préparer à la patience et de supporter plus facilement l’événement. Et donc on ajoute : comme celui-là parlait encore un autre vint et dit : le feu de Dieu c’est-à-dire envoyé par Dieu, est descendu du ciel, comme pour lui inculquer que non seule ment il souffrait persécution de la part des hommes, mais encore de la part de Dieu et ainsi serait-il plus facilement excité contre Dieu. Et frappant les brebis et les serviteurs il les a consumés : comme ayant été procuré par Dieu pour qu’aussitôt au contact du feu tout soit consumé; ce qui est contraire à la vertu naturelle du feu. Et je me suis enfui seul pour te l’annoncer. On continue : mais il parlait encore qu’un autre arriva et dit : des Chaldéens, sous-entendu, qui sont féroces et puissants; et pour souligner leur puissance on ajoute en trois formations pour enlever tout essai de riposte et de réparer le dommage, et dont on ajoute : se sont jetés sur les chameaux et les ont emmenés. On continue avec la disparition de sa descendance : Il parlait encore et voici qu’un autre entra et dit : tes fils et tes filles buvaient du vin chez leur frère aîné : pour l’attrister davantage, Job pouvant douter qu’ils aient été en état de péché prévenus par la mort; car c’est pour cela qu’il offrait des holocaustes pour chacun d’eux et les purifiait, parce qu’il craignait qu’en leurs festins ils n’aient commis quelque péché. Et pour qu’il ne puisse penser qu’ils se soient repentis et aient pourvu à leur salut on ajoute : Soudain un vent violent s’est levé du côté du désert ébranlant les fondations de la maison ce qui indique la violence du vent; et chose extraordinaire il fit s’écrouler en une fois toute la maison; ce qui ne pouvait venir que de la volonté divine; ainsi serait-il plus facilement irrité contre Dieu affligeant celui qui le servait d’un cœur si dévot. Et pour comble de malheur vient s’ajouter la perte de sa descendance s’écroulant elle ensevelit tes enfants qui tous sont morts; mais si au moins l’un d’eux avait pu s’échapper, demeurait l’espoir de continuer la race; et ce qui en augmentait la douleur c’est que tous ses enfants ayant disparu un des serviteurs a pu s’échapper comme pour exciter sa douleur. Et je me suis échappé seul pour te l’annoncer.

Il y a lieu de remarquer que comme toute cette épreuve vient de Satan, il faut bien admettre qu’avec la permission de Dieu les démons peuvent agiter l’air, faire souffler le vent et faire descendre le feu du ciel. En effet bien que la matière corporelle en tant que sujet des formes (c’est-à-dire spécifique) n’obéisse pas au gré de la volonté des anges, bons ou mauvais, mais à Dieu seulement, cependant pour le mouvement local, la nature corporelle est apte à obéir à la nature spirituelle : on en a un exemple chez l’homme : car sur l’ordre de la volonté, nos membres se mettent en mouvement pour exécuter le désir exprimé par la volonté. Donc tout ce qui peut se faire par mouvement local, peuvent le faire par vertu naturelle non seulement les bons mais aussi les mauvais esprits à moins d’en être divinement empêchés. Or les vents et les pluies et les autres perturbations de l’air peuvent se produire du seul mouvement des vapeurs qui se dissolvent à partir de la terre et de l’eau. D’où pour les produire le pouvoir naturel du démon suffit; mais parfois la vertu divine les en empêche de sorte qu’ils ne leur est pas loisible de faire tout ce qu’ils peuvent naturelle ment. Cela n’est pas contraire à Jérémie qui écrit : "Les idoles des Gentils peuvent-elles faire pleuvoir?” (14, 22) : en effet autre chose est le cours naturel de la pluie qui dépend de Dieu seul, lequel a disposé pour ce faire les causes naturelles; autre chose est de les utiliser artificiellement pour produire, en quelque sorte par exception, la pluie ou le vent.

 

CONFÉRENCE 4 — Job ne pécha pas (Job 1, 20-22)

 

20 Alors Job se leva, il déchira son manteau et se rasa la tête; puis, se jetant par terre, 21 il adora et dit : "Nu je suis sorti du sein de ma mère, et nu j'y retournerai. Yahvé a donné, Yahvé a ôté; que le nom de Yahvé soit béni!" 22 En tout cela, Job ne pécha point et ne dit rien d'insensé contre Dieu.

20 lors Job se leva, déchira son vêtement se rasa la tête, puis se jetant à terre il adora. Il dit : Nu je suis sorti du sein de ma mère, nu j’y retournerai; le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, comme il a plu au Seigneur ainsi c’est arrivé; que le nom du Seigneur soit béni. 22 tout cela Job n’a pas péché par ses lèvres ni ne dit rien d’insensé contre Dieu. Après avoir énuméré les épreuves du bienheureux Job (l’auteur) traite ici de la patience dont il fit preuve dans l’adversité.

 

Après avoir énuméré les épreuves du bienheureux Job (l’auteur) traite ici de la patience dont il fit preuve dans l’adversité.

Pour bien saisir ce qui sera dit ici, il faut savoir qu’au sujet des biens corporels et des passions de l’âme les philosophes diffèrent d’opinion. Car les Stoïciens disent que les biens extérieurs ne sont aucunement bons pour l’homme et que leur perte ne peut causer aucune peine au cœur du sage. La sentence des Péripatéticiens est que les biens extérieurs sont bons pour l’homme, non cependant comme les principaux, mais comme instruments au service du bien principal de l’homme et qui est le bien de l’esprit; d’où ils concèdent qu’on puisse concevoir quelque tristesse dans la perte des biens extérieurs c’est-à-dire que la tristesse ne doit pas troubler la raison jusqu’à se détourner du droit chemin; et cette sentence est plus vraie et en accord avec l’enseignement de l’Eglise, comme il ressort de saint Augustin (De civ. Dei 14, 9 PL 41/413).

Donc conformément à cette doctrine, Job montra de la tristesse dans son adversité, mais ainsi modérée qu’elle soit soumise à la raison. Et donc on dit : alors il se leva et déchira ses vêtements, ce qui chez l’homme est un signe de tristesse. Notons ce mot. Alors c’est-à-dire après avoir appris la mort de ses enfants, pour qu’il soit montré qu’il en conçut plus de douleur que de la perte de ses biens; en effet n’être pas affligé de la perte de ceux qu’on aime, c’est faire preuve de dureté et d’insensibilité de cœur; mais c’est vertu que d’en avoir une douleur modérée, comme le dit l’Apôtre : "Nous ne voulons pas que Vous soyez dans l’ignorance au sujet des défunts afin que vous ne vous affligiez pas comme les autres qui n’ont pas d’espérance" (1 Thes. 4, 13). Et c’est ce que Job a ressenti : il a manifesté son état d’esprit par son attitude extérieure. En effet restant maître de soi, on dit à bon droit qu’il se leva, bien que ceux qui sont affligés sont habituellement prostrés, lui sentait la douleur mais elle ne pénétrait pas jusqu’à l’intime de son cœur. Cette tristesse il la montre en deux choses : quant à ce qui est en dehors du corps il déchira ses vêtements et quant à ce qui provient de la nature du corps et se rasa la tête : ce qui pour ceux qui entretiennent leur chevelure est un signe de tristesse. Et ces deux signes correspondent bien aux épreuves subies : la déchirure de sa tunique, à la perte des choses; la tonsure de la tête, à la perte des fils. Et l’esprit est debout quand il se soumet humblement à Dieu; en effet toute chose se maintient à une plus noble hauteur quand elle se soumet à ce qui la perfectionne, comme la matière se soumet à la forme et l’air qui reçoit la lumière. Donc que l’esprit de Job ne se laissait pas abattre par la tristesse, mais demeurait en sa droiture, cela est manifeste en ce qu’il se soumet humblement à Dieu, car se jetant à terre il adora, comme preuve de son humilité et de sa dévotion.

Et il déclare son état d’esprit non seulement par des actes, mais aussi dans ses paroles; en effet il démontra raisonnablement, bien qu’il souffrît, qu’il ne voulait pas succomber à la tristesse. D’abord de par la condition de sa nature; d’où il dit : Nu je suis sorti du sein de ma mère, c’est-à-dire de la terre qui est la commune mère de tous; nu j’y retournerai, c’est-à-dire dans le sein de la terre; c’est dans ce sens qu’on lit : "Grande occupation fut donnée aux hommes et un joug pesant sur les fils d’Adam depuis le jour où ils sont sortis du sein de leur mère jusqu’au jour de leur sépulture en la mère de tous" (Sir. , 1). Plus littéralement on peut l’entendre : du sein de ma mère, du sein de la femme qui m’a engendré. Quant à nu j’y retournerai doit s’entendre d’une simple relation : en effet personne ne retourne de nouveau dans le ventre de sa mère, mais du retour à l’état qu’on avait dans le sein de sa mère, relativement, c’est-à-dire qu’on est devenu étranger à la société des hommes. En disant : cela on montre justement que dans la perte des choses et des biens terrestres l’homme ne doit pas se laisser abattre par la tristesse parce que ces biens ne lui sont pas connaturels mais ajoutés accessoirement. Cela ressort de ce que l’homme est venu en ce monde sans eux et le quittera sans eux. D’où si les biens accidentels lui sont enlevés et que lui reste ce qui est substantiel, l’homme ne doit pas être écrasé sous la tristesse bien que celle-ci le touche.

On montre encore que en vertu même de l’action de Dieu l’homme ne doit pas succomber à la tristesse, en disant : le Seigneur a donné, le Seigneur a repris où l’on trouve la vraie sentence sur la providence divine au sujet des choses humaines. En effet en disant : le Seigneur a donné (Job) confesse que la prospérité en ce monde vient non par hasard ni par le destin des astres, ni de la seule application de l’homme, mais par une disposition et dispensation divines; en disant : le Seigneur a repris, il confesse que les épreuves aussi viennent d’un jugement de la divine providence. Donc ici il insinue que l’homme n’a aucun juste motif de plainte envers Dieu s’il est spolié des biens temporels. Car celui qui donne gratuitement, peut faire des largesses indéfiniment ou pour un temps. D’où si Dieu avant la fin enlève à l’homme les choses temporelles il n’y a pas de quoi se plaindre.

Enfin la tristesse ne doit pas nous abattre parce qu’il faut s’en remettre au bon plaisir divin : Job dit : comme il a plu au Seigneur ainsi c’est arrivé. C’est en effet le propre des amis de vouloir et de ne pas vouloir la même chose; d’où si par le bon plaisir de la divine providence, il arrive qu’on soit spolié des biens temporels, si on aime Dieu on doit conformer sa volonté à celle de Dieu pour que par cette considération la tristesse ne nous abaisse pas.

Donc trois raisons dans l’ordre :

les biens temporels sont extérieurs à l’homme;

Dieu les donne ou les retire;

selon son bon plaisir;

d’où, de la première raison on conclut que l’homme ne doit pas se laisser abattre par la perte des biens temporels; de la seconde, qu’il ne doit pas se plaindre; de la troisième, qu’il doit s’en réjouir. En effet le bon plaisir de Dieu n’est pas que l’on souffre de l’adversité sans qu’en provienne un bien; d’où l’adversité bien qu’elle soit amère et engendre la tristesse, cependant en considérant son utilité qui fait qu’elle plaît à Dieu, elle doit nous être agréable, comme il est dit au sujet des Apôtres : "Ils s’en allaient joyeux d’avoir eu à souffrir le mépris pour le Christ" (Act. 5, 41). Car on est heureux de prendre une médecine amère dans l’espoir de guérir, bien que pénible à nos sens. Et parce que la joie est matière à reconnaissance, il conclut pour la dernière raison à l’action de grâce, Job dit : Que le nom du Seigneur soit béni. Le nom du Seigneur doit être béni des hommes en tant qu’ils prennent connaissance de sa bonté c’est-à-dire qu’il dispose tout pour notre bien et qu’il n’agit pas injustement. Ainsi donc on conclut à l’innocence de Job en disant : en tout cela Job n’a pas péché par ses lèvres c’est-à-dire qu’il n’a proféré aucune parole d’impatience; et il n’a rien dit d’insensé contre Dieu c’est-à-dire un blasphème contre la divine providence : la sottise en effet s’oppose à la sagesse qui est proprement des choses divines.

 

 

Caput 2

Job 2 — Job frappé dans sa chair

 

CONFÉRENCE 1 — Satan veut frapper Job dans sa chair (Job 2, 1-6)

 

 

1 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahvé, Satan vint aussi au milieu d'eux se présenter devant Yahvé. 2 Et Yahvé dit à Satan : "D'où viens-tu?" Satan répondit à Yahvé et dit : "De parcourir le monde et de m'y promener." 3 Yahvé dit à Satan : "As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'y a pas d'homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. Il persévère toujours dans son intégrité, quoique tu m'aies provoqué à le perdre sans raison." 4 Satan répondit à Yahvé et dit : "Peau pour peau! L'homme donne ce qu'il possède pour conserver sa vie. 5 Mais étends ta main, touche ses os et sa chair, et on verra s'il ne te maudit pas en face." 6 Yahvé dit à Satan : "Voici que je le livre entre tes mains; seulement épargne sa vie!"

 

Il arriva un jour que les fils de Dieu étant venus se présenter devant Dieu, Satan vint aussi au milieu d’eux pour se présenter devant lui. 2 Dieu dit à Satan D’où viens-tu 7 Et celui-ci répondit : J’ai circulé sur la terre et je l’ai parcourue en tous sens. 3 le Seigneur dit à Satan : N’as-tu pas remarqué Job mon serviteur, qu’il n’a pas son pareil sur la terre, homme simple et droit et craignant Dieu et éloigné du mal et conservant encore son innocence? Or tu m’avais excité contre lui pour qu'inutilement je l’afflige. 4 lui répondant dit : Peau pour peau, et tout ce que cet homme a, qu’il le donne pour sa vie. 3 Reste étends la main et touche ses os et sa chair et alors tu verras qu’il te maudira en face. 6 Seigneur dit alors â Satan : Voici qu’il est en tes mains; toute fois garde sa vie sauve.

 [84900] Super Iob, cap. 2 Factum est autem, cum quadam die et cetera. Cum triplex sit hominis bonum, scilicet animae, corporis et exteriorum rerum, hoc modo ad invicem ordinantur ut corpus sit propter animam, res vero exteriores et propter corpus et propter animam. Sicut igitur est perversa intentio si quis bona animae ordinet ad prosperitatem exteriorum bonorum, ita est perversa intentio si quis bona animae ordinet ad corporis salutem. Et quidem quod Iob in actibus virtutum abundaret, quae sunt animae bona, sensibiliter cunctis poterat esse manifestum, unde et dominus ad Satan supra dixerat numquid considerasti servum meum Iob et cetera. Sed Satan calumniam inferebat quasi Iob actibus virtutum intenderet propter temporalia bona, sicut et mali homines quorum Satan princeps est perniciose iudicant de intentione bonorum; sed haec calumnia repulsa erat per hoc quod post exteriorum bonorum amissionem adhuc in virtute stabilis permanebat, ex quo sufficienter ostensum est quod eius intentio non erat ad exteriora bona obliquata. Restabat igitur ostendere ad perfectam demonstrationem virtutis Iob quod nec etiam ad salutem proprii corporis incurvata erat eius intentio, et ideo rursus inducitur divinum iudicium quo hoc manifestatur: hoc est ergo quod dicitur factum est autem, cum quadam die venissent filii Dei et starent coram domino, venisset quoque Satan inter eos et staret in conspectu eius, ut diceret dominus ad Satan: unde venis? Quibus verbis quia supra exposita sunt diutius immorandum non est, nisi quod hoc notandum est quod propter aliud factum alia dies hic inducitur, sicut et in principio Genesis secundum diversa rerum genera quae instituebantur diversi dies describuntur. Quid autem Satan examinatus responderit ostenditur consequenter cum dicitur qui respondens ait: circuivi terram et perambulavi eam. Et hoc ut supra. Et rursus dominus virtutem Iob ei quasi conspicuam proponit ut supra, unde sequitur et dixit dominus ad Satan: numquid considerasti servum meum Iob, quod non est illi similis in terra? Vir simplex et rectus et timens Deum ac recedens a malo. Sed quia iam quaedam virtus beati Iob manifestata erat quae prius manifesta non fuerat, scilicet constantia in adversis, ideo nunc addit et adhuc, scilicet post amissionem temporalium bonorum, retinens innocentiam; ex quo ulterius dominus ostendit suspicionem Satan fuisse calumniosam et intentionem frustratam, unde sequitur tu autem commovisti me adversus eum ut affligerem illum frustra. Ex hoc autem quod dicitur commovisti me adversus eum, non est intelligendum quod Deus ab aliquo provocetur ad volendum quod prius nolebat sicut est apud homines consuetum dicitur enim Num. XXIII 19 non est Deus ut homo ut mentiatur, neque ut filius hominis ut mutetur, sed loquitur hic Scriptura de Deo figuraliter more humano: homines enim quando facere aliquid volunt propter aliquem ab illo commoveri dicuntur; Deus autem vult quidem facere, sicut et facit, hoc propter illud, tamen absque omni mentis commotione quia ab aeterno in mente habuit quid propter quod facturus esset. Disposuerat igitur dominus ab aeterno Iob temporaliter affligere ad demonstrandam veritatem virtutis eius, ut omnis malignorum excluderetur calumnia, unde ad hoc significandum hic dicitur tu autem commovisti me adversus eum. Quod autem dicitur ut affligerem illum frustra, intelligendum est quantum ad intentionem Satan non quantum ad intentionem Dei: expetierat enim Satan adversitatem Iob intendens ex hoc eum in impatientiam et blasphemiam deducere, quod consecutus non erat; Deus autem hoc permiserat ad declarandam virtutem eius, quod et factum erat: sic igitur frustra afflictus est Iob quantum ad intentionem Satan sed non quantum ad intentionem Dei. Repulsus autem Satan non quiescit sed adhuc calumniam instruit, ostendere volens quod omnia bona quae Iob fecerat, et etiam hoc ipsum quod patienter adversa toleraverat, non pro amore Dei fecerat sed pro sui corporis salute, unde sequitur cui respondens Satan ait: pellem pro pelle, et cuncta quae habet homo dabit pro anima sua. Considerandum est autem quod Iob dupliciter afflictus fuerat, scilicet in amissione possessionum et in amissione natorum. Intendit igitur Satan dicere quod utramque afflictionem Iob patienter toleraverat pro corporis sui salute, et hoc non erat magnae virtutis sed erat humanum et apud homines consuetum; et hoc est quod dicit homo, quasi quicumque etiam non virtuosus, dabit de facili pellem pro pelle, idest carnem alienam pro carne sua: sustinet enim homo non virtuosus ut quicumque alii etiam quantumcumque coniuncti potius corpore affligantur quam ipse; et similiter homo quicumque dabit cuncta exteriora quae possidet pro anima sua, idest pro vita sua conservanda: exteriora enim bona ad conservationem vitae quaeruntur, ut sint in subsidium victus et vestitus et aliorum huiusmodi quibus vita hominis commode conservatur. Et quia posset aliquis dicere ad Satan unde: potest probari quod Iob amissionem natorum et possessionum patienter tulerit timens pelli suae et vitae suae? Quasi huic quaestioni respondens subdit alioquin, scilicet si verbo simplici non creditur, mitte manum tuam, idest exerce virtutem tuam, et tange os eius et carnem, idest affligas eum in corpore, non solum in superficie, quod posset significari per tactum carnis, sed etiam in profundum, quod significatur per tactum ossis, ut scilicet tactus usque ad intima perveniat; et tunc videbis, idest manifeste ab omnibus conspici poterit, quod in faciem benedixerit tibi, quod exponendum est ut supra. Voluit igitur dominus ostendere quod Iob Deo non servierat propter corporis salutem, sicut supra ostenderat quod ei non servivit propter exteriora bona, unde subditur dixit ergo dominus ad Satan: ecce in manu tua, idest potestatem tibi trado eum in corpore affligendi, verum tamen animam illius serva, idest vitam ei ne auferas. Non enim totaliter Deus servos suos voluntati Satan exponit sed secundum mensuram convenientem, secundum illud apostoli Cor. X 13 fidelis Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod potestis. Egressus igitur Satan et cetera. Accepta potestate Satan ad eius executionem procedit, unde dicitur egressus igitur Satan a facie domini percussit Iob, percussione quidem turpi et abominabili, unde dicitur ulcere, incurabili et doloroso, unde dicitur pessimo, et universali, unde dicitur a planta pedis usque ad verticem eius. Solent autem aegrotantium afflictiones remediis exterius adhibitis et deliciis alleviari, sed Iob sic alleviatus non fuit, sequitur enim qui testa saniem radebat, in quo ostenditur quod lenitiva medicamenta et delicata ei non adhibebantur; sedens in sterquilinio, ex quo ostenditur quod non recreabatur neque loci amoenitate neque stramentorum mollitie neque alicuius suavitatis odore, sed magis contrariis utebatur. Potest autem hoc dupliciter contigisse: vel quia percussus a domino ipse etiam se magis sponte affligebat et humiliabat ut misericordiam facilius obtineret, vel quia cuncta quae habebat amiserat, unde non poterat sibi convenientia remedia exhibere; et hoc satis probabile est ex hoc quod supra dominus dixit; nec videtur quod Satan citra potestatem sibi datam aliquid egerit ad nocendum. Solent etiam afflictiones hominum verbis consolatoriis relevari, sed afflicto Iob verba exasperantia dicuntur, tanto magis provocantia quanto a persona magis coniuncta proferuntur, sequitur enim dixit autem illi uxor sua, quam solam Diabolus reliquerat ut per eam viri iusti mentem pulsaret qui per feminam primum hominem deiecerat. Haec autem primo in verba irrisionis prorupit dicens adhuc tu permanes in simplicitate tua, quasi dicat: saltem post tot flagella cognoscere debes quia inutile tibi fuit simplicitatem servare, sicut etiam ex quorundam persona dicitur Mal. III 14 vanus est qui servit Deo; et quod emolumentum quia custodivimus praecepta eius? Secundo procedit ad verba perversae suggestionis dicens benedic Deo, idest maledic, quasi dicat: ex quo tibi benedicenti Deo adversitas supervenit, maledic Deo ut prosperitate potiaris. Ultimo concludit in verba desperationis dicens et morere, quasi dicat: pro mortuo te habe quia nihil tibi residuum est in simplicitate remanenti nisi ut moriaris. Vel aliter benedic Deo et morere, idest ex quo post tantam Dei reverentiam sic adversitate afflictus es, si adhuc Deo benedicas nihil restat nisi ut mortem expectes. Sanctus autem vir qui sua incommoda patienter tulerat, iniuriam Dei ferre non potuit, sequitur enim qui ait ad illam: quasi una de stultis mulieribus locuta es. Recte eam stultitiae arguit quae contra divinam sapientiam loquebatur. Quod autem stulte locuta fuerit ostendit si bona suscepimus de manu domini, mala autem quare non sustineamus? In quo perfectam hominis sapientiam docet. Cum enim temporalia bona et corporalia non sint amanda nisi propter spiritualia et aeterna, istis salvatis quasi principalioribus, non debet homo deici si illis privetur nec elevari si eis abundet. Docet ergo nos Iob tantam animi constantiam habere ut et bonis temporalibus, si nobis a Deo dentur, sic utamur ut ex hoc in superbiam non elevemur, et contraria mala sic sustineamus ut ex eis noster animus non deiciatur, secundum illud apostoli Phil. ult. Scio humiliari, scio et abundare, et postea omnia possum in eo qui me confortat. Deinde concluditur perseverans innocentia Iob cum dicitur in omnibus his non peccavit Iob labiis suis. Non solum per uxorem Diabolus mentem beati Iob exasperare nitebatur sed etiam per amicos, qui quamvis ad consolandum venerint tamen ad verba increpationis processerunt, de quibus dicitur igitur audientes tres amici Iob omne malum quod accidisset ei, venerunt singuli de loco suo, Eliphaz Themanites et Baldath Suites et Sophar Naamathites. Et quia inter hos fere vertitur tota disputatio huius libri, considerandum est quod hi tres in aliquo eiusdem opinionis erant cum Iob, unde amici eius dicuntur, et in aliquo ab eo differebant inter se invicem concordantes, unde sibi invicem connumerantur et a Iob discernuntur. Conveniebant siquidem cum Iob quod non solum res naturales sed etiam res humanae divinae providentiae subiacerent, sed differebant ab eo quod putabant hominem pro bonis quae agit remunerari a Deo prosperitate terrena, et pro malis quae agit puniri a Deo adversitate temporali, quasi temporalia bona sint praemia virtutum et temporalia mala sint propriae poenae peccatorum. Hanc autem opinionem quilibet eorum propriis modis defendere nititur, secundum quod sibi proprium ingenium suggerebat: propter quod dicuntur venisse singuli de loco suo. Iob autem huius opinionis non erat, sed credebat bona opera hominum ordinari ad remunerationem spiritualem futuram post hanc vitam, et similiter peccata futuris suppliciis esse punienda. Quod autem praedicti amici Iob ad consolandum venerint, ostenditur ex hoc quod sequitur condixerant enim ut pariter venientes visitarent eum et consolarentur, in quo veros amicos se ostenderunt in tribulationibus sibi non deficientes, dicitur enim Eccli. XII 9 in tristitia et in malitia viri amicus agnitus est. Et primo quidem ipsa visitatio consolativa erat: nam videre amicum et ei convivere delectabilissimum est. Consolantur etiam ipsum factis, compassionis suae ad eum signa ostendendo. Quibus compassionis signis praemittitur provocativum ad compassionem cum dicitur cumque elevassent procul oculos suos non cognoverunt eum: erat enim immutata facies ex ulcere, et habitus et reliquus cultus ex rerum amissione; quod autem dicit procul intelligendum est secundum eam mensuram qua homo a remotis potest cognosci. Haec autem immutatio amici eos provocavit ad tristitiam et compassionem quam per signa ostenderunt, sequitur enim et exclamantes, scilicet prae magnitudine doloris, ploraverunt, scissisque vestibus sparserunt pulverem super caput suum in signum humilitatis et deiectionis, quasi se ex deiectione amici deiectos reputantes. Addit autem in caelum, ut quasi hac humiliatione caelestem misericordiam provocarent. Considerandum est autem quod amicorum compassio consolativa est, vel quia adversitas quasi onus quoddam levius fertur quando a pluribus portatur, vel magis quia omnis tristitia ex admixtione delectationis alleviatur: delectabilissimum autem est experimentum sumere de amicitia alicuius, quod maxime sumitur ex compassione in adversis, et ideo consolationem affert. Non solum autem ex compassione ostensa eum consolabantur sed etiam ei societatem exhibendo, sequitur enim et sederunt cum eo in terra septem diebus et septem noctibus; intelligendum tamen est non continue sed congruentibus horis, indigebat enim magna tristitia diuturna consolatione. Sed tertium quod maxime est consolatorium, scilicet verbum, non exhibebant, sequitur enim et nemo loquebatur ei verbum. Taciturnitatis autem causa ostenditur cum subditur videbant enim dolorem esse vehementem, quae causa magis redditur secundum consolantium opinionem quam secundum statum afflicti; cum enim mens alicuius fuerit dolore absorpta consolationis verba non recipit, unde et poeta dicit quis matrem nisi mentis inops in funere nati flere vetat? Iob autem non sic erat dispositus ut prae tristitia consolationem recipere non posset, sed magis ipse secundum rationem consolabatur se ipsum, ut ex verbis eius supra inductis apparet.

Comme il y a trois biens pour l’homme : de l’âme, du corps et les choses extérieures, ils sont ordonnés entre eux de telle manière que le corps est pour l’âme; les choses extérieures et pour le corps et pour l’âme. De même donc que perverse est l’intention si quelqu’un ordonne les biens de l’âme pour la prospérité des biens extérieurs, ainsi aussi est perverse l’intention si quelqu’un ordonne les biens de l’âme au bien-être du corps. Et que Job ait abondé en actes de vertu, qui sont les biens de l’âme, tout le monde le reconnaît. D’où le Seigneur avait dit à Satan : n’as-tu pas remarqué Job mon serviteur qu’il n’a pas son semblable sur terre... mais Satan le calomniait en ce qu’il pratiquait la vertu en vue des biens temporels; de même font les méchants dont le chef est Satan, qui jugent malicieusement de l’intention des hommes de bien. Mais cette calomnie avait été repoussée quand après avoir perdu les biens extérieurs il demeura ferme dans la vertu. Par là il est suffisamment prouvé que son intention n’était pas tournée vers des biens extérieurs. Il reste donc à montrer pour une parfaite démonstration de la vertu de Job que ni pour le bien-être de son corps son intention n’a dévié. Et donc on dit le jugement divin qui le manifestera. Et c’est ce qu’on nous dit : il arriva un jour que les fils de Dieu étant venus se présenter devant le Seigneur, Satan vint aussi au milieu d’eux pour paraître en sa présence. Et le Seigneur dit à Satan : D’où viens-tu? Comme on a exposé ces mêmes choses plus haut on n’y revient pas; on notera seulement qu’un fait nouveau dit un autre jour; comme au début du livre de la Genèse selon les diverses œuvres de la création on dit différents jours. Ce que Satan répond interrogé on le dit, comme plus haut : J’ai circulé sur la terre et l’ai parcourue en tous sens. De même l’interrogation du Seigneur qui propose la vertu de Job : n’as-tu pas remarqué Job mon serviteur qui n’a pas son semblable sur la terre, homme simple et droit. Mais parce que maintenant s’est déjà manifestée une vertu du bienheureux Job qui ne l’était pas auparavant c’est-à-dire sa constance dans l’adversité on ajoute : donc Et encore c’est-à-dire après la perte des biens temporels gardant son innocence; par là le Seigneur montre en outre que le soupçon de Satan était une calomnie et qu’il avait manqué son but. D’où ce qui suit : Or tu m’avais excité contre lui pour que je l’afflige (mais en vain). De ce qu’il est dit : tu m’avais excité contre lui on ne doit pas entendre que Dieu soit amené à vouloir ce qu’auparavant il ne voulait pas, comme souvent chez les hommes. L’Ecriture dit en effet : "Dieu n’est pas comme l’homme qui ment, ni comme le fils d’homme qui change" (Num. 23, 19). Ici l’Ecriture parle de Dieu en métaphore à la manière humaine; les hommes en effet, lorsqu’ils veulent faire quelque chose à cause de quelqu’un, on dit qu’ils y sont poussés par ce dernier. Or Dieu veut bien sûr agir comme il le fait maintenant à cause de l’intervention de Satan, cependant sans aucune agitation de son esprit parce que de toute éternité il savait ce qu’il ferait et pourquoi. Il avait donc disposé éternellement d’affliger Job temporellement pour montrer sa vertu et pour bannir toute calomnie des méchants. D’où avec pertinence est-il dit : Mais toi tu m’as excité contre lui. Quant à ce qui est dit : Pour l’affliger inutilement il s’agit de l’intention de Satan, non de l’intention de Dieu.

 En effet Satan avait réclamé l’épreuve de Job cherchant par là à l’amener à l’impatience et au blasphème; ce qu’il n’avait pas obtenu. Or Dieu l’a permise pour faire apparaître sa vertu, ce qui s’est vérifié. Si donc Job a été inutilement affligé, ce le fut pour Satan mais non pour Dieu. Mais Satan repoussé ne chôme pas; il ajoute : encore à la calomnie voulant montrer que tous les biens que Job avait amassés et même cela qu’il avait supporté l’adversité patiemment, il n’avait pas agi par amour de Dieu mais pour le bien-être de son corps. D’où ce qui suit Satan lui répondit : peau pour peau et tout ce que l’homme a, qu’il le donne en échange de son âme. Rappelons que Job avait été affligé en la perte de ses possessions et de ses enfants. Donc ce que veut dire Satan c’est que Job avait supporté ces deux pertes ne visant que le bien de son corps et ce n’était donc pas d’une grande vertu; ce qui est humain et habituel chez l’homme. Et c’est ce qu’il a dit : l’homme comme quiconque, même sans vertu, donnera facilement peau pour peau c’est-à-dire la chair d’un autre plutôt que la sienne; en effet l’homme sans vertu supporte que tout autre que lui, même ses proches, souffrent dans leur corps plutôt que soi, et de même il est prêt, quel qu’il soit, à donner tout ce qu’il possède en échange de son âme c’est-à-dire pour conserver sa vie. En effet les biens extérieurs sont recherchés pour la conservation de la vie, pour se procurer la nourriture, l’habillement et le reste par quoi la vie se conserve commodément.

Et comme on pourrait dire à Satan : d’où peut-on prouver que la perte de ses enfants et de ses biens, Job l’a supportée patiemment parce qu’il craignait pour sa peau et pour sa vie, c’est en quelque sorte à cette question que Satan répond en disant : Du reste c’est-à-dire si on ne me croit pas, étends ta main c’est-à-dire exerce ton pouvoir, et touche à ses os et à sa chair c’est-à-dire afflige-le en son corps non seulement au-dehors, ce que signifie toucher à sa chair, mais aussi en profondeur c’est-à-dire ses os, pour qu’il soit atteint jusqu’à l’intime de lui-même. Et alors tu verras c’est-à-dire que tout le monde s’en rendra compte; qu’il te maudira en face : expression en clair du mot bénir, comme on l’a vu plus haut.

Le Seigneur a donc voulu montrer que Job n’avait pas servi Dieu pour le bien-être de son corps, comme plus haut il avait montré qu’il ne l’avait pas servi pour des biens extérieurs. D’où on ajoute : Le Seigneur donc dit à Satan, voici il est en tes mains c’est-à-dire en ton pouvoir; je te le livre pour être affligé en son corps. Toutefois garde-le en vie, ne la lui enlève pas. En effet Dieu n’abandonne pas ses serviteurs à la volonté de Satan, mais selon une juste mesure, comme le dit l’Apôtre : "Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces " (1 Cor 10, 13).

 

CONFÉRENCE 2 — Job brisé (Job 2, 7- 13)

 

7 Et Satan se retira de devant la face de Yahvé. Et il frappa Job d'une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête. 8 Et Job prit un tesson pour gratter ses plaies et il s'assit sur la cendre. 9 Et sa femme lui dit : "Tu persévère encore dans ton intégrité! Maudis Dieu et meurs!" 10 Il lui dit : "Tu parles comme une femme insensée. Nous recevons de Dieu le bien, et nous n'en recevrions pas aussi le mal?" En tout cela, Job ne pécha point par ses lèvres.

Trois amis de Job, Eliphaz de Théman, Baldad de Suhé, et Sophar de Naama, apprirent tous les malheurs qui étaient venus sur lui; ils partirent chacun de leur pays et se concertèrent pour venir le plaindre et le consoler. 12 Ayant de loin levé les yeux, ils ne le reconnurent pas, et ils élevèrent la voix et pleurèrent; ils se déchirèrent chacun leur manteau, et jetèrent de la poussière vers le ciel au-dessus de leurs têtes. 13 Et ils se tinrent assis à terre auprès de lui sept jours et sept nuits, sans qu'aucun d'eux lui dit une parole, parce qu'ils voyaient combien sa douleur était excessive.

 

7 Alors Satan sortit de devant le Seigneur et il frappa Job d’un très grave ulcère depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête 8 en grattait le pus avec un tesson, assis sur un tas d’ordures. 9 sa femme lui dit : Comment demeures-tu encore dans ta simplicité? Bénis Dieu et meurs. Il lui dit : Comme une de ces femmes insensées tu as parlé; si nous avons reçu de bonnes choses de la main du Seigneur pourquoi ne pas accepter les mauvaises? En tout cela Job ne pécha point de ses lèvres. “Or donc trois amis de Job apprenant tout le ruai qui lui était arrivé vinrent chacun de leur endroit, Eliphaz de Theman, Baldad de Shouah, et Sophar de Naarnah; ils avaient en effet convenu de venir ensemble le visiter et le consoler.' comme à distance ils levaient les yeux ils ne le reconnurent point. Et élevant la voix ils se mirent à pleurer; déchirant leurs vêtements ils couvraient leur tête de poussière vers le ciel;' ils s’assirent avec lui à même le sol sept jours et sept nuits; et aucun ne lui adressait la parole; ils n’osaient en effet que sa douleur était immense.

 

Après avoir reçu le pouvoir, Satan procède à son exécution; d’où on dit : Satan étant sorti de devant le Seigneur frappa Job d’un ulcère honteux et redoutable, incurable et douloureux : on dit qu’il était très grave; et de plus total depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête. Dans leur affliction on soulage les malades habituellement par des remèdes et des palliatifs, mais Job n’eut pas de ces soulagements. En effet ce qui suit : Il grattait le pus avec un tesson; on nous fait donc savoir que l’usage des médicaments et des lénifiants ne lui fut pas accordé. Assis sur un tas d’ordures : ne le réconfortait ni la beauté du lieu, ni la douceur d’un lit, ni quelque bonne odeur mais de tout cela le contraire. On peut entendre ces choses de deux manières ou bien parce que frappé par le Seigneur, lui-même spontanément s’affligeait et s’humiliait pour en obtenir plus facilement sa miséricorde ou bien parce qu’ayant tout perdu, il ne pouvait trouver aucun bon remède; ce qui est assez probable si l’on se fonde sur ce que le Seigneur a dit; et donc que Satan a usé de tout le pouvoir qui lui avait été accordé. Les hommes dans leur affliction trouvent soulagement dans des paroles consolatrices; mais ce sont d’amères reproches qui sont adressés à Job affligé et d’autant plus provocants qu’ils viennent d’une très proche personne. En effet sa femme lui dit, la seule personne que le diable lui ait laissée voulant par elle agiter l’esprit d’un homme juste, lui qui par la femme avait renversé le premier homme. Elle éclate d’abord en paroles impatientes disant comment persévères-tu encore dans ta simplicité? Comme si elle disait : au moins après tant de fléaux, tu devrais savoir qu’il fut inutile pour toi de garder la simplicité; comme le disent certains : "Vain est celui qui sert Dieu et quel avantage nous revient-il d’avoir gardé ses préceptes" (Mal. 3, 16). Ensuite elle prononce des paroles d’une perversité provocante : "Bénis Dieu" c’est-à-dire, maudis-le de ce que l’adversité t’est survenue en bénissant Dieu; maudis-le pour jouir de la prospérité. Enfin elle conclut en paroles de désespoir et meurs, comme si elle disait : Tiens-toi pour mort ! Car il ne te reste rien d’autre en persévérant en ta simplicité, que de mourir. Ou bien, autre interprétation Bénis Dieu et meurs ! C’est-à-dire être ainsi affligé après avoir si bien respecté Dieu, si tu continues à le bénir tu n’as plus qu’à attendre la mort.

Le saint homme qui avait enduré dans la patience ses malheurs ne put supporter l’injure faite à Dieu; en effet il lui dit : Telle une de ces femmes insensées tu as parlé. C’est avec raison qu’il lui reproche sa sottise, car elle outrageait la divine sagesse. Et il le montre : si nous avons reçu de bonnes choses de la part de Dieu pourquoi n'en pas accepter de mauvaises? En quoi il enseigne la parfaite sagesse humaine, puisque aussi bien on ne doit aimer les biens temporels et corporels qu’en fonction des biens spirituels et éternels; ceux-ci étant saufs, comme ils sont supérieurs, l’homme ne doit pas se laisser abattre s’il en est privé, ni s’élever s’ils abondent. Job donc nous apprend à avoir une telle constance d’âme que si Dieu nous accorde les biens temporels nous en usions sans nous élever dans la superbe et que nous endurions les maux contraires sans que notre courage en soit abattu, selon le dire de l’Apôtre "Je sais n’être rien, je sais être considéré" (Phil 4, 12) et il ajoute : "Je puis tout en celui qui me fortifie " (13). Ensuite, vient la conclusion que Job persévère en son innocence. En tout cela Job n’a pas péché par ses lèvres. Ce n’est pas seulement par sa femme que le diable s’efforce d’exaspérer la raison chez Job, mais aussi par ses amis qui bien qu’ils viennent le consoler en arrivent à des reproches. On dit qui ils sont : donc trois amis de Job apprenant tout le mal qui lui était arrivé vinrent chacun de leur endroit; Eliphas de Theman, Baldad de Shoudh et Sophar de Naamah. Et comme c’est entre eux que va se dérouler toute la discussion de ce livre, on doit faire remarquer que ces trois hommes étaient en partie d’accord avec Job, d’où ils sont dits ses amis et en partie ils divergeaient avec lui, tout en étant entre eux d’accord. Ils conviennent en effet avec Job que non seulement les choses naturelles, mais aussi humaines sont soumises à la divine providence; mais ils divergent avec lui parce qu’ils pensent que Dieu rémunère l’homme pour le bien qu’il fait en prospérité temporelle et qu’il le punit en adversité temporelle pour le mal qu’il fait, comme si les biens temporels étaient la récompense des vertus et les maux temporels les propres peines du péché. Or cette opinion chacun d’eux la défend à sa manière selon que leur génie propre le leur suggérait; c’est pourquoi on dit qu’ils sont venus chacun de leur endroit. Job n’est pas de leur avis mais il croit que nos bonnes œuvres sont ordonnées à la rémunération future spirituelle après cette vie et de même pour les péchés qui seront punis des supplices à venir.

Que ces amis de Job soient venus pour le consoler on nous le montre en ce qui suit : En effet ils s’étaient mis d’accord pour venir ensemble le consoler. En quoi ils se montrèrent de vrais amis ne l’abandonnant pas dans ses tribulations; en effet il est écrit : "C’est dans la peine et le malheur qu’on reconnaît son ami" (Sir 12, 9). Et d’abord leur visite est une consolation; car visiter un ami et se trouver avec lui est ce qu’il y a de plus délicieux. Ensuite ils le consolent par des actes, témoignant leur compassion par des signes; on dit : comme ils levaient les yeux à distance ils ne le reconnurent pas; en effet les ulcères avaient transformé son visage; et la perte des biens, tout son extérieur et toute sa noblesse. De loin c’est-à-dire à la distance d’où l’on peut reconnaître quelqu’un. Ce changement chez leur ami provoque tristesse et compassion exprimées par signes : et élevant la voix c’est-à-dire à cause de leur grande douleur ils se mirent à pleurer et déchirant leurs vêtements ils se couvraient la tête de poussière en signe d’humilité et de consternation se croyant perdus en même temps que leur ami. On ajoute vers le ciel comme pour provoquer la miséricorde du ciel par cette humiliation.

Cette compassion de ses amis est une consolation soit parce que le fardeau de l’adversité devient plus léger quand plusieurs le portent ou plutôt toute tristesse est allégée quand s’y mêle un plaisir. Or il est très délicieux d’expérimenter l’amitié de quelqu’un surtout quand elle s’exerce par la compassion dans le malheur, d’où la consolation qu’elle procure.

Ils l’ont consolé non seulement en témoignant leur compassion, mais encore par leur compagnie. En effet, ce qui suit : Ils s’assirent avec lui à même le sol sept jours et sept nuits. Cependant il faut entendre non pas continuellement mais à certaines heures où il avait davantage besoin d’une consolation soutenue dans cette immense tristesse. Enfin ce qui est particulièrement consolant c’est qu’ils ne dirent mot et personne ne lui dit un mot. Et on montre la cause de leur mutisme Ils voyaient que sa douleur était immense; l’attitude de ceux qui consolent rend mieux la chose que l’état de celui qui est affligé en effet lorsque l’esprit est absorbé dans la douleur il est moins réceptif aux paroles de consolation : c’est ainsi que le poète dit : "Qui, à moins de manquer de cœur, défendrait à une mère de pleurer son enfant?" Or Job n’était pas ainsi disposé qu’il ne puisse être consolé dans sa trop grande tristesse; mais plutôt lui-même se consolait-il selon la raison, comme on a pu le constater dans les paroles rapportées plus haut.

 

 

Caput 3

Job 3 — La plainte de Job

 

CONFÉRENCE 1 — Job maudit son jour (Job 3, 1-10)

 

 

1 Alors Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. 2 Job prit la parole et dit : "3 Périsse le jour où je suis né, et la nuit qui a dit : "Un homme est conçu!" 4 Ce jour, qu'il se change en ténèbres, que Dieu d'en haut n'en ait pas souci, que la lumière ne brille pas sur lui! 5 Que les ténèbres et l'ombre de la mort le revendiquent, qu'un nuage épais le couvre, que l'éclipse de sa lumière jette l'épouvante! 6 Cette nuit, que les ténèbres en fassent leur proie, qu'elle ne compte pas dans les jours de l'année, qu'elle n'entre pas dans la supputation des mois! 7 Que cette nuit soit un désert stérile, qu'on n'y entende pas de cri d'allégresse! 8 Que ceux-là la maudissent, qui maudissent les jours, qui savent évoquer Léviathan! 9 Que les étoiles de son crépuscule s'obscurcissent, qu'elle attende la lumière, sans qu'elle vienne, et qu'elle ne voie point les paupières de l'aurore, 10 parce qu'elle ne m'a pas fermé les portes du sein, et n'a pas dérobé la souffrance à mes regards!

2 Après cela Job ouvrit la bouche et il maudit son jour 2 il parla : 3 le jour où je suis né et la nuit où on a dit : Un homme est conçu. 4 ce jour-là se change en ténèbres; que d’en haut Dieu n'en ait souci; que ne brille sur lui nulle lumière! 5 les ténèbres et l’ombre de la mort l’obscurcissent; que sur lui se pose une nuée et qu’il soit enveloppé d’amertume. 6 cette nuit, qu’un tourbillon ténébreux s’en empare; qu’on ne la compte pas dans les jours de l’année, ni énumérée dans les mois. 7 cette nuit-là reste solitaire, ni digne de louange. 8 soit-elle de ceux qui ont maudit le jour; de ceux qui veulent réveiller le Léviathan. 9 son épaisseur obscurcisse les étoiles; qu’elle attende la lumière et qu'elle ne la voie pas, ni le lever de l’aurore, pour n'avoir pas fermé le sein qui me portait et n'avoir point caché la misère à mes yeux.

[84901] Super Iob, cap. 3 Post haec autem aperuit Iob os suum et cetera. Sicut supra dictum est, circa passiones animae duplex fuit antiquorum opinio: Stoici enim dixerunt tristitiam in sapientem non cadere, Peripatetici vero dixerunt sapientem quidem tristari sed in tristitiis secundum rationem moderate se habere, et haec opinio veritati concordat. Ratio enim condicionem naturae auferre non potest; est autem naturale sensibili naturae ut et convenientibus delectetur et gaudeat et de nocivis doleat et tristetur: hoc igitur ratio auferre non potest sed sic moderatur ut per tristitiam ratio a sua rectitudine non divertat. Concordat etiam haec opinio sacrae Scripturae, quae tristitiam in Christo ponit, in quo est omnis virtutis et sapientiae plenitudo. Sic igitur Iob ex praenarratis adversitatibus tristitiam quidem sensit, alias patientiae virtus in eo locum non haberet, sed propter tristitiam ratio a rectitudine non declinavit quin potius tristitiae dominabatur. Ad hoc igitur ostendendum dicitur post haec aperuit Iob os suum. Dicit autem post haec, idest post septem taciturnitatis dies; ex quo manifestum fit quod verba quae sequuntur sunt secundum rationem prolata per tristitiam non perturbatam; si enim ex perturbatione mentis dicta fuissent, prius ea protulisset quando vis tristitiae vehementior erat: tristitia enim quaelibet longitudine temporis mitigatur et in principio magis sentitur; unde propter hoc tandiu tacuisse videtur ne perturbata mente loqui iudicaretur. Quod etiam ostenditur per hoc quod dicitur aperuit os suum; cum enim aliquis loquitur ex impetu passionis, non ipse aperit os suum sed agitur passione ad loquendum: non enim per passionem nostri actus domini sumus sed per solam rationem. Loquendo autem tristitiam quam patiebatur ostendit: consuetum est enim apud sapientes ut ex ratione loquantur passionum motus quos sentiunt, sicut et Christus dixit tristis est anima mea usque ad mortem, et apostolus dicit Rom. VIII non enim quod volo bonum hoc ago, sed quod odi malum illud facio; sic etiam et Boetius in principio de consolatione tristitiam aperuit ut ostenderet quomodo eam ratione mitigaret: sic et Iob loquendo tristitiam suam aperuit unde sequitur et maledixit diei suo, quod videtur esse contra illud apostoli Rom. XII 14 benedicite et nolite maledicere. Sed sciendum est quod maledicere multipliciter dicitur: cum enim maledicere nihil aliud sit quam malum dicere, totiens dicitur maledicere quotiens contingit malum dicere. Contingit autem aliquem alicui malum dicere primo dictione causante malum, sicut divinum dicere est causa eorum quae dicuntur, et sententia iudicis aliquem condemnantis est causa poenae eius qui condemnatur; et per hunc modum intelligitur quod dominus dixit Gen. III 17 maledicta terra in opere tuo, et Gen. X maledictus Chanaan, servus sit fratrum suorum; et Iosue maledixit Achor qui de anathemate sustulerat. Secundo imprecando malum vel optando, sicut legitur in I Reg. quod Philisthaeus maledixit David in viis suis. Tertio contingit aliquem dicere malum simpliciter enuntiando vel in praesenti vel in praeterito vel in futuro, sive vere sive false. Prohibet igitur apostolus maledicere tali maledictione qua quis imprecatur malum alicui vel eum falso diffamat, non autem eo modo quo iudex reum condemnat vel aliquis verax malum alicuius rei ordinate demonstrat, vel demonstrando praesens vel recitando praeteritum vel praenuntiando futurum. Sic igitur intelligendum est Iob suo diei maledixisse quia eum malum esse denuntiavit, non secundum suam naturam qua a Deo creatus est, sed secundum illam Scripturae consuetudinem qua tempus dicitur bonum vel malum secundum ea quae in tempore aguntur, secundum illud apostoli Eph. V 16 redimentes tempus quoniam dies mali sunt; maledixit igitur Iob diei suo inquantum mala sibi in ipso die accidisse commemorat. Quomodo autem maledixerit subditur: et locutus est: pereat dies in qua natus sum, et nox in qua dictum est: conceptus est homo. Sciendum est autem quod licet esse et vivere secundum se sit appetibile, tamen esse et vivere in miseria est fugiendum secundum quod huiusmodi, licet interdum esse in miseria libenter sustineatur propter aliquem finem; unde illa misera vita quae non ordinatur ad aliquem finem bonum nullo modo est eligenda, secundum quod dominus dicit Matth. XXVI 24 melius erat ei si natus non fuisset homo ille. Bonum autem quod ex aliqua miseria expectatur sola ratio apprehendit, vis autem sensitiva non percipit, sicut amaritudinem medicinae gustus percipit sed sola ratio in fine sanitatis delectatur; si quis igitur passionem sui gustus vellet exprimere denuntiaret medicinam esse malam, quamvis ratio iudicaret eam esse bonam propter finem; sic igitur miseria quam beatus Iob sustinebat rationi quidem poterat videri quantum ad aliquid utilis esse, sed inferior pars animae quae ex ea tristitia afficiebatur adversitatem totaliter repudiabat, unde et ipsum vivere sub tali adversitate odiosum ei erat. Quando autem est nobis aliquid odiosum, omnia abominamur per quae in illud devenimus; et ideo Iob secundum inferiorem partem animae, cuius passionem nunc exprimere intendebat, et nativitatem et conceptionem suam ex quibus in hanc vitam devenerat odio habebat, et per consequens diem nativitatis et noctem conceptionis, secundum illum loquendi modum quo ex his quae in tempore aguntur aliquid ascribitur tempori bonum vel malum. Sic igitur Iob quia secundum partem sensibilem vitam sub adversitate repudiabat, volebat se numquam natum vel conceptum fuisse, et hoc est quod dicit pereat dies in qua natus sum, ac si diceret numquam natus fuissem. Et nox in qua dictum est, idest vere dici potuit conceptus est homo, idest utinam numquam conceptus fuissem. Et congrue ordinat, quia nativitate sublata conceptio non aufertur sed e converso; congruenter etiam conceptionem nocti ascribit et nativitatem diei, quia secundum astrologos nativitas diurna est laudabilior, principaliori sidere existente super terram, idest sole, conceptio autem nocturna est frequentior. Similis modus loquendi habetur Ier. XX 14: maledicta dies in qua natus sum, dies in qua peperit me mater mea non sit benedicta. Posita ergo maledictione diei nativitatis et noctis conceptionis, prosequitur singillatim de maledictione utriusque, et primo de maledictione diei nativitatis dicens dies ille vertatur in tenebras. Considerandum autem est quod, sicut Hieronymus dicit in prologo, a verbis Iob in quibus ait pereat dies in qua natus sum usque ad eum locum ubi ante finem voluminis scriptum est idcirco ipse me reprehendo, hexametri versus sunt, dactylo spondeoque currentes; et sic patet quod liber iste exhinc per modum poematis conscriptus est, unde per totum hunc librum figuris et coloribus utitur quibus poetae uti consueverunt. Solent autem poetae, ut vehementius moveant, ad eandem sententiam diversa inducere, unde et hic Iob ad maledicendum diei suae secundum modum quem dicimus ea inducit quibus aliquis dies solet esse odiosus. Dignitas autem diei est claritas eius, hac enim a nocte distinguitur; hanc igitur dignitatem excludit dicens dies ille vertatur in tenebras, quae quidem sententia quantum ad superficiem litterae frivola videtur et vana. Dies enim nativitatis praeterierat et iam non erat; quod autem praeteriit immutabile est: quomodo igitur poterat dies qui praeterierat in tenebras verti? Sed sciendum est quod quaedam per modum optandi dicuntur ad exprimendum iudicium quod de aliqua re habetur; sic igitur nunc dicitur dies ille vertatur in tenebras ac si diceretur: dies nativitatis meae debuisset esse tenebrosus ut congrueret tenebris miseriae quam patior. Quia enim aspectus luminis delectabilis est, secundum illud Eccl. XI 7 dulce lumen, et delectabile est oculis videre solem, consuetum est in Scripturis ut per tenebras tristitia significetur, secundum illud Eccl. V 16 comedit in tenebris et in curis multis et in aerumna atque tristitia. Est autem aliquis dies clarus multipliciter: primo quidem ex Dei sanctificatione qui eum celebrem esse instituit, sicut habetur Exodi XX 8 memento ut diem sabbati sanctifices; hanc igitur claritatem a praedicto die removet dicens non requirat eum Deus desuper, quasi dicat: non exigat Deus ab hominibus ut hunc diem celebrem agant. Dies enim aliqui exiguntur a Deo ad celebritatem propter aliquod insigne beneficium in illa die hominibus collatum, sicut sabbatum in veteri lege propter beneficium creationis, et dies Paschae propter beneficium liberationis ex Aegypto; quod etiam manifestum est in diebus festis qui in novo testamento celebrantur. Vult ergo per hoc significare quod sua nativitas non debet computari inter insignia Dei beneficia, cum magis ad miseriam natus esse videatur quam ad laetitiam. Secundo aliquis dies clarus est ex hominum recordatione: solent enim homines aliquos dies celebres agere in quibus aliqua magna et iocunda eis contigerunt, sicut Herodes et Pharao diem nativitatis celebrabant; hanc igitur claritatem a praedicto die removet dicens et non sit in recordatione, scilicet hominum, quia videlicet non aliquid iocundum in illa die accidit sed magis triste ut ex eventu apparet. Tertio dies clarus est ex corporali lumine, quae quidem claritas multipliciter aufertur: primo quidem ex subtractione radiorum solis illuminantium terram, ut patet quando sol eclipsatur, et quantum ad hoc dicit nec illustretur lumine; secundo ex oppositione nubium vel aliquorum huiusmodi occultantium radios solis, et quantum ad hoc dicit obscurent eum tenebrae; tertio ex defectu visivae virtutis, cum enim aliquis moritur vel visu privatur, quantum ad eum claritas diei aufertur, et quantum ad hoc dicit et umbra mortis. Modum autem obtenebrationis praemissae exponit dupliciter: primo quidem quantum ad ordinem in hoc quod dicit occupet eum caligo: tunc enim dies caligine occupatur quando diei prius splendenti subito et ex insperato tenebrae inducuntur, cuius simile in vita ipsius Iob apparet; secundo quantum ad genus tenebrarum in hoc quod dicit et involvatur amaritudine, per quod dat intelligere totum quod de obtenebratione dictum est ad tenebras tristitiae esse referendum: hunc enim morem observare videtur ut parabolicam locutionem ex aliquo subsequenti exponat. Per omnia igitur haec nihil aliud dicere intendit quam quod dies suae nativitatis non debet iudicari dies gaudii sed maeroris, cum per suam nativitatem ad vitam tantae adversitati subiectam devenerit. Post maledictionem igitur diei suae nativitatis, consequenter maledicit noctem suae conceptionis secundum similem modum loquendi, et primo attribuit ei illud unde nox magis horribilis redditur. Cum enim nox propter tenebras secundum se ipsam horrida sit, quanto magis tenebrae noctis augmentantur tanto magis horrida redditur, quod contingit cum aliqua magna tempestas in nocte oboritur, et quantum ad hoc dicit noctem illam tenebrosus turbo possideat, quasi diceret: congruum fuisset noctem illam tenebroso turbine possideri ut vitae meae congrueret, quae tanto adversitatis turbine involvitur. Deinde removet ab ea illa quae pertinere videntur ad bonum noctis, et primo quantum ad opinionem hominum. Cum enim homines tempora distinguant secundum ea quae aguntur in tempore, in nocte autem pauca vel nulla fiant memoria digna, nox non notatur per se ipsam in hominum memoriis sed ex die coniuncta. Hoc igitur bonum a nocte praedicta removet dicens non computetur in diebus anni nec numeretur in mensibus, quasi dicat: nox illa non est memoria digna cum nihil insigne in ea acciderit sed magis aliquid dolorosum. Inter noctes autem quae in memoriis hominum aguntur, quaedam non solum memorabiles sunt sed etiam celebres et festivae in quibus homines ad aliqua festa agenda congregantur, et hoc removet dicens sit nox illa solitaria. Huiusmodi autem hominum congregatio in aliqua nocte fit in laude et celebritate illius noctis propter aliquod celebre factum quod in illa nocte recolitur, sicut apud fideles agitur in nocte dominicae resurrectionis, et ideo subdit nec laude digna: est enim aliqua nox digna laude propter aliquod magnum factum in illa nocte contingens. Ex hoc ergo nihil aliud intendit quam significare quod sua conceptio non fuit aliquid magnum nec ad bonum ordinata sed potius ad malum adversitatis quam sentiebat, unde subdit maledicant ei qui maledicunt diei, qui parati sunt suscitare Leviathan. Quod quidem secundum litteram dupliciter potest exponi: uno modo secundum quod per Leviathan intelligitur aliquis magnus piscis, prout videtur congruere his quae in fine huius libri de eo dicuntur an extrahere, inquit, poteris Leviathan hamo? Et secundum hoc intelligendum est quod illi qui huiusmodi magnos pisces piscantur de nocte eos invadunt in tenebris, et ideo quando dies incipit apparere maledicunt diei quia per hoc eorum opus et intentio impeditur. Alio modo potest intelligi ut per Leviathan significetur draco antiquus, scilicet Diabolus, secundum illud Is. XXVII 1 in die illa visitabit dominus in gladio suo duro et gravi et forti super Leviathan, serpentem tortuosum. Illi ergo parati sunt suscitare Leviathan qui student ad suggestiones Diaboli implendas operibus iniquitatis vacando, qui diei maledicunt quia, ut dicitur Ioh. IV, omnis qui male agit odit lucem, et infra XXIV 15 dicitur oculus adulteri observat caliginem, et postea si subito apparuerit aurora arbitratur umbram mortis. Secundum hoc igitur, sicut per hoc quod dixerat nec laude digna vult praedictam noctem esse odiosam bonis, ita per hoc quod subdit maledicant ei etc. vult eam esse odiosam malis: nam adversitatem et boni et mali abhorrent. Deinde excludit a praedicta nocte quae videtur ad bonum noctis pertinere secundum naturam, quorum unum est quod nox decoratur aspectu stellarum, et hoc removet dicens obtenebrentur stellae caligine eius; aliud est quod decoratur ex spe diei, et hoc removet dicens expectet lucem et non videat, quasi dicat: quamvis naturale sit ut in nocte lux diei expectetur, illa tamen nox habeat tenebras infinitas quae numquam diurnae lucis successione terminentur. Noctis quidem tenebrae plena luce diei totaliter excluduntur, aurorae vero crepusculo diminuuntur; imprecatur autem praedictae nocti non solum ut eius tenebrae non excludantur per diem sed quod nec minuantur per auroram, unde dicit nec ortum surgentis aurorae. Sed quia id quod dixerat impossibile videbatur, ut scilicet nocti non succederet dies nec aurora, ostendit ex quo sensu id dictum sit subdens quia non conclusit ostia ventris qui portavit me. Vita enim hominis in ventre matris abscondita est, unde tenebris noctis comparatur; cum autem per nativitatem in manifestum prodit, tunc clarae diei similitudinem habet; ideo ergo dixit quod nox illa neque diem neque auroram succedentem haberet, ut ostenderet se desiderare quod suus conceptus numquam venisset ad partum neque ad pueritiam, quae per auroram intelligitur, neque ad iuventutem, quae per plenam lucem diei designatur. Dicit autem quia non conclusit ostia etc., non quod ipsa nox concludat ventrem, idest impediat partum, sed quia in nocte hoc agitur: ex ipsa enim conceptione potest praestari impedimentum ne conceptus ad partum perveniat. Et quia hoc etiam videbatur irrationabile quod aliquis vitam abhorreret cum omnibus desiderabile sit esse et vivere, ostendit ex qua ratione id dixerit cum subdit nec abstulit mala ab oculis meis, quasi dicat: non ipsam vitam propter se abhorreo sed propter mala quae patior; etsi enim vita secundum se desiderabilis sit, non tamen vita miseriis subiecta. Ubi considerandum est quod omnia quae supra figurative locutus est hac finali clausula exposuisse videtur, quod etiam in aliis eius dictis advertendum est. Quare non in vulva mortuus sum? Postquam diei nativitatis et nocti conceptionis suae maledixerat ut ostenderet initia suae vitae se abhorrere, nunc ostendit se abhorrere suam conservationem in vita, ut ex his manifestius ostendat quod vita eius est ei onerosa. Est autem duplex status vitae: unus occultus quo concepti vivunt in utero, alius manifestus quo vivunt homines post nativitatem ex utero. Quantum ergo ad primum statum dicit quare non in vulva mortuus sum? Quantum ad secundum egressus ex utero non statim perii? Et de hoc secundo primo prosequitur. Sciendum est autem quod exterior vita dupliciter tollitur: quandoque quidem ex aliquo nocumento supervenienti, vel intrinseco sicut est morbus, vel extrinseco sicut gladius aut aliquid huiusmodi, et ad hoc potest referri quod dixit egressus ex utero non statim perii? Quandoque vero ex subtractione necessarii subsidii, quod quidem est vel extrinsecum ut sunt vehicula, fomenta et alia huiusmodi adiumenta, et quantum ad hoc dicit quare exceptus genibus? Vel intrinsecum sicut est cibus, et quantum ad hoc dicit aut lactatus uberibus? His enim adminiculis indiget vita nati in sui primordio. Et quia cum aliquis dicit quare hoc factum est? Dat intelligere hoc inutiliter esse factum, ideo consequenter ostendit inutile sibi fore se fuisse conservatum in vita, immo potius nocivum. Quod quidem ostendit primo quantum ad mala quae nunc patitur, dicens nunc enim dormiens silerem: mortem quidem somnum dicit propter spem resurrectionis, de qua postmodum plenius loquetur; per silentium autem intelligit quietem ab adversitatibus quas patiebatur, quasi dicat: si statim post ortum mortuus fuissem, his malis quae patior non inquietarer. Secundo quantum ad bona quae primo habuerat; posset enim ei aliquis dicere: si in vita conservatus non esses, non habuisses bona quae olim habuisti, sed quasi ad hoc respondens ostendit quod nec propter illa bona vitae conservatio sibi fuisset optanda: nam etiam illi qui in tota vita sua maximis prosperitatibus florent hoc fine concluduntur, scilicet mortis; hoc est ergo quod dicit et somno meo, idest morte, requiescerem, idest a vitae inquietudinibus immunis essem, cum regibus et consulibus terrae. Sciendum est autem quod eorum qui in dignitatibus constituti sunt, qui maxime prosperari videntur, intentio est vel ad voluptatibus fruendum, et quantum ad hos dicit qui aedificant sibi solitudines, ad litteram causa venationis vel aliarum voluptatum solitarii esse volentes; vel ad divitias congregandum, et quantum ad hos dicit aut cum principibus qui possident aurum et replent domos suas argento, quasi dicat: si statim mortuus essem post ortum, nihil nunc minus haberem quam habent illi post mortem qui in multis prosperantur. Considerandum est autem quod cum quiescere non sit nisi subsistentis, ex his verbis dat intelligere hominem secundum animam post mortem subsistere. Si autem aliquis obiciat quod huiusmodi reges aut principes de quibus loquitur forte non quiescunt sed sunt in poenis Inferni, vel etiam quod ipsi Iob in hoc fuit utilis vita quod sibi meritum acquisivit, advertendum est quod, ut supra diximus, Iob nunc loquitur ex persona sensualis partis, exprimens eius affectum, quae non habet locum nisi ad corporalia et praesentia bona vel mala. Sic igitur postquam ostendit sibi desiderandum non fuisse quod post ortum conservaretur, consequenter ostendit sibi desiderandum non fuisse quod conservatus in utero perveniret ad ortum, explicans quod supra dixerat quare non in vulva mortuus sum. Considerandum est autem quod in vulva aliqui moriuntur ante infusionem animae rationalis quae sola immortalis est, et quantum ad hoc dicit aut sicut abortivum absconditum non subsisterem: ab huiusmodi enim abortivis fetibus nihil perpetuum remanet; aliqui vero moriuntur post infusionem animae rationalis, qui quidem post mortem subsistunt secundum animam sed lucem huius mundi non vident, et quantum ad hoc dicit vel, supple sicut, qui concepti non viderunt lucem, scilicet vitae praesentis. Et quod hoc sibi fuisset optandum ostendit per hoc quod non esset subiectus malis huius vitae, unde dicit ibi, scilicet in statu quem habent qui concepti non viderunt lucem, impii cessaverunt a tumultu, scilicet quem aliis inferebant eos affligendo, quod refertur ad immunitatem a malo culpae; et ibi, scilicet in statu mortuorum, fessi robore, idest viri bellatores qui bella gerendo fatigati sunt, requieverunt, idest caruerunt huiusmodi labore quia, ut dictum est, non loquitur nunc nisi de quiete a malis praesentis vitae; potest etiam et intelligi de fatigatione in quocumque labore quem quis patitur sua fortitudine operando. Et illi qui fuerunt quondam vincti erunt ibi pariter sine molestia, idest sine priori angustia, pariter cum eis qui eos vinctos detinebant; et ibi homines oppressi angariis vel servitutibus non exaudierunt vocem exactoris, secundum illud quod dicitur Is. XIV 4 quomodo cessavit exactor, quievit tributum. Et quod hoc sit verum ostendit per hoc quod subdit parvus et magnus ibi sunt pariter, quia parvitas et magnitudo est in hac vita secundum inaequalitatem prosperitatis terrenae, qua sublata remanent secundum naturam aequales; quod ergo dicit parvus et magnus, intelligendum est: idest illi qui fuerunt in hac vita differentes secundum magnitudinem terrenae prosperitatis. Sciendum tamen est quod differentia magnitudinis et parvitatis secundum spiritualia bona remanet etiam ibi, sed de his nunc non loquitur, ut iam dictum est. Et ibi erit servus liber a domino suo, unde non habebit locum exactio aut aliquid huiusmodi. Quare data est misero lux? Postquam Iob vitam propriam detestatus fuerat multipliciter, nunc detestatur communiter totius humani generis vitam, tam quantum ad eos qui in prosperitate sunt quam quantum ad eos qui in adversitate, de quibus primo prosequitur quasi a manifestiori incipiens. Sciendum est autem quod in viventibus duo videntur esse praecipua, scilicet vivere et cognoscere. Et quidem ipsum cognoscere quamvis delectabilissimum sit et nobilissimum, tamen cognoscere ea quae hominem affligunt poenosum est, et ideo dicit quare data est misero lux? Quasi dicat: ad quid prodest homini miseriis subiecto quod lucem cognitionis habet, cum per eam consideret mala quibus affligitur? Vivere autem nobile est propter animam; quod si anima in amaritudine sit, ipsum vivere redditur amarum, et ideo dicit et vita his qui in amaritudine animae sunt, resume quare data? Et quod inutiliter detur ostendit hac ratione quia contrarium eius desideratur a miseris, unde dicit qui, scilicet in amaritudine existentes, expectant mortem et non venit, scilicet tam cito sicut optant. Et ut ostendat quod expectant mortem non horrentes sed desiderantes eam, subiungit quasi effodientes thesaurum, qui scilicet magno desiderio accenduntur ut fodiendo ad thesaurum perveniant. Et quia desiderium cum completur gaudium parit, subiungit gaudentque vehementer cum sepulcrum invenerint, idest cum vident se pervenire ad mortem per quam sepulcrum inveniunt. Quidam autem hoc referunt ad eos qui thesaurum effodiunt, qui gaudent sepulcro invento, quia in sepulcris antiquis consueverunt thesauri inveniri; sed prima expositio melior est. Et quia posset aliquis dicere quod vita etsi inutiliter detur miseris, utiliter tamen datur his qui in prosperitate sunt, ad hoc removendum subdit viro cuius abscondita est via, supple quare data est lux et vita? Viri enim via abscondita est quia nescitur quo status praesentis prosperitatis perveniat, dicitur enim Prov. XIV 13 risus dolore miscebitur et extrema gaudii luctus occupat, et Ier. X 23 dicitur non est in homine via eius, Eccl. VII 1 quid necesse est homini maiora se quaerere cum ignoret quid conducat sibi in vita sua? Aut quis potest indicare quid post eum futurum sub sole sit? Quomodo autem sit via hominis abscondita exponit subdens et circumdedit eum Deus tenebris, quod quidem multipliciter manifestum est: quantum ad ea quae sunt ante et post, secundum illud Eccl. VIII 6 multa hominis afflictio quia ignorat praeterita et ventura nullo scire potest nuntio; et quantum ad ea quae sunt iuxta, scilicet ad homines, secundum illud Cor. II 11 quis scit quae sunt hominis nisi spiritus hominis qui in ipso est? Et quantum ad ea quae sunt supra, secundum illud Tim. ult. lucem habitat inaccessibilem, scilicet Deus, quem nullus hominum vidit sed nec videre potest, et in Psalmo dicitur quod posuit tenebras latibulum suum; et quantum ad ea quae sunt infra, dicitur enim Eccl. I 8 cunctae res difficiles, non potest homo eas explicare sermone. Dicitur autem Deus hominem tenebris circumdedisse, quia Deus ei talem intellectum tribuit quod praedicta cognoscere non possit. Ostenso igitur quod vita hominum difficilis est propter miseriam et amaritudinem hominum, haec quae communiter dixerat sibi adaptat, exprimens suam amaritudinem cum dicit antequam comedam suspiro; sicut enim risus gaudii signum est, ita suspirium amaritudinis animae: ostendit igitur ex modo suspirii suae amaritudinis modum. Suspirium igitur eius et tempestive incipiebat, dicit enim antequam comedam suspiro, et continuum erat et magnum, unde subdit et quasi inundantis aquae sic rugitus meus; sicut enim suspirium moderatae tristitiae signum est ita rugitus vehementis et quae vix tolerari potest. Hic autem rugitus aquae rugitui comparatur: aqua enim de facili movetur et murmuris sonum facit, sic et homo in magna afflictione constitutus ex levi memoria suae miseriae provocatur ad rugitum. Addit autem inundantis aquae ut ostendat suae amaritudinis continuitatem: aqua enim inundans continue movetur et sonum facit. Sed quia animae amaritudo ex miseria nascitur, post amaritudinem animae de sua miseria subiungit dicens quia timor quem timebam evenit mihi. Et notandum est quod miseria hominis ad amaritudinem provocans in duobus consistere videtur: in damnis rerum vel personae et in dehonorationibus. Quantum ergo ad primum dicit timor quem timebam evenit mihi, idest ea quae timebam mihi provenerunt, ubi magnitudo damnorum et poenarum exprimitur: quanto enim aliquis prudentior est, tanto in statu prosperitatis magis recogitat quae in adversitatis tempore sibi accidere possunt, secundum illud Eccli. XI 27 in die bonorum ne immemor sis malorum; magnam igitur miseriam Iob prudentissimus patiebatur dum sibi quae timuerat evenerunt. Quantum autem ad secundum, scilicet ad dehonorationes, dicit et quod verebar accidit: est enim verecundia secundum philosophum timor inhonorationis; per hoc igitur ostendit quod ex magna gloria in multa opprobria et dehonorationes acciderat. Solet autem aliquis miseriam et amaritudinem pati sed ex propria culpa, sed hoc removet Iob dicens nonne dissimulavi? Et sciendum est quod aliquis offendit unde poenam meretur a Deo dupliciter: uno modo quando ex iniuriis sibi illatis ultra modum provocatur ad vindictam, secundum quod dicitur in Psalmo si reddidi retribuentibus mihi mala, decidam merito ab inimicis meis inanis, hoc autem a se removet dicens nonne dissimulavi? Scilicet iniurias mihi factas; alio modo dum ipse alium primitus offendit vel verbis, et hoc removet dicens nonne silui? Quasi dicat: nulli contumeliosa aut iniuriosa verba protuli; vel factis, et hoc removet a se dicens nonne quievi? Impii enim quasi mare fervens quod quiescere non potest Is. LVII 20. Et quamvis innocens sim tamen venit super me indignatio, idest poena a Deo - ira enim in Deo non accipitur pro commotione animi sed pro punitione -, in quo recognoscit adversitates huius mundi non absque divino nutu provenire. Si quis igitur colligere velit quae in hac deploratione Iob dicta sunt, sciendum est tria in ea contineri: primo enim ostendit sibi suam vitam esse taediosam, secundo magnitudinem miseriae quam patiebatur, ibi antequam comedam etc., tertio ostendit suam innocentiam cum dicit nonne dissimulavi et cetera.

Comme on l’a dit (Ch. 2, 4e leç. V. 20-22) au sujet des passions de l’âme il y a deux sentences chez les Anciens : les Stoïciens disaient que le sage n’est pas sensible à la tristesse. Les Péripatéticiens disaient que le sage s’attriste mais que la raison modère la tristesse; Cette opinion est conforme à la vérité. La raison en effet ne peut rien enlever à notre condition naturelle; or il est dans la nature sensible de trouver plaisir à ce qui lui convient et de s’en réjouir; de s’affliger de ce qui est nocif et de s’en attrister. Or cette disposition naturelle, la raison ne peut l’enlever, mais elle la règle de sorte que la tristesse ne puisse l’écarter de la rectitude. Opinion conforme à l’Ecriture qui met la tristesse dans le Christ en qui est toute vertu et plénitude de la sagesse.

Ainsi donc Job après les adversités qu’on a racontées ressentit de la tristesse; autrement il n’aurait pu pratiquer la vertu de patience. Mais la tristesse n’affecte pas sa raison qui garda sa rectitude mais bien plutôt la domina. Donc pour en donner la preuve on nous dit : après cela Job ouvrit la bouche; c’est-à-dire après les sept jours de silence. Il est donc évident que ce qu’il va dire est selon la raison, que la tristesse ne trouble pas. En effet s’il avait voulu parler, encore sous le coup de l’émotion, il l’eut fait plus tôt, quand la tristesse était extrême; mais elle s’adoucit avec le temps tandis qu’au début elle est ressentie davantage. Il s’est donc tu assez de temps pour qu’on ne puisse juger qu’il avait parlé dans le trouble de l’esprit. Et on le montre en disant : il ouvrit la bouche. En effet quand on parle sous l’empire de la passion ce n’est pas soi-même qui ouvre la bouche mais la passion qui pousse à parler; en effet dans la passion nous ne sommes pas maîtres de nos actions, mais uniquement par la raison. Il exprima donc la tristesse qui l’accablait. Les sages ont l’habitude de parler des mouvements de la passion qu’ils ressentent, calmement selon la raison; ainsi le Christ disait : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Et l’Apôtre : "Le bien que je veux je ne le fais pas et le mal que je hais je le fais" (Rom. 7, 15) Comme aussi Boèce au début du Livre de la Consolation manifeste sa tristesse, mais il montre comment par la raison il la calmait; ainsi Job exprima sa tristesse en des paroles : Il maudit son jour. Cela semble contraire à ce que dit l’Apôtre : "Bénissez et ne maudissez pas" (Rom. 12, 14). Il faut considérer que maudire a plusieurs sens. Comme le mot l’indique, maudire c’est dire du mal; chaque fois que l’on dit du mal, on maudit. On maudit quelqu’un d’abord en déclarant le mal qui lui est dû; et ainsi la sentence du juge est cause de la peine prononcée en jugement. C’est de cette manière qu’on dit dans la Genèse (3, 17) : "Maudite soit la terre en ton travail"; et encore "Maudit soit Canaan, qu’il soit l’esclave de ses frères" (ib. 9, 25). Josué maudit Achor qui avait soustrait ce qui avait été voué à l’anathème (Jos. 7, 24). Ensuite en souhaitant le mal comme on le dit au Livre des Rois (1 Rg. 17, 43) le Philistin maudit David en ses voies. Enfin quelqu’un dit du mal simplement en l’énonçant au présent, au passé, au futur soit vrai soit faux. Donc ce que défend l’Apôtre, c’est de souhaiter du mal à quelqu’un ou de le diffamer; mais non la façon dont le juge condamne le coupable ou que quelqu’un dit sincèrement le mal réel d’une chose qui se passe dans le présent, ou dans le passé ou en l’annonçant pour l’avenir. Ainsi doit on entendre Job qui maudit son jour parce qu’il dénonce qu’il a été mauvais non selon sa nature, car c’est Dieu qui l’a créé, mais selon la coutume de l’Ecriture qui dit que le temps est bon ou mauvais d’après ce qui s’y passe comme le dit l’Apôtre : "Rachetant le temps, car les jours sont mauvais" (Eph. 5, 16) Job maudit son jour en tant qu’il remémore les maux qui sont arrivés ce jour-là.

On nous dit ce qu’il a maudit et on ajoute : et il se mit en devoir de parler : Que périsse le jour où je suis né, et la nuit où l’on a dit : un homme a été conçu. Or bien que vivre et être est bon en soi et désirable, cependant vivre et être dans la misère est à repousser dans un certain sens, bien que parfois être dans la misère peut avoir son attrait en vue d’une fin. D’où une vie misérable qui n’est pas orientée vers une fin bonne ne doit pas être recherchée; c’est pour cela que le Seigneur dit (de Judas) : "Mieux aurait valu que cet homme ne fût pas né" (Matt. 26, 24). Le bien qu’on espère d’une misère seule la raison peut l’appréhender. La force sensitive ne le perçoit pas, comme quand le goût perçoit l’amertume d’un remède, mais c’est la raison seule qui se plaît dans le résultat qui est la guérison. Si donc quelqu’un voulait exprimer ce que son goût ressent il dénoncerait l’amertume du remède bien que sa raison juge qu’il est bon à cause de la fin. Ainsi donc le malheur que le bienheureux Job supportait pouvait lui sembler utile en quelque chose, mais la partie inférieure de l’âme affectée par la tristesse repoussait entièrement l’adversité; d’où la vie même lui était-elle odieuse dans une telle calamité. Quand donc quelque chose nous est odieux, nous avons en abomination tout ce par quoi nous y sommes parvenus. Et donc Job selon la partie inférieure de l’âme, dont il voulait maintenant exprimer l’épreuve, haïssait et sa naissance et sa conception qui l’avaient conduit en cette vie, et donc le jour de sa naissance et la nuit de sa conception, d’après cette façon de parler par laquelle nous avons l’habitude d’attribuer au temps le bien ou le mal qui s’y sont passés. Ainsi Job parce que, selon la partie sensitive, répugnait à cette vie dans l’adversité souhaitait-il n’être jamais né ou conçu. Et il le dit : Périsse le jour où je suis né, comme s’il disait je n’aurais pas dû naître. Et la nuit où on a dit vraiment on a pu le dire un homme est conçu, car je n’aurais jamais été conçu. Et c’est dit en bon ordre, car la naissance n’ayant pas eu lieu, la conception n’est pas pour cela supprimée; mais le contraire. Et c’est à juste titre qu’il attribue la conception au moment de la nuit et la naissance pendant le jour, car selon les astrologues la naissance pendant le jour est préférable, l’astre principal c’est-à-dire le soleil, éclairant la terre, tandis que la conception nocturne est plus fréquente. On trouve la même pensée chez Jérémie : "Maudit soit le jour où je suis né; que le jour où ma mère m’a enfanté ne soit pas béni " (20, 14).

Après la malédiction du jour de sa naissance et de la nuit de sa conception, il continue cette malédiction pour chacune en particulier. Et d’abord la malédiction du jour de sa naissance que ce jour-là se change en ténèbres. Il faut remarquer, comme le dit saint Jérôme dans le Prologue, que depuis les paroles de Job où il dit : "Périsse le jour où je suis né" jusqu’à l’endroit, avant la fin du volume où il dit : "Je me repens" (42, 6), on a des vers hexamètres avec dactyles et spondées; et ainsi donc ce livre est écrit en forme de poème; d’où à travers tout le livre est-il fait usage de figures et d’images comme le font habituellement les poètes; et pour émouvoir plus fortement ils se servent, pour une même idée, de diverses expressions. Et donc ici Job pour maudire son jour de la façon qu’on a dite, dit-il ce qui peut rendre ce jour odieux.

Or le privilège du jour est d’être clair; c’est en effet par là qu’il se distingue de la nuit. Il exclut donc ce privilège que ce jour se change en ténèbres; si on s’en tient à l’extérieur de la lettre, cette idée peut paraître futile et vaine; car le jour de sa naissance était passé; or on ne change plus ce qui est passé. Comment donc un jour qui était passé pouvait-il se changer en ténèbres? C’est que les choses qu’on dit sous forme de souhait expriment le désir qu’on en a. Donc en disant : que ce jour se change en ténèbres c’était dire : le jour de ma naissance aurait dû être ténébreux en accord avec les misères et les ténèbres que j’endure; en effet le spectacle de la lumière est délicieux : "Douce lumière, dit Qohéleth, il est délicieux de voir le soleil" (11, 7). L’Ecriture a coutume de rendre la tristesse au moyen des ténèbres : "Ainsi les jours se passent dans l’obscurité, au milieu de beaucoup de soucis, dans les peines et la tristesse" (ib. 5, 16).

Un jour est célèbre de plusieurs manières : d’abord parce que Dieu l’a sanctifié et en a prescrit la célébration : au livre de l’Exode : "Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat" (12, 14); cette célébrité Job l’écarte de ce jour Que d’en-haut Dieu n'en ait souci; c’est-à-dire que Dieu n’exige pas des hommes de sanctifier ce jour-là. En effet certains jours sont voulus de Dieu pour célébrer un bienfait insigne, comme le sabbat dans l’Ancienne loi pour le bienfait de la création, et le jour de Pâque pour la libération de l’Egypte; ce qui est également le cas pour les jours de tète sous la Nouvelle loi. Job veut donc signifier que sa naissance ne doit pas être comptée parmi les bienfaits insignes accordés par Dieu, puisque aussi bien il est né plus pour le malheur que pour la joie. Un jour est célèbre en second lieu comme jour anniversaire : les hommes ont en effet coutume de célébrer les jours où de grands et heureux événements se sont produits; comme Hérode et Pharaon célébraient le jour de leur naissance. Pour en écarter la célébrité, Job dit : Et qu’on ne s’en souvienne plus, car rien d’agréable n’eut lieu en ce jour-là. Enfin un jour jouit de la clarté en fonction de la lumière; laquelle peut disparaître, par exemple, si les rayons du soleil qui éclairent notre terre sont cachés comme lors d’une éclipse et pour cela il dit : Que ne brille sur lui nulle lumière; ensuite par les nuages qui obscurcissent les rayons du soleil et pour cela il dit : Que les ténèbres l’obscurcissent; enfin lorsque quelqu’un n’a plus la force de voir, comme quand on meurt ou devient aveugle, et ainsi la clarté du jour ne lui parvient plus et pour cela il dit : Et l’ombre de la mort.

L’obscurité peut se produire de deux manières : soit quant à son arrivée, et il dit : que la ténèbre s’en empare, c’est-à-dire quand le jour est d’abord éclatant puis subitement et sans qu’on s’y attende l’obscurité s’installe; et c’est ce qui est arrivé dans la vie de Job; soit quant au genre de ténèbres, et il dit : qu’il soit enveloppé d’amertume : on fait entendre par là que tout ce qui a été dit de l’obscurité se rapporte aux ténèbres de la tristesse. En effet sa manière est d’exposer une métaphore par ce qui la suit. Par toutes ces expressions il dit uniquement qu’il ne faut pas juger le jour de sa naissance comme un jour de joie mais d’affliction puisque sa naissance l’a fait vivre en une si grande calamité.

Après avoir maudit le jour de sa naissance, il poursuit par la malédiction de la nuit de sa conception selon le même mode d’expression : et d’abord il dit ce qui rend la nuit plus effrayante; en effet elle est déjà effrayante par les ténèbres, et plus celles-ci augmentent, plus elle effraie, ce qui arrive quand une violente tempête s’élève la nuit; et donc il dit : Cette nuit qu’un tourbillon ténébreux s’en empare, comme s’il disait : il eut été juste qu’un tourbillon ténébreux s’emparât de cette nuit-là; ce qui convenait bien à une vie qui s’écoule dans un tel tourbillon d’adversités.

Ensuite il écarte tout ce qui fait partie d’une bonne nuit : d’abord quant à l’appréciation des hommes; nous apprécions le temps d’après ce qui s’y passe; or pendant la nuit rien ne se passe de quelque importance; on ne note pas la nuit pour elle-même dans la mémoire des hommes sinon qu’en relation avec le jour. Cette qualité, il l’écarte de la nuit : Qu’on ne la compte pas dans les jours de l’année, ni énumérée parmi les mois. Cette nuit n’est pas digne de souvenir comme rien d’insigne en elle ne s’est passé, mais plutôt ce qui fait souffrir. Parmi les nuits qui font date dans la mémoire des hommes certaines sont plus que mémorables, elles sont célèbres et donnent lieu à des divertissements; les hommes se réunissent alors pour des réjouissances. Et pour écarter cela Job dit : Que cette nuit soit solitaire. C’est ainsi qu’il y a tel rassemblement la nuit pour louer et célébrer l’anniversaire d’un événement important qui eut lieu la nuit, comme c’est le cas pour la résurrection du Sauveur; et donc Job dit ni digne de louange, aucun fait majeur ne s’y est passé.

Par là il veut encore faire entendre que sa conception ne fut rien de grand, ni ordonnée vers quelques bien, mais pour le mal de l’adversité qu’il ressentait; d’où il ajoute : Maudite soit-elle de ceux qui maudissent le jour, de ceux qui veulent réveiller le Léviathan. Littéralement on peut l’entendre d’un grand poisson, comme cela semble s’accorder avec ce qui est écrit en fin de cet ouvrage c’est-à-dire Pourras-tu pêcher à l’hameçon le Léviathan? (40, 20). Et d’après cela il s’agit de ceux qui pêchent de ces grands poissons et vont les attaquer de nuit dans l’obscurité; et donc quand vient le jour il le maudissent parce qu’il arrête leur travail et met fin à leurs projets. Il y a une autre interprétation : il s’agit alors de l’antique serpent, c’est-à-dire du diable : "En ce jour-là Dieu frappera de son glaive dur, grand et solide le Léviathan, le serpent tortueux" (Is. 27, 1). Ceux-là donc sont prêts à susciter le Léviathan qui s’appliquent à accomplir les suggestions du démon, vaquant aux œuvres d’iniquité; et ils maudis sent aussi le jour, comme on le lit : "Quiconque fait le mal, hait la lumière" (Jean 3, 20), et Job (24, 15) L’œil de l’adultère observe la nuit " et plus bas : "Et quand subitement se lève l’aurore, il croit qu’est venue l’ombre de la mort" (ib. 17). Donc d’après cela, de même qu’il avait dit : "Ni digne de louange" voulant qu’elle soit odieuse aux bons, de même en ajoutant maudite soit-elle par ceux qui maudissent le jour il veut qu’elle soit honnie des méchants : car les bons comme les méchants ont l’adversité en horreur.

Ensuite il exclut de cette nuit sa bonté naturelle : d’une part le spectacle du ciel étoilé il l’écarte en disant : que son obscurité voile les étoiles; d’autre part la beauté de l’aurore, et il l’écarte en disant : qu’elle attende en vain la lumière, comme s’il disait : bien qu’il soit naturel d’attendre la lumière du jour, cependant que cette nuit se couvre de ténèbres continues auxquelles ne mettra pas fin l’apparition du jour la pleine lumière du jour chasse les ténèbres de la nuit; l’aurore et le crépuscule les affaiblissent. Or il souhaite à cette nuit en plus de l’obscurité qu’elle ne soit pas affaiblie par la clarté de l’aurore, d’où suit ni la naissance de l’aurore.

Mais comme ce qu’il avait dit paraissait impossible : c’est-à-dire que le jour ne succède pas à la nuit, non plus que l’aurore, il montre en quel sens il le dit en introduisant Pour n’avoir pas fermé le sein qui me portait. En effet dans le sein de la mère la vie de l’homme est cachée d’où on la compare aux ténèbres de la nuit et donc la naissance la produit comme au grand jour. Donc il dit que cette nuit n’ait ni jour ni aurore qui lui succèdent pour montrer son désir que la conception ne fût jamais arrivée à l’enfantement; ni à l’enfance qui est signifiée par l’aurore; ni à la jeunesse qui s’entend de la pleine lumière du jour; or il dit : pour n’avoir pas fermé le sein non que la nuit ferme le sein, à savoir empêcherait la naissance mais parce que cela se passe dans la nuit - en effet de la conception même jusqu’à l’enfantement peut venir un obstacle pour ce qui est conçu de parvenir à terme. Et parce que cela aussi semble étrange que l’on puisse avoir la vie en horreur alors que tous désirent être et vivre, il montre la raison de son attitude et pour n’avoir pas enlevé le malheur à mes regards; comme s’il disait, je n’ai pas la vie pour elle-même en horreur, mais à cause des maux que je souffre; et quoique la vie soit en soi désirable, cependant elle ne l’est pas quand elle est soumise au malheur. D’où remarquons que tout ce qu’il a dit jusqu’ici en métaphore il l’a exposé en cette dernière clausule; principe qui sera aussi d’application dans la suite.

 

CONFÉRENCE 2 — Job préfèrerait être mort (Job 3, 11-19)

 

11 Que ne suis-je mort dès le ventre de ma mère, au sortir de ses entrailles que n'ai-je expiré! 12 Pourquoi ai-je trouvé deux genoux pour me recevoir, et pourquoi deux mamelles à sucer? 13 Maintenant je serais couché et en paix, je dormirais et je me reposerais 14 avec les rois et les grands de la terre, qui se sont bâti des mausolées; 15 avec les princes qui avaient de l'or, et remplissaient d'argent leur demeures. 16 Ou bien, comme l'avorton ignoré, je n'existerais pas, comme ces enfants qui n'ont pas vu la lumière. 17 Là les méchants n'exercent plus leurs violences, là se repose l'homme épuisé de forces; 18 les captifs y sont tous en paix, ils n'entendent plus la voix de l'exacteur. 19 Là se trouvent le petit et le grand, l'esclave affranchi de son maître.

 Que ne suis-je pas mort dès le sein? pourquoi en étant sorti, n’ai-je pas péri? Porqoui m'avoir été tenu sur les genoux? pourquoi avoir été allaité aux mamelles? En effet endormi maintenant je me tairais, et dans mon sommeil je reposerais, je serais avec les rois et les princes de la terre qui se bâtissent des demeures solitaires, avec les grands qui possèdent l’or et qui remplissent d’argent leurs maisons. je serais comme l’avorton qu’on cache, je n’aurais pas existé ou comme ceux qui, conçus, n’ont pas vu le jour. Avec les impies ont cessé leur tumulte; et se sont reposés de leurs fatigues, les guerriers. Avec ceux qui furent enchaînés également sans être inquiétés n’entendent plus la clameur du surveillant. Le petit comme le grand s’y rencontrent et l’esclave libéré de son maître.

Après avoir maudit le jour de sa naissance et la nuit de sa conception. d’où son horreur des débuts de la vie, il montre mainte nant son horreur d’avoir été conservé en vie exprimant ainsi que la vie lui est à charge. Or il y a deux stades dans la vie : l’un caché où ceux qui ont été conçus vivent dans le sein maternel; l’autre manifeste, où les hommes vivent hors du sein après la naissance. Quant au premier stade il dit : Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein? Quant au second : aussitôt né pourquoi n’ai-je pas péri? Quant au second il poursuit : or il faut savoir que cette vie extérieure périt de deux manières : parfois par un dommage qui survient, soit interne comme la maladie, soit externe comme le glaive et donc il dit aussitôt né, pour quoi n’ai-je pas péri? Soit faute d’une aide nécessaire qui est ou extérieure comme les transports et les soins et autres secours, et quant à cela il dit : Pourquoi reçu sur des genoux? Ou intérieure, comme la nourriture, et quant à cela il dit : Pourquoi allaité aux mamelles? En effet la vie du nouveau-né a besoin de tels secours en ses débuts.

Or quand quelqu’un interroge sur le pourquoi de quelque chose, c’est pour en faire comprendre l’inutilité; et conséquemment il montre qu’il fut inutile mais plutôt dommageable pour lui d’être encore en vie. D’abord quant aux maux qui l’affligent actuellement, et il dit Maintenant dans mon sommeil je me tairais; la mort est pour lui un sommeil à cause de la résurrection qu’il espère et dont il parlera après plus amplement; le silence est pour lui le repos que ne lui laisse pas l’adversité, comme s’il disait : si aussitôt après la naissance j’eus été mort je ne serais pas inquiété par tous ces maux actuels. Ensuite quant aux biens dont il avait joui : en effet on pourrait lui dire : situ n’avais pas conservé la vie, tu n’eus pas eu les biens que tu as jusqu’à cette heure. C’est donc pour y répondre qu’il montre que la vie n’était pas souhaitable pour ces biens; car même ceux qui pendant toute leur vie ont joui en abondance des plus grands avantages ont fini par mourir; c’est ce qu’il dit : dans mon sommeil c’est-à-dire la mort, je reposerais, exempt des soucis de la vie avec les rois et les puissants de la terre. Remarquons que pour ceux qui sont constitués en dignité, surtout ceux qui jouissent de la prospérité, leurs pensées se tournent vers les jouissances; et quant à cela il dit qui édifient des solitudes, littéralement pour la chasse ou qui veulent vivre seuls pour d’autres plaisirs, ou pour y accumuler leurs richesses, et pour cela il dit : avec les grands qui possèdent de l’or et remplissent d’argent leurs demeures, comme s’il disait : si j’étais mort aussitôt né, je n’eus pas eu moins qu’eux après leur mort, qui prospéraient en tant de choses. Remarquons aussi que le repos est pour ceux qui subsistent; par ces paroles il laisse entendre que l’homme selon son âme subsiste après la mort. Si on objecte que ces rois et ces princes dont il parle ne sont pas au repos mais souffrent des peines de l’enfer, ou même encore que la vie fut utile à lui Job parce qu’il s’est acquis des mérites : il faut remarquer, comme nous l’avons dit plus haut, que Job parle au nom de la partie sensible qui ne s’attache qu’aux choses du corps et aux biens ou aux maux présents.

Ainsi donc après avoir montré qu’il n’était pas désirable pour lui d’avoir conservé la vie après la naissance, il montre ensuite qu’il n’était pas désirable d’avoir été conservé vivant dans le sein avant la naissance; il va expliquer ce qu’il a dit : pourquoi n’être pas mort dès le sein? Or il faut considérer que certains meurent dans le sein avant l’infusion de l’âme rationnelle’ qui seule est immortelle, et quant à cela il dit : ou comme l’avorton qu’on cache? En effet de ces foetus avortés rien ne reste à jamais. D’autres meurent après avoir reçu l’âme rationnelle; ils subsistent après la mort selon l’âme, mais ils n’ont pas vu la lumière de ce monde, et quant à cela il dit : comme ceux qui, conçus, n'ont pas vu la lumière, c’est-à-dire de la vie présente. Et que cela était désirable pour lui-même il le montre par ce qu’il n’eut pas été sujet aux maux de cette vie. D’où il dit : Là-bas c’est-à-dire dans l’état où sont ceux qui, conçus n’ont pas vu la lumière, les impies y ont cessé leur tumulte, c’est-à-dire qu’ils causaient aux autres en les affligeant, immunisé qu’il est de toute faute. Et là, c’est-à-dire dans la situation de ceux qui sont morts, épuisés, à savoir les guerriers qui faisant la guerre se sont fatigués, ont trouvé le repos et se trouvent libérés de leur peine car on l’a déjà dit, il ne s’agit ici que du repos quant aux misères de la vie présente. On peut aussi l’interpréter de la fatigue de n’importe quel labeur qu’on ressent en usant ses forces au travail. Et là seront, sans aucune molestation, ceux qui furent enchaînés, leurs angoisses antérieures ayant disparu; égale ment avec ceux qui les tenaient enchaînés; et là aussi se trouveront les hommes opprimés de corvées et de servitudes qui n’entendent plus les clameurs de leurs surveillants, comme on le lit chez Isaïe : "Le tyran n’est plus avec ses exactions" (14, 4b). Et qu’il en est bien ainsi il le montre en ajoutant Là le petit et le grand se trouvent; suppléez "également" : petitesse et grandeur en cette vie viennent de l’inégalité de la prospérité terrestre; celle-ci une fois enlevée ils reviennent à l’égalité naturelle. Petits et grands sont donc ceux qui en cette vie furent différents selon la grandeur de cette prospérité. Il faut cependant noter que la différence entre la grandeur et la petitesse des biens spirituels y subsistent encore; mais il n’en est pas question, comme on l’a dit : Et là sera l’esclave libéré de son maître : et donc il n’y aura là aucune exaction ou autre chose de ce genre.

 

CONFÉRENCE 3 — Comme tout le monde (Job 3, 20-26)

 

20 Pourquoi donner la lumière aux malheureux, et la vie à ceux dont l'âme est remplie d'amertume, 21 qui espèrent la mort, et la mort ne vient pas, qui la cherchent plus ardemment que les trésors; 22 qui sont heureux, qui tressaillent d'aise et se réjouissent quand ils ont trouvé le tombeau; 23 à l'homme dont la route est cachée et que Dieu enferme de toutses parts? 24 Mes soupirs sont comme mon pain et mes gémissements se répandent comme l'eau. 25 Ce que je crains, c'est ce qui m'arrive; ce que je redoute fond sur moi. 26 Plus de tranquilité, plus de paix, plus de repos, et le trouble m'a saisi.

20 la lumière est-elle donnée au malheureux et la vie à ceux qui sont dans la peine; ceux qui attendent la mort qui ne vient pas comme ceux qui fouillent des trésors. 22 exultent de joie quand ils trouvent une tombe. 23 dont la route est barrée; et Dieu l’a entourée de ténèbres. 24 avant de manger je soupire; comme l’eau qui déborde ainsi mon rugissement; 25 ce que je craignais m’est arrivé, terreur sur terreur. 26 pas dissimulé? Ne me suis-je pas tu? ne me suis-je pas apaisé? Et sur moi est venue l’indignation.

Après avoir détesté sa vie de multiple façon, Job déteste ensuite la vie du genre humain tout entier, tant quant à ceux qui sont dans la prospérité que pour ceux qui sont dans l’adversité : et c’est par ceux-ci qu’il commence et à partir de ce qui est plus manifeste. Or on peut remarquer deux choses importantes chez les vivants c’est-à-dire la vie et la connaissance. Bien que la connaissance soit ce qu’il y a de plus délectable et de plus noble, cependant l’expérience de l’affliction est pénible et donc il dit : Pourquoi la lumière est-elle donnée au miséreux; à quoi sert à l’homme, sujet à la misère, la lumière de la connaissance puisque par elle il fait l’expérience de choses qui l’affligent? La vie est délectable à cause de l’âme, mais si celle-ci est dans la peine, la vie même en devient intolérable; et donc il dit : Et pourquoi vivre quand on est dans la peine? Et qu’elle est donnée inutilement il le montre pour la raison que les miséreux désirent son contraire, d’où il dit : eux qui attendent une mort qui ne vient pas c’est-à-dire assez tôt selon leurs désirs. Et pour montrer qu’ils attendent la mort sans la fuir mais la désirent il ajoute : Comme ceux qui fouillent un trésor, lesquels aspirent extrêmement qu’on fouille la terre pour trouver un trésor; et parce qu’un désir lorsqu’il est satisfait engendre la joie il ajoute : grande est leur joie d’avoir trouvé un tombeau, car ils constatent qu’ils sont parvenus à la mort qui leur procure un tombeau. D’autres interprètent cela de ceux qui fouillant la terre se réjouissent d’avoir trouvé un tombeau car dans les tombeaux des anciens on y Plaçait des trésors. Mais la première exposition est préférable.

Et comme on pourrait objecter que la vie bien qu’inutile aux malheureux est utile à ceux qui sont dans la prospérité, pour écarter cela il ajoute : à l’homme dont la route est cachée, en suppléant : pourquoi la lumière et la vie sont-elles données? En effet la vie nous est cachée parce qu’on ne sait pas où cette situation prospère mènera, car il est écrit : "Le rire se mêle à la peine et après la joie vient le deuil" (Prov. 14, 13), et encore "La voie de l’homme n’est pas en son pouvoir " (Jer. , 23) et l’Ecclésiaste "Pourquoi l’homme cherche-t-il ce qui le dépasse alors qu’il ignore ce qui lui est profitable pour la vie, pour le nombre de jours de son pèlerinage? (Qoh7, 1). Il expose comment la voie de l’homme est cachée en disant : Et Dieu l’a entourée de ténèbres; ce qui est évident de plusieurs manières : et quant à ce qui vient avant ou après "Multiple est l’affliction de l’homme parce qu’il ignore le passé et rien qui lui fasse connaître l’avenir" (Qoh. 8, 6); et quant à ce qui est proche, c’est-à-dire les hommes "Qui connaît ce qui est de l’homme sinon l’esprit qui est dans l’homme?" (1 Cor. 2, 11) et quant à ce qui est au-dessus." Il habite une lumière inaccessible, c’est-à-dire Dieu, "qu’aucun homme n’a vu ni ne peut voir" (1 Tim. 6, 16) et le Psalmiste dit : "Les ténèbres où il se cache" (17, 12); et quant à ce qui est au-dessous : "Toutes choses difficiles, l’homme ne peut les exprimer" (Qoh. 1, 8). Dieu est dit avoir entouré l’homme de ténèbres parce qu’Il ne lui a pas donné une intelligence qui puisse connaître tout ce qu’on vient de dire.

Ayant donc montré que la vie humaine est pénible à cause de la misère et de l’amertume des hommes, ce qu’il a dit en général, il sel l’applique à lui-même exhalant toute son amertume : il dit : qu’avant de prendre sa nourriture il soupire; de même en effet que le rire est le signe de la joie, ainsi le soupir est celui de l’amertume; et la manières de son soupir est la mesure de son amertume : il commence très tôt. Avant de prendre de la nourriture, je soupire; et il est continuel et bruyant, d’où il ajoute : et comme des eaux qui débordent ainsi est ma plainte en effet comme le soupir est le signe d’une tristesse modérée ainsi la plainte, celui d’une grande tristesse à peine supportable; et on la compare au bruit que fait l’eau en mouvement et qui imite le bruit d’un murmure. Ainsi l’homme dans une grande affliction, au moindre souvenir de sa misère, pousse des plaintes. Il ajoute : les eaux débordantes pour exprimer aussi la continuité de son amertume, en effet l’eau qui inonde se meut sans discontinuer et elle fait du bruit.

Mais parce que l’amertume de l’âme naît de la misère il en vient à parler de sa misère, en disant : Et ce que je craignais est venu sur moi. Remarquons que la misère qui provoque l’amertume consiste en deux choses : dans la perte des biens ou des personnes et dans le déshonneur; quant à la première il dit : ce que je craignais est venu sur moi : les choses que je craignais me sont arrivées; où est exprimée la grandeur des dommages subis et de ses souffrances. En effet plus quelqu’un est prudent, d’autant plus au temps de la prospérité pense-t- il à ce qui peut lui arriver au temps de l’adversité : "Au temps du bonheur, n’oublie pas le malheur" (Sir. 11, 27). Grande était donc la misère que le très prudent Job supportait quand ce qu’il avait craint lui est arrivé. Quant au déshonneur il dit : Et ce que je redoutais est venu. La honte en effet, selon le Philosophe’ est la crainte du déshonneur. Il montre donc par là que d’une grande réputation il était tombé en beaucoup d’opprobres et de mépris.

Il arrive souvent qu’on endure misère et amertume mais par sa propre faute; ce que Job repousse en disant : "n'ai-je pas dissimulé?" Il faut savoir qu’on peut pécher de deux manières en s’attirant un châtiment divin : quand d’une part par les injures qui nous sont faites nous en tirons vengeance outre mesure comme le dit le Psalmiste : "Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, que mon ennemi me pour suive et me saisisse" (Ps 7, 5); ce que Job repousse loin de soi en disant : n’ai-je pas dissimulé? C’est-à-dire les injures qu’on m’a faites. D’autre part quand soi-même, le premier, on offense un autre soit par des paroles, et il rejette cela Ne me suis-je pas tu? Comme s’il disait je n’ai fait aucune injure à personne, ni proféré des paroles de mépris soit par des actes, ce qu’il rejette N’ai-je pas été maître de moi? On lit dans Isaïe : "Les impies sont comme une mer en furie qui ne peut se calmer" (57, 10). Et quoique innocent, cependant est venue sur moi l’indignation : c’est-à-dire la colère divine. Mais la colère chez Dieu ne s’entend pas d’une commotion de l’âme mais du châtiment. En quoi il reconnaît que les adversités de ce monde ne viennent pas du hasard mais d’une décision divine.

Si on voulait résumer ce que Job a dit en sa plainte on y trouve rait trois choses : d’abord il montre son dégoût de la vie : périsse le jour où je suis né! Ensuite la grandeur de son malheur : Avant de prendre ma nourriture je soupire. Enfin il prouve son innocence : N’ai-je pas dissimulé?

 

 

 

 

 

Caput 4

Job 4 — Discours d'Eliphaz

 

CONFÉRENCE 1 — L'impatience de Job (Job 4, 1-6)

 

1 Alors Eliphaz de Théman prit la parole et dit : 2 Si nous risquons un mot, peut-être en seras-tu affligé; mais qui pourrait retenir ses paroles? 3 Voilà que tu en as instruit plusieurs, que tu as fortifié les mains débiles, 4 que tes paroles ont relevé ceux qui chancelaient, que tu as raffermi les genoux vacillants!... 5 Et maintenant que le malheur vient à toi, tu faiblis; maintenant qu'il t'atteint, tu perds courage!... 6 Ta crainte de Dieu n'était-elle pas ton espoir? Ta confiance n'était-elle pas dans la pureté de ta vie?

Eliphaz de Theman répondit : 2 t’adressant la parole, il t’arrivera peut-être de nous trouver importuns, mais comment retenir ce qu’on pense en son cœur? 3 que tu as enseigné les autres et que tu as relevé les mains lasses; 4 paroles raffermissaient ceux qui chancelaient et tu as redonné la force aux genoux tremblants. 5 maintenant qu’est venue sur toi l’épreuve, tu abandonnes; elle t’a touché et tu en es troublé. 6 est ta crainte? oz est ton courage et ta patience et la perfection de tes voies?

[84902] Super Iob, cap. 4 Respondens autem Eliphaz Themanites et cetera. Amici Iob qui ad consolandum venerant, cum prius propter doloris magnitudinem tacuissent, post locutionem Iob audaciam sumpserunt loquendi. Et primo loquitur Eliphaz Themanites qui verba a Iob proposita non eo animo accepit quo erant dicta: nam odium praesentis vitae quod dixerat se pati desperationi imputabat, magnitudinem amaritudinis impatientiae, innocentiae confessionem praesumptioni. Primo igitur arguit eius impatientiam, et incipit loqui ad eum quasi ad hominem impatientiae vitio subiacentem qui ex verbis sibi prolatis indignatur, unde dicit si coeperimus loqui tibi forsitan moleste accipies, ubi satis impatientis et irati consuetudinem exprimit, qui non suffert audire verba usque ad finem sed statim in ipso verborum exordio provocatur. Addit autem forsitan ne de temerario iudicio condemnetur, quamvis etiam in praesumptionibus seu suspicionibus in meliorem partem dicta vel facta interpretanda sunt. Sed dum ipse Iob de impatientia arguit, se ipsum impatientiae et fatuitatis reum ostendit dicens sed conceptum sermonem tenere quis poterit? Secundum illud Eccli. XIX 12 sagitta infixa femori canis, sic verbum in corde stulti; quamvis et iusti ex zelo divino interdum ea quae concipiunt ad honorem Dei dicenda tacere non possunt, secundum illud Ier. XX 9 dixi: non recordabor eius, scilicet sermonis domini, neque loquar ultra in nomine illius; et factus est in corde meo quasi ignis exaestuans claususque in ossibus meis, et defeci ferre non sustinens. Ulterius autem procedit ad manifeste eius impatientiam ostendendam. Exaggerat autem eius impatientiam ex duobus, scilicet ex praecedenti doctrina et ex praecedenti vita: ex praecedenti quidem doctrina quia turpe est homini cum non servat ad quod alios inducit, secundum illud Matth. XX dicunt enim et non faciunt; Iob autem multos antea ab impatientia retraxerat, et diversimode secundum quod diversis congruebat. Sunt enim aliqui qui per impatientiam deficiunt ex ignorantia dum nesciunt adversis uti ad virtutem, et quantum ad hos dicit ecce docuisti multos; quidam vero primo quidem in adversis virtuose agunt sed adversitate durante quasi recta actione fatigati deficiunt, et quantum ad hos dicit et manus lassas roborasti, scilicet bonis inductionibus; sunt etiam aliqui qui in adversis in dubitationem incidunt an ex divino iudicio proveniant, et quantum ad hos dicit vacillantes confirmaverunt sermones tui; sunt etiam aliqui qui parvam quidem adversitatem sustinerent sed sub magna adversitate quasi sub magno pondere deficiunt, et quantum ad hos dicit et genua trementia confortasti, scilicet tuis sermonibus: tremunt enim genua homini magnum pondus portanti. Ad praedicta autem implenda exhortatur dominus Is. XXXV 3 dicens confortate manus dissolutas et genua debilia roborate. Vult autem consequenter ostendere quod ea quae docuerat non implevit, unde subditur nunc autem venit super te plaga et defecisti, a firmitate scilicet mentis quam habere videbaris et quam aliis suggerebas, et hoc referendum est ad adversitatem quam passus fuerat in exterioribus rebus; tetigit te et conturbatus es, idest quietem mentis quam habuisse videbaris amisisti, quod referendum est ad afflictionem corporis quam sustinebat: unde et supra Satan dixerat mitte manum tuam et tange os eius et carnem. Sic igitur Iob arguitur quod praecedentem doctrinam subsequenti patientia non confirmaverit, contra id quod scriptum est Prov. XIX 11 doctrina viri per patientiam noscitur. Sed et ex vita praeterita quae in Iob videbatur subsequentem impatientiam exaggerat; videtur enim non fuisse vera virtus quae tam cito in tribulatione defecit quia, sicut scriptum est Eccli. II 5, in igne probabitur aurum et argentum, homines vero receptibiles in camino humiliationis. Multiplici autem virtute aliquis in tribulationibus conservatur ne deficiat: primo quidem per reverentiam divinam, dum homines considerant mala quae patiuntur ex divina providentia provenire, sicut et Iob supra dixerat sicut domino placuit ita factum est, et ad hoc excludendum inducit ubi est timor tuus? Quo scilicet Deum revereri videbaris. Secundo aliqui conservantur animi firmitate, quae quidem duos gradus habet: in quibusdam enim tanta est animi firmitas ut eorum animus adversitatibus non nimium molestetur, et hoc ad fortitudinem pertinere videtur, unde dicit ubi est fortitudo tua? Nec accipitur hic fortitudo secundum quod conservat hominem ne succumbat timori, sed ut non deiciatur per tristitiam; quidam vero gravem quidem tristitiae passionem ex adversitate patiuntur sed ab ea propter rationem bene dispositam non abducuntur, et hoc videtur ad patientiam pertinere, ut talis sit differentia inter patientiam et fortitudinem qualem assignant philosophi inter continentiam et castitatem, et ideo adiungit patientia tua? Tertio vero conservantur aliqui ex amore honestae actionis et ex eo quod horrent turpiter agere, qui etsi interius conturbentur in adversitatibus, tamen nec verbo nec facto in aliquid indecens prorumpunt, et propter hoc addit et perfectio viarum tuarum? Per vias enim actiones intelliguntur quibus quasi quibusdam viis pervenitur ad finem; vel per vias possunt intelligi excogitata consilia quibus aliquis se evadere confidit, unde adversitates facilius tolerat. Recordare, obsecro te et cetera. Postquam Eliphaz arguerat Iob impatientiae occasione accepta ex eo quod dixerat antequam comedam suspiro, nunc intendit eum praesumptionis arguere eo quod se dixerat innocentem. Ad ostendendum autem eum non esse innocentem, ex eius adversitate argumentum assumit dicens recordare, obsecro te, quis umquam innocens periit, aut quando recti deleti sunt? Ubi considerandum est hanc fuisse opinionem Eliphaz, et aliorum duorum, sicut supra dictum est, quod adversitates huius mundi non adveniunt alicui nisi in poenam peccati et e contrario prosperitates pro merito iustitiae; unde secundum eius opinionem inconveniens videbatur quod aliquis innocens temporaliter periret, aut quod aliquis rectus, idest iustus secundum virtutem, deleretur per amissionem gloriae temporalis, quam credebat praemium esse iustitiae. Et hanc quidem opinionem intantum veram esse credebat quod etiam Iob ab ea discordare non posset; aestimabat tamen quod perturbata mente ipsius, veritatem quam aliquando cognoverat quasi oblitus esset, unde dicit recordare. Posito ergo quod innocentibus et rectis adversitas non contingat, consequenter adiungit quibus adversitas contingat dicens quin potius vidi eos qui operantur iniquitatem et seminant dolores et metunt eos, flante Deo perisse et spiritu irae eius esse consumptos. In hoc autem quod dicit vidi dat intelligere se ista per experimentum probasse; per eos autem qui operantur iniquitatem intelligit eos qui manifeste iniustitiam faciunt et praecipue in nocumentum aliorum; per eos autem qui seminant dolores et metunt eos intelligit eos qui per dolum aliis nocent: hi enim dolores seminant dum calumnias praeparant quibus alios dolentes reddant, quos quidem dolores metunt dum malitiam suam ad effectum perducunt, et hoc pro magno fructu habent. Quam quidem metaphoram ulterius prosequitur quantum ad poenam: consueverunt enim segetes vento urente siccari et consumi, unde dicitur Mal. III 11 increpabo pro vobis devorantem, scilicet ventum, et non corrumpet fructum terrae vestrae, et hoc est quod dicit quod flante Deo pereunt, quasi ipsum divinum iudicium ad vindictam iniquitatis procedens flatus quidam venti sit; ipsa autem Dei vindicta dicitur spiritus, idest ventus, irae eius. Non solum autem dicit quod pereunt sed quod consumuntur, quia non solum in propriis personis puniuntur sed et eorum filii et familia tota perit ut nihil ex eis residuum videatur, in quo videbatur tangere Iob qui et in suo corpore flagellatus erat, et filios et familiam et opes amiserat. Sed quia videbatur hoc esse contra opinionem Eliphaz quod pro peccato parentis filii et familia puniretur, cum ipse intendat hanc opinionem defendere quod adversitates in hoc mundo sunt poenae peccati, huic obiectioni respondens subiungit rugitus leonis et vox leaenae et dentes catulorum leonum contriti sunt. Ubi primo considerandum occurrit quod homo ceteris animalibus praeminet ratione; cum igitur ratione praetermissa passiones brutales sequitur, efficitur similis bestiis, et illius bestiae nomen sibi competit cuius passionem imitatur, utpote qui subiacet concupiscentiae passionibus equo vel mulo comparatur, secundum illud Psalmi nolite fieri sicut equus et mulus quibus non est intellectus; propter ferocitatem autem vel iram leo aut ursus nominatur, secundum illud Prov. XXVIII 15 leo rugiens et ursus esuriens, princeps impius super populum pauperem, et Ez. XIX 3 leo factus est et didicit capere praedam hominemque comedere: sic igitur et nunc hominem ferocem leoni comparat dicens rugitus leonis, rugitus enim est leoninae ferocitatis indicium. Contingit autem frequenter quod ferocitas viro additur ex suggestione uxoris, et sic ea quae vir ferociter agit uxori imputantur in culpam, sicut patet de uxore Herodis quae impulit eum ad decollandum Iohannem, propter quod dicitur et vox leaenae. His autem quae tyrannus aliquis ferociter acquirit eius filii luxuriose interdum utuntur, et sic in rapina patris delectantur: unde et ipsi a culpa immunes non sunt, propter quod subditur et dentes catulorum leonum contriti sunt, secundum illud Nah. II 12 et leo cepit sufficienter catulis suis. Et sic obiectioni praemissae respondisse videtur, quia cum pro peccato viri punitur uxor et filii non est iniustum, cum et ipsi culpae participes fuerint; quod totum dicebat volens Iob et eius familiam de rapina notabilem reddere. Videbatur tamen hoc quod dixerat ad Iob non pertinere quia eius uxor punita non videbatur, et ideo ad hoc removendum subiungit tigris perit eo quod non haberet praedam: hi enim qui rapere consueverunt in hoc ipsum puniri se aestimant quod eis rapere non licet. Considerandum est autem quod mulierem et leaenae comparat propter ferocitatem irae, et tigridi propter promptitudinem sive velocitatem ad iram, dicitur enim Eccli. XXV 23 non est ira super iram mulieris, et iterum brevis omnis malitia super malitiam mulieris. Et quia filii Iob totaliter perierant, subiungit et catuli leonum dissipati sunt. Porro ad me dictum est verbum absconditum et cetera. Quia asseruerat Eliphaz quod adversitates in hoc mundo non adveniunt alicui nisi propter eius peccatum, volens ex hoc arguere Iob et eius familiam fuisse peccatis subiectam, cuius contrarium videbatur ex his quae manifeste in Iob et in eius familia apparuerant, vult ostendere quod nec Iob nec eius familia fuerit a peccato immunis. Et quia, propter auctoritatem Iob et famam ipsius, eius verbum invalidum videbatur, recurrit ad auctoritatem maiorem ostendens ea quae propositurus est se ex revelatione didicisse; et ad ostendendum altitudinem revelationis proponit eius obscuritatem: quanto enim aliqua sunt altiora tanto humano respectu sunt minus perceptibilia, unde et apostolus dicit Cor. XII 4 quod raptus est in Paradisum Dei et audivit arcana verba quae non licet homini loqui, iuxta quem modum et Eliphaz hic vel vere vel ficte loquitur dicens porro ad me dictum est verbum absconditum. Considerandum est autem quod aliqua veritas, quamvis propter sui altitudinem sit homini abscondita, revelatur tamen quibusdam manifeste, quibusdam vero occulte; ad effugiendam igitur notam iactantiae hanc veritatem abscondite dicit sibi esse revelatam, unde subdit et quasi furtive suscepit auris mea venas susurrii eius, ubi triplex modus occultationis innuitur qui solet in revelationibus contingere. Quorum primus est cum intelligibilis veritas alicui revelatur per imaginariam visionem, secundum quod dicitur Num. XII 6 si quis fuerit inter vos propheta domini, per somnium aut in visione loquar ad eum; at non talis servus meus Moyses: ore ad os loquar ei qui palam et non per aenigmata videt Deum; Moyses igitur hoc verbum absconditum per modum clarae vocis audivit, alii vero per modum susurrii. Secundus modus occultationis est quia in ipsa imaginaria visione proferuntur quandoque aliqua verba expresse continentia veritatem, sicut est illud Is. VII 14 ecce virgo concipiet, quandoque vero sub quibusdam figuratis locutionibus, sicut est illud Is. XI 1 egredietur virga de radice Iesse et flos etc.; in hoc igitur quod Isaias audivit ecce virgo concipiet percepit ipsum susurrium, in hoc autem quod audivit egredietur virga de radice Iesse percepit venas susurrii: nam figuratae locutiones sunt quasi quaedam venae ab ipsa veritate per similitudinem derivatae. Tertius modus est quod aliquando aliquis revelationem divinam frequentem et diutinam habet, sicut dicitur de Moyse Exodi XXXIII 11 quod loquebatur dominus ad Moysem facie ad faciem, sicut solet homo loqui ad amicum suum; aliquando autem aliquis habet revelationem subitam et transitoriam: hunc igitur subitum revelationis modum significat in hoc quod dicit quasi furtive, nam ea quasi furtive audimus quae raptim et quasi pertranseundo ad nos perveniunt. Sic igitur altitudine visionis ostensa, prosequitur de circumstantiis revelationis, et primo de tempore dicens in horrore visionis nocturnae quando sopor solet occupare homines. Tempus enim nocturnum propter quietem magis est congruum revelationibus percipiendis: in die enim a tumultibus hominum et occupationibus sensuum mens quendam strepitum patitur ut susurrium verbi absconditi percipere nequeat. Secundo ex dispositione percipientis, unde subdit pavor tenuit me: homines enim ad insolita pavere consueverunt, unde quando alicui fiunt insolitae revelationes in principio timorem patiuntur. Et ad magnitudinem huius timoris ostendendam subiungit et tremor: est enim tremor corporis indicium magnitudinis timoris. Et ad magnificandum huiusmodi tremorem subiungit et omnia ossa mea perterrita sunt, quasi dicat: tremor non fuit superficialis sed vehemens, qui etiam ossa concuteret; simile est quod habetur Dan. X 8 vidi visionem hanc grandem et non remansit in me fortitudo, sed et species mea immutata est in me et emarcui nec habui in me quicquam virium. Causam autem huius timoris consequenter ostendit dicens et cum spiritus me praesente transiret, inhorruerunt pili carnis meae: rationabile enim est quod ad praesentiam maioris virtutis minor obstupescat; manifestum est autem virtutem spiritus esse maiorem quam carnis, unde non est mirum si ad praesentiam spiritus carnis pili inhorrescunt quod ex subito timore procedit, et praesertim cum praesentia spiritus aliquo corporali indicio insolito sentitur: quae enim insolita sunt admirationem et timorem inducere solent. Et ut huic terrori quem se passum esse commemorat temporis dispositio conveniret, supra dixit in horrore visionis nocturnae: quia enim in tempore noctis res visu discerni non possunt, quaecumque modica commotio perturbationem inducere solet aestimantibus aliquid maius esse, et hoc est quod dicitur Sap. XVII 17 sive spiritus sibilans aut inter spissos ramos avium sonus suavis deficientes faciebat illos prae timore. Tertio ponitur persona revelans cum dicitur stetit quidam cuius non agnoscebam vultum, imago coram oculis meis, ubi tria ponit ad visionis certitudinem pertinentia. Sciendum est enim quod aliquando propter nimiam commotionem fumositatum et humorum, vel omnino non apparent somnia, phantasmatibus totaliter suffocatis, aut apparent somnia perturbata et instabilia sicut in febricitantibus solent accidere, et huiusmodi somnia cum parum vel nihil spiritualitatis habeant omnino absque significatione existunt; cum autem humores et fumositates resederint apparent somnia quieta et ordinata, quae cum sint magis spiritualia, intellectiva parte in quendam vigorem erumpente, huiusmodi somnia solent esse veriora, et ideo dicit stetit quidam, per quod stabilitatem visionis ostendit. Item considerandum est quod somnia etiam cum sunt quieta plerumque sunt reliquiae praecedentium cogitationum, unde homo frequentius in somno videt illos cum quibus consuevit conversari; et quia talia somnia causam habent ex nobis et non ab aliqua superiori natura, non sunt magnae significationis: ad hoc ergo removendum dicit cuius non agnoscebam vultum, per quod ostendit huiusmodi visionem non traxisse originem ex prius visis sed ex aliqua occultiori causa. Tertio considerandum est quod huiusmodi visa quae ex aliqua superiori causa oriuntur, quandoque apparent dormientibus quandoque autem vigilantibus, et veriora solent esse et certiora cum vigilantibus apparent quam cum dormientibus, eo quod in vigilando est ratio magis libera et quia in somno spirituales revelationes minus discerni possunt a somniis frivolis et consuetis; et ideo ut ostendat hanc revelationem non dormienti sed vigilanti factam esse, subiungit imago coram oculis meis, per quod significat se hoc vidisse cum oculis per vigiliam apertis, quod etiam supra significavit cum diceret quando sopor solet occupare homines, ubi innuit se sopore occupatum non fuisse. Deinde modum denuntiationis sibi factae narrat dicens et vocem quasi aurae lenis audivi. Ubi considerandum est quod huiusmodi apparitiones aliquando fiunt a spiritu bono, aliquando a spiritu malo: utroque autem modo in principio timorem patitur homo propter insolitam visionem; sed cum a bono spiritu apparitio procedit, timor in consolationem finitur, sicut patet de Angelo confortante Danielem, Dan. X 18, et de Gabriele confortante Zachariam et Mariam, Luc. I; sed malus spiritus hominem perturbatum relinquit. Per hoc igitur quod dicit vocem quasi aurae lenis audivi, consolationem quandam sedantem pavorem praeteritum demonstrat, ut per hoc visio demonstretur esse a spiritu bono non a spiritu malo, a quo frequenter visiones mendaces ostenduntur, secundum illud Reg. ult. egrediar et ero spiritus mendax in ore omnium prophetarum eius; per hunc etiam modum III Reg. legitur de apparitione facta Eliae quod post commotionem tenuis aurae sibilus, et ibi dominus. Sciendum tamen est quod etiam in visionibus quae a bono spiritu procedunt interdum commotiones magnae et voces horribiles audiuntur, ut patet Ez. I 4 ubi dicitur et vidi, et ecce ventus turbinis veniebat ab Aquilone, et post multa subditur et audiebam sonum alarum quasi sonum aquarum multarum, et Apoc. I 10 dicitur audivi post me vocem magnam tamquam tubae, sed hoc est ad designandum comminationes aut aliqua gravia pericula quae in huiusmodi revelationibus continentur; sed quia hic aliquid consolatorium dicendum erat, ideo inducitur loquentis vox similis aurae leni. Ultimo autem ponuntur verba quae sibi asserit esse revelata cum dicit numquid homo Dei comparatione iustificabitur? Quae quidem verba inducit ad confirmandum suam opinionem quam supra tetigerat, quod scilicet adversitates in hoc mundo non proveniant alicui nisi pro peccato. Ut igitur nullus posset se excusare quia adversa patitur per hoc quod se asserat a peccato immunem, inducit tres rationes, quarum prima sumitur ex comparatione ad Deum et est ducens ad impossibile: si enim homo absque culpa punitur a Deo, sequitur quod homo sit iustior Deo. Cum enim opus iustitiae sit reddere unicuique quod suum est, si Deus homini innocenti cui non debetur poena inferat poenam, homo autem qui a Deo patitur nulli homini absque culpa poenam intulerit quod oportet dicere si innocens ponitur, sequitur quod homo punitus a Deo sit iustior Deo, quod est hominem comparatione Dei iustificari, ut eum scilicet comparatione iustitiae ad Deum iustificari. Et quia forte alicui hoc non videretur inconveniens, ducit ad aliud apparentius inconveniens dicens aut factore suo purior erit vir? Quaelibet enim res puritatem habet secundum quod in sua conservatur natura quam ex causis propriis habet; puritas igitur uniuscuiusque effectus a sua causa dependet, unde suam causam in puritate superare non potest: unde nec vir potest esse purior suo factore, scilicet Deo. Secundam rationem ponit ex comparatione ad Angelos, et est a maiori, cum dicit ecce qui serviunt ei non sunt stabiles, et in Angelis suis reperit pravitatem, quae quidem sententia secundum doctrinam Catholicae fidei plana est: tenet enim fides Catholica omnes Angelos bonos fuisse creatos, quorum quidam per propriam culpam ceciderunt a rectitudinis statu, quidam vero ad maiorem gloriam pervenerunt. Quod autem Angeli a statu rectitudinis ceciderunt mirum videtur propter duo, quorum unum pertinet ad vim contemplativam, aliud ad vim activam ipsorum. Ex vi enim contemplativa videbatur quod in Angelis esse deberet stabilitas. Manifestum est enim quod causa mutabilitatis est potentia, causa immutabilitatis est actus: est enim de ratione potentiae quod se habeat ad esse et non esse, sed secundum quod magis perficitur ab actu firmius stat in uno, id vero quod secundum se actus est omnino immobile est. Sciendum est autem quod sicut materia comparatur ad formam ut potentia ad actum, ita voluntas ad bonum; id igitur quod est ipsum bonum, scilicet Deus, omnino immutabile est, ceterarum vero naturarum voluntates quae non sunt ipsum bonum comparantur ad ipsum ut potentia ad actum, unde quanto magis inhaerent ei tanto magis stabiliuntur in bono; et ideo cum Angeli inter ceteras creaturas magis et propinquius Deo videantur inhaerere utpote ipsum subtilius contemplantes, stabiliores inter ceteras creaturas videntur, et tamen non fuerunt stabiles; unde multo minus inferiores creaturae, scilicet homines, quantumcumque Deo inhaerere videantur ipsum colendo, quod est ei servire, stabiles iudicari possunt. Ex vi vero activa videtur quod in Angelis vel nihil vel minimum de pravitate esse possit: quanto enim regula propinquior est primae rectitudini minus habet de obliquitate; Deus autem in quo est prima rectitudo, sua providentia dirigens universa, inferiores creaturas per superiores disponit; unde in superioribus creaturis quae dicuntur Angeli, quasi a Deo missi ad alia dirigenda, minimum videtur esse vel nihil de pravitate; unde cum in eis inventa sit pravitas, credendum est quod in quovis hominum quantumcumque magnus appareat pravitas possit inveniri. Cavendum autem est ne ex his verbis aliquis in errorem incidat Origenis qui etiam nunc quoscumque spiritus creatos instabiles asserit et posse ad pravitatem perduci; hoc enim aliqui per gratiam assecuti sunt ut immobiliter Deo inhaereant ipsum per essentiam videntes; et secundum hoc, etiam aliquibus hominibus, quamvis sint inferioris naturae quam Angeli, per gratiam conceditur etiam in hac vita quod sint a pravitate peccati mortalis immunes. Tertiam rationem ponit sumptam ex condicione humana cui coniungitur conclusio praecedentis rationis, unde etiam posset ex duobus una ratio formari, et hoc cum dicit quanto magis hi qui habitant domos luteas. Est autem humana condicio talis quod ex terrena materia corpus eius compactum est, quod designat cum dicit quanto magis qui habitant domos luteas: corpus enim humanum luteum dicitur quia ex terra et aqua, gravioribus elementis, abundantius constat, quod eius motus declarat, unde Gen. I dicitur quod formavit Deus hominem de limo terrae; hoc igitur luteum corpus domus animae dicitur quia anima humana quantum ad aliquid est in corpore sicut homo in domo vel sicut nauta in navi, inquantum scilicet est motor corporis. Fuerunt autem aliqui qui propter hoc dixerunt quod anima non unitur corpori nisi accidentaliter sicut homo vestimento aut nauta navi, sed ut hanc opinionem excluderet subdit qui terrenum habent fundamentum, per quod datur intelligi quod anima humana unitur corpori etiam ut forma materiae: dicitur enim materia fundamentum formae eo quod est prima pars in generatione sicut fundamentum in constitutione domus. Utitur autem tali modo loquendi ut id quod est animae attribuat homini, non ideo quod anima sit homo ut quidam posuerunt dicentes hominem nihil aliud esse quam animam indutam corpore, sed quia anima est principalior pars hominis: unumquodque autem consuevit appellari id quod est in eo principalius. Haec autem duo quae de hominis infirmitate dicit videntur contraponi his quae supra de Angelorum excellentia dixerat: nam hoc quod dicit qui habitant domos luteas videtur ponere contra id quod dixerat qui serviunt ei, quod est inhaerere ei et in ipso spiritualiter habitare; quod vero dicit qui terrenum habent fundamentum, ei quod dixerat in Angelis suis: Angeli enim natura incorporei sunt, secundum illud Psalmi qui facit Angelos suos spiritus. Ex praemissa autem hominis condicione miserabilem eius eventum concludit dicens consumentur velut a tinea, et quidem potest hoc secundum superficiem litterae de morte corporali intelligi quam homo necessario patitur ex eo quod terrenum habet fundamentum; et secundum hoc potest designari duplex mors, scilicet naturalis in hoc quod dicit consumentur velut a tinea: tinea enim sic vestimentum corrodit quod ex vestimento nascitur, ita et mors naturalis ex causis interioribus corporis exoritur; et mors violenta in hoc quod subditur de mane usque ad vesperam succidentur: succisio enim arboris ex causa exteriori procedit. Et satis signanter dicit de mane usque ad vesperam, quia mors naturalis potest quidem per aliqua naturalia signa praecognosci, sed mors violenta omnino incerta est utpote diversis casibus subiecta, unde non potest sciri si homo de mane perveniat usque ad vesperum. Sciendum tamen quod hoc non est intentio litterae: nam supra proposuit de defectu peccati cum diceret in Angelis suis reperit pravitatem; unde ut conclusio praemissis respondeat oportet hoc etiam ad peccatum referre, per quod vita iustitiae in homine consumitur dupliciter: uno modo ex interiori corruptione, quod significat cum dicit consumentur velut a tinea: sicut enim vestimentum consumitur a tinea quae ex eo nascitur, ita iustitia hominis consumitur ex his quae in homine sunt sicut est corruptio fomitis, malae cogitationes et alia huiusmodi; alio modo ex exteriori tentatione, quod notatur in hoc quod dicit de mane usque ad vesperam succidentur. Sed considerandum est quod interior tentatio non subito hominem prosternit sed paulatim, dum per negligentiam aliquis in se ipso peccati initia reprimere non curat, secundum illud Eccli. qui minima negligit paulatim defluit, sicut etiam vestimentum quod non excutitur, a tinea consumitur; exterior vero tentatio hominem plerumque subito prosternit, sicut David ad aspectum mulieris in adulterium prorupit et etiam multi in tormentis fidem negaverunt. Quocumque autem modo homo per peccatum ruat, si peccatum suum recognoscat et paeniteat misericordiam consequetur; sed quia nullus est qui omnia peccata possit cognoscere, secundum illud delicta quis intelligit? Sequitur quod plurimi hominum peccata non cognoscentes eis remedia non adhibent per quae liberentur et hoc est quod subdit et quia nullus intelligit, scilicet lapsus peccatorum, in aeternum peribunt, scilicet plurimi quasi a peccato numquam liberati. Sed quia aliqui sunt qui contra peccata remedia adhibent licet ea non plene intelligant, sicut David qui dicebat ab occultis meis munda me, domine, subiungit qui autem reliqui fuerint, scilicet de numero eorum qui in aeternum pereunt, auferentur ex eis, idest segregabuntur ex eorum consortio; morientur quidem quia quamvis homo a peccato paeniteat a mortis tamen necessitate non liberatur, sed sapientia in eis non moritur, et hoc est quod dicit et non in sapientia. Vel hoc quod dicit morientur et non in sapientia non respondet ad immediate dictum sed ad id quod supra dixerat in aeternum peribunt, ut sit sensus quod morientur sine sapientia. Vel hoc quod dicit qui reliqui fuerint potest intelligi de filiis qui relinquuntur ex parentibus pereuntibus, qui propter peccata parentum quae imitantur et ipsi auferuntur sine sapientia morientes. Vult ergo ex omnibus istis Eliphaz habere quod cum condicio hominis sit tam fragilis de facili cadit in peccatum, quod dum homo non cognoscit in perditionem vadit ipse et filii eius; et sic Iob licet se peccatorem non recognosceret, credendum erat quod propter peccata aliqua ipse et filii eius perierint. Sic igitur postquam revelationem sibi factam exposuerat, quia posset Iob hanc revelationem non credere ideo subiungit voca ergo si est qui tibi respondeat, quasi dicat: si mihi hoc esse revelatum non credis, tu ipse invoca Deum si forte ipse tibi ad hanc dubitationem respondere voluerit; et si per merita propria hoc a Deo obtinere non putas, ad aliquem sanctorum convertere, ut eo mediante huius rei veritatem a Deo cognoscere possis. Et notandum est quod dicit ad aliquem sanctorum, quia non licet per immundos spiritus quocumque modo vel arte occulta perquirere sed solum per Deum vel per sanctos Dei, secundum illud Is. VIII 19 cum dixerint ad vos: quaerite a Pythonibus et a divinis qui strident in incantationibus suis, numquid non populus a Deo suo requirit visionem pro vivis aut mortuis?

Les amis de Job venus pour le consoler, après s’être tus à cause de leur immense douleur, s’enhardirent à parler après avoir entendu Job. Et d’abord Eliphaz de Theman prend la parole qui n’a pas compris les propos de Job dans l’esprit où ils ont été tenus; car le dégoût de la vie présente qu’il exprimait, il l’impute au désespoir, la grandeur de son amertume à l’impatience et la protestation de son innocence à la présomption. Donc il reprend Job pour son impatience et il lui adresse la parole comme à un homme impatient et il s’indigne au sujet des paroles qu’il a proférées : d’où il (lui) dit : Tu supporteras peut-être difficilement ce que nous allons te dire. Mais lui-même manifeste le tempérament d’un homme très impatient et irascible qui ne souffre pas d’écouter jusqu’au bout ce qu’on lui dit et qui aussitôt s’excite dès les premières paroles. Il ajoute : peut-être, pour n’être pas condamné de juger témérairement, quoique même dans les présomptions ou suppositions il faille juger en bonne part les paroles et les actes. Mais en reprenant Job pour son impatience, il fait montre lui- même d’impatience et de suffisance; car il dit : Peut-on retenir ce qu’on a dans le cœur? On lit dans Sirach le Sage : "Comme une flèche enfoncée dans la cuisse du chien, ainsi la parole dans le cœur de l’in sensé" (19, 12). Cependant les bons, par zèle pour Dieu, ne peuvent taire ce qu’ils ont conçu de dire en l’honneur de Dieu : On lit dans Jérémie "J’ai dit : loin de mon souvenir soit la parole de Dieu et je ne parlerai plus en son nom; et il se fit en mon cœur comme un feu ardent, comme enfermé dans mes os et je ne pus m’empêcher de parler". (20, 9).

Et il continue et s’emploie à faire ressortir l’impatience de Job, en exagérant de deux manières : s’appuyant sur sa doctrine et sur sa conduite antérieure. Sur sa doctrine antérieure d’abord : car c’est une honte de ne pas faire ce qu’on enseigne aux autres; selon saint Matthieu : "Ils disent, mais ne font pas" (23, 3). Or Job auparavant en avait retiré d’autres de l’impatience, et diversement, selon qu’il convenait à chacun. En effet il y en a qui sont impatients par ignorance ne sachant pas faire usage de l’adversité et ainsi pratiquer la vertu; et quant à cela il dit : Tu as enseigné les autres. D’autres dans l’adversité pratiquent la vertu pour un temps, mais si cela dure, comme lassés de bien faire, ils se découragent, et quant à cela il dit : Et tu as affermi les mains lasses, c’est-à-dire par de bonnes paroles. Et il y en a d’autres qui dans les choses adverses sombrent dans le doute, c’est-à-dire si elles viennent d’un jugement de Dieu; et quant à cela il dit : Tes paroles raffermissaient ceux qui chancelaient. Il y en a aussi qui supportent une légère adversité, mais dans une grande, ils sont comme ébranlés par son poids et quant à ceux-là il dit : Et tu as redonné la force aux genoux tremblants c’est-à-dire par tes paroles; en effet les genoux tremblent chez celui qui porte un lourd fardeau. Le Seigneur nous exhorte à remplir ces devoirs : "Affermissez les bras fatigués et donnez la force aux genoux débiles " (Is. 35, 3).

Eliphaz veut ensuite montrer que ce que Job avait enseigné, il ne l’a pas pratiqué Et maintenant qu’est venue sur toi l’épreuve, tu abandonnes, c’est-à-dire la force d’esprit que tu paraissais avoir et que tu suggères à d’autres; il s’agit de l’adversité dans les choses extérieures que Job endurait. Elle t’a touché et tu en es troublé, c’est-à-dire tu S perdu le repos de l’esprit que tu paraissais avoir acquis; il s’agit de l'affliction du corps dont il souffre; c’est pourquoi Satan avait demandé : étends ta main et touche ses os et sa chair. Ici donc il est reproché à Job de n’avoir pas conformé sa conduite à sa doctrine; de quoi il est écrit au Livre des Proverbes : "La doctrine de l’homme se reconnaît à sa patience" (19, 11).

Mais de la vie passée, qui paraissait en Job, le contraste est trop criant avec cette impatience. Il semble en effet que ce ne fût pas une vraie vertu qui si rapidement fait défaut dans l’épreuve; car comme il est écrit : "Dans le feu s'éprouvent l’or et l’argent; les hommes qui plaisent à Dieu sont éprouvés dans la fournaise de la tribulation" (Sir. 2, 5). Or c’est par plusieurs vertus que l’on s’affermit dans les épreuves et qu’on ne succombe pas : d’abord le respect qu’on a de Dieu quand on considère les maux qu’on souffre comme venant de la divine providence, comme Job le disait : "Ainsi qu’il a plu à Dieu, c’est arrivé"; et Eliphaz écarte cela Où est ta crainte? par laquelle tu paraissais craindre Dieu. Ensuite la fermeté d’âme dont il y a deux degrés : chez certains en effet la fermeté d’âme fait qu’ils ne sont pas trop affectés par les choses adverses; et c’est la vertu de force; d’où ce qu’il dit : Où est ta force? Non pas celle qui préserve l’homme de la crainte mais du découragement; chez d’autres que la tristesse accable dans le malheur, leur raison bien disposée ne leur enlève pas cette fermeté d’âme et c’est la patience; et selon les philosophes la patience et la force sont dans le même rapport que la continence et la chasteté; et donc il ajoute : (Où est) ta patience? Enfin il y en a qui restent vertueux par attachement à une conduite honnête et en ce qu’ils ont en horreur d’agir honteusement; et bien qu’ils soient intérieurement troublés dans l’épreuve, cependant ils gardent la maîtrise d’eux-mêmes et pour cela il dit : Où est la perfection de tes voies? Par voies on entend les actions par lesquelles, comme par des chemins, on parvient au but; par voies on peut entendre les décisions que l’on prend et par lesquelles on espère mieux supporter les adversités.

 

CONFÉRENCE 2 — Dieu ne peut avoir frappé qu'avec justice (Job 4, 7-11)

 

7 Cherche dans ton souvenir : quel est l'innocent qui a péri? En quel lieu du monde les justes ont-ils été exterminés? 8 Pour moi, je l'ai vu, ceux qui labourent l'iniquité et qui sèment l'injustice, en moissonnent les fruits. 9 Au souffle de Dieu ils périssent, ils sont consumés par le vent de sa colère. 10 Le rugissement du lion et sa voix tonnante sont étouffés, et les dents du jeune lion sont brisées; 11 le lion périt faute de proie, et les petits de la lionne se dispersent.

Après avoir repris Job pour son impatience prenant occasion de ce qu’il avait dit : avant de manger, je soupire; il tente maintenant de lui reprocher la présomption de ce qu’il s’était dit : innocent. Pour montrer qu’il n’est pas innocent il tire argument de son adversité en disant : Rappelle-toi, je t’en prie, l’innocent a-t-il jamais péri ou quand les justes ont-ils été détruits? Remarquons qu’il s’agit de l’opinion d’Eliphaz et des deux autres : comme on l’a dit plus haut : les adversités de ce monde n’arrivent qu’aux pécheurs et inversement les choses t prospères récompensent les justes; d’où d’après lui il est injuste qu’un innocent périsse ou qu’un homme droit, c’est-à-dire juste en vertu, soit détruit, c’est-à-dire qu’il perde la gloire temporelle : car il croyait que la justice le voulait ainsi. Et il croyait bien à la vérité d’une telle opinion d’autant que Job lui aussi ne pourrait en disconvenir; cependant il estimait que Job dans son trouble d’esprit avait oublié cette vérité qu’il avait autrefois professée; d’où il lui dit : Rappelle-toi.

Etant donc admis que l’adversité n’atteint pas l’innocent ni le juste, il dit en conséquence quels sont ceux auxquels elle arrive : j’ai vu plutôt que ceux qui font le mal, qui sèment la souffrance les récoltent; ils ont péri au souffle de Dieu et ont été consumés par le vent de sa colère. Quand il dit j’ai vu il fait allusion à l’expérience qu’il en a. Ceux qui font le mal sont ceux qui commettent l’injustice surtout au détriment d’autrui; ceux qui sèment la souffrance et qui la recueillent sont ceux qui par ruse nuisent aux autres; ils sèment la souffrance par leurs calomnies qui causent la souffrance des autres et ils recueil lent les souffrances quand leur malice a atteint le but : pour eux c’est ce qu’ils estiment un excellent fruit. Et cette métaphore se poursuit ultérieurement en leur châtiment. En effet les moissons se dessèchent ordinairement et périssent sous l’action d’un vent brûlant; d’où en Malachie : "J’invectiverai celui qui dévore" c’est-à-dire "le vent pour qu’il ne corrompe point les fruits de votre terre" (3, 11). Et c’est ce qu’il dit : au souffle de Dieu ils périrent; en quelque sorte le jugement même de Dieu tire vengeance de l’iniquité et il est comme un souffle du vent; et cette même vengeance de Dieu est appelée esprit de sa colère. Non seulement il dit qu’ils périrent, mais qu’ils furent consumés; car non seulement en leur propre personne ils sont punis mais leurs fils et toute leur famille périrent de sorte que plus rien n’en est resté. Ainsi Job fut-il frappé dans son corps, ses enfants, ses familiers et ses possessions.

Mais comme c’était contraire au sentiment d’Eliphaz que pour le péché du pare, les fils et la famille soient punis alors que lui-même veut défendre ce sentiment que les adversités en ce monde sont le châtiment du péché (personnel) il répond à cette difficulté en ajoutant Le rugissement du lion et le hurlement de la lionne et les dents des lionceaux se sont apaisés. Remarquons d’abord que l’homme surpasse par sa raison les animaux; lors donc que, la raison mise en sourdine, il suit les passions de la brute, il devient pareil aux bêtes; et le nom de la bête lui convient dont il imite la passion, comme par exemple celui qui est esclave des passions de la concupiscence est comparé au cheval ou à une mule; ainsi au psaume : "Ne soyez pas comme le cheval et le mulet qui n’ont pas d’intelligence" (31, 9). A cause de la, violence, on dit de quelqu’un que c’est un lion ou un ours, selon les Proverbes : "Lion rugissant et ours affamé est le prince impie pour le pauvre peuple " (28, 15) et en Ez. "Devenu comme un lion il a appris à saisir la proie et à manger l’homme" (19, 3). Ainsi donc maintenant Eliphaz compare l’homme violent au lion en disant : rugissement du lion, en effet le rugissement est l’indice de sa férocité. Mais il arrive fréquemment que par sa suggestion la femme ajoute à la violence de l’homme et alors ce que fait la violence de l’homme est imputé à faute chez la femme, comme il ressort chez la femme d’Hé rode qui le poussa à faire décapiter Jean Baptiste, d’où ces mots la voix de la lionne. Ce qu’un tyran acquiert par la violence, les fils parfois l’utilisent sans retenue et ainsi participent à la rapine du père et donc ils ne sont pas exempts de faute; à cause de cela il dit : les dents des lionceaux se sont apaisées, selon Nahum : "Le lion fit une prise suffisante pour ses petits" (2, 12). Ainsi répond-il à la difficulté car lorsque pour la faute de l’homme, la femme et les enfants sont punis ce n’est pas injuste puisqu’ils ont pris part à sa faute; par tout ce qui précède il veut montrer que Job et sa famille furent d’accord dans la rapine.

Cependant ce qu’Eliphaz avait dit, semblait ne s’appliquer à Job : car sa femme n’avait pas été punie et donc il ajoute : la tigresse est morte faute de proie. Ceux-là en effet, qui ont accoutumé de ravir, s’estiment lésés si on ne leur permet plus de ravir. A remarquer qu’il compare la femme à une lionne à cause de la violence de sa colère et à une tigresse à cause de la promptitude ou de la rapidité à la colère. On lit dans l’Ecclésiastique : "Il n’y a pas plus grande colère que celle d’une femme" (25, 23a) et encore "Toute malice est-elle aussi grande que celle d’une femme" (ib. 26)? Et comme tous ses fils avaient péri, il ajoute : Les petits du lion ne sont plus.

 

CONFÉRENCE 3 — Vision d'Eliphaz (Job 4, 12-21)

 

12 Une parole est arrivée furtivement jusqu'à moi, et mon oreille en a saisi le léger murmure. 13 Dans le vague des visions de la nuit, à l'heure où un sommeil profond pèse sur les mortels, 14 une frayeur et un tremblement me saisirent, et agitèrent tous mes os. 15 Un esprit passait devant moi... Les poils de ma chair se hérissèrent. 16 Il se dressa, -je ne reconnus pas son visage, - comme un spectre sous mes yeux. Un grand silence, puis j'entendis une voix : 17 L'homme sera-t-il juste vis-à-vis de Dieu? Un mortel sera-t-il pur en face de son Créateur? 18 Voici qu'il ne se fie pas à ses serviteurs, et qu'il découvre des fautes dans ses anges : 19 combien plus en ceux qui habitent des maisons de boue, qui ont leurs fondements dans la poussière, qui seront réduits en poudre, comme par la teigne! 20 Du matin au soir ils sont exterminés, et sans que nul y prenne garde, ils périssent pour jamais. 21 La corde de leur tente est coupée, ils meurent avant d'avoir connu la sagesse.

Il m’a été dit une parole cachée; comme furtivement, mon oreille a perçu la veine de son murmure. 13 l’horreur d’une vision nocturne, quand d’ordinaire un profond sommeil possède les hommes,' peur me saisit et la crainte, et tous mes os en furent ébranlés' sur ma face un souffle passa et les poils se dressèrent sur ma chair dont j’ignorais le visage m’est apparu : une image devant mes yeux et j’ai entendu une voix comme d’une brise légère' comparé à Dieu sera-t-il juste, un mortel est-il pur face à son auteur? ceux qui le servent ne sont pas stables et dans ses anges il a trouvé la perversion;' plus, ceux qui habitent des maisons d’argile, qui ont un fondement sur terre. Seront-ils mangés comme par des mites? 20 matin au soir on les abat et sans qu’ils en sachent rien ils périssent pour toujours. 21 qui auront été de reste en seront séparés; ils mourront, mais non la sagesse.

Parce que Eliphaz assurait que les adversités en ce monde n’ad viennent à personne que s’il est pécheur, voulant par là prouver que’ Job et sa famille avaient péché, contrairement à ce qu’il paraissait en ce qui concernait surtout Job et sa famille, il veut montrer que ni Job ni sa famille ne furent exempts de péché. Et parce que l’autorité dont jouissait Job, comme aussi sa renommée, invalidaient son discours, il a recours à une plus haute autorité, montrant que ce qu’il va prouver il l’a appris par révélation, et pour montrer l’élévation de cette révélation il propose son obscurité plus en effet les choses sont élevées moins elles sont perceptibles au regard humain; d’où ce que dit l’Apôtre : "Il fut enlevé dans le paradis et il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de révéler" (2 Cor. 12, 4). C’est de cette manière aussi qu’Eliphaz parle réellement ou fictivement : Or il m’a été dit une parole cachée.

Il faut savoir qu’une vérité bien que cachée aux hommes pour sa profondeur peut être révélée aux uns manifestement, à d’autres en secret. Pour ne pas être taxé de jactance il dit que cette vérité lui a été révélée secrètement Et presque furtivement mon oreille a perçu la veine de son murmure. Il y a trois modes secrets qui interviennent dans les révélations : en premier lieu la vérité intelligible est révélée par vision imaginaire, comme il est dit au Livre des Nombres : "Si parmi vous est un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai en songe; mais tel n’est pas mon serviteur Moïse qui dans toute ma maison est fidèle; bouche à bouche je lui parlerai en clair; ni en énigmes ni en figures il voit Dieu" (12, 6-8). Moïse entendit donc cette parole cachée dans un langage clair; d’autres l’entendent dans un murmure. Le second mode secret est dans la vision imaginaire où se profèrent des paroles qui tantôt contiennent expressément la vérité, comme en Isaïe "Voici qu’une vierge concevra " (7, 14); tantôt sous des locutions figurées, comme "Un rejeton sortira de la racine de Jessé" (lb. 11, 1). Donc quand Isaïe entend "Voici qu’une vierge concevra", il perçoit le murmure lui-même; et quand il entend "Un rejeton sortira de la racine de Jessé", il perçoit la veine de ce murmure. Car les locutions figurées sont comme des veines dérivées par similitude de la vérité elle-même. Le troisième mode secret consiste tantôt dans une révélation divine fréquente et prolongée, comme il est dit de Moïse : "Le Seigneur parla à Moïse face à face comme d’ordinaire un ami avec son ami" (Ex. 3, 11); tantôt cette révélation est subite et passagère; c’est de ce mode subit de révélation qu’il est ici question et il dit comme furtivement; car nous écoutons en quelque sorte furtivement ce qui nous parvient rapidement et comme en passant.

Ainsi donc il continue après l’élévation de la vision, à partir des circonstances où elle a eu lieu. Et d’abord quant au moment, en disant : Dans l’horreur d’une vision nocturne quand d’ordinaire un profond sommeil possède les hommes. En effet la nuit convient mieux à des révélations; car le jour, à cause du tumulte des hommes et la distraction des sens le bruit étouffe le murmure d’une parole secrète qu’on ne peut percevoir.

Vient ensuite la disposition de l’auditeur; d’où il dit : La peur me saisit; en effet les hommes ont peur devant ce qui est insolite; quand donc quelqu’un a des révélations insolites, au début il craint; et pour en montrer l’ampleur il ajoute : et je tremblai; en effet le tremblement du corps est l’indice d’une grande crainte; quant à la grandeur même de ce tremblement il ajoute : et tous mes os en furent ébranlés, comme pour dire que le tremblement n’était pas superficiel mais véhément et profond qui secouait ses os. La même chose eut lieu pour le prophète Daniel "Grande fut la vision qui me laissa sans force et mon être en fut tout changé, et comme évanoui et pantelant" (10, 8). Il montre la cause de son trouble et sur mon visage passa un souffle et les poils se dressèrent sur ma chair. Il est en effet assez naturel que la présence d’une force supérieure offusque un plus faible qu’elle; il est manifeste que le pouvoir d’un esprit est plus grand que celui de la chair; d’où rien d’étonnant qu’en présence d’un souffle spirituel se dressent les poils de la chair; ce qui vient d’une crainte subite, surtout si la présence d’un esprit est sentie par quelqu’indice insolite; en effet ce qui est insolite cause habituellement l’étonnement et la crainte. Et comme à cette crainte, qu’il remémore avoir subie, le moment convenait bien, il a dit plus haut dans l’horreur d’une vision nocturne; parce qu’en effet la nuit on ne peut rien voir la moindre chose insolite provoque le trouble; on pense à quelque chose de grand, d’après ce que dit le Livre de la Sagesse : "Soit le sifflement du vent ou l’aimable chant des oiseaux dans la lourde ramure, ils étaient tous saisis de crainte" (17, 17)17.

Enfin vient la personne qui fait la révélation, il dit : Quelqu’un se tint debout dont j’ignorais le visage, son image était devant mes yeux; ici sont indiquées trois choses quant à la certitude de la vision.

Il faut en effet savoir que parfois à cause de la trop forte commotion des humeurs et des vapeurs, ou bien il n’y a pas de songes ou bien ils sont troubles et indécis, comme il arrive chez les fiévreux; de tels songes n’ont rien de spirituel; ils ne signifient rien. Quand les humeurs et les vapeurs se sont dissipées apparaissent des songes calmes et ordonnés, étant plus spirituels ils ont dans la partie intellective plus de vigueur et ces songes sont ordinairement plus vrais et donc on dit ici quelqu’un se tint debout, ce qui montre la stabilité de la vision. De même il faut savoir que ces songes paisibles sont la plupart du temps des restes de pensées précédentes et on voit assez souvent dans ces songes ceux avec qui on converse ordinairement; et comme ils viennent de nous et non d’une influence supérieure, ils n’ont pas grande signification, et il dit : dont j’ignorais le visage; en cela il indique que s’il n’y a pas eu de cause précédente, il ignorait quelle pouvait en être l’origine. Il faut enfin savoir que ce qui naît d’une cause supérieure dans une telle vision apparaît tantôt chez ceux qui dorment, tantôt chez ceux qui veillent; dans ce dernier cas la certitude et la vérité sont plus grandes que dans le sommeil, car dans la veille la raison est plus libre. Et parce que dans le sommeil les révélations spirituelles se discernent moins bien des songes frivoles et vulgaires, pour montrer que cette révélation n’a pas été faite à un dormeur mais à un veilleur, il ajoute : l’image était devant mes yeux; par là il signifie avoir vu de ses yeux bien ouverts; et il l’avait déjà fait entendre plus haut : "Quand la torpeur accable ordinairement les humains", où il insinue que lui-même ne dormait pas.

Ensuite il raconte comment la communication lui a été faite et j’ai entendu une voix comme une brise légère. Ici il faut remarquer que ces apparitions tantôt viennent du bon esprit, tantôt du mauvais esprit; mais au début toutes deux inspirent la crainte par leur aspect insolite; mais dans celle qui vient du bon esprit la crainte se change en consolation, comme il ressort de l’ange réconfortant le prophète Daniel (Daniel 10, 18) et de l’ange Gabriel qui réconforte Zacharie et Marie; quant au mauvais esprit il laisse l’esprit dans le trouble. En disant : donc j’ai entendu une voix comme une brise légère il montre qu’après un moment de crainte il a été consolé et donc que la vision venait du bon esprit et non du mauvais chez qui les visions sont souvent trompeuses, comme on peut le lire au troisième livre des Rois : "Je sortirai et serai un esprit menteur dans la bouche de tous les prophètes" (22, 22); et encore au même Livre au sujet de l’apparition survenue au prophète Elie, on dit qu’après le trouble il y eut le murmure d’une brise légère et que là était le Seigneur (ib. l9, l2) Il faut cependant remarquer que les Visions qui viennent du bon esprit parfois accompagnées de grandes commotions et qu’on y entend des bruits effrayants, comme il ressort en Ezéchiel : "Et je vis, et voici qu’un vent tournoyant s’éleva de l’aquilon)" (1, 4 sq); et plus loin "J’entendis le bruit de leurs ailes comme celui de grandes eaux" (ib. 24) et dans l’Apocalypse : "J’entendis une grande voix comme le son d’une trompette" (1, ). Mais il s’agit là de menaces ou de grands périls que ces révélations annoncent; mais pour une consolation comme ici, on entend la voix semblable à une brise légère.

En dernier lieu viennent les paroles qui lui sont adressées et qu’il affirme avoir été révélées L'homme sera-t-il justifié comparé à Dieu? Ces paroles il les rapporte en confirmation de son opinion qu’il exprimait plus haut; comme s’il disait : les adversités de ce monde n’arrivent à quelqu’un que pour ses péchés. Donc pour que personne ne Puisse trouver excuse à ses adversités en se déclarant exempt de Péché, il apporte trois arguments : d’abord par comparaison avec Dieu pour conclure par l’absurde. Si en effet Dieu punit l’homme sans qu’il y ait de sa faute il s’en suit que l’homme est plus juste que Dieu puisqu’aussi bien la justice est de rendre à chacun ce qui est à lui; si Dieu punit l’homme innocent auquel n’est due aucune peine, cet homme que Dieu fait souffrir n’ayant pas lui-même infligé de peine sans qu’il y eut une faute -ce qu’il faut admettre si on le suppose innocent- il suit que l’homme puni par Dieu est plus juste que Dieu; ce qui est : justifier l’homme comparé à Dieu c’est-à-dire comme pour le justifier par rapport à Dieu en fonction de la justice. Et comme cela pourrait ne pas paraître inconvenant il poursuit par ce qui est encore plus inconvenant ou bien l’homme serait-il plus pur que son auteur? Toute chose en effet est pure selon qu’elle conserve la nature qu’elle possède en vertu de causes propres à elle. Donc la pureté pour chaque effet dépend de sa cause; d’où il ne peut surpasser sa cause en pureté; ni l’homme non plus ne peut être plus pur que son auteur c’est-à-dire Dieu.

La seconde raison qu’il apporte vient de la comparaison avec les anges et c’est par à fortiori Voici, ceux qui le servent ne sont pas stables, et dans ses anges il a trouvé la dépravation; cette sentence est conforme à l’enseignement de la foi catholique; en effet la foi catholique tient pour certain que tous les anges ont été créés bons, dont certains par leur propre faute sont déchus de leur état de rectitude et les autres sont parvenus à une gloire plus grande. D’être tombés de leur état de droiture cela parait étonnant pour deux motifs dont l’un concerne la vie contemplative et l’autre la vie active. En effet de par leur vie contemplative il semble que la stabilité s’imposerait; car il est évident que la cause du changement est la puissance, la cause de l’immutabilité est l’acte; la puissance en effet c’est pouvoir être ou ne pas être; mais plus quelque chose se perfectionne par l’acte il en devient plus ferme; ce qui est acte par soi est tout-à-fait immuable. Or il faut savoir ceci : de même que la matière est à la forme comme la puissance à l’acte, ainsi la volonté l’est-elle quant au bien; celui donc qui est le bien même, c’est-à-dire Dieu, est tout-à-fait immuable, les volontés des autres natures qui ne sont pas le bien lui-même sont à ce bien comme la puissance à l’acte; d’où plus elles y adhèrent plus elles sont stables dans le bien; et c’est pourquoi comme les anges parmi les autres créatures adhèrent davantage et se rapprochent plus de Dieu parce qu’ils le contemplent plus profondément sont-ils plus stables que les autres créatures et cependant ils ne l’ont pas été. Donc les créatures inférieures le sont beaucoup moins; c’est-à-dire les hommes quel que soit leur attachement à Dieu en l’honorant, - ce qui est le servir - ne peuvent être tenus pour stables. De par leur vie active il semble que chez les anges il n’y ait aucune, même la moindre dépravation; en effet plus on se rapproche de la première rectitude, moins on dévie. Dieu en qui est la rectitude en premier, dirigeant par sa providence toutes choses, dispose les créatures inférieures par les supérieures; d’où chez les créatures supérieures qu’on appelle anges, comme envoyés par Dieu pour diriger les autres, il n’y a que très peu ou pas de dépravation donc comme chez eux s’est trouvée la dépravation on doit admettre qu’en tout homme quel que grand qu’il soit on peut trouver la dépravation. Ceci cependant ne doit pas nous faire tomber dans l’erreur d’Origène qui affirme que maintenant encore n’importe quel esprit créé est instable et peut se pervertir; en effet c’est par la grâce que certains ont obtenu d’adhérer inébranlablement à Dieu en le voyant en son essence. Et d’après cela à certains hommes, bien que d’une nature inférieure aux anges, a été accordé même en cette vie d’être exempts de la dépravation du péché mortel.

Son troisième argument (pour montrer que l’adversité vient du péché) est pris de la condition humaine et il rejoint la conclusion précédente. On peut donc en faire un seul argument; et il dit : Combien plus ceux qui habitent les maisons d’argile. Or l’humaine condition fait que le corps est composé de matière terrestre : c’est ce qu’il dit : combien plus ceux qui habitent les maisons d’argile. En effet le corps humain est dit : fait d’argile parce qu’il est fait de terre et d’eau, éléments lourds, comme ses mouvements le montrent; d’où dans la Genèse : "Dieu fit l’homme du limon de la terre". Donc ce corps d’argile est la maison de l’âme, parce que l’âme humaine, à un certain point de vue, est dans le corps, comme l’homme en sa maison ou le matelot sur son bateau, c’est-à-dire en tant qu’elle meut le corps. A cause de cela certains ont dit que l’âme était unie au corps accidentellement, comme l’homme au vêtement ou le matelot au bateau et pour exclure cela il dit : qui ont un fondement terrestre. Par là on nous donne à entendre que l’âme est unie au corps aussi comme la forme la matière; en effet la matière est dite fondement de la forme en ce qu’elle est la première dans la génération, comme le fondement dans la construction de la maison. En s’exprimant ainsi il attribue à l’homme la part que l’âme y prend, non que l’âme soit homme, comme l’ont avancé certains, disant que l’homme n’est rien autre qu’une âme revêtue d’un corps; mais l’âme est la partie principale de l’homme; or toute chose est ordinairement appelée par ce qui est principal en elle. Ces deux choses qu’il attribue à l’infirmité humaine sont mises en Opposition à ce qu’il a dit de l’excellence des anges; car ce qu’il dit de ceux qui habitent des maisons d’argile, il l’oppose à ceux qui le servent, ce qui est adhérer à Dieu et par l’esprit habiter en lui. Ce qu’il dit : ceux qui ont un fondement terrestre s’oppose à "en ses anges", car les anges sont incorporels, comme au psaume 104, 4 : "Qui fait de tes anges, des esprits".

De la condition de l’homme précédemment exposée il conclut à sa malheureuse destinée en disant : ils sont mangés comme par les mites, à la lettre on pourrait entendre la mort corporelle que l’homme subit nécessairement parce qu’il a un fondement terrestre; et alors il s’agit d’une double mort : naturelle en disant : comme par les mites, comme la mite ronge le vêtement et naît du vêtement, de même la mort naturelle naît-elle de causes intérieures au corps; violente en ce qu’il ajoute : du matin au soir on les abat : en effet l’abattage des arbres procède d’une cause extérieure et ainsi il dit pertinemment du matin au soir; car la mort naturelle peut être prévue par quelques signes naturels, mais la mort violente est tout-à-fait inconnue comme sujette à des causes imprévues; d’où l’homme ne peut savoir le matin s’il parviendra au soir. Mais tel n’est pas le sens du texte puisqu’il avait été question plus haut du péché en disant : "et aussi chez, ses anges". Donc pour que la conclusion réponde aux prémisses, il faut rapporter cela au péché qui consume la vie de justice en l’homme, de deux manières : d’une part par corruption intérieure quand il dit : ils sont mangés comme par les mites; en effet de même que les mites consomment le vêtement dont elles proviennent ainsi ce qui est en l’homme consomme la justice de l’homme, telle la corruption native, les pensées mauvaises ou autres choses; d’autre part par la tentation externe, qu’il exprime par les mots du matin au soir on les abat. Mais il faut considérer que la tentation intérieure n’abat pas subitement l’homme; mais peu à peu quand on néglige de réprimer le péché dès le début en soi-même selon l’adage : "Qui néglige les petites choses, tombe sans le savoir", ainsi du vêtement qu’on ne secoue pas et qui est mangé des mites. Quant à la tentation externe, la plupart du temps elle abat l’homme subitement, tel David qui au spectacle d’une femme tomba dans l’adultère, comme beaucoup aussi dans les tourments ont renié la foi.

Quelle que soit la manière dont il pèche s’il reconnaît son péché l’homme obtient miséricorde. Mais parce qu’aucun ne peut connaître tous les péchés, comme le dit le psaume : "Qui peut connaître les délits" (18, 12) il se fait assez souvent qu’ignorant leurs péchés les hommes n’appliquent pas les remèdes qui les libéreraient; et c’est ce qu’il ajoute : Et sans qu’ils en sachent rien c’est-à-dire sur la chute dans le péché ils périront pour toujours c’est-à-dire la plupart ne seront jamais libérés du péché. Mais il y en a qui appliquent le remède au péché bien qu’ils ne les connaissent pas pleinement, comme David qui disait : "Seigneur purifie-moi de mes fautes cachées" (Ps 18, 12). Et il ajoute : Ceux qui auront été de reste c’est-à-dire parmi ceux qui périssent pour toujours, ils en seront enlevés c’est-à-dire mis à part de leur compagnie. Mais ils mourront, car bien qu’il se repente de ses péchés l’homme doit mourir. Mais leur sagesse ne meurt pas en eux et c’est ce qu’il dit : et non dans la sagesse. Ou bien on peut rattacher. Ils meurent, mais non dans la sagesse non pas directement à ce qui précède, mais à ce qui est dit plus haut ils périront pour toujours; et le sens est alors : ils mourront sans avoir eu la sagesse (en reconnaissant leurs péchés). Ou pour le sens de : ceux qui seront laissés on peut l’entendre des enfants qui demeurent après la mort des parents et à cause des péchés des parents qu’ils imitent, eux aussi seront enlevés mourant sans sagesse. En tout cela Eliphaz veut donc montrer que la condition de l’homme est si fragile qu’il tombe dans le péché et pendant qu’il ne le sait pas il va à la perdition lui et ses fils; et ainsi de Job bien qu’il ne se sache pas pécheur il faut bien admettre que par suite de certains péchés lui et ses fils ont péri.

 

 

 

 

Caput 5

Job 5 — Suite du discours d'Eliphaz

 

CONFÉRENCE 1 — Seuls les pécheurs sont dans le malheur (Job 5, 1-7)

 

1 Appelle donc! Y aura-t-il quelqu'un qui te réponde? Vers lequel des saints te tourneras-tu? 2 La colère tue l'insensé, et l'emportement fait mourir le fou. 3 J'ai vu l'insensé étendre ses racines, et soudain j'ai maudit sa demeure. 4 Plus de salut pour ses fils; on les écrase à la porte, et personne ne les défend. 5 L'homme affamé dévore sa moisson, il franchit la haie d'épines et l'emporte; l'homme altéré engloutit ses richesses. 6 Car le malheur ne sort pas de la poussière, et la souffrance ne germe pas du sol, 7 de telle sorte que l'homme naisse pour la peine, comme les fils de la foudre pour élever leur vol.

1 Appelle donc! Qui te répondra? Tourne-toi vers quelque saint. 2 La colère tue l’insensé et l’envie fait mourir le pauvre. 3 Es-tu l’insensé fortement enraciné aussitôt j’ai maudit sa splendeur. Aucun salut pour ses fils, ils seront massacrés d la porte de la ville et personne pour les délivrer. 5 mangera sa moisson, l’homme armé’ viendra l’enlever, et les assoiffés boiront ses richesses. 6 ne se fait sans cause sur terre, et du sol ne sort pas la douleur. 7 naît pour la peine, et l’oiseau pour voler.

[84903] Super Iob, cap. 5 Virum stultum interficit iracundia. Quia in revelatione quam sibi factam esse commemoraverat Eliphaz inter cetera hoc continetur quod homines qui terrenum habent fundamentum consumuntur velut a tinea, vult hoc ostendere per hominum diversas condiciones: non enim est aliqua condicio hominum cui non adsit pronitas ad aliquod peccatum. Sunt autem duae hominum condiciones: quidam enim sunt magni et elati animi qui facile provocantur ad iram, quod ideo est quia ira est appetitus vindictae ex praecedenti offensa proveniens; quanto autem aliquis est magis elati animi tanto ex leviori causa se putat offensum, et ideo facilius provocatur ad iram, et hoc est quod dicit virum stultum interficit iracundia. Vocat autem eum qui est superbi et elati animi stultum, quia per superbiam homo praecipue metas rationis excedit et humilitas viam sapientiae parat, secundum illud Prov. XI 2 ubi humilitas ibi sapientia; cum hoc etiam stultitia iracundiae competit: iracundus enim, ut docet philosophus, utitur quidem ratione dum pro offensa intentat vindictam, sed perverse dum in vindicta modum rationis non servat: perversitas autem rationis stultitia est. Quidam vero sunt pusillanimes et hi proni sunt ad invidiam, unde subdit et parvulum occidit invidia, et hoc rationabiliter dicitur: invidia enim nihil aliud est quam tristitia de prosperitate alicuius inquantum prosperitas illius aestimatur propriae prosperitatis impeditiva; hoc autem ad parvitatem animi pertinet quod aliquis non se aestimet posse prosperari inter alios prosperantes. Sic igitur manifestum videtur quod homo, cuiuscumque condicionis existat, pronus est ad aliquod peccatum: facile enim esset his similia de aliis peccatis inducere. Sic igitur per omnia supra dicta Eliphaz probare intendit quod adversitates in hoc mundo non adveniunt alicui nisi pro peccato. Contra quod videntur esse duae obiectiones, quarum una est ex hoc quod multi iusti videntur adversitatibus subdi, sed hanc obiectionem dissolvere visus est per hoc quod homines ostendit esse faciles ad peccandum; secunda obiectio est quod aliqui iniqui in hoc mundo prosperantur, cui consequenter satisfacere intendit per hoc quod prosperitas eorum in malum ipsorum redundat, unde dicit ego vidi stultum, idest hominem in divitiis superbientem, firma radice, idest firmatum in prosperitate huius mundi, ut videbatur, sed eius prosperitatem non approbavi, quin immo maledixi pulchritudini eius statim. Ubi considerandum est quod loquitur de homine sub metaphora arboris, cuius cum radix fuerit firma, pulchritudinem habet in ramis et fructibus; comparat igitur prosperitatem hominis in divitiis firmati pulchritudini arboris, quam maledicit, idest malam esse pronuntiat et nocivam, secundum illud Eccl. V 12 est et alia infirmitas pessima quam vidi sub sole: divitiae conservatae in malum domini sui; addidit autem statim ut ostendat se de hac sententia nullatenus dubitare. Quae autem mala ex prosperitate stulti proveniant ostendit primo quantum ad filios. Frequenter enim contingit quod quando aliquis dives et potens filios sine disciplina nutrit, quod proprium est stulti, filii eius in multa pericula incidunt: et quandoque quidem propter odia quae contra se concitant absque iudicio perimuntur, vel etiam dum ipsi sibi non cavent inordinate delectabilibus utentes vitam amittunt, et quantum ad hoc dicit longe fient filii eius a salute; quandoque vero dum calumnias et iniurias aliis inferunt coram iudicibus conveniuntur et ibi condemnantur, et quantum ad hoc dicit et conterentur in porta, idest per sententiam iudicum, nam iudices olim in portis sedere solebant. Et quia homines stulti in prosperitatibus nullum dubitant offendere, in adversitatibus non inveniunt adiutorem, et ideo subdit et non erit qui eruat. Sed quia posset aliquis dicere non curo quicquid accidat filiis meis dum ego prosperitate fruar in hoc mundo, ideo secundo ponit mala provenientia ipsi stulto et in rebus et in persona dicens cuius messem famelicus comedet: frequenter enim homines stulti divitiis abundantes pauperes opprimunt, qui plerumque gravamina sustinere non valentes quasi quadam necessitate ad rapiendum bona divitum coguntur; et quia tales homines deliciose viventes solent per vitae delicias vigorem animi amittere et imbelles esse, de facili a pauperibus bellicosis destruuntur, unde sequitur et ipsum rapiet armatus, quasi absque omni resistentia. Et ut quod dixerat de messibus generaliter intelligatur, subiungit et bibent sitientes divitias eius, idest homines cupidi. Remotis igitur praedictis obiectionibus, finaliter rationem inducit ad probandum principalem intentionem, scilicet quod adversitates in hoc mundo non proveniant alicui nisi pro peccato, et est ratio talis: quaecumque fiunt in terra ex propriis et determinatis causis proveniunt; si igitur adversitates in hoc mundo alicui accidant hoc habet determinatam causam, quae nulla alia videtur esse nisi peccatum; hoc est ergo quod dicit nihil in terra sine causa fit: videmus enim omnes effectus ex determinatis causis procedere. Ex quo quasi concludens subdit et de humo non orietur dolor, et est metaphorica locutio: quaedam enim herbae sine semine producuntur de quibus dicitur quod eas humus sponte profert; quicquid igitur sine causa propria contingeret quasi sine semine, per quandam similitudinem metaphorice posset dici quod oritur de humo: dolor autem, idest adversitas, non orietur de humo, idest non est sine causa. Quod autem dixerat nihil in terra sine causa fit, ex hoc praecipue redditur manifestum quod omnia habent dispositionem naturalem congruam propriae operationi, ex quo apparet quod dispositiones naturales rerum non sunt sine causa sed propter determinatum finem, et ideo dicit homo ad laborem nascitur et avis ad volandum. Manifestum est enim quod quia proprius motus quem natura avis requirebat est volatus, oportuit avem habere ex sua natura instrumenta congrua ad volandum, scilicet alas et pennas; homo vero quia rationem habebat per quam proprio labore posset sibi omnia necessaria adiumenta conquirere, naturaliter productus est absque omnibus adiumentis quae natura aliis animalibus dedit, scilicet absque tegumento, absque armis et aliis huiusmodi quae sibi proprio labore parare poterat ex industria rationis. Quamobrem ego deprecabor dominum et cetera. Quia Eliphaz proposuerat omnia quae in terris fiunt determinatam causam habere et hoc probaverat per hoc quod res naturales apparebant esse dispositae propter finem, hoc autem, scilicet quod res naturales sunt propter finem, potissimum argumentum est ad ostendendum mundum regi divina providentia et non omnia agi fortuito, idcirco Eliphaz statim ex praemissis concludit de regimine divinae providentiae. Sciendum est autem quod providentia divina sublata orationis fructus tollitur et cognitio Dei circa res humanas, quae tamen necesse est ponere ei qui regimen providentiae concedit; et ideo Eliphaz concludens dicit: ex quo omnia quae in terra fiunt sunt propter finem, necesse est concedere regimen providentiae, quamobrem ego deprecabor dominum, quasi oratione fructuosa existente utpote Deo disponente res humanas, et ad Deum ponam eloquium meum, utpote Deo cognoscente facta et dicta et cogitata humana; ad cuius confirmationem subiungit ea quae maxime divinam providentiam ostendunt. Est autem sciendum quod illi qui providentiam negant omnia quae apparent in rebus mundi ex necessitate naturalium causarum provenire dicunt, utpote ex necessitate caloris et frigoris, gravitatis et levitatis et aliorum huiusmodi. Ex his ergo potissime providentia divina manifestatur quorum ratio reddi non potest ex huiusmodi naturalibus principiis, inter quae unum est determinata magnitudo corporum huius mundi: non enim potest assignari ratio ex aliquo principio naturali quare sol aut luna aut terra sit tantae quantitatis et non maioris aut minoris; unde necesse est dicere quod ista dispensatio quantitatum sit ex ordinatione alicuius intellectus, et hoc designat in hoc quod dicit qui facit magna, idest qui res in determinata magnitudine disponit. Rursus si omnia ex necessitate principiorum naturalium provenirent, cum principia naturalia sint nobis nota haberemus viam ad inquirendum omnia quae in hoc mundo sunt; sunt autem aliqua in hoc mundo ad quorum cognitionem nulla inquisitione possumus pervenire, utpote substantiae spirituales, distantiae stellarum et alia huiusmodi; unde manifestum est non procedere omnia ex necessitate principiorum naturalium sed ab aliquo superiori intellectu res esse institutas, et propter hoc addit et inscrutabilia. Item quaedam sunt quae videmus quorum rationem nullo modo possumus assignare, puta quod stellae disponuntur secundum talem figuram in hac parte caeli et in alia secundum aliam; unde manifestum est hoc non provenire ex principiis naturalibus sed ab aliquo superiori intellectu, et propter hoc addit et mirabilia: sic enim differt inscrutabile et mirabile quod inscrutabile est quod ipsum latet et perquiri non potest, mirabile autem est quod ipsum quidem apparet sed causa eius perquiri non potest. Sciendum est etiam quod aliqui posuerunt dispositionem rerum secundum quendam ordinem numeri a Deo procedere, utpote quod a primo uno simplici procedit tantum unus effectus primus in quo iam aliquid compositionis et pluralitatis habetur, et sic ex ipso procedunt duo vel tria quae sunt adhuc minus simplicia, et sic gradatim secundum eos progreditur tota rerum multitudo; secundum quam quidem positionem tota universi dispositio non est ex ordinatione intellectus divini sed ex quadam necessitate naturae; unde ad hanc positionem removendam adiungit absque numero: vel quia absque necessitate numeralis ordinis res in esse productae sunt, vel quia a Deo immediate innumerabilia nobis producta sunt, quod praecipue apparet in primo caelo in quo sunt plurimae stellae. Sic igitur Eliphaz ostendit productionem rerum esse a Deo et non ex necessitate naturae. Consequenter ostendit et rerum factarum cursum divina providentia gubernari. Et primo in rebus naturalibus, ex hoc quod res naturales contemperatae esse videntur ad hominum et aliorum animalium usum, licet naturalis elementorum ordo aliud requirere videatur: si quis enim in elementis gravitatem et levitatem consideret, manifestum est naturaliter terram aquae subiacere, aeri vero aquam, aerem autem igni. Invenitur autem aliqua pars terrae discooperta ab aquis immediate aeri subiacere: aliter enim animalia respirantia in terra vivere non possent; et rursus ne terra ab aquis discooperta sua siccitate infructuosa et inhabitabilis redderetur, dupliciter humectatur a Deo: primo quidem per pluviam qua superficies terrae infunditur, et quantum ad hoc dicit qui dat pluviam super faciem terrae; alio modo quantum ad fontes, rivos et flumina, quibus terra irrigatur, quorum principium sub terra est sicut pluviae in alto, et quantum ad hoc dicit et irrigat aquis universa. Deinde ostendit operationem providentiae etiam in rebus humanis. Et quidem si res humanae currerent secundum quod earum dispositio videtur exigere, nullum vel parvum in eis divinae providentiae vestigium appareret; sed rebus humanis alio modo currentibus, stulti qui superiores causas non considerant hoc casui et fortunae attribuunt, ex quorum persona loquitur Salomon Eccl. IX 11 dicens vidi sub sole nec velocium esse cursum nec fortium bellum nec sapientium panem nec doctorum divitias nec artificum gratiam, sed tempus casumque in omnibus; Eliphaz autem in altiorem causam hoc refert, scilicet in providentiam Dei. Et primo quantum ad oppressos qui et de infimo elevantur in altum, et quantum ad hoc dicit qui ponit humiles, idest deiectos, in sublimi, et de dolore transferuntur ad gaudium, et quantum ad hoc dicit et maerentes erigit sospitate. Secundo quantum ad opprimentes, quorum duplex est genus. Quidam enim manifeste alios opprimunt per potentiam, et quantum ad hos dicitur qui dissipat cogitationes malignorum ne possint implere manus eorum quod coeperant, quia scilicet in ipsa operis prosecutione impediuntur a Deo ne iniquam cogitationem possint perducere ad effectum; quidam vero per astutiam decipiunt, et quantum ad hos dicitur qui apprehendit sapientes in astutia eorum, inquantum scilicet ea quae astute cogitant in contrarium propositi eorum cedunt, et consilium pravorum dissipat, dum scilicet ea quae ab eis sapienter consiliata videntur, aliquibus impedimentis superinductis, ad effectum perducere non possunt; quandoque vero non solum astute consiliata impediuntur in opere, sed etiam eorum mens obscuratur ne in consiliando possint discernere meliora, unde subdit per diem incurrent tenebras, quia scilicet in re manifesta omnino quid faciant nesciunt, et quasi in nocte sic palpabunt in meridie, idest in his quae nullo modo sunt dubia sic dubitabunt sicut in rebus obscuris. Et ut haec ex divina providentia provenire videantur, subiungit utilitatem ex praemissis provenientem. Dum enim malignorum astutia impeditur, pauperes ab eorum deceptionibus liberantur, et hoc est quod subdit porro salvum faciet egenum a gladio oris eorum: qui enim sunt astuti in malo blandis verbis et fictis alios seducere solent, quae quidem verba in nocendo gladio comparantur, secundum illud Psalmi lingua eorum gladius acutus. Cum vero operationes malorum potentium impediuntur a Deo, manifestum est etiam quod pauperes salvantur, unde sequitur et de manu violenti pauperem. Et ex hoc duo sequuntur, quorum unum est quod homines, qui ex se ipsis impotentes sunt, de divina potentia confidunt, tamquam Deo de rebus humanis curante, unde subdit et erit egeno spes; aliud est quod homines potentes et iniqui se ipsos retrahunt ne ex toto malignentur, unde sequitur iniquitas autem contrahet os suum, ne scilicet se ex toto effundat in perniciem aliorum. Beatus homo qui corripitur a domino et cetera. Sicut supra dictum est, Eliphaz in superioribus beatum Iob et impatientiae arguerat et praesumptionis super hoc quod se asseruerat innocentem, nunc autem desperationem ab eo nititur auferre ex qua verba illa provenire credidit quibus Iob vitam suam fuerat detestatus. Sciendum est igitur quod ex supra dictis quibus divinam providentiam tam circa res naturales quam circa res humanas asseruerat, hoc accipit tamquam notum quod omnes adversitates hominibus divino iudicio inducantur, sed quibusdam quidem ad ultimam condemnationem qui sunt incorrigibiles, quibusdam autem ad correptionem qui per adversitates emendantur, quos asserit esse beatos dicens beatus homo qui corripitur a domino: si enim correptio ab homine salubris est, qui tamen perfecte scire non potest mensuram et modum secundum quem possit esse salubris correptio nec est omnipotens ad mala removenda et bona tribuenda, multo magis reputari debet salubris et felix Dei omnipotentis et omnia scientis correptio. Ex qua sententia ad propositum concludit dicens increpationem ergo domini ne reprobes, quasi dicat: licet hanc adversitatem patiaris a Deo propter tua peccata, tamen debes aestimare quod hoc sit quasi quaedam domini increpatio ad te corrigendum, unde non debes hanc adversitatem intantum reprobare quod propter hoc vitam tuam habeas odiosam. Et praedictorum causam subiungit dicens quia ipse vulnerat, graviori adversitate, et medetur, auferendo mala et restituendo bona; percutit, leviori adversitate, et manus eius, idest operationes ipsius, sanabunt, idest liberabunt. Non ergo Eliphaz eum qui corripitur a domino beatum asseruit propter futuram vitam, quam non credebat, sed propter praesentem in qua post correptionem homo a Deo obtinebat immunitatem a malis et abundantiam bonorum. Unde consequenter de immunitate a malis subiungit dicens in sex tribulationibus liberabit te, et in septima non tanget te malum: quia enim septenario dierum omne tempus agitur solet septenario numero universitas designari, ut sit sensus quod ei qui a domino corripitur post emendationem nulla nocebit adversitas. Et quia secundum eius sententiam quanto aliquis magis fuerit depuratus a culpa tanto minus adversitatem patitur in hoc mundo, ideo dicit in septima non tanget te malum, quasi ante emendationem homo ab adversitate non liberetur, cum autem incipit liberari ab ea tangatur sed non opprimatur Deo liberante, post perfectam autem liberationem omnino non tangatur. Quod quidem verum est quantum ad mentem, quae dum finem suum in rebus mundanis constituit adversitatibus mundanis opprimitur; cum ab eis amorem suum revocans Deum amare coeperit tristatur quidem in adversitatibus sed non opprimitur, quia spem suam non habet in mundo; cum autem totaliter mundum contempserit tunc eum adversitates mundanae vix tangunt. Non est autem haec sententia vera quantum ad corpus, sicut Eliphaz eam intellexit, cum perfectissimi viri interdum gravissimas adversitates patiantur, secundum illud Psalmi propter te mortificamur tota die, quod de apostolis inducitur. Et quia septem tribulationes tetigerat, eas subsequenter enumerat. Sciendum est autem quod quandoque adversitas est ex aliquo periculo particulari alicuius personae, quod quidem quandoque est contra vitam corporalem eius, quae quandoque aufertur per subtractionem necessariorum, et quantum ad hoc dicit in fame eruet te de morte, quasi dicat: patieris quidem famem utpote increpatus a domino sed ex hoc non pervenies ad mortem Deo te liberante; et haec est prima tribulatio. Quandoque vero aufertur per violentiam alicuius inferentis nocumentum, et quantum ad hoc dicit et in bello de manu, idest potestate, gladii, quasi dicat: superveniet tibi bellum sed in potestate gladii non deduceris; et haec est secunda tribulatio. Aufertur autem et vita corporalis per mortem naturalem, sed hoc inter tribulationes non computatur cum natura hominis hoc requirat. Quandoque autem personale periculum est contra famam hominis quae pertinet ad vitam civilem, et quantum ad hoc dicit a flagello linguae absconderis: dicitur autem flagellum linguae detractio graviter infamantis, a quo tunc homo absconditur quando facta sua de quibus posset infamari latent detrahentem; et haec est tertia tribulatio. Quandoque autem est adversitas ex aliquo periculo generali, quod quidem imminet vel personis vel rebus: personis quidem utpote quando alicui patriae exercitus hostium supervenit per quem timetur communiter vel mors vel captivatio, et quantum ad hoc dicit et non timebis calamitatem cum venerit, quasi dicat: imminente calamitate ab hostibus tuae patriae tu non timebis; et haec est quarta tribulatio. Rebus autem imminet commune periculum vel per sterilitatem terrae, quod est tempore famis, vel per aliquam devastationem fructuum ab hostibus, et quantum ad haec duo dicit in fame et vastitate ridebis, idest abundantiam habebis quae erit tibi materia gaudii; et sic tangitur quinta et sexta tribulatio. Quandoque autem est adversitas ab impugnatione brutorum animalium sive in communi sive in particulari, et quantum ad hoc dicit et bestiam terrae non formidabis; et haec videtur esse septima tribulatio in qua non tangit malum. Post immunitatem autem a malis ponit abundantiam in bonis, et primo quantum ad fertilitatem terrarum dicens sed cum lapidibus regionum pactum tuum, idest etiam terrae lapidosae et steriles tibi afferent fructum, secundum illud Deut. XXXII 13 ut suggeres mel de petra etc.; secundo quantum ad animalia bruta, et quantum ad hoc dicit et bestiae terrae erunt tibi pacificae, idest non te offendent possent et haec duo aliter exponi, ut per lapides intelligantur homines duri et rudes, per bestias homines crudeles; tertio quantum ad homines domesticos, cum dicit et scies quod pacem habeat tabernaculum tuum, idest familia tua pacem habebit ad invicem; quarto specialiter quantum ad uxorem, et quantum ad hoc dicit et visitans speciem tuam non peccabis, quasi dicat: habebis uxorem honestam et pacificam cum qua conversari poteris sine peccato; quinto quantum ad filios, unde dicit progenies tua quasi herba terrae, idest habebis multos filios et nepotes; sexto quantum ad pacificam et quietam mortem, et quantum ad hoc dicit ingredieris in abundantia sepulcrum, quasi in bona prosperitate non spoliatus rebus tuis, sicut infertur acervus tritici in tempore suo, quasi non praeventus intempestiva et subita morte. Ultimo autem approbat ea quae supra dixerat, dicens ecce hoc ut investigavimus ita est. Et quia aestimat Iob ita esse tristitia absorptum quod talia non multum cogitaret, eum reddit attentum dicens quod auditum, mente pertracta.

Ainsi donc après l’exposé de cette révélation et parce que Job pourrait ne pas y croire il poursuit Appelle donc! Qui te répondra? En d’autres termes, si tu ne crois pas que cela m’a été révélé, toi-même invoque Dieu et peut-être voudra-t-il répondre à ton doute. Et si tu penses ne pouvoir l’obtenir de Dieu par tes mérites tourne-toi vers quelque saint pour que par sa médiation Dieu te fasse connaître la vérité à ce sujet. Et remarquons qu’il dit : quelque saint parce qu’il n’est pas permis de s’informer auprès des esprits impurs en aucune façon ou par un art occulte, mais uniquement auprès de Dieu ou de ses saints, selon ce que dit Isaïe : "Lorsqu’on vous dira : interrogez les sorciers et les devins qui font des incantations (vous répondrez) : un peuple doit-il interroger des dieux et auprès des morts s’informer sur les vivants?" (8, 19).

Eliphaz a rappelé la révélation qui lui a été faite dans laquelle, entre autres choses, est contenu ceci : que les hommes qui ont leur fondement terrestre sont mangés comme par des mites; il veut le montrer (maintenant) dans diverses conditions humaines; il n’y a en effet aucune condition humaine qui puisse échapper au péché. Or on peut distinguer deux conditions chez les hommes : il y a les puissants avec leur arrogance qui facilement s’emportent; car la colère est l’appétit de la vengeance pour une offense passée; et plus quelqu’un est arrogant d’autant se juge-t-il offensé pour la moindre faute; et donc assez facilement se met-il en colère; et c’est ce qu’il dit : la colère tue l’homme insensé. Or il appelle insensé celui qui est orgueilleux et arrogant, car par la superbe surtout l’homme franchit les bornes de la raison; mais l’humilité conduit à la sagesse, selon les Proverbes : "Où est l’humilité là est la sagesse" (11, 2). En même temps que cela aussi la sottise accompagne la colère; en effet l’homme en colère, comme l’enseigne le Philosophe, utilise la raison en cherchant à venger l’offense, mais de façon perverse quand dans la vengeance il excède dans la mesure raisonnable; or la raison pervertie est sottise. Puis il y a les pusillanimes qui sont enclins à l’envie, et on ajoute : l’envie fait mourir le faible et c’est justement dit. L’envie en effet n’est autre que la tristesse de la prospérité d’un autre en tant qu’il l’estime être un obstacle à la sienne propre. Or c’est de la petitesse d’âme de ne pas s’estimer capable de prospérer tout comme les autres. Ainsi donc il ressort à l’évidence que de quelque condition qu’il soit l’homme est enclin au péché; il serait facile d’apporter des choses semblables à celles-ci à propos d’autres péchés. Par tout ce qu’il a dit auparavant Eliphaz veut donc prouver que les adversités en ce monde n’arrivent qu’à cause du péché. Contre cela semble-t-il il y a deux difficultés : la première c’est que beaucoup de justes sont éprouvés; mais puisqu’on vient de montrer que l’homme pèche facilement la difficulté est résolue; la seconde est que les méchants prospèrent en ce monde. A cela il tente de satisfaire en ce que leur prospérité aboutit à leur malheur, d’où ce qu’il dit : moi, j’ai vu l’insensé ou celui qui s’enorgueillit de ses richesses fortement enraciné c’est-à-dire affermi en la prospérité de ce monde, semblait-il, mais je n’ai point approuvé sa prospérité, bien plus j’ai aussitôt maudit sa splendeur. A remarquer qu’il compare l’homme à un arbre aux fortes racines, splendide en ses branches et ses fruits. Et donc il compare cette prospérité de l’homme assuré de ses richesses a la beauté d’un arbre qu’il maudit, à savoir qu’il déclare mauvaise et nuisible, comme il est écrit dans l’Ecclésiaste : "Et il y a une misère pire encore que j’ai vue sous le soleil : des richesses accumulées pour le malheur de leur maître" (5, 12). Il avait dit : aussitôt pour montrer la sûreté de son verdict.

Que ces maux proviennent de la prospérité de l’insensé, il le montre d’abord quant aux fils; souvent en effet il arrive, quand un riche et puissant élève ses enfants sans aucune discipline - ce qui est le propre de l’insensé - que ceux-ci sont exposés à beaucoup de périls; et parfois même par suite des haines qu’ils s’attirent ils disparaissent sans jugement; ou bien encore en abusant des plaisirs sans aucune retenue ils y perdent la vie et quant à cela il dit : qu’aucun salut soit pour ses fils; parfois ayant causé du tort et des préjudices aux autres ils comparaissent devant les juges et là ils sont condamnés, et quant à cela il dit : ils sont massacrés aux portes (de la ville) à savoir par la sentence des juges; car autrefois les juges siégeaient aux portes (des villes). Et comme les insensés au temps de leur prospérité ne craignent d’offenser personne, dans l’adversité ils ne trouvent aucun défenseur et donc il dit : et personne ne viendra les délivrer.

Mais parce que quelqu’un pourrait dire : je ne me soucie pas de ce qui arrive à mes enfants pourvu que je jouisse du bonheur en ce monde, il montre ensuite les maux qui proviennent à l’insensé dans ses biens et en sa personne, en disant : et de sa moisson mangera l’affamé. Souvent en effet les hommes insensés qui abondent de richesses oppriment les pauvres qui ne pouvant plus supporter leur infortune sont presque forcés par la nécessité de rechercher les biens des riches. Et comme de tels hommes vivant dans les plaisirs perdent ordinaire ment, suite au grand train de leur vie, leur vigueur d’esprit et sont sans autorité, la révolte des pauvres en triomphe facilement : d’où ce qui suit et l’homme armé l’emportera presque sans résistance; et pour généraliser ce qu’il avait dit de la moisson, il ajoute que les assoiffés boiront ses richesses, c’est-à-dire les hommes cupides.

Ces difficultés écartées, il conclut apportant la raison qui prouve sa thèse, que les adversités de ce monde ne s’expliquent que par le péché et en voici la raison : tout ce qui arrive sur terre provient de causes propres et déterminées. Si donc les adversités de ce monde arrivent à quelqu’un, il y a à cela une cause déterminée qui ne peut être que le péché. C’est donc ce qu’il dit : rien n’arrive sur terre sans une cause. Nous voyons en effet que tous les effets procèdent de causes déterminées; de là en manière de conclusion il ajoute : et du sol ne naît pas la douleur. Et c’est là une métaphore : des plantes en effet sont produites sans avoir de semence et dont on dit que le sol les a produites spontanément. Donc tout ce qui paraît n’avoir pas de cause comme n’ayant pas de semence, on peut dire comme par une métaphore qu’il naît du sol. Or la douleur c’est-à-dire l’adversité ne naît pas du sol c’est-à-dire qu’elle n’est pas sans une cause. Quant à ce qu’il dit : Rien sur terre n’arrive sans une cause devient manifeste principalement en ce que tout a une disposition naturelle conforme à sa propre opération. D’où il ressort que les dispositions naturelles des choses ont une cause mais en vue d’une fin déterminée; et c’est pour quoi il dit : l’homme naît pour la peine, comme l’oiseau pour voler. Il est en effet évident puisque le propre mouvement requis par la nature de l’oiseau est le vol, qu’il doit avoir les instruments appropriés à son vol, des ailes et des plumes. Quant à l’homme, qui a la raison par laquelle il peut par son propre labeur et donc sa peine se procurer tout le nécessaire, il a été créé sans les secours que la nature a donnés aux animaux : c’est-à-dire sans vêtements, sans armes et autres choses qu’il peut se procurer par son propre labeur aidé par la raison.

 

CONFÉRENCE 2 — Dieu est juste (Job 5, 8-16)

 

8 A ta place, je me tournerais vers Dieu, c'est vers lui que je dirigerais ma prière. 9 Il fait des choses grandes, qu'on ne peut sonder; des prodiges qu'on ne saurait compter. 10 Il verse la pluie sur la terre, il envoie les eaux sur les campagnes, 11 il exalte ceux qui sont abaissés, et les affligés retrouvent le bonheur. 12 Il déjoue les projets des perfides, et leurs mains ne peuvent réaliser leurs complots. 13 Il prend les habiles dans leur propre ruse, et renverse les conseils des hommes astucieux. 14 Durant le jour, ils rencontrent les ténèbres; en plein midi, ils tâtonnent comme dans la nuit. 15 Dieu sauve le faible du glaive de leur langue, et de la main du puissant. 16 Alors l'espérance revient au malheureux; et l'iniquité ferme la bouche.

8 pourquoi je supplie le Seigneur et je mets mon langage devant Dieu, 9 qui fait des choses grandes et insondables et admirables et innombrables. Il fait pleuvoir sur la face de la terre et il irrigue d’eau toutes choses. Il élève les humbles et vient au secours des affligés. 1 dissipe les projets des méchants pour que leurs mains ne puissent accomplir ce qu’ils ont commencé. Il surprend l’astuce des sages et il fait échouer le conseil des pervers : En plein jour ils trouveront les ténèbres et en plein midi tâteront comme dans la nuit. Mais il gardera l’indigent du tranchant de leur glaive et le pauvre de la violence de leurs mains. 1 sera l’espoir de l’indigent et l’iniquité se fermera la bouche.

Eliphaz avait avancé que tout ce qui est sur terre à une cause déterminée et il l’a prouvé en ce que les choses naturelles sont disposées en vue d’une fin; c’est l’argument le plus fort pour prouver que le monde est régi par la divine providence et que rien n’est fait fortuite ment; en conséquence Eliphaz conclut de ces prémisses au gouverne ment de la providence divine. Il faut savoir en effet qu’une fois cette providence enlevée, la prière n’obtient rien et Dieu ne connaît rien des affaires humaines. Cependant il faut nécessairement le concéder chez celui qui admet le gouvernement divin. Et donc Eliphaz en conclusion dit : de ce que toutes les choses, qui se font sur la terre, sont pour une fin, il faut concéder le gouvernement divin : c’est pourquoi je supplie le Seigneur; de sorte que la prière est fructueuse puisque Dieu dispose les choses humaines; et je mets mon discours devant Dieu puisque Dieu connaît les actes, les paroles et les pensées des hommes. Et il va confirmer cela en apportant ce qui surtout montre l’existence de la divine providence.

Il faut bien savoir que ceux qui la nient, disent que tout ce qui arrive dans le monde vient de la nécessité des causes naturelles, par exemple de la nécessité de la chaleur ou du froid, de la pesanteur et de la légèreté et d’autres choses. Et donc la divine providence se manifeste surtout en ces choses dont on ne peut rendre compte par des principes naturels; parmi celles-là il y en a une qui est la grandeur déterminée du monde corporel; en effet on ne peut en vertu d’un principe naturel assigner une cause pour laquelle le soleil et la lune ou la terre ont telle quantité et pas davantage; d’où il est nécessaire de dire que cette disposition dans la quantité est ordonnée par quelque intelligence et Eliphaz la désigne en disant : celui qui fait de grandes choses c’est-à-dire qui dispose les choses en une quantité à lui connue. De plus si tout provenait de la nécessité de principes naturels et comme ceux-ci nous sont connus nous serions en mesure de rechercher en quoi consistent toutes les choses de ce monde. Or il y a dans le monde des choses inconnaissables, quelle que soit notre recherche : telles les substances spirituelles, la profondeur du ciel étoilé; d’où il est évident que tout ne vient pas par nécessité de principes naturels, mais d’une intelligence supérieure et donc il ajoute : insondables. De même il y a ce que nous voyons mais dont nous ne pouvons rien savoir, par exemple telle disposition des étoiles dans telle partie du ciel et telle autre dans une autre partie; encore une fois cela ne peut venir de principes naturels mais d’une intelligence supérieure et donc il dit admirables. Insondable est ce qui est caché et ne peut-être découvert; admirable est ce qui paraît mais dont on ne peut savoir la cause.

A remarquer aussi que d’aucuns ont avancé un certain ordre numérique dans la disposition des choses à partir de Dieu, en tant que du premier unique et simple ne procède qu’un premier effet unique dans lequel déjà il y a quelque chose de composé et de multiple et ainsi de lui proviennent deux ou trois êtres qui sont encore moins simples; et ainsi graduellement, selon eux, progresse toute la multitude des êtres. D’après cela la disposition de tout l’univers n’est pas ordonnée par une divine intelligence mais par nécessité naturelle; et contre cela il dit : innombrables soit parce que les choses ont été produites sans un ordre numérique nécessaire; soit parce que Dieu les a produites immédiatement et non selon une série numérique; ce qui apparaît principalement dans le premier ciel et sa multitude d’étoiles. Ainsi donc Eliphaz montre que Dieu a produit toutes choses et non qu’elles viennent de nécessité naturelle.

En conséquence il montre que le cours des choses créées est sous le gouvernement divin. Et d’abord dans les choses naturelles qui ont été faites en harmonie avec les besoins des hommes et des autres animaux, bien que l’ordre naturel des éléments semble exiger autre chose. En effet si l’on considère la pesanteur et la légèreté des éléments, il est manifeste que la terre est plus lourde que l’eau, et l’eau plus que l’air et celui-ci plus que le feu; or la terre émerge par endroits et se trouve directement en contact avec l’air sans quoi les animaux qui respirent sur la terre ne pourraient pas vivre; de plus pour que cette terre découverte des eaux ne soit pas stérile et inhabitable à cause de sa sécheresse Dieu l’arrose de deux façons : par la pluie qui se répand sur la surface et quant à cela on nous dit : il donne la pluie sur la surface de la terre, ensuite par les sources, les rivières et les fleuves qui irriguent la terre et leur principe est sous terre comme d’autre part la pluie qui est d’en haut, et quant à cela il nous dit : qu’il irrigue toutes les choses au moyen des eaux.

Ensuite il montre l’action de la providence dans les choses humaines. Et sans doute si les choses humaines se passaient selon que leur disposition semble l’exiger, chez elles n’apparaîtrait nul vestige, même le moindre, de la providence divine; mais comme il n’en va pas ainsi, les insensés, qui ne considèrent pas les causes supérieures, attribuent cela au hasard ou à la fortune; en leur nom voici ce que dit l’Ecclésiaste "J’ai vu sous le soleil que les athlètes ne gagnent pas la course, ni les forts la guerre, ni les sages leur pain, ni les doctes les richesses, ni les savants les faveurs, mais le temps et le hasard". (9, 11) Eliphaz remonte donc à une cause plus haute c’est-à-dire à la divine providence : et d’abord il dit des opprimés qui de leur abaissement sont relevés Il met les humbles au sommet et de ceux qui passent de la souffrance à la joie ceux qui pleurent il les encourage et les garde. Ensuite quant aux oppresseurs qui sont de deux sortes, il y en a qui oppriment ouvertement par la puissance et quant à cela il dit Il dissipe les projets des méchants de sorte qu’ils ne puissent achever ce qu’ils ont commencé c’est-à-dire que Dieu les arrête dans leurs entre prises pour que n’aboutissent pas leurs projets. Il y en a qui trompent les autres par leur astuce et il dit : Il surprend l’astuce chez les sages c’est-à-dire que ce qu’ils pensent astucieusement va à l’encontre de leur propos. Et il fait échouer le conseil des pervers c’est-à-dire qu’ils ne peuvent mener à bonne fin, à cause d’empêchements qui surviennent, ce qu’ils regardaient comme sagement pensé. Parfois ce que l’on a projeté astucieusement non seulement ne se réalise pas, mais l’esprit s’obscurcit dans ses réflexions et ne peut discerner ce qui est le meilleur, d’où ce qu’il ajoute : en plein jour ils ne trouvent que ténèbres c’est-à-dire qu’en une chose évidente ils sont incapables d’agir. Et comme dans la nuit ils tâtent en plein midi c’est-à-dire dans les choses qui n’ont rien de douteux ils hésitent comme si c’étaient des choses obscures.

 

Et pour montrer que la divine providence intervient en tout cela, il joint l’utilité qui découle de ces prémisses : en effet en empêchant l’astuce des méchants elle libère les pauvres de leurs déceptions et c’est ce qu’il dit : Il gardera l’indigent du tranchant de leurs glaives : par leur astuce dans le mal ils séduisent par des paroles flatteuses et spécieuses et parce qu’elles nuisent sont comparables au glaive, comme il est dit au psaume : "Leur langue est un glaive acéré" (56, 4). Puisque Dieu empêche les œuvres des tyrans il est évident qu’il sauve les pauvres; d’où ce qui suit Et de la violence de leurs mains. De là deux conséquences dont l’une est que les hommes étant par eux mêmes impuissants doivent avoir recours à la divine puissance en tant que Dieu a soin des choses humaines; d’où il ajoute : et il sera l’espoir de l’indigent; l’autre (conclusion) est que les puissants et les méchants s’abstiennent d’aller jusqu’au bout de leur malice, d’où suit l’iniquité se fermera la bouche, c’est-à-dire pour qu’elle ne se répande pas tout à fait dans la perte des autres.

 

CONFÉRENCE 3 — Job doit se repentir (Job 5, 17, 27)

 

17 Heureux l'homme que Dieu châtie! Ne méprise donc pas la correction du Tout-Puissant. 18 Car il fait la blessure, et il la bande; il frappe, et sa main guérit. 19 Six fois il te délivrera de l'angoisse, et, à la septième, le mal ne t'atteindra pas. 20 Dans la famine, il te sauvera de la mort; dans le combat, des coups d'épée. 21 Tu seras à l'abri du fouet de la langue, tu seras sans crainte quand viendra la dévastation. 22 Tu te riras de la dévastation et de la famine, tu ne redouteras pas les bêtes de la terre. 23 Car tu auras une alliance avec les pierres des champs, et les bêtes de la terre seront en paix avec toi. 24 Tu verras le bonheur régner sous ta tente; tu visiteras tes pâturages, et rien n'y manquera. 25 Tu verras ta postérité s'accroître, et tes rejetons se multiplier comme l'herbe des champs. 26 Tu entreras mûr dans le tombeau, comme une gerbe qu'on enlève en son temps.

27 Voilà ce que nous avons observé : c'est la vérité! Ecoute-le, et fais-en ton profit.

17 C'est l’homme que le Seigneur reprend. Ne repousse donc pas l’avertissement du Seigneur. C’est le même qui blesse et guérit; s’il frappe sa main nous soigne.' six tribulations il te délivrera et à la septième le mal ne t’atteindra pas. 20 tu as faim, il t’arrache à la mort; du tranchant de l’épée, au temps de la guerre. 21 es â l’abri des coups de la mauvaise langue; et tu ne craindras pas la calamité qui vient. 22 te riras du désastre et de la faim et tu ne craindras pas les bêtes de la terre. 23 tu pactiseras avec les pierres des champs et les bêtes de la terre te seront pacifiques. 24 tu sauras que ta demeure est en paix et visitant ta beauté tu ne pécheras pas. 25 tu verras nombreuse ta descendance et ta postérité comme l’herbe des champs. 26 dans l’abondance que tu entreras au tombeau comme s’accumule le tas de froment en son temps. 27 Ainsi, comme nous l’avons scruté, en est-il : M’ayant écouté (maintenant) réfléchis.

 

Nous avons vu Eliphaz reprochant à Job son impatience et sa présomption parce qu’il s’était prétendu innocent. Il va tenter de l’arracher au désespoir qu’il a cru apercevoir dans les paroles où Job avait exprimé son dégoût de la vie. Or il avait affirmé l’existence d’une providence tant pour les choses naturelles que pour les choses humaines. Il accepte comme notoire que toutes les adversités arrivent par un jugement divin, mais pour certains, comme ultime sanction parce qu’incorrigibles, pour d’autres en vue de leur amendement et qu’il affirme être bienheureux, en disant : Bienheureux l’homme que le Seigneur reprend. Si en effet la correction qui vient des hommes est salutaire, lesquels ne peuvent savoir parfaitement la mesure et la manière qui la rende salutaire ni ne peuvent écarter tout le mal ou établir tout le bien, à combien plus forte raison est salutaire et bienfaisante la correction d’un Dieu tout-puissant et qui sait tout. De cette sentence il en conclut pour son propos en disant : Ne rejette point l’avertissement du Seigneur, comme s’il disait : bien que tu souffres de la part de Dieu pour tes péchés, tu dois cependant estimer que c’est là une adjuration du Seigneur pour ta correction; tu ne dois donc pas rejeter cette adversité au point de haïr la vie.

Il justifie tout cela en disant : celui qui blesse c’est-à-dire qui éprouve gravement est aussi celui qui guérit, en enlevant le mal et en restituant le bien; s’il frappe, par une épreuve plus légère, sa main c’est-à-dire son action, nous soigne, c’est-à-dire nous libère. En effet Eliphaz n’affirmait pas bienheureux en vue de la vie future celui que Dieu reprenait, il n’y croyait pas, mais pour la vie présente : en celle- ci après la correction, comme il vient de le dire, l’homme obtient de Dieu l’exemption des maux et l’abondance des biens.

D’où ensuite il ajoute : quant à l’exemption des maux De six tribulations il te délivrera et à la septième le mal ne t’atteindra pas. Parce qu’en effet le temps s’écoule en sept jours, on désigne ordinairement la totalité par le nombre sept; le sens est que celui qui est repris par le Seigneur ne souffrira plus aucune adversité après son amendement. Et comme selon sa sentence, plus quelqu’un aura été purifié de sa faute d’autant moins souffrira-t-il l’adversité en ce monde il dit : à la septième le mal ne t’atteindra pas; en quelque sorte l’homme n’est pas libéré de l’adversité avant son amendement; et au moment d’être libé ré, l’adversité le touche mais ne l’opprime plus, Dieu le délivrant; cette libération une fois accomplie il n’est plus atteint; ce qui est sans doute vrai quant à l’esprit : tant qu’il met sa fin dans les choses de ce monde il est opprimé par elles; lorsque l’homme en détache son cœur il commence d’aimer Dieu et si les adversités l’affligent il n’en est point opprimé, car il ne met pas son espoir dans le monde; quand il a totalement méprisé le monde alors les adversités du monde le touchent à peine. Mais cela n’est pas vrai pour le corps, comme le pensait Eliphaz, puisque les hommes les plus parfaits endurent les adversités les plus graves, comme il est dit au psaume : "A cause de toi nous mourons tout le jour" (43, 22), ce qui est dit des Apôtres.

Vient ensuite l’énumération des sept tribulations qui ont été annoncées. Or il faut savoir que parfois l’adversité vient d’un danger particulier à une personne et qui parfois s’attaque à la vie du corps chez celui qui est privé du nécessaire et il dit : Quand tu as faim il t’arrache à la mort; comme s’il disait : tu auras faim parce que le Seigneur te reprend mais tu n’en mourras pas, Dieu te libérant. Et c’est la première tribulation. Parfois la vie nous est enlevée par la violence et quant à cela il dit : Et à la guerre, (il te soustrait) à la main à savoir à la puissance du glaive; c’est-à-dire que la guerre arrivera mais la puissance du glaive ne t’atteindra pas. Et c’est la deuxième tribulation. On n’a pas compté la mort naturelle dans les tribulations puisqu’elle est le lot de tous. Parfois l’épreuve personnelle est dans la perte de l’honneur, cela concerne la vie civile et pour cela il dit : Tu seras à l’abri des coups de la mauvaise langue. Les coups (ou le fléau) de la langue est la détraction gravement infamante, dont on est mis à l’abri lorsque les faits pour lesquels on pourrait être diffamé échappent au calomniateur; et c’est la troisième tribulation. Parfois l’adversité vient d’un péril général qui menace les personnes ou les choses : les personnes, comme quand une armée ennemie envahit la patrie entraînant la mort ou la captivité et pour cela il dit : Tu ne craindras pas la calamité qui vient, autrement dit l’imminence d’une cala mité provenant de l’ennemi de la patrie ne t’inspirera aucune crainte et c’est la quatrième tribulation. Un péril général quant aux choses est la stérilité de la terre qui cause la famine ou l’ennemi qui dévaste les récoltes et il dit quant à ces deux choses Tu te riras du désastre et de la faim c’est-à-dire tu seras dans l’abondance qui sera pour toi matière à la joie et ainsi il a nommé les cinquième et sixième tribulations. Parfois l’adversité vient des animaux sauvages, soit en général soit en particulier et il dit : Tu ne craindras pas les bêtes de la terre et c’est la septième tribulation où le mal ne l’atteint pas.

Après l’immunité des maux il pose l’abondance des biens; et d’abord la fertilité de la terre et il dit Tu pactiseras avec les pierres des champs c’est-à-dire que les terres même rocailleuses et stériles te donneront des récoltes, selon l’Ecriture : "Il fait sucer le miel du rocher et l’huile du roc le plus dur" (Deut. 32, 13b). Ensuite les animaux Et les bêtes de la terre te seront pacifiques, elles ne te feront aucun tort. On pourrait interpréter autrement ces deux versets; les pierres représentant les hommes durs et rudes, les bêtes les hommes cruels. Un troisième bien concerne la gent domestique lorsqu’il dit : Et tu Sauras que ta demeure est en paix c’est-à-dire que ta famille vivra dans une paix mutuelle. En quatrième lieu il s’agit de son épouse et il dit : Et visitant ta beauté tu ne pécheras pas comme s’il disait : tu auras une épouse honnête et pacifique dont le commerce ne sera pas cause de péché. En cinquième lieu il s’agit des enfants Et tu verras une descendance nombreuse et ta postérité comme l’herbe des champs, c’est-à-dire tu auras nombre de fils et de petits-fils. En sixième lieu vient une mort paisible et douce Tu entreras au tombeau dans l’abondance c’est-à-dire au moment de la prospérité n’étant plus spolié de tes biens; comme s’accumule le froment en son temps comme n’étant pas prévenu d’une mort subite et imprévue.

En dernier lieu il approuve tout ce qu’il vient de dire Ainsi comme nous l’avons scruté en est-il. Et parce qu’il estimait que Job absorbé par le chagrin ne pensait guère à ces choses il le rend attentif et dit : Ayant entendu, réfléchis.

 

 

Caput 6

Job 6 — Discours de Job

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Ne plus être, dormir…" (Job 6, 1-12)

 

 

 

1 Alors Job prit la parole et dit : 2 Oh! S'il était possible de peser mon affliction, et de mettre toutes ensemble mes calamités dans la balance!... 3 Elles seraient plus pesantes que le sable de la mer : voilà pourquoi mes paroles vont jusqu'à la folie. 4 Car les flèches du Tout-Puissant me transpercent, et mon âme en boit le venin; les terreurs de Dieu sont rangées en bataille contre moi. 5 Esc-ce que l'onagre rugit auprès de l'herbe tendre? Est-ce que le bœuf mugit devant sa pâture? 6 Comment se nourrir d'un mets fade et sans sel, ou bien trouver du goût au jus d'une herbe insipide? 7 Ce que mon âme se refuse à toucher, c'est là mon pain, tout couvert de souillures. 8 Qui me donnera que mon vœu s'accomplisse, et que Dieu réalise mon attente! 9 Que Dieu daigne me briser, qu'il laisse aller sa main et qu'il tranche mes jours! 10 Et qu'il me reste du moins cette consolation, que j'en tressaille dans les maux dont il m'accable : de n'avoir jamais transgressé les commandements du Saint! 11 Quelle est ma force, pour que j'attende? Quelle est la durée de mes jours, pour que j'aie patience? 12 Ma force est-elle la force des pierres, et ma chair est-elle d'airain?

1 Job répondit et dit : 2 mes péchés être mis dans la balance pour lesquels j’ai mérité la colère; et la calamité dont je souffre, 3 le sable de la mer elle serait encore plus lourde de là mes paroles pleines d’amertume. 4 les flèches du Seigneur sont sur moi et leur indignation m’a coupé le souffle et la terreur du Seigneur s’acharne contre moi. 5 que l’âne brait quand il a de l’herbe? Est-ce que le bœuf mugit quand sa mangeoire est pleine? 6 manger ce qui est fade et sans assaisonnement? Ou peut-on goûter ce qui apporte la mort? 7 qu’auparavant mon âme ne voulait pas toucher, dans la disette est devenu ma nourriture. 8 parvenir ma demande pour que Dieu exauce mon attente? 9 qu’il y est qu’il me piétine! Qu’il lâche sa main et qu’il m’abatte! Et que ce soit ma consolation qu’en m’affligeant il ne m’épargne pas, plutôt que je ne riposte aux paroles du Saint. “Ai-je encore assez de force pour tenir bon? Si au moins j’en voyais la fin, que je puisse patiemment supporter!' courage n’est pas dur comme la pierre, ni ma chair n’est d’airain!

