COMMENTAIRE DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN

PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, Docteur de l'Eglise

notes prises en cours par son secrétaire, Frère Réginald de Piperno

(1269-1272)

II

La Passion, la mort et la Résurrection du Christ

CHAPITRES 12 à 21

 

Traduction sous la direction du père Marie-Dominique Philippe o. p.

LES ÉDITIONS DU CERF - www.editionsducerf.fr - 2006

 

Édition numérique à partir de la traduction, http://docteurangelique.free.fr, 2006, les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Préface par M.-D. PHILIPPE, o. p., Traduction et notes sous sa direction

 

Nihil obstat :
Fr. Martin Sabathé, Communauté Saint-Jean
Fr. Paul-Marie de Mauroy, Communauté Saint-Jean

Imprimi potest :
16 juillet 2005
Fr. Jean-Pierre-Marie Guérin-Boutaud
Communauté Saint-Jean, Prieur général

CHAPITRE XII : LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST   10

I. LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST   11

1. LA GLOIRE DU CHRIST_ 13

A. LE CHRIST GLORIFIE PAR LES HOMMES_ 13

a) Le Christ glorifié par ses intimes et par ses proches. 14

b) Le Christ glorifié par la foule des Juifs. 31

c) Le Christ glorifié par les Gentils. 42

B. LE CHRIST GLORIFIE PAR DIEU_ 56

a) La demande de la gloire. 56

b) La promesse de la gloire. 63

2. L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS_ 80

A. JEAN RAPPORTE L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS_ 81

a) Ceux qui ne croyaient pas du tout. 81

b) Ceux qui croyaient en secret. 93

B. LE CHRIST BLÂME L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS_ 95

a) Le devoir de croire. 95

b) Le fruit de la foi. 98

c) Le châtiment des incrédules. 100

CHAPITRE XIII : LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION   107

II COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION   108

1. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORMANT PAR UN EXEMPLE  109

L'EXEMPLE QUE LE CHRIST DONNA À SES DISCIPLES_ 110

A. L'EXEMPLE_ 110

a) L'amour fervent du Christ donnant l'exemple. 110

b) L'action par laquelle il donna l'exemple. 118

B. LA FINALITÉ DE L'EXEMPLE_ 128

a) Cet exemple est mystique. 129

b) Cet exemple est nécessaire. 132

c) Cet exemple convient. 134

C. LE CHRIST NOUS INVITE A IMITER SON EXEMPLE_ 139

a) Les circonstances de l'exhortation. 139

b) L'exhortation du Christ. 141

LA DÉFAILLANCE DES DISCIPLES QUI N'ÉTAIENT PAS CAPABLES DE SUIVRE LE CHRIST   156

A. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI TRAHIT LE CHRIST   156

a) La trahison du disciple. 157

b) Le départ du Christ. 174

B. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI RENIE LE CHRIST_ 192

a) Le désir et la hardiesse de Pierre. 192

b) Le Christ prédit son reniement. 194

CHAPITRE XIV : LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART   197

2. COMMENT LE CHRIST PRÉPARÉ SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES   199

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART_ 199

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT AU FAIT QU'ILS RESTENT   199

A. LE CHRIST ANNONCE QU'IL VA VERS LE PÈRE_ 199

a) Le Christ va vers le Père. 199

b) Le chemin par lequel il devait s'en aller. 211

c) Le Christ dissipe le doute qui s'élève chez son disciple. 223

d) Le Christ manifeste sa réponse à travers des œuvres. 229

B. LE CHRIST PROMET LE DON DE L'ESPRIT SAINT_ 240

a) Le Christ prépare ses disciples à recevoir l'Esprit Saint. 240

b) Le Christ promet l'Esprit Saint. 244

c) Le Christ explique la promesse de l'Esprit Saint. 246

C. LE CHRIST PROMET SA PRESENCE_ 252

a) Il promet à ses disciples son retour. 253

b) Il promet à ses disciples ses dons. 273

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART   274

A. IL LES CONSOLE PAR L'UTILITE DU FRUIT QUI SUIVRAIT SON DEPART   284

B. IL LES CONSOLE PAR LA CAUSE DE SA MORT_ 288

CHAPITRE XV : LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS À VENIR_ 292

LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS À VENIR   293

L'ALLEGORIE DE LA VIGNE ET DU VIGNERON_ 294

LE DÉVELOPPEMENT DE L'ALLÉGORIE_ 299

A. L'UNION DES SARMENTS A LA VIGNE_ 299

a) Le Christ exhorte ses disciples à demeurer en lui. 299

b) Le Christ donne les raisons de demeurer en lui. 302

c) La manière de demeurer en lui. 309

B. LA TAILLE DES SARMENTS_ 332

a) Pourquoi le Christ console ses disciples. 332

b) Le développement de ces raisons. 339

c) Le Christ rejette ce qui pourrait excuser les persécuteurs. 342

CHAPITRE XVI : COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES_ 360

LE CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS QU'IL VIENT DE DONNER À SES DISCIPLES POUR LES CONSOLER DE SON DÉPART ET DE LEURS FUTURES TRIBULATIONS_ 362

LE CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS DONNÉES AUX DISCIPLES  362

A. LA CONSOLATION PAR RAPPORT AUX TRIBULATIONS A VENIR   362

a) L'intention du Christ. 363

b)L'annonce de la persécution. 364

c) La raison de la persécution. 366

B. LA CONSOLATION PAR RAPPORT A SON DEPART_ 370

a) La promesse de l'Esprit Paraclet. 371

b) La promesse de le voir de nouveau. 396

c) L'accès auprès du Père. 407

L'EFFET DE L'EXPLICATION SUR LES DISCIPLES_ 427

A. LA CONFESSION DES DISCIPLES_ 427

B. LA FAIBLESSE DES DISCIPLES_ 429

C. L'INTENTION DU CHRIST DANS SON ENSEIGNEMENT   432

CHAPITRE XVII : PREPARATION A LA PASSION_ 435

3. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES RÉCONFORTANT PAR SA PRIÈRE_ 436

LE CHRIST PRIE POUR LUI-MÊME_ 437

A. LE CHRIST PRÉSENTE UNE DEMANDE AU PÈRE_ 437

a) L'ordre de sa prière. 437

b) Sa manière de prier. 438

c) Les paroles de sa prière. 438

B. LE CHRIST INDIQUE LE FRUIT DE SA DEMANDE_ 441

a) Le Christ présente le fruit de sa demande. 441

b) Le Christ explicite le fruit de sa demande. 442

C. LE MÉRITE DU CHRIST_ 447

LE CHRIST PRIE POUR L'ASSEMBLÉE DES DISCIPLES_ 450

A. LES RAISONS DE LA PRIÈRE DU CHRIST_ 450

a) Quant à ses disciples. 450

b) Quant à lui. 458

B. LE CONTENU DE LA PRIÈRE DU CHRIST_ 461

a) Il demande que ses disciples soient gardés. 462

b) Le Christ demande la sanctification de ses disciples. 472

LE CHRIST INTERCÈDE POUR TOUS LES CROYANTS_ 475

A. LE CHRIST PRÉSENTE SA PRIÈRE_ 476

a) La perfection de l'unité. 476

b) La vision de la gloire. 486

B. LA RAISON POUR LAQUELLE LA PRIÈRE DU CHRIST EST EXAUCÉE  493

a) Le défaut du monde. 494

b) Le progrès des disciples. 495

CHAPITRE XVIII : [LES SOUFFRANCES DE LA PART DES JUIFS] 499

III. LA RÉALISATION DU MYSTÈRE DE LA PASSION_ 500

1. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT DE LA PART DES JUIFS_ 502

COMMENT LE CHRIST EST LIVRE PAR UN DISCIPLE_ 502

A. LE LIEU_ 502

B. LES PRÉPARATIFS DU TRAÎTRE_ 505

C. LA VOLONTÉ D'AMOUR DU CHRIST D'ENDURER LA TRAHISON   506

a) Le Christ s'offre volontairement. 507

b) Le Christ arrête le disciple qui résiste. 512

COMMENT LE CHRIST EST PRÉSENTÉ PAR LES GARDES AUX CHEFS DU PEUPLE  516

A. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A ANNE_ 516

a) Comment le Christ est présenté à Anne. 516

b) Comment le Christ est examiné par Anne. 523

B. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A CAÏPHE_ 529

COMMENT LE CHRIST EST ACCUSE PAR LES CHEFS DU PEUPLE AUPRÈS DU GOUVERNEUR   533

A. LE CHRIST EST REMIS A PILATE_ 533

B. PILATE EXAMINE SA CAUSE_ 537

a) Comment Pilate examine le Christ en face des accusateurs. 537

b) Comment Pilate examine le Christ chez lui. 540

C. PILATE PROCLAME L'INNOCENCE DU CHRIST_ 552

CHAPITRE XIX : [LES SOUFFRANCES PAR LES PAÏENS] 554

2. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT SPÉCIALEMENT DE LA PART DES GENTILS   557

LA FLAGELLATION DU CHRIST_ 557

LA DÉRISION QUE SUBIT LE CHRIST_ 558

A. LES FAUX HONNEURS_ 558

B. LES OPPROBRES_ 560

LA CRUCIFIXION DU CHRIST_ 560

A. LA CRUCIFIXION DU CHRIST_ 561

a) La discussion entre Pilate et les Juifs. 561

b) La condamnation du Christ. 570

c) L'exécution de la sentence. 575

d) Ce qui suit la crucifixion. 580

B. LA MORT DU CHRIST_ 594

a) L'opportunité de la mort du Christ. 594

b) La description de sa mort. 597

c) La blessure du corps du Christ. 599

C. L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST_ 604

a) La possibilité et la permission d'ensevelir le Christ. 604

b) Le zèle de Joseph d'Arimathie. 605

c) Le lieu de la sépulture. 607

d) La sépulture elle-même. 608

CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION_ 609

LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ DANS SA PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION_ 609

I. LA RÉSURRECTION DU CHRIST_ 610

1. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX SAINTES FEMMES   611

A. LE TOMBEAU OUVERT_ 611

a) La vision qu'eut la femme. 612

b) L'annonce de ce qu'elle a vu. 614

c) La recherche de ce qui a été annoncé. 616

Β. L'APPARITION DES ANGES_ 625

a) La dévotion de Marie. 625

b) La vision des anges. 628

c) Les paroles des anges. 630

C. LA VISION DU CHRIST_ 632

a) La vision du Christ. 633

b) Marie reconnaît le Christ. 636

c) Marie est instruite par le Christ. 637

2. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES_ 643

A. L'APPARITION À TOUS LES APÔTRES, EXCEPTE THOMAS_ 644

a) L'apparition du Seigneur. 644

b) La remise du ministère. 650

c) La communication du don spiritue1. 652

d) Le doute d'un disciple. 656

B. L'APPARITION AUX APÔTRES, THOMAS ÉTANT PRÉSENT_ 660

a) L'apparition du Christ. 661

b) La confirmation de Thomas. 663

c) La récapitulation de tout ce qui a été dit dans l'Évangile. 669

CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION (SUITE) 671

II. LA TROISIÈME APPARITION DU CHRIST À SES DISCIPLES  672

1. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA DE MANIÈRE GÉNÉRALE À SES DISCIPLES  674

A. L'ANNONCE DE L'APPARITION_ 674

a) Le moment de l’apparition. 674

b) Le mode de l’apparition. 674

c) Le lieu de l’apparition. 675

Β. L'APPARITION DU CHRIST_ 675

a) Les disciples auxquels elle a été faite. 676

b) Leur activité. 676

c) La manière dont eut lieu l’ apparition. 681

C. ÉPILOGUE DES APPARITIONS_ 698

CHAPITRE XXI : [LE SECRET A PIERRE ET JEAN] 700

2. CE QUE LE CHRIST CONFIA PLUS SPÉCIALEMENT AUX DEUX DISCIPLES QU'IL AIMAIT D'UN AMOUR DE PRÉDILECTION_ 701

A. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A PIERRE_ 701

a) Le Christ lui confie sa charge de pasteur. 702

b) Le Christ annonce à Pierre son martyre. 712

B. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A JEAN_ 717

a) La recommandation de Jean par le Christ. 717

b) Éloge de son Évangile. 728

Index thématique 733

Table des références à l'Écriture sainte 748

 

CHAPITRE XII : LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST

I. LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST

Évangile selon saint Jean Chapitre XII

1 Jésus donc, avant les six jours de la Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, que Jésus avait relevé [d'entre les morts]. 2 On lui fit là un repas. Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui étaient à table avec lui. 3 Marie donc prit une livre de parfum d'un nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux, et la maison s'emplit de l'odeur du parfum. 4 Alors l'un de ses disciples, Judas Iscariote, celui qui allait le livrer, dit : 5 « Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés aux pauvres ? » 6 Or il dit cela, non parce qu'il se souciait des pauvres mais parce qu'il était voleur, et que tenant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait. 7 Jésus dit donc : « Laissez-la, c'est pour le jour de ma sépulture qu'elle devait garder ce parfum. 8 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours. »

9 La grande foule des Juifs sut qu'il était là et ils vinrent, non à cause de Jésus seulement, mais pour voir Lazare, qu'il avait relevé d'entre les morts. 10 Les princes des prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs s'en allaient a cause de lui et croyaient en Jésus.

12 Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, 13 prit des rameaux de palmiers et sortit au-devant de lui ; et ils criaient : « Hosanna ! Béni celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël ! » 14 Et Jésus trouva un petit âne et s'assit dessus, comme il est écrit : 15 « Ne crains pas, fille de Sion : voici que ton roi vient, assis sur le petit d'une ânesse. » 16 Cela, ses disciples ne le comprirent pas d'abord ; mais quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent que cela se trouvait écrit à son sujet et que c'était ce qu'on lui avait fait. 17 La foule donc rendait témoignage, celle qui était avec lui lorsqu'il appela Lazare du tombeau et le releva d'entre les morts. 18 C'est pour cela aussi que la foule vint au-devant de lui, parce qu'ils avaient appris qu'il avait fait ce signe. 19 Les pharisiens se dirent donc entre eux : « Vous voyez que nous ne gagnons rien. Voilà que tout le monde est parti après lui. »

20 Or il y avait quelques Gentils, de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête. 21 Ceux-ci donc s'avancèrent vers Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et ils le priaient en disant : « Seigneur, nous voulons voir Jésus. » 22 Philippe vient et il le dit à André ; puis André et Philippe le disent à Jésus. 23 Et Jésus leur répondit en disant : « L'heure est venue, où doit être glorifié le Fils de l'homme. 24 Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé tombant en terre ne meurt pas, 25 il demeure seu1. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime son âme la perdra, et celui qui hait son âme en ce monde la gardera en vie éternelle. 26 Si quelqu'un me sert, qu'il me suive : et où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. 27 Maintenant mon âme est troublée. Et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure. 28 Père, glorifie ton nom. » Vint donc une voix du ciel, disant : « Je l'ai glorifié, et de nouveau je le glorifierai. »

29 La foule donc, qui se tenait là et avait entendu, disait qu'il y avait eu un coup de tonnerre. D'autres disaient : « Un ange lui a parlé. »30 Jésus répondit et dit : « Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour vous. 31 C'est maintenant le jugement du monde. Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. 32 Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. » 33 Or il disait cela pour signifier de quelle mort il devait mourir.

34 La foule lui répondit : « Nous avons appris de la Loi, nous, que le Christ demeure à jamais. Et comment dis-tu, toi : "II faut que le Fils de l'homme soit élevé" ? Qui est ce Fils de l'homme ? » 35 Jésus leur dit donc : « Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent ; et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. 36 Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez des fils de lumière. » Jésus dit cela et il s'en alla et se cacha d'eux.

37 Mais bien qu'il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui, 38 pour que s'accomplît la parole que le prophète Isaïe avait dite : « Seigneur, qui a cru à ce qui a été entendu de nous, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? » 39 Voilà pourquoi ils ne pouvaient pas croire. Et parce qu'Isaïe a dit encore : 40 « II a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur, pour qu'ils ne voient pas de leurs yeux et ne comprennent pas par le cœur, pour qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » 41 Isaïe a dit cela quand il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui. 42 Cependant, même parmi les princes du peuple, beaucoup crurent en lui, mais à cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'être rejetés de la synagogue. 43 En effet, ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu.

44 Or Jésus cria et dit : « Qui croit en moi ne croit pas en moi mais en celui qui m'a envoyé. 45 Et qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. 46 Moi, la lumière, je suis venu dans le monde afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres.47 Et si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, moi je ne le juge pas. En effet, je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. 48 Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a quelqu'un qui le juge. La parole que j'ai dite, c'est elle qui le jugera au dernier jour. 49 Parce que moi ce n'est pas de moi-même que j'ai parlé. Mais le Père qui m'a envoyé m'a lui-même commandé ce que je dois dire et ce dont je dois parler.50 Et je sais que son commandement est vie éternelle. Et donc ce que moi je dis, comme le Père me l'a dit ainsi je le dis. »

 

 

1589. Auparavant l'Évangéliste a montré la puissance de la divinité du Christ à travers ce qu'il a fait et enseigné pendant sa vie1 ; ici il commence à montrer la puissance de sa divinité dans sa Passion et dans sa mort : il traite d'abord de sa Passion et de sa mort, puis de sa Résurrection [n°2470].

La première partie est divisée en trois : dans la première, il montre les causes ou les circonstances de sa Passion et de sa mort ; dans la deuxième, il expose comment le Christ prépare ses disciples avant de leur être retiré physiquement par sa Passion et par sa mort [n° 1727] ; dans la troisième, il traite de sa Passion et de sa mort [n° 2271]. La cause ou la circonstance de la Passion du Christ fut double : la gloire même du Christ, qui a suscité la jalousie, et l'incrédulité des Juifs. L'Évangéliste traite d'abord de la gloire du Christ, puis de l'incrédulité des Juifs [n° 1688].

1. LA GLOIRE DU CHRIST

À propos de la gloire du Christ, il montre comment le Christ a été glorifié par les hommes, puis comment il a été glorifié par Dieu [n° 1649].

A. LE CHRIST GLORIFIE PAR LES HOMMES

L'Évangéliste montre d'abord comment le Christ a été glorifié par ses amis et par ses proches, puis par la foule des Juifs [n° 1612] et, en troisième lieu, comment il a été glorifié par les Gentils2 [n° 1631].

1. Sur la manifestation au monde de la divinité du Christ, voir vo1. I, n° 335.

2. Sur ceux qui sont désignés par le terme « Gentils », voir vo1. I, n° 549, note 1.

a) Le Christ glorifié par ses intimes et par ses proches.

Jean commence par montrer la gloire du Christ à travers le service que lui ont prodigué ses intimes1, puis la jalousie suscitée par cela chez le traître [n° 1600].

La gloire du Christ à travers le service que lui ont prodigué ses intimes.

JÉSUS DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE, VINT À BÉTHANIE, OÙ ÉTAIT MORT LAZARE, QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS]. ON LUI FIT LÀ UN REPAS. MARTHE SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT UN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE AVEC LUI. MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM. (12, 1-3)

II décrit le temps, puis le lieu [n° 1592], et enfin l'hommage rendu au Christ [n° 1593].

JÉSUS DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE2

1590. Il dit donc d'abord que le Christ, avant la fête de la Pâque, s'en alla dans une région proche du désert et que, la solennité de la Pâque étant toute proche, les Juifs le cherchaient.

1. « Intimes » traduit ici le latin familiaritas. Sur le sens de ce mot, voir vo1. I, n° 1475, note 5.

2. L'Évangéliste, en employant l'expression les six jours de la Pâque, évoque ici les quelques jours qui précédaient la Pâque, fête que les Juifs commémoraient chaque année en souvenir de la délivrance du peuple d'Israël sortant d'Égypte. Le jour de la Pâque coïncidait avec le début de la semaine des azymes où on ne trouvait pas de pain levé chez les Hébreux. Comme le souligne saint Thomas plus loin (n° 1591), les six jours avant la Pâque ont une importance particulière puisqu'ils sont les jours où le Christ s'est avancé vers sa Passion. Ils sont célébrés d'une manière particulière chez les chrétiens par la Semaine Sainte.

Ainsi, comme approchait le temps de la Pâque où l'agneau symbolique était immolé, Jésus lui-même, l'agneau véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il devait être immolé de son plein gré pour le salut du monde - Il s'est offert parce que lui-même l’α voulu3.

Il dit AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE pour que tu comprennes le jour de la Pâque non pas comme le quatorzième jour du premier mois où, le soir venu, l'agneau pascal était immolé, comme on le voit au chapitre 12 de l'Exode, mais plutôt ici comme le quinzième jour - qui était tout entier un jour de fête -, et cette année-là ce fut le sixième jour de la semaine4 que le Seigneur souffrit ; c'est ainsi que le sixième jour avant la Pâque fut le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le jour du Seigneur, où le Seigneur entra dans Jérusalem [accueilli] avec des rameaux de palmiers. Et le jour précédent, autrement dit le jour du sabbat, le Christ vint à Béthanie : c'est pourquoi il est dit AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE.

1591. Or ce chiffre convient bien aux mystères. D'abord quant au chiffre lui-même : en effet, un nombre composé de six est parfait, d'où il vient que Dieu acheva l'œuvre de la création en six jours, comme il est dit au premier chapitre de la Genèse. Et à cause de cela il convenait que l'œuvre de la Passion, par laquelle tout a été repris5, fût en quelque sorte accomplie en six jours - Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les deux1. - Dans le Christ Dieu se réconciliait le monde2.

3. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate).

4. « Le jour de la semaine » traduit le latin feria (voir ci-dessous, n° 2471). C'est donc le jour du sabbat qu'était célébrée la Pâque cette année-là ; voir Jn 19, 31 - car c'était un grand jour que ce sabbat et ci-dessous, n" 2455.

5. Voir Alcuin, Commentaria in Sancti Ioannis Evangelium (Glossa), V, 28, PL 100, co1. 906.

D'autre part, il convient au mystère quant à ce qu'il représente. En effet, il est prescrit au livre 12 de l'Exode que chacun, le dixième jour du premier mois, prenne par famille un agneau pascal à immoler. C'est la raison pour laquelle le Seigneur a voulu entrer à Jérusalem le dixième jour du premier mois, qui est le sixième jour avant le quinzième, comme pour s'avancer vers le lieu de son immolation. Cela est manifeste d'après ce qui est dit plus loin : Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, prit des rameaux de palmiers et sortit au-devant de lui3.

VINT À BÉTHANIE

1592. C'est ensuite le lieu qui est décrit. Or c'était un village proche de Jérusalem et dont le nom signifie littéralement « maison d'obéissance4 » - ce qui convenait au mystère.

Premièrement quant à la cause de la Passion : Il s'est fait obéissant - au Père -jusqu'à la mort5 ; deuxièmement quant à son fruit, que seuls obtiennent ceux qui lui obéissent - II a été fait, pour tous ceux qui lui obéissent, cause de salut éternel6.

1. Col 1, 20. 2. 2 Co 5, 19. 3. Jn 12, 12-13.

4. Voir vo1. I, nos 252 et 1473.

5. Ph 2, 8. Voir vo1. I, n° 1422, note 1.

6. He 5, 8-9 : Il apprit de ce qu'il souffrit l'obéissance et ainsi conduit à sa perfection il a été fait pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éterne1. Saint Thomas commente ainsi ces versets : « Il apprit de ce qu'il souffrit, c'est-à-dire il en a fait l'expérience. Et l'Apôtre parle ainsi parce que celui qui a appris quelque chose a vraiment voulu le connaître. Or le Christ a voulu accepter notre fragilité. Et c'est pourquoi il dit qu'il a appris l'obéissance, c'est-à-dire combien il est dur d'obéir : lui-même a obéi dans des choses très dures et très difficiles, puisqu'il est allé jusqu'à la mort de la Croix (Ph 2, 8). Et cela montre combien difficile est le bien de l'obéissance. Car ceux qui nont pas fait l'expérience de l'obéissance, et ne l'ont pas apprise dans des choses difficiles, croient qu'obéir est très facile. Mais pour φιε tu saches ce qu'est l'obéissance, il faut que tu apprennes à obéir dans des choses difficiles, et celui qui n'a pas appris à s'abaisser en obéissant ne sait jamais gouverner en commandant bien. Le Christ Peut donc avoir su de toute éternité par une simple connaissance (notitia) ce qu'est l'obéissance ; cependant il a appris - par l'expérience - l'obéissance de ce qu'il souffrit, c'est-à-dire dans des choses difficiles, à savoir par les souffrances et la mort - Par l'obéissance d'un seul la multitude sera constituée juste (Rm 5, 19) » (Ad Heb. lect., V, n° 259).

En outre, il est clairement ajouté : OÙ ÉTAIT M ORT LAZARE, QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS], parce que dans la maison d'obéissance ceux qui sont morts spirituellement dans leurs péchés sont ressuscites en étant ramenés à la vie de la justice - Par l'obéissance d'un seul la multitude sera constituée juste7. Mais cela est dit aussi au sens littéral pour montrer que le Christ vint à Béthanie pour faire mémoire de la résurrection de Lazare – Il a laissé un mémorial de ses merveilles, le Seigneur compatissant et miséricordieux8.

ON LUI FIT LÀ UN REPAS. MARTHE SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT UN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE AVEC LUI. MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM.

1593. L'Évangéliste montre ensuite l'hommage9 rendu au Christ par ses intimes, et cela d'abord en général, de la part de tous, puis en particulier, de la part de chacun [n° 1595].

1594. Or il convenait au mystère10 que ce fût LÀ - à Béthanie - qu'ON LUI FIT UN REPAS, parce que le Seigneur se repose, au sens spirituel, dans la maison d'obéissance, en se réjouissant de notre obéissance - Si quelqu 'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi1.

7. Rm 5, 19.

8. Ps 110, 4.

9. « Hommage » traduit ici le mot obsequium. Dans le vo1. I, n° 1510, obsequium est traduit par obéissance. Ici, il a le sens de « hommage », et donc aussi de déférence, de soumission respectueuse.

10. Dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, saint Thomas distingue constamment un sens « littéral » et un sens « mystique ». Ses expressions les plus fréquentes sont : convenu mysterio, secundum mysterium, mystice, sensus mysticus, pour évoquer le sens mystique ; et ad litteram, ad litteram pertinet, litteraliter, sensus litteralis, pour évoquer le sens littéra1. Pour la compréhension de ces différentes expressions, voir vo1. I, Préface, p. 17 sq. Pour saint Thomas, le sens mystique est le sens littéral divin, où la lettre est porteuse du mystère, où la lettre conduit au mystère. Au-delà de la distinction du sens littéral historique et du sens spirituel, c'est le sens voulu par l'auteur principal, l'Esprit Saint. Voir Somme théol, I, q. 1, a. 10, c. ; Quodlibeta VII, q. 6, a. 1, c. et a. 3 ; Ad Gai. lect., n° 254.

1595. Trois personnes sont ensuite présentées, qui se tiennent auprès de lui ou qui le servent : Marthe, Lazare et Marie.

Marthe représente ceux qui ont l'autorité dans l'Église, qui sont institués dans les Églises pour le service - Qu'on nous regarde comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu2. C'est pourquoi il est dit : MARTHE SERVAIT - Marthe était absorbée par les multiples soins du service3.

Quant à Lazare ressuscité, il représente ceux qui, ayant été ramenés de leurs péchés à l'état de justice, sont remis à l'autorité des supérieurs de l'Église, et qui, avec les autres justes, mangent, au sens spirituel, à la table du Seigneur - Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d'une grande joie 4.

Marie représente les contemplatifs. Il est dit en effet en saint Luc que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait ses paroles5.

1.Ap 3, 20.

2. 1 Co 4, 1. Saint Thomas commente : « Et des intendants des mystères de Dieu, c'est-à-dire de ses secrets, qui sont ses enseignements spirituels - L'esprit est celui qui dit les mystères (1 Co 14, 2) ; ou encore les sacrements de l'Église, dans lesquels la puissance divine opère en secret le salut. C'est aussi pourquoi il est dit dans la formule de consécration de l'Eucharistie : Mysterium fidei » (Ad 1 Cor. lect., IV, n° 186).

3. Le 10, 40.

4. Ps 67, 4.

5. Le 10, 39. Saint Thomas, après avoir évoqué les différents aspects de la vie contemplative sur la terre (Somme théol, II-II, q. 180), parle longuement des rapports entre la vie contemplative et la vie active (q. 182). Il montre tout d'abord (q. 182, a. 1, a), à la suite d'Aristote (voir Éthique à Nicomaque, X, 7-8), la supériorité de la vie contemplative sur la vie active par huit raisons : « 1. La vie contemplative convient à l'homme selon ce qu'il y a de meilleur en lui, qui est l'intelligence. (...) La vie active, elle, est occupée de choses extérieures (...). 2. La vie contemplative peut être plus continue, mais non pas quant au degré suprême de contemplation (cf. q. 180, a. 8). Aussi nous montre-t-on Marie, figure de la vie contemplative, assise sans bouger aux pieds du Seigneur (Le 10, 39). 3. Il y a plus de délectation dans la vie contemplative que dans la vie active. D'où la parole d'Augustin : "Marthe s'agitait, Marie festoyait". 4. Dans la vie contemplative, l'homme se suffit davantage à lui-même, ayant besoin de moins de choses pour s'y livrer. D'où cette parole : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et te troubles pour beaucoup de choses (Le 10, 41). 5. La vie contemplative est davantage aimée pour elle-même, tandis que la vie active est ordonnée à autre chose - J'ai demandé au Seigneur une seule chose, et c'est elle que j'entends poursuivre, qui est d'habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour voir les délices du Seigneur (Ps 26, 4). 6. La vie contemplative se présente comme un loisir et un repos - Donnez-vous du loisir et voyez que je suis Dieu (Ps 45, 11). 7. La vie contemplative concerne le divin, la vie active concerne l'humain. "Au commencement était le Verbe, écrit Augustin, voilà celui que Marie écoutait ; le Verbe s'est fait chair, voilà celui que Marthe servait". 8. La vie contemplative appartient à ce qu'il y a de proprement humain dans l'homme, c'est-à-dire l'intelligence, tandis que les puissances inférieures, communes à l'homme et à la bête, ont part aux opérations de la vie active. D'où le psaume (35, 7-10), après avoir dit : Tu sauveras, Seigneur, les hommes et les bêtes, ajoute ceci, qui est spécial à l'homme : Dans ta lumière nous verrons la lumière ». Et saint Thomas, à la fin de sa réponse ajoute une neuvième raison, qui vient directement du Christ lui-même : Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée (Le 10, 42). Mais au-delà de cette supériorité de la vie contemplative sur la vie active, qu'il affirme à d'autres reprises (voir surtout q. 182, a. 2, c. et a. 4, c), saint Thomas montre cependant aussi les bienfaits de la vie active qui apporte le réalisme du don et de l'engagement et qui devient la disposition à une vraie vie contemplative (voir q. 182, a. 3, c, et ci-dessous, n° 2487, note 2).

MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM. (12, 3)

1596. À propos du service de Marie on traite de trois aspects qui concernent le sens littéra1. Premièrement le parfum avec lequel elle a rendu hommage au Christ, puis l'hommage qu'elle a rendu - [ELLE] OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ; enfin l'effet de son hommage - ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM.

Par rapport au parfum on note d'abord sa quantité car il y en avait beaucoup : UNE LIVRE, dit l'Évangéliste - Si tu as beaucoup, distribue avec abondance6. Puis sa matière : il était fait de NARD - Tandis que le roi était étendu sur sa couche, mon nard a donné son odeur7. Le nard, en effet, est une herbe de petite taille, avec des épis, de couleur noire, à partir de laquelle est fait un parfum qui a une vertu réconfortante par son arôme. Enfin, l'Évangéliste note la qualité de sa composition, puisqu'il dit : PUR, DE GRAND PRIX. Selon Augustin, ce parfum est dit PUR en raison du lieu où le nard poussait, mais il vaut mieux comprendre PUR au sens de « fidèle » ou « fiable », c'est-à-dire qui n'a pas été rendu artificiel par quelque mélange, car pistis en grec signifie la même chose que fides (foi, fidélité)1. En outre il ajoute DE GRAND PRIX, parce que ce parfum avait été confectionné à partir d'un épi de nard, dont on fait un parfum précieux et auquel on mélange parfois d'autres choses précieuses. En cela nous apprenons que les choses qui sont les plus précieuses à nos yeux, nous devons les offrir à Dieu -Je t'offrirai de gras holocaustes avec la fumée des béliers2. - Maudit soit le fourbe qui possède dans son troupeau un mâle et qui, pour faire un vœu, offre au Seigneur une bête avariée3.

6. Tb 4, 9.

7. Ct 1, 12.

Par rapport à l'hommage rendu par Marie, remarque d'abord son humilité : elle OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS en se jetant à ses pieds - Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds4. Puis sa soumission aimante (devotio5), car elle LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX pour offrir en quelque sorte l'hommage de sa propre personne -Présentez vos membres comme des armes de justice au service de Dieu6.

L'effet de son hommage au Christ est ensuite montré quand il est dit : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM ; cela nous indique la bonté du parfum dont l'odeur a rempli toute la maison - Nous courrons à l'odeur de tes parfums7.

1. Tractatus in Iohannis Evangelium, L, 6, ΒΑ 73Β, p. 267-269. Voir aussi saint Jérôme, Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7.) SC 259, p. 237 : « Un autre Évangéliste [que Matthieu] a mis "du nard pur" (pistica), c'est-à-dire authentique, non falsifié, pour figurer la foi de l'Église et des Gentils ».

2. Ps 65, 15.

3. Ml 1, 14

4. Ps 131,7.

5. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5, et n° 1391, note 6.

6-Rm 6, 13.

7. Ct 1, 3 (verset propre à la Vulgate).

1597. Quant à savoir si la femme dont on dit ici qu'elle a oint le Seigneur est la même que celle dont il est question dans Luc, Matthieu et Marc8, cela est mis en doute.

Selon Jérôme9 et Chrysostome10, beaucoup pensent que la femme pécheresse dont parle Luc ne serait pas Marie, la sœur de Lazare, dont il est dit qu'elle a oint le Seigneur.

Origène11, lui, ajoute que ce ne serait même pas la même femme que celle dont parlent Matthieu et Marc mais encore une troisième : et cela, il veut le prouver de trois manières. Premièrement d'après le temps : en effet, celle-ci a oint le Seigneur avant les six jours de la Pâque, et celle dont parlent Matthieu et Marc, moins de deux jours avant la Pâque. De fait, juste avant, Matthieu précise que le Seigneur avait dit : Vous savez que la Pâque tombe dans deux jours 12. Et Marc : La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu deux jours plus tard13. Deuxièmement d'après le lieu : en effet, au sujet de cette femme-là nous lisons qu'elle a oint le Seigneur dans la maison de Simon le lépreux ; or il est montré ici que cela s'est produit dans la maison de Marthe, puisqu'il est dit que Marthe servait, comme le dit aussi Augustin. Troisièmement d'après le fait lui-même : on lit que cette femme-là a parfumé la tête du Seigneur et celle-ci ses pieds.

Cependant selon Augustin14 et Grégoire 15, c'est une seule et même femme qui, rapportent les quatre Évangélistes, a oint le Seigneur, mais elle l'a fait deux fois.

8. Cf. Le 7, 37 ; Mt 26, 7 ; Me 14, 3.

9. Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7), SC 259, p. 236.

10. In Matthaeum homiliae, LXXXI, 1, PG 58, co1. 723.

11. Commentaria in Evangelium secundum Matthaeum, LXXVII, GCS 38, p. 178-183.

12. Mt 26, 2.

13. Me 14, 1.

14. De consensu Evangelistarum, II, 79, 154, PL 34, co1. 1154-1155.

15. XL homiliarum in Evangelia libri duo, II, hom. 33, 1, PL 76, co1. 1239 C.

Une première fois au début de sa conversion, au temps de la prédication du Christ - ce que rapporte Luc * ; et une deuxième fois, alors que la Passion du Christ était imminente - ce que rapportent les trois autres Évangélistes. C'est donc le même fait qui est raconté ici et que l'on trouve dans Matthieu et Marc2.

Pour répondre à la première objection qui montre la discordance de temps, il faut dire, selon Augustin, que Jean garde l'ordre historique, alors que Matthieu et Marc placent ce fait, à la manière d'un souvenir, juste avant la trahison de Judas dont on croit qu'il a été l'occasion.

Quant à l'objection concernant le lieu, on peut comprendre que la maison de Simon le lépreux serait aussi celle de Marie et de Marthe dont Simon aurait été le chef de famille, et qu'il était appelé « le lépreux » parce qu'il avait d'abord été lépreux et avait été guéri par le Christ.

À la troisième objection au sujet du fait lui-même, il faut répondre, selon Augustin, que la femme a parfumé à la fois les pieds et la tête du Seigneur.

1598. Et si quelqu'un fait une objection à ce que dit Marc, à savoir que, ayant brisé le flacon, elle versa le parfum sur la tête de Jésus alors qu'il était à table, on peut répondre de deux manières.

D'une première manière, qu'il ne fut pas brisé sans qu'il en soit resté de quoi lui oindre aussi les pieds. D'une autre manière, on peut dire qu'elle a d'abord oint ses pieds et qu'ensuite, après avoir brisé le flacon, elle a versé tout le reste sur sa tête3.

1599. Selon le mystère, la livre de parfum que Marie a prise signifie une œuvre de justice4 : en effet, c'est à la justice qu'il appartient de mesurer et de peser les réalités singulières - Leur poids sera égal par rapport à la mesure du kor5. Or une œuvre de justice doit être parfaite, grâce à l'apport de quatre vertus. Premièrement la piété, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : DE PARFUM. Le parfum, parce qu'il adoucit, signifie la miséricorde - Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas fait miséricorde6. Deuxièmement l'humilité, et c'est pourquoi il dit : D'UN NARD. Le nard, étant une herbe de petite taille, signifie l'humilité - Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand7. Troisièmement la fidélité, et c'est pourquoi il dit : PUR, c'est-à-dire fidèle (fidelis) - Mon juste vivra par la foi (fide) 8. Quatrièmement la charité : DE GRAND PRIX, car seule la charité garantit le prix de la vie éternelle - Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres (...) si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien9.

C'est bien par une œuvre de justice que les pieds de Jésus sont oints, ainsi que sa tête. Par ses pieds nous entendons le mystère de son humanité et par sa tête sa divinité, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens : La tête du Christ est Dieu10, pour que celui qui vénère sa divinité et son humanité comprenne qu'il doit oindre et la tête et les pieds du Christ. Ou bien par sa tête nous pouvons entendre la personne même du Christ, selon ce passage de l'épître aux Éphésiens : Il l'a établi tête sur toute l'Église \ Et par ses pieds, les fidèles du Christ, dont Matthieu dit : Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait2. Et Isaïe : Qu'ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce et proclame la paix !3 Ainsi, celui qui vénère le Christ lui-même oint la tête du Christ et celui qui honore ses fidèles oint ses pieds. Et parce que les cheveux sont produits par surabondance, les pieds du Seigneur sont essuyés avec les cheveux, puisque quelqu'un subvient au manque de ses proches en prenant de son superflu - Donnez plutôt en aumônes ce que vous avez en trop4. C'est pourquoi Augustin5 dit : « Si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu as essuyé les pieds du Seigneur. » D'autre part, à travers les paroles suivantes : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM, il est signifié que, grâce aux œuvres de justice, la bonne renommée remplit toute l'Église - Par nous, il répand en tout lieu le parfum de sa connaissance : car nous sommes la bonne odeur du Christ6.

1. Cf. Lc7, 37.

2. Cf. Mt 26 ; Me 14.

3. Saint Thomas poursuit les remarques que saint Augustin propose pour identifier la sœur de Lazare et la femme pécheresse (De consensu Évangelistarum, II, 79, 155, PL 34).

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., L, 6, BA 73B, p. 267.

5. Ez 45, 11. Le kor (l'homer ou le muid) est une ancienne unité de mesure - C'est à partir du kor que les mesures seront fixées (Ez 45, 11) - prise pour les liquides, les grains et diverses matières, et dont la contenance variait selon les pays et les marchandises. Cela explique la diversité des notes dans les différentes traductions bibliques. Ainsi la Bible de Jérusalem donne pour le kor (ou homer ou muid) la contenance de 450 litres. Par contre la Bible du chanoine Osty donne pour le kor la contenance de 364 litres. Il faut noter le 1/2 kor, le livek, 225 ou 182 litres, et le 1/10 kor, l'épha ou le bat, 45 ou 36,4 litres. Le verset 11 de ce passage d'Ézéchiel est souvent traduit ainsi : « Leur poids sera égal à la mesure du kor. Que la mesure contienne un dixième de kor et le boisseau un dixième de kor. C'est à partir du kor que les mesures seront fixées », traduction où le boisseau et la mesure représentent l'épha, le 1/10 du kor. Il est peut-être intéressant de noter que le kor représentait la charge que pouvait porter un âne. Dans ce passage d'Ézéchiel, Yahvé invite son peuple à la justice : il l'exhorte à avoir des mesures justes.

6. Je 2, 13.

7. Si 3, 20.

8. Ha 2, 4.

9. 1 Co 13, 3.

10. 1 Co 11, 3.

La jalousie du traître.

ALORS L'UN DE SES DISCIPLES, JUDAS ISCARIOTE, CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER, DIT : « POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS DENIERS QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES ? » OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, ET QUE TENANT LA BOURSE, IL DÉROBAIT CE QU'ON Y METTAIT. JÉSUS DIT DONC : « LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. » (12, 4-8)

1600. Puis nous est montrée la jalousie du traître que le service dont nous venons de parler [le geste de Marie] a suscitée. Et cela de deux manières : l'Évangéliste montre d'abord la jalousie du traître, puis la correction de cette jalousie [n° 1607].

1. Ep 1, 22.

2. Mt 25, 40.

3. Is 52, 7.

4. Lc 11, 41.

5. Tract, in Io., L, 6, ΒΑ 73B, p. 269.

6. 2 Co 2, 14-15. Voir vo1. I, n° 1546, note 4.

I

Il montre la jalousie du traître d'abord en décrivant sa personne, puis en exposant ses paroles [n° 1602], et enfin en manifestant la malice de son intention [n° 1603].

Sa personne

1601. Sa personne est manifestée par trois choses. En premier lieu par sa dignité, lorsqu'il est dit : ALORS L'UN DE SES DISCIPLES (...) DIT, pour montrer que personne, quelle que soit l'excellence en laquelle il a été établi, ne doit présumer de lui-même, car il est dit dans Job : Chez ses anges il a trouvé une faute7.

7. Jb 4, 18. Saint Thomas commente : « Et assurément cette phrase est tout à fait selon l'enseignement de la foi catholique. La foi catholique soutient en effet que tous les anges ont été créés bons, mais que certains par leur propre faute sont déchus de leur état de rectitude, alors que d'autres sont parvenus à une gloire plus grande. Le fait que des anges soient tombés de cet état de rectitude paraît étonnant pour deux raisons, dont l'une concerne leur capacité de contempler et l'autre leur capacité d'agir. » Quant à leur capacité de contempler, saint Thomas ajoute : « Comme les anges paraissent adhérer à Dieu plus que les autres créatures, et de manière plus proche en tant qu'ils le contemplent avec plus de pénétration, ils semblent plus stables que les autres créatures, et cependant ils ne furent pas stables. Aussi les créatures inférieures - c'est-à-dire les hommes -, si liées soient-elles à Dieu dans le culte qu'elles lui rendent - qui est de le servir -, peuvent-elles encore moins être tenues pour stables » (Exp. super lob, 4, 18, p. 31-32, 1. 411-440).

En second lieu par son nom : JUDAS ISCARIOTE. Or Judas signifie « celui qui confesse * », pour signifier qu'outre la confession2 qui relève de la vertu et dont il est dit dans l'épître aux Romains : La confession des lèvres se fait en vue du salut3, il y a une certaine confession blâmable et intéressée dont parle le psaume : Il te confessera (flattera) lorsque tu lui auras fait du bien4.

En troisième lieu par son crime : CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER - Celui qui mangeait mon pain a levé le talon contre moi5.

Ses paroles

POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ETE VENDU TROIS CENTS DENIERS QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES ?

1602. Ensuite sont exposées les paroles mêmes de Judas, à partir desquelles il nous est montré qu'à la bonne odeur du parfum il était mort spirituellement6, selon ce passage de la deuxième épître aux Corinthiens : Nous sommes la bonne odeur du Christ : pour les uns, une odeur de mort qui conduit à la mort ; pour les autres, une odeur de vie qui conduit à la vie1. Il lui déplaisait en effet que le parfum n'ait pas été vendu, mais répandu en hommage au Christ ; c'est pour cette raison qu'il dit : POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS DENIERS ? Mais comme il est dit, les ministres de Satan se déguisent en ministres de justice8. Voilà pourquoi il cachait son iniquité sous une apparence de piété9, en disant : QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES - Son cœur fait l'iniquité pour feindre et pour parler à Dieu en le trompant d'une manière fourbe10.

1. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 61, 27-28), CCL, vo1. LXXII, p. 136.

2. Saint Thomas, dans la Somme théologique, distingue l'acte intérieur de la foi et son acte extérieur, qui est la confession de foi. Citant un passage de l'épître aux Romains (10, 10), il montre que « la confession de foi n'est pas de nécessité de salut à tout moment et en tout lieu », mais qu'elle est nécessaire « quand, par omission de cette confession, on soustrairait à Dieu l'honneur qui lui est dû, ou on priverait le prochain de l'utilité qu'on doit lui procurer » (II-II, q. 3, a. 2, c).

3. Rm 10, 10.

4. Ps 48, 19. Voir vo1. I, n° 893, note 2.

5. Ps 40, 10.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., L, 8, BA 73B, p. 273 : « Si tu as aimé celui qui fait le bien, la bonne odeur t'a fait vivre ; si tu as jalousé celui qui fait le bien, la bonne odeur te fera mourir », et loc. cit., 10, BA 73B, p. 277 : « Pierre et Judas reçurent le même pain [eucharistique], et cependant qu'y a-t-il de commun entre le fidèle et l'infidèle ? (2 Co 6, 15) Pierre en effet reçut ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Il en va en effet de cette bonne nourriture comme de cette bonne odeur : comme la bonne odeur, la bonne nourriture donne elle aussi la vie aux bons et la mort aux méchants. En effet, celui qui la mange indignement mange et boit sa propre condamnation (1 Co 11, 29) ». 7.2 Co 2, 15-16.

1603. Aussi l'Évangéliste met-il à découvert l'intention trompeuse de Judas en ajoutant : OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES. En effet il ne se souciait pas de leur venir en aide, parce que, comme il est dit dans les Proverbes : Les entrailles des impies sont cruelles11 ; MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, il avait l'habitude de voler et déplorait que l'occasion de voler lui ait été enlevée par l'effusion du parfum ; et c'est par cette avarice qu'il a été conduit à la trahison. Il est dit en effet dans l'Ecclésiastique : Pour l'avare, rien n'est trop criminel12. - Le voleur ne vient que pour voler, et pour mettre à mort et pour perdre 13.

Du fait donc qu'il avait l'habitude de voler, l'Évangéliste ajoute cette explication : ET QUE TENANT LA BOURSE, c'est-à-dire établi gardien de la bourse du Seigneur, il portait avec lui, en raison de son service, CE QU'ON Y METTAIT, les dons des fidèles destinés à l'usage du Christ et des pauvres, mais il les emportait en voleur.

8. Cf. 2 Co 11, 15.

9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem homiliae, LXV, 2, PG 59, co1. 362.

10. Is 32, 6.

11. Pr 12, 10.

12. Si 10, 9 (verset propre à la Vulgate). 13. Jn 10, 10.

1604. Ici on remarque deux choses. Premièrement, le fait que le Christ vivait d'aumônes, comme un pauvre - Et moi je suis mendiant et pauvre1. Deuxièmement, que ce n'est pas un manque de perfection que de garder des aumônes en réserve ; c'est pourquoi, ce qui est dit dans Matthieu : Ne vous inquiétez pas du lendemain2, ne signifie pas qu'il ne faut rien garder en réserve pour le lendemain, puisque le Seigneur a fait cela, lui qui fut le modèle souverain de la perfection.

1605. Mais, demande-t-on, pourquoi le Seigneur a-t-il confié à Judas la garde de la bourse, alors qu'il le savait voleur ?

À cela il faut répondre de trois manières. D'abord, selon Augustin3, le Christ a fait cela pour que son Église, lorsqu'elle a à souffrir de voleurs, les supporte : car celui qui n'a pas pu supporter les mauvais n'est pas bon - Comme le lis entre les chardons, ainsi est ma bien-aimée entre les jeunes femmes*. D'autre part, le Seigneur lui a confié la bourse pour lui enlever une occasion de trahison, puisqu'il avait avec la bourse de quoi apaiser sa convoitise5 ; mais, comme il est dit dans l'Ecclésiaste : L'avare ne se rassasiera pas d'argent6. Enfin, selon d'autres7, c'est pour enseigner que les choses spirituelles doivent être confiées aux plus grands mais les choses temporelles aux moins dignes ; c'est pourquoi les Apôtres ont dit : Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables8, mais ont confié ce service à l'un des sept diacres.

1. Ps 39, 18.

2. Mt 6, 34.

3. Tract, in Io., L, 11, BA 73B, p. 279.

4. Ct 2, 2.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, co1. 363.

6. Qo 5, 9.

7. Cf. ThÉophylacte, Enarratio in Évangelium S. Ioannis. In h. toc-, PG 124, co1. 118 D.

1606. On se demande aussi comment il est dit ici que seul Judas a fait une remarque sur ce parfum répandu, alors que d'après Matthieu ce sont des disciples.

Mais là il faut dire9 que Matthieu emploie le pluriel à la place du singulier, de même qu'il est dit : Ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant10. Ou bien on peut dire11 que d'abord Judas a murmuré et que, à cause de lui, les autres ensuite ont été poussés à proférer des paroles semblables, bien que n'ayant pas la même intention.

II

JESUS DIT DONC : « LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. » (12, 7-8)

1607. Après avoir exposé la jalousie du traître à cause de l'hommage de la femme, l'Évangéliste montre ici la correction de cette jalousie : d'abord le Seigneur repousse l'accusation calomnieuse que Judas avait portée contre la femme ; puis il exclut la raison pieuse que ce même Judas avait prétendue [n° 1610].

8. Ac 6, 2.

9. Cf. saint Jérôme, Commentaire sur Saint Matthieu, TV, 7 (26, 8), SC 259, p. 237-239. Saint Jérôme nomme cette construction syllepsis ; en fait, il s'agit de la synecdoque, « figure de rhétorique qui consiste à prendre le plus pour le moins, la matière pour l'objet, l'espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le plurie1... ou inversement » (P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, t. 6, Art. Synecdoque, Le Nouveau Littré, Paris, 1980).

10. Mt 2, 20.

11. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, co1. 363 ; saint Augustin, De consensu Evangelistarum, II, 79, 156, PL 34, co1. 1155-1156.

1608. Il dit donc : LAISSEZ-LA, c'est-à-dire : ne l'empêchez pas1. Il faut savoir en effet que beaucoup de bonnes œuvres sont accomplies, que nous n'aurions pas conseillé de faire si on nous avait demandé conseil auparavant, parce que peut-être elles auraient pu être meilleures ; cependant, une fois qu'elles ont été commencées, pourvu qu'elles soient bonnes, on ne doit pas les empêcher. Et comme le dit Chrysostome2, Jésus, avant que la femme eût répandu le parfum, aurait peut-être plutôt choisi qu'il fut donné aux pauvres ; mais puisque cela avait déjà été fait, il arrête ceux qui l'en empêchent, en disant : LAISSEZ-LA - N'empêchez pas celui qui fait le bien ; et si tu le peux, toi-même jais le bien3.

Et il ajoute : C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM : ici, il annonce pour la première fois l'imminence de sa mort et l'hommage que cette femme aurait été prête à lui rendre pour son ensevelissement, si elle n'avait été devancée par la prompte Résurrection du Christ : en effet, comme on le lit dans Marc4, Marie-Madeleine ainsi que d'autres femmes achetèrent des aromates pour aller oindre Jésus. C'est pourquoi il dit : C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM, c'est-à-dire non pas celui qui a été répandu mais un parfum semblable soit par l'espèce, soit par le genre, soit par l'usage qui en a été fait, comme s'il disait : ne l'empêchez pas de faire pour moi tant que je vis ce qu'elle ne pourra pas faire quand je serai mort ; car, comme il a été dit, elle a été devancée par la prompte Résurrection du Christ5. Et cela est exprimé davantage dans Marc : D'avance elle a parfumé mon corps pour l’ ensevelissement0.

1. Saint Thomas commente ainsi la réponse semblable de Jésus en Mt 26, 10 : « Le Seigneur est toujours l'avocat de cette femme et, quand le pharisien l'accusait de péché - Si cet homme était un prophète, il saurait qui est vraiment cette femme qui le touche et ce qu'elle est (Le 7, 39) -, le Seigneur l'a excusée au nom de l'amour (dilectio). De même aussi, Marthe l'accusait d'être oisive, et le Seigneur l'a excusée au nom de la contemplation. Ici les disciples [l'accusent] de répandre ce parfum et le Seigneur l'excuse en raison de la ferveur de son amour (devotio) - Pourquoi tracassez-vous cette femme ? - Vous vous ruez sur l'orphelin et vous vous efforcez de détruire votre ami (Jb 6, 27) » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2136).

2. In Matthaeum hom., LXXX, 2, PG 58, co1. 726.

3. Pr 3, 27.

4. Cf. Me 16, 1.

1609. Mais a-t-elle pressenti la mort du Christ ? Il faut dire que non : en effet elle n'avait pas l'intelligence de ce qu'elle faisait ; mais elle a été mue par un certain « instinct7 » intérieur8 à faire cela. Car souvent certains sont poussés à faire quelque chose qu'ils ne comprennent pas, comme Caïphe, plus haut9. C'est pourquoi ces choses-là sont appelées présages en tant qu'elles se produisent avant les faits [qu'elles annoncent].

LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.

1610. Ensuite il exclut la raison pieuse prétendue par Judas - Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés aux pauvres ? C'est bien à cause de cela que le Seigneur ajoute : LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS.

Ici, il faut savoir que parfois il faut faire ce qui est moins nécessaire, s'il reste l'occasion d'accomplir ce qui est plus nécessaire, surtout si l'occasion de faire ce qui est moins nécessaire va nous être retirée. Et, pour cette raison, bien qu'il fût plus nécessaire que ce parfum fût donné aux pauvres, plutôt que d'en oindre les pieds de Jésus, cependant puisque cela peut encore être fait, vu que les pauvres, nous les aurons toujours avec nous, le Seigneur a permis que fût accompli ce qui était moins nécessaire.

5. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., V, 28, PL 100, co1. 908.

6. Me 14, 8.

7. Sur l'usage que fait ici saint Thomas du mot instinctus, voir vo1. I, n° 1577, note 4.

8. Ailleurs saint Thomas commente : « Avait-elle l'intention d'ensevelir le Christ ? Non. Mais, comme le dit Augustin, l'Esprit Saint, de même qu'il meut à parler, meut parfois à agir - Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu ne sont plus sous la Loi (Rm 8, 14). C'est pourquoi il peut arriver que l'Esprit Saint incline quelqu'un à faire quelque chose qui n'était pas son intention. Ainsi, l'intention de Marie-Madeleine était celle d'une œuvre bonne, mais l'Esprit Saint ordonnait cette œuvre à la sépulture du Christ » (Sup. Matth. lect., XXVI, n°2138).

9. Voir Jn 11, 49-52.

Et dans ce qu'il dit - LES PAUVRES, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS - il laisse entendre la familiarité 1 que les riches doivent avoir envers les pauvres - Fais-toi aimer de la communauté des pauvres2.

MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.

1611. Cela semble aller à rencontre de ce qu'il dit dans Matthieu : Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles3.

Je réponds que, selon saint Augustin4, le Seigneur, en disant : MAIS MOI VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, parlait de la présence de son corps, en tant qu'il apparaît sous la forme avec laquelle il s'élèverait dans le ciel - De nouveau, je quitte le monde5. Mais quant à la présence de sa divinité, il est toujours avec nous ; et de même d'une manière sacramentelle dans l'Église.

Ou bien on peut répondre autrement6, en disant que le Seigneur, lorsqu'il dit cela, entend la présence de sa divinité. En effet, certains semblent avoir le Christ spirituellement soit dans le sacrement, soit dans la confession de la foi, qui cependant ne sont pas destinés à l'avoir toujours, puisqu'ils sont d'Église seulement quant au nombre mais pas quant au mérite - et tels sont les esclaves. Les fils, eux, sont destinés à l'avoir toujours : car, comme il est dit plus haut : Le fils demeure dans la maison pour l'éternité1. Il dit donc à Judas : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS parce que tu t'en es rendu indigne. En cela, comme le dit Chrysostome, le Seigneur réprimande Judas : en effet, en ayant mal supporté cet hommage rendu au Christ, il semble être accablé par la présence du Christ ; et c'est pourquoi le Christ dit : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, comme s'il disait : je suis gênant et pesant pour toi, mais attends un peu et je m'en irai.

b) Le Christ glorifié par la foule des Juifs.

1612. Ensuite l'Évangéliste montre comment Jésus a été glorifié par la foule des Juifs : premièrement par la foule qui venait le voir ; deuxièmement par la foule qui s'avançait à sa rencontre [n° 1616].

1. Sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5.

2. Si 4, 7.

3. Mt 28, 20.

4. Tract, in Io., L, 13, BA 73B, p. 283-285. La deuxième explication sera elle aussi reprise au commentaire de saint Augustin, <*· 12, p. 281-283.

5. Jn 16, 28.

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, co1. 363. 7. Jn 8, 35.

LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST

Le Christ glorifié par la foule venue pour le voir.

LA GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LÀ ET ILS VINRENT, NON À CAUSE DE JÉSUS SEULEMENT, MAIS POUR VOIR LAZARE, QU'IL AVAIT RELEVÉ D'ENTRE LES MORTS. LES PRINCES DES PRÊTRES DÉCIDÈRENT DE TUER AUSSI LAZARE, PARCE QUE BEAUCOUP DE JUIFS S'EN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS. (12,9-11)

II montre d'abord la dévotion x de la foule qui vient voir le Christ, puis comment la jalousie extrême des pharisiens s'excite [n° 1614].

1613. L'Évangéliste montre d'abord la venue de la foule, puis l'occasion de cette venue.

À propos de la venue de la foule, il dit : LA GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LÀ [à Béthanie] ET ILS VINRENT, - ce à quoi le Seigneur invite : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos2. Et c'est pourquoi, là où nous savons qu'il est, nous devons nous rendre en toute hâte.

La cause de cette venue est double. Ils venaient pour jouir de la vue du Christ et de son enseignement, et aussi POUR VOIR LAZARE, et cela pour deux raisons. D'abord, parce que ce qui lui était arrivé, dans la mesure où il a été relevé d'entre les morts après avoir passé quatre jours dans le tombeau, était très admirable ; et cela, les hommes désirent le voir - Admirables tes œuvres, et mon âme les connaîtra bien3, c'est-à-dire : elle se donnera de la peine pour les connaître. Deuxièmement parce que, Lazare ayant été ramené à la vie, ils espéraient entendre quelque chose sur l'autre vie et pouvoir en juger ; et le désir de cette connaissance est inné chez les hommes4, et cela va contre ce que disent les sots : Courte et ennuyeuse est notre vie, et il n'est pas de bonheur éternel à la fin de l'homme ; et on ne connaît personne qui soit revenu des enfers5. Voici en effet que Lazare, qu'il a relevé d'entre les morts, est revenu des enfers.

1614. D'autre part, l'Évangéliste montre la jalousie extrême des pharisiens envieux, en disant : LES PRINCES DES PRÊTRES DÉCIDÈRENT DE TUER AUSSI LAZARE, en quoi ils semblaient aller contre Dieu : lui-même, en effet, rendait la vie à Lazare, et eux voulaient le tuer -11 a couru contre Dieu le cou tendu0. Or voici la raison de cette jalousie : PARCE QUE BEAUCOUP DE JUIFS S'EN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS.

1615. Cependant le Christ en avait guéri beaucoup, par exemple le paralytique 7, l'aveugle8 ; pourquoi donc voulaient-ils tuer seulement Lazare ?

Chrysostome9 donne à cela quatre raisons : l'une est que ce miracle était plus manifeste, ayant été réalisé devant beaucoup de monde, et qu'il était inconcevable de voir un homme mort depuis quatre jours marcher et parler. Une autre, que Lazare était une personne illustre mais l'aveugle quelqu'un d'inconnu, et c'est pourquoi ils l'ont chassé du Temple. La troisième raison est que ce miracle a été fait alors que la fête était toute proche, quand tout le peuple des Juifs, se rassemblant pour le jour de la fête, était dans l'admiration et que quittant la fête, ils venaient à

1. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5 et n° 1391, note 6.

2. Mt 11, 28. 3.Ps 138, 14.

4. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 119.

5. Sg 2, 1. 6.Jb 15, 26.

7. Cf. Jn 5, 1-9.

8. Cf. Jn 9, 1-7.

9. In Ioannem hom., LXVI, 1, PG 59, co1. 365-366.

Béthanie. La quatrième est que pour les autres miracles du Christ ils s'efforçaient de l'accuser de violer le sabbat et, par là, essayaient de détourner de lui les foules, mais qu'ici ils ne pouvaient rien faire de te1. Voilà pourquoi, parce qu'ils n'avaient rien à reprocher à Jésus, ils ont entrepris quelque chose contre Lazare, comme si c'était le moyen le plus puissant de dissimuler le miracle - Leurs pieds courent vers le mal et ils ont hâte de répandre le sang1.

Le Christ glorifié par la foule se portant à sa rencontre.

1616. Ici nous est montrée la dévotion de la foule qui s'avance à la rencontre du Christ : d'abord le mouvement de la foule, puis la jalousie des pharisiens [n° 1630].

I

L'Évangéliste montre premièrement le mouvement de la foule, puis l'arrivée du Seigneur [n° 1625], et enfin la cause de ce mouvement [n° 1629].

LE LENDEMAIN, LA FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE JOUR DE LA FÊTE, AYANT APPRIS QUE JÉSUS VENAIT À JÉRUSALEM, PRIT DES RAMEAUX DE PALMIERS ET SORTIT AU-DEVANT DE LUI ; ET ILS CRIAIENT : « HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI D'ISRAËL ! » (12, 12-13)

1617. Ce mouvement est décrit sous quatre aspects. Premièrement, le moment où il a lieu : LE LENDEMAIN, c'est-à-dire à partir du jour dont il avait dit : AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE, ce qui correspond au dixième jour du mois. Et cela s'accorde avec la préfiguration où il est dit que c'était le dixième jour du mois qu'il fallait se procurer l'agneau pascal pour l'immoler le quatorzième jour au soir2.

1618. Deuxièmement, la description porte sur les personnes qui vont à la rencontre du Christ : LA FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE JOUR DE LA FÊTE. Par là est signifiée la multitude des peuples qui devaient se convertir au Christ - L'assemblée des peuples t'environnera 3. Or l'Évangéliste dit POUR LE JOUR DE LA FÊTE, parce que les fidèles se convertissent au Christ pour parvenir au jour de la fête de la Jérusalem céleste - Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des deux4.

1619. Troisièmement on en vient au motif du mouvement de la foule : le fait qu'elle a entendu dire que Jésus arrivait. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : AYANT APPRIS QUE JÉSUS VENAIT À JÉRUSALEM. En effet, tous les fidèles se convertissent au Christ à cause de ce qu'ils ont entendu - La foi vient de l'audition, et l'audition par la parole du Christ5. - Les fils d'Israël apprirent que le Seigneur les avait visités, et le peuple crut1.

l-Pr 1, 16.

2. Cf. Ex 12, 3 sq. Voir ci-dessus, n° 1589, note 2, p. 44.

3. Ps 7, 8.

4. Mt 8, 11.

5. Rm 10, 17. Saint Thomas a déjà souvent cité dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean ce passage de l'épître aux Romains : La foi vient de l'audition. Il a d'abord montré comment saint Jean est attentif au fait que Jésus s'est révélé aux Apôtres et à d'autres par le témoignage de Jean Baptiste (Jn 1, 15, voir vo1. I, n° 191). Ce témoignage est plein de ferveur et d'ardeur (n° 193), il est continu (n° 195), il conduit à la rencontre avec le Christ (nos 196-199). Puis, à la suite de saint Jean, saint Thomas montre que ce sont les paroles de la Samaritaine qui sont source de conversion pour son entourage Qn 4, 39, n° 657). Il précise cependant que si « ce qui conduit à la foi, c'est la parole de l'homme (...) nous sommes amenés par la parole de l'homme à croire, non à l'homme qui parle, mais à Dieu dont il dit les paroles » (n° 773). Parmi toutes ces paroles qui conduisent à la foi, c'est la parole du Christ qui a la plus grande efficacité : La foi vient de l'audition, et l'audition par la parole du Christ. Saint Thomas, en commentant cette parole du Christ : Si vous demeurez dans ma parole vous serez vraiment mes disciples (Jn 8, 31), explique que cette parole exige de nous trois choses : la promptitude pour l'écouter, la foi pour croire, et un amour fervent (n° 1195). Dans son traité sur l'Incarnation (Somme théo1., III, q. 1-26), il montre que du fait de l'Incarnation « notre foi devient plus certaine puisque c'est Dieu lui-même qui parle et à qui elle adhère : "Pour que l'homme, dit Augustin, marchât vers la vérité avec plus d'assurance, le Fils de Dieu qui est la Vérité même a, en se faisant homme, constitué les fondements de notre foi"« (loc. cit., q. 1, a. 2, c.)· Voir aussi Ad Rom. lect., X, n° 844, cité dans le vo1. I, n° 657, note 1.

1620. En quatrième lieu, le mouvement de la foule est décrit selon la manière dont il s'est produit : d'abord par rapport à ce que la foule a fait, puisqu'elle PRIT DES RAMEAUX DE PALMIERS. Or la palme, parce qu'elle garde sa verdeur, signifie la victoire, c'est pourquoi chez les anciens elle était donnée aux vainqueurs en signe de victoire.

Et nous lisons dans l'Apocalypse, au sujet des martyrs qui ont remporté la victoire, qu'ils tenaient des palmes dans leurs mains2. Les rameaux de palmiers sont donc, selon Augustin3, les louanges exprimant la victoire par laquelle le Seigneur, en mourant, allait vaincre la mort et, par la victoire de la Croix, triompher du diable, le prince de la mort. ET SORTIT AU-DEVANT DE LUI : Prépare-toi, Israël, à la rencontre de ton Dieu4.

1621. Puis quant à ce que la foule a dit, puisqu'ILS CRIAIENT : « HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI D'ISRAËL ! » Ici, c'est une demande et une louange. Une demande, assurément, puisqu'ils disent HOSANNA, c'est-à-dire : « Sauve, je t'en prie. » Hosy signifie « sauve » et anna signifie « je t'en prie ». Et, selon Augustin5, ce n'est pas un verbe, mais l'interjection de celui qui supplie. Or c'est d'une manière droite qu'ils demandent à Dieu le salut puisque, comme il est dit dans Isaïe : Dieu lui-même viendra et nous sauvera0 ; c'est aussi pourquoi le psaume disait : Réveille ta puissance et viens7.

1. Ex 4, 31.

2. Ap 7, 9.

3. Tract, in Io., LI, 2, BA 73B, p. 291.

4. Am 4, 12.

5. Ibid. L'étymologie que saint Thomas rapporte du mot Hosanna provient des Étymologies de saint Isidore de Séville (Etymologiarum sive originum librì XX, VI, XDC, 22-23), à travers le commentaire de SAINT BÈDE le VÉNÉRABLE (In Sancti Ioannis Evangelium Expositio, co1. 787 Β).

1622. C'est aussi une louange, à deux points de vue : à savoir, à l'égard de son arrivée et à l'égard de la puissance de sa royauté. Ils louent son arrivée en disant : BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. Ici il faut savoir que bénir, c'est dire du bien. C'est différemment que Dieu nous bénit et que nous bénissons Dieu. En effet, Dieu, en nous bénissant, nous rend bons, car pour lui, dire c'est faire - Lui-même a dit, et tout a été fait8. Mais nous, en bénissant Dieu, nous confessons sa bonté - De la maison du Seigneur, nous vous bénissons9. - Béni soit qui te bénira 10.

6. Is 35, 4.

7. Ps 79, 3.

8. Ps 148, 5. Saint Thomas, en commentant l'évangile de saint Jean, cite souvent ce verset de psaume (voir vo1. I, nos 135, 694, 719, 1310). C'est toujours pour rappeler l'action créatrice de Dieu, toute-puissante, « effet du Verbe conçu dans l'Esprit divin » (voir n° 135 et note 3). Mais ici, dans ce passage, en assumant la pensée philosophique d'Aristote sur la découverte de l'existence de Dieu, substance séparée (voir Métaphysique, A, ch. 6 à 10), saint Thomas met en lumière la différence de l'Être de Dieu et de notre être humain. Dieu est l'Être premier, tout à fait simple dans son être, en qui aucune composition n'existe, ni celle des parties quantitatives, ni celle de la forme et de la matière, de la nature et du sujet, de l'essence et de l'être, du genre et de la différence, du sujet et des accidents (voir Somme théo1., I, q. 3). En lui, le dire, la pensée, l'agir et l'être ne font qu'un. Dieu se suffit à lui-même. Il est l'Acte pur, l’ipsum esse subsistens, l’esse subsistant par soi, Vesse non reçu donc infini. Il s'aime et se contemple lui-même. Il est la Pensée de la pensée. Ainsi quand il nous bénit, il nous rend bons ; quand il nous aime, il nous rend bons parce que son acte d'aimer, de bénir, est substantie1. En nous, notre être est limité, second, participé. Nous existons parfois sans penser et nous pensons parfois sans parler ni agir. Notre être est l'être d'une créature. Il y aura toujours en nous, même après notre mort, une distance entre notre substance créée et nos opérations. Et nous avons constamment besoin de l'autre pour nous déterminer, nous actuer. Quand nous aimons, c'est parce que l'autre, l'ami, dans son être, dans sa bonté, nous attire, et ainsi détermine et actue notre capacité d'aimer dans ce qu'elle a de plus radica1. Et nous ne rendons pas l'autre bon par notre amour ; c'est le bien existant chez l'autre qui est source de notre amour (voir Somme théo1., I, q. 20, a. 2, c).

9.Ps 117, 26. 10. Gn 27, 29.

BÉNI, donc, CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. En effet, le Christ œuvrait au nom de Dieu ; parce que toutes les œuvres qu'il faisait, il les ordonnait à la gloire de Dieu. Mais puisque le Père est Seigneur et que le Fils aussi est Seigneur, AU NOM DU SEIGNEUR peut se comprendre de deux manières. D'une première manière, BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, à savoir : en son propre nom, en tant qu'il est Seigneur - Le Seigneur est notre législateur1. Donc Moïse, en ce sens, n'est pas venu au nom du Seigneur, puisqu'il est venu comme serviteur - Moïse a été fidèle, comme serviteur, dans toute la maison [de Dieu], pour témoigner de ce qui devait être dit2. Mais selon Augustin3, il vaut mieux dire AU NOM DU SEIGNEUR, c'est-à-dire du Père. Car c'est vers cela que ses paroles dirigent notre intelligence - Moi je suis venu au nom de mon Père4. Or venir au nom du Père se dit en deux sens. D'abord, certes, en tant qu'il vient comme Fils, ce qui fait comprendre « Père » ; ensuite, en tant qu'il vient comme celui qui manifeste le Père -J'ai manifesté ton nom aux hommes5.

1623. D'autre part, ils louent la puissance de sa royauté lorsqu'ils disent : LE ROI D'ISRAË1. En effet les Juifs, parce qu'ils en restaient à la lettre des Écritures, croyaient qu'il était venu pour régner sur eux d'une manière temporelle et pour les libérer de la servitude des Romains, et c'est pourquoi ils l'applaudissaient comme roi - Π régnera en roi et il sera sage6. - Voici que le roi régnera par la justice7.

1624. Mais il faut savoir que toutes leurs paroles pouvaient venir des psaumes. En effet, alors que le psaume disait : La pierre que les bâtisseurs ont rejetée, celle-là est devenue la tête d'angle8, il est ajouté : Ô Seigneur, je t'en prie, donne-moi le salut ! (...) Béni celui qui vient au nom du Seigneur9. Ici Jérôme, selon la vérité de l'hébreu, a transcrit : HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR10. Cependant, ce qu'ils ajoutent ensuite : LE ROI D'ISRAËL, ne se trouve pas dans le psaume, où il est dit : Le Seigneur est Dieu, et il nous a illuminés11. En cela, à cause de leur aveuglement, ils diminuent leur louange, puisque le psaume le loue comme Dieu et eux comme un roi tempore1.

1. Is 33, 22.

2. He 3, 5.

3. Tract, in Io., LI, 3, BA 73B, p. 291-293.

4. Jn5, 43.

5. Jn 17, 6.

6. Jr23, 5.

7. Is 32, 1.

ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS, COMME IL EST ÉCRIT : « NE CRAINS PAS, FILLE DE SION : VOICI QUE TON ROI VIENT, ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE. » CELA, SES DISCIPLES NE LE COMPRIRENT PAS D'ABORD ; MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT.

LA FOULE DONC RENDAIT TÉMOIGNAGE, CELLE QUI ÉTAIT AVEC LUI LORSQU'IL APPELA LAZARE DU TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS. C'EST POUR CELA AUSSI QUE LA FOULE VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS QU'IL AVAIT FAIT CE SIGNE. (12, 14-18)

1625. L'Évangéliste expose ici la venue du Seigneur. Il montre d'abord la manière dont il est venu ; il introduit la prophétie [n° 1627], puis présente la disposition des disciples à l'égard de ce fait [n° 1628].

8. Ps 117, 22.

9. Ps 117, 25-26.

10. Aucune édition de la Vulgate ne rend la formule hébraïque du Ps 117 par Hosanna. Saint Jérôme aurait pu, selon saint Thomas, traduire le texte de Jn 12, 13 en revenant à l'étymologie du mot Hosanna (« Sauve, je t'en prie ! »). Pour rester proche de la parole hébraïque, intégrée dans le Sanctus de la liturgie, il l'a laissée telle qu'on la lit, simplement transcrite, dans le texte grec. On retrouve la même indication dans le commentaire de saint Thomas (Sup. Matth. lect., XXI, n° 1693) sur le passage parallèle de Matthieu (21, 9) s'appuyant là aussi sur l'interprétation de saint Jérôme.

11. Ps 117, 27.

ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.

1626. Au sujet du premier point, remarquons que l'Évangéliste Jean a écrit son Évangile après tous les autres. Par conséquent il avait lu en entier et avec soin tous les évangiles, et ce qui avait été davantage développé par les autres, lui-même l'a rapporté succinctement, tandis que ce qu'ils avaient omis, lui l'a ajouté. Aussi, puisqu'il est montré en détail dans les autres évangiles comment le Seigneur envoya deux de ses disciples chercher un âne, Jean est passé brièvement sur ce fait en disant : ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.

Or il faut savoir que les actions du Christ sont comme intermédiaires entre les actions de l'Ancien Testament et celles du Nouveau : pour cette raison, la foule qui le précédait et celle qui le suivait le louaient l'une et l'autre, parce que les actions du Christ sont la règle et l'exemple de celles qui sont accomplies dans le Nouveau Testament et qu'elles ont été préfigurées par les pères de l'Ancien Testament \

Quant à l'âne, qui est un animal grossier, il représente le peuple des nations païennes, et Jésus s'est assis dessus pour montrer que lui-même serait le Rédempteur des nations - Je t'ai donné comme lumière aux nations pour que tu sois mon salut jusqu'aux extrémités de la terre2. — Heureux vous qui semez partout où il y a de l'eau, et laissez en liberté le pied du bœuf et de l'âne3, c'est-à-dire rassemblant dans l'unité de la foi le peuple juif et celui des païens.

Matthieu, parce qu'il a écrit son Évangile pour les Juifs, fait mention d'une ânesse, par laquelle est signifiée la synagogue des Juifs, qui fut comme la mère des nations dans les choses spirituelles, car de Sion sortira la loi, et la parole du Seigneur de Jérusalem4. Mais les autres Évangélistes, parce qu'ils ont écrit leurs évangiles pour les nations, ont aussi fait mention du petit de l'ânesse.

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVI, 1, PG 59, co1. 365-366.

2. Is 49, 6. Saint Thomas commente : « Je te glorifierai dans un si grand ministère que par toi mon salut sera annoncé non seulement aux Juifs mais à toutes les nations. Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ? (Rm 3, 29). Cela convient parfaitement au Christ, qui par sa prédication et l'anéantissement de la mort a produit peu de fruit chez les Juifs mais a illuminé les nations et les a sauvées » (Exp. super Isaiam, 49, 6, p. 202, 1. 55-63).

3. Is 32, 20.

COMME IL EST ÉCRIT : « NE CRAINS PAS, FILLE DE SION : VOICI QUE TON ROI VIENT, ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE. »

1627. L'Évangéliste introduit ensuite la prophétie écrite en Zacharie5, qui premièrement apporte l'apaisement, puis promet la majesté royale et enfin ajoute l'utilité d'un roi.

Le prophète apporte l'apaisement en disant : NE CRAINS PAS, FILLE DE SION. La citadelle de Sion était à Jérusalem là où se trouvait la demeure du roi. La fille de Sion est donc le peuple de Jérusalem et des Juifs qui étaient assujettis au roi de Jérusalem. Il dit donc aux Juifs : NE CRAINS PAS, puisque le Seigneur est ton défenseur - Qui es-tu pour craindre l'homme mortel ?6 - Le Seigneur est le défenseur de ma vie, devant qui tremblerais-je ?7 En cela l'Évangéliste exclut la crainte mondaine et servile8.

Il promet la majesté royale en disant : VOICI QUE TON ROI VIENT - Un tout-petit nous a été donné9. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume10.

4. Is 2, 3.

5. Voir Za 9, 9. 6.1s 51, 12.

7. Ps 26, 1.

8. À ce sujet, voir ci-dessous, n° 1783, note 2.

9. Is 9, 6. Saint Thomas commente : « Ici, il décrit le Sauveur, tout d'abord quant à notre manière de le recevoir. (...) En effet, nous le recevons en notre nature dans la Nativité - Mais l'ange leur dit : "Ne craignez pas, car voici que je vous apporte la bonne nouvelle d'une grande joie pour tout le peuple ; c'est qu'il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ-Seigneur" (Le 2, 10-11). Nous le recevons en notre connaissance selon la parole du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour : écoutez-le (Mt 17, 5). (...) Nous le recevons encore dans une crainte divine (reverentia) par sa Passion afin qu 'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers (Ph 2, 10) » {Exp. super Isaiam, 9, 6, p. 68, 1. 84-102).

10. Is 9, 7.

II dit TON, à savoir prenant chair de toi, puisque ce n'est certes pas des anges qu'il se charge, mais de la descendance d'Abraham \ Ou bien TON au sens de : pour ton utilité. D'où il ajoute : VIENT à toi - Si tu avais connu, toi aussi, ce qui maintenant peut te donner la paix ! mais cela est demeuré caché à tes yeux2... Par leur résistance, ils ont empêché que ce soit utile pour eux.

Il vient, dis-je, vers toi, non pas pour la terreur mais pour la libération, et c'est pourquoi il dit ensuite : ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE, ce qui signifie la clémence du roi, qui est fort bien accueillie par ceux qui lui sont soumis - Son trône est affermi dans la clémence21. Mais contre cela il est dit : Semblable au rugissement du lion, la fureur du roi !4 Autrement dit, il ne vient pas dans le faste royal, par lequel il pourrait être odieux, mais il vient dans la douceur - On t'a établi maître ? Ne t'exalte pas5. Ne crains donc pas l'oppression du roi. La Loi ancienne, elle, a été donnée dans la terreur parce qu'elle engendrait pour la servitude. De plus, ce qui manifeste la puissance de ce roi, c'est qu'en venant dans l'humilité et la faiblesse il a attiré le monde entier - Car ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes6.

CELA, SES DISCIPLES NE LE COMPRIRENT PAS D'ABORD ; MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ETAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT. (12, 16)

1. He 2, 16.

2. Le 19, 42.

3. Pr 20, 28.

4. Pr 19, 12.

5. Si 32, 1.

6. 1 Co 1, 25. Saint Thomas commente : « II n'est pas dit que quelque chose est faible en Dieu par manque de puissance, mais par un dépassement de la puissance humaine, de même aussi qu'il est dit invisible en tant qu'il dépasse l'intelligence humaine - Tu montres ta puissance, si l'on ne croit pas que tu es souverainement puissant (Sg 12, 17). Il est vrai que cela peut se rapporter au mystère de l'Incarnation, car ce qui est tenu pour fou et faible en Dieu du côté de la nature qu'il a assumée transcende toute sagesse et toute puissance - Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur ? (Ex 15, 11) » (Ad 1 Cor. lect., I, n° 62).

1628. L'Évangéliste, en disant cela, montre dans quelles dispositions se trouvaient les disciples à l'égard de la prophétie citée, et il confesse à la fois son ignorance et celle des disciples, car, comme il est dit dans les Proverbes, le juste est le premier à s'accuser lui-même1.

Voilà pourquoi il dit que ces choses qui viennent d'être dites, SES DISCIPLES NE LES COMPRIRENT PAS D'ABORD, c'est-à-dire avant la Passion, MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, à savoir quand il montra la puissance de sa Résurrection, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT. La raison pour laquelle ils ont compris cela quand il a été glorifié, c'est qu'alors ils ont reçu la plénitude de l'Esprit Saint, ce qui les a rendus plus sages que tous les sages - C'est l'inspiration du Tout-Puissant qui donne l'intelligence8. Or l'Évangéliste dit cela pour montrer que ce n'est pas ce qui a eu lieu ici, mais que les disciples y ont prêté attention plus tard.

LA FOULE DONC RENDAIT TÉMOIGNAGE.

1629. L'Évangéliste expose ici la cause du mouvement de la foule. Ce fut le TÉMOIGNAGE QUE LA FOULE RENDAIT au sujet de la résurrection de Lazare LORSQU'IL APPELA LAZARE DU TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS.

C'EST POUR CELA AUSSI QUE LA FOULE VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS QU'IL AVAIT FAIT CE SIGNE - Les Juifs demandent des signes 9. C'était bien en effet le signe le plus manifeste et le plus admirable, et c'est pourquoi il l'a réservé pour la fin, pour qu'il s'imprimât davantage dans leur mémoire.

7. Pr 18, 17 (verset propre à la Vulgate).

8. Jb 32, 8.

9. 1 Co 1, 22.

II

LES PHARISIENS SE DIRENT DONC ENTRE EUX : « VOUS VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS RIEN. VOILÀ QUE TOUT LE MONDE EST PARTI APRÈS LUI. » (12, 19)

1630. Jean montre alors la jalousie des pharisiens, excitée par l'échec de leur tentative ; c'est pourquoi ils disaient : VOUS VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS RIEN. VOILÀ QUE TOUT LE MONDE EST PARTI APRÈS LUI. Ce qui est bien la parole des pharisiens jaloux, quand ils disent : NOUS NE GAGNONS RIEN, sous-entendu par notre malice, puisque nous sommes incapables de l'arrêter. « Gagner » est pris dans le même sens dans la deuxième épître à

Timothée : Quant aux hommes mauvais et aux séducteurs, ils gagneront toujours plus en mal1.

Mais pourquoi cette foule aveugle est-elle jalouse ? Parce que LE MONDE EST PARTI APRÈS LUI, lui par qui le monde a été fait2. Cependant il est signifié par cela que le monde tout entier le suivrait - Nous vivrons en sa présence, et nous chercherons à connaître le Seigneur0. Chrysostome4, quant à lui, veut que ces paroles soient celles des pharisiens qui croyaient, mais en secret par crainte des Juifs5. Et ils disent cela pour qu'ils cessent de persécuter le Christ, comme s'ils disaient : plus vous lui dressez des embûches, plus il grandit et sa gloire s'étend. Pourquoi donc ne renoncez-vous pas à tant d'embûches ? - ce qui est presque identique au conseil de Gamaliel dont il est question dans les Actes des Apôtres6.

c) Le Christ glorifié par les Gentils.

1631. Après avoir exposé la gloire que le Christ a reçue du service de ses proches et de la dévotion des foules, l'Évangéliste montre ici la gloire qu'il a reçue de la dévotion des Gentils. Tout d'abord il montre la dévotion des Gentils, puis comment leur dévotion s'est déclarée [n° 1634]. En dernier lieu vient l'annonce de la Passion du Christ [n° 1635].

La dévotion des Gentils.

OR IL Y AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS POUR ADORER PENDANT LA FÊTE. CEUX-CI DONC S'AVANCÈRENT VERS PHILIPPE, QUI ÉTAIT DE BETHSAÏDE EN GALILÉE, ET ILS LE PRIAIENT EN DISANT : « SEIGNEUR, NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. » (12, 20-21)

1. 2 Tm 3, 13. Saint Thomas commente : « II faut dire que ceux qui progressent dans le mal le font en vertu d'une permission de Dieu, ou bien ici qu'ils progressent dans le mal du fait de l'intention de leur malice qui est toujours en vue du mal ; mais selon la providence divine ils sont empêchés de pouvoir achever ce qu'ils ont commencé. Cependant ils deviennent de plus en plus mauvais en eux-mêmes en tant qu'ils se trompent au sujet de la vérité » (Ad 2 Tim. lect., III, nos 118).

La dévotion des Gentils est premièrement considérée quant aux sacrements de l'Ancien Testament et, deuxièmement, quant au Christ [n° 1633].

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Il, 7, BA 73B, p. 297.

3. Os 6, 3.

4. In Ioannem hom., LXVI, 2, PG 59, co1. 367.

5. Jn 19, 38.

6. Cf. Ac 5, 34-39.

1632. Leur dévotion à l'égard des sacrements de l'Ancien Testament est manifestée par le fait qu'ils venaient au Temple. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR IL Y AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS (sous-entendu à Jérusalem) POUR ADORER PENDANT LA FÊTE, autrement dit : non seulement la foule des Juifs mais encore les Gentils eux-mêmes honoraient le Christ.

Or la raison pour laquelle ils montaient est précisée, selon un ajout, par le fait qu'ils étaient prosélytes et convertis au rite des Juifs, à la prédication des Juifs eux-mêmes : car ils étaient dans le monde entier et s'efforçaient de convertir à eux beaucoup de gens - Vous parcourez mers et continents pour gagner un prosélyte1. Et c'est pourquoi, selon le rite des Juifs, ils montaient avec les autres.

Mais il vaut mieux dire, selon Chry-sostome2, que, comme on le voit dans le second livre des Maccabées3, le Temple de Dieu qui se trouvait à Jérusalem était vénéré par tous les peuples et rois de la terre entière, de telle sorte qu'ils embellissaient ce même Temple par de très grands présents. Et c'est pourquoi il arrivait que les jours de fête beaucoup de Gentils aussi, par dévotion, montaient à Jérusalem. Nous lisons quelque chose de semblable dans les Actes des Apôtres4 à propos de l'eunuque de Candace, reine des Éthiopiens, qui était venu adorer à Jérusalem. Voilà pourquoi il est dit dans Isaïe : Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples, dit le Seigneur5. Or les Gentils dont il s'agit ici, à cause de leur dévotion, étaient montés au Temple en préfiguration de la conversion des Gentils à la foi.

1. Mt 23, 15.

2. Absente chez saint Jean Chrysostome, cette explication est un développement du commentaire de Théophylacte (Enatr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 123). Saint Thomas y ajoute la référence à 2 M 3, 2. On la retrouvera dans la Postula de Nicolas de Lyre (vers 1320) sur ce même verset : « Car parmi les Gentils certains étaient convertis au rite des Juifs - on les appelait les prosélytes - et ceux-ci étaient tenus, comme les autres, d'être présents à la solennité de la Pâque. Ils sont nommés ici Gentils parce que cela restait pour eux leur premier nom. D'une autre manière, on interprète cela, et mieux, des Gentils selon la vérité parce que le Temple, à cause de sa sainteté, était vénéré par les Gentils qui étaient au milieu des Juifs (comme on le rapporte en 2 M 3, 2), et c'est pourquoi beaucoup d'entre eux montaient à Jérusalem pour adorer, et surtout lors de la solennité de la Pâque ; cependant ils n'étaient pas admis à manger l'agneau pascal, sauf ceux qui ayant abandonné le rite de la gentilité étaient circoncis, comme le livre de l'Exode le rapporte au chapitre 12 [v. 44 et 48]. Ceux-ci donc, qui avaient entendu parler des miracles du Christ, voulaient le voir et entendre son enseignement » {Bibliorum Sacrorum cum Glossa Ordinaria, éd. de Venise, 1603).

3. Cf. 2 M 3, 2 sq.

1633. Quant à leur dévotion à l'égard du Christ, elle est manifestée par le fait qu'ils désiraient le voir ; c'est pourquoi Jean dit : CEUX-CI DONC, à savoir les Gentils, S'AVANCÈRENT VERS PHILIPPE (...) ET ILS LE PRIAIENT EN DISANT : « SEIGNEUR, NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. » En effet, il faut savoir que le Christ n'a prêché en personne qu'aux Juifs -Je V affirme, le Christ Jésus s'est fait ministre de la circoncision pour montrer la vérité de Dieu en accomplissant les promesses faites à nos pères6. Mais pour les nations il a prêché par ses apôtres - J'enverrai certains de leurs rescapés vers les nations (...), vers les îles lointaines qui n'ont pas entendu parler de moi et n'ont pas vu ma gloire. Et ils révéleront ma gloire aux nations "''. - Allez, de toutes les nations faites des disciples8.

Cela donc était déjà annoncé ici, dans la mesure où les Gentils, voulant voir le Christ, ne sont pas venus directement vers lui mais vers l'un de ses disciples, Philippe. Et cela convient, puisque c'est lui qui, le premier, a prêché à ceux qui étaient étrangers au rite des Juifs, c'est-à-dire les Samaritains9, comme il est dit dans les Actes des Apôtres : C'est ainsi que Philippe descendit dans une ville de Samarie et leur prêchait le Christ1. Cela lui convient selon la signification de son nom : en effet, Philippe signifie « bouche (ouverture) de lampe2 ». Or les prédicateurs sont la bouche du Christ - Si tu sépares ce qui est noble de ce qui est vil, tu seras comme ma bouche3. Or le Christ est la lampe - Je t'ai donné comme lumière aux nations*. Cela convient à Philippe aussi par rapport au lieu parce qu'il ÉTAIT DE BETHSAÏDE, qui veut dire « chasse5 », et que les prédicateurs vont à la chasse de ceux qui se convertissent au Christ - J'enverrai mes chasseurs et ils leur feront la chasse0. De même pour DE GALILÉE qui veut dire « passage7 » : les Gentils, par suite de la prédication des apôtres, sont passés de l'état de païens à l'état de croyants - Toi donc, fils d'homme, fais-toi un bagage d'émigré ; tu émigreras devant eux en plein jour8.

4. Cf. Ac 8, 27.

5. Is 56, 7.

6. Rm 15, 8. 7.1s 66, 19.

8. Mt 28, 19.

9. En réalité, ce fut le diacre Philippe qui, selon le ch. 8 des Actes des Apôtres, partit évangéliser la Samarie. Dans la Somme théologique, III, q. 38, a. 6, ad 1, saint Thomas distingue clairement les deux personnages.

S'avançant donc vers Philippe, ils expriment leur désir en disant : NOUS VOULONS VOIR JÉSUS, ce qui signifie que les Gentils, qui n'avaient pas vu le Christ d'une manière sensible, ayant été convertis à la foi par le ministère des apôtres, désirent le voir glorifié dans la patrie - Toute la terre désirait voir le visage de Salomon 9.

La déclaration de cette dévotion.

PHILIPPE VIENT ET IL LE DIT A ANDRE ; PUIS ANDRÉ ET PHILIPPE LE DISENT À JÉSUS. (12, 22)

1634. Cette dévotion des Gentils est déclarée au Christ, et à travers cette déclaration se découvre un ordre car, comme il est dit dans l'épître aux Romains : Ce qui vient de Dieu a été ordonné10. Or cet ordre divin existe pour que les réalités inférieures soient ramenées à Dieu par les réalités supérieures : André, en effet, fut supérieur à Philippe dans l'apostolat parce qu'il fut converti avant lui ; et c'est pourquoi Philippe n'a pas voulu conduire ces Gentils au Christ par lui-même seulement, mais par André, se rappelant peut-être ce que le Seigneur avait dit : Ne prenez pas le chemin des nations11. C'est bien ce que dit Jean : PHILIPPE (...) LE DIT À ANDRÉ ; PUIS ANDRÉ ET PHILIPPE LE DISENT À JÉSUS. En cela nous est donné l'exemple qu'il faut tout faire d'après le conseil de ceux qui sont plus grands que nous. C'est ainsi que Paul est monté à Jérusalem et a exposé aux Apôtres l'Évangile qu'il prêchait chez les Gentils n. Nous pouvons, par les noms de ces deux Apôtres, comprendre deux choses qui sont nécessaires aux prédicateurs pour conduire les hommes au Christ. En premier lieu, l'éloquence d'une parole ordonnée, ce qui est indiqué dans le nom de Philippe, qui signifie « bouche de lampe ». En second lieu, la puissance d'une bonne opération, comme l'indique le nom d'André, qui signifie « viril * » - Par la parole du Seigneur les cieux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche toute leur puissance2.

1. Ac 8, 5.

2. Cf. saint JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 64, 22-23), CCL, vo1. LXXII, p. 140.

3.Jr 15, 19.

4. Is 42, 6.

5. Cf. saint Jérôme, op. cit. (Lag. 60, 21), CCL, vo1. LXXII, p. 135. Sur la signification de Bethsaïde, voir aussi vo1. I, n° 314.

6.Jr 16, 16.

7. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum, (Lag. 64, 25), CCL, vo1. LXXII, p. 140. Voir aussi vo1. I, nos 310, 338 et 1011.

8. Ez 12, 3.

9. 1 R 10, 24.