[84904] Super Iob, cap. 6 Respondens autem Iob dixit. Sicut ex superioribus patet, Eliphaz in lamento Iob tria notaverat: desperationem quidem quia videbatur appetere se non esse, impatientiam sive immoderatam tristitiam propter suspiria et gemitus quos se perpeti dicebat, praesumptionem quia se innocentem asseruerat. Et circa haec tria totus superior Eliphaz sermo versabatur, in quo ad ostendendum Iob peccato fuisse subiectum et ideo adversa tolerasse, proposuit inter cetera fragilitatem condicionis humanae ex qua nullus potest se praesumere immunem a peccato: hinc ergo Iob sumit suae responsionis initium. Certum est enim quod ex fragilitate condicionis humanae nullus homo est immunis a peccato quantumcumque iustus appareat, sed tamen in viris iustis non sunt peccata gravia et mortalia sed sunt in eis peccata levia et venialia quae ex negligentia et subreptione proveniunt; si autem hoc esset verum quod Eliphaz asserere nitebatur, quod propriae poenae peccatorum essent adversitates vitae praesentis, sequeretur quod propter gravia peccata graves adversitates homines paterentur et propter levia leves, et sic viri iusti numquam gravibus adversitatibus subiacerent, quod patet esse falsum. Hanc ergo rationem Iob contra disputationem Eliphaz proponit, unde dicitur respondens autem Iob dixit: utinam appenderentur peccata mea quibus iram merui et calamitas quam patior in statera. Quasi dicat: dicere non possum in me nulla esse peccata, confido tamen in me non esse mortalia sed venialia; si ergo pro peccatis huiusmodi iram, idest poenam, a Deo merui, debuisset in statera iustitiae appendi calamitas et peccatum ut secundum aequalitatem unum alteri responderet. Sed adversitas apparet multo maior, et hoc est quod subdit quasi arena maris, idest incomparabiliter, haec, scilicet calamitas, gravior appareret si sententia Eliphaz esset vera quod adversitates in hoc mundo infliguntur solum secundum peccata, cum appareat multos sceleratos, quorum peccatis peccata Iob comparata quasi nulla erant, quasdam leves adversitates sustinere. Ex hoc autem ulterius procedit ad se excusandum a tristitia quam verbis expresserat, dicens unde et verba mea dolore sunt plena, quod concludendo infert quia dolor ex adversitatis magnitudine causabatur. Causam autem doloris subiungit duplicem: causatur enim dolor interdum ex his quae aliquis iam perpessus est, interdum vero ex his quae perpeti timet. Primo igitur assignat causam sui doloris ex his quae perpessus iam erat, dicens quia sagittae domini in me sunt, in quo ostendit ex improviso se fuisse afflictum, nam sagitta ex remotis et ex improviso venit; et ut ostendat percussionis magnitudinem subiungit quarum indignatio ebibit spiritum meum, idest me respirare non permisit, sed totaliter quicquid in me virium aut consolationis esse poterat sustulit. Deinde ostendit causam doloris ex his quae perpeti timebat, dicens et terrores Dei militant contra me: solent enim afflicti ex spe melioris status consolari, sed cum post afflictionem aliquis iterum similia vel maiora timet, nulla videtur esse consolatio residua. Posset autem aliquis dicere: causam quidem doloris habes sed ex ea in verba doloris prorumpere non deberes. Contra quae respondet Iob ex his quae in aliis animalibus inveniuntur. Homo enim aliis animalibus similis est in natura sensitiva, unde ea quae naturam sensitivam consequuntur naturaliter adsunt homini sicut et aliis animalibus; quod autem naturale est non potest totaliter vitari; invenitur autem in aliis animalibus quod afflictionem cordis ore exprimunt, et hoc significat dicens numquid rugiet onager cum habuerit herbam? Aut mugiet bos cum ante praesepe plenum steterit? Quasi dicat non; rugit autem onager et mugit bos cum necessario victu caruerint, in quo apparet naturale esse animalibus quod interiorem afflictionem exprimant voce. Rursus aliquis dicere posset naturale esse quod dolor conceptus voce exprimatur, sed ad sapientem non pertinere quod ex quibuscumque causis tristitiam corde concipiat, ut Stoici posuerunt. Sed hoc ostendit Iob esse contra naturam sensitivam: nam sensus non potest non refugere id quod est nocivum vel inconveniens, et ideo dicit aut poterit comedi insulsum quod non est sale conditum? Quasi dicat non, quia videlicet huiusmodi insipida non conveniunt ad delectationem gustus; et similiter ea quae non sunt delectabilia non potest cor hominis libenter acceptare, et multo minus illa quae sunt amara et noxia, unde subdit aut potest aliquis gustare quod gustatum affert mortem? Quasi dicat non; et sicut hoc est impossibile in sensu exteriori, ita impossibile est quod ea quae per sensus interiores apprehenduntur ut noxia, sine tristitia recipiantur. Sed quia sapiens licet tristitiam patiatur eius tamen ratio a tristitia non absorbetur, ostendit Iob consequenter quod licet tristitiam pateretur tamen ei maxima inerat sollicitudo et timor ut se contra tristitiam tueretur, ne per tristitiam deduceretur in aliquod vitiosum: quod ut vitaret praeoptabat mortem, et ad hoc exprimendum dicit quae prius tangere nolebat anima mea, nunc prae angustia cibi mei sunt, quasi dicat: ea quae anima mea prius abhorrebat nunc delectabiliter appetit. Et quae sint ista ostendit dicens quis det ut veniat petitio mea? Et ut hanc petitionem non oretenus tantum sed etiam ex intimo corde proponere ostendatur, subiungit et quod expecto tribuat mihi Deus? Et quae sit ista petitio ostendit subdens et qui coepit, scilicet me affligere, ipse me conterat, scilicet per mortem, et hoc est quod subdit solvat manum suam et succidat me? Manum Dei dicit potentiam divinam qua ipsum Deus afflixerat, quae quidem manus quodammodo ligata videtur divina voluntate et misericordia dum affligere desistit, solvitur autem quodammodo dum ad finem occisionis percussio divina perducitur. Et quia dixerat ea quae prius tangere nolebat nunc cibos suos esse, ostendit quomodo hoc sit intelligendum, quia scilicet mors quae sibi fuerat horribilis nunc effecta est dulcis, unde subdit et haec mihi sit consolatio ut affligens me dolore, scilicet Deus, non parcat, idest non retrahat manum suam sed me ad mortem perducat. Et quare hoc optet ostendit per id quod subdit nec contradicam sermonibus sancti, idest Dei, hoc est eius iudiciis sive sententiis quibus me afflixit. Timebat enim Iob ne per afflictiones multas ad impatientiam deduceretur, ita quod ratio tristitiam reprimere non posset; impatientiae autem ratio est cum ratio alicuius adeo a tristitia deducitur quod divinis iudiciis contradicit; si vero aliquis tristitiam quidem patiatur secundum sensualem partem sed ratio divinae voluntati se conformet, non est impatientiae defectus, et sic frustra Eliphaz arguebat Iob ubi dixerat nunc venit super te plaga, et defecisti: licet enim tristaretur non tamen defecerat. Deinde assignat rationem ex propria fragilitate quare timebat ne ad hoc perduceretur ut contradiceret sermonibus sancti. Huiusmodi enim timor ex duplici causa tolli posset: primo quidem si tanta sibi esset rationis fortitudo ut nullo modo superari posset, sicut est in illis quorum est liberum arbitrium per gratiam confirmatum, sed hanc fortitudinem in se non sentiebat, unde dicit quae est enim fortitudo mea ut sustineam? Scilicet quascumque tribulationes; secundo si tribulationes et tristitias aliquo brevi tempore tolerare oporteret, et ideo ad hoc removendum adiungit aut quis finis meus ut patienter agam? Quasi dicat: quis terminus tribulationibus meis positus est ut usque ad illum expectans possim praesumere me patientiam servaturum? Et ad horum expositionem subiungit dicens nec fortitudo lapidum fortitudo mea: fortitudo enim lapidum sine sensu est; hominis autem fortitudo est cum sensu eorum quae noxia sunt, propter quod subdit nec caro mea aenea est, idest sine sensu, quia quantumcumque ratio mortalis hominis fortis sit tamen necesse est quod ex parte carnis experiatur sensum doloris. Et per hoc excluditur increpatio Eliphaz qui tristitiam in beato Iob arguebat: etsi enim inesset beato Iob fortitudo mentis aderat tamen ex parte carnis sensus doloris, quem tristitia consequebatur. Simul etiam per hoc confutatur opinio Stoicorum dicentium sapientem non tristari, cuius opinionis Eliphaz fuisse videtur; beatus autem Iob hoc defendere intendit quod sapiens tristatur quidem sed ad hoc studet per rationem ut ad inconveniens non deducatur, quod etiam Peripatetici posuerunt. Ecce non est auxilium mihi in me et cetera. Ostenderat Iob in praecedentibus se rationabiliter dolorem sensisse et verba doloris protulisse, sed tamen dolore non esse absorptum propter ea quae passus erat; sed quia interdum homo licet aliqua adversa patiatur ita se suo et alieno auxilio et solatio contra adversa tuetur ut vel parvum vel nullum inde dolorem concipiat, vult ostendere beatus Iob se huiusmodi remediis esse destitutum, ut ex hoc appareat evidentius se rationabiliter verba doloris protulisse. Et primo quidem ostendit se praedictis remediis destitutum esse ex parte sua, cum dicit ecce non est auxilium mihi in me: etsi enim bona eius aliqua direpta fuissent, posset hoc absque tristitia tolerare si se posset adiuvare ad recuperandum bona amissa et ad vindicandum iniuriam illatam, sed hoc non poterat, omnibus divitiis, filiis et proprii corporis sanitate destitutus. Rursus multa per nos ipsos non possumus quae possumus per amicos; et ideo Iob secundo ostendit se etiam auxilio amicorum destitutum esse, cum dicit et necessarii quoque mei, idest familiares et domestici, recesserunt a me. Et quod hoc non sine culpa illorum sit, ostendit subdens qui tollit ab amico suo misericordiam, scilicet in tempore miseriae, timorem domini derelinquit, idest reverentiam quam debet habere ad Deum, propter quem et in quo proximus diligendus est: qui non diligit fratrem suum quem videt, Deum quem non videt quomodo potest diligere? Ut dicitur Ioh. IV 20. Deinde ostendit se etiam a consanguineis esse derelictum dicens fratres mei, idest consanguinei, praeterierunt me: loquitur ad similitudinem simul in via incedentium, ac si uno cadente in foveam alii nihilominus praecedant eo dimisso. Et quidem aliqualiter excusabiles essent si, postquam aliquo tempore auxilium tulissent, eum dimisissent vel propter taedium vel propter desperationem adiuvandi; et ideo ut inexcusabiles sint, ostendit se statim et subito ab eis esse desertum, quod significat cum subdit sicut torrens qui raptim transit in convallibus, qui velocissime movetur. Et ne hoc se impune fecisse credant, subiungit qui timent pruinam, irruet super eos nix, quasi dicat: qui propter timorem minoris periculi a iustitia et misericordia discedit in maiora pericula deducetur; unde et fratres Iob qui eum praeterierunt compati nolentes, ipsi tristitiam in propriis damnis sustinebunt. Et quod eorum pericula sint futura sine remedio ostendit subdens tempore quo fuerint dissipati, idest quo incurrent aliqua pericula, peribunt, scilicet totaliter, et ut incaluerint, solventur de loco suo. Loquitur sub metaphora nivis, de qua fecerat mentionem, quae cum multum firmata fuerit per congelationem non statim ad primam calefactionem dissolvitur, sed cum adhuc non est congelata statim ad radium solis dissolvitur et fluit: hoc est ergo quod dicit ut incaluerint, solventur de loco suo, idest statim ad primum impetum adversitatis quasi cuiusdam caloris tota eorum prosperitas dissolvetur. Et causam ostendit subdens involutae sunt semitae gressuum eorum: illud enim quod involvitur, in se ipsum quadam tortuositate redit; illorum igitur semitae involutae sunt qui in consanguineis et amicis nihil nisi propriam utilitatem quaerunt, et propter hoc in tempore prosperitatis amicitiam simulant sed in tempore adversitatis derelinquunt. Sed homines qui fraudulenter propriam utilitatem quaerunt plerumque a sua spe deficiunt, et ideo subdit ambulabunt in vacuum: tunc enim aliqui in vacuum ambulare dicuntur quando a fine ambulationis deficiunt; et non solum eorum spes evacuabitur sed etiam contrarium eis accidet, unde sequitur et peribunt, idest totaliter destruentur. Sic igitur neque in se ipso neque in domesticis neque in consanguineis auxilium habebat. Consequenter ostendit quod neque in aliis amicis, unde dicit considerate semitas Theman, itinera Saba, in quibus regionibus maxime videbatur habuisse amicos, nam et Eliphaz de Theman venerat, et expectate paulisper, considerantes scilicet utrum aliqui per has vias venerint ad auxilium mihi ferendum; et hoc non videbitis quia confusi sunt, scilicet venire ad me, quia speravi, idest quia tempus erat in quo ab eis auxilium sperare debebam: homines enim qui auxiliari nolunt confunduntur visitare illos a quibus aestimant sibi rationabiliter posse peti auxilium; venerunt quoque, aliqui scilicet eorum, usque ad me, et pudore cooperti sunt, quia scilicet mihi non dederunt auxilium cum recognoscerent se debere. Nec est mirum de aliis cum etiam vos, qui sapientiores videmini, in hoc deficiatis, unde subdit nunc venistis, et modo videntes plagam meam timetis, ne forte scilicet oporteat vos mihi auxilium ferre; sed ne timeatis quia in nullo auxilium vestrum requisivi: neque enim requiro a vobis ut subveniatis mihi in denariis, et hoc est quod dicit numquid dixi: afferte mihi et de substantia vestra donate mihi? Neque petii a vobis auxilium in bello contra hostes, et hoc est quod subdit liberate me de manu hostis, et de manu robustorum eruite me? Neque petii a vobis auxilium doctrinae, et hoc est quod dicit: numquid dixi docete me, scilicet in speculativis, et ego tacebo, et si quid forte ignoravi, instruite me? Scilicet in agendis. Nec solum vos mihi auxilium non praebetis, sed etiam quantum in vobis est me ulterius verbis affligitis, et hoc est quod subdit quare detraxistis sermonibus veritatis? Quos scilicet primo protuli in mea lamentatione, quam Eliphaz reprehendere visus est, ut dictum est. Et ut haec detractio inexcusabilis ostendatur, excludit omnia illa quibus aliquis reprehensor a detractione potest excusari. Quorum primum est cum aliquis maioris auctoritatis alium pro culpa reprehendit, et hoc excludit dicens cum ex vobis nullus sit qui possit arguere me. Secundum est cum aliquis contra aliquem verba dura profert ad eius utilitatem et non ad ipsum exacerbandum, et hoc est quod subdit ad increpandum tantum, et non ad utilitatem, eloquia concinnatis, idest studiose componitis ut non videantur leviter esse dicta. Tertium est cum aliquis verba quae profert contra aliquem efficacibus rationibus munit, et hoc removet dicens et in ventum verba profertis, quasi dicat: verba vestra inania sunt nullum robur rationis habentia. Quartum est cum aliquis aliquem reprehendit eo tempore et in illo statu in quo praesumi potest quod non fiat inde deterior sed melior; sed si aliquis eo tempore aliquem reprehendere velit quo est consternatus animo et ad iram dispositus, videtur non velle correctionem sed subversionem, et ideo dicit super pupillum irruitis, et subvertere nitimini amicum vestrum: se ipsum pupillum nominat quia in tristitia positus omni auxilio destitutus erat. Et ne quis putaret quod hoc diceret timens concertationem cum eis, quasi de veritate suae sententiae et iustitia suae causae non praesumeret, subiungit verum tamen quod coepistis explete, ut ex mutua disputatione veritas elucescat; unde subdit praebete aurem, idest auscultate, et videte, idest considerate, an mentiar: hoc est enim primum impedimentum veritatis inveniendae per disputationem, cum aliquis ea quae ab adversario dicuntur audire non vult. Secundum impedimentum est cum ad audita clamose et contumeliose respondet, et ad hoc removendum dicit respondete, obsecro, absque contentione: est enim contentio, ut Ambrosius dicit, impugnatio veritatis cum confidentia clamoris. Tertium impedimentum est cum aliquis in disputatione non intendit ad veritatem sed ad victoriam et gloriam, ut accidit in disputationibus litigiosis et sophisticis: et loquentes id quod iustum est iudicate, ut scilicet concedatis ea quae vobis videntur vera, et negetis ea quae videntur falsa. Et, si hoc feceritis, non invenietis in lingua mea iniquitatem, scilicet aliquid contra iustitiam quae debetur proximo, nec in faucibus meis stultitia personabit, idest aliquid contra sapientiam qua recte sentitur de Deo: intendebat enim et circa divina et circa humana defendere et probare veritatem.

Comme il ressort de ce qui précède, Eliphaz avait noté trois choses dans la plainte de Job le désespoir qui perçait dans son dégoût de la vie présente; son impatience ou sa tristesse exagérée dont il se dit accablé par ses soupirs et gémissements; enfin sa présomption en ce qu’il se dit innocent. C’est sur ces trois choses que roule le discours d’Eliphaz et pour prouver que Job a péché et donc qu’il devait subir ces choses adverses, il avait proposé entre autre la fragilité de la condition humaine par laquelle personne ne peut présumer être exempt de péché. C’est à partir de cela que Job commence son discours. Il est en effet certain que par fragilité native l’homme n’est pas exempt de péché, aussi juste qu’il paraisse; chez les justes cependant les péchés ne sont ni graves ni mortels mais légers et véniels par négligence ou par inadvertance. Or s’il est vrai ce qu’Eliphaz s’efforce d’établir que les propres peines du péché sont les adversités de la vie présente, les hommes devraient être éprouvés gravement pour les péchés graves et légèrement pour les péchés légers et donc les justes ne seraient jamais soumis à de lourdes épreuves. Or cela est faux. C’est donc l’argument que Job va proposer contre la discussion d’Eliphaz Job répondit : puissent mes péchés être mis dans la balance pour lesquels j’ai mérité la colère et je subis cette calamité; comme de dire, je ne suis pas sans péché, cependant je pense bien n’avoir péché que légèrement. Si donc pour ces péchés j’ai mérité la colère, c’est-à-dire le châtiment de Dieu, il fallait au moins que la calamité et le péché soient mis sur la balance de la justice pour qu’ils se fassent équilibre l’un l’autre, mais l’adversité apparaît beaucoup plus grande que le péché; et c’est ce qu’il ajoute : Comme le sable de la mer c’est-à-dire sans comparaison celle-là c’est-à-dire la calamité paraîtrait trop lourde, si la sentence d’Eliphaz était vraie que les adversités en ce monde sont infligées uniquement selon les péchés, puisque beaucoup de scélérats subissent de légères adversités, tandis que les péchés de Job comparés aux leurs ne sont presque rien.

De là il va plus avant, en excusant son chagrin qu’il avait exprimé dans ses paroles, en disant : De là mes paroles pleines d’amertume, comme apportant en conclusion que sa douleur était causée par la grandeur de l’adversité. Il donne deux causes à sa douleur. En effet on peut souffrir à cause de ce qu’on a déjà enduré ou par ce qu’on craint devoir souffrir. De ce qu’il a déjà enduré il dit : car les flèches du Seigneur sont sur moi; en quoi il montre l’imprévu de son affliction, car la flèche vient de loin et subitement; et pour montrer la violence du coup il ajoute : et leur indignation m’a coupé le souffle c’est-à-dire, il ne m’a pas permis de respirer mais il a enlevé en moi toutes forces ou consolation. Ensuite vient ce qu’il craint, cause de sa souffrance Et les terreurs du Seigneur s’acharnent contre moi; en effet ceux qui sont affligés se consolent ordinairement dans l’espoir d’une meilleure situation; mais lorsqu’après avoir été affligé on craint de nouveau les mêmes choses, ou d’autres pires encore, il n’y a plus guère d’autres consolations à attendre.

Or quelqu’un pourrait lui dire la cause de ta douleur est réelle mais pourquoi t’épancher en des paroles amères? Contre quoi Job répond par ce que nous constatons chez les autres animaux; en effet l’homme leur est semblable par sa nature sensible et donc ce qui résulte de cette sensibilité se retrouve chez l’homme; or ce qui est naturel ne peut être évité totalement. Et il se trouve que la souffrance intérieure des autres animaux s’exprime de bouche; ce que Job signifie en disant : Est-ce que l’onagre brait quand il a de l’herbe? Est- ce que le bœuf mugit quand la mangeoire est pleine? Comme pour dire : l’onagre brait et le bœuf mugit quand ils n’ont pas le nécessaire à la vie. En quoi il apparaît qu’il est naturel aux animaux d’exprimer par la voix la souffrance intérieure.

De plus quelqu’un pourrait concéder que la douleur interne s’ex prime par la voix mais que ce n’est pas d’un sage de concevoir de la tristesse pour quelque cause, comme le veulent les Stoïciens. Mais Job prouve que cela est contre nature; car nos sens ne peuvent pas ne pas rejeter ce qui leur est nuisible ou qui ne leur convient pas et donc il dit : Pourrait-on manger ce qui est fade et sans assaisonnement? Comme s’il disait non; car il voit bien que ces choses insipides ne peuvent plaire au goût; et semblablement ce qui n’est pas délectable, le cœur de l’homme ne peut l’accepter et beaucoup moins ces choses qui sont amères et nocives, d’où il ajoute : Ou peut-on goûter ce qui goûté apporte la mort? Comme pour dire non; et de même que cela est impossible pour les sens extérieurs, ainsi est-il impossible que ce que les sens internes appréhendent comme nocif ne cause pas de la tristesse.

Mais le sage bien qu’il soit sujet à la tristesse, sa raison cependant n’en est pas accablée, comme Job, quoique sous le coup de la tristesse; cependant il avait le plus grand soin de se protéger contre la tristesse et il craignait d’être entraîné par elle à quelque chose de vicieux et pour éviter cela il optait pour la mort; et il l’exprime en disant : ce qu’auparavant mon âme ne voulait pas même toucher, maintenant dans la disette est devenu ma nourriture, c’est-à-dire : qu’auparavant j’abhorrais, maintenant m’est un délice.

Et de quoi s’agit-il, il le dit : Qui fera parvenir ma demande? Et pour que cette demande ne vienne pas seulement des lèvres mais aussi pour montrer qu’il la propose en l’intime de son cœur, il ajoute : Que Dieu exauce mon attente. Et que demande-t-il, il le montre en disant. Et que lui qui a commencé c’est-à-dire de m’affliger qu’il me piétine jusqu’à la mort; et c’est ce qu’il avance qu’il lâche sa main et qu’il m’abatte? La main de Dieu c’est la puissance divine par laquelle Dieu l’avait affligé; et cette main paraissait comme liée par la volonté divine qui renonce à affliger par miséricorde et Dieu lâche sa main en quelque sorte quand il frappe jusqu’à la mort

Et parce qu’il avait dit que ce à quoi il ne voulait pas toucher est devenu sa nourriture il le fait comprendre maintenant, c’est-à-dire la mort qui lui avait paru horrible, maintenant lui est douce, d’où il dit : Et que telle soit ma consolation qu’en m’infligeant la douleur, il s’agit de Dieu, qu’il ne m’épargne pas, c’est-à-dire qu’il ne retire pas sa main mais qu’il me conduise jusqu’à la mort. Et pourquoi fait-il cette option, il le montre en disant : pour que je ne puisse riposter aux paroles du saint c’est-à-dire de Dieu et à ses vues qui sont saintes et par lesquelles il m’afflige. Job en effet craignait que ses nombreuses afflictions ne le conduisent à l’impatience de sorte que sa raison ne puisse réprimer sa tristesse. Dans l’impatience la tristesse prenant le pas sur la raison on en vient à s’opposer aux jugements divins; mais si dans la tristesse on souffre dans la partie sensible et qu’on se soumette à la volonté divine on ne pèche pas par impatience; et donc Eliphaz avait à tort repris Job où il disait (4, 5) : "Et maintenant que l’épreuve est là, tu abandonnes." En effet bien qu’il fût triste cependant il n’avait pas abandonné.

Ensuite en raison de sa fragilité, il craignait d’être amené à s’opposer aux vues de Dieu. Cette crainte en effet peut disparaître pour deux motifs : d’abord que la raison soit tellement forte qu’elle ne puisse être aucunement vaincue comme chez ceux dont le libre arbitre est confirmé en grâce; mais Job ne se sentait pas semblable force, d’où il dit : Ai-je encore assez de force pour supporter? C’est-à-dire tant de tribulations. Ensuite qu’on ne doive supporter les tribulations et les chagrins que pour peu de temps, et il écarte cela en ajoutant Si au moins j’en voyais la fin que je puisse patiemment les supporter, comme s’il disait : Quel terme y a-t-il à mes tribulations pour qu’en attendant la fin j’ose présumer garder la patience? Et pour exposer ces choses il dit encore Mon courage n'est pas dur comme la pierre : en effet la dureté de la pierre ne vient pas d’une insensibilité, mais la force de l’homme s’accompagne de la sensation de ce qui nuit; c’est pourquoi il dit : ni ma chair n’est d’airain c’est-à-dire n’est insensible car aussi courageuse que soit la raison de l’homme mortel il ne peut pas ne pas ressentir la douleur; et ainsi il rejette l’objurgation d’Eliphaz qui reprend Job pour sa tristesse; bien qu’en effet la force d’es- prit ne manquât pas chez Job, du côté de sa chair cependant il ressentait la douleur, cause de sa tristesse. Semblablement est réfutée l’opinion des Stoïciens qui disent que le sage ne s’attriste pas; opinion qu’Eliphaz faisait sienne. Or le bienheureux Job tend à prouver que le sage peut s’attrister mais que par la raison il s’applique à ne rien faire d’inconvenant, ce qu’aussi les Péripatéticiens ont avancé.

 

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Mes amis sont des traîtres" (Job 6, 13-30)

 

13 Ne suis-je pas dénué de tout secours, et tout espoir de salut ne m'est-il pas enlevé? 14 Le malheureux a droit à la pitié de son ami, eût-il même abandonné la crainte du Tout-Puissant. 15 Mes frères ont été perfides comme le torrent, comme l'eau des torrents qui s'écoulent. 16 Les glaçons en troublent le cours, la neige disparaît dans leurs flots. 17 Au temps de la sécheresse, ils s'évanouissent; aux premières chaleurs, leur lit est desséché. 18 Dans des sentiers divers leurs eaux se perdent, elles s'évaporent dans les airs, et ils tarissent. 19 Les caravanes de Théma comptaient sur eux; les voyageurs de Saba espéraient en eux; 20 ils sont frustrés dans leur attente; arrivés sur leurs bords, ils restent confondus. 21 Ainsi vous me manquez à cette heure; à la vue de l'infortune, vous fuyez épouvantés. 22 Vous ai-je dit : "Donnez-moi quelque chose, faites-moi part de vos biens, 23 délivrez-moi de la main de l'ennemi, arrachez-moi de la main des brigands?"

24 Instruisez-moi, et je vous écouterai en silence; faites-moi voir en quoi j'ai failli. 25 Qu'elles ont de force les paroles équitables! Mais sur quoi tombe votre blâme? 26 Voulez-vous donc censurer des mots? Les discours échappés au désespoir sont la proie du vent. 27 Ah! Vous jetez le filet sur un orphelin, vous creusez un piège à votre ennemi! 28 Maintenant, daignez vous retourner vers moi, et vous verrez si je vous mens en face. 29 Revenez, ne soyez pas injustes; revenez, et mon innocence apparaîtra. 30 Y a-t-il de l'iniquité sur ma langue, ou bien mon palais ne sait-il pas discerner le mal?

 

Voici n'y a-t-il plus aucun secours pour moi? et mes amis se sont éloignés de moi. Celui qui refuse la pitié à son ami a abandonné la crainte du Seigneur. Mes frères ont passé leur chemin, tel le torrent qui fuit rapidement dans la vallée. Celui qui craint les frimas, la neige le surprendra et dans sa fuite il périra. Pendant que sous la chaleur (la neige) s’écoule de son endroit. Les sentiers que suivent leurs pas se sont perdus; ils se sont égarés et ils périssent. Considérez les sentiers de Theman, les routes de Saba et attendez un peu. Mon espérance les a confondus. Ils sont venus jusqu’à moi et se sont couverts de honte. 21 que vous êtes venus, à l’instant, voyant mon malheur vous craignez. Vous avais-je dit de n’apporter et de me donner de votre substance? Ou encore de me libérer de la main de l’ennemi et de m’arracher de la main des forts? Enseignez-moi! et je me tairai; et si j’ai oublié quelque chose, enseignez-moi! Pourquoi condamnez-vous la vérité dans mes discours puisque qu’aucun de vous n’a su me convaincre? Vous agencez des paroles éloquentes rien que pour m’invectiver et vos paroles sont comme le vent. Vous foncez sur l’orphelin et vous vous efforcez d’abattre votre ami. 28 achevez votre œuvre. Prêtez l’oreille et voyez si je mens. Répondez, je vous prie, non en rivaux; et en parlant jugez en toute justice. Et vous ne trouverez pas en moi l’iniquité et en mon gosier ne retentira pas de sottise.

 

 Précédemment Job avait prouvé qu’il avait supporté ses souffrances d’une façon raisonnable, de même que les gémissements avait laissé échapper. Toutefois ce qu’il avait souffert ne l’avait pas abattu. Mais parce que l’homme, bien qu’éprouvé, trouve un remède dans les consolations et les secours qu’il trouve en lui-même ou chez les autres de sorte qu’il n’en conçoit que peu ou même aucune souffrance, Job veut montrer que ces secours lui firent défaut, pour qu’il soit encore plus évident que ses plaintes furent raisonnables. Et d’abord il montre que ces remèdes il ne les a pas trouvés en lui-même. Voici, dit-il, il n’y a pas de secours pour moi. Quoiqu’en effet ses biens lui aient été enlevés, il pourrait le supporter facilement s’il pouvait s’aider lui-même à les récupérer et tirer vengeance de l’injure qui est faite, mais il ne le peut, destitué qu’il est de tout ce qu’il a, de ses enfants et de sa santé.

Et puis bien des choses que nous ne pouvons pas par nous- mêmes nous le pouvons par nos amis, et donc en second lieu il montre qu’il est privé du secours de ses amis lorsqu’il dit même ceux qui sont proches les familiers et les domestiques se sont éloignés de moi. Et que ce n’est pas sans leur faute il le montre Celui qui refuse la pitié à son ami, c’est-à-dire au temps du malheur, a abandonné la crainte du Seigneur c’est-à-dire le respect qu’il doit à Dieu à cause duquel et pour lequel on doit aimé son prochain : "Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas?" (1 Jean 4, 20).

Ensuite il montre que sa famille l’a abandonné Mes frères dit-il, c’est-à-dire les membres de sa famille, ont passé leur chemin. Il fait une comparaison avec ceux qui voyagent de conserve et si l’un d’eux vient à tomber dans une fosse les autres néanmoins continuent sans s’occuper de lui. Et sans doute seraient-ils excusables, si après avoir porté secours un moment ils s’étaient désistés soit par tiédeur soit en désespoir de cause ne pouvant pas l’aider. Et donc qu’ils soient inexcusables il le montre en ce qu’ils l’ont aussitôt abandonné et subite ment; ce qu’il signifie en ajoutant tel le torrent qui fuit rapidement dans la vallée, qui s’écoule très rapidement. Et qu’ils ne croient pas l’avoir fait impunément dit-il Celui qui craint les frimas, la neige le surprendra : celui qui par crainte d’un moindre danger s’écarte de la justice et de la pitié s’expose à de plus grands périls; donc les frères de Job qui l’ont délaissé ne voulant pas compatir endureront-ils la souffrance en leurs propres personnes. Et que les périls seront sans remède il ajoute : et dans leur fuite ils périront exposés totalement aux périls, pendant que sous la chaleur ils disparaîtront. Il fait allusion à la neige dont il vient de faire mention laquelle quand elle s’est solidifiée par le gel ne se laisse pas dissoudre par la seule chaleur du soleil, mais quand elle est encore molle aussitôt elle fond sous l’action solaire et s’écoule, et c’est donc ce qu’il dit : pendant que sous l’action de la chaleur ils disparaîtront; pour eux aussi dès le premier assaut c l’adversité comme une sorte de chaleur, toute leur prospérité disparaîtra. Et il montre la cause et il dit : les sentiers que suivent leurs pas se sont enroulés : en effet ce qui s’enroule revient sur soi-même avec des replis; les sentiers s’enroulent chez ceux qui ne cherchent que leur propre utilité auprès de leurs amis et de leurs parents : au temps de prospérité ils simulent l’amitié mais dans l’adversité ils s’en vont. Mais ceux qui cherchent frauduleusement leur propre utilité, le plus souvent sont leurrés dans leur attente, et donc il ajoute : ils marcheront en vain; en effet on dit que certains marchent en vain quand ils n’arrivent point au bout de leur course; et non seulement vaine est leur marche mais encore ils périront c’est-à-dire qu’ils disparaîtront pour toujours.

Ainsi donc Job n’avait trouvé secours ni en lui-même, ni en ses familiers, ni en sa parenté. Il montre ensuite la même chose chez autres amis; d’où il dit : Voyez les sentiers de Theman et les routes Saba; c’est principalement en ces régions qu’il avait des amis; Eliphaz était de Theman; et attendez un peu c’est-à-dire voyez si l’on vient par ces chemins pour me secourir; et cela vous ne le verre point parce qu’ils ont honte de venir à moi et parce que j’ai espéré c’est-à-dire parce que c’était le temps où je pouvais encore espérer un secours de leur part. En effet ceux qui ne veulent pas aider ont honte d’aller visiter ceux qui pourraient leur demander une aide raisonnable; vinrent aussi certains d’entre eux, jusqu’à moi et ils étaient tout confus, qui ne m’ont pas aidé sachant qu’ils le devaient; et ce n’est pas étonnant quant à eux puisque vous aussi qui paraissez plus sages vous m’avez fait défaut d’où il ajoute : Vous voilà venus et à l’instant, voyant mon malheur vous tremblez c’est-à-dire, de devoir m’aider; mais ne craignez pas, car je n’ai en rien cherché votre aide et je 1e veux pas que vous m’aidiez de vos deniers; c’est ce que nous lisons. Vous ai-je dit de m’apporter et de me donner de votre substance? Je n’ai demandé de vous un secours dans la guerre contre les ennemis; et c’est ce qu’il ajoute : Délivrez-moi de la main de l’ennemi arrachez-moi de la main des puissants? Ni n’ai demandé l’aide de votre doctrine : Ai-je dit : enseignez-moi? C’est-à-dire en choses spéculatives et je me tairai. Et si j’ai ignoré, instruisez-moi : ceci pour l’action. Non seulement vous ne m’aidez pas mais autant qu'il est en vous, vous m’affligez par vos paroles Pourquoi me critiquer pour la vérité de mes discours que j’ai tenus dans ma plainte et qu’Eliphaz semble vouloir blâmer, comme on l’a lu. Et pour montrer l’odieux de cette calomnie il exclut toutes les excuses qu’il pourrait apporter pour se justifier. D’abord il faut avoir une assez grande autorité pour reprendre un autre pour sa faute et il l’exclut puisque aucun de vous ne peut me convaincre. Ensuite si on use, dans les reproches, de paroles dures, avoir en vue d’être utile et non pas d’irriter : et c’est ce qu’il dit uniquement pour m’invectiver et non pour m’être utiles; vous agencez des paroles éloquentes c’est-à-dire vous les avez soigneusement étudiées afin de ne point paraître dites à la légère. En troisième lieu celui qui veut argumenter contre un autre doit apporter des raisons efficaces et vous proférez des paroles pareilles au vent comme s’il disait : vaines sont vos paroles et n’ont aucune vigueur dans le raisonnement. Enfin quand on reprend quelqu’un il faut le faire au moment et dans la situation où l’on peut présumer qu’il n’en sera pas pire mais meilleur. Mais si on le reprend quand il est consterné en son cœur et disposé à la colère on paraît ne pas vouloir sa correction mais sa subversion et donc il dit Vous foncez comme sur un orphelin et vous tâchez d’abattre votre ami. Il se dit orphelin car dans son malheur tout secours lui est refusé.

Et pour qu’on ne puisse penser qu’il n’ose pas discuter avec eux n’étant pas assuré de la vérité de sa sentence et de la justice de sa cause, il ajoute : Toutefois achevez ce que vous avez commencé : pour que d’une mutuelle discussion jaillisse la vérité. Et il ajoute : Prêtez l’oreille c’est-à-dire écoutez et voyez c’est-à-dire, je réfléchissez aurai-je menti? C’est en effet le premier obstacle à la recherche de la vérité dans une discussion, lorsqu’on ne veut pas entendre ce que l’adversaire avance. Le second obstacle est de répondre à ce qu’on entend des clameurs et avec mépris; et pour écarter cela il dit répondez, je vous prie, sans contention. En effet la contention, comme le dit saint Ambroise, consiste à attaquer la vérité en s’appuyant sur la clameur. Le troisième obstacle est quand on ne cherche pas la vérité et qu’on veut la victoire et la louange, comme il arrive dans les litiges et les Sophismes; et quant à cela il dit : Parlez et jugez en toute justice, c’est-à-dire : concédez ce qui paraît juste et niez ce qui est faux et alors vous ne trouverez pas d’iniquité sur ma langue, c’est-à-dire ce qui est contraire à la justice qu’on doit à autrui; ni en mon gosier ne retenti a pas la sottise, c’est-à-dire ce qui est contraire à la sagesse par laquelle on pense justement sur Dieu. En effet ce qu’il voulait c’était Prouver et défendre la vérité quant aux choses divines et quant aux choses humaines.

 

 

Caput 7

Job 7 — La condition humaine

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "La vie est un combat de douleur" (Job 7, 1-4)

 

1 La vie de l'homme sur la terre est un temps de service, et ses jours sont comme ceux du mercenaire. 2 Comme l'esclave soupire après l'ombre, comme l'ouvrier attend son salaire, 3 ainsi j'ai eu en partage des mois de douleur, pour mon lot, des nuits de souffrance. 4 Si je me couche, je dis : "Quand me lèverai-je? Quand finira la nuit?" et je suis rassasié d'angoisses jusqu'au jour.

1 C’est un combat que la vie de l’homme sur terre; et journées de mercenaire sont ses jours. 2 l’esclave cherche l’ombre et comme le mercenaire attend la fin de son travail. 3 j’ai eu des mois creux et ai compté des nuits d’insomnie. 4 si je me mets au lit je dis : quand me lèverai-je? Et de nouveau j’attends le soir. Et je serai rempli de souffrances jusqu’aux ténèbres.

[84905] Super Iob, cap. 7 Militia est vita hominis super terram et cetera. Eliphaz in superioribus, volens beatum Iob a desperatione removere, ei quandam terrenam beatitudinem repromiserat si increpationem domini non reprobaret; unde beatus Iob, postquam tristitiae suae rationabiles causas ostendit, vult ulterius ostendere praedictam consolationem Eliphaz ex repromissione terrenae felicitatis esse incongruam. Et primo hoc ostendit ex condicione praesentis vitae, postmodum vero id ostendet ex sua propria condicione. Circa condicionem vero praesentis vitae diversa fuit hominum sententia: quidam enim posuerunt in hac vita ultimam felicitatem esse, et hanc sententiam videntur sequi dicta Eliphaz. Ibi enim est ultimus finis hominis ubi expectat finalem retributionem pro bonis aut malis: unde si in hac vita homo remuneratur a Deo pro bene actis et punitur pro malis, ut Eliphaz astruere nitebatur, consequens videtur quod in hac vita sit ultimus hominis finis. Hanc autem sententiam intendit Iob reprobare et vult ostendere quod praesens vita hominis non habet in se ultimum finem, sed comparatur ad ipsum sicut motus ad quietem et via ad terminum; et ideo comparat eam illis statibus hominum qui tendunt ad aliquem finem, scilicet statui militum qui militando ad victoriam tendunt, et hoc est quod dicit militia est vita hominis super terram, ac si dicat: vita praesens qua super terram vivimus non est sicut status victoriae sed sicut status militiae; comparat etiam eam statui mercennariorum, et hoc est quod subdit et sicut dies mercennarii dies eius, scilicet hominis super terram viventis. Comparat autem praesentem vitam his duobus statibus propter duo quae imminent homini in praesenti vita, ut scilicet resistat impedimentis et nocivis et propter hoc comparatur militiae, et ut operetur utilia ad finem et propter hoc comparatur mercennario. Ex utroque autem exemplo datur intelligi praesens vita divinae providentiae subdi: nam et milites sub duce militant et mercennarii a patrono mercedem expectant. Satis etiam in his duobus exemplis apparet falsitas sententiae quam Eliphaz defendebat. Manifestum est enim quod dux exercitus strenuis militibus non parcit a periculis aut laboribus, sed secundum quod militiae ratio exigit interdum eos et maioribus laboribus et maioribus periculis exponit, sed post victoriam adeptam magis strenuos plus honorat; sic et paterfamilias melioribus mercennariis maiores labores committit, sed in tempore mercedis eis maiora munera largitur; unde nec divina providentia hoc habet ut bonos magis ab adversitatibus et vitae praesentis laboribus eximat, sed quod in fine eos magis remuneret. Quia igitur ex his verbis Eliphaz sententia tota subruitur, ad eorum confirmationem Iob intendit et ea efficaci ratione demonstrat. Manifestum est enim quod quaelibet res adepto ultimo fine quiescit, unde necesse est quod quando voluntas humana ultimum finem consecuta fuerit, in illo quiescat et ulterius ad alia desideranda non moveatur; huius autem contrarium in praesenti vita experimur, nam semper homo quasi non contentus praesentibus futura desiderat: unde manifestum est in hac vita ultimum finem non esse, sed hanc vitam ordinari ad alium finem sicut ordinatur militia ad victoriam et dies mercennarii ad mercedem. Sciendum est autem quod in praesenti vita praesentia non sufficiunt sed desiderium tendit in futura propter duo: scilicet propter afflictiones praesentis vitae, et propter hoc inducit exemplum servi desiderantis umbram dicens sicut servus, ab aestu afflictus, desiderat umbram, qua refrigeretur; et propter defectum perfecti boni et finalis quod hic non habetur, et ideo ponit exemplum de mercennario dicens et sicut mercennarius praestolatur finem operis sui - perfectum enim bonum est hominis finis -, sic et ego habui menses vacuos, idest reputavi menses praeteritos mihi vacuos praeterisse, utpote in quibus perfectionem finalem adeptus non eram; et noctes, deputatas quieti contra afflictiones, laboriosas numeravi mihi, idest reputavi ac si essent laboriosae, inquantum in eis retardabar a consecutione finis. Quomodo autem habuerit menses vacuos et noctes laboriosas exponit subdens si dormiero, idest cum fuerit tempus dormiendi de nocte, dico: quando consurgam? Exoptans diem. Et rursum, facto die, expectabo vesperam, sic semper in futurum per desiderium tendens. Et hoc quidem commune est omni homini viventi super terram, sed plus et minus hoc sentiunt homines secundum quod magis aut minus gaudiis seu tristitiis afficiuntur: nam qui in gaudio est minus desiderat futurum, plus autem qui in tristitia; et ideo ut hoc desiderium Iob in se esse vehemens ostendat, subiungit et replebor doloribus usque ad tenebras, propter quos dolores praesens tempus fit mihi taediosum et futurum magis desidero. Induta est caro mea putredine et cetera. Ostenderat supra beatus Iob consolationem Eliphaz ex promissione felicitatis in vita terrena fuisse ineptam ex generali condicione vitae hominis super terram, nunc autem intendit ostendere eandem consolationem ineptam esse ex sua propria condicione. Et proponit duo quae impediunt ipsum expectare prosperitatem super terram, quorum primum est infirmitas corporis quam patiebatur: homini enim gravi infirmitate detento nihil potest contingere quod eum in hac vita faciat esse felicem, et ideo dicit induta est caro mea putredine, quasi dicat: undique corpus meum circumdatum est putredine ulcerum sicut corpus circumdatur vestimento. Et quia vulnera a principio curata ad sanitatem perveniunt, ostendit ulcera sua fuisse neglecta, unde dicit et sordibus pulveris: non enim erant debito modo curata quia ad litteram in sterquilinio sedebat, ut supra dictum est. Expectatur autem sanitas aliquando etiam si ulcera sint neglecta, quando natura est fortis, sed in Iob vigor naturae defecerat, unde dicit cutis mea aruit et contracta est, quia scilicet humor naturalis iam consumptus est vel propter senectutem vel propter infirmitatem, unde non videtur locus ut in hac vita ulterius felicitatem expectem. Secundum est quia plurimum tempus vitae suae iam praeterierat, unde modicum tempus restabat nec in eo poterat magnam felicitatem expectare, et propter hoc dicit dies mei velocius transierunt quam a texente tela succiditur. Vita enim hominis quantum ad aliquid similis est texturae: sicuti enim ille qui texit telam fila filis adiungit ut ad perfectionem telae perveniat, qua perfecta eam succidit, sic ad hoc quod vita hominis perficiatur dies diebus adduntur, cum autem fuerit perfecta tollitur. Ideo tamen dicit quod velocius transeunt dies hominis quam tela succidatur quia in opere telae textor interdum quiescit, sed tempus vitae hominis absque quiete continuo labitur. Sed posset aliquis dicere quod licet plurimum temporis vitae eius transierit adhuc tamen posset expectare reditum ad statum vitae praeteritae: posuerunt enim aliqui quod post mortem, transactis plurimis annorum curriculis, homo rediturus erat ad eandem vitae seriem quam prius egerat, ut puta quod Plato in futuris temporibus lecturus erit Athenis et eadem acturus quae prius egit, et sic homo licet plurimum temporis vitae eius transierit posset expectare restitutionem beatitudinis in vita terrena; et ideo ad hoc removendum subiungit Iob et consumpti sunt absque ulla spe, redeundi scilicet ad pristinos dies. Et ad hoc probandum subiungit ad Deum loquens - ad quem ab illo loco militia est vita hominis super terram videtur direxisse sermonem -, dicens memento quia ventus est vita mea, idest vento similis: sicut enim ventus pertransit et ultra non revertitur, ita vita hominis cum pertransierit non redit, et hoc est quod subdit et non revertetur oculus meus ut videat bona, scilicet terrenae vitae quae quondam habui et nunc amisi. Et sicut cum vita mea praeterierit ego non revertar ut videam bona terrena, sic nec videbor ab oculo terreno, unde sequitur nec aspiciet me visus hominis; ponit autem haec duo ut significet quod non revertetur ad conversationem humanam quae maxime consistit in videre et videri: nam visus cum sit subtilior sensuum principatum tenet in vita sensibili. Sed quamvis post mortem ab oculo hominis se dixerit non videndum, confitetur tamen se videndum esse ab oculo divino in hoc quod subdit oculi tui in me, scilicet erunt: Deo enim mortui conspicui sunt qui spiritualia intuetur, quia mortui secundum spiritum vivunt, non secundum carnem quam visus hominis aspicere potest. Posset autem ex hoc aliquis intelligere quod oculi Dei ita respiciant mortuum non secundum statum praesentem sed sicut respicit futura, quasi homo mortuus iterum rediturus sit ad vitam quam dimisit, et ideo ad hoc excludendum subiungit et non subsistam, quasi dicat: sic dico quod oculi tui in me erunt post mortem, quod tamen ego postmodum iterato non subsistam in statu huius vitae terrenae. Et hoc probat per simile cum subdit sicut consumitur nubes et pertransit, sic qui descendit ad Inferos non ascendet. Dicuntur autem mortui ad Inferos descendere, vel quia secundum animam ante Christi mortem omnes ad Infernum descendebant, vel quia secundum carnem sub terra ponuntur; quantum enim ad praesens pertinet, nihil differt quomodolibet exponatur: nihil enim aliud vult dicere nisi quod mortui non redeunt ad vitam praeteritam, et hoc probat in quodam simili, probatione sufficienti. Sicut enim philosophus docet in II de generatione, tam in corporibus corruptibilibus quam in corporibus incorruptibilibus quidam circularis motus apparet; sed haec est differentia quia in corporibus caelestibus secundum circulationem reiteratur idem numero, sicut idem sol numero qui occidit redit ad ortum, et hoc ideo quia substantia non corrumpitur in tali mutatione sed solum locus mutatur; in motu vero generabilium et corruptibilium non redit idem numero sed idem specie. Patet enim quod secundum circularem motum solis annuum, circulatio quaedam fit in dispositione aeris: nam in hieme sunt nubes, et postmodum in aestate consumuntur, et iterum redeunte hieme redeunt nubes, non tamen eadem numero sed eadem specie quia illae nubes quae prius fuerunt omnino dispereunt. Et similiter est in hominibus: non enim iidem homines per generationes redeunt qui prius fuerunt secundum numerum sed solum secundum speciem. Ex quo patet solutio rationis illorum qui ponebant reditum ad eandem vitam et ad eosdem actus: credebant enim quod inferiora disponuntur secundum motum corporum caelestium, unde cum redierit eadem constellatio post plurima temporum spatia credebant quod rediret eadem res numero; non est autem necesse quod redeant eadem numero, ut dictum est, sed solum similes secundum speciem. Ponebant autem isti quod homo mortuus, post certa temporum spatia non solum rediret ad vitam sed etiam ad easdem possessiones et domos quas prius habuit, et ideo ad hoc excludendum subiungit nec revertetur ultra ad domum suam. Ponebant etiam quod eadem opera acturus erat quae prius egit et eadem officia et dignitates habiturus, unde ad hoc etiam excludendum subiungit neque cognoscet eum amplius locus eius, idest non redibit ulterius ad locum suum; et accipitur hic locus pro statu personae, illo modo loquendi quo dicere consuevimus: iste habet magnum locum in ista civitate. Manifestum est autem ex his quod Iob hic resurrectionem quam fides asserit non negat, sed reditum ad vitam carnalem quem Iudaei ponunt et quidam philosophi etiam posuerunt. Nec hoc etiam contradicit narrationi Scripturae de hoc quod aliqui sunt resuscitati ad vitam praesentem, quia aliud est quod miraculose agitur, aliud est quod agitur secundum cursum naturae prout hic loquitur Iob. Considerandum est etiam quia quod supra dixit memento quia ventus est vita mea non ideo dixit quasi in Deum oblivio cadat, sed loquitur ex hypothesi positionis adversariorum: si enim Deus repromitteret homini cuius vita iam quasi praeteriit bona in hac vita terrena, videretur quasi oblitus quod vita hominis ad modum venti sine reditu transit. Quapropter et ego non parcam ori meo. Postquam ostendit Iob consolationem Eliphaz promittentis prosperitatem terrenam fuisse incongruam per rationes ostensivas, nunc ostendit deducendo ad inconvenientia, quia si illi consolationi inniteretur quae ex spe terrenae prosperitatis sibi ab Eliphaz data erat, cum ista spes frivola sit, ut ostensum est, sequebatur quod oporteret eum adhuc in tristitia remanere et doloris verba proferre et penitus desperare. Et ideo quasi contra positionem disputans, concludit quapropter, quia scilicet vanum est expectare prosperitatem terrenam, ut ostensum est, et vos aliunde non habeatis unde me consolemini, et ego, quasi consolatione destitutus, non parcam ori meo quin loquar verba lamentationis prout mens suggerit: et hoc est quod subdit loquar in tribulatione spiritus mei, idest secundum quod tribulatio quam patior spiritum meum impellit ad loquendum. Nec solum aderat ei tribulatio exterior sed tristitia interior exinde concepta, et ideo subdit confabulabor cum amaritudine animae meae, idest inania et quasi fabulosa verba loquar secundum quod amaritudo animae meae mihi ministrabit. Inter cetera autem quae homines amaricati confabulari solent, praecipue solent inquirere de causis suae amaritudinis, quia vix est aliquis amaricatus quin videatur sibi vel penitus iniuste vel plus iusto afflictus esse: et ideo Iob, gerens personam hominis amaricati, inquirit de causa suae afflictionis dicens numquid mare sum ego aut cetus quia circumdedisti me carcere? Ubi notandum est quod aliter providentia Dei operatur circa creaturas rationales et aliter circa irrationales: in creaturis enim rationalibus invenitur meritum et demeritum propter liberum arbitrium, et propter hoc debentur eis poenae et praemia; creaturae vero irrationales cum non habeant liberum arbitrium, nec merentur nec demerentur poenas aut praemia, sed operatur Deus circa eas ad earum ampliationem vel restrictionem secundum quod competit ad bonum universi. Ex qua quidem provisione seu ratione contingit quod Deus mare coercet ne totam terrae superficiem occupet, ut sit locus animalibus et terraenascentibus; similiter etiam cetum infra mare Oceanum coercet ne si in alia maria deduceretur aliquibus posset esse in nocumentum. Et ideo inquirit Iob utrum similis causa sit suae afflictionis causae propter quam coartatur mare aut cetus, ut scilicet afflictus sit non propter aliquod suum demeritum sed propter aliquam utilitatem exinde aliis provenientem. Dicit autem se carcere circumdatum eo quod ita oppressus erat tribulatione quod ex nulla parte patebat sibi vel liberatio vel consolatio, et ideo consequenter ostendit se privatum esse illis remediis quibus afflicti solent consolari, quorum unum est somnus, nam post somnum tristitia mitigatur, et hoc notat cum dicit si dixero: consolabitur me lectulus meus, scilicet tempore dormitionis. Aliud remedium est cum homines sapientes per deliberationem rationis se ipsos consolantur, et hoc remedium tangit cum dicit relevabor, scilicet ab oppressione tristitiae, loquens mecum, per deliberationem rationis, in stratu meo: homines enim sapientes quando solitarii sunt et a tumultibus hominum et negotiorum semoti, tunc magis secum loqui possunt secundum rationem aliquid cogitando. Sed ista remedia eum iuvare non poterant, quia tempore quo his remediis uti debebat aderant sibi alia impedimenta quibus perturbabatur, scilicet somnia terribilia et visiones horribiles, et hoc est quod subdit terrebis me per somnia, quae scilicet dormienti apparent, et per visiones, quae scilicet apparent vigilanti ab usu exteriorum sensuum alienato, horrore concuties. Solent enim nocturna phantasmata conformia esse diurnis cogitationibus, unde quia Iob in die quae maeroris sunt cogitabat, similibus phantasmatibus perturbabatur in nocte; infirmitas etiam corporis ad hoc operatur ut perturbata phantasmata dormientibus appareant. Sic igitur undique consolatione exclusa, nullus modus mihi remanet tot angustias evadendi nisi per mortem, et ideo praeeligo mortem quantumcumque abiectam vitae tam miserae, et hoc est quod dicit quamobrem elegit suspendium anima mea. Et ne putaretur haec electio ex aliqua infirma cogitatione provenire, aliis fortibus cogitationibus repugnantibus, subiungit nihil esse in se tam forte quod mortem non desideret, et hoc est quod dicit et mortem ossa mea: solet enim per ossa in Scriptura id quod est in homine roboris designari. Et quare hoc eligat, ostendit cum subdit desperavi, scilicet a spe quam mihi dedisti ut iterum fruar prosperitate terrena; et quare desperaverit, ostendit subdens nequaquam ultra iam vivam: in quo duo possunt intelligi quae supra posuerat, scilicet quod maius tempus vitae suae iam praeterierat et quod non erat reditus post mortem ad eandem vitam, ut scilicet viveret super terram. Hoc igitur inconveniens consequebatur ipsi Iob ex consolatione Eliphaz, quod scilicet desperaret, mortem eligeret et non haberet unde tristitiam reprimeret. Parce mihi, domine. Postquam ostendit Iob quod consolatio Eliphaz ex promissione felicitatis terrenae inducebat eum ad desperationem et desiderium mortis, ostendit quid sibi sperandum relinquatur a Deo, ut scilicet tribulatio illata cesset, et hoc est quod dicit parce mihi, domine, quasi dicat: a spe prosperitatis terrenae decidi, hoc mihi sufficit ut parcas, idest flagellare desistas. Et quia ad parcendum inducere solet parvitas et miseria hominis, subiungit nihil enim sunt dies mei, quod videtur referri ad hominis parvitatem et ad vitae brevitatem: et communiter quantum ad omnes et specialiter quantum ad se ipsum cuius dies iam quasi praeterierant. Utrumque autem consequenter prosequitur, et primo de parvitate dicens quid est homo, idest quam parvum quid et infirmum secundum corpus, quia magnificas eum honore quodam inter ceteras creaturas, aut quia ponis erga eum cor tuum, eum speciali cura custodiendo et protegendo? Ubi considerandum est quod licet omnia subsint divinae providentiae et omnia secundum statum suum magnitudinem consequantur a Deo, aliter tamen et aliter. Cum enim omnia particularia bona quae sunt in universo ordinari videantur ad commune bonum universi sicut pars ad totum et imperfectum ad perfectum, eo modo aliqua disponuntur secundum divinam providentiam secundum quod habent ordinem ad universum; sciendum est autem quod secundum modum quo aliqua participant perpetuitatem, essentialiter ad perfectionem universi spectant, secundum autem quod a perpetuitate deficiunt, accidentaliter pertinent ad perfectionem universi et non per se: et ideo secundum quod aliqua perpetua sunt, propter se disponuntur a Deo, secundum autem quod corruptibilia sunt, propter aliud. Quae igitur perpetua sunt et specie et individuo, propter se gubernantur a Deo; quae autem sunt corruptibilia individuo, perpetua specie tantum, secundum speciem quidem propter se disponuntur a Deo, secundum individuum propter speciem tantum, sicut bonum et malum quod accidit in brutis animalibus, utpote quod haec ovis occiditur ab hoc lupo vel aliquid aliud huiusmodi, non dispensatur a Deo propter aliquod meritum vel demeritum huius lupi vel huius ovis, sed propter bonum specierum, quia divinitus unicuique speciei ordinatus est proprius cibus. Et hoc est quod dicit aut quia ponis erga eum cor tuum, dum scilicet ei provides propter eius bonum; non ponit autem erga animalia singularia cor suum, sed erga bonum speciei quod potest esse perpetuum. Quomodo autem ponat erga eum cor suum ostendit cum subdit visitas eum diluculo, idest a principio nativitatis tua providentia administras ei quae sunt necessaria ad vitam et magnificationem, tam corporalia quam spiritualia; et subito probas illum per adversa in quibus apparet qualiter se habeat ad virtutem quia, sicut habetur Eccli. XXVII 6, vasa figuli probat fornax, et homines iustos tentatio tribulationis. Dicitur autem Deus hominem probare non ut ipse addiscat qualis est homo sed ut alios eum cognoscere faciat et ut ipsemet se ipsum cognoscat. Haec autem verba Iob non sunt intelligenda tamquam improbantis divinam circa homines sollicitudinem, sed tamquam inquirentis et admirantis: id enim quod de homine videtur exterius parvum quid est, fragile et caducum, unde mirum videretur quod Deus tantam sollicitudinem haberet de homine nisi aliquid lateret in eo quod esset perpetuitatis capax. Unde per hanc inquisitionem et admirationem sententia Eliphaz excluditur, quia si non esset alia vita hominis nisi quae est super terram, non videretur condignus homo tanta Dei sollicitudine circa ipsum: ipsa ergo sollicitudo quam Deus specialiter habet de homine demonstrat esse aliam vitam hominis post corporis mortem. Deinde aliam rationem subdit ut sibi parcatur sumptam ex brevitate vitae, eam sub interrogatione proponens cum dicit usquequo non parcis mihi? Quasi dicat: tempus vitae hominis breve est et temporis vitae meae maior pars iam transiit, quis ergo terminus expectatur ut mihi parcas si modo non parcis, ut saltem aliquod breve spatium habeam in quo quiescam? Quod significat in hoc quod subdit nec dimittis me ut glutiam salivam meam? Homines enim dum verba proferunt salivam glutire non possunt: necesse est ergo in loquendo aliquam modicam pausam fieri ut saliva vel expuatur vel glutiatur; cui quidem horulae residuum tempus vitae suae comparat, ac si dicat: si parcere differas, non remanebit mihi a laboribus aliqua quies saltem illi pausae similis qua loquentes salivam glutiunt. Et haec etiam ratio procedit ex suppositione sententiae Eliphaz, quia si non sit vita alia hominis nisi quae est super terram, non restabit quando Deus parcat si in hac vita non parcit. Posset autem aliquis dicere Iob indignum esse ut sibi parcatur a Deo, quia peccata sua merentur eum ulterius affligi, secundum sententiam Eliphaz qui eum propter peccata flagellari putabat, et ideo subdit peccavi, quasi dicat: esto quod peccaverim et propter hoc merear flagellari, adhuc remanet ratio quare mihi parcere debeas. Et subiungit ad hoc tres rationes quare parcere debeat sumptas ex hominis infirmitate, quarum prima sumitur ex impotentia satisfaciendi. Homo enim nihil condignum facere potest propriis viribus ad recompensandum offensam quam contra Deum commisit, et hoc est quod dicit quid faciam tibi, o custos hominum? Quasi dicat: si tantam sollicitudinem de hominibus habes quasi custos eorum ut de singulis eorum actibus rationem requiras, non suppetunt meae vires ad faciendum aliquid propter quod peccata remittas, unde si hoc expectatur numquam mihi parceres; et ideo hoc non obstante mihi parcas. Secunda ratio sumitur ex impotentia perseverandi. Homo enim post corruptionem humanae naturae perseverare non potest sine gratia Dei, unde et in sacra Scriptura consuetum est dici quod Deus aliquem indurat vel excaecat ex hoc quod gratiam non largitur per quam emolliatur et videat; secundum ergo hunc modum et hic Iob loquitur dicens quare posuisti me contrarium tibi? Idest quare mihi gratiam non dedisti per quam in hoc perseverarem ut tibi contrarius non essem per peccatum? Quicumque enim peccat Deo contrarius est, dum divinis mandatis repugnat sive quae sunt in lege scripta tradita sive quae sunt naturaliter indita hominis rationi. Sciendum est autem quod ratio fortior est inter omnes animae virtutes, cuius signum est quod aliis imperat et eis utitur ad suum finem; contingit tamen quod ratio interdum ad modicum absorbetur per concupiscentiam vel iram aut alias inferiorum partium passiones, et sic homo peccat; non tamen inferiores vires sic possunt rationem ligatam tenere quin semper redeat ad suam naturam, qua in spiritualia bona tendit sicut in proprium finem. Sic igitur pugna quaedam fit etiam hominis ad se ipsum ratio renititur ei quod per concupiscentiam vel iram absorpta peccavit; et quia ex peccato praeterito inferioribus viribus est addita pronitas ad similes actus propter consuetudinem, ratio non potest libere uti inferioribus viribus ut eas in superiora bona ordinet et ab inferioribus retrahat: et sic homo dum fit contrarius Deo per peccatum fit etiam sibimet ipsi gravis, et hoc est quod subdit et factus sum mihimet ipsi gravis? In quo apparet quod peccatum statim suam poenam habet; et sic post hanc poenam facilius videtur homini esse parcendum. Tertia ratio sumitur ex impotentia hominis ad purgandum peccatum. Homo enim per se ipsum in peccatum labitur, sed solius Dei est peccatum remittere, et ideo quaerit Iob: si poena mea cessare non debet quandiu peccatum manet, et tu solus peccatum auferre potes, cur non tollis peccatum meum quod in Deum vel in me ipsum commisi? Et quare non aufers iniquitatem meam, si qua est contra proximum commissa? Considerandum est autem quod huiusmodi quaestiones Iob non facit quasi temerarius divinorum iudiciorum inquisitor, sed ad falsitatem destruendam quam adversarii asserere nitebantur, scilicet quod in hac vita tantum essent expectanda a Deo bona vel mala pro factis humanis: quo quidem posito, tota ratio divinorum iudiciorum turbatur, quibus homines in hac vita punit propter peccata vel peccata remittit secundum quod eos praeordinat ad vitam futuram vel praedestinando vel reprobando. Si autem non esset vita futura sed tantum praesens, non esset ratio quare Deus differret parcere his quibus parcere intendit aut eos iustificare et remunerare, et ideo Iob ut suam intentionem aperiat, subdit ecce nunc in pulvere dormiam, quasi iam in promptu est finis vitae meae cum moriar resolvendus in pulverem; et propter incertitudinem mortis non potest expectari firmiter etiam dies crastinus, et ideo subdit et si mane me quaesieris non subsistam, quasi dicat: non possum repromittere mihi tempus vitae usque in mane, nedum longa vitae spatia in quibus expectare possim quod mihi parcas si alia vita non erit. Considerandum est autem quod Iob procedit more disputatoris, cui a principio sufficit falsam opinionem refellere et postmodum aperit quid ipse de veritate sentiat. Notandum est etiam quod Iob in verbis praemissis tres rationes tetigit quare aliquis in hac vita flagellatur a Deo: prima est ut cohibeatur eius malitia ne aliis nocere possit, et hanc rationem tetigit cum dixit numquid mare sum ego aut cetus quia circumdedisti me carcere? Secunda est ad hominis probationem ut virtus eius manifestetur, et hanc tetigit cum dixit visitas eum diluculo et subito probas illum; tertia est in poenam peccatorum, et hoc tetigit cum dixit peccavi, quid faciam tibi, o custos hominum et cetera.

Pour arracher Job au désespoir, Eliphaz lui avait promis une certaine béatitude terrestre s’il ne rejetait pas les avertissements du Seigneur. Donc après avoir donné les motifs légitimes de sa tristesse, le bienheureux Job veut ultérieurement montrer que cette consolation venant d’une félicité terrestre est inopérante. Il le prouve d’abord selon la condition de la vie présente, ensuite selon sa propre condition.         

Quant aux conditions de la vie présente, diverse fut l’opinion des hommes. Certains ont pensé que l’ultime bonheur se trouve en cette vie; ce qu’Eliphaz paraît admettre. Là en effet est la fin ultime de l’homme où il attend la rétribution finale pour les bons et pour les méchants. Donc si Dieu rémunère l’homme en cette vie pour ses bonnes actions et le punit pour les mauvaises, comme semble l’affirmer Eliphaz, il s’en suit que la fin ultime de l’homme se trouve ici-bas. Or Job entend rejeter cette sentence et il veut prouver que la vie de l’homme présentement n’a pas en elle sa fin dernière, mais qu’elle est comparable à cette fin comme le mouvement au repos et comme la route à son terme. Et donc il la compare à ces situations humaines qui tendent vers une fin, comme l’est l’état des militaires qui en militant tendent à la victoire et c’est ce qu’il exprime : C’est un combat que la vie de l’homme sur terre pour dire que la vie menée présentement sur cette terre n’est pas encore la victoire mais est comme un combat.

Il la compare aussi à l’état des mercenaires et c’est ce qu’il ajoute : et comme d’un mercenaire sont ses jours c’est-à-dire de l’homme qui vit sur cette terre. Or il compare la vie présente à ces deux états à cause de deux choses qui s’imposent à l’homme dans la vie présente, l’une qui est de résister aux obstacles et aux dangers, d’où la comparaison des militaires; l’autre qui est de procurer les choses utiles à la fin, d’où la comparaison du mercenaire. Par ces deux exemples on nous donne à entendre que la vie présente est soumise à la providence divine. Car les soldats militent sous un chef et le mercenaire attend son salaire d’un patron. Dans ces deux exemples apparaît bien la fausseté de la position que défendait Eliphaz. En effet il est manifeste que le chef d’armée n’épargne pas à ses soldats les périls et les travaux qu’exige la profession militaire; parfois il les occupe à de gros travaux et les expose à de grands dangers, mais après la victoire il honore les plus courageux; ainsi encore le père de famille confie de gros t... aux meilleurs ouvriers et quand vient la remise des salaires il les gratifie davantage. Donc la divine providence n’a pas non plus exempter les bons des adversités et des labeurs de la vie présente mais à les rémunérer davantage à la fin.

La position d’Eliphaz étant entièrement renversée par ces raisons Job va les confirmer et en faire la démonstration de façon efficace. Il est en effet évident que la fin ultime étant atteinte, toute chose est au repos; d’où nécessairement lorsque la volonté de l’homme aura atteint sa fin dernière elle se reposera et ne sera plus sollicitée par d’autres désirs. Or nous expérimentons le contraire en la vie présente, car toujours l’homme, comme insatisfait du présent, désire des choses futures. D’où il est manifeste qu’en cette vie il n’y a pas de fin dernière, mais que cette vie est ordonnée à une autre fin, comme la milice à la victoire et les journées du mercenaire pour le salaire. Or si en cette vie les choses présentes ne satisfont pas et si le désir tend vers des choses à venir c’est pour deux raisons : d’abord à cause de l’affliction de cette vie : d’où l’exemple de l’esclave que la chaleur accable et qui désire l’ombre dont il se rafraîchit; et ensuite pour le manque de bien parfait et définitif qui ne se trouve pas ici-bas et donc il donne l’exemple du mercenaire en disant : comme le mercenaire qui attend la fin de sa journée; en effet le bien parfait est la fin de l’homme. Ainsi moi aussi j’ai eu des mois creux, j’ai réputé creux les mois de ma vie n’ayant pas obtenu la perfection finale. Et les nuits, destinées au repos contre les afflictions je les ai comptées comme laborieuses parce qu’elles me retardaient dans la poursuite de la fin. Comment ses mois ont-ils été creux et ses nuits laborieuses il l’expose en disant : Si je me mets au lit c’est-à-dire quand est venu le temps de dormir la nuit je dis quand viendra le lever? désirant le jour. Et de nouveau le jour étant là j’attends que le soir vienne et ainsi toujours tendant vers le futur par le désir. Et cela est commun à tout homme qui vit sur cette terre mais les hommes le sentent, les uns plus les autres moins, selon qu’ils sont plus ou moins affectés par les joies et les tristesses; car dans la joie on pense moins à l’avenir, mais davantage quand on est triste. Et donc pour montrer la véhémence de son désir Job ajoute : et je serai rempli de douleurs jusqu’aux ténèbres; à cause de ces douleurs, le présent m’est en dégoût et je désire plutôt l’avenir.

 

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Les malheurs de la vie" (Job 7, 5-10)

5 Ma chair se couvre de vers et d'une croûte terreuse, ma peau se gerce et coule. 6 Mes jours passent plus rapides que la navette, ils s'évanouissent : plus d'espérance! 7 O Dieu, souviens-toi que ma vie n'est qu'un souffle! Mes yeux ne verront pas le bonheur. 8 L'œil qui me regarde ne m'apercevra plus; ton œil me cherchera, et je ne serai plus. 9 Le nuage se dissipe et passe; ainsi celui qui descend au schéol ne remontera plus; 10 il ne retournera plus dans sa maison; le lieu qu'il habitait ne le reconnaîtra plus.

5 Ma chair a revêtu la pourriture; sous la saleté ma peau se dessèche et se contracte. 6 j ours passent plus vite que le tisserand qui coupe sa toile et ils s’achèvent sans aucune espérance. 7 que vent est ma vie et mon œil ne reviendra pas pour voir les bonnes choses, 8 ne me regardera l’œil de l’homme. Tes yeux sont sur moi et je ne subsisterai plus. 9 la nuée se dissipe et s’en va celui qui va au shéol n’en remonte pas. Il ne retournera pas en sa demeure et il ne reverra plus jamais sa patrie.

 

 

Job a montré plus haut qu’inepte est la consolation de la promesse en cette vie d’une félicité terrestre; il a d’abord prouvé cela selon la condition de l’homme ici-bas; il va maintenant le montrer selon sa condition personnelle. Et il propose deux choses qui font obstacle à l’attente d’une prospérité sur terre. Tout d’abord l’infirmité du corps dont il souffre; rien en effet ne peut rendre heureux sur cette terre un homme qui est atteint d’une grave infirmité; et donc il dit : ma chair est revêtue de pourriture, comme de dire : j’en suis entouré de toute part comme d’un vêtement. Et parce que ses plaies ne furent pas soignées dès le début et eussent pu guérir, il dit : Dans la saleté en effet n’étant pas soigné comme il le fallait le voilà littéralement étendu comme sur un fumier, comme on l’a dit plus haut. La guérison des plaies est possible, même si elles sont négligées, quand la nature est robuste; mais chez Job cette robustesse manquait, d’où il dit : ma peau se dessèche et se contracte; parce que l’humeur naturelle a déjà disparu, soit à cause de la vieillesse, soit à cause de l’infirmité, il n’y a plus lieu pour moi d’attendre en cette vie la félicité. Et ensuite parce qu’il est très avancé en âge; et donc il ne lui restait que très peu de temps à vivre et il ne pouvait espérer une grande félicité; et à cause de cela il dit : mes jours ont passé plus vite que le tisserand qui coupe sa toile. La vie humaine en effet est un peu semblable au tissage; de même que celui qui tisse une toile fait se succéder les fils pour achever sa toile qu’il coupe ensuite une fois finie, ainsi pour que la vie de l’homme arrive à son terme les jours s’ajoutent aux jours; et lorsqu’elle est achevée elle nous est enlevée. Il dit : que les jours de l’homme passent plus vite que la toile qu’on coupe parce que dans le tissage le tisserand se repose quelques fois tandis que le temps de la vie humaine s’écoule continuellement sans arrêt.

Mais on pourrait objecter : bien que la majeure partie de la vie soit écoulée, on pourrait cependant attendre encore un retour à l’état de la vie passée; en effet certains ont avancé qu’après la mort et après un grand nombre de circuits d’années l’homme reviendrait à la même série d’années qu’il avait passées avant; par exemple que Platon dans des temps très éloignés enseignerait à Athènes et y ferait les mêmes choses qu’avant; et ainsi l’homme bien que sa vie soit presque écoulée pourrait attendre le retour au bonheur dans une vie terrestre; mais Job écarte cela Ils sont passés sans aucun espoir de revenir aux anciens jours; et pour le prouver, s’adressant au Seigneur auquel il avait déjà adressé les paroles : La vie de l’homme est un combat, il dit maintenant Souviens-toi que ma vie est comme le vent, de même en effet que le vent passe et ne revient pas, ainsi la vie passée ne revient plus; et c’est ce qu’il ajoute : Et mon œil ne reviendra pas pour voir les bonnes choses c’est-à-dire de la vie terrestre que j’ai eues et que j’ai perdues. Et de même que ma vie une fois achevée je ne reviendrai pas pour, voir les biens d’ici-bas, ainsi aucun œil de la terre ne me verra Ni ne me regardera l’œil humain. Il avance ici ces deux choses pour signifier qu’il ne retournera pas en la société des hommes qui consiste surtout dans les regards réciproques; car la vue étant le plus subtil des sens elle tient la première place dans notre vie sensible. Mais bien qu’il ait dit : qu’après la mort l’œil de l’homme ne le verra pas, il confesse cependant que l’œil divin le verra et il ajoute : Tes yeux sont sur moi c’est-à-dire qu’ils le verront. En effet les morts sont sous le regard de Dieu qui voit les choses spirituelles parce que les morts vivent selon l’esprit mais non selon la chair qui, elle, est visible des yeux du corps.

Quelqu’un pourrait comprendre que les yeux de Dieu regardent ainsi un mort non dans le présent mais dans l’avenir, en tant que le mort reviendrait à la vie qu’il a abandonnée; et pour écarter cela il dit : Je ne subsisterai plus : c’est-à-dire que tes yeux seront sur moi après la mort sans que cependant je subsiste de nouveau en l’état de cette vie terrestre; et il le prouve par une comparaison Comme la fluée se dissipe et s’en va, ainsi celui qui descend au shéol ne revient Pas. Les morts sont dits descendre aux enfers soit selon l’âme, car avant la mort du Christ tous y descendaient; soit selon la chair étant mis sous terre. Quant à ce qui est dit maintenant on peut l’interpréter comme on veut; en effet il ne veut rien dire d’autre que les morts ne reviendront pas à leur vie d’auparavant; ce qu’il prouve par une comparaison plus qu’évidente. Voici en effet ce que le Philosophe enseigne au Livre deuxième de la Génération tant dans les corps corruptibles qu’incorruptibles existe un mouvement circulaire; mais il y a cette différence que le mouvement circulaire dans les corps célestes recommence identiquement le même, comme c’est le même soleil qui descend et qui te vient à son lever, et cela parce que la substance ne se corrompt point en ce mouvement il y a seulement change ment de lieu. Mais dans le mouvement des choses engendrées et corruptibles il n’y a plus identité de sujet mais seulement d’espèce. Il ressort en effet que selon le mouvement circulaire des nuées se fait aussi une circulation dans la disposition de l’air; car les nuées qu’on a en hiver sont ensuite absorbées en été, et au retour de l’hiver reviennent des nuées non pas les mêmes qu’auparavant mais de semblables selon l’espèce. Et de même chez les hommes; ce ne sont pas les mêmes hommes qui reviennent au cours des générations qui furent auparavant, mais ils sont de la même espèce.

D’où est résolue la sentence de ceux qui posent le retour à la même vie et aux mêmes actions; ils pensaient en effet que les choses inférieures sont ordonnées selon le mouvement des corps célestes; lorsque donc revient la même constellation après un laps de temps, ils croyaient que les mêmes choses revenaient identiques à elles-mêmes. Or rien ne nécessite leur retour sinon que selon l’espèce. Or ceux-là posaient que l’homme une fois mort, après des espaces de temps déterminés non seulement revient à la vie, mais aussi aux mêmes possessions et demeures qu’il avait auparavant; et pour exclure cela il ajoute : Et il ne retournera pas en sa demeure. Ils avançaient aussi qu’il ferait les mêmes choses qu’il avait faites avant et aurait les mêmes charges et les mêmes honneurs, d’où il exclut cela aussi et il ne reverra plus son lieu c’est-à-dire qu’il ne retrouvera plus sa place; on entend par là sa situation personnelle, comme on dit habituellement qu’un tel à une brillante situation dans la cité (c’est un homme en place).

Il est évident que par là Job ne nie pas la résurrection que la foi affirme mais seulement le retour à la vie charnelle que les Juifs posent et que des philosophes ont avancée. Ce n’est pas non plus en contradiction avec ce que l’Écriture nous raconte au sujet de ceux qui ont été ressuscités à la vie présente; car autre chose est ce qui se fait miraculeusement et de qui se fait selon le cours naturel des choses comme l’entend ici Job. Remarquons aussi qu’en disant : "Souviens- toi que ma vie est comme un souffle," il ne veut pas dire que Dieu puisse oublier; mais il parle hypothétiquement dans la mentalité de ses adversaires. En effet si Dieu promettait à celui dont la vie est presqu’à son terme des biens en cette vie terrestre, il paraîtrait avoir oublié que la vie de l’homme à la manière d’un souffle passe sans retour.

 

CONFÉRENCE 3 — Job : "Job se plein de son sort" (Job 7, 11-16)

 

11 C'est pourquoi je ne retiendrai pas ma langue, je parlerai dans l'angoisse de mon esprit, j'exhalterai mes plaintes dans l'amertume de mon âme. 12 Suis-je la mer ou un monstre marin, pour que tu poses une barrière autour de moi? 13 Quand je dis : "Mon lit me soulagera, ma couche calmera mes soupirs, " 14 alors tu m'effraies par des songes, tu m'épouvantes par des visions. 15 Ah! Mon âme préfère la mort violente, mes os appellent le trépas. 16 Je suis en proie à la dissolution, la vie m'échappe pour jamais. Laisse-moi, car mes jours ne sont qu'un souffle.

 

11 Et c est pourquoi je ne mettrai pas de frein a ma bouche je parlerai dans le trouble de mon esprit je me raconterai a moi même l’amertume de mon âme donc la mer ou un cétacé pour m avoir emprisonne 13 je disais Mon lit sera ma consolation et me relevant je me parlerai à moi-même sur ma couche.' tu m effraies par des cauchemars tu m’agites en des visions d’horreur. Pourquoi mon âme a choisi la pendaison et mes os, la mort. Je suis au désespoir; je ne puis vivre plus longtemps.

 

 

Après avoir montré par des raisons probantes que la consolation que lui apportait Eliphaz d’une prospérité terrestre était inadéquate, il le montre maintenant par les inconvénients qui en découlent. Car s'il s’appuyait sur cette consolation que lui procurerait l’espoir d’une prospérité terrestre, selon Eliphaz, et comme cet espoir est frivole et vain, comme on l’a montré, il ne lui resterait plus qu’à endurer sa souffrance, de proférer des paroles amères et de désespoir; et comme pour lutter contre cette alternative, il conclut C'est pourquoi je ne mettrai aucun frein à ma langue. Il est vain d’attendre une prospérité terrestre, comme on l’a vu; et d’ailleurs vous n’avez pas de quoi me consoler et donc je ne puis me taire ni retenir des paroles de lamentation d’après ce qui me viendra à l’esprit; et c’est ce qu’il ajoute : je parlerai dans le trouble de mon esprit, c’est-à-dire selon que la tribulation dont je souffre provoque mon esprit à s’exprimer. Non seulement il souffrait extérieurement mais aussi intérieurement par la peine qui en découlait et donc il dit : je me raconterai à moi-même l’amertume de mon âme c’est-à-dire dans l’amertume je dirai des propos étranges selon que l’amertume de mon âme me les suggérera. Parmi ces choses que les hommes aigris se racontent à eux-mêmes est principalement la recherche des causes de leur amertume car à peine trouvera-t-on quelqu’un d’aigri qui ne lui paraisse pas comme affligé tout-à-fait injustement ou plus que de juste; et donc Job, représentant le type de l’homme aigri, s’enquiert de la cause de son affliction Est-ce que je suis la mer ou un cétacé pour m’avoir emprisonné? Il faut noter ici que la divine providence agit différemment envers les créatures rationnelles et les créatures irrationnelles. Les premières peuvent mériter ou démériter suite à leur libre arbitre et donc leur sont dues des peines ou des récompenses; mais les créatures irrationnelles comme elles n’ont pas de libre arbitre, ni ne méritent ni ne déméritent soit peine ou récompense, mais Dieu opère chez elles avec largesse ou restriction selon le bien universel. De par cette sorte d’économie, on peut dire que Dieu enferme la mer afin qu’elle n’occupe pas toute la surface de la terre, pour faire place aux animaux et aux produits de la terre; ainsi aussi Dieu tient enfermés sous les eaux les cétacés qui pourraient faire ailleurs des dégâts; et donc ici Job s’enquiert s’il y a quelque raison semblable à son affliction comme pour la mer et les cétacés, non qu’il soit affligé parce qu’il l’aurait mérité, mais pour l’utilité qui en adviendrait aux autres.

Il se dit emprisonné parce que tellement opprimé de tribulation que nulle part ne s’offrait pour lui ni libération ni consolation. Et donc il va montrer qu’il est privé de ces remèdes qui d’ordinaire consolent les affligés, dont un, le sommeil, qui en effet adoucit la tristesse; ce qu’il note en ces termes Si je disais : mon lit sera ma consolation c’est-à-dire au cours du sommeil. Un autre remède est de se raisonner soi-même comme se consolent les sages par délibération de la raison; et il touche ce remède et dit : Je me relèverai c’est-à-dire de la tristesse qui m’oppresse me parlant à moi-même par délibération de la raison, sur ma couche : en effet les sages lorsqu’ils sont solitaires et éloignés du tumulte des hommes et des affaires peuvent alors mieux s’entretenir avec eux-mêmes en réfléchissant à quelque objet de leur raison. Mais ces remèdes ne peuvent l’aider, car au moment où il pouvait en user, d’autres songes se présentaient et le troublaient c’est-à-dire des songes terribles et d’horribles visions et c’est ce qu’il ajoute : alors tu m’effraies par des cauchemars qui lui apparaissent pendant le sommeil et par des visions pendant les veilles, privé de l’usage des sens externes tu m’agites en des visions d’horreur; en effet les imaginations nocturnes sont conformes ordinairement aux pensées du jour; et donc les pensées amères de Job pendant le jour causaient la nuit des phantasmes qui le troublaient. L’infirmité du corps cause aussi des phantasmes troublants pendant le sommeil.

Ainsi donc de toute part la consolation m’étant refusée aucun autre moyen ne me reste d’échapper à tant d’angoisses que la mort et c’est pourquoi j’ai préféré la mort aussi abjecte qu’elle puisse être afin d’échapper à une telle misère et c’est ce qu’il dit : mon âme a choisi la pendaison. Et pour qu’on ne pense pas que ce choix vient d’une sombre pensée à l’exclusion de toutes autres pensées courageuses, insiste que rien ne sera assez fort en lui pour lui faire rejeter la mort et c’est ce qu’il exprime : et mes os ont choisi la mort : par les os l’Ecriture désigne ce qu’il y a de plus robuste dans l’homme. Et pourquoi ce choix il le montre en disant : J’ai désespéré j’ai perdu l’espoir que tu m’as donné de jouir de nouveau de la prospérité terrestre. Et avait-il désespéré? Je ne puis vivre plus longtemps, dit-il. Où l'on peut entendre deux choses qu’il avait posées plus haut : la majeure partie de ma vie est passée et il n’y a pas de retour à la mêmes après la mort, c’est-à-dire pour nous sur cette terre. Voilà donc à quoi peut aboutir la consolation d’Eliphaz : le désespoir qui conduit à la mort et rien qui puisse réprimer sa tristesse.

 

CONFÉRENCE 4 — Job : "Prière" (Job 7, 16-21)

 

16 Epargne-moi, Seigneur, mes jours en effet sont néant. 17 Qu'est-ce que l'homme, pour que tu en fasses tant d'estime, que tu daignes t'occuper de lui, 18 que tu le visites chaque matin, et qu'à chaque instant tu l'éprouves? 19 Quand cesseras-tu d'avoir le regard sur moi? Quand me laisseras-tu le temps d'avaler ma salive? 20 Si j'ai péché, que puis-je te faire, ô Gardien des hommes? Pourquoi me mettre en butte à tes traits, et me rendre à charge à moi-même? 21 Que ne pardonnes-tu mon offense? Que n'oublies-tu mon iniquité? Car bientôt je dormirai dans la poussière; tu me chercheras, et je ne serai plus.

Epargne-moi, Seigneur, mes jours en effet sont néant. Qu'est ce que l’homme que tu le magnifies ou pourquoi ton amour envers lui? Tu le visites dès l’aurore et aussitôt tu l’éprouves. Jusqu'à quand m’accableras-tu? Ne me laisseras-tu pas en paix pour que je puisse avaler ma salive? Oui, j’ai péché. Que ferai-je pour toi, ô gardien des hommes? Pourquoi t’es-tu mis contre moi et suis-je à charge à moi-même? N'enlèveras-tu pas mon péché, n’emporteras-tu pas mon iniquité? Voici! je m’endormirai donc dans la poussière et le matin, si tu me cherches, je ne serai plus.

 

Après avoir montré que la consolation d’Eliphaz en la promesse de la félicité terrestre au lieu de cela le conduisait au désespoir et au désir de la mort, Job montre ce qu’il lui reste à espérer de la part de Dieu c’est-à-dire de voir sa tribulation prendre fin et c’est ce qu’il dit : Epargne-moi, Seigneur, comme s’il disait : j’abandonne l’espoir d’une félicité terrestre; il me suffit que tu m’épargnes c’est-à-dire que tu cesses de me frapper. Et parce que la faiblesse et le malheur provoquent ordinairement la clémence, il ajoute : Mes jours en effet sont néant : à savoir la faiblesse de l’homme et la brièveté de la vie, et en général pour tout le monde et spécialement pour lui-même dont les jours sont comptés.

Il poursuit d’abord au sujet de la faiblesse et il dit : Qu’est-ce que l’homme, combien petit et infirme selon le corps, que tu le magnifies d’un grand honneur parmi les autres créatures? Ou pourquoi ton amour en lui à savoir l’entourant d’un soin spécial et le protégeant? Il faut ici remarquer que quoique tout soit soumis à la divine Providence et que tout obtienne de Dieu sa grandeur selon son état, Cependant il faut distinguer. Comme en effet tous les biens particuliers qui sont dans l’univers sont en vue du bien commun de l’univers, Comme la partie au tout et l’imparfait au parfait, les choses sont donc disposées par la divine providence dans leur rapport à l’univers. Or Selon qu’elles participent à la perpétuité elles ont un rapport essentiel a la perfection universelle et selon qu’elles y font défaut leur rapport est accidentel et non pour soi. Et donc ce qui est perpétuel est pour lui-même disposé par Dieu et ce qui est corruptible l’est pour un autre. Ce qui donc est perpétuel spécifiquement et individuellement Dieu le gouverne pour soi; ce qui est corruptible individuellement et perpétuel selon l’espèce seule, est pour soi dispensé par Dieu selon l’espèce et individuellement en vue seulement de l’espèce, comme le bien et le mal qui arrivent chez les animaux; ainsi cette brebis que ce loup dévore, ou autre chose de ce genre, cela n’est pas voulu par Dieu en tant que mérite ou démérite de ce loup ou de cette brebis mais pour le bien de l’espèce, parce que à chaque espèce est destinée par Dieu sa propre nourriture; et voilà pourquoi il dit : ou pourquoi ton amour envers lui à savoir en t’en souciant pour son bien. Or il ne met pas son souci pour chacune des bêtes mais pour le bien de l’espèce qui peut se perpétuer.

Quel est cet amour envers l’homme, il le montre en disant : Tu le visites dès l’aurore. A savoir depuis sa naissance tu lui fournis ce qui est nécessaire à la vie et à son accroissement tant corporel que spirituel. Et aussitôt tu l’éprouves par les adversités qui éprouvent sa vertu; parce que selon l’Ecriture : "La fournaise éprouve le vase du potier et la tribulation éprouve les justes" (Ecclé 27, 6). Si Dieu éprouve l’homme ce n’est pas pour savoir lui-même quel est tel homme mais pour le faire connaître aux autres et pour qu’il se connaisse. Ces paroles ne désapprouvent pas la sollicitude de Dieu pour les hommes mais elles sont une recherche et un étonnement; en effet ce qui apparaît extérieurement de l’homme est petit, fragile et caduque. D’où il est étonnant que Dieu ait tant de souci pour l’homme à moins d’une secrète aptitude à la perpétuité. Cet étonnement et cette recherche excluent la sentence d’Eliphaz; car si la vie humaine n’était que pour ici-bas l’homme ne serait pas digne d’une telle sollicitude de la part de Dieu. Donc ce souci même de Dieu démontre qu’il y a une autre vie pour l’homme après la mort du corps.

La seconde raison qu’il a d’être épargné est la brièveté de la vie et il la propose sous forme interrogative Jusques à quand m’accableras-tu? Comme de dire, le temps de l’homme est court et mes jours sont comptés. Si tu veux m’épargner quand donc viendra ce jour pour un bref moment de repos? Ce qu’il signifie par ce qui suit Ne me congédieras-tu pas pour que je puisse avaler ma salive? En parlant on ne peut en effet déglutir. Il est donc nécessaire qu’en parlant on fasse une pause ou pour expectorer ou pour avaler; le reste de sa vie il le compare à ce court instant, comme s’il disait, si tu remets à plus tard il ne restera même pas ce petit instant semblable à la pause qu’il faut pour avaler quand on parle. Et cela est aussi une conséquence de la position d’Eliphaz : comme s’il n’y avait pas d’autre vie pour l’homme que celle de la terre; il ne restera pas de temps où Dieu puisse nous épargner si sur terre il rie nous épargne pas.

Quelqu’un pourrait dire que Job n’est pas digne d’être épargné de Dieu, car ses péchés lui valent d’être ultérieurement affligé, selon la sentence d’Eliphaz qui le jugeait puni pour ses péchés. Et donc il ajoute : J’ai péché, comme de dire : soit, j’ai péché et mérite un châtiment, il reste encore un motif pour lequel tu dois m’épargner; et il y apporte trois raisons prises de l’infirmité humaine. La première est que l’homme est impuissant à satisfaire pour ses péchés car par ses propres forces il ne peut rien faire qui soit digne en compensation de l’offense faite à Dieu; et il le dit : Que ferai-je pour loi, ô gardien des hommes? à savoir, situ as un tel souci des hommes comme étant leur gardien pour exiger d’eux le compte de chacune de leurs actions, je ne dispose pas de forces peur faire ce qui m’obtiendrait de toi le pardon de mes péchés. Et donc s’il faut attendre qu’il en soit ainsi, tu ne m’épargneras jamais; et donc malgré cela, épargne moi.

La seconde est l’impuissance à persévérer; l’homme en effet après la corruption de sa nature ne peut persévérer sans la grâce de Dieu; d’où l’Ecriture sainte dit habituellement que Dieu endurcit ou aveugle en ce qu’il n’accorde pas sa grâce qui nous adoucit et nous éclaire; et d’après cela il dit : Pourquoi t’es-tu mis contre moi : à savoir, pourquoi ne m’as-tu pas donné la grâce de persévérer pour que tu ne me sois pas contraire à cause du péché? Celui en effet qui pèche, pour autant qu’il est en lui, est contraire à Dieu en s’opposant aux commandements de Dieu, soit transmis dans la loi écrite soit ancrés dans la raison. Il faut savoir que la raison humaine est plus forte que toutes les autres puissances de l’âme et la preuve en est qu’elle leur commande et qu’elle les utilise à ses fins. Or il arrive parfois que la concupiscence ou la colère ou d’autres forces inférieures troublent légèrement la raison et ainsi pèche. Cependant les forces inférieures ne peuvent pas lier la raison de telle sorte qu’elle ne puisse revenir à sa nature par laquelle l’homme tend aux biens Spirituels comme à sa propre fin. Ainsi donc se fait une lutte, aussi de l’homme contre lui-même, lorsque la conscience fait des reproches à la raison parce qu’elle a. péché, absorbée par la passion ou par la colère; et comme le péché commis ajoute : dans les forces inférieures une propension aux mêmes actions, à cause de cette habitude acquise la raison ne peut se servir librement des forces inférieures, c’est-à-dire en Vue des biens supérieurs et se soustraire aux choses inférieures. Et c’est ainsi que l’homme est devenu contraire à Dieu par le péché et qu’il en est lui-même accablé et il le dit : Pourquoi suis-je à charge à moi-même? En quoi il apparaît que le péché a aussitôt son châtiment; et ainsi après le châtiment l’homme est-il plus facilement épargné.

La troisième raison (pour laquelle Dieu doit l’épargner) est l’impuissance de l’homme à se purifier du péché. En effet l’homme tombe dans le péché par lui-même; mais il appartient à Dieu seul de remettre le péché, et donc Job s’enquiert si la peine doit durer aussi longtemps qu’il y a péché, et toi seul peut ôter le péché, Pourquoi n’enlèves-tu pas mon péché que j’ai commis contre toi ou contre moi- même?

N’emporteras-tu pas mon iniquité si j’ai offensé le prochain en quelque chose. Il faut remarquer ici que ces questions Job ne les fait pas comme pour s’enquérir témérairement des jugements de Dieu mais pour anéantir la fausseté de la position de ses adversaires, à savoir qu’en cette vie uniquement il fallait attendre de Dieu les biens ou les maux pour les actions humaines. Si l’on admet cela toute l’économie des jugements divins est ébranlée par lesquels il punit à cause Discours de Baldad des péchés ou remet les péchés selon qu’il prédestine les hommes a la vie future ou les réprouve. Or s’il n’y avait pas de vie future mais l'allégorie du jonc seulement présente, il n’y aurait aucune raison de différer d’épargner ceux que Dieu veut épargner ou les justifier et les rémunérer. Et donc Job pour découvrir son intention dit : Voici, je m’endormirai mainte nant dans la poussière, car toute proche est la fin de ma vie puisque je mourrai pour être réduit en poussière, et comme la mort est incertaine, je ne puis attendre le temps de vivre encore, en effet pour moi le jour de demain est déjà fini et il ajoute : donc : Et au malin situ me cherches je ne seras plus, comme s’il disait je ne puis me promettre le temps de vivre jusqu’au matin et encore moins de longs jours ou je peux espérer que tu m’épargneras, s’il n’y a pas d’autre vie.

Il faut noter que Job procède par manière de dispute dans laquelle il suffit des le début de repousser la fausseté d’une opinion et ensuite de faire connaître ce qu’on pense quant a la vente Il faut aussi noter que Job a développé trois choses en ce discours, ou raisons pour lesquelles Dieu l’a éprouvé; d’abord Dieu a voulu empêcher le mal qu’il aurait pu causer aux autres et il touche cette raison quand il dit Est-ce que je suis la mer ou un cétacé pour que tu m’enfermes dans une prison? Ensuite pour qu’il se connaisse lui-même et que sa vertu soit manifestée et il dit : Tu le visites dès l’aurore et aussitôt tu l’éprouves. Enfin pour expier ses péchés, et il dit : J’ai péché; que ferai-je pour toi, ô gardien des hommes?

 

 

Caput 8

Job 8 — Discours de Baldad - l’allégorie du jonc

 

CONFÉRENCE 1 — Baldad : "Dieu est juste" (Job 8, 1-7)

 

1 Alors Baldad de Suhé prit la parole et dit : 2 Jusques à quand tiendras-tu ces discours, et tes paroles seront-elles comme un souffle de tempête? 3 Est-ce que Dieu fait fléchir le droit, ou bien le Tout-Puissant renverse-t-il la justice? 4 Si tes fils ont péché contre lui, il les a livrés aux mains de leur iniquité. 5 Pour toi, si tu as recours à Dieu, si tu implores le Tout-Puissant, 6 si tu es droit et pur, alors il veillera sur toi, il rendra le bonheur à la demeure de ta justice; 7 ton premier état semblera peu de chose, tant le second sera florissant.

1 Baldad de Shouah répondit : 2 Jusques à quand en diras-tu de pareilles? Et grande confusion est dans ton discours. 3 ferait-il un accroc à la justice ou le Tout-Puissant renverserait-il le droit? Il est bien vrai que tes fils ont péché et il les a abandonnés à leur sort inique; 5 mais toi si tu te lèves dès l’aurore, te tournant vers Dieu; et si tu supplies le Tout-Puissant, 6 Si tu marches dans la pureté et le droit; aussitôt il s’éveillera et te rendra la paix, et il restaurera la demeure de ta justice, 7 à telles enseignes que si le passé a été sombre, ton avenir n’en sera que plus riche.

[84906] Super Iob, cap. 8 Respondens autem Baldath Suites et cetera. In superioribus beatus Iob dictis Eliphaz responderat eius sententiam efficaciter et profunde evacuando; sed Baldath Suites in eadem sententia cum Eliphaz concordans profunditatem beati Iob non comprehenderat, et ideo contra responsionem beati Iob loquitur sicut solent homines loqui contra sententias non intellectas. Homines autem non comprehendentes mentes loquentium in duobus deficere solent, quorum unum est quia nesciunt quando ille qui loquitur ad finem propositum pervenerit, aliud est quia ordinationem sermonum loquentis capere non possunt. Et hoc in verbis Baldath manifeste apparet, dicitur enim respondens autem Baldath Suites dixit: usquequo loqueris talia? Videbatur enim ei quod nimis protraxisset sermonem, non considerans nec intelligens ad quem finem Iob suum sermonem perducere volebat; similiter etiam neque ordinationem eorum quae Iob dixerat, qualiter scilicet ad invicem compacta erant, capiebat, et ideo subiungit et spiritus multiplex sermonis oris tui? Reputabat enim, quia Iob multa protulerat quorum ordinem ipse non capiebat, quod essent verba dissuta et quasi hominis sine ratione ex impetu spiritus varia loquentis absque ordine rationis. Et quia, ut dictum est, Baldath intentionem Iob non comprehenderat, eius verba in alia intentione accipiens ad inconveniens deducere conatur. Volens enim Iob superius excludere sententiam Eliphaz ponentis quod adversitates in hoc mundo pro peccatis hominum contingebant et quod peccatores flagellati a Deo si convertantur ad statum prosperitatis reducentur, contra utrumque locutus fuerat: nam contra primum, ut supra expositum est, dixerat utinam appenderentur peccata mea et calamitas quam patior in statera. Contra secundum dixerat desperavi, nequaquam ultra iam vivam, et multa huiusmodi ut ex superioribus patet. Haec autem dicebat Iob intendens quod poena peccatorum et iustitiae praemium non sunt expectanda a Deo in hac vita; Baldath autem, qui aliam vitam nesciebat, sic accepit haec verba ac si Iob intenderet dicere quod Deus peccata non punit nec benefacta remunerat, quod videtur esse divinae iustitiae contrarium, et ideo Baldath proponit dicens numquid Deus supplantat iudicium et omnipotens subvertit quod iustum est? Quasi dicat: hoc sequitur ex tuis verbis si homines in hoc mundo absque peccato punit aut ultra mensuram peccati, vel si ad se reversis bona non reddit. Et notandum est quod iustitia dupliciter corrumpitur, scilicet per astutiam alicuius sapientis et per violentiam alicuius potentis; in Deo autem utrumque est, et perfecta sapientia et omnipotentia, nec tamen per sapientiam quae nomine Dei intelligitur quasi astute agens supplantat iudicium, neque per omnipotentiam quasi violenter subvertit quod iustum est. Duo autem erant quae videbantur impedire Iob ne pristina prosperitas ei restitui posset etiam si converteretur ad Deum, ut Eliphaz dixerat, quorum unum erat quia filii quos amiserat mortui erant, nec expectari poterat quod resuscitarentur per suam conversionem ad vitam, et ideo Baldath dicit etiam si filii tui peccaverunt ei, et dimisit eos in manu iniquitatis suae, quasi dicat: cum tu conversus fueris ad Deum, illa recuperabis quae pro peccatis tuis amisisti; filii autem tui morte oppressi sunt non propter peccata tua sed propter peccata eorum, unde non est contra sententiam Eliphaz - qua dixerat quod per conversionem redibis ad prosperitatem -, si filii tui te converso non resuscitentur. Et notandum est quod quia poenas praesentis vitae pro peccatis accidere credebat, ultima autem poenarum praesentium est mors, tunc homo videtur perfecte pro peccato punitus quando usque ad mortem pro peccato perducitur; et ideo signanter dicit et dimisit eos in manu iniquitatis suae, quasi in potestate peccatorum suorum, ut absque aliquo retinaculo usque ad ultimam poenam pro peccatis deducerentur. Aliud autem est, quod reditum ad pristinam prosperitatem impedire videbatur, quod plurimum tempus vitae Iob iam transierat et parvum restabat, ut Iob supra dixerat, unde non videbatur quod in illo modico tempore sufficienter sibi pristina prosperitas posset restitui etiam si converteretur ad Deum; et ideo Baldath ei promittit post conversionem recompensationem fiendam quantitatis ad tempus, ut scilicet multo maiora bona obtineat quam prius habuit per hoc quod modico tempore ea esset habiturus. Et ideo Baldath primo describit ei modum debitae conversionis, ad quam tria requiruntur, quorum primum est ut peccator absque mora a peccato surgat, et hoc est quod dicit tu tamen si diluculo, idest tempestive, consurrexeris ad Deum, relictis peccatis, secundum illud Eccli. V 8 ne tardes converti ad dominum; secundum est ut homo pro peccatis satisfaciat, et quantum ad hoc dicit et omnipotentem fueris deprecatus: inter satisfactionis enim opera quasi praecipuum videtur esse oratio; tertium est ut homo perseveret cavens sibi a recidivo peccati, et ideo dicit si mundus et rectus incesseris, scilicet cavens tibi ab immunditiis carnis et ab iniustitiis quibus laeditur proximus. Sic autem perfecta conversione descripta, subiungit promissionem prosperitatis dicens statim evigilabit ad te: Deus enim quasi dormire videtur cum iustos affligi permittit, evigilare autem quando eos defendit, secundum illud exurge, quare obdormis, domine? Et effectum huius evigilationis subiungit dicens et pacatum reddet habitaculum iustitiae tuae, quasi dicat: domus et familia tua tempore peccati tui fuit perturbata, sed tempore iustitiae tuae pacem habebit. Et ne posset conqueri de temporis brevitate, repromittit excessum prosperitatis dicens intantum ut priora tua fuerint parva, scilicet comparatione sequentium, et hoc est quod subdit et novissima tua multiplicentur nimis, ita quod magnitudo prosperitatis recompenset tibi tempus quo in adversitate fuisti. Interroga enim generationem pristinam et cetera. Baldath Suites in praecedentibus eandem sententiam cum Eliphaz Themanite defendens, proposuerat homines pro peccato in praesenti vita divinitus punitos post conversionem ad prosperitatis statum redituros, quod quidem ex nunc probare intendit. Probat autem dupliciter: primo quidem ex experimento, secundo ex similitudine. Experimentum enim in rebus particularibus maxime efficax est ad probandum, et tanto magis quanto diuturnius est observatum et infallibile inventum. Ea autem quae diuturnitatem temporis requirunt per antiquorum memorias maxime comprobantur, et ideo ad propositi probationem recurrit ad antiquorum memorias, et quantum ad antiquos cum dicit interroga enim generationem pristinam, et quantum ad immediate praecedentes cum dicit et diligenter investiga patrum memoriam, idest ea quae patres tui in memoria habent. Interrogatio autem generationis pristinae est considerando antiquorum gestorum scripta et ea quae de antiquis per famam feruntur; et quia de rebus antiquis multa fabulose et scribuntur et narrantur, ne ex hoc aliquis se falli reputaret, remittit ad patres qui narrare possunt ea quae viderunt. Necessitatem autem huius investigationis ostendit subdens hesterni quippe sumus, quasi heri nati, et ignoramus propter hoc antiqua; et hoc quidem dicit ad ostendendam vitae nostrae brevitatem, unde subdit quoniam sicut umbra dies nostri sunt super terram: umbra enim cito transit, statim scilicet dum removetur obstaculum lucis, et dum corpus movetur ad cuius obiectum fit umbra, prior umbra transit et alia succedit: ita et dies hominis sunt in continuo transitu dum alii aliis succedunt. Quid autem ex praecedenti investigatione utilitatis assequatur, ostendit subdens ipsi, scilicet pristini et patres interrogati, docebunt te veritatem super praemissis, vel verbis patres, vel scriptis et fama antiqui; et de corde suo proferent eloquia, quod subdit ad ostendendam veritatem huius doctrinae, quasi dicat: non aliud docebunt quam quod corde senserunt quia nulla inest causa eis decipiendi. Deinde inducit similitudinem ad propositi probationem ex rebus corporalibus sumptam. Et ponit exemplum de duobus terraenascentibus, quorum unum ad sui conservationem exigit humorem in terra, scilicet scirpus, idest iuncus, unde dicit numquid vivere potest scirpus absque humore? Aliud autem requirit loca aquosa, scilicet carices, et sunt herbae latae et in summitate acutae quae non crescunt nisi in locis aquosis, unde subdit aut crescere carectum sine aqua? Dicitur enim carectum locus in quo huiusmodi herbae crescunt; et quod scirpus humorem requirat et carectum aquam, ostendit quia per solam subtractionem humoris aut aquae faciliter desiccantur, nulla alia causa desiccationis existente. Est autem duplex causa in aliis terraenascentibus desiccationis: una est naturalis propter antiquitatem, alia est violenta quando evelluntur; utraque autem causa cessante, scirpus et carectum arefiunt ex sola subtractione humoris et aquae, et hoc est quod dicit cum adhuc sit in flore, idest cum adhuc sit in sua iuventute et suo vigore, per quod excluditur temporis antiquitas, nec carpatur manu, per quod excluditur violentia, ante omnes herbas arescit, idest prae omnibus aliis herbis facilius. Hoc autem adaptat ad propositum. Ubi considerandum est quod adhaesionem hominis ad Deum hoc modo intellexit esse causam prosperitatis mundanae sicut humor est causa viriditatis herbae, et hoc ideo quia bonum hominis aestimabat esse prosperitatem terrenam; bonum autem hominis manifestum est esse ex hoc quod homo Deo inhaeret, et ideo credidit quod ex quo Deo non inhaeret eius prosperitas terrena deficiat: quod quidem verum est de felicitate spirituali quae est verum hominis bonum, non autem de prosperitate terrena quae inter minima bona computatur utpote organice deserviens ad veram hominis felicitatem; et ideo subdit sic viae omnium qui obliviscuntur Deum, et spes hypocritae peribit. Ubi considerandum est quod duobus supra positis duo hic correspondentia subdit: carectum enim manifestam aquam requirit ad sui viriditatem et per eius subtractionem arescit, scirpus autem requirit aquam in terra occultatam et eam humectantem et per eius defectum siccatur; similiter et aliqui sunt qui secundum eius sententiam pereunt propter hoc quod eis subtrahitur in manifesto adhaesio ad Deum, scilicet quia opera manifeste agunt Deo contraria, quos significat per eos qui obliviscuntur Deum: qui enim manifeste male agere non formidant, omnino Dei reverentiam postponere videntur et eum in memoria non habere; aliqui autem sunt qui secundum eius sententiam pereunt propter subtractionem occultae adhaesionis ad Deum, et hi sunt hypocritae qui exterius praetendunt ac si Deo inhaereant sed cor eorum est ad terrena: et ideo de hypocrita loquens nominavit spem, de obliviscentibus Deum nominavit vias, idest operationes, quia eorum opera sunt aversa a Deo, hypocritae autem spes. Quomodo autem spes hypocritae pereat, ostendit cum subdit non ei placebit vecordia sua, ubi considerandum est quod hypocrita cor habet vanum quidem et negligens ad spiritualia sed quantum ad temporalia sollicitum, et hoc quidem ei placet quandiu in temporalibus ei bene succedit secundum quod sperat; si autem ei temporalia subtrahantur, tunc necesse est quod ei displiceat quod circa Deum cor verum et firmum non habuit. Dicit ergo non ei placebit vecordia sua, idest adversitate veniente displicebit ei quod ad Deum cor rectum non habuit; et sollicitudo eius quam circa temporalia habuit omnino deficiet, et hoc est quod subdit et sicut tela aranearum fiducia eius, idest ea in quibus confidebat de facili frangentur sicut aranearum tela: confidebat enim non in divino auxilio sed in domus suae fortitudine, idest in abundantia divitiarum, multitudine consanguineorum et aliis huiusmodi, sed haec ei de facili deficient, unde sequitur innitetur super domum suam, idest fiduciam habebit suae stabilitatis in prosperitate domus suae, et tamen non stabit, quia cum deerit ei divinum auxilium ruet. Contingit autem quod aliquis in futurum adversa prospiciens aliqua adminicula sibi et domui suae contra adversa parat, sed et hoc ei non valebit, sequitur enim fulciet eam, aliquibus scilicet remediis contra adversa, sicut domui quae minatur ruinam fulcimenta aliqua adhibentur, et tamen non consurget vel ipse vel domus sua ad prosperitatis statum. Ad hanc autem sententiam quam de fragilitate fiduciae dixerat praemissam similitudinem de scirpo adaptat. Ex duobus enim de scirpo fiducia haberi videtur: primo quidem ex propria viriditate, quae tamen adveniente sole et desiccante terrae humorem cito deficit, et quantum ad hoc dicit humectus videtur, scilicet scirpus, antequam veniat sol, qui eius viriditatem tollat; et in ortu suo, scilicet scirpi, germen eius egreditur: cito enim crescere et proprium fructum facere videtur; et similiter hypocrita quia a principio arridet sibi fortuna proficere videtur, sed veniente sole, idest tribulatione, cito prosperitas eius deficit. Secundo potest haberi fiducia de scirpo ex aliis, scilicet vel ex multitudine aliorum scirporum ei coadhaerentium, vel ex soliditate loci in quo crescit dum nascitur in loco lapidoso: et ideo consequenter dicit super acervum petrarum radices eius, scilicet scirpi, densabuntur, inquantum simul coniunguntur multorum scirporum radices, quod dicit quantum ad primum; quantum ad secundum dicit et inter lapides commorabitur; ita etiam et aliquis hypocrita potest habere fiduciam de sua stabilitate, non solum propter prosperitatem propriam sed etiam propter multitudinem consanguineorum et domesticorum, aut etiam propter fortitudinem regni aut civitatis in qua inhabitat. Sed haec fiducia eius deficit ei sicut et circa scirpum accidit, sequitur enim si absorbuerit eum, scilicet scirpum, aliquis de loco suo, locus eius negabit eum et dicet: non novi te, quasi dicat: ita scirpus de loco suo evellitur quod nec vestigium eius in loco apparet nec locus eius aliquid operatur ad hoc quod ille idem scirpus iterum inseratur. Et causam subiungit dicens haec est enim laetitia viae eius - vel vitae eius - ut rursum de terra alii germinentur, quasi dicat: processus et vita scirporum in aliquo loco commorantium non ad hoc naturali appetitu tendit, nec per hoc conservatur, quod idem numero scirpus qui ereptus est reinseratur, sed ad hoc quod alii eiusdem speciei renascantur; ita etiam est cum aliquis per mortem aut alio modo ab aliqua fortium societate separatur, statim quasi oblivioni traditur, secundum illud Psalmi oblivioni datus sum tamquam mortuus a corde, sed huiusmodi societas gaudet in his qui ei succedunt, secundum illud Eccl. IV 14 alius natus in regno inopia consumatur. Vidi cunctos viventes qui ambulant sub sole cum adolescente secundo qui consurgit pro eo. Haec autem ad hoc introducta sunt ut ostendat quod etsi aliqua prosperitas interdum malis eveniat, non tamen est firma de qua confidere possint, sed cito transit, unde pro nihilo reputanda est. Ex omnibus autem supra dictis ostendit consequenter quid intendat dicens Deus non proiciet simplicem, idest a se eum non elongabit ut eum non sustentet qui simplici corde ei adhaeret; nec porriget manum malignis, idest non dabit eis auxilium ut eorum prosperitas confirmetur. Et quia posset dicere Iob: quicquid tu dicas et similitudinibus confirmare velis, tamen ego contrarium in me sum expertus, qui cum simplex essem adversitatem patior et maligni adversarii mei contra me praevaluerunt, ideo ad hoc excludendum subiungit donec impleatur risu os tuum et labia tua iubilo, quasi dicat: hoc quod dixi intantum verum est quod hoc in te senties, si tamen fueris simplex, ita scilicet quod ex prosperitate quae subsequetur laetitia tua prorumpet in risum et iubilum, quae solent ex magnitudine gaudii provenire; et e contrario, qui oderunt te induentur confusione, idest manifeste ac multipliciter confundentur ut sic sit eis confusio quasi vestimentum. Et ne hoc alicui videatur impossibile propter prosperitatem praesentem qua videntur florere, subiungit et tabernaculum impiorum non subsistet: per tabernaculum enim, in quo plurimi Orientalium habitare consueverunt et suas divitias et supellectiles habere, potest intelligi omne illud quod pertinet ad prosperitatem vitae praesentis. Considerandum est autem quod ideo Baldath de hypocrita et simplici fecit mentionem quia aestimabat Iob non vere sanctum sed hypocritam fuisse, et quod propterea prosperitas eius firma non fuerit, sed si simplex esse inceperit promittit ei prosperitatem affuturam.

Dans ce qui précède le bienheureux Job a répondu à Eliphaz réduisant à néant efficacement et avec profondeur sa sentence; mais Baldad de Shouah abonde dans le même sens qu’Eliphaz. Et donc il attaque la réponse du bienheureux Job comme ont l’habitude de faire ceux qui attaquent des sentences qu’ils n’ont pas saisies. Ceux qui te comprennent pas les idées de leur interlocuteur manquent en deux choses, dont la première est qu’ils ne se rendent pas compte que l’interlocuteur a achevé son discours; ensuite ils ne saisissent pas l’ordre de son discours. Et c’est ce qui apparaît clairement dans les paroles de Baldad de Shouah en effet Baldad de Shouah répondit : Jusques ci quand en diras-tu de pareilles? Pour lui Job avait parlé trop longue ment; il ne saisissait pas et il ne voyait pas ce que voulait Job en prolongeant son discours. Semblablement aussi il ne se rendait aucun compte de l’ordre de ses pensées et donc il dit : Et grande confusion est dans ton discours. Il jugeait donc (puisque Job avait proféré nombre de choses dont il ne démêlait pas l’ordonnance) que c’était là des paroles décousues et d’un homme sans raison, parlant de beau coup de choses, dans la précipitation sans ordre rationnel.

Et comme Baldad, comme on vient de le dire, n’avait pas compris l’intention de Job, prenant ces paroles en une autre intention, il essaie d’en tirer les inconvénients. En effet Job avait voulu, par ce qu’il avait dit, écarter le jugement d’Eliphaz, lequel posait que les adversités en ce monde provenaient des péchés des hommes et que les pécheurs que Dieu châtie s’ils se convertissent, reviendront à leur prospérité : et contre ces deux choses Job s’était exprimé. Car contre la première il avait dit : "Puissent mes péchés être mis dans la balan ce" et contre la seconde : "Je suis au désespoir et je ne puis vivre plus longtemps" et beaucoup de choses de ce genre comme il ressort de ce qui est dit plus haut. Or Job disait ces choses tendant à montrer que le châtiment des péchés et les récompenses des justes ne sont pas à attendre de la part de Dieu en cette vie. Mais Baldad, qui ne connaît pas une autre vie, prend ces paroles comme si Job voulait dire que Dieu ne punit pas les péchés ni ne rémunère les bonnes actions; ce qui semble bien être contraire à la divine justice et donc Baldad de proposer : Dieu ferait-il accroc à la justice et le tout-puissant renverserait-il le droit? Comme s’il disait : c’est ce qui suit de tes dires s’il punit en ce monde les hommes sans qu’ils aient péché, ou au-delà de la mesure de leurs péchés, ou s’il ne restitue pas leurs biens à ceux qui reviennent à lui. Et il faut noter que la justice est détruite de deux manières : par l’astuce et par la violence. Or Dieu est sage mais sans astuce; il est puissant mais sans violence. Et cependant la sages se qui est le nom même de Dieu ne peut comme par une astuce faire accroc à sa justice, ni sa toute puissance comme par la violence renverser ce qui est juste.

Et deux choses empêchaient Job de retrouver sa prospérité d’an tan même si, au dire d’Eliphaz, il se convertissait à Dieu, la première est que ses fils qu’il avait perdus, étaient morts et qu’il ne fallait pas s’attendre a les voir ressuscites en revenant a la vie Et donc Baldad dit : Il est bien vrai que tes fils ont péché et que Dieu les a abandonnes a leur sort inique, autrement dit quand tu seras converti a Dieu, tu retrouveras ce que tu as perdu pour tes péchés. Or tes fils sont morts non a cause de tes péchés mais a cause des leurs Ce n’est donc pas contre la sentence d’Eliphaz que ta conversion ramènera la prospérité, si toi converti, tes fils ne ressuscitent pas Baldad croyait que les peines de la vie présente provenaient du péché et que la dernière de ces peines est la mort, donc l’homme est parfaitement puni pour ses péchés quand ceux-ci le conduisent jusqu’a la mort et donc il ajoute : ceci et Dieu les a abandonnes a leur juste sort à savoir au pouvoir de leurs péchés pour que sans le moindre adoucissement ils soient conduits jusqu’a l’ultime peine pour leurs péchés.

La deuxième chose qui l’empêchait de retrouver son bonheur passé était que la majeure partie de la vie de Job avait passe et qu’il ne lui restait plus que peu de temps à vivre, comme il l’avait dit plus haut; et donc ce peu de temps ne suffirait pas à i entièrement sa prospérité passée même s’il se convertissait à Dieu. Et donc Baldad lui promet de recouvrer ses possessions pour un temps en ce sens qu’il retrouvera des biens beaucoup plus grands qu’avant à cause qu’il en jouirait moins longtemps. Et donc Baldad lui décrit d’abord ce qu’est une vraie conversion à laquelle trois choses sont requises : d’abord qu’il ne tarde pas à se relever de ses péchés et c’est ce qu’il exprime : Si tu te lèves dès l’aurore, à savoir : assez tôt; si tu te tournes vers Dieu, abandonnant ta vie de péché, selon qu’il est écrit : "Ne tardes pas à te convertir au Seigneur" (Sir. 5, 8). Ensuite l’homme doit satisfaire pour ses péchés, et quant à cela il dit : Et si tu supplies le Tout-Puissant; en effet parmi les œuvres satisfactoires la première est la prière. Enfin l’homme doit persévérer se gardant de retomber dans le péché et donc il dit : si tu marches dans la pureté et la droiture, à savoir si tu te gardes des impuretés de la chair et des injustices qui font tort au prochain. Après avoir décrit la conversion, il adjoint la promesse du bonheur en disant : Aussitôt (Dieu) s’éveillera pour toi, car Il est endormi quand Il permet l’affliction des justes et il s’éveille quand il les défend, selon le psaume : "Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur?" (43, 23). Et l’effet de ce réveil, il l’ajoute en disant : Et il rendra paisible la demeure de ta justice; comme s’il disait : Ta demeure et ta famille au temps de ton péché étant réprouvées furent dans le trouble, mais au temps de ta justice elles auront la paix.

Et pour qu’il ne puisse se plaindre de ce temps très court il lui promet en outre un surcroît de prospérité en disant : A telles enseignes que si ton passé fut malheureux, à savoir comparé à ce qui suivra, et donc il dit : Ton avenir n’en sera que plus riche : une grande prospérité compensera pour toi le temps ou tu fus dans l’adversité.

 

CONFÉRENCE 2 — Baldad : "La pensée "correcte" sur la justice de Dieu" (Job 8, 8-22)

 

8 Interroge les générations passées, sois attentif à l'expérience des pères : 9 car nous sommes d'hier, et nous ne savons rien, nos jours sur la terre passent comme l'ombre; 10 ne vont-ils pas t'enseigner, te parler, et de leur cœur tirer des sentences : 11 " Le papyrus croît-il en dehors des marais? Le jonc s'élève-t-il sans eau? 12 Encore tendre, sans qu'on le coupe, il sèche avant toute herbe. 13 Telles sont les voies de tous ceux qui oublient Dieu; l'espérance de l'impie périra. 14 Sa confiance sera brisée; son assurance ressemble à la toile de l'arraignée. 15 Il s'appuie sur sa maison, et elle ne tient pas; il s'y attache, et elle ne reste pas debout. 16 Il est plein de vigueur, au soleil, ses rameaux s'étendent sur son jardin, 17 ses racines s'entrelacent parmi les pierres, il plonge jusqu'aux profondeurs du roc. 18 Si Dieu l'arrache de sa place, sa place le renie : Je ne t'ai jamais vu. 19 C'est là que sa joie se termine, et du même sol d'autres s'élèveront après lui." 20 Non, Dieu ne rejette pas l'innocent, il ne prend pas la main des malfaiteurs. 21 Il remplira ta bouche d'éclats de rire, et mettra sur tes lèvres des chants d'allégresse. 22 Tes ennemis seront couverts de honte, et la tente des méchants disparaîtra.

8 En effet interroge les générations; scrute attentivement le souvenir de tes pères. 9 car nous sommes d’hier et ignorants parce que nos jours comme une ombre s’écoulent sur la terre. Eux t’enseigneront, ils te parleront et ils proféreront les pensées de leur cœur. Le jonc peut-il vivre sans humidité? La laîche croîtra-t-elle sans eau? 12 Lorsqu'elle est encore en fleur et qu'on ne l’a pas de)à cueillie elle se dessèche avant toutes les plantes. 13 Ainsi sont les voies de tous ceux c oublient Dieu et l’espoir de l’hypocrite sera déçu. 14 Sa démence ne lui plaira pas et comme une toile d’araignée est son assurance. 15 Il s’appuie sur sa maison branlante; il l’étançonne mais elle s’écroule. 16 Il est verdoyant avant que vienne le soleil et commence de pousser des bourgeons. 17 Sur un tas de pierres denses sont ses racines et parmi les pierres il subsistera. 18 Si on l’arrache de son endroit lequel ne le reconnaîtra plus et dira : Je ne t’ai pas connu. 19 Ceci est en effet le charme de ma vie que d’autres germent de nouveau de la terre. 20 ne rejette pas l’homme simple et il ne tend pas la main au méchant, 21 jusqu’à ce que ta bouche éclate de rire et tes lèvres, d’allégresse. 22 Ceux qui t’ont haï se couvriront de honte, la tente des impies ne subsistera pas.

Baldad de Shouah vient de défendre la même sentence qu’Eliphaz de Theman qui avait posé que les hommes étaient punis par Dieu en la vie présente à cause du péché et qu’après leur conversion ils retrouveraient la prospérité. Il veut prouver cela de deux manières en s’appuyant sur l’expérience d’abord et par une métaphore ensuite. Dans les choses particulières en effet l’expérience apporte la plus efficace des preuves et ce dans la mesure même où une plus longue observation nous donne une certitude. Or ce qui exige un long espace de temps se prouve surtout par les souvenirs des anciens; et donc pour faire la preuve de ce qu’il avance il a recours aux souvenirs des anciens : quant aux anciens lorsqu’il dit : Interroge en effet la génération d’autrefois et quant à ceux qui précèdent plus immédiatement lorsqu’il dit : Scrute attentivement le souvenir de tes pères c’est-à-dire ce qu’ils ont en leur mémoire : Interroger la génération d’autrefois c’est considérer les écrits sur les actions des anciens et ce qu’en rapporte la renommée. Mais on a écrit et raconté beaucoup de choses légendaires sur le passé; et pour qu’on ne se trompe pas il renvoie aux pères qui peuvent raconter ce qu’ils ont vu. Il montre la nécessité de cette investigation : Car nous sommes d’hier, dit-il c’est-à-dire nés d’hier, et nous ignorons ces choses anciennes; et il veut montrer ainsi la brièveté de notre vie; d’où il dit : parce que nos jours comme une ombre s’écoulent sur la terre; l’ombre en effet passe aussitôt; dès que l’obstacle à la lumière est écarté et que le corps qui fait ombre se déplace, la première ombre s’en va et une autre lui succède; ainsi aussi les jours de l’homme sont un continuel passage tandis que les jours succèdent aux jours. De quelle utilité est cette investigation, il le dit : en effet ils t’enseigneront, à savoir les ancêtres et les pères interrogés sur la vérité de ce qui a été dit : par nous : les pères, par leurs dires, les anciens par leurs écrits et la renommée. Et ils proféreront les pensées de leur cœur. Il dit cela pour montrer la vérité de cette doctrine (de la rétribution temporelle) comme s’il disait qu’ils n’enseigneront rien d’autre que ce qu’ils pensent sincèrement; car ils n’ont aucun motif de vouloir tromper.

Vient ensuite comme preuve de ce qu’il propose une métaphore tirée des choses matérielles : l’exemple de deux végétaux : l’un pour sa conservation exige une terre humide, c’est le "scirpus" ou jonc, d’où il dit : Est-ce que le jonc peut vivre sans humidité? L’autre requiert des endroits marécageux; ce sont les laîches, herbes aux larges feuilles, aux extrémités piquantes et ne vivant que dans les marais, aussi ajoute-t-il ou la laîche croître sans eau? Le mot laîche est aussi le nom de l’endroit où elle croît. Et que le jonc cherche l’humidité et la laîche l’eau il le montre en ce que le seul manque d’humidité et d’eau provoque leur desséchement sans autre cause. Or il y a deux causes au dessèchement pour les autres plantes : l’une naturelle à cause de leur vieillesse, l’autre violente par l’arrachage; ces deux causes jouent aussi pour le jonc et la laîche outre le manque d’eau et c’est ce qu’on dit : lorsqu’il est encore en fleur (il s’agit du jonc) c’est-à-dire quand il est encore jeune et vigoureux, ce qui exclut le vieillissement et qu’on ne l’a pas de cueilli ce qui exclut l’arrachage, il se dessèche avant toutes les autres plantes, c’est-à-dire plus rapidement.

Il adapte cela à son propos. Il faut ici considérer que Baldad entend que l’adhésion de l’homme à Dieu est cause de la prospérité en ce monde, comme l’humidité l’est de la verdeur des plantes; et cela parce qu’il estime que la prospérité est le bien de l’homme. Or le bien de l’homme manifestement vient du fait qu’il adhère à Dieu. Et donc il a cru que de ce qu’il n’adhère pas à Dieu sa prospérité terrestre en devait souffrir; ce qui est vrai du bonheur spirituel qui est le vrai bien de l’homme et non de la prospérité terrestre qui est comptée parmi les moindres des biens en tant qu’instrument de la vraie félicité; c’est pourquoi il ajoute : ainsi donc sont les voies de tous ceux qui oublient Dieu et l’espoir de l’hypocrite sera, déçu. Considérons maintenant l’application qu’il fait de l’oubli de Dieu et de l’hypocrisie aux cas du jonc et de la laîche; car la laîche veut de l’eau en surface pour garder sa verdeur et elle se dessèche quand cette eau lui est enlevée; quant au jonc il exige de l’eau cachée sous terre et qui la maintient humide; si elle fait défaut le jonc se dessèche. Ainsi selon son opinion il y a des hommes qui périssent parce qu’ils soustraient clairement leur adhésion à Dieu c’est-à-dire qu’ils agissent en toute évidence contre la volonté de Dieu et dont il dit : qu’ils oublient Dieu; en effet ceux qui ne redoutent pas de commettre le mal de façon ouverte paraissent bien avoir mis au dernier rang la crainte de Dieu et ne pas se souvenir de lui. Il y en a d’autres qui selon son opinion périssent parce que l’adhésion simulée qu’ils ont pour Dieu leur est ôtée; et ce sont les hypocrites qui extérieurement, ont la prétention de s’attacher à Dieu mais leur cœur va aux choses de la terre et donc en parlant de l’hypocrite il mentionne l’espoir et de ceux qui oublient Dieu il dit leurs voies ou leurs actions, parce que leurs œuvres sont détournées de Dieu; pour l’hypocrite l’espoir est déçu.

Comment l’espoir de l’hypocrite est-il déçu? Parce que, dit-il, son extravagance ne le satisfait pas. Car le cœur de l’hypocrite est vanité et négligence pour les choses spirituelles mais souci pour les choses temporelles; et cela le satisfait aussi longtemps qu’il y réussit selon son espoir; mais si cet espoir lui échappe il en a nécessairement du déplaisir parce que son cœur n’était pour Dieu ni sincère ni inébranlable. Il dit donc son extravagance ne le satisfait pas quand arrive l’adversité il lui déplait de n’avoir pas aimé Dieu sincèrement. Et de s’être soucié des choses temporelles ne lui a rien rapporté et c’est ce qu’il dit : et comme une toile d’araignée est son assurance, les choses en lesquelles il se confiait se rompent facilement comme une toile d’araignée. Il se confiait non dans le secours divin mais en la solidité de sa maison, la multitude des proches, l’abondance des richesses et autres choses de ce genre. Mais tout cela lui fera facilement défaut et donc il dit : il s’appuie sur sa maison, il se croit en si grâce à la prospérité de sa maison, mais elle est branlante; car quand Dieu retire son aide elle s’écroule. Or il arrive que pour se prémunir contre la fortune adverse quelqu’un prépare pour lui-même et les siens quelques réserves, mais cela aussi n’y aidera pas; suit en effet ce qu’on nous dit : il la soutiendra par quelques expédient, contre la mauvaise fortune comme pour une maison, qui menace ruine on place des étançons, et cependant il ne reviendra pas soit lui, soit sa maison à leur état prospère. Il applique la métaphore du jonc à sa sentence sur l’espoir fragile (de l’hypocrite). Pour le jonc en effet il y a deux espérances : d’abord celui de sa propre verdeur, toutefois sous l’ardeur du soleil, et l’humidité du sol faisant défaut, il se dessèche aussitôt et quant à cela il dit : Il est verdoyant avant que vienne le soleil qui lui enlève sa verdeur. Et il commence de pousser des bourgeons : car il parait croître aussitôt et produire du fruit. Et de même pour l’hypocrite; car dans les commencements la fortune semble lui sourire; mais quand vient le soleil c’est-à-dire la tribulation aussitôt sa réussite fait défaut. Ensuite le jonc peut s’appuyer sur d’autres choses ou bien sur le grand nombre des autres joncs qui l’entourent ou sur la solidité du lieu où il croît prenant naissance dans un endroit pierreux : et donc il dit en conséquence Denses sont ses racines sur un tas de pierres en tant que les racines de nombreux joncs se rejoignent : ceci se rapporte au premier cas de la distinction précédente (le jonc s’appuyant sur ceux qui l’entourent) et quant au second (cas) il dit : et parmi les pierres il subsistera : ainsi un hypocrite peut s’estimer en sécurité non seulement sur sa propre prospérité mais aussi à cause de sa nombreuse parenté et domesticité ou aussi à cause de la force de son royaume ou de la cité qu’il habite. Mais cette assurance lui fera défaut comme pour le jonc. En effet il poursuit Si quelqu’un l’arrache de son endroit cet endroit le reniera et dira Je ne te connais pas comme pour dire : ainsi le jonc est arraché de son endroit que plus rien de lui n’y apparaît, ni qu’on puisse le replanter en cet endroit. Et il en donne la cause en disant : Ceci est en effet la joie de sa voie ou de sa vie que d’autres germent à nouveau de cette terre; il veut dire : la croissance et la vie du jonc en un lieu ne tend pas, par naturel appétit — ni ne se conserve — en ce qu’on replante le même jonc qui a été enlevé, mais en ce que d’autres renaissent de son espèce; ainsi aussi en est-il lorsque quelqu’un par la mort ou autrement ne jouit plus de la compagnie des forts aussitôt il est comme livré à l’oubli selon ce que dit le psalmiste "Je suis livré à l’oubli comme mort en leur cœur" (30, 13). Mais ceux qui viennent ensuite redonnent joie à la société selon ce que dit l’Ecclésiaste : "Il devint roi bien que né pauvre dans le royaume. Et j’ai vu tous les vivants qui marchent sous le soleil s’empresser auprès du jeune successeur qui s’élevait à sa place (du vieux roi)" (4.14b-15). Ces choses sont dites pour montrer que si quelque prospérité arrive parfois au méchant, elle n’est toutefois pas solide pour qu’on puisse s’y confier, mais elle passe aussitôt; et donc il faut la tenir comme nulle.

De toute les choses qui ont été dites plus haut il veut en tirer la conséquence en disant : Dieu ne rejette pas l’homme simple, à savoir qu’il ne l’éloigne pas de lui et il soutient celui qui d’un cœur simple adhère à lui; et il ne tend pas la main aux méchants, à savoir : il ne leur donnera pas d’aide pour les confirmer dans leur prospérité. Et parce que Job pourrait dire : Quoi que tu dises et veuilles confirmer par une comparaison, moi j’en ai une toute autre expérience; étant simple, je subis l’adversité et de malicieux adversaires ont prévalu contre moi. Et donc (Baldad) pour écarter cela, ajoute : Jusqu’à ce que ta bouche éclate de rire et tes lèvres d’allégresse; il veut dire : ce que j’ai exprimé est vrai en tant que tu le ressentiras si toutefois tu es simple; c’est-à-dire que la prospérité qui suivra fera que ta joie éclatera et que tu seras dans l’allégresse tant sera grande cette joie : et au contraire : ceux qui t’ont haï seront couverts de honte : ils se couvriront de honte manifestement de toutes les manières de sorte que leur confusion leur sera comme un vêtement. Et pour que cela ne paraisse pas impossible à cause de leur prospérité présente dont ils sont comme fleuris il ajoute : Et la tente des impies ne subsistera pas. En effet par la tente dans laquelle habitent la plupart des Orientaux, ayant là leurs richesses et leurs mobiliers, on peut entendre tout ce qui fait la prospérité de la vie présente. Il faut bien remarquer que Baldad fait mention de l’hypocrite et de l’homme simple parce qu’il estimait que Job n’était pas saint mais hypocrite et qu’à cause de cela sa pros périté ne fut pas solide; mais s’il se met à pratiquer la simplicité, il lui promet la prospérité.

 

 

Caput 9

Job 9 — La question du mal, première approche

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Dieu" (Job 9, 1-7)

 

1 Alors Job prit la parole et dit : 2 Je sais bien qu'il en est ainsi : comment l'homme serait-il juste vis-à-vis de Dieu? 3 S'il voulait contester avec lui, sur mille choses il ne pourrait répondre à une seule. 4 Dieu est sage en son cœur, et puissant en force qui lui a résisté, et est demeuré en paix? 5 Il transporte les montagnes, sans qu'elles le sachent, il les renverse dans sa colère; 6 Il secoue la terre sur sa base, et ses colonnes sont ébranlées. 7 Il commande au soleil, et le soleil ne se lève pas; il met un sceau sur les étoiles.

1 Job répondit : 2 je sais qu’il en est ainsi et que l’homme n’est pas juste comparé à Dieu. 3 voulait disputer avec lui. 3 S'il ne pourrait répondre une fois sur mille. 4 cœur est sage et solide est sa force. Qui lui a résisté et en obtint la paix? 5 Il transporte les montagnes; et ne le surent point ceux qu’il a renversés dans sa colère. 6 Il secoue la terre de son lieu et ses colonnes sont ébranlées. 7 ll commande au soleil qui ne se lève pas. 8 Il renferme les étoiles comme s’il les scellait.

[84907] Super Iob, cap. 9 Et respondens Iob ait: vere scio quod ita sit. Beatus Iob in superiori responsione qua verbis Eliphaz responderat, unum praetermisisse videbatur quod Eliphaz de Dei iustitia proposuerat cum dixerat numquid homo comparatione Dei iustificabitur? Quin immo quadam quasi contentiosa disputatione visus est ad Deum loqui cum dixit numquid mare sum ego aut cetus etc., et iterum usquequo non parcis mihi et cetera. Et ideo Baldath Suites replicans contra responsionem beati Iob a defensione divinae iustitiae incepit dicens numquid Deus supplantat iudicium etc., et in hoc idem suum sermonem terminavit cum dixit Deus non proiciet simplicem et cetera. Et ideo beatus Iob in hac responsione primo ostendit se divinae iustitiae contradicere nolle nec contra Deum velle contendere, ut illi suspicabantur, et hoc est quod dicitur et respondens Iob ait: vere scio quod ita sit, scilicet quod Deus non supplantat iudicium et quod non proiciet simplicem, quae Baldath proposuit; et scio etiam quod non iustificetur homo compositus Deo, idest comparatus ei, et hoc dicit respondens ei quod supra Eliphaz dixerat numquid homo comparatione Dei iustificabitur? Et unde hoc sciat consequenter ostendit ex quodam signo. Cum enim aliquis comparatione alterius iustus est, libere et secure potest cum eo contendere, quia per mutuam disceptationem iustitia et veritas manifestatur; nulli autem homini tutum est cum Deo contendere, et ideo subdit si voluerit contendere cum eo, scilicet homo cum Deo, non poterit respondere ei, scilicet homo Deo, unum pro mille. Sciendum siquidem est quod maior numerorum qui apud nos proprium nomen habeat est millenarius, nam omnes maiores numeri per replicationem inferiorum numerorum nominantur, ut puta decem millia, centum millia; et hoc rationabiliter accidit, nam secundum quosdam antiquorum species numerorum usque ad decem protenduntur, postmodum enim priores numeri repetuntur - quod quidem secundum nominationem manifestum est quicquid sit secundum rei veritatem -; cubicus autem ex denario consurgens millenarius est: decies enim decem decies mille sunt. Millenarium igitur numerum quasi maximum numerorum nominatorum apud nos pro quantumcumque magno determinato numero sumpsit: idem est ergo quod dicit quod non potest homo Deo respondere unum pro mille ac si diceret quod nulla determinata numeri mensura metiri potest quantum divina iustitia humanam excedat, cum haec sit finita, illa autem infinita. Quod autem homo in contendendo nulla proportione possit ad Deum accedere, ostendit consequenter cum dicit sapiens corde est et fortis robore, scilicet Deus. Duplex enim est contentio: una qua contenditur disputando et haec est per sapientiam, alia qua contenditur pugnando et haec est per fortitudinem; in utroque autem excedit Deus quia et fortitudine et sapientia omnem fortitudinem et sapientiam excedit. Et utrumque horum excessuum ostendit consequenter, et primo excessum fortitudinis, quem quidem ostendere incipit quantum ad homines cum dicit quis restitit ei et pacem habuit? Quasi dicat nullus. Sciendum siquidem est quod aliter homo obtinet pacem a potentiori, aliter a minus potenti vel ab aeque potenti: manifestum est enim quod potentior a minus potenti pacem acquirit contra eum pugnando, sicut cum rex potens contra aliquem rebellem in suo regno bellum movet et victoriam obtinens pacem regni reformat; similiter etiam et ab aeque potenti quandoque aliquis pacem obtinet pugnando: licet enim eum superare non possit, tamen assiduitate pugnae eum fatigat ut ad pacem reducatur; sed a magis potente numquam aliquis pacem obtinet resistendo vel pugnando, sed se ei humiliter subdendo. Hoc est igitur evidens signum quod fortitudo Dei omnem humanam fortitudinem excedit, quia nullus cum eo pacem habere potest resistendo sed solum humiliter oboediendo, unde dicitur Is. XXVI 3 servabis pacem, pacem, quia in te speravimus; sed impii qui Deo resistunt pacem habere non possunt, secundum quod dicitur Is. LVII 21 non est pax impiis, dicit dominus, et hoc est quod hic dicitur quis restitit ei et pacem habuit? Deinde ostendit quod fortitudo Dei omnem fortitudinem rerum naturalium excedit, et hoc quidem ostendit tam in corporibus superioribus quam inferioribus. In corporibus quidem inferioribus hoc ostendit ex hoc quod ea quae maxime videntur esse stabilia et firma in inferioribus corporibus pro sua voluntate movet. Inter corpora igitur mixta, ad quae post homines transitum facit, maxime videntur esse firma et stabilia montes, quorum stabilitati sanctorum stabilitas in Scripturis comparatur, secundum illud Psalmi qui confidunt in domino sicut mons Sion; et tamen montes Deus sua virtute movet, et hoc est quod subditur qui transtulit montes, quod quidem etsi miraculose divina virtute fieri possit - cum hoc videatur firmitati fidei repromissum, secundum illud Matth. XXI 21 si habueritis fidem et non haesitaveritis, si monti huic dixeritis: tolle et iacta te in mare, fiet et Cor. XIII 2 si habuero omnem fidem ita ut montes transferam -, tamen congruentius videtur ut hoc ad naturalem cursum rerum referatur. Hoc enim habet naturae ordo ut omne quod naturaliter generatur etiam determinato tempore corrumpatur: unde cum generatio montium sit naturalis, necesse est quod quandoque montes naturaliter destruantur; et hanc quidem naturalem montium corruptionem translationem vocat, eo quod dissolutio montium et ruina cum quadam translatione partium eius accidit. Nec autem irrationabiliter ea quae naturaliter contingunt divinae virtuti attribuit: cum enim natura agat propter finem, omne autem quod ad finem certum ordinatur vel se ipsum dirigit in finem vel ab alio dirigente in finem ordinatur, necesse est quod res naturalis, quae finis notitiam non habet ut se in ipsum dirigere possit, ab aliquo superiori intelligente ordinetur in finem. Comparatur igitur tota naturae operatio ad intellectum dirigentem res naturales in finem, quem Deum dicimus, sicut comparatur motus sagittae ad sagittatorem: unde sicut motus sagittae convenienter sagittatori attribuitur, ita convenienter tota naturae operatio attribuitur virtuti divinae; unde si per operationem naturae montes subruuntur, manifestum est quod a virtute divina montium stabilitas superatur. Contingit autem quandoque apud homines quod aliquis rex sua virtute aliquam fortem civitatem expugnat, quod quanto citius et insensibilius fit tanto magis virtus regis demonstratur; hoc igitur quod montes transferuntur maxime virtuti divinae attestatur cum quasi subito et insensibiliter fiat, ut etiam ab his qui circa montes habitant et per subversionem montium pereunt praecognosci non possit, et hoc est quod subditur et nescierunt hi quos subvertit in furore suo, quasi dicat: adeo subito tantam rem Deus operatur quod etiam hi qui circa montes habitant praenoscere non possunt, quod inde evidens fit quia si praecognoscerent, sibi caverent ut non subverterentur. Addit autem in furore suo, ad ostendendum quod Deus interdum naturales operationes moderatur secundum ordinem suae providentiae prout necessarium est ad hominum peccata punienda, quibus metaphorice irasci dicitur cum in eos vindictam exercet, quae apud nos solet esse irae effectus. Ex corporibus autem mixtis transit ad elementa, inter quae firmissimum et stabilissimum videtur esse terra quae est immobilis sicut centrum motus totius, et tamen quandoque secundum aliquas partes suas movetur naturaliter ex vapore incluso, ut philosophi tradunt, et hoc est quod subdit qui commovet terram de loco suo, non quidem totaliter secundum se totam sed cum aliquae partes eius agitantur, sicut in terraemotu accidit; in quo quidem motu etiam montes concutiuntur, qui sunt quasi columnae super terram fundatae, unde sequitur et columnae eius concutientur. Possunt etiam per columnas ad litteram intelligi columnae et quaecumque alia aedificia videntur terrae adhaerere, quae in terraemotu concutiuntur; vel possunt intelligi per columnas terrae inferiores et intimae partes terrae, eo quod sicut domus stabilitas super columnas firmatur ita stabilitas terrae ex centro procedit, ad quod omnes partes terrae naturaliter tendunt, et per consequens omnes inferiores partes terrae sunt superiorum sustentatrices et quasi columnae: et sic cum terraemotus ex profundis partibus terrae procedat, videtur quasi ex concussione columnarum terrae causari. Ultimo autem ad corpora caelestia procedit, quae etiam virtuti divinae cedunt. Considerandum est autem quod sicut de natura terrae est immobilitas et quies, ita de natura caeli est quod semper moveatur; sicut ergo virtus terrae ostenditur superari a virtute divina per motum qui in ea apparet, ita virtus caelestis corporis ostenditur a virtute divina superari per hoc quod motus eius impeditur per quem fit solis et aliorum siderum ortus et occasus, et ideo subdit qui praecipit soli, et non oritur. Quod quidem non dicitur propter hoc quod ortus solis impediatur secundum rei veritatem, cum motus caeli continuus sit, sed quia secundum apparentiam aliquando non oriri videtur, puta cum aer fuerit nubilosus intantum quod solis ortus habitantibus super terram in solita claritate apparere non possit; huiusmodi autem nebulositas, cum per operationem naturae fiat, convenienter divino praecepto attribuitur, a quo tota natura in sua operatione regulatur, ut dictum est. Et quod sic intelligat solem non oriri inquantum solis ortus occultatur, manifeste apparet ex hoc quod subditur et stellas claudit quasi sub signaculo: stellae enim quasi claudi videntur cum nubibus caelum obtegitur ne stellae inspici possint. Qui extendit caelos solus et cetera. Postquam beatus Iob ostendit robur divinae fortitudinis, hic incipit ostendere profunditatem divinae sapientiae. Procedit autem contrario ordine nunc et prius: nam primo quidem incepit ab ostensione divinae fortitudinis in rebus humanis et processit usque ad corpora caelestia, hic autem incipit a corporibus caelestibus et procedit usque ad res humanas; et hoc rationabiliter, nam sapientia factoris ostenditur in hoc quod opera stabilia facit, et ideo in ostensione divinae sapientiae incipit a creaturis magis stabilibus, utpote ab habentibus evidentius divinae sapientiae indicium; robur autem alicuius fortitudinis ostenditur ex hoc quod potest aliqua a suo statu mutare - unde homines consueverunt examinari in elevatione vel proiectione lapidum, prostratione hominum et huiusmodi -, et propterea cum ostendebat robur divinae fortitudinis, incepit ab his in quibus manifestius apparet mutatio. Sic igitur ad ostendendam divinam sapientiam a corporibus caelestibus incipit dicens qui extendit caelos solus. Sciendum autem est quod sapientia Dei in tribus praecipue commendabilis apparet, primo quidem in hoc quod aliqua magna suo intellectu et sapientia metiri potest, et quantum ad hoc dicit qui extendit caelos solus: in extensione enim caelorum magnitudo quantitatis eorum exprimitur; sic igitur Deus solus extendisse caelos dicitur inquantum ipse solus tantam quantitatem sua sapientia mensuratam caelis dare potuit. Secundo Dei sapientia commendabilis apparet in hoc quod res variabiles et quasi in incertum fluctuantes in certum ordinem reducit et suae gubernationi subditas esse facit, et quantum ad hoc subdit et graditur super fluctus maris: fluctus enim maris inordinatissimi esse videntur utpote quia ventis variis nunc hac nunc illac circumferuntur, et tamen super eos Deus graditur inquantum eos Deus suae gubernationi subdit. Tertio Dei sapientia commendabilis apparet ex hoc quod Deus multa condidit secundum suae sapientiae rationem quae mirabilia hominibus apparent, et eorum rationem investigare non possunt, et haec praecipue sunt quae in situ et dispositione stellarum apparent, quae tamen a Deo sapientissime et rationabiliter sunt instituta. Et haec quidem enumerat incipiens a polo Septentrionali et procedens usque ad polum meridionalem, unde dicit qui facit Arcturum: Arcturus quidem est quaedam constellatio in caelo quae vocatur ursa maior et habet septem stellas claras quae numquam nobis occidunt sed semper circueunt polum Septentrionalem. Sequitur et Oriona: Orion est quaedam constellatio multum evidens in caelo propter sui magnitudinem et claritatem stellarum quae dicuntur esse in tauro et geminis. Sequitur et Hyadas, quae sunt quaedam stellae in pectore tauri, ut dicitur, existentes et sunt etiam multum notabiles visu. Sequitur et interiora Austri, ubi considerandum est quod his qui sub aequinoctiali habitant, si tamen aliqui ibi habitant, uterque polus conspicuus est, cum horizon eorum ad rectos angulos aequinoctialem secet, et sic oportet quod transeat per utrumque polum aequinoctialem, unde uterque polus redditur conspicuus habitantibus sub aequinoctiali, ut dictum est; recedentibus autem ab aequinoctiali et accedentibus versus polum Septentrionalem, elevatur super horizontem polus Septentrionalis et deprimitur polus Australis secundum modum elongationis ab aequinoctiali: unde nobis qui in parte Septentrionali sumus polus Australis numquam potest esse conspicuus, et similiter stellae ei vicinae occultae sunt nobis secundum quantitatem qua elongamur ab aequinoctiali, et haec dicuntur hic interiora Austri quia sunt nobis occulta, quasi sub horizonte abscondita et depressa. Et ne aliquis credat quod in praedictis solum divina sapientia se manifestaverit, ostendit consequenter quod multa alia similia innumerabilia nobis Deus fecit, dicens qui facit magna, in quibus scilicet commendabilis apparet Dei sapientia ex commensuratione magnitudinis: et hoc respondet ei quod dixerat qui extendit caelos solus; et inscrutabilia, quae scilicet homines scrutari non possunt propter eorum instabilitatem, quae tamen divina gubernatione ordinantur: et hoc respondet ei quod dixerat et graditur super fluctus maris; et mirabilia, quorum scilicet rationes homines considerare non possunt licet a Deo secundum rationem sint facta: et hoc respondet ei quod dixerat qui facit Arcturum et cetera. Quod autem addit quorum non est numerus ad singula referendum est, ita tamen quod intelligantur divina opera innumerabilia esse hominibus, sed numerabilia Deo qui facit omnia in numero, pondere et mensura. Si venerit ad me non videbo. Beatus Iob volens ostendere suam intentionem non esse ut cum Deo contendat, per plura indicia profunditatem divinae sapientiae in rebus naturalibus ostendit; nunc autem vult ostendere profunditatem divinae sapientiae in rebus humanis. Considerandum est autem quod ad rectorem humanarum rerum tria pertinere videntur: primum est ut suis subiectis iustitiae praecepta et alia beneficia dispenset, secundum est ut actus subditorum examinet, tertium est ut quos culpabiles invenit poenis subiciat. In his ergo tribus immensam profunditatem divinae sapientiae ostendit: primo quidem quia tam profunde et subtiliter suis subditis providet sua beneficia quod etiam eis qui recipiunt incomprehensibile est, et hoc est quod dicit si venerit ad me non videbo, si abierit non intelligam eum. Ubi considerandum est quod in Scripturis Deus venire ad hominem dicitur quando ei sua beneficia largitur, sive intellectum eius illuminando sive affectum inflammando sive qualitercumque ei benefaciendo, unde dicitur Is. XXXV 4 Deus noster ipse veniet et salvabit nos; e contrario vero Deus ab homine recedere dicitur quando ei sua beneficia vel suam protectionem subtrahit, secundum illud Psalmi ut quid, domine, recessisti longe, despicis in opportunitatibus, in tribulatione? Contingit autem quandoque quod Deus aliquibus vel tribulationes vel etiam aliquos spirituales defectus evenire permittit ad procurandum eorum salutem, sicut dicitur Rom. VIII 28 diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum; sic ergo Deus ad hominem venit eius procurando salutem, et tamen homo eum non videt quia beneficium eius non percipit; e contrario vero multis Deus manifesta beneficia non subtrahit quae tamen in eorum perniciem vergunt, et ideo dicitur quod Deus sic recedit ab homine quod homo eum non intelligit recedentem. Sic ergo apparet profunditas sapientiae divinae in dispensatione suorum beneficiorum. Ostenditur autem secundo divinae sapientiae profunditas in examinatione humanorum actuum, quia videlicet sic subtiliter et efficaciter examinat ut eius examinationem nullus per quamcumque cavillationem subterfugere possit, et hoc est quod dicit si repente interroget, quis respondebit ei? Interrogat autem Deus hominem quando eum ad considerandum suam conscientiam reducit, vel interius inspirando vel exterius provocando beneficiis aut flagellis, secundum illud Psalmi dominus interrogat iustum et impium; tunc autem homo sufficienter Deo responderet quando in eo nihil inveniretur quod iuste a Deo reprehendi posset, quod nulli hominum in hac vita contingit, secundum illud Prov. XX 9 quis potest dicere: mundum est cor meum, purus sum a peccato? Signanter autem dicit si repente interroget, quia si homini spatium respondendi detur potest per poenitentiam delicta diluere. Contingit autem quandoque quod aliquis in examinando aliorum excessus remissus invenitur, timens ne et sui excessus versa vice ab aliis examinentur, sed hoc Deo formidandum non est ut in sua examinatione mollescat, quia non habet superiorem qui de eius factis iudicare possit, et ideo subditur vel quis dicere ei potest: cur ita facis? Quasi eum castigando. Tertio autem ostenditur divinae sapientiae profunditas in punitione delictorum, quia quocumque se vertat homo, nulla astutia, nulla potentia Dei vindictam declinare potest, secundum illud Psalmi quo ibo a spiritu tuo et quo a facie tua fugiam? Et hoc est quod dicit Deus cuius irae resistere nemo potest: ira enim secundum quod Deo attribuitur in Scripturis non importat commotionem animi sed vindictam. Huius autem probationem consequenter inducit: et sub quo curvantur qui portant orbem. Intelligendi sunt autem portare orbem caelestes spiritus quorum ministerio tota corporalis creatura divinitus procuratur, ut Augustinus dicit III de Trinitate. Hi autem caelestes spiritus sub Deo curvantur quia ei per omnia oboediunt, secundum illud Psalmi benedicite domino omnes Angeli eius, ministri eius, qui facitis voluntatem eius; sic igitur Angelis Deo oboedientibus, manifestum est quod totus cursus rerum corporalium qui per Angelos administratur divinae subiacet voluntati, et sic ex nulla creatura homo potest habere auxilium ad effugiendum Dei vindictam, secundum illud Psalmi si ascendero in caelum tu illic es, si descendero ad Infernum ades; quin immo, ut dicitur Sap. V 21, pugnabit cum illo orbis terrarum contra insensatos. Possent etiam intelligi portare orbem reges et principes mundi qui sub Deo curvantur, secundum illud Prov. VIII 15 per me reges regnant, vel quia nec ipsi reges irae divinae resistere possunt, ut ex hoc a maiori idem de aliis concludi possit. Sic igitur ostensa multipliciter immensitate divinae potentiae et profunditate divinae sapientiae, concludit propositum, quod scilicet suae intentionis non est cum Deo contendere, et hoc est quod dicit quantus ergo ego sum, idest quam potens, quam sapiens, qui respondeam ei, scilicet Deo interroganti potentissimo et sapientissimo, et loquar verbis meis cum eo, examinando facta eius et dicendo cur ita facis? Ac si diceret: non sufficiens sum ut contendam cum Deo; contentio enim in respondendo et obiciendo consistit. Contingit autem quandoque quod aliquis, etsi non sit multum potens aut sapiens, tamen propter securitatem suae conscientiae non formidat contendere cum quovis iudice; sed hanc etiam causam contendendi cum Deo a se excludit dicens qui etiam si habuero quippiam iustum non respondebo, scilicet Deo examinanti quasi meam iustitiam defendendo, sed meum iudicem deprecabor, quasi non petens iudicium sed misericordiam. Signanter autem dicit si habuero quippiam iustum, ad designandum incertitudinem humanae iustitiae per hoc quod dicit si habuero, secundum illud apostoli I ad Cor. IV 4 nihil mihi conscius sum, sed non in hoc iustificatus sum; et ad ostendendum quod iustitia hominis parva est et imperfecta ad divinum examen relata, propter quod dicit quippiam, secundum illud Is. LXIV 6 omnes iustitiae nostrae quasi pannus menstruatae sic sunt coram illo. Quid autem ex sua deprecatione consequatur, ostendit cum subdit et cum invocantem exaudierit me, non credo quod audierit vocem meam. Contingit enim quandoque quod Deus hominem exaudit non ad votum sed ad profectum: sicut enim medicus non exaudit ad votum infirmum postulantem amoveri medicinam amaram, si medicus eam non removeat eo quod scit eam esse salutiferam, exaudit tamen ad profectum quia per hoc sanitatem inducit quam maxime infirmus desiderat, ita Deus homini in tribulationibus constituto tribulationes non subtrahit, quamvis deprecanti, quia scit eas expedire ad finalem salutem; et sic licet Deus vere exaudiat, tamen homo in miseriis constitutus se exaudiri non credit. Et quare non credat ostendit subdens in turbine enim conteret me; et more suo quod metaphorice dictum est exponit subdens et multiplicabit vulnera mea etiam sine causa: hoc enim est conterere quod multiplicare vulnera, idest tribulationes, et hoc est in turbine, idest in horribili obscuritate, quod dicit sine causa, scilicet manifesta et ab homine afflicto perceptibili; si enim homo afflictus perciperet causam quare Deus eum affligit et quod afflictiones sunt ei utiles ad salutem, manifestum est quod crederet se exauditum, sed quia hoc non intelligit credit se non exauditum. Et ideo non solum exterius affligitur sed etiam interius, sicut infirmus qui nesciret se per medicinam amaram sanitatem consecuturum non solum affligeretur in gustu sed etiam in animo, et ideo subdit non concedet requiescere spiritum meum: requiescit enim spiritus licet carne afflicta propter spem finis, secundum quod dominus docet Matth. V 11 beati eritis cum maledixerint vobis homines, et postea subdit gaudete, quoniam merces vestra copiosa est in caelis; et sic dum affligor exterius et interius non requiesco, implet me amaritudinibus, scilicet intus et extra. Et est considerandum quod ab illo loco et cum invocantem exaudierit etc. evidenter exposuit quod supra occulte dixerat si venerit ad me non videbo: hoc enim fere ubique in dictis Iob observandum est quod obscure dicta per aliqua consequentia exponuntur. Et quia supra breviter et summarie dixerat quantus ego sum qui respondeam ei? Hoc consequenter diffusius explicat, ubi etiam assignat causam quare non respondet sed iudicem deprecatur. Quod enim aliquis audacter iudici respondeat potest ex duobus contingere: primo quidem si iudex sit debilis qui subditum coercere non possit, sed hoc excludit dicens si fortitudo quaeritur, scilicet in Deo ad subditos coercendum, robustissimus est, omne robur excedens; secundo aliquis audacter respondet iudici quia confidit de sua causa, quod aliquando contingit quia habet multos excusatores, sed hoc excludit dicens si aequitas iudicii, scilicet requiritur, secundum quam aliquis habens pro se multos testes absolvitur, nemo pro me audet testimonium dicere: intellectus enim hominis hoc non capit quod hominis iustitia maior sit quam veritas Dei redarguentis. Aliquando vero homo, etsi non habeat alios testes pro se, confidit tamen de causa sua innitens testimonio conscientiae suae; sed testimonium conscientiae non potest valere homini contra redargutionem divinam, et hoc ostendit per singulos gradus. Habet enim testimonium conscientiae tres gradus, quorum summus est quando alicui conscientia sua testimonium reddit quod sit iustus, secundum illud Rom. VIII 16 ipse spiritus testimonium reddit spiritui nostro quod sumus filii Dei; sed hoc testimonium non valet contra divinam reprehensionem, unde dicit si iustificare me voluero, idest si voluero dicere me esse iustum, Deo mihi obiciente quod sim impius, os meum condemnabit me, idest condemnabilem me reddet propter blasphemiam. Secundus gradus est quando aliquis, etsi non praesumat se esse iustum, tamen non reprehendit eum conscientia de aliquo peccato, secundum illud I ad Cor. IV 4 nihil mihi conscius sum; sed nec hoc testimonium valet contra Deum, unde dicit si innocentem ostendero, idest si voluero me ostendere esse sine peccato, pravum me comprobabit, inquantum mihi vel aliis manifestabit peccata quorum mihi non sum conscius quia, ut dicitur in Psalmo, delicta quis intelligit? Tertius gradus est quando aliquis, etsi sit sibi conscius de peccato, tamen praesumit vel quia non habuit malam intentionem aut quia non fecit ex malitia et dolo sed ex ignorantia et infirmitate; sed nec hoc testimonium valet homini contra Deum, et ideo dicit etiam si simplex fuero, idest sine dolo vel duplicitate pravae intentionis, hoc ipsum ignorabit anima mea: homo enim non potest ad liquidum motum sui affectus deprehendere, tum propter variationem eius tum propter permixtionem et impetum multarum passionum, propter quod dicitur Ier. XVII 9 pravum est cor hominis et inscrutabile; quis cognoscet illud? Et propter huiusmodi ignorantiam quod homo se ipsum non cognoscit nec statum suum, redditur etiam iustis sua vita taediosa, et propter hoc subdit et taedebit me vitae meae. Unum est quod locutus sum. Postquam beatus Iob ostendit non esse suae intentionis ut cum Deo contendat, proponit illud de quo cum adversariis ei disputatio erat. Dixerat enim Eliphaz quod poenae a Deo non nisi pro peccatis immittuntur, contra quod in superiori responsione Iob locutus fuerat; et quia Baldath sententiam Eliphaz asserere conatus fuerat, Iob iterato sententiam suam repetit dicens unum est quod locutus sum: innocentem et impium ipse consumit, quasi dicat: non solum peccatoribus sed etiam innocentibus mors a Deo immittitur, quae tamen est maxima poenarum praesentium, et sic non est verum quod vos dicitis, quod solum pro peccatis propriis homo puniatur a Deo. Quod autem mors a Deo sit dicitur Deut. XXXII 39 ego occidam et ego vivere faciam; sed cum mors communiter omnibus immittatur a Deo, unum est quod durum videtur, scilicet quod innocentes praeter mortem communem multiplices adversitates sustinent in hac vita, cuius rei causam investigare intendit, et ideo subdit si flagellat, occidat semel, quasi dicat: detur quod flagellum mortis omnibus sit commune, videretur tamen rationabile quod innocentibus, qui ex propriis peccatis non sunt rei, praeter mortem quae debetur peccato communi aliam poenam infligere non deberet. Si enim, ut vos dicitis, nulla alia causa est quare iuste alicui infligi poena possit nisi peccatum, manifestum est autem innocentes pati poenam in hoc mundo, videtur sequi quod sine causa puniantur ac si ipsae poenae propter se Deo placerent, et ideo subdit et de poenis innocentium non rideat: de illis enim ridere solemus quae nobis secundum se placent. Si autem hoc est inconveniens quod poenae innocentium Deo secundum se placeant, inveniuntur autem innocentes frequenter in terris puniri, videtur sequi aliud inconveniens, scilicet quod istae poenae ex divino iudicio non procedant sed ex malitia alicuius iniqui domini qui habeat potestatem in terra et puniat innocentes, unde sequitur terra data est in manus impii, quasi dicat: si ipsi Deo non placent secundum se poenae innocentium qui tamen puniuntur in terra, oportebit dicere quod Deus regimen terrae alicui impio commiserit, ex cuius iniquitate iudicium in terra pervertitur ut innocentes puniantur; et hoc est quod subdit vultum iudicum eius operit, idest rationem eorum obnubilat vel cupiditate aut odio aut amore, ne veritatem iudicii in iudicando sequantur. Quod si ille non est, scilicet impius cui tradita est terra, a quo scilicet causatur innocentium punitio, quis ergo est, scilicet huius punitionis causa? Non enim dici potest, ut ostensum est, quod hoc sit a Deo, supposita vestra positione quod solum peccatum sit causa poenarum praesentium. Hoc autem quod dixit terra data est in manus impii est quidem secundum aliquid verum, inquantum scilicet terreni homines sub potestate Diaboli a Deo relinquuntur, secundum illud qui facit peccatum servus est peccati; simpliciter autem est falsum: non enim Diabolo absolute terrae dominium est concessum, ut scilicet libere in ea facere possit quod velit, sed quicquid facere permittitur ex divina dispositione procedit quae omnia ex rationabili causa dispensat; unde hoc ipsum quod innocentes puniantur non dependet absolute ex malitia Diaboli sed ex sapientia Dei permittentis. Unde si peccatum non est causa punitionis innocentium, non sufficit hoc ad malitiam Diaboli reducere, sed oportet ulterius aliquam rationabilem causam esse propter quam Deus permittit, et ideo signanter dicit quod si ille non est, quis ergo est? Quasi dicat: si malitia Diaboli non est sufficiens causa punitionis innocentium, oportet aliam causam investigare. Ad investigandum igitur rationem quare innocentes puniantur in hoc mundo, primo proponit defectum quem sustinuerat in amissione bonorum, ostendens mutabilitatem prosperitatis praesentis ex similitudine eorum quae videntur esse velocissima in hoc mundo. Sed considerandum est quod ad prosperitatem huius mundi aliqui diversimode se habent: quidam enim ipsam pro fine habent nihil ultra ipsam sperantes - ad quod videbatur declinare illorum opinio qui omnia praemia et poenas in hac vita constituebant -, tales autem non pertranseunt prosperitatem huius mundi, sed prosperitas huius mundi fugit ab eis quando eam amittunt; quidam vero, de quorum numero fuit Iob, in prosperitate huius mundi finem non ponunt sed ad alium finem tendunt, et tales prosperitatem huius mundi magis ipsi pertranseunt quam pertranseantur ab ea. Tendentibus autem ad aliquem finem tria sunt necessaria: primum est ut in nullo alio cor suum figant per quod retardari possint a fine, sed festinent ad finem consequendum, et ideo primo ponit exemplum de cursore qui sic tendit ad finem sui cursus quod in via moram non contrahit, unde dicit dies mei velociores fuerunt cursore, in quibus verbis et labilitatem praesentis fortunae et intentionem suam in aliud tendentem demonstrat; fugerunt, quasi in rebus huius mundi requie cordis non inventa, unde sequitur et non viderunt bonum, scilicet in quod mea intentio ferebatur, quod est verum bonum: unde pro iustitia me remuneratum non reputo; quod si prosperitatem praesentem remunerationem putatis, ea subtracta innocens punitus sum. Secundo requiritur quod tendens in aliquem finem acquirat sibi illa per quae possit ad finem pervenire, sicuti qui vult sanari oportet quod acquirat medicinas quibus sanetur; similiter qui vult ad verum bonum pervenire oportet quod acquirat virtutes quibus illud consequi possit, unde subdit pertransierunt quasi naves poma portantes, in quo etiam duo demonstrat: et labilitatem praesentis fortunae, quia naves poma portantes ad vendendum festinant ne per moram putrescant, et studium tendendi in finem, quasi dicat: dies mei non pertransierunt vacui, sed virtutes congregavi cum quibus tendo ad finem consequendum. Tertium restat consecutio finis, unde dicit sicut aquila volans ad escam, in quo etiam duo praedicta designantur: nam aquila velocis volatus est praecipue cum a fame impellitur, et escam habet pro fine quo reficitur. Quia ergo in his verbis quasi innuerat se esse iustum et innocentem, quod praesumptuosum ab adversariis reputabatur, incipit de sua innocentia conferre cum Deo qui solus est conscientiae iudex, unde subdit cum dixero, scilicet in corde meo: nequaquam ita loquar, ut scilicet sim iustus et innocens, commuto faciem meam, scilicet a fiducia quam conceperam de mea innocentia ad quandam sollicitudinem investigandi peccata, et dolore torqueor, in conscientiae propriae discussione recogitans ne forte pro aliquo peccato sic puniar. Et causam doloris subdit dicens verebar omnia opera mea: est enim alicui magna causa doloris quando magnam sollicitudinem habet de re aliqua et tamen incidit in illud quod vitare studebat; ipse autem circa omnia opera sua magnam sollicitudinem apponebat, timens ne in aliquo a iustitia declinaret, et hoc est quod dicit verebar omnia opera mea. Et causa quare sic verebatur in omni suo opere erat timor de severitate divini iudicii, unde subditur sciens quod non parceres delinquenti, nisi scilicet convertatur quia, sicut in Psalmo dicitur, nisi conversi fueritis gladium suum vibrabit. Si autem, post tantum studium innocentiae, et sic impius sum ut tam gravibus poenis a Deo puniri meruerim, quare frustra laboravi in tanta sollicitudine innocentiae conservandae? Frustra enim laborare dicitur qui suo labore tendit ad finem ad quem non pertingit. Sed quia puritas hominis quantacumque sit ad divinum examen relata deficiens invenitur, ideo consequenter ostendit quod cum se purum et innocentem dicit, se purum et innocentem intelligit quasi hominem, non quasi in nullo penitus a rectitudine divinae iustitiae recedentem. Est autem sciendum quod duplex est puritas: una quidem innocentis altera paenitentis; utraque autem imperfecta est in homine si ad perfectam rectitudinem divinae regulae comparetur. Dicit ergo quantum ad puritatem poenitentis si lotus fuero, idest si a peccatis meis me purgare studuero, quasi aquis nivis, quae bene ablutivae esse dicuntur; quantum vero ad puritatem innocentis subdit et fulserint velut mundissimae manus meae, idest et in operibus meis, quae per manus designantur, nulla inveniatur immunditia, sed fulgeat in eis iustitiae claritas - dicit autem velut mundissimae ad insinuandum quod in homine perfecta munditia esse non potest -; si, inquit, sic fuero mundus, tamen sordibus intinges me, idest sordidus demonstrabor tuae iustitiae comparatus et per tuam sapientiam convictus. Semper enim in operibus humanis aliquis defectus invenitur: quandoque quidem ex ignorantia propter debilitatem rationis, quandoque autem ex negligentia propter infirmitatem carnis; quandoque autem aliqua infectio alicuius terrenae affectionis etiam in bonis operibus admiscetur, propter volubilitatem humani cordis quod non fixum in eodem perseverat: unde semper aliquid in humanis operibus invenitur quod deficit a puritate divinae iustitiae. Cum autem aliquis immundus est qui tamen exterius aliquam iustitiae ostensionem habet, signa iustitiae quae de eo exterius apparent ei non competunt, et ideo subdit et abominabuntur me vestimenta mea: per vestimenta enim exteriora opera designantur quibus homo quasi contegitur, secundum illud Matth. VII 15 veniunt ad vos in vestimentis ovium; tunc ergo vestimenta alicuius aliquem abominantur quando exteriora hominis quae iustitiam praetendunt interioribus non concordant. Quare autem quantumcumque sit purus non potest se defendere quin a Deo convincatur impurus, consequenter ostendit ex duobus in quibus Deus homines excellit, videlicet ex puritate iustitiae et ex auctoritate maiestatis. Quantum ergo ad primum dicit neque enim viro qui similis mei est respondebo, quasi dicat: si aliquis homo me impurum vellet convincere, possem ei resistere, si mihi obiceret quae ipse sentiret in homine servari non posse de perfecta iustitiae puritate; sed sic respondere non possum Deo in quo nullus defectus invenitur. Quantum ad secundum dicit nec qui mecum in iudicio ex aequo possit audiri: cum enim duo homines ad invicem contendunt, iudicem possunt habere qui utriusque dicta examinet; sed hoc inter Deum et hominem esse non potest duplici ratione: una ratio est quia oportet quod in iudice sit altior sapientia quae sit quasi regula ad quam examinentur dicta utriusque partis: manifestum est autem quod divina sapientia est prima regula ad quam omnium veritas examinatur, et propter hoc subdit non est qui utrumque valeat arguere, quasi dicat: non est alius superior Deo ex cuius maiori sapientia divina sapientia corrigi possit. Alia ratio est quia oportet quod in iudice sit maior potestas qua possit utramque partem comprimere, et hoc excludit dicens et ponere manum suam in ambobus, idest coercere utrumque: hoc enim excluditur per immensitatem divinae potentiae, quam supra ostendit. Et quia, ut dictum est, intendit perscrutari qua ratione innocentes puniantur in hoc mundo, consequenter ostendit quid eum impedire posset ab hac perscrutatione et qua intentione hoc perscrutari velit. Impediri autem posset ab hac perscrutatione ex duobus, primo quidem ex afflictione quam patiebatur: homines enim quorum mens occupata est tristitia non possunt subtiliter perscrutari, et quantum ad hoc dicit auferat a me virgam suam; secundo ex reverentia quam ad Deum habebat: homines enim aliquando ex quadam reverentia quam ad Deum habent omittunt ea quae Dei sunt perscrutari, et quantum ad hoc dicit et pavor eius non me terreat, quasi dicat: concedat spiritum meum requiescere ab afflictione quam patior, et non imputetur mihi ad irreverentiam quod de divinis disputo; et sic potero perscrutari, unde sequitur loquar et non timebo eum, idest ac si non timerem eum; neque enim possum metuens respondere, idest dum ex reverentia eius revocor a perscrutatione. Sciendum est autem quod timor Dei aliquando timentes Deum a perscrutatione divinorum non revocat, quando scilicet perscrutantur divina desiderio veritatis cognoscendae, non ut comprehendant incomprehensibilia sed semper eo moderamine ut intellectum suum divinae subiciant veritati; revocantur autem per timorem Dei ne sic perscrutentur divina quasi comprehendere volentes et intellectum suum divina veritate non regulantes. Sic igitur per haec verba Iob intendit ostendere quod eo moderamine de his quae ad divinam providentiam pertinent perscrutatur, ut intellectum suum divinae veritati subiciat, non ut divinam veritatem impugnet, quod esset contra reverentiam divini timoris.

Dans sa réponse précédente aux paroles d’Eliphaz Job semblait avoir omis une chose qu’Eliphaz avait proposée quant à la justice de Dieu, lorsqu’il s’exprimait ainsi Est-ce que l’homme en comparaison de Dieu est plus juste? Qui plus est se servant d’une métaphore il paraissait contester contre Dieu en disant : "Suis-je la mer moi ou un cétacé pour que l’on m’emprisonne?" et en outre : "Jusques à quand m’en voudras-tu?" Sur quoi Baldad de Shouah répliqua prenant la 'défense' de la justice de Dieu en ces termes : "Dieu ferait-il un accroc à la justice et renverserait-il le droit?" et il termina ce même discours en disant : "Dieu ne rejette pas l’homme simple et il ne tend pas la main aux méchants." Et donc Job dans sa réponse montre premièrement qu’il n’entend pas contredire la justice divine ni ne veut contester contre Dieu comme eux l’en soupçonnaient. Et c’est ce qui est dit Job répondit : Vraiment je sais qu’il en est ainsi à savoir que Dieu ne fait pas accroc à la justice et qu’il ne rejette pas l’homme simple, comme Baldad l’a proposé et je sais que l’homme n’est pas justifié comparé à Dieu; c’est donc en réponse à ce que disait Baldad : Est-ce que l’homme en comparaison de Dieu serait plus juste?

Et comment il le sait, il le montre ensuite par un signe; en effet lorsque quelqu’un en comparaison d’un autre est juste, il peut libre ment et avec assurance discuter avec lui parce que du choc des idées peuvent jaillir la justice et la vérité. Or personne parmi les hommes ne peut avec assurance contester avec Dieu et donc il dit : S’il voulait contester avec lui à savoir l’homme avec Dieu, il ne pourrait lui répondre à savoir l’homme à Dieu une fois sur mille. Il faut savoir que le plus grand chiffre qui ait un nom propre est le millier; car les nombres supérieurs s’obtiennent en le multipliant : ainsi on a dix mille, cent mille; ce qui se justifie; car chez les anciens les espèces numériques vont jusqu’à dix; ensuite en effet on revient aux premiers nombres (1, 2, 3 etc.), l’énoncé est clair, quoiqu’il en soit dans la réalité — or la troisième puissance de dix est le millier; en effet dix fois dix fois dix font mille; donc le nombre mille pour nous est pris pour tout grand nombre déterminé; donc ce qu’il dit que l’homme ne peut répondre à Dieu une fois sur mille, revient à dire qu’aucune mesure numérique déterminée ne peut exprimer le rapport de la justice divine avec l’humaine puisque celle-ci est finie et celle-là infinie.

Que l’homme en contestant ne peut en aucune proportion accéder à Dieu il le montre ensuite en disant : Son cœur est sage et forte sa vigueur : il veut dire, de Dieu. Or il y a deux sortes de contestations : celle qui se fait dans la discussion et elle est sagesse et celle qui se fait dans la lutte et elle est puissance : or Dieu excède en chacune; sa puissance et sa sagesse dépassent toute puissance et sagesse. Et ces deux excès il les montre ensuite. Et d’abord pour la puissance qu’il démontre quant aux hommes lorsqu’il dit : Qui lui a résisté et en obtint la paix? C’est-à-dire : personne. Il faut savoir qu’on obtient la paix autrement d’un puissant, d’un moins puissant ou d’un égal. Il est en effet manifeste que un plus puissant obtient la paix d’un moins puissant en s’attaquant à lui; comme quand un roi puissant attaque un rebelle en son royaume et après l’avoir vaincu il peut y rétablir la paix. Semblablement aussi quand ils sont d’égale force, l’un ou l’autre obtient la paix par la lutte; en effet bien que la victoire soit incertai ne, cependant par la prolongation de la lutte l’un fatigue l’autre et l’amène à demander grâce. Mais d’un plus fort on ne peut obtenir la paix ni par la résistance ni par la lutte mais en se soumettant humble ment. C’est donc l’indice évident que la puissance de Dieu excède toute humaine puissance, que personne ne peut avoir la paix en lui résistant mais seulement en lui obéissant humblement. D’où il est dit : "Tu lui garderas la paix parce qu’il a espéré en toi" (Is. 26, 3). Mais les impies qui résistent à Dieu ne peuvent avoir la paix : "Il n’y a pas de paix pour les impies" dit le prophète (Is. 48, 22 et 57, 21). Et c’est ce qu’il dit ici : Qui lui a résisté et obtint la paix?

Il montre enfin que la puissance de Dieu excède les forces naturelles tant dans les corps supérieurs que dans les inférieurs. Dans ceux-ci il le montre en ce qu’il meut selon sa volonté ceux des corps inférieurs qui sont les plus stables et les plus fermes. Donc quant aux corps mixtes, auxquels il fait allusion après l’homme, ceux qui sont les plus stables et les plus fermes sont les montagnes et auxquelles l’Écriture compare la stabilité des saints : "Qui se confient dans le Seigneur, ils sont comme la montagne de Sion" (Ps 124, 1). Et cependant par sa puissance Dieu meut les montagnes : et c’est ce qu’il nous dit : Il transporte les montagnes. Cela sans doute peut se faire par un miracle puisque promis à la fermeté de la foi selon Matthieu : "Si vous avez la foi et que vous n’hésitiez point mais quand même vous diriez à cette montagne : ôte-toi de là et te jette dans la mer cela se ferait" (21, 21) et aux Corinthiens : "Quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes" (1, 13, 2). Cependant il est plus juste de s’en rapporter au cours naturel des choses. En effet l’ordre de la nature veut que tout ce qui est engendré naturellement soit aussi détruit à un moment déterminé; d’où comme la naissance des monts est naturelle, il est nécessaire que des montagnes disparaissent naturellement. Cette disparition il l’appelle translation en ce que la disparition et la ruine des montagnes s’opère par une sorte de transfert de leurs parties. Et ce n’est pas déraisonnable d’attribuer au pouvoir divin ce qui s’opère naturellement puisque la nature opère en vue d’une fin. Or tout ce qui est ordonné à une fin déterminée ou bien se dirige soi-même vers cette fin, ou bien y est ordonné par quelqu’un d’autre qui l’y dirige. Il est donc nécessaire que les choses naturelles qui ne connaissent pas leur fin pour pouvoir s’y diriger soient dirigées par un autre supérieur intelligent. Donc toute l’opération de la nature est comparable à l’intelligence dirigeant les choses naturelles vers la fin comme est comparable le mouvement de la flèche à l’archer. D’où s’il est juste d’attribuer le mouvement de la flèche à l’archer, ainsi conséquemment toute l’opération de la nature est attribuée à la nature divine. Donc si par opération naturelle les monts sont ébranlés, il est manifeste que la stabilité des montagnes soit ébranlée par la vertu divine Or il arrive chez les hommes qu’un roi emporte une place forte grâce a sa puissance et celle-ci se manifestera d’autant plus grande qu’il aura accompli cet exploit rapidement et sans coup férir. Donc par cela que des monts sont déplacés est attestée très fortement la vertu divine comme opérant en quelque sorte subitement et sans qu’on puisse le savoir, a tel point que ceux qui habitent ces montagnes périssent dans ce tremblement de terre et ils ne peuvent y échapper puisqu’ils n’ont pu prévoir la chose et c’est ce qui est dit et ceux qu’il a renversés dans sa colère ne le surent pas... Et il ajoute : en sa colère pour montrer que Dieu règle les opérations naturelles selon les dispositions de sa providence en tant que c’est nécessaire au châtiment des péchés des hommes. Et c’est dit par métaphore qu’il s’irrite contre les pécheurs quand il exerce sa vengeance qui chez nous est un effet de la colère.

Des corps mixtes on passe aux éléments (simples) parmi lesquels le plus ferme et le plus stable est la terre qui est immobile comme le centre de tout le mouvement; et cependant selon certaines de ses parties elle bouge naturellement sous l’effet des gaz qu’elle renferme comme l’enseignent les philosophes et c’est ce qui est dit : il secoue la terre de son lieu non pas totalement en son entier mais selon certaines de ses parties qui sont habitées comme il arrive dans une secousse sismique; et dans une telle secousse les monts sont ébranlés qui sont comme des colonnes s’appuyant sur la terre d’où ce qui suit et ses colonnes sont ébranlées. On peut aussi selon la lettre entendre toutes autres colonnes ou édifices qui adhèrent à la terre et qui s’écroulent dans le tremblement de terre; on peut aussi entendre par ces colonnes les parties inférieures et profondes de la terre; de même que la maison est stable sur ses fondements ainsi la stabilité de la terre procède du centre vers lequel toutes les parties de la terre tendent naturellement; et par conséquent toutes les parties inférieures de la terre sustentent les parties supérieures et sont comme ses colonnes; et ainsi comme un tremblement de terre provient des profondeurs de la terre il apparaît causé en quelque sorte par l’ébranlement des colonnes de la terre.

Après cela on passe en dernier lieu aux corps célestes en montrant la même chose c’est-à-dire qu’ils sont soumis à la vertu divine. De même que par sa nature la terre est immobile et en repos ainsi par nature le ciel est toujours en mouvement. De même donc que la puissance divine surmonte, en y mettant des déplacements la ver tu de la terre, ainsi surmonte-t-elle la vertu céleste en arrêtant son mouvement par lequel se produisent le lever et le coucher du soleil et des autres astres. Et donc il dit : Il commande au soleil et il ne se lève pas. Ceci ne veut pas dire que le soleil ne se lève pas selon la réalité vu que le mouvement céleste est continuel, mais selon l’apparence il ne se lève pas à tel endroit, par exemple quand l’air est nébuleux au point que le lever du soleil ne peut apparaître aux habitants de cet endroit dans son habituelle clarté. Or comme cette nébulosité se produit par une opération naturelle on doit l’attribuer à un ordre divin qui règle toute la nature dans ses opérations, comme l’instrument est sous l’action de l’agent. Et qu’il entende que le soleil ne se lève pas en tant qu’il est caché cela est surtout exprimé par ce qu’il dit : Et il renferme les étoiles comme s’il les scellait; en effet les étoiles sont comme enfermées lorsque le ciel est couvert de nuages de sorte qu’on ne peut apercevoir les étoiles

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "La sagesse de Dieu" (Job, 9, 8-10)

 

8 Seul, il étend les cieux, il marche sur les hauteurs de la mer. 9 Il a créé la Grand-ourse, Orion, les Pléiades, et les régions du ciel austral. 10 Il fait des merveilles qu'on ne peut sonder, des prodiges qu'on ne saurait compter.

8 il mesure les cieux. Il marche sur les flots de la mer. Il a créé Arcturus, Orion, Les Hyades et les Chambres du Sud. Il a fait de grandes choses, Insondables et admirables. Et qu’on ne peut dénombrer.

 

Après avoir montré la puissance divine en son action, le bienheureux Job va montrer maintenant la profondeur de sa divine sagesse. Il procède dans l’ordre inverse que plus haut. Car il avait montré la puissance divine à partir des choses humaines et continuée jusqu’aux corps célestes; ici il commence par les cieux et continue jusqu’aux hommes. Ce qui est raisonnable; car la sagesse d’un artisan se montre dans des œuvres stables. Et donc dans la démonstration de la divine sagesse il commence par les choses plus stables comme indiquant avec plus d’évidence la sagesse de Dieu, or l’efficacité d’un pouvoir se montre en ce qu’il peut modifier l’état des choses. D’où les hommes sont accoutumés de tester leur force dans le lever ou le jet de pierres, dans la lutte et autres choses de ce genre. Et voilà pourquoi Job quand il a montré l’efficacité de la puissance divine a d’abord présenté les choses où le changement apparaît plus manifeste.

Ainsi donc pour montrer la divine sagesse il commence par les corps célestes en disant : Seul il mesure les cieux. Or la sagesse de Dieu se recommande en trois choses : elle peut d’abord mesurer de grandes choses par son intelligence et sa sagesse et quant à cela il dit : Seul il a étendu les cieux, en effet c’est dans l’étendue des cieux que se montre la grandeur de leur quantité. Dieu donc étend les cieux parce qu’il est le seul à pouvoir donner aux cieux une telle grandeur que sa sagesse a mesurée. Ensuite la sagesse de Dieu se recommande en ce qu’elle met de l’ordre dans les choses variables et comme flottantes et incertaines et qu’elle les soumet à son gouvernement et quant à cela il dit : Il marche sur les flots de la mer. En effet les flots de la mer paraissent être les plus désordonnés comme étant projetés çà et là par les vents; et cependant Dieu marche sur eux en tant qu’il les soumet à son gouvernement. Enfin la sagesse de Dieu se recommande en ce que Dieu a créé tant de choses selon sa sagesse qui apparaissent aux hommes admirables et dont ils ne peuvent scruter la raison; et cela apparaît surtout dans l’emplacement et la disposition des étoiles; et tout cela a été fait avec la plus grande sagesse et rationnellement. Et il en fait le dénombrement depuis le pôle nord jusqu’au pôle sud. D’où il cite Arcturus qui est une constellation du ciel qu’on appelle la Grande Ourse et qui a sept étoiles brillantes et qui pour nous sont toujours visibles, mais elles tournent autour du pôle nord. Vient ensuite Orion, constellation qui est très apparente par sa dimension et la clarté des étoiles qui se trouvent dans le Taureau et les Gémeaux. Viennent les Hyades qui sont dans la poitrine du Taureau comme on dit et qui sont aussi très visibles. Viennent les Chambres du Sud. Il faut considérer ici que les deux pôles sont visibles aux habitants qui se trouvent sous l’Equateur - en supposant qu’ils y sont - puisque leur horizon coupe l’Equateur à angles droits et ainsi il faut qu’il passe par les deux pôles d’équinoxe : d’où sont visibles les deux pôles à ceux qui habitent sous l’Equateur, mais a ceux qui en sont éloignés dans la direction du nord le pôle nord s’élève au dessus de l’horizon et le pôle sud disparaît a mesure qu’on s’éloigne de l’Equateur D’ou pour nous qui sommes dans l’hémisphère nord le pôle austral n’est jamais visible et également les étoiles qui s’en rapprochent dans la proportion de l’éloignement de l’Equateur et ces étoiles sont appelées Chambres du sud parce qu’elles nous sont invisibles comme étant cachées et disparaissant sous l’horizon.

Et pour qu’on e croie pas que la divine sagesse se manifeste seulement en ces choses il montre ensuite que Dieu a fait pour nous beaucoup d’autres choses semblables et innombrables en disant : Il a fait de grandes choses dans lesquelles se recommande la sagesse de Dieu par l’amplitude de leur mesure, ce qui correspond à ce qu’il avait dit : Qui seul a étendu les cieux (Il a fait) des choses insondables c’est-à-dire que les hommes ne peuvent scruter a cause de leur instabilité et que cependant Dieu maîtrise par son gouvernement, ce qui correspond a ce qu’il avait dit : Et il marche sur les flots de la mer (Il a fait) des choses admirables dont les hommes ne peuvent connaître les raisons bien que pour Dieu elles soient établies selon la raison, ce qui se rapporte a ce qui est dit plus haut Il a fait Arcutus, Orion, les Hyades et les Chambres du Sud. Quant à ce qu’il ajoute : Et qu’on ne peut dénombrer, cela doit s’appliquer à chacune de ces choses dans ce sens cependant que les œuvres divines sont innombrables pour les hommes mais numérables pour Dieu qui a fait tout en nombre en poids et mesure

 

CONFÉRENCE 3 — Job ne peut se lever contre Dieu (Job 9, 11-21)

 

11 Voici qu'il passe près de moi, et je ne le vois pas il s'éloigne, sans que je l'aperçoive. 12 S'il ravit une proie, qui s'y opposera, qui lui dira : "Que fais-tu?" 13 Dieu! Rien ne fléchit sa colère : devant lui s'inclinent les légions d'orgueil. 14 Et moi je songerais à lui répondre, à choisir mes paroles pour discuter avec lui! 15 Aurais-je pour moi la justice, je ne répondrais pas J'implorerais la clémence de mon juge. 16 Même s'il se rendait à mon appel, je ne croirais pas qu'il eût écouté ma voix : 17 lui qui me brise comme dans un tourbillon, et multiplie mes blessures sans motif; 18 qui ne me laisse point repirer, et me rassasie d'amertume. 19 S'agit-il de force, voici qu'il est fort, s'agit-il de droit, il dit : "Qui m'assigne?" 20 Serais-je irréprochable, ma bouche même me condamnerait; serais-je innocent, elle me déclarerait pervers. 21 Innocent! Je le suis; je ne tiens pas à l'existence, et la vie m'est à charge.

11 S'il vient à moi, je ne le verrai point; S’il se retire, je ne le saurai point. Et soudain il interroge qui lui répondra? Ou qui peut lui dire : Pourquoi agis-tu ainsi? Dieu auquel dans sa colère on ne peut résister. Et sous qui s’inclinent ceux qui portent le monde. Et que suis-je donc pour lui répondre et que je lui adresse mes paroles? Même si j’avais quelque droit, je ne répondrai point mais je supplierai mon juge. Et quand il m’aura exaucé, moi qui l’invoque je ne crois pas qu’il aura entendu ma voix. Dans la tempête en effet il me jette par terre. Et il multipliera mes blessures sans aucun motif. Il ne concède nul repos à mon esprit, Et il me remplit d’amertume. Quant à la puissance il est le plus fort, quant au jugement juste personne n’osera pour moi porter témoignage. Si je voulais me justifier ma bouche me condamnera, me montrer innocent, il me convaincra de dépravation. Même si j’avais été simple, cela aussi mon âme l’ignorera et ma vie me sera en dégoût.

Le bienheureux Job voulant prouver que son intention n’est pas de contester Dieu vient de montrer par plusieurs indices la profondeur de la divine sagesse dans les choses naturelles; maintenant il veut le faire pour les choses humaines. A celui qui régit les choses humaines trois choses s’imposent. D’abord qu’il dispense à ses sujets les préceptes de justice et d’autres bienfaits; ensuite qu’il examine les actes de ses sujets; enfin que ceux qu’il trouve coupables il les condamne ou les corrige. En ces trois choses donc il montre l’immense profondeur de la sagesse divine. D’abord elle est dans ses bienfaits si profonde et si subtile qu’elle est incompréhensible pour ceux qui en sont gratifiés; et c’est ce qu’il dit : S’il vient à moi je ne le verrai point; s’il se retire je ne le saurai point. Dans l’Ecriture, Dieu vient aux hommes quand il leur accorde ses bienfaits, soit en éclairant l’intelligence soit en enflammant le cœur, soit par toute autre sorte de biens; d’où en Isaïe "Dieu lui-même viendra et il nous sauvera" (35, 4c). Au contraire Dieu se retire de l’homme quand il soustrait ses bienfaits ou sa protection "Pourquoi, Seigneur, vous tenez-vous éloigné?" (Ps. 31 9, 22). Or Dieu parfois permet des tribulations ou aussi des défauts spirituels en vue de notre salut, comme il est écrit "Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rom. 8, 28). Ainsi Dieu vient à l’homme en lui procurant le salut et cependant l’homme ne le voit pas parce qu’il ne perçoit pas son bienfait. Au contraire Dieu ne soustrait pas ses bienfaits à beaucoup et qui cependant servent à leur perte; et ainsi Dieu se retire de l’homme sans que celui-ci se rende compte que Dieu s’est retire. Telle est donc la profondeur de la divine sagesse en la dispensation de ses bienfaits.

Ensuite elle se manifeste dans l’examen des actions humaines. Car elle les examine subtilement et efficacement de telle sorte que personne ne peut y échapper par aucun calcul; et il le dit : Si soudain il interroge qui lui répondra? Or Dieu interroge l’homme quand il l’oblige à considérer sa conscience ou bien intérieurement par inspiration ou bien extérieurement en le provoquant par des bienfaits ou par des châtiments "Le Seigneur interroge le juste et l’injuste" (Ps. 10, 6). Et suffisante est la réponse de l’homme quand rien en lui ne se trouve que Dieu puisse reprendre justement; ce qui n’arrive à personne en cette vie "Qui peut dire : mon cœur est pur" (Prov. 20, 9), c’est-à-dire pur de péché. Or il dit pertinemment Si soudain il interroge parce que s’il lui donne le temps de répondre, l’homme peut par la pénitence effacer son péché. Parfois celui qui doit poursuivre les abus le fait sans énergie craignant que ses excès ne soient à leur tour examinés; mais il n’est pas à craindre que Dieu se montre débonnaire en son contrôle; car personne ne lui est supérieur qui puisse juger ses actes et donc il dit : Ou qui peut lui dire pourquoi agis-tu ainsi? Comme s’il le reprenait.

Enfin on nous montre la profondeur de la sagesse divine dans le châtiment des délits, car ou que se tourne l’homme, aucune astuce, aucun moyen d’échapper a la vengeance divine, selon le Psalmiste "Ou aller pour me dérober a votre esprit Ou fuir pour échapper a votre regard 9" (138, 7) Et il le dit ici Dieu auquel dans sa colère on ne peut échapper En effet la colère que l’Écriture attribue a Dieu ne comporte pas un trouble de l’esprit mais la vengeance; comme preuve de cela il induit ensuite Sous qui s’inclinent ceux qui portent le monde. Il faut entendre par la les esprits célestes qui sont au service de toute la nature corporelle par disposition divine, comme le dit saint Augustin au L.3 de Trinitate. Et ces esprits s’inclinent devant Dieu parce qu’ils lui obéissent en toutes choses, selon le psaume "Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, ministres qui faites sa volonté" (, 21). Ainsi donc par l’obéissance des anges à Dieu il est manifeste que tout le cours des choses matérielles sous le ministère des anges est soumis à la volonté divine; et ainsi d’aucune créature ne vient de secours à l’homme pour échapper à la vengeance divine, comme le psaume le dit : "Si je monte au ciel tu y es; si je descends en enfer tu es là" (Ps. , 8); et plus fort encore, la Sagesse "Avec lui le monde entier combat les insensés" (5, 20). On peut aussi entendre ceux qui portent le monde, les rois et les princes de ce monde s’inclinent devant Dieu, selon les Proverbes (8, 15) "Par moi règnent les rois" ou parce que les rois eux-mêmes ne peuvent résister à la colère divine, et à plus forte raison peut-on en conclure la même chose pour d’autres.

Ainsi donc après avoir prouvé de plusieurs manières l’immensité de la puissance divine et la profondeur de sa sagesse il conclut pour son propos qu’il n’est pas dans son intention de contester Dieu et il le dit : Que suis-je donc? C’est-à-dire assez puissant, assez sage pour lui répondre c’est-à-dire à Dieu qui interroge et qui est le plus puissant, le plus sage, et pour que je lui adresse mes paroles examinant ses actes et lui disant : "Pourquoi agis-tu ainsi?", il veut dire : je ne suis pas capable de contester Dieu. La contestation en effet consiste à répondre et à objecter. Or sans être très puissant ou sage on peut à cause de la sécurité que donne la conscience contester un juge. Mais cette cause il l’exclut aussi Même si j’avais quelque droit je ne répondrai pas c’est-à-dire à Dieu qui m’examine comme si je voulais défendre ma justice, mais je supplierai mon juge demandant non le jugement mais la miséricorde. Il dit remarquablement Si j’avais quelque droit pour désigner l’incertitude de l’humaine justice en disant : si j’avais, selon ce que dit l’Apôtre "Je n’ai conscience de rien mais je ne suis pas justifié pour autant" (1 Cor. 4, 4). Et pour montrer que la justice de l’homme est petite et imparfaite rapportée à l’examen divin il dit : Quelque, selon Isaïe "Toutes nos justices sont devant lui comme du linge souillé" (64, 6).

Il indique ce qu’il obtient par son adjuration lorsqu’il dit : Et quand il m’aura exaucé, moi qui l’invoque, je ne crois pas qu’il aura entendu ma voix. En effet Dieu ne nous exauce pas selon notre désir mais pour notre profit; comme le médecin en effet n’écoute pas, selon le désir, le malade qui demande qu’on lui enlève un médicament amer; il agit ainsi parce qu’il sait que cela lui est salutaire; il l’exauce cependant à son profit parce qu’ainsi il lui donne la santé : ce que le malade désire surtout.

Ainsi Dieu ne soustrait pas les tribulations à celui qui est éprouvé bien qu’il en soit prié parce qu’il sait qu’elles lui sont profitables pour son salut final. Et ainsi bien que Dieu exauce réellement, cependant l’homme dans la tribulation croit ne pas être exaucé; et pour quoi il ne le croit pas, il le montre Dans la tempête en effet il me jette par terre; et ce qu’il dit par métaphore il l’explique Il multiplie mes blessures sans aucun motif. C’est aussi jeter par terre quelqu’un que de multiplier ses blessures et ses tribulations; et c’est dans la tempête, dans une obscurité qui fait peur, sans aucun motif à savoir manifeste, et perceptible à l’homme affligé. En effet si celui-ci percevait le motif pourquoi Dieu l’afflige et que ses afflictions sont utiles au salut, il est manifeste qu’il se croirait exaucé; mais comme il ne le comprend pas, il croit qu’il ne l’est pas; et donc non seulement extérieurement mais aussi intérieurement est-il affligé, comme un malade qui ne saurait pas qu’un médicament amer lui rendra la santé, non seulement souffre dans le goût mais aussi dans son esprit et donc il dit : Il ne concède aucun répit à mon esprit. En effet l’esprit repose, bien que la chair souffre, dans l’espoir de la fin, selon ce que dit le Seigneur "Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous maudiront" (Matt. 5, 11) et il ajoute : ensuite "Car votre récompense est grande dans les cieux" et donc je suis afflige extérieurement et intérieurement et je n’ai nul répit Il me remplit d’amertumes au dedans et au dehors.

On doit remarquer qu’a partir du verset Quand il m’aura exauce moi qui l’invoque, il propose ouvertement ce qu’il avait dit de façon voilée S’il vient a moi je ne le verrai pas On doit remarquer cela dans presque tout ce que dit Job que ce qu’il dit de façon obscure il l'explique ensuite. Et parce qu’il avait dit brièvement et sommairement plus haut Que suis-je donc pour lui répondre. Ici il l’explique plus au long quand il assigne la cause pourquoi il ne répond pas et pourquoi il supplie son juge en effet que l’on réponde avec audace à un juge peut avoir deux causes d’abord si le juge est impuissant a contraindre le prévenu, et il écarte cela en disant : Quant a la puissance à savoir en Dieu pour forcer ses sujets, il est le plus fort dépassent toute résistance. Ensuite on répond audacieusement au juge parce qu’on est sûr de sa cause , ce qui arrive si l’on a beaucoup de témoins à décharge; mais il exclut cela en disant : Quant au jugement juste à savoir qu’on l’exige et selon lequel le grand nombre de témoins peut nous absoudre personne n’osera pour moi porter témoignage. En effet il ne nous est pas possible de comprendre que la justice de l’homme puisse être plus grande que la vérité de Dieu qui nous reprend. Parfois si l’on a peu de témoins en sa faveur on s’appuie sur sa conscience, ce qui nous donne confiance en notre cause; mais le témoignage de la conscience ne vaut pas contre un Dieu qui accuse. Et on nous montre cela dans les trois degrés qu’on trouve dans le témoignage de la conscience. Le premier, quand la conscience rend à quelqu’un le témoignage qu’il est juste, comme il est dit aux Romains "L’Esprit lui- même rend témoignage à notre esprit que nous sommes fils de Dieu" (8, 16). Mais ce témoignage ne vaut pas contre un Dieu qui accuse; d’où il dit : Si je voulais me justifier à savoir : si je voulais dire que je suis juste le Seigneur m’objecterait que je suis un impie; ma bouche me condamnerait à savoir condamnable pour blasphème. Le second degré est : bien que l’on ne présume pas de sa propre justice cependant la conscience ne nous reproche aucun péché, selon ce qui est dit : "Je ne suis conscient de rien de mal" (1 Cor 4, 4). Mais ce témoignage ne vaut pas contre Dieu et il dit : Si je voulais montrer mon innocence et que je suis sans péché, il me convaincrait de dépravation en tant qu’il manifesterait à moi-même ou aux autres les péchés dont je ne suis pas conscient, comme il est dit : "Qui connaît ses égarements" (Ps. 18, 13). Le troisième degré est que tout en étant conscient du péché cependant par présomption on pense qu’on n’a eu aucune mauvaise intention, ou qu’on n’a pas agi malicieuse ment ou astucieusement mais par ignorance ou faiblesse. Mais ce témoignage ne vaut pas devant Dieu et donc il dit : même si j’avais été simple à savoir sans dol ou duplicité et mauvaise intention cela aussi mon âme l’ignorerait; en effet l’homme ne peut connaître clairement les mouvements de son cœur tant à cause de ses variations que du mélange et de l’impétuosité de passions nombreuses; à cause de cela Jérémie dit : "Dépravé est le cœur de l’homme, il est instable; qui le connaîtra" (17, 9). Et à cause de cette ignorance qui fait que l’homme ne se connaît pas, ni son état d’âme, sa vie, même pour les justes, lui devient pénible et pour cela il dit : Et ma vie me sera en dégoût".

 

 

CONFÉRENCE 4 — Job : "Le malheur frappe les bons et les mauvais" (Job 9, 22-35)

 

22 Il m'importe après tout; c'est pourquoi j'ai dit : "Il fait périr également le juste et l'impie." 23 Si du moins le fléau tuait d'un seul coup! Hélas! Il se rit des épreuves de l'innocent! 24 La terre est livrée aux mains du méchant, Dieu voile la face de ses juges : si ce n'est pas lui, qui est-ce donc?

25 Mes jours sont plus rapides qu'un courrier, ils fuient sans avoir vu le bonheur; 26 ils passent comme la barque de jonc, comme l'aigle qui fond sur sa proie. 27 Si je dis : "Je veux oublier ma plainte, quitter mon air triste, prendre un air joyeux, " 28 je tremble pour toutes mes douleurs, je sais que tu ne me tiendras pas pour innocent. 29 Je serai jugé coupable : pourquoi prendre une peine inutile? 30 Quand je me laverais dans la neige, quand je purifierais mes mains avec le bor, 31 tu me plongerais dans la fange, et mes vêtements m'auraient en horreur. 32 Dieu n'est pas un homme comme moi, pour que je lui réponde, pour que nous comparaissions ensemble en justice. 33 Il n'y a pas entre nous d'arbitre qui pose sa main sur nous deux. 34 Qu'il retire sa verge de dessus moi, que ses terreurs cessent de m'épouvanter : 35 alors je parlerai sans le craindre; autrement, je ne suis point à moi-même.

22 y a une chose que j’ai dite : le juste et l’impie il les fait mourir. 23 S'il frappe, qu’il tue en une fois, et qu’il ne se rie pas des peines des innocents. 24 La terre a été donnée aux mains de l’impie, qui met un voile sur le visage de ses juges. Si ce n’est pas lui, qui donc est-il? 25 Mes jours sont plus rapides que le coureur : Ils se sont enfuis et n’ont pas connu le bien. 26 Comme des navires chargés de fruits ils ont passé; comme l’aigle se précipite sur sa proie. 27 Si je dis "Je n'ai nullement parlé ainsi" : Je changerais mon visage alors que la douleur me torture. 28 Je craignais pour tous mes actes, sachant que tu n'épargnes pas le délinquant. 29 Et ainsi si je suis un impie, J’aurai donc peiné en vain. 30 Me serais-je lavé avec l’eau des neiges et que mes mains resplendissent de blancheur, me couvriras d’ordures et mes vêtements me seront abominables. 32 Je ne répondrai point d l’homme mon semblable ni qui puisse être entendu à égalité avec moi. 33 Personne qui puisse les convaincre et étendre la main sur tous les deux. 34 De moi qu’il écarte la verge, et que je sois sans aucune crainte. 35 Je parlerai et je ne craindrai pas : Car on ne peut répondre sous la crainte.

 

Après avoir prouvé qu’il n’a pas l’intention de contester Dieu, le bienheureux Job propose ce qui fait l’objet de leur dispute. Eliphaz en effet avait dit que Dieu n’envoie de châtiments que pour les péchés, contre ce que Job avait dit dans sa première réponse. Et parce que Baldad avait tenté de confirmer la sentence d’Eliphaz. Job renouvelle sa propre sentence en disant : Il y a une chose que j’ai dite : le juste comme l’impie il les fait mourir. Donc non seulement aux pécheurs mais aussi aux innocents Dieu envoie la mort, qui cependant est le plus grand des châtiments; et ainsi il est faux de dire selon vous que l’homme est puni uniquement pour ses propres péchés. Que la mort vienne de Dieu, il est dit : "Je ferai mourir et je ferai vivre" (Deut. 32, 39). Mais comme la mort est le lot commun à tous il y a une chose qui est pénible : à savoir que les innocents fassent exception à la commune nécessité en subissant en cette vie de nombreuses adversités. Et il veut en rechercher la cause et donc il dit : S’il frappe qu’il tue en une fois, comme s’il voulait dire : puisque le châtiment de la mort est commun à tous, il paraît raisonnable cependant que les innocents qui ne sont pas coupables de péchés ne devraient pas, la mort exceptée, subir une autre peine. Si en effet comme vous le dites il n’y a pas d’autre cause pour laquelle on doive être justement châtié que le péché et comme il est manifeste d’autre part que des innocents subissent un châtiment en ce monde, il semble qu’ils soient punis sans motif, comme si les châtiments plaisaient à Dieu pour eux-mêmes; donc il dit : qu’Il ne se rie pas de la souffrance des innocents. En effet nous rions de choses qui plaisent pour elles-mêmes.

Si donc il ne se peut que les souffrances des innocents plaisent à Dieu - en effet souvent des innocents sont punis - on est devant une autre difficulté : c’est-à-dire que ces peines ne procèdent pas d’un jugement divin mais de la malice d’un maître inique qui a puissance sur terre et qui punit des innocents; d’où ce qui suit La terre a été livrée aux mains d’un impie; il veut dire : si les souffrances des innocents pour elles-mêmes ne plaisent pas à Dieu, et cependant c’est bien eux qui sont sur cette terre, il faudra dire que Dieu a remis le gouvernement de la terre à quelque impie dont l’iniquité a perverti la justice sur la terre pour que des innocents soient punis; et c’est ce qu’il dit : Il couvre le visage de ses juges; à savoir il obscurcit leur raison par la cupidité ou la haine ou l’amour pour qu’ils ne suivent pas la juste vérité en jugeant. Que si ce n'est pas lui, à savoir l’impie, auquel la terre est livrée et qui cause le châtiment des innocents, qui donc alors en est la cause? En effet comme on l’a vu, cela n’est pas de Dieu puisque dans votre hypothèse seul le péché est la cause des maux présents. La terre est livrée aux mains d’un impie est vrai en un sens en tant que les hommes terrestres sont laissés par Dieu sous le pouvoir du diable, selon cette parole Celui qui commet le péché est esclave du péché" (Jo. 8, 34); mais c’est faux simplement, en effet la domination sur la terre n’est pas donnée inconditionnellement au diable c’est-à-dire qu’il puisse agir librement sur la terre; mais tout ce qui lui est permis de faire procède d’une divine disposition qui ordon ne tout selon une cause raisonnable; donc que des innocents soient punis ne dépend pas absolument de la malice du diable mais est permis par la sagesse de Dieu. Donc si le péché n’est pas en cause dans la souffrance des innocents, il ne suf1 pas de la ramener à la malice diabolique mais il y faut ultérieurement une autre cause raisonnable pour laquelle Dieu la permet; et pour cela il dit pertinemment Que si ce n’est pas lui, qui donc alors?...

Pour résoudre ce problème il propose le dommage qu’il a subi dans la perte de ses biens en montrant l’instabilité de la prospérité présente par comparaison à des choses qui sont très rapides en ce monde. Mais il faut remarquer que les attitudes diffèrent quant à cette prospérité. Certains y mettent leur fin, n’espérant rien au-delà. C’est à cela que revient l’opinion de ceux qui placent en cette vie toute rétribution; or de tels gens ne dépassent pas la prospérité de ce monde et ils n’ont plus rien quand ils la perdent. D’autres du nombre de qui est Job ne mettent pas leur fin en cette prospérité mais ils tendent vers une autre fin et ceux-là dépassent la prospérité de ce monde plutôt qu’ils ne sont dépassés par elle. A ceux qui tendent vers une fin trois choses sont nécessaires : d’abord qu’ils ne mettent leur cœur en rien d’autre qui puisse les retarder de la fin, mais qu’ils se hâtent à l’atteindre et donc il pose d’abord en exemple l’athlète qui court au but sans s’arrêter même un moment en chemin, d’où il dit : Mes jours ont été plus rapides que le coureur; en ces mots on retrouve et l’instabilité de la fortune présente et l’intention de tendre vers autre chose; ils se sont enfuis n’ayant pas trouvé le repos du cœur dans les choses de ce monde; d’où ce qui suit Et ils n’ont pas vu le bien c’est-à-dire, que je cherchais, et qui est le vrai bien, et donc je n’estime pas avoir etc. rémunéré en justice Que si vous estimez une rémunération la prospérité présente, celle-ci une fois soustraite, bien qu’innocent, je suis puni. Ensuite pour tendre vers une fin il faut employer les moyens à cette fin, comme celui qui veut guérir doit utiliser les médicaments qui le guérissent, ainsi celui qui veut parvenir au vrai bien doit acquérir les vertus par lesquelles il peut l’obtenir, d'où il dit : Comme des navires charges de fruits ils ont passé, ici encore il exprime deux choses et la précarité de la fortune présente, car les fruits chargés sur les navires, on a hâte de les vendre pour qu’ils ne gâtent pas a la longue, et l’application de celui qui tend a la fin, il veut dire mes jours ont passe trop rapidement mais j’ai rassemble des vertus par lesquelles je vais vers ma fin Enfin il y a l’obtention de la fin, d'où ce qu’il dit : comme l’aigle se lance sur sa proie; ici encore on retrouve ces deux choses, car l’aigle vole d’autant plus vite qu’il est pressé par la faim et la nourriture est le but où il se restaure.

Comme par ces paroles il a insinué qu’il est juste et innocent, ce qui l’a fait accuser de présomption par ses adversaires, il va mainte nant conférer avec Dieu de son innocence lui qui est seul juge de la conscience; d’où il dit : Lorsque je dirais, à savoir, dans mon cœur, je n’ai nullement parlé ainsi, à savoir, que je suis juste et innocent, ce serait changer mon visage, c’est-à-dire la confiance que j’ai conçue de mon innocence avec le souci d’examiner ma conscience; et la douleur me torturerait en repensant dans une discussion de ma propre conscience si peut-être je ne suis pas puni pour quelque péché. Et quelle est la cause de cette douleur il le dit : Je craindrais pour toutes mes actions. C’est en effet une grande cause de souffrance d’avoir grand souci de quelque chose et malgré cela de ne pouvoir échapper à ce qu’on voulait éviter. Or Job apportait un très grand souci au sujet de tout ce qu’il faisait afin de ne s’écarter en rien de la justice et donc il disait Je craindrais pour toutes mes œuvres; et pour quoi cette crainte? Il redoutait la sévérité du jugement divin; d’où ceci Je savais que tu n’épargnes pas le délinquant s’il ne se convertit pas; car on lit : "Si vous ne vous convertissez pas il brandira son glaive" (Ps. 7, 13); or si après une telle application d’innocence j’en suis impie de sorte que j’ai mérité que Dieu me punisse de peines si graves j’aurai donc peiné en vain pour garder l’innocence avec tant de soin. Peiner en vain en effet c’est s’efforcer d’atteindre une fin qu’on n’atteint pas.

Mais parce que la pureté de l’homme, quelque grande qu’elle soit, rapportée à l’examen divin s’avère déficiente il montre donc maintenant que quand il se dit pur et innocent il l’entend en tant qu’homme, non comme s’il ne s’était jamais écarté de la rectitude de la divine justice. Or il faut savoir qu’il y a une double pureté : une de l’innocence, l’autre de la pénitence. Et toutes deux sont imparfaites chez l’homme quand on les rapporte à la parfaite rectitude de la règle divine. Pour la pureté de la pénitence il dit : donc me serais-je lavé, à savoir si je m’appliquais à me purger de mes péchés avec l’eau des neiges, qui sont très aptes, dit-on, au lavage; et pour la pureté de l’innocence il dit : si mes mains resplendissaient de blancheur, à savoir dans mes actions, qui sont désignées par les mains, il ne s’est trou vé aucune impureté, mais resplendit en elles la clarté de la justice. Il dit : resplendissant de blancheur pour insinuer qu’on ne peut trouver dans l’homme une parfaite pureté. Et même si elles étaient des plus pures dit-il tu me saliras, à savoir tu me montreras entaché de souillures en comparaison de ta justice, convaincu par ta sagesse. Toujours en effet dans les actions humaines se trouve quelqu’imperfection, parfois par ignorance à cause de la faiblesse de la raison; parfois par négligence à cause de l’infirmité de la chair; parfois l’attachement d’une affection terrestre se mêle aux bonnes œuvres à cause de l’insta bilité du cœur humain qui ne persévère pas fermement dans son propos; d’où toujours dans les actions humaines ce déficit par rapport à la pureté de la justice divine. Or lorsqu’on n’est pas pur et qu’on fait montre extérieurement d’une certaine justice ces signes extérieurs de justice ne sont pas de mise et donc il dit : et mes vêtements m’ont en abomination; en effet les vêtements sont ici les œuvres extérieures dont se couvre en quelque sorte l’homme, selon saint Matthieu : "Ils viennent à vous en vêtements de brebis" (7, 15). Alors donc les vêtements ont quelqu’un en abomination quand l’extérieur de l’homme qui fait montre de justice ne concorde pas avec son intérieur.

Il va maintenant montrer pourquoi, quel que pur qu’il soit, il ne peut empêcher que Dieu le convainque d’impureté. Il le montre en deux choses où Dieu excelle sur l’homme : la pureté de sa justice et le prestige de sa majesté. Quant à la pureté de sa justice il dit : je ne répondrai pas à un homme semblable à moi; il veut dire : si un homme voulait me convaincre d’impureté, je pourrais lui résister s’il m’objectait ce qu’il pense quant à l’impossibilité de garder la parfaite pureté de la justice quant à l’homme; mais je ne puis répondre ainsi à Dieu en qui ne se trouve aucun défaut. Quant à sa majesté ni (ne répondrai) à celui qui pourrait être entendu en jugement en égalité avec moi : en effet lorsque deux hommes sont en contestation, ils pensent le faire devant un juge qui examine leurs dires à tous deux; mais cela ne peut se faire entre Dieu et l’homme pour deux raisons la première, parce que le juge doit avoir une sagesse assez élevée qui soit comme une règle à laquelle s’examinent les dires des deux parties. Or il est manifeste que la divine sagesse est la première règle à laquelle toute vérité s’examine et donc il dit : Personne qui puisse les convaincre l’un : et l’autre, comme s’il disait : personne n’est supérieur à Dieu en sagesse qui puisse corriger la divine sagesse. La seconde raison est que le juge ait une plus grande puissance pour réprimer les deux parties et il l’exclut en disant : et étendre sa main sur tous les deux, à savoir pour les contraindre; en effet l’immensité de la puissance divine exclut cela comme on l’a montré plus haut (v. 4-7).

Et parce que, comme on l’a dit, il veut pénétrer à fond la raison pour laquelle les innocents sont punis en ce monde il va montrer ce qui peut mettre obstacle à une telle recherche et dans quelle intention il veut la faire. Il peut en être empêché pour deux choses. D’abord à cause de sa propre affliction; en effet les hommes que le chagrin occupe ne peuvent pas juger assez subtilement et quant à cela il dit : Qu’il écarte de moi son fouet. Ensuite à cause de son respect pour Dieu; car les hommes omettent de scruter les choses divines par le respect qu’ils ont pour Dieu et il dit quant à cela et que sa crainte ne m’effraie pas, il veut dire : qu’il accorde du répit à mon esprit dans cette affliction et qu’il ne m’impute pas à irrévérence si je dispute avec lui de choses divines et ainsi je pourrai les scruter; d’où ce qui suit Je parlerai sans crainte, à savoir comme ne le craignant pas; car, dit-il, je ne puis répondre sous la crainte c’est-à-dire tandis que le respect me retient. Or il faut savoir que le respect de Dieu ne retient pas toujours ceux qui craignent Dieu, de scruter les choses divines par le désir de la vérité, non qu’ils veuillent comprendre ce qui est incompréhensible mais toujours avec cette modération de soumettre leur intelligence à la vérité divine. Ils sont retenus par la crainte de Dieu de vouloir scruter les choses divines comme pour les comprendre, ne réglant pas leur intelligence sur la vérité divine. Ainsi donc par ces paroles Job veut montrer qu’il scrute ce qui concerne la divine providence tout en soumettant son intelligence à la vérité divine et non pour l’attaquer; ce qui serait contraire au respect qu’inspire la crainte de Dieu.

 

 

Caput 10

Job 10 — Le problème spécial de la souffrance du juste

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Souviens-toi de ma misère" (Job 10, 1-13)

 

1 Mon âme est lasse de la vie; je donnerai libre cours à ma plainte, je parlerai dans l'amertume de mon cœur. 2 Je dis à Dieu : Ne me condamne point; apprends-moi sur quoi tu me prends à partie. 3 Trouves-tu du plaisir à opprimer, à repousser l'œuvre de tes mains, à faire luire ta faveur sur le conseil des méchants? 4 As-tu des yeux de chair, ou bien vois-tu comme voient les hommes? 5 Tes jours sont-ils comme les jours de l'homme, ou bien tes années comme les années d'un mortel, 6 pour que tu recherches mon iniquité, pour que tu poursuives mon péché, 7 quand tu sais que je ne suis pas coupable, et que nul ne peut me délivrer de ta main? 8 Tes mains m'ont formé et façonné, tout entier, et tu voudrais me détruire! 9 Souviens-toi que tu m'as pétri comme l'argile : et tu me ramènerais à la poussière! 10 Ne m'as-tu pas coulé comme le lait, et coagulé comme le fromage? 11 Tu m'as revêtu de peau et de chair, tu m'as tissé d'os et de nerfs. 12 Avec la vie, tu m'as accordé ta faveur, et ta providence a gardé mon âme. 13 Et pourtant, voilà ce que tu cachais dans ton cœur : Je vois bien ce que tu méditais.

1 Mon âme a la vie en dégoût contre moi je parlerai librement. 2 dirai à Dieu : Ne me condamne pas, indique moi pourquoi tu me juges ainsi. 3 bien pour toi de me chercher querelle, que tu m’opprimes moi l’œuvre de tes mains, que tu viennes en aide au conseil des impies? 4 yeux sont-ils de chair, Verrais-tu comme l’homme voit? 5 jours sont-ils comme ceux de l’homme et tes années seraient-elles comme les temps des hommes? 6 rechercher ainsi mon iniquité et scruter mon péché? 7 tu sauras que rien de mal je n'ai fait puis que personne ne peut échapper à ta main. 8 mains m’ont fait et façonné tout autour et ainsi subitement tu me renverses? 9 Je t’en prie : comme du limon tu m’as formé, et tu me réduiras en poussière? 10 Comme le lait qu’on trait ainsi tu m’as fait et comme le caillé tu m’as coagulé. 11 De peau et de chairs tu m'as vêtu, d’os et de nerfs tu m’as assemblé. 12 Il m’a donné la vie avec ta miséricorde Et ton commerce a relevé mon esprit. 13 Bien que tu gardes tes secrets en ton cœur. Je sais cependant que tu te souviens de tout.

[84908] Super Iob, cap. 10 Taedet animam meam vitae meae et cetera. Postquam proposuit superius Iob quod tam innocentes quam impii in hoc saeculo tribulantur, et tetigit unam causam punitionis innocentium quae posset aestimari, scilicet quod terra quasi derelicta a Deo sit exposita voluntati quasi iniquae potestatis innocentes pro libitu punientis, hoc autem remoto quia manifestum inconveniens continet, inquisivit quis esset innocentium punitor et qua de causa, et hanc quaestionem hic prosequi intendit. Prius tamen quam ad investigationem procedat, ostendit quo animo hic loquatur: loquitur enim in persona hominis afflicti secundum conceptiones quas ei tristitia subministrat; unde primo ponit taedium quod patitur in hac vita propter tribulationes quas patitur, quae intantum graves sunt quod etiam ipsam vitam reddunt taediosam: licet enim vivere delectabile sit, tamen in angustiis vivere taediosum est, unde dicit taedet animam meam vitae meae. Sicut autem homo cui delectabilis est sua vita optat se vivere, ita cui taediosa est sua vita optat se vita privari, et ideo subiungit dimittam adversum me eloquium meum; hoc enim est contra aliquem quod est peremptivum ipsius: tunc ergo homo adversum se loquitur quando se vita privari exoptat. Sed signanter dicit dimittam: multotiens enim homo aliquos motus in corde patitur propter aliquam passionem vel tristitiae vel concupiscentiae vel irae aut cuiuscumque alterius, sed tamen ita ratione omnes motus reprimit quod ad verbum exterius non procedit; quando autem ratio ostendere volens quid interius patiatur occultos motus in verba producit, tunc eloquium dimittere dicitur quasi prius retentum, et propter hoc subdit loquar in amaritudine animae meae, quasi dicat: verba quae exterius proferam interiorem amaritudinem ostendunt, ut det intelligere se in persona hominis amaricati loqui. Sed ne rursus intelligatur quod ista eloquii dimissio sit per hoc quod ratio a tristitia superatur, subiungit dicam Deo: noli me condemnare; cum enim ratio a passione vincitur, homo contra Deum remurmurat et quandoque usque ad blasphemiam procedit, sed dum inter tribulationes hominis ratio recta manet, Deo se subdit et ab ipso remedium praestolatur dicens Deo noli me condemnare. Simul etiam in hoc ad quaestionem accedit: cum enim supra quaesivisset quis esset causa innocentium poenae in hoc mundo, hic iam confitetur Deum esse auctorem punitionis dum petit quod ab eo non condemnetur, secundum illud I Reg. II 6 dominus mortificat et vivificat, ex quo Manichaeorum haeresis confutatur. His autem praemissis, supposito quod Deus sit punitionis auctor, inquirit de causa suae punitionis ad Deum loquens: indica mihi cur me ita iudices, idest facias me cognoscere causam propter quam a te puniar: sciebat enim quod rationis investigatio ad veritatis terminum pervenire non potest nisi divinitus doceatur. Scire autem causam suae punitionis necessarium est homini vel ad correctionem vel ut patientius flagella sustineat. Ad inquisitionem autem huius quaestionis procedit sub quadam disiunctione: necesse est enim quod ipse qui punitur vel sit innocens vel peccator. Primo autem procedit supponendo quod sit innocens; et quia ad cognitionem divinorum per res humanas pervenimus, proponit duos modos quibus in humano iudicio quandoque innocentes puniuntur. Primus modus est propter malitiam punientis, ex qua contingit tripliciter poenas innocentibus irrogari: aliquando quidem dum per astutiam innocentibus calumnias ingerunt, et quantum ad hoc dicit numquid bonum tibi videtur si calumnieris; aliquando vero per potentiam opprimunt, et quantum ad hoc subdit et opprimas me opus manuum tuarum; aliquando vero ipsi quidem ex proprio motu innocentes non puniunt, sed quia inordinate aliquos impios diligunt, eos etiam in oppressione innocentium iuvant, unde subditur et consilium impiorum adiuves? Sed considerandum est quod aliquando diversis naturis unum et idem potest esse bonum et malum, sicut iracundum esse cani quidem est bonum, homini autem malum; nullus autem sanae mentis hoc in dubitationem ducit si Deus ex malitia aliquid operetur: non enim potest in summo bono aliquid mali esse; sed potest contingere quod aliquid malum est in homine quod ad divinam pertinet bonitatem, sicut non misereri secundum quod misericordia in passionem sonat in homine quidem vituperatur, quod tamen divina bonitas ex sui perfectione requirit. Manifestum est autem quod tria praedicta, calumniari, opprimere et consilium impiorum adiuvare, in hominibus mala sunt: unde hoc in quaestionem inducit utrum Deo possint esse bona, unde non quaerit numquid calumniaris et opprimis? Sed numquid bonum tibi videtur ut calumnieris et opprimas? Quasi supponens pro firmo quod Deus numquam aliquid facit nisi quod bonum sibi videtur, et hoc vere est bonum. Item considerandum est quod ea quae naturaliter sunt nulli imputantur in culpam vel in malum; naturale autem est quod unumquodque perdat suum contrarium, unde et Deus qui est summe bonus, odit ea quae contra se fiunt et ipsa disperdit, secundum illud Psalmi odisti omnes qui operantur iniquitatem, perdes etc.; si ergo homines non essent a Deo facti sed a principio contrario, ut Manichaei fabulantur, bonum videretur quod Deus homines opprimeret propter se ipsos: ad hoc igitur excludendum non simpliciter dicit ut opprimas me, sed addit opus manuum tuarum. Item bonum videtur quod Deus iustorum voluntates adimpleat; qui autem innocentem calumniari aut opprimere volunt non sunt iusti sed impii, et praecipue si non ignoranter vel casu sed ex consilio et deliberatione hoc velint: unde cum se innocentem supponat in prima parte quaestionis, sequitur impios esse qui eum ex deliberato consilio opprimere vel calumniari vellent, et ideo signanter dicit et consilium impiorum adiuves. Hac igitur causa remota, quia Deo hoc bonum videri non potest, cum ipse sit opus manuum Dei et cum eius hostes qui ipsum oppresserant impii comprobentur, procedit consequenter ad secundum modum quo in humano iudicio quandoque innocentes affliguntur. Contingit enim quandoque quod quando aliquis innocens falso apud iudicem accusatur, iudex ad exquirendam veritatem eum tormentis subicit secundum iustitiam agens, sed huius rei causa est defectus cognitionis humanae, qui triplex est: unus quidem quia omnis cognitio hominis a sensu procedit et, quia sensus corporei et corporalium sunt, non potest iudex interiorem conscientiam accusati cognoscere; ut ergo hoc excludat a Deo dicit numquid oculi carnei tibi sunt? Ac si dicat: numquid tu corporalibus sensibus cognoscis ut sola corporalia videas et interiora cognoscere non possis? Ponit autem oculos quia visus inter alios sensus excedit. Secundus defectus est quod homo per sensus corporeos nec etiam omnia corporalia conspicere potest: non enim potest cognoscere quae a remotis et in abditis fiunt, quod a Deo removet dicens aut sicut videt homo ita et tu vides, ut scilicet non possis quae ubique fiunt etiam occulta cognoscere? Tertius defectus humanae cognitionis est ex tempore, tum quia homo de die in diem plura cognoscit tum etiam quia per temporis longitudinem obliviscitur eorum quae novit, ut sic oporteat eum iterato quasi addiscere: hoc ergo a Deo removet dicens numquid sicut dies hominis dies tui, ut scilicet de die in diem tua crescat cognitio; et anni tui sicut humana sunt tempora, ut scilicet per cursum temporum aliquid tuae cognitioni decrescat? Et subdit ut quaeras iniquitatem meam et peccatum meum scruteris, idest ut per flagella inquiras an ego peccaverim opere et iniquus sim mente, sicut homines per tormenta peccata exquirunt? Et sic post inquisitionem huiusmodi in me peccata non inveniens, scias quia nihil impium fecerim, quasi hoc aliunde cognoscere non possis nisi per flagella peccata mea exquiras; et hoc libere facias absque contradictione, cum sit nemo qui de manu tua possit eruere: aliquando enim ab hac inquisitione quae est per tormenta iudices deficiunt, dum hi qui torqueri debent ab eorum manibus eruuntur. Et quia supra dixerat se esse opus manuum Dei, ut ex hoc ostenderet quod bonum Deo videri non potest ut eum opprimat propter se, quasi in oppressione eius delectatus, quod supposuerat manifestat, unde subdit manus tuae fecerunt me. Et ne aliquis credat, secundum Manichaeorum haeresim, hominis animam a Deo factam corpus vero a contrario auctore formatum, subiungit et plasmaverunt me totum in circuitu. In circuitu dicit quia corpus videtur esse animae in circuitu sicut vestimentum vestito vel sicut domus habitatori; totum dicit ut ad singula corporis membra referatur; plasmaverunt dicit ut alludat ei quod homo ex limo terrae dicitur esse formatus; per manus autem operatio divina intelligitur, unde dicit pluraliter manus quia licet sit una divina virtus operans, multiplicatur tamen eius operatio in effectibus, tum propter diversitatem effectuum tum etiam propter varietatem causarum mediarum mediantibus quibus suos effectus producit. Subdit autem et sic repente praecipitas me? Quia repentinum esse videtur ut aliquis qui aliquam rem produxit eam absque causa manifesta corrumpat: qui enim facit aliquid vult illud esse - ad hoc enim facit ut sit -, qui autem corrumpit vult illud non esse; videtur igitur si aliquis destruat quod prius fecit, videtur repentina mutatio voluntatis, nisi aliqua manifesta causa de novo oriatur ex qua appareat illud esse corrumpendum quod prius fuit fiendum; huiusmodi autem repentina mutatio voluntatis in Deum cadere non potest, et ideo quasi admirative quaerit et sic repente praecipitas me? Quasi dicat: hoc inconveniens videtur si quem prius fecisti sine causa nunc destruas. Vel quod dixit fecerunt me potest referri ad constitutionem substantiae, quod autem dixit et plasmaverunt me totum in circuitu potest referri ad ea quae substantiae adveniunt, sive sint bona animae sive corporis sive exterioris fortunae. Et quia in generali se factum et plasmatum a Deo posuerat, in speciali prosequitur de modo suae factionis, ad similitudinem alicuius qui alicui vult reducere aliquid ad memoriam quod oblitus videtur: particulariter ei cuncta edisserit ut vel sic ei in memoriam reducatur. Videtur autem Deus benivolentiae quam ad suam facturam habet oblivisci cum eam corruptioni exponit: ad modum enim obliviscentis se habet, et secundum hunc modum dicitur in Psalmo usquequo, domine, oblivisceris me in finem, et ideo dicit memento, quaeso, quod sicut lutum feceris me. Ubi considerandum est quod duplicem hominis factionem commemorat, primo quidem eam quae pertinet ad primam institutionem naturae, alludens ei quod dicitur Gen. I Deus hominem de limo terrae formavit, et ideo dicit quod sicut lutum feceris mei ubi etiam compositionem hominis ex primis elementis tangere videtur. Et quia etiam primo homini dictum est pulvis es et in pulverem reverteris, consequenter subiungit et in pulverem reduces me, quod etiam naturali materiae competit: nam ea quae ex terra generantur consequens est secundum naturae ordinem ut resolvantur in terram. Sed de hoc aliquis mirari potest, cum maius videatur de terra formare hominem quam hominem formatum retinere ne in pulverem redigatur, unde est quod Deus qui hominem de luto formavit eum in pulverem redigi permittit: utrum scilicet hoc sit solum ex necessitate materiae, ut homo in hoc nihil plus habeat aliis quae ex terra formantur, vel hoc sit ex divina providentia aliquam hominis culpam puniente. Consequenter autem tangit factionem hominis quantum ad opus propagationis secundum quod homo ab homine generatur. Ubi considerandum est quod omnia naturae opera Deo attribuit non ut excludat naturae operationem sed eo modo quo principali agenti attribuuntur ea quae per causas secundas aguntur, ut artifici operatio serrae: hoc enim ipsum quod natura operatur a Deo habet, qui ad hoc eam instituit. In hac autem hominis generatione primo occurrit seminis resolutio, et quantum ad hoc dicit nonne sicut lac mulsisti me? Sicut enim semen est superfluum alimenti ita et lac. Secundo autem occurrit compactio massae corporeae in utero mulieris, et quantum ad hoc subdit et sicut caseum me coagulasti? Ita enim se habet semen maris ad materiam quam femina ministrat in generatione hominis et aliorum animalium sicut se habet coagulum in generatione casei. Tertio autem occurrit distinctio organorum, quorum quidem consistentia et robur est ex nervis et ossibus, circumdantur autem exterius a pelle et carnibus, unde dicit pelle et carnibus vestisti me, ossibus et nervis compegisti me. Quartum autem est animatio fetus, et praecipue quantum ad animam rationalem quae non infunditur nisi post organisationem; simul autem cum anima rationali infunduntur homini divinitus quaedam seminaria virtutum, aliqua quidem communiter omnibus, aliqua vero specialiter aliquibus secundum quod homines quidam sunt naturaliter dispositi ad unam virtutem, quidam ad aliam: Iob autem dicit infra ab infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum, unde et hic dicit vitam et misericordiam tribuisti mihi. Ultimum autem est conservatio vitae tam in materno utero quam post exitum ex utero, quae quidem conservatio est partim quidem per principia naturalia, partim autem per alia Dei beneficia naturae superaddita, sive pertineant ad animam sive ad corpus sive ad exteriora bona, et quantum ad hoc subdit et visitatio tua custodivit spiritum meum: sicut enim Deus ab aliquo recedere dicitur in Scripturis quando Deus ab eo sua dona subtrahit, sic eum visitare dicitur quando ei sua dona largitur. Ne autem ex hoc quod Deo dixerat memento, quaeso, quod sicut lutum feceris me aliquis credere posset eum huius opinionis esse quod oblivio in Deum cadere posset, excusat se ab hoc subdens licet haec celes in corde tuo, tamen scio quia universorum memineris; dicitur autem Deus ad similitudinem hominis aliquid in corde celare quando non ostendit per effectum quod habet in cognitione vel affectione: sic itaque Deum praedicta in corde celare dicit quia in effectu non ostenditur quod eum pro sua factura recognoscat, quem sic repente praecipitare videtur. Si peccavi et ad horam pepercisti mihi et cetera. Superius inquisivit Iob causam suae punitionis supposito quod innocens esset, nunc autem procedit ad inquirendum si propter hoc puniatur quia peccator est. Et quod pro peccato non puniatur primo ostendit utens tali ratione: si enim peccatum commisit, maxime hoc commisisse videtur tempore prosperitatis; si autem peccatum est tota causa quare aliqui adversitates sustineant in praesenti, posita autem causa ponitur effectus, oporteret quod statim cum aliquis peccat adversitas sequeretur; manifestum autem erat quod Iob tempore suae prosperitatis eundem modum vivendi servavit: unde si peccavit hoc modo vivendo, diu ante peccaverat quam adversitatem pateretur; oporteret ergo dicere quod, cum statim post peccatum adversitas secuta non sit, quod Deus pro tempore illo ei pepercerit quo adversitates non induxit; inconveniens autem est dicere quod peccatum quod Deus pepercit iterum imputet ad poenam: non ergo videtur quod pro peccato prius ab eo commisso nunc puniatur. Hoc est ergo quod dicit si peccavi, scilicet tempore prosperitatis meae, et ad horam pepercisti mihi, quia scilicet non statim adversitatem induxisti, cur ab iniquitate mea mundum me esse non pateris? Quasi dicat: cur ex quo reputasti me aliquo tempore quasi purum parcendo mihi iniquitatem meam, nunc iterum me punis quasi non sim purus? Aliam etiam rationem consequenter subiungit quae talis est: si peccatum est tota causa adversitatum praesentium, sequeretur quod non tam iusti quam peccatores adversitates in hoc mundo patiantur; videmus autem et iustis et peccatoribus adversitates esse communes, et hoc est quod dicit et si impius fuero, vae mihi est. Idest adversitates sustineo; et si iustus vel prius fui vel modo factus, non propter hoc levabo caput, quasi a miseria sublevatus: ego dico existens saturatus afflictione, quantum ad dolores, et miseria, quantum ad penuriam et confusionem. In saturitate autem abundantiam afflictionis et miseriae designat, et hoc videtur dicere contra dictum Eliphaz et Baldath qui dixerant quod si converteretur ab adversitate liberaretur: contra quod dicit quod etiam si iustus effectus sit non tamen propter hoc a miseria relevatur, quamvis pro praecedentibus peccatis si qua fuerint iam sufficienter punitus sit, quod per saturitatem afflictionis et miseriae designat. Et quia hoc ei ad superbiam Eliphaz imputaverat quod se innocentem dicebat, subiungit et propter superbiam quasi leaenam capies me: dixerat enim supra Eliphaz in denotatione Iob rugitus leonis et vox leaenae et dentes catulorum leonum contriti sunt; dicit ergo propter superbiam quasi leaenam capies me, quasi dicat: facis me reputari ab his qui capiunt verba mea quasi leaenam propter superbiam. Et hoc ipsum quod sic malus reputabatur erat ei poena super poenam, unde subdit reversusque mirabiliter me crucias, quasi prius venisti affligens me per subtractionem rerum et corporis vulnera, et nunc iterato redisti et crucias me per amicos, quod est mirabile quia ab amicis magis consolationem deberem accipere; vel hoc dicit quia maxime homo affligitur cum ab amicis deridetur. Qualis autem sit iste cruciatus ostendit subdens instauras testes tuos contra me: Eliphaz enim dum videbatur iustitiam Dei defendere et similiter socii eius, in quo quasi testes Dei se demonstrabant, contra Iob loquebantur eum de peccato arguentes; et sic multiplicas iram tuam, idest effectum irae dum me multipliciter punis, et poenae militant in me, quasi cum quadam auctoritate et sine contradictione me impugnant: milites enim consueverunt cum auctoritate regia et absque ulla contradictione aliquem qui reputatur reus invadere. Quare de vulva eduxisti me et cetera. Terminaverat Iob inquisitionem suam in hoc quod, sive iustus sive peccator esset, tribulationibus multiplicibus subiacebat; et ne aliquis posset credere Deum in eius tribulationibus delectari, vult inquirere an hoc verum esse possit. Inconveniens autem videtur quod aliquis effectum suum producat ad hoc quod male se habeat, cum potius omne agens in suo effectu bonum intendat; supponit autem, sicut ex praemissis patet, se esse opus Dei, et ideo ab eo quaerit quare de vulva eduxisti me? Quasi dicat: numquid propter hoc me nasci fecisti ut tribulationibus subdas? Et quia posset aliquis dicere quod etiam sic in tribulationibus esse melius est simpliciter quam natum non esse, excludit hoc dicens qui utinam consumptus essem, scilicet in materno utero, ne oculus me videret, idest ne confusionem paterer ex tantis malis quae in me oculi hominum conspiciunt; et tamen si in materno utero consumptus essem, habuissem dignitatem essendi sine miseria quae mihi existenti accidit, et hoc est quod dicit fuissem, quasi participans, idest participassem id quod boni est in esse, quasi non essem, idest immunis forem a malis huius vitae ac si numquam fuissem; non est enim dignitas humani esse ut in perpetuum conservetur sed, ut tandem homo moriatur et transferatur ad tumulum qui mortuo praeparatur ad hoc quod aliqualis eius memoria post mortem remaneat: et hoc etiam mihi non defuisset, unde sequitur de utero translatus ad tumulum. Nullus autem in poenis alicuius delectatus ita crudelis invenitur qui vel non ad modicum ab affligendo cesset; dato ergo quod Deus causa nativitatis hominis non esset, tamen dies hominis breves sunt et praecipue in comparatione ad aeternitatem Dei, et ista etiam brevitas, quando homo iam magnam partem vitae transivit, cito finienda expectatur, et hoc est quod dicit numquid non paucitas dierum meorum, quia omnes dies vitae meae pauci sunt, finietur brevi iam ipsius paucitatis magna parte transacta? Non est ergo magnum si de cetero a percutiendo cesses, et hoc est quod concludit dimitte ergo me. Et si tibi durum videtur quod vel ad horam absque afflictionibus sim, certum est quod etiam te cessante a percussione non mihi remanet unde gaudeam sed unde doleam, et hoc est quod subdit ut plangam paululum dolorem meum, scilicet quem ex praecedentibus percussionibus concepi; hoc autem dicit quia percuti se adhuc reputabat dum amici eum obiurgabant, de quibus dixerat instauras testes tuos contra me. Et quia posset sibi responderi immo potius hic modico tempore affligendus es, quando hinc transibis consolationem invenies, quod posset esse dupliciter: uno modo iterato redeundo ad hanc vitam, et hoc excludit cum dicit antequam vadam, scilicet per mortem, et non revertar, ut iterum vivam - quod potest exponi dupliciter: uno modo ut dicat se non reverti ad similem modum vivendi, ut quidam fabulabantur; vel melius dicendum quod more disputatoris loquitur secundum id quod adversarii sentiunt antequam veritas manifestetur: infra autem Iob manifeste veritatem resurrectionis indicabit, et ideo in omnibus praecedentibus loquitur de resurrectione supponendo opinionem eorum cum quibus disputabat, qui non credebant aliam vitam esse nisi istam, sed in hac sola homines aut puniri aut praemiari pro malis ac bonis quae agunt -; alio modo posset post finem huius vitae consolationem expectare in ipso statu mortis, sed hoc excludit dicens ad terram tenebrosam, ad quam scilicet vadam post mortem. Et potest hoc exponi dupliciter: uno modo de Inferno ad quem animae omnium hominum descendebant etiam iustorum ante Christum, licet iusti ibi poenas sensibiles non paterentur sed solum tenebras, alii vero et poenas et tenebras; sed quia Iob sic locutus fuerat ac si dubium esset utrum ipse esset iustus ut rei veritas erat, vel peccator ut amici eius calumniabantur, describit Infernum communiter et quantum ad bonos et quantum ad malos. Accipiendo ergo Infernum sic communiter dicitur terra tenebrosa inquantum caret claritate divinae visionis; dicitur operta mortis caligine quantum ad peccatum originale quod est caligo inducens ad mortem; dicitur terra miseriae quantum ad poenas quas ibi reprobi patiuntur; dicitur terra tenebrarum quantum ad obscuritates peccatorum actualium quibus mali involvuntur; dicitur autem ibi esse umbra, idest similitudo, mortis quia sic affliguntur ac si semper morerentur; dicitur autem ibi nullus ordo esse vel propter confusionem mentium quam patiuntur damnati vel propter hoc quod ille ordo non ibi servatur qui hic: hic enim ignis ardet et lucet, quod ibi non est; sempiternus autem horror ibi inhabitat quia licet semper doleant de poenis praesentibus, semper tamen timent futuras. Sed quia illi contra quos disputabat immortalitatem animae non ponebant ut sic post mortem remaneret, ipse autem adhuc loquitur secundum positiones eorum, melius quantum ad sensum litterae sic exponitur ut totum referatur ad corpus quod in terra sepelitur et in terram convertitur. Dicit ergo ad terram tenebrosam quantum ad ipsam proprietatem terrae, quae in se opaca est; sed licet in se sit opaca, tamen viventes qui super terram habitant illustrantur lumine aeris operientis terram, sed isto lumine mortui non perfruuntur, unde subdit et opertam mortis caligine, quasi dicat: mors facit ut post mortem aliquis non utatur lumine quo vivi utuntur. Contingit autem quandoque quod licet aliquis vivus lumine circumdante terram non perfruatur, tamen in aliquo occulto loco terrae existens fruitur desideratis quoad appetitum et considerat veritates secundum intellectum, sed hoc mortui carent, unde subdit terram miseriae quantum ad carentiam omnium desiderabilium, et tenebrarum inquantum deficit consideratio veritatum. Inter alia etiam in quibus vivi delectantur, praecipuum est societas humana cum debito ordine quo quidam praesunt et alii subsunt et alii serviunt, sed hoc mortui privantur, unde subdit ubi umbra mortis, quasi dicat: apud mortuos non sunt nisi umbrae secundum aestimationem viventium, ut dicitur Sap. XVII 4 personae apparentes tristes pavorem illis dederunt; et nullus ordo, quia absque differentia honoris et dignitatis similis est condicio mortuorum; sed sempiternus horror inhabitat, quantum ad viventes quibus horrori sunt mortui, quasi dicat: nihil est in statu mortuorum nisi quae homines horrent, et hoc in sempiternum apud eos erit si ad vitam non redeunt. Sic igitur Iob inquirendo causam suae tribulationis ostendit hoc non esse ab aliquo impio in cuius manu data sit terra, non esse a Deo calumniose opprimente, non esse a Deo culpam inquirente, non esse a Deo peccata puniente, non esse a Deo in poenis sibi complacente: unde adhuc remanet sub dubio causa tribulationis eius. Quae omnia prosequitur Iob ut de necessitate inducat eos ad ponendum aliam vitam in qua et iusti praemiantur et mali puniuntur, ex quo ea non posita non potest reddi causa tribulationis iustorum, quos certum est aliquando in hoc mundo tribulari.

Après avoir montré qu’innocents et impies sont éprouvés ici-bas et après avoir traité de la cause de la punition d’innocents, cause qu’on pourrait attribuer à Dieu qui délaisserait la terre ainsi exposée à la volonté d’une puissance inique, punissant les innocents à sa guise, écartant cela, parce que manifestement faux, il a cherché qui punissait des innocents et pour quelle raison. Et son intention est de continuer cette recherche. Cependant il veut d’abord montrer en quelle disposition il parle. Il parle au nom d’un homme affligé selon les dispositions que la tristesse lui suggère. Et donc il pose d’abord le dégoût qu’il a de la vie à cause des tribulations qu’il endure et qui sont graves au point de lui faire prendre la vie en dégoût. Bien qu’en effet la vie est délectable, vivre dans l’angoisse lui est en aversion d’où il dit : mon âme a la vie en dégoût. De même que l’homme auquel la vie est délectable désire vivre, ainsi celui qui a la vie en dégoût désire-t-il en être privé; et donc il ajoute : contre moi je parlerai librement; alors en effet l’homme parle contre soi quand il désire être privé de la vie. Mais il dit pertinemment qu’il parlera librement : souvent en effet l’homme subit en son cœur des mouvements à cause d’une passion soit de tristesse soit de concupiscence soit de colère ou autre, mais en sorte que sa raison réprime ces mouvements et que ces passions ne s’expriment pas en paroles. Mais quand la raison veut exprimer ce qu’elle ressent intérieurement, elle manifeste dans des paroles les mouvements cachés; on dit alors qu’elle se libère comme s’étant jusqu’alors retenue de parler; et pour cela il dit : Je parle rai dans l’amertume de mon âme comme pour dire : les paroles que je vais proférer manifesteront mon amertume intérieure; à savoir, il fait comprendre qu’il parle au nom d’un homme aigri. Mais pour qu’on n’interprète pas qu’il se libère d’une tristesse dont il n’est pas maître il ajoute : Je dirai à Dieu : ne me condamne pas. En effet lorsque la raison ne maîtrise pas la passion, l’homme murmure contre Dieu et va parfois jusqu’au blasphème; mais aussi longtemps que parmi les tribulations la raison reste droite, elle se soumet à Dieu et attend de lui les remèdes. En même temps qu’il dit : ne me condamne pas il aborde la solution de son problème; en effet comme il avait cherché plus haut qu’elle était la cause de la souffrance des innocents en ce monde, il confesse ici que Dieu en est l’auteur, puisqu’il demande que Dieu ne le condamne pas, comme on lit "Le Seigneur fait mourir et fait vivre" (1R 2, 6); par là on réfute l’hérésie des Manichéens.

Après ces préambules, Dieu étant supposé l’auteur du châtiment, il s’enquiert de la cause en disant : Indique moi pourquoi tu me juges ainsi ou fais moi connaître la cause pour laquelle tu me châties. Il savait en effet que la raison dans sa recherche de la vérité ne peut parvenir à la solution sans que Dieu ne l’enseigne; or l’homme doit pouvoir connaître la cause de sa punition soit pour se corriger, soit pour endurer les coups avec assez de patience. Pour la solution de ce problème il pose un dilemme : en effet celui qui souffre ou bien est 6 innocent ou bien est pécheur. S’il est innocent - et comme nous parvenons à connaître les choses divines par les choses humaines - il propose deux manières par lesquelles des innocents sont parfois condamnés en jugement.

La première vient de la malice de celui qui châtie et là aussi il faut distinguer s’il agit astucieusement en accablant des innocents de calomnies et quant à cela on nous dit : Est-ce bien pour toi de me chercher querelle? Ou bien s’il les opprime de sa puissance et pour cela il dit : et que tu m’opprimes moi l’œuvre de tes mains? Ou bien parfois sans qu’on punisse des innocents par soi-même, de les faire opprimer par des méchants qu’on a en quelque sorte soudoyés dans ce but, d’où il dit : et que tu viennes en aide au conseil des impies? Mais remarquons qu’une même chose peut être bonne ou mauvaise d’après qu’elle se trouve en des natures différentes, comme être en colère est bon pour le chien, mais mal pour l’homme. Or personne s’il est sain d’esprit ne peut mettre en doute que Dieu agirait par malice; en effet il ne peut se trouver rien de mal dans le bien suprême. Mais il peut se faire que quelque mal soit chez l’homme qui fasse partie de la bonté divine; par exemple manquer de pitié, selon que la pitié veut dire passion, est condamnable chez l’homme; et cependant la bonté divine l’exige en vertu de sa perfection. Il est manifeste que ces trois choses dites plus haut et qui sont : chercher querelle, opprimer, coopérer aux desseins des impies sont mauvaises chez l’homme; il pose donc la question si elles peuvent être bonnes en Dieu; d’où il ne cherche pas Est-ce bien pour toi de chercher querelle et d’opprimer? À savoir, il suppose comme certain que Dieu ne fait jamais rien qui ne lui paraisse bien et cela est véritablement bien. Remarquons encore que les choses qui sont naturelles ne revêtent aucune malice ni faute or il est naturel que chaque chose rejette ce qui lui est contraire; et donc Dieu qui est le bien suprême hait ce qui est fait contre lui et il le détruit, selon le Psaume : "Tu hais tous ceux qui font le mal; tu dissipes ceux qui disent le mensonge" (5, 7). Si donc les hommes n’étaient pas l’œuvre de Dieu, mais d’un principe contraire comme le veulent les Manichéens, il serait bon que Dieu opprime les hommes à cause d’eux-mêmes. Pour exclure cela il ne dit pas simplement Et tu m’opprimes mais il ajoute : moi l’œuvre de tes mains. De même il est bon que Dieu fasse les volontés des justes; or ceux qui veulent chercher querelle à l’innocent et l’oppriment ne sont pas des justes mais des impies; surtout s’ils n’agissent pas par ignorance ou fortuitement mais s’ils le veulent délibérément et avec préméditation; or comme il se donne comme innocent dans la première partie de sa recherche il s’en suit qu’ils sont impies ceux qui l’oppriment délibérément ou veulent lui chercher querelle; et donc il dit pertinemment Aiderais-tu les desseins des impies?

Cette cause étant donc écartée que cela ne peut paraître bon à Dieu. puisque lui (Job) est l’œuvre de ses mains et que les ennemis qui l’ont opprimé sont des impies, il passe à la seconde façon dont les innocents sont affligés en un jugement humain. Il arrive en effet qu’un innocent accusé faussement auprès d’un juge, celui-ci pour savoir la vérité le soumet à la torture que lui concède la justice; mais cela vient de la faiblesse de la connaissance chez l’homme et cela pour trois raisons. D’abord comme toute connaissance vient des sens qui sont corporels et au sujet de choses corporelles, le juge ne peut connaître la conscience intérieure de l’accusé; et donc pour exclure cela il dit : Aurais-tu donc des yeux de chair? comme pour dire : connaîtrais-tu donc par des sens corporels? Il dit : les yeux parce que la vue surpasse les autres sens. La seconde raison est que même par les sens corporels l’homme ne peut tout connaître des choses corporelles, il ne peut savoir ce qui se passe au loin et dans le secret; ce qu’il écarte de Dieu en disant : Verrais-tu comme l’homme? à savoir que tu ne puisses savoir ce qui se fait partout et ce qui est caché. La troisième raison du défaut de connaissance de l’homme vient du temps : soit parce que l’homme apprend tous les jours, soit aussi parce qu’à longueur de temps il oublie ce qu’il a appris, de sorte qu’il doive comme réapprendre; et il écarte cela de Dieu Tes jours sont-ils comme ceux de l’homme c’est-à-dire que ta connaissance aussi croîtrait de jour en jour, et tes années comme les temps des hommes à savoir qu’au cours du temps ta connaissance décroîtrait? Et il dit : pour t’informer ainsi de mon iniquité et scruter si j’ai péché à savoir que par des supplices tu t’enquiers si j’ai péché en action et si je suis injuste en pensée comme font les hommes qui extorquent des aveux par des tourments; et ainsi après cette mise à la question tu ne trouveras pas de fautes et tu sauras que je n'ai fait aucun mal, comme si tu ne pouvais pas connaître mes péchés autrement que par des coups et que tu agirais ainsi sans qu’on te contredise puisque personne ne peut m’arracher de tes mains. En effet de cette mise à la question par des tortures les juges en sont empêchés lorsque leurs victimes leur sont enlevées des mains.

Et parce qu’il a dit plus haut qu’il est l’œuvre des mains de Dieu, pour montrer par là qu’il n’est pas bon pour Dieu de l’opprimer pour soi-même comme s’il y prenait plaisir, ainsi qu’il l’avait supposé, il poursuit Tes mains m’ont fait. Et pour qu’on ne croie pas, selon l’hérésie des Manichéens, que Dieu a créé l’âme et qu’un agent contraire a formé le corps, il ajoute : et elles m’ont façonné tout autour. Il dit autour parce que le corps paraît être autour de l’âme, comme le vêtement pour celui qui en est vêtu et la maison pour celui qui l’habite. Et il dit tout (autour) par rapport à chacun des membres du corps. Il dit elles ont façonné par allusion à ce qui est dit que l’homme a été formé du limon de la terre. Les mains sont l’opération divine. D’où il dit au pluriel tes mains parce que bien qu’il n’y ait qu’une vertu divine agissant, son opération cependant est multiple dans ses effets tant pour la variété des effets que pour la variété des causes secondes qui les produisent. Il dit : ainsi subitement tu me renverses. Quelque chose est subit lorsqu’on produit une chose qu’on détruit sans cause manifeste. Car qui fait une chose veut qu’elle soit; c’est en effet pour qu’elle soit qu’il l’a faite; or qui la détruit veut qu’elle ne soit pas. Si donc quelqu’un détruit ce qu’il a d’abord fait, soudain semble être le changement de volonté, à moins qu’une cause manifeste ne se présente derechef, d’où il ressortirait que devait disparaître ce qui fut fait avant. Or un tel changement subit de volonté ne peut se trouver en Dieu; et donc il cherche comme étonné et ainsi subitement tu me renverses? Il veut dire : il n’est pas juste que celui que tu as fait d’abord, tu le détruises maintenant sans motif. On peut aussi interpréter Elles m’ont fait, en rapportant cela à la constitution de la substance; et m’ont façonné tout autour se rapportant à ce qui advient à la substance, soit les biens de l’âme, soit ceux du corps ou de la fortune extérieure.

Et parce qu’il avait posé en général qu’il a été fait et façonné par Dieu, il poursuit en particulier quant à la manière de sa production, comme celui qui veut rappeler quelque chose à la mémoire d’un autre lui en donne tous les détails en particulier. Or Dieu semble avoir oublié la bienveillance qu’il a eue pour son œuvre lorsqu’il l’expose à la corruption et se conduit à la manière de quelqu’un qui oublie; et selon cela on dit au psaume : "Jusques à quand, Seigneur, m’oublieras- tu pour toujours?" (12, 1). Et donc il dit : Souviens-toi, je t’en prie que tu m’as fait comme du limon. Remarquons qu’ici il rappelle une double production de l’homme : d’abord celle qui concerne la première institution de la nature, faisant allusion à ce qui est écrit dans la Genèse "Dieu forma l’homme du limon de la terre" (2, 7) et donc il dit : "du limon tu m’as fait, où il semble aussi toucher à la composition de l’homme à partir des premiers éléments. Et parce qu’aussi il fut dit au premier homme "Tu es poussière et tu retourneras en poussière" (3, 19) donc il ajoute : en disant : et tu me réduiras en poussière; ce qui convient aussi à la matière naturelle; car ce qui est engendré de la terre doit conséquemment selon l’ordre naturel se résoudre en terre.

Mais on pourrait s’en étonner puisque c’est- chose plus grande de former l’homme de la terre que d’empêcher qu’une fois formé il ne retourne en poussière; d’où il se fait que Dieu qui a formé l’homme permet qu’il soit réduit en poussière; c’est-à-dire que ce soit seule ment par nécessité de la matière de sorte que l’homme en cela n’ait rien de plus que d’autres qui sont formés de la terre, ou que ce soit de par la divine providence punissant une faute de l’homme.

Ensuite il traite de la propagation de l’homme selon que l’homme engendre son semblable. Où il faut remarquer qu’il attribue toutes les œuvres de la nature à Dieu, non pour exclure l’opération de la nature qui les fait mais de la manière qu’on attribue à l’agent principal les choses accomplies par les causes secondes, comme à l’ouvrier l’action de la scie. En effet cela même que la nature opère elle le tient de Dieu qui l’a faite pour cela. Or dans cette génération de l’homme, d’abord : la libération de la semence et quant à cela il dit : comme le lait tu m’as trait; comme en effet la semence est le superflu de la nourriture ainsi aussi le lait. Ensuite vient la formation de la masse corporelle au sein de la femme et quant à cela il dit : et comme le caillé tu m’as coagulé; en effet la semence mâle est à la matière que la femelle procure dans la génération animale comme le coagulant dans la formation du caillé. Troisièmement on a la division des organes dont la consistance et la vigueur viennent des nerfs et des os, le tout entoure de la peau et des chairs d'où il dit : de peau et de chairs tu m’as vêtu, d’os et de nerfs tu m’as assemble. En quatrième lieu vient l’animation du foetus, principalement quant a l’âme rationnelle qui n’est infusée qu’après l’organisation en même temps que l’âme rationnelle sont infuses a l’homme divinement des germes des vertus, les uns communs a tous, d’autres spéciaux a certains selon que les uns sont naturellement disposes a telle vertu, d’autres a une autre vertu, or Job dira plus loin (13, 18) "Depuis l’enfance a grandi en moi la compassion , elle était sortie avec moi du sein de ma mère" , d’où ce qu’il dit ici : Avec la vie tu m’as donné ta miséricorde. En tout dernier lieu vient la conservation de la vie tant dans le sein maternel qu’a en être sorti; cette conservation, en partie s’opère par des principes naturels, en partie par d’autres bienfaits que Dieu ajoute à la nature soit qu’ils regardent l’âme, soit le corps, soit les biens extérieurs; Et quant à cela il dit : et ta visite a conservé mon esprit. De même en effet que Dieu dans les Ecritures, est dit s’éloigner de quelqu’un quand il lui retire ses dons, ainsi il est dit le visiter quand il lui élargit ses dons.

De ce que Job avait dit à Dieu : Souviens-toi je t’en prie, que tu m’as fait comme de l’argile qu’on ne croie pas que, selon son opinion, Dieu puisse oublier, il s’en excuse en disant : bien que tu gardes tes secrets en ton cœur je sais cependant que tu te souviens de tout. C’est par ressemblance à l’homme que Dieu est dit cacher quelque chose en son cœur quand il ne montre pas en des effets qu’il connaît et ce qu’il affectionne. Ainsi donc tout ce que Job a dit auparavant, Dieu est dit l’avoir gardé en son cœur, car il n’a pas montré qu’il le reconnaissait être sa créature qu’il a ainsi subitement renversée.

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Je suis innocent" (Job 10, 14-17)

 

14 Si je pèche, tu m'observes, tu ne me pardonnes pas mon iniquité. 15 Suis-je coupable, malheur à moi! Suis-je innocent, je n'ose lever la tête, rassasié de honte, et voyant ma misère. 16 Si je me relève, tu me poursuis comme un lion, tu recommences à me tourmenter étrangement, 17 tu m'opposes de nouveaux témoins; tu redoubles de fureur contre moi, des troupes de rechange viennent m'assaillir.

14 Si j’ai péché tu m’as épargné un moment. Pourquoi ne supporterais-tu pas que je sois purifié de mon iniquité? Si je suis un impie, malheur à moi! Et si je suis juste je n'élèverai pas la tête, courbé sous l’affliction et le malheur. 16 Serais-je pris d’orgueil, tu me saisirais, comme on fait d’une lionne; et tu es revenu, tu m’affliges étonnamment. 17 Tu suscites contre moi des témoins, et tu multiplies ta colère contre moi, une armée de châtiments!

Plus haut Job a recherché la cause de sa punition dans la supposition qu’il est juste Il veut maintenant rechercher s’il est puni parce qu’il est pécheur. Et qu’il n’est pas puni pour le péché il en donne d’abord la raison qui suit. Si en effet il a commis le péché c’est surtout au temps de sa prospérité; or si le péché est l’unique cause que certains subissent l’adversité présente, la cause posée l’effet doit s’en suivre, il faudrait donc qu’aussitôt qu’on a péché l’adversité suive. Or il fut manifeste que Job au temps de sa prospérité a gardé le même train de vie; donc s’il a péché en vivant de cette manière il a péché bien longtemps avant que de subir l’adversité. Il faut donc dire, puis qu’après le péché l’adversité n’a pas suivi aussitôt, que Dieu l’a épargné pendant le temps qu’il ne lui a pas envoyé l’adversité. Or il n’est pas juste de dire que Dieu impute de nouveau à peine un péché qu’il a épargné. Donc il ne doit pas être puni pour un péché commis précédemment. C’est donc ce qu’il dit : Si j’ai péché, à savoir au temps de la prospérité, et situ m’épargnas un moment parce que tu n’as pas aussi tôt amené l’adversité, pourquoi ne pas supporter que je sois purifié de mon péché? Comme de dire : pourquoi as-tu estimé que j’étais pur en me pardonnant mon iniquité pour me punir derechef comme n’étant pas pur?

Il ajoute : ensuite une autre raison que voici Si le péché est l’unique cause des adversités présentes il s’en suivrait que ce ne sont pas les justes mais les pécheurs qui doivent être éprouvés en ce monde; or nous voyons que les épreuves sont communes aux uns et

 

aux autres; et il le dit : et si je fus un impie, malheur à moi à savoir, je subis l’adversité; et si je fus juste, soit avant, soit justifié maintenant, je n’élèverai pas la tête comme libéré du malheur; je le dis moi qui suis rassasié d’affliction, pour ce qui est des souffrances, et de misère, pour ce qui est de la disette et de la honte. Ce rassasiement signifie l’abondance de l’affliction et de la misère; et ce pour contredire Eliphaz et Baldad. Or ils ont dit que s’il se convertissait il serait libéré de l’adversité; contre cela il dit que même s’il est justifié il n’est pas pour autant soulagé de son malheur, bien que pour les péchés passés, si toutefois il y en eut, il fût suffisamment châtié; ce qu’il signifie par ce rassasiement d’affliction et de misère.

Et comme Eliphaz imputait à l’orgueil qu’il se dise innocent, il ajoute : serais-je pris d’orgueil tu me saisirais comme on fait d’une lionne; il avait dit plus haut (4, 10) : Le rugissement du lion et le grognement de la lionne et les dents des lionceaux sont cassées : il dit donc : "Serais-je pris d’orgueil, tu me saisirais comme on fait d’une lionne" comme de dire : tu me fais passer, par ceux qui m’entendent, pour une lionne à cause de mon orgueil. Et cela même d’être ainsi tenu pour méchant était pour lui le comble de la souffrance d’où il dit : et tu es revenu m’affliger étonnamment; il veut dire : tu es d’abord venu m’affliger par la perte de mes biens et les plaies de mon corps et maintenant te voilà de retour me tourmentant par mes amis; ce qui est étonnant car des amis devraient plutôt le consoler. Ou il dit cela parce que l’homme est surtout affligé de ce que des amis le tournent en dérision. Et quel est ce tourment, il le montre Tu suscites contre moi des témoins. En effet Eliphaz et ses compagnons voulaient, semble-t-il, défendre la justice de Dieu et en cela ils se montraient en quelque sorte les témoins de Dieu et attaquaient Job en le convainquant de péché. Et ainsi tu multiplies ta colère à savoir les effets de ta colère, en me punissant plusieurs fois comme avec une armée de châtiments qui m’attaque sans pitié et avec décision; en effet les soldats sont accoutumés d’attaquer sur décision royale et sans pitié celui qui est tenu comme coupable.

 

CONFÉRENCE 3 — Job : "Pitié" (Job 10, 18-22)

18 Pourquoi m'as-tu tiré du sein de ma mère? Je serais mort, et aucun œil ne m'aurait vu. 19 Je serais comme si je n'eusse jamais été, du sein maternel j'aurais été porté au sépulcre. 20 Mes jours ne sont-ils pas bien courts? Qu'il me laisse! Qu'il se retire et que je respire un instant, 21 avant que je m'en aille, pour ne plus revenir, dans la région des ténèbres et de l'ombre de la mort, 22 morne et sombre région, où règnent l'ombre de la mort et le chaos, où la clarté est pareille aux ténèbres.

18 Pourquoi m’as-tu tiré du sein (de ma mère)? Que n’ai-je été détruit, aucun œil ne m’eut vu. 19 Existence ignorée, porté du sein au tombeau. 20 Le peu que j’ai à vivre ne finira-t-il pas? Laisse moi donc, que je plaigne un peu ma douleur; 21 Avant que je m’en aille sans retour vers la terre de ténèbres couverte de l’obscurité de la mort; 22 terre de misère et de ténèbres; où sont ombre de mort et confusion, où habite une éternelle horreur.

 

Dans sa recherche Job a conclu que juste ou pécheur il était sous le coup de multiples tribulations; et pour qu’on ne puisse croire que Dieu se plaise en ses tribulations il veut savoir si la chose est possible. Or il ne paraît pas convenable que l’on produise un effet en vue d’un mal puisqu’aussi bien tout agent en ce qu’il fait poursuit un bien. Or il suppose, comme il ressort des prémisses qu’il est l’œuvre de Dieu et donc il s’enquiert auprès de lui Pourquoi m’as-tu tiré du sein? Il veut dire : m’as-tu fait naître pour me soumettre aux tribulations? Et parce qu’on pourrait objecter que même être ainsi éprouvé est simplement meilleur que ne pas être né, il l’exclut en disant : Que n’ai-je été détruit, à savoir dans le sein maternel, aucun œil ne m’eut vu c’est-à-dire pour que je ne sois pas couvert de honte pour tant de maux que les hommes aperçoivent en moi. Et cependant si j’avais été détruit dès le sein maternel j’aurais été digne d’exister sans la misère qui m’arrive par l’existence; et c’est ce qu’il dit existant : participant en quelque Sorte au bien de l’existence, comme ignoré ayant été exempt des maux de cette vie comme si je n’avais jamais été. En effet la dignité de l’homme ne consiste pas dans une conservation sans fin mais pour qu’enfin il meure et soit porté à sa tombe qui est préparée en vue de garder de lui quelque souvenir après la mort, et cela aussi ne m’eut pas fait défaut; d’où ce qui suit du sein, porté au tombeau.

Or même celui qui se plaît dans les souffrances d’un autre, n’est assez cruel qu’il ne cesse un moment de l’affliger. Donc même si on supposait que Dieu n’est pas la cause de la naissance de l’homme cependant les jours de l’homme sont courts, surtout si on les compare à l’éternité de Dieu; et cette même brièveté, quand l’homme a déjà vécu la majeure partie de sa vie, on s’attend à la voir bientôt finir et il le dit : le peu que j’ai à vivre, car tous les jours de ma vie se font courts, ne finira-t-il pas? Or une grande partie de cette brièveté est déjà passée; ce n’est donc pas bien grave si Dieu cesse, pour ce qui en reste, de me frapper. Et c’est sa conclusion Laisse moi donc! Et s’il te paraît dur que même un moment je sois sans afflictions, il est certain, même si tu cesses de me frapper, qu’il ne me reste plus de quoi me réjouir mais de quoi me plaindre; et il le dit : que je me plaigne un tantinet de ma souffrance à savoir que j’ai conçue de mes précédents châtiments. Or il dit cela parce qu’il s’estimait encore frappé de par les objurgations de ses amis et dont il avait dit : tu suscites des témoins contre moi.

Et comme on pourrait lui répondre : tu dois bien plutôt être éprouvé pendant ce peu de temps; quand tu t’en iras d’ici, tu trouveras la consolation; ce qui peut être de deux manières, d’abord en revenant de nouveau en cette vie et il exclut cela avant que je m’en aille à savoir par la mort sans retour, pour vivre de nouveau; soit qu’il dise ne pas revenir au même mode de vie que certains imaginent; mais disons plutôt qu’il parle comme discutant de ce que pensent ses adversaires avant de faire savoir la vérité. Or plus loin Job indiquera manifestement qu’il s’agit de la résurrection. Et donc dans tout ce qui précède il parle de la résurrection, tout en supposant l’opinion de ceux avec lesquels il discute et qui ne croyaient pas à une autre vie que celle-ci et dans laquelle uniquement les hommes sont punis ou récompensés pour le mal ou le bien qu’ils ont fait. On pour rait entendre d’une autre manière la consolation après la fin de cette vie dans l’état lui-même de mort; mais il l’exclut vers la terre de ténèbres à laquelle j’irai après la mort.

On peut exposer cela de deux façons : d’une part l’enfer où les âmes de tous les hommes descendaient, aussi celles des justes avant la mort du Christ, bien que les justes n’y subissent pas de peines sensibles mais seulement les ténèbres; les autres, les peines et les ténèbres. Mais comme Job avait parlé, dans le doute s’il était juste comme c’était la réalité, ou pécheur comme ses amis l’en querellaient, il décrit l’enfer en général et quant aux méchants et quant aux bons. Donc en cette acceptation générale la terre de ténèbres est celle où l’on ne jouit pas de la vision divine; couverte de l’obscurité de la mort par rapport au péché originel qui est l’obscurité conduisant à la mort; la terre de misère ce sont les souffrances des réprouvés et la terre des ténèbres ce sont les obscurités des péchés actuels qui enveloppent les méchants. Il est dit aussi que là est l’ombre de la mort à savoir la ressemblance de la mort parce qu’on y est affligé comme si toujours on mourait; on parle aussi de la confusion soit à cause de la confusion des esprits dont souffrent les damnés, soit à cause qu’on n’y trouve pas l’ordre que nous connaissons ici où le feu chauffe et éclaire; ce qui n’est pas là-bas où habite une éternelle horreur; car bien qu’on y souffre de peines présentes toujours cependant on en craint de futures.

Mais parce que ceux contre lesquels il discute ne posent pas l’immortalité de l’âme qui ainsi survit à la mort et que lui se place selon leur position, mieux est selon le sens littéral, de rapporter tout au corps qu’on enterre et qui redevient de la terre. La terre de ténèbres c’est une propriété de la terre qui en soi est opaque; malgré cette opacité ceux qui y vivent et qui l’habitent sont éclairés de la luminosité de l’atmosphère qui l’entoure, mais les morts n’en jouissent pas; d’où il dit : couverte de l’obscurité de la mort : par la mort on ne jouit pas de la lumière dont usent les vivants; il pourrait peut-être arriver que quelque vivant ne jouisse pas de la lumière de l’atmosphère mais qu’il habite quelque lieu obscur de la planète, jouissant de ce qu’il désire quant à l’appétit et considérant certaines vérités quant à l’intelligence; mais de cela les morts sont privés, d’où il dit terre de misère quant au manque de tout ce qui est délectable et désirable, et des ténèbres, en tant que fait défaut la connaissance de la vérité. Parmi d’autres choses où se plaisent les vivants la principale est la société humaine dans l’ordre voulu où les uns président, d’au très obéissent et d’autres servent. Mais les morts en sont privés, d’où il dit : où est l’ombre de la mort comme s’il disait : chez les morts rien que des ombres, selon ce que pensent les vivants, comme il est écrit "Des gens aux tristes apparences leur donnèrent peur" (Sap. 17, 4). Et la confusion, car la condition des morts ne connaît aucune différence d’honneur et de dignité, mais où habite une éternelle horreur : c’est dit par rapport à l’impression qu’en ont les vivants pour qui les morts sont en horreur; il veut dire : il n’y a rien dans l’état des morts que les hommes n’aient en horreur et ce sera ainsi pour toujours s’ils ne reviennent pas à la vie.

Ainsi donc Job recherchant la cause de sa tribulation a montré qu’elle ne vient pas d’un impie auquel serait livrée la terre; elle ne vient pas de Dieu qui opprimerait injustement; ni de Dieu punissant le péché ou s’enquérant de nos fautes,; ni de Dieu prenant plaisir à châtier. D’où la cause de sa tribulation reste encore en suspens. Tout cela Job l’a discuté pour forcer ses adversaires à poser une autre vie où les justes sont récompensés et les méchants punis. Si l’on n’admet pas cette vie, on ne peut rendre compte de la tribulation des justes qui, c’est certain, sont parfois éprouvés en ce monde.

 

 

 

 

 

Caput 11

Job 11 — Loi et transcendance divines

 

CONFÉRENCE 1 — Sophar : "Dieu est grand" (Job 11, 1-10)

 

1 Alors Sophar de Naama prit la parole et dit : 2 La multitude des paroles restera-t-elle sans réponse, et le bavard aura-t-il raison? 3 Tes vains propos feront-ils taire les gens? Te moqueras-tu, sans que personne ne te confonde? 4 Tu as dit à Dieu : "Ma pensée est la vraie, et je suis irréprochable devant toi." 5 Oh! Si Dieu voulait parler s'il ouvrait les lèvres pour te répondre; 6 s'il te révélait les secrets de sa sagesse, les replis cachés de ses desseins, tu verrais alors qu'il oublie une part de tes crimes. 7 Prétends-tu sonder les profondeurs de Dieu, atteindre la perfection du Tout-Puissant? 8 Elle est haute comme les cieux : que feras-tu? Plus profonde que le séjour des morts : que sauras-tu? 9 Sa mesure est plus longue que la terre, elle est plus large que la mer. 10 S'il fond sur le coupable, s'il l'arrête, s'il convoque le tribunal, qui s'y opposera?

1 Sophar de Naaman répondit : 2 Le bavard n'écouterait-il pas? Le beau parleur sera-t-il justifié? 3 Es-tu le seul devant qui on doive se taire? Tu te moques des gens sans qu’on te refuie? 4 Oui tu disais : pur est mon langage, Je suis sans tache en ta présence. 5 Plût à Dieu qu’Il te parle qu’à ton adresse il ouvre ses lèvres! 6 Il te montre les secrets de sa sagesse; que multiple est sa loi. A lors tu comprendrais qu'il te demande moins que tu as mérité. 7 Peut-être te sera-t-il donné de comprendre les traces de Dieu, de découvrir sa parfaite toute-puissance. 8 Il est plus élevé que le ciel; que peux-tu y faire? Plus profond que l’enfer et comment le connaître? 9 Plus longue que la terre, sa mesure; plus large que la mer! 10 Qu'il renverse tout et n’en fasse qu’un chaos qui le contredira? ou qui peut lui dire : Pourquoi agis-tu ainsi?

[84909] Super Iob, cap. 11 Respondens autem Sophar Naamathites dixit et cetera. Superius Iob inter cetera mala quae patiebatur, mirabiliter cruciari se dixerat ab amicis suis qui contra eum insurgebant quasi testes pro Deo, a quo verbo tactus Sophar respondit, unde dicitur respondens autem Sophar Naamathites dixit: numquid qui multa loquitur nonne et audiet? Quasi dicat: tu multa locutus es inordinate, unde non est mirum si ab amicis tuis reprehensus es; quia si homo qui loquitur multa non reprehenderetur, sequeretur hoc inconveniens quod homines ex hoc ipso quod sunt loquaces iusti reputarentur, unde sequitur aut vir verbosus iustificabitur, idest iustus reputabitur? Et quia posset dicere Iob sibi debere deferri propter suam dignitatem, excludit hoc subdens tibi soli tacebunt homines, et cum ceteros irriseris a nullo confutaberis? Intelligebat enim et alios esse irrisos in hoc quod eos testes Dei vocaverat et in hoc quod supra dixerat quare detraxistis sermonibus veritatis? Et ideo dicit non esse mirandum si etiam alii contra ipsum loquantur. Sed forte posset dicere quod non haberent quid dicerent contra eum vel contra verba eius, et ad hoc excludendum subdit dixisti enim: purus est sermo meus: hoc accipit ab eo quod supra dixerat non invenietis in lingua mea iniquitatem, nec in faucibus meis stultitia personabit; et mundus sum in conspectu tuo: hoc Iob expresse non dixerat, sed ex verbis eius accipere volebat quia disputaverat se non pro peccato punitum, vel ex eo quod dixerat scias quia nihil impium fecerim, vel ex eo quod supra dixit nonne dissimulavi? Nonne silui? Considerandum est autem quod cum peccatum sit obliquatio a lege Dei, non potest plene cognosci peccatum vel quantitas eius nisi lex Dei cognoscatur: rectum enim est iudex sui ipsius et obliqui; quod igitur Iob se diceret immunem a peccato vel non ita graviter peccasse sicut puniebatur, ex hoc reputabat Sophar accidere quod Iob legem Dei non perfecte cognosceret, et ideo dicit atque utinam Deus loqueretur tecum et aperiret labia sua tibi. Hoc videtur in suggillationem Iob dicere, quia dixerat indica mihi cur me ita iudices; et potest dici quod Deus simpliciter loquitur homini cum eius cordi aliquid de sua sapientia inspirat, secundum illud Psalmi audiam quid loquatur in me dominus Deus; labia autem sua aperit cum per aliquos effectus hominibus aliquid revelat: labiis enim formantur voces exterius quibus interiores conceptus cordis exprimimus. Considerandum autem quod ab intellectu divinorum duplici ratione deficimus: primo quidem quia cum invisibilia Dei cognoscere non possimus nisi per ea quae facta sunt, ea vero quae facta sunt multum deficiant a virtute factoris, oportet quod remaneant multa in factore consideranda quae nobis occultantur, et haec vocantur secreta sapientiae Dei, de quibus dicit ut ostenderet tibi secreta sapientiae. Secundo quia etiam ipsum creaturarum ordinem ad plenum comprehendere non possumus secundum quod a divina providentia dispensatur; aliter enim est in humano regimine et aliter in divino: nam apud homines quanto aliquis est superior in regendo tanto eius ordinatio ad universaliora solum se extendit, particularia vero relinquit inferioribus rectoribus dispensanda, et sic lex regiminis superioris rectoris est universalis et simplex; sed Deus quanto est superior in regendo tanto eius ordinatio etiam usque ad minima se extendit: unde lex sui regiminis non solum est secreta, si respiciamus ad altitudinem rectoris excedentem universam proportionem creaturae, sed etiam est multiplex, universa etiam singularia et minima sub certo ordine, dispensans, et ideo addidit et quod multiplex sit lex eius. Et hoc quidem non solum in rebus naturalibus est considerare, prout divino subduntur regimini, sed etiam in rebus humanis. Leges enim humanae, quia non potuerunt earum latores omnia singularia respicere, ad universalia quaedam respiciunt quae ut in pluribus accidunt; qualiter autem universalia statuta humana sint factis singularibus applicanda relinquitur prudentiae operantis: unde in multis homo potest deficere a rectitudine, in quibus tamen non contrariatur legi humanitus positae; sed lex divina secundum quod est in sapientia Dei ad omnia particularia et minima se extendit, et sic non potest contingere quod homo in aliquo a rectitudine discordet et non contrarietur legi divinae. Quia igitur homo ad ipsam legem divinam, prout est in secreto sapientiae Dei inspiciendam, pertingere non potest et per consequens nec eius multiplicitatem agnoscere, contingit quod aliquando non putet se contra legem Dei agere cum tamen agat, vel parum delinquere cum multum delinquat, unde subdit et intelligeres, scilicet si essent tibi ostensa secreta sapientiae et multiplicitas legis Dei, quod multo minora exigaris ab eo, scilicet in sustinendo poenas, quam meretur iniquitas tua, quam vel non cognoscis vel aestimas parvam. Et in hoc videtur reprehendere quod Iob supra dixerat utinam appenderentur peccata mea quibus iram merui et calamitas quam patior in statera. Quasi arena maris haec gravior appareret. Et quia supposuerat in divina sapientia esse aliquod secretum quod nondum erat Iob ostensum, ne hoc posset negari, per sequentia confirmat dicens forsitan vestigia Dei comprehendes. Vestigia signa sunt per viam procedentis; opera autem Dei viae ipsius dicuntur, et productio creaturarum a Deo quidam processus Dei intelligitur in creaturas, prout divina bonitas ab eo in quo simpliciter et summe existit gradatim ad effectus derivata procedit dum superiora inferioribus meliora inveniuntur: vestigia ergo Dei sunt signa quaedam in creaturis inventa, ex quibus per eas Deus aliquatenus cognosci potest. Sed cum humana mens nec ipsas creaturas totaliter et perfecte cognoscere possit, multo minus et de ipso creatore perfectam notitiam habere potest, et ideo interrogando subdit et usque ad perfectum omnipotentem reperies? Quasi dicat: si creaturas perfecte cognoscere non potes, multo minus nec creatorem; et signanter dicit reperies quia per quandam inquisitionem ratio ab effectibus procedit ad causam, quam dum per effectus cognoscit eam dicimur invenire. Nec est mirum si creaturis non perfecte cognitis creator non perfecte cognoscitur, quia etiam creaturis perfecte cognitis adhuc creator non perfecte cognosceretur: tunc enim per effectus perfecte causa cognosci potest quando effectus adaequant causae virtutem, quod de Deo dici non potest, et ideo subdit excelsior caelo est, et quid facies? Profundior Inferno, et unde cognosces? Longior terra mensura eius et latior mari. Haec sub metaphora dicuntur: non enim debet intelligi quod Deus qui incorporeus est dimensionibus corporalibus distendatur, sed magnitudinem virtutis sub similitudine magnitudinis corporalis describit, quia quantumcumque quantitates corporeae videntur esse magnae vel altitudine vel profunditate vel longitudine vel latitudine, deficiunt tamen a magnitudine virtutis Dei quae maiora facere posset, et ideo signanter Deum omnipotentem prius nominavit. Ex hoc ergo ostendit quod perfecte in creaturis inveniri non potest, quia dato quod omnes creaturae perfecte cognoscerentur, ex eis cognosci non posset virtus ei aequalis: quod ergo medium sumi potest ad cognoscendum virtutem Dei secundum quod excedit omnem creaturam? Et hoc significat cum dicit quid facies? Et unde cognosces? Non solum autem divina virtus excedit omnem creaturam in producendo sed etiam in conservando: non enim creaturae conservatio est nisi a Deo, nec est aliqua virtus in creatura quae divinae voluntati resistere posset si ipsam creaturam ulterius conservare non vellet, et ideo subdit si subverterit omnia, in nihilum redigendo, subtrahendo scilicet eis esse, vel in unum coartaverit, confusionem inducendo per subtractionem ordinis quo res distinguit, quis contradicet ei? Idest quae virtus creaturae poterit esse contraria, contra eius voluntatem conservans vel se vel alia in esse? Sed ne aliquis dicat quod licet nihil posset conservari in esse nisi per eum, tamen quasi ex debito res in esse conservat, ad hoc excludendum subdit vel quis dicere ei potest: cur ita facis? Quasi ab eo exigens rationem de debito praetermisso. Ipse enim novit hominum vanitatem et cetera. Postquam ostendit Sophar quod in divina sapientia est aliquid secretum quod homini incomprehensibile est, procedit ad aliud manifestandum quod prius supposuerat, scilicet quod Deus pro peccato ab homine exigat poenam et, ad hoc quidem manifestandum, quod Deus facta hominum cognoscat, unde dicit: recte dico quod exigeris a Deo minora quam mereatur tua iniquitas, ipse enim novit hominum vanitatem, idest hominum facta vana. Vana autem dici consueverunt quae instabilia sunt eo quod debitis finibus non stabiliuntur: ex hoc igitur est vanitas hominis quod cor eius in veritate non figitur per quam solam potest stabiliri, et ex hoc quod a veritate recedit iniquitatem operatur, dum videlicet appetit illud quod apparet bonum loco eius quod est bonum, unde subdit et videns, scilicet Deus, iniquitatem, ex vanitate hominum prodeuntem, nonne considerat, scilicet ad puniendum? Tunc enim iudex peccatum videns inconsiderate pertransire videtur quando dissimulat et poenam apponere non curat, quod de Deo videtur non esse dicendum: cum igitur ipse videat hominum vanitatem, pro iniquitate exigit poenam. Sicut autem ex vanitate contingit quod homo ad iniquitatem declinat, ita ex eadem vanitate provenit quod homo divino iudicio se subiectum esse non reputat, et ideo subdit vir vanus in superbiam erigitur, ut scilicet suo superiori se subditum esse non credat, et hoc est quod subdit et tamquam pullum onagri natum se liberum putat. Onager asinus silvestris est, cuius pullus ab hominis dominio liber nascitur; pulli autem asinorum qui ab hominibus possidentur in servitute hominum nascuntur: homines igitur qui se divino iudicio subiectos esse non putant reputant se quasi pullos onagri natos, licet videant alios homines eiusdem condicionis divino iudicio coerceri. Hoc in suggillationem beati Iob dicere videbatur, intelligens ex verbis eius quod quasi de pari cum Deo vellet contendere quia dixerat auferat a me virgam suam et pavor eius non me terreat; loquar et non timebo eum, et ideo subdit tu autem firmasti cor tuum, ut scilicet defenderes iniquitatem tuam. Et tamen cum hac cordis obfirmatione, expandisti ad Deum manus tuas orando, supra scilicet cum dixit dicam Deo: noli me condemnare; et ideo inutilis est oratio tua: utilis enim oratio est quando homo primo iniquitatem dimittit et postea a Deo petit ut a puniendo cesset, et hoc est quod subdit si iniquitatem quae est in manu tua abstuleris a te, ut scilicet desistas ab opere iniquo quod adhuc prae manibus habes, et non manserit in tabernaculo tuo iniustitia, ut scilicet quae iniuste accepta reposita habes restituas, vel ut tuos familiares corrigas pro quorum delictis interdum domini puniuntur propter negligentiam corrigendi, tum levare poteris, scilicet ad Deum orando, faciem tuam absque macula, scilicet culpae. Et sic cessabit condemnatio, primo quidem quantum ad futura, unde subdit et eris stabilis, ut scilicet ulterius per tribulationes non commovearis, et etiam non timebis futura pericula; et quia aliquando licet non timeat de futuro, homo tamen affligitur pro his quae amisit vel passus est, subiungit miseriae quoque, scilicet quam hactenus passus es, oblivisceris, propter abundantiam bonorum supervenientium; et hoc exemplo confirmat cum subdit et quasi aquarum quae praeterierunt non recordaberis, quod dicit quia homo post tempestatem pluviae, cum serenitas advenit, pluviarum praecedentium obliviscitur, vel propter hoc quod aquae fluviorum citissime currunt, et earum postquam transeunt nulla remanet memoria. Sed quia contra promissionem prosperitatis in hac vita Iob supra duo opposuerat, scilicet devastationem proprii corporis cum dixit induta est caro mea putredine, et praeteritionem dierum vitae suae cum dixit dies mei velocius transierunt etc., ideo ad utramque obiectionem excludendam subiungit et quasi meridianus fulgor consurget tibi ad vesperam, ac si dicat: licet tibi videatur quod dies tui pertransierint et vita tua sit in fine quasi ad vesperam, tamen tanta poterit tibi supervenire prosperitas quod quasi reducet te ad gaudium iuventutis tuae: sicut enim per vesperam intelligitur senectus, ita per meridiem iuventus; fulgorem autem vocat claritatem terrenae prosperitatis. Contra hoc vero quod dixerat de consumptione proprii corporis subiungit et cum te consumptum putaveris, scilicet propter infirmitatem quam passus es, orieris ut Lucifer, idest ad pristinum decorem revertetur corpus tuum. Et quia iterum supra Iob dixerat quod dies sui consumpti erant absque ulla spe, subiungit et habebis fiduciam, proposita tibi spe. Et quia Iob supra improbaverat opinionem dicentium quod homo post mortem, transactis multis saeculis, iterum redit ad hunc modum vivendi, non huius rei spem dicit ei esse propositam sed secundum quod homo post mortem vivit in memoriis hominum. Quod quidem ex duobus contingit: uno quidem modo ex tumulis in quibus corpora mortuorum conduntur ut conservetur memoria defunctorum, unde et monumenta dicuntur, et quantum ad hoc dicit et defossus securus dormies, quasi nullus sepulcrum tuum violabit, nec etiam timendum erit quod aliquis attentet, unde subdit requiesces et non erit qui exterreat; alio modo mortui vivunt in memoriis hominum propter bona quae fecerunt dum viverent, ex quibus eorum vita desideraretur, et quantum ad hoc subdit et deprecabuntur faciem tuam plurimi, idest plurimi exoptabunt praesentiam tuam vel reverentiam exhibebunt tumulo tuo, memorantes beneficia tua. Et quia haec promiserat si Iob ab iniquitate vellet discedere, ostendit consequenter quod iniquis ista non dantur, et ideo subdit oculi autem impiorum deficient, quia videlicet bona quae exoptant non obtinebunt: tunc enim oculi alicuius deficere dicuntur quando aspicit ad aliquod apprehendendum ad quod attingere non valet. Et sicut bona desiderata non adipiscuntur, ita etiam mala quae patiuntur vel timent vitare non possunt, unde sequitur et effugium peribit ab eis, quia scilicet non poterunt fugere mala. Post mortem autem non erunt in veneratione vel desiderio sed in abominatione propter mala quae fecerunt, et hoc est quod subditur et spes eorum abominatio animae, idest illud quod de eis potest sperari post mortem est quod sint in abominatione.

Plus haut Job avait cité avec étonnement parmi les maux qu’il endurait celui des tourments que ses amis lui (infligeaient) l’attaquant en témoins de Dieu. Piqué par ce propos, Sophar répond et on nous dit : Or Sophar de Naaman répondant lui dit : le bavard n'écoutera-t-il pas? Il veut dire : tu as parlé beaucoup et sans ordre aucun; quoi d’étonnant sites amis te reprennent? Que si on ne reprend pas celui qui parle beaucoup, il suffirait d’être loquace pour être tenu juste; d’où ce qui suit le beau parleur sera-t-il justifié? Et comme Job pour rait se réclamer de sa dignité il l’exclut en introduisant Es-tu le seul devant qui on doive se taire? Te moqueras-tu des gens sans qu’on te réponde? Il avait cru comprendre que Job se moquait des autres en les appelant témoins de Dieu et en ce qu’il avait dit : Pourquoi dites-vous du mal sous des paroles de vérité, ” et donc il dit qu’il n’est pas étonnant que d’autres parlent aussi contre lui. Mais peut-être Job objectera-t-il qu’ils n’ont rien à lui reprocher ou contre ses paroles et il exclut cela Oui, tu as dit : pur est mon langage. Il se réfère à ce que Job a dit plus haut "Vous ne trouverez pas d’iniquité sur ma langue, ni la sottise n’apparaîtra dans mon gosier"; et je suis pur en la présence : cela Job ne l’a pas dit mais Sophar interprétait ainsi ses paroles ayant prétendu qu’il n’avait pas été puni pour le péché, ou de ce qu’il avait dit "Sache que je n’ai rien fait d’impie ou encore : N’ai-je pas dissimulé? ne me suis-je pas tu?

Or le péché étant infraction de la loi de Dieu il ne peut être saisi pleinement du péché ou en sa quantité que si on connaît la loi de Dieu; en effet "Le droit est juge de lui-même et de ce qui l’enfreint" Et donc parce que Job se disait exempt de péché et qu’il n’avait pas péché aussi gravement qu’il est puni, Sophar en conclut qu’il ne connaissait pas la loi de Dieu parfaitement et donc il dit : Et plût à Dieu qu’Il te parle, qu’à ton adresse il ouvre ses lèvres. C’est là, semble-t-il, une injure faite à Job qui avait dit à Dieu : "Indique moi pourquoi tu me juges de la sorte". Et on peut dire que Dieu parle à l’homme simplement quand il lui inspire au cœur quelque chose de sa sagesse, selon ce que dit le psaume "J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu" (84, 9). Dieu ouvre ses lèvres lorsqu’il révèle quelque chose aux hommes par des événements. Les lèvres en effet forment des vocables extérieurs par lesquels nous exprimons les concepts intérieurs du cœur.

La connaissance des choses divines nous fait défaut de deux manières. D’abord parce que les choses invisibles de Dieu ne nous sont connues que par les choses qu’Il fait; celles-ci différant beau coup de la vertu de leur auteur; il s’en suit donc que beaucoup de choses nous restent cachées de leur auteur et ces choses sont dites les secrets de la sagesse divine et dont il dit : qu’Il te montre les secrets de sa sagesse. Ensuite nous ne pouvons comprendre pleinement l’ordre même des créatures selon qu’elles sont disposées par la divine providence; en effet on ne peut comparer le gouvernement des hommes au gouvernement divin. Car chez les hommes plus haut est-on placé dans le pouvoir plus générales sont les dispositions qu’on prend laissant aux inférieurs le soin des choses particulières; et ainsi la loi du gouverneur plus élevé est-elle universelle et simple, tandis que Dieu plus il est élevé en son gouvernement plus aussi ses dispositions s’étendent-elles aux moindres choses. D’où la loi par laquelle il gouverne non seulement est secrète si nous considérons la hauteur de celui qui gouverne et qui excède toute la proportion des causes mais encore elle est infinie, universelle et particulière et disposant les détails dans un ordre déterminé et donc il ajoute : Et sa loi est multiple.

Et cela non seulement dans les choses naturelles soumises au gouvernement divin mais aussi dans les choses humaines. Pour les lois humaines en effet comme leurs législateurs ne peuvent prendre en considération tous les singuliers, ils considèrent certaines choses générales qui se produisent le plus souvent. Comment ces statuts généraux doivent être appliqués aux faits particuliers, c’est laissé à la prudence de l’exécutif; d’où en beaucoup de choses l’homme peut manquer au droit sans cependant transgresser la loi humaine. Mais la loi divine selon qu’elle est sa sagesse même s’étend à tous les particuliers et aux moindres choses et ainsi il ne peut se faire que l’homme en désaccord avec la rectitude ne soit pas contraire à la loi divine. L’homme donc comme il ne peut parvenir à pénétrer la loi divine en elle-même telle qu’elle se trouve dans le secret de la divine sagesse ni par conséquent en reconnaître la multiplicité, il arrive parfois qu’il ne croit pas agir contre la loi de Dieu bien que cependant il le fasse, ou qu’il est légèrement en faute alors qu’il l’est beaucoup. D’où il dit : Et tu saisirais : à savoir si t’étaient montrés les secrets de sa sagesse et la multiplicité de la loi divine qu’il te demande beaucoup moins à savoir, en subissant le châtiment que ton iniquité mérite, que tu ne connais pas ou estime sans importance. Et en cela il veut reprendre Job qui avait dit : Plût au ciel que mes péchés qui m’ont mérité la colère soient pesés et la calamité qui m’accable (soit mise) dans la balance et celle-ci pèserait plus lourd que le sable de la mer.

Et comme il a supposé dans la sagesse divine un secret que Job ne connaît pas encore, pour qu’il ne puisse le nier, il va le confirmer dans la suite en disant : Peut-être comprendras-tu les traces de Dieu? Les traces sont les signes d’un passant sur la route; or les œuvres de Dieu sont comme sa route et la production des créatures par Dieu est comme une marche de Dieu vers les créatures, d’après que la divine bonté procède à partir de lui-même, où elle existe simplement et suprêmement, en dérivant graduellement vers ses effets cependant que les choses supérieures dépassent en bien les inférieures. Les traces donc ou vestiges de Dieu sont des signes qu’on trouve dans les créatures, signes qui par elles peuvent nous faire connaître Dieu. Mais comme l’esprit humain ne peut même pas connaître les créatures totalement et parfaitement, beaucoup moins encore pourra-t-il avoir une connaissance parfaite du créateur lui-même, et donc interrogeant il dit : Découvriras-tu parfaitement le Tout-Puissant? Comme s’il disait : Si tu ne peux connaître parfaitement les créatures, encore beaucoup moins le créateur; et il dit pertinemment, découvriras-tu, car c’est par une sorte de recherche que la raison va des effets à leur cause, laquelle connue par ses effets, nous disons l’avoir trouvée.

Rien d’étonnant si ne connaissant pas parfaitement les créatures, le créateur ne puisse être connu parfaitement; car même si les créatures étaient parfaitement connues le créateur ne serait pas connu parfaitement. Alors en effet la cause nous est parfaitement connue par ses effets quand ceux-ci sont adéquats à la vertu de la cause; ce qui ne peut être dit pour Dieu et donc on nous dit : Il est plus élevé que les cieux, que peut-on y faire? Il est plus profond que l’enfer et d’où le connaîtra-t-on? Plus longue que la terre est sa mesure, et plus large que la mer. Ce sont là des métaphores puisque Dieu qui est sans corps n’est pas mesurable matériellement; mais sous l’image d’une grandeur corporelle il décrit la grandeur de son pouvoir; car aussi grandes que soient les choses corporelles en hauteur, en profondeur, en longueur ou en largeur elles demeurent en deçà de la grandeur divine qui peut faire de plus grandes choses encore. Et il a nommé pertinemment en premier lieu sa toute puissance. Il a donc montré par là qu’on ne peut le trouver parfaitement dans les créatures; car si on les connaissait même parfaitement, par elles on ne pourrait connaître sa vertu adéquatement, car elles ne fournissent aucun moyen de connaître la vertu de Dieu, lui qui excède toute la créature; et il le signifie lorsqu’il dit : que peut-on y faire? et d’où le connaîtra-t-on?

Non seulement la vertu divine excède toute la création en la créant mais encore en la conservant. En effet Dieu seul peut conserver la créature et aucun pouvoir créé ne pourrait s’opposer à la volonté de Dieu s’il ne voulait pas conserver plus avant la création elle- même. Et c’est pourquoi on nous dit : s'il renversait tout en le réduisant au néant, en lui retirant l’être ou s’il le réduisait au chaos en y mettant la confusion, à savoir en lui enlevant l’ordre qui distingue les choses Qui le contredira? à savoir, quel pouvoir de la créature Pourra-t-il être contraire, conservant contre sa volonté, soi-même ou les autres choses dans l’existence? Mais pour qu’on ne dise pas que si rien ne se conserve dans l’existence sans lui, il doit cependant conserver les choses comme s’y étant engagé, il exclut et dit : Ou qui pourra lui dire : Pourquoi agis-tu ainsi? Comme lui demandant compte d’avoir omis un devoir.

 

CONFÉRENCE 2 — Sophar : "Dieu est infini" (Job 11, 11-20)

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11 Car il connaît les pervers, il découvre l'iniquité avant qu'elle s'en doute. 12 A cette vue, le fou même comprendrait, et le petit de l'onagre deviendrait raisonnable. 13 Pour toi, si tu diriges ton cœur vers Dieu, et que tu étendes vers lui tes bras, 14 si tu éloignes l'iniquité qui est dans tes mains, et que tu ne laisses pas l'injustice habiter sous ta tente, 15 alors tu lèveras ton front sans tache, tu seras inébranlable et tu ne craindras plus. 16 Tu oublieras alors tes souffrances, tu t'en souviendras comme des eaux écoulées; 17 L'avenir se lèvera pour toi plus brillant que le midi, les ténèbres se changeront en aurore. 18 Tu seras plein de confiance, et ton attente ne sera pas veine; tu regarderas autour de toi, et tu te coucheras tranquille. 19 Tu reposeras, sans que personne t'inquiète, et plusieurs caresseront ton visage. 20 Mais les yeux des méchants se consumeront : pour eux, point de refuge; leur espérance est le souffle d'un mourant.

11 Il connaît en effet la vanité de l’homme. Et voyant l’iniquité il la considère. 12 L'homme vain s’élève en sa superbe Et comme le petit de l’onagre, s’ébat en liberté. 13 Et toi tu affermis ton cœur et tu étends tes mains vers Dieu. 14 Si tu enlevais de tes mains l’iniquité, si l’injustice ne demeurait plus en toi; 15 Alors tu pourrais sans reproche lever la tête, Tu serais ferme et sans plus de crainte. 16 Tes malheurs, tu les oublierais? Telles les eaux qui passent tu ne t’en souviendrais plus. 17 Et comme au midi la lumière demeure jusqu’au soir. Te croyant disparu tu te lèverais comme l’aurore. 18 Avec l’espoir tu reprendrais confiance, Dans la fosse tu reposerais en sécurité. 19 Je reposerais et nul ne te troublerait, Et beaucoup imploreraient ta face. 20 Les yeux des impies s’éteindront; La fuite leur sera impossible, Et leur espoir sera en abomination.

Après avoir montré que les secrets de la divine sagesse sont incompréhensibles pour l’homme, Sophar continue et il veut manifester ce qu’il avait supposé auparavant c’est-à-dire que Dieu exige une peine pour le péché et que Dieu connaît les actes des hommes. D’où il dit ceci : Je dis vrai si Dieu exige de toi beaucoup moins que ce que tu as mérité par ton iniquité Il connaît en effet la vanité de l’homme à savoir ses vaines actions. Vain est dit ce qui est instable en ce qu’il n’est pas établi en des limites précises. Et cela donc est la vanité de l’homme que son cœur n’est pas fixé dans la vérité qui seule peut le stabiliser; et de ce qu’il s’écarte de la vérité il commet l’iniquité c’est-à-dire qu’il recherche ce qui lui paraît bon au lieu de ce qui est bon; d’où on nous dit : Et voyant, à savoir Dieu, l’iniquité qui procède de la vanité de l’homme, ne la considère-t-il pas c’est-à-dire pour le punir? Alors en effet un juge constatant une transgression passe dessus inconsidérément quand il dissimule et néglige de punir; ce qui ne peut être dit de Dieu; lorsque donc il voit la vanité humaine il exige une peine pour l’iniquité. Et de même que l'homme dans sa vanité se tourne vers le mal ainsi aussi par la même vanité il se fait que l’homme ne s’estime pas soumis au jugement divin et donc on nous dit : L’homme t’ai s’élève en sa superbe c’est-à-dire qu’il ne se croit pas soumis à son supérieur; et c’est ce qu’il dit : comme le petit de l’onagre qui s’ébat en liberté. L’onagre est un âne sauvage dont le petit naturellement échappe au pouvoir de l’homme; mais les ânons domestiques sont naturellement aussi sous le pouvoir de l’homme. Donc les hommes qui ne se croient pas soumis au jugement de Dieu s’estiment être des petits de l’onagre tout en voyant d’autres hommes de même condition mainte nus sous le jugement divin. Ceci est un reproche à l’adresse de Job en réponse à ses paroles où il voudrait contester avec Dieu comme son égal, car il avait dit : "Qu’il écarte de moi sa verge et que la peur ne me trouble pas : je parlerai et ne le craindrai point" Et il dit : Et toi tu affermis ton cœur, à savoir pour défendre ton iniquité. Et cependant avec cette assurance Tu élèves tes mains vers Dieu en priant comme il l’a dit plus haut "Je dirai à Dieu : ne me condamne pas!" et donc ta prière est sans résultat. En effet voici quelle doit être la prière du pécheur : de renoncer au péché d’abord et de demander ensuite à Dieu de ne plus le punir; et c’est ce qu’on nous dit : Si tu enlevais de tes mains l’iniquité c’est-à-dire si tu renonces à l’œuvre inique que tu as encore en tes mains et si l’injustice ne demeurait plus sous ton toit c’est-à-dire si tu restitues ce que tu détiens injustement ou si tu corriges ton entourage dont les délits sont punis jusqu’aux maîtres qui ont négligé de les reprendre alors tu pourrais lever, à savoir en priant le Seigneur, un visage sans reproche, à savoir ta culpabilité; et ainsi cessera ta condamnation, d’abord quant à l’avenir, Tu seras stable, à savoir que les tribulations ne te harcèleront plus et tu ne craindras plus les périls à venir. Et quoique parfois l’homme ne craint pas l’avenir, il s’afflige cependant pour ce qu’il a perdu ou souffert; on nous dit : Tes malheurs aussi, que tu endures jusqu’à maintenant, tu les oublieras par l’abondance des biens qui t’arriveront; et il confirme cela par un exemple telles des eaux qui passent, tu ne t’en souviendras plus; comme s’il disait : car après la tempête et la pluie dès que le temps est beau on oublie la pluie et la tempête; ou bien, les eaux des fleuves coulent très rapides et l’on ne garde aucun souvenir de leur passage.

Mais comme Job avait proposé plus haut deux choses à l’en contre de la promesse d’une vie prospère ici-bas : à savoir la dévastation de son corps en disant : Ma chair a revêtu la pourriture et son long passé sans retour en disant : Mes jours ont passé plus rapidement que le coureur et donc pour exclure les deux on nous dit : Et comme au midi la lumière demeure jusqu’au soir comme s’il disait : bien que tes jours te semblent avoir passé et que ta vie touche à sa fin comme au soir, cependant tu jouiras d’une si grande prospérité comme si tu étais revenu à la joie de ta jeunesse; de même en effet que le midi signifie la jeunesse ainsi le soir signifie la vieillesse; et la lumière signifie la clarté de la prospérité terrestre. Contre la disparition de son corps il lui dit : Te croyant disparu c’est-à-dire à cause de ton corps infirme tu te lèveras comme l’aurore, à savoir ton corps reviendra à sa beauté première.

Et comme aussi plus haut, Job avait dit que ses jours s’étaient consumés sans aucun espoir, on nous dit donc Avec l’espoir tu reprendras confiance. Et parce que Job avait réprouvé l’opinion que l’homme après la mort et après de longs siècles reviendrait au mode de vie présent, il lui dit qu’il ne lui propose pas l’espoir de ce retour mais de ce que l’homme après la mort vit dans la mémoire des vivants. Ce qui arrive de deux manières : d’une part la sépulture qui renferme te corps du défunt pour en garder le souvenir; d’où le nom de monument et quant à cela il dit : Dans la fosse tu dormiras en sécurité; il veut dire : personne ne violera ta sépulture; ni il est à craindre que quelqu’un t’attaque, d’où il dit : Tu reposeras et personne ne te troublera. D’autre part les morts vivent dans la mémoire des vivants à cause du bien qu’ils ont fait en leur vie ce qui fait qu’on les regrette; et quant à cela il dit : et beaucoup imploreront ta face : à savoir que nombreux seront ceux qui désireront ta présence ou montreront leur respect auprès de ta sépulture rappelant tes bienfaits.

Et comme il a promis cela si Job consent à se séparer de son iniquité, il montre qu’il n’en va pas ainsi des méchants. Et donc il dit : la vue des impies leur fera défaut : c’est-à-dire les biens qu’ils désirent ils ne les obtiendront pas. Alors en effet on dit que la vue fait défaut quand on fixe le regard sur un objet qu’on ne parvient pas à distinguer; il en est de même quand on n’obtient pas les biens qu’on désire; de même pour les maux dont on souffre ou qu’on craint et qu’on ne peut éviter, d’où ce qui suit La fuite leur sera impossible parce qu’ils ne pourront pas échapper au malheur après la mort; c ne les vénérera pas; on ne les regrettera pas; mais ils seront abomination à cause du mal qu’ils auront fait; c’est ce qui suit leur espoir sera en abomination à savoir ce qu’on peut espérer d’eux après la mort c’est qu’ils seront honnis.

 

 

 

 

Caput 12

Job 12 — Ce que l’expérience nous apprend sur Dieu

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Dieu va sécourir" (Job 12, 1-10)

 

1 Alors Job prit la parole et dit : 2 Vraiment vous êtes aussi sages que tout un peuple, et avec vous mourra la sagesse! 3 Moi aussi, j'ai de l'intelligence comme vous, je ne vous le cède en rien, et qui ne sait les choses que vous dites? 4 Je suis la risée de mes amis, moi qui invoquais Dieu et à qui Dieu répondait; leur risée, moi le juste, l'innocent!... 5 Honte au malheur! C'est la devise des heureux; le méprix attend celui dont le pied chancelle. 6 La paix cependant règne sous la tente des brigands, la sécurité pour ceux qui provoquent Dieu, et qui n'ont d'autres dieu que leur bras. 7 Mais, de grâce, interroge les bêtes, et elles t'instruiront, les oiseaux du ciel, et ils te l'apprendront; 8 ou bien parle à la terre, et elle t'enseignera; les poissons même de la mer te le raconteront. 9 Qui ne sait, parmi tous ces êtres, que la main de Yahvé a fait ces choses, 10 qu'il tient dans sa main l'âme de tout ce qui vit, et le souffle de tous les humains?

1 Job répondit : 2 Etes-vous les seuls hommes et avec vous mourra la sagesse? 3 Moi aussi, comme vous, j’ai un cœur; Je ne vous suis pas inférieur; personne n'ignore ce que vous savez! 4 Celui que son ami méprise — comme il m’arrive — invoquera Dieu qui l’exaucera. En effet la simplicité du juste est en dérision : 5 Comme une lampe rejetée dans la pensée des riches. préparée pour le temps marqué. 6 Remplies sont les tentes des voleurs; Dans leur audace ils provoquent Dieu; Alors que c’est Lui qui met tout en leurs mains. 7 Mais interroge les bêtes et elles t’enseigneront, les oiseaux du ciel et ils te l’indiqueront; 8 Parle à la terre et elle te répondra; et les poissons de la mer raconteront. 9 Qui ignore que la main du Seigneur les a faits? 10 En sa main est l’âme de tout vivant et l’esprit de toute chair d’hommes.

[84910] Super Iob, cap. 12 Respondens autem Iob dixit et cetera. Sophar in verbis praecedentibus conatus fuerat ostendere quod secreta sapientiae Dei homo comprehendere non potest, ad suggillandum Iob qui quasi cum Deo disputationem requirere videbatur. Et sicut ex verbis eius et aliorum amicorum perpendi potest, circa tria tota eorum versabatur intentio: primo enim studebant ad dicendum aliqua magnifica de Deo, extollentes eius sapientiam et potentiam et iustitiam, ut ex hoc eorum causa favorabilior appareret; secundo huiusmodi magnifica de Deo assumpta ad falsa quaedam dogmata applicabant, utpote quod propter iustitiam homines prosperarentur in hoc mundo et propter peccata tribularentur, et quod post hanc vitam non esset aliquid expectandum; tertio ex huiusmodi assertionibus, propter adversitatem quam patiebatur Iob, arguebant eum quasi iniquum et promittebant ei quaedam inania si iniquitatem desereret, utpote quod defossus securus dormiret et quod ad vesperam oriretur ei fulgor meridianus, quae Iob quasi irrisiones reputabat: et circa haec tota Iob responsio versatur. Primo ergo contra eos loquitur de hoc quod se extollebant, quaedam magnalia de Deo proponentes ac si soli ipsi ea scirent et Iob ea ignoraret, et ideo dicitur respondens autem Iob dixit: ergo vos soli estis homines? Quod sequitur si vos haec solos scire reputatis de magnitudine Dei quae omnes homines cognoscunt; et cum in cognitione magnitudinis Dei consistat sapientia, sequitur quod, si haec soli vos nostis, quod in vobis solum sit sapientia, et ita cessantibus vobis sapientia cessat, et ideo subdit et vobiscum morietur sapientia? Quasi dicat: inconveniens est vel quod vos soli sitis homines vel quod vos soli sitis sapientes. Sed quia possent dicere non soli nos scimus sed tamen tu nescis, respondet subdens et mihi est cor, scilicet ad haec scienda, sicut et vobis, nec inferior vestri sum, quantum scilicet ad hanc cognitionem. Et ne hoc arrogantiae posset ascribi, subiungit quis enim haec quae nostis ignorat? Quasi dicat: non est magnum si dico me scire ea quae scitis quia non est magnum ea scire, cum quilibet ea sciat; sed in hoc quod me haec ignorare reputatis, me contemptui habere videmini quasi ignorem ea quae omnes sciunt, unde subdit qui deridetur ab amico suo sicut ego, a vobis scilicet dum me insipientem reputatis, invocabit Deum, et exaudiet eum, quia ubi deest auxilium humanum ibi maxime adest auxilium divinum, secundum illud Psalmi quoniam pater meus et mater mea dereliquerunt me, dominus autem assumpsit me; et in hoc videtur quasi respondere ei quod supra dixerat Sophar tunc levare poteris faciem tuam, ac si dicat: non oportet me amplius expectare ad fiducialiter orandum, quia ex hoc ipso quod ab amicis derideor datur mihi spes recurrendi ad Deum. Quare autem irrisus ab amico a Deo exaudiatur, ostendit subdens deridetur enim iusti simplicitas, ubi ostendit et qui sunt qui derideantur et quare, et etiam a quibus, cum subdit lampas contempta apud cogitationes divitum. Derideri enim deficientis est, deridere autem superabundantis; qui autem in virtutibus superabundant eos qui in virtutibus deficiunt non irrident, sed magis compatiuntur et iuvant si possunt, sed illi qui in temporalibus abundant maxime solent irridere eos qui in temporalibus deficiunt, et praecipue quando studium non adhibent ad temporalia conquirenda; studium autem iustorum non est ad temporalia conquirenda sed ad rectitudinem sectandam, unde a fraudibus et dolis abstinent quibus plerumque divitiae acquiruntur, et ex hoc simplices reputantur: ergo ut plurimum deridentur iusti. Causa autem irrisionis est simplicitas, sed non sic irridetur quasi malum manifestum sed quasi bonum occultum, et ideo hic simplicitas vocatur lampas propter claritatem iustitiae, sed contempta apud cogitationes divitum, scilicet qui finem suum in divitiis ponunt - qui enim summum bonum in divitiis ponit, oportet quod cogitet quod intantum sunt aliqua magis bona inquantum magis prosunt ad divitias conquirendas -, unde oportet quod eis sit contemptibilis iustorum simplicitas per quam divitiarum multiplicitas impeditur. Sed licet ipsa simplicitas iustorum in cogitationibus divitum contemnatur, tamen suo tempore a fine debito non fraudatur, unde dicit parata ad tempus statutum; non autem dicit hoc quasi in aliquo tempore praesentis vitae iustis pro sua simplicitate aliqua terrena prosperitas sit reddenda, sed indeterminatum relinquit quod sit istud tempus statutum et ad quem finem iustorum simplicitas praeparetur: nondum enim ad hoc disputatio pervenit sed in sequentibus ostendetur. Sic igitur Iob occulte insinuat quare ab amicis irrideretur, quos divites vocat, quia prosperitatem huius mundi finem hominis ponebant quasi praemium iustitiae hominis; ipse autem sua simplicitate non hoc praemium quaerebat sed aliud in tempore statuto, et ideo fiduciam habebat ut si invocaret dominum ab eo exaudiretur. Et quia divites iusti simplicitatem irridentes non in hoc sistunt sed usque ad contemptum Dei procedunt, unde subditur abundant tabernacula praedonum: consequens enim est quod, ex quo aliqui finem suum in divitiis ponunt, quod omnes vias exquirant ad hunc finem ultimum consequendum vel fraudando vel quocumque alio modo, et sic efficiuntur praedones et dum praedantur divitiis abundant; ex hac autem abundantia sequitur contemptus Dei, unde subditur et audacter provocant Deum. Tunc enim aliquis aliquid audacter facit quando credit hoc esse bonum quod facit: cum enim conscientia remordet de malo, non sine timore homo perpetrat malum quia, ut dicitur Sap. XVII 10, cum sit timida nequitia data est in omnium condemnationem; qui autem finem ultimum in divitiis ponunt, ex hoc ipso aestimant bona omnia esse per quae hunc finem consequuntur; manifestum est autem quod cum divitias acquirunt praedando, provocant Deum contra eius iustitiam facientes: unde consequens est quod audacter provocent Deum. Vel aliter: ex divitiis homo in superbiam erigitur reputans se per eas sibi sufficere, et ex hoc contemnit Deum audacter in divitiis suis confidens, secundum illud Deut. XXXII 15 incrassatus est dilectus et recalcitravit. Sed quia dixerat abundare praedonum tabernacula qui provocant Deum, ne forte responderetur quod talis abundantia non est a Deo, subiungit cum ipse dederit omnia in manibus eorum, idest in potestate eorum, quia potestas nocendi alicui non est nisi a Deo, voluntas autem malefaciendi non est nisi a se ipso, et ideo in hoc quod praedantur Deum provocant, sed abundantia consequens est eis a Deo. Et hoc consequenter probat cum subdit nimirum interroga iumenta et docebunt te, et volatilia caeli et indicabunt tibi; loquere terrae et respondebit tibi, et narrabunt pisces maris; quid autem omnia ista interrogata respondeant, ostendit subdens quis ignorat quod omnia haec manus domini fecerit? Hoc ergo est quod omnia confitentur se a Deo esse facta; tunc autem homo creaturas interrogat quando eas diligenter considerat, sed interrogatae respondent dum per considerationem ipsarum homo percipit quod tanta ordinatio quae invenitur in dispositione partium, in ordine actionum, nullo modo posset esse nisi ab aliqua superiori sapientia dispensante. Si autem huiusmodi creaturae a Deo factae sunt, manifestum est quod in Dei potestate sunt sicut artificiata in potestate artificis, et ideo subdit in cuius manu, idest potestate, est anima omnis viventis, et non solum aliorum animalium sed et spiritus universae carnis hominis; si autem in potestate eius sunt, manifestum est quod nullus illas habere potest nisi ab ipso, secundum illud Dan. IV 14 dominatur excelsus in regno hominum, et cuicumque voluerit dabit illud. Manifestum est igitur quod et terram et animalia de quibus supra dixerat, in quibus humanae divitiae consistunt, nullus homo habere potest nisi Deus in manu eius dederit: et sic si praedones abundant, Deus dedit in manibus eorum; per hoc ergo confutatur illorum opinio qui ponebant divitias a Deo dari pro merito iustitiae, cum etiam praedonibus a Deo dentur. Nonne auris verba diiudicat et cetera. Quia superius posuerat Iob ea quae Sophar de excellentia divinae magnitudinis dixerat esse omnibus manifesta, intendit hic ostendere quod hoc ad notitiam hominum pervenire potest per experimentum divinae potentiae et sapientiae in rebus humanis. Unde primo manifestat quomodo homines per experimentum in rerum cognitionem deveniant, dicens nonne auris verba diiudicat, scilicet dum ea audit? Et fauces comedentis saporem nonne diiudicant? Quia experimentum a sensu est, convenienter per iudicium sensuum virtutem experimenti manifestat, et praecipue per auditum et gustum, quia auditus inter omnes sensus est disciplinabilior, unde plurimum ad scientias contemplativas valet; gustus autem est perceptivus ciborum qui homini sunt necessarii ad vitam, unde per iudicium gustus experimentum significat quod de rebus activae vitae habetur. Et propter hoc ex iudicio duorum sensuum ostendit virtutem experimenti tam in speculativis quam in operativis, cum subdit in antiquis est sapientia, quae ad contemplationem pertinet, quia scilicet antiqui multa audierunt; et in multo tempore prudentia, quae ad actionem pertinet, quia scilicet in multo tempore homines multa degustant, utilia vel nociva. Sic igitur manifestata experimenti virtute, subiungit quid homines de Deo experiri possunt cum dicit apud ipsum est sapientia et fortitudo, ipse habet consilium et intelligentiam. Ubi quatuor Deo attribuit quae se per ordinem habent: nam primum quidem est occulta cognoscere, quod ad intelligentiam pertinet; secundum autem est, ex his quae homo intelligit, invenire in activis quidem vias accommodas ad aliquem finem, quod ad consilium pertinet, sicut et in speculativis, per ea quae homo intelligit, rationes deducit ad aliquas conclusiones cognoscendas; tertium autem est ut de his quae homo adinvenit rectum iudicium habeat, quod ad sapientiam pertinet; quartum autem est ut ea quae aliquis iudicat esse facienda potenter exequatur, et ad hoc pertinet fortitudo. Quia vero experimentum procedit a sensibilibus, quae licet sint priora secundum nos sunt tamen simpliciter et secundum naturam posteriora, ideo incipit ostendere quomodo homines experiri possunt fortitudinem divinam, et primo quidem in ipsis rebus humanis. Videmus enim quod aliqui homines totaliter destruuntur, vel per mortem quantum ad esse naturae vel per omnimodam abiectionem quantum ad esse civile cum tamen habeant multos manutentores; unde cum adiuvari per homines non possunt ne ad destructionem perveniant, manifestum est quod ab aliqua occulta causa et divina et excellente humanam virtutem hoc contingit, cum ei virtus humana resistere non possit, et hoc est quod dicit si destruxerit nemo est qui reaedificet. Item videmus aliquos homines in suis processibus impediri, etsi non totaliter destruantur, licet habeant plurimos directores; unde manifestum est quod hoc etiam ab aliqua excellentiori virtute fit, unde subditur et si incluserit hominem, involvendo eum diversis difficultatibus, nullus est qui aperiat, idest qui expedire possit, unde Eccl. VII 14 dicitur nemo potest corrigere eum quem Deus despexerit. Deinde ostendit quomodo possint homines experiri divinam potentiam in rebus naturalibus, praecipue quantum ad pluvias et siccitates, unde dicit si continuerit aquas, ne scilicet pluendo cadant, omnia siccabuntur, scilicet quae ex terra germinant, et si emiserit eas, in magna abundantia, subvertent terram, sicut in diluviis accidit. Et licet hoc ex aliquibus causis naturalibus proveniat quod aliquando pluviae cessent usque ad omnimodam siccitatem, aliquando autem abundent usque ad terrae subversionem, non tamen hoc a divina potentia subtrahitur quae etiam ipsas naturales causas ad proprios ordinavit effectus: sic igitur quasi ex praemissis concludens, subdit apud ipsum est fortitudo. Deinde incipiens progredi ad secundum membrum, adiungit et sapientia, quasi proponens quod manifestare intendit. Est autem proprium sapientiae ut per eam rectum iudicium habeatur de rebus; ille autem recte iudicat de rerum veritate qui potest discernere quomodo aliquis decipiatur a veritate declinans: et ideo ad ostendendum quod in Deo sit sapientia, subdit ipse novit decipientem et eum qui decipitur, idest discernit recto iudicio deceptiones, quibus aliquis praetermittit veritatem, a recta veritatis cognitione. Et hoc quidem supponit ab eo quod communiter ipse et amici conveniunt in hoc quod res humanae divino iudicio subduntur, de quibus iudicare non posset nisi peccata cognosceret, inter quae magnum locum obtinent deceptiones et fraudes. Deinde ostendit per ea quae in rebus humanis apparent quod apud Deum sit consilium. Circa quod tamen considerandum est quod sicut Deus scit et principia speculativarum scientiarum et conclusiones et ordinem eorum ad invicem, non tamen per principia conclusionum cognitionem accipit sed omnia primo et simplici aspectu cognoscit, ita et in operativis et fines et ea quae sunt ad finem novit et quae viae ad fines aliquos consequendos expediant, non tamen vias ex finibus inquirit sicut nos dum consiliamur; sicut igitur in Deo dicitur esse ratio inquantum cognoscit ordinem principiorum ad sequentia, non tamen ei convenit investigare aliquid per modum rationis ut ratio facit, ita apud ipsum dicitur esse consilium non per modum inquisitionis sed per modum simplicis et absolutae cognitionis. Profunditas autem alicuius in consiliis ex duobus perpendi potest: primo quidem quando subtilitate sui consilii adversarios, etiam si exercitati in consiliis videantur, ad hoc deducit eos quod necesse sit eis, deficientibus omnibus viis eorum, ad finem inconvenientem pervenire; et quantum ad hoc dicit adducit consiliarios in stultum finem, impediendo scilicet profunditate sui consilii vias quas adinveniunt ad finem huiusmodi evitandum. Secundo autem ostenditur profunditas alicuius in consiliis quando adversarios ad hoc deducere potest subtilitate sui consilii ut ignorent quid eos oporteat agere; et quantum ad hoc subdit et iudices in stuporem: dicit autem iudices sapientes qui de agendis rectum iudicium consueverunt habere. Sicut etiam et in disputationibus speculativis accidit quod aliquis efficax disputator habetur, qui adversarium ad inconveniens ducere potest vel propositum taliter firmare quod in contrarium nihil dici possit, sic autem et Deus contra suos adversarios facit, quia et per vias quas ipsi eligunt eos ad perditionem ducit et suam veritatem et opera sic firmat ut ab adversariis commoveri non possint. Et quia hoc generaliter dixerat, consequenter per specialia exempla manifestat, ostendens quomodo omnia quae in rebus humanis excellere videntur profunditate divini consilii in stultum finem et in stuporem adducuntur. In rebus autem humanis excellunt reges secundum potentiam, et quantum ad hos dicit balteum, idest cingulum militare, regum dissolvit: in cingulo enim eorum potentia designatur, secundum illud Psalmi accingere gladio tuo super femur tuum, potentissime; et praecingit fune renes eorum, dum in captivitatem trahuntur, in quo maximus defectus potentiae denotatur. Sacerdotes autem excellunt quantum ad reverentiam in qua habentur, de quibus subdit ducit sacerdotes inglorios. Primarii autem et consiliarii civitatis aut regni excellere videntur secundum prudentiam in consiliis, et de his subdit et optimates supplantat, idest decipit. Philosophi autem excellunt in consideratione veritatis, et de his dicit commutans labium veracium, idest eorum qui ad veritatem loquendam student: aliquando enim Deus obnubilat eorum mentem per subtractionem suae gratiae, ut veritatem invenire non possint et per consequens nec loqui, secundum illud Rom. I 22 dicentes se esse sapientes stulti facti sunt. Excellunt etiam senes in directione iuvenum, et de his subdit et doctrinam senum auferens, vel quia senes infatuantur, vel quia totaliter de medio subtrahuntur, secundum illud Is. III 1 auferet dominus a Ierusalem iudicem et prophetam et ariolum et senem. Excellunt autem principes in auctoritate quam habent aliis praecipiendi, et de his subdit effundit despectionem super principes, ut scilicet despiciantur ab his qui eis oboedire debebant. Haec igitur omnia pertinere videntur ad hoc quod dixerat adducit consiliarios in stultum finem; sed quod aliquando aliqui ex infimo statu provehantur ad summum, pertinere videtur ad hoc quod dixerat et iudices in stuporem, et quantum ad hoc subdit et eos qui oppressi fuerant relevat, ut hoc referatur ad impotentes potentia maiorum oppressos, qui oppressoribus deiectis interdum ad statum potentiae elevantur. Quantum vero ad eos qui nullius sunt gloriae sed in infimo statu latent, subdit qui revelat profunda de tenebris, idest homines in infimo statu positos, et propter hoc ignotos quasi in tenebris existentes, in gloriam adducit, eos aliis revelando. Quantum vero ad eos qui ignorantes reputantur et stulti, subdit et producit in lucem umbram mortis: umbra enim mortis ignorantia esse videtur vel stultitia, cum per cognitionem maxime viventia a non viventibus distinguantur; producit ergo in lucem umbram mortis quando vel ignorantibus sapientiam tribuit vel eos qui sapientes erant sapientes esse demonstrat quorum sapientia erat prius ignota. Ut sic quod dictum est eos qui oppressi fuerant relevat, dicatur quasi in oppositum eius quod dixerat balteum regum dissolvit; quod vero subditur qui revelat profunda de tenebris, contra id quod dixerat ducit sacerdotes inglorios; quod vero subditur et producit in lucem umbram mortis, contra omnia quae sequuntur. Sicut autem huiusmodi alternationem sublimitatis et deiectionis circa singulares personas a Deo fieri dixerat, hoc idem et circa totam gentem ostendit subdens qui multiplicat gentes, ut scilicet numerositate hominum crescant, et perdit eas, idest destruit aut bellis aut pestilentiis, et subversas, vel ex his casibus, vel ex oppressione alicuius vel aliquorum qui inique praesident, in integrum restituit, idest ad bonum statum reducit. Ostenso igitur quod in Deo sit fortitudo, sapientia et consilium, ultimo ostendit quod in eo sit intelligentia, quam diximus pertinere ad cognitionem occultorum, quae maxime videntur esse ea quae in corde latent: haec autem Deum cognoscere ostendit per hoc quod in cordibus hominum operatur, et sic occulta cordium quasi suos effectus cognoscit. Dicit ergo qui immutat cor principum populi terrae, quantum scilicet ad voluntatem, unde et Prov. XXI 1 dicitur cor regis in manu domini, quocumque voluerit inclinabit illud; et licet omnium hominum voluntates Deus inclinet, tamen specialis mentio fit de regibus et principibus quia eorum voluntates maius pondus habent, utpote quorum voluntatem multi sequuntur. Quantum vero ad intellectum subiungit et decipit eos, quod quidem dicitur non quod in falsitatem eos inducat, sed quia lumen suum eis subtrahit ne veritatem cognoscant, et eorum rationem obnubilat ne ad mala quae proponunt consequenda vias idoneas invenire possint, unde sequitur ut frustra incedant per invium, idest ut procedant per vias non convenientes quibus ad finem suum pervenire non possint. Contingit autem aliquem errare in agendis dupliciter: uno modo per ignorantiam, et quantum ad hoc dicit palpabunt in tenebris et non in luce, ut per tenebras ignorantia, per lucem cognitio designetur; palpant autem aliqui per ignorantiam ad modum caecorum dum non considerant nisi quae praesentialiter quasi tangendo sentiunt; alio modo errant aliqui in agendis propter passiones, quibus eorum ratio ligatur circa particularia ut ne universalem cognitionem applicet ad agenda, et quantum ad hoc subdit et errare eos faciet quasi ebrios: sic enim passione ligatur ratio quasi quadam ebrietate.

Dans ce qu’il a dit, Sophar a tenté de montrer que l’homme ne peut saisir les secrets de la sagesse divine et ainsi il reproche à Job de vouloir discuter avec Dieu. Et comme il ressort de ses paroles et de celles de ses amis, toute leur intention se présente en trois choses. . , D’abord ils se sont évertués à magnifier Dieu exaltant sa sagesse, sa puissance et sa justice; ce qui donnait un aspect favorable à leur cause. Ensuite ils assumaient ces grandeurs au sujet de Dieu pour en faire l’application a de fausses doctrines, comme de ce que le hommes prospèrent en ce monde a cause de leur justice et de ce qu’ils sont dans la tribulation a cause de leurs péchés, et qu’après cette vie on ne devait rien attendre. Enfin de ces assertions, vu les adversités dont souffrait Job, ils concluaient qu’il était un pécheur et ils lui promettaient des choses futiles, s’il abandonnait son iniquité : comn4 de dormir en sécurité dans son tombeau et qu’au soir de sa vie un éclair paraîtrait comme en plein midi. Job tenait ces choses pour ridicules; c’est autour de cela que toute la réponse de Job va se dérouler. Il s’oppose donc d’abord en ce qu’ils se vantent en proposant certaines grandeurs au sujet de Dieu, comme s’ils étaient le seuls à les connaître et que Job les ignorerait; et donc on nous dit : Or Job dit en réponse : Vous êtes donc les seuls hommes? Ce qui s’en suit si vous jugez être les seuls à savoir ce que tous savent au sujet de la grandeur divine; et comme en cette connaissance de la grandeur divine consiste la sagesse, si vous êtes les seuls à la connaître, en vous seuls aussi se trouve la sagesse; et ainsi quand vous ne serez plus, la sagesse disparaîtra; et donc il dit : Et avec vous mourra la sagesse, comme de dire : il ne convient pas que vous seuls soyez des hommes ou que vous soyez les seuls sages.

Mais comme ils pourraient dire : nous ne sommes pas les seuls à savoir, mais toi tu ne sais pas, il répond J’ai aussi un cœur, c’est-à-dire pour savoir ces choses, comme vous aussi; et je ne vous suis pas inférieur c’est-à-dire quant à cette connaissance. Et pour ne pas être taxé d’arrogant, il ajoute : Qui ignore ce que vous savez? Comme s’il disait : rien de mal si je dis savoir ce que vous connaissez; car qu’y a t-il de grand à savoir ces choses que tout le monde connaît? Mais comme vous croyez que je les ignore et pour que vous ne puissiez pas m’avoir en mépris comme si j’ignorais ce que tous savent, il dit : Celui que son ami méprise comme il m’arrive et c’est ce que vous faites en me tenant pour un insensé invoquera Dieu qui l’exaucera; car où fait défaut le secours des hommes, là est présent le secours divin, selon le Ps. 26, " Parce que mon père et ma mère m’ont délaissé, le Seigneur m’a accueilli". Et ainsi il répond à ce que Sophar disait : "Alors tu pourras lever ton visage", il veut dire qu’il ne doit pas attendre autre chose qu’une prière confiante; car par là même qu’il est ridiculisé par ses amis, l’espoir lui est donné d’avoir recours à Dieu.

Et pourquoi étant ridiculisé par ses amis est-il exaucé par Dieu il le dit : En effet la simplicité du juste est tournée en ridicule, où on nous montre qui sont ceux dont on se moque et pourquoi et par qui ils sont ridiculisés; ce qu’il dit : Comme une lampe rejetée dans la pensée des riches; est ridiculisé celui qui se trouve dans le besoin; ridiculise celui qui est dans l’abondance. Or ceux qui abondent en vertus ne se moquent pas de ceux qui en ont peu, mais plutôt compatissent et ils les aident s’ils le peuvent; mais ceux qui abondent en biens matériels le plus souvent se moquent de ceux qui en manquent et principalement quand ils ne s’appliquent pas à les acquérir. Or le souci des justes ne va pas a l’acquisition des biens temporels mais a poursuivre la rectitude : d’où leur abstention de la fraude et du dol par quoi le plus souvent on acquiert les richesses et c’est ainsi qu’on les tient pour simples. Et donc les justes très souvent sont ridiculisés la cause en est la simplicité. Mais on les ridiculise non par suite d’un mal manifeste mais parce que le bien ne paraît pas. Et donc cette simplicité est appelée “lampe” à cause de la clarté du juste, mais elle est méprisée dans la pensée des riches, qui mettent leur fin dans les richesses. En effet celui qui met le bien suprême dans les richesses doit penser que certains biens sont d’autant plus grands qu’ils sont plus utiles à l’acquisition des richesses; d’où il faut bien qu’il méprise t la simplicité des justes puisqu’elle s’oppose à la multiplication des richesses Mais bien que cette simplicité des justes soit méprisée dans les pensées des riches cependant au temps voulu elle ne sera pas frustrée de la véritable fin, d’où on nous dit : préparée pour le temps marqué. Mais il ne dit pas cela comme si à un moment de la vie présente quelque prospérité sera rendue aux justes pour leur simplicité mais il laisse indéterminé le temps marqué et dans quel but la simplicité des justes est ordonnée. En effet la discussion n’en est pas encore à ce point, mais on le montrera dans la suite. Ainsi donc Job insinue secrètement pourquoi ses amis le ridiculisent et il les nomme riches parce qu’ils mettaient comme fin de l’homme la prospérité en ce monde en récompense de la justice de l’homme; quant à lui par sa simplicité il ne cherche pas cette récompense mais autre; chose au temps marqué : d’où sa confiance qu’en invoquant lé Seigneur il sera exaucé.

Et parce que les riches qui se moquent de la simplicité du juste ne s'arrêtent pas la mais vont jusqu’au mépris de Dieu, on ajoute : les teilles des pillards sont remplies. La conséquence est qu’en mettant leur fin dans les richesses ils recherchent toutes les voies a la poursuite. 4$ te de cette fin ultime ou par la fraude ou par tout autre moyen, et ainsi ils deviennent des pillards Tandis qu’ils volent, leurs richesses abondent, de cette abondance provient le mépris de Dieu; d’où il dit : Et audacieusement ils provoquent Dieu. Alors en effet on agit audacieusement quand on croit bien faire en agissant comme on fait : lorsqu’en effet la conscience fait des reproches, ce n’est pas sans crainte que l’on commet le mal; comme on dit au Livre de la Sagesse "L’iniquité est timide, elle condamne tout homme" (17, 10). Or ceux qui mettent leur fin dernière dans les richesses estiment que tout ce qui conduit à cette fin est bon. Or il est clair que, acquérant leurs richesses par le pillage ils provoquent Dieu puisqu’ils agissent contrairement à sa justice. La conséquence est donc qu’ils provoquent Dieu avec audace; ou si l’on veut, par ses richesses l’homme en devient plein d’orgueil, estimant que par elles il peut se suffire et de là son mépris audacieux pour Dieu parce qu’il se confie en ses richesses, selon ce qui est écrit : "Le bien aimé s’est engraissé et il a résisté " (Deut. 32, 15).

Mais comme il a dit que les tentes des pillards sont remplies, eux qui provoquent Dieu, pour qu’on n’objecte pas que cette abondance n’est pas de Dieu il ajoute : Alors que c’est Lui qui met tout en leurs mains à savoir en leur pouvoir. Car le pouvoir de nuire à quelqu’un ne peut venir que de Dieu, mais la volonté de mal faire ne vient que de soi-même; et donc en ce qu’ils volent ils provoquent Dieu, mais leur abondance a leur origine en Dieu et il prouve cela interroge les bêtes et elles t’enseigneront; les oiseaux du ciel et ils te l’indiqueront; Il parle de la terre et elle te répondra et les poissons de la mer te raconteront. Et tous, interrogés, de répondre Qui ignore que toutes ces choses la main du Seigneur les a faites? On nous montre donc que tous confessent qu’ils sont faits par Dieu. Alors l’homme interroge les créatures quand ils les considère attentivement; mais alors interrogées elles répondent lorsqu’en les observant il perçoit qu’une telle ordonnance et le rapport de leurs parties dans le concert universel ne peuvent exister que si une sagesse supérieure les y dispose. Or si ces créatures ont été faites par Dieu, il est évident qu’Il les tient en son pouvoir comme les choses qu’a fabriquées l’artisan, et donc il dit : En la main duquel, à savoir son pouvoir, est l’âme de tout vivant, et non seule ment des animaux, mais aussi l’esprit de toute chair d’homme. Si donc elles sont en son pouvoir il est manifeste que nul homme ne peut avoir abondance des choses que par Lui, comme il est dit en Daniel "Le Très-Haut est Seigneur de tous les royaumes des hommes et il les donnera à qui il voudra" (4, 14). Il est donc évident que la terre et les animaux dont il vient de parler et qui font la richesse des hommes nul ne peut les posséder si Dieu ne les lui donne; et donc si les voleurs sont dans l’abondance c’est Dieu qui l’a donnée en leurs mains. Ainsi est réfutée l’opinion de ceux qui posent les richesses comme une récompense que Dieu accorde pour la justice, car même les voleurs ont cela de Dieu.

 

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Dieu tient tout dans sa main" Job 12, 11-25

 

 

11 L'oreille ne discerne-t-elle pas les paroles, comme le palais savoure les aliments? 12 Aux cheveux blancs appartient la sagesse, la prudence est le fruit des longs jours. 13 En Dieu résident la sagesse et la puissance, à lui le conseil et l'intelligence. 14 Voici qu'il renverse et l'on ne rebâtit pas; il ferme la porte sur l'homme, et on le lui ouvre pas. 15 Voici qu'il arrête les eaux, elles tarissent; il les lâche, elles bouleversent la terre. 16 A lui la force et la prudence, à lui celui qui est égaré et celui qui égare. 17 Il emmène captifs les conseillers des peuples, et il ôte le sens aux juges. 18 Il délie la ceinture des rois, et ceint leurs reins d'une corde. 19 Il traîne les prêtres en captivité, et renverse les puissants. 20 Il ôte la parole aux hommes les plus habiles, et il enlève le jugement aux vieillards. 21 Il verse le mépris sur les nobles, et il relâche la ceinture des forts. 22 Il met à découvert les choses cachées dans les ténèbres, et produit à la lumière l'ombre de la mort. 23 Il fait croître les nations, et il les anéantit; il les étend et il les resserre. 24 Il ôte l'intelligence aux chefs des peuples de la terre, et les égare dans des déserts sans chemin; 25 ils tâtonnent dans les ténèbres, loin de la lumière; il les fait errer comme un homme ivre.

11 L'oreille ne discerne-t-elle pas les paroles Et le palais de qui mange, les saveurs? 12 Chez les vieillards est la sagesse, Et dans l’âge avancé l’intelligence. 13 En Lui sont sagesse et puissance A Lui conseil et intelligence. 14 Détruit-il on ne peut reconstruire; Et s’il enferme l’homme, personne ne peut ouvrir. 15 Et s’Il retient les eaux, tout est sécheresse. Et s'Il les lâche, elles couvrent la terre. 16 Auprès de Lui force et sagesse; Il sait qui trompe et qui est trompé. 17 Il amène à une ruine ridicule les conseillers. Et il frappe les juges de stupeur. 18 Il rompt le baudrier des rois; Et il ceint d’un lien leurs reins.' Il humilie les prêtres; 19 Et Il supplante les nobles. 20 Il enlève la parole aux plus habiles, et la doctrine aux vieillards. 21 Il couvre de mépris les princes, Et relève les opprimés. 22 Il relève les profondeurs des ténèbres; Et il met en lumière l’ombre de la mort. 23 Il multiplie les peuples et il les fait périr; Et ceux qui étaient disparus Il les rétablit. 1 change le cœur aux chefs des peuples. 24 Ils les trompe; en vain ils avancent à tâtons; 25 Ils tâtent comme dans les ténèbres sans lumière Et es fait errer comme des soûlards.

Job a établi plus haut, à propos de ce que disait Sophar de l’excellence et de la grandeur de Dieu, que ces choses étaient évidentes pour tous. Ici il veut montrer que les hommes peuvent les connaître par l’expérience qu’on a dé la puissance et de la sagesse divines dans les affaires humaines. D’abord donc il manifeste comment les hommes à partir de l’expérience arrivent à la connaissance des choses et il dit : l’oreille ne discerne-t-elle pas les paroles? C’est-à-dire quand elle les entend; et le palais du mangeur, les saveurs ne les discerne-t-il pas? Car l’expérience vient des sens. La valeur de l’expérience est bien rendue dans ce jugement des sens, et principalement par l’ouïe et le goût. Car l’ouïe parmi tous les sens est plus disciplinée; d’où elle contribue beaucoup à la connaissance contemplative; et le goût apprécie les aliments lesquels sont nécessaires à la vie de l’homme d’où par le jugement du goût est signifiée l’expérience qu’on a des choses de la vie active. Et à cause de cela grâce au jugement de l’un et l’autre sens il montre la valeur de l’expérience tant dans les choses spéculatives que dans les choses pratiques, lorsqu’on nous dit : Chez les vieillards est la sagesse qui appartient à la contemplation; car les vieillards ont beaucoup écouté; dans l’âge avancé est la prudence qui appartient à l’action; car en effet dans un âge avancé les hommes ont goûté à beaucoup de choses utiles et nocives.

Ainsi donc après avoir montré la valeur de l’expérience il en vient à ce que les hommes peuvent expérimenter au sujet de Dieu quand il dit : A Lui sont sagesse et puissance, à Lui le conseil et l’intelligence. Où il attribue quatre choses à Dieu. Voici dans l’ordre : d’abord il s’agit de connaître les choses cachées, ce qui appartient à l’intelligence; ensuite par ce qu’on a appris il s’agit de trouver dans l’action les voies aptes à une fin, ce qui appartient au conseil; comme il en est dans les choses spéculatives, par les choses qu’on connaît on déduit des raisonnements qui font connaître certaines conclusions. En troisième lieu au sujet de ce qu’il a trouvé l’homme doit en avoir un Jugement droit, ce qui appartient à la sagesse. Enfin après avoir jugé que certaines choses doivent se faire il les exécute puissamment et à cela appartient la force.

Mais parce que l’expérience procède des choses sensibles, qui bien qu’elles soient antérieures selon nous, sont cependant postérieures simplement et selon la nature, donc il commence par montrer Comment les hommes peuvent faire l’expérience de la force divine; et d’abord dans les affaires humaines. Nous voyons en effet que certains hommes disparaissent totalement soit par la mort quant à leur être, naturel, soit dans une complète abjection quant à leur être civil, bien qu’ils aient beaucoup de protecteurs. Comme donc les hommes ne Peuvent les aider ni empêcher leur ruine, il est clair qu’une cause Cachée et divine et qui dépasse les moyens humains est ici en jeu Puisque l’homme ne peut rien y faire; et c’est ce qu’il dit : détruit-il, on ne peut reconstruire. De même on voit que certains dans leurs projets échouent sans cependant disparaître totalement bien qu’ils aient plusieurs conseillers. D’où il est clair aussi qu’une vertu supérieure es intervenue d’où il dit : Et s’il enferme l’homme, à savoir en l’engageant dans diverses difficultés, personne ne peut ouvrir c’est-à-dire qui puisse l’en dégager, selon l’Ecriture " Personne ne peut corriger celui que Dieu méprise" (Qoh. 7, 14).

Il montre ensuite comment les hommes peuvent expérimenter la puissance divine dans les choses naturelles, en particulier pour la pluie et la sécheresse; il dit : donc et s’il retient les eaux afin qu’elles tombent pas en pluie tout est sécheresse c’est-à-dire rien ne peut germer sur terre; et s’il les lâche, à savoir en grande quantité, elle couvrent la terre comme l’est une inondation. Et bien que cela provienne de causes naturelles c’est-à-dire que les pluies cessent provoquant la sécheresse totale, et parfois qu’elles abondent jusqu” recouvrir la terre, elles ne sont pas soustraites à la puissance divine qui a disposé les causes naturelles mêmes quant à leurs propres effets. Donc par manière de conclusion, de ces prémisses il dit : auprès de Lui est la force.

Ensuite il en vient au second point et la sagesse comme proposant ce qu’il va manifester. Or c’est le propre de la sagesse de nous donner un juste jugement des choses, celui la juge bien de la vent qui peut discerner comment en s’écartant de la vente on s’est égaré, et donc pour montrer que Dieu possède la sagesse il nous dit : Il sait qui trompe et qui est trompé c’est a dire qu’il discerne d’un jugement Juste les égarements, par lesquels on s’écarte de la vente, avec la juste connaissance de la vente Et cette supposition lui est communs comme a ses amis, c’est a dire que les choses humaines sont soumise au jugement divin, et qu’il ne pourrait les juger sans avoir une connaissance des péchés parmi lesquels tiennent une grande place les tromperies et les fraudes.

Ensuite il montre par analogie des affaires humaines qu’auprès de Dieu est le conseil. Considérons donc que de même que Dieu connaît les principes des sciences spéculatives et leurs conclusions et leurs rapports mutuels sans toutefois acquérir par les principes la connaissance des conclusions mais qu’il les connaît toutes à l’instant d’un regard simple ainsi aussi dans les choses pratiques connaît-il et les fins, et ce qui leur est ordonné, et quels sont les voies les plus propres à l’obtention des fins sans toutefois conclure des moyens en vue de la fin, comme quand nous délibérons. Ainsi donc on dit que Dieu a la raison en tant qu’Il connaît le rapport des principes avec les conséquences; cependant il ne lui convient pas d’explorer quelque chose par raisonnement comme le fait la raison; ainsi on dit qu’il tient conseil non par une sorte de recherche mais par une connaissance simple et absolue. La profondeur que quelqu’un possède dans ses conseils peut se mesurer de deux façons. D’abord quand par la finesse de son coup d’œil il amène ses adversaires, même s’ils sont très habiles à un échec inévitable, tous leurs moyens leur faisant défaut; et quant à cela il dit : Il amène à une ruine ridicule les conseillers, car par la profondeur de son conseil il les empêche, dans les voies qu’ils ont trouvées, de parvenir à leur fin. Ensuite la profondeur dans les conseils pour quelqu’un est, par la finesse de son coup d’œil, de faire que ses adversaires ignorent ce qu’ils doivent faire et quant à cela il dit : et il frappe les juges de stupeur. Il entend par juges les sages qui dans leurs actes ont d’habitude un jugement droit; comme aussi dans les débats le bon orateur est celui qui peut amener l’opposant à une conclusion erronée ou qui peut asseoir ainsi son propos que rien ne puisse le contredire, ainsi Dieu contre ses ennemis fait que par les voies qu’ils choisissent il les mène à leur perte et qu’il affermit ainsi sa vérité et ses œuvres de sorte qu’elles ne peuvent être ébranlées.

Et comme il a dit cela en général, il en fait des applications particulières montrant comment dans les choses humaines ce qui semble excellent est amené par la profondeur du divin conseil à une ruine ridicule et à la stupeur. Or dans les affaires humaines les rois se distinguent par la puissance et quant à cela on nous dit : le baudrier, à savoir le ceinturon militaire des rois il le rompt; dans le ceinturon en effet on désigne la puissance, selon le Psaume " Ceignez-vous de votre épée, très puissant" (44, 4); et il ceint leurs reins d’un lien, c’est-à-dire qu’ils sont emmenés en captivité, en quoi se dénote leur déchéance totale. Quant aux prêtres, ils sont honorés dans le respect qu’on leur témoigne, et dont il dit : Il humilie les prêtres. Les chefs des cités ou des royaumes et leurs conseillers excellent par la prudence de leurs décisions et on nous dit à leur sujet Et il supplante les nobles, à savoir, il les déconcerte. Pour les philosophes qui excellent dans la considération du vrai il dit : Il enlève la parole aux plus habiles, à savoir à ceux qui se soucient de faire connaître la vérité : parfois en effet Dieu obnubile leur esprit en leur soustrayant sa grâce, de sorte qu’ils ne puissent trouver la vérité et en conséquence soient incapables de s’exprimer, selon cette parole aux Romains " Ils se disent sages et ils sont devenus fous" (I, 22) Les vieillards excellent dans la direction des jeunes et il dit à leur sujet Il enlève la doctrine aux vieillards, soit qu’ils sont infatués d’eux-mêmes, soit qu’on les écarte, selon Isaïe " Le Seigneur enlèvera le juge, le prophète, le devin et le vieillard " (3, 1-2). Les princes excellent par l’autorité dans le commandement et on nous dit d’eux Il couvre de mépris les princes c’est-à-dire que ceux qui leur doivent obéissance les dédaignent.

Tout ce qui précède se rapporte à ce qu’il a dit : "il amène à une ruine ridicule les conseillers". Mais que parfois certains soient élevés de la dernière place à la plus haute, se rapporte à ce qu’il a dit : il frappe les juges de stupeur (v. 17) : quant à cela on nous dit : Il relève les opprimés : ce qui se rapporte aux faibles qu’opprime la puissance des grands lesquels une fois renversés, ceux-là parviennent au pouvoir. Quant à ceux qui sont sans aucun prestige et vivent cachés dans une situation inférieure il dit : Il révèle les profondeurs des ténèbres : c’est-à-dire les hommes d’un grade inférieur et à cause de cela ignorés comme vivant dans les ténèbres il les conduit à la gloire en les révélant aux autres. Quant à ceux qui sont tenus pour ignorants et sots, on nous dit : Il met en lumière l’ombre de la mort en effet l’ombre de la mort est l’ignorance ou la sottise, puisqu’aussi bien c’est la connaissance qui distingue surtout les vivants des non vivants. Donc Dieu amène à la lumière l’ombre de la mort quand il donne la sagesse aux ignorants ou quand il montre comme étant sages ceux qui ne le paraissaient pas, parce que leur sagesse était ignorée. De sorte que ce qu’il dit : Il relève ceux qui étaient opprimés s'oppose à Il rompt le baudrier des rois (18a); ce qu’il dit : Il révèle les profondeurs des ténèbres (22a) s’oppose à ce qu’il a dit : Il humilie les prêtres (19a). Et, ce qu’il dit : Il met en lumière l’ombre de la mort s’oppose à tout ce qui suit. Or de même qu’il avait présenté l’alternance de sublime et d’abjection comme venant de Dieu, à propos des personnes particulières, cela même il l’applique à toute une nation en introduisant Il multiplie les peuples, à savoir que les hommes croissent en nombre; et il les fait périr, à savoir qu’il les détruit par les guerres ou par la peste; et ceux qui étaient disparus par les mêmes causes ou par l’oppression d’un ou de plusieurs tyrans Il les rétablit entièrement c’est-à-dire il les ramène en bon état.

Après avoir montré que Dieu est fort, sage et prudent, il montre que Dieu est intelligent, en entendant par là la connaissance qu’Il a des choses cachées, celles surtout qui sont cachées dans le cœur. Il montre cette connaissance en ce qu’il opère dans le cœur des hommes; et ainsi les secrets des cœurs lui sont connus comme étant ses propres effets; il dit donc Aux chefs des peuples Il change le cœur, quant à leur volonté; d’où au Livre des Proverbes on lit : "Le cœur du roi est dans les mains du Seigneur; il lui fera faire tout ce qu’il aura voulu " (21, 1). Et quoique Dieu incline toutes les volontés, cependant on fait mention des rois et des princes parce que leurs décisions ont plus de poids vu que nombreux sont ceux qui suivent leurs volontés. Quant à l’intelligence, il ajoute : Il les déçoit non pas qu’il les trompe mais parce qu’il leur soustrait sa lumière ne pouvant ainsi connaître la vérité et il obnubile leur raison pour que le mal qu’ils se proposent de faire ne puisse trouver des voies sûres, d’où ce qui suit en vain ils avancent à tâtons à savoir qu’en suivant des voies peu sûres ils ne puissent arriver à leur fin. Or on peut errer de deux manières dans l’action : d’abord par ignorance et quant à cela il dit Ils tâtent comme dans les ténèbres et sont sans lumière; par ténèbres on désigne l’ignorance, par la lumière la connaissance; certains tâtent par ignorance à la manière des aveugles tandis qu’ils ne considèrent que ce qu’ils touchent actuellement. Ensuite on erre dans l’action sous l’influence des passions qui lient la raison à des choses particulières empêchant d’appliquer la connaissance générale à l’action; et quant à cela il dit : et Il les fait errer comme des soûlards; ainsi en effet la passion, sorte d’ébriété, lie la raison.

 

 

Caput 13

Job 13 — Prospérité et adversité

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mes amis sont pervers" (Job 13, 1-12)

 

1 Voilà que mon œil a vu tout cela, mon oreille l'a entendu et compris. 2 Ce que vous savez, moi aussi je le sais, je ne vous suis en rien inférieur. 3 Mais je veux parler au Tout-Puissant, je veux plaider ma cause avec Dieu. 4 Car vous n'êtes que des charlatans, vous êtes tous des médecins inutiles. 5 Que ne gardiez-vous le silence! Il vous eût tenu lieu de sagesse. 6 Ecoutez, je vous prie, ma défense, soyez attentifs au plaidoyer de mes lèvres. 7 Parlerez-vous mensonge en faveur de Dieu, pour lui, parlerez-vous tromperie? 8 Ferez-vous pour Dieu acception de personnes, vous constituerez-vous avocats? 9 Vous en saura-t-il gré, s'il sonde vos cœurs? Le tromperez-vous comme on trompe un homme? 10 Certainement il vous condamnera, si vous faites en secret acception de personnes. 11 Oui, sa majesté vous épouvantera, ses terreurs tomberont sur vous. 12 Vos arguments sont des raisons de poussière, vos forteresses sont des forteresses d'argile.

1 Voici, mon œil a vu tout cela, mon oreille l’a entendu, j’ai compris chaque chose. 2 Comme vous connaissez, ainsi j’ai su moi aussi et je ne vous suis pas inférieur. 3 Cependant je parlerai au Tout-Puissant je désire discuter avec Dieu. 4 D'abord je montrerai que vous êtes artisans de mensonge avant le culte de dogmes pervers. 5 ne vous êtes-vous tus alors que vous croyez être sages. 6 Ecoutez donc mes corrections; soyez attentifs à ce que je vous dis. 7 Dieu a-t-il besoin de vos mensonges pour qu’à sa place vous profériez des astuces? 8 Est-ce son parti que vous prenez, est-ce pour Dieu que vous plaidez? 9 Prendrait-il plaisir, lui auquel rien n'est caché, Sera-t-il trompé par vos fraudes comme s’il était un homme? 10 Lui-même vous reprendra d’avoir pris parti pour lui frauduleusement. 11 Rien qu’à son émotion vous serez dans le trouble, et sa terreur fondra sur vous. 12 Votre souvenir sera comparable à la cendre, vos nuques réduites à des tessons.

[84911] Super Iob, cap. 13 Ecce haec omnia vidit oculus meus. Postquam ostenderat Iob quod per experimentum cognosci poterat divinae virtutis excellentia, quasi concludens subdit ecce haec omnia vidit oculus meus et audivit auris mea, quasi dicat: effectus praedictos, quibus divina fortitudo et sapientia ostenditur, partim visu partim auditu cognovi; nec in his sensibilibus effectibus mea cognitio requievit, sed ex eis ad intelligentiam veritatis ascendi, unde subdit et intellexi singula, quid scilicet singuli effectus demonstrarent circa Deum vel eius sapientiam vel intelligentiam vel consilium vel fortitudinem. Unde eorum iactantiam excludens, qua magnifica de Deo proponendo se Iob praeferre videbantur, subdit secundum scientiam vestram et ego novi, ea scilicet quae ad Dei magnificentiam pertinent, nec inferior vestri sum, quasi vel minus vel imperfectius ea cognoscens vel a vobis modo addiscens. Sed quia Sophar excellentiam divinam proposuerat ad arguendum Iob de eo quod cum Deo disputare moliretur, subiungit sed tamen ad omnipotentem loquar, quasi dicat: quamvis intelligam ex diversis eius effectibus excellentiam divinae sapientiae et virtutis non minus quam vos, tamen per hoc rationabiliter a meo proposito non mutor quin Deum alloqui velim, motus cordis mei aperiendo ei qui est cordium scrutator et iudex, et ab eo qui totius veritatis est doctor veritatem exquirendo; unde subdit et disputare cum Deo cupio, non quidem ut eius iudicia improbare velim sed ut vestros errores destruam, quibus suppositis sequeretur quod esset iniustitia apud Deum, unde subdit prius vos ostendens fabricatores mendacii, quia hoc mendacium adinvenerant quod Iob iniquam vitam duxisset. In hoc autem mendacium devenerant propter hoc quod circa fidem qua Deus colitur errabant, credentes quod in hac vita tantum fieret meritorum ac poenarum retributio, et ideo subdit et cultores perversorum dogmatum: quicumque enim a vera Dei cognitione declinat, non Deum sed sua falsa dogmata colit. Non autem sic intelligendum est quod dicit prius vos ostendens, quasi prius in ordine sequentis doctrinae destructurus sit prava eorum dogmata et postmodum cum Deo disputaturus, sed quia dum cum Deo disputare intendit, hoc primum est in intentione sua ut eorum dogmata destruat. Contingit autem quandoque ut aliqui aliqua probabilia licet falsa proponant, sed dum ea verisimiliter defendere nesciunt aut probare, in loquendo suam insipientiam manifestant, quod amicis Iob contingebat, et ideo subdit atque utinam taceretis ut putaremini esse sapientes. Quia hoc ipsum quod vestra falsa dogmata inconvenienter defenditis et probatis vos insipientes esse demonstrat. Quia ergo falsa dogmata proponitis et ad eorum manifestationem inconvenientia media assumitis, ideo correctione indigetis, et hoc est quod concludit subdens audite ergo correctionem meam, qua vestrum processum corrigam, et iudicium labiorum meorum attendite, quo vestra falsa dogmata condemnabo. Primo autem intendit corrigere eorum inconvenientem processum. Quia enim ponebant bonorum et malorum operum praemia et poenas in hac vita retribui, ad iustitiam Dei defendendam oportebat quod quaedam mendacia assumerent: cum enim manifestum sit quosdam innocentes et iustos in hac vita adversitatibus premi, necesse erat eis iustis imponere crimina ad Dei iustitiam defendendam, et sic Iob quem afflictum videbant impietatis arguebant; non autem convenienti medio utitur qui veritatem per mendacia defendit, et ideo dicit numquid Deus indiget mendacio vestro? Quasi dicat: numquid necessarium est quod ad defendendum divinam iustitiam mendacia assumantur? Quod enim non potest nisi per mendacia defendi impossibile est esse verum. Cum autem aliquis contra manifestam veritatem mentiri nititur, cogitur aliquas dolosas et fraudulentas vias adinvenire ut mendacium aliqua fraude coloret; sic et isti cum contra iustitiam Iob quae omnibus manifesta erat mentiri conarentur, quibusdam dolis utebantur, ostendendo scilicet fragilitatem humanam quae facile labitur in peccatum et comparando eam ad divinam excellentiam, ut sic probabilius reputaretur Iob iniquum fuisse quam Deum esse iniustum, et ideo subiungit ut pro illo loquamini dolos? Quia quasi pro Deo dolos loquebantur, dum dolose impietatem Iob conabantur imponere ut Deum esse iustum defenderent. Possent autem dicere se non dolose contra Iob aliquid dicere, sed hoc tantum dicere quod putabant. Ostendit ergo Iob quod si hoc verum esset, a dolositate excusati in aliud vitium labebantur, scilicet in acceptionem personarum, quae iustitiam iudicantis excludit. Est enim personarum acceptio si aliquis iustitiam alicuius quae apparet contemnit aut negat propter magnitudinem alterius, licet iustitiam eius non cognoscat; si igitur amici Iob eum esse iniquum iudicabant, videntes in eo iustitiam manifestam, ac sola divinae magnitudinis consideratione licet intelligere non possent secundum sua dogmata qualiter Iob iuste puniretur a Deo, in suo iudicio quo Iob condemnabant quasi Dei personam accipere videbantur. Et ideo subdit numquid faciem eius accipitis et pro Deo iudicare nitimini? Quod signanter dicit quia ille pro aliquo iudicare nititur, qui eius iustitiam non cognoscit et tamen conatur qualescumque vias adinvenire ad hoc quod eius causam iustam esse ostendat. Contingit autem quandoque quod aliquis alicuius causam fraudulenter defendens, ei placeat etiam si sit iustus, quod potest esse dupliciter: uno modo quia ignorat suam causam esse iniustam, unde placet ei quod ab aliquo defendatur, et hoc a Deo excludit dicens aut placebit ei, scilicet Deo, quod pro eo iniuste iudicare nitimini cum hoc ei non possit esse ignotum, propter quod subdit quem celare nihil potest? Alio modo quando ille cuius causa per fraudem defenditur fraudibus defendentis decipitur ut eius defensionem reputet esse iustam, et hoc etiam a Deo excludit subdens aut decipietur ut homo vestris fraudulentiis? Sic igitur manifestum est quod divina bonitas et iustitia mendacio non indiget ad sui defensionem quia veritas sine mendacio defendi potest: ex quo etiam patet quod, si positis eorum dogmatibus hoc inconveniens sequitur quod iustitia Dei mendacio indigeat ad sui defensionem, manifestum fit dogmata proposita esse falsa. Sed ulterius considerandum est quod ille qui ad ostendendam Dei iustitiam vel bonitatem mendacio utitur non solum rem agit qua Deus non indiget, sed etiam hoc ipso contra Deum vadit: cum enim Deus veritas sit, omne autem mendacium veritati contrarietur, quicumque mendacio utitur ad Dei magnificentiam ostendendam hoc ipso contra Deum agit. Et hoc manifeste patet per apostolum Cor., ubi dicit invenimur autem et falsi testes Dei, quoniam testimonium diximus adversus Deum quod suscitaverit Christum, quem non suscitavit si mortui non resurgunt; dicere ergo quod Deus mortuum suscitavit, si verum non sit, contra Deum est quamvis videatur divinae virtutis ostensivum, quia est contra Dei veritatem. Sic igitur qui ad Deum defendendum mendacium assumunt non solum praemium non accipiunt quasi ei placentes, sed etiam poenam merentur quasi contra Deum agentes, et ideo subdit ipse vos arguet quoniam in abscondito faciem eius accipitis; et dicit in abscondito quia licet viderentur exterius causam Dei agere quasi Dei iustitiam cognoscentes, tamen in conscientiis eorum hoc erat quod nesciebant qua iustitia Iob punitus esset, et sic quantum ad cordis eorum absconditum faciem Dei accipiebant dum eius iustitiam falso defendere nitebantur. Quomodo autem eos arguet, ostendit subdens statim ut se commoverit, turbabit vos, quasi dicat: vos quia modo adversitatem non patimini tranquilla mente de Dei iustitia disputatis, sed si super vos veniat tribulatio - quam commotionem Dei nominat eo modo loquendi quo punitio in Scriptura ira Dei nominatur - mens vestra conturbabitur, et praecipue cum in veritate solidata non sit. Et quia non alia bona vel mala reputabant nisi haec temporalia, dum a peccatis cavebant ne mala eis supervenirent, propter solum timorem praesentium malorum Deo servire velle videbantur, et ideo subdit et terror eius irruet super vos, quasi dicat: illud propter quod tantum Deum timetis vobis superveniet, scilicet adversitas praesens, secundum illud quod dicitur Prov. X 24 quod timet impius veniet super eum. Et quia ipsi vane Iob promiserant quod etiam post mortem in memoria hominum remaneret, ipse contrarium eis promittit quasi eos irridens, dicens memoria vestra comparabitur cineri: sicut enim cinis post consumptionem lignorum ad modicum durat, ita fama hominis post mortem cito pertransit, unde expectare famam post mortem vanum videtur. Promiserant etiam ei immunitatem et reverentiam quandam habendam ad eius sepulcrum post mortem, sed hoc etiam pro nihilo ducens contrarium eis promittit dicens et redigentur in lutum cervices vestrae, per cervices eorum potentiam et dignitatem designans, quas dicit esse redigendas in lutum, idest in rem contemptibilem et infirmam. Tacete paulisper ut loquar et cetera. Postquam Iob correxerat amicorum processum qui mendaciis divinam iustitiam defendere nitebantur, nunc procedit ad eorum falsa dogmata destruenda sub figura divinae disputationis, et primo petit audientiam quasi grandia dicturus, dicens tacete paulisper ut loquar quaecumque mihi mens suggesserit; hoc addit ne forte dicerent: tu inania loqueris et ideo non es audiendus, sed paulisper audire quicquid aliquis loquatur non est durum; vel hoc addit ad designandum quod non componendo mendacia vel adinveniendo dolos locuturus sit sed illud quod habet in mente. Duo autem imposuerant Iob eius amici, scilicet impatientiam et iactantiam, quorum utrumque a se excludit ne videatur in sequenti disputatione vel ex ira vel ex superbia locuturus. Considerandum est autem quod impatientia contingit ex tristitiae superabundantia non moderatae per rationem, superabundans autem tristitia desperationem inducit; ex desperatione autem contingit quod homo salutem et corporis et animae parvipendit: ut ergo a se impatientiam excludat, dicit quare lacero carnes meas dentibus meis? Quasi dicat: nulla est ratio quare de corporis salute desperem per impatientiam ad modum eorum qui, desperantes de corporali vita, fame oppressi carnes suas comedunt; et iterum quare animam meam porto in manibus meis? Idest nulla est ratio quare salutem animae meae parvipendam: illud enim quod in manibus portatur de facili amittitur, unde videtur quod eius amissio non multum timeatur: quae enim aliquis amittere timet diligenter abscondit. Et rationem quare nec per impatientiam carnem lacerare debeat nec animam in manibus portare, subdit dicens etiam si occiderit me in ipso sperabo, quasi dicat: non credatis quod propter mala temporalia quae patior de Deo sperare cessaverim; si enim spes mea esset de Deo propter bona temporalia tantum, cogerer desperare - sicut supra dixit desperavi -, sed quia spes mea de Deo est propter bona spiritualia quae manent post mortem, etiam si me usque ad occisionem afflixerit spes quam de ipso habeo non cessabit. Sed quia inordinata spes in praesumptionem degenerat, propter hoc subdit verum tamen vias meas in conspectu eius arguam, quasi dicat: non sic spero in ipso quasi ab ipso liberandus etiam si in peccatis perseveravero, sed quia me liberabit si peccata mea reprehendero, et hoc est quod subditur et ipse erit salvator meus, si scilicet peccata mea mihi displicuerint. Quare autem salvet eos qui in conspectu eius vias suas arguunt, ostendit subdens non enim veniet in conspectu eius omnis hypocrita, idest simulator qui cum sit iniquus se tamen iustum profitetur et vias suas non arguit coram Deo: unde non veniet in conspectu eius ut Deum videat in quo ultima salus hominis consistit, sicut infra magis exponet, veniet tamen in conspectu eius quasi ab eo iudicandus. Sic igitur non solum impatientiam a se exclusit sed etiam praesumptionem innocentiae, dum profitetur quod vias suas arguit coram Deo, ut sic omnis amicorum calumnia cesset. Deinde ingressurus disputationem, primo reddit auditores attentos dupliciter: uno quidem modo per occultationem dicendorum - cum enim ea quae dicenda sunt difficilia profitemur, auditores attentiores redduntur -, unde dicit audite sermonem meum et aenigmata percipite auribus vestris: aenigma dicitur sermo obscurus qui aliud praetendit in superficie et aliud interius significat; alio vero modo ex certitudine veritatis eorum quae dicenda sunt, unde subdit si fuero iudicatus, scio quod iustus inveniar, quod quidem non dicit de iustitia vitae, cum supra dixerit vias meas in conspectu eius arguam, sed de veritate doctrinae de qua quasi in iudicio contendebatur; ille autem in iudicio invenitur iustus pro quo sententia fertur: unde cum aliquis disputando verum dicere demonstratur, quasi in iudicio iustus invenitur. Postquam ergo auditores reddidit attentos, modum disputationis suae determinat: vult enim disputare quasi cum alio contendens, et hoc est quod subdit quis est qui iudicetur mecum, idest cum quo de veritate disputem? Veniat, idest ad disputandum accedat. Causam autem quare de veritate disputare intendit, subdit dicens quare tacens consumor? Homo enim per decursum praesentis vitae paulatim consumitur, et praecipue cum est infirmitati subiectus sicut erat Iob; tacens autem consumitur qui sic praesentem vitam decurrit quod tamen suae sapientiae per doctrinam nullum vestigium relinquit: ne ergo Iob hoc pateretur, disposuit non tacere de veritate ut consumptus corpore post mortem viveret in sua doctrina. Vel potest hoc ad aliam intentionem referri: cum enim aliquis dolorem quem in corde patitur exterius exprimit, quodammodo eius animus mitigatur, sed tacendo interius magis a dolore angustatur et quodammodo sua taciturnitate consumitur. Quia ergo condisputatorem petierat dicens quis est qui iudicetur mecum? Et supra dixerat disputare cum Deo cupio, ex nunc loquitur quasi Deum habens praesentem et cum eo disputans. Videbatur autem disputatio hominis ad Deum esse indebita propter excellentiam qua Deus hominem excellit; sed considerandum est quod veritas ex diversitate personarum non variatur, unde cum aliquis veritatem loquitur vinci non potest cum quocumque disputet; certus autem erat Iob quod veritatem loquebatur sibi a Deo per donum fidei et sapientiae inspiratam, unde de veritate non diffidens petebat se divina fortitudine non premi, neque per mala praesentialiter illata neque per timorem inferendorum, et hoc est quod dicit duo tantum ne facias mihi, et tunc a facie tua non abscondar, quasi non timebo tecum disputare: timentes enim se abscondere solent a facie eorum quos timent. Quae autem sint ista duo ostendit subdens manum tuam longe fac a me, idest non me percutias per flagella praesentia; et fortitudo tua non me terreat, quantum ad flagella futura: his enim duobus modis potest impediri homo ne etiam veritatem quam certissime novit disputando defendere possit, dum vel molestatur in corpore vel sollicitatur in anima timore aut aliqua alia passione. Est autem disputatio inter duas personas, scilicet opponentem et respondentem; ingrediens ergo disputationem cum Deo, dat ei optionem utramlibet personam eligendi vel opponentis vel respondentis, unde dicit voca me et respondebo tibi, quasi dicat: obicias et respondebo, aut certe loquar, obiciendo, et tu responde mihi; hoc autem dicit aenigmatice ostendendo paratum se esse ad utrumque, sive ad defendendam veritatem quam profitetur sive ad impugnandum quod contra veritatem diceretur. Primo autem Deo dat partes opponentis dicens quantas habeo iniquitates et peccata, scelera mea atque delicta ostende mihi. Ubi considerandum est quod amici Iob quasi causam Dei agentes contra Iob disputare videbantur, secundum illud quod supra dixit numquid faciem eius accipitis et pro Deo iudicare nitimini? Amici autem Iob hoc contra ipsum opponebant quod pro peccatis suis punitus erat: hoc igitur sibi a Deo obiciendum expetit dicens quantas habeo iniquitates et peccata, scelera mea atque delicta ostende mihi, quasi dicat: si sic est quod pro peccatis meis me affligis, ut amici mei pro te loqui conantes calumniantur, peto ut mihi ostendas pro quibus peccatis tam graviter me affligis. Unde non dicit quas habeo iniquitates sed quantas, quia si non est alia ratio adversitatum praesentium quam peccata hominum, ut amici Iob opinabantur, necesse est maxima esse peccata quae maximis afflictionibus puniuntur. Peccatorum autem quaedam sunt commissa quae contra praecepta legis negativa fiunt, quaedam omissa quibus praecepta affirmativa negliguntur; committitur autem aliquid contra praeceptum legis tripliciter: uno modo quia est in nocumentum proximi, ut furtum, homicidium et huiusmodi quae proprie iniquitates dicuntur, quia aequitati iustitiae quae est ad alium contrariantur; alio modo secundum quod homo peccat in se ipso per deordinationem sui actus, ut apparet in peccatis praecipue gulae et luxuriae, et haec dicuntur peccata, quasi deordinationes quaedam hominis; tertio modo committuntur aliqua directe contra Deum, ut blasphemiae, sacrilegium et huiusmodi, et haec propter sui gravitatem scelera dicuntur. Omissiones autem proprie nominantur delicta. Deinde quasi tacente eo cui partes opponentis dederat, ipse partes obicientis assumit et inquirit de causis suae punitionis. Et primo quia posset aliquis dicere quod Deus eum punivit quasi inimicum, hanc causam excludit dicens cur faciem tuam abscondis et arbitraris me inimicum tuum? Iniquum enim videtur quod aliquis alium sibi inimicum arbitretur absque causa; causa autem inimicitiae conveniens esse non potest nisi offensa: tunc igitur manifestum est quod Deus hominem inimicum sibi arbitratur quando eius peccata manifestantur; petiverat autem Iob sibi ostendi sua peccata, nec erant ei ostensa; non ergo apparebat ratio quare Deus sibi inimicaretur, et hoc est quod insinuat dicens cur faciem tuam abscondis, quasi latenter et ex ratione occulta eum odio habens? Facies enim hominis odientis aperta est quando rationem sui odii non occultat. Secundo quia posset aliquis dicere quod Deus eum punivit ut in ipso ostenderet suam potentiam, hanc etiam causam excludit dicens contra folium quod vento rapitur ostendis potentiam tuam? Non enim conveniens est quod aliquis fortissimus suam potentiam velit ostendere in re debilissima; comparatur autem humana condicio folio quod vento rapitur, quia et in se ipso homo fragilis est et infirmus sicut folium quod de facili cadit, et nihilominus decursu temporis et varietate fortunae ducitur ut folium vento: unde non videtur convenienter dici quod Deus ad hoc solum aliquem hominem puniat quod in eo suam potentiam ostendat. Tertio quia posset aliquis dicere quod Deus punivit eum propter peccata quae in sua iuventute commisit, etiam et hoc excludit dicens et stipulam siccam persequeris? Scribis enim contra me amaritudines, et consumere me vis peccatis adolescentiae meae? Homo enim in iuventute comparatur herbae virenti, sed in senectute comparatur quasi stipulae siccae: idem ergo videtur hominem in senectute punire pro peccatis adolescentiae ac si aliquis pro defectu herbae virentis desaeviret in stipulam. Sed considerandum est quod in hac inquisitione, ab hac sententia non recedit quod adversitates hominum ex divino iudicio inferuntur, ad quod significandum dicit scribis contra me amaritudines, ac si amaritudines, idest adversitates hominum, ex Scriptura divinae sententiae procedant. Quarto quia posset aliquis dicere quod, licet Iob gravia peccata non commiserit, tamen aliqua peccata commisit sine quibus praesens vita non agitur, et pro his sic punitus est, hoc etiam excludit dicens posuisti in nervo pedem meum et observasti omnes semitas meas et vestigia pedum meorum considerasti, qui quasi putredo consumendus sum et quasi vestimentum quod comeditur a tinea? Ubi considerandum est quod illi qui ponuntur in carceris nervo, sic ligantur quod a nervo divertere non possunt: sicut autem pes hominis constringitur nervo, ita processus hominis constringitur lege divinae iustitiae a qua divertere non licet, et hoc est quod dicit posuisti in nervo pedem meum. Ad divinam autem iustitiam pertinet ut facta hominum discutiat, non solum quid unusquisque faciat sed etiam quo animo vel quo fine, et ideo dicit observasti omnes semitas meas, quantum ad facta, et vestigia pedum meorum considerasti, quantum ad affectum facientis vel etiam quantum ad quascumque circumstantias operis. Irrationabile autem videtur quod Deus tantam diligentiam de actibus hominum habeat, si totaliter esse desinunt per corporis mortem: quae quidem quandoque est naturalis, quandoque autem violenta, unde de utraque subiungit dicens qui quasi putredo consumendus sum, quantum ad mortem naturalem, et sicut vestimentum quod comeditur a tinea, quantum ad mortem violentam, ac si dicat: si, ut amici mei suspicantur, non est alia vita nisi praesens quam homo amittit vel per modum putredinis vel per modum succisionis, irrationabile videretur quod Deus tanta districtione de actibus hominum curam haberet ut etiam pro minimis peccatis et negligentiis hominem puniret. Et quia hoc quod ultimo dictum est magnam viam praestat ad inquisitionem veritatis, circa hanc manifestandam magis insistit, et quod de se singulariter dixerat generaliter ad totum genus humanum reducit. Ubi primo exponit fragilitatem humanae condicionis: et quantum ad originem cum dicit homo natus de muliere, quasi de re fragili, et quantum ad durationem cum dicit brevi vivens tempore, et quantum ad condicionem cum dicit repletur multis miseriis, ubi quasi exponere videtur quod supra dixerat contra folium quod vento rapitur ostendis potentiam tuam? Secundo excludit ea de quibus homo gloriari posset, quorum primum est corporis pulcritudo qua pollet in iuventute: sed ista gloria nulla est quia cito transit ad modum floris, unde dicit qui quasi flos egreditur et conteritur, scilicet de facili; secundum est fama quae diu non durat, unde dicit et fugit velut umbra: umbrae enim transeuntis nullum vestigium aut memoria manet; tertium est potestas et virtus qua aliquis se et sua conservare conatur, et contra hoc dicit et numquam in eodem statu permanet. Et possunt haec tria ad tria superiora referri: homo enim natus de muliere quasi flos egreditur et cito conteritur, sic autem brevi vivit tempore ut velut umbra fugiat cuius non restat vestigium, sic autem multis repletur miseriis ut si interdum prosperitate et gaudio potiatur numquam tamen in eodem statu permaneat. Tertio admiratur diligentiam divinae providentiae circa hominem: mirabile enim videtur quod de re tam fragili et despecta Deus tantam curam habet. Quamvis autem omnia divinae providentiae subsint, specialiter tamen sollicitudo divina circa hominem apparet in tribus: primo quidem quantum ad hoc quod ei leges et praecepta vivendi dedit, et hoc tangit cum dicit et dignum ducis super huiuscemodi aperire oculos tuos, eo modo loquendi quo aliquis dicitur super aliquem oculos suos aperire cum eum dirigit et vias eius considerat; secundo quantum ad hoc quod Deus hominem pro bonis praemiat et pro malis punit, et hoc tangit cum dicit et adducere eum tecum in iudicium; tertio quantum ad hoc quod Deus eum virtutibus ornat quibus contra foeditates peccati se mundum conservat, et hoc tangit cum dicit quis potest facere mundum de immundo conceptum semine? Semen quidem hominis immundum est non secundum naturam sed secundum concupiscentiae infectionem; de hoc tamen immundo semine homo conceptus interdum mundus invenitur per virtutes. Sicuti autem de frigido facere calidum est eius quod per se calidum est, ita de immundo facere mundum est eius qui per se mundus est, et ideo subdit nonne tu qui solus es, scilicet vere et per te ipsum mundus? Puritas enim et munditia in solo Deo perfecte invenitur, in quo nec potentialitas nec defectus aliquis esse potest, unde quicquid quocumque modo mundum vel purum est, a Deo munditiam et puritatem habet.

Après avoir montré par l’expérience l’excellence de la divine vertu Job conclut Voici, toutes ces choses, mon œil les a vues et mon oreille les a entendues il veut dire que les effets susdits qui prouvent la force, la sagesse, le conseil et l’intelligence divines il les a connus en partie par la vue, en partie par l’ouïe; non que dans ces effets sensibles sa connaissance trouve son repos mais par eux il est parvenu à l’intelligence de la vérité, et donc il dit : Et j’ai tout compris c’est-à-dire tout ce que chaque effet me démontre au sujet des choses divines ou sa sagesse, ou son intelligence ou son conseil ou sa force; d’où rejetant leur jactance par laquelle ils proposaient les grandeurs de Dieu et se préféraient à Job il dit : Comme vous connaissez, ainsi je sais moi aussi c’est-à-dire ce qui fait la grandeur de Dieu. Et je ne vous suis pas inférieur comme si je les connaissais moins bien ou plus imparfaitement ou que vous me les ayez apprises maintenant.

Mais parce que Sophar avait proposé l’excellence divine afin de reprocher à Job de vouloir contester avec Dieu, il ajoute : Je désire parler au Tout-Puissant; comme s’il disait : bien que des divers effets je connaisse l’excellence de la sagesse et de la vertu divines aussi bien que vous, cependant je ne change pas et à juste titre mon propos de m’adresser à Dieu, lui ouvrant mon âme Lui qui scrute les reins et les cœurs et recherchant la vérité chez celui qui est le docteur de toute vérité, d’où il dit : Je désire disputer avec Dieu, non pour désapprouver ses jugements mais pour détruire vos erreurs selon lesquelles je suis injuste auprès de Dieu. Auparavant je montrerai que vous êtes des artisans de mensonge : car ils avaient trouvé ce mensonge que Job menait une vie inique.

Ils étaient arrivés à mentir en ce qu’ils erraient au sujet de la foi par laquelle on honore Dieu, croyant qu’en cette vie seulement était la rétribution des mérites et des peines et donc il dit : Vous qui avez le culte des dogmes pervers. Quiconque en effet dévie de la vraie connaissance de Dieu adore non pas Dieu mais ses fausses idées. En disant : auparavant je vous montrerai, ne doit pas s’entendre qu’il va d’abord discuter et ruiner méthodiquement leurs propres idées, pour ensuite disputer avec Dieu; mais comme il veut discuter avec Dieu, il a d’abord l’intention de ruiner leurs idées.

Or il arrive parfois que certains proposent des thèses bien qu’el les soient fausses; mais comme ils ne savent pas les défendre ou les prouver valablement, ils manifestent dans leur langage leur ignorance; ce qui est arrivé aux amis de Job; et donc il dit : Que ne vous êtes-vous tus, alors que vous croyiez être sages; car par la même que vous défendez et prouvez de manière peu valable de fausses idées, cela montre votre ignorance. Donc, puisque vous proposez de fausses idées et que pour les prouver vous ne disposez que d’arguments sans valeur vous avez besoin de corrections et c’est ce qu’il dit en concluant écoutez donc ma correction par laquelle je corrigerai votre démarche et soyez attentifs à ce que je vous dis pour condamner vos idées fausses.

D’abord il veut corriger leur démarche insolite, comme en effet ils proposaient que les récompenses et les peines des œuvres bonnes et mauvaises étaient rétribuées en cette vie, il leur fallait user de mensonges pour défendre la justice de Dieu. En effet comme il est évident que des innocents et des justes sont éprouvés en cette vie il est donc nécessaire d’imposer des crimes aux justes pour défendre la justice de Dieu. Et ainsi voyant l’affliction de Job ils lui reprochaient son impiété. Or ce n’est pas faire usage d’une bonne méthode que de défendre la vérité par le mensonge et donc il dit : Est-ce que Dieu a besoin de votre mensonge? Il veut dire : est-il bien nécessaire d’user de mensonges pour défendre la justice divine? En effet ce qui ne peut être défendu que par des mensonges ne peut pas être vrai. Lorsque quelqu’un s’efforce de mentir contre une vérité manifeste il doit trou ver des voies astucieuses et frauduleuses pour colorer le mensonge

$0 ainsi eux aussi comme ils s’évertuaient à faire mentir la justice de Job qui était connue de tous, recouraient-ils à des ruses, c’est-à-dire en montrant la fragilité humaine qui pèche facilement et en la comparant à l’excellence divine, avec assez de probabilité que Job était inique plutôt que Dieu injuste; et donc il ajoute : pour que pour lui vous profériez des astuces; comme si pour Dieu ils parlaient astucieuse ment tandis qu’ils tâchaient avec astuce de charger Job d’impiété pour prouver que Dieu était juste.

Or ils pourraient dire qu’ils n’ont pas usé d’astuce contre Job mais qu’ils n’ont dit que ce qu’ils pensaient. Job donc va montrer que si c’était vrai qu’ils puissent être excusés de leur astuce ils tombaient en un autre travers à savoir l’acception de personne qui exclut la justice de celui qui juge. L’acception de personne consiste n ce qu’on méprise ou nie la justice évidente de quelqu’un parce qu’un autre est plus grand sans savoir s’il est juste; si donc les amis de Job voyant en lui une justice évidente le condamnent par la seule considération de la grandeur de Dieu bien qu’ils ne puissent comprendre selon leurs principes comment Dieu puisse punir Job justement, dans leur jugement où ils condamnent Job c’est comme s’ils faisaient acception de la personne de Dieu et donc il dit : Est-ce son parti que vous prenez, est-ce pour Dieu que vous plaidez? Ce qui est dit avec pertinence, car celui-là veut plaider pour quelqu’un dont il ignore la justice qui s’efforce cependant de trouver n’importe quel prétexte pour justifier sa cause.

 Il peut arriver qu’en défendant quelqu’un frauduleusement on lui plaise même s’il est juste. Ce qui peut arriver de deux manières; d’abord parce qu’il ignore l’injustice de sa cause et il lui plaît qu’on le défende, et cela est exclu en Dieu en disant : y prendrait-il plaisir? à savoir Dieu, que pour lui vous vous efforciez de juger injustement, puisqu’aussi bien cela ne peut lui être inconnu et il dit auquel on ne peut rien cacher. Ensuite quand celui dont on défend la cause frauduleusement est trompé par les fraudes de son défenseur pour qu’il croie que sa défense est juste et cela aussi il l’exclut en Dieu en disant : Serait-il trompé par vos fraudes comme s’il était homme? Ainsi donc il est évident que la bonté et la justice de Dieu n’ont pas besoin de mensonge pour leur défense, car la vérité peut se défendre sans mensonge. D’où aussi il ressort - si, leurs principes admis, s’ensuit l’absurdité que la justice de Dieu a besoin de mensonge pour sa défense - que manifestement ces principes sont faux.

Mais il faut considérer en outre que celui qui pour prouver la bonté ou la justice de Dieu se sert du mensonge, non seulement fait une chose dont Dieu peut se passer mais par là même offense Dieu. En effet Dieu étant la vérité et tout mensonge étant contraire à la vérité, quiconque se sert du mensonge pour prouver la grandeur de Dieu agit par là même contre Dieu; ce que l’Apôtre énonce clairement "Nous sommes trouvés de faux témoins de Dieu parce que nous témoignons contre Dieu qu’Il a ressuscité le Christ tandis qu’il ne l’aurait pas ressuscité, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas " (IC. 15, 16). Donc dire que Dieu a ressuscité un mort si cela n’est pas vrai c’est offenser Dieu, malgré qu’on prouve ainsi la vertu divine, parce que c’est contre la vérité de Dieu. Ainsi donc tandis qu’ils assument le mensonge pour la défense de Dieu non seulement ils n’y ont aucun mérite comme lui ayant plu mais encore ils méritent le châtiment comme l’ayant offensé; et donc il dit : lui-même vous reprendra d’avoir frauduleusement pris son parti; il dit : frauduleusement, car bien qu’ils parussent extérieurement défendre la cause de Dieu, comme connaissant sa justice, cependant en leur conscience ils ignoraient en vertu de quelle justice Job était puni; et ainsi dans leurs cœurs ils faisaient acception frauduleusement de la personne divine en s’efforçant de défendre faussement sa justice.

Et comment il les reprend, il le montre en introduisant Rien qu’à son émotion votre esprit en sera troublé; il veut dire : parce que vous ne subissez pas actuellement l’adversité vous discutez à votre aise de la justice de Dieu, mais que vienne sur vous la tribulation - qu’il nomme l’émotion de Dieu, comme dans l’Ecriture la punition est appelée colère de Dieu - votre esprit en sera troublé, surtout qu’il n’est pas fondé solidement sur la vérité. Et parce qu’ils n’appréciaient d’autres biens ou maux qu’en cette vie par crainte que des maux ne leur adviennent à cause du péché qu’ils évitaient ils ne servaient Dieu que par cette crainte et donc il dit : et sa terreur fondra sur vous comme s’il disait : ce pourquoi vous craignez tellement Dieu viendra Sur vous à savoir l’adversité présente, selon ce que dit l’Ecriture " Ce que l’impie craint, viendra sur lui " (Prov 10, 24). Et comme ils avaient, promis sottement à Job que même après la mort il resterait dans la mémoire des hommes, lui à son tour leur promet le contraire, comme en se moquant il dit : Votre souvenir sera comparable à la cendre. En effet de même que la cendre après la combustion du bois ne dure que peu de temps, ainsi la réputation de l’homme après la mort passe rapidement; et donc c’est chose vaine que de l’attendre après la mort. Ils lui avaient aussi promis l’immunité et le respect posthumes auprès de sa tombe mais cela aussi il le tient pour néant et il leur promet le contraire et vos nuques réduites à des tessons; par nuque on entend la puissance et la dignité qu’il dit : devoir être réduites à des tessons, à savoir en une chose méprisable et caduque.

 

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "J'en appelle à Dieu" (Job 13, 13-28)

 

13 Taisez-vous, laissez-moi, je veux parler; il m'en arrivera ce qu'il pourra. 14 Je veux prendre ma chair entre les dents, je veux mettre mon âme dans ma main. 15 Quand il me tuerait, que je n'aurais rien à espérer, je défendrai devant lui ma conduite. 16 Mais il sera mon salut, car l'impie ne saurait paraître en sa présence. 17 Ecoutez donc mes paroles, prêtez l'oreille à mon discours. 18 Voici que j'ai préparé ma cause, je sais que je serai justifié. 19 Est-il quelqu'un qui veuille plaider contre moi? A l'instant même je veux me taire et mourir. 20 Seulement épargne-moi deux choses, ô Dieu, et je ne me cacherai pas devant ta face : 21 éloigne ta main de dessus moi, et que tes terreurs ne m'épouvantent plus. 22 Après cela, appelle, et je répondrai; ou bien je parlerai d'abord, et tu me répondras. 23 Quel est le nombre de mes iniquités et de mes péchés? Fais-moi connaître mes transgressions et mes offenses. 24 Pourquoi cacher ainsi ton visage, et me regarder comme ton ennemi! 25 Veux-tu donc effrayer une feuille agitée par le vent, poursuivre une paille desséchée, 26 pour que tu écrives contre moi des choses amères, pour que tu m'imputes les fautes de ma jeunesse, 27 pour que tu mettes mes pieds dans les ceps, que tu observes toutes mes démarches, que tu traces une limite à la plante de mes pieds, 28 alors que mon corps se consume comme un bois vermoulu, comme un vêtement que dévore la teigne.

13 Faites quelque peu silence, que je dise tout ce que mon esprit me suggère! 14 Pourquoi déchiré-je mes chairs avec mes dents? Pourquoi porté-je mon âme en mes mains? 15 Même s’il me tuait j’espérerais en lui. Cependant j’accuserai mes péchés devant Lui. 16 Il sera mon sauveur. Car aucun hypocrite ne vient en sa présence. 17 Ecoutez mon discours. Et de vos oreilles saisissez mes énigmes. 18 Quand je serai jugé Je sais que je serai trouvé juste. 19 Qui sera jugé avec moi? Qu’il vienne! Pourquoi me taisant disparaître? 20 Epargne-moi deux choses seulement, A lors je ne me cacherai pas de ta face : 21 Tiens ta main loin de moi, Que je ne tremble pas devant ta menace! 22 Atteint moi et je te répondrai, ou je parlerai et tu répondras. 23 Sont-elles si grandes mes iniquités et mes fautes? Mes crimes et mes délits, montre les moi! 24 Pourquoi caches-tu ta face, et me prends-tu pour ton ennemi? 25 Contre la feuille que le vent emporte tu montres ta puissance. Tu poursuis la paille desséchée. 26 Car tu écris contre moi des choses amères. Et pour les péchés de ma jeunesse tu veux me supprimer. 27 Tu as pris mes pieds dans des liens, Tu as observé toutes mes voies, Et les traces de mes pas tu les as examinées. 28 Moi qui comme la pourriture disparais et comme le vêtement que rongent les mites.

Après avoir corrigé le procédé de ses amis qui voulaient défendre la justice divine par le mensonge, Job va maintenant détruire leurs fausses doctrines sous la figure d’une discussion avec Dieu. Et d’abord il demande qu’on l’écoute comme devant dire des choses importantes; et il dit donc Faites quelque peu silence; que je dise tout ce que mon esprit me suggère. Il ajoute : cela, car eux pourraient dire " Tu parles! On ne t’écoutera pas". Mais écouter quelque peu ce que quelqu’un dit, n’est pas difficile; ou bien en ajoutant cela il veut signifier qu’il ne parlera pas en composant des mensonges ou en inventant des fraudes mais ce qu’il a dans l’esprit.

Ses amis avaient chargé Job de deux griefs : c’est-à-dire son impatience et sa jactance; il les écarte tous les deux pour ne pas paraître parler sous le coup de la colère ou de l’orgueil. Remarquons que l’impatience vient d’une trop grande tristesse que la raison ne modère pas; tristesse qui engendre aussi le désespoir quand elle est excessive; par désespoir il arrive que l’homme tient pour rien le salut du corps et de l’âme. Pour exclure l’impatience il dit : Pourquoi déchirer ma chair avec mes dents? Il veut dire : je n’ai nulle raison de désespérer du salut de mon corps en m’impatientant à la façon de ceux qui désespérant de la vie corporelle, opprimés par la faim mangent leurs chairs; et de nouveau pourquoi porter mon âme en mes mains? à savoir, il n’y a nulle raison que je tienne pour rien le salut de mon corps; en effet ce qu’on porte en ses mains se perd facilement; d’où l’on ne craint guère de le perdre; en effet ce que l’on craint de perdre on le cache soigneusement. Et la raison pour laquelle il ne doit pas lacérer sa chair par impatience ni porter son âme dans ses mains il le dit : Même s’Il me tuait j’espérerais en Lui, comme s’il disait : ne croyez pas qu’à cause des maux temporels dont je souffre je cesserai d’espérer en Lui; si en effet mon espérance en Dieu n’était que des biens temporels alors je serais acculé au désespoir, comme il l’avait dit plus haut : J’ai désespéré, je ne vivrai plus désormais (7, 16). Mais comme mon espoir est en Dieu pour les biens spirituels qui demeurent après la mort, même s’il m’affligeait jusqu’à me tuer, l’espoir que je mets en lui ne cessera pas. Mais comme l’espérance désordonnée dégénère en présomption, il dit : à cause de cela cependant j’accuserai devant lui mes péchés, il veut dire : mon espoir n’est pas qu’Il me délivrera si même je continue de pécher, mais qu’il me délivrera si je renonce au péché, et c’est ce qu’il dit et lui même sera mon sauveur, c’est-à-dire si mes péchés me déplaisent. Pourquoi sauve-t-il ceux qui accusent leurs péchés en sa présence il le montre car aucun hypocrite ne viendra en sa présence, à savoir celui qui dissimule et quand il est inique confesse qu’il est juste et n’avoue pas ses voies devant Dieu; d’où il ne viendra pas en sa présence pour voir Dieu dans lequel consiste l’ultime salut de l’homme, comme il l’exposera plus tard; il viendra cependant en sa présence comme pour être jugé par Lui. Ainsi donc non seulement il exclut l’impatience mais aussi la présomption d’innocence tandis qu’il avoue et reprend devant Dieu sa conduite pour qu’ainsi cesse toute calomnie de la part de ses amis.

Ensuite sur le point d’entreprendre la discussion il rend ses auditeurs attentifs, de deux façons : d’une part en enveloppant ses déclarations d’un certain mystère, en effet si ce que nous devons dire, nous le déclarons difficiles, les auditeurs seront plus attentifs; d’où il dit : Ecoutez mon discours et de vos oreilles saisissez mes énigmes; une énigme est un discours obscur qui présente autre chose en surface et signifie autre chose intérieurement; d’autre part en affirmant avec assurance la vérité de ce qu’on dira, d’où il dit : Quand je serai jugé je sais que je serai trouvé juste ce qui n’est pas dit de l’innocence de sa vie puisque plus haut (V. 15) il a dit : "J’accuserai ma conduite en sa présence", mais il s’agit de la vérité de la doctrine dont on disputait comme en un jugement. Or celui-là est trouvé juste en un juge ment en faveur duquel la sentence est portée; d’où lorsque quelqu’un en discutant montre que ce qu’il dit est vrai, c’est comme s’il était trouvé juste en ce jugement.           

Après avoir rendu attentifs ses auditeurs il détermine le mode de la discussion; il veut en effet discuter sous forme de contestation et c’est ce qu’il dit : Qui sera jugé avec moi à savoir avec qui je discuterai de la vérité? Qu’il vienne, à savoir qu’il approche pour la discussion. Le motif pour lequel il veut discuter de la vérité il le dit : Pourquoi me taisant dois-je disparaître? L’homme en effet au cours de cette vie se consume peu à peu et particulièrement lorsqu’il est visité par l’infirmité comme l’était Job. Il disparaît en se taisant celui qui parcourt la vie présente sans laisser aucun vestige de sa sagesse par son enseignement. Pour éviter cela Job décide de ne pas taire la vérité afin que consumé de corps il survive dans sa doctrine. On peut aussi donner une autre explication : lorsqu’en effet quelqu’un exprime en paroles ce qu’il souffre en son cœur, il reprend courage, tandis qu’en se taisant sa douleur devient de l’angoisse et en quelque sorte il se consume en sa taciturnité.        

Comme donc il avait requis quelqu’un qui discute avec lui, disant qui sera jugé avec moi et comme il avait dit avant je désire discuter avec Dieu, à partir de ce moment il parle comme étant en présence de Dieu et discutant avec lui. Or discuter avec Dieu semble inconvenant à cause de l’excellence de Dieu. Mais il faut considérer que la vérité est la même pour tout le monde; d’où quand quelqu’un dit la vérité personne ne peut le convaincre du contraire. Or Job était certain de dire la vérité que Dieu lui inspirait par le don de la foi et de la sagesse. D’où confiant en cette vérité il demande que l’autorité divine ne l’opprime pas soit par des maux présents soit par la crainte de devoir en subir; et c’est ce qu’il dit : Epargne moi seulement deux choses alors je ne me cacherai pas de la face, à savoir je ne craindrai pas de discuter avec toi. En effet quand on craint, on se cache devant ceux qu’on craint. Et quelles sont ces deux choses il le montre en disant : Tiens ta main loin de moi, à savoir ne me frappe pas de fléaux dans le présent; que je ne tremble pas devant ta menace, quant aux maux à venir. Ces deux choses en effet peuvent nous empêcher de défendre la vérité par la discussion, vérité qu’on connaît avec la plus grande certitude, si l’on est maltraité en son corps ou si l’on est sollicité en son âme par la crainte ou par toute autre passion.

Une discussion se fait entre deux personnes dont l’une est l’opposant, l’autre le répondant. Entreprenant donc sa discussion avec Dieu, il lui donne le choix entre les deux personnages ou de l’opposant ou du répondant; d’où il dit : Appelle moi et je te répondrai, pour dire : objecte et je répondrai. Ou je parlerai en objectant et tu me répondras. Il dit cela en énigme pour montrer qu’il est prêt à l’alternative soit à défendre la vérité qu’il professe, soit à réfuter ce qui serait dit contre elle.

D’abord il offre à Dieu le rôle de l’opposant : "sont-elles si grandes mes iniquités et mes fautes? mes crimes et mes délits, montre les moi!" Ici il faut remarquer que les amis de Job, qui en quelque sorte se chargeaient de la cause de Dieu, discutaient contre Job, selon ce qu’il a dit plus haut Est-ce son parti que vous prenez, est-ce pour Dieu que vous plaidez? Or les amis de Job lui opposaient qu’il était puni pour ses péchés. C’est donc cela qu’il demande que Dieu lui objecte : sont elles si grandes mes iniquités et mes fautes? Mes crimes et les délits, montre les moi comme s’il voulait dire : si tu m’affliges ainsi pour mes péchés, comme mes amis s’efforçant de parler en ton nom me calomnient, je demande, que tu me montres pour quels péchés tu m’affliges si lourdement; d’où il ne dit pas quelles sont les iniquités, mais sont-elles si grandes? Car s’il n’y a pas d’autre raison aux présentes adversités que les péchés des hommes, comme le disent les amis de Job, il est nécessaire qu’à de très grands péchés correspondent de très grandes afflictions. Parmi les péchés, certains sont par commission qui sont contraires aux préceptes négatifs de la loi, d’autres par omission par lesquels on néglige les préceptes affirmatifs. On commet des péchés contre le précepte de la loi de trois manières d’abord en causant du tort au prochain, comme le vol, l’homicide et autres choses en ce genre et qu’on appelle proprement iniquités, parce qu’ils sont contraires à l’équité de la justice qui regarde le prochain ensuite selon que l’homme pèche contre soi par le désordre de sa propre action, comme c’est principalement le cas dans les péchés de gourmandise et de luxure et on les appelle péchés, comme des désordres de l’homme. Enfin, certaines choses vont directement contre Dieu, comme le blasphème, le sacrilège et autres choses de ce genre et à cause de leur gravité sont appelés crimes. Quant aux omissions elles ont nom "délits".

Ensuite comme, en se taisant, il avait laissé parler l’opposant, il prend le rôle de l’objectant et il recherche les causes de son châtiment. Et d’abord comme on pourrait dire que Dieu l’a châtié comme son ennemi, il exclut cela et dit : Pourquoi caches-tu ta face et me prends-tu pour ton ennemi? Il est en effet injuste de prendre quelqu’un pour un ennemi sans en avoir une preuve. Or la cause qui justifierait ce jugement c’est qu’on ait été offensé. Alors donc il est clair que Dieu estime qu’on est son ennemi quand des péchés sont manifestés. Or Job avait demandé que ses péchés lui soient montrés; ce qui ne fut pas le cas. Donc on ne voyait pas la raison pourquoi Dieu s’en faisait l’ennemi; et c’est ce qu’il insinue en disant : Pourquoi caches-tu ta face? Comme secrètement et pour un motif caché l’ayant pris en aversion; le visage de celui qui hait est à découvert quand il ne cache pas la cause de sa haine.

En second lieu on pourrait dire que Dieu l’a châtié pour faire montre de sa puissance; il exclut cette cause en disant : contre la feuille qu’emporte le vent tu montres ta puissance; en effet il n’est pas juste que le plus fort veuille faire montre de sa puissance contre le plus faible. Or la condition humaine est ici comparée à la feuille que le vent emporte, car l’homme en lui-même est fragile et infirme, comme la feuille qui tombe facilement; et nonobstant cela au cours du temps et des vicissitudes du sort il est traîné comme une feuille sous le souffle du vent; d’où il n’est pas juste de dire que Dieu punit quelqu’un uniquement pour montrer sa puissance.

En troisième lieu on pourrait objecter qu’il est puni pour les péchés de sa jeunesse et il exclut cela aussi en disant : Tu poursuis la paille desséchée car tu écris contre moi des choses amères et pour les péchés de ma jeunesse tu veux me supprimer. En effet l’homme en sa jeunesse est comme une plante verdoyante, mais en sa vieillesse comme une paille desséchée. C’est donc la même chose de punir un homme en sa vieillesse pour les péchés de sa jeunesse que de sévir sur une paille pour quelque défaut d’une plante verdoyante. Mais il est bon de remarquer que dans cette recherche il ne s’écarte pas de la sentence (de ses amis) que les adversités des hommes viennent d’un jugement divin; c’est pour signifier cela qu’il dit : Tu écris contre moi des choses amères, comme si les amertumes, à savoir les adversités humaines, procèdent d’une sentence divine écrite.

En quatrième lieu quelqu’un pourrait dire que même si Job n’a pas gravement péché il a cependant commis des péchés qui sont inévitables en cette vie et c’est pour eux qu’il est ainsi puni. Et cela aussi il exclut en disant : Tu as pris mes pieds dans des liens tu as observe toutes mes voies et les traces de mes pas tu les a examinées moi qui comme la pourriture dois me consumer et comme le vêtement que La vraie rétribution rongent les mites. Voyons bien ici que ceux qui sont enchaînées dans une prison sont ainsi liés qu’ils ne peuvent se dégager. De même donc que le pied est serré dans une chaîne ainsi la démarche de l’homme est enserrée sous la loi de la divine Justice dont il ne lui est pas permis de se défaire et c’est ce qu’il dit : Tu a pris mon pied dans une chaîne. Il appartient à la justice divine de discuter les actes des hommes non seulement ce que chacun a fait mais aussi avec quel cœur et avec quelle intention, et donc il dit : Tu as observé toutes mes voies quant aux actes il dit et les traces de mes pieds tu les a examinées quant à l'affection de celui qui agit ou aussi quant a toutes les circonstances de l’acte. Il n’est pas raisonnable que Dieu ait un tel souci des actes des hommes s’ils disparaissent totalement a la mort du corps, mort qui est parfois naturelle, parfois violente , d'où il dit pour toutes les deux moi qui dois me consumer comme la pourriture quant à la mort naturelle et comme le vêtement que rongent les mites quant a la mort violente, il veut dire si comme mes amis le supposent il n’y a pas d’autre vie que la vie présente et que l’homme perd par la pourriture ou par la déchirure, il n’est pas raisonnable que Dieu se soucis avec une telle sévérité des actes des hommes, que même pour des peccadilles et des négligences il punisse l’homme.

Et parce que ce dernier point est d’une grande force pour manifester la vente, il va insister davantage sur cette vente et la faire mieux apparaître Et ce qu’il a dit de lui même en particulier il le ramène a tout le genre humain.

 

 

 

 

 

Caput 14

Job 14 — La vraie rétribution

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "La sollicitude divine" (Job 14, 1-4)

 

1 L'homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié de misères. 2 Comme la fleur, il naît, et on le coupe; il fuit comme l'ombre, sans s'arrêter. 3 Et c'est sur lui que tu as l'œil ouvert, lui que tu amènes en justice avec toi! 4 Qui peut tirer le pur de l'impur? Personne.

1 L'homme né de la femme vit peu de temps, Il est rempli de bien des misères. 2 Il grandit comme une fleur puis se fane, Il fuit comme l’ombre et n'est jamais en repos. 3 Ne dédaignes pas d’ouvrir tes yeux sur lui. Et de l’amener avec toi en jugement. 4 Qui peut rendre pur ce qui est conçu d’une semence impure.

[84912] Super Iob, cap. 14 Breves dies hominis sunt et cetera. Admiratus fuerat Iob de dignatione divina circa homines, cum tamen homo sit tam fragilis et miserae condicionis considerato statu vitae praesentis, sed haec admiratio cessat si consideretur quod post hanc vitam homini alia vita reservatur in qua in aeternum permaneat: et ideo ad hoc ostendendum ex nunc conatur. Praemittit ergo, quasi supponens quod ostendere intendit, et brevitatem praesentis vitae, cum dicit breves dies hominis sunt; et quod ipsa mensura vitae humanae determinatur a Deo, cum dicit numerus mensium eius apud te est, sicut apud nos numerum illorum esse dicimus quorum numerus a nobis stabilitur; et iterum immutabilitatem divinae determinationis, cum dicit constituisti terminos eius qui praeteriri non poterunt: divina enim dispositio non fallitur, unde hominem vel diutius vel minus vivere quam divina dispositio habet est impossibile, licet hunc hominem nunc vel prius mori sit contingens si in se consideretur. Sunt autem et termini humanae vitae praestituti ex aliquibus corporalibus causis, puta ex complexione vel ex aliquo huiusmodi, ultra quos vita hominis protendi non potest, quamvis ante possit deficere ex aliqua accidentali causa, sed terminos praestitutos secundum divinam providentiam, sub qua omnia cadunt, nec in plus nec in minus vita hominis potest praeterire. Praemittit etiam alterius vitae expectationem cum dicit recede paululum ab eo ut quiescat donec optata veniat et sicut mercennarii dies eius. Ubi considerandum est quod sicut sol est causa diei, ita Deus est auctor vitae; recedente autem sole, dies finitur et nox venit: per recessum ergo Dei intelligit terminationem praesentis vitae quae est homini a Deo. Vita autem praesens multis turbationibus repletur, secundum hanc enim dictum est de homine quod repletur multis miseriis; et quia quies finis laboris esse videtur ideo mortem quietem vocat: dicit ergo recede paululum ab eo ut quiescat, idest subtrahe virtutem tuam qua hominem vivificas, ut moriatur. Sed mors hominis non est in perpetuum, sed iterum reparabitur ad vitam immortalem; status ergo mortis humanae, quantocumque tempore resurrectio differatur, brevis est in comparatione ad statum futurae immortalitatis, unde signanter dicit paululum: ab aliis enim rebus quae non reditura intereunt non paululum sed in aeternum Deus recedit, sed ab hominibus qui sic intereunt ut resurgant, per modicum tempus. Dictum est autem supra quod vita hominis super terram est sicut dies mercennarii desiderantis tempus mercedis; tempus autem retributionis hominis non est in hac vita, ut amici Iob opinabantur, sed in illa vita ad quam homo resurgendo reparatur: dicit ergo ut quiescat, idest ut moriatur, non tamen in perpetuum sed donec veniat optata dies eius, sicut mercennarii dies est optata in qua mercedem recipit, ubi primo Iob suam intentionem aperuit: non enim sic negat adversitates praesentes esse punitiones quasi Deus hominum actus non remuneret vel puniat, sed quia tempus retributionis proprie est in alia vita. Lignum habet spem si praecisum fuerit. Posita sententia sua, hic Iob ad eius manifestationem procedit, et primo ostendit quod homo secundum ea quae apparent in hac vita est peioris condicionis quibusdam etiam infimis creaturis quae post interitum reparantur, ut praecipue apparet in lignis. Dupliciter autem vita arboris deficit, sicut et vita hominis, scilicet per violentiam et per naturam: quantum ergo ad violentum defectum arboris dicit lignum si praecisum fuerit habet spem, idest naturalem aptitudinem ut iterum reparetur, quia rursum virescit ipsum in se ipso si plantetur; et rami eius pullulant, in quo ostenditur perfectam vitam recuperare sicut et prius. Quantum autem ad defectum naturalem arboris subdit si senuerit in terra radix eius, cum non possit attrahere alimentum propter defectum virtutis naturalis, et sic consequenter in pulvere emortuus fuerit truncus illius, idest per putredinem in pulvere sit redactus secundum aliquam partem, ad odorem aquae germinabit, idest veniente pluvia, ex putredine ligni habente vim sementinam, et faciet comam, scilicet frondium, quasi cum primo plantatum est. Hoc autem in homine non invenitur secundum decursum praesentis vitae, unde subdit homo vero cum mortuus fuerit et nudatus atque consumptus, ubi, quaeso, est? Et ponit tria quae gradatim homo amittit: primo enim anima separatur a corpore, et ad hoc pertinet quod dicit cum mortuus fuerit; secundo vero tegumenta et ornatus corporis, quae interdum post mortem homini remanent sed postea etiam his nudatur, et ad hoc pertinet quod dicit et nudatus; ad ultimum vero etiam ipsa compago corporis solvitur, et ad hoc pertinet quod dicit atque consumptus. Quae cum peracta fuerint, nihil sensibiliter apparet de homine remanens, unde apud illos qui nihil nisi sensibilia et corporalia esse credunt videtur totaliter in nihilum redactus: horum igitur dubitationem exprimens dicit ubi, quaeso, est? Considerandum est autem quod ea quae non totaliter pereunt reparari posse videntur, sicut de ligno praeciso vel senescente dictum est, sed ea quorum nihil remanet impossibile videtur iterum reparari, sicut si totaliter aqua maris aut fluminis desiccaretur; homo autem, sicut iam dictum est, videtur sic per mortem consumi ut nihil eius remaneat, unde secundum hanc rationem apparet quod impossibile sit ipsum iterum reparari ad vitam, et hoc est quod subdit quomodo si recedant aquae de mari et fluvius vacuefactus arescat, sic homo cum dormierit, idest cum mortuus fuerit, non resurget a morte. Eiusdem autem impossibilitatis esse videtur ut incorruptibilia corrumpantur et ut totaliter corrupta iterum reparentur; caelum autem incorruptibile est, et ideo subdit donec atteratur caelum, non evigilabit, quasi reviviscens, nec consurget de somno suo, ad opera vitae peragenda, quasi dicat: sicut impossibile est caelum atteri, idest corrumpi, ita impossibile est hominem mortuum resurgere; et hoc quidem dicitur, ut dictum est, supposito quod de homine nihil remaneat post mortem, secundum hoc quod dictum est ubi, quaeso, est? Vel potest hoc referri ad opinionem illorum qui ponebant totum universum corporale istud corrumpendum et iterum reparandum, in qua quidem reparatione ponebant eosdem homines redituros, ut sit sensus: durante isto mundo, homo a morte non resurget; fides autem Catholica non ponit substantiam mundi perituram, sed huius mundi statum qui nunc est, secundum illud I Cor. VII 31 praeterit figura huius mundi; haec ergo mundi immutatio secundum figuram potest hic intelligi per caeli attritionem: resurrectio enim mortuorum communis in fine mundi expectatur, secundum illud Iob XI 24 scio quia resurget in resurrectione, in novissimo die. Quis mihi hoc tribuat ut in Inferno protegas me et cetera. Postquam Iob ostenderat quid ex his quae sensibiliter apparent de resurrectione hominis conici possit, hic suam sententiam circa resurrectionem ponit. Esset autem valde horrendum et miserabile si homo per mortem sic deficeret quod numquam esset reparandus ad vitam, quia unumquodque naturaliter esse desiderat: unde Iob suum desiderium ostendit de resurrectione futura, dicens quis mihi hoc tribuat ut etiam post mortem in Inferno protegas me, idest sub speciali cura qua homines protegis me contineas, donec pertranseat furor tuus, idest tempus mortis - quia, sicut supra dictum est, mors hominis accidit per subtractionem divinae operationis conservantis vitam, unde dixerat recede paululum ab eo -: videtur enim Deus homini esse iratus quando beneficium vitae ei subtrahit, et praecipue cum credamus mortem ex peccato primi hominis provenisse. Quomodo autem se protegi velit etiam in Inferno, exponit subdens et constituas mihi tempus in quo recorderis mei? Videtur enim Deus hominis esse oblitus quando ei subtrahit beneficium vitae, tunc ergo eius recordatur cum ipsum ad vitam reducit: constituere ergo tempus in quo Deus hominis mortui recordetur nihil est aliud quam constituere tempus resurrectionis. Et satis convenienter hoc nominat protectionem: cum enim artifex, dissoluto artificio, ex eadem materia non intendit iterum aedificium reparare, utpote domum vel aliquid huiusmodi, de materia dissoluti aedificii nullam curam agere videtur; sed quando ex ea intendit aedificium reparare, diligenter custodit ne pereat: hanc ergo custodiam protectionem vocat. Postquam igitur desiderium suum de resurgendo expressit, quia desideria quandoque sunt etiam impossibilium consequenter sub quaestione ponit utrum hoc quandoque futurum sit quod ipse desideravit, unde subdit putasne mortuus homo rursum vivet? Et super hoc quid ipse sentiat, ostendit dicens cunctis diebus quibus nunc milito expecto donec veniat immutatio mea. Ubi considerandum est quod supra vitam hominis super terram militiae comparaverat et diebus mercennarii, quia tam milites quam mercennarii aliquid post statum praesentem expectant, et ideo sicut supra resurrectionis statum per diem optatam mercennarii expressit, ita et nunc sub similitudine militis idem ostendit. Et notandum est quod optatum finem non expectat in aliqua parte temporis huius vitae, quia cunctos dies huius vitae statui militiae deputat dicens cunctis diebus quibus nunc milito. Item notandum est quod non expectat aliam vitam huic similem, quia tunc et illa esset militia, sed expectat vitam in qua non militet sed triumphet et regnet, et ideo dicit expecto donec veniat immutatio mea, quasi dicat: in hac tota vita milito, mutabilitati, laboribus et angustiis subiectus, sed expecto immutari in statum alterius vitae quae sit sine labore et angustia; et de hac immutatione dicit apostolus I Cor. XV 51 omnes quidem resurgemus sed non omnes immutabimur. Et ne aliquis crederet quod naturali virtute homo in statum alterius vitae immutaretur, hoc excludit subdens vocabis me et ego respondebo tibi, quasi dicat: futura immutatio ex virtute tuae vocis sive ex tuo imperio procedet, secundum illud Ioh. V 28 omnes qui in monumentis sunt audient vocem filii Dei, et qui audierint vivent; vocare enim ad imperium pertinet, sed respondere ad oboedientiam qua creatura creatori oboedit. Sed quia mortui ad imperium Dei non solum resurgent ad vitam sed in quendam altiorem statum immutabuntur, et hoc virtute divina, propter hoc subdit operi manuum tuarum porriges dexteram, quasi dicat: homo resurgens non erit opus naturae sed opus tuae virtutis, cui quidem operi adiutricem dexteram tuam porriges dum per auxilium tuae gratiae in gloriam novitatis exaltabitur. Vel quod dicit vocabis me et ego respondebo tibi, potest referri ad corporis reparationem, quod autem subdit operi manuum tuarum porriges dexteram, ad animam quae naturaliter appetit uniri suo corpori, cui Deus adiutricem dexteram porriget dum quod sua virtute non potest consequi virtute divina consequetur. Posita ergo sententia sua de resurrectione mortuorum futura, redit ad id quod supra admiratus fuerat, quod Deus tam sollicite opera hominum considerat, cum dixit observasti omnes semitas meas et vestigia pedum meorum considerasti, unde subdit tu quidem gressus meos dinumerasti, quasi dicat: iam non est mirum si facta hominum sic diligenter examinas ex quo eum ad aliam vitam reservas. Considerandum est autem quod circa humanos actus divina providentia secundum duo attenditur: primo quidem secundum hoc quod ea examinat et discutit, quod quidem significatur in hoc quod dicit tu quidem gressus meos dinumerasti: dinumeramus enim ea de quibus diligentiam habemus; et ne videretur alicui esse magnae severitatis quod Deus hominis fragilis facta tanta diligentia examinaret, innuit consequenter eius pronitatem ad parcendum cum dicit sed parce peccatis meis, quasi dicat: licet dinumeres tamen hanc spem retineo quod parcas. Secundo vero secundum hoc quod facta hominum bona vel mala in sua memoria conservat ad retribuendum pro eis bona vel mala, unde subdit signasti quasi in sacculo delicta mea: ea enim quae signantur in sacculo diligenter conservantur; et ne ista signatio divinam misericordiam excluderet, subdit sed curasti iniquitatem meam, quasi dicat: sic pro peccatis reservas poenam quod tamen per poenitentiam delicta curas. Mons cadens defluit et saxum transfertur de loco suo. Postquam Iob suam sententiam de futura resurrectione posuerat, hic probabilibus rationibus eam munit, et prima ratio sumitur ex comparatione hominis ad inferiores creaturas, quae totaliter consumuntur absque spe reparationis. Omnia enim quae generantur corruptioni subiecta sunt, unde et montes, licet videantur firmissimi, tamen ex certis causis post aliqua temporum curricula dissolvuntur, et hoc est quod dicit mons cadens defluit; saxa etiam, licet videantur fortissima, tamen vel per violentiam vel ex aliqua causa naturali exciduntur, et hoc est quod sequitur et saxum transfertur de loco suo; lapides etiam, licet videantur durissimi, tamen aquis excavantur, et hoc est quod subditur lapides excavant aquae; terra etiam, licet videatur stabilissima, tamen a sua dispositione paulatim immutatur, et hoc est quod subditur et abluvione paulatim terra consumitur. Inconveniens autem esset si esset eadem ratio corruptionis hominis et rerum praedictarum, et ideo concludit, quasi inconveniens, et homines ergo similiter perdes? Quasi dicat: non est conveniens quod similiter corrumpantur homines sicut aliae creaturae corporales; nam praedictae creaturae totaliter corrumpuntur, unde non reparantur eaedem numero; homo vero, licet corrumpatur secundum corpus, remanet tamen incorruptibilis secundum animam quae totum genus corporalium transcendit, ut sic remaneat spes reparationis. Deinde inducit ad idem rationes sumptas ex proprietatibus hominis. In duobus autem excellit homo omnes inferiores creaturas, quorum unum est virtus operativa: est enim dominus sui actus per liberum arbitrium, quod nulli alii creaturae corporali competit, et secundum hoc homo est potentior qualibet creatura corporali, unde et aliis utitur propter se ipsum; aliud autem in quo excellit est cognitio intellectiva, quae cum sit in mente, aliquod tamen eius indicium apparet in corpore, et praecipue in facie quam habet homo valde diversam ab aliis animalibus; et ex his duobus apparet quod homo non sic corrumpitur sicut alia ut in perpetuum non sint. Quantum ergo ad primum horum dicit roborasti eum paululum ut in perpetuum pertransiret? Quasi dicat: non est conveniens quod tantum robur homini praestiteris ad modicum tempus, sic quod postea in perpetuum non esset; stultum enim videretur si aliquis faceret fortissimum instrumentum ut ad modicam horam eo uteretur, et postea ipsum omnino proiceret; virtus autem cuiuscumque creaturae corporeae est determinata ad finitos effectus, sed virtus liberi arbitrii se habet ad infinitas actiones: unde hoc ipsum attestatur virtuti animae ad hoc quod in infinitum duret. Quantum autem ad secundum, scilicet ad intellectum, dicit immutabis faciem eius et emittes eum? Quasi dicat: non est conveniens quod tu faciem eius immutaveris, idest diversificaveris ab aliis animalibus, et tamen emittas eum a statu vitae in perpetuum non rediturum sicut alia animalia. Per faciem autem intellectiva cognitio accipi solet propter hoc quod est proprium rationalis creaturae; intellectualis autem cognitio non potest convenire nisi substantiae incorruptibili, ut a philosophis probatur. Posset autem aliquis dicere quod, licet homo post mortem ad vitam non redeat, tamen non in perpetuum pertransit, inquantum quodammodo vivit in suis filiis: quod etiam verba Baldath sonant, cum supra dixit haec est laetitia viae eius ut rursum alii de terra germinentur. Sed hanc responsionem excludit Iob subdens sive nobiles fuerint filii eius sive ignobiles, non intelliget, quasi dicat: homo per intellectum capit aeternum bonum, unde et naturaliter ipsum desiderat; bonum autem quod est in successione filiorum non potest satiare appetitum intellectualem, si homo totaliter per mortem consumatur ut in perpetuum non sit, quia appetitus intellectualis non quiescit nisi in bono intellecto; bonum autem quod est in successione filiorum non intelligit homo neque dum vivit neque post mortem si totaliter desinat esse per mortem. Non ergo ad aeternitatem huius boni tendit appetitus intellectivus hominis sed ad bonum vel malum quod in se ipso habet, unde subdit attamen caro eius dum vivet dolebit, et anima illius super semet ipso lugebit, ubi duplicem dolorem distinguit: unum quidem carnis in apprehensione sensus, alium autem animae ex apprehensione intellectus vel imaginationis qui proprie dicitur tristitia et hic luctus nominatur.

En exposant la fragilité de l’humaine condition, il dit d’abord son origine l’homme est né d’une femme, comme d’un être fragile; ensuite sa durée il vit peu de temps; enfin quant à sa condition il dit : il est rempli de bleu des misères où il expose ce qu’il a dit tantôt "Contre la feuille que le vent emporte tu montres ta puissance?"

Puis il exclut ce dont les hommes pourraient se glorifier d’abord la beauté du corps dont jouit l’homme en sa jeunesse; mais nulle est cette gloire, car elle passe vite, à la manière d’une fleur; d’où il dit : qui grandit comme une fleur et se fane, c’est-à-dire facilement. Ensuite la renommée qui est de peu de durée et il dit : qui fuit comme l’ombre, de l’ombre qui passe en effet aucun vestige, aucun souvenir ne reste.

Enfin la puissance et le talent par quoi on s’évertue à se conserver ainsi que ses biens; et là contre il dit : et il n’est jamais en repos. Et ces trois choses peuvent être rapprochées des trois autres dont il est question au verset précédent : "l’homme né de la femme" grandit comme une fleur et bientôt se fane; ainsi il vit peu de temps en sorte qu’il fuit comme l’ombre dont il n’y a plus de trace; ainsi il est rempli de bien des misères de sorte que si même parfois il jouit de la prospérité et du bonheur il n’est jamais dans le même état.

 Enfin il s’étonne, en face de cette fragilité si méprisable, que la providence divine en ait tant de souci. Quoique toutes choses soient soumises à la divine providence, spécialement cependant la sollicitude divine pour l’homme apparaît en trois choses. D’abord il lui a donné des lois et des préceptes de vie, et il y touche en disant : et tu ne dédaignes pas d'oùvrir les yeux sur lui, comme on dit que quelqu’un ouvre les yeux sur un autre lorsqu’il le dirige et veille sur ses voies.

Ensuite Dieu récompense les hommes pour le bien et les punit pour le mal, et il y touche lorsqu’il dit : et de l’amener avec toi en jugement. Enfin Dieu l’orne de vertus par lesquelles il se garde pur de la laideur du péché, et il y touche en disant : qui peut rendre pur ce qui fut conçu d’une semence impure? La semence de l’homme est impure sans doute, non de sa nature mais par l’infection de la concupiscence; cependant l’homme conçu de cette semence impure se trouve parfois pur par les vertus; comme on rend chaud ce qui est froid par ce qui est chaud en soi, ainsi celui qui est pur en soi peut rendre pur ce qui est impur et donc il dit : si ce n’est toi seul, à savoir vraiment et par toi-même tu es pur. En effet la pureté sans tache se trouve en Dieu seul et parfaitement chez lui en qui ni impureté ni défaut quelconque ne peut être. D’où tout ce qui de quelque façon est pur et net tient de Dieu cette pureté et cette netteté.

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Le Jour désiré" (Job, 14, 5-6)

5 Si les jours de l'homme sont comptés, si tu as fixé le nombre de ses mois, si tu as posé un terme qu'il ne doit pas franchir, 6 détourne de lui tes yeux pour qu'il se repose, jusqu'à ce qu'il goûte, comme le mercenaire, la fin de sa journée.

5 Courts sont les jours de l’homme, Auprès de toi est le nombre de ses mois. Tu as fixé des limites qu’il ne peut dépasser. 6 Éloigne-toi quelque peu de lui et qu’il repose jusqu'à ce que vienne le jour désiré comme celui du mercenaire.

Job s’était étonné de la condescendance divine pour les hommes alors que l’homme est de condition si fragile et si misérable. Mais cet étonnement disparaît si l’on considère qu’après cette vie une autre vie lui est réservée, dans laquelle il demeure éternellement. Et donc à partir de maintenant c’est ce qu’il va s’efforcer de montrer. Et donc il annonce d’avance comme supposition ce qu’il veut montrer : et la brièveté de la vie présente lorsqu’il dit : courts sont les jours de l’homme et la mesure même de la vie humaine déterminée par Dieu, lors qu’il dit : auprès de toi est le nombre de ses mois; ainsi pour nous un nombre se dit des choses dont nous avons fixé la quantité. Et en outre il annonce d’avance l’immutabilité de la décision divine lors qu’il dit : Tu as fixé des limites qu’il ne peut dépasser; en effet Dieu dans ses décisions ne se trompe pas; d’où il n’est pas possible que l’homme vive plus ou moins longtemps que ce qui est voulu par Dieu, bien que soit contingent qu’un tel meurt, maintenant ou plus tôt, si on le considère en soi. Or les limites de la vie humaine sont tributaires de certains agents corporels par complexion ou quelque chose de semblable au-delà desquelles la vie ne peut être prolongée bien qu’une cause accidentelle puisse l’écourter; mais les limites attribuées selon la divine providence qui dispose de toutes choses, la vie de l’homme ne peut les dépasser ni en plus ni en moins.

Il annonce aussi d’avance l’attente d’une autre vie lorsqu’il dit : retire-toi un peu de lui et qu’il repose jusqu'à ce que vienne le jour désiré comme celui du mercenaire. Ici il faut remarquer que comme le soleil cause le jour ainsi Dieu est l’auteur de la vie. Quand le soleil se retire, le jour finit et la nuit vient. Pour Dieu se retirer veut dire le terme de la vie présente qui nous vient de Dieu. Or la vie présente est remplie de beaucoup de tribulations; en effet c’est d’elle qu’il a dit : qu’a elle est remplie de bien des misères". Et parce que le repos marque la fin du travail pour cela il appelle la mort un repos et il dit : retire-toi un peu de lui et qu’il repose, à savoir, soustrais ton pouvoir par lequel tu fais vivre l’homme, pour qu’il meure. Mais la mort de l’homme n’est pas définitive; il sera renouvelé à une vie immortelle. L’état de mort pour l’homme est donc court, quelle que soit l’échéance de la résurrection, en comparaison de la future immortalité; d’où il dit pertinemment quelque peu, en effet des autres choses qui périssent sans retour ce n’est pas quelque peu mais pour toujours que Dieu se retire; mais des hommes qui disparaissent ainsi qu’ils ressuscitent c’est pour peu de temps. On a vu plus haut (7, 1) que la vie de l’homme sur la terre est comme les jours du mercenaire qui aspire au moment de la paie; or le temps pour la rétribution de l’homme n’est pas en cette vie, comme les amis de Job le prétendaient, mais dans une autre vie, en laquelle l’homme par la résurrection est renouvelé. Il dit donc pour qu’il repose, à savoir pour qu’il meure; non pas cependant pour toujours, mais jusqu’à ce que vienne son jour désiré comme le jour du mercenaire est désiré où il reçoit sa paie. C’est ici que Job pour la première fois découvre son intention; en effet il ne nie pas l’existence des adversités présentes comme si Dieu ne rémunérait ni ne punissait les actes des hommes, mais parce que le temps de la rétribution est celui proprement de l’autre vie.

 

CONFÉRENCE 3 — Job : "L'arbre reverdit" (Job, 14, 7-12)

 

7 Un arbre a de l'espérance : coupé, il peut verdir encore, il ne cessera pas d'avoir des rejetons. 8 Que sa racine ait vieilli dans la terre, que son tronc soit mort dans la poussière, 9 dès qu'il sent l'eau, il reverdit, il pousse des branches comme un jeune plant. 10 Mais l'homme meurt, et il reste étendu; quand il a expiré, où est-il? 11 Les eaux du lac disparaissent, le fleuve tarit et se dessèche : 12 ainsi l'homme se couche et ne se relève plus, il ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel, on ne le fera pas sortir de son sommeil.

7 L'arbre a de l’espoir : si on le coupe il reprend vie et ses branches pullulent; 8 sa racine vieillit en terre, si son tronc est réduit en poussière, 9 à la senteur des eaux il poussera et il fera une chevelure, comme s’il avait été planté pour la première fois. 10 Mais l’homme lorsqu'il sera mort et dépouillé et décomposé, où est-il donc? 11 de la même manière que se retire l’eau de la mer et que le fleuve qui se vide est asséché, 12 Ainsi l’homme une fois endormi ne se lèvera pas; jusqu’à ce que le ciel ait disparu, il ne se réveillera pas, ni ne sortira du sommeil.

Ayant exprimé sa sentence, Job va la rendre clairement Et d’abord il montre que l’homme selon ce qui parait en cette vie est de condition moindre que les autres créatures qui après leur disparition se renouvellent comme il apparaît dans les arbres Or la vie de l’arbre peut cesser de deux manières comme aussi la vie de l’homme c’est a dire par la violence ou naturellement Quant a la violence qui est faite a l’arbre il dit : si on le coupe il y a espoir, à savoir il a une aptitude naturelle a se renouveler, car il reverdit lui même en lui même et si on plante ses branches coupées, elles repoussent. En cela on montre qu’il retrouve une vie aussi parfaite qu’avant. Quant au défaut naturel de l’arbre il dit : si sa racine vieillit en terre lorsqu’il ne peut plus se nourrir par la perte de sa vertu naturelle, réduit en poussière, c’est-à-dire par la pourriture, son tronc selon ce qui resterait encore, à la senteur de l’eau germera, à savoir quand vient la pluie, comme si dans la pourriture le bois avait une vertu séminale. Et il produira comme une chevelure c’est-à-dire une frondaison comme s’il venait d’être planté pour la première fois.

Or on ne trouve pas cela chez l’homme au cours de la vie présente; d’où ce qu’on nous dit : mais l’homme quand il sera mort et dépouillé et décomposé où est-il donc? Il y a donc trois choses que l’homme perd successivement : l’âme qui est séparée du corps et il dit quant à cela quand il sera mort; ensuite les vêtements et les ornements du corps qui lui restent après la mort, mais après quelque temps il en est dépouillé ou dénudé, comme il dit; enfin la constitution du corps elle même se dissout et pour cela il dit : décomposé; et lorsque tout cela est achevé, rien de sensible n’apparaît plus de l’homme. D’où pour ceux qui ne croient qu’aux choses sensibles et corporelles il est réduit totalement au néant. Et pour exprimer cette incrédulité il dit donc Où est-il donc?

Remarquons que ce qui ne périt pas totalement peut être réparé, comme il est dit du bois qu’on a coupé ou qui a vieilli; mais ce qui n’a plus rien gardé de soi, il est impossible qu’il soit réparé, or l’homme, comme on l’a déjà dit, est ainsi, semble-t-il, consumé dans la mort que de lui rien ne subsiste; d’où d’après cette raison il ne pourrait plus être restauré en vie et c’est ce qu’on dit : comme quand l’eau de la mer se retire et que le fleuve qui se vide est asséché, ainsi quand l’homme s’endormira, à savoir quand il est mort il ne surgira pas de la mort. De même qu’il est impossible que les choses incorruptibles se corrompent, ainsi aussi ce qui est totalement corrompu ne peut être réparé. Or le ciel est incorruptible et donc il dit : jusqu’à ce que le ciel ait disparu il ne s’éveillera pas, comme revenant à la vie et il ne sortira pas de son sommeil font accomplir des œuvres vitales, comme pour dire : de même que le ciel ne peut disparaître, à savoir, se corrompre, ainsi est-il impossible qu’un mort ressuscite. Et ceci est dit en supposant que rien de l’homme ne reste après sa mort selon ce qu’il dit : Où est-il donc? On peut encore rapporter cela à l’opinion de ceux qui posent que tout cet univers corporel doit disparaître et être rétabli à nouveau et alors les hommes aussi seraient rétablis, de sorte que le sens est aussi longtemps que le monde dure l’homme ne ressuscitera pas de la mort. Mais la foi catholique ne tient pas que la substance du monde disparaîtra, mais bien l’état du monde actuel, selon l’épître aux Corinthiens "La figure de ce monde passe" (1 Cor. 7, 21). Donc ce changement dans la figure du monde peut s’entendre de la disparition du ciel; en effet la résurrection générale des morts est attendue à la fin du monde, selon Jean " Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection au dernier jour" (11, 24).

 

CONFÉRENCE 4 — Job : "Résurrection…"? (Job 14, 13-17)

 

13 Oh! Si tu voulais me cacher dans le séjour des morts, m'y tenir à couvert jusqu'à ce que ta colère ait passé, me fixer un terme où tu te souviendrais de moi! 14 Si l'homme une fois mort pouvait revivre! Tout le temps de mon service j'attendrais qu'on vînt me relever. 15 Tu m'appellerais alors, et moi je te répondrais; tu languirais après l'ouvrage de tes mains. 16 Mais hélas! Maintenant, tu comptes mes pas, tu as l'œil ouvert sur mes péchés; 17 mes transgressions sont scellées dans une bourse, et tu mets un enduit sur mes iniquités.

13 Qui me donnera que tu me protèges au shéol et me mettes à l’abri pendant le temps de ta colère et décides du temps où tu te souviendras? 14 Penses-tu que le mort reviendra à la vie? Après tous ces jours de combat j’attends d’être transformé. 15 Que m’appelleras et je te répondrai : à l’œuvre de tes mains tu étendras ta droite. 16 Tu as dénombré mes démarches, mais pardonne moi mes péchés. 17 Comme enfermées en un sac tu as scellé mes fautes mais tu as guéri mon iniquité.

 

Après avoir montré, par ce qui paraît sensiblement, ce qu’ont peut penser de notre résurrection Job énonce sa sentence au sujet de la résurrection. Ce serait chose horrible et déplorable que l’homme disparaisse ainsi dans la mort sans jamais revenir à la vie. Car tout ce qui est, désire naturellement son existence. Et Job exprime alors le désir d’une résurrection future en disant : Qui me donnera même après la mort que tu me protèges au shéol? à savoir que tu me conserve avec ce soin particulier dont tu entoures les hommes, jusqu'à ce que passe ta colère, à savoir au temps de la mort; car, comme on l’a vu la mort de l’homme vient de ce que Dieu retire son opération qui nous conserve la vie; d’où il avait dit : Eloigne-toi un peu de lui Dieu en effet est irrité contre l’homme quand il lui retire le bienfait de la vie et principalement pour nous qui croyons que la mort provient du péché du premier homme. Comment il se veut protégé, même au shéol, il le dit : et décides du temps où tu te souviendras? Dieu oublie l’homme quand il lui retire le bienfait de la vie et il s’en souvient quand il lui rend la vie. Décider donc du temps où Dieu se souvient d’un mort n’est rien autre que de décider du temps de sa résurrection; et assez justement il la qualifie de protection. En effet lorsqu’un artisan ne veut pas refaire de la même matière une œuvre endommagée comme par exemple une maison tombée en ruine, il n’en prend semble-t-il aucun soin; mais quand il veut de cette matière refaire son œuvre il la garde amoureusement pour qu’elle ne périsse point, et c’est ce qu’il entend par protection.

Après avoir exprimé son désir de la résurrection, comme parfois les désirs sont de choses impossibles, il pose en conséquence la question si son désir pourra se réaliser; d’où il ajoute : Penses-tu qu’un mort revienne à la vie? Quant à lui, ce qu’il en pense, il le dit : après tous ces jours de lutte j’attends d’être transformé. Remarquons ici qu’il avait comparé précédemment la vie de l’homme sur terre à une milice et aux journées d’un mercenaire, car le soldat comme le mercenaire attendent autre chose après leur état actuel (au terme de leur service). Et donc de même que plus haut il a exprimé l’état du ressuscité par le jour auquel aspire le mercenaire, ainsi maintenant exprime-t-il la même chose sous l’image du soldat. Et notons qu’il n’attend pas cette fin désirée dans quelque partie de cette vie; car tous les jours de cette vie il les assimile au temps du service militaire en disant : après tous ces jours de combat. En outre il faut noter que l’homme n’attend pas une autre vie semblable à celle-ci, car alors elle serait aussi une milice, mais il attend une vie où il ne milite plus, mais où il triomphe et règne, et donc il dit : j’attends jusqu’à ce que vienne non changement, comme s’il disait : en toute cette vie je milite, sujet aux mutations, aux labeurs et aux angoisses. Et de ce renouveau l’Apôtre dit : "Nous ressusciterons tous mais nous ne serons pas tous changés " (1 C. 15, 51)

Et pour qu’on ne croie pas que l’homme en vertu de sa nature puisse être renouvelé en l’état d’une autre vie il l’exclut en disant : Tu m’appelleras et je te répondrai, comme pour dire le renouveau futur procédera du pouvoir de ton appel ou de ton ordre, selon ce que dit Jean "Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’entendront vivront" (5, 28). L’appel en effet est un ordre, mais la réponse est obéissance, par quoi la créature obéit au créateur. Mais parce que les morts sur l’ordre de Dieu non seule ment reviendront à la vie mais seront renouvelés en un état supérieur et ce par la vertu divine, à cause de cela il dit : à l’œuvre de tes mains tu étendras ta droite, comme s’il disait l’homme qui ressuscite n’est pas l’œuvre de la nature mais l’opération de ton pouvoir; à cette œuvre de tes mains tu tends une main secourable quand par le secours de la grâce elle est élevée à la gloire nouvelle. Ou bien ce qu’il dit : Tu m’appelleras et je te répondrai peut se rapporter au renouveau du corps; à l’œuvre de tes mains tu tendras ta droite se rapporte à l’âme qui naturellement aspire à être réunie au corps auquel Dieu tend sa droite secourable quand il obtient de la vertu divine ce qu’il ne peut avoir par lui-même.

Après avoir énoncé sa sentence sur la résurrection future il revient à son étonnement au sujet des hommes lorsqu’il disait " Tu as observé toutes mes voies et les traces de mes pas tu les as examinées " et il dit : tu as dénombré mes démarches, comme pour dire : ce n’est rien d’étonnant que tu examines si soigneusement les actes de l’homme du moment que tu le réserves pour une autre vie. Or il faut noter les deux attitudes de la divine providence au sujet des actes humains : d’abord elle les examine et les discute, ce qui est signifié par ces mots tu as dénombré mes démarches, nous dénombrons en effet ce dont nous avons soin. Et pour qu’on n’objecte pas une trop grande sévérité de la part de Dieu qui examine avec tant de soin les actes d’un homme fragile, il suggère sa tendance au pardon et il dit : mais pardonne moi mes péchés comme s’il disait : bien que tu dénombres, je retiens l’espoir que tu pardonnes. Ensuite elle garde la mémoire des actes des hommes bons ou mauvais pour les rétribuer en biens ou en peines, d’où ce qu’il dit : comme enfermées dans un sac tu as scellé mes fautes, en effet ce qui est scellé dans un sac nous le gardons précieusement. Et pour que ce scellé n’exclue pas la miséricorde divine, il nous dit : mais tu as guéri mon iniquité; il veut dire : si pour mes péchés tu réserves une peine, cependant par la pénitence tu guéris mes délits.