10. Rm 13, 1. Saint Thomas commente : « La raison en est que Dieu a tout fait par sa sagesse - Tu as fait toutes choses avec sagesse (Ps 103, 24). Or c'est le propre de la sagesse de disposer toutes choses avec ordre - Elle déploie sa force d'un bout du monde à l'autre et dispose tout avec douceur (Sg 8, 1). Et c'est pourquoi il faut que les effets divins soient ordonnés - Connais-tu l'ordre du ciel, et en rendras-tu raison sur la terre ? (Jb 38, 33). Or Dieu a institué un double ordre dans ses effets : l'un par lequel tout est ordonné vers lui - Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même (Pr 16,4) ; l'autre par lequel les effets divins sont ordonnés les uns par rapport aux autres, comme il est dit dans le Deutéronome (4, 19) au sujet du soleil, de la lune et des étoiles » {Ad Rom. lect., XIII, n° 1024). Dans ce paragraphe, saint Thomas développe d'abord l'interprétation de ThÉophylacte (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 123) puis celle de saint Jean Chrysostome {In Ioannem hom., LXVI, 2, PG 59, co1. 367-368).

11. Mt 10, 5.

12. Cf. Ga 2, 1-2.

Le Christ annonce sa Passion.

1635. Le Christ commence par annoncer que le temps de sa Passion est imminent, puis il révèle la nécessité de sa Passion [n° 1638]. Enfin, il montre la nécessité de la passion des autres [n° 1642].

I

ET JÉSUS LEUR RÉPONDIT EN DISANT : « L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME. » (12, 23)

1636. Remarquons ici qu'en voyant ces Gentils se hâter vers la foi, et comprenant qu'en eux, d'une certaine manière, commençait la conversion des nations, le Seigneur a annoncé que le temps de sa Passion était imminent ; de même lorsqu'il voit le champ déjà blanc, il dit : l'heure est venue de jeter la faucille pour la moisson3 Voyez les campagnes : elles sont déjà blanches pour la moisson4. C'est de la même façon, donc, que le Seigneur parle ici. Du fait, dit-il, que les nations cherchent à me Voir, L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.

1637. C'est bien de trois manières qu'il a été glorifié. Premièrement, dans sa Passion - Le Christ ne s'est pas glorifié (clarificavit) lui-même en se faisant grand prêtre (sur l'autel de la Croix), mais il a été glorifié par celui qui lui a dit : Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré5. Et en ce sens il dit : L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire où il doit souffrir, parce qu'avant sa Passion les nations ne se convertiront pas à lui. C'est bien par sa Passion qu'il a été glorifié, avec des signes visibles comme l'éclipsé du soleil, le déchirement du voile et d'autres du même genre ; et avec des signes invisibles comme la victoire triomphante qu'il a remportée ouvertement, en lui-même, sur les princes des enfers6. Et c'est pour cette raison qu'il a dit plus haut : Mon heure n'est pas encore venue7, car la dévotion des nations n'était pas encore prête comme à présent.

1. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag· 64, 24-27), CCL, vo1. LXXII, p. 142. Voir vo1. I, n° 299.

2. PS 32, 6.

3. Cf. Ap 14, 15.

4. Jn 4, 35. Voir vo1. I, nos 646-648.

5.He5, 5.

Deuxièmement, il a été glorifié dans sa Résurrection et son Ascension. Il fallait d'abord, en effet, que le Christ ressuscitât et montât au ciel, et qu'ainsi glorifié il envoyât le Saint-Esprit sur les Apôtres par lesquels les nations devaient être converties - L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié*. - Montant dans les hauteurs, le Christ a emmené des captifs9.

En troisième lieu, il a été glorifié par la conversion des Gentils - Que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père10.

6. Cf. Col 2, 15.

7. Jn 2, 4.

8. Jn 7, 39. Voir vo1. I, nos 1095 et 1096.

9. Ps 67, 19.

10. Ph 2, 11.

II

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL MEURT, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUIT. (12, 24-25)

1638. En disant cela, le Christ laisse entendre la nécessité de sa Passion, et après l'avoir exposée il en donne l'utilité [n° 1641].

1639. La nécessité de sa Passion a pour cause la conversion des nations, qui ne peut avoir lieu sans que le Fils de l'homme soit glorifié par sa Passion et sa Résurrection, et c'est bien ce qu'il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS - c'est-à-dire « en vérité » -, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEU1.

À ce propos, au sens littéral, il faut savoir que nous utilisons le grain de blé pour deux choses : soit pour le pain, soit comme semence. Or le grain de blé est compris ici en tant qu'il est une semence, non en tant qu'il est la matière du pain ; car en ce sens il ne se multiplie jamais pour porter du fruit. Et le Christ dit : MEURT, non pas qu'il perde sa vertu de semence, mais parce qu'il est changé en une autre espèce - Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie s'il ne meurt1. Ainsi, de même que la parole de Dieu est une semence dans l'âme de l'homme, selon qu'elle est revêtue de la voix sensible, en vue de produire le fruit d'une bonne opération - La semence, c'est la parole de Dieu2 -, de même le Verbe de Dieu, revêtu de chair, est la semence envoyée dans le monde, à partir de laquelle une très grande moisson devait se lever : c'est aussi pourquoi il est comparé à un grain de moutarde3.

Il dit donc : moi je suis venu comme une semence pour porter du fruit et c'est pourquoi, en vérité, je vous le dis : SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEUL, c'est-à-dire : si moi je ne meurs pas, le fruit de la conversion des nations ne s'ensuivra pas. D'autre part, il se compare au grain de blé puisqu'il est venu pour refaire et soutenir les esprits humains, ce que le pain de blé réalise particulièrement - Le pain fortifie le cœur de l'homme*. - Et le pain que moi je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde5.

1640. Mais est-ce uniquement par la mort du Christ que la multitude des nations pouvait être convertie ? Elle pouvait être convertie [sans la mort du Christ], certes, selon la puissance de Dieu mais non pas selon la détermination qu'il a ordonnée pour que cela se réalisât de cette manière, parce que cela convenait davantage6 - Sans effusion de sang il n'y a pas de rémission 1. - Si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous2.

1. 1 Co 15, 36.

2. Lc 8, 11.

3. Cf. Mt 13, 31.

4. Ps 103, 15.

5. Jn 6, 52.

6. Saint Thomas met cela en lumière, et d'une façon très précise, dans la troisième partie de la Somme théologique. Il commence par montrer qu'est convenant pour une réalité tout ce qui constitue sa propre nature (secundum rationem propriae naturae). Ainsi il convient à l'homme de raisonner, cela appartient à sa nature rationnelle. De même, pour Dieu sera convenant tout ce qui appartient à sa bonté et à sa sagesse, ce qui est le propre de sa nature divine (voir III, q. 1, a. 1). Dieu est bon dans tout ce qu'il est, et comme le propre du bien est de se communiquer, le mystère de l'Incarnation trouve ainsi sa raison de convenance quant à Dieu. Il faut cependant distinguer la raison de convenance qui touche Dieu et la raison de nécessité qui touche notre finalité. Dieu, en vertu de sa toute-puissance, pourrait relever notre nature humaine blessée par le péché (et donc convertir les nations païennes) par une voie tout autre que l'Incarnation impliquant la mort de Jésus sur la Croix. Saint Thomas différencie alors la nécessité absolue, « ce sans quoi quelque chose ne peut être », de la nécessité relative, « ce par quoi on parvient à la fin le mieux et de la manière la plus convenable, comme le cheval est nécessaire pour voyager » (III, q. 1, a. 2, a). Et, à la suite de saint Augustin (De Trinitate, XIII, 10, ΒΑ 16, p. 301), il affirme que Dieu n'avait pas de moyen plus convenable, c'est-à-dire répondant mieux à sa bonté et à sa sagesse, pour guérir notre misère et convertir les païens, que de s'incarner (voir III, q. 1, a. 2, a). Dans la question 46 saint Thomas précise enfin, en évoquant cinq raisons, que c'est précisément par sa mort sur la Croix que le Christ peut libérer l'homme de l'esclavage du péché et le convertir à lui de la façon qui convient le mieux : « Par la Passion du Christ en effet, l'homme connaît combien Dieu l'aime et par là est incité à l'aimer (...). Par elle, le Christ nous a donné l'exemple de l'obéissance, de l'humilité, de la constance, de la justice et des autres vertus nécessaires au salut de l'homme. (...) Par elle le Christ n'a pas seulement libéré l'homme du péché mais il lui a encore mérité la grâce de la justification et la gloire de la béatitude. Par elle l'homme a découvert une plus grande nécessité de se garder pur du péché. (...) La Passion a conféré à l'homme une plus grande dignité : vaincu et trompé par le diable, l'homme devait le vaincre à son tour ; ayant mérité la mort, il devait aussi, en mourant, la dépasser. (...) Et pour toutes ces raisons il convenait davantage que nous soyons délivrés par la Passion du Christ plutôt que par la seule volonté de Dieu » (III, q. 46, a. 3, c).

1641. Quant à l'utilité de la Passion, il la donne en disant : MAIS S'IL MEURT, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUIT, autrement dit : s'il ne tombe pas en terre par l'humilité de sa Passion - Il s'humilia en se faisant obéissant jusqu'à la mort3 -, il n'en résultera aucune utilité, puisqu'lL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL MEURT, mis à mort et tué par les Juifs, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUIT. Et le premier fruit, c'est la rémission du péché - Tout le fruit, c'est d'enlever les péchés*. Et c'est bien ce fruit que la Passion du Christ a porté, d'après ce passage de la première épître de saint Pierre : Le Christ est mort une fois pour nos péchés, juste pour des injustes, afin de nous offrir à Dieu5.

Le deuxième fruit est la conversion des nations à Dieu - Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure6. Tel est le fruit que la Passion du Christ a porté, comme il le dit encore plus loin : Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi1.

Le troisième fruit est la gloire - Le fruit des bons labeurs est plein de gloire91. - Celui qui moissonne reçoit un salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle9. Et ce fruit, c'est bien encore la Passion du Christ qui l'a porté - Nous avons l'assurance voulue pour l'accès au sanctuaire dans le sang du Christ, qui a inauguré pour nous une voie nouvelle et vivante, à travers le voile, c'est-à-dire sa chair10.

1. He 9, 22.

2. Jn 16, 7.

3. Ph 2, 8.

4. 1s 27, 9.

5. 1 Ρ 3, 18.

6. Jn 15, 16.

7. Jn 12, 32.

8. Sg3, 15.

9. Jn 4, 36.

III

CELUI QUI AIME SON ÂME LA PERDRA, ET CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE. SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE : ET OÙ MOI JE SUIS, LA AUSSI SERA MON SERVITEUR. SI QUELQU'UN ME SERT, MON PÈRE L'HONORERA. (12, 25-26)

1642. Il montre ici la nécessité que d'autres meurent en s'exposant aux souffrances par amour du Christ.

Il commence par montrer la nécessité de cette mort, d'abord en mettant en avant la nécessité de cette mort à cause du Christ, puis en ajoutant son utilité [n° 1645]. Ensuite, il exhorte à la mort elle-même [n° 1646].

CELUI QUI AIME SON ÂME LA PERDRA.

1643. Or assurément tout homme aime son âme. Mais certains d'une manière absolue (simpliciter) et d'autres relativement à quelque chose (secundum quid). En effet, aimer quelqu'un, c'est lui vouloir du bien ; celui-là donc aime son âme qui lui veut du bien. Celui qui veut pour son âme ce qui est bon d'une manière absolue, l'aime d'une manière absolue ; celui qui veut pour elle quelque bien particulier l'aime relativement à quelque chose. Les biens de l'âme au sens absolu sont ceux par lesquels elle est rendue bienheureuse, à savoir le bien souverain, qui est Dieu. Celui donc qui veut pour son âme un bien divin et spirituel, l'aime d'une manière absolue ; mais celui qui veut pour elle des biens terrestres, comme la richesse et les honneurs, les plaisirs et d'autres biens de ce genre, l'aime relativement à quelque chose - Qui aime l'iniquité hait son âme1.

10. He 10, 19-20. Saint Thomas commente : « II montre quelle est cette voie en ajoutant : A travers le voile, c'est-à-dire sa chair. De même en effet que le prêtre entrait à travers le voile dans le Saint des Saints, de même si nous voulons entrer dans le Sanctuaire de la gloire, il nous faut entrer par la chair du Christ, qui fut le voile de sa divinité - Vraiment, tu es un Dieu caché (Is 45, 15). Car la foi en sa divinité ne suffit pas s'il n'y a pas la foi en son incarnation - Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Jn 14, 1). Ou bien à travers le voile, c'est-à-dire à travers sa chair qui nous est donnée sous le voile de l'espèce du pain dans le sacrement. En effet elle ne nous est pas proposée sous son espèce propre pour éviter une sainte terreur et en raison du mérite de la foi » (Ad Heb. lect., X, n° 502).

- Si tu accordes à ton âme [la satisfaction de] ses concupiscences, tu deviens la risée de tes ennemis2.

1644. Cette parole peut donc se comprendre de deux manières. D'une première manière ainsi : CELUI QUI AIME SON ÂME, ajoute : d'une manière absolue, en vue des biens éternels, LA PERDRA, c'est-à-dire s'exposera à mourir pour le Christ. Mais cç n'est pas le sens véritable.

C'est pourquoi il faut dire : CELUI QUI AIME SON ÂME relativement à quelque chose, à savoir à des biens temporels, LA PERDRA, c'est-à-dire d'une manière absolue - Que sert à l'homme, en effet, de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme ?3 Et la vérité de ce sens est rendue évidente par ce qui suit : CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE. Donc CELUI QUI AIME SON ÂME, en ce monde, c'est-à-dire relativement aux biens du monde, LA PERDRA, quant aux biens éternels

- Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez*. - Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux ; maintenant donc il trouve ici consolation, et toi, tu souffres la torture5.

ET CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE.

1645. Il donne ensuite l'utilité de cette mort lorsqu'il dit : ET CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE, c'est-à-dire celui qui refuse à son âme des biens présents et supporte à cause de Dieu ce qui est considéré comme des maux en ce monde, LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE - Bienheureux ceux qui souffrent la persécution pour la justice, car le Royaume des deux est à eux6. - Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu 'à sa propre âme, il ne peut être mon disciple''.

Remarque d'ailleurs que ce qui est dit plus haut du grain de blé rejoint cette phrase. Car de même que le Christ fut envoyé dans le monde comme une semence destinée à porter du fruit, de même tout ce qui nous est donné par Dieu temporellement ne nous est pas confié comme un fruit mais afin que, grâce à cela, nous parvenions au fruit de la récompense éternelle.

En effet, notre vie est un certain don temporel que Dieu nous fait. Celui donc qui l'expose à cause du Christ, porte beaucoup de fruit. Et c'est bien celui-là qui hait son âme, c'est-à-dire qui expose sa vie et sème pour le Christ en vue de la vie éternelle - Ils s'en allaient, ils s'en allaient en pleurant, portant leurs semences ; ils s'en viennent, ils s'en viennent en exultant de joie, ils rapportent leurs gerbes9". Et il en est de même pour celui qui, à cause du Christ, expose ses richesses et les autres biens qu'il possède, et les communique aux autres pour la vie éternelle - Qui sème dans les bénédictions moissonnera aussi dans les bénédictions 1.

1. Ps 10, 6.

2. Si 18, 31.

3. Mt 16, 26.

4. Lc 6, 25.

5. Lc 16, 25.

6. Mt 5, 10. Saint Thomas commente : « La huitième béatitude signifie la perfection de toutes celles qui précèdent, l'homme en effet est parfait en toutes choses quand il n'abandonne rien malgré les tribulations - Le four éprouve les vases du potier et la tentation de la tribulation les hommes justes (Si 27, 6). Mais peut-être quelqu'un, entendant Bienheureux ceux qui souffrent, dira qu'ils ne sont pas heureux à cause de la persécution, parce que la persécution trouble la paix ou l'enlève complètement - non pas, assurément, la paix intérieure mais la paix extérieure - Grande paix à ceux qui aiment ta loi (Ps 118, 165). Ce n'est pas la persécution elle-même qui rend heureux mais sa fin, aussi dit-il pour la justice » (Sup. Matth. lect., V, n° 443).

7. Le 14, 26.

8. Ps 125, 6.

1646. Mais parce qu'il semble dur qu'un homme ait de la haine pour son âme, le Seigneur exhorte à cela : SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE. L'Évangéliste montre d'abord l'exhortation, puis la raison de cette exhortation [n° 1648].

SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE : ET OÙ MOI JE SUIS, LÀ AUSSI SERA MON SERVITEUR.

1647. Le Christ commence par décrire la condition de ses fidèles, puis les invite à l'imiter ; enfin, il ajoute la récompense réservée à ceux qui l'imitent.

Et remarque, quant au premier point, la dignité des fidèles du Christ, puisqu'ils sont serviteurs du Christ - Ils sont ministres du Christ ? moi aussi2. Ceux-là donc servent le Christ, qui recherchent ce qui est du Christ ; mais ceux qui recherchent leurs propres intérêts ne sont pas les serviteurs du Christ mais d'eux-mêmes - Tous recherchent leurs propres intérêts3. Or ceux qui ont l'autorité dans l'Église sont les serviteurs du Christ dans la mesure où ils dispensent ses sacrements aux fidèles - Que les hommes nous regardent donc comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu 4. Il en est de même pour n'importe quel fidèle qui garde les commandements du Christ - Montrons-nous en toutes choses comme des ministres de Dieu5.

Quant au second point, remarque la gloire et la noblesse des fidèles du Christ. C'est pourquoi il dit : QU'IL ME SUIVE, comme s'il disait : les hommes suivent les maîtres qu'ils servent ; celui donc qui ME SERT, QU'IL ME SUIVE, afin que, comme moi je subis la mort pour porter beaucoup de fruit, de même aussi celui-là. Or suivre le Christ est une grande gloire - C'est une grande gloire, de suivre le Seigneur6. - Mes brebis écoutent ma voix, et moi je les connais et elles me suivent7.

Quant au troisième point, remarque la béatitude de ses fidèles, puisque OÙ MOI JE SUIS - non pas seulement au lieu où moi je suis mais encore dans cette participation à ma gloire -, LÀ AUSSI SERA MON SERVITEUR - Là où il y aura un corps, là se rassembleront les aigles s. - Le vainqueur, je lui donnerai de siéger auprès de moi sur mon trône 9.

SI QUELQU'UN ME SERT, MON PÈRE L'HONORERA.

1648. Il donne ensuite la raison de cette exhortation ; en effet celui qui sert le Christ, le Père l'honore. Mais il est dit plus haut : Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père10. C'est donc la même chose d'honorer le Fils et d'honorer le Père. Or le Père dit : Celui qui m'aura glorifié, je le glorifierai11. Celui donc qui sert Jésus, en recherchant non pas ses propres intérêts mais ceux de Jésus Christ, le Père de Jésus l'honorera. Et il ne dit pas : « Moi je l'honorerai », mais MON PÈRE, parce qu'ils n'avaient pas encore à son sujet cette opinion qu'il était égal au Père. Ou bien il faut dire qu'il dit cela en signe d'une plus grande familiarité, dans la mesure où ils seront honorés par celui-là même par qui le Fils est honoré. Car l'honneur que le Fils a par nature, eux-mêmes l'auront par grâce. C'est pourquoi Augustin dit que le fils adoptif ne pourra recevoir de plus grand honneur que celui d'être là où est le Fils unique ! - Il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit le Premier-né d'une multitude de frères2.

1. 2 Co 9, 6.

2. Cf. 2 Co 11, 23.

3. Ph2,21.

4. 1 Co4, 1.

5. 2 Co 6, 4.

6. Si 23, 38 (verset propre à la Vulgate).

7. Jn 10, 27.

8. Mt 24, 28.

9. Ap 3, 21.

10. Jn 5, 23.

11. 1 S 2, 30.

B. LE CHRIST GLORIFIE PAR DIEU

1649. Auparavant il a été question de la gloire du Christ manifestée par différents hommes ; ici il s'agit de la gloire du Christ manifestée par Dieu.

L'Évangéliste rapporte d'abord la demande de cette gloire, puis la promesse de la gloire [n° 1661].

a) La demande de la gloire.

MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. ET QUE DIRAI-JE ? PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE. MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE. PÈRE, GLORIFIE TON NOM. (12, 27-28)

Le Christ commence par exprimer le trouble de son âme, puis il présente sa demande [n° 1665].

I

MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE.

1650. Mais remarque, quant au premier point, qu'il est étonnant que le Christ dise : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. Plus haut, en effet, il a exhorté ses fidèles à haïr leur âme en ce monde et voilà qu'à présent, à l'approche de la mort, nous avons entendu le Seigneur lui-même dire :

MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. Pour cette raison Augustin dit3 : « Seigneur, tu ordonnes à mon âme de te suivre, et je vois ton âme se troubler : quel fondement chercherai-je, si la pierre s'affaisse ? »

Voilà pourquoi il nous faut d'abord voir ce qu'est ce trouble dans le Christ, et ensuite pourquoi il a voulu le subir [n° 1652].

1651. Il faut d'abord savoir qu'au sens propre on dit d'une chose qu'elle est troublée quand elle est mise en mouvement : ainsi disons-nous de la mer agitée qu'elle est troublée. Par conséquent, toutes les fois qu'une chose dépasse la mesure de son repos et de sa tranquillité, nous disons alors qu'elle est troublée. Or il y a dans l'âme humaine une partie sensitive et une partie rationnelle. Et c'est dans la partie sensitive de l'âme que le trouble se produit, quand elle est mue par certains mouvements ; par exemple, quand elle est saisie par la crainte, élevée par l'espoir, dilatée par la joie, ou qu'elle est affectée par quelque autre passion. Mais ce trouble parfois demeure en dessous de la raison et parfois il dépasse la limite de la raison, c'est-à-dire quand la raison elle-même est troublée. C'est ce qui se produit bien souvent en nous, mais cela n'a pas lieu dans le Christ, puisqu'il est la sagesse même du Père, ni même chez le sage, et c'est pourquoi la pensée des stoïciens est que le sage n'est pas troublé, c'est-à-dire quant à sa raison.

1. Voir Tract, in Io., LI, 11, BA 73B, p. 305-307 : « Quel plus grand honneur pourrait recevoir le fils adoptif que d'être là où est le Fils unique, sans être rendu égal à la divinité, mais en étant associé à l'éternité ? (non æqualis factus divinitati, sed consociatus aeternitati) ».

2. Rm 8, 29. Saint Thomas commente : « Il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, de telle sorte que cette conformité n'est pas la raison (ratio) de la prédestination, mais son terme ou effet. L'Apôtre dit en effet : Il nous a prédestinés à être des fils adoptif s de Dieu (Ep 1,5). Car l'adoption des fils n'est rien d'autre que cette conformité. Celui en effet qui est adopté comme fils de Dieu est vraiment conformé à son Fils » {Ad Rom. lect., VIII, nos 703-704). Sur la prédestination, voir vo1. I, n° 938, note 1.

3. Tract, in Io., LU, 2, BA 73B, p. 319.

Voici donc le sens de : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE, à savoir, elle a été affectée quant à sa partie sensitive par les passions de crainte et de tristesse qui cependant ne troublaient pas sa raison et ne lui faisaient pas perdre son ordre - Jésus commença à ressentir tristesse et angoisse1.

D'autre part, les passions de cette sorte sont autres en nous qu'elles ne furent dans le Christ2. En nous, en effet, elles existent par nécessité, dans la mesure où nous sommes mus et affectés comme de l'extérieur ; tandis que dans le Christ elles n'existent pas par nécessité, mais par le pouvoir de la raison, puisqu'en lui il n'y eut aucune passion que lui-même n'eût suscitée. Car les puissances inférieures étaient tellement soumises à la raison dans le Christ qu'elles ne pouvaient rien faire ni souffrir d'autre que ce que la raison ordonnait ; voilà pourquoi il est dit plus haut : Jésus donc, quand il la vit pleurer, pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, frémit en son esprit et se troubla3. - Tu as fait trembler la terre, à savoir, la nature humaine, tu l’as bouleversée4.

1. Mc 14, 33.

2. C'est dans la lumière du traité sur la béatitude {Somme théo1., I-II q. 1 à 5) que saint Thomas parle des onze passions de l'homme, actes de ses puissances appétitives sensibles (loc. cit., q. 22 à 48). Le concupiscible et l'irascible dans leur élan vital, radical, restent le grand conditionnement que l'homme doit assumer et éduquer de l’intérieur pour rejoindre sa finalité. Les passions ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont naturelles et constituent le milieu dont l’homme, qui est esprit et corps, doit se servir pour rejoindre sa finalité. Dans le Christ, l'affectivité sensible est parfaitement finalisée du fait de sa plénitude de grâce (op. cit., III, q. 15, a. 4 sq.). Voir aussi vo1. I, n° 1535, note 1.

3. Jn 11,33.

4. Ps 59, 4.

Ainsi donc l'âme du Christ fut troublée dans le sens où ce n'est pas contre la raison mais selon l'ordre de la raison qu'il y eut en lui ce trouble.

1652. À ce propos, il faut savoir que le Seigneur a voulu être troublé pour deux raisons. Premièrement, à cause de l'enseignement de la foi, pour prouver la vérité de sa nature humaine : pour cette raison, désormais, approchant de sa Passion, il agit en tout conformément à la nature humaine.

Deuxièmement, pour nous donner l'exemple : car, s'il avait agi en tout avec la même constance et sans ressentir aucune passion dans son âme, il n'aurait pas donné aux hommes un exemple suffisant pour supporter la mort. C'est pour cela qu'il a voulu être troublé, afin que, lorsque nous sommes troublés, nous ne refusions pas de supporter la mort et que nous n'en venions pas à défaillir - Nous n'avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable à nous, hormis le péché5.

1653. De là apparaît clairement la continuité avec ce qui précède. Parce qu'en effet il avait dit : Celui qui hait son âme en ce monde la gardera en vie éternelle, en quoi il avait exhorté ses disciples à la Passion pour qu'aucun ne dise : « Ô Seigneur, tu peux bien parler et philosopher tranquillement au sujet de la mort, toi qui, existant sans connaître les douleurs humaines, n'es pas troublé par la mort. » Aussi, pour exclure cela, a-t-il voulu être troublé6.

Or ce trouble du Christ fut naturel7 : car de même que l'âme aime naturellement son union avec le corps, de même c'est naturellement qu'elle fuit la séparation d'avec lui, d'autant plus que la raison du Christ a permis à son âme et à ses puissances inférieures de faire ce qui leur était propre.

5. He 4, 15.

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVII, 1, PG 59, co1. 371.

7. Au sujet de la tristesse du Christ à l'agonie, saint Thomas s'interroge : « Mais pourquoi s'est-il attristé ? Damascène dit qu'il s'est attristé pour lui-même. Et pourquoi ? Parce que la tristesse vient de ce que nous sommes privés de ce que nous aimons naturellement. L'âme naturellement veut être unie au corps et cela fut dans l'âme du Christ, parce qu'il a bu, il a mangé et il a eu faim. Cette séparation allait donc contre son désir naturel : il était donc triste de cette séparation. Cependant nous pouvons comprendre que quelque chose est dans l'âme en lui-même, et que quelque chose y est relativement à autre chose : de même qu'un remède amer considéré pour lui-même est cause de désagrément, mais relativement à la fin de notre salut est cause de joie ; ainsi la mort du Christ considérée en elle-même était pour lui un sujet de tristesse mais, regardée avec l'intelligence de la finalité, elle était cause de joie » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2225).

1654. À cause de ce qu'il dit : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE (...), est détruite l'erreur d'Anus et d'Apollinaire 1 qui disaient qu'il n'y a pas d'âme dans le Christ, mais seulement le Verbe2.

II

ET QUE DIRAI-JE ? PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE. MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE. PÈRE, GLORIFIE TON NOM. (12, 27-28)

1655. Puis le Seigneur exprime sa demande de la gloire. Et là il prend sur lui le sentiment de l'homme troublé, de telle sorte que sa demande a quatre aspects : premièrement, il pose la question de quelqu'un qui délibère [n° 1656] ; deuxièmement, il exprime sa demande qui procède d'un premier mouvement ; puis, par la raison, il repousse ce mouvement [n° 1657] ; enfin, à la suite d'un second mouvement, il fait une autre demande.

1. Au sujet d'Anus, voir vo1. I, n° 61, note 2 ; au sujet d'Apollinaire, voir vo1. I, n° 168, note 4.

2. Dans son commentaire sur saint Matthieu, à propos de la tristesse et de l'affliction du Christ, saint Thomas dit : « II faut ici éviter deux erreurs ; certains ont dit qu'il avait ressenti de la tristesse selon sa divinité, ce qui ne peut être, parce que s'il a ressenti de la tristesse c'est qu'il était capable de souffrir, mais sa divinité ne pouvait pas souffrir. L'opinion des ariens ou eunomiens était que dans le Christ il n'y avait pas d'âme, mais que le Verbe tenait lieu d'âme. Et pourquoi disaient-ils cela ? Pour que tout ce qui relève d'un manque soit rapporté au Verbe afin de montrer qu'il est moins que le Père. Et cela est faux. C'est pourquoi il a souffert en tant qu'il pouvait souffrir, c'est-à-dire selon son âme » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2223).

ET QUE DIRAI-JE ?

1656. Il pose la question de celui qui délibère, parce qu'il est naturel aux hommes, dans les situations angoissantes, de délibérer, d'où le Philosophe dit dans la Rhétorique3 que la crainte fait les conseillers. Aussi le Christ, après avoir manifesté son trouble, ajoute aussitôt : ET QUE DIRAI-JE ? comme s'il disait : Que faire après ce trouble ? On trouve la même chose dans le psaume : Crainte et tremblement ont fondu sur moi ; et juste après : Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe ? Alors je volerais et me reposerais*. Car ceux qui sont accablés par l'angoisse et la passion cherchent un secours pour être libérés.

PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE.

1657. Sous l'impulsion d'un premier mouvement, il exprime ensuite une demande, puisque lorsque quelqu'un est dans le trouble quant à ce qu'il doit faire, il doit avoir recours à Dieu - Comme nous ignorons ce que nous devons faire, il ne nous reste qu'à diriger nos yeux vers vous5. - J'ai levé les yeux vers les monts, d'où viendrait mon secours ?6 C'est pourquoi, ayant recours au Père, il dit : PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE ; c'est-à-dire : délivre-moi de la tribulation qui m'envahit à l'heure de la Passion - Sauve-moi, Seigneur, car les eaux me sont entrées jusqu'à l'âme1.

D'autre part, comme le dit Augustin8, ce que le Seigneur dit ici : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE et PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE, est la même chose que ce qu'il dit dans Matthieu : Mon âme est triste jusqu'à la mort et Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi !λ

3. II, 5, co1. 1383 a.

4. Ps 54, 6 et 7.

5. 2 Ch 20, 12.

6. Ps 120, 1.

7. Ps 68, 2.

8. Tract, in Io., LU, 3, BA 73B, p. 321-323.

1658. Mais il faut remarquer que cette demande n'est pas faite sous le mouvement propre de la raison, mais que la raison elle-même, comme un avocat, parle au nom de l'affection naturelle qui désirait ne pas mourir : aussi, dans cette demande, la raison représente-t-elle le mouvement de l'affection naturelle. Cela permet de résoudre l'objection qu'on a coutume de faire, étant donné qu'il est dit dans l'épître aux Hébreux : Il a été exaucé en tout en raison de sa piété2, et que cependant, dans ce qu'il demanda ici, il ne fut pas exaucé.

À cela il faut répondre qu'il a été exaucé pour ce que la raison demandait de sa part à elle, et en vue d'être exaucée. Mais ce qu'elle demande ici, elle ne l'exprime pas de sa part à elle, ni en vue d'être exaucée, mais comme en exprimant un sentiment naturel : c'est pourquoi Chrysostome la lit de manière interrogative. ET QUE DIRAI-JE ? c'est-à-dire : dirai-je PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE ? - comme s'il disait : je ne dirai pas cela3.

MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE.

1659. Cette demande faite par le mouvement de l'appétit naturel, il la repousse en disant : MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE, comme s'il disait : il n'est pas juste que je sois délivré de cette heure de la Passion,

1. Mt 26, 38 et 39. Saint Thomas commente : « Hilaire dit : Le Seigneur ne demande pas de ne pas mourir, sa demande porte sur les autres ; comme pour dire : je recevrai cette coupe avec confiance. Je te demande que mes disciples la reçoivent sans défiance. Mais pourquoi dit-il : S'il est possible ? Parce que cela paraît contre nature d’accepter la mort sans souffrir. Aussi veut-il dire : Moi je voudrais que les autres ne souffrent pas, si c'était possible, mais qu'il soit fait comme tu veux, c'est-à-dire selon ta sagesse » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2232).

2. He 5, 7.

3. Ni le commentaire de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXVII, 1, PG 59, co1. 371), ni aucune autre source habituelle de saint Thomas ne vont dans ce sens.

puisque je suis venu pour souffrir, non pas conduit par une nécessité fatale ni contraint par la violence humaine, mais offert spontanément4 - Il s'est offert parce que lui-même l'a voulu5. - Personne ne me l'enlève, à savoir mon âme, mais moi je la livre de moi-même0.

PÈRE, GLORIFIE TON NOM.

1660. La raison exprime sa propre demande. Ici, nous pouvons comprendre TON NOM7 de deux manières. À savoir comme étant le Fils lui-même. En effet, le nom se dit à partir de la connaissance, comme un moyen de désigner quelque chose : ainsi le nom est ce par quoi une réalité est manifestée ; or le Fils manifeste le Père - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes91. Et au sujet de ce nom il est dit dans Isaïe : Voici venir de loin le nom du Seigneur1. Tel est donc le sens : PÈRE, GLORIFIE TON NOM, c'est-à-dire ton Fils - Glorifie-moi, Père, auprès de toi, de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût2.

4. En latin : sponte oblatus. Le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome parlent souvent des victimes « offertes spontanément » (Lv 7, 16 ; 22, 18 et 21 ; Nb 15, 3 ; Dt 12, 17). On parle aussi de l'or et de l'argent offerts spontanément (Esd 1, 6 ; 7, 15 et 16 ; 8, 28). Mais l'expression prend toute sa force quand, dans le cantique de Debora et Baraq, elle exprime une offrande personnelle, l'offrande de soi-même : « Vous qui, [parmi les fils] d'Israël, avez spontanément offert vos âmes au péril, bénissez le Seigneur » (Jg 5, 2 : qui sponte obtulistis de Israel animas vestras ad periculum, benedicite Domino ; cf. 5, 9 : qui propria voluntate obtulistis vos discrimini).

5. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate).

6. Jn 10, 18.

7. Saint Thomas, dans la Somme théologique, consacre toute une question aux noms divins (I, q. 13). En effet, citant Aristote qui rappelle que « les noms sont les signes des concepts, et les concepts les similitudes des réalités » (De l'interprétation, ch. 1), il montre que nous pouvons nommer Dieu non à partir de son essence divine que nous ne connaissons pas, mais d'après les créatures à partir desquelles nous pouvons le connaître analogiquement (a. 1). Ainsi les noms comme bon, sage, signifient la divine substance mais imparfaitement, comme imparfaitement les créatures la représentent (a. 2). Aucun nom n'est attribué à Dieu et à la créature dans un sens univoque (a. 5). Saint Thomas montre ensuite que Dieu ne nous est pas connu dans sa nature même et nous est révélé uniquement par ses activités et par ses œuvres (a. 8). Et le mot « Dieu » nomme une opération, celle qui est « de prendre soin de toutes choses avec une prévoyance et une bonté parfaite » (Denys). « Dieu » n'en est pas moins destiné à signifier la nature divine, qui cependant est incommunicable (a. 9). Saint Thomas termine en citant le livre de l'Exode et la révélation faite à Moïse : « Celui qui est m'a envoyé vers vous » (Ex 3, 14) ; et selon lui, Celui qui est convient au plus haut point à Dieu (a. 11). Ici saint Thomas regarde non plus la révélation de Dieu faite à Moïse, mais la révélation que Jésus fait à ses disciples lors de sa dernière semaine sur la terre. Jésus vient révéler le Père, le manifester, et ici d'une manière ultime. C'est donc lui, le Fils, qui est véritablement le nom du Père. C'est le Fils qui, en glorifiant le Père par sa Passion, par sa mort sur la Croix, permet au nom du Père d'être glorifié.

8. Jn 17, 6.

Ou bien le nom du Seigneur est la connaissance du Père ; et alors en voici le sens : fais ceci, PÈRE, GLORIFIE TON NOM ; c'est-à-dire : fais ce qui est la gloire de ton nom. Et cela revient au même, puisque quand le Fils a été glorifié, le nom du Père est glorifié. Or il dit cela parce que c'est par sa Passion que le Fils devait être glorifié - Il s'est fait obéissant, au Père, jusqu'à la mort, et la mort de la Croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté3. C'est comme s'il disait : le sentiment naturel demande que je sois sauvé, mais la raison demande que ton nom soit glorifié, c'est-à-dire que le Fils souffre ; parce que c'est encore par la Passion du Christ que la connaissance de Dieu devait être glorifiée. En effet, avant la Passion, Dieu n'était connu qu'en Judée et en Israël grand était son nom4 ; mais après sa Passion, son nom a été glorifié parmi les nations - Grand est mon nom chez les nations5.

b) La promesse de la gloire.

VINT DONC UNE VOIX DU CIEL, DISANT : « JE L'AI GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI. » LA FOULE DONC, QUI SE TENAIT LÀ ET AVAIT ENTENDU, DISAIT QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE. D'AUTRES DISAIENT : « UN ANGE LUI A PARLÉ. » JÉSUS RÉPONDIT ET DIT : « CE N'EST PAS POUR MOI QUE CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE. MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS. ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI. » OR IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR. (12, 28-33)

1661. À propos de la promesse de la gloire qui est exprimée ici, l'Évangéliste fait d'abord mention de la voix de celui qui promet la gloire, puis de l'opinion de la foule qui doute de cette voix [n° 1663]. Enfin, il donne l'explication à propos de la voix qui s'est fait entendre [n° 1664].

La voix du Père.

VINT DONC UNE VOIX DU CIE1.

1662. Cette voix, c'est la voix de Dieu le Père, comme la voix qui vint sur le Christ baptisé - Celui-ci est mon Fils bien-aimé6 -, et qui vint de même sur lui transfiguré.

Mais bien qu'une telle voix soit toujours formée par la puissance de toute la Trinité, cependant elle est spécialement formée pour représenter la personne du Père ; c'est pourquoi on dit que c'est la voix du Père, comme la colombe a été formée par toute la Trinité pour signifier la personne de l'Esprit Saint ; et de même le corps du Christ a été formé par toute la Trinité, mais il est spécialement assumé par la personne du Verbe, parce que c'est pour être uni à lui qu'il a été formé.

1. Is 30, 27.

2. Jn 17, 5.

3. Ph 2, 8.

4. Cf. Ps 75, 2.

5. Ml 1, 11.

6. Mt 3, 17 et 17, 5.

JE L'AI GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI.

Cette voix fait donc deux choses. Premièrement, elle manifeste le passé, en disant : JE L'AI GLORIFIÉ, c'est-à-dire : de toute éternité je l'ai engendré glorieux, puisque le Fils n'est que gloire et splendeur du Père - Elle est l'éclat de la lumière éternelle et le miroir sans tache de la majesté de Dieu1. - Lui qui est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance2. Ou bien : JE L'AI GLORIFIÉ en sa nativité, lorsque les anges chantèrent :

Gloire à Dieu au plus haut des deux3, et dans les miracles faits par lui.

Deuxièmement, elle annonce le futur : ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans sa Passion, en laquelle il a triomphé du diable, dans sa Résurrection et son Ascension, et dans la conversion du monde entier - Le Dieu de nos pères a glorifié son Fils Jésus 4.

L'opinion de la foule.

LA FOULE DONC, QUI SE TENAIT LA ET AVAIT ENTENDU, DISAIT QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE.

1663. L'Évangéliste expose ensuite l'opinion de la foule qui doute de cette voix. Dans cette foule, de fait, comme dans toute foule, certains avaient une intelligence plus grossière et plus lente, et d'autres au contraire une intelligence plus pénétrante, bien que tous fussent imparfaits dans la connaissance de la voix elle-même.

Car ceux qui étaient oisifs et charnels n'ont pas perçu la voix elle-même mais seulement un bruit ; voilà pourquoi ils disaient QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE. Mais ils ne se trompaient pas complètement : en effet la voix du Seigneur était un tonnerre, tantôt parce qu'elle avait une signification étonnante, tantôt parce qu'elle contenait de grandes choses - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ?5 - Voix de ton tonnerre dans le tourbillon6. Les plus pénétrants, quant à eux, ont perçu cette voix comme le son d'une voix articulée et porteuse de signification : c'est pourquoi ils dirent que c'était une parole. Mais, croyant que le Christ était purement homme, ils se sont trompés en attribuant cette parole à un ange. C'est pourquoi ils disaient : UN ANGE LUI A PARLÉ, eux qui admettaient les mêmes choses que le démon, qui croyait que le Christ avait besoin du secours des anges. Aussi le démon disait-il au Christ : Il a pour toi donné ordre à ses anges, et ils te porteront dans leurs mains1. Or le Christ n'a pas besoin de la garde et de l'aide des anges, mais c'est lui-même qui glorifie et qui garde les anges.

1. Sg 7, 26.

2. He 1, 3. Au sujet de l'expression Lui qui est la splendeur de sa gloire, saint Thomas commente : « Le Verbe du Père, qui est un fruit conçu de son intelligence, est la splendeur de sa sagesse par laquelle il se connaît. Et c'est pourquoi l'Apôtre appelle le Fils la splendeur de sa gloire, c'est-à-dire la splendeur de la claire connaissance divine. Par là il montre qu'il n'est pas seulement sage mais la sagesse engendrée » (Ad Heb. lect., I, n° 26). Voir vo1. I, n° 1278, note 4.

3. Lc 2, 14.

4. Ac 3, 13.

5. Jb 26, 14. Dans le Contra Gentiles (IV, 1), saint Thomas, en commentant ce verset du livre de Job, expose les trois connaissances dont l'homme dispose à l'égard de Dieu : « La première consiste à remonter jusqu'à Dieu par le moyen des créatures et à la seule lumière naturelle de la raison. Dans la deuxième, c'est la vérité divine, dans sa transcendance par rapport à l'intelligence, qui descend jusqu'à nous par mode de révélation, non pas qu'elle soit déjà démontrée jusqu'à l'évidence, mais seulement offerte à notre foi par la parole. Dans la troisième enfin, c'est l'esprit humain qui sera élevé jusqu'à la pleine intuition des vérités révélées. C'est à cette triple connaissance que Job veut faire allusion dans ce verset. Il dit en effet : Voici : ce qu'on a dit, ce n'est qu'une partie des voies de Dieu, et ceci se rapporte à la démarche de l'intelligence qui, empruntant la voie des créatures, s'élève jusqu'à la connaissance de Dieu. Mais les voies elles-mêmes, nous ne les connaissons qu'imparfaitement. Aussi Job a-t-il raison de préciser : une partie - C'est en partie, en effet, que nous connaissons, comme dit l'Apôtre (1 Co 13, 9). Ce qu'il ajoute ensuite : Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, se rapporte à la seconde connaissance suivant laquelle les vérités divines sont révélées par mode de parole et pour que nous y croyions. (...) Qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ? relève de la troisième connaissance, par laquelle la vérité première sera connue non par la foi mais dans la vision - Nous le verrons tel qu'il est (1 Jn 3, 2) ».

6. Ps 76, 19.

L'explication de cette voix.

1664. L'Évangéliste commence par expliquer la voix émise en donnant d'abord la cause de la voix [n° 1665], puis sa signification [n° 1666], après quoi il montre l'opposition de la foule [n° 1675]. Enfin, il rapporte la réponse du Seigneur [n° 1681].

I

JÉSUS RÉPONDIT ET DIT : « CE N'EST PAS POUR MOI QUE CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. »

1665. Quant au premier point, il faut savoir que puisqu'ils avaient dit : UN ANGE LUI A PARLÉ, et qu'un ange parle à quelqu'un pour lui révéler une chose destinée à l'utilité de celui qui parle, comme on le voit clairement dans le premier chapitre de l'Apocalypse et le premier chapitre d'Ézéchiel, le Seigneur, montrant qu'il n'a pas besoin de voix ni du secours d'une révélation angélique, dit : CE N'EST PAS POUR MOI - c'est-à-dire pour m'instruire - QUE CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. En effet, elle n'a rien signifié qu'il n'ait su auparavant, puisqu'en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu2, de telle sorte qu'il a connu tout ce que le Père connaît. MAIS POUR VOUS, c'est-à-dire pour vous instruire. Cela fait comprendre que, dans l'économie divine3, beaucoup de choses concernant le Christ ont été réalisées pour nous, et non parce que lui-même en avait besoin - Tout ce qui a été écrit le fut pour notre instruction4.

C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE. MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS. ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI. (12, 31-32)

1666. Il indique d'abord le jugement par lequel il devait être glorifié, puis l'effet du jugement [n° 1668] et, en dernier lieu, le mode de cette glorification [n° 1672].

Le jugement

C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE.

1667. Mais s'il en est ainsi, pourquoi donc attendons-nous que le Seigneur vienne une seconde fois pour juger ? Il faut répondre qu'il est déjà venu pour juger selon un jugement de discernement5, par lequel il devait discerner les siens de ceux qui n'étaient pas à lui - C'est pour un jugement que je suis venu dans ce monde0. Et de ce jugement il dit : C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE. Mais il va venir pour juger selon un jugement de condamnation, pour lequel il n'était pas venu la première fois - Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui1.

Ou bien il faut dire que le jugement est double : l'un par lequel le monde est condamné, et qui n'est pas celui dont il est question ici ; l'autre par lequel le jugement est rendu en faveur du monde, dans la mesure où le monde est libéré de l'esclavage du diable. On doit entendre de cette manière ce verset du psaume : Juge, Seigneur, ceux qui me nuisent1.

1. Mt 4, 6 ; Ps 90, 11.

2. Col 2, 3.

3. Sur le sens du mot dispensatio, voir vo1. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.

4. Rm 15, 4.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LU, 6, BA 73B, p. 327. Voir vo1. I, n° 483 et n° 1360, note 3.

6. Jn 9, 39. 7. Jn 3, 17.

Et les deux reviennent au même parce que, par ce jugement en faveur du monde, le diable étant chassé, les bons sont discernés des mauvais.

L'effet du jugement

1668. L'effet du jugement est l'expulsion du diable : MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS, par la puissance de la Passion du Christ. Ainsi sa Passion est-elle sa glorification, comme si par là il expliquait ce qu'il dit : ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans la mesure où LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS, comme si c'était par sa Passion qu'il remportait la victoire sur le démon - Le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire les œuvres du diable2.

1669. Mais à ce sujet s'élèvent trois objections. Premièrement du fait qu'il dit que le diable est le prince de ce monde ; c'est à partir de là que les manichéens 3 disent qu'il est le créateur et le seigneur de toutes les réalités visibles.

La réponse est que le diable est appelé le prince de ce monde, non pas par un pouvoir naturel, mais par usurpation, en tant que les hommes de ce monde, par mépris du vrai Dieu, se sont soumis à lui - Le dieu de ce monde a aveuglé l’ esprit des infidèles4. Il est donc le prince de ce monde dans la mesure où il règne sur les hommes de ce monde, comme le dit Augustin5, qui se sont répandus sur toute la surface de la terre.

Car le terme « monde6 » est tantôt pris dans un mauvais sens à l'égard des hommes qui aiment le monde - Le monde ne l’α pas connu7 -, tantôt dans un bon sens, à l'égard des hommes bons qui vivent dans le monde de telle manière que leur séjour (conversatio 8) soit cependant dans les cieux - C'était Dieu, en effet, qui dans le Christ se réconciliait le monde 9.

1670. Deuxièmement, l'objection porte sur : VA ÊTRE JETÉ DEHORS. En effet, s'il avait été jeté dehors, il ne tenterait pas à présent comme il tentait auparavant. Cependant il n'a pas cessé de tenter : c'est donc qu'il n'a pas été jeté dehors.

À cela il faut répondre, selon Augustin 10, que bien que le diable tente les hommes qui ne sont plus du monde, cependant il ne tente pas de la même manière qu'auparavant. Car alors il tentait et régnait de l'intérieur mais, par la suite, de l'extérieur uniquement. En effet, aussi longtemps que les hommes sont dans le péché, c'est de l'intérieur qu'il règne et qu'il tente - Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel de manière à obéir à ses concupiscences n. Ainsi, il a été jeté dehors parce que l'effet du péché dans l'homme ne vient pas de l'intérieur mais de l'extérieur.

1671. Troisièmement, l'objection concerne l'affirmation : MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS, ce qui semble entraîner qu'avant la Passion du Christ il n'avait pas été jeté dehors et que, par conséquent, puisqu'il est jeté dehors au moment où les hommes sont libérés du péché, alors Abraham, Isaac et les autres figures de l'Ancien Testament n'ont pas été affranchis du péché.

1. Ps 34, 1.

2. 1 Jn 3, 8.

3. Voir vo1. I, n° 81, note 3.

4. 2 Co 4, 4.

5. Tract, in Io., LU, 10, BA 73B, p. 335.

6. Voir ci-dessous, n° 2032, note 4, et n° 2129.

7. Jn 1, 10.

8. Sur le sens du mot conversatio, voir vo1. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374, note 13, et n° 1584, note 2.

9. 2 Co 5, 19.

10. Tract, in Io., LII, 9, BA 73B, p. 333.

11. Rm 6, 12.

Il faut dire, selon Augustin \ qu'avant la Passion du Christ il avait été chassé de personnes singulières, mais non pas du monde, comme après. Car ce qui a été réalisé alors chez un tout petit nombre d'hommes, on reconnaît que maintenant cela a été réalisé par la puissance de la Passion du Christ pour les nombreux et grands peuples des Juifs et des païens convertis au Christ.

Ou bien il faut affirmer que le diable est jeté dehors par le fait que les hommes sont libérés du péché ; cependant, avant la Passion du Christ, les hommes justes avaient été affranchis du péché mais pas totalement, puisqu'ils étaient encore empêchés d'être introduits dans le Royaume : quant à cela, le diable avait encore sur eux un droit, mais qui lui fut totalement enlevé par la Passion du Christ, au moment où le glaive flamboyant a été enlevé2, quand il a été dit à l'homme : Aujourd'hui, tu seras avec moi dans k Paradis3.

Le mode de la glorification

ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI.

1672. Le mode de la Passion est par exaltation.

À ce sujet, il faut savoir que Chrysostome 4 utilise l'exemple suivant : prenons un tyran qui aurait eu l'habitude d'opprimer ses sujets, de les frapper et de les jeter aux fers ; si ensuite, poussé par la même folie, il traite de la même manière un homme qui ne lui est soumis en rien, et qu'il l'emprisonne, il doit à juste titre être aussi privé du pouvoir sur ceux qui lui étaient soumis : et c'est ainsi que le Christ a fait contre le diable. En effet, à cause du péché de nos premiers parents, le diable avait un certain droit sur les hommes ; aussi pouvait-il, en un sens, sévir contre eux d'une manière juste. Mais parce qu'il a osé tenter des choses semblables même contre le Christ, sur lequel il n'avait aucun droit, le tentateur, en attaquant celui sur lequel il n'avait aucun droit, comme il est dit plus loin5, a mérité d'être également privé de son pouvoir par la mort du Christ.

Et c'est bien ce qu'il dit : QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI. Par là, il montre le mode de sa mort ; puis l'Évangéliste explique ce que dit le Christ : OR IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR : le mode de sa mort est par l'exaltation sur le bois de la Croix. Il a donc bien, en cela, désigné DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.

1673. Or il faut savoir que la cause pour laquelle le Seigneur a voulu mourir de la mort de la Croix est double : la première, à cause de l'infamie de cette mort - Condamnons-le à la mort la plus infâme6. C'est pourquoi Augustin dit : « C'est de cette manière que le Seigneur a voulu mourir, afin que l'ignominie de sa mort ne détourne pas l'homme de la perfection de la justice7. »

La deuxième, parce qu'une mort de cette sorte a lieu par mode d'exaltation ; c'est pour cela que le Seigneur dit : QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ. Et assurément ce genre de mort convenait au fruit, à la cause et à la figure de la Passion.

1. Tract. In Ιο., LIΙ, 8, BA73B, p. 331. Voir aussi Somme théo1., III, q. 1, a. 2, c. et q. 46, a. 3, c.

2. Cf. Gn 3, 24 : Après avoir renvoyé Adam du Paradis, Dieu plaça à l'entrée du jardin de délices les chérubins avec un glaive flamboyant qu'ils faisaient tournoyer pour garder la voie de l'arbre de vie.

3. Lc 23, 43.

4. In Ioannem hom., LXVII, 2, PG 59, co1. 373.

5. Cf. Jn 13, 2-3.

6. Sg 2, 20.

7. L'idée que la crucifixion soit la plus horrible forme de trépas et qu'elle soit un exemple pour les chrétiens se trouve à plusieurs reprises dans les œuvres de saint Augustin. Le Père Centi (Commenta sul Vangelo di san Giovanni, n. 10, p. 336) renvoie à : De diversis quaestionibus LXXXlll, Quaest. XXV : De cruce Christi, CCL vo1. XLIVA, p. 17 ; De symbolo, III, 9, CCL vo1. XLVI, p. 191-192 ; Contra Adimantum, XXI, BA 17, p. 353. Mais nous n'avons pas trouvé de citation correspondant précisément au texte de saint Thomas.

À son fruit, puisque c'est par sa Passion qu'il devait être exalté - Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom1. Et pour cette raison le psaume disait : Lève-toi, Seigneur, dans ta force2.

À la cause de la Passion, cela convenait doublement : à la fois du côté du démon et du côté des hommes. Du côté des hommes, parce qu'il mourait pour leur salut ; en effet eux-mêmes avaient péri, puisqu'ils avaient été abaissés et plongés vers les choses terrestres - Ils ont résolu d'abaisser leurs yeux vers la terre3. Il a donc voulu mourir exalté pour élever nos cœurs vers les choses célestes. Car ainsi il est lui-même notre chemin vers le cie1. Et du côté des démons cela convenait aussi, pour qu'élevé lui-même dans les airs il foulât aux pieds ceux qui, dans les airs, avaient la suprématie et le pouvoir.

Cela convenait enfin à la figure de la Passion, puisque le Seigneur enseigna qu'il deviendrait le serpent d'airain dans le désert, comme il est montré au livre des Nombres : Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme*. Ayant donc été ainsi exalté, J'ATTIRERAI TOUT, par la charité, À MOI - D'un amour éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré, ayant pitié de toi5. En cela apparaît aussi au plus haut point la charité de Dieu pour les hommes, dans la mesure où il a daigné mourir pour eux - Dieu prouve ainsi son amour envers nous, puisque, au temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous0. En cela il a accompli ce que l'épouse demande dans le Cantique des cantiques : Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l'odeur de tes parfums7.

1. Ph 2, 8. Sur l'exaltation de la Croix voir aussi vo1. I, nos 474, 1166 et 1422.

2.Ps20, 14.

3. Ps 16, 11.

4. Jn3, 14.

5. Jr 31, 3. Saint Thomas commente : « D'un amour éternel je t'ai aimé, comme s'il disait : non pour un temps mais de toute éternité il t'a distribué ses largesses, il t'a attiré vers ton lieu, ayant pitié de toi, complétant extérieurement sa miséricorde par un bienfait - Par des "*ns humains je les attirerai, par les liens de la charité (Os 11, 4). - Je me suis souvenu de toi, ayant pitié de ta jeunesse et de l'amour de tes fiançailles Qr 2, 2) » (Exp. super Hier., XXXI, lectio 1).

1674. Or il faut remarquer que le Père attire et que le Fils aussi attire - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire91. C'est pourquoi il dit ici : J'ATTIRERAI TOUT, pour montrer que l'opération de l'un et de l'autre est la même.

Il dit TOUT, non pas « tous », parce que tous ne sont pas attirés vers le Fils. J'ATTIRERAI TOUT dit-il, c'est-à-dire l'âme et le corps. Ou bien tous les genres d'hommes, à savoir les Gentils et les Juifs, les esclaves et les hommes libres, les hommes et les femmes. Ou encore tout ce qui a été prédestiné en vue du salut9.

Et remarquons que le fait même de dire qu'il attire tout à lui, c'est jeter dehors le prince de ce monde, car il n'y a pas d'alliance entre le Christ et Bélial, ni entre la lumière et les ténèbres 10.

II

LA FOULE LUI REPONDIT : « NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, NOUS, QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. ET COMMENT DIS-TU, TOI : "IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ" ? QUI EST CE FILS DE L'HOMME ? » (12, 34)

1675. Après avoir exposé la promesse de la glorification du Seigneur et l'explication de la voix, l'Évangéliste rapporte ici le doute de la foule. Et d'abord la foule fait appel à l'autorité de la Loi pour, à partir de là, émettre son doute [n° 1677].

6. Rm 5, 8.

7. Ct 1, 3 (propre à la Vulgate).

8. Jn 6, 44. Voir vo1. I, n° 935.

9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LII, 11, BA 73B, p. 337-339.

10. Cf. 2 Co 6, 15.

1676. Il dit donc premièrement : LA FOULE LUI RÉPONDIT - au Seigneur qui parlait de sa mort - « NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, NOUS (la Loi est prise ici d'une manière générale pour désigner tous les écrits de l'Ancien Testament), QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. Et l'on peut dire cela à partir de nombreux passages de l'Ancien Testament, en particulier : Son empire se multipliera, et la paix n'aura pas de fin1. - Sa puissance est une puissance éternelle qui ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit2.

1677. Et à partir de cette autorité, ils soulèvent deux doutes : l'un concerne le fait, l'autre sa personne [n° 1680]. Le fait, quand ils disent : COMMENT DIS-TU, TOI : « IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ » ?

Mais puisque le Christ n'a pas dit : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, mais ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, comment les Juifs disent-ils : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ ?

Il faut dire ici que les Juifs, déjà habitués aux paroles du Seigneur, ont bien gardé dans leur mémoire qu'il disait être le Fils de l'homme. Aussi, quand il a dit : ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI, ils l'ont compris comme s'il avait dit : Quand le Fils de l'homme aura été élevé - selon ce que dit Augustin3. Ou bien il faut dire que, bien qu'ici il n'ait pas fait mention du Fils de l'homme, cependant plus haut il a dit ceci : II faut que le Fils de l'homme soit élevé1.

1678. Mais il semble que ce qu'ils disent eux-mêmes : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, ne contredit en rien ce qu'ils avaient dit : QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. À cela il faut répondre que, parce que le Seigneur avait l'habitude de leur parler en paraboles, ils comprenaient beaucoup de ce qui était dit. Aussi se sont-ils douté que le Seigneur parlait de son exaltation par la mort de la Croix - Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que moi je suis5. Ou bien il faut dire que s'ils ont compris cela, c'est que déjà ils pensaient le faire. Ce n'est donc pas la pénétration de la connaissance qui leur donna l'intelligence de ces paroles, mais la connaissance fausse qu'invente la malice6.

1679. Remarque bien leur malice : ils ne disent pas NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI que le Christ ne souffre d'aucune manière ; en effet, dans de nombreux passages des Écritures il est question de sa Passion et de sa Résurrection, comme dans ce verset d'Isaïe : Comme une brebis il est conduit à l'abattoir7 ; ou dans ce psaume : Et moi, j'ai dormi, j'ai sombré dans un profond sommeil et je me suis relevé8. Mais ils disent : QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. En cela il n'y aurait eu aucune contradiction puisque rien de ce que le Christ a accompli par sa Passion n'aurait fait obstacle à son immortalité. Ils voulaient en effet montrer qu'il n'était pas le Christ puisque LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS, comme le dit Chrysostome1.

1. Is 9, 7.

2. Dn 7, 14.

3. Tract, in Io., LII, 12, BA 73B, p. 341. 4. Jn 3, 14.

5. Jn 8, 28. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 374.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LU, 12, BA 73B, p. 341.

7. Is 53, 7.

8. Ps 3, 6. Saint Thomas commente : « Moi, j'ai dormi. Il montre là en quoi il a été exaucé, parce que je me suis relevé. II y a une différence entre le mort et celui qui dort : le mort ne se relève pas - Penses-tu qu'une fois mort l'homme vive de nouveau ? (Jb 14, 14), mais celui qui dort se relève - Celui qui dort ne pourra-t-il se lever de nouveau ? (Ps 40, 9). Ainsi donc, quand la tribulation est si grande qu'un homme ne revient pas à son état antérieur, on parle de mort. Mais, quand affligé ou tenté il tombe dans le péché et se relève, on dit qu'il dort. De même on peut dire que David a dormi parce qu'il a été libéré de son fils et de son péché. On dit somnoler en parlant d'un léger sommeil, tandis que dormir se dit d'un sommeil profond. C'est pourquoi une autre version dit : J'ai fait un somme, c'est-à-dire j'ai dormi profondément. Ainsi on dit que le Christ a dormi profondément parce qu'il s'est volontairement offert lui-même à sa Passion ; et parce qu'il a dormi d'un sommeil profond, la mort s'ensuivit. C'est pourquoi il passa du repos au sommeil profond. Ce sommeil est préfiguré dans celui d'Adam - Le Seigneur fit tomber un profond sommeil sur Adam (Gn 2, 21) - parce que c'est du côté du Christ mort sur la Croix qu'a été formée l'Église. Il dit donc : Et je me suis relevé, c'est-à-dire par ma propre puissance - J'ai le pouvoir de livrer ma vie et de la prendre de nouveau (Jn 10, 18) -, et cela parce que le Seigneur m'a pris. Il eut en effet la puissance de la divinité, puisqu'il est ressuscité - Quand le juste est tombé, il ne reste pas terrassé car le Seigneur le soutient de sa main (Ps 36, 24) » (Exp. in Psalmos, 3, n°3).

1680. La deuxième question porte sur sa personne, quand ils disent : QUI EST CE FILS DE L'HOMME ? Ils demandent cela parce qu'il est dit dans Daniel : Je voyais, et voici, venant comme un Fils d'homme et il s'avança jusqu'à l'Ancien2, et qu'à travers ce Fils d'homme ils comprenaient le Christ ; comme s'ils disaient : Tu dis qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé, et le Fils de l'homme, que nous comprenons comme le Christ, demeure à jamais ; QUI EST donc CE FILS DE L'HOMME ? S'il ne demeure pas à jamais, ce n'est pas le Christ. En cela il faut blâmer leur lenteur d'esprit, puisqu'ils doutaient encore qu'il fût le Christ, après tant de choses vues et tant de choses entendues - C'est comme de parler à quelqu'un qui dort que d'enseigner la sagesse à un sot3.

III

JÉSUS LEUR DIT DONC : << POUR PEU DE TEMPS ENCORE LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS. MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE PEUR QUE LES TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OÙ IL VA. TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE. » JÉSUS DIT CELA ET IL S'EN ALLA ET SE CACHA D'EUX. (12, 35-36)

1681. En disant cela, le Seigneur satisfait à leur doute, en quelque sorte : il met d'abord en lumière ce qu'ils avaient de bon puis il les exhorte à avancer [n° 1683]. Enfin, il explique son avertissement [n° 1686].

1682. Jésus leur dit alors : POUR PEU DE TEMPS ENCORE LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS, ce qui peut se lire de deux manières. D'une certaine manière, selon Augustin4, au sens où le mot modicum (pour peu de temps) serait l'adjectif qualifiant « lumière », comme s'il disait : il y a une certaine lumière en vous dans la mesure où vous savez que le Christ demeure à jamais. En effet ceci est une vérité, et toute manifestation de la vérité est une lumière infusée par Dieu. Cependant, cette lumière qui est en vous est limitée puisque, bien que vous ayez connaissance de l'éternité du Christ, vous ne croyez pas en sa mort et en sa Résurrection : en cela il est évident que vous n'avez pas une foi parfaite. Ce qui a été dit à Pierre leur convient donc bien : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?5

Mais selon Chrysostome6, il est dit POUR PEU DE TEMPS ENCORE au sens de : c'est pour peu de temps que LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS, c'est-à-dire moi, qui suis la lumière ; comme s'il disait : c'est pour peu de temps que moi, la lumière, je suis avec vous - Un peu de temps et vous ne me verrez plus1.

L'exhortation du Christ

MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE PEUR QUE LES TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OÙ IL VA. TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE.

1683. Et voilà pourquoi il les exhorte ensuite à aller jusqu'au bout et à progresser dans le bien : il les exhorte, puis leur montre le danger qui les guette s'ils n'avancent pas [n° 1685].

1. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 373-374.

2. Dn7, 13.

3. Si 22, 9.

4. Tract, in Io., LU, 13, BA 73B, p. 341-343.

5. Mt 14, 31.

6. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 374.

7. Jn 16, 16.

1684. Il dit donc : je dis que vous n'avez qu'un peu de lumière ; cependant, tant que vous l'avez, MARCHEZ, c'est-à-dire avancez et progressez, pour comprendre que le Christ tout en étant éternel doit mourir et ressusciter - cela d'après la première explication \

Ou bien : MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, c'est-à-dire : tant que je suis avec vous, progressez et efforcez-vous de me garder si bien que vous ne me perdiez jamais - Seigneur, à la lumière de ta face ils marcheront2. Et cela, de peur que LES TÉNÈBRES de l'incroyance, de l'ignorance et de la damnation perpétuelle NE VOUS SAISISSENT et qu'ainsi vous ne puissiez plus avancer. En effet l'homme, quand il est tout entier plongé dans l'incroyance, est alors saisi par les ténèbres, ce qui vous arriverait si vous croyiez l'éternité du Christ de manière telle que vous refusiez pour lui l'abaissement de la mort3 - A l'homme dont la route est cachée (...)4 - Nous sommes tous enveloppés de ténèbres5.

1. Cf. saint Augustin, ibid.

2. Ps 88, 16.

3. Cf. saint Augustin, ibid.

4. Jb 3, 23. Saint Thomas commente : « En effet la voie de l'homme lui est cachée car il ignore où le mène l'état de prospérité actuelle - Le rire sera mêlé à la douleur et après la joie vient le deuil (Pr 14, 13). -A l'homme n'appartient pas sa voie (Jr 10, 23). - Pourquoi faut-il que l'homme cherche ce qui le dépasse alors qu'il ignore ce qui lui convient durant sa propre vie ? Ou qui peut dire ce qui va venir après lui sous le soleil ? (Qo 7, 1). Il montre comment la voie de l'homme lui est cachée en ajoutant : Et Dieu a entouré l'homme de ténèbres, ce qui est manifeste de plusieurs manières : quant à ce qui vient avant et après : Grand est le malheur de l'homme parce qu 'il ignore le passé et ne peut connaître ce qui arrivera par aucun message (Qo 8, 6-7) ; quant à ce qui est proche, c'est-à-dire les hommes : Qui connaît ce qui est de l'homme sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ? (1 Co 2, 11) ; quant à ce qui est au-dessus : [Dieu] qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n'a vu ni ne peut voir (1 Tm 6, 16), et il est dit dans le psaume : Il a fait des ténèbres sa retraite (Ps 17, 12) ; et quant à ce qui est en dessous : Toutes les choses difficiles, l'homme ne peut les expliquer par la parole (Qo 1,8). Or on dit que Dieu a entouré l'homme de ténèbres parce que Dieu lui a donné une intelligence telle qu'elle ne peut connaître toutes les choses qu'on vient de dire » (Exp. super lob, III, 23). Sur la lumière et les ténèbres, voir vo1. I, n° 102.

5. Jb 37, 19.

ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OU IL VA.

1685. Il montre ensuite le danger qui les guette s'ils ne progressent pas. Car la lumière, soit de l'extérieur, soit de l'intérieur, dirige l'homme. De l'extérieur, elle le dirige quant à ses actes corporels extérieurs, mais de l'intérieur elle dirige sa volonté même. Celui donc qui ne marche pas dans la lumière, en ne croyant pas parfaitement dans le Christ, mais qui MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OÙ IL VA, c'est-à-dire vers quel terme il se dirige - Ils n'ont ni savoir ni intelligence ; ils marchent dans les ténèbres0. Et c'est bien ce qui arrive aux Juifs eux-mêmes parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font mais, marchant dans les ténèbres, ils pensent suivre le droit chemin et c'est pourquoi ils croient plaire à Dieu mais ils lui déplaisent plutôt7. De même les hérétiques errent, aussi croient-ils mériter la lumière de la vérité et de la grâce alors qu'ils mériteraient plutôt d'en être privés - Telle route paraît droite à un homme, mais elle conduit, enfin de compte, à la mort8.

TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE.

1686. Le Christ explicite ici ce qu'est marcher, et cela de deux manières, selon les deux explications données plus haut.

Selon la première explication9, TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE signifie : tant que vous avez quelque chose de la connaissance et de la lumière de la vérité, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, à savoir en la vérité parfaite, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE, c'est-à-dire afin de renaître à la vérité - Nous ne sommes pas les fils des ténèbres : ne dormons donc pas 1.

6. Ps 81, 5.

7. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 375.

8. Pr 14, 12.

9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LU, 13, BA 73B, p. 343.

Ou bien, selon l'autre explication, TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE signifie : tant que vous m'avez, moi, qui suis la lumière - Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde2 -, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, c'est-à-dire en moi : progressez dans ma connaissance AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE, parce que du fait que vous croyez en moi, vous serez fils de Dieu - A ceux qui croient en son nom il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu3.

JÉSUS DIT CELA ET IL S'EN ALLA ET SE CACHA D'EUX.

1687. Ici l'Évangéliste rapporte ce que Jésus a fait, à savoir qu'il se cacha. Au chapitre 8 où nous avons lu que le Christ a fait la même chose, la raison est facile à comprendre puisqu'ils prirent des pierres pour les lui jeter*s mais ici il n'y a aucune explication à son geste puisqu'ils ne ramassaient pas de pierres ni ne blasphémaient contre lui : pourquoi donc s'est-il caché ?

1. 1 Th 5, 5. Saint Thomas commente : « [L'Apôtre] ajoute qu'ils sont fils de la lumière et du jour. Or dans l'Écriture on appelle fils de quelque chose ceux qui ont cette chose en abondance (...). Ceux donc qui participent beaucoup au jour et à la lumière en sont les fils. Cette lumière, c'est la foi au Christ - Moi je suis la lumière du monde (Jn 8, 12). - Croyez en la lumière pour être des fils de lumière (Jn 12, 36). En effet, de même que de la lumière provient le jour, ainsi de la foi au Christ se lève le jour, c'est-à-dire l'honnêteté des bonnes œuvres » {Ad 1 Thess. lect., V, n° 115).

2. Jn 1, 9.

3. Jn 1, 12.

Il faut répondre que le Seigneur, scrutant leurs cœurs, connut la fureur et la malice que déjà ils avaient conçues en vue de le tuer. C'est pourquoi, voulant les devancer, il n'a pas attendu qu'ils passent à l'exécution, mais, en se cachant, il a voulu adoucir leur haine et leur colère. En cela il nous a donné l'exemple que lorsque la malice de certains à notre égard est manifeste, nous devons fuir avant même qu'ils ne tentent d'arriver à leurs fins. Néanmoins le Seigneur a montré par ce fait ce qu'il a dit par sa parole. Il avait dit en effet : MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE PEUR QUE LES TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; il a laissé entendre en se cachant ce que sont ces ténèbres - J'ai attendu le Seigneur qui a caché sa face loin de la maison de Jacob5.

4. Jn 8, 59.

5. Is 8, 17.

2. L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS

1688. Jusqu'ici, l'Évangéliste a traité de plusieurs manières de la gloire du Christ, en raison de laquelle les Juifs, par jalousie, ont été poussés à le tuer ; à présent, il s'agit de l'autre cause de sa Passion : l'incrédulité des Juifs.

Il est d'abord question de leur incrédulité ; puis cette incrédulité est blâmée par le Seigneur [n° 1710].

A. JEAN RAPPORTE L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS

Jean, premièrement, blâme l'incrédulité de ceux qui ne croyaient pas du tout, puis celle de ceux qui croyaient, mais en secret [n° 1706].

a) Ceux qui ne croyaient pas du tout.

À l'égard de ceux qui ne croyaient pas du tout, il commence par montrer la dureté étonnante de leur incrédulité ; puis, pour qu'on ne croie pas que cela se fit d'une manière irrationnelle ou fortuite, il introduit une prophétie [n° 1690].

La dureté étonnante de leur incrédulité.

MAIS BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI. (12, 37)

1689. L'Évangéliste dit donc, comme en s'étonnant : il est dit que le Seigneur fait beaucoup de signes, par exemple qu'il a changé l'eau en vin ', qu'il a guéri un paralytique 2, qu'il a illuminé un aveugle3, qu'il a ressuscité un mort4, et cependant BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT

EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI. Ils disaient donc : Quel signe fais-tu donc pour que nous voyions et croyions en toi ?5 Mais voici ce que dit l'Évangéliste : BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI - Si je n'avais fait parmi eux les œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché6. Aussi ne pouvaient-ils pas dire ceci : Nous n'avons plus vu de signes7.

1. Cf. Jn 2, 1-11.

2. Cf. Jn 5, 1-9.

3. Cf. Jn 9, 1-7.

4. Cf. Jn 11, 43.

5. Jn 6, 30.

6. Jn 15, 24.

7. Ps 73, 9.

La prophétie d'haïe.

POUR QUE S'ACCOMPLÎT LA PAROLE QUE LE PROPHÈTE ISAÏE AVAIT DITE : « SEIGNEUR, QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS, ET LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ? » (12, 38)

1690. En vue de cela sont introduits les témoignages des prophètes, et après avoir cité les prophéties l'Évangéliste montre qu'elles parlent du Christ [n° 1703].

I

II cite d'abord la prophétie prédisant leur incrédulité, puis il ajoute celle qui prédit la cause de cette incrédulité [n° 1697].

1691. Il dit donc : je dis qu'ils ne croyaient pas en lui, POUR QUE S'ACCOMPLÎT LA PAROLE QUE LE PROPHÈTE ISAÏE AVAIT DITE.

Ici il faut savoir que l'expression « pour que » dans les Saintes Écritures a tantôt un sens causal, comme plus haut : Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie l ; tantôt un sens consécutif, et signifie alors un événement futur. Et c'est en ce sens qu'elle est prise ici. En effet ce n'est pas parce qu'Isaïe l'avait prédit qu'ils ne croyaient pas2 mais c'est parce qu'ils n'allaient pas croire qu'il l'a prédit ; ainsi c'est à partir des non-croyants que la parole d'Isaïe est accomplie - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes3. - Un seul iota ou un seul point de la Loi ne passera pas que tout ne soit accompli*.

1692. Mais s'il était nécessaire que s'accomplît la parole d'Isaïe, il semble que les Juifs soient excusables de ce qu'ils n'ont pas cru : en effet, ils ne pouvaient aller contre la prophétie.

Je réponds : il faut dire qu'ainsi était prophétisé qu'ils useraient de leur libre arbitre. En effet Dieu, qui connaît par avance les choses futures, a prédit par le prophète leur incrédulité, mais ce n'est pas lui qui en est l'auteur5 : ce n'est pas parce qu'il connaît déjà les péchés futurs des hommes que Dieu force quelqu'un à pécher. Ce péché, donc, que les Juifs ont commis, le Seigneur, à qui rien n'est caché, a prédit qu'ils allaient le commettre6.

1693. Il ajoute ensuite ce que dit le prophète : SEIGNEUR, QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS, ET LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ?

Il faut savoir ici qu'il y a deux manières de croire. Parfois c'est par l'instruction d'un autre - et c'est là la manière commune de croire - La foi vient de ce qu 'on entend, et on entend par la parole du Christ1. Parfois par une révélation divine, ce qui est un mode particulier dont l'Apôtre dit : Ce n'est pas non plus d'un homme que je l'ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ*.

1694. Isaïe a donc prédit9 que les croyants seraient rares, en disant : SEIGNEUR, QUI A CRU ? Et en premier lieu quant à la manière commune, c'est-à-dire par l'instruction, quand il dit : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? Et ce verset d'Isaïe peut se comprendre de deux façons.

1. Jn 10, 10.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 2, PG 59, co1. 375.

3. Lc 24, 44.

4. Mt 5, 18.

5. Au sujet de la prédestination divine et de la liberté humaine, voir vo1. I, n° 1301 et note 11, et n° 1373 et note 12.

6. La question comme la réponse proviennent du commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., LUI, 4, BA 73B, p. 351-353).

7. Rm 10, 17.

8. Ga 1, 12.

9. Is 53, 1.

D'une première façon en ce sens : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? à savoir ce que nous avons entendu de toi - Nous avons entendu du Seigneur des armées un message1... - J'entendrai ce que dit en moi le Seigneur Dieu2. Autrement dit : nous, nous l'avons entendu de toi, mais. Seigneur, qui croira ce que nous avons entendu de ta bouche au sujet de ta nativité et de ta Passion ? C'est aussi pourquoi tout ce chapitre d'Isaïe parle de ces choses.

Or il dit que les prophètes entendent, pour faire comprendre la manière dont les prophètes sont illuminés. En effet, par la vision l'homme reçoit immédiatement une connaissance de la réalité vue, tandis que par l'ouïe la connaissance ne provient pas immédiatement de la réalité vue, mais d'un signe de cette réalité. Donc, parce que les prophètes ne voyaient pas immédiatement l'essence divine mais seulement des signes des réalités divines, il dit qu'ils entendent - Si quelqu'un parmi vous est prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai en songe3, c'est-à-dire par des signes. Or le Fils voit éternellement l'essence divine elle-même - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’α fait connaître*. QUI donc A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? à savoir : qui a cru ce que nous avons entendu et fait connaître ? - Ce que j'ai entendu du Seigneur des armées, le Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé5.

D'une autre façon : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? c'est-à-dire ce qu'ils entendent de nous - Ils entendent mes paroles de ta bouche et ne les observent pas6.

1695. Quant au mode particulier de croire, c'est-à-dire par une révélation, il dit : ET LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ? Le Fils est appelé « bras », lui par qui le Père opère toutes choses, comme on appelle bras de l'homme ce par quoi l'homme opère7. Et si l'homme opérait par un seul verbe intérieur, alors ce verbe pourrait être appelé son bras. Ainsi donc le Fils est appelé le bras de Dieu, non que Dieu le Père soit déterminé par une figure de chair humaine et qu'il ait un bras corporel, mais parce que Tout a été fait par lui8. - Ton bras est-il comme celui de Dieu, et ta voix peut-elle tonner comme la sienne ?9 - II a déployé la force de son bras10.

1696. Notons que cette parole a été l'occasion de l'erreur de Sabellius, qui a dit que le Père et le Fils sont une même personne, et aussi de l'erreur d'Arius11, disant que le Fils est moindre que le Père. En effet, un homme et son bras ne forment pas deux personnes mais une seule ; et on ne peut dire que le bras soit égal à l'homme.

Il faut répondre en disant qu'en de telles choses il n'y a pas de similitude suffisante : car ce qui se trouve dans les créatures ne représente pas parfaitement ce qui est en Dieu. C'est pourquoi Denys dit que la théologie symbolique n'est pas argumentative12. Le Fils n'est donc pas appelé « bras » comme s'il était la même personne que le Père, ou moins grand que lui, mais parce que par lui le Père opère tout. Il dit donc : ET LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ?, comme s'il disait : à un petit nombre, à savoir aux Apôtres eux-mêmes - Car c'est à nous que Dieu l’α révélé par son Esprit1.

1. Ab 1c.

2. Ps 84, 9.

3. Nb 12, 6.

4. Jn 1, 18. Voir vo1. I, nos 215 à 222. 5.1s 21, 10.

6. Ez 33, 31.

7. Saint Thomas reprend ici l'interprétation spirituelle de saint Augustin, identifiant le Fils de Dieu au bras de Dieu (Tract, in Io., LIII, 3, BA 73B, p. 349-351).

8. Jn 1, 3. 9.Jb40, 4.

10. Le 1, 51.

11. Sur Sabellius et Anus : voir vo1. I, n" 64, note 3, et n° 61, note 2.

12. Cette remarque de saint Thomas s'appuie sur la distinction qu'il établit entre analogie propre et analogie métaphorique (cf. Somme théo1., I, q. 13, a. 3, ad 1, et a. 6). L'analogie métaphorique, comme celle du « bras », ne convient pas directement à Dieu, puisque Dieu n'a pas de corps. Seule une propriété ou un effet du « bras » - la puissance - convient à Dieu. L'analogie propre, elle, exprime une notion qui peut être retrouvée éminemment en Dieu : la bonté, la sagesse, etc. À la suite de la Révélation, et de l'Écriture, la théologie symbolique ne néglige pas la qualité des analogies (ou « ^similitudes ») métaphoriques pour révéler le mystère divin. Mais l’insuffisance des « similitudes » métaphoriques dont use une théologie symbolique la rend inférieure, au niveau de l'argumentation rationnelle, à une théologie recourant de préférence à des analogies propres.

VOILA POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. ET PARCE QU'ISAÏE A DIT ENCORE : « IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR CŒUR, POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR, POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE. » (12, 39-40)

1697. Jean cite ensuite la prophétie prédisant la cause de leur incrédulité. Et si nous sommes attentifs à ces paroles de l'Évangéliste, il semble bien, à première vue, qu'elles aient une signification obscure.

D'abord parce que s'il est dit : VOILÀ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE, ce qu'Isaïe a dit, les Juifs semblent être excusables2. En effet, quel est le péché de l'homme qui ne fait pas ce qu'il ne peut pas faire ? Et, ce qui est plus grave, on fait retomber la faute sur Dieu, parce qu'IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX et leur cœur. Ce serait tolérable si on disait cela du diable, puisque le dieu de ce monde a aveuglé l'esprit des infidèles3. Mais ici on dit cela de notre Seigneur ! Car Isaïe dit : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 4. Et plus loin : Aveugle le cœur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son cœur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri5.

1. 1 Co 2, 10.

2. La double objection provient du commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., LUI, 5, BA 73B, p. 353-355).

3. 2 Co 4, 4.

1698. Pour bien comprendre cela, expliquons d'abord ce que dit l'Évangéliste : VOILÀ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. Il faut savoir que quelque chose est dit impossible ou nécessaire de deux manières : d'une manière absolue et d'une manière relative. D'une manière absolue, comme il est impossible qu'un homme soit un âne ; d'une manière relative, comme il est impossible que je sois à l'extérieur de la maison si je suis à l'intérieur. En fonction de cela, il faut donc dire qu'un homme est excusé s'il ne fait pas les choses qui, d'une manière absolue, lui sont impossibles. Mais s'il ne fait pas celles qui lui sont impossibles d'une manière relative, il n'est pas excusé. Ainsi, si l'on rapporte que quelqu'un a vraiment la mauvaise volonté de voler et qu'il dit qu'il lui est impossible de ne pas pécher tant qu'il a cette volonté, il n'est pas excusé ; parce qu'une impossibilité de cette sorte n'est pas absolue mais relative : en effet il peut abandonner cette mauvaise volonté. Il est donc dit : VOILÀ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE comme s'ils avaient, dans leur malice, une volonté aveuglée - Si l'Éthiopien peut changer sa peau ou le léopard ses taches, alors vous aussi pourrez bien faire, quoique vous ayez appris le mal1. - Comment pourriez-vous faire le bien, vous qui êtes mauvais ?2 Et c'est la même chose que si je disais de quelqu'un : moi, en aucune manière je ne peux l'aimer, mais je l'ai en haine.

4. Is 6, 1. Saint Thomas commente : « Le secret céleste, dit Chrysostome, n'est pas vu sans médiation dans sa propre essence - comme c'est le cas pour les bienheureux dans la patrie - par certains qui l'atteignent selon la perfection qu'ils ont en raison d'une lumière divine reçue et par ceux qui sont élevés par rapt à ce mode de la vision. Il semble que ceux-là aient une vision moins parfaite, selon les similitudes de la bonté elle-même, soit dans des réalités sensibles, soit dans des images, soit dans des formes intelligibles : et c'est par une vision de ce genre que les prophètes ont vu par la lumière de la prophétie, et que nous voyons par la foi, et que voient même des philosophes qui ont connu Dieu par la lumière de la raison (cf. Rm 1, 20) » (Exp. super Isaiam, 6, 1, p. 48,Ί. 118-131). Pour le commentaire de ce verset, voir aussi vo1. I, Prologue, nos 1-6. Sur la vision de la gloire de Dieu, voir Ad 1 Cor. lect., XIII, n" 800, cité au vo1. I, n° 1548, note 4.

5. Is 6, 10.

Quant à la deuxième partie de la prophétie, il faut savoir que l'aveuglement et l'endurcissement venant de Dieu ne s'entendent pas comme si Dieu suscitait la malice ou qu'il poussait à pécher, mais du fait qu'il n'infuse pas sa grâce3, grâce qu'il infuse par sa miséricorde. Mais la raison pour laquelle il ne l'infuse pas provient de nous, en tant qu'il y a en nous quelque chose qui répugne à la grâce divine. Car lui, quant à ce qu'il est lui-même, illumine tout homme venant en ce monde4 - Il veut que tous les hommes soient sauvés5. Mais c'est parce que nous nous détournons de Dieu qu'il nous retire sa grâce - Parce que tu as, toi, rejeté la science, je te rejetterai0. - Ta perte, Israël, provient de toi ; en moi seul ton secours1. Et c'est comme si quelqu'un avait fermé la fenêtre de sa maison et qu'on lui disait : Tu ne peux pas voir puisque tu es privé de la lumière du solei1. Or ce ne serait pas à cause d'un manque de soleil, mais parce que lui-même se serait coupé de la lumière du solei1. C'est d'une manière semblable qu'on dit ici qu'ils NE POUVAIENT PAS CROIRE parce que Dieu les a aveuglés : c'est qu'en fait eux-mêmes avaient produit la cause de leur aveuglement - Leur malice les a aveuglés8.

1. Jr 13, 23.

2. Mt 12, 34.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LUI, 6, BA 73B, p. 357.

4. Jn 1, 9. Voir vo1. I, n" 130.

5. 1 Tm 2, 4.

6. Os 4, 6.

7. Os 13, 9. Au sujet du mystère de la grâce, voir vo1. I, n° 154, note 8, n" 206, note 4 et n° 1269, note 5. Voir aussi Somme théo1., I-II, q. 112, a. 3 et 4. Citons cette réponse de saint Thomas : « Quand la grâce manque, la cause première de ce défaut de grâce est en nous ; quand au contraire elle est donnée, la cause première de ce don est en Dieu. D'où cette parole d'Osée : Ta perte vient de toi-même, ó Israël, mais ton secours est en moi seul (Os 13, 9) » (ibid., a. 3, ad 2).

IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR CŒUR, POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR, POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE. (12, 40)

1699. Après avoir vu cela il faut considérer les paroles de cette prophétie du livre d'Isaïe, non pas en elles-mêmes mais selon leur signification. Dans ces paroles, donc, sont contenues trois choses : premièrement, l'endurcissement et l'aveuglement des Juifs ; deuxièmement, l'effet de l'un ei de l'autre [n° 1701] ; troisièmement, la fin de cet endurcissement et de cet aveuglement [n° 1702].

IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX.

1700. À propos du premier point, il faul considérer que le Seigneur amenait à la foi de deux manières : par des miracles et par un enseignement ; c'est pourquoi il les reprend sur ces deux points en disant : Si je n 'avais fait parmi eux les œuvres que nui autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché9. Et encore : Si je n 'étais pas venu, et que je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas dé péché, mais maintenant ils n'ont pas d'excuse à leur péché10. Ils ont en effet méprisé l'un et l'autre. Donc, parce qu'ils n'étaient pas attentifs aux miracles du Christ avec la ferveur qu'ils auraient dû avoir, il dit : IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX, à savoir : les yeux de leur cœur - Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur11 pour qu'ils considèrent pai leur intelligence que de tels miracles ne pouvaient être faits si ce n'est par la puissance divine. - Toi qui as vu tant de choses, tu n'y fais pas attention ?l Et : Qui est aveugle, sinon mon serviteur ?2

8. Sg2, 21.

9. Jn 15, 24.

10. Jn 15, 22.

11. Ep 1, 18.

IL A ENDURCI LEUR CŒUR.

Parce qu'ils n'étaient pas impressionnés par l'enseignement du Christ, il ajoute : ET ENDURCI LEUR CŒUR. Ce qui n'est pas dissous par une forte chaleur ni broyé par un coup violent est à l'évidence très dur. Or les paroles du Christ sont comme un feu, et comme un marteau qui brise la pierre, comme il est dit dans Jérémie3. Comme du feu, certes, parce qu'elles enflamment par la charité ; comme un marteau, parce qu'elles effraient par la menace et brisent par la très grande évidence de la vérité. Et pourtant le cœur des Juifs n'était pas attentif à la parole du Christ. Aussi il est manifeste qu'il fut endurci - Son cœur est dur comme l'enclume de celui qui manie le marteau*. - II fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut5.

POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR.

1701. Il montre ensuite l'effet de leur aveuglement lorsqu'il dit : POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX, à savoir ceux de l'esprit, en découvrant la divinité du Christ - Elles ont des yeux et ne voient pas6.

Au contraire, il est dit dans Luc : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez7. Il montre l'effet de leur endurcissement lorsqu'il dit : ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR, sous-entendu : Pour qu'ils NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR - Et parce que pas un ne comprend, ils périront à jamais^. - II n'a pas voulu comprendre de façon à bien agir9.

Ici, il faut remarquer que l'expression « pour que » n'est pas prise au sens causal mais au sens consécutif.

POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE.

1702. Puis il indique la fin de cet aveuglement et de cet endurcissement. Et cela peut se comprendre de deux manières, comme le dit Augustin10.

D'une première manière, avec la répétition de la négation11, le sens serait : QU'ILS NE SE CONVERTISSENT PAS ET QUE JE NE LES GUÉRISSE PAS. En effet, le chemin de la guérison du péché est la conversion à Dieu - Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous serons convertis, et il est ajouté aussitôt : Renouvelle nos jours comme autrefois12.

Mais à ceux qui se sont montrés indignes de la rémission de leurs péchés, Dieu n'accorde pas les faveurs par lesquelles ils se convertiraient et seraient guéris, puisque manifestement ils ne les acceptent pas mais les rejettent.

D'une autre manière, sans la répétition de la négation, le sens serait : ils ont été aveuglés et endurcis afin que pour un temps ils ne voient ni ne comprennent ; et qu'ainsi, ne voyant ni ne comprenant, c'est-à-dire ne croyant pas dans le Christ, ils le tuent puis, touchés de componction 13, se convertissent et soient guéris. Car Dieu permet que quelques-uns parfois tombent dans le péché afin qu'humiliés, ils se rétablissent plus fermement dans la justice.

I. Is 42, 20.

2. Is 42, 19.

3Jr23, 29.

4. Jb 41, 16.

5. Rm 9, 18.

6. Ps 113, 5.

7. Lc 10, 23.

8. Jb 4, 20.

9. Ps 35, 4.

10. Quaestiones Evangeliorum. Quaest. XIII super Matthaeum, XLIV B, CCL, p. 134-135.

11. Dans le texte latin, en effet, la négation n'est pas répétée. On peut donc la sous-entendre ou non.

12. Lm 5, 21. Saint Thomas commente : « -Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous serons convertis. Mais contre cela il est dit en Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous à moi. Il faut dire que les deux sont vrais, car l'œuvre méritoire exige à la fois la préparation du libre arbitre et l'infusion de la grâce » {In Threnos Hieremiae, V).

13. Le sens du mot componction est ici : « remords », « regret », « douleur de ses fautes », « contrition profonde et cordiale », et au sens plus large, « tristesse pour les fautes humaines » (d'après R. Brouillard, art. « Componction », in : Catholicisme, vo1. 2, Letouzey et Ané, Paris, 1950, co1. 1428). Saint Thomas, en commentant l'épître aux Romains (11, 8), retrouve le sens étymologique du mot « componction » (du latin compungere, littéralement : piquer, percer) et dit que « le mot componction exprime une douleur qui perce le cœur. Il y a une componction qui est bonne quand on souffre de ses propres péchés, et une qui est mauvaise quand par envie on souffre à cause des biens que possèdent les autres » {Ad Rom. lect., XI, n° 874). 1.Ac 2, 37.

L'une et l'autre de ces explications se retrouvent chez différents Juifs. La première, chez ceux qui sont demeurés jusqu'au bout dans leur refus de croire ; la deuxième, chez ceux qui, après la Passion du Christ, se sont convertis au Christ et qui, pris de componction en leur cœur par les paroles de Pierre, ont dit aux Apôtres : Frères, que devons-nous faire ?l

II

ISAÏE A DIT CELA QUAND IL A VU SA GLOIRE ET QU'IL A PARLÉ DE LUI. (12, 41)

1703. L'Évangéliste montre ensuite que les paroles de l'Écriture citées auparavant tombent à propos. Car Isaïe a vu en même temps la gloire de Dieu et l'aveuglement des Juifs, comme cela apparaît clairement lorsqu'il dit d'abord : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé2 :, puis ajoute : Aveugle le cœur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son cœur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri3. Et parce que ce qu'il avait vu convenait pour qu'il rendît témoignage4, on trouve ensuite : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI, c'est-à-dire du Christ, dont il a vu la gloire : Tous les prophètes rendent de lui ce témoignage5. - Dieu avait promis auparavant [l'Évangile] par ses prophètes dans les Saintes Écritures, au sujet de son Fils6.

2. Is 6, 1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.

3. Is 6, 10.

4. Cf. 1 Jn 1, 2.

5. Ac 10, 43.

6. Rm 1, 2.

1704. Concernant les deux premières choses que l'on regarde à présent, il faut prendre garde à l'erreur des ariens qui disent que seul le Père est invisible à toute créature, mais que le Fils a été vu dans les visions de l'Ancien Testament. Mais puisqu'il est dit plus loin : Qui me voit, voit aussi le Père1, il est manifeste que c'est d'une seule et même manière que le Fils et le Père sont visibles. Donc, en voyant la gloire du Fils, Isaïe a vu aussi la gloire du Père ; et bien plus, de toute la Trinité qui est un seul Dieu siégeant sur un trône élevé et que les séraphins proclamaient : Saint, saint, saint. Non pas de telle sorte qu'Isaïe ait vu l'essence de la Trinité, mais par une vision de l'imagination, avec son intelligence, il a exprimé des signes de sa majesté - Si quelqu'un parmi vous est prophète du Seigneur, je lui parlerai en songe ou dans une vision.

1705. Ce qui est dit ensuite : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI exclut l'erreur des manichéens qui ont dit qu'aucune prophétie de l'Ancien Testament n'a annoncé le Christ, comme Augustin le rapporte9, et celle de Théodore de Mopsueste qui a dit que toutes les prophéties de l'Ancien Testament ont été dites au sujet d'autre chose mais rattachées au ministère du Christ par les Apôtres et les Évangélistes, grâce à une certaine adaptation, comme ce qui est dit d'un fait peut être appliqué à un autre10.