 

CONFÉRENCE 5 — Job : "On ne revient pas de la mort" (Job 14, 18-22)

18 La montagne s'écroule et s'efface; le rocher est transporté hors de sa place; 19 les eaux creusent la pierre, leurs flots débordés entraînent la poussière du sol : ainsi tu anéantis l'espérance de l'homme. 20 Tu l'abats sans retour, et il s'en va; tu flétris son visage, et tu le congédies. 21 Que ses enfants soient honorés, il n'en sait rien; qu'ils soient dans l'abaissement, il l'ignore. 22 Sa chair ne sent que ses propres souffrances, son âme ne gémit que sur elle-même.

18 La montagne en tombant s’écoule, le roc est déplacé. 19 Les eaux creusent la pierre sous les alluvions, la terre disparaît insensiblement, donc aussi les hommes, tu les perdrais? 20 L'as-tu fort fié quelque peu pour disparaître à jamais? As-tu changé son visage et le laisserais-tu? 21 Même ses fils soient nobles ou roturiers à quoi bon! 22 Cependant sa chair, aussi longtemps qu’il vit, gémira; Et son âme pleurera sur lui-même.

Après avoir proposé sa doctrine de la résurrection future il la confirme par des raisons probantes. La première raison est prise de la comparaison avec les créatures inférieures qui disparaissent totale ment sans espoir de retour. En effet tout ce qui est engendré est sujet à corruption; ainsi les montagnes bien que des plus solides, cependant pour certaines causes après une période de temps se désagrègent et c’est ce qu’il dit : la montagne en tombant s’écoule. Les rochers aussi, bien que des plus durs, cependant par la violence ou par quelque cause naturelle se brisent, d’où ce qui suit et le roc est déplacé; les pierres les plus dures, les eaux les creusent et il ajoute : Les eaux creusent la pierre. La terre bien que des plus stables cependant peu à peu change d’aspect et c’est ce qu’il dit : et sous les alluvions la terre disparaît insensiblement. Or il ne serait pas juste de raisonner de même pour les hommes et de les assimiler à ces choses corruptibles et donc il conclut comme chose injuste Et donc aussi les hommes tu les perdrais? Les hommes et les autres créatures corporelles ne peuvent pas disparaîtrent de la même manière; car ces créatures disparaissent totalement et elles ne se renouvellent pas identiques à elles-mêmes; mais l’homme s’il se corrompt en son corps demeure cependant le même quant à son âme, laquelle transcende tout le règne des corps de sorte qu’un espoir de renouveau demeure.

Ensuite il apporte à cela des arguments tirés des propriétés de l’homme. Or celui-ci excelle en deux choses sur les autres créatures, dont l’une est son pouvoir d’action. En effet l’homme est maître de ses actes par le libre arbitre qui n’appartient à aucune autre créature et par là il est plus puissant que toute la créature matérielle; d’où il s’en sert pour lui-même. Il excelle encore par la connaissance intellectuelle qui, tout en étant dans l’esprit, laisse paraître des traces dans le corps et principalement dans le visage qu’il a tout différent avec les autres animaux; pour ces deux motifs, il ressort que l’homme ne disparaît pas comme les autres animaux qui ne seront jamais plus. Quant à la maîtrise de l’homme il dit : l'as-tu fortifié quelque peu pour disparaître à jamais? Il veut dire qu’il n’est pas juste qu’une telle vigueur accordée à l’homme le soit pour un peu de temps de sorte qu’il ne soit pas pour toujours. Ce serait en effet insensé que quelqu’un fasse un instrument très solide pour ne s’en servir que l’espace d’un instant et le rejeter ensuite définitivement. Or le pouvoir de la créature corporelle est déterminé à des effets finis, mais le pouvoir du libre arbitre s’étend à des actions illimitées; et donc cela est en faveur du pouvoir de l’âme qu’elle dure Infiniment Quant a l’intelligence il dit : Lui as-tu change son visage et le laisserais-tu? Pour dire, il n’est pas juste que tu aies changé son visage pour le différencier d’avec les autres animaux et malgré cela tu le laisseras périr sans espoir de retour comme pour les autres animaux? Par le visage (ou la face) on entend habituellement la connaissance intellectuelle qui est le propre de la créature raisonnable. Or la connaissance intellectuelle convient seulement à une substance incorruptible, comme le prouvent les philosophes.

Mais on pourrait objecter que même si l’homme après la mort ne revient pas à la vie cependant il ne disparaît pas pour toujours en tant qu’il se survit dans ses fils, ce que Baldad exprimait également lors qu’il disait C’est la joie de sa vie que d’autres poussent à nouveau de la terre Mais Job rejette cette réponse en introduisant Que ses fils soient nobles ou roturiers, à quoi bon? Il veut dire : l’homme par son intelligence saisit le bien éternel; d’où il le désire naturellement. Or le bien qui est dans la succession des fils ne peut satisfaire l’appétit intellectuel, si l’homme dans sa mort périt irrémédiablement pour toujours. Car l’appétit intellectuel ne trouve son repos que dans un bien intellectuel; or le bien qui se trouve dans la succession des fils, l’homme n’en a pas l’intelligence ni pendant qu’il vit, ni après sa mort s’il disparaît totalement après la mort. Donc ce n’est pas à l’éternité de ce bien que tend l’appétit intellectuel de l’homme mais dans le bien ou le mal qu’il trouve en lui-même, d’où ce qu’il dit cependant sa chair, aussi longtemps qu’il vit, gémira et son âme pleurera sur lui même. Il distingue ici deux douleurs, l’une selon la chair dans la connaissance sensitive, l’autre dans la connaissance intellectuelle ou imaginative qui proprement est la tristesse et qui se nomme ici pleur.

 

 

 

Job 15 — Nouvelle condamnation de Job

 

CONFÉRENCE 1 — Éliphaz : "L’orgueil de Job" (Job 15, 1-13)

 

1 Alors Eliphaz de Théman prit la parole et dit :

2 Le sage répond-il par une science vaine? Se gonfle-t-il la poitrine de vent? 3 Se défend-il par de futiles propos, par des discours qui ne servent à rien? 4 Toi, tu détruis même la crainte de Dieu, tu anéantis toute piété envers Dieu. 5 Ta bouche révèle ton iniquité, et tu prends le langage les fourbes. 6 Ce n'est pas moi, c'est ta bouche qui te condamne, ce sont tes lèvres qui déposent contre toi. 7 Es-tu né le premier des hommes? As-tu été enfanté avant les collines? 8 As-tu assisté au conseil de Dieu? As-tu dérobé pour toi seul la sagesse? 9 Que sais-tu, que nous ne sachions? Qu'as-tu appris, qui ne nous soit familier? 10 Nous avons aussi parmi nous des cheveux blancs, des vieillards plus riches de jours que ton père. 11 Tiens-tu pour peu de chose les consolations de Dieu et les douces paroles que nous t'adressons? 12 Où ton cœur t'emporte-t-il, et que signifie ce roulement de tes yeux? 13 Quoi! C'est contre Dieu que tu tournes ta colère, et que de ta bouche tu fais sortir de tels discours?

1 Eliphaz de Teman lui répondit : 2 Un sage répondra-t-il comme parlant dans le vent remplira-t-il son estomac de chaleur? 3 Tu discutes avec celui qui n’est pas ton égal, Et tu dis des choses qui te nuisent. 4 Autant qu’il est en toi, tu rejettes la crainte; tu te prives de prier Dieu. 5 L'iniquité a éduqué ta bouche, ta langue est celle des blasphémateurs. 6 Ta bouche te condamnera et non pas moi, tes lèvres répondront de toi. 7 Es-tu le premier-né des hommes, formé avant toutes les collines? 8 Es-tu été au conseil de Dieu, et sa sagesse te serait-elle inférieure? 9 sais-tu que nous ignorions, que saisis-tu que nous ne sachions?'10 Et les vieillards et les anciens parmi nous sont plus vieux que tes ancêtres. 11 Est-ce grand’chose pour Dieu de te consoler? mais les paroles déplacées s’y opposent.' ton cœur s'élève-t-il? 12 Que si tu pensais de grandes choses tu ouvres des yeux étonnés.' ton esprit contre Dieu se fait-il menaçant pour proférer de ta bouche de tels propos?

 

 

Caput 15

 

[84913] Super Iob, cap. 15 Respondens autem Eliphaz Themanites dixit. Auditis verbis Iob, Eliphaz non ad profunditatem sententiarum eius respondet sed nititur ad calumniose reprehendendum aliqua verba a Iob prolata, secundum superficiem ipsorum verborum ea considerans et non secundum profunditatem intellectus eorum. Et primo quidem reprehendit hoc quod Iob dixerat in principio suae locutionis et mihi est cor sicut et vobis, nec inferior vestri sum, in quo quidem de duobus eum notat: primo quidem de inani gloria quia se ipsum commendat, et hoc est quod dicit numquid sapiens respondebit quasi in ventum loquens: in ventum enim loqui videtur qui ad gloriam captandam verba componit; secundo autem de iracundia, propter hoc quod obiurgando loqui inceperat cum dixerat ergo vos estis soli homines etc., et ideo subdit et implebit ardore stomachum suum, idest iracundia animum suum? Deinde reprehendit eum de hoc quod dixerat disputare cum Deo cupio, et iterum duo tantum ne facias mihi, et tunc a facie tua non abscondar etc., in quo quidem eum notat multipliciter: primo quidem de superbia quia contra maiorem se contendit, et hoc est quod dicit arguis eum verbis qui non est aequalis tui; secundo de stultitia quia Eliphaz talem disputationem nocivam reputabat, unde subdit et loqueris quod tibi non expedit, disputando scilicet cum Deo. Et quare non expediat cum eo disputare, ostendit per hoc quod huiusmodi disputatio duo valde necessaria excludere videtur, quorum primum est timor Dei: qui enim timet aliquem non praesumit cum eo contendere, unde etiam et Iob supra dixerat fortitudo tua non me terreat, et ideo Eliphaz hic subdit quantum in te est evacuasti timorem, quia scilicet conatus es a te timorem Dei excludere; secundum est oratio ad Deum: non enim est eiusdem contendere cum aliquo et eum rogare, et ideo subdit et tulisti, idest abstulisti, preces coram domino, contra id quod supra Eliphaz dixerat quamobrem ego deprecabor dominum. Disputaverat autem Iob cum Deo non ex superbia sed ex fiducia veritatis, sed Eliphaz temerarie iudicavit hoc ex iniquitate procedere, unde subdit docuit enim iniquitas tua os tuum; et hoc ex effectu apparet quia blasphemas, unde sequitur et imitaris linguam blasphemantium. Blasphemans enim est qui Dei iustitiam negat, sed linguam blasphemantis imitari videtur qui cum Deo disputat de eius iustitia: disputare enim de aliquo videtur esse dubitantis de illo, dubitans autem propinquus est neganti. Volens ergo Eliphaz contra disputationem Iob loqui, primo dicit quod Iob tam manifeste male locutus est quod non indiget alio reprehensore sed ipsa verba eius indicant eius malitiam, et hoc est quod dicit condemnabit te os tuum et non ego, et labia tua respondebunt tibi, quasi dicat: non indigent verba tua alio respondente sed ipsa se interimunt. Ostendit tamen multipliciter disputationem praedictam non fuisse convenientem: primo quidem per comparationem eius ad omnes creaturas; si enim aliqua creatura cum Deo contendere posset, hoc praecipue competeret primae et excellentissimae creaturae: quod non conveniebat Iob, unde dicit numquid primus homo tu natus es et ante omnes colles formatus, ut ex hoc scilicet competat tibi pro toto humano genere vel pro tota creatura disputare cum Deo? Secundo per comparationem ad Deum: ille enim potest cum aliquo de factis eius disputare convenienter qui cognoscit rationem qua ille cum quo disputat operatur, quam quidem cognoscere potest dupliciter: uno modo ut ab eo addiscens, alio modo ut per superiorem sapientiam de factis alterius iudicans; sed neutrum competit Iob in comparatione hominis ad Deum, et hoc est quod dicit numquid consilium Dei audisti, quantum ad primum, et inferior te erit eius sapientia, quantum ad secundum, ut sic cum Deo disputare possis? Tertio per comparationem ad alios homines, quibus non magis sciens apparet ut ex fiducia maioris scientiae cum Deo disputare praesumat, unde dicit quid nosti, scilicet per fidem vel revelationem, quod ignoremus? Quid intelligis, naturali cognitione, quod nesciamus? Sed quia posset se Iob iactare de scientia accepta ab aliis, subdit et senes, scilicet dignitate scientiae et vitae, et antiqui tempore sunt in nobis multo vetustiores quam patres tui, idest quam magistri tui a quibus scientiam accepisti vel, ad litteram, quam tui progenitores; per maiorem autem vetustatem maiorem sapientiam vult intelligi, quia per experimentum longi temporis aliquis sapientior redditur. Quarto ex parte ipsius Iob ostendit disputationem eius cum Deo fuisse inconvenientem, et primo quidem quia fuit ei nociva, explicans quod supra dixerat loqueris quod tibi non expedit, unde dicit numquid grande est ut consoletur te Deus? Quasi dicat: facile est Deo ut te ad statum prosperitatis reducat, quia ipse vulnerat et medetur, ut supra dixerat, sed verba tua prava hoc prohibent, quibus iram Dei magis contra te provocas. Secundo ostendit quod fuit vana et superba, quasi exponens quod supra dixerat numquid sapiens respondebit quasi in ventum loquens? Unde subdit quid te elevat cor tuum, scilicet per superbiam, ut intantum de tua sapientia praesumas? Et signum superbiae ostendit subdens et quasi magna cogitans, attonitos habes oculos? Cum enim aliquis aliqua magna et mirabilia considerat, in stuporem adducitur et exinde contingit quod oculos attonitos habet. Tertio ostendit quod disputatio eius fuit praesumptuosa et impia, exponens quod supra dixerat arguis eum verbis qui non est aequalis tui, unde subdit quid tumet contra Deum spiritus tuus, ut proferas de ore tuo huiuscemodi sermones, quibus scilicet Deum ad disputationem provocas? Quid est homo ut immaculatus sit et cetera. Postquam Eliphaz reprehenderat Iob de hoc quod Deum ad disputandum provocaverat, quod videbatur ad praesumptionem sapientiae pertinere, nunc reprehendit eum de praesumptione iustitiae quia dixerat si fuero iudicatus, scio quod iustus inveniar. Quod quidem Eliphaz impugnat, primo quidem ex fragilitate condicionis humanae per quam homo, et difficulter vitat peccatum, unde dicit quid est homo ut immaculatus sit? Et etiam difficulter operatur bonum, unde subdit et ut iustus appareat natus de muliere? Quia, ut dicitur Prov., in abundanti iustitia virtus maxima est, quae non videtur competere ei qui ex infirma re originem habet. Secundo impugnat idem ex comparatione sublimiorum creaturarum, unde subdit ecce inter sanctos eius, idest Angelos, nemo est immutabilis, scilicet per naturam propriam sed solum dono divinae gratiae, quin possit in peccatum deflecti; et caeli, qui tenent supremum locum puritatis inter corpora, non sunt mundi, in conspectu eius, idest per comparationem ad ipsum, quia sunt materiales et corporei et mutabiles. Tertio impugnat idem ex propria condicione ipsius Iob, quasi a maiori concludens: quanto magis abominabilis, per peccatum, et inutilis, per defectum iustitiae, homo qui bibit quasi aquam iniquitatem, idest qui pro nihilo et absque aliqua observatione iniquitatem committit; qui enim bibit vinum cum aliqua observatione bibit ne inebrietur, quod in potu aquae non observatur: in hoc ergo ipsum Iob notat quod de facili ad iniquitatem declinaret, sicut aliquis de facili et in promptu habet quod aquam bibat. Ostendam tibi, audi me et cetera. Postquam Eliphaz reprehenderat Iob quod Deum ad disputationem provocaverat et quod de sua iustitia praesumebat, nunc reprehendit eum de verbis quae disputando dixerat, et praecipue de illis arbitraris me inimicum tuum; contra folium quod vento rapitur ostendit potentiam tuam, et posuisti in nervo et cetera. Et primo excitat attentionem dicens ostendam tibi, scilicet illud quod a Deo quaerebas, audi me attente; unde autem ostendere possit, manifestat subdens quod vidi, scilicet ex proprio intellectu inveniens, narrabo tibi; et iterum non erubescam dicere quod ab aliis audivi, eos in auctoritatem inducens, quia sapientes confitentur et non abscondunt patres suos, a quibus scilicet sapientiam perceperunt: hoc enim insipientium et superborum est ut quae ab aliis acceperunt sibi ascribant. Et quare non sint abscondendi, ex eorum dignitate ostendit cum subdit quibus solis data est terra; et potest hoc indifferenter et sub eodem sensu referri vel ad sapientes vel ad patres sapientum, quos vult intelligi etiam sapientes: sapientibus enim solis terra data esse dicitur quia bonorum terrenorum ipsi sunt domini, utentes eis ad suum bonum, insipientes autem utuntur eis ad suum damnum, secundum illud Sap. XIV 11 creaturae factae sunt in muscipulam pedibus insipientium. Et iterum ad eorundem dignitatem ostendendam subdit et non transibit alienus per eos, quia videlicet hi qui sunt a sapientia alieni consortio sapientum annumerari non possunt; vel quia sapientes ab extraneis non suppeditantur: per illos enim alienus transire dicitur qui ab aliquo alieno vincuntur et subiciuntur. Postquam ergo auditorem attentum reddiderat, iam contra verba Iob disputantis respondere conatur, ex quibus duo intellexit: primo quidem quod Iob in angustia et timore vivebat, quasi Deo eum persequente et insidias ei ponente, quia dixerat arbitraris me inimicum tuum et observasti omnes semitas meas; secundo quia de sua consumptione credebat eum dubitare, quia dixerat scribis contra me amaritudines, et consumere me vis peccatis adolescentiae meae: primo ergo loquitur contra primum et secundo contra secundum, ibi habitabit in civitatibus desolatis. Ostendit ergo primo ex qua radice praedicta suspicio in corde Iob oriatur: quia ex eius impietate et voluntate nocendi, unde dicit cunctis diebus suis impius superbit, idest extollitur contra Deum et in nocumentum hominum. Dies autem suos dicit non dies vitae eius sed dies potestatis vel prosperitatis; sed quia voluntas nocendi est homini a se ipso, potestas autem a Deo, non potest scire quanto tempore ei detur potestas implendi suam impiam voluntatem, unde subditur et numerus annorum incertus est tyrannidis eius. Et ex ista incertitudine sequitur suspicio et timor, quam consequenter describit dicens sonitus terroris semper in auribus illius, quia scilicet ad quemlibet rumorem timet aliquid contra se parari, quasi de nullo confidens, propter quod subdit et cum pax sit, ille insidias suspicatur, idest cum nullus contra eum aliquid moliatur, ipse tamen de omnibus formidat propter suam impiam voluntatem qua paratus esset omnibus nocere. Cum autem aliquis de aliquibus suis inimicis timet, potest sperare liberationem, etiam si ad horam succumbat, per adiutorium amicorum; sed ille qui de nullo confidit sed de omnibus timet, non potest sperare quod post oppressionem relevetur, et ideo subdit non credit quod reverti possit de tenebris ad lucem, idest de statu adversitatis in statum prosperitatis, circumspectans undique gladium, idest ex omni parte inimicos sibi imminere videns; et hoc specialiter dicit propter hoc quod Iob dixerat quasi putredo consumendus sum, et quasi vestimentum quod comeditur a tinea, per quod intellexit Eliphaz Iob desperare de sua liberatione. Contingit autem quandoque quod aliquis tyrannus etsi ab omnibus extraneis timeat, habet tamen aliquos familiares et domesticos cum quibus secure conversatur; sed quando est superabundans malitia eius, etiam a domesticis suis timet cum quibus vivit, unde sequitur cum se moverit ad quaerendum panem, novit quod paratus sit in manu eius tenebrarum dies, idest mortis, quasi dicat: non solum insidias suspicatur in actibus exterioribus in quibus necesse habet cum extraneis conversari, sed etiam in actibus domesticis comedendo et bibendo et huiusmodi, a domesticis suis mortem sibi parari credens. Et cum ipse sic timeat de omnibus, non quiescit sed contra eos quos timet semper aliquid machinatur, et sic crescit ei timoris occasio, unde subdit terrebit eum tribulatio, scilicet ab aliis sibi imminens, et angustia vallabit eum, scilicet per cordis timorem ex omni parte, sicut regem qui praeparatur ad proelium: rex enim qui praeparatur ad proelium sic angustiatur timore ne perdat quod tamen molitur inimicos destruere. Quo autem merito in tantam miseriam timoris impius et tyrannus deveniat, ostendit subdens tetendit enim adversus Deum manum suam, contra Deum agendo, et contra omnipotentem roboratus est, idest potentia sibi data usus est contra Deum. Et quomodo contra Deum egerit, ostendit subdens cucurrit adversus eum erecto collo, idest superbiendo: per superbiam enim maxime homo Deo resistit cui per humilitatem subici debet, secundum illud Eccli. X 14 initium superbiae hominis apostatare a Deo; et sicut ille qui Deum diligit in via eius currere dicitur propter promptitudinem voluntatis ad serviendum ei, ita et superbus propter praesumptionem spiritus contra Deum currere dicitur. Superbia autem ex abundantia temporalium rerum oriri solet, et ideo sequitur et pingui cervice armatus est, scilicet contra Deum superbiendo: pinguedo enim ex abundantia humorum causatur, unde abundantiam temporalium significat. Sicut autem humilitas principium est sapientiae, ita et superbia sapientiae est impedimentum, unde sequitur operuit faciem eius crassitudo: per operimentum enim faciei impedimentum cognitionis designatur. Nec solum opulentia quae est superbiae causa in ipso invenitur, sed etiam ad collaterales eius derivatur, unde sequitur et de lateribus eius arvina dependet. Per quae omnia significare intendit quod Iob ex opulentia in superbiam incidit, per quam contra Deum se erexit et tyrannidem in homines exercuit, et ideo in hanc suspicionem devenit ut Deum sibi adversarium et insidiatorem suspicaretur. Habitabit in civitatibus desolatis et cetera. Postquam ostendit Eliphaz angustias timoris quas impius patitur etiam in statu prosperitatis existens, nunc loquitur de amaritudinibus quibus in adversitatem deiectus consumitur, propter hoc quod Iob dixerat scribis contra me amaritudines, et consumere me vis peccatis adolescentiae meae. Inter alias amaritudines primam ponit quod efficitur fugitivus; est autem fugitivorum consuetudo quod loca occulta et inhabitata quaerunt, et ideo dicit habitabit in civitatibus desolatis et in domibus desertis, quae in tumulos sunt redactae: huiusmodi enim loca consueverunt esse fugitivorum receptacula. Secundam, quod suis divitiis spoliatur, unde dicit non ditabitur, ut scilicet de novo divitias acquirat, nec perseverabit substantia eius, ut divitias prius acquisitas retinere possit. Tertiam ponit impossibilitatem recuperandi, dicens nec mittet in terra radicem suam: arbor enim si extirpetur et iterum plantetur, convalescit si in terram mittat radicem, sed si in terram radicem mittere non possit, non potest iterum convalescere. Et quasi hoc exponens subdit non recedet de tenebris, idest de statu adversitatis; et rationem non redeundi ad lucem assignat subdens ramos eius arefaciet flamma: arbor enim si extirpata fuerit, ramis virentibus adhuc remanet spes reparationis quia possunt inseri vel plantari, sed si rami comburantur, nulla spes ultra remanet recuperationis; rami autem hominis sunt filii et aliae personae coniunctae per quas homo interdum a statu adversitatis resurgit, sed filii Iob occisi erant et eius familia perierat; et ipsemet infirmitate oppressus erat, quod innuit subdens et auferetur spiritu oris sui, idest superbia verborum suorum, ut non posset aliquo modo recuperationem sperare, nec etiam a Deo quem superbia verborum offendit, unde subdit non credat frustra errore deceptus quod aliquo pretio redimendus sit, idest quod aliquo auxilio liberandus sit de tribulatione. Quartam amaritudinem ponit abbreviationem vitae, unde subdit antequam dies eius impleantur peribit, idest morietur antequam perficiatur tempus aetatis eius, et manus eius arescent, idest eius filii et propinqui deficient. Et subdit exemplum dicens laedetur quasi vinea in primo flore botrus eius, quae quidem laesio ex frigore solet accidere, unde significat exteriorem persecutionem; et quasi oliva proiciens florem suum, quod solet accidere ex aliqua interiori causa, unde significat meritum adversitatis ex parte ipsius qui patitur. Unde de hoc merito subdit congregatio enim hypocritae sterilis, idest illa quae congregantur ab hypocrita infructuosa redduntur, et ignis devorabit tabernacula eorum qui munera libenter accipiunt: fit enim interdum ex divino iudicio ut ea quae male acquisita sunt de facili consumantur; et hoc dicit notans Iob de rapacitate et hypocrisi quasi propter huiusmodi peccata ei adversitas acciderit. Et addit tertium peccatum, scilicet dolositatem, unde sequitur concepit dolorem, idest praeexcogitavit in corde suo qualiter alii dolorem inferret; cuius quidem conceptus partus est nocumentum iniuste illatum, unde sequitur et peperit iniquitatem. Adiungit consequenter modum quo hoc perficiat dicens et uterus eius praeparat dolos: hypocritarum enim est non manifeste sed dolose aliis nocumentum inferre; per uterum autem cor intelligitur in quo fiunt conceptus spirituales, sicut in utero conceptus corporales.

Après les paroles qu’il vient d’entendre de Job, Eliphaz ne répond pas à la profondeur de ses sentences mais il s’efforce de reprendre calomnieusement quelques paroles proférées par Job ne les jugeant qu’à la surface et non selon leur sens profond. Et d’abord il reprend le début du discours de Job "J’ai un cœur comme le vôtre et je ne vous suis pas inférieur", où il note deux choses; d’abord la vaine gloire parce qu’il se recommande lui-même et il le dit : Un sage répondra-t-il comme parlant dans le vent? En effet il parle dans le vent celui qui pour se faire valoir arrange ses paroles; ensuite il y dénote la colère parce qu’il s’était mis à faire des objurgations en disant : "Donc vous seuls êtes hommes!" et donc il dit : remplira-t-il de chaleur son estomac? à savoir son cœur, de colère.

Ensuite il le reprend d’avoir dit : Je désire discuter avec Dieu et aussi : Il y a deux choses seulement que tu ne dois pas me faire, alors je ne me soustrairai pas à ton regard en cela il dénote diverses choses. D’abord l’orgueil : car il conteste avec un plus grand, et c’est ce qu’il dit : tu discutes avec celui qui n'est pas ton égal. Ensuite la sottise, car Eliphaz estime que cette dispute lui nuira et tu dis des choses qui ne te conviennent pas, c’est-à-dire en discutant avec Dieu. Et il montre pourquoi il ne lui est pas expédient de discuter avec Lui, car par là il exclut deux choses très importantes, dont l’une est la crainte de Dieu; celui en effet qui craint quelqu’un se garde bien de discuter avec lui et Job avait dit plus haut la même chose Que ta force ne m’effraie pas Et donc Eliphaz dit : autant qu’il est en toi tu as rejeté la crainte car tu as essayé d’écarter de toi la crainte de Dieu. L’autre chose qu’il exclut est la prière adressée à Dieu; en effet il y a incompatibilité à contester quelqu’un et à le prier; et donc il dit : tu as enlevé, à savoir, éloigné ta prière de devers Dieu, le contraire de ce qu’Eliphaz avait dit : "C’est pourquoi je supplierai le Seigneur". Or ce n’était pas par orgueil que Job avait discuté avec Dieu, mais confiant dans la vérité mais Eliphaz jugea témérairement que la cause en était son iniquité d’où il dit : car l’iniquité a éduqué ta bouche; et on le constate au résultat, car tu blasphèmes, d’où ce qui suit tu imites la langue des blasphémateurs. En effet blasphémer c’est nier la justice de Dieu mais celui qui discute avec Dieu de sa justice imite la langue de celui qui blasphème; car on discute de ce dont on doute et celui qui doute n’est pas loin de nier.

Donc Eliphaz voulant condamner la discussion de Job dit que Job a si manifestement mal parlé qu’il n’a besoin d’aucun censeur mais ce sont ses paroles mêmes qui indiquent sa malice et il le dit : ta bouche te condamnera et non pas moi, tes lèvres répondront pour toi, comme s’il disait : tes paroles n’ont besoin d’aucun répondant mais elles se détruisent d’elles-mêmes. Cependant il montre que la discussion précédente a eu plusieurs inconvénients. D’abord en comparai son de toutes les créatures; en effet si quelque créature pouvait discuter avec Dieu cela appartiendrait à la première et à la plus excellente; or ce ne pouvait être Job; d’où il dit : es-tu le premier-né des hommes, formé avant toutes les collines? C’est-à-dire pour que par là tu aies la compétence de discuter avec Dieu au nom de tout le genre humain ou de toute la créature? Ensuite en comparaison avec Dieu; celui-là en effet peut discuter avec quelqu’un de ses actes qui connaît la raison de ce que fait celui avec qui il discute. Il peut la connaître de deux façons ou en l’apprenant de lui ou en jugeant ses actes par une sagesse supérieure. Mais comparé à Dieu, Job ne peut se prévaloir d’aucune et on nous le dit : as-tu fait partie du conseil de Dieu, pour la première; et sa sagesse te serait-elle inférieure, quant à la seconde, pour qu’ainsi tu puisses discuter avec Dieu? En troisième lieu, par comparaison avec les autres hommes; or lui et eux se valent en fait de science pour oser discuter avec Dieu; d’où il est dit : Que sais-tu par la foi ou par révélation que nous ignorions? Que saisis-tu d’une connaissance naturelle que nous ne sachions? Mais comme Job pourrait faire valoir une connaissance qu’il aurait reçue des autres, il dit : et les vieillards, à savoir par la dignité de leur science et de leur vie, et les anciens par le temps, ils sont chez nous plus vieux que tes pères : à savoir que les maîtres dont tu as reçu la science ou, littéralement, que tes ancêtres. Par une plus grande vieillesse il entend une plus grande sagesse; par l’expérience de longues années on devient plus sage. Enfin de la part de Job lui-même il montre que cette discussion avec Dieu n’a pas été juste; et d’abord elle lui a nui, expliquant ce qu’il avait dit : tantôt Tu dis des choses qui te nuisent; il dit donc est-ce grand’chose pour Dieu de te consoler? Comme pour dire : il est facile pour Dieu de te rendre ta prospérité, car "le même qui blesse, guérit " comme il l'a dit : mais tes paroles déplacées s’y opposent qui provoquent plutôt la colère de Dieu contre toi. Ensuite il montre que ses paroles sont vaines et orgueilleuses comme exposant ce qu’il a dit : "est-ce qu’un sage répondra, car tu parles dans le vent?", d’où ce qu’il dit : pourquoi ton cœur s’élève-t-il c'est par l’orgueil jusqu’à présumer de ta sagesse? Et le signe de son orgueil il le montre en ajoutant Et comme si tu pensais de grandes choses, tu ouvres des yeux étonnés. En effet lorsque quelqu’un considère de grandes et admirables choses il tombe dans la stupeur et de là vient qu’il ouvre des yeux étonnés. Enfin il montre que sa discussion fut présomptueuse et impie, exposant ce qu’il avait déjà dit : "tu discutes avec celui qui n’est pas ton égal", d’où maintenant il dit : pourquoi ton esprit contre Dieu se fait-il menaçant pour proférer de ta bouche de tels propos, c’est-à-dire par lesquels tu provoques Dieu à la discussion?

 

 

CONFÉRENCE 2 — Éliphaz : "Châtiment De Dieu" (Job 15, 14-27)

 

14 Qu'est-ce que l'homme, pour qu'il soit pur, le fils de la femme, pour qu'il soit juste? 15 Voici que Dieu ne se fie pas même à ses saints, et les cieux ne sont pas purs devant lui : 16 combien moins cet être abominable et pervers, l'homme qui boit l'iniquité comme l'eau!

17 Je vais t'instruire, écoute-moi; je raconterai ce que j'ai vu, 18 ce que les sages enseignent, - ils ne le cachent pas, l'ayant appris de leurs pères; 19 à eux seuls avait été donné le pays, et parmi eux jamais ne passa l'étranger. - 20 " Le méchant, durant tous ses jours, est rongé par l'angoisse; un petit nombre d'années sont réservées à l'oppresseur. 21 Des bruits effrayants retentissent à ses oreilles; au sein de la paix, le dévastateur fond sur lui. 22 Il n'espère pas échapper aux ténèbres, il sent qu'il est guetté pour le glaive. 23 Il erre pour chercher son pain; il sait que le jour des ténèbres est prêt, à ses côtés. 24 La détresse et l'angoisse tombent sur lui; Elles l'assaillent comme un roi armé pour le combat. 25 Car il a levé sa main contre Dieu, il a bravé le Tout-Puissant, 26 il a couru sur lui le cou raide, sous le dos épais de ses boucliers. 27 Il avait le visage couvert de graisse, et les flancs chargés d'embonpoint.

 

14 Comment l’homme sera-t-il sans faute et paraîtra juste, né qu’il est d’une femme? 15 Voici que parmi ses saints aucun n'est immuable, et les cieux ne sont pas purs devant lui. 16 Combien plus repoussant et inutile l’homme qui boit l’iniquité comme de l’eau. 17 Je vais te le montrer, écoute moi, Ce que j’ai vu je te le raconterai : 18 Ce que confessent les sages, c’est de leurs pères qu’ils le tiennent. 19 C'est à eux seuls que la terre est donnée, et l’étranger n’a pas foulé leur sol. 20 Tous les jours l’impie s’enorgueillit, Le nombre des années est incertain pour le tyran. 21 Des bruits de terreur toujours à ses oreilles et même dans la paix il soupçonne des embûches. 22 'Il désespère de revenir des ténèbres à la lumière; autour de lui il ne voit que le glaive. 23 Lorsqu'il va chercher son pain, il croit qu’est proche le jour des ténèbres. 24 Terreur et tribulation et angoisse l’entourent, comme un roi qui se prépare au combat. 25 Car il a levé la main contre Dieu, Il a affronté le Tout Puissant. 26 Tête haute il s’est précipité contre lui; se faisant fort de ses larges épaules, 27 Grossier est son visage, et ses flancs sont chargés de saindoux.

 

 

Après qu’il eut repris Job d’avoir provoqué Dieu à une discussion comme présumant de sa sagesse, Eliphaz le reprend maintenant de présumer de sa justice, car il avait dit : "Quand je serai jugé, je sais que je serai trouvé juste" Eliphaz s’y oppose d’abord à cause de la fragilité humaine par laquelle l’homme n’échappe que difficilement au péché, d’où ce qu’il dit : comment l’homme sera-t-il sans tache? et il fait le bien encore moins facilement, d’où ce qu’il dit : pour paraître juste, né qu’il est de la femme? Car comme il est écrit : "Une justice sans faille est de la plus haute vertu" (Prov. 15, 5); ce qui ne s’accorde guère avec une basse extraction. Ensuite il l’attaque en le comparant aux plus nobles créatures, d’où il dit : Voici, parmi ses saints aucun n'est immuable, c’est-à-dire les anges non par leur propre nature mais seulement par un don de la grâce divine peuvent éviter le péché. Et les cieux qui sont les plus purs parmi les corps ne sont pas purs devant lui parce qu’ils sont matériels, corporels et changeants. Enfin il le reprend de la même chose à partir de la condition personnelle de Job et comme argumentant à fortiori combien plus repoussant, par le péché et inutile par le manque de justice l’homme qui boit l’iniquité comme de l’eau à savoir, qui pour rien et sans retenue commet l'iniquité. En effet celui qui boit du vin le fait avec retenue pour ne pas s’enivrer; ce qui n’est pas le cas pour l’eau. Il veut donc dire que Job facilement se laisse aller au péché comme on boit facilement de l’eau qu’on a à sa portée.

Eliphaz a repris Job d’avoir provoqué Dieu à discuter avec lui et d'avoir présumé de sa propre justice. Il le reprend maintenant pour les paroles qu’il a dites dans la discussion et principalement de celles-ci : "Tu me prends pour ton ennemi; contre la feuille qu’emporte le vent tu montres ta puissance... Tu as pris mes pieds dans des liens". Et d’abord il attire son attention en disant : Je te montrerai, à savoir, ce que tu voulais apprendre de Dieu Ecoute moi attentivement. Il manifeste d’où il peut le lui montrer, en introduisant ce que j’ai vu, c’est-à-dire l’ayant trouvé par moi-même je te le raconterai. Et en outre je n’aurai pas honte de dire ce que j’ai entendu d’autres en invoquant leur autorité, car ce que confessent les sages sans le cacher c'est de leurs pères qu’ils le tiennent, c’est-à-dire dont ils ont acquis la sagesse; en effet c’est le propre des insensés et des orgueilleux de s’attribuer ce qu’ils ont reçu des autres. Et pourquoi ne s’en cachent-ils pas, il le montre à cause de leur dignité en disant : c’est à eux seuls qu’est donnée la terre. Et ceci peut se rapporter indifféremment et dans le même sens ou aux sages ou aux pères des sages qu’il veut comprendre sous les sages. La terre en effet est donnée aux seuls sages parce qu’ils sont les seigneurs des biens terrestres les utilisant à leur avantage, les insensés à leur perte; selon le livre de la Sagesse : "Les créatures sont un piège pour les pieds des insensés" (14, 11). Et pour montrer en outre leur dignité il dit : que l’étranger n’a pas foulé leur sol, c’est-à-dire que ceux qui sont étrangers à la sagesse ne peuvent être comptés parmi les sages; ou parce que les sages ne sont pas à la merci des étrangers; en effet un étranger est dit fouler le sol de ceux qu’il a vaincus et soumis.

Ayant rendu attentif son auditeur, Eliphaz s’efforce de répondre aux paroles de Job disputant avec Dieu. Il y trouve deux choses d’abord que Job vit dans l’angoisse et la crainte comme si Dieu le persécutait et lui dressait des embûches, car il avait dit : "tu me prends pour ton ennemi; tu as observé toutes mes voies " ensuite parce qu’il croyait que Job doutait de sa propre ruine, car il avait dit : "Tu écris contre moi des choses amères et pour les péchés de ma jeunesse tu veux me supprimer". On traitera d’abord de la réponse au premier point; pour le second on en traitera plus loin, aux mots"Il habitera dans des cités désolées". Il montre donc de quelle racine vient ce soupçon chez Job en son cœur : c’est de son impiété et de son désir de nuire; d’où ce qu’il dit : Tous ses jours l’impie s’enorgueillit, à savoir en s’élevant contre Dieu et en nuisant aux hommes. Il dit tous ses jours, non point ceux de sa vie mais de sa prospérité ou de sa puissance. Mais parce que la volonté de nuire vient de l’homme même, et le pouvoir de le faire vient de Dieu on ne peut savoir combien de temps est donné le pouvoir de nuire; d’où ce qui suit incertain est le nombre des années pour le tyran et de cette incertitude provient le soupçon et la crainte; ce qu’il décrit ensuite des bruits de terreur toujours à ses oreilles, parce qu’en effet à la moindre rumeur il craint qu’on trame quelque chose contre lui, comme n’ayant aucune confiance en personne; à cause de cela il dit : et même dans la paix il soupçonne des embûches; à savoir, quand personne n’ourdit rien contre lui cependant il s’effraie de tout par sa volonté perverse de vouloir nuire à tous.

Lorsque quelqu’un craint certains de ses ennemis il peut espérer y échapper, même s’il succombe pour l’instant, grâce au secours d’amis; mais celui qui ne peut se confier en personne et craint tout le monde ne peut espérer une délivrance et donc on nous dit : il désespère de revenir des ténèbres vers la lumière c’est-à-dire de l’adversité à la prospérité. Autour de lui il ne voit que le glaive à savoir des ennemis qui de toute part le menacent; et il dit cela spécialement suite aux paroles de Job : Comme la pourriture je disparais, comme le vêtement que rongent les mites Par là Eliphaz comprend que Job désespère de sa libération. Or il peut arriver qu’un tyran, bien qu’il craigne de toute part, ait des familiers et des domestiques avec lesquels il est en bons termes; mais quand sa malice dépasse toute mesure il craint même les proches qui vivent avec lui, d’où ce qui suit lorsqu’il va chercher son pain, il croit qu’est proche le jour des ténèbres, à savoir, de la mort; comme s’il disait : non seulement il soupçonne des embûches dans son commerce extérieur où il doit se trouver avec des étrangers mais encore dans ses occupations domestiques, du manger et du boire et autres choses, il croit que ses familiers trament sa perte; et comme il craint ainsi de la part de tout le monde il est sans repos; mais toujours aussi il imagine quelque mal contre ceux qu’il craint et ainsi toujours s’accroît l’occasion de craindre, d’où il dit : la tribulation l’effrayera à savoir dont il est menacé, et l’angoisse l’entourera à savoir la crainte qui l’envahit de partout, comme un roi qui se prépare au combat. En effet le roi est étreint par la crainte de la défaite cependant qu’il entreprend la destruction des ennemis.

Et quel peut être le motif pour que l’impie ou le tyran en arrive a une telle extrémité dans la peur il nous le dit il a en effet levé la main contre Dieu, en agissant contre Dieu; et il a affronté le Tout-Puissant à savoir qu’il s’est servi contre Dieu de la puissance qui lui a été donnée. Et comment il a agit contre Dieu il le montre tête haute il s’est précipité contre lui, c’est-à-dire en s’enorgueillissant; c’est par l’orgueil surtout que l’homme résiste à Dieu, auquel il doit se soumettre dans l’humilité, selon ce que dit l’Ecriture " L’homme orgueilleux commence par l’apostasie de Dieu" (Sir.10, 14). Et de même de celui qui aime Dieu on dit qu’il court dans ses voies à cause de la promptitude qu’il met à le servir, ainsi l’orgueilleux à cause de la présomption de son esprit est dit courir contre Dieu. Or l’orgueil vient habituellement de l’abondance des choses temporelles, et donc ce qui suit se faisant fort de ses larges épaules c’est-à-dire en s’enorgueillissant contre Dieu. Cette corpulence en effet vient de l’abondance des humeurs, d’où elle signifie l’abondance des choses temporelles. Or de même que l’humilité est le commencement de la sagesse ainsi l’orgueil est l’obstacle à la sagesse; d’où ce qui suit la grossièreté couvre son visage : le visage couvert signifie l’obstacle à la connaissance. Non seulement l’opulence, cause de l’orgueil, se trouve chez lui, mais elle s’étend à ses collatéraux et il dit : Ses flancs sont chargés de saindoux. En toutes ces choses on veut nous montrer que l’opulence a fait tomber Job dans l’orgueil par lequel il s’est élevé contre Dieu et a exercé la tyrannie contre les hommes; ainsi en est-il venu à soupçonner que Dieu était son ennemi et les autres des traîtres.

 

CONFÉRENCE 3 — Éliphaz : "La fin du méchant" (Job 15, 28-35)

 

28 Il occupait des villes qui ne sont plus, des maisons qui n'ont plus d'habitants, vouées à devenir des monceaux de pierre. 29 Il ne s'enrichira plus, sa fortune ne tiendra pas, ses possessions ne s'étendront plus sur la terre. 30 Il n'échappera pas aux ténèbres; la flamme desséchera ses rejetons, et il sera emporté par le souffle de la bouche de Dieu. 31 Qu'il n'espère rien du mensonge, il y sera pris; le mensonge sera sa récompense. 32 Elle arrivera avant que ses jours soient pleins, et son rameau ne verdira plus. 33 Il secouera, comme la vigne, son fruit à peine éclos il laissera tomber sa fleur, comme l'olivier. 34 Car la maison de l'impie est stérile, et le feu dévore la tente du juge corrompu. 35 Il a conçu le mal, et il enfante le malheur, dans son sein mûrit un fruit de déception."

28 Il habitera des cités désolées et des maisons désertes réduites en cavernes. 29 Il ne s'enrichira pas, sa fortune ne subsistera pas il ne poussera pas en terre ses racines. 30 I1 ne sortira pas des ténèbres, la flamme séchera ses branches. Et sa bouche a perdu son souffle. 31 Qu'il ne croie pas en vain, déçu par son erreur, pouvoir se racheter par quelque rançon. 32 Avant que ses jours soient remplis il périra et ses mains sécheront : 33 Contre la vigne gelée en sa première fleur (donne) du verjus et comme l’olivier qui laisse tomber ses fleurs. 34 Ce qu’a rassemblé l’hypocrite est stérile et le feu dévorera les tentes de ceux qu’on flatte par des présents. 35 Il a conçu le mal et il a enfanté l’injustice en son sein il trame des astuces.

Après avoir montré les angoisses et la crainte dont souffre le méchant, même s’il vit dans l’opulence, il parle maintenant des choses amères qui le consument tombé qu’il est dans l’adversité, en réponse à ce qu’avait dit Job : "tu écris contre moi des choses amères et pour les 1, péchés de ma jeunesse tu veux me supprimer" (13, 26). Entre autres amertumes la première est qu’il est fugitif; c’est l’habitude des fugitifs de rechercher les lieux cachés et inhabités et donc il dit : il habitera des cités désolées et des maisons désertes réduites en cavernes; ce sont en effet de tels lieux qui sont les refuges des fugitifs; la seconde amertume est qu’il est spolié de ses richesses, d’où il dit : il ne s’enrichira pas c’est-à-dire pour de nouveau acquérir des richesses, sa fortune ne subsistera pas pour qu’il puisse conserver ce qu’auparavant il avait acquis; la troisième est l’impossibilité où il est de récupérer son bien en disant : il ne poussera pas en terre ses racines en effet si l’arbre qu’on déterre est replanté, il reprend vie et il pousse racine; mais s’il n’arrive pas à reprendre racine il ne peut plus revivre; et en quelque sorte c’est ce qu’on dit : il ne sortira pas des ténèbres à savoir de sa situation adverse; et on assigne la raison de ne pouvoir revenir à la lumière en introduisant la flamme séchera ses branches; en effet pour un arbre déraciné, dont les branches sont encore vertes il y a encore espoir de revivre parce qu’on peut les greffer ou les planter, mais si on les brûle il n’y a plus aucun espoir de renouveau. Or les branches de l’homme sont ses fils et ses autres proches qui lui permettront parfois de sortir de l’adversité; mais ses fils ont péri ainsi que sa famille et lui-même est accablé par la maladie, ce qu’il suggère en disant : et sa bouche a perdu son souffle à savoir ses paroles orgueilleuses. Et il ne pourrait espérer aucun renouveau quelconque même de la part de Dieu que ses propos orgueilleux ont offensé; d’où ce qu’il dit : qu’il ne croie pas en vain, déçu par son erreur, pouvoir se racheter par quelque rançon à savoir qu’il puisse être délivré de la tribulation par quelque secours. Quatrième amertume : sa vie est écourtée, d’où ce qu’il dit avant que ses jours soient remplis, il périra c’est-à-dire qu’il mourra avant le temps; et ses mains sécheront c’est-à-dire que ses fils et ses proches disparaîtront; et on donne en exemple comme la vigne lésée en sa première fleur donne du verjus : cette lésion vient ordinaire ment de la gelée, par là on veut signifier la persécution extérieure; et comme l’olivier qui laisse tomber ses fleurs, ce qui provient d’une cause interne et signifie la rançon de l’adversité chez celui qui est éprouvé. D’où ce qu’il dit de cette rançon. Ce qu’a rassemblé l’hypocrite demeure stérile c’est-à-dire est devenu infructueux; et le feu dévorera les tentes de ceux qu’on flatte par des présents; il arrive en effet par un décret divin que le bien mal acquis se dissipe facilement et il le dit en notant l’hypocrisie et la rapacité de Job, causes en quelque sorte de ses châtiments. Et il y ajoute l’astuce, d’où ce qui suit il a conçu le mal, il a calculé d’avance en son cœur comment il nuirait à un autre; et ce qu’il a ainsi conçu a enfanté un dommage injuste; d’où il dit et il a enfanté l’iniquité. Et il ajoute : ensuite la manière dont il s’exécute en disant : en son sein il trame ses astuces. C’est en effet le propre des hypocrites de causer du tort aux autres non manifestement mais en cachette. Par sein on entend le cœur où se forment les concepts intellectuels, comme dans le sein les conceptions corporelles.

 

 

Caput 16

Job 16 — Réponse de Job à Eliphaz

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mon épreuve" (Job 16, 1-20)

 

1 Alors Job prit la parole et dit :

2 J'ai souvent entendu de semblables harangues; vous êtes tous d'insupportables consolateurs. 3 Quand finiront ces vains discours? Quel aiguillon t'excite à répliquer? 4 Moi aussi, je saurais parler comme vous, si vous étiez à ma place; j'arrangerais de beaux discours à votre adresse, je secouerais la tête sur vous; 5 je vous encouragerais de la bouche, et vous auriez pour soulagement l'agitation de mes lèvres. 6 Si je parle, ma douleur n'est pas adoucie; si je me tais, en est-elle soulagée? 7 Aujourd'hui, hélas! Dieu a épuisé mes forces... ô Dieu, tu as moissonné tous mes proches. 8 Tu me garottes... c'est un témoignage contre moi!... ma maigreur se lève contre moi, en face elle m'accuse. 9 Sa colère me déchire et me poursuit, il grince des dents contre moi; mon ennemi darde sur moi ses regards. 10 Ils ouvrent leur bouche pour me dévorer, ils me frappent la joue avec outrage, ils se liguent tous ensemble pour me perdre. 11 Dieu m'a livré au pervers, il m'a jeté entre les mains des méchants. 12 J'étais en paix, et il m'a secoué, il m'a saisi par la nuque, et il m'a brisé. Il m'a posé en but à ses traits, 13 ses flèches volent autour de moi; il perce mes flancs sans pitié, il répand mes entrailles sur la terre; 14 il me fait brèche sur brèche, il fond sur moi comme un géant. 15 J'ai cousu un sac sur ma peau, et j'ai roulé mon front dans la poussière. 16 Mon visage est tout rouge de larmes, et l'ombre de la mort s'étend sur mes paupières, 17 quoiqu'il n'y ait pas d'iniquités dans mes mains, et que ma prière soit pure. 18 Ô terre, ne couvre point mon sang, et que mes cris s'élèvent librement! 19 A cette heure même, voici que j'ai mon témoin dans le ciel, mon défenseur dans les hauts lieux. 20 Mes amis se moquent de moi, c'est vers Dieu que pleurent mes yeux.

[84914] Super Iob, cap. 16 Respondens autem Iob dixit et cetera. Eliphaz in sua responsione durius contra Iob locutus fuerat: unde Iob in principio sui sermonis eum arguit de indecenti consolatione, primo quidem quia frequenter eadem repetebat, tam ipse quam amici eius, unde dicit audivi frequenter talia, quasi dicat: vestra locutio semper circa idem versatur. Diversis enim verbis ad idem intendebant, scilicet ad arguendum Iob quod pro peccatis suis in adversitates inciderat, et ideo subdit consolatores onerosi omnes vos estis: consolatoris enim officium est ea dicere quibus dolor mitigetur; onerosus ergo consolator est qui ea loquitur quae magis animum exasperant. Possent tamen haec excusationem habere quando ad utilitatem aliquam verba exasperantia proferrentur et veritatem continerent aut etiam breviter et pertranseundo dicerentur, sed si aliquis verba exasperantia contristatum falso, inutiliter et prolixe prosequatur, onerosus consolator videtur, unde subdit numquid habebunt finem verba ventosa? In hoc enim quod dicit numquid habebunt finem, ostendit quod prolixe immorabantur circa verba exasperantia; in hoc vero quod dicit verba ventosa, ostendit quod inutilia et falsa erant, soliditatem non habentia. Ostendit autem consequenter quod non erat paritas ex utraque parte in hac disputatione quia amici Iob absque molestia loquebantur, unde dicit aut aliquid molestum tibi est si loquaris? Quasi dicat: ideo tam prolixe loqueris in meam calumniam quia ex hoc nullam molestiam sentis; Iob autem molestabatur. Et ne aliquis crederet quod haec disputatio esset facilis amicis Iob propter eminentem scientiam, Iob autem molesta propter scientiae defectum, hoc excludit ostendens quod si adversitate non deprimeretur et esset in statu amicorum suorum, similia loqui posset, unde dicit poteram et ego similia vobis loqui, scilicet si adversitate non gravarer. Et huius rei experiendae sibi facultatem desiderat dicens atque utinam esset anima vestra pro anima mea, ut scilicet vos adversitatem pateremini quam ego patior. Quod quidem dicit non affectu odii aut livore vindictae sed ut a crudelitate qua utebantur, suis verbis Iob exasperantes, revocarentur dum sentirent sibi esse aspera verba similia si eis dicerentur: unde subdit consolarer et ego vos sermonibus, scilicet similibus quibus vos me consolamini, et moverem caput meum super vos, in signum compassionis vel in signum reprobationis, sicut vos me arguitis; et etiam roborarem vos ore meo, ne per impatientiam deficeretis, et moverem labia, scilicet ad loquendum, quasi parcens vobis, idest simulans me ex misericordia quam ad vos haberem loqui, sicut vos circa me facitis. Sic igitur leve esset mihi loqui sicut et vobis si in statu vestro essem, sed nunc impedior dolore qui non tollitur neque locutione neque taciturnitate, unde subdit sed quid agam? Si locutus fuero non quiescet dolor meus, et si tacuero non recedet a me. Est autem duplex dolor: unus quidem interior qui tristitia nominatur, proveniens ex apprehensione alicuius mali inhaerentis; alius autem est dolor exterior qui est dolor secundum sensum, puta ex solutione continui proveniens vel ex aliquo huiusmodi. Primus quidem igitur horum dolorum collocutione tolli potest, non autem secundus, et ideo consequenter ostendit quod intelligit de hoc secundo dolore qui verbis non tollitur, dicens nunc autem oppressit me dolor meus, idest impedivit me ne faciliter et libere uti possim ratiocinatione sicut antea solebam: nam cum est dolor vehemens in sensu, oportet quod intentio animae avocetur vel impediatur ab intellectualium consideratione. Et quod de dolore corporali intelligat, ostendit subdens et in nihilum redacti sunt omnes artus mei: omnia enim membra eius ulcerata erant, sicut supra dictum est quod Satan percussit Iob ulcere pessimo a planta pedis usque ad verticem. Et non solum dissipationes membrorum dolorem sensibilem mihi ingerunt, sed etiam sunt in argumentum contra me: amici enim Iob videntes eum sic ulceratum ex hoc argumentabantur quod graviter peccasset, putantes hoc ei in poena peccati accidisse, et hoc est quod sequitur rugae meae testimonium dicunt contra me: ex infirmitatibus enim corrugatur corpus propter humidi consumptionem sicut et ex senectute. Quomodo autem rugae contra ipsum testimonium perhibeant, ostendit subdens et suscitatur falsiloquus adversum faciem meam, contradicens mihi: falsum enim dixerat Eliphaz quod propter peccatum in hanc infirmitatem incidisset. Vel potest dici quod Iob intellexit per spiritum sanctum suam adversitatem a Diabolo procuratam, Deo permittente; unde quicquid passus est vel in damnis rerum et filiorum vel in proprii corporis ulcere vel etiam in molestatione uxoris et amicorum, totum hoc Diabolo attribuit quasi instiganti: ipsum ergo vocat falsiloquum contra suam faciem suscitatum quia intelligebat instigante Diabolo amicos suos contradicentes ei. Et secundum hunc sensum planius est quod sequitur collegit furorem suum in me: videtur enim Diabolus totum furorem suum contra Iob collegisse dum omni modo nocendi ipsum impugnavit; et non solum in praeterito me afflixit sed etiam in futurum mihi comminatur, et hoc est quod sequitur et comminans mihi infremuit contra me dentibus suis. Et loquitur per similitudinem bestiae quae homini comminando dentes contra ipsum parat; hoc autem dicit propter hoc quod Eliphaz usque ad mortem ei sub persona impii mala imminere praenuntiaverat: intelligebat autem Iob huiusmodi comminationes per os Eliphaz a Diabolo esse procuratas, et ideo dicebat quod dentibus contra eum infremuerat. Non solum autem Eliphaz verbis comminationis contra eum usus fuerat mala praenuntiando sed etiam de factis eius male iudicaverat, eum impium et hypocritam nominans, et ideo subdit hostis meus terribilibus oculis me intuitus est: placidis enim oculis aliquem aliquis intuetur quando facta eius benigne interpretatur, sed quando bona interpretatur in malum tunc terribilibus oculis intuetur, et ideo subdit aperuerunt super me ora sua, scilicet amici mei ab hoste meo instigati; et hoc exponit subdens exprobrantes percusserunt maxillam meam: ille enim dicitur in faciem aliquem percutere qui ei improperium in facie dicit; amici autem Iob multa improperia contra eum dixerant, peccata multa ei exprobrantes. Et quia iusti homines videntes peccata puniri de iustitia laetantur, secundum illud Psalmi laetabitur iustus cum viderit vindictam, amici Iob se iustos reputantes, Iob autem peccatorem, de poenis eius gaudebant quodammodo quasi divinae iustitiae congratulantes, et ideo sequitur satiati sunt poenis meis. Et ne aliquis crederet quod Iob opinaretur huiusmodi poenas sibi a Deo inflictas non esse quia dixerat ab hoste se esse afflictum, ad hoc excludendum subdit conclusit me Deus apud iniquum, idest Diabolum, concedendo me scilicet potestati ipsius, et manibus impiorum me tradidit, quantum ad eos qui instinctu Diaboli eum vel factis vel verbis afflixerant: intellexit enim Iob afflictiones suas sibi per Diabolum quidem sed Deo permittente irrogatas. Et huius signum evidens ostendit quadruplex: primo quidem quia a maxima prosperitate non paulatim decidit, sicut consuetum est in rebus humanis, sed subito totaliter corruit, quod non videtur potuisse subito casu accidere sed ex sola divina ordinatione, et hoc est quod dicit ego ille opulentus quondam repente contritus sum; et in hoc quod dicit opulentus designatur divitiarum abundantia, in hoc autem quod dicit ille designatur claritas famae eius qua ab omnibus demonstrabatur. Secundum autem signum est quod totaliter corruit, ad quod significandum subdit tenuit cervicem meam, confregit me; et loquitur ad similitudinem alicuius fortissimi viri qui, alicuius debilis cervice apprehensa, eam confringeret et sic totaliter eum de vita auferret: sic enim Iob videbatur totaliter prosperitatis statum amisisse. Tertium signum est quod non una adversitate sed multis simul concurrentibus oppressus fuit, ut supra narratum est, et quantum ad hoc subdit posuit me sibi quasi in signum, quod scilicet ponitur diversis sagittis feriendum, et ideo subdit circumdedit me lanceis suis, ubi tripliciter multitudinem suarum adversitatum describit: primo namque ostendit se exterius vulneratum in rebus possessis, et ad hoc pertinet quod dicit circumdedit me lanceis suis; res enim exteriores circa nos sunt quasi extrinsecae: tunc ergo homo lanceis adversitatis circumdatur quando in rebus exterioribus damnificatur. Secundo autem dicit se percussum interius quantum ad personarum afflictionem, et hoc est quod subdit convulneravit lumbos meos, quasi dicat: non solum in circuitu lanceatus sum, sed vulnera pervenerunt usque ad interiora in quibus delectabatur, quae per lumbos significantur in quibus est delectatio vel etiam generationis origo, unde etiam per lumbos filii oppressi possunt designari; et insuper ostendit multiplicitatem percussionis ex acerbitate vulneris, cum subdit non pepercit, quasi retrahens manum suam a percussione ne gravius offenderet, sed gravissime laesit, et hoc est quod subdit et effudit in terram viscera mea, quia scilicet omnes filios suos et filias una ruina in mortem oppressit. Tertio ostendit multitudinem percussionis ex his quae in propria persona est passus, unde subdit concidit me, in propria scilicet persona, vulnere ulceris pessimi, super vulnus mortis filiorum. Quartum signum est, quod eius tribulatio ex divina providentia processerit, quod resisti non potuit nec remedium adhiberi, secundum illud quod supra IX 13 dictum est Deus cuius irae resistere nemo potest, et hoc est quod subdit irruit in me quasi gigas, cui propter magnitudinem potestatis homo debilis resistere non potest. Et possunt haec omnia intelligi vel de Deo qui conclusit, vel melius de iniquo, scilicet Diabolo, apud quem conclusit. Haec igitur omnia commemoravit Iob de magnitudine suae adversitatis ad ostendendum quod non de pari poterat cum eis contendere, quia ab huiusmodi adversitatibus immunes erant. Verum Eliphaz eum de superbia notaverat dicens quid te elevat cor tuum etc. quae tanto fuisset detestabilior quanto per graves adversitates emendari potuisset, secundum quod contra quosdam in Psalmo dicitur dissipati sunt nec compuncti; et ideo consequenter descripta sua adversitate, ostendit se humiliatum, primo quidem quantum ad exteriorem habitum, cum dicit saccum consui super cutem meam: talis enim habitus est humilitatis signum, ut legitur de Ninivitis Ion. III 5; similiter etiam cinis adhibetur ad recognoscendum propriam fragilitatem - unde Abraham dixit Gen. XVIII 27 loquar ad dominum meum, cum sim pulvis et cinis -, unde subdit et operui cinere carnem meam: legitur enim supra quod in sterquilinio sedebat in signum humilitatis. Secundo ostendit suam humilitatem per multitudinem fletus, cuius duo signa ponit: primo quidem tumorem faciei, cum dicit facies mea intumuit a fletu: ascendens enim multa lacrimarum materia ad caput, facies plorantium intumescit; secundum vero impedimentum visus, et hoc est quod subdit et palpebrae meae caligaverunt, scilicet a fletu: ad litteram enim propter discursum humorum visus oculorum impeditur. Ex his autem quae de gravitate suae adversitatis praemisit et de magnitudine suae humiliationis, posset aliquis suspicari quod ipse, quasi recognoscens gravitatem suorum peccatorum, se paenitendo humiliaverit reputans se pro suis peccatis afflictum, quod Eliphaz innuere volebat dicens ecce inter sanctos nemo immutabilis etc., et ideo ad hoc removendum dicit haec passus sum absque iniquitate manus meae, per quod excludit a se peccata operum; subdit autem cum haberem mundas ad Deum preces, ut excludat a se peccatum indevotionis et omissionis, per quod videtur respondere ei quod supra XI 14 dixerat Sophar si iniquitatem quae est in manu tua abstuleris, levare poteris manum tuam absque macula. Sed ad excludendum innocentiam Iob Eliphaz iam bis usus fuerat argumento supposito ex fragilitate terrenae naturae: nam supra IV 18 dixerat ecce qui serviunt ei non sunt stabiles, quanto magis hi qui habitant domos luteas, et postea supra XV 15 idem repetierat dicens caeli non sunt mundi in conspectu eius, quanto magis abominabilis et inutilis homo; et ideo ad hoc excludendum subdit terra, ne operias sanguinem meum, et intelligit per sanguinem sui corporis afflictionem: hic autem sanguis operiretur si pro culpa fuisset effusus, sic enim non haberet gloriam; operiretur autem a terra si occasione terrenae fragilitatis praesumptio de praecedenti culpa praesumeretur. Si autem sanguis eius absque culpa fuit effusus, iustam querelam habuit contra effundentem, sicut Gen. IV 10 dicitur ecce vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra; hic autem clamor lateret si iniusta conquestio sua videretur, quasi eius qui pro culpa fuerit punitus, et ideo subdit neque inveniat in te locum latendi clamor meus, ut scilicet ex terrenae conversationis fragilitate videar iniuste conqueri, quasi sim pro culpa punitus. Verum est autem quod difficile est hominem terrena conversatione absque iniquitate peccati mortalis uti, non est tamen impossibile, Deo adiuvante per gratiam, qui etiam interioris puritatis est testis, et ideo subdit ecce enim in caelo testis meus, quasi dicat: ideo terra non potest operire sanguinem meum quia maius est testimonium caeli quam praesumptio de fragilitate terrae. Est autem hic testis caeli idoneus quia etiam conscientiae secreta rimatur, unde subdit et conscius meus in excelsis, quasi dicat: ideo in infimo terrae non potest locum latendi clamor meus invenire quia conscientia mea nota est in excelso. Verbosi amici mei et cetera. Postquam Iob descripsit magnitudinem suae adversitatis et suam humilitatem et innocentiam, procedit ulterius ad improbandum vanam consolationem quam amici eius ei frequenter iterabant, scilicet de spe temporalis prosperitatis recuperandae, unde et Eliphaz supra dixerat numquid grande est ut consoletur te Deus et cetera. Unde huius consolationis vanitatem ostendere intendens, praemittit verbosi amici mei, quasi dicat: verba inania mihi promittunt; non enim in temporalibus recuperandis est consolatio mea sed in Dei fruitione adipiscenda, et hoc est quod subdit ad Deum stillat oculus meus, idest lacrimatur prae Dei desiderio, secundum illud Psalmi fuerunt mihi lacrimae meae panes die ac nocte, dum dicitur mihi quotidie: ubi est Deus tuus? Et ad expositionem eius quod dixerat subdit atque utinam sic iudicaretur vir cum Deo quomodo iudicatur filius hominis cum collega suo. Iudicatur enim vir cum collega suo dum unus alteri praesentialiter adest et invicem sibi suas rationes promunt: desiderabat ergo Deo praesens existere et rationes divinorum operum et iudiciorum cognoscere, in quo felicitas humana consistit, in cuius spe erat eius consolatio, non in vanis amicorum verbis quibus recuperationem temporalis prosperitatis promittebant; et ideo ad ostendendam vanitatem huius promissionis subiungit ecce enim breves anni transeunt, quia scilicet homo brevi vivit tempore, ut supra XIII 1 dictum est; temporis autem vitae Iob iam transierat magna pars, unde breves anni ei restabant in quibus si esset prosperitas non magnam consolationem afferret propter temporis brevitatem. Fuerunt autem aliqui qui credebant hominem post mortem iterato ad praesentis vitae cursum redire, et sic videri posset quod in spe terrenae prosperitatis recuperandae saltem in illa futura vita, posset Iob consolationem habere; et ideo ad hoc excludendum subdit et semitam per quam non revertar ambulo: homo enim in hac mortali vita per aetatis processum tendit in mortem, nec in hoc processu iteratio potest esse, ut scilicet iterato homo sit puer et aetates huius vitae perambulet.

Eliphaz en sa réponse a parlé assez durement à l’adresse de Job; celui-ci en commençant son discours le reprend de sa consolation insolite. D’abord parce qu’il se répète tout le temps, tant lui que ses compagnons; d’où ce qu’il dit : J’ai souvent entendu ces choses, comme pour dire, votre langage ressasse la même chose; en effet avec d’autres paroles ils se proposent une même chose, c’est-à-dire prouver que Job pour ses péchés est tombé dans l’adversité; et donc il dit : vos consolations me sont à charge. En effet on console en adoucissant la souffrance; on est donc à charge quand on dit des choses qui plutôt exaspèrent. On pourrait cependant avoir une excuse quand des paroles vexantes sont utiles, quand elles disent la vérité, ou aussi quand elles sont dites brièvement et en passant. Mais si quelqu’un tient un langage offensant à celui qui souffre et cela faussement, inutilement et longuement, il est à charge; d’où il dit : Quand donc finiront ces paroles creuses? En effet, en disant : quand donc finiront il montre qu’ils s’attardaient trop longtemps en des paroles offensantes; en disant : ces paroles creuses il montre qu’elles sont inutiles et fausses, n’ayant aucun fondement.

Il montre dans ce qui suit que les positions sont inégales des deux côtés dans cette discussion; car les amis de Job parlent sans aucune contrainte; d’où il dit : Tu as beau parler! comme s’il disait : tu parles ainsi longuement pour me calomnier parce que tu n’en ressens vraiment aucun désagrément. Or Job lui, en était accablé. Et pour qu’on n’attribue pas à une science supérieure la facilité avec laquelle ils discutaient tandis que Job manquant de science ne le pouvait, il exclut cela et il le montre; car si l’adversité ne l’opprimait et s’il était en l’état de ses amis il pourrait dire la même chose je pourrais moi aussi vous dire semblables choses, à savoir si l’adversité ne me pesait pas; et il désire qu’ils en aient l’expérience en disant : et plût au ciel que votre âme soit la mienne, c’est-à-dire que vous souffriez l’adversité que je souffre; il ne dit pas cela par ressentiment ou désir de vengeance mais pour qu’ils abandonnent leur cruauté en paroles si offensantes pour Job, tandis qu’ils sentiraient la dureté de tels propos, s’ils leur étaient tenus; d’où il dit : je vous bercerais aussi de bonnes paroles, à savoir les mêmes par lesquelles vous me consolez. Et je branlerais ma tête au-dessus de vous en signe de compassion ou de réprobation comme vous me reprenez; et aussi je vous encourage rais de ma bouche pour que vous ne désespériez pas dans votre impatience; et j’agiterais mes lèvres à savoir en vue de parler par commisération c’est-à-dire en simulant la pitié que j’aurais pour vous comme vous le faites à mon égard.

Ainsi donc il me serait facile de parler comme ce l’est pour vous, si j’étais dans votre état. Mais maintenant la douleur m’en empêche, que ni les paroles ni le silence ne peuvent enlever; d’où ce qu’il dit mais que faire? Si je parle, ma douleur ne s'apaisera pas; sue me tais elle ne me quittera pas. Or il y a deux sortes de douleurs, l’une intérieure qu’on appelle tristesse, qui provient de la sensation d’un mal présent; l’autre extérieure qui est sensible, comme celle provenant d’une blessure ou quelque chose de ce genre. La première de ces douleurs, on peut la faire oublier par la conversation, mais non la seconde; et pour celle-ci que les paroles n’enlèvent pas il dit : or maintenant la douleur m’oppresse, à savoir, elle m’a empêché d’user facile ment et librement de raisonnements comme je le faisais auparavant. Car quand la douleur sensible est violente, l’âme est moins attentive et ne peut s’arrêter à des considérations intellectuelles. Et qu’il l’en tend de la douleur corporelle il le montre en introduisant et tous mes membres sont réduits à rien; en effet tout son corps est couvert de plaies, comme on a dit plus haut que "Satan frappa Job d’un ulcère purulent depuis la tête jusqu’aux pieds".

Et non seulement mes lambeaux de membres me causent de la douleur, mais encore sont un témoignage contre moi. En effet les O amis de Job qui le voient ainsi couvert d’ulcères, en concluaient qu’il avait péché gravement, pensant que cela lui était arrivé comme châtiment de ses péchés; et c’est ce qui suit mes rides témoignent contre moi; en effet les infirmités rident la peau en lui enlevant son humidité, comme aussi dans la vieillesse. Comment sont-elles un contre témoignage il le montre en disant : le médisant se lève contre ma face pour me contredire; en effet Eliphaz avait dit faussement que Job était rendu infirme à cause du péché. Ou il est bien possible que Job éclairé de l’Esprit-Saint comprenait que son adversité provenait du diable avec la permission de Dieu. D’où tout ce qu’il a souffert ou dans ses biens et la perte de ses fils, ou dans l’ulcération de son corps, ou aussi dans les reproches de sa femme et de ses amis, tout cela il l’attribue au diable comme l’instigateur. C’est lui qu’il appelle médisant suscité contre sa face; car il saisissait que la contradiction de ses amis était causée à l’instigation du diable. Et dans cette seconde interprétation le sens est plus normal quand il dit : il a rassemblé sa fureur contre moi; en effet le diable a concentré sa fureur contre Job tandis qu’il s’en prend à lui pour lui nuire de toute manière. Et non seulement il m’affligea mais encore il me menace pour l’avenir; et c’est ce qui suit et menaçant il grince des dents contre moi; et il parle se servant de l’image d’un animal qui menaçant un homme montre les dents. Il dit cela parce qu’Eliphaz lui avait prédit”, sous le personnage d’un méchant, des malheurs jusqu’à la fin de sa vie. Or il saisissait que ces menaces le diable les avait dites par la bouche d’Eliphaz; et donc il dit qu’il avait grincé des dents contre lui.

Non seulement Eliphaz avait usé de menaces en prédisant des malheurs futurs, mais il avait aussi mal jugé de ses actes en le disant impie et hypocrite, et donc il dit : mon ennemi me fixe de ses regards terribles; en effet c’est avec des yeux bienveillants qu’on regarde quelqu’un quand on interprète ses actes avec bonté; mais quand on interprète le bien en mal c’est avec des yeux terribles qu’on le regarde. Et puis il dit : contre moi ils ouvrent la bouche, à savoir, mes amis excités par mon ennemi; et il expose cela en disant : m’outrageant ils m’ont giflé, en effet on dit que quelqu’un frappe au visage quand il outrage un autre en face; or les amis de Job ont proféré bien des outrages contre lui en lui reprochant ses péchés. Et parce que les j hommes justes qui voient les péchés punis se réjouissent de ce que la justice est faite, selon la parole du psaume " le juste se réjouit quand il voit la vengeance " (57, 11), les amis de Job s’estimant être justes et Job pécheur, se réjouissaient en quelque sorte de ses souffrances, comme en félicitant la divine justice; et donc ce qui suit ils se rassasient de mes souffrances.

Et pour qu’on ne croie pas que Job penserait que ces peines ne lui ont pas été infligées par Dieu parce qu’il a dit que l’ennemi l’a affligé, pour écarter cela il dit : Dieu m’a mis près de l’injuste, à savoir le diable; c’est-à-dire m’abandonnant à son pouvoir. Et il m’a livré aux mains des méchants quant à ceux qui sous l’instigation du diable l’affligent par des actes ou par des paroles; en effet Job a compris que ses afflictions lui ont été infligées par le diable lui même, mais avec la permission de Dieu; et il en donne quatre signes évidents d’abord que ce n’est pas insensiblement qu’il est déchu de la plus grande prospérité comme cela arrive dans les choses humaines, mais il s’est effondré subitement et totalement, ce qui ne peut se produire par un hasard soudain mais par la seule ordonnance divine et c’est ce qu’il dit : moi le plus opulent d’autrefois soudain suis écrasé; dans le mot opulent il désigne ses richesses et l’emphase du moi désigne la gloire de la renommée auprès des hommes. Le second signe est qu’il s’est effondré totalement et il signifie cela en disant : il m’a saisi la nuque et il m’a brisé, c’est l’image d’un homme très robuste qui ayant saisi la nuque d’un plus faible la lui brise et ainsi lui ôte totalement la vie; c’est ainsi en effet que Job avait perdu totalement son état prospère. Le troisième signe (de l’intervention du diable) est que ce n’est pas une seule adversité mais plusieurs à la fois qui l’ont écrasé et quant à cela il dit : il s’est servi de moi comme d’une cible qu’on place pour y lancer des flèches. Et donc il dit : il m’a entouré de lances : où il présente la multitude de ses adversités en trois choses : d’abord en effet il a été atteint extérieurement dans ses possessions et à cela se rapporte il m’a entouré de lances, en effet les choses extérieures sont comme à l’entour de nous. Alors l’homme est donc entouré des lances de l’adversité quand il subit des dommages dans les biens extérieurs. Ensuite il dit qu’il est frappé intérieurement quant à son affliction du corps et c’est ce qu’il dit : il a transpercé mes reins, il veut dire : non seulement je suis blessé tout autour par ces lances mais les blessures sont profondes jusqu’à l’intérieur, là où je trouvais le plaisir; ce que signifie les reins où est le plaisir et aussi l’origine de la génération; de là aussi est signifiée la perte de ses fils et en outre il exprime le grand nombre de coups et l’intensité dé ses douleurs lorsqu’il dit : sans m’épargner comme retirant la main qui frappe pour ne pas blesser trop gravement, mais il m’a blessé très gravement et il le dit : il a répandu mes entrailles sur la terre, car il a fait disparaître en une fois tous mes fils et mes filles. Enfin il montre le grand nombre de coups qu’il a reçus en sa propre personne et il dit : il me frappe, blessure à savoir l’ulcère malin, sur blessure s’ajoutant à celle de la mort de ses fils. Le dernier signe est que sa tribulation venant de la divine providence il n’était pas possible d’y résister ni d’y apporter un remède, selon ce qui est dit plus haut Dieu dont le courroux est irrésistible (9, 13) et il dit : pour cela il se précipite sur moi tel un géant auquel le faible ne peut opposer aucune résistance, suite à la grandeur de sa puissance. Et tout cela peut s’entendre ou de Dieu qui l’a saisi ou du diable auprès duquel il l’a placé.

Et tout cela Job l’a rappelé au sujet de la grandeur de son adversité pour montrer qu’il ne pouvait pas discuter d’égal à égal avec eux qui n’ont rien eu à souffrir. Or Eliphaz l’avait noté comme un orgueilleux en disant : Pourquoi ton cœur s’élève-t-il "ce qui eut été d’autant plus détestable que de lourdes adversités n’avaient pu l’amender, comme le dit un psaume contre quelques uns "Malmenés ils ne se sont pas repentis" (34, 16). Et donc ayant décrit son adversité, il expose maintenant son humiliation : d’abord quant à son vêtement, lorsqu’il dit : J’ai cousu un sac sur ma peau; en effet cet accoutrement est signe d’humilité, comme on le lit des Ninivites en Jonas (3, 6) De même aussi la cendre sert à reconnaître sa propre fragilité, d’où ce que dit Abraham "Je parlerai à mon Seigneur moi qui suis poussière et cendre" (Gn 18, 27) et il dit : donc J’ai couvert ma chair de cendre et on dit en effet plus haut qu’il était assis sur un tas d’ordures en signe d’humilité. Ensuite il montre son humilité par l’abondance de ses larmes dont il donne deux signes : d’abord l’enflure du visage quand il dit : ma face s’est enflée à cause de mes pleurs, en effet par l’abondante montée des larmes vers la tête le visage de ceux qui pleurent vient a s’enfler; ensuite l’obstacle à la vue, qu’il exprime Et mes paupières se sont obscurcies c’est-à-dire à cause des pleurs; littéralement, à cause de la présence des humeurs, la vue est obscurcie dans ses yeux.

De ce qu’il a dit auparavant de la gravité de son adversité et de la grandeur de son humiliation on pourrait y voir un aveu de la gravité de ses péchés parce qu’il s’est humilié dans la pénitence et s’estimant affligé pour ses péchés; ce qu’Eliphaz entendait exprimer en disant : Voici parmi les saints aucun n’est stable (15, 15) donc il veut réfuter cela J’ai souffert ces choses sans que mes mains aient péché, par quoi il exclut le péché par actions. Puis il dit : alors que mes prières devant Dieu étaient pures pour exclure le péché d’indifférence et d’omission et par quoi il répond au dire de Sophar (11, 14) Si tu enlèves l’iniquité de ta main tu pourras élever des mains purifiées". Mais afin de rejeter l’innocence de Job, Eliphaz avait par deux fois usé de l’argument tiré de la fragilité de la nature terrestre. Voici ceux qui le servent ne sont pas fermes, combien plus ceux qui habitent des maisons d’argile (4, 19) et plus loin Les cieux devant Lui ne sont pas purs, combien plus l’homme est-il en abomination et néant (15, 16) et donc il rejette cela Terre, ne recouvre pas mon sang : par le sang il entend l’affliction de son corps. Or ce sang serait recouvert s’il était versé pour le péché et ainsi il n’aurait rien de glorieux. La terre le couvrirait, si étant donné la fragilité terrestre on pouvait présumer une faute précédente. Mais si son sang fut versé sans qu’il y eut faute il peut justement en vouloir à celui qui l’a répandu, comme on le lit dans la Genèse (4, 10) Voici que le sang de ton frère crie vengeance contre toi de la terre". Or cette clameur demeurerait cachée si sa plainte paraissait injustifiée comme de celui qui est puni pour une faute donc il dit : et qu’auprès de toi ma clameur ne soit pas étouffée c’est-à-dire que la fragilité de la condition terrestre ne soit pas un prétexte à rendre injuste ma plainte comme ayant commis une faute. Il est certain qu’il est difficile à l’homme d’user de sa condition terrestre sans pécher mortellement. Ce n’est pas impossible avec l’aide de Dieu qui est aussi le témoin de notre pureté d’intention, et donc il dit : Voici qu’en effet au ciel est mon témoin; il veut dire que la terre ne peut couvrir le sang, car plus grand est le témoignage du ciel que la prévention de la fragilité terrestre. Or ce témoignage céleste est valable, car il est en accord avec les secrets de la conscience, d’où il dit : ma conscience est là-haut, comme s’il disait : ma clameur ne peut trouver où se cacher sur cette humble terre, car ma conscience est connue là haut.

 

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Fausses paroles de mes amis" (Job 16, 21-22)

 

21 Mes amis sont des bavards, Et mes yeux vers Dieu versent des pleurs. 22 Plût au ciel que devant Dieu l’homme soit jugé comme est jugé un fils d’homme devant son collègue, 23 Voici en effet que nos courtes années ont passé; J’avance dans une voie où je ne reviendrai plus.

 

Après avoir décrit la grandeur de son adversité, son humilité et son innocence, Job continue afin de réprouver la vanité des consolations que ses amis ressassent sans fin, à savoir l’espoir de retrouver sa prospérité temporelle selon ce qu’avait dit Eliphaz " Est-ce grand’chose pour Dieu de te consoler " (15, 11). Et pour montrer la vanité d’une telle consolation Mes amis sont des bavards, autrement dit : leurs promesses sont de vains mots; en effet ma consolation n’est pas dans le recouvrement de choses temporelles, mais dans la jouissance de Dieu; et il le dit : et vers Dieu mes yeux versent des larmes à savoir le désir de Dieu le fait pleurer, selon le psaume (41, 4) Mes larmes m’ont été du pain jour et nuit, tandis qu’on me dit : où est ton Dieu?"

Et il expose cela en disant : Plût au ciel que devant Dieu l’homme soit jugé, comme devant son collègue est jugé un fils d’homme! En effet l’homme est jugé devant un autre quand ils se trouvent en présence et qu’ils sortent mutuellement leurs raisons. Il désire donc se trouver en présence de Dieu et connaître les raisons des œuvres et des jugements divins, ce en quoi consiste la félicité humaine; se fondant sur cet espoir, il trouvait consolation et non dans les vaines paroles de ses amis qui lui promettaient le recouvrement de sa prospérité temporelle; et donc pour montrer la vanité d’une telle promesse il ajoute : Voici qu’en effet nos courtes années ont passé, comme pour dire : l’homme vit peu de temps, comme il l’a dit plus haut (14, 1); or une grande partie de la vie de Job a passé; donc peu d’années lui restent dans lesquelles, s’il y a quelque prospérité, il n’en retirerait que peu de consolation à cause de la brièveté du temps. Certains ont cru qu’après la mort l’homme revient au même cours que celui de la vie présente.

 Et ainsi il serait possible à Job de se consoler dans l’espoir de recouvrer la prospérité d’antan au moins dans une nouvelle vie. Et donc pour exclure cela il dit : j’avance dans une voie où je ne reviendrai plus; L'homme en effet en cette vie mortelle au gré des temps va vers la mort et en ce déroulement, il n'y a pas de répétition, en sorte que l'homme soit enfant à nouveau et parcoure tous les ages.

 

 

Caput 17

Job 17 — Job compte seulement sur l'amitié divine (Job 17, 1-9)

 

CONFÉRENCE 1 — Job en appelle à Dieu (Job 17, 1-9)

 

1 Mon souffle s'épuise, mes jours s'éteignent, il ne me reste plus que le tombeau. 2 Je suis environné de moqueurs, mon œil veille au milieu de leurs outrages. 3 O Dieu, fais-toi auprès de toi-même ma caution : quel autre voudrait me frapper dans la main? 4 Car tu as fermé leur cœur à la sagesse; ne permets donc pas qu'ils s'élèvent. 5 Tel invite ses amis au partage, quand défaillent les yeux de ses enfants. 6 Il a fait de moi la risée des peuples; je suis l'homme à qui l'on crache au visage. 7 Mon œil est voilé par le chagrin, et tous mes membres ne sont plus qu'une ombre. 8 Les hommes droits en sont stupéfaits, et l'innocent s'irrite contre l'impie. 9 Le juste néanmoins demeure ferme dans sa voie, et qui a les mains pures redouble de courage.

1 Mon souffle s'atténue, mes jours raccourcissent I ne me reste plus que le tombeau. 2 Je n’ai pas péché, t sur des choses amères s’attarde mon regard. 3 Délivre-moi, Seigneur, et place moi près de toi : Et qu’alors toute main lutte contre moi. 4Tu éloignas leur cœur de la discipline; pour cela ils ne seront pas élevés. 5 Un butin est promis à ses compagnons; Et ses enfants n'en verront rien. 5 Je suis devenu la fable du peuple t un exemple devant eux. 7 L’indignation a obscurci mon œil : Comme à néant mes membres sont réduits. 8 Les justes en sont stupéfaits; L'innocent s’indigne contre l’hypocrite. 9 Le juste gardera sa voie; Le courage grandit pour ceux qui sont purs.

[84915] Super Iob, cap. 17 Spiritus meus attenuabitur et cetera. Ostenderat superius Iob multiplicitatem suae afflictionis et mentis humilitatem et innocentiam et vitae irrevertibilis brevitatem ex qua verbositas amicorum eius convincebatur, et ideo in hoc capitulo intendit manifestare praemissa et finaliter eorum ignorantiam concludere. Primo autem incipit manifestare quod dixerat de processu vitae humanae, et praemittit causam brevitatis vitae, cum dicit spiritus meus attenuabitur: vita enim corporis est per vitales spiritus qui a corde ad omnia membra diffunduntur, qui quandiu in corpore durant corpus vivit; sed quando virtus caloris naturalis incipit debilitari in corde, huiusmodi spiritus minuuntur, quam quidem diminutionem et debilitationem per spiritus attenuationem designat. Et huius causae subiungit effectum dicens dies mei breviabuntur: debilitas enim vitalis spiritus abbreviat dies vitae. Et ne aliquis crederet quod attenuatus spiritus iterum roborandus esset secundum speciem huius vitae mortalis, ad hoc excludendum subdit et solum mihi superest sepulcrum, quasi dicat: finitis huius brevibus vitae diebus, nihil de praesenti vita mihi relinquitur nisi sepulcrum et ea quae sepulcro conveniunt. Deinde alio modo consolationis eorum vanum ostendit: consolabantur enim eum dicentes huiusmodi adversitates propter peccata ei provenisse, de quibus si paeniteret ad prosperitatem rediret; sed ipse hoc excludens dicit non peccavi, quia scilicet non habebat conscientiam remordentem de aliquo gravi peccato propter quod tantas adversitates incurrisset, unde et infra XXVII 6 dicit neque enim reprehendit me cor meum in omni vita mea et ideo non est contra id quod dicitur I Ioh. I 8 si dixerimus quia peccatum non habemus, ipsi nos seducimus, et per hoc exprimit quod supra dixerat de sua innocentia haec passus sum absque iniquitate manus meae. Subdit autem et in amaritudinibus moratur oculus meus; pluraliter autem dicit amaritudinibus, propter multiplices adversitates quas supra enumeravit; dicit autem moratur, quia quamvis inter amaritudines se humiliaverit saccum consuens super cutem suam, adhuc tamen amaritudines perseverant; attribuit autem amaritudines oculo propter fletum, de quo supra dixerat facies mea intumuit a fletu, et iterum ad Deum stillat oculus meus, quia sic oculus eius flebat inter amaritudines quod ad solum divinum auxilium intendebat, et ideo hic subditur libera me: intelligebat enim se ab eo solo liberari posse qui eum apud iniquum concluserat. Non autem sic se liberari ab adversitate petebat sicut qui post adversitatem prosperitatem terrenam assequuntur, sed petit ut ad celsitudinem spiritualem perducatur, unde subdit et pone me iuxta te: quia enim Deus est ipsa essentia bonitatis, necesse est ut qui iuxta Deum ponitur a malo liberetur. Ponitur autem homo iuxta Deum inquantum ei mente appropinquat per cognitionem et amorem, sed hoc quidem imperfecte contingit in statu viae in quo homo impugnationes patitur, et quia est iuxta Deum positus ab eis non superatur; perfecte autem homo mente iuxta Deum ponitur in statu ultimae felicitatis in quo impugnationes iam pati non potest, et hoc est quod desiderare se ostendit dicens et cuiusvis manus pugnet contra me, quia scilicet quantumcumque aliqui me velint impugnare, si iuxta te perfecte positus fuero nullius impugnatio me molestabit: hoc est ergo in quo Iob inter amaritudines consolationem habebat, sperans se iuxta Deum ponendum ubi impugnationes timere non posset. Hanc autem spiritualem consolationem ipsius Iob amici eius verbosi non intelligebant, et ideo subdit cor eorum longe fecisti a disciplina, scilicet tua spirituali, per quam doces spiritualia bona contemptis temporalibus sperare; et quia in solis temporalibus et infimis rebus spem ponunt, ad spiritualem altitudinem pervenire non possunt ut iuxta Deum ponantur, et hoc est quod subdit propterea non exaltabuntur. Et ex hoc quod longe facti sunt a disciplina spirituali, procedit quod sola temporalia Eliphaz Iob in consolationem promittebat, et hoc est quod subdit praedam pollicetur sociis, idest temporalium adeptionem quae uni advenire non possunt nisi alio amittente, unde temporalium acquisitio depraedationi assimulatur. Non est autem hoc universaliter verum ut post poenitentiam homines temporalem prosperitatem recuperent, quia nec boni semper temporali prosperitate florent, unde subdit et oculi filiorum eius deficient; filios eius dicit illos qui eius promissioni credentes ex bonis quae agunt temporalia sperant, sed dum ea non assequuntur oculi eorum deficiunt, quasi a spe sua decidentes. Sicut autem bene agentibus temporalia Eliphaz promittebat, ita etiam omnes adversitates temporales propter peccata eius qui patitur asserebat provenire; et quia Iob multas adversitates passus erat, eum in exemplum apud vulgus ponebat, et hoc est quod subdit posuit me quasi in proverbium vulgi et exemplum suum coram eis, quia scilicet ad suam sententiam asserendam de causa adversitatum Iob in exemplum ponebat, ac si esset pro peccato punitus. Pertinet autem ad iustorum zelum ut videntes per falsam doctrinam rectitudinem divinorum iudiciorum perverti indignentur, et ideo Iob consequenter magnitudinem sui zeli ostendit dupliciter: primo quidem per quandam mentis turbationem - ira enim per vitium oculum caecat, sed ira per zelum oculum turbat, ut Gregorius dicit -, et ideo subdit caligavit ad indignationem oculus meus, scilicet rationis, cuius acies est per iram zeli turbata; secundo per hoc quod ira per zelum etiam in corpore ex dolore quandam commotionem facit - unde dicitur I Mach. II 24 quod Mathathias videns Iudaeum idolis sacrificantem doluit et contremuerunt renes eius -, et ideo hic subditur et membra mea quasi in nihilum sunt redacta, inquantum scilicet per dolorem corpus hominis tabescere videtur. Posset autem aliquis credere quod ista oculi caligatio contra iustitiam esset et indignatio contra innocentiam, et ideo ad hoc excludendum subdit stupebunt iusti super hoc, quasi diceret: etiam ad iustos pertinet ut videntes malorum doctrinam obstupescant, et hunc stuporem supra caligationem dixit. Sequitur autem et innocens contra hypocritam suscitabitur, quasi dicat: non est contra innocentiam si aliquis contra hypocritam perversorem verae doctrinae per zelum iustitiae indignatus concitetur. Et quia, ut dictum est, ira per zelum animum turbat sed non caecat, sic vir iustus stupet vel caligat ex zelo quod tamen a iustitia non recedit, et hoc est quod subdit et tenebit iustus viam suam, quia scilicet non deseret eam propter iram zeli: talis enim ira non praecedit rationem sed sequitur, et ideo non potest hominem a iustitia separare; utilis enim est ira per zelum quia facit hominem cum maiore animi fortitudine insurgere contra mala, et hoc est quod subdit et mundis manibus addet fortitudinem, concitatus scilicet per zelum, unde et philosophus dicit in III Ethicorum quod ira fortitudinem iuvat. Igitur vos omnes convertimini et cetera. Postquam Iob proposuerat ea ex quibus sententia Eliphaz confutatur, hic colligit praemissa et ordinat ea ad propositum ostendendum. Et primo excitat attentionem dicens igitur, ex quo scilicet praedicta sunt vera, vos omnes, qui scilicet contra me convenistis et patres vestri, convertimini a vestris erroribus, et venite ad veritatem considerandam, qua perspecta patebit quantum a vera sapientia longe sitis, et hoc est quod subdit et non inveniam in vobis ullum sapientem, et hoc dicit ad reprimendam iactantiam Eliphaz, qui supra XV 9 dixerat quid nosti quod ignoremus etc., et iterum sapientes confitentur et cetera. In hoc autem praecipue eorum insipientiam ostendere intendit quod ei consolationem temporalis prosperitatis promittebant, contra quod primo proponit tempus vitae suae iam in magna parte esse elapsum, et hoc est quod dicit dies mei transierunt. Deinde proponit mala quae patitur cum subdit cogitationes meae dissipatae sunt, idest impeditae a quieta contemplatione sapientiae propter acerbitatem corporalis doloris, et hoc est quod subdit torquentes cor meum, quia videlicet eius cogitationes a suavi consideratione veritatis erant deductae in amaritudinem qua cor torquebatur. Hoc autem tormentum cordis nec nox interrumpebat quae est tempus deputatum humanae quieti, unde subdit noctem verterunt in diem, quia videlicet propter praedictas cogitationes noctem ducebat insomnem sicut diem. Est autem gravius pati somni defectum in nocte quam in die, quia in die relevatur animus hominis ex hominum societate et lucis aspectu: et ideo dum nox ei esset insomnis desiderabat eam cito finiri, et hoc est quod subdit et rursum post tenebras spero lucem, idest spero quod lux diei post tenebras noctis rursus adveniat. Sed quia Eliphaz eum inducebat ut omnia adversa patienter toleraret sub expectatione futuri, ideo consequenter ostendit quid sibi in futurum de temporalibus rebus residuum videatur, unde dicit si sustinuero, idest patienter portavero huiusmodi dolores, nihil mihi restat nisi habitatio sepulcri, et hoc est quod dicit Infernus domus mea est; vocat autem Infernum sepulcrum secundum opinionem eorum contra quos disputabat, qui non credebant animam hominis remanere post mortem sed solum corpus in sepulcro, quod vocabant Infernum quia infra terram situatur. Homo autem in sepulcro iacens tenebras patitur tum propter defectum sensus tum etiam propter defectum exterioris lucis, et ideo subdit in tenebris stravi lectulum meum. Sicut autem homo nascens a parentibus originem sumit ex qua cum eis affinitatem contrahit, ita post mortem in sepulcro iacens in putredinem et vermes resolvitur quae ex eius corpore generantur, et ideo subdit putredini dixi: pater meus es; mater mea et soror mea, vermibus, quasi dicat: cum nulla alia re temporali remanebit mihi affinitas in sepulcro nisi cum putredine et vermibus. Ex his ergo quasi ad inconveniens deducens concludit dicens ubi est ergo nunc praestolatio mea? Quasi diceret: si propter expectationem temporalis prosperitatis consolarer, vana esset expectatio mea. Et iterum ad maius inconveniens deducit subdens et patientiam meam quis considerat? Quasi dicat: si sustinuero per patientiam, nihilominus non restat nisi sepulcrum et eius tenebrae, putredines et vermes; si ergo propter temporalia bona promerenda a Deo patientiam haberem, sequeretur quod Deus patientiam non consideraret, quod est abnegare providentiam. Et ne forte aliquis diceret quod etiam in sepulcro temporalis prosperitas sibi daretur a Deo, ideo hoc quasi irridens subdit in profundissimum Infernum descendent omnia mea, idest quicquid meum est ad sepulcrum deducetur quod mihi solum superest; putasne saltem ibi erit requies mihi? Idest numquid ibi etiam debeo expectare prosperitatem terrenam? Manifestum est hoc ridiculum esse.

Job avait montré plus haut le grand nombre de ses épreuves, son humiliation, son innocence et la brièveté d’une vie définitivement perdue, ainsi il convainquait ses amis de verbiage; et donc en ce chapitre il veut prouver ce qu’il vient d’avancer et finalement conclure à leur ignorance. D’abord il montre ce qu’il pense du cours de la vie humaine; et il fait précéder la cause de la brièveté de la vie, quand il dit : mon souffle s’atténue; en effet la vie du corps vient des souffles vitaux qui du cœur se diffusent vers les membres et aussi longtemps qu’ils durent le corps est en vie; mais lorsque le pouvoir calorique naturel se débilite dans le cœur, ce souffle diminue. Le souffle qui s’atténue désigne cette diminution et cette débilité et par le truchement de cette cause il en déduit l’effet en disant : mes jours raccourcissent; en effet la débilité de l’esprit vital raccourcit les jours de la vie. Et pour qu’on ne croie pas que le souffle perdu puisse retrouver sa force selon le mode de cette vie mortelle il l’écarte et dit : Il ne me reste plus que le tombeau, comme s’il disait : une fois fini le peu de jours de la vie, il ne reste plus rien pour moi de la vie présente que le tombeau et ce qui convient au tombeau.

Ensuite il montre d’une autre manière la vanité de leur consolation; en effet ils le consolaient en disant que ses péchés étaient la cause de ces adversités, que s’il s’en repentait, il reviendrait à sa prospérité; mais il exclut cela en disant : je n’ai pas péché car sa conscience ne lui causait aucun remords de quelque péché grave pour lequel il serait tombé en une si grande adversité. D’où il dira plus loin : car mon cœur ne m’a rien reproché dans toute ma vie (27, 6). Et donc ce n’est pas contraire à ce qu’écrit saint Jean " Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes " (i ainsi il exprime ce qu’il a dit plus haut de son innocence J’ai subi ces choses sans que mes mains aient péché (16, 18); et il ajoute : et sur des choses amères s’attarde mon œil, il parle au pluriel de choses amères à cause des nombreuses adversités qu’il a énumérées. Il dit que son regard s’attarde, car bien que dans ces choses amères il se soit humilié en cousant un sac sur sa peau, cependant cette amertume continue Il rapporte ces amertumes à son œil à cause des pleurs dont il a parlé : "Mon visage est gonfle par les pleurs" (16 17) et encore " Mon œil pleure vers Dieu " (ib 21), car au milieu de ces choses amères son œil pleurait tout en attendant le secours divin , et c’est pourquoi il dit : ici délivre moi, Seigneur, il comprenait que Lui seul pouvait le délivrer qui l’avait mis entre les mains de l’inique. Mais il ne demandait pas ainsi d’être délivré de l’adversité qu’il obtienne après elle la prospérité terrestre, mais il demande d’être conduit vers les hauteurs spirituelles, d’où il dit et mets moi près de toi, parce qu’en effet Dieu est l’essence même du bien, il est nécessaire que celui qui se trouve près de lui soit libéré du mal Or l’homme est mis près de Dieu en tant qu’il en approche par l’esprit dans la connaissance et l’amour, mais dans l’état de voie, cela n’est réalise qu’imparfaitement ou l’homme est soumis a des assauts , et celui qui est auprès de Dieu peut les surmonter. On est placé près de Dieu parfaitement en esprit lors de l’ultime félicité dans laquelle on ne peut plus subir d’attaques. Et c’est ce qu’il désire en disant : et qu’alors toute main lutte contre moi; car quelles que soient les attaques qu’on me fasse si je suis placé auprès de toi parfaitement, aucune attaque ne peut me nuire. C’est donc en cela que Job trouvait sa consolation espérant être auprès de Dieu où il ne craindrait plus rien.

Or cette consolation spirituelle les amis bavards de Job ne la comprenaient pas; et donc il dit : Tu as éloigné leur cœur de la discipline c’est-à-dire la tienne, qui est spirituelle par laquelle tu enseignes d’espérer les biens spirituels au mépris des biens temporels. Et parce qu’ils mettent leur espoir en ces seules choses temporelles si infimes, ils ne peuvent atteindre aux hauteurs spirituelles et être mis auprès de Dieu; et c’est ce qu’il dit : pour cela ils ne seront pas élevés; de ce qu’ils se sont éloignés de la discipline spirituelle, ils ne promettaient à Job que les seules choses temporelles comme consolation; et il exprime cela par ces mots c’est un butin qu’il promet à ses pairs à savoir l’obtention des choses temporelles qui ne peuvent nous échoir qu’en perdant les autres; ce qui fait que l’acquisition des choses temporelles il l’assimile à une déprédation. Or il n’est pas toujours vrai qu’après la pénitence les hommes retrouvent la prospérité temporelle, car même les bons ne jouissent pas toujours de la prospérité temporelle, d’où on nous dit : et ses enfants n'en verront rien. Les enfants, ce sont ceux qui croyant à sa promesse, du bien qu’ils font espèrent des choses temporelles, et tandis qu’ils ne les obtiennent pas, ils sont leurrés dans leur espoir. Et de même qu’il promettait une récompense temporelle à ceux qui agissent bien, ainsi à ceux qui péchaient Eliphaz promettait des maux de ce monde. Et comme Job avait souffert de nombreuses adversités il le donnait en exemple auprès des simples et donc il dit : Je suis devenu la fable du peuple et un exemple devant eux. Car pour asseoir sa sentence sur la cause des adversités il donnait Job en exemple comme puni pour ses péchés.

Il est permis aux justes de s’indigner quand ils voient qu’une fausse doctrine pervertit la rectitude des jugements divins. Et donc Job montre son très, grand zèle de deux façons : d’abord dans un certain trouble d’esprit; en effet le vice de colère obscurcit la vue mais l’indignation ne fait que la troubler, comme le dit saint Grégoire. Et donc il dit : l’indignation à obscurci ma vue, à savoir celle de la raison dont la pointe s’émousse sous l’indignation. Ensuite cette indignation produit dans le corps par la douleur une certaine commotion; d’où on lit dans le premier livre des Maccabées " Mattiathias voyant un Juif qui sacrifiait aux idoles en fut peiné et ses reins en furent secoués" (2, 23-24) Et donc il dit ici : Comme à néant mes membres sont réduits, à savoir que par la douleur le corps de l’homme dépérit. On pourrait croire que l’obscurcissement de, la vue est contraire à la justice et que l’indignation est contraire à l’innocence et donc pour écarter cela il dit : les justes en sont stupéfaits, il veut dire que les justes peuvent très bien être stupéfaits de la doctrine des méchants et leur stupéfaction dit plus encore que l’obscurcissement; vient ensuite l’innocent s’indigne contre l’hypocrite, ce n’est pas contraire à l’innocence d’être indigné contre l’hypocrite qui pervertit la saine doctrine par zèle de la justice. Et parce que, comme on l’a vu, l’indignation trouble l’âme mais ne l’aveugle pas, le juste est stupéfait et l’indignation obscurcit la vue sans s’écarter de la justice et il le dit : le juste gardera sa voie parce que l’indignation ne la lui fera pas quitter; cette indignation ne prévient pas la raison mais elle la suit; et donc elle ne peut le séparer de la justice. Cependant l’indignation est bonne parce qu’elle rend l’homme plus fort et courageux dans la lutte contre le mal et c’est ce qu’il dit : le courage grandit chez ceux qui sont purs, à savoir sous l’émotion de leur zèle; d’où dans l’Éthique à Nicomaque il est dit que la colère aide la force

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "le ridicule de mes amis" (Job 17, 10-16)

 

10 Mais vous tous, revenez, venez donc; ne trouverai-je pas un sage parmi vous? 11 Mes jours sont écoulés, mes projets anéantis, ces projets que carressait mon cœur. 12 De la nuit ils font le jour; en face des ténèbres, ils disent que la lumière est proche! 13 J'ai beau attendre, le schéol est ma demeure; dans les ténèbres j'ai disposé ma couche. 14 J'ai dit à la fosse : "Tu es mon père; " aux vers : "Vous êtes ma mère et ma sœur!" 15 Où est donc mon espérance? Mon espérance, qui peut la voir? 16 Elle est descendue aux portes du schéol, si du moins dans la poussière on trouve du repos!...

10 Donc vous tous convertissez-vous et venez : et je ne trouverai pas chez vous un seul sage. 11 Mes jours ont passé, mes pensées se sont dispersées, elles torturent mon cœur. 12 On a changé mes nuits en jour, de nouveau après les ténèbres j’espère le jour. 13 Si je patiente, l’enfer est ma demeure et dans les ténèbres j’ai étendu ma couche. 14 J'ai dit à la pourriture : tu es mon père; et aux vers : tu es ma mère et mes sœurs. 15 Où en est donc mon attente Et qui considère ma patience? 16 Dans le plus profond des enfers iront tous mes biens; Pensez-vous qu'au moins là sera mon repos?

Après avoir présenté sa réfutation de la sentence d’Eliphaz, Job rassemble ici ce qu’il a déjà dit et l’ordonne en vue de la démonstration. Et avant, il excite l’attention donc, dit-il, à savoir que ce que j’ai dit est vrai, vous tous c’est-à-dire qui vous êtes ligués contre moi ainsi que vos pères, convertissez-vous de vos erreurs, et venez considérer la vérité, laquelle une fois acquise il ressortira combien vous êtes loin de la vraie sagesse, et donc il dit : je ne trouverai pas chez vous un seul sage. Il dit cela pour réprimer la jactance d’Eliphaz qui avait dit : "que sais-tu que nous ignorions? que saisis-tu que nous ne sachions?" (15, 9) et aussi " les sages reconnaissent ce qu’ils tiennent de leurs pères " (ib. 18).

Et il veut montrer leur sottise principalement en ce qu’ils lui promettaient la consolation d’une prospérité temporelle; là contre il propose le temps de sa vie en majeure partie écoulée, et il dit : donc mes jours ont passés. Puis il montre les maux qu’il souffre lorsqu’il dit : mes pensées se sont dispersées, ne pouvant pas s’appliquer paisiblement à la contemplation de la sagesse, suite à l’excessive douleur du corps, et il dit : elles torturent mon cœur parce qu’en effet ses pensées de suaves qu’elles étaient dans la contemplation s’étaient changées en une amertume qui torturait son cœur. Or ce tourment du cœur la nuit même ne l’interrompait qui est le temps destiné au repos de l’homme et il dit : elles ont changé mes nuits en jour parce que, à cause de ces pensées, il passait des nuits d’insomnie comme si c’était le jour. Et il est plus pénible de souffrir d’insomnie la nuit que le jour; parce que le jour on est réconforté par la société des hommes et le spectacle de la lumière; et comme la nuit il ne pouvait dormir il aspirait à ce qu’elle finisse vite et il le dit : et aussitôt après les ténèbres j’espère le jour, après les ténèbres de la nuit la lumière du jour.

Et comme Eliphaz l’invitait à supporter patiemment toutes les choses adverses dans l’attente de l’avenir, il montre ensuite ce qui peut encore rester dans l’avenir quant aux choses temporelles, et il dit : donc ceci si je patiente : à savoir, si je porte patiemment ces souffrances. il ne me reste plus rien que d’habiter le tombeau et il dit : l’enfer est ma demeure. Il appelle l’enfer un tombeau selon l’opinion de ceux avec qui il discutait, qui ne croyaient pas à la survivance de l’âme après la mort, mais que restait seulement le corps dans le tombeau, qu’ils appelaient l’enfer parce que situé sous terre. Or l’homme étendu dans la tombe subit les ténèbres tant du défaut des sens que du L ‘inexorable destin du méchant manque de lumière et donc il dit : et dans les ténèbres j’ai étendu ma couche. Or de même que l’homme par sa naissance tire son origine de ses parents par laquelle il contracte une affinité avec eux, ainsi après la mort étendu dans la tombe il se résout en pourriture et les vers naissent de son corps; et donc il dit : A la pourriture j’ai dit : tu es mon père et aux vers, vous êtes ma mère et mes sœurs, comme de dire : avec aucune autre chose temporelle je n’aurai d’affinité dans le tombeau qu’avec la pourriture et les vers.

De ces choses donc il conclut à l’absurde en disant : Où est donc mon attente? Il veut dire : si je dois trouver consolation dans l’attente de la prospérité temporelle, ce sera en vain. Et en outre il en déduit plus absurde encore et qui considère ma patience? Il veut dire que s’il souffre patiemment, néanmoins il ne lui reste que le tombeau et ses ténèbres, la pourriture et les vers Si donc c’est pour des biens temporels à mériter de la part de Dieu qu’il aura patienté, il faut croire que Dieu n’aura eu aucune considération pour sa patience; ce qui est nier la providence divine. Et pour qu’on n’objecte pas que même dans la tombe Dieu lui donnera la prospérité il dit presqu’en se moquant dans le plus profond des enfers descendront tous mes biens a savoir tout ce qui est a moi sera amené au tombeau, ce qui reste de moi seulement, Ne penses tu pas qu'au moins la sera pour moi le repos' a savoir dois je attendre la aussi la prospérité terrestre’ C’est manifestement ce qu’il y a de plus ridicule

 

 

 

 

Caput 18

Job 18 — L'inexorable destin du méchant

 

CONFÉRENCE 1 — Baldad : "Le méchant périt toujours!" (Job 18, 1-11)

 

1 Alors Baldad de Suhé prit la parole et dit : 2 Quand donc mettrez-vous un terme à ces discours? Ayez de l'intelligence, puis nous parlerons. 3 Pourquoi nous regardez-vous comme des brutes, et sommes-nous stupides à vos yeux? 4 Toi qui te déchires dans ta fureur, veux-tu qu'à cause de toi la terre devienne déserte, que le rocher soit transporté hors de sa place?

5 Oui, la lumière du méchant s'éteindra, et la flamme de son foyer cessera de briller. 6 Le jour s'obscurcira sous sa tente, sa lampe s'éteindra au-dessus de lui. 7 Ses pas si fermes seront à l'étroit, son propre conseil précipite sa chute. 8 Ses pieds le jettent dans les rets, il marche sur le piège. 9 Le filet saisit ses talons; il est serré dans ses nœuds. 10 Pour lui les lacs sont cachés sous terre, et la trappe est sur son sentier. 11 De tous côtés des terreurs l'assiègent, et le poursuivent pas à pas.

1 Baldad de Shouah répondit : 2 Jusques à quand agiteras-tu des mots? Réfléchis d’abord et parle ensuite. 3 Pourquoi nous prends-tu pour des bêtes Et sommes-nous rabaissés devant toi? 4 La fureur te fait perdre la tête. La terre à cause de toi disparaîtrait-elle, Et les rochers seront-ils déplacés? 5 Est-ce que la lumière de l’impie ne s’éteindra pas, La flamme de son feu ne brillera pas? 6 Dans sa tente la lumière s’obscurcira; Le luminaire d en haut s'éteindra 7 Et ses efforts perdront de leur vigueur Et son projet tournera court. 8 Car il a mis les pieds dans un filet et il avance dans ses mailles. 9 Un lacet retient la plante de son pied, Tandis qu'en lui s'exaspère la soif 10 Pour lui un piège est caché sous terre; Pour lui, une trappe sur sa route. 11 Et partout la crainte et l’épouvante; Il ne sait plus où mettre le pied.

[84916] Super Iob, cap. 18 Respondens autem Baldath Suites et cetera. Quia praemissa verba beati Iob Baldath Suites comprehendere intellectu non potuit, putavit ut quae ipse non intelligebat etiam a dicente inaniter proferrentur, unde in principio suae responsionis dicit usque ad quem finem verba iactabis? Ubi de tribus eum videtur arguere: primo quidem de inefficacia locutionis, ac si praemissa verba Iob ad nihil confirmandum efficaciam haberent, quod significatur in hoc quod dicit usque ad quem finem; secundo arguit eum de vana multiplicatione verborum, ac si praemissis verbis Iob pondus sententiarum deesset, quod significatur in hoc quod dicit verba; tertio notat eum de inordinata connexione verborum, quod significatur in hoc quod dicit iactabis: ille enim dicitur verba iactare qui ea inordinate spargit, quamvis etiam possit hoc tertium ad iactantiam elationis referri. Haec autem tria proveniunt in locutione alicuius ex defectu intellectus; cum eo autem qui deficit intellectu inutilis est collatio, et ideo subdit intellige prius et sic loquamur, quasi dicat: ex hoc quod inefficaciter, leviter et inordinate loqueris patet quod deficis intellectu, unde prius insiste ut intelligas et postea poterimus conferre ad invicem. Deinde arguit eum de praesumptione quia eos non reputaverat sapientes cum dixit non inveniam in vobis ullum sapientem, et ideo ad hoc respondens subdit quare reputati sumus ut iumenta et sorduimus coram te? Homo enim qui sapientia caret similis iumentis videtur et sordidus, quia in sapientia honor hominis et ornatus consistit. Consequenter reprehendit eum de iracundia quia dixerat caligavit ad indignationem oculus meus, quod prave intellexerat credens quod esset talis indignatio quae ei lumen sapientiae abstulisset, non attendens id quod postea dixerat et tenebit iustus viam suam, et ideo subdit quid perdis animam tuam in furore tuo? Ille enim in furore animam perdit qui propter furorem a sapientia et iustitia excidit quae sunt praecipue animae bona. His igitur praemissis quibus personam Iob notavit de defectu intellectus, de praesumptione et de furore, accedit consequenter ad principale propositum de quo controversia vertebatur, scilicet quod adversitates praesentis vitae erant poenae peccatorum, contra quod Iob dixit non peccavi, et in amaritudinibus moratur oculus meus. Sed quia Baldath ad assertionem suae sententiae rationibus uti non poterat, voluit suam sententiam astruere quasi ex communi opinione firmissimam, et ideo comparavit eam rebus quae amoveri non possunt, scilicet terrae et rupibus, unde dicit numquid propter te derelinquetur terra et transferentur rupes de loco suo? Quasi dicat: haec sententia, quod adversitates accidunt pro peccatis, firma est sicut terra et rupes: numquid ergo poterit removeri propter tuas disputationes ut innocens comproberis? Deinde prosequitur diffusius suam sententiam, enarrans per singula mala quae peccatoribus proveniunt, inter quae primo ponit cessationem prosperorum successuum, quos comparat luci quia qui ambulat in luce non offendit, ut dicitur Ioh. XI 9, unde videntur in luce ambulare quibus omnia prospere succedunt ad votum; de huius ergo lucis, idest prosperitatis, amissione dicit nonne lux impii extinguetur, idest prosperitas cessabit? Sicut autem lux corporalis ex flamma ignis procedit, ita etiam claritas prosperitatis ex hominis affectu procedit dum sibi provenit quod optat, et ideo subdit nec splendebit flamma ignis eius? Per ignem enim ardor amoris significari solet, secundum illud Cant. VIII 6 lampades eius, lampades ignis atque flammarum. Est autem considerandum quod prosperitas successus humani ex duplici causa procedit: quandoque quidem ex humana providentia, puta cum homo prudenter et caute singula quaeque disponit, et quantum ad hoc de cessatione prosperitatis dicit lux obtenebrescet in tabernaculo illius, quia scilicet tam ipse quam sui familiares prudentia in consiliis carebunt; quandoque vero prosperitas humani successus ex causa superiori procedit, scilicet ex divina providentia, et quantum ad hoc cessationem prosperitatis describens dicit et lucerna quae super eum est extinguetur, non quidem ut in se non luceat sed ut impium non illustret. Et bene providentiam hominis lucem dixit quasi ab alio mutuatam, providentiam Dei lucernam quasi per se lucentem. Praemisit autem de luce humanae providentiae, quia per hoc quod homo lucem rationis dimittit videtur mereri ut luce divinae providentiae non protegatur. Consequenter post cessationem prosperitatis subiungit de adversitate, circa quam primo ponit impedimenta operationis et conatus; ex duobus autem homo nititur ad effectum suae operationis pervenire: uno modo per propriam fortitudinem, et contra hoc dicit artabuntur gressus virtutis eius, quia videlicet conatus fortitudinis eius amplos processus habere non potuit; alio modo conatur homo ad aliquid obtinendum per sapientiam, et quantum ad hoc dicit et praecipitabit eum consilium suum, dum scilicet id quod excogitavit tamquam utile fiat ei damnosum. Horum autem impedimentorum causam ex ipso eius peccato dicit procedere cum subdit immisit enim in rete pedes suos: sicut enim ille qui sponte ponit pedem in reti se praeparat captioni, ita ille qui se sponte ingerit ad peccandum ad hoc se disponit ut processus eius impediantur, secundum illud Prov. V 22 iniquitates suae capiunt impium; et sicut in reti sunt diversae maculae, ita etiam in peccato sunt multae diversitates quibus homines diversimode illaqueantur, et ideo subdit et in maculis eius ambulat, dum scilicet procedit de uno genere peccati in aliud vel de uno modo peccandi in alium. Et quia ipse sponte ingerit se periculis et non desistit sed semper procedit ulterius, ideo quandoque impedimentum sentiet, unde subdit tenebitur planta illius laqueo, idest processus voluntatis et operationis eius aliquo contrario impedietur. Huiusmodi autem nocumenta ex triplici causa proveniunt in peccato procedentibus: primo quidem ex parte ipsius peccantis qui quanto plus peccat tanto plus auget sibi desiderium peccandi, et quantum ad hoc subdit et exardescet contra eum sitis, quia videlicet quandoque homo peccator ex ratione considerat aliquid sibi esse nocivum, sed fervens desiderium peccandi compellit eum contra suam sententiam agere. Secundo, causa nocumenti est quandoque ex ipsis rebus in quibus peccat, sicut dicit Eccl. V 12 divitiae conservantur in malum domini sui; huiusmodi autem nocumenta proveniunt quandoque ex rebus iam adeptis, et quantum ad hoc dicit abscondita est in terra pedica eius, quia videlicet in ipsis terrenis rebus latet aliquod periculum unde pedes peccatoris capiantur; quandoque autem huiusmodi nocumenta proveniunt dum homo est in via acquirendi, et quantum ad hoc dicit et decipula eius super semitam, quia videlicet antequam adipiscatur peccator quod quaerit, in ipsa via latent eius pericula. Tertio causantur huiusmodi nocumenta ex parte aliorum hominum quorum insidiae et impugnationes formidantur, unde subdit undique terrebunt eum formidines, quia, ut dicitur Sap. XVII 10, cum sit timida nequitia, data est in omnium condemnationem; cum autem homo ab omnibus sibi cavet, necesse est quod in multis actus eius impediantur, unde subdit et involvent pedes eius, ut scilicet non possit quoquam libere procedere. Attenuetur fame robur eius et cetera. Praemiserat Baldath poenas peccatorum ad exteriores adversitates pertinentes, hic autem incipit prosequi poenas pertinentes ad personas eorum. Est autem considerandum quod ipsa peccata exterioribus adversitatibus implicant, et ideo adversitates exteriores prosecutus est praenuntiando quasi cum quadam certitudine; poenae autem corporales non videntur directe causari ex ipsis peccatis nisi forte ex aliquibus, sicut praecipue ex gula et luxuria quibus aliquis in proprium corpus peccat, et ideo corporales poenas non prosequitur denuntiando sed magis imprecando. Praemittit autem poenas corporales praecedentes mortem, et quia per nutrimentum conservatur vita, primo imprecatur ei nutrimenti subtractionem ex qua primitus homo incipit debilitari, et quantum ad hoc dicit attenuetur fame robur eius. Deinde autem deficiente nutrimento, etiam subtrahitur vita, et quantum ad hoc subdit et inedia invadat costas eius, per quod significatur debilitatio vitalium operationum, quarum principium est cor quod sub costis continetur. Corporis autem bona quae per famem attenuari incipiunt per mortem totaliter consumuntur; bona autem praecipua corporis videntur esse pulcritudo et fortitudo, et ideo subdit devoret pulcritudinem cutis eius, quia scilicet pulcritudo in exteriori apparentia consideratur, et consumat brachia illius, in quibus praecipue attenditur fortitudo, primogenita mors, idest tempestiva, naturalis aetatis finem praeveniens. Mortuus autem homo a domo sua exportatur, et quantum ad hoc subdit avellatur de tabernaculo suo fiducia eius, quia scilicet spem suam non in Deo posuit sed in opulentia et gloria domus suae, de qua post mortem eicitur. Eiectus autem de domo sua, sepulcro includitur ubi totaliter exterminatur a morte, et quantum ad hoc subdit et calcet super eum quasi rex interitus, quia scilicet mors quasi regis plena potestate eum in pulverem conterit. Eo autem egresso de domo eius, remanent mortui domestici cum quibus in vita societatem habuit, et quantum ad hoc subdit habitent in tabernaculo eius socii illius qui non est, idest mortui qui iam esse desiit in rebus humanis. Domestici autem, patrono mortuo, luctum agunt et aliqua signa tristitiae demonstrant vel quantum ad nigras et sordidas vestes vel etiam quantum ad aliquos fetidos odores, et quantum ad hoc dicit aspergatur in tabernaculo illius sulphur, per quod intelliguntur omnia quae possunt esse signa tristitiae, sicut et boni odores assumuntur in signum laetitiae. Homine autem mortuo, frequenter omnia quae fuerunt eius depereunt, quod consequenter ostendens primo incipit a terraenascentibus, quorum quaedam eo mortuo remanent adhuc seminata, et quantum ad haec dicit deorsum radices eius siccentur, ut scilicet si quid seminavit vel plantavit destruatur ut fructum non ferat; quaedam vero iam sunt perducta ad fructum, et quantum ad haec subdit sursum autem atteratur messis eius; et potest hoc referri ad quaecumque negotia inchoata vel iam pene perfecta. Deinde procedit ad famam quae de homine remanet post mortem, ex qua quidam desiderant se in memoriis hominum victuros et gloriam habere etiam post mortem, unde quantum ad deletionem peccatoris de memoriis hominum subdit memoria illius pereat de terra; quantum autem ad cessationem celebris famae ipsius subdit et non celebretur nomen eius in plateis, quod signanter dicit quia non est celebritas nominis nisi apud multitudinem, quae in plateis solet inveniri. Et sic cessante memoria et nominis celebritate, claritas gloriae eius commutabitur in tenebras perpetuae oblivionis, et hoc est quod subdit expellet eum de luce in tenebras, idest de gloria mundana in oblivionem. Cessante autem fama eius et corpore consumpto per mortem, iam nihil ipsius remanebit in mundo, quia Baldath et socii eius opinabantur quod anima non remaneret post mortem: et de orbe transferet eum, ut scilicet nihil eius in mundo remaneat. Sed quia parentes etiam in filiis vivunt, ideo ad hoc excludendum subdit non erit semen eius, quia filii ipsius morientur, neque progenies in populo suo, quia nec nepotes aut pronepotes remanebunt, nec etiam aliqui ad ipsum pertinentes, unde subdit nec ullae reliquiae in regionibus eius, idest nec consanguinei nec domestici per quos de ipso memoria habeatur. Quis autem effectus ex hoc sequatur in cordibus aliorum, ostendit cum subdit in die eius, quae scilicet est dies perditionis ipsius, stupebunt novissimi, idest minores de populo, prae nimia admiratione, non valentes considerare quomodo tanta gloria peccatoris subito in nihilum sit redacta; et quantum ad maiores subdit et primos invadet horror, timentes scilicet ne eis eveniat simile. Et videtur hoc induxisse ad respondendum ei quod Iob supra XIV 21 dixerat sive nobiles fuerint filii eius sive ignobiles, non intelliget, attamen caro eius dum vivit dolebit, ex quo videbatur Iob comminationes amicorum vel promissiones de eventibus futuris contingentibus post mortem confutasse; sed hic Baldath respondet quod huiusmodi infortunia quae post mortem accidunt, etsi mortuus non cognoscat, infliguntur tamen a Deo - huiusmodi poenae - propter correptionem aliorum. Et quia praemiserat quasdam poenas peccatoris ad viam praesentis vitae pertinentes, quasdam vero ad finem viae, scilicet ad mortem vel ad ea quae post mortem eveniunt, ideo quasi epilogando subdit haec ergo sunt tabernacula iniqui, idest processus eius in via praesentis vitae: tabernaculis enim viatores utuntur; quantum autem ad ultimum finem qui est quasi terminus motus, subdit et iste locus eius qui ignorat Deum, vel per infidelitatem vel per inoboedientiam.

Comme Baldad de Shouah ne saisissait pas ce que Job vient de dire, il jugeait, puisqu’il ne comprenait pas, que Job avait parlé sans fondement. D’où au début de sa réponse il dit : Jusques à quand agiteras-tu des mots? Où il le reprend de trois choses. Tout d’abord de l’inefficacité de son discours comme si les paroles de Job n’avaient aucune efficacité et donc ne prouvaient rien; ce qu’il exprime en disant : jusques à quand. Ensuite il le reprend pour son long verbiage, comme si ces paroles de Job manquaient de poids; ce qu’il exprime en disant : des mots. Enfin il avait parlé sans aucun lien dans les idées; ce qu’il signifie, en disant : agiteras-tu; celui-là en effet est dit agiter des mots qui les répand sans ordre. On peut aussi donner à ce troisième grief le sens de jactance. Or ces trois choses, chez un interlocuteur, viennent de son peu d’intelligence, et donc il est inutile de s’entretenir avec lui et il dit pour cela réfléchis d’abord et nous parlerons ensuite, il veut dire : puisqu’aussi bien tu parles inutilement, avec légèreté et sans ordre il ressort que tu manques d’intelligence; d’où applique toi d’abord à penser et ensuite nous pourrons converser ensemble. En plus il le reprend pour l’audace avec laquelle il les tient pour peu sages puisqu’il avait dit : "Je ne trouverai chez vous aucun sage " et pour y répondre il dit : pourquoi nous prends-tu pour des bêtes et sommes-nous rabaissés devant toi? En effet l’homme qui manque de sagesse est semblable à la brute et aux choses viles parce que la sagesse est l’honneur de l’homme et son ornement. Il le reprend aussi pour sa colère parce que Job avait dit : "L’indignation a obscurci mon regard " (17, 7); mais il l’a compris de travers croyant que cette indignation lui avait enlevé la sage vision des choses, sans prêter attention à ce qui suivait "Et le juste gardera sa voie "; et donc il ajoute : la fureur te fait perdre la tête; celui-là en effet perd la tête qui à cause de sa colère s’éloigne de la sagesse et de la justice qui sont les biens principaux de l’âme.

Après cette entrée en matière où il a noté chez Job un manque d’intelligence, de l’audace et de la colère il en vient à son propos principal et controversé à savoir que les adversités de la vie présente sont les châtiments de péchés antérieurs, contre quoi Job avait dit : Je n’ai pas péché et mon regard s’attarde sur des choses amères. Mais Baldad ne pouvant trouver des arguments à l’appui de sa thèse veut l’élever sur le fondement très sûr de l’opinion commune. Et donc il la compare à ces choses qui sont inamovibles à savoir la terre et le roc d’où ce qu’il dit : la terre à cause de toi disparaîtra-t-elle et les rochers seront-ils déplacés? Il veut donc dire : cette sentence que les ad tés viennent des péchés est aussi solide que la terre et le roc; devra-t on la renverser à cause de tes prétentions à être trouvé innocent?

Il s’étend ensuite plus au long en énumérant chacun des maux qui atteignent les pécheurs. Parmi eux vient d’abord la fin de leurs réussites. Il compare celles-ci à la lumière; car de même que " celui qui marche dans la lumière ne trébuche pas", dit saint Jean (I 1, 9 ainsi marchent-ils dans la lumière ceux auxquels tout réussit à souhait. De cette lumière, c’est-à-dire de la prospérité perdue il dit : Est-ce que la lumière de l’impie ne s’éteindra pas? Il veut dire que leur prospérité aura une fin. Or de même que la lumière matérielle provient de la flamme du feu, ainsi aussi l’éclat de sa prospérité vient chez l’homme de l’ardeur de son désir, tandis que lui arrive ce qu’il recherchait et donc on nous dit : la flamme de son feu ne brillera plus : habituellement en effet le feu signifie l’ardeur de l’amour, comme on le lit au Cantique des Cantiques " ses lampes sont de feu et de flammes " (8, 6). Or la prospérité et les succès de l’homme procèdent d’une double cause soit de la prudence humaine lorsque l’homme dispose toutes et chacune des choses avec prudence et avec soin, et quant à cela au sujet de la fin de la prospérité il dit : dans sa tente la lumière s’obscurcira parce qu’en effet aussi bien lui que les siens manquent de prudence dans leurs décisions; l’autre cause de succès de la prospérité de l’homme vient d’en haut et procède de la divine providence et quant à cela décrivant la cessation de la prospérité il dit : le luminaire d’en haut s’éteindra non qu’il ne brille pas en lui-même mais il n’éclaire pas l’impie. Et de la providence de l’homme il dit bien qu’elle est une lumière, comme empruntée en quelque sorte, et de la providence divine il dit : qu’elle est un luminaire comme éclairant d’elle-même. Or il fait précéder la lumière de la providence humaine parce que si l’homme abandonne la lumière de la raison il s’expose à perdre la lumière de la providence divine.

 Après avoir traité de la prospérité disparue il est question de l’adversité; celle-ci provient des empêchements mis à l’activité et aux efforts de l’homme. Or l’homme s’efforce de parvenir au résultat de son action par deux voies. D’une part par son énergie personnelle; et contre cela voici ce qu’il nous dit : et ses efforts perdront de leur rigueur, parce qu’en effet l’énergie déployée n’a pas atteint d’amples progrès. D’autre part par sa sagesse et quant à cela il dit et son projet tournera court à savoir ce qu’il avait jugé lui être utile lui est devenu dommageable. Et la cause de ces empêchements vient du péché dit-il car il a mis les pieds dans un filet; de même en effet que celui qui librement met son pied dans un filet se voit capturé, ainsi celui qui librement commet le péché s’expose à ne plus pouvoir se conduire, selon les Proverbes : "les iniquités de l’impie l’ont capturé " (5, 22). Et de même que le filet contient des mailles multiples et différentes ainsi divers et multiples sont les péchés qui enlacent les hommes et donc il nous dit et il avance dans ses mailles c’est-à-dire quand il va d’un péché à l’autre, d’une manière de pécher à une autre, sans arrêt et avançant toujours, c’est comme cela que parfois il se trouve empêché, d’où il dit : un lacet retient la plante de son pied c’est-à-dire que sa volonté et son action butteront contre un obstacle.

Or à cela il y a une triple cause chez ceux qui progressent dans le péché. D’abord du côté de celui qui pèche qui, plus il pèche, plus il désire pécher et pour cela il dit : tandis qu’en lui s’exaspère la soif : en effet l’homme pécheur rejette quelquefois en sa pensée ce qui lui est nocif, mais le désir brûlant de pécher le presse d’agir contre sa pensée.

Ensuite du côté des choses où il pèche, comme il est écrit : "Richesses amassées pour le malheur de leur maître" (Qoh. 5, 12). Or ces dommages viennent soit des choses déjà acquises, et quant à cela il dit, pour lui un piège est caché sous terre parce qu’en effet dans les choses terrestres mêmes se cache quelque péril où sont pris les pieds du pécheur; ces dommages viennent encore dans leur recherche et quant à cela il dit et pour lui une trappe est sur sa route, en effet avant d’avoir acquis ce qu’il cherche, déjà des dangers se dressent sur sa route. Enfin le dernier dommage a sa cause du côté des hommes dont le pécheur craint les embûches et les attaques d’où on dit partout la crainte et l’épouvante, car comme il est dit dans le Livre de la Sagesse " Dans sa timidité l’injuste se condamne lui-même " (17, ). Or lorsque l’homme se garde de tout et de tous il faut nécessairement qu’en bien des choses il se voit empêché, d’où il dit : il ne sait plus où mettre le pied c’est-à-dire qu’il ne peut avancer nulle part.

 

CONFÉRENCE 2 — Baldad : "Les peines des pécheurs" (Job 18, 12-21)

12 La disette est son châtiment, et la ruine est prête pour sa chute. 13 La peau de ses membres est dévorée; ses membres sont dévorés par le premier-né de la mort. 14 Il est arraché de sa tente, où il se croyait en sûreté; on le traîne vers le Roi des frayeurs. 15 Nul des siens n'habite dans sa tente, le soufre est semé sur sa demeure. 16 En bas, ses racines se dessèchent, en haut, ses rameaux sont coupés. 17 Sa mémoire a disparu de la terre, il n'a plus de nom dans la contrée. 18 On le chasse de la lumière dans les ténèbres, on le bannit de l'univers. 19 Il ne laisse ni descendance ni postérité dans sa tribu; aucun survivant dans son séjour. 20 Les peuples de l'Occident sont stupéfaits de sa ruine, et ceux de l'Orient en sont saisis d'horreur. 21 Telle est la demeure de l'impie, telle est la place de l'homme qui ne connaît pas Dieu.

12 Que la faim mine ses forces et que la misère fasse apparaître ses côtes! 12 Que sa peau perde sa beauté, qu’une mort prématurée s’infiltre dans ses membres! 14 Et de sa tente disparaisse sa suffisance, et que la mort tel un roi le foule aux pieds! 15 Ils habitent dans la tente les compagnons de celui qui n'est plus que dans sa tente (on asperge) le soufre! 16 Au dessous ses racines se dessèchent, qu'en haut la moisson soit détruite! 17 Que son souvenir périsse sur terre, qu’on ne célèbre pas son nom sur les places! 18 Qu'on l’expulse de la lumière vers les ténèbres. Que de ce monde il disparaisse! 19 Ni lignée, ni descendance dans son peuple, ni aucun reste en son pays! 20 En ce jour-là s’extasieront les petits, et les grands seront saisis d’horreur. 21 Telles sont les tentes des impies, Tel est le lieu de celui qui ignore Dieu.

Dans ce qui précède Baldad a présenté les châtiments du péché par les adversités extérieures; il continue maintenant par celles qui concernent la personne des pécheurs. Il faut remarquer que les péchés impliquent des adversités extérieures; et donc il en a traité en se prononçant sur elles avec quelque assurance. Or les châtiments corporels ne sont pas directement produits par les péchés mêmes, sinon peut-être la gourmandise et la luxure par lesquelles on pèche contre son corps; et donc il ne traitera pas des châtiments corporels en les dénonçant mais sous forme de menace. Il commence par les châtiments corporels qui précèdent la mort et comme c’est la nourriture qui conserve la vie, il souhaite d’abord qu’on la lui retire, c’est par elle aussi que le premier homme inaugura sa déchéance; et quant à cela il dit : que la faim mine ses forces; la nourriture faisant défaut la vie aussi se retire et quant à cela il dit : que la misère fasse apparaître ses côtes; par là est signifié l’affaiblissement des opérations vitales dont le principe est le cœur qui se trouve sous les côtes. Les biens du corps que la faim débilite sont totalement détruits dans la mort. Or les biens principaux du corps sont la force et la beauté et donc il dit : que sa peau perde sa beauté, laquelle est dans l’apparence extérieure; qu’une mort prématurée s’infiltre dans ses bras dans lesquels est la force et que la mort prévient avant l’âge. L’homme une fois mort est transporté hors de sa demeure et quant à cela il dit : que de sa tente disparaisse sa suffisance, car il n’a pas mis son espoir en Dieu mais dans l’opulence et la splendeur de son train de vie et dont il est privé par la mort. Rejeté de sa demeure on l’enferme dans la tombe où la mort achève son œuvre d’extermination et pour cela il dit : et que la mort tel un roi le foule aux pieds, la mort, comme un roi fort de sa puissance, le réduit en poussière. Après le départ de sa demeure restent les familiers avec lesquels il vécut en société et il dit quant à cela qu’habitent sa tente les compagnons de celui qui n'est plus, à savoir du mort qui déjà n’a plus de part dans les choses humaines. Les familiers à la mort de leur maître portent le deuil et témoignent par quelques signes leur tristesse soit en portant des habits sombres et négligés, soit encore par des odeurs fétides et pour cela il dit : que dans sa tente on répande du soufre; par là on entend tout ce qui peut être signe de tristesse; tout comme les bonnes odeurs dont on use en signe de joie.

Après la mort, tout ce qui a appartenu au défunt est souvent dilapidé : ce qu’il montre en commençant par les produits des terres dont une partie est encore dans les champs; et quant à cela il dit : qu’en dessous les racines se dessèchent c’est-à-dire que ce qu’il a semé ou planté, soit détruit, pour qu’il ne porte pas du fruit. Quant à ce qui a produit du fruit il dit : qu’en haut la moisson soit détruite. Et on pour rait rapporter cela à toute autre affaire commencée ou près d’être achevée. Ensuite il s’occupe de la renommée qui reste à l’homme après sa vie; par elle il désire vivre dans la mémoire des hommes et jouir de la célébrité après la mort; d’où pour ce qui est de la disparition du pécheur de la mémoire des hommes il dit : que son souvenir périsse sur terre et pour ce qui est de sa renommée il dit, en souhaitant qu’elle disparaisse qu’on ne célèbre pas son nom sur les places; ce qui est dit : pertinemment parce qu’un nom n’est célèbre qu’auprès de la multitude qui habituellement se trouve sur les places publiques; et ainsi son souvenir et sa célébrité disparaissant, la clarté de la gloire se changera pour lui en ténèbres d’un perpétuel oubli, et c’est ce qu’il dit : qu’on l’expulse de la lumière vers les ténèbres, à savoir de la gloire mondaine pour l’oubli.

Sa renommée cessant et son corps anéanti dans la mort, il ne reste plus rien de lui, selon l’opinion de Baldad et de ses compagnons, puisque l’âme disparaît après la mort : que de ce monde il disparaisse c’est-à-dire, que rien de lui ne reste en ce monde. Mais comme les parents survivent dans leurs fils, pour écarter cela il dit : il n’aura pas de rejeton parce que ses fils mourront; ni de descendance dans sa race, car ni petits-fils ni arrières petits-fils ne lui resteront, ni d’autres qui lui sont liés, d’où il dit : ni aucun reste dans toute la région c’est-à-dire ni consanguins ni familiers qui garderaient sa mémoire.

Et pour tous ceux qui entendront parler de cela que penseront-ils dans leur cœur, on nous le dit : en ce jour-là, qui fut le jour de sa perte, les petits s’extasieront, à savoir les moindres dans le peuple sous l’effet d’un grand étonnement ne pouvant comprendre cette totale disparition d’un pécheur et de sa gloire. Et quant aux grands ils seront saisis d’horreur, craignant que pareille chose leur arrive. Et il veut ainsi répondre, semble-t-il, à ce que Job avait dit : "Que ses fils soient nobles ou roturiers à quoi bon; cependant sa chair aussi longtemps qu’il est en vie, gémira" (14, 21). Job avait réfuté par là les avertissements et les promesses de ses amis au sujet de ce qui arrive rait après sa mort; mais Baldad répond sur un autre ton : que ces infortunes qui viennent après la mort, bien qu’inconnues du mort, soient infligées par Dieu pour l’amendement des autres.

Et comme il avait fait précéder les châtiments des pécheurs, qui se rapportent à la vie présente et d’autres à la fin de la vie c’est-à-dire à la mort ou qui viennent après la mort, il dit sous forme d’épilogue telles sont donc les tentes de l’impie c’est-à-dire ses démarches au cours de la vie; car les voyageurs se servent de tentes. Et quant à la fin dernière qui est comme le terme du mouvement, il dit tel sera le lieu de celui qui ignore Dieu soit par infidélité, soit par désobéissance.

 

 

 

 

Caput 19

Job 19 — Réponse de Job à Baldad

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "Mon malheur" (Job 19, 1-22)

 

 

1 Alors Job prit la parole et dit :

2 Jusques à quand affligerez-vous mon âme, et m'accablerez-vous de vos discours? 3 Voilà dix fois que vous m'insultez, que vous m'outragez sans pudeur. 4 Quand même j'aurais failli, c'est avec moi que demeure ma faute. 5 Mais vous, qui vous élevez contre moi, qui invoquez mon opprobre pour me convaincre, 6 sachez enfin que c'est Dieu qui m'opprime, et qui m'enveloppe de son filet.

7 Voici que je crie à la violence, et nul ne me répond! J'en appelle, et point de justice! 8 Il m'a barré le chemin, et je ne puis passer : il a répandu les ténèbres sur mes sentiers. 9 Il m'a dépouillé de ma gloire, il a enlevé la couronne de ma tête. 10 Il m'a sapé tout à l'entour, et je tombe; il a déraciné, comme un arbre, mon espérance. 11 Sa colère s'est allumée contre moi; il m'a traité comme ses ennemis. 12 Ses bataillons sont venus ensemble, ils se sont frayés un chemin jusqu'à moi, ils font le siège de ma tente.

13 Il a éloigné de moi mes frères; mes amis se sont détournés de moi. 14 Mes proches m'ont abandonné, mes intimes m'ont oublié. 15 Les hôtes de ma maison et mes servantes me traitent comme un étranger; je suis un inconnu à leurs yeux. 16 J'appelle mon serviteur, et il ne me répond pas je suis réduit à le supplier de ma bouche. 17 Ma femme a horreur de mon haleine, je demande grâce aux fils de mon sein. 18 Les enfants eux-même me méprisent; si je me lève, ils me raillent. 19 Tous ceux qui étaient mes confidents m'ont en horreur, ceux que j'aimais se tournent contre moi. 20 Mes os sont attachés à ma peau et à ma chair, je me suis échappé avec la peau de mes dents. 21 Ayez pitié, ayez pitié de moi, vous du moins, mes amis, car la main de Dieu m'a frappé! 22 Pourquoi me poursuivez-vous, comme Dieu me poursuit? Pourquoi êtes-vous insatiables de ma chair?

 

1 Or Job répondit, disant : 2 Jusqu'où où affligez-vous mon âme et m’accablez-vous de discours? 3 Voilà dix fois que vous m’avez confondu, que sans avoir honte vous me maltraitez. 4 Que si j’ai ignoré, cette ignorance me confond. 5 Et vous vous élevez contre moi pour me reprocher mes opprobres. 6 Au moins maintenant comprenez que Dieu m’a affligé plus que de juste, qu’il m’a entouré de fléaux. 7 Je crie à la violence et personne n’entend; je vocifère et personne qui juge. 8 Il a barré mon chemin et je ne puis passer; sur mon sentier il a mis des ténèbres. 9 Il m’a spolié de ma gloire, et enlevé la couronne de ma tête. 10 Il m’a détruit de toute part et je meurs : et comme l’arbre qu'on arrache, je suis sans espoir. 11 Sa fureur s’est irritée contre moi; et ainsi il me tient pour son ennemi. 12 Ensemble sont venus ses bandits; ils se sont frayé un chemin sur moi; ils ont assiégé ma tente à l’entour.13 Mes frères, il les a éloignés de moi; ceux de mon entourage comme des étrangers se sont écartés, 14 Mes proches m'ont délaissé et ceux qui m’ont connu m’ont oublié. 15 Mes protégés et mes servantes me tiennent pour un étranger. J’étais comme un voyageur à leurs yeux. 16 Mes appelé mon serviteur, il ne répondit pas, de ma propre bouche je le suppliai. 17 Mes épouses avait mon haleine en horreur; Je suppliais les fils de ma chair. 18 Les sots m’ont méprisé : En mon absence ils me calomniaient. 19 Alors mes conseillers m’ont honni. Celui qui m’était le plus cher s’est détourné de moi. 20 Mes chairs consumées, mes os adhèrent à ma peau. Seules mes lèvres subsistent autour de mes dents. 21 Prenez pitié de moi, prenez pitié de moi vous au moins mes amis; car la main du Seigneur m’a frappé. 22 Comme Dieu, vous me persécutez. Et vous vous repaissez de mes chairs.

[84917] Super Iob, cap. 19 Respondens autem Iob dixit: usquequo affligitis animam meam et cetera. Baldath in praemissis verbis ad duo intendisse videtur: primo quidem ad confutandum Iob de insipientia et superbia et furore, per quod eum affligere intendebat similiter aliis amicis suis, et ideo dicit usquequo affligitis animam meam? Secundo ad confirmandum suam sententiam quod adversitates praesentis vitae pro peccatis proveniunt, quod quidem prolixe prosecutus fuerat enumerando diversas adversitates absque alia probatione inducta, et quantum ad hoc subdit et atteritis me sermonibus, idest verbis fatigatis, non probationibus convincitis? Est autem tolerabile si semel aliquis contra amicum suum loquatur, sed si homo multiplicet huiusmodi verba videtur esse malitiae confirmatae, unde subdit en decies confudistis me, et ipsi loquendo et me cum quadam indignatione audiendo: ante hanc autem responsionem quinquies Iob invenitur locutus si incipiamus ab hoc quod dixit pereat dies in qua natus sum, et quinquies ei respondisse amici sui inveniuntur; saltem autem prae confusione etsi non propter amicitiam debuissent ab afflicti afflictione cessare, unde subdit et non erubescitis opprimentes me, scilicet tam opprobriis quam prolixitate verborum me gravantes. Inter cetera autem opprobria videtur eum Baldath de ignorantia notasse, cum dixit intellige prius et sic loquamur, quae quidem ignorantia toleranda ab amicis esset, et propter eam excusandus, non autem erat ei improperanda maxime tempore adversitatis, et ideo subdit nempe si ignoravi, mecum erit ignorantia mea, quasi dicat: nihil vos sed me solum gravat, unde ad vos non pertinebat inter adversa mihi ignorantiam improperare, et ideo subdit at vos contra me erigimini, scilicet excellentiam vestram ostentantes, et arguitis me opprobriis meis, idest quae ad me solum pertinent et alios non gravant. Quibus praemissis ad confutationem amicorum pertinentibus, accedit ad principale propositum prosequendum, intendens ostendere falsum esse quod dicebant quod praesentes adversitates semper propter peccata praeterita proveniunt. Ex qua suppositione statim a principio ad inconveniens ducit dicens saltem nunc intelligite quia Deus non aequo iudicio afflixerit me, quasi dicat: si adversitates non adveniunt nisi pro peccatis, non est aequum Dei iudicium quo me non graviter peccantem graviter afflixit; dicit autem saltem nunc, quia hactenus non ita particulariter enumeravit suas adversitates sicut nunc. Non solum autem se dicit adversitatibus afflictum, sed etiam eis conclusum ut viam evadendi invenire non possit, unde sequitur et flagellis suis me cinxerit, quia scilicet ipsa flagella remediorum viam subtraxerunt; et hoc secundum primo incipit prosequi. Potest autem in adversitatibus remedium inveniri primo quidem per auxilium humanum, et hoc dupliciter: uno modo in ipso facto, puta cum aliquis ab aliquo violenter opprimitur et ab alio succursum habet, et ad hoc excludendum dicit ecce clamabo vim patiens, et nemo exaudiet, quasi dicat: si clamarem contra eos qui me violenter opprimunt nullus exaudiret ut auxilium ferret; alio modo post factum, puta cum aliquis iniuriam passus conqueritur iudici qui eum sententialiter restituit et vindicat, et hoc excludens subdit vociferabor, et non est qui iudicet, idest si vociferarer conquerendo non adesset iudex qui me suo iudicio liberaret. Secundo invenitur in adversitatibus remedium ab ipso homine qui adversitates evadit, et hoc dupliciter: uno modo per potentiam, et hoc excludit dicens semitam meam circumsepsit, et transire non possum, quasi dicat: tot impedimenta processibus meis apposuit ut ea amovere non possim; alio modo per prudentiam, et ad hoc excludendum subdit et in calle meo tenebras posuit, ut scilicet non videam qualiter sit procedendum. Deinde exclusis remediis, subiungit adversitates incipiens ab exterioribus bonis quae perdidit, inter quae primo ponit iacturam honoris et gloriae cum dicit spoliavit me gloria mea, quia cum prius in honore et reverentia haberetur, tunc etiam eum iuniores tempore irridebant, ut dicitur infra XXX 1. Secundo ponit dispendium dignitatis cum subdit et abstulit coronam de capite meo, quia qui ante sedebat quasi rex circumstante exercitu, ut dicitur infra XXIX 25, nunc sedens in sterquilinio testa saniem radebat, ut dictum est supra II 8. Tertio ponit damnum exteriorum rerum cum dicit destruxit me undique, scilicet devastatis omnibus exterioribus bonis, et pereo, adversitate durante, quia non est spes recuperandi, unde subdit et quasi avulsae arbori abstulit spem meam: arbor enim quandiu radicibus terrae inhaeret habet spem si praecisi fuerint rami eius ut rursum virescat, sed si evellantur eius radices de terra necesse est ut siccetur et pereat; ita etiam ipse, quasi avulsis radicibus, nullam habebat spem prosperitatem temporalem recuperandi. Radix autem spei est duplex: una quidem ex parte divini auxilii, alia vero ex parte auxilii humani; radix autem spei quae est ex divino auxilio videbatur esse avulsa per hoc quod Deus ei graviter videbatur iratus, secundum illorum opinionem qui divinam punitionem in solis adversitatibus huius vitae ponebant, unde dicit iratus est contra me furor eius, quod dicit ad designandum vehementiam irae: nam furor est ira accensa. Solet autem furor quo vehementior est eo citius transire, et sic potest in futurum remanere spes de irato, sed si ira in odium transeat iam non videtur spes ulla restare, et ad hoc significandum subdit et sic me habuit quasi hostem suum: ab inimico autem non speratur remedium. Divinae autem irae et odii signum ponit cum subdit simul venerunt latrones eius: latrones nominat Sabaeos et Chaldaeos et Daemones qui eius bona vastaverant simul quasi ex condicto; quos nominat Dei latrones quasi hoc ex ordinatione divina contigerit, sicut etiam amici Iob dicebant. Praedicti autem latrones depraedati sunt Iob publice absque aliqua reverentia vel metu, unde subdit et fecerunt sibi viam per me, quasi: ita me sunt depraedati sicut hostis qui invenitur in via. Infestaverunt etiam eum universaliter et perseveranter, et quantum ad hoc subdit et obsederunt, scilicet perseveranter, in gyro, idest universaliter quantum ad omnia, tabernaculum meum, idest bona domus meae. Deinde ostendit avulsam esse radicem spei quae est ex humano auxilio, ostendens quod nihil auxilii poterat expectare de quibus magis videbatur, et enumerat primo illos qui sunt habitatione domus separati, incipiens a fratribus, dicens fratres meos longe fecit a me, ut scilicet mihi auxilium ferre vel non velint vel non possint; deinde ponit familiares amicos cum subdit et noti mei quasi alieni recesserunt a me, mihi scilicet auxilium non ferentes; quantum autem ad consanguineos vel quacumque alia necessitudine coniunctos subdit dereliquerunt me propinqui mei, auxilium non ferentes; quantum vero ad illos cum quibus aliquando fuerat conversatus subdit et qui me noverant, scilicet olim quasi familiarem amicum, nunc in tribulatione obliti sunt mei, scilicet de me non curantes. Post hos accedit ad enumerandum domesticos dicens inquilini domus meae, qui scilicet mihi servire consueverant, et ancillae sicut alienum habuerunt me, de meis scilicet afflictionibus non curantes, et quasi peregrinus fui in oculis eorum, me scilicet penitus contemnentes. Deinde de inoboedientia servorum subdit servum meum vocavi et non respondit mihi; addit autem et superbum contemptum: ore proprio deprecabar illum, idest oportebat me ad eum agere non imperio sed precibus propter hoc quod me contemnebat. Deinde enumerat personas maxime coniunctas, scilicet uxorem et filios; solet autem uxori maxime delectabilis fieri praesentia viri, nisi forte ex aliqua gravi corruptione horribilis reddatur, et ad hoc significandum subdit halitum meum exhorruit uxor mea, scilicet propter fetorem ulcerum ex quibus ei horribilis reddebatur. Filiorum autem est solo nutu parentis voluntatem implere; ex magno autem contemptu parentis provenit quod patrem, cui oportet a filio reverentiam exhiberi, oporteat suppliciter filium deprecari, et ad hoc ostendendum subdit et orabam filios uteri mei. Sed hoc videtur contra id quod dictum est supra I 19, quod filii eius et filiae oppressi sunt per domus ruinam; sed potest dici quod aliqui parvuli remanserant qui non interfuerant illi convivio, vel forte aliqui filii filiorum, qui mortem propriorum parentum peccatis propriis imputantes peccatis Iob ipsum contemnebant. Postquam igitur se despectum dixit a domesticis et a forinsecis, ostendit consequenter se despectum esse et a stultis et a sapientibus. Est autem stultorum proprium quod eos despiciant quos in miseriis vident, quia sola bona terrena honoranda putant, et ideo dicit stulti quoque despexerunt me, scilicet corde praesentem, et cum ab eis recessissem detrahebant mihi, scilicet ore pronuntiantes quae in praesentia dicere verebantur. Deinde etiam se a sapientibus despectum dicit quos aliquando familiares habuerat, unde dicit abominati sunt me quondam consiliarii mei, quos scilicet propter eorum sapientiam ad meum consilium admittebam, et quem maxime diligebam adversatus est me: et forte hoc dicit propter aliquem eorum qui praesentes aderant, qui ei gravius adversabatur. Sic igitur praemissis adversitatibus quae pertinent ad exteriora, subiungit de proprii corporis consumptione dicens pelli meae, consumptis carnibus, adhaesit os meum, quia scilicet propter gravitatem aegritudinis carnes eius consumptae erant ita quod cutis eius ossibus adhaereret. Sed quia labia sunt carnea quae dentibus sicut ossibus adhaerent, ideo ad haec excipienda subdit et derelicta sunt tantummodo labia circa dentes meos, per quod videtur occulte innuere quod omnibus aliis officiis membrorum cessantibus, solum ei remanserat locutionis officium. Enumeratis ergo adversitatibus suis, eos ad compassionem invitat geminans misericordiae petitionem propter multitudinem miseriarum, dicens miseremini mei, miseremini mei, saltem vos, amici mei, ex quo ab aliis sum derelictus; causa autem miserendi est miseria, quae tanto gravior est quanto a fortiori inducitur, et ideo subdit quia manus domini tetigit me: intelligebat enim se a Deo percussum. Non videtur autem decens ut homo afflicto afflictionem addat, et ideo subdit quare persequimini me sicut Deus? Quasi dicat: sufficit mihi persecutio quae est a Deo, vestrum autem esset magis consolationem adhibere. Qualiter autem eum persequerentur ostendit subdens et carnibus meis saturamini? Quod proprie ad detractores pertinet, qui carnibus humanis vesci dicuntur inquantum in infirmitatibus aliorum delectantur: caro enim est infirmior pars animalis. Quis mihi tribuat ut scribantur et cetera. Dixerat superius Iob spem suam esse ablatam quasi arboris avulsae, quod quidem dixit referens ad spem temporalis prosperitatis recuperandae, ad quam eum amici eius multipliciter incitabant; hanc autem spem sibi habendam non esse supra multipliciter ostendit ad diversa inconvenientia deducendo, nunc autem manifeste suam intentionem aperit ostendens se praedicta non dixisse quasi de Deo desperans, sed quia altiorem spem de eo gerebat non quidem relatam ad praesentia bona sed ad futura. Et quia grandia et mira et certa dicturus erat, praeostendit desiderium suum ad hoc quod sententia quam dicturus erat in fide posterorum perpetuetur; transmittimus autem sensus et verba nostra in posteros per Scripturae officium, et ideo dicit quis mihi tribuat ut scribantur sermones mei, quos scilicet dicturus sum de spe quam in Deo firmavi, ne oblivioni deleantur? Solent autem ea quae atramento scribuntur per longinquitatem temporis deleri, et ideo quando volumus aliquam Scripturam in longinquum servari, non solum per modum Scripturae eam describimus sed per aliquam impressionem sive in pelle sive in metallo sive in lapide; et quia illud quod sperabat non erat in proximo futurum sed in fine temporum reservatur implendum, ideo subdit quis mihi det ut exarentur in libro stilo ferreo, quasi impressione aliqua facta in pelle, aut, si hoc parum est, impressione facta fortiori in lamina plumbi, vel, si et hoc parum videtur, certe sculpantur stilo ferreo in silice? Qui sunt autem hi sermones quos tanta diligentia velit conservari, ostendit subdens scio enim quod redemptor meus vivit, et signanter hoc per modum causae assignat: ea enim quae pro certo non habemus non curamus mandare memoriae, et ideo signanter dicit scio enim, scilicet per certitudinem fidei. Est autem haec spes de gloria resurrectionis futurae, circa quam primo assignat causam cum dicit redemptor meus vivit. Ubi considerandum quod homo qui immortalis fuerat constitutus a Deo mortem per peccatum incurrit, secundum illud Rom. V 12 per unum hominem peccatum in hunc mundum intravit, et per peccatum mors, a quo quidem peccato per Christum redimendum erat genus humanum, quod Iob per spiritum fidei praevidebat. Redemit autem nos Christus de peccato per mortem pro nobis moriendo; non autem sic mortuus est quod eum mors absorberet, quia etsi mortuus sit secundum humanitatem mori tamen non potuit secundum divinitatem; ex vita autem divinitatis etiam humanitas est reparata ad vitam resurgendo, secundum illud II ad Cor. ult. nam etsi crucifixus est ex infirmitate nostra, sed vivit ex virtute Dei; et vita autem Christi resurgentis ad omnes homines diffundetur in resurrectione communi, unde et ibidem subdit apostolus; nam et nos infirmi sumus in illo, sed vivemus in eo virtute Dei in nobis, unde et dominus dicit Iob V 25 mortui audient vocem filii Dei, et qui audierint vivent: sicut enim pater habet vitam in semet ipso sic dedit et filio vitam habere in semet ipso. Est ergo primordialis causa resurrectionis humanae vita filii Dei, quae non sumpsit initium ex Maria, sicut Ebionitae dixerunt, sed semper fuit, secundum illud Hebr. ult. Iesus Christus heri et hodie, ipse et in saecula, et ideo signanter non dicit redemptor meus vivet sed vivit. Et ex hac causa futuram resurrectionem praenuntiat, tempus ipsius determinans, cum subdit et in novissimo die de terra surrecturus sum, ubi considerandum est quod quidam ponentes motum caeli et hunc statum mundi in aeternum duraturum, posuerunt quod post certas revolutiones annorum, redeuntibus stellis ad situs eosdem, homines mortui repararentur ad vitam; cum autem dies ex motu caeli causetur, si motus caeli in aeternum durabit nullus erit novissimus dies: et ideo ad praedictum errorem tollendum signanter dicit in novissimo die, et concordat sententiae domini, qui dicit Ioh. VI 40 ego resuscitabo eum in novissimo die. Fuerunt alii qui dixerunt quod homines resurgent resumendo non terrena sed quaedam caelestia corpora, sed ad hoc excludendum subdit et rursum circumdabor pelle mea, quod signanter dicit quia supra dixerat solam pellem circa ossa remansisse; ex ipso autem modo loquendi rationem resurrectionis assignat, ne scilicet anima a proprio indumento semper remaneat denudata. Rursus fuerunt alii qui dicerent animam idem corpus quod deposuerat resumpturam sed secundum condicionem eandem, ut scilicet indigeat cibis et potibus et alia opera carnalia huius vitae exerceat, sed hoc excludit subdens et in carne mea videbo Deum. Manifestum est enim quod caro hominis secundum statum vitae praesentis corruptibilis est; corpus autem quod corrumpitur aggravat animam, ut dicitur Sap. IX 15, et ideo nullus in hac mortali carne vivens potest Deum videre; sed caro quam anima in resurrectione resumet eadem quidem erit per substantiam sed incorruptionem habebit ex divino munere, secundum illud apostoli I ad Cor. XV 53 oportet corruptibile hoc induere incorruptionem, et ideo illa caro huius erit condicionis quod in nullo animam impediet quin Deum possit videre, sed erit ei omnino subiecta. Quod ignorans Porphyrius dixit quod animae, ad hoc quod fiat beata, omne corpus fugiendum est, quasi anima sit Deum visura non homo, et ad hoc excludendum subdit quem visurus sum ego ipse, quasi dicat: non solum anima mea Deum videbit sed ego ipse qui ex anima et corpore subsisto. Et ut ostendat quod illius visionis etiam suo modo erit particeps corpus, subiungit et oculi mei conspecturi sunt, non quia oculi corporis divinam essentiam sunt visuri sed quia oculi corporis videbunt Deum hominem factum; videbunt etiam gloriam Dei in creatura refulgentem, secundum Augustinum in fine de civitate Dei. Et ut idem numero non solum specie reparandus homo credatur ad Deum videndum, subiungit et non alius, scilicet numero, ne credatur talem se vitae reparationem expectare qualem describit Aristoteles in II de generatione, dicens quod quorumcumque substantia est corruptibilis mota reiterantur eadem specie non eadem numero. His igitur praemissis de causa resurrectionis, tempore et modo, et gloria resurgentis et identitate eiusdem, subiungit reposita est haec spes mea in sinu meo, quasi dicat: non est spes mea in terrenis quae vane promittitis, sed in futura resurrectionis gloria. Signanter autem dicit reposita est in sinu meo, ad ostendendum quod hanc spem non solum habebat in verbis sed in corde absconditam, non dubiam sed firmissimam, non quasi vilem sed quasi pretiosissimam: quod enim in sinu absconditur in occulto habetur et firmiter conservatur et carum reputatur. Sic ergo ostensa altitudine spei suae quam habebat de Deo, excludit eorum calumnias quas contra eum quaerebant, quasi Dei spem et timorem abiecisset quia in temporalibus spem non ponebat, unde subdit quare ergo nunc dicitis: persequamur eum, scilicet tamquam de Deo desperantem vel Deum non timentem, et radicem verbi inveniamus contra eum, improbando dicta mea quasi providentiam Dei negaverim? Quam non nego sed assero dicens praemia et poenas a Deo praeparari hominibus etiam post hanc vitam, et ideo subdit fugite ergo a facie gladii, idest divinae ultionis in futura vita vobis reservatae, quamvis temporali prosperitate floreatis, quoniam ultor iniquitatum gladius eius, idest ultio quam ipse proprie inducet post mortem; et scitote esse iudicium, non solum in hac vita sed etiam post hanc vitam in resurrectione bonorum et malorum.

Dans ce qui précède Baldad s’est attaché à deux choses : d’abord, à réfuter Job pour sa sottise, son orgueil et sa colère, ce par quoi il cherchait à l’affliger, comme aussi le faisaient ses autres amis, et donc il dit : Jusqu'où affligez-vous mon âme?; ensuite à confirmer ce qu’il a dit : les adversités de cette vie nous viennent à cause du péché : ce qu’il a exposé abondamment en énumérant plusieurs de ses adversités sans y apporter d’autres preuves et quant à cela il dit et m'accablez-vous de discours? à savoir, vous me fatiguez de paroles sans pouvoir me convaincre. On supporte bien d’être une fois contre dit; mais à ressasser toujours les mêmes choses, on confirme sa mali ce, d’où il dit : dix fois vous m’avez confondu : et vous-mêmes en parlant et moi vous écoutant avec quelqu’indignation. Avant la présente réponse, Job a parlé cinq fois à partir de " Périsse le jour où je suis né " et cinq fois lui ont répondu ses amis; au moins par pudeur sinon par amitié ils eussent dû cesser de peiner un affligé; d’où il dit : vous ne rougissez pas de me maltraiter : tant par vos opprobres que par votre verbiage vous m’êtes à charge. Parmi ces outrages Baldad lui a reproché son ignorance, qui lui disait " Réfléchis d’abord et nous pourrons parler "; or cette ignorance, ses amis devaient la tolérer et l’en excuser mais il ne fallait pas lui en faire le reproche surtout au temps de l’adversité; et donc il dit que si j’ai ignoré, cette ignorance me confond, comme pour dire : ce n’est pas à vous mais à moi qu’elle est à charge; donc il ne vous appartenait pas de me reprocher en mon malheur cette ignorance et donc il dit : mais vous vous élevez contre moi, c’est-à-dire en faisant ostentation de votre excellence et pour me reprocher mes opprobres à savoir les choses qui me regardent seul et qui ne gênent pas les autres.

Cela dit en réfutation de ses amis, il se met en devoir objet principal, de montrer la fausseté de ce qu’ils disent : que les adversités présentes proviennent toujours des péchés passés. Dans cette supposition, d’entrée de jeu, il en montre l’inconvenance en disant : au moins maintenant comprenez-vous que Dieu m’a affligé plus que de juste? Comme s’il disait : si les adversités ne nous arrivent que pour les péchés, le jugement de Dieu n’est pas équitable qui m’afflige si gravement, n’étant pas gravement coupable. Il dit : au moins maintenant, car jusqu’à ce moment il n’avait pas énuméré dans le détail toutes ses adversités comme actuellement. Non seulement il se dit affligé de ces adversités mais il en est entouré, de sorte qu’il ne lui est pas donné d’y échapper; d’où ce qui suit il m’a entouré de fléaux, c’est-à-dire que les fléaux mêmes l’ont arrêté sur la voie des remèdes. Or parmi les remèdes aux adversités, il y a d’abord le secours humain, et cela de deux façons : d’une part dans le fait lui même : par exemple quand quelqu’un est opprimé violemment et qu’il trouve du secours chez un autre; et pour l’exclure il dit : Je crie à la violence et personne n’entend, comme s’il disait si je venais à crier contre ceux qui m’oppriment violemment, personne n’entendrait pour me porter secours. D’autre part après le fait : par exemple lorsque qu’ayant été victime d’une injustice, on porte plainte chez un juge qui judiciairement restitue quelqu’un dans son droit et le venge : pour exclure cela il dit : je vocifère et personne qui juge, à savoir même si j’élevais fortement la voix dans ma requête je ne trouverais aucun juge pour me libérer par jugement. En dehors de ce secours extérieur l’homme peut trouver en lui-même le moyen d’échapper à l’adversité et aussi de deux manières : la première par sa propre force et il exclut cela (I a barré mon chemin et je ne puis passer, il veut dire qu’il a mis tant d’obstacles à mes démarches qu’il m’est impossible de les enlever; la seconde par la prudence et il l’exclut encore sur mon sentier il a répandu les ténèbres pour que je ne voie pas comment je dois avancer.

Ayant écarté les remèdes, il en vient aux adversités, en commençant par la perte des biens extérieurs; et d’abord celle de l’honneur et de la gloire, quand il dit : il m’a spolié de ma gloire, car après avoir été honoré et respecté, les plus jeunes venus se sont moqué de lui, comme il sera dit au chapitre XXX, 1. Ensuite c’est la perte de sa dignité, d’où il dit : il a enlevé la couronne de ma tête car auparavant il siégeait, tel un roi entouré de son armée, comme on le verra au chapitre XXIX, 25; maintenant je trône sur un fumier grattant le pus avec un tesson (ch. 2, 8). En troisième lieu, vient le dommage causé aux choses extérieures, lorsqu’il dit : il m’a détruit de toute part, par la dévastation de tous les biens extérieurs iiiielfe meurs, elle est définitive, car aucun espoir n’existe de les récupérer; d’où ce qu’il dit : comme l’arbre arraché, je suis sans espoir, en effet aussi longtemps que l’arbre adhère au sol par ses racines, il a de l’espoir, même quand on coupe ses branches, et il peut reprendre; mais si ses racines sont arrachées de la terre il se dessèche nécessairement et périt; ainsi lui de même, comme si ses racines étaient arrachées, n’a plus aucun espoir de retrouver la prospérité temporelle.

Or la racine de l’espoir est double, l’une du côté de Dieu, l’autre du côté humain; du côté du secours divin elle est, semble-t-il, arrachée; car Dieu est gravement irrité, selon leur sentence qui met le châtiment divin dans les seules adversités de cette vie; d’où il dit : dans sa fureur il s’est irrité contre moi; ce en quoi il désigne la véhémence de la colère; car la fureur est une colère enflammée. Or la fureur plus elle est véhémente, plus vite aussi elle s’apaise; et ainsi reste-t-il dans l’avenir un espoir de la part de celui qui était irrité. Mais si la colère se change en haine il ne reste plus semble-t-il aucun espoir et pour signifier cela il dit : et ainsi il me tient pour son ennemi; or d’un “ ennemi on n’espère pas de remède. Or il pose comme signes de la colère et de la haine divine ce qui suit ensemble sont venus ses bandits; il appelle bandits les Sabéens, les Chaldéens et les démons qui tous ensemble dévastèrent tous ses biens comme s’étant mis d’accord; et il les qualifie de bandits de Dieu, comme si cela venait d’une disposition divine, comme aussi le disaient les amis de Job. Or ces bandits ont pillé Job publiquement, sans aucun égard ni aucune crainte, d’où ce qu’il dit : ils se sont frayé leur chemin sur moi, comme s’il disait : ainsi ils m’ont pillé, comme l’ennemi qu’on rencontre sur la route; ils l’ont ravagé complètement et avec acharnement, et donc il dit : ils ont assiégé, c’est-à-dire avec acharnement, tout autour complètement, en tout ce que j’avais, ma tente à savoir les biens de ma maison.

Ensuite il en vient à la racine de l’espoir, enlevée du côté du secours humain, montrant qu’il ne pouvait s’attendre à aucun secours de ceux-là dont il était le plus considéré. Et il énumère d’abord ceux qui n’habitent pas sous le même toit en commençant par ses frères et il dit : mes frères, il les a éloignés de moi, de sorte qu’ils ne puissent ou ne veuillent me porter secours. Ensuite il cite ses amis intimes ceux qui me connaissaient, comme des étrangers se sont écartés ne m’apportant aucune aide. Quant à ceux de sa parenté, ou proches de quelque façon, il dit : mes proches m’ont délaissé me laissant sans recours. Quant à ceux avec lesquels il avait eu des relations, il dit : et ceux qui m’ont connu, à savoir comme un ami intime dans le passé, maintenant dans ma tribulation ils m’ont oublié, ne se souciant pas de moi. Après cela il en vient à ses domestiques disant les hôtes de ma maison c’est-à-dire qui furent à mon service et les servantes, furent comme des étrangers pour moi ne s’occupant pas de mes malheurs; et je fus comme un voyageur à leurs yeux, c’est-à-dire dans le plus grand mépris. Ensuite il y a la désobéissance des esclaves : j’ai appelé mon serviteur et il ne répondit pas; ajoutant un orgueilleux mépris : de ma propre bouche je le suppliai, à savoir je devais agir sans ordonner mais en le priant parce qu’il me méprisait.

Ensuite il énumère les personnes les plus proches : sa femme et ses fils. Les épouses ont l’habitude de se réjouir de la présence du mari à moins qu’il ne soit affecté d’une maladie qui le rende repoussant et pour signifier cela il dit : mon épouse avait mon haleine en horreur c’est-à-dire à cause de la puanteur de mes plaies qui me rendaient effrayant. Quant aux fils, au moindre signe de leur père ils font naturellement sa volonté; c’est par un très grand mépris des parents qu’il arrive que le père doive supplier un fils qui lui doit le respect, et il exprime cela en disant : je suppliais les fils de ma chair. Mais il y a semble-t-il une contradiction avec ce qui a été dit plus haut : que ses fils et ses filles avaient péri dans la ruine de leur demeure (ch. 1, 19). Mais on pourrait dire que quelques plus jeunes lui étaient restés qui n’avaient pas pris part au banquet; ou bien il s’agirait de fils de ses fils qui, imputant la mort de leurs propres parents aux péchés de Job, le méprisaient.

 Après qu’il s’est dit méprisé de ceux de sa maison et des étrangers il montre ensuite qu’il l’est aussi des sots et des sages. Mais c’est le propre des insensés de mépriser ceux qu’ils voient dans le malheur, parce qu’ils jugent que seuls les biens de la terre ont une valeur; et dont il dit : les insensés aussi m’ont méprisé dans leur cœur, en ma présence; en mon absence ils me calomniaient, c’est-à-dire les choses qu’ils n’osaient dire en ma présence. Ensuite il dit qu’il est méprisé des sages qu’il eut autrefois comme amis; d’où il dit : alors mes conseillers m’ont honni c’est-à-dire ceux que j’admettais à mon conseil à cause de leur sagesse. Et celui qui m’était le plus cher s’est éloigné de moi. Il dit peut-être cela d’un de ceux qui étaient présents et qui lui était plus hostile.

Ainsi après avoir décrit les adversités qui appartiennent aux choses extérieures, il en vient à la déchéance de son propre corps en disant : mes chairs consumées, mes os adhèrent à ma peau la gravité de son mal a fait disparaître jusqu’à ses chairs de sorte que la peau adhérait à ses os. Mais les lèvres, qui sont de chair, ont adhéré à ses dents comme à des os; et donc pour exprimer cette exception il dit : seules mes lèvres subsistent autour de mes dents, par là il insinue secrète ment que de toutes les autres activités de ses membres il ne lui restait plus que l’activité vocale.

Ayant donc énuméré ses adversités, il les invite à la pitié et redoublant sa supplique il dit : à cause de la multitude de ses malheurs ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous au moins mes amis, parce que les autres m’ont abandonné. Ce qui cause la miséricorde c’est la misère, qui est d’autant plus grande qu’elle est produite par un plus fort et donc il dit : car la main du Seigneur m’a frappé; il saisissait en effet que c’était Dieu qui l’éprouvait. Or il ne convient pas que vous ajoutiez douleur sur douleur et donc il dit : Comme Dieu, pourquoi me persécuter? Il veut dire : elle me suffit l’épreuve qui vient de Dieu, à vous de m’apporter un peu de consolation. Comment ils le persécuteraient il le montre et vous vous repaissez de mes chairs, ce qui est le propre des détracteurs, qui sont dits se nourrir de chairs humaines en tant qu’ils se délectent des infirmités des autres; car la chair est la partie plus tendre de l’animal.

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Mon rédempteur vit. Je le verrai" (Job 19, 23-29)

 

23 Oh! Qui me donnera que mes paroles soient écrites! Qui me donnera qu'elles soient consignées dans un livre, 24 qu'avec un burin de fer et du plomb, elles soient pour toujours gravées dans le roc! 25 Je sais que mon vengeur est vivant, et qu'il se lèvera le dernier sur la poussière. 26 Alors de ce squelette, revêtu de sa peau, de ma chair je verrai Dieu. 27 Moi-même je le verrai; mes yeux le verront, et non un autre; mes reins se consument d'attente au-dedans de moi. 28 Vous direz alors : "Pourquoi le poursuivions-nous?" et la justice de ma cause sera reconnue. 29 Ce jour-là, craignez pour vous le glaive : terribles sont les vengeances du glaive! Et vous saurez qu'il y a une justice.

23 me donnera d’écrire mes discours? Qui me donnera qu’ils soient tracés sur le parchemin, 24 Avec un stylet d’acier ou sur une feuille de plomb, ou sûrement gravés sur la pierre? 25 Je sais en effet que mon rédempteur est vivant; et au dernier jour je ressusciterai de la terre. 26 Et de nouveau je revêtirai ma peau, et dans ma chair je verrai Dieu. 27 Je le verrai moi-même et mes yeux le contempleront, et non un autre espérance repose en mon sein. 28 Pourquoi dites-vous : persécutons-le, cherchons dans ses paroles de quoi l’attaquer? 29 Fuyez devant la face du glaive, car son glaive venge les injustices; et sachez qu’il y a un jugement!

Job avait dit plus haut (v. 11) que son espoir lui était enlevé comme celui d’un arbre qu’on a arraché; il dit cela en fonction de la prospérité temporelle à reconquérir et vers laquelle ses amis l’ont bien des fois orienté. Qu’il ne devait pas s’accrocher à cette espérance, il l’a montré plusieurs fois en concluant à diverses incompatibilités. Maintenant il découvre clairement sa pensée en montrant que ce qu’il a dit ce n’était pas en désespérant de Dieu mais qu’il mettait en Lui une espérance plus haute, ne se rapportant pas certes à des biens actuels mais futurs. Et comme il va dire des choses grandes, belles et certaines, il met en avant un désir : que ce qu’il va dire soit perpétué par la foi des descendants. Or nous transmettons nos pensées et nos paroles à nos descendants par le truchement de l’écriture et donc il dit : Qui fera que j’écrive mes discours? à savoir qui disent mon espoir que j’ai fermement mis en Dieu et qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Or les choses écrites à l’encre s’effacent après un temps; et donc si nous voulons qu’un écrit soit gardé longtemps non seulement nous l’écrivons mais nous le gravons soit sur parchemin, soit sur métal, soit sur la pierre. Mais comme ce qu’il espérait n’était pas près de se réaliser prochainement mais devant s’accomplir à la fin des temps, il dit : donc qui me donnera qu’ils soient tracés sur parchemin avec un stylet d’acier, comme imprimés sur une peau ou si cela ne suffit pas, par une impression plus profonde sur feuille de plomb, ou si c’est encore insuffisant sûrement gravés avec un stylet d’acier sur la pierre.

Et quels sont ces discours qu’il veut qu’on conserve avec tant de soin, il le montre en introduisant je sais en effet que mon rédempteur est vivant. Et c’est pertinemment qu’il présente cela comme la cause; en effet ce dont nous ne sommes pas certains, nous ne nous soucions pas de le confier à la mémoire, et donc il dit très bien En effet je sais par certitude de foi. Or cet espoir est celui de la résurrection à venir dans la gloire dont il donne d’abord la cause en disant : mon rédempteur est vivant. Ici il faut considérer que Dieu ayant créé l’homme immortel celui-ci encourut la mort par le péché, selon l’Epître aux Romains " Par un homme le péché est entré dans le monde et par le péché, la mort" (5, 12); de ce péché le Christ devait racheter le genre humain et cela Job le voyait d’avance par esprit de foi. Le Christ nous

a racheté par sa mort en mourant à notre place; mais il n’est pas ainsi mort que la mort l’absorberait; parce que bien que mort selon son humanité, il n’a pu mourir selon sa divinité. Or c’est de cette vie divine aussi que son humanité fut restaurée en sa résurrection à la vie, selon la deuxième lettre aux Corinthiens : "Car s’il a été crucifié à cause de notre faiblesse il vit par la puissance de Dieu " (13, 4); cette vie du Christ ressuscité sera diffusée en tous les hommes à la résurrection générale; d’où au même endroit l’Apôtre dit : " Car nous aussi nous sommes infirmes en lui, mais nous vivons en lui par le pouvoir de Dieu en nous". D’où le Seigneur dit aussi "Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, ceux qui l’entendront vivront; de même que le Père a la vie en lui-même, ainsi il donne au Fils d’avoir la vie en lui-même " (Jean 5, 25 et 26). Donc la cause primordiale de la résurrection humaine est la vie du Fils de Dieu, qui n’a pas son origine en Marie, comme dirent les Ebionites mais elle a toujours été, selon l’Epître aux Hébreux " Jésus-Christ hier et aujourd’hui, lui- même dans tous les siècles " (13, 8). Et donc il ne dit pas mon rédempteur vivra mais bien vit; et c’est la cause pour laquelle il prophétise la résurrection future, précisant aussi le temps lorsqu’il dit : Et au tout dernier jour je ressusciterai de la terre. Il faut ici remarquer que certains posant le ciel en mouvement et cet état du ciel devant durer toujours ont posé qu’après un certain nombre d’années, au retour des étoiles aux mêmes sites, les hommes reviendraient à la vie. Or comme le jour est causé par le mouvement du ciel, si ce mouvement est d’une durée éternelle, il n’y aura jamais de dernier jour; et donc pour rejeter cette erreur il dit : pertinemment au dernier jour; et c’est en accord avec ce que dit le Seigneur " Je le ressusciterai au dernier jour " (Jean 6, 10).

D’autres ont dit que les hommes ressusciteront sans reprendre un corps terrestre mais quelque corps céleste; et il exclut cela en disant : et de nouveau je revêtirai ma peau; ce qui est très significatif, car il vient de dire que seule la peau était restée autour de ses os; par la même il indique ce qu’est la résurrection c’est-à-dire que l’âme ne restera pas toujours dépouillée de son propre vêtement. D’autres encore on dit que l’âme reprendrait le même corps qu’elle avait déposé et dans les mêmes conditions de sorte qu’il aurait besoin de nourriture, de boisson et qu’il exercerait les mêmes opérations vitales qu’actuellement, mais il rejette cela en introduisant et dans ma chair je verrai Dieu. En effet il est manifeste que la chair de l’homme selon l’état de la vie présente est corruptible " Le corps qui se corrompt, dit la Sagesse, alourdit l’âme" (9, 15). Et donc personne en cette chair mortelle ne peut voir Dieu; mais la chair que l’âme reprendra lors de la résurrection, sera bien la même par la substance et par un privilège divin, elle ne connaîtra pas la corruption, selon ce que dit l’Apôtre "Ce qui est corruptible doit revêtir l’incorruption" (IC 15. 53). Et donc la condition de cette chair sera telle qu’elle ne fera en rien obstacle à la vue de Dieu pour l’âme et à laquelle la chair sera tout-à-fait soumise. Ce que Porphyre ignorait et qui disait " pour pouvoir être bien- heureuse l’âme doit être débarrassée de tout ce qui est corporel" et ainsi l’âme verra Dieu, ce qui ne serait pas le cas pour le corps. Et il écarte cela en disant : celui que je verrai moi, comme s’il disait : non seulement mon âme verra Dieu mais moi-même qui subsiste comme corps et comme âme. Et pour prouver que le corps participera à cette vision selon sa manière il ajoute : et mes yeux le contempleront, non que les yeux du corps verront l’essence divine, mais ils verront le Dieu fait homme; ils verront aussi la gloire de Dieu resplendissant dans les créatures, comme on peut le lire dans saint Augustin : La cité de Dieu au chapitre XII, Livre 29. Et ce sera en le même individu identique, non seulement spécifiquement, que l’homme sera restauré pour la vision de Dieu et non un autre, dit-il, c’est-à-dire le même individu, pour qu’on ne croie pas qu’il attend une telle vie restaurée comme celle qu’Aristote décrit au Livre II de la Génération ch. 2 disant que toute substance corruptible qui se meut renouvellera en la même espèce, mais non dans le même individu.

 

Après ces prémisses sur la cause de la résurrection, du temps, du mode et de la gloire des ressuscités et de leur identité il ajoute : cette espérance repose en mon sein, comme s’il disait mon espoir n’est pas dans les choses terrestres que vous promettez vainement, mais dans la gloire future de la résurrection. Et il dit très bien : elle repose en mon sein pour montrer qu’elle n’est pas seulement dans les mots mais enfermée en son cœur, non pas hésitante mais très assurée; non vile mais très précieuse; en effet ce qui est caché dans le sein existe secrètement, assuré d’être conservé, car c’est une chose précieuse.

Ainsi ayant montré à quelle hauteur se situe son espérance qu’il met en Dieu, il exclut les reproches qu’on lui faisait d’avoir en quelque sorte rejeté l’espoir et la crainte de Dieu, ne mettant pas son espoir dans les choses temporelles; d’où il dit : pourquoi dites-vous persécutons-le c’est-à-dire parce qu’il n’espère pas en Dieu ou qu’il ne le craint pas, et cherchons dans ses paroles de quoi l’attaquer en condamnant mes dires? Comme si j’avais nié la providence de Dieu, que je ne nie pas, mais que j’affirme en disant que les récompenses et les châtiments sont préparés par Dieu aux hommes, même après cette vie; et donc il dit : fuyez donc devant la menace du glaive à savoir la divine vengeance qui vous est réservée dans la vie future bien que vous jouissiez de la prospérité temporelle; car, dit-il, son glaive venge les injustices, à savoir la vengeance que lui-même exerce ra après la mort. Et sachez qu’il y a un jugement non seulement en cette vie mais après à la résurrection des bons et des méchants.

 

 

 

 

Caput 20

Job 20 — Réponse de Sophar : Oui pour la vie future mais déjà sur terre des sanctions

 

CONFÉRENCE 1 — Sophar : "Tu es forcement méchant" (Job 20, 1-13)

 

1 Alors Sophar de Naama prit la parole et dit :

2 C'est pourquoi mes pensées me suggèrent une réponse, et, à cause de mon agitation, j'ai hâte de la donner, 3 J'ai entendu des reproches qui m'outragent; dans mon intelligence, mon esprit trouvera la réplique.

4 Sais-tu bien que, de tout temps, depuis que l'homme a été placé sur la terre, 5 le triomphe des méchants a été court, et la joie de l'impie d'un moment? 6 Quand il porterait son orgueil jusqu'au ciel, et que sa tête toucherait aux nues, 7 comme une ordure, il périt toujours; ceux qui le voyaient disent : "Où est-il?" 8 Il s'envole comme un songe, et on ne le trouve plus; il s'efface comme une vision de la nuit. 9 L'œil qui le voyait ne le découvre plus; sa demeure ne l'apercevra plus. 10 Ses enfants imploreront les pauvres, de ses propres mains il restituera ses rapines. 11 Ses os étaient pleins de ses iniquités cachées; elles dormiront avec lui dans la poussière. 12 Parce que le mal a été doux à sa bouche, qu'il l'a caché sous sa langue, 13 qu'il l'a savouré sans l'abandonner, et l'a retenu au milieu de son palais :

1 Sophar de Naama prit la parole et dit : 2 Diverses pensées se succèdent en moi et mon esprit est sollicité en divers sens. 3 La doctrine dont tu me persuades je l’écoute et l’esprit qui m’anime répondra. 4 Je sais, depuis que l’homme a été mis sur terre. 5 Brève est la joie des impies et celle de l’hypocrite, d’un instant. 6 Si son orgueil s'élevait jusqu'au ciel et que sa tête atteigne les nuées, 7 Comme le fumier il disparaît et ceux qui l’ont connu disent : Où est-il? 8 Comme le songe qui s'envole, on ne le voit plus, Il passe comme une vision nocturne. 9 L'œil qui l’avait vu ne le verra plus et son sol ne le regardera plus. 10 L'indigence exterminera ses fils et l’œuvre de ses mains causera sa souffrance 11 Ses os seront chargés des péchés de sa jeunesse et avec lui dormiront dans la poussière. 12 Comme en effet le mal est doux en sa bouche, il le cache sous sa langue; 13 Il l’épargne et il ne le quitte pas, il le tient en secret dans sa gorge.

[84918] Super Iob, cap. 20 Respondens autem Sophar Naamathites dixit: idcirco cogitationes meae et cetera. Sophar, audita sententia Iob de spe futurae vitae, acquievisse videtur, unde et post hanc responsionem secundam eius tertio nihil contradixit. Sed tamen adhuc erat aliquid in corde eius quod a priori sententia eum non permittebat omnino recedere: putabat enim quod etsi in futura vita fierent retributiones et punitiones pro meritis, ut a Iob didicerat, nihilominus tamen adhuc ei videbatur quod prosperitates et adversitates huius vitae hominibus dispensarentur a Deo pro merito virtutum vel peccatorum, et ideo quasi in parte convictus et in parte adhuc primam sententiam retinens dicit idcirco, scilicet propter verba quae dicis de spe futurae vitae, cogitationes meae variae succedunt sibi. Et ut non intelligantur huiusmodi variae cogitationes ad eandem sententiam pertinere, sicut cum aliquis ad eandem conclusionem varias rationes excogitat, subdit et mens in diversa rapitur, scilicet violentia rationum quae induci possunt pro utraque sententia nunc ad unum nunc ad aliud ducor, quasi non sufficeret ad contrarias rationes solvendas. Videbatur enim ei quod sententiam Iob de spe futurae vitae repudiare non deberet, et ideo subdit doctrinam qua me arguis audiam, credendo scilicet quod dixisti de resurrectione futura, sed tamen adhuc totaliter primam sententiam non dimitto, et hoc est quod subdit et spiritus intelligentiae meae respondebit mihi, quasi dicat: adhuc intellectus meus habet quid pro sententia sua respondeat. Hoc autem videbatur ei certissimum et experimento probatum quod mali etsi aliqua prosperitate gaudeant, tamen illa sit brevis et cito in hac vita etiam finiatur vel per festinam mortem vel per aliquam subsequentem adversitatem, et hoc est quod subdit hoc scio, considerans scilicet a principio ex quo est positus homo super terram, quasi diceret a principio humani generis, quod laus impiorum brevis sit: laudantur enim quandoque ad modicum propter aliqua bonitatis signa et initia quae in eis apparent, sed illa statim obnubilantur ex iniquis operibus quae in eis apparent, et ideo gaudium quod habent de favore quem capiunt ex sua simulatione in brevi pertransit, et hoc est quod subdit et gaudium hypocritae ad instar puncti, quasi in momento pertransiet, quia postea ex fructibus suis cognoscitur, ut dicitur Matth. VII 16. Contingit enim quandoque quod ex illo favore quem brevi tempore ex sua simulatione captavit ad aliquem altum statum sublimatus est, unde consequenter ostendit quod nec hoc ei stabile erit, dicens si ascenderit usque in caelum superbia eius, idest si propter altum statum quem adeptus est in tantam ascendat superbiam quod non reputet se caducum quasi terrenum sed immobilem quasi caelestem, et caput eius nubes tetigerit, ut scilicet ultra communem statum hominum promoveatur, quasi sterquilinium in fine perdetur, vel per festinam mortem ex qua redditur humanum cadaver vile et abominabile quasi stercus, secundum illud Ier. IX 22 cadet morticinum hominis quasi stercus super faciem regionis, vel per hoc quod eius malitia detegetur et ab omnibus reputabitur vilis, secundum illud Eccli. IX 10 omnis mulier quae est fornicaria quasi stercus in via conculcabitur. Eius autem superbia deiecta, stupor in cordibus hominum orietur de tam subita deiectione, et reverentia quae habebatur ad ipsum cessabit, unde subditur et qui eum viderant dicent: ubi est? Vel mirantes vel contemnentes. Et ut ostendat eius deiectionem irreparabilem esse, subdit velut somnium avolans non invenietur: sicut enim avis faciliter avolando aufertur ab oculis hominum, ita etiam somnia de facili auferuntur a cognitione humana; et quia eorum nullum manet vestigium vel debile, neque ad aliquem testimonium per quod si perdatur possit requiri, ideo irreparabiliter transit eius cognitio: et similiter dat intelligere quod casus impiorum sit irreparabilis. Et huius irreparabilitatis causam ostendit multiplicem: primo quidem ex parte ipsius peccatoris qui perit, unde dicitur transibit sicut visio nocturna, quae quidem est visio phantasmatis non permanentis, et ideo postquam desierit ad eam reditus haberi non potest; visio autem diurna est alicuius rei permanentis, quam si aliquis videre desierit ad eam videndam rursus recurrere potest; et similiter quandiu peccator manet, si adversitas ei adveniat potest reparatio sperari, sed quando ipse ex hac vita transierit nulla ulterius reparatio speratur. Secundo autem ex parte aliorum hominum ostendit casum eius irreparabilem, cum subdit oculus qui eum viderat non videbit: ea enim quae ab oculis recedunt de facili etiam a memoria transeunt, unde mortui qui subtrahuntur humanis aspectibus de facili oblivioni traduntur, ut sic nec in memoriis hominum gloriam habeant nec amici eorum amplius auxilium praestare curent. Tertio ostendit causam irreparabilitatis eius, quia non potest redire ad priorem statum, unde subdit nec ultra intuebitur eum locus eius: non enim potest redire homo post mortem ad eundem modum vivendi. Et non solum ipse deicietur et in propria persona transiens et oculis hominum subtractus proprio loco numquam restituendus, sed etiam filii pro peccato eius punientur, unde sequitur filii eius atterentur egestate, iusto scilicet Dei iudicio, ut quia pro divitiis filiorum peccavit in hoc etiam spe sua frustretur, filiis eius pauperibus effectis. Deinde quasi acquiescens iam sententiae Iob, subiungit etiam de poenis futurae vitae dicens et manus illius reddent ei dolorem suum, idest pro operibus peccatorum quae fecit dolorem patietur in poenis. Et quod ista retributio doloris sit intelligenda post mortem, apparet per hoc quod subditur ossa eius implebuntur vitiis adolescentiae eius et cum eo in pulvere dormient, quasi dicat: etiam post mortem quando carnes eius in pulverem resolventur, solis ossibus in sepulcro remanentibus, poenam patietur pro peccatis, non solum quae in senectute sed etiam quae in adolescentia commisit quae est magis praeceps ad peccandum. Et causam quare etiam post mortem puniatur pro peccatis, ostendit subdens cum enim dulce fuerit in ore eius malum, abscondit illud sub lingua sua, et loquitur ad similitudinem hominis dulcem cibum comedentis, qui non cito illum absorbet sed diu tenet in ore ut diutius delectetur. Unde hanc similitudinem exponens subdit parcet illi, scilicet malo vel peccato quod est ei dulce, nolens illud destruere; quod quidem destrueret deserendo, unde sequitur et non relinquit illud; quare autem non relinquat, ostendit subdens et celabit in gutture suo, idest nulli manifestabit, et propter hoc nullus ei peccatum occultum dissuadebit neque aliquod remedium adhibebit quod adhibetur peccata sua confitentibus: haec est ergo causa quare peccata alicuius puniuntur post mortem quia ea in vita relinquere noluit. Panis eius in utero illius et cetera. Quia dixerat quod ossa impii replenda sunt vitiis adolescentiae eius, ut scilicet pro eis puniatur post mortem, nunc de poenis eius prosequitur latius, et primo ostendit quod bona quae in hoc mundo habuit ei vertentur in mala. Et utitur similitudine comedentis cui cibus quandoque in malum convertitur, et hoc duobus modis: uno modo quando cibus indigestus interius manet et convertitur in humores venenosos, et quantum ad hoc dicit panis eius in utero illius vertetur in fel aspidum intrinsecus, quasi dicat: sicut quandoque cibus comestus vertitur in humores venenosos, ita et bona quae in hoc mundo habuit perseveranter usque ad mortem ei vertentur in amaritudinem mortis. Secundo cibus comestus quandoque si digeri non potest per vomitum extra eicitur cum abominatione et dolore, ita etiam quandoque contingit quod homines peccatores bona temporalia quae in hoc mundo acquirunt, quia eis bene non utuntur, quasi indigesta divino iudicio cum dolore amittunt, unde subdit divitias quas devoravit, idest rapaciter acquisivit, evomet, idest cum abominatione perdet, et de ventre eius, idest de eius dominio, extrahet eas Deus, quia scilicet divino iudicio per quandam violentiam ei auferentur. Nec solum bona quae habuit ei vertentur in malum, sed etiam ab inimicis mala patietur et facto et verbo, et ideo duo exempla ponit: primum quidem de aspide quae mordendo interficit, unde dicit caput aspidum surget, scilicet contra eum ad eum mordendum, per quod significatur aliquis malefactorum princeps vel etiam Diabolus eum invadens; secundum exemplum ponit de vipera quae lingua sua venena diffundit, unde sequitur et occidet eum lingua viperae, per quam intelligitur quodcumque nocumentum proveniens ex lingua hominis quasi venenum ex lingua viperae. Deinde subiungit poenam ex privatione bonorum cum subdit non videat rivulos fluminis torrentis mellis et butyri. Mel autem et butyrum in hoc conveniunt quod utrumque suave est ad edendum, sed mel officio apum ex floribus colligitur, butyrum autem ministerio hominum ex lacte domesticorum animalium sumitur; unde per mel potest significari quodcumque bonum delectabile proveniens absque industria hominum, per butyrum autem designatur aliquod bonum delectans ex studio humano proveniens. Torrens autem subito supervenit et ex insperato; in flumine abundantia designatur propter aquarum multitudinem; in rivulis autem distributio bonorum designatur: non enim omnes omnia habent neque temporalia neque spiritualia bona, sed quidam haec quidam illa. Datur ergo intelligi quod bonis, secundum Sophar sententiam, suavitas bonorum proveniat abundanter et ex insperato, tum ex humano ministerio tum ex providentia divina sine humana industria, secundum tamen quandam ordinatam distributionem, qua quidem distributione privandum asserit peccatorem. Et quia quandoque ex multitudine poenarum homo deficit ut ulteriores poenas sustinere non possit, subiungit quod peccator quamvis in hac vita multipliciter puniatur tamen ulterius reservatur ad poenas futurae vitae, unde sequitur luet quae fecit omnia, idest pro singulis peccatis suis poenam patietur, nec tamen consumetur, scilicet secundum animam quae futuris poenis reservatur. Consequenter ostendit convenientiam poenarum ad culpas cum subdit iuxta multitudinem adinventionum suarum, idest peccatorum quae sollicite excogitavit, sic et sustinebit, quia scilicet poena per quandam convenientiam culpae respondebit. Et primo hoc manifestat quantum ad culpam rapacitatis, in qua duo per ordinem ponit, quorum primum est violenta depraedatio quam significat subdens quoniam confringens nudavit domum pauperis, in confractione quidem violentiam significans, in nudatione rapinam; secundo ponit restitutionis negligentiam, et quantum ad hoc subdit domum rapuit et non aedificavit eam, quasi dicat: ea quae de domo rapuit vel quae in domo confringendo destruxit recompensare neglexit. Huic autem culpae convenientem poenam subiungit dicens nec est satiatus venter eius, quasi dicat: quia nudavit domum pauperis eum de bonis suis satiari non sinens, ideo appetitus eius non est satiatus neque de bonis quae iure possidet neque de his quae iniuste acquisivit, quia, sicut dicitur Eccl. V 9, avarus non implebitur pecunia, et qui amat divitias fructum non capiet ab eis, et quantum ad hoc secundum subdit et cum habuerit quae concupierat, possidere non poterit, quia vel ipse subtrahetur eis vel illa subtrahentur ei; et hoc conveniens est, ut quia ea quae rapuit sponte restituere noluit ea invitus amittat. Deinde manifestat idem in culpa voracitatis quam ponit subdens non remansit de cibo eius, quia scilicet quicquid habuit in suos usus convertit, nihil in aliorum necessitatem reservans. Et subiungit convenientem poenam dicens propterea nihil permanebit de bonis eius, scilicet ei quia omnia perdet, et hoc est conveniens poena quantum ad hoc quod de bonis suis aliis noluit reservare: unde iustum est ut nihil ei reservetur. Quantum vero ad hoc quod superflua in suos usus consumpsit, subiungit aliam convenientem poenam dicens cum satiatus fuerit, artabitur, et loquitur ad similitudinem hominis qui nimis comedit, cuius viscera artantur ex nimio cibo compressa, per quod significatur quod homo qui superflua in suos usus expendit vel qui superflua sibi acquisivit artationem quandam patietur, non valens omnia acquisita recte disponere, sicut patet Luc. XII 18 de divite cuius ager uberes fructus protulerat, quod voluit horrea sua destruere ut faceret ampliora. Ex artatione autem viscerum sequitur inordinatus calor et anxietas, unde subdit et aestuabit, et similiter illi qui multa sibi inordinate congregant nimia sollicitudine affliguntur; demum ex superfluo cibo ad omnia membra solet dolor pervenire, unde subdit et omnis dolor irruet in eum: similiter etiam his qui superflua congregaverunt multiplex dolor exoritur dum in pluribus dispendia patiuntur. Considerans ergo Sophar quod saturitas impii est ei nociva, quasi ex zelo iustitiae optat ei saturitatem bonorum temporalium ut poenam patiatur, unde sequitur utinam impleatur venter eius, scilicet abundantia temporalium bonorum, ut emittat in eum, scilicet Deus, iram furoris sui, idest vindictam sine misericordia. Et modum irae ostendit subdens et pluat super illum bellum suum; et in hoc quod dicit pluat designat malorum abundantiam; in hoc quod dicit super illum, idest supra vires peccatoris, designat impotentiam resistendi; in hoc autem quod dicit bellum suum ostendit quod mala non inferuntur ei ad correctionem per modum disciplinae qua pater castigat filium, sed per modum exterminii quo hostes perduntur; unde subdit fugiet arma ferrea, idest poenas praesentes, impatienter eas sustinendo, quae ad modum gladii ferrei feriunt de propinquo; et irruet in arcum aereum, idest in poenas futurae vitae quae quasi feriunt a remotis ad modum arcus aerei, qui est infrangibilis, ut futurarum poenarum interminabilitas designetur. Exponit autem consequenter huius arcus processum dicens eductus et egrediens de vagina sua, supple erit arcus ille: quandiu enim arcus est in vagina non percutit, et similiter ultio futurae damnationis quandiu est in Dei praescientia quasi in quadam vagina non damnat, sed educitur de hac vagina per malitiam provocantem Deum, et tunc egreditur per dispositionem divinam. Et eius effectum ostendit subdens et fulgurans in amaritudinem suam: sicut enim fulgur de supernis et subito et cum violentia et claritate venit, ita illa ultio inferetur peccatori a Deo ex improviso cum tanta violentia quod resisti non poterit, et cum tanta claritate iustitiae quod excusationis locus non erit, et ex hoc peccator replebitur amaritudine. Deinde poenas ultionis explicat per partes, et primo quantum ad hoc quod sub potestate Daemonum tradetur, et quantum ad hoc subdit vadent et venient super eum horribiles, idest liberam potestatem super eum accipient Daemones. Deinde ponit poenam damni cum subdit omnes tenebrae absconditae sunt in occultis eius, quia scilicet perfectas tenebras interiores et exteriores patietur, elongatus a claritate Dei; quod quidem in occulto dicit esse quia sicut sanctorum claritas in hac vita nobis occulta est, ita et tenebrositas impiorum. Deinde ponit poenam sensus cum dicit devorabit eum, non quidem consumendo sed sua afflictione absorbendo, ignis, scilicet Gehennae, qui non succenditur, scilicet humano studio sed divina virtute, secundum illud Is. XXX 33 flatus domini sicut torrens sulphuris succendens eam. In his autem poenis nullum auxilium sibi aderit, unde subdit affligetur relictus in tabernaculo suo, idest ex hoc quod relinquetur sine auxilio in loco poenarum sibi deputato. Positis ergo poenis quas in se ipso patietur, subiungit poenas quae pertinent ad ipsum secundum quod post mortem remanet in hac vita, et primo quidem quantum ad hoc quod remanet in memoriis hominum, dicens revelabunt caeli iniquitatem eius, idest caelesti virtute fiet quod iniquitas eius reveletur post mortem quae latebat in vita, et terra consurget adversus eum, quia manifestata eius iniquitate, homines terreni etiam contra mortuum turbabuntur qui forte vivum reverebantur. Deinde ponit poenam eius quantum ad hoc quod remanet in filiis, cum dicit apertum erit germen domus illius, idest filii eius expositi erunt tribulationibus; et hoc germen detrahetur, scilicet de hac vita, in die furoris domini, idest in die vindictae divinae; quamvis possit et hoc ad finale iudicium referri, in quo sancti revelabunt iniquitatem peccatoris et totus mundus pugnabit contra insensatos et germina, idest opera peccati, manifestabuntur et tandem impius detrahetur in Infernum. Deinde epilogando subdit haec est pars hominis impii a Deo, idest quam sibi acquisivit impiis operibus, et hereditas verborum eius a domino, quam scilicet sibi acquisivit pravis verbis. Et considerandum quod inter praemissa praesentibus poenis futuras commiscuit.

Après avoir entendu la sentence de Job concernant l’espérance de la vie future Sophar semble y acquiescer; d’où après cette seconde réponse lui qui vient en troisième lieu il ne l’a contredit en rien. Cependant il gardait encore en son cœur quelque restriction qui ne lui permettait pas de s’écarter entièrement de sa première sentence. En effet il estimait que bien que dans la vie future il y aurait des rétributions et des punitions en fonction des mérites, comme Job l’avait dit, toutefois il lui paraissait que les prospérités et les adversités de cette vie Dieu les dispensait comme sanction des vertus et des péchés. Et donc comme en partie convaincu et en partie fidèle à sa première sentence il dit : C’est pourquoi, à savoir à cause des paroles dites sur ton espoir de la vie future diverses pensées se succèdent en moi. Et pour qu’on ne croie pas que ces diverses pensées se rattachent à la même sentence, comme quand de diverses raisons on tire une même conclusion, il ajoute : et mon esprit est sollicité en divers sens c’est-à-dire par la force des raisons qu’on peut apporter en faveur de l’une et l’autre sentence je suis porté tantôt de ce côté, tantôt de l’autre, comme incapable de résoudre les oppositions. Il lui semblait en effet qu’il ne pouvait rejeter la sentence de Job sur l’espoir d’une vie future et donc il dit : la doctrine dont tu me persuades, je l’écoute, c’est-à-dire que je crois ce que tu as dit de la résurrection future, cependant je n’abandonne pas encore totalement ma première sentence; et c’est ce qu’il dit : et l’esprit qui m’anime répondra, il veut dire : en mon esprit j’ai encore de quoi justifier ma sentence.

Or c’était pour lui une certitude et un fait d’expérience que les méchants quoiqu’ils jouissent d’une certaine prospérité, celle-ci cependant est brève et finira bientôt en cette vie soit par une mort précoce soit pas une adversité plus ou moins proche et il le dit : je le sais, depuis que l’homme a été mis sur terre, comme pour dire : depuis le début du genre humain, brève est la gloire des impies; en effet on fait leur louange pour quelque temps à cause de quelques signes et débuts de bonté qu’on voit en eux, mais bientôt leurs actions injustes apparaissent qui l’éclipsent; et donc la joie qu’ils conçoivent de la faveur qu’ils arrachent par leur simulation passe à bref délai et il le dit : la joie de l’hypocrite est à l’instar d’un point, ne dure qu’un moment car elle se reconnaît à ses fruits, comme il est écrit en Matthieu VII, 16 : Il peut cependant arriver que grâce à cette dissimulation de quelque temps il soit élevé à quelque situation; mais on nous dit : qu’elle n’est pas de longue durée si son orgueil s'élevait jusqu'au ciel à savoir à cause de son rang élevé il en arrive à une telle hauteur de pensée qu’il ne se croit pas caduque comme étant de la terre, mais immobile comme le ciel; et si sa tête atteignait les nuées c’est-à-dire qu’il soit promu au-delà du commun des hommes, comme du fumier il finit par se perdre, soit à cause d’une mort précoce qui fait que son cadavre est méprisable et abominable comme du fumier, selon ce qu’écrit le prophète Jérémie " Le cadavre d’un homme tombera comme le fumier sur le sol du pays)" (9, 22); soit qu’on découvrira sa r et que tous le mépriseront, selon l’Ecclésiastique "Toute femme adultère sera foulée aux pieds sur la route comme du fumier" (9, ). Ainsi donc son orgueil abattu, la stupeur saisira les cœurs pour un si subit abaissement; et le respect qu’on lui témoignait, cessera; d’où il dit : et ceux qui l’avaient connu diront : "Où est-il?" étonnés ou méprisants.            

Et pour montrer que son abaissement est définitif, il dit : Et comme le songe qui s’envole, on ne le voit plus; de même en effet que l’oiseau en s’envolant échappe à la vue de l’homme, ainsi aussi les songes échappent facilement à notre connaissance. Et parce qu’il n’en reste aucun vestige même le moindre, ni qu’il subsiste quelque preuve qui puisse s’il est perdu le faire retrouver, ainsi son souvenir passe définitivement.

Et pareillement on nous donne de comprendre que le sort des méchants est irrécupérable et on nous en donne plusieurs motifs : d’abord du côté du pécheur lui-même qui disparaît, d’où ce qu’on dit il passe comme une vision nocturne, qui est une vision imaginaire et ne perdure pas; et donc après être disparue on ne peut y revenir. Or la vision diurne est permanente, que si on cesse un moment de la voir on peut encore y revenir; de même aussi longtemps que le pécheur est en vie, si l’adversité survient il peut se repentir; mais quand il est passé de vie à trépas plus aucun repentir n’est possible. En second lieu de la part des autres, hommes, sa chute est irréparable et on le dit : L‘œil qui l’avait vu, ne le verra plus; on dit en effet “Loin des yeux, loin du cœur”; d’où les morts que nous ne voyons plus sont facilement livrés à l’oubli, de sorte qu’ainsi ils sont sans honneur dans la mémoire des hommes, ni leurs amis ne se soucient plus de leur porter secours. Enfin la cause de sa disparition définitive est qu’il ne peut revenir à son premier état, d’où il dit : et son terroir ne le verra plus, en effet l’homme après la mort ne peut plus revenir au même mode de vie; et non seulement il sera rejeté en sa propre personne par sa disparition et soustrait à la vue des hommes n’étant plus rendu à son terroir, mais encore ses fils expieront pour lui; d’où ce qui suit l’indigence exterminera ses fils, c’est-à-dire par un juste jugement de Dieu, de sorte qu’ayant péché pour enrichir ses fils, il sera frustré en cet espoir même, eux s’étant appauvris.

 Ensuite comme s’il acquiesçait déjà à la sentence de Job, il ajoute : à propos des peines de la vie future et (l’œuvre) de ses mains causera sa souffrance à savoir : pour les œuvres pécheresses qu’il a commises, il subira des châtiments et des souffrances. Et que cette sanction doit s’entendre après la mort cela ressort par ce qu’on nous dit : ses os seront chargés des péchés de sa jeunesse et avec lui ils dormiront dans la poussière, comme s’il disait : même après sa mort quand ses chairs seront réduites en poussière, les os seuls restant dans le tombeau il sera puni pour ses péchés, non seulement de sa vieillesse mais aussi de son adolescence, laquelle est plus encline au péché. Et il montre la cause de son châtiment posthume comme en effet le mal est doux en sa bouche, il le cache sous sa langue. Il le compare à un fin gourmet qui savoure ce qu’il mange et le garde en sa bouche pour son plaisir; d’où développant la comparaison il dit : il l’épargne à savoir le mal ou le péché, parce qu’il y prend plaisir, ne voulant pas s’en défaire et qui alors serait détruit; d’où ce qui suit et il ne le quitte pas. Et il montre pourquoi il ne le quitte pas et tient en secret dans sa gorge c’est-à-dire qu’il ne le fait connaître à personne; à cause de cela personne ne le dissuadera de son péché occulte ni n’apportera le remède qu’on applique à ceux qui confessent leurs péchés. Telle est donc la cause pour laquelle les péchés sont punis après la mort, parce que pendant la vie on n’a pas voulu les quitter.

 

CONFÉRENCE 2 — Sophar : "Punition du méchant"(Job 20, 14-29)

 

14 sa nourriture tournera en poison dans ses entrailles, elle deviendra dans son sein le venin de l'aspic. 15 Il a englouti des richesses, il les vomira; Dieu les retirera de son ventre. 16 Il a sucé le venin de l'aspic, la langue de la vipèrre le tuera. 17 Il ne verra jamais couler les fleuves, les torrents de miel et de lait. 18 Il rendra ce qu'il a gagné et ne s'en gorgera pas, dans la mesure de ses profits, et il n'en jouira pas. 19 Car il a opprimé et délaissé les pauvres, il a saccagé leur maison, et ne l'a point rétablie : 20 son avidité n'a pu être rassasiée, il n'emportera pas ce qu'il a de plus cher. 21 Rien n'échappait à sa voracité; aussi son bonheur ne subsistera pas. 22 Au sein de l'abondance, il tombe dans la disette; tous les coups du malheur viennent sur lui. 23 Voici pour lui remplir le ventre : Dieu enverra sur lui le feu de sa colère, elle pleuvra sur lui jusqu'en ses entrailles. 24 S'il échappe aux armes de fer, l'arc d'airain le transperce. 25 Il arrache le trait, il sort de son corps, l'acier sort étincelant de son foie; les terreurs de la mort tombent sur lui. 26 Une nuit profonde engloutit ses trésors; un feu que l'homme n'a pas allumé le dévore, et consume tout ce qui restait dans sa tente. 27 Les cieux révéleront son iniquité, et la terre s'élèvera contre lui. 28 L'abondance de sa maison sera dispersée, elle disparaîtra au jour de la colère. 29 Telle est la part que Dieu réserve au méchant, et l'héritage que lui destine Dieu.

14 Que son pain se change en fiel d’aspic à l’intérieur.15 Les richesses qu’il a dévorées il les vomira et de son ventre Dieu les extraira. 16 L'aspic élèvera la tête, et la langue de la vipère le tuera. 17 Qu'il ne voie pas les ruissellements du fleuve, torrent de miel et de beurre. 18 Il expiera tout ce qu’il a fait sans se consumer : Selon ses nombreux stratagèmes, il aura à pâtir.19 Par effraction il a mis â nu la maison du pauvre; il a pillé sa demeure et n’a pas reconstruit. 20 Son ventre n'est pas rassasié, ayant obtenu selon ses désirs, il ne pourra posséder. 21 Il ne reste rien de sa nourriture et de ses biens rien ne subsistera. 22 ET même rassasié, il sera à l’étroit; la chaleur l’accablera et toute douleur fondra sur lui. 23 Puisse son ventre être repu; qu’il déchaîne sur lui l’ardeur de sa colère et fasse descendre sur lui la guerre. 24 Il fuira devant l’arme de fer, et il se précipitera sur un arc d’airain, 25 Retiré et sorti de sa gaine et lançant des éclairs pour sa confusion. Ils vont et viennent sur lui, terribles. 26 Toutes les ténèbres ont rempli ses yeux. Un feu qui ne s’éteint pas le dévorera; affligé et abandonné en sa demeure. 27 Les cieux révéleront son iniquité et la terre s’élèvera contre lui. 28 Le germe de sa maison sera à découvert; et il sera enlevé au jour de la fureur du Seigneur. 29 Telle est la part du méchant auprès de Dieu, ce que ses discours ont hérité devant le Seigneur.

 

Comme il avait dit (v. 11) que les os du méchant sont remplis de vices depuis son adolescence de sorte qu’il doit en être puni après la mort il traite maintenant plus au long de ses châtiments. Et d’abord il montre que les biens dont il a joui en ce monde se changeront en maux. Et il se sert de la métaphore de celui qui mange et auquel la nourriture est cause de malaise; ce qui arrive de deux façons. D’une part quand une nourriture indigeste reste sur l’estomac et se change en humeurs malignes, et quant à cela il dit : que son pain se change en fiel d’aspic d l’intérieur; il veut dire de même que parfois la nourriture qu’on prend se change en poison, ainsi les biens qu’il eut en ce monde lui sont restés jusqu’à sa mort et se sont changés en une mortelle amertume. D’autre part cette nourriture, qui ne peut se digérer, est rejetée par vomissement avec dégoût et douleur; il arrive en effet que les pécheurs après avoir acquis des biens temporels en ce monde, et parce qu’ils ne les utilisent pas pour faire le bien, les perdent comme mal digérés de par un jugement de Dieu; d’où ce qu’il dit : les richesses qu’il a dévorées c’est-à-dire qu’il a acquises avidement, il les vomira, à savoir il les perdra dégoûté; et de son ventre c’est-à-dire de son domaine Dieu les extraira c’est-à-dire que par un jugement divin ils lui seront violemment enlevés.

Et non seulement les biens qu’il possédait se tourneront en mal, mais ses ennemis le lui infligeront en paroles et en actes. Et il en donne deux exemples; d’abord celui de l’aspic qui tue par sa morsure, d’où il dit : l’aspic élèvera la tête, à savoir contre lui pour le mordre; il faut entendre par là le chef des méchants ou aussi le diable qui s’en empare; ensuite vient l’exemple de la vipère qui par sa langue répand le poison; d’où ce qui suit et la langue de la vipère le tuera, par quoi on entend toute chose nuisible qui provient de la langue de l’homme comme le venin de la langue de la vipère.

Ensuite vient la peine de la privation des biens : qu’il ne voie les ruissellements du fleuve, le torrent de miel et de beurre. Le miel et le beurre s’équivalent en ce qu’ils plaisent au goût; mais le miel est produit par les abeilles qui le recueillent à partir des fleurs; le beurre 1 grâce au travail des hommes est retiré du lait des animaux domestiques; d’où le miel peut signifier tout bien délectable, produit sans intervention de l’homme, et le beurre, un bien qui plait, dû à l’industrie humaine. Le torrent survient d’une façon inattendue et soudai ne; le fleuve signifie l’abondance à cause de la grande quantité de ses eaux et les ruissellements, la distribution des richesses. En effet tous n’ont pas également les biens temporels et spirituels, mais les uns ont ceux-ci et les autres ont ceux-là. Donc selon Sophar il faut admettre que pour les bons la douceur de posséder des biens leur est accordée avec abondance et de façon inespérée soit par l’intermédiaire des hommes, soit par la providence divine sans l’intervention de l’homme, selon cependant une distribution ordonnée et de cette distribution, dit-il, le pécheur est exclu. Et comme l’excès des souffrances abat l’homme de sorte qu’il ne puisse plus les supporter, il ajoute : que le pécheur, bien que très éprouvé en cette vie, sera destiné aux peines de la vie future, d’où ce qui suit il expiera tout ce qu’il a fait à savoir que pour chacun de ses péchés il subira un châtiment et cependant sans qu’il soit consumé c’est-à-dire selon l’âme qui est réservée aux peines à venir.

Ensuite il nous montre que les peines seront proportionnées aux péchés en disant : selon ses nombreux stratagèmes, à savoir pour ses péchés qu’il calcula avec soin il aura à pâtir, c’est-à-dire que le châtiment répondra en une certaine proportion à la faute. Et il manifeste la chose quant au péché de rapacité qu’il expose en deux points et par ordre : dont le premier est le pillage par violence qu’il exprime en introduisant par effraction il a mis à nu la maison du pauvre; par effraction, il signifie la violence, dans la mise à nu, la rapine; le second est de n’avoir pas voulu “aire de restitution et pour cela il dit : il a pillé sa demeure et n’a rien restitué, il veut dire que ce qu’il avait emporté de leur maison ou détruit violemment il a négligé de le réparer. Il ajoute : à la faute la peine proportionnée en disant : son ventre n’est pas rassasié comme pour dire : "parce qu’il a dépouillé le pauvre", ne lui permettant pas de se rassasier de ses biens, pour cela son appétit n’est pas satisfait, ni des biens qu’il possède justement, ni de ceux qu’il a injustement acquis; car comme dit l’Ecriture " Celui qui aime l’argent n’en a jamais assez; celui qui aime les richesses n’en jouira pas" (Qoh. 5, 9); et quant à ce second point : ayant obtenu selon ses désirs il ne pourra posséder, parce que, ou lui-même leur sera enlevé, ou les richesses lui seront enlevées; et c’est bien ainsi qu’il perde malgré lui ce qu’il n’a pas de bon gré voulu restituer et qu’il avait volé.

Cette (proportion des peines et des fautes) on nous la montre quant à sa voracité il ne reste rien de sa nourriture c’est-à-dire que tout ce qu’il a eu, il l’a converti à son usage ne réservant rien pour les nécessités des autres; et la peine correspondante il l’adjoint en disant : et de ses biens rien ne subsistera, à savoir à celui qui perd tout; et c’est une juste punition puisque n’ayant rien réservé aux autres il convient que rien ne lui soit réservé. Quant à avoir consommé son superflu à son propre avantage il adjoint une autre peine proportion née en disant : et même rassasié il sera à l’étroit, il le compare ainsi à celui qui dans sa gourmandise a ses viscères comme écrasés par l’abondance de la nourriture; on veut signifier par là que celui qui a amassé pour soi du superflu souffrira de se trouver comme à l’étroit n’étant pas en mesure de disposer correctement de toutes ses acquisitions, comme nous le lisons dans saint Luc à propos du riche dont le champ a rapporté une si grande moisson qu’il voulut détruire ses greniers pour en construire de plus vastes (12, 16-21). De cette surcharge des intestins s’en suit une forte température accompagnée d’angoisse, d’où ce qui suit la chaleur l’accablera; et de même en est- il de ceux qui, amassant sans mesure tout ce qu’il peuvent, s’attirent une foule de soucis. Enfin, de l’excès de nourriture s’étend habituelle ment un malaise à tous les membres; d’où il dit : et toute douleur fondra sur lui; semblablement aussi à ceux qui amassèrent des choses superflues naissent quantité d’embarras tandis qu’ils subis sent de nombreux dommages.

Constatant donc qu’être rassasié de biens est nuisible à l’impie, comme par un zèle de justice Sophar lui souhaite la plus grande abondance des biens temporels afin qu’il en soit puni; d’où ce qui suit puisse son ventre être repu, à savoir de biens temporels abondants pour qu’il déchaîne sur lui, on sous-entend Dieu, l’ardeur de sa colère, c’est-à-dire une vengeance sans pitié. Et il montre la mesure de sa colère en disant : qu’il fasse descendre sur lui sa guerre; en disant : qu’il fasse descendre, il désigne l’abondance des maux; et en disant : sur lui, à savoir sur les forces du pécheur, il désigne l’impuissance à résister; en disant : sa guerre il veut montrer que ces maux ne lui sont pas infligés comme une correction à la manière d’un père qui châtie son fils, mais comme quand on extermine des ennemis; d’où il ajoute : il fuira devant l’arme de fer, à savoir les peines de la vie présente qu’il supporte impatiemment parce qu’elles frappent à la manière d’un glaive, donc de tout près; et il se précipitera sur un arc d’airain, à savoir les peines de la vie future qui frappent de très loin comme à partir d’un arc d’airain qu’on ne peut briser, pour désigner l’infinie durée des peines futures. Il développe ensuite l’image de l’arc en disant : retiré et sorti de sa gaine, suppléer cet arc : en effet aussi long temps qu’il est dans sa gaine l’arc ne frappe pas; semblablement la vengeance divine de la damnation future tant qu’elle est en la prescience de Dieu, comme en une gaine, ne damne pas; mais elle est retirée de cette gaine quand notre malice provoque Dieu et c’est alors qu’elle sort de sa gaine de par une disposition de Dieu. Et le résultat nous est montré par ces mots et il lance ses éclairs pour sa confusion, de même en effet que la foudre vient d’en haut et subitement, et avec violence et clarté, ainsi cette vengeance est infligée par Dieu au pécheur à l’improviste, avec une telle violence qu’on ne peut lui résister; et avec une telle clarté en sa justice qu’il n’y aura pas moyen de s’excuser : c’est donc cela qui fera la confusion du pécheur.