Or tout cela est exclu par ce qui est dit : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI, comme le Christ a dit au sujet de Moïse : C'est de moi qu'il a écrit11.

7. Jn 14, 9. Sur le commentaire de ce verset, voir ci-dessous, n° 1887.

8. Nb 12, 6.

9. Voir les livres 12 et 13 du Contra Faustum, PL 42, co1. 253-294.

10. Voir notamment le commentaire du v. 7 du psaume 13 (p. 85-86 de l'édition de R. Devreesse, Commentaire sur les psaumes, Vatican, 1939). Théodore, évêque de Mopsueste, sans nier la validité de l'interprétation allégorisante, critiquait sévèrement l'usage abusif qui en était fait dans l'école d'Alexandrie, ce qui, parallèlement à une christologie hésitante, lui valut d'être mêlé aux innombrables querelles théologiques des iv et ν siècles. Il refusait de reconnaître comme messianiques des textes tels que Os 11, 1 ; Mi 4, 2-3 ; Ag 2, 9 ; Za 11, 12-14. Il réduisait à quatre les psaumes prophétisant l'Incarnation du Christ : Ps 2, 8, 45, 110. Il refusait l'interprétation allégorisante du Cantique des cantiques et affirmait qu'il s'agit d'un épithalame composé par Salomon pour célébrer son mariage avec une princesse égyptienne.

11. Jn 5, 46.

b) Ceux qui croyaient en secret.

CEPENDANT, MÊME PARMI LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI, MAIS À CAUSE DES PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS, DE PEUR D'ÊTRE REJETÉS DE LA SYNAGOGUE. EN EFFET, ILS AIMÈRENT LA GLOIRE DES HOMMES PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU. (12, 42-43)

1706. Après avoir exposé le défaut de ceux qui ne croyaient pas du tout [n° 1688], l'Évangéliste montre ici le défaut de ceux qui, pusillanimes, croyaient en secret. Et il commence par mettre en avant leur dignité [n° 1707], puis montre leur défaut [n° 1708], et enfin révèle la racine de ce défaut [n° 1709].

1707. La dignité de ceux qui croyaient en secret est grande parce que ce sont des princes ; et à cet égard il dit : CEPENDANT, MÊME PARMI LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI. Comme s'il disait : J'ai dit que BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI ; et de fait cela est vrai pour la plus grande partie, non pas cependant sans que quelques-uns crussent en lui, puisque PARMI LES PRINCES, à savoir LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI ; et parmi eux il y eut Nicodème, qui vint à Jésus de nuit, comme il est dit plus haut1. Ainsi s'accomplit ce qui est dit dans le psaume : Les grands des peuples se sont assemblés2, et est aussi montré que ce que les pharisiens ont dit plus haut était faux : Y a-t-il quelqu'un parmi les princes des prêtres qui ait cru en lui, ou parmi les Pharisiens ?3

1708. Le défaut de ces princes est la pusillanimité, et c'est pourquoi il dit : MAIS

À CAUSE DES PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS. Comme il a été dit, les pharisiens s'étaient déjà entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le Christ, on l'excluât de la synagogue4. Ne voulant donc pas être exclus de la synagogue, bien qu'ils crussent dans leur cœur ILS NE LE CONFESSAIENT cependant PAS de leur bouche. Mais leur foi était insuffisante puisque, comme il est dit dans l'épître aux Romains : La foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres se fait en vue du salut5. Et dans Luc : Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l'homme rougira^.

1709. La racine de leur défaut est la vaine gloire7. D'où ce qui suit : EN EFFET, ILS AIMÈRENT LA GLOIRE DES HOMMES PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU ; en effet, du fait qu'ils confessaient publiquement, ils perdaient la gloire des hommes mais obtenaient par là la gloire de Dieu. Or ils ont choisi d'être privés de la gloire de Dieu, ne voulant pas confesser leur foi publiquement, plutôt que d'être privés de la gloire des nommes, car ils désiraient être glorifiés dans les choses du monde

- Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ? 8

- Si je plaisais encore à des hommes, je ne serais plus le serviteur de Dieu9.

1. Cf. Jn 3, 2.

2. Ps46, 10.

3. Jn7, 48.

4. Jn 9, 22.

5. Rm 10, 10.

6. Le 9, 26.

7. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 377.

8. Jn 5, 44.

9. Ga 1, 10.

B. LE CHRIST BLÂME L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS

1710. L'Évangéliste montre ici comment le Christ confond l'incrédulité des Juifs.

En premier lieu il montre le devoir de croire ; en second lieu, le fruit de la foi [n° 1713] ; et en troisième lieu, il menace les incrédules d'un châtiment [n° 1715].

a) Le devoir de croire.

OR JÉSUS CRIA ET DIT : « QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ. ET QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. » (12, 44-45)

Parce que la vision succède à la foi, il parle d'abord de la foi puis de la vision [n° 1712].

I

1711. Jean dit : OR JÉSUS CRIA, à la fois à cause de la grandeur de ce qui allait être dit et de la liberté d'esprit avec laquelle il devait dénoncer les péchés - Crie, ne t'arrête pas, fais retentir ta voix comme une trompette et dénonce à mon peuple ses crimes1.

ET DIT : « QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ », ce qui semble impliquer une contradiction, puisqu'il dit : QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI. Pour en avoir l'intelligence, il faut savoir que premièrement, selon Augustin2, cela fut dit par le Seigneur pour distinguer en lui la nature divine et la nature humaine. Puisqu'en effet l'objet propre de la foi est Dieu, nous pouvons croire qu'il a quelque chose d'une créature, mais nous ne devons pas croire en une créature mais en Dieu seu1. Or dans le Christ il y a une nature créée et une nature incréée. Il est donc requis, pour la vérité de la foi, que notre foi porte sur le Christ quant à sa nature incréée3 ; et selon cela il dit : QUI CROIT EN MOI, à savoir en ma personne, NE CROIT PAS EN MOI, en tant qu'homme, MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-à-dire en moi selon que j'ai été envoyé par le Père - Mon enseignement n'est pas le mien, mais il est de celui qui m'a envoyé1.

1. Is 58, 1.

2. Tract, in Io., LIV. 2-3, BA 73B, p. 379.

3. Le Christ dans son mystère est une personne divine, le Verbe, dans deux natures : la nature divine et la nature humaine. C'est la vérité de notre foi. Saint Thomas, dans son traité du Verbe incarné (Somme théol, III, q. 1 à 26), après avoir exposé les convenances de l'Incarnation (q. 1), montre de quelle manière le Verbe s'unit à la nature humaine. En reprenant les Actes du Concile de Chalcédoine et du Concile d'Éphèse, et la tradition des Pères avec saint Jean Damascène, il montre que l'union du Verbe à la nature humaine, dans le Christ, ne se fait pas dans la nature - en effet, dans le Christ existent la nature humaine et la nature divine, et ainsi toutes les opérations du Christ sont à la fois humaines et divines - mais dans la personne (q. 2, a. 1 à 6). L'Incarnation du Verbe est une assomption (q. 2, a. 8) dont la conséquence est la relation nouvelle de la nature humaine avec la personne du Verbe. Et c'est dans l'article 2 de la question 17 où il pose la question : « Y a-t-il dans le Christ unité d'être ? » que saint Thomas précise bien ce qu'implique cette union hypostatique : « La nature humaine est unie au Fils de Dieu hypostatiquement ou personnellement, mais non accidentellement ; il s'ensuit que selon la nature humaine il ne résulte pas un nouvel être personnel mais une nouvelle relation de son être personnel préexistant à la nature humaine : la personne du Fils de Dieu subsiste désormais non seulement sous le rapport de la nature divine mais aussi sous le rapport de la nature humaine » (q. 17, a. 2, c). Saint Thomas, dans la question disputée De unione Verbi Incarnati, affirme qu'il y a deux esse (voir A. Patfoort, o. p., L'unité d'être dans le Christ d'après saint Thomas. A la croisée de l'ontologie et de la christologie, col1. Bibliothèque de théologie, théologie dogmatique, série 1, vo1. 4. Desclée et Cie, Paris et Tournai 1964). Mais dans la Somme, il conclut à l'unicité de Vesse du Christ. Dans le Christ, il n'y a qu'une seule réalité, celle du Verbe, qui subsiste dans la nature humaine. Dans la manifestation, dans les effets, Jésus vit parfaitement sa vie de Dieu et sa vie d'homme. L’esse divin assume la nature humaine en la respectant complètement. Il n'y a qu'un seul esse dans le Christ, qu'une unité d'être, c'est l'esse du Verbe. Ainsi, en commentant cette parole du Christ : Qui croit en moi ne croit pus en moi mais en celui qui m'a envoyé, saint Thomas met en pleine lumière la sagesse du Christ qui veut réveiller notre foi contemplative : en Jésus, tout est lié au mystère du Verbe et nous conduit au Père.

Mais selon Chrysostome2, il faut remarquer que le Seigneur dit cela uniquement pour révéler son origine. Et c'est la même chose que si quelqu'un, puisant de l'eau d'un fleuve, disait : cette eau n'est pas du fleuve mais de la source, c'est-à-dire : elle n'a pas son origine dans le fleuve lui-même. Ainsi donc le Seigneur dit : QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ, comme s'il disait : Je ne suis pas principe de moi-même, mais la divinité est à moi par un autre, c'est-à-dire par le Père, c'est pourquoi QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI, sinon en tant que je suis par le Père.

II

ET QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ.

1712. À ce sujet il faut savoir que, de même que le Père a envoyé son Fils pour convertir les Juifs, de même aussi le Christ a envoyé ses disciples : Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie3. Or aucun des disciples n'a osé dire - et il ne le devait pas - que l'on croyait en lui, bien qu'il eût pu dire qu'on le croyait. Parce que cela n'aurait pas pu être sans porter atteinte à celui qui l'envoyait, car si l'on croyait au disciple on cessait de croire au maître. Les Juifs pourraient donc dire que de la même manière, puisque tu as été envoyé par le Père, celui qui croit en toi cesse de croire en le Père. Voilà pourquoi le Seigneur, contre cela, montre que celui qui ne croit pas en lui ne croit pas en le Père : QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ.

Ce qui est appelé ici vision, ce n'est pas le regard sensible mais la considération du vrai par l'intelligence. Et c'est pourquoi celui qui voit le Fils voit aussi le Père, parce que le Fils est en lui par unité d'essence. On dit en effet qu'une chose est vue dans une autre parce qu'elles sont ou bien identiques ou tout à fait semblables. Or le Père et le Fils sont identiques selon la nature et tout à fait semblables, puisque le Fils est l'image du Père sans aucune dissemblance4

- Il est l'image du Dieu invisible5. - Lui qui est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance 6. Voilà pourquoi, de même qu'il croit en le Père, de même aussi il croit en moi

- Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ?7 Autrement dit, voilà la raison pour laquelle celui qui me voit, voit aussi le Père : le Père est en moi et moi en lui.

Tel est donc le devoir de la foi : qu'elle porte sur le Christ en tant que Dieu, de la même manière qu'elle porte sur le Père.

1. Jn 7, 6.

2. In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 378.

3. Jn 20, 21.

4. Cf. Somme théol, I, q. 35 : saint Thomas rappelle que pour être vraiment l'image d'un autre, il faut lui être semblable dans l'espèce, mais aussi « en procéder de manière à lui ressembler dans l'espèce » (a. 1). Et le Fils est seul l'image du Père, car « il en procède comme Verbe à qui appartient en propre la similitude dans l'espèce envers celui dont il procède » (a. 2).

5. Col 1, 15.

6. He 1, 3. Voir ci-dessus, n° 1662, note 2.

7. Jn 14, 9-10.

b) Le fruit de la foi.

MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE AFIN QUE QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNÈBRES. (12, 46)

I

MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE.

1713. Il montre ensuite le fruit de la foi et d'abord sa dignité et sa puissance. De quelle manière le Christ est lumière, cela a été exposé plus haut : Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce mondel, et : Moi je suis la lumière du monde2.

En cela aussi il montre qu'il a une nature divine. En effet être la lumière est le propre de Dieu, les autres n'étant que lumineux, c'est-à-dire qu'ils participent de la lumière. Mais Dieu est lumière par essence - Dieu est lumière, et il n'y a pas en lui de ténèbres3. Mais parce qu'il est dit qu'*7 habite une lumière inaccessible qu'aucun homme n'a vue ni ne peut voir4, nous ne pouvions pas aller vers lui, et pour cette raison il fallait que lui-même vînt vers nous. Et c'est ce qui est dit ensuite : JE SUIS VENU DANS LE MONDE, c'est-à-dire moi je suis la lumière inaccessible, qui arrache à l'erreur et dissipe les ténèbres de l'intelligence5 - Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde6. - II est venu chez lui1. Bien que les Apôtres soient appelés lumière - Vous êtes la lumière du monde8 - ils ne le sont pas cependant dans le même sens que le Christ. En effet, eux sont une lumière illuminée, bien qu'en un sens par leur ministère ils soient ceux qui illuminent. Et il ne convient pas que l'un des Apôtres dise : MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE, puisque, quand ils sont venus dans le monde, ils étaient encore ténèbres et non lumière car nous sommes tous enveloppés de ténèbres9.

1. Jn 1, 9. 2. Jn 8, 12.

3. 1 Jn 1, 5.

4. 1 Tm 6, 16. Sur la lecture propre de ce verset par saint Thomas, voir vo1. I, n° 454, note 11, et surtout Ad 1 Tim. lect., VI, nos 268 et 269.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 378.

6. Jn 16, 28.

7. Jn 1, 11.

8. Mt 5, 14. Saint Thomas commente : « II montre ici qu'ils doivent illuminer par la parole de leur enseignement. Là on peut noter trois choses que doit avoir le prédicateur de la parole divine : d'abord la stabilité afin de ne pas s'écarter de la vérité, deuxièmement la lumière afin de ne pas enseigner d'une manière obscure, troisièmement la finalité afin de chercher la louange de Dieu et non pas la sienne » (Sup. Matth. lect., V, n° 456). 9.Jb 37, 19.

II

AFIN QUE QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNÈBRES.

1714. L'illumination est donc le fruit de la foi - Celui qui croit en moi ne marche pas dans les ténèbres 10, NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNÈBRES, à savoir celles de l'ignorance, de l'incroyance et de la damnation perpétuelle ; ce qui montre avec évidence que nous naissons tous dans les ténèbres de la faute - Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur11. Pareillement, nous naissons dans les ténèbres de l'ignorance - L'homme dont la route est cachée et que Dieu a entouré de ténèbres12. Et enfin, si nous ne nous convertissons pas au Christ, nous sommes conduits vers les ténèbres de la damnation perpétuelle. Qui donc ne croit pas en moi, demeure dans les ténèbres - Celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui13.

10. Jn 8, 12. Voir vo1. I, n° 1144.

11. Ep 5, 8.

12. Jb 3, 23. Pour le commentaire de ce verset, voir ci-dessus, n° 1684, note 4. Sur la lumière et les ténèbres, voir vo1. I, n° 102.

13. Jn 3, 36.

c) Le châtiment des incrédules.

1715. Le Christ laisse entendre le châtiment des incrédules : ET SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS - châtiment qu'ils encourraient en vertu du jugement de condamnation.

Il montre qu'il remet le jugement, puis il annonce qu'il y aura un jugement [n° 1718]. Enfin, il donne la raison pour laquelle il le remet [n° 1719].

I

ET SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS. EN EFFET, JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE. (12, 47)

1716. Il faut donc remarquer que ceux-là sont rendus bienheureux qui entendent la parole de Dieu et la gardent, en croyant intérieurement dans leur cœur, et en la mettant en pratique extérieurement par une œuvre. Mais ceux qui l'entendent et ne s'efforcent pas de la garder sont, à cause de cela, d'autant plus à blâmer - Ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes devant Dieu, mais les observateurs de la Loi qui seront justifiés λ. - Soyez de ceux qui accomplissent la Loi, et non seulement de ceux qui l'écoutent2. Et c'est pourquoi SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS.

Mais cela semble contraire à ce qui est dit plus haut : Le Père a remis tout jugement au Fils3. C'est pourquoi il faut comprendre : JE NE LE JUGE PAS, c'est-à-dire pas maintenant. En effet cela aurait pu lui être imputé comme une faiblesse de laisser aller ceux qui le méprisent4. Et, pour cette raison, il dit qu'ils seront jugés de cette manière, mais pas maintenant - Tout ce que Dieu a fait, il le mène au jugement5. - Fuyez à la face de l'iniquité, car il y a un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement6.

1717. Il donne ensuite la cause de ce délai qui entraîne le doute : EN EFFET, JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE.

En effet, il y a deux venues du Fils de Dieu. L'une où il vient comme Sauveur, l'autre où il vient comme juge7. Mais parce que tous étaient dans le péché, s'il était venu d'abord comme juge il n'aurait sauvé personne, car tous nous étions des fils de la colère8. Et c'est pourquoi il fallait qu'il vînt d'abord pour sauver les croyants et ensuite pour juger et les fidèles et les pécheurs. Et c'est bien ce qu'il dit : c'est pourquoi je ne le juge pas tout de suite, parce que JE NE SUIS PAS VENU - lors de ma première venue - POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE - Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui9.

II

QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI LE JUGE. (12, 48)

1. Rm2, 13.

2. Je 1,22.

3. Jn5, 22.

4. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 378.

5. Qo 12, 14.

6. Jb 19, 29.

7. « Nunc est tempus misericordiae, post erit iudicii » (saint Augustin, Tract, in Io., LJV, 5, BA 73B, p. 387).

8. Cf. Ep 2, 3. 9. Jn 3, 17.

1718. Il annonce le jugement à venir ; comme s'il disait : bien que ceux qui ne gardent pas mes paroles ne soient pas jugés maintenant, cependant ils ne resteront pas impunis, quels qu'ils soient, parce que QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES, en y croyant et en les mettant en pratique, A QUELQU'UN QUI LE JUGE. La raison est que si on ne reçoit pas les paroles du Fils, on méprise les paroles de Dieu dont il est le Verbe, comme celui qui n'obéit pas au commandement de son maître [n° 1716] - Fuyez à la face de l'iniquité car il y a un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement1. - Quant à toutes les choses que Dieu fait, il les appellera en jugement2. - Malheur à toi qui méprises, est-ce que tu ne seras pas toi-même méprisé ?3 - Ceux au contraire qui me méprisent seront avilisA.

III

1719. Il indique ensuite la cause de la remise du jugement, et après l'avoir indiquée, il montre que cette cause est suffisante [n° 1721].

1720. Il dit donc : je dis qu'un tel homme a quelqu'un qui le juge. Mais qui sera celui-ci ? LA PAROLE, dit-il, QUE J'AI DITE, C'EST ELLE QUI LE JUGERA AU DERNIER JOUR. Et cela revient au même, comme le dit Augustin5, que s'il avait dit : Moi je le jugerai au dernier jour. C'est vraiment lui-même que le Christ a exprimé dans sa parole, lui-même qu'il a annoncé. Il est donc lui-même la parole qu'il a dite parce que c'est de lui qu'il a parlé - Même si moi je me rends témoignage à moi-même, vrai est mon témoignage, parce que je sais d'où je suis venu et où je vais6. Autrement dit : cela même que je leur ai dit et qu'ils ont pourtant méprisé, voilà ce qui les jugera - C'est lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts1.

PARCE QUE MOI CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ. MAIS LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER. ET JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE. ET DONC CE QUE MOI JE DIS, COMME LE PÈRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS. (12, 49-50)

1721. Il montre que cette cause est suffisante ; d'abord d'après l'origine de cette parole, puis à partir de sa dignité [n° 1725].

En ce qui concerne le premier point, il exclut ce qui est faux, puis il établit la vérité [n° 1723].

CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ.

1722. Il est faux, certes, de penser que le Fils opère, parle ou existe uniquement par lui-même et non par un autre, car ce serait affirmer que le Fils n'est pas par le Père. Or voici ce qu'il dit : Je dis que la parole que j'ai prononcée, c'est elle qui les jugera, parce que moi, CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ - Le Fils ne peut rien faire de lui-même8. - Les paroles que moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-même9. Or c'est la même chose de dire : CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ que de dire : « Moi, je ne suis pas né de moi-même mais du Père », comme s'il disait : « Je le jugerai au dernier jour, apparaissant sous les traits d'un esclave 10 » - Il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est le Fils de l'homme1. Mais cependant je ne le jugerai pas par un pouvoir humain, à savoir en tant que je suis le Fils de l'homme, mais par un pouvoir divin, en tant que je suis le Fils de Dieu. Je ne jugerai donc pas de moi-même mais à partir du Père, de qui je tiens la puissance de juger.

1. Jb 19, 29.

2. Qo 12, 14.

3.1s 33, 1.

4. 1 S 2, 30c.

5. Tract, in Io., LTV, 6, BA 73B, p. 389.

6. Jn 8, 14.

7. Ac 10, 42.

8. Jn 5, 19.

9. Jn 14, 10.

10. Voir saint Augustin, La Trinité, I, xii, 26-27 ; xm, 28-30, BA 15, p. 159-173.

MAIS LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER.

1723. Il établit là la vérité. Mais ces paroles, si on ne les comprenait pas avec une piété filiale, donneraient lieu à deux erreurs.

Une première erreur, parce que celui qui commande est plus grand que celui à qui il commande. C'est donc pour cela que les ariens prétendaient : le Père commande, donc le Père est plus grand que le Fils. Une deuxième, parce que ce qui est donné à quelqu'un n'était pas en sa possession avant que cela lui soit donné ; et par conséquent il ne le connaissait pas. Si donc le Père donne un commandement à son Fils, il s'ensuit que le Fils auparavant ne l'a pas eu et par conséquent l'a ignoré : c'est quelque chose qui lui a été ajouté. Donc le Fils n'est pas vraiment Dieu2.

Là il faut savoir que tous les commandements divins sont dans la pensée du Père, puisque ces commandements mêmes ne sont rien d'autre que l'intelligibilité (rationes3) de ce qui doit être fait. Donc, de même que se trouve dans la pensée du Père l'intelligibilité de toutes les créatures qui sont produites par Dieu - ce que nous appelons les « idées » -, de même aussi c'est dans ces commandements que se trouve l'intelligibilité de tout ce que nous devons faire. Donc, de même que l'intelligibilité de toutes les réalités se transmet du Père au Fils, qui est la Sagesse du Père, de même aussi l'intelligibilité de tout ce qui doit être fait. Ainsi donc le Fils dit : MAIS LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME - en tant que Dieu - COMMANDÉ - c'est-à-dire : m'a communiqué par une génération éternelle - CE QUE JE DOIS DIRE - intérieurement - ET CE DONT JE DOIS PARLER - extérieurement, comme aussi notre parole (si nous voulons dire des choses vraies) énonce ce que l'intelligence conçoit.

1. Jn 5, 27.

2. La question a été posée par saint Augustin {Tract, in Io., LIV, 7j BA 73B, p. 393), et la première réponse de saint Thomas en reprend en partie le développement.

3. Sur les différents sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p. 18, note 4.

1724. Chrysostome4, quant à lui, explique tout cela autrement et d'une manière plus claire : SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS, comme s'il disait : moi je ne le condamne pas. En effet on peut dire de deux manières que quelqu'un condamne un autre : ou bien comme le juge, ou bien comme la cause de condamnation. En effet, l'homicide est condamné à la pendaison et par le juge qui profère la sentence, et par l'homicide même qu'il a commis et qui est cause de sa condamnation. Il dit donc : MOI JE NE LE JUGE PAS, c'est-à-dire : je ne suis pas cause de sa condamnation, mais c'est lui-même

- Ta perte, Israël, provient de toi5. Et cela parce que JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, à savoir : je n'ai pas été envoyé pour condamner mais pour sauver.

Mais un tel homme ne sera-t-il pas jugé ? Si, parce que QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI LE JUGE. Or, qui est celui qui juge, il le montre : LA PAROLE QUE J'AI DITE, que nous avons entendue, qui se tiendra au rang d'accusateur, C'EST ELLE QUI LE JUGERA AU DERNIER JOUR - Si je n'étais pas venu, et que je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché, mais maintenant ils n'ont pas d'excuse à leur péché1. Il montre que la parole qu'il a dite les jugera PARCE QUE MOI CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ. Cela certes n'est pas pris au sens causal, mais pour ainsi dire matériellement, et le sens est donc : Tu dis que ta parole le jugera, c'est-à-dire le condamnera ; mais quelle est cette parole ? Celle que j'ai dite, puisque moi ce n'est pas de moi-même que j'ai parlé ; c'est-à-dire la parole que j'ai dite au nom du Père, et ce qu'il m'a donné à dire et à faire entendre. D'ailleurs, si j'avais parlé contre le Père ou dit des choses que je n'ai pas tenues de lui, et s'ils ne m'avaient pas cru, ils auraient une excuse ; mais puisque j'ai parlé ainsi, il est certain que ce n'est pas moi seulement, mais mon Père aussi qu'ils ont méprisé.

4. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 377.

5. Os 13, 9 (propre à la Vulgate).

1725. Et selon cette explication, ce qu'il a dit : LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER doit être entendu du Christ en tant qu'homme. Par conséquent, lorsqu'il dit : ET JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE, cela montre que cette cause est suffisante, en raison de la dignité de sa parole. Et tout d'abord il montre sa dignité, puis, en conclusion, la réalisation de cette parole.

Il montre sa dignité en disant : ET JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE - par essence, si on comprend ce commandement selon qu'il est dans l'Esprit divin ; car tout ce qui est en Dieu est vie éternelle - C'est lui h véritable Dieu et la vie éternelle2. En effet le Fils lui-même est le commandement du Père, ou bien il est vie éternelle, c'est-à-dire celui qui conduit à la vie éternelle - Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements3.

Donc, parce que le Père m'a donné ce commandement, et que ce commandement est vie éternelle, moi c'est pour cela que je suis venu, pour conduire les hommes à la vie éternelle ; c'est pourquoi à travers tout j'accomplis le commandement du Père. Et c'est ce qu'il dit : ET DONC CE QUE MOI JE DIS, COMME LE PÈRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS. Ce qui, selon Chrysostome4, est évident et signifie : CE QUE MOI JE DIS, en prêchant extérieurement, COMME LE PÈRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS, c'est-à-dire : en tant que j'ai reçu de lui la connaissance ; on le comprend alors du Christ en tant qu'homme.

1726. Mais, selon Augustin5, si on l'entend du Christ en tant que Fils de Dieu, comment le Père le lui dit-il, puisqu'il est lui-même le Verbe ?

Il faut dire qu'il ne le lui a pas dit comme si c'était avec des paroles (verba) qu'il s'adressait à son unique Verbe, mais le Père a parlé au Fils comme il l'a engendré et lui a donné d'avoir la vie en lui-même - Le Seigneur m'a dit : Tu es mon fils. Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré6.

1. Jn 15, 22. Voir ci-dessus, n° 1700.

2. 1 Jn 5, 20.

3. Mt 19, 17.

4. In Ioannem hom., LXIX, 2, PG 59, co1. 379.

5. Tract, in Io., LJV, 7, BA 73B, p. 391-395.

6. Ps 2, 7. Saint Thomas, en commentant ce verset, montre d'abord « le mode de la génération, puis la propriété de la filiation, enfin l'éternité du Fils engendré. Le mode est indiqué par ces mots : Le Seigneur a dit, c'est-à-dire qu'il a procédé par mode d'intelligence. Chaque génération a un mode propre. Le mode de la nature divine n'est pas charnel mais intellectuel, bien plus il est l'acte même d'intelligence. Ensuite, la génération est une procession selon l'origine, qui se trouve dans la réalité intelligible, qui procède de l'intelligence selon la conception du Verbe. Et c'est cela, dire le Verbe dans son cœur ; et c'est pourquoi il dit : Le Seigneur a dit, comme s'il disait : en disant il m'a engendré. C'est pourquoi le Fils est le Verbe que le Père a dit, c'est-à-dire a produit en l'engendrant. La propriété est montrée en ceci, qu'il dit : "mon fils" non pas "adoptif ' comme ceux dont parle Jean – Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu (Jn 1, 12) -, mais selon une propriété de nature : c'est pourquoi tu es mon Fils par nature, unique, consubstantiel - Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé (Mt 3, 17). L'éternité est donnée dans ce qu'il ajoute : Moi, je t'ai engendré aujourd'hui, c'est-à-dire éternellement. En effet cette génération n'est pas une génération nouvelle mais éternelle, et c'est pourquoi le psalmiste dit : aujourd'hui ; ce mot signifie le temps présent, et ce qui est éternel est toujours. Il dit aussi : je t'ai engendré, et non pas : "je t'engendre, pour désigner la perfection de la génération ; en effet puisque cette génération est sans mouvement, à la fois il est engendré et a été engendré. Il dit encore aujourd'hui pour désigner l'éternel présent et l'éclat qui conviennent au Christ - qui habite une lumière inaccessible (1 Tm 6, 16), et qui est vraiment celui en qui il n'y a rien de passé ou de futur ou d'obscur mais seulement la lumière » (Exp- '" Psalmos, 2, n° 5).

CHAPITRE XIII : LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION

II COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION

Évangile selon saint Jean Chapitre XIII

1 Avant le jour de la fête de la Pâque, Jésus, sachant qu'est venue son heure de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin. 2 Et au cours d'un repas, alors que déjà le diable avait jeté dans le cœur de Judas Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le livrer, 3 sachant que le Père lui a tout donné dans les mains, et qu'il est sorti de Dieu et qu'il va vers Dieu, 4 il se lève du repas, et dépose ses vêtements, et ayant pris un linge, il se ceignit. 5 Ensuite, il versa de l'eau dans un bassin et commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.

6 II vient donc vers Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Seigneur, toi, tu me laves les pieds ? »7 Jésus répondit et lui dit : « Ce que moi je fais, tu ne le sais pas à présent ; mais tu sauras plus tard. » 8 Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. » 9 Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, non seulement mes pieds, mais encore les mains et la tête. » 10 Jésus lui dit : « Celui qui s'est baigné n'a besoin que de se laver les pieds ; il est pur tout entier - Vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous. » n II savait en effet qui donc était celui qui le livrerait. C'est pourquoi il dit : « Vous n'êtes pas tous purs. »

12 Après donc avoir lavé leurs pieds, il reprit ses vêtements, et s'étant allongé de nouveau, il leur dit : « Savez-vous ce que je vous ai fait ? 13 Vous, vous m'appelez "Maître et Seigneur", et vous dites bien : de fait, je le suis. 14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 En effet c'est un exemple que je vous ai donné, pour que, comme moi je vous ai fait, ainsi vous aussi vous fassiez. 16 Amen, amen, je vous le dis : le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'envoyé plus grand que celui qui l'a envoyé. 17 Sachant cela, heureux serez-vous, si vous le faites ! 18 Ce n'est pas de vous tous que je parle ; moi, je connais ceux que j'ai choisis. Mais c'est pour que l'Écriture s'accomplisse : "Celui qui mange le pain avec moi, lèvera contre moi son talon." 19 Dès à présent je vous le dis, avant que cela n'arrive : pour que quand cela arrivera vous croyiez que moi je suis. 20 Amen, amen, je vous le dis : Qui reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, c'est moi qu'il reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé. »

21 Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et il attesta et dit : « Amen, amen, je vous dis que l'un d'entre vous me livrera. » 22 Les disciples se regardaient donc les uns les autres, ne sachant pas de qui il parlait. 23 À table, tout contre le sein de Jésus, était allongé un de ses disciples, celui que Jésus aimait. 24 Simon-Pierre lui fait donc signe et lui dit : « Qui est celui dont il parle ? » 25 Celui-ci, se renversant sur la poitrine de Jésus, lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » 26 Jésus répondit : « C'est celui à qui moi j'offrirai le pain trempé. » Et ayant trempé le pain, il le donna à Judas, fils de Simon l'Iscariote.

27 Et après la bouchée, Satan entra en lui. Et Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le très vite. » 28 Or aucun de ceux qui étaient à table ne sut pourquoi il lui avait dit cela. 29 Parce que Judas avait la bourse, certains en effet pensaient que Jésus lui avait dit : « Achète ce dont nous avons besoin pour le jour de la fête », ou qu'il lui avait dit de donner quelque chose aux pauvres. 30 Ayant donc pris la bouchée, il sortit aussitôt. Or c'était la nuit.

31 Lors donc qu'il fut sorti, Jésus dit : « Maintenant a été glorifié le Fils de l'homme, et Dieu a été glorifié en lui. 32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même et c'est bientôt qu'il le glorifiera. 33 Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous. Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs : "Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir", à vous aussi je le dis à présent. 34 Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres. 35 En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. »

36 Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Où moi je vais, tu ne peux pas me suivre à présent ; mais tu me suivras plus tard. » 37 Pierre lui dit : « Pourquoi ne puis-je te suivre à présent ? Je livrerais mon âme pour toi. » 38 Jésus lui répondit : « Tu livreras ton âme pour moi ? Amen, amen, je te le dis : le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois. »

1. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORMANT PAR UN EXEMPLE

1727. Plus haut, l'Évangéliste a exposé certaines occasions qui ont entraîné le Christ vers la Passion et la mort ; dans cette partie, il montre comment le Christ prépare ses disciples avant sa Passion. Il commence par montrer [c'est le but du présent chapitre] comment il les forma par un exemple. Ensuite, au chapitre 14, il montre comment il les réconforta par ses paroles [n° 1848] ; enfin, au chapitre 17, comment il les fortifia par le soutien de ses prières [n° 2177].

Ici l'Évangéliste expose d'abord l'exemple que le Christ a donné à ses disciples. Puis il montrera la défaillance des disciples qui n'étaient pas encore capables de le suivre [n° 1795].

L'EXEMPLE QUE LE CHRIST DONNA À SES DISCIPLES

II présente d'abord l'exemple, puis il en ajoute la finalité1 [n° 1751], enfin il entraîne ses disciples à l'imiter [n° 1768].

A. L'EXEMPLE

II montre d'abord l'amour2 du Christ donnant l'exemple. Puis il indique l'action par laquelle il donna l'exemple [n° 1739].

1. Finalité traduit ici le mot utilitas. Saint Thomas met en lumière le fait que Jésus, après avoir donné cet exemple du lavement des pieds, l'explique à ses disciples en en donnant le pourquoi. Saint Thomas montre dans la Somme théologique - voir I-II, q. 7, a. 2, ad 1 et q. 16, a. 3, c. - que le bien utile est celui qui est ordonné à la fin ; c'est pourquoi nous avons préféré traduire militas par finalité.

2. Amour traduit ici le mot latin affectus. Affectus est un terme général que précédemment nous avons plusieurs fois traduit par « affection » (voir vo1. I, n" 1500, note 4). Il exprime la vulnérabilité affective qu'on éprouve à l'égard de quelqu'un. Il renvoie au sujet, à ce que le sujet porte en lui-même. Saint Thomas emploie aussi souvent le terme appetitus, plus objectif, qui se traduit par « appétit », et qui montre la tendance vers l'autre. Aimer, c'est tendre vers le bien qui attire, qui suscite l'amour. Cependant il s'agit ici du Christ, qui aime ses disciples non pas à cause de quelque chose qui existerait en eux et qui serait pour lui source d'amour, mais à cause de lui-même qui aime gratuitement tous les hommes.

a) L'amour fervent du Christ donnant l'exemple.

AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE, JÉSUS, SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE PÈRE, AYANT AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES AIMA JUSQU'À LA FIN. (13, 1)

Trois aspects sont abordés ici : la fête présente, ensuite la mort imminente du Christ [n° 1731], enfin la dilection fervente1 du Christ [n° 1735].

La fête présente.

AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE

1728. La fête présente était la Pâque2. Certains disent que ce nom Pâque est grec et vient donc du verbe πασχείν (paschein), comme si à partir de là cette fête était appelée Pâque, parce qu'on y célèbre la Passion du Seigneur. Et cela concorde avec le grec car πασχείν en grec est la même chose que pati en latin (souffrir). Mais l'origine première de ce mot3 se prend de l'hébreu : pâque en effet signifie phase qui en hébreu signifie passage ; et ici il s'agit du passage du Seigneur4.

Ici, l'Évangéliste traduit ainsi en fonction d'un double passage du Seigneur. Le premier, celui de l'ange frappant les premiers-nés d'Égypte et sauvant les premiers-nés des Hébreux ; et l'autre qui suit, celui des fils d'Israël traversant la mer Rouge. C'est pourquoi on a bien fait d'appeler cette fête Pâque. Et nous pouvons dire ainsi que notre Pâque a la signification de l'une et de l'autre langue, à savoir de l'hébreu et du grec, parce que dans la Passion même du Seigneur se réalisa le passage du Christ de ce monde vers le Père - Il a passé en faisant le bien et en guérissant5. De même notre passage à tous se fait en suivant le Christ soit par la pénitence et le martyre selon le psaume - Nous passions par le feu et par l’eau6 -, soit par le désir de l'esprit en aspirant aux choses célestes, selon l'Ecclésiastique : Passez à moi, vous tous qui me désirez''.

1. Dilection fervente est ici la traduction de dilectio fervens. Sur le sens du mot dilectio, voir vo1. I, n° 1475, note 4.

2. Voir vo1. I, nos 375, 376, 377, 846 et 1586.

3. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 64, 22 ; 70, 20), CCL, vo1. LXXII, p. 140-148 ; et Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 26, SC 259, p. 235. Ou plus immédiatement pour saint Thomas, qui le suit ici de près, voir saint Augustin, Tract, in Io., LV, 1, BA 74A, p. 57-59.

4. Voir Ex 12.

1729. Or dire : LE JOUR DE LA FÊTE, c'est s'exprimer par antonomase8. Car, comme il est dit dans le livre de l'Exode9, il y avait dans l'année trois jours solennels où les Juifs devaient se rassembler dans le lieu que le Seigneur avait choisi : la Phase où était immolée la Pâque, la Pentecôte, et la fête des Tentes, la Scénopégie. Mais entre tous, le jour de la Pâque était le plus célébré.

5. Ac 10, 38.

6. Ps 65, 12.

7. Si 24, 26.

8. Dans la Somme théologique, saint Thomas explique la signification du mot « antonomase » : « C'est une coutume dans le langage humain de restreindre certains noms communs à la désignation de ce qui est principal parmi toutes les réalités qu'ils recouvrent ; ainsi, par antonomase, le mot "Ville" est pris pour Rome » (II-II, q. 141, a. 2, c). Et aussi : « Une chose commune à plusieurs s'attribue par antonomase à celui chez lequel elle convient par excellence. Ainsi le nom de force se trouve réservé à la vertu qui affermit l'âme devant les choses les plus difficiles, et celui de tempérance à la vertu qui modère les plus grandes délectations » (II-II, q. 186, a. 1, c). Ici saint Thomas semble lire le texte de l'évangile : « le jour de la fête », et non « le jour de la fête de la Pâque ». Sur le sens du mot « antonomase », voir aussi vo1. I, n° 1098, note 1.

9. Ex 23, 14-17 : Trois fois chaque année vous célébrerez des fêtes en mon honneur. Tu garderas la solennité des azymes. Durant sept jours tu mangeras des azymes, comme je t'ai ordonné, au temps du mois des nouveaux fruits, quand tu es sorti de l'Égypte : tu ne paraîtras pas en ma présence les mains vides. Tu garderas de plus la solennité de la moisson des prémices de ton travail, quoi que ce soit que tu aies semé dans ton champ : et aussi la solennité à la fin de l'année, quand tu auras recueilli tous les fruits de ton champ. Trois fois dans l'année paraîtront tous tes mâles en présence de moi, le Seigneur ton Dieu. Il faut noter qu'au mois d'Abib, au printemps, la fête de la Pâque, fête Israélite pour commémorer la sortie d'Égypte et la libération du joug du Pharaon, et la fête agraire des Azymes fusionnent. Pendant sept jours le peuple d'Israël ne mange pas de pain levé - voir aussi Ex 12, 15-20 ; Lv 23, 5-14 ; Dt 16, 1-8. La fête de la Moisson est aussi appelée fête des Semaines. Célébrée sept semaines après la Pâque, le cinquantième jour, elle clôt le temps de la moisson, comme l'ouvrait l'offrande de la première gerbe. Voir aussi Lv 23, 15-22 ; Dt 16, 9-12. La fête de la récolte se dit aussi fête des Huttes ou des Tentes, ou des Tabernacles. Voir Lv 23, 33-43 et Dt 16, 13-15. Voir aussi vo1. I, n° 846, note 6. Elle commémore en effet le temps où les Israélites campaient dans le désert et habitaient donc sous des huttes, et recevaient ainsi l'éducation forte mais aussi miséricordieuse de Yahvé, Dieu d'Israë1.

Ici un doute se présente à propos de : AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE. Car le jour de la Pâque était le jour où était immolé l'agneau, et c'était la quatorzième lune. Donc, puisque l'Évangéliste dit que cela se passa avant le jour de la fête de la Pâque, il semble que cela eut lieu à la treizième lune, qui précédait la quatorzième lune. Et les Grecs, en suivant cela, disent que le Seigneur a souffert à la quatorzième lune, quand les Juifs devaient célébrer la Pâque. C'est pourquoi le Seigneur, sachant que sa Passion était imminente, devança la célébration de la Pâque en célébrant sa Pâque le jour précédent, avant la fête de la Pâque des Juifs. Mais parce que dans le livre de l'Exode J il est prescrit que, du soir du quatorzième jour au vingt et unième jour du mois, on ne trouve pas de pain levé chez les Hébreux, ils disent en outre que le Seigneur a tout réalisé non pendant le temps des azymes, mais pendant le temps du pain levé. Car avant le jour de la fête de la Pâque, c'est-à-dire la treizième lune, on trouvait du pain levé chez les Hébreux.

Mais les trois autres Évangélistes2 vont à l'encontre de cette opinion. Eux disent que cela eut lieu le premier jour des azymes au moment où devait être immolée la Pâque. Il s'ensuit que la Cène du Seigneur fut accomplie le jour où était immolée la Pâque des Juifs.

1. Cf. Ex 12, 18-20.

2. Cf. Mt 26, 17 ; Me 14, 12 ; Lc 22, 7.

1730. À cela les Grecs répondent en disant que les autres Évangélistes n'ont pas raconté ce fait d'une manière vraie, et qu'à cause de cela Jean, qui fut le dernier à écrire son Évangile, les a corrigés. Mais il est hérétique de dire qu'il puisse se trouver quelque chose de faux, non seulement dans les évangiles, mais encore dans n'importe quel écrit canonique, et c'est pourquoi il est nécessaire de dire que tous les Évangélistes disent la même chose, et ne sont en désaccord sur aucun point. Pour avoir l'évidence de cela, il faut savoir que, comme le rapporte le livre de l'Exode3, les solennités des Juifs commençaient le soir du jour précédent. La raison en est qu'ils comptaient les jours selon la lune, qui apparaît dès le soir ; c'est pourquoi aussi ils considéraient qu'un jour allait d'un soir à un autre soir. Ainsi, chez eux, la solennité de la Pâque commençait le soir du jour précédent et était terminée au soir du jour de la Pâque ; c'est aussi de cette manière que les fêtes sont célébrées chez nous.

Ainsi, ce qui se passe chez nous la veille de la Nativité du Seigneur, on peut dire que cela s'est passé en la fête de la Nativité. Et assurément, en gardant cette manière de faire, les autres Évangélistes ont dit que la Cène eut lieu le premier jour des azymes, parce qu'elle eut lieu le jour précédent, au soir, qui déjà appartenait au premier jour des azymes. Or ici l'Évangéliste Jean comprend le jour de la fête de la Pâque comme celui qui était tout entier célébré, et non pas celui dont le soir seulement était célébré, qui était le jour précédant la Pâque ; c'est pourquoi il dit AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE. Il est donc évident que la Cène du Seigneur eut lieu la quatorzième lune au soir.

3. Cf. Ex 12, 6 et 18.

La mort imminente du Christ.

JÉSUS, SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE PÈRE

1731. La mort imminente du Christ était son passage hors de ce monde par le moyen de la Passion ; et quant à cela l'Évangéliste dit : JÉSUS, SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE, car cette solennité des Juifs était la figure de la Passion du Christ - Tout en effet leur arrivait en figure, comme le dit la première épître aux Corinthiens 1 -, et c'est pourquoi il expose aussitôt la vérité, c'est-à-dire la Passion du Christ. Et comme pour montrer que pâque vient de phase, c'est-à-dire de passage, il fait mention du passage - DE PASSER, dit-il, DE CE MONDE VERS LE PÈRE.

1732. L'Évangéliste expose là trois aspects de la Passion du Christ. D'abord, elle fut prévue ; ensuite, elle convenait [n° 1733] ; enfin, elle fut cause pour nous de croissance et d'élévation [n° 1734].

Certes elle fut prévue, elle n'arriva pas par hasard ; et quant à cela il dit : JÉSUS, SACHANT, comme pour dire : ce n'est ni malgré lui, ni par ignorance, mais en SACHANT et volontairement, qu'il a souffert - Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver2... Et à l'inverse il est dit de nous : L'affliction de l'homme est grande parce qu'il ne sait pas ce qui sera, et il ne peut savoir d'aucune manière ce qui va arriver3.

1733. Elle convint4 quant au temps, et c'est pourquoi il dit QU'EST VENUE SON HEURE, c'est-à-dire le jour même de la Pâque, où il s'en irait par la Croix - Pour toute affaire il y a un temps et un moment favorable5. C'est cette heure dont il est dit plus haut : Mon heure n'est pas encore venue6. Mais il ne faut pas comprendre cette heure comme fatale, comme soumise à la course et à la position des étoiles, mais comme déterminée par la disposition de la Providence divine. C'est pourquoi, dis-je, elle était déterminée à se réaliser dans la Pâque des Juifs, parce qu'il convenait à la solennité des Juifs que la vérité suivît la figure, c'est-à-dire qu'au moment où l'agneau, qui figurait le Christ, était immolé, le Christ fut immolé, lui qui est le véritable agneau de Dieu7 - Ce n'est pas par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés (...) mais par le sang précieux de l'agneau immaculé8.

Elle convenait aussi à ce qui était à accomplir. Déjà en effet le Christ avait été glorifié - Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié9. Désormais il avait manifesté le Père au monde - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes10. Il restait donc que fût consommée l'œuvre de la Passion et de la Rédemption humaine dont il est dit : Tout est achevé et inclinant la tête, il remit l'esprit11.

1734. La Passion du Christ fut pour nous cause de croissance et d'élévation et non pas de destruction : SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE PÈRE, c'est-à-dire en rendant la nature humaine participante de la gloire du Père 12 - Je monte vers mon Père et votre Père13. Mais il ne faut pas comprendre qu'il passe d'un lieu à un autre, puisque Dieu le Père n'est pas contenu dans un lieu - Moi je remplis le ciel et la terre1. Mais, de même qu'on dit que le Christ est venu du Père sans le quitter mais en assumant une nature inférieure semblable à nous, de même aussi on dit qu'il est retourné vers lui dans la mesure où, jusque dans son humanité, il partage désormais la gloire du Père - Et s'il vit, il vit pour Dieu2. - Que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père 3.

1. 1 Co 10, 11.

2. Jn 18, 4.

3. Qo 8, 6-7.

4. Sur les convenances de la Passion du Christ, voir Somme théo1., III, q. 46, a. 3. Voir aussi ci-dessus, n° 1640, note 6.

5. Qo 8, 6.

6. Jn 2, 4.

7. Cf. Jn 1, 29.

8. 1 Ρ 1, 18-19.

9. Jn 13, 31.

10. Jn 17, 6.

11. Jn 19, 30.

12. Voir ci-dessous, nos 1829 et 1830.

13. Jn 20, 17.

La dilection fervente du Christ.

AYANT AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES AIMA JUSQU'À LA FIN.

1735. L'Évangéliste poursuit en mettant en lumière la dilection fervente du Christ, et cela sous quatre aspects. Tout d'abord en ce qu'elle fut prévenante - Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui-même qui nous a aimés le premier·4. Et quant à cela il dit AYANT AIMÉ LES SIENS, comme pour signifier un « avant ». Il les a aimés avant de les créer - Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait5. Il les a aimés avant de les appeler - D'un amour éternel je t'ai aimé6. Il les a aimés avant de les racheter. C'est pourquoi il est dit plus bas : Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis1.

1736. En second lieu, il met en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle convenait parce qu'il a AIMÉ LES SIENS. Là, il faut savoir que les hommes sont à lui de diverses manières, et que selon cela ils sont aimés par Dieu de diverses manières. Ils sont à lui de trois manières. D'abord par la création. Et ceux-là il les aime en conservant pour eux les biens de la nature - Il est venu chez lui, et les siens, par la création, ne l'ont pas reçu8. D'autres sont à lui parce qu'il les consacre : il s'agit de ceux qui lui ont été donnés par Dieu le Père par la foi, ceux que lui-même racheta - Ils étaient à toi, et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole9. Et ceux-là il les aime en les conservant dans les biens de la grâce. Mais d'autres encore sont à lui par un amour 10 spécial - Nous sommes à toi, ô David11. Ceux-là, il les aime spécialement en les consolant12.

1. Jr 23,24.

2. Rm 6, 10. Saint Thomas commente : « Et s'il vit, il vit pour Dieu, c’est-à-dire pour la conformité à Dieu. Il est dit en effet : S'il a été crucifié, c 'est à cause de sa faiblesse, s'il vit, c 'est par la puissance de Dieu (2 Co 13, 4). Or l'effet est conforme à sa cause ; c'est aussi pourquoi la vie que le Christ a acquise en ressuscitant est déiforme. Et donc comme la vie de Dieu est éternelle et sans corruption - Le seul qui Possède l'immortalité (1 Tm 6, 16) - ainsi aussi la vie du Christ est «immortelle » {Ad Rom. lect., VI, n° 490).

3. Ph 2, 11.

4. 1 Jn 4, 10.

5. Sg 11,25.

6. Jr 31, 3.

7. Jn 15, 13.

1737. Ensuite, il met en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle fut nécessaire, parce qu'il a AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE. Il y en a parmi les siens qui étaient déjà dans la gloire du Père, parce que même les pères de l'ancien Testament étaient à lui, en tant que tous ont espéré être libérés par lui - Tous les saints sont dans sa main 13. Mais ceux-ci n'ont pas besoin d'un tel amour autant que ceux qui étaient dans le monde, et c'est pourquoi il dit : LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, c'est-à-dire par le corps, non par l'esprit \

8. Jn 1, 11.

9. Jn 17, 6.

10. Amour traduit ici le terme devotio. Il s'agit de l'amour spécial que certains hommes ont pour Dieu, et non de l'amour que Dieu a pour les hommes, évoqué juste après par le terme latin diligo. Voir vo1. I, n° 843, note 5.

11. 1 Ch 11, 1.

12. Ceci se rattache peut-être au don du « Consolateur », c'est-à-dire de l'Esprit Saint comme « Paraclet ». À ce sujet, voir ci-dessous nos 1911-1912, 2058-2067, 2069, 2086-2115, 2182 et 2269.

13. Dt 33, 3.

1738. Enfin, il met en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle fut parfaite, c'est pourquoi il dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN. Or la fin peut s'entendre de deux manières : la fin de l'intention et la fin de l'exécution.

La fin de l'intention est ce à quoi notre intention est ordonnée ; et une telle fin doit être la vie éternelle, selon l'épître aux Romains : Vous avez pour fruit la sanctification, et pour fin la vie éternelle2. Mais le Christ aussi doit être une telle fin - La fin de la Loi, c'est le Christ3. Et ces deux réalités sont une seule fin, parce que la vie éternelle n'est rien d'autre que de jouir du Christ selon sa divinité - La vie éternelle est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu4. C'est en ce sens qu'il est dit : IL LES AIMA JUSQU'À LA FIN, c'est-à-dire de telle sorte qu'il les conduise lui-même à la fin, ou à la vie éternelle qui n'est rien d'autre - D'un amour éternel je t'ai aimé5.

Quant à la fin de l'exécution, c'est le terme de la réalité ; et ainsi la mort peut être dite fin, de sorte qu'il est dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN, c'est-à-dire jusqu'à la mort, ce qui peut avoir trois significations. En un premier sens, selon Augustin, cela revient à dire d'une manière humaine que le Christ aima les siens jusqu'à la mort seulement, et non au-delà. Mais ce sens est faux : en effet, il ne saurait convenir que celui qui n'est pas limité par la mort ait limité l'amour par la mort6.

En un autre sens, on peut comprendre que « jusqu'à » (in) indique la cause. Et le sens est celui-ci : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN, c'est-à-dire jusqu'à la mort, comme si l'Évangéliste disait que son amour pour eux l'a conduit jusqu'à la mort - Il nous a aimés, et s'est livré lui-même pour nous7.

En un troisième sens, on peut comprendre que JUSQU'À LA FIN signifie : alors qu'il leur avait donné auparavant de nombreux signes d'amour, à la fin, à savoir au moment de la mort, il leur donna les plus grands signes d'amour - Je ne vous ai pas dit cela depuis le commencement8. Comme s'il disait : il ne fut nécessaire de vous montrer combien je vous aimais qu'au moment de mon départ, de telle sorte qu'ainsi l'amour et la mémoire de moi fussent imprimés plus profondément dans vos cœurs.

b) L'action par laquelle il donna l'exemple.

1739. L'Évangéliste poursuit en indiquant l'action par laquelle il donnait l'exemple.

ET AU COURS D'UN REPAS, ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER, SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS DIEU, IL SE LÈVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT. ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT. (13, 2-5)

1. Cf. SAINT Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXX, 1, PG 59, co1. 382.

2. Rm 6, 22.

3. Rm 10, 4. 4. Jn 17, 3. 5.Jr 31, 3.

D'abord il décrit l'heure de l'action. Ensuite, il ajoute la dignité de celui qui la réalise [n° 1743], enfin il poursuit en montrant l'humilité de cette action [n° 1744].

6. Tract, in Io., LV, 2, BA 74A, p. 63.

7. Ep 5, 2.

8. Jn 16, 5.

L'heure de Faction.

ET AU COURS D'UN REPAS, ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER

Au sujet du moment, il souligne deux aspects. L'un qui se rapporte à la charité du Christ, et l'autre qui insiste sur l'iniquité de Judas [n° 1741].

ET AU COURS D'UN REPAS

1740. Il dit donc : AU COURS D'UN REPAS, littéralement : le repas ayant été fait. Or, qu'une chose ait été faite, cela se dit autrement pour les choses qui demeurent et pour celles qui passent. Pour les choses qui demeurent, on dit qu'une chose a été faite quand elle est parvenue à la perfection de sa forme et de son espèce propres, comme on dit qu'une maison a été faite quand elle a sa forme propre. Mais pour les choses qui passent, on dit qu'une chose a été faite quand elle est accomplie ; par exemple, on dit que le jeu a été fait quand il est achevé \ Et on dit aussi qu'une chose a été faite en raison de ce qu'elle reçoit son espèce propre.

Donc, quand il dit : ET AU COURS D'UN REPAS, il ne faut pas comprendre que le repas ait été accompli et achevé ; parce que, après avoir lavé les pieds des disciples, il se remit à table et donna la bouchée à Judas. Il faut donc comprendre qu'AU COURS D'UN REPAS signifie : le repas ayant été préparé et amené à sa forme propre. En effet ils avaient déjà commencé à prendre le repas, et c'est plus tard qu'il se leva. C'est donc au milieu du repas [il s'agit du repas du soir] qu'il lava les pieds des disciples2.

1. Saint Thomas a repris la recherche d'Aristote sur la causalité. Aristote parle de la recherche des causes en de nombreux passages de ses écrits. Voir notamment la Physique, livre II, ch. 3, et la Métaphysique, A, ch. 3. Ici saint Thomas regarde la perfection de la forme, qui est celle de l'œuvre d'art, comme pour la maison, et celle de l’efficience, qui est celle d'une activité transitive, comme pour le jeu. La forme est immanente, sa perfection est plus intérieure, plus qualitative. L'efficience implique un mouvement, une succession et un terme. Ainsi c’est la recherche de la forme qui explique une réalité qui demeure, et recherche de l'efficience donnera l'intelligibilité d'une réalité qui passe. Cependant, même pour une activité qui passe, l'accomplissement a lieu quand elle atteint sa forme propre, avant de s'achever, comme pour un repas.

Au sujet du repas [pris le soir], Luc rapporte dans le chapitre 14 : Un homme fit un grand repas3. Or le déjeuner diffère du dîner. Car on appelle « déjeuner » (prandium) le repas qui a lieu dans la première partie du jour, et « dîner » (coena) celui qui a lieu dans la dernière. Ainsi, se refaire spirituellement est appelé « déjeuner » en tant que cela convient aux commençants ; et « dîner » (cène) en tant que cela convient aux parfaits4.

ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER

1741. L'Évangéliste poursuit en décrivant le moment à partir d'un fait qui insiste sur l'iniquité du traître, et qu'il décrit pour deux raisons. D'abord pour montrer davantage l'iniquité de Judas qui, entouré de tant de marques de charité et de tant de gestes d'humilité, projetait de commettre une si grande iniquité - Celui qui mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi5. En second lieu pour que fût rendue plus admirable la charité du Christ qui, tout en sachant cela, fit cependant à son égard un geste de charité et d'humilité en lui lavant les pieds - Avec ceux qui haïrent la paix, j'étais pacifique !.

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LV, 3, BA 74A, p. 65.

3. Le 14, 16. Luc dans cette citation : Un homme fit un grand repas et Jean à propos de la Cène utilisent coena.

4. Cf. OrigÈne, Commentaire sur saint Jean, XXXII, II, § 5-6, SC 385, p. 189.

5. Ps 40, 10. Saint Thomas commente : « Celui qui mangeait mon pain, parce que le Christ l'a désigné par le signe du pain - C'est celui à qui je présenterai du pain trempé (Jn 13, 26). Et, bien que Judas ait mangé le pain du Christ, cependant il est allé contre lui - Il rassasiera et désaltérera les ingrats (Si 29, 32 [propre à la Vulg.]). Mon pain peut signifier aussi "mon enseignement" - Aser, son pain est nourrissant et fera les délices des rois (Gn 49, 20). Un tel pain est le pain du Christ, et il est nourrissant en raison de la douceur de son enseignement - Que tes paroles sont douces à mon palais (Ps 118, 103) » (Exp. in Psalmos, 40, n° 6).

1742. Mais le diable peut-il jeter quelque chose dans le cœur de l'homme ? Il semble que oui. Un psaume, en effet, parle de l'indignation et de la colère envoyées par des anges mauvais2.

En réponse à cela, il faut savoir que ce qui est dans le cœur de l'homme, c'est ce qui est dans sa pensée et dans sa volonté. Aussi quand il dit : ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR..., il faut comprendre dans sa volonté. Mais jeter ainsi dans le cœur peut se réaliser de deux manières.

Directement, et ainsi seul celui qui a la puissance de mouvoir intérieurement la volonté de l'homme peut jeter quelque chose dans son cœur ; et cela, Dieu seul le peut. Et c'est pourquoi lui seul peut imprimer directement quelque chose dans la volonté de l'homme - Le cœur du roi est dans la main, c'est-à-dire dans la puissance, du Seigneur ; partout où il le veut, il l'inclinera 3.

Indirectement : quand la volonté est mue par un objet extérieur comme un bien appréhendé. Ainsi celui qui suggère que quelque chose est un bien jette cela dans le cœur de l'homme, en lui faisant indirectement appréhender ce quelque chose comme un bien par lequel [sa] volonté est mue. Or cela arrive de deux manières : soit en suggérant extérieurement, et de cette façon même l'homme peut jeter quelque chose dans le cœur ; soit en suggérant intérieurement, et c'est de cette manière que le diable jette quelque chose dans le cœur. Car, puisqu'elle est corporelle, la puissance Imaginative, quand Dieu le permet, est soumise à la puissance du démon4. C'est pourquoi, que l'homme soit éveillé ou endormi, le démon forme en lui certaines formes qui, lorsqu'elles ont été appréhendées, meuvent la volonté de l'homme à désirer quelque chose. Ainsi le diable jette quelque chose dans le cœur de l'homme, non pas directement à la manière de celui qui meut, mais indirectement, à la manière de celui qui suggère.

La dignité de celui qui réalise cette action.

SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS DIEU (13, 3)

1743. L'Évangéliste poursuit en traitant de la dignité de celui qui réalise l'action. Dans l'Ecclésiastique, il est dit : Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand5. C'est pourquoi l'Évangéliste, devant dire la très grande humilité du Christ, met en avant sa très grande dignité ; et cela de quatre manières.

1. Ps 119, 7.

2. Ps 77, 49.

3. Pr 21, 1.

4. Voir vo1. I, n° 1577.

5. Si 3, 20.

D'abord quant à la science. Et quant à cela il dit : SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ. En effet, les dons spirituels sont tels que, lorsqu'ils sont donnés, on ne peut les ignorer - Nous, nous avons reçu l'Esprit qui n'est pas de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par Dieu6. Et c'est pourquoi le Christ connaissait tout ce qui lui avait été donné par Dieu. L'Évangéliste dit cela précisément pour que son humilité soit davantage mise en lumière. En effet, parfois il arrive que quelqu'un soit d'une grande dignité et cependant, à cause de sa simplicité, ne reconnaisse pas sa dignité. Si donc un tel homme faisait quelque chose d'humble, il ne s'attribuerait pas à lui-même une grande humilité, selon cette parole du Cantique : Si tu t'ignores, ô la plus belle d'entre les femmes1. Mais si quelqu'un connaît l'état de sa dignité et que cependant sa volonté aimante est inclinée vers des choses humbles, son humilité doit être reconnue. Et c'est pourquoi l'Évangéliste dit que SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ, il n'a cependant pas omis de faire des choses qui sont humbles.

6. 1 Co 2, 12.

En second lieu quant au pouvoir : SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, c'est-à-dire en son pouvoir. Dieu a donné au Christ homme, dans le temps, ce qui avait cependant été au pouvoir du Fils de toute éternité - Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre2. Et s'il dit que LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, c'est d'abord pour montrer que le Christ ne souffrait pas contre son gré. Car si tout était dans sa main, c'est-à-dire en son pouvoir, il est donc manifeste que ses adversaires ne pouvaient rien lui faire contre sa volonté. C'est ensuite parce que quand quelqu'un de peu d'importance est exalté, il s'enorgueillit facilement et ne fait pas quelque chose d'humble, de peur de paraître déroger à sa dignité. Mais si quelqu'un de condition élevée est exalté, il ne néglige pas les choses humbles. Et c'est pourquoi il fait mention de la dignité du Christ.

En troisième lieu quant à sa noblesse, et quant à cela il dit : ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS DIEU - Jouissant de l'intimité de Dieu3.

Enfin quant à la sainteté, parce qu'IL VA VERS DIEU. En ceci consiste la sainteté de l'homme : qu'il aille vers Dieu. Et c'est pourquoi l'Évangéliste dit qu'IL VA VERS DIEU, parce que, du fait que lui-même va vers Dieu, il lui revient en propre de ramener les autres vers Dieu, ce qui se réalise spécialement par l'humilité et la charité. Et c'est pourquoi il leur donna un exemple d'humilité et de charité.

L'humilité de cette action.

IL SE LÈVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT. ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT. (13, 4-5)

1744. Après avoir mis en lumière la majesté du Christ, l'Évangéliste fait ici valoir son humilité, humilité qu'il manifeste dans le lavement des pieds. D'abord, il met en avant la préparation du Christ au geste d'humilité, ensuite il décrit ce geste lui-même [n° 1747].

1. Ct 1,7.

2. Mt 28, 18. Saint Thomas commente : « Ce don, selon Hilaire, peut se comprendre quant à sa divinité, parce que de toute éternité le Père a communiqué sa propre essence au Fils ; et parce que son essence est sa puissance, aussi lui a-t-il donné de toute éternité sa puissance. On peut aussi le rapporter au Fils selon son humanité. Mais il faut comprendre que l'humanité du Christ reçoit quelque chose par la grâce de l'union, à savoir toutes choses qui sont propres à Dieu ; et il reçoit quelque chose qui découle de cette union, qui est comme l'effet de l'union, telle la plénitude de grâce - Nous l'avons *** comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité (Jn 1, 14). Donc, toutes les choses qui sont dans le Christ selon la grâce de l'union, il ne faut pas dire qu'elles soient doubles mais seulement celles qui en découlent. C'est pourquoi je dis que la puissance lui a été donnée, non comme si une autre puissance lui avait été donnée, mais parce qu'elle lui a été donnée en tant qu'elle est unie au Verbe comme au Fils de Dieu par nature, et au Christ par la grâce de l'union » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2460). Sur les différentes grâces reçues par le Christ et son pouvoir de juger, voir aussi vo1. I, nos 544 et 789. Sur l'union des deux natures dans le Christ par la grâce et sur les rapports de la grâce de l'union hypostatique et de la grâce habituelle dans le Christ, voir Somme théo1., III, respectivement q. 2, a. 10 et q. 6, a. 6, c. 3. Sg 8, 3.

I

IL SE LÈVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT.

1745. Au sujet de ce premier fait il faut savoir que le Christ, dans ce geste d'humilité, se montre serviteur, selon cette parole de Matthieu : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir1.

Or, pour être un bon serviteur, trois choses sont requises. D'abord, qu'il soit attentif à voir tout ce qui peut manquer au service, et il en serait empêché au plus haut point s'il s'asseyait ou s'allongeait ; c'est pourquoi il est propre aux serviteurs de se tenir debout. L'Évangéliste dit donc : IL SE LÈVE DU REPAS - Qui est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ?2

En second lieu, le serviteur doit être disponible pour accomplir jusqu'au bout, comme il convient, les choses qui sont nécessaires au service ; et là, un grand nombre de vêtements l'embarrasse beaucoup. C'est pourquoi le Seigneur DÉPOSE SES VÊTEMENTS. Et cela est signifié dans la Genèse où il est dit qu'Abraham choisit des serviteurs disponibles3.

1. Mt 20, 28. Saint Thomas commente : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir, c'est-à-dire : si quelqu'un désire avoir une responsabilité dans l'Église, qu'il sache que ce n'est pas avoir un pouvoir, mais une servitude. C'est en effet le propre du serviteur [de l'esclave] de se dépenser tout entier pour le service de son maître ; ainsi les prélats de l'Église doivent à ceux qui leur sont soumis tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils sont - Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous (1 Co 9, 19). - Nous sommes vos serviteurs par le Christ Jésus (2 Co 4, 5). (...) Et il est venu pour servir, c'est-à-dire pour donner aux autres l'abondance de la gloire. (...) Mais tu diras : Est-il esclave, puisqu'il est prince (princeps) ? Oui. En effet on appelle esclave celui qui est reçu contre argent : et lui-même a payé ce prix, et s'est donné en rançon pour la multitude (1 Tm 2, 6) » (Sup. Matth. lect., XX, nos 1669-1670).

2. Lc 22, 27.

En troisième lieu, il doit être prompt à servir, de sorte qu'il ait toutes les choses nécessaires pour son service. Il est dit de Marthe quelle était absorbée par les multiples soins du service*. Et de là vient que le Seigneur, AYANT PRIS UN LINGE, SE CEIGNIT, de sorte qu'ainsi il était prêt non seulement à laver les pieds, mais aussi à les essuyer. Par là il foule aux pieds tout orgueil, puisque lui qui va vers Dieu et qui est sorti de Dieu lave les pieds.

1746. Au sens mystique ce fait peut se rapporter à deux choses, à savoir l'Incarnation du Christ et sa Passion. S'il se rapporte à l'Incarnation, ainsi on reçoit du Christ trois choses. D'abord, certes, sa volonté de secourir le genre humain, dans le fait qu'lL SE LÈVE DU REPAS. Car Dieu, aussi longtemps qu'il supporte que nous soyons dans l'épreuve, semble rester assis ; mais quand il nous arrache de la tribulation, on le voit se lever - Lève-toi, Seigneur, viens à notre aide5.

Ensuite son anéantissement ; non qu'il déposât la majesté de sa dignité mais qu'il la cachât en assumant notre petitesse6. C'est pourquoi il est dit : Vraiment, tu es un Dieu caché''. Et cela est signifié dans le fait qu'il DÉPOSE SES VÊTEMENTS - Il s'anéantit lui-même8.

Enfin l'assomption de notre nature mortelle dans le fait qu'AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT - Prenant la condition d'esclave9.

Mais si cela se rapporte à la Passion du Christ, alors, au sens littéral, il déposa ses vêtements quand les soldats le dépouillèrent et tirèrent au sort son vêtement1, et il fut ceint d'un linge dans le sépulcre. Et dans sa Passion il a aussi déposé les vêtements de notre mortalité et pris UN LINGE, c'est-à-dire la blancheur de l'immortalité - Le Christ, en ressuscitant des morts, ne meurt plus2.

3. Cf. Gn 17, 23 : Abraham prit (...) tous les serviteurs de sa maison et tous ceux qu'il avait achetés...

4. Le 10, 40.

5. Ps 43, 26.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LV, 7, BA 74A, p. 71.

7. Is 45, 15.

8. Ph 2, 7.

9. Ibid.

II

ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT.

1747. L'Évangéliste montre ensuite le geste d'obéissance du Christ, geste qui met en lumière son humilité, et cela de trois manières. D'abord quant au genre de ce service, qui fut assurément très humble puisque le Seigneur de majesté s'abaissait pour laver les pieds de ses serviteurs. En second lieu quant à la multitude des gestes de ce service, parce qu'il versa l'eau dans un bassin, lava les pieds, et les essuya, etc. En troisième lieu quant à sa manière de faire, parce qu'il n'agit pas par les autres, ni avec l'aide des autres, mais par lui-même - Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand3.

1748. Au sens mystique, par ces trois aspects on peut comprendre trois choses. En premier lieu, par le fait qu'lL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN est signifiée l'effusion de son sang sur la terre. En effet le sang de Jésus peut être appelé eau parce qu'il a la puissance de laver - Il nous a lavés de nos péchés par son sang*. Et de là vient qu'il sortit en même temps de son côté du sang et de l'eau, pour donner à entendre que ce sang était capable de laver les péchés. Ou bien, par l'eau, on peut comprendre la Passion du Christ ; car dans l'Écriture l'eau signifie les tribulations - Viens me sauver, Seigneur, car les eaux, c'est-à-dire les tribulations, sont entrées jusque dans mon âme5. IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN, c'est-à-dire qu'il imprima dans les âmes des fidèles la mémoire de la Passion par la foi et la dévotion - Souviens-toi de ma pauvreté0.

1749. En second lieu, il COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES suggère l'imperfection humaine. Car les Apôtres, après le Christ, étaient les plus parfaits, et cependant ils avaient besoin d'être lavés, ayant en eux des impuretés. Cela pour nous donner à comprendre qu'aussi parfait que soit un homme, il a néanmoins besoin d'être rendu plus parfait et peut encore contracter certaines impuretés - Qui peut dire : mon cœur est pur ?1 Cependant c'est seulement aux pieds qu'ils ont des impuretés de cette sorte. Mais certains sont souillés non seulement aux pieds mais aussi entièrement. En effet, ceux qui se traînent dans les impuretés terrestres sont tout entiers salis par elles, et c'est pourquoi ceux qui restent complètement attachés à l'amour des biens terrestres, à la fois selon leur affection8 et selon leurs sens, sont entièrement impurs.

Mais ceux qui restent debout, c'est-à-dire qui par l'esprit et par le désir tendent vers les réalités célestes, ne contractent une impureté qu'aux pieds. En effet comme un homme qui se tient debout doit toucher la terre au moins par ses pieds, de même, aussi longtemps que nous vivons dans cette vie mortelle qui a besoin des réalités terrestres pour le soutien du corps, nous contractons quelque chose du monde au moins du côté de nos puissances sensibles.

1. Jn 19, 24.

2. Rm 6, 9.

3. Si 3, 20.

4. Ap 1, 5.

5. Ps 68, 2.

6. Lm 3, 19.

7. Pr 20, 9.

8. Sur le sens du mot affectus voir ci-dessus, n° 1727, note 2.

Et c'est pourquoi le Seigneur commanda à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds1. Et là il dit : COMMENÇA À LAVER, parce que la purification des affections terrestres commence maintenant et s'achève dans le futur. C'est alors, en effet, que sera réalisé ce qui est dit : On l'appellera la voie sainte2.

Mais il faut remarquer, selon Origène3, qu'il commença à laver les pieds des disciples alors que sa Passion était imminente, parce que s'il les avait lavés longtemps avant, ils auraient été à nouveau souillés. C'est pourquoi il commença, alors que peu de temps après il allait les laver par l'eau du Saint-Esprit, c'est-à-dire après sa Passion - Vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés, dans peu de jours 4. Ainsi, donc, l'effusion de son sang est manifestée par le fait qu'IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN, et la purification de nos péchés par le fait qu'il COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES.

1750. En troisième lieu apparaît le fait qu'il a pris sur lui nos peines ; en effet non seulement il a lavé nos taches, mais il a pris sur lui les peines dues à celles-ci. En effet, nos peines et nos pénitences ne suffiraient pas si elles n'étaient pas fondées sur le mérite et la puissance de la Passion du Christ. Et cela apparaît dans le fait qu'il essuya les pieds des disciples avec un linge, c'est-à-dire avec le linge de son corps - Il porta jusqu'au bout nos péchés dans son corps sur le bois5.

B. LA FINALITÉ DE L'EXEMPLE

1751. Ensuite l'Évangéliste montre la finalité de l'exemple à travers une concertation entre le disciple et le maître : dans cette concertation, le Seigneur montre que cet exemple est mystique, ensuite qu'il est nécessaire [n° 1757], et enfin qu'il convient [n° 1760].

a) Cet exemple est mystique.

IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? » JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : « CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. » PIERRE LUI DIT : « TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS ! » JÉSUS LUI RÉPONDIT : « SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI. » (13, 6-8)

1. Cf. Le 9, 5.

2. Is 35, 8. En commentant ce verset, saint Thomas explique que cette « voie sainte » désigne, au sens mystique, ou bien l'Église militante, ou bien l'Église triomphante (Voir Exp. super Isaiam, 35, 8, p. 154, 1. 53-54).

3. Comm. sur saint Jean, XXXII, viii, § 84-88, SC 385, p. 225.

4. Ac 1, 5.

5. 1 Ρ 2, 24.

En ce qui concerne le premier point, il expose d'abord ce qui occasionna ces paroles du Christ, puis il ajoute les paroles mêmes du Christ [n° 1756].

IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? »

1752. L'occasion des paroles du Christ fut l'attitude de Pierre, qui refusa de recevoir cet exemple d'humilité. Cela s'explique de trois manières. Premièrement, selon Origène \ parce que le Seigneur commença à laver les pieds en partant des derniers. Et cela précisément parce que, de même que le médecin désirant soigner de très nombreux malades commence ses traitements particuliers par ceux qui en ont le plus besoin, de même aussi le Christ, pour laver les pieds sales des disciples, commence par ceux qui étaient les plus sales, et ainsi à la fin il vient vers Pierre comme s'il en avait moins besoin que les autres - En commençant par les derniers jusqu'aux premiers2. Et c'est bien ce que semblent faire entendre ces paroles de l'Évangile : [IL] COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES, et ce qui vient ensuite : IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. À partir de là il semble que le Christ ait lavé d'abord les pieds des autres.

1753. Mais si on cherche pourquoi Pierre refusa cela devant les autres, Origène3 répond qu'il le fit à cause de la trop grande ferveur de son amour pour le Christ. Les autres disciples révéraient le Christ avec une certaine crainte, et c'est pourquoi ils recevaient son acte sans discuter sur sa cause. Mais Pierre était plus fervent qu'eux, selon ce que saint Jean rapporte plus tard : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?*, et tirant sa confiance de l'amour il refuse de supporter cet acte et en cherche la cause - L'ami, s'il demeure constant, sera pour toi comme un égal et il agira avec confiance à l'égard de ceux de ta maison5.

Et c'est pourquoi, dans l'Écriture, on trouve fréquemment Pierre en train d'interroger et de faire connaître avec vivacité ce qui lui semble meilleur.

1754. La deuxième explication est celle de Chrysostome6, à savoir que le Christ a commencé à laver les pieds des Apôtres à partir des premiers. Mais parce que le traître, c'est-à-dire Judas, était sot et orgueilleux, il s'étendit le premier pour l'ablution des pieds, avant Pierre. En effet, aucun des autres n'aurait osé passer devant Pierre. L'Évangéliste parle donc de Judas quand il dit : [IL] COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES, c'est-à-dire de Judas qui, parce qu'il était orgueilleux et sot, fut sans aucune résistance, et ne refusa pas de recevoir ce que le Seigneur faisait. Mais quand Jésus vient vers Pierre, qui révérait et aimait le Maître, Pierre refuse avec frayeur et cherche la cause de cet acte ; n'importe lequel des autres aurait fait la même chose.

1755. Selon la troisième explication, celle d'Augustin7, nous ne devons pas comprendre, à partir des paroles de l'Évan-géliste, que le Seigneur a lavé d'abord les pieds des autres disciples, et ensuite est venu vers Pierre, mais que l'Évangéliste, selon son habitude, montre d'abord l'acte du Christ, et ensuite expose son ordre, comme il le fait aussi plus haut8. C'est pourquoi il présente en premier lieu le fait dans son ensemble, à savoir que le Christ a lavé les pieds de ses disciples.

Et par la suite, si on cherche comment cela eut lieu, il dit que Jésus vint d'abord vers Simon-Pierre. Et c'est pourquoi d'abord Pierre refusa en disant : SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? Ces paroles ont un grand poids. SEIGNEUR, dit-il, TOI, qui es le Fils du Dieu vivant, TU ME LAVES LES PIEDS, à moi qui suis Simon Bariona, c'est-à-dire Simon Iona, à savoir Simon, fils de Jean9 ? De même, SEIGNEUR, TOI qui es l'Agneau sans souillure l3 le miroir sans tache, l’éclat de la lumière éternelle2, TU ME LAVES LES PIEDS, à moi qui suis un homme pécheur ? Comme Pierre l'avait dit dans ce passage de Luc : Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur3. SEIGNEUR, TOI qui es le Créateur, TU ME LAVES LES PIEDS, à moi qui suis une créature, et de peu de foi4 ? Pierre disait cela effrayé en considérant la majesté du Christ - J'ai considéré tes œuvres, et j'ai craint5.

1. Comm. sur saint Jean, XXXII, vi, § 68-69, SC 385, p. 217-219.

2. Mt 20, 8.

3. Comm. sur saint Jean, XXXII, ν et VI, § 61 et 66, SC 385, p. 213 et 217.

4. Jn 21, 15.

5. Si 6, 11.

6. In Ioannem hom., LXX, 2, PG 59, co1. 383.

7. Tract, in L·., LVI, 1, BA 74A, p. 75-77.

8. Voir Jn 6.

9. Cf. Mt 16, 17.

II

JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : « CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. »

1756. Par ces paroles, le Seigneur montre que ce geste a un sens mystique. C'est pourquoi il dit à Pierre : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. Et ce qu'il a fait est assurément un exemple et un mystère. Un exemple comme témoignage d'humilité - C'est un exemple que je vous a donné, pour que, comme moi je vous ai fait ainsi vous aussi vous fassiez6 - et un mystère de purification intérieure - Celui qui s'es baigné n'a besoin que de se laver les pieds7.

On peut donc comprendre de deux manières ce qu'il dit : CE QUE MOI JE FAIS D'une première manière, CE QUE MOI JE FAIS, c'est-à-dire la manière dont j'agis en donnant l'exemple, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT, c'est-à-dire tu ne le comprend : pas. MAIS TU SAURAS PLUS TARD, à savoir quand il leur aura expliqué en disant Savez-vous ce que je vous ai fait ?8

D'une autre manière9, CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT veut dire que c'est un mystère et un secret et que cela signifie une purification intérieure qu ne peut se faire que par moi, et que tu ne peux pas comprendre à présent. MAIS TU SAURAS PLUS TARD, quand tu recevra : l'Esprit Saint -J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter main tenant. Mais quand il viendra, lui, l'Esprit d vérité, il vous enseignera la vérité tout entière10

b) Cet exemple est nécessaire.

PIERRE LUI DIT : « TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS ! » JÉSUS LUI RÉPONDIT : « SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI. »

1757. L'Évangéliste montre d'abord les paroles de Pierre qui ont donné occasion aux paroles du Christ, puis il ajoute le paroles du Christ [n° 1759].

1. Cf. 1 Ρ 1, 19.

2. Sg 7, 26.

3. Le 5, 8.

4. Cf. Mt 14, 31 : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Voir aussi 6, 30 ; 8, 26 ; 16, 8.

5. Ha 3, 2.

6. Jn 13, 15.

7. Jn 13, 10.

8. Jn 13, 12.

9. Cf. Origène, Comm. sur saint Jean, XXXII, viii, § 87-88, SC 385, p. 225.

10. Jn 16, 12-13.

1758. Pierre dit donc tout d'abord : TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS Comme s'il disait : Loin de moi de supporter cela du Maître, mon Seigneur et mon Dieu '1. Et bien que Pierre fît cela avec zèle, son zèle était cependant sans discernement et désordonné - Ils ont le zèle d Dieu, mais non selon la scienceI2.

Et ce zèle était désordonné pour trois raisons. Parce qu'il refuse ce qui était utile et nécessaire ; car, comme le dit l'épître aux Romains : Nous ne savons pas ce qu'il convient de demander dans nos prières 1. Et c'est pourquoi nous refusons sans discernement de recevoir ce que Dieu nous accorde largement, mais qui nous semble contraire - comme Paul, qui demandait qu'on lui enlevât une écharde2 qui lui était cependant utile.

11. Cf. Jn 20, 28.

12. Rm 10, 2.

De même, parce qu'il semble faire preuve d'une certaine irrévérence à l'égard du Christ en voulant briser son ordre. De même encore parce qu'il semble tendre à se dissocier ses compagnons, étant donné que, ce que les autres, selon Origène 3, avaient reçu du Christ sans contradiction, lui refusait de le recevoir en disant : TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS !

1759. Et c'est pourquoi le Seigneur le reprend en disant : SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI. Et cela peut se rapporter à deux choses, c'est-à-dire à l'action que le Christ accomplissait et à sa signification.

Si cela se rapporte à la signification, alors ce qui est dit est clair. En effet nul ne peut devenir participant de l'héritage éternel et cohéritier4 du Christ sans être purifié spirituellement, puisqu'il est dit dans l'Apocalypse : Rien de souillé ne pénétrera en elle5. Et dans le psaume : Seigneur, qui habitera sous ta tente ?6 Le psalmiste répond en ajoutant : Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur. C'est donc comme s'il disait : SI JE NE TE LAVE PAS, tu ne seras pas pur, et si tu n'es pas pur, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI.

Mais si cela se rapporte à ce que le Christ fait, alors on peut se demander si cette ablution est nécessaire au salut. À cela il faut répondre que, de même que certaines choses sont interdites parce qu'elles sont mauvaises et que d'autres sont mauvaises parce qu'elles sont interdites, de même certaines sont commandées parce qu'elles sont nécessaires et d'autres sont nécessaires parce qu'elles sont commandées. Donc cet acte d'ablution au sujet duquel le Seigneur dit : SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI, considéré en lui-même, n'est pas nécessaire au salut ; mais s'il est commandé par le Christ, cet acte est alors nécessaire - Meilleure est l'obéissance que le sacrifice''.

c) Cet exemple convient.

SIMON-PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE. » JÉSUS LUI DIT : « CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER - VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS. » (13, 9-10)

1. Rm 8, 26.

2. Cf. 2 Co 12, 7-8 : II m'a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter pour que je ne m'enorgueillisse pas ! À ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi.

3. Comm. sur saint Jean, XXXII, VI, § 65, SC 385, p. 215.

4. Cf. Rm 8, 17 et 1 Ρ 3, 7.

5. Ap 21, 27.

6. Ps 14, 1-2

7. 1 S 15, 22.

1760. Ici l'Évangéliste montre que cet exemple convient. Il cite d'abord les paroles de Pierre, puis la réponse du Christ [n° 1763].

SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE.

1761. Dans les paroles de Pierre se révèle son amour très fervent8 envers le Christ. Car, plus haut, quand le Seigneur lui avait dit : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS

8. Sur la ferveur de Pierre, voir ci-dessous, n° 2593.

À PRÉSENT, il lui avait fait comprendre que cet acte serait utile. Cependant Pierre, ayant négligé l'utilité de ce geste, ne pouvait pas être amené à recevoir le lavement des pieds. Mais quand le Seigneur le menaça de se trouver séparé de lui en disant : TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI, il s'offrit pour recevoir non seulement cette ablution, mais d'autres encore, en disant : SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE. Dans cette réponse en effet, effrayé, il s'offre tout entier pour être lavé, troublé par l'amour et la crainte. Comme on le lit dans L'itinéraire de Clément1, Pierre était si sensible à la présence corporelle du Christ, présence qu'il avait aimée avec une très grande ferveur, qu'après l'Ascension du Christ, lorsqu'il se souvenait de sa présence très douce et de sa manière si sainte de vivre2, il se répandait tout entier en larmes, si bien que ses joues semblaient enflammées.

1762. Il faut savoir que dans l'homme il y a trois choses : la tête, qui est le sommet ; les pieds, qui se trouvent en bas ; les mains, qui sont au milieu. Et de même à l'intérieur de l'homme, à savoir dans l'âme, il y a la tête, c'est-à-dire la raison supérieure3 par laquelle l'âme est fixée en Dieu - La tête de la femme, c'est l'homme4, c'est-à-dire la raison supérieure ; les mains, c'est-à-dire la raison inférieure, qui vaque aux œuvres actives ; et les pieds qui sont la sensibilité. Mais le Seigneur savait ses disciples purs quant à la tête parce qu'ils étaient unis à Dieu par la foi et la charité, et quant aux mains parce que leurs œuvres étaient saintes. Mais quant aux pieds, ils avaient quelques affections pour les choses terrestres qui provenaient de leur sensibilité. Pierre, craignant la menace du Christ, consentit non seulement à l'ablution des pieds, mais aussi des mains et de la tête, en disant : SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE. Comme s'il disait : Je ne sais pas si j'ai besoin de l'ablution des mains et de la tête — A la vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je n'en suis pas justifié pour autant5 ; et c'est pourquoi je suis prêt à laver NON SEULEMENT MES PIEDS, c'est-à-dire les affections inférieures - J'ai lavé mes pieds 6 -, MAIS ENCORE LES MAINS, c'est-à-dire les œuvres -Je laverai mes mains parmi les innocents7 -, ET LA TÊTE, c'est-à-dire la raison supérieure - Lave ton visage8.

1. Saint Thomas cite ici, comme dans la Somme théologique, I, q. 117, a. 4, un ouvrage apocryphe du IVe ou ν siècle appelé ensuite Recognitionem. Mais on n'y trouve pas la remarque faite ici à propos de Pierre.

2. Cette expression traduit conversatio. Sur le sens de ce mot voir vo1. I, n° 1176, note 3.

3. Saint Thomas distingue, à la suite de saint Augustin, la raison supérieure et la raison inférieure, non pas comme deux puissances différentes, mais comme deux fonctions, deux habitus d'une même puissance : « La raison supérieure est celle qui est tendue vers les réalités éternelles pour les considérer ou les consulter : les considérer en tant qu'elle les contemple en elles-mêmes, les consulter en tant qu'elle en reçoit des règles pour agir. La raison inférieure est celle qui s'occupe des réalités temporelles. Or les réalités éternelles et les réalités temporelles se rapportent à notre connaissance de cette manière, que les unes sont le moyen de connaître les autres. En effet, selon la voie de découverte, nous parvenons par les réalités temporelles à la connaissance des réalités éternelles, selon ce que dit l'Apôtre : Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l'intelligence parle moyen de ses œuvres (Rm 1, 20) » (Somme théo1., I, q. 79, a. 9, a). Voir aussi I-II, q. 15, a. 4, ad 1. Saint Thomas éclaire donc la demande de Pierre pressant le Christ de lui laver non seulement les pieds mais aussi les mains et la tête par ces trois grands aspects de la vie humaine : l'intelligence spéculative ordonnée d'une manière ultime à la contemplation du mystère de Dieu, l'intelligence pratique ordonnée à la réalisation des œuvres, et la sensibilité liée à l'imaginaire et aux passions, qui est l'amour des biens sensibles.

JÉSUS LUI DIT : « CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER - VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS. » (13, 10)

4. 1 Co 11, 3.

5. 1 Co 4, 4.

6. Ct 5, 3.

7. Ps 25, 6. Saint Thomas commente : « Je laverai mes mains parmi les innocents, c'est-à-dire mes œuvres qui sont principalement lavées par Dieu au moyen de la grâce qu'il infuse - Lave-moi tout entier, Seigneur, de mon iniquité (Ps 50, 4). Elles sont aussi lavées par nous au moyen de la pénitence - Lavez-vous, purifiez-vous (Is 1, 16). Je me laverai les mains, c'est-à-dire je m'appliquerai donc à la pénitence pour qu'elles soient lavées. Et cela parmi les innocents, parce que les mœurs se forment par la vie commune - Avec l'innocent, tu seras innocent (Ps 17, 26) » (Exp. in Psalmos, 25, n° 4).

8. Mt 6, 17.

1763. La réponse du Seigneur est ensuite exposée. D'abord il donne un exemple général, ensuite il l'adapte à son propos [n° 1766]. Enfin, l'Évangéliste explique les paroles du Christ [n° 1767].

1764. Le Seigneur dit donc d'abord : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER, sous-entendu excepté les pieds par lesquels il touche la terre. Par cela il est donné à entendre que les Apôtres avaient déjà été baptisés. Il dit en effet : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS, et plus tard il ajoute : VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, parce qu'ils avaient été baptisés.

1765. Certains disent qu'ils avaient été baptisés seulement du baptême de Jean. Mais cela ne semble pas vrai, parce qu'ainsi ils n'auraient pas été lavés car le baptême de Jean ne purifiait pas intérieurement de la faute. Et c'est pourquoi il faut dire qu'ils avaient été baptisés du baptême du Christ, selon saint Augustin 1. Et si tu objectes que le Christ ne baptisait pas, mais ses disciples, comme on le dit plus haut2, je dis qu'il ne baptisait pas les foules ; mais ses disciples, eux qui lui étaient intimes et familiers, il les a baptisés.

Mais puisque le baptême enlève même la saleté des pieds, il semble que celui qui a été lavé, c'est-à-dire baptisé, n'a pas besoin de se laver les pieds. À cela il faut répondre que, si aussitôt après leur baptême ils sortaient de ce monde, ils n'auraient de toutes façons pas besoin de cette ablution, parce qu'étant purs tout entiers, ils s'envoleraient aussitôt. Par contre, ceux qui, après leur baptême, vivent dans cette vie mortelle, ne peuvent s'élever à un si grand sommet de perfection sans que surgissent encore des mouvements désordonnés de la sensibilité liés à des affections terrestres. Et c'est pourquoi, pour pouvoir s'envoler, il faut qu'ils lavent leurs pieds soit par le martyre qui est un baptême de sang, soit par la conversion3 qui est un baptême de feu.

1. Epistula 265 ad Seleucianam, 4-5, CSEL, vo1. LVII, p. 641-644 (cf. vo1. I, n° 555, note 7). Bien que, dans un premier temps, saint Augustin nie clairement que Jésus ait jamais baptisé « de ses propres mains », même ses disciples les plus proches, sinon « par la présence de sa majesté » à travers leur propre ministère baptismal, il est ensuite contraint d'admettre que les disciples ont été réellement baptisés « du baptême du Christ » et non seulement de celui de Jean. En effet, le Christ « n'a pas dérogé au ministère du baptême, afin d'avoir ses serviteurs baptisés, eux qui devraient baptiser tous les autres, de même qu'il n'a pas dérogé au ministère de l'abaissement quand il leur lava les pieds... » (loc. cit., 5, p. 643). Dans la lettre 44 (aux évêques Eleusius, Glorius et Félix), saint Augustin s'appuie précisément sur le verset commenté ici pour en conclure que les disciples ont été baptisés du baptême du Christ dès avant sa Passion. En effet, « la purification parfaite ne se trouve pas dans le baptême de Jean mais dans [celui qui est accompli] au nom du Seigneur » (10, CSEL, vo1. XXXIV, p. 117-118).

2. Voir Jn 4, 2.

VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS.

1766. Le Seigneur adapte ensuite l'exemple général à son propos. Mais s'ils étaient purs, pourquoi le Seigneur les lavait-il à nouveau ? À cela Augustin4 répond qu'ils étaient purs quant aux mains et à la tête, mais qu'ils manquaient [de pureté] quant aux pieds.

Chrysostome5, lui, dit qu'ils étaient purs mais pas d'une manière absolue, parce qu'ils n'étaient pas encore purifiés de l'impureté originelle : puisque le Christ n'avait pas encore souffert, le prix de notre rédemption n'avait pas encore été payé. Mais ils étaient purs relativement, à savoir purs des erreurs des Juifs.

Origène6 dit qu'ils étaient purs, mais qu'il fallait encore une purification plus grande parce que la raison doit toujours chercher à égaler les meilleurs charismes, toujours s'élever jusqu'aux plus hautes vertus, et s'efforcer de resplendir de l'éclat de la justice - Celui qui est saint, qu'il se sanctifie encore 1. MAIS NON PAS TOUS : parce que l'un d'eux avait à la fois la tête et les mains impures.

3. Le terme poenitentia correspond au grec μετάνοια qui signifie repentir, conversion. Voir Le 3, 3 : II [Jean Baptiste] clame un baptême de conversion pour la rémission des péchés, et Me 1, 4. Voir aussi Somme théol, III, q. 66, a. 11, c, où saint Thomas montre l'unité et l'ordre de ces trois baptêmes d'eau, de sang et de feu.

4. Tract, in Io., LVI, 3-4, BA 74A, p. 79-83.

5. In Ioannem hom., LXX, PG 59, 2, co1. 384.

6. Comm. sur saint Jean, XXXII, IX, § 101, SC 385, p. 231.

IL SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE LIVRERAIT. C'EST POURQUOI IL DIT : « VOUS N'ÊTES PAS TOUS PURS. » (13, 11)

1767. C'est pourquoi l’Évangéliste poursuit en expliquant les paroles du Seigneur : IL SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE LIVRERAIT ; autrement dit : s'il a dit VOUS N'ÊTES PAS TOUS PURS, c'est parce qu'il connaissait l'impureté de Judas, le traître.