Il détaille ensuite les châtiments qui accompagnent la vengeance. Et d’abord qu’il est livré à la puissance des démons et quant à cela il dit : ils vont et viennent sur lui terrifiants : à savoir que les démons auront tout pouvoir sur lui; ensuite vient la peine du damné les ténèbres entières ont rempli ses yeux, car des ténèbres totales extérieures et intérieures l’envahiront, éloigné qu’il est de la clarté divine; et on précise que ces ténèbres sont comme impénétrables : de même que la clarté des saints, pour nous en cette vie, nous est inconnue ainsi l’obscurité des impies. Il pose encore la peine des sens quand il dit : le dévorera, non pas en le consumant mais l’absorbant en son affliction, le feu c’est-à-dire de la géhenne qui ne s’éteint pas parce qu’il n’est pas allumé par l’homme mais par la divine vertu, selon ce que dit Isaïe : "Le souffle du Seigneur tel un torrent de soufre l’allume " ( , 33). Or dans ses souffrances il ne trouvera aucun soulagement; d’où il dit : affligé et abandonné en sa demeure : parce qu’il est laissé sans secours en ce lieu de souffrances qui lui est destiné.

Ayant donc décrit les peines qu’il subira en lui-même, il adjoint celles qui le concernent selon que subsiste en cette vie quelque chose de lui après la mort; et d’abord quant à ce qu’il subsiste dans la mémoire des hommes et on dit : les cieux révéleront son iniquité, c’est-à-dire par la vertu divine son iniquité qu’on ignorait de son vivant sera révélée après sa mort; et la terre s’élèvera contre lui, car son iniquité étant manifestée, les hommes ici-bas s’insurgeront contre le mort qu’ils respectaient peut-être de son vivant. Ensuite, il s’agit du châtiment qui reste pour ses fils lorsqu’il dit : le germe de sa maison demeurera à découvert, à savoir que ses fils seront exposés aux tribulations; et ce germe sera enlevé c’est-à-dire de cette vie, au jour de la fureur du Seigneur, soit dit du jour de la vengeance divine; bien que l’on puisse rapporter cela au jugement final quand les saints révéleront les iniquités du pécheur et que le monde entier " luttera contre les insensés " (Sap. 5, 2 lb); et les germes c’est-à-dire les œuvres du péché seront mises au jour et enfin l’impie sera entraîné en enfer.

Ensuite comme épiloguant il dit : Telle est la part de l’impie auprès de Dieu, à savoir qu’il s’est acquise par ses œuvres impies, et ce que ses discours ont hérité de la part du Seigneur, c’est-à-dire ce qu’il s’est acquis par ses propos dépravés. On pourrait aussi faire remarquer que dans ce qui précède se mêlent les châtiments futurs aux châtiments actuels.

 

 

Caput 21

Job 21 — Deuxième réponse de Job à Sophar et dernières précisions

 

CONFÉRENCE 1 — LA PROSPÉRITÉ DES MÉCHANTS EST UN FAIT (Job 21, 1-21)

 

1 Alors Job prit la parole et dit :

2 Ecoutez, écoutez mes paroles, que j'aie, du moins, cette consolation de vous. 3 Permettez-moi de parler à mon tour, et, quand j'aurai parlé, vous pourrez vous moquer. 4 Est-ce contre un homme que se porte ma plainte? Comment donc la patience ne m'échapperait elle pas? 5 Regardez-moi et soyez dans la stuppeur, et mettez la main sur votre bouche. 6 Quand j'y pense, je frémis; et un frissonnement saisit ma chair. 7 Pourquoi les méchants vivent-ils, et vieillissent-ils, accroissant leur force? 8 Leur postérité s'affermit autour d'eux, leurs rejetons fleurissent à leurs yeux. 9 Leur maison est en paix, à l'abri de la crainte; la verge de Dieu ne les touche pas. 10 Leur taureau est toujours fécond, leur génisse enfante et n'avorte pas. 11 Ils laissent courir leurs enfants comme un troupeau, leurs nouveaux-nés bondissent autour d'eux. 12 Ils chantent au son du tambourin et de la cithare, ils se divertissent au son du chalumeau. 13 Ils passent leurs jours dans le bonheur, et ils descendent en un instant au schéol. 14 Pourtant ils disaient à Dieu : "Retire-toi de nous; nous ne désirons pas connaître tes voies. 15 Qu'est-ce que le Tout-Puissant, pour que nous le servions? Que gagnerions-nous à le prier?"

16 Leur prospérité n'est-elle pas dans leur main? - Toutefois, loin de moi le conseil de l'impie! - 17 Voit-on souvent s'éteindre la lampe des impies, la ruine fondre sur eux, et Dieu leur assigner un lot dans sa colère? 18 Les voit-on comme la paille emportée par le vent, comme la glume enlevée par le tourbillon? 19 " Dieu, dites-vous, réserve à ses enfants son châtiment!..." Mais que Dieu le punisse lui-même pour qu'il le sente, 20 qu'il voie de ses yeux sa ruine, qu'il boive lui-même la colère du Tout-Puissant! 21 Que lui importe, en effet, sa maison après lui, une fois que le nombre de ses mois est tranché?

1 Job prit la parole et dit : 2 Ecoutez je vous prie, mes propos, et repentez-vous! 3 Supportez que moi aussi je parle, et après mes paroles, si bon vous semble moquez-vous! 4 Serait contre un homme que j’élève ma plainte, je ne devrais pas m’attrister. 5 Prêtez attention et soyez stupéfaits et mettez un doigt sur la bouche! 6 Et moi après me l’être rappelé, je tremble, et la peur frappe ma chair. 7 Pourquoi donc les méchants vivent-ils, sont-ils élevés et comblés de richesses? 8 En leur présence perdure leur semence; la foule des proches et des descendants est devant eux. 9 En sécurité et en paix leurs maisons. La verge de Dieu n'est pas sur eux. 10 Leur bovin conçoit et n’avorte pas; la vache met bas et son petit grandit. 11 Leurs enfants sortent comme des troupeaux; leurs petits se plaisent aux jeux. 12 Ils ‘ frappent du tambourin et de la cithare; Ils se plaisent au son de la flûte. 13 Ils passent de bons jours; et en un rien ils descendent au shéol. 14 Et ils ont dit à Dieu : retire-toi de nous; et nous ne voulons pas connaître tes voies. 15 Qui est le Tout Puissant pour que nous le servions Et quelle utilité si nous le prions? 16 Mais puisque leurs biens ne sont pas à leurs mains, que leur conseil soit loin de moi! 17 Chaque fois que la lampe des impies s’éteint et que survient l’inondation, tandis que (Dieu) leur distribue les châtiments de sa fureur. 18 Ils seront comme des pailles à la face du vent, comme des braises que l’ouragan disperse. 19 Dieu réservera aux fils le châtiment du père, et quand il l’aura appliqué, il le saura. 20 De ses yeux, il verra son anéantissement 21 Que lui importe en effet le souci de sa maison après lui? Et si le nombre de ses amis est réduit de moitié?

[84919] Super Iob, cap. 21 Respondens autem Iob dixit: audite, quaeso et cetera. Quia Sophar in praemissis verbis quantum ad aliquid iam sententiae Iob consenserat ut poneret peccata puniri post mortem, quamvis adhuc in hoc suam sententiam retineret quod etiam in vita ista peccata temporaliter puniuntur, erectus fuit Iob in spem convertendi eos totaliter ad veram sententiam, et ideo primo humiliter inducit eos ad attentionem, cum dicit audite, quaeso, sermones meos. Et quia hactenus cum quadam irrisione eius verba audierant, subdit et agite paenitentiam, scilicet de hoc quod verba mea irrisistis vel quod veritati contradixistis; et quia iam omnes bis locuti estis, sustinete me ut et ego loquar, respondendo scilicet ad ea quae ultimo proposita sunt. Et ne antequam audirent iudicium condemnationis proferant, subdit et post mea, si videbitur, verba ridete, quasi dicat: si iudicatis meam hanc sententiam derisibilem esse; prius tamen meam responsionem audiatis, quae si vobis non satisfaciat postea poteritis iustius irridere. Et ne videantur eius verba despicienda fore, ostendit quod de magnis locuturus est, scilicet de divinis iudiciis non de humanis, unde subdit numquid contra hominem disputatio mea est ut merito non debeam contristari? Quasi dicat: si ad hoc tenderet meae disputationis intentio ut inquirerem an aliquis homo iuste vel iniuste me afflixerit, qualitercumque hoc accidisset, merito tristitia carerem; sed disputatio mea tendit ad inquirendum quomodo hoc iusto Dei iudicio acciderit. Et quia de magna re est ista disputatio, est audienda attente, unde dicit attendite me; est etiam audienda non leviter et cum irrisione sed magis graviter et cum stupore, unde subdit et obstupescite; est etiam audienda silenter et sine mussitatione, unde subdit et superponite digitum ori vestro. Et ne videatur hoc iactanter dicere quasi ad deferendum honorem suae auctoritati, ostendit se etiam in altitudine huius quaestionis stupere, unde subdit et ego quando recordatus fuero perstupesco, ne scilicet in tanta quaestione in aliquo a veritate deficiam aut irreverenter de divinis iudiciis loquar; timor autem iste non sistit in mente sed pervenit usque ad carnem, unde subdit et concutit carnem meam tremor: ex vehementi enim animi passione etiam caro immutatur. Quibus praemissis sufficientibus ad attentionem excitandam, procedit ad quaestionem; et quia Sophar dixerat quod prosperitates malorum, si quae sunt, brevi finiuntur et in malum eis vertuntur, ideo haec statim Iob improbat dicens quare ergo impii vivunt, scilicet diu? Quasi dicat: si impius sic, velut avis avolans et velut visio nocturna, cito transit, unde est quod multi impii habent vitae diuturnitatem? Item si gaudium hypocritae est ad instar puncti et eius ascensus cito deicitur, quare sublevati sunt, idest in honoribus promoti? Item si divitias quas devoravit evomit, quare sunt confortati divitiis, idest quare eorum divitiae sunt eis confirmatae? Contra hoc etiam quod dixerat filii eius atterentur egestate, dicit semen eorum permanet coram eis, idest filii, eis videntibus, perseverant; et idem subiungit de aliis personis coniunctis dicens propinquorum turba et nepotum in conspectu eorum; per quod duplicem prosperitatem designat, quia nec eorum propinqui subtrahuntur per mortem, quod significat in hoc quod dicit permanet, nec elongantur per exilium vel aliquid huiusmodi, quod designat per hoc quod dicit coram eis et in conspectu eorum. Deinde prosequitur per partes praemissam prosperitatem impiorum, primo quidem quantum ad ipsos, praemittens immunitatem a malo cum dicit domus eorum, idest familiae eorum cum necessariis rebus, securae sunt, scilicet ab insultu hostium, et pacatae, idest carentes interna dissensione; et etiam immunes sunt a divino flagello, et quantum ad hoc subdit et non est virga Dei super illos, quia scilicet pro peccatis suis non corriguntur in hac vita. Et subiungit de multiplicatione bonorum, quia scilicet bona eorum non sunt sterilia nec fructu suo privantur, et hoc manifestat in specie boum qui apud antiquos acceptissimi erant propter agriculturam. Unde dicit bos eorum, idest vacca, concepit, per quod tollitur sterilitas, est autem conceptio primum in fructificatione animalium; secundum est formatio fetus concepti in ventre et perductio ad perfectum, quod impeditur per aborsum, et quantum ad hoc dicit et non abortivit; tertium autem est partus, et quantum ad hoc dicit vacca peperit, idem significans nomine bovis et vaccae, et utitur utroque vel propter ornatum sermonis vel propter necessitatem metri; quartum autem est educatio prolis, et quantum ad hoc subdit et non est privata fetu suo, morte scilicet praeoccupante. Consequenter autem subdit de prosperitate quantum ad filios, circa quod primo ponit prolis multitudinem cum dicit egrediuntur, scilicet in plateis ambulantes, non praeventi morte, quasi greges parvuli eorum, scilicet in multitudine et mutua concordia; secundo ponit eorum incolumitatem cum subdit et infantes eorum exultant lusibus, quasi non gemunt infirmitatibus; tertio ponit eorum disciplinam qua apud antiquos liberi instruebantur in musicis, unde dicit tenent tympanum et citharam, et gaudent ad sonitum organi, quasi instructi ad hoc quod et ipsi convenienter musica utantur et alios audiendo prudenter iudicent. Sed ne aliquis dicat quod haec eorum prosperitas modicum durat ad instar puncti, contra hoc subdit ducunt in bonis dies suos, quasi dicat: omnes dies vitae suae in prosperitate peragunt. Necesse est autem ex communi condicione quod finaliter sentiant mortem, sed tamen hanc patiuntur absque praecedenti angustia, unde subdit et in puncto ad Inferna descendunt, idest in mortem: omnes enim antiqui ante redemptoris adventum, de quo supra locutus fuerat, ad Inferna descendebant; sed quidam adversitatibus pressi in vita, non subito sed per multas amaritudines ad Inferna descendebant, sicut Iacob dixit Gen. XXXVII 35 descendam ad filium meum lugens in Infernum; sed illi qui prosperitate vigent usque ad mortem quasi in puncto usque ad Inferna descendunt. Posset autem responderi quod impii inter multa mala quae faciunt, meruerunt a Deo prosperitatem terrenam vel eum amando vel cognoscendo vel ei qualibuscumque operibus serviendo vel saltem bona temporalia ab ipso petendo, sed hoc excludit subdens qui dixerunt Deo, scilicet ex corde proposito quasi ex certa malitia peccantes: recede a nobis, quod pertinet ad defectum amoris, scientiam viarum tuarum nolumus, quod pertinet ad defectum cognitionis per ignorantiam affectatam: viae autem Dei dicuntur praecepta et iudicia eius quibus ab ipso disponimur; quis est omnipotens ut serviamus ei? Quod pertinet ad defectum bonorum operum provenientem ex Dei contemptu, et quid nobis prodest si adoraverimus eum? Quod pertinet ad contemptum petitionis propter defectum spei. Sic ergo evidentissime confutavit eorum sententiam, ostendens quod prosperitas temporalis non semper est praemium virtutis nec adversitas temporalis est poena peccati, quia impii frequenter prosperantur in hac vita nihil boni merentes a Deo, et cum hoc nullas graves adversitates patiuntur. Posset autem aliquis obicere: si malis prospera eveniunt et adversitatibus carent, ergo nulla est ratio a malitia declinandi, unde Eccl. IX 3 dicitur eadem cunctis eveniunt, unde et corda filiorum hominum implentur malitia; sed huic obiectioni respondet dicens verum tamen quia non sunt in manu eorum bona sua, consilium eorum longe sit a me. Circa quod sciendum est quod in manu hominis, idest in potestate ipsius, sunt quaedam bona, scilicet voluntaria virtutum opera quorum est dominus per liberum arbitrium gratia Dei iuvatum, et ideo huiusmodi bona semper possunt retinere virtuosi quandiu volunt, et propter hoc consilium sectandi huiusmodi bona est acceptandum; sed bona temporalis prosperitatis non sunt in potestate habentium ut possint ea acquirere vel retinere cum volunt, et ideo abiciendum est eorum consilium quo Deum et iustitiam contemnunt ut prospere vivant, quia per hoc non possunt assequi quod intendunt sed quandoque adversitatibus premuntur. Est autem considerandum ulterius quod adversitas impii gravior est quam iusti, quia cum iustus adversitatem patitur temporalem remanet ei fulcimentum virtutis et consolatio in Deo, unde non totaliter dissipatur; sed malis, amissis temporalibus bonis quae sola sibi quaesierunt, nullum remanet fulcimentum: unde subditur quotiens lucerna, idest prosperitas, impiorum extinguitur, idest finitur, et supervenit eis, scilicet divino iudicio, inundatio, idest gravis tempestas adversitatis, et quotiens Deus dividit, idest sub certa mensura distribuit, dolores, idest afflictiones aliquas, furoris sui, idest ex eius furore provenientes, erunt, impii scilicet, sicut paleae ante faciem venti, quae scilicet propter levitatem resistere non possunt vento, et sicut favilla, quae scilicet remanet ligno combusto, quam turbo dispergit, quia scilicet non habet humorem ut simul se teneat: ita etiam impii, veniente adversitate, resistere non possunt quia carent fulcimento divinae spei, et per diversas cogitationes disperguntur carentes humore virtutis. Et post hoc subdit de adversitate quantum ad filios cum dicit Deus servabit filiis illius dolorem patris, quia scilicet poena patris pertingit usque ad filios imitatores paternae malitiae. Nec differetur hoc usque post mortem patris sed vivente et cognoscente patre hoc erit, unde subdit et cum reddiderit, scilicet Deus poenam filiis, tunc sciet, scilicet pater, unde subdit videbunt oculi eius interfectionem suam, idest filiorum suorum, vel quamcumque adversitatem, et in hoc ipso de furore omnipotentis bibet, quia hoc ipsum pertinet ad poenam patris quod filii eo vivente puniuntur, non autem si punirentur post eius mortem, unde subdit quid enim ad eum pertinet de domo sua post se? Idest non affligeretur a futuris infortuniis posterorum, maxime cum peccator post mortem hoc ignoret, sicut supra XIV 21 dictum est sive nobiles fuerint filii eius sive ignobiles, non intelliget; aut etiam quid pertinet ad eum si numerus mensium eius dimidietur: non potest de hoc dolere in vita quia hoc ignorabat futurum. Numquid Deum docebit quispiam et cetera. Quia supra Iob proposuerat quod impiis in hac vita quandoque prospera quandoque adversa adveniunt, quod facit apud homines dubitationem, ideo ad huius dubitationis solutionem accedens praemittit quod hoc non provenit ex defectu divinae scientiae, quasi eum lateat malitia illorum quibus prospere cedit, et ideo dicit numquid Deum docebit quispiam scientiam? Quasi dicat: non indiget ut ab aliquo instruatur de meritis hominum ut sciat quibus prospera et quibus reddat adversa. Quod autem subdit qui excelsos iudicat potest dupliciter adiungi: uno modo ut sit sensus quod Deus non indiget instructione alicuius ad hoc quod possit excelsos iudicare, idest eos qui prosperantur in hoc mundo, sicut in rebus humanis indigent iudices instrui per testes de meritis iudicandorum; alio modo potest intelligi ut inducatur quasi probatio praecedentis: quod enim Deus omnia sciat et quod ab aliis instrui non indigeat patet per hoc quod ipse habet iudicium super quantumcumque excelsos; nullus autem iudicat quae ignorat: unde non potest esse quod alicuius quantumcumque excelsa scientia lateat ipsum. Praemissa igitur sufficientia divinae scientiae, subdit dubitationis materiam quae potest accidere super diversa humanarum rerum dispositione, in qua quidam prosperantur usque ad mortem, quidam vero in miseria moriuntur. Consistit autem temporalis prosperitas primo quidem in potestate, et quantum ad hoc dicit iste moritur robustus, secundo in corporis sanitate, et quantum ad hoc subdit et sanus, tertio in exteriorum rerum opulentia, et quantum ad hoc subdit dives, quarto in consiliorum et operum prospero successu, et quantum ad hoc subdit et felix: dicitur enim felix apud quosdam cui omnia succedunt ad votum. Ut autem non solum divitias sufficientes sed etiam superabundantes significet, subdit viscera eius plena sunt adipe: adeps enim propter superabundantiam nutrimenti generatur. Et ut rursus ostendat eius potentiam multiplicibus auxiliis suffultam, subdit et medullis ossa illius irrigantur: per ossa enim fortitudo designatur quorum robur nutrimento medullarum sustentatur. Subiungit autem de aliorum adversitate dicens alius vero moritur in amaritudine animae suae, quod scilicet pertinet ad interiores dolores quos homines concipiunt vel de corporalibus nocumentis vel ex infortunatis eventibus; addit autem absque ullis opibus ad designandum exteriorum rerum defectum. Sed tamen cum sic diversificentur in vita cum aequalitate meritorum, non potest dici quod saltem in his quae sunt post mortem diversa ad corpus pertinentia eorum sors commutetur: aequaliter enim eorum corpora disponuntur post mortem, unde subdit et tamen simul in pulvere dormient, idest aequaliter in terra sepelientur, et vermes operient eos, idest aequaliter eorum corpora putrescent: unde patet quod non potest assignari ratio differentiae quae est inter homines secundum prosperitatem et adversitatem, in his quae sunt aequalis meriti vel demeriti, ex diversa corporum dispositione post mortem. Erat autem opinio amicorum Iob quod ratio praedictae diversitatis esset ex diversitate meritorum, quod est contra id quod experimento apparet de hoc quod impiorum quidam prosperantur, quidam adversa patiuntur; unde quasi iam improbatam eorum opinionem vituperando commemorat cum subdit certe novi cogitationes vestras, quibus scilicet Iob temerarie condemnabant, et sententias, scilicet exterioribus verbis prolatas, contra me iniquas, quia scilicet iniquae impietatis me arguitis ex adversis quae patior; unde subdit dicitis enim: ubi est domus principis? Et ubi tabernacula impiorum? Quasi dicerent: tu simul cum familia tua ex altitudine tanti principatus cecidisti sicut solent deficere tabernacula impiorum. Sic igitur per ea quae supra dixerat ostensa iniquitate sententiae ipsorum, accedit ad determinandum veritatem. Et praemittit hoc quod dicturus est non esse novum sed apud multos divulgatum, subdit enim interrogate quemlibet de viatoribus, quasi dicat: non oportet me cum magno studio testimonium quaerere, quia haberi poterit a quibuscumque transeuntibus per viam; vel viatores dicit eos qui hac vita utuntur non ut termino sed ut via; et haec eadem illum intelligere cognoscetis, quae scilicet dicturus sum vobis: unde inexcusabiles estis qui a veritate receditis quam omnes communiter tenent. Quam quidem veritatem exponit subdens quia in diem perditionis servatur malus, quasi dicat: quod in hac vita non punitur sed prosperatur, hoc ideo est quia reservatur eius punitio in aliud tempus quando gravius punietur, unde subdit et ad diem furoris ducitur: quia enim furor est ira accensa, nomine furoris acrior vindicta significatur. Quare autem in diem perditionis et furoris servetur, ostendit subdens quis arguet coram eo viam eius? Et quae fecit quis reddet illi? Ubi duas rationes assignare videtur, quarum prima est quia intantum est sapientiae imperceptibilis ut nec per poenas erudiretur ut suam recognosceret culpam, sed inter flagella murmuraret quasi punitus iniuste, et hoc est quod dicit quis arguet coram eo, idest ut ipse recognoscat viam eius, scilicet iniquam? Alia ratio est quia poenae huius vitae non sunt sufficientes ad tantarum culparum punitionem, quia si acerbae sunt cito interimunt, et hoc est quod dicit et quae fecit quis reddet illi, scilicet in hac vita? Et ideo quasi concludit quod dies praedictus perditionis et furoris non est in hac vita sed post mortem, subdit enim ipse ad sepulcrum ducetur, scilicet mortuus, et tamen secundum animam vivet, et hoc est quod subdit et in congerie mortuorum vigilabit, quia scilicet licet videatur dormire per corporis mortem, vigilabit tamen per animae vitam. Et ne videatur post mortem transire ad gaudium, subdit dulcis fuit glareis Cocyti: quia enim testimonium etiam viatorum invocavit, veritatem de poenis malorum post mortem proponit sub fabula quae vulgariter ferebatur, quod scilicet in Inferno inter alios esset quidam fluvius nomine Cocytus, qui interpretatur luctus, quo animae malorum perducuntur; et sicut alii fluvii trahunt glareas, ita ille fluvius quodammodo involvebat animas impiorum: dicitur ergo impius dulcis fuisse glareis Cocyti quia eius conversatio acceptabilis fuit malis, et ideo inter malos qui sunt in luctu locum habebit. Effectum autem huius fluvii quantum ad homines subdit: et post se omnem hominem trahit, quia scilicet omnes homines cum quodam luctu moriuntur: quod enim est post mortem est quasi postremum huius fluvii, cuius anterius est quod in hac vita agitur, et ideo subdit et ante se innumerabiles, quia scilicet plurimos etiam in hac vita praeoccupat luctus. Sic igitur Iob per ordinem suam sententiam explicavit, primo quidem supra XIX 25 ostendens spem iustorum tendere in remunerationem futurae vitae, hic autem exprimit poenam reservari malis post mortem, et ideo ex utraque parte confutata adversariorum sententia subdit quomodo igitur consolamini me frustra, scilicet promittendo temporalem prosperitatem, cum responsio vestra repugnare ostensa sit veritati? In hoc quod dicitis hominibus deputari praemia et poenas in hac vita, quod supra multipliciter est improbatum.

En ce qui précède, Sophar se dit d’accord, en partie du moins, avec la sentence de Job : il y a un châtiment des péchés après la mort; mais il tient encore à sa propre idée que les péchés sont punis temporellement pendant la vie. Job conçoit l’espoir de le convertir totalement à la vérité. Et donc humblement il invite ses amis à lui prêter attention en disant : écoutez je vous prie, mes propos. Et comme jusque là ils l’avaient écouté avec quelqu’ironie, il dit : repentez-vous, c’est-à-dire de vous être moqués de mes paroles et d’avoir contredit la vérité. Et comme vous avez tous trois parlé déjà deux fois, supportez que moi aussi je parle; à savoir, je répondrai à ce qui a été dit en dernier lieu. Et pour qu’ils ne le condamnent pas avant de l’avoir entendu, il dit et après mes paroles plaisantez moi, si bon vous semble; il veut dire : si vous jugez ma sentence à moi ridicule écoutez néanmoins auparavant ma réponse; et si elle ne vous plaît pas vous pourrez plus justement en rire. Et pour que ses paroles ne prêtent pas au mépris il montre qu’il va traiter de choses importantes, c’est-à-dire des jugements divins et non de ceux des hommes, d’où il dit : serait-ce contre un homme que j’élève ma plainte, je ne devrais pas m’attrister comme s’il disait : si dans ma discussion je voulais rechercher si quel qu’un m’a fait du mal, à tort ou à raison, de toute façon je n’en serais pas attristé; mais ma discussion tend à rechercher comment cela est arrivé par un juste jugement de Dieu. Et comme il s’agit d’une chose importante, il faut l’écouter avec attention et donc il dit : Prêtez moi votre attention. Il ne faut pas l’écouter à la légère et en riant, mais plutôt avec sérieux et crainte et pour cela il dit : soyez stupéfaits. Il faut l’écouter en silence et sans chuchotement, d’où il dit : et mettez un doigt sur la bouche. Et pour ne pas paraître le dire avec suffisance comme pour qu’on fasse honneur à son autorité, il dit sa stupéfaction devant la profondeur de cette question, d’où il dit : et moi après me l’être rappelé, tremblerai, à savoir de ne pas être fidèle à la vérité en une telle question ou de parler sans respect des jugements divins. Or cette crainte ne s’arrête pas à l’esprit mais elle va jusqu’à la chair, d’où ce qu’il dit : et la peur secoue ma chair, en effet la passion violente remue la chair.

Après les avoir suffisamment mis en garde et attiré leur attention, il aborde la question. Et parce que Sophar avait dit : que la prospérité des méchants, si tant est qu’ils en ont une, est vite dissipée et que leur bonheur se tourne en misère, il n’approuve pas et il dit : pour quoi donc vivent-ils? à savoir : si longtemps. Il veut dire : si l’impie s’envole comme l’oiseau, ou comme une vision nocturne (20, 8) s’en va rapidement, d’où vient que tant d’impies vivent si longtemps? De même si "la joie de l’hypocrite est comme un point" (20, 5) et s’il déchoit rapidement de son ascension, pourquoi sont-ils élevés c’est-à-dire ayant été promus aux honneurs? De même " s’il vomit les riches ses qu’il a dévorées " (20, 15) pourquoi sont-ils comblés de richesses c’est-à-dire, pourquoi leurs richesses leur sont-elles maintenues?

 Contre ce qu’il avait dit : "l’indigence écrasera ses fils " (20, 10), il dit : devant eux perdure leur semence à savoir, sous leurs yeux leurs fils vivent encore; et il dit la même chose des autres personnes proches, la foule des proches et des descendants est en leur présence : par là il a désigné une double prospérité, car même leurs proches ne leur sont pas enlevés par la mort, ce qu’il signifie en disant : perdurent, ni ne sont éloignés par l’exil ou quelque chose de ce genre, ce qu’il signifie en disant : en leur présence et devant eux.

 Ensuite il poursuit dans le détail quant à la prospérité des impies dont il vient de parler. D’abord quant à eux-mêmes et en premier lieu leur immunité du mal lorsqu’il dit : leurs maisons, c’est-à-dire leurs familles et les choses nécessaires sont en sécurité à l’abri des incursions hostiles et en paix ne connaissant pas les conflits internes; et ils sont aussi immunisés contre le fléau divin et quant à cela il dit : et la verge de Dieu n’est pas sur eux, c’est-à-dire qu’en cette vie ils ne subissent pas de correction pour leurs péchés. Et il adjoint leurs nombreux biens; car leurs biens fructifient et le fruit leur reste; et il exprime cela par la race bovine, car les bœufs chez les anciens étaient des plus appréciés à cause de leur usage en agriculture, d’où on dit : que leur bœuf, c’est-à-dire la vache a conçu donc pas de stérilité. La conception vient d’abord dans la reproduction animale; puis vient la formation du fétus dans l’animal et son arrivée à terme que l’avorte ment peut empêcher et quant à cela il dit : elle n'avorta pas. En troisième lieu vient la naissance et il dit : la vache a mis bas; il n’a pas mis de différence entre le bœuf et la vache, il emploie les deux indifféremment soit pour l’harmonie de la phrase, soit pour la métrique du vers. Enfin vient l’éducation du petit et quant à cela on nous dit : elle n’a pas été privée de son fruit, à savoir par une mort précoce.

Vient ensuite la prospérité des fils : d’abord il y a la multitude de la progéniture quand il dit : Ils sortent c’est-à-dire en promenade sur les places publiques; car la mort ne les a pas prévenus. Leurs tout petits sont comme des troupeaux c’est-à-dire par leur multitude et leur mutuelle concorde. Ensuite il y a leur conservation, en disant : et leurs enfants prennent leurs ébats, comme pour dire qu’ils ne se plaignent d’aucune indisposition. Enfin il dit : leur éducation qui chez les anciens consistait à instruire les hommes libres par la musique; d’où il dit : qu’ils manient le tambourin et la cithare et se réjouissent au son de la flûte, ainsi sont-ils éduqués, de sorte qu’eux-mêmes peuvent jouer de la musique et qu’en écoutant les autres ils jugent avec prudence de toutes choses.

Mais pour qu’on ne puisse objecter que cette prospérité qui est la leur dure peu de temps à l’instar d’un point ( , 5b)il répond ils passent des jours heureux, comme de dire : tous les jours de leur vie s’écoulent dans la prospérité. Il faudra bien qu’un jour en vertu du sort commun ils fassent l’expérience de la mort, mais ils s’y soumettent sans angoisse inutile, d’où il dit : et en un rien de temps ils descendent au shéol, à savoir dans la mort. En effet tous les anciens, avant l’avènement du rédempteur dont il a parlé plus haut (19, 25), descendaient aux enfers; mais il y en eut qui sous le poids de l’adversité ici-bas ne sont pas descendu aux enfers soudainement mais par de multiples amertumes, comme Jacob le dit : "Je descendrai vers mon fils, le pleurant au shéol " (Gen. 37, 95). Mais ceux qui jouissent de la prospérité jusqu’à leur mort, comme en un rien de temps descendent jusqu’aux enfers.

On pourrait avancer que les impies malgré les nombreux méfaits ont mérité de Dieu la prospérité terrestre en l’aimant ou en le connaissant ou en le servant par toutes autres œuvres ou au moins en lui demandant les biens temporels; mais on exclut cela c’est eux qui disent à Dieu, c’est-à-dire de propos délibéré comme péchant avec une malice assurée retire-toi de nous, ce qui est manque d’amour; nous ne voulons pas connaître tes voies, ce qui est un manque de connaissance par ignorance affectée; les voies du Seigneur ce sont ses préceptes et ses jugements par lesquels il nous dirige; qui est le Tout-Puissant pour que nous le servions? ce qui est l’absence de bonnes œuvres par mépris de Dieu; et quelle utilité si nous le prions? ce qui est mépris de la prière par manque d’espérance.

Ainsi donc il a réfuté très clairement leur sentence prouvant que la prospérité temporelle n’est pas toujours la récompense de la vertu, non plus que l’adversité temporelle est le châtiment du péché; car les impies prospèrent fréquemment en cette vie sans avoir bien mérité de la part de Dieu.

Et comme ici-bas ils ne souffrent aucun dommage on pourrait objecter : si les méchants jouissent de la prospérité et ne subissent pas l’adversité, il n’y a aucun motif de s’éloigner du mal, comme il est écrit : "Les mêmes choses arrivent à tous. Ainsi les fils des hommes sont remplis de malice" (Qoh. 9, 3 b). Il répond à cela mais puisqu’en leurs mains ils n'ont aucun bien, que leur conseil soit loin de moi. A ce propos il faut remarquer que dans la main de l’homme, à savoir en son pouvoir se trouvent des biens, c’est-à-dire des œuvres vertueuses volontaires dont il est le maître de par son libre arbitre, la grâce de Dieu aidant. Et donc de tels biens sont toujours à la disposition de l’homme vertueux aussi souvent qu’il le veut; vouloir poursuivre de tels biens est donc chose acceptable. Mais les biens de la prospérité temporelle ne sont pas au pouvoir de ceux qui les possèdent de sorte qu’ils puissent les acquérir ou les conserver quand il leur plaît. Et donc il faut rejeter leur dessein par lequel ils méprisent Dieu et sa justice afin de vivre heureux; car ils ne peuvent obtenir ce qu’ils recherchent mais parfois l’adversité les visite.

Il faut de plus considérer que pour l’impie l’adversité est plus grave que pour le juste, lequel quand il est sous le coup de l’adversité temporelle garde le soutien de la vertu et de la consolation divine; d’où il n’a pas tout perdu; tandis que le méchant s’il perd ses biens temporels qui sont les seuls qu’il a recherchés, il ne lui reste aucun secours; d’où ce qui suit Chaque fois que la lampe, c’est-à-dire la prospérité des impies s’éteint, à savoir disparaît, et que survient, par un jugement de Dieu, l’inondation c’est-à-dire le grand ouragan de l’adversité; et chaque fois que Dieu partage, à savoir distribue en une mesure déterminée les douleurs, c’est-à-dire les épreuves de sa fureur, qui proviennent de sa fureur, ils seront, les impies, comme des pailles dans le vent qui à cause de leur légèreté ne peuvent résister au vent et comme la braise c’est-à-dire ce qui reste du bois qu’on a brûlé que l’ouragan emporte parce qu’elle n’a pas l’humidité pour tenir ensemble. Les impies aussi, l’adversité survenant, ne peuvent résister, parce qu’ils n’ont pas le soutien de l’espérance divine, se laissant em porter par toutes sortes de pensées, n’ayant pas l’humeur de la vertu.

Après quoi il traite de l’adversité quant à ses fils, lorsqu’il dit : Dieu réservera à ses fils la souffrance du père, parce que le châtiment du père retombe sur les fils imitateurs de la malice paternelle; et ce n’est pas remis jusqu’après la mort du père, mais du vivant et à la connaissance du père, d’où il dit : et lorsqu’il l’aura appliqué, c’est-à-dire le châtiment que Dieu réserve aux fils, alors il saura, à savoir, le père. D’où il dit : ses yeux verront son anéantissement, à savoir celui de ses fils, ou tout autre adversité; et en cela même il boira la fureur du Tout-Puissant car c’est en cela que consiste la peine du père, que ses fils soient punis de son vivant et non s’ils étaient punis après sa mort; d’où il dit : que lui importe quant à sa maison après lui? A savoir qu’il ne serait pas affligé des malheurs à venir de ses descendants surtout que le pécheur, après la mort, ne peut le savoir, comme on l’a dit (ch. 14, 21) "qu’ils soient nobles ou roturiers, ses fils, il ne saisira pas"; ou bien aussi que lui importe-t-il si ses jours sont raccourcis de moitié? Il ne peut le regretter pendant sa vie parce qu’il ignorait que cela devait arriver.

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "Ce n'est pas vrai" (Job 21, 22-34)

 

22 Est-ce à Dieu qu'on apprendra la sagesse, à lui qui juge les êtres les plus élevés? 23 L'un meurt au sein de sa prospérité, parfaitement heureux et tranquille, 24 les flancs chargés de graisse, et la moelle des os remplie de sève. 25 L'autre meurt, l'amertume dans l'âme, sans avoir goûté le bonheur. 26 Tous deux se couchent également dans la poussière, et les vers les couvrent tous deux. 27 Ah! Je sais bien quelles sont vos pensées, quels jugements iniques vous portez sur moi. 28 Vous dites : "Où est la maison de l'oppresseur! Qu'est devenue la tente qu'habitaient les impies?" 29 N'avez-vous donc jamais interrogé les voyageurs, et ignorez-vous leurs remarques? 30 Au jour du malheur, le méchant est épargné; au jour de la colère, il échappe au châtiment. 31 Qui blâme devant lui sa conduite? Qui lui demande compte de ce qu'il a fait? 32 On le porte honorablement au tombeau; et on veille sur son mausolée. 33 les glèbes de la vallée lui sont légères, et tous les hommes y vont à sa suite, comme des générations sans nombre l'y ont précédé. 34 Que signifient donc vos vaines consolations? De vos réponses il ne reste que perfidie.

22 Quelqu'un enseignera-t-il Dieu, Quand c’est Lui qui juge les grands? 23 Un tel meurt puissant, sain, riche et heureux. 24 Pleine de graisse sont ses entrailles et la moelle irrigue ses os. 25 Un tel meurt dans l’amertume de son âme, dans le plus grand dénuement. 26 Et cependant ensemble ils dormiront dans la poussière et les vers les couvriront. 27 Je sais bien quelles sont vos pensées et quels sont sur moi vos jugements. 28 Vous dites en effet : qu’est devenue la maison du chef? où sont les tentes des impies? 29 Vous pouvez interroger n’importe quel passant et vous saurez qu’il pense de même. 30 Car le méchant est réservé pour le jour de la perdition; et il y sera conduit au jour de la colère. 31 Qui osera reprendre sa conduite devant lui, et ce qu’il a fait qui le lui rendra? 32 On le confiera aux tombeaux et dans l’amas des morts il veillera. 33 Les galets du Cocyte l’accueilleront qui charrie après lui chaque homme : et devant lui ils attendent, innombrables. 34 comment donc voulez-vous me consoler, alors que vos réponses s’avèrent fausses?

Comme Job avait établi qu’aux impies en cette vie, parfois la prospérité, parfois l’adversité survient, ce qui soulève le doute chez les hommes, à cause de cela s’attelant à la solution de ce doute il pose d’abord que la science divine ne peut être mise en cause comme si la malice lui était cachée de ceux auxquels le succès sourit; et donc il dit : Quelqu’un devra-t-il enseigner la science à Dieu? Comme s’il disait : Il n’a besoin de personne pour être instruit des mérites des hommes afin de savoir qui il fera prospérer et qui il rendra malheureux. Ce qu’on nous dit : quand c’est lui qui juge les grands peut s’entendre dans deux sens : d’une part que Dieu n’a pas besoin d’être renseigné pour juger les grands, c’est-à-dire, ceux qui prospèrent en ce monde, comme cela se fait chez les hommes où les juges ont recours à des témoins pour connaître la conduite des prévenus. D’autre part comme confirmation de ce qui précède; en effet que Dieu sache tout et qu’il n’ait besoin de personne pour le renseigner, cela ressort de ce qu’il juge par dessus les plus grands quels qu’ils soient. Or personne ne peut juger les choses qu’il ignore; donc il ne peut se faire que la connaissance de qui que ce soit, aussi grand qu’il soit, lui échappe.

Donc après avoir établi la perfection de la science divine il intro- duit la matière du doute au sujet de la diversité de traitement dans les choses humaines où les uns prospèrent jusqu’à leur mort et les autres meurent dans la misère. Or la prospérité temporelle consiste d’abord dans la puissance et quant à cela il dit : un tel meurt puissant; ensuite dans la santé corporelle et quant à cela il dit : et sain; en troisième lieu dans l’opulence des biens extérieurs et pour cela il dit : riche et enfin quatrièmement dans la réussite de ses projets et de ses entre- prises et quant à cela il dit : heureux; en effet on est heureux aux yeux de certains quand tout réussit à souhait. Et pour suggérer des riches ses non seulement suffisantes mais encore surabondantes il dit : pleines de graisse sont ses entrailles : en effet la graisse provient de la surabondance de nourriture. Et il montre que sa puissance s’appuie sur de nombreux soutiens en disant : et la moelle irrigue ses os; en effet les os désignent la force et ils tiennent leur vigueur de la nourriture apportée par la moelle. Il en vient ensuite à ceux qui sont dans la misère et il dit : un tel meurt dans l’amertume de l’âme; ce qui regarde les souffrances intérieures que les hommes conçoivent, soit des maux du corps, soit d’événements malheureux, et il ajoute : dans le plus grand dénuement pour montrer le manque des choses extérieures. Toutefois même s’ils partagent un sort différent en leur vie à égalité de mérites, il ne peut être dit qu’au moins dans les choses qui viennent après la mort concernant le corps leur sort continuerait comme avant; car leurs corps après la mort seront traités à égalité d’où ce qu’il dit : et cependant ils dormiront ensemble dans la poussière à savoir ils seront enterrés également dans la tombe; et les vers les couvriront, à savoir leurs corps pourriront également. D’où il ressort que le motif de la différence qui existe entre les hommes ne se fonde pas sur l’égalité des mérites ou des démérites quant à leur prospérité ou leur adversité; la preuve en est qu’ils ne sont pas différents dans leurs corps après la mort.

Or l’opinion des amis de Job est que le motif de cette diversité se fondait sur la diversité des mérites; ce qui apparaît contraire à l’expérience puisque certains impies prospèrent, d’autres souffrent l’adversité. C’est donc avec mépris qu’il fait mention de cette opinion comme déjà condamnée lorsqu’il dit : Je sais bien quelles sont vos pensées c’est-à-dire par lesquelles ils condamnaient Job témérairement, et vos propos c’est-à-dire ce que vous exprimez dans vos paroles et qui m'offensent injustement c’est-à-dire que vous m’accusez d’impiété injuste ment à cause de mes adversités; d’où ce qu’il dit : vous dites en effet : qu’est devenue la maison du chef? Où sont les tentes des impies? Comme de dire : toi et les tiens vous êtes déchus d’une si haute situation, comme il arrive avec les tentes des impies.

Ainsi donc ayant montré par ce qu’il vient de dire l’iniquité de leur sentence il en vient à se prononcer sur la vérité; et il avertit qu’il ne dit rien de nouveau mais ce qui est connu de tous; en effet il intro duit vous pouvez interroger n’importe quel passant; il veut dire : je ne dois pas chercher très loin un témoignage, car je puis l’obtenir de tous les passants. Ou il nomme passants ceux qui usent de leur vie non comme un but mais comme une voie; et vous apprendrez que lui aussi pense de même : c’est-à-dire, ce que je vous dirai; et donc vous êtes inexcusables, car vous vous écartez de la vérité que tous tiennent communément. Et cette vérité il l’expose en disant : car le méchant est réservé pour le jour de la perdition, il veut dire : qu’en cette vie le méchant ne soit pas puni mais prospère c’est que la punition est réservée pour un autre temps où il sera puni plus gravement; d’où ce qu’il dit : et il ira au jour de la fureur : la fureur est une colère enflammée; ce mot indique une vengeance plus dure. Et pourquoi il est réservé pour ce jour de colère et de fureur, il le dit : Qui devant lui reprendra sa conduite et pour ce qu’il a fait qui le lui rendra? où il assigne deux raisons : la première est qu’il est tellement imperméable à la sagesse que même les châtiments ne l’assagiront pas pour l’amener à reconnaître sa faute, mais il murmurerait sous les coups comme puni injustement. Et c’est ce qu’il dit : qui le reprendra devant lui, à savoir pour que lui-même avoue sa conduite, à savoir inique. La seconde raison est que les peines de cette vie ne peuvent suffire au châtiment de telles fautes; car si elles sont trop violentes elles tuent rapidement; et c’est ce qu’il dit : et pour ce qu’il a fait qui le lui rendra c’est-à-dire en cette vie? Et donc comme en concluant on nous dit que le jour de la perdition et de la fureur n’est pas pour cette vie mais après la mort; en effet il dit : on le confiera au tombeau, à savoir mort, mais vivra selon l’âme et c’est ce qu’il dit : dans l’amas des morts il veillera, c’est-à-dire bien qu’il paraisse dormir par la mort corporelle il veillera cependant par la vie de l’âme. Et pour qu’il ne paraisse pas après la mort devoir passer à la joie il dit : les galets du Cocyte l’accueilleront ayant en effet invoqué le témoignage des passants c’est sous l’apologue très connu qu’il propose la vérité sur la peine des méchants; c’est-à-dire qu’en enfer parmi d’autres était le fleuve Cocyte, mot qui se traduit “pleurs” où les âmes des méchants sont entraînées et de même que les autres fleuves charrient des galets, il entraîne avec lui les âmes des impies. On dit : donc que les galets du Cocyte l’accueilleront parce que sa conduite plaisait aux méchants et donc parmi les méchants qui sont dans les pleurs il aura sa place. Et ce que produit le fleuve pour ces hommes il le dit : qui charrie après lui tout homme c’est-à-dire que tous les hommes meurent dans les pleurs, en effet ce qui vient après la mort est comme la dernière partie d’un fleuve dont le prélude est ce qui se passe sur terre; et donc il dit : et avant lui ils sont innombrables car ils sont très nombreux en cette vie, ceux qui déjà versent des pleurs.

Ainsi donc Job a explicité sa pensée graduellement : d’abord au chapitre 19 montrant que l’espoir des justes se tourne vers la rémunération de la vie future; ici il exprime qu’un châtiment attend les méchants après leur mort. Et donc de part et d’autre ayant réfuté ses adversaires il dit Comment donc en vain me consoler? à savoir par la promesse de la prospérité temporelle, alors que vos réponses se sont avérées contraires à la vérité en ce que vous dites que la récompense et le châtiment sont attribués aux hommes dès cette vie; ce que j’ai maintes fois dénoncé plus haut.

 

DEUXIEME PARTIE : FIDELITE DE JOB (Job 22-42)

 

 

Caput 22

Job 22 — Troisième discours d'Eliphaz

 

CONFÉRENCE 1 — Eliphaz : "Job est présomptueux" (Job 22, 1-14)

 

1 Alors Eliphaz prit la parole et dit :

2 L'homme peut-il être utile à Dieu? 3 Le sage n'est utile qu'à lui-même. Qu'importe au Tout-Puissant que tu sois juste? Si tu es intègre dans tes voies, qu'y gagne-t-il? 4 Est-ce à cause de ta piété qu'il te châtie, qu'il entre en jugement avec toi? 5 Ta malice n'est-elle pas immense, tes iniquités sans mesure? 6 Tu prenais sans motif des gages à tes frères, tu enlevais les vêtements à ceux qui étaient nus. 7 Tu ne donnais point d'eau à l'homme épuisé, à l'affamé tu refusais le pain. 8 La terre était au bras le plus fort, et le protégé y établissait sa demeure. 9 Tu renvoyais les veuves les mains vides, et les bras des orphelins étaient brisés. 10 Voilà pourquoi tu es entouré de pièges, et troublé par des terreurs soudaines, 11 au sein des ténèbres, sans voir, et submergé par le déluge des eaux. 12 Dieu n'est-il pas dans les hauteurs du ciel? Vois le front des étoiles : comme il est élévé! 13 Et tu disais : "Qu'en sait Dieu? Pourra-t-il juger à travers les nues profondes? 14 Les nues lui forment un voile, et il ne voit pas, il se promène sur le cercle du ciel."

1 Eljphaz de Theman prit la parole et dit : 2 Peut-on comparer l’homme à Dieu, même si sa connaissance était parfaite? 3 Qu'importe à Dieu situ étais juste? Et que lui apportes-tu si ta conduite était sans tache? 4 Est-ce sous la crainte que Dieu te reprendra Et viendra-t-il avec toi en jugement? 5 Quoi donc? Abondante n’est-elle pas ta malice? et tes iniquités, sans nombre? 6 En effet sans motif tu retenais les gages de tes frères, et tu as dépouillé de leurs vêtements ceux qui étaient nus. 7 Celui qui était las, tu ne l’as pas désaltéré; A l’affamé tu as soustrait le pain. 8 A la force de ton bras tu as possédé la terre, étant le plus puissant, tu l’obtenais. 9 Tu as renvoyé les veuves les mains vides et brisé les muscles des enfants. 10 Voilà pourquoi des lacets t’entourent; et une terreur soudaine te trouble. 11 Tu pensais ne pas voir les ténèbres et que des eaux impétueuses ne t’emporteraient pas. 12 Tu penses donc que Dieu est plus haut que le ciel, plus élevé que le sommet des étoiles? 13 Tuas dit : Que connaît Dieu? Il juge comme à travers l’obscurité. 14 Les nuées sont sa cachette; il ne connaît pas nos affaires Autour des gongs du ciel il déambule.

[84920] Super Iob, cap. 22 Respondens autem Eliphaz Themanites dixit: numquid Deo comparari potest homo et cetera. Finitis sermonibus beati Iob, Eliphaz eius verba non ea intentione qua dicebantur accepit: primo namque quod Iob dixerat ad ostendendum altitudinem materiae numquid contra hominem disputatio mea? Eliphaz sic accepit dictum ac si contentiose cum Deo disputare intenderet, unde eum praesumptionis arguit ex triplici consideratione. Primo namque aliquis provocatur ad disputandum vel contendendum cum aliquo quando videt eum comparabilem sibi in scientia veritatis, ut ex mutua collatione aliquid occultum indagetur; est autem valde praesumptuosum quod homo suam scientiam divinae audeat comparare, unde dicit numquid Deo comparari potest homo, etiam cum perfectae fuerit scientiae? Quasi dicat non, eo quod Dei scientia sit infinita. Secundo provocatur aliquis ad disputandum vel ratiocinandum cum aliquo propter aliqua quae ab eo accepit, ut fiat collatio datorum et acceptorum; est autem praesumptuosum quod homo putet bona quae facit esse Deo utilia, unde et Psalmista dicit dixi domino: Deus meus es tu quoniam bonorum meorum non eges, unde subdit quid prodest Deo si iustus fueris, scilicet recta opera faciendo? Aut quid ei conferes si immaculata fuerit vita tua, scilicet a peccatis abstinendo? Tertio provocatur aliquis ad hoc quod iudicio contendat cum aliquo propter timorem superioris potestatis eum in iudicium vocantis, quod nefas est cogitare de Deo, unde subdit numquid timens, scilicet aliquem iudicem, arguet te, scilicet accusando, et veniet tecum ad iudicium, quasi de pari citatus? Deinde quia Iob dixerat iniquas esse eorum sententias quibus dicebant domum eius perisse sicut tabernacula impiorum, intendit suam sententiam rectam esse cum subdit et non propter malitiam tuam plurimam et infinitas iniquitates tuas? Quasi dicat: Deus te arguit poenas infligendo non propter timorem sed propter amorem iustitiae, ut puniat tua peccata; unde malitia potest referri ad peccata quibus alios laesit, iniquitas autem ad peccata quibus iustitiae opera praetermisit; unde malitiam dicit plurimam sed iniquitates infinitas, quia in pluribus peccat homo omittendo quam committendo. Unde subiungit primo de nocumentis proximis illatis, quae quandoque per modum calumniae inferuntur sub praetextu iustitiae, unde subdit abstulisti enim pignus fratrum tuorum sine causa, scilicet necessaria, quia de fratribus tuis sine pignore confidere poteras; quandoque autem inferuntur nocumenta sine aliquo colore iustitiae, et quantum ad hoc subdit et nudos spoliasti vestibus, quod potest intelligi dupliciter: uno modo quia spoliando, nudos reliquisti nihil eis reservans; alio modo quia cum essent nudi, idest non sufficienter vestiti, illud modicum quod habebant eis subtraxisti. Subiungit autem de omissione bonorum operum dicens aquam lasso non dedisti, qui scilicet ea indigebat propter sitim ex labore viae ortam, quasi dicat: laborantibus et afflictis opem et solatium non tulisti; et esurienti subtraxisti panem, quasi dicat: indigenti non subvenisti. Et haec quidem dicta sunt quantum ad peccata quae commisit sicut privata persona. Subiungit autem de peccatis pertinentibus ad principatum ipsius, inter quae primo ponit quod principatum non per iustitiam sed per violentiam obtinuit, unde dicit in fortitudine brachii tui possidebas terram, idest per potentiam tuam dominium terrae acquisivisti. Secundo ponit quod subditos suos non gubernabat per iustitiam sed per potentiam, secundum illud Sap. II 11 sit fortitudo nostra lex iniustitiae, unde subdit et potentissimus obtinebas eam, quasi dicat: per excellentiam potestatis subditis utebaris ad nutum. Tertio ponit iniqua iudicia, quia scilicet infirmis personis iustitiam non reddebat, unde subdit viduas dimisisti vacuas, scilicet dum non fecisti eis iustitiam de adversariis, secundum illud Is. I 23 causa viduae non ingreditur ad eos; et iterum, quod amplius est, infimas personas opprimebat, unde subdit et lacertos pupillorum comminuisti, quasi dicat: si quid virium in eis erat adnullasti, contra illud quod dicitur in Psalmo iudicare pupillo et humili. Et pro his culpis subdit sibi poenas provenisse, unde subdit propterea circumdatus es laqueis, idest adversitatibus undique te opprimentibus ut evasionis locus non pateat postquam in eis incidisti; nec etiam ante potueras quia subito tibi supervenerunt, unde subdit et conturbat te formido subita, quia scilicet mala ei subito supervenerunt ex quibus poterat etiam alia timere. Causam autem quare subito ei supervenerint ostendit subdens et putabas te tenebras non visurum, idest non perventurum ad has dubitationes in quibus nescis quid facias, quod refertur ad laqueos; deinde quantum ad formidinem conturbantem subdit et impetu aquarum inundantium non oppressurum, quasi dicat: putabas quod numquam ad hoc pervenires quod opprimereris violentia et multitudine adversitatum desuper venientium, secundum illud I ad Thess. V 3 cum dixerint: pax et securitas, repentinus eis superveniet interitus. Quod autem pro peccatis non putet aliquis se poenas passurum, ad hoc pertinet quod non credit Deum de rebus humanis providentiam habere; ad quod forte voluit retorquere quod Iob dixerat numquid Deum docebit quispiam scientiam? Quod ad defectum scientiae divinae prave interpretatus est, et ideo videtur ei consequenter imponere quod Iob Dei providentiam neget. Est autem considerandum quod aliqui negant Deum habere cognitionem et providentiam rerum humanarum propter altitudinem suae substantiae, cui proportionari dicunt suam scientiam ut nihil sciat nisi se ipsum, putantes quod scientia eius vilesceret si se ad inferiora extenderet, unde subdit an cogitas quod Deus excelsior caelo sit, idest tota universitate creaturarum, et super stellarum verticem sublimetur, idest supra altissimam creaturarum? Et huius cogitationis conclusionem subdit et dicis: quid enim novit dominus, scilicet de istis inferioribus rebus? Non tamen huiusmodi homines rerum cognitionem Deo totaliter subtrahunt, sed dicunt quod eas cognoscit in universali, puta cognoscendo naturam entis vel universales causas, unde subdit et quasi per caliginem iudicat: cognoscere enim aliquid solum in universali est cognoscere imperfecte, et ideo huiusmodi cognitionem vocat caliginosam, sicut contingit de eo quod a remotis videtur quasi caliginose, quia percipitur esse homo sed non quis homo sit. Et adhibet similitudinem ex his quae apud homines contingunt, apud quos qui in aliquo loco latet, sicut non videtur ab his qui extra locum sunt, ita nec eos videt: nubes latibulum eius nec nostra considerat, quasi dicat: sicut ipse latet nos quasi nubibus occultatus inquantum ea quae supra nubes sunt plene cognoscere non valemus, ita e converso ea quae ad nos pertinent quasi sub nubibus existentia ipse non videt, sicut Ez. IX 9 ex persona quorundam dicitur dereliquit dominus terram, dominus non videt. Ponebant enim quod quia ea quae in terris sunt multis defectibus et inordinationibus subiacent, divina providentia non reguntur, sed solum caelestia, quorum ordo indeficiens perseverat, unde sequitur et circa cardines caeli perambulat; dicitur autem cardo in quo volvitur ostium, unde per hoc designat per Dei providentiam caelum moveri, ex cuius motu sicut ex quodam ostio providentia divina usque ad haec inferiora descendat: sicut enim dicunt quod Deus cognoscit humana sed in universali, ita dicunt quod gubernat humana sed per universales causas quas per se gubernat; et forte ad hoc referre voluit quod supra dixerat Iob qui excelsos iudicat. Numquid semitam saeculorum et cetera. Quia Eliphaz in verbis praemissis imposuisse videtur Iob quod non crederet Deum habere providentiam de rebus humanis, nunc consequenter videtur ei imponere huius infidelitatis effectum: solent enim illi qui Deum res humanas curare non credunt, contempto Dei timore, in omnibus sequi propriam voluntatem, unde dicit numquid semitam saeculorum custodire cupis? Idest processum eorum qui nihil credunt nisi ista temporalia quae vident, et ex hoc procedunt ad iniustitiae opera, unde subdit quam calcaverunt viri iniqui; illi autem calcare aliquam viam dicuntur qui frequenter et sine aliqua dubitatione et ex proposito viam terunt: sic autem illi qui non credunt divinam providentiam, frequenter et secure et ex proposito iniustitiae opera agunt; quod non contingit illis qui divinam providentiam credunt, quamvis quandoque ex infirmitate ad iniustitiam declinent. Et ne hoc impune fecisse videantur, subdit qui sublati sunt ante tempus suum, idest qui mortui sunt nondum completo naturali spatio vitae, et causam assignat subdens et fluvius subvertit fundamentum eorum; est autem uniuscuiusque hominis fundamentum id cui principaliter spes eius innititur: tales autem non in Deo spem suam ponunt sed in solis temporalibus rebus, quae corrumpuntur ipso cursu mutabilitatis rerum quem fluvium nominat. Quae autem sit praedicta semita exponit subdens qui dicebant Deo: recede a nobis, scilicet contemnentes ipsum et spiritualia bona eius quantum ad affectum; sed quantum ad intellectum incredulitatem eorum describit subdens et quasi nihil possit facere omnipotens, aestimabant eum, quia scilicet si ad eum non pertinet cura rerum humanarum nihil bene vel male homini facere potest, quod contrariatur omnipotentis rationi; et ad exaggerandum culpam subicit de eorum ingratitudine dicens cum ille implesset domos eorum bonis, scilicet temporalibus quae a Deo dantur hominibus; et ad eorum assertionem improbandam subdit quorum sententia procul sit a me. Et ne videretur quod simul cum impiis etiam iusti subverterentur, hoc excludit subdens videbunt iusti et laetabuntur, per quod datur intelligi quod ipsi non subvertentur sed in laetitia erunt; et ne videretur quod ex hoc ipso a iustitia deficerent quod de subversione aliorum gauderent, subdit et innocens subsannabit eos, quasi dicat: salva innocentia, eos poterunt subsannare de hoc quod contra suam opinionem subvertuntur: in hoc enim iusti congaudent divinae iustitiae; et videtur hoc proprie respondere ad id quod Iob dixerat post mea, si videbitur, verba ridete, quasi conquerens se derideri ab eis. Et ne aliquis dubitaret fundamentum impiorum a fluvio esse subversum, hoc quasi manifestum sub interrogatione proponit dicens nonne succisa est erectio eorum? Videbantur enim per prosperitatem terrenam vel etiam per propriam elationem ad modum arboris erigi in sublime; sed sicut arboris erectio per succisionem subito impeditur, ita etiam et eorum elevatio per eorum subtractionem subito cessat. Contingit autem quandoque quod arbor succisa in altius quidem crescere non potest, sed tamen adhuc eius remanet longitudo; si tamen ignis apponatur, nullum vestigium praeteritae altitudinis restat: ita etiam si mortuo vel deiecto homine peccatore, per ignem adversitatis etiam filii eius pereant et divitiae diripiantur, nihil residuum videbitur de altitudine praeterita remanere, unde sequitur et reliquias eorum devoravit ignis, idest ardor tribulationis, secundum illud Iac. I 11 exortus est sol cum ardore et arefecit fenum; dicuntur autem reliquiae hominis vel filii vel quaecumque aliae res eius post eum remanentes. Quia igitur huiusmodi subversionem impiis accidere dixerat ex hoc quod contra Deum nitebantur, ut similia Iob evitare posset, subdit acquiesce ergo ei et habeto pacem, quasi dicat: propter hoc perturbatus es quia contra eum contendere voluisti; et per hoc, scilicet per pacem qua ei reconciliaberis, habebis fructus optimos, quasi dicat: quicquid optimum esse potest, quasi fructum huius pacis consequeris. Qualiter autem ei acquiescere debeat, ostendit subdens suscipe ex ore illius legem, quasi dicat: non aestimes quod res humanae divina providentia non regantur, quin immo secundum legem regiminis eius tuam vitam disponas. Et quia quidam legem divini regiminis profitentur sed tamen eam opere non sequuntur, ideo subdit et pone sermones eius in corde tuo, ut scilicet mandata eius mediteris et ea servare disponas. Qualiter autem per hoc fructus optimos habiturus sit, ostendit subdens si reversus fueris ad omnipotentem, ut scilicet eius omnipotentiam credas et ei te subicias, aedificaberis, quasi dicat: domus tuae prosperitas quae destructa est reparabitur. Quomodo autem ad Deum perfecte reverti debeat, ostendit subdens et longe facies iniquitatem a tabernaculo tuo, et est subintelligendum si, ut littera sic legatur: si longe facias iniquitatem a tabernaculo tuo, dabit, scilicet Deus, pro terra silicem et pro silice torrentes aureos, ut hoc quod dicit longe facies iniquitatem a tabernaculo tuo sit expositivum eius quod dixerat si reversus fueris ad omnipotentem. Et non dicit: si longe feceris iniquitatem a te, sed a tabernaculo tuo, volens innuere quod adversitas ei acciderat non solum pro peccato personae suae sed etiam pro peccato suae familiae. Quod vero dicit dabit pro terra silicem refertur ad hoc quod dixit aedificaberis, ut scilicet detur intelligi quod restauratio sit futura, sed ad aliquid maius, ut scilicet pro amissis maiora reddat: silex enim pretiosior est quam gleba terrae et aurum quam silex. Quae sint autem ista bona quae ei restituenda promittit enumerat consequenter, primo ponens securitatem ex Dei protectione cum subdit eritque omnipotens contra hostes tuos, ne scilicet iterato possint subripere quae tibi restituentur a Deo; secundo ponit divitiarum abundantiam cum dicit et argentum coacervabitur tibi: nomine enim argenti omnes divitiae significantur quia ex argento pecunia fieri solet. Et ne videatur solum corporalia bona promittere subiungit de spiritualibus bonis, inter quae primum ponit ut homo Deum diligat et delectetur in eo, unde sequitur tunc super omnipotentem deliciis afflues, idest quando pacem cum eo habebis in eo delectaberis; et quia unusquisque libenter respicit id in quo delectatur subdit et elevabis ad Deum faciem tuam, idest mentem tuam ut ipsum frequenter contempleris; et ex hoc fiduciam accipies recurrendi ad ipsum, unde subdit rogabis eum; et hoc non sine fructu, sequitur enim et exaudiet te; solent autem exauditi a Deo vota implere quae postulando promiserunt, unde subdit et vota tua reddes, quasi in signum exauditionis. Deinde promittit prosperum propositi successum cum subdit decernes rem, idest ordinabis per tuam providentiam qualiter aliquid sit futurum, et veniet tibi, idest dispositio tua non frustrabitur; et ne dubites quid sit decernendum, hoc etiam tibi manifestabitur, unde subdit et in viis tuis splendebit lumen, idest clare apparebit tibi per quas vias procedere debeas. Rationem autem harum promissionum ostendit subdens qui enim humiliatus fuerit, scilicet Deo se subiciendo per affectum, erit in gloria, quam scilicet consequetur a Deo; et qui inclinaverit oculos suos, ne scilicet per intellectum aliquid superbum et stultum contra Deum sentiat, ipse salvabitur, a malis scilicet liberatus et in bonis stabilitus. Non solum autem requiritur ad salutem interior humilitas affectus et intellectus sed etiam exterior puritas operum, unde subdit salvabitur innocens; et quo merito salvetur ostendit subdens salvabitur autem munditia manuum suarum, idest innocentia operum suorum. Et est considerandum quod hic Eliphaz non solum promittit Iob, si convertatur, bona temporalia quae possunt esse bonis et malis communia, sicut supra fecerat, sed etiam bona spiritualia quae sunt propria bonorum, sed tamen solum in hac vita.

Après ces propos du bienheureux Job, Eliphaz n’en prend pas les paroles dans l’intention où elles ont été dites; car ce que Job avait dit afin de montrer la profondeur de son sujet "est-ce contre un homme que je discute"?, Eliphaz prend cela Comme s’il voulait en rival discuter avec Dieu; et donc de l’accuser de présomption sous un triple grief. D’abord on provoque quelqu’un à la discussion ou à la dispute quand on le considère comparable à soi-même dans la connaissance de la vérité pour que du dialogue on dépiste ce qui est caché. Or c’est grande présomption pour l’homme de vouloir comparer sa connaissance avec celle de Dieu, d’où ce qu’il dit : peut-on comparer l’homme à Dieu, même si sa connaissance était parfaite : il veut dire qu’il n’en est rien puisque la science de Dieu est infinie. Ensuite, on est peut être amené à discuter ou à raisonner avec un autre, au sujet de ce qu’on en aurait reçu afin de comparer ce qui est donné et ce qui est reçu; or c’est présomption de penser que nos bonnes actions sont utiles à Dieu; d’où au psaume il est dit : "J’ai dit au Seigneur tu es mon Dieu parce que tu n’as pas besoin de mes dons " (15, 2); d’où ce qui est dit : Qu’importe à Dieu si tu étais juste c’est-à-dire en faisant le bien? Ou que lui apportes-tu si ta conduite était sans tache c’est-à-dire en t’abstenant de pécher? Enfin on peut amener son adversaire à comparaître sous l’effet de la crainte devant un pouvoir supérieur qui le convoque. On ne peut se permettre cela avec Dieu; d’où il dit : Est-ce sous la crainte c’est-à-dire de quelque juge, qu’il te reprendra, c’est-à-dire en accusant, et viendra avec toi en jugement, comme ayant été cité d’égal à égal?

Comme Job avait encore dit : que leurs sentences étaient injustes, par quoi ils disaient que sa maison avait péri comme les tentes des impies, il veut montrer que sa pensée est la vraie, lorsqu’il dit : quoi donc? Abondante n’est-elle pas ta malice et tes iniquités infinies? Il veut dire que Dieu reprend en infligeant des châtiments non parce qu’il craint mais par amour de la justice, pour te punir de tes péchés;

la malice peut se rapporter aux péchés par lesquels il a fait du tort à autrui, et l’iniquité aux péchés d’omission; la malice il la dit : abondante mais les iniquités infinies, car l’homme pèche plus souvent par omission que par malice. D’où il enchaîne au sujet des dommages causés au prochain qui, tantôt lui sont infligés iniquement sous couleur de justice d’où il dit en effet sans motif tu gardais les gages de tes frères c’est-à-dire le nécessaire, car sans une garantie tu ne pouvais te fier à tes frères, tantôt ont causé des dommages sans quelque couleur de justice et quant à cela il dit : et tu as dépouillé de leurs vêtements ceux qui étaient nus ce qui peut avoir deux sens : d’une part en les dépouillant, tu les as laissés nus ne leur laissant rien; ou d’autre part comme ils étaient nus à savoir trop peu vêtus, le peu qu’ils avaient tu leur enlevais. Il enchaîne au sujet des péchés d’omission tu n’as pas désaltéré celui qui était las, c’est-à-dire celui qui avait soif suite aux fatigues de la route; et il veut dire : tu n’as pas porté secours et consolation à ceux qui peinent et qui souffrent; à l’affamé tu as soustrait le pain, il veut dire : tu n’as pas assisté l’indigent. Jusqu’ici il s’est agi des péchés qu’il a commis en tant que personne privée.

Il traite maintenant des péchés qui se rapportent à sa charge; parmi lesquels, d’abord d’avoir obtenu cette charge non selon le droit mais par la violence, d’où ce qu’il dit : à la force de ton bras tu as possédé la terre, à savoir c’est par la puissance que tu as acquis ton domaine. Ensuite il n’a pas gouverné ses sujets selon la justice mais par la force comme il est écrit au livre de la Sagesse " Que notre force fasse loi " (2, 11) d’où il dit : et parce que le plus puissant, tu l’obtenais à savoir avec tout ce que la puissance suppose, tu abusais de tes sujets. Enfin il pose l’injustice de ses jugements, parce qu’il ne faisait pas droit aux plus petits; d’où il dit : tu renvoyais les veuves les mains vides, en ne faisant pas justice de leurs adversaires, comme on le lit en Isaïe " La cause de la veuve n’a pas d’accès chez eux " (1. 23); de plus, et ce qui est plus grave, il opprimait les faibles, d’où ce qu’il dit : et tu as brisé les muscles des enfants; comme s’il disait s’il y avait quelque droit pour eux, tu l’annulais, contrairement à ce que dit le psaume " Juger pour le petit et l’humble)" (9, 18).

Et c’est pour ces fautes qu’il est puni c’est pourquoi il dit : Te voilà entouré de lacets, c’est-à-dire tes adversités te pressent de toute part et tu ne peux leur échapper après être tombé entre leurs mains, ni ne l’aurais pu avant, car elles t’ont subitement prévenu; d’où il dit : et une terreur soudaine te trouble c’est-à-dire que ses maux lui sont venus subitement qui lui en font craindre d’autres. Et il indique la cause de ce revirement subit, en introduisant. Tu pensais ne pas voir les ténèbres à savoir que tu n’en viendrais pas à ne plus savoir que faire; et c’est là le sens des lacets dont il ne peut se défaire. Quant à la terreur qui le trouble il dit : et (tu pensais) que des eaux impétueuses ne t’emporteraient pas; il veut dire tu croyais que tu n’arriverais pas à être opprimé par de violentes et nombreuses adversités se ruant sur toi, comme il est écrit : "Ils disent : paix et sécurité, soudainement viendra leur perte " (1 Thes. 5, 3).

Croire que l’on ne sera pas puni pour ses péchés tient à ce qu’on pense que Dieu ne s’occupe pas de nous et des choses humaines; il veut sans doute par là rétorquer à Job d’avoir dit : "Quelqu’un enseignera-t-il Dieu?" (21, 22). Mais c’est là une coupable interprétation de la science divine et donc Job aurait, d’après lui, nié la providence divine. Or il faut considérer que certains disent que Dieu ne connaît pas ni ne gouverne les choses humaines, à cause de l’élévation de sa substance à laquelle est proportionnée, disent-ils, sa science, de sorte qu’il ne connaît que lui-même. Et ils pensent que sa science s’avilirait en s’étendant aux choses inférieures, d’où il introduit Tu penses donc que Dieu est plus haut que le ciel à savoir que la création toute entière, et plus élevé que le sommet des étoiles à savoir au-dessus de ce qu’il y a de plus élevé dans les créatures? Et de cette pensée il tire la conclusion Tu as dit : que connaît Dieu c’est-à-dire quant aux choses inférieures? Non pas que ces hommes enlèvent totalement à Dieu la connaissance des choses, mais il les connaît en général, connaissant l’être et les causes universelles; d’où ce qu’il dit : il juge comme à travers l’obscurité; en effet connaître seulement en général c’est connaître imparfaitement et donc de Cette connaissance, il dit : qu’elle est en quelque sorte obscure, comme quand on voit de loin et qu’on aperçoit un homme, mais on ne sait pas qui c’est. Puis il fait une comparaison avec ce qui se passe chez les hommes, où celui qui est caché en un endroit est comme s’il n’était pas vu de ceux qui sont hors de ce lieu et lui ne les voit pas, d’où ce qu’il dit : les nuées sont sa cachette ni il ne voit nos affaires, comme de dire : de même qu’Il nous est caché, comme dérobé aux regards par les nuées en tant que ce qui se trouve au-dessus d’elles nous ne pouvons le connaître, ainsi inversement Lui ne voit pas les choses qui nous concernent comme existant sous des nuées, comme on le lit dans Ezechiel : "Dieu a délaissé la terre, le Seigneur ne voit pas" (8, 12). Job pensait, au dire d’Eliphaz, que les choses qui sont sur terre parce qu’elles sont soumises à beaucoup d’avatars et de désordres, ne sont pas régies par la divine providence, mais seulement les choses célestes dont l’ordonnance continue sans nul heurt; d’où ce qui suit Il déambule autour des gongs du ciel. Un gong est ce autour de quoi une porte tourne; par là il signifie que la providence de Dieu meut le ciel; de ce mouvement, comme d’une porte, la divine providence descend vers ces choses inférieures. De même qu’ils disent que Dieu connaît les choses humaines en général, ainsi disent-ils qu’il les gouverne, mais par les causes universelles qu’Il gouverne par lui-même. Peut-être fait-il allusion à ce que Job avait dit plus haut " Lui qui juge les grands " (21, 22).

 

CONFÉRENCE 2 — Eliphaz : "Dieu est juste. Que Job se repente" (Job 22, 15-30)

 

15 Gardes-tu donc les voies anciennes, où marchèrent les hommes d'iniquité, 16 qui furent emportés avant le temps, dont les fondements ont été arrachés par les eaux. 17 Eux qui disaient à Dieu : "Retire-toi de nous! Que pourrait nous faire le Tout-Puissant?" 18 C'était lui pourtant qui avait rempli leurs maisons de richesses. -Loin de moi le conseil des méchants! - 19 Les justes voient leur chute et s'en réjouissent, les innocents se moquent d'eux : 20 " Voilà nos ennemis anéantis! Le feu a dévoré leurs richesses!" 21 Réconcilie-toi donc avec Dieu et apaise-toi; ainsi le bonheur te sera rendu. 22 Reçois de sa bouche l'enseignement, et mets ses paroles dans ton cœur. 23 Tu te relèveras, si tu reviens au Tout-Puissant, si tu éloignes l'iniquité de ta tente. 24 Jette les lingots d'or dans la poussière, et l'or d'Ophir parmi les cailloux de torrent. 25 Et le Tout-Puissant sera ton or, il sera pour toi un monceau d'argent. 26 Alors tu mettras tes délices dans le Tout-Puissant, et tu lèveras vers lui ta face. 27 Tu le prieras, et il t'écoutera, et tu t'acquitteras de tes vœux. 28 Si tu formes un dessein, il te réussira, sur tes sentiers brillera la lumière. 29 A des fronts abattus tu crieras : "En haut!" et Dieu secourra celui dont les yeux sont abaissés. 30 Il délivrera même le coupable, savé par la pureté de tes mains.

15 Voudrais-tu suivre la route des gens du siècle Qu’ont foulée les impies? 16 Ils ont été enlevés avant le temps, Et le fleuve a miné leur fondation. 17 Ils disaient à Dieu : Eloigne-toi de nous! Comme si le Tout-Puissant ne pouvait rien, ainsi pensaient-ils, 17 qu'il les avait comblés. Mais loin de moi soient leurs pensées. 18 Les justes verront et se réjouiront, L'innocent les tournera en dérision. 20 Leur superbe n'a-t-elle pas été abattue? Et ce qui en restait, le feu l’a consumé. 21 Soumets-toi à Lui et tiens-toi en paix, lite fera porter d’excellents fruits. 22 Reçois la loi de sa bouche, Et mets ses paroles en ton cœur. 23 Si tu fais retour au Tout-Puissant il te reconstruira; et tu écarteras l’iniquité de ta tente. 24 Au lieu de terre tu auras du silex, Et au lieu de silex des torrents aurifères. Tu acquerras l’or comme de la terre et comme les galets du torrent d’Ophir. 25 Le Tout-Puissant s'opposera à tes ennemis, et tu amasseras de l'argent. 26 Alors tu trouveras tes délices auprès du Tout-Puissant et tu élèveras vers Dieu ton visage. 27 Tu le prieras et Il t’exaucera, et tu lui feras des vœux. 28 Tu décideras d’une affaire et elle se fera et sur ton chemin resplendira la lumière. 29 Celui qui aura connu l’humiliation obtiendra la gloire. Qui aura baissé les yeux sera sauvé. 30 L'innocence sera sauvée, la pureté de ses mains la sauvera.

Dans ce qu’il vient de dire Eliphaz avait reproché à Job de ne pas croire que la providence divine intervient dans les affaires humaines; maintenant il le charge des conséquences de cette incroyance;

en effet ceux qui nient que Dieu prend soin des choses humaines, bravant toute crainte de Dieu, suivent en tout leur propre volonté : d’où ce qu’il dit : Voudrais-tu suivre la voie des gens du siècle? C’est-à-dire le comportement de ceux qui ne croient qu’à ces choses temporelles qu’ils voient et ainsi ils s’engagent dans des actions injustes, d’où il dit : qu’ont foulée les impies? Fouler aux pieds une voie se dit de ceux qui fréquemment, sans aucun souci et de propos arrêté l’utilisent; ainsi ceux qui ne croient pas à la divine providence, fréquemment, en sécurité et de propos délibéré commettent les actions injustes; ce qui n’arrive pas à ceux qui croient à la divine providence bien que parfois ils glissent vers l’injustice par faiblesse. Pour qu’ils ne paraissent pas impunis il dit : Ils ont été enlevés avant le temps, à savoir ils sont morts sans avoir achevé le cours normal de la vie. Et il en dit : la cause et le fleuve a miné leur fondation. Or la fondation de tout homme est ce sur quoi principalement s’appuie son espoir. De tels hommes ne mettent pas leur espoir en Dieu mais dans les seules choses temporelles qui se corrompent par le cours changeant des choses et qu’il dénomme fleuve. Et quelle est cette voie citée plus haut il le dit : ils disent à Dieu : Éloigne-toi de nous, c’est-à-dire en le méprisant lui et ses biens spirituels quant à l’affection; quant à l’intelligence il décrit leur incrédulité et dit : et comme si le Tout- Puissant ne pouvait rien faire, ainsi pensent-ils. Car si le soin des choses humaines ne le regarde pas, il ne peut faire ni bien ni mal à l’homme; ce qui est contraire à sa toute puissance. Et pour aggraver leur culpabilité, il dit leur ingratitude en disant : alors qu’il les avait comblés de biens c’est-à-dire temporels, que Dieu donne aux hommes. Pour rejeter leur assertion il dit : mais loin de moi soient leurs pensées.

Et pour ne pas comprendre les justes dans la ruine des impies, il dit : les justes verront et se réjouiront : ils se réjouissent de n’avoir pas été ruinés. Et pour montrer qu’en cela ils ne s’écartent pas de la justice en se réjouissant de la ruine des autres il dit : l’innocent les tournera en dérision; il veut dire que gardant l’innocence ils pourront les tourner en dérision d’avoir été ruinés contrairement à leur propre sentence; en cela en effet les justes se réjouissent de la justice divine. Et c’est proprement en accord avec ce que Job avait dit : "Après que j’aurai parlé, moquez-vous de moi " (21, 3) comme déplorant qu’ils se soient moqué de lui.

Et pour qu’on ne doute pas que le fleuve ait renversé la fondation des impies, voici ce que, sous forme d’interrogation il propose comme certain leur superbe n’a-t-elle pas été abattue? En effet ils paraissaient grâce à leur prospérité terrestre, ou par leur orgueil personnel, s’élever bien haut à la manière d’un arbre. Mais de même que l’arbre élevé très haut est subitement jeté à terre par l’abattage, ainsi aussi leur élévation cesse subitement, minée par le dessous. Il peut arriver qu’un arbre abattu, s’il ne peut plus grandir en hauteur, garde encore sa dimension, mais si on y met le feu plus aucun vestige ne reste de sa hauteur passée; ainsi aussi quand le feu de l’adversité s’attaque au pécheur qui est mort ou qui a été humilié, ses fils aussi périssent et ses richesses emportées et plus rien ne paraît de son antique fortune; d’où ce qui suit et ce qui restait, le feu l’a consumé, le feu de la tribulation, selon ce qui est écrit : "Le soleil s’est levé brûlant et il a desséché l’herbe " (Jac. 1, 11); ce qui restait ce sont ses fils et toutes les choses subsistant après sa mort.

Donc comme il avait dit : qu’une telle ruine arrive aux impies parce qu’ils s’élevaient contre Dieu, pour éviter un tel sort à Job il dit : soumets-toi donc et tiens-toi en paix, comme de dire : tu as été boule versé à cause que tu as contesté contre Dieu; et par là, à savoir par la paix qui te réconcilie avec lui tu porteras d’excellents fruits, il veut dire : tout ce qu’il y a de meilleur tu l’obtiendras comme fruit de cette paix. Et comment il doit se soumettre il le dit : reçois la loi de sa bouche, comme s'il disait : ne pense pas que la divine providence ne gouverne pas les choses humaines; bien au contraire, dispose ta conduite selon la loi de son gouvernement. Et comme certains admettent cette loi du gouvernement divin mais ne la mettent pas en pratique, il dit : mets ses paroles en ton cœur c’est-à-dire pour méditer ses commandements et te disposer à les garder. De quelle manière obtiendra-t-il des fruits excellents il le montre en disant : si tu fais retour au Tout-Puissant, c’est-à-dire pour reconnaître sa toute puissance et t’y soumettre, il te reconstruira, comme s’il disait : la prospérité de ta maison sera restaurée qui avait été détruite. Comment doit-il se convertir parfaitement à Dieu il le montre en disant : tu écarteras l’iniquité de ta tente; et il faut sous-entendre “si” de sorte qu’on lit : si tu écartes... etc, Dieu te donnera au lieu de terre du silex et au lieu de silex des torrents aurifères; ainsi " situ écartes l’iniquité de ta tente " explique " situ fais retour au Tout-Puissant". Mais il ne dit pas : si tu écartes de toi, mais de ta tente, voulant insinuer que l’adversité lui est venue non seulement pour son péché personnel mais aussi pour le péché de sa famille. Quand il dit : il donnera du silex au lieu de terre, cela se rapporte à ce qu’il a dit : "tu seras reconstruit" pour indiquer que la restauration aura lieu plus tard, mais en mieux qu’avant; c’est-à-dire que pour les choses perdues, il lui rendra de meilleures; le silex en effet est plus précieux que la glèbe et l’or que le silex.

Or quels sont ces biens qu’il lui promet en restitution, il va les énumérer. D’abord la sécurité sous la protection de Dieu lorsqu’il dit : le Tout-Puissant s’opposera à tes ennemis, c’est-à-dire qu’ils ne pourront plus enlever ce que Dieu te restitue. Ensuite l’abondance des richesses, lorsqu’il dit : tu amasseras l’argent; en effet l’argent signifie toutes les richesses, car on fait de la monnaie avec l’argent Et pour ne pas promettre que du temporel, il enchaîne avec les biens spirituels parmi lesquels il y a Dieu d’abord, de sorte que l’homme aime Dieu et se plaît en lui, d’où ce qui suit alors tu abonderas de délices auprès du Tout-Puissant à savoir quand tu auras trouvé la paix avec lui, tu te délecteras en lui. Et comme chacun jette les regards sur ce qui lui plaît, il ajoute : et tu élèveras vers Dieu ton visage à savoir ton esprit pour le contempler souvent, et donc tu recourras à Lui avec confiance; d’où il dit : tu le prieras, et non sans fruit, suit en effet et il t’exaucera. Or ceux que Dieu a exaucés veulent accomplir les vœux qu’ils ont faits dans la prière, d’où il dit : et tu accomplira tes vœux, comme signe d’avoir été exaucé. Ensuite il lui promet la réussite de ses projets lorsqu’il dit : tu décideras d’une affaire, à savoir tu ordonneras par toi même ce qui devra se faire, et elle arrivera, à savoir tu ne seras pas frustré dans ton attente. Et pour que tu ne doutes pas de ce que tu décideras, cela te sera aussi manifesté, d’où il dit : et en tes voies resplendira la lumière à savoir il t’apparaîtra clairement quelles voies tu dois suivre.

Il donne la raison de ces promesses en disant : celui qui aura connu l’humiliation, c’est-à-dire en se soumettant à Dieu par l’affection sera honoré, Dieu lui accordant cette gloire. Et qui aura baissé les yeux, c’est-à-dire qui ne nourrit contre Dieu aucun orgueil dans son intelligence, sera sauvé, c’est-à-dire délivré des malheurs et établi dans le bonheur. Mais l’humilité intérieure de cœur et d’esprit ne suffit pas au salut, il faut encore la pureté des œuvres extérieures, d’où ce qui suit l’innocent sera sauvé; et pourquoi le sera-t-il, il le montre en disant : par la pureté de ses mains c’est-à-dire l’innocence de ses œuvres. Remarquons qu’Eliphaz promet à Job, s’il se convertit non seulement les biens temporels, qui peuvent être communs aux bons comme aux méchants, comme il l’a fait plus haut’ mais aussi les biens spirituels qui sont propres aux bons; mais cependant en cette vie seulement.

 

 

Caput 23

Job 23 — Discours de Job qui en appelle au jugement de Dieu

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Job : Je suis juste (Job 23)

 

1 Alors Job prit la parole et dit :

2 Oui, aujourd'hui ma plainte est amère, et pourtant ma main retient mes soupirs. 3 Oh! Qui me donnera de savoir où le trouver, d'arriver jusqu'à son trône! 4 Je plaiderais ma cause devant lui, et je remplirais ma bouche d'arguments. 5 Je saurais les raisons qu'il peut m'opposer, je verrais ce qu'il peut avoir à me dire. 6 M'opposerait-il la grandeur de sa puissance? Ne jetterait-il pas au moins les yeux sur moi? 7 Alors l'innocent discuterait avec lui, et je m'en irais absous pour toujours par mon juge. 8 Mais si je vais à l'orient, il n'y est pas; à l'occident, je ne l'aperçois pas. 9 Est-il occupé au septentrion, je ne le vois pas; se cache-t-il au midi, je ne puis le découvrir.

10 Cependant il connaît les sentiers où je marche; qu'il m'examine, je sortirai pur comme l'or. 11 Mon pied a toujours foulé ses traces; je me suis tenu dans sa voie sans dévier. 12 Je ne me suis pas écarté des préceptes de ses lèvres; j'ai fait plier ma volonté aux paroles de sa bouche. 13 Mais il a une pensée : qui l'en fera revenir? Ce qu'il désire, il l'exécute. 14 Il accomplira donc ce qu'il a décrété à mon sujet, et de pareils desseins, il en a beaucoup. 15 Voilà pourquoi je me trouble en sa présence; quand j'y pense, j'ai peur de lui. 16 Dieu fait fondre mon cœur; le Tout-Puissant me remplit d'effroi. 17 Car ce ne sont pas les ténèbres qui me consument, ni l'obscurité dont ma face est voilée.

1 Job prit la parole et dit : 2 Maintenant encore amer est mon discours, et la main qui m’éprouve appesantit ma plainte. 3 Qui me donnera de le connaître et de le trouver, d’arriver jusqu’à son trône? 4 Je mettrai devant lui le jugement, na bouche remplie d’imprécations. 5 je sache ce qu’il me répondra et saisisse ce qu’il me dit! 6 Je ne veux pas qu'il conteste avec grande puissance, ni qu'il m’écrase du poids de sa grandeur. 7 Qu'il propose équitablement ce qu’il a contre moi, et ma cause sera victorieuse. 8 Si je vais à l’orient il n y est pas; pas plus à l’occident je le saisirai. 9 Si je “ais à gauche, qu'y ferai-je? Je ne l’atteindrai pas. Si je me tourne vers la droite, je ne le verrai pas. 10 Lui-même connaît ma voie et il n’éprouvera comme l’or qui passe par le feu. 11 Mon pied a suivi ses traces; j’ai gardé sa voie et n’ai pas dévié. 12 Je ne me suis pas écarté des commandements de ses lèvres et en mon sein j’ai gardé les paroles de sa bouche. 13 Lui-même en effet est unique, personne ne peut savoir ses pensées; et tout ce que son âme a voulu il l’a fait. 14 Il aura accompli en moi sa volonté, beaucoup d’autres choses semblables sont à sa portée. 15 A cause de cela le trouble me saisit devant lui : et le considérant je suis pris de crainte. 16 Dieu a amolli mon cœur, et le Tout-Puissant m’a ébranlé. 17 Les ténèbres menaçantes ne m’ont pas ruiné; l’obscurité n’a pas couvert ma face.

[84921] Super Iob, cap. 23 Respondens autem Iob dixit: nunc quoque in amaritudine est et cetera. Eliphaz in verbis praemissis duo contra Iob proposuisse videtur: primo quidem quod propter malitiam suam plurimam fuerit punitus, secundo quod de Dei providentia dubitaverit vel eam negaverit; solent autem homines cum eis falso aliqua crimina imponuntur ex hoc contristari, unde quia Iob haec in se non recognoscebat dicit nunc quoque in amaritudine est sermo meus, quasi dicat: sicut supra me contristastis opprobriis vestris ita etiam et nunc, ut cogar cum amaritudine loqui. Cum autem alicui afflicto de novo afflictio additur, priores afflictiones ad memoriam revocantur ex quibus praesens gemitus aggravatur, unde subdit et manus, idest potestas, plagae meae, idest adversitatis quam olim sum passus, aggravata est super gemitum meum, idest facit praesentem gemitum graviorem. Incipit autem primo respondere ad hoc quod dixerat propter malitiam suam eum punitum. Recognoscebat autem se Iob punitum divino iudicio - unde supra XVI 12 dixerat conclusit me Deus apud iniquum -, unde inquirere causam quare punitus sit est inquirere rationem divini iudicii, quam quidem nullus cognoscere potest nisi ipse Deus, ex quo patet praesumptuose Eliphaz asseruisse eum propter malitiam fuisse punitum; unde super hoc non vult cum Eliphaz contendere, sed disputationem suam vertit ad Deum qui solus sui iudicii rationem novit. Reputaret autem se divino iudicio praegravatum si propter malitiam plurimam esset punitus; solent autem qui ab aliquo iudice sunt gravati primo quidem ad iudicem accedere, quod facere non possunt nisi locum eius inveniant, quod etiam non possunt nisi prius eum cognoscant: nullus enim potest quaerens invenire id quod omnino ignorat, unde dicit quis mihi tribuat ut cognoscam et inveniam illum et veniam usque ad solium eius? Sciebat enim quod Deus eius cognitionem excederet, et ideo non poterat perfecte de se invenire viam per quam usque ad solium eius perveniret, idest usque ad plenam cognitionem iudiciorum ipsius. Solet autem gravatus a iudice cum ad eum pervenerit causae suae iustitiam demonstrare, unde subdit ponam coram eo iudicium, quasi dicat: proponam ei quale debeat esse iustum iudicium causae meae; et os meum replebo increpationibus, idest conquestionibus, non quidem ut credam divinum iudicium esse iniustum sed per modum quaerentis, sicut solent disputantes contra dicta aliorum obicere ut plenius veritatem intelligant, unde subdit ut sciam verba quae mihi respondeat, quod pertinet ad veritatem responsionis cognoscendam, et intelligam quid loquatur mihi, quod pertinet ad percipiendam verborum intelligentiam: non enim potest homo scire an verum sit quod ei dicitur nisi intelligat quid ei dicatur. Frequenter autem supra quasi ad divinum iudicium sustinendum proposuerant divinam fortitudinem et magnitudinem, sicut Sophar supra XI 8: excelsior caelo est, et quid facies? Et cetera quae ibi sequuntur, et ideo hanc responsionem excludens subdit nolo multa fortitudine contendat mecum, nec magnitudinis suae mole me premat, quasi dicat: non sufficit mihi ista responsio ut solum contra me allegetur Dei potentia et magnitudo, quia sicut ipse est fortissimus et maximus ita etiam est iustissimus et aequitatis amator; unde subdit proponat aequitatem contra me, idest assignetur ratio ad aequitatem pertinens, et ita apparebit quod non propter malitiam sum punitus, unde subdit et perveniet ad victoriam iudicium meum, quo scilicet contra vos contendo asserens me non pro peccatis punitum. Et ne quis credat ex eo quod dixit quis mihi tribuat ut cognoscam et inveniam illum et veniam usque ad solium eius? Quod crederet Deum corporali loco concludi aut per creaturas sufficienter posse cognosci, subiungit si ad orientem iero non apparet. Ubi considerandum est quod secundum Aristotilem in caelo distinguuntur sex positionis differentiae, scilicet sursum et deorsum, dextrorsum et sinistrorsum, ante et retro. Principium enim motus totius firmamenti manifeste apparet in oriente; est autem in quolibet animali principium motus a dextro: si ergo imaginemur motum firmamenti sicut motum unius animalis, oportebit ponere dextrum caeli in oriente, sinistrum vero in occidente, sursum in meridie, deorsum vero in Septentrione, anterius vero in superiori hemisphaerio, posterius vero in inferiori hemisphaerio; velut si imaginaremur unum hominem qui sua dextra moveret caelum ab oriente versus superius hemisphaerium, consequens esset quod caput teneret versus meridiem et pedes versus Septentrionem, et pars anterior hominis esset versus superius hemisphaerium, posterius vero hominis, idest dorsum, versus inferius. Quidam tamen non respicientes ad dispositionem humani corporis sed magis ad ordinem motus caeli posuerunt superius caeli esse partem Orientalem eo quod ibi incipit motus, dextrum autem caeli in parte meridionali, versus quam partem quoad nos procedunt motus planetarum; unde per oppositum inferius caeli intelligitur occidens, sinistrum vero caeli intelligitur pars Septentrionalis. Et hoc modo videntur hic procedere verba Iob: nam dextrum et sinistrum dividit contra orientem et occidentem. Potest ergo simpliciter intelligi quod in nulla parte caeli Deus localiter concluditur, ut sit sensus: si ad orientem iero non apparet, quasi ibi vicinior existens, ac si ibi localiter existeret; si ad occidentem non intelligam illum, quasi propinquiorem et ibi conclusum; si ad sinistram, idest versus Septentrionalem partem, quid agam? Non apprehendam eum, quia scilicet non est ibi corporaliter situatus; si me vertam ad dextram, idest versus partem meridionalem, non videbo illum, quasi ibi existentem. Vel possunt haec verba induci non ad excludendum a Deo localem situm sed ad ostendendum quod non potest sufficienter per inferiores effectus inveniri; inter omnes autem effectus in rebus corporalibus apparentes universalior est et maior motus firmamenti, et quamvis manifeste appareat huius motus principium in oriente, tamen huius motus principium non sufficienter demonstrat infinitatem divinae virtutis, unde dicit si ad orientem iero, scilicet progressu meae considerationis, quasi considerans principium motus firmamenti, non apparet, scilicet sufficienter per hanc considerationem. Secundus autem effectus divinae virtutis in rebus corporalibus est motus planetarum, qui est ex adverso motus firmamenti: unde principium est in occidente, ex quo etiam non sufficienter potest considerari virtus divina, unde subdit si ad occidentem, scilicet iero, considerans principium motus planetarum, non intelligam illum; et valde signanter loquitur: hic enim motus magis intelligitur ex diversitate situs planetarum quam appareat oculis. Ex parte vero Septentrionali non videtur esse principium nobis nisi tenebrarum, quia versus illam partem sol numquam accedit; tenebrae autem impediunt actionem, secundum illud Ioh. IX 4 venit nox quando nemo potest operari, unde subdit si ad sinistram, scilicet per considerationem perrexero, quid agam? Idest non invenio ibi nisi defectum actionis, unde nullum vestigium dabitur ad eum cognoscendum, unde subdit non apprehendam eum, etiam qualitercumque. Ex parte vero meridionali est nobis principium luminis propter corpora luminarium ex illa parte nobis apparentium, unde subdit si me vertam, scilicet per considerationem, ad dextram, idest ad partem meridionalem caeli, non videbo illum, quasi dicat: inveniam ibi lumen corporale, per quod tamen ipse videri non potest. Et quamvis ipse sic me lateat, eum tamen non latent quae circa me aguntur, unde subdit ipse vero scit viam meam, idest totum processum vitae meae; quod videtur Iob dicere contra id quod Eliphaz supra induxerat ex persona impiorum quasi imponendo illud Iob: nubes latibulum eius nec nostra considerat. Et quia posset aliquis dicere si scit viam tuam ergo propter peccata tua te punivit, ipse respondet et probabit me quasi aurum quod per ignem transit, ubi primo manifeste exponit causam suae adversitatis, quae fuit ei inducta ut ex ea approbatus hominibus appareret, sicut aurum approbatur quod potest ignem sustinere; et sicut aurum non fit verum aurum ex igne sed eius veritas hominibus manifestatur, ita Iob per adversitatem probatus est non ut eius virtus appareret coram Deo, sed ut hominibus manifestaretur; dicit autem probabit de futuro, quasi exhibens se per patientiam etiam ad futuram examinationem. Quod autem non sit punitus pro peccato praecedenti probat per rectitudinem vitae suae. Ubi considerandum est quod unumquodque ostenditur rectum per hoc quod suae regulae conformatur. Est autem duplex regula humanae vitae; prima quidem est lex naturalis a Deo mentibus hominum impressa, per quam naturaliter homo intelligit quid est bonum ex similitudine divinae bonitatis. In quo primo attendendum est quod homo secundum suum posse imitetur in suis affectibus et operibus divinae bonitatis operationem, secundum illud Matth. V 48 estote perfecti sicut et pater vester caelestis perfectus est, et Eph. V 1 estote imitatores Dei sicut filii carissimi; unde dicit vestigia eius, idest aliquam licet ex parva parte similitudinem bonitatis divinae operantis, secutus est, scilicet per imitationem, pes meus, idest affectus meus, quo ad operandum procedimus. Secundo requiritur quod aliquis tota mente sollicitudinem adhibeat ad Deum imitandum, unde subdit viam eius custodivi, quasi sollicitus ne ab ea recederem. Tertio requiritur quod homo in ea perseveret et totaliter in ea maneat, non ex parte, unde subdit et non declinavi ex ea, idest ex nulla parte recessi. Secunda autem regula humanae vitae est lex exterior divinitus tradita, contra quam homo peccat dupliciter: uno quidem modo per contemptum, et contra hoc dicit a mandatis labiorum eius non recessi: fuerant enim Noe aliqua praecepta divinitus data et forte aliquibus aliis sanctis viris in quorum labiis Deus loquebatur; secundo aliquis peccat contra legem Dei per ignorantiam vel oblivionem, et contra hoc subdit et in sinu meo, idest in occulto cordis, abscondi verba oris eius, secundum illud Psalmi in corde meo abscondi eloquia tua, ut non peccem tibi. Et ne aliquis diceret hanc probationem quam induxit ex rectitudine suae vitae non esse convenientem, ostendit consequenter quod de divinis iudiciis certissima et demonstrativa probatio induci non potest propter incomprehensibilitatem divinae voluntatis, unde subdit ipse enim solus est, quasi: non habet aliquam creaturam similem vel aequalem quae eum comprehendere possit, et per consequens nec eius voluntatem, unde subdit et nemo advertere potest, idest per certitudinem cognoscere, cogitationes eius, idest dispositiones iudiciorum ipsius. Et sicut non potest comprehendi eius dispositio, ita nec ei potest ab ulla creatura resisti, unde sequitur et anima eius, idest voluntas eius, quodcumque voluit hoc fecit, quasi nullo resistere valente. Contingit autem quandoque, maxime in aliquo sapiente qui voluntatem suam moderatur secundum suam virtutem, quod ultra facere non potest, sed hoc a Deo excludit cum subdit cum expleverit in me voluntatem suam, et alia multa similia praesto sunt ei, quasi dicat: quod in me ultra adversitatem non inducat, non est quia ultra non possit sed quia ultra non vult; et idcirco, quia scilicet considero quod ultra facere potest et non possum advertere utrum ultra facere velit, turbatus sum, scilicet turbatione timoris; unde subdit et considerans eum, idest potentiam eius, timore sollicitor, ne scilicet adhuc me probaturus sit adversitate graviori. Causam autem huius sollicitudinis formidolosae assignat per hoc quod est expertus in se divinam percussionem, unde subdit Deus mollivit cor meum, quasi liquefaciens ipsum, firmitate securitatis sublata, et omnipotens conturbavit me, idest per omnipotentiam suam turbationem tristitiae de praesentibus malis et timoris de futuris induxit. Quare autem timeat in futurum cum non sit sibi conscius de culpa, ostendit subdens non enim perii, idest adversitatem passus sum, propter imminentes tenebras, idest errores vel peccata, quae quidem imminere dicuntur quando in mente hominis confirmantur, puta cum quis ex malitia peccat. Contingit autem quandoque quod malitia in homine non firmatur, sed ex aliqua subita passione, puta concupiscentiae vel irae, ad peccandum impellitur; et hoc a se excludit subdens nec faciem meam operuit caligo: quasi enim caligat oculus rationis quando propter passionem iudicium eius in opere particulari decipitur.

Dans ce qu’Eliphaz vient de dire deux choses sont reprochées à Job : sa grande malice qui lui mérité d’être châtié; et d’avoir douté de la providence divine qu’il a même niée. Or quand. on charge les hommes de crimes qu’ils n’ont pas commis, ils en sont attristés; d’où Job qui ne se reconnaissait rien de semblable dit : maintenant encore amer est mon discours; il veut dire : de même que plus haut vos opprobres m’ont attristé, ainsi maintenant me forcez-vous d’exhaler des paroles amères. Or lorsqu’on ajoute : affliction sur affliction, les premières reviennent en mémoire pour aggraver la plainte nouvelle; d’où il dit : et la main c’est-à-dire la puissance qui m’éprouve par l’adversité déjà subie, appesantit ma plainte, à savoir, fait que ma plainte s’est aggravée.

 Il répond donc d’abord au reproche de malice, cause de son châtiment. Or il se reconnaissait puni par un jugement divin; d’où il avait dit auparavant (16, 12) "Dieu m’a mis auprès des méchants". Donc rechercher pourquoi on est puni, c’est rechercher la raison du jugement divin que personne ne peut connaître hormis Dieu lui- même. C’est donc présomptueusement qu’Eliphaz a affirmé que Job a été puni pour sa malice. D’où il ne veut pas discuter de cela avec Eliphaz, mais il se tourne vers le Seigneur qui seul connaît la raison de son jugement : il estimerait être jugé trop sévèrement par Dieu s’il était puni pour une très grande malice; or ceux qu’un juge a prévenus s’adressent d’abord au juge : ce qu’ils ne peuvent faire qu’en sachant où le trouver et encore doivent-ils le connaître; d’où ce qu’il dit : qui me donnera de le connaître, de le trouver et d’arriver jusqu’à son siège? Il savait en effet que Dieu excédait sa connaissance; et c’est pourquoi il ne pouvait de lui-même trouver le chemin par où il parviendrait jusqu’à son siège, à savoir jusqu’à la pleine connaissance de ses jugements. Tout prévenu auprès d’un juge tend en sa présence de démontrer la justice de sa cause; d’où on nous dit : je mettrai devant lui le jugement, comme pour dire : je lui proposerai quel doit être le juste jugement sur ma cause; ma bouche remplie d’imprécations, à savoir de contestations; non que je croie injuste le jugement divin, mais comme quelqu’un qui s’informe, comme habituellement le font ceux qui objectent contre leurs adversaires pour qu’ils connais sent plus pleinement la vérité; d’où ce qu’il dit : pour que je sache ce qu’il me répondra; cela, pour connaître la vraie réponse, et que je saisisse bien ce qu’il me dit; cela, pour le sens des mots; en effet pour bien connaître la vérité de ce qu’on dit à quelqu’un, celui-ci doit comprendre ce qu’on lui dit.

Souvent on avait proposé dans les chapitres précédents la puissance et la grandeur de Dieu afin d’étayer le jugement divin, comme Sophar (11, 8) " Il est plus haut que le ciel et que peux-tu y faire? Plus profond que l’enfer et comment le connaître?" et donc il exclut cette réponse et il dit Je ne veux pas qu’il conteste avec moi avec grande puissance, ni qu’il m’écrase du poids de sa grandeur comme s’il disait : cette réponse ne me suffit pas qu’on allègue seulement contre moi la puissance et la grandeur de Dieu; car s’il est très puissant et très grand, il est aussi très juste et il aime l’équité; d’où il dit : qu’il propose équitablement ce qu’il a contre moi à savoir que soit assignée une raison qui soit juste et il apparaîtra ainsi que la malice n’est pas cause de mon châtiment; d’où ce qu’il dit : et ma cause sera victorieuse par laquelle je conteste avec vous, affirmant que je ne suis pas puni pour des péchés.

Et pour qu’on ne croie pas que ce qu’il a dit : "Qui me donnera de le connaître et de le trouver et que je vienne à son siège?" signifie que Dieu est enfermé en quelque lieu, ou qu’il puisse être suffisamment connu par les créatures il ajoute : si je vais à l’orient il n'y est pas. C’est le moment de faire remarquer que selon Aristote on distingue dans le ciel six positions différentes : c’est-à-dire le dessus et le dessous, la droite et la gauche, l’avant et l’arrière. En effet le principe du mouvement de tout le firmament apparaît clairement du côté de l’orient. Et le principe du mouvement de tout animal est à droite. Si donc nous imaginons le mouvement du firmament à la façon du mouvement de l’animal, la droite du ciel sera à l’orient et la gauche à l’occident; le dessus au midi et le dessous au septentrion; l’avant dans l’hémisphère supérieur et l’arrière dans l’hémisphère inférieur : c’est comme si on imaginait un homme qui de sa droite mouvrait le ciel de l’orient vers l’hémisphère supérieur; en conséquence il aurait la tête tournée vers le midi et les pieds vers le septentrion, la moitié antérieure du corps vers l’hémisphère supérieur et l’autre moitié postérieure c’est-à-dire le dos vers l’autre hémisphère. Cependant d’autres ne considérant pas la disposition du corps humain mais plutôt l’ordre du mouvement céleste, ont situé le ciel supérieur dans la partie orientale, parce que c’est là que commence le mouvement, le côté droit, du ciel dans la partie méridionale vers laquelle par rapport à nous procède le mouvement des planètes; d’où par opposition, le ciel inférieur se trouve à l’occident et la gauche du ciel dans la partie septentrionale; et c’est de cette manière qu’il faut comprendre les paroles de Job, car il partage la droite et la gauche face à l’orient et à l’occident. Donc on peut comprendre simplement que Dieu n’est enfermé localement dans aucune partie du ciel, et le sens est alors Si je vais vers l’orient il n’y est pas, comme plus proche comme s’il y était localement; pas plus à l’occident, je le saisirai, comme plus rapproché et enfermé là; si je me tourne à gauche, à savoir vers la partie septentrionale, que faire? Je ne l’atteindrai pas lui qui en effet n’est pas situé matériellement; si je me tourne vers la droite à savoir vers le midi, je ne le verrai pas comme s’il s’y trouvait.

On pourrait encore comprendre ces paroles comme n’excluant pas pour Dieu toute localisation mais pour montrer qu’on ne peut le trouver normalement dans des effets inférieurs. Or parmi tous les effets qui apparaissent dans les choses matérielles, plus universel et plus grand est le mouvement céleste et bien que le principe de ce mouvement apparaisse manifestement à l’orient, cependant il ne démontre pas à suffisance l’infinie vertu de Dieu; d’où ce qu’il dit : si je vais à l’orient c’est-à-dire par le progrès de ma pensée réfléchissant en quelque sorte au principe du mouvement du firmament, il n'apparaît pas, c’est-à-dire qu’une telle considération ne conclut pas. Le second effet du pouvoir divin dans les choses matérielles est le mouvement des planètes qui est en sens contraire du mouvement céleste; son principe se trouve donc à l’occident et de là encore on ne découvre pas suffisamment l’action divine, d’où il dit : si vers l’occident sous-entendu je me tourne, recherchant le principe du mouvement des planètes, je ne le saisirai pas. Et il s’exprime très pertinemment : en effet ce mouvement se comprend mieux par la diversité locale des planètes que ce qui apparaît aux yeux. Dans la partie septentrionale nous ne voyons pas qu’il y ait un autre principe sinon que des ténèbres, car de ce côté le soleil ne paraît jamais. Or les ténèbres empêchent l’action, selon ce que dit l’Ecriture " La nuit vient où personne ne peut travailler" (Jo. 9, 4) d’où il dit : si je vais à gauche, c’est-à-dire par la réflexion, que ferai-je? A savoir je n’y trouverai là qu’absence de toute activité d’où aussi aucune trace pour le reconnaître d’où il dit : je ne l’atteindrai pas, de quelque manière que ce soit. Du côté du midi nous trouvons le principe de la lumière à cause des corps lumineux qui apparaissent de ce côté, d’où il dit : si je me tourne par la réflexion à droite vers la partie méridionale du ciel, je ne le verrai pas; il veut dire : je verrai une lumière corporelle mais qui ne me le fait pas voir. Et bien qu’il me soit caché, cependant ne lui sont pas cachées les choses qui se passent autour de moi; d’où ce qu’il introduit lui-même connaît ma voie, c’est-à-dire tout le cours de ma vie. Job dit cela contre ce qu’Eliphaz avait dit en la personne des impies et qu’il attribue à Job " Sa cachette sont les nuées et il ne s’occupe pas de nos affaires " (22, 14).

Et parce qu’on pourrait objecter que "s’il connaît ta voie c’est donc à cause de tes péchés que tu es puni", il répond et il m’éprouvera comme l’or qui passe par le feu; où il expose clairement la cause de son adversité qui lui fut envoyée pour qu’aux yeux des hommes il apparût éprouvé comme l’or est éprouvé, qui peut supporter le feu; et de même que l’or ne devient pas de l’or vrai par le feu mais se montre tel aux hommes; ainsi l’adversité a éprouvé Job non pour que sa vertu apparaisse devant Dieu mais pour qu’elle soit manifestée aux hommes. Il éprouvera, au futur, se montrant par sa patience prêt aussi pour une autre épreuve. Qu’il n’a pas été puni pour des péchés précédents il le prouve par la rectitude de sa vie. Il faut ici faire remarquer que chaque chose se montre droite quand elle est conforme à sa règle. Or la règle de la vie humaine est double. La première est la loi naturelle imprimée dans le cœur de l’homme par Dieu et par laquelle l’homme saisit naturellement ce qui est bon à cause de la ressemblance de la bonté divine. En quoi il faut d’abord considérer que l’homme selon son pouvoir imite dans ses affections et ses actions l’opération de la bonté divine, comme on le lit "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Matt. 5, 48) et aux Ephésiens "Soyez les imitateurs de Dieu comme des fils très aimants " (5, 1) : d’où ce qu’il dit : mon pied, à savoir mon affection, par laquelle on se met à l’œuvre, a suivi ses traces, c’est-à-dire une certaine ressemblance, quoique pour une petite partie (seulement) il imite l’action de la bonté divine.

Il faut ensuite que de tout son esprit on mette sa sollicitude à imiter le Seigneur, d’où il dit : j’ai gardé sa voie, plein de sollicitude pour ne pas m’en écarter. Enfin il est requis que l’homme y persévère et y demeure totalement et non en partie, d’où il dit : je n’ai pas dévié, à savoir en rien je ne m’en suis éloigné. La seconde règle de la vie humaine est la loi extérieure transmise divinement et contre laquelle l’homme pèche doublement : d’une manière par mépris et contre cela il dit : je ne me suis pas écarté des commandements de ses lèvres; en effet des préceptes divins ont été donnés à No et probablement à d’autres saints personnages et par leurs lèvres Dieu parlait. D’une autre manière on pèche contre la loi de Dieu par ignorance et oubli et contre cela il dit : en mon sein, à savoir dans le secret de mon cœur j’ai caché ses paroles, comme le dit le psaume "Je garde votre parole cachée dans mon cœur pour ne pas pécher contre vous " (116, 11).

Et pour qu’on ne dise pas qu’il ne devait pas se servir de cette preuve tirée de la rectitude de sa vie, il montre en conséquence qu’aucune preuve tout-à-fait certaine et démonstrative des jugements divins ne peut être apportée, à cause que la divine volonté est incompréhensible. Il dit : Lui-même est seul en effet : il n’a aucune créature qui lui soit semblable ou égale qui puisse le comprendre et donc aussi sa volonté; d’où il dit : personne ne peut apercevoir, c’est-à-dire connaître avec certitude ses pensées, à savoir les dispositions de ses jugements. Et de même qu’on ne peut connaître ses jugements ainsi aussi aucune créature ne peut lui résister; d’où ce qui suit et son âme, à savoir sa volonté, tout ce qu’elle a voulu elle l’a fait, nul ne pouvant lui résister. Or il peut arriver, surtout chez quelque sage, qui sait gouverner sa volonté selon ses possibilités, qu’il ne peut faire davantage; et donc il exclut cela en Dieu en disant : lorsqu’il aura accompli en moi sa volonté, beaucoup d’autres choses semblables sont à sa portée, comme de dire : s’il ne m’afflige pas davantage ce n’est pas qu’il ne le puisse, mais parce qu’il ne veut pas. Et c’est pourquoi c’est-à-dire parce que je sais qu’il peut faire davantage et que je ne puis savoir s’il veut le faire, le trouble me saisit à savoir le trouble de la crainte; d’où il dit : et le considérant c’est-à-dire sa puissance je suis pris de crainte c’est a dire qu’il ne m’éprouve d’une plus grande adversité. Conciliation du mal avec la puissance

La cause de cette inquiétude craintive il l’exprime par l’expérience qu’il a eue des coups qu’il a reçus de Dieu, d'où ce qu’il dit : Dieu a amolli mon cœur, comme le liquéfiant, lui ayant enlevé la fermeté et la sécurité. Et le Tout-Puissant m'a ébranlé, à savoir par sa toute puissance il a amené sur moi le trouble et la tristesse des maux actuels et la crainte des maux futurs. Pourquoi il craint pour l’avenir alors qu’il n’a pas conscience d’être coupable, il le dit : en effet je n'ai pas péri, à savoir ayant subi l’adversité, à cause des ténèbres menaçantes, à savoir les erreurs et les péchés que l’on dit menaçants quand ils s’affermissent dans l’esprit de l’homme, par exemple quand on pèche par malice. Or il arrive aussi que la malice ne s’affermit pas en l’homme mais qu’il est pousse par quelque passion soudaine du concupiscible ou de l’irascible à commettre le péché et cela il l’écarte en disant : l’obscurité n’a pas couvert ma face : en effet l’œil de la raison s’obscurcit quand par suite de la passion son jugement s’égare en telle action particulière.

 

 

Caput 24

Job 24 — Conciliation du mal avec la puissance et la sagesse de Dieu

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Job : "Je ne nie pas que Dieu châtie les impies" (Job 24)

 

 

1 Pourquoi n'y a-t-il pas de temps réservés par le Tout-Puissant, et ceux qui le servent ne voient-ils pas son jour? 2 On voit des hommes qui déplacent les bornes, qui font paître le troupeau qu'ils ont volé. 3 Ils poussent devant eux l'âne de l'orphelin, et retiennent en gage le bœuf de la veuve. 4 Ils forcent les pauvres à se détourner du chemin; tous les humbles du pays sont réduits à se cacher. 5 Comme l'onagre dans la solitude, ils sortent pour leur travail, dès le matin, cherchant leur nourriture. Le désert leur fournit la subsistance de leurs enfants; 6 ils coupent les épis dans les champs, ils maraudent dans la vigne de leur oppresseur. 7 Nus, ils passent la nuit, faute de vêtements, sans couverture contre le froid. 8 La pluie des montagnes les pénètre; à défaut d'abri, ils se blottissent contre le rocher. 9 Ils arrachent l'orphelin à la mamelle, ils prennent des gages sur les pauvres. 10 Ceux-ci, tout nus, sans vêtements, portent, affamés, les gerbes du maître; 11 Ils expriment l'huile dans ses celliers. Ils foulent sa vendange, et ils ont soif. 12 Du sein des villes s'élèvent les gémissements des hommes, et l'âme des blessés crie; et Dieu ne prend pas garde à ces forfaits!

13 D'autres sont parmi les ennemis de la lumière, ils n'en connaissent pas les voies, ils ne se tiennent pas dans ses sentiers. 14 L'assassin se lève au point du jour; il tue le pauvre et l'indigent, il rôde la nuit comme un voleur. 15 L'œil de l'adultère épie le crépuscule; " Personne ne me voit, " dit-il, et il jette un voile sur son visage. 16 La nuit, d'autres forcent les maisons, le jour, ils se tiennent cachés : ils ne connaissent pas la lumière. 17 Pour eux, le matin est comme l'ombre de la mort, car les horreurs de la nuit leur sont familières.

18 Ah! L'impie glisse comme un corps léger sur la face des eaux, il n'a sur la terre qu'une part maudite, il ne se dirige pas sur le chemin des vignes! 19 Comme la sécheresse et la chaleur absorbent l'eau des neiges, ainsi le schéol engloutit les pécheurs! 20 Ah! Le sein maternel l'oublie, les vers en font leurs délices; on ne se souvient plus de lui, et l'iniquité est brisée comme un arbre. 21 Il dévorait la femme stérile et sans enfants, il ne faisait pas de bien à la veuve!... 22 Mais Dieu par sa force ébranle les puissants, il se lève, et ils ne comptent plus sur la vie; 23 il leur donne la sécurité et la confiance, et ses yeux veillent sur leurs voies. 24 Ils se sont élevés, et en un instant ils ne sont plus; ils tombent, ils sont moissonnés comme tous les hommes; ils sont coupés comme la tête des épis. 25 S'il n'en est pas ainsi, qui me convaincra de mensonge? Qui réduira mes paroles à néant?

1 Les temps ne sont pas cachés au Tout-Puissant; ceux qui le connaissent ignorent ses jours. 2 Ils ont déplacé les bornes, ils ont pillé les troupeaux et les ont fait paître. 3 ont emmené l’âne des petits orphelins et pris en gage le bœuf de la veuve. 3 Ils ont anéanti la voie des pauvres, ils ont opprimé également ceux qui sont doux sur la terre. 4 D’aucuns, comme les onagres du désert, s’en vont à leur besogne, épiant une proie pour nourrir leurs enfants. 6 Ils moissonnent le champ qui n’est pas à eux, et vendangent la vigne de celui qu’ils pillèrent. 7 Nus ils renvoient les gens, emportant leurs vêtements, qui n'ont plus de quoi se couvrir dans le froid, 8 Que la pluie des montagnes arrose; privés de toute protection, ils gagnent les rochers. 9 Violemment ils dépouillaient les enfants, ils spoliaient le pauvre peuple. 10 A ces gens nus qui vont sans vêtements et qui ont faim ils volaient leurs épis. 11 Au milieu de leurs meules ils ont fait la méridienne : chez ceux qui foulent le pressoir, assoiffés 12 Jusques dans les cités on s’est lamenté, et l’on entendait crier les blessés. Dieu ne laissera pas ces choses sans vengeance. 13 Ils furent rebelles à la lumière dont ils n’ont pas connu les voies; ils ne sont pas revenus sur ses sentiers. 14 Au petit jour, l’assassin sort, il tue l’indigent et le pauvre; dans la nuit il rôde comme un voleur. 15 L'œil de l’adultère guette l’obscurité, disant : on ne me verra pas; il met un voile sur sa face. 16 les ténèbres ils percent les maisons; comme en plein jour ils se sont mis d’accord ils ont ignoré la lumière. 17 Quand soudain l’aurore apparaît, c’est comme l’ombre de la mort et ainsi dans les ténèbres, ils marchent dans la lumière. 18 Léger comme sur la surface de l’eau maudite soit sa part sur la terre; qu’il ne marche pas au chemin des vignobles. 19 Des eaux des neiges, il passe à la grande chaleur, et jusqu'aux enfers est son péché. 20 Que l’oublie la miséricorde, le ver sera doux pour lui; qu'on ne se souvienne pas de lui; qu’on l’abatte comme un arbre stérile. 21 Il nourrissait la stérile qui n’enfante pas; il n’a pas été bon pour la veuve. 22 Fort de sa puissance, il renversait les grands; Et même étant debout il ne croit pas en sa vie. 23 Dieu lui donnait le temps de se repentir, Mais il en abusait dans son orgueil. En effet des yeux sont sur ses chemins. 24 Ils se sont élevés pour quelque temps : ils ne subsisteront pas. Ils seront humiliés comme tout le reste. Ils seront enlevés. Et comme le sommet des épis, ils seront écrasés. 25 Que s’il n’en est pas ainsi, qui pourra me reprocher d’avoir menti et d’avoir posé devant Dieu mes paroles?

[84922] Super Iob, cap. 24 Ab omnipotente non sunt abscondita tempora et cetera. In praecedenti capitulo Iob ostendit se non esse propter malitiam punitum, ut Eliphaz asseruerat, nunc autem vult manifestare quod non existimat Deum non habere curam rerum humanarum, sicut Eliphaz ei imponebat. Est autem considerandum quod aliqui ponebant Deum humanarum rerum notitiam et curam non habere propter distantiam eius a nobis: credebant enim quod sicut propter huiusmodi distantiam nos eum cognoscere non valemus, ita nec ipse nos; sed hoc ipse primo excludit dicens ab omnipotente non sunt abscondita tempora, quasi dicat: quamvis omnipotens sit extra temporum mutabilitatem ipse tamen temporum cursum cognoscit; illi vero qui sunt in tempore ita eum cognoscunt quod tamen modum aeternitatis eius comprehendere non valent, unde subdit qui autem noverunt eum, idest homines temporales eius notitiam qualemcumque habentes vel naturali cognitione vel per fidem vel aliqua maiori sapientiae illustratione, ignorant dies illius, idest comprehendere non valent modum aeternitatis eius. Et quia dixerat temporalium cursum Deo ignotum non esse, consequenter ostendit qualiter temporalia iudicat, praemittens diversas hominum culpas, quorum quidam fraudulenter aliis inferunt nocumenta, unde dicit alii, scilicet inter homines, terminos transtulerunt, furtive scilicet mutantes possessionum confinia, et similia fecerunt in animalibus quae gregatim pascuntur, unde subdit diripuerunt, scilicet furtive, greges, scilicet alienos, et paverunt eos, ut sic videantur esse eorum. Et eorum culpam exaggerat ex condicione personarum quibus inferunt nocumenta: consueverunt enim homines misereri pupillorum propter defectum aetatis et carentiam sustentationis parentum, et contra hoc dicit asinum pupillorum abegerunt, idest aberrare fecerunt ut eum raperent non miserantes pupillum. Similiter etiam viduarum consueverunt homines misereri propter fragilitatem sexus et quia destitutae sunt virorum solatio, sed contra hoc subdit et abstulerunt pro pignore bovem viduae, quasi sub quodam colore iustitiae eam gravantes. Consueverunt etiam homines misereri pauperum qui divitiarum sustentatione carent, et contra hoc subdit subverterunt pauperum viam, idest abstulerunt eis facultatem sibi necessaria procurandi, eos multipliciter molestando. Solent etiam homines desistere a nocumento eorum qui aliis nocere non consueverunt sed inter alios suaviter conversantur, et contra hoc subdit et oppresserunt pariter mansuetos terrae, qui scilicet nec provocari nec provocare alios noverant. Sunt autem quidam qui non fraudulenter ut praedicti sed per manifestam violentiam aliis nocent, qui ad mala facienda prorumpunt quasi nulla disciplina legis contineantur, de quibus subdit alii quasi onagri in deserto, idest asini silvestres qui hominum servituti non subsunt, egrediuntur ad opus suum, scilicet ad latrocinium cui quasi proprio operi sollicite intendunt, unde subdit vigilantesque ad praedam, scilicet diripiendam, praeparant panem liberis, scilicet suis ex praeda direpta. Deinde genus praedae determinat subdens agrum non suum demetunt, per violentiam scilicet messes alienas colligentes, et vineam eius quem vi oppresserunt vindemiant, quia scilicet prius aliquem opprimunt ad hoc quod eius bona liberius rapiant. Nec solum exteriora bona per violentiam subtrahunt sed etiam ea quae iam sunt ad usum corporis fovendi assumpta, unde subdit nudos dimittunt homines, idest nihil eis relinquunt, indumenta tollentes. Et ut magis exaggeret huius rapinae culpam, subiungit afflictiones quas ex nuditate patiuntur, unde dicit quibus non est operimentum in frigore: esset enim aliqualiter tolerabile si aliunde possent nuditati subvenire. Nec solum indumenta sunt necessaria ad calefaciendum contra frigus sed etiam ad tegumentum contra pluviam, unde oportet a latronibus denudatos non solum frigore perfligi sed etiam pluvia perfundi; et hoc est quod subdit quos imbres montium rigant: solent enim homines ad loca montana quasi munitiora confugere pro timore latronum vel hostium, ubi propter aeris frigiditatem et frequentiores et graviores sunt pluviae, maxime nudis hominibus. Est autem qualecumque nuditatis remedium si ille qui vestimentorum operimentum non habet saltem operimento domus non careat, sed contra hoc subdit et non habentes velamen, scilicet vestimenti nec domus, amplexantur lapides, idest abscondunt se in cavernis lapidum quae inveniuntur in locis montanis. Ulterius autem exaggerat eorum culpam ex condicione miserabilium personarum quae gravant, unde subdit vim fecerunt depraedantes pupillos, qui scilicet magis erant sustentandi, et vulgum pauperem spoliaverunt, cui scilicet magis erat subveniendum. Esset autem utcumque tolerabile si saltem habentibus sufficientiam subtrahere vellent; et ideo ad maiorem exaggerationem iniquitatum eorum subdit nudis, idest non habentibus vestimenta, et incedentibus absque vestitu, idest prae nimia necessitate etiam ad publicum sine vestibus nudis prodeuntibus, quod pertinet ad magnam inopiam vestitus; et ut ostendat etiam in victu eos penuriam pati, subdit et esurientibus; his autem nihil magni auferre possunt, sed id modicum quod habent eis subripere non verentur, unde subdit tulerunt spicas, quasi dicat: non tulerunt eis messem quam non habent sed aliquas paucas spicas quas sibi collegerant. Et si forte in aliquo abundare videantur, illud subtrahunt non pensantes quantam penuriam in aliis patiuntur, unde subdit inter acervos, frugum scilicet, eorum meridiati sunt, idest in meridie quieverunt quasi lascivientes de bonis eorum qui calcatis torcularibus sitiunt, idest qui statim post vindemiam modicum habent de vino. Nec solum homines spoliant in rebus exterioribus sed etiam laedunt in personis, unde subdit de civitatibus fecerunt viros gemere, quia scilicet quibusdam laesis multi ex civibus conturbantur; et ipsi qui laesi sunt conqueruntur, unde subdit et animae verberatorum clamabunt, et Deus, a quo scilicet non sunt abscondita quae in tempore aguntur, inultum abire non patitur, quod scilicet non esset si de rebus humanis providentiam non haberet. Causam autem quare Deus hoc inultum non patitur ostendit ex hoc quod non per ignorantiam sed per malitiam peccant, ex qua sapientiam odiunt ipsorum peccata arguentem; unde subdit ipsi fuerunt rebelles lumini, scilicet ex proposito agentes contra id quod eis lumen rationis dictat. Sicut autem sapientia praeoccupat eos qui se concupiscunt, ita fugit ab eis qui ei renituntur, unde subdit nescierunt vias eius, idest habentes sensum per malitiam depravatum non potuerunt sapientiae processus cognoscere; vel nescierunt, idest non approbaverunt nec experiri voluerunt sapientiae mandata. Et impaenitentiam eorum demonstrat subdens nec reversi sunt per semitas illius: illi quidem per semitam sapientiae revertuntur qui etsi sapientiae peccando rebelles fuerint, tamen paenitendo ad sapientiam revertuntur. In signum autem quod spirituali lumini sapientiae repugnent, inducit quod etiam lumen exterius detestantur tenebras amantes, secundum quod Ioh. III 20 dicitur omnis qui male agit odit lucem; unde et hic subditur mane primo, adhuc scilicet existentibus tenebris, consurgit homicida et interficit egenum et pauperem, quia scilicet illa hora nondum communiter homines vadunt per viam, sed aliqui pauperes necessitate ducti praeoccupant tempus operis, quibus latrones insidiantur in via. Ad hoc autem quod de domibus aliquid furtive subripiant profundioribus indigent tenebris, unde subdit per noctem vero erit quasi fur, scilicet spolians domos, quod ei primo mane facere tutum non esset quia tunc homines evigilare incipiunt. Idem autem in adultero ostendit subdens oculus adulteri, qui scilicet insidiatur alieno toro, observat caliginem, ut scilicet deprehendi non possit, unde subdit dicens: non videbit me oculus, idest hoc proposito observat caliginem ne a cuiusquam oculo videatur; et quasi non sufficiat ei occultatio noctis adhuc alias occultandi artes assumit, unde subdit et operiet vultum suum, qualicumque scilicet mutatione habitus. Et sicut ad incipiendum opus observat caliginem, ita etiam et opus exequitur in tenebris, unde subdit perfodiunt in tenebris domos, scilicet qualicumque fraude vel violentia obstacula auferentes, sicut in die condixerunt sibi, scilicet adulter et adultera, et ignoraverunt lucem, idest abiecerunt in tota executione nefarii operis; si subito, quasi ex impraemeditato, quia tempus eis breve videtur dum carnali delectationi vacant, apparuerit aurora, quae est diurnae lucis principium, arbitrantur umbram mortis, idest eam existimant odiosam sicut umbram mortis dum se vident suas lascivias ulterius non posse protrahere. Solent autem homines dupliciter a suis operibus impediri; uno modo quando non prospiciunt rei eventum, alio modo quando habent in suo proposito debile fulcimentum; sed adulteri, qui ex concupiscentia ducuntur, e contrario primo quidem inconsiderate se periculis ingerunt quamvis ignorent quid sequatur, et ad hoc significandum dicit et sic in tenebris, idest in dubiis et obscuris, quasi in luce, idest in manifestis, ambulant, idest procedunt; secundo ex re modica et fragili magnam fiduciam capiunt, unde subdit levis est, scilicet adulter, super faciem aquae, quasi dicat: adeo leviter movetur ut videatur ei quod per aliqua mollia, sicut est aqua, possit pertransire ad suum propositum prosequendum. Vel ad litteram, quod dicit sic in tenebris quasi in luce ambulant potest ad hoc referri quod uterque, scilicet adulter et adultera, sua opera in tenebris agere amant; quod vero subdit levis est super faciem aquae refertur specialiter ad adulterum, cui propter impetum concupiscentiae videtur quod etiam super aquam, idest super quamcumque difficultatem vel adversitatem, leviter pertransire possit ad hoc quod perveniat ad fruitionem rei concupitae. Enarratis igitur diversis generibus peccatorum subiungit de poena, et primo quidem quantum ad poenam praesentis vitae cum subdit maledicta sit pars eius in terra: illud unicuique pars esse videtur quod quasi potissimum bonum desiderat; peccator autem in rebus terrenis quasi in sua parte ultimum finem constituit, secundum illud Sap. haec est pars nostra et haec est sors, quae quidem maledicta est quia bona huius mundi quibus male utitur ei vertuntur in malum. Et hoc manifestat subdens nec ambulet per viam vinearum: solent enim viae vinearum umbrosae esse et per consequens temperatae; vineae etiam temperatum locum requirunt, nam in locis nimis frigidis destruuntur per glaciem et in locis nimis calidis aduruntur per calorem; impius ergo per viam vinearum non ambulat quia rebus huius mundi moderate non utitur, sed quandoque declinat ad unum extremum quandoque ad aliud, et quantum ad hoc subdit ad nimium calorem transeat ab aquis nivium, quasi a contrario vitio in contrarium transeat quia in medio virtutis non manet; et ista poena consequitur omnes malos quia inordinatus animus sibi ipsi est poena, ut Augustinus dicit in I confessionum. Deinde ponit poenam quae erit post mortem cum subdit et usque ad Inferos peccatum illius, quasi dicat: non solum in terra pars eius maledicitur dum inordinate utitur rebus mundi, sed etiam pro hoc in Inferno poenas patietur, ad quas etiam poenas referri potest quod dixerat ab aquis nivium etc., quia in Inferno nulla erit temperies. Et ne crederet aliquis poenas illas per Dei misericordiam finiendas, subdit obliviscatur eius, scilicet peccatoris in Inferno damnati, misericordia, scilicet Dei, ut numquam exinde liberetur. Qualis autem sit illa poena ostendit subdens dulcedo illius vermis, idest delectatio peccati convertetur ei in vermem, idest in conscientiae remorsum, de quo dicitur Is. ult. vermis eorum non morietur, unde et de huius poenae interminabilitate subdit non sit in recordatione, idest ita totaliter relinquatur a Deo sine remedio liberationis ac si eius esset oblitus. Et ponit similitudinem cum subdit sed conteratur quasi lignum infructuosum: arbor enim quae non facit fructum bonum excidetur et in ignem mittetur, ut dicitur Matth. III 10, lignum autem fructuosum praeciditur ut purgetur, secundum illud Ioh. XVI omnem palmitem qui fert fructum purgabit eum, ut fructum plus afferat; impii ergo puniuntur ad exterminium, iusti autem ad profectum. Quare autem infructuoso ligno comparatur manifestat ex duobus: primo quidem quia bona sua in res inutiles consumpsit, unde dicit pavit enim sterilem et quae non parit, et loquitur de eo qui bona sua in res inutiles consumpsit ad similitudinem eius qui uxorem sterilem inutiliter nutrit; secundo quia indigentibus non subvenit, quod ei esse poterat fructuosum, unde subdit et viduae bene non fecit, per viduam omnes indigentes significans. Nec solum fuit infructuosus sed etiam fuit nocivus sicut lignum proferens fructus venenosos, unde subdit detraxit fortes in fortitudine sua, idest potestate sua usus est non ad subveniendum oppressis sed magis ad opprimendum fortes. Et hoc quod aliis nocet etiam in suum nocumentum redundat, quia scilicet in se securam vitam agere non potest, timens laedi ab eis quos laeserat, unde subdit et cum steterit, idest cum nihil adversum passus fuerit, non credet vitae suae, idest non erit de vita sua securus secundum illud quod Eliphaz supra XV 21 dixerat sonitus terroris semper in auribus eius, et cum pax sit ille semper insidias suspicatur. Causam autem quare absque misericordia sit puniendus assignat ex hoc quod Dei misericordia noluit uti dum potuit, unde subdit dedit ei Deus locum paenitentiae, scilicet differens poenam, et haec est ratio quare permissus est in prosperitate aliquandiu vivere; sed hoc quod Deus exhibuit ei in bonum ipse pervertit in malum, unde subdit et ille abutitur eo in superbiam, non attribuens divinae misericordiae quod post peccatum non statim punitur, sed ex hoc sumit peccandi audaciam usque ad Dei contemptum. Et quamvis peccator tenebras quaerat ad peccandum, non tamen potest facere quin videatur, unde subdit oculi enim, scilicet Dei, sunt in viis illius, idest considerant processus eius quamvis in tenebris ambulet. Et inde est quod elevati sunt ad modicum, idest ad aliquam terrenam sublimitatem et caducam, Deo dante eis locum paenitentiae, et non subsistent, scilicet finaliter, quia abutuntur Dei misericordia in superbiam. Et adhibet huius rei similitudinem: omnia enim quae in tempore generantur, determinato tempore crescunt et postea incipiunt deici et tandem totaliter destruuntur, et ita contingit de impiis, unde subdit et humiliabuntur sicut omnia, quae scilicet in tempore crescunt, et auferentur, scilicet totaliter, quando ad summum pervenerint; et adhibet similitudinem subdens et sicut summitates spicarum conterentur: non enim conteruntur fruges quandiu sunt in herba et crescunt sed quando iam ad perfectam maturitatem pervenerint, et similiter impii non statim puniuntur a Deo sed quando ad summum pervenerint secundum mensuram a Deo praevisam. Hoc autem induxit ad ostendendum quod hoc, quod impii temporaliter non puniuntur sed prosperam vitam agunt, non contingit ex defectu divinae providentiae, sed ex hoc quod differt Deus poenam in congruum tempus; et sic patet falsum esse quod Eliphaz ei calumniose imposuerat de negatione providentiae divinae, unde subdit quod si non est ita, sicut praedixi de punitione malorum, sicut vos opinamini credentes semper hominem in hac vita puniri pro peccatis, quis me potest arguere esse mentitum, quasi scilicet divinam providentiam negem, et ponere ante Deum verba mea, idest verba mea in accusationem vertere coram Deo ac si sint contra eius providentiam dicta?

Au chapitre précédent Job se défend d’avoir été puni pour sa malice, comme le prétendait Eliphaz; ici il veut montrer qu’il n’a pas songé que Dieu n’a pas soin des hommes, comme le même Eliphaz l’en chargeait. Il faut ici remarquer que si certains ont posé que Dieu ne prend pas soin ni ne connaît les choses humaines c’est à cause, pensent-ils, de sa distance; ils croyaient en effet que de même que nous ne le connaissons pas à cause de cette distance, ainsi lui aussi envers nous. Mais Job exclut cela en disant : les temps ne sont pas cachés au Tout-Puissant, il veut dire : bien que le Tout-Puissant soit hors du changement des temps, il connaît cependant le cours des temps. Mais ceux qui sont dans le temps le connaissent sans qu’ils soient en mesure de comprendre ce qu’est son éternité, d’où il introduit ceux qui le connaissent, à savoir les hommes temporels, quelque connaissance qu’ils en aient, soit naturelle, soit de foi, ou par les lumières d’une plus grande sagesse, ignorent ses jours et c’est son éternité.

Et comme il a dit que le cours des choses temporelles n’est pas ignoré de Dieu, il montre en conséquence comment il juge les choses temporelles, faisant d’abord un tableau des diverses fautes des hommes causant frauduleusement des dommages aux autres. Il dit donc d’aucuns, c’est-à-dire parmi les hommes ont déplacé les bornes en changeant furtivement les limites des propriétés; et ils ont fait la même chose pour les animaux qui vivent en troupeaux, d’où il dit : ils ont pillé, aussi furtivement, les troupeaux, c’est-à-dire des autres qu'ils om fait paître pour donner le change. Et il aggrave leurs fautes par la condition de ceux auxquels ils nuisent. En effet les gens ont ordinairement pitié des orphelins à cause de leur âge et du manque du soutien des parents, et contre cela il dit : ils ont emmené l’âne des petits orphelins, à savoir en égarant ces bêtes pour s’en emparer, sans pitié pour les petits orphelins. De même on a ordinairement pitié des veuves à cause de la faiblesse de leur sexe et parce qu’elles sont destituées du soutien de leurs maris, mais contre cela il dit : ils ont pris en gage le bœuf de la veuve, comme sous couleur de justice, ils l’oppriment. Les gens ont ordinairement pitié des pauvres qui n’ont pas le soutien des richesses et quant à cela il dit : ils ont anéanti la voie des pauvres, à savoir : par toutes sortes de vexations ils les ont privés des moyens de subsistance. Ordinairement aussi on se refuse de nuire à ceux qui ne font de mal à personne, et il dit : ils ont opprimé ceux qui sont doux sur la terre c’est-à-dire ceux qui ne savaient ni résister au mal ni faire du mal aux autres.

Mais il y en a qui n’agissent pas frauduleusement comme les précédents et qui nuisent par leur violence ouverte, qui se lancent dans le mal comme si aucune loi ne les retenait et dont il dit : d’aucuns comme les onagres du désert c’est-à-dire les ânes sauvages, qui ne sont pas domestiqués, s’en vont à leur besogne, c’est-à-dire au brigandage dont ils font profession, d’où il dit : en éveil pour une proie qu’ils enlèvent ils préparent le pain des enfants, les leurs, au moyen de cette rapine. Ensuite on détermine le genre de proie ils moissonnent le champ qui n’est pas à eux, c’est-à-dire par la violence ils recueillent la moisson des autres; et la vigne de celui qu’ils pillèrent ils y font la vendange c’est-à-dire qu’ils ont d’abord opprimé leur victime pour s’emparer plus librement de ses biens. Et non seulement ils s’attaquent aux biens extérieurs par la violence mais aux biens qui sont déjà à l’usage du corps et dont on se protège; d’où ce qu’il dit : nus ils renvoient les gens, à savoir, sans rien leur laisser, emportant leurs vêtements; il veut flétrir davantage la culpabilité de cette rapine en ajoutant les souffrances que cause la nudité, d’où ce qu’il dit : qui n'ont pas de quoi se couvrir dans le froid; et la chose serait encore supportable si l’on pouvait trouver par ailleurs de quoi subvenir à cette nudité car non seulement les vêtements sont nécessaires pour se tenir chaud contre le froid mais aussi pour se protéger contre la pluie. Ainsi non seulement ils souffrent du froid mais ils sont trempés par la pluie et c’est ce qu’il dit : que la pluie des montagnes arrose. En effet les gens gagnent les endroits montagneux, comme vers des tentes, par crainte des brigands et des envahisseurs; là-bas à cause de l’atmosphère plus froide, les pluies sont fréquentes et rigoureuses surtout pour ceux qui n’ont rien pour se couvrir. Or il y a quelque remède à la nudité si celui qui n’a pas la protection du vêtement peut au moins se garantir sous un toit; mais il dit : privés de toute protection, du vêtement comme du toit, ils gagnent les rochers, c’est-à-dire qu’ils cherchent refuge dans des cavernes qu’on trouve dans les endroits montagneux.

En outre il aggrave leur faute de par la misérable condition des gens qu’ils incommodent par la violence ils dépouillaient les orphelins qu’il aurait fallu plutôt secourir; ils spoliaient le pauvre peuple c’est-à-dire, qu’il fallait plutôt aider. De toute façon ce serait encore admissible s’ils dépouillaient ceux qui ont en suffisance; et donc pour aggraver davantage encore le poids de leur iniquité il dit : ceux qui sont nus, qui donc n’ont pas de vêtements, qui vont sans vêtements à savoir, dans le plus grand dénuement, qui même en public s’en vont nus sans vêtement; ce qui est la plus grande détresse vestimentaire; et pour montrer que dans la nourriture aussi c’est la grande détresse il dit : et ceux qui ont faim. Or à eux, on ne peut plus rien enlever et le peu qu’ils ont, on n’a pas honte de leur prendre, d’où il dit : ils ont volé leurs épis, il veut dire qu’ils ne pouvaient emporter une mois son inexistante mais quelques pauvres épis qu’ils avaient recueillis. Et si par hasard ils semblaient avoir une toute petite aisance on le leur enlève sans mesurer dans quelle pénurie ils vont se trouver, d’où il dit : au milieu des meules fruits de la récolte de ces gens, ils ont fait la méridienne, à savoir : ils se sont reposés sur le coup de midi comme se repaissant du bien des autres chez ceux qui foulent le pressoir, assoiffés, à savoir qui aussitôt après la vendange ont un peu de vin. Non seulement ils spolient les gens de leurs biens extérieurs mais ils les blessent en leur personne, d’où il dit : jusque dans les cités on entendait des lamentations c’est-à-dire de ceux qu’ils ont torturés : beaucoup de citoyens ont été molestés et ceux qui ont été maltraités se lamentent; d’où ce qu’il dit, et les âmes des blessés poussaient des cris et Dieu à qui rien n’est caché de ce qui est dans le temps ne lais sera pas ces choses sans vengeance; ce qui ne serait pas s’il n’exerçait sa providence en les choses humaines.

Et pourquoi Dieu ne permet pas que cela reste sans vengeance il le montre en ce qu’ils ne pèchent pas par ignorance, mais par malice par haine de la sagesse, laquelle leur reproche leurs péchés. Et il dit : ils furent rebelles à la lumière, c’est-à-dire agissant intentionnellement contre ce que dicte leur raison. De même en effet que la sagesse prévient ceux qui la désirent, ainsi fuit-elle ceux qui lui résistent; d’où il dit : qu’ils ont ignoré ses voies; leur sens, que la malice égarait ne leur permit pas de reconnaître l’action de la sagesse; ou bien ils ont ignoré, à savoir n’ont pas su approuver ni expérimenter les préceptes de la sagesse. Quant à leur impénitence, il la prouve en disant : ils ne sont pas revenus sur ses sentiers; ceux-là en vérité reviennent sur les sentiers de la sagesse qui bien qu’ils résistent à la sagesse en péchant, cependant y reviennent par la pénitence.

Comme signe de leur résistance à la lumière de la sagesse divine il dit : qu’ils détestent la lumière extérieure, choisissant les ténèbres selon qu’il est dit : "Quiconque fait le mal, hait la lumière " (Jean 3, 20). D’où ce qu’il dit au petit matin, quand les ténèbres existent encore, le meurtrier se lève et il tue l’indigent et le pauvre : car à cette heure habituellement on ne rencontre personne sur les routes, mais quelques pauvres poussés par la nécessité devancent l’heure des occupations et c’est alors que les bandits les guettent sur la route. Mais pour faire main basse sur ce qui appartient à un seigneur il faut les profondes ténèbres; d’où il dit : dans la nuit il rôde comme un voleur, c’est-à-dire dépouillant les demeures, car au petit matin il ne pourrait agir en sécurité parce qu’alors les gens commencent à s’éveiller. Il montre la même chose chez l’adultère en disant : l’œil de l’adultère c’est-à-dire, qui épie le lit d’un autre, guette l’obscurité, pour ne pas être remarqué, disant : on ne me verra pas... Et comme le secret de la nuit ne lui suffit pas, il utilise d’autres moyens de n’être pas vu, d’où il dit : il couvre son visage, en changeant le plus possible ses habitudes. Et de même que pour commencer son œuvre il guette l’obscurité, ainsi aussi il l’exécute dans les ténèbres, d’où on nous dit : ils pénètrent dans les maisons au milieu des ténèbres c’est-à-dire par n’importe quelle fraude, ou violence, renversant les obstacles, comme pendant le jour ils s’étaient mis d’accord c’est-à-dire l’homme et la femme adultères; et ils ignorèrent la lumière, à savoir qu’ils se livrèrent tout entier à l’exécution de leur forfait.

Que si soudain, en quelque sorte inopinément, car le temps leur fut court pour vaquer à leur plaisir charnel, l’aurore apparaît, qui est le commencement de la lumière du jour, c’est comme l’ombre de la mort, pensent-ils; ils l’estiment aussi odieuse que l’ombre de la mort tandis qu’ils constatent ne plus pouvoir s’adonner à leur débauche. Or habituellement les hommes sont empêchés dans leurs actes de deux façons : d’une part quand ils ne voient pas l’issue de la chose; d’autre part quand ils trouvent peu d’aide pour leur projet. Mais les adultères sous la conduite de la concupiscence vont en sens contraire en s’exposant inconsidérément aux dangers sans savoir les suites et pour le signifier il dit : Ainsi dans les ténèbres, à savoir dans le doute et l’obscurité, telle la lumière, c’est-à-dire sans entrave, ils s’avancent; ensuite ils mettent toute leur confiance en une chose fragile et minuscule, d’où ce qu’il dit : Il est léger c’est-à-dire l’adultère sur la surface de l’eau, comme pour dire : il se meut si légèrement qu’il lui semble pouvoir atteindre à son projet, en douceur comme sur de l’eau. On peut aussi au sens littéral expliquer Ainsi dans les ténèbres ils marchent dans la lumière en ce que l’homme et la femme adultères aiment à faire le mal dans les ténèbres; ce qu’il dit : léger est-il sur la surface de l’eau se rapporte spécialement à l’adultère qui sous l’emportement de la passion croit qu’il peut passer aussi légèrement que sur l’eau à savoir sur toute difficulté et adversité afin d’arriver à la jouissance de ce qu’il désire.

Après avoir décrit les diverses espèces de péchés il en arrive à leurs châtiments. Et d’abord pour les châtiments d’ici-bas lorsqu’il dit maudite soit sa part sur la terre; en effet la part pour chacun est semble-t-il ce qu’il désire comme le bien suprême; or le pécheur constitue sa part comme fin suprême dans les biens terrestres, selon ce que dit la Sagesse "Telle est notre part, tel est notre sort " (2, 9c). Cette part est maudite parce que les biens de ce monde dont il use mal tournent à son malheur; et il le manifeste en disant : qu’il ne marche pas au chemin des vignobles; les chemins des vignobles en effet sont ordinairement ombragés et par conséquent tempérés; les vignes demandent également un endroit tempéré; car dans les lieux trop froids la gelée les détruit et dans les lieux trop chauds la chaleur les dessèche. L’impie donc ne marche pas dans le chemin des vignobles qui n’use pas des choses de ce monde modérément mais tantôt penche à un extrême tantôt à un autre; et quant à cela il dit : des eaux des neiges qu’il passe à la grande chaleur, passant en quelque sorte d’un vice contraire à un autre contraire parce qu’il ne demeure pas au milieu de la vertu; et ce châtiment poursuit tous les méchants, car "le cœur désordonné est à lui-même sa peine", comme le dit saint Augustin au 1 Livre des Confessions.

Ensuite vient la peine qui suit la mort lorsqu’il dit : et jusqu’aux enfers est son péché comme de dire : non seulement sur terre sa part est maudite tandis qu’il use immodérément des choses du mon mais encore par là il souffre le châtiment de l’enfer; à ce châtiment peut se rapporter ce qu’il a dit : des eaux des neiges il passe à la grande chaleur, car en enfer il n’y aura pas d’adoucissement. Et pour qu’on ne croie pas que Dieu en sa miséricorde mettra fin à ces peines, il dit : que la miséricorde c’est-à-dire de Dieu l’oublie c’est-à-dire le pécheur condamné à l'enfer pour qu’il n’en soit jamais délivré. Quel est ce châtiment il le dit : le ver sera doux pour lui, à savoir le plaisir du péché se changera en ver, c’est le remords de la conscience dont il est écrit : "Leur ver ne mourra pas " (Is. 66, 24d). D’où il dit la durée interminable de ce châtiment qu’on ne se souvienne pas de lui, à savoir qu’il soit totalement abandonné de Dieu sans espoir de libération, comme s’il l’avait oublié : et il fait une comparaison lorsqu’il dit : qu’on l’abatte comme un arbre stérile : en effet " l’arbre qui ne porte pas de bon fruit, sera coupé et jeté au feu " comme il est écrit en saint Matthieu (3, 10). Or le bois fertile est émondé pour qu’il porte plus de fruit (Jean 15, 2). Les impies donc sont punis pour leur extermination et les justes pour leur avancement.

Il déclare pourquoi il le compare au bois stérile, à partir de deux choses : d’une part parce qu’il a dépensé ses biens en choses inutiles, et il dit : il nourrissait la stérile qui n’enfante pas : celui qui consomme ce qu’il a en choses inutiles est semblable à celui qui entretient inutilement une femme stérile. D’autre part, parce qu’il n’a pas secouru les indigents ce qui aurait été pour lui fructueux, d’où il dit : il n’a pas été bon pour la veuve, par veuve il entend les indigents. Non seulement il fut stérile mais il fut nocif; comme l’arbre qui donne des fruits vénéneux, d’où il dit : fort de sa puissance il renversait les grands, à savoir il a fait usage de sa puissance non pour secourir les opprimés mais plutôt pour opprimer les grands; car ce qu’il a nui aux autres cela retombe sur lui, c’est-à-dire qu’il ne peut vivre en sécurité, craignant d’être aussi lésé par ceux qu’il a lésés; d’où il dit : et même s’il est debout, à savoir comme il n’a subi rien d’adverse il ne croit pas en sa vie, à savoir il ne sera pas sûr de sa vie, selon ce qu’Eliphaz avait dit plus haut (15, 21) " Un bruit terrifiant est toujours à ses oreilles et dans la paix il soupçonne toujours des embûches".

Et pourquoi doit-il être châtié sans pitié, il assigne la cause en ce qu’il n’a pas voulu profiter de la mi divine quand il le pouvait; d’où il dit Dieu lui donnait le temps de se repentir c’est-à-dire différant le châtiment; et voilà la raison pour laquelle quelqu’un se voit accordé de vivre longtemps dans la prospérité. Mais ce que Dieu lui a fait de bien, lui il l’a tourné en mal, d’où il dit : mais il en abusait dans son orgueil, n’attribuant pas à la miséricorde divine de n’être pas puni après le péché; mais il en profita pour oser pécher encore jusqu’au mépris de Dieu. Et bien que le pécheur cherche les ténèbres pour son péché il ne peut empêcher d’être vu; d’où il dit : ses regards en effet, c’est-à-dire de Dieu, sont sur ses chemins, à savoir considérant ses démarches quoiqu’il marche dans les ténèbres; et de là vient qu’ils se sont élevés quelque peu, à savoir vers quelque hauteur bien caduque, Dieu leur accordant le temps du repentir. Et ils ne subsisteront pas c’est-à-dire, en fin de compte, parce qu’ils abusent de la miséricorde de Dieu pour s’enorgueillir. Et il use pour cela d’une comparaison. En effet tout ce qui est engendré dans le temps grandit en un temps donné et ensuite dépérit et enfin est totalement détruit; et ainsi en est-il des impies d’où il dit : ils seront humiliés comme tout le reste c’est-à-dire qui grandit dans le temps; ils seront enlevés, c’est-à-dire totalement, quand ils seront arrivés au sommet. Et il établit la comparaison en introduisant et comme le sommet des épis ils seront écrasés. En effet tant qu’elles sont en herbe et en croissance les céréales ne sont pas foulées aux pieds, mais quand elles sont arrivées à la parfaite maturité; et ainsi des impies, ils ne sont pas punis tout de suite par Dieu, mais quand ils sont arrivés à la pleine mesure que Dieu a prévue. Or il dit cela pour montrer que si les impies ne sont pas punis sur le champ mais vivent dans la prospérité, ce n’est pas la faute à la divine providence, mais parce que Dieu diffère la peine en temps propice et ainsi il ressort qu’Eliphaz l’a faussement calomnié d’avoir nié la divine providence; d’où il dit : que s’il n’en est pas ainsi, comme je l’ai prédit de la punition des méchants, tandis que vous prétendez que les hommes sont toujours punis en cette vie pour leurs péchés, qui pourra me reprocher d’avoir menti, comme si je niais la providence divine et d’avoir posé devant Dieu mes paroles à savoir que mes paroles auraient accusé Dieu en face de ne pas exercer sa providence.

 

 

Caput 25

Job 25 — Courte réponse de Baldad

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Baldad (Job 25)

 

1 Alors Baldad de Suhé prit la parole et dit :

2 A lui appartiennent la domination et la terreur; il fait régner la paix dans ses hautes demeures. 3 Ses légions ne sont-elles pas innombrables? Sur qui ne se lève pas sa lumière? 4 Comment l'homme serait-il juste devant Dieu? Comment le fils de la femme serait-il pur? 5 Voici que la lune même est sans clarté, les étoiles ne sont pas pures à ses yeux : 6 combien moins l'homme, ce vermisseau, le fils de l'homme, ce vil insecte!

1 Baldad de Shouah répondant dit : 2 Puissance et terreur sont près de Lui qui fait la concorde dans ses hauteurs. 3 Peut- t-on compter ses soldats? Au-dessus de qui n’est pas sa lumière? 4 L'homme sera-t-il justifié comparé d Dieu? où paraître pur, l’enfant de la femme? 5 Voici! la lune même ne brille pas ni les étoiles ne scintillent en sa présence. 6 Combien plus l’homme, cette pourriture, et ce ver qu'est le fils de l’homme.

[84923] Super Iob, cap. 25 Respondens autem Baldath Suites dixit: potestas et terror et cetera. Iob in sua responsione duas calumnias quas ei Eliphaz iniecerat in praecedenti sua responsione iam repulit, ostendens se neque pro peccatis punitum neque divinae providentiae negatorem. Ostenderat autem valde expresse quod divinae providentiae non repugnabat si impii in hoc mundo prosperantur, quia reservatur eorum poena in aliud tempus, et ideo contra hoc ulterius insistere non potuerunt; sed alterum, scilicet quod non fuerit pro peccatis punitus, non tam evidenter ostenderat quin potius debilitatem suae ostensionis significavit cum dixit nemo advertere potest cogitationes eius, et ideo contra hoc ulterius Baldath resistere nititur, redarguens Iob quod se asserebat non pro peccatis suis punitum. Et quasi immemor verborum Iob quibus dixerat non sibi sufficere si contra eum ex Dei fortitudine contendatur, a divina potestate disputationis suae sumit exordium, et proponit magnitudinem divinae potestatis dupliciter: primo quidem quantum ad hoc quod potentiam exercet in superiores creaturas in summa pace eas conservans, unde dicit potestas et terror, idest ex qua timeri debet, apud eum est, scilicet Deum, qui facit concordiam in sublimibus suis. In inferioribus enim creaturis discordia multiplex invenitur tam in creaturis rationalibus, ut patet per contrarios motus humanarum voluntatum, quam in creaturis corporalibus, ut ex earum contrarietate apparet per quam generationi et corruptioni subduntur; sed in superioribus corporibus nulla contrarietas reperitur, unde et incorruptibilia sunt: similiter etiam et superiores intellectuales substantiae in summa concordia vivunt, unde absque miseria sunt. Haec autem summa concordia superiorum creaturarum ex potestate divina procedit, quae superiores creaturas in perfectiori suae unitatis participatione constituit quasi sibi propinquiores, et ideo signanter dicit in sublimibus suis, idest sibi magis conformibus. Secundo commendat divinam potestatem ex his quae operatur in inferioribus creaturis, in quibus operatur per ministerium superiorum creaturarum, quarum multitudo homini est ignota, unde subdit numquid est numerus militum eius? Milites quidem Dei vocat omnes caelestes virtutes quae divinum nutum sequuntur sicut milites oboediunt imperio ducis; harum autem caelestium virtutum numerus ignotus est homini, et simile est quod habetur Is. XL 26 qui educit in numero militiam eorum. Et ne aliquis crederet quod caelestes virtutes non se haberent sicut milites parentes alieno imperio sed sicut duces et principes ex suo arbitrio cuncta agentes, sicut aestimaverunt multorum deorum cultores, subiungit et super quem non surgit lumen eius? Quasi dicat: omnes caelestes virtutes per illuminationem divinam diriguntur sicut homines per hoc quod super eos surgit lux solis. Proposita ergo potestate divina, accedit ad propositum dicens numquid iustificari potest homo comparatus Deo? Quasi dicat: ex quo Deus tam magnus est et in iustitia praecellens ut etiam in sublimibus concordiam faciat, quae est iustitiae effectus secundum illud Is. XXXIII opus iustitiae pax, omnis iustitia hominis divinae iustitiae comparata quasi nihil reputatur. Nec solum homo Deo comparatus non potest iustus videri, sed quod plus est ei comparatus apparet iniustus, sicut in comparatione ad res pulcherrimas res quae parum pulchritudinis habent videntur immundae, unde subdit aut apparet mundus natus de muliere? Quod signanter dicit quia ex hoc ipso quod homo de muliere per concupiscentiam carnis nascitur maculam contrahit. Hoc autem quod dixerat consequenter per simile confirmat cum subdit ecce etiam luna non splendet et stellae non sunt mundae in conspectu eius; ubi considerandum est quod de sole mentionem non facit quia non apparet sensibiliter quod ad praesentiam maioris luminis lumen eius obtenebretur, sed luna et stellae etiam ad praesentiam corporalis solis obfuscantur, unde multo magis earum claritas quasi obscuritas quaedam est immensitati divini luminis comparata. Et ex hoc concludit propositum subdens quanto magis homo putredo et filius hominis vermis, scilicet non potest reputari splendens splendore iustitiae si divinae iustitiae comparetur, neque mundus per innocentiam si comparetur puritati divinae; signanter autem hominem putredini comparat quasi ex materia existentem putrefactioni vicina, et filium hominis vermi quia vermis ex putredine generatur. Hoc autem inducit ad ostendendum quod homo non potest quantamcumque iustitiam et innocentiam suam proponere, quasi nihil reputatam in comparatione ad Deum, cum agitur de divino iudicio.

Dans sa réponse Job avait réfuté les deux calomnies d’Eliphaz : Il montrait que ses péchés n’étaient pas cause de son châtiment et qu’il n’avait pas nié l’existence de la providence divine. Or il avait montré très clairement qu’il ne répugnait pas à la divine providence si les impies prospèrent en ce monde, parce que le châtiment leur est réservé pour un autre temps. Et donc contre cet argument ils n’ont plus insisté. L’autre réfutation qu’il n’a pas été puni pour ses péchés, ne fut pas aussi convaincante; mais les preuves étaient plutôt faibles lorsqu’il disait "Personne ne peut connaître ses pensées " (23, 13). Et donc contre cela Baldad va s’efforcer de s’opposer, reprochant à Job d’affirmer qu’il n’est pas puni pour ses péchés.

Et comme ignorant les paroles de Job où il disait qu’il ne suffisait pas d’alléguer contre lui la force divine (23, 6), Baldad en fait l’exorde de sa discussion. Il propose donc la grandeur de la puissance divine de deux manières. D’abord quant à son exercice dans les créatures supérieures, en les maintenant dans la plus grande paix; d’où il dit : puissance et terreur, par lesquelles il doit être craint, sont près de lui à savoir Dieu qui fait la concorde dans ses hauteurs; en effet dans les créatures inférieures se trouve beaucoup de discorde, tant dans les créatures raisonnables, comme il ressort des mouvements contraires dans les volontés humaines, que dans les créatures corporelles, comme il apparaît en leur contrariété de génération et de corruption. Mais dans les corps supérieurs on ne trouve aucune contrariété de sorte qu’ils sont incorruptibles; ainsi aussi les substances supérieures intellectuelles vivent dans une concorde suprême. Or cette suprême concorde procède de la puissance divine qui place les créatures supérieures en une participation parfaite de son unité comme étant les plus proches de Lui; et donc il dit : pertinemment dans ses hauteurs, à savoir celles qui lui sont plus conformes.

 Ensuite il montre la divine puissance dans son exercice auprès des créatures inférieures chez lesquelles elle opère par le ministère des créatures supérieures dont la multitude est inconnue aux hommes, d’où il dit : peut-on compter ses soldats? Les soldats de Dieu ce sont toutes les vertus célestes qui suivent le bon vouloir divin, comme les soldats obéissent à leur chef. Le nombre de ces vertus célestes nous est inconnu; Isaïe dit la même chose " Celui qui fait sortir son armée qu’il a dénombrée " (10, 26). On ne devrait cependant pas croire que les vertus célestes se conduisent comme des soldats sans commandement, c’est-à-dire comme des chefs et des princes faisant tout selon leur arbitraire, comme l’ont pensé ceux qui adoraient les faux dieux et pour cela il dit : au-dessus de qui n’est pas sa lumière? Il veut dire que toutes les vertus célestes sont sous la direction d’une illumination divine, comme les hommes pour qui se lève la lumière du soleil.

 Après avoir mis en avant la puissance divine il en arrive à son propos Comparé à Dieu l’homme pourra-t-il être justifié? Comme s’il disait : donc, puisque Dieu est si grand et d’une justice si incomparable qu’il met la concorde aussi dans les hauteurs, ce qui est un effet de la justice, selon Isaïe " L’œuvre de la justice est la paix " (32, 17), toute justice d’homme comparée à la justice divine doit être tenue comme néant; non seulement l’homme comparé à Dieu ne peut paraître juste, mais ce qui plus est, il apparaît injuste, comme en comparaison des choses très belles d’autres bien qu’ayant de la beauté semblent vilaines; d’où il dit : où paraîtra-t-il pur étant né de la femme? Ce qu’il dit : avec pertinence, car né de la femme par la concupiscence de la chair l’homme contracte une souillure.

Ce qu’il vient de dire il le confirme par une comparaison voici qu’aussi la lune ne brille pas, ni les étoiles ne sont pures en sa présence. Remarquons qu’on ne fait pas mention du soleil, car on n’a pas d’exemple que sa lumière s’obscurcit en présence d’une plus grande lumière; mais la lune et les étoiles en présence de la lumière matériel le du soleil disparaissent; donc combien plus leur clarté est-elle comme l’obscurité comparée à l’immensité de la lumière divine; d’où la conclusion de son propos combien plus l’homme, cette pourriture et ce ver de terre qu’est le fils de l’homme c’est-à-dire qu’il ne peut être tenu resplendissant de la splendeur de la justice s’il est comparé à la justice divine, ni pur par son innocence s’il est comparé à la pureté divine. C’est avec pertinence qu’il compare l’homme à la pourriture, existant en quelque sorte de matière proche de la putréfaction, et le fils de l’homme au ver qui est engendré de la pourriture. Il veut montrer par là que l’homme aussi juste et innocent qu’il soit ne peut se prévaloir de sa justice et de son innocence, comparables au néant en face de Dieu et du jugement divin.

 

 

Caput 26

Job 26 — Ultime réponse de Job

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 26)

 

1 Alors Job prit la parole et dit : 2 Comme tu sais venir en aide à la faiblesse, prêter secours au bras sans force! 3 Comme tu conseilles bien l'ignorant! Quelle abondance de sagesse tu fais paraître! 4 A qui adresses-tu des paroles? Et de qui est l'esprit qui sort de ta bouche? 5 Devant Dieu, les ombres tremblent sous les eaux et leurs habitants. 6 Le schéol est à nu devant lui, et l'abîme n'a point de voile. 7 Il étend le septentrion sur le vide, il suspend la terre sur le néant. 8 Il renferme les eaux dans ses nuages, et les nues ne se déchirent pas sous leur poids. 9 Il voile la face de son trône, il étend sur lui ses nuées. 10 Il a tracé un cercle à la surface des eaux, au point de division de la lumière et des ténèbres. 11 Les colonnes du ciel s'ébranlent, et s'épouvantent à sa menace. 12 Par sa puissance il soulève la mer, par sa sagesse il brise l'orgueil. 13 Par son souffle le ciel devient serein, sa main a formé le serpent fuyard. 14 Tels sont les bords de ses voies, le léger murmure que nous en percevons; mais le tonnerre de sa puissance, qui pourra l'entendre?

1 Job dit en réponse : 2 Qui veux-tu aider? Est-il donc si faible? Soutiens-tu le bras de celui qui est sans force? 3 Qui conseilles-tu? Peut-être est-il sans sagesse? Tu as fait montre d’une bien grande prudence. 4 Qui as-tu voulu enseigner? N’est-il pas celui qui a fait le souffle? 5 Voici que les géants gémissent sous les eaux? et ceux qui habitent avec eux. 6 L'enfer est à nu devant lui, rien ne cache la perdition. 7 Au-dessus du vide il étend l’Aquilon; sur le néant il suspend la terre. 8 Dans les nuées il lie les eaux, sans quoi elles crèveraient d’un coup vers le bas. 9 Il retient la face de son trône et il étend sur lui sa nuée. 10 Il met une limite aux eaux, jusqu'aux confins de la lumière et des ténèbres. 11 Les colonnes du ciel tremblent et se pâment au moindre de ses signes. 12 Par sa force les mers se sont subitement rassemblées. De sa prudence il a frappé le superbe. 13 Son esprit orne les cieux et sa main a fait accoucher et retirer la vipère tortueuse. 14 Voici je n’ai dit qu’une partie de ses voies : nous avons entendu à peine une petite goutte de ce qu'il dit qui pourra saisir le tonnerre de sa grandeur?

[84924] Super Iob, cap. 26 Respondens autem Iob dixit: cuius adiutor es et cetera. Baldath in verbis praemissis Iob convincere voluit ex consideratione divinae potestatis omnibus tremendae, respectu cuius nullus homo potest iustitiam aut innocentiam praetendere ut se asserat absque peccato punitum; unde Iob triplicem responsionem subiungit, quarum prima specialiter est contra Baldath qui Iob terrere conatus fuerat ex consideratione divinae potestatis. Solent autem homines non ratione contra aliquem condemnatum utentes, sed iudicis potentiam et sapientiam allegantes, hoc facere in iudicis favorem; adhibetur autem favor alicui personae dupliciter: uno modo propter defectum potentiae illius cui favetur, alio modo propter defectum sapientiae; quantum ergo ad primum dicit cuius adiutor es? Numquid imbecillis? Quasi dicat: haec quae locutus es non secundum viam rationis sed quasi in Dei favorem, numquid ad hoc dixisti ut Deo ferres auxilium quasi infirmo? Adiuvare autem videtur aliquem qui eius operationem defendit, unde subdit et sustentas brachium eius qui non est fortis? Quasi dicat: numquid vis tu his verbis defendere Dei operationem qua punitus sum ab eo, ac si ipse non esset fortis ad se defendendum? Deinde quantum ad favorem qui alicui adhibetur propter defectum sapientiae, considerandum est quod hic favor est duplex: unus quidem ex hoc quod consilium datur alicui circa res agendas, et quantum ad hoc dicit cui dedisti consilium? Videtur aliquis alicui consilium dare quando eius causam sine ratione defendit; non autem consilio indiget Deus, qui est in sapientia perfectus, unde subdit forsitan illi qui non habet sapientiam? Quasi dicat: numquid dubitas Deum sapientiam non habere ut tam stulte pro eo loquaris? Qui autem sapienti consilium dat videtur hoc facere ad sapientiam ostendendam, unde subdit et prudentiam tuam ostendisti plurimam? Quasi dicat: numquid per hoc voluisti tuae prudentiae abundantiam ostentare? Alius autem modus favoris contra defectum sapientiae est ut quis instruat ignorantem circa scibilia, et quantum ad hoc subdit quem docere voluisti? Visus es enim Deum docere dum eius potentiam contra me allegasti, sed ipse doceri non indiget qui est totius humanae scientiae causa, unde subdit nonne eum qui fecit spiramentum, idest qui creavit humanam animam per quam homo et intelligit et spirat? Una enim et eadem anima est quae per intellectum scientiam percipit et per alias vires corpus vivificat. Deinde ne videatur in aliquo potentiae Dei derogare, commendat ipsam multo diffusius quam Baldath enumerans multos effectus divinae potentiae, et incipit ab his quae potenter fecit in genere humano circa diluvium. Legitur enim Gen. VI 4 quod gigantes erant super terram in diebus illis, et postea subditur cumque vidisset Deus terram esse corruptam, omnis quippe caro corruperat viam suam super terram, dixit ad Noe: finis universae carnis venit coram me, et postea subdit ecce ego adducam aquas diluvii super terram et interficiam omnem carnem. Hunc ergo effectum divinae potentiae ostendit subdens ecce gigantes, scilicet antiqui, gemunt, scilicet in poenis Inferni, sub aquis, idest qui fuerunt submersi aquis diluvii; et quia non soli ipsi perierunt sed multi alii cum eis et tunc et postea, subiungit et qui habitant cum eis, scilicet similiter gemunt, scilicet a virtute potestatis ipsius. Et ne aliquis crederet quod divina providentia se extenderet solum ad iudicandos homines in hac vita, non autem post mortem sicut amici Iob sentire videbantur, ad hoc excludendum subdit nudus est Infernus coram illo, quasi dicat: ea quae in Inferno aguntur conspicua sunt oculis eius et secundum eius iudicium aguntur; unde ad huius expositionem subdit et nullum est operimentum perditioni, idest his qui sunt perditi in Inferno, ut possint ab oculis Dei occultari sicut occultantur a nobis. Deinde enumerat effectus divinae providentiae in rebus naturalibus, et incipit ab extremis, scilicet a caelo et a terra, in quorum utroque aliquid apparet ex divina potentia institutum quod humanas vires excedit. Secundum autem id quod sensibiliter apparet, videtur caelum extensum esse super terram sicut quoddam tabernaculum, terram autem esse sub caelo sicut tabernaculi pavimentum; quicumque autem tabernaculum erigit, aliquid supponit quo tabernaculum sustentatur, sed hoc in caelo non apparet: non enim videtur aliquid caelum sustentans nisi virtus divina, unde dicit qui extendit Aquilonem super vacuum. Per Aquilonem intelligit superius hemisphaerium quoad nos: nobis enim aquilonaris polus supra horizontem elevatur, Australis vero sub horizonte deprimitur, unde dicit Aquilonem extendi super vacuum, quia sub superiori hemisphaerio caeli nihil nobis apparet nisi spatium aere plenum, quod vulgares homines reputant vacuum: loquitur enim secundum aestimationem vulgarium hominum, prout est moris in sacra Scriptura. Similiter etiam qui pavimentum iacit super aliquid ipsum firmat; terra autem quae est quasi caeli fundamentum non apparet super aliquid firmata quod eam possit sustentare, sed sola Dei potentia sustinetur, unde subdit et appendit terram super nihilum. Haec autem non ita dicuntur quasi caelum sit ponderosum ut indigeat sustentamento ne cadat, aut terra possit descendere nisi usque ad centrum, sed ipsas naturales virtutes quibus corpora in suis locis naturaliter continentur ex divina potestate processisse significat: sicut enim motus violentus est a potestate humana, ita inclinatio naturalis est ex virtute divina quae est naturae principium. Deinde enumerat effectus divinae potentiae in spatio medio quod est inter caelum et terram, et primo in aere, in quo hoc admirabile videtur quod aqua in aere suspenditur vaporabiliter elevata, et non tota simul cadit sed guttatim ut apparet in pluviis, unde dicit qui ligat aquas in nubibus suis, idest eius virtute causatis, ut non erumpant, scilicet aquae pluviarum, pariter deorsum sed guttatim secundum quod expedit ad temperiem terrae, quasi divina virtute illud quod remanet in nubibus esse ligatum ut non a principio cadat: fit enim divina virtute ut vapores non simul condensentur ut oporteat eos simul in aquam conversos pariter cadere. Pluviis autem ex nubibus deorsum cadentibus, remanent quaedam vaporum reliquiae ex quibus nebulae generantur, per quas nobis tegitur caelum quod est quasi solium Dei, secundum illud Is. ult. caelum mihi sedes est, et quantum ad hoc subdit qui tenet vultum solii sui, idest qui detinet quasi occultatam faciem caeli quod est solium eius, et hoc per nebulas quibus prohibemur caelum videre, unde subdit et expandit super illud nebulam suam, idest eius virtute productam. Deinde ostendit effectum divinae potentiae in aquis cum subdit terminum circumdedit aquis: aquae enim secundum naturalem elementorum ordinem undique terram operire deberent, sed quod aliqua pars terrae remanet discooperta ab aquis, hoc factum est divina virtute, quae usque ad certum terminum terram fecit operiri ab aquis; et hoc praecipue videtur ad Oceanum pertinere qui undique terram circumdat, et propter hoc subdit usque dum finiantur lux et tenebrae: finitur enim nobis lux diei et tenebra noctis sole accedente vel discedente ab hemisphaerio superiori quod superponitur nostrae habitabili, quae quasi undique Oceano concluditur; vel potest intelligi quod terminus aquarum intransmutabilis permanebit, manente hoc statu mundi in quo est successio lucis et tenebrarum. Sic igitur enumeratis effectibus divinae potentiae in corporalibus creaturis, ostendit eius effectum in creaturis spiritualibus quas vocat columnas caeli, quia scilicet eorum officio administratur motus caelorum, unde dicit columnae caeli, scilicet Angeli, contremiscunt et pavent ad nutum eius, idest oboediunt ei ad nutum, et loquitur ad similitudinem servi ad nutum oboedientis domino propter timorem et tremorem ipsius, ut timor referatur ad animam, tremor ad corpus. Non est autem putandum quod in sanctis Angelis sit timor poenalis, sed eorum reverentia ad Deum hic timor nominatur, et sic pavor refertur ad affectum, tremor autem ad exteriorem effectum. Et quia in Angelis aliqui sunt qui a debita Dei reverentia discesserunt, de quibus supra IV 18 dictum est in Angelis suis reperit pravitatem, ideo consequenter de distinctione bonorum et malorum Angelorum subiungit. Creditur autem simul cum distinctione creaturae corporalis etiam creaturae spiritualis distinctionem fuisse, et ideo ad insinuandam distinctionem creaturae spiritualis praemittit de creatura corporali dicens in fortitudine illius repente maria congregata sunt, secundum illud Gen. I 9 congregentur aquae quae sunt super terram in locum unum, et appareat arida. Et sicut creaturae corporales sunt distinctae divina virtute ita etiam creaturae spirituales, unde subdit et prudentia eius percussit superbum, idest per virtutem providentiae ipsius Diabolus superbiens est sua gloria privatus; et simul eo percusso bonis Angelis sunt spiritualia dona augmentata, unde subdit spiritus eius ornavit caelos, idest caelestes spiritus, ornamentis scilicet spiritualium donorum. Non erat autem conveniens ut percussus per privationem gloriae cum ornatis per spiritum sanctum remaneret, et ideo subdit et obstetricante manu eius eductus est, scilicet a societate bonorum Angelorum, coluber tortuosus, idest Diabolus, qui colubro comparatur propter malignitatis venenum et tortuosus dicitur propter calliditatem; signanter autem dicit eum eductum obstetricante manu Dei: sicut enim obstetrix sic educit infantem quandoque mortuum ut mater non laedatur, ita Deus sic eduxit Diabolum de medio Angelorum ut bonorum Angelorum societas in nullo detrimentum sit passa. Et ne aliquis crederet hos effectus licet sint magni divinam potentiam adaequare, subdit ecce haec ex parte sunt dicta viarum eius, idest operum eius quibus et nos in Dei cognitionem ascendimus et Deus nobis se quodammodo communicat. Et ne videantur haec etsi non totam divinam potentiam adaequare tamen ex magna parte ad eius aequalitatem accedere, subiungit et cum vix parvam stillam sermonum eius audierimus, quis poterit magnitudinem tonitrui eius intueri? Quasi dicat: omnium quae nunc dicta sunt de effectibus divinae potentiae, minor est comparatio ad divinam potentiam quam unius parvi sermonis quasi silenter stillantis ad maximum tonitrui sonum.

Baldad avait voulu convaincre Job par la considération de la divine puissance, redoutable pour tous, en face de laquelle personne ne peut prétendre à la justice et à l’innocence et pouvoir affirmer être puni sans avoir péché. Job donc va donner trois réponses dont la première est à l’adresse de Baldad qui avait tenté d’effrayer Job par la considération de la divine puissance.

Les hommes n’ont pas l’habitude d’user de la raison contre celui qui est condamné, mais ils allèguent la puissance et la sagesse du juge; ils veulent en cela favoriser le juge. Or on favorise quelqu’un de deux façons : soit à cause de sa puissance insuffisante, soit à cause de son manque de sagesse. Quant à la première chose il dit : Qui veux-tu aider? Est-il donc si faible? Comme s’il disait : ces choses que tu as dites, non selon la voie de la raison, mais comme pour favoriser Dieu, as-tu dit cela pour porter secours à un infirme? On aide, semble-t-il, quelqu’un en justifiant son action, d’où il dit : soutiens-tu le bras de celui qui est sans force? Comme pour dire : veux-tu par ces paroles justifier l’action de celui qui me punit, comme s’il ne pouvait le faire lui-même?

Ensuite quant au manque de sagesse chez celui qu’on veut favoriser il faut remarquer que cette faveur est de deux sortes : d’une part en ce qu’on donne un conseil à quelqu’un pour des actes à accomplir et quant à cela il dit : qui conseilles-tu? On donne semble-t-il un conseil à celui qui veut défendre sa cause sans raison; or Dieu n’a pas besoin de conseil, lui dont la sagesse est parfaite; d’où il dit peut-être dhhhh celui qui est sans sagesse? Il veut dire : douterais-tu de la sagesse de Dieu pour parler aussi sottement de lui? Or celui qui donne un conseil à un sage, c’est semble-t-il, pour faire montre de sa propre sagesse; d’où il dit : tu fais montre d’une bien grande prudence, comme s’il disait : as-tu donc voulu montrer l’abondance de ta prudence?

D’autre part on donne un conseil contre le manque de sagesse pour instruire un ignorant de choses qu’il faut savoir; et quant à cela il dit : qui as-tu voulu enseigner? En effet tu sembles avoir voulu enseigner Dieu en alléguant sa puissance contre moi; mais il n’a pas besoin qu’on l’enseigne, lui qui est cause de toute la connaissance humaine; d’où il dit : n’est-il pas celui qui a fait le souffle? A savoir qui a créé l’âme humaine par laquelle l’homme pense et respire; c’est la même et unique âme qui par l’intelligence perçoit la science et par les autres forces vivifie le corps.

Ensuite pour ne déroger en rien à la puissance divine, il va la faire valoir avec beaucoup plus de développement que Baldad, en énumérant les nombreux effets de la divine puissance. Et il commence par ce qu’elle a fait avec puissance à l’égard du genre humain au temps du déluge; on lit en effet dans la Genèse que "des géants se trouvaient sur la terre en ces jours-là" et on dit ensuite "Comme Dieu voyait que la terre était corrompue, car toute chair avait corrompu sa voie sur terre, il dit à Noë : la fin de toute chair est venue devant moi" et on ajoute : "Voici que j’amènerai les eaux du déluge sur la terre et j’exterminerai toute chair". Cet effet de la divine puissance il le montre en disant : voici que les géants, c’est-à-dire les anciens, gémissent, c’est-à-dire dans les peines de l’enfer sous les eaux, à savoir ceux que les eaux du déluge ont submergés. Et parce que non seulement ceux-là ont péri mais beaucoup d’autres avec eux alors et dans la suite, il ajoute : et ceux qui habitent avec eux, c’est-à-dire gémissent également, c’est-à-dire, du fait de sa puissance.

Et on ne doit pas croire que la divine providence n’étendrait son jugement qu’aux hommes en cette vie et non après la mort, comme les amis de Job le pensaient, et pour exclure cela il dit : l’enfer est à nu devant lui, comme de dire : ce qui se passe en enfer n’échappe pas à ses regards et tout se passe selon sa décision et pour exposer cela il dit : rien ne cache leur perdition à savoir ceux qui sont perdus en enfer ne sont pas cachés aux yeux de Dieu, comme ils nous sont cachés.

Ensuite il énumère les effets de la providence divine dans les choses naturelles; et il commence par les extrêmes : c’est-à-dire le ciel et la terre, dans lesquels quelque chose apparaît de la divine puissance qui dépasse les forces humaines. Or selon ce qui apparaît à nos sens, le ciel s’étend au-dessus de la terre comme une tente et la terre se trouve sous le ciel comme un pavement. Mais celui qui élève une tente place quelque chose qui soutienne la tente; or on ne constate rien de tel pour le ciel; en effet rien ne paraît soutenir le ciel sinon la vertu divine; d’où il dit : au-dessus du vide il étend l’aquilon; par l’aquilon il entend l’hémisphère supérieur quant à nous; pour nous en effet le pôle septentrional s’élève au-dessus de l’horizon tandis que le pôle austral disparaît sous l’horizon; il dit : que l’aquilon s’étend au-dessus du vide parce que de l’hémisphère supérieur rien n’apparaît que l’espace rempli par l’air qu’en langage vulgaire on appelle vide; il parle en effet selon l’estimation du vulgaire comme il est de coutume dans la Sainte Ecriture. Ainsi encore celui qui établit un pavement l’affermit sur quelque chose; or la terre qui est comme le fondement du ciel ne semble pas être affermie sur quelque chose qui puisse la soutenir, mais elle est soutenue par la seule puissance de Dieu, d’où il dit : sur le néant il suspendit la terre. Cela ne veut pas dire que le ciel soit pondéreux de telle sorte qu’il ait besoin d’un soutien pour ne pas tomber, ni que la terre ne puisse descendre que jusqu’au centre, mais il veut dire que les forces naturelles mêmes qui maintiennent naturellement les corps en leurs positions proviennent de la puissance divine. De même en effet qu’un mouvement violent vient d’une force humaine, ainsi l’inclination naturelle (des choses) procède de la vertu divine qui est le principe de la nature.

Ensuite il énumère les effets de la puissance divine dans l’espace intermédiaire qui se trouve entre le ciel et la terre; et d’abord dans l’air où il y a ceci d’admirable que l’eau soit suspendue dans l’atmosphère, transformée en vapeur, et elle ne tombe pas toute en une fois, mais goutte par goutte, comme on le voit dans la pluie d’où il dit : dans les nuées il lie les eaux, à savoir les nuées produites par sa vertu; sans quoi elles crèveraient, c’est-à-dire les eaux de pluie d’un coup vers le bas, mais goutte à goutte, comme il est expédient pour fa fraîcheur du sol; comme si ce qui reste dans les nuées était retenu et lié par la vertu divine pour ne pas tomber aussitôt; il se fait en effet par la vertu divine que les vapeurs ne se condensent pas en même temps de sorte qu’il leur faudrait, converties en eau, tomber également; or les pluies dans leur chute laissent derrière elles des vapeurs formant des nuées; celles-ci nous cachent le ciel qui est comme le trône de Dieu, selon qu’il est écrit : "le ciel est mon siège" (Is. 66, 1), et quant à cela il dit : il retient la face de son trône à savoir, il tient comme caché le visage du ciel, lequel est son trône; et il fait cela par les nuages qui nous empêchent de voir le ciel; d’où il ajoute : et il étend sur lui sa nuée à savoir, qu’il a produite par sa vertu.

Ensuite il montre l’effet de sa puissance dans les eaux lorsqu’il dit : il a mis une limite aux eaux; celles-ci en effet selon leur tendance naturelle devraient couvrir toute la terre mais qu’une partie de la terre ne soit pas recouverte par les eaux, cela est dû à la puissance divine, qui a marqué une limite à l’occupation de l’eau, et cela concerne en particulier l’océan qui de toute part entoure la terre; et à cause de cela il dit : jusqu'aux confins de la lumière et des ténèbres; en effet pour nous la lumière du jour et les ténèbres de la nuit se règlent selon que le soleil approche ou s’éloigne de l’hémisphère supé rieur qui se trouve au dessus de notre terre habitée laquelle est de toute part enfermée par l’océan. Ou bien on peut comprendre que la limite des eaux demeurera infranchissable, en l’état actuel du monde, où se succèdent la lumière et les ténèbres.

Ainsi donc après avoir énuméré les effets de la divine puissance dans les créatures corporelles, il montre ses effets dans les créatures spirituelles, qu’il qualifie de colonnes du ciel parce qu’en effet leur office est de présider aux mouvements du ciel; d’où il dit : les colonnes du ciel c’est-à-dire les anges, tremblent et se pâment au moindre de ses signes, à savoir ils obéissent au moindre signe; et il fait la comparaison avec celui qui obéit au moindre signe du maître dans la crainte et le tremblement, la crainte se rapportant à l’âme, le tremblement au corps. Il ne s’agit pas pour les anges d’une crainte pénale mais d’une crainte révérencielle envers Dieu; et ainsi la peur se rapporte à l’affection et le tremblement à l’effet extérieur.

Et comme parmi les anges certains ont refusé le respect qu’ils devaient à Dieu, et dont il a été question plus haut (1V, I8) parmi les anges il a trouvé la révolte", en conséquence il fait la distinction entre les bons et les mauvais anges. Or on doit supposer qu’en même temps que la distinction de la créature corporelle il y eut aussi une distinction de la créature spirituelle; et donc pour insinuer cette distinction de la créature spirituelle, il la fait précéder de la créature corporelle en disant : par sa force les mers se sont subitement rassemblées, comme le dit la Genèse "Se rassemblèrent les eaux qui sont sur la terre en un seul lieu et la terre sèche apparut " (1, 9). Et de même que les créatures corporelles sont distinguées par la vertu divine ainsi aussi les créatures spirituelles; d’où on nous dit : dans sa prudence il a frappé le superbe. Par la vertu de la prudence divine le diable orgueilleux s’est vu enlever sa gloire; et ainsi par sa chute les bons anges ont vu leurs biens spirituels augmentés, d’où il dit : son esprit orna les cieux à savoir, il a orné les esprits célestes des ornements qui sont les dons spirituels. Or il ne convenait pas que celui qui était frappé de la privation de la gloire demeurât avec ceux qui étaient ornés de l’Esprit Saint, d’où il dit : et de sa main il a fait accoucher et il a retiré, à savoir de la société des bons anges la vipère tortueuse à savoir le diable qui est comparé à la vipère à cause du venin de la malice et on le dit : tortueux à cause de sa ruse. Or c’est avec justesse qu’il parle de la main de Dieu qui fait accoucher le diable; de même en effet que l’accoucheuse retire l’enfant, parfois mort, pour que la mère ne pâtis se pas, ainsi Dieu retire le diable du milieu des anges pour que la société des bons anges n’en souffre pas.

Et pour qu’on ne croie pas que ces effets, bien que grands, puis- sent égaler la puissance divine, il dit : voici, je n’ai dit qu’une partie de ses voies, à savoir des œuvres par lesquelles nous nous élevons à la connaissance de Dieu et Dieu en quelque manière se met en communication avec nous. Et bien qu’elles ne puissent égaler la puissance divine on pourrait encore croire qu’elles s’en approchent d’assez près; mais il n’en est pas ainsi non plus et il ajoute : et lorsque nous aurons entendu à peine une petite goutte de son discours, qui pourra soutenir le tonnerre de sa grandeur? Comme s’il voulait dire : par tout ce qui a été dit : jusque maintenant des effets de la divine puissance, moindre est leur rapport à la divine puissance que le léger bruit de l’eau qui tombe goutte à goutte par rapport au bruit d’un grand orage.

 

 

Caput 27

Job 27 — Suite de la réponse de Job

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 27)

 

1 Job reprit son discours et dit :

2 Par le Dieu vivant qui me refuse justice, par le Tout-Puissant qui remplit mon âme d'amertume : 3 aussi longtemps que j'aurai la respiration, que le souffle de Dieu sera dans mes narines, 4 mes lèvres ne prononceront rien d'inique, ma langue ne proférera pas le mensonge. 5 Loin de moi la pensée de vous donner raison! Jusqu'à ce que j'expire, je défendrai mon innocence. 6 J'ai entrepris ma justification, je ne l'abandonnerai pas; mon cœur ne condamne aucun de mes jours.

7 Que mon ennemi soit traité comme le méchant! Que mon adversaire ait le sort de l'impie! 8 Quel sera l'espoir de l'impie quand Dieu le retranchera, quand il retirera son âme? 9 Est-ce que Dieu écoutera ses cris, au jour où l'angoisse viendra sur lui? 10 Trouve-t-il ses délices dans le Tout-Puissant? Adresse-t-il en tout temps ses prières à Dieu? 11 Je vous enseignerai la conduite de Dieu, et je ne vous cacherai pas les desseins du Tout-Puissant. 12 Voici que vous-mêmes, vous avez tous vu; pourquoi donc discourez-vous en vain?

13 Voici la part que Dieu réserve au méchant, l'héritage que les violents reçoivent du Tout-Puissant. 14 S'il a des fils en grand nombre, c'est pour le glaive; ses rejetons ne seront pas rassasiés de pain. 15 Ses survivants seront ensevelis dans la mort, leurs veuves ne les pleureront pas. 16 S'il amasse l'argent comme la poussière, s'il entasse les vêtements comme la boue, 17 c'est lui qui entasse, mais c'est le juste qui les porte, c'est le juste qui hérite de ton argent. 18 Sa maison est comme celle que bâtit la teigne, comme la hutte que se construit le gardien des vignes. 19 Le riche se couche, c'est pour la dernière fois; il ouvre les yeux, il n'est plus. 20 Les terreurs fondent sur lui comme des eaux, un tourbillon l'enlève au milieu de la nuit. 21 Le vent d'orient l'emporte, et il disparaît; il l'arrache violemment de sa demeure. 22 Dieu lance sur lui ses traits sans pitié, il fuit éperdu loin de sa main; 23 on bat des mains à son sujet, de sa demeure on siffle sur lui.

1 Job continue reprenant sa parabole. 2 Vive Dieu qui m’a enlevé mon droit et le Tout-Puissant qui a causé l’amertume à mon âme. 3 Car aussi longtemps qu’il me reste de l’haleine et le souffle de Dieu dans mes narines, 4 Mes lèvres ne proféreront par l’iniquité, ma langue ne méditera pas le mensonge. 3 Loin de moi de vous prendre pour des justes; jusqu’à ce que je ne sois plus, je ne m’écarterai pas de mon innocence. 6 La justiication que j’ai entreprise, je ne l’abandonnerai pas; et mon cœur ne me reprend en rien de toute ma vie. 7 Impie est mon ennemi, mon adversaire est inique. 8 Quel est en effet l’espoir de l’hypocrite qui est rapace et avare, car Dieu ne libérera pas son âme. 9 Est-ce que Dieu écoutera sa clameur lorsque l’angoisse fondra sur lui? 10 Quand le Tout-Puissant pourra-t-il trouver la joie, et invoquer Dieu en tout temps? 11 Je vous enseignerai par la main de Dieu ce qu’a le Tout-Puissant et ne cacherai rien. 12 Voici vous le savez tous; Pourquoi sans preuve dire des choses vaines? 13 Telle est la part de l’impie auprès de Dieu et l’héritage des violents auprès du Tout-Puissant. 14 Que ses fils se multiplient, le glaive les attend; et ses petits-fils manqueront de pain. 15 Ceux qui lui survivront enterrés dans l’oubli, leurs veuves ne les pleurant pas. 16 S'il aura amassé l’argent comme de la terre et préparé des vêtements comme de la poussière. 17 Oui, il les a préparés, mais un juste s’en revêt; et son argent, l’innocent le partage. 18 Comme la teigne il bâtit sa demeure comme le gardien fait son abri. 19 Le riche quand il s’endormira n’emportera rien; Ouvrant ses yeux il n’apercevra rien. 20 La disette le surprendra comme l’eau; la nuit la tempête l’oppressera. 21 Le vent brûlant le soulèvera et l’emportera; Comme par un tourbillon il sera arraché d’où il se trouve. 22 Et il enverra sur lui sans l’épargner et de sa main il s’échappera par la fuite. 23 Il étreindra sur lui les mains on sifflera sur lui, en regardant sa place.

[84925] Super Iob, cap. 27 Addidit quoque Iob assumens parabolam et cetera. In praemissis verbis Iob confutaverat dicta Baldath qui contra eum divinam potestatem allegaverat, quasi Iob eius magnitudinem ignoraret; finita autem sua responsione, intelligitur expectasse ut tertius amicorum, scilicet Sophar, more solito suo ordine responderet, sed quia ille quasi convictus conticuit, Iob iterato sermonem assumit et per aliam rationem ostendit non esse contra divinam providentiam si mali in hoc mundo prosperantur et boni adversitates patiuntur; unde dicitur addidit quoque Iob, postquam scilicet ei nullus respondebat, assumens parabolam suam, quia scilicet per similitudines loquebatur ad modum parabolas inducentium. Ante autem quam propositum ostendat, se in amicorum sententiam numquam transiturum esse denuntiat, et ad huius firmitatem iuramentum praemittit, unde subditur et ait: vivit Deus qui abstulit iudicium meum, supposita scilicet vestra sententia qua asseritis ad iustitiam divini iudicii pertinere ut adversitates praesentes non nisi peccatoribus inducat; et ideo ad exponendum in quo iudicium suum ablatum dixerit subdit et omnipotens qui ad amaritudinem duxit animam meam, idest qui absque culpa praecedente mihi adversitates exteriores induxit ex quibus amaritudinem in anima patior: nec tamen ab eius reverentia et amore discedo, ut patet ex hoc quod per ipsum iuro. Inducit autem praedictum iuramentum ad hoc quod subditur quia donec superest halitus in me, idest donec habebo vitam quae per respirationem conservatur; et ut ostendat se vitae beneficium a Deo recognoscere, subdit et spiritus Dei in naribus meis: respiratio enim praecipue fit per nares, nam respiratio quae fit per os non est adeo congrua, ut Aristotiles dicit in libro de historiis animalium; respiratio ergo hominis, quae principaliter in naribus posita est, hic spiritus Dei dicitur quia hoc habet homo a Deo ut vivere possit respirando. Et huic beneficio ipse non vult esse ingratus peccando, unde subdit non loquentur labia iniquitatem, ut scilicet dicam omnes qui adversitates patiuntur esse iniquos, nec lingua mea meditabitur mendacium, ut scilicet dicam hoc pertinere ad divinam iustitiam ut iustorum merita praesenti prosperitate remuneret et iniquorum peccata temporali adversitate condemnet. Et quia amici Iob ista asserebant subiungit absit a me ut iustos vos iudicem: non enim poterat eos iustos iudicare nisi eorum iniustam sententiam approbaret, per quod a iustitia sua recederet, unde subdit donec deficiam, scilicet per mortem, non recedam, idest propono non recedere ab innocentia mea, a qua scilicet recederem si sanctos adversitatem in hoc mundo patientes vobiscum impios iudicarem; et sicut ab innocentia ad nocendum transgredi non propono, ita nec iustitiae viam deserere, unde subdit iustificationem meam, quod scilicet pertinet ad iustitiae executionem, quam coepi tenere, scilicet non approbando hominem pro prosperitate quam habet nec condemnando pro adversitate quam patitur in hac vita, non deseram, scilicet declinando in vestram sententiam. Solent autem qui semel peccaverunt proniores esse ad iterato peccandum, qui vero peccatorum sunt inexperti difficilius ad peccata prolabuntur, unde subdit neque enim reprehendit me cor meum in omni vita mea, quasi dicat: ideo confido quod non recedam ab innocentia nec iustitiam deseram quia hoc per experientiam didici: non enim habeo conscientiam remordentem de aliquo gravi quod commiserim in tota vita mea. Vel aliter potest continuari: quia enim dixerat se non recessurum ab innocentia sua nec iustificationem quam tenere coeperat deserturum, posset aliquis dicere quod ipse ante hoc neque innocentiam neque iustitiam habuerat, sed ipse hoc excludit subdens nec enim reprehendit me cor meum et cetera. Declinarem autem ab innocentia et desererem iustitiam si vobis faverem qui iniustitiam et impietatem sustinetis, unde subdit sicut impius inimicus meus, inquantum scilicet contra veritatem divini iudicii loquitur, adversarius meus quasi iniquus, inquantum scilicet iniquam sententiam profert mihi adversando, dum dicit me impium esse quia graviter sum afflictus. His igitur praemissis pertinentibus ad amicorum suorum confutationem et suae sententiae firmitatem, accedit ad principale propositum, ut scilicet ostendat non esse contrarium divinae providentiae si mali in hoc mundo temporaliter prosperentur et iusti temporaliter affligantur; et supra quidem hoc manifestaverat ex futuris praemiis et flagellis quae reservantur bonis et malis post hanc vitam, nunc autem hoc ostendit ex debilitate bonorum temporalium quae mali possident in hac vita et magnitudine bonorum spiritualium quae bonis conceduntur. Asserit ergo primo inutile esse peccatoribus si in hac vita bona temporalia consequantur absque animae bonis, unde dicit quae est enim spes hypocritae si avare rapiat, idest si iniuste divitias congreget, et non liberet Deus animam eius, scilicet a peccato per gratiae dona, idest quid boni potest ex hoc consequi? Et loquitur de hypocrita, idest simulatore, loco omnium peccatorum quia simulata aequitas est duplex iniquitas, et hypocritae tamquam falsarii virtutis videntur maxime esse abominabiles apud Deum, sicut infra XXXVI 13 dicitur simulatores et callidi provocant iram Dei. Ostendit autem consequenter eos duplici spe privari, quarum una est quam habent iusti de Deo quod in tempore necessitatis eorum orationem exaudiat, sed hoc ab impiis excludit dicens numquid Deus audiet clamorem illius cum venerit super illum angustia? Quasi dicat non; et ratio huius assignatur Prov. I 24 ex ore sapientiae dicentis vocavi et renuistis, et post pauca subditur tunc, scilicet quando veniet super eos angustia, invocabunt me et non exaudiam; et Prov. XXVIII 9 dicitur qui declinat aurem suam ne audiat legem, oratio eius fiet execrabilis. Secunda autem spes iustorum est quod cum deficit eis temporalis consolatio in tempore tribulationis, fruuntur delectatione divina et delectantur in laude ipsius, sed hoc ab impiis excludit subdens aut poterit in omnipotente delectari, quem scilicet non diligere ex operibus comprobatur, et invocare Deum omni tempore? Ex magna enim dilectione Dei provenit quod semper sit in aliquorum ore laus Dei. Et quia ostenderat parum valere bona temporalia quae impii possident sine spe iustorum quam sancti habent, ostendit consequenter temporalia bona quae interdum impii possident fragilia esse. Et ad assertionem eorum quae dicturus est duo praemittit: primo quidem quod ea quae dicturus est sapientiae divinae conveniunt, unde dicit docebo vos per manum Dei, idest per virtutem ipsius, quae omnipotens habeat, scilicet in sua sapientia quasi certum, nec abscondam, quae scilicet Deo instruente me didici. Secundo ostendit quod ea quae dicturus est tam sunt manifesta ut etiam ipsi ea ignorare non possint, unde subdit ecce omnes nostis, scilicet vera esse quae dicturus sum, et ideo mirum est quod tam irrationabiliter contra veritatem manifestam loquimini; et hoc est quod subdit et quid sine causa vana loquimini, idest ea quae rationis fulcimentum non habent? Solent enim homines hebetes cum cognoscant praemissa non advertere quid ex eis sequatur. Est autem considerandum quod cum Deus sit creator omnium et gubernator, omnes ab eo suscipiunt aliquid quasi hereditatem suam a patre: mali autem homines quasi suam partem et suam hereditatem a Deo accipiunt bona temporalia huius mundi, unde ex eorum persona dicitur haec est pars nostra et haec est sors, e contrario autem boni percipiunt quasi suam partem et hereditatem spiritualia bona, secundum illud Psalmi funes ceciderunt mihi in praeclaris, etenim hereditas mea praeclara est mihi. Describens ergo quam fragilis sit et caduca pars impiorum quam in rebus temporalibus accipiunt, dicit haec est pars hominis impii apud Deum, idest tale est quod eis in sortem venit dum bonis spiritualia et eis temporalia distribuuntur, et hereditas violentorum, idest iniuste acquirentium temporalia bona, quam ab omnipotente suscipient, eo scilicet permittente et facultatem praebente, sicut supra XXII 18 dictum est cum ille implesset domos eorum bonis. Ostendit autem hanc partem sive hereditatem esse caducam primo quidem quantum ad hoc quod plerumque circa impiorum prolem accidit, quae tamen inter temporalia bona potissimum reputatur; contingit autem quandoque quod impiorum filii qui in hoc mundo prosperati sunt occiduntur, unde dicit si multiplicati fuerint filii eius, quod scilicet ad magnam prosperitatem computabatur, in gladio erunt, idest occidentur. Et quamvis raro contingat quod divitum filii ad magnam paupertatem deveniant, tamen hoc circa nepotes et posteros frequenter contingit, unde subdit et nepotes eius non saturabuntur pane, scilicet propter inopiam. Quantum autem ad alios familiares eius subdit qui reliqui fuerint ex eo, scilicet domestici et amici, sepelientur in interitu, idest absque solemnitate quasi occisi, unde et quantum ad uxores subdit et viduae illius non plorabuntur, quod scilicet fieri solet in solemnibus sepulturis. Sicut ergo fragilis est et caduca eorum felicitas quantum ad filios et amicos, ita etiam quantum ad divitias possessas, inter quas quaedam sunt divitiae artificiales, scilicet pecunia quae est adinventa quasi mensura commutationis rerum, ut philosophus dicit, et quantum ad hoc subdit si comportaverit quasi terram argentum, idest si tantam copiam pecuniae acquirat quanta habetur terrae. Aliae vero sunt divitiae naturales, quae scilicet hominum naturali necessitati subveniunt, sicut panis et vinum, vestimenta et alia huiusmodi, et quantum ad hoc subdit et sicut lutum praeparaverit vestimenta, ut scilicet tantam eorum copiam habeat quantam et luti; praeparavit quidem, idest habuit sollicitudinem et laborem in praeparando, alius tamen habebit fructum, et quandoque bonus qui circa hoc non sollicitatur, unde subdit sed iustus vestietur illis, scilicet vestimentis ad suam necessitatem, et argentum innocens dividet, idest distribuet et dabit pauperibus: non reservabit coacervatum, quod contra innocentiam esset. Pertinet etiam ad prosperitatem terrenam spatiositas domorum, sed et hoc ostendit esse caducum propter duo: primo quidem quia quandoque sibi domum aedificat per violentiam in loco alieno a qua depellitur, unde subdit aedificavit sicut tinea domum suam, quae scilicet corrodendo vestem alienam praeparat sibi locum, a quo excussa veste deicitur; alio modo quia etsi in solo proprio domum aedificet, non tamen est sibi datum ut diu illius possessionis curam et dominium habeat, sed ad modicum tempus, unde subdit et sicut custos, scilicet vineae, fecit umbraculum, quod scilicet deicitur finito tempore custodiae eius. Quomodo autem acquisita bona amittat, ostendit subdens dives cum dormierit, idest cum mortuus fuerit, nihil, ex his quae possidet, secum afferet, scilicet in aliam vitam; aperiet oculos suos, scilicet in resurrectione, et nihil inveniet, quia scilicet non revertetur ad temporalia bona possidenda; quandoque etiam in hac vita subito ea perdit ad modum quo pluvia subito homini supervenit, unde subdit apprehendet eum quasi aqua, scilicet pluvialis, inopia, idest subito superveniet ei; et quamvis pluvia in die aliqualiter praevideri possit, in nocte tamen omnino subito praeoccupat hominem, unde subdit nocte opprimet eum tempestas, scilicet adversitatis, idest omnino ex improviso. Ultimo autem ostendit fragilitatem mundanae prosperitatis quantum ad ipsam personam hominis, quae quandoque perit per aliquam febrem vel per aliquam persecutionem, et quantum ad hoc subdit tollet eum ventus urens, idest occidet eum febris, et auferet, scilicet a societate viventium; et hoc fiet subito et ex improviso, unde sequitur et velut turbo rapiet eum de loco suo, idest violenter et absque mora. Quandoque vero non ab interiori infirmitate sed ab exteriori persecutore occiditur, unde subdit emittet, scilicet Deus, aliquem persecutorem super eum, idest qui potentior eo sit, cui non possit resistere, et non parcet, ipse scilicet persecutor; unde ipse impius de manu eius, idest de potestate eius, fugiens fugiet, vel per mortem quia postquam occiderit non habet amplius quid faciat. Eo autem mortuo, amicis eius remanet stupor et luctus, unde subdit stringet super illum manus suas, quasi prae stupore, et sibilabit super illum, quasi compatiens ei, intuens locum eius, idest considerans eius pristinam dignitatem.

Dans ce qui précède Job a réfuté les dires de Baldad qui avait allégué contre lui la divine puissance, comme si Job en ignorait la grandeur; or arrivé à la fin de sa réponse on s’attend à ce que son troisième ami, c’est-à-dire Sophar réponde venant à son tour habituel. Mais en quelque sorte convaincu il a choisi de se taire. Job reprend donc son discours et par un autre argument il montre qu’il n’est pas contraire à la divine providence si les méchants prospèrent en ce monde et les bons subissent l’adversité; d’où on nous dit : Job encore continue c’est-à-dire après que personne ne lui répond, reprenant son allégorie car c’est par métaphores qu’il s’exprime à la manière de ceux qui utilisent des paraboles.

Avant de prouver ce qu’il se propose de dire il tient à affirmer qu’il n’abondera jamais dans le sens de ses amis. Et pour bien s’en assurer il fait un serment et donc il dit : Vive Dieu qui m’a enlevé mon droit c’est-à-dire supposée votre sentence par laquelle vous affirmez qu’il est de la justice de Dieu que les adversités présentes sont réservées uniquement aux pécheurs; et donc pour exposer en quoi il parle de son droit il dit : et le Tout-Puissant qui causa l’amertume de mon âme à savoir qui sans faute précédente de ma part m’a affligé d’adversité extérieures qui produisent en moi l’amertume; cependant je n’ai cessé de le respecter et de l’aimer; la preuve en est que je jure par lui.

Ce serment il le met en relation avec ce qui suit car aussi longtemps qu’il me reste une haleine à savoir aussi longtemps que j’ai la vie grâce à la respiration. Et pour montrer qu’il reconnaît tenir de Dieu le bienfait la vie il ajoute : Et que souffle de Dieu est dans mes narines; la respiration en effet se fait surtout par le nez, car celle qui se fait par la bouche ne convient guère, comme le dit Aristote au livre De l’histoire des animaux la respiration de l’homme qui se trouve principalement dans les narines est donc le souffle de Dieu, comme il le dit, parce que l’homme tient de Dieu de pouvoir vivre en respirant et il ne veut pas être ingrat pour ce bienfait en péchant; pour toutes ces raisons mes lèvres ne proféreront pas l’iniquité pour oser dire que tous ceux qui souffrent l’adversité sont des pécheurs, ni ma langue ne méditera le mensonge, c’est-à-dire en disant : qu’il appartient à la justice divine de récompenser les mérites des justes par la prospérité présente et de condamner les péchés des méchants par l’adversité temporelle. Et parce que les amis de Job affirmaient de telles choses il leur dit : loin de moi de vous prendre pour des justes; en effet il ne pouvait juger qu’ils étaient justes à moins d’approuver leur injuste sentence, ce par quoi lui s’écarterait de la justice; d’où ce qui suit jusqu’à ce que je ne sois plus, c’est-à-dire par la mort, je ne m’écarterai pas à savoir je ne veux pas m’écarter de mon innocence de laquelle je m’écarterais si, comme vous, je jugeais impies les saints qui en ce monde souffrent l’adversité. Et de même que si je nuisais je perdrais l’innocence ainsi je ne veux pas abandonner la voie de la justice; d’où il dit : ma justification c’est-à-dire ce qui appartient à l’exercice de la justice que j’ai entrepris de garder en n’approuvant pas l’homme dans sa prospérité ni ne le méprisant pour l’adversité qu’il subit en cette vie, je ne l’abandonnerai pas, c’est-à-dire en abondant dans votre sens. Ceux qui ont une fois péché sont souvent enclins à pécher de nouveau; mais ceux qui ne connaissent pas le péché tombent plus difficilement dans le péché, c’est pourquoi il dit : et mon cœur ne me reprend de rien dans toute ma vie il veut dire : j’ai confiance que je ne quitterai pas l’innocence ni n’abandonnerai la justice car j’en ai eu l’expérience; en effet je n’ai aucun remord de conscience au sujet de quelque chose de grave que j’aurais commis au cours de ma vie. Ou on peut continuer autrement : parce qu’en effet il avait dit qu’il ne s’écarterait pas de l’innocence ni ne déserterait la justification qu’il avait entreprise, on pourrait dire qu’avant cela il n’était ni innocent ni juste; il exclut cela en disant : et mon cœur ne me reprend de rien. Or je quitterais l’innocence et j’abandonnerais la justice si j’étais en faveur de l’injustice et de l’impiété que vous soutenez; d’où il dit : impie est mon ennemi, à savoir quand il est contraire à la vérité du jugement divin, inique mon adversaire, à savoir quand il profère une sentence inique en s’opposant à moi, disant que je suis un impie parce que grande est mon affliction.

Donc après cette entrée en matière où il réfute ses amis et confirme sa propre sentence, il en arrive à son propos principal, à savoir qu’il n’est pas contraire à la divine providence que des méchants prospèrent temporairement en ce monde et que des justes soient aussi temporairement affligés. Ce qu’il a montré plus haut’ par les récompenses et les peines futures réservées aux bons et aux méchants après cette vie. Il le prouve maintenant par la pauvreté des biens temporels que les méchants possèdent en cette vie et la richesse des biens spirituels qui sont accordés aux bons. Il affirme donc d’abord l’inutilité des biens temporels pour les pécheurs, en l’absence des biens de l’âme; d’où ce qu’il dit : quel est en effet l’espoir de l’hypocrite, avare comme il est et rapace, s’il s’enrichit injustement, car Dieu ne libérera pas son âme, c’est-à-dire du péché par le don de la grâce; quoi de bon peut-il obtenir? Il cite l’hypocrite ou le simulateur au lieu de tous les pécheurs parce que l’équité simulée est une double iniquité; et les hypocrites en tant que faussaires de la vertu sont ce qu’il y a de plus abominable aux yeux de Dieu, comme on le lira plus loin, au chapitre 36, 13 : "Les simulateurs et les astucieux provoquent la colère de Dieu. "

Il montre ensuite qu’ils sont frustrés d’un double espoir : d’une part l’espoir qu’ont les justes d’être exaucés de Dieu au temps de la nécessité, ce qui est exclu pour les impies et il dit : est-ce que Dieu écoutera sa clameur lorsque l’angoisse fondra sur lui? Comme s’il disait : non. Et il en donne la raison selon ce que disent les Proverbes par la bouche du Sage " J’ai appelé et vous avez refusé" (1, 24) et il ajoute : peu après "Ils m’invoqueront et je n’exaucerai pas" (ib. 28) c’est-à-dire quand vient sur eux l’angoisse; aux mêmes Proverbes on lit " Celui qui détourne son oreille pour ne pas entendre la loi, sa prière me sera exécrable" (28, 9). Le second espoir des justes est que lorsque la consolation temporelle fait défaut au temps de la tribulation, ils jouissent de la délectation divine et se plaisent en sa louange;

et il exclut cela des impies en disant : ou bien dans le Tout-Puissant trouvera-t-il sa joie? C’est-à-dire qu’il ne l’aime pas comme ses œuvres le prouvent, et invoquera-t-il Dieu en tout temps? En effet la grande délectation en Dieu fait que toujours dans la bouche de certains retentit la louange divine.

Et après avoir montré que les biens temporels sont de peu de valeur pour les impies qui les possèdent, sans l’espoir des justes qui échoit aux saints, il montre ensuite que les biens temporels des impies

 sont fragiles; et avant d’affirmer cela il dit deux choses : d’abord ce qu’il dira est en accord avec la sagesse de Dieu et il dit : je vous enseignerai par la main de Dieu, à savoir par sa vertu, ce qu’a le Tout-Puissant, c’est-à-dire en sa sagesse, comme certain, et je ne cacherai rien de ce que Dieu m’en instruisant me dira; ensuite la seconde chose est que ce qu’il va dire est si évident qu’eux aussi ne peuvent l’ignorer, d’où il dit : voici, tous vous le savez, c’est-à-dire ce que je dirai est vrai; et donc il est étonnant que vous parliez si déraisonnablement contre la vérité; et c’est ce qu’il dit : pourquoi sans preuve dire des choses vaines, à savoir qui sont sans aucun fondement raisonnable? En effet ce sont les engourdis qui connaissant les prémisses ne perçoivent pas la conclusion.

Il faut remarquer que Dieu ayant tout créé et gouvernant tout, tous reçoivent de lui quelque chose comme en héritage de leur père les méchants comme part d’héritage reçoivent les biens temporels de ce monde; d’où en leur nom on dit : "Voilà votre part, voilà votre sort " (Is. 17, 16); inversement, les bons reçoivent comme leur part d’héritage les biens spirituels, comme on le lit " Le cordeau a mesuré pour moi une part magnifique; oui un lot splendide m’est échu en partage" (Ps. 15, 6). Donc pour décrire combien fragile et caduque est la part des impies qui reçoivent les biens temporels il dit : telle est la part de l’impie auprès de Dieu, à savoir voilà ce qu’est leur lot, tandis qu’aux bons les biens spirituels et aussi les biens temporels sont départis; et l’héritage des violents à savoir de ceux qui ont acquis injustement les biens temporels, qu’ils ont reçu du Tout-Puissant : c’est-à-dire qu’il l’a permis et en a donné la possibilité, comme il est dit plus haut " Quand il remplissait de bonnes choses leurs maisons " (22, 18). Il montre la caducité de cette part d’héritage : d’abord en ce qui arrive fréquemment à la descendance des impies, laquelle est en très grand estime parmi les biens temporels. Il arrive que les fils des impies qui ont prospéré en ce monde sont tués; d’où ce qu’il dit : si ses fils se multiplient, ce qui est la plus grande prospérité, le glaive les attend, à savoir sont tués. Et bien qu’on voie rarement les fils des riches tomber dans une grande pauvreté, cependant cela arrive fréquemment à leurs petits fils et descendants, d’où il dit : et ses petits-fils auront faim, à savoir à cause de la disette. Quant aux autres familiers il dit : ceux qui lui survivront, c’est-à-dire ses serviteurs et ses amis, seront enterrés dans l’oubli, à savoir sans solennité, comme de gens qu’on a tués; d’où de leurs épouses il dit : et leurs veuves ne les pleureront pas, c’est-à-dire comme cela se fait dans les sépultures solennelles.

De même qu’est fragile et caduque leur félicité quant aux fils et aux familiers ainsi aussi quant aux richesses qu’ils possédaient; parmi celles-ci il y a les richesses artificielles c’est-à-dire la monnaie inventée comme mesure dans les échanges, comme le dit le Philosophe et quant à cela il dit : s’il aura amassé de l’argent comme de la terre, à savoir s’il acquiert une telle quantité d’argent qu’il y en a sur la terre. Les autres richesses sont naturelles qui subviennent aux nécessités naturelles de l’homme, comme le pain, le vin, les vêtements et autres choses semblables; et quant à cela il dit : et s’il aura préparé des vêtements comme la poussière, c’est-à-dire qu’il en ait une telle abondance que la poussière du sol. Oui il en a préparé à savoir, il a eu grand souci dans la préparation, mais un autre en aura la jouissance, et parfois quelqu’un de bon qui n’en a pas eu le souci, d’où ce qu’il dit : mais un juste s’en revêt, c’est-à-dire des vêtements pour sa nécessité; et son argent l’innocent le partage à savoir qu’il le distribuera aux pauvres mais ne le gardera pas amoncelé, ce qui serait contraire à la simplicité.

Les demeures spacieuses font aussi partie de la prospérité terrestre; mais il en montre aussi la caducité à cause de deux choses d’abord parce qu’il a construit une demeure par la violence sur un terrain d’autrui et de laquelle il est expulsé; d’où il dit : comme la teigne il bâtit sa demeure, laquelle en effet en rongeant le vêtement d’autrui se prépare un abri dont elle est rejetée quand on secoue le vêtement; ensuite parce que même s’il construit une demeure sur son propre sol, il ne lui est toutefois pas donné d’ jouir longtemps ni d’en avoir la possession sinon que pour peu de temps, d’où il dit : et comme le gardien d’un vignoble s’est fait un abri, c’est-à-dire qu’on démolit après le temps de garde. Il montre dans quel sens il faut entendre cette perte de ses biens, en introduisant le riche quand il s’endormira, à savoir quand il sera mort, n’emportera rien de ce qu’il possède, c’est-à-dire dans l’autre vie; il ouvrira les yeux, c’est-à-dire à la résurrection, et n’apercevra rien parce qu’il ne rentrera pas en possession des biens temporels. Et parfois en cette vie même il les perd subitement à la manière dont la pluie survient subitement; d’où il dit : le surprendra comme l’eau, à savoir pluviale inopinée c’est-à-dire que cela arrivera à l’improviste. Et bien que la pluie puisse être prévue pendant le jour, cependant la nuit elle surprend tout-à-fait; d’où il dit : la nuit la tempête l’oppressera c’est-à-dire l’adversité et ce, tout-à-fait à l’improviste.

En dernier lieu il montre la fragilité de la prospérité du monde quant à la personne même de l’homme qui peut périr de maladie ou subir la persécution et quant à cela il dit : un vent brûlant le soulèvera à savoir le tuera et l’emportera c’est-à-dire hors de la société des vivants et cela sera subit et imprévu; d’où ce qui suit comme par un tourbillon il sera arraché d’où il se trouve à savoir violemment et sans délai, ce qui est dit de la maladie; quant à la persécution où il perd la vie il ajoute : et il enverra c’est-à-dire Dieu sur lui quelqu’un pour le persécuter, plus fort et auquel il ne pourra résister; et il sera sans merci il s’agit du persécuteur; mais l’impie s’échappera de sa main à savoir de sa puissance, par la fuite ou par la mort " parce qu’après l’avoir tué il ne peut rien faire de plus " (Lc 12, 4). Une fois mort ses amis n’ont plus qu’à en être effrayés et le pleurer, d’où ce qu’il dit : on étreindra sur lui les mains comme pris de stupeur et on sifflera sur lui comme par compassion, en jetant un regard sur son lieu à savoir en considérant son ancienne splendeur.

 

 

Caput 28

Job 28 — Job continue son discours : éloge de la sagesse

 

CONFÉRENCE 1 — Job : La sagesse n'est pas dans l'or (Job 28, 1-11)

 

1 Il y a pour l'argent un lieu d'où on l'extrait, pour l'or un lieu où on l'épure. 2 Le fer se tire de la terre, et la pierre fondue donne le cuivre. 3 L'homme met fin aux ténèbres, il explore, jusqu'au fond des abîmes, la pierre cachée dans les ténèbres et l'ombre de la mort. 4 Il creuse, loin des lieux habités, des galeries, qu'ignore le pied des vivants; suspendu, il vacille, loin des humains. 5 La terre, d'où sort le pain, est bouleversée dans ses entrailles comme par le feu. 6 Ses roches sont le lieu du saphir, et l'on y trouve de la poudre d'or. 7 L'oiseau de proie n'en connaît pas le sentier, l'œil du vautour ne l'a point aperçu. 8 Les animaux sauvages ne l'ont point foulé, le lion n'y a jamais passé. 9 L'homme porte sa main sur le granit, il ébranle les montagnes dans leurs racines. 10 Il perce des galeries dans les rochers; rien de précieux n'échappe à son regard. 11 Il sait arrêter le suintement des eaux, il amène à la lumière tout ce qui était caché.

1 L'argent a ses principes dans des filons, L'or a un endroit où il se forme. 2 Le fer est extrait de la terre, La pierre dissoute par la chaleur se convertit en airain. 3 Il a mis un temps aux ténèbres. Lui considère la fin de toutes choses : la roche dans la nuée et l’ombre de la mort 4 Que le torrent sépare de la gent voyageuse et de ceux qu'inaccessibles le pied de l’indigent oublie. 5 La terre d’où naissait le pain en son endroit le feu l’a bouleversée, 6 Lieu où des pierres sont des saphirs, dont la glèbe contient de l’or. 7 Sentier que l’oiseau ignore Que l’œil du vautour n’a pas regardé 8 Les fils des colporteurs ne l’ont pas foulé aux pieds; La lionne ne l’a pas traversé. 9 Sur le rocher il étendit la main; Depuis leurs racines il soulève les monts. 10 Dans le roc il a creusé des ruisseaux Et tout ce qu’il y a de précieux son œil l’a vu. 11 Il a aussi scruté les profondeurs des fleuves Les choses cachées il les a mises en lumière.

[84926] Super Iob, cap. 28 Habet argentum venarum suarum principia et cetera. Supra Iob ostenderat quam fragilis et caduca sit pars impiorum quam a Deo recipiunt, nunc autem ostendere intendit e contrario dignitatem spiritualis boni quod homines iusti a Deo percipiunt etiam in hoc mundo, quod quidem spirituale bonum sub sapientia comprehendit; et ideo intendit praeferre sapientiam omnibus corporalibus rebus et quantum ad originem et quantum ad pretiositatem. Et incipit primo ostendere quod omnia quae in rebus corporalibus pretiosa videntur habent in certis locis originem, et incipit a metallis quae apud homines pretiosa habentur. Est autem considerandum quod metalla generantur ex vaporibus humidis resolutis a terra per virtutem solis et aliarum stellarum et in terra retentis - unde et metalla ductilia et liquabilia sunt -, sicut e contrario lapides et alia huiusmodi quae non malleantur neque funduntur generantur ex sicca exhalatione infra terram retenta. Diversificantur autem metallorum species secundum maiorem vel minorem puritatem vaporis resoluti et secundum differentiam caloris digerentis, inter quae aurum videtur purissimum et post hoc argentum et sub hoc aes, infimum autem ferrum; et secundum maiorem vel minorem puritatem metalla ut plurimum habent diversas origines: quia ergo aurum est purissimum, invenitur ut plurimum generatum in sua puritate inter arenas fluminum propter multitudinem evaporationis et caliditatem arenae; argentum autem invenitur ut plurimum in quibusdam venis vel terrae vel etiam lapidum; aes autem invenitur ut incorporatum lapidibus; ferrum autem, quasi in terra faeculenta nondum perfectam digestionem habente ut sit perventum usque ad generationem lapidis. Enumerans ergo diversa metallorum loca dicit habet argentum venarum suarum principia, scilicet in aliquibus determinatis locis, ex quibus tales vapores resolvuntur qui sunt apti ad generationem argenti: et sic dum immiscentur terrae vel lapidi praedicti vapores, efficiuntur ibi venae argenteae. Quantum autem ad aurum subdit et auro locus est in quo conflatur, quia scilicet ex multis arenis colliguntur quaedam granula auri quae in unum liquantur, quod quidem non fit in omni loco sed in aliquo determinato in quo concurrit debita proportio virtutis activae ad materiam proportionatam tali speciei. Deinde quantum ad ferrum subdit ferrum de terra tollitur, quia scilicet in terra quasi indigesta invenitur. Deinde quantum ad aes dicit et lapis, cui scilicet vapor proportionatus naturae eius permiscetur, solutus calore, scilicet ignis vehementis, in aes vertitur, dum scilicet id quod est ibi de natura aeris per calorem ignis eliquatur. Deinde prosequitur de aliis rebus quae habent determinatum tempus et locum ex dispositione divina, unde divinae cognitioni subiacent pleraque ipsorum quae ab hominibus sunt occulta. Occultantur autem a nobis et sol et multa alia per tenebras noctis, sed hoc fit per dispositionem divinam, unde dicit tempus posuit tenebris; occultantur etiam quaedam a nobis per eorum corruptionem dum resolvuntur in sua principia quae Deo sunt nota nobis autem occulta, unde subdit et universorum finem ipse considerat, idest terminum resolutionis rerum. Inveniuntur etiam quaedam ab hominibus occulta propter locum invium, sicut quandoque sunt quidam montes inaccessibiles in quibus sunt quaedam invisa hominibus, et quantum ad hoc subdit lapidem quoque caliginis, idest aliquam rupem alicuius excelsi montis quae quasi semper caligine nebularum obtegitur, et umbram mortis, idest aliquem locum umbrosum inter convalles montium ad quem vitalis calor solis numquam pertingit, dividit torrens a populo peregrinante: solent enim in radicibus quorundam montium defluere immeabiles torrentes, ita quod ex una parte torrentis est via per quam peregrini transeunt et ad aliam partem ripae non patet accessus. Contingit autem quandoque quod in huiusmodi inaccessibilibus locis aliqui rari homines habitant, ad quos etiam pauperes qui omnia circueunt accedere non praesumunt propter accessus difficultatem, unde subdit et torrens dividit a populo peregrinante illos homines quos in locis inaccessibilibus habitantes oblitus est pes egentis hominis, ut scilicet ad eos non accedat, et invios, idest propter hoc quod ad eos via non patet. Sunt etiam quaedam loca non propter situm sed propter aliqua accidentia inaccessibilia, puta quia per aliquam alterationem subvertuntur ut legitur Gen. XIX 24 de Sodoma et Gomorra, unde subdit terra de qua oriebatur panis in loco suo, idest quasi in proprio et convenienti loco, igni subversa est, scilicet subversionis eius causa ex superabundantia caloris procedit; calore autem superabundante sequitur quod resolutiones tam siccae quam humidae ad magnam digestionem perveniant ut exinde generentur aliqua pretiosa, puta lapides vel metalla: unde quantum ad lapides pretiosos qui generantur ab exhalatione sicca subditur locus sapphiri lapides eius, scilicet terrae subversae igni; quantum autem ad pretiosa metalla quae generantur ex evaporatione humida subdit et glebae illius aurum. Huiusmodi autem loca sic subversa propter corruptionem aeris ex abundantia sulphuris non solum homines vitant sed etiam animalia bruta; unde primo quantum ad aves de quibus minus videtur dicit semitam, scilicet illius terrae, ignoravit avis, quia scilicet super eam volare non audet propter aeris corruptionem, nec etiam ei appropinquare, unde subdit nec intuitus est, scilicet eam, oculus vulturis, qui tamen valde a remotis solet videre; vel potest aliter exponi: terra illa ignoravit, idest non est experta, semitam avis, quia scilicet nec avis per eam transit, nec intuitus est, scilicet aliquis in terra illa, oculus vulturis. Deinde quantum ad homines dicit non calcaverunt eam filii institorum, idest mercatorum qui tamen difficilia loca solent adire ad lucrandum. Deinde quantum ad quadrupedia subdit nec pertransibit per eam leaena, quae scilicet silvestria loca inhabitat. Haec autem quamvis hominibus sint occulta, Deum tamen non latent qui et in montibus et in fluminibus suam virtutem exercet, unde subdit ad silicem, idest ad montes lapidosos, extendit manum, idest potestatem suam. Et hoc in duobus effectibus manifestat: primo per hoc quod montes quandoque funditus diruuntur, et hoc est quod subdit subvertit a radicibus montes; secundum autem est quod inter medium montium pertranseunt aquae, quasi divina virtute esset eis via excisa a Deo in petris, unde subdit in petris rivos excidit, idest meatus rivorum. Et sicut potentia sua se extendit ad omnia magnifica facienda, ita eius sapientia se extendit ad omnia pretiosa cognoscenda, unde subdit et omne pretiosum vidit oculus eius: si enim ipse potest montes subvertere, si potest petras excidere et similem potestatem exercere in totam terram, consequens est quod pretiosa videat quae ibi latent quamvis oculus hominis ea videre non possit; et non solum ea quae latent in terris oculus eius videt, sed profunda quoque fluviorum scrutatus est, idest ea quae in profundis fluviorum latent ita perfecte cognoscit sicut si ea scrutaretur, et huius signum est quia abscondita producit in lucem, idest manifestationem hominum. Sapientia vero ubi invenitur et cetera. Quia ostenderat omnia pretiosa quae in corporalibus inveniuntur determinatis locis contineri, quae si ignota sint hominibus sunt tamen cognita Deo, ad ostendendum eminentiam sapientiae primo inducit quod determinato loco non continetur, unde dicit sapientia vero ubi invenitur? Quasi dicat: nullo corporeo loco concluditur quia non est aliquid corporale; ea vero quae sunt in corporibus pretiosa non solum ipsa sed etiam eorum principia locis corporalibus concluduntur, sed hoc de sapientia dici non potest, unde subdit et quis est locus intelligentiae? Intellectus enim est principium scientiae et sapientiae; sicut autem sapientia non concluditur loco, ita etiam nec intelligentia quae est principium eius. Secundo ostendit dignitatem sapientiae eo quod pretio aestimari non potest, unde subdit nescit homo pretium eius, idest nihil quod homo cognoscat est sufficiens sapientiae pretium. Utrumque autem praemissorum per consequentiam manifestat, et primo quidem quod dixerat sapientiam in loco determinato non inveniri. Inveniuntur autem quae apud homines pretiosa reputantur, partim quidem apud homines deliciosos qui pretiosa lapidum et metallorum congregare nituntur, unde subdit nec invenitur in terra suaviter viventium, idest deliciosorum, quia ipsi maxime a sapientiae perceptione impediuntur cor habentes deliciis occupatum. Partim autem inveniuntur huiusmodi pretiosa corporalium in aliquibus profunditatibus obscuris, sed non est ita de sapientia, unde subdit abyssus dicit: non est in me, quasi scilicet ea quae in absconditis profundorum latent maxime sunt sapientiae humanae abscondita. Partim autem inveniuntur in mari, tum quia ibi generantur, sicut margaritae in conchis marinis, sive quia ibi depereunt in navibus ibi submersis, sed non est ita de sapientia, tum etiam quia per mare solent huiusmodi pretiosa deferri de loco ad locum, unde subdit et mare loquitur: non est mecum, quin immo ea quae sunt in mari maxime latent sapientiam humanam. Deinde manifestat id quod dixerat de hoc quod sapientia pretio aestimari non potest, et enumerat quae sunt apud homines pretiosissima, dicens non dabitur aurum obrizum, idest purissimum, pro ea, quia nullo auro potest pretium sapientiae aestimari; post aurum autem inter cetera pretiosius reputatur argentum, de quo subdit nec appendetur argentum in commutatione eius. Sunt etiam praeter metalla quidam pretiosissimi lapides diversorum colorum qui maxime nutriuntur in India, de quibus subditur non conferetur, idest non comparabitur sapientia, tinctis Indiae coloribus, idest lapidibus pretiosis diversis coloribus naturaliter in India tinctis. Et subiungit de quibusdam pretiosis lapidibus qui etiam in aliis terris inveniuntur, unde subdit nec lapidi sardonycho pretiosissimo, qui scilicet est compositus ex duobus lapidibus, scilicet ex sardio, qui est rubei coloris accendens animum ad gaudium et acuens ingenium, et onychino, qui ab eo ligatur quasi habens quasdam noxias virtutes, scilicet excitandi tristitias et timores, cuius nocumentum refrenatur per sardium: unde proprietatem habere dicitur quod luxuriam depellit, hominem castum et pudicum reddens, unde et pretiosissimus nominatur; subdit autem et sapphiro, qui est caelestis coloris, qui etiam pretiosus est propter multas virtutes quas habet; nec refert quod aliqui alii lapides pretiosiores sunt, quia pretia lapidum non sunt eadem nec in omnibus locis nec in omnibus temporibus. Subdit autem de his quae habent pretiositatem ex pulchritudine dicens non adaequabitur ei aurum, quod habet pulchritudinem ex splendore, vel vitrum, quod habet pulchritudinem ex perspicuitate quamvis non sit praecellens pretii aestimatione. Subdit autem de his quae habent pulchritudinem ex artificio cum dicit non commutabuntur pro ea vasa auri excelsa, scilicet quantitate, et eminentia, scilicet in compositione. Et sicut non possunt pro sapientia commutari, ita etiam omnia praedicta nihil reputantur in comparatione ad sapientiam, unde subdit nec commemorabuntur in comparatione eius, idest non est dignum quod etiam memoria de his habeatur cum fit de excellentia sapientiae mentio. Et quia dixerat quaedam corporalia esse occulta et ob hoc pretiosa reputari, consequenter ostendit quod haec etiam pretiositas sapientiae non deest cum subditur trahitur autem sapientia de occultis; est enim humanae sapientiae origo occulta dupliciter: uno modo ex parte intellectualis luminis quod derivatur ad nos ab occultissima omnium causa, scilicet a Deo, alio modo ex parte rerum cognitarum quarum occultas proprietates et essentias sapientia inquirit, et ex his in divinorum cognitionem ascendit, quae maxime sapientiae appropriatur. Unde concludit quod neque ratione pretiositatis neque ratione occultationis aliquid potest ei comparari, neque in lapidibus pretiosis, unde subdit non adaequabitur ei topazius de Aethiopia, qui scilicet sic vocatur a loco primae suae inventionis, vel quia in colore auri similitudinem praetendit; quantum autem ad pretiosas vestes subdit nec tincturae mundissimae, idest cuiuscumque panni serici vel lanei, componentur, idest comparabuntur sapientiae. Quia ergo sapientiam sic incomparabilem dixerat et occultam habere originem, inquirit unde sit eius principium cum subdit unde ergo sapientia venit, idest unde derivatur? Et quis est locus intelligentiae, idest a quo principio homines lumen intellectus participant? Ostendit autem hoc principium excedere omnem cognitionem humanam, unde subdit abscondita est ab oculis omnium viventium, quia fons sapientiae est verbum Dei in excelsis, ut dicitur Eccli. I 5. Fuerunt autem aliqui auguriorum sectatores qui crederent quasdam aves augurales quendam effectum sapientiae participare supra homines, inquantum scilicet ex eis ad homines pervenire credebant cognitionem futurorum; sed quod sapientia hanc coniecturam excedat ostendit subdens volucres quoque caeli latet, per quod potest intelligi quod origo sapientiae excedit caelestia corpora a quibus huiusmodi aves moventur. Sunt etiam aliqui qui a mortuis futurorum cognitionem exquirerent, sed nec hoc attingit ad sapientiae originem, unde subdit perditio et mors dixerunt: auribus nostris audivimus famam eius; et recte famam sapientiae morti et perditioni attribuit, quia perditio et mors important recessum et elongationem a bonis quae sapientiam consequuntur. Possunt tamen tria praedicta secundum metaphoram ad tria rationalis creaturae genera pertinere, ut quod dicit abscondita est ab oculis omnium viventium referatur ad homines, quod vero subdit volucres caeli latet referatur ad Angelos, quod vero additur perditio et mors dixerunt: audivimus famam eius referatur ad Daemones qui a Deo damnabiliter elongati, a remotis quasi ex sola fama divinae sapientiae notitiam habent. Ut ergo ostendat sapientiae radicem subdit Deus intelligit viam eius, idest totum sapientiae processum, dum et ipse est et origo sapientiae et locus intelligentiae; et quia ipse se ipsum perfecte novit ideo subdit et ipse novit locum illius, idest se ipsum in quo plene sapientia invenitur sicut in prima origine. Derivatur autem sapientia ab ipso in omnes creaturas quae per Dei sapientiam fiunt, sicut ars derivatur a mente artificis in opere eius, unde dicitur Eccli. I 10 quod Deus effundit sapientiam super omnia opera sua; unde etiam ipsa universitas creaturarum est quasi quidam secundarius sapientiae locus; et ideo ad ostendendum quod Deus cognoscit locum sapientiae, subiungit quod ipse cognoscit universitatem creaturarum: primo quidem hoc ostendit quantum ad extremas creaturas sub quibus aliae continentur, unde subdit ipse enim fines mundi intuetur, idest excellentiores creaturas in quibus ordo creaturarum terminatur ab inferioribus ascendendo, sicut sunt caelestia corpora et caelestes spiritus; deinde hoc ostendit quantum ad alias creaturas sub eis contentas, sicut sunt elementa, unde subdit et omnia quae sub caelo sunt respicit. Et ne aliquis crederet quod notitiam rerum habeat a rebus acceptam sicut nos habemus, ostendit consequenter quod cognoscit res sicut omnium causa, unde subdit quantum ad quasdam occultas creaturas, scilicet ventos et pluvias, qui fecit ventis pondus, idest dedit eis inclinationem motus, ut scilicet quandoque moveantur ad hanc partem quandoque ad illam. Deinde loquitur de pluviis, et primo quidem secundum quod sunt vaporabiliter elevatae in nubibus, unde subdit et aquas, scilicet vaporabiles, appendit, idest appensas tenet in aere, et hoc in mensura, ne scilicet si superexcederent omnia submergerent, vel si plus debito diminuerentur omnia siccarentur; secundo quantum ad ipsam generationem pluviarum cum dicit quando ponebat pluviis legem, ut scilicet certis temporibus et locis descenderent; tertio quantum ad effectum, et praecipue in mari quod maxime ex immutatione aeris commovetur, unde subdit et viam, scilicet ponebat, procellis, scilicet marinis, sonantibus, ex magna commotione, quia etiam huiusmodi procellae certis temporibus et secundum certam quantitatem consurgunt. Quia vero ex ipsis creaturis sapientiam non acquirit sicut nos sed potius ex sua sapientia creaturas produxit, ideo subiungit tunc, scilicet quando creaturas faciebat, vidit illam, scilicet sapientiam in se ipso, inquantum per actualem suae sapientiae considerationem res in esse produxit. Ab ipso autem sapientia derivata est primo quidem ad Angelos qui facti sunt participes sapientiae divinae, et quantum ad hoc dicit et enarravit, scilicet sapientiam suam eis manifestando; secundo vero ad universitatem creaturarum eam per sapientiam suam disponendo, et ad hoc pertinet quod subdit et praeparavit, scilicet in sapientia sua orbem terrae; tertio ad homines qui non per simplicem apprehensionem percipiunt sapientiam veritatis, sicut Angeli quibus enarratur, sed per inquisitionem rationis ad eam perveniunt, unde subdit et investigavit, idest homines eam investigare fecit, et hoc est quod subdit et dixit homini, scilicet per interiorem inspirationem illuminando ipsum et sapientiam communicando: ecce timor domini, quem scilicet praesentialiter tibi do, ipse est sapientia, quia per timorem domini homo Deo inhaeret in quo est vera sapientia hominis sicut in altissima omnium causa; et recedere a malo, idest a peccato quo homo amittit Deum, est intelligentia, quia scilicet intelligentia ad hoc praecipue est homini necessaria ut per intelligentiam discernat a bonis mala, quibus evitatis per executionem bonorum operum ad sapientiae divinae participationem perveniat. Sic igitur quia timor domini est sapientia, et recedere a malo intelligentia, consequens est quod iusti qui Deum timent et recedunt a malo habeant sapientiam et intelligentiam, quae praeferuntur omnibus bonis terrenis quae mali homines possident: et sic manifestum est quod in hoc salvatur ratio providentiae divinae quod iustis dantur bona spiritualia tamquam meliora, malis autem bona temporalia tamquam caduca.

Plus haut Job avait montré combien fragile et caduc est le lot que les impies reçoivent de la part de Dieu. Et maintenant il veut montrer en opposition la noblesse du bien spirituel que Dieu accorde aux justes même en ce monde : et c’est ce bien spirituel qu’il range sous la sagesse. Et donc il entend donner la préférence à la sagesse sur les choses matérielles et quant à son origine et quant à son prix. Et il montre d’abord que tout ce qui st précieux dans les choses matérielles a son origine dans des lieux déterminés. Et il commence par les métaux qui sont précieux aux yeux de l’homme. Or il faut noter que les métaux tirent leur origine de vapeurs humides dissoutes en terre sous l’action du soleil et des autres astres et qui y sont retenues. De là vient la ductilité et la fusibilité des métaux alors qu’au contraire les roches et autre matériaux de ce genre qui ne sont ni ductiles ni fusibles sont une émanation sèche retenue sous la terre. Les métaux se divisent spécifiquement selon la plus ou moins grande pureté de la vapeur dissoute et selon le degré de la chaleur assimilée. Parmi les métaux, l’or semble bien être le plus pur, puis l’argent, et ensuite l’airain et enfin le fer; et selon leur plus ou moins grande pureté les métaux ont en général des origines différentes. Parce qu’il est le plus pur l’or acquiert sa pureté du sable des rivières à cause de la grande évaporation et grâce à la chaleur du sable. Quant à l’argent on le trouve généralement dans certains filons : ou de la terre ou des roches; l’airain se trouve incorporé aux roches; on trouve le fer dans une sorte de terre d’alluvion n’ayant pas encore subi une intégration parfaite de sorte qu’il n’a pas acquis la consistance d’une roche. Donc pour l’énumération des différents lieux il dit : l’argent a ses principes dans des filons : c’est-à-dire en des endroits par lesquelles sont dissoutes ces sortes de vapeurs qui peuvent donner naissance à de l’argent et ainsi en se mêlant à la terre ou à la roche ces vapeurs forment des filons d’argent. Quant à l’or il dit : A l’or est un endroit où il se combine c’est-à-dire qu’à partir de beaucoup de grains de sable se rassemblent quelques petits grains d’or qui se fondent ensemble; ce qui ne se produit pas en tout endroit mais en un lieu déterminé où concourent en proportion voulue et un principe actif et une matière adaptée à telle espèce. Ensuite quant au fer il ajoute : Le fer est extrait de la terre c’est-à-dire qu’on le trouve dans une terre non encore intégrée. Ensuite pour l’airain il dit : et la roche c’est-à-dire en laquelle se trouve mêlée une vapeur adaptée à sa nature dissoute par la chaleur à savoir d’un feu violent se convertit en airain, ou ce qui s’y trouve être de l’airain fondu sous l’action de la chaleur.

Il poursuit son examen au sujet d’autres choses qui ont un temps et un lieu déterminés par une disposition divine, aussi sont elles connues de Dieu et la plupart d’entre elles sont cachées aux hommes. Ainsi les ténèbres de la nuit nous cachent le soleil et bien d’autres choses, mais c’est Dieu qui en dispose ainsi; c’est pourquoi il dit : il a mis un temps aux ténèbres. Nous sont aussi cachées certaines choses du fait de leur corruption en se résolvant en leurs principes connus de Dieu mais qui nous échappent, c’est pourquoi il ajoute : et lui il considère la fin de toutes choses à savoir l’aboutissement de leur dissolution. Certaines choses encore sont cachées aux hommes parce qu’inabordables comme parfois certaines montagnes inaccessibles où certaines choses sont soustraites au regard de l’homme, et quant à cela il dit : et aussi la roche dans la nuée, à savoir tel escarpement de quelque haute montagne quasiment toujours couvert de nuages, et l’ombre de la mort, à savoir quelqu’endroit dans l’ombre des vallées où la vivifiante chaleur du soleil ne parvient jamais; (et ces deux choses) un torrent les sépare de la gent voyageuse. Souvent en effet au pied des montagnes, d’infranchissables torrents s’écoulent qui n’offrent qu’un seul chemin sur une des rives qui livre passage tandis qu’on ne peut accéder à l’autre rive. Dans ces lieux presqu’impénétrables vivent parfois quelques rares habitants; chez eux, même les mendiants qui vont partout ne se risquent pas à cause de la difficulté des lieux : il ajoute : donc et le torrent sépare de la gent voyageuse ces hommes, qui habitent des lieux inabordables; le pied du mendiant les a oubliés, c’est-à-dire qu’on n’y va pas, inabordables qu’ils sont puis qu’il n’y a aucun chemin pour s’y rendre.

Il y a encore d’autres endroits qu’on ne peut atteindre non pas à cause de leur situation mais du fait d’événements exceptionnels, par exemple parce qu’ils ont été bouleversés, comme on le lit dans la Genèse (19, 24 sq) au sujet de Sodome et de Gomorrhe, aussi dit-il La terre d’où naissait le pain en son endroit, à savoir propre à cela et convenant bien, a été bouleversée par le feu; la cause de cette destruction fut la trop grande chaleur. Avec cette chaleur excessive les dissolutions tant gazeuses que sèches atteignent à un très haut degré d’intégration qui donne naissance à des matières précieuses comme les pierreries et les métaux; d’où quant aux pierres précieuses qui se forment par émanation sèche il dit : lieux dont des pierres sont des saphirs c’est-à-dire les terres que le feu a bouleversées. Pour les métaux précieux qui proviennent d’émanations humides il ajoute : les mottes sont de l’or.

Or ces lieux dévastés dégagent un air vicié par l’abondance du soufre; non seulement les hommes les évitent mais aussi les animaux : quant aux oiseaux d’abord - ce à quoi on s’attendrait le moins - il dit : le sentier c’est-à-dire de ce pays l’oiseau l’ignore parce qu’il n’ose pas le survoler à cause de l’air mauvais, ni même s’en approcher; et donc il ajoute : l’œil du vautour qui cependant voit de très loin n’a pas regardé le sentier. On peut interpréter autrement : ce pays a ignoré, à savoir qu’il n’en a pas eu connaissance, le sentier de l’oiseau parce qu’aucun oiseau ne l’a traversé, ni personne n’y a aperçu les yeux du vautour. Ensuite quant aux hommes il dit : les fils des colporteurs ne l’ont pas foulé aux pieds à savoir les marchands qui cependant ont l’habitude d’aller dans les endroits difficiles pour leurs affaires. Ensuite il cite les quadrupèdes : la lionne qui habite les forêts ne l’a pas traversé.

Voilà donc bien des choses que les hommes ne connaissent pas mais qui n’échappent pas à Dieu qui étend son pouvoir aux montagnes et aux fleuves, d’où il dit : sur le rocher à savoir sur les montagnes rocheuses il étendit sa main c’est-à-dire sa puissance. Et il manifeste cela en deux choses : d’abord des montagnes disparaissent entière ment et il ajoute : depuis leurs racines il soulève les monts; ensuite dans les montagnes coulent les eaux comme si par sa vertu Dieu leur avait creusé un chemin dans les roches, d’où il dit : dans les roches il a creusé des ruisseaux à savoir les méandres des ruisseaux. Et de même que sa toute puissance s’étend à toutes ces réalisations magnifiques ainsi sa sagesse a la connaissance de toutes les choses précieuses, d’où il dit : et tout ce qui est précieux son œil l’a vu; Si en effet il peut soulever les montagnes, tailler les roches et, ce par toute la terre, il va de soi qu’il voit aussi les choses précieuses qui s’y trouvent bien que l’œil de l’homme ne puisse les voir; et non seulement ce qui est caché dans les terres, son œil le voit, mais aussi les profondeurs des fleuves les a scrutées, à savoir les choses cachées dans les profondeurs des fleuves il les connaît aussi parfaitement que s’il les scrutait; et la preuve en est qu’il a mis en lumière les choses cachées pour les manifester aux hommes.

 

CONFÉRENCE 2 — Job : "La sagesse est dans l'esprit" (Job 28, 12-28)

 

12 Mais la Sagesse, où la trouver? Où est le lieu de l'Intelligence? 13 L'homme n'en connaît pas le prix, on ne la rencontre pas sur la terre des vivants. 14 L'abîme dit : "Elle n'est pas dans mon sein; " la mer dit : "Elle n'est pas avec moi." 15 Elle ne se donne pas contre de l'or pur, elle ne s'achète pas au poids de l'argent. 16 On ne la met pas en balance avec de l'or d'Ophir, avec l'onyx précieux et avec le saphir. 17 L'or et le verre ne peuvent lui être comparés, on ne l'échange pas pour un vase d'or fin. 18 Qu'on ne fasse pas mention du corail et du cristal : la possession de la sagesse vaut mieux que les perles. 19 La topaze d'Ethiopie ne l'égale pas, et l'or pur n'atteint pas sa valeur. 20 D'où vient donc la sagesse? Où est lieu de l'Intelligence? 21 Elle est cachée aux yeux de tous les vivants, elle se dérobe aux oiseaux du ciel. 22 L'enfer et la mort disent : "Nous en avons entendu parler." 23 C'est Dieu qui connaît son chemin, c'est lui qui sait où elle réside. 24 Car il voit jusqu'aux extrémités de la terre, il aperçoit tout ce qui est sous le ciel. 25 Quand il réglait le poids des vents, qu'il mettait les eaux dans la balance, 26 quand il donnait des lois à la pluie, qu'il traçait la route aux éclairs de la foudre, 27 alors il l'a vue et l'a décrite, il l'a établie et en a sondé les secrets. 28 Puis il a dit à l'homme : La crainte du Seigneur, voilà la sagesse; fuir le mal, voilà l'intelligence.

12 Mais où trouver la sagesse, Quel est le lieu de l’intelligence? 13 L'homme ne connaît pas son prix; on ne la trouve pas dans la terre des viveurs. 14 L'abîme dit : elle n’est pas chez moi; et la mer parle : elle n’est pas avec moi. 15 Pour elle on ne donnera pas l’or d’Ophir, on ne pèsera pas de l’argent en échange. 16 Elle n’est pas comparable aux coloris des Indes ni à la cornaline la plus précieuse, ni au saphir. 17 L'or et le cristal ne l’égaleront pas; et on n'échangera pas pour elle des vases d’or 18 Haut et ouvragés; ni ne seront mentionnés en comparaison, car la sagesse a sa source cachée. 19 La topaze de l’Ethiopie ne peut l’égaler; les teintures les plus pures ne lui sont pas comparables. 20 Mais où trouver la sagesse? Quel est le lieu de l’intelligence? 21 Elle est cachée aux yeux de tous les vivants elle est cachée aux oiseaux du ciel 22 La perdition et la mort on dit : nos oreilles ont entendu sa renommée. 23 C'est Dieu qui connaît sa voie, et c’est lui qui sait où elle se trouve. 24 Lui regarde les confins de la terre, il voit tout ce qui est sous les cieux. 25 Il a fait un poids pour les vents et il a mesuré les eaux. 26 Quand il donnait une loi aux pluies et une route aux tempêtes qui grondent, 27 Il la vit, la raconta, la prépara et la rechercha. 28 Et il dit d l’homme : Voilà! la crainte du Seigneur c’est la sagesse; et abandonner le mal, c’est l’intelligence.

 

Comme il avait montré que tout ce qui est précieux parmi les choses matérielles est situé dans des endroits déterminés qui s’ils sont ignorés des hommes sont cependant connus de Dieu, pour montrer l’éminence de la sagesse il prouve d’abord qu’elle n’est pas dans un lieu déterminé d’où il dit : mais où trouver la sagesse? Comme s’il disait : elle ne se situe pas dans un lieu matériel parce qu’elle n’est pas un corps. Les choses précieuses qui sont matérielles, non seulement elles, mais leurs principes sont situés dans des endroits matériels. Mais on ne peut dire cela de la sagesse de Dieu, donc il dit : Quel est le lieu de l’intelligence? En effet l’intelligence est le principe de la connaissance et de la sagesse. De même que la sagesse n’est pas localisée ainsi aussi l’intelligence qui est son principe. Ensuite il montre la dignité de la sagesse parce qu’on ne peut lui assigner de prix, d’où ce qu’il dit : l’homme ne connaît pas son prix, à savoir rien de ce que l’homme connaît n’est de prix par rapport à la sagesse.

De ces deux prémisses, il en manifeste la conséquence : et d’abord que la sagesse n’est pas localisée. Les choses que les hommes tiennent pour précieuses se trouvent en partie chez les gens délicats qui s’attachent à rassembler des métaux et des pierres précieuses, mais chez eux on ne trouve pas la sagesse, d’où il dit : on ne la voit pas chez les bons vivants, c’est-à-dire délicats; car eux surtout ne peuvent connaître la sagesse parce que leur cœur est pris par les plaisirs. En partie ces matières précieuses se trouvent dans des endroits très profonds et retirés, mais il n’en est pas ainsi de la sagesse, d’où il dit : l’abîme dit : elle n’est pas chez moi c’est-à-dire que ces choses qui sont cachées dans les grandes profondeurs sont de toutes les plus inconnues à la sagesse humaine; en partie on les trouve dans la mer soit qu’elles y grandissent, telles les perles des coquillages ou qui sont perdues dans les navires naufragés, mais il n’en est pas ainsi de la sagesse; aussi que ces choses précieuses se déplacent d’un lieu à un autre dans le mouvement de la mer, et donc il dit : et la mer parle : elle n’est pas avec moi. Bien plus, ce qui est dans l’océan est totalement soustrait à la sagesse des hommes.

Ensuite il s’explique au sujet de ce que la sagesse n’a pas de prix et il énumère les choses tenues comme les plus précieuses, en disant : pour elle on ne donnera pas l’or d’Ophir c’est-à-dire l’or le plus fin, car la sagesse ne peut s’estimer au prix d’aucun or. Après l’or la chose la plus précieuse est l’argent au sujet duquel il dit : et on ne pèsera pas de l’argent en échange. Au delà des métaux il y a des pierres très précieuses de diverses teintes qu’on rencontre surtout aux Indes dont il nous dit : elle n’est pas à rapporter à savoir elle n’est pas comparable aux teintes et coloris des Indes, à savoir aux pierres précieuses aux couleurs variées et aux teintes naturelles des Indes. Et il en donne quelques exemples qui se rencontrent aussi en d’autres endroits, d’où il dit : ni à la très précieuse sardonyx c’est-à-dire qui se compose de deux éléments à savoir de sardoine qui est de couleur rouge, allumant la joie au cœur et aiguisant l’esprit et d’onyx qui y est lié, ayant en quelque sorte des pouvoirs dangereux c’est-à-dire d’exciter la tristesse et la crainte, mais la sardoine y remédie; d’où elle aurait la propriété d’expulser la luxure et de rendre l’homme chaste et pudique et c’est pourquoi elle est appelée la très précieuse. Il cite le saphir de couleur azur, précieux pour ses nombreuses vertus. Il y a encore d’autres pierres précieuses mais leurs prix diffèrent d’après les lieux et les époques et cela n’importe pas à notre propos. Il traite encore des choses qui ont une grande beauté et ont ainsi du prix l’or ne lui est pas comparable, beau par sa splendeur, ni le cristal beau par sa transparence bien qu’il ne soit pas de grand prix : Il dit : les œuvres d’art et leur beauté et il dit : on ne l’échangera pas pour les vases d’or, grands pour la quantité et merveilleux pour la composition. Et puisqu’on ne peut les échanger contre la sagesse, toutes ces choses sont tenues pour rien en comparaison de la sagesse, d’où ce qu’il dit : ni elles ne seront mentionnées en comparaison, à savoir elles ne sont pas dignes qu’on en ait même le souvenir lorsqu’on fait mention de la sagesse. Et comme il avait dit : que des choses matérielles sont précieuses parce qu’elles nous sont cachées, il montre en conséquence que cela non plus ne manque à la sagesse, car dit-il, la sagesse a sa source cachée. En effet la sagesse de l’homme a une double origine cachée : du côté de la lumière intellectuelle qui nous est dérivée de la cause la plus cachée et qui est Dieu, et du côté des choses connues; c’est ainsi que la sagesse s’enquiert des propriétés et des essences et par elles on s’élève à la connaissance des choses divines qui est par dessus tout le propre de la sagesse. D’où il conclut que ni en raison de son prix, ni en raison de son mystère rien ne peut lui être comparé, ni dans les pierres précieuses, et il dit donc la topaze de l’Ethiopie ne peut l’égaler, qui "porte son nom du lieu de sa découverte ou parce qu’elle présente une ressemblance avec la couleur de l’or". Quant aux vêtements de prix il dit : ni les teintures les plus pures, à savoir de n’importe quelle étoffe de soie ou de laine, ne lui sont comparables, à savoir à la sagesse.

Donc, puisqu’il a dit : que la sagesse est incomparable et que son origine est mystérieuse il cherche quel en est le principe en disant : mais où trouver la sagesse, d’où provient-elle? Quel est le lieu de l’intelligence, à partir de quel principe les hommes participent-ils à la lumière de l’intelligence? Or il montre que ce principe excède toute connaissance humaine, d’où il dit : elle est cachée aux yeux de tous les vivants, car " la source de la sagesse est la parole de Dieu là- haut", dit le Siracide (1, 5). Des tenants des augures ont enseigné que des oiseaux d’augure participaient à l’action d’une sagesse supérieure aux hommes, c’est-à-dire en ce qu’ils croyaient que par eux les hommes connaissaient l’avenir; mais la sagesse surpasse cette conjecture dit-il elle est cachée aux oiseaux du ciel. Ce qui nous fait comprendre que l’origine de la sagesse excède les corps célestes qui meuvent ces mêmes oiseaux. Il y en eut aussi qui cherchaient à connaître l’avenir par les morts, mais cela non plus ne donne l’origine de la sagesse, il dit : donc la perdition et la mort ont dit : nos oreilles ont entendu sa renommée; et il attribue à bon escient la renommée de la sagesse à la mort et à la perdition; car la perdition et la mort impliquent le recul et l’éloignement des biens qui résultent de la sages se. Ces trois choses susdites peuvent comme métaphores se rapporter aux trois genres des créatures raisonnables quand il dit : qu’elle est cachée aux yeux de tous les vivants, cela se rapporte aux hommes; quand il dit : qu’elle est cachée aux oiseaux du ciel, cela se rapporte aux anges; quand il dit : que la perdition et la mort ont dit : nos oreilles ont entendu sa renommée, cela se rapporte aux démons, qui éloignés de Dieu par leur damnation connaissent la sagesse de Dieu de très loin comme par la seule renommée.

Donc pour montrer la source de la sagesse il dit : c’est Dieu qui connaît sa voie à savoir toute la démarche de la sagesse puisqu’il est et l’origine de la sagesse et "le lieu de l’intelligence". Et comme lui-même se connaît parfaitement il dit donc c’est lui qui sait où elle se trouve et c’est lui-même auprès duquel se trouve pleinement la sagesse comme dans son origine première. Or de lui dérive la sagesse dans toutes les créatures que la sagesse de Dieu a faites, comme l’art dérive de la pensée de l’artiste à travers ses œuvres; d’où le Siracide "Dieu a répandu sa sagesse en toutes ses œuvres" (1, 10); ainsi l’univers créé est comme le second endroit où se trouve la sagesse.

Et donc pour montrer que Dieu sait où est la sagesse il ajoute : qu’Il connaît l’universalité des créatures. Il montre d’abord cela quant aux créatures les plus élevées qui sous elles contiennent les autres créatures, d’où ce qu’il dit : il regarde les confins du monde à savoir les créatures plus excellentes chez lesquelles se termine l’ordre des créatures en montant à partir des inférieures; et ce sont les corps célestes et les esprits célestes. Ensuite il le montre quant aux autres créatures qui sont en dessous, comme sont les éléments, d’où il dit : il voit tout ce qui est sous les cieux.

Et pour qu’on ne dise pas qu’il reçoit sa connaissance à partir des choses, comme c’est pour nous le cas, il montre en conséquence qu’il connaît les choses comme leur cause à toutes; donc il dit : quant aux créatures occultes, comme sont les vents et les pluies il a fait un poids pour les vents, à savoir, il leur a donné leur propension au mouvement, c’est-à-dire que tantôt ils se meuvent de tel côté, tantôt d’un autre. Ensuite il parle des pluies, et d’abord selon qu’elles sont évaporables et montant dans les nuées, d’où il dit : et les eaux c’est-à-dire évaporées il les tient suspendues, à savoir dans l’air et en mesure pour qu’elles ne submergent pas tout, si elles étaient trop abondantes ou que tout ne sèche, si elles cessaient plus qu’il se doit; ensuite quant à la naissance des pluies on nous dit : quand il donnait une loi aux pluies, c’est-à-dire qu’elles tomberaient en des temps et des lieux déterminés. Enfin quant à leurs effets, principalement dans les mers que les changements de l’air affectent le plus fortement, d’où il dit : et une route c’est-à-dire qu’il fixait aux tempêtes c’est-à-dire aux flots qui grondent à cause de leur grande agitation; car ces tempêtes s’élèvent à des époques déterminées et selon une certaine quantité.

Et parce qu’il n’acquiert pas ses connaissances par les créatures elles-mêmes, comme nous le faisons, mais que ce sont les créatures qu’il produit par sa sagesse il ajoute : donc alors, c’est-à-dire quand il les créait, il la vit, à savoir la sagesse, en lui-même en tant que par la considération actuelle de sa sagesse il a produit les choses en leur être. Or de lui la sagesse est dérivée d’abord aux anges qui ont participé à la sagesse divine; et quant à cela il dit : et il la raconta leur manifestant sa sagesse; ensuite à l’universalité des créatures l’ordonnant par sa sagesse et à cela correspond ce qu’il dit : et il prépara, à savoir le globe terrestre en sa sagesse. Enfin quant aux hommes qui ne perçoivent pas la sagesse de la vérité par la simple appréhension, comme elle est racontée aux anges, mais qui y parviennent par la

recherche de la raison, d’où on nous dit : il rechercha c’est-à-dire qu’il leur fit rechercher la sagesse et il ajoute : pour cela et il dit : à l’homme c’est-à-dire par une inspiration intérieure qui l’illuminait et lui communiquait la sagesse voici la crainte du Seigneur c’est-à-dire que je te donne présentement, c’est elle la sagesse : car par la crainte du Seigneur l’homme adhère à Dieu, auprès duquel se trouve la vraie sagesse pour l’homme comme dans sa cause la plus élevée; s’éloigner du mal c’est-à-dire du péché par lequel l’homme perd Dieu c’est là l’intelligence, c’est-à-dire que l’intelligence est principalement nécessaire à l’homme pour que par elle il discerne le bien du mal; celui-ci évité, par l’exécution des bonnes œuvres il arrive à la participation de la divine sagesse. Ainsi donc puisque la crainte du Seigneur est sages se et abandonner le mal est intelligence, la conséquence est que les justes, qui craignent Dieu et abandonnent le mal, possèdent la sagesse et l’intelligence; celles-ci sont à préférer à tous les autres biens de la terre que les méchants veulent posséder. Et ainsi il est évident qu’en cela la providence divine trouve sa justification en accordant aux suites du discours de Job : justes les biens spirituels comme meilleurs et aux méchants les biens temporels comme caducs.       

 

 

Caput 29

Job 29 — Suite du discours de Job

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 29)

 

1 Job reprit encore son discours et dit :

2 Oh! Qui me rendra les mois d'autrefois, les jours où Dieu veillait à ma garde; 3 quand sa lampe brillait sur ma tête, et que sa lumière me guidait dans les ténèbres! 4 Tel que j'étais aux jours de mon âge mûr, quand Dieu me visitait familièrement dans ma tente, 5 quand le Tout-Puissant était encore avec moi, et que mes fils m'entouraient; 6 quand je lavais mes pieds dans le lait, et que le rocher me versait des flots d'huile!

7 Lorsque je sortais pour me rendre à la porte de la ville, et que j'établissais mon siège sur la place publique, 8 en me voyant, les jeunes gens se cachaient, les vieillards se levaient et se tenaient debout. 9 Les princes retenaient leurs paroles, et mettaient leur main sur la bouche. 10 La voix des chefs restait muette, leur langue s'attachait à leur palais. 11 L'oreille qui m'entendait me proclamait heureux, l'œil qui me voyait me rendait témoignage.

12 Car je sauvais le pauvre qui implorait du secours, et l'orphelin dénué de tout appui. 13 La bénédiction de celui qui allait périr venait sur moi, je remplissais de joie le cœur de la veuve. 14 Je me revêtais de la justice comme d'un vêtement, mon équité était mon manteau et mon turban. 15 J'étais l'œil de l'aveugle, et le pied du boiteux. 16 J'étais le père des pauvres, j'examinais avec soin la cause de l'inconnu. 17 Je brisais la mâchoire de l'injuste, et j'arrachais sa proie d'entre les dents. 18 Je disais : "Je mourrai dans mon nid, j'aurai des jours nombreux comme le sable. 19 Mes racines s'étendent vers les eaux, la rosée passe la nuit dans mon feuillage. 20 Ma gloire reverdira sans cesse, et mon arc reprendra sa vigueur dans ma main." 21 On m'écoutait et l'on attendait, on recuillait en silence mon avis. 22 Après que j'avais parlé, personne n'ajoutait rien; ma parole coulait sur eux comme la rosée. 23 Ils m'attendaient comme on attend la pluie; ils ouvraient la bouche comme aux ondées de printemps. 24 Si je leur souriais, ils ne pouvaient le croire; ils recuillaient avidement ce signe de faveur. 25 Quand j'allais vers eux, j'avais la première place, je siégeais comme un roi entouré de sa troupe, comme un consolateur au milieu des affligés.

1 Job continua, reprenant sa parabole et il dit :

2 Que ne suis-je comme aux mois d’autrefois, comme aux jours où Dieu était mon protecteur. 3 Lorsque sa lampe brillait au-dessus de ma tête, et que dans sa lumière je marchais au milieu des ténèbres. 4 Comme j’étais aux jours de ma jeunesse, quand Dieu en secret habitait ma tente; 5 Quand le Tout-Puissant était avec moi, et que la troupe des enfants m’entourait; 6 Quand je lavais mes pieds dans le caillé; et que de la roche coulait l’huile en ruisseaux. 7 Si je sortais par la porte de la ville, et que sur le marché je prenais place, 8 Les jeunes me voyant s’esquivaient, les vieillards se levant se tenaient debout. 9 Le édiles cessaient leurs discours et mettaient leur doigt sur la bouche; 10 Les chefs réprimaient leur voix et leur langue adhérait au gosier. 11L'oreille qui m’entendait me disait bienheureux, et l’œil qui me voyait me rendait témoignage. 12 Parce que je délivrais le pauvre qui criait et l’orphelin sans protection. 13 Le malheureux me bénissait; je réjouissais le cœur de la veuve. 14 Je m’étais revêtu de justice comme d’un vêtement, mon droit me servait de diadème. 15 J'étais un œil pour l’aveugle, j’étais un pied pour le paralytique. 16 J'étais un père pour les pauvres. La cause que j’ignorais je l’instruisais avec le plus grand soin. 17 Je brisais la mâchoire des impies et de leur dent j’arrachais leur proie. 18 Je disais : je mourrai dans mon petit nid, comme le palmier multipliant mes jours. 19 Ma racine s’est déployée auprès des eaux, et la rosée s’attardera dans ma moisson. 20 Ma gloire sera toujours jeune; en ma main mon arc se renouvellera. 21 Ceux qui m’écoutaient attendaient la sentence et se taisaient attentifs à mon conseil. 22 A mes paroles ils n’osaient rien ajouter; et sur eux goutte à goutte descendait mon discours. 23 On m’attendait comme la pluie, on ouvrait la bouche comme pour l'averse du soir.

[84927] Super Iob, cap. 29 Addidit autem Iob assumens parabolam suam et dixit: quis mihi tribuat et cetera. Quia Iob in praemissis verbis in universali ostenderat rationem ex qua evidenter apparet non esse contra divinam iustitiam quod mali prosperantur et boni interdum in hoc mundo temporali prosperitate carent, quibus conceduntur maiora, scilicet spiritualia bona, manifestat hoc in se ipso quasi in exemplo, intendens eorum confutare sententiam etiam quantum ad hoc quod asserebant eum pro peccato adversitates passum. Et primo commemorat prosperitatem praeteritam qua virtuose utebatur, et deinde magnitudinem adversitatis in quam inciderat, et ad ultimum multipliciter suam innocentiam demonstrat. Datur autem intelligi quod sicut postquam satisfecerat verbis Baldath, Sophar tacente processerit ad suum propositum ostendendum, ita etiam manifestato proposito expectavit si aliquis aliorum loqueretur: omnibus autem tacentibus ipse iterato sermonem resumpsit, unde dicitur addidit quoque Iob assumens parabolam suam, quia scilicet metaphorice locuturus erat, et dixit: quis mihi tribuat, quod ponitur ad desiderium designandum magis quam ad petitionem formandum, ut sim iuxta menses pristinos, idest ut in prosperitate vivam sicut olim? Et quia hanc prosperitatem non fortunae neque suis viribus sed divino attribuebat auxilio, subdit secundum dies quibus Deus custodiebat me, protegendo scilicet contra adversa, et etiam dirigebat ad bona: in quibusdam quidem perducendo ad bonos effectus etiam supra meam intentionem, et hoc est quod dicit quando splendebat lucerna eius, idest providentia ipsius, super caput meum, idest mentem meam, dirigens in multa bona ad quae mens mea non attingebat; in quibusdam vero dirigebatur a Deo quasi ab eo instructus de his quae erant agenda, unde subdit et ad lumen eius, idest ad instructionem ipsius, ambulabam, idest procedebam, in tenebris, idest in dubiis; et ut non attribuatur hoc merito iustitiae praecedentis, subiungit sicut fui in diebus adolescentiae meae, quando scilicet adhuc non potueram tantam prosperitatem mereri. Deinde seriatim exponit bona status praeteriti, et incipit quasi a praecipuo a familiaritate divina quam in oratione et contemplatione percipiebat, unde dicit quando secreto Deus erat in tabernaculo meo, idest Dei praesentiam sentiebam dum secreto in tabernaculo meo orabam et meditabar, quod pertinet ad contemplationem; quantum vero ad actionem subdit quando erat omnipotens mecum, quasi scilicet mihi cooperans ad bene agendum. Deinde describit prosperitatem suam ex parte prolis cum subdit et in circuitu meo pueri mei: adolescentis enim patris filios pueros esse oportet. Ulterius autem procedit ad affluentiam rerum quae pertinent ad usum vitae cum subdit quando lavabam pedes meos butyro: apud antiquos enim divitiae praecipue in pecudibus erant, a quibus propter hoc secundum Augustinum pecunia nominatur; inter fructus autem pecudum pretiosior videtur esse butyrum quod est lactis pinguedo, cuius affluentiam parabolice designat per pedum lotionem, puta si aliquis diceret se tantum sibi abundare aliquem pretiosum liquorem usque ad pedum lotionem. Et sicut butyrum videtur esse pretiosius inter fructus animalium, ita etiam oleum inter fructus terrarum; solent autem olivae optimum oleum habentes in locis lapidosis et arenosis esse, unde subdit et petra fundebat mihi rivos olei, per quod abundantiam designat et fructus bonitatem. Deinde exponit magnitudinem pristinae gloriae cum subdit quando procedebam ad portam civitatis, per quod dat intelligere se habuisse auctoritatem iudicandi, quia apud antiquos iudicia exercebantur in portis. Et ut ostenderet se non fuisse quasi unum ex pedaneis iudicibus, subdit et in platea ponebant cathedram mihi: per hoc ostenditur singularis dignitatis fuisse. Ostendit autem consequenter auctoritatem sui iudicii, primo quidem per signum acceptum ex parte iuvenum cum dicit videbant me iuvenes, qui scilicet solent esse ad peccata proclives, et abscondebantur, quasi scilicet meum iudicium formidantes. Secundo quantum ad senes cum subdit et senes assurgentes stabant, quasi scilicet meo iudicio subiecti: habebat enim auctoritatem non solum ad iudicandum iuvenes sed etiam senes. Tertio quantum ad civitatum rectores qui eius iudicio reverentiam exhibebant, primo quidem quantum ad hoc quod verba inchoata dimittebant dum ille loqui volebat, unde subdit principes cessabant loqui; secundo quia eo loquente ipsum interrumpere non audebant, unde subdit et digitum superponebant ori suo. Quarto quantum ad duces bellorum qui solent audaciores esse et promptiores ad loquendum, qui tamen coram eo praesumptuose et tumultuose loqui non audebant, unde subdit vocem suam cohibebant duces, scilicet plane et humiliter loquendo; et quandoque intantum stupebant quod loqui penitus non auderent, unde subdit et lingua eorum gutturi suo adhaerebat, quasi loqui non valerent. Et quia solent homines tam rigidae auctoritatis a populo potius timeri quam amari, ostendit se populo amabilem fuisse, quia ad magnanimum pertinet ut apud magnos auctoritatem servet et tamen minoribus condescendat, unde subdit auris audiens, scilicet ab aliis, recitari scilicet meam gloriam vel mea iudicia, non odiebat nec invidebat sed beatificabat me, idest beatum me reputabat et beatitudinem mihi optabat, et hoc pertinet ad absentes; quantum autem ad praesentes subdit et oculus videns, scilicet meam gloriam et iudicia, testimonium, scilicet de virtute, reddebat mihi, scilicet apud alios, et hoc propter opera misericordiae quae exercebam. Et hoc primo ostendit quantum ad pauperes, unde subdit eo quod liberassem, scilicet de manu opprimentis, pauperem vociferantem, idest conquerentem; secundo quantum ad pupillos, unde subdit et pupillum cui non erat adiutor, scilicet amisso patre; tertio quantum ad homines in periculis existentes, unde subdit benedictio perituri super me veniebat, idest ille qui in periculis erat a me adiutus mihi benedicebat; quarto quantum ad viduas, unde subdit et cor viduae consolatus sum, quia scilicet solatium viri amiserat. Non est autem sic in iudicio aliquibus miserendum quod iustitia relinquatur, unde subdit iustitia indutus sum, idest undique in processibus meis iustitia apparuit: vestimento enim homo undique circumdatur; et ut ostendat se non esse coactum sed voluntarie fecisse iustitiam, subdit et vestivi me, quasi propria sponte, iustitiam induens sicut vestimentum, scilicet undique protegens et ornans. Sicut autem in concertatione bellorum victoribus datur corona, ita etiam et iudex cum per iudicium suum iustitiae victoriam tribuit coronam meretur, unde subdit et diademate iudicio meo, ac si dicat: indutus sum iudicio meo sicut diademate. Et ut ostendat qualiter simul cum iustitia potuerit misericordiam conservare, subdit oculus fui caeco, idest instruxi simplices qualiter in negotiis suis procederent ne per ignorantiam detrimentum paterentur; et quia non solum ignorantibus dabat consilium sed etiam impotentibus auxilium, subdit et pes claudo, idest illi qui non poterat procedere in suo negotio auxilium dedi ut posset procedere; tuebatur etiam illos qui tutela carebant, unde subdit pater eram pauperum, scilicet eos protegendo et fovendo. Contingit autem quandoque quod simplices, impotentes et pauperes aliqui per fraudulentiam calumniose laedunt, sed contra hoc adhibebat diligentem sollicitudinem ut calumniosos processus malignorum excluderet, unde subdit et causam quam nesciebam diligentissime investigabam, ne scilicet aliquid fraudis ibi lateret. Quidam vero per violentiam pauperes opprimunt eos quodammodo per rapinam deglutientes, quorum violentiam Iob sua potentia destruebat, unde subdit conterebam molas iniqui, idest destruebam violentiae rapacitatem ne scilicet posset ulterius rapere, et de dentibus illius auferebam praedam, quia scilicet eos restituere cogebat id quod iam acceperant per rapinam. Ex praemissis autem bonis operibus confidebat quod eius prosperitas perduraret; cuius continuationem primo describit quantum ad propriam personam, unde subdit dicebamque: in nidulo meo moriar, idest sperabam propter praecedentia merita quod in quiete domus meae moriturus essem, non exul a domo nec etiam domo mea perturbata; nec tamen credebat se tempestiva morte praeoccupari, unde subdit et sicut palma, quae scilicet diutissime vivit, multiplicabo dies, scilicet per vitae longaevitatem. Secundo describit continuitatem prosperitatis quantum ad divitias, quarum augmentum describit subdens radix mea aperta est secus aquas: arbores enim quae secus aquas radices habent solent abundare in fructibus, unde per hoc designat temporalium fructuum multiplicationem; contingit autem quandoque quod fructus alicuius hominis multiplicantur, sed propter aliqua impedimenta supervenientia eos colligere non potest, unde ad hoc excludendum subdit et ros morabitur in messione mea: contingit enim in terris calidis quod propter vehementiam aestus messores in agro consistere non possunt ad metendum, sed nubes roris eis refrigerium praestat ut a metendo non impediantur, secundum illud Is. XVIII 4 sicut nubes roris in diebus messis. Tertio describit processus continuitatem quantum ad gloriam cum subdit gloria mea semper innovabitur, scilicet per bona opera quae multiplicare proponebat. Quarto quantum ad continuationem potentiae subdit et arcus meus in manu mea instaurabitur: per arcum enim potentia designatur, talibus enim armis maxime Orientales utuntur ad bella. Sic igitur in praemissis descripsit et severitatem et misericordiam quam exhibebat in iudicando, nunc autem tertio ostendit quomodo etiam sapientia utebatur; et primo quidem in iudiciis, et quantum ad hoc dicit qui me audiebant, quasi meo iudicio subiecti, expectabant sententiam, scilicet meam, credentes se aliquid sapientissimum audire; quantum vero ad consilia subdit et intenti tacebant ad consilium meum, scilicet expectantes ipsum et avide audientes. Et postquam consilium dederam erant eo contenti, unde subdit verbis meis addere nihil audebant, propter scilicet magnam sapientiam quam in me aestimabant; et non solum firmum tenebant meum consilium sed etiam in eo consolabantur, percipientes illud esse efficax ad suum propositum consequendum, unde subdit super illos stillabat eloquium meum, idest ad modum stillarum eos refrigerabat. Quia igitur iam dixerat qualis erat in iudiciis et in consiliis, consequenter ostendit qualis erat in communi hominum conversatione, et primo ostendit quod erat gratiosus, quia cum erat absens eius praesentia desiderabatur, unde dicit expectabant me sicut pluviam, per quam scilicet homines refrigerantur; quando autem erat praesens ex eius aspectu et sermonibus consolabantur, unde subdit et os suum, idest suum animum, aperiebant, scilicet versus me ut consolationem reciperent, et hoc est quod subdit quasi ad imbrem serotinum, qui scilicet refrigerium praestat post aestum diei. Secundo ostendit quod erat in conversatione moderatus: neque enim dissolvebatur gaudio, unde dicit si quando ridebam ad eos, scilicet aliqua signa laetitiae ostendens, non credebant, scilicet me esse risibus deditum; similiter etiam non erat per tristitiam depressus, unde subdit et lux vultus mei non cadebat in terram: solent enim homines maerore depressi oculos ad terram demersos habere. Tertio ostendit quod non erat immoderatus circa honores, quia scilicet neque eos cupiebat, unde subdit si voluissem ire ad eos, quod tamen non de facili faciebam, sedebam primus, scilicet apud eos in honore existens; neque tamen erat in honoribus fastuosus, unde subdit cumque sederem quasi rex circumstante exercitu, omnibus scilicet me hinc inde admirantibus, eram tamen maerentium consolator, quasi non despiciens eos.

Comme en ce qui précède Job avait montré en général pourquoi il était évident qu’il n’est pas contraire à la justice divine si les méchants prospèrent et si les bons en ce monde sont parfois privés de la prospérité temporelle, auxquels sont accordées de plus grandes choses : c’est-à-dire les biens spirituels, il le montre maintenant en lui- même comme exemple; il veut aussi réfuter leur sentence quant à ce qu’ils affirmaient qu’il souffrait pour ses péchés. Et d’abord il rappelle sa prospérité passée dont il usait vertueusement; ensuite la grandeur de l’adversité où il est tombé et enfin il montre, en bien des manières, son innocence.

Or on nous fait comprendre que comme il avait satisfait aux paroles de Baldad, tandis que Sophar se taisait, il avait continué son propos, ainsi aussi ce- propos étant manifesté il a attendu que quel qu’un d’autre parle. Comme tous se taisent il reprend son discours, et il dit : donc Job continua reprenant son poème : car il avait parlé en métaphores, et il dit : qui me donnera, pour manifester un désir plus que pour formuler une demande, d’être comme aux mois d’antan, à savoir, de vivre dans la prospérité comme autrefois? Et parce qu’il n’attribuait cette prospérité ni au hasard, ni à ses forces mais à l’aide de Dieu, il dit : comme aux jours où Dieu était mon protecteur, c’est-à-dire me protégeant contre l’adversité; me fournissant de bonnes choses; en certaines les résultats dépassaient même mon attente; et c’est ce qu’il dit : lorsque sa lampe brillait au-dessus de ma tête, c’est-à-dire sa providence qui orientait mon esprit vers beaucoup de bonnes choses auxquelles je ne pensais pas; dans d’autres, il était conduit par Dieu comme instruit par lui de ce qu’il devait faire, d’où il dit : et que dans sa lumière, instruit par lui, je marchais, à savoir, j’avançais dans les ténèbres, c’est-à-dire dans les doutes. Et pour qu’on n’attribue pas cela à sa justice passée, il ajoute : comme j’étais aux jours de ma jeunesse c’est-à-dire quand je ne pouvais pas mériter une si grande prospérité.

Il fait ensuite l’énumération des bonnes choses de son passé; et il commence comme par la principale, c’est-à-dire par la familiarité divine qu’il expérimentait dans la prière et la contemplation quand Dieu en secret habitait ma tente à savoir, je sentais la présence de Dieu, tandis que dans le secret de ma tente je priais et méditais; ce qui appartient à la contemplation. Quand à l’action il dit : quand le Tout-Puissant était avec moi, c’est-à-dire comme s’il m’aidait à bien agir. Ensuite il décrit sa prospérité en sa progéniture lorsqu’il dit : et que la troupe des enfants m’entourait, en effet un jeune père doit avoir des enfants jeunes. Il continue et en vient à l’abondance des choses qui concernent la vie de tous les jours; il dit : quand je lavais mes pieds dans le caillé chez les anciens en effet les richesses consistaient principalement dans les troupeaux; d’où selon saint Augustin, le nom donné à l’argent’ or parmi les produits des troupeaux, le beurre est le plus précieux qui est la graisse du lait; pour marquer son abondance il la désigne métaphoriquement par le lavement des pieds, comme si on disait avoir une telle abondance d’une liqueur précieuse jusqu’à s’en laver les pieds. Et de même que le beurre est le plus précieux parmi les produits des animaux ainsi aussi l’huile parmi les produits de la terre. Or les oliviers qui ont la meilleure huile grandis sent habituellement dans les terrains pierreux et sablonneux d’où ce qu’il dit : et que de la roche coulait l’huile en ruisseaux : il indique par là l’abondance et la bonté du produit.

Ensuite il expose la grandeur de sa gloire passée lorsqu’il dit : si je sortais sur la porte de la ville; il fait comprendre par là qu’il avait l’autorité judiciaire parce que chez les anciens on prononçait les jugements à la porte de la ville. Et pour montrer qu’il n’était pas un des assesseurs il dit : et sur le marché on me préparait un siège, par là on montre sa dignité particulière. Il montre ensuite de quelle autorité fut son jugement : d’abord il y a l’attitude de la jeunesse, qu’il exprime ainsi les jeunes qui me voyaient, c’est-à-dire eux qui d’habitude sont enclins au mal, s’esquivaient, c’est-à-dire qu’ils redoutaient ma sentence; ensuite quant aux vieillards dont il dit : et se levant ils se tenaient debout c’est-à-dire se soumettant à ma sentence; il avait donc un mandat pour juger et jeunes gens et vieillards. Enfin quant aux gouverneurs des cités qui respectaient son jugement; d’abord en ce qu’ils cessaient aussitôt leur discours quand lui prenait la parole, d’où ce qu’il dit : les édiles cessaient de parler; ensuite quand lui parlait ils n’osaient l’interrompre et donc il dit : ils mettaient un doigt sur la bouche. Quant aux chefs d’armée qui sont souvent pleins d’au dace et prompts à parler, mais n’osaient plus devant lui parler présomptueusement et dans le tumulte, il dit : les chefs réprimaient leur voix parlant modestement et humblement; et parfois même leur crainte était telle qu’ils n’osaient parler, d’où ce qu’il dit : et leur langue adhérait au gosier, incapables de parler.

Et parce que des gens d’une si grande autorité sont habituelle ment craints plutôt qu’aimés, il montre que le peuple l’aimait; car le magnanime garde son autorité envers les grands tout en étant condescendant pour les petits, d’où il dit : l’oreille qui m’entendait, à savoir qu’on célébrait mon nom ou mes jugements, n’avait ni haine ni envie, me disait bienheureux, à savoir m’estimait heureux et me souhaitait le bonheur, ceci dit des absents. Quant à ceux qui étaient présents il dit : et l’œil qui voyait ma gloire et mes jugements me rendait auprès des autres, témoignage de ma vertu et cela à cause des œuvres de miséricorde que j’exerçais; d’abord quant aux pauvres parce que je délivrais - de la main de l’oppresseur - le pauvre qui criait, c’est-à-dire qui portait plainte; ensuite quant aux orphelins et l’orphelin sans protection qui n’a plus de père; quant à ceux qui sont en danger il dit : la bénédiction du malheureux venait sur moi, à savoir qui était en danger et qui me bénissait de l’avoir aidé; quant aux veuves je consolais le cœur de la veuve qui avait perdu la consolation de son mari.

Mais il n’exerçait pas la miséricorde en ses jugements en délaissant la justice, d’où ce qu’il dit : j’étais revêtu de justice à savoir que partout dans mes procès la justice apparaissait : en effet le vêtement entoure l’homme de toute part. Et pour montrer qu’il n’était pas forcé mais que librement il faisait justice il dit : et je me suis vêtu, comme de mon propre gré, de la justice comme d’un vêtement c’est-à-dire me protégeant et m’ornant de toute part. Et de même que dans les combats guerriers on couronne les vainqueurs, ainsi aussi le juge, quand dans son jugement il fait triompher la justice, mérite-t-il la couronne, et donc ce qu’il dit : mon jugement m’était un diadème, comme s’il disait : j’étais vêtu de mon verdict comme d’un diadème. Et pour montrer comment en même temps que la justice, il pouvait garder la miséricorde il dit : j’étais un œil pour l’aveugle, à savoir j’ai enseigné aux simples comment procéder dans les affaires pour que par ignorance ils ne souffrent pas de dommage. Et parce que non seule ment il faut conseiller les ignorants mais aider les faibles, il dit : j’étais un pied pour le paralytique à savoir pour celui qui ne réussissait pas dans ses affaires afin de l’en tirer. Il protégeait aussi ceux qui étaient sans défense, et donc il dit : j’étais un père pour les pauvres c’est-à-dire les protégeant, les encourageant. Mais il arrive parfois qu’aux simples, aux faibles et aux pauvres on fasse du tort par calomnie, mais il veillait avec soin à exclure ces procédés calomnieux des méchants, d’où ce qu’il dit : et la cause que j’ignorais je l’instruisais avec le plus grand soin, pour qu’aucune fraude ne s’y glisse. Mais certains oppriment les pauvres par la violence, les déglutissant en quelque sorte par la rapine, et Job annihilait cette violence par sa puissance, d’où il ajoute : je brisais la mâchoire de l’impie à savoir je réprimais la rapacité de sa violence pour qu’il ne puisse plus exercer sa rapine; et de ses dents j’arrachais la proie c’est-à-dire je l’obligeais à restituer ce qu’il avait acquis par rapine.

A cause de toutes ses bonnes œuvres il avait confiance que sa prospérité perdurerait et dont il décrit la progression d’abord quant à sa personne, d’où il dit : et je disais : je mourrai dans mon petit nid, à savoir j’espérais à cause de mes mérites passés que dans le repos de ma demeure je pourrais mourir, non rejeté de ma maison, ni celle-ci n’étant perturbée; et il ne pensait pas qu’une mort prématurée le surprendrait et donc il dit : et comme le palmier, à savoir qui vit très longtemps, j’aurai de longs jours, une longue vie. Ensuite il décrit la progression de ses richesses qu’il décrit en disant : ma racine s’est étendue auprès des eaux : en effet les arbres dont les racines sont près des eaux portent d’ordinaire beaucoup de fruits. Il désigne par là la multiplication des biens matériels. Il peut cependant se faire que tout en se multipliant ces fruits ne peuvent être recueillis à cause de quel- qu’empêchement, et pour écarter cela il dit : et la rosée s'attardera dans ma moisson; il arrive en effet que dans des contrées très chaudes les moissonneurs ne peuvent y travailler à cause de l’excessive chaleur; mais une brume de rosée leur procure de la fraîcheur de sorte qu’ils peuvent faire la moisson; comme il est écrit : "Comme la brume de rosée au jour de la moisson" (Is. 18, 4). Ensuite il décrit le constant progrès de sa renommée lorsqu’il dit : ma renommée sera toujours jeune, c’est-à-dire par les bonnes œuvres qu’il se proposait de multiplier. Encore quant au maintien de sa puissance il dit : et en ma main mon arc se renouvellera l’arc signifie la puissance; en effet cette arme est en usage dans la guerre, principalement chez les Orientaux.

Ainsi donc dans ce qui précède il décrit la sévérité et la miséricorde qu’il observait dans ses jugements. Maintenant il montre en troisième lieu comment aussi il usait de sagesse; quant au jugement proprement dit, il s’exprime ainsi ceux qui m’écoutaient c’est-à-dire soumis à mon jugement attendaient ma sentence c’est-à-dire persuadés de n’entendre rien que de très sage. Quant à ses conseils et on se taisait attentif à mes conseils, c’est-à-dire on les attendait en les écoutant avidement. Et après avoir donné un conseil ils en étaient satisfaits et donc il dit : de mes paroles ils n’osaient rien ajouter c’est-à-dire à cause de la grande sagesse qu’ils appréciaient en moi; et non seule ment ils s’y ralliaient fermement mais ils y trouvaient un grand apaisement, percevant leur efficacité quant aux projets qu’ils formaient, d’où il dit : et sur eux goutte à goutte descendait mon discours à savoir c’était comme des gouttes qui les rafraîchissaient.

Donc après avoir dit : ce qu’il était dans ses conseils et ses jugements, il montre ensuite son comportement dans le commerce habituel des hommes, et d’abord il était agréable; car en son absence on le regrettait de n’y être pas, d’où il dit : on m’attendait comme la pluie c’est-à-dire laquelle rafraîchit les hommes; et en sa présence, sa vue Discours de Job et ses discours étaient une consolation, d'où il dit : et leur bouche c’est-à-dire leur cœur ils l’ouvraient, à savoir vers moi pour en recevoir sa détresse présente voir de l’encouragement, et c’est ce qu’il dit : comme pour l’averse du soir qui donne de la fraîcheur après la chaleur du jour. Ensuite il était modéré dans la conversation et il n’était pas dissolu dans la joie, d’où il dit : quand je leur souriais c’est-à-dire montrant quelques signes de joie ils n’en revenaient pas à savoir que j’étais accessible au rire. Semblablement il ne se laissait pas aller à la tristesse et il dit : la lumière de ma face ne fixait pas la terre, en effet les hommes que le chagrin oppresse tiennent le regard fixé en terre. Enfin il ne recherchait pas avidement les honneurs car il ne les désirait pas, d’où il dit : si j’allais chez eux, ce qu’il ne faisait pas facilement, je m’asseyais le premier, c’est-à-dire qu’auprès d’eux il était honoré; et cependant les honneurs ne le rendaient pas arrogant, d’où ce qu’il dit : je trônais comme un roi entouré de son armée, c’est-à-dire tous m’admirant de ci de là; j’étais cependant le consolateur de ceux qui sont tristes, comme ne les méprisant pas.

 

 

Caput 30

Job 30 — Discours de Job, sa détresse présente

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 30)

 

1 Et maintenant, je suis la risée d'hommes plus jeunes que moi, dont je n'aurais pas daigné mettre les pères parmi les chiens de mon troupeau. 2 Qu'aurais-je fait de la force de leurs bras? Ils sont privés de toute vigueur. 3 Desséchés par la misère et la faim, ils broutent le désert, un sol depuis longtemps aride et désolé. 4 Ils cueillent sur les buissons des bourgeons amers, ils n'ont pour pain que la racine des genêts. 5 On les écarte de la société des hommes, on crie après eux comme après le voleur. 6 Ils habitent dans d'affreuses vallées, dans les cavernes de la terre et les rochers. 7 On entend leurs cris sauvages parmi les broussailles, ils se couchent ensemble sous les ronces : 8 gens insensés, race sans nom, bannis avec mépris de la terre habitée!

9 Et maintenant je suis l'objet de leurs chansons, je suis en butte à leurs propos. 10 Ils ont horreur de moi, ils me fuient, ils ne détournent pas leur crachat de mon visage. 11 Ils se donnent libre carrière pour m'outrager, ils rejettent tout frein devant moi. 12 Des misérables se lèvent à ma droite, ils cherchent à ébranler mes pieds, ils frayent jusqu'à moi leurs routes meurtrières. 13 Ils ont bouleversé mes sentiers, ils travaillent à ma ruine, eux à qui personne ne porterait secours. 14 Ils fondent sur moi, comme par une large brèche, ils se précipitent parmi les décombres. 15 Les terreurs m'assiégent, ma prospérité est emportée comme un souffle, mon bonheur a passé comme un nuage.

16 Et maintenant, mon âme s'épanche en moi, les jours d'afflicition m'ont saisi. 17 La nuit perce mes os, les consume, le mal qui me ronge ne dort pas. 18 Par sa violence, mon vêtement a perdu sa forme, il me serre comme une tunique. 19 Dieu m'a jeté dans la fange, je suis comme la poussière et la cendre. 20 Je crie vers toi, et tu ne me réponds pas; je me tiens debout, et tu me regardes avec indifférence, 21 Tu deviens cruel à mon égard, tu m'attaques avec toute la force de ton bras. 22 Tu m'enlèves, tu me fais voler au gré du vent, et tu m'anéantis dans le fracas de la tempête. 23 Car, je le sais, tu me mènes à la mort, au rendez-vous de tous les vivants.

24 Cependant celui qui va périr n'étendra-t-il pas les mains et, dans sa détresse, ne poussera-t-il pas un cri? 25 N'avais-je pas des larmes pour l'infortuné? Mon cœur ne s'est-il pas attendri sur l'indigent? 26 J'attendais le bonheur, et le malheur est arrivé; j'espérais la lumière, et les ténèbres sont venues. 27 Mes entrailles bouillonnent sans relâche, les jours d'afflicition ont fondu sur moi. 28 Je marche dans le deuil, sans soleil; si je me lève dans l'assemblée, c'est pour pousser des cris. 29 Je suis devenu le frère des chacals, le compagnon des filles de l'autruche. 30 Ma peau livide tombe en lambeaux, mes os sont brûlés par un feu intérieur. 31 Ma cithare ne rend plus que des accords lugubres, mon chalumeau que des sons plaintifs.

1 Maintenant se moquent de moi de plus jeunes par l’âge dont je ne jugeais pas les parents dignes de garder les chiens de mon troupeau, 2 dont les mains n'ont aucune force pour moi, qu’on n'estimait pas digne de la vie. 3 stériles qu'ils étaient de privation et de faim, ils rongeaient dans la solitude accablés par la calamité et la misère. 4 Ils mangeaient des herbes et des écorces d’arbres, la racine du genévrier était leur nourriture. 5 Ces choses qu’ils arrachaient dans les gorges des vallées en trouvant quelqu’une y couraient avec des clameurs. 6 Ils habitaient les torrents désertiques, et les cavernes de la terre, et les graviers. 7 Ils y trouvaient leur bonheur, vivre sous les buissons était pour eux un délice. 8 Fils de sols et de roturiers, et sur la terre tout-à-fait ignorés. 9 Maintenant me voilà le sujet de leurs chants, je suis devenu pour eux une fable.' 10 Ils me repoussent avec horreur, ils s’éloignent, ils ne craignent pas de me cracher au visage. 11 C'est qu’il a ouvert son carquois, il m’a blessé, tout en mettant un frein à ma bouche. 12 A droite de l’Orient mes calamités subitement se sont levées; ils ont ébranlé mes pieds, les ont écrasés dans leur va et vient comme font les flots. 13 Ils ont anéanti mes chemins; m’ont tendu des embûches; ils ont prévalu et personne ne porte secours. 14 par une brèche et par une porte ouverte ils se ruent sur moi; sur mes malheurs ils se sont précipités. 15 Je suis réduit à rien; il emporte mon désir comme le vent et comme une nuée mon salut s’est envolé. 16 Et maintenant en moi-même languit mon âme et des jours d’affliction me saisissent. 17 Pendant la nuit la douleur transperce mes os, et ceux qui me dévorent, eux ne dorment pas. 18 Une multitude ronge mon vêtement, et comme un capuce d’une tunique ils m’entourent; 19 Je suis comparable à la boue, je suis assimilable à la braise et à la cendre. 20 Je crie vers toi et tu ne réponds pas; je me tiens là et tu ne regardes pas. 21 Pour moi tu t’es changé en bourreau et de ta main cruelle tu t’opposes à moi. 22 Tu m’as élevé, soulevé comme par le vent; tu m’as laissé tomber lourdement. 23 Je le sais, tu me livreras à la mort où est constituée la demeure de tout vivant. 24 cependant ce n’est pas pour leur disparition que tu étends ta main; et s’ils s’écroulent, tu les sauveras. 25 J’ai pleuré autrefois sur l’affligé; mon âme a compati au pauvre. 26 J'espérais du bien; le mal m’est arrivé : j’attendais la lumière, les ténèbres m’envahirent. 27 Mes entrailles s’échauffaient sans relâche; les jours de l’affliction m’ont prévenu. 28 Triste, je m’avançais sans colère, me levant je criais dans la foule. 29J'étais le frère des dragons, le compagnon des autruches. 30 Ma peau s’est noircie sur moi, mes os se dessèchent sous la fièvre, 31 En deuil s’est changée ma cithare, mon instrument en voix de ceux qui pleurent.

[84928] Super Iob, cap. 30 Nunc autem derident me iuniores tempore et cetera. Postquam enumeraverat multa ad prosperitatem pertinentia quae in tempore praecedenti habuerat, hic enumerat adversitates quas tunc patiebatur, et primo quidem contra gloriam et reverentiam pristinam ostendit se in praesenti contemptui haberi. Tanto autem aliquis gravius fert alicuius contemptum quanto fuerit persona contemnentis abiectior; unde ostendit eos a quibus contemnebatur esse abiectos multipliciter: primo quidem ex tempore, unde dicit nunc autem derident me iuniores tempore, contra id quod supra dixerat videbant me iuvenes et abscondebantur et senes assurgentes stabant. Secundo ex ignobilitate cum subdit quorum non dignabar patres ponere cum canibus gregis mei, idest non reputabam eos dignos ut eos assumerem ad ministeria domus meae quantumcumque infima, puta ad custodiam canum, quod per oppositum respondet ei quod supra dixerat principes cessabant loqui. Tertio quantum ad modicitatem potentiae, unde subdit quorum, scilicet deridentium vel etiam patrum ipsorum, virtus manuum mihi erat pro nihilo, idest omnem eorum potentiam quasi nihilum parvipendebam, et hoc per oppositum respondet ei quod supra dixerat vocem suam cohibebant duces. Quarto quantum ad inhonestatem, unde subdit et vita ipsa putabantur indigni, scilicet propter multitudinem gravium peccatorum, et hoc per oppositum respondet ei quod supra dixerat auris audiens beatificabat me et cetera. Quinto quantum ad paupertatem, unde subdit egestate, scilicet quantum ad rerum defectum, et fame, quantum ad afflictionem inde consequentem, steriles, idest fructificare non valentes, contra id quod supra de se dixerat petra fundebat mihi rivos olei. Sexto quantum ad gravem vitam quam ducebant, unde subdit qui rodebant in solitudine, idest grossis cibis utebantur quos in desertis quaerebant, puta glandibus aut aliis huiusmodi, eo quod fructus agrorum non habebant prae egestate; et huius victus effectus ostendit subdens squalentes, idest deturpati, calamitate, quantum ad afflictionem proprii corporis, et miseria, quantum ad adversitates exteriores. Exponit autem consequenter quid rodebant cum subdit et mandebant herbas, scilicet agrestes et crudas, et arborum cortices, et radix iuniperorum erat cibus eorum, in quibus grossitiem et vilitatem cibi ipsorum demonstrat. Ostendit autem consequenter quod nec in huiusmodi tam vilibus cibis abundabant, ostendens quod huiusmodi cibos acquirebant, et laboriose, quod significat cum dicit qui de convallibus ista rapientes, idest cum magna difficultate accipientes propter ascensum et descensum, et in parva quantitate, quod significat cum dicit cum singula reperissent, et cum quadam contentione, quod significat cum dicit ad ea cum clamore currebant, ut scilicet unus alium praeveniret; et omnia ista per oppositum respondent ei quod supra dixerat lavabam pedes meos butyro. Septimo ostendit eorum abiectionem ex parte habitationis, quia scilicet domos non habebant ad manendum, quod significat subdens in desertis habitabant torrentium, idest in alveis torrentium desiccatis in quibus se protegebant a calore, et in cavernis terrae, scilicet propter umbram, vel super glaream, scilicet propter refrigerium aquae vicinae vel propter mollitiem arenae; et hoc etiam eis iocundum videbatur quando talia loca invenire poterant ad manendum, unde subdit qui inter huiuscemodi laetabantur, quasi etiam talium locorum copiam non habentes; et si aliquando contingeret quod commodiora loca invenirent, hoc quasi deliciosum reputabant, unde subdit et esse sub sentibus, idest sub umbra parvarum arborum, delicias computabant, quia scilicet talis locus erat commodior ad manendum quam praemissa; hoc autem videtur respondere per oppositum ad id quod supra dixerat in nidulo meo moriar. Enumeratis autem per singula eorum miseriis, quasi epilogando colligit quod dictum est subdens filii stultorum, scilicet mente, et ignobilium, scilicet genere, et in terra penitus non parentes, idest nulla dignitate vel gloria conspicui. Consequenter exponit quid ab eis patiebatur, et primo quidem ostendit quod ab eis irridebatur ore, et in ludis, quod significat cum dicit nunc in eorum canticum versus sum, quia scilicet de eo faciebant irrisorias cantilenas; et in seriis, et quantum ad hoc subdit et factus sum eis in proverbium, quia scilicet in communi quasi proverbiis utebantur infortuniis Iob, inducentes eum in exemplum culpae et miseriae; secundo ostendit quomodo contemnebant eum corde cum subdit abominantur me, scilicet quasi vilem et immundum; tertio ostendit quomodo contemnebant eum facto, primo quidem inquantum eius praesentiam horrebant, unde subdit et longe fugiunt a me, contra id quod supra dixerat expectabant me sicut pluviam; secundo vero inquantum ei iniurias irrogabant: et faciem meam conspuere non verentur, scilicet in signum contumeliae et despectus. Et ne putaretur propter aliquam culpam commissam se in despectum venisse, ostendit causam praedicti contemptus ex parte divinae percussionis, ostendens primo quidem se divinitus afflictum cum dicit pharetram enim suam aperuit et afflixit me: ex pharetra sagittae extrahuntur quibus aliqui utuntur ad percutiendum; per sagittas autem intelliguntur divina flagella, secundum quod supra VI 4 dixerat sagittae domini in me sunt quarum indignatio ebibit spiritum meum; pharetra ergo Dei est divina dispositio ex qua hominibus adversitates proveniunt, quam apertam esse dicit propter abundantiam adversitatum ex quibus non solum exterius sed etiam interius se afflictum dicit. Secundo asserit se impeditum a Deo ne saltem verbo suas iniurias repellere possit, unde subdit et frenum posuit in os meum, quia scilicet per flagella divina auferebatur sibi fiducia respondendi cum alii ex ipsis flagellis argumenta sumerent contra eum. Ostendit autem consequenter huiusmodi adversitates esse sibi a Deo immissas ex eo quod praeter consuetum modum humanarum adversitatum advenerint, quod quidem primo ostendit ex loco unde adversitates advenerint. Solent enim, et praecipue in terris illis, impugnationes insurgere a parte Septentrionali, in qua habitabant barbarae nationes et homines magis feroces et bellicosi, secundum illud Ier. I 14 ab Aquilone pandetur omne malum; sed impugnatores beati Iob provenerunt ex parte meridiei ubi solent homines minus bellicosi et feroces habitare: dictum est enim supra quod eius adversitas incepit a Sabaeis qui tulerunt boves et asinas et pueros occiderunt, unde dicit ad dexteram orientis, idest ex parte meridiei quae est dextrum respectu orientis - si quis enim se ad orientem convertat meridies erit ei a dextro -, calamitates meae illico surrexerunt, idest statim a principio Sabaeis irruentibus. Secundo ostendit suas adversitates esse praeter communem modum quantum ad multiplicitatem impugnationis: impugnatus enim fuit et quantum ad amissionem bonorum ex quibus homo habet facultatem operandi, quae per pedes significatur, unde subdit pedes meos subverterunt, idest omnes facultates meas destruxerunt, et hoc fecerunt faciliter et totaliter, unde subdit et oppresserunt, scilicet praedictos pedes meos, semitis suis, quasi in suo transitu sine aliqua difficultate; et exemplum addit cum dicit quasi fluctibus: fluctus enim maris et subito cooperiunt terram sive navem et totaliter eam absorbent. Subversis autem pedibus, idest facultatibus, per consequens sequitur quod eius processus fuerint impediti, unde sequitur dissipaverunt itinera mea, idest omnes processus operum meorum. Ulterius etiam me in persona persecuti sunt, et dolose, quod significat cum subdit insidiati sunt mihi, et potenter, in hoc quod addit et praevaluerunt, et sine contradictione quia non fuit qui eos impediret in ipso facto, unde subdit et non fuit qui ferret auxilium, scilicet mihi dum ab eis opprimerer, nec etiam qui eos impediret ne ad me accederent, unde subdit quasi rupto muro et aperta ianua irruerunt super me, idest ac si nullum obstaculum fuisset, neque ex ipsa substantia negotii, quod significatur per murum, neque ex sollicitudine humana, quod significatur per ianuam; ad me autem tam libere intrantes non sunt miserti, unde subdit et ad meas miserias devoluti sunt, idest totaliter ad hoc intenderunt ut me miserum redderent. Tertio ostendit huiusmodi adversitates esse a Deo immissas ex effectu earum, quia scilicet per eas totaliter erat destitutus, unde subdit redactus sum in nihilum, quod dicit quia nihil ei de pristina prosperitate remanserat, quae quidem in duobus consistebat: uno quidem modo in exterioribus rebus quae per violentiam amiserat, unde subdit abstulit quasi ventus, scilicet per violentiam, desiderium meum, idest omne desiderabile quod in rebus exterioribus habebam; alio modo consistebat eius prosperitas in salute propriae personae, et quantum ad hoc subdit et velut nubes, idest subito et totaliter, pertransiit salus mea, scilicet meae personae. Ablatis autem desiderabilibus bonis, eius anima in tristitia remanebat, unde subdit nunc autem in memet ipso marcescit, scilicet per tristitiam, anima mea: non enim poterat non tristari, filiis et rebus amissis. Recedente autem salute corporali, consequens erat ut etiam corporalem dolorem sentiret qui nec in die dabat ei requiem, unde subdit et possident me dies afflictionis, idest corporalis doloris, qui etiam in nocte aggravabatur, unde subdit nocte os meum perforatur doloribus, quasi dicat: ita in nocte increscunt dolores mei quod videtur mihi quod perveniant usque ad ossium perforationem. Causam autem doloris ex vulneribus putrefactis fuisse ostendit, unde subdit et qui me comedunt, scilicet vermes ex putredine vulnerum generati, non dormiunt, quia scilicet nullam requiem ei dabant; et ut eorum multitudinem ostendat, subdit in multitudine eorum consumitur vestimentum meum, quasi dicat: tanta est vermium multitudo quod non solum carnem comedunt sed etiam vestimenta corrodunt; et ut ostendat eos non in una tantum parte corporis esse sed quasi per totum corpus usque ad caput diffundi, subdit et quasi caputio tunicae succinxerunt me, quasi dicat: prae multitudine non continentur sub velamine ligaturae et vestimenti sed prorumpunt in apertum et circumdant collum. Ex huiusmodi autem poena ostendit se abominabilem hominibus factum, unde subdit comparatus sum luto, ut scilicet mihi prae multitudine putredinis et vermium nullus appropinquare velit sicut nec luto, et assimulatus sum favillae et cineri, idest omnino deiectus et contemptui habitus. Solent autem qui ab hominibus despiciuntur auxilium habere a Deo, sed ipse a Deo relinquebatur in temporali adversitate, unde subdit clamabo ad te, scilicet continue petens liberari ab hac adversitate, et non exaudies me, scilicet tam cito; sto, idest persevero in orando, et non respicis me, scilicet ab adversitate liberando; et ita si considerarem tantum temporalem statum reputarem te crudelem et durum hostem, unde subdit mutatus es mihi in crudelem, secundum scilicet quod videtur ex exterioribus flagellis dum nec deprecanti parcis, et in duritia manus tuae adversaris mihi, scilicet graviter me affligendo. Et secundum quod ex exterioribus apparet, videtur quod in malum meum mihi pristinam prosperitatem concesseris, unde subdit elevasti me, scilicet tempore prosperitatis, et quasi super ventum ponens, idest in altissimo statu, instabili tamen ad modum venti, elisisti me valide, idest graviter me laesisti quasi de alto in terram proiciens. Et ne videretur haec ex desperatione dixisse, subdit scio quia morti trades me, quasi dicat: non patior haec quasi inexcogitata, scio enim quod adhuc ad ulteriorem defectum deducar, scilicet usque ad mortem; hoc autem dicit se scire propter condicionem mortalis vitae, unde subdit ubi constituta est domus omni viventi, quia videlicet ad mortem omnes homines tendunt sicut homo ad suam domum; nec tamen per mortem homo totaliter consumitur, quia remanet anima immortalis, unde subdit verum tamen non ad consumptionem eorum, scilicet hominum viventium, emittis manum tuam, ut scilicet per tuam potentiam eos in nihilum redigas, et si corruerint, scilicet per mortem, ipse salvabis, animas scilicet beatificando, et hoc de tua benignitate spero quantumcumque in temporalibus adversis mihi crudelis et durus videaris. His igitur praemissis de pristina prosperitate et subsecuta adversitate, quasi sub quodam compendio praemissa recolligit dicens flebam quondam, scilicet prosperitatis tempore, super eo qui afflictus erat, secundum illud apostoli Rom. XII 15 flere cum flentibus; et etiam compatiebar defectum patientibus, quod ostendit subdens et compatiebatur anima mea pauperi, scilicet non solum in affectu sed etiam in effectu, ut supra dixit; et pro his misericordiae operibus expectavi bona, scilicet prospera huius mundi secundum opinionem amicorum suorum, et venerunt mihi mala, idest adversa, per quod patet eorum sententiam esse falsam; praestolabar lucem, idest consolationem vel consilium quo a malis eriperer, et irruperunt tenebrae, scilicet amaritudinum et dubitationum. Exponit autem consequenter mala supervenientia, et incipit ab interioribus malis cum dicit interiora mea efferbuerunt absque ulla requie, quod potest referri ad infirmitatem interiorum viscerum procedentem ex inordinati caloris fervore, vel etiam ad afflictionem cordis procedentem ex fervore doloris; et ut huiusmodi inquietudinem nimis tempestivam ostenderet, subdit praevenerunt me dies afflictionis: omnes enim homines senectutis tempore affliguntur propter invalitudinem, sed ipse in iuventute fuerat praeventus afflictionibus. Deinde quantum ad exteriora subdit maerens incedebam, idest cum inter homines ambulavi post miseriam tristitiam praetendebam, sed licet tristitia sit causa irae haec tamen in me non fuit, unde subdit sine furore consurgens in turba clamavi, exponens scilicet meas miserias, quae scilicet partim erant ex defectu amicorum de quibus subdit frater fui draconum, idest illi qui me debebant ut fratrem diligere mordebant me ut dracones, et socius strutionum, qui scilicet solent oblivisci etiam proprii fetus: ita et ipsi obliti sunt mei ut mihi non subvenirent. Partim autem erat eius adversitas ex infirmitate corporali, unde primo quantum ad exteriora dicit cutis mea denigrata est super me, scilicet propter interiorem corruptionem humorum; deinde quantum ad interiora subdit et ossa mea aruerunt prae caumate, idest tanta vis inordinati caloris in me irruit quod quasi medullae ossium aruerunt. Partim autem consistebat eius adversitas in exterioribus tristitiae signis, unde subdit in quae commutata erant signa gaudii, quae quidem sunt vel musica instrumenta, et quantum ad hoc dicit versa est in luctum cithara mea, quasi dicat: succedit mihi luctus citharae qua ad iocunditatem utebar; vel sunt humanae vocis cantica, unde subdit et organum meum, quo scilicet utebar ad gaudium, in vocem flentium, scilicet versum est.

Après les choses prospères qu’il a connues au temps passé Job énumère maintenant les adversités dont il souffre. Et d’abord en regard de la renommée et du respect d’antan il montre l’actuel mépris où on le tient. Or le mépris pèse d’autant plus que celui qui en est l’auteur est plus abject; c’est pourquoi il montre que ses contempteurs sont abjects de bien des manières. D’abord quant à leur âge, et il dit : donc maintenant de plus jeunes se moquent de moi; au contraire de ce qu’il avait dit : les jeunes gens me voyant s’esquivaient et les vieillards se levant se tenaient debout (29, 8). En second lieu, quant à leur extraction dont les pères n’étaient pas dignes de garder les chiens de mon troupeau à savoir, je n’estimais pas qu’ils fussent capables des services les plus ordinaires de ma maison, soit la garde des chiens contrairement à ce qu’il a dit : les édiles cessaient leurs discours. En troisième lieu quant à leur peu de puissance desquels, c’est-à-dire les moqueurs ou leurs parents, les mains n’ont pour moi aucune valeur à savoir, je tenais pour rien toute leur puissance, ce qui est à l’opposé de ce qu’il disait plus haut : les chefs réprimaient leur voix (29, 10). En quatrième lieu quant à leur peu d’honnêteté et il dit : qu’on n'estimait pas dignes de la vie c’est-à-dire à cause de leurs nombreux et graves péchés; et cela par opposition à ce qu’il disait : celui qui entendait citer mon nom, me disait bienheureux (ib. 11). En cinquième lieu quant à leur pauvreté il dit : de privation c’est-à-dire les choses leur manquant, et de faim quant à l’affliction qui s’en suivait, stériles ils étaient incapables de faire du fruit; le contraire de ce qu’il était auparavant : de la roche coulait l’huile en ruisseaux (ib. 6). En sixième lieu quant à la vie pénible qu’ils menaient; d’où il dit : ils rongeaient dans la solitude à savoir absorbant des aliments grossiers qu’ils trouvaient dans des lieux déserts, comme les glands ou autres choses semblables, parce qu’ils ne disposaient pas du produit des champs à cause de leur misère; et le résultat d’une telle nourriture est qu’ils sont négligés, à savoir défigurés, par le malheur quant à l’affliction de leur propre corps, et la misère quant aux adversités extérieures. Il expose ce qu’ils rongeaient, lorsqu’il dit : ils mangeaient des herbes c’est-à-dire grossières et crues, et des écorces d’arbres et la racine de genévriers était leur nourriture, en quoi il montre combien grossiers et vils étaient leurs aliments. Et il montre après cela que même alors ils en trouvaient fort peu et à grand’peine; ce qu’il signifie en disant : choses qu’ils arrachaient aux gorges des vallées, à savoir avec beau coup de peine dans les escarpements et en petite quantité; ce qu’il signifie en disant : en trouvant quelqu’une et avec effort et pour cela il dit y couraient avec des clameurs c’est-à-dire l’un voulant devancer l’autre et tout cela il le met en opposition avec ce qu’il disait plus haut : je lavais mes pieds dans le caillé (29, 6). En septième lieu vient leur abjection du côté de l’habitation; car ils n’avaient pas de maisons pour demeure; ce qu’il indique en disant : ils habitaient les torrents désertiques, à savoir dans les méandres des torrents desséchés où ils se protégeaient de la chaleur; et les cavernes de la terre à cause de l’ombre; et les graviers c’est-à-dire à cause de l’eau fraîche toute proche et la douceur du sable; et cela leur paraissait même agréable de trouver de tels endroits pour y demeurer, d’où ce qu’il dit : ils y trouvaient leur bonheur comme si ces endroits étaient rares; et si parfois ils en trouvaient de plus commodes ils les trouvaient délicieux, d’où il dit : et vivre sous les buissons à savoir à l’ombre d’arbustes était pour eux un délice... Ceci se rapporte par opposition à ce qu’il disait plus haut : je mourrai dans mon petit nid (ib. 18). Toutes ces abjections énumérées l’une après l’autre, il conclut en épiloguant fils de sots pour l’intelligence, et de roturiers pour la naissance et sur terre tout-à-fait ignorés, à savoir inconnus, sans dignité ni renommée.

Il montre en conséquence ce qu’ils lui font endurer; et d’abord ils se moquent de lui par leurs paroles et dans leurs jeux; ce qu’il indique en introduisant maintenant me voilà devenu le sujet de leurs chants, c’est-à-dire qu’à son sujet ils composaient des cantilènes moqueuses; et dans des choses plus sérieuses il dit : je suis devenu pour eux une fable c’est-à-dire qu’ensemble ils citaient les infortunes de Job, comme de proverbes, le donnant en exemple pour ses fautes et pour ses malheurs. Ensuite ils le méprisent dans leur cœur, d’où il dit : ils me repoussent avec horreur comme un être vil et immonde. Enfin leur mépris se traduit en actes, en ce qu’ils repoussent sa présence; d’où ce qu’il dit : ils s’éloignent de moi, le contraire de ce qu’il a dit plus haut : ils m’attendaient comme la pluie (ib. 23); en ce qu’ils l’injurient, c’est-à-dire qu’ils ne craignent pas de lui cracher au visage en signe d’affront et de mépris. Pour qu’on ne croie pas que ce mépris vient de quelque faute commise, il prouve que la cause de ce mépris vient de la part de Dieu qui le frappe : il montre d’abord qu’il est affligé par Dieu en disant : il a ouvert son carquois, il m’a blessé. Du carquois on retire des flèches dont on se sert pour frapper; ici les flèches sont les fléaux de Dieu, selon ce qu’il avait dit au chapitre 6, 4 " Les flèches du Seigneur sont sur moi et leur virulence m’a coupé le souffle". Le carquois est donc la disposition divine d’où viennent aux hommes les adversités et qu’il nous dit : être ouvert par l’abondance des adversités par lesquelles il est éprouvé extérieure ment et intérieurement. Ensuite il affirme que Dieu l’a empêché de repousser les outrages, au moins en parole; d’où il dit : il a mis un frein à ma bouche, c’est-à-dire que les fléaux divins lui e la possibilité de répondre, puisque les autres à partir de ces fléaux prenaient argument contre lui.

Ces adversités sont envoyées par Dieu : la preuve en est qu’elles lui sont arrivées contrairement à ce qui arrive habituellement dans les adversités des hommes. Ce qu’il montre d’abord quant au lieu d’où ces adversités lui sont arrivées : en effet, principalement dans ces pays, les attaques viennent habituellement du côté du nord où habitent des nations barbares et des hommes plutôt féroces et belliqueux, comme le dit Jérémie " De l’Aquilon vient tout le mal" (1, 14); cependant les agresseurs du bienheureux Job venaient du midi où les hommes sont habituellement moins belliqueux et moins féroces. En effet on a vu plus haut que le malheur de Job a commencé par les Sabéens qui lui enlevèrent ses bœufs, ses ânes et tuèrent ses serviteurs, d’où il dit : à droite de l’Orient, soit du côté du midi qui est à droite quand on regarde l’orient ... mes malheurs se sont levés subitement, à savoir quand les Sabéens au début ont fait invasion.

Ensuite ces adversités furent au-delà de toute attente quant au grand nombre des attaques; on l’attaqua en effet en lui enlevant les biens qui permettent à l’homme de travailler; ce qu’il représente par les pieds, d’où il dit : ils ont ébranlé mes pieds, à savoir en détruisant tout ce que je possédais et ils firent cela aisément d’où il dit : ils ont écrasé c’est-à-dire mes pieds dans leurs sentiers comme y passant sans la moindre difficulté; et il ajoute : une figure comme des flots; en effet les flots de la mer envahissent subitement les terres ou un bateau qu’ils engloutissent entièrement. Ses pieds, c’est-à-dire ses ressources anéanties, la conséquence est que toute entreprise succombait d’où ce qui suit ils ont anéanti mes parcours à savoir tout progrès en mes entreprises. En outre ils m’ont persécuté personnellement et avec astuce, ce qu’il signifie en introduisant ils m’ont dressé des embûches, et avec puissance, en ce qu’il ajoute; et ils ont prévalu c’est-à-dire sans aucune opposition, parce que personne ne les en empêchait, d’où ce qu’il dit : et personne qui me portât secours, c’est-à-dire quand je suis opprimé; et aussi qui empêche qu’ils viennent jusqu’à moi, d’où il ajoute : comme par une brèche et comme par une porte ouverte ils se sont rué sur moi à savoir comme s’il n’y avait aucun obstacle, ni quant à la chose même, ce que signifie la brèche, ni quant à la vigilance humaine, ce que signifie la porte. Parvenus librement chez moi, ils n’ont fait aucun quartier, d’où ce qu’il dit : sur mes malheurs ils se sont rués à savoir, ils n’ont recherché qu’une chose : me rendre malheureux.

Enfin il montre que Dieu a envoyé ces malheurs vu leur résultat, parce que par eux il fut dépouillé de tout; d’où il dit : je suis réduit à rien c’est-à-dire qu’il ne lui reste rien de sa prospérité d’antan.

Celle-ci consistait en deux choses : d’une part dans les choses extérieures qu’il perdit par la violence, et pour cela il dit : comme le vent il emporte par la violence, mon espoir : tout ce qu’il y avait de désirable pour moi dans les choses extérieures; d’autre part dans sa propre personne et pour cela il dit : et comme une nuée à savoir totalement et subitement mon salut s’est envolé c’est-à-dire celui de ma personne. Ces biens qu’il désirait ayant été enlevés, son âme demeurait triste, d’où il dit : et maintenant en moi-même languit de tristesse mon âme; en effet pouvait-il ne pas être triste après la perte de ses fils et de ses biens? Avec la perte de la santé il devait fatalement souffrir corporellement, ce qui lui enlevait le repos, d’où il dit : et des jours d’affliction m’ont saisi, à savoir la douleur corporelle qui la nuit aussi l’accablait et il dit : pendant la nuit la douleur transperce mes os, comme pour dire : mes douleurs étaient telles qu’elles paraissaient transpercer mes os. Il montre que la cause de ces douleurs provient des plaies purulentes et il dit : et ceux qui me dévorent, c’est-à-dire les vers que les plaies purulentes engendrent, eux ne dorment pas; car ils ne lui accordaient aucun repos. Et pour montrer leur grande quantité il dit : leur multitude ronge mon vêtement comme s’il disait : si grand est leur nombre que non seulement ils dévorent ma chair mais encore rongent mes vêtements. Et pour montrer qu’ils sont partout dans son corps jusqu’à y compris la tête, il dit : et comme le capuce d’une tunique ils m’ont entouré, comme de dire : à cause de leur grand nombre ils ne se maintiennent pas sous l’enveloppe du vêtement mais ils se répandent à l’extérieur et entourent mon cou. Par là on peut concevoir combien il est en horreur aux hommes; d’où il dit : je suis comparable à la boue c’est-à-dire qu’à cause de la quantité de la pourriture et des vers, personne ne veut s’en approcher, comme on fait de la boue. Je suis semblable à de la cendre et à de la braise à savoir rejeté et méprisé.

Or ceux que les hommes rejettent, d’habitude trouvent leur refuge en Dieu; mais là aussi Dieu l’abandonne en son adversité temporelle, d’où ce qu’il dit : je crie vers toi, c’est-à-dire continuelle ment, je demande d’être libéré de l’adversité; et tu ne m’entends pas c’est-à-dire de sitôt; je me tiens là c’est-à-dire persévérant dans la prière, et tu ne regardes pas, à savoir pour me délivrer de l’adversité.

 Et ainsi si je m’arrêtais à la condition temporelle, je te tiendrais pour un ennemi cruel et dur; d’où il dit : pour moi tu t’es changé en bourreau, c’est-à-dire selon qu’il apparaît des fléaux extérieurs tandis que tu ne m’épargnes pas, même quand je t’implore. Et d’une main cruelle tu t’opposes à moi c’est-à-dire que tu m’affliges cruellement. Et selon toute apparence on dirait que tu ne m’as accordé la prospérité antérieure que pour m’affliger davantage, d’où ce qu’il dit : tu m’as élevé au temps de la prospérité, me soulevant comme par le vent, à savoir en une situation très élevée, fort peu stable, à la façon du vent et tu m’a laissé tomber lourdement, à savoir tu m’as blessé gravement comme me projetant de haut sur le sol. Et pour qu’on ne croie pas qu’il s’exprime ainsi en désespoir de cause, il dit : je le sais, tu me livre ras à la mort, comme s’il disait : je ne souffre pas cela comme de choses impensables, car je sais que je vais vers une autre issue, c’est-à-dire jusqu’à la mort. Or il dit : le savoir à cause de la condition mortelle de notre vie, d’où il dit où se trouve la demeure de tous les vivants, c’est-à-dire que tous les hommes vont vers la mort, comme celui qui va à sa demeure. Et l’homme n’est pas totalement détruit dans la mort, car il reste une âme immortelle; d’où ce qu’il dit : cependant non pour leur disparition, c’est-à-dire des hommes vivants émets-tu ta main, c’est-à-dire que tu les réduirais à néant par ta puissance; et s’ils s’écroulent, à savoir par la mort, tu les sauveras, c’est-à-dire en rendant leurs âmes bienheureuses; et c’est ce que j’espère de ta bonté quelque dur et cruel que tu me paraisses dans les adversités de ce temps.

Après avoir exposé sa prospérité d’autrefois et l’adversité qui l’a suivie il en fait comme un résumé en disant : je pleurais jadis, au temps de la prospérité, sur celui qui était affligé, comme on le lit " Pleurer avec ceux qui pleurent" (Rom. 12 compatissais aux souffrances des autres, ce qu’il montre en introduisant et mon à compatissait avec le pauvre, c’est-à-dire non seulement en pensée mais en acte, comme je l’ai déjà dit (29, 23)’ Et pour ces œuvres de miséricorde, j’espérais de bonnes choses c’est-à-dire les choses prospères de ce monde, selon l’opinion de mes amis, et du mal n’est arrivé à savoir l’adversité, par quoi l’on voit que leur sentence est fausse; j’attendais la lumière à savoir la consolation ou le conseil qui m’arracherait au mal, et les ténèbres m’envahirent : c’est-à-dire l’amertume et la désolation.

Il expose ensuite les maux qui survinrent; et il commence par les intérieurs lorsqu’il dit : mes entrailles s’échauffaient sans relâche : ce qui peut se rapporter à l’infirmité interne des entrailles produite par une trop grande chaleur, ou aussi à l’affliction du cœur que cause l’ardente douleur. Et pour montrer ce trouble trop inattendu il dit : m’ont prévenu les jours de l’affliction; en effet tous les hommes en leur vieillesse souffrent de leur invalidité; mais lui déjà dans sa jeunesse l’affliction l’a surpris. Ensuite quant aux maux extérieurs, il dit : triste je me déplaçais, à savoir quand je me trouvais avec les hommes, ma démarche était triste et malheureuse; mais bien que la tristesse cause la colère, cela ne m’est pas arrivé, d’où ce qu’il dit : sans colère, me levant, je criais dans la foule c’est-à-dire en exposant mes misères. Elles provenaient en partie de mes amis, dont il dit : j’étais le frère des dragons, c’est-à-dire de ceux qui devaient m’aimer comme des frères et qui me mordaient comme des dragons; et le compagnon des autruches celles-ci en effet délaissent souvent leur progéniture, eux aussi m’ont oublié et ne m’ont pas aidé. En partie l’adversité venait de son corps infirme : d’où d’abord quant aux maux extérieurs il dit : ma peau sur moi s’est noircie à cause de la corruption des humeurs; ensuite quant aux maux intérieurs il dit : la fièvre a desséché mes os à savoir : si grande est la fièvre que la moelle de mes os est comme desséchée. En partie son adversité est faite de signes extérieurs de tristesse en lesquels se sont changés les signes de sa joie; et ceux-ci sont ou des instruments de musique et pour cela il dit : en pleur s’est changée ma cithare, comme s’il voulait dire : pour moi a succédé le pleur de la cithare dont je me servais pour me recréer; ou bien ce sont les chants de la voix humaine, d’où il dit : et mon instrument (vocal) dont j’usais dans la joie, en voix de ceux qui pleurent, à savoir : il s’est changé.

 

 

 

 

Caput 31

Job 31 — Job demande justice

 

CONFÉRENCE 1 — Job : "J'étais chaste, juste et bon" (Job 31, 1-23)

 

1 J'avais fait un pacte avec mes yeux, et comment aurais-je arrêté mes regards sur une vierge. 2 Quelle part, me disais-je, Dieu me réserverait-il d'en haut? Quel sort le Tout-Puissant me ferait-il de son ciel? 3 La ruine n'est-elle pas pour le méchant, et le malheur pour les artisans d'iniquité? 4 Dieu ne connaît-il pas mes voies, ne compte-t-il pas tous mes pas?

5 Si j'ai marché dans le sentier du mensonge, si mon pied a couru après la fraude, 6 que Dieu me pèse dans de justes balances, et il reconnaîtra mon innocence!

7 Si mes pas se sont écartés du droit chemin, si mon cœur a suivi mes yeux, si quelque souillure s'est attachée à mes mains, 8 que je sème, et qu'un autre mange, que mes rejetons soient déracinés!

9 Si mon cœur a été séduit par une femme, si j'ai fait le guet à la porte de mon prochain, 10 que ma femme tourne la meule pour un autre, que des étrangers la déshonorent! 11 Car c'est là un crime horrible, un forfait que punissent les juges; 12 un feu qui dévore jusqu'à la ruine, qui aurait détruit tous mes bien. 13 Si j'ai méconnu le droit de mon serviteur ou de ma servante, quand ils étaient en contestation avec moi : 14 Que faire, quand Dieu se lèvera? Au jour de sa visite, que lui répondrai-je? 15 Celui qui m'a fait dans le sein de ma mère ne l'a-t-il pas fait aussi? Un même Créateur ne nous a-t-il pas formés?

16 Si j'ai refusé aux pauvres ce qu'ils désiraient, si j'ai fait languir les yeux de la veuve, 17 si j'ai mangé seul mon morceau de pain, sans que l'orphelin en ait eu sa part : 18 dès mon enfance il m'a gardé comme un père; dès ma naissance il a guidé mes pas.

19 Si j'ai vu le malheureux périr sans vêtements, l'indigent manquer de couverture, 20 sans que ses reins m'aient béni, sans que la toison de mes agneaux l'ait réchauffé; 21 si j'ai levé la main contre l'orphelin, parce que je me voyais un appui dans les juges, 22 que mon épaule se détache du tronc, que mon bras soit arraché de l'humérus. 23 Car je crains la vengeance de Dieu, et devant sa majesté je ne puis subsister.

1 J’ai fait un pacte avec mes yeux de ne jamais regarder une vierge. 2 Quelle part en effet aurait Dieu avec moi là-haut, quel héritage, le Tout-Puissant dans ses hauteurs? 3 N'est-ce pas la perdition pour l’impie et aliénation à ceux qui commettent le mal? 4 Est-ce que Lui ne considère pas mes voies, Ne compte-t-Il pas mes démarches? 5 Si j’ai marché dans la vanité, et si mes pieds se hâtaient vers le mensonge, 6 Qu'il me pèse dans la juste balance et que Dieu connaisse ma simplicité! 7 S'il je me suis écarté du chemin et si jamais mon cœur a suivi mes yeux ou qu’une tache adhérait à mes mains, 8 Alors un autre mange ce que j’ai semé, que ma progéniture- soit déracinée! 9 Si pour une femme mon cœur s’est égaré si j’ai été à l’affût à la porte d’un ami, 10 Que ma femme se prostitue à un autre que des étrangers s’inclinent devant elle! 11En effet c’est une impiété la plus grande des iniquités. 12 C'est un feu qui brûle jusqu’à la perdition et qui déracinera toute ma race. 13 Si j’ai méprisé la revendication de mon serviteur et de ma servante quand ils discutaient contre moi, 14 Que ferai-je en effet quand Dieu se lèvera et que lui répondre quand il interrogera? 15 Ne m’a-t-il pas fait dans le sein, comme lui, Le même qui m’a formé dans le sein maternel? 16 Si j’ai refusé aux pauvres ce qu’ils voulaient et fait attendre l’œil de la veuve; 17 Si seul j’ai mangé ma bouchée et que l’orphelin n’y a pas eu sa part; 18 Car depuis mon enfance a grandi avec moi la pitié, elle est sortie du sein de ma mère avec moi. 19 Si j’ai méprisé le voyageur qui n’était pas bien vêtu et le pauvre en haillons, 20 Si ses flancs ne n'ont pas remercié, mais des peaux de brebis il s’est réchauffé. 21 j’ai levé la main sur l’orphelin même quand je me voyais siéger à la porte, 22 Que mon épaule se détache de sa jointure, que mon bras et mes os se brisent. 23 Toujours en effet comme des flots en furie je craignais Dieu; et son poids je ne le pouvais porter.

[84929] Super Iob, cap. 31 Pepigi foedus et cetera. Postquam Iob narraverat pristinam prosperitatem et subsequentem adversitatem, hic consequenter innocentiam suam ostendit ne credatur propter peccata in adversitates incidisse. Incipit autem innocentiam suam ostendere per immunitatem a peccato luxuriae quod plures involvit; quod quidem peccatum in lubrico positum est, ut nisi aliquis principia vitet vix a posterioribus possit pedem retrahere; primum autem in hoc peccato est aspectus oculorum quo mulier pulchra aspicitur et praecipue virgo, secundum autem est cogitatio, tertium delectatio, quartum consensus, quintum opus. Voluit igitur Iob principia huius peccati excludere ut eo non involveretur, unde dicit pepigi foedus, idest in corde meo firmavi sicut pacta firmantur, cum oculis meis, ex quorum scilicet aspectu provenit concupiscentia mulierum, ita ab inspiciendis mulieribus abstinere ut nec cogitarem quidem de virgine, idest ut nec primum gradum interiorem attingerem, scilicet cogitationem: videbat enim esse difficile si in primum incideret, scilicet in cogitationem, quin in alia laberetur, scilicet in delectationem et consensum. Deinde ostendit quare tam sollicite hoc peccatum vitaverit, et primo quidem rationem assignat ex hoc quod per peccatum luxuriae homo maxime videtur a Deo discedere: accedit enim homo ad Deum per spirituales actus, qui maxime impediuntur per delectationem veneream, unde subdit quam enim partem haberet Deus desuper in me? Quasi dicat: intantum in me Deus partem habet inquantum ad superiora mea mens rapitur; si vero per luxuriam mens mea ad carnalem delectationem eiciatur, nullam partem in me Deus desuper habebit. Contingit autem quandoque quod etiam luxuriosi ad horam aliquid de Deo spiritualiter cogitant, sed mox per delectationis concupiscentiam ad ima revocantur, unde pars Dei in eis firma esse non potest quasi hereditas, unde subdit et hereditatem, idest firmam possessionem, in me scilicet ad inferiora prolapso, habere non poterit omnipotens de excelsis, idest qui in excelsis habitat; unde oportet quod hereditas eius sit in his qui sublimia petunt, scilicet spiritualia, non autem in his qui ad carnalia descendunt. Secundo ostendit causam quare luxuriae peccatum vitaverit ex damno quod homini infert, quod est duplex: unum quidem corporale, dum scilicet homo propter peccatum luxuriae incurrit periculum personae et rerum, unde subdit numquid non perditio est iniquo? Quasi dicat: iniquus qui hoc peccato involvitur in perditionem vadit; aliud vero damnum est impedimentum a bonis operibus, unde subdit et alienatio operantibus iniquitatem? Quia enim vehemens delectatio magis animum ad se trahit, inde est quod homines luxuriae dediti a bonis operibus discedunt, et etiam a bonis praedicationibus. Tertio assignat causam quam considerat ex parte divinae providentiae quae omnia facta hominum prospicit, et sic nullus potest a poena esse immunis, unde subdit nonne ipse considerat vias meas, idest processum meorum operum ad remunerandum? Nec solum totalem processum ipse cognoscit sed et singulas partes illius processus, unde subdit et cunctos gressus meos dinumerat? Idest omnia etiam modica quae in actibus meis reprehensibilia videntur suo iudicio examinat, et ita non transirem pro eis impunitus. Secundo mundat se a vitio dolositatis, utens in hoc et in omnibus subsequentibus quodam iuramento quod fit per execrationem, dum scilicet homo si non est verum quod dicitur obligat se ad poenam, unde dicit si ambulavi, idest si processi, in vanitate, idest in aliqua falsitate: dicuntur enim vana illa quae soliditatem non habent, soliditas autem maxima est per veritatem. Quomodo autem ambuletur in vanitate ostendit subdens et festinavit in dolo pes meus, idest affectus meus et quaecumque alia virtus animae est motionis principium; signanter autem dicit festinavit in dolo, quia scilicet homo per aliquas vias dolosas intendit velociter obtinere quod per viam veritatis cum magna difficultate obtineretur. Quod autem aliquis absque dolo ambulet considerari potest ex inspectione rectitudinis iustitiae a qua dolosus declinat, unde subdit appendat me in statera iusta, scilicet Deus, ut ex eius iustitia discernatur an ego in dolo processerim. Cum autem dolus praecipue in intentione cordis consistat, ille solus potest de dolo iudicare cui patet cordis intentio, scilicet Deus, unde subdit et sciat Deus simplicitatem meam, quae scilicet duplicitati dolositatis opponitur; dicit autem sciat Deus, non quasi de novo cognosciturus sed quasi de novo alios scire facturus, vel quia in ratione suae iustitiae hoc ab aeterno cognovit. Et quia universaliter a se dolum excluserat, descendit ad quaedam specialia peccata quibus aliquis dolose rebus alienis insidiatur, quod quidem contingit et in furto et in adulterio. In furto enim aliquis dolose insidiatur rebus possessis a proximo, et hoc excludit a se dicens si declinavit gressus meus de via, scilicet iustitiae contemnendo ipsam; ex quo sequitur quod homo res proximi insidioso oculo videat ad rapiendum, unde subdit si secutus est oculus meus cor meum, idest desiderium meum, quasi dicat: si ad hoc habendum oculus meus intendit quod cor desideravit; tertio autem contingit quod homo, contempta iustitia et intentione directa ad acquirendum quod cor concupiscit, adhibet homo manum ad rapiendum aliena, unde sequitur et manibus meis adhaesit macula, scilicet per ablationem rei alienae. Iustum est autem ut si quis bona aliena rapit, etiam bona eius ab aliis diripiantur, unde subdit seram et alius comedat, quasi dicat: si bona aliena rapui, bona mea ab aliis rapiantur, quod est execrationis iuramentum. Solent autem homines aliena rapere ut filiis suis divitias congregent, secundum illud Nah. II 12 leo cepit sufficienter catulis suis, et ideo iustum est ut homini qui aliena rapit non solum sua diripiantur sed etiam filii moriantur, unde subdit et progenies mea eradicetur, cui scilicet videretur rapina fuisse conservata. In adulterio vero homo uxori proximi dolose insidiatur, in quibus insidiis quaedam cordis deceptio praecedit, dum scilicet ratio per concupiscentiam obtenebratur, unde subdit si deceptum est cor meum super mulierem, scilicet alienam concupiscendam; ex quo autem cor a concupiscentia mulieris vincitur, consequens est ut mulierem concupitam quibuscumque dolis habere conetur, unde subdit et si ad ostium vicini mei insidiatus sum, ut scilicet eius uxore abuterer. Iuste autem puniri videtur qui alienam uxorem adulterio polluit quod etiam eius uxor ab aliis polluatur, unde subdit scortum alterius sit uxor mea, ut scilicet aliis se venalem exhibeat: ex quo sequitur quod alii ea abutantur, unde subdit et super illam incurventur alii, scilicet adulterium committendo. Quare autem hoc peccatum vitaverit ostendit subdens hoc enim nefas est, quia scilicet est contra statutum Dei qui virum et mulierem in matrimonio coniunxit; et, si consideretur humana iustitia, est iniquitas maxima, quia scilicet quanto est maius bonum quod subripitur tanto est iniustitia maior: si quis enim furaretur bovem, maior esset iniquitas quam si furaretur ovem, unde et maiori poena punitur, ut habetur Exodi XXII 1; ille autem qui adulterium committit maximum quid ei subtrahit, scilicet uxorem quae est una caro cum ipso, et prolem certam et per consequens totam patrimonii successionem, quae propter adulterium quandoque ad extraneum pervenit, unde subditur ignis est, scilicet adulterium, usque ad consumptionem devorans, quia scilicet defraudat hominem in toto patrimonio, ut dictum est, et omnia eradicans germina, dum scilicet filiorum successionem facit incertam, unde dicitur Eccli. XXIII 32 mulier omnis relinquens virum suum peccabit, statuens hereditatem ex alieno matrimonio. Sic ergo postquam expurgavit se de iniustitia quantum ad hoc quod aliis iniuriam non fecit nec in rebus subripiendis nec in persona coniuncta abutenda, excusat se consequenter quod iniustitiam non incurrit per iustitiae defectum, unde subdit si contempsi iudicium subire cum servo meo et ancilla mea cum disceptarent adversum me, quasi dicat: si minoribus meis iustitiam reddere contempsi, haec et illa gravia mihi accidant. Quare autem cum servis suis iudicium subire non contempserit, ostendit subdens cum surrexerit ad iudicandum dominus Deus, idest cum apparuerit iudicaturus ipse cuius iudicium modo despicitur, non haberem ad cuius auxilium vel consilium refugerem; nec etiam possem Deo rationabiliter in iudicio respondere, unde subdit et cum quaesierit, idest cum facta mea examinaverit, quid respondebo illi, idest quam rationem reddere potero quare cum servis meis iudicium subire noluerim? Quasi dicat nullam. Et hoc ostendit consequenter per hoc quod naturaliter est eadem condicio omnium hominum, unde subdit numquid non in utero fecit me qui et illum operatus est? Quasi dicat: eandem animam cum servis meis habeo a Deo creatam; corpus etiam meum eadem divina virtute formatum est, unde subdit et formavit me in vulva unus? Scilicet Deus qui et illum formavit, et ideo manifestum est quod cura est Deo qualiter illum tractem. Postquam igitur ostendit se non fuisse luxuriosum neque iniustum, consequenter ostendit se non fuisse immisericordem, quod quidem primo ostendit ex hoc quod beneficia miseris non subtraxit. Solent autem quidam pauperi eleemosynam petenti statim a principio negare quod petitur, quod a se excludit dicens si negavi pauperibus quod volebant; quidam vero non negant sed donum dare differunt, quod a se excludit dicens et oculos viduae expectare feci; alii vero non negant nec dare differunt quae petuntur sed nihil ex proprio motu darent, sed hoc a se excludit ostendens quod nec modicis solus voluit uti quin aliis communicaret, unde subdit si comedi buccellam meam solus et non comedit pupillus ex ea, et subintelligitur: haec vel illa gravia mihi accidant. Est autem considerandum quod valde signanter loquitur: pauperes enim non solum petere sed etiam instare solent, unde beneficium misericordiae non subtrahitur eis nisi per omnimodam negationem; viduae autem petunt quidem sed instare verentur, et ideo nisi cito eis subveniatur, misericordiae beneficio privantur; pupilli autem nec petere audent, unde oportet quod etiam eis non petentibus misericordia impendatur. Quare autem tam misericors fuerit ostendit ex duobus: primo quidem ex antiqua consuetudine quam a pueritia inchoavit, unde subdit quia ab infantia mea crevit mecum miseratio: quanto enim magis crescebat in annis, tanto magis in misericordiae operibus exercebatur; secundo quia naturalem inclinationem habebat ad misericordiam, sicut diversi homines ad diversas virtutes quasdam naturales inclinationes habere solent, unde subditur et de utero matris meae egressa est mecum, quia scilicet ex primis generantibus sic dispositus fui ut essem ad miserendum promptus. Solet autem duplex esse misericordiae impedimentum. Quorum primum est contemptus miseri quem non reputat miseratione dignum: consueverunt autem despici qui vilibus induuntur et honorari qui utuntur vestibus pretiosis, unde dicitur Eccli. XIX 27 quod amictus corporis enuntiat de homine; sed hoc misericordiae impedimentum a se excludit subdens si despexi praetereuntem, idest quemcumque extraneum per viam transeuntem, et pauperem, scilicet notum, eo quod esset absque operimento, subaudi: haec vel illa mihi accidant. Nec solum non despexi vestimentis carentem sed etiam de vestimentis providi, unde subdit si non benedixerunt mihi latera eius, quae scilicet discooperta operui et sic fuerunt occasio quod mihi benediceret; et rationem huius exponit subdens et de velleribus ovium mearum calefactus est, scilicet per vestimenta sibi exhibita, et est subaudiendum idem quod supra. Aliud autem impedimentum misericordiae est fiducia propriae potestatis, ex qua homini videtur quod impune possit alios gravare et maxime inferiores personas, et hoc a se excludit dicens si levavi super pupillum manum meam, ut scilicet eum opprimerem, etiam cum viderent me in porta, idest in loco iudicii, superiorem, idest magis potentem. Iustum est autem ut homo membris privetur quibus ad iniustitiam utitur, et ideo subiungit amissionem quasi poenam non solum manus sed etiam brachii in quo radicatur manus, et humeri cui brachium colligatur, unde subdit humerus meus a iunctura sua cadat et brachium meum cum suis ossibus conteratur, si scilicet manu mea sum abusus ad pauperum oppressionem. Ostendit autem consequenter quare licet esset superior super pupillos manum non levaret, quia scilicet etsi non dimitteret propter hominem dimitteret tamen propter Deum cuius et iudicia timebat, unde subdit semper enim quasi tumentes super me fluctus timui Deum, et loquitur ad similitudinem in mari navigantium qui, intumescentibus fluctibus super altitudinem navis, timent ne ab eis submergantur: similiter timebat comminationes divinas quasi fluctus intumescentes; et etiam auctoritati divinae cedebat ex qua prohibetur pupillorum oppressio, unde subdit et pondus eius, idest auctoritatem Dei protegentis pupillos, ferre non potui, quin scilicet ei me inclinarem. Si putavi aurum robur meum. Postquam Iob excusavit se de iniustitia et de immisericordia, hic consequenter excusat se de inordinato affectu ad divitias, quod quidem contingit dupliciter: uno modo per hoc quod homo nimis de divitiis confidit, et hoc excludit dicens si putavi aurum robur meum, ut in divitiis principaliter virtutem meam reputarem, et si obrizo, idest si auro purissimo, dixi: fiducia mea, scilicet tu es, contra id quod apostolus dicit I ad Tim. ult.: divitibus huius saeculi praecipe non sperare in incerto divitiarum; secundo deordinatur hominis affectus circa divitias per hoc quod nimis de divitiis gaudet, et ideo quantum ad divitias iam habitas subdit si laetatus sum, scilicet inordinate, super multis divitiis meis, quas sicut propria possederam; quantum autem ad acquisitionem divitiarum dicit et quia plurima reperit manus mea: solent enim homines de his quae de novo acquirunt magis gaudere. Deinde excusat se a peccato superstitionis, quod est contra Deum; colebant autem antiquitus idolatrae stellas caeli et praecipue luminaria propter maximam eorum claritatem, et hoc a se excludit dicens si vidi solem cum fulgeret et lunam incedentem clare, propter quae scilicet ab idolatris coluntur, et laetatum est in abscondito cor meum, quasi interiori cultu eis devotus existens; et quantum ad exteriorem cultum subdit et osculatus sum manum meam ore meo, quasi in eorum reverentiam. Et quare hoc vitaverit ostendit subdens quae est iniquitas maxima: si enim iniquum est ut id quod est uni homini debitum alteri exhibeatur, maxime videtur esse iniquum ut cultus Deo debitus exhibeatur creaturae; et quia impossibile est quod homo simul Deo et creaturae exhibeat latriam, ideo subdit et negatio contra Deum altissimum: etsi enim quibusdam creaturis nomen Dei per participationem attribuatur soli tamen Deo altissimo latriae cultus debetur, qui negatur altissimus si etiam aliis talis cultus exhibeatur. His igitur praemissis quae pertinent ad communem iustitiam, subiungit quaedam quae pertinent ad perfectionem virtutis, inter quae primo odium inimicorum excludit, quod maxime manifestatur quando aliquis gaudet, vel de totali ruina eius, et hoc excludit dicens si gavisus sum ad ruinam eius qui me oderat, vel de aliquo malo ei superveniente, quod excludit subdens et si exultavi quod invenisset eum malum, idest ex insperato ei supervenisset. Et quare hoc vitaverit ostendit subdens non enim dedi ad peccandum guttur meum ut expectarem maledicens animam eius: naturaliter enim homo desiderat ea de quibus gaudet et desiderium interius explicat verbis; consequens igitur est ut si aliquis de malis alicuius gaudeat, quod ea desideret et per consequens quod maledicendo ei malum imprecetur. Deinde perfectionem suae virtutis ostendit quantum ad superabundantiam bonorum quae aliis exhibuit, et primo quidem quantum ad domesticos suos dicit si non dixerunt viri tabernaculi mei: quis det de carnibus eius ut saturemur? Cum enim aliquod animal est delectabile ad usum comestionis, desiderant homines eius carnibus saturari: per hoc ergo dat intelligere quod eius conversatio tam fuit suis domesticis grata quod eius carnali praesentia cuperent saturari. Quantum autem ad extraneos subdit foris non mansit peregrinus, quin scilicet in domo mea reciperetur, ostium meum viatori patuit, ut scilicet ei non esset difficilis ingressus. Ulterius procedit ad ostendendam suae virtutis perfectionem quantum ad exclusionem timoris indebiti. Solent autem homines propter confusionis timorem interdum contra iustitiam suam culpam occultare, vel eam negando, quod a se excludit dicens si abscondi quasi homo, idest sicut homines solent facere, peccatum meum, illud scilicet indebite negando; vel excusando, vel etiam astutiis aliquibus palliando, unde subdit et celavi in sinu meo, idest per aliquam occultam simulationem, iniquitatem meam, cum scilicet eam confiteri tenerer. Consequenter autem excludit a se inordinatum timorem corporalium periculorum, qui quidem maxime solet procedere ex multitudine contra hominem insurgente, secundum illud Eccli. XXVI 5 a tribus timuit cor meum: zelaturam civitatis et collectionem populi etc., unde dicit si expavi ad multitudinem nimiam; additur autem ad hunc timorem si homo despiciatur a propinquis a quibus iuvari debuerat, unde subdit et despectio propinquorum terruit me. Solent autem homines impavidi in contrarium incedere per praesumptionem, et quandoque quidem saltem verbis loquuntur contra fortiores, et hoc a se excludit dicens et non magis tacui, quandoque autem ulterius procedunt ut praesumptuose multitudinem adversariorum invadant, sed hoc excludit dicens nec egressus sum ostium. Et quia multa et magna de se dixerat, super his divinum testimonium invocat, unde subdit quis mihi tribuat adiutorem, qui scilicet mecum interpellet ad Deum? Et ad quid adiuvari velit ostendit subdens ut desiderium meum audiat omnipotens; et quod sit suum desiderium exponit subdens et librum scribat, scilicet meae accusationis vel commendationis super praemissis, ipse qui iudicat, scilicet omnes actus humanos, scilicet interiores et exteriores. Et si quidem per huius libri testimonium, idest per certam veritatis manifestationem, ego culpabilis appaream, volo portare poenam, unde subdit in humero meo portem illum; si vero manifestata veritate commendabilis appaream, exinde praemii coronam accipiam, unde subdit et circumdem illum quasi coronam mihi, per quod dat intelligere suum desiderium esse ut qui iniuste condemnabatur ab amicis iusto Dei iudicio reservetur. Praedicto autem libro divini testimonii se non contradicturum promittit, unde subdit per singulos gradus meos, idest processus operum meorum, pronuntiabo illum, idest confitebor veritatem divini testimonii; nec recusabo subire sententiam secundum testimonium divinum, unde subdit et quasi principi offeram illum, scilicet gratanter ferens ut secundum divinum testimonium cum eo agatur. Deinde excludit a se vitium superfluae cupiditatis etiam in rebus acquirendis ex propriis possessionibus, quod quidem dupliciter manifestatur: uno modo per hoc quod homo per nimium cultum superfluos fructus a suis possessionibus extrahere nititur, et ad hoc excludendum metaphorice subdit si adversum me terra mea clamat, quasi non permiserim eam quiescere sed nimis eam coluerim, unde subdit et cum ipsa sulci eius deflent, et loquitur per similitudinem hominis qui nimis angariaretur. Alio modo manifestatur superflua cupiditas per hoc quod homo operariis denegat pretium laboris, unde subdit si fructus eius comedi absque pecunia, scilicet soluta operariis, et animam agricolarum eius afflixi, scilicet vel nimis cogendo ad laborandum vel mercedem subtrahendo. Est autem debitum ut qui superflua et inconsueta cupit etiam debita et consueta perdat, unde subdit pro frumento, quod scilicet seminatur ad victum hominum, oriatur mihi tribulus, qui scilicet non solum est inutilis sed pungitivus, et pro hordeo, quod scilicet seminatur in cibum iumentorum, spina, quae scilicet etiam iumenta pungendo laedit. Quibus praemissis subditur epilogus cum dicitur finita sunt verba Iob, quia scilicet ad suae sententiae assertionem nihil post hoc proposuit.

Après avoir raconté sa prospérité d’autrefois et l’adversité qui l’a suivie Job montre maintenant son innocence afin qu’on ne croie pas que cette adversité viendrait de ses péchés. Il montre d’abord son innocence par l’immunité du péché de luxure qui en entraîne beaucoup. Or ce péché est plein d’écueils de sorte que sans se prémunir dès les dé buts on ne peut guère s’en débarrasser dans la suite. C’est d’abord le regard qui s’attarde sur une belle personne, surtout si elle est vierge; deuxièmement la pensée; troisièmement, le plaisir; quatrièmement, le désir; et cinquièmement, l’acte. Job a donc voulu dès les débuts s’opposer à ce péché pour ne pas y être entraîné, et donc il dit : j’ai fait un pacte, à savoir en mon cœur j’ai décidé, comme se décident les pactes, avec mes yeux dont le regard suscite le désir des femmes, ainsi de m’abstenir de les regarder, afin de ne pas penser à une vierge, à savoir, afin de ne pas arriver au premier degré intérieur qui est la pensée; il était en effet difficile, s’il tombait dans le premier degré, soit la pensée, de ne pas tomber dans les autres, c’est-à-dire le plaisir et le consentement.

Il montre alors pourquoi avec tant de soin il voulut éviter ce péché : c’est d’abord que le péché de luxure avant tout éloigne l’homme de Dieu. Or l’homme s’approche de Dieu par des actes spirituels qui sont surtout empêchés par le plaisir charnel; d’où il dit : quelle part en effet Dieu aurait-il avec moi d’en haut? Comme pour dire : Dieu a autant de part en moi que mon esprit est soulevé vers les choses supérieures; mais si mon esprit se rabaisse par la luxure vers le plaisir charnel, Dieu n’aura d’en haut aucune part en moi. Or il arrive parfois que même les luxurieux pensent un moment à Dieu spirituellement mais bientôt l’attrait du plaisir les appelle vers le bas et donc la part de Dieu ne peut être ferme en eux comme l’est un héritage; d’où il dit : et l’héritage, à savoir sa ferme possession, en moi, tombé dans les bas-fonds, le Tout-Puissant ne pourra l’avoir là-haut à savoir, qui habite les hauteurs. D’où il faut que son héritage se trouve chez ceux qui gagnent les cimes, c’est-à-dire les choses spirituelles non en ceux qui descendent vers les choses charnelles. En second lieu la cause pour laquelle il a évité la luxure est le dommage qu’elle inflige à l’homme et il est double; l’un qui est corporel c’est-à-dire quand l’homme à cause de la luxure encourt un péril pour sa personne et pour ses biens et donc il dit : n’est-ce pas la perdition pour l’impie? Il veut dire : l’impie qui est entraîné en ce péché va à sa perte; l’autre dommage est l’empêchement au bien et donc il dit : et aliénation pour ceux qui font le mal car l’intensité du plaisir exerce une forte attraction sur le cœur; d’où vient que ceux qui sont adon nés à la luxure abandonnent les bonnes œuvres et même les salutaires prédications. En troisième lieu il considère la cause du côté de la divine providence qui connaît toutes les actions des hommes, de sorte que personne ne peut échapper au châtiment et donc il dit : est-ce que Lui ne considère pas mes voies à savoir le progrès de mes œuvres pour les récompenser? Non seulement il connaît tout ce processus mais aussi chacune de ses parties, d’où ce qu’il dit : ne compte-t-il pas mes démarches? C’est-à-dire toutes les choses même les plus petites qui dans mes actes sont répréhensibles il les soumet à son jugement; et ainsi je ne resterai pas impuni.

Ensuite il est pur de toute tromperie; et à partir d’ici, et en ce qui va suivre, il emploie le serment sous forme d’exécration : c’est-à-dire que s’il ne dit pas la vérité, il se condamne au châtiment et donc il dit : si j’ai marché, à savoir si j’ai agi dans la vanité, à savoir dans quelque tromperie; vaines en effet sont ces choses qui manquent de solidité; or la plus grande solidité est dans la vérité. Et il montre comment on marche dans la vanité en introduisant et si mes pas se hâtaient dans la tromperie, à savoir mon cœur et tout autre faculté de l’âme qui est principe de mouvement; il dit : pertinemment se hâter dans la tromperie parce que l’homme est dit se hâter quand par des voies trompeuses il cherche à obtenir rapidement ce qu’il ne peut obtenir que difficilement par la voie de la vérité. Or on peut savoir si quelqu’un marche sans tromperie, en examinant la droite justice dont le trompeur s’écarte; d’où il dit : qu’il me pèse dans une juste balance c’est-à-dire Dieu pour que par sa justice on sache si j’ai marché dans la fausseté. Et comme la fausseté consiste surtout dans l’intention du cœur, celui-là seul peut en juger qui connaît le cœur de l’homme et c’est Dieu, et donc il dit : et que Dieu connaisse ma simplicité qui est le contraire de la duplicité et de l’astuce. Il dit : pour que Dieu connaisse, non comme s’il allait connaître pour la première fois mais comme s’il le faisait connaître pour la première fois aux autres ou parce qu’il le connaît de toute éternité en raison de sa justice.

Et comme il a exclu la tromperie en général il descend en quelques péchés particuliers par lesquels on convoite astucieusement le bien d’autrui. Ce qui arrive dans le vol et l’adultère : dans le vol en effet on convoite ce que le prochain possède et il l’exclut pour lui si je me suis écarté du chemin à savoir de la justice en la méprisant; ce qui a pour effet que l’homme regarde d’un œil de convoitise les choses du prochain afin de s’en emparer; d’où il dit : et si jamais mon œil a suivi mon cœur, à savoir mon désir, comme s’il disait : si mon œil a voulu avoir ce que le cœur désirait. Il arrive qu’ayant méprisé la justice et l’intention s’étant attachée à posséder ce que le cœur désire, on en arrive à mettre la main sur le bien d’autrui; d’où ce qui suit et qu’une tache adhérait à mes mains en enlevant la chose d’autrui : or il est juste que si l’on prend le bien d’autrui les biens du voleur lui soient enlevés par d’autres et donc ce qu’il dit : qu’un autre mange ce que j’ai semé; comme s’il disait : si j’ai volé les biens des autres, que d’autres volent les miens; ce qui est le serment d’exécration. Or les hommes volent ordinairement pour amasser des richesses pour leurs enfants, comme l’écrit le prophète Nahum." Le lion a capturé suffisamment pour ses petits" (2, 13) et donc il est juste qu’à celui qui a volé, non seulement on lui enlève ses biens, mais aussi que ses fils meurent, d’où il dit : que ma progéniture soit déracinée c’est-à-dire à moi qui avais gardé le fruit de la rapine.

Dans l’adultère l’homme convoite malicieusement la femme du prochain; cette convoitise est précédée d’un égarement du cœur, c’est-à-dire que la passion a obscurci la raison, d’où ce qu’il dit : si pour une femme mon cœur s’est égaré c’est-à-dire afin de désirer une autre. De ce que le cœur est vaincu en convoitant une femme il s’en suit qu’on essaie par toutes les ruses de posséder la femme convoitée et donc il dit : si j’ai été au guet à la porte d’un voisin c’est-à-dire pour commettre l’adultère. Il est juste que soit puni celui qui a souillé par l’adultère la femme d’un autre et donc que sa femme soit souillée par d’autres d’où il dit : que ma femme se prostitue à un autre c’est-à-dire qu’elle fasse commerce de son corps. D’où il suit que d’autres en abuseront et donc ce qu’il dit : que des étrangers s’inclinent devant elle c’est-à-dire en commettant l’adultère. Il montre pourquoi il a évité ce péché en disant : en effet c’est une impiété parce que c’est contre l’institution de Dieu qui a uni l’homme et la femme par le mariage.

Et du côté de la justice humaine c’est la plus grande des iniquités, c’est-à-dire que plus grand est le bien qu’on enlève plus grande aussi est l’injustice; en effet si on vole un bœuf l’injustice est plus grande que si on vole une brebis, d’où la peine sera plus grande comme on le lit dans l’Exode "Cinq bœufs pour un bœuf volé et quatre brebis pour une brebis" (22, 1). Or celui qui commet l’adultère enlève quelque chose de très grand c’est-à-dire l’épouse qui est une chose avec l’homme, et il rend sa progéniture incertaine et par suite toute la succession du patrimoine qui parfois à cause de l’adultère revient à un étranger; et donc il dit : c’est un feu à savoir l’adultère qui dévore jusqu’à la perdition, c’est-à-dire qu’il frustre l’homme dans tout ce qu’il tient par droit successoral, comme je viens de le dire; et qui déracinera toute ma race c’est-à-dire qu’il rend incertaine la filiation, d’où il est écrit : "Toute femme qui abandonne son mari péchera, aussi celle qui fait un héritier d’une union étrangère " (Ecu. 23, 32).

Ainsi donc après s’être disculpé de l’injustice quant à ce qu’il n’a fait aucune injure aux autres ni dans le vol, ni en abusant du conjoint, il se disculpe ensuite d’une injustice par défaut en ce qu’il dit : si j’ai méprisé la revendication de mon serviteur et de ma servante quand ils discutaient contre moi, comme pour dire, si je n’ai pas voulu tenir compte de la justice envers mes inférieurs, que ceci ou cela m’arrive en châtiment. Et pourquoi n’a-t-il pas refusé d’entendre la revendication de ses serviteurs, il le dit : que ferai-je en effet quand Dieu se lèvera pour juger? à savoir lorsque lui même viendra juger, dont maintenant je méprise la sentence, je n’aurai personne à qui recourir pour un conseil ou un secours; et que lui répondre? à savoir quel compte pourrai-je lui rendre quant il interrogera, quand il examinera mes actes et pourquoi je n’ai pas voulu entendre les revendications de mes serviteurs; il veut dire : je n’aurai rien à répondre. Et il prouve cela ensuite en ce que les hommes sont naturellement des égaux et donc il dit : ne m’a-t-il pas fait dans le sein, comme lui? Comme s’il disait : avec mes serviteurs j’ai la même âme créée par Dieu; mon corps aussi a été formé par la même vertu divine, d’où il dit : le même qui m’a formé dans le sein c’est-à-dire Dieu qui l’a aussi formé; et c’est pourquoi il est évident que Dieu s’informera comment j’ai traité mon serviteur.

Donc après avoir montré qu’il n’a pas été luxurieux, ni injuste, il montre ensuite qu’il n’a pas été impitoyable. Ce que d’abord il montre en ce qu’il n’a pas soustrait ses bienfaits aux malheureux. Or il y en a qui refusent l’aumône aussitôt qu’un pauvre la leur demande et il exclut cela si j’ai refusé aux pauvres ce qu’ils voulaient. Il y en a qui ne refusent pas, mais qui toutefois remettent à plus tard, ce qu’il exclut en disant : si j’ai fait attendre les yeux de la veuve. Enfin d’autres ne refusent pas ni ne diffèrent pas l’aumône mais ne donnent rien de leur superflu; cela aussi il l’exclut montrant que jusque dans les moindres choses il n’en a usé qu’en les partageant avec d’autres donc il dit : si seul j’ai mangé ma bouchée, si l’orphelin n' a pas eu sa part, et il sous-entend : que tel ou tel malheur m’arrive. Il faut remarquer qu’il s’exprime avec beaucoup de pertinence; en effet les pauvres non seulement demandent, mais ils insistent et donc on ne leur refuse l’aumône que si on leur oppose une totale négation; les veuves demandent mais ont honte d’insister, et donc à moins de les aider aussitôt les voilà frustrées du bienfait de l’aumône; quant aux orphelins ils n’osent même pas demander; il faut donc leur témoigner notre pitié sans qu’ils aient à demander. Pourquoi il fut si bon pour les malheureux il le montre en deux choses : d’abord que dès son enfance c’était devenu une habitude, d’où ce qu’il dit : car depuis mon enfance a grandi avec moi la pitié, en effet plus il grandissait en âge plus aussi il pratiquait les œuvres de miséricorde; ensuite c’était chez lui une inclination naturelle comme d’autres pour les diverses vertus naturelles; d’où il dit : elle est sortie du sein de ma mère avec moi c’est-à-dire que à partir de ceux qui m’ont engendré je fus disposé à exercer sans tarder la charité envers les malheureux.

Il y a ordinairement deux obstacles à la miséricorde, dont le premier est le mépris du malheureux qu’on ne juge pas digne de pitié. Or sont ordinairement méprisés ceux qui ont des habits de peu de prix et sont honorés ceux qui sont vêtus richement; d’où dans l’Ecclésiastique on lit "Le vêtement fait connaître l’homme" (19, 27); mais il exclut cet empêchement et il dit : si j’ai méprisé le passant à savoir tout étranger de passage parce qu’il n'avait pas de vêtement à savoir neuf, et le pauvre en haillons sous-entendu que ceci ou cela m’arrive. Non seulement je n’ai pas méprisé celui qui est mal vêtu, mais je l’en ai pourvu; d’où il dit : si ses flancs ne m’ont pas remercié, c’est-à-dire que j’ai couverts comme ils étaient à nu, et ce fut l’occasion qu’on me bénisse. Et il en donne la raison et de peaux de brebis il s’est réchauffé c’est-à-dire par les vêtements que je lui donnai; et on sous- entend comme plus haut. L’autre obstacle à la miséricorde est la suffisance que donne la propre puissance et qui fait qu’or) juge pouvoir incommoder les autres et surtout les inférieurs; et il exclut cela pour lui si j’ai levé la main sur l’orphelin à savoir si je l’ai opprimé, même quand je me voyais à la porte c’est-à-dire au lieu du jugement, plus élevé à savoir plus puissant. Il est juste que l’on soit privé des membres dont on a usé pour l’injustice; et donc il parle de leur perte comme châtiment, non seulement de la main du bras où s’enracine la main, et de l’épaule à laquelle le bras est relié, t donc ce qui suit que mon épaule se détache de sa jointure, que mon bras et mes os se brisent c’est-à-dire si j’ai abusé de ma main pour opprimer le pauvre. Il montre ensuite bien qu’il fut supérieur, qu’il n’a pas menacé l’orphelin; c’est-à-dire que s’il ne l’acquittait pas à cause des hommes, il l’acquittait à cause de Dieu dont il craignait le jugement et donc il dit : toujours en effet comme des flots en furie sur moi, ainsi je craignais Dieu; il se compare à ceux qui naviguent en mer tandis que les flots déchaînés surmontent le vaisseau, et qui craignent d’être submergés; semblablement il craignait les menaces divines comme de flots déchaînés. Et il se soumettait à l’autorité divine qui lui interdisait d’opprimer l’orphelin : d’où il conclut et son poids, à savoir de l’autorité divine je n’ai pu le porter sans que je m’incline.

 

CONFÉRENCE 2 — Job montre ce qu'il était (Job 31, 24-38)

24 Si j'ai mis dans l'or mon assurance, si j'ai dit à l'or pur : "Tu es mon espoir; " 25 si je me suis réjoui de l'abondance de mes biens, des trésors amassés par mes mains; 26 si, en voyant le soleil jeter ses feux, et la lune s'avancer dans sa splendeur, 27 mon cœur s'est laissé séduire en secret, si ma main s'est portée à ma bouche, 28 c'est là encore un crime que punit le juge; j'aurais renié le Dieu très-haut.

29 Si j'ai été joyeux de la ruine de mon ennemi, si j'ai tressailli d'allégresse quand le malheur l'a frappé : 30 Non, je n'ai pas permis à ma langue de pécher, en demandant sa mort avec imprécation!... 31 Si les gens de ma tente ne disaient pas : "Où trouver quelqu'un qui ne soit pas rassasiés de sa table?" 32 si l'étranger passait la nuit en dehors, si je n'ouvrais pas la porte au voyageur!... 33 Si j'ai, comme font les hommes, déguisé mes fautes, et renfermé mes iniquités dans mon sein, 34 par peur de la grande assemblée, par crainte du mépris des familles, au point de me taire, et de n'oser franchir le seuil de ma porte!... 35 Oh! Qui me fera trouver quelqu'un qui m'écoute? Voilà ma signature : que le Tout-Puissant me réponde! Que mon adversaire écrive aussi sa cédule! 36 On verra si je ne la mets pas sur mon épaule, si je n'en ceins pas mon front comme d'un diadème! 37 je rendrai compte à mon juge de tous mes pas, je m'approcherai de lui comme un prince. 38 Si ma terre crie contre moi, si j'ai fait pleurer ses sillons; 39 si j'ai mangé ses produits sans l'avoir payée, si je l'ai arrachée à ses légitimes possesseurs, 40 qu'au lieu de froment il y naisse des épines, et de l'ivraie au lieu d'orge!

Ici finissent les discours de Job.

24 Si j’ai mis ma force dans l’or, et dit à l’or d’Ophir : tu es ma sécurité; 25 Si je me délectai de mes nombreuses richesses et de beaucoup d’autres que mes mains ont trouvées; 26 Si j’ai contemplé le soleil dans son éclat et la lune progressant dans sa clarté; 27 Si dans le secret mon cœur s’en est réjoui jusqu’à baiser ma main de ma bouche; 28 Cela aussi est une très grande iniquité : le reniement contre le Dieu très-haut. 29 Si je me suis réjoui de la ruine de mon ennemi et exulté que le malheur l’ait visité. 30 En effet je n'ai pas permis à mon gosier de pécher en attendant de maudire son âme. 31 Si les gens de ma tente n’ont pas dit : qui nous donnera d’être rassasiés de ses chairs? 32 Le voyageur n'est pas resté dehors; ma porte était ouverte au pèlerin. 33 Si j’ai caché aux hommes mes péchés; si j’ai caché en mon sein mon injustice. 34 Si j’ai tremblé devant les rassemblements, si le mépris des proches m’a effrayé; j’ai préféré me taire, je ne suis pas sorti. 35 Qui me procurera un avocat pour que le Tout-Puissant écoute mon désir et écrive un libelle, lui qui juge? 36 Que je le porte sur mes épaules ou que je m’en serve comme d’une couronne. 37 Pour chacun de mes pas je le confesserai; et comme à un prince je lui ferai hommage. 38 Si la terre crie contre moi, et avec elle pleurent les sillons, 39 Si j’ai mangé mon fruit sans le paver, si j’ai affligé l’âme des travailleurs, 40 Qu'au lieu de froment me viennent des orties et pour l’orge, des épines. Ici se terminent les paroles de Job.

Après qu’il s’est lavé de l’injustice et de la dureté de cœur, Job ici s’explique quant à l’affection désordonnée des richesses. Ce qui peut se produire de deux manières : d’abord en ce que l’homme se confie trop dans les richesses et il écarte cela en disant : si j’ai mis ma force dans l’or de sorte que je mette principalement ma vertu dans la possession des richesses; et si à l’or d’Ophir, à savoir, à l’or le plus pur, j’ai dit : “tu es ma sécurité” contrairement à ce que dit l’Apôtre "Recommande aux riches du siècle de ne pas mettre leur espérance dans des richesses incertaines", (1 Tim. 6, 17). Ensuite l’affection de l’homme pour les richesses est désordonnée en ce qu’il se réjouit trop de les posséder; et donc quant aux richesses qu’il possède déjà il dit : si je me suis réjouis c’est-à-dire de manière désordonnée de mes nombreuses richesses comme si je les avais en propre; quant à l’acquisition des richesses il dit : et parce que ma main en a trouvé de plus grandes encore, en effet les hommes ordinairement se réjouis sent davantage de celles qu’ils acquièrent de nouveau.

Ensuite il s’explique sur l’accusation de superstition : ce qui est contre Dieu. Or dans l’antiquité les idolâtres vouaient un culte aux étoiles du ciel et aux principaux luminaires à cause de leur très grande clarté et il l’exclut pour lui-même en disant : si j’ai vu le soleil dans son éclat et la lune progressant dans sa clarté, ce qui fait que les idolâtres leur vouent un culte et que mon cœur s’en est réjoui secrètement comme leur adressant un culte intérieur. Et quant au culte extérieur il dit : jusqu’à baiser ma main comme en signe de respect. Et il dit : pourquoi il a voulu l’éviter en disant : ce qui est une très grande iniquité. En effet c’est déjà injuste de témoigner à quelqu’un ce qui est dû à un autre; rien donc de plus injuste que le culte qui est dû à Dieu soit rendu à une créature. Et parce qu’il est impossible que l’homme adore en même temps Dieu et la créature il dit : et le reniement du Dieu très haut : si en effet le nom de Dieu est attribué à des créatures par participation, cependant à Dieu seul revient l’adoration qui est le culte le plus élevé, lui qui est appelé le Très-Haut, il ne serait plus le Très-Haut si un tel hommage était rendu à d’autres.

Après ces préambules qui ressortissent à la justice en général, il ajoute : ce qui appartient à la vertu parfaite. Parmi ces choses il exclut la haine des ennemis qui se manifeste surtout quand quelqu’un se réjouit de leur ruine totale et il écarte cela pour lui-même en disant : si je me suis réjoui de la ruine de celui qui me haïssait ou de tout autre mal qui lui arrivait, ce qu’il exclut aussi et si j’ai exulté que le malheur l’ait visité, à savoir lui survenant de façon inespérée. Et il dit : pour quoi il a évité cela en introduisant en effet je n’ai pas permis à mon gosier de pécher en attendant de maudire son âme. En effet l’homme désire naturellement ce dont il peut se réjouir et son désir intérieur il l’exprime par des paroles. Il s’en suit donc que si quelqu’un se réjouit des maux d’autrui il les désire et par conséquent par sa malédiction il lui souhaite le mal.

Ensuite il montre quelle fut la perfection de sa vertu dans la surabondance des bienfaits qu’il accordait à autrui. Et d’abord quant aux gens de sa maison il dit : Si les hommes de ma tente n’ont pas dit : qui nous donnera d’être rassasiés de ses viandes? En effet comme la chair des animaux est appétissante il est naturel qu’on aime à s’en rassasier. Par là il nous fait entendre que sa compagnie était tellement agréable aux gens de sa maison qu’ils désiraient être rassasiés de sa présence. Quant aux gens de l’extérieur il dit : le voyageur n’est pas resté dehors sans que je ne l’aie reçu dans ma maison; ma porte était ouverte au pèlerin c’est-à-dire qu’il était toujours bien accueilli.

En outre il montre la perfection de sa vertu en excluant toute fausse honte. Or les hommes ordinairement veulent cacher leur faute à cause de la honte qu’ils en ont et parfois contrairement à la justice : ou bien en la niant; ce qu’il écarte en disant : si j’ai caché comme homme à savoir comme ordinairement agissent les hommes, mon péché, c’est-à-dire en le niant injustement, ou en s’excusant ou encore en palliant la faute par quelqu’artifice; d’où il dit : si j’ai caché en mon sein mon iniquité en la dissimulant parce que je redoutais de devoir l’avouer. Il exclut ensuite la peur désordonnée des périls corporels qui proviennent surtout d’un soulèvement de la foule contre quel qu’un, selon ce que dit le Siracide "Mon cœur craint trois choses : médisance dans la ville, soulèvement populaire, diffamation, tout cela pire que la mort)" (26, 5-6); d’où il dit : si j’ai tremblé devant les rassemblements. Il ajoute : encore à cette crainte le mépris des proches qui devraient l’aider, d’où il dit : si le mépris des proches m’a effrayé. Or il arrive que les gens intrépides tombent dans l’excès contraire de la présomption et parfois aussi, du moins par des paroles, s’attaquent à de plus forts et il l’exclut j’ai préféré me taire; parfois ils vont plus loin et ils osent attaquer la multitude hostile, mais il l’exclut en disant : je ne suis pas sorti.

Et parce qu’il avait dit de lui-même beaucoup de choses et de très grandes, il fait appel au témoignage de Dieu, et donc il dit : qui me procurera un avocat, c’est-à-dire qui interpellera Dieu avec moi? Et pourquoi cherche-t-il une aide, il le dit : pour que le Tout-Puissant écoute mon désir; et quel est ce désir il l’expose en disant : et écrive un libelle c’est-à-dire qui m’accuse ou me recommande sur ce que j’ai dit, lui qui juge, c’est-à-dire tous mes actes humains, intérieurs et extérieurs : et si par le témoignage de ce libelle, à savoir par la manifestation certaine de la vérité je suis reconnu coupable, je veux en porter la peine; d’où ce qu’il dit : que je le porte sur mes épaules. Si la vérité fait apparaître son innocence j’en recevrai la couronne de la récompense, d'où il dit : et je m en servirai comme d’une couronne. Par la il fait savoir son désir qu’après avoir été condamné injustement par ses amis la chose soit réservée au jugement de Dieu. Or il promet de ne pas contredire le libelle contenant le jugement divin, d'où il dit : pour chacun de mes pas, à savoir le développement de mes actions, je le confesserai, a savoir je confesserai la vente du témoignage divin, et je ne refuserai pas de subir la sentence selon le témoignage divin, d’où il dit : et comme a un prince je lui ferai hommage c’est-à-dire en acceptant de bonne grâce que selon le témoignage divin on agisse envers lui (Job).

Enfin il se défend d’avoir cédé au vice d’une extrême cupidité, même dans le rendement de ses propres possessions, ce qui peut se manifester de deux manières d’une part en ce que l’homme par un travail acharné s’efforce de retirer de ses possessions des profits superflus, et pour écarter cela il use d’une métaphore si la terre crie contre moi comme pour dire qu’il ne lui a pas permis de se reposer et Discours d'Eliud de l’avoir trop exploitée, d’où ce qu’il dit : et avec elle pleurent les sillons comme quand les hommes se plaignent qui sont trop corvéables. D’autre part une cupidité exagérée se manifeste si le maître refuse à ses ouvriers le prix de leur labeur, d’où il dit : si j’ai mangé son fruit sans le payer, c’est-à-dire la paie des ouvriers; et si j’ai affligé l’âme des travailleurs, c’est-à-dire en exigeant trop de leurs forces ou en soustrayant leur salaire. Or il est de toute justice que celui qui est cupidement attaché aux choses superflues et inhabituelles perde aussi les choses nécessaires et habituelles; d’où ce qu’il dit : qu’au lieu de froment semé pour l’entretien de l’homme se lèvent des orties qui sont inutiles et irritantes; qu’au lieu d’orge semé pour la nourriture des animaux se lèvent des épines qui piquent et blessent les animaux.

Toutes ces choses ayant été dites, vient l’épilogue et on dit : ici se terminent les paroles de Job c’est-à-dire qu’il avait apportées pour prouver sa sentence; après cela il n’a plus rien proposé.

 

 

Caput 32

Job 32 — Discours d'Eliud

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse d’Eliud (Job 32)

 

1 Ces trois hommes cessèrent de répondre à Job, parce qu'il persistait à se regarder comme juste. 2 Alors s'alluma la colère d'Eliu, fils de Barachel le Bouzite, de la famille de Ram. Sa colère s'alluma contre Job, parce qu'il se prétendait plus juste que Dieu. 3 Elle s'alluma aussi contre ses trois amis, parce qu'ils n'avaient pas trouvé de bonnes réponse à lui faire et que néanmoins ils condamnaient Job. 4 Comme ils étaient plus âgés que lui, Eliu avait attendu pour parler à Job. 5 Mais voyant qu'il n'y avait plus de réponse dans la bouche de ces trois hommes, il s'enflamma de colère.

6 Alors Eliu, fils de Barachel le Bouzite, prit la parole et dit :

 Je suis jeune et vous êtes des vieillards; c'est pourquoi j'étais effrayé et je redoutais de vous faire connaître mon sentiment. 7 Je me disais : "Les jours parleront, les nombreuses années révéleront la sagesse." 8 Mais c'est l'esprit mis dans l'homme, le souffle du Tout-Puissant qui lui donne l'intelligence. 9 Ce n'est pas l'âge qui donne la sagesse, ce n'est pas la vieillesse qui discerne la justice. 10 Voilà pouquoi je dis : "Écoutez-moi; je vais, moi aussi, exposer ma pensée."

11 J'ai attendu tant que vous parliez, j'ai prêté l'oreille à vos raisonnements, jusqu'à la fin de vos débats. 12 Je vous ai suivis attentivement, et nul n'a convaicu Job, nul d'entre vous n'a réfuté ses paroles. 13 Ne dites pas : "Nous avons trouvé la sagesse; c'est Dieu qui le frappe, et non pas l'homme." 14 Il n'a pas dirigé contre moi ses discours, mais ce n'est pas avec vos paroles que je lui répondrai.

15 Les voilà interdits; ils ne répondent rien; la parole leur fait défaut. 16 J'ai attendu qu'ils eussent fini de parler, qu'ils restassent muets et sans réponse. 17 C'est à mon tour de parler à présent; je veux dire aussi ce que je pense. 18 Car je suis plein de discours, l'esprit qui est en moi m'oppresse. 19 Mon cœur est comme un vin renfermé, comme une outre remplie de vin nouveau qui va éclater. 20 Que je parle donc, afin de repirer à l'aise, que mes lèvres s'ouvrent pour répondre! 21 Je ne veux faire acception de personne, je ne flatterai qui que ce soit. 22 Car je ne sais pas flatter; autrement mon Créateur m'enlèverait sur-le-champ.

1 Ces trois hommes omirent de répondre à Job parce qu’il se disait juste. 2 ET Eliud fut irrité et indigné; 3 il était le fils de Barachiel le Busithe, de la race de Ram. Il était irrité contre Job parce qu’il se disait juste devant le Seigneur. Et il était indigné contre les trois amis parce qu’ils n'avaient pas trouvé de réponse raisonnable mais n'avaient fait que condamner Job. 4 Eliud avait donc attendu que Job ait parlé car ils étaient eux plus âgés ô s’exprimer. 5 Or comme il avait vu qu’à eux trois ils n’avaient pu répondre, il fut irrité extrêmement. 6 Et répondant Eliud fils de Barachiel le Busithe, dit Je suis plus jeune dans le temps, vous êtes plus anciens, c’est pourquoi en baissant la tête je craignais de vous indiquer ma sentence. 7 J'espérais en effet que l’âge bienveillant parlerait, que le grand nombre d’années enseignerait la sagesse. 8 Mais comme je vois, l’esprit est chez les hommes et l’inspiration du Tout-Puissant donne l’intelligence. 9 Une longue vie ne fait pas des sages, ni les vieillards ne connaissent le jugement. 10 Je dirai donc : Ecoutez moi! je vous montrerai moi aussi ma sentence. 11 J’ai attendu en effet vos discours, j’ai entendu votre prudence jusqu'à ce que vous en décidiez par ces discours. 12 Et tant que je pensais que vous diriez quelque chose, je réfléchissais : mais comme je vois; personne n’a convaincu Job, ni quelqu'un de vous n’a répondu à ses discours. 13 N'allez donc pas dire : nous avons trouvé la sagesse : Dieu l’a rejeté et non pas l’homme. 14 Il ne m’a pas parlé, et ce n'est pas selon vos discours que je lui répondrai. 15 Ils se sont effrayés et ne répondirent plus; ils se sont abstenus de discourir. 16 Puis donc que j’ai attendu et qu’ils n’ont pas parlé ils se sont arrêtés et n’ont plus répond. 17 Je répondrai donc pour ma part et je montrerai ma science. 18 Je suis en effet rempli de discours, et mon esprit est à l’étroit en mon sein. 19 Voilà que mon ventre est comme le moût qui n’a pas d’issue et fait se rompre les outres nouvelles. 20 Je parlerai et respirerai quelque peu; j’ouvrirai mes lèvres et je répondrai. 21 Je ne ferai pas acception de personne et je n’égalerai pas l’homme à Dieu. 22 en effet combien de temps je vivrai.

[84930] Super Iob, cap. 32 Omiserunt autem tres viri isti et cetera. Finita disputatione Iob et trium amicorum eius, subditur disputatio Eliud contra Iob, qui quidem acutioribus rationibus contra Iob utitur quam priores et magis ad veritatem accedit, unde et Iob ei non respondet, licet tamen in aliquo a veritate deviet et verba Iob sinistre interpretetur, ut infra patebit. Praemittitur autem causa ex qua motus fuit ad loquendum, scilicet ex indignatione contra Iob et contra amicos eius. Praemittit ergo ante amicorum silentium cum dicit omiserunt autem tres viri isti, scilicet de quibus supra habitum est, respondere Iob, ubi notandum est quod eos viros non nominaret si non fuisset res gesta sed parabola conficta. Causam autem silentii ostendit subdens eo quod iustus sibi videretur: multa enim dixerat Iob quae ad suae iustitiae ostensionem pertinebant, quibus praedicti tres viri contradicere non valebant. Et ex utroque horum, scilicet ex silentio amicorum et ex hoc quod Iob iustus sibi videbatur, commotus fuit Eliud, qui astabat, ad iram, et ideo subditur et iratus, scilicet in corde, indignatusque, ostendendo irae signa exterius, est Eliud, in quo describitur ex nomine, filius Barachiel, in quo describitur ex origine, Buzithes, in quo describitur ex patria, de cognatione Ram, in quo describitur ex genere: quae tota descriptio ad hoc valet ut ostendatur ad rem gestam pertinere. Causam autem irae explicat consequenter, et primo quidem contra Iob cum dicit iratus est adversus Iob eo quod iustum se esse diceret coram Deo, idest secundum divinum testimonium, quod maxime accipi potest ex eo quod dixerat supra XXIII 10 ipse scit viam meam, et postea subdit vestigia eius secutus est pes meus. Quantum autem ad amicos subdit porro adversus tres amicos eius indignatus est eo quod non invenissent responsionem rationabilem, qua scilicet responderent verbis eius quibus se iustum asserebat, sed tantummodo condemnassent Iob, dicentes scilicet eum esse iniquum. Ostendit autem consequenter causam quare Eliud prius in nullo responderat Iob, cum subdit igitur Eliud expectavit Iob loquentem, in nullo scilicet contradicens eius sermonibus, eo quod seniores essent qui loquebantur, eis scilicet deferens quasi sapientioribus, quod aetas senectutis requirebat. Sed quia non videbatur ei quod alicui deberet reverentiam exhibere in praeiudicium veritatis, iratus contra tres seniores ipse iunior respondere incepit, unde dicitur cum autem vidisset quod tres respondere non potuissent, scilicet rationibus Iob, iratus est vehementer, quasi aestimans quod per illorum ignaviam veritas deperiret; et ideo loco illorum voluit veritatem, ut credebat, defendere, et hoc est quod subditur respondensque Eliud, filius Barachiel, Buzithes, scilicet sermonibus et rationibus Iob. In hac autem sua responsione primo excusat pristinum silentium, tum ex sua aetate, unde sequitur dixit: iunior sum tempore, tum etiam ex illorum antiquitate, unde subdit vos autem antiquiores; iuvenes autem debent reverentiam deferre senioribus, unde sequitur idcirco demisso capite, scilicet in signum reverentiae et humilitatis, veritus sum indicare vobis meam sententiam, ne scilicet praesumptuosus viderer impediendo meis sermonibus sapientiorum verba. Probabile autem videtur quod senes sapientius loquantur propter duo: primo quidem quia iuvenes ex fervore animi frequenter multa et inordinate proponunt, senes autem propter gravitatem aetatis maturius loquuntur, unde subdit sperabam enim quod aetas prolixior loqueretur, scilicet gravius et efficacius; secundo vero quia senes per experientiam longi temporis multa cognoscere potuerunt et per consequens sapientius loqui, unde sequitur et annorum multitudo, propter quam scilicet experimentum accipi potest, doceret sapientiam, scilicet ex experimento acceptam. Consequenter excusat se quare nunc loqui incipiat, quia scilicet expertus est quod aetas non est sufficiens sapientiae causa sed magis inspiratio divina, unde subdit sed ut video, idest per effectum considero, spiritus, scilicet Dei, est in hominibus, inquantum scilicet in eis operatur, et hoc est quod subdit et inspiratio omnipotentis, qua scilicet hominibus inspirat spiritum sanctum qui est spiritus sapientiae et intellectus, dat intelligentiam, scilicet veritatis quae est sapientiae principium his quibus inspiratur. Quod autem haec inspiratio sit sapientiae praecipua causa ostendit per hoc quod aetas non perfecte sapientiam causat, unde subdit non sunt longaevi sapientes, quantum scilicet ad cognitionem divinae veritatis, nec senes intelligunt iudicium, quantum scilicet ad ordinationem humanorum actuum; et quia licet non esset senex confidebat tamen se inspiratum a Deo, ideo loqui audebat, unde subdit ideo dicam. In hac autem sua locutione primo inducit eos ad audiendum ex auctoritate Dei cuius inspiratione loquebatur, unde dicit audite me, ut scilicet eius sermonem non interrumperent. Audientibus autem promittit scientiae dogmata, unde subdit et ostendam vobis etiam ego, scilicet quamvis sim iuvenis, scientiam meam, ex qua scilicet respondebo rationibus Iob. Iustum autem erat quod ipsi eum audirent quia etiam ipse eos audierat, unde subdit expectavi enim, scilicet diu, sermones vestros, quos scilicet contra Iob protulistis. Et quia reputabat se posse discernere quid ab eis bene dictum esset et quid non bene, subdit audivi prudentiam vestram, quasi dicat: audiendo diiudicavi quid in verbis vestris ad prudentiam pertineret. Non autem parum sed diu expectaverat; terminum autem expectationis suae determinat ex duobus: primo quidem ex illorum voluntate, unde subdit donec disceptaretis in sermonibus vestris, idest donec placuit vobis contra Iob disceptare; secundo ex spe quam de eorum sapienti doctrina habebat, unde subdit et donec putabam vos aliquid dicere expectabam. Non est autem amplius audiendus de quo non speratur quod aliquid utile sit dicturus; videbat autem quod verba eorum quibus contra Iob utebantur efficacia non erant, primo quidem quia eum rationibus convincere non poterant, unde subdit sed ut video, non est qui possit arguere Iob, scilicet eum convincendo rationibus; secundo quia non poterant eius rationibus obviare, unde subdit et respondere, scilicet sufficienter, ex vobis, idest ex vestro sensu - vel non est qui possit ex vobis, idest ex vestro numero -, sermonibus eius, quibus scilicet contra vos utitur. Praecipuae autem eorum rationes contra Iob fundabantur in hoc quod adversitates Iob attribuebant divino iudicio quod errare non potest, quam quidem responsionem esse insufficientem consequenter ostendit dicens ne forte dicatis: invenimus sapientiam, idest istud sufficit ad sapientem responsionem, Deus proiecit eum, scilicet in adversitates, qui errare non potest, et non homo, qui potest decipi et decipere; ipse autem intendebat efficacius respondere, unde subdit nihil locutus est mihi, ex quo scilicet vult ostendere quod non loquitur quasi provocatus, et ego non secundum sermones vestros respondebo illi, idest non sequar vias vestras in respondendo sed alias efficaciores ad respondendum vias inveniam. Intendit autem se de futura responsione excusare non solum apud ipsos sed etiam apud alios, et ideo ad alios convertit sermonem suum dicens extimuerunt, scilicet ulterius loqui ne manifestius convincerentur, nec responderunt ultra, scilicet rationibus Iob. Et ut ostendat hoc fuisse propter eorum ignaviam, non propter efficaciam rationum Iob, subdit abstuleruntque a se eloquium, scilicet negligenter tacendo: quando autem homo efficaci ratione convincitur, non ipse a se aufert eloquium sed potius ei ab alio aufertur. Quia ergo illi defecerant dicit se velle eorum supplere defectum, unde subdit quoniam igitur expectavi, scilicet diu ut eis deferrem, et non sunt locuti, scilicet respondentes sermonibus Iob, respondebo et ego partem meam, quia scilicet defensio veritatis pertinet ad omnes et unusquisque debet ibi ponere quasi pro parte sua quod potest. Non autem solum zelo veritatis defendendae sed etiam ex inani gloria movebatur, unde subdit et ostendam scientiam meam: quaerit enim inanis gloriae cupidus ut si quid in se excellens est manifestet; et ideo consequenter ostendit maximam sibi facultatem adesse ad respondendum cum subdit plenus sum enim sermonibus, quasi abundanter occurrit mihi quid respondeam; et quia facultas non sufficit ad agendum nisi homo ab aliquo incitetur, ideo subdit et coartat me spiritus uteri mei: uterus est locus conceptionis, unde per uterum hic metaphorice significatur intellectus intelligibilia diversa concipiens; spiritus ergo uteri est voluntas impellens hominem ad manifestandum conceptiones cordis per sermonem. Est autem homini molestum cum non implet quod desiderat, et ideo anxietatem quam patiebatur tacendo exponit per similitudinem subdens en venter meus, idest mens mea, quasi mustum, scilicet quod fervet, absque spiraculo quod lagunculas novas dirumpit: nisi enim vapor musti ferventis ex parte aliqua evaporet, multiplicatur vapor interius quandoque usque ad vasis confractionem; ita etiam se musto propter iuventutem comparat, et ideo ex magno desiderio loquendi periculum sibi aestimat imminere nisi loquatur, unde subdit loquar et respirabo paululum, quasi scilicet per verba evaporabo interiorem fervorem ut ab anxietate desiderii quiescam. Quid autem loqui velit ostendit subdens aperiam labia mea et respondebo, scilicet verbis Iob. Quem autem modum in respondendo observare debeat ostendit subdens non accipiam personam viri: ille enim in respondendo personam hominis accipit qui veritatem relinquit ut homini deferat. Quare autem hoc ipse facere nolit ostendit subdens et Deum homini non aequabo: talis enim sibi videbatur esse disputatio praesens ut, si homini deferret, excellentiae divinae reverentiam debitam non servaret. Quod quidem quare facere timeat ostendit subdens nescio enim quandiu subsistam, scilicet in hac mortali vita, ut possim mihi diuturna spatia temporis ad paenitendum repromittere, et si post modicum tollat me factor meus, scilicet per mortem assumat ad suum iudicium; ex quo patet quod Eliud in hoc concordabat cum Iob quod retributio peccatorum esset post mortem: alias enim frustra videretur timuisse Deum offendere propter vicinitatem mortis.

La discussion entre Job et ses amis étant achevée, est dite la discussion d’Eliud contre Job. Il use d’arguments plus forts que les premiers et approche plus près de la vérité; mais Job ne lui répond pas, bien qu’il dévie quelque peu de la vérité et qu’il interprète mal les paroles de Job, comme on le verra.

On fait précéder son discours du motif qui le pousse à parler, c’est-à-dire son indignation contre Job et contre ses amis. On dit donc d’abord le silence des amis ces trois hommes omirent c’est-à-dire ceux dont il a été question plus haut, de répondre à Job, où il faut observer qu’on ne les aurait pas nommés si ce n’avait pas été une chose vécue mais seulement une parabole. On indique la cause de ce silence en introduisant parce qu’il se croyait juste; or Job avait dit bien des choses qui le justifiaient et auxquelles ces trois hommes n’avaient pu répondre. Et de ces deux choses, c’est-à-dire du silence des amis et de ce que Job se croyait juste, Eliud en est impressionné qui était présent; et irrité c’est-à-dire en son cœur et indigné en montrant extérieurement des signes dé sa colère. C’est Eliud, dont on donne le nom, fils de Barachiel, dont on dit l’origine; le Busithe, dont on dit la patrie; de la race de Ram dont on dit la naissance; cette description si complète montre bien qu’il s’agit d’une chose vécue.

On expose ensuite la cause de sa colère : et d’abord contre Job lorsqu’il dit : il était irrité contre Job parce qu’il se disait juste devant Dieu, à savoir selon le témoignage divin; ce qui doit surtout se comprendre du fait qu’il avait dit plus haut (23, 10) Lui-même connaît ma voie" et ajoutant ensuite " Mon pied a suivi ses traces". Quant à ses amis il dit : et il était indigné contre les trois amis parce qu’ils n’avaient pas trouvé de réponse raisonnable c’est-à-dire par lesquelles ils répondraient à ce qu’il se prétendait juste, mais n’avaient fait que condamner Job c’est-à-dire en disant : qu’il était Injuste.

 On montre ensuite la cause pour laquelle Eliud n’avait pas voulu jusqu’alors répondre à Job lorsqu’il dit : Eliud avait donc attendu que Job ait parlé c’est-à-dire ne voulant en rien les contredire en leurs discours parce qu’ils étaient les plus âgés à s’exprimer c’est-à-dire par déférence pour eux comme plus sages et comme le demandait leur vieillesse. Mais parce qu’il ne lui paraissait pas que son respect des personnes devait l’emporter sur la vérité, irrité contre les trois anciens, lui plus jeune entreprend de répondre; d’où on nous dit : or comme il avait vu que les trois ne pouvaient répondre, à savoir aux raisons de Job, il fut irrité extrêmement estimant en quelque sorte que par leur paresse la vérité était menacée. Et donc à leur place il voulut défendre - croyait-il - la vérité et c’est ce qu’on dit : et Eliud, fils de Barachiel, le Busithe, répondit, c’est-à-dire aux discours et aux raisons de Job.

Or dans sa réponse il s’excuse d’abord de son silence antérieur, soit à cause de son âge, d’où ce qui suit il dit : je suis plus jeune dans le temps, soit à cause de leur ancienneté, d’où il dit : vous êtes plus anciens; or les jeunes doivent témoigner du respect aux anciens, d’où ce qui suit c’est pourquoi en baissant la tête, c’est-à-dire pour ne pas paraître présomptueux en empêchant par mes discours les paroles des sages. Or il est plausible que des anciens parlent plus sagement à cause de deux choses : d’abord parce que les jeunes gens dans leur ardeur proposent beaucoup de choses et sans beaucoup d’ordre et les vieillards à cause de la gravité propre à leur âge parlent avec plus de maturité, d’où on dit : j’espérais en effet qu’un âge assez avancé parlerait, à savoir plus profondément et plus efficacement; ensuite parce que les vieillards par une longue expérience ont pu connaître beaucoup de choses et donc ont pu parler plus sagement, d’où ce qui suit et le grand nombre d’années, c’est-à-dire à cause duquel on peut acquérir de l’expérience enseignerait la sagesse, à savoir que donne l’expérience.

Il poursuit en s’excusant de prendre maintenant la parole, c’est-à-dire parce qu’il a constaté que l’âge n’est pas une cause suffisante de sagesse mais plutôt l’inspiration divine, d’où il dit : mais comme je vois, à savoir : je considère les effets, l’esprit, c’est-à-dire de Dieu est chez les hommes, c’est-à-dire qu’il agit en eux; et c’est ce qu’il dit : et l’inspiration du Tout-Puissant, c’est-à-dire par laquelle il inspire aux hommes l’Esprit Saint qui est " esprit de sagesse et d’intelligence", donne l’intelligence, c’est-à-dire de la vérité qui est principe de sagesse à ceux qui en sont inspirés. Il montre que cette inspiration est la cause principale de la sagesse parce que l’âge ne cause pas parfaitement la sagesse; d’où il dit : une longue vie ne fait pas des sages, à savoir quant à la connaissance de la divine vérité, ni les vieillards ne connaissent le jugement, à savoir quant à l’ordonnance des actes humains; et bien qu’il ne soit pas un vieillard, parce qu’il avait confiance d’être inspiré de Dieu, il osait parler et donc il dit : et donc je dirai.

Dans son discours il les invite à l’écoute de la parole autorisée de Dieu sous l’inspiration de qui il parle, d’où il dit : Écoutez moi, c’est-à-dire pour qu’ils n’interrompent pas son discours. Or il promet à ceux qui l’écoutent les données de la science; d’où il dit : je vous montrerai moi aussi, à savoir : bien que je sois un jeune homme, ma science par laquelle je répondrai aux raisons de Job. Or il était juste qu’ils l’écoutent puisque lui-même les a écoutés, d’où il dit : j’ai attendu en effet, c’est-à-dire longtemps, vos discours, à savoir que vous profériez contre Job. Et parce qu’il estimait pouvoir discerner ce qu’ils avaient bien dit et ce qu’ils avaient mal dit, il dit : j’ai entendu votre prudence, comme s’il disait : en vous écoutant j’ai pu juger ce qui dans vos paroles tenait de la prudence. Ce n’est pas un moment mais longtemps qu’il a attendu; le terme de cette attente il le dit en deux choses : d’abord de par leur volonté, d’où il dit : jusqu’à ce que vous en décidiez par vos discours à savoir jusqu’à ce qu’il vous ait plu de discuter contre Job; ensuite en l’espoir qu’il mettait en leur sagesse, d’où il dit : pendant que je pensais que vous diriez quelque chose, j’attendais. On ne doit pas prêter l’oreille plus longtemps à celui dont on n’espère pas qu’il dise quelque chose d’utile : or il voyait que les paroles dont ils usaient contre Job étaient peu convaincantes : d’abord à cause d’arguments sans valeur; d’où ce qu’il dit : mais comme je vois personne n’a pu convaincre Job ... En suite, parce qu’ils ne savaient pas réfuter ses arguments, il dit : ni lui répondre, c’est-à-dire suffisamment par vous mêmes : de votre fond - ou encore, il n’y a personne parmi vous, à savoir de votre nombre, qui puisse répondre aux propos qu’il tenait contre vous. Or leurs principaux arguments contre Job se fondaient sur les adversités de Job qu’ils attribuaient au jugement divin qui ne peut errer; et il veut montrer qu’une telle réponse est insuffisante en disant : n’allez donc pas dire : nous avons trouvé la sagesse, à savoir notre réponse est suffisamment sage c’est Dieu qui l’a rejeté c’est-à-dire par les adversités, lui qui ne peut errer, et non un homme qui peut se tromper ou qui peut tromper. Or il veut répondre plus efficacement et donc il dit : lui ne m’a rien dit, c’est-à-dire que par là il veut montrer qu’il parle sans y avoir été provoqué; et ce n’est pas selon vos discours que je lui répondrai, à savoir, je ne suivrai pas vos voies pour lui répondre mais j’en trouverai de plus efficaces.

Or il veut s’excuser pour la réponse qu’il va donner, non seule ment auprès d’eux mais aussi auprès d’autres auxquels il s’adresse, en disant : ils se sont effrayés, c’est-à-dire de parler plus longtemps, de crainte d’une réfutation trop évidente, et ne répondirent plus c’est-à-dire aux arguments de Job. Et il veut mettre cela sur le compte de leur paresse et non suite à l’efficacité de la défense de Job et il dit : ils se sont abstenus de discourir, c’est-à-dire en se taisant par abandon; car quand on a convaincu quelqu’un par une raison solide, ce n’est pas lui qui s’abstient de parler, mais c’est l’autre qui lui ôte la parole. Puis donc qu’ils ont fait défaut, il dit : qu’il veut y suppléer et donc il dit : donc comme j’ai attendu, c’est-à-dire longtemps par déférence pour eux, et qu’ils n’ont pas parlé, c’est-à-dire en réponse aux discours de Job, je répondrai pour ma part parce que défendre la vérité appartient à tout le monde et chacun doit y mettre du sien ce qu’il peut.

Mais il n’était pas uniquement poussé par le zèle de défendre la vérité, la vaine gloire s’y mêlait, d’où il dit : et je montrerai ma science; en effet celui qui est le jouet de la vaine gloire cherche à faire paraître ce qu’il y aurait chez lui d’excellent; et donc il montre dans la suite sa très grande ressource en fait de réponse lorsqu’il dit : je suis en effet rempli de discours comme me venant abondamment ce que je répondrai; mais comme une aptitude ne suffit pas pour l’action si l’on n’est pas excité par quelque chose, il dit : donc et mon esprit est à l’étroit dans mon sein; le sein est le lieu de la conception d’où par métaphore le sein figure l’intelligence qui conçoit les divers intelligibles; donc l’esprit dans le sein c’est la volonté qui pousse l’homme à manifester les concepts du cœur par la parole. Or il est pénible pour l’homme de ne pouvoir réaliser ce qu’il désire; et donc l’anxiété qu’il éprouvait en se taisant il l’expose par une comparaison en introduisant voici que mon ventre, à savoir mon esprit, est comme le moût, c’est-à-dire, en effervescence, qui n’a pas d’issue et fait se rompre les outres nouvelles; si en effet l’émanation du moût en effervescence ne s’échappe pas quelque part, le gaz intérieur augmente jusqu’à rompre le vase; ainsi aussi il se compare au moût à cause de sa jeunesse et donc il estime qu’il y a danger pour lui à cause du grand désir de parler s’il ne le fait pas; d’où ce qu’il dit : je parlerai et respirerai quelque peu : c’est-à-dire qu’en quelque sorte j’exhalerai la ferveur intérieure pour calmer ainsi mon désir anxieux.

Et que veut-il dire il le montre en introduisant j’ouvrirai mes lèvres et je répondrai, à savoir aux paroles de Job. Quelle mesure il doit garder dans sa réponse il le montre en disant : je ne ferai pas acception de personne; en effet il y a acception de personne quand pour plaire à quelqu’un on délaisse la vérité. Et pourquoi il ne veut pas le faire il l’a dit : je ne veux pas égaler l’homme à Dieu : tel était en effet pour lui l’enjeu de la discussion que la déférence témoignée à l’homme porterait atteinte au respect qu’il doit à l’excellence divine. Et pourquoi il craint d’en agir ainsi il le dit : j’ignore en effet combien de temps je vivrai dans cette vie mortelle pour trouver le temps assez long de me repentir, et si bientôt celui qui m’a fait ne me reprendra pas, c’est a dire par la mort ne m’appelle a son jugement, d'où il ressort qu’en cela Eliud est d’accord avec Job qu’il y a une rétribution pour les péchés après la mort , sinon c’est en vain qu’il eut craint d’offenser Dieu a l’approche de la mort.

 

 

Caput 33

Job 33 — Eliud exhorte Job au repentir

 

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "Es-tu juste? (Job 33, 1-12)

 

1 Maintenant donc, Job, écoute mes paroles, prête l'oreille à tous mes discours. 2 Voilà que j'ouvre la bouche, ma langue forme des mots dans mon palais, 3 mes paroles partiront d'un cœur droit, c'est la vérité pure qu'exprimeront mes lèvres. 4 L'esprit de Dieu m'a créé, le souffle du Tout-Puissant me donne la vie. 5 Si tu le peux, réponds-moi; dispose tes arguments devant moi, tiens-toi ferme. 6 Devant Dieu je suis ton égal, comme toi j'ai été formé du limon. 7 Ainsi ma crainte ne t'épouvantera pas, et le poids de ma majesté ne peut t'accabler. 8 Oui, tu as dit à mes oreilles, et j'ai bien entendu le son de tes paroles; 9 " Je suis pur, exempt de tout péché; je suis irréprochable, il n'y a point d'iniquité en moi. 10 Et Dieu invente contre moi des motifs de haine, il me traite comme son ennemi. 11 Il a mis mes pieds dans les ceps, il surveille tous mes pas."

1 Ecoute donc, Job, mes paroles, Prête l’oreille à tous mes discours. 2 Voici que j’ouvre la bouche, que ma langue parle dans mon gosier. 3 Mes discours sont d’un cœur simple et mes lèvres diront une pure sentence. 4 L'Esprit de Dieu m’a fait Et le souffle du Tout-Puissant m’a donné la vie. 5 Si tu peux, réponds moi, et en face fais moi opposition. 6 Voici c’est Dieu qui nous fit, toi et moi, Et du même limon moi aussi je fus formé. 7 Mais que mon prodige ne t’effraie pas et que mon éloquence ne te pèse pas. 8 Donc tu as dit à mes oreilles Et j’ai entendu la voix de tes paroles : 9 Je suis pur et sans péché, je suis sans tache et l’iniquité n’est pas en moi. 10 Ayant trouvé en moi des doléances il m’a pris pour son ennemi. 11 Il a mis mon pied dans un piège, il a observé toutes mes démarches 12 C'est donc en cela que tu es injuste.

[84931] Super Iob, cap. 33 Audi igitur, Iob, eloquia mea et cetera. Dictum est supra quod Eliud indignatus fuit contra Iob et contra amicos eius; postquam locutus fuerat contra ignaviam amicorum Iob, nunc contra ipsum Iob incipit loqui, et ideo primo eum ad attentionem excitat dicens audi igitur, Iob, eloquia mea, quia scilicet ego iam respondere intendo; et ut significet singula verba se cum pondere dicturum, subdit et omnes sermones meos ausculta, quasi nihil sit in vanum dicturus. Et ne Iob quaereret quare prius locutus non fuerit, subdit ecce aperui os meum, quasi dicat: prius dum tacui os meum clauseram propter reverentiam seniorum, nunc quia ipsi deficiunt necessitas cogit me loqui, unde subdit loquatur lingua mea in faucibus meis, quasi dicat: non sequar verba aliorum, sed proprios conceptus enuntiabo. Et quia Iob in praecedentibus contra amicos suos dixerat quod eum verbis affligebant et confundebant, ideo hoc a se excludit subdens simplici corde meo sermones mei, scilicet sunt, quasi dicat: non loquor ad calumniandum vel ad ridendum sed simplici animo ad veritatem manifestandam. Et quia tribus praedictis viris Iob imposuerat quod essent fabricatores mendacii et cultores perversorum dogmatum, hoc a se excludit dicens et sententiam labia mea puram loquentur, idest absque admixtione alicuius falsitatis vel erroris. Unde autem fiduciam veritatis manifestandae acceperit, ostendit subdens spiritus Dei fecit me, et ideo non est mirum si suam facturam movet et perficit, et hoc est quod subdit et spiraculum omnipotentis vivificavit me, scilicet ad opera vitae movit et perfecit inter quae praecipuum est intelligentia veritatis. Et ne videatur hoc induxisse quasi praeiudicium, afferre intendens Iob ne contra divinitus loquentem responderet, subdit si potes, responde mihi, quantum scilicet ad ea quae contra te dicam, et adversus faciem meam consiste, ut scilicet tu etiam contra me obicias si quid dixero quod tibi non placet. Et ne Iob dedignaretur cum eo disputare propter suam famosam sapientiam et illius iuventutem, ad hoc excludendum subdit ecce et me sicut et te fecit Deus, et ita ex parte factoris uterque nostrum eandem spem veritatis inquirendae potest habere; ex parte vero materiae utrique adiacet idem impedimentum, unde subdit et de eodem luto ego quoque formatus sum, ex cuius scilicet grossitie lumen intelligentiae obtenebratur. Videbat autem Eliud sibi posse responderi hoc ad miraculum pertinere si iuveni tanta sapientia et facundia praeberetur ut contra sapientissimum senem sufficeret disputare, et ideo quasi innuens hoc miraculose se esse assecutum, subdit verum tamen miraculum meum non te terreat, ut scilicet respondere non audeas miraculose scientiam adepto, et eloquentia mea non sit tibi gravis, ut scilicet ex ea obstupescas. His igitur praemissis quasi prooemialiter, subiungit ea in quibus Iob reprehendere intendit, unde subdit dixisti ergo in auribus meis, quasi dicat: excusare te non potes quin dixeris, et vocem verborum audivi, scilicet per sollicitudinem attentionis. Primo autem in verbis Iob notaverat quod se immunem esse dixerat a peccato, unde dicit mundus sum ego, scilicet ab immunditiis carnis, et absque delicto, scilicet peccato omissionis, immaculatus, scilicet gravibus peccatis quae sunt contra Deum, puta idolatria vel aliquid huiusmodi, et non est iniquitas in me, ut scilicet iniuste proximos laeserim. Secundo notat in verbis eius quod Deo iniquitatem iudicii imposuerit. Iniquitas autem iudicii solet ex odio iudicantis procedere, et quantum ad hoc commemorat Iob dixisse quia querelas in me reperit ideo arbitratus est me inimicum sibi. Supra quidem XIII 24 Iob dixerat interrogative cur faciem tuam abscondis et arbitraris me inimicum tuum? Hoc autem quod dicitur querelas in me reperit non invenitur dixisse, unde haec est additio Eliud prave interpretantis verba Iob. Iudicis enim odium iustum esse videtur si, certificatus de malitia alicuius, odio eum habeat ad puniendum; sed si ex levibus querelis iudex provocetur ad odium alicuius, erit odium iniustum; et taliter interpretabatur quod Iob dixerat se a Deo inimicum reputatum esse. Secundo ad iniquitatem iudicis pertinere videtur si alicui facultatem iustae defensionis auferat, et quantum ad hoc subdit posuit in nervo pedes meos, idest compedivit quasi impediendo me a meis operibus. Tertio pertinet ad iniquitatem iudicii ut quaelibet levia ad condemnationem congreget alicuius, et quantum ad hoc subdit custodivit omnes semitas meas, quasi in singulis operibus eum observans. Haec autem Iob non dixerat ad ostendendum iniquitatem divini iudicii, sed quasi figuraliter loquens ut supra XVI expositum est, unde et ibi praemittitur aenigmata percipite auribus vestris. Et quia hoc secundum excludit primum, subdit hoc est ergo in quo non es iustificatus, quasi dicat: non potes te iustum dicere, quia hoc ipsum ad iniustitiam tuam pertinet quod Deo iniustitiam imponis. Respondebo tibi quod maior sit Deus homine. Proposuerat supra Eliud ea de quibus contra Iob disputare intendebat. Verum quia Iob, antequam praemissa verba diceret, praemiserat supra XIII 3 disputare cum Deo cupio, videtur autem inconveniens cum qui anhelat ad disputandum cum superiori revocare ad hoc quod cum inferiori disputet, antequam super praemissis cum Iob disputationem Eliud incipiat, de hoc ipso eum redarguit quod cum Deo disputare cupiebat. Et primo quidem quia hoc ipsum magnae praesumptionis videtur quod aliquis maiorem se provocet ad disputandum; unde dicit respondebo tibi, idest tuo desiderio quo disputare cum Deo cupis, quod maior sit Deus homine, unde praesumptuosum est quod homo cupiat disputare cum Deo. Et in hoc quidem iuste Iob argueret si cum Deo disputare voluisset ad contradicendum quasi de pari; Iob autem cum Deo disputare volebat quasi ad addiscendum sicut discipulus cum magistro, unde supra XXIII 4 dixit os meum replebo increpationibus ut sciam verba quae mihi respondeat; quod tamen Eliud interpretabatur quasi hoc Iob contentiose contra Deum dixerit, conquerendo quod ei non responderet, unde subdit adversus eum contendis quod non ad omnia verba responderit tibi; quod quidem ex praedictis verbis Iob colligere voluit, et ex hoc quod etiam supra XIX 7 dixerat ecce clamabo vim patiens et nemo exaudiet, vociferabor et non est qui iudicet; quae quidem verba et si qua similia superius dicta sunt, non per modum contentionis dicebantur, sed quia desiderabat rationes divinae sapientiae cognoscere. Ad repellendum autem praedicta verba Iob quae interpretabatur Eliud ac si contentiose dicta, ostendit consequenter Eliud non esse necessarium quod Deus homini ad singula verba respondeat, sed unicuique sufficienter loquitur ad eius instructionem, unde subdit semel loquitur Deus, scilicet homini sufficienter ad eius instructionem; unde deinceps non oportet quod ad singulas hominis interrogationes respondeat, unde subdit et secundo id ipsum non repetit, quia quod sufficienter factum est iterare superfluum esset; quomodo autem loquatur Deus homini ostendit subdens per somnium in visione nocturna. Potest autem et alius esse sensus ut per hoc quod dixit semel loquitur Deus, scilicet homini, referatur ad mentis instructionem quae est per lumen rationis naturalis, secundum illud Psalmi multi dicunt: quis ostendit nobis bona? Et quasi respondens subdit signatum est super nos lumen vultus tui, domine, per quod scilicet discernere possumus bonum a malo; et quia naturalis ratio immobiliter in homine manet ut non sit necesse eam iterare, ideo subdit et secundo id ipsum non repetit; et deinde ostendit alium modum quo Deus homini loquitur per imaginariam visionem in apparitionibus somniorum, unde subdit per somnium in visione nocturna: quod quidem potest referri ad propheticam revelationem, secundum illud Num. XII 6 si quis fuerit inter vos propheta domini, per somnium aut in visione loquar ad eum, vel potest referri etiam ad communia somnia quae credebat Eliud divinitus procurari. Modum autem et ordinem somniorum consequenter exponit, primo quidem tangens naturalem causam cum dicit quando irruit sopor super homines, quod quidem fit immobilitatis exterioribus sensibus per vapores ascendentes ad principium sentiendi. Secundo ponit dispositionem ex parte voluntatis humanae cum subdit et dormiunt in lectulo, quia scilicet homines maxime ordinata et significativa somnia vident quando quiete dormiunt: unde infirmis propter inquietudinem apparent distorta somnia, unde signanter dicitur Dan. II 28 somnium tuum et visiones capitis tui in cubili tuo huiuscemodi sunt: tu rex coepisti cogitare in stratu tuo et cetera. Tertio ponit operationem divinam circa dormientem, quae quidem attenditur primo quantum ad hoc quod, immobilitatis exterioribus sensibus per soporem et homine in lectulo quiescente, datur divinitus homini facultas quaedam percipiendi divinam instructionem eo quod eius anima circa exteriora non occupatur, unde subdit tunc aperit aures virorum; et satis convenienter vim perceptivam divinae instructionis in somniis vocat aures, quia de huiusmodi instructione loquitur sicut de locutione quadam, eo quod non fit per inspectionem ipsarum rerum sed per signa quaedam sicut et locutio. Data autem facultate audiendi consequens est ut doceat, unde subdit et erudiens eos instruit disciplinam; et sumitur hic disciplina pro instructione eorum quae homini occurrunt agenda vel vitanda, non pro cognitione scientiarum speculativarum quae non consueverunt in somnio revelari, unde subdit ut avertat hominem ab his quae fecit: frequenter enim homo in somniis corripitur de peccatis commissis; et quia principium peccatorum est superbia qua Dei praecepta contemnuntur, subdit et liberet eum de superbia. Per hoc autem quod homo liberatur a culpa consequens est ut evadat poenam, quod quidem consequenter ostendit quantum ad duplicem poenam: primo quidem quantum ad spiritualem poenam animae, unde subdit eruens animam eius de corruptione, quae scilicet est per deordinationem potentiarum animae; secundo vero quantum ad poenam corporalem, unde subdit et vitam illius, scilicet corporalem, ut non transeat in gladium, puniendus scilicet pro suo peccato; vel potest utrumque referri ad mortem corporalem, quae quandoque accidit per interiorem corruptionem, sicut cum aliquis ex aegritudine moritur quam Deus immittit pro peccato, quandoque vero accidit ex violentia gladii. Deinde subiungit alium modum divinae locutionis, quod scilicet corrigit hominem per aegritudinem corporalem, in qua primo notat dolorem sensibilem, unde dicit increpat quoque, scilicet hominem de peccatis praeteritis, per dolorem, scilicet corporalem ex aegritudine provenientem, unde subdit in lectulo, secundum illud Psalmi super lectulum doloris eius. Secundo tangit debilitatem infirmorum cum dicit et omnia ossa eius marcescere facit, idest fortitudinem eius adnihilat quae in ossibus consistit. Tertio ponit amissionem appetitus cum subdit abominabilis ei fit in vita sua, idest dum adhuc vivit, scilicet propter infirmitatem, panis, qui scilicet est cibus communis, et animae illius cibus ante desiderabilis, quod refertur ad alios cibos qui diversimode a diversis desiderantur. Quarto ponit maciem cum subdit tabescet caro illius, idest deficiet, et sic per consequens ossa quae tecta fuerant, scilicet carne, nudabuntur, idest manifestabuntur sola cute contecta. Quinto ponit mortis periculum et timorem, unde subdit appropinquabit corruptioni anima eius, idest vita ipsius quae est per animam, unde subdit et vita illius mortiferis, idest causis inducentibus mortem. Notandum est autem quod haec proposuit ad respondendum conquestioni Iob quod Deus non ad singula ei respondeat; voluit enim per praedicta probare quod tripliciter ei Deus sit locutus: primo quidem per naturalem rationem sicut ad omnes homines, secundo arguendo per somnia, dixerat enim supra terrebis me per somnia et per visiones horrore concuties, tertio per infirmitatem, dixerat enim supra XXX 16 nunc in memet ipso marcescit anima mea et cetera. Item considerandum est quod Eliud, sicut et tres alii, credebat infirmitates pro peccato homini advenire, non tamen principaliter ad puniendum, sicut sonabant verba illorum trium, sed magis ad redarguendum. Et quia Iob non solum videbatur conquestus fuisse quod Deus ei non loqueretur, sed etiam quod ipse accedere non posset ad colloquendum Deo et ad ponendum iudicium suum coram ipso, ut patet supra XXIII 3, ideo huic questioni satisfacit: quia etsi homini non pateat manifeste accessus ad Deum, sunt tamen Angeli medii inter Deum et homines, qui iustitiam hominis Deo proponunt non quasi eum instruentes sed sicut suis desideriis homines adiuvantes, et sic nihil deperit homini quod ipse per se ipsum usque ad solium Dei non potest accedere ut ei iustitiam suae causae proponat. Unde ad hoc ostendendum subdit si fuerit pro eo, idest pro homine afflicto, Angelus loquens, idest intercedens; et ne timeretur quod unus Angelus non sufficeret ad interpellandum pro omnibus, subdit unus de millibus, secundum illud quod supra XXV 3 dictum est numquid est numerus militum eius? Ut enuntiet hominis aequitatem, idest coram Deo proponat si quid est ex parte hominis iustum; miserebitur, scilicet Deus, eius, scilicet hominis afflicti, et dicet, idest Angelo imperabit: libera eum, ut scilicet sicut ipse est allegator iustitiae hominis apud Deum ita etiam ipse sit executor divinae misericordiae apud homines. Et a quo liberandus sit subdit ut non descendat in corruptionem, idest in mortem; et ut hanc liberationem Deo esse gratam ostendat, subdit ex persona Dei dictum inveni in quo ei propitier, idest apparet in homine aliquid aequitatis ex quo ei misereri possum, quod quaerebam. Et quia Iob supra VII 5, quasi reparari non posset, dixerat induta est caro mea putredine, ad hoc excludendum subdit consumpta est caro eius a suppliciis, quasi dicat: hoc meae potestati non praeiudicat, unde subdit revertatur ad dies adolescentiae suae, idest recuperet vigorem sicut in adolescentia. Sic igitur positis Dei verbis liberantis, Eliud utens suis verbis describit modum liberationis humanae dicens deprecabitur Deum, quasi dicat: non sufficit quod Angelus pro eo loquatur, sed ad hoc quod liberetur oportet quod ipse etiam pro se oret; vel aliter potest continuari: quia enim supra ostenderat quod homo non potest conqueri de hoc quod iudicium suum coram Deo ponere non possit, quia Angelus pro eo efficaciter proponit, nunc ostendit quod etiam ipse pro se proponere potest orando. Ut ostendat hoc etiam esse efficax sicut et primum, subdit et placabilis erit ei, scilicet Deus homini, secundum illud Ioel. II 13 benignus et misericors est et placabilis super malitiam. Et ex hoc sequitur in homine fiducia cogitandi de Deo cum quadam spirituali laetitia, unde subdit et videbit, scilicet homo, faciem eius, idest considerabit bonitatem ipsius, in praesenti quidem vita imperfecte in futura autem perfecte, in iubilo, idest in quodam inexplicabili gaudio; et sic reddet, scilicet Deus, homini iustitiam suam, idest remunerabit eum pro meritis, remoto impedimento peccati. Sed hoc esse non potest nisi homo humiliter suum peccatum recognoscat et confiteatur, unde subdit respiciet homines, quasi ultro se offerens ad confessionem peccati, unde subdit et dicet: peccavi. Et ut non credatur hoc ex humilitate dicere, subdit et vere deliqui, quod inducit contra Iob quia supra dixerat XVII 2 non peccavi et in amaritudinibus moratur oculus meus. Et in sua confessione non murmurabit de poenae gravitate, unde subdit et ut eram dignus non recepi, quasi dicat: graviorem poenam merui, et hoc videtur dicere contra hoc quod Iob supra VI 2 dixerat utinam appenderentur peccata mea quibus iram merui et cetera. Et fructum humilitatis ostendit subdens liberavit enim animam suam, scilicet confitendo peccatum, ne pergeret in interitum, idest in mortem, corporalem scilicet vel spiritualem, et ut ulterius bona consequeretur, unde subdit sed vivens videret lucem, scilicet vel corporalem vel spiritualem sapientiae. Et quia Deus non statim hominem finaliter damnat sed multotiens monet, ideo subdit ecce haec omnia, scilicet quae pertinent ad instructionem per somnia et increpationem per dolores et sanationem, operatur Deus tribus vicibus, idest multotiens quandiu viderit expedire; sed utitur numero ternario ut congruat humanae consuetudini per quam solent homines ter moneri vel citari. Et hoc facit non uni tantum sed omnibus indigentibus, unde subdit per singulos, quos scilicet viderit instruendos et increpandos. Et assignat utilitatem subdens ut revocet animas eorum a corruptione, quod pertinet ad liberationem a malo, et illuminet in luce viventium, quod pertinet ad consecutionem bonorum: et potest utrumque exponi corporaliter vel spiritualiter. Quod autem dicitur hic de tribus vicibus referendum est ad duos secundos modos locutionis: nam de primo dictum est quod secundo id ipsum non repetit; inducit autem hoc quasi ad ostendendum rationem quare aliquando peccatores sustinentur in prosperitate et non statim condemnantur. Et quia videbatur ei quod efficaciter locutus esset, inducit Iob ad tacite audiendum ea quae restant, unde subdit attende, Iob, scilicet corde, et audi me, scilicet auribus, et tace dum ego loquor, scilicet ne me impedias. Et ne videatur ei auferre facultatem respondendi, subdit si autem habes quid loquaris, responde mihi; et quasi desiderans eius responsionem subdit loquere; et causam desiderii subdens dicit volo enim te apparere iustum, quod dicit ad ostendendum quod non intendebat eius confusionem. Et quia non credebat eum esse iustum subdit quod si non habes, quid scilicet pro tua iustitia dicas, audi me, tace, et docebo te sapientiam, quam scilicet ignoras.

On a dit plus haut qu’Eliud était indigné contre Job et ses amis; après avoir dénoncé la lâcheté des amis de Job, il commence son réquisitoire contre Job; et donc il attire d’abord son attention en disant : écoute donc ô Job, mes paroles, c’est-à-dire, je veux répondre dès à présent; et pour signifier qu’il pèsera chacune de ses paroles il dit : et prête l’oreille à tous mes discours comme ne voulant pas parler en vain. Et pour que Job ne s’enquière pas pourquoi l n’a pas parlé plus tôt il dit : voici que j’ouvre la bouche comme s’il disait : en me taisant d’abord, je fermais la bouche par respect des anciens, maintenant qu’ils font défaut la nécessité me force à parler; d’où ce qu’il dit : que ma langue parle dans mon gosier, comme de dire : je ne suivrai pas les paroles des autres mais j’énoncerai mes propres idées. Et comme Job avait précédemment dit : contre ses amis qu’ils l’affligeaient de leurs paroles et le confondaient, il exclut cela chez lui en disant : mes discours sont d’un cœur simple, comme s’il disait : mon langage n’est pas à la calomnie, ni à la moquerie mais pour manifester la vérité d’un cœur simple. Et parce que Job avait chargé ses amis d’être des fabricants de mensonge et des amateurs de fausses doctrines’ il écarte cela pour soi en disant : et mes lèvres diront une pure sentence, à savoir sans mélange d’aucune fausseté ou d’erreur. D’où tient-il cette assurance de vouloir manifester la vérité il le montre en disant : l’esprit de Dieu m’a fait et donc rien d’étonnant à ce qu’il meuve sa créature et la perfectionne et c’est ce qu’il dit : et le souffle du Tout-Puissant m’a donné la vie, c’est-à-dire qu’il meut et perfectionne en des œuvres de vie et dont la principale est l’intelligence de la vérité. Et pour qu’il ne paraisse pas qu’il dit cela comme s’il voulait mettre un obstacle à Job de ne pas oser répondre à celui qui parle divinement il dit : si tu peux, réponds moi c’est-à-dire quant à ce que je dirai contre toi; et en face fais moi opposition c’est-à-dire pour que toi aussi tu objectes contre moi, si j’aurai dit : ce qui ne te plaît pas. Et pour que Job ne dédaigne pas de discuter avec lui à cause de sa grande réputation de sagesse et de la jeunesse de celui-ci, pour écarter cela il dit : voici, c’est Dieu qui nous fit, toi et moi : de sorte que du côté de leur auteur, tous deux nourrissent le même espoir de rechercher la vérité; et du côté de la matière, à tous deux s’attache le même empêchement, d’où il dit : et du même limon moi aussi je fus formé, c’est-à-dire dont la grossièreté obscurcit la lumière de l’intelligence. Or il semblait à Eliud qu’on pourrait lui répondre que cela tenait du prodige si une telle sagesse et une telle facilité de langage était accordée à un jeune homme et qu’il puisse ainsi tenir tête au plus sage des vieillards; et donc comme s’il approuvait qu’il a obtenu cela comme par miracle il dit : mais que mon prodige ne t’effraie pas c’est-à-dire que tu n’oserais pas répondre à celui qui a acquis la science miraculeusement et que mon éloquence ne te pèse pas, à savoir que tu en sois stupéfait.

Donc ces choses étant dites en guise de préambule il passe à celles pour lesquelles il veut reprendre Job, d’où ce qu’il dit : donc tu as dit à mes oreilles, comme s’il disait : tu ne peux t’excuser d’avoir dit; et j’ai entendu la voix de tes paroles c’est-à-dire je fus très attentif. Or la première chose qu’il a notée dans les paroles de Job est qu’il s’est dit indemne du péché, d’où ce qu’il dit : je suis pur, c’est-à-dire des impuretés de la chair, et sans péché, c’est-à-dire du péché d’omission, sans tache, à savoir des péchés graves qui sont contre Dieu, par exemple l’idolâtrie ou quelque chose de ce genre; et l’iniquité n’est pas en moi à savoir que j’aurais lésé injustement le prochain Ensuite il a note dans ses paroles d’avoir charge Dieu de jugement injuste Or l’injustice d’un jugement procède ordinairement de l’aversion de celui qui juge et quant a cela il rappelle que Job a dit : parce qu’il a trouve en moi des doléances il m’a pris pour son ennemi. Plus haut Job avait bien dit interrogativement : "Pourquoi caches tu ta face et me tiens tu pour ton ennemi mais quant aux paroles il a trouve en moi des doléances il ne les a pas dites, c’est donc une addition d’Eliud interprétant mal les paroles de Job. En effet, l’aversion du juge peut être Juste si certain de la malice il déteste le coupable et le punit, mais si pour de légers griefs le juge se laisse aller au ressentiment, son aversion est injuste : et c’est l’interprétation qu’il donne des paroles de Job que Dieu l’avait pris en aversion. Ensuite un juge est injuste s’il enlève la possibilité de se défendre et quant a cela il dit : il a mis mon pied dans un piège, à savoir il m’a mis des entraves m’empêchant en quelque sorte de travailler. Enfin un juge est injuste quand il va rechercher quelques peccadilles pour condamner quelqu’un et quant à cela il dit : il a observé toutes mes démarches comme l’épiant dans chacun de ses actes. Or Job n’avait pas dit ces choses pour montrer l’injustice du jugement divin, mais parlant en quelque sorte en figure comme on l’a exposé plus haut (13, 17) où il avait d’abord dit : "prêtez l’oreille à mes énigmes". A cause que ce second point exclut le premier il dit : c’est donc en cela que tu n’es pas justifié, comme s’il disait, tu ne peux pas te dire juste parce que le fait même d’accuser Dieu d’injustice c’est ton injustice.

 

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Dieu te montre que tu n'es pas juste"(Job 33, 12-33)

 

12 Je te répondrai qu'en cela tu n'as pas été juste, car Dieu est plus grand que l'homme. 13 Pouquoi disputer contre lui, parce qu'il ne rend compte de ses actes à personne? 14 Pourtant Dieu parle tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, et l'on n'y fait pas attention. 15 Il parle par des songes, par des visions nocturnes, quand un profond sommeil pèse sur les mortels, quand ils dorment sur leur couche. 16 A ce moment, il ouvre l'oreille des hommes, et y scelle ses avertissements, 17 afin de détourner l'homme de ses œuvres mauvaises, et d'écarter de lui l'orgueil, 18 afin de sauver son âme de la mort, sa vie des atteintes du dard. 19 Par la douleur aussi l'homme est repris sur sa couche, quand une lutte continue agite ses os. 20 Alors il prend en dégoût le pain, et il a horreur des mets exquis, 21 Sa chair s'évanouit aux regards, ses os qu'on ne voyait pas sont mis à nu. 22 Il s'approche de la fosse, sa vie est en proie aux horreurs du trépas. 23 Mais s'il trouve pour intercesseur, un ange entre mille, qui fasse connaître à l'homme son devoir, 24 L'ange a pitié de lui et dit à Dieu : "Epargne-lui de descendre dans la fosse, j'ai trouvé la rançon de sa vie." 25 Sa chair alors a plus de fraîcheur qu'au premier âge, il revient aux jours de sa jeunesse. 26 Il prie Dieu, et Dieu lui est propice; il contemple sa face avec allégresse, et le Très-Haut lui rend son innocence. 27 Il chante parmi les hommes, il dit : "J'ai péché, j'ai violé la justice, et Dieu ne m'a pas traité selon mes fautes. 28 Il a épargné à mon âme de descendre dans la fosse, et ma vie s'épanouit à la lumière!" 29 Voilà, Dieu fait tout cela, deux fois, trois fois, pour l'homme, 30 afin de le ramener de la mort, de l'éclairer de la lumière des vivants. 31 Sois attentif, Job, écoute-moi; garde le silence, que je parle. 32 Si tu as quelque chose à dire, réponds-moi; parle, car je voudrais te trouver juste. 33 Si tu n'as rien à dire, écoute-moi; fais silence, et je t'enseignerai la sagesse.

12 Je te répondrai que Dieu est plus grand que l’homme. 13 Tu prétends contre lui qu’il n’a pas répondu à toutes tes paroles. 14 Dieu parle une fois il ne se répète pas. 15 Par songe dans une vision nocturne lorsque le sommeil envahit les hommes qui dorment sur leur couche, 16 Alors il ouvre les oreilles des hommes et les éduquant il leur enseigne la discipline 17 pour détourner l’homme de ce qu’il a fait et le libérer de l’orgueil; 18 Alors son âme de la corruption pour que sa vie ne passe pas sous le glaive. 19 Il le reprend par la douleur sur sa couchez il fait se flétrir tous ses os. 20 En sa vie le pain lui est en abomination et la nourriture que son âme auparavant aimait. 21 Sa chair se consumera et les os qui furent couverts se dénuderont. 22 Son âme s’approchera de la corruption et sa vie, de mortels dangers. 23 S'il y aura pour lui un ange qui parle un parmi des milliers pour annoncer l’équité de l’homme. 24 I1 aura pitié de lui et dira : délivre-le pour qu'il ne descende pas dans la corruption : j’ai trouvé de quoi lui pardonner. 25 Si les tourments ont dévoré sa chair qu’il revienne aux jours de son adolescence! 26 Il invoquera le Seigneur qui lui sera longanime et il verra sa face dans la jubilation et il rendra justice à l’homme. 27 En regardant ses pairs il dira : j’ai péché et vraiment j’ai failli et bien qu’en étant digne je n’ai pas reçu. 28 Il a libéré son âme pour qu’elle n’aille pas à sa perte, mais qu’en vivant elle voie la lumière. 29 Voilà comment Dieu agit par trois fois pour chacun. 30 Pour rappeler leurs âmes de la corruption et les illuminer de la lumière des vivants. 31 Sois attentif ô Job, et écoute moi, et tais-toi pendant que je parle. 32 Si tu as quelque chose d dire, réponds moi; parle, je veux en effet que tu paraisses juste. “Sinon, écoute moi! tais-toi et je t’enseignerai la sagesse.

Eliud vient de proposer (v. 9-11) les choses dont il veut discuter contre Job. Mais parce que Job avait dit, avant celles qu’il vient de citer (v. v. q. 10, 11), qu’il désirait discuter avec Dieu (13, 3). Eliud le lui reproche avant d’aborder la question des griefs que Job formule contre Dieu; d’autant plus qu’il paraît inconvenant qu’un inférieur fasse appel à son supérieur pour discuter ensemble. Et d’abord parce que c’est une très grande présomption de provoquer quelqu’un de plus grand à une discussion, d’où il dit : je te répondrai à savoir à ton désir qui te pousse à discuter avec Dieu que Dieu est plus grand que l’homme et donc il est présomptueux que l’homme désire discuter avec Dieu. Et en cela il le reprendrait à juste titre si Job avait voulu discuter avec Dieu pour le contredire d’égal à égal. Or Job voulait apprendre de Dieu comme le disciple de son maître, d’où il avait dit plus haut 23, 4 : "A pleine bouche je le supplierai afin de savoir ce qu’il me répondra"; cependant Eliud interprétait cela comme si Job l’avait dit en contestant contre Dieu, se plaignant de ce qu’il ne lui soit pas répondu; d’où ce qu’il dit : tu contestes contre lui qu’il n’a pas répondu à toutes tes paroles, il veut conclure cela de paroles précédentes de Job et de ce qu’il avait dit 19, 7 : "Voici que je crie sous le coup de la violence et personne ne m’entend; je pousse des cris retentissants et personne qui veuille juger". De telles paroles et d’autres semblables ne sont pas dites par manière de contestation mais parce qu’il désirait connaître les raisons de la divine sagesse.

Pour rejeter ces paroles précédentes de Job qu’Eliud interprétait comme contentieuses, il montre ensuite que Dieu ne doit pas nécessairement répondre à chacune de nos paroles; mais il parle suffisamment à chacun pour son instruction d’où ce qu’il dit : Dieu parle une fois à savoir à l’homme... d’où par la suite il ne doit pas à chacune de nos paroles ou interrogations donner une réponse, d’où il dit : il ne dit pas deux fois la même chose; car ce qui est une fois fait et suffisamment il est superflu de le répéter. Or il montre comment Dieu parle à l’homme en disant : par songe dans une vision nocturne. Il peut y avoir un autre sens à Dieu parle une fois, en rapportant cela à l’instruction de notre esprit qui est la lumière de la raison naturelle, comme au Psaume : Beaucoup disent : qui nous montrera les biens? (4, 6) et en réponse il dit : "La lumière de votre visage, Seigneur, a brillé sur nous" (ib. 7) c’est-à-dire par laquelle nous pouvons discerner le bien du mal. Et comme la raison naturelle demeure inchangeable dans l’homme de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’elle se répète il dit donc : elle ne revient pas sur ce qu’elle a dit une fois. Ensuite il montre une autre manière pour Dieu de parler à l’homme, qui est la vision imaginaire des songes; d’où il dit : par songe dans une vision nocturne; ce qui peut se rapporter à la révélation prophétique, selon le Livre des Nombres 12, 6 "Si quelqu’un parmi vous est prophète du Seigneur, je lui parlerai par songe ou dans une vision"; ou bien on peut le rapporter aux songes ordinaires qu’Eliud croyait venir de Dieu.