En effet, deux choses purifient l'homme : l'aumône et la miséricorde envers les pauvres - Faites l'aumône, et voici que tout sera pur pour vous2 -, et l'amour de Dieu - Ses nombreux péchés lui ont été remis, parce qu'elle a beaucoup aimé3. - La charité couvre toutes les fautes*. Or ces deux choses manquaient à Judas : la miséricorde certes, parce qu'il était voleur et que, ayant la bourse, il dérobait les aumônes des pauvres ', et de même l'amour envers le Christ, parce que déjà le diable avait jeté dans son cœur l'intention de le livrer aux chefs des prêtres pour qu'ils le crucifient.

C. LE CHRIST NOUS INVITE A IMITER SON EXEMPLE

1768. Après avoir montré que son geste d'humilité est nécessaire, le Seigneur invite à l'imiter. Et d'abord l'Évangéliste annonce les circonstances de cette exhortation, en dévoilant son ordre. Puis il manifeste la condition de celui qui les exhorte [n° 1770]. Enfin il nous donne l'exhortation elle-même [n° 1772].

a) Les circonstances de l'exhortation.

APRÈS DONC AVOIR LAVE LEURS PIEDS, IL REPRIT SES VÊTEMENTS, ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, IL LEUR DIT (13, 12)

1769. L'ordre voulu par le Seigneur pour cette exhortation consiste à enseigner par la parole ce qu'il a fait tout d'abord par une œuvre. Et quant à cela, l'Évangéliste dit : APRÈS DONC AVOIR LAVÉ LEURS PIEDS - Tout ce que Jésus a commencé à faire et à enseigner5. - Celui qui les fera et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des deux6.

1. Ap 22, 11.

2. Lc 11, 41.

3. Lc 7, 47.

4. Pr 10, 12.

5. Ac 1, 1.

1770. La condition de celui qui donne l'exhortation est indiquée par son habit (habitus) et par sa position7.

Par son habit, parce qu'à différentes personnes conviennent des habits différents selon la diversité de leurs actes propres - Le vêtement d'un homme parle de lui8. Donc, autre est l'habit qui convient au serviteur, autre celui qui convient à celui qui enseigne. Parce qu'il doit être libre pour servir, il convient au serviteur de déposer les vêtements qui le gênent. Et c'est pourquoi le Christ, lorsqu'il voulut servir, se lève du repas et dépose ses vêtements1. À celui qui enseigne, qui doit être grave et éminent par son autorité, il convient d'être bien habillé et élégant. Et c'est pourquoi le Seigneur voulant enseigner REPRIT SES VÊTEMENTS.

6. Mt 5, 19.

7. Saint Thomas, au lieu de reprendre le mot latin vestimentum, dit ici habitus. Il se réfère là aux « catégories » (Organon, I : Catégories, eh. 4) d'Aristote décrivant la manière d'exister de tout être individuel, et il parle des deux dernières : le situs, sa position dans l'espace, et L’habitus, son avoir (sa manière de posséder). Sur les dix catégories, voir ci-dessous, n° 2527, note 1.

8. Si 19, 27.

La condition de celui qui exhorte est indiquée aussi par sa position : parce qu'il voulait servir, il se leva ; c'est pourquoi l’Évangéliste dit : il se lève du repas. Et maintenant, voulant enseigner, le Christ se remet à table, et c'est pourquoi il est dit : ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, IL LEUR DIT. Et cela parce que la doctrine doit être enseignée dans la tranquillité. En effet, en s'asseyant et en se reposant, l'âme devient sage et prudente.

1771. Ces trois choses sont porteuses d'un mystère. En effet, le Christ a donné à ses disciples une doctrine parfaite quand il leur envoya l'Esprit Saint - Mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui-même3 vous enseignera tout2.

Trois choses ont précédé la mission même de l'Esprit Saint. D'abord le lavement des péchés par la Passion - Il nous a lavés de nos péchés par son sang3 ; et quant à cela il dit : APRÈS DONC AVOIR LAVÉ LEURS PIEDS, c'est-à-dire la purification étant accomplie par son sang.

Ensuite la Résurrection : en effet le Christ, avant sa Passion, eut un corps mortel, et certes cette mortalité ne lui convenait pas selon sa personne de Fils de Dieu, mais selon la nature humaine qu'il a assumée ; mais après qu'il fût ressuscité par la puissance de sa divinité, il reçut l'immortalité du corps. Et quant à cela il dit : IL REPRIT SES VÊTEMENTS, c'est-à-dire qu'en ressuscitant il a été rendu immorte1. Et il dit SES, parce qu'il a reçu l'immortalité par sa propre puissance - Sa vie est une vie pour Dieu4 -, c'est-à-dire qu'il vit par la puissance de Dieu. Au sujet de ces vêtements, il est dit dans l'Apocalypse : Le vainqueur sera revêtu de vêtements blancs5.

Enfin la session à la droite du Père, et cela dans l'Ascension, comme il est dit plus bas : Si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous0. Et quant à cela il dit : S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, c'est-à-dire siégeant à la droite du Père - Or le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s'assit à la droite de Dieu1. Et il dit DE NOUVEAU, non pas qu'en tant que Fils de Dieu il ait jamais manqué de siéger - bien au contraire, de toute éternité il est dans le sein du Père -, mais parce que, en tant qu'homme, il a été élevé jusqu'aux biens les plus excellents du Père - Aussi Dieu l’α-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom8.

Ainsi donc, avant d'envoyer le Saint-Esprit qui enseigne parfaitement, il lava par son sang versé ; il reprit ses vêtements en ressuscitant ; il se remit à table en montant dans la gloire9.

1. Jn 13, 4.

2. Jn 14, 26.

3.Ap 1, 5.

4. Rm 6, 10.

5. Ap 3, 5.

6. Jn 16, 7.

7. Me 16, 19.

8. Ph 2, 9.

9. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VI, 32, PL 100, co1. 926 B.

b) L'exhortation du Christ.

1772. Le Seigneur donne ensuite son exhortation ; d'abord il interroge, ensuite il rappelle leur confession qu'il met en lumière [n° 1774], puis il conclut [n° 1778], et enfin il confirme la conclusion [n° 1780].

Selon Origène 6, SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? peut être pris d'une manière impérative. Autrement dit : VOUS SAVEZ CE QUE JE VOUS AI FAIT. Et le Seigneur dit alors cela pour éveiller leur intelligence.

II

SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? (13, 12)

1773. Il interroge quand il dit : SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? autrement dit : vous avez vu les faits, mais la cause pour laquelle j'ai fait cela, vous ne la comprenez pas. Et c'est pourquoi il cherche ainsi à montrer la grandeur de cet acte, et il conduit à la considérer.

En effet les œuvres de Dieu doivent être considérées parce qu'elles sont profondes - Qu'elles sont magnifiques tes œuvres, Seigneur ! Tes pensées extrêmement profondes \ À peine en effet pouvons-nous connaître d'une façon suffisante la raison (ratio) des œuvres de Dieu - J'ai compris que la raison des œuvres de Dieu, l'homme ne pouvait en trouver aucune2. Elles sont aussi délectables à considérer - Tu m'as réjoui, Seigneur, dans tes actes3. De plus elles sont utiles car elles conduisent à la connaissance de leur Auteur - Ils n'ont pas, en considérant les œuvres, connu quel était l'ouvrier*. Et plus haut : Les œuvres que le Père m'a données pour que je les accomplisse, ces œuvres mêmes que je fais rendent témoignage de moi5.

VOUS, VOUS M'APPELEZ « MAÎTRE ET SEIGNEUR », ET VOUS DITES BIEN : DE FAIT, JE LE SUIS. (13, 13)

1774. Il approuve leur confession ; d'abord il la présente, puis il la loue [n° 1776].

1775. Il faut savoir que l'Apôtre, dans la première épître aux Corinthiens, dit deux choses du Christ, à savoir qu'il est puissance de Dieu et sagesse de Dieu7. En tant qu'il est puissance de Dieu, il domine sur toutes choses, comme le dit Ambroise8 : le Seigneur est un nom de puissance. En tant qu'il est sagesse de Dieu il les instruit tous, et c'est pourquoi les disciples l'appelaient Seigneur - Seigneur, à qui irons-nous ?9 - et Maître - Rabbi, mange 10. Et ceci à juste titre. En effet, le Seigneur lui-même est le seul qui crée et recrée - Sachez que lui-même est Dieu n -, et lui seul est le Maître qui enseigne de l'intérieur - Votre Maître unique, c'est le Christ12.

1. Ps 91, 6.

2. Qo 8, 17.

3. Ps91, 5.

4. Sg 13, 1.

5. Jn 5, 36 (voir vo1. I, n° 816).

6. Comm. sur saint Jean, XXXII, x, § 113, SC 385, p. 237-239.

7. 1 Co 1, 24.

8. Il s'agit en réalité d'un auteur écrivant à Rome dans la deuxième moitié du rv siècle appelé par la suite Ambrosiaster. Cf. Commentarium in prima epistula ad Corinthios, CSEL, vo1. LXXXI, II, p. 17.

9. Jn 6, 69.

10. Jn 4, 31.

11. Ps 99, 3.

12. Mt 23, 10. Saint Thomas commente : « Le Christ s'attribue à lui-même le magistère, parce que le Christ est le Verbe ; et c'est pourquoi il lui appartient d'enseigner, parce que nul n'enseigne si ce n'est par le Verbe. Il est aussi maître quant à sa nature humaine, parce qu'il a été envoyé pour enseigner - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui l'a fait connaître (Jn 1, 18) » (Sup. Matth. lect., XXIII, n° 1852).

ET VOUS DITES BIEN : DE FAIT, JE LE SUIS.

1776. Il loue ensuite leur confession. Là il faut savoir que quelque chose est rendu louable de deux manières. D'une première manière si ce qui est dit correspond à la réalité dont on parle, ce qui se fait par la vérité, parce que si c'est faux, cela ne correspond pas à la réalité \ C'est pourquoi on dit bien : Rejetant le mensonge, dites la vérité2. En effet on doit à ce point éviter les mensonges que même s'ils semblent tourner à la louange de Dieu, ils ne doivent pas être dits. Quant à cela donc, il dit : VOUS DITES BIEN, ce que vous dites est vrai, parce que cela se rapporte à moi : DE FAIT, JE LE SUIS, MAÎTRE ET SEIGNEUR. MAÎTRE, dis-je, à cause de la sagesse que j'enseigne par des paroles ; SEIGNEUR, à cause de la puissance que je manifeste par des miracles.

D'une autre manière, quelque chose est rendu louable si ce qui est dit correspond à la personne qui le dit. Certains, en effet, appellent le Christ MAÎTRE ET SEIGNEUR sans que cela leur convienne puisqu'ils ne se soumettent pas à la discipline et au commandement de Dieu. Et ceux-là ne le disent pas bien. C'est pourquoi à ceux qui disent : Seigneur, ouvre-nous3', il répond : Amen, Amen, je vous le dis, je ne vous connais pas, parce qu'ils ne disent pas cela avec leur cœur, mais seulement avec leur bouche4. MAÎTRE ET SEIGNEUR : cela, les Apôtres le disaient bien, parce qu'il leur revenait de le dire. C'est pourquoi il leur dit : ET VOUS DITES BIEN, à savoir : vous dites vrai, DE FAIT, JE LE SUIS, c'est-à-dire, pour vous, Maître et Seigneur, car vous m'écoutez comme Maître - A qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle5 -, et vous me suivez comme Seigneur - Voici que nous avons tout laissé et nous t'avons suivi6.

1. Saint Thomas reprend ici toute la philosophie première d'Aristote, et particulièrement la découverte du lien de l'intelligence avec le vrai - la vérité -, découverte s'appuyant sur la recherche philosophique de l'être en acte et de ses différentes modalités (voir Métaphysique, Θ, ch. 10). En effet quand nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose qui existe. Sinon, si la chose à laquelle nous pensons n'existe pas, ce n'est plus une véritable pensée, mais une imagination, un rêve. Nos jugements sont vrais dans la mesure où ce qu'ils affirment est conforme à ce qui est dans la réalité. « Atteint la vérité celui qui pense que ce qui est séparé est séparé et que ce qui est uni est uni ; se trompe celui qui pense contrairement à ce que sont les réalités » (Aristote, loc. cit., 1051 b, 3-5). C'est donc le réel qui détermine notre capacité de connaître, notre intelligence, et qui l'actue. Et notre intelligence, en adhérant au réel en ce qu'il a de plus lui-même, son acte d'être, se qualifie. La vérité est ainsi cette qualité de l'intelligence correspondant à l'adéquation de l'intelligence et de la réalité. À plusieurs reprises saint Thomas, dans ses écrits, précise ou évoque le lien de l'intelligence avec le vrai. Voir notamment De veritate, q. 1, a. 1 ; Somme théo1., I, q. 16, a. 1, c. ; q. 21, a. 2, c. Voir aussi ci-dessous, nos 2364 et 2365.

2. Ep 4, 25.

3. Mt 25, 11-12.

1777. Mais contrairement à cela, il est dit dans le livre des Proverbes : Qu'un étranger te loue, et non ta bouche1. Il semble donc que le Seigneur n'ait pas bien agi en se recommandant. Mais à cela Augustin8 répond de deux manières.

D'une première manière, en disant qu'il est blâmable que quelqu'un se recommande lui-même, à cause du danger de s'enorgueillir. Car se plaire à soi-même est dangereux pour celui qui veille à ne pas s'enorgueillir. Par conséquent, quand le danger de s'enorgueillir ne menace pas, se recommander soi-même n'est pas blâmable. Or chez le Christ ce danger n'était pas à craindre ; lui en effet qui est au-dessus de tout, aussi grandement qu'il se loue, ne s'élève pas trop haut.

D'une autre manière, en disant que parfois il est louable que l'homme se mette en avant quand cela sert à l'utilité des fidèles. Et c'est ainsi que l'Apôtre se met en avant9. Mais il nous est fort utile et nécessaire de toute manière de connaître Dieu parce qu'en cela consiste toute notre perfection. C'est pourquoi il nous est utile qu'il nous révèle sa grandeur ; du reste nous ne pourrions d'aucune façon la connaître s'il ne se révélait pas, lui qui la connaît. Et c'est pourquoi il faut que lui-même se loue pour nous, parce que, comme le dit Augustin \ si en ne se louant pas il veut éviter une sorte d'arrogance, il nous refusera la sagesse - La Sagesse louera son âme2.

4. Cf. Mt 12, 34-37 (Lc 6, 45) et Rm 10, 8-10.

5. Jn 6, 69.

6. Mt 19, 27.

7. Pr 27, 2.

8. Tract, in Io., LVIII, 3, BA 74A, p. 107-109.

9. Cf. 2 Co 11.

III

SI DONC JE VOUS AI LAVE LES PIEDS, MOI LE SEIGNEUR ET LE MAÎTRE, VOUS AUSSI VOUS DEVEZ VOUS LAVER LES PIEDS LES UNS AUX AUTRES. (13, 14)

1778. Il conclut, et ici il argumente à partir de ce qui semble être moindre vers ce qui semble être davantage. En effet, il semble moins [évident] que le plus grand doive faire quelque chose d'humble plutôt que le plus petit. Et selon cela, il conclut : SI DONC MOI, qui suis plus grand, parce que je suis LE SEIGNEUR ET LE MAÎTRE, JE VOUS AI LAVÉ LES PIEDS, VOUS AUSSI, qui êtes plus petits, qui êtes disciples et serviteurs, devez d'autant plus VOUS LAVER LES PIEDS LES UNS AUX AUTRES - Celui qui est plus grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur (...)· Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir0'.

1779. Or il semble que cela ait raison de précepte ; mais celui qui néglige un précepte pèche mortellement. Donc celui qui ne lave pas les pieds des autres pèche mortellement.

Il faut répondre, selon Augustin4, que tout homme doit laver les pieds de l'autre soit corporellement, soit spirituellement. Et il est bien meilleur, et plus vrai sans controverse, qu'il le fasse aussi de ses mains, afin que le chrétien ne dédaigne pas de faire ce que fit le Christ. En effet, quand le corps est incliné vers les pieds du frère, en son cœur aussi le sentiment d'humilité est éveillé ou, si déjà il était présent, il est confirmé. Et si cela ne se fait pas par une œuvre, nous devons du moins le faire par le cœur.

Dans le lavement des pieds est donné à entendre le lavement des taches. Donc, spirituellement, tu laves les pieds de ton frère toutes les fois que tu laves ses taches, dans la mesure de tes moyens. Et cela se fait de trois manières. En lui remettant son offense - Pardonnez-vous mutuellement, si l'un a contre l'autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonnes, faites de même à votre tour5. De même en priant pour ses péchés - Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés6. Et cette double manière de laver les fautes est commune à tous les fidèles. Une troisième manière appartient aux prêtres, qui doivent laver en remettant les péchés par le pouvoir des clefs7 - Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis8.

Nous pouvons dire aussi que, dans cet acte, le Seigneur montre toutes les œuvres de la miséricorde. Car celui qui donne du pain à l'affamé lave ses pieds, et de même celui qui l'accueille en son logement et celui qui couvre celui qui est nu, et de même pour les autres choses - Prenez part aux besoins des saints9.

IV

1780. Il confirme maintenant la conclusion, et cela de quatre manières : en soulignant son intention [n° 1781], par son autorité [n° 1782], en rappelant la récompense qui est due à cette œuvre [n° 1784], et à cause de la dignité de ceux auxquels il lave les pieds [n° 1793].

1. Tract, in Io., LVIII, 3, BA 74A, p. 105.

2. Si 24, 1.

3. Mt 20, 26 et 28. Voir ci-dessus, n° 1745, note 1.

4. Tract, in Io., LVIII, 4, BA 74A, p. 113.

5. Col 3, 13.

6. Je 5, 16.

7. Sur le pouvoir des clefs, voir vo1. I, n° 1561.

8. Jn 20, 22-23.

9. Rm 12, 13.

L'intention du Christ

EN EFFET C'EST UN EXEMPLE QUE JE VOUS AI DONNÉ, POUR QUE, COMME MOI JE VOUS AI FAIT, AINSI VOUS AUSSI VOUS FASSIEZ. (13, 15)

1781. Il dit donc : cela, je l'ai fait précisément pour vous donner un exemple. Et c'est pourquoi vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres, parce que c'était mon intention à travers cet acte. Car pour les actions des hommes, les exemples touchent plus que les paroles. En effet, un homme fait et choisit ce qui lui semble bon. C'est pourquoi il montre que ce qu'il a lui-même choisi est bon, plus qu'il ne montre qu'il faut choisir ce qu'il enseigne. Et de là vient que quand quelqu'un dit quelque chose et cependant fait autre chose, ce qu'il fait influence plus les autres que ce qu'il enseigne. Et c'est pourquoi il est grandement nécessaire de donner l'exemple à partir d'un acte même.

Mais l'exemple de l'homme purement homme dans le genre humain n'était pas suffisant à imiter, soit parce que la raison humaine ne possède pas toute la connaissance, soit parce que dans la considération même des réalités elle se trompe. Et c'est pourquoi nous est donné l'exemple du Fils de Dieu, exemple qui est infaillible et qui suffit à tout. Augustin 1 dit : « L'orgueil n'est pas guéri s'il n'est pas guéri par l'humilité divine », et semblablement l'avarice, et ainsi les autres défauts.

Remarque que le Fils de Dieu nous est donné comme exemple de vertu d'une manière très convenable. En effet il est lui-même l'art du Père, de sorte que, comme il fut l'exemplaire de la création2, il devait être aussi l'exemplaire de la justification - Le Christ a souffert pour vous, en vous laissant un exemple3. - Mon pied a suivi ses traces*.

L'autorité du Christ

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, NI L'ENVOYÉ PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ. (13, 16)

1782. Ensuite, le Seigneur confirme la conclusion en vertu de son autorité ; et d'abord il montre la condition des disciples, puis leur office.

La condition des disciples est d'être des serviteurs - Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles5 ; leur office est d'être des apôtres, c'est-à-dire des envoyés - Il en choisit douze, qu'il nomma Apôtres6. Ainsi donc, il dit : Je dis que vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres, comme moi je vous ai lavé les pieds, parce que LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR quant à sa condition, NI l'apôtre, c'est-à-dire L'ENVOYÉ, PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ. Bien que le Fils de Dieu lui-même, qui est l'Apôtre de notre profession de foi, comme le dit l'épître aux Hébreux7, soit égal à celui qui l'a envoyé, à savoir au Père, il est vrai cependant pour tous les autres que

1. Le combat chrétien (De agone christiano), XI, 12, ΒΑ 1, p. 397.

2. Cf. Somme théol, I, q. 45, a. 6, c. : « Les personnes divines, selon la raison de leur procession, ont une causalité à l'égard de la création des réalités. Comme on l'a montré antérieurement en traitant de la science et de la volonté de Dieu, Dieu est cause des réalités par son intelligence et sa volonté, comme l'artisan pour les produits de son art. Or l'artisan opère d'après le verbe conçu dans son intelligence, et par l'amour que sa volonté porte à son œuvre. Aussi Dieu le Père a-t-il produit la créature par son Verbe, qui est le Fils, et par son Amour, qui est l'Esprit Saint ».

3. 1 Ρ 2, 21.

4. Jb 23, 11. Voir vo1. I, n° 1376, note 5.

5. Le 17, 10.

6. Le 6, 13.

7. Cf. He 3, 1.

L'ENVOYE N'EST PAS PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ.

1783. Mais plus bas, le Seigneur dit à ses disciples : Désormais, je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître 1.

Il faut répondre qu'il existe deux servitudes2 : l'une qui procède d'une crainte filiale, et qui fait un bon serviteur - C'est bien, serviteur bon et fidèle3 -, et c'est de cette manière que le Seigneur les appelle serviteurs. L'autre est la servitude qu'entraîne la crainte servile, au sujet de laquelle Matthieu dit : Serviteur mauvais, je t'ai remis toute cette somme parce que tu m'as supplié4. Et de cette servitude, le Seigneur dit : Je ne vous appellerai plus serviteurs.

1. Jn 15, 15.

2. Saint Augustin distingue la crainte « que bannit la charité » de la crainte « chaste » (Ps 18, 10). Voir son Commentaire de la Première Épître de S. Jean, IX, 4-8, SC 75, Cerf 1994, p. 385-395 ; La Cité de Dieu, XIV, ix, 5, BA 35, p. 395-397. Saint Thomas, reprenant saint Augustin, distingue plus précisément quatre sortes de crainte : la crainte humaine ou mondaine, la crainte servile, la crainte filiale et la crainte initiale. « Nous traitons ici de la crainte selon que, de quelque façon, elle nous tourne vers Dieu ou nous détourne de lui. En effet, puisque l'objet de la crainte est un mal, parfois l'homme s'éloigne de Dieu à cause des maux qu'il craint, et c'est la crainte humaine ou mondaine. Parfois au contraire l'homme, en raison du mal qu'il craint, se tourne vers Dieu et s'attache à lui. Ce dernier mal est double : mal de peine et mal de faute. Si l'on se tourne vers Dieu et que l'on s'attache à lui par crainte de la peine, il y aura crainte servile. Si c'est par crainte de la faute, il y aura crainte filiale, car ce sont les fils qui craignent d'offenser leur père. Si l'on craint en même temps la faute et la peine, c'est la crainte initiale, qui est intermédiaire entre la crainte filiale et la crainte servile » (Somme théol, II-II, q. 19, a. 2, c). Citons aussi ce très beau passage où saint Thomas se demande si la crainte est le commencement de la sagesse : « La crainte est le commencement de la sagesse, de façon différente dans la crainte servile et dans la crainte filiale. La crainte servile est commencement en ce sens qu'elle dispose de l'extérieur à la sagesse chrétienne : craignant la peine, le pécheur s'éloigne du péché et ainsi se dispose à recevoir l'effet de la sagesse - La crainte du Seigneur bannit le péché (Si 1, 27 [verset propre à la Vulgate]). Mais la crainte chaste ou filiale est le commencement de la sagesse en ce sens qu'elle est son premier effet. Puisqu'il appartient à la sagesse d'ordonner la vie humaine selon la pensée de Dieu, c'est en s'appuyant sur ce principe que l'homme doit révérer Dieu et se soumettre à lui ; c'est ainsi que, par conséquent, il sera ordonné en toutes choses selon Dieu » (loc. cit., a. 7, c). Et encore : « La crainte de Dieu joue, par rapport à toute vie humaine ordonnée par la sagesse de Dieu, le rôle de la racine à l'égard de l'arbre - La racine de la sagesse est la crainte du Seigneur et ses rameaux sont une longue vie (Si 1, 20). Et c'est pourquoi, de même qu'on dit de la racine qu'elle est virtuellement tout l'arbre, de même dit-on de la crainte de Dieu qu'elle est la sagesse » (loc. cit., ad 2). Au sujet de la distinction entre crainte filiale ou chaste et crainte mondaine, voir vo1. I, n° 969, note 9.

3. Mt 25, 23.

La récompense

1784. Ensuite, il confirme la conclusion en exposant la récompense. D'abord il présente la récompense, puis il en écarte un de cette récompense [n° 1786].

SACHANT CELA, HEUREUX SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES ! (13, 17)

1785. Il dit donc : SACHANT CELA, autrement dit : tu nous dis ce qu'assurément nous n'ignorons pas. Pourquoi donc nous le dis-tu ? Parce que, dis-je, SACHANT CELA, ce qui est certes le propre de tous, cependant HEUREUX SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES, ce qui est le propre d'un petit nombre.

Et il dit SACHANT et SI VOUS LE FAITES parce que, comme il est dit dans Luc : Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent5. - Une bonne intelligence à tous ceux qui la pratiquent0. Et à l'opposé : Celui qui sait faire le bien et qui ne le fait pas, il y a péché pour lui1.

CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE ; MOI, JE CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS. MAIS C'EST POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE : <« CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LÈVERA CONTRE MOI SON TALON. » DÈS A PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS. (13, 18-19)

1786. Là il en écarte un en disant : CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE.

D'abord il indique cette exception en la montrant [n° 1787], puis en répondant à une question tacite [n° 1788]. Ensuite il donne la raison de cette exception [n° 1790] et enfin la raison pour laquelle il montre l'exception [n° 1792].

4. Mt 18, 32.

5. Lc 11, 28.

6. Ps 110, 10.

7. Je 4, 17.

CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE.

1787. Ici, il montre l'exception. Autrement dit : HEUREUX SEREZ-VOUS, cependant non pas tous, parce que CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE quand je dis que vous parviendrez à la béatitude - Tous courent, mais un seul remporte le ρήχ1. Il y a en effet parmi vous quelqu'un, Judas, qui ne sera pas heureux, qui ne le fera pas.

Mais, selon Origène2, le Seigneur ne dit pas HEUREUX SEREZ-VOUS d'une manière absolue ; il pose une condition en disant : SI VOUS LE FAITES. Et cela assurément est vrai pour tous, même pour Judas. Si en effet Judas l'avait fait, il aurait été heureux. C'est pourquoi il veut restreindre plus ce qu'il dit : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, autrement dit : je dis que vous êtes serviteurs et apôtres, cependant CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE. Judas, en effet, étant donné qu'il était serviteur du péché, n'était pas serviteur du Verbe divin ni Apôtre, le diable étant entré dans son cœur.

MOI, JE CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS.

1788. Mais on pourrait dire : du fait qu'il ne dit pas de tous qu'ils doivent être heureux, ou être ses apôtres, c'est donc par imprévu que quelqu'un de son collège va périr. C'est pourquoi le Seigneur, répondant à cela, dit : MOI, JE CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS, autrement dit : ceux qui ont été choisis ne périront pas.

Mais tous n'ont pas été choisis. Celui-là donc périra qui n'a pas été choisi, c'est-à-dire Judas - Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis3.

1789. Mais à cela s'oppose ce qui est dit plus haut : N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ?4 Donc, puisque Judas était l'un des Douze, il semble qu'il ait été choisi.

Il faut dire qu'il y a deux choix. L'un est pour la justice présente, et selon celui-là Judas fut choisi. L'autre choix est en vue de la grâce finale, et selon celui-là Judas ne fut pas choisi5.

MAIS C'EST POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE : « CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LÈVERA CONTRE MOI SON TALON. »

1790. La raison de cette exception est POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE. Et ici l'Écriture annonce à l'avance non parce qu'elle oblige, mais parce que ce qui devait arriver, elle ne l'a pas tu - Il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes6. - Pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, jusqu'à ce que tout cela arrive1. Ici l'Écriture dit : CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LÈVERA CONTRE MOI SON TALON. Il existe de ce verset une autre traduction où nous lisons : Même l'homme de ma paix, en qui j'espérais, lui qui mangeait mon pain, a levé contre moi le talon8.

Là est montrée la familiarité de Judas à l'égard du Christ, quand il dit : CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI. Judas en effet, avec les autres disciples, a mangé le pain avec le Christ, même le pain consacré.

1. 1 Co 9, 24.

2. Comm. sur saint Jean, XXXII, xm, § 148-151, SC 385, p. 253.

3. Jn 15, 16.

4. Jn 6, 71.

5. Voir saint Augustin, Tract, in Io., LIX, 1, BA 74A, p. 119 : Judas a été choisi, certes, pour accomplir une œuvre nécessaire, mais non pour parvenir à la béatitude, comme les onze autres disciples. Sur la prédestination, voir surtout vo1. I, n" 938, note 1 ; n° 1301, note 11 ; n° 1373, note 12 ; et aussi ci-dessous, n° 2218.

6. Le 24, 44.

7. Mt 5, 18.

8. Ps 40, 10.

De même nous est montrée sa tentative maligne contre le Christ : LÈVERA CONTRE MOI SON TALON, c'est-à-dire qu'il essaiera de me fouler aux pieds. En effet, c'est avec le talon que nous écrasons nos ennemis - Celle-ci te brisera la tête, et toi, tu la viseras au talon1. On dit donc que quelqu'un lève son talon contre un autre quand il essaie de l'écraser. Mais cela Judas ne le pourra pas ; parce que là où il croit m'écraser, de là je serai exalté. Plus haut : Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi2.

1791. En regardant l'exemple de Judas qui, devenu possesseur de biens infinis, récompensa son bienfaiteur dans le sens contraire, nous avons un exemple pour ne pas être scandalisés si parfois nous souffrons quelques maux de la part de serviteurs ou de gens de très peu de valeur. Le Seigneur a choisi Judas, sachant qu'il serait mauvais, pour faire comprendre qu'aucune société humaine n'existerait sans quelque mélange de mal - Comme le lis entre les épines, ainsi est ma bien-aimée entre les jeunes femmes3". C'est pourquoi Augustin dit dans une lettre4 : « Je n'ose pas prétendre que ma maison soit meilleure que l'assemblée des Apôtres. »

L'exemple nous est encore donné pour que, s'il arrive que quelqu'un admis par un prélat dans la société de l'Église devienne mauvais, cela ne soit par pour la condamnation de ce prélat. Voilà en effet que Judas, choisi par le Christ, est devenu le traître. Ainsi aussi Philippe prit Simon le magicien5 - Rend-on le mal pour le bien, puisqu'ils ont creusé une fosse pour mon âme ?6 - Les ennemis de l'homme, les gens de sa maison (...)7

DÈS À PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS. (13, 19)

1792. Il poursuit en indiquant la cause pour laquelle il a fait cette exception. Autrement dit : longtemps, j'ai tu sa malice, mais parce que c'est le moment de la faire paraître en public, DÈS À PRÉSENT JE VOUS LE DIS, c'est-à-dire je le manifeste, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS, moi qui prédis ce qui doit arriver et manifeste les secrets du cœur8, ce qui est le propre de Dieu - Pervers est le cœur de l'homme, et insondable : qui peut le pénétrer ? Moi, le Seigneur, je scrute le cœur et je sonde les reins9. - Annoncez-nous ce qui arrivera, et nous saurons que vous êtes des dieux 10. - Moi je suis celui qui suis11.

La dignité de ceux auxquels il lave les pieds

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. (13, 20)

1793. La conclusion qu'il a donnée, il la confirme ensuite à partir de la dignité de ceux auxquels il a lavé les pieds. Leur dignité est si grande que les gestes de service empressés à leur égard semblent en quelque sorte rejaillir sur Dieu, mais cependant selon un certain degré, c'est-à-dire parce que ce qui est fait aux fidèles du Christ rejaillit sur Dieu le Père.

1. Gn 3, 15.

2. Jn 12, 32.

3. Ct 2, 2.

4. Lettre 78, § 8, CSEL, vo1. XXXIII, p. 344.

5. Cf. Ac 8, 13.

6.Jr 18, 20.

7. Mt 10, 36.

8. 1 Co 14, 25 ; cf. Rm 2, 16.

9. Jr 17, 9-10.

10. Is 41, 23.

11. Ex 3, 14.

En premier lieu, il montre comment ce qui est fait aux disciples du Christ rejaillit sur le Christ. Et quant à cela il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS. Autrement dit : vraiment vous devez vous laver les pieds, parce que QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT. Le service qui est prodigué à ceux que moi j'envoie, je me l'attribue - Qui vous accueille, m'accueille1.

En second lieu, il montre comment le service prodigué au Christ rejaillit sur le Père, en disant : QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. Plus haut il avait dit : Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père2.

Selon Origène 3, on peut comprendre cela de deux manières. D'une première manière en unissant, et alors voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ ; c'est-à-dire : qui reçoit ceux que j'ai envoyés, reçoit aussi le Père. Qui donc reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, reçoit le Père.

D'une autre manière, en distinguant, et voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT. C'est vrai d'une manière sensible, mais QUI ME REÇOIT, c'est-à-dire en tant que je viens spirituellement dans les âmes - Que le Christ habite en vos cœurs par la foi4 -, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-à-dire le Père. Non seulement moi je demeurerai en lui, mais aussi le Père - Nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure5.

1794. Mais à partir de cela, Arius s'efforce de confirmer son erreur : le Seigneur dit que celui qui reçoit celui que lui-même envoie, le reçoit lui-même, et que celui qui le reçoit lui-même, reçoit le Père. Donc le rapport est le même entre le Père qui envoie et son Fils, et entre le Fils qui envoie et ses disciples. Mais le Christ qui envoie est plus grand que les disciples qui sont envoyés. Donc le Père est plus grand que le Fils.

À cela il faut répondre, selon Augustin6, que dans le Christ il y eut deux natures : la nature humaine et la nature divine7. Il parle donc d'une part selon la nature humaine, en disant : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI, en tant qu'homme, QU'IL REÇOIT, moi qui partage avec eux une même nature ; et, d'autre part, selon la divinité : QUI ME REÇOIT, comme Dieu, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ, moi qui suis avec lui une seule nature. Ou bien : QUI REÇOIT celui que moi j'envoie, ME REÇOIT, moi dont l'autorité est en eux ; et QUI ME REÇOIT, reçoit le Père dont l'autorité est en moi. Ainsi dans ces paroles est contenue comme la médiation8 du Christ entre Dieu et l'homme - Le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même (…)9

1. Mt 10, 40.

2. Jn 5, 23.

3. Comm. sur saint Jean, XXXII, xvii, § 212-213, SC 385, p. 277.

4. Ep3, 17.

5. Jn 14, 23.

6. Tract, in Io., LIX, 3, BA 74A, p. 123-125.

7. Voir ci-dessus n° 1711, note 3.

8. Voir n° 2201, note 5.

9. 1 Tm 2, 5.

LA DÉFAILLANCE DES DISCIPLES QUI N'ÉTAIENT PAS CAPABLES DE SUIVRE LE CHRIST

1795. Plus haut l'Évangéliste montre l'exemple que le Christ donna à ses disciples. Ici il montre cette défaillance des disciples que Jésus leur annonce, à eux qui n'étaient pas encore capables de le suivre. Il montre d'abord la défaillance du disciple qui le trahit, puis la défaillance du disciple qui le renia [n° 1840].

A. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI TRAHIT LE CHRIST

L'Évangéliste annonce la trahison du disciple, puis sa séparation d'avec eux, ou son départ [n° 1825].

a) La trahison du disciple.

L'annonce de la trahison future est exposée, et d'abord le crime de trahison, ensuite la personne du traître [n° 1800].

Puis, pour confirmer la vérité de cette prédiction, l'exécution de la trahison elle-même [n° 1814].

La trahison.

I

AYANT DIT CELA, JÉSUS FUT TROUBLE EN SON ESPRIT ET IL ATTESTA ET DIT : « AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE L'UN D'ENTRE VOUS ME LIVRERA. » (13, 21)

1796. L'Évangéliste présente d'abord le sentiment de celui qui annonce, puis ce qui est effectivement annoncé. Celui qui annonce est donc le Christ, qui est affecté jusqu'au trouble. Et quant à cela il dit : AYANT DIT CELA, en les réinvitant à la charité dont il voyait le disciple traître privé, JÉSUS FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT.

À ce sujet il faut savoir que le trouble désigne un certain mouvement. Cela apparaît dans ce qui a été dit plus haut1 : L'ange du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine, et l'eau s'agitait. Et ensuite2 : Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine quand Veau a été troublée. Et il est dit indifféremment que l'eau est troublée et qu'elle est mue. C'est aussi de cette manière que nous disons que la mer est troublée quand elle est agitée. Donc le trouble de l'âme désigne son mouvement. Mais certains actes de l'âme sont sans mouvement du corps, à savoir les actes de la partie intellective.

1. Jn 5, 4.

2. Jn 5, 7.

Les actes de l'appétit sensible s'accompagnent d'un mouvement du corps : c'est pourquoi les affections de l'appétit sensible sont appelées passions. Et parmi toutes les affections ou les passions de l'appétit sensible, c'est la tristesse1 qui a le plus la puissance de mouvoir. En effet la jouissance, puisqu'elle exprime le repos dans le bien présent, a davantage le sens de repos que de mouvement. De même la crainte, puisqu'elle porte sur un mal futur, meut moins que la tristesse qui porte sur le mal présent. Et de là vient que c'est surtout la tristesse qu'on appelle trouble de l'âme. Jésus donc fut troublé, c'est-à-dire attristé.

1797. Il faut remarquer ici que certains philosophes, à savoir les stoïciens, disent qu'un trouble et des passions de cette sorte ne viennent pas chez le sage. Selon eux, en effet, le sage a beau craindre, se réjouir et désirer, en aucune façon cependant il n'est attristé. Mais leur erreur apparaît clairement du fait que Jésus, qui est la Sagesse souveraine, a été troublé.

Il faut cependant savoir qu'il existe deux troubles. L'un provient de la chair, quand quelqu'un est triste ou troublé à partir d'une perception sensible, au-delà du jugement de la raison. Ce trouble se borne parfois aux limites de la raison et ne l'obnubile en aucune manière. Et cette passion n'est pas parfaite, elle est appelée par saint Jérôme « propassion2 ». Et elle peut se trouver chez le sage. Mais parfois elle excède la limite de la raison et la trouble, alors elle n'est pas seulement une passion, mais aussi un trouble ; et celui-ci ne se produit pas chez le sage.

Autre est le trouble qui procède de la raison, c'est-à-dire quand, à partir d'un jugement et d'une délibération de sa raison, quelqu'un est troublé dans son appétit sensible. Et c'est ce trouble que connut le Christ. C'est pourquoi, l'Évangéliste dit clairement qu'il FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT, et ce trouble qu'il y eut dans l'appétit sensible fut dans le Christ à partir du jugement de sa raison. C'est pourquoi, plus haut3, il dit qu'il se troubla. Dans le Christ, en effet, tout provenait de la délibération de la raison, même ce qui se trouve dans la partie inférieure de l'appétit sensible. C'est pourquoi il n'y eut pas dans le Christ ces mouvements soudains de sensibilité.

1798. Mais Jésus voulut ici être troublé pour deux raisons. D'abord certes pour l'instruction de notre foi. Car sa Passion et sa mort, que la nature humaine fuit naturellement, étaient imminentes ; et quand il les sent imminentes pour lui, il s'en attriste comme d'un mal et un danger pour lui déjà présents. Donc, pour montrer qu'il avait une vraie nature humaine, il voulut être affecté jusque dans son âme elle-même par ce trouble qui provient du jugement de la raison. Par là est exclue l'erreur d'Apollinaire qui dit que dans le Christ il n'y eut pas d'âme, mais le Verbe à la place de l'âme4.

En second lieu, pour notre édification. En effet, selon Augustin5, le Christ voyait que le traître allait sortir afin de conduire les Juifs vers lui pour qu'ils le prennent. Et, par cela, il se trouvait séparé du collège des saints et recevait contre lui la sentence de mort. C'est pourquoi le Christ, par un sentiment de piété, s'attristait pour lui, donnant par cela aux prélats cet exemple ; que si parfois il leur arrive de proférer une sentence dure contre ceux qui leur sont soumis, ils la profèrent d'un cœur douloureux - Le juste me corrigera dans la miséricorde1. Car lui-même, voulant manifester aux autres la séparation de Judas, FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT ET IL ATTESTA, afin que Judas ne trahît pas dans l'ignorance, ET [IL] DIT : « AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE L'UN D'ENTRE VOUS ME LIVRERA. »

1. Au sujet des passions voir ci-dessus, n" 1651, note 2. Sur la tristesse, voir Somme théol, I-II, q. 35 à 38.

2. Commentaire sur Saint Matthieu, I, 1 (5, 28), SC 242, p. 119. Cf. aussi Lettre LXXIX à Salvina, § 9, éd. Labourt, p. 104 (où saint Jérôme, deux ans à peine après le commentaire de Matthieu, rend le terme grec propatheia non plus par propassio mais par antepassio).

3. Jn 11, 33.

4. Voir la réfutation d'Apollinaire par saint Thomas dans la Somme théologique, III, q. 5, a. 4, c.

5. Tract, in Io., LX, 1, BA 74A, p. 129. (Le développement sur la charité que le prélat doit avoir envers ceux qu'il condamne ne provient pas de l'homélie de saint Augustin.)

1799. Le Christ dit clairement L'UN D'ENTRE VOUS, de ceux qui ont été choisis pour le collège saint, pour donner à entendre qu'aucun collège ne sera si saint qu'on ne puisse trouver en lui quelque pécheur et méchant - Alors que les fils de Dieu étaient venus se présenter devant le Seigneur, Satan vint aussi parmi eux2. Il dit UN, et non pas deux ou plusieurs, pour ne pas sembler maudire le collège, mais seulement le traître issu du collège des Apôtres. Car le collège [tout entier] ne doit pas être jugé mauvais à cause d'un seul homme mauvais issu de ce collège. Alors que s'il y avait plusieurs mauvais le collège pourrait être jugé mauvais.

L'UN, dit-il, D'ENTRE VOUS, quant au nombre et non quant au mérite ou au lien de l'esprit - Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous3 -, ME LIVRERA, c'est-à-dire : ME LIVRERA, moi, dis-je, le Maître, moi le Seigneur, moi le Sauveur.

1. Ps 140, 5.

2. Jb 1, 6.

3. 1 Jn 2, 19.

II

LES DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT. À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT : « QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? » CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : « SEIGNEUR, QUI EST-CE ? » JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST CELUI À QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. » ET AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA À JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. ET APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI. (13, 22-27)

1800. L'Évangéliste désigne d'une manière cachée la personne du traître. Et tout d'abord il montre ce qui en fut l'occasion, puis la désignation de la personne [n° 1808], enfin son effet [n° 1810].

Or l'occasion est double : l'hésitation commune des disciples et l'interrogation du disciple aimé d'un amour de prédilection [n° 1802].

L'occasion pour désigner le traître

LES DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT.

1801. Il faut savoir que les bons disciples avaient pour le Christ une très grande charité, et une très grande fermeté de foi. Assurément, en raison de cette charité, chacun d'entre eux présumait qu'aucun ne le renierait. Mais, par la fermeté de leur foi, ils tenaient pour absolument certain que la parole du Christ ne pouvait être fausse. Et c'est pourquoi, bien qu'ils n'eussent pas conscience d'avoir en eux-mêmes quelque chose de mauvais, ils estimaient cependant que la prédiction du Christ était plus vraie et plus crédible que leurs propres pensées. C'est pourquoi, se rappelant qu'ils étaient des hommes et que le sentiment de l'homme, même celui des plus avancés, est changeant de telle sorte qu'il peut vouloir le contraire de ce qu'il a d'abord voulu, ils doutaient plus d'eux-mêmes que de la vérité du Christ. Et c'est pourquoi ils SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT - Que celui qui croit tenir debout, prenne garde de tomber1. -Si j'avais été lavé comme dans de l'eau de neige, et si mes mains brillaient comme étant très pures, cependant tu me plongerais dans la fange2.

À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT : « QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? » CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : « SEIGNEUR, QUI EST-CE ? »

1802. Ici est exposée l'interrogation du disciple. D'abord est décrite sa familiarité envers le Christ, puis ce qui l'a poussé à interroger [n° 1805], enfin son interrogation elle-même [n° 1807].

À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. (13, 23)

1803. La familiarité du disciple envers le Christ est montrée dans le fait qu'il reposa sur lui ; c'est pourquoi il dit : ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES.

Ce disciple fut Jean l'Évangéliste, qui écrivit cet Évangile, et qui parle de lui à la troisième personne, voulant éviter la vantardise, suivant la coutume de ceux qui écrivirent les Écritures sacrées 3. Ainsi

Moïse, dans ses livres, parle de lui comme de quelqu'un d'autre, en disant : Le Seigneur a parlé à Moïse en lui disant4. De même Matthieu : Jésus vit un homme assis au bureau de percepteur d'impôts, du nom de Matthieu5. Et Paul : Je connais un homme dans le Christ (...), cet homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel6.

1804. Jean évoque ici trois choses à son sujet. En premier lieu l'amour avec lequel il se reposait dans le Christ, en disant qu'il ÉTAIT ALLONGÉ, c'est-à-dire qu'il se reposait - Tu abonderas en délices dans le Tout-Puissant, tu lèveras vers Dieu ton visage1'. - Vers les eaux du repos, il m'a conduit8. En second lieu, la connaissance de secrets que le Christ lui révélait, et spécialement dans la rédaction de cet Évangile. C'est pourquoi il dit qu'il ÉTAIT ALLONGÉ TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS. Par le sein, en effet, on signifie le secret9. Plus haut : L'unique engendré, qui est dans le sein du Père, lui-même l'a fait connaître10. En troisième lieu, la dilection spéciale dont le Christ l'aimait ; c'est pourquoi il dit : CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. Il l'aima non d'une manière singulière, mais pour ainsi dire d'une façon plus excellente que les autres.

1. 1 Co 10, 12.

2.Jb 9, 30-31.

3. C'est à cinq reprises que, dans son évangile, Jean parle du disciple que Jésus aimait, et cela sans se nommer explicitement - Jn 13, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7 ; 21, 20. En effet, du vivant des premiers disciples et Apôtres du Christ, il était difficile pour Jean de parler de lui-même comme du disciple bien-aimé, celui que Jésus aimait. C'est la Tradition de l'Église, œuvre de l'Esprit Saint dans le cœur des saints, qui permet cette explicitation. Avant saint Thomas, citons saint Augustin, Tract, in Io., LXI, 4, BA 74A, p. 147-149 : « C'était en effet la coutume de ceux qui nous ont donné les Saintes Écritures : quand l'histoire divine était racontée par l'un d'entre eux, lorsqu'il en arrivait à lui-même, il en parlait comme d'un autre et il se situait dans le déroulement de son écrit comme rapportant ce qui s'était passé, non comme se prêchant lui-même. (...) C'est pourquoi ici encore, si le bienheureux Évangéliste ne dit pas : Je reposais sur le sein de Jésus, mais dit : L'un des disciples reposait, nous avons à reconnaître l'habitude de nos écrivains plus qu'à nous étonner. En effet, qu'est-ce que la vérité y perd, puisque la chose elle-même est dite et que d'une certaine manière est évitée la vanité de la dire ? Il racontait là en effet ce qui avait été fait à sa louange la plus grande ». Voir aussi op. cit., note complémentaire 12, p. 418.

4. Ex 6, 2. Voir aussi Ex 3, 14 ; 4, 4 ; 4, 19, etc.

5. Mt 9, 9.

6. 2 Co 12, 2.

7. Jb 22, 26.

8. Ps 22, 2.

9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXI, 5 et 6, BA 74A, p. 149-151 : « Le sein de la poitrine est ici sans aucun doute le secret de la sagesse ».

10. Jn 1, 18.

Comment il l'a aimé d'une façon plus excellente que les autres, on le dit davantage à la fin de ce livre !. Mais pour le moment, il faut savoir que Jean fut plus aimé du Christ à cause de trois choses. En premier lieu à cause de la limpidité de sa pureté : choisi vierge par le Seigneur, il est toujours demeuré vierge - Celui qui aime la pureté du cœur et qui a la grâce sur ses lèvres aura le roi pour ami2. En second lieu à cause de la sublimité de sa sagesse, parce que son regard a pénétré les secrets de la divinité plus profondément que les autres. C'est aussi pourquoi on le compare à un aigle3 - Le serviteur intelligent est agréable au roi4. Enfin à cause de la ferveur véhémente de son amour pour le Christ - Moi [dit la Sagesse] j'aime ceux qui m'aiment5.

1. Voir ci-dessous, n° 2639 et note 3.

2. Pr22, 11.

3. Saint Thomas compare ici saint Jean à un aigle. Dans son Commentaire sur haïe, ce sont tous les saints qu'il compare aux aigles : « Les saints sont comparés aux aigles à cause de la hauteur de leur vol - Est-ce à ton ordre que l'aigle s'élèvera, et placera son nid dans les lieux les plus élevés ? Dans les pierres il demeure et il fait son séjour sur des rocs escarpés et des rochers inaccessibles (Jb 39, 27-28) ; par là est désignée l'éminence de leur contemplation - Ses yeux verront le roi dans sa splendeur, ils apercevront la terre de loin (Is 33, 17). À cause de la subtilité de leur odorat - Là où sera le corps, là aussi se rassembleront les aigles (Le 17, 37) ; par là est désignée la ferveur de leur amour - Entraîne-moi après toi (Ct 1, 3). À cause de la sublimité de leur lieu - Trois choses sont difficiles pour moi, et la quatrième je l'ignore entièrement : la voie de l'aigle dans le ciel (...) (Pr 30, 18-19) ; par là est désignée l'ardeur de leur séjour céleste - Notre séjour se trouve dans les deux (Ph 3, 20). À cause de la rapidité de leur mouvement - Nos persécuteurs ont été plus rapides que les aigles du ciel (Lm 4, 19) ; par là est désignée leur promptitude à bien agir - As-tu vu un homme prompt dans son œuvre ? Il se tiendra devant les rois et il ne sera pas devant les hommes obscurs (Pr 22, 29). A cause de leur rajeunissement - Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle (Ps 102, 5) ; par là est désigné leur zèle à se purifier et à progresser - Bien qu'en nous l'homme extérieur se détruise, cependant l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Co 4, 16). À cause de la beauté de leurs membres - L'Aigle énorme aux grandes ailes, aux longs membres, plein de plumes variées vint sur le Liban (...) (Ez 17, 3) ; par là est désigné l'éclat de leurs vertus - Tu es toute belle ma bien-aimée, et aucune tache n'est en toi (Ct 4, 7). À cause de leur sollicitude pour leurs fils - Comme un aigle qui provoque ses petits à voler et voltige sur eux (Dt 32, 11) ; par là est désignée la sollicitude des saints - Qui est faible sans que je ne sois faible ? Qui est scandalisé sans que je ne brûle ? (2 Co 11, 29) » (Exp. super Isaiam, 40, 31, p. 172, 1. 289-303).

4. Pr 14, 35.

5. Pr8, 17.

SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT : « QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? »

1805. L'Évangéliste montre ici ce qui pousse Pierre à interroger. Mais puisque faire signe, c'est faire comprendre sans recourir à la parole, pourquoi dit-il : PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT ?

Il faut répondre : on dit que nous « disons » quelque chose quand nous pensons quelque chose intérieurement, selon les paroles du psaume : L'insensé dit dans son cœur6. On peut donc d'autant plus affirmer que nous « disons » quelque chose quand nous indiquons déjà extérieurement, par telle ou telle sorte de signes, ce qui avait été conçu en notre cœur. Et voici le sens : SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT, à savoir il dit en faisant un signe7.

Ou bien on peut dire qu'il indique tout d'abord par un signe, et qu'ensuite il dit par une parole ce qui suit : QUI EST CELUI DONT IL PARLE ?, à savoir qui est celui qui le livrera8.

1806. Mais puisque partout dans les évangiles on trouve Pierre toujours audacieux et le premier à répondre à cause de la ferveur de son amour, pourquoi se tait-il ici ? Pourquoi confie-t-il à un autre son interrogation ?

Selon Chrysostome9, la raison en est peut-être que, puisque auparavant il fut réprimandé par le Seigneur pour n'avoir pas supporté que celui-ci lave ses pieds et qu'il avait entendu : Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi10, il hésitait maintenant à l'importuner à ce sujet. Une autre raison est que Pierre ne voulait pas que le Seigneur manifestât cela publiquement, de telle sorte que les autres puissent l'entendre. C'est pourquoi, parce que lui-même était éloigné du Christ et qu'il ne l'aurait pas aussi bien entendu, il poussa Jean, qui était proche du Christ, à l'interroger.

6. Ps 52, 1.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXI, 6, p. 149.

8. Cf. Origène, Comm. sur saint Jean, XXXII, xxi, § 274, SC 385, p. 305.

9. In Ioannem hom., LXXII, 1, PG 59, co1. 389.

10. Jn 13, 8.

Et il y a aussi à cela une raison mystique. Par Jean, en effet, on désigne la vie contemplative ; par Pierre, la vie active. Or Pierre est instruit par le Christ par l'intermédiaire de Jean, parce que la vie active est instruite des choses divines par la médiation de la vie contemplative l - Marie, en effet, assise aux pieds du Seigneur, écoutait ses paroles. Mais Marthe était absorbée par les multiples soins du service2.

CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : « SEIGNEUR, QUI EST-CE ? » (13,25)

1807. Ici l'Évangéliste montre l'interrogation elle-même. Il faut noter que lorsque Pierre fit signe pour qu'il l'interroge, Jean reposait sur le sein de Jésus. Mais à présent, quand Jean interroge, il se penche sur sa poitrine. En effet, la poitrine est plus proche de la bouche que le sein3. Donc Jean, voulant écouter la réponse plus secrètement et plus silencieusement, s'éleva du sein à la poitrine.

Au sens mystique, il est ainsi donné à entendre que plus l'homme veut saisir les secrets de la sagesse divine, plus il doit s'efforcer de se rapprocher de Jésus, selon le psaume : Approchez-vous de lui et vous serez illuminés4. Car les secrets de la sagesse divine sont révélés avant tout à ceux qui sont liés à Dieu par l'amour - Et il annonce à son ami que la lumière est son partage5. - Son ami est venu et il l’α sondé6.

La désignation du traître

JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST CELUI A QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. » ET AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA À JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. (13, 26)

1808. Le Seigneur désigne ici la personne du traître, d'abord par la parole, ensuite par un geste [n° 1809].

Par la parole en disant : C'EST CELUI À QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. Et cette parole peut signifier deux choses, selon qu'elle peut être prise de deux manières. Si on prend cette parole ici dans un mauvais sens, elle signifie la simulation de Judas. Car de même que le pain trempé est imprégné de ce dans quoi on le trempe et change de couleur, de même aussi le simulateur, tandis qu'il porte une chose dans son cœur, en laisse entendre une autre par sa bouche. Et ainsi était Judas, qui extérieurement prétendait aimer le Maître et dans son cœur méditait la trahison - Ils parlent de paix à leur prochain, et le mal est dans leur cœur.7

Mais si cette parole est prise dans un bon sens, elle est donnée pour amplifier son ingratitude. En effet le pain trempé est plus savoureux. Donc pour montrer que bien que Judas ait reçu de nombreux bienfaits de la part du Christ et que cependant, les oubliant, il le trahit, le Seigneur lui présente le pain trempé - Mais toi, homme qui vivais avec moi dans un même esprit, mon guide et mon intime, toi qui partageais avec moi de douces nourritures (...)l

1. Sur les rapports des deux formes de vie, la vie active et la vie contemplative, voir Somme théo1., II-II, q. 182, où saint Thomas montre que la vie contemplative l'emporte en dignité sur la vie active. Il se réfère pour cela aux huit points qu'Aristote évoque dans \'Éthique à Nicomaque, X, 7-8. Voir ci-dessus, n" 1595, note 5.

2. Le 10, 39-40.

3. Sur le terme sinus, voir vo1. I, n° 218.

4. Ps 33, 6. Voir vo1. I, n° 1089, note 6.

5.Jb 36, 33 (verset propre à la Vulgate). Sur la lecture que fait saint Thomas de ce verset, voir vo1. I, n° 11, note 4. Saint Thomas commente : « II nous est donné d'apprendre qu'auprès de lui se trouve une lumière plus excellente, c'est-à-dire spirituelle, que Dieu réserve aux hommes en récompense de leur vertu (...). Il annonce à son ami, c'est-à-dire à l'homme vertueux que Dieu aime, qu'elle est son partage, à savoir que cette lumière spirituelle est un trésor que Dieu réserve à ses amis comme récompense, et qu'on peut l'atteindre, c'est-à-dire en la méritant par des œuvres vertueuses et en se préparant à la posséder » (Exp. super lob, 36, 33, p. 193, 1. 25-34).

6. Pr 18, 17.

7. Ps 27, 3.

1809. Le Seigneur révèle la personne du traître par un geste en disant : AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA À JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE.

Certains disent à partir de là que ce pain fut le corps du Christ consacré mais, selon Augustin2, cela n'est pas vrai. Car, comme on le tient des autres évangiles, le Seigneur alors qu'il était à table donna son corps aux disciples. Et c'est pourquoi il est évident que Judas reçut en même temps que les autres disciples le corps du Christ au cours du repas. Or le Christ, après avoir à peine commencé le repas, se leva du repas, lava les pieds des disciples, et les ayant lavés s'assit à nouveau ; et c'est ensuite qu'il donna à Judas le pain trempé. Il est donc évident que ce n'était pas le corps du Christ3.

L'effet : comment Satan entre dans l'homme

ET APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI.

1810. Mais ici se pose la question : comment Satan entre-t-il dans l'homme ?

À cela il faut répondre que le fait que Satan entre dans l'homme peut se comprendre de deux manières. Il peut entrer dans le corps de l'homme, comme on le voit chez ceux qui sont tourmentés d'une manière corporelle par le démon, et ainsi le diable peut entrer essentiellement dans l'homme.

1. Ps 54, 14-15.

2. Tract, in Io., LXII, 3, BA 74A, p. 157-159.

3. Soulignons les autres passages (nos 1790 et 1823) où saint Thomas évoque que Judas semble au contraire avoir mangé le pain consacré.

Ou bien on peut comprendre qu'il entre dans l'esprit de telle sorte que le démon pénètre essentiellement dans l'esprit. Mais nul ne peut entrer dans l'homme de cette manière, sinon Dieu seu1. En effet l'âme rationnelle ne possède pas les dimensions de la quantité, de telle sorte que l'on dise que quelque chose est en elle comme contenu dans ses dimensions. Et ainsi il ne peut rien y avoir en elle sinon celui qui lui donne d'être, qui est là par sa puissance. Je dis donc que celui qui donne à l'âme d'être est dans l'âme par sa puissance. Or là où est la puissance de Dieu, là est aussi l'essence de Dieu. En Dieu, en effet, l'essence et la puissance ne font qu'un. Il est donc manifeste que Dieu est essentiellement dans l'âme.

On dit cependant que le diable pénètre dans l'esprit humain par l'effet et le sentiment de la malice, en tant que l'homme séduit par lui le suit pour accomplir le mal qu'il suggère. Et c'est de cette manière qu'il entra dans Judas.

1811. Mais puisque l'Évangéliste a dit plus haut : Alors que déjà le diable avait jeté dans le cœur de Judas Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le livrer*, et qu'il dit ici : SATAN ENTRA EN LUI, il semble que ce soit autre de « jeter dans le cœur » et d'« entrer ». Mais là il faut préciser que ce n'est pas dit pour désigner une différence mais pour faire comprendre l'augmentation de sa malice. En effet on dit que le diable « jette quelque chose de mauvais » dans le cœur de l'homme quand l'homme lui offre son consentement au mal, et que cependant il se demande avec une certaine agitation s'il doit faire cela. Mais le diable « entre » dans le cœur quand l'homme se donne totalement pour suivre son instinct et ne lui résiste en rien. Satan entra donc en lui, pour le posséder pleinement et le pousser à commettre la malice, lui en qui il avait d'abord mis [l'intention] de tromper1.

4. Jn 13, 2.

1812. On se demande pourquoi, en Luc, on dit que Satan entra en lui avant qu'il reçût la bouchée. C'est contraire à ce que Jean dit ici, à savoir qu'APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI.

Réponse : il faut dire qu'alors (selon Luc) il entra pour susciter la trahison, mais que maintenant (selon Jean) il entra pour l'exécuter jusqu'au bout et l'achever2.

1813. Mais est-ce que donner la bouchée à Judas après que Satan fut entré en lui fut un mal ? Réponse : il faut dire que non. Mais Judas lui-même, puisqu'il était mauvais, a mal usé du bien. Ainsi quand quelqu'un reçoit d'une manière indigne l'Eucharistie, qui est un bien, et le bien le meilleur, il la reçoit mal et la change pour lui en mal3 parce qu'il mange et boit son propre jugement4.

L'exécution de la trahison.

ET JÉSUS LUI DIT : « CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRÈS VITE. » OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA. PARCE QUE JUDAS AVAIT LA BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT QUE JÉSUS LUI AVAIT DIT : « ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FÊTE », OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES. AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT LA NUIT. (13, 27-30)

1814. Après avoir exposé l'annonce de la trahison future, l'Évangéliste expose ici l'accomplissement de la réalité annoncée, c'est-à-dire l'exécution de la trahison.

En premier lieu, le Seigneur permet à Judas d'accomplir ce qu'il avait dit. L'Évangéliste expose d'abord les paroles du Seigneur qui lui permet, ensuite il manifeste l'obscurité des paroles elles-mêmes [n° 1816], enfin il ajoute comment ces paroles furent comprises par les Apôtres [n° 1819]. En second lieu, l'Évangéliste montre comment cela a été accompli [n° 1822].

I

CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRÈS VITE.

1815. Assurément ces paroles ne sont pas celles de celui qui commande ou qui donne un conseil, puisque le péché ne peut arriver ni sous le commandement ni sous le conseil divin, comme le dit le psaume : Le commandement limpide du Seigneur illumine les yeux5. Mais ce sont les paroles de celui qui permet. Car, comme on l'a dit, LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS [LE DESSEIN] DE LE LIVRER - lui, Jésus - et avait déjà traité de cela avec les chefs des prêtres ; mais il ne pouvait pas l'accomplir sans que le Christ lui-même le lui permît. Parce que, comme il est dit plus haut : Personne ne m'enlève mon âme, mais moi je la livre de moi-même6. - II s'est offert parce que lui-même Va voulu7.

Ces paroles sont aussi les paroles de celui qui blâme ce crime de la trahison 1 pour montrer que, tandis que celui-ci (le Christ) conférait des bienfaits, celui-là (Judas) projetait sa mort - J'argumenterai contre toi et je me dresserai devant ta face2.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXII, 2, BA 74A, p. 157.

2. Cf. saint Augustin, ibid.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXII, 1, BA 74A, p. 153-155.

4. 1 Co 11, 29.

5. Ps 18, 9. Saint Thomas commente : « C'est-à-dire les yeux de l'intelligence » (Exp. in Psalmos, 18, n° 5).

6. Jn 10, 18.

7. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate). Saint Thomas commente : « Le prophète montre ici la douceur de celui qui souffre et il expose tout d'abord cette douceur par rapport à l'oblation volontaire de lui-même : Il s'est offert à Dieu le Père pour nous, comme hostie - Je t'offrirai volontairement un sacrifice (Ps 53, 8) » (Exp. super Isaiam, 53, 7, p. 215,1. 136-140).

Ce sont encore les paroles de celui qui aspire à l'œuvre de notre rédemption, comme le dit Augustin3. Il n'a cependant pas prévu le crime, mais il l'a prédit, non pas tant par colère en vue de perdre le perfide que dans sa hâte de sauver les fidèles. C'est pourquoi il disait : Je dois être baptisé d'un baptême, et quel souci m'étreint jusqu'à ce qu'il soit accompliA.

OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA.

1816. Or les paroles du Seigneur étaient obscures pour les disciples. Et c'est pourquoi il dit : OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA. En cela il est donné à entendre que les paroles du Christ sont tellement profondes et excèdent tellement l'intelligence humaine que nous ne pouvons pas en saisir plus, si lui-même ne le révèle - La gloire du Seigneur est de cacher sa parole5.

1817. Mais ici se pose une question. Alors qu'en effet le Seigneur avait désigné la personne du traître à Jean, en disant : C'est celui à qui moi j'offrirai le pain trempé, et qu'il avait donné le pain trempé à Judas, les disciples semblent avoir été extrêmement ignorants de ne pas avoir compris la parole du Seigneur.

A cela il faut répondre que le Seigneur avait dit ces paroles d'une manière cachée, à Jean seulement, pour que le traître ne soit pas manifesté. La raison en est que Pierre était tellement fervent dans son amour pour le Christ que s'il avait tenu pour certain que Judas allait trahir le Christ, il l'aurait tué sur-le-champ6.

1818. Mais comme Jean était l'un des convives, surgit encore une autre question, à savoir, pourquoi PÉvangéliste a dit qu'AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA.

À cela il faut répondre que généralement un esprit bon et innocent croit que les autres aussi sont loin de l'iniquité, iniquité dont eux-mêmes se reconnaissent exempts. Donc Jean, parce qu'il était le plus innocent et qu'il était éloigné de l'iniquité du traître, ne soupçonnait absolument pas qu'un disciple irait si loin dans l'iniquité7.

PARCE QUE JUDAS AVAIT LA BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT QUE JÉSUS LUI AVAIT DIT : « ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FÊTE », OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.

1819. Ce que les disciples, qui ignoraient la vraie cause de ces paroles, pensaient à leur sujet, l'Évangéliste l'ajoute ici. Là, il faut savoir que le Seigneur, le Dieu du ciel, qui donne la nourriture à toute chair8, a possédé une bourse ; non qu'il possédât quelque chose de terrestre, mais gardant les dons offerts par les fidèles, il subvenait à ses propres besoins et à ceux des autres. Et c'est Judas qui portait cette bourse.

Par là on donne l'exemple, comme le dit Augustin9, que l'Église peut avoir de l'argent et le réserver pour les nécessités imminentes. En cela nous apprenons aussi que l'argent de l'Église doit être dépensé seulement pour deux choses. En premier lieu, pour les choses qui se rapportent au culte divin. C'est pourquoi il dit : ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FÊTE, à savoir les choses avec lesquelles nous pouvons honorer Dieu en ce jour de fête - Apportez toute la dîme au Trésor, pour qu'il y ait de la nourriture dans ma maison^. Et enfin pour les choses qui relèvent du soutien à donner aux pauvres, de sorte qu'il ajoute : OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 391.

2. Ps 49, 21.

3. Tract, in Io., LXII, 4, BA 74A, p. 161 ; voir aussi XXVII, 10, BA 72, p. 557-559.

4. Le 12, 50.

5.Pr 25, 2.

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 391.

7. Cf. saint Jean Chrysostome, ibid.

8. Ps 135, 25.

9. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163. Cf. aussi De mendacio, XV, 29, BA 1, p. 309-311, et Contra Adimantum, XXTV, BA 17, p. 355-357.

1820. Mais si tu objectes contre cela ce que dit le Seigneur : Ne pensez pas au lendemain2) Augustin répond3 que cela ne fut pas enseigné par le Seigneur pour qu'aucun argent ni rien du salaire du jour ne fût gardé par les saints pour le lendemain. S'il a dit cela, c'est pour que nous ne prêchions pas et ne fassions pas les autres services de Dieu en vue de prévoir pour nous l'avenir. Ou bien pour que nous ne nous dérobions pas à ce qui relève de la vertu à cause de l'inquiétude du lendemain. À partir de là il est évident que le Seigneur, en disant : Ne pensez pas au lendemain^ défend deux choses. L'une, de faire le bien pour le lendemain, l'autre, de nous priver de biens par peur d'en manquer le lendemain.

Chrysostome4 expose [cela] très clairement en disant : Ne pensez pas au lendemain^ c'est-à-dire : le souci qui incombe au lendemain, ne l'anticipez pas aujourd'hui. En effet, à chaque jour suffit sa peine5.

1821. Il y a ici un doute parce que le Seigneur a commandé à ses disciples : N'emportez pas en chemin de bourse, ni de besace, ni de sandales0. Comment donc lui-même possédait-il une bourse ?

Mais selon Chrysostome7, le Seigneur portait une bourse pour le service des pauvres pour que tu apprennes qu'aussi pauvre soit-on et crucifié au monde, il faut avoir souci des pauvres - Il dispersa et donna aux pauvres8.

Ou bien, il faut dire que ce qu'il dit - N'emportez rien en chemin - doit se rapporter aux prédicateurs et aux apôtres individuellement, qui ne doivent rien emporter quand ils vont prêcher. Cela ne doit pas se rapporter à tout le collège parce qu'il faut qu'ils aient quelque chose pour eux-mêmes et pour les pauvres.

II

AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT LA NUIT. (13, 30)

1822. Ensuite l'Évangéliste montre l'accomplissement de ce qui a été annoncé ; d'abord il montre l'exécution [n° 1823], ensuite il en détermine le moment [n° 1824].

1823. L'exécution est rapide parce qu'AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. Là sois attentif, selon Origène9, au fait que l'Évangéliste ne dit pas « Ayant mangé la bouchée » mais AYANT PRIS, ce qui peut se comprendre de deux manières.

1.M13, 10.

2. Mt 6, 34.

3. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163.

4. Il s'agit en fait du Pseudo-Chrysostome, In Matthaeo opus imperfectum, XVI, PG 56, co1. 724-725. Voir aussi In Matthaeum fiom., XXII, 3-4, PG 57, co1. 303-304.

5. Mt 6, 34.

6. Lc 10, 4.

7. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 392.

8. Ps 111, 9.

9.Comm. sur saint Jean, XXXII, xxiv, § 300-312, SC 385, p. 317-321.

D'abord que le traître, tellement tourmenté d'obéir en cela au Maître, ayant pris le pain, ne le mangea pas ; mais peut-être qu'ayant quitté la table, il ne contracta aucun retard pour aller exécuter la trahison. La raison de cela peut être que le diable, qui était déjà entré dans le cœur de Judas, craignant de devoir se retirer si celui-ci mangeait le pain, puisqu'il ne pouvait pas être dans le même lieu que Jésus, ne permit pas à Judas de manger le pain - Quel rapport du Christ avec Belial ?1 -Vous ne pouvez pas en même temps être participants de la table du Seigneur et de la table des démons2.

D'une autre manière3 on peut comprendre qu'il a mangé le pain reçu. Et voici le sens : AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, non seulement dans la main mais aussi en la mangeant, alors IL SORTIT AUSSITÔT, utilisant le bien pour le ma1. Et de même que celui qui mange le pain du Seigneur ou boit son calice indignement, mange et boit à son propre préjudice4 et est rendu plus lourd par ses péchés, ainsi le pain donné par Jésus à Judas fut pour sa perte de telle sorte qu'après que celui-ci eût pris le pain, Satan entra en lui.

OR C'ÉTAIT LA NUIT.

1824. Le moment est déterminé, c'est l'heure des ténèbres, et l'Évangéliste précise cela pour deux raisons. D'abord pour aggraver la malice de Judas5, qui était devenue tellement forte dans son cœur qu'il n'avait pas attendu jusqu'au matin à cause de l'inopportunité de ce moment - L'homicide se lève dès le grand matin (...) et pendant la nuit, il devient voleur^. En second lieu pour désigner la qualité de son esprit7 : C'ÉTAIT LA NUIT, parce que l'esprit du traître Judas était obscurci loin de la lumière divine - Si quelqu'un marche pendant le jour il ne bute pas, parce qu 'il voit la lumière de ce monde ; mais si quelqu'un marche la nuit, il bute parce que la lumière n'est pas en lui8.

b) Le départ du Christ.

1825. Après que Judas fut sorti pour comploter la mort du Seigneur, le Seigneur traite de son propre départ vers la gloire. Il leur annonce d'abord la gloire vers laquelle il va, pour qu'ils en soient consolés [n° 1826], puis son départ [n° 1831].

1. 2 Co 6, 15.

2. 1 Co 10, 21.

3. Saint Thomas s'inspire de nouveau du commentaire d'Origène.

4. Voir 1 Co 11, 27-32.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 391.

6.Jb 24, 14.

7. Cf. OrigÈNE, Comm. sur saint Jean, XXXII, xxiv, § 316, SC 385, p. 323.

8. Jn 11, 9-10.

La gloire vers laquelle il va.

LORS DONC QU'IL FUT SORTI, JÉSUS DIT : « MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI. SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME ET C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA. » (13, 31-32)

1826. La gloire vers laquelle il va est la glorification et l'exaltation du Christ en tant qu'il est Fils de l'homme. Et c'est ce qui est dit : LORS DONC QU'IL FUT SORTI, à savoir Judas, JÉSUS DIT à ses disciples : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ (clarificatus) LE FILS DE L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ (clarificatus) EN LUI.

Ici il faut savoir que clarificari et glorificari ont la même signification ; la gloire (gloria) est dite en effet comme une clarté (claritas). D'où, selon Ambroise *, « la gloire est une connaissance lumineuse accompagnée de louange ». C'est pourquoi les commentateurs, là où dans le grec il y a clarificare, transposent en glorificare, et inversement. Et ainsi ce qu'on dit ici : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ [clarificatus] LE FILS DE L'HOMME est la même chose que si on disait glorificatus2.

Cela peut donc être expliqué de quatre manières, en se référant aux quatre aspects de la gloire du Christ. D'abord certes à la gloire de la Croix [n° 1827], ensuite à la gloire du pouvoir de juger [n° 1828], puis à la gloire de la Résurrection [n° 1829], enfin à la gloire qui est la connaissance du Christ dans la foi des peuples [n° 1830]. En effet l'Écriture attribue ces quatre gloires au Christ.

1. Il s'agit en fait de saint Augustin, qui cite par deux fois dans son commentaire de saint Jean (Tract, in Io., C, 1, BA 74B, p. 373 et CV, 3, BA 75, p. 63) une formule provenant de Cicéron et devenue classique : « Gloria est frequens de aliquo fama cum laude » (De inventione, Π, 55, 166, éd. G. Achard, p. 228). Saint Augustin la citera plus tard dans son traité contre l'Évêque arien Maximin (voir Contra Maxi-minum, II, 13, 2, PL 42, co1. 770). À plusieurs reprises saint Thomas, dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean (voir vo1. I, n° 1278, et ci-dessous, n° 2183), s'y réfère partiellement. Il s'y réfère aussi en commentant l'épître aux Hébreux (Ad Heb. lect., I, n° 26), dans la Question disputée De maio (q. 9, a. 1, c.) et dans la Somme théologique (I-II, q. 2, a. 3, c, et II-II, q. 103, a. 1, ad 3).

2. Au sujet de ce passage sur la gloire, voir vo1. I, nos 1277 et 1278 avec les notes 3 et 4.

I

1827. En premier lieu, le Christ fut donc glorifié dans l'exaltation de la Croix, c'est pourquoi aussi Paul dit que sa gloire est dans la Croix elle-même - Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ3. Et c'est de cette gloire que Chrysostome parle4. Et le Seigneur traite de quatre manières de la gloire de la Croix : en premier la gloire elle-même, en second le fruit de la gloire, en troisième l'auteur de la gloire, enfin l'heure de la gloire.

Il faut savoir en effet que, quand quelque chose commence à exister, cela semble être comme déjà fait. Judas étant sorti pour conduire les soldats [à Jésus], il semble que le négoce de la Passion du Christ par lequel il devait être glorifié ait commencé, et c'est pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire commence la Passion dans laquelle il sera glorifié. En effet le Christ a été glorifié par la Passion de la Croix, parce que par elle il a triomphé de ses ennemis, à savoir la mort et le diable - Afin de détruire par la mort celui qui avait l'empire de la mort5.

De même, parce que par elle il a uni les choses terrestres aux choses célestes - Pacifiant par le sang de sa Croix, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les deux 6. De même, parce que par elle il reçut en sa possession toutes les royautés, selon cet autre passage du psaume : Dites parmi les nations que le Seigneur a régné par le bois 1. De même encore parce qu'en elle il a manifesté de nombreux miracles : le voile du Temple se déchira, la terre fut ébranlée, les pierres furent brisées, le soleil fut obscurci, et de nombreux corps de saints ressuscitèrent, comme le dit Matthieu2. À cause de cela donc, sa Passion étant imminente, il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, comme pour dire : Maintenant commence ma Passion, qui est ma glorification.

3. Ga 6, 14. Voir ci-dessous, n° 2560.

4. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 392.

5. He 2, 14.

6. Col 1, 20. Cf. vo1. I, n° 474 : « Déjà, en effet, par la sainteté de sa vie, il avait purifié ce qui est sur la terre ; il lui restait, par sa mort, à purifier ce qui est dans les airs ». Saint Thomas commente aussi ce verset ainsi : « Et ainsi a été pacifié soit ce qui est dans les deux - comme les anges et Dieu -, soit ce qui est sur la terre - à savoir les Juifs et les Gentils » (Ad Co1. lect., I, n° 53).

Le fruit de cette gloire est que par là Dieu soit glorifié. Et c'est pourquoi il dit : ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire dans le Fils de l'homme glorifié, parce que la gloire de la Passion tend à ce que Dieu soit par là glorifié. En effet, si Dieu est glorifié par la mort de Pierre – Il dit cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu3 -, il a été glorifié bien davantage par la mort du Christ.

L'auteur de cette gloire n'est ni un ange, ni un homme, mais Dieu lui-même. Et c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI. Si la gloire est telle que Dieu soit par là glorifié, il ne devait pas être glorifié par un autre. Mais DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME, c'est-à-dire par lui-même - Glorifie-moi, Père, de la gloire que j'ai eue auprès de toi avant que fût le monde4.

L'heure de cette gloire est immédiate parce que BIENTÔT, c'est-à-dire tout de suite, IL LE GLORIFIERA, il lui donnera la glorification de la Croix.

En effet la Croix, bien qu'elle soit folie pour les Gentils et ceux qui périssent, est cependant pour nous, qui croyons, la plus grande sagesse de Dieu et la puissance de Dieu5.

II

1828. La seconde gloire du Christ est la gloire liée au pouvoir de juger - Alors on verra le Fils de l'homme venant dans les nuées avec une grande puissance et une grande gloire6. Augustin7 parle de cette gloire, comme on le voit dans la Glose, et il le fait de quatre manières. En premier lieu il expose la gloire liée au pouvoir de juger. En second lieu il montre le mérite par lequel on parvient à cette gloire. En troisième lieu il explique cela. Enfin il montre le principe de cette gloire.

MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.

Là il faut savoir que, dans la Sainte Écriture, les réalités signifiées sont désignées par le nom des réalités signifiantes 8, la signification n'étant pas exprimée, selon cet [exemple] : Or cette pierre était le Christ1. Là il ne dit pas que « pierre » signifie « Christ ». Or dans le fait que Judas quitta les Apôtres est représentée la figure du jugement futur où les mauvais seront séparés des bons, quand il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche, comme Matthieu le rapporte2. Donc dans le fait que Judas parte était figuré le jugement futur. C'est pourquoi le Seigneur, après le départ de Judas, parle de la gloire de son pouvoir de juger, pouvoir en vertu duquel il jugera, en disant : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire que par le départ de Judas a été représentée la gloire que le Fils de l'homme possédera au jugement, où aucun des mauvais ne sera plus et où aucun bon ne périra. Or il n'est pas dit : maintenant « a été signifiée la glorification du Fils de l'homme », mais MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, selon l'usage de l'Écriture sainte dont nous avons parlé.

1. Cf. Ps95, 10.

2. Cf. Mt 27, 51 sq.

3. Jn 21, 19.

4. Jn 17, 5.

5. Cf. 1 Co 1, 30 : Et c'est par lui que vous êtes dans le Christ Jésus, que Dieu a fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption.

6. Mc 13, 26.

7. Tract, in Io., LXIII, 2, BA 74A, p. 175. On peut résumer ainsi les éléments que saint Thomas reprend à saint Augustin tout au long de ce paragraphe : la séparation de Judas d'avec les autres Apôtres signifie et annonce le jugement dernier, quand les brebis seront séparées des boucs, jugement qui sera en lui-même un acte du Fils de l'homme glorifié. De plus l'humanité du Christ elle-même sera glorifiée par la résurrection, laquelle est si imminente qu'on peut déjà en parler comme d'un fait accompli. Par la résurrection, méritée du fait que le Christ n'a rien voulu d'autre qu'accomplir la volonté de son Père, <> la nature humaine du Christ reçoit la gloire de l'immortalité » dans le Verbe.

8. Sur les différents sens de l'Écriture et sur la distinction du sens littéral et du sens spirituel, citons saint Thomas : « L'auteur de l'Écriture sacrée est Dieu. Or il est au pouvoir de Dieu d'employer, pour signifier quelque chose, non seulement des mots, ce que l'homme aussi peut faire, mais encore les réalités elles-mêmes. Et c'est pourquoi, s'il est commun à toutes les sciences de s'exprimer par des mots, cette science-ci [doctrina sacra] a ceci de propre que les réalités exprimées par les mots signifient à leur tour autre chose. Donc la première signification, à savoir celle par laquelle les mots employés expriment certaines réalités, correspond au premier sens, qui est le sens historique ou littéra1. La signification seconde, par laquelle les réalités exprimées par les mots signifient de nouveau d'autres réalités, est appelée le sens spirituel, qui se fonde sur le premier et le suppose » (Somme théo1., I, q. 1, a. 10, c). Voir aussi vo1. I, Préface, p. 17 sq.

ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.

Le mérite de cette glorification est que Dieu soit glorifié en lui. En effet, Dieu est glorifié en ceux qui cherchent à faire sa volonté, non la leur. Or tel était le Christ - Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé^". Et c'est pourquoi DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.

SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME.

Il explique cela quand il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire si en faisant la volonté de Dieu il glorifie Dieu, C'est à juste titre que DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME, pour qu'à la nature humaine assumée par le Verbe éternel soit aussi donnée une éternité immortelle ; et c'est pourquoi il dit EN LUI-MÊME, c'est-à-dire dans sa gloire - C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom4. Donc cette glorification par laquelle Dieu a été glorifié dans le Christ est le mérite par lequel le Christ en tant qu'homme a été glorifié EN LUI-MÊME, c'est-à-dire dans la gloire de Dieu. Et cela se réalisa quand sa nature humaine, ayant déposé sa faiblesse par la mort de la Croix, reçut la gloire de l'immortalité dans la Résurrection. De là vient que la Résurrection elle-même fut le principe par lequel fut commencée cette gloire. Et c'est pourquoi il dit : ET C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, dans la Résurrection, qui sera aussitôt, selon ce psaume : Je me lèverai au point du jour5. Et cet autre psaume : Tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption6.

III

1829. La troisième gloire du Christ est la gloire de la Résurrection dont il est dit : Comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père7. Et c'est cette gloire que commente Hilaire8, et en partie aussi Augustin9. Et selon cela, le Christ annonce tout d'abord cette gloire qui est la sienne, en disant : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME. Et il parle du futur en utilisant un temps du passé, parce que ce que nous croyons être bientôt fait, nous le tenons pour déjà fait. Or la gloire de la Résurrection était toute proche, et c'est pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, comme si son corps par son union à la nature divine avait acquis en quelque sorte la gloire de la divinité.

1. 1 Co 10, 4.

2. Mt 25, 33.

3. Jn6, 38.

4. Ph 2, 9.

5. Ps 107, 3.

6. Ps 15, 10. Voir vo1. I, n" 402.

7. Rm 6, 4.

8. La Trinité, XI, 42, SC 462, p. 369.

9. Tract, in Io., LXIII, 3, BA 74A, p. 177-179.

En second lieu il ajoute la cause de cette glorification, et cela fort subtilement ; car, comme le dit Hilaire \ l'humanité du Christ a été glorifiée dans la Résurrection par son union à la nature divine qui l'assumait dans la personne du Verbe, et cela est dit dans le psaume : Tu n'abandonneras pas mon âme dans l'enfer, ni ne laisseras ton saint - qui est le Saint des saints - voir la corruption2.

Une telle gloire est aussi due au Christ homme en tant qu'il est Dieu. Nous aurons nous aussi la gloire de la résurrection dans la mesure où nous sommes participants de la divinité3 - Celui qui a ressuscité d'entre les morts le Christ Jésus, ressuscitera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous4. Et c'est pourquoi il dit que LE FILS DE L'HOMME, à savoir le Christ, selon sa nature humaine, A ÉTÉ GLORIFIÉ par sa Résurrection. Et qui le glorifiera ? DIEU, dit-il, LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME, de telle sorte que le Christ homme, qui règne dans la gloire qui est la gloire venant de Dieu, passe aussi lui-même de là dans la gloire de Dieu, pour demeurer tout entier en Dieu, comme déifié en vertu de cette économie (dispensatio5) divine par laquelle il est homme. Comme si je disais : la lampe est lumineuse parce que le feu brille en elle. Donc ce qui envoie des rayons de gloire à l'humanité sainte du Christ, c'est Dieu.

1. Dans le commentaire de saint Augustin mentionné dans ce passage de saint Thomas, saint Hilaire est beaucoup cité.

2. Ps 15, 10. Saint Thomas commente : « La raison est que la résurrection requiert l'union du corps et de l'âme ; et c'est pourquoi son âme conjointe à la divinité ne devait pas demeurer dans les enfers ; mais elle devait se tenir là jusqu'à ce que fût prouvée la vérité de son humanité et de sa vraie chair ; et il ne convenait pas davantage qu'elle fût laissée dans les enfers où elle était descendue pour libérer les saints - Je pénétrerai toutes les profondeurs de la terre et je visiterai tous ceux qui dorment (Si 24, 45 [verset propre à la Vulgate]). De même pour son corps, parce que tu ne laisseras pas ton saint - c'est-à-dire mon corps sanctifié par toi - voir la corruption, celle de la putréfaction ou de la décomposition qu'il n'a pas subie ; mais il a subi la corruption de la mort » (Exp. in Psalmos, 15, n° 7). Voir aussi vo1. I, n° 402.

3. Participants de la nature divine (2 Ρ 1, 4), participants à la vocation céleste (He 3, 1), nous sommes devenus participants du Christ (3, 14), participants de l Esprit Saint (6, 4). Déjà le livre de la Sagesse disait que ceux qui ont reçu le trésor infini qu'est la Sagesse sont désormais participants de l'amitié de Dieu (7, 14).

4. Rm 8, 11.

Et ainsi l'humanité du Christ est glorifiée par la gloire de sa divinité et est conduite dans la gloire de la divinité, non par changement de nature mais par une participation à la gloire, en tant que le Christ homme lui-même est adoré comme Dieu - C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 6. Et c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire si la gloire de sa divinité rejaillit sur la gloire de son humanité, Dieu l’α glorifié^ c'est-à-dire l'a rendu participant de sa gloire, en l'assumant dans sa propre gloire - Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Père1.

Et ainsi la gloire du Christ est double : l'une est dans son humanité dérivée de sa divinité, et l'autre est celle de sa divinité en laquelle est en quelque sorte assumée son humanité, comme on l'a dit. Mais c'est tout autre. Car la première gloire a eu un commencement dans le temps, et c'est pourquoi à son sujet il parle au passé en disant : et Dieu l'a glorifié en lui-même^ ce qui eut lieu au jour de la Résurrection, alors que la seconde gloire est éternelle, parce que de toute éternité le Verbe de Dieu est Dieu. Et l'humanité du Christ assumée dans cette gloire sera glorifiée à jamais. C'est pourquoi au sujet de cette gloire il parle au futur, disant : ET C'EST BIENTÔT, c'est-à-dire toujours, QU'IL LE GLORIFIERA, qu'il fera qu'il soit dans cette gloire à jamais.

5. Sur le sens du mot dispensatio, voir vo1. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.

6. Ph 2, 9.

7. Ph 2, 11.

IV

1830. Le quatrième aspect de la gloire du Christ est la gloire de sa connaissance par les peuples dans la foi. Et c'est cette gloire dont parle Origène \ Là il faut noter que cette gloire, selon lui, est comprise dans le langage commun des hommes autrement que dans les Écritures. Car selon l'usage commun, la gloire n'est rien d'autre que des éloges proférés par plusieurs ou bien « une connaissance lumineuse accompagnée de louanges », comme le dit Ambroise2. Dans l'Écriture sacrée, la gloire implique un certain signe divin au-dessus des hommes - La gloire du Seigneur apparut au-dessus de la tente3, c'est-à-dire qu'un signe divin reposa sur elle. Et c'est également ce qui est dit du visage de Moïse qui avait été glorifié4. Et de même que la gloire exprime d'une manière sensible un signe divin au-dessus des hommes, de même spirituellement on dit que l'intelligence de l'homme est glorifiée quand elle a été ainsi déifiée et que, transcendant toutes choses matérielles, elle est élevée à la connaissance de Dieu : par cela en effet elle est rendue participante de sa gloire - Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image5.

Si donc tout homme qui connaît Dieu est glorifié et rendu participant de sa gloire, il est manifeste que le Christ, qui connaît Dieu très parfaitement en tant qu'il est la splendeur de toute la gloire divine6 et qu'il peut prendre l'éclat de toute la gloire divine, a été glorifié très parfaitement et que tous ceux qui connaissent Dieu reçoivent cela du Christ. Mais les hommes ne savaient pas encore que le Christ serait ainsi glorifié dans la plus parfaite connaissance et participation de la divinité. Et c'est pourquoi, bien qu'il fut glorifié en lui-même, il n'avait cependant pas été glorifié dans la connaissance des hommes. Mais il commença à avoir cette gloire dans sa Résurrection et dans sa Passion par lesquelles les hommes commencèrent à connaître sa puissance et sa divinité.

1. Comm. sur saint Jean, XXXII, XXVI, § 330-334, SC 385, p. 329-331. Tout ce paragraphe, plus encore que le précédent (avec le recours à saint Hilaire), est un exemple étonnant de ce que peut avoir de fécond la rencontre entre le théologien et un Père de l'Église quand ensemble, à l'école de saint Jean, ils se laissent guider vers ce qu'il y a d'ultime dans le mystère du Fils, « rayonnement de toute la gloire de Dieu ».

2. Voir ci-dessus, n° 1826, note 1.

3. Ex 40, 32.

4. Voir 2 Co 3, 7 (cf. Ex 34, 30).

5. 2 Co 3, 18.

6. He 1, 3.

Parlant ici de cette glorification qui est la sienne, le Seigneur dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire selon son humanité, dans sa Passion et sa Résurrection qui étaient imminentes, et il a été manifesté à la connaissance des hommes. ET DIEU, c'est-à-dire le Père, A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI. Le Fils en effet non seulement se révèle, mais révèle aussi le Père - Père, j'ai manifesté ton nom7 ; et c'est pourquoi non seulement le Fils a été glorifié mais aussi le Père - Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils8. Et il dit EN LUI parce que celui qui voit le Fils, voit aussi le Père9. Or c'est le propre du plus grand de rendre en retour quelque chose de plus grand et c'est pourquoi il ajoute : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire, si par la gloire du Fils de l'homme grandit en quelque sorte la gloire pour Dieu le Père, en tant qu'il est plus connu par tous les hommes, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME, c'est-à-dire fera connaître que le Christ Jésus est dans sa gloire. Et cela sans délai parce que C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, à savoir sur-le-champ.

7. Jn 17, 6.

8. Mt 11, 27. Saint Thomas commente : « Mais quoi ? Est-ce que l'Esprit Saint ne le connaît pas ? Si. Mais il faut remarquer que parfois des phrases exclusives sont ajoutées aux noms divins selon l'essence, parfois selon la personne. Et quand elles qualifient des noms personnels, elles n'excluent pas ce qui est identique selon la nature : aussi, ce qui est ajouté au Père n'exclut pas le Fils. Aussi est-il dit : Au roi immortel, invisible, au seul Dieu honneur et gloire (1 Tm 1, 17), et cela n'exclut pas le Fils de même nature. De même, quand il dit : Si ce n'est le Fils, n'est pas exclu l'Esprit Saint qui est le même selon la nature. Mais quand il dit : Nul ne connaît, il faut entendre : "nul homme sinon le Fils". Et c'est ainsi que le Fils connaît le Père. En effet, il le connaît par compréhension. Donc, parce qu'il le connaît parfaitement et qu'il est connaissable, il a, comme le Père, le pouvoir de révéler » (Sup. Matth. lect., XI, nos 965-966).

9. Cf. Jn 14, 9.

Son départ.

1831. Plus haut le Seigneur a montré la gloire qu'il allait recevoir à travers son départ ; ici il leur annonce ce départ lui-même : tout d'abord il leur annonce son départ, puis il montre que les disciples n'étaient pas encore capables de le suivre [n° 1834]. Enfin il leur enseigne comment le devenir [n° 1835].

I

PETITS ENFANTS, POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS. (13, 33)

1832. Il leur annonce brièvement ce départ à venir en disant : PETITS ENFANTS, POUR PEU DE TEMPS ENCORE, et il emploie ce terme de filiation pour les enflammer d'amour. Car quand des amis se séparent, c'est alors qu'ils brûlent le plus d'amour1. Plus haut : Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin2.

Mais il dit PETITS ENFANTS, employant le diminutif, pour leur montrer leur imperfection ; en effet ils n'étaient pas encore parfaitement fils parce qu'ils n'aimaient pas encore parfaitement, ils n'étaient pas encore parfaits dans la charité - Mes petits enfants que j'enfante à nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous3. Néanmoins ils avaient suffisamment grandi en perfection, puisque de serviteurs ils sont devenus petits enfants4, comme on le voit ici, et frères -Va trouver mes frères et dis-leur5.

1. Cette remarque pleine de réalisme est suggérée par saint Jean Chrysostome (In Ioannem nom., LXXII, 3, PG 59, co1. 393).

2. Jn 13, 1.

3. Ga 4, 19.

4. Origène avait indiqué en passant la connotation affectueuse du terme filioli avant de développer longuement son caractère d'imperfection puis de compléter par l'appel à devenir, par la croissance, des fratres (Comm. sur saint Jean, XXXII, XXX, § 368-374, SC 385, p. 345-349). Saint Thomas ne reprend que ce deuxième point, en le résumant.