Il expose ensuite le mode et l’ordre des songes : d’abord quant à la cause naturelle quand il dit : lorsque le sommeil envahit les hommes; ce qui se produit parce que, les sens extérieurs étant immobilisés, des émanations montent à la source de la sensation. En second lieu, quant à la part de la volonté humaine, lorsqu’il dit : qui dorment sur leur couche, à savoir que c’est surtout quand ils reposent dans le calme que les hommes voient des songes ordonnés et significatifs; d’où chez les malades, par suite de leur état inquiet, des songes incohérents; d’où ce que dit pertinemment Daniel 2, 28 : "Le songe que tu as eu et dans ta tête les visions, quand tu étais couché, voici leur sens : tu as ô roi, commencé à penser sur ta couche ce qui devait arriver après ces choses et celui qui révèle les mystères te l’a fait savoir". En troisième lieu il dit l’action divine chez celui qui dort : les sens extérieurs étant donc immobilisés dans le sommeil et l’homme étant au repos sur sa couche, il lui est donné la possibilité de percevoir l’instruction divine parce que son esprit n’est pas occupé de choses extérieures, d’où ce qu’il dit : alors il ouvre les oreilles des hommes; et par les oreilles est assez convenablement exprimée la possibilité de percevoir dans les rêves l’inspiration divine, car il parle de cette inspiration comme d’un langage; elle ne se fait pas par la vue des choses elles-mêmes mais par des signes comme est aussi le langage. Une fois cette possibilité d’écouter accordée, l’enseignement peut se faire, d’où il dit : et les éduquant il leur enseigne la discipline; la discipline est ici prise dans le sens des choses qui devront être accomplies ou évitées et non pour la connaissance des sciences spéculatives qui ne sont pas habituellement révélées dans des songes, d’où il ajoute : pour détourner l’homme de ce qu’il a fait; fréquemment en effet l’homme est repris pour les fautes qu’il a commises; et comme le principe des péchés est l’orgueil qui fait qu’on méprise les commandements de Dieu il dit : et le libèrera de l’orgueil. Une fois l’homme délivré du péché il échappe par conséquent à la peine. Or il montre qu’il y a une double peine; d’abord la peine spirituelle de l’âme, d’où il dit : retirant son âme de la corruption causée par le désordre des puissances de l’âme; ensuite la peine corporelle, d’où il dit : et sa vie c’est-à-dire corporelle pour qu’elle ne passe pas sous le glaive c’est-à-dire punissable pour son péché. Ou encore on peut rapporter ces deux choses à la mort corporelle qui se produit par corruption intérieure, comme quand quelqu’un meurt de maladie que Dieu envoie pour le péché; parfois elle arrive par la violence du glaive. Il dit ensuite une autre manière de langage divin : la maladie corporelle qui corrige l’homme : il note d’abord la douleur sensible d’où il dit : il reprend aussi c’est-à-dire l’homme, des péchés passés, par la douleur, à savoir corporelle qui provient de la maladie, d’où il dit : sur sa couche selon ce que dit le psaume "sur son lit de douleur" (10, 4). Il note deuxièmement la faiblesse des malades lors dit : il fait se flétrir tous ses os, à savoir, il lui enlève la force, qui se trouve dans les os. En troisième lieu, il s’agit du pain, nourriture ordinaire, qui lui est en abomination, car il est malade alors qu’il est encore en vie, ceci a rapport à l’appétit. Et la nourriture que son âme désirait auparavant se rapporte aux autres nourritures variées selon les divers besoins de chacun. En quatrième lieu il pose la maigreur lorsqu’il dit : sa chair se consumera à savoir elle disparaîtra et par conséquent les os qui furent couverts, c’est-à-dire de cette chair, se dénuderont, à savoir apparaîtront couverts seulement de la peau. Enfin il note le péril et la crainte de la mort, d’où il dit : son âme approchera de la corruption à savoir sa vie qui existe par l’âme; d’où il dit : et sa vie, de dangers mortels à savoir les causes qui amènent la mort.

Il faut remarquer qu’il a proposé tout ceci pour répondre à la plainte de Job que Dieu ne lui parle pas dans le détail. Comme on l’a vu en effet il a voulu lui prouver que Dieu lui a parlé de trois façons : d’abord par la raison naturelle comme il le fait pour tous les hommes; ensuite il l’a convaincu par des songes, car Job avait dit plus haut (7, 14) " Tu m’effraies par des songes; par des visions tu m’ébranles", enfin par la maladie, car il avait dit plus haut ( 20, 16) "Maintenant mon âme en elle-même se flétrit, la nuit la douleur pénètre mes os". Il faut de même remarquer qu’Eliud, comme les trois autres, croyait que la maladie était la rançon du péché; cependant non comme punition uniquement, comme le voulaient les trois, mais plutôt comme correction.

 

Et parce que Job s’était plaint non seulement que Dieu ne lui parlait pas mais aussi que lui-même ne pouvait approcher de Dieu pour lui parler et lui exposer sa cause, comme on l’a vu (23, 3), il veut donc satisfaire à cette demande. Car bien que l’homme n’ait pas manifestement un accès à Dieu, il y a cependant les anges, intermédiaires entre Dieu et l’homme, qui proposent à Dieu la justice de l’homme non comme pour l’en instruire mais comme pour aider les hommes dans leurs désirs et ainsi rien ne manque à l’homme même s’il ne peut par lui-même s’approcher du trône de Dieu pour lui proposer la justice d’une cause. D’où pour prouver cela il dit : s’il y aura pour lui à savoir pour l’homme affligé, un ange qui parle, à savoir qui intercède; et pour qu’on ne craigne pas qu’un seul ange ne suffise à interpeller pour tous, il dit : un parmi des milliers, selon qu’on l’a dit plus haut (25, 2) Peut-on dénombrer ses soldats?" pour faire connaître la justice de l’homme, à savoir pour proposer devant Dieu s’il y a quelque chose de juste de la part de l’homme; il aura pitié, à savoir Dieu, de lui c’est-à-dire de l’homme affligé, et il dira, c’est-à-dire qu’il commandera à l’ange libère-le, à savoir qu’étant l’informateur de la justice de l’homme devant Dieu ainsi aussi il est l’exécuteur de la miséricorde divine auprès des hommes. Et il dit ce dont il doit le libérer pour qu’il ne descende pas dans la corruption à savoir dans la mort; et il montre que cette libération plaît à Dieu en faisant dire à Dieu j’ai trouvé de quoi lui pardonner, et donc qu’il apparaît chez l’homme quelque justice que je cherchais pour en avoir pitié. Et parce que Job avait dit plus haut (7, 5) en quelque sorte dans l’impossibilité d’une guérison " Ma chair est revêtue de pourriture", pour exclure cela il dit : si les tourments ont dévoré sa chair, comme pour dire : cela ne peut porter préjudice à ma puissance; d’où ce qu’il dit : qu’il revienne aux jours de son adolescence, à savoir qu’il récupère sa vigueur comme dans l’adolescence.

Ainsi donc étant posées les paroles de Dieu qui libère, Eliud revenant à ses propres paroles décrit la manière dont l’homme est libéré, en disant : il invoquera Dieu, comme s’il disait : ce n’est pas assez qu’un ange parle pour lui, mais pour être libéré il doit aussi prier pour lui-même; mais on peut aussi faire suivre autrement; parce qu’en effet il avait montré plus haut que l’homme ne peut se plaindre de ne pouvoir porter sa cause devant Dieu, car un ange la propose pour lui efficacement, il montre maintenant qu’il peut la proposer lui-même en priant. Et il montre que cela aussi est efficace, comme la première manière en introduisant et il lui sera longanime, c’est-à-dire Dieu pour l’homme, selon ce que dit le prophète Joël " Il est bon, et miséricordieux et longanime plus que la malice" (2, 13). Et de là vient pour l’homme de pouvoir avec confiance penser à Dieu avec une joie spirituelle, d’où il dit : et il verra, à savoir l’homme, sa face, c’est-à-dire qu’il considérera sa bonté, imparfaitement en cette vie, parfaitement dans l’autre dans la jubilation, à savoir dans une joie en quelque sorte inexplicable; et ainsi il rendra, à savoir Dieu à l’homme sa justice, c’est-à-dire qu’il récompensera ses mérites, après lui avoir enlevé son péché. Mais cela n’est possible que si l’homme reconnaît humblement son péché et le confesse; d’où il dit : et il jettera un regard vers les hommes, en quelque sorte s’offrant volontiers à l’aveu de leur péché; d’où il dit : et il dira : j’ai péché. Et pour qu’on ne pense pas qu’il dit cela par fausse humilité il ajoute : et vraiment j’ai failli; à l’encontre de ce que Job avait dit plus haut (17, 2) "Je n’ai pas péché et dans l’amertume mon regard s’attarde". Et dans sa confession il ne se plaindra pas de la gravité du châtiment; et donc il dit : autant que j’en étais digne, je n'ai pas reçu il veut dire qu’il avait mérité une plus lourde peine et cela pour s’opposer à ce que Job avait dit plus haut (6, 2) " Plût au ciel que mes péchés soient pesés par lesquels j’ai mérité la colère". Et il montre le fruit de l’humilité en disant : Il a en effet libéré mon âme, c’est-à-dire en confessant mon péché pour qu’elle n'aille pas à sa perte, à savoir à la mort, c’est-à-dire corporelle ou spirituelle, et pour qu’elle obtienne en outre ses bienfaits; d’où il dit : mais qu’en vivant elle voie la lumière, soit corporelle, soit la lumière spirituelle de la sagesse.

Et parce que Dieu ne damne pas aussitôt et pour toujours l’homme, mais l’avertit de nombreuses fois il dit : donc tout cela, c’est-à-dire l’instruction par les songes et son avertissement par les souffrances et la guérison, Dieu le fait par trois fois, à savoir plusieurs fois aussi longtemps qu’il voit expédient; mais il use du nombre trois pour se conformer à l’usage par lequel on avertit ou cite les hommes trois fois. Mais il en agit ainsi non seulement pour un seul mais pour tous ceux qui en ont besoin : d’où ce qu’il dit : pour chacun qu’il voit devoir être instruit ou averti. Et il indique l’utilité en disant : pour rappeler leur âme de la corruption, ce qui se rapporte à la libération du mal et les illuminer de la lumière des vivants ce qui se rapporte à l’obtention des bienfaits soit corporels soit spirituels. Quant à ce qui est dit ici “trois fois” doit s’entendre des deux derniers modes de langage : car du premier il est dit qu’il ne le répète pas. Il a amené ceci pour montrer pourquoi les pécheurs sont parfois maintenus dans la prospérité et ne sont pas aussitôt condamnés.

Et comme il lui semble avoir parlé efficacement il invite Job à écouter en silence ce qui lui reste à dire, d’où ce qu’il dit : sois attentif, ô Job, c’est-à-dire en ton cœur; et écoute moi, c’est-à-dire des oreilles; et tais-toi pendant que je parle, c’est-à-dire ne m’interromps pas. Et pour ne pas lui enlever la possibilité de répondre il dit : mais si tu as quelque chose à dire, réponds moi; et comme s’il désirait sa réponse il ajoute : parle; et pourquoi il le désire, il le dit : je veux en effet que tu sois reconnu juste; il dit cela pour montrer qu’il ne cherche pas à l’humilier. Et comme il ne croyait pas qu’il était juste, il dit : que si tu n’as rien (à dire) pour te justifier, écoute moi, tais toi et je t’enseignerai la sagesse, à savoir, que tu ignores.

 

 

Caput 34

Job 34 — Discours sur la justice divine

 

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "pédagogie divine sur les individus" (Job 34, 1-23)

[84932] Super Iob, cap. 34 Pronuntians quoque Eliud haec locutus est. Postquam Eliud reprehenderat Iob de hoc quod cum Deo disputare cupiebat, accedit ad disputandum contra illa duo quae supra praemiserat, et primo disputat contra id quod, sicut sibi videbatur, Iob dixerat divinum iudicium esse iniustum; et quia haec materia est valde difficilis et sublimis, non est contentus in hac disputatione ad solum Iob verba dirigere, praecipue quia putabat in hac materia esse erroneum, sed invocat sapientes ad hanc rem diiudicandam. Hominum autem quidam sapientiam per se ipsos considerant, et quantum ad hoc dicit audite, sapientes, verba mea, quidam vero de his quae ad sapientiam pertinent instruuntur, et quantum ad hoc subdit et eruditi, scilicet ab aliis, auscultate me. Quare autem alios ad audientiam invitet ostendit subdens auris enim verba probat, quasi dicat: ad hoc vos invito quod verba mea audientes ea diiudicetis; et inducit similitudinem cum subdit et guttur escas gustu diiudicat, quasi dicat: sicut gustus habet iudicare de escis ita auditus de verbis. Ad quid autem haec pertineant exponit subdens iudicium eligamus nobis, quasi dicat: ex communi consensu iudicemus quid verius sit, et hoc est quod subdit et inter nos videamus quid sit melius, utrum scilicet quod Iob dixit aut illud quod ego sum contra eum dicturus. Unde consequenter proponit verbum Iob subdens quia dixisti, Iob: iustus sum; hoc idem dixerat supra XXVII 6 iustificationem meam quam coepi tenere non deseram, et ulterius suam iustitiam manifestaverat quantum ad multa supra XXXI. Subdit autem et Deus subvertit iudicium meum, et hoc idem accipit ex hoc quod Iob supra XXVII 2 dixerat vivit Deus qui abstulit iudicium meum, et ad idem pertinere videtur quod supra XIX 6 dixerat Deus non aequo iudicio afflixit me. Quae quidem verba Eliud in peius interpretatus est: Iob enim suum iudicium ablatum esse dixerat quia poenas sibi irrogatas esse aestimabat non ex iudicio punientis culpam sed ex providentia probantis iustitiam, unde supra XXIII 10 dixerat probabit me quasi aurum quod per ignem transit; non autem quicumque non utitur iudicio subvertit iudicium, sed solum ille qui iudicium profert iniustum: sic ergo interpretatus est quod Iob dixerat Deus abstulit iudicium, ac si dixisset: Deus subvertit iudicium meum iniuste iudicando, unde subdit in iudicando enim me est mendacium, idest falsitas iudicii; quod quidem Iob numquam dixerat, sed Eliud hanc esse eius intentionem in verbis praemissis credidit, ut diceret se esse iniuste punitum. Ideo autem hanc opinionem Eliud conceperat quia non videbat qualiter aliquis absque peccato posset affligi nisi iniuste; et quia Iob sine peccato se esse dicebat, aestimabat quod Iob sentiret se a Deo percussum per violentiam contra iustitiam, unde subdit et violenta est sagitta mea absque peccato, quasi dicat Iob dixisse: cum sim absque peccato, sagitta qua Deus me vulneravit, idest adversitas immissa, violenta fuit, non iusta; et videtur alludere verbis Iob quibus supra dixerat sagittae domini in me sunt. Postquam igitur hanc perversitatem Eliud imposuerat ipsi Iob, eum super hoc vituperare incipit dicens quis est vir ut est Iob? Quasi: nullus, qui vir videatur, est ita perversus ut ipse; maxima enim perversitas videtur ut aliquis Deum irrideat eius iudiciis detrahendo, unde subdit qui bibit subsannationem, idest divinorum iudiciorum irrisionem et reprobationem, quasi aquam, quae scilicet et faciliter et cum refrigerio bibitur, ac si ei imponeret quod hoc quod in contumelias Dei prorumperet, esset ei ad tribulationis refrigerium et absque obstaculo conscientiae contradicentis hoc ageret. Solet autem hoc esse proprium in peccatis perseverare volentium ut divina contemnant iudicia, unde subdit qui graditur, idest consentit, cum operantibus iniquitatem, qui scilicet iudicia divina despiciunt; homines autem contra pietatem divinae religionis agentes non solum despiciunt divina iudicia sed etiam ea negant vel asserunt iniusta, quorum participem Iob esse credebat, unde subdit et ambulat cum viris impiis, qui scilicet pietatem divinae religionis abiciunt. Quare autem eum cum eis consentire dicat ostendit subdens dixit enim: non placebit vir Deo etiam si cucurrerit cum eo, idest etiam si eum secutus fuerit per viam iustitiae. Hoc autem Iob non dixerat, sed verbis eius Eliud abutens hoc ei imponit; dixerat enim supra Iob XXIII 11 vestigia eius secutus est pes meus, et postea supra XXX 21 dixerat mutatus es mihi in crudelem, et in duritia manus tuae adversaris mihi, ex quibus verbis credebat Iob hoc sentire quod Deo displiceret quamvis eum fuerit secutus, sed Iob praedicta verba retulerat ad exteriorem persecutionem, non ad interiorem reprobationem. Quia ergo Eliud verbis Iob abutens ei imponere nitebatur quod ipse non sentiebat nec in suis verbis intellexerat, manifestum est quod tota sequens disputatio contra Iob non erat; quia tamen Eliud aestimabat Iob tantae perversitatis esse ut Dei iudicium reputaret iniustum, dedignatur eum super hoc ad disputationem provocare sed alios sapientes advocat ad iudicandum, unde subdit ideo viri cordati, idest intelligentes, audite me: sicut enim cor est principium vitae corporalis, ita intellectus est principium totius intellectualis vitae, unde et supra XII 3 cor pro intellectu posuerat dicens et mihi est cor sicut et vobis. In sua autem disputatione Eliud primo proponit quod probare intendit, quod scilicet in divino iudicio iniustitia esse non possit: ipse enim est Deus cui debetur pietatis cultus, et per suam omnipotentiam omnibus dominatur leges iustitiae statuens homini; et ideo contra divinitatem eius esset si impietati faveret, et ideo dicit absit a Deo impietas; esset etiam contra dominium omnipotentiae eius si ad iniustitiam declinaret, unde subdit et ab omnipotente iniquitas, scilicet absit. Remota autem divina iniustitia, ostendit modum divinae iustitiae subdens opus enim hominis reddet ei, idest retribuet ei bonum vel malum pro eius operibus; et quia eorum qui bene operantur quidam aliis melius faciunt, et eorum qui male operantur quidam aliis magis peccant, ideo subdit et iuxta vias singulorum restituet eis, scilicet melius meliori et peius peiori. Quod autem in Deo non sit iniustitia probat primo quidem ex hoc quod si ipse iniustus esset nusquam iustitia reperiretur, quia ad ipsum pertinet universale iudicium omnium, unde subdit quem constituit alium super terram? Quasi dicat: numquid credendum est quod aliquis sit constitutus a Deo qui iuste iudicet omnem terram, si apud ipsum sit iniquitas? Ideo autem dicit credendum non esse quod alius terram iudicet quia idem est factor mundi et gubernator; unde sicut nulli alii commisit quod faceret mundum, ita nullum alium praeposuit gubernationi mundi, et hoc est quod subdit aut quem posuit super orbem quem fabricatus est, idest totius orbis gubernatorem? Quasi dicat nullum, quia sicut ipse per se ipsum orbem fabricatus est, ita etiam per se ipsum orbem gubernat et iudicat; habet quidem gubernationis suae executores tamquam ministros, sed ipse est omnium ordinator: nullo autem modo possibile est quod universalis mundi gubernatio sit iniusta. Secundo ostendit quod apud Deum non sit violentia et iniquitas per experimentum: tanta est enim eius potentia qua res conservat in esse ut, si violentia uti vellet contra iustitiam, omnes homines subito posset extinguere, unde subdit si direxerit, scilicet Deus, ad eum, scilicet ad hominem conterendum, cor suum, idest voluntatem suam, spiritum suum, idest animam eius, et flatum, idest corporalem vitam ex anima subsecutam, ad se trahet, eum scilicet sua virtute a corpore separans, secundum illud Eccl. ult. et spiritus revertatur ad Deum qui dedit illum. Ablato autem spiritu divinitus homini dato, consequens est ut carnalis vita deficiat, unde subdit deficiet omnis caro simul, idest species carnis cessabit, et ulterius in sua componentia resolvetur, unde subdit et homo in cinerem revertetur, secundum illud Psalmi auferes spiritum eorum et deficient et in pulverem suum revertentur. Pulverem autem in quem caro resolvitur cinerem nominat, vel quia apud antiquos corpora mortuorum igne combusta resolvebantur in cineres, vel quia ea in quae corpus mortuum resolvitur sunt quaedam reliquiae caloris naturalis qui in humano corpore vigebat. Quia ergo tam facile est Deo, si velit, in cinerem redigere totum genus humanum, ex ipsa hominum conservatione apparet quod ad eos violentia iniusta non utitur. Quia ergo Eliud putavit praedictas rationes esse sufficientes, ad earum considerationem Iob invitat cum subdit si ergo habes intellectum, ut scilicet vim mearum rationum percipere possis, audi quod dicitur, scilicet exterioribus auribus, et interiori attentione ausculta vocem eloquii mei, ut scilicet iustitiam divini iudicii recognoscas; ad quod etiam eum inducit ex proprio periculo vel utilitate cum subdit numquid qui non amat iudicium sanari potest? Quasi dicat: tu qui sanari indiges, quasi multis infirmitatibus oppressus, hoc consequi non potes nisi ames divinum iudicium. Improbat autem consequenter eius sententiam, quam esse putabat de iniustitia divini iudicii, per multa evidentia indicia divinae iustitiae, unde subdit et quomodo tu eum, scilicet Deum, qui iustus est, ut scilicet per multa apparet, intantum condemnas, ut scilicet eum dicas iudicii subversorem? Ad commendationem autem divinae iustitiae primo assumit quod potentum personas Deus non accipit sed eos arguit et punit pro suis peccatis. Inter potestates autem humanas praecellit regia dignitas, et quantum ad hoc primo dicit qui, scilicet Deus, dicit regi: apostata. Idest non veretur regem arguere de apostasia propriae professionis qua profitetur se iustitiam servaturum; secundum autem locum tenent duces exercituum, de quibus subdit qui vocat duces impios, quasi dicat: non timet eos de crudelitate arguere; tertio loco ponit rectores civitatum, cum subdit qui non accipit personas principum, quin scilicet eos et arguat et iudicet pro peccatis; quarto autem loco tangit eos qui non habent legitimam sed usurpatam potestatem, scilicet tyrannos, et quantum ad hoc subdit nec cognovit, idest approbavit, tyrannum, ei scilicet deferendo, cum disceptaret, scilicet tyrannus, contra pauperem, quasi dicat: non favet potentibus contra impotentes, quod ad eius iustitiam pertinet. Et quare eis non deferat subdit opus enim manuum eius sunt universi, scilicet tam magni quam parvi, et ideo parvos non despicit sed amat sicut sua opera, nec potentes timet cum sint suae potestati subiecti. Et ne crederet aliquis quod potentes Deus solum argueret, non autem eos ulterius puniret, subditur de eorum duplici poena: primo quidem de morte ex improviso eis superveniente, unde subditur subito morientur, secundum illud Is. XXX 13 subito dum non speratur veniet contritio eius; si enim consueto modo eis mors expectata superveniret, non imputaretur hoc divino iudicio sed inferioribus causis. Secundo ponit poenam rebellionis subditorum, per quam potestatem amittunt, unde subdit et in media nocte curvabuntur populi, idest populi regibus et principibus subiecti subito incurvantur ex aliqua occulta machinatione ad hoc quod principes suos deserant, unde subdit et pertransibunt, scilicet dominium commutantes, et auferent, idest deponent a dominio vel etiam occident, violentum, idest eum qui spreta iustitia violentiam subditis inferebat, absque manu, scilicet armatorum: cum enim aliquis princeps ab extraneis aufertur requiritur quod habeat manum armatam contra ipsum, sed quando subditi in quibus erat tota eius potentia subito eum deserunt, videtur auferri sine manu; quamvis et hoc possit referri ad poenam populorum, sed primum melius est quia nunc agitur de iustitia quam Deus exercet in magnos, postea autem dicetur de iustitia quam exercet in populos. Ut autem huiusmodi poenae ex divino iudicio provenire credantur, subdit oculus enim eius, idest prospectus divinae providentiae, est super vias hominum, idest super opera eorum; et ut exprimat Deum singulariter omnia particularia operum humanorum cognoscere, subdit et omnes gressus eorum, idest omnes processus operationum humanarum, considerat, scilicet distincte, non solum in generali. Posset autem aliquis credere quod quia Deus lux est, impii autem in tenebris sunt, quod occultentur a Deo, sed hoc excludit subdens non sunt tenebrae, scilicet ignorantiae, et non est umbra mortis, idest obscuritas culpae ducens ad mortem, ut abscondantur ibi qui operantur iniquitatem, quasi scilicet sicut ipsi cognoscere Deum nolunt ita Deus eos non cognoscat; dicitur tamen eos ignorare reprobando. Et quia dixerat principes pro suis peccatis subito mori et auferri, quod videtur esse irremediabilis poena, huius rationem ostendit consequenter ex hoc quod ex quo Deus hominem iudicat pro suis peccatis finaliter condemnandum, non datur homini facultas ut ulterius quasi iudicio decertet cum Deo: et hoc est quod subdit neque enim ultra, scilicet postquam Deus iudicat eum condemnandum, in hominis potestate est ut veniat ad Deum in iudicium, quasi scilicet Deus sit propter eum suum iudicium retractaturus; et hoc praecipue videbatur dicere contra Iob qui postquam condemnatus erat ad poenam, supra XXIII 3 dixerat veniam usque ad solium eius, ponam coram eo iudicium. Conteret multos et innumerabiles et cetera. Duo sunt propter quae homines maxime solent a iustitia declinare, quorum primum est quia deferunt magnatibus, secundum est quia deferunt multitudini contra iustitiam; ostenderat autem supra perfectionem divinae iustitiae ex hoc quod magnatibus non defert, unde nunc consequenter ad commendationem divinae iustitiae ostendit quod nec etiam multitudini peccantium defert, unde dicit conteret multos, scilicet peccatores, eos occidendo vel aliter puniendo. Et ne credatur usque ad aliquam certam quantitatem multitudinis procedere divinam iustitiam et non ultra, subdit et innumerabiles, quasi dicat: certo numero comprehendi non possunt illi quos propter peccata Dei iustitia conterit. Sed ne ex hoc deperire credatur humani generis status, subdit et stare faciet alios pro eis, quia scilicet quibusdam morientibus alii succedunt, et quibusdam a prosperitate decidentibus alii sublevantur, ut sic quodammodo uniformitas in genere humano appareat. Solet autem contingere quod quando sunt multi puniendi, non possunt iudices singulorum causas diligenter perscrutari; sed ne hoc de Deo credatur subdit novit enim opera eorum, quid scilicet unusquisque mereatur; et ideo singulis secundum sua opera retribuit, unde subdit idcirco inducet noctem, idest subitam et inopinatam adversitatem, et conterentur, scilicet ex improviso. Quare autem in nocte opprimantur ostendit ex hoc quod, cum ipsi possent videre illud quod eis expediebat, hoc contempserunt, et ideo iustum est ut non detur eis facultas praevidendi supervenientia mala ad cavendum: et hoc est quod subdit quasi impios, idest pietatis notitiam respuentes, percussit eos, scilicet existentes in loco videntium, idest in statu in quo videre poterant, tum per naturalem rationem tum per sacram doctrinam, quid esset faciendum et quid esset vitandum; sed hoc ipsi respuerunt, unde subdit qui quasi de industria recesserunt ab eo, scilicet Deo, peccantes ex certa malitia. Unde ponit consequenter in eis ignorantiam affectatam cum subdit et omnes vias eius, idest mandata Dei, intelligere noluerunt, et sic patet quod propter ignorantiam non excusantur sed magis damnabiles redduntur. Effectum autem huiusmodi malitiae affectatae ostendit subdens ut pervenire facerent ad eum clamorem egeni, quasi dicat: intantum ostendunt se viarum Dei ignaros ut pauperes opprimerent quos Deus exaudit; unde sicut non exhorrent pauperum oppressionem, ita non timent Dei indignationem, unde subdit et audiret vocem pauperum, quasi dicat: parvipendunt quod Deus voluntatem suam adhibet ad pauperes exaudiendum. Et quia multitudinis contritionem attribuerat divino iudicio, posset autem aliquis credere hoc non provenire ex divino iudicio quod aliqua multitudo conteritur et alia prosperatur, sed per alicuius potentis principis aut gubernationem aut impugnationem, ideo ad hoc excludendum subdit ipso enim concedente pacem, quis est qui condemnet? Quasi dicat: ideo dico quod ipse est qui conterit multos et innumerabiles, quia si ipse vellet eis pacem temporis et prosperitatis concedere, nullus posset multitudinem condemnare, et e contrario si ipse condemnare intendit, nullus est qui possit pacem praebere, unde subdit ex quo abscondit faciem suam, subtrahendo scilicet suae consolationis praesentiam, quis est qui contempletur eum, idest qui possit in eo consolationem invenire quasi eius pulchritudinem videndo? Est autem et alia poena multitudinis praeter contritionem, qua scilicet affligitur tyrannorum dominio, et quantum ad hanc poenam subdit et super gentem et super omnes homines, quasi dicat: non solum in una gente iudicia sua exercet per contritionem vel tyrannorum oppressionem, sed etiam in omnes homines; et subdit de tyrannorum oppressione qui regnare facit hominem hypocritam propter peccata populi, qui scilicet ex eius regimine affligitur, in quo etiam videtur respondere quaestioni quam Iob proposuerat supra XXI 7 quare impii vivunt, confortati sunt sublimatique divitiis? Hoc enim esse asserit non propter eorum merita, sicut ibidem Iob probaverat, sed propter aliorum demerita qui ex eorum prosperitate puniuntur. Sic ergo ostenso quod in Deo iniustitia esse non potest et quod eius iustitia maxime manifesta est ex iudiciis quae exercet in principes et multitudinem, dat Iob locum respondendi, unde subdit quia ergo ego locutus sum ad Deum, idest ea quae ad Dei honorem spectant, te quoque non prohibebo, dans scilicet tibi locum respondendi. Et ad quid debeat sua responsio tendere ostendit subdens si erravi, scilicet sicut aliis amicis tuis imposuisti, scilicet quod essent cultores perversorum dogmatum, tu doce me, scilicet veritatem ut possim ab errore liberari. Potest autem aliquis in loquendo deficere non solum errando contra veritatem doctrinae, sed etiam in particulari iudicio deficiendo contra veritatem iustitiae, unde subdit si iniquitatem locutus sum, ultra non addam, ostendens scilicet se correctioni paratum. Et quia aestimabat quod Iob contra eum graviter turbaretur, consequenter ostendit eius turbationem esse iniustam subdens numquid a te Deus expetit eam? Quasi dicat: etiam dato quod sim iniquitatem locutus, tu pro ea non teneris Deo respondere, unde non debes graviter per hoc turbari, unde subdit quia displicuit tibi? Scilicet per inordinatam animi turbationem. Ostendit autem secundo quod non debet inde graviter turbari quia ipsemet Iob verba inceperat dicens pereat dies etc., ex quibus tota disputatio habuit ortum, unde subdit tu enim coepisti loqui, et non ego. Tertio ostendit eum non debere graviter turbari quia ipse etiam habet facultatem dicendi quod sibi placuerit, unde subdit quod si quid nosti melius, scilicet quam ego dixerim, loquere, scilicet ostendendo errorem vel iniquitatem meam. Et ne videretur hoc dixisse quasi dubitans de sua iustitia et veritate suorum verborum, intendit asserere consequenter Iob et in sapientia et in intellectu deficere: et propter hoc reputabat eum indignum sua disputatione, cuius una pars pertinet ad opponentem, in quo maxime requiritur acumen intellectus ad inveniendum rationabiles vias ad propositum ostendendum, unde subdit viri intelligentes loquantur mihi, scilicet mihi obicientes; altera vero pars disputationis pertinet ad respondentem, in quo maxime requiritur sapientia ut bene iudicet de auditis, unde subdit et vir sapiens audiat me, scilicet opponentem, paratus ad respondendum. Horum autem defectum in Iob ex eius verbis collegerat, unde subdit Iob autem stulte, idest contra sapientiam, locutus est, quantum scilicet ad hoc quod reputabat eum aliquid dixisse contra rectitudinem divini iudicii, et verba illius non sonant disciplinam, quae scilicet pertinet ad ordinatam intelligentiam, et hoc videtur retulisse ad hoc quod Iob se iustum asserebat. Et quia Iob istos defectus in se non recognoscebat, convertit Eliud verba sua ad Deum postulans ut probetur Iob ad suos defectus recognoscendum, unde subdit pater mi, idest o Deus quem patrem reputo propter reverentiam quam ad te habeo, iustitiam tuam in omnibus defendens, probetur Iob, idest ostendatur sibi per flagella suus defectus, usque ad finem, idest quousque se recognoscat iniustum; vel usque ad finem, idest usque ad mortem. Et huius petitionis iustitiam ostendit subdens ne desinas ab homine iniquitatis, quasi dicat: iniquitas sua hoc meretur ut flagella non cessent. Et ad maiorem exaggerationem subdit qui super peccata sua, scilicet praeterita pro quibus flagellatus est, addit blasphemiam, ut scilicet se iustum, Deum vero asserat iniustum; pro quo exoptat ei primo quidem poenam in praesenti, unde subdit inter nos interim constringatur, scilicet adversitatibus; secundo autem innuit poenam futuram, unde subdit et tunc, scilicet iam temporaliter afflictus, ad iudicium, scilicet futurae ultionis, provocet sermonibus suis Deum, quibus scilicet contra eum blasphemat.

1 Eliud reprit et dit :

2 Sages, écoutez mes discours; hommes intelligents, prêtez-moi l'oreille. 3 Car l'oreille juge les paroles, comme le palais discerne les aliments. 4 Tâchons de discerner ce qui est juste; cherchons entre nous ce qui est bon. 5 Job a dit : "Je suis innocent, et Dieu me refuse justice. 6 Quand je soutiens mon droit, je passe pour menteur, ma plaie est douloureuse, sans que j'aie péché." 7 Y a-t-il un homme semblable à Job? Il boit le blasphème comme l'eau! 8 Il s'associe aux artisans d'iniquité, il marche avec les hommes pervers. 9 Car il a dit : "Il ne sert de rien à l'homme de chercher la faveur de Dieu."

10 Ecoutez-moi donc, hommes sensés : Loin de Dieu l'iniquité! Loin du Tout-Puissant l'injustice! 11 Il rend à l'homme selon ses œuvres, il rétribue chacun selon ses voies. 12 Non, certes, Dieu ne commet pas l'iniquité, le Tout-Puissant ne viole pas la justice. 13 Qui lui a remis le gouvernement de la terre? Qui lui a confié l'univers? 14 S'il ne pensait qu'à lui-même, s'il retirait à lui son esprit et son souffle, 15 toute chair expirerait à l'instant, et l'homme retournerait à la poussière. 16 Si tu as de l'intelligence, écoute ceci, prête l'oreille au son de mes paroles : 17 Un ennemi de la justice aurait-il le suprême pouvoir? Oses-tu condamner le Juste, le Puissant, 18 qui dit à un roi : "Vaurien!" aux princes : "Pervers!" 19 qui ne fait point acception de la personne des grands, qui ne regarde pas le riche plus que le pauve, parce que tous sont l'ouvrage de ses mains? 20 En un instant ils périssent, au milieu de la nuit, les peuples chancellent et disparaissent; le puissant est emporté sans main d'homme. 21 Car les yeux de Dieu sont ouverts sur les voies de l'homme, il voit distinctement tous ses pas. 22 Il n'y a ni ténèbres ni ombre de la mort, où puissent se cacher ceux qui commettent l'iniquité. 23 Il n'a pas besoin de regarder un homme deux fois, pour l'amener au jugement avec lui.

1 Eliud continue et dit : 2 ô sages, mes paroles et vous les érudits, prêtez l’oreille. 3 En effet l’oreille éprouve les paroles et le gosier juge en goz2tant les aliments. 4 Choisissons-nous un jugement et entre nous voyons ce qui est meilleur. 5 Car tu as dit, ô Job, je suis juste et Dieu ruine ma cause. 6 En me jugeant en effet il ment et violente est ma flèche, sans avoir péché. 7 Quel homme que ce Job! qui boit la vilenie comme de l’eau; 8 Qui marche avec les ouvriers d’iniquité et fréquente les impies. 9 Il a dit en effet : l’homme ne plaira pas ô Dieu même s’il court avec lui. 10 Vous donc, hommes de cœur, écoutez moi. Loin soit de Dieu l’impiété et du Tout-Puissant l’iniquité. 11 Il rendra à l’homme son ouvrage; et selon les voies de chacun il restituera. 12 En vérité Dieu ne condamnera pas en vain; le Tout-Puissant ne détruit pas son jugement. 13 Quel autre a-t-il placé sur la terre? Ou qui a-t-il mis sur le globe qu’il a fait? 14 S'il tournait vers lui son cœur, l’esprit et le souffle iraient d lui; 15 Toute la chair sera perdue en une fois et l’homme retournera en poussière. 16 Si donc tu as de l’intelligence, écoute ce qui est dit, et perçois la voix de mon discours. 17 Celui qui n’aime pas le jugement peut-il être guéri? Et comment peux-tu condamner celui qui est juste?' qui dit au roi : Apostat! qui appelle impies les chefs. 19 qui ne prend pas en considération la personne des princes, qui ne connaît pas le tyran discutant contre le pauvre : tous sont l’ouvrage de ses mains. 20 Ils mourront subitement et au milieu de la nuit les peuples se détourneront et ils iront ailleurs et ils enlèveront le violent sans défense. 21 Son regard en effet est sur les voies des hommes, et il considère toutes leurs démarches. 22 Il n’y a pas de ténèbres, ni ombre de mort où puissent se cacher ceux qui font le mal. 23 En effet au delà il n y a plus moyen que l’homme vienne en jugement auprès de Dieu.

 

Après qu’il a repris Job d’avoir voulu contester avec Dieu, Eliud en vient aux deux sujets qu’il avait proposés plus haut Et d’abord selon lui, que Job aurait dit injuste le jugement de Dieu. Et comme ce sujet est des plus délicats et très élevé, il ne se contente pas dans cette dispute de s’adresser seulement à Job, d’autant qu’il le jugeait errer en cette matière, mais il fait appel aux sages pour juger de cette chose. Or certains parmi les hommes considèrent la sagesse par eux-mêmes, et quant à cela il dit : écoutez, sages, mes paroles; d’autres sont instruits de ce qui est de la sagesse et quant à cela il dit et les érudits, c’est-à-dire par d’autres, prêtez l’oreille. Et pourquoi il en invite d’autres à l’écouter, il le montre en disant : l’oreille en effet éprouve les paroles, comme s’il voulait dire : je vous invite, après m’avoir écouté, à juger mes paroles; et il amène une comparaison lorsqu’il dit : comme le gosier juge les aliments, comme pour dire : de même que le goût juge des aliments ainsi les oreilles jugent les paroles. Il expose quelles sont ces paroles en introduisant choisissons-nous un jugement, c’est-à-dire de commun accord jugeons ce qui est le plus vrai; et c’est ce qu’il dit : et entre nous voyons ce qui est le meilleur, c’est-à-dire : ou bien ce que Job a dit : ou bien ce que je vais dire.

Et donc il propose la parole de Job car tu as dit, ô Job, je suis juste; il avait dit la même chose plus haut 27, 6 : "Je n’abandonnerai pas la justification que j’ai entreprise" et par après il avait manifesté sa justice en beaucoup de choses (ch. 31). Il dit : et Dieu a ruiné ma cause; et cela il le tient de ce que Job avait dit 27, 2 : "Vive Dieu qui a rejeté ma cause"; ce qui revient à ce qu’il avait dit 19, 6 : "Dieu m'afflige injustement". Or ces paroles Eliud les interprète en mauvaise part; Job en effet avait dit que son jugement avait été rejeté parce qu’il estimait que les châtiments lui avaient été infligé non par un jugement qui punit une faute mais en vue de faire éclater sa justice, d’où il avait dit plus haut : "Il m’éprouvera comme l’or qui passe dans le feu " : or ce n’est pas celui qui ne se sert pas d’un jugement qui le ruine mais celui là seulement qui prononce un jugement injuste. Ainsi il a donc interprété ce que Job avait dit : "Dieu a rejeté le jugement" comme s’il avait dit : Dieu a ruiné le jugement en me jugeant injustement, d’où il dit : en me jugeant en effet il y a eu mensonge, à savoir fausseté du jugement, ce que Job n’avait jamais dit; mais Eliud a cru que telle était son intention dans les paroles précédentes pour dire qu’il était puni injustement. Or Eliud avait conçu cette opinion parce qu’il ne voyait pas comment un innocent pouvait être puni justement; et comme Job se disait innocent il pensait que Job se sentait frappé par Dieu faisant violence au droit; d’où ce qu’il dit : et violente est ma flèche sans avoir péché, comme s’il disait : Job a dit : alors que je suis innocent, la flèche dont pieu m’a blessé, à savoir l’adversité qu’il m’a envoyée, a été violente et injuste, et il fait allusion aux paroles prononcées par Job " Les flèches du Seigneur sont sur moi " (6, 4).

Après avoir mis au compte de Job cette perversité, Eliud se met à le vitupérer en disant : Quel homme que ce Job ! comme de dire : aucun n’est aussi pervers que lui; en effet c’est la plus grande des perversité que de se moquer de Dieu en reprenant ses jugements; d’où il dit : qui boit la vilenie, à savoir la dérision et la réprobation des jugements divins, comme de l’eau : à savoir qui se boit facilement et qui rafraîchit, comme s’il le chargeait d’avoir lancé contre Dieu des injures et qu’ainsi il y trouvait un adoucissement à sa tribulation et sans que sa conscience le lui reproche. C’est en effet l’habitude de ceux qui veulent persévérer dans le péché de mépriser les jugements divins; d’où il dit : qui marche, à savoir qui consent, avec les ouvriers d’iniquité, c’est-à-dire ceux qui méprisent les jugements divins; et effet ceux qui sont hostiles à la piété de la religion divine non seulement méprisent les jugements de Dieu mais encore ils les nient ou affirment qu’ils sont injustes; de ceux-là il croyait que Job en faisait par d’où il dit : et fréquente les impies qui rejettent la piété de la religion divine. Il montre pourquoi il consent avec eux il a dit : en effet l'homme ne plaira pas à Dieu même s’il court avec lui, à savoir même s’il l’avait suivi dans les voies de la justice. Or Job n’avait pas dit cela, mais abusant de ses paroles Eliud le lui reproche en effet Job avait dit 23. 11 " Mon pied a suivi ses traces " et aussi 30, 21 : "Tu t’es changé pour moi en bourreau et avec dureté ta main m’a attaqué" de ces paroles il concluait que Job croyait avoir déplu à Dieu bien qu’il l’ait suivi, mais Job avait rapporté ces paroles à la persécution extérieure, non à la réprobation intérieure.

Donc puisqu’Eliud abusant des paroles de Job s’efforçait de lui imputer ce qu’il ne croyait pas, ni n’avait exprimé dans ses paroles, il est clair que toute la discussion suivante n’avait pas de raison d’être contre Job. Cependant comme Eliud estimait que Job était tellement pervers jusqu’à penser que Dieu était injuste, il dédaigne de le provoquer à la discussion sur ce sujet mais il fait appel à d’autres sages pour en décider; d’où il dit : vous donc, hommes de cœur, à savoir qui comprenez, écoutez moi; en effet de même que le cœur est le principe de la vie corporelle, ainsi l’intellect est le principe de toute la vie intellectuelle, d’où plus haut 12, 3 Job avait-il mis le cœur au lieu de l’intelligence en disant : "J’ai un cœur comme vous aussi".

Au cours de sa discussion Eliud propose d’abord ce qu’il veut prouver, à savoir qu’il ne peut y avoir d’injustice dans le jugement divin en effet c’est à Dieu qu’on doit le culte de la piété et par sa toute puissance il règne sur tous, statuant pour l’homme les lois de la justice et donc ce serait contraire à sa divinité s’il était en faveur de l’impiété et donc il dit : loin soit de Dieu l’impiété; ce serait aussi contraire au domaine de sa toute puissance s’il se laissait aller à l’in justice, d’où il dit : et du Tout-Puissant l’iniquité, à savoir qu’elle ne soit pas. Rejetée l’injustice en Dieu, il montre la manière de la justice divine en introduisant en effet il rendra à l’homme son ouvrage, à savoir : il le récompensera ou le punira selon ses œuvres; et parce que parmi ceux qui agissent bien certains font mieux que d’autres il dit : donc et selon les voies de chacun il leur restituera, à savoir en mieux pour qui est meilleur, en pis pour qui est pire.

Qu’il n’y a pas en Dieu d’injustice il le prouve d’abord en ce que s’il était injuste jamais on ne trouverait de justice, parce qu’à lui appartient tout jugement, d’où il dit : Quel autre a-t-il placé sur la terre? Comme de dire : faut-il croire que Dieu a constitué quel qu’un pour juger justement toute la terre si chez lui est l’iniquité?

Donc il n’y a personne d’autre sur terre pour juger parce que lui seul est l’auteur et le maître du monde; donc de même qu’il n’a confié à personne de faire le monde ainsi il n’a préposé personne pour gouverner le monde, et c’est ce qu’il dit : qui a-t-il placé sur le globe qu’il a fabriqué, à savoir pour gouverner toute la terre? Il veut dire “personne” car de même que lui même a fabriqué le globe, ainsi aussi il le gouverne et le juge par lui-même; sans doute a-t-il des exécuteurs de son gouvernement comme ministres, mais il est l’ordonnateur de tous; en aucune façon il n’est possible que l’universel gouvernement du monde soit injuste.

En second lieu il montre par l’expérience qu’en Dieu il n’y a pas de violence ni d’iniquité; en effet si grande est sa puissance par laquelle il conserve l’être des choses que si par la violence il le voulait contre sa justice, il pourrait exterminer en un instant toute l’humanité, d’où il dit : s’il tournait c’est-à-dire Dieu, vers lui, c’est-à-dire l’homme pour le détruire, son cœur à savoir sa volonté , son esprit à savoir l’âme de l’homme et le souffle à savoir la vie corporelle qui provient de l’âme il l’attirerait à soi, c’est-à-dire par son pouvoir le séparant du corps, selon Qoh 12, 7 " Et que l’esprit retourne à Dieu qui le donna " L’esprit étant enlevé qui a été donné divinement à l’homme il s’en suit que la vie charnelle disparaît; d’où il dit : toute chair sera détruite en une fois, à savoir l’apparence charnelle disparaîtra et par la suite résolue en ses composants, d’où il dit : et l’homme retournera en poussière, selon ce que dit le psaume " Tu leur enlèves le souffle, et ils ne sont plus et ils retournent à leur poussière" (. 29). Il appelle poussière ce à quoi la chair retourne soit parce que chez les anciens les corps des morts étant incinérés il en restait des cendres, soit parce que ces choses en lesquelles le cadavre se résout sont des résidus provenant de la chaleur naturelle du corps humain. Donc puisqu’il est si facile à Dieu, s’il le veut, de réduire en cendre tout le genre humain, du fait même qu’il conserve des hommes, il ressort qu’il n’use pas envers eux d’une injuste violence.

Comme donc Eliud pense que les arguments précédents sont probants, il invite Job à les méditer lorsqu’il dit : si donc tu as de l’intelligence, c’est-à-dire qui te permette de saisir la force de mes raisons, écoute ce qui est dit, c’est-à-dire par les oreilles externes, et par une attention intérieure perçoit la voix de mon discours, c’est-à-dire pour reconnaître la justice du jugement divin : à quoi aussi il l’amène par la considération de son propre péril ou de son avantage en introduisant celui qui n’aime pas le jugement peut-il être guéri? Comme s’il voulait dire toi qui a besoin de guérison, comme accablé de nombreuses infirmités, tu ne peux l’obtenir que si tu aimes le juge ment divin. Il condamne ensuite sa sentence qu’il pensait contraire à la justice du jugement divin, en apportant de nombreux indices de la divine justice, d’où il dit : et comment peux-tu condamner celui qui est juste, c’est-à-dire Dieu, comme il apparaît en beaucoup de choses tandis que tu le dis destructeur de la justice? Pour prouver la justice divine il avance d’abord que Dieu ne fait pas acception des puissants mais qu’il les reprend et les punit pour leurs péchés. Parmi les puissances humaines excelle en premier lieu la dignité royale et quant à cela il dit : d’abord Lui c’est-à-dire Dieu qui dit au roi : apostat ! à savoir : il ne craint pas de reprendre le roi de l’apostasie de sa profession par laquelle il professe qu’il garde la justice. En second lieu viennent les chefs d’armées dont il dit qu’il appelle les chefs, des impies, donc il ne craint pas de les reprendre pour leur cruauté. En troisième lieu il place les gouverneurs des cités lorsqu’il dit : lui qui ne prend pas en considération la personne des princes c’est-à-dire qu’il les reprend et les juge pour leurs péchés. En quatrième lieu il s’adresse à ceux qui ont usurpé le pouvoir, à savoir les tyrans et il dit : à leur sujet il ne connaît pas, à savoir il n’approuve pas, le tyran, c’est-à-dire lui cédant, lorsqu’il discute contre le pauvre; il veut dire qu’il ne favorise pas le puissant contre le faible, ce qui est propre à sa justice. Et il dit : pourquoi il n’a pas de déférence pour eux en effet tous sont l’ouvrage de ses mains, c’est-à-dire les grands aussi bien que les petits, et donc il ne méprise pas les petits mais il les aime comme étant son œuvre et il ne craint pas les puissants puisqu’ils sont sous son pouvoir.

Et pour qu’on ne croie pas que Dieu r seulement les puissants sans les punir il dit leur double châtiment : d’abord une mort imprévue d’où il dit : ils mourront subitement, comme le dit le prophète "Subitement sans qu’ils s’y attendent viendra leur ruine " (Isaïe 30, 13); si en effet la mort leur arrivait attendue à l’accoutumée, elle ne serait pas attribuée à un jugement divin mais à des causes inférieures. Ensuite la rébellion des sujets par laquelle ils perdent le pouvoir, d’où il dit : et au milieu de la nuit les peuples se détourneront, à savoir : les peuples assujettis aux rois et aux princes subitement se rebellent par quelque machination occulte et désertent leurs princes, d’où il dit : et ils passeront, c’est-à-dire changeant de maître, et ils enlèveront, à savoir qu’ils le déposent ou aussi le tuent, le violent, à savoir celui qui au mépris de la justice traite ses sujets avec violence, sans défense, c’est-à-dire d’hommes armés. En effet lorsqu’un prince est dépossédé par des étrangers il doit avoir une défense armée, mais quand ses sujets sur lesquels repose toute sa puissance font subite ment défaut il est dépossédé sans pouvoir se défendre; bien qu’on puisse rapporter cela au châtiment des peuples; mais la première interprétation est meilleure parce qu’il s’agit ici de la justice que Dieu exerce sur les grands; ensuite on dira la justice qu’il exerce sur les peuples.

Pour que l’on voie bien que ces châtiments viennent d’un jugement divin il dit : son regard en effet, à savoir les vues de la divine providence, est sur les voies des hommes, à savoir sur leurs œuvres. Et pour exprimer que Dieu connaît tous les détails des actes humains il dit : et toutes leurs démarches à savoir tout le développement des actions humaines, et considère, c’est-à-dire distinctement, non seulement en général.

Or on pourrait croire puisque Dieu est lumière et les impies dans les ténèbres que ceux-ci lui sont cachés, mais il exclut cela en disant : il n’y a pas de ténèbres, c’est-à-dire de l’ignorance, ni ombre de mort, à savoir l’obscurité de la faute conduisant à la mort où puissent se cacher ceux qui font le mal, comme de dire : de même qu’eux ne veulent pas connaître Dieu ainsi Dieu ne les connaît pas; mais on dit qu’il les ignore en les réprouvant. Et parce qu’il avait dit : que les princes pour leurs péchés meurent subitement et sont dépossédés - ce qui est un châtiment irréparable - pour cette même raison il montre en conséquence que Dieu en jugeant l’homme pour ses péchés et le condamnant finalement, il n’y a aucune possibilité pour l’homme de discuter ultérieurement avec Dieu et son jugement et c’est ce qu’il dit en effet il n'y a plus part après, c’est-à-dire après que Dieu l’a jugé et condamné, chez l’homme, de possibilité de venir en jugement auprès de Dieu, c’est-à-dire comme si Dieu à cause de lui rétractait son jugement; et ceci est dit principalement contre Job qui après avoir été condamné à subir son châtiment avait dit plus haut 23, 3 : "J’irai jusqu’à son trône, je mettrai ma cause devant lui".

 

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "pédagogie divine sur les nations" (Job 34, 24-37)

 

24 Il brise les puissants sans enquête, et il en met d'autres à leur place. 25 Il connaît donc leurs œuvres; il les renverse de nuit, et ils sont écrasés. 26 Il les frappe comme des impies, en un lieu où on les regarde, 27 parce qu'en se détournant de lui, en refusant de connaître toutes ses voies, 28 ils ont fait monter vers lui le cri du pauvre, ils l'ont rendu attentif au cri des malheureux. 29 S'il accorde la paix, qui le trouvera mauvais; s'il cache son visage, qui pourra le contempler, qu'il soit peuple ou homme celui qu'il traite ainsi, 30 pour mettre fin au règne de l'impie, pour qu'il ne soit plus un piège pour le peuple? 31 Or avait-il dit à Dieu : "J'ai été châtié, je ne pécherai plus; 32 montre-moi ce que j'ignore; si j'ai commis l'iniquité, je ne le ferai plus?"

33 Est-ce d'après ton avis que Dieu doit rendre la justice de sorte que tu puisses rejeter son jugement? Choisis à ton gré, et non pas moi; ce que tu sais, expose-le. 34 Les gens sensés me diront, ainsi que l'homme sage qui m'écoute : 35 " Job a parlé sans intelligence, et ses discours sont dépourvus de sagesse. 36 Eh bien, que Job soit éprouvé jusqu'au bout, puisque ses réponses sont celles d'un impie! 37 Car à l'offence il ajoute : la révolte; il bat des mains au milieu de nous, il multiplie ses propos contre Dieu."

24 Il en écrasera beaucoup et d’innombrables et d’autres prendront leur place. 25 Il connaît en effet leurs œuvres, c’est pourquoi il amènera la nuit et ils seront exterminés. 26 Tels des impies il les frappa au lieu des voyants. 27 Eux qui comme par calcul se sont écartés de lui et n’ont voulu connaître aucune de ses voies, 28 Pour qu’ils lui fassent parvenir la clameur de l’indigent et qu’il entende la voix des pauvres. 29 En effet s’il concède la paix, qui pourra l’en reprendre? Et s’il cache sa face, qui le contemplera? Et sur le peuple et sur tous les hommes, 39 Si il fait régner l’hypocrite, c'est à cause des péchés du peuple. 31 Comme j’ai parlé à Dieu toi aussi, je ne t’en empêche pas. 32 j’ai erré, toi enseigne moi; si j’ai mal parlé, je n’ajouterai rien. 33 Dieu t’en demanderait-il compte parce que cela t’a déplu? En effet c’est toi qui commença de parler et non pas moi. Que si tu sais mieux, parle. 34 Que des hommes intelligents me parlent et que l’homme sage m’écoute. 35 Job a parlé sottement, et ses paroles ne sonnent pas la discipline. 36 O Père! Éprouve Job jusqu’à la fin; ne cesse pas, c’est un homme inique. “Lui qui ajoute le blasphème à ses péchés. Qu’entre nous, il soit réprimé et qu’alors par ses discours il provoque Dieu en jugement.

Il y a deux choses pour lesquelles les hommes s’écartent habituellement de la justice : la première est qu’ils s’inclinent devant les puissants; la seconde parce qu’ils cèdent devant la multitude contrairement à la justice. Or il vient de montrer (18-23) la parfaite justice de Dieu qui ne s’incline pas devant les puissants; et conséquemment pour prouver la justice divine il montre en Dieu la même attitude envers la multitude des pécheurs d’où il dit il en écrasera beaucoup c’est-à-dire de pécheurs, en les exterminant ou les punissant autrement. Et pour qu’on ne croie pas que la justice divine s’arrêtera à une quantité déterminée de la multitude et ne la dépassera pas, il dit : et d’innombrables, comme s’il disait : on ne peut comprendre sous un nombre déterminé ceux que la justice divine écrase à cause de leurs péchés. Mais qu’on n’aille pas croire que le genre humain disparaîtra, il dit : d’autres prendront leur place car à ceux qui mourront d’autres succéderont et d’autres remplaceront ceux qui sont déchus de leur prospérité pour qu’ainsi se maintienne la stabilité dans le genre humain. Or il arrive ordinairement, quand beaucoup doivent subir une peine, que les juges ne puissent examiner avec le soin voulu les causes d’un chacun; mais qu’on ne croie pas cela de Dieu et il dit : Il connaît en effet leurs œuvres, c’est-à-dire ce que chacun mérite; et donc il rétribue chacun selon ses œuvres, d’où il dit : c’est pourquoi il amènera la nuit, à savoir une adversité subite et inattendue et ils seront exterminés c’est-à-dire à l’improviste.

Pourquoi il les opprime dans la nuit il le montre en ce que pouvant voir ce qui leur était expédient ils le méprisèrent; et donc il est juste qu’il ne leur soit pas donné de prévoir les maux à venir et de les éviter; et c’est ce qu’il dit : comme des impies, à savoir qui rejettent la connaissance de la piété, il les frappa, c’est-à-dire qui se trouvaient au lieu des voyants à savoir dans l’état où ils pouvaient voir, soit par la raison naturelle soit par la doctrine sacrée, ce qu’il fallait faire ou ce qu’il fallait éviter; mais ils l’ont rejetée, d’où il dit : qui comme par calcul se sont éloignés de lui c’est-à-dire de Dieu, péchant de leur plein gré. En conséquence il pose chez eux une ignorance affectée lorsqu’il dit : et n’ont voulu connaître aucune de ses voies à savoir les commandements de Dieu, et ainsi il ressort qu’ils n’ont aucune excuse de leur ignorance mais en sont d’autant plus condamnables. Il montre le résultat de cette ignorance affectée de sorte qu’ils lui font parvenir la clameur de l’indigent, comme s’il disait : ils se montrent tellement ignorants des voies de Dieu qu’ils oppriment les pauvres que Dieu exauce; d’où de même qu’ils n’ont pas en horreur d’opprimer les pauvres ainsi ne craignent ils pas d’indignation de Dieu, d’où il dit : et qu’il entende la voix des pauvres, comme pour dire : ils font peu de cas de la volonté de Dieu d’exaucer les pauvres.

Et comme il avait attribué au jugement divin l’écrasement de la multitude on pourrait croire que cela ne vient pas d’un jugement divin qu’une multitude soit écrasée et une autre prospère, mais par le fait d’un puissant prince qui les gouverne ou les attaque; et donc pour exclure cela il dit en effet s’il concède la paix qui pourra l’en reprendre? Comme s’il disait : et je dis que c’est lui qui en "écrase beaucoup et d’innombrables", car s’il voulait leur concéder la paix du temps et de la prospérité, personne ne pourrait condamner la multitude; et à l’inverse s’il voulait condamner, personne qui puisse accorder la paix; d’où il dit : et s’il cache sa face c’est-à-dire en retirant la présence de sa consolation qui le contemplera, à savoir qui puisse trouver en lui consolation voyant en quelque sorte sa beauté?

 Il y a un autre châtiment pour la multitude que son écrasement dont l’afflige la domination des tyrans et quant à ce châtiment il dit : et sur le peuple et sur tous les hommes, comme s’il disait : non seule ment sur une nation il exerce ses jugements par leur écrasement ou l’oppression des tyrans mais aussi sur tous les hommes; et il dit : l’oppression par les tyrans il fait régner l’hypocrite à cause des péchés du peuple, lequel souffre sous son pouvoir; en ceci il veut répondre à la question de Job 21, 7 : "Pourquoi les impies vivent-ils? Ils grandissent et s’enrichissent". Or il affirme ceci non pas à cause de leurs mérites, comme Job l’avait prouvé au même endroit, mais à cause des démérites des peuples, châtiés qu’ils sont par la prospérité des tyrans.

Ainsi donc après avoir montré que Dieu n’est pas injuste et que sa justice s’est surtout manifestée par les jugements qu’il a exercés sur les princes et la multitude, il donne occasion à Job de répondre, d’où il dit : comme donc j’ai parlé de Dieu, à savoir de choses qui ont trait à l’honneur de Dieu, toi aussi je ne t’empêche pas c’est-à-dire te donnant l’occasion de répondre. Et à quoi doit tendre sa réponse il le dit : si j’ai erré, c’est-à-dire comme tu l’as reproché à tes amis, à savoir " qu’ils étaient des fauteurs de dogmes pervers" toi enseigne moi c’est-à-dire la vérité pour que je puisse être libéré de l’erreur. Or on peut faire défaut dans le langage non seulement en errant contre la vérité de la doctrine, mais aussi dans un jugement particulier en manquant à la vérité de la justice; d’où il dit : si j’ai mal parlé je n'ajouterai rien montrant ainsi qu’il est prêt à se corriger. Et parce qu’il estimait que Job serait gravement troublé à son sujet, il montre en conséquence que ce trouble est injuste en introduisant Dieu t’en demanderait-il compte comme s’il disait : même à supposer que j’aie parlé contre la justice tu ne dois pas en répondre devant Dieu, donc tu ne dois pas en être gravement troublé; d’où il dit : parce que cela t’a déplu? C’est-à-dire par un trouble désordonné de l’âme. Il montre encore qu’il ne doit pas être troublé outre mesure parce que lui-même Job avait dit : le premier " Périsse le jour où je suis né et la nuit où l’on a dit : un homme est né" et d’où toute la discussion a eu son commencement; d’où il dit : en effet c’est toi qui commenças de parler et non pas moi. Enfin il montre qu’il ne doit pas se troubler gravement car il a aussi la possibilité de dire ce qu’il lui plaît, d’où il dit : que si tu sais mieux que ce que j’ai dit, parle, c’est-à-dire en montrant mon erreur ou mon injustice.

Mais comme il n’a pas dit cela comme doutant de la justice et de la vérité de ses paroles, en conséquence il veut montrer que Job ment? Que et de sagesse et d’intelligence; et à cause de cela il le jugeait indigne de discuter avec lui. Or dans une controverse l’opposant doit être d’un esprit pénétrant pour trouver les arguments rationnels qui prouvent son propos; d’où il dit : que des hommes intelligents me parlent, c’est-à-dire qui me sont opposés; quant à celui qui répond il, doit être sage pour bien juger des choses qu’il entend; d’où il intro duit et qu’un homme sage m’écoute, qui suis l’opposant prêt à répondre. Or il avait remarqué le manque de ces deux choses dans les paroles de Job; d’où il dit : or c’est sottement, à savoir contrairement à la sagesse que Job a parlé, c’est-à-dire en tant qu’il le jugeait avoir parlé contre la rectitude du jugement divin et ses paroles ne sonnent pas la discipline laquelle est le fait d’une intelligence bien ordonnée et ceci se rapporte à ce que Job se disait juste.

Et comme Job ne reconnaissait pas ces défauts, Eliud se tourne vers Dieu demandant que Job soit amené à reconnaître ses défauts; d’où il dit : ô Père, c’est-à-dire ô Dieu, que j’estime père à cause du respect que j’ai pour toi, défendant en toutes choses ta justice, éprouve Job que sous les fouets lui soient montrés ses défauts, jusqu’à la fin, à savoir jusqu’à ce qu’il se reconnaisse injuste, ou bien jusqu’à la mort. Et il prouve la justesse de cette demande en disant : ne cesse pas, c’est un homme Inique, comme pour dire : son iniquité mérite que tes coups ne cessent pas. Et il pousse l’exagération jusqu’à dire lui qui ajoute : le blasphème à ses péchés, c’est-à-dire aux péchés passés pour lesquels il est châtié il ajoute : celui de se dire juste et Dieu injuste. Pour cela il lui souhaite d’abord le châtiment dans le présent; d’où il dit : qu’étant encore parmi nous qu’il soit réprimé, à savoir par les adversités; ensuite il insinue le châtiment futur; d’où il dit : et qu’ensuite déjà affligé temporellement, en jugement c’est-à-dire de la vengeance future il provoque Dieu par ses discours, c’est-à-dire par lesquels il blasphème contre Dieu.

 

 

Caput 35

Job 35 — Suite du discours d’Eliud- Pour Dieu la conduite de l’homme n'est pas indifférente

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse d’Eliud (Job 35)

 

1 Eliu prit de nouveau la parole et dit :

2 Crois-tu que ce soit là de la justice, de dire : "J'ai raison contre Dieu?" 3 Car tu as dit : "Que me sert mon innocence, qu'ai-je de plus que si j'avais péché?" 4 Moi, je vais te répondre, et à tes amis en même temps. 5 Considère les cieux et regarde; vois les nuées : elles sont plus hautes que toi!... 6 Si tu pèches, quel tort lui causes-tu? Si tes offenses se multiplient, que lui fais-tu? 7 Si tu es juste, que lui donnes-tu? Que reçoit-il de ta main? 8 Ton iniquité ne peut nuire qu'à tes semblables, ta justice n'est utile qu'au fils de l'homme. 9 Des malheureux gémissent sous la violence des vexations, et crient sous la main des puissants. 10 Mais nul ne dit : "Où est Dieu, mon Créateur, qui donne à la nuit des chants de joie, 11 qui nous a faits plus intelligents que les animaux de la terre, plus sages que les oiseaux du ciel." 12 Ils crient alors, sans être exaucés, sous l'orgueilleuse tyrannie des méchants. 13 Dieu n'exauce pas les discours insensés, le Tout-Puissant ne les regarde pas. 14 Quand tu lui dis : "Tu ne vois pas ce qui se passe, " ta cause est devant lui; attends son jugement. 15 Mais, parce que sa colère ne sévit pas encore, et qu'il semble ignorer sa folie, 16 Job prête sa bouche à de vaines paroles, et se répand en discours insensés.

1 Et donc Eliud parla de nouveau : 2 Est-elle équitable ta pensée pour que tu dises : Je suis plus juste que Dieu? 3 En effet tu as dit : ce qui est bien ne te plaît pas ou quel profit as-tu si je pêche? 4 C'est pourquoi je répondrai à tes discours en même temps qu’à tes amis. 5 Elève tes yeux au ciel et regarde et contemple l’éther qui est plus haut que toi. 6 Si tu pèches quel tort lui feras-tu? Sites iniquités se multiplient, que feras-tu contre lut? 7 De plus si tu agis bien, que lui donneras-tu? Ou que recevra-t-il de ta main? 8 A l’homme ton semblable ton impiété nuira; ta justice aidera le fils de l’homme. 9 A cause de la multitude des malfaiteurs ils élèveront leur clameur; ils gémiront à cause de la violence des tyrans. 10 Et il n’a pas dit : Où est Dieu qui m’a fait? Qui donna ses oracles, la nuit. 11 Qui nous enseigne au-dessus des animaux de la terre; qui nous éduque au-dessus des oiseaux du ciel. 12 Ceux-là crieront, il ne les exaucera pas, à cause de l’orgueil des méchants. 13 Car ce n’est pas en vain que Dieu exaucera; Et le Tout-Puissant regardera les causes de chacun. 14 si tu dis : Je ne considère pas; devant lui tu seras jugé et attends-le. 15 Maintenant en effet il ne lâche pas sa colère, il ne venge pas trop le crime. 16 C'est en vain que Job ouvre la bouche. Et qu’il multiplie des paroles vides de sens.

[84933] Super Iob, cap. 35 Igitur Eliud haec rursum locutus est et cetera. Postquam Eliud improbaverat verba Iob quantum ad hoc quod, sicut ipse aestimabat, imposuerat iniquitatem divino iudicio, hic intendit improbare verba eius quantum ad hoc quod dixerat se esse iustum, unde dicitur igitur Eliud haec rursum locutus est. Interrupto scilicet sermone, expectans si Iob responderet, quo non respondente iterato sermonem assumpsit dicens numquid aequa tibi videtur tua cogitatio ut diceres: iustior Deo sum? Hoc quidem numquam Iob dixerat, nec Eliud ei imponit quod haec verba protulisset sed quod verba quae protulit ex hac cogitatione provenirent, unde signanter fecit de cogitatione mentionem. Ex quibus autem verbis hanc cogitationem eum habuisse Eliud ostendit subdens dixisti enim: non tibi placet quod bonum est - alia littera quod rectum est -, vel quid tibi prodest si ego peccavero? Haec duo verba in praemissis Iob verbis numquam inveniuntur, sed primum horum, scilicet quod Deo non placeat quod bonum est, videtur accipere ab eo quod Iob supra X 15 dixerat si impius fuero, vae mihi est. Et si iustus, non levabo caput, quod Iob dixerat ad significandum quod temporalibus poenis iusti pariter et iniusti affliguntur, sed Eliud hoc interpretabatur esse dictum quasi Deo hominis iustitia non placeret. Hoc vero quod secundo proponit quid tibi prodest si ego peccavero? Nusquam legitur Iob dixisse, sed hoc accipere voluit ex hoc quod ibidem Iob dixerat si peccavi et ad horam pepercisti mihi, cur ab iniquitate mea mundum me esse non pateris? Quod Iob dixerat ad ostendendum quod prosperitas temporalis non semper innocentiam comitatur, alioquin ipse prosperitatis tempore innocens fuerat, dimissis sibi peccatis, nec erat ratio quare post peccatorum remissionem iterato a Deo peccatis mundaretur; sed Eliud ad hanc sententiam haec verba retorsit quasi Iob putaverit peccatum suum aut poenam peccati Deum induxisse propter suam utilitatem. Ex his autem duobus, scilicet quod Deo non placeret quod bonum est, et quod ipse utile sibi reputaret peccatum, sequi videretur quod Iob iustior Deo esset, cum de se supra dixerit quod displicuerint ei mala et placuerint bona. Concludit autem ex praemissis propter eorum absurditatem se compelli ad respondendum, unde dicit itaque ego respondebo sermonibus tuis et amicis tuis tecum, qui scilicet te talia dicentem convincere non potuerunt. Et incipit ab eo quod ultimo dictum est, ostendens quod Deus non potest iuvari nec laedi ex operibus nostris bonis vel malis, et hoc propter eius sublimitatem, quam primo proponit dicens suspice, idest sursum inspice, caelum, quod scilicet est sedes Dei, et intuere, scilicet visu, et contemplare, scilicet mente, aethera, idest totum superius corpus, ex cuius non solum altitudine sed etiam magnitudine, motu et ornatu conicere potes hoc, scilicet quod altior te sit, intantum scilicet quod opera tua ei nec proficere nec nocere possunt, unde subdit si peccaveris, scilicet in te vel in Deum, quid ei nocebis? Quasi dicat: in nullo ex hoc detrimentum patietur. Quantum autem ad peccata quae committuntur in proximum subdit et si multiplicatae fuerint iniquitates tuae, quibus scilicet iniuste proximos laedis, quid facies contra eum? Quasi dicat: in nullo ex hoc laedetur. Quantum autem ad bona quae in proximum fiunt subdit porro si iuste egeris, scilicet ius suum proximis reddens, quid donabis ei? Quasi dicat: quid ipse ex hoc lucrabitur? Quantum autem ad opera divini cultus subdit aut quid de manu tua accipiet, scilicet in sacrificiis et oblationibus? Quasi dicat nihil, secundum illud Psalmi non accipiam de domo tua vitulos. Et quia posset aliquis credere quod ad Deum non pertineret utrum homo ageret iuste vel iniuste, ad hoc excludendum subdit homini qui similis tui est nocebit impietas tua, qui scilicet susceptivus est nocumenti, et filium hominis adiuvabit iustitia tua, qui scilicet auxilio iustitiae indiget; propter hoc ergo prohibetur a Deo impietas et iustitia mandatur, quia Deo est de hominibus cura qui per hoc vel iuvantur vel laeduntur. Et ex hac fide contingit quod homines oppressi clamant ad Deum contra oppressores, quorum quidam dolose opprimunt per calumniam, unde subdit quantum ad hos propter multitudinem calumniatorum clamabunt, scilicet ad Deum illi qui ab his oppressi sunt; quidam vero opprimunt manifeste per violentiam, et quantum ad hos subdit et eiulabunt propter vim brachii tyrannorum, idest plorabunt ad Deum propter violentam potentiam tyrannorum; ex quo datur intelligi quod non solum Deo non prodest quod aliquis peccat, sed ei displicet et punit, alioquin frustra clamarent oppressi. Deinde convertit se ad improbandum aliud verbum quod praemiserat non tibi placet quod rectum est, quod divinae sapientiae repugnaret, quae primo quidem apparet in rerum creatione, unde dicit et non dixit, scilicet Iob sentiens quod Deo bona non placerent: ubi est Deus qui fecit me? Non enim Deus fecit res nisi propter bonum, unde dicitur Gen. I 25 vidit Deus quod esset bonum etc., unde manifestum est quod Deo placet bonum. Secundo inducit beneficium humanae instructionis quo aliqui instruuntur ad bonum ex revelatione divina, unde subdit qui dedit, scilicet per revelationem, carmina, idest humanae instructionis dogmata quae ab antiquis multotiens carminibus comprehendebantur, in nocte, idest ad litteram in somnio nocturno, vel in quiete contemplationis seu obscuritate visionis; non autem erudiret homines ad bonum familiariter nisi bonum ei placeret. Tertio inducit infusionem naturalis luminis quo bonum a malo discernimus per rationem in qua excedimus bruta, unde subdit qui docet nos super iumenta terrae, quae scilicet ratione carent; et quia antiqui avium garritus et motus observabant quasi divinitus instructarum ac si rationem haberent, ideo ad hoc excludendum subdit super volucres caeli erudit nos, quae etiam rationem non habent. Et quia odit malum et placet ei bonum, ideo oppressos clamantes audit, oppressores non audit, unde subdit illi clamabunt, scilicet calumniatores et tyranni, quasi petentes a Deo desideriorum suorum impletionem, et non exaudiet, scilicet Deus, et hoc propter superbiam malorum, scilicet hominum, secundum illud Psalmi respexit in orationem humilium. Et ne aliquis crederet Deum indifferenter omnes exaudire, subdit neque enim frustra, idest sine ratione, exaudiet Deus, quia scilicet iustissima ratione hos exaudit et non illos, unde subdit et omnipotens singulorum causas intuebitur, ut scilicet dignos exaudiat, non indignos. Maxime autem videtur quod Deus singulorum causas non videat ex hoc quod quandoque impii prosperantur, sed ad hoc excludendum subdit etiam cum dixeris, idest in corde tuo cogitaveris: non considerat, scilicet Deus, facta hominum, iudicare coram illo, idest praepara te ut iudicium eius suscipias, et expecta eum, scilicet in futurum iudicantem etsi hic non puniat: tardat enim ut in futuro gravius damnet, unde subdit nunc enim, idest in praesenti vita, non infert furorem suum, idest magnitudinem poenae, nec ulciscitur scelus valde, idest non punit in praesenti secundum quod exigit gravitas culpae, quia poenae praesentis vitae sunt ad correctionem et ideo illos quos correctione indignos iudicat futurae damnationi reservat: et haec est alia ratio quare impii in hoc mundo prosperantur, in quo concordat cum opinione Iob. Sed quia eius verba prave intellexerat ideo ea reprehendit concludens ex dictis: ergo Iob frustra, idest sine ratione, aperit os suum, quasi prolixitatem sermonis in ipso reprehendens, et absque scientia verba multiplicat, in quo arguit in ipso ignorantiam et loquacitatem inutilem.

Après avoir désapprouvé les paroles de Job parce qu’il avait selon lui qualifié d’injuste le jugement de Dieu, Eliud veut maintenant lui reprocher de s’être dit juste; d’où on nous dit : et donc Eliud parla de nouveau; c’est-à-dire ayant interrompu son discours, attendant si Job répondrait; celui-ci ne répondant pas il reprend son discours une nouvelle fois en disant : Est-elle équitable ta pensée pour que tu dises Je suis plus juste que Dieu? Or Job n’avait jamais dit cela, ni Eliud ne les lui fait pas dire, mais ces paroles provenaient de cette pensée d’où il fait mention spéciale de la pensée. Or quelles sont les paroles qui expriment cette pensée, Eliud le montre en introduisant : Tu as dis en effet : ce qui est bien ne te plaît pas - autre texte ce qui est droit - ou quel profit as-tu si je pèche? Ces deux choses ne se trouvent pas dans les paroles précédentes de Job; mais la première, c’est-à-dire : "ce qui est bien ne plaît pas à Dieu", il semble la trouver en ce que Job avait dit 10, 15 : "Si je suis impie, gare à moi ! si je suis juste je n’élèverai pas la tête". Ce que Job avait dit pour signifier que les peines temporelles affligent aussi bien les justes que les injustes; mais Eliud les interprétait comme si la justice de l’homme ne plaisait pas à Dieu. Mais pour la seconde chose où il dit : quel profit as-tu si je pèche? On ne lit nulle part que Job l’ai dite mais il veut l’accepter de ce flue Job avait dit au même endroit " Si j’ai péché et si tu m’as épargné un moment, pourquoi ne supportes-tu pas que je sois pur de mon iniquité?". Ce que Job avait dit pour montrer que la prospérité temporelle n’est pas toujours compagne de l’innocence, autrement au temps de la prospérité il aurait été innocent, ses péchés lui ayant été remis et il n’y avait pas de raison à ce qu’après la rémission de ses péchés il soit de nouveau purifié par Dieu de ses péchés; mais Eliud détourne ces paroles en faisant dire à Job que Dieu avait voulu le péché et le châtiment du péché pour son utilité. De ces deux choses, c’est-à-dire que ce qui est bon ne plaît pas à Dieu et que le péché il l’estimerait utile à lui-même il s’en suit que Job est plus juste que Dieu puisque de lui-même il dit : que le mal lui déplaît et que le bien lui plaît.

Il conclut à partir de ces données et à cause de leur absurdité qu’il est contraint de répondre; d’où il dit : c’est pourquoi je répondrai à tes discours en même temps qu'ici tes amis, c’est-à-dire qui ne purent te convaincre de tes erreurs. Et il commence par ce qui a été dit en dernier lieu, montrant que nos œuvres bonnes ou mauvaises ne favori sent ni ne lèsent Dieu et ce, à cause de sa sublimité, qu’il propose d’abord en disant : élève tes yeux au ciel qui est le trône de Dieu, et regarde par la vue et contemple par l’esprit l’éther, à savoir tout le monde supérieur dont non seulement la hauteur mais aussi la grandeur, le mouvement et l’ornement te suggèrent ceci : c’est-à-dire qu’il est plus haut que toi, à savoir que tes œuvres ne peuvent lui nuire ni lui profiter; d’où il dit : si tu pèches, c’est-à-dire contre toi ou contre Dieu quel tort lui fais-tu? Comme s’il voulait dire : en rien il ne subira de là quelque dommage. Quant aux péchés commis contre le prochain il dit : si tes injustices se multiplient, à savoir par lesquelles tu lèses injustement le prochain que feras-tu contre lui? Comme s’il disait : il ne sera en rien lésé par là. Quant au bien que l’on fait au prochain il dit : De plus si tu agis justement, c’est-à-dire en rendant son droit au prochain que lui donneras-tu? Comme pour dire : qu’y gagnera-t-il? Quant aux actes du culte divin il dit : ou que recevra-t-il de ta main? C’est-à-dire dans les sacrifices et les offrandes. Comme pour dire : Rien, selon ce que dit un psaume : "Je n’accepterai pas des génisses de ta maison " (49, 9).

Et parce qu’on pourrait croire que Dieu ne s’occupe pas de savoir si l’homme agit justement ou non, pour écarter cela il dit : A l’homme ton semblable ton impiété nuira, c’est-à-dire qu’il peut subir du dommage; et ta justice aidera le fils de l’homme c’est-à-dire qui a besoin de l’aide de la justice; c’est pour cela donc que Dieu prohibe son l’impiété et qu’il commande la justice; car Dieu prend soin des hommes qui sont aidés ou lésés par là. Et dans cette foi il arrive que les hommes opprimés crient vers Dieu contre leurs oppresseurs dont certains fourbes agissent par calomnie, et quant à cela il dit : A cause de la multitude des malfaiteurs, ils élèveront leur clameur, c’est-à-dire ceux qui par eux sont opprimés; certains oppriment ouvertement par la violence, et quant à eux il dit : ils gémiront à cause de la violence des tyrans; de ceci il nous est donné d’entendre que non seulement ne profite pas à Dieu celui qui pèche mais qu’il lui déplaît et qu’il le punit, autrement c’est en vain que clameraient les opprimés.

Ensuite il réprouve ce que Job a dit plus haut, " Ce qui est croit ne te plaît pas" ce qui répugne à la sagesse divine. Or celle-ci apparaît dans la création des choses; d’où ce qui suit et il n’a pas dit c’est-à-dire Job, qui estime que ce qui est bon ne plairait pas à Dieu Où est Dieu qui m’a fait? En effet Dieu a fait les choses uniquement pour le bien; d’où dans la Genèse 1, 25 " Dieu vit que c’était bon "; donc il est clair que le, bien plaît à Dieu. En second lieu il avance le bienfait de l’instruction humaine par laquelle certains sont instruits du bien par révélation divine; d’où il dit : il donna ses oracles la nuit c’est-à-dire par la révélation, les articles de l’instruction humaine qui depuis l’antiquité sont si souvent exprimés en des chants. la nuit, littéralement dans le sommeil nocturne ou dans le repos de la contemplation ou l’obscurité de la vision; or il n’instruirait pas les hommes pour le bien et familièrement si le bien ne lui plaisait pas. En troisième lieu, il avance l’infusion de la lumière naturelle par laquelle nous discernons le bien du mal par la raison en quoi nous dépassons les animaux, d’où il dit : Qui nous enseigne au-dessus des animaux de la terre, c’est-à-dire qui n’ont pas de raison; et comme les anciens consultaient les cris et les mouvements des oiseaux comme divine ment instruits, comme s’ils avaient la raison, donc pour exclure cela il dit : il nous éduque plus que les oiseaux du ciel qui eux n’ont pas de raison.

 Et parce qu’il hait le mal et que le bien lui plaît il écoute les clameurs des opprimés et non les oppresseurs; d’où il dit : ceux-là crieront, c’est-à-dire les calomniateurs et les tyrans, comme demandant à Dieu la réalisation de leurs désirs, et il ne les exaucera pas, à savoir Dieu, et cela à cause de l’orgueil des méchants, selon le psaume " Il regarde la prière des humbles" (20, 18). Et pour qu’on ne croie pas que Dieu exauce indifféremment tout le monde, il dit : car ce n'est pas en vain, à savoir sans motif, que Dieu exaucera, c’est-à-dire que c’est pour une raison très juste qu’il les exauce et non ceux-là; d’où il dit : et le Tout-Puissant examinera les causes de chacun, c’est-à-dire qu’il exaucera ceux qui sont dignes et non pas les indignes. Or c’est surtout parce que les impies prospèrent que Dieu semble ne pas Dieu seul est juste apercevoir les causes d’un chacun; mais pour exclure cela il dit : Même si tu dis, à savoir si tu penses en ton cœur : il ne considère pas, c’est-à-dire Dieu, les actions des hommes, tu seras jugé devant lui, à savoir prépare-toi à recevoir sa sentence, et attends-le c’est-à-dire qui jugera à l’avenir bien qu’il ne punisse pas ici-bas; il tarde en effet pour punir plus gravement plus tard; d’où il dit : maintenant en effet à savoir dans la vie présente, il ne lâche pas sa colère, à savoir la grandeur du châtiment; et il ne venge pas tellement le crime, à savoir, il ne punit pas dans le présent selon la gravité de la faute parce que les peines du temps présent sont médicinales; et c’est pourquoi ceux qu’il juge indignes de correction il les réserve pour la damnation future et c’est l’autre raison pour laquelle les impies prospèrent en ce monde, en quoi il est d’accord avec Job. Mais parce qu’il avait mal interprété ses paroles il les réprouve concluant de ses dires Job donc en vain, à savoir sans motif, ouvre sa bouche, reprenant en quelque sorte sa verbosité et il multiplie des paroles vides de sens, en quoi il lui reproche l’ignorance et un bavardage inutile.

 

 

 

 

Caput 36

Job 36 — Dieu seul est juste

 

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "pédagogie divine sur Job" (Job 36, 1-20)

 

1 Eliu reprit encore une fois et dit :

2 Attends un peu, et je t'instruirai, car j'ai des paroles encore pour la cause de Dieu; 3 je prendrai mes raisons de haut, et je montrerai la justice de mon Créateur. 4 Sois-en sûr, mes discours sont exempts de mensonge; devant toi est un homme sincère en ses jugements. 5 Voici que Dieu est puissant, mais il ne dédaigne personne; il est puissant par la force de son intelligence. 6 Il ne laisse pas vivre le méchant, et il fait justice aux malheureux. 7 Il ne détourne pas ses yeux des justes, il les fait asseoir sur le trône avec les rois, il les établit pour toujours, et ils sont exaltés. 8 Viennent-ils à tomber dans les fers, sont-ils pris dans les liens du malheur, 9 il leur dénonce leurs œuvres, leurs fautes causées par l'orgueil. 10 Il ouvre leur oreille à la réprimande, il les exhorte à se détourner du mal. 11 S'ils écoutent et se soumettent, ils achèvent leurs jours dans le bonheur, et leurs années dans les délices. 12 Mais s'ils n'écoutent pas, ils périssent par le glaive, ils meurent dans leur aveuglement. 13 Les cœurs impies se livrent à la colère, ils ne crient pas vers Dieu quand il les met dans les chaînes. 14 Aussi meurent-ils dans leur jeunesse, et leur vie se flétrit comme celle des infâmes.

15 Mais Dieu sauve le malheureux dans sa misère, il l'instruit par la souffrance. 16 Toi aussi, il te retirera de la détresse, pour te mettre au large, en pleine liberté, et ta table sera dressée et chargée de mets succulents. 17 Mais si tu combles la mesure de l'impie, tu en porteras la sentence et la peine. 18 Crains que Dieu irrité ne t'inflige un châtiment, et que tes riches offrandes ne t'égarent. 19 Tes cris te tireront-ils de la détresse, et même toutes les ressources de la force? 20 Ne soupire pas après la nuit, durant laquelle les peuples sont anéantis sur place. 21 Prends garde de te tourner vers l'iniquité, car tu la préfères à l'affliction.

1 Eliud continue et dit ceci : 2 Patiente encore quelque peu et je t’indiquerai; En effet j’ai encore à parler en faveur de Dieu. 3 Je reprends ma pensée depuis le début; elfe montrerai qu’il est juste mon auteur. 4 Assurément en effet mes discours ne sont pas tendancieux et je te montrerai la science parfaite. 5 Dieu ne rejette pas les puissants puisque lui-même est puissant. 6 Mais il ne sauve pas les impies et il fait droit au pauvre. 7 Il ne détourne pas ses yeux du juste. C’est lui qui place les rois sur le trône pour toujours et ils sont élevés. 8 S'ils sont dans les chaînes et retenus par les liens de la pauvreté, il leur indiquera leurs œuvres et leurs crimes car ils furent violents. 10 Il ouvrira leurs oreilles pour les corriger; il leur parlera pour qu'ils reviennent de leur iniquité. 11 S’ils l’écoutent et s’exécutent, ils achèveront des jours heureux dans le bien et leurs années dans l’honneur. 12 Mais s’ils n’écoutent pas, lis passeront sous le glaive et mourront dans leur folle. 13 Les simulateurs et les fourbes provoquent la colère de Dieu; ils ne crieront pas quand Ils seront dans les chaînes. 14 Que leur âme meure dans la tourmente et leur vie parmi les efféminés. 15 De l’angoisse li retirera le pauvre; il ouvrira son oreille dans la tribulation. 16 Donc il te sauvera, du trou béant qui n’a aucun fondement en dessous. Le repos à la table sera plein de graisse. 17 Ta cause est jugée comme celle des impies; cause et verdict seront rendus. 18 Mais que la colère ne te maîtrise pas pour que tu ailles opprimer quelqu’un; que la multitude des cadeaux ne t’abuse pas. 19 Renonce à la grandeur sans tribulation, à tous les forts dans leur vigueur, 20 Ne prolonge pas la nuit de sorte que vienne les peuples à cause d'eux. 21 Garde toi de l'iniquité que tu as suivie depuis ton malheur.

[84934] Super Iob, cap. 36 Addens quoque Eliud haec locutus est et cetera. Praemiserat Eliud supra duo in verbis Iob contra quae disputare intendebat, scilicet de hoc quod dicebat se esse iustum et quod Deo imposuerat iniquitatem iudicii, prout Eliud verba Iob interpretatus fuerat, et contra haec duo Eliud in superioribus iam disputaverat; nunc iterato per aliam viam contra eadem disputare intendit, unde dicitur addens quoque Eliud, scilicet subsequentes rationes ad praemissas, haec locutus est, scilicet quae sequuntur. Inter quae primo eum ad attentionem excitat dicens sustine me paululum, quia scilicet breviter sub una responsione contra duo praemissa disputare intendit, unde subdit et indicabo tibi, scilicet veritatem rei de qua agitur; et ne videatur superfluus, quia scilicet iam supra ostendisse videbatur quod volebat, subdit adhuc enim habeo quod pro Deo loquar, quasi dicat: adhuc mihi aliae suppetunt rationes quibus aequitatem divini iudicii defendam. Et quia contra utrumque praemissorum iterato intendit rationes inducere, subdit repetam scientiam meam a principio, quasi dicat: contra totum id quod est a principio dictum iterato secundum meam sententiam rationes adducam: et quod huius rei sit debitor subdit et operatorem meum, idest Deum qui me fecit, probabo iustum, excludens scilicet iniquitatem ab eius iudicio quam tu Iob ei imponere videris ut te asseras iustum. Et ne aliquis diceret quod ea quae dicturus erat non ex vera scientia sed ex falsa opinione procedebant, subdit vere enim absque mendacio sermones mei, quasi dicat: non sum dicturus nisi vera quae rectae scientiae conveniunt, unde subdit et perfecta scientia probabitur tibi, idest probationes sequentes tibi concludent ex his quae videntur pertinere ad perfectam scientiam. His igitur quasi prooemialiter praemissis, incipit disputare super praemissis verbis quae Iob imponebat, et primo contra hoc quod Iob dixerat se esse iustum, ad quod excludendum hoc modo procedit. Iob prosperitatis tempore magnae potestatis erat; contingit autem quandoque quod aliqui potentes persequuntur vel propter invidiam vel propter timorem quo timent ne ab eis per potentiam opprimantur, quod quidem proprie est impotentum qui et potentibus invident et eorum oppressionibus timent; sed hoc de Deo dici non potest qui est in potentia excellens, unde subdit Deus potentes non abicit cum ipse sit potens, ex quo datur intelligi quod Deus nihil in homine odit in quo ei similatur, quia cum Deus sit ipsa essentia bonitatis, non potest esse quod aliquid similetur ei nisi in bono: ex quo patet quod Deus non persequitur aliquos quia sunt potentes sed quia in eis quandoque invenitur iniquitas, et pro hac puniuntur a Deo, unde subdit sed non salvat impios, idest damnat eos; et causam damnationis ostendit subdens et iudicium pauperibus tribuit, idest iudicium facit de potentibus iniquis pauperibus qui ab eis sunt oppressi. Non autem propter potentiam desistit a subventione iustorum, unde subdit non aufert a iusto, scilicet homine etiam potente, oculos suos, idest prospectum suae benignitatis et misericordiae, secundum illud Psalmi oculi domini super iustos. Et quod a potentibus si sunt iusti non auferat suam misericordiam, manifestat per beneficia quae potentibus confert, primo quidem stabiliendo potestatem eorum, unde subdit et reges in solio collocat in perpetuum, scilicet si fuerint iusti. Secundo quia eos promovet in maius, unde subdit et illi, scilicet in solio collocati, eriguntur, idest ad maiora exaltantur, dum scilicet Deus eis et potentiam et divitias auget. Tertio per hoc quod, etiam si puniti fuerint propter peccata, miseretur eorum si paenitere voluerint, unde subdit et si fuerint, scilicet reges, in catenis, idest in carcere positi, et vinciantur, idest ligentur, funibus paupertatis, idest si in carcere positi paupertatem patiantur, quae est quoddam vinculum quo homines ligantur ne opera sua possint implere et insuper multis miseriis astringuntur: et tamen eis sic in miseria constitutis primo quidem Deus hoc beneficium confert quod eos recognoscere facit pristina peccata pro quibus puniti sunt, unde subdit indicabit eis opera eorum, idest faciet ut cognoscant ea quae fecerunt esse iniusta, unde subdit et scelera eorum, quasi dicat: faciet cognoscere quod opera quae fecerunt erant scelerata; et quantum ad quid peccaverint ostendit subdens quia violenti fuerunt: hoc enim est peccatum proprium potentum ut subditis violentias inferant, utentes sua potentia quasi lege iustitiae. Nec solum facit eos peccata sua praeterita cognoscere sed etiam ostendit eis quod pro suis peccatis puniuntur, unde subdit revelabit quoque aurem eorum, idest faciet ut intelligant quod eis Deus puniendo loquitur, quod scilicet propter sua peccata puniuntur, unde subdit ut corripiat, quasi dicat: hoc faciet eos recognoscere quod Deus eos punivit ad correptionem. Et ulterius persuadebit eis quod paeniteant, unde subdit et loquitur, scilicet interius vel per exteriorem admonitorem, ut revertantur ab iniquitate, paenitendo scilicet a pristinis peccatis. Et huius paenitentiae fructum ostendit subdens si audierint, scilicet corde proponentes, et observaverint, scilicet opere implentes, reducentur ad statum pristinum et ita complebunt dies suos in bono, scilicet virtutis vel prosperitatis terrenae, et annos suos in gloria, scilicet terrena; si autem non audierint, idest si non oboedierint interiori inspirationi ut paeniteant, transibunt per gladium, idest de carcere educentur ad occisionem gladii, et consumentur, idest destruentur, in stultitia, idest propter suam stultitiam. Ubi considerandum est quod Eliud in hoc videtur cum amicis Iob convenire quod ponit adversitates praesentes esse poenas peccatorum et quod per paenitentiam aliquis redit ad pristinam prosperitatem: hoc autem etsi aliquando contingat, non tamen semper secundum opinionem Iob. Sed quia quandoque contingit quod aliqui adversitates patiuntur quorum peccata non apparent, ne per hoc praedicta eius sententia elidatur, interpretatur eos simulatores esse quantum ad hoc quod praetendunt iustitiam quam non habent, et callidos inquantum scilicet astutiis quibusdam utuntur ad hoc quod sub colore iustitiae iniustitiam faciant, et ex hoc ipso gravius peccant, unde subdit simulatores et callidi provocant iram Dei, quia scilicet hoc Deus magis detestatur; tales etiam non de facili paenitent etiam inter flagella quia se aestimant iustos sicut ab aliis laudantur, unde subdit neque clamabunt, scilicet ad Deum misericordiam petentes, cum vincti fuerint, scilicet catenis et funibus paupertatis: in quo dat intelligere quod aestimaverit Iob simulatorem et callidum fuisse, et ideo inter poenas peccatum suum recognoscat. Et quia tales non paenitent in poenis ideo ab adversitate non liberantur, unde subdit morietur in tempestate anima eorum, quae scilicet usque ad mortem diversas angustias patietur, et vita eorum, scilicet deficiet, inter effeminatos, quibus scilicet non est virtus ut se de manu opprimentium liberent. Recte autem simulatores effeminatis comparat quia ex parvitate animi contingit quod homines sint simulatores: est enim proprium magnanimi esse manifestum, ut dicitur in IV Ethicorum. Et quia dixerat quod Deus potentibus in tribulatione constitutis subvenit, ne videatur Deum dicere acceptorem personarum ostendit quod idem etiam beneficium pauperibus confert, unde subdit eripiet pauperem de angustia sua, scilicet eum ab adversitate liberando; et ordinem liberationis ostendit subdens et revelabit in tribulatione aurem eius, idest faciet eum intelligere quod pro peccatis suis punitur et ad paenitentiam eum inducit, sicut et supra de potentibus dixit. Ea autem quae supra communiter dixerat applicat ad personam Iob; et primo quidem, quia dixerat quod Deus in tribulatione salutem affert et pauperibus et potentibus, concludit quod etiam Iob huiusmodi salutem sperare potest a Deo cum subdit igitur salvabit te de ore angusto latissime, idest de tribulatione quae est sicut quoddam foramen angustum per quod homo in quandam latitudinem diversarum miseriarum intrat: unum enim malum fit homini causa diversorum malorum, et huiusmodi malorum multiplicatio procedere potest usque ad infinitum ut numquam sit pervenire ad statum quietis, et hoc est quod subdit et non habente fundamentum, scilicet in quo homo possit quiescere, subter se, idest cum descenderit in profundum malorum, quod praecipue pertinere videtur ad poenas quae sunt post mortem, quae in perpetuum durant sine quiete. Non solum autem promittit ei liberationem a malis si peccatum recognoscere et paenitere voluerit, sed etiam abundantiam bonorum, unde subdit requies autem mensae tuae erit plena pinguedine, quasi dicat: cum securitate et quiete comedere poteris abundanter de bonis quae tibi divinitus restituentur. Et quia ostenderat quod Deus potentes non abicit sed iniquos, Iob autem videbatur a Deo abiectus per multiplices adversitates, subdit causa tua quasi impii iudicata est, quasi dicat: non es punitus quia potens eras sed quasi impius; et contra hoc recompensationem sibi promittit si paenituerit, cum subdit causam iudiciumque recipies, idest causa et iudicium restituetur tibi ut possis aliorum causas discutere et de eis iudicare. Et quasi iam hoc factum esset monet eum qualiter in statu illo se debeat habere: contingit autem quandoque quod iudices a iustitia declinant propter iram, et quantum ad hoc dicit non te ergo superet ira ut aliquem opprimas iniuste, quando scilicet causam iudiciumque recipies. Quandoque vero iudices a iustitia declinant propter cupiditatem munerum, et quantum ad hoc subdit nec multitudo donorum inclinet te, in illo scilicet statu futurae auctoritatis. Contingit etiam quandoque quod aliquis ex sola superbia aliis iustitiam facere contemnat, et quantum ad hoc subdit depone magnitudinem tuam, idest superbiam animi tui, absque tribulatione, idest antequam tibi tribulatio immittatur a Deo ad tuam humiliationem. Quandoque vero contingit quod iudices a iustitia declinant deferentes aliquibus potentibus propter timorem, et quantum ad hoc subdit et omnes robustos fortitudine, scilicet tua, deponas; vel quantumcumque robustos in sua fortitudine tu non dubites deponere per iustitiam. Quandoque autem contingit quod aliqui iudices a iustitia deficiunt parcentes propter suam quietem, unde subdit ne protrahas noctem, idest ne velis nimis dormire ut expeditioni iustitiae non intendas; vel ne protrahas noctem, idest non permittas diu latere iustitiam causae sed festina ut veritas manifestetur; et causam ostendit subdens ut ascendant populi pro eis, scilicet robustis, quasi dicat: non ita protrahas iudicium quousque totus populus concitetur ex violentiis robustorum et pro eorum iniuriis ad te inquietandum accedant; vel aliter ne protrahas noctem ut ascendant populi pro eis, quasi dicat: ne differas iudicium contra robustos exercere, ne forte per suam potentiam inveniant multos fautores qui pro eorum defensione consurgant, et sic tuum iudicium impediatur. Omnia autem ista ad hoc tendunt ut in statu futurae prosperitatis iniustitiam vitet, unde subdit cave ne declines ad iniquitatem, scilicet per aliquem praedictorum modorum vel aliquos alios. Posset autem Iob dicere hanc admonitionem esse superfluam quia ipse solebat iustitiam diligenter exequi, sicut dixerat supra XXIX 14, et ideo Eliud subiungit hanc enim, scilicet iniquitatem, coepisti sequi post miseriam, scilicet in hoc quod te reputas Deo iustiorem, et ideo cavendum est tibi ne ad iniustitiam declines si te contingat ad statum prosperitatis redire. Ecce Deus excelsus in fortitudine sua et cetera. Postquam Eliud improbaverat verba Iob quantum ad hoc quod se iustum dicebat, hic nititur improbare verba eius quantum ad hoc quod credebat eum locutum esse contra iustitiam divini iudicii. Unde primo proponit sublimitatem divinae potestatis cum dicit ecce Deus excelsus in fortitudine sua, idest habet potestatem ceteris sublimiorem: non est autem rationi consonum ut maior potestas a minori de iniustitia condemnetur. Secundo proponit eius auctoritatem cum subdit et nullus ei similis in legislatoribus, quia scilicet legum conditores per eius sapientiam iusta decernunt, ut dicitur Prov. VIII 15, unde nullius legibus potest ipse de iniustitia condemnari, quin potius sua sapientia est regula et mensura omnium legum. Tertio proponit incomprehensibilitatem operum eius cum subdit quis poterit scrutari vias eius, idest sufficienter invenire rationes operum ipsius? Et ex hoc quasi concludit quod non potest de iniustitia condemnari, unde subdit aut quis audet ei dicere: operatus es iniquitatem? Ad hoc enim quod aliquis de iniquitate condemnetur, requiritur quod sit subiectus superiori potestati et quod alienis legibus astringatur et quod eius opera cognoscantur, quae in Deo locum non habent, ut dictum est. Consequenter manifestare incipit quod vias Dei, idest opera eius, homo scrutari non possit, dicens memento quod ignores opus eius de quo cecinerunt viri, idest sapientes, quos viros nominat propter animi virtutem; dicit autem cecinerunt, propter antiquam sapientum consuetudinem qui metrice divina et philosophica describebant. Quantumcumque autem homines aliqui sint sapientes non possunt pertingere ad cognoscendam et enarrandam essentiam eius, sed tota hominis cognitio et sermo est de Deo per opera eius, quae tamen neque Iob neque aliquis alius homo perfecte cognoscere potest, et ideo subdit omnes homines vident eum, scilicet per sua opera: nullus enim adeo in sapientia deficit quin aliqua divinorum operum percipiat. Et rursus nullus est adeo sapiens cuius cognitio non multum vincatur ab excellentia claritatis divinae, unde subdit unusquisque intuetur procul, idest cognitio hominis longe distat a perfecta comprehensione divinae essentiae, tum quia non potest homo nisi per opera cognoscere quae in infinitum distant ab excellentia essentiae eius, tum quia etiam opera eius perfecte homo non cognoscit. Et ex hoc concludit quod Deus per suam excellentiam hominis cognitionem excedit, unde subdit ecce Deus magnus vincens scientiam nostram: quod enim a nobis perfecte Deus cognosci non possit non contingit propter defectum ipsius, sicut contingit de motu et tempore, sed propter eius excellentiam. Posset autem aliquis dicere quod quamvis de Deo non possimus cognoscere quid sit, possumus tamen cognoscere de Deo an est, quod pertinet ad eius durationem; sed quod hoc etiam excedat hominis cognitionem ostendit subdens numerus annorum eius inaestimabilis, quia videlicet aeternitas durationis ipsius humano intellectu comprehendi non potest. Ostendit autem consequenter magnitudinem operum Dei quae humanam rationem excedunt, enumerans diversas aeris transmutationes, qui quandoque per siccitatem disponitur, et quantum ad hoc dicit qui aufert stillas pluviae, scilicet impediendo ne pluat; quandoque vero in aere abundant pluviae, quarum magnitudinem describit dicens et effundit imbres ad instar gurgitum, qui scilicet fluunt in terra. Et huiusmodi abundantia pluviae admirabilis apparet si consideretur pluviarum origo, ut scilicet tanta aqua prorumpat de nubibus quae soliditatem non habent, et quantum ad hoc subdit qui, scilicet gurgites, de nubibus fluunt, non tamen ita quod in actu tanta pluvia in nubibus existat sed quia ipsi vapores nubium successive in pluvias condensantur. Est autem et aliud in pluviis mirabile quod longo spatio terrarum superfunduntur, unde subdit quae praetexunt cuncta desuper, scilicet loca in regione in qua pluit ut nulla pars illius terrae remaneat non compluta. Consequenter de ipsis nubibus loquitur dicens si voluerit nubes extendere quasi tentorium suum, quia scilicet per nubes occultatur caelum quod est sedes Dei sicut sedes alicuius hominis occultatur tentorio. De nubibus autem procedunt fulgura propter collisionem venti, unde subdit et fulgurare lumine suo desuper; nubes autem quandoque contegunt caelum usque ad horizontem alicuius regionis infra quam extremitates maris claudi videntur: cardines quoque maris operiet, scilicet tentorio nubium. Dicit autem si voluerit ut ostendat divinam voluntatem principium esse naturalium operum; est autem proprium voluntatis ut propter finem operetur, et ideo finem horum operum ostendit subdens per haec iudicat populos, quantum scilicet ad eos qui per haec puniuntur, et dat escas multis mortalibus, quantum ad hoc scilicet quod pluviae sunt utiles ad terrae fecunditatem per quam hominibus cibaria nascuntur.

Eliud avait avancé deux choses dans les paroles de Job et contre lesquelles il voulait discuter : d’abord qu’il se disait juste; ensuite qu’il avait accusé Dieu d’injustice dans son jugement, selon l’interprétation qu’il a donnée aux paroles de Job, comme plus haut il l’avait fait; maintenant de nouveau et par une autre voie il veut discuter contre elles, d’où on dit : Eliud continue, c’est-à-dire les arguments concernant les choses déjà dites, et dit ceci, c’est-à-dire ce qui suit. D’abord il éveille son attention : patiente encore un peu c’est-à-dire qu’il va brièvement sous une seule réponse discuter contre les deux griefs; d’où il dit : je t’indiquerai, c’est-à-dire la vérité sur la chose dont il s’agit. Et pour ne pas paraître se répéter puisque il semble avoir déjà dit plus haut son intention, il introduit en effet j’ai encore à parler en faveur de Dieu, comme s’il disait : il me reste d’autres arguments par lesquels je défendrai l’équité de la justice divine. Et parce qu’il veut apporter des raisons contre les deux griefs, il dit : je reprends ma pensée depuis le début, comme s’il disait : contre tout ce qui a été dit depuis le début, de nouveau j’apporterai des raisons en accord avec ma sentence; et qu’il en est de son devoir, il dit : et celui qui est mon auteur à savoir Dieu qui m’a fait, je prouverai qu’il est juste, c’est-à-dire en écartant l’iniquité de son jugement dont toi, Job, tu veux l’en charger pour affirmer que tu es juste. Et pour qu’on ne pense pas que ce qu’il va dire n’est pas vrai mais procède d’une fausse opinion il dit : assurément en effet mes discours ne sont pas tendancieux, il veut dire : je ne dirai que ce qui est vrai et en accord avec la vraie connaissance; d’où il dit : et je te montrerai la science parfaite, à savoir : les preuves qui suivent te convaincront parce qu’elles viennent d’une parfaite connaissance.

Donc après ces préambules il en vient à discuter les paroles de Job. Et d’abord contre ce que Job se dit juste; pour exclure cela il procède comme suit. Déjà au temps de sa prospérité il jouissait d’un grand pouvoir. Or il arrive qu’on s’attaque aux puissants soit par envie, soit par crainte qui fait qu’on redoute leur oppression; ceci est le propre des faibles qui jalousent les puissants et critiquent leurs sévices. Mais on ne peut en dire autant de Dieu qui excelle en puissance, d’où il dit : Dieu ne rejette pas les puissants puisqu’il est puissant lui-même. Donc on peut entendre que Dieu ne hait rien en l’hon qui lui est semblable; car comme Dieu est la bonté par essence il n’y a rien qui ne lui soit semblable dans le bien. D’où il ressort que Dieu ne poursuit pas certains parce qu’ils sont puissants, mais parce qu’en eux se trouve parfois l’iniquité, et pour cela Dieu les châtie; d’où il dit : mais il ne sauve pas les impies à savoir il les damne. Et la cause de la damnation et il fait droit au pauvre, à savoir : il fait justice des puissants iniques en faveur des pauvres qu’ils ont opprimés. Ce n’est pas leur puissance qui l’empêchera de secourir les justes, d’où il dit : ne détourne pas du juste, c’est-à-dire aussi de l’homme puissant, ses yeux, à savoir le regard de sa bonté et de sa miséricorde, comme le dit le psaume "Les yeux du Seigneur sont sur les justes " (33, 16).

Qu’il ne détourne pas sa miséricorde des puissants, s’ils sont justes, il le manifeste par les bienfaits qu’il leur accorde, d’abord en affermissant leur puissance, d’où il dit : c’est lui qui place les rois sur le trône pour toujours, c’est-à-dire s’ils sont justes; ensuite parce qu’il étend leur domination, d’où il dit : et là à savoir sur leur trône ils sont élevés à savoir à de plus grandes choses, quand Dieu augmente leur pouvoir et leurs richesses; enfin même s’ils furent châtiés à cause de leurs péchés il en a pitié s’ils veulent se repentir, d’où il dit : et s’ils sont c’est-à-dire les rois, dans les chaînes, à savoir emprisonnés et s’ils sont retenus dans les liens de la pauvreté, à savoir si mis en prison ils souffrent de la pauvreté, qui est comme un lien qui entoure les hommes et les empêche de vaquer à leurs travaux et de plus ils sont astreints à beaucoup de misères. Et cependant à ces malheureux Dieu leur accorde le bienfait de reconnaître leurs péchés passés pour lesquels ils sont punis; d’où il dit : il leur indiquera leurs actions, à savoir il fera en sorte qu’ils reconnaissent leurs injustices; d’où il dit : et leurs crimes, et leurs actes criminels; et il montre ce en quoi ils ont péché car ils furent violents. C’est en effet le péché des puissants de faire violence à leurs sujets usant de leur puissance comme d’une loi juste. Et non seulement il leur fait connaître leurs péchés passés mais il leur fait comprendre qu’ils sont punis pour ces péchés; d’où il dit : il ouvrira aussi leurs oreilles, à savoir qu’il leur fera saisir que Dieu parle en les punissant et donc qu’ils sont punis pour leurs péchés et il dit : il les corrigera, comme s’il disait : il leur fera connaître qu’il veut ainsi les corriger; et en outre il les persuadera de faire pénitence et il dit : et il parle, c’est-à-dire intérieurement ou par un avertissement extérieur pour qu’ils reviennent de leur iniquité, c’est-à-dire en se repentant de leurs péchés passés. Et il montre le fruit de cette pénitence en introduisant s’ils écoutent, c’est-à-dire proposant dans leur cœur et s'exécutent, et mettant en pratique, ils reviendront à leur situation précédente ainsi ils achèveront des jours heureux en vertu et aussi en prospérité terrestre, et leurs années dans l’honneur, c’est-à-dire terrestre. Mais s’ils n’écoutent pas, à savoir s’ils n’obéissent pas à l’inspiration intérieure de faire pénitence, ils passeront sous le glaive, à savoir de la prison ils iront à la mort par le glaive, et ils seront consumés c’est-à-dire détruits, dans leur folie c’est-à-dire à cause de leur folie. Et donc il faut considérer qu’Eliud est en cela d’accord avec les amis de Job que les adversités présentes sont le châtiment des péchés et que par la pénitence on revient à la prospérité d’antan. Or ces choses, si parfois elles se produisent, ce n’est pas toujours le cas selon Job.

Mais comme il arrive parfois que certains subissent des adversités, dont les péchés n’apparaissent pas, pour que sa sentence ne soit pas caduque il imagine que ce sont des simulateurs en ce qu’ils prétendent à une justice qu’ils n’ont pas et que ce sont des fourbes parce qu’ils usent d’astuce pour faire paraître leur injustice sous couleur de justice; et de la sorte ils pèchent plus gravement, d’où ce qu’il dit : simulateurs et fourbes provoquent la colère de Dieu, c’est-à-dire que Dieu les déteste encore davantage. Ceux-ci aussi ne font pas facilement pénitence même dans les châtiments, parce qu’ils s’estiment justes, de même qu’ils sont loués par d’autres, d’où il dit : ni ils ne crieront, c’est-à-dire vers Dieu, implorant sa miséricorde, lors qu’ils seront liés c’est-à-dire par des chaînes et les liens de la pauvreté; en quoi il fait entendre que pour lui Job est un simulateur et un fourbe; et donc qu’il reconnaisse son péché au milieu des châtiments! Parce que ces gens ne s’amendent pas dans les châtiments, ils ne seront pas libérés de l’adversité; d’où il dit : leur âme mourra dans la tourmente, c’est-à-dire souffrira diverses angoisses jusqu’à la mort; et leur vie, c’est-à-dire disparaîtra, parmi les efféminés, qui en effet n’ont pas la force de se libérer de la main des oppresseurs. Il compare à juste titre les simulateurs à des efféminés parce qu’il arrive aux hommes d’être simulateurs par petitesse de cœur. En effet c’est le propre du magnanime de se montrer au grand jour comme il est dit au Livre des Ethiques. Et comme il avait dit : que Dieu vient en aide aux puissants dans leur tribulation, pour qu’il ne paraisse pas avoir dit : qu’Il fait acception de personnes, il montre qu’il accorde le même bienfait aussi aux pauvres, d’où il dit : de l’angoisse il retirera le pauvre, c’est-à-dire en le libérant de l’adversité. Et il montre l’ordre de la libération et il ouvrira son oreille dans la tribulation, à savoir il lui fera saisir qu’il est puni pour ses péchés et qu’il le conduit à la pénitence, comme on l’a dit : plus haut des puissants.

Or ce qu’il avait dit plus haut en général il en fait l’application à la personne de Job. Et d’abord il avait dit que Dieu apporte le salut dans la tribulation tant aux pauvres qu’aux puissants, il en conclut que Job peut aussi espérer ce salut de Dieu et il dit : donc il te sauvera du trou béant, il s’agit de la tribulation qui est comme un passage étroit par lequel l’homme entre comme dans un espace de misères diverses; en effet un unique mal peut être cause chez l’homme de divers maux et la multitude de ces maux peut s’étendre à l’infini de sorte qu’on arrive jan à l’état de repos, et c’est ce qu’il dit : et qui n’a pas de fondement, c’est-à-dire sur quoi l’homme puisse se reposer, en dessous, à savoir lorsqu’il sera descendu au plus profond des malheurs; ce qui principalement semble avoir rapport aux peines qui viennent après la mort qui durent indéfiniment et sans aucun répit. Non seulement il lui promet la libération de ses maux s’il veut reconnaître son péché et faire pénitence, mais aussi des biens abondants d’où il dit : le repos à ta table sera plein de graisse, il veut dire : à satiété et dans la paix tu pourras manger abondamment des biens qui te seront restitués divinement.

Et parce qu’il avait montré que Dieu ne rejette pas les puissants mais les injustes et que Job paraissait rejeté de Dieu par de multiples adversités, il dit : ta cause est jugée comme celle des impies, comme s’il disait : tu n’es pas puni parce que tu étais puissant mais parce qu’impie; et pour y remédier il promet la restauration s’il se repent et il dit : ta cause et son verdict te seront rendus à savoir ta cause et le jugement seront restitués pour que tu puisses (à nouveau) discuter d’autres causes et les juger; et comme si c’était déjà fait il l’avertit comment il doit se comporter dans cette nouvelle situation. Or il arrive que les juges s’écartent de la justice par la colère et quant à cela il dit : que la colère ne te maîtrise pas et que tu opprimes quel qu’un injustement quand tu entendras sa cause. Parfois ils s’écartent du droit par la soif des présents et quant à cela il dit : que la multitude des présents ne t’abuse pas c’est-à-dire dans sa nouvelle situation d’autorité. Il arrive aussi parfois que par pur orgueil quelqu’un refuse de rendre la justice et concernant cela il dit : dépose ta grandeur, à savoir la superbe de ton cœur sans la tribulation à savoir avant que l’épreuve ne te soit envoyée par Dieu pour ton humiliation. Il arrive parfois que des juges s’écartent de la justice par déférence pour quelques potentats qu’ils craignent et quant à cela il dit : et tous les robustes, par la force c’est-à-dire, la tienne, dépose-les; ou bien, quelque robustes qu’ils soient par leur force n’hésite pas à les déposer à cause de la justice. Il arrive parfois que des juges manquent à la justice pour s’épargner des ennuis, d’où il dit : ne prolonge pas la nuit à savoir ne cherche pas à trop dormir afin de ne pas devoir expédier les affaires en justice; ou bien encore ne prolonge pas la nuit à savoir ne permets pas qu’une cause traîne en longueur mais hâte son dénouement; et il dit le motif en introduisant de sorte que vienne le peuple à cause d’eux c’est-à-dire des puissants; comme s’il disait : ne fais pas ainsi traîner le jugement jusqu’à ce que le peuple tout entier se soulève opprimé par les forts et ne vienne t’inquiéter et demander justice; ou bien autrement ne prolonge pas la nuit de sorte que des gens montent pour eux comme s’il disait : ne diffère pas d’exercer le jugement contre les puissants de peur que peut être ils ne trouvent beaucoup de partisans, grâce à leur influence; ceux-ci se lèveront pour les défendre et ainsi empêcheront le jugement. Tout ce qui précède tend à lui faire éviter l’injustice dans la situation d’une future prospérité, d’où il dit : évite de tomber dans l’iniquité c’est-à-dire que cette admonition est superflue parce qu’à son habitude il exécutait la justice avec diligence, comme il l’a dit plus haut au ch. 29 : et donc Eliud dit : tu l’as suivie depuis ton malheur cette injustice en ce que tu te dis plus juste que Dieu. Et donc tu dois éviter de ne pas t’écarter de la justice, s’il t’arrive de retourner à la situation de prospérité.

 

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Hymne pour Dieu" (Job 36, 22-31)

 

22 Vois : Dieu est sublime dans sa puissance! Quel maître est semblable à lui? 23 Qui lui trace la voie qu'il doit suivre? Qui peut lui dire : "Tu as mal fait?" 24 Songe plutôt à glorifier ses œuvres, que les hommes célèbrent dans leurs chants. 25 Tout homme les admire, le mortel les contemple de loin. 26 Dieu est grand au-dessus de toute science, le nombre de ses années est impénétrable.

27 Il attire les gouttes d'eau, qui se répandent en pluie sous leur poids. 28 Les nuées la laissent couler, et tomber sur la masse des hommes. 29 Qui comprendra l'expansion des nuages, et le fracas de la tente du Très-Haut? 30 Tantôt il étend autour de lui sa lumière, Tantôt il se cache comme au fond de la mer. 31 C'est ainsi qu'il exerce sa justice sur les peuples, et qu'il donne la nourriture avec abondance.

22 Voici! Dieu est élevé en sa force; Personne ne lui est semblable chez les législateurs. 23 Qui peut scruter ses voies? ou qui peut lui dire : Tu as commis l’injustice? 24 Souviens-toi que tu ignores son œuvre qu’ont chantée des hommes. 25 Tous les hommes le voient; chacun l’aperçoit de loin. 26 Voici! Dieu est grand il surpasse notre science; le nombre de ses années ne peut se compter. 27 Il enlève les gouttes de pluie et il répand les pluies comme des torrents 28 Elles s’écoulent des nuages. 29 S'il veut étendre les nuées comme sa tente. 30 et faire des éclairs â partir de sa lumière en-haut; les pivots de la mer il les couvrira. 31 En effet c’est par ces choses qu’il juge les peuples; et il donne la nourriture â bien des mortels.

 

Après avoir réprouvé les paroles de Job qui se disait juste, Eliud s’efforce de les dénoncer parce qu’il avait parlé croyait-il contre la justice des jugements divins. D’où d’abord il propose la splendeur et la félicité de Dieu lorsqu’il dit : Voici! Dieu est élevé en sa force, à savoir : il a une puissance plus élevée que toutes les autres. Or il est contraire à la raison qu’une plus grande puissance soit condamnée par une plus petite. En second lieu il propose son autorité lorsqu’il dit : personne ne lui est semblable chez les législateurs, en effet "Les auteurs des lois", grâce à sa justice "peuvent discerner ce qui est juste" (Prov. 8, 15). Il ne peut donc être condamné pour injuste par aucune loi; bien plus, sa sagesse est la règle et la mesure de toutes les lois. En troisième lieu, il propose combien ses œuvres sont incompréhensibles lorsqu’il dit : qui peut scruter ses voies? C’est-à-dire rechercher suffisamment les raisons de ses œuvres; et de ceci il conclut qu’on ne peut le taxer d’injustice; d’où il dit : Ou qui osera lui dire : tu as commis l’iniquité? En effet pour pouvoir taxer quelqu’un d’injustice il faut lui être supérieur, et qu’il soit astreint à la loi d’aut et que l’on connaisse ses œuvres : or rien de cela ne peut s’appliquer à Dieu, comme on vient de le dire.

Ensuite il entreprend de montrer que les voies de Dieu, c’est-à-dire ses œuvres, l’homme ne peut les pénétrer et il dit : souviens-toi que tu ignores son œuvre que les hommes ont chantée, à savoir les sages qu’il appelle hommes à cause de leur force d’âme. Il dit : qu’ils ont chantée à cause de l’antique coutume des sages; c’est métriquement qu’ils exprimaient les choses divines et les prophéties. Aussi sages qu’ils fussent ils ne pouvaient atteindre à la connaissance et à la description de sa science; mais toute connaissance de Dieu et le discours sur Dieu se font à partir de ses œuvres, que cependant ni Job ni personne d’autre ne peuvent connaître parfaitement; et donc il dit : tous les hommes le voient, c’est-à-dire dans ses œuvres; en effet personne ne manque à ce point de sagesse qu’il ne perçoive quelque chose des œuvres divines et personne n’est sage à ce point que sa connaissance ne soit dépassée par l’excellence de la clarté divine, d’où il dit : chacun l’aperçoit de loin, à savoir la connaissance humaine est très éloignée de la parfaite compréhension de la divine essence, tant parce que l’homme ne peut la connaître que par ses œuvres qui sont infiniment distantes de l’excellence divine, tant parce que l’homme ne connaît celles-ci qu’imparfaitement; donc il conclut que l’excellence de Dieu dépasse la connaissance humaine, d’où il dit : Dieu est vraiment grand, il l’emporte sur notre science. En effet que Dieu ne puisse être connu parfaitement cela ne vient pas de ce qui n’est pas chez lui, comme le mouvement et le temps mais à cause de son excellence. On pourrait dire, bien que nous ne puissions connaître de Dieu ce qu’il est, cependant nous pouvons savoir qu’il est, ce qui est du domaine de la durée. Mais que cela aussi dépasse notre connaissance il le montre : le nombre de ses années ne peut se compter car l’éternité de sa durée n’est pas accessible à notre intelligence.

Il montre ensuite la grandeur des œuvres de Dieu qui dépassent la raison humaine, en énumérant les diverses transmutations de l’air lequel est parfois sec; et concernant cela il dit : il enlève les gouttes de pluie, à savoir en empêchant la pluie; parfois au contraire les pluies sont abondantes et il en décrit l’ampleur et il dit : il répand la pluie comme des torrents qui s’écoulent sur la terre; et cette abondance de pluie est apparemment étonnante, si l’on considère son origine c’est-à-dire que tant d’eau puisse venir de nuages qui n’ont pas de solidité et quant à cela il dit : qui, à savoir ces torrents, s’écoulent des nuages; non qu’une telle pluie soit actuellement dans les nuages mais parce que les vapeurs mêmes des nuages se condensent au fur et à mesure en pluie. C’est encore une chose admirable que ces pluies s’étendent loin sur la terre, d’où il dit : qui telles les franges (d’une marée) débordent de partout, c’est-à-dire, les lieux de la région où il pleut, de sorte qu’aucune partie de cette terre ne demeure sans être couverte par la pluie. Ensuite il parle des nuées elles-mêmes en disant : s’il voulait étendre les nuages comme sa tente, car les nuages cachent le ciel qui est le siège de Dieu comme le siège de quelqu’un est caché sous la tente. Or des nuées procèdent des éclairs à cause de leur rencontre, propulsées qu’elles sont par le vent; d’où ce qu’il dit : il produit des éclairs à partir de sa lumière là-haut. Parfois les nuages couvrent le ciel jusqu’à l’horizon d’une région, et au-dessous les extrémités du ciel paraissent se terminer et donc il dit : les pivots de la mer il les recouvre, c’est-à-dire sous la tente des nuages. Il a dit : s’il voulait, pour montrer que la volonté divine est la cause des œuvres de la nature. Or c'est le propre de la volonté d agir en vue d'une fin et donc il montre la fin de ces œuvres en introduisant en effet c’est par elles qu’il juge les peuples, pour ceux qui sont ainsi punis et il donne la nourriture à bien des mortels c’est-à-dire que les pluies sont nécessaires à la fécondité de la terre laquelle prépare aux hommes leurs aliments.

 

 

Caput 37

Job 37 — L'Hymne à Jahvé (suite)

 

CONFÉRENCE 1 — Eliud : "La sagesse de Dieu" (Job 37, 32; 38, 13)

 

32 Il prend la lumière dans ses mains, et lui marque le but à atteindre. 33 Son tonnerre l'annonce, l'effroi des troupeaux annonce son approche. 1 A ce spectacle, mon cœur est tout tremblant, il bondit hors de sa place. 2 Ecoutez, écoutez le fracas de sa voix, le grondement qui sort de sa bouche! 3 Il lui donne libre carrière sous l'immensité des cieux, et son éclair brille jusqu'aux extrémités de la terre. 4 Puis éclate un rugissement, il tonne de sa voix majestueuse; il ne retient plus les éclairs, quand on entend sa voix; 5 Dieu tonne de sa voix, d'une manière merveilleuse. Il fait de grandes choses que nous ne comprenons pas. 6 Il dit à la neige : "Tombe sur la terre; " il commande aux ondées et aux pluies torrentielles. 7 Il met un sceau sur la main de tous les hommes, afin que tout mortel reconnaisse son Créateur. 8 Alors l'animal sauvage rentre dans son repaire, et demeure dans sa tanière. 9 L'ouragan sort de ses retraites cachées, l'aquilon amène les frimas. 10 Au souffle de Dieu se forme la glace, et la masse des eaux est emprisonnée. 11 Il charge de vapeurs les nuages, il disperse ses nuées lumineuses. 12 On les voit, selon ses décrets, errer en tous sens, pour exécuter tout ce qu'il leur commande, sur la face de la terre habitée. 13 C'est tantôt pour le châtiment de sa terre, et tantôt en signe de faveur qu'il les envoie.

32 De ses mains il cache la lumière Et il lui ordonne de revenir. 33 D'elle il annonce son ami qu’elle est sa possession et qu’il peut y monter. 1 De cela mon cœur s’est effrayé et il s’est déplacé. 2 Il fera entendre une audition dans la terreur de sa voix et le son qui procède de sa bouche. 3 Au-dessous de tous les cieux il considère; et sa lumière surpasse les limites de la terre. 4 Après lui un bruit retentira; il fera tonner sa grande voix et on ne la comprendra pas quand on l’entendra. 5 Dieu tonnera de sa voix admirable : il fait de grandes choses et qui sont impénétrables. 6 Il ordonne à la neige de descendre sur la terre et aux pluies de l’hiver et aux averses de sa force. 7 Sur la main de tous les hommes il a mis un sceau afin que tous connaissent ses œuvres. 8 La bête entre dans sa cachette; elle demeure dans son antre. 9 Des parties inférieures sort la tempête, et d’Arcturus le froid. 10 Au souffle de Dieu la gelée se condense; et de nouveau très largement s’écoulent les eaux. 11 Le blé recherche les nuées; et les nuées répandent leur clarté. 12 Elles circulent partout au loin où la volonté de celui qui gouverne les conduit; pour tout ce qu’il leur a ordonné sur la surface de la terre, 13 Soit sur une tribu, soit sur leur terrain, soit en tout endroit où sa miséricorde dispose qu’elles se trouvent.

[84935] Super Iob, cap. 37 In manibus abscondit lucem et cetera. Prosecutus est Eliud supra de mutatione aeris quae fit secundum siccitatem et pluviam, et secundum nubium superinductionem ex quibus Deus lumine suo fulgurat; nunc autem de ipso lumine quod a nubibus quandoque occultatur et quandoque reseratur, et de tonitruo quod ex nubibus oritur, latius prosequitur, et incipit a lumine dicens in manibus abscondit lucem, idest per opera virtutis suae facit ut quandoque lux solis et stellarum nubibus occultetur; sed quia haec occultatio non est perpetua sed ad tempus, subdit et praecipit ei ut rursus adveniat, videlicet discedentibus nubibus; vel possunt haec verba referri ad obtenebrationem et illuminationem aeris per solis occasum et reditum. Est autem considerandum quod sensibilia sunt quaedam intelligibilium signa, unde per effectus sensibiles in cognitionem intelligibilium devenimus; inter omnes autem sensibiles effectus spiritualior est lux, unde et efficacior est ad perducendum in intelligibilium cognitionem, inquantum scilicet visus, cuius cognitio per lucem perficitur, plurimum intellectualem cognitionem iuvat: quia igitur ista lux sensibilis ex potestate Dei hominibus occultatur et communicatur, datur per hoc intelligi quod apud ipsum sit quaedam excellentior lux, scilicet spiritualis, quam Deus in praemium virtutis hominibus reservat, unde subdit annuntiat de ea, scilicet luce per corporalem significata, amico suo, scilicet virtuoso, quem Deus amat, quod possessio eius sit, idest quod illa lux spiritualis sit thesaurus quem Deus amicis suis reservat in praemium, et ad eam possit ascendere, scilicet per opera virtutum ipsam promerendo et ad eam possidendam se praeparando; quamvis etiam hoc posset exponi de luce corporali: posuerunt enim Platonici quod animae hominum derivabantur ab animabus stellarum, unde quando animae humanae suam dignitatem servant secundum rationem vivendo, revertuntur ad claritatem stellarum unde defluxerunt; unde in somnio Scipionis legitur quod civitatum rectores et servatores hinc profecti, scilicet a caelo, huc revertuntur. In quo etiam dat intelligere quod non ponebat ultimam remunerationem virtutis in temporalibus bonis sed in bonis spiritualibus post hanc vitam. Hoc autem est inter omnia maxime admirandum quod homo terrenus et corruptibilis ad spiritualium vel caelestium possessionem promoveatur, et ideo subdit super hoc, scilicet quod homo possit ascendere ad lucem possidendam, expavit cor meum, timore scilicet admirationis et stuporis, et motum est de loco suo, ut scilicet non solum desideret et concupiscat quae videntur ei connaturalia secundum sensibilem vitam sed etiam ad spiritualia et caelestia transferatur. Post visum autem qui est cognoscitivus lucis corporalis, maxime deservit intellectui auditus inquantum est perceptivus vocum quibus intellectuales conceptiones exprimuntur; sicut autem per visionem lucis corporalis homo reducitur in cognitionem et expectationem cuiusdam altioris lucis, ita etiam per auditum corporalium sonorum divina virtute formatorum homo manuducitur ad audiendum spiritualem Dei doctrinam, unde subdit audiet, scilicet homo a Deo, auditionem, scilicet spiritualis doctrinae, in terrore vocis eius, idest in signo tonitrui, quod est quasi quaedam terribilis vox Dei. Auditionem autem praedictam exponit subdens et sonum de ore illius procedentem: sonus enim tonitrui corporalis est quasi manu eius, idest potestate, formatus, sed sonus ex ore eius procedens est doctrina sapientiae eius, secundum illud Eccli. XXIV 5 ego ex ore altissimi prodii. Et ne aliquis crederet Deum non habere aliam superiorem lucem quam sit lux corporalis caeli, hoc excludit subdens super omnes caelos ipse considerat, quasi dicat: eius visio non est infra caelum sed supra caelum; nihil autem videtur nisi in aliquo lumine, quia omne quod manifestatur lumen est, ut dicitur Eph. V 13, unde necesse est quod lux Dei sit excellentior ista luce corporali quae primo invenitur in caelis, unde subdit et lumen illius, scilicet intelligibile, est super terminos terrae, idest super omnem corpoream creaturam. Et sicut lux corporea caeli est infra ipsum, ita etiam et sonus tonitrui corporalis est inferior ipso, unde subdit post eum, idest sub ipso, rugiet sonitus, scilicet tonitrui corporalis. Habet autem aliam vocem spiritualem, scilicet sapientiae doctrinam, quae est homini incomprehensibilis, de qua subdit tonabit vocem magnitudinis suae, idest quae docet magnitudinem eius, et hanc vocem non omnes audiunt sicut tonitruum corporale; et illi qui aliqualiter audiunt eam comprehendere non possunt, unde subdit et non investigabitur, scilicet perfecte, cum audita fuerit, idest percepta spiritualiter ab aliquo homine, vox eius, idest sapientiae doctrina. Huiusmodi autem vox non solum ordinatur ad doctrinam hominum qui eam audiunt sed etiam ad perfectionem naturalium operum quae ex praecepto divinae sapientiae fiunt, unde secundo repetit tonabit Deus in voce sua, idest in imperio sapientiae suae, mirabiliter, idest mirabiles effectus producendo, et hoc est quod subdit qui facit magna, scilicet secundum eorum naturam, et inscrutabilia, scilicet rationi humanae. Enumerationem incipiens subdit qui praecipit nivi, scilicet voce sapientiae suae, ut descendat super terram, quia scilicet ex eius imperio nives generantur, et etiam pluviae et imbres, unde subdit et pluviis hiemis, quae scilicet in hieme abundant, et imbribus fortitudinis suae, qui scilicet ex aliqua vehementiori causa generantur et cum impetu venti. Et quia omnia quae in rebus inferioribus fiunt ad homines quodammodo ordinantur, ideo subdit qui in manu omnium hominum signat ut noverint singuli opera sua; diversis enim hominum operibus diversae dispositiones aeris congruunt: aliud enim est opus noctis et aliud diei, rursumque aliud opus exercet homo tempore serenitatis et aliud tempore pluvioso; quod autem opus cuilibet tempori congruat discernit homo secundum rationem sibi divinitus datam, et hoc est signum quod Deus posuit in manu, idest in operativa virtute, omnium hominum ut sciant congrue distribuere sua opera diversis temporibus. Et ista providentia usque ad animalia bruta protenditur quae quodam naturali instinctu diversis temporibus diversa operantur, unde subdit ingredietur bestia latibulum suum, scilicet tempore pluvioso, et in antro suo morabitur, scilicet tempore congruo. Deinde ostendit effectus diversorum ventorum; circa quod considerandum est quod meridionales venti pluvias et tempestates producunt, venti autem Septentrionales causant frigus in aere; meridionales autem venti oriuntur nobis ex parte quae est versus polum Antarcticum, qui occultatur a nobis utpote depressus sub nostro horizonte secundum quantitatem qua polus Arcticus super horizontem elevatur, et ideo dicit ab interioribus egredietur tempestas, quasi dicat: tempestas apud nos causatur per ventum procedentem a parte caeli quae semper deprimitur sub nostro horizonte, qui quidem ventus dicitur Auster. Et quantum ad Aquilonem subdit et ab Arcturo frigus: Arctos enim in Graeco dicitur pars Septentrionalis, unde Arcturus vocatur constellatio ursae quae semper elevatur super horizontem, et ex illa parte procedit Aquilo qui causat frigus propter remotionem solis ab illa plaga caeli. Et ut hoc attribuatur divinae sapientiae, subdit flante Deo concrescit gelu, quasi dicat: ventus Aquilo qui causat gelu oritur Deo flante, idest ipsum flatum causante; et rursum, scilicet Deo flante, idest producente ventum Australem, latissimae, idest abundantissimae, fluunt aquae, scilicet pluviarum quae causantur ex Austro. Et ut huiusmodi etiam effectus ad utilitatem hominum referri ostendat, subdit frumentum desiderant nubes, quasi dicat: nubes ordinantur ad frumentum sicut ad quendam finem propter quem sunt utiles; quaelibet autem res desiderat suum finem, et pro tanto dicit quod nubes desiderant frumentum quia videlicet ex nubibus utilitas frumento provenit, vel ratione pluviae ex nube descendentis quae irrigando terram fecundat eam ad productionem frumenti, vel etiam quantum ad hoc quod utile est frumento quod aliquando nubibus obumbretur ne desiccetur continuis solis ardoribus. Subiungit aliam utilitatem nubium cum dicit et nubes spargunt lumen suum, quod potest referri vel ad lumen coruscationum, secundum id quod supra in praecedenti capitulo praedixerat si voluerit extendere nubes et fulgurare lumine suo; vel magis potest referri ad lumen quod resplendet in aere ex radiis solis reverberatis ad nubes et quodammodo contemperatis per ipsas: unde claritas solis apparet in aere ante ortum solis et etiam post occasum propter reverberationem radiorum solis ad nubes quae sunt in loco sublimiori, ad quas citius accedunt radii solares et tardius eas deserunt. Posita autem utilitate nubium describit earum motum dicens quae lustrant cuncta per circuitum: non enim nubes super unam tantum partem terrae resident ex qua vapores sunt elevati, sed ventorum impulsu ad diversas partes transferuntur; solent autem venti ut plurimum gyrum quendam facere sequentes motum solis, unde in mane flant venti Orientales et postea meridionales et tandem versus vespere Occidentales: unde et ex consequenti nubes circuitu quodam moventur. Et ut ostendat hoc ex providentia divina procedere, subdit quocumque eas voluntas gubernantis, scilicet Dei, duxerit, quia scilicet non semper ad omnes partes terrae nubes perveniunt sed quandoque ad hanc quandoque ad illam secundum Dei dispositionem. Procedunt autem ex nubibus diversi effectus, puta pluviae, nives, grandines, tonitrua et similia; et sicut ex divina dispositione dependet ad quam partem terrae nubes perveniant, ita etiam ex ea dependet quis effectus ex nubibus consequatur, unde subdit ad omne quod praeceperit illis super faciem orbis terrae, quasi dicat: ex praecepto divino dependet quis effectus sequatur ex nubibus super terram. Et quia dixerat quocumque eas voluntas gubernantis duxerit, hoc exponit subdens sive in una tribu, quia scilicet contingit quandoque quod in uno territorio nubes apparent et in alio non apparent, secundum illud Amos IV 7 plui super unam civitatem et super alteram civitatem non plui; et hoc dupliciter contingit, quia quandoque nubes apparent in eadem regione ex qua vapores generantur, quod contingit quando ex impulsu venti ad loca remota vapores non transferuntur, et quantum ad hoc dicit sive in terra sua, scilicet nubium unde sunt exortae; quandoque vero transferuntur ad aliam regionem, et quantum ad hoc subdit sive in quocumque loco misericordiae suae eas iusserit inveniri: ex magna enim Dei misericordia procedit quod nubes et pluvias alicui regioni provideat temporibus opportunis, et praecipue in terris calidis ubi sunt pluviae rariores. Ausculta enim, Iob et cetera. Postquam Eliud multa mirabilia operum divinorum narraverat, hic invehitur contra Iob qui Deum de iniustitia arguere videbatur cum tamen eius opera comprehendere non posset, et ideo dicit ausculta enim, Iob, quae scilicet a me dicuntur de magnitudine divinorum operum, sta, scilicet per mentis rectitudinem, et considera, scilicet per te ipsum, mirabilia Dei, quae scilicet in eius operibus manifestantur. Inter quae mirabilia a pluviis incipit, quas quidem sensibiliter homines percipiunt, sed tamen earum primam originem secundum quod a Deo sunt institutae scientia comprehendere non potest, unde subdit numquid scis quando praecepit Deus pluviis, quae scilicet ex divina ordinatione super terram cadunt? Et post earum casum aer, qui prius erat tenebrosus ex densitate nubium, eis rarescentibus redditur clarus, unde subdit ut ostenderent, scilicet pluviae cadentes, lucem nubium eius? Idest lucem solis per nubes rarefactas splendentem quae per nubes condensatas occultabatur. De quarum motu subdit numquid nosti semitas nubium, quomodo scilicet et ex qua causa ad diversas partes propellantur flatu ventorum? Nubium autem cognitio est principium cognoscendi omnes aeris permutationes, puta ventos, pluvias, nives, grandines, tonitrua et cetera huiusmodi, et ideo subdit magnas et perfectas scientias? Magnas quidem propter hoc quod huiusmodi impressiones in sublimiori corpore fiunt, perfectas autem quia nubium scientia comprehendit omnem notitiam praedictarum impressionum et effectuum qui ex eis consequuntur in his inferioribus. Et quia nubes a ventis impelluntur, consequenter de effectu venti subiungit dicens nonne vestimenta tua calida sunt cum perflata fuerit terra Austro? Ventus enim Auster quia procedit ex regionibus calidis aerem calefacit, ex cuius calore vestimenta hominis magis eum calefacere possunt; et signanter facit mentionem de effectu Austri quia ipse quasi ab imo veniens vapores congregando condensat in nubes et eas movet, Aquilo vero quasi ab alto veniens magis eas dispergit. Et quia ad omnes huiusmodi effectus virtus caelestium corporum operatur, ideo ulterius procedit usque ad caelestia corpora, unde subdit tu forsitan cum eo fabricatus es caelos? In quo metaphorice causalitatem Dei super caelestia corpora exprimit; nam sicut artifex est causa fabricae ita Deus est causa caelestium corporum, aliter tamen et aliter: nam artifex fabricam constituit ex materia praeiacente, caelestia autem corpora ex materia praecedenti fieri non potuerunt sed simul in eorum productione fuit materia cum forma producta. Et ut distingueret superiores caelos a caelis qui dicuntur aerei, subiungit qui solidissimi quasi aere fundati sunt; sciendum est autem quod apud nos quaedam corpora sunt quae cedunt tangenti et a transeuntibus dividi possunt, sicut aer et aqua et huiusmodi, quaedam vero non cedunt tangenti nec pertransiri possunt, sicut corpora lapidum et metallorum: et ideo ut ostendat superiores caelos non esse divisibiles aut pertransibiles ad modum aeris et aquae, comparat eos aeri praecipue inter cetera metalla quia eo ut plurimum homines ad talia opera utebantur. Et ne forte praesumptuose Iob diceret se Dei opera perfecte cognoscere, irrisorie subicit dicens ostende nobis quid dicamus illi, quasi dicat: si tu es ita sapiens quod omnia Dei opera cognoscas et quod super his etiam possis disputare cum eo, doceas nos ut possimus ei respondere; et necessitatem ostendit subdens nos quippe involvimur tenebris, quasi dicat: multum indigeremus quod praedicta nobis ostenderes quia nos ea penitus ignoramus. Et quia ipse multa de effectibus divinis locutus fuerat, ne hoc ei ad praesumptionem imputaretur quasi ipse aestimaret se praedicta perfecte cognoscere, ad hoc excludendum subdit quis narrabit ei quae loquor? Quasi dicat: haec quae de effectibus eius locutus sum nullus sufficienter narrare potest prout convenit ei, secundum excellentiam scilicet suae virtutis. Et si quis in tantam praesumptionem erigeretur ut sufficienter de Deo loqui se aestimaret, ex hoc ipso sibi periculum immineret, unde subdit etiam si locutus fuerit homo, scilicet quasi volens divinos effectus comprehendere, devorabitur, quasi absorptus a magnitudine materiae de qua loquitur, secundum illud Prov. XXV 27 qui perscrutator est maiestatis opprimetur a gloria. Vel potest aliter intelligi ut sit sensus: non solum homo non potest convenienter enarrare divinos effectus sed etiam si ipse Deus eos locutus fuerit, homini scilicet revelando, homo devorabitur, quasi tantam rem capere non valens, unde dicitur Iob XVI 12 multa habeo vobis dicere quae non potestis portare modo, et Deut. V 26 dicitur quid est omnis caro ut audiat vocem Dei viventis? Sed ne aliquis crederet quod cognitio veritatis divinae in perpetuum esset homini subtrahenda, ad hoc excludendum subdit at nunc, idest in praesenti tempore, non vident, scilicet homines, lucem, idest claritatem divinae cognitionis: amico tamen Dei annuntiatur quod ad eam quandoque possit ascendere, ut supra dictum est; et ad hoc similitudinem inducit dicens subito aer cogetur in nubes, propter congregationem vaporum ab Austro, et ex hoc redditur aer tenebrosus; sed huiusmodi tenebrae postmodum transeunt nubibus fugatis, unde subdit et ventus transiens, scilicet Aquilo, fugabit eas, quasi dicat: per hunc modum, licet nunc tenebris involvatur, tamen superveniente morte quae est quasi quidam transitus venti, praedictae tenebrae fugabuntur. Contingit autem quandoque quod in aliquo loco tenebroso aliquid fulgidum invenitur, sicut pars Septentrionalis tenebrosa dicitur propter elongationem eius a sole et tamen in Septentrionalibus regionibus multum auri invenitur quod est inter cetera metalla fulgidius, et hoc ideo quia calore propter circumstans aeris frigus recurrente ad interiora viscera terrae efficacius ibi operatur ad auri generationem, et hoc est quod subdit ab Aquilone aurum veniet, quasi dicat: in regione aquilonari aurum magis abundat. Et sicut in tenebris Septentrionis invenitur fulgor auri, ita etiam inter tenebras ignorantiae huius vitae invenitur aliqua licet obscura refulgentia divinae cognitionis, unde subdit et a Deo formidolosa laudatio: si enim nihil divinae lucis in nobis fulgeret, nullatenus eum laudare possemus; rursus si fulgeret nobis divina veritas manifeste sicut in meridie, eum secure laudaremus, sed quia in nostra cum quadam obscuritate nobis aliquid de divina luce fulget, cum formidine ipsum laudamus, sicut cum formidine homo facit illud quod scit se perfecte facere non posse, unde subdit digne eum invenire non possumus, ut scilicet per nostram inventionem perveniamus ad eum cognoscendum sicuti est; quod quidem ex eius excellentia contingit, unde subdit magnus fortitudine, quia scilicet eius virtus in infinitum excedit omnes suos effectus, unde ex eis inveniri digne non potest. Et ne credatur propter virtutis magnitudinem sola violentia uti in hominum gubernatione, subdit et iudicio, scilicet magnus est, quia scilicet incomprehensibilia sunt iudicia eius; nec hoc est propter iustitiae defectum sed propter excellentem iustitiam, unde subdit et iustitia, scilicet magnus est. Et propter suam magnitudinem nec mente cogitare nec ore sufficienter de eo loqui possumus, unde subdit et enarrari non potest, scilicet digne ab homine. Et haec est causa quare est eius laudatio formidolosa, unde subdit ideo timebunt eum viri, scilicet quantumcumque fortes, propter fortitudinis magnitudinem, et non audebunt contemplari, quasi praesumentes ad plenum cognoscere, omnes qui sibi videntur esse sapientes: et hoc signanter dicit quia sapientia hominis, quantacumque eis vel aliis videatur, divinae sapientiae comparata quasi nihil est. Est autem considerandum ex praemissis Eliud verbis quod partim cum Iob conveniebat, partim cum amicis eius: in hoc enim conveniebat cum Iob quod credebat remunerationem bonorum futuram post hanc vitam et punitionem malorum, cum amicis autem Iob conveniebat in hoc quod credebat omnes adversitates praesentis vitae pro peccatis provenire, de quibus si quis paeniteat ad prosperitatem redibit. Conveniebat etiam cum amicis Iob quantum ad personam ipsius Iob, quia putabat eum pro peccato punitum et quod iustitia quae in eo primitus videbatur fuerit simulata. Verba etiam Iob prave accipiebat sicut et alii. Circa prosperitatem malorum in hoc mundo solus tangit hanc causam quod prosperantur pro peccatis aliorum; similiter etiam solus manifeste tangere videtur Angelos esse medios inter Deum et homines. Iob autem verbis eius non respondet, primo quidem quia in principalibus dogmatibus cum eo concordabat, in quibus amici eius errabant, quos supra XIII 4 vocaverat perversorum dogmatum cultores. Quid autem de sua persona sentiret Eliud, non tantum cura erat ei quod propter hoc cum Eliud vellet contendere, praesertim quia puritatem conscientiae suae non aliter quam supra poterat probare, scilicet divino testimonio; secundo quia ex iuvenili quadam praesumptione, more contentiosorum, Iob imponebat verba quae non dixerat vel quae aliter dixerat quam ipse acciperet: et ideo ut se a contentionibus separaret decrevit magis esse silendum et divino iudicio committendum.

Eliud après avoir dit plus haut les changements de l’atmosphère : la sécheresse, la pluie, la couverture des nuages d’où Dieu produit les éclairs de la foudre il traite maintenant et assez amplement de la lumière qui tantôt se cache et tantôt se découvre et du tonnerre qui naît des nuées. Il commande par la lumière en disant : de ses mains il cache la lumière à savoir par un effet de sa puissance il cache la lumière du soleil et des étoiles par la présence des nuages. Mais comme cet obscurcissement n’est pas continuel mais pour un temps, il dit : et il lui ordonne de revenir c’est-à-dire quand les nuages s’en vont. Ou encore ces paroles peuvent se rapporter à l’obscurité et à la clarté de l’air au coucher et au lever du soleil. Or il faut savoir que les choses sensibles sont des signes de choses intelligibles; d’où par des effets sensibles nous connaissons des vérités. Or parmi les effets sensibles le plus spirituel est la lumière; elle est donc plus propre à produire en nous la connaissance des choses invisibles en tant que la vue sous l’action de la lumière aide davantage la connaissance intellectuelle. Lors donc que cette lumière sensible de par la puissance de Dieu est cachée aux hommes ou communiquée, il nous est donné d’apprendre qu’auprès de lui se trouve une lumière plus excellente c’est-à-dire spirituelle que Dieu réserve aux hommes en récompense de leur vertu; d’où il dit : d’elle, c’est-à-dire de la lumière spirituelle, par des signes matériels il annonce à son ami, à savoir qui est vertueux et que Dieu aime, qu’elle est sa possession, à savoir que cette lumière spirituelle est un trésor que Dieu réserve à ses amis comme récompense; et qu’on peut y atteindre c’est-à-dire en la méritant par des œuvres vertueuses et en se préparant à la posséder. Bien qu’on puisse aussi l’exposer de la lumière matérielle. En effet les Platoniciens ont posé que les âmes humaines étaient dérivées des âmes des étoiles donc quand les âmes humaines gardent leur dignité en vivant selon la raison, elles retournent à la clarté des étoiles d’où elles s’écoulèrent; d’où dans le Songe de Scipion on lit que les recteurs et les sauveurs des cités venus de là-bas c’est-à-dire du ciel, y retournent. En quoi il fait comprendre qu’il ne mettait pas l’ultime récompense de la vertu dans les biens temporels mais dans les biens spirituels après cette vie. Or ceci est ce qu’il y a de plus admirable que l’homme terrestre et corruptible soit promu à la possession des choses spirituelles et célestes; et donc il dit : De cela c’est-à-dire que l’homme puisse arriver à la possession de la lumière, mon cœur s’est effrayé c’est-à-dire d’une crainte d’admiration et de stupeur et il s’est déplacé c’est-à-dire que non seulement il ne désire ni ne convoite les choses qu’on voit, et connaturelles selon la vie sensible, mais encore qu’il est transporté vers les choses spirituelles et célestes.

Après la vue qui est la connaissance de la lumière matérielle vient l’ouïe au service de l’intelligence en tant qu’elle perçoit le son de la voix qui exprime les concepts intellectuels. Or de même que par la vision de la lumière matérielle l’homme est amené à la connaissance et à l’attente d’une vie plus haute, ainsi aussi par l’audition de sons matériels formés par la vertu divine l’homme est conduit à écouter la doctrine spirituelle et divine; d’où il dit : il écoutera c’est-à-dire l’homme, de la part de Dieu l’audition c’est-à-dire de la doctrine spirituelle, dans la terreur de sa voix à savoir le signe du tonnerre qui est comme la voix terrible de Dieu. Il expose quelle est cette écoute en introduisant et le son qui procède de sa bouche; en effet si le son du tonnerre matériel est comme formé par sa main à savoir par sa puissance, le son qui procède de sa bouche est la doctrine de sa sagesse, selon Sir. 24, 5 " Je suis sortie de sa bouche".

Et pour qu’on ne croie pas que Dieu n’a d’autre lumière supérieure que la lumière matérielle du ciel il exclut cela en introduisant il regarde au-dessus de tous les cieux comme s’il disait : sa vision n’est pas sous le ciel mais au-dessus. Or on ne peut voir que dans la lumière car " Tout ce qui est manifesté est lumière " (Eph. 5, 13); d’où il faut bien que la lumière de Dieu soit plus excellente que cette lumière matérielle qu’on rencontre d’abord dans les cieux; donc il dit : et sa lumière c’est-à-dire intelligible, surpasse les limites de la terre à savoir : elle est supérieure à toute la créature matérielle. Et de même que la lumière matérielle du ciel est sous lui, ainsi aussi le son du tonnerre matériel lui est inférieur, d’où il dit : après lui, c’est-à-dire sous lui, un bruit retentira à savoir le tonnerre matériel. Or il y a une autre voix spirituelle, à savoir la doctrine de la sagesse qui est incompréhensible à l’homme, dont il dit : il fera tonner sa grande voix à savoir qui enseigne sa grandeur; et cette voix tous ne l’entendent pas comme pour le tonnerre matériel; et ceux qui l’entendent quelque peu ne peuvent la comprendre, d’où il dit : et on ne la comprendra pas c’est-à-dire parfaitement lorsqu’on l’entendra, à savoir saisie spirituellement par quelqu’homme, sa voix, c’est-à-dire la doctrine de la sagesse.

Mais cette voix non seulement est ordonnée à la doctrine des hommes qui l’entendent, mais aussi à l’achèvement des œuvres naturelles qui se font suivant l’ordre de la divine sagesse. Et donc il répète une deuxième fois Dieu tonnera de sa voix, à savoir sur l’ordre de sa sagesse, admirable, à savoir produisant des effets étonnants et c’est ce qu’il dit : il fait de grandes choses, c’est-à-dire selon leur nature et qui sont impénétrables c’est-à-dire à la raison humaine. Et en commençant leur énumération il dit : qui commande à la neige, c’est-à-dire par la voix de sa sagesse, de descendre sur la terre, c’est-à-dire que sur son ordre la neige se forme, comme la pluie et les averses; d’où il dit : et les pluies de l’hiver, c’est-à-dire qui sont abondantes en hiver et les averses de sa puissance, c’est-à-dire qui se forment par quelque cause extraordinaire et avec un vent impétueux, il leur commande. Et comme tout ce qui se fait dans les choses inférieures est en quelque façon ordonné en vue de l’homme il dit : donc il a mis sur la main de l’homme comme un signe pour que chacun connaisse ses œuvres. En effet les divers travaux des hommes sont commandés par les dispositions de l’atmosphère; autre en effet est le travail de nuit et autre celui du jour; et de plus l’homme exerce un autre travail quand le temps est beau et un autre quand il pleut. Or quel travail convient à chaque temps l’homme le discerne selon la raison qui lui est donnée par Dieu; et c’est cela le signe mis en sa main, à savoir dans l’aptitude au travail de tous les hommes afin qu’ils sachent distribuer convenablement leurs tâches pour la diversité des temps. Et cette prévoyance s’étend jusqu’aux animaux qui en effet par un instinct naturel agissent diversement à des temps divers d’où il dit : la bête entrera dans sa cachette à savoir au temps de la pluie et elle demeurera dans son antre c’est-à-dire jusqu’au temps convenable.

Ensuite il montre les effets des divers vents. A ce propos il faut considérer que les vents du sud produisent la pluie et les tempêtes; les vents du nord causent le froid atmosphérique; et les vents du sud nous viennent du côté du pôle antarctique qui nous est caché comme étant en dessous de notre horizon dans la même mesure où le pôle arctique s’élève sur l’horizon; et donc il dit : des parties inférieures naît la tempête, comme s’il disait : la tempête nous vient de la partie du ciel qui se trouve constamment sous notre horizon et le vent qui l’apporte est appelé Auster. Et concernant l’Aquilon il dit : et d’Arcturus (vient) le froid; " arktos " en effet en grec veut dire la partie septentrionale d’où le nom d’Arcturus pour la constellation de la Grande Ours qui s’élève toujours au dessus de l’horizon, et c’est de ce côté que vient l’Aquilon qui est cause du froid suite à l’éloignement du soleil en cette partie du ciel. Et pour attribuer cela à la divine sagesse il dit : au souffle de Dieu la gelée se condense, comme de dire : l’Aquilon qui cause la gelée se lève sous le souffle de Dieu, c’est-à-dire qu’il cause le souffle. Et de nouveau au souffle de Dieu qui cause l’Auster, très largement, à savoir très abondamment, se répandent les eaux, c’est-à-dire les pluies que ce vent amène.

Et pour rapporter ces effets à l’utilité des hommes il dit : le blé recherche les nuées, comme s’il voulait dire : les nuées sont ordon nées au froment comme vers une fin, c’est pourquoi elles sont utiles. Or toute chose désire sa fin; et équivalemment il dit : que les nuées désirent le froment, car en effet les nuées sont utiles au froment; ou bien encore c’est en raison de la pluie qui descend des nuages et qui irrigue la terre que celle-ci est féconde et produit le froment. Il est encore utile pour le froment que les nuées donnent de l’ombre pour empêcher que la terre ne se dessèche sous les continuelles ardeurs du soleil. Il ajoute une autre utilité des nuées lorsqu’il dit : et les nuées répandent leur clarté, ce qui peut se rapporter soit à la clarté des éclairs, selon ce qu’il avait dit au chapitre précédent : "S’il voulait étendre les nuées et faire des éclairs à partir de sa lumière" (36, 29 et 30); soit plutôt à la lumière qui resplendit dans l’air à partir des rayons du soleil projetés sur les nuages et en quelque manière tempérés par eux; d’où il se fait que la clarté du soleil apparaît dans l’air avant le lever du soleil et parvient aux nuées qui sont plus élevées auxquelles les rayons arrivent plus tôt et les quittent plus tardivement.

Après l’utilité des nuées, on décrit leur mouvement en disant : elles circulent partout au loin, en effet les nuées ne s’arrêtent pas sur une partie seulement de la terre d’où les vapeurs se sont levées, mais sous l’impulsion des vents elles se portent en divers endroits. Or les vents, d’ordinaire et le plus souvent, font un mouvement circulaire en suivant le mouvement du soleil : ainsi au matin souffle le vent d’est; ensuite c’est le vent du sud et enfin vers le soir il souffle de l’ouest; les nuées se meuvent ainsi en un circuit. Et pour montrer que cela procède de la providence divine il dit : partout où la volonté de celui qui gouverne, c’est-à-dire Dieu les conduit : ce n’est pas toujours en effet au même endroit de la terre que les nuées parviennent, mais parfois en tel endroit, parfois à un autre selon que Dieu le dispose. Des nuées proviennent divers effets : par exemple la pluie, la neige, la grêle, le tonnerre et autres choses semblables; et de même que de la divine disposition dépend vers quelle partie de la terre parviendront les nuées, ainsi aussi il dépend d’elle quel effet produiront les nuées d’où il dit : pour tout ce qu’il leur est ordonné sur la surface de la terre, comme s’il disait : du précepte divin dépend l’effet que produisent les nuées sur la terre. Et comme il avait dit : où la volonté de celui qui gouverne les conduit, il l’expose ici en introduisant soit sur une tribu, car il arrive parfois que sur un territoire apparaissent des nuées et non sur un autre, comme le dit Amos "J’ai fait pleuvoir sur une cité, et sur une autre je n’ai pas fait pleuvoir" (4, 7); et ceci arrive de deux manières : parce que parfois les nuées apparaissent dans la même région où elles se sont formées; cela se produit quand sous l’effet du vent les vapeurs qui forment les nuées ne sont pas transportées dans des lieux éloignés et quant à cela il dit : soit sur leur terre, c’est-à-dire celle des nuées d’où elles se forment; parfois elles sont transportées vers d’autres régions, et quant à cela il dit : soit en tout endroit où sa miséricorde a disposé qu’elles se trouvent, en effet c’est une grande miséricorde de Dieu qu’il pourvoie une région de nuées et de pluies au meilleur moment, et principalement dans les pays chauds où les pluies sont assez rares.

 

CONFÉRENCE 2 — Eliud : "Conclusion"(Job 37, 14-24)

 

14 Job, sois attentif à ces choses; arrête-toi, et considère les merveilles de Dieu. 15 Sais-tu comment il les opère, et fait briller l'éclair dans la nue? 16 Comprends-tu le balancement des nuages, les merveilles de celui dont la science est parfaite, 17 toi dont les vêtements sont chauds, quand la terre se repose au souffle du midi? 18 Peux-tu, comme lui, étendre les nuées, et les rendre solides comme un miroir d'airain? 19 Fais-nous connaître ce que nous devons lui dire : nous ne saurions lui parler, ignorants que nous sommes. 20 Ah! Qu'on ne lui rapporte pas mes discours! Un homme a-t-il jamais dit qu'il désirait sa perte? 21 On ne peut voir maintenant la lumière du soleil, qui luit derrière les nuages; qu'un vent passe, il les dissipe. 22 L'or vient du septentrion; mais Dieu, que sa majesté est redoutable! 23 Le Tout-Puissant, nous ne pouvons l'atteindre : il est grand en force, et en droit, et en justice, il ne répond à personne! 24 Que les hommes donc le révèlent! Il ne regarde pas ceux qui se croient sages.

14 Prête l’oreille à ceci, ô Job, arrête, et considère les merveilles de Dieu. 15 Sais-tu quand Dieu commande à la pluie pour qu’elle laisse para lire la clarté de ses nuées?16 Connais-tu les sentiers des nuées?            Grandes et parfaites connaissances! 17 Tes vêtements ne s’échauffent-ils pas quand l’Auster souffle sur la terre? 18 Aurais-tu par hasard fabriqué les cieux, tellement solides comme l’airain après la fusion?           19 Montre-nous ce que nous devons lui dire, à nous qui sommes enveloppés de ténèbres.       20 Qui pourra lui raconter ce que je dis? aussi bien qui l’aura dit, il sera englouti. 21 Et maintenant ils ne voient pas la lumière; subitement l’atmosphère est chargée de nuées, se et le vent se soulève et les met en fuite. 22 L'or vient de l’Aquilon, Redoutable est la louange pour Dieu. 23 Nous ne pouvons le trouver dignement; grande est sa force. Son jugement et sa justice ne peuvent se raconter. 24 C'est pourquoi les hommes le craignent. Et aucun n’osera le contempler de ceux qui se croient des sages.     

Après avoir raconté les nombreuses merveilles opérées par Dieu, maintenant Eliud s’attaque à Job qui voulait charger Dieu d’injustice, alors qu’il ne peut comprendre ses œuvres; et donc il dit : Prête l’oreille à ceci, ô Job, c’est-à-dire à ce que je dis de la grandeur des œuvres de Dieu : arrête, c’est-à-dire par la droiture de l’esprit, et considère, à savoir par toi-même, les merveilles de Dieu c’est-à-dire qui sont manifestées dans ses œuvres. Parmi ces merveilles il cite tout d’abord les pluies. Les hommes les perçoivent sensiblement, toutefois quant à leur première origine, selon que Dieu les a instituées, la science ne peut le comprendre, d’où il dit : sais-tu quand Dieu commande à la pluie c’est-à-dire qui tombe sur la terre selon que Dieu l’à disposé? Et après être tombée, l’air qui était d’abord obscurci par de denses nuées, celles-ci se faisant rares, s’éclaircit d’où il dit : pour laisser paraître, à savoir la pluie étant tombée, la clarté de ses nuées? C’est-à-dire la clarté du soleil perçant les nuages qui se dissipent et que les gros nuages avaient cachée. Et de leurs mouvements il dit : connais-tu les sentiers des nuées, à savoir comment et par quelles causes elles sont propulsées vers diverses régions par le souffle des vents? Connaître les nuées est à la source de la connaissance de tous les changements atmosphériques tels les vents, les pluies, la neige, la grêle, le tonnerre et autres choses de ce genre; et donc il dit : grandes et parfaites connaissances! Grandes parce que ces phénomènes se forment dans un monde supérieur; parfaites parce que la science des nuées comprend toute la connaissance des susdits phénomènes et des effets qui en sont la conséquence dans ces sphères inférieures Et comme les vents poussent les nuages, il ajoute : les effets que le vent produit : tes vêtements ne s’échauffent-ils pas quand l’Auster souffle sur la terre? En effet ce vent parce qu’il vient des régions chaudes réchauffe l’air, ce qui fait la chaleur des vêtements. Et pertinemment il fait mention de l’action du vent du sud; car venant comme par en- dessous et rassemblant les vapeurs il les condense en nuées et les met en mouvement; mais l’Aquilon venant par en haut fait plutôt qu’elles se dissipent.

Et comme pour tous ces effets le pouvoir des corps célestes inter vient il continue plus avant jusqu’à ces corps, et il dit : aurais-tu par hasard avec lui fabriqué les cieux? Par cette métaphore il veut indiquer la causalité divine sur les corps célestes. Car de même que l’artisan est cause de son ouvrage ainsi Dieu est-il cause des corps célestes; différemment cependant, car l’artisan produit son ouvrage à partir d’une matière préexistante; or les corps célestes n’ont pu être faits d’une matière préexistante mais la matière fut formée en même temps que leur forme. Et pour distinguer les cieux supérieurs de ceux qui sont appelés atmosphériques il ajoute : tellement solides comme l’airain après la fusion. Or il faut remarquer qu’auprès de nous il y a des corps qui cèdent sous la pression ou se divisent par pénétration, comme l’eau et l’air et autres de cette nature; mais certains ne cèdent pas sous la pression ni ne se partagent tels les pierres et les métaux et pour montrer que les cieux supérieurs ne sont pas divisibles, comme l’eau et l’air, il les compare à l’airain, le plus important parmi les métaux parce que les hommes le plus souvent en font usage pour leurs œuvres.

Et pour que Job ne dise pas présomptueusement qu’il connaît parfaitement les œuvres de Dieu, il dit : par moquerie en disant : montre nous ce que nous devons lui dire, il veut dire : situ es si sage que tu connaisses toutes les œuvres de Dieu et qu’à leur propos tu puisses aussi discuter avec lui, enseigne nous pour que nous puissions lui répondre; et il en montre la nécessité en introduisant nous qui sommes entourés de ténèbres, comme s’il disait nous aurions grand besoin que tu nous enseignes ces choses car nous les ignorons totale ment. Et comme il avait dit beaucoup de choses au sujet des effets divins (lui Eliud) pour qu'il ne lui fasse pas le reproche de présomption, comme s’estimant connaître toutes ces choses à la perfection, pour écarter cela il dit : qui pourra lui raconter ce que je dis? Comme s’il disait : ce que j’ai dit : de ses effets, personne ne peut le narrer suffisamment, comme lui convenant, c’est-à-dire selon l’excellence de son pouvoir; et si quelqu’un se risquait à une telle prétention et s’estimait capable d’en parler suffisamment, par là même il s’expose au danger, qu’il dit : aussi bien celui qui aura parlé, comme voulant comprendre les effets divins, sera dévoré par la grandeur de la matière dont il parle, selon ce que disent les Proverbes : "Celui qui scrute la majesté sera opprimé par la gloire " (25, 27). Ou bien on peut interpréter autrement : non seulement l’homme n’arrive pas à raconter les effets divins suffisamment et convenablement, mais encore si Dieu lui-même les racontait à l’homme, à savoir par révélation, l’homme en sera dévoré comme ne pouvant saisir une si grande chose; d’où saint Jean : "J’ai beaucoup de choses à vous dire que vous ne pouvez porter maintenant" (16, 12) et le Deutéronome "Qu’est-ce que toute chair pour entendre la voix du Dieu vivant?" (5, 26).

Mais pour que l’on ne croie pas que la vérité divine serait pour toujours soustraite à la connaissance de l’homme, il écarte cela et dit : mais maintenant, à savoir dans le temps présent, ils ne voient pas, c’est-à-dire les hommes, la lumière, à savoir la clarté de la divine connaissance. Cependant elle est annoncée à l’ami de Dieu et il peut parfois y atteindre, comme on vient de le dire (36, 33 ou 37, 2). Et à cela il apporte une comparaison en disant : subitement l’air s’est chargé de nuées, à cause du rassemblement des vapeurs venant du sud et l’atmosphère en est devenue ténébreuse; mais ensuite ces ténèbres ont passé, les nuées s’étant dissipées, d’où il dit : et le vent qui passe, c’est-à-dire l’Aquilon, les chassera; il veut dire : de cette manière bien que les ténèbres nous enveloppent, cependant la mort qui survient, qui est comme le vent qui passe, mettra en fuite ces ténèbres.

Or il arrive parfois que dans quelqu’endroit ténébreux se trouve une clarté, comme l’hémisphère nord est dit : ténébreux à cause de son éloignement du soleil; et cependant dans les régions nordiques on trouve beaucoup d’or qui est parmi les métaux plus étincelant et c’est à cause que la chaleur se retire sous l’effet de l’air froid ambiant dans les entrailles de la terre pour opérer plus efficacement la naissance de l’or et c’est ce qu’on nous dit : de l’Aquilon viendra l’or, comme s’il disait dans la région de l’Aquilon l’or abonde davantage. Et de même que dans les ténèbres nordiques se rencontre l’étincellement de l’or, ainsi aussi parmi les ténèbres de l’ignorance de cette vie il y a des obscurités qui reflètent la divine connaissance.

D’où il dit : redoutable est la louange pour Dieu; si en effet rien en nous ne resplendissait de la clarté divine, nous ne pourrions aucunement le louer. De plus si la vérité divine resplendissait ouverte ment, comme en plein midi, nous le louerions sans inquiétude. Mais parce que sur cette terre brille en nous quelque chose de la divine lumière avec une certaine obscurité, nous louons Dieu avec quelque crainte; comme c’est avec crainte que l’homme fait ce qu’il sait ne pouvoir réaliser parfaitement, d’où il dit : nous ne pouvons le trouver dignement c’est-à-dire pour parvenir par notre recherche à le connaître comme il est. Ce qui provient de son excellence, d’où il dit : grande est sa force c’est-à-dire que son pouvoir dépasse infiniment tout ce qu’il fait et ainsi on ne peut le trouver dignement. Et pour qu’on ne croie pas à cause de la grandeur de son pouvoir qu’il userait de la seule violence dans le gouvernement des hommes, il dit : et par son jugement c’est-à-dire il est grand; "car ses jugements sont incompréhensibles; non par manque de justice mais à cause de l’excellence de sa justice : et il dit : et par sa justice c’est-à-dire il est grand; et à cause de cette grandeur nous ne pouvons ni y penser en esprit, ni le louer de bouche suffisamment; d’où il dit : il ne peut être raconté, à savoir dignement, par l’homme. Et c’est la cause pour laquelle sa louange est redoutable, et donc il dit : les hommes le craignent c’est-à-dire quelque forts qu’ils soient à cause de la grandeur de leur force, et ils n’oseront le contempler, à savoir présumant de la connaître pleinement, ceux qui se croient sages. Et il le dit : pertinemment, car la sagesse de l’homme quelque grande qu’elle paraisse à soi ou aux autres, comparée à la sagesse divine est comme le néant.

Considérons maintenant, des paroles dites par Eliud, qu’il était d’accord en partie avec Job, en partie avec ses amis. Avec Job, parce qu’il croyait à la récompense des bons et à la punition des méchants après cette vie; avec ses amis, parce qu’il croyait que toutes ces adversités de la vie présente provenaient du péché; que si l’on s’en repentait on reviendrait à la prospérité. Il était aussi d’accord avec les amis de Job quant à la personne de Job lui-même, parce qu’il pensait qu’il était puni pour ses péchés et que la justice qui paraissait être en lui primitivement était simulée. Il interprétait aussi ses paroles dans le mauvais sens, comme les autres amis. Concernant la prospérité des méchants en ce monde, seul il touche la cause : qu’ils prospèrent pour les péchés des autres De même il est le seul à traiter ouvertement des anges comme médiateurs entre Dieu et les hommes.

Quant à Job il ne répondra pas à ses dires : d’abord parce qu’il était d’accord avec lui dans les choses principales et où ses amis erraient et qu’il avait appelés des fauteurs de dogmes pervers (ch. 13). Que pensait de lui Eliud, il ne s’en souciait guère au point de vouloir contester avec lui, surtout qu’il ne pouvait prouver la pureté de sa            conscience autrement qu’il l’avait fait plus haut, à savoir par le témoignage divin. Ensuite parce qu’à cause d’une certaine présomption due à sa jeunesse à la façon des discuteurs il imputait à Job des paroles qu’il n’avait pas dites ou qu’il avait dites mais autrement que lui les interprétait; et donc pour éviter des contestations, il décide plutôt de se taire et de s’en remettre au jugement divin.

 

 

Caput 38

Job 38 — La réponse de Yahvé

 

CONFÉRENCE 1 — Yahvé répond (Job 38, 1-12)

 

1 Alors Yahvé répondit à Job du sein de la tempête, et dit :

2 Quel est celui qui obscurcit ainsi le plan divin, par des discours sans intelligence? 3 Ceins tes reins, comme un homme : je vais t'interroger, et tu m'instruiras. 4 Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre? Dis-le, si tu as l'intelligence. 5 Qui en a fixé les dimensions? Le sais-tu? Qui a tendu sur le cordeau? 6 Sur quoi ses bases reposent-elles, ou qui en a posé la pierre angulaire, 7 quand les astres du matin chantaient en chœur, et que tous les fils de Dieu poussaient des cris d'allégresse? 8 Qui a fermé la mer avec des portes, lorsqu'elle sortit impétueuse du sein maternel; 9 quand je lui donnai les nuages pour vêtements, et pour langes d'épais brouillards; 10 quand je lui imposai ma loi, que je lui mis des portes et des verrous, 11 et que je lui dis : "Tu viendras jusqu'ici, non au delà; ici s'arrêtera l'orgueil de tes flots "? 12 As-tu, depuis que tu existes, commandé au matin? As-tu indiqué sa place à l'aurore?

1 Dieu répondant à Job dans la tempête dit : 2 Qui est celui-là développant des pensées en discours ineptes? 3 Ceins-toi les reins, comme un homme, je t’interrogerai et tu me répondras. 4 Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre? Indique moi, situ as de l’intelligence. 5 Qui a posé ses mesures, situ le sais, ou qui a tendu sur elle le cordeau? 6 Sur quoi ses bases sont-elles assises ou qui a fait descendre sa pierre d’angle? 7 Alors que me louaient tous ensemble les astres matinaux, et me célébraient tous les fils de Dieu. 8 Qui a renfermé dans des portes la mer quand elle fit irruption comme sortant de son sein? 9 Comme je posais la nuée, son vêtement; l’enveloppant d’un brouillard comme de langes de l’enfance. 10 A l’entour j’y ai mis mes limites; j’y ai mis un verrou et des portes. 11 Et j’ai dit; tu viendras jusqu’ici et n’iras pas plus loin; ici tu briseras tes flots furieux. 12 Après ta naissance as-tu commandé à la pointe du jour, et montré son endroit à l’aurore?

[84936] Super Iob, cap. 38 Respondens autem dominus Iob de turbine et cetera. Praemissa disputatione Iob et amicorum eius de providentia divina, Eliud sibi vices determinantis assumpserat, in quibusdam redarguens Iob, in quibusdam autem amicos ipsius; sed quia humana sapientia non sufficit ad veritatem divinae providentiae comprehendendam, necessarium fuit ut praedicta disputatio divina auctoritate determinaretur; sed quia Iob circa divinam providentiam recte sentiebat, in modo autem loquendi excesserat intantum quod in aliorum cordibus exinde scandalum proveniret dum putabant eum Deo debitam reverentiam non exhibere, ideo dominus, tamquam quaestionis determinator, et amicos Iob redarguit de hoc quod non recte sentiebant, et ipsum Iob de inordinato modo loquendi, et Eliud de inconvenienti determinatione; unde dicitur respondens autem dominus Iob, quia scilicet propter eum ista responsio fiebat quamvis non fuerit ipse immediate ante locutus. Modum autem respondendi ostendit subdens de turbine, quod quidem potest et ad litteram intelligi ut dicatur formatam esse vocem Dei miraculose in aere cum quadam aeris turbatione, sicut in monte Sinai factum legitur Exodi XX 18, vel sicut ad Christum vox facta est quando quidam dixerunt tonitruum factum esse, ut legitur Iob XII 29; vel potest intelligi ut sit metaphorice dictum, ut haec responsio domini sit inspiratio interior divinitus facta ipsi Iob, et sic dicitur dominus ei de turbine respondisse tum propter turbationem quam adhuc patiebatur, tum etiam propter turbinis obscuritatem, quia scilicet divinam inspirationem in hac vita non possumus clare percipere sed cum quadam obumbratione sensibilium similitudinum, ut Dionysius dicit I cap. caelestis hierarchiae; et hoc etiam significavit dominus si de turbine corporali vocem suam sensibiliter fecit audiri. Determinata autem disputatione quasi per sententiam iudicii, nihil ultra restat dicendum nisi determinationis sententia reprobetur, et ideo dominus primo improbavit determinationem disputationis quam Eliud fecerat; improbat autem eam quia veras sententias quas proposuerat involverat multis falsis et frivolis verbis, unde sequitur dixit: quis est iste involvens sententias sermonibus imperitis? Sententias quidem Eliud dixerat arguendo Iob de hoc quod dixerat se velle disputare cum Deo et de hoc quod intantum se iustum dixerat quod quasi videbatur iustitiae divini iudicii derogare, sed istas sententias involverat multis praesumptuosis et etiam falsis sermonibus, ut ex supra dictis patet, qui hic dicuntur sermones imperiti quia omnis inordinatio ex defectu rationis procedere videtur. Sic igitur exclusa determinatione Eliud dominus ipse incipit determinare disputationem, et primo excitat Iob ad attendendum cum dicit accinge sicut vir lumbos tuos, quod metaphorice dicitur: homines enim solent lumbos praecingere ad hoc quod sint prompti ad iter vel ad quamlibet actionem, unde volebat dominus eum esse promptum ad considerandum quae ei dicebantur, remotis quibuslibet impedimentis, unde signanter de praecinctione lumborum facit mentionem, quia per lumbos voluptas carnalis intelligitur quae praecipue impedit spiritualem auditum, secundum illud Is. XXVIII 9 quem docebit scientiam, et quem intelligere faciet auditum? Ablactatos a lacte, avulsos ab uberibus. Primo autem incipit in sua determinatione Iob arguere de hoc quod praesumptuose videbatur esse locutus dum Deum ad disputandum provocaret; et quia supra XIII 22 videtur Deo dedisse duorum optionem cum dixit voca me et respondebo tibi, aut certe loquar et tu responde mihi, quia Iob iam satis locutus fuerat, dominus quasi alteram partem eligit cum subdit interrogabo te et responde mihi, quae quidem interrogatio Dei non est ut addiscat sed ut hominem de sua ignorantia convincat. Interrogat autem ipsum de suis effectibus qui humanis sensibus praesto sunt, quos cum homo ignorare ostenditur multo magis convincitur sublimiorum scientiam non habere; inter alios autem sensibiles effectus incipit interrogare de principalibus partibus mundi, inter quas terra est nobis notior utpote propinquior, de qua interrogare incipiens dicit ubi eras quando ponebam fundamenta terrae? Recte fundamento terram comparat quia sicut fundamentum est infima aedificii pars, ita etiam terra est infimum corporum quod subiacet omnibus. Et quia terra est praecipue materia humani corporis, materia autem tempore praecedit id quod ex ea fit, et multo magis ratio artificis qui materiam condidit, ideo signanter dicit ubi eras quando ponebam fundamenta terrae? Ac si dicat: cognoscere rationem fundationis terrae non potes, quia cum terra fundata est nondum eras in rerum natura. Est autem considerandum quod quidam antiquorum situm terrae et aliorum elementorum non attribuerunt alicui rationi ordinanti sed necessitati materiae, secundum quod gravia levibus succident; ut autem haec opinio excludatur, dominus consequenter comparat fundationem terrae fundationi aedificii quae fit secundum aedificatoris rationes: et similiter fundatio terrae facta est secundum providentiam divinam quam humana intelligentia comprehendere non valet, et hoc significat cum subdit indica mihi, si habes intelligentiam, quasi dicat: ideo horum rationem indicare non potes quia ad haec capienda intelligentia tua non sufficit. Est autem considerandum quod artifex in aedificii fundatione quatuor disponit: primo quidem quantum debeat esse fundamentum, et similiter divina ratione dispositum est quod tanta debeat esse quantitas terrae, et non maior vel minor, et quantum ad hoc subdit quis posuit mensuras eius, scilicet secundum omnes dimensiones; et signanter dicit posuit: non enim species terrae ex necessitate talem quantitatem requirit, sed haec quantitas est terrae imposita ex sola ratione divina, quam homo cognoscere non potest, et ideo subdit si nosti, quia scilicet hoc homo nec nosse nec indicare potest. Secundo artifex per suam rationem disponit determinatum situm fundamenti, quem comprehendit per extensionem lineae mensuralis, unde subdit vel quis tetendit super eam lineam, per quam scilicet significatur ratio divinae dispositionis designans determinatum situm terrae in partibus universi. Tertio excogitata quantitate fundamenti et ubi collocandum sit, disponit artifex in quo possit fundamentum firmiter collocari, et quantum ad hoc subdit super quo bases illius, scilicet terrae, fundatae sunt, quia fundata est super centrum mundi. Quarto autem praedictis tribus excogitatis, artifex iam incipit iacere lapides in fundamentum, et primo lapidem angularem ad quem diversi parietes congregantur, et quantum ad hoc subdit aut quis demisit, idest deorsum misit, lapidem angularem eius, per quem scilicet significatur ipsum centrum terrae cui diversae partes terrae connectuntur. Solet autem homo fundamentum aedificii collocare propter necessitatem habitationis, sed ut ostendatur Deus non ex indigentia fundamenta terrae iecisse, subiungit cum me laudarent singula astra matutina, quasi dicat: quamvis adesset mihi habitatio caeli cuius astra me laudant, terram tamen fundavi, non ex indigentia famulantium qui eam inhabitarent sed ex sola voluntate. Non autem hoc dicitur quasi caelum prius sit factum quam terra, praesertim cum in Genesi legitur in principio Deum creasse caelum et terram, astra autem de quibus hic fit mentio leguntur facta fuisse quarta die, sed hoc dicitur ad ostendendum quod ordine naturae caelum et astra priora sunt terra sicut incorruptibile corruptibili et movens moto. Dicit autem astra matutina, idest de novo condita, sicut apud nos astra matutina dicuntur quae in principio diei solent apparere. Quod autem dicuntur astra matutina Deum laudare potest uno modo intelligi materialiter, inquantum scilicet propter sui claritatem et nobilitatem erant materia divinae laudis, etsi non hominibus qui adhuc non erant, saltem Angelis qui iam erant; alio modo secundum illos qui dicunt corpora caelestia animata, astra in suae institutionis initio Deum laudabant non laude vocali sed mentali; quod etiam potest referri ad Angelos quorum ministerio caelestia corpora moventur, ut quod subditur et iubilarent omnes filii Dei referatur ad Angelos supremae hierarchiae, quos Dionysius dicit esse collocatos in vestibulis deitatis: et ideo signanter illis tamquam inferioribus laudem, istis autem tamquam superioribus attribuit iubilationem quae excellentiam quandam laudis importat. Praemisso igitur de fundatione terrae subiungit consequenter de aquis quae immediate superponuntur terrae; videtur autem naturalis ordo elementorum requirere ut aqua ex omni parte circumdaret terram sicut aer ex omni parte circumdat terram et aquam, sed divina dispositione factum est ad generationem hominum, animalium et plantarum ut aliqua pars terrae discooperta remaneret ab aquis, Deo sua virtute aquas maris sub certis limitibus retinente, unde subdit quis conclusit ostiis mare, idest certis terminis? Fuerunt autem aliqui qui putaverunt per actionem solis aliquam partem terrae exsiccatam esse, sed dominus ostendit hoc a principio ita fuisse dispositum ut mare non undique terram operiret. Describit autem productionem maris sub similitudine nativitatis rei viventis, scilicet pueri, quia aqua est maxime formabilis in res vivas, unde et omnium semina humida sunt; puer autem primo quidem de utero matris egreditur, et hoc significat cum dicit quando erumpebat quasi de vulva procedens. Utitur autem in productione maris verbo erumpendi, quia scilicet proprium est aquae quasi continue moveri; dicitur autem quasi de vulva procedere non quod ortum habuerit ex alia materia corporali, sed quia ex occulto divinae providentiae procedebat quasi ex utero quodam. Secundo autem puer natus induitur, et quantum ad hoc subdit cum poneret nubem vestimentum eius: quia enim nubes ex vaporibus resolutis ex aqua generantur, consequens est ut in locis maritimis huiusmodi nubes magis multiplicentur. Tertio autem puer natus quibusdam fasciis involvitur, et quantum ad hoc subdit et caligine illud quasi pannis infantiae obvolverem; et possunt per caliginem designari vapores non elevati neque condensati in nubes sed super maris superficiem aerem obscurantes, et forte alludit ei quod dicitur Gen. I 2 quod tenebrae erant super faciem abyssi. His igitur positis quae pertinent ad novam maris productionem, explicat eius conclusionem ac si dicat: quando mare de novo factum est, tunc circumdedi illud terminis meis; et videtur tria ponere pertinentia ad conclusionem maris, quorum primum significatur cum dicit terminis meis, idest a me positis, secundum significatur cum dicit et posui vectem, tertium cum dicit et ostia. Haec autem tria pertinent ad imperium divinae virtutis, unde quasi exponens praedicta subdit et dixi: hucusque venies, quod pertinet ad rationem terminorum, nam terminus est ultimum motus, et non procedes amplius, quod scilicet pertinet ad vectem quo processus alicuius impeditur, et hic confringes tumentes fluctus tuos, quod pertinet ad ostia quae ad hoc ponuntur quod aliquis non passim egrediatur aut ingrediatur sed secundum certam regulam: ita etiam mare non passim transgreditur litus sed secundum quandam mensuram fluctuum intumescentium. Post terram autem et aquas ulterius procedit ad aerem qui secundum aspectum caelo continuatur; prima autem dispositio communis ad totum corpus quod superiacet aquae et terrae est variatio noctis et diei, quae fiunt secundum motum diurnum qui est primus motuum, et ideo consequenter dicit numquid post ortum tuum praecepisti diluculo? Quasi dicat: numquid ex praecepto tuo alternantur nox et dies super terram? Diluculum enim est quoddam confinium diei et noctis. Et signanter dicit numquid post ortum tuum, sicut et supra quando de terra loquebatur dixerat ubi eras? Quia sicut terra est principaliter materiale principium hominis, ita etiam supremum caelum, quod suo motu variat diem et noctem, est principale principium humani corporis inter causas corporales. Est autem considerandum quod claritas diluculi sive aurorae diversificatur secundum diversas partes elevationis signorum quae sol perambulat, quia quando est in signo velocis ascensionis, quo scilicet cito oritur, parum durat aurora, quando autem est sol in signo tardae ascensionis amplius durat; et est determinata mensura loci ex quo, sole ibi existente, incipit claritas diluculi apparere, et hoc est quod subdit et ostendisti aurorae locum suum? Quasi dicat: numquid tu dispensasti loca in caelo ex quibus aurora illucescat? Quasi dicat non. Et ex his omnibus datur intelligi quod tua ratio deficit a comprehensione divinorum operum, unde patet quod tu non es idoneus ad disputandum cum Deo. Numquid tenuisti concutiens et cetera. Postquam dominus connumeravit principales partes creaturae corporalis, scilicet terram, mare et caelum, hic incipit prosequi mirabilia divinorum operum quae in dispositione praedictarum trium partium mundi apparent. Et incipit a terra in qua praecipue admirandum apparet quod accidit circa terraemotum, de quo metaphorice loquitur ad similitudinem hominis qui tenens corpus aliquod concutit ipsum, unde dicit numquid tenuisti, idest virtute tua comprehendisti, concutiens extrema terrae? Quod non est sic intelligendum quasi tota terra simul concutiatur in terraemotu, sed quia aliquae extremitates terrae concutiuntur. Omnia vero quae accidunt in corporali creatura in utilitatem hominum redundant: terraemotus autem et alia huiusmodi terribilia utilia sunt ad hoc quod homines territi a peccatis desistant, unde subdit et excussisti impios ex ea? Et loquitur ad similitudinem hominis qui concutit vestimentum ut ex eo excutiat pulverem seu tineam: ita etiam Deus videtur concutere terram ut excutiat peccatores ex ea, quandoque quidem per mortem, quandoque autem per emendationem vitae. Solet autem in terraemotu contingere quod aliqua aperte recluduntur, sicut parietes vel aliquid huiusmodi, et quantum ad hoc subdit restituetur ut lutum signaculum: lutum enim quando dividitur de facili ad eandem dispositionem reintegratur, ita etiam aliquod signaculum, puta in pariete vel in quocumque alio huiusmodi, quod videbatur immutatum per apertionem parietis, quandoque divina virtute restituitur in pristinum statum. Contingit etiam quandoque quod turres et arbores et alia huiusmodi per terraemotum concutiuntur et non cadunt, et quantum ad hoc subdit et stabit sicut vestimentum, quod scilicet si concutiatur pristinam integritatem non perdit. Contingit autem quandoque e contrario quod homines vel absorpti terra vel etiam oppressi parietibus per terraemotum cadentibus moriuntur, et quantum ad hoc subdit auferetur ab impiis lux sua, scilicet per mortem. Contingit etiam quandoque quod munitiones et turres fortissimae per terraemotum deiciuntur, et quantum ad hoc subdit et brachium excelsum confringetur, idest aliqua fortissima munitio vel aliquis potens amicus in quo homo confidit sicut in suo brachio. His igitur praemissis de terraemotu et de effectibus eius, procedit ad dispositionem medii elementi, scilicet maris, in quo videntur hominibus occulta et mirabilia, primo quidem ea quae sunt in profundo maris, puta piscium dispositiones in mari viventium, et quantum ad hoc dicit numquid ingressus es profundum maris, ut scilicet cognosceres animalia quae in eo latent? Aliud autem quod in mari videtur occultum et admirandum est dispositio terrae sub aquis maris existentis, et quantum ad hoc subdit et in novissimis abyssi deambulasti, idest in infimis partibus eius? Post dispositionem autem terrae et maris procedit ad dispositionem caeli sub quo etiam continetur aer, et in hoc latius immoratur propter multa mirabilia quae in eo apparent; et primo incipit a dispositione lucis et tenebrarum quae communiter respicit totum superius corpus. Est autem considerandum quod corpora caelestia per suam lucem agunt in ista inferiora, eo quod lux est quasi qualitas activa caelestium corporum, sicut calor et frigus elementorum, et ideo effectus caelestium corporum in istis inferioribus coniungit cum consideratione lucis et tenebrarum. Inter alios autem effectus caelestium corporum in istis inferioribus communior est generatio et corruptio, et ab hoc incipit dicens numquid apertae sunt tibi portae mortis? Mors enim est corruptio corporis viventis, et sic proprie ad hominem pertinet cui praesens sermo dirigitur; portae autem mortis sunt causae corruptionis quantum ad virtutes caelestium corporum, per quas primo proceditur ad talem effectum; est autem difficillimum cognoscere quis sit periodus vitae et permanentiae cuiuslibet rei, et ideo portae mortis nobis apertae non sunt quia non possumus in corporibus caelestibus cognoscere propriam causam corruptionis cuiusque rei. Morti autem competit tenebra, tum quia per mortem homo privatur corporali visu cuius cognitio est per lumen, tum etiam quia homo post mortem in oblivionem quasi in tenebras quasdam vadit, et ideo subdit et ostia tenebrosa vidisti? Ut intelligatur idem appellare ostia tenebrosa propter proprietatem mortis, quod prius appellaverat portas mortis; vel hoc quod dicit ostia tenebrosa potest referri ad alium effectum caelestium corporum qui est obtenebratio aeris, ut sic hoc quod dixit de portis mortis referatur ad sola viventia corpora, quod autem dixit de ostiis tenebrosis ad corpora perspicua. Subdit autem de diversitate caloris et frigoris circa terram, dicens numquid considerasti latitudinem terrae? Ubi considerandum quod secundum astrologos longitudo terrae attenditur secundum progressum ab oriente in occidentem, latitudo autem eius attenditur a meridie in Septentrionem, eo quod in qualibet re maior dimensio vocatur longitudo, minor autem dimensio vocatur latitudo; est autem experimento probatum quod dimensio terrae a nobis habitatae maior est ab oriente usque in occidentem quam a meridie usque in Septentrionem, unde latitudo terrae accipitur secundum progressum a meridie usque in Septentrionem, in quo quidem progressu diversitas caloris et frigoris est, quia quanto magis appropinquatur ad meridiem in nostro habitabili tanto locus calidior est propter solis propinquitatem: unde quod de latitudine terrae dicitur potest referri ad diversitatem locorum calidorum et frigidorum. His ergo praemissis quae pertinent ad effectum caelestis lucis in his inferioribus, facit mentionem de ipsa luce cum subdit indica mihi, si nosti omnia, ut scilicet sis idoneus ad disputandum cum Deo qui omnia novit, in qua via lux habitet; ubi considerandum est quod lux in luminaribus mundi invenitur, quae propter hoc luminaria dicuntur quia sunt luminis vasa; sed quia via ad motum refertur, quaestio de via in qua lux habitet refertur ad luminarium motum; excedit autem humanam cognitionem qualiter luminaria moveantur, quod ostenditur ex diversis opinionibus hominum circa motus eorum, dum quidam asserunt ea moveri per excentricos et epicyclos, quidam autem per motus diversarum sphaerarum. Et sicut lux ex motu luminarium causatur prout in superiori hemisphaerio moventur, ita etiam tenebrae procedunt ex motu eorum prout moventur in hemisphaerio inferiori, quod etiam habet eandem difficultatem, unde subdit et tenebrarum quis locus sit. Non potest autem perfecte mensurari motus alicuius corporis nisi via per quam ambulat cognoscatur, quia magnitudo mensuratur motu et motus magnitudine, ut dicit philosophus in IV physicorum, et ideo quia per certitudinem via motus luminarium cognosci non potest ab homine, consequens est quod nec mensura motuum eorum perfecte sciri possit, unde subdit ut ducas unumquodque, scilicet lucem et tenebras, ad terminos suos, ostendendo scilicet rationem apparitionis et occultationis uniuscuiusque luminarium quantum ad principium et finem; et etiam quantum ad medium, ad quod pertinet quod subdit et intelligas semitas domus eius, scilicet lucis: quando enim in meridie circa summum caeli movetur, tunc quasi perambulat semitas domus suae; termini autem eius sunt apud ortum et occasum. Secundum autem motus caelestium corporum mensurantur durationes inferiorum corporum et tempora generationis et corruptionis, ut Dionysius dicit IV cap. de divinis nominibus, et ideo ignoratis illis causis consequens est ut hi effectus ignorentur, et ideo subdit sciebas tunc quod nasciturus esses? Quasi dicat: numquid praenoscere potuisti per considerationem motus caeli tempus tuae nativitatis? Et tu quidem hoc non potuisti quia antequam nascereris non eras, sed nec alius homo hoc praenoscere potuit propter debilitatem cognitionis humanae: loquitur enim Deus ad Iob in persona omnium hominum. Et sicut non potuisti praenoscere tempus nativitatis tuae ita non potes praenoscere terminum vitae tuae, unde subdit et numerum dierum tuorum noveras? Quasi dicat: cognoscere hoc non potes ex computatione caelestium motuum, quorum certam mensuram ignoras. His autem propositis quae pertinent ad immutationem lucis et tenebrarum, procedit ad diversas immutationes aeris secundum quod aer variatur per tempestatem et serenitatem, et incipit a nive et grandine dicens numquid ingressus es thesauros nivis, aut thesauros grandinis aspexisti? Thesauros nivis et grandinis vocat vapores sursum elevatos ex quibus nives et grandines generantur; sed quia grandines grossioris substantiae sunt et in loco magis propinquo nobis generantur, frigore ad interiora nubis expulso a circumstante calore, ideo circa grandines facit mentionem de visu quia magis visui subici possunt, circa nives autem de ingressu quia magis propter eorum tenuitatem possunt penetrari. Huiusmodi autem quandoque Deus utitur ad hominum correctionem, sicut supra XXXVI 31 habitum est per haec iudicat populos, unde subdit quae praeparavi in tempus hostis, idest in tempus quo est ultio sumenda de hostibus; contra quos Deus his utitur quasi bellicis armis, unde subdit in diem pugnae, idest actualis conflictus, et belli, idest guerrae in qua fit praeparatio ad pugnam. Finita autem tempestate nivis et grandinis, subsequitur serenitas in qua claritas et calor aeris praeparatur, unde subdit per quam viam spargitur lux, quod pertinet ad claritatem, dividitur aestus super terram? Quod pertinet ad calorem. Ubi considerandum quod supra, ubi de luce loquebatur quantum ad ipsa luminaria in quibus habitat, fecit mentionem solum de via eius, quia scilicet lux per motum luminarium viam suam peragit sive sit tempestas sive serenitas, sed ad nos ex ea non pervenit claritas et calor nisi tempestate cessante; non autem sensibiliter diversificatur claritatis intentio in diversis terris cum aer fuerit serenus, sensibiliter autem diversificatur intentio caloris, et ideo lucem spargi dixit quasi indifferenter effusam, aestum autem dividi quasi pro diversitate locorum diversimode distributum. Consequenter autem procedit ad effectus quosdam ventorum in aere, ex quibus dum pluvia impellitur causatur imber, unde dicit quis dedit vehementissimo imbri cursum? Est enim vehementia cursus imbris ex forti impulsu ventorum quos divina virtus producit. Similiter autem dum ex ventis nubes impelluntur causatur sonus tonitrui, propter quod non auditur huiusmodi sonus in uno loco, sed quasi alicuius corporis transeuntis, unde subdit et viam sonantis tonitrui? Subdit autem rationem quare pluviae et nubes a ventis impellantur, cum dicit ut plueret super terram absque homine in deserto, quod scilicet habitari non potest propter terrae ariditatem: vapores autem pluviosi elevantur maxime ex locis humidis, unde si nubes et pluviae non impellerentur a ventis sequeretur quod numquam in locis siccis plueret. Contingit autem quandoque quod aliqua loca humana industria irrigantur, idest cessantibus pluviis, sed hoc ibi accidere non potest, unde subdit ubi nullus mortalium commoratur, et sic illi terrae per humanam industriam provideri non potest. Et propter hoc Deus ordinavit ut ventis impellerentur nubes et pluviae ut etiam in locis desertis plueret, unde subdit ut impleret, scilicet pluviis, inviam, idest terram per quam nec transire potest homo, et desolatam, idest destitutam humana procuratione; et sic sola procuratione divina produceret herbas virentes, scilicet ad decorem terrae et ad pastum animalium silvestrium quae etiam divina providentia procurantur. Consequenter autem facit mentionem de pluviis absque vento cum dicit quis est pluviae pater? Idest efficiens causa non ex necessitate sed ex ordine providentiae quae convenit patri: a Deo enim movetur sol et alia caelestia corpora quae sunt proxima causa efficiens generationis pluviarum. Ros autem ex eadem causa generatur ex qua et pluvia, nec differt nisi secundum multitudinem et paucitatem materiae, unde subdit vel quis genuit stillas roris? Signanter stillas nominat ad designandum parvitatem guttarum. Est autem considerandum quod sicut pluviae congelatae sunt nives, ita ros congelatus est pruina, unde subdit de cuius utero egressa est glacies? Ubi notandum est quod glaciei causa est frigus quae est qualitas feminina, pluviarum autem et roris causa est calor resolvens et non permittens congelari vaporem: calor autem est qualitas masculina, et ideo signanter circa generationem pluviae et roris usus est nomine patris, circa generationem autem glaciei usus est nomine uteri qui pertinet ad matrem. Ex frigore autem duplex glacies causatur: una quidem in aere, quod pertinet ad pruinam de caelo cadentem, unde subdit et gelu de caelo quis genuit? Quod adhuc attribuit patri quia non apparet tanta virtus frigoris in pruina sicut in ulteriori glacie; alia vero est glacies quae generatur in inferioribus aquis, in qua maior vis frigoris apparet, unde subdit in similitudinem lapidis aquae durantur, scilicet per vehemens frigus in glaciem condensatae, et hoc quandoque intantum procedit quod in frigidissimis terris etiam maria congelantur, et hoc est quod subditur et superficies abyssi constringitur, scilicet aqua quae est in eius superficie per frigus condensata: non autem frigus aeris irrumpere potest usque ad maris profundum. His ergo enarratis de variis mutationibus aeris, procedit ulterius ad immutabiles immutationes caelestium corporum, circa quae primo in stellis fixis consideratur immobilitas figurae, quia quaelibet earum conservat situm suum ita quod una alteri non appropinquat magis vel minus; et hoc praecipue apparet in stellis vicinis quae numquam coniunguntur, unde subdit numquid coniungere valebis micantes stellas Pliades? Stellae Pliades dicuntur quaedam stellae quae lucent in capite tauri, quarum sex apparent valde propinquae, septima autem obscurior. Secundo consideratur in caelestibus corporibus uniformitas primi motus, quo revolvitur totum caelum et omnes stellae in eo semel in die et nocte super polos mundi; hic autem motus sensibilius percipitur ex stellis propinquis polo Septentrionali, quae sunt nobis perpetuae apparentiae propter elevationem Poli super nostrum horizontem, inter quas stellas maxime notatur constellatio Arcturi, qui est ursa maior, cuius stellae manifeste apparent uniformiter moveri in gyro circa polum mundi, et quantum ad hoc subdit aut gyrum Arcturi poteris dissipare, ut scilicet non circueat polum? Tertio admirabilis apparet in caelestibus corporibus motus planetarum, in quo cum sit omnino uniformis quaedam irregularitas ad sensum videtur, et hoc maxime deprehendi potest in stella Veneris quae quandoque oritur ante solem et tunc vocatur Lucifer, quandoque autem occidit post solem et tunc vocatur vesperus. Manifestum est autem quod stellae quae semper sunt tardioris motus quam sol incipiunt primo apparere in mane ante ortum solis, eo quod sol suo proprio motu quo movetur ab occidente in orientem deserit eas, sicut patet in Saturno, Iove et Marte; luna autem quae habet velociorem motum quam sol semper incipit apparere in sero quasi deserens solem et praecedens ipsum versus orientem; Venus autem et Mercurius quandoque incipiunt apparere de mane, quandoque autem de sero, sed de Mercurio quia raro videtur et est parvae quantitatis non ita est manifestum; in Venere autem omnibus apparet, unde manifestum est quod quandoque habet velociorem motum quam sol, quandoque tardiorem. Ex quo manifeste apparet irregularitas in motu planetarum, et ad hoc designandum subdit numquid produces Luciferum, idest Venerem mane apparentem, in tempore suo, idest in determinato tempore, quia haec diversitas semper certo contingit; et vesperum, idest eandem Venerem sero apparentem, super filios terrae consurgere facis? Et notandum est quod per hoc quod dicit produces et consurgere facis designatur nova apparitio stellae. Quarto autem admirabilis videtur in caelestibus corporibus ordo, situs et motus ipsorum, unde dicit numquid nosti ordinem caeli, qui scilicet ab homine comprehendi non potest? Quintum autem admirabile est dispositio inferiorum corporum secundum superiora, et quantum ad hoc subdit et pones rationem eorum in terra, ut scilicet cognoscas effectus proprios singularum causarum caelestium? Praedicti autem effectus divinae virtutis maximi quidem sunt, non tamen in eis apprehenditur a multitudine vulgi ita magnitudo virtutis divinae sicut in tonitruo et fulgure, et ideo istos effectus ultimo ponit; unde quantum ad tonitruum dicit numquid elevabis in nebula vocem tuam? Tonitruum enim generatur in nube, cuius sonitus videtur quasi vox Dei. Post tonitrua autem ut plurimum pluviae magnae subsequuntur propter condensationem nubium ex commotione ventorum ex quibus tonitruum causatur, unde subdit et impetus aquarum operiet te? Videtur enim multitudo pluviae quasi Deum operire inquantum nobis occultatur caelum quod dicitur sedes Dei. Consequenter subiungit de fulgure dicens numquid mittes fulgura, idest numquid per tuam virtutem erit motus eorum? Et ibunt, quasi scilicet oboediant tuo imperio? Solent autem motus fulgurum repercuti ab uno loco in alium, et hoc designat subdens et revertentia dicent tibi: adsumus, quasi in sua reversione parata esse ut iterum oboediant divino imperio, ut ad alium locum mittantur? Haec autem omnia inducuntur ad ostendendum quod homo non potest attingere neque ad sapientiam neque ad virtutem divinam. Quis posuit in visceribus hominis sapientiam? Postquam dominus commemoravit mirabilia suorum effectuum quantum ad principales partes mundi, quae sunt terra, mare et caelum, et quantum ad dispositiones eorum, nunc accedit ad enarrandum mirabilia suorum operum specialiter quantum ad diversas proprietates animalium. Inter quas praepollet cognitio, quae quidem perfectius in homine quam in ceteris animalibus invenitur, et ideo ab homine incipiens dicit quis posuit in visceribus hominis sapientiam? Per viscera hominis intelliguntur intimae vires animae ipsius, scilicet intellectus et ratio, quibus Deus sapientiam indidit inquantum lumen rationis homini dedit: quaedam enim seminaria sapientiae et scientiae naturaliter indidit rationi ipsius in cognitione primorum principiorum. In aliis autem animalibus multa indicia apparent naturalis cuiusdam prudentiae, sed praecipue hoc manifestatur in gallo quasi in animali noto et domestico, unde dicit aut quis dedit gallo intelligentiam? Intelligentia hic sumitur pro naturali quadam aestimatione secundum quam ad modum intelligentis operatur, quia ipsa eius naturalis aestimatio ab intellectu divino ei datur. In hoc autem videtur gallus quandam intelligentiae similitudinem habere quod determinatis horis in cantum prorumpit ac si cognosceret proportiones caelestium motuum, unde subdit quis enarravit, scilicet gallo, caelorum rationem, idest proportionem caelestium motuum ut possit ex hoc determinatas horas discernere ad cantandum? Solent autem vigiles quodam cantu aut alicuius instrumenti sono propinquitatem diei declarare et certarum horarum noctis; non autem potest dici quod aliquis sonitus caeli determinatis temporibus audiatur et aliis temporibus sileat ut ex hoc gallus discernat ad cantandum, unde subdit et concentum caeli quis dormire faciet? Quasi dicat: concentus caeli non silet sicut vigilis dormientis ut ex eius auditu vel silentio possit gallus instrui ad cantandum. Considerandum autem est hic quod ex motu caelorum Pictagorici posuerunt sonitum harmonizatum provenire propter convenientissimam proportionem caelestium motuum, et quia ponebant corpora caelestia animata ideo talis consonantia sonorum possit concentus caeli vocari; sed Aristotiles probat in II de caelo quod ex motu caelestium corporum nullus sonitus procedit, et ideo hic concentum accipere possumus metaphorice positum pro sola convenientia caelestium motuum qui numquam requiescunt. Huiusmodi autem inspiratio sapientiae vel intelligentiae aut etiam concentus caeli ab initio fundationis terrae fuit, unde subdit quando fundabatur pulvis in terra, quod refertur ad situm terrae quae in imo ponitur sicut in fundamento, et glebae compingebantur, quod refertur ad humorem continentem in unum partes terrae, ne scilicet terra propter sui siccitatem in pulverem resolvatur. Deinde accedit ad aliam proprietatem animalium quae attenditur secundum acquisitionem nutrimenti, circa quam admirabile aliquid apparet in leaena: cum enim leo multo cibo indigeat, mirabile videtur quomodo in aliqua regione tantum potest de praeda animalium capere quod sibi sufficiat et filiis suis, unde subdit numquid capies leaenae praedam? Idest numquid tantam abundantiam praedae ei praeparabis ut habeat sufficienter sibi et filiis suis, unde subdit et animam catulorum eius implebis? Hoc autem non videtur multum difficile quando per diversa loca discurrunt sed quando in eodem loco manent, vel propter necessitatem nutritionis filiorum, ad quod pertinet quod dicit quando cubant in antris, vel quia insidiantur aliis animalibus: et in specubus insidiantur, scilicet animalibus capiendis. Apparet etiam aliquid mirabile in avibus circa corvum: dicitur enim quod corvus pullos ovis eductos non pascit donec suos esse deprehendens plumis nigrescere viderit, unde septem diebus eis cibos non ministrat sed a Deo sustentantur per naturalem virtutem eis inditam, unde subdit quis praeparat corvo escam suam quando pulli eius clamant ad Deum, vagantes, idest huc et illuc prospicientes, eo quod non habeant cibos, quasi a parentibus derelicti? Hoc autem non est intelligendum quasi pulli corvorum Deum cognoscant, sed hoc dicitur quia quaelibet res naturalis suo desiderio, in hoc ipso quod aliquod bonum appetit, quasi intendit aliquid a Deo acquirere qui est auctor bonorum.

Après les discussions de Job avec ses amis au sujet de la providence divine, Eliud avait pris le relais en se chargeant de la décision, reprenant Job en certaines choses et en d’autres, ses amis. Mais comme l’humaine sagesse n’est pas en mesure de comprendre la vérité au sujet- de la providence divine, il était nécessaire que cette discussion s’achève et soit décidée par Dieu lui-même. Job pensait juste, à propos de la providence divine; mais dans sa manière de s’exprimer il avait exagéré de sorte qu’il avait causé un certain scandale dans les cœurs de n’avoir pas montré envers Dieu le respect voulu. Et donc le Seigneur en tant que prenant la décision en la matière reprend les amis de Job de ce qu’ils ne pensaient pas juste, et Job pour sa manière désordonnée de parler, et Eliud pour sa décision inadéquate. On nous dit donc Le Seigneur répondant à Job, c’est-à-dire que cette réponse est faite à cause de lui, bien qu’il n’ait pas parlé immédiatement avant. Il indique ensuite sur quel ton se fait la réponse, en disant : dans la tempête qu’on peut entendre à la lettre pour dire que la voix de Dieu était formée miraculeusement dans l’air quelque peu agité, comme au Mont Sinaï, en l’Exode 20, 18; ou comme une voix s’est fait entendre au Christ quand certains disaient " qu’un tonnerre avait retenti", comme on le lit en Jean 12, 29. On peut entendre métaphoriquement cette réponse du Seigneur, comme une inspiration intérieure faite directement à Job. Et ainsi on nous dit : que le Seigneur lui a répondu du milieu de la tempête soit à cause du trouble qu’il endurait encore, soit aussi à cause de l’obscurité qui accompagne une tempête; car nous ne pouvons pas en cette vie discerner clairement l’inspiration divine, mais avec un certain ombrage de comparaisons sensibles, comme le dit Denys au chapitre I de la Hiérarchie céleste Et le Seigneur aura signifié cela si du milieu d’une tempête matérielle il a fait entendre sa voix sensiblement.

Une fois la décision tombée, comme pour une sentence de juge, il ne reste plus rien à dire que de la rejeter. Et donc en premier lieu le Seigneur réprouve la décision d’Eliud. Or il la réprouve parce que les vraies sentences qu’il avait prononcées il les avait enveloppées de paroles fausses et frivoles, d’où il continue Dieu dit : qui est celui-là développant des pensées en discours ineptes? Eliud dans ses sentences reprenait Job d’avoir dit : qu’il voulait discuter avec Dieu et de ce qu’il se disait juste au point de porter atteinte à la justice divine; mais ces sentences il les enveloppait de beaucoup de sous-entendus et de fausses citations, comme on l’a vu- plus haut et qui sont qualifiées ici de discours ineptes; car tout désordre procède d’un manque de jugement.

Ainsi donc après avoir exclu la décision d’Eliud le Seigneur lui- même entreprend de décider de la chose. Et d’abord il attire l’attention de Job lorsqu’il dit : ceins-toi, les reins, comme un homme, c’est ici une métaphore; en effet les hommes ont l’habitude de se ceindre les reins pour se préparer au voyage ou à quelqu’autre travail. Le Seigneur voulait donc qu’il soit prompt à écouter ce qu’il lui dirait en écartant tout obstacle. Il fait mention spéciale de se ceindre les reins parce que par eux on entend la volupté de la chair qui est le grand obstacle à l’écoute spirituelle, selon Isaïe 28, 9 : "A qui enseignera-t-on la science et qui fera-t-on écouter? A ceux qui sont sevrés et qui s’arrachent aux mamelles."

Dans cette détermination il commence par reprocher à Job d’avoir présomptueusement voulu s’adresser à Dieu et le provoquer à la discussion. Et comme au ch. l3, 2 il a donné à Dieu deux options lorsqu’il dit : "Appelle moi et je te répondrai " et " Je parlerai et tu me répondras" et comme Job a déjà suffisamment parlé, le Seigneur prend comme la seconde alternative en introduisant je t’interrogerai et tu me répondras; mais Dieu interroge non pour apprendre mais pour convaincre l’homme de son ignorance. Il l’interroge sur ses effets que l’esprit humain peut connaître; lesquels si l’homme les ignore, il est convaincu a fortiori de ne pouvoir connaître des choses plus élevées. Or parmi d’autres effets sensibles il commence par l’interroger sur les principales parties du monde dont la terre est la plus connue et qui est la plus proche, en disant : Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre? Il compare à juste titre la terre à un fondement; car de même que le fondement est la partie la plus basse d’un édifice, ainsi la terre est le plus bas des corps et elle est en dessous de tous les autres. Et comme la terre est la matière principale du corps humain et que la matière précède dans le temps ce qui est fait d’elle, et bien plus encore la raison de l’architecte qui a créé la matière, il dit donc à juste titre Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre? Comme s’il disait tu ne peux connaître ce qu’est le fondement de la terre car quand la terre fut fondée tu n’étais pas encore dans la réalité des choses.

Il faut savoir que parmi les anciens certains n’ont pas attribué l’emplacement de la terre et des autres éléments à une raison qui les ordonne, mais à la nécessité de la matière selon que les éléments plus lourds se trouvent en dessous des plus légers. Pour exclure cette opinion le Seigneur compare en conséquence la fondation de la terre à la fondation d’un édifice; ce qui se fait selon les plans de l’architecte. Et de même la fondation de la terre a été faite selon une providence divine que l’intelligence humaine n’est pas à même de comprendre et il le dit : indique-moi situ as l’intelligence comme de dire : tu ne peux me donner les raisons, parce que ton intelligence n’est pas capable de les saisir. Or il faut considérer que l’architecte dans la fondation de l’édifice dispose quatre choses : d’abord quelle doit être la grandeur du fondement; et de même le plan divin a déterminé la quantité qu’aurait la terre, ni plus ni moins, et quant à cela il dit : qui a posé ses mesures c’est-à-dire selon toutes les dimensions et il dit : bien qui a posé en effet de par sa nature la terre n’exige pas telle quantité mais cette quantité est imposée à la terre par la seule raison divine que l’homme ne peut connaître; et donc il dit : si tu le sais, c’est-à-dire que l’homme ne peut le savoir ni l’indiquer. En second lieu l’architecte dans son plan détermine l’emplacement du fondement qu’il embrasse en déployant son cordeau de mesure; d’où il dit : qui a tendu sur elle son cordeau? C’est-à-dire le plan divin qui a déterminé l’emplacement de la terre dans la composition de l’univers. Après cela l’architecte décide où il peut poser le fondement solide et quant à cela il dit : sur quoi ses bases, c’est-à-dire de la terre, sont-elles assises, car elle est assise au centre du monde. Enfin après ces trois choses l’architecte se met à placer les pierres dans les fondations et d’abord la pierre d’angle à laquelle seront reliées toutes les parois et quant à cela il dit : qui a laissé descendre à savoir au fond, la pierre d’angle par laquelle est indiqué le centre de la terre auquel sont reliées les diverses parties de la terre.

Mais si l’homme pose le fondement d’une maison par nécessité d’y habiter un jour, ce n’est pas par nécessité que Dieu a jeté les fondements de la terre, et il le dit : alors que me louaient tous ensemble les astres matinaux, comme pour dire : bien que j’habitai le ciel dont les astres me louent, j’ai cependant fondé la terre non que j’aie eu besoin de serviteurs qui me loueraient et I’habiteraient, mais par ma seule volonté. Or il ne dit : pas cela comme si le ciel a d’abord été avant la terre, surtout que dans la Genèse on lit " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre"; or des astres dont il est fait ici mention, on ut qu’ils ont été faits le quatrième jour. Mais on entend par là, que selon l’ordre naturel, le ciel et les astres sont en priorité quant à la terre, comme l’incorruptible l’est au corruptible et ce qui meut ce qui est mû. Il dit : les astres matinaux à savoir récemment créés comme nous disons l’astre du matin celui qui apparaît au commencement du jour. On dit : ici que les astres matinaux louent le Seigneur; cela peut s’entendre d’une part, matériellement, en tant que leur clarté et leur noblesse sont matière à divine louange, non poui s hommes qui n’étaient pas encore mais pour les anges qui existaient déjà. D’autre part selon ceux qui disent les corps célestes animés, les astres au commencement de leur création louaient Dieu non d’une louange vocale mais mentale; ceci peut aussi se rapporter aux anges dont le ministère est de mouvoir les corps célestes de sorte que ce qui suit et me célébraient tous les fils de Dieu, se rapporte aux anges de la suprê me hiérarchie; selon Denys, ils sont placés dans les vestibules de la divinité; et donc à juste titre à ceux-là revient la louange comme à des inférieurs, et à ceux-ci il attribue la jubilation comme à des supé rieurs, car cette sorte de louange est plus excellente.

Après la fondation de la terre il poursuit ce qui se rapporte aux eaux qui recouvrent immédiatement la terre. Or l’ordre naturel des éléments exigerait que l’eau couvrît la totalité de la terre comme l’air de toute part couvre la terre et l’eau. Mais Dieu a disposé pour la naissance des hommes, des animaux et des plantes qu’une partie de la terre resterait à découvert des eaux, retenant par sa vertu les eaux de la mer dans certaines limites, d’où il dit : qui a renfermé dans des portes la mer? C’est-à-dire dans des limites déterminées. Certains ont pensé que l’action du soleil avait asséché une partie de la terre; mais le Seigneur montre qu’il en fut disposé ainsi, depuis le commence ment, que la mer ne couvrirait pas la terre de toute part. Il décrit la production de la mer sous la figure de la naissance d’un être vivant, à savoir d’un enfant, parce que l’eau est très apte à se transformer en choses vivantes; d’où vient que toutes les semences sont humides. L’enfant sort d’abord du sein de la mère, et il signifie cela en disant : quand elle (la mer) fit irruption comme du sein. Dans la production de la mer il se sert du mot irruption, parce qu’en effet c’est le propre de l’eau de se mouvoir quasi continuellement; il est dit : qu’elle procède comme du sein, non qu’elle tire son origine de quelque matière corporelle mais parce qu’elle procédait d’un secret de la divine providence comme de quelque sein. Ensuite l’enfant qui vient de naître est aussitôt vêtu, et quant à cela il dit : lorsqu'il posait la nuée comme vêtement parce qu’en effet les vapeurs produites par l’eau donnent naissance aux nuées et dans les régions maritimes ces nuées sont abondantes. Enfin on entoure le nouveau-né de bandelettes et pour cela il dit : l’enveloppant de brouillards comme les langes de l’enfant. Il pourrait s’agir de vapeurs peu élevées et peu denses et qui obscurcissent l’air et peut-être fait-il allusion à ce que dit la Genèse 1, 2 : "Les ténèbres étaient sur la surface de l’abîme".

Après avoir posé ce qui concerne la récente production de la mer, il explique comment elle est enfermée; comme s’il disait, comme la mer venait d’être faite, alors je l’ai entourée de mes limites. Et il pose trois choses concernant la fermeture de la mer, dont la première est ce qu’il dit : de mes limites c’est-à-dire que j’ai posées; la seconde est placé un verrou; la troisième sont les portes. Ces trois choses sont commandées par l’autorité divine, d’où, les exposant en quelque sorte, il dit : et j’ai dit : tu viendras jusqu’ici cela concerne les limites, car la limite est l’aboutissement du mouvement; et tu n’iras pas plus loin, il s’agit du verrou qui arrête son avance; et ici tu brise- ras tes flots furieux, il s’agit des portes qu’on a placées pour permettre ou défendre l’entrée selon une règle certaine; ainsi aussi la mer ne déborde pas à volonté le rivage mais est réglée jusque dans ses flots déchaînés.

Après la terre et les eaux, il continue et passe à l’air qui selon l’apparence se prolonge dans le ciel. La première disposition commune à tout l’élément qui surplombe la terre et les eaux est l’alternance de la nuit et du jour et qui est le mouvement diurne et le premier des mouvements; et donc il dit : en conséquence après ta naissance as-tu commandé à la pointe du jour? Comme s’il disait : est-ce sur ton ordre que se succèdent la nuit et le jour sur la terre? La pointe du jour en effet est comme la frontière entre le jour et la nuit; et il dit à juste titre est-ce qu’après ta naissance, comme plus haut quand il parlait de la terre il disait où étais-tu? (v. 4). Car de même que la terre est en premier lieu le principe matériel de l’homme, ainsi aussi le ciel supérieur qui par son mouvement fait varier le jour et la nuit est le principe premier parmi les causes corporelles du corps humain. Or il faut bien remarquer que la clarté de la pointe du jour ou de l’aurore est différente selon les divers endroits où s’élèvent les signes qui accompagnent le soleil, car quand il est dans le signe d’une rapide ascension, c’est-à-dire où il se lève tôt, l’aurore est de courte durée; lorsque le soleil est dans le signe de son ascension tardive sa durée est plus longue Et cela se fait selon une mesure déterminée du lieu, d’où le soleil qui s’y trouve, fait apparaître la clarté de l’aurore etc. est ce qu’il dit : as-tu montré son endroit à l’aurore? Comme de dire : est-ce que tu as disposé des endroits dans le ciel d’où l’aurore s’illumine? Comme s’il répondait : Non. Et de tout cela tu peux comprendre que ta raison ne peut saisir les œuvres divines; d’où il ressort que tu n’es pas apte à discuter avec Dieu.

 

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : "Ce que j'ai créé" (Job 38, 13-35)

 

13 pour qu'elle saisisse les extrémités de la terre et qu'elle en secoue les méchants; 14 pour que la terre prenne forme, comme l'argile sous le cachet, et qu'elle se montre parée comme d'un vêtement; 15 pour que les malfaiteurs soient privés de leur lumière, et que le bras levé pour le crime soit brisé? 16 Es-tu descendu jusqu'aux sources de la mer, t'es-tu promené dans les profondeurs de l'abîme? 17 Les portes de la mort se sont-elles ouvertes devant toi, as-tu vu les portes du sombre séjour? 18 As-tu embrassé l'étendue de la terre? Parle, si tu sais toutes ces choses. 19 Où est le chemin qui conduit au séjour de la lumière, et où se trouve la demeure des ténèbres? 20 Tu pourrais les saisir en leur domaine, tu connais les sentiers de leur séjour!... 21 Tu le sais sans doute, puisque tu étais né avant elles; le nombre de tes jours est si grand! 22 Es-tu entré dans les trésors de la neige? As-tu vu les réservoirs de la grêle, 23 que je tiens prêtes pour le temps de la détresse, pour les jours de la guerre et du combat? 24 Par quelle voie la lumière se divise-t-elle, et le vent d'orient se répand-il sur la terre? 25 Qui a ouvert des canaux aux ondées, et tracé une route aux feux du tonnerre, 26 afin que la pluie tombe sur une terre inhabitée, sur le désert où il n'y a point d'hommes; 27 pour qu'elle arrose la plaine vaste et vide, et y fasse germer l'herbe verte! 28 La pluie a-t-elle un père? Qui engendre les gouttes de la rosée? 29 De quel sein sort la glace? Et le givre du ciel, qui l'enfante, 30 pour que les eaux durcissent comme la pierre, et que la surface de l'abîme se solidifie? 31 Est-ce toi qui serres les liens des Pléiades, ou pourrais-tu relâcher les chaînes d'Orion? 32 Est-ce toi qui fais lever les constellations en leur temps, qui conduis l'Ourse avec ses petits? 33 Connais-tu les lois du ciel, règles-tu ses influences sur la terre? 34 Elèves-tu ta voix jusque dans les nues, pour que des torrents d'eau tombent sur toi? 35 Est-ce toi qui lâches les éclairs pour qu'ils partent, et te disent-ils : "Nous voici!"