5. Jn 20, 17.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIV, 1-2, BA 74A, p. 181-185. 7.Rm 6, 9. 8. Le 24, 44.

1833. Notons cependant que ce qui est dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE peut être pris de trois manières, selon que le Christ est avec ses disciples de trois manières6.

En effet le Christ était avec ses disciples corporellement. Or son corps peut être considéré de deux manières. Tout d'abord en ce qu'il est semblable à la condition de la nature humaine, car le Christ selon son corps était mortel comme les autres hommes ; et ainsi POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend du temps qui allait s'écouler entre les paroles de cet entretien et sa mort. Le sens de POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS est donc : je reste PEU DE TEMPS ENCORE, le temps que je sois pris et que je meure, et alors je ressusciterai, désormais immortel aussi selon mon corps - Ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus, la mort ne dominera plus sur lui1. Et c'est pourquoi il leur dit : Je vous ai dit ces choses tant que j'étais encore avec vous8.

Deuxièmement il fut avec eux présent par son corps mais dans la mesure où son corps avait déjà été glorifié. Et ainsi PEU DE TEMPS ENCORE se rapporte au temps écoulé jusqu'à son Ascension - Un peu de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un peu, et vous me verrez ; parce que je vais vers le Père 1. - Un peu de temps encore et j'ébranlerai ciel, terre, mer et désert2.

Troisièmement, cela s'explique en tant qu'il fut avec eux spirituellement selon la présence de sa divinité et dans les sacrements ; ainsi POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend du temps qui restait jusqu'à la consommation des siècles, et certes on peut dire de ce temps qu'il est peu en comparaison de l'éternité - Mes petits enfants, c'est la dernière heure3. Et c'est le sens de ces paroles : POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS, c'est-à-dire : bien que je me sépare de vous corporellement, cependant spirituellement je suis avec vous encore un peu de temps, ce temps qui reste jusqu'à la consommation des siècles - Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde4. Mais cette explication ne convient pas selon la présence de sa divinité, parce qu'il sera avec eux non seulement jusqu'à la fin du monde, mais encore pour toujours. Et c'est pourquoi Origène l'explique5 autrement, en disant que le Christ est toujours avec les parfaits qui ne pèchent pas mortellement, mais n'est pas toujours avec les imparfaits parce que, lorsqu'ils pèchent, il s'éloigne d'eux.

Or, après un peu de temps, les disciples allaient être séparés du Christ, souffrir le scandale et l'abandonner - Tous vous souffrirez le scandale à cause de moi cette nuit6. Et ainsi le Christ se séparait d'eux même spirituellement ; c'est à ce propos qu'il dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS, c'est-à-dire que dans peu de temps vous fuirez, m'ayant abandonné, et ainsi je ne serai plus avec vous.

1. Jn 16, 16.

2. Ag 2, 7.

3. 1 Jn 2, 18.

4. Mt 28, 20.

5. Comm. sur saint Jean, XXXII, xxx, § 377-382, SC 385, P. 349-351.

6. Mt 26, 31.

II

VOUS ME CHERCHEREZ, ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS : « OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR », À VOUS AUSSI JE LE DIS À PRÉSENT. (13, 33)

1834. En leur disant ensuite : VOUS ME CHERCHEREZ, il leur montre leur incapacité à le suivre ; d'abord il montre leur effort en disant : VOUS ME CHERCHEREZ, moi que vous avez abandonné spirituellement par la fuite et par le reniement. VOUS ME CHERCHEREZ, dis-je, par le repentir, comme Pierre qui pleura amèrement - Cherchez le Seigneur tant qu'on peut le trouver7. - Dans leur détresse, au matin ils reviendront vers moi8. VOUS ME CHERCHEREZ, c'est-à-dire ma présence corporelle, par le désir - Des jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme et vous ne le verrez pas9.

Ensuite il montre ce qui leur manque en disant : ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS : « OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR. » Mais c'est de manière toute différente car, comme parmi les Juifs il y en avait certains qui ne se convertiraient jamais, il leur a été dit de manière absolue qu'ils ne pouvaient pas aller là où le Christ allait. Mais désormais, après le départ de Judas, aucun parmi les disciples ne devait se séparer du Christ, et c'est pourquoi il n'a pas dit de manière absolue : VOUS NE POUVEZ VENIR mais il a ajouté : À VOUS AUSSI JE LE DIS À PRÉSENT. Comme s'il disait : J'ai dit aux Juifs « jamais » dans la mesure où je m'adressais à des obstinés, mais à vous, je dis qu'À PRÉSENT vous ne pouvez me suivre parce que vous n'êtes pas encore parfaits dans la charité, au point de vouloir mourir pour moi ; moi, en effet, c'est par la mort que je vais partir. De même, moi je m'en vais vers la gloire du Père à laquelle nul ne peut venir s'il n'est parfait dans la charité1.

7. Is 55, 6.

8. Os 6, 1.

9. Lc 17, 22.

De même, moi je dois être glorifié maintenant parce que, comme on l'a dit : Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié, mais il n'est pas encore temps que vos corps soient glorifiés ; et c'est pourquoi là OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.

III

JE VOUS DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES ; COMME JE VOUS AI AIMÉS, QUE VOUS AUSSI VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES. »> (13, 34-35)

1835. En conséquence, lorsqu'il dit : JE VOUS DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU, il leur enseigne comment se rendre capable de le suivre. Premièrement il montre la condition du commandement. Deuxièmement il montre la raison pour laquelle ils doivent l'accomplir [n° 1839].

Pour la première partie il fait trois choses : d'abord il montre la qualité du commandement, puis son contenu dont il donne ensuite un exemple.

1836. La qualité du commandement est mise en lumière par sa nouveauté, et c'est pourquoi il dit : UN COMMANDEMENT NOUVEAU. Pourtant, dans l'ancienne Loi, le commandement de l'amour du prochain n'a-t-il pas été donné ? Il a été donné certes parce que le Christ, à un scribe qui lui demandait quel était le premier commandement, répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ajoute : et ton prochain comme toi-même2. - Tu aimeras ton prochain comme toi-même 3.

Mais ce commandement est dit NOUVEAU spécialement pour trois raisons. D'abord pour l'effet de renouveau qu'il réalise - Dévêtez-vous du vieil homme avec ses actes et revêtez le nouveau qui se renouvelle dans la connaissance à l'image de celui qui l'a créé4. Ce renouveau se réalise par la charité à laquelle ce commandement exhorte.

Deuxièmement pour la cause qui réalise cela, parce qu'il provient d'un esprit nouveau. Il y a en effet deux esprits, l'ancien et le nouveau. Or l'ancien est un esprit d'esclavage, le nouveau un esprit d'amour5. Celui-là engendre des esclaves, celui-ci des fils adoptifs - Vous n'avez pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte6. - Je vous donnerai un cœur nouveau7. Et cet esprit enflamme en vue de la charité - Parce que le charité de Dieu a été répandue dans nos cœur par l'Esprit Saint8.

Troisièmement par l'effet qu'il établit, à savoir le nouveau Testament. Car la petite différence qui existe entre le nouveau et l'ancien Testament est celle qui existe entre la crainte et l'amour, comme le dit Augustin9 - Je conclurai avec la maison d'Israël une alliance nouvelle10. Et parce que ce commandement dans l'ancien Testament provenait d'une crainte et d'un amour saints, il appartenait au nouveau Testament. C'est pourquoi ce commandement était dans la Loi ancienne, non pas comme lui étant propre mais comme préparatoire à la Loi nouvelle.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIV, 4, BA 74A, p. 191.

2. Mt 22, 37 et 39.

3. Lv 19, 18.

4. Col 3, 9-10.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXV, 1, BA 74A, p. 193-195

6. Rm 8, 15. Sur l'esprit qui produit la crainte ou l'amour, voi vo1. I, n° 1461, note 6.

7. Ez 36, 26.

8. Rm 5, 5.

9. La formule est de saint Augustin, Contra Adimantum, XVII 2, BA 17, p. 323. Au cœur de la polémique qui l'oppose au manichéen Adimante, à propos de la haine des ennemis acceptée par l'ancien Testament, saint Augustin montre qu'il est faux de dire non seulement que l'ancien Testament est mauvais, mais aussi qu'il est en opposition avec le nouveau. En guise d'illustration, il avance l'opinion suivante : au sein même du peuple d'Israël, il pouvait se trouver « des hommes spirituels qui pouvaient comprendre que la conduite de Dieu était sans haine pour personne et combien ce que le Seigneur nous commande dans l'Évangile n'y était pas contraire à savoir que nous aimions nos ennemis » (XVII, 3, BA 17, p. 327.

10. Jr 31, 31. Saint Thomas commente : « Il promet le renouvellement de l'alliance : Voici venir des jours, à savoir de grâce, et je ferai une alliance nouvelle, un nouveau testament : c'est l'Évangile. (·· ) - Je ferai avec vous une alliance éternelle, qui montrera véritables les miséricordes promises à David (Is 55, 3). Puis il pose la teneur de ce pacte. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël après ces jours-là dit le Seigneur : je mettrai ma Loi, l'Évangile, dans leurs entrailles (Jr 31 33), et non sur des tables de pierre - Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à son cœur (Os 2, 14) » (Exp. super Hier., XXX lectio 10).

1837. Le contenu de ce commandement est la dilection l mutuelle. Aussi dit-il : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. C'est en effet le propre (ratio) de l'amitié de ne pas être cachée, autrement elle ne serait pas une amitié mais seulement une bienveillance. Et c'est pourquoi il faut, pour une amitié vraie et ferme, que les amis s'aiment mutuellement2, parce qu'alors l'amitié est juste et ferme, comme doublée. Le Seigneur donc, voulant qu'entre ses fidèles et ses disciples l'amitié soit parfaite, leur donna le commandement de la dilection mutuelle - Qui craint le Seigneur aura une bonne amitié3.

1838. Il donne un exemple de ce contenu en disant : COMME JE VOUS AI AIMÉS. En effet le Christ nous a aimés de trois manières : gratuitement, efficacement et de façon droite.

Gratuitement parce que c'est lui qui a commencé et qu'il n'a pas attendu que nous commencions à l'aimer - Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui-même qui nous a aimés le premier4. Ainsi nous aussi nous devons aimer les premiers nos proches, et ne pas attendre leurs prévenances ou leurs bienfaits5.

1. Sur le sens du mot dilectio, voir vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612.

2. Sur l'amour d'amitié et son explicitation chez Aristote et saint Thomas, voir vo1. I, n° 1475, note 7. Ajoutons ici que saint Thomas, dans son traité sur la charité, rappelle : « Cependant la bienveillance ne suffit pas pour constituer l'amitié ; il faut de plus qu'il y ait réciprocité d'amour, car un ami est l'ami de celui qui est lui-même son ami. Une telle bienveillance mutuelle est fondée sur une certaine mise en commun » (Somme théol, II-II, q. 23, a. 1, a). Et plus loin où il se demande ce qui est le mieux, aimer son ami ou son ennemi, il commente : « Cependant, comme un même feu agit avec plus d'intensité sur ce qui est proche que sur ce qui est éloigné, la charité nous fait aimer plus ardemment ceux qui nous sont unis que ceux qui sont éloignés. De ce point de vue, la dilection des amis, absolument considérée, est plus ardente et meilleure que celle des ennemis » (loc. cit., q. 27, a. 7, c).

3. Si 6, 17.

4. 1 Jn 4, 10.

Il a aussi aimé de manière efficace, ce qui se manifeste dans une œuvre : « La preuve de l'amour, c'est l'accomplissement d'une œuvre6. » Ce qu'un homme peut faire de plus grand pour son ami, c'est de se donner pour lui, et c'est ce que le Christ a fait - Il nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous7. C'est pourquoi il dit : Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis8. Aimons-nous donc les uns les autres à cet exemple, de manière efficace et fructueuse - N'aimons ni de mots ni de langue mais par des actes et en vérité9.

De manière droite puisque, toute amitié étant fondée sur une certaine mise en commun (la similitude 10 en effet est cause d'amour), est droite l'amitié qui existe à cause de la similitude ou de la communication dans le bien. Or le Christ nous a aimés dans la mesure où nous lui sommes semblables par la grâce d'adoption, en nous aimant selon cette similitude afin de nous attirer à Dieu - D'un amour de charité éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré dans ma miséricorde11. Ainsi donc nous aussi nous devons aimer dans l'ami non seulement le fait qu'il est source de bienfait ou de plaisir, mais le fait qu'il est de Dieu1. Et dans un tel amour du prochain est aussi inclus l'amour de Dieu2.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem nom., LXXII, 3, PG 59, co1. 394.

6. Probatio dilectionis exhibitio est operis. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, co1. 1220 C.

7. Ep 5, 2.

8. Jn 15, 13.

9. 1 Jn 3, 18.

10. Sur la similitude dans l'amour, voir ci-dessous, n° 2034, note 8.

11. Jr 31, 3. Voir ci-dessus, n° 1673, note 5.

1839. Par suite, lorsqu'il dit : EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES, il donne la raison d'accomplir ce commandement.

Là il faut savoir que tout homme compté dans la milice d'un roi se doit d'en porter les insignes. Or les insignes du Christ sont les insignes de la charité. Donc quiconque veut être compté dans la milice du Christ doit être marqué du sceau de la charité. Et c'est ce qu'il dit : EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR

LES AUTRES, je veux dire un amour saint une dilection sainte - Moi je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance3. Mais remarque que, bien que les Apôtres aient reçu du Christ beaucoup de dons, comme la vie, l'intelligence, la santé du corps, et aussi des dons spirituels comme le pouvoir de faire des miracles - Moi je vous donnerai un langage et une sagesse4 -, toutes ces choses ne sont pas les signes qu'on est disciple du Christ, puisqu'elles peuvent être communes aux bons et aux mauvais. Mais, de manière toute spéciale, le signe qu'on est disciple du Christ est la charité ainsi que l'amour mutuel - Il nous a marqués d'un sceau et donné l'Esprit5.

B. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI RENIE LE CHRIST

1840. Après avoir exposé la défaillance d'un disciple, c'est-à-dire la trahison de Judas, l'Évangéliste montre à présent celle d'un autre disciple, le reniement de Pierre ;

premièrement est rapportée l'occasion d( cette prédiction et deuxièmement h prédiction du reniement elle-même [n° 1844].

a) Le désir et la hardiesse de Pierre.

Concernant cette première partie, il montre deux choses : il expose d'abord le désir de Pierre, ensuite il montre sa hardiesse [n° 1843].

1. Dans la Somme théologique, dans la question où saint Thomas se demande si Dieu seul doit être aimé de charité, ou aussi le prochain, il commente : « Or la raison d'aimer le prochain, c'est Dieu ; car ce que nous devons aimer dans le prochain, c'est qu'il soit en Dieu. Il est donc manifeste que l'acte par lequel Dieu est aimé et celui par lequel est aimé le prochain sont de même espèce. Par conséquent {'habitus de la charité ne s'étend pas seulement à l'amour de Dieu mais aussi à l'amour du prochain » (II-II, q. 25, a. 1, a). Et plus loin, dans la question sur l'ordre de la charité : « L'amitié de charité est fondée sur la communication de la béatitude, qui réside essentiellement en Dieu comme dans son premier principe, d'où elle dérive en tous les êtres qui sont aptes à la posséder. C'est donc Dieu qui doit être aimé de charité à titre principal et par-dessus tout : il est aimé en effet comme cause de la béatitude, tandis que le prochain est aimé comme participant en même temps que nous de la béatitude » (loc. cit., q. 26, a. 2, a).

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXV, 2, BA 74A, p. 201 : « Celui qui aime son prochain d'un amour saint et spirituel, qu'aime-t-il en lui si ce n'est Dieu ? »

SIMON-PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, OÙ VAS-TU ? » JÉSUS LUI RÉPONDIT : « OÙ MO JE VAIS, TU NE PEUX PAS ME SUIVRE À PRÉSENT ; MAIS TU ME SUIVRAS PLUS TARD. » (13, 36)

Dans cette première partie, il commence par présenter Pierre manifestant son désir puis le retard avec lequel il le réalise [n° 1842].

1841. Le désir de Pierre se manifeste dans la vivacité de cette interrogation quand il dit : SEIGNEUR, OÙ VAS-TU ? En effet il avait appris du Seigneur qu'il serait avec eux pour peu de temps encore : aussi est-il inquiet de ce que le Christ s'éloigne d'eux, et c'est pourquoi il interroge : OÙ VAS-TU ? Chrysostome1 dit à ce propos : « Vraiment l'amour de Pierre est grand et plus véhément que le feu lui-même dont aucun interdit ne peut entraver l'ardent élan. » C'est pourquoi, alors même que le Christ avait dit : Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir2, Pierre voulait le suivre ; aussi lui demandait-il où il allait, comme l'une des jeunes filles du Cantique qui cherche [le bien-aimé] - Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, où est-il parti que nous le cherchions avec toi ?3

3. Si 24, 24 (verset propre à la Vulgate).

4. Le 21, 15.

5. 2 Co 1, 22.

1842. Le retard de la réalisation de ce désir est dû au fait que, pour le moment, il se trouve empêché de suivre le Christ. Et c'est ce que le Christ lui-même dit : OÙ MOI JE VAIS, TU NE PEUX PAS ME SUIVRE À PRÉSENT ; MAIS TU ME SUIVRAS PLUS TARD, comme s'il disait : Tu es encore imparfait et c'est pourquoi tu ne peux me suivre à présent ; mais plus tard, quand tu seras parfait, tu me suivras. C'est aussi ce qu'il dit plus loin : En vérité je te le dis, quand tu étais plus jeune - ce qui signifie « imparfait » - tu mettais toi-même ta ceinture ; quand tu seras vieux - et que tu auras atteint le sommet de la perfection - tu étendras tes mains (,..)4

PIERRE LUI DIT : « POURQUOI NE PUIS-JE TE SUIVRE À PRÉSENT ? JE LIVRERAIS MON ÂME POUR TOI. » (13, 37)

1843. Par ces paroles l'Évangéliste montre la hardiesse de Pierre. Pierre avait bien saisi que le Seigneur avait dit ces paroles comme en se défiant de la perfection de son amour. Or l'amour est parfait lorsque quelqu'un s'expose lui-même à la mort pour ses amis - Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis5. Et donc, parce que Pierre était prêt à mourir pour le Christ, il se montrait parfait dans son amour en disant : JE LIVRERAIS MON ÂME POUR TOI, c'est-à-dire : je suis prêt à mourir pour toi. Il disait cela comme il lui semblait et non avec un esprit faux. Cependant l'homme ne peut savoir la force de son amour (affectus), surtout devant l'imminence d'un danger - Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour autant6.

b) Le Christ prédit son reniement.

JÉSUS LUI RÉPONDIT : « TU LIVRERAS TON ÂME POUR MOI ? AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS. » (13, 38)

1844. En disant cela, il prédit le reniement de Pierre. Tout d'abord il lui reproche sa présomption, puis prédit son reniement [n° 1846].

1845. Dans cette première partie il faut savoir que Pierre, présumant de lui-même, alors que le Christ disait : TU NE PEUX PAS ME SUIVRE À PRÉSENT, affirmait qu'il pouvait le suivre et mourir pour lui. Aussi le Seigneur, le corrigeant, lui dit : TU LIVRERAS TON ÂME POUR MOI ?, comme s'il disait : Considère ce que tu dis. Je sais mieux que toi-même ce qu'il y a en toi. Toi, tu ne sais pas mesurer le poids de ton amour ; ne présume donc pas de toi-même outre mesure - Ne t'enorgueillis pas, crains plutôt1. Et Matthieu en donne la raison : L'esprit est prompt mais la chair est faible2.

1. In Ioannem hom., LXXIII, 1, PG 59, co1. 395.

2. Jn 13, 33.

3. Ct 5, 17.

4. Jn 21, 18.

5. Jn 15, 13.

6. 1 Co 4, 4.

Le Seigneur a permis que Pierre fût tenté et tombât afin qu'une fois élevé à la tête de l'Église, il apprenne à connaître ses propres faiblesses et à compatir aux pécheurs qui lui seraient confiés. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux Hébreux : Nous n'avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos infirmités, ayant été éprouvé en tout d'une manière semblable, à l'exception du péché3. Mais en Pierre la tentation est allée jusqu'à la faute, alors que dans le Christ elle alla jusqu'à la similitude de la peine parce qu'il n'a pas commis de péché4.

AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.

1846. On pourrait d'abord émettre un doute concernant cette affirmation. Il semble qu'elle soit fausse, parce qu'aussitôt après le premier reniement de Pierre le coq chanta, comme le rapporte Marc5.

Mais saint Augustin6 répond à cette objection de deux manières. Selon la première, le Seigneur a davantage exprimé le sentiment de Pierre que son acte : car une si grande crainte avait envahi l'âme de Pierre que dès le premier chant du coq il était prêt à renier, non seulement une fois, mais trois fois ; c'est ce que signifie : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.

L'autre manière regarde le commencement du reniement : parce qu'on dit qu'une chose a lieu avant une autre même si elle commence seulement à se réaliser.

Or le Seigneur a prédit le triple reniement qui a commencé avant le premier chant du coq, bien qu'alors il n'ait pas été entièrement réalisé. C'est ainsi qu'il faut comprendre cette parole : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS, c'est-à-dire : Tu commenceras à me renier trois fois avant que le coq ne chante.

1847. On peut aussi s'interroger sur le lieu où furent dites ces paroles, car Matthieu et Marc disent que le Seigneur a dit cela à Pierre après avoir quitté le lieu où il avait pris le repas avec ses disciples. Mais Luc et Jean disent qu'il a prononcé ces paroles à l'endroit où avait eu lieu la Cène. Car après cet entretien, le Seigneur a dit : Levez-vous, partons d'ici7. Il faut répondre qu'il est vrai que le Seigneur a dit ces paroles au lieu où il avait pris le repas, mais que Matthieu et Marc suivent l'ordre de leurs souvenirs et non pas l'ordre historique.

On peut dire aussi, selon Augustin8, que le Seigneur a prononcé trois fois ces paroles. Car si on considère attentivement les paroles du Seigneur qui nous conduisent à la prédiction du reniement de Pierre, on remarquera qu'elles ont été dites de trois façons.

Chez Matthieu et Marc, il est écrit que le Seigneur a dit : Vous tous, vous souffrirez le scandale à cause de moi durant cette nuit. Et Pierre répond : Même si tous se scandalisent à cause de toi, moi je ne me scandaliserai jamais. Et Jésus lui dit : Aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois9.

Luc rapporte : Jésus leur dit : « Voilà que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment. Mais moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. » Pierre lui dit alors : « Seigneur, je suis prêt à aller avec toi en prison et à la mort. » Le Seigneur lui répondit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui que tu aies nié par trois fois me connaître » 1.

1. Rm 11, 20.

2. Mt 26, 41.

3. He 4, 15.

4. 1 Ρ 2, 22.

5. Me 14, 68.

6. De consensu Evangelistarum, III, ii, 7, PL 34, co1. 1161-1162.

7. Jn 14, 31.

8. Op. cit., III, il, 5, PL 34, co1. 1160.

9. Mt 26, 31. 33-34.

1. Lc 22, 31-34.

Or ici, alors que Pierre demandait au Seigneur : OÙ VAS-TU ?, le Seigneur lui dit : AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.

On constate donc bien que le Seigneur avait prédit plusieurs fois le reniement de Pierre.

 

CHAPITRE XIV : LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART

 

Évangile selon saint Jean Chapitre XIV

1 Et il dit à ses disciples : « Que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.2 Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. Sinon je vous l'aurais dit : je vais vous préparer un lieu. 3 Et quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé un lieu, je viendrai de nouveau et je vous prendrai près de moi, pour que là où moi je suis, vous soyez aussi. 4 Et où moi je vais vous le savez, et vous savez le chemin. »

5 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Et comment pouvons-nous savoir le chemin ? » 6 Jésus leur dit : « Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. 7 Si vous m'aviez connu, vous auriez connu aussi mon Père. Et dorénavant vous le connaîtrez, et vous l'avez vu. »

8 Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. »9 Jésus lui dit : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi le Père. Comment dis-tu, toi : "Montre-nous le Père" ? 10 Ne crois-tu pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-même. Mais le Père demeurant en moi fait lui-même les œuvres. n Ne croyez-vous pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ? 12 Du moins croyez à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : Qui croit en moi fera lui-même aussi les œuvres que moi je fais ; et il en fera de plus grandes, parce que moi je vais vers le Père. 13 Et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. 14 Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. 15 Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; 16 et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet afin qu'il demeure avec vous éternellement, 17 l'Esprit de vérité que le monde ne peut pas recevoir parce qu'il ne le voit pas ni ne le connaît. Mais vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera auprès de vous et qu'il sera en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers vous. 19 Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi je vis et que vous, vous vivrez. 20 En ce jour-là vous connaîtrez que moi je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous. 21 Qui a mes commandements et les garde, c'est celui-là qui m'aime. Or celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; et moi je l'aimerai, et je me manifesterai moi-même à lui. »

22 Judas, non celui appelé l'Iscariote, lui dit : « Seigneur, qu'est-il advenu, que tu doives te manifester toi-même à nous et non au monde ? » 23 Jésus répondit et lui dit : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole. Et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. 24 Celui qui ne m'aime pas ne garde pas mes paroles. Et la parole que vous avez entendue n'est pas la mienne mais celle du Père qui m'a envoyé. 25 Je vous ai dit cela, demeurant auprès de vous ; 26 mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, celui-là vous enseignera tout, et vous rappellera tout ce que je vous aurai dit.

27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne soit pas troublé ni ne s'effraie. 28 Vous avez entendu ce que moi je vous ai dit : Je m'en vais et je viens vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi. 29 Et maintenant je vous ai dit cela avant que cela n'arrive afin que, quand ce sera arrivé, vous croyiez. 30 Je ne parlerai plus beaucoup avec vous. En effet, il vient le prince de ce monde, et sur moi il n'a aucun pouvoir. 31 Mais afin que le monde connaisse que j'aime le Père et comme le Père m'en a donné le commandement, ainsi je fais. Levez-vous, partons d'ici ! »

2. COMMENT LE CHRIST PRÉPARÉ SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES

 

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART

1848. Auparavant le Seigneur a formé ses disciples par des exemples, ici il les fortifie par des paroles : en premier lieu est exposée sa longue exhortation, en second lieu l'explication de ce qu'il a dit [chapitre 16, n° 2068]. À propos du premier point, il faut savoir que deux choses menaçaient les disciples et pouvaient les troubler, l'une concernant le présent, à savoir le départ imminent du Christ, l'autre liée au futur : les tribulations qu'ils auraient à souffrir.

D'abord, donc, il les fortifie au sujet du premier point, c'est-à-dire son départ. Plus tard il les fortifiera quant aux tribulations qu'ils auront à souffrir [chapitre 15, n° 1978]. Ici il les fortifie quant au fait qu'ils allaient rester là, puis au sujet de son départ [n° 1965].

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT AU FAIT QU'ILS RESTENT

En premier lieu, il annonce qu'il va vers le Père. En second lieu, il leur promet le don de l'Esprit Saint [n° 1907]. Et en troisième lieu, il leur promet sa présence [n° 1921].

A. LE CHRIST ANNONCE QU'IL VA VERS LE PÈRE

Il annonce qu'il va vers le Père, puis il parle du chemin par lequel il va aller vers lui.

a) Le Christ va vers le Père.

D'abord il chasse le trouble de ses disciples, puis il montre sa puissance [n° 1851], enfin il ajoute une promesse [n° 1852].

Le Christ chasse leur trouble.

QUE VOTRE CŒUR NE SE TROUBLE PAS. (14, 1)

1849. Il faut savoir que les disciples pouvaient être profondément troublés1 par les paroles du Seigneur prononcées plus haut à propos de la trahison de Judas, du reniement de Pierre, et de son propre départ. Vraiment tout portait au trouble et à la douleur - Tu as ébranlé la terre, c'est-à-dire les cœurs de tes disciples, et tu l'as bouleversée2. Et pour cette raison le Seigneur, voulant guérir leur détresse, dit : QUE VOTRE CŒUR NE SE TROUBLE PAS.

1850. Cependant, il est dit dans les Actes des Apôtres : Jésus commença à agir et à enseigner3. Mais plus haut, il est dit : Jésus fut troublé en son esprit4. Comment donc peut-il nous apprendre à ne pas être troublés, lui qui fut troublé le premier ? Je réponds : il faut dire qu'il n'a pas enseigné le contraire de ce qu'il a fait. Mais à propos de ce trouble, on dit qu'il fut troublé en son esprit, et non pas que son esprit fut troublé. Or ici, il ne leur défend pas d'être troublés en leur esprit, mais il défend que leur cœur, c'est-à-dire leur esprit, soit troublé. Il y a en effet un certain trouble provenant de l'esprit et de l'intelligence qui est louable et n'est pas défendu - Ce qui en effet est une tristesse selon Dieu produit un repentir salutaire et durable5. Autre est la tristesse ou le trouble de la raison elle-même, et cela n'est pas louable parce que cela détourne de la vraie droiture, et cela est interdit - Le juste ne sera pas troublé parce que le Seigneur le soutient de sa main6. En effet, qui a toujours Dieu, rien ne peut le troubler.

Le Christ montre sa puissance.

VOUS CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI. (14, 1)

1851. C'est pourquoi le Seigneur montre ensuite la puissance de sa divinité en disant : VOUS CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI ; et là il suppose une chose et il en prescrit une autre.

Il suppose leur foi en Dieu en disant : VOUS CROYEZ EN DIEU, car en cela ils avaient déjà été instruits par lui - II faut que celui qui s'approche de Dieu croie7.

Et il leur prescrit de croire en lui en disant : CROYEZ AUSSI EN MOI. Si en effet vous croyez en Dieu, vous devez par conséquent croire en moi, puisque moi je suis Dieu. Et cette conséquence est valable, soit que le terme DIEU soit pris essentiellement, puisque le Fils lui-même est Dieu, soit qu'il désigne la personne du Père. Car nul ne peut croire en le Père s'il ne croit pas en le Fils - Qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père8. Et dans ce qu'il dit : CROYEZ AUSSI EN MOI, il atteste qu'il est vraiment Dieu ; car bien qu'on puisse croire à l'homme ou à quelque créature, cependant nous ne devons croire en personne9 si ce n'est en Dieu. Donc il faut croire en le Christ comme en Dieu - Afin que vous soyez dans son véritable Fils Jésus Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle1. Et plus haut : L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé2.

1. Voir plus haut, 1801.

2. Ps 59, 4.

3. Ac 1, 1.

4. Jn 13, 21.

5. 2 Co 7, 10.

6. Ps 36, 24.

7. He 11, 6.

8. Jn 5, 23.

9. Sur la distinction des trois modalités de l'acte de foi - croire Dieu, croire à Dieu, croire en Dieu -, voir vo1. I, n° 1570, note 6. Et ici saint Thomas précise que si l'on peut croire à l'homme, on ne peut croire en l'homme. Voir aussi saint Augustin, Tract, in Io., XXIX, 6, ΒΑ 72, p. 607-609.

Le Christ ajoute une promesse.

DANS LA MAISON DE MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES. SINON JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. (14, 2)

1852. Ensuite, lorsqu'il dit DANS LA MAISON DE MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES, il ajoute la promesse que, par le Christ, ils iront vers le Père et seront introduits auprès de lui. Or la promesse de l'accès de quelques-uns en quelque lieu implique deux choses : l'une précède, à savoir la préparation du lieu ; l'autre suit, à savoir l'introduction dans le lieu. Et c'est pourquoi le Seigneur fait ici deux promesses : l'une concerne la préparation du lieu, l'autre l'introduction dans le lieu. Or la première n'est pas nécessaire, puisque déjà le lieu a été préparé ; mais la seconde l'est, et c'est pourquoi à propos de cela, il fait deux choses.

En premier lieu, il exclut la nécessité de la première promesse : d'abord en écartant la nécessité d'une préparation, puis en montrant qu'il aurait la faculté de préparer le lieu, si c'était nécessaire [n° 1857]. En second lieu, il donne la seconde promesse [n° 1858].

I

DANS LA MAISON DE MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES.

1853. Là il faut savoir que, puisque la maison de quelqu'un est celle où il habite, on appelle maison de Dieu celle où Dieu habite ; or Dieu habite dans les saints - Toi tu es en nous. Seigneur3. Dans certains, c'est par la foi - J'habiterai en eux4. - Que le Christ habite en vos cœurs par la foi5. Mais en d'autres c'est par la jouissance6 parfaite- Afin que Dieu soit tout en tous1. La maison de Dieu est donc double. L'une est l'Église militante, à savoir l'assemblée des fidèles - Afin que tu saches comment il faut te comporter dans la maison de Dieu2 -, et Dieu habite celle-ci par la foi - Voici la tente de Dieu avec les hommes, et j'habiterai en eux3. L'autre est l'Église triomphante, à savoir le rassemblement des saints dans la gloire - Nous serons rassasiés des biens de ta maison4.

1. 1 Jn 5, 20.

2. Jn 6, 29.

3. Jr 14, 9.

4. 2 Co 6, 16 ; Lv 26, 11 ; cf. Ez 37, 27-28. Saint Thomas commente : « J'habiterai en eux, à savoir dans les saints, en les perfectionnant par la grâce. Or bien que Dieu soit dit être en toutes les réalités par sa présence, sa puissance et son essence, on ne dit cependant pas qu'il habite en elles, mais seulement dans les saints par la grâce. La raison en est que Dieu est en toutes les réalités par son action en tant qu'il s'unit à elles en leur donnant l'exister et en les conservant dans l'être, alors qu'il est dans les saints par l'opération des saints eux-mêmes, opération par laquelle ils atteignent Dieu et d'une certaine manière le saisissent en l'aimant et en le connaissant. En effet on dit que celui qui aime et qui connaît a en lui-même ce qu'il connaît et ce qu'il aime » {Ad 2 Cor. lect., VI, n° 240). Dans la Somme théologique, saint Thomas précise bien, à la suite de saint Grégoire, que Dieu est en toute réalité qu'il crée « par sa puissance parce que tout lui est soumis, par sa présence parce que tout est à découvert et comme à nu devant ses yeux, par son essence parce qu'il est présent à tout comme cause d'être ». Et il précise aussi que Dieu est présent « dans les saints par sa grâce » (I, q. 8, a. 3, c). Outre ces deux grandes modalités de la présence de Dieu en nous - la présence dite d'immensité, qui est celle du Créateur à sa créature (actuellement Dieu crée notre âme, et il nous garde dans l'être), et la présence de grâce où Dieu par le Christ nous communique la vie même de la Très Sainte Trinité -, il y a la présence sacramentelle où Dieu se donne, et d'une manière éminente dans l'Eucharistie. Et il faut noter que l'unité de vie avec la Très Sainte Trinité, qui est ce vers quoi nous tendons dans la foi, l'espérance et la charité, est éminemment personnelle puisque chacun, aimé par Dieu d'un amour unique (cf. Somme théo1., I, q. 20, a. 3), y répond par des actes qui lui sont propres. Mais nous sommes les membres du Corps mystique du Christ, l'Église qui est « comme une seule personne mystique » (voir De Veritate, q. 29, a. 7, sed contra 3 et ad 11 ; Somme théo1., III, q. 19, a. 4 ; q. 48, a. 2, ad 1 ; q. 49, a. 1 ; Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, vo1. I, n° 960).

5. Ep 3, 17.

6. Sur le sens du mot fruitio voir vo1. I, n° 527, note 2. Dans la Somme théologique, I-II, q. 11, saint Thomas rappelle que la joie est un acte de l'appétit, qu'elle appartient en propre à la créature rationnelle, qu'elle accompagne la quête de la fin ultime et surtout qu'elle est présente quand cette fin est, non certes possédée, mais touchée, atteinte par notre cœur et notre intelligence. Saint Thomas montre aussi que la joie spirituelle est un effet de la charité (II-II, q. 28, a. 1). Et à plusieurs reprises il met en lumière que la véritable joie, la jouissance plénière, sera celle de la béatitude. « Mais quand nous aurons atteint la béatitude parfaite, il ne restera plus rien à désirer parce que nous aurons la pleine jouissance de Dieu, en laquelle nous obtiendrons aussi tout ce qui aura pu être l'objet de nos désirs pour les autres biens, suivant la parole du psaume : 77 comble de biens tous nos désirs (102, 5). (...) La joie des bienheureux est donc absolument plénière, et même plus que plénière puisqu'ils obtiendront plus qu'ils n'auront pu désirer car, comme le dit l'Apôtre : Le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime (1 Co 2, 9). - C'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans le pli de votre vêtement (Le 6, 38). Toutefois, puisque nulle créature n'est capable d'une joie au sujet de Dieu qui soit digne de lui, il faut dire que cette joie plénière n'est pas contenue dans l'homme, mais que c'est plutôt lui qui y pénètre, selon cette parole de Matthieu (25, 21) : Entre dans la joie de ton maître » (II-II, q. 28, a. 3, a). Voir aussi III, q. 23, a. 1, c.

Mais est appelée maison du Père non seulement celle qu'il habite, mais aussi lui-même parce que lui-même est en lui-même. Et dans cette maison il nous rassemble. Or, que Dieu soit lui-même une maison, on le voit dans la deuxième Épître aux Corinthiens : Nous avons une maison venant de Dieu, qui n'est pas faite de main d'hommes5. Et cette maison est une maison de gloire, qui est Dieu lui-même - Le trône de ta gloire élevé depuis le commencement, lieu de notre sanctification*'. Or l'homme demeure en ce lieu, à savoir en Dieu lui-même, quant à la volonté et l'amour7 par la jouissance de la charité - Qui demeure dans la chanté, demeure en Dieu8 -, et quant à l'intelligence par la connaissance de la vérité - Sanctifie-les dans la venté9.

 

1. 1 Co 15, 28. Saint Thomas commente : « Afin que Dieu soit tout en tous, c'est-à-dire afin que l'âme de l'homme se repose totalement en Dieu et que Dieu seul soit sa béatitude. En effet, pour le moment il y a d'une part la vie, de l'autre la vertu, et de l'autre la gloire ; mais alors, Dieu sera la vie, et le salut, et la vertu, et la gloire et toutes choses. Ou, dans un autre sens, afin que Dieu soit tout en tous, parce qu'alors sera manifesté que tout ce que nous avons de bon vient de Dieu » {Ad 1 Cor. lect., XV, n° 950).

2. 1 Tm 3, 15.

3. Ap 21, 3.

4. Ps 64, 5.

5. 2 Co 5, 1.

6. Jr 17, 12.

7. Amour traduit ici le latin affectus. Sur le sens du mot affectus, voir ci-dessus, n° 1727, note 2.

8. 1 Jn 4, 16.

9. Jn 17, 17.

Donc, dans cette maison, c'est-à-dire dans la gloire qui est Dieu, IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES, c'est-à-dire diverses participations à sa béatitude ; parce que celui qui aime plus et connaît plus, aura une place plus grande. Donc les diverses participations à la connaissance et à la jouissance divines sont les diverses demeures.

1854. Mais ici se pose la question de savoir si l'un peut être plus bienheureux que l'autre. Il semble que non. En effet la béatitude est la fin, et ce qui est parfait n'accepte pas le plus et le moins : donc elle ne peut être possédée plus ou moins.

Je réponds : il faut dire que quelque chose est dit parfait de deux manières : absolument, et sous un certain aspect. Certes, la perfection absolue de la béatitude appartient à Dieu seul, parce que lui seul se connaît et s'aime autant qu'il est connaissable et aimable (en effet il connaît infiniment et il aime sa vérité et sa bonté infinies). Et quant à cela, le souverain bien lui-même, qui est l'objet de la béatitude et sa cause, ne peut pas être une béatitude plus grande qu'une autre, car il n'est qu'un seul souverain bien, qui est Dieu. Et quelque chose est dit parfait sous un certain aspect, c'est-à-dire selon certaines conditions de temps, de nature et de grâce ; ainsi l'un peut être plus bienheureux 10 que l'autre selon l'acquisition de ce bien et la capacité de chaque homme. Parce que l'homme est d'autant plus capable de la béatitude qu'il y participe plus en tant qu'il est mieux disposé et ordonné à en jouir. Et on se dispose à cela de deux manières. En effet, la béatitude consiste en deux choses : en la vision divine, et à celle-ci on se dispose par la pureté ; et pour cette raison, plus quelqu'un a le cœur élevé au-dessus des choses terrestres, plus il verra Dieu, et plus parfaitement. De même, la béatitude consiste en la parfaite jouissance de cette vision, et à celle-là on se dispose par l'amour ; et pour cette raison, celui dont le cœur brûlera plus de l'amour de Dieu, goûtera plus de joie dans la jouissance divine. À propos de la première il est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce qu'ils verront Dieu 1.

10. Dans la Somme théologique, saint Thomas montre que le degré de l'intensité de notre vision béatifique ne dépendra pas en premier lieu de l'acquisition de nos connaissances intellectuelles mais de l'intensité et de la ferveur de notre charité : « Certainement, il faut dire que parmi ceux qui verront l'essence de Dieu, l'un la verra plus parfaitement que l'autre. Mais ce ne sera pas par une similitude de Dieu plus parfaite dans l'un que dans l'autre ; car cette vision-là ne se fera pas par similitude, ainsi qu'on l'a montré (a. 2). Cela proviendra de ce que l'intelligence de l'un aura une capacité plus grande à l'égard de cette vision de Dieu. Et la faculté de voir Dieu n'appartient pas à l'intelligence créée selon sa nature mais résulte de la lumière de gloire, qui établit l'intelligence dans une sorte d'état déiforme, ainsi qu'on l'a exposé (a. 2 et a. 5). C'est pourquoi l'intelligence qui participera davantage à cette lumière de gloire verra Dieu plus parfaitement. Et celui qui participera le plus à la lumière de gloire est celui qui a le plus de charité, car plus grande est la charité, plus grand est le désir. Et le désir rend d'une certaine manière l'être qui désire apte et prêt à recevoir ce qui est désiré. Ainsi, celui qui aura plus de charité verra Dieu plus parfaitement et il sera plus heureux » (I, q. 12, a. 6, c.)- Saint Thomas montre l'importance du désir pour cette connaissance de la vision béatifique qui dépasse la capacité naturelle de l'intelligence humaine et qui nécessite une lumière divine venant fortifier et diviniser l'intelligence, de l'intérieur. Il nous aide ainsi à dépasser tout regard trop formel et intellectuel sur notre manière de nous préparer à voir Dieu. C'est notre désir et notre soif d'aimer, au-delà des résultats toujours inadéquats, qui agrandissent notre cœur et préparent notre intelligence à la vision béatifique.

1855. De même, on s'interroge sur ce qui est dit dans Matthieu2, qu'un seul denier est donné à tous ceux qui ont travaillé. Or ce denier n'est rien d'autre qu'une demeure dans la maison du Père. Il n'y a donc pas de nombreuses demeures. À cela je réponds : il faut dire que la récompense de la vie éternelle est une, et qu'elle est multiple. Multiple, certes, selon la capacité différente des participants, selon laquelle il y a diverses demeures dans la maison du Père. Mais une, de trois manières. Premièrement, à cause de l'unité de l'objet : en effet, ce que tous les bienheureux voient et ce dont tous jouissent est le même ; et c'est pourquoi il y a un seul denier, mais il sera vu et aimé de diverses manières - Alors tu abonderas en délices dans le Tout-Puissant2'. - En ce jour-là, le Seigneur des armées sera une couronne de gloire et un sceptre d'exultation pour le reste de son peuple 4. Et c'est comme si quelqu'un indiquait à un autre une source, afin que tous y puisent à volonté ; celui qui aurait un plus grand vase, recevrait plus de la source, et celui qui en aurait un plus petit, moins. Donc la source, quant à elle, est unique, mais la mesure des récipients, elle, n'est pas la même. Et c'est l'avis du bienheureux Grégoire5. En second lieu, à cause de la mesure même de l'éternité, selon Augustin6 : parce que tous auront la béatitude éternelle, puisque les justes iront vers la vie éternelle, mais diversement selon leur capacité. En troisième lieu, à cause de la charité qui unit tout, faisant des joies de chacun les joies de tous, et réciproquement - Se réjouir avec ceux qui se réjouissent7.

1. Mt 5, 8. Saint Thomas commente : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce que, comme l'œil qui voit la couleur doit être purifié, ainsi l'esprit qui voit Dieu - Cherchez-le en simplicité de cœur parce qu'use laisse trouver par ceux qui ne le tentent pas ; il apparaît à ceux qui ont foi en lui (Sg 1, 1-2). En effet, le cœur est purifié par la foi, par la foi qui purifie les cœurs (Ac 15, 9). Et parce que la vision succède à la foi, il est dit : Ils verront Dieu » (Sup. Matth. lect., V, n° 434).

2. Cf. Mt 20, 1-16.

1856. Mais il faut remarquer que cette parole fut pour les pélagiens8 une occasion d'erreur. En effet, ils disent que les enfants qui meurent non baptisés seront sauvés dans la maison de Dieu, mais non dans le royaume de Dieu, parce que plus haut il est dit : Personne, à moins de renaître de Veau et de l'Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu 1.

3. Jb 22, 26.

4. Is 28, 5.

5. Moralium libri, IV, 36, 70, PL 75, co1. 677 A-B. Voir aussi Homélies sur Ezechiel, II, 4, 6, SC 360, p. 197.

6. Tract, in Io., LXVII, 2, BA 74A, p. 221-223 : Dans la vie éternelle, « nul ne vit plus que l'autre puisqu'il n'y a pas dans l'éternité diverses longueurs de vie (vivendi mensura) ».

7. Rm 12, 15.

8. Pélage est un moine du ν siècle, originaire des îles britanniques. Source d'une hérésie qu'on a appelée pélagianisme, sa principale erreur fut, en exaltant les forces du libre arbitre, de nier la transmission du péché originel, la nécessité de la grâce divine, la distinction entre l'ordre naturel et l'ordre surnature1. Il niait donc que la volonté humaine ait été affaiblie par suite du péché d'Adam, et qu'elle soit donc inclinée au ma1. Ainsi, selon lui, les petits enfants sont baptisés seulement pour être admis au Royaume de Dieu, en passant du bien au mieux : le baptême ne les délivre d'aucun mal, ils en sont exempts. Quant aux adultes, ils n'ont besoin du baptême que pour la rémission de leurs péchés. Pelage a nié encore la nécessité de la grâce en tant qu'elle est un don reçu dans l'âme pour la guérir, la fortifier, mais aussi l'ennoblir et la surélever. Selon lui, l'homme peut, sans le secours de la grâce, accomplir tous les préceptes divins. Cependant Pelage, ayant été blâmé par ses frères de ce qu'il rejetait le secours de la grâce divine pour l'accomplissement des commandements, céda à leur observation, mais en partie seulement. Il disait alors que la grâce était donnée aux hommes afin qu'ils accomplissent plus facilement, par son moyen, ce qu'ils devaient faire par le libre arbitre. La grâce n'était pas pour lui un don premier, au-dessus de la nature. Mais il affirmait encore que cette grâce, sans laquelle nous ne pouvons faire aucun bien, n'est pas différente du libre arbitre que notre nature a reçu de Dieu, et que Dieu aide par sa Loi et par sa doctrine. Aussi le Christ est-il simplement un modèle qui nous encourage à nous perfectionner dans la justice et à devenir meilleurs. Saint Augustin a combattu avec toute l'intensité de sa foi cette hérésie, notamment par deux de ses écrits : De spiritu et littera et De natura et gratia. Il y proclame la nécessité de la grâce qui, loin d'être contre nature, la libère et la surélève. Parmi les actes du Magistère condamnant cette hérésie, citons notamment ceux du Concile de Carthage de 418 qui la réfute en 9 canons.

Contre cela Augustin2 rapporte que le Seigneur dit que ces demeures sont dans la maison de Dieu. Or rien n'est plus dans le royaume que la maison : car le royaume est constitué de cités, et les cités de quartiers, et les quartiers de maisons. Donc si les demeures sont dans la maison, il est manifeste qu'elles sont dans le royaume.

SINON, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU.

1857. Ensuite, il montre qu'il serait capable de leur préparer un lieu si cela était nécessaire.

En effet, quelqu'un pourrait dire : C'est vrai que, dans la maison de son Père, de nombreuses demeures ont été préparées ; parce que si cela n'était pas nécessaire, il n'aurait pas à les préparer. Et c'est pourquoi le Seigneur, excluant cela, dit que SINON, c'est-à-dire si les demeures n'avaient pas été préparées, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU.

Là il faut voir ce qu'il dit : VOUS PRÉPARER UN LIEU. Or on prépare un lieu de deux manières. D'une manière, quand on le dispose en lui-même, par exemple quand on nettoie ou qu'on agrandit un lieu - Élargis l'espace de ta tente3. D'une autre manière, quand on donne à quelqu'un la possibilité d'entrer ; de là vient que le psaume demandait : Sois-moi un Dieu protecteur et un lieu fortifié4, comme s'il disait : que j'aie toujours la possibilité d'entrer. Et on peut comprendre cela de deux manières. Si en effet ce lieu était quelque chose de tel qu'il eût un défaut ou qu'il fût quelque chose de créé, il appartiendrait à ma puissance de le perfectionner, car toute créature est soumise à la puissance du Verbe - Tout a été fait par lui5. Si donc il était tel qu'il eût un défaut, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Mais le lieu en lui-même a été préparé. En effet, ce lieu est Dieu lui-même, comme il a été dit, en qui réside l'excellence de toutes les perfections. Mais peut-être n'avez-vous pas la possibilité d'entrer ; et c'est pourquoi SINON, c'est-à-dire si vous n'aviez pas la possibilité d'entrer et n'aviez pas été prédestinés à ce lieu, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. En effet il est en mon pouvoir de vous prédestiner à ce lieu. Car lui-même, avec le Père et l'Esprit Saint, nous a prédestinés à la vie éternelle - Il nous a élus en lui-même6.

1. Jn 3, 5. Voir vo1. I, nos 431-435.

2. Loc. cit., LXVII, 3, BA 74A, p. 225-227. Les pélagiens n'acceptaient pas que les nouveau-nés morts sans baptême soient damnés, mais ils inventaient pour les besoins de la cause une distinction entre des « maisons » célestes, lieux intermédiaires qui leur seraient accessibles, et le « royaume de Dieu », réservé aux seuls baptisés.

II

ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, POUR QUE LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI. (14, 3)

3. Is 54, 2.

4. Ps 70, 3.

5. Jn 1, 3.

6. Ep 1, 4.

1858. Mais parce que plus haut il avait dit : Où moi je vais, tu ne peux pas me suivre à présent1, il ajoute, afin qu'ils ne croient pas qu'ils seront définitivement séparés de lui : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, POUR QUE LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI. Là, il présente la seconde promesse, à savoir celle de les faire entrer dans le royaume. Il semble qu'il y ait là une contradiction dans ses paroles. En effet il dit : SINON JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU, indiquant par là qu'il ne va pas pour préparer un lieu. Or ici il dit : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, il indique qu'il va pour préparer un lieu. Mais il faut dire que, d'une première manière, on pourrait lire cela « ensemble2 », et alors le sens serait : SINON, c'est-à-dire si cela était nécessaire, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Et il redit : SINON JE VOUS L'AURAIS DIT, c'est-à-dire si je m'en vais et que je vous prépare un lieu.

Mais selon Augustin on lit « séparément », de sorte qu'il y a une conclusion autre que celle-là. Et il faut dire que le Seigneur a PRÉPARÉ en prédestinant de toute éternité et qu'il a PRÉPARÉ en exécutant3. Et il a PRÉPARÉ par son départ. Donc ce qu'il a dit en premier lieu, c'est-à-dire que les demeures avaient été préparées, on le comprend de la première préparation de toute éternité ; mais ce qu'il dit ici - QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ – se comprend de l'exécution de la prédestination éternelle4.

1859. Or le Seigneur par son départ nous a préparé un lieu de cinq manières.

Premièrement en donnant le lieu de la foi. En effet, puisque la foi porte sur des choses qu'on ne voit pas5, elle n'existait pas chez les disciples à l'égard du Christ quand ils le voyaient en personne. Donc, il s'éloigna d'eux pour que celui qu'ils avaient par la présence corporelle et qu'ils voyaient par les yeux du corps, ils l'aient par une présence spirituelle, et le distinguent par l'œil de l'esprit : et c'est cela, avoir par la foi6. En second lieu, en leur montrant le chemin pour aller vers ce lieu - Il monte en ouvrant le chemin devant eux1. En troisième lieu, en priant pour eux - Sy approchant par lui-même de Dieu, il peut sauver8. - Celui qui monte sur le ciel est ton aide9. En quatrième lieu, en les attirant en haut - Entraîne-moi à ta suite10. - Si vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d'en haut11. En cinquième lieu, en leur envoyant l'Esprit-Saint - L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié 1.

1. Jn 13, 36.

2. A savoir les versets 2 et 3 : Sinon je vous l'aurais dit : je vais vous préparer un lieu, et : Quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé un lieu.

3. Saint Thomas distingue les deux ordres liés à la finalité : l'ordre d'intention où la finalité est première et où tout est ordonné en fonction d'elle ; l'ordre d'exécution qui est l'ordre des moyens en vue de la fin, impliquant l'aspect de la réalisation.

4. Tract, in Io., LXVIII, 1, BA 74A, p. 231-233.

5. Cf. He 11, 1. Rappelons la manière dont saint Thomas distingue la foi et l'opinion de l'intelligence et de la science : « La foi implique une adhésion de l'intelligence à ce que l'on croit. Mais l'intelligence adhère à quelque chose de deux façons. D'une manière, elle adhère parce qu'elle y est portée par l'objet lui-même, qui est connu soit par lui-même, comme il se voit dans les principes premiers, soit par autre chose, comme il se voit dans les conclusions qui sont matière de science. De l'autre manière, l'intelligence adhère à quelque chose sans y être pleinement portée par son objet propre, mais en s'attachant volontairement par un choix à un parti plutôt qu'à un autre. Et si l'on prend ce parti avec une hésitation ou une crainte à l'égard de l'autre, on aura une opinion ; mais si l'on prend parti avec certitude et sans aucun reste d'une telle crainte, on aura une foi. Or lorsqu'on dit qu'on voit les choses, c'est qu'elles forcent notre esprit ou nos sens à prendre connaissance d'elles. D'où il est manifeste que ni la foi ni l'opinion ne peuvent avoir pour objet des choses qui seraient vues soit par les sens soit par l'esprit » {Somme théo1., II-II, q. 1, a. 4, c. ; voir aussi II-II, q. 1, a. 5, ad 4). Saint Thomas montre ici que la foi en le mystère de l'Incarnation ne porte pas seulement sur la divinité du Christ. Lorsque la présence corporelle du Christ disparaît, la foi des disciples porte également sur son nouveau mode de présence, une « présence spirituelle ».

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXVIII, 3, BA 74A, p. 237 : « Celui qui pérégrine loin du Seigneur a besoin de vivre de la foi parce qu'il est préparé par elle à contempler la réalité ».

7. Mi 2, 13.

8. He 7, 25. Voir ci-dessous, n° 1910, note 2.

9. Dt 33, 26.

10. Ct 1, 3.

11. Col 3, 1.

1860. Or l'accomplissement de la glorification du Christ eut lieu dans son Ascension ; et c'est pourquoi, aussitôt qu'il est monté, il a envoyé l'Esprit Saint à ses disciples. Ainsi, il leur a prédit un départ corporel, en disant : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU ; et ensuite il leur promet un retour spirituel, en disant : JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI. Je viendrai à la fin du monde - Il reviendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel2. ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, glorifiés en votre âme et votre corps - Nous serons emportés avec eux dans les nuées, au-devant du Christ, dans les airs3.

1861. Mais les esprits des Apôtres ne sont-ils pas pris par le Christ auprès de lui avant la fin du monde ? À cela il faut répondre que l'opinion des Grecs est que les saints n'entrent pas au paradis avant le jour du jugement. Mais s'il en était ainsi, alors c'est en vain que l'Apôtre aurait eu le désir d'être avec le Christ4. Et c'est pourquoi il faut dire qu'aussitôt que notre maison terrestre a été détruite5, quant à notre âme nous sommes avec le Christ. Et ainsi, ce qu'il dit - JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI - peut s'entendre de la venue spirituelle par laquelle le Christ visite toujours l'Église des fidèles, et vivifie n'importe lequel des saints dans la mort. Et le sens serait : JE VIENDRAI DE NOUVEAU vers l'Église de manière spirituelle et continue, ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, c'est-à-dire je vous affermirai dans la foi et dans mon amour - Mon bien-aimé est monté dans le parterre des aromates6, c'est-à-dire dans l'assemblée des saints, pour qu'il paisse, c'est-à-dire qu'il se délecte dans leurs vertus, et cueille des lis, c'est-à-dire qu'il attire à lui les âmes pures, quand il vivifie les saints dans la mort.

1862. Ensuite il montre le fruit, en disant : POUR QUE LÀ OU MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI, c'est-à-dire : où est la Tête, que soient les membres ; où est le Maître, que soient les disciples - Où sera le corps, là aussi s'assembleront les aigles7. - Où moi je suis, là aussi sera mon serviteur8.

b) Le chemin par lequel il devait s'en aller.

1863. Plus haut le Seigneur a fortifié ses disciples quant à son départ, leur promettant qu'ils auraient accès auprès du Père ; ici il parle du chemin par lequel ils vont vers le Père. Or on ne connaît pas un chemin sans son terme, et c'est pourquoi il parle aussi du terme ; et il présente d'abord le chemin et le terme, comme étant connus d'eux ; après quoi il manifeste ce qu'il a présenté [n° 1865].

1. Jn 7, 39.

2. Ac 1, 11.

3. 1 Th 4, 16.

4. Cf. Ph 1, 23 : Et je me sens pressé des deux côtés, désirant d'être dissous et d'être avec le Christ, chose bien meilleure pour moi.

5. Cf. 2 Co 5, 1.

6. Ct 6, 1. La Vulgate dit : Dilectus meus descendit, mon bien-aimé est descendu.

7. Mt 24, 28. Saint Thomas commente : « Remarquez qu'en hébreu on trouve anathe, ce qui est la même chose que cadavre, aussi a-t-il voulu désigner la Passion du Christ, parce qu'alors le Christ viendra montrant les marques de sa Passion, et il emploie une comparaison : Où sera le corps, là aussi s'assembleront les aigles. - Nous serons emportés dans les nuées à la rencontre du Seigneur (1 Th 4, 16). Mais certains sont des aigles, et d'autres des vautours et des corbeaux. Mais il ne dit pas "les vautours" ou "les corbeaux", mais les aigles, qui désignent les saints - Ils déploieront leurs ailes comme des aigles, ils voleront et ne s'épuiseront pas (Is 40, 31). Ainsi, comme le dit Jérôme, partout où il sera fait mémoire de la Passion du Christ, les saints doivent être rassemblés par la mémoire continuelle de sa Passion - Rappelez-vous les jours d'autrefois où, illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10, 32) » (Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Voir aussi vo1. I, n° 1558, note 10, le commentaire de 1 Th 4, 15. Voir aussi ci-dessous, n° 2256, note 4.

8. Jn 12, 26.

Le Christ présente le chemin et le terme.

ET OU MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN. (14, 4)

1864. À ce propos, il faut savoir que le Seigneur avait dit : QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU vers vous. Parce que les disciples lui demanderaient peut-être où il allait, comme ci-dessus Pierre a demandé : Seigneur, où vas-tu ? ', le Seigneur, sachant cela2, leur dit : ET OÙ MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS

SAVEZ LE CHEMIN. En effet, je vais vers le Père, que vous connaissez, car je vous l'ai manifesté - J'ai manifesté ton nom aux hommes3. Or le chemin par lequel je vais, je le suis, moi que vous connaissez - Nous avons vu sa gloire4. C'est donc à juste titre qu'il a dit : OÙ MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN, parce qu'ils connaissaient le Père par le Christ, et avaient appris à connaître le Christ en vivant avec lui5, et par sa présence.

Il rend clair ce qu'il a affirmé.

1865. Le Seigneur éclaire ensuite ce qu'il a affirmé ; et l'Évangéliste commence par présenter l'occasion de cette révélation (manifestatio), puis il donne cette révélation [n° 1867].

THOMAS LUI DIT : « SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OÙ TU VAS. ET COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? » (14, 5)

1866. L'occasion de la révélation faite ici par le Christ fut le doute de Thomas qui interroge. THOMAS LUI DIT : « SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OÙ TU VAS. ET COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? » Là, remarque que Thomas nie les deux choses que le Seigneur a affirmées ; car le Seigneur a dit qu'ils savaient à la fois le chemin et le terme du chemin ; or Thomas dit qu'il ne sait pas le chemin, ni le terme ; cependant l'un et l'autre sont vrais. Car il est vrai qu'ils savaient, cependant ils ne savaient pas qu'ils savaient6. En effet, beaucoup savaient à propos du Père et du Fils des choses qu'ils avaient apprises du Christ ; mais ils ignoraient que le Père était celui vers qui le Christ allait et que le Fils était le chemin par lequel il allait. En effet, il est difficile d'aller vers le Père ; et il n'est pas étonnant qu'ils l'aient ignoré, parce que, bien qu'ils connussent parfaitement le Christ en tant qu'homme, ils reconnaissaient cependant imparfaitement sa divinité - L'oiseau a ignoré son sentier7.

Et il ajoute : COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? La connaissance du chemin dépend en effet de la connaissance du terme ; donc, parce que le terme nous est inconnu - Il habite une lumière inaccessible 8 -, son chemin nous est impénétrable, selon ce passage de l'Épître aux Romains : Ses chemins sont impénétrables \

1. Jn 13, 36.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIII, 2, PG 59, co1. 387 : « En disant : "Vous savez", il dévoile le désir de leur esprit et leur donne l'occasion de l'interroger ».

3. Jn 17, 6.

4. Jn 1, 14.

5. Saint Thomas utilise le mot conversatio.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIX, 1, BA 74\ p. 245 : « C'est donc qu'ils savaient et qu'ils ignoraient qu'ils savaient. Que le Seigneur les convainque qu'ils savent déjà ce qu'ils pensent ne pas savoir encore ».

7. Jb 28, 7.

8. 1 Tm 6, 16. Voir vo1. I, n° 454, note 11.

II

JÉSUS LEUR DIT : « MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI. SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE. ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU. » (14, 6-7)

1867. Le Seigneur révèle ensuite les deux choses qu'il leur avait annoncées. D'abord le chemin et son terme ; ensuite le fait qu'ils connaissaient l'un et l'autre [n° 1876].

MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI.

En premier lieu, il révèle ce qu'est le chemin ; en second lieu ce qu'est le terme [n° 1873].

1868. Le chemin, comme il a été dit, est le Christ lui-même, et c'est pourquoi il dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. Et cette affirmation n'est pas sans raison, car par lui nous avons accès auprès du Père, comme il est dit dans l'Épître aux Romains2. Cela convient aussi à son propos : il veut montrer clairement le doute du disciple qui l'interroge.

Et parce que ce chemin n'est pas distant du terme mais lui est conjoint, il ajoute : LA VÉRITÉ ET LA VIE ; et ainsi lui-même est en même temps le chemin et le terme. Le chemin, certes, selon son humanité, le terme selon sa divinité. Ainsi donc, selon qu'il est homme, il dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN ; et selon qu'il est Dieu, il ajoute : LA VÉRITÉ ET LA VIE. Ces deux mots désignent de manière convenable le terme de ce chemin.

Car le terme de ce chemin est la fin du désir humain. Or l'homme désire avant tout deux choses : premièrement, la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre ; en second lieu la conservation3 de son être, ce qui est commun à toutes les réalités. Or le Christ est le chemin pour parvenir à la connaissance de la vérité, bien que cependant il soit lui-même la Vérité - Conduis-moi, Seigneur, dans ta vérité et que je marche dans ta voie4. Le Christ est aussi le chemin pour parvenir à la vie, bien qu'il soit lui-même la Vie - Tu m'as fait connaître les chemins de la vie5. Et c'est pourquoi il a désigné le terme de ce chemin par la vérité et la vie ; ces deux mots ont été dits plus haut à propos du Christ. Il a d'abord été dit qu'il est lui-même la Vie - En lui-même était la vie -, et ensuite qu'il est la Vérité, parce qu'il était la lumière des hommes6, et que la lumière est la vérité.

1869. Il faut noter que ces deux termes conviennent en propre, par eux-mêmes, au Christ. La vérité, en effet, lui convient par soi parce que lui-même est le Verbe. La vérité, en effet, n'est rien d'autre que l'adéquation de la réalité à l'intelligence ], qui se fait quand l'intelligence conçoit la réalité telle qu'elle est. Donc la vérité de notre intelligence appartient à notre verbe2, qui en est la conception. Mais cependant bien que notre verbe soit vrai, il n'est pourtant pas la vérité elle-même, puisqu'il n'existe pas par lui-même mais qu'il provient de l'adéquation à la réalité conçue. Donc la vérité de l'intelligence divine appartient au Verbe de Dieu. Mais parce que le Verbe de Dieu est vrai par lui-même, puisqu'il n'est pas mesuré par les réalités mais que les réalités, dans la mesure où elles sont vraies, parviennent à sa ressemblance, de là vient que le Verbe de Dieu est la Vérité elle-même. Et parce que nul ne peut connaître la vérité s'il n'adhère pas à la Vérité, il faut que tout homme qui désire connaître la vérité adhère à ce Verbe.

1. Rm 11, 33.

2. Cf. Rm 5, 2 : Lui à qui nous devons d'avoir accès, par la foi, à cette grâce où nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu.

3. Saint Thomas, en disant sui esse continuationem, parle en effet de la conservation de l'être, concernant toutes les réalités. Dans la question de la Somme théologique où il traite de la loi naturelle, saint Thomas distingue trois niveaux : « C'est selon l'ordre des inclinations naturelles que se prend l'ordre des préceptes de la loi naturelle. En effet, il y a en premier lieu dans l'homme une inclination à chercher le bien, selon la nature, qu'il a en commun avec toutes les autres réalités : toute réalité recherche la conservation de son être, selon sa nature propre. (...) En second lieu, il y a dans l'homme une inclination à chercher certains biens plus spéciaux, correspondant à la nature qui lui est commune avec les autres animaux. Ainsi appartient à la loi naturelle ce que "la nature enseigne à tous les animaux", comme l'union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc. En troisième lieu, il y a dans l'homme une inclination à chercher le bien correspondant à sa nature rationnelle, qui lui est propre : ainsi a-t-il une inclination naturelle à connaître la vérité sur Dieu, et à vivre en communauté » (Somme théol, I-II, q. 94, a. 2, c).

4. Ps 85, 11. La Vulgate dit l'inverse : Conduis-moi, Seigneur, dans ta voie, et que je marche dans ta vérité.

5. Ps 15, 11. Saint Thomas commente : « Cela s'applique au Christ pour ses membres ; et ces chemins sont ses enseignements et ses préceptes, qui sont des chemins vers la béatitude - Garde mes commandements et tu vivras (Pr 7, 2). Et c'est pourquoi il dit : Tu m'as fait connaître les chemins de la vie » (Exp. in Psalmos, 15, n° 7).

6. Jn 1, 4.

Quant à la vie, elle lui convient en propre parce que toute réalité qui a par elle-même quelque opération est dite vivante. Et on dit non vivantes les réalités qui n'ont pas par elles-mêmes le mouvement. Parmi les opérations de la vie, il y a avant tout les opérations intellectuelles : c'est pourquoi l'intelligence elle-même est dite vivante, et son action est une certaine vie. Or en Dieu l'acte d'intelligence et l'intelligence ne font qu'un3 : d'où il est manifeste que le Fils, qui est le Verbe de l'intelligence du Père, est sa vie. Ainsi donc le Christ s'est désigné lui-même comme le Chemin, et le chemin conjoint au terme : parce que lui-même est le terme ayant en lui tout ce qui peut être désiré, puisqu'il est la Vérité et la Vie.

1870. Si donc tu cherches par où passer, accueille le Christ, parce qu'il est lui-même le Chemin - Voici le chemin, marchez-y 4. Et Augustin dit5 : « Avance par l'homme, et tu parviendras à Dieu. » II vaut mieux en effet boiter sur le chemin qu'avancer fermement en dehors du chemin. Car celui qui boite sur le chemin, même s'il avance peu, s'approche du terme ; quant à celui qui marche en dehors du chemin, plus il court fermement, plus il s'éloigne du terme. Mais si tu cherches où aller, adhère au Christ, parce que lui-même est la Vérité à laquelle nous désirons parvenir - Ma bouche méditera ta vérité6. Si tu cherches où demeurer, adhère au Christ parce que lui-même est la Vie - Celui qui me trouvera, trouvera la vie7.

Adhère donc au Christ si tu veux être en sûreté : en effet tu ne pourras pas dévier, parce qu'il est lui-même le Chemin. Aussi ceux qui adhèrent à lui ne marchent pas où il n'y a pas de route, mais par un chemin droit - Je te montrerai le chemin de la sagesse8. Et, au contraire, il est dit de certains : Ils n'ont pas trouvé le chemin vers une cité habitée9. De même on ne peut être trompé, parce que lui-même est la Vérité et enseigne toute vérité - Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la venté10. De même encore, on ne peut être troublé parce que lui-même est la Vie et donne la vie - Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie, et qu'on l'ait surabondante1. Car, comme dit Augustin2, le Seigneur dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE comme s'il disait : Par où veux-tu aller ? MOI JE SUIS LE CHEMIN. Où veux-tu aller ? MOI JE SUIS LA VÉRITÉ. Où veux-tu demeurer ? MOI JE SUIS LA VIE. En effet, comme le dit Hilaire3, il ne conduit pas par des voies trompeuses, lui qui est le Chemin, il ne trompe pas par des mensonges, lui qui est la Vérité, il ne laisse pas dans l'erreur de la mort, lui qui est la Vie.

1. Pour la créature rationnelle, la vérité est l'adéquation de l'intelligence à la réalité, mais pour l'intelligence divine, vraie en elle-même, qui est mesure et cause de toutes les réalités, la vérité est précisément l'adéquation de la réalité à l'intelligence. Voir Somme théol, I, q. 16, a. 5, c.

2. Sur le sens du mot verbum, voir vo1. I, n° 25.

3. C'est Aristote qui le premier, en contemplant le mystère de Dieu, met en lumière que l'Intelligence première est son acte de penser, et qu'elle se pense elle-même, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus excellent et que « sa pensée est la pensée de la pensée » {Métaphysique, A, ch. 9, 1074 b 34). Voir aussi Somme théol, I, q. 14, a. 4.

4. Is 30, 21.

5. Sermones de Scripturis, 141, IV, PL 38, co1. 777-778. L'éd. Marietti met une seule phrase entre guillemets mais en fait tout l'alinéa est une citation ad litteram, morcelée, du texte de saint Augustin.

6. Pr 8, 7.

7. Pr 8, 35.

8. Pr4, 11.

9. Ps 106, 4.

10. Jn 18, 37.

1871. On peut expliquer cela autrement. Il y a trois choses dans l'homme qui sont liées à sa sainteté, à savoir son action, sa contemplation et son intention4 ; et ces choses sont menées à leur perfection par le Christ. Car pour ceux qui exercent une activité, le Christ est le Chemin ; pour ceux qui persévèrent dans la contemplation, le Christ est la Vérité ; mais il dirige l'intention des actifs et des contemplatifs vers la Vie, c'est-à-dire la vie éternelle5. Il enseigne en effet à aller et à prêcher pour le siècle à venir6. Ainsi donc, le Seigneur est pour nous le chemin par lequel nous allons vers lui, et par lui vers le Père.

1872. Mais puisque lui, qui est le Chemin, va vers le Père, est-il à lui-même son propre chemin ? Comme dit Augustin7, il est le Chemin et celui qui va par le Chemin, et le lieu où il va : c'est pourquoi lui-même va par lui-même vers lui-même. Car en tant qu'homme il est le Chemin : c'est pourquoi il est venu par la chair, en demeurant où il était ; et il s'en va par la chair, sans quitter le lieu d'où il est venu ; par la chair aussi il revient vers lui, la Vérité et la Vie : car Dieu était venu par la chair vers les hommes, la Vérité vers les menteurs, la Vie vers les mortels - Dieu, en effet, est véridique, mais tout homme est menteur91. Or, quand il a quitté les hommes pour aller là où personne ne ment, il a élevé sa chair, lui-même qui est le Verbe fait chair, et par sa chair il est retourné vers la Vérité qu'il est lui-même. Et c'est comme si je disais : mon esprit, tandis que je parle à d'autres, part vers eux, et cependant ne me quitte pas : mais quand je me suis tu, je retourne en quelque sorte vers moi, et je demeure avec ceux à qui je parle. Ainsi donc le Christ, qui pour nous est le Chemin, s'est fait le chemin pour lui-même aussi, c'est-à-dire pour sa chair, pour aller vers la Vérité et la Vie.

1. Jn 10, 10.

2. Serm. de Scr., 142, I, PL 38, co1. 778.

3. La Trinité, VII, 33, SC 448, p. 353-355.

4. Ce sont les trois aspects de l'image de Dieu en l'homme : le dominium (l'action), l'intelligence (la contemplation) et la volonté (l'intention). Mais ces trois aspects sont ici liés à la finalité, à leur acte. Et par ces actes finalisés, l'homme ressemble à Dieu. Sur les différentes similitudes entre Dieu et l'homme, voir ci-dessous, note 5 du n° 1879. Voir aussi Somme théol, I, q. 93, a. 7 et a. 8.

5. Saint Thomas reprend ici le commentaire de Théophylacte sur ce verset (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc., PG 124, co1. 171 C).

6. Cf. Me 10, 30 ; Ep 1, 21.

7. Ce paragraphe reprend les affirmations principales d'un développement plus long du Tract, in Io., LXIX, 2-4, BA 74A, p. 247-259.

PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI.

1873. Il éclaire ensuite les questions qui s'étaient posées à propos du terme du chemin. Or le chemin, qui est le Christ, comme il a été dit, conduit vers le Père. Mais parce que le Père et le Fils sont un, ce chemin conduit aussi à lui-même. Et c'est pourquoi le Christ dit qu'il est le terme du chemin. PERSONNE, dit-il, NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI.

1874. Mais il faut savoir que, comme dit l'Apôtre, personne ne connaît les choses de l'homme si ce n'est son esprit qui est en lui9 ; il faut comprendre : si ce n'est dans la mesure où l'homme veut se manifester. Or quelqu'un manifeste son secret par son verbe, et c'est pourquoi nul ne peut pénétrer le secret de l'homme si ce n'est par le verbe de l'homme. Donc puisque personne ne sait les choses de Dieu si ce n'est l'Esprit de Dieu *, nul ne peut venir à la connaissance du Père si ce n'est par son Verbe, qui est son Fils - Et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils2. Et de même que l'homme, voulant se révéler par le verbe de son cœur qu'il profère par sa bouche, revêt en quelque sorte ce même verbe de lettres ou d'une voix, ainsi Dieu, voulant se manifester aux hommes3, revêt de la chair, dans le temps, son Verbe conçu de toute éternité. Et ainsi nul ne peut parvenir à la connaissance du Père si ce n'est par le Fils. C'est pourquoi il dit : Moi je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé4.

8. Rm 3, 4, qui se réfère au Ps 115, 11.

9. 1 Co 2, 11.

1875. Mais il faut noter, selon Chrysostome, que plus haut le Seigneur dit : Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire5, alors qu'ici il dit : PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI. En cela est montrée l'égalité du Fils et du Père6. Ce qui est le chemin apparaît donc, c'est le Christ ; et ce qui est le terme, c'est le Père.

SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE. ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU. (14, 7)

1876. Il montre ensuite que les disciples connaissent ces deux choses, à savoir le lieu où il va et le chemin, et d'abord il en donne la manifestation ; ensuite il exclut le doute qui s'élève [n° 1882]. Premièrement, il montre que la connaissance qu'on a du Fils ne va pas sans la connaissance qu'on a du Père. En second lieu il manifeste où en sont les disciples par rapport à la connaissance du Père [n° 1880].

1. Ibid.

2. Mt 11, 27. Cf. ci-dessus, n° 1830, note 8.

3. Somme théo1., III, q. 1, Sur les convenances de l'Incarnation. Citons notamment : « Par le mystère de l'Incarnation nous sont manifestées à la fois la bonté, la sagesse, la justice et la puissance de Dieu » (a. 1, sed contra).

4. Jn 10,9.

5. Jn 6, 44.

6. In Ioannem nom., LXXIII, 2, PG 59, co1. 388. Sitôt après avoir rappelé une première parole du Christ (le Père attire vers le Christ, rf· Jn 6, 44), saint Jean Chrysostome plaçait conjointement une autre affirmation grâce à laquelle la conclusion sur l'égalité du Fils avec le Père est plus claire : Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Jn 12, 32). En effet, comment le Père et le Fils peuvent-ils exercer la même attraction s'ils ne sont pas égaux ?

SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE.

1877. Il dit donc en premier lieu : Je vous ai dit que je suis le Chemin, et que vous connaissez le chemin, c'est-à-dire moi ; donc vous savez aussi où je vais, parce qu'on ne peut avoir la connaissance de moi-même sans la connaissance du Père. Et c'est ce qu'il dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE.

1878. Plus haut il dit aux Juifs : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père !1 Pourquoi donc dit-il : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE, alors que plus haut il dit peut-être ? Il semble que là il ait douté de ce qu'ici il affirme.

Mais il faut dire qu'alors il parlait aux Juifs qu'il blâmait ; et c'est pourquoi il ajoute peut-être, non qu'il doute, mais parce qu'il les blâme. Mais ici, il parle aux disciples qu'il instruit : et c'est pourquoi il leur présente la vérité avec une affirmation, en disant : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE, comme s'il disait : Si vous connaissiez ma grâce et ma dignité, vous connaîtriez aussi celles du Père. Car rien ne fait mieux connaître une réalité que son verbe et son image ; or le Fils est le Verbe du Père - Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu8. - Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire, gloire qu 'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité1. Le Fils est aussi l'image du Père - [Lui] qui est l'image du Dieu invisible2. - Lui qui étant la splendeur de sa gloire et l'empreinte de sa substance3. Donc, c'est dans le Fils que le Père est connu, comme dans son Verbe et sa propre image4.

7. Jn 8, 19.

8. Jn 1, 1.

1879. Mais il faut remarquer que, dans la mesure où une chose accède à la ressemblance du Verbe du Père, dans cette même mesure le Père est connu en elle, et de même dans la mesure où cette réalité a quelque chose de l'image du Père. Or, puisque tout verbe créé est une certaine similitude de ce Verbe, et que dans toute réalité on trouve une similitude de la divinité - ou une similitude d'image ou une similitude de vestige5 -, mais une similitude imparfaite, de là vient que ce que Dieu est en lui-même ne peut être connu parfaitement par aucune créature ni par aucune intelligence ni conception d'une intelligence créée6 ; mais seul le Verbe, l'unique engendré, qui est parfait et qui est la parfaite image du Père, connaît et comprend cela même qui est du Père.

Aussi, selon Hilaire7, ces paroles peuvent s'enchaîner autrement. Car quand le Seigneur dit : PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI, Arius, interrogé sur la manière d'aller au Père par le Fils, répond que c'est par l'enseignement de sa doctrine, c'est-à-dire dans la mesure où le Fils instruit les hommes à propos du Père par sa doctrine - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes8. Mais le Seigneur, excluant ceci, dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE, comme pour dire : Arius ou tout autre homme peut bien parler du Père, mais nul n'est assez grand pour que, étant connu, le Père soit connu, si ce n'est le Fils qui est de même nature que lui.

1. Jn 1, 14.

2. Col 1, 15.

3. He 1, 3. Cf. vo1. I, n° 1278, note 4. Voir aussi ci-dessus, n° 1662, note 2.

4. Voir ci-dessus, n° 1712 et note 4.

5. Voir Somme théol, I, q. 33, a. 3 ; q. 45, a. 7. Saint Thomas, pour parler du lien qu'une créature peut avoir avec Dieu, met en lumière quatre similitudes : la similitude de vestige, pour les créatures irrationnelles ; la similitude d'image, pour les créatures rationnelles ; la similitude de grâce, pour ceux qui, ayant reçu le don de la grâce, sont destinés à l'héritage de la gloire éternelle ; la similitude de gloire, pour ceux qui possèdent déjà l'héritage de la gloire (voir q. 33, a. 3, a). Par rapport au mystère de la Très Sainte Trinité, il dit aussi que « dans les créatures rationnelles, en qui il y a l'intelligence et la volonté, on trouve une similitude (similitudo) de la Trinité par mode d'image, en tant qu'on trouve en elles le verbe qui conçoit et l'amour qui procède. Mais dans toutes les créatures on trouve une similitude (similitudo) de la Trinité par mode de vestige » (q. 45, a. 7, a). Il montre également la différence entre le Verbe, Image du Père, et la créature qui est à l'image de Dieu (q. 35, a. 2, ad 3), ainsi que le rapport du Verbe à la créature (q. 34, a. 3). Sur l'image de Dieu chez l'homme, voir aussi op. cit., I, q. 93.

6. Cf. Somme théo1., I, q. 12, a. 7.

7. La Trinité, VII, 33, SC 448, p. 355.

ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU.

1880. Il montre ensuite où en sont les disciples par rapport à la connaissance du Père. Or le Seigneur avait dit plus haut à ses disciples qu'ils connaissaient le Père, en disant : Où moi je vais vous le savez9. Et cela Thomas l'a nié, en disant : Seigneur, nous ne savons pas où tu vas 10. Et c'est pourquoi ici le Seigneur montre que d'une certaine manière ils connaissent le Père, afin de montrer que sa parole est vraie, et que d'une autre manière ils ne le connaissent pas, de sorte que la parole de Thomas est vraie. Il expose par rapport à cela une double connaissance du Père : l'une à venir, l'autre qui était dans le passé.

Donc il dit que DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ. Il dit DORÉNAVANT puisqu'il y a deux connaissances à propos du Père. L'une parfaite, qui est par la vision immédiate de Dieu, et que nous aurons dans la Patrie - Quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui11 ; l'autre imparfaite, qui existe par un miroir et en énigme, et que nous avons par la foi - Nous voyons maintenant par un miroir, en énigme 1. Donc cette parole peut s'entendre de chacune des deux ; et le sens serait : DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, selon une connaissance parfaite, dans la Patrie - Je vous annoncerai des choses à propos du Père ouvertement2 -, comme s'il disait : C'est vrai que vous ne le connaissez pas d'une connaissance parfaite, mais DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, quand le mystère de ma Passion aura été accompli. Ou : DORÉNAVANT, c'est-à-dire après ma Résurrection et mon Ascension et l'envoi de l'Esprit Saint, VOUS LE CONNAÎTREZ d'une connaissance parfaite de foi, parce que, quand viendra l'Esprit Paraclet, celui-là vous enseignera tout3. Ainsi donc, tu dis vrai parce que tu ne le connais pas d'une connaissance parfaite ; mais moi je dis vrai, parce que vous l'avez vu - Après cela il a été vu sur la terre et il a vécu avec les hommes4. Ils ont vu en effet le Christ, selon qu'il a assumé notre chair en laquelle était le Verbe, et dans le Verbe, le Père : c'est pourquoi en lui ils ont vu le Père - C'est de lui que je suis, et c'est lui qui m'a envoyé5.

8. Jn 17, 6.

9. Jn 14, 4.

10. Jn 14, 5.

11. 1 Jn 3, 2.

1881. Mais remarque que le Père n'était pas dans la chair par l'unité de personne, mais il était dans le Verbe incarné par une unité de nature, et le Père était vu dans le Christ incarné - Nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de venté 6.

c) Le Christ dissipe le doute qui s'élève chez son disciple.

1882. Ici, le Seigneur dissipe le doute qui s'élève chez son disciple, et l'Évangéliste nous montre premièrement l'opinion de celui qui doute ; puis il montre comment le Christ chasse ce doute [n° 1884].

L'opinion de celui qui doute.

PHILIPPE LUI DIT : « SEIGNEUR, MONTRE-NOUS LE PÈRE, ET CELA NOUS SUFFIT. » (14, 8)

1883. Il faut savoir qu'auparavant le Seigneur avait promis aux disciples une chose à venir : la connaissance parfaite de Dieu, lorsqu'il a dit : Et dorénavant, vous le connaîtrez7 ; et une autre chose passée : le fait qu'ils l'ont vu. Et Philippe, en entendant cela, croyait qu'il avait vu le Père ; mais il réclame la connaissance en disant : SEIGNEUR, MONTRE-NOUS LE PÈRE - demande qui ne se rapporte pas à la vision mais à la connaissance -, ET CELA NOUS SUFFIT. Cela n'est pas étonnant, puisque la vision du Père est la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions, de sorte qu'il n'y a rien de plus à rechercher - Tu me rempliras de joie par ton visage8, c'est-à-dire par la vision de ton visage. - C'est lui qui remplit de biens ton désir9.

1. 1 Co 13, 12.

2. Jn 16, 25.

3. Jn 14, 26.

4. Ba 3, 38.

5. Jn 7, 29.

6. Jn 1, 14.

7. Jn 14, 7.

8. Ps 15, 11. Voir ci-dessus, n° 1868, note 5.

9. Ps 102, 5.

Le Christ chasse ce doute.

1884. En premier lieu est exposé le rejet du doute, puis est ajoutée la manifestation de ce qui a été dit [n° 1892].

JÉSUS LUI DIT : « JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI LONGTEMPS, ET VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS ? PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE. COMMENT DIS-TU, TOI : "MONTRE-NOUS LE PÈRE" ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? » (14, 9-10)

Le Seigneur commence par reprocher [au disciple] sa lenteur, puis il établit la vérité [n° 1887]. Enfin, il blâme sa demande [n° 1890].

I

JÉSUS LUI DIT : « JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI LONGTEMPS, ET VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS ? »

1885. Autrement dit : du fait de l'intimité 1 prolongée dans laquelle j'ai vécu pendant si longtemps avec vous, vous auriez dû me connaître. Et si vous m'aviez connu, vous connaîtriez aussi le Père. Du fait donc que tu ne connais pas le Père, tu laisses entendre que tu ne me connais pas : et en cela tu dois être blâmé pour ta lenteur - Vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence ?2 - Alors qu'avec le temps vous devriez être devenus des maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers éléments de la parole de Dieu3.

1886. Mais là un doute se présente : plus haut le Seigneur a dit aux disciples qu'ils le connaissaient, quand il a dit : Vous savez le chemin4, or ici il semble dire le contraire en disant : VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS.

Mais il faut dire, selon Augustin5, que parmi les disciples il y en avait qui connaissaient le Christ aussi en tant qu'il était le Verbe de Dieu, et parmi eux, Pierre, qui dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant6 ; et il y en avait d'autres qui ne le connaissaient pas vraiment, parmi lesquels Philippe. À l'égard des premiers, le Seigneur dit donc : ET OÙ MOI JE VAIS, VOUS LE SAVEZ, mais à l'égard des seconds il dit : VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS.

On peut dire autrement. Le Christ pouvait être connu de deux manières : selon sa nature humaine, et de cette manière tous le connaissaient ; quant à cela il dit : ET OÙ MOI JE VAIS, VOUS LE SAVEZ. Et selon sa nature divine, et de cette manière-là ils ne le connaissaient pas encore parfaitement ; c'est pour cela qu'il dit : VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS. C'est évident d'après ce qu'il ajoute : PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, comme pour dire : si vous me connaissiez, vous connaîtriez le Père ; et ainsi tu ne dirais pas : MONTRE-NOUS LE PÈRE, puisque tu l'aurais déjà vu, m'ayant vu - Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père1.

II

PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE.

1887. Mais Sabellius8 a pris là un appui pour son erreur, en disant : pourquoi a-t-il dit : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, sinon parce que lui-même est à la fois le Père et le Fils ?

1. Saint Thomas emploie le mot conversatio. Sur le sens de ce mot, voir vo1. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374, note 13 ; n° 1584, note 2.

2. Mt 15, 16.

3. He 5, 12.

4. Jn 14, 4.

5. Tract, in Io., LXX, 2, BA 74A, p. 267.

6. Mt 16, 16.

7. Jn 8, 19.

8. Au sujet de Sabellius, voir vo1. I, n° 64, note 3.

À cela Hilaire ! répond : s'il en était ainsi, le Seigneur aurait dit : QUI ME VOIT, VOIT LE PÈRE sans aucune conjonction apposée ; mais puisqu'il a ajouté une conjonction, en disant : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, il montre la distinction. Et selon Augustin2, c'est comme si quelqu'un disait en parlant de deux réalités semblables : « Si tu as vu celle-ci, tu as vu aussi celle-là. » Or dans le Fils il y a une similitude du Père absolument parfaite3 ; c'est pourquoi il dit : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE. Mais dans le Fils il y a une similitude encore plus grande que dans les hommes, parce qu'en eux la similitude ne peut jamais être selon la même forme ou la même qualité numériquement, mais seulement selon l'espèce ; alors que, dans le Fils, il y a numériquement la même nature que celle qui est dans le Père ; et voilà pourquoi le Père est vu davantage dans la vision du Fils que dans celle de n'importe quel homme, si semblables qu'ils paraissent.

1888. Il faut noter qu'à partir des paroles qui sont dites ici est exclue l'erreur d'Arius4 quant à deux aspects. Premièrement quant au fait qu'il nie la consubstantialité. En effet, il est impossible que dans la vision d'une substance créée puisse être vue une substance incréée, de même que par la connaissance d'une substance d'un genre donné on ne peut avoir la connaissance d'une substance d'un autre genre. Il est donc manifeste que le Fils n'est pas une substance créée, mais qu'il est consubstantiel au Père : autrement celui qui voit le Fils ne verrait pas le Père5.

Deuxièmement, par rapport à ce que les ariens disent sur ce passage de la première épître à Timothée : Au roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu6, à savoir que seul le Père est invisible, tandis que le Fils dans sa nature aurait été vu souvent : si cela était, il s'ensuivrait aussi que le Père aurait été vu fréquemment, puisque celui qui voit le Fils voit aussi le Père. Donc, puisque le Père est invisible selon sa nature, il est impossible que le Fils ait été vu dans sa nature.

1889. Mais on peut objecter : pourquoi le Seigneur a-t-il blâmé Philippe qui, voyant le Fils, demandait à voir le Père, alors que n'est pas blâmable celui qui, voyant une représentation, voudrait voir la réalité représentée ?

À cela Chrysostome7 répond en disant que Philippe, entendant parler de la vision du Père et de sa connaissance, voulait voir le Père lui-même avec ses yeux de chair, de la même manière qu'il pensait aussi avoir vu le Fils lui-même ; et c'est pourquoi le Seigneur a désapprouvé cela en lui montrant que ce n'est pas le Fils lui-même dans sa nature qu'il a vu avec son œil de chair. Augustin8, quant à lui, dit que le Seigneur n'a pas désapprouvé la demande mais l'esprit de celui qui demandait. Car Philippe dit : MONTRE-NOUS LE PÈRE, ET CELA NOUS SUFFIT, comme pour dire : « Nous, nous te connaissons, mais cela ne suffit pas. » Et ainsi croyait-il que la satisfaction parfaite n'était pas dans la connaissance du Fils mais dans la connaissance du Père. Et par là il semblait juger que le Fils était moindre que le Père. Et c'est cela que le Seigneur a reproché, en disant : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, montrant par là qu'il y a dans la connaissance du Fils la même satisfaction que dans la connaissance du Père.

1. La Trinité, VII, 38, SC 448, p. 363.

2. Tract, in Io., LXX, 2, BA 74A, p. 267-269.

3. Cf. Somme théo1., I, q. 35.

4. Au sujet d'Arius, voir vo1. I, n° 61, note 2.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG59, co1. 401.

6. 1 Tm 1, 17.

7. In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG 59, co1. 400.

8. Cf. Tract, in Io., LXX, 3, BA 74A, p. 271-273 : « Philippe désirait connaître le Père comme si le Père était meilleur que le Fils et, de ce fait, il ne connaissait même pas le Fils puisqu'il croyait que quelque chose était meilleur que lui ».

III

COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE PÈRE » ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ?

1890. Voilà pourquoi ensuite lorsqu'il dit : COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE PÈRE » ?, il blâme sa demande d'abord en elle-même, puis dans sa racine.

Il blâme sa demande en disant : COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE PÈRE » ?, puisque le Père est vu dans le Fils. Philippe pouvait dire assurément : Moi qui ai parlé légèrement, que puis-je répondre ? Je mettrai ma main sur ma bouche 1.

Il blâme cette demande dans sa racine quand il dit : NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ?, comme s'il disait : Tu veux avoir le Père, croyant avoir en lui l'absolu ; mais si tu crois ainsi, TU NE CROIS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOL Car si tu croyais cela, tu espérerais avoir en moi le même absolu que dans le Père.

1891. Or ce qu'il dit : MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET LE PÈRE EST EN MOI, est dit à cause de l'unité d'essence - Moi et le Père, nous sommes un2.

Il faut savoir en effet que l'essence se rapporte autrement à la personne dans les Personnes divines et dans les hommes. Car chez les hommes, l'essence de Socrate n'est pas Socrate, parce que Socrate est quelque chose de composé ; mais dans les Personnes divines, l'essence est identique à la personne selon la réalité, et ainsi l'essence du Père est le Père et l'essence du Fils, le Fils. Donc partout où est l'essence du Père, le Père lui-même est ; et partout où est l'essence du Fils, le Fils lui-même est. Or l'essence du Père est dans le Fils et l'essence du Fils est dans le Père. Donc le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils. Et c'est ainsi qu'Hilaire l'explique3.

d) Le Christ manifeste sa réponse à travers des œuvres.

1892. Ici le Seigneur manifeste sa réponse, en premier lieu à travers les œuvres qu'il fait par lui-même, et en second lieu à travers les œuvres qu'il fera par ses disciples [n° 1897].

1. Jb 39, 34 [BJ 40, 4]. Saint Thomas commente : « II faut ici remarquer que devant Dieu et sa conscience Job ne s'accuse pas de mauvaise foi en ses paroles ou d'orgueil en son intention, car il avait parlé avec pureté de cœur, mais légèreté de langage. C'est-à-dire que même s'il n'avait pas parlé avec un orgueil intérieur, cependant ses paroles semblaient avoir une note d'arrogance, dont ses amis avaient pris occasion pour se scandaliser. Car il faut éviter non seulement le mal mais aussi toute forme de mal - Abstenez-vous de toute forme de mal (1 Th 5, 22) -, et c'est pourquoi il ajoute : Je mettrai ma main sur ma bouche, c'est-à-dire pour ne plus jamais laisser échapper de semblables paroles, et de toutes celles que j'ai dites je me repens » (Exp. super lob, 39, 34, p. 212, 1. 345-357).

2. Jn 10, 30.

3. La Trinité, VII ; 39-41, SC 448, p. 363-371.

Les œuvres faites par le Seigneur lui-même.

Il expose d'abord les œuvres qu'il fait lui-même, puis il conclut par une exhortation sur la foi [n° 1896].

I

LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME. MAIS LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES. NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? DU MOINS CROYEZ À CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES. (14, 10-12)

1893. La foi au Christ en tant que Dieu pouvait être manifestée de deux manières : à partir de son enseignement et à partir de ses miracles. Et plus loin le Seigneur dit les deux : Si je n'avais pas fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché1 - quant aux miracles ; et si je n'étais pas venu et que je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché2 - quant à son enseignement. Et plus haut, les serviteurs des princes des prêtres disent de lui : Jamais un homme n'a parlé ainsi, comme parle cet homme3. Et l'aveugle dit de lui : Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né4.

En se servant de ces deux choses, le Seigneur montre sa divinité. Quant au premier point il dit : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, à savoir par l'instrument de mon humanité, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME, mais de par celui qui est en moi, c'est-à-dire le Père - Moi, ce que j'ai entendu de mon Père, c'est ce que je dis dans le monde5. Donc le Père qui parle en moi est en moi. Mais puisque tout ce que dit un homme, il est nécessaire qu'il le tienne du Verbe premier - or le Verbe premier, c'est-à-dire le Verbe de Dieu, est du Père -, il est donc nécessaire que toutes les paroles (verba) que nous disons viennent de Dieu. Quand donc quelqu'un dit des paroles qu'il tient du Père, le Père est en lui.

Quant au second point il dit : LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES, parce que personne ne pourrait faire les œuvres que moi je fais, sans le Père - Le Fils ne peut rien faire de lui-même6.

1894. Mais Chrysostome7 demande comment le Christ, commençant par des paroles, en est venu aux œuvres. Il a dit en effet : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, et il dit ensuite : LE PÈRE (...) FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES.

Cela se résout de deux manières. D'une première manière selon Chrysostome, qui dit, à la manière dont on les a liés plus haut, qu'il parle d'abord de son enseignement et ensuite de ses miracles. Selon Augustin8, il faut dire que les paroles que le Seigneur disait, il les appelle des œuvres : L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé9. C'est pourquoi, lorsqu'il dit : LE PÈRE FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES, il fait comprendre que ses paroles elles-mêmes sont des œuvres.

1895. Mais remarque que c'est à partir de ces deux aspects pris séparément que des hérésies ont trouvé leur appui : parce que ce qu'il dit - JE SUIS DANS LE PÈRE -, Sabellius l'interprète en disant que le Père et le Fils sont le même. Et ce que Jésus dit : JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME, Arius le comprend en concluant à partir de là que le Fils est moindre que le Père. Mais par cela même les hérésies en question sont exclues. Car si le Père et le Fils étaient identiques, comme Sabellius l'imagine, le Fils ne dirait pas : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME. Et si le Fils était moindre que le Père, selon le blasphème d'Arius, il ne dirait pas l : LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES.

1. Jn 15, 24.

2. Jn 15, 22.

3. Jn 7, 46.

4. Jn 9, 32.

5. Jn8, 26.

6. Jn 5, 19.

7. In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, co1. 401.

8. Tract, in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283-285.

9. Jn 6, 29.

II

NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? DU MOINS CROYEZ À CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES.

1896. Puisqu'à partir des deux affirmations précédentes est manifestée la foi en la Trinité, il conclut en les exhortant à croire : NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? En grec il y a CROYEZ - à savoir, à moi - QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI. Ou bien : II est étonnant que vous ne croyiez pas QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI. Comment cela doit être compris, cela a été expliqué plus haut. Mais remarque qu'avant il a parlé seulement à Philippe, alors qu'à partir du moment où il dit : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS..., il parle à tous les Apôtres en même temps2. Que si les paroles que moi je vous dis ne suffisent pas à montrer la consubstantialité, du moins CROYEZ À CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES3. Plus haut : Les œuvres que le Père m'a données pour que je les accomplisse, ces œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi4. — Si vous ne voulez pas croire en moi, croyez dans les œuvres5.

Les œuvres que le Seigneur devait faire par ses disciples.

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES, PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE. ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI, AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 12-13)

1897. Après avoir manifesté ce qu'il avait dit par les œuvres qu'il faisait par lui-même, ici le Seigneur le manifeste par les œuvres qu'il accomplira par ses disciples ; il expose tout d'abord les œuvres des disciples, puis de quelle manière ils œuvrent [n° 1903].

1. Ce passage reprend un développement quelque peu polémique de saint Augustin (il faut tenir les deux extrêmes de la foi dans le Christ, homme et Dieu), dont on perçoit encore le style ironique (cf. Tract, in Io., LXXI, 2, BA 74A, p. 279).

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXI, 2, BA 74A, p. 279.

3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, co1. 401.

4. Jn 5, 36. 5. Jn 10, 38.

I

Il commence par exposer les œuvres des disciples et, en second lieu, il donne la raison de ce qui a été dit [n° 1902].

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES.

1898. Il dit donc d'abord : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, comme s'il disait : les œuvres que moi je fais sont si grandes qu'elles donnent une preuve suffisante de ma divinité ; mais si elles ne vous suffisent pas, regardez les œuvres que je vais faire par d'autres.

En effet, qu'un homme opère, non seulement par lui-même mais encore par d'autres, des choses extraordinaires, c'est le signe par excellence d'une grande puissance ; et c'est pourquoi il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS - et ces paroles montrent non seulement la vérité de la divinité dans le Christ, mais aussi la puissance de la foi, et l'union du Christ avec les croyants. De même en effet que le Christ opère à cause du Père qui demeure en lui par unité de nature, de même aussi les croyants opèrent à cause du Christ qui demeure en eux par la foi - Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi !.

Or les œuvres que le Christ a faites et que les disciples font par la puissance du Christ sont des œuvres miraculeuses - Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils saisiront des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel, il ne leur nuira point ; ils imposeront les mains sur les malades, et ils seront guéris2.

1899. Mais ce qu'il ajoute est étonnant : ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES. D'une première manière on peut comprendre que le Seigneur fait par ses Apôtres des œuvres plus nombreuses et plus grandes que par lui-même. Le plus grand, en effet, parmi les miracles du Christ, fut que des malades étaient guéris au toucher de la frange de son vêtement3, comme il est rapporté dans Matthieu4. Mais on lit de Pierre dans les Actes des Apôtres que les malades étaient guéris au passage de son ombre5. Or il est plus grand de guérir par son ombre que par la frange de son vêtement6. Deuxièmement, on peut comprendre que le Christ a fait des œuvres plus nombreuses par les paroles de ses disciples que par les siennes. En effet, le Seigneur parle ici des œuvres qui avaient été faites par des paroles, comme le dit Augustin, et il appelait alors œuvres ces paroles qu'il disait et dont le fruit était leur foi7. On lit en effet à propos du Christ dans Matthieu8, qu'à ses paroles le jeune homme ne fut pas déterminé à vendre ce qu'il avait et à le suivre. Car, alors qu'il disait au jeune homme : Va, et vends tout ce que tu as, on ajoute : Il s'en alla triste. Mais à propos de Pierre et des autres Apôtres, on lit dans les Actes9 que ceux à qui ils prêchaient vendaient leurs possessions et tout ce qu'ils avaient et qu'ils en apportaient le prix aux pieds des Apôtres.

1900. Mais quelqu'un pourrait objecter que le Seigneur ne dit pas que ce sont les Apôtres qui feront des œuvres plus grandes, mais [CELUI] QUI CROIT EN MOI. Celui qui n'a pas fait des œuvres plus grandes que le Christ ne doit donc pas être compté parmi ceux qui croient dans le Christ ? Au contraire ! car ce serait dur10. Voilà pourquoi il faut comprendre autrement, et dire que le Christ fait une œuvre double. L'une sans nous, et cela va de soi pour ce qui est de créer le ciel et la terre, relever des morts et autres choses du même genre ; l'autre opérée en nous, mais pas sans nous ; et c'est l'œuvre de la foi, par laquelle l'impie est justifié1. C'est donc de ces œuvres-là que le Seigneur parle ici, celles qui sont communes au croyant et à lui. Et c'est l'œuvre que le Christ fait en nous, mais pas sans nous : tout homme qui croit fait la même chose, puisque ce qui est fait en moi par Dieu est aussi fait en moi par moi-même, à savoir par mon libre arbitre2. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Non pas moi - sous-entendu moi seul -, mais la grâce de Dieu avec moi3. Et de ces œuvres-là il dit : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS, ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES parce qu'il est plus grand de justifier l'impie que de créer le ciel et la terre. Car la justification de l'impie, quant à elle, demeure pour l'éternité - La justice est perpétuelle et immortelle4. Le ciel et la terre, eux, passeront, comme il est dit en Luc5. De même, parce qu'une œuvre matérielle est ordonnée à une œuvre spirituelle : le ciel et la terre sont une œuvre matérielle, tandis que la justification de l'impie est une œuvre spirituelle.

1. Ep 3, 17. Voir vo1. I, n° 1207, note 7.

2. Me 16, 17-18.

3. Pourquoi est-ce le plus grand miracle ? Ressusciter n'est-il pas Plus grand ? Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCI, 3, BA 74B, p. 207-209.

4. Voir Mt 9, 20.

5. Voir Ac 5, 15.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283.

7. Ibid. Saint Augustin donne comme exemple, outre la guérison par le seul effet de l'ombre et la conversion de riches, le fait que les disciples aient conduit des foules à la foi, et il rapporte la parole du Christ : Sans moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5 ; cf. LXXII, 1, BA 74A, p. 287).

8. Voir Mt 19, 21-22.

9. Cf. Ac 4, 34-35.

10. Cf. saint Augustin, auquel se rattache aussi tout le développement suivant (Tract, in Io., LXXII, 1, BA 74A, p. 287-291) contenant la formule : « Faire des choses plus grandes par lui qu'en dehors de lui n'est pas abaissement, mais condescendance ».

1901. Mais ici se présente un doute. Car dans la création du ciel et de la terre est incluse aussi la création des saints et des anges bienheureux. Celui qui coopère avec le Christ en vue de sa justification fait-il donc des choses plus grandes que de créer un ange ?

1. Selon saint Thomas, les deux grands effets de la grâce en nous sont la justification de l'impie (effet de la grâce opérante) et le mérite (effet de la grâce coopérante) : voir Somme théol, I-II, q. 113 et 114. Sur la grâce, voir aussi ci-dessus n° 1698, note 7.

2. Au sujet de la coopération de notre libre arbitre à ce don reçu gratuitement de Dieu, citons ce passage de la Somme théologique : « La nature propre de l'homme, c'est d'être doué du libre arbitre. D'où, quand il s'agit d'un homme qui a l'usage de son libre arbitre, la motion que Dieu lui donne pour l'amener à la justice ne va pas sans que s'exerce ce libre arbitre. Dieu communique la grâce de la justification de telle sorte qu'il meut en même temps le libre arbitre à accepter le don de la grâce, et cela dans tous ceux qui sont capables de recevoir cette motion » (I-II, q. 113, a. 3, c). Saint Thomas montre aussi que le caractère méritoire de nos actions vient de cette coopération de notre libre arbitre que Dieu permet et porte : « C'est ainsi que les réalités naturelles parviennent par leurs mouvements et leurs opérations propres à ce à quoi elles sont ordonnées par Dieu, mais cependant différemment. La créature raisonnable se porte d'elle-même à l'action par son libre arbitre, c'est pourquoi son action est méritoire, ce qui n'existe pas dans les autres créatures » (I-II, q. 114, a. 1, c).

3. 1 Co 15, 10.

4. Sg 1, 15.

5. Le 21, 33.

Cela, Augustin ne le détermine pas mais il dit : « Que celui qui le peut juge s'il est plus grand de créer des anges justes que de justifier des hommes impies : certainement, si ces deux choses sont égales en puissance, cette dernière est d'une plus grande miséricorde. »6 Or si nous regardons avec grande attention de quelles œuvres le Seigneur parle ici, nous ne pouvons préférer la création des anges à la justification de l'impie. En effet, par ce qu'il dit : ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES, il ne faut pas entendre toutes les œuvres du Christ, mais peut-être seulement celles qu'il faisait à ce moment-là. Or c'est par la parole de la foi qu'il les faisait : et certes il est moins grand de prêcher les paroles de la justice - ce qu'il a fait sans nous - que de justifier des impies - ce qu'il fait en nous de telle manière que nous le fassions, nous aussi.

PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE

1902. Il donne ensuite la raison de ce qui a été dit - que celui-là fera des œuvres plus grandes -, en disant : PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE. Et cela peut être interprété de trois manières, selon Chry-sostome7. D'une première manière, en ce sens : moi j'œuvre aussi longtemps que je suis dans le monde mais, une fois que je serai parti, c'est vous qui serez à ma place ; et c'est pourquoi ce que moi je fais, vous, vous le ferez, et même des œuvres plus grandes PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE, et à partir de ce moment-là je ne fais rien par moi-même, c'est-à-dire en prêchant.

D'une autre manière en ce sens : les Juifs croient que, quand j'aurai été tué, la foi [des hommes] en moi va disparaître ; et cela n'est pas vrai, au contraire elle va être augmentée, et vous, vous ferez des œuvres plus grandes PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE ; c'est-à-dire : je ne disparais pas, mais je demeurerai dans ma dignité propre, et je serai dans les cieux - Maintenant a été glorifié le Fils de l'homme \

6. Tract, in Io., LXXII, 3, BA 74A, p. 297-299, repris par saint Thomas dans la Somme théologique, III, q. 43, a. 4, ad 2.

7. In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, co1. 402. Les trois réponses proviennent de ce passage de saint Jean Chrysostome.

D'une troisième manière : vous ferez des œuvres plus grandes, et cela PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE ; comme pour dire : étant donné que je serai glorifié davantage, il convient que je fasse des œuvres plus grandes et aussi, que je vous donne les capacités d'en faire de plus grandes. Voilà pourquoi, avant que Jésus eût été glorifié, l'Esprit ne fut pas donné aux disciples dans la plénitude avec laquelle il a été donné plus tard : L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié2.

II

ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI, AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 13)

1903. Le Seigneur indique ici la manière de réaliser les œuvres ; il montre d'abord son intention, puis il en donne la raison [1906].

ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PERE EN MON NOM, JE LE FERAI.

1904. À ce propos il faut savoir que, puisque le Seigneur a dit : ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES, on pourrait croire, puisque c'est d'après la grandeur des œuvres qu'est reconnue la grandeur de celui qui les fait, que celui qui croit dans le Fils de Dieu deviendra plus grand que lui3 ; le Seigneur exclut cela d'après sa manière de faire, puisque le Fils fait ses œuvres de sa propre autorité, tandis que celui qui croit en lui les fait en faisant appel à lui, et c'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI.

Et là l'égalité des croyants avec le Fils est exclue de trois manières. Premièrement, parce que ceux-là, comme nous l'avons dit, font les œuvres en faisant appel ; c'est pourquoi il dit : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ - Quiconque demande, reçoit*. Deuxièmement, parce qu'ils les font par la puissance du Fils : aussi dit-il EN MON NOM, c'est-à-dire par la puissance de mon nom - Il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés5. Ce nom en effet est au-dessus de tout nom6 - Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire7. Troisièmement, parce que c'est le Fils lui-même qui fait en eux et par eux toutes les œuvres, c'est pourquoi il dit : JE LE FERAI. Et remarque que c'est au Père qu'on demande et que c'est le Fils qui fait : parce que les œuvres du Père et du Fils sont indivisibles - Tout ce que le Père fait, cela le Fils aussi le fait pareillement8. Car le Père fait tout par le Fils - Tout a été fait par lui9.

1905. Mais pourquoi dit-il : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI, alors que nous voyons de ses fidèles demander10 et ne pas recevoir ?

1. Jn 13, 31.

2. Jn 7, 39.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXII, 1, BA 74A, p. 287-289.

4. Mt 7, 8.

5. Ac 4, 12.

6. Ph 2, 9 : C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom.

7. Ps 113 [B], 1.

8. Jn 5, 19.

9. Jn 1, 3.

10. Sur la prière de demande, voir ci-dessous n° 2142, et surtout n° 2177, note 2, et nos 2205-2207.

Mais, selon Augustin1, ici il faut d'abord considérer ce qu'il dit, à savoir EN MON NOM, puis ce qu'il ajoute : JE LE FERAI.

En effet, le nom2 du Christ est le nom du salut - Tu l'appelleras du nom de Jésus : car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés3. Celui donc qui demande quelque chose se rapportant au salut, demande au nom du Christ. Mais il arrive que quelqu'un demande des choses qui ne se rapportent pas au salut pour deux raisons. En raison d'une affection mauvaise ; par exemple, lorsqu'il demande que lui soit accordée quelque chose qui cependant, s'il l'avait, empêcherait son salut. Et c'est pourquoi celui qui demande ainsi n'est pas exaucé parce qu'il demande mal - Vous demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez mal4. En effet, lorsque quelqu'un, à cause d'une affection mauvaise, usera mal de ce qu'il veut recevoir, ce sera une plus grande miséricorde du Seigneur qu'il ne le reçoive pas, parce que le Seigneur ne l'aura pas exaucé selon sa demande mais plutôt en vue de son bien. Car le Seigneur, qui est bon, refuse souvent ce que nous demandons afin d'accorder ce que nous aurions préféré.

Deuxièmement, en raison d'une ignorance, étant donné que parfois quelqu'un demande ce qu'il croit être avantageux pour lui et qui cependant ne l'est pas. Mais c'est plutôt parce qu'il veille sur eux que le Seigneur ne fait pas ce qu'ils demandent. Car Paul, qui a travaillé plus que tous, a demandé par trois fois au Seigneur que s'éloignât de lui l'aiguillon de la chair, et cependant il n'obtint pas ce qu'il demandait parce que cela n'était pas avantageux pour lui5 - En effet, nous ne savons pas ce qu'il convient de demander dans nos prières6. - Vous ne savez pas ce que vous demandez7. Il apparaît donc que lorsque nous demandons quelque chose en son nom, c'est-à-dire au nom de Jésus Christ, cela, lui-même le fera.

Or il dit : JE LE FERAI, dans le futur, et non pas : je le fais, à présent, parce que parfois il tarde à faire ce que nous demandons en vue d'augmenter notre désir, et pour que cela se fasse au moment qui convient - Je vous donnerai les pluies en leur temps8. - Au jour du salut je t'ai exaucé9. Il arrive aussi quelquefois que nous demandions pour un autre, pour lequel peut-être nous ne sommes pas exaucés ; c'est qu'alors sa conduite y fait obstacle - Toi donc, ne prie pas pour ce peuple (...) parce que je ne t'exaucerai point10. - Quand même Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon âme ne serait pas pour ce peuple11.

AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIE DANS LE FILS. SI VOUS ME DEMANDEZ QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE FERAI. (14, 13-14)

1906. Ce passage est lu ainsi par Augustin 12 : ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI. Comme s'il y avait ici un point. Et il reprend : AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, SI VOUS ME DEMANDEZ QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE FERAI ; comme pour dire : la raison pour laquelle je ferai ce que vous demanderez en mon nom, c'est AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, et tout ce que fait le Fils est ordonné à la gloire du Père - Je ne cherche pas ma gloire1.

1. Tract, in Io., LXXIII, 3, BA 74A, p. 309.

2. Sur les noms de Dieu, voir ci-dessus n° 1660, note 7.

3. Mt 1, 21.

4. Je 4, 3.

5. Voir 2 Co 12, 8-9.

6. Rm 8, 26.

7. Mt 20, 22.

8. Lv 26, 3.

9. Is 49, 8.

10. Jr 7, 16.

11. Jr 15, 1. Saint Thomas commente : « Ce n'est pas par un défaut de l'orant que la prière n'est pas exaucée, mais à cause d'un défaut du peuple pour lequel il prie - Et si ces trois justes, Noé, Daniel et Job, sont au milieu d'elle fia maison d'Israël], eux-mêmes, par leur justice, délivreront leurs âmes. (...) Ils ne délivreront ni leurs fils ni leurs filles, mais eux seuls seront délivrés (Ez 14, 14 et 16) » (Exp. super Hier., XV, lectio 1).

12. Tract, in Io :, LXXIII, 4, BA 74A, p. 311.

Ainsi, nous aussi devons ordonner toutes nos œuvres à la gloire de Dieu - Faites tout pour la gloire de Dieu2.

B. LE CHRIST PROMET LE DON DE L'ESPRIT SAINT

SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE PRIERAI LE PÈRE ET IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS. (14, 15-17)

1907. Plus haut le Seigneur a consolé ses disciples de son départ en leur promettant l'accès auprès du Père3 [n° 1848], mais parce qu'il pouvait leur sembler long [d'attendre] d'avoir accès auprès de lui et d'avoir à souffrir, pendant ce temps, d'être sans maître, il les console en leur promettant l'Esprit Saint. Et là il commence par préparer ses disciples à recevoir l'Esprit Saint, puis il leur promet le don de l'Esprit Saint [n° 1911], et en troisième lieu il leur explique la promesse de l'Esprit Saint [n° 1913].

a) Le Christ prépare ses disciples à recevoir l'Esprit Saint.

SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE PRIERAI LE PÈRE.

Cette préparation en vue de recevoir l'Esprit Saint était nécessaire, d'une part du côté des disciples, d'autre part du côté du Christ [n° 1910].

SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS.

1908. Pour les disciples, une double préparation était nécessaire, à savoir l'amour du cœur et l'obéissance des œuvres. Le Seigneur suppose qu'ils ont déjà l'une de ces deux choses, et quant à cela il dit : SI VOUS M'AIMEZ, c'est-à-dire parce que vous m'aimez, ce qui est clair puisque vous vous attristez de mon départ - Vous m'avez aimé4, et vous aussi vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement5. Mais l'autre, il la commande pour le futur ; et quant à cela il dit : GARDEZ MES COMMANDEMENTS, autrement dit : Ne montrez pas l'amour que vous avez pour moi en pleurant mais en obéissant à mes commandements : car c'est cela, le signe manifeste de l'amour - Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole6.

Ces deux choses, donc, préparent à recevoir l'Esprit Saint. En effet, puisqu'il est amour, l'Esprit Saint n'est donné qu'à ceux qui aiment - J'aime ceux qui m'aiment7. De même, il est donné à ceux qui obéissent - Nous, nous sommes témoins de cette chose, nous et l'Esprit Saint que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent1. - Sur lui repose mon Esprit2.

1. Jn8, 50.

2. 1 Co 10, 31.

3. Voir Ep 2, 18 ; He 10, 19.

4. Jn 16, 27.

5. Jn 15, 27.

6. Jn 14, 23.

7. Pr8, 17.

1909. Mais l'obéissance des disciples et leur amour à l'égard du Christ les préparent-ils au Saint-Esprit ? Il semble que non, puisque l'amour3 dont nous aimons Dieu est par (per) l'Esprit Saint - La chanté de Dieu est répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné 4. Quant à l'obéissance, elle est à nous par l'Esprit Saint : Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu5. - J'ai couru sur la voie de tes commandements quand tu as dilaté mon cœur6.

Mais quelqu'un pourrait dire que par l'amour du Fils nous méritons le Saint-Esprit et que, l'ayant reçu, nous aimons le Père ; mais c'est contradictoire, puisque l'amour du Père et du Fils est le même. C'est pourquoi il faut plutôt dire7 qu'il y a ceci de particulier dans les dons de Dieu, que celui qui utilise bien le don qui lui a été accordé mérite de recevoir une grâce et un don plus grands ; et qu'à celui qui l'utilise mal, cela même qu'il a reçu est enlevé. Car, comme on le lit en Matthieu8, au serviteur paresseux a été retiré le talent qu'il avait reçu de son maître parce qu'il ne l'a pas bien utilisé, et ce même talent a été donné à celui qui en avait reçu cinq grâce auxquels il en avait gagné cinq autres. Il en va de même du don du Saint-Esprit. Nul, en effet, ne peut aimer Dieu s'il n'a le Saint-Esprit : car ce n'est pas nous qui devançons la grâce de Dieu, mais c'est elle-même qui nous devance9. Car lui-même nous a aimés le premier10. C'est pourquoi il faut dire que les Apôtres ont d'abord reçu le Saint-Esprit pour aimer Dieu et obéir à ses commandements, mais que, en vue de recevoir le Saint-Esprit avec une plus grande plénitude, il leur était nécessaire de bien utiliser, en aimant et en obéissant, le don du Saint-Esprit qu'ils avaient d'abord reçu. Et le sens est alors : SI VOUS M'AIMEZ, par le Saint-Esprit que vous avez, et si vous obéissez à mes commandements, vous recevrez le Saint-Esprit dans une plus grande plénitude.

1. Ac 5, 32.

2. Is 11, 2 et 42, 1.

3. Saint Thomas emploie le mot dilectio. Sur le sens de ce mot, voir vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612.

4. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n° 1234, note 8.

5. Rm 8, 14. Saint Thomas commente : « On peut comprendre : Tous ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu en ce sens qu'ils sont menés par quelqu'un qui les conduit et les dirige, ce que l'Esprit fait assurément en nous, en tant qu'il nous illumine intérieurement sur ce que nous devons faire - Ton bon Esprit me conduira (Ps 142, 10). Mais parce que celui qui est conduit n'opère pas par lui-même, l'homme spirituel n'est pas seulement instruit par l'Esprit Saint de ce qu'il doit faire, mais son cœur aussi est mû par l'Esprit Saint, c'est pourquoi il y a plus à comprendre dans l'expression : Tous ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu. En effet, de ceux qui sont menés par un instinct supérieur, on dit qu'ils sont mus. C'est pourquoi nous disons des bêtes sauvages qu'elles n'agissent pas mais qu'elles sont menées, parce qu'elles sont mues par leur nature et non par leur propre mouvement commandant leurs actions. Semblablement l'homme spirituel est incliné à faire quelque chose non principalement par le mouvement de sa propre volonté mais par l'instinct de l'Esprit Saint - Car il viendra comme un fleuve violent que l'Esprit de Dieu pousse devant lui (Is 59, 19). Et Luc (4, 1) dit que le Christ était mené par l'Esprit au désert. Cependant cela n'exclut pas le fait que les hommes spirituels agissent par leur propre volonté et leur libre arbitre puisque l'Esprit Saint est source en eux du mouvement même de leur volonté et de leur libre arbitre - C'est Dieu qui opère en nous et le vouloir et le faire selon son bon plaisir (Ph 2, 13) » (Ad Rom. lect., VIII, n° 635).

6. Ps 118, 32.

7. Saint Thomas intègre de nouveau ici une de ces remarques dont saint Augustin a le génie, à la fois pleine de réalisme et riche de sens théologique (voir Tract, in Io., LXXIV, 1-2, ΒA 74A, p. 319-321).

ET MOI JE PRIERAI LE PÈRE.

1910. Une autre préparation était nécessaire, et cette fois de la part du Christ : ET MOI JE PRIERAI LE PÈRE. Ici, il faut savoir que Notre-Seigneur Jésus Christ, en tant qu'homme, est médiateur entre Dieu et les hommes1. De là vient qu'en tant qu'homme, en allant vers Dieu il nous obtient les dons célestes, et en venant vers nous il nous élève et nous ramène à Dieu. Donc, puisqu'il était déjà venu vers nous, et qu'en nous donnant les commandements de Dieu il avait ramené à lui les croyants, il lui restait à retourner vers le Père et à obtenir les dons spirituels - S'approchant par lui-même de Dieu, il peut sauver de façon définitive2. Et il fait cela en priant le Père, comme il le dit lui-même : ET MOI JE PRIERAI LE PÈRE - Montant dans les hauteurs il a fait captive la captivité, il a donné des dons aux hommes3.

8. Voir Mt 25, 24 sq.

9. Saint Thomas précise que la grâce sanctifiante peut se diviser d'une manière convenable en grâce prévenante (qui devance) et grâce subséquente (qui suit) : « II y a cinq effets de la grâce en nous le premier est que notre âme est guérie. Le second est qu'elle veut le bien, le troisième, qu'elle réalise avec efficacité ce bien, le quatrième, qu'elle persévère dans ce bien et enfin le cinquième qu'elle parvient à la gloire. La grâce selon qu'elle cause en nous le premier effet est appelée prévenante à l'égard du second effet, et selon qu'elle cause en nous le second effet, elle est appelée subséquente à l'égard du premier effet » (Somme théo1., I-II, q. 111, a. 3 a). La grâce prévenante manifeste cette présence de Dieu qui nous aime le premier et nous devance dans tout ce que nous faisons. La grâce subséquente nous montre combien Dieu nous relève et nous entraîne toujours à aller plus loin.

10. 1 Jn 4, 10.

Mais ici sois attentif : c'est le même qui demande que le Paraclet soit donné, et qui le donne. Il demande en tant qu'homme, il donne en tant que Dieu. Et il dit : ET MOI JE PRIERAI, pour chasser leur tristesse concernant son départ, puisque c'est ce départ lui-même qui est la raison pour laquelle ils vont recevoir le Saint-Esprit.

b) Le Christ promet l'Esprit Saint.

ET IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET.

1911. Le Christ maintenant promet l'Esprit Saint. Mais remarque que le mot « Paraclet » est grec et signifie soit le consolateur, soit celui qui intercède ; et c'est pourquoi il a dit : IL - à savoir le Père, mais cependant pas sans le Fils - VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET, c'est-à-dire l'Esprit Saint, qui est le consolateur, puisqu'il est l'Esprit d'amour et que l'amour réalise la consolation et la joie spirituelles4 - Le fruit de l'Esprit est chanté, joie (...) 5 -, et qui est aussi celui qui intercède : En effet, nous ne savons ce qu'il convient de demander dans nos prières ; mais l'Esprit lui-même demande pour nous avec des gémissements inénarrables 6.

1. Voir 1 Tm 2, 5. Et He 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24.

2. He 7, 25. Saint Thomas cite ce verset autrement que la Vulgate, qui lit ici : II peut même sauver de façon définitive ceux qui par son entremise s'approchent de Dieu. Et il commente : « On pourrait objecter que celui qui accède à quelqu'un en est distant. Or le Christ n'est pas distant de Dieu. À cela il faut répondre que l'Apôtre par ces mots montre la double nature du Christ, c'est-à-dire la nature humaine selon laquelle il lui convient d'accéder, puisqu'en elle il est distant de Dieu - certes, il n'accède pas d'un état de faute à un état de grâce, mais par la contemplation de l'intelligence portée par l'amour, et l'acquisition de la gloire ; et la nature divine, du fait qu'il dit que c'est par lui-même qu'il a accès à Dieu. En effet, s'il n'était qu'homme il ne pourrait pas par lui-même accéder à Dieu - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire (Jn 6, 44). C'est pourquoi, en disant que le Christ a accès par lui-même, l'Apôtre montre sa puissance - Il marche dans la grandeur de sa puissance (Is 63, 1) » (Ad Heb. lect, VII, n° 371).

3. Ep 4, 8 (cf. Ps 67, 19). Dans la Somme théologique, saint Thomas commente : « Ceux qui avaient été faits captifs par le démon, il les a emmenés avec lui au Ciel, comme en un lieu étranger à la nature humaine, captifs d'une bonne captivité, puisqu'il les avait acquis par sa victoire » (III, q. 57, a. 6, a).

Et s'il a dit : UN AUTRE, c'est pour désigner une distinction personnelle7 dans les personnes divines, contrairement à ce qu'a prétendu Sabellius '.

4. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, co1. 403.

5. Ga 5, 22.

6. Rm 8, 26.

7. Dieu révèle son mystère trinitaire dans l'Écriture et dans le cœur des hommes à qui il donne la foi. Dans la Somme théologique, saint Thomas précise que les deux processions révélées sont la génération du Verbe - Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1, 1) - et la procession de l'Amour - Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet (Jn 14, 16) (Voir I, q. 27, a. 3). Chaque procession implique des relations personnelles, qui sont donc au nombre de quatre : la paternité et la filiation, qui proviennent de la procession du Verbe, la spiration et la procession, qui proviennent de la procession de l'Amour (q. 28, a. 4). Saint Thomas explicite aussi le lien entre les relations et les personnes divines. « En Dieu, nous l'avons dit [q. 28, a. 3], il n'y a de distinction que par les relations d'origine. Et la relation en Dieu n'est pas comme un accident inhérent à un sujet, elle est l'essence divine elle-même. Elle est donc subsistante, comme l'essence divine. De même donc que la déité est Dieu, de même aussi la paternité divine est Dieu le Père, qui est une personne divine. Ainsi la personne divine signifie la relation en tant que subsistante » (q. 29, a. 4, c). « Comme on l'a montré plus haut [q. 29, a. 4], le nom de personne signifie en Dieu la relation comme réalité subsistante dans la nature divine. Or en Dieu il y a plusieurs relations réelles [q. 28, a. 1, a. 3 et a. 4], c'est pourquoi plusieurs réalités subsistantes existent en Dieu. Il y a donc plusieurs personnes en Dieu » (q. 30, a. 1, c). « Les trois relations de paternité, filiation et procession sont qualifiées de propriétés personnelles, comme constituant les personnes : la paternité est la personne du Père, la filiation est la personne du Fils, la procession est la personne de l'Esprit Saint » (q. 30, a. 2, ad 1). Voir aussi saint Augustin, De Trinitate, VII. Voir aussi le Symbole Quicumque, qui fut longtemps attribué à saint Athanase d'Alexandrie, in : H. Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, éd. du Cerf 1996, nos 75-76, p. 27-29. Sur le mystère de la Très Sainte Trinité, voir aussi ci-dessous, nos 1971 et 2063-2065.

1912. À cela on objectera : puisque ce qui est dit « Paraclet » exprime l'action de l'Esprit Saint, en disant UN AUTRE PARACLET il semble désigner une altérité de nature ; car l'altérité d'opération désigne une altérité de nature. L'Esprit Saint est donc d'une autre nature que le Fils.

Je réponds : il faut dire que l'Esprit Saint est consolateur2 et avocat, et de même le Fils. Qu'il soit avocat, cela est dit dans la première épître de Jean : Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ, le Juste3. Et qu'il soit consolateur, cela est dit dans Isaïe : L'Esprit du Seigneur (...) m'a envoyé (...) consoler ceux qui ont pris le deuil dans Sion 4.

1. Sur Sabellius et le sabellianisme, voir vo1. I, n° 64 et note 3.

2. Saint Thomas, en parlant de chacune des personnes de la Très Sainte Trinité, en se fondant sur l'Écriture, cherche quels sont les noms et les propriétés qui peuvent lui convenir, qui sont les plus propres à exprimer son mystère. Au sujet de la troisième personne de la Trinité, il dit : « Dans le monde corporel, le terme spiritus paraît signifier une impulsion et une motion. On donne ce nom de spiritus au souffle et au vent. Or le propre de l'amour est de mouvoir et de pousser la volonté de l'aimant vers l'aimé. Quant à la sainteté, on l'attribue aux choses qui sont ordonnées à Dieu. Donc puisqu'il y a une personne divine qui procède par mode d'amour, de l'amour dont Dieu s'aime, il convient qu'on l'appelle l'Esprit Saint » (Somme théo1., I, q. 36, a. 1, c). Saint Thomas montre ensuite qu'amour et don sont aussi des noms appropriés convenablement à l'Esprit Saint. « On dit que l'Esprit Saint est le nœud (nexus) du Père et du Fils, en tant qu'il est l'Amour. Le Père s'aime lui-même et aime le Fils par une dilection unique, et réciproquement, aussi dans l'Esprit Saint qui est Amour y a-t-il un rapport réciproque entre le Père et le Fils, de celui qui aime à celui qui est aimé. Mais du fait que le Père et le Fils s'aiment mutuellement, il faut que leur amour mutuel qui est l'Esprit Saint procède des deux. Selon l'origine, l'Esprit Saint n'est pas au milieu mais la troisième personne de la Sainte Trinité. Mais selon ce rapport réciproque, il est le nœud qui les unit, procédant de chacun d'eux » (I, q. 37, a. 1, ad 3). Saint Thomas, en assumant la pensée des Pères de l'Église, dira que l'Esprit Saint est aussi usus, « l'usage dans lequel le Père et le Fils jouissent l'un de l'autre », connexio, l'union, qui est l'unité du Père et du Fils, bonitas, la bonté « qui est la raison et l'objet de l'amour et qui a donc une similitude avec l'Esprit divin ». Et enfin l'expression en lui est appropriée à l'Esprit Saint (cf. I, q. 39, a. 8, c). C'est dans le Contra Gentiles, IV, xxii, que saint Thomas parle de l'Esprit Saint comme le Paraclet, le consolateur : « C'est le propre de l'amitié que de se réjouir de la présence de l'ami, de trouver sa joie dans ses paroles et dans ses gestes, de trouver en lui une consolation face à toutes les angoisses. Et dans les tristesses aussi, nous trouvons refuge chez nos amis pour être consolés. Or c'est l'Esprit Saint qui fait de nous des amis de Dieu, et qui le fait habiter en nous, et nous en lui. Il s'ensuit que par l'Esprit Saint nous avons la joie de Dieu et la consolation contre toutes les oppositions et les assauts du monde - Rends-moi la joie de ton salut et soutiens-moi par l'Esprit souverain (Ps 50, 14). - Le royaume de Dieu, c'est la justice, la paix et la joie dans l'Esprit Saint (Rm 14, 17). - L'Église avait la paix, elle se développait et marchait dans la crainte de Dieu, remplie de la consolation de l'Esprit Saint (Ac 9, 31). Et c'est pourquoi le Seigneur appelle l'Esprit Saint, Paraclet, c'est-à-dire consolateur : Le consolateur, l'Esprit Saint... (Jn 14, 26) ». Voir aussi Super Matth. lect., V, n° 423. À part ces quelques textes, saint Thomas parle peu de l'Esprit Saint comme Paraclet. Le lieu où il en parle le plus reste son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean.

Cependant, le Fils et l'Esprit Saint sont consolateur et avocat pour des raisons différentes5, si nous entendons cela selon ce qui est propre aux personnes : en effet, le Christ est dit avocat en tant que, comme homme, il intercède pour nous auprès du Père, et l'Esprit Saint en tant qu'il nous fait demander. De même, l'Esprit Saint est dit consolateur en tant qu'il est l'Amour, formellement ; et le Fils en tant qu'il est le Verbe. Et cela de deux manières : par son enseignement, et en tant qu'il est le Fils, il donne l'Esprit Saint et fait brûler l'amour dans nos cœurs. Ainsi le mot UN AUTRE ne désigne pas une altérité de nature entre le Fils et l'Esprit Saint, mais le mode différent selon lequel l'un et l'autre sont consolateur et avocat.

3. 1 Jn 2, 1.

4. Is 61, 1.

5. Saint Thomas évoque peu le Christ comme le premier Paraclet, le Consolateur. Ce passage du Commentaire sur l'Évangile de saint Jean est sans doute l'un des plus précis dans les œuvres de saint Thomas. Voir aussi Catena aurea in Ioannem, XIV, n° 5 : « Paraclet en latin veut dire avocat. Et on le dit du Christ : Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ, le Juste (1 Jn 2, 1), ou le Paraclet, c'est-à-dire le Consolateur. Ils avaient en effet un unique consolateur qui avait l'habitude de relever et de réconforter par la douceur des miracles et par la prédication. Il nomma l'Esprit Saint un autre Paraclet Qn 14, 16), non à cause de sa nature différente, mais à cause d'une diversité d'opération ».

c) Le Christ explique la promesse de l'Esprit Saint.

AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS. (14, 16-17)

1913. Le Christ explique ici la promesse : premièrement quant à l'action même de donner, deuxièmement quant au don lui-même [n° 1916] et troisièmement quant à ceux qui reçoivent le don [n° 1917].

I

1914. La donation est vraie, puisqu'elle est perpétuelle ; voilà pourquoi il dit : AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT.

En effet, quand quelque chose est donné à quelqu'un pour un temps seulement, ce n'est pas une vraie donation ; mais celle-ci est vraie quand c'est donné pour être possédé à jamais ; et puisqu'il est donné pour demeurer avec eux à jamais, l'Esprit Saint est vraiment donné : ici-bas en éclairant, en enseignant et en suggérant, et plus tard en introduisant à [la réalité] qui va être vue - L'Esprit du Seigneur descendit sur David dès ce jour-là et à jamais1.

Judas, lui, a reçu l'Esprit Saint et cependant l'Esprit Saint n'est pas demeuré toujours avec lui car Judas ne l'a pas reçu pour qu'il demeurât avec lui à jamais, mais seulement selon la justice présente.

Selon Chrysostome2, on peut dire que le Seigneur dit cela pour exclure un soupçon trop humain de la part des disciples. Ils auraient pu en effet soupçonner que ce Paraclet qui leur avait été donné se retirerait d'eux ensuite par la Passion, comme le Christ ; c'est pourquoi il exclut cela en disant : AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, comme pour dire : II ne souffrira pas la mort comme moi, ni ne s'éloignera de vous.

1915. Mais à cela s'oppose ce qui a été dit plus haut à Jean Baptiste : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise3 ; car à partir de là il semble que le fait que l'Esprit Saint demeure toujours avec lui soit propre au Christ, ce qui n'est pas vrai s'il demeure éternellement avec les disciples.

Je réponds : selon Grégoire4, il faut dire que le Saint-Esprit demeure en nous par ses dons. Or certains dons du Saint-Esprit sont nécessaires au salut : et ceux-là sont communs à tous les saints et demeurent toujours en nous, comme la charité, qui ne passe jamais (ainsi que le dit la première épître aux Corinthiens5) puisqu'elle existera même dans le futur. Alors que d'autres ne sont pas nécessaires au salut, mais sont donnés aux fidèles en vue d'une manifestation de l'Esprit - A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée pour le bien des autres6. Ainsi donc, quant aux premiers dons, l'Esprit Saint demeure avec les disciples et les saints pour l'éternité ; mais quant aux seconds dons, il est propre au Christ que l'Esprit Saint demeure toujours avec lui, parce qu'il possède toujours en plénitude le pouvoir de faire des miracles, et de prophétiser, et de réaliser d'autres choses de cette sorte \ Mais il n'en est pas ainsi des autres parce que, comme le dit Grégoire, les esprits des prophètes ne sont pas soumis aux prophètes.

1. 1 S 16, 13.

2. In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, co1. 405.

3. Jn 1, 33.

4. L'éd. Marietti met saint Jean Chrysostome, mais tout ce passage provient en réalité de saint Grégoire le Grand, Morales sur Job, II, lvi, 90-92, SC 32bis, p. 389-393.

5. 1 Co 13, 8.

6. 1 Co 12, 7. Saint Thomas parle ici des charismes qui sont donnés pour le bien des autres. Il les distingue des dons qui proviennent de la grâce sanctifiante et qui sont nécessaires au salut, à la sanctification personnelle. Voir Somme théol, I-II, q. 111, a. 1 sq.

II

L'ESPRIT DE VÉRITÉ

1916. Ce don est le plus excellent, puisque c'est l'ESPRIT DE VÉRITÉ. Le Christ dit ESPRIT pour manifester la subtilité de sa nature. En effet, est appelé « esprit » ce qui est caché et invisible, et c'est pourquoi ce qui est invisible est habituellement appelé esprit. Ainsi l'Esprit Saint lui aussi est caché et invisible - L'Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d'où il vient ni où il va2. C'est également pour montrer sa puissance, puisqu'il nous meut à bien agir et opérer. L'Esprit, en effet, donne une certaine impulsion, et c'est pour cela que nous appelons aussi le vent « esprit » [« souffle »] - Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu3. - Ton Esprit qui est bon me conduira dans une terre droite4.

Et il ajoute DE VÉRITÉ, parce que l'Esprit Saint procède de la Vérité et conduit à la Vérité. En effet, l'Esprit Saint n'est rien d'autre que l'Amour de Dieu. Or la première chose qui pousse à aimer, c'est l'amour. Quand donc quelqu'un est poussé à aimer les réalités terrestres et le monde, il est alors poussé par l'esprit du monde - Or nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu5. Quand il est poussé à des œuvres de la chair, il n'est pas poussé par l'Esprit Saint - Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur esprit0.

1. La plénitude des charismes dans le Christ a pour origine sa plénitude de grâce et sa mission d'annoncer la Bonne Nouvelle. « II est donc manifeste que le Christ a dû, comme premier et principal Docteur de la foi, posséder excellemment tous les charismes » {Somme théol, III, q. 7, a. 7, c).

2. Jn 3, 8. Sur le sens du mot spiritus, voir vo1. I, n° 449, note 3.

3. Rm 8, 14.

4. Ps 142, 10.

5. 1 Co 2, 12.

Mais cet Esprit conduit à la connaissance de la vérité, puisqu'il procède de la Vérité qui dit plus haut : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie7. Car, comme en nous c'est de la vérité conçue et considérée que découle l'amour de la vérité elle-même, de même en Dieu l'Amour procède de la Vérité conçue qui est le Fils. Et comme il procède d'elle, ainsi il conduit à sa connaissance. Plus loin : Lui me glorifiera car il prendra de ce qui est mien8. Et c'est pourquoi Ambroise9 dit que toute vérité, dite par qui que ce soit, est de l'Esprit Saint - Personne ne peut dire « Seigneur Jésus » que dans l'Esprit Saint10. - Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, c'est lui qui rendra témoignage de moi11. Or manifester la vérité convient à la propriété de l'Esprit Saint. En effet, c'est l'amour qui réalise la révélation des secretsI2 - Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître13. - Il annonce à son ami que la lumière (à savoir la vérité) est son partage14.

6. Ez 13, 3.

7. Jn 14, 6.

8. Jn 16, 14.

9. Voir vo1. I, n° 103, note 8.

10. 1 Co 12, 3.

11. Jn 15, 26.

12. Voir Contra Gentiles, IV, xxi : « C'est le propre de l'amitié que l'ami révèle ses secrets à son ami. En effet, puisque l'amitié unit les affections, et fait de deux cœurs comme un seul cœur, celui qui révèle quelque chose à un ami ne semble pas le sortir de son propre cœur. C'est pourquoi le Seigneur dit à ses disciples : Je ne vous appellerai plus serviteurs mais mes amis, car tout ce que j'ai entendu de mon Père je vous l'ai fait connaître (Jn 15, 15). Donc, puisque par l'Esprit Saint nous devenons des amis de Dieu, il convient de dire que c'est par l'Esprit Saint que les mystères divins sont révélés aux hommes - Il est écrit que l'œil n'a pas vu, ni l'oreille entendu, ni qu'il soit monté au cœur de l'homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment ; mais Dieu nous l'a révélé par son Esprit Saint (1 Co 2, 9-10) ».

13. Jn 15, 15.

14. Jb 36, 33 (verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.

III

1917. Or ce sont les croyants qui reçoivent l'Esprit Saint, et à ce sujet il dit : QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR. Et il commence par montrer qui sont ceux à qui il n'est pas donné, puis ceux à qui il est donné [n° 1920].

Il montre d'abord que l'Esprit Saint n'est pas donné au monde, puis il donne la cause pour laquelle il n'est pas donné [n° 1919].

QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR.

1918. Ici le Seigneur appelle « monde » ceux qui aiment le monde. Ceux-là, aussi longtemps qu'ils aiment le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit Saint, car il est l'Amour de Dieu ' : or on ne peut pas aimer à la fois Dieu et le monde d'un amour2 qui finalise - Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui3. En effet, comme le dit Grégoire : « Le Saint-Esprit enflamme chacun de ceux qu'il a remplis pour qu'ils désirent les réalités invisibles. Et puisque les cœurs mondains n'aiment que les réalités visibles, le monde ne reçoit pas l'Esprit Saint, car il ne s'élève pas à l'amour des réalités invisibles. Et, de fait, plus les esprits profanes se répandent au-dehors par leurs désirs, plus ils diminuent la capacité qu'a leur cœur de le recevoir4 » - L'Esprit Saint qui nous éduque fuira le mensonge5.

PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT.

1919. Les dons spirituels ne sont pas reçus s'ils ne sont pas désirés - Elle, la sagesse divine, prévient ceux qui la désirent6 ; et ils ne sont pas désirés s'ils ne sont pas connus de quelque manière7.

Or s'ils ne sont pas connus, cela vient soit de ce que l'homme n'a pas l'intention de les connaître, soit du fait qu'il ne peut pas être capable de cette connaissance. Or les gens du monde n'en ont ni l'intention ni la capacité. En effet, ils n'ont pas l'intention de désirer les dons spirituels, et par rapport à cela il dit : PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS, c'est-à-dire : il n'a pas l'intention de le connaître - Ils ont résolu d'incliner leurs yeux vers la terre8. Et, de plus, ils ne peuvent pas connaître les dons spirituels, et c'est pourquoi il dit : NI NE LE CONNAÎT : car, comme le dit Augustin, « l'amour du monde n'a pas ces yeux invisibles par lesquels l'Esprit Saint ne peut être vu qu'invisiblement9 » - L'homme charnel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu 10. De même que la langue infectée ne goûte pas la bonne saveur à cause de la corruption de son humeur, de même l'âme infectée par la corruption du monde ne goûte pas la douceur des choses célestes 11.

Ou bien, selon Chrysostome 12, je dis qu'IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET, L'ESPRIT DE VÉRITÉ ; mais celui-ci n'assumera pas la chair, parce que LE MONDE NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT, c'est-à-dire : il ne le recevra pas ; c'est vous seuls qui le recevrez.

MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXIV, 4, BA 74A, p. 327.

2. Saint Thomas emploie ici le mot dilectio.

3. 1 Jn2, 15.

4. Moralium libri, V, xxviii, 50, PL 75, co1. 706 A. Saint Grégoire emploie l'expression sinum cordis, littéralement : « le sein de leur cœur ».

5. Sg 1, 5.

6. Sg 6, 14.

7. Saint Thomas rappelle ici que l'amour et le désir présupposent toujours la connaissance. Je ne peux pas aimer ou désirer un bien si je ne le connais pas. Les biens sensibles réclament la connaissance sensible, et les biens spirituels la connaissance de l'esprit. Mais la connaissance ne détermine pas l'amour ; elle en est une condition nécessaire, et c'est le bien qui le détermine.

8. Ps 16, 11.

9. Tract, in Io., LXXIV, 4, BA 74A, p. 327.

10. 1 Co 2, 14. La Vulgate dit homo animalis. Voir ci-dessous, n° 2356, note 4.

11. Cf. ci-dessous, n° 1959.

12. In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, co1. 404-5.

1920. Ici le Seigneur commence par montrer ceux à qui l'Esprit Saint est donné, puis il en donne la raison.

C'est aux fidèles qu'il est donné, et c'est pourquoi il dit : MAIS VOUS, qui êtes mus par l'Esprit Saint, VOUS LE CONNAÎTREZ - Or nous, nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui est de Dieu1 -, et cela parce que vous méprisez le monde - Nous ne contemplons pas ce qui se voit mais ce qui ne se voit pas2.

Or la raison de cela, c'est PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS. Là, note d'abord la familiarité de l'Esprit Saint à l'égard des Apôtres, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS, c'est-à-dire pour votre bien - Ton Esprit qui est bon me conduira sur une voie droite3. - Qu'il est bon, ton Esprit, Seigneur, en toutes choses !4 Note ensuite son inhabitation5 intime, puisqu'il sera en nous, c'est-à-dire au plus intime de notre cœur - Et je mettrai dans leurs entrailles un esprit nouveau 6.

C. LE CHRIST PROMET SA PRESENCE

1921. Plus haut7, le Seigneur a promis l'Esprit Saint consolateur. Mais parce que les Apôtres ne s'appliquaient pas beaucoup à connaître l'Esprit Saint et restaient fixés sur la présence du Christ, une consolation de cette sorte leur paraissait petite ; et pour cette raison, dans cette partie, il leur promet en premier lieu son retour et ensuite ses dons [n° 1952].

a) Il promet à ses disciples son retour.

Il leur promet d'abord une nouvelle venue puis il leur en donne la raison [n° 1931] ; enfin, il exclut le doute du disciple [n° 1938].

La promesse d'une nouvelle venue.

JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS VOUS. ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS. MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ. EN CE JOUR-LÀ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI

1. 1 Co 2, 12.

2. 2 Co 4, 18.

3. Ps 142, 10.

4. Sg 12, 1.

5. Saint Thomas emploie le mot inhabitatio pour désigner la présence des personnes divines dans les créatures spirituelles par la grâce (voir Somme théo1., I, q. 43, a. 3, c. et a. 6, c, et I-II, q. 114, a. 3, ad 3). Voir aussi Ad 1 Cor. lect., III, nos 172-173.

6. Ez 11, 19.

7. Cf. n° 1848.

JE SUIS DANS MON PÈRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS. (14, 18-20)

Le Seigneur commence par leur promettre son retour ; il manifeste ensuite la manière dont il reviendra [n° 1924], et en dernier lieu il annonce déjà le fruit de ce retour [n° 1926].

JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS VOUS.

Au sujet du premier point, il montre premièrement la nécessité de revenir, puis il promet son retour [n° 1923].

JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS.

1922. Il est nécessaire qu'il revienne pour que les disciples ne demeurent pas orphelins. En effet, en grec les orphelins sont ceux qu'on appelle pupilles en latinl ; et de ces petits privés de père, il est dit selon ce passage des Lamentations : Nous sommes devenus comme des orphelins (pupilli) sans père, et nos mères sont comme des veuves2.

Or il faut considérer qu'un homme peut avoir un père de trois manières. À savoir : le père de son origine charnelle - Nous avons eu les pères de notre chair pour nous corriger (...) 3. Et encore, le père par une imitation faussée - Vous, vous êtes issus du diable, votre père4. Enfin, le père par une adoption gratuite - Vous avez reçu l'esprit d'adoption des fils5. Mais ceux qui imitent leur père le diable, Dieu ne les adopte pas comme fils puisqu'il n'y a pas d'accord entre la lumière et les ténèbres, comme il est dit dans la deuxième épître aux Corinthiens6. Et de manière semblable, il n'adopte pas non plus ceux qui sont attachés d'une façon trop sensible à leurs parents car il est dit en Matthieu : Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi7. Celui donc qui sera devenu orphelin, c'est-à-dire qui aura quitté son attachement au péché et abandonnera un attachement sensible à l'égard de ses parents, celui-là Dieu l'adopte comme son fils - Parce que mon père et ma mère m'ont abandonné, le Seigneur, lui, m'a recueilli8. Et encore beaucoup plus celui qui les quitte - Oublie ton peuple et la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté9. Mais il faut noter que le Christ se présente à ses disciples comme un père 10 : en effet, quoique ce nom de père, pris d'une manière personnelle, soit propre à la personne du Père, cependant, pris d'une manière essentielle, il convient à toute la Trinité. Voilà pourquoi il leur a dit plus haut : Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous11.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333.

2. Lm 5, 3.

3. He 12, 9.

4. Jn 8, 44.

5. Rm 8, 15. Voir vo1. I, n° 1461, note 6.

6. Voir 2 Co 6, 15.

7. Mt 10, 37.

JE VIENDRAI VERS VOUS.

1923. Il leur promet sa venue en disant : JE VIENDRAI VERS VOUS. Le Christ était déjà venu vers eux en assumant la chair - Le Christ est venu en ce monde12. Il restait donc trois de ses venues, dont deux sont corporelles : l'une après la Résurrection et avant l'Ascension, c'est-à-dire quand, s'étant éloigné d'eux par sa mort, Jésus vint après sa Résurrection et se tint au milieu des disciples, comme il est dit plus loin 13. L'autre qui aura lieu à la fin du monde - Il viendra de la même manière que vous l'avez vu allant au ciel14. — Ils verront le Fils de l'homme venir dans une nuée avec grande puissance et majesté15. Mais la troisième est spirituelle et invisible : à savoir quand il vient vers ceux qui ont foi en lui, par la grâce, dans la vie ou dans la mort - S'il vient à moi, je ne le verrai pas 1.

8. Ps 26, 10.

9. Ps 44, 11-12.

10. Cette remarque vient de saint Augustin {Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333) qui l'illustre aussitôt par une affirmation de Jésus différente de celle que saint Thomas rapporte : Viendront des jours où l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront (Mt 9, 15).

11. Jn 13, 33.

12. 1 Tm 1,15. Saint Thomas commente : « Le fait qu'il soit venu dans le monde exprime sa double nature : celle de sa divinité, dans laquelle il était avant que le monde apparût - Je suis sorti du Père et venu dans le monde (Jn 16, 28) -, et celle de son humanité, dans laquelle il est apparu. Et, parce qu'il est Dieu, il emplit le ciel et la terre [cf. Jr 23, 24], c'est pourquoi il ne lui convient pas selon sa nature divine d'être dans un certain lieu, mais cela lui convient selon sa nature humaine - Il était dans le monde (Jn 1, 10). - Il est venu chez les siens (Jn 1, 11) » (Ad 1 Tim. lect., I, n° 39).

13. Cf. Jn 20, 19.

14. Ac 1, 11. 15.1x21, 27.

Il dit donc : JE VIENDRAI VERS VOUS, après la Résurrection quant à sa première venue - Mais je vous verrai de nouveau2. De même à la fin du monde - Le Seigneur viendra pour le jugement3. Et encore dans la mort pour vous prendre auprès de moi - Je viendrai vers vous et je vous emporterai près de moi4. Enfin, JE VIENDRAI VERS VOUS en vous visitant spirituellement - Nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure5.

II

ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS. MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ.

1924. Le Seigneur expose ici le mode de sa venue en montrant que cette venue doit être manifestée uniquement aux Apôtres. Et parce qu'ils pouvaient croire qu'il reviendrait encore vers eux selon une existence mortelle, il exclut ensuite cela en disant : ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS.

En expliquant cela premièrement en fonction de son retour après la Résurrection, le sens est : ENCORE UN PEU DE TEMPS, c'est-à-dire : je suis avec vous pour un peu de temps dans cette chair mortelle, et ensuite je serai crucifié, mais après, LE MONDE NE ME VERRA PLUS. Et cela parce qu'après la Résurrection il ne s'est pas manifesté à tous, mais à des témoins fixés d'avance par Dieu6, à savoir ses disciples ; voilà pourquoi il dit : MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, c'est-à-dire glorifié dans mon corps et immorte1.

De cela il leur donne la raison en disant : PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ. Par là, il écarte le doute. En effet, les disciples pourraient dire : Comment te verrons-nous, puisque tu vas mourir ? Est-ce que nous aussi nous mourrons avec toi ? Et c'est pourquoi il dit qu'il n'en sera pas ainsi, puisque MOI JE VIS, c'est-à-dire je vivrai après ma Résurrection - Je fus mort et me voici vivant pour les siècles des siècles7 -, ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ, parce que vous ne serez pas tués tout de suite avec moi - Si c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là8. Ou bien : MOI JE VIS, par ma Résurrection, et VOUS, VOUS VIVREZ, c'est-à-dire, vous vous en réjouirez, puisque les disciples se réjouirent à la vue du Seigneur9.

C'est de cette manière que le mot vivre est pris dans ce passage de la Genèse : Quand Jacob eut entendu [que Joseph régnait en terre d'Egypte] (...) son esprit reprit vie10, à savoir à cause de la joie n.

1925. Mais Augustin12 fait une objection à cette explication : parce que de ce que dit le Seigneur - ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS -, il s'ensuit que les hommes de ce monde ne le verront jamais, ce qui est faux puisqu'ils le verront au jugement - Tout œil le verra 13. À cela, on pourrait dire qu'il est vrai que les hommes de ce monde ne le verront plus : ENCORE UN PEU DE TEMPS ET LE MONDE NE [LE] VERRA PLUS dans cette chair mortelle ; et à cause de cela, Augustin explique ce ENCORE UN PEU DE TEMPS en se référant au second avènement, où il viendra pour juger.

1. Jb 9, 11.

2. Jn 16, 22.

3. Is 3, 14.

4. Jn 14, 3.

5. Jn 14, 23.

6. Ac 10, 41.

7. Ap 1, 18.

8. Jn 18, 8.

9. Jn 20, 20.

10. Gn 45, 26-27.

11. Le lien de cause à effet entre la joie et le renouveau de la vie provient du commentaire de Théophylacte sur ce verset (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 182 C-D).

12. Tract, in Io., LXXV, 3, BA 74A, p. 335.

13. Ap 1, 7.

Et on dit que ce temps jusqu'au jugement est court, en considération de l'éternité - Car mille ans, devant tes yeux, sont comme le jour d'hier qui est passé 1. Et c'est de cette manière que l'Apôtre, dans l'épître aux Hébreux, appelle ce temps « court », en expliquant ce verset d'Aggée : Encore un peu de temps, et moi j'ébranlerai le ciel et la terre 2. ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS, puisque après le jugement les hommes qui aiment le monde et qui sont mauvais ne le verront plus, eux qui iront dans le feu éternel3. Voilà pourquoi, selon une autre lecture d'Isaïe : Que l'impie soit supprimé, afin qu'il ne voie pas la gloire de Dieu4. Mais vous, qui m'avez suivi et qui êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, vous me verrez pour toujours dans l'éternité - Tes yeux verront le roi dans sa beauté5. - Nous serons avec le Seigneur toujours 6. Et cela PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ ; comme pour dire : De même que moi j'ai une vie glorieuse dans mon âme et dans mon corps, ainsi vous aussi - Il réformera le corps de notre misère en le configurant à son corps de gloire7. Et il dit cela parce que notre vie glorieuse est créée à partir de la vie glorieuse du Christ : De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ8. Mais, de lui, il dit au présent : JE VIS, parce que sa Résurrection ne devait pas tarder après sa mort, mais la suivre aussitôt - Je me lèverai au point du jour9 - puisque, comme il est dit dans le psaume : Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption 10. Mais des disciples il dit : VOUS VIVREZ, au futur, parce que la résurrection de leur corps devait être différée jusqu'à la fin du monde - Tes morts vivront, ceux qui m'ont été tués ressusciteront11.

1. Ps 89, 4.

2. Ag2, 7. Cf. He 12, 26.

3. Cf. Mt 25, 41.

4. Is 26, 10. La Vulgate dit : Ayons pitié de l'impie, et il n'apprendra pas la justice : dans la terre des saints il fit le mal, et il ne verra pas la gloire de Dieu.

5. Is 33, 17. Voir vo1. I, n° 1393, note 2.

6. 1 Th 4, 16.

7. Ph3, 21.

8. 1 Co 15, 22.

9. Ps 107, 3.

III

EN CE JOUR-LÀ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.

1926. Ici est montré le fruit de cette venue, qui est la connaissance de ce que les Apôtres ignoraient. En effet, comme il a été dit plus haut12, Pierre ignorait où allait le Christ, c'est pourquoi il disait : Seigneur, où vas-tu ? Cela, Thomas également l'ignorait, ainsi que le chemin par lequel il allait ; c'est pourquoi il disait : Nous ne savons pas où tu vas. Et comment pouvons-nous savoir le chemin ?13 Philippe, quant à lui, ignorait le Père ; c'est pourquoi il demandait : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit14. Et tout cela était causé par leur ignorance d'une seule chose, à savoir comment le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père ; c'est aussi pourquoi le Christ dit à Philippe : Ne crois-tu pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ?15 Il leur en promet donc la connaissance, disant ici : EN CE JOUR-LÀ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS. Et par le fait même tout doute se trouve exclu des cœurs des disciples.

1927. Or cela peut être expliqué de sa venue au moment de la Résurrection, et de sa venue pour le jugement. Mais il faut distinguer une double connaissance des mystères de la divinité. L'une est imparfaite, qui est reçue par la foi ; l'autre parfaite, qui est reçue par la vision (per speciem) ; de ces deux connaissances il est dit : Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, quant à la première, mais alors nous verrons face à face1, quant à la seconde.

10. Ps 15, 10. Voir ci-dessus, n° 1829 et note 2.

11. Is 26, 19. Voir vo1. I, n° 1513, note 3, où saint Thomas lit interfecti tui, ceux qui t'ont été tués.

12. Jn 13, 36.

13. Jn 14, 5.

14. Jn 14, 8.

15. Jn 14, 10.

Il dit donc : EN CE JOUR-LÀ, après ma Résurrection, VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, et cela par la connaissance de la foi, puisque alors, en voyant qu'il était ressuscité et qu'il était avec eux, ils eurent de lui la foi la plus certaine, surtout ceux qui reçurent l'Esprit Saint qui leur enseignait tout2. Ou bien : EN CE JOUR-LÀ, de l'ultime résurrection lors du jugement, vous CONNAÎTREZ, c'est-à-dire clairement par vision (per speciem) - Alors je connaîtrai comme je suis connu3.

1928. Mais que connaîtront-ils ? Deux choses dont il parle plus haut : l'une, que le Père demeurant en moi fait lui-même les œuvres4 ; et quant à cela il dit : QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, c'est-à-dire par la consubstantialité de nature. L'autre, qu'il fera des œuvres par ses disciples, quand il dit : Qui croit en moi fera lui-même aussi les œuvres que moi je fais5 ; et par rapport à cela il dit : ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.

1929. Il faut remarquer ici que, parce que le Seigneur semble établir un rapport semblable entre lui et son Père et entre lui et ses disciples, les ariens voulaient que, de même que les disciples sont moindres que le Christ et ne lui sont pas consubstantiels, de même le Fils soit moindre que le Père et d'une autre substance que lui. Et c'est pourquoi il faut dire que ce qu'il dit : MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, est dit par consubstantialité de nature. Plus haut : Moi et le Père nous sommes un6 et le Verbe était auprès de Dieu \

ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS

1930. Cela se comprend d'une première manière, c'est-à-dire en tant que les disciples sont dans le Christ. En effet, on dit que ce qui est protégé par quelqu'un est en lui, comme le contenu dans ce qui le contient : et de cette façon, on dit que les choses qui sont dans le royaume sont dans le roi. Et à cause de cela il est dit dans les Actes des Apôtres : C'est en lui que nous vivons et que nous nous mouvons, et que nous sommes91. ET MOI je suis EN VOUS, en vous dirigeant de l'intérieur, en œuvrant et en habitant en vous par la grâce - Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi9. - Voulez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ?I0

D'une autre manière, selon Hilaire11. VOUS EN MOI, sous-entendu : vous êtes en moi par votre nature, que j'ai assumée : car en assumant notre nature, il nous a tous assumés - Car nulle part il ne prend des anges, mais c'est la race d'Abraham qu'il prend12. ET MOI je suis EN VOUS, par le fait que vous preniez mon sacrement : car celui qui prend le corps du Christ, le Christ est en lui - Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui13.

D'une autre manière : VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS, sous-entendu : nous le sommes, par un amour mutuel, car il est dit : Dieu est charité : et qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui14. Et ces choses étaient inconnues de vous, mais en ce jour-là vous les connaîtrez.

1. 1 Co 13, 12.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 2, PG 59, co1. 406.

3. 1 Co 13, 12.

4. Jn 14, 10.

5. Jn 14, 12.

6. Jn 10, 30.

7. Jn 1, 1.

8. Ac 17, 28.

9. Ep 3, 17.

10. 2 Co 13, 3.

11. La Trinité, VIII, 15, SC 448, p. 401.

12. He 2, 16.

13. Jn 6, 57.

14. 1 Jn 4, 16.

La raison de cette nouvelle venue.

QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME. OR CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PÈRE ; ET MOI JE L'AIMERAI, ET JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI. (14, 21)

1931. Le Seigneur donne une double raison pour laquelle il doit être vu de ceux qui croient en lui et non du monde. La première, c'est leur amour ' véritable pour Dieu ; la seconde, l'amour véritable de Dieu pour eux [n° 1934].

I

QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME.

1932. Ici, il faut remarquer que l'amour véritable est celui qui se montre et se prouve dans une œuvre ; car c'est par la réalisation d'une œuvre que l'amour est manifesté 2. Puisqu'en effet aimer quelqu'un c'est lui vouloir du bien et désirer ce que lui-même veut3, celui qui ne fait pas la volonté de l'aimé, et n'accomplit pas ce qu'il sait que l'ami veut, ne semble pas aimer vraiment. Celui donc qui ne fait pas la volonté de Dieu ne semble pas l'aimer vraiment ; et c'est pourquoi il dit : QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME, c'est-à-dire qui a un amour véritable envers moi.

1933. Mais remarque bien qu'un homme a d'abord les commandements de Dieu dans son cœur par la mémoire et la méditation continuelle - Dans mon cœur j'ai caché tes paroles*. Mais cela ne suffit pas, s'il ne les garde pas dans une œuvre - Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. La bonne intelligence est à tous ceux qui agissent conformément à cette crainte5. Certains les ont dans leur bouche, en enseignant et exhortant - Que tes paroles sont douces à mon palais Ie Et ceux-là aussi doivent les accomplir par une œuvre car celui qui les accomplira et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des deux7. Voilà pourquoi ceux qui disent et ne font pas sont blâmés par le Seigneur8.

1. Amour traduit ici dilectio.

2. Cf. Saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, co1. 1220 C.

3. Sur l'amour d'amitié, voir vo1. I, n° 1475, note 7, p. 611, et ci-dessus, n° 1837, note 2.

4. Ps 118, 11.

Certains, d'autre part, les ont dans l'oreille, en les écoutant volontiers et avec attention - Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu9. Mais cela ne suffit pas, s'ils ne les gardent pas, car ce ne sont pas les auditeurs de la Loi mais ceux qui l'accomplissent qui seront justifiés10. - Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt, mais en vue de celle qui demeure pour la vie éternelle n.

Celui donc qui a ainsi les commandements de Dieu les garde d'une certaine manière, mais il lui est encore imposé de les garder en persévérant. C'est pourquoi Augustin dit : « Celui qui les a dans sa mémoire et qui les garde dans sa vie, celui qui les a dans ses paroles et les garde dans ses œuvres, celui qui les a par son écoute et qui les garde par son agir, ou celui qui les a par son agir et qui les garde par sa persévérance, c'est celui-là qui m'aime 12. »

5. Ps 110, 10.

6. Ps 118, 103.

7. Mt 5, 19.

8. Cf. Mt 23, 3.

9. Jn 8, 47.

10. Rm 2, 13.

11. Jn 6, 27.

12. Tract, in Io., LXXV, 5, BA 74A, p. 339.

II

OR CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PÈRE ; ET MOI JE L'AIMERAI, ET JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI.

1934. Mais cela, au premier regard, semble absurde. En effet, est-ce que le Seigneur nous aime parce que nous l'aimons ? Loin de là ! Car il est dit : Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui-même qui nous a aimés le premier1. C'est pourquoi il faut dire que nous en avons l'intelligence à partir de ce qui a été dit auparavant : QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME.

En effet, il ne dit pas là qu'il aime parce qu'il garde les commandements ; mais que parce qu'il aime, il accomplit les commandements. Et ainsi il faut dire ici que si quelqu'un aime le Christ, c'est parce qu'il est aimé par le Père, et non pas qu'il est aimé parce qu'il aime. Nous aimons donc le Fils parce que le Père nous aime. Car le propre du véritable amour, c'est qu'il entraîne ceux qui sont aimés à l'amour de celui qui les aime - D'un amour éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré, ayant pitié de toi2.

1935. Mais parce que l'amour du Père n'est pas sans l'amour du Fils, l'amour de l'un et de l'autre étant le même - Car tout ce que le Père fait, cela le Fils aussi le fait pareillement3 -, il ajoute : ET MOI JE L'AIMERAI. Mais puisque le Père et le Fils aiment toutes choses de toute éternité, pourquoi dit-il JE L'AIMERAI, au futur ?

Il faut donc dire que l'amour, en tant qu'il est dans la volonté divine, est éternel ; mais que, en tant qu'il est manifesté dans la réalisation d'une œuvre et d'un effet, il est tempore1. Et c'est pourquoi le sens est : ET MOI JE L'AIMERAI, c'est-à-dire : je montrerai l'effet de mon amour (dilectio), puisque de fait JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI, « c'est-à-dire je l'aimerai pour me manifester4 ».

1936. Or il faut savoir que l'amour de quelqu'un pour un autre est tantôt relatif à quelque chose, tantôt absolu5 : relatif à quelque chose quand il veut pour lui quelque bien particulier, et absolu quand il veut pour lui le bien tout entier. Or Dieu aime toutes les réalités causées d'une manière relative puisqu'il veut un certain bien pour toute créature, même pour les démons, à savoir qu'ils vivent, qu'ils pensent et qu'ils soient - et ce sont des biens. Mais il aime d'une manière absolue ceux pour qui il veut le bien tout entier, c'est-à-dire qu'ils possèdent Dieu lui-même, ce qui est posséder la vérité, puisque Dieu est la Vérité. Or la vérité est possédée quand elle est connue. Dieu aime donc véritablement et d'une manière absolue ceux à qui il se manifeste lui-même, lui qui est la Vérité. Et c'est ce qu'il dit : JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI, c'est-à-dire dans le futur par la gloire, qui est l'effet ultime de la béatitude future - Il annonce à son ami que la lumière est son partage6. - La sagesse prévient ceux qui la désirent''.

1937. Mais quelqu'un pourrait dire : le Père ne se manifestera-t-il pas ? Si : et le Père, et le Fils ; car le Fils manifeste en même temps et le Père et lui-même, puisqu'il est son Verbe - Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler1. Cependant si, pour un temps, le Fils se manifeste à quelqu'un d'une manière particulière, c'est un signe de l'amour divin. Cela peut donc être la raison pour laquelle le monde ne le verra pas : il ne se manifestera pas à lui, et cela parce que le monde ne l'aime pas.

1. 1 Jn 4, 10.

2.Jr 31, 3.

3. Jn 5, 19.

4. Saint Augustin, Tract, in 7o.,.LXXV, 5, BA 74A, p. 341.

5. Cette distinction entre ce qui est relatif, secundum quid, et ce qui est absolu, simpliciter, est souvent employée par saint Thomas. Il s'en sert pour mettre en lumière la réalité qui, découverte comme principe, absolu, n'est jamais choisie pour autre chose, mais au contraire pour elle-même car elle est première et source de ses effets qui sont relatifs. Ainsi, elle lui permet ici de distinguer l'amour du bien-fin, c'est-à-dire l'amour de Dieu, de l'amour des biens relatifs, utiles, l'amour des biens particuliers, des moyens.

6. Jb 36, 33 (propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.

7. Sg 6, 14.

Le Christ écarte le doute de son disciple.

1938. Plus haut le Seigneur a promis sa venue à ses disciples [n° 1921] ; ici il écarte le doute du disciple. L'Évangéliste expose d'abord le doute du disciple, puis la réponse du Christ [n° 1940].

JUDAS, NON CELUI APPELÉ L'ISCARIOTE, LUI DIT : « SEIGNEUR, QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS ET NON AU MONDE ? » (14, 22)

1939. Il faut savoir à ce propos que c'est une habitude des saints et des humbles, quand ils entendent de grandes choses à leur sujet, d'être stupéfaits et de s'étonner. Or les disciples avaient entendu le Seigneur dire : Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi je vis et que vous, vous vivrez2. En cela il semblait préférer les Apôtres au monde entier : et c'est pourquoi Judas, le frère de Jacques dont l'épître fait partie des écrits canoniques, en état d'étonnement et de stupéfaction, dit : SEIGNEUR, QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS ? Comme pour dire : Quelle en sera la cause ? Sommes-nous au-dessus du monde tout entier ? David a dit quelque chose de semblable : Qui suis-je, moi, et quelle est ma maison ?3 Dans Matthieu, les justes disent : Seigneur, quand t'avons-nous vu ayant faim et t'avons-nous rassasié ? 4

1. Mt 11, 27 ; Le 10, 22. Saint Thomas commente : « Le Fils connaît par compréhension. Parce qu'il connaît parfaitement et qu'il est connaissable, il a donc le pouvoir de révéler comme le Père. C'est pourquoi il dit : Et celui à qui le Fils veut le révéler. En effet, la manifestation se fait par le Verbe - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes Gn 17, 6). - Personne n'a jamais vu Dieu (Jn 1, 18), mais lui le connaît. Donc il a pu manifester. Ce qu'il avait donc dit du Père, il se 1 attribue. Il avait dit en effet : Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, tu les as révélées aux tout-petits (Mt 11, 25). Cela aussi le Fils le peut, du fait qu'il a le même pouvoir » (Super Matth. lect., XI) n° 966). Voir aussi ci-dessus, n° 1830, note 8.

2. Jn 14, 19.

1940. Le Christ commence par donner la cause de sa manifestation aux disciples et non au monde, puis il manifeste ce qu'il vient de dire [n° 1950].

JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : « SI QUELQU'UN M'AIME, IL GARDERA MA PAROLE. ET MON PÈRE L'AIMERA ET NOUS VIENDRONS À LUI, ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE. CELUI QUI NE M'AIME PAS NE GARDE PAS MES PAROLES. »> (14, 23-24)

II montre d'abord pourquoi il va se manifester aux disciples ; ensuite pourquoi il ne va pas se manifester au monde [n° 1949].

En premier lieu est montrée la capacité qu'avaient les disciples de recevoir une manifestation du Christ, et en second lieu, le déroulement de cette manifestation et son ordre [n° 1943]. Au sujet du premier point, il indique deux choses qui rendent l'homme capable de recevoir une manifestation de Dieu : la première est la charité ; la seconde, l'obéissance [n° 1942].

SI QUELQU'UN M'AIME

1941. Quant à la première, il dit : SI QUELQU'UN M'AIME. Trois choses, en effet, sont nécessaires à l'homme qui veut voir Dieu. Premièrement, qu'il s'approche de Dieu - Ceux qui s'approchent de ses pieds recevront de sa doctrine1. Deuxièmement, qu'il élève les yeux pour le voir - Levez vos yeux en haut et voyez qui a créé ces choses2. Troisièmement, qu'il vaque à cette vision : car les réalités spirituelles ne peuvent être vues si l'on ne se vide pas de celles de la terre - Vaquez et voyez que je suis Dieu3. Et c'est la charité qui réalise ces trois choses. En effet, c'est elle qui unit l'âme de l'homme à Dieu - Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui4. C'est elle qui élève le regard vers Dieu - Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur5. Voilà pourquoi on dit : « Là où est ton amour, là sont tes yeux6. » C'est elle encore qui fait qu'on se vide des réalités de ce monde - Celui qui aime le monde, la charité parfaite de Dieu n’est pas en lui7. Par conséquent, au contraire, celui qui aime Dieu parfaitement, l'amour du monde n'est pas en lui.

3. 2 S 7, 18.

4. Mt 25, 37.

IL GARDERA MA PAROLE.

1942. Or de la charité découle l'obéissance ; c'est pourquoi il dit : IL GARDERA MA PAROLE. Comme le dit Grégoire8 : « La preuve de l'amour, c'est la réalisation d'une œuvre. (...) L'amour de Dieu n'est jamais oisif ; en effet, si c'est l'amour, il opère de grandes choses, mais s'il a refusé d'œuvrer, ce n'est pas l'amour. » Car la volonté, et surtout celle qui regarde la fin, meut toutes les autres puissances vers leurs actes : en effet, l'homme ne se repose pas s'il ne fait pas ce par quoi il peut parvenir à la fin vers laquelle il tend, en particulier si sa volonté est tendue vers cette fin. Quand donc la volonté de l'homme est tendue vers Dieu, qui est sa fin, elle meut toutes ses forces à faire tout ce qui conduit vers lui. Or c'est par la charité qu'elle est tendue vers Dieu ; et voilà pourquoi c'est la charité qui nous fait garder les commandements - La charité du Christ nous presse9. - Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes10.

1. Dt 33, 3.

2. Is 40, 26.

3. Ps 45, 11 : Vacate et videte quoniam ego sunt Deus. « Vaquer à » et « se vider de » traduisent ici le même verbe latin vacare. Saint Jean de la Croix cite ce verset pour montrer que si elle acceptait « de se bien purifier et évacuer de toutes les formes et images appréhensibles, (...) l'âme, désormais simple et pure, se transformerait en la simple et pure Sagesse, qui est le Fils de Dieu », et il ajoute : « C'est ce que Notre-Seigneur nous demande par David, disant : Apprenez à vous évacuer de toutes choses (à savoir intérieurement) et vous verrez que je suis Dieu ! » (La Montée du Carmel, II, ch. 15 et 32, Œuvres complètes, DDB 1967, p. 174 et 328).

4. 1 Jn 4, 16.

5. Mt 6, 21.

6. On retrouve souvent dans l'Écriture des expressions qui associent le cœur et les yeux. Voir par exemple Qo 11, 9 ; Jn 12, 40 ; 1 Jn 2, 16.

7. 1 Jn 2, 15. La Vulgate dit : Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas en lui.

8. XL hom. in Évang., II, nom. 30 (pour le jour de la Pentecôte), 1-2, PL 76, co1. 1220 C et 1221 Β (voir ci-dessus vo1. I, n° 477, note 4).

Et par l'obéissance, l'homme est rendu capable de voir Dieu : Par tes commandements - sous-entendu gardés par moi -j'ai eu l'intelligence 11. Et encore : J'ai été plus intelligent que les vieillards12.

ET MON PÈRE L'AIMERA.

1943. Le Seigneur expose ensuite le déroulement et l'ordre de cette manifestation. Or il y a trois choses par lesquelles une manifestation divine est faite à un homme.

La première est l'amour divin ; et quant à cela il dit : MON PÈRE L'AIMERA. Plus haut [n° 1935] on a expliqué pourquoi il dit AIMERA au futur, quant à l'effet de l'amour du Père, qui cependant a aimé de toute éternité quant à sa volonté de faire du bien - J'ai aimé Jacob13. Et il ne dit pas : MOI JE L'AIMERAI, parce que cela leur a déjà été montré clairement auparavant - J'aime ceux qui m'aiment14. Il restait donc à leur faire comprendre que le Père les aimait - II a aimé les peuples ; tous les saints sont dans sa main15.

9. 2 Co 5, 14.

10. Ct 8, 6.

11. Ps 118, 104.

12. Ps 118, 100.

13. Ml 1, 2.

14. Pr 8, 17.

15. Dt 33, 3.

ET NOUS VIENDRONS A LUI.

1944. La deuxième est la Visitation divine ; et à ce sujet il dit : ET NOUS VIENDRONS À LUI. Mais on objecte : venir signifie un changement de lieu, mais Dieu ne change pas. Donc...

Je réponds : on dit que Dieu vient vers nous, non que lui-même soit mû vers nous, mais parce que nous, nous sommes mus vers lui. En effet, on dit que quelque chose vient dans un lieu où il n'était pas auparavant ; or cela ne convient pas à Dieu, puisqu'il est partout - Moi je remplis le ciel et la terre1. On dit encore que quelque chose vient en un lieu dans la mesure où il y est d'une manière nouvelle selon laquelle il n'y avait pas été auparavant, c'est-à-dire par l'effet de la grâce ; et par cet effet de la grâce il nous fait accéder à lui.

1945. Mais il faut remarquer, selon Augustin2, que c'est de trois manières que Dieu vient vers nous et que nous, nous allons vers lui.

Premièrement, il vient vers nous en nous remplissant de ses effets, et nous, nous allons vers lui en les recevant - Venez à moi, vous tous qui me désirez, et remplissez-vous de tout ce qui vient de moi3. Deuxièmement, il vient vers nous en nous illuminant et nous, nous allons vers lui en le considérant - Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés4. Troisièmement, il vient vers nous en nous aidant et nous vers lui en lui obéissant, car nous ne pouvons pas obéir si nous ne sommes pas aidés par le Christ - Venez, montons à la montagne du Seigneur5.

1946. Mais pourquoi n'a-t-il pas fait mention de l'Esprit Saint ?

Selon Augustin6, il n'est pas dit que l'Esprit Saint doive être exclu lors de la venue du Père et du Fils puisqu'il est dit plus haut : Afin qu 'il demeure avec vous éternellement7. Mais comme il y a deux aspects dans la Trinité - à savoir la distinction des personnes et l'unité d'essence8 -, tantôt il est fait mention de trois personnes pour signifier la distinction des personnes, tantôt il fait mention de deux personnes sans la troisième, pour signifier l'unité d'essence.

Ou bien il faut dire que puisque l'Esprit Saint n'est rien d'autre que l'amour du Père et du Fils, dès qu'on parle du Père et du Fils, on sous-entend l'Esprit Saint.

ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE.

1947. La troisième chose nécessaire à la manifestation de Dieu est la persévérance dans l'amour de Dieu et dans son habitation en nous (visitatio) ; et par rapport à cela il dit : ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE - par là il touche deux choses.

D'abord la fermeté de l'adhésion à Dieu, quand il dit NOTRE DEMEURE. Car Dieu vient vers certains par la foi mais ne demeure pas avec eux parce qu'ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent9. Il vient vers certains par le regret10 du péché mais ne demeure pourtant pas avec eux parce qu'ils retournent à leurs péchés 11 - Comme le chien qui retourne à son vomissement, ainsi est l'imprudent qui réitère sa folie12. Mais dans ses prédestinés il demeure toujours - Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu 'à la consommation du siècle1.

1. Jr23, 24.

2. Tract, in Io., LXXVI, 4, BA 74A, p. 351.

3. Si 24, 26.

4. Ps 33, 6. Voir vo1. I, n° 1089, note 6.

5. Is 2, 3.

6. La Trinité, I, IX, 19, BA 15, p. 141.

7. Jn 14, 16.

8. Sur les processions, les relations et la distinction des personnes dans la Trinité, voir ci-dessus, n° 1911 et note 7.

9. Le 8, 13. Cf. Le 19, 44 : Tu n'as pas connu le temps où tu fus visitée !

10. Saint Thomas emploie le mot compunctio. Sur le sens de ce mot, voir ci-dessus, n° 1702, note 13.

11. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, co1. 1221 A.

12. Pr 26, 11.

Puis il montre la familiarité2 du Christ à l'égard des hommes : NOUS FERONS NOTRE DEMEURE CHEZ LUI, c'est-à-dire chez celui qui aime et qui obéit, en tant qu'il se réjouit avec nous et nous fait nous réjouir en lui - Mes délices sont d'être avec les fils des hommes^". - Tu feras l'allégresse de ton Dieu4.

1948. Chrysostome5, rapportant cela à une autre intention, dit que Judas (non pas l'Iscariote), en entendant : Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi je vis et que vous, vous vivrez6, a pensé que le Christ viendrait vers eux après sa mort comme les morts viennent vers nous dans notre sommeil ; c'est pourquoi il demande : QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS ET NON AU MONDE ?, comme pour dire : Malheur à nous, puisque tu seras mort et que c'est comme mort que tu dois te présenter à nous. Donc pour exclure cela, il dit : Moi et le Père NOUS VIENDRONS À LUI, c'est-à-dire, de même que le Père se manifeste, de même moi aussi, ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE : or cela ne relève pas des rêves, où il n'y a aucun retard.

CELUI QUI NE M'AIME PAS NE GARDE PAS MES PAROLES.

1949. Le Seigneur expose ici la cause pour laquelle il ne va pas se manifester au monde : cette cause est la suppression de ce pour quoi il se manifestera aux hommes.

Car une fois la cause supprimée, son effet est supprimé ; or ils n'ont pas en eux la cause qui pourrait leur susciter une manifestation divine, donc Dieu ne va pas se manifester au monde ni aux hommes de ce monde.

Qu'ils n'aient pas en eux la cause, cela est clair, « puisque le monde ne m'aime pas » ; et à propos de cela il dit : CELUI QUI NE M'AIME PAS. Et de plus il ne m'obéit pas, c'est pourquoi il dit : NE GARDE PAS MES PAROLES. En effet, comme le dit Grégoire7 : « Quand il s'agit de l'amour du Créateur, la langue, l'esprit et la vie sont requis. » La cause pour laquelle il va se manifester aux siens et non aux étrangers est donc évidente : c'est parce qu'assurément ceux-là aiment. Et de fait, l'amour sépare les saints du monde - A ceux qu'enfle la démesure, c'est-à-dire aux orgueilleux, il cache sa lumière ; et il annonce à son ami que la lumière est son partage 8. - L'abîme dit : Elle [la Sagesse] n'est pas en moi ; et la mer, c'est-à-dire celui qui est agité : Elle n'est pas avec moi9.

ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE MAIS CELLE DU PÈRE QUI M'A ENVOYÉ. (14, 24)

1950. Le Christ met ensuite en lumière ce qu'il a dit plus haut : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole. Et mon Père l'aimera... On pourrait dire en effet que ce qui a été dit n'a aucune signification (ratio) 10 et qu'il eût dit d'une manière plus raisonnable : Moi je l'aimerai et je viendrai à lui. Et c'est pourquoi il exclut cela en disant : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE, c'est-à-dire elle n'est pas à moi de moi-même, mais d'un autre, à savoir du Père (a Patre) qui m'a envoyé. Comme pour dire1 : Celui qui n'écoute pas cette parole, ce n'est pas seulement moi qu'il n'aime pas, mais aussi le Père. Et voilà pourquoi celui qui l'aime et qui aime le Père mérite une manifestation de l'un et de l'autre. Il dit donc : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE, que j'ai proférée en tant qu'homme, est bien la mienne dans la mesure où je la prononce, et elle N'EST PAS LA MIENNE, dans la mesure où elle est d'un autre - Mon enseignement n'est pas le mien2. - Les paroles que moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-même 3.

1. Mt 28, 20.

2. Sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5.

3. Pr 8, 31.

4. Is 62, 5.

5. In Ioannem hom., LXXV, 3, PG 59, co1. 406-407.

6. Jn 14, 18-19.

7. XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, co1. 1221 B. 8.Jb 36, 32-33 (verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5. 9.Jb 28, 14. 10. Sur le sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p. 18, note 4.

1951. Mais remarque, selon Augustin4, que lorsque le Seigneur parle de ses paroles, il dit au pluriel : Mes paroles ; mais quand il parle de la parole du Père, il parle au singulier, disant : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE, parce qu'il a voulu être compris lui-même à travers le Verbe du Père, qui est son unique Verbe. Aussi ne dit-il pas qu'il est à lui-même mais qu'il est au Père, puisqu'il n'est ni sa propre image ni son propre Fils, mais ceux du Père. Or toutes les paroles qui sont dans nos cœurs proviennent de l'unique Verbe du Père.

b) Il promet à ses disciples ses dons.

1952. Ici le Seigneur promet aux disciples ses dons. Il leur avait promis l'Esprit Saint et lui-même, et c'est pourquoi il leur montre d'abord les dons qui proviennent de la venue de l'Esprit Saint, puis les dons qui proviennent de lui-même : Je vous laisse la paix5 [n° 1961].

Les dons qui proviennent de la venue de l'Esprit Saint.

JE VOUS AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS ; MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM, CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT. (14, 25-26)

De la venue de l'Esprit Saint proviennent de grands dons, à savoir l'intelligence de toutes les paroles du Christ. Et c'est pourquoi à ce sujet il commence par leur rappeler ses enseignements, puis il leur en promet l'intelligence [n° 1954].

JE VOUS AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS.

1953. Il dit donc, quant au premier point : CELA, que j'ai dit, JE VOUS L'AI DIT par l'instrument de mon humanité, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS d'une présence corporelle. Et certes, c'est un très grand bienfait que le Fils lui-même nous parle et nous enseigne - Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils6. - Quelle est toute chair pour qu'elle entende son Seigneur ?7

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 3, PG 59, co1. 407.

2. Jn7, 16.

3. Jn 14, 10.

4. Tract, in Io., LXXVI, 5, BA 74A, p. 353-355.

5. Jn 14, 27.

6. He 1, 1.

7. Dt 5, 26.

LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART

MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM, CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT. (14, 26)

1954. L'intelligence de ses enseignements, il la leur promet par l'Esprit Saint qu'il leur donnera. Et concernant l'Esprit Saint il fait ici trois choses : d'abord il le présente, puis il décrit sa mission [n° 1956], et enfin son effet [n° 1958].

MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT

1955. Le Seigneur présente l'Esprit Saint de plusieurs manières : comme Paraclet, comme Esprit et comme Saint. Il est le Paraclet parce qu'il nous console quant aux tristesses provenant des perturbations de ce monde - Au-dehors, des luttes ; au-dedans, des craintes 1. - Lui qui nous console dans toute notre tribulation2. Et il fait cela en tant qu'il est Amour, nous faisant aimer Dieu et reconnaître sa grandeur, et c'est pourquoi nous souffrons les outrages avec joie - Les Apôtres s'en allèrent tout joyeux de devant le grand conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des outrages pour le nom de Jésus3. - Réjouissez-vous et exultez, car votre récompense est grande dans les deux4.

De même il nous console des tristesses des péchés passés, dont il est dit : Bienheureux ceux qui pleurent5. Et cela il le fait en tant qu'il nous donne l'espérance de son pardon6 - Recevez l'Esprit Saint ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez1. — Pour que je donne la consolation à ceux qui pleurent en Sion8.

1. 2 Co 7, 5.

2. 2 Co 1, 4.

3. Ac 5,41.

4. Mt 5, 12.

5. Mt 5, 5. Saint Thomas commente : « À trois types de pleurs répondent trois sortes de consolations. Pour les pleurs dus au péché, la rémission des péchés nous est donnée, celle que réclamait David - Rends-moi la joie de ton salut (Ps 50, 14). À l'attente de la patrie céleste et à la misère de notre état présent répond la consolation de la vie éternelle — Je changerai leurs pleurs en cris de joie ; et je les consolerai, je les réjouirai après leur peine (Jr 31, 13). - Dans Jérusalem vous serez consolés (Is 66, 13). Aux troisièmes pleurs répond la consolation de l'amour divin : en effet, quand quelqu'un souffre de l'absence de la réalité aimée, il est consolé s'il reçoit une autre réalité davantage aimée. C'est pourquoi les hommes sont consolés quand à la place des réalités temporelles ils reçoivent des réalités spirituelles et éternelles, et c'est cela, recevoir l'Esprit Saint ; c'est pourquoi il est appelé Paraclet (cf. Jn 15, 26). En effet, par l'Esprit Saint qui est l'amour divin, les hommes se réjouissent - Votre tristesse se changera en joie (Jn 16, 20) » (Super Matth, lect., V, n° 423).

Il est l'Esprit parce qu'il meut nos cœurs à obéir à Dieu - Quand il sera venu comme un fleuve impétueux que l'Esprit du Seigneur agite9. - Ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu10.

Il est Saint parce qu'il nous consacre à Dieu et que tout ce qui est consacré à Dieu est appelé saint - Ne savez-vous pas que nos corps sont le temple de l'Esprit Saint ?11 - L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu : le Très-Haut a sanctifié son tabernacle 12.

QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM

1956. Il parle ensuite de sa mission : QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM. Là, ne comprenons pas qu'il vient vers nous par un mouvement local, mais qu'il doit être en nous d'une manière nouvelle, autre que celle selon laquelle il était en nous auparavant - Envoie ton Esprit et ils seront créés13 -, c'est-à-dire dans un exister (esse) spiritue1.

Mais remarque ici que l'Esprit Saint est envoyé par le Père et le Fils, et qu'en vue de montrer cela le Christ dit parfois, comme ici, que le Père envoie l'Esprit Saint, et parfois que c'est lui-même qui l'envoie - Que moi je vous enverrai (...) 14 Mais jamais il ne dit que l'Esprit Saint est envoyé par le Père sans faire mention de lui-même ; aussi dit-il ici : QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM. Et il ne dit pas non plus qu'il est envoyé par lui, le Fils, sans mentionner le Père, et c'est pourquoi il dit : Que moi je vous enverrai d'auprès du Père1.

6. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, co1. 1221 D.

7. Jn 20, 23.

8. Is 61, 3.

9. Is 59, 19.

10. Rm 8, 14.

11. 1 Co 6, 19.

12. Ps 45, 5. Voir vo1. I, n° 1090, note 4.

13. Ps 103, 30.

14. Jn 15, 26.

1957. Mais pourquoi dit-il : EN MON NOM ? L'Esprit Saint sera-t-il nommé Fils ? On pourrait dire que l'Esprit Saint était donné aux fidèles à l'invocation du nom du Christ, mais il vaut mieux dire que, de même que le Fils vient au nom du Père - Moi je suis venu au nom de mon Père2 -, de même l'Esprit Saint vient au nom du Fils. Or le Fils est venu au nom du Père, non qu'il fût le Père mais parce qu'il était le Fils du Père, et de même (similiter) l'Esprit Saint est venu au nom du Fils, non qu'il fût dit Fils, mais parce qu'il était l'Esprit du Fils - Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas3. — Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils4. - Il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils5, et cela à cause de la consubstantialité du Fils à l'égard du Père et de l'Esprit Saint à l'égard du Fils. De même, comme le Fils venant au nom du Père a soumis au Père ceux qui croient en lui - Tu as fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres6 -, de même l'Esprit Saint nous configure au Fils en tant qu'il nous adopte comme fils de Dieu7 - Vous avez reçu un Esprit d'adoption dans lequel nous crions : Abba, Père !8 - Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père !9

1. Idem.

2. Jn 5, 43.

3. Rm 8, 9. Saint Thomas commente : « II faut cependant noter que l'Esprit du Christ et l'Esprit de Dieu le Père sont un même Esprit ; mais on dit l'Esprit de Dieu le Père en tant qu'il procède du Père, et l'Esprit du Christ en tant qu'il procède du Fils. Aussi le Seigneur attribue-t-il partout cet Esprit à lui-même comme à son Père : Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, celui-là vous enseignera tout, et vous rappellera tout ce que je vous aurai dit (Jn 14, 26) ; et encore : Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de moi (]n 15, 26) » (Ad Rom. lect., VIII, n° 627).

4. Ga 4, 6.

5. Rm 8, 29.

6. Ap 5, 10.

7. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du Saint-Esprit, § 139, SC 386, P· 273-275. Dans son Commentaire des Sentences, saint Thomas précise : « Par le Saint-Esprit qui est donné aux hommes, ceux-ci sont dit adoptés » (III Sent., d. 10, q. 2, a. 2b, sed contra 1). Sur l'adoption des fils de Dieu, voir aussi Somme théol, III, q. 45, a. 4.

CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT.

1958. Le Seigneur parle ensuite de l'effet de l'Esprit Saint.

Car, comme l'effet de la mission du Fils fut de conduire au Père, ainsi l'effet de la mission de l'Esprit Saint est de conduire les croyants au Fils. Or le Fils, étant la Sagesse engendrée, est la Vérité elle-même - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie10 -, et c'est pourquoi l'effet de sa mission est de rendre les hommes participants de la sagesse divine et de leur donner la connaissance de la vérité. Le Fils donc nous transmet son enseignement, puisqu'il est le Verbe, mais l'Esprit Saint nous rend capables de le recevoir11.

Il dit donc CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT parce que, quoi que l'homme enseigne au-dehors, si l'Esprit Saint n'en donne de l'intérieur l'intelligence, c'est en vain qu'il travaille : car si l'Esprit Saint n'est pas présent au cœur de celui qui écoute, la parole de celui qui enseigne sera inutile - L'inspiration du Tout-Puissant donne l'intelligence 12 ; à tel point que même le Fils, parlant par l'instrument de son humanité, ne peut rien s'il n'est lui-même mû de l'intérieur par l'Esprit Saint13.

1959. Mais remarque que plus haut il dit : Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son école vient à moi1. Ici le Seigneur parle de l'enseignement que l'homme a reçu, et qu'il ne reçoit qu'en étant enseigné par l'Esprit Saint ; autrement dit, celui qui reçoit du Père et du Fils l'Esprit Saint, celui-là connaît le Père et le Fils et il vient à eux. Or l'Esprit Saint nous fait connaître toutes choses en nous inspirant de l'intérieur, en nous dirigeant, et en nous élevant vers les réalités spirituelles. En effet, de même que celui qui a le goût infecté n'a pas la vraie connaissance des saveurs, de même aussi celui qui est infecté par l'amour du monde ne peut goûter les réalités divines2 - L'homme charnel (animalis) ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu3.

8. Rm 8, 15.

9. Ga 4, 6.

10. Jn 14, 6.

11. Voir / Sent., à. 18, q. 1, a. 3, ad 3 : « Bien que l'Esprit Saint ne soit pas principe du Fils, il est cependant principe de l'effet selon lequel le Fils est dit être donné ou envoyé, et c'est pourquoi le Fils lui-même est donné par le don qui est l'Esprit Saint ».

12. Jb 32, 9.

13. Cf. saint Grégoire: LE Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, co1. 1222A.

1960. Mais parce qu'il appartient aux inférieurs de rappeler les choses à d'autres, par exemple aux acolytes dans les services divins, va-t-on dire que l'Esprit Saint, qui nous rappelle tout, est inférieur à nous ? Là il faut répondre, selon Grégoire4, que s'il est dit que l'Esprit Saint rappelle, ce n'est pas qu'il mette en nous radicalement la science, mais que dans le secret il procure des forces pour connaître, qu'il enseigne en tant qu'il nous fait participer à la sagesse du Fils. Il rappelle en tant qu'il nous meut, étant l'amour. Ou bien [IL] VOUS RAPPELLERA TOUT, c'est-à-dire il vous le remettra en mémoire - Ils se souviendront du Seigneur et se convertiront à lui, tous les confins de la terre5.

Il faut savoir en effet que parmi les choses que le Christ a dites à ses disciples, il y en a que ceux-ci n'ont pas comprises, et d'autres dont ils ne se souvenaient pas. Le Seigneur dit donc : CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT ce que vous ne pouvez pas comprendre maintenant, et VOUS RAPPELLERA TOUT ce dont vous ne pouvez pas vous souvenir. En effet, comment l'Évangéliste Jean, quarante ans après, aurait-il pu avoir le souvenir de toutes les paroles du Christ qu'il a écrites dans son Évangile, si l'Esprit Saint ne les lui avait rappelées ?

Les dons qui proviennent du Christ lui-même.

JE VOUS LAISSE LA PAIX, JE VOUS DONNE MA PAIX. MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS COMME LE MONDE LA DONNE. (14, 27)

1961. Plus haut, le Seigneur a promis à ses disciples quelque chose qu'ils allaient obtenir grâce à la présence de l'Esprit Saint ; or ici il promet un don qu'ils allaient obtenir par sa venue et sa présence.

Cependant, il faut savoir que si l'on considère la propriété des personnes, à savoir du Fils et de l'Esprit Saint, le Seigneur semble alterner les dons. En effet, puisque le Fils est le Verbe, il semble que le don de la sagesse et de la connaissance lui appartienne en propre. Mais à l'Esprit Saint est appropriée la paix, puisqu'il est l'amour qui est cause de paix. Mais cependant, parce que l'Esprit Saint est celui du Fils, et que ce que donne l'Esprit Saint, il le tient du Fils, il attribue ce don de la connaissance à l'Esprit Saint, quand il dit : CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT, ce qui est cependant approprié au Fils. Mais parce que l'Esprit Saint procède du Fils, ce que l'Esprit Saint fait en propre est attribué au Fils. Et selon ce mode, le Christ s'attribue à lui-même la paix, disant : JE VOUS LAISSE LA PAIX. En premier lieu, il promet le don de la paix qu'il laisse, en second lieu il distingue cette paix de la paix du monde [n° 1964].

1. Jn 6, 45.

2. Cf. ci-dessus n° 1919.

3. 1 Co 2, 14. Pour la traduction du mot animalis, voir vo1. I, n° 138, note 6.

4. XL hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, co1. 1222 B.

5. Ps 21, 28.

JE VOUS LAISSE LA PAIX.

1962. Il faut savoir que la paix n'est rien d'autre que la tranquillité de l'ordre * : en effet on dit que des choses sont dans la paix quand leur ordre demeure non troublé. Or dans l'homme il y a un ordre triple : de l'homme vers lui-même, de l'homme vers Dieu, et de l'homme vers le prochain ; et ainsi il y a dans l'homme une triple paix. Une certaine paix intrinsèque selon laquelle il est pacifié en lui-même sans trouble de ses puissances - Paix abondante pour ceux qui aiment ta loi2. Une autre par laquelle l'homme est en paix avec Dieu, totalement soumis à son ordre - Étant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu3. La troisième paix est à l'égard du prochain - Recherchez la paix avec tous les saints et la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu 4.

Mais il faut remarquer qu'en nous, trois choses doivent être mises en ordre, à savoir l'intelligence, la volonté et l'appétit sensible : la volonté doit être dirigée selon l'esprit, ou la raison ; et l'appétit sensible selon l'intelligence et la volonté. Et c'est pourquoi Augustin dans le livre Des paroles du Seigneur, définissant la paix des saints, dit : « La paix est la sérénité de l'esprit, la tranquillité de l'âme, la simplicité du cœur, le lien de l'amour, la communion de la charité5. » La sérénité de l'esprit se rapporte ainsi à la raison, qui doit être libre, non pas liée ou absorbée par quelque affection désordonnée ; la tranquillité de l'âme se rapporte à la puissance sensible, qui doit se reposer du tracas des passions ; la simplicité du cœur se rapporte à la volonté, qui doit être totalement portée vers Dieu, son objet ; le lien de l'amour se rapporte au prochain et la communion de la charité à Dieu.

1. Cf. saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX, xin, 1, BA 37, p. 111 : « La paix de toutes choses, c'est la tranquillité de l'ordre ». Voir Somme théol, II-II, q. 29, a. 1, c. et ad 1. Et pour saint Thomas la paix est la béatitude qui relève du don de sagesse parce que le propre du sage est d'ordonner (voir loc. cit., q. 45, a. 6, c).

2. Ps 118, 165.

3. Rm 5, 1. Saint Thomas commente : « Étant donc justifiés par la foi, à savoir, en tant que par la foi en la Résurrection nous participons à son effet, ayons la paix avec Dieu, en nous soumettant à lui et en lui obéissant - Soumets-toi donc à Dieu, et tu auras la paix (Jb 22, 21). Et : Qui lui a résisté et a eu la paix ? (Jb 9, 4). Et cela par notre Seigneur Jésus Christ qui nous a conduits jusqu'à cette paix - C'est lui « w » est notre paix (Ep 2, 14) » (Ad Rom. lect., V, n° 382).

4. He 12, 14.

Cette paix, les saints l'ont ici-bas et ils l'auront dans le futur ; mais ici-bas imparfaitement, parce que ni envers nous-mêmes, ni envers Dieu, ni envers le prochain, nous ne pouvons avoir la paix sans quelque perturbation ; mais dans le futur nous l'aurons parfaitement, quand nous régnerons sans ennemi : là, jamais nous ne pourrons être en désaccord6.

Et ici le Seigneur nous promet l'une et l'autre. La première quand il dit : JE VOUS LAISSE LA PAIX, à savoir dans ce siècle, afin que vous vainquiez l'ennemi, et afin que vous vous aimiez les uns les autres, ce qui est comme le testament établi pour nous par le Christ pour que nous le gardions - II a fait avec lui une alliance de paix, et il l'a fait prince7. Comme dit Augustin8, ne pourra pas parvenir à l'héritage du Seigneur celui qui n'aura pas voulu observer son testament, et celui qui aura voulu être en désaccord avec le chrétien ne peut avoir de concorde avec le Christ. Et le Seigneur nous promet la seconde quand il dit : JE VOUS DONNE MA PAIX, à savoir dans le futur - Je ferai couler sur elle, à savoir la Jérusalem céleste, comme un fleuve de paix9.

1963. Mais puisque, soit dans le monde, soit dans la Patrie, toute la paix des saints leur parvient par le Christ - En moi vous aurez la paix ' -, pourquoi le Seigneur ne dit-il pas JE VOUS DONNE MA PAIX quand il parle de la paix des saints qui sont en chemin, mais seulement quand il parle de la paix des saints dans la Patrie ?

5. Serm. de Scr. (ou de Verbis Domini), Appendix, 97, PL 39, co1. 1932.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXVII, 3, BA 74A, p. 363.

7. Si 45, 30 [BJ45, 24].

8. Serm. de Scr., Appendix, 97, PL 39, co1. 1932.

9. Is 66, 12.

À cela il faut dire que l'une et l'autre paix, à savoir la présente et la future, sont celles du Christ ; mais la présente est du Christ en tant qu'il en est seulement l'auteur, tandis que la paix future est de lui en tant qu'il en est l'auteur et le possesseur car il a toujours eu cette paix, ayant toujours été sans contradiction. Or la paix présente existe avec une certaine contradiction, comme il a été dit : et c'est pourquoi, bien que ce soit lui qui la réalise, cependant il ne la possède pas.

Et selon ce qui a été dit plus haut, l'explication traite de la paix de ce siècle et de la paix de l'éternité. Mais, selon Augustin2, l'une et l'autre chose peuvent être expliquées de la paix de ce siècle ; et il dit : JE VOUS LAISSE LA PAIX par l'exemple, mais : JE VOUS DONNE MA PAIX par la puissance et la force.

MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS COMME LE MONDE LA DONNE.

1964. Ensuite, il distingue cette paix-là de la paix du monde. Or on distingue la paix des saints de la paix du monde quant à trois choses. Premièrement quant à l'intention : car la paix du monde est ordonnée à la jouissance calme et paisible des choses qui ne durent qu'un temps, ce qui entraîne qu'elle coopère parfois avec les hommes pour qu'ils pèchent - Vivant dans une grande lutte causée par l'ignorance, ils appellent paix tant de maux, et de si grands maux3. Mais la paix des saints est ordonnée aux biens éternels. Le sens est donc : MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS

COMME LE MONDE LA DONNE, c'est-à-dire ce n'est pas en vue de la même fin, parce que le monde donne de posséder en toute tranquillité des choses extérieures, alors que moi je donne ce qui concerne l'acquisition des biens éternels.

En second lieu on la distingue quant à l'apparence et la vérité, parce que la paix du monde est fausse, étant seulement extérieure - Ils parlent de paix avec leur prochain et ont le mal dans leurs cœurs4. Mais la paix du Christ est vraie parce qu'elle est intérieure et extérieure. Et ainsi le sens est : Ce n'est pas COMME LE MONDE LA DONNE, c'est-à-dire ce n'est pas une apparence de paix que je donne, comme le monde, mais la vraie paix.

En troisième lieu on la distingue quant à la perfection : parce que la paix du monde est imparfaite puisqu'elle est seulement liée au repos de l'homme extérieur et non pas de l'homme intérieur - Il n'est pas de paix pour les impies, dit le Seigneur5 ; mais la paix du Christ donne le repos intérieurement et extérieurement - Paix abondante pour ceux qui aiment ta loi0. Et le sens est : PAS COMME LE MONDE LA DONNE, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une paix imparfaite.

1. Jn 16, 33.

2. Nous n'avons pu retrouver la source de cette interprétation ni chez saint Augustin, ni chez saint Jean Chrysostome, Théophylacte ou Alcuin.

3. Sg 14, 22.

4. Ps 27, 3 : Ne m'entraîne pas en compagnie des pécheurs, et ne me perds pas avec ceux qui opèrent l'iniquité : qui parlent de paix avec leur prochain et ont le mal dans leurs cœurs. Saint Thomas commente : « À propos de la fraude il dit qui parlent de paix avec leur prochain, et il mentionne deux choses : les douces paroles qu'ils ont dans la bouche - Par de douces paroles et des flatteries, ils séduisent les cœurs des innocents (Rm 16, 18). - L'homme qui parle à son ami en des termes flatteurs et déguisés tend un filet sous ses pas (Pr 29, 5). Cependant ils ont autre chose dans leur cœur ; d'où ce qui suit : et qui ont le mal dans leurs cœurs, c'est-à-dire ce qu'ils préparent pour leurs propres ennemis : chacun en sa bouche parle de paix avec son ami, et en cachette il lui tend des pièges (Jr 9, 8). Toutes ces choses peuvent être appliquées au Christ, qui sur la Croix a été compté parmi les scélérats (Is 53, 12). Mais le psalmiste demande de ne pas être entraîné en même temps, c'est-à-dire pour la même cause, à savoir de ne pas être crucifié avec eux, car leur passion ou condamnation eut lieu à cause de leur propre péché, tandis que la Passion du Christ eut lieu à cause de notre iniquité. De même, ne me livre pas à la même fin que les pécheurs impies, c'est-à-dire dans l'intention qu'ils avaient d'effacer le nom du Christ. Et tels sont ceux qui parlaient de paix avec leur prochain, et à l'égard du Christ lorsqu'ils tentaient de le surprendre dans sa parole ; mais ils ont le mal dans leur cœur, c'est-à-dire l'intention mauvaise : car c'était afin de le saisir, dans le but de pouvoir le blâmer » (Exp. in Psalmos, 27, n° 3).

5. Is 57, 21.

6. Ps 118, 165.

LE CHRIST RÉCONFORTE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART

1965. Plus haut, le Seigneur a consolé ses disciples en donnant des raisons prises du côté des disciples eux-mêmes, leur promettant l'accès auprès du Père, la venue de l'Esprit Saint et son propre retour ; mais ici il les console en donnant des raisons prises de son côté à lui, de qui pouvait leur venir une double cause de consolation : l'une provenant de l'utilité du fruit qui suivrait le départ du Christ, et l'autre provenant de la cause de sa mort. Il montre d'abord la première, puis la seconde [n° 1974].

A. IL LES CONSOLE PAR L'UTILITE DU FRUIT QUI SUIVRAIT SON DEPART

QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE. VOUS AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE VOUS AI DIT : JE M'EN VAIS ET JE VIENS VERS VOUS. SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI. ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. (14, 27-29)

1966. Or le fruit qui suivrait le départ du Christ était son exaltation, aussi les disciples pouvaient-ils être consolés. En effet, quand un ami va vers son exaltation, ce sont les mœurs des amis d'être moins affligés de son départ, et c'est pourquoi le Seigneur montre cette cause pour leur consolation. Et en premier lieu il exclut le doute de leur cœur ; en second lieu, il rappelle une chose qui les consolait en partie et les troublait en partie [n° 1968] ; en troisième lieu, il ajoute la cause qui les console totalement [n° 1969] ; puis il répond à une question tacite [n° 1973].

QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE.

1967. Il exclut le trouble de leur cœur en disant : QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE. Le trouble se rapporte à la tristesse, la peur à la crainte. Or la tristesse et la crainte se rejoignent en ceci, que l'une et l'autre portent sur le mal ; mais elles diffèrent, parce que la tristesse porte sur le mal présent et la crainte sur le mal futur. Or le Seigneur dit : QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ du mal présent - Le juste ne sera pas ébranlé1 -, NI NE S'EFFRAIE du mal futur - Qui es-tu pour craindre un homme mortel ?2, ce qu'il faut comprendre de la crainte humaine car il n'exclut pas la crainte divine3.

VOUS AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE VOUS AI DIT : JE M'EN VAIS ET JE VIENS VERS VOUS.

1968. Il rappelle ensuite ce qui les troublait en partie. En effet, d'une part ils étaient troublés à cause du départ du Christ, mais d'autre part ils se consolaient de ce qu'il ajoute : ET JE VIENS VERS VOUS4. Cependant ils ne s'en consolaient pas entièrement, craignant que peut-être pendant ce temps le loup n'attaque le troupeau en l'absence du pasteur5, selon cette parole : Frappe le pasteur et les brebis seront dispersées6. Donc il dit : QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ parce que JE M'EN VAIS, NI NE S'EFFRAIE, parce que JE VIENS VERS VOUS.

1. Ps 111, 6.

2. Is 51, 12.

3. Sur les différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783, note 2.

4. Cf. Jn 14, 3.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXVIII, 1, BA 74A, p. 373.

6. Za 13, 7 ; cf. Mt 26, 31.

Il s'en est allé, certes, en mourant de son propre pouvoir, et il vient en ressuscitant - Le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort (...) et le troisième jour il ressuscitera \ II s'en est allé en montant - Il est beau dans sa robe, il marche dans la grandeur de sa force2. Il viendra pour juger - Ils verront le Fils de l'homme venant dans une nuée, avec grande puissance et majesté3.

SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI.

1969. Mais il les console totalement quand il dit : SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI, comme s'il disait : Si vous m'aimez, vous ne devez pas être contristes mais vous devez plutôt vous réjouir de mon départ, parce que je vais vers mon exaltation, c'est-à-dire que JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI.

1970. À partir de cela, Arius donne cours à son insolence en disant que le Père est plus grand que le Fils, mais son erreur est exclue par les paroles mêmes du Seigneur. Car d'après ce qu'il comprend, LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI se comprend de la même manière que JE VAIS VERS LE PÈRE. Or le Fils ne va pas vers le Père ni ne vient vers nous en tant qu'il est Fils de Dieu, selon qu'il fut avec le Père de toute éternité - Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu4. Mais on dit qu'il va vers le Père selon sa nature humaine. Ainsi, quand il dit : LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI, il ne le dit pas en tant que Fils de Dieu, mais en tant que Fils de l'homme, et là il est non seulement moindre que le Père et l'Esprit Saint mais aussi que les anges eux-mêmes - Mais ce Jésus qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons, à cause de la mort qu'il a soufferte, couronné de gloire et d'honneur5. De même, il était soumis à certains hommes, à savoir ses parents, sous un certain aspect, comme on lit en Luc : Et il leur était soumis6. Ainsi donc, il est moindre que le Père selon son humanité, mais égal selon sa divinité - II n'a pas considéré comme une usurpation d'être égal à Dieu, mais il s'est anéanti lui-même, prenant la condition d'esclave, devenant semblable aux hommes1.

1971. On peut dire aussi, selon Hilaire8, que même selon sa divinité le Père est plus grand que le Fils, mais cependant que le Fils n'est pas moindre, mais éga1. En effet, le Père est plus grand que le Fils non pas par la puissance, l'éternité et la grandeur, mais par l'autorité de celui qui donne ou qui est principe. Car le Père ne reçoit rien d'un autre, mais le Fils reçoit sa nature, pour ainsi dire, du Père par la génération éternelle. Donc le Père est plus grand, parce qu'il donne ; mais le Fils n'est pas moindre, mais égal, parce que tout ce que le Père a, il le reçoit9 - II lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom x. En effet, il n'est désormais pas moindre que celui qui donne, avec qui il lui est donné d'être un.

1. Mt 20, 18-19.

2. Is 63, 1.

3. Lc 21, 27.

4. Jn 1, 1.

5. He 2, 9. Saint Thomas commente : « Cet abaissement ne doit être compris dans le Christ qu'en vue de souffrir la mort. Et ce n'est pas étonnant parce que quant à cela il est non seulement plus petit que les anges mais encore plus petit que les hommes - Nous l'avons méprisé, lui, le dernier des hommes (Is 53, 3). Or la Glose dit, et c'est d'Augustin contre Maximin, que le Christ n'a pas été abaissé au-dessous des anges à cause de la condition de la nature humaine mais à cause de la Passion. Car il n'y a rien de plus grand que la nature de l'esprit humain assumée sans le péché par le Christ, sinon la seule Trinité. Il est donc plus petit que les anges par son corps, puisque la Passion est selon le corps » (Ad Heb. lect., II, n° 122).

6. Lc 2, 51.

7. Ph 2, 6-7.

8. La Trinité, IX, 54, SC 462, p. 127-129.

9. Voir vo1. I, n° 947, ci-dessus n° 1911 et ci-dessous nos 2061 sq., 2108 et 2113. Voir aussi Ad Heb. lect., VII, n" 333 ; et Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, n° 1331, p. 382 : « En raison de cette unité le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit, le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le Saint-Esprit, le Saint-Esprit est tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils. Aucun ne précède l'autre par son éternité ou ne l'excède en grandeur ou ne le surpasse en pouvoir. Car c'est éternellement et sans commencement que le Fils naît du Père, et éternellement et sans commencement que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Tout ce que le Père est ou a, il l'a non pas d'un autre, mais de soi, et il est principe sans principe. Tout ce que le Fils est ou a, il l'a du Père, et il est principe issu d'un principe. Tout ce que le Saint-Esprit est ou a, il l'a à la fois du Père et du Fils. Mais le Père et le Fils ne sont pas deux principes du Saint-Esprit, mais un seul principe, de même que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes de la créature, mais un seul principe » (Concile de Florence [1442], Bulle Cantate Domino).

1972. Mais Chrysostome2 explique cela en disant que le Seigneur parle à cause de la suspicion des Apôtres, qui n'avaient pas encore connu ce qu'est la Résurrection et ne le croyaient pas égal au Père. Et c'est pourquoi il leur dit : Et si vous ne croyez pas en moi et dans le fait que je peux me relever moi-même et si vous n'avez pas confiance que, après la Croix, je vous verrai de nouveau, cependant croyez-moi parce que JE VAIS VERS LE PÈRE qui EST PLUS GRAND QUE MOI.

ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ.

1973. Ici il répond à une question tacite, en disant : ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. Ils pouvaient, en effet, demander pourquoi il disait ces paroles et c'est pourquoi, les devançant, il dit : MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA...

Mais Augustin3 demande : puisque la foi porte sur des choses qu'on ne voit pas, l'homme ne doit-il pas croire avant qu'elles se soient réalisées, et non après ? Là il faut dire qu'ils voyaient une chose et en croyaient une autre. En effet, ils virent la mort du Christ et sa Résurrection, et ayant vu cela, ils crurent qu'il était le Christ, le Fils de Dieu. C'est pourquoi, lorsque cela fut accompli, ils ne crurent pas d'une foi nouvelle, mais augmentée. Ou bien, après sa mort, d'une foi affaiblie ; mais après sa Résurrection, d'une foi renouvelée, comme dit encore Augustin4.

B. IL LES CONSOLE PAR LA CAUSE DE SA MORT

1974. Il donne encore une autre cause de consolation concernant son départ, cause qui se prend de celle de la mort. Or il faut savoir que la cause de la mort peut amener soit la douleur, quand quelqu'un est tué pour une faute, soit la consolation, quand quelqu'un meurt pour un bien relevant de la vertu - Qu'aucun de vous ne souffre comme homicide, ou voleur, ou médisant, ou avide du bien d}autrui. Mais si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas5. À propos de cela le Seigneur montre donc en premier lieu que le péché ne fut pas la cause de sa mort, et en second lieu que la cause de celle-ci fut la vertu d'obéissance et de charité [n° 1976].

1. Ph 2, 9.

2. In Ioannem hom., LXXV, 4, PG 59, co1. 407-408.

JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS. EN EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR. (14, 30)

1975. Il dit donc : JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS, à cause de la brièveté du temps - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous1. Ou parce que vous n'êtes pas encore capables - J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant2. Ou bien JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS parce qu'en une seule brève parole je vous expliquerai que je ne mourrai pas par suite de ma faute. Et cela il le fait ensuite quand il dit : EN EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR, à savoir le diable qui est dit prince non selon la raison (ratio) de création, ni en vertu d'un pouvoir naturel comme blasphèment les manichéens, mais selon la raison (ratio) de faute, et c'est pourquoi il est dit PRINCE DE CE MONDE, c'est-à-dire de ceux qui aiment le monde et le péché - Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres3. Donc il n'est pas le prince des créatures, mais des pécheurs et des ténèbres - C'est lui qui est le roi de tous les fils de l'orgueil4.

3. Tract, in Io., LXXIX, 1, BA 74A, p. 389-391.

4. Ibid., p. 391.

5. 1 Ρ 4, 15-16.

Ce prince est donc venu pour persécuter : en effet, il est entré dans le cœur de Judas afin qu'il trahisse, et des Juifs afin qu'ils tuent ; mais SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR : car en nous il n'a de pouvoir qu'à cause du péché - Tout homme qui commet le péché est esclave du péché5. Or dans le Christ il n'y avait aucun péché, ni selon son âme - Lui qui n'a pas commis de faute $ -, ni selon sa chair parce qu'il a été conçu de l'Esprit Saint et de la Vierge sans le péché originel - C'est pourquoi l'être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu7. Donc, parce que le diable a attaqué même le Christ sur lequel il n'a aucun droit8, il a mérité de perdre ce qu'il possédait avec justice - Qu'importe à moi et à toi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ?9 Ainsi donc il est évident que la cause de la mort du Christ ne fut pas la faute, et qu'il n'avait pas de raison de mourir puisqu'il n'a pas de péché.

1. Jn 13, 33.

2. Jn 16, 12.

3. Ep 6, 12.

4. Jb 41, 25. Saint Thomas commente : « Le Leviathan dispose d'un pouvoir d'exercer de grandes et fortes opérations, et en exposant cela Job dit : Il regarde vers ce qui est sublime, c'est-à-dire que l'intention du démon est de s'attaquer à tout ce qui est sublime. Et comme ces choses sont le fait de l'orgueil, il montre en conséquence que le diable non seulement est orgueilleux en lui-même, mais qu'il dépasse toutes les créatures par son orgueil et qu'il est la source de l'orgueil des autres, et c'est pourquoi il ajoute : Il est lui-même roi sur tous les fils de l'orgueil, c'est-à-dire sur ceux qui sont les esclaves de l'orgueil et qui le suivent tous comme un guide » (Exp. super lob, 41, 25, p. 227, 1. 438-448).

5. Jn 8, 34.

6. 1 Ρ 2, 22.

MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS. LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! (14, 31)

1976. Ensuite il ajoute la vraie cause qui est le bien relevant de la vertu ; et c'est pourquoi il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, ce qui, selon Augustin10, est ainsi ponctué : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS... LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI !

Là il faut savoir que deux choses ont poussé le Christ à supporter la mort, à savoir l'amour (amor) de Dieu et l'amour (dilectio) du prochain - Marchez dans l'amour11. Et il en donne une preuve en indiquant qu'il accomplit ses commandements - Si vous m'aimez, gardez mes commandements 12. Et quant à cela il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, et ceci d'une manière efficace, puisque je meurs. Aussi ajoute-t-il : ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS, c'est-à-dire selon que le Père le pousse à subir la mort, par l'obéissance qui est causée par l'amour. Ce commandement, le Père ne l'a pas donné au Fils de Dieu qui, puisqu'il est le Verbe, est aussi le commandement du Père ; mais il l'a donné au Fils de l'homme, en tant qu'il a inspiré à son âme la nécessité, pour le salut des hommes, que le Christ mourût dans sa nature humaine. Donc AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE (...) LEVEZ-VOUS, du lieu où ils avaient pris le repas, et PARTONS vers le lieu où je dois être livré, afin que vous voyiez que ce n'est pas par nécessité, mais par charité et obéissance que je meurs - Avec audace, il court au-devant des hommes armés1.

7. Lc 1, 35.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXIX, 2, BA 74A, p. 395, dont saint Thomas s'inspire largement dans tout ce paragraphe mettant en valeur à la fois la parfaite innocence du Christ (il ne mérite aucunement la mort) et sa totale liberté (il veut seulement manifester son amour pour le Père).

9. Me 5, 7.

10. Loc. cit., p. 395.

11. Ep 5, 2.

12. Jn 14, 15.

1977. Mais selon Chrysostome2 il faut lire autrement : AINSI JE FAIS est la fin de la phrase, et LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI est le commencement de l'autre phrase, de sorte que le sens est : Je ne meurs pas, comme si le prince de ce monde avait sur moi quelque pouvoir, mais c'est parce QUE J'AIME LE PÈRE que je fais cela. Mais vous, LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! En effet, il voyait qu'ils avaient peur, à la fois à cause du moment, parce que la nuit était profonde, et à cause du lieu, parce qu'ils se trouvaient manifestement dans une maison et tournaient toujours les yeux vers la porte comme s'attendant à ce que des ennemis les envahissent, et qu'à cause de cela ils n'étaient pas attentifs aux choses qui leur étaient dites. Et c'est pourquoi, afin qu'ils comprennent mieux les paroles qu'il allait leur dire, il les conduit dans un autre lieu secret afin que, s'estimant en sécurité, ils écoutent plus attentivement les choses qu'il leur dirait - Je la conduirai dans la solitude, et je parlerai à son cœur3.

1. Jb 39, 21.

2. In Ioannem hom., LXXVI, 1, PG 59, co1. 410-411.

3. Os 2, 14.

 

CHAPITRE XV : LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS À VENIR

Évangile selon saint Jean Chapitre XV

1 Moi, je suis la vigne véritable, et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi, il l'enlève ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il en porte davantage.

3 Vous, déjà, vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi, et moi en vous. Comme le sarment ne peut porter du fruit par lui-même, s'il ne demeure en la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 5 Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit : parce que sans moi vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme le sarment, et il séchera ; et on le ramassera, et on le jettera au feu, et il brûlera. 7 Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.8 En ceci mon Père est glorifié : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez mes disciples.

9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi aussi j'ai observé les préceptes de mon Père, et je demeure dans son amour. n Je vous ai dit cela, pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit en plénitude. 12 Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. 13 Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis.

14 Vous êtes, vous, mes amis, si vous faites ce que moi je vous commande. 15Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son seigneur. Mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître. I6 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure, pour que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne. 17 Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les uns les autres.

18 Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a pris en haine avant vous. I9 Si vous aviez été du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que moi je vous ai choisis du milieu du monde, c'est pour cela que le monde vous hait.

20 Souvenez-vous de la parole que moi, je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. 2I Mais tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé.

22 Si je n'étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuse à leur péché. 23 Celui qui me hait, hait aussi mon Père. 24 Si je n'avais pas fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché. Mais maintenant, ils ont vu, et ils nous ont haïs, moi et mon Père ! 25 Mais c'est pour que s'accomplisse la parole qui est écrite dans leur Loi : ils m'ont haï gratuitement.

26 Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, c'est lui qui rendra témoignage de moi. 27 Et vous aussi, vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.

 

 

COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES

LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS À VENIR

1978. Dans ce qu'il a dit précédemment à ses disciples, le Seigneur avait spécialement l'intention d'affermir leur âme face à deux choses : l'une qui était alors imminente, sa Passion, et l'autre qu'ils craignaient pour l'avenir, c'est-à-dire la tribulation qui allait survenir pour eux. C'est pourquoi il leur avait dit à l'égard de ces deux choses : Que votre cœur ne soit pas troublé, quant à la première, ni ne s'effraie1, quant à la seconde.

Les ayant donc affermis au sujet de son départ (n° 1848] ; il les affermit ici face aux tribulations qui allaient leur arriver. Il commence par leur proposer une allégorie, puis il en vient à son propos [n° 1986].

L'ALLEGORIE DE LA VIGNE ET DU VIGNERON

MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE, ET MON PÈRE EST LE VIGNERON. TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE ; ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE. (15, 1-2)

Cette allégorie2 porte sur la vigne et le vigneron. Le Seigneur présente d'abord la vigne, puis le vigneron [n° 1981] et met ensuite en lumière le souci du vigneron à l'égard des sarments [n° 1983].

MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE.

1979. Mais la vigne, c'est le Christ lui-même : JE SUIS LA VIGNE, dit-il sous forme d'allégorie. Car de même que la vigne, bien qu'elle paraisse méprisable, bien qu'elle soit de petite taille, surpasse tous les autres bois par la douceur de son fruit, de même le Christ, bien qu'il ait paru du monde parce qu'il était pauvre, qu'il semblait être de basse naissance et supportait l'ignominie, a cependant donné les fruits les plus doux - Son fruit est doux à mon palais \

1. Jn 14, 1 ; 14, 27.

2. Similitudo, qui est traduit ici par « allégorie », exprime une modalité d'analogie. En effet, nous pouvons distinguer plusieurs niveaux d'analogie, ^analogie de l'être, découverte par le philosophe, se fonde sur la diversité des réalités existantes ; et au-delà de ces manières d'exister, le philosophe saisit l'unité qui caractérise l'être. Ainsi, dans la réalité expérimentée, l'être existe en étant lié au devenir. Mais en Dieu, l'Être premier, l'être est découvert comme au-delà du devenir, totalement séparé de lui. Si le philosophe se sert de l'analogie de l'être pour découvrir l'être dans ce qu'il a de plus lui-même, et pour découvrir sa manière d'exister ultime, l'Être premier, le théologien, lui, emploie des analogies de similitude qui présupposent la foi. En effet, parce que le mystère le dépasse totalement il ne peut pas le rejoindre directement, par l'analogie propre de l'être ; c'est dans la foi qu'il adhère au mystère révélé. Et pour mieux le mettre en lumière sans risquer de le diminuer et de le réduire à une compréhension humaine, il se sert d'analogies de similitude, données par l'Écriture. Ces analogies ne regardent pas l'être mais la vie, les qualités, les fonctions. Par exemple, dire que Jésus est le Verbe - Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire (Jn 1, 14) - est une analogie de similitude, révélée par l'Écriture et que le théologien peut expliciter (voir Somme théol, I, q. 27, a. 1 et 2), entre la génération du Verbe en Dieu et la conception, dans l'intelligence humaine, du verbe, fruit de la pensée. Et dire que le Christ est tête de l'Église (cf. Col 1, 18), ou que le Père est le vigneron et le Christ la vigne qui porte les sarments (cf. Jn 15, 1 sq.), est encore une analogie de similitude, mais impliquant des éléments sensibles. On la nomme alors plus précisément analogie métaphorique. Sur les métaphores utilisées dans l'Écriture, voir ci-dessus, n° 1696, note 12.

Et c'est pourquoi le Christ est une vigne dont le vin enivre intérieurement et est un vin de componction2 - Tu nous as fait boire un vin de componction3. Ce vin est également fortifiant, c'est le vin qui nous refait - Mon sang est vraiment une boisson 4. C'est ainsi, en effet, que plus haut il s'est comparé au grain de blé5, parce que sa chair est vraiment une nourriture.

C'est de cette vigne-là qu'il est écrit : Je voyais en songe une vigne portant trois rejetons6, c'est-à-dire le Christ en qui sont trois substances, à savoir le corps, l'âme et la divinité7. C'est encore la vigne dont parle Jacob : Mon fils, à la vigne tu attacheras ton ânesse8, c'est-à-dire l'Église.

1980. Et cette vigne est VÉRITABLE. Ici, il faut savoir que « véritable » se distingue parfois de « ressemblant », comme l'homme véritable de l'homme en peinture, et que parfois il se distingue de « corrompu », comme le vin par rapport au vinaigre, parce que c'est du vin corrompu. La phrase MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE est donc prise au second sens9, Jésus se distinguant de la vigne corrompue, c'est-à-dire du peuple des Juifs, dont il est dit : Comment donc t'es-tu changée en amertume, ô vigne étrangère ?10 Et ceci parce qu'elle ne donnait pas de raisins, mais des grappes sauvages - J'en attendais des raisins, et elle a donné des grappes sauvages11.

1. Ct 2, 3.

2. Sur le sens du mot componction, voir ci-dessus, n° 1702, note 13.

3. Ps 59, 5.

4. Jn 6, 56.

5. Cf. Jn 12, 24.

6. Gn 40, 9-10.

7. Saint Thomas éclaire la convenance du mystère de l'Incarnation et l'union de ces trois substances dans le Christ en disant : « II appartient à la raison de bien de se communiquer aux autres, comme l'enseigne Denys (De Div. Nom., IV, 20). Il appartient par conséquent à la raison du bien souverain de se communiquer souverainement à sa créature. Et cette souveraine communication se réalise quand Dieu "s'unit à la nature créée de façon à ne former qu'une seule personne de ces trois réalités : le Verbe, l'âme et la chair" (saint Augustin, De Trinitate, XIII, 17). Il est donc manifeste qu'il convenait que Dieu s'incarnât » (Somme théo1., III, q. 1, a. 1, c). « Dans le Christ il n'y eut pas deux natures assumées, mais une seulement : une nature humaine constituée d'âme et de chair » (ibid., q. 5, a. 3, c).

8. Gn 49, 11. Le verset est littéralement : Il liera à la vigne son ânon, et au cep son ânesse. Il lavera dans le vin sa robe, et dans le sang du raisin son manteau.

ET MON PÈRE EST LE VIGNERON.

1981. Mais remarquons que dans le Christ il y a une double nature 12, divine et humaine ; selon sa nature humaine, il est semblable à nous et il est moindre que le Père ; selon sa nature divine, il est semblable à Dieu et il est au-dessus de nous. Il est donc la vigne véritable en tant qu'il est la tête de l'Église13, l'homme Christ Jésus. C'est ce qu'il laisse entendre en présentant le vigneron qui est le Père : ET MON PÈRE EST LE VIGNERON [AGRICOLA]. En effet, si le Fils était la vigne selon sa nature divine, le Père serait la vigne tout comme le Fils ; mais c'est parce qu'il est la vigne selon sa nature humaine que le Père est à son égard comme le vigneron pour sa vigne. En tant que Dieu, lui-même aussi est le vigneron14. Or le mot « cultivateur » (agricola) est lié au mot « culture » (cultura) 15, c'est pourquoi le vigneron aussi, en tant qu'il cultive, est un cultivateur.

9. Alors que saint Augustin se contentait de noter le caractère imagé de la formule et d'expliquer que le qualificatif « vrai » met Jésus en opposition avec le peuple visé par les deux versets prophétiques cités à la fin de ce n° 1980 (Tract, in Io., LXXX, 1, BA 74B, p. 71), saint Thomas précise le type de vérité qualifiant la vigne, et nomme « le peuple des Juifs ».

10. Jr 2, 21.

11. Is 5, 2.

12. Sur les deux natures dans le Christ et l'unité de personne, voir ci-dessus, n° 1711, note 3.

13. Cf. Ep 1, 22-23 ; 4, 15-16 ; 5, 23 ; Col 1, 18. Voir Somme théo1., III, q. 8, a. 1 sq.

14. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXX, 2, BA 74B, p. 71-73.

15. Les mots agricola et cultura viennent l'un et l'autre du verbe colo, colere, qui signifie « culture ».

1982. Mais puisque cultiver, c'est dépenser son zèle pour quelque chose, nous cultivons quelque chose de deux manières : soit pour que soit amélioré ce que nous cultivons, et en ce sens nous cultivons un champ ou quelque chose de te1. Soit pour que nous soyons améliorés par cela, et de cette manière l'homme cultive la sagesse. Dieu nous « cultive » donc pour que nous soyons améliorés par son travail, en tant qu'il extirpe de nos cœurs les mauvaises semences. Il ouvre notre cœur par la charrue de sa parole ; il plante les semences de ses commandements ; il recueille un fruit de piété, comme le dit Augustin1. Nous, nous lui rendons un culte pour être améliorés par lui, mais cela en adorant (adorando) et non en labourant (arando) — Si quelqu'un rend un culte à Dieu (...), celui-là [Dieu] l'exauce2.

Le Père est donc le cultivateur de cette vigne en vue du bien d'un autre. C'est lui, en effet, qui plante - Moi, je t'ai plantée comme une vigne de choix, comme une vraie semence3. C'est lui qui fait croître - Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné la croissance4 -, car Dieu seul, de l'intérieur, fait croître et fructifier ; et, dans la mesure où l'homme coopère de l'extérieur, Dieu lui-même garde et conserve, comme le dit Matthieu, qui cite Isaïe : Il a bâti une tour dans la vigne, et l’α entourée d'une clôture5.

TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE ; ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE. (15, 2)

1983. Le souci du vigneron porte sur deux choses : sur la vigne et sur les sarments. Mais la vigne dont il s'agit ici était parfaite et n'avait pas besoin du soin du vigneron ; c'est pourquoi le vigneron devait dépenser tout son zèle pour les sarments : TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE. Or les sarments font partie de la nature de la vigne ; aussi ceux qui adhèrent au Christ sont-ils des sarments de cette vigne - La vigne s'est développée en sarments6.

En ce qui concerne les sarments, le Christ montre le souci de ce vigneron à l'égard des mauvais [n° 1984], puis des bons sarments [n° 1985].

1984. Son souci à l'égard des mauvais sarments est de les couper de la vigne : TOUT SARMENT, c'est-à-dire tout croyant, QUI NE PORTE PAS DE FRUIT, sur la vigne, EN MOI, sans qui rien ne peut fructifier, IL L'ENLÈVE de la vigne. De là apparaît que ce n'est pas seulement parce qu'ils font le mal que certains sont retranchés du Christ, mais aussi parce qu'ils négligent de faire le bien - Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu7. Aussi l'Apôtre disait-il de lui-même : C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce en moi n'a pas été vaine8. Selon Matthieu9, le talent a été retiré à celui qui ne l'a pas fait fructifier mais l'a caché ; et selon Luc 10, le Seigneur a ordonné de couper le figuier stérile.

1. Serm. de Scr., 87, I, PL 38, co1. 530-531.

2. Jn 9, 31.

3. Jr 2, 21.

4. 1 Co 3, 6.

5. Mt 21, 33 ; cf. Is 5, 2.

6. Ez 17, 6.

7. 2 Co 6, 1.

8. 1 Co 15, 10. À propos de ce verset saint Thomas rappelle la distinction entre grâce opérante et grâce coopérante : « Dieu non seulement infuse la grâce par laquelle nos œuvres sont rendues agréables et méritoires, mais il meut aussi à bien user de la grâce infuse, et c'est ce qu'on appelle la grâce coopérante » (Ad 1 Cor. lect., XV, n" 909). Voir aussi Somme théol, I-II, q. 111, a. 2.

9. Cf. Mt 25, 28.

10. Cf. Le 13, 7.

ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE.

1985. Le souci du Christ à l'égard des bons sarments, c'est de les entourer de soins pour qu'ils fructifient davantage.

Au sens littéral, en effet, pour la vigne naturelle, il arrive que le sarment aux nombreux rejetons porte moins de fruit, parce que sa sève doit se diffuser partout ; et c'est pourquoi les vignerons, pour qu'il fructifie plus, l'émondent des rejetons superflus.

Il en va de même pour l'homme : car l'homme qui est bien disposé et uni à Dieu, s'il incline son affection vers diverses réalités, voit sa vertu s'amoindrir et perd de son efficacité en vue de bien agir. Aussi, pour qu'il fructifie bien, Dieu enlève fréquemment de telles entraves et « émonde » cet homme, en envoyant tribulations et tentations pour que, par elles, il devienne plus fort pour agir1. Voilà pourquoi il dit : IL L'ÉMONDE, même s'il était pur ; car personne n'est assez pur en cette vie pour ne pas avoir à être « émondé » encore et encore2 - Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous3.

Et tout cela, c'est POUR QU'IL PORTE DAVANTAGE [DE FRUIT], c'est-à-dire qu'il croisse en vertu, afin que les croyants soient d'autant plus féconds qu'ils seront plus purs - Que le juste devienne encore plus juste et que le saint se sanctifie encore4 - La parole de l’Évangile (...) ne cesse de fructifier et de croître5. - Ils iront de vertu en vertu6.

LE DÉVELOPPEMENT DE L'ALLÉGORIE

1986. De cette allégorie, le Seigneur en vient maintenant à son propos. Deux aspects sont mis en lumière dans le rapport des sarments à la vigne : l'union des sarments à la vigne, et la taille des sarments. Il traite donc premièrement de l'union, puis de la taille [n° 2030].

A. L'UNION DES SARMENTS A LA VIGNE

En premier lieu, il exhorte ses disciples à demeurer attachés à la vigne ; puis il donne les raisons de cette adhésion [n° 1989] ; enfin il montre la manière de demeurer en lui [n° 1997].

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVI, 1, PG59, co1. 411.

2. Ici et jusqu'à la fin du verset, saint Thomas reprend les remarques de saint Augustin {Tract, in Io., LXXX, 2, BA 74B, p. 73-75).

3. 1 Jn 1, 8.

4. Ap 22, 11.

5. Col 1, 5-6.

6. Ps 83, 8.

a) Le Christ exhorte ses disciples à demeurer en lui.

VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE. DEMEUREZ EN MOI, ET MOI EN VOUS. (15, 3-4)

Dans son exhortation aux disciples, le Seigneur leur rappelle le bienfait reçu, puis il les exhorte à demeurer en lui [n° 1988].

VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE.

1987. Ils ont reçu ce bienfait de la taille, c'est pourquoi il dit : VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES PURS, comme pour dire : voilà ce que j'ai dit des sarments, mais vous, vous êtes des sarments que la taille a préparés à produire du fruit, et cela À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE.

En effet la parole du Christ commence par purifier des erreurs en instruisant - Attaché à la parole digne de foi, conforme à renseignement, pour être capable d'exhorter dans la saine doctrine et de confondre ceux qui la contredisent1. Et cela parce que dans les paroles de Dieu ne se trouve aucune fausseté - Toutes mes paroles sont justes, (...) droites pour ceux qui ont l'intelligence 2. Il dit donc : VOUS ÊTES PURS, des erreurs des Juifs. En second lieu, la parole du Christ purifie les cœurs des affections terrestres, en enflammant d'amour pour les réalités célestes. En effet, la parole de Dieu secoue par sa puissance le cœur de l'homme enfoncé dans les réalités terrestres, si bien qu'il s'enflamme - Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu et comme un marteau ?3

1. Tt 1, 9.

2. Pr 8, 8-9.

3. Jr 23, 29. Saint Thomas commente : « Un feu pour enflammer - Ta parole a été très éprouvée par le feu et ton serviteur l'a aimée (Ps 118, 140). - La parole du Seigneur l'enflamma (Ps 104, 19) -, et un marteau, pour adoucir les cœurs durs - À cause de cela je les ai massacrés par les prophètes, et je les ai tués par les paroles de ma bouche (Os 6, 5). Et c'est pourquoi elles ne doivent pas être mêlées à des épines - Quelle alliance entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Belial ? (2 Co 6, 14-15) » (Exp. super Hier., XXIII, lectio 7). Voir aussi ci-dessus, n° 1700.

En troisième lieu la parole de Dieu, invoquée lors du baptême, purifie des péchés. En effet, par le baptême les hommes sont lavés, parce que la parole purifie dans l'eau. En effet, comme le dit Augustin : « Supprime la parole : qu'est-ce que l'eau, sinon de l'eau ? La parole s'ajoute à l'élément et [ainsi] se réalise le sacrement.4 » La parole fait donc que l'eau touche le corps et lave le cœur. La parole, dis-je, non pas parce qu'elle est dite, mais parce qu'elle est crue. En effet, cette parole de foi a une telle force dans l'Église qu'elle purifie même les petits enfants bien qu'ils ne soient pas capables de croire, du fait qu'elle est proférée par ceux qui croient, qui offrent, qui bénissent et qui opèrent l'immersion - Les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit5. En quatrième lieu, la parole de Dieu purifie par la puissance de la foi - Purifiant leur cœur par la foi6.

Le Seigneur leur dit donc : VOUS, qui avez été DÉJÀ instruits, déjà touchés, déjà baptisés, déjà affermis dans la foi7, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE - Vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous8.

Mais parce qu'il a dit auparavant que l'office du vigneron est d'émonder, il montre clairement qu'il est ce vigneron en disant à présent que sa parole a la vertu d'émonder. Et vraiment il est bien, en tant que Dieu, celui qui taille les sarments, et le vigneron.

4. Tract, in Io., LXXX, 3, BA 74B, p. 75-77.

5. Mt 28, 19.

6. Ac 15, 9.

7. Saint Thomas reprend ici les quatre manières selon lesquelles la parole de Dieu purifie. On pourrait faire le lien avec les quatre effets de la Sainte Écriture qu'il évoque en commentant la deuxième épître à Timothée : Toute Écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger et éduquer dans la justice (2 Tm 3, 16). Ces quatre effets sont l'enseignement de la vérité, l'argumentation contre les erreurs, l’éloignement du mal et la conduite vers le bien. Saint Thomas montre combien l'intelligence se purifie par la parole de Dieu. Voir vo1. I, n° 1366, note 8.

8. Jn 13, 10.

DEMEUREZ EN MOI, ET MOI EN VOUS.

1988. Ici, le Seigneur incite ses disciples à la persévérance comme pour dire : puisque vous êtes purs, et avez reçu un si grand bienfait, vous devez persévérer. Aussi dit-il : DEMEUREZ EN MOI, par la charité - Celui qui demeure dans la chanté demeure en Dieu l - et par la participation aux sacrements - Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi2. Il dit donc DEMEUREZ EN MOI, en recevant la grâce, ET MOI EN VOUS, en vous aidant.

b) Le Christ donne les raisons de demeurer en lui.

1989. Ensuite le Christ donne les raisons de demeurer en lui, qui sont au nombre de quatre. La première raison de demeurer est la sanctification de ceux qui demeurent ; la deuxième, la punition de ceux qui ne demeurent pas [n° 1994] ; la troisième est que ceux qui demeurent en lui voient leur volonté s'accomplir [n° 1995] ; la quatrième est la glorification de Dieu [n° 1996].

I

En ce qui concerne la première raison de demeurer, le Seigneur montre d'abord que l'adhésion au Christ est nécessaire pour porter du fruit ; il montre ensuite qu'elle est efficace [n° 1991].

COMME LE SARMENT NE PEUT PORTER DU FRUIT PAR LUI-MÊME, S'IL NE DEMEURE EN LA VIGNE, AINSI VOUS NON PLUS, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI. MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS. (15, 4-5)

1990. Le Seigneur présente d'abord une allégorie, puis il montre qu'elle convient.

Il dit donc : Je dis que vous devez demeurer en moi afin de porter du fruit, parce que COMME LE SARMENT - au sens littéral, le sarment matériel - NE PEUT PORTER DU FRUIT PAR LUI-MÊME, S'IL NE DEMEURE EN LA VIGNE, dont la sève montant de la racine donne vie aux sarments, AINSI VOUS NON PLUS - sous-entendu : vous ne pouvez pas porter de fruit par vous-mêmes -, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI, qui suis la vigne. Le fait de demeurer dans le Christ est donc la raison (ratio) de la fructification. Aussi est-il dit de ceux qui ne demeurent pas en lui : Quel fruit avez-vous donc retiré de tout ce qui, maintenant, vous fait rougir ?3 - Tout ce qu'assemble l'hypocrite est stérile4.

MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS.

Cette allégorie convient bien parce que MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS, autrement dit : le rapport de vous à moi est le même que celui des sarments à la vigne. De ces sarments il est dit : La vigne étendit ses sarments jusqu'à la mer5.

CELUI QUI DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI, CELUI-LÀ PORTE BEAUCOUP DE FRUIT : PARCE QUE SANS MOI VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE. (15, 5)

1. 1 Jn 4, 16.

2. Jn 6, 57.

3. Rm6, 21.

4. Jb 15, 34.

5. Ps 79, 12.

1991. Ici, le Christ montre que le fait de demeurer en lui est efficace : il en montre d'abord l'efficacité, puis il indique la cause de cette efficacité [n° 1993].

1992. Il dit donc : Je dis que non seulement il est nécessaire que l'homme demeure en moi afin de porter du fruit, mais encore que cela est efficace ; car CELUI QUI DEMEURE EN MOI, en croyant, en obéissant et en persévérant, ET MOI EN LUI, en l'illuminant, en lui venant en aide, en lui donnant la persévérance, CELUI-LÀ, et non un autre, PORTE BEAUCOUP DE FRUIT.

Il porte, dis-je, un triple fruit en cette vie. Le premier est qu'il s'abstient des péchés - Tout son fruit, c'est que son péché soit ôté 1. Le second est qu'il se consacre aux œuvres de la sainteté - Votre fruit, vous l'avez dans la sanctification2. Le troisième est qu'il se donne pour l'édification des autres - Du fruit de tes œuvres la terre se rassasiera3.

Il porte également un quatrième fruit dans la vie éternelle – Il amasse du fruit pour la vie éternelle4. C'est là le fruit ultime et parfait de nos labeurs - Le fruit des bons labeurs est plein de gloire5.

PARCE QUE SANS MOI VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE.

1993. Par ces mots, le Seigneur donne la raison de cette efficacité. Par là il instruit les cœurs des humbles en même temps qu'il ferme la bouche des orgueilleux6, principalement des pélagiens7, qui disent pouvoir faire par eux-mêmes, sans l'aide de Dieu, les œuvres bonnes des vertus et de la Loi ; en voulant ainsi défendre le libre arbitre, ils le renversent plutôt.

En effet, le Seigneur dit ici que sans lui nous ne pouvons faire de grandes choses, ni même de petites, ni d'ailleurs rien du tout. Et ce n'est pas étonnant, puisque Dieu lui-même ne fait rien sans lui - Sans lui, rien n'a été fait8. En effet, nos œuvres sont faites soit en vertu de la nature, soit en vertu de la grâce divine. Dans le premier cas, puisque tous les mouvements de la nature viennent du Verbe de Dieu lui-même, sans lui aucune nature ne peut être mue pour faire quoi que ce soit. Quant aux actes accomplis en vertu de la grâce, puisqu'il est lui-même l'auteur de la grâce - La grâce et la vérité nous sont venues de Jésus Christ9 -, il est manifeste qu'aucune œuvre méritoire ne peut être faite sans lui10 - Ce n'est pas que de nous-mêmes nous suffisions à penser quelque chose comme venant de nous ; non, notre suffisance vient de Dieu 11. Si donc nous ne pouvons même pas penser si ce n'est par Dieu, encore moins pourrons-nous d'autres choses.

II

SI QUELQU'UN NE DEMEURE PAS EN MOI, IL SERA JETÉ DEHORS COMME LE SARMENT, ET IL SÉCHERA ; ET ON LE RAMASSERA, ET ON LE JETTERA AU FEU, ET IL BRÛLERA. (15, 6)

1994. Le Christ donne ici la deuxième raison de demeurer en lui, liée à la menace d'une peine ; car si nous ne demeurons pas en lui, nous n'échapperons pas à la peine.

Il présente cinq éléments qui aggravent cette peine ; certains d'entre eux se rapportent à la peine du dam1, à savoir l'expulsion hors de la gloire : ON LE JETTERA dehors. Parfois nous voyons que sur la vigne matérielle, un sarment demeure attaché par un lien extérieur, mais non pas par participation à la sève ; ainsi certains demeurent dans le Christ seulement par la foi, sans toutefois avoir part à la sève de la vigne, parce qu'ils ne sont pas dans la charité. C'est pourquoi ceux-là seront jetés dehors, c'est-à-dire séparés de l'assemblée des bons2.

1. Is 27, 9.

2. Rm 6, 22.

3. Ps 103, 13. 4. Jn4, 36.

5. Sg3, 15.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXXI, 2, BA 74B, p. 83.

7. Sur Pelage et le pélagianisme, voir ci-dessus, n° 1856, note 8.

8. Jn 1, 3.

9. Jn 1, 17.

10. Voir Somme théol, I-II, q. 113 et 114, où saint Thomas distingue les deux effets de la grâce opérante et de la grâce coopérante, la justification et le mérite.

11. 2 Co 3, 5.

La deuxième peine du dam est le dessèchement : ET IL SÉCHERA. C'est-à-dire, si le sarment tenait quelque chose de sa racine, il le perdra, dépouillé du secours et de la vie de cette racine. Car les mauvais chrétiens semblent avoir quelque verdeur ; mais quand ils seront séparés des saints et du Christ, leur sécheresse apparaîtra - Ma force s'est desséchée comme un tesson^.

La troisième peine, c'est que ces sarments seront associés aux mauvais : ET ON LE RAMASSERA - c'est ce que feront les anges moissonneurs à l'égard des mauvais, ce qui est bien la plus grande des peines. Si, en effet, être pour une heure avec des mauvais est une grande peine, combien plus être pour toujours avec les pires hommes et les démons ? Ils se retrouveront réunis en un seul fagot dans le lac4. - Ramassez d'abord l'ivraie, et liez-la en bottes pour la brûler5.

La quatrième peine, c'est la peine du sens : ET ON LE JETTERA AU FEU, c'est-à-dire au feu éternel - Qu'adviendra-t-il du bois de la vigne entre tous les arbres des bois ? (...) Voici qu 'il a été donné en pâture au feu 6. Car les bois de vigne, s'ils ne demeurent pas sur la vigne, sont plus méprisables que tous les autres bois, mais s'ils demeurent sur la vigne, ils sont les plus glorieux. Voilà pourquoi Augustin dit : « Une de ces deux choses convient au sarment : la vigne ou le feu ; s'il n'est pas sur la vigne, il sera dans le feu7 » - Allez, maudits, au feu éternel8.

La cinquième peine, c'est l'épreuve perpétuelle du feu : ET IL BRÛLERA, à perpétuité - Les impies s'en iront au supplice éternel9.

III

SI VOUS DEMEUREZ EN MOI, ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS, VOUS DEMANDEREZ TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ (15, 7)

1995. Le Christ donne ici la troisième raison de demeurer en lui, qui se prend de l'efficacité de leur demande, comme pour dire : SI VOUS DEMEUREZ EN MOI, vous obtiendrez ce fruit, à savoir que VOUS DEMANDEREZ TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ.

Mais remarquons qu'il reprend là deux points qu'il avait touchés en les exhortant à demeurer en lui. Le premier point : Demeurez en moi10, il le reprend en disant : SI VOUS DEMEUREZ EN MOI. Le second : et moi en vous 11, il dit à la place : ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS Parce que le Christ est le Verbe du Père toute parole (verbum) de sagesse vient de lui - La source de la sagesse, c'est le Verbe de Dieu au plus haut des deux 12. Il est donc manifeste que le Christ est en nous lorsque les paroles (verba) de sa sagesse sont en nous - Vous n'avez pas la parole de Dieu (verbum Dei) demeurant en vous1.

1. À ce sujet, voir vo1. I, n° 548, note 12.

2. Cf. Ez 34, 17 : Voici que moi, je juge entre bétail et bétail, entre celui des béliers et celui des boucs. Ez 34, 20 : Me voici moi-même, je juge entre la brebis grasse et la brebis maigre. Ez 20, 36-38 : Je vous jugerai, dit le Seigneur Dieu (...) et je séparerai de vous les transgresseurs et les impies.

3. Ps 21, 16.

4. Is 24, 22.

5. Mt 13, 30.

6. Ez 15, 2 et 4.

7. Tract, in Io., LXXXI, 3, BA 74B, p. 87.

8. Mt 25, 41.

9. Mt 25, 46.

10. Jn 15, 4.

11. Idem.

12. Si 1, 5 (verset propre à la Vulgate).

Voilà pourquoi il dit : ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS, ce qui se fait de quatre manières : en aimant, en croyant, en méditant et en accomplissant - Mon fils, écoute mes paroles en croyant, et incline l'oreille à mes propos en obéissant ou en accomplissant, ne les quitte pas des yeux en méditant, et garde-les au milieu de ton cœur2 en aimant. - Tes paroles se sont présentées, et je les ai dévorées^".

Les paroles du Christ sont donc en nous lorsque nous faisons ce qu'il a commandé, et que nous aimons ce qu'il a promis. Et de là suit également que nous sommes instruits de ce que nous devons demander - Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière, mais l'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements ineffables*. Voilà pourquoi, selon Matthieu5 et Luc6, avec ses propres paroles, il nous a également appris à prier.

Ainsi donc, crues et méditées, les paroles de Dieu nous forment pour que nous demandions ce qui est nécessaire à notre salut. Mais, aimées et accomplies, elles nous aident à mériter ; et c'est pourquoi il ajoute : vous demanderez tout ce que VOUS VOUDREZ, avec discernement et persévérance, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ ; et plus tard il dira : Si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera''.

1. Jn 5, 38.

2. Pr 4, 20-21.

3. Jr 15, 16.

4. Rm 8, 26.

5. Cf. Mt 6, 9. Saint Thomas commente : « Pourquoi donc faut-il prier ? Je réponds. Non pas pour enseigner mais pour fléchir le genou, pour devenir un familier de Dieu, pour t'humilier et te souvenir de tes péchés. (...) Le Seigneur dit : Priez ainsi, et non pas : "Priez ceci". Il n'interdit pas de prier autrement mais il nous apprend à prier ainsi. Cette prière a donc trois caractères : elle est brève, parfaite et efficace. Elle est brève pour que tous puissent la saisir, aussi bien les gens érudits que les gens sans instruction, et aussi pour donner confiance qu'on sera facilement exaucé. (...) De même elle est parfaite ; en effet, c'est Dieu lui-même qui l'a donnée, et les œuvres de Dieu sont parfaites. Elle est aussi efficace, c'est pourquoi les Apôtres disaient : Apprends-nous à prier (Le 11, 1). Et lui-même a dit : Vous prierez ainsi : "Notre Père qui es aux deux..."« (Sup. Matth. lect., VI, nos 581 et 583).

6. Cf. Le 11, 2.

IV

EN CECI MON PÈRE EST GLORIFIE : QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT ET QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES. (15, 8)

1996. Le Christ donne ici la quatrième raison de demeurer en lui, tirée de la gloire du Père. Toutes nos œuvres, nous devons les rapporter à la gloire de Dieu - Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire8. - Que vous mangiez ou buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu9.

Le Seigneur montre donc que nous sommes dans le Christ parce qu'à partir de cela nous portons du fruit, et que par ce fruit le Père est glorifié, et c'est pourquoi il dit : EN CECI MON PÈRE EST GLORIFIÉ, QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT, c'est-à-dire que ce fruit rejaillisse pour la gloire du Père.

Il présente ici, dans l'ordre inverse, trois faits qui se suivent les uns les autres. L'un concerne cette adhésion : QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, ce qui est la même chose que : Demeurez en moi10.

Et de cela s'ensuit le deuxième point : QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT. Et par là mon Père est glorifié. Comme pour dire : C'est la gloire du Père que vous portiez du fruit, et vous portez beaucoup de fruit du fait que vous êtes mes disciples. D'abord en vous conduisant bien, et par là Dieu est glorifié - Qu'ils voient vos bonnes œuvres, et glorifient votre Père11. Ensuite par un enseignement droit, ce qui glorifie également Dieu - Tout homme qui invoque mon nom, c'est à ma gloire que je l’ ai créé1. Les Apôtres sont donc cette terre qui porte beaucoup de fruit2, comme il est dit ensuite : ET QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, en demeurant en moi et en étant fervents dans la charité.

7. Jn 16, 23.

8. Ps 113 B, 1.

9. 1 Co 10, 31.

10. Jn 15, 4.

11. Mt 5, 16.

Tels sont en effet les signes qui caractérisent les disciples du Christ : en premier lieu, l'adhésion au Christ - Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples3. Par là ils sont rendus capables de porter le fruit de la doctrine.

En second lieu, l'observance de la charité - En ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres4. C'est par là qu'ils sont rendus capables de porter un fruit de bonnes œuvres - Si j'avais le don de prophétie, et si je connaissais tous les mystères et toute la science, si j'avais toute la foi jusqu'à déplacer des montagnes, si je n'ai pas la chanté, je ne suis rien5 : on montre là que sans la charité rien ne vaut.

c) La manière de demeurer en lui.

1997. Précédemment, le Seigneur a exhorté ses disciples à demeurer en lui. À présent il montre ce qu'est demeurer en lui, et cela en trois points. Il montre d'abord que demeurer en lui, c'est demeurer dans son amour ; ensuite, que demeurer dans son amour, c'est garder ses commandements [n° 2001] ; enfin, que garder ses commandements, c'est observer la charité [n° 2005].

Demeurer en l'amour du Christ.

COMME LE PÈRE M'A AIME, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS. DEMEUREZ DANS MON AMOUR. (15, 9)

Le Seigneur rappelle d'abord le bienfait accordé aux disciples ; puis il les exhorte à persévérer [n° 2000].

1998. Premièrement, donc, il dit que le fait que nous demeurions dans le Christ provient de sa grâce ; et cette grâce est l'effet de l'amour lui-même - D'un amour éternel je t'ai aimée6. Par là il apparaît évident que toutes nos œuvres bonnes sont nôtres en vertu du bienfait de l'amour divin. En effet, elles ne seraient pas nôtres si la foi n'opérait pas par l'amour7 ; et nous n'aimerions pas si nous n'étions d'abord aimés8. Voilà pourquoi le Seigneur dit, rappelant ce bienfait : COMME LE PÈRE M'A AIMÉ, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS.

1. Is 43, 7. Saint Thomas commente : « Et tout homme qui invoque mon nom, je l'introduirai dans ma gloire pour qu'il me glorifie et qu'en lui j'apparaisse glorieux » (Exp. super Isaiam, 43, 7, p. 181, 1. 45-47).

2. Cf. Mt 13, 23 ; Me 4, 8 ; Le 8, 15.

3. Jn 8, 31.

4. Jn 13, 35.

5. 1 Co 13, 2.

6. Jr31,3.

7. Cf. Ga 5, 6 : La foi opère par la charité. Cf. Somme théo1., II-II, q. 4, a. 5, où saint Thomas montre que la foi est une vertu, principe d'un acte bon, quand elle est liée à la charité. Il distingue ainsi (par la charité) la foi informe et la foi formée (par la charité) qui seule est une vertu.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXXII, 2, BA 74B, p. 97.

1999. Mais remarquons que le mot « comme » exprime tantôt une égalité de nature, tantôt une similitude d'action. Les ariens, dans leur erreur, voulaient que le « comme » implique l'égalité de nature ; et du fait que ce qui est supérieur est exprimé plus souvent, ils en concluaient que le Fils est moindre que le Père. Mais c'est faux ; aussi faut-il dire, selon Augustin 1, que le « comme » indique une similitude de grâce et d'amour, car l'amour dont le Fils aime les disciples est une certaine similitude de l'amour dont le Père aime le Fils. Puisqu'en effet aimer quelqu'un, c'est lui vouloir du bien, le Père aime le Fils selon sa nature divine, en tant qu'il veut pour lui le bien infini et souverain que lui-même possède, et cela en communiquant au Fils sa propre nature, la même numériquement que celle qu'il possède lui-même - Le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu'il fait2. Il l'aime aussi selon sa nature humaine - Quand Israël était enfant, je l'ai aimé, et d'Égypte j'ai appelé mon fils3 ; et ceci pour qu'il fût à la fois Dieu et homme.

Or ce n'est pour rien de tout cela que le Fils a aimé les disciples : il ne les a aimés ni pour qu'ils soient Dieu par nature, ni pour qu'ils soient unis à Dieu dans leur personne. Mais c'est pour une similitude de tout cela qu'il les a aimés, c'est-à-dire pour qu'ils soient dieux par participation à la grâce 4 - Moi, j'ai dit : Vous êtes des dieux5. - Par lui, il nous a donné les grandes et précieuses promesses, afin que nous soyons rendus participants de la nature divine6. C'est aussi pour qu'ils soient assumés dans une unité d'amour, car celui qui s'attache à Dieu n'est avec lui qu'un seul esprit7. - Ceux que d'avance il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit le premier-né parmi de nombreux frères8. Ainsi donc, le bien donné par Dieu le Père au Fils selon l'une et l'autre nature est plus grand que le bien donné par le Fils aux disciples ; toutefois c'est un bien semblable, comme on l'a dit.

DEMEUREZ DANS MON AMOUR.

2000. Le Seigneur ajoute ces mots, comme pour dire : du fait que vous avez reçu de mon amour un si grand bienfait, DEMEUREZ dans cet amour, pour que vous m'aimiez. Ou encore : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, l'amour dont moi je vous aime, c'est-à-dire demeurez dans ma grâce, afin de ne pas être dépossédés des biens que je vous ai préparés. Cette dernière explication convient davantage9 ; le sens est donc : Persévérez dans cet état, d'être ainsi aimés de moi par l'effet de la grâce - Que chacun demeure dans la vocation même où il a été appelé 10. - Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui11.

1. Ibid.

2. Jn 5, 20.

3. Os 11, 1.

4. Cf. Somme théo1., I-II, q. 110, a. 3 : « La grâce est une participation à la nature de Dieu ».

5. Ps 81, 6.

6. 2 Ρ 1, 4.

7. 1 Co 6, 17.

8. Rm 8, 29.

9. Saint Thomas reprend une remarque de saint Augustin, qu'il prolongera dans le n° 2002 : quel est le « sujet » de l'amour dans lequel les disciples doivent demeurer ? S'agit-il de l'amour que le fidèle a pour le Christ, ou de l'amour du Christ pour le fidèle (cf. Tract, in Io., LXXXII, 3, BA 74B, p. 99-101) ? Les deux étant grammaticalement possibles, le choix dépendra du contexte. Dans son commentaire d'une formule parallèle : L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs (...) (Rm 5, 5), saint Thomas n'a pas tranché, le contexte ne permettant pas d'orienter le choix vers l'un ou l'autre sens {Ad Rom. lect., V, nos 392-393).

10. 1 Co 7, 20.

11. 1 Jn 4, 16.

Garder ses préceptes.

2001. Le Seigneur montre à présent ce qu'est demeurer dans son amour : il montre d'abord que c'est garder ses commandements1 ; puis il le manifeste par son exemple [n° 2003] ; enfin il chasse un doute [n° 2004].

SI VOUS OBSERVEZ MES PRÉCEPTES, VOUS DEMEUREREZ DANS MON AMOUR. (15, 10)

2002. Il dit donc : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, et vous le ferez SI VOUS OBSERVEZ MES PRÉCEPTES ; car c'est ainsi que VOUS DEMEUREREZ DANS MON AMOUR.

En effet, l'observation des commandements est l'effet de l'amour divin, non seulement de l'amour dont nous aimons Dieu, mais de l'amour dont Dieu lui-même nous aime. Car du fait qu'il nous aime, il nous meut et nous aide à accomplir ses commandements, que nous ne pouvons accomplir que par la grâce - En cela est la charité : ce n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés (...) le premier2.

1. En ce qui concerne praeceptum et mandatum, saint Thomas précise dans la Somme théologique certaines nuances : « Le dû moral est double : en effet l'intelligence dicte ce que nous devons faire soit comme nécessaire, sans quoi l'ordre de la vertu ne peut être ; soit comme utile à mieux conserver l'ordre de la vertu. Et en ce sens certains points de la morale sont prescrits ou interdits de façon précise par la Loi. Par exemple : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas (Ex 20, 13. 15). Ce sont là les préceptes proprement dits (praecepta). Mais d'autres choses sont prescrites ou interdites non parce qu'elles seraient dues au sens précis, mais pour un mieux. C'est ce qu'on peut appeler commandements (mandata), parce qu'ils incitent et persuadent. Par exemple, il est dit dans l'Exode (22, 26) : Si tu as reçu de ton prochain un vêtement en gage, tu dois le lui rendre avant le coucher du solei1. C'est pourquoi Jérôme dit que "dans les préceptes est la justice, mais dans les commandements la charité"« (I—II, q. 99, a. 5, a). En fait saint Thomas, dans ce chapitre, utilise les deux mots praeceptum et mandatum de manière souvent équivalente. Du reste le mot grec est unique : εντολή.

2. Cette citation est l'union de deux versets : 1 Jn 4, 10 : En cela est la charité : ce n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés, et 1 Jn 4, 19 : Pour nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier.

COMME MOI AUSSI J'AI OBSERVE LES PRÉCEPTES DE MON PÈRE, ET JE DEMEURE DANS SON AMOUR. (15, 10)

2003. Le Seigneur ajoute à cela un exemple. De même en effet que l'amour dont le Père l'aime est l'exemple de l'amour dont lui-même nous aime, de même il a voulu que son obéissance soit l'exemple de la nôtre. Et c'est par là que le Christ montre qu'il demeure dans l'amour du Père, parce qu'en toutes choses il a gardé ses commandements. Car il a même supporté la mort – Il s'est fait obéissant au Père jusqu'à la mort., et la mort de la croix3. Et de tout péché, il s'est abstenu - Lui qui n'a pas commis de péché et dans la bouche duquel on n'a pas trouvé de ruse4. Et cela il faut le comprendre du Christ en tant qu'homme – Il ne m'a pas laissé seul, parce que moi, ce qui lui plaît, je le fais toujours5. Voilà pourquoi il dit : JE DEMEURE DANS SON AMOUR parce qu'en moi, en tant qu'homme, il n'y a rien de contraire à son amour.

JE VOUS AI DIT CELA, POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS, ET QUE VOTRE JOIE SOIT EN PLÉNITUDE. (15, 11)

2004. Pour qu'ils ne croient pas que ce fût en vue de son intérêt propre, et non du leur, qu'il les a exhortés à garder ses commandements, il dit à ses disciples : JE VOUS AI DIT CELA, c'est-à-dire d'observer mes commandements, pour votre bien, c'est-à-dire POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS. L'amour, en effet, est cause de joie, car on trouve sa joie dans la réalité aimée. Or Dieu aime lui-même et la créature, principalement la créature raisonnable, à laquelle il communique le bien infini. Le Christ, donc, de toute éternité, trouve sa joie dans deux réalités : dans le bien lui venant du Père - Je trouvais mes délices en jouant devant lui en tout temps, en jouant sur le globe de la terre1 - et dans le bien lié à la créature raisonnable - Mes délices sont d'être avec les fils des hommes2 -, bien qui est d'être en communion avec les fils des hommes ; et dans ces deux biens, le Christ trouve sa joie de toute éternité - En toi, ton Dieu trouvera sa joie3.

3. Ph 2, 8 ; « au Père » n'est pas dans la Vulgate.

4. 1 Ρ 2, 22.

5. Jn 8, 29.

Par l'observation de ses commandements, le Seigneur veut donc nous rendre participants de sa propre joie4 ; voilà pourquoi il dit : QUE MA JOIE, celle dont moi je me réjouis à cause de ma divinité et de celle du Père, SOIT EN VOUS : et ce n'est rien d'autre que la vie éternelle qui est, selon Augustin5, la joie de la vérité ; autrement dit : Que vous ayez la vie éternelle - Alors tu abonderas de délices à cause du Tout-Puissant6. ET QUE VOTRE JOIE, celle dont moi je me réjouis à cause de mon humanité, SOIT EN PLÉNITUDE. Car pour nous [les hommes], les biens dont nous nous réjouissons sont soit imparfaits, soit imparfaitement possédés ; et c'est pourquoi la joie en cette vie ne peut pas être plénière. Mais elle le sera lorsque nous atteindrons parfaitement les biens parfaits - Entre dans la joie de ton Seigneur7.

Observer la chanté.

2005. Ici le Seigneur expose d'abord quel est son précepte ; il nous donne ensuite un exemple [n° 2008] ; enfin il rappelle le bienfait accordé aux disciples [n° 2010].

1. Pr8, 30 et 31a.

2. Pr 8, 31b.

3. Is 62, 5.

4. Joie traduit ici le mot latin gaudium. Sur la joie de la vie éternelle, voir ci-dessus, n° 1853, note 6, p. 157, à propos du sens du mot fruitio.

5. Les confessions, X, xxiii, 33, BA 14, p. 201-203 : « La vie bienheureuse est la joie [qui naît] de la vérité, c'est-à-dire la joie qui vient de toi, ô Dieu, ma lumière, le salut de ma face, mon Dieu ! (Ps 41, 6-7) qui es la Vérité. Cette vie bienheureuse, tous la veulent ; cette vie qui seule est bienheureuse, tous la veulent. La joie [qui naît] de la vérité, tous la veulent ».

6. Jb 22, 26.

7. Mt 25, 21. Saint Thomas commente : « Pourquoi dit-il : Entre dans la joie et non pas : "reçois" ? Il y a deux joies : celle qui relève de biens extérieurs et celle qui relève de biens intérieurs. Celui qui se réjouit des biens extérieurs n'entre pas dans la joie mais la joie entre en lui. Mais celui qui se réjouit des biens spirituels entre dans la joie - Le roi m'a introduit en ses appartements (Ct 1,3). Ou encore : ce qui est dans quelque chose est contenu par lui, et c'est celui qui le contient qui est plus grand. Quand donc la joie vient d'une chose qui est moindre que ton cœur, alors la joie entre dans ton cœur. Mais Dieu est plus grand que ton cœur (cf. 1 Jn 3, 20), aussi celui qui se réjouit à cause de Dieu entre dans la joie. De même il entre dans la joie de son Seigneur, c'est-à-dire venant du Seigneur, parce que le Seigneur est la vérité. Aussi la béatitude n'est-elle rien d'autre Que la joie [qui vient] de la vérité (gaudium de veritate). Ou bien : Entre dans la joie de ton Seigneur, c'est-à-dire dans la joie dont il réjouit et par laquelle ton Seigneur se réjouit, c'est-à-dire la jouissance de lui-même. Alors donc l'homme se réjouit comme le Seigneur puisqu'il jouit comme le Seigneur - Et moi, je dispose pour vous du Royaume comme mon Père en a disposé pour moi, pour que vous mangiez et buviez à ma table en mon Royaume (Le 22, 29-30), c’est-à-dire pour que vous soyez heureux dans ce en quoi je suis heureux » (Sup. Matth. lect., XXV, n° 2054).

I

TEL EST MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (15, 12)

2006. Le précepte qu'il donne, c'est celui de la charité, qu'il veut que nous observions. Mais puisqu'il y a beaucoup d'autres préceptes du Seigneur dans les paroles sacrées, on peut se demander pourquoi c'est seulement l'observance de la charité qu'il appelle son précepte.

Il faut dire, selon Grégoire8, que la charité est la racine et la fin de toutes les vertus. La racine, parce que c'est par la charité affermie dans son cœur que l'homme est mû à accomplir tous les autres préceptes - Celui qui aime le prochain a accompli la loi1. Tous les préceptes sont donc, pour ainsi dire, ordonnés à ce que l'homme fasse du bien à son prochain et ne lui fasse pas de tort, ce que réalise par excellence la charité.

8. XL hom. in Evang., II, hom. 27, 1, PL 76, co1. 1205 A.

Elle est encore la fin des vertus, parce que tous les préceptes sont ordonnés à elle et ne se consolident qu'en elle - La fin des préceptes est la charité qui vient d'un cœur pur2. Il dit donc : TEL EST MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES, comme s'il disait que tout procède de la charité comme d'un principe, et y est ordonné comme à une fin. Selon Grégoire3 en effet, de même que les nombreuses branches d'un arbre s'élèvent d'une racine unique, de même les nombreuses vertus sont engendrées à partir d'une racine unique ; et aucune branche n'a la vigueur d'une œuvre bonne si elle ne demeure enracinée dans la charité4.

2007. Mais puisqu'il est dit en Matthieu5 que la Loi et les prophètes sont suspendus non seulement à l'amour de Dieu, mais aussi à l'amour du prochain, pourquoi ne mentionne-t-il ici que l'amour du prochain ?

Il faut dire que l'un est inclus dans l'autre : car celui qui aime Dieu aime nécessairement son prochain et ce qui appartient à Dieu6 ; et qui aime le prochain à cause de Dieu, aime nécessairement Dieu : en effet, quoique les objets soient divers, les actes mêmes sont un quant à la conséquence.

1. Rm 13, 8.

2. 1 Tm 1, 5.

3. Ibid.

4. Voir aussi Somme théo1., II-II, q. 23, a. 7 et a. 8. Il ne peut y avoir de véritable vertu sans la charité, explique saint Thomas en reprenant Aristote, parce que « la vertu absolument véritable est celle qui ordonne au bien principal de l'homme » (a. 7, c). Et c'est parce que « la charité ordonne les actes de toutes les autres vertus à la fin ultime qu'elle donne aussi à ces actes leur forme » (a. 8, c.)· Voir aussi la réponse à la seconde objection de l'article 8 : « On compare la charité au fondement et à la racine pour signifier que par elle sont soutenues et nourries toutes les autres vertus ». Et la réponse à la troisième objection : « On doit dire que la charité est la fin des autres vertus parce qu'elle les ordonne toutes à sa fin propre. Et, parce qu'une mère est celle qui conçoit en elle-même par un autre, on peut dire que la charité est la mèrç des autres vertus, parce que, à partir de l'appétit de la fin ultime, elle conçoit les actes des autres vertus en les commandant. »

5. Cf. Mt 223 40.

6. Saint Thomas précise : « La raison d'aimer le prochain est Dieu : en effet ce que nous devons aimer dans le prochain, c'est qu'il soit en Dieu. Il est donc manifeste que l'acte par lequel Dieu est aimé et celui par lequel le prochain est aimé sont de même espèce » (Somme théo1., II-II, q. 25, a. 1, c). Mais au sujet de la différence entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain, il indique : « C'est donc Dieu qui doit être aimé de charité principalement et par-dessus tout. Il est aimé en effet comme cause de la béatitude. Mais le prochain est aimé comme participant en même temps que nous de la béatitude » (loc. cit., q. 26, a. 2, c). Voir aussi De cantate, a. 4, in : Quaestiones disputatae (De virtutibus in communi).

S'il fait davantage mention de l'amour du prochain que de l'amour de Dieu, c'est pour une double raison : l'une est qu'en cela son intention est de les instruire et de les amener à comprendre la manière d'édifier leurs proches, et l'autre la manière de devenir forts pour supporter jusqu'au bout les tribulations des persécuteurs ; et pour l'une et l'autre chose la charité envers le prochain est nécessaire.

II

COMME JE VOUS AI AIMES (15, 12)

2008. Ici, le Christ manifeste par un exemple comment nous devons aimer le prochain, c'est-à-dire comment lui-même nous a aimés.

Or le Christ nous a aimés d'une manière ordonnée et efficace. D'une manière ordonnée, parce qu'il n'a rien aimé en nous sinon Dieu et tout ce qui, en nous, est ordonné à lui - Moi je suis la mère du bel amour''. D'une manière efficace, parce qu'il a tant aimé qu'il s'est livré lui-même pour nous - Il nous a aimés, et s'est livré lui-même pour nous, oblation et hostie pour Dieu, en parfum de bonne odeur8. Nous donc, nous devons aimer nos proches9 à la fois saintement, en vue du bien, et efficacement, c'est-à-dire de telle sorte que nous manifestions cet amour par des actes - N'aimons pas en parole ni de langue, mais en acte et dans la vérité1.

7. Si 24, 24 (verset propre à la Vulgate).

8. Ep 5, 2.

9. Voir Somme théo1., II-II, q. 25, a. 1 ; q. 26, a. 2, a. 6 et a. 7.

PERSONNE N'A DE PLUS GRAND AMOUR QUE CELUI QUI LIVRE SON ÂME POUR SES AMIS. (15, 13)

2009. Ici, le Seigneur montre l'efficacité de l'amour qui est telle qu'un homme puisse supporter la mort pour ses amis ; et c'est ce qui est le signe du plus grand amour.

Mais on peut objecter à cela que le signe du plus grand amour c'est que quelqu'un livre son âme pour ses ennemis, comme l'a fait le Christ - Dieu confirme sa charité envers nous : au temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous2. À cela il faut répondre que le Christ n'a pas livré son âme pour nous comme pour des ennemis, c'est-à-dire pour que nous demeurions ennemis, mais pour faire de nous ses amis ; ou encore il faut dire que bien que [ceux pour qui il mourait] ne fussent pas des amis comme ceux qui aiment, ils l'étaient toutefois en tant qu'aimés.

Or il est manifeste que le signe du plus grand amour, c'est de livrer son âme pour son ami, parce qu'on peut ordonner quatre choses dans l'ordre des réalités capables d'être aimées : Dieu, notre âme, le prochain, et notre corps3. Et c'est Dieu que nous devons aimer plus que nous-mêmes et que nos proches, de telle sorte que pour Dieu nous devons nous donner nous-mêmes, c'est-à-dire notre âme et notre corps, et donner le prochain. Pour notre âme nous devons exposer notre corps, mais notre âme, nous ne devons pas la donner. En ce qui concerne le prochain, c'est notre vie corporelle et notre corps que nous devons exposer pour son salut. Voilà pourquoi, puisque la vie corporelle est ce que nous possédons de plus important après notre âme, l'exposer pour le prochain est ce qu'il y a d'essentiel, et le signe du plus grand amour - En cela est apparue la charité de Dieu envers nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui4.

Le bienfait accordé aux disciples.

2010. Précédemment, le Seigneur nous a exhortés à la charité fraternelle, et cela par son exemple [n° 2005] ; ici il montre aux disciples le bienfait qui leur a été accordé et qui les engageait à l'imiter : c'est que lui, le Christ, les a élevés 5 jusqu'à l'amour dont lui-même aime (ad amorem suum). Et d'abord il donne le signe de leur amitié, puis il en dévoile la cause [n° 2019].

VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. MAIS JE VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 14-15)

Le Seigneur montre ici un double signe de l'amitié : l'un, pris du côté des disciples ; l'autre, de son côté à lui [n° 2013].

1. 1 Jn 3, 18.

2. Rm 5, 8.

3. Sur l'ordre de la charité, voir Somme théol, II-II, q. 25, a. 12, et q. 26.

4. 1 Jn 4, 9.

5. Assumpsit eos. Cette expression, qui vient du Deutéronome, se retrouve, avec le sens d'élever jusqu'à soi, dans le commentaire du Psaume 16, où saint Thomas cite tout le verset : « À l'ombre de tes ailes protège-moi, c'est-à-dire sous la garde des anges (...). Les deux ailes sont les deux bras du Christ étendus sur la croix - II a déployé ses ailes, et l'a pris, et il l'a porté (assumpsit) sur ses épaules (Dt 32, Π) » (Exp. in Psalmos, 16, n° 3).

VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE.

2011. En ce qui concerne les disciples, le signe qu'ils sont amis du Christ, c'est qu'ils observent ses commandements. Il leur dit donc : VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. Comme pour dire : jusqu'à présent je vous ai avertis de vous aimer les uns les autres, mais maintenant je vous avertis et je vous parle de votre amitié envers moi.

L'affirmation VOUS ÊTES MES AMIS peut être entendue de deux manières, selon que le mot « ami » désigne à la fois celui qui aime et celui qui est aimé ; et selon ces deux sens, ce qu'ajoute le Seigneur est vrai : SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. En effet ceux qui aiment Dieu observent ses commandements ; car puisque l'ami est comme un gardien de l'âme [de son ami], comme l'affirme Grégoire \ c'est à juste titre que celui qui garde la volonté de Dieu dans ses préceptes est appelé son ami.

De même, ceux que Dieu aime observent ses commandements, dans la mesure où il les aide à les observer en leur conférant sa grâce : Dieu, en nous aimant, fait de nous [ses amis], ceux qui l'aiment (dilectores) - Moi, j'aime ceux qui m'aiment2 ; non que ceux-ci aient aimé les premiers, mais parce que Dieu lui-même, en les aimant, les rend aimants3.

2012. Mais il faut savoir que l'observation des commandements n'est pas la cause4 de l'amitié divine, mais son signe ; le signe à la fois que Dieu nous aime et que nous, nous l'aimons - L'amour de la sagesse est la garde de ses lois5. - Celui qui dit aimer Dieu et ne garde pas ses commandements est un menteur6.

2013. Le Christ montre maintenant le signe de leur amitié, de son côté à lui. Il exclut d'abord ce qui semble contraire à l'amitié, puis il donne le signe de la véritable amitié [n° 2016].

JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. (15, 15)

2014. Ce qui est contraire à l'amitié, c'est la servitude ; il commence donc par l'exclure en disant : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Autrement dit : même si autrefois vous avez été comme des serviteurs sous la Loi, maintenant vous êtes comme des hommes libres sous la grâce – Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des fils7.

Ensuite, le Seigneur dit pourquoi il exclut la servitude : PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. Le serviteur, en effet, est comme étranger à son seigneur. Plus haut : Le serviteur ne demeure pas dans la maison éternellement8. Or aux étrangers, on ne doit pas confier les secrets - Ne révèle pas les secrets à un étranger9 ; il ne faut donc pas confier les secrets aux serviteurs.

Mais ce passage peut être rattaché à ce qui précède de la manière suivante. Les disciples pourraient dire : si nous observons tes préceptes, nous sommes tes amis ; mais observer les préceptes relève plus de la servitude que de l'amitié. Et c'est pourquoi, excluant cela, le Seigneur dit : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS.

1. XL hom. in Évang., II, hom. 27, 4, PL 76, co1. 1207 A.

2. Pr 8, 17.

3. Voir ci-dessus, n° 1622, note 8.

4. En effet, comme le rappelle saint Thomas, Dieu seul est cause de l'amour divin : « La charité ne peut pas venir en nous naturellement ni être acquise par nos forces naturelles. Elle ne peut venir que d'une infusion de l'Esprit Saint, qui est l'amour du Père et du Fils, dont la participation en nous est la charité elle-même » (Somme theol, II-II, q. 24, a. 2, a).

5. Sg 6, 19.

6. 1 Jn 2, 4 ; mais les premiers mots : Celui qui dit le connaître ont été remplacés par les premiers mots de 1 Jn 4, 20 : Celui qui dit aimer Dieu (et a de la haine pour son frère).

7.Rm 8, 15. 8. Jn 8, 35. 9. Pr 25, 9.

2015. Mais ici, il y a un doute. Les Apôtres eux-mêmes disent qu'ils sont les serviteurs du Christ - Paul, serviteur du Christ Jésus, Apôtre1 ; David dit également : Moi, je suis ton serviteur2 ; et même ceux qui doivent être introduits dans la vie éternelle sont appelés serviteurs : C'est bien, serviteur bon et fidèle (...) ; entre dans la joie de ton Seigneur2. Pourquoi alors le Seigneur dit-il : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS ?

Il y a encore un doute sur le point suivant. Puisque les seigneurs fréquemment révèlent leurs secrets à leurs serviteurs, et de même Dieu - Dieu ne fait rien qu'il n'ait révélé son secret à ses serviteurs les prophètes 4 -, ce qu'il dit ici : LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR ne semble pas vrai.