13 As-tu tenu et secoué les extrémités de la terre, en as-tu expulsé les impies? 14 Le sceau est restitué comme la glaise, et il se tiendra debout cômme un vêtement. 15 Leur lumière est enlevée aux impies, et leur bras orgueilleux sera brisé. 16 As-tu pénétré dans les profondeurs de la mer, as-tu parcouru les recoins de l’abîme? 17 Les portes de la mort te furent-elles ouvertes, as-tu vu les ouvertures dans les ténèbres? 18 As-tu considéré l’ampleur de la terre? Indique le moi, situ sais tout! 19 En quelle voie habite la lumière et quel est le lieu des ténèbres? 20 pour les conduire chacune à leurs termes, pour comprendre les sentiers de sa maison. 21 Savais-tu alors que tu naîtrais et connaissais-tu le nombre de tes jours? 22 As-tu pénétré les trésors de la neige, as-tu aperçu les trésors de la grêle? 23 Toutes choses que j’ai préparées au temps hostile, pour le jour de la lutte et de la guerre. 24 Par quel chemin se répand la lumière, se partage la chaleur sur la terre? 25 Qui a ouvert la route à la très forte averse et la voie au tonnerre qui gronde? 26 Pour qu’il pleuve sur la terre tandis que le désert est sans vie, où aucun mortel n’habite; 27 Pour remplir la steppe désolée qui fait pousser des herbes verdoyantes. 28 Qui est le père de la pluie, ou qui engendra les gouttes de rosée? 29 De quel sein est sortie la glace, Qui du ciel engendra la gelée? 30 Semblable à des pierres les eaux durcissent et la surface de l’abîme se condense. 31 Es-tu capable de réunir les brillantes étoiles de la Pléiades, de défaire le circuit d’Arcturus? 32 Produiras-tu Lucifer au temps voulu, Feras-tu se lever Vesper au-dessus des fils de la terre? 33 Connais-tu l’ordonnance du ciel, poses-tu leur rapport à la terre? 34 Enlèveras-tu la voix dans les nuées, les eaux impétueuses te couvriront-elles? 35 Enverras-tu les éclairs et iront-ils, et à leur retour diront-ils : Nous voici?

Après avoir énuméré les parties principales de la créature corporelle : la terre, la mer et le ciel, le Seigneur continue avec les merveilles des œuvres de Dieu et qui apparaissent dans la disposition de ces trois parties du monde. Et il commence par la terre où le plus digne d’étonnement est ce qui se produit dans un tremblement de terre dont il parle en métaphore à la ressemblance de quelqu’un qui tenant un objet le secoue, d’où il dit : As-tu tenu à savoir as-tu embrassé en ton pouvoir et secoué les extrémités de la terre? Ce qui ne doit pas être entendu comme si toute la terre était en même temps secouée d’un tremblement de terre, mais que des extrémités de la terre sont secouées. Tout ce qui arrive à la créature corporelle rebondit en utilité pour les hommes; or les tremblements de terre et d’autres choses terribles sont utiles en ce que les hommes terrifiés s’éloignent du péché, d’où il dit : en as-tu expulsé les impies? et il s’exprime à la ressemblance d’un homme qui secoue un vêtement pour en rejeter la poussière ou la teigne; ainsi aussi Dieu secoue la terre pour en expulser les pécheurs, parfois par la mort, parfois par l’amendement de leur vie.

Il arrive ordinairement dans les tremblements de terre que des choses sont mises au jour tels des murs; et quant à cela il dit : le sceau est restitué coin la glaise; la glaise en effet quand on la fend revient facilement à son premier état; ainsi un sceau ou un signe, par exemple sur un mur ou sur autre chose de ce genre qui avait été modifié par l’écroulement d’une muraille, revient à son premier état par le pouvoir divin. Il arrive aussi parfois que des tours et des arbres et autres choses de ce genre soient ébranlés par le tremblement de terre mais ne tombent pas et quant à cela il dit : et il se tiendra debout comme un vêtement c’est-à-dire que s’il est renversé il ne perd pas son intégrité précédente. Mais le contraire arrive parfois que des hommes engloutis en terre ou écrasés sous les murs que le tremble ment de terre a renversés, meurent et quant à cela il dit : leur lumière est enlevée aux impies c’est-à-dire par la mort. Il arrive aussi parfois que des fortifications et des tours très solides soient renversées par le tremblement de terre et quant à cela il dit : et leur bras orgueilleux sera brisé à savoir quelque très solide repaire ou quelque puissant ami en lequel l’homme se confie comme sur son bras.

Après ces prémisses au sujet du tremblement de terre et de ses effets il en vient à la disposition de l’élément intermédiaire c’est-à-dire la mer où l’homme soupçonne des choses cachées et étonnantes. D’abord ces choses qui se trouvent dans les profondeurs de la mer comme les mœurs des poissons vivant dans la mer et quant à cela il dit : as-tu pénétré dans les profondeurs de la mer, c’est-à-dire pour connaître les animaux qui s’y cachent? Autre chose qui est cachée et admirable en la mer c’est le fond des mers, et il dit : pour cela as-tu parcouru les recoins de l’abîme, à savoir dans ses plus petites parties?

Après la terre et la mer, il en vient à la disposition du ciel sous lequel l’air est contenu; il s’attarde plus longuement à cause des nombreux phénomènes qui y apparaissent. Et d’abord il considère le phénomène de la lumière et des ténèbres qui embrasse toute la sphère supérieure. On doit remarquer que les corps célestes par leur lumière agissent sur les inférieurs parce que la lumière est comme la qualité active des corps célestes, comme la chaleur et le froid pour les éléments; et c’est pourquoi il joint l’action des corps célestes sur les inférieurs à la considération de la lumière et des ténèbres. Parmi les actions des corps célestes sur les inférieurs les plus communes sont la génération et la corruption et il commence par là en disant : les portes de la mort te furent-elles ouvertes? La mort en effet est la corruption du vivant et proprement elle concerne l’homme auquel le discours actuel est adressé. Les portes de la mort sont causes de la corruption en rapport avec la vertu des corps célestes qui sont les premiers responsables en cette action. Or il est très difficile de connaître la période de vie et la permanence d’une chose; et donc les portes de la mort ne nous sont pas ouvertes; car nous ne pouvons pas connaître dans les corps célestes la propre cause de corruption de chaque chose.

 Les ténèbres conviennent à la mort, tant parce que la mort prive l’homme de la vue corporelle qui connaît grâce à la lumière, tant parce que l’homme après la mort s’en va dans l’oubli comme dans des ténèbres et donc il dit : as-tu vu des ouvertures dans les ténèbres? Pour faire comprendre que c’est la même appellation, les ouvertures dans les ténèbres propres à la mort et les portes de la mort, d’abord citées; ou bien les ouvertures dans les ténèbres peuvent se rapporter à une autre action des corps célestes qui est l’obscurcisse ment de l’atmosphère; de sorte qu’ainsi les portes de la mort ont un rapport aux corps vivants et les ouvertures dans les ténèbres aux corps transparents.

Il dit la différence de la chaleur et du froid à l’entour de la terre en disant : as-tu considéré l’ampleur de la terre? où il faut considérer que les astronomes mesurent les longitudes depuis l’orient vers l’occident et les latitudes depuis le midi vers le nord parce qu’en tout la plus grande dimension se prend en longueur et la moindre est la latitude ou largeur. Or nous savons par expérience que la terre que nous habitons est plus grande de l’orient à l’occident que du midi au nord; ainsi donc la latitude de la terre se prend du midi au nord et dans ce sens il y a diversité de température chaude et froide; plus on approche du midi, plus il fait chaud à cause de la proximité du soleil. D’où ce qui est dit : de la latitude de la terre peut se rapporter aux endroits chauds et froids.

Ces choses donc étant dites concernant l’action de la lumière céleste sur les corps inférieurs il fait mention de la lumière elle-même lorsqu’il dit : indique le moi, si tu sais tout pour qu’en effet tu sois apte à discuter avec Dieu qui connaît toutes les choses, en quelle voie habite la lumière? Il faut ici considérer que la lumière se trouve dans les luminaires du monde; et qui sont appelés luminaires parce qu’ils sont les vases où se trouve la lumière. Mais si l’on cherche où se trouve la lumière et en quelle voie, il est question de mouvement; or comment les luminaires se meuvent, cela échappe à notre connaissance; ce qui ressort des divergences d’opinions sur leur mouvement; d’aucuns affirment qu’ils ont des mouvements excentriques et épicycles d’autres parlent de mouvements de diverses sphères.

Et de même que le mouvement des luminaires cause la lumière d’après qu’ils se meuvent dans l’hémisphère supérieur ainsi aussi les ténèbres procèdent-elles de leur mouvement dans l’hémisphère inférieur; ce qui présente encore la même difficulté, d’où il dit : et quel est le lieu des ténèbres? Or on ne peut mesurer parfaitement le mouvement d’un corps que par la voie qu’il emprunte; car la grandeur est mesurée par le mouvement et celui-ci par la grandeur comme le dit le Philosophe au IV des Physiques (19 b 28). Et donc comme on ne peut connaître avec certitude la voie où se meuvent les luminaires, on ne peut non plus connaître la dimension de leur mouvement, d’où il dit : pour les conduire chacun à leurs termes c’est-à-dire pour connaître leur mode d’apparition et d’occultation et pour leur début et pour leur arrivée; et de même pour leur parcours : et à cela il dit : et connaître le sentier de sa maison à savoir de la lumière; lors qu’en effet au midi elle est au zénith elle parcourt en quelque sorte les sentiers de sa demeure et ses deux termes sont au levant et au couchant.

Suivant les mouvements des corps célestes se mesurent les durées des corps inférieurs et les temps de leur génération et de leur corruption comme le dit Denys au chapitre 4 des Noms divins et donc leurs causes ignorées on ignore nécessairement les effets et donc il dit : savais-tu alors que tu naîtrais il veut dire : as-tu pu connaître d’avance par la considération du mouvement du ciel le temps de ta naissance? Et tu ne pouvais le savoir puisque tu n’étais pas; mais aucun autre ne pouvait le savoir d’avance à cause de la faiblesse de la connaissance humaine; en effet Dieu parle à Job comme représentant tous les hommes. Et de même que tu n’as pu connaître le temps de ta naissance ainsi tu ne peux connaître d’avance le terme de ta vie, d’où il dit : connaissais-tu le nombre de tes jours? Comme s’il disait tu ne peux le connaître par le calcul des mouvements célestes dont tu ignores la mesure certaine.

Après ces considérations des changements de la lumière et des ténèbres il en vient aux divers changements de l’air selon le beau et le mauvais temps : et il commence par la neige et la grêle en disant : as-tu pénétré les trésors de la neige, as-tu aperçu les trésors de la grêle? Il appelle les trésors de la neige et de la grêle les vapeurs qui s’élèvent et d’où la neige et la grêle naissent; mais comme la grêle est plus grossière et prend naissance dans un endroit plus rapproché, le froid étant repoussé à l’intérieur de la nuée par la chaleur environnante, il fait donc mention pour la grêle qu’on la voit, parce qu’elle peut être mieux aperçue; quant à la neige il dit : qu’on y entre à cause de sa légèreté.

 Or Dieu se sert parfois de ces choses pour corriger les hommes, comme on l’a vu plus haut 36, 31 : "Par ces choses il juge les peuples"; d’où il dit : toutes choses que j’ai préparées au temps hostile; à savoir au temps où il faut se venger des ennemis; Dieu s’en sert comme armes de guerre, d’où il dit : au jour de la lutte, à savoir d’un conflit actuel, et de la guerre où l’on se prépare au combat.

Après l’intempérie de la neige et de la grêle vient le beau temps où se préparent la clarté et la chaleur de l’air, d’où il dit : par quel chemin se répand la lumière, il s’agit de la clarté; se partage l’ardeur sur la terre? Il s’agit de la chaleur. Or plus haut il s’était agi des luminaires où habite la lumière et seulement de sa voie; c’est-à-dire que la lumière parcourt sa voie par le déplacement des luminaires tant par les intempéries que par beau temps mais sa chaleur et sa clarté ne nous parviennent que si cesse l’intempérie. Cependant la clarté ne se différencie pas sensiblement selon les divers lieux quand l’air est serein, mais bien la chaleur; et donc il dit : que la lumière se répand comme se diffusant indifféremment et que la chaleur se répartit comme distribuée différemment selon la diversité des lieux.

Ensuite il en vient à l’action du vent dans l’air; s’il entraîne la pluie, on a des averses, d’où il dit : qui a ouvert la route à la très forte averse? En effet la force et l’intensité des averses viennent de la forte poussée des vents que la vertu divine produit. Semblablement tandis que les vents propulsent les nuées le tonnerre retentit et c’est pourquoi ce bruit ne s’entend pas que dans un endroit, c’est comme un bruit qui se déplace, d’où il dit : et la voie au tonnerre qui gronde. Il introduit la raison pour laquelle les vents poussent la pluie et les nuées lorsqu’il dit : pour qu’il pleuve sur la terre tandis que le désert est sans vie c’est-à-dire qu’il ne peut être habité à cause de l’aridité du sol; or les vapeurs de la pluie s’élèvent surtout à partir de lieux humides donc si les pluies et les nuées n’étaient pas emportées par les vents, il s’ensuivrait qu’il ne pleuvrait jamais en ces endroits. Mais il arrive parfois que l’homme irrigue des terres artificiellement, à savoir lorsque les pluies viennent à cesser; mais cela ne peut arriver ici, d’où il dit : où nul mortel n’habite et ainsi l’industrie de l’homme ne peut y pourvoir. Et à cause de cela Dieu a disposé que les vents propulsent les nuées et la pluie pour qu’il pleuve aussi en ces endroits déserts, d’où il dit : pour remplir c’est-à-dire par les pluies, la steppe à savoir où ne peut passer l’homme, désolée à savoir destituée de l’humaine gestion et ainsi par la gestion divine poussent des herbes verdoyantes, c’est-à-dire pour l’ornement de la terre et la nourriture que la divine providence procure aux animaux sauvages.

Ensuite il fait mention des pluies sans vent lorsqu’il dit : Qui est le père de la pluie? à savoir la cause efficace non par nécessité mais par disposition de la providence qui convient à un père. C’est Dieu en effet qui fait mouvoir le soleil et les autres corps célestes qui sont les causes prochaines et efficaces de la naissance des pluies. La rosée naît de la même cause que la pluie et elle n’en diffère que par la quantité de la matière, d’où il dit : ou qui engendra les gouttes de rosée? Il dit pertinemment les gouttes pour désigner leur petite quantité. Or il faut considérer que de même que les pluies se congèlent en neige ainsi la rosée se congèle en frimas, d’où il dit : de quel sein est sortie la glace? Où il faut remarquer que c’est le froid qui cause la glace, or le froid est une qualité féminine; la cause des pluies et de la rosée est la chaleur qui dissout et ne laisse pas la vapeur se congeler, or la chaleur est une qualité masculine; et donc pertinemment pour la génération de la pluie et de la rosée il se sert du nom de père, et pour la génération de la glace il se sert du nom de sein, qui appartient à la mère. Quant au froid il produit deux sortes de glaces, l’une dans l’air et ce sont les frimas qui tombent du ciel, d’où il dit : et qui du ciel engendra la gelée? qu’il attribue encore au père parce qu’il n’y a pas l’intensité de froid dans les frimas qu’il y a dans la glace; l’autre sorte de glace naît dans les eaux inférieures où l’intensité du froid est plus grande, d’où il dit : semblables à des pierres les eaux durcissent c’est-à-dire que le froid intense les condense en glace; et il arrive même que dans les contrées les plus froides les mers sont gelées et c’est ce qu’il dit : et la surface de l’abîme se condense c’est-à-dire l’eau congelée par le froid à la surface; or ce n’est pas l’air froid qui pour rait pénétrer dans la profondeur de la mer.

Après la description des changements variables de l’air il continue par la parfaite immutabilité des corps célestes; à ce sujet on considère d’abord dans les étoiles fixes leur aspect immobile, car toutes gardent leur emplacement de sorte que l’une ne s’approche pas de l’autre ni ne s’en écarte; ce qui se laisse voir surtout dans celles qui nous sont voisines et qui jamais ne se rejoignent, d’où il dit : es-tu capable de réunir les brillantes étoiles de la Pléiade? Les étoiles de la Pléiade sont les étoiles qui luisent dans la tête du Taureau, dont six paraissent très rapprochées, la septième est plus sombre. En second lieu on considère dans les corps célestes l’uniformité du premier mouvement par lequel tout le ciel fait sa révolution et toutes les étoiles en un jour et une nuit autour du pôle du monde; ce mouvement se voit plus sensiblement dans les étoiles proches du pôle nord et qui nous sont continuellement apparentes à cause de l’élévation du pôle au-dessus de notre horizon; parmi ces étoiles se remarque surtout la constellation d’Arcturus qui est la Grande Ourse et dont les étoiles se meuvent uniformément en cercle autour du pôle du monde et quant à cela il dit : ou de défaire le circuit d’Arcturus, c’est-à-dire qu’il ne tourne plus autour du pôle? En troisième lieu admirable est dans les corps célestes le mouvement des planètes dans lequel, bien qu’il soit tout-à-fait uniforme, une irrégularité se perçoit pour nos sens et cela est très perceptible dans l’étoile de Vénus qui parfois se lève avant le soleil, et alors on l’appelle Lucifer, et parfois se couche après le soleil, et alors on l’appelle Vesper. Il est manifeste que les planètes qui sont toujours plus lentes que le soleil commencent à apparaître d’abord ayant le lever du soleil parce que le soleil en son propre mouvement qui va de l’occident à l’orient les quitte comme il ressort pour Saturne, Jupiter et Mars; la lune a un mouvement plus rapide que le soleil; elle apparaît toujours le soir comme quittant le soleil et le précède à l’orient; Vénus et Mercure parfois apparaissent au matin, parfois le soir; mais pour Mercure qui est de petite quantité et s’aperçoit rarement la chose est moins évidente; Venus au contraire étant très visible a manifestement un mouvement parfois plus rapide, parfois plus lent que celui du soleil. D’où apparaît clairement l’ir- régularité dans le mouvement des planètes et pour exprimer cela il dit : produiras-tu Lucifer, à savoir Venus apparaissant au matin en son temps c’est-à-dire au temps déterminé, car cette variation est régulière; et Vesper, à savoir la même Venus apparaissant le soir la feras-tu se lever au-dessus des fils de la terre? A noter qu’en disant : “produiras-tu” et “feras-tu se lever” est exprimée la nouvelle apparition de l’étoile. En quatrième lieu admirable est l’ordre, l’emplacement et le mouvement des corps célestes, d’où il dit : connais-tu l’ordonnance du ciel, c’est-à-dire, que l’homme ne peut comprendre. En cinquième lieu est admirable la disposition des corps inférieurs en rapport avec les supérieurs et quant à cela il dit : poseras-tu leur rapport à la terre, c’est-à-dire pour que tu connaisses les effets propres à chacune des causes célestes?

Les dits effets de la vertu divine sont parmi les plus grands mais ne sont cependant pas saisis par la grande foule comme l’est la grandeur de la vertu divine dans le tonnerre et les éclairs, et c’est pourquoi il pose ces effets en dernier lieu : d’où quant au tonnerre il dit : élèveras-tu ta voix vers les nuées? Le tonnerre en effet naît dans les nuées et le son est comme la voix de Dieu. Le tonnerre est souvent suivi de grandes pluies à cause de la condensation des nuées, poussées par les vents, et d’où retentit le tonnerre et donc il dit : et les eaux impétueuses te couvriront-elles? en effet l’abondance de la pluie recouvre Dieu en quelque sorte en tant que le ciel nous est caché lequel est dit : le trône de Dieu. Puis il y joint la foudre en disant : enverras-tu les éclairs à savoir ta vertu produira-t-elle leur mouvement? et ils iront c’est-à-dire comme si ils obéissaient à tes ordres? Souvent les mouvements des éclairs se répercutent d’un lieu à l’autre et il l’exprime en introduisant à leur retour, diront-ils : nous voici, comme si à leur retour ils étaient prêts à obéir à l’ordre divin et être envoyés ailleurs? Tout ceci nous est présenté pour montrer que l’homme ne peut atteindre ni à la sagesse ni au pouvoir divins.

 

CONFÉRENCE 3 — Yahvé : "Mes animaux"(Job 38, 36-41)

 

36 Qui a mis la sagesse dans les nuées, ou qui a donné l'intelligence aux météores? 37 Qui peut exactement compter les nuées, incliner les urnes du ciel, 38 pour que la poussière se forme en masse solide et que les glèbes adhèrent ensemble?

39 Est-ce toi qui chasses pour la lionne sa proie, qui rassasies la faim des lionceaux, 40 quand ils sont couchés dans leur tanière, qu'ils se tiennent en embuscade dans le taillis? 41 Qui prépare au corbeau sa pâture, quand ses petits crient vers Dieu, qu'ils errent çà et là, sans nourriture?

36 Qui a mis la sagesse dans les entrailles de l’homme ou qui a donné au coq l’intelligence? 37 qui (lui) a raconté la raison des cieux et qui fera s’endormir le concert du ciel? 38 Quand la poussière avait un fondement sur terre, et que la glèbe s'agglomérait? 39 Saisiras-tu la proie pour la lionne et rempliras-tu l’âme de ses petits 40 ils sont couchés dans leur antre et qu’ils épient dans la caverne? 41 Qui prépare au corbeau sa nourriture quand ses petits crient vers Dieu, se traînant parce qu’ils n’ont pas de nourriture?

 

Après que le Seigneur a rappelé les merveilles de ses œuvres concernant les principales parties du monde que sont la terre, la mer et l’air et concernant leurs propriétés, il en vient à raconter les merveilles de ses œuvres, spécialement au sujet des animaux; parmi lesquelles l’emporte la connaissance qui est plus parfaite chez l’homme que chez les animaux. Et donc il commence par l’homme et dit : Qui a mis la sagesse dans les entrailles de l’homme? Par les entrailles de l’homme on entend les forces intimes de son âme, c’est-à-dire l’intelligence et la raison auxquelles Dieu a conféré la sagesse en donnant à l’homme la lumière de la raison; en ç il a infusé naturellement à sa raison des semences de sagesse et de science par la connaissance des premiers principes. Chez les autres animaux apparaissent beau coup d’indices d’une prudence naturelle, mais cela se manifeste principalement chez le coq, animal connu et domestique, d’où il dit : ou qui a donné au coq l’intelligence? Ici l’intelligence est une estimative selon laquelle il agit comme quelqu’un d’intelligent, car son estimative naturelle lui est donnée par l’intelligence divine. Le coq montre quelque similitude avec l’intelligence en ce qu’à des heures fixes il se met à chanter comme s’il avait connaissance de l’action des mouvements célestes d’où il dit : qui lui a raconté c’est-à-dire au coq la raison des cieux à savoir l’action des mouvements célestes pour pouvoir discerner par là les heures déterminées où il chante? Or les veilleurs ont coutume de faire connaître l’approche du jour et certaines heures de la nuit par quelque chant ou autre son d’instrument; mais on ne peut pas dire qu’on entende dans le ciel des sons à des temps déterminés et qu’en d’autres temps c’est le silence de sorte que le coq discerne qu’il doit chanter, d’où il dit : et qui fera s’endormir le concert céleste? Il veut dire le concert au ciel ne se tait pas comme le veilleur endormi, de sorte que de l’entendre ou de son silence le coq soit instruit de chanter. Il faut ici faire une remarque : les Pythagoriciens ont posé que l’harmonie des sons provenait de la très exacte proportion des mouvements célestes et comme ils posaient que les corps célestes étaient animés, il s’en suit que la consonance des sons peut être appelée le concert céleste; mais Aristote prouve dans le De caelo qu’aucun son ne provient du mouvement des corps célestes. Et donc nous pouvons accepter ce concert d’une façon métaphorique pour la seule convenance des mouvements célestes qui ne cessent jamais. Cette sagesse inspirée ou cette intelligence ou encore le concert céleste existent depuis le commencement de la création de la terre, d’où il dit : quand la poussière avait un fondement sur la terre ce qui se rapporte à l’emplacement de la terre qui est établie en bas comme sur un fondement, et que la glèbe s'agglomérait, ce qui se rapporte à l’humidité qui maintient ensemble les parties de la terre, c’est-à-dire pour que la terre par sa nature sèche ne se résolve pas en poussière.

 Ensuite il traite d’une autre propriété des animaux qui est la recherche de la nourriture; à ce sujet il y a ceci d’admirable chez la lionne qu’ayant besoin de beaucoup de nourriture, comment elle parvient à saisir autant de proie en un seul endroit pour suffire à elle et à ses petits, d’où il dit : saisiras-tu la proie pour la lionne? à savoir en telle abondance pour elle et ses petits, d’où il dit : et remplira s-tu l’âme de ses lionceaux? Cela n’est pas tellement difficile quand ils parcourent divers endroits mais bien quand ils demeurent dans le même lieu, soit à cause de la nécessité de nourrir des petits, à quoi se rapporte ce qu’il dit : quand ils sont couchés dans leur antre, soit qu’ils sont à l’affût d’autres animaux et qu’ils épient dans les cavernes c’est-à-dire pour prendre des animaux.

Quant aux oiseaux aussi on trouve quelque chose d’étonnant chez le corbeau : on dit en effet que le corbeau ne nourrit pas ses petits, sortis de l’œuf, jusqu’à ce qu’il ait reconnu que leur plumage devient noir; d’où pendant sept jours il ne leur administre aucune nourriture, mais Dieu les soutient grâce à la vertu naturelle qu’il leur a donnée, d’où il dit : qui prépare au corbeau sa nourriture quand ses petits crient vers Dieu? se traînant, à savoir regardant ici et là parce qu’ils n'ont pas de quoi manger, comme abandonnés de leurs parents. Cela ne veut pas dire que les petits des corbeaux connaissent Dieu; mais on dit cela parce que toutes les choses naturelles par leur désir, qui est cela même de désirer le bien, cherchent en quelque sorte d’obtenir quelque chose de Dieu lui qui est l’auteur des biens.

 

 

 

Job 39 — Les merveilles du monde animal

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Dieu (Job 35)

 

1 Connais-tu le temps où les chèvres sauvages font leurs petits? As-tu observé les biches quand elles mettent bas? 2 As-tu compté les mois de leur portée, et connais-tu l'époque de leur délivrance? 3 Elles se mettent à genoux, déposent leurs petits, et sont quittes de leurs douleurs. 4 Leurs faons se fortifient et grandissent dans les champs; ils s'en vont, et ne reviennent plus.

5 Qui a lâché l'onagre en liberté, qui a brisé les liens de l'âne sauvage, 6 à qui j'ai donné le désert pour maison, pour demeure la plaine salée? 7 Il méprise le tumulte des villes, il n'entend pas les cris d'un maître. 8 Il parcourt les montagnes pour trouver sa pâture, il y poursuit les moidres traces de verdure.

9 Le buffle voudra-t-il te servir, ou bien passera-t-il la nuit dans son étable? 10 L'attacheras-tu avec une corde au sillon, ou bien hersera-t-il derrière toi dans les vallées? 11 Te fieras-tu à lui parce qu'il est très fort, lui laisseras-tu faire tes traveaux? 12 Compteras-tu sur lui pour rentrer ta moisson, pour recueillir le blé dans ton aire?

13 L'aile de l'autruche bat joyeusement; elle n'a ni l'aile pieuse ni le plumage de la cigogne. 14 Elle abandonne ses œufs à la terre, et les laisse chauffer sur le sable. 15 Elle oublie que le pied peut les fouler, la bête des champs les écraser. 16 Elle est dure pour ses petits, comme s'ils n'étaient pas siens; que son travail soit vain, elle ne s'en inquiète pas. 17 Car Dieu lui a refusé la sagesse, et ne lui a pas départi l'intelligence. 18 Mais quand elle se bat les flancs et prend son essor, elle se rit du cheval et du cavalier.

19 Est-ce toi qui donnes au cheval la vigueur, qui revêts son cou d'une crinière flottante, 20 qui le fais bondir comme la sauterelle? Son fier hennissement répand la terreur. 21 Il creuse du pied la terre, il est fier de sa force, il s'élance au-devant du combat. 22 Il se rit de la peur; rien ne l'effraie; il ne recule pas devant l'épée. 23 Sur lui résonne le carquois, la lance étincelante et le javelot. 24 Il frémit, il s'agit, il dévore le sol; il ne se contient plus quand la trompette sonne. 25 Au bruit de la trompette, il dit : "Allons!" De loin il flaire la bataille, la voix tonnante des chefs et les cris des guerriers. 26 Est-ce par ta sagesse que l'épervier prend son vol et déploie ses ailes vers le midi? 27 Est-ce à ton ordre que l'aigle s'élève, et fait son nid sur les hauteurs? 28 Il habite les rochers, il fixe sa demeure dans les dents de la pierre, sur les sommets. 29 De là, il guette sa proie, son regard perce au loin. 30 Ses petits s'abreuvent de sang; partout où il y a des cadavres, on le trouve.

1 Sais-tu le temps de mettre bas aux bouquetins, dans les rochers, as-tu observé les biches qui accouchent? 2 As-tu compté les mois de leur portée et sais-tu l’époque de leur accouchement? 3 Elles se blottissent pour mettre bas; elles émettent des gémissements. 4 Leur petits s’en séparent pour aller paître, ils s’en vont et ne reviennent plus vers elles. 5 a mis en liberté l’onagre, et qui a détaché ses liens? 6 Qui lui ai donné une demeure dans la solitude et des habitacles dans la terre salée. 7 Il méprise la multitude de la ville, Il n'entend pas le cri du surveillant. 8 Il parcourt du regard les monts de sa pâture, Il recherche les endroits verdoyants. 9 Le rhinocéros voudrait-il te servir, ou s’attarderait-il à ta mangeoire? 10 De ta lanière lieras-tu le rhinocéros pour le labour. Ou écrasera-t-il après toi les mottes des vallées? 12 Mettras-tu ta confiance en sa grande force, et lui abandonneras-tu tes travaux? Te fieras-tu à lui qu’il te rende les semailles et les rassemble dans ton aire? 13 Le plumage de l’autruche ressemble à ceux de la cigogne et du faucon. 14 Elle abandonne ses œufs à la terre; peut-être les réchaufferas-tu dans la poussière?' oublie qu'on les foulera aux pieds ou que la bête des champs les écrasera. 15 Elle est dure pour ses petits comme s'ils n'étaient pas d’elle. En vain elle a peiné, qu’aucune crainte ne menace. 16 Elle l’a privée de sagesse, et ne lui donna pas d’intelligence. 17 Quand le moment se présente, elle dresse ses ailes en haut; elle se moque du cavalier et de sa monture. 19 Fourniras-tu la force au cheval, Entoureras-tu autour de son cou le hennissement? 20 soulèveras-tu comme les sauterelles? La gloire de ses naseaux est terreur. 21 De ses sabots il creuse la terre; Audacieusement il va vers les guerriers. Il méprise la peur; il ne cède pas devant le glaive, 23 Au-dessus de lui sonne le carquois; vibrent la lance et le bouclier. 24 Bouillant et frémissant, il aspire la terre; Il ne prend pas garde au son de la trompette. 25 Dès qu'il entend le clairon, il dit : Vas-y! De loin il renifle la guerre, l’encouragement des chefs et la clameur de l’armée. 26 Est-ce par ta sagesse que l’épervier mue,          étendant ses ailes vers l’Auster? 27 Est-ce sur ton ordre que s’élève l’aigle et pose son nid dans les hauteurs? 28 Il demeure dans les rochers et s’attarde dans les rocs escarpés, dans d’inaccessibles défilés. 29 DE là il contemple sa nourriture, et ses yeux prospectent le lointain. 30 Ses petits lèchent le sang; Où que puisse être un cadavre aussitôt il y est. 31 Le Seigneur ajouta et parla d Job : 32 Est-ce que celui qui conteste avec Dieu, si facilement se calme? Mais celui qui en remontre à Dieu, la doit aussi lui répondre. 33 En répondant Job dit au Seigneur : 34 Moi qui ai parlé à la légère, que puis-je bien répondre? Je poserai la main sur ma bouche. 35 Une chose je l’ai dite, que ne l’ai-je pas dite            et une autre : auxquelles je n’ajouterai rien.

[84937] Super Iob, cap. 39 Numquid nosti tempus partus ibicum? Commemoraverat dominus in praecedentibus id quod pertinet ad vim cognoscitivam, loquens de sapientia hominis et intelligentia galli; commemoraverat etiam de praeda leonum et esca corvorum, quae pertinent ad vim nutritivam; nunc autem commemorat quaedam pertinentia ad vim generativam, et incipit agere de partu ibicum et cervarum in quibus aliquid occultum esse videtur. Ibices enim sunt quaedam animalia parva corpore quae in locis petrosis habitant, in quibus et pariunt: unde ad huiusmodi loca non de facili patet hominibus accessus, propter quod dicit numquid nosti tempus partus ibicum in petris? Quasi dicat: hoc hominibus est ignotum propter asperitatem locorum in quibus pariunt. Cervae autem, ut dicitur, eligunt loca occulta in quibus pariant, ubi lupi accedere non solent, et ideo ad ostendendum occultationem partus ipsarum subdit vel parientes cervas observasti? Quod dicitur ad divinae providentiae commendationem: mulieres enim cum pariunt indigent obstetricum obsequio, sed animalibus quorum partus homines latet Deus sua providentia exhibet auxilium quod est eis necessarium ad pariendum, inquantum scilicet dat eis industriam naturalem ut cognoscant ea quae sunt in talibus cognoscenda, quorum primum est quod sciatur spatium temporis quo fetus in utero perficitur, et quantum ad hoc dicit dinumerasti menses conceptus earum, ut scilicet eis indicares quando se deberent praeparare ad partum? Unde subdit et scisti tempus partus earum, ut scilicet eis indicares quando parere deberent? In his enim solent mulieres puerperae ab aliis instrui, sed animalia, quae etiam sunt longe a conversatione humana, per naturalem industriam eis divinitus inditam haec cognoscunt et determinato tempore se praeparant ad partum eo modo quo facilius possit partus emitti, unde subdit incurvantur ad fetum, scilicet emittendum, et pariunt, scilicet per se ipsas instruente natura; et tamen partus non est eis delectabilis sed poenosus, unde subdit et rugitus emittunt, scilicet propter dolorem quem pariendo patiuntur. Et sicut matres naturali industria se praeparant ad partum, ita etiam et filii naturali industria divinitus indita sibi necessaria conquirunt, unde subdit separantur filii earum, quod dicit ad differentiam fetus humani, nam puer mox natus non potest se movere ut discedat a matre, quod tamen in praedictis animalibus contingit: statim enim postquam nascuntur moventur, et primus eorum motus est ad escam quaerendam, unde subdit et pergunt ad pastum. Sed tamen in principio indigent pasci lacte matris, unde sic a matre separantur quod tamen ad eam redeunt, postmodum vero cum perfecti fuerint totaliter separantur a matribus, unde et subdit egrediuntur et non revertuntur ad eas, quia scilicet ulterius ab eis lactari non indigent. His autem praemissis quae pertinent ad speciales quasdam animalium proprietates, pertinentibus scilicet ad cognitionem, escam et partum, commemorat ea quae pertinent ad totam conversationem vitae. Circa quam primo mirabile apparet quod quaedam animalia dum sunt domestica sustentari non possunt absque hominis cura, inveniuntur tamen aliqua ad illud genus pertinentia quae sunt silvestria et absque hominum providentia gubernantur; et hoc maxime mirabile apparet in asino qui cum est domesticus totaliter videtur humanae servituti deputatus, a qua tamen servitute asini silvestres qui onagri dicuntur liberi esse apparent, unde dicit quis dimisit onagrum, idest asinum silvestrem, liberum, scilicet ab hominum servitute? Quod quidem dicitur secundum quod id quod consuetum est apprehenditur ab hominibus quasi naturale, unde quia consueti sunt homines non videre asinos nisi servituti subiectos, videtur eis quod sint naturaliter servi, et ideo si aliquando inveniantur liberi videtur eis quod sint a servitute dimissi; e contrario autem se habet, nam prius fuerunt huiusmodi animalia homini non subiecta per modum quo nunc sunt, postmodum autem humano artificio sunt domita et hominum servitiis deputata. Signa autem servitutis asinorum sunt vincula quibus ligantur, sicut camus vel aliquid huiusmodi, et quantum ad hoc subdit et vincula eius quis solvit? Onagri enim huiusmodi vinculis carent. Apparet etiam in asinis domesticis quod pereunt si remaneant absque habitaculis ab hominibus praeparatis, sed onagri habent sibi per divinam providentiam habitaculum praeparatum, unde subdit cui dedi in solitudine, scilicet ad quam homo non accedit, domum, puta aliquod antrum vel cavernam quamcumque, et tabernacula eius, puta scilicet sub herbis aut arboribus, in terra salsuginis, idest in aliqua terra inhabitata propter siccitatem et solis exustionem, ex qua humor eius quasi in saporem salis convertitur. Et quamvis huiusmodi habitatio videatur incultior et horridior propter solitudinem, tamen eam praefert quantumcumque nobili civitati, unde subdit contemnit multitudinem civitatis, scilicet in comparatione ad habitationem deserti. Et assignat duplicem rationem, quarum prima est quia ibi non exiguntur ab eo laboriosa opera, unde subdit clamorem exactoris non audit, idest domini exigentis ab eo portationem onerum vel aliquid huiusmodi; alia ratio est quia ibi liberius evagatur ad pastum quaerendum, unde subdit circumspicit montes pascuae suae, quia scilicet patet ei liber aditus ad diversa loca pro pascuis quaerendis, et ipsa etiam pascua pro suo libitu accipit, unde subdit et virentia quaeque perquirit: asinis autem domesticis non dantur optima pascua sed interdum viliora, melioribus pascuis nobilioribus animalibus reservatis. Sicut autem asinus servit homini ad onera deferenda, loco cuius in silvestribus invenitur onager, ita etiam servit homini inter domestica animalia bos ad arandum propter suam fortitudinem, cui comparat inter silvestria rinocerontem, idest Unicornem, quod est animal quadrupes valde forte et ferum, habens unum cornu in media fronte; hoc autem animal propter sui feritatem non de facili potest domari sicut bos domatur, unde subdit numquid volet rinoceros, idest Unicornis, servire tibi, ut scilicet domesticatus sponte tibi oboediat? Animalia autem domesticata cibum libenter ab hominibus capiunt, ad quod excludendum subdit aut morabitur ad praesepe tuum, ut scilicet paratus sit comedere quod a te ei offertur? Boves autem domesticati ad hoc nutriuntur ut ministerio arationis applicentur, et ad hoc excludendum subdit numquid alligabis loro tuo rinoceronta, idest Unicornem, ad arandum, sicut scilicet aratur in bobus? Utuntur etiam homines bobus ad aliud ministerium, ut scilicet trahentes quoddam rastrum terram aratam complanent glebam comminuendo, unde subdit aut confringet glebas vallium, quae scilicet solent diligentius excoli propter maiorem fecunditatem, post te, idest postquam terram araveris? Vel post te, idest ut te praecedente ille sequatur glebas confringens? Dimittuntur etiam quaedam animalia fortia ad agrorum custodiam contra latrones vel animalia quae possent segetes devastare, sicut custodiuntur agri per aliquos canes feroces, sed hoc per Unicornem fieri non potest quia non domesticatur, unde subdit numquid fiduciam habebis in magna fortitudine eius et derelinques ei labores tuos, idest fructus agrorum ad custodiendum? Sic ergo non potes hoc fortissimo animali uti nec sicut bove ad arandum nec sicut cane ad custodiendum. Similiter etiam non potes eo uti sicut forti agricola ad fructus terrae procurandos, unde subdit numquid credes ei quod reddet sementem tibi et aream tuam congreget? Sicut scilicet facit operarius qui semen a domino susceptum serit et multiplicatum reddit, segetes congregando in aream et post trituram in horreum domini reportando. His igitur positis in quibus quaedam animalia silvestria a domesticis diversificantur, subdit quasdam proprietates quorundam animalium in quibus videntur ab omnibus aliis animalibus quaedam proprietates diversae. Et hoc praecipue apparet in strutione qui est avis quaedam appropinquans ad genus bestiarum, unde licet habeat pennas ad modum animalium alte volantium, non tamen per eas se potest in altum elevare, unde dicit penna strutionis similis est pennis herodii, idest nobilissimi falconis qui girfalcus dicitur, et accipitris, qui est avis nota, et ambae sunt aves boni volatus. Est autem et alia proprietas strutionis diversa ab aliis avibus, quod scilicet sua ova non fovet sed fodiens in arena ea dimittit et operit sabulo, unde subdit quae derelinquit in terra ova sua. Habet autem hanc naturalem industriam quod observat tempus calidum, scilicet quando incipiunt stellae apparere quae dicuntur virgiliae, scilicet in mense Iulii, et tunc parit ova, et sic ex calore temporis et loci, quia scilicet non moratur nisi in locis calidis, ova vivificantur et ex eis pulli nascuntur, unde subdit tu forsitan in pulvere calefacies ea? Quasi dicat non, sed hoc agitur providentia divina per quam etiam ova in pulvere conservantur illaesa. Strutio enim est naturaliter animal obliviosum et nullam curam adhibet de conservatione ovorum, unde subdit obliviscitur quod pes, scilicet hominis transeuntis per viam, conculcet ea, scilicet ova, aut bestia agri conterat, vel casu pertranseundo vel propter appetitum cibi. Et sicut non habet curam de conservatione ovorum ita non habet curam de nutritione pullorum, unde subdit duratur ad filios suos quasi non sint sui, quia scilicet nullam curam habet de nutritione eorum, et ita quantum in se est perdit fructum generationis, unde subdit frustra laboravit, scilicet concipiendo et conceptum portando, ex quo filios non nutrit; contingit etiam quandoque quod etiam alia animalia fetus suos deserunt propter timorem, sed strutio hoc facit nullo timore cogente. Facit autem hoc etsi non propter timorem tamen propter defectum naturalis industriae quam circa hoc alia animalia habent, unde subdit privavit enim Deus eam, scilicet feminam strutionis, sapientia, scilicet ad ordinate nutriendum et gubernandum fetum, nec dedit illi intelligentiam, per quam scilicet sollicitudinem habeat de pullis suis: sapientiam autem et intelligentiam nominat industriam naturalem. Et quia supra dixerat quod habet pennas similes pennis herodii et accipitris, consequenter ostendit ad quid ei huiusmodi pennae prosint dicens cum tempus fuerit, idest cum aliqua necessitas velocitatis motus sibi immineat, in altum alas erigit, ita tamen quod per alas corpus eius sursum elevari non potest, sed per eas iuvatur ad velociter currendum, unde subdit deridet equitem, quia scilicet velocius currit quam equus hominem deferens, et ascensorem eius, scilicet equi, quia scilicet velocius curreret quam homo si suis pedibus iret. Sicut autem strutio habet quasdam proprietates a pluribus animalibus diversas quibus ab aliis deficit, ita etiam equus habet quasdam proprietates ad nobilitatem pertinentes quibus ab aliis animalibus differt. Primo autem equi fortitudinem commemorat cum dicit numquid praebebis equo fortitudinem, scilicet non solum corporis prout est potens ad onus ferendum, sed etiam animi prout audacter ad pericula vadit? Aliam autem proprietatem eius commemorat, quod scilicet ex exteriori ornatu ad libidinem provocatur: dicitur enim de equis quod iubarum decore ad coitum agitantur et iubis tonsis eorum libido extinguitur, ad quod significandum subdit aut circumdabis collo eius hinnitum? Solent enim equi hinnire propter libidinem, secundum illud Ier. V 8 equi amatores in feminas et emissarii facti sunt, unusquisque ad uxorem proximi sui hinniebat; ergo hinnitus collo equi a Deo circumdatur quando iubae ei dantur a Deo, ex quarum consideratione ad libidinem provocatur. Est autem et alia equi proprietas quod vehementer salit contra morem multorum quadrupedum, unde subdit numquid suscitabis eum, scilicet elevando in altum, quasi locustas, quae scilicet saliendo moventur? Alia vero proprietas equi est audacia ipsius in bellis, quam diffusius describit quia est nobilis et admiranda, et primo manifestatur eius audacia quando adhuc odoratu bellum percipit a remotis, unde sequitur gloria narium eius terror, idest bellum quod est aliis ad terrorem, naribus ab equo perceptum est equo ad gloriam, idest ad quandam animi magnitudinem; et huius signum statim in eo apparet, de quo subditur terram ungula fodit, quasi praeparans se ad pugnandum. Ex hoc autem quod bellum percipit interius gaudet, unde subdit exultat, scilicet percepta opportunitate pugnandi, et hoc per effectum ostendit cum subdit audacter in occursum pergit armatis. Nec in ipso proelio existens terrore deicitur, unde subdit contemnit pavorem, et quod est amplius, etiam vulnerum dolore non repellitur, unde subdit nec cedit gladio. Solent autem plura animalium ex solo strepitu terreri, sed hoc equo non accidit, unde subdit super ipsum sonabit pharetra, scilicet plena sagittis, dum concutitur ad motum militis equo insidentis; similiter etiam ex hasta et clipeo militis sonus aliquis procedit, unde subdit vibrabit hasta, idest hasta dum vibratur sonum emittit; similiter clipeus dum movetur et ad arma colliditur sonum facit, unde subdit et clipeus, scilicet sonat; sed tamen ad hunc sonitum equus non stupescit, unde subdit fervens, scilicet interius per audaciam, et fremens, scilicet hinnitu, quem fremitum nominat, qui est proprie leonum, propter equi audaciam; et non solum voce interiorem fervorem animi monstrat sed etiam exteriori actu, unde subdit sorbet terram, idest videtur eam sorbere pedibus fodiendo. Et non solum non obstupescit sonitu pharetrae, hastae et clipei, sed nec etiam sono tubae qua utuntur in bellis, unde subdit nec reputat tubae sonare clangorem, ut scilicet propter hoc obstupescat; quin immo gaudere dicitur ad sonum bucinae, unde subdit ubi audierit bucinam dicit: vah. Idest emittit exultationis vocem, nam vah. Est interiectio exultantis. Et quia haec quae praedicta sunt pertinent ad equi audaciam, subiungit de perspicacitate ipsius dicens procul odoratur bellum, idest cum adhuc hostes sunt procul, odoratu percipit bellum imminere et quasi videtur sentire belli praeparationem, dum scilicet duces suis exhortationibus animant milites, et quantum ad hoc subdit exhortationem ducum, scilicet percipit, et ululatum, idest confusum clamorem et strepitum, exercitus, scilicet praeparantis se ad bellum. His autem praemissis de animalibus quae gradiuntur in terra, accedit ad animalia quae volant in aere, et primo commemorat naturalem industriam accipitris qui tempore mutationis pennarum expandit alas suas ad Austrum, qui est ventus calidus, ut apertis poris veteres pennae decidant et novae renascantur, unde dicit numquid per sapientiam tuam plumescit accipiter, scilicet quando pennae eius renovantur, expandens alas suas ad Austrum, ut scilicet facilius pennas mutet? Ultimo autem loquitur de aquila quae ceteris avibus altius volat, unde dicit numquid ad praeceptum tuum elevabitur aquila, scilicet sicut ad meum? Facit enim hoc aquila naturali instinctu: omnis autem naturalis cursus rerum est quaedam motio creaturae ad praeceptum Dei, secundum illud Psalmi ignis, grando, nix, glacies, spiritus procellarum, quae faciunt verbum eius. Et sicut aquila habet motum in altum ita etiam et in altis conversatur, quod pertinet ad nobilitatem suae naturae, et ideo dicit et in arduis ponet nidum suum, ut scilicet pulli eius statim nati consuescant in altis morari, et ideo subdit in petris manet, quasi gaudens aeris puritate eo quod in locis petrosis non sit multa vaporum resolutio; et in praeruptis silicibus commoratur, ad quas scilicet noxiis bestiis non patet accessus, atque inaccessibilibus homini rupibus, per quod scilicet eius securitati providetur. Habet autem aquila visum valde acutum ut possit ex longinquo videre necessarium cibum, unde subdit inde, scilicet de locis altis, contemplatur escam, scilicet non solum propinquam sed etiam remotam, unde subdit et oculi eius de longe prospiciunt. Est autem et aquila potens in praeda sicut et leo inter quadrupedia, et ad hoc designandum subdit pulli eius lambunt sanguinem, scilicet animalium viventium quae aquila ad nidum defert. Pascitur autem aquila non solum animalibus vivis sicut falcones et accipitres, sed etiam cadaveribus animalium mortuorum, unde subdit et ubicumque cadaver fuerit statim adest, per quod etiam velocitatem volatus eius designat. Haec autem omnia sunt inducta ad ostendendum magnitudinem divinae sapientiae et virtutis per quam tam mirabiles effectus producuntur: unde datur intelligi quod Iob auditis tot mirabilibus divinorum effectuum stupens siluit; sed dominus eum excitat ad considerandum quod homo non est idoneus ad disputandum cum Deo, unde subditur adiecit dominus, scilicet super verba praemissa, et locutus est ad Iob, eo scilicet tacente: numquid qui contendit cum Deo, idest qui offert se disputaturum cum eo, tam facile conquiescit, scilicet quasi sit superatus sicut tu qui taces? Utique qui arguit Deum, quasi de eius iudiciis disputans, debet et respondere illi: iustum est enim ut qui alium ad disputandum provocat, etiam ipse paratus sit respondere. Et ne videretur Iob, licet convictus, in sua sententia obstinatus permanere, in verba humilitatis prorumpit, unde sequitur respondens autem Iob domino dixit: qui leviter locutus sum respondere quid possum? Ubi considerandum est quod Iob coram Deo et sua conscientia loquens non de falsitate locutionis aut de superba intentione se accusat, quia ex puritate animi fuerat locutus, sed a levitate sermonis: quia scilicet etiam si non ex superbia animi locutus fuerat, verba tamen eius arrogantiam sapere videbantur, unde amici eius occasionem scandali sumpserant; oportet autem vitare non solum mala sed etiam ea quae habent speciem mali, secundum apostolum I ad Thess. V 22 ab omni specie mala abstinete vos, et ideo subdit manum meam ponam super os meum, ut scilicet ad similia verba de cetero non prorumpam; et de his quae dixi paeniteo, unde subdit unum locutus sum quod utinam non dixissem, scilicet quod dixi me velle disputare cum Deo, et alterum, scilicet quod meam iustitiam praetuli dum de divinis iudiciis ageretur. Tertium autem quod ei Eliud imposuerat, ut scilicet diceret iudicium Dei esse iniustum, non recognoscit, quia hoc non pertineret ad levitatem locutionis sed ad blasphemiam. Sic autem de leviter dictis paenitet quod emendationem proponit, unde subdit quibus ultra non addam, ut scilicet alias verba levia proferam. Est autem considerandum quod si praedicta locutio domini ad Iob non fuit per exteriorem sonum prolata sed interius inspirata, Iob tripliciter in hoc libro invenitur fuisse locutus: primo quidem quasi repraesentans affectum sensualitatis in prima conquestione cum dixit pereat dies, secundo exprimens deliberationem rationis humanae dum contra amicos disputaret, tertio secundum inspirationem divinam dum ex persona domini verba induxit; et quia humana ratio dirigi debet secundum inspirationem divinam, post verba domini, verba quae secundum rationem humanam dixerat reprehendit.

Dans les pages précédentes, le Seigneur avait noté ce qui se rapporte à la connaissance : la sagesse chez l’homme et l’intelligence du coq; il avait aussi traité de la lionne et de ses proies, du corbeau et de la nourriture de ses petits, ce qui a rapport à la faculté nutritive. Il note maintenant quelques traits de la faculté de reproduction et il commence par la génération des bouquetins et des biches où l’on trouve comme du mystère. Les bouquetins sont de petits animaux qui habitent les rochers où ils mettent bas. Pour l’homme l’accès à ces lieux est difficile, d’où il dit : sais-tu le temps de mettre bas des bouquetins dans les rochers? Comme s’il disait : c’est inconnu à l’homme à cause de la difficulté des lieux où ils accouchent. Quant aux biches, elles choisissent des endroits cachés où le loup n’a pas accès; et donc pour exprimer cela, il dit : as-tu observé les biches qui accouchent? On montre par là l’intervention de la providence. En effet les femmes qui enfantent ont besoin de l’aide d’une accoucheuse; mais pour les animaux dont l’accouchement est caché, Dieu en sa providence leur vient en aide en leur donnant une habileté naturelle et le savoir-faire en ces circonstances et dont la première chose est de connaître le moment où la portée est à terme, et pour cela il dit : as-tu compté les mois de leur portée c’est-à-dire pour leur indiquer quand elles doivent se préparer à mettre bas? d’où il dit : sais-tu l’époque de leur accouchement pour leur indiquer quand elles doivent accoucher? En effet dans ces choses, les femmes en couche sont avisées par leur entourage, mais les animaux, qui souvent sont loin du commerce des hommes, connaissent ces choses par instinct naturel que Dieu leur donne; et au temps voulu ils se préparent de la façon la meilleure pour mettre bas, d’où il dit : elles se blottissent pour la portée qu’elles émettent et elles accouchent c’est-à-dire par elle-même, la nature les instruisant; et cependant cela ne va pas sans peine et elles émettent des gémissements, c’est-à-dire à cause des douleurs provoquées ainsi. Et de même que leurs mères naturellement se sont préparées à l’accouchement, ainsi aussi les petits par instinct naturel, donné divinement, cherchent ce qui leur est nécessaire, d’où il introduit leurs petits s’en séparent, ce qui n’est pas le cas pour l’homme; car le nouveau-né ne peut se mouvoir ni se séparer de sa mère; mais chez ces animaux, aussitôt qu’ils sont nés, ils se meuvent et leur premier mouvement est de chercher leur nourriture, d’où il dit : pour aller paître? Cependant au début, ils ont besoin du lait de la mère, de sorte qu’ils quittent leur mère pour y revenir; dans la suite quand ils sont plus forts ils se séparent totalement de leurs mères, d’où il dit : ils s’en vont et ne reviennent plus vers elles, c’est-à-dire n’ayant plus besoin d’être allaités.

Après ces préambules qui regardent certaines particularités des animaux : soit la connaissance, la nourriture et leur naissance, il traite de la conservation de la vie toute entière. A ce sujet ce qui d’abord est admirable chez les animaux aussi longtemps qu’ils sont domestiqués est qu’ils ne peuvent se sustenter sans les soins de l’homme; mais on en trouve de la même espèce et qui sont sauvages n’étant pas sous le gouvernement et la providence des hommes. Et cela se remarque surtout chez l’âne qui comme animal domestique est totalement au service de l’homme, tandis que l’onagre ou âne sauvage est libre d’une telle servitude, d’où on nous dit : qui a mis l’onagre en liberté? Ce qui est une façon de s’exprimer pour ce que nous saisissons naturellement, n’ayant pas coutume de rencontrer d’autres ânes que domestiqués, et donc on dit qu’ils sont libres, comme si on les avait délivrés de la servitude. Or c’est le contraire qui a lieu; auparavant ces animaux n’étaient pas soumis à l’homme comme ils le sont actuellement; plus tard par leur habileté les hommes les ont domptés et destinés à leur service. La marque de cette servitude est le lien qui attache les ânes, à savoir le licou ou muselière et quant à cela il intro duit et qui a détaché ses liens? En effet les onagres n’en ont pas. Il se fait aussi chez les ânes domestiques qu’ils périssent, s’ils n’ont pas d’habitacle préparé par l’homme; mais les onagres ont leur habitacle préparé par la providence, d’où il dit : je lui ai donné dans la solitude, c’est-à-dire où l’homme ne va pas, une demeure, par exemple un antre ou quelque caverne et des tentes, par exemple dans les herbages ou sous les arbres, dans la terre de sel, à savoir dans une terre inhabitée à cause de la sécheresse et de l’ardente chaleur; d’où son humidité qui s’est convertie comme en un relent de sel. Et bien que cet habitacle soit des plus incultes et des plus âpres par sa solitude, cependant il le préfère à toute noble cité, d’où il dit : il méprise la multitude des villes, c’est-à-dire comparée à l’habitation du désert. Et il en donne deux raisons dont la première est que là ne sont pas exigés de lourds travaux, d’où il dit : il n’entend pas le cri du surveillant, à savoir du maître qui lui impose le portage de fardeaux ou autre chose de ce genre; la seconde est qu’il peut aller paître librement, d’où il dit : il parcourt du regard les monts de sa pâture, c’est-à-dire que lui est ouvert le libre accès à des endroits divers pour y chercher des pâturages et ceux-ci il les a à son dévolu, d’où ce qu’il dit : et il recherche les endroits verdoyants : or aux ânes domestiques on ne leur donne pas les meilleures pâtures, mais parfois d’assez viles, les meilleures étant réservées aux animaux plus nobles.

De même que l’âne sert au transport des fardeaux, dont on trouve le correspondant dans l’onagre sauvage, ainsi aussi parmi les animaux domestiques le bœuf est au service de l’homme pour le labour à cause de sa force, auquel il compare le rhinocéros, animal sauvage; il n’a qu’une corne au milieu du front et c’est une bête très puissante et féroce et à cause de sa férocité on ne peut la dompter comme il en est du bœuf, d’où il dit : le rhinocéros, à savoir l’unicorne, voudrait-il te servir, c’est-à-dire que domestiqué, il t’obéisse volontiers? Les animaux domestiques reçoivent de bon gré leur nourriture de la part des hommes, pour exclure cela chez le rhinocéros il dit : s’attardera-t-il à ta mangeoire, étant prêt à manger ce que tu lui offres? On nourrit le bœuf pour l’appliquer au travail des champs, et il exclut cela est-ce que de ta lanière tu attacheras le rhinocéros, à savoir l’unicorne, pour labourer comme on le fait avec les bœufs? On se sert aussi des bœufs pour herser la terre labourée et ainsi briser les mottes de terre, d’où il dit : pour briser les mottes des vallées, lesquelles sont cultivées avec plus de soin pour leur fertilité plus grande; après toi c’est-à-dire après que tu auras labouré la terre? ou encore après toi, à savoir en te suivant dans le sillon? On destine encore de fortes bêtes à la garde des champs contre les voleurs et les animaux prédateurs; ainsi on utilise des chiens méchants, mais on ne peut le faire avec le rhinocéros qui n’est pas domesticable, d’où il dit : mettras-tu ta confiance en sa grande force et lui abandonneras-tu tes travaux, à savoir pour garder les produits des champs? Ainsi donc tu ne peux te servir de cet animal très puissant ni comme le bœuf pour le labour, ni comme le chien pour la garde. De même encore, tu ne peux t’en servir comme d’un fort agriculteur pour recueillir les fruits de la terre, d’où ce qu’il dit : te fieras-tu à lui qu’il te rende les semailles et les rentre dans ton aire, c’est-à-dire comme le fait l’ouvrier qui sème la semence reçue de son maître et, multipliée la lui rend en rassemblant la moisson sur l’aire et après le battage l’engrange pour son maître.

Ceci dit où l’on a fait la différence entre les animaux domestiques et sauvages, il dit des particularités de certains animaux où l’on voit qu’ils diffèrent des autres animaux. Et cela apparaît principalement chez l’autruche qui est un oiseau s’approchant du genre des bêtes non ailées; bien qu’elle ait des plumes à la manière des animaux qui volent, cependant elle ne peut par elles s’élever en hauteur, d’où il dit : le plumage de l’autruche ressemble aux plumes de la cigogne, à savoir le très beau faucon qu’on appelle le faucon pèlerin et du faucon qui est un oiseau connu : et tous deux sont de bons planeurs. Une autre particularité de l’autruche qui la distingue des autres oiseaux est qu’elle ne couve pas ses œufs, mais elle creuse le sable, les y met et les recouvre de terre, d’où il dit : elle abandon ne ses œufs à la terre. Elle a cet instinct naturel d’observer le temps chaud par l’apparition des étoiles qu’on nomme Virgiles, c’est-à-dire au mois de juillet; et alors elle pond ses œufs et ainsi grâce à la chaleur de la saison et du sol - car elle n’habite que les régions chaudes - les œufs éclosent et donnent des petits, de là ce qu’il dit : peut- être les chaufferais-tu dans la poussière? Comme pour dire “Non”; mais c’est la divine providence qui les garde, sans dommage, dans la poussière. En effet l’autruche est un animal naturellement oublieux et qui n’a aucun souci de conserver ses œufs, d’où on nous dit : elle oublie que le pied c’est-à-dire du passant, les piétinera ou que la bête des champs les brisera, soit par hasard soit par appétit. Et de même qu’el le n’a pas soin de ses œufs, ainsi aussi ne s’occupe-t-elle pas de nourrir ses petits, d’où ce qu’il dit : elle est dure pour ses petits comme s’ils n’étaient pas, c’est-à-dire qu’elle perd le fruit de sa génération, autant qu’il est en elle; d’où il dit : en vain elle a peiné c’est-à-dire en concevant et en portant son fruit parce qu’elle ne nourrit pas ses petits. Il arrive parfois que d’autres animaux abandonnent leurs petits par peur, mais l’autruche le fait sans qu’aucune crainte l’y force. Elle le fait par manque d’instinct naturel que d’autres animaux ont pour cela, d’où il dit : Dieu l’a privée de sagesse, à savoir la femelle de l’autruche, pour nourrir régulièrement et s’occuper de ses petits; ni ne lui donna l’intelligence par laquelle elle aurait soin de ses petits; sagesse et intelligence s’entendent de l’instinct naturel. Et comme plus haut il a dit : qu’elle a des ailes comme celles de la cigogne et du faucon, il montre ensuite à quoi ces ailes peuvent servir en disant : quand le moment se présente c’est-à-dire quand la nécessité s’impose de se déplacer rapidement, elle lève ses ailes, sans cependant qu’elles soulèvent son corps mais elles l’aident à courir rapidement, d’où il dit : elle se moque de la monture c’est-à-dire qu’elle court plus rapidement que le cheval qu’un homme monte et de son cavalier c’est-à-dire qu’elle irait plus vite qu’un coureur à pied.

De même que l’autruche a ses particularités différentes d’autres animaux et par lesquelles elle leur est inférieure, ainsi le cheval en a de nobles et qui le distinguent des autres animaux. D’abord il note sa force quand il dit : fourniras-tu la force au cheval, c’est-à-dire non seulement corporelle pour porter des fardeaux, mais son courage qui lui fait affronter les dangers? Il note encore une autre particularité c’est-à-dire que par son élégance il provoque la passion; on dit en effet que l’ornement de sa crinière en l’agitant, attire l’autre sexe et, "leurs crinières tondues, la passion s’éteint; et pour désigner cela il dit : entoureras-tu son col d’un hennissement? En effet sous le coup de la passion les chevaux hennissent, comme s’exprime Jérémie : "Ils sont gras et beaux étalons ces émissaires, chacun hennit vers la femme de son prochain" (5, 8). Donc Dieu entoure le col d’un hennissement en leur donnant une crinière dont l’aspect excite la passion. Une autre particularité du cheval est son saut puissant, contrairement aux autres quadrupèdes, d’où il dit : le soulèveras-tu c’est-à-dire l’élevant du sol, comme des sauterelles qui se meuvent en sautant?

Une autre particularité du cheval est son audace dans les combats, qu’il décrit abondamment car elle est noble et admirable. Et d’abord il la manifeste quand déjà de loin par l’odorat il perçoit la guerre, d’où ce qui suit la gloire de ses naseaux est terreur, à savoir la guerre qui cause la terreur et que les naseaux du cheval perçoivent lui est une gloire, à savoir pour faire montre d’une sorte de grandeur d’âme; et le signe apparaît aussitôt en ce qui est dit : de ses sabots il creuse le sol en quelque sorte prêt à la lutte. Il se réjouit intérieure ment de sentir la guerre proche, d’où il dit : il exulte, parce qu’il a perçu l’occasion de se battre et il le montre par le résultat quand on dit qu’audacieusement il va vers les guerriers. Et au fort du combat la terreur ne l’abat aucunement, il méprise la peur; et ce qui plus est, même la douleur des blessures ne le fait pas reculer il ne cède pas devant le glaive. Or beaucoup d’animaux d’habitude s’effraient au moindre bruit, ce qui n’arrive pas au cheval, et donc il dit : au-dessus de lui sonne le carquois, c’est-à-dire rempli de flèches et qui est agité par le mouvement de son cavalier; semblablement la lance et le bouclier du soldat produisent du bruit, d’où il dit : vibrent la lance et le bouclier c’est-à-dire qu’ils font du bruit : la lance quand on la brandit, le bouclier se heurtant aux armes; mais le cheval ne s’effraie pas de ces bruits; d’où il dit : bouillant, à savoir intérieurement par audace et frémissant à savoir en hennissant; ce frémisse ment qui est propre au lion exprime l’audace du cheval; et non seule ment la voix exprime son ardeur intérieure mais aussi son action, d’où il dit : il aspire la terre, à savoir qu’il semble l’aspirer en la fouillant de ses sabots. Et non seulement le bruit du carquois, de la lance et du bouclier ne l’effraie pas, mais aussi le son de la trompette dont on use à la guerre, d’où il dit : il ne prend pas garde au son de la trompette. Bien plus il se réjouit du son du clairon, dès qu’il entend le clairon il dit : Vas-y! à savoir il émet comme une voix enthousiaste, car “vas-y” est une interjection d’enthousiasme. Ce qui vient d’être dit concerne son audace; il y ajoute sa perspicacité en disant : de loin il renifle la guerre à savoir, quand l’ennemi est encore loin, par l'odorat il sait l’imminence du combat, comme s’il sentait qu’on prépare le combat, tandis que les chefs par leurs encouragements excitent les soldats, d’où ce qu’il dit : l’encouragement des chefs il le perçoit, et le hurlement à savoir la clameur confuse et le tumulte de l’armée qui se prépare au combat.

Après ce qui est dit des animaux qui foulent le sol il en vient à ceux qui volent dans les airs; et d’abord il évoque l’instinct naturel de l’épervier qui au temps de la mue étend ses ailes vers le midi, et le vent chaud de l’Auster dilate les pores de sorte que les plumes tombent et que de nouvelles naissent, d’où il dit : est-ce par ta sagesse que mue l’épervier, c’est-à-dire quand ses plumes se renouvellent, étendant ses ailes vers l’Auster pour muer plus facilement? En dernier lieu il traite de l’aigle qui vole plus haut que les autres oiseaux, d’où il dit : est-ce sur ton ordre que s’élève l’aigle? C’est-à-dire comme au mien. L’aigle fait ainsi par instinct naturel; or tout le cours naturel des choses est une motion de la créature sur l’ordre de Dieu, selon le Psaume " Le feu, la grêle, la neige, la glace, le souffle des tempêtes qui exécutent son ordre" (, 3). Et de même que l’aigle monte vers les hauteurs ainsi aussi il se plaît dans ces hauteurs, ce qui est sa noblesse naturel le; et donc il dit : et il pose son nid dans les lieux arides afin que ses petits apprennent à vivre dans les hauteurs, et donc il dit : il demeure dans les rochers, jouissant en quelque sorte de l’air pur, car dans les endroits rocheux, il y a peu d’évaporation; et il s'attarde dans les rocs escarpés où les animaux nuisibles n’ont pas accès; et dans des défilés inaccessibles aux hommes, ainsi il pourvoit à sa sécurité. Or l’aigle a une vue très perçante de sorte que de loin il peut apercevoir sa nourriture, et il dit : de là, à savoir de ces hauteurs, il contemple la nourriture tant proche qu’éloignée, d’où il dit : et ses yeux prospectent dans le lointain. L’aigle est puissant chasseur, comme le lion parmi les quadrupèdes, et pour désigner cela il introduit ses petits lèchent le sang c’est-à-dire celui des animaux vivants que l’aigle apporte au nid. L’aigle se nourrit non seulement d’animaux vivants comme c’est le cas pour les faucons et les éperviers, mais aussi de cadavres d’animaux morts, d’où il dit : où que puisse être un cadavre, aussitôt il y est, par quoi on indique la rapidité de son vol.

Tout ce qui précède nous montre la grandeur de la sagesse et du pouvoir divin qui produit de si admirables effets; on nous fait comprendre par là que Job après avoir entendu tant de merveilles au sujet de ces effets divins s’est tu plein d’admiration; mais le Seigneur l’oblige à considérer que l’homme n’est pas apte à discuter avec Dieu, d’où il dit : le Seigneur ajouta, c’est-à-dire en plus des paroles précédentes; et il parla à Job c’est-à-dire qui se tait : est-ce que celui qui conteste avec Dieu à savoir qui s’offre à discuter avec lui, si facilement se calme, en quelque sorte vaincu, comme toi qui te tais? Mais celui qui en remontre à Dieu comme s’il voulait discuter ses desseins doit aussi lui répondre : il est juste en effet que celui qui provoque à la discussion soit prêt aussi à la réponse. Bien que convaincu, mais pour ne pas paraître persévérer obstinément dans son idée, Job laisse échapper d’humbles paroles, d’où ce qui suit or Job répondant au Seigneur dit : moi qui ai parlé à la légère que puis-je répondre? Il faut ici remarquer que devant Dieu et sa conscience Job ne s’accuse pas de mauvaise foi en ses paroles ou d’orgueil en son intention, car il avait parlé avec pureté de cœur mais de légèreté de langage; c’est-à-dire que même s’il n’avait pas parlé avec orgueil intérieur, cependant ses paroles frisaient l’arrogance, d’où ses amis avaient pris occasion de se scandaliser. Car il faut éviter non seulement le mal mais aussi l’apparence, selon l’Apôtre aux Thessaloniciens "Abstenez-vous de toute apparence de mal " (1, 5, 22) et donc il dit : je poserai la main sur ma bouche, c’est-à-dire pour ne plus jamais laisser échapper de semblables paroles. Et de ce que j’ai dit je m’en repens, d’où ce qu’il dit : une chose je l’ai exprimée, que plût au ciel je n’eusse pas dite c’est-à-dire d’avoir voulu discuter avec Dieu, et une autre c’est-à-dire que j’ai mis ma justice au- dessus des jugements divins; la troisième chose qu’Eliud lui reprochait était d’avoir dit : que le jugement de Dieu est injuste, il ne la reconnaît pas; car cela ne serait plus légèreté de parole mais un blasphème. Ainsi il se repent de choses dites à la légère pour s’en corriger, d’où il dit : auxquelles je n’ajouterai rien c’est-à-dire pour proférer encore des paroles légères.

Remarquons que ce langage de Dieu à Job n’est pas un son extérieur mais une inspiration intérieure. Job en ce livre a eu trois attitudes : d’abord sa sensibilité dans sa première plainte lorsqu’il a dit : "Périsse le jour où je suis né, la nuit où l’on a dit : un garçon vient de naître" ensuite la délibération de l’humaine raison, tandis qu’il disputait contre ses amis; enfin selon l’inspiration divine lorsqu’il s’exprime au nom de la personne du Seigneur; et parce que la raison humaine doit se laisser guider selon l’inspiration divine, après les paroles du Seigneur, il réprouve les paroles qu’il avait exprimées selon l’humaine raison.

 

 

Caput 40

Job 40 — L'empire de Dieu sur les puissances du mal

 

CONFÉRENCE 1 — Yahvé : "Qui es-tu, Job?"(Job 40, 1-9)

 

1 Yahvé s'adressant à Job, dit : 2 Le censeur du Tout-Puissant veut-il encore plaider contre lui? Celui qui dispute avec Dieu peut-il répondre? 3 Job répondit à Yahvé, en disant : 4 Chétif que je suis, que te répondrai-je? Je mets la main sur ma bouche. 5 J'ai parlé une fois, je ne répliquerai pas; deux fois, je n'ajouterai rien. Deuxième discours de Dieu : 6 Yahvé parla encore à Job du sein de la tempête et dit : 7 Ceins tes reins, comme un homme; Je vais t'interroger, et tu m'instruiras. 8 Veux-tu donc anéantir ma justice, me condamner afin d'avoir droit? 9 As-tu un bras comme celui de Dieu, et tonnes-tu de la voix comme lui?

1 Du milieu de la tempête Dieu répondant à Job, dit : 2 Comme un homme, ceins-toi les reins; je t'interrogerai et indique-moi. 3 Ferais-tu échec à mon verdict, et me condamneras-tu pour te justifier? 4 Si tu as un bras comme Dieu et si tu tonnes d’une même voix? 5 Entoure-toi de beauté et élève-toi très haut et sois glorieux et revêts-toi d’habits précieux. 6 Disperse les superbes dans ta fureur; et toisant toute arrogance, humilie-la. 7 Toise tous les superbes et confonds-les; et écrase les impies chez eux. 8 Tu les cacheras ensemble dans la poussière; et plonge leurs faces dans la fosse, 9 Et j’avouerai que ta main peut te sauver.

[84938] Super Iob, cap. 40 Respondens autem dominus Iob de turbine et cetera. In praecedentibus dominus per commemorationem mirabilium quae apparent in eius effectibus demonstravit suam sapientiam et virtutem, ut ex hoc manifestum sit quod nullus homo nec sapientia nec potestate potest cum Deo contendere; nunc autem ulterius procedit ad arguendum Iob de hoc quod suam iustitiam commemoraverat, quod aliquibus sonare videbatur in derogationem divini iudicii. Praemittitur etiam modus divinae locutionis cum dicitur respondens autem dominus Iob de turbine dixit, et excitatio attentionis cum subditur accinge sicut vir lumbos tuos, et petitio responsionis cum subditur interrogabo te et indica mihi: quae quia supra exposita sunt, hic iterare non oportet expositionem eorum. Est autem considerandum quod Iob suam iustitiam commemorando non intendebat imponere iniquitatem divino iudicio, sicut tres amici eius et Eliud perverse intelligebant, sed intendebat ostendere quod non erat punitus in ultionem peccatorum sicut ei imponebant, sed ad probationem sicut supra XXIII 10 dixerat probabit me quasi aurum quod per ignem transit; verum tamen hoc ipsum reprehensibile videbatur, quod sic suam iustitiam commendabat quod aliis videbatur hoc redundare in derogationem divinae iustitiae, unde subdit numquid irritum facies iudicium meum? Quasi dicat: numquid hoc tibi videtur ut commendando tuam iustitiam facias ab hominibus reputari irritum, idest falsum, esse meum iudicium? Falsitas autem iudicii est condemnatio iudicantis qui iniquum iudicium profert vel ex ignorantia vel ex malitia, unde subdit et condemnabis me ut iustificeris? Quasi dicat: numquid intantum vis te ostendere iustum quod ego apud alios condemnabilis videar? Est autem notandum quod si fuerint duo aequales, si oporteat alteri culpam imponi, non est reprehensibile si alter eorum a culpa imposita se expurget quamvis alter culpabilis in aliorum opinione remaneat, quia homo plus se quam alium naturaliter diligit; sed ubi est tanta distantia quanta est Dei et hominis, potius homo debet pati culpam iniuste in se referri quam quod iniuste referatur in Deum: et ideo dominus ad arguendum Iob proponit excellentiam Dei super homines, quae quidem excellentia ex eius effectibus manifestatur. Sed quia nunc agitur de comparatione iustitiae quae proprie non attenditur respectu irrationabilium rerum, ideo ad ostendendum divinam excellentiam accipit effectus quos Deus operatur in rationabilibus creaturis, qui quidem effectus secundum duo considerari possunt: uno modo secundum virtutis suae operationem, et quantum ad hoc dicit si habes brachium sicut Deus: per brachium enim potentia divinae virtutis exprimitur, quo quidem brachio utitur et ad sustentationem bonorum, secundum illud Is. XL 11 in brachio suo congregabit agnos, et ad punitionem malorum, secundum illud Luc. I 51 fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente cordis sui. Alio modo operatur Deus in rationabilibus creaturis per suae sapientiae doctrinam, quam propter eius excellentiam tonitruum nominat, et quantum ad hoc subdit et si voce simili tonas: hoc autem tonitruo utitur Deus ad instructionem bonorum, secundum illud supra XXVI 14 cum vix parvam stillam sermonum eius audierimus, quis poterit tonitruum magnitudinis eius intueri? Et ad terribilem increpationem malorum, secundum illud Psalmi vox tonitrui tui in rota, et postea sequitur commota est et contremuit terra. Ex huiusmodi autem effectibus excellentiam divinam demonstrat quantum ad tria: primo quidem quantum ad decorem cum dicit circumda tibi decorem, quasi dicat: si tam potens es in effectibus sicut Deus, attribuas tibi eius decorem, unde signanter dicit circumda tibi: Deus enim non habet circumdatum decorem quasi superadditum eius essentiae sed ipsa essentia eius est decor, per quem intelligitur ipsa claritas sive veritas, et puritas sive simplicitas, et perfectio essentiae eius; sed homo non potest habere decorem nisi circumdatum, quasi participando ipsum a Deo ut superadditum suae essentiae. Secundo tangit divinam altitudinem cum subdit et in sublime erigere: attenditur autem divina sublimitas non loco quia Deus loco non comprehenditur, sed perfectione et virtute quia quicquid de eo dicitur convenit ei in summo; huiusmodi autem sublimitas Deo essentialiter convenit, unde ad eam non erigitur sed in ea immobiliter manet; homo autem secundum suam naturam est infimae condicionis, unde ad illam sublimitatem divinam pervenire non posset nisi se supra se sublevando, et ideo signanter dicit in sublime erigere. Tertio tangit eius gloriam cum subdit et esto gloriosus: gloria quidem importat notitiam de bonitate alicuius, unde Ambrosius dicit quod gloria est clara cum laude notitia; bonitas autem Dei infinita est, cuius notitia perfecta non est nisi apud Deum, et ideo gloria in solo Deo est inquantum se ipsum cognoscit, ad quam gloriam homo pervenire non potest nisi participando cognitionem divinam, secundum illud Ier. IX 24 in hoc glorietur qui gloriatur, scire et nosse me, et ideo signanter dicit esto gloriosus, quia homo essentialiter hanc gloriam non habet. His igitur positis quae pertinent ad excellentiam divinae potestatis et naturae, procedit ulterius ad commemorandum divinos effectus in rationabilibus creaturis et quantum ad bonos et quantum ad malos; sed sciendum est quod effectus quos Deus operatur in sublimationem iustorum magis attribuuntur misericordiae, quos autem operatur in punitionem malorum proprie attribuuntur iustitiae: et ideo quia nunc agitur de iustitia, primo breviter tangit effectum divinae operationis quantum ad bonos cum dicit et speciosis induere vestibus. Omnes enim boni tam Angeli quam homines speciosi sunt ex participatione divinae sapientiae et iustitiae, et sicut homo ornatur ex specioso vestimento, ita omnis decor sanctorum Angelorum et hominum redundat in ornatum Dei inquantum ex hoc Dei bonitas commendatur, per modum quo dicitur Is. XLIX 18 his omnibus velut ornamento vestieris. Est autem considerandum quod hoc ad misericordiam Dei pertinet quod sanctos suos faciat speciosos, sed quod eorum decore utatur ad suam gloriam ad iustitiam pertinet de qua nunc loquitur, et ideo non dicit speciosas fac vestes sed speciosis induere vestibus. Deinde diffusius ostendit effectus divinae iustitiae quos exercet in malos, et primo hoc prosequitur quantum ad homines. Sciendum est autem quod omnis malitia hominum a superbia initium habet, secundum illud Eccli. X 15 initium omnis peccati superbia; inter cuncta etiam vitia Deus maxime superbiam detestatur, unde dicitur Iac. IV 6 quod Deus superbis resistit, et hoc ideo quia superbi quasi Deo rebellant dum ei humiliter subdi non volunt, et ex hoc in omnia peccata incidunt divinis praeceptis contemptis - unde et terreni principes maxime detestantur rebelles -, et ideo dominus specialiter commemorat effectum suae potentiae quem contra superbos exercet. Est autem duplex genus superborum: quidam enim ex bonis quae habent se super alios efferunt, sicut ille qui dicebat Luc. XVIII 11 non sum sicut ceteri hominum, et hi proprie superbi dicuntur, ut ipsum nomen sonat; est autem propria superborum poena discordia, quia dum quilibet alii superesse nititur et subici recusat, ad invicem concordare non possunt, unde dicitur Prov. XIII 10 inter superbos semper iurgia sunt, et ad hoc designandum dicit disperge superbos in furore tuo, quasi dicat: exerce officium Dei quod est dispergere superbos ut in unum convenire non possint; per furorem autem Dei intelligitur gravis vindicta. Aliud autem genus superborum est qui sibi arrogant id quod supra ipsos est, et hi proprie arrogantes dicuntur, unde dicitur Ier. XLVIII 29 arrogantiam et altitudinem cordis illius ego scio, ait dominus, et quod non sit iuxta eam virtus eius; horum autem poena propria est deiectio: cum enim volunt se erigere supra posse, consequens est quod periculose corruant, secundum illud Psalmi deiecisti eos dum allevarentur, unde subdit et respiciens omnem arrogantem humilia, idest deicias ex prospectu tuae providentiae. Communis autem utrorumque prima poena est confusio, quia cum non possint consequi altitudinem quam praetendebant, confunduntur apparente defectu eorum, unde subdit respice cunctos superbos et confunde eos, unde et supra XX 6 dictum est si ascenderit usque in caelum superbia eius, quasi sterquilinium in fine perdetur. Secunda autem poena eorum est eorum destructio, quam designat subdens et contere impios in loco suo. Superbos impios nominat quia, sicut Eccli. X 14 dicitur, initium superbiae hominis est apostatare a Deo, quod repugnat divino cultui qui pertinet ad pietatem; conveniens autem poena est superborum quod conterantur: quod enim conteritur, quadam violentia fortioris corporis in minimas partes resolvitur; iustum est autem ut superbi qui se inordinate magnos existimant, fortiori virtute, scilicet divina, ad minimum deducantur. Signanter etiam addit in loco suo, ut ostendatur quod id in quo confidunt eos liberare non potest: unumquodque enim in suo loco conservatur, unde multitudo divitiarum vel status dignitatis, vel si quid aliud huiusmodi est in quo homo confidat, locus eius dici potest; quibus non obstantibus superbus a Deo conteritur, ut quasi in loco suo contritus videatur. Tertia poena est quod postquam sunt ad minimum redacti claritas famae eorum cessat: iustum est enim ut qui gloriae pompam quaerebant ab hominum memoriis deleantur, secundum illud Prov. nomen impiorum putrescet, unde sequitur abscondes eos in pulvere, idest facies eos obscuros propter statum vilitatis ad quem deducentur. Quod autem addit simul potest ad duo referri, videlicet ad hoc quod omnes superbi simul talem finem patiuntur, et ad hoc quod non successive superbi depereunt sed simul, idest subito, deiciuntur. Quarta autem poena eorum est ut non solum ipsi ab aliis non cognoscantur sed etiam bona de quibus superbierunt agnoscere non sinantur, unde subdit et facies eorum, per quas scilicet virtutes eorum cognoscitivae significantur eo quod visus hominis in facie ponitur, demerge in foveam, idest in profundum Inferni; et loquitur de damnatione mortis secundae per similitudinem mortis primae, per quam homines in corporalem pulverem reducuntur in foveam demersi. Haec autem dominus praemiserat quasi propria sua opera; eius autem proprium est ut non egeat alieno auxilio, quod homini convenire non potest sicut nec potest praedicta opera exercere, unde subdit et ego confitebor quod salvare te possit dextera tua, quasi dicat: si praedicta opera facere potes quae sunt Dei solius, potes tibi rationabiliter attribuere quod divino auxilio non egeas ad salutem; sed sicut illud non potes, ita nec hoc; unde non debes de tua iustitia gloriari. Ecce Vehemot quem feci tecum et cetera. Supra dominus narraverat effectus virtutis suae quos in malis hominibus operatur, nunc autem accedit ad describendum malitiam Diaboli. Manifestum est autem ex praemissis quod apud Iob et amicos eius eadem erat opinio de Daemonibus quam nunc Ecclesia Catholica tenet, ut scilicet ex angelica dignitate per peccatum corruerint, unde supra IV 18 dictum est ecce qui serviunt ei non sunt stabiles. Et sicut homo per peccatum decidit a dignitate rationis et contra rationem agens irrationabilibus comparatur, ita etiam Diabolus per peccatum avertens se a supremis et intelligibilibus bonis, dum principatum super inferiora et terrena appetiit, animalibus brutis comparatur, in quorum effigie frequenter Daemones apparent hominibus, Deo id providente ut tales figuras corporum sinantur assumere per quas eorum condicio designetur. Est autem considerandum quod sicut Angeli in sua dignitate remanentes excellentiam quandam habent supra hominum dignitatem, unde et in fulgentiori quadam claritate apparent hominibus, ita etiam Daemones excellentiam quandam et principatum in malitia supra homines habent, et ideo sub figura quorundam excellentium et quasi monstruosorum animalium describuntur. Inter omnia autem animalia terrestria excellit elephas magnitudine et virtute, inter animalia vero aquatica excellit cetus: et ideo dominus describit Diabolum sub figura elephantis et ceti, ut hoc nomen Vehemot, quod significat animal, referatur ad elephantem qui inter cetera animalia terrestria, quae communius animalia dicuntur, quendam principatum tenet propter corporis magnitudinem; nomen autem Leviathan, quod significat additamentum eorum, referatur ad cete grandia quae habent magnitudinis additamentum supra omne animalium genus. Posset autem forte alicui videri quod dominus ad litteram intenderet exprimere proprietates elephantis et ceti propter magnitudinem qua reliqua animalia superant; sed quod proprietates horum animalium in figuram alterius describantur manifestum est ex hoc quod, proprietatibus positis ad figuram pertinentibus, subditur veritas. Nam praemissis proprietatibus Vehemot, idest elephantis, quasi exponendo veritatem subdit ipse est principium viarum Dei; praemissis autem proprietatibus Leviathan, idest ceti, subdit ipse est rex super universos filios superbiae. Et satis convenienter in descriptione Diaboli terminatur disputatio Iob, quae est de adversitate ipsius, quia etiam supra commemoratur Satan fuisse principium adversitatis ipsius; et sic dum amici Iob causam adversitatis eius ad ipsum Iob referre niterentur putantes eum propter sua peccata fuisse punitum, dominus, postquam Iob redarguerat de inordinata locutione, quasi finalem determinationem disputationi adhibens, agit de malitia Satan quae fuit principium adversitatis Iob et est principium damnationis humanae, secundum illud Sap. I invidia Diaboli mors introivit in orbem terrarum. Primo ergo incipiens describere Satan sub figura Vehemot, assignat convenientiam eius ad hominem dicens ecce Vehemot quem feci tecum. Et si quidem hoc referatur ad tempus inchoationis utriusque quantum ad figuram, veritas apparet: nam sexto die simul cum homine terrena animalia sunt producta; si referatur ad Diabolum, de quo figuraliter sive metaphorice haec dicuntur, non videtur simul Diabolus factus cum homine: nam homo factus legitur die sexto, Satan autem inter Angelos factus creditur in principio quo creavit Deus caelum et terram. Sed si illa dierum enumeratio non designat temporis successionem sed diversa genera rerum productarum, secundum sententiam Augustini, nulla repugnantia invenitur; si autem, secundum aliorum expositionem, Angelorum creatio duratione praecessit hominis productionem, potest dupliciter hoc verbum intelligi: uno modo ut sit sensus quem feci tecum idest quem feci sicut et te, et hoc dicit ad excludendum errorem eorum qui considerantes malitiam Diaboli aestimaverunt eum non esse Dei boni creaturam; alio modo ut sit sensus quem feci tecum idest similitudinem tecum habentem quantum ad naturam intellectualem. Et huius etiam similitudinis aliquod vestigium in elephante apparet: dicit enim Aristotiles in VIII de animalibus quod maxime domesticabile silvestrium est elephas: ad multa enim eruditur et intelligit quoniam et adorare reges docentur, quod non dicitur quia habeat intellectum sed propter bonitatem naturalis aestimativae. Descripta igitur convenientia Vehemot cum homine, describit proprietates ipsius, et ut hoc primo ad figuram referamus, tria videtur circa Vehemot describere: primo quidem cibum ipsius cum dicit fenum quasi bos comedet: ad litteram enim non est animal comedens carnes sed herbas et alia huiusmodi ad modum bovis. Et quia herbae nascuntur in terra, per hoc figuratur quod Satan pascitur, idest delectatur, in terrenorum dominio, unde et iactanter de se dicit Luc. IV 6 mihi tradita sunt, scilicet regna orbis terrae, et cui voluero do illa. Secundo describit coitum eius: in cibo enim et coitu praecipuae delectationes animalium consistunt. Describit autem coitum elephantis primo quidem quantum ad principium libidinis ex qua animalia commoventur ad coitum, cum dicit fortitudo eius in lumbis eius: nam ex lumbis sive ex renibus semen ad membra genitalia derivatur. Secundo describit figuram coitus: nam, sicut philosophus dicit in V animalium, patitur coitum femella elephantis considens, et masculus ascendit, et hoc significat subdens et virtus illius in umbilico ventris eius, qui scilicet umbilicum superponit in coitu dorso femellae; et oportet quod sit in umbilico magna virtus ne frangatur propter collisionem corporum tam magnorum. Animalia autem in quibus talis figura coitus invenitur, dum coeunt caudam inter tibias posteriores stringunt, unde subdit stringit caudam suam quasi cedrum, quod dicitur propter magnitudinem eius. Tertio describit organa coitui deservientia cum subdit nervi testiculorum eius perplexi sunt, idest revolutiones quasdam habent, ut philosophus describit in III animalium de testiculis omnium animalium gressibilium et generantium animal. Haec autem ad Diabolum litteraliter referri non possunt, quasi ipsi Daemones ad modum animalium corporaliter coeant quasi ipso coitu delectati: etsi enim, ut Augustinus dicit in XV de civitate Dei, quidam incubi saepe dicantur extitisse mulieribus improbi et earum appetiisse ac peregisse concubitum, non tamen hoc agunt quasi coitu delectati, sed delectantur ad hoc quod homines ad peccata talia inducunt ad quae maxime sunt proni; unde Augustinus dicit in II de civitate Dei quis non intelligat quantum moliantur maligni spiritus exemplo suo auctoritatem praebere sceleribus? Et propter hoc, ut ipse in eodem libro alibi dicit, huiusmodi spiritus luxuriae obscenitatibus delectantur, quae quidem eorum delectatio metaphorice in verbis praemissis exprimitur. Et quia propter concupiscentiam carnis secundum hoc vitium maxime possunt homines superare, ideo dicit fortitudo eius in lumbis eius, ut hoc referatur ad viros, et virtus illius in umbilico ventris eius, ut hoc referatur ad mulieres; stringit caudam suam quasi cedrum, quia quos in hoc peccatum deicit dulcedine voluptatis finaliter ligatos tenet, nervi testiculorum eius perplexi sunt, quia si aliquis in hoc vitium deiectus evadere nititur, diversis occasionibus iterato irretitur. Tertio describit motum elephantum, de quibus dicitur quod habent inflexibiles pedes, tibias et crura propter pondus corporis sustentandum, et habent ossa solida sine iuncturis; et ad hoc designandum dicit ossa eius velut fistulae aeris, quia flecti non possunt sicut nec fistulae aeris, et hoc refertur ad exteriora organa motus quae sunt tibiae et crura; interiora autem organa motus sunt cartilagines quaedam et nervi, quae etiam in elephantibus non facile flectuntur, et quantum ad hoc subdit cartilago ipsius quasi laminae ferreae, quae scilicet incurvari et extendi non possunt: et per hoc significatur obstinatio Diaboli qui a proposito suae malitiae retrahi non potest, et crudelitas eius per quam ab exteriori hominum nocumento non cessat. Haec autem quae figuraliter dicta sunt exponit dominus subdens ipse, scilicet Satan de quo praedicta metaphorice dicta sunt, est principium viarum Dei, idest operum eius. Et si quidem hoc referatur ad opera creationis, hoc ea ratione dicitur quia Satan inter primas creaturas est conditus, vel etiam quia secundum quosdam fuit excellentior inter ceteras creaturas; sed convenientius proposito videtur ut per vias Dei intelligamus opera providentiae eius. Considerandum est autem quod Deo unum solum opus est proprium suae bonitati conveniens, scilicet benefacere et miserere; quod autem puniat et adversitates inducat, hoc contingit propter malitiam creaturae rationalis, quae primo est in Diabolo inventa et per eius suggestionem est ad homines derivata, et ideo signanter dicit quod ipse est principium viarum Dei, idest quod Deus diversis viis utatur, scilicet benefaciendo et puniendo. Et ne credatur sic esse principium viarum Dei quod per se ipsum sit potens ad nocendum, hoc excludit subdens qui fecit eum, scilicet Deus, applicabit gladium eius, idest noxiam operationem ipsius; voluntas autem nocendi est Diabolo a se ipso, propter quod dicitur gladius eius, sed effectum nocendi non habet nisi ex voluntate vel permissione divina. Et quia dixerat quod fenum sicut bos comedit, ostendit unde fenum accipiat ad edendum, unde subdit huic montes herbas ferunt, per quod intelligitur quod sublimes in hoc saeculo et superbi afferunt Diabolo suae delectationis seu refectionis materiam. Et quomodo hoc sit, ostendit subdens omnes bestiae agri ludent ibi: sicut enim ad litteram in montibus silvestria animalia congregantur ad securitatem et otium, ita sub quadam sublimium virorum protectione homines bestialiter saevientes securi requiescunt, quod significatur Dan. IV 9 ubi dicitur quod subter arborem, per quam significatur regia dignitas, habitabant animalia et bestiae. Deinde describit mansionem ipsius. Ubi considerandum est quod, sicut Aristotiles dicit in V animalium, elephantes in solitudinibus manent et maxime circa fluvios; et quia circa fluvios solent esse arundineta et salices et loca umbrosa, ideo ad designandam elephantis mansionem dicit sub umbra dormit in secreto calami in locis humentibus. Et quia hoc animal non qualemcumque umbram quaerit sed condensam, subdit protegunt umbrae umbram eius, ut scilicet inferior umbra per superiorem umbram contra aestum defendatur; et causam facientem umbram designat subdens circumdant eum salices torrentis, nam salices densiorem umbram faciunt et frigidiorem quam arundines. Inhabitat autem ad litteram hoc animal umbrosa loca, quia est animal melancholicum et siccae complexionis et habitat in terris calidis, unde contra calorem et siccitatem aestus quaerit refrigerium humiditatis et umbrae. Per quod designatur quod gladius Diaboli non solum effectum habet in montibus, idest in superbis, qui ei et ipsi herbas ferunt et bestias agri ludentes sustinent, sed etiam in hominibus qui in otio quasi in umbra vivunt, quam sibi multiplici studio continuare procurant ut sic umbrae protegant umbras, et qui in deliciis quasi in locis humentibus nutriuntur. Propter eandem autem causam propter quam hoc animal humentia et umbrosa loca quaerit, etiam multum de aqua potat, unde Aristotiles dicit in VII de animalibus quod iam quidam elephas bibit aquae metretas Macedonicas quatuordecim pro semel et iterum sero alias octo; et ideo ad describendum magnitudinem potus eius subdit absorbebit fluvium et non mirabitur, quia scilicet consuevit multum bibere, et iterum postquam multum bibit expectat alium multum potum, unde subdit habet fiduciam quod influat Iordanis in os eius, qui scilicet est fluvius notus in terra illa ubi haec dicebantur. Et haec quidem hyperbolice dicuntur secundum quod referuntur ad elephantem; secundum autem quod referuntur ad Diabolum, in cuius figura haec dicuntur, significatur eius praesumptio qua se confidit de facili sibi incorporare per consensum omnes homines instabiles, etiam si habeant aliquam Dei cognitionem; ad quod significandum inducitur specialiter de Iordane, qui est fluvius in terra in qua vera Dei cognitio habebatur: in his enim tribus generibus hominum maxime gladius Diaboli habet effectum, scilicet in superbis, voluptuosis et instabilibus seu curis saeculi deditis, qui possunt per fluvium designari. Aliqui tamen sunt qui a Diabolo non superantur sed potius contra ipsum victoriam obtinent, quod quidem principaliter competit Christo, de quo dicitur Apoc. V 5 ecce vicit leo de tribu Iuda; consequenter autem convenit aliis per gratiam Christi, secundum illud I ad Cor. XV 57 Deo autem gratias, qui dedit nobis victoriam per dominum nostrum Iesum Christum. Et hanc quidem victoriam describit dominus sub similitudine venationis elephantis, dicens in oculis eius quasi hamo capiet eum, scilicet venator, per quem Christus et sui significantur. Dicitur esse unus modus venationis elephantum quod fit fovea subterranea in via elephantis, in quam incidit ignoranter, ad quam veniens unus venator percutit et pungit ipsum; alter autem venatorum veniens percutit primum venatorem et amovet eum ne percutiat elephantem et dat ei comedere hordeum, quod cum ter vel quater fecerit diligit se liberantem et ei deinceps oboediens mansuescit, et sic capiuntur per cibum eis oblatum sicut pisces hamo. Est autem et alius modus venationis elephantum, ut Aristotiles dicit in VIII de animalibus, ubi dicit quod homines venatores domesticos elephantes equitant et persequuntur elephantes silvestres et pungunt eos cum quibusdam instrumentis; et ad hoc potest pertinere quod subditur et in sudibus perforabit nares eius, in quibus scilicet habent carnem magis sensibilem, et ideo magis ibi punguntur a venatoribus. Per hoc autem mystice designatur quod Christus Diabolum superavit, ostendens ei naturam infirmam ut sic quasi hamo ab eo caperetur, et postmodum virtutem suam in eum exercuit, secundum illud Col. II 15 expolians principatus et potestates, traduxit confidenter. An extrahere poteris Leviathan hamo et cetera. Postquam dominus descripsit proprietates Diaboli sub similitudine elephantis qui est maximum animalium terrestrium, describit ipsum sub similitudine Leviathan, idest ceti, quod est maximum animalium marinorum et, sicut Plinius dicit, est magnitudinis quatuor iugerum; et Isidorus dicit quod habent corpora aequalia montibus, ad quod refertur nomen Leviathan quod interpretatur additamentum eorum; et ut Isidorus dicit, hoc animal dicitur balena a balyn, quod est emittere, quia altius ceteris animalibus emittit aquas. Et potest dici quod sicut Diabolus comparatur elephanti, qui vivit in terris, propter effectus manifestos quos operatur in terrenis et corporalibus creaturis, ita comparatur ceto sive balenae in fluctibus maris degenti propter effectus quos operatur in fluctuatione interiorum motuum. Et quia superius victoriam hominis contra Diabolum expresserat sub figura venationis elephantis, ne credatur quod homo sua virtute Diabolum possit superare, hoc incipit excludere sub figura Leviathan. De quo primo ostendit quod non potest superari per modum quo capiuntur pisces, unde dicit an extrahere poteris, scilicet de aquis, Leviathan hamo? Quod quidem fieri non potest duplici ratione: primo quia tantae est magnitudinis quod nulla hominis virtute aut instrumento sursum elevari possit, et ad hoc significandum dixit an extrahere poteris? Secundo quia tantae est fortitudinis quod hamo retineri non possit, et ad hoc significandum subdit et fune ligabis linguam eius? Pisces enim qui capiuntur hamo per funem cui hamus appenditur retinentur. Per quod significatur quod nullus homo potest Diabolum neque a malitia sua extrahere neque etiam eum ligare ut in sua malitia non procedat. Secundo ostendit quod non potest superari ab homine per modum quo quaedam animalia terrestria magna superantur: retinetur enim bubalus ab homine per annulum ferreum qui naribus eius imponitur, per quem homo ducit ipsum quo vult, et ad hoc excludendum subdit numquid pones circulum in naribus eius? Subicit etiam homo sibi equum aut asinum vel camelum imponendo frenum vel camum in ore eius, et ad hoc excludendum subdit aut armilla perforabis maxillas eius? Praedictorum enim animalium quasi perforantur maxillae armilla, idest ferro, quod ponitur in ore ipsorum: sicut autem circulo naribus imposito ducitur bubalus, ita etiam freno vel camo maxillis equi imposito regitur gressus equi ut hominem convenienter ferat. Per hoc ergo datur intelligi quod nullus potest Diabolum ducere quo vult nec eum dirigere ut suae voluntati deserviat. Tertio ostendit quod Leviathan superari non potest per modum quo homo subicitur homini, quod quidem fit dupliciter: uno modo per simplex verbum, puta cum aliquis intantum alteri humiliatur quod eum rogat, et hoc tangit cum dicit numquid multiplicabit ad te preces? Vel etiam cum addit blanditiarum verba, et ad hoc pertinet quod subditur aut loquetur tibi mollia? Idest blanda verba ad te placandum, secundum illud Prov. XV 1 responsio mollis frangit iram. Alio modo accedente aliqua obligatione, quae fit vel per aliquod particulare pactum, ad quod pertinet quod dicit numquid feriet tecum pactum? Vel per servitutem perpetuam, ad quod pertinet quod dicit et accipies eum servum sempiternum? Et ista quatuor quandoque per ordinem se habent: nam quandoque aliquis primo quidem propter timorem preces porrigit victori, secundo blanditur, tertio ad pactum suscipitur, quarto per pactum servituti perpetuo subiugatur. Per quae omnia datur intelligi quod Diabolus non timet hominem ut ei quasi superiori aut fortiori preces ex timore aut blanditias aut pactum aut servitutem exhibeat; et si huiusmodi simulet facit ad hominum deceptiones, ut potius eos sibi subiciat quam eis subiciatur. Quarto ostendit quod non potest superari per modum quo aves ab homine superantur, circa quas considerandum est quod aves primo quidem aliqua deceptione capiuntur per retia vel viscum vel aliquid huiusmodi, et hoc excludens subdit numquid illudes ei sicut avi, ut scilicet decipiendo ipsum in tuam redigas potestatem? Secundo postquam iam captae fuerint ligantur ne avolare possint, et exhibentur pueris et ancillis ad ludum, et hoc significatur cum subditur aut ligabis eum ancillis tuis? Per quae datur intelligi quod homo non potest sua industria decipiendo Diabolum superare, nec eum aliis despiciendum exponere. Sic igitur ostenso quod non potest subici per modum quo alia animalia subiciuntur, ostendit consequenter quod homo non potest uti eo, etiam si subiceretur, per modum quo utitur aliis animalibus magnis quando sunt in potestate hominis redacta. Et primo hoc ostendit assumens modum quo homines utuntur animalibus terrestribus captis, puta cervis et apris et aliis huiusmodi, quorum carnes dividuntur dupliciter: uno modo gratis distribuendo amicis, et hoc excludit subdens concident illum amici? Ut hoc interrogative legatur; alio modo vendendo diversis, et quantum ad hoc subdit divident illum negotiatores? Quasi dicat non: tanta est enim huiusmodi animalis magnitudo quod si quandoque capiatur toti regioni sufficiat, unde nec particulariter dividitur inter amicos nec venditur in macello ad modum aliorum animalium. Per quod designatur quod homo non potest auxilium Daemonis vel alteri gratis communicare vel etiam vendere. Secundo ostendit quod non potest homo uti Leviathan ad modum quo utitur piscibus captis, quorum maioribus piscatores implent magnas sagenas, et quantum ad hoc dicit numquid implebis sagenas pelle eius? Et forte signanter dicit pelle ad exprimendum modum quo maximi ceti capiuntur, qui longissimis culmis quos habent quando dormiunt in rupibus pendunt ad saxa, ut dicitur, et tunc piscator appropinquans quantum potest de pelle solvit a lardo iuxta caudam: est enim animal valde pingue, ita quod propter pinguedinem talem incisuram non sentit; et sic immissis funibus quos ligat ad saxa vel arbores, excitat cetum lapidibus fundae, qui volens recedere pellem dimittit. Minoribus autem piscibus implent quaedam alia minora instrumenta, et quantum ad hoc subdit et gurgustium piscium capite illius? Dicitur enim gurgustium quoddam instrumentum de viminibus factum quod piscatores in gurgite ponunt ad capiendum pisces; est autem tanta magnitudo ceti quod nec totus nec etiam una pars eius, puta caput, potest in gurgustio quantumcumque magno contineri: dicitur enim habere tam magnum caput quod ab ipso quadraginta lagenae sagiminis effluant. Et hoc ponitur ad figuraliter ostendendum quod Diabolus virtute humana includi non potest, sicut quidam nigromantici se eum posse includere opinantur, sed hoc totum provenit ex eius astutia qua utitur ad homines decipiendos; et si quis recte consideret, omnia praemissa videntur pertinere ad praesumptionem nigromanticorum confutandam, qui nituntur cum Daemonibus pactum inire aut eos sibi subicere vel qualitercumque constringere. Ostenso ergo quod homo non potest ullo modo sua virtute Diabolum superare, quasi ex omnibus praemissis concludit subdens pone manum tuam super eum, subaudi si potes, quasi dicat: nullo modo tua virtute potes manum tuam ponere super eum ut eum tibi subicias. Sed quamvis non possit ab homine superari, superatur tamen virtute divina, unde subdit memento belli, quo scilicet ego contra eum pugno, nec ultra addas loqui, scilicet contra me, dum scilicet vides eum mea virtute superari quem tua virtute superare non potes. Et de superatione qua superatur a Deo subditur ecce spes eius frustrabitur eum, quod quidem si referatur ad cetum manifestum est: dum enim cetus persequitur pisces sperans eorum capturam, impingit ad aliquod litus unde propter parvitatem aquae se eruere non potest, frustratus spe sua quam habebat de piscium captura, et sic super aquam apparens praecipitatur in mortem, et hoc est quod subditur et videntibus cunctis praecipitabitur, quia undique homines eum videntes concurrunt ad eum occidendum. Per quod significatur quod spes Diaboli quam habet de subversione sanctorum frustrabitur, et ipse cum omnibus suis sequacibus, sanctis videntibus, in die iudicii praecipitabitur in Infernum.

Rappelant dans ce qui précède les merveilles qu’il produit, le Seigneur y avait montré sa sagesse et son pouvoir, pour qu’il soit manifeste qu’aucun homme ne peut en sagesse et en puissance contes ter avec lui. Ici il va plus loin et reproche à Job d’avoir invoqué sa propre justice; ce qui pour certains portait atteinte au jugement divin.

 Il met en avant aussi la manière du langage divin lorsqu’il nous dit : du milieu de la tempête le Seigneur répondant à Job dit; et il excite son attention lorsqu’il dit : comme un homme, ceins-toi les reins; et il demande une réponse lorsqu’il dit : je t’interrogerai et indique moi. Ces choses ont été exposées plus haut et on n’y reviendra pas. (XXXVIII, 1-2).

Il faut considérer que Job en invoquant sa justice n’entendait pas imposer une injustice au verdict divin, comme ses trois amis et Eliud le supposaient à tort; mais il voulait montrer que ce n’était pas pour ses péchés qu’il était puni, comme eux le lui reprochaient, mais pour sa probation, comme il l’a dit plus haut; "Il m’éprouve comme l’or par le feu". Toutefois cela même était répréhensible qu’il invoquât ainsi sa justice de sorte que les autres y voyaient une dérogation à la justice divine, d’où il dit : ferais-tu échec à mon verdict? Comme s’il disait : est-ce qu’en invoquant ta justice, tu feras que l’on tienne mon verdict nul c’est-à-dire faux? Or la fausseté d’un jugement est la condamnation du juge qui porte un jugement injuste, soit par ignorance soit par malice, d’où il dit : et me condamneras-tu pour te justifier? Il veut dire : veux-tu donc te montrer tellement juste que je sois condamné auprès des autres?

Or il faut remarquer ici qu’étant supposés deux égaux, s’il faut imposer une faute à l’un il n’y a rien de répréhensible que l’autre se lave de la faute, bien que le premier reste coupable dans l’opinion des autres; car l’homme s’aime naturellement lui-même plus qu’un autre. Mais où la distance est telle, de Dieu et de l’homme, celui-ci doit souffrir que la faute lui soit imputée injustement plutôt qu’à Dieu. Et donc le Seigneur, afin de convaincre Job, propose l’excellence de Dieu au- dessus des hommes; or cette excellence se manifeste dans ses œuvres. Mais comme il s’agit maintenant de comparer la justice qui propre ment n’a aucun rapport avec les choses irrationnelles, donc pour montrer l’excellence divine il considère les œuvres que Dieu opère dans les créatures rationnelles; or ces œuvres peuvent êtres considérées de deux manières : d’une part selon l’action de sa puissance et quant à cela il dit : si tu as un bras comme Dieu; le bras signifie la puissance de Dieu et de ce bras il s’en sert pour soutenir les bons, selon que dit Isaïe " De son bras il rassemblera les agneaux" (40 , 11)et pour punir les méchants, selon ce que dit Luc : "Il a déployé la force de son bras et dissipé ceux qui s’enorgueillissent dans les pensées de leur cœur" (1, 51). D’autre part Dieu agit dans ses créatures rationnelles par la doctrine de sa sagesse, qu’il nomme tonnerre, à cause de son excellence, et quant à cela il dit : et si tu tonnes d’une même voix. Dieu se sert de ce tonnerre pour instruire les bons, comme on l’a vu plus haut 26, 14 " Alors que nous avons entendu une petite étincelle de ses paroles, qui pourra assister au spectacle de ses grands orages?", et pour invectiver dans sa colère les méchants, selon le psaume "La voix de son tonnerre dans l’ouragan" et il dit : ensuite " la terre fut secouée et elle trembla" (76, 1 9).

A partir de ces effets est démontrée l’excellence divine quant à trois choses : d’abord en ce qui concerne la beauté lorsqu’il dit : entoure-toi de beauté, comme pour dire : situ es aussi puissant que Dieu en tes œuvres, attribue-toi sa beauté; il dit très bien entoure-toi, car Dieu n’est pas entouré de beauté comme surajoutée à son essence, mais son essence même est beauté; par laquelle on entend la clarté ou vérité, la pureté ou simplicité et la perfection de son essence. Mais l’homme n’a de beauté qu’à l’entour, en quelque sorte participant de la beauté depuis Dieu comme surajoutée à son essence. Ensuite il traite de la grandeur divine en introduisant et élève-toi très haut; or la sublimité (ou grandeur) de Dieu n’est pas en un lieu puisque Dieu n’est pas compris dans un lieu, mais il s’agit de sa perfection et de son pouvoir, car tout ce qui est dit : de lui l’est à un suprême degré; or cette sublimité de Dieu lui appartient essentiellement; d’où il ne s’y élève pas, mais il y demeure immobile; l’homme lui selon sa nature est d’une condition infime et donc il ne lui est pas possible d’atteindre à la grandeur de Dieu en s’élevant au-dessus de soi et donc il dit : très bien élève-toi très haut. Enfin il traite de sa gloire lorsqu’il dit : sois glorieux : la gloire suppose la connaissance qu’on a de la bonté d’un autre, d’où saint Ambroise définit la gloire "notoriété éclatante et élogieuse "61 Or la bonté de Dieu est infinie et donc la connaissance n’est parfaite qu’en Dieu; et donc la gloire est en Dieu seul en tant qu’il se connaît lui seul; à cette gloire l’homme ne peut parvenir qu’en participant à la connaissance divine, selon Jérémie : "En cela sera glorifié celui qui se glorifie : me savoir et me connaître" (9, 24); et donc il dit pertinemment sois glorieux, parce que l’homme n’a pas cette gloire essentiellement.

Ceci dit quant à l’excellence de la puissance et de la nature divines, il procède plus avant dans le rappel des effets divins dans les créatures rationnelles et quant aux bons et quant aux méchants. Mais il faut noter que les effets opérés par Dieu dans l’élévation des justes sont davantage attribuables à sa miséricorde et ceux opérés dans le châtiment des méchants à sa justice. Et donc puisqu’il s’agit mainte nant de la justice, il traite brièvement des bons et il dit revêts-toi d’habits précieux; en effet tous les bons, anges ou hommes, sont précieux par participation à la sagesse et à la justice de Dieu; et de même que l’homme s’orne de la beauté d’un vêtement, ainsi toute la beauté des saints, anges ou hommes, retombe en ornement sur Dieu en tant que se recommande ainsi la beauté divine, comme il est dit en Isaïe " Tu seras vêtu de tous ceux-ci comme d’un ornement" (49, 18). Or c’est un effet de la miséricorde de Dieu que la beauté des saints; mais qu’il se serve de leur beauté pour sa gloire, c’est un effet de sa justice, dont il parle ici; et donc il ne dit pas : fais-toi des habits précieux; mais revêts-toi d’habits précieux.

Ensuite il montre plus au long les effets de la justice divine à l’égard des méchants : et d’abord quant aux humains. Il faut savoir que toute la malice des hommes a son commencement dans l’orgueil, selon Sir. 10, 15b : "Le principe de tout péché est la superbe". Parmi tous les vices, c’est l’orgueil que Dieu hait le plus. D’où en saint Jacques 4, 6 " Dieu résiste aux superbes"; et cela parce que les orgueilleux se rebellent contre Dieu et refusent de se soumettre à lui humblement. Et de là ils tombent dans tous les péchés à cause du mépris qu’ils ont de ses préceptes; c’est ainsi que les princes de ce monde détestent le plus les rebelles. Et donc le Seigneur rappelle spécialement qu’il exerce sa toute puissance contre les orgueilleux. Il y a deux sortes d’orgueilleux : ceux qui des bonnes œuvres qu’ils font se mettent au-dessus des autres, comme on lit en saint Luc "Je ne suis pas comme le reste des hommes"; et ceux-là sont proprement les superbes comme leur nom l’indique. La peine spécifique des orgueilleux est la discorde, car tandis qu’ils veulent être au-dessus des autres et ne veulent pas se soumettre, ils ne peuvent être d’accord avec les autres-; d’où ce qui est écrit dans les Proverbes " Parmi les superbes ce sont continuelles disputes" (13, 10), et pour désigner cela il dit : dans ta fureur disperse les superbes, comme s’il disait : prends en charge l’office de Dieu qui est de dissiper les superbes afin qu’ils ne puissent s’unir; par la fureur en Dieu on entend une lourde vengeance. L’autre espèce d’orgueilleux ce sont ceux qui s’arrogent ce qui est au-dessus d’eux et ce sont les arrogants, comme en Jérémie : "Je connais leur arrogance et leur hauteur, dit le Seigneur, et il n’y a pas là de vertu" (48, 29). Leur propre peine est le mépris où on les tient; comme en effet ils veulent s’élever au-dessus de ce qu’ils peuvent, il s’en suit qu’ils s’écroulent dangereusement, selon le psaume " Vous les renversez au moment où ils s’élèvent" (72, 19); d’où il dit : et toisant toute arrogance, humilie-la, à savoir rejette-la des vues de ta providence.

La première peine commune à ces deux sortes d’orgueilleux est la honte; car comme ils ne peuvent atteindre à la hauteur qu’ils recherchent ils sont dans la confusion quand se montre leur insuffisance, d’où il dit : toise tous les superbes et confonds-les; et plus haut il est dit 20, 6 : "Si son orgueil monte jusqu’au ciel, à la fin il se répandra comme le fumier". Leur second châtiment est leur destruction, qu’il désigne en introduisant et chez eux écrase les impies. Il qualifie d’impies les orgueilleux, car comme le dit Sir. , 14 Le commencement de la superbe chez l’homme est l’apostasie"; ce qui répugne au culte divin et regarde la piété; le châtiment qui convient aux orgueilleux est qu’ils soient écrasés; en effet être écrasé c’est être réduit en miettes par le choc de quelque chose de plus fort. Il est juste en effet que les orgueilleux qui se croient démesurément grands soient diminués par une plus grande force c’est-à-dire divine. Il dit très bien en leur lieu pour montrer que ce en quoi ils se confient ne peut les libérer. En effet chaque chose se conserve en son lieu; d’où la multitude des richesses, une situation honorable ou tout autre chose en quoi l’homme se confie peut être appelé son Dieu; nonobstant cela Dieu écrase l’orgueilleux en quelque sorte là même où il est. Le troisième châtiment est, après avoir été réduits à rien, que cesse leur renommée; il est juste en effet que ceux qui recherchaient la pompe des honneurs soient effacés de la mémoire des hommes, selon les Proverbes " Le nom des impies pourrira " (10, 7); d’où ce qui suit tu les cacheras dans la poussière; tu les livreras à l’oubli suite à leur situation vile à laquelle ils sont amenés. Il ajoute : ensemble à savoir que tous les orgueilleux subiront cette extrémité ou en même temps à savoir, subitement et non l’un après l’autre. Leur quatrième châtiment est que non seulement eux seront ignorés mais que le bien dont ils se glorifient ne sera pas connu, d’où il dit : leurs faces c’est-à-dire leurs puissances de connaissance, parce que la vue se trouve dans la face, plonge-les dans la fosse à savoir dans la profondeur de l’enfer; et il parle de la damnation de la seconde mort par ressemblance à la première par laquelle les hommes sont réduits en une poussière matérielle et jetés dans la fosse.

Le Seigneur a d’abord traité de ces choses comme étant ses propres œuvres; or il lui est propre de n’avoir recours à personne; ce qui ne peut convenir à l’homme, de même qu’il ne peut exécuter les dits ouvrages, d’où il dit : et j’admettrai alors que ta main peut te sauver comme s’il disait si tu peux faire les dits ouvrages qui sont de Dieu seul, tu peux aussi t’attribuer raisonnablement de faire ton salut sans avoir besoin du secours divin; mais de même que tu ne peux cela ainsi non plus ceci. Donc tu ne dois pas te glorifier de ta justice.

 

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : Behémoth et l'éléphant (Job 40, 10, 19)

10 Pare-toi de grandeur et de magnificence, revêts-toi de gloire et de majesté; 11 épanche les flots de ta colère, d'un regard abaisse tout superbe. 12 D'un regard fais plier tout superbe, écrase sur place les méchants; 13 cache-les tous ensemble dans la poussière, enferme leur visage dans les ténèbres. 14 Alors, moi aussi, je te rendrai l'hommage, que ta droite peut te sauver. 15 Vois Béhémoth, que j'ai créé comme toi : il se nourrit d'herbe, comme le bœuf. 16 Vois donc, sa force est dans ses reins, et sa vigueur dans les muscles de ses flancs! 17 Il dresse sa queue comme un cèdre; les nerfs de ses cuisses forment un solide faisceau. 18 Ses os sont des tubes d'airain, ses côtes sont des barres de fer. 19 C'est le chef-d'œuvre de Dieu; son Créateur l'a pourvu d'un glaive.

10 Voici Béhémoth que j’ai fait avec toi. Il mange l’herbe comme le bœuf : 11 Sa force est dans ses reins et son pouvoir dans l’ombilic de son ventre 12 Il serre sa queue comme un cèdre. Les tendons des testicules sont entrelacés. 13 Ses os, comme des tubes d’airain, son cartilage, comme des barres de fer. 14 Il est au commencement des voies de Dieu. Celui qui le fit appliquera son glaive. 15 A lui les monts apportent l’herbe. Toutes les bêtes des champs y prennent leurs ébats. 16 Il dort dans l’ombre, dans le secret des roseaux, dans les lieux humides. 17 Les ombres protègent leur ombre; les saules du torrent entourent les roseaux. 18 Sans vergogne, il absorbe le fleuve; il présume que le Jourdain pourrait couler dans sa gueule. 19 Sous ses yeux on le prend comme avec l’hameçon; avec des pieux on perfore ses naseaux.

 

Plus haut le Seigneur a raconté les effets de son pouvoir sur les méchants; ici il en vient à la description de la malice du diable. Il est manifeste par ce qu’on a déjà dit plus haut que Job et ses amis avaient au sujet des démons la même idée que l’Eglise catholique tient de nos jours : c’est-à-dire qu’ils ont été déchus de leur dignité angélique par le péché. D’où plus haut on disait "Voici, ceux qui le servent ne se sont pas maintenus " (4, 18). Et de même que l’homme par le péché a perdu la dignité de la raison, et agissant contre la raison, peut être comparé aux êtres sans raison, ainsi aussi le diable se détournant par le péché des biens suprêmes et intelligibles en ce qu’il aspirait à la domination sur les choses inférieures et terrestres, peut se comparer aux animaux bruts, sous l’effigie desquels les démons apparaissent fréquemment aux hommes : Dieu pourvoit à ce qu’ils puissent prendre des figures corporelles, signes de leur condition.

Il faut considérer que de même que les anges fidèles qui ont gardé leur dignité possèdent une excellence supérieure aux hommes, d’où ils apparaissent aux hommes dans une clarté plus brillante, ainsi aussi les démons possèdent une certaine excellence et un domaine dans la malice supérieurs aux hommes; et donc on les décrit sous l’aspect d’animaux extraordinaires et monstrueux. Or parmi tous les animaux terrestres excelle l’éléphant par sa masse et sa puissance parmi les animaux aquatiques excelle la baleine. Et c’est pourquoi le Seigneur décrit le diable sous les images de l’éléphant et de la baleine; et il donne le nom de Béhémoth qui signifie “animal” à l’éléphant, qui entre tous les animaux terrestres communément appelés “animaux” tient comme le premier rang à cause de la grandeur de son corps. Il donne le nom de Léviathan qui signifie “leur augmentation” aux grands cétacés qui ont une dimension bien plus grande que ne le suppose le genre animal.

Il pourrait peut-être sembler que selon la lettre, le Seigneur veuille exprimer les particularités de l’éléphant et de la baleine à cause de leur grandeur dépassant celle des autres animaux. Mais ces particularités sont décrites comme symboles d’autres choses; cela est évident, car ces particularités une fois posées comme figures on dit une vérité : quant à l’éléphant Béhémoth, il expose la vérité suivante : "Il est le principe des voies de Dieu" et quant à la baleine Léviathan, il dit : "Elle règne sur tous les fils de l’orgueil". Et il est assez juste

 que la description du diable termine la discussion de Job à propos de son adversité, car Satan fut au commencement de cette adversité Ainsi donc tandis que les amis de Job s’efforçaient de faire retomber la cause de l’adversité sur Job lui-même, puni pour ses péchés, le Seigneur après avoir repris Job pour son intempérance de langage, maintenant comme pour mettre le point final à la discussion, traite de la malice du diable qui a été au principe de l’adversité de Job et de la damnation des hommes selon ce que dit la Sagesse l1, 24 : "C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde".

Il commence par la description de Satan sous l’image de Béhémoth et il assigne sa convenance avec l’homme en disant : Voici Béhémoth que je fis avec toi. Et si on rapporte cela au temps de leur commencement c’est vrai selon la figure puisque les hommes et les animaux ont été créés en même temps le sixième jour; mais si on se réfère au diable dont les choses dites ici sont la figure ou le symbole il semble que le diable n’a pas été fait avec l’homme; car l’homme a été créé au sixième jour et Satan selon la foi a été créé parmi les anges au commencement de la création du ciel et de la terre. Cependant si cette énumération de jours ne désigne pas une succession de temps, mais divers genres de choses produites selon la sentence de saint Augustin, il n’y a aucune répugnance à cela. Si selon d’autres la création des anges a précédé dans la durée la production de l’homme on peut en tendre ce mot "avec" de deux manières, d’une part “que j’ai fait avec toi”, à savoir : tout comme toi et il dit cela pour écarter l’erreur de ceux qui considérant la malice du diable ont estimé qu’il n’était pas la créature d’un Dieu bon; d’autre part “que j’ai fait avec toi” à savoir qui est semblable à toi quant à sa nature intellectuelle. Et de cette ressemblance on trouve un vestige dans l’éléphant : Aristote dit en effet que le plus domesticable des animaux sauvages est l’éléphant; car on lui apprend beaucoup de choses et il les saisit, car on le dresse même à se prosterner devant le roi. On ne dit pas cela comme s’il était intelligent mais à cause de la bonté de son estimative naturelle.

Après avoir décrit cette convenance de Béhémoth avec l’homme il en décrit les particularités et pour d’abord nous référer à la figure, il décrit trois choses au sujet de Béhémoth : sa nourriture, lorsqu’il dit : il mange de l’herbe comme le bœuf, littéralement en effet ce n’est pas un carnivore, mais comme le bœuf il est herbivore. Et comme l’herbe grandit sur la terre, par là on figure que Satan paît, à savoir qu’il se délecte en là possession des choses terrestres, d’où il dit : avec jactance de lui-même, en Luc 4, 6 "M’ont été livrés" c’est-à-dire les royaumes de la terre "et je les donne à qui je veux".

Ensuite il décrit l’accouplement; en cela en effet comme dans la nourriture consistent les principales délectations des animaux. Il décrit cela d’abord quant à son principe qui excite l’animal à s’accoupler lorsqu’il dit : sa force est dans ses reins, car c’est de là que descend la semence aux membres génitaux. Ensuite il décrit l’acte, car au dire du Philosophe " la femelle de l’éléphant s’accroupit et le mâle monte "; et il signifie cela en introduisant et son pouvoir est dans l’ombilic de son ventre, c’est-à-dire qu’il place l’ombilic sur le dos de la femelle et il faut que l’ombilic soit très fort pour ne pas se rompre dans le choc de si grands corps. Les animaux chez qui cette sorte d’accouplement se fait serrent alors la queue entre les jambes postérieures d’où il dit : il serre sa queue telle un cèdre, il dit cela cause de sa grandeur. Enfin il décrit les organes qui servent à l’accouplement, d’où il dit : les tendons des testicules sont entrelacés à savoir qu’ils ont des enroulements, comme le dit le Philosophe des testicules de tous les animaux marcheurs et engendrant un animal.

Ces choses ne peuvent se rapporter au diable comme si les démons eux-mêmes s’accouplaient à la manière des animaux, comme se délectant dans l’accouplement même; quoiqu’en effet, au dire de saint Augustin certains "sont dits avoir couché avec des femmes, les avoir désirées passionnément et avoir consommé l’acte", cependant ils n’agissent pas par délectation d’un accouplement, mais ils se réjouissent d’avoir amené les hommes à de tels péchés auxquels ceux- ci sont très enclins, d’où le même Augustin "Qui ne comprend combien les esprits mauvais sont entreprenants pour couvrir, par leur exemple et de leur autorité, tous les crimes?" et à cause de cela, comme il le dit ailleurs dans le même ouvrage : "Ces esprits se plaisent dans les obscénités de la luxure"; et cette délectation est exprimée en métaphores dans les passages cités plus haut. Et parce que suite à la concupiscence de la chair ils peuvent vaincre facilement les hommes en cette matière, il dit : donc sa force est dans ses reins en rapportant cela aux hommes, et son pouvoir dans l’ombilic de son ventre en rapportant cela aux femmes; il serre sa queue tel un cèdre, car ceux qu’il précipite dans ce péché, il les tient liés par la douceur de la volupté; les tendons de ses testicules sont entrelacés car si celui qui y est tombé, s’efforce d’échapper à ce vice, il y est de nouveau enlacé en toute occasion.

Enfin il décrit la démarche de l’éléphant dont il est dit : qu’il a des pieds rigides, comme aussi ses pattes et ses cuisses, afin de pouvoir supporter le poids du corps; et il a des os sans jointures et solides, et pour désigner cela il dit : ses os comme des tubes d’airain, qui ne peuvent se plier tout comme des tubes d’airain; et ceci se rapporte aux organes extérieurs du mouvement que sont les pattes et les cuis ses; les organes intérieurs du mouvement sont les cartilages et les nerfs qui chez les éléphants sont également rigides, et quant à cela il dit son cartilage comme des barres de fer, c’est-à-dire qui ne peuvent se courber ni se déployer; et par là on signifie l’obstination du diable qui ne peut renoncer à son intention malicieuse et la cruauté par laquelle il ne cesse de nuire extérieurement aux hommes.

Ces choses dites en figure le Seigneur les expose en introduisant Lui, c’est-à-dire Satan, dont on a dit ce qui précède métaphoriquement, est au commencement des voies de Dieu à savoir de ses œuvres; et si on se réfère aux œuvres de la création, cela signifie que Satan est la première des créatures, ou selon certains, parce qu’il dépasse en excellence les autres créatures;mais il est plus conforme à notre propos de voir dans les voies de Dieu les œuvres de sa providence. Il faut considérer qu’une seule œuvre convient en propre à la bonté divine c’est-à-dire le bien qu’il opère et sa miséricorde; s’il punit ou s’il permet l’adversité cela provient de la malice de la créature spirituelle, qui d’abord s’est trouvée dans le diable et par sa suggestion s’est étendue aux hommes; et donc il dit très bien il est au commencement des voies de Dieu à savoir que Dieu utilise divers chemins en faisant du bien et en punissant. Et pour qu’on ne croie pas qu’il est ainsi au commencement des voies de Dieu de sorte que par lui-même il peut nuire, on l’exclut, en introduisant celui qui le fit c’est-à-dire Dieu dirigera son glaive à savoir son action nocive; la volonté de nuire vient du démon lui-même, c’est pourquoi on dit : son glaive; mais il n’a le pouvoir de nuire que par la volonté ou la permission de Dieu.

Et comme il avait dit qu’il "mange de l’herbe comme le bœuf", il montre d’où il a cette herbe, et il dit : de lui les monts apportent de l’herbe, ce qui doit s’entendre des grands du siècle et des superbes qui fournissent au diable la matière de sa délectation ou de sa réfection. Et comment cela se fait-il, il le montre toutes les bêtes des champs y prennent leurs ébats, en effet de même que dans les montagnes se rassemblent les animaux sauvages pour leur sécurité et leur repos, ainsi aussi sous la protection des grands, les gens qui sévissent bestialement, reposent en sécurité; ce que dit Daniel "Sous un arbre", par quoi on entend la dignité royale "habitaient les animaux et les bêtes " (4, 9).

Il décrit encore la demeure de l’éléphant. Aristote dit au V° Livre de l’histoire des animaux : "Les éléphants habitent les solitudes et surtout aux bords des fleuves"; et parce qu’auprès des fleuves grandissent ordinairement des roseaux et des saules, comme aussi sont des endroits ombragés, pour cela afin de désigner la demeure de l’éléphant, il dit : il dort sous l’ombre dans les fourrés de roseaux et dans les lieux humides. Et comme cet animal ne se contente pas de n’importe quelle ombre mais de celle qui est dense, il dit : des ombres protègent son ombrage, pour dire que l’ombre supérieure défend l’ombre inférieure contre l’ardente chaleur; et il désigne la cause de l’ombre en introduisant les saules du torrent l’entourent car les saules donnent une ombre plus dense que les roseaux et aussi plus fraîche. Littéralement, cet animal fréquente les lieux ombragés parce qu’il est de complexion mélancolique et sèche et il habite les régions chaudes, et donc il cherche le rafraîchissement de l’humidité et de l’ombre. C’est l’image du diable et de son glaive : non seulement il exerce son action dans les montagnes, c’est-à-dire chez les orgueilleux qui lui fournissent des herbes et qui protègent les bêtes des champs qui s’ébattent, mais aussi chez ceux qui vivent dans l’oisiveté comme étant à l’ombre et qu’ils tâchent de prolonger par de constants efforts, de sorte que les ombres protègent les ombres; quant aux lieux humides ce sont ceux qui vivent dans les plaisirs.

 Pour la même raison par laquelle cet animal cherche les lieux humides et ombragés, ainsi aussi il boit une grande quantité d’eau, d’où Aristote au VIII Livre de l’Histoire des animaux dit que "un éléphant a bu quatorze mesures macédoniennes en une fois et le soir de nouveau huit autres " et donc pour exprimer cette grande quanti té de boisson il ajoute : sans vergogne il absorbe le fleuve, en effet il a l’habitude de boire énormément; et de nouveau après cela il s’attend à boire encore tant et plus, d’où il dit il présume que le Jourdain pourrait couler dans sa gueule; c’est en effet un fleuve connu en ces endroits où ces choses sont dites. Et c’est d’ailleurs exprimé en hyperboles quant à l’éléphant. Si on applique cela au démon dont ces choses sont dites en figure elles signifient la présomption par laquelle il se promet de s’incorporer facilement par consentement tous les hommes instables, même s’ils ont une certaine connaissance de Dieu; pour signifier cela il fait mention spéciale du Jourdain qui coule dans le pays où l’on avait la vraie connaissance de Dieu. C’est en effet dans ces trois sortes d’hommes que le glaive du diable obtient des résultats, c’est-à-dire chez les orgueilleux, les voluptueux et les instables ou adonnés aux soucis du siècle; et ils peuvent être représentés par un fleuve.

Cependant certains ne sont pas vaincus par le diable, mais plutôt contre lui obtiennent la victoire; ce qui principalement appartient au Christ dont il est dit dans l’Apocalypse " Voici qu’a vaincu le lion de la tribu de Judas" (5, 5); ensuite cette victoire convient à d’autres par la grâce du Christ, comme on le lit aux Corinthiens " Gloire soit rendue à Dieu qui nous a donné la victoire par le Christ Notre Seigneur" (IC 15, 17). Et cette victoire Jahvé la décrit sous l’image de la chasse à l’éléphant en disant : sous ses yeux, on le prend comme avec l’hameçon c’est-à-dire les chasseurs que sont le Christ et les siens. Il y a, dit-on, un procédé pour chasser les éléphants qui consiste en "une fosse souterraine, sur la piste de l’éléphant, dans laquelle il tombe par surprise; le chasseur s’en approche, le frappe et le blesse or un second chasseur arrive, frappe le premier, l’écarte pour qu’il n’achève pas l’éléphant auquel il donne de l’orge à manger; ayant fait cela trois ou quatre fois l’éléphant aime celui qui l’a délivré et lui obéissant, il s’apprivoise"; et ainsi on le prend par la nourriture offerte, comme on le fait avec l’appât pour le poisson. Mais il y a une autre façon de chasser l’éléphant que rapporte Aristote au Livre IX de l’Histoire des animaux où il dit : "Des chasseurs montant des éléphants domestiqués poursuivent les éléphants sauvages et les blessent de leurs armes" et à cela pourrait se rapporter ce qui suit avec des piques il perfore ses naseaux, c’est-à-dire où il a une chair plus sensible; et c’est pourquoi ils sont plutôt blessés là par les chasseurs. Au sens spirituel il s’agit du Christ qui a vaincu le diable lui montrant une nature infirme, et qu’ainsi il soit pris comme par un hameçon; et après il a exercé son pouvoir sur le diable, selon l’épître aux Colossiens 2, 15 " Il a dépouillé les principautés et les puissances et les a traduites hardiment en spectacle".

 

CONFÉRENCE 3 — Yahvé : "Le Leviathan"(Job 40, 20-28)

 

20 Les montagnes produisent pour lui du fourrage autour de lui se jouent toutes les bêtes des champs. 21 Il se couche sous les lotus, dans le secret des roseaux et des marécages. 22 Les lotus le couvrent de leur ombre, les saules du torrent l'environnent. 23 Que le fleuve déborde, il ne craint pas; il serait calme, si le Jourdain montait à sa gueule. 24 Est-ce en face qu'on pourra le saisir, avec des filets, et lui percer les narines? 25 Tireras-tu Léviathan avec un hameçon, et lui serreras-tu la langue avec une corde? 26 Lui passeras-tu un jonc dans les narines, et lui perceras-tu la mâchoire avec un anneau? 27 T'adressera-t-il d'ardentes prières, te dira-t-il de douces paroles? 28 Fera-t-il une alliance avec toi, le prendras-tu toujours à ton service? 29 Joueras-tu avec lui comme avec un passereau, l'attacheras-tu pour amuser tes filles? 30 Les pêcheurs associés en font-ils le commerce, le partagent-ils entre les marchands? 31 Cribleras-tu sa peau de dards, perceras-tu sa tête du harpon? 32 Essaie de mettre la main sur lui : souviens-toi du combat, et tu n'y reviendras plus.

20 Pourrais-tu pêcher le Léviathan avec l’hameçon et d’une corde lieras-tu sa langue? 21 Tu mettras-tu un anneau dans ses naseaux, ou lui passeras-tu un mors dans les mâchoires? 22 Multipliera-t-il vers toi des prières ou te dira-t-il de douces paroles? 23 Avec toi conclura-t-il un pacte, le prendras-tu en esclave pour toujours? 24 Tu tromperas-tu comme un oiseau, le tiendras-tu captif pour tes bonnes? 25 Les amis se le partageront-ils, Les marchands le dépèceront-ils? 26 Rempliras-tu de sa peau les filets, et de sa tête la nasse aux poissons? 27 Pose ta main sur lui! Souviens-toi de la guerre? Et ne dis plus un mot! 28 Voici qu’il est déçu en son espoir.

 

Après que le Seigneur a décrit les particularités du diable sous l’image de l’éléphant qui est le plus grand des animaux terrestres, il le décrit sous la figure du Léviathan ou de la baleine qui est le plus grand des animaux marins; et comme le dit Pline : "sa grandeur est de quatre arpents" et Isidore dit qu’elles (les baleines) ont un corps qui égale des montagnes à quoi fait allusion le nom de Léviathan qu’on interprète " excédent de grandeur"; et comme Isidore le dit, cet animal s’appelle baleine, du grec “balein” qui veut dire émettre ou lancer parce qu’elle projette l’eau plus haut que tous les autres animaux. Et de même que le diable est comparé à l’éléphant qui vit sur terre à cause des effets manifestes qu’il cause dans les créatures terrestres et corporelles, ainsi on peut le comparer à la baleine habitant les flots de la mer à cause des effets qu’il produit dans l’agitation des mouvements intérieurs.

Et comme plus haut il a exprimé la victoire de l’homme sur le démon sous l’image de la chasse à l’éléphant et pour qu’on ne croie pas que l’homme ait le pouvoir de triompher du diable il écarte cela sous le symbole du Léviathan. D’abord on ne peut le maîtriser comme on le fait pour les poissons, d’où il dit : Pourrais-tu pêcher le Léviathan avec l’hameçon? Ce qui ne peut se faire pour deux raisons : d’abord parce qu’il est d’une telle grandeur qu’aucun homme ni instrument ne sont assez forts pour le soulever, et c’est pourquoi il dit : pourras-tu pêcher; ensuite il est d’une telle force qu’un hameçon ne pourrait le retenir et pour cela il dit : d’une corde lieras-tu sa langue? En effet les poissons qu’on prend au moyen de l’hameçon sont retenus par le fil attaché à cet hameçon. On signifie par là qu’aucun homme ne peut retirer le diable de sa malice ni le lier pour l’empêcher d’exercer sa malice.

En second lieu il montre que l’homme ne peut le surmonter de la manière dont on surmonte certains grands animaux terrestres; en effet on retient le Buffalo ou le buffle par un anneau qu’on lui intro duit dans les naseaux, par quoi l’homme le conduit comme il l’en tend; et pour écarter cela il dit : lui mettras-tu un anneau dans ses naseaux? L’homme se soumet aussi le cheval, l’âne ou le chameau en leur mettant un mors ou une muselière dans la gueule et pour exclure cela il dit ou lui passeras-tu un mors dans la mâchoire? En effet on fait traverser les mâchoires de ces animaux d’un mors, à savoir d’une pièce de fer placée dans leur gueule; de même qu’on conduit le buffle au moyen de l’anneau attaché à ses naseaux, ainsi on dirige la marche du cheval au moyen du mors ou d’une muselière pour la commodité de celui qui le monte. Par là on nous donne à entendre que personne ne peut faire du diable ce qu’il veut ni le diriger pour qu’il soit à notre disposition.

En troisième lieu il montre qu’on ne peut maîtriser le Léviathan comme l’homme se soumet à l’homme et cela de deux manières : d’une part au moyen d’une simple parole, par exemple quand on est réduit à demander humblement ce qu’on désire et il dit : pour cela multipliera-t-il vers toi des prières ou quand on ajoute : des paroles flatteuses et à cela se rapporte ce qu’il dit : ou te dira-t-il de douces paroles? à savoir des flatteries pour t’apaiser, selon les Proverbes " Une douce réponse brise la colère" (15, 1); d’autre part, en s’obligeant envers quelqu’un, ce qui se fait par un accord particulier et à cela se rapporte ce qu’il dit : avec toi conclura-t-il un pacte ou par un servage à vie et pour cela il dit : le prendras-tu en esclave pour toujours? Ces quatre choses vont en gradation : car parfois quelqu’un sous la crainte adresse une requête au vainqueur; en second lieu il le flatte; en troisième lieu, il est accepté sous contrat; en quatrième lieu, il est soumis à une servitude à vie. Par tout cela on nous apprend que le diable ne craint pas l’homme, de sorte qu’il présenterait sous la crainte, comme à quelqu’un de supérieur ou de plus fort, des demandes ou des flatteries ou un pacte ou une servitude; et s’il lui arrive de simuler ces choses c’est pour tromper l’homme et plutôt pour se le soumettre que pour s’y soumettre.

En quatrième lieu il montre qu’on ne peut le surmonter comme on le fait pour les oiseaux; remarquons d’abord qu’on les prend par ruse au moyen d’un filet ou de glu ou de quelqu’autre chose de ce genre; et pour écarter cela il dit : le tromperas-tu comme l’oiseau c’est-à-dire qu’en le trompant tu t’en rendes maître; ensuite après leur capture on les attache pour qu’ils ne s’envolent pas et on les donne aux enfants et aux bonnes pour leur divertissement et on signifie cela en disant : le tiendras-tu captif pour les bonnes? De même l’homme ne parviendra pas à triompher du diable par quelque stratagème ni l’exposer à la risée des autres.

Ainsi donc ayant montré qu’on ne peut le soumettre comme on le fait pour les autres animaux il montre ensuite que l’homme ne peut l’utiliser, même s’il était maîtrisé, de la manière dont on le fait pour les autres grands animaux, quand ils sont réduits au pouvoir de l’homme. Et d’abord quant aux animaux terrestres capturés comme les cerfs et les sangliers et d’autres de ce genre dont on fait deux parts une pour les amis et il exclut cela en introduisant les amis se le partageront-ils et en vendant l’autre part, et il dit : Les marchands le dépèceront-ils? sous-entendu “non”; en effet cet animal est si volumineux qu’une fois capturé il serait suffisant pour la nourriture de toute une région; d’où on ne le divise pas en parts pour des amis et on ne le vend pas au marché comme on fait du gibier. Par là on veut dire que l’homme ne peut offrir l’aide du diable à un autre gracieusement ou vénalement.

 Ensuite on ne peut utiliser le Léviathan comme on le fait pour les poissons capturés dont pour les plus grands les pêcheurs remplissent de grands filets et quant à cela il dit : rempliras-tu de sa peau tes filets? Et peut-être dit-il très bien de sa peau pour exprimer la manière dont les grands cétacés sont capturés, qui "par leurs très longs fanons, quand ils dorment dans les rochers, se suspendent à une roche" comme on l’a dit : "et alors le pêcheur s’approchant autant qu’il peut découpe de la peau près de la queue". C’est en effet un animal très gras de sorte que son embonpoint l’empêche de sentir cette incision; et ainsi des cordes ayant été attachées aux roches ou aux arbres et qu’on relie à l’animal, le pêcheur excite la bête à coups de cailloux lancés de sa fronde, et la bête voulant s’échapper y laisse sa peau. De petits poissons on remplit de petits récipients et quant à cela il dit : (rempliras-tu) la nasse avec sa tête? La nasse est en effet un instrument fait de baguettes flexibles que les pêcheurs posent dans les fonds pour la capture des poissons; or la baleine est d’une telle grandeur que ni entière, ni une partie, comme par exemple la tête ne peut être contenue dans une nasse quelque grande qu’elle soit; on raconte en effet que sa tête est si grande qu’il peut s’en écouler quarante bouteilles de graisse Tout ceci est une figure du diable qui ne peut être enfermé par un pouvoir humain, comme l’ont avancés certains Nigromantiques comme l’ayant fait eux-mêmes; mais cela vient entièrement de son astuce pour tromper les hommes; or tout ce qui précède vise à réfuter les Nigromantiques qui ont la présomption de conclure un pacte avec les démons ou pour se les soumettre ou pour les contraindre de l’une ou l’autre façon.

Ayant donc montré que l’homme ne peut aucunement triompher du diable, comme conclusion de tout ce qui a été dit : auparavant il dit pose ta main sur lui, sous-entendu “si tu le peux” comme s’il disait tu ne peux en aucune façon te le soumettre. Mais bien qu’il ne puisse être dominé par l’homme, il l’est cependant par la vertu divine, d’où il dit : souviens-toi de la guerre, c’est-à-dire par laquelle je lutte contre lui, et ne dis plus un mot, à savoir contre moi; c’est-à-dire tandis que tu vois que j’ai triomphé, par ma vertu, de celui que tu n’as pu surmonter. Et de ce triomphe qu’il remporte il dit : voici il est déçu en son attente; si on se réfère à la baleine c’est évident; tandis qu’en effet la baleine poursuit les poissons espérant les capturer elle heurte quelque rivage dont elle ne peut se dégager à cause du peu d’eau, frustrée dans son espoir de capturer des poissons; et ainsi surnageant elle va vers la mort, et c’est ce qui est dit : et sous les yeux de tous elle périra parce que de toutes parts les gens l’ayant aperçue accourent pour l’achever. On veut signifier par là que l’espoir du diable de renverser les saints sera frustré; et lui-même avec tous les siens, sous les yeux des saints, au jour du jugement sera précipité en enfer.

 

 

Caput 41

Job 41 — L'immense puissance de Satan

 

CONFÉRENCE 1 — Yahvé à l'abri de tout reproche (Job 41, 1-8)

[84939] Super Iob, cap. 41 Non quasi crudelis suscitabo eum et cetera. Postquam dominus enumeraverat virtutem Leviathan quantum ad hoc quod non potest superari ab homine sed solum a Deo, nunc enarrat potestatem ipsius quantum ad hoc quod ipse potest contra alios agere. Et quia non est potestas nisi a Deo, ut dicitur Rom. XIII 1, posset aliquis ad crudelitatem Deo ascribere quod tam noxiae creaturae tantam potentiam dedit, et ideo ad hoc excludendum dicit non quasi crudelis suscitabo eum, idest altum esse permittam per potentiam sibi datam; et videtur hoc respondere ad id quod supra Iob XXX 21 dixerat mutatus es mihi in crudelem. Quod autem hoc sibi ad crudelitatem ascribi non debeat ostendit triplici ratione: primo propter potestatem ipsius Dei, cum dicit quis enim resistere potest vultui meo, idest providentiae meae? Quasi dicat: quantumcumque Leviathan iste sit potens non potest providentiae meae resistere, ut potentia sua utatur nisi quantum mihi placuerit, et mea voluntas non ad perniciem sed ad salutem hominum tendit. Secundo ostendit idem ex largitate bonitatis ipsius qua gratis omnibus bona sua distribuit, unde subdit et quis ante dedit mihi ut reddam ei? Quasi dicat nullus, ex quo patet quod omnia quae feci diligo quibus bona mea gratis communico, unde non habeo contra ipsa quae feci crudelitatis animum; et ad idem pertinet quod subdit omnia quae sub caelo sunt mea sunt, quia scilicet sunt a me creata, conservata et gubernata: nullus autem rebus suis adversatur. Tertio ostendit se non esse crudelem permittendo Satanam in sua potentia exaltari, per hoc quod in nullo ei defert: videtur enim ad crudelitatem quandam pertinere quod aliquis dum vult alicui tyranno favere patienter tolerat afflictiones multorum. Duplici autem ratione homo alicui potenti favet: uno modo timens comminationes ipsius, sed hoc dominus a se excludit dicens non parcam ei, idest in nullo ei deferam quin ei resistam secundum quod oportet, verbis potentibus, idest propter aliqua comminationis verba quae eius praeferant potestatem; alio modo favet aliquis alicui potenti quasi allectus ab eo blanditiis, et ad hoc excludendum subdit et ad deprecandum compositis, quasi dicat: quamvis potenter vel deprecatorie loqueretur tamen in nullo ei defero, quia non est convenientia lucis ad tenebras, ut dicitur II Cor. VI 14. His igitur praemissis ad removendum opinionem suae crudelitatis, accedit ad describendum virtutem Leviathan, et primo describit figuram eius a capite incipiens. Dicitur autem quod super oculos ceti sunt quaedam additamenta cornea in figura magnae falcis et sunt ducenta quinquaginta super unum oculum et totidem super alterum, et utitur eis cetus pro coopertorio oculi tempore magnae tempestatis, et ad hoc exprimendum dicit quis revelabit faciem indumenti eius? Idest quis homo potest accedere ita prope cetum ut a praedictis operculis possit faciem eius detegere? Per quod datur intelligi quod astutias Diaboli nullus homo sufficit aperire. Dicitur etiam quod in gutture habet quandam pellem in modum membranae, et haec multis meatibus perforata non sinit quicquam corpulentia magnum ingredi ventrem eius, quia scilicet per hoc impediretur eius digestio, scilicet si aliquod magnum animal integrum absorberet, et ad hoc designandum subditur et in medium oris eius quis intrabit, ut scilicet perscrutetur strictos illos meatus quibus parvi pisces in eius ventrem descendunt? Per quod designatur quod intentionem Daemonis qua ad homines spiritualiter absorbendos movetur, nullus homo potest cognoscere. Dicitur etiam de ceto quod habet aperturam oris dentatam valde magnis et longis dentibus, et praecipue duo dentes sunt aliis longiores ad modum dentium elephantis vel apri, ergo ad designandum hoc duos dentes extremos maximos dicit portas vultus eius quis aperiet? Videntur enim illi duo dentes maximi quasi duae portae quibus os ceti aperiatur. Per quod designatur quod nullus homo potest os Diaboli aperire ad extrahendum de potestate eius peccatores, quos absorbet quasi duabus portis, scilicet violentia et astutia. Quantum autem ad alios dentes ceti subdit per gyrum dentium eius formido, quia scilicet in circuitu oris habet dentes tam magnos ut aspicientibus terrorem incutere possit. Per quod significatur terror quem Daemon hominibus incutit ut per hoc eos impellat ad peccandum; et potest dici quod dentes eius sunt ceteri Daemones, vel etiam mali homines qui potentia sua alios terrendo ad malum inducunt. His igitur praemissis de dispositione capitis Leviathan, procedit ad dispositionem corporis eius quod describit ad modum piscium habentium squamas, unde secundum magnitudinem sui corporis debet habere maximas squamas ad modum scutorum, unde dicit corpus eius quasi scuta fusilia, quae quidem sunt continua, nam scuta lignea per colligationem adunantur; comparatur autem Diabolus ad omnes malos sicut caput ad corpus, unde peccatores qui alios in malitia defendunt sunt quasi scuta corporis Diaboli. Ostendit autem consequenter quod squamae eius non solum sunt magnae sed etiam compressae ad modum piscium multas squamas habentium, et hoc est quod subdit compactum squamis sese prementibus, per quod designatur multitudo malorum. Et perversa eorum concordia in malo ostenditur consequenter cum subditur una uni coniungitur, quia scilicet sicut in corpore alicuius piscis non quaelibet squama coniungitur cuilibet sed una uni per ordinem, ita etiam in multitudine malorum non omnes omnibus socialiter concordant sed quidam quibusdam. Quandiu autem piscis est vivus et fortis et squamae eius sunt in suo vigore, ita ad invicem et cuti corporis stricte adhaerent quod nec aer potest inter eas transire; quando vero piscis fuerit vel mortuus vel infirmus aut ex aliqua occasione eius squamae desiccantur, tunc paulatim praedicta coniunctio squamarum remittitur ita quod ipsae squamae incurvantur et potest etiam aliquid grossius inter eas transire: ad ostendendum ergo vigorem squamarum Leviathan subdit et nec spiraculum quidem incedit per eas, idest per intermedium squamarum; per quod designatur quod ad consensum malitiae non disiunguntur mali per aliquam spiritualem persuasionem aut inspirationem internam. Et ideo ad ostendendum obstinatum eorum consensum in malitia subdit una alteri adhaerebit, per mutuum favorem et consensum, et tenentes se nequaquam separabuntur, propter obstinatum scilicet consensum eorum in malum, sicut nec squamae Leviathan humana virtute possunt ab invicem disiungi. Sternutatio eius splendor ignis. Postquam descripsit dominus dispositionem Leviathan, hic describit operationem fortitudinis eius, et sicut primo descripserat dispositionem capitis quam corporis, ita etiam et prius incipit enumerare operationes ad caput pertinentes. Prima autem et principalior pars capitis est cerebrum, ex cuius commotione sternutatio animalis causatur, et ideo sternutationem Leviathan describens dicit sternutatio eius splendor ignis, quia scilicet ex sternutatione Leviathan tanta fit aquarum commotio quod causatur quidam candor aquarum commotarum ad modum splendoris ignis; vel etiam potest referri ad hoc quod fortiter commoto capite vel oculis videtur nobis quod emicet quidam splendor ignis, unde cum multo maior sit commotio capitis Leviathan ex eius sternutatione, multo magis talis splendor procedit. Significatur autem per hoc quod per commotionem capitis Diaboli, idest per tentationes ipsius, emicat splendor ignis, scilicet irae aut concupiscentiae aut etiam inanis gloriae. Inter alias autem partes capitis sunt praecipui oculi, unde subdit et oculi eius ut palpebrae diluculi: oculus enim ratione suae levitatis lucidus est; habet autem cetus magnos oculos secundum magnitudinem capitis et totius corporis, et ideo in inspectione eorum apparet quaedam claritas diffusa sicut est claritas diluculi, per quam designatur temporalis prosperitas quam Diabolus homini repromittit. Tertio autem describit operationem sive effectum oris eius cum dicit de ore eius lampades procedunt sicut taedae ignis accensae, ubi considerandum est quod taeda est quoddam lignum quod accensum suavem odorem emittit; dicitur autem de ceto quod quando multum esurit, vaporem odoriferum ad modum odoris ambrae ex ore suo emittit, in quo pisces delectati os eius ingrediuntur et sic ab ipso devorantur: vapores ergo emissi ab ore ceti lampades dicuntur propter magnitudinem caloris qui ex interioribus eius egreditur, taedae autem accensae comparantur propter redolentiam, ut dictum est; per hoc autem designatur quod Diabolus ad concupiscentiam peccati homines incendit per ostentationem alicuius boni quasi per redolentiam quandam. Quarto ponitur operatio narium eius: hoc enim animal habet pulmonem et respirat sicut delphinus, et ad hoc designandum subdit de naribus eius, quae scilicet sunt praecipua instrumenta respirandi, procedit, scilicet per respirationem, fumus, idest aer adustus ex multitudine caloris qui est necessarius huic animali ad tantam molem movendam; et ideo signanter subdit sicut ollae succensae aquae ferventis: aer enim qui respirando emittitur in pulmone continebatur, in quo calefiebat per calorem cordis qui pulmoni coniungitur, sicut aqua in olla calescit et fervet per hoc quod ignis apponitur. Et quia animal respirat non solum per nares sed etiam per os, ideo quinto subdit operationem oris dicens halitus eius, idest exhalatio de ore procedens, prunas ardere facit, idest tam calidus et vehemens est quod sufficeret ad prunas accendendas: loquitur enim ad similitudinem eorum qui sufflando prunas accendunt, unde subdit et flamma de ore eius egreditur, quia scilicet tam calidus et ignitus est vapor de ore eius egrediens quod merito potest flammae comparari. Per haec autem omnia designatur quod Diabolus sua occulta vel manifesta suggestione perversae cupiditatis ignem in homine accendit. His igitur praemissis quae pertinent ad virtutem capitis Leviathan, accedit ad narrandum ea quae pertinent ad virtutem aliorum membrorum ipsius. Est autem considerandum quod, sicut Aristotiles dicit in II animalium, nullus piscis habet collum nisi illi qui generant animalia, sicut delphini, et ex horum genere sunt etiam ceti; et ideo incipit describere fortitudinem colli eius cum dicit in collo eius morabitur fortitudo, quae quidem necessaria est tanto animali ad pondus capitis eius portandum; et quia per collum caput coniungitur corpori, possunt per collum Leviathan designari illi per quos Diabolus in alios malitiam suam exercet, qui ut plurimum sunt potentes quos alii reverentur aut etiam timent. Est autem manifestum quod hoc animal cum sit magni corporis multo indiget cibo, et ideo cum in aliqua parte maris fuerit cetus absorbet multitudinem piscium ibi existentium, ut quasi mare in conspectu eius remaneat piscibus vacuum, et hoc est quod subdit et faciem eius praecedet egestas, quia scilicet attrahit ad se pisces, ut supra dictum est, et mare remanet a piscibus vacuum ante eum; per quod significatur quod egestas virtutum in hominibus causatur ante faciem Diaboli, idest per suggestionem ipsius. Consequenter ostendit fortitudinem eius quantum ad alias partes corporis cum dicit membra carnium eius cohaerentia sibi, scilicet propter earum spissitudinem, per quod designatur consensus membrorum Diaboli in malum. His igitur praemissis de fortitudine Leviathan ad agendum, consequenter agit de fortitudine eius ad resistendum. Quamvis autem possit resistere virtuti humanae agenti, tamen virtuti actionis divinae usquequaque resistere non potest, et ideo primo ostendit quid Deus contra ipsum agat cum dicit mittet contra eum fulmina: manifestum est enim quod frequenter in mari fulmina cadunt quibus quandoque etiam naves periclitantur, unde etiam probabile est quod quandoque ceti fulmine feriantur, et hoc opus praecipue attribuitur Deo propter magnitudinem et terrorem huius effectus, unde supra XXXVIII 35 dominus dixit numquid mittes fulmina, et ibunt et cetera. Subdit autem et ad locum alium non ferentur, quod potest ad duas intentiones referri: primo quidem ad designandum magnitudinem corporis eius: solet enim fulgur ad aliquem locum percutiens per quandam repercussionem ad alia loca reflecti propinqua tamen, sed corpus Leviathan tam magnum est ut fulmen in ipsum percutiens extra corpus eius non reflectatur; alio modo potest referri ad infallibilitatem divinae operationis: sicut ergo sagittarius sapiens directe sagittas emittit ita quod non percutit nisi ad signum, ita cum Deus fulgura contra Leviathan sive quamcumque aliam creaturam quasi sagittas quasdam emittere vult, non ad alium locum pergunt nisi quo ipse emittit, secundum illud Sap. V 22 ibunt directe emissiones fulgurum. Per quod designantur divina flagella, quae Deus immittit contra Diabolum et membra eius ita quod contra alios non feruntur: nam si quandoque boni per temporales adversitates flagellantur a Deo, hoc tamen cedit in glorificationem sanctorum et in maiorem damnationem Diaboli et impiorum. Secundo ostendit qualiter se habeat Leviathan ad ea quae Deus contra ipsum agit, cum dicit cor eius indurabitur quasi lapis; durum autem significat potentiam naturalem ut scilicet aliquid non facile corrumpatur ab exteriori agente: per hoc ergo designatur virtus naturalis quae est in corde ceti ut non de facili corrumpatur ab exteriori actione inferente aliquod nocumentum. Et ad istam duritiam designandam sufficiebat exemplum lapidis quantum ad leves percussiones, non autem quantum ad graves: lapis etsi non confringatur manu confringitur tamen malleo ferreo; et ideo ad designandam virtutem ceti etiam contra gravia nocumenta subdit et stringetur quasi malleatoris incus, quae scilicet ex percussione malleorum non confringitur sed magis solidari videtur: per hoc ergo significatur obstinatio Diaboli et membrorum eius, quia nulla percussione divina a sua malitia emolliuntur. Tertio ostenditur finalis effectus divinae percussionis: quantumcumque enim flagellis divinis resistere videatur oportet tamen quod finaliter ab eis superetur, unde subdit cum sublatus fuerit, scilicet virtute divina de loco suo, timebunt Angeli admirando divinam virtutem; in qua admiratione multi effectus divinae virtutis eis innotescunt, et ideo subdit et territi purgabuntur: ut enim Dionysius dicit VI cap. de divinis nominibus, Angeli purgari dicuntur non ab immunditia sed a nescientia. Sed quia omnis creatura corporalis modicum aliquid est in comparatione sanctorum Angelorum, non videtur principaliter hoc esse dictum ad significandum quod caelestes Angeli multum admirentur de occisione alicuius corporalis ceti, nisi forte per Angelos sanctos homines intelligamus; sed melius est ut principaliter referatur ad spiritualem Leviathan, scilicet Diabolum, qui sublatus fuit virtute divina quando de caelo cecidit per peccatum: et tunc Angeli admirantes divinam maiestatem sunt purgati per separationem ab eius societate. Similiter etiam in die iudicii quando Diabolus cum omnibus membris suis detrudetur in Infernum, Angeli et omnes sancti admirabuntur divinam potestatem et erunt de cetero purgati per totalem separationem a malis, et hoc significatur Apoc. XII 10, ubi postquam proiectus est Diabolus auditur magna vox in caelo dicens nunc facta est salus et virtus et regnum Dei nostri. Sic igitur ostenso qualiter se habeat ad impugnationem Dei, ostendit qualiter se habeat ad impugnationem creaturae, et primo qualiter se habeat ad impugnationem hominis. Impugnat autem homo et de propinquo et a remotis: de propinquo quidem munitus gladio et hasta ad percussionem, et thorace ad sui munitionem, et quantum ad hoc dicit cum apprehenderit eum, scilicet Leviathan, gladius, scilicet hominis, subsistere non poterit, scilicet gladius, quin frangatur propter duritiem corporis eius, neque hasta, scilicet subsistere poterit, neque thorax, quo scilicet munitur pectus, subsistere poterit contra Leviathan. Et huius rationem assignat subdens reputabit enim ferrum quasi paleas, quia scilicet sicut homo non potest laedi a paleis et de facili eas frangit, ita Leviathan non potest laedi a ferro gladii vel hastae, sed de facili huiusmodi frangit; et similiter reputabit aes, scilicet thoracis, quasi lignum putridum, quod scilicet resistere non potest percussioni. Per hoc autem significatur quod nulla virtus humana efficax est ad Diabolum laedendum vel ad resistendum ei, sed omnis virtus humana pro nihilo a Diabolo reputatur. Impugnat etiam homo a remotis per sagittas et lapides fundae, sed nec ista contra cetum valent, unde subdit non fugabit eum vir sagittarius, scilicet emissione sagittarum, quas non timet utpote ab eis laedi non valens. Sicut autem sagittae de longinquo emissae laedunt interius vulnerando, ita lapides fundae laedunt exterius atterendo; sed cetus sicut non potest perforari sagittis, ita non potest conteri lapidibus in eum proiectis, unde subdit in stipulam versi sunt ei lapides fundae, quia scilicet sicut stipula propter suam levitatem nullum conterere potest, ita nec cetus potest lapidibus fundae aliquod nocumentum pati. Per hoc autem significatur quod sicut Diabolus non potest laedi virtute humana quasi quadam percussione propinqua, ita etiam non potest laedi hominis astutia quasi quadam percussione a longinquo. Sicut autem per lapides fundae aliquis atteritur a remotis, ita etiam per malleum aliquid atteritur de propinquo, sed nec sic etiam cetus ab homine laedi potest, unde subdit quasi stipulam aestimabit malleum, quod etiam referri potest ad eandem significationem cum praemissis, nisi quod mallei est gravior percussura quam lapidum fundae: unde potest significari quod quantumcumque intendatur hominis fortitudo et conatus, a Diabolo contemnitur. Solent autem homines aliquos superare non solum percutiendo sed etiam percussionem comminando, sed nec cetus nec Diabolus aliquam hominis comminationem timet, unde subditur et deridebit vibrantem hastam: vibratio enim hastae videtur esse quaedam comminatio percussurae. Sicut autem homo quandoque alium superat comminando, ita etiam promissis alliciendo; maxime autem solent aliqua dona promissa allicere hominem propter pulchritudinem vel propter pretiositatem. Nihil autem videtur esse pulchrius in corporalibus rebus quam radii solares, quorum pulchritudine Leviathan vel corporaliter vel spiritualiter intellectus non allicitur, et ad hoc significandum subditur sub ipso erunt radii solis, quia scilicet non appretiatur eos tamquam aliquid magnum; et per consequens datur intelligi quod nihil aliud praeclarum in rebus humanis appretiatur. Aurum autem reputatur valde pretiosum inter res quae in usum hominis veniunt, et quantum ad hoc subdit et sternet sibi aurum quasi lutum, idest quasi vile aliquid ipsum contemnet. Et sic patet quod ab homine allici non potest. Sic ergo ostenso quod non potest superari ab homine, consequenter ostendit quod non potest superari neque a mari neque ab aliquo pisce maris, et hoc per fortes operationes quas in mari exercet. Dicit autem Plinius quod quaedam beluae sunt in mari Orientali tantae magnitudinis ut ab imo vertant maria et faciant tempestates in mari, quae quidem beluae ad naturam ceti pertinere videntur; et ad hoc significandum subdit fervescere faciet quasi ollam profundum mare: sicut enim quando olla fervet aqua fervens in ea commovetur, ita ex violentia huius piscis fluctus maris commoventur; et incipit haec commotio a profundo et pervenit usque ad aquae superficiem, unde subdit et ponet quasi cum unguenta bulliunt, quae scilicet faciunt maiorem spumam et commotionem in superficie quam simplex aqua in qua non tantum de aere continetur; per hoc autem significatur turbatio quam Diabolus concitat in hoc mundo. Et sicut facit magnum effectum quando movetur in fundo maris, ita etiam facit magnum effectum quando movetur in superficie, et ad hoc significandum subdit post eum lucebit semita: sicut enim quando navis movetur per mare, ad longum spatium vestigium navis transeuntis relinquitur propter commotionem et spumam generatam in aqua, ita etiam contingit ex motu istius piscis prae sua magnitudine; per hoc autem significatur quod effectus perturbationis quam Diabolus in mundo concitat non statim aboletur sed quandoque diutius durat. Ex hoc autem quod tam fortes operationes cetus in mari operatur, in nullo timet maris profunditatem, unde subdit aestimabit abyssum, idest profundum maris, quasi senescentem, idest quasi finem habentem et quasi impotentem ad absorbendum ipsum: nam quod senescit, et debile est et fini propinquum; ex hoc autem significatur quod Diabolus damnationem Inferni non tantum aestimat ut propter eam desinat contra Deum niti ac si eius damnatio esset terminanda. Et sicut Leviathan non potest superari ab homine nec a mari aut ab aliqua creatura maris, ita etiam non potest superari a quacumque alia creatura terrestri, unde subdit non est potestas super terram quae ei comparetur: non enim est in terra aliquod animal tam magnum sicut cetus maris, unde et Plinius dicit quod in mari sunt maiora animalia terrestribus, et causa evidens est humoris luxuria; per hoc autem significatur quod nulla virtus corporalis potest adaequari potestati Daemonis quae est potestas spiritualis naturae. Quia igitur multa praemiserat de proprietatibus Leviathan in figura Diaboli, consequenter praedictam metaphoram exponit. Et sicut dictum est, omnes praedictae proprietates ad duo pertinere videntur, quorum unum est quod ipse ab alio laedi non potest, et quantum ad hoc exponens subdit qui factus est ut nullum timeret, idest hoc habet Diabolus ex condicione suae naturae in qua factus est a Deo ut neque hominem timeat neque aliquam creaturam corporalem; aliud autem est quod Leviathan habet facultatem ad magnas et fortes operationes exercendas, et hoc exponens subdit omne sublime videt, idest intentio Diaboli est ad quaecumque sublimia aggredienda. Et quia haec videntur ad superbiam pertinere, ostendit consequenter quod Diabolus non solum in se superbus est sed omnes in superbia excedit et est aliis superbiendi initium, unde subdit ipse est rex super universos filios superbiae, idest super eos qui superbiae subiciuntur, qui omnes sequuntur eius ducatum. Ubi considerandum est quod dominus operationem suam quam exercet in malos circa superbos manifestare incepit et in superbis narrationem terminat, ut ostendat hoc praecipue Iob fuisse timendum ne Diabolus, qui eum expetierat ad tentandum, praecipue eum ad superbiam inducere conaretur ut sic transferretur in regnum ipsius, et ideo cavere debebat affectum et verba quae superbiam saperent.

1 Voici que le chasseur est trompé dans son attente; la vue du monstre suffit à le terrasser. 2 Nul n'est assez hardi pour provoquer Léviathan : qui donc oserait me résister en face? 3 Qui m'a obligé, pour que j'aie à lui rendre? Tout ce qui est sous le ciel est à moi. 4 Je ne veux pas taire ses membres, sa force, l'harmonie de sa structure. 5 Qui jamais a soulevé le bord de sa cuirasse? Qui a franchi la double ligne de son râtelier? 6 Qui a ouvert les portes de sa gueule? Autour de ses dents habite la terreur. 7 Superbes sont les lignes de ses écailles, comme des sceaux étroitement serrés. 8 Chacune touche sa voisine; un souffle ne passerait pas entre elles.

1 De l’avoir suscité je ne suis pas cruel : En effet qui pourra résister à mon regard? 2 Qui m’a donné le premier pour que je lui rende? Toutes choses sous le ciel sont à moi! 3 Je ne l’épargnerai pas pour ses paroles hautaines ou qui se font suppliantes. 4 Qui découvrira la face de son vêtement Et qui pourra entrer au milieu de sa gueule? 5 Qui ouvrira les portes de son visage? Redoutable est le contour de ses dents. 6 Son corps est comme des boucliers soudés; agencé d’écailles serrées. 7 L'une est jointe à l’autre; même un souffle n'y pourrait passer. 8 L'un adhère à l’autre; elles se tiennent et ne peuvent être séparées.

Après avoir énuméré le pouvoir du Léviathan en ce que l’homme ne peut en triompher mais seulement Dieu, le Seigneur raconte main tenant ce que son pouvoir opère contre les hommes. Et puisqu’"il n’y a de puissance que par Dieu", comme il est dit aux Romains 13, 13, on pourrait attribuer à Dieu la cruauté qui donne tant de pouvoir à une créature tellement nocive, et donc pour exclure cela il dit : de l’avoir suscité je ne suis pas cruel, à savoir de s’être élevé grâce à la puissance que je lui ai donnée; et ceci répond à ce que Job a dit plus haut 30, 21 : "Tu t’es changé pour moi en bourreau". Mais il montre qu’on ne doit pas lui attribuer cette cruauté pour trois raisons d’abord à cause de la puissance de Dieu lui-même lorsqu’il dit : qui en effet pourra résister à mon regard c’est-à-dire à ma providence? Comme s’il disait quelle que soit la puissance du Léviathan il ne peut faire échec à ma providence et il n’en n’usera que selon ma volonté; or ma volonté n’est pas de perdre mais de sauver l’homme. Ensuite il montre la même chose en vertu de sa bonté si large par laquelle il distribue gratuitement ses bienfaits à tous, d’où il dit : et qui m’a donné le premier pour que je lui rende? Comme s’il disait “personne”; d’où il ressort que j’aime tous ceux que j’ai faits et auxquels je communique mes bienfaits, d’où je ne puis avoir d’intention cruelle contre ceux-là mêmes que j’ai faits; à cela se rapporte ce qu’il introduit toutes choses sous le ciel sont à moi, c’est-à-dire parce que je les ai créées, conservées et gouvernées; or personne ne veut du mal à ses œuvres. Enfin il montre qu’il n’est pas cruel s’il permet à Satan de s’élever en sa puissance, car il ne lui fait aucune concession; or ce serait de la cruauté qu’en voulant favoriser un tyran on soit indifférent à l’affliction d’un grand nombre. Et il y a deux manières de favoriser un puissant : d’une part en craignant ses menaces; mais Dieu exclut cela chez lui en disant : je ne l’épargnerai pas, à savoir je ne lui ferai pas de concession que je n’aie résisté comme il le faut, pour ses paroles hautaines, à savoir à cause de paroles de menace comme s’il avait quelque puissance; d’autre part quand on se laisse fléchir par ses flatteries et pour exclure cela il dit : ou qui se font suppliantes, il veut dire : qu’il parle en force ou en douceur cependant je ne lui concéderai rien, parce qu’il n’y a pas de compatibilité entre la justice et l’iniquité, comme il est dit 2 Cor. 6, 14.

Ceci donc étant dit pour repousser le reproche de cruauté il en vient à la description du pouvoir du Léviathan. Et d’abord il décrit son aspect à partir de sa tête. Or on dit qu’au-dessus des yeux de la baleine se trouvent des proéminences cornées en forme d’une grande faux; il y en a deux cent cinquante au-dessus de chaque œil; elle s’en sert pour couvrir ses yeux dans les grandes tempêtes et il exprime cela en disant : qui découvrira la face de son vêtement? à savoir qui pourra l’approcher d’assez près pour découvrir sa face derrière ces sortes de couvercles? Par là on donne à entendre qu’aucun homme n’arrive à percer les astuces du diable. On dit aussi que dans son gosier se trouve comme une membrane percée de nombreuses ouvertures qui ne laissent pas passer en son estomac ce qui est trop grand et corpulent, c’est-à-dire qui empêcherait la digestion si elle absorbait un grand animal tout entier; et pour désigner cela il dit : et qui pourra entrer au milieu de sa gueule c’est-à-dire pour examiner ces passages étroits par où s’engouffrent les petits poissons? On désigne par là l’intention du démon qui le porte à avaler les hommes spirituellement sans que ceux-ci s’en aperçoivent. On dit aussi de la baleine que sa gueule possède une denture aux grandes et longues dents et principalement deux de ces dents sont plus longues à la façon des défenses d’éléphant ou du sanglier : donc pour désigner ces deux dents extrêmes et très grandes il dit : qui ouvrira les portes de son visage? En effet ces deux très grandes dents paraissent comme deux portes par lesquelles s’ouvre sa gueule. C’est une figure exprimant qu’aucun homme ne peut ouvrir la bouche du diable pour retirer de la puissance du diable les pécheurs qu’il a absorbés comme par deux portes c’est-à-dire la violence et l’astuce. Quant aux autres dents de la baleine il dit : formidable est le contour de ses dents c’est-à-dire qu’autour de la gueule elle a de si grandes dents qu’elle pourrait frapper de terreur celui qui les apercevrait. On désigne ainsi la terreur que le diable inspire aux hommes afin de les pousser au péché et on peut dire que les dents sont les autres démons ou aussi les hommes méchants qui par leur puissance induisent au mal par la terreur.

Après ces particularités de la tête du Léviathan on en vient à celle du corps qu’il décrit comme celui des poissons qui ont des écailles : d’où en proportion de sa grandeur ses écailles sont très grandes, comme des boucliers, d’où ce qu’il dit : son corps est comme des boucliers soudés, c’est-à-dire soudés entre eux, tandis que les boucliers de bois sont assemblés par des ligatures; or le diable est comparable à tous les méchants comme la tête au corps; donc les pécheurs qui protègent les autres dans la malice sont comme les boucliers du corps du diable. Il montre ensuite que ces écailles sont des plus serrées à la manière des poissons qui ont quantité d’écailles et c’est ce qu’il dit : agencé d’écailles serrées ce qui désigne la multitude des pécheurs. Et leur accord pervers dans le mal il le montre l’une est jointe à l’autre c’est-à-dire que sur le corps d’un poisson les écailles ne sont pas jointes indifféremment, mais l’une sur l’autre bien rangées; ainsi aussi dans la multitude des méchants tous n’ont pas les mêmes tendances sociales mais ils se groupent. Tant qu’un poisson est vivant et vigoureux, les écailles adhérent bien entre elles et à la peau du corps de sorte que l’air même ne peut y pénétrer; mais quand le poisson est mort ou malade ou que les écailles se dessèchent, alors cette adhérence des écailles se relâche de sorte qu’elles se courbent et quelque chose d’assez gros peut s’y introduire; donc pour montrer la vigueur des écailles chez le Léviathan il dit même un souffle n’y pourrait passer, c’est-à-dire par les interstices. On veut dire par là que les méchants ne se séparent pas de leur attachement au mal, sous l’effet d’une inspiration intérieure ou persuasion spirituelle. Et donc pour marquer leur obstination dans la malice il dit : l’une adhère à l’autre par mutuelle faveur et consentement, elles se tiennent et ne peuvent se séparer c’est-à-dire par leur consentement et leur obstination dans le mal, de même que les écailles du Léviathan ne peuvent être disjointes par une force humaine         

 

CONFÉRENCE 2 — Yahvé : Satan frappe les pécheurs" (Job 41, 9-25)

 

9 Elle adhèrent l'une à l'autre, elles sont jointes et ne sauraient se séparer. 10 Ses éternuements font jaillir la lumière, ses yeux sont comme les paupières de l'aurore. 11 Des flammes jaillissent de sa gueule, il s'en échappe des étincelles de feu. 12 Une fumée sort de ses narines, comme d'une chaudière ardente et bouillante. 13 Son souffle allume les charbons, de sa bouche s'élance la flamme. 14 Dans son cou réside la force, devant lui bondit l'épouvante. 15 Les muscles de sa chair tiennent ensemble; fondus sur lui, inébranlables. 16 Son cœur est dur comme la pierre, dur comme la meule inférieure. 17 Quand il se lève, les plus braves ont peur, l'épouvante les fait défaillir. 18 Qu'on l'attaque avec l'épée, l'épée ne résiste pas, ni la lance, ni le javelot, ni la flèche. 19 Il tient le fer pour de la paille, l'airain comme un bois vermoulu. 20 La fille de l'arc ne le fait pas fuir, les pierres de la fronde sont pour lui un fêtu, 21 la massue, un brin de chaume; il se rit du fracas des piques. 22 Sous son ventre sont des tessons aigus : on dirait une herse qu'il étend sur le limon. 23 Il fait bouillonner l'abîme comme une chaudière, il fait de la mer un vase de parfums. 24 Il laisse après lui un sillage de lumière, on dirait que l'abîme a des cheveux blancs. 25 Il n'a pas son égal sur la terre, il a été créé pour ne rien craindre. 26 Il regarde en face tout ce qui est élevé, il est le roi des plus fiers animaux.

9 Son éternuement est un feu resplendissant et ses yeux comme les paupières de l’aurore. 10 De sa gueule sortent des lampes comme des branches de pin allumées. 11 De ses naseaux sort une fumée comme quand on chauffe des marmites d’eau bouillante. 12 Son haleine allume des braises et une flamme sort de sa gueule. 13 En son cou réside la force et l’indigence précède sa face. 14 Ses membres de chair adhèrent entre eux. Contre lui il envoie la foudre, qui ne va pas à côté. 15 Comme la pierre, son cœur s’endurcit; il résiste comme l’enclume sous le marteau. 16 Quand il aura été enlevé les anges terrifiés seront purifiés. 17 Le glaive qui le frappe ne pourra tenir, ni la lance ni l’armure. 18 Car il tiendra le feu pour de la paille et l’airain comme du bois pourri. 19 L'archer ne le met pas en fuite; la fronde lance des pierres, elles sont comme du chaume; 20 Le marteau, il le tient pour du chaume et il se moque de la lance qu'on fait vibrer. 21 Sous lui, les rayons du soleil; il se couche sur l’or comme sur de la boue. 22 Il fait bouillir comme une marmite la mer profonde; il se produit comme des parfums traités au feu. 23 Après lui brille le sentier; .11 tient l’abîme comme vieillissant. 24 Aucune puissance sur terre ne lui est comparable. Il est fait pour ne craindre personne. 25 Il voit grand en tout; Lui-même est roi sur tous les fils de l’orgueil.

Après avoir décrit le Léviathan, le Seigneur expose sa puissante activité et, de même qu’il avait d’abord exposé la disposition de la tête avant celle du corps, ainsi il commence par énumérer les activités concernant sa tête. La première et principale partie de la tête est le cerveau et dont la commotion cause l’éternuement; et donc décrivant cet éternuement il dit : son éternuement est un feu resplendissant, car il se produit une telle agitation de l’eau que la transparence de l’eau projetée est comme un feu qui resplendit; ou on peut rapporter cela à la forte commotion chez nous de la tête ou des yeux produisant comme des étincelles et comme cette commotion de la tête chez le Léviathan est beaucoup plus forte cet éblouissement est aussi beau coup plus fort. On veut signifier par là que la commotion de la tête chez le diable sont ses tentations qui nous éblouissent, telles la concupiscence ou la colère ou encore la vaine gloire. Parmi les principales parties de la tête il faut compter les yeux d’où il dit : et ses yeux sont comme les paupières de l’aurore, en effet l’œil en raison de sa légèreté est transparent; or la baleine a de très grands yeux selon la grandeur de sa tête et de son corps; et donc dans son regard apparaît une clarté diffuse comme celle de la pointe du jour; par quoi on désigne la prospérité temporelle que le diable promet à l’homme. En troisième lieu il nous décrit l’action ou les effets de sa gueule lorsqu’il dit : de sa gueule sortent des lampes comme des branches de pin allumées; or le pin est une sorte de bois qui émet une odeur suave; on dit de la baleine que lorsqu’elle a très faim elle répand de sa gueule une vapeur odoriférante comme l’odeur de l’ambre; les poissons s’en délectent, entrent dans sa gueule et sont dévorés donc les vapeurs que la gueule de la baleine répand sont dites des lampes à cause de l’énorme chaleur qui vient de son intérieur; et ces vapeurs sont comparées à des branches de pin allumées à cause de l’exhalation comme on l’a dit; on entend par là que le diable allume la concupiscence du péché dans l’homme par l’ostentation d’un bien comme par une sorte d’exhalation. En quatrième lieu il en vient à l’action des naseaux; en effet cet animal possède des poumons et respire comme le dauphin et pour désigner cela il dit : de ses naseaux c’est-à-dire qui sont les organes principaux de la respiration sort c’est-à-dire par l’expiration une fumée à savoir un air brûlant par la multiple chaleur qui est nécessaire à cet animal pour mouvoir une telle masse; et donc il dit très bien comme quand on chauffe des marmites d’eau bouillante, l’air en effet qui est émis par la respiration vient des poumons où il était chauffé par la chaleur du cœur qui joint les poumons, comme l’eau de la marmite s’échauffe et se met à bouillir sous l’action du feu. Et parce que l’animal respire aussi par la gueule il dit en cinquième lieu ce que fait sa gueule en disant : son haleine à savoir ce qu’elle exhale allume des braises; elle est si chaude et si forte qu’elle suffirait à allumer des braises; il parle en effet à la ressemblance de ceux qui en soufflant allument des charbons d’où il dit : et une flamme sort de sa gueule cette vapeur est si chaude et si ardente qu’on peut la comparer à juste titre à une flamme. Par toutes ces choses on signifie que le diable par la suggestion, cachée ou manifeste, allume en l’homme le feu de la concupiscence perverse.

Après ce qui concerne le pouvoir de la tête chez le Léviathan, il traite du pouvoir des autres membres. Au dire d’Aristote, au Livre II des Animaux : "aucun poisson n’a de cou", sinon ceux qui engendrent des animaux tels les dauphins, et de ce genre sont aussi les baleines et donc il commence par décrire la force de son cou lorsqu’il dit : en son cou réside la force qui est nécessaire pour porter le poids de sa tête; et comme le cou joint la tête au corps on peut voir dans le cou ceux par qui le diable exerce sa malice chez les autres et qui la plupart sont les puissants et que les autres respectent ou aussi craignent. Il est évident que cet animal avec ce grand corps a besoin de beaucoup de nourriture et donc lorsqu’il est dans quelque parage maritime il absorbe une grande quantité de poissons qui s’y trouvent de sorte que la mer est devant elle comme vidée de ses poissons et c’est ce qu’il dit : et la disette précède sa face car elle attire à elle les poissons, comme on vient de le dire on signifie par là que la disette des vertus provient chez les hommes face au diable qui les attire par ses suggestions. On montre ensuite la force de ses autres parties du corps lorsqu’il dit : ses me de chair adhèrent entre eux c’est-à-dire à cause de leur épaisseur par quoi on désigne l’accord des membres du diable pour le mal.

Après ce qui est dit de la force du Léviathan dans l’action, on en vient ensuite à sa force dans ta résistance. Or bien qu’il puisse résister à la puissance d’une action humaine, cependant il ne peut aucune ment résister à la vertu de l’action divine et donc il montre d’abord ce que Dieu fa : t contre lui quand il dit : il fulminera contre lui; en effet il est manifeste que la foudre tombe aussi en mer et elle met parfois les navires en péril et donc il peut se faire que la foudre atteigne les baleines; et on l’attribue à Dieu à cause de la terreur et de l’importance de cette efficience, ainsi qu’il est dit plus haut (38, 25) "Enverras-tu les éclairs et elles iront, puis reviendront en disant : nous voici?". Et il dit : en elle n'a pas ailleurs; ce qui peut avoir deux sens d’abord pour désigner la grandeur de son corps, car la foudre frappe et rebondit ailleurs; mais le corps de Léviathan est si étendu que la foudre ne s’en écarte pas. Ensuite eu égard à l’infaillibilité de l’action divine; de même en effet qu’un archer habile frappe directement au but, ainsi Dieu foudroie le Léviathan ou tout autre créature comme lançant ses flèches qui ne vont que où il l’a voulu, selon la Sagesse 5, 22 : "La foudre envoie ses flèches au but". Par quoi on désigne les fléaux divins que Dieu envoie contre le diable et ses membres et qui ne vont pas ailleurs; car si parfois les adversités atteignent les bons c’est au profit et à la gloire des saints et pour une plus grande damnation du diable et des impies.

Ensuite on montre la réaction de Léviathan à ce que Dieu fait contre lui lorsqu’il dit : comme la pierre son cœur s’endurcit; est dur ce qui par sa puissance naturelle ne se laisse pas attaquer facilement par un agent extérieur et résiste à la destruction. Telle est donc la vertu naturelle du cœur de la baleine, car un agent extérieur ne le détruit pas facilement. Pour marquer cette dureté il suffisait d’apporter l’exemple de la pierre quant à des coups relativement légers; mais si l’on utilise un marteau de fer, on la brisera; et donc pour désigner la résistance de la baleine même contre de graves atteintes il dit : comme l’enclume sous le marteau elle résiste, c’est-à-dire qui ne se brise pas sous les coups du marteau mais paraît même d’autant plus solide; on signifie ainsi la malice du diable et de ses membres, car ils ne s’amollissent pas sous les coups divins.

Enfin on montre le résultat final de l’action divine qui le frappe : quelle que soit sa résistance aux fléaux divins en fin de compte il devra céder, d’où il dit : quand il aura été enlevé, c’est-à-dire de son lieu par la vertu divine, les anges seront dans la crainte admirant le pouvoir divin; dans cette admiration bien des effets de la vertu divine nous sont connus et donc il dit : et la terreur les purifiera; en effet, comme le dit Denys au ch. 6 des Noms divins les anges sont dits purifiés non d’une impureté mais de l’ignorance; mais comme toute créature corporelle en comparaison des saints anges est peu de chose, on ne signifie pas par là que les anges célestes sont très étonnés de la fin d’un cétacé corporel, à moins que peut-être on ne voie des hommes dans ces saints anges; les anges dont il s’agit sont ceux qui assistent à la déchéance de Satan, le Léviathan spirituel qui fut enlevé par la vertu divine quand il tomba du ciel par le péché, et alors les anges admirèrent la majesté divine et furent purifiés en se séparant de sa compagnie. Semblablement au jour du jugement quand le diable avec tous ses membres sera relégué en enfer, les anges avec tous les saints admireront la divine puissance et ils seront dorénavant purifiés par la totale séparation d’avec les méchants; et cela nous est signifié dans l’Apoc. 12, où après que le diable a été rejeté (en enfer) une grande voix se fait entendre au ciel disant "Maintenant est le salut, et le pouvoir et le règne de notre Dieu.

Ainsi donc après avoir montré l’offensive de Dieu, on montre comment il se comporte devant l’offensive des créatures. Et d’abord quant à celle qui vient de l’homme. Celui-ci attaque soit de près soit de loin; de près en frappant avec le glaive et la lance ou en se protégeant avec la cuirasse et pour cela il dit : le glaive à savoir de l’homme qui frappe le Léviathan, ne pourra tenir, à savoir le glaive, sans qu’il soit brisé suite à la dureté de son corps, ni la lance c’est-à-dire ne pourra tenir, ni la cuirasse par laquelle on protège la poitrine, ne pourra tenir contre le Léviathan. Et il en donne la raison car il tiendra le fer pour de la paille; de même en effet que la paille ne peut blesser l’homme, qui la brise facilement ainsi le Léviathan résiste-t-il au fer de la lance ou du glaive et les brise facilement; et il en fera de même avec l’airain de la cuirasse qui est comme du bois pourri qui ne peut résister aux coups. On signifie par là qu’aucune force humaine n’est capable de blesser le diable, ni de lui résister; au contraire elle est tenue pour rien.

L’homme attaque aussi de loin au moyen de flèches et de pierres lancées par la fronde; mais ni ces choses n’ont de pouvoir contre la baleine, d’où il dit : l’archer ne la met pas en fuite c’est-à-dire en lançant des flèches, qu’elle ne craint pas parce qu’elles ne peuvent la blesser. Tandis que les flèches blessent intérieurement, les pierres blessent de l’extérieur; mais de même que les flèches ne peuvent la transpercer, ainsi les pierres ne peuvent la blesser, d’où il dit : en chaume se changent les pierres de la fronde c’est-à-dire que le chaume à cause de sa légèreté ne peut faire du mal à personne, ainsi les pierres de la fronde ne peuvent faire de dommage à la baleine. Par là on signifie que de même qu’aucun pouvoir humain ne peut blesser le diable en le frappant de près, ainsi aussi aucune astuce ne peut le blesser comme en le frappant de loin. De même que les pierres lancées par la fronde blessent quelqu’un de loin, ainsi le blesse-t-on de près au moyen d’un marteau; mais pas davantage l’homme ne peut-il blesser la baleine, d’où il dit : le marteau elle le tient pour du chaume; bien que la signification est à peu près la même, cependant le marteau blesse plus que les pierres de la fronde; d’où on peut comprendre que quelle que soit la force ou l’effort de l’homme le diable en a du mépris.

Les hommes ont l’habitude de triompher non seulement en frappant mais aussi en menaçant de frapper, mais ni la baleine ni le diable ne se laissent ainsi intimider, d’où il dit : il se moque de la lance qu’on fait vibrer, en effet c’est comme si on menaçait de faire vibrer ou de brandir une lance. Si on triomphe parfois par des mena ces, on peut allécher par des promesses, surtout si l’on promet des choses belles et précieuses. Or rien ne paraît plus beau dans les choses matérielles que les rayons du soleil dont la beauté n’allèche pas le Léviathan, ni corporellement ni spirituellement, et pour indiquer cela il dit : sous lui sont les rayons du soleil : parce qu’il ne les apprécie pas comme quelque chose de grand; et en conséquence il n’y a rien pour lui de remarquable dans les choses humaines. L’or est aussi très apprécié parmi les choses qui sont à la disposition de l’homme et quant à cela il ajoute : il se couche sur l’or comme sur de la boue à savoir il le méprise comme quelque chose de vil. Et ainsi il ressort que l’homme ne peut l’allécher.

 Etant donc prouvé que l’homme ne peut en triompher, il montre ensuite que la mer, ni aucun poisson de la mer ne peut en triompher et cela par l’action puissante qu’il exerce en mer. Selon Pline : "il y a des animaux d’une telle grandeur dans l’Océan Indien qu’ils retournent la mer de fond en comble" et qu’ils y produisent des tempêtes; ces grands animaux semblent être du genre de la baleine, et pour indiquer cela il dit : il fait bouillir comme une marmite la mer profonde, de même en effet que la marmite s’échauffant, l’eau bout et est agitée, ainsi par la violence de ce poisson les flots de la mer s’agitent; et cette agitation prend naissance dans les profondeurs et parvient à la surface d’où il dit : il s’y produit comme des parfums en ébullition c’est-à-dire qui font une plus grande écume et une agitation à la surface, plus grande que l’eau simple qui ne contient pas autant d’air. Par là on désigne le trouble que le diable suscite dans le monde. Et de même qu’il produit un grand effet au fond de la mer, ainsi aussi quand elle se meut à la surface; et pour signifier cela il dit : après lui brille le sentier, de même en effet, quand un navire fend la mer il laisse loin derrière lui une tramée, trace de son passage à cause de l’agitation et de l’écume qu’il a causées, ainsi aussi en est-il du déplacement de ce monstre marin; par là on indique que les conséquences du trouble que le diable provoque dans le monde ne disparaissent pas d’aussitôt mais parfois durent assez longtemps.

 

Cette puissante action que la baleine produit en mer fait aussi qu’elle ne craint nullement la profondeur de la mer, d’où il ajoute : elle tient l’abîme à savoir la mer profonde comme vieillotte pour dire qu’elle n’est pas loin de sa fin et qu’elle ne pourra l’absorber; car ce qui vieillit est débile et près de la fin; on veut ainsi signifier que le diable ne croit pas la damnation de l’enfer tellement sérieuse qu’il doive cesser à cause d’elle de s’insurger contre Dieu comme si sa damnation allait avoir une fin. Et de même que l’homme ne peut triompher du Léviathan, ni la mer, ni d’autres créatures de la mer, ainsi aussi aucune puissance terrestre ne peut en triompher d’où il dit : aucune puissance sur terre ne lui est comparable; en effet il n’y a sur le sol aucun animal aussi grand que ce monstre marin; d’où selon Pline il y a dans la mer "de plus grands animaux que sur la terre, la cause évidente en est la richesse des eaux "; on signifie par là qu’aucune puissance corporelle n’égale le pouvoir du démon qui est une puissance du monde spirituel.

Parce qu’il a dit beaucoup de choses des propriétés du Léviathan comme figure du diable il expose en conséquence cette métaphore. Et comme on l’a dit toutes ces propriétés se réduisent à deux choses d’une part qu’un autre ne peut le blesser et pour exposer cela il introduit il est fait pour ne craindre personne, à savoir que le diable de par la condition de sa nature qu’il tient de Dieu, ne craint ni l’homme ni aucune créature corporelle; d’autre part le Léviathan dispose d’un pouvoir pour de grandes et fortes opérations, et en exposant cela il dit : il regarde vers ce qui est sublime à savoir l’intention du démon est de s’attaquer à tout ce qui est sublime. Et comme ces choses sont le fait de l’orgueil il montre en conséquence que le diable non seulement en lui-même est orgueilleux mais qu’il dépasse tout le monde en sa superbe et qu’il est la source de l’orgueil pour d’autres, d’où ce qu’il dit : lui-même est roi sur tous les fils de l’orgueil c’est-à-dire sur ceux qui sont les esclaves de l’orgueil et qui le prennent comme guide. Ici il faut se rappeler que l’opération qu’il exerce contre les méchants, le Seigneur a commencé à la manifester chez les orgueilleux et chez les orgueilleux il termine son récit, pour montrer que ce qui était le plus à craindre pour Job était que le diable n’ait demandé à le tenter pour l’amener à l’orgueil et ainsi le faire passer en son royaume; et donc il lui fallait éviter des dispositions et des paroles qui respire raient l’orgueil.

 

 

Caput 42

Job 42 — Regrets de Job

 

CONFÉRENCE UNIQUE — Réponse de Job (Job 42)

 

1 Job répondit à Yahvé et dit :

2 Je sais que tu peux tout, et que pour toi aucun dessein n'est trop difficile. 3 " Quel est celui qui obscurcit le plan divin, sans savoir?" Oui, j'ai parlé sans intelligence de merveilles qui me dépassent et que j'ignore. 4 " Ecoute-moi, je vais parler; je t'interrogerai, réponds-moi." 5 Mon oreille avait entendu parler de toi; mais maintenant mon œil t'a vu. 6 C'est pourquoi je me condamne et me repens, sur la poussière et sur la cendre.

1 Job répondant au Seigneur dit : 2 Je sais que tu peux tout Et que rien ne t’est caché. 3 qui est celui qui cache sottement son dessein? Et donc j’ai follement parlé de choses qui dépassent par trop ma science 4 Ecoute et je parlerai; Je t'interrogerai et réponds-moi. 5 Mon oreille t’a entendu; 5 Mais maintenant mon œil te voit. 6 Voilà pourquoi je me sermonne moi-même; et je fais pénitence dans la braise et la cendre.

[84940] Super Iob, cap. 42 Respondens autem Iob domino dixit et cetera. Postquam dominus redarguit Iob de incauta locutione quae superbiam sapere videbatur, quia scilicet se intantum iustum asserebat quod hoc quibusdam videbatur in derogationem cedere divini iudicii, Iob humiliter se convictum reputans respondet: primo quidem confitendo divinam excellentiam quantum ad potentiam, unde dicit respondens autem Iob domino dixit: scio quia omnia potes, et etiam quantum ad scientiam, unde subdit et nulla te latet cogitatio. Per quorum primum confitebatur quod Deus poterat adversitatem removere a Diabolo inductam, quem dominus sub figura Vehemot et Leviathan descripserat; per secundum autem recognoscit se interius fuisse aliqua cogitatione superba pulsatum, quod Deum non latuisse recognoscit, et ideo consequenter invehitur contra eos qui divinam providentiam negant dicens quis est iste qui celat consilium absque scientia? Idest quis est tam praesumptuosus et stultus qui dicit humanum consilium posse celari a Deo absque hoc quod Deus illud cognoscat? Ex consideratione autem divinae excellentiae procedit ad considerationem propriae culpae cum subdit ideo insipienter locutus sum, scilicet debitam reverentiam non exhibens divinae excellentiae in meis verbis, et quae ultra modum excedunt scientiam meam, scilicet discutiendo divina iudicia. Et quia insipienter locutus sum, de cetero loquar sapienter, unde subdit audi et ego loquar, meam scilicet culpam confitendo; et quia locutus sum quae excedunt scientiam meam, de cetero de ea non audeo loqui sed solum de his te interrogare, unde subdit interrogabo te, scilicet petendo, orando, pulsando, et responde mihi, scilicet interius instruendo. Quare autem sic mutatus sit ostendit subdens auditu auris audivi te, scilicet olim cum insipienter loquerer, nunc autem oculus meus videt te, idest plenius te cognosco quam prius, sicut id quod videtur oculis certius cognoscitur quam quod aure auditur: profecerat enim tum ex percussione tum ex revelatione divina. Quanto autem aliquis magis Dei iustitiam considerat tanto plenius culpam suam recognoscit, unde subdit idcirco ipse me reprehendo, propriam scilicet culpam considerando. Et quia non sufficit culpam confiteri nisi sequatur satisfactio, ideo subdit et ago paenitentiam in favilla et cinere, in signum scilicet fragilitatis naturae corporeae: convenit enim humilis satisfactio ad expiandam superbiam cogitationis.

Après que le Seigneur eut repris Job pour son intempérance de langage qui respirait la superbe, car il se disait juste de sorte que pour certains il dérogeait semble-t-il au jugement divin, Job convaincu et humilié répond d’abord en confessant l’excellence divine quant à la puissance, d’où il dit : je sais que tu peux tout, et aussi quant à la science d’où il dit : et que rien ne t’est caché. Par la première il confessait que Dieu aurait pu écarter l’adversité que le diable avait provoquée et que le Seigneur sous la figure de Béhémoth et du Léviathan avait décrite; par la deuxième il confesse qu’un certain orgueil l'avait intérieurement agité et il reconnaît que ce ne fut pas caché à Dieu et donc en conséquence il s’en prend à ceux qui nient la divine providence en disant : quel est celui qui cache sottement son dessein, c'est-à-dire qui est assez présomptueux et insensé pour dire que les desseins de l’homme échappent à Dieu sans que Dieu en ait connaissance.

Après la considération de la divine excellence il en vient à sa propre faute lorsqu’il dit : et donc j’ai follement parlé c’est-à-dire ne témoignant pas dans mes paroles le respect dû à l’excellence divine, de choses qui dépassent par trop ma science à savoir en contestant les jugements divins. Et puisque j’ai parlé follement, désormais je parlerai sagement, d’où il dit : écoute et je parlerai c’est-à-dire en confessant ma faute; et puisque j’ai parlé de choses qui dépassent trop ma science, désormais je n’ose plus en parler mais seulement t'interroger à leur sujet, d’où il dit : je t’interrogerai à savoir en demandant, en priant, en frappant et réponds-moi c’est-à-dire en instruisant intérieurement. Il montre pourquoi il est ainsi changé, en introduisant mon oreille t’a entendu, c’est-à-dire quand autrefois je parlais follement; mais maintenant mon œil te voit, à savoir, je te connais plus pleinement qu’avant; comme ce que l’on voit des yeux du corps on le connaît plus sûrement que ce que l’on entend; il avait progressé. En effet tant sous les coups que par la révélation divine. Or plus on considère la justice divine plus aussi on reconnaît sa misère, d’où il dit : voilà pourquoi je me sermonne moi-même c’est-à-dire en reconnaissant ma propre faute. Et parce qu’il ne suffit pas de confesser sa propre faute si une satisfaction ne suit, il dit : et je fais pénitence dans la braise et la cendre, en signe de la fragilité de la nature corporelle; en effet il est juste qu’intervienne une humble satisfaction en expiation des pensées d’orgueil.

 

 

 

ÉPILOGUE AU LIVRE DE JOB PAR SAINT THOMAS (Job 42, 7-17)

 

7 Après que Yahvé eut adressé ces paroles à Job, il dit à Eliphaz de Théman : "Ma colère est allumée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n'avez pas parlé de moi selon la vérité, comme l'a fait mon serviteur Job. 8 Maintenant, prenez sept jeunes taureaux et sept béliers; puis venez trouver mon serviteur Job, et offrez pour vous un holocauste. Job, mon serviteur, priera pour vous, et c'est par égard pour lui que je ne vous traiterai point selon votre folie; car vous n'avez pas parlé de moi selon la vérité, comme l'a fait mon serviteur Job." 9 Eliphaz de Théman, Baldad de Suhé et Sophar de Naaman allèrent donc et firent comme Yahvé leur avait dit; et Yahvé eut égard à la prière de Job. 10 Yahvé rétablit Job dans son premier état, pendant que Job intercédait pour ses amis, et Yahvé rendit à Job le double de tous ses biens. 11 Ses frères, ses sœurs et ses anciens amis vinrent tous le visiter et mangèrent avec lui dans sa maison. Ils le plaignirent et le consolèrent de tous les malheurs que Yahvé avait fait venir sur lui; et ils lui firent don chacun d'une késita et d'un anneau d'or. 12 Et Yahvé bénit les derniers temps de Job plus encore que les premiers, et il posséda quatorze mille brebis, six mille chameaux, mille paires de bœufs et mille ânesses. 13 Il eut sept fils et trois filles; 14 il nomma la première Jémima, la deuxième Ketsia et la troisième Kéren-Hapouk. 15 On ne trouvait pas dans toute la terre d'aussi belles femmes que les filles de Job, et leur père leur donna une part d'héritage parmi leurs frères. 16 Job vécut après cela cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu'à la quatrième génération. 17 Et Job mourut vieux et rassasié de jours.

7 Ayant ainsi parle a Job le Seigneur dit a Eliphaz de Theman : Ma colère s'est allumée contre toi et tes deux amis, parce que vous n'avez pas parlé correctement en ma présence comme l’a fait mon serviteur Job. 8 donc avec vous sept taureaux et sept béliers, et allez trouver Job mon serviteur et offrez pour vous un holocauste. Job mon serviteur priera pour vous. En considération pour lui, votre sottise ne vous sera pas imputée; car vous n’avez pas parlé correctement en ma présence comme il l’a fait. 9 Ils s’en allèrent donc, Eliphaz de Theman, Baldad de Shouahet Sophar de Naamah et ils firent comme leur avait dit le Seigneur et Dieu eut égard à la prière de Job. 10 Le Seigneur s'est aussi tourné vers le repentir de Job lorsqu’il priait pour ses amis. Le Seigneur lui rendit au double tout ce que Job avait eu. 11 Tous ses frères vinrent vers lui et toutes ses sœurs et tous ceux qui l’avaient connu auparavant et ils mangèrent le pain avec lui en sa maison et ils compatirent à ses souffrances; hochant la tête pour tout le mal que le Seigneur avait amené sur lui; et chacun d’eux lui offrit une brebis et un anneau d’or. 12 Le Seigneur bénit les derniers jours de Job plus qu’il ne l’avait fait. Et il posséda quatorze mille brebis et six mille chameaux, et mille couples de bœufs, et mille ânes. 13 Et il eut sept fils et trois filles. 14 Il appela la première Jour, et la deuxième Daphné et la troisième Corne-de-fard. 15 Il ne s'est pas trouvé de filles aussi belles sur toute la terre que les filles de Job et leur père leur donna l’héritage parmi leurs frères. 16 Il vécut après ces épreuves cent quarante années et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération 17 et il mourut vieux et plein de jours.

Quia ergo superius dominus redarguerat Eliud et etiam Iob, nunc tertio redarguit amicos eius, inter quos praecipuus erat Eliphaz - quod patet ex hoc quod primo loqui inceperat -, unde dicitur postquam autem locutus est dominus verba haec ad Iob, dixit ad Eliphaz Themanitem: iratus est furor meus in te et in duos amicos tuos, scilicet Baldath et Sophar. Ubi considerandum est quod Eliud ex imperitia peccaverat, Iob autem ex levitate, et sic neuter eorum graviter peccaverat: unde nec dominus dicitur iratus fuisse contra eos, sed contra tres amicos Iob graviter dicitur fuisse iratus quia graviter peccaverant perversa dogmata asserendo, ut supra habitum est, unde subdit quoniam non locuti estis coram me rectum, idest fidelia dogmata, sicut servus meus Iob, qui scilicet a veritate fidei non recessit. Pro gravibus autem peccatis expiandis antiqui consueverunt sacrificia offerre, unde subdit sumite igitur vobis septem tauros et septem arietes, quia scilicet ipsi erant duces populorum; septenarius autem est numerus universitatis, unde septenarius sacrificiorum competit ad gravium delictorum expiationem. Sed quia infideles per fideles Deo reconciliari debent, subdit et ite ad servum meum Iob, ut scilicet eo mediante mihi reconciliemini, et offerte pro vobis holocaustum, ut scilicet vos satisfaciatis qui peccastis. Sed vestra satisfactio indiget fidelis viri patrocinio, unde subdit Iob autem, servus meus, orabit pro vobis, qui scilicet dignus est exaudiri propter suam fidem, unde subdit faciem eius, scilicet deprecantis, suscipiam, scilicet exaudiendo eius orationem, ut non imputetur vobis stultitia, scilicet infidelis dogmatis; et hoc exponit subdens neque enim locuti estis coram me rectum sicut servus meus Iob. Accepta autem spe veniae, impleverunt quod eis fuerat mandatum, unde sequitur abierunt ergo Eliphaz Themanites et Baldath Suites et Sophar Naamathites, et fecerunt sicut locutus fuerat dominus ad eos. Et ita per oboedientiam et humilitatem suam digni facti sunt ut pro eis oratio Iob exaudiretur, unde sequitur et suscepit dominus faciem Iob, rogantis scilicet pro amicis suis. Nec solum humilitas amicorum efficaciam praestitit eius orationi sed etiam humilitas propria, unde subditur dominus quoque conversus est, scilicet a furore in clementiam, ad paenitentiam Iob, cum oraret pro amicis suis: dignum enim erat ut qui pro suo levi peccato humiliter paenitebat etiam aliis graviter peccantibus veniam impetraret. Plus autem prodest unicuique sua paenitentia quam aliis, unde si oratio et paenitentia Iob meruit amotionem indignationis divinae ab amicis, multo decentius fuit ut etiam ipse ab adversitate liberaretur. Et quamvis Iob spem suam non referret ad prosperitatem temporalem recuperandam sed ad consequendam futuram felicitatem, dominus tamen ex abundanti etiam prosperitatem temporalem ei restituit, secundum illud Matth. VI 33 primum quaerite regnum Dei et iustitiam eius, et haec omnia adicientur vobis. Et hoc quidem tempori congruum erat propter statum veteris testamenti in quo temporalia bona promittebantur, ut sic per prosperitatem quam recuperaverat aliis daretur exemplum ut converterentur ad Deum; erat etiam congruum personae ipsius Iob, cuius apud aliquos opinio laesa erat propter multiplices adversitates quae supervenerant ei, et ideo ut ei famam restitueret, ad statum maioris prosperitatis eum reduxit, unde sequitur et addidit quoque dominus omnia quaecumque fuerant Iob duplicia. Inter adversitates autem Iob quasi praecipua erat quod fuerat ab amicis suis desertus, et ideo huius adversitatis primo remedium ponitur cum dicitur venerunt autem ad eum omnes fratres sui et universae sorores suae et cuncti qui noverant eum prius, in quo designatur recordatio pristinae amicitiae, et comederunt cum eo panes in domo eius, in quo designatur reditus ad antiquam familiaritatem, et moverunt super eum caput, scilicet compatiendo afflictioni ipsius. Et quia non solum oportet afflictis compati sed etiam eorum afflictioni remedium praebere, primo quidem praebuerunt remedium eius interiori dolori per consolatoria verba, unde subditur et consolati sunt eum super omni malo quod intulerat dominus super eum; secundo autem adhibuerunt subventionis remedium contra exteriorem inopiam, et quia amiserat et animalia in campis et supellectilia in subversione domus, ideo in utroque ei subveniunt, sequitur enim et dederunt ei unusquisque ovem unam, quantum ad animalia, et inaurem auream unam, quantum ad supellectilia. Haec autem modicum fuissent ad reparationem ipsius, sed dominus manum suam adhibuit ut ex his in maiora proficeret, unde sequitur dominus autem benedixit novissimis Iob, scilicet multiplicando ea, magis quam principio eius, idest quam primae eius prosperitati: est enim potens plus facere quam intelligimus aut petimus, ut dicitur Eph. III 20. Desideraverat autem Iob supra XXIX 2 ut esset iuxta menses pristinos, sed dominus ei maiora restituit et in duplo, ut supra dictum est, unde sequitur et facta sunt ei quatuordecim millia ovium: supra enim dictum est quod fuit possessio eius septem millia ovium; et sex millia camelorum: nam primo habuerat tria millia camelorum, ut supra dictum est; fuerant etiam ei quingenta iuga boum, unde hic duplum ponitur cum dicitur et mille iuga boum; supra etiam dictum est quod habuerat quingentas asinas, sed hic duplum ponitur cum sequitur et mille asinae. Amiserat autem non solum possessiones sed etiam filios, qui ei restituuntur sed non in duplum, sequitur enim et fuerunt ei septem filii et tres filiae, cuius ratio duplex esse potest: una pertinens ad futuram vitam, quia scilicet filii quos habuerat non totaliter ei perierant sed reservabantur in futura vita cum eo victuri; alia ratio potest esse quantum ad vitam praesentem, nam si duplicatis ceteris rebus etiam numerus filiorum esset duplicatus, non videretur fortuna domus augmentata fuisse, quia eandem quantitatem in bonis eius unusquisque filiorum habuisset quam prius; et ideo decentius fuit ut proles ei augeretur non numero sed magis in valore. Quod occulte insinuatur in filiabus quae pulcherrimae fuisse leguntur, quarum pulchritudini etiam nomina conveniunt, sequitur enim et vocavit nomen unius diem, scilicet propter claritatem eius, et nomen secundae cassiam, quae est species aromatica, propter suavitatem ipsius, et nomen tertiae Cornustibii: est autem stibium quo mulieres utuntur ad ornatum oculorum, secundum illud IV Reg. IX 30 depinxit oculos suos stibio et ornavit caput suum, quod quidem stibium in cornu a mulieribus conservatur ut habeant ipsum paratum cum opus fuerit, unde vocavit eam Cornustibii ad designandam abundantem pulchritudinem oculorum; unde et de pulchritudine earum subditur non sunt autem inventae mulieres speciosae sicut filiae Iob in universa terra. Per quod etiam datur intelligi quod filii eius erant in virtute praecellentes, sequitur enim deditque eis pater suus hereditatem inter fratres earum, scilicet ad designandum convenientiam virtutis in utrisque. Et quia Iob etiam in proprio corpore fuerat flagellatus, additur ei ad prosperitatis augmentum longitudo dierum, unde sequitur vixit autem Iob post flagella haec centum quadraginta annis. Et ut intelligatur toto hoc tempore in prosperitate vixisse, subdit et vidit filios suos et filios filiorum suorum usque ad quartam generationem. Et ista prosperitas datur intelligi durasse usque ad mortem, unde sequitur et mortuus est senex, quod pertinet ad diuturnitatem vitae, et plenus dierum, quod pertinet ad vitae prosperitatem, unde supra ad designandum suam adversitatem dixit sic et ego habui menses vacuos; unde et per plenitudinem dierum designatur abundantia ipsius et quantum ad bona fortunae et quantum ad bona gratiae, quibus perductus est ad futuram gloriam quae durat per omnia saecula saeculorum. Amen.

Comme dans ce qui précède le Seigneur avait repris Eliud et aussi Job, maintenant en troisième lieu il reprend ses amis, parmi lesquels principalement Eliphaz - ce qui ressort de ce qu’il a parlé le premier - d’où il dit après avoir ainsi parlé à Job, le Seigneur dit à Eliphaz de Theman : ma colère s’est allumée contre toi et tes deux amis c’est-à-dire Baldad et Sophar. Ici remarquons qu’Eliud avait péché par incapacité et Job par légèreté et ainsi ni l’un ni l’autre n’avait gravement péché; d’où l’on ne dit pas que le Seigneur est irrité contre eux mais contre les trois amis de Job qui avaient péché grave ment en prônant des vérités perverses, comme on l’a vu plus haut d’où il dit : parce que vous n’avez pas parlé correctement en ma présence, à savoir des vérités de la foi, comme l’a fait Job mon serviteur c’est-à-dire qui ne s’est pas écarté de la vérité de la foi. Pour expier les péchés plus graves, les anciens avaient coutume d’offrir des sacrifices, d’où il dit : prenez donc avec vous sept taureaux et sept béliers, parce qu’ils étaient les chefs des peuples; sept est le nombre de l’universel, d’où le septénaire des sacrifices est destiné à l’expiation des délits les plus graves. Mais comme ce sont les fidèles qui doivent réconcilier les infidèles avec Dieu, il dit : et allez trouver Job mon serviteur c’est-à-dire pour vous réconcilier avec moi par sa médiation et offrez pour vous un holocauste c’est-à-dire pour que vous expiiez, vous qui avez péché. Mais votre satisfaction a besoin du patronage d’un homme fidèle, d’où il dit Job mon serviteur priera pour vous, lui qui est digne d’être exaucé à cause de sa foi; d’où il dit : en considération pour lui, à savoir par sa prière que j’exaucerai, votre sottise ne vous sera pas imputée, celle de vos dogmes contraires à la foi; et il l’expose en ceci : parce que vous n'avez pas parlé correctement en ma présence comme l’a fait mon serviteur Job.

Dans l’espoir du pardon ils accomplirent ce qui leur était commandé, d’où ce qui suit s’en allèrent donc Eliphaz de Theman, Baldad de Shouah et Sophar de Naamah et ils firent comme leur avait dit le Seigneur. Et ainsi par leur humilité et leur obéissance ils ont été dignes que la prière de Job soit exaucée d’où ce qui suit et Dieu eut égard à la personne de Job qui implorait pour ses amis. Non seule ment l’humilité de ses amis rendit sa prière efficace mais aussi sa propre humilité, d’où il dit : le Seigneur aussi s’est converti, c’est-à-dire de la colère en la clémence à la pénitence de Job lorsqu’il priait pour ses amis; il était juste en effet que celui qui humblement avait fait pénitence pour un péché léger obtienne aussi le pardon pour de plus grands pécheurs.

Est plus utile aussi à chacun sa propre pénitence qu’aux autres; donc si la prière et la pénitence de Job ont écarté de ses amis l’indignation divine, il était encore bien plus indiqué que lui-même soit libéré de l’adversité. Et bien que Job ne mit pas son espoir en une prospérité temporelle à récupérer mais en l’obtention de la félicité future, cependant le Seigneur lui restitua par surcroît aussi la prospérité temporelle, selon ce que dit saint Matthieu 6, 33 " Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît". Et en ce temps là il était normal à cause du statut de l’Ancien Testament que les biens temporels soient promis, afin qu’ainsi par la prospérité qu’il avait retrouvée il donnât aux autres un exemple de conversion à Dieu. Cela convenait aussi à la personne même de Job dont la réputation avait été lésée à la suite de ses nombreuses adversités et donc pour le rétablir dans sa renommée Dieu lui rendit une situation et une prospérité plus grandes encore d’où ce qui suit et le Seigneur rendit aussi au double tout ce que Job avait eu.

Parmi les adversités de Job la principale était que ses amis l’avaient abandonné et de cette adversité on pose d’abord le remède lorsqu’on dit tous ses frères vinrent vers lui et toutes ses sœurs et tous ceux qui l’avaient connu auparavant, en quoi on rappelle l’amitié d’antan; et ils mangèrent avec lui le pain dans sa maison en quoi on désigne le retour à l’ancienne familiarité; et ils hochèrent la tête sur lui c’est-à-dire en compatissant à son affliction. Mais comme il ne suffit pas de compatir mais qu’il faut aussi apporter un remède à celui’ qui est affligé, ils lui prodiguèrent des paroles de consolation pour sa peine intérieure, d’où il dit et ils le consolèrent de tout le mal que le Seigneur avait amené sur lui; ensuite ils subvinrent à ses nécessités dans sa détresse extérieure; et parce qu’il avait perdu et des animaux dans la campagne et du mobilier de sa maison ils l’ai dent en ces deux choses; c’est ce qui suit et chacun d’eux lui offrit une brebis quant aux animaux et un anneau d’or quant au mobilier.

C’eut été insuffisant pour tout réparer; mais le Seigneur y mit lui-même la main pour que de ces petites choses il progresse vers de plus grandes, d’où ce qui suit le Seigneur bénit les derniers jours de Job c’est-à-dire en les multipliant plus qu’en son commencement à savoir que sa première prospérité; il est en effet " capable de faire au- delà de ce que nous pouvons ou demandons " (Eph. 3, ); or Job avait désiré plus haut 29, 2 que ce soit "comme aux mois d’antan"; mais le Seigneur restitua de plus grandes choses et en double, comme on vient de le dire (vers. ), d’où ce qui suit et lui advint quatorze mille brebis, or plus haut on dit : qu’il en possédait sept mille; et six mille chameaux car d’abord il en eut trois mille; il avait eu cinq cents couples de bœufs, d’où ici on pose mille couples de bœufs; plus haut aussi on a dit : qu’il eut cinq cents ânes, mais ici on indique le double comme suit et mille ânes.

Il avait perdu non seulement des biens mais aussi ses fils qui lui sont rendus mais non au double; suit en effet et il eut sept fils et trois filles , deux raisons a cela d’une part en ce qui concerne la vie future, car ses fils qu’il avait eu n’étaient pas totalement perdus mais lui étaient réservés dans la vie future pour vivre avec lui; d’autre part quant à ce qui concerne la vie présente, car si en même temps que sont doublées les autres choses, le nombre de fils était double, la fortune domestique n’en serait pas augmentée, car c’est la même quantité qu’avant qu’aurait reçu chacun de ses fils , et donc il fut plus juste que sa progéniture augmentât en valeur plutôt qu’en quantité. Ce qui est insinué d’une manière voilée dans les filles dont la beauté : Il est exprimée dans leurs noms, en effet ce qui suit et il appela le nom de la première, Jour, c’est-à-dire à cause de son éclat et le nom de la seconde (Daphné) : la cannelle a un arôme suave, et le nom de la troisième, Corne-de-fard, le fard sert aux femmes pour l’ornement de leurs yeux, comme on le lit au IV des Rois 9 30. Elle se mit du fard sur les yeux et orna ses cheveux", ce fard est conserve dans une corne pour qu’il soit a leur portée quand les femmes en ont besoin Et il l’a appelée Corne-de-fard pour indiquer la grande beauté des yeux, d'où ce qu’il dit au sujet de leur beauté il ne s’est pas trouve de filles sur la terre aussi belles que les filles de Job. On nous fait entendre aussi par la que ses fils étaient de grande vertu, en effet il dit : et a elles leur père donna l’héritage parmi leurs frères c’est-à-dire pour designer l’accord de leur vertu chez les uns et les autres.

Et parce que Job fut aussi frappé dans son corps, lui sont accordés de longs jours pour parfaire ainsi sa prospérité, d’où ce qui suit Job vécut après ces épreuves cent quarante années. Et pour qu’on sache bien qu’il vécût dans la prospérité au cours de ce laps de temps, il dit : et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération. Et elle dura jusqu’a la mort puisqu’on nous dit et il mourut vieux, ce qui concerne la longueur de sa vie et plein de jours pour indiquer la prospérité, d'où plus haut pour designer son adversité a-t-il dit : "Ainsi j’ai eu des mois vides"; donc la plénitude des jours signifie l’abondance et quant aux biens de la fortune et quant aux biens de la grâce, ceux-ci l’ayant conduit à la gloire future qui dure pour les siècles des siècles. Amen

 

 

 

 

 



[1] Bréviaire romain, Die 7 nov. Lect. 7.