Je réponds : il faut dire, selon Augustin5, que la servitude est causée proprement par la crainte. Or il y a une double crainte6 : la crainte servile, que bannit la charité - Il n'y a pas de crainte dans la charité7 -, et la crainte filiale, qui est engendrée par la charité parce qu'on craint de perdre ce qu'on aime. Celui donc qui aime Dieu craint de le perdre ; voilà la crainte bonne et chaste, dont il est dit dans le psaume : La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pour les siècles des siècles8. Et d'après cela, ily a deux servitudes. La première procède de la crainte filiale ; et c'est d'une telle servitude que sont serviteurs tous les justes, et les fils de Dieu, comme on l'objectait. L'autre servitude, qui procède de la crainte du châtiment, est contraire à l'amour ; et c'est en parlant d'elle que le Seigneur dit : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Il faut savoir aussi que le serviteur, à proprement parler, est celui qui n'est pas cause pour lui-même, alors que l'homme libre est celui qui est cause pour lui-même. Il y a donc une différence entre les opérations du serviteur et celles de l'homme libre : le serviteur travaille pour un autre (causa alterius), tandis que l'homme libre travaille pour lui-même (causa sui), à la fois quant à la cause finale de l'œuvre et quant à la cause motrice9. En effet, l'homme libre travaille pour lui-même, comme pour une fin, et travaille de lui-même, puisque c'est de sa propre volonté qu'il est mû à [réaliser] une œuvre ; le serviteur, par contre, ne travaille pas pour lui-même, mais pour son seigneur, ni de lui-même, mais de par la volonté de son seigneur, et comme par une certaine contrainte. Mais il arrive parfois qu'un serviteur, travaillant pour un autre qui est comme sa cause finale, travaille cependant de lui-même, en tant qu'il se meut lui-même en vue de réaliser une œuvre. Et telle est la bonne servitude ; car c'est par la charité qu'on est mû à faire des œuvres bonnes, mais toutefois on n'opère pas pour soi-même, puisque dans la charité nous ne cherchons pas ce qui est nôtre, mais ce qui appartient à Jésus Christ et au salut du prochain. En revanche, ceux qui opèrent entièrement à cause d'un autre sont de mauvais serviteurs. Il est donc évident que les disciples étaient des serviteurs, mais selon cette servitude bonne qui procède de l'amour.

1. Rm 1, 1.

2. Ps 118, 125.

3. Mt 25, 23. Cf. Ap 7, 3.

4. Am 3, 7.

5. Tract, in Io., LXXXV, 3, BA 74B, p. 133-134.

6. Sur les différentes craintes, voir ci-dessus, n° 1783, note 2.

7. 1 Jn 4, 18.

8. Ps 18, 10. En commentant ce psaume saint Thomas évoque les deux sortes de crainte : « Toute crainte est engendrée par l'amour, parce que l'homme craint de perdre ce qu'il aime. Aussi, de même qu'il y a un double amour, de même il y a une double crainte : une crainte sainte qui est engendrée par un amour saint ; une crainte non sainte qui est engendrée par un amour non saint. L'amour saint est celui dont Dieu est aimé - La charité de Dieu a été répandue en nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5). Cette sainte crainte fait trois choses : elle craint d'abord d'offenser Dieu. Ensuite elle se refuse à être séparée de lui. Enfin elle se soumet à Dieu par respect. Et cette crainte est appelée chaste et filiale. N'est pas sainte la crainte qui est engendrée par un amour non saint, un amour qui est selon le monde ; et un tel amour non saint est engendré par une double crainte non sainte : la crainte servile qui est issue d'un amour de soi, et la crainte mondaine qui procède de l'amour du monde » (Exp. in Psalmos, 18, n° 6).

9. Sur les quatre causes, voir ci-dessus, n° 1740, note 1.

À la seconde question il faut répondre que le serviteur qui est mû seulement par un autre, et non par lui-même, est à l'égard de celui qui le meut comme l'instrument à l'égard de l'artisan. Or l'instrument est associé à l'artisan dans la réalisation de l'œuvre, mais non pas dans la raison (ratio1) de l'œuvre ; de même, donc, de tels serviteurs participent seulement à l'œuvre. Mais quand le serviteur opère de sa propre volonté, il est nécessaire qu'il ait connaissance de la raison de l'œuvre, et qu'on lui révèle certaines choses cachées par lesquelles il puisse connaître ce qu'il fait - Si un serviteur t'est fidèle, qu'il soit pour toi comme ta propre âme2. Or les Apôtres, comme on l'a dit, étaient mus par eux-mêmes pour faire de bonnes œuvres, c'est-à-dire par leur propre volonté orientée par l'amour ; et c'est pourquoi le Seigneur leur a révélé ses secrets.

Quant aux mauvais serviteurs, il est vrai qu'ils ne savent pas ce que fait leur seigneur. Mais quelles sont donc ces choses qu'ils ne savent pas ? Celles-là mêmes que Dieu fait en nous. En effet, tout le bien que nous faisons, c'est Dieu qui l'opère en nous - C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire3. Donc le mauvais serviteur, enténébré par l'orgueil de son cœur, NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR tant qu'il attribue à lui-même ce qu'il fait.

MAIS JE VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 15)

2016. Ici, le Seigneur montre le vrai signe de l'amitié, de son côté à lui ; c'est que TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. En effet, le vrai signe de l'amitié, c'est que l'ami révèle à son ami les secrets4 de son cœur. En effet, puisque c'est le propre des amis d'être un seul cœur et une seule âme5, il semble que l'ami ne dépose pas en dehors de son cœur ce qu'il révèle à son ami - Ta cause, traite-la avec ton ami, et ne révèle pas les secrets à un étranger6. - De son visage, je ne me cacherai pas7. Or Dieu, en nous rendant participants de sa sagesse, nous révèle ses secrets - Parmi les nations elle passe en des âmes saintes, elle forme des amis de Dieu et des prophètes8.

CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE

2017. Mais ici surgit un premier doute : qu'est-ce que le Fils entend du Père, et de quelle manière ? Cela, assurément, a déjà été manifesté plusieurs fois. En effet, puisque entendre, c'est recevoir la science d'un autre, pour le Fils entendre du Père n'est rien d'autre que recevoir de lui la science ; or la science du Fils est sa propre essence : donc pour le Fils, entendre de son Père, c'est recevoir de lui son essence.

TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE.

2018. Cette dernière affirmation suscite encore un doute. Car s'il leur a tout fait connaître, il s'ensuit que les disciples en savaient autant que le Fils.

Réponse : il faut dire, selon Chrysostome1,TOUT CE QUE J'AI ENTENDU, c'est-à-dire tout ce qu'il fallait que vous entendiez, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE, mais non pas tout d'une manière absolue ; le Seigneur ne dit-il pas plus loin : J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent2 ?

1. Sur les différents sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p. 18, note 4.

2. Si 33, 31.

3. Ph 2, 13. Voir aussi Is 26, 12.

4. Voir ci-dessus, n° 1916, note 12.

5. Ac 4, 32.

6. Pr 25, 9.

7. Si 22, 31.

8. Sg 7, 27.

Ou bien il faut dire, selon Augustin3, que le Seigneur, ayant la certitude de ce qui doit nous être dit, utilise le passé pour le futur ; le sens est alors le suivant : TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE, c'est-à-dire, je vous le ferai connaître en plénitude, cette plénitude dont l'Apôtre dit : Alors je connaîtrai comme j'ai été moi aussi connu 4 ; et plus loin le Seigneur dira : Je vous annoncerai ouvertement ce qui concerne mon Père, en ce jour-là5 ; et ce sera lorsqu'il nous introduira dans la vision du Père. En effet, tout ce que sait le Fils, le Père le sait6. Lors donc qu'il nous révélera le Père, il révélera tout ce qu'il sait, et ce que nous savons [à présent, comme en énigme7].

Ou bien il faut dire, selon Grégoire8, et cela convient mieux : on peut avoir d'une même réalité une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, comme cela apparaît dans les sciences, parce qu'on dit que celui qui connaît tous les principes d'une science connaît cette science, mais il la connaît imparfaitement. Voilà pourquoi celui qui enseigne à quelqu'un les principes d'une science peut dire qu'il lui a enseigné cette science, parce que tout ce qui appartient à cette science se trouve, en puissance, dans ses principes ; mais il connaît plus parfaitement cette même science quand il connaît chacune des conclusions, qui était en puissance dans les principes9. De même, donc, pour les réalités divines, on peut avoir une double connaissance. La première est imparfaite : elle est reçue par la foi qui est un avant-goût de la béatitude future et de la connaissance que nous aurons dans la patrie - La foi est la substance des réalités qu'on doit espérer, l'argument de ce qui n'est pas apparent10. Voilà pourquoi le Seigneur dit, en parlant de cette connaissance : JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE, c'est-à-dire dans la foi, par une certaine anticipation, à la manière dont les conclusions se trouvent en puissance dans les principes. C'est pourquoi Grégoire dit : « Tout ce qu'il a fait connaître à ses serviteurs, ce sont les joies de la charité intérieure et les fêtes de la patrie d'en haut, qu'il imprime chaque jour dans nos esprits par l'aspiration de son amour ; car quand nous aimons ces choses que nous avons entendues d'en haut, les ayant aimées, déjà nous les connaissons, parce que l'amour lui-même est connaissance 1. »

1. In Ioannem hom., LXXVII, 1, PG 59, co1. 415.

2. Jn 16, 12.

3. Tract, in Io., LXXXVI, 1, BA 74B, p. 139-141.

4. 1 Co 13, 12.

5. Jn 16, 25 ; saint Thomas reprend le en ce jour-là du verset 26.

6. Voir ci-dessus, nos 1722 à 1726.

7. Cf. 1 Co 13, 12.

8. Saint Thomas prépare, en l'interprétant et en l'élargissant, le passage du commentaire de saint Grégoire qu'il citera en fin de paragraphe (cf. XL hom. in Evans., II, hom. 27, 4, PL 76, co1. 1206 D-1207 A).

9. Saint Thomas distingue ici deux connaissances, celle des principes et celle des conclusions connues à la lumière de ces principes. En cela, il est bien le disciple d'Aristote qui nous montre comment nous pouvons connaître la réalité : « N'oublions pas la différence existant entre les raisonnements qui partent des principes et ceux qui tendent à en établir. Platon lui-même se trouvait sur ce point, et à juste titre, embarrassé, et il cherchait à préciser si la marche à suivre allait aux principes ou partait des principes, de même qu'on peut se demander si les coureurs dans le stade doivent partir des athlothètes vers l'extrémité du stade ou inversement. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il faut partir du connu. Or ce qui nous est connu l'est de deux façons : relativement à nous [l'expérience] et absolument [les principes] » (Éthique à Nicomaque, I, 2, 1095 a 30 - 1095 b 2). Et Aristote montre que c'est dans la lumière des principes que nous pouvons connaître la réalité en profondeur, dans ses conclusions ; voir entre autres Physique, I, 1, 184 a 10-15 : « Puisque nous parvenons au savoir et au connaître scientifique dans tous les ordres de recherche pour lesquels il existe des principes, des causes, ou éléments, à partir de l'acquisition de la connaissance de ceux-ci - en effet nous pensons connaître chaque chose lorsque nous connaissons les causes premières, les principes premiers, et jusqu'aux éléments -, il est évident que pour la science de la nature aussi il faut d'abord essayer de distinguer ce qui concerne les principes ». Voir aussi Métaphysique, Z, III, 1029 b 3-12.

10. He 11, 1. Voir Somme theol, II-II, q. 4, a. 1, c, où saint Thomas commente cette définition de la foi. Voir aussi loc. cit., q. 2, a. 3, c. : « L'ultime béatitude de l'homme consiste dans une vision surnaturelle de Dieu. À cette vision, il est sûr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met à apprendre à l'école même de Dieu, selon le passage de saint Jean : Quiconque prête l'oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi (Jn 6, 45). Mais l'homme n'entre pas d'un seul coup dans un enseignement de cette sorte : il y entre progressivement, selon la manière même de sa nature. Et quiconque se met ainsi à apprendre doit nécessairement commencer par croire, pour se trouver en état de parvenir à la science parfaite. Le Philosophe lui-même le dit bien : "II faut croire lorsqu'on veut apprendre". De là vient que, pour être en état de parvenir à la vision parfaite qu'on a dans la béatitude, l'homme doit auparavant croire à Dieu, comme un disciple au maître qui l'enseigne ». Saint Thomas nous montre donc que la foi est l'école de la vision, et de même, analogiquement, que la connaissance des principes nous conduit à la connaissance des conclusions.

II

CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS ET VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE, POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE. CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (15, 16-17)

2019. Le Seigneur montre ici la cause de l'amitié. En effet, chez les hommes, il est fréquent qu'on s'attribue à soi-même la cause de l'amitié - Tout ami dit : moi aussi, j'ai lié amitié2. Et ainsi, beaucoup s'attribuent la cause de l'amitié divine, en attribuant à eux-mêmes et non à Dieu le principe de leurs œuvres bonnes. Mais le Seigneur exclut cela en disant : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, comme pour dire : que celui qui a été appelé à la dignité de cette amitié n'attribue pas la cause de l'amitié à lui-même, mais à moi qui le choisis pour cela.

Et d'abord il met en lumière la gratuité du choix de Dieu, puis il explique en vue de quoi sont choisis ses disciples [n° 2025].

CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS.

2020. Le Seigneur dit donc : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI pour que je sois votre ami, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS pour faire de vous mes amis - Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés le premier^. Or il y a un double choix de Dieu. L'un, éternel, selon lequel nous sommes prédestinés - Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde4. L'autre, temporel, selon lequel nous sommes appelés par lui, et qui n'est autre que l'accomplissement de cette prédestination éternelle : car ceux qu'il a choisis en les prédestinant, il les a aussi choisis en les appelant - Ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés5. - II en choisit douze, ceux qu'il nomma aussi Apôtres6.

2021. Certains disent que le choix temporel de Dieu est causé par les mérites des élus. Mais cela est contraire à ce qui est dit ici. Car s'il t'a choisi parce que tu étais bon, tu ne pouvais, toi, être bon que si tu choisissais le bien ; or ce bien, éminemment, c'est Dieu ; donc tu aurais d'abord choisi le bien, qui est Dieu, avant d'être choisi. Mais le Seigneur dit le contraire : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS. Il ne faut donc pas dire qu'il y a en nous un bien qui précède totalement le choix de Dieu. Je dis bien « totalement », parce qu'un bien particulier en nous peut être cause de ce que nous soit donné un autre bien, et ce dernier d'un autre encore, puisqu'il y a un certain ordre dans les dons divins ; mais, d'une manière universelle, rien ne peut être cause du choix divin et le précéder, car tous nos biens nous les tenons de Dieu.

2022. Mais, de ce choix éternel il serait encore plus erroné de dire qu'il est précédé de notre propre choix. Certains cependant affirmèrent que nos mérites antécédents sont cause de ce choix. Et ce fut là l'erreur d'Origène : pour lui, les âmes des hommes ont été créées ensemble et égales ; puis, alors que certaines tenaient bon, d'autres péchèrent, les unes davantage et les autres moins, c'est pourquoi certaines méritèrent d'avoir la grâce et d'autres non. Mais contre cela, voilà ce que le Seigneur dit : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI.

1. Voir ci-dessus note 9, p. 229.

2. Si 37, 1.

3. 1 Jn 4, 10.

4. Ep 1,4.

5. Rm 8, 30.

6. Le 6, 13.

2023. Selon d'autres encore, il est vrai que ce ne sont pas les mérites existant en acte qui sont cause de la prédestination, mais les mérites préexistant dans la prescience de Dieu ; car, disent-ils, parce que Dieu a connu ceux qui seraient bons et useraient bien de la grâce, il a eu comme dessein de leur donner la grâce. Mais si cela était, il s'ensuivrait qu'il nous aurait choisis parce qu'il aurait su d'avance que nous le choisirions. Et ainsi notre choix serait préalable au choix divin, ce qui va contre la parole du Seigneur.

2024. On dira peut-être : quel pouvait être ce choix puisque nous n'étions rien et qu'entre nous il n'y avait aucune prééminence ? Mais celui qui parle de la sorte, le mode du choix humain le trompe, en ce sens qu'il croit que le choix divin est selon ce mode. Or autre est le mode du choix humain, autre celui du choix divin ; car notre choix est causé par un bien déjà préexistant, tandis que le choix divin est cause en ce sens qu'il communique un bien plus grand en telle personne qu'en telle autre. En effet, puisque le choix est un acte de la volonté, dans la mesure où la volonté de Dieu et celle de l'homme se rapportent diversement aux biens, divers aussi est le mode de leur choix. Or la volonté de Dieu se rapporte au bien créé comme sa cause - Comment cela aurait-il pu exister, si tu ne l'avais voulu ?1 Et ainsi le bien s'étend de la volonté de Dieu aux réalités créées. Voilà pourquoi Dieu préfère (praeeligit) un tel à tel autre, en tant qu'il lui influe plus de bien qu'à cet autre. La volonté de l'homme, en revanche, est mue vers quelque chose à partir du bien préexistant qui a été appréhendé par lui : c'est pour cela que, dans notre choix, il faut qu'un bien préexiste à un autre.

Or si Dieu influe plus de bien à telle personne qu'à telle autre, c'est pour que brille un ordre dans les réalités2. Ainsi, dans les réalités matérielles, il apparaît clairement que la matière première, pour ce qui relève d'elle, est uniformément disposée à toutes les formes ; les réalités elles-mêmes également, avant d'exister, ne sont pas davantage disposées à être ceci ou cela. Mais pour qu'entre ces réalités un ordre soit gardé, elles reçoivent de Dieu, en partage, des formes et un être différents.

Et d'une manière semblable, en ce qui concerne la créature raisonnable, certains sont élus pour la gloire, d'autres sont condamnés à la peine - Le Seigneur sait qui sont les siens (...). Dans une grande maison, il n'y a pas que des vases d'or et d'argent, il y en a aussi de bois et d'argue : les uns sont pour des usages nobles, les autres pour des usages vils3. Et ainsi apparaît un ordre divers : tandis que la miséricorde de Dieu brille en certains, qu'il prépare à la grâce sans aucun mérite antécédent, en d'autres brille la justice de Dieu, lorsque pour leurs propres fautes, mais en deçà de ce qu'ils méritent, il leur impose une peine.

Ainsi donc, Dieu nous a élus en nous prédestinant4 de toute éternité et en nous appelant à la foi dans le temps.

1. Sg 11, 26.

2. Voir Somme théol, I-II, q. 112, a. 4, c. : « La première cause de cette diversité doit se prendre du côté de Dieu qui dispense différemment les dons de sa grâce, en vue de faire ressortir la beauté et la perfection de l'Église, de même qu'il a établi les divers degrés des êtres pour la perfection de l'univers ». Sur la diversité dans l'Église, voir II-II, q. 183, a. 2 ; et sur la diversité des prédestinés, voir I, q. 23, a. 5, ad 3.

3. 2 Tm 2, 19-20.

4. Sur la prédestination, voir surtout vo1. I, n" 938, note 1, nos 1373 et note 12, mais aussi ci-dessus, n" 1789, et ci-dessous nos 2218, 2262, 2589 et 2605.

ET [JE] VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE, POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE. CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.

2025. Ici le Seigneur précise en premier lieu ce en vue de quoi il a choisi ses disciples. D'abord il montre qu'il les a choisis pour accomplir quelque chose [n° 2026], puis qu'il les a choisis pour recevoir quelque chose [n° 2028]. En second lieu, il donne la raison de tout ce qu'il a dit.

ET [JE] VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE.

2026. Le Seigneur dit donc : JE VOUS AI ÉTABLIS, c'est-à-dire j'ai établi par vous un ordre dans mon Église - Dieu a établi dans l'Église, premièrement des Apôtres1. Aussi JE VOUS AI ÉTABLIS, c'est-à-dire je vous ai disposés avec fermeté - Dieu fit les grands luminaires (...) et il les établit au firmament du ciel2. - Les étoiles, restant en ordre selon leur cours, ont combattu contre Sisara3. Établir implique en effet ordre et fermeté.

2027. [JE] VOUS AI ÉTABLIS, dis-je, pour trois choses. D'abord pour aller : POUR QUE VOUS ALLIEZ en parcourant le monde, pour le convertir tout entier à la foi - Allez dans le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature4. Ou encore POUR QUE VOUS ALLIEZ, c'est-à-dire que vous avanciez de vertu en vertu - Ils iront de vertu en vertu : le Dieu des dieux apparaîtra en Sion5. – Ses rameaux s'étendront, sa gloire sera comme celle de l'olivier et son odeur comme celle du Liban6.

Deuxièmement, pour porter du fruit : que VOUS PORTIEZ DU FRUIT, le fruit de la conversion des croyants, selon un premier chemin - Afin de recueillir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations7. Ou bien un fruit spirituel, intérieur, selon un second chemin - Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)8. - Mes fleurs sont un fruit d'honneur et d'honnêteté9.

Troisièmement, pour porter un fruit qui ne se perde pas par la mort ou le péché : QUE VOTRE FRUIT DEMEURE, c'est-à-dire que l'ensemble des croyants soit conduit à la vie éternelle, et que le fruit spirituel croisse davantage - Il amasse du fruit pour la vie éternelle 10.

POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE.

2028. Ici, le Seigneur montre qu'il les a choisis pour qu'ils reçoivent quelque chose, à savoir tout ce qu'ils demanderont. Comme pour dire : si je vous ai établis, c'est pour que vous soyez dignes de recevoir de la part du Père tout ce que vous lui demanderez en mon nom - Si notre cœur ne nous fait pas de reproche, nous avons de l'assurance auprès de Dieu, et quoi que nous demandions, nous le recevrons de lui11.

CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.

2029. Le Christ précise ici la raison de ce qu'il a dit. En effet, quelqu'un pourrait dire : Pourquoi le Christ leur a-t-il dit tout cela ? Aussi le Seigneur donne-t-il comme réponse : CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES ; autrement dit, tout ce que je dis vous conduit à l'amour de vos proches - La fin du précepte est la chanté \

1. 1 Co 12, 28.

2. Gn 1, 16-17.

3. Jg 5, 20.

4. Me 16, 15.

5. Ps 83, 8. Voir vo1. I, n° 254.

6. Os 14, 7.

7. Rm 1, 13.

8. Ga 5, 22.

9. Si 24, 2.3.

10. Jn4, 36.

11. 1 Jn 3, 21-22.

Ou bien, selon Chrysostome2, il faut dire que les disciples pourraient demander : Seigneur, pourquoi nous rappeler tant de fois ton amour ? Ne serait-ce pas pour nous faire un reproche ? Mais le Seigneur dit : Non, c'est au contraire pour vous inciter à l'amour du prochain - Tel est le commandement que nous tenons de Dieu : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère3.

B. LA TAILLE DES SARMENTS

2030. Ayant exposé l'allégorie de la vigne et de ses sarments qu'il a explicitée tout d'abord en regardant l'union des sarments à la vigne, le Seigneur regarde ensuite la taille des sarments qui se fera par des tribulations. Il console donc ses disciples des tribulations qu'ils auront à souffrir ; et d'abord il expose, puis explicite, ce par quoi il va les consoler ; enfin il repousse ce qui pourrait excuser les persécuteurs [n° 2044].

a) Pourquoi le Christ console ses disciples.

SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS. SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI ; MAIS PARCE QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 18-19)

Le Seigneur donne ici deux raisons pour leur consolation : la première se fonde sur l'exemple, et la seconde sur la cause [n°2033].

I

SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS.

2031. Le Seigneur console donc ses disciples par son propre exemple, lui qui a aussi souffert les persécutions des tyrans : SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS. Car, sachons-le bien, de même que le principe de tous les bienfaits est l'amour, de même aussi le principe de toutes les persécutions est la haine : voilà pourquoi le Seigneur leur prédit la haine à venir - Vous serez haïs de tous les hommes 4. - Heureux serez-vous quand les hommes vous haïront (...) à cause du Fils de l'homme5.

Il dit donc : SI LE MONDE VOUS HAIT, c'est-à-dire bientôt le monde vous haïra et il manifestera sa haine en vous persécutant, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS - Le monde ne peut pas vous haïr, mais moi il me hait6. Mais c'est là la grande consolation du juste, pour lui permettre de supporter les persécutions avec force - Repensez à celui qui a supporté de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas être accablés par la défaillance de vos âmes1 - Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple, pour que vous suiviez ses traces2. Aussi, selon Augustin3, les membres ne doivent pas s'élever au-dessus de la tête, ni refuser d'être dans le corps, en ne voulant pas supporter la haine du monde en union avec la tête.

1· 1 Tm 1, 5.

2. In Ioannem hom., LXXVII, 2, PG 59, co1. 416.

3. 1 Jn 4, 21.

4. Mt 24, 9.

5. Lc 6, 22.

6. Jn7, 7.

2032. Mais le monde s'entend en deux sens4. Parfois en bien, quand il s'agit de ceux qui, dans le monde, vivent selon le bien - C'était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde5. Parfois en mal, et il s'agit alors de ceux qui aiment le monde - Le monde entier a été mis sous l'influence du mauvais6. Ainsi donc, le monde entier a en haine le monde entier ; parce que ceux qui aiment le monde, qui sont répandus dans le monde entier, haïssent le monde entier, c'est-à-dire l'Église des bons, affermie dans le monde entier7.

II

SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI ; MAIS PARCE

1. He 12, 3. Saint Thomas commente : « En toutes tes voies, pense à lui (Pr 3, 6). La raison de cela est que le remède à toute tribulation se trouve dans la Croix. Là est en effet l'obéissance à Dieu - Il s'est humilié, en se faisant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la Croix (Ph 2, 8) » (Ad Heb. lect., XII, n° 667).

2. 1 Ρ 2, 21.

3. Tract, in Io., LXXXVII, 2, BA 74B, p. 159.

4. Saint Thomas, à plusieurs reprises, explicite les deux sens du mot « monde ». Voir plus haut, n° 1669, et ci-dessous, nos 2129, 2206, 2249, 2250. Saint Jean emploie souvent le mot « monde » dans le deuxième sens : Ayez confiance : moi, j'ai vaincu le monde (Jn 16, 33) ; Ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde (Jn 17, 16). Et dans sa première épître : N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la richesse - vient non pas du Père mais du monde. Or le monde passe avec ses convoitises mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement (1 Jn 2, 15-17). Le mot « monde » est alors entendu en opposition avec ce qui est divin et pur.

5. 2 Co 5, 29.

6. 1 Jn 5, 19.

7. Cf. saint Augustin, loc cit.

QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT.

2033. Voici la seconde raison, liée à la cause de cette haine. Car lorsque quelqu'un supporte la haine d'un autre par sa propre faute, il doit s'en affliger et s'en attrister ; mais quand c'est à cause de sa vertu, il doit s'en réjouir.

Le Seigneur montre donc, premièrement, la cause pour laquelle certains sont aimés du monde ; puis il montre pourquoi les Apôtres sont haïs du monde [n° 2037].

SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI.

2034. La cause pour laquelle certains sont aimés du monde, c'est leur ressemblance avec le monde. Toute chose aime ce qui lui est semblable - Toute chair s'unit à ce qui lui est semblable8. Et c'est pourquoi le monde - c'est-à-dire ceux qui aiment le monde - aime ceux qui aiment le monde : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, c'est-à-dire de ceux qui suivent le monde, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI, comme étant sien et semblable à lui. Ne lisait-on pas précédemment : Le monde ne peut pas vous haïr ? 9 - Ils sont du monde, aussi parlent-ils d'après le monde, et le monde les écoute 10.

2035. Contrairement à cela, on objectera que, par « monde », le Seigneur entend ici les princes du monde, qui allaient persécuter les Apôtres. Or ces mêmes princes pourchassent aussi certains hommes qui vivent selon le monde, par exemple les assassins et les brigands ; le monde n'aime donc pas ce qui est à lui, pas plus qu'il n'aime les Apôtres.

8. Si 13, 20. Sur la similitude dans l'amour, voir Éthique à Nicomaque, VIII, 2, 1155 a 32 sq. : « Certains estiment l'amitié comme une similitude et la disent des amis qui sont semblables ». Voir aussi Somme théo1., I-II, q. 27, a. 3.

9. Jn 7, 7.

10. 1 Jn 4, 5.

Je réponds : il faut dire qu'on peut trouver quelque chose de purement bon, mais qu'on ne trouve rien de purement mauvais, puisque le sujet du mal, c'est le bien. Le mal de la faute se fonde donc sur le bien de la nature. Aussi ne peut-il y avoir d'homme pécheur et mauvais qui n'ait quelque chose de bon. Les hommes, donc, selon le mal qu'ils ont, à savoir leur infidélité, appartiennent au monde, et haïssent les Apôtres et ceux qui ne sont pas du monde ; mais selon le bien qu'ils ont, ils ne sont pas du monde, et ils ont en haine ceux qui sont du monde, à savoir les voleurs, les brigands et autres de ce genre. Il y en avait cependant certains qui dans le monde vivaient selon le bien ; ils aimaient les Apôtres et approuvaient leurs actes.

2036. Mais il semble encore davantage y avoir un doute du fait que tout péché se rapporte au monde, et qu'ainsi n'importe quel péché nous fait être du monde. Et nous voyons que certains hommes se rassemblant dans le péché se prennent mutuellement en haine, par exemple les orgueilleux - Entre les orgueilleux, ce sont toujours des disputes1. L'avare aussi a en haine l'avare. Et c'est pourquoi, selon le Philosophe, les potiers rivalisent entre eux2. Le monde a donc en haine le monde. Ce que le Seigneur dit : LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI, ne semble donc pas être vrai.

À cela il faut répondre qu'il y a deux sortes d'amour : l'amour d'amitié et l'amour de concupiscence, qui sont deux amours différents. Par l'amour de concupiscence, en effet, nous ramenons à nous les choses qui nous sont extérieures puisque par cet amour nous aimons les réalités autres en tant qu'elles nous sont utiles ou agréables3. Dans l'amour d'amitié, c'est le contraire : nous sortons de nous-mêmes pour aller vers ce qui est extérieur à nous, puisqu'à l'égard de ceux que nous aimons d'amitié, nous nous comportons comme envers nous-mêmes, en nous communiquant d'une certaine manière nous-mêmes à eux. Aussi, dans l'amour d'amitié, la similitude est cause d'amour4, puisqu'on n'aime ainsi quelqu'un que dans la mesure où l'on est un avec lui ; or la similitude est une certaine unité. Dans l'amour de concupiscence, au contraire, qu'il soit utile ou agréable, la similitude est cause de séparation et de haine. En effet, puisque dans un tel amour j'aime quelqu'un dans la mesure où il m'est utile ou agréable, tout ce qui peut empêcher l'utilité ou le plaisir, je le hais comme contraire. Voilà pourquoi les orgueilleux se querellent, dans la mesure où l'un s'arroge la gloire que l'autre aime, et dans laquelle il se complaît. Il en est de même chez les potiers, dans la mesure où l'un prend pour lui le gain qu'un autre voulait pour lui-même.

1. Pr l3,10.

2. Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, VIII, 2, 1155 b 1. Voir vol-I, n°511.

3. Saint Thomas reprend cette distinction dans la Somme théologique en assumant la pensée d'Aristote sur l'amour d'amitié : « Aimer, comme le dit le Philosophe (2 Rhétorique, IV), c'est "vouloir du bien à quelqu'un". Le mouvement de l'amour tend donc vers deux réalités : vers le bien que l'on veut à quelqu'un - soi-même ou un autre -, et vers celui à qui l'on veut ce bien. À l'égard du bien qu'on veut à un autre, il y a amour de concupiscence ; à l'égard de celui à qui nous voulons du bien, il y a amour d'amitié » (I-II, q. 26, a. 4, c). Et aussi : « D'après le Philosophe {Éthique à Nicomaque, VIII, 2), ce n'est pas n'importe quel amour qui a raison d'amitié, mais l'amour qui s'accompagne de bienveillance, quand nous aimons quelqu'un de telle sorte que nous lui voulons du bien. Si nous ne voulons pas le bien des réalités aimées, mais accaparer pour nous ce qu'elles ont de bon, comme quand nous disons aimer le vin, aimer un cheval ou d'autres choses semblables, ce n'est plus l'amour d'amitié (amor amicitiae), mais l'amour de concupiscence (amor concupiscentiae). Car il serait ridicule de dire de quelqu'un qu'il a de l'amitié pour du vin ou pour un cheval » (II-II, q. 23, a. 1, c). Saint Thomas précise : « Dans l'amitié utile et l'amitié agréable, on veut vraiment du bien à son ami, et quant à cela est sauve la raison d'amitié. Mais ce bien de l'autre, on le veut pour son plaisir à soi, ou son utilité, ce qui fait dire qu'à cette amitié utile ou agréable la véritable raison d'amitié fait défaut parce qu'elle est faussée par l'amour de concupiscence » (I-II, q. 26, a. 4, ad 3). Aristote, dans son Éthique, en distinguant l'amour d'amitié spirituel de l'amitié utile et agréable, remarque : « Ceux dont l'amitié est fondée sur l'utilité aiment pour leur propre bien, et ceux qui aiment en raison du plaisir, pour leur propre agrément, et non pas dans l'un et l'autre cas la personne aimée pour ce qu'elle est en elle-même, mais en tant qu'elle est utile ou agréable. Dès lors ces amitiés ont un caractère accidentel, puisque ce n'est pas en ce qu'elle est essentiellement que la personne aimée est aimée, mais en tant qu'elle procure quelque bien ou quelque plaisir, suivant le cas. Les amitiés de ce genre sont par suite fragiles, dès que les deux amis ne demeurent pas pareils à ce qu'ils étaient : s'ils ne sont plus agréables ou utiles l'un à l'autre, ils cessent d'être amis » (Éthique à Nicomaque, VIII, 3, 1156 a 14-21).

4. Voir plus haut, n° 2034, note 8.

Il faut savoir que l'amour de concupiscence n'est pas un amour pour la réalité convoitée, mais plutôt l'amour de celui qui convoite pour lui-même. Et pour cette raison, si l'on aime quelqu'un d'un tel amour, c'est dans la mesure où il nous est utile, nous l'avons dit ; voilà pourquoi, par cet amour, on aime plus soi-même que l'autre. Ainsi, celui qui aime le vin parce qu'il lui est agréable s'aime lui-même plutôt qu'il n'aime le vin. Mais l'amour d'amitié est davantage l'amour de la réalité aimée que de celui qui aime, parce qu'on aime quelqu'un pour lui-même, et non pas pour soi en tant qu'on aime. Ainsi donc, puisque dans l'amour d'amitié la similitude est cause d'amour, et la dissemblance cause de haine, le monde a en haine ce qui n'est pas à lui et ne lui est pas semblable, et il aime d'un amour d'amitié1 ce qui est à lui. Mais pour l'amour de concupiscence, c'est le contraire. Aussi le Seigneur dit-il : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT, d'un amour d'amitié, CE QUI EST À LUI.

MAIS PARCE QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 19)

2037. Le Seigneur indique ici la cause pour laquelle les Apôtres sont haïs du monde, qui est la dissemblance : VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, sous-entendu : par l'élévation de votre esprit, bien que vous le soyez par votre origine - Vous, vous êtes d'en bas, moi, je suis d'en haut. Vous, vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde2. Et cela, c'est bien parce que vous avez été élevés du monde, non pas par vous-mêmes, mais par ma grâce, c'est-à-dire parce que MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE - C'est moi qui vous ai choisis 3. C'EST POUR CELA QUE, parce que vous n'êtes pas du monde, LE MONDE, c'est-à-dire ceux qui l'aiment, VOUS HAIT, en tant que vous leur êtes dissemblables - Les justes ont en horreur les impies, et les impies ont en horreur ceux qui sont dans le droit chemin 4. - Les hommes sanguinaires haïssent celui qui est sans détour5.

2038. On peut préciser trois raisons pour lesquelles le monde a en haine les saints. La première est la différence de condition : le monde est dans la mort, tandis que les saints sont dans l'état de la vie - Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait. Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères6. - Sa vue même nous est à charge7.

La deuxième raison est le désagrément de la correction. Car les hommes saints reprennent, par leurs paroles comme par leurs actes, les agissements du monde ; aussi le monde les a-t-il en haine - Ils l'ont haï, celui qui les reprenait à la Porte8. - II me hait, à savoir le monde, parce que moi je rends témoignage à son sujet que ses œuvres sont mauvaises9.

La troisième raison est l'injuste jalousie par laquelle les méchants envient les hommes justes lorsqu'ils les voient croître et devenir nombreux en bonté et en sainteté ; ainsi les Égyptiens, voyant croître les fils d'Israël, les avaient en haine et les persécutaient1 ; et selon la Genèse, les frères de Joseph, voyant qu'il était plus aimé qu'eux tous, l'avaient pris en haine2.

1. Nous avons gardé ici l'expression de l'édition Marietti, amor amicitiae, sans tenir compte de la correction de l'édition léonine qui indiquait amor concupiscentiae, cela pour respecter plus le sens de l'explication de saint Thomas qui précède.

2. Jn 8, 23.

3. Jn 15, 16. Voir aussi Jn 6, 71 : N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ?

4. Pr 29, 27.

5. Pr 29, 10.

6. 1 Jn 3, 13-14.

7. Sg2, 15.

8. Am 5, 10. Selon Osty, la justice se rendait sur la place publique, qui se trouvait près de la porte des villes et des villages.

9. Jn 7, 7.

b) Le développement de ces raisons.

SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR. S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT ; S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE. MAIS TOUT CELA, ILS VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ. (15, 20-21)

2039. Le Seigneur développe ici les raisons qu'il vient de donner pour la consolation des disciples : la première, qui se rapporte à son propre exemple, puis la seconde, qui concerne la haine du monde [n° 2043].

I

Le Seigneur rappelle d'abord la diversité de rang entre lui et ses disciples ; puis il montre la similitude des faits [n° 2042].

SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR.

2040. Il y avait une différence de rang entre le Christ et ses disciples, parce que lui était le Seigneur, et eux, des serviteurs. Il rappelle donc cette différence lorsqu'il dit : SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE précédemment, à savoir : Le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur3. Cela ne doit donc pas vous indigner si vous souffrez ce que votre Seigneur a souffert ; vous devez au contraire le considérer comme une grande gloire. Voilà pourquoi, selon Matthieu, aux disciples qui demandent de siéger l'un à sa droite et l'autre à sa gauche, il dit : Pouvez-vous boire la coupe que moi, je suis destiné à boire ?4 - C'est une grande gloire de suivre le Seigneur5. - II suffit au disciple d'être comme son maître*'.

2041. Mais plus haut, le Seigneur ne disait-il pas au contraire : Je ne vous appellerai plus serviteurs7, alors qu'ici il déclare : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR ?

Je réponds en disant qu'il y a une double servitude : l'une qui procède de la crainte servile, c'est-à-dire de la crainte du châtiment et, en ce sens, les Apôtres n'étaient pas serviteurs ; l'autre qui procède de la crainte chaste, et une telle servitude existait chez les Apôtres - Bienheureux les serviteurs que le maître, à sa venue, trouvera en train de veiller8.

S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT ; S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE.

1. Cf. Ex 1, 9 sq. : Voici que le peuple des fils d'Israël est nombreux et trop fort pour nous.

2. Cf. Gn 37, 4.

3. Jn 13, 16.

4. Mt 20, 22.

5. Si 23, 38 (verset propre à la Vulgate).

6. Mt 10, 25.

7. Jn 15, 15.

8. Le 12, 37. Au sujet des différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783, note 2, et n° 2015 et note 8 rapportant le commentaire de saint Thomas du psaume 18, 10.

2042. Si donc vous êtes des serviteurs et moi le Seigneur, vous devez être contents qu'on vous fasse ce qu'on m'a fait. Or moi, certains m'ont méprisé, et d'autres m'ont reçu - Il est venu chez lui, et les siens ne Vont pas reçu. Mais à tous ceux qui Vont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu1. Vous aussi, de même, si certains vous méprisent, d'autres cependant vous honoreront.

Voilà pourquoi le Seigneur dit : S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT. Par ces mots, il expose la similitude des faits ; en effet, que leur persécution s'exerce sur les disciples ou sur le Christ, la raison en est la même, puisque dans les disciples, c'est le Christ qu'ils persécutent. Lors de la persécution de ses disciples, le Christ le disait bien : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?2 Et c'est pourquoi, du fait de l'identité de cause, suit cette conséquence : S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT - S'ils ont traité le maître de maison de Béelzéboul, combien plus le feront-ils pour les gens de sa maison ?3 Au sujet de cette persécution, il est dit : Voici que moi, j'envoie vers vous des sages et des scribes. Vous en tuerez et crucifierez, vous en fouetterez dans vos synagogues, et en pourchasserez de ville en ville4.

En ce qui concerne l'honneur, la raison est également la même. Aussi le Seigneur dit-il : S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE, car VOS paroles sont mes paroles - Vous cherchez à tester celui qui parle en moi, le Christ5. - Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous6 -, c'est pourquoi il dit : Qui vous écoute, m'écoute7.

1. Jn 1, 11-12.

2. Ac 9, 4.

3. Mt 10, 25.

4. Mt 23, 34.

5. 2 Co 13, 3.

6. Mt 10, 20.

7. Lc 10, 16.

Que les Apôtres aient été reçus et honorés par certains, on le voit clairement : Et vous, quand vous avez reçu de nous la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez accueillie non comme une parole d'hommes, mais selon ce qu'elle est vraiment, la parole de Dieu 8.

II

MAIS TOUT CELA, ILS VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ.

2043. Ici le Seigneur explique la raison de la consolation des disciples, liée à la cause de la haine. Les Apôtres, en effet, avaient été choisis et élevés au-dessus du monde, en tant qu'ils avaient été rendus participants de la divinité et unis à Dieu ; et c'est parce qu'ils étaient au-dessus du monde et unis à Dieu que le monde les avait en haine : il s'ensuit que le monde haïssait plutôt Dieu dans les Apôtres que les Apôtres eux-mêmes. Et la cause de cette haine, c'est qu'ils n'avaient pas la vraie connaissance de Dieu, celle qui s'acquiert par une foi vraie et un amour livré9 sans réserve. D'ailleurs, s'ils les avaient reconnus comme amis de Dieu, ils ne les auraient pas persécutés. Et voilà pourquoi le Seigneur dit : TOUT CELA, la haine et la persécution à votre égard, ILS VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, et donc cela doit être pour vous un sujet de gloire - Qu'aucun de vous ne souffre comme meurtrier, ou voleur, ou médisant, ou envieux des biens d'autrui ; mais si c'est comme chrétien, qu 'il ne rougisse pas, qu'il glorifie Dieu pour ce nom 10. Tout cela, ils le feront À CAUSE DE MON NOM, non pas qu'ils l'aiment, mais parce qu'ils l'ont en haine ; tandis que vous, au contraire, vous souffrirez à cause de mon nom parce que vous l'aimez. Et ils feront cela PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ - Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père !1 Ils ne savaient pas, en effet, qu'il était agréable à Dieu qu'ils adhèrent au Christ.

8. 1 Th 2, 13.

9. « Livré » traduit ici le mot latin devotum. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5, et n° 1391, note 6.

10. 1 Ρ 4, 15-16.

Mais remarquons qu'il parle ici de la connaissance parfaite, consistant dans la foi qui mène l'intelligence à son achèvement et unit la volonté aimante à Dieu. D'une telle connaissance il est dit : Celui qui se glorifie, qu'il se glorifie de ceci : de la science et de la connaissance qu'il a de moi2. - Te connaître, c'est l'intelligence accomplie3.

c) Le Christ rejette ce qui pourrait excuser les persécuteurs.

2044. Précédemment, en traitant de la persécution qui allait survenir pour les disciples de la part des Juifs, le Seigneur en précisait la raison : c'est que ces derniers ne connaissent pas celui qui l'a envoyé. Mais parce que d'ordinaire l'ignorance excuse, il montre ici qu'ils sont absolument inexcusables, et cela pour deux raisons : à cause de ce que lui-même en personne a fait pour eux et leur a enseigné ; et à cause de ce qui allait arriver en son absence [n° 2058].

Ce que le Christ a personnellement fait et enseigné.

Le Seigneur montre que les Juifs sont inexcusables d'abord à cause de son enseignement de la vérité, puis à cause de l'évidence des signes [n° 2053].

I

SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. MAIS MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE A LEUR PÉCHÉ. CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE. (15, 22-23)

II montre d'abord ce qui pourrait être invoqué pour leur excuse, ensuite que cet appui leur fait défaut [n° 2049] et enfin il montre ce qui est à la racine de leur persécution [n° 2050].

SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.

2045. Le Seigneur dit donc : Tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom ; et assurément, on pourrait les en excuser, SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ. Autrement dit, si je ne m'étais pas montré en personne et ne les avais pas enseignés personnellement, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.

2046. Contre cela, l'épître aux Romains affirme : Tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu1. Mais il faut dire que le Seigneur ne parle pas ici de n'importe quel péché mais du péché d'infidélité, parce qu'ils ne croient pas dans le Christ. Un tel péché est dit par antonomase2, parce que lorsqu'un tel péché existe, aucun autre ne peut être remis, puisque aucun péché n'est remis sinon par la foi en Jésus Christ, de laquelle vient toute justice, selon l'épître aux Romains3.

1. Jn8, 19.

2. Jr 9, 24. Saint Thomas commente : « II exclut ici la fausse confiance qu'apporte la fuite : Qu'il ne se glorifie pas, comme s'il croit se libérer par là, dans sa sagesse, qui est ce qu'il y a de préférable parmi les biens humains de l'âme, ni dans sa force, qui est ce qu'il y a de préférable parmi les biens humains du corps, ni dans les richesses Or 9, 23), qui sont les préférables parmi les biens extérieurs - Ne multipliez pas les paroles hautaines en vous glorifiant (1 S 2, 3). Et il montre la vraie confiance : Mais qu'il se glorifie de cela, celui qui se glorifie de la science de moi, par la connaissance qui est dans l'intelligence, et de la connaissance de moi, par l'expérience de la douceur dans l'affection - En Dieu est mon salut et ma gloire (...) ; et mon espérance est en Dieu (Ps 61, 8). - Celui qui se glorifie, qu'il se glorifie dans « Seigneur (2 Co 10, 17) » (Exp. super Hier., IX, lectio 6).

3. Sg 15, 3. La Vulgate emploie le mot « justice » (iustitia) à la place de sensus que nous avons traduit ici par « intelligence ».

Et voilà pourquoi ce qu'il dit : ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ, revient à dire : le fait qu'ils ne croient pas en moi ne leur serait pas imputé. Et ceci premièrement parce que la foi vient de l'audition, selon l'épître aux Romains4. Aussi, s'il n'était pas venu et ne leur avait pas parlé, ils n'auraient pas pu croire. Or, ne pas faire ce qu'on ne peut faire d'aucune manière, cela n'est compté comme péché à personne.

2047. Et si l'on dit qu'ils étaient tenus de croire, et qu'ils le pouvaient même si le Christ n'était pas venu, puisqu'il leur avait été annoncé par les prophètes - [L'Évangile de Dieu] que d'avance il avait promis par ses prophètes dans les Saintes Écritures au sujet de son Fils5 -, voici ce qu'il faut répondre : les paroles mêmes des prophètes, les Juifs ne pouvaient pas les croire et les comprendre par eux-mêmes, sans qu'elles leur fussent montrées par un secours divin - Ces paroles sont fermées et scellées jusqu'au temps fixé0. Aussi l'eunuque disait-il dans les Actes : Comment puis-je comprendre si personne ne me montre ?7

Ainsi donc, si le Christ n'était pas venu, ils n'auraient pas ce péché, celui d'infidélité, mais ils auraient eu cependant d'autres péchés actuels pour lesquels ils auraient été punis. Et une raison semblable vaut pour tous ceux à qui la prédication de la parole de Dieu n'a pu parvenir. Par le fait même, le péché d'infidélité ne leur est pas imputé pour leur condamnation ; mais, privés du bienfait de la foi en raison de leurs autres péchés, actuels et originel, ils sont condamnés8.

1. Rm 3, 23. Voir vo1. I, n° 714, note 3.

2. Sur le sens du mot antonomase, voir vo1. I, n° 1098, note 1, ou ci-dessus, n° 1729, note 8.

3. Voir Rm 3, 21 à 5, 21.

4. Rm 10, 17. Voir ci-dessus, n° 1619, note 5.

5. Rm 1, 2.

6. Dn 12, 9.

7. Ac 8, 31.

2048. Il faut savoir que, pour beaucoup, l'avènement et l'enseignement du Christ ont tourné à leur bien, pour ceux qui l'ont reçu et ont gardé sa parole ; et que pour beaucoup ils ont tourné à leur mal, c'est-à-dire pour ceux qui n'ont voulu ni l'écouter, ni le croire - Il sera pour vous une sanctification, une pierre d'achoppement, un rocher où l'on trébuche, pour les deux maisons d'Israël, un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem9. - Celui-ci a été établi pour la ruine et la résurrection de beaucoup10.

MAIS MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE À LEUR PÉCHÉ.

2049. Le Seigneur vient donc d'exposer ce par quoi on pourrait excuser les persécuteurs de leur infidélité. Mais à cela il n'y a pas de fondement, parce que le Christ s'est présenté personnellement à eux et les a enseignés. Aussi dit-il : MAIS MAINTENANT, c'est-à-dire du fait que je suis venu et leur ai parlé, ILS N'ONT PAS D'EXCUSE, c'est-à-dire l'excuse de l'ignorance, À LEUR PÉCHÉ - Ils sont donc inexcusables puisque, connaissant Dieu, ils ne Vont pas glorifié ni remercié comme Dieu1. Or, qu'ils aient connu le Christ, cela est évident - Voici l'héritier ; venez, tuons-le2. Mais ils ont connu qu'il était le Christ promis dans la Loi, non pas qu'il était Dieu ; car s'ils l'avaient connue [cette sagesse], ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire3. L'ignorance ne sert donc pas à les excuser, puisqu'ils n'ont pas fait cela par ignorance, mais pour un autre motif, à savoir par haine et en raison de leur malice bien déterminée.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXXIX, 1, BA 74B, p. 181.

9. Is 8, 14. Saint Thomas commente : « Il sera pour vous. Il montre ici le fruit de l'obéissance : une sanctification, c'est-à-dire il vous fera saints - C'est moi le Seigneur qui vous sanctifie (Lv 22, 32). Une pierre d'achoppement : (...) il montre l'occasion de la peine (...) grâce à la métaphore de la pierre sur le chemin, qui est un obstacle pour le voyageur de deux manières : en blessant son pied et en étant une occasion de chute. De même le Christ fut, pour ceux des Juifs qui étaient incrédules, occasion de blessure et de chute, non pas par sa faute, mais par la leur. Il dit donc : Il sera pour les deux maisons d'Israël, c'est-à-dire pour les infidèles des douze tribus, ou les scribes et les pharisiens, une pierre d'achoppement quant à la blessure - Ils ont buté contre la pierre d'achoppement (Rm 9, 32) - et un rocher où l'on trébuche (in petram scandali), où le pied se heurte jusqu'à faire tomber : σκάνδαλον en grec, en latin "pierre d'achoppement" - Mais nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens (1 Co 1, 23) » (Exp. super Isaiam, 8, 14, p. 65, 1. 409-430).

10. Le 2, 34.

CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE.

2050. Le Seigneur ajoute cela comme pour dire : leur péché, ce n'est pas l'ignorance, mais la haine qu'ils ont eue à mon égard, et cela parce qu'elle rejaillit en haine pour le Père.

En effet, puisque le Fils et le Père sont un dans leur essence, leur vérité et leur bonté, et que toute connaissance d'une réalité se fait par la vérité qui est en elle, et que semblablement tout ce qui est aimé l'est par la bonté qui est en lui, quiconque aime le Fils, aime aussi le Père ; et quiconque connaît l'un, connaît l'autre semblablement. C'est pourquoi celui qui hait le Fils, hait aussi le Père.

2051. Mais ici surgissent deux questions. La première : quelqu'un peut-il avoir Dieu en haine ? Il faut dire que Dieu, en tant qu'il est Dieu, personne ne peut l'avoir en haine, puisque Dieu est la pure essence de la bonté, qui, étant aimable en elle-même, ne peut être haïe en elle-même par qui que ce soit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est impossible que quelqu'un de mauvais voie Dieu. Car il est impossible que Dieu soit vu de quelqu'un qui ne l'aime pas ; mais celui qui aime Dieu est bon. Aussi est-il incompatible que quelqu'un voie Dieu et soit mauvais.

Cependant, on peut avoir Dieu en haine selon un autre point de vue : par exemple celui qui aime la volupté hait Dieu en tant qu'il réprouve les jouissances des voluptés, et celui qui cherche l'impunité hait la justice punitive de Dieu.

2052. La deuxième question est la suivante : personne ne peut avoir en haine ce qu'il ignore ; or les Juifs ignoraient le Père, comme l'a dit le Seigneur auparavant : Ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé4. Ce qu'il dit : [IL] HAIT AUSSI MON PÈRE ne semble donc pas vrai.

Mais on doit dire, selon Augustin5, que l'on peut aimer ou haïr quelqu'un qu'on n'a jamais vu, et qu'on ne connaît pas en vérité mais seulement d'après ce que l'opinion dit de lui en bien ou en ma1. Et ceci peut arriver de deux manières. Soit on l'a en haine ou on l'aime pour sa propre personne, soit c'est à cause de ce qu'on raconte de lui : par exemple, si j'entends dire que quelqu'un est un voleur, je le hais, non pas que je connaisse ou haïsse sa propre personne, mais parce que j'ai de la haine pour tout voleur en général ; c'est pourquoi, si quelqu'un était voleur et que moi je ne le sache pas, je l'aurais en haine, sans toutefois savoir que je le hais.

Les Juifs, quant à eux, avaient en haine le Christ et la vérité qu'il prêchait. Et comme la vérité même que le Christ prêchait était dans la volonté de Dieu le Père, ainsi que les œuvres qu'il faisait, de même, comme ils haïssaient le Christ, ils haïssaient le Père, sans savoir que tout cela était dans la volonté du Père.

1. Rm 1, 20-21.

2. Mt 21, 38.

3. 1 Co 2, 8.

4. Jn 15, 21.

5. Tract, in Io., XC, 1 et 3, BA 74B, p. 191-193 et 197-201. Saint Augustin distingue une opinion qui transmet une connaissance vraie de telle personne, d'une opinion mensongère (quant à cette personne) qui nous laisse au niveau d'une connaissance générale du bien et du ma1.

II

SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS NOUS ONT HAÏS, MOI ET MON PÈRE ! MAIS C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT. (15, 24-25)

2053. Que les persécuteurs soient inexcusables, le Seigneur le montre ici par l'évidence des signes. Car ils pourraient dire que ses paroles contre eux ne les ont pas convaincus ; aussi confirme-t-il ses paroles par des faits prodigieux, en disant : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.

Tout d'abord, il montre qu'ils pourraient être excusables jusqu'à un certain point ; puis il montre la racine de leur péché [n° 2056] ; enfin, il fait intervenir une autorité [n° 2057].

SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.

2054. Quant au premier point, deux questions se posent. La première concerne la vérité de l'affirmation précédente : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES. Là, on se demande si le Christ a fait parmi eux des œuvres bonnes que nul autre n'avait faites. Et il semble que non ; car si l'on dit que le Christ a ressuscité des morts, cela Élie 1 et Elisée2 l'ont fait, eux aussi. Si le Christ a marché sur la mer3, Moïse a partagé la mer en deux4. Mais Josué, lui, a fait quelque chose de plus grand : que le soleil s'immobilise5. Le Christ les confond donc d'une manière inconvenante et ce qui s'ensuit semble dépourvu de vérité.

Je réponds que, selon Augustin6, le Seigneur ne parle pas ici de n'importe quels miracles réalisés parmi eux, c'est-à-dire en leur présence, mais de ceux réalisés PARMI EUX, c'est-à-dire en leurs personnes. Car en ce qui concerne la guérison de malades, personne n'en a fait parmi eux autant que le Christ ; du reste, dans d'autres domaines également, il a fait DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES parce qu'il n'y a aucun autre homme qui ait été fait Dieu7, et qu'aucun homme n'est né d'une vierge sinon le Christ.

Il a donc FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES quant à la guérison de malades, et cela de trois manières. Premièrement, en grandeur, puisqu'il a relevé d'entre les morts un mort de quatre jours8, qu'il a rendu la lumière à un aveugle de naissance9, ce qu'on n'a jamais entendu dire10. Deuxièmement, en nombre, comme le dit Matthieu11, car il guérissait, quel qu'en soit le nombre, tous ceux qui avaient quelque maladie, ce que personne d'autre n'avait fait. Troisièmement, dans la manière de faire : car les autres procédaient en invoquant, montrant ainsi qu'ils ne le faisaient pas par leur propre puissance, tandis que le Christ procédait en commandant, comme de sa propre puissance - Quel est ce nouvel enseignement, donné avec autorìté ? Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent !1 Ainsi donc, bien que d'autres aient ressuscité certains morts et fait d'autres actions miraculeuses que le Christ a faites, ce n'était toutefois pas de la même manière ni par leur propre puissance comme le Christ. De même, ce qu'on rapporte de l'immobilisation du soleil est moins important que ce que le Christ a fait en mourant : il fit reculer la lune et changea toute la course du firmament, comme le dit Denys2.

1. Voir 1 R 17, 17-24.

2. Voir 2 R4, 18-37.

3. Cf. Mt 14, 25 ; Me 6, 48 ; Jn 6, 19.

4. Voir Ex 14, 21.

5. Voir Jos 10, 12-14.

6. Tract, in Io., XCI, 2, BA 74B, p. 205-209.

7. Voir ci-dessus, n° 1711, note 3.

8. Voir Jn 11, 17-44.

9. Voir Jn 9, 1-7.

10. Jn 9, 32.

11. Cf. Mt 14, 35-36 : Et on lui présenta tous ceux qui allaient ma1. Et on le priait de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau ; et tous ceux qui la touchèrent furent complètement sauvés.

2055. La deuxième question concerne la vérité de la proposition conditionnelle suivante : SI [LE CHRIST] N'AVAIT PAS FAIT PARMI EUX LES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ils seraient exempts du péché d'infidélité.

La réponse est : si nous parlions de n'importe quels miracles, les persécuteurs auraient une excuse si le Christ ne les avait pas réalisés parmi eux. Car personne ne peut venir au Christ par la foi s'il n'est attiré - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire3. C'est pour cela que, dans le Cantique des cantiques, l'épouse dit : Attire-moi à ta suite, nous courrons à l'odeur de tes parfums4. Voilà pourquoi, s'il n'y avait personne pour les attirer à la foi, ils seraient excusables de leur infidélité.

Mais remarquons que le Christ a exercé une attraction par sa parole, par des signes visibles et invisibles, c'est-à-dire en remuant et en éveillant de l'intérieur leurs cœurs - Le cœur du roi est dans la main de Dieu5. L'œuvre de Dieu en nous est donc un instinct intérieur qui nous pousse à bien agir, et ceux qui y résistent pèchent ; autrement, c'est en vain qu'Etienne aurait dit : Toujours vous résistez, vous, à l'Esprit-Saint6. - Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, celle du cœur, et moi je ne le contredis pas7. Ce que le Seigneur dit : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, doit donc s'entendre non seulement des œuvres visibles, mais aussi de cet instinct intérieur et de l'attraction de son enseignement ; et assurément, s'il n'avait pas réalisé cela parmi eux, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. Ainsi donc, on voit clairement de quelle manière ils pourraient être excusés, c'est-à-dire si le Seigneur n'avait pas fait d'œuvres miraculeuses parmi eux.

MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS NOUS ONT HAÏS, MOI ET MON PÈRE ! (15, 24)

2056. Ici le Seigneur montre ce qui est à la racine du péché d'infidélité qu'ils encouraient : c'est la haine, à cause de laquelle ils ne croyaient pas aux œuvres qu'ils avaient vues. Aussi dit-il : MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU - sous-entendu les œuvres que j'ai faites parmi eux -, ET ILS NOUS ONT HAÏS, MOI ET MON PÈRE - Puisqu'ils ont eu en haine la discipline et n'ont pas reçu la crainte du Seigneur8. Et, comme le dit Grégoire, dans l'Église il y en a qui non seulement ne font pas le bien, mais aussi persécutent, et ce qu'ils négligent de faire eux-mêmes, ils le détestent encore chez les autres ; aussi leur péché n'est-il pas commis par faiblesse ou ignorance, mais par leur seule application9.

MAIS C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT. (15, 25)

1. Mc 1, 27.

2. Lettres, VII, 2, PG 3, co1. 1082.

3. Jn 6, 44.

4. Ct 1, 3 (propre à la Vulgate).

5. Pr 21, 1.

6. Ac 7, 51.

7. Is 50, 5.

8. Pr 1, 29.

9. Moralium libri, XXV, 11, PL 76, co1. 339 C. Saint Grégoire avait auparavant fait remarquer que l'on commet le péché de trois manières : par ignorance, par faiblesse ou avec application (studio). Et il ajoutait que si pécher par faiblesse est plus grave que par ignorance, s'y appliquer l'est encore davantage.

2057. On pourrait dire : si c'est un fait que les Juifs t'ont haï, toi et ton Père, pourquoi fais-tu des miracles pour eux ? Aussi le Seigneur répond-il en disant qu'il fait cela POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT.

Mais à ce propos, un doute s'élève : pourquoi le Seigneur dit-il que cela est écrit dans leur Loi, alors qu'en fait cela est écrit dans les Psaumes ?

À cela il faut répondre que, dans l'Écriture, la Loi peut s'entendre en trois sens. Parfois, en effet, il s'agit communément de tout l'Ancien Testament ; et c'est ainsi qu'on le comprend ici, parce que toute la doctrine de l'Ancien Testament est ordonnée à l'observance de la Loi - Souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans ton royaume1. Parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on distingue des hagiographes et des Prophètes - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, et les Prophètes, et les Psaumes2, auxquels s'ajoutent aussi les hagiographes. Et parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on distingue des Prophètes seulement ; les hagiographes sont alors comptés avec les Prophètes.

Le Seigneur dit donc : c'est POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI (c'est-à-dire au psaume 34, 19 3) : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT, c'est-à-dire non pas pour obtenir un avantage ou éviter un inconvénient, car c'est bien pour cela que l'homme déteste certaines choses, qui n'ont pas existé chez le Christ ; celui-ci, bien au contraire, leur donnait l'occasion d'aimer, en les guérissant et en les enseignant - Lui qui a passé en faisant le bien 4. - Le mal se rend-il pour le bien, qu 'ils creusent une fosse pour mon âme ?5 - Qu'est-ce que vos pères ont trouvé d'injuste en moi pour s'éloigner de moi ?6

Le témoignage de l'Esprit Saint et des Apôtres.

2058. Le Seigneur montre à présent que les persécuteurs sont inexcusables en raison de ce qui allait survenir après lui, parce qu'ils allaient avoir d'autres témoignages : celui de l'Esprit Saint, et aussi celui des Apôtres. Il expose d'abord ce qui leur adviendrait de la part de l'Esprit Saint, puis ce qui leur serait donné par les Apôtres [n° 2067].

I

LORSQUE SERA VENU LE PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCÈDE DU PÈRE, C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI. (15, 26)

En ce qui concerne l'Esprit Saint, il touche quatre points : sa liberté ou sa puissance (potestas), sa douceur [n° 2060], sa procession [n° 2061], son opération [n° 2066].

LORSQUE SERA VENU LE PARACLET

2059. D'abord la liberté ou la puissance de l'Esprit Saint - LORSQUE SERA VENU LE PARACLET -, car on dit proprement de quelqu'un qu'il vient lorsqu'il va de lui-même, de sa propre autorité, et cela convient à l'Esprit Saint qui souffle où il veut1 -J'ai supplié, et l'Esprit de sagesse est venu en moi2. L'expression JE VOUS ENVERRAI ne désigne donc pas une contrainte, mais l'origine.

1. Lc 23, 42.

2. Lc 24, 44.

3. Ou Ps 68, 5.

4. Ac 10, 38.

5. Jr 18, 20. Et la suite : Souviens-toi que je me suis tenu devant toi pour dire du bien à leur sujet, pour détourner d'eux ta fureur.

6. Jr 2, 5.

LE PARACLET

2060. Le Seigneur fait allusion à la douceur de l'Esprit Saint en disant LE PARACLET, c'est-à-dire le Consolateur3. Car puisqu'il est l'Amour de Dieu, il nous fait mépriser les réalités terrestres et adhérer à Dieu, et par là il éloigne de nous douleur et tristesse, et nous procure la joie des réalités divines - Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)4 - L'Église était remplie de la consolation de l'Esprit Saint5.

QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCÈDE DU PÈRE

2061. En troisième lieu, le Seigneur révèle une double procession de l'Esprit Saint, et d'abord sa procession temporelle.

LE PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE

Là il faut considérer que, lorsqu'on dit que l'Esprit Saint est envoyé, ce n'est pas comme s'il changeait de lieu, puisqu'il emplit le monde entier, comme le dit le livre de la Sagesse6 ; mais c'est parce qu'il commence à habiter d'une nouvelle manière, par la grâce, en ceux dont il fait le temple de Dieu7 - Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?8 Et il n'est pas contradictoire de dire que l'Esprit Saint est envoyé et qu'il vient, car dire de lui qu'il vient nous fait voir manifestement la majesté de sa divinité - [lui] qui opère (...) comme il le veut9. Et on dit qu'il est envoyé pour montrer qu'il procède d'un autre, car le fait de sanctifier la créature rationnelle en habitant en elle, il le tient d'un autre, de qui il tient d'être, comme le Fils tient d'un autre tout ce qu'il opère.

Remarquons aussi que la mission de l'Esprit Saint vient du Père et du Fils communément, comme l'indique symboliquement l'Apocalypse : L'Ange me montra un fleuve d'eau de la vie - c'est-à-dire l'Esprit Saint - procédant du trône de Dieu et de l'Agneau 10 - c'est-à-dire du Christ. Voilà pourquoi, pour la mission de l'Esprit Saint, il est fait mention du Père et du Fils par lesquels, en vertu d'une égale et même puissance, il est envoyé. Aussi le Christ présente-t-il parfois le Père comme celui qui envoie, mais cependant pas sans le Fils - Mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom11 -, et parfois il se présente lui-même comme celui qui envoie, mais pas sans le Père : QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, parce que tout ce qu'opère le Fils, il le tient du Père - Le Fils ne peut rien faire de lui-même1.

1. Jn3, 8.

2. Sg 7, 7.

3. Voir ci-dessus, n° 1912, note 2.

4. Ga 5, 22. Saint Thomas commente : « La fin ultime par laquelle l'homme est rendu parfait intérieurement est la joie, qui procède de la présence de la réalité aimée. Or celui qui a la charité a déjà ce qu'il aime - Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4, 16). Et de là jaillit la joie - Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur (Ph 4, 4). Or cette joie doit être parfaite, et pour cela deux choses sont requises. Premièrement, que la réalité aimée suffise à celui qui aime à cause de sa perfection. Et quant à cela, il dit : paix ; en effet, celui qui aime a la paix quand il possède suffisamment la réalité aimée - Aussi ai-je à ses yeux trouvé la paix (Ct 8, 10). Deuxièmement, que l'on jouisse parfaitement de la réalité aimée (...) car, quoi qu'il arrive, si quelqu'un jouit parfaitement de la réalité aimée, notamment de Dieu, il ne peut être écarté de la jouissance de cette réalité - Grande paix pour ceux qui aiment ta Loi [et] il n'y a pas pour eux de scandale (Ps 118, 165). Ainsi donc la joie exprime la jouissance de la charité, mais la paix la perfection de la charité. Et par elles l'homme est rendu parfait intérieurement relativement aux biens » {Ad Gai. lect., V, n° 330).

5. Ac 9, 31.

6. Cf. Sg 1, 7.

7. Voir Il Sent., à. 26, q. 1, a. 1, c. : « II y a un don gratuitement donné qui est incréé, à savoir le Saint-Esprit. Mais que ce don soit maintenant possédé alors qu'il ne l'était pas avant, cela n'arrive pas par un changement quelconque dans le Saint-Esprit mais par une mutation dans celui à qui il est donné ». Voir aussi Somme théo1., I-II, q. 114, a. 3, ad 3 : « Par la grâce, le Saint-Esprit qui est la cause suffisante de la vie éternelle habite dans l'homme ».

8. 1 Co 3, 16.

9. 1 Co 12, 6 et 11.

10. Ap 22, 1.

11. Jn 14, 26. Voir ci-dessus, n° 1956.

L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCÈDE DU PÈRE

2062. En second lieu, le Seigneur révèle la procession éternelle2. Et là il montre également que l'Esprit Saint appartient au Fils, en disant : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, car lui-même en effet est la Vérité - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie3 ; et que l'Esprit Saint appartient au Père, lorsqu'il dit : QUI PROCÈDE DU PÈRE. Ainsi donc, quand il dit : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, cela revient au même que s'il disait : l'Esprit du Fils - Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils4.

Et puisque ce nom « esprit » exprime une certaine impulsion, et que tout mouvement a un effet qui convient à son principe (comme la chaleur rend chaud), il s'ensuit que l'Esprit Saint rend ceux auxquels il est envoyé semblables à celui dont il est l'Esprit. Et parce qu'il est L'ESPRIT DE VÉRITÉ, il enseigne la vérité tout entière, comme il est dit plus loin : Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière5. - L'inspiration du Tout-Puissant donne l'intelligence6. De même, parce qu'il est l'Esprit du Fils, il fait des fils - Vous avez reçu un esprit d'adoption filiale7

1. Jn 5, 19. Saint Thomas met souvent cela en lumière, comme par exemple dans le Contra Gentiles, IV, ch. 25 : « II n'y a rien d'étonnant à ce que le Seigneur ait dit que l'Esprit Saint procède du Père sans faire aucune mention de lui-même ; car il a coutume de référer tout au Père, de qui il a tout ce qu'il a, comme quand il dit : Ma doctrine n'est pas de moi mais de celui qui m'a envoyé, le Père (Jn 7, 16) ».

2. Sur l'Esprit Saint procédant du Père et du Fils, voir entre autres vo1. I, n° 1004, note 10, et ci-dessus, n° 1911, note 7 ; n° 1912 et note 2 ; n° 1971, note 9. Voir aussi Somme théo1., I, q. 36.

3. Jn 14, 6.

4. Ga 4, 6.

5. Jn 16, 13.

6. Jb 32, 8.

7. Rm 8, 15. Au sujet de Rm 8, 29 saint Thomas commente : « L'adoption des enfants n'est autre que cette conformité [à l'image du Fils]. Car celui qui est adopté comme fils devient conforme au Fils véritable, d'abord par le droit à participer à l'héritage (cf. Rm 8, 17). (...) Ensuite, par la participation à sa splendeur. Lui-même en effet est engendré du Père en tant que splendeur de sa gloire (cf. He 1,3). Aussi, en illuminant les saints de la lumière de la sagesse et de la grâce, le Fils les fait devenir conformes à lui-même » (Ad Rom. lect., VIII, n° 704). 8.1s 19, 14.

Si le Seigneur dit L'ESPRIT DE VÉRITÉ, c'est pour le différencier de l'esprit du mensonge - Le Seigneur a répandu au milieu de l'Égypte un esprit d'égarement8. - Je sortirai, et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes9.

2063. Mais parce qu'il dit : QUI PROCÈDE DU PÈRE, sans ajouter « et du Fils », les Grecs disent que l'Esprit Saint ne procède pas du Fils, mais seulement du Père, ce qui ne peut absolument pas être.

En effet, l'Esprit Saint ne pourrait pas être distingué du Fils s'il ne procédait du Fils ou, inversement, si le Fils ne procédait de lui, ce que personne ne dit. Car on ne peut pas dire qu'entre les personnes divines, qui sont tout à fait immatérielles et simples, il y ait une distinction matérielle, celle qui se fait selon la division de la quantité (la matière étant le fondement de la quantité). Il faut donc que la distinction 10 des personnes divines soit selon le mode d'une distinction formelle, parce qu'il faut qu'elle soit selon une opposition. Car des formes non opposées, quelles qu'elles soient, peuvent se trouver ensemble dans une même réalité sans diversifier le sujet ; par exemple, le blanc et le grand. C'est pourquoi, pour les personnes divines, l'innascibilité 11 et la paternité, parce qu'elles ne s'opposent pas, appartiennent à une seule personne. Si donc le Fils et l'Esprit Saint sont des personnes distinctes procédant du Père, on doit les distinguer par des propriétés opposées ! : non pas opposées selon l'affirmation et la négation, ni selon la privation et l'avoir, parce qu'alors le Fils et l'Esprit Saint seraient l'un par rapport à l'autre comme l'être et le non-être, ou comme le parfait et le dépourvu, ce qui répugne à leur égalité ; ce n'est pas non plus selon l'opposition de contrariété, parce qu'entre des contraires, l'un est toujours plus parfait que l'autre. Il reste donc que l'Esprit Saint se distingue du Fils par la seule opposition relative.

9. 1 R 22, 22.

10. Voir Somme théo1., I, notamment q. 28, a. 3. Voir aussi ci-dessus, n° 1911 et note 7 ; n° 1946 ; n° 2112 et note 7.

11. Saint Thomas emploie ce terme pour signifier que le Père est celui qui ne procède d'aucun autre. Voir Somme théo1., I, q. 32, a. 3.

Or cette opposition ne peut exister que du fait que l'un des opposés se rapporte à l'autre. Car des relations diverses entre deux réalités et une troisième ne s'opposent pas directement, si ce n'est peut-être accidentellement dans les conséquences. Aussi reste-t-il, pour que l'Esprit Saint se distingue du Fils, à leur attribuer des relations opposées, par lesquelles ils s'opposent mutuellement. Et on ne peut trouver d'autres relations que des relations d'origine, selon que l'un vient de l'autre. Il est donc impossible, supposée la Trinité des personnes, que l'Esprit Saint ne vienne pas du Fils.

2064. Certains disent que l'Esprit Saint et le Fils se distinguent selon la différence des processions, en tant que le Fils est à partir du Père en naissant, et l'Esprit Saint en procédant.

Mais on revient encore à la même question : comment ces deux processions diffèrent-elles ? En effet, on ne peut pas dire qu'elles se distinguent par ce qui serait reçu de divers dans la génération, à la manière dont la génération de l'homme et celle du cheval diffèrent selon les diverses natures communiquées ; en effet, c'est la même nature divine que le Fils reçoit du Père en naissant, et l'Esprit Saint en procédant. Il reste donc qu'ils se distinguent seulement selon l'ordre d'origine, c'est-à-dire en tant que la naissance du Fils est principe de la procession de l'Esprit Saint. C'est pourquoi, si l'Esprit Saint n'était pas [à partir] du Fils, il ne serait pas distinct de lui, pas plus que la procession ne serait distincte de la naissance.

1. Voir Somme théol, I, q. 30, a. 2.

C'est pourquoi même les Grecs reconnaissent un certain ordre entre le Fils et l'Esprit Saint : ils disent que l'Esprit Saint est l'Esprit du Fils, et que le Fils opère par l'Esprit Saint, mais non pas l'inverse. Certains aussi concèdent que l'Esprit Saint est [à partir] du Fils et cependant ils ne veulent pas concéder que l'Esprit Saint procède du Fils ; mais là ils parlent manifestement avec impudence. Nous utilisons en effet le mot « procession » pour tout ce qui est, d'une manière ou d'une autre, [à partir] d'un autre (ab alio), et c'est pourquoi, en raison de son caractère très commun, ce mot convient pour désigner l'existence de l'Esprit Saint à partir du Fils, existence dont on ne peut trouver dans les créatures aucun exemple à partir duquel on pourrait lui donner un nom propre, comme le nom de « génération » pour le Fils. Car si dans les créatures on trouve bien une personne procédant selon la nature comme fils, on n'en trouve pas qui procède selon la volonté comme amour. Voilà pourquoi on peut conclure que l'Esprit Saint, quelle que soit la manière dont il se rapporte au Fils, procède de lui.

2065. Cependant, certains parmi les Grecs affirment qu'on ne doit pas dire que l'Esprit Saint procède du Fils parce que cette préposition « de » (a ou ab) désigne chez eux un principe ne dépendant pas d'un principe, ce qui convient au Père seu1. Mais cette raison n'est pas contraignante parce que le Fils est avec le Père un seul principe de l'Esprit Saint, comme aussi des créatures. Or, bien que le Fils tienne du Père d'être principe des créatures, on dit cependant que les créatures sont [à partir] du Fils ; aussi peut-on dire, pour la même raison, que l'Esprit Saint procède du Fils. Et rien ne s'oppose à ce que le Seigneur dit ici : QUI PROCÈDE DU PÈRE, et non pas « du Père et du Fils », car il dit semblablement : QUE MOI JE VOUS ENVERRAI, et cependant on comprend que c'est le Père qui envoie, du fait qu'il ajoute : D'AUPRÈS DU PÈRE. De même encore, le fait qu'il ajoute : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, c'est-à-dire du Fils, fait comprendre qu'il procède du Fils. Car toujours, comme nous l'avons dit, le Fils est conjoint au Père et réciproquement, en ce qui concerne la procession de l'Esprit Saint ; ainsi emploie-t-on des expressions diverses pour signifier la distinction des personnes.

C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI.

2066. En quatrième lieu le Seigneur, en disant : C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI, révèle les opérations de l'Esprit Saint qui rend témoignage d'une triple manière : premièrement, en instruisant les disciples et en leur donnant confiance pour témoigner - Car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous1. Deuxièmement, en communiquant à ceux qui croient en le Christ son enseignement - Dieu y joignant son témoignage par des signes et des prodiges, et par des miracles divers et des répartitions variées d'Esprit Saint2. Troisièmement, en attendrissant les cœurs de ceux qui écoutent - Envoie ton esprit, et ils seront créés3.

II

ET VOUS AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, PARCE QUE VOUS ÊTES AVEC MOI DEPUIS LE COMMENCEMENT. (15, 27)

2067. Enfin, le Seigneur révèle ce qui allait se passer du côté des disciples : ET VOUS AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, inspirés par l'Esprit Saint - Vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu 'aux extrémités de la terre4. Les Actes parlent de ce double témoignage : Nous sommes témoins de ces choses, nous et l'Esprit Saint que le Seigneur a donné à tous ceux qui lui obéissent5.

Et il ajoute que leur témoignage convient parfaitement [est idoine] en disant : PARCE QUE VOUS ÊTES AVEC MOI DEPUIS LE COMMENCEMENT, c'est-à-dire le commencement de la prédication et de l'accomplissement des miracles ; ainsi ils pourraient témoigner de ce qu'ils ont vu et entendu, selon cette parole de la première épître de Jean : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons6.

Par là aussi on peut comprendre que le Christ n'a pas fait de miracles dans son enfance, comme le rapportent certains apocryphes, mais seulement à partir du moment où il a rassemblé les disciples.

1. Mt 10, 20.

2. He 2, 4.

3. Ps 103, 30.

4. Ac 1, 8.

5. Ac 5, 32.

6. 1 Jn 1, 3.

 

CHAPITRE XVI : COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES

Évangile selon saint Jean Chapitre XVI

1 « Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés. 2 Ils vous excluront des synagogues. Mais l'heure vient où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu. 3 Et ils vous feront ces choses parce qu'ils ne connaissent ni le Père, ni moi. 4 Mais je vous ai dit cela pour qu'une fois leur heure venue, vous vous rappeliez que moi, je vous l'ai dit. 5 Et je ne vous l'ai pas dit dès le commencement, parce que j'étais avec vous.

Et maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Où vas-tu ? 6 Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. 7 Mais moi, je vous dis la vérité : II est bon pour vous que moi je m'en aille. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l'enverrai.

8 Et quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, et de la justice, et du jugement. 9 Du péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi ; 10 de la justice, parce que je vais vers le Père, et vous ne me verrez plus ; n du jugement, parce que le prince de ce monde a déjà été jugé.

12 J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. 13 Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu'il entendra, il le dira, et ce qui va venir, il vous l'annoncera. 14 Lui, il me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. 15 Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera. 16 Un peu de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un peu, et vous me verrez ; parce que je vais vers le Père. »

17 Quelques-uns de ses disciples se dirent donc entre eux : « Qu'est-ce qu'il nous dit là : Un peu de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un peu, et vous me verrez, et : Parce que je vais vers le Père ? » 18 Ils disaient donc : « Qu'est-ce qu'il dit : encore un peu ? Nous ne savons pas de quoi il parle. » 19 Jésus connut qu'ils voulaient l'interroger, et il leur dit : « Vous vous demandez les uns aux autres ce que j'ai dit : Un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu, et vous me verrez ? 20 Amen, amen, je vous le dis, vous vous lamenterez et vous pleurerez ; le monde, lui, se réjouira, et vous, vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie. 21 La femme, quand elle enfante, a de la tristesse, parce que son heure est venue. Mais quand elle a donné naissance à l'enfant, elle ne se souvient plus de son affliction à cause de la joie de ce qu'un homme est né dans le monde. 22 Vous donc aussi, maintenant vous avez de la tristesse ; mais de nouveau je vous verrai, et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera.

23 Et en ce jour-là vous ne m'interrogerez plus sur rien. Amen, amen, je vous le dis : Si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. 24 Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez, pour que votre joie soit plénière.

25 Ces choses-là, je vous les ai dites en proverbes ; elle vient, l'heure où je ne vous parlerai plus en proverbes, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. 26 En ce jour-là vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que moi je prierai le Père pour vous ; 27 car le Père lui-même vous aime, parce que vous, vous m'avez aimé, et vous avez cru que je suis sorti de Dieu. 28 Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; de nouveau je quitte le monde et je vais vers le Père. »

29 Les disciples lui disent : « Voici à présent que tu parles ouvertement, et ne dis aucun proverbe. 30 Nous savons maintenant que tu sais tout, et que tu n'as pas besoin qu'on t'interroge. En ceci nous croyons que tu es sorti de Dieu. » 31 Jésus leur répondit : « À présent vous croyez ? 32 Voici qu'elle vient, l'heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés, chacun de son côté, et vous me laisserez seul ; et cependant je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. 33 Je vous ai dit ces choses, pour qu'en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous aurez de l'affliction j mais ayez confiance : moi j'ai vaincu le monde. »

LE CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS QU'IL VIENT DE DONNER À SES DISCIPLES POUR LES CONSOLER DE SON DÉPART ET DE LEURS FUTURES TRIBULATIONS

2068. Auparavant, en leur en donnant les raisons, le Seigneur a consolé ses disciples de son départ1, ainsi que des persécutions et tribulations qui allaient leur advenir2 ; à présent, il explique d'une manière plus manifeste les raisons propres par lesquelles il console ses disciples.

L'Évangéliste nous rapporte donc l'explication des raisons données précédemment ; puis il expose l'effet de cette explication sur les disciples [n° 2164].

LE CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS DONNÉES AUX DISCIPLES

POUR LES CONSOLER

Si on considère bien les paroles des deux chapitres précédents, on voit que le Seigneur avait l'intention de consoler ses disciples de deux choses : de son départ et des tribulations qui allaient leur advenir. Les raisons qu'il donnait alors dans ce double but, il les explique maintenant, mais selon l'ordre inverse. En voici la raison : au chapitre 14, comme son départ était tout à fait imminent, et qu'il ne leur annonçait pas encore les tribulations qui allaient leur advenir, il les consola d'abord de son départ. Mais au chapitre 15, parce que des tribulations leur avaient été annoncées, les disciples paraissaient davantage affectés par elles que par le départ du Christ ; aussi, dans ce chapitre 16, les console-t-il d'abord des tribulations qui allaient survenir, puis de son départ [n° 2082].

1. Jn 14 ; voir ci-dessus, n° 1848.

2. Jn 15 ; voir ci-dessus, n° 1978.

A. LA CONSOLATION PAR RAPPORT AUX TRIBULATIONS A VENIR

JE VOUS AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS. ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU. ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PÈRE, NI MOI. MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 1-5)

Le Seigneur manifeste d'abord son intention ; puis il annonce aux disciples une persécution avec des tribulations [n° 2070] ; enfin il ajoute la raison de cette persécution [n° 2075].

a) L'intention du Christ.

JE VOUS AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS.

2069. Il dit donc : J'ai dit que les Juifs m'ont haï et vous ont haïs aussi, parce qu'ils n'ont pas connu celui qui m'a envoyé. En cela ils sont inexcusables, et l'Esprit Saint et vous-mêmes témoignerez contre eux. Mais toutes CES CHOSES \ JE VOUS LES AI DITES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS, c'est-à-dire pour que vous ne vous scandalisiez pas lorsque viendront les tribulations que je vous annonce2.

Et c'est avec raison3 que le Seigneur, après avoir promis l'Esprit Saint, interdit le scandale, parce que l'Esprit Saint est amour4 - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné5 -, et qu'il chasse tout scandale - Grande paix pour ceux qui aiment ta loi, pour eux il n'est pas de scandale6. Selon les Proverbes7, n'est-ce pas le propre des amis que de ne pas faire cas d'un dommage à cause de leur ami ? Pour les amis de Dieu, ce n'est donc pas un scandale de souffrir peines et dommages pour le Christ. Mais parce qu'avant la mort du Christ les disciples n'avaient pas reçu le Saint-Esprit, ils ont été scandalisés de sa Passion - Vous tous, vous serez scandalisés à mon sujet en cette nuit8. Tandis qu'après l'avènement de l'Esprit Saint, ils ne furent absolument pas scandalisés.

1. Il s'agit de ce qui a été dit en Jn 15, 18-27.

2. Cf. 1 Co 1, 23 : Nous, nous prêchons le Christ crucifié ; pour les Juifs, il est vrai scandale, et pour les Gentils, folie.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCIII, 1, BA 74B, p. 229.

4. Sur l'Esprit Saint Paraclet, consolateur, voir ci-dessus, n° 1912, note 2 ; et n"s 2058 sq. Voir aussi plus loin, nos 2086 sq.

5. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n" 1234, note 8.

6. Ps 118, 165. Voir Somme théol, II-II, q. 45, a. 6, ad 1 : « II appartient à la charité d'avoir la paix. Mais faire la paix est le propre de la sagesse qui ordonne. Semblablement, l'Esprit Saint est appelé Esprit d'adoption en tant que par lui nous est donnée la similitude de celui qui est Fils par nature, qui est la sagesse engendrée ».

7. Pr 12, 26 (verset propre à la Vulgate) : Qui néglige un dommage à cause d'un ami est juste.

8. Mt 26, 31.

b)L'annonce de la persécution.

ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU.

2070. Mais les disciples pourraient dire : Y a-t-il pour nous matière à scandale ? Et comment ! puisque beaucoup de tribulations s'abattront sur nous : l'exclusion, d'abord, puis la mise à mort [n° 2073].

ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES.

2071. D'abord l'exclusion de la communauté des Juifs ; comme il est dit plus haut : Les Juifs s'étaient déjà entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le Christ, on l'exclût de la synagogue1. Et cela fut tel, nous rapporte l'Évangile, que certains chefs des Juifs, qui croyaient dans le Christ, craignaient pour cela de le confesser publiquement2. C'est cette exclusion que le Seigneur annonce à ses disciples - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront, et lorsqu'ils vous excluront et qu'ils insulteront et rejetteront votre nom comme mauvais, à cause du Fils de l'homme3.

2072. Mais était-ce vraiment un mal pour les Apôtres, d'être exclus de la synagogue des Juifs, puisqu'ils allaient eux-mêmes s'en retirer ?

Répondons avec Augustin4 que leur tribulation consistait en ce que le Seigneur laissait ainsi entendre que les Juifs ne recevraient pas le Christ. Car, s'ils l'avaient reçu, la synagogue des Juifs aurait été identique à l'Église du Christ ; et ceux qui se convertiraient à l'Église du Christ seraient convertis à la synagogue des Juifs.

1. Jn9, 22.

2. Jn 12, 42 : Cependant, même parmi les chefs, beaucoup crurent en lui ; mais à cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'être exclus de la synagogue. Sur la confession de foi, voir ci-dessus, n° 1601, note 2. Le manque de courage de ces chefs des Juifs les maintient dans le mensonge et les écarte de la béatitude des persécutés que Jésus promet à ses disciples (cf. Mt 5, 10 ; Lc 6, 22-23 ; 1 Ρ 3, 14 et 4, 13-14).

3. Lc 6, 22.

4. Tract, in Io., XCIII, 2, ΒΑ 74Β, p. 231. Tout ce passage (nos 2072-2074) reprend son commentaire.

MAIS L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU.

2073. Il s'agit là de la mise à mort. On peut assurément recevoir ces paroles comme destinées à consoler les disciples, le MAIS étant pris dans un sens d'opposition, ce qui signifie alors : Vous devez pour ainsi dire vous consoler de ce qu'ils vous feront, parce que L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU 5.

Mais quelle consolation pouvait-il y avoir pour eux à ce que quiconque les tue croie RENDRE HOMMAGE À DIEU ?

À cela il faut répondre, selon Augustin6, que l'affirmation ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES donnait à entendre que ceux qui se convertiraient au Christ devraient aussitôt être tués par les Juifs. Aussi, pour les consoler, le Seigneur leur dit qu'expulsés des assemblées des Juifs, ils allaient gagner au Christ un tel nombre de personnes qu'on ne pourrait pas les détruire. Et pour cela on chercherait à les mettre à mort, de peur qu'ils ne convertissent tout le monde au nom du Christ, par leur prédication.

Ou bien on doit répondre qu'en cela le Seigneur leur a annoncé la tribulation de leur mise à mort.

5. Le texte grec a la conjonction adversative αλλά. Ici elle est généralement comprise dans le sens de : « bien plus » (cf. M.-J. Lagrange, L'Évangile selon saint Jean [Études bibliques], Gabalda-Lecoffre, Paris, 19252, p. 415). En considérant presque systématiquement que les paroles de Jésus ont pour but principal de consoler ses disciples, saint Thomas suit de près la pensée de saint Augustin. Plutôt que de donner au « mais » (sed) une note plus large que la simple indication d'opposition, ils se demandent comment, malgré tout, la séparation d'avec les Juifs qui refusent de suivre le Christ est promesse de bienfait pour les disciples, « comme si [le Christ] annonçait quelque chose de bon après ces maux » (cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCIII, 3, ΒΑ 74Β, ρ. 235-239).

6. Tract, in Io., XCIII, 4, ΒΑ 74Β, ρ. 241.

2074. Le Seigneur dit toutefois qu'on CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU, et non pas « aux dieux » ; pour donner à entendre qu'il s'agit seulement de la persécution venant des Juifs - Voici que moi j'envoie vers vous des prophètes., et des sages, et des scribes. Vous en tuerez et crucifierez 1. Les martyrs du Christ, en effet, ont été tués par les Gentils, mais ceux-ci cependant n'ont pas cru rendre hommage à Dieu, mais seulement à leurs dieux. Or si les Juifs, en tuant les prédicateurs du Christ, estimaient rendre hommage à Dieu, c'est parce qu'ils avaient pour Dieu un zèle, mais qui n'était pas éclairé par la connaissance ; car ils croyaient que quiconque se convertissait au Christ abandonnait le Dieu d'Israël2. Parlant de cette mise à mort, le psaume dit : C'est à cause de toi qu'on nous met à mort tout le jour ; nous sommes considérés comme des brebis d'abattoir3.

c) La raison de la persécution.

ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PÈRE, NI MOI. MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 3-5)

2075. Ici, le Seigneur précise la raison de ce qui a été dit : d'abord la raison de la persécution qui va survenir, puis la raison de l'annonce qu'il en fait [n° 2077].

I

2076. Il dit donc : Ils vous persécuteront, ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES non pas par zèle de la vérité, mais PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PÈRE, c'est-à-dire en tant qu'il est Père, NI MOI, son Fils - Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père 4. - Moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur, insolent, j'ai obtenu miséricorde de Dieu parce que j'avais agi par ignorance, dans l'incrédulité5.

II

MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT.

2077. Mais on pourrait dire aux disciples : Si c'est par ignorance de la foi que les Juifs vont vous persécuter, pourquoi donc le Seigneur vous l'a-t-il prédit ? Aussi le Seigneur explique pourquoi il l'a annoncé, puis pourquoi il a tardé à l'annoncer [n° 2079].

UNE FOIS LEUR HEURE VENUE

2078. On dit que l'heure de certaines personnes vient lorsqu'elles peuvent accomplir ce qu'elles désirent, et faire ce qu'elles veulent - Ne laissons pas passer la fleur de l'âge6, de l'âge qui nous permet de réaliser nos volontés. Elle viendra donc, l'heure des Juifs, lorsqu'ils pourront mettre en œuvre leurs persécutions contre vous. Mais cette heure est une heure nocturne - C'est votre heure et le pouvoir des ténèbres \

1. Mt 23, 34.

2. Cf. Ga 1, 13-14.

3. Ps 43, 22.

4. Jn 8, 19.

5. 1 Tm 1, 13.

6. Sg 2, 7.

POUR QUE (...) VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT.

Ceci est efficace de deux manières. D'abord, lorsqu'au milieu des tribulations les disciples se souvinrent que le Christ les leur avait prédites, ils reconnurent sa divinité et se confièrent davantage en son secours. Et aussi parce que, lorsqu'on prévoit les tribulations qui vont nous arriver, on en est moins affecté, car les traits [qu'on nous lance], aperçus à l'avance, blessent moins. Cicéron2 en précise la raison dans Les Tusculanes : plus on connaît les biens et les maux temporels, plus on les estime de peu d'importance. Les hommes, en effet, estiment davantage les richesses quand ils n'en ont pas que lorsqu'elles sont en leur possession. De même pour les tribulations, avant qu'elles surviennent on les redoute et on les croit plus éprouvantes que lorsqu'elles surviennent et sont présentes. Quant au mal, lorsqu'on y pense à l'avance, il en devient comme présent, et du fait de cette présence est tenu pour moindre 3. C'est pourquoi Cicéron dit que le sage, en se préparant par la réflexion, peut trouver une consolation à une tristesse future, tristesse que les autres reçoivent avec le poids constant d'une tristesse imminente.

1. Le 22, 53. Le mot « heure » est employé dans les évangiles en deux sens. Soit il signifie l'heure des ténèbres, de la nuit, l'heure utilisée pour faire le mal, et c'est là son sens dans ce verset de saint Luc. Soit il signifie l'heure du jour, l'heure de la victoire de l'amour, l'heure du Christ, celle que Jésus annonce comme le temps pour lui de réaliser jusqu'au bout la volonté du Père. C'est particulièrement l'heure de la Croix, que Jésus annonce déjà à Cana Qn 2, 4) et dont il parle durant sa dernière semaine (cf. Jn 12, 23 et 27), spécialement dans la prière du chapitre 17 : Père, l heure est venue, glorifie ton Fils (Jn 17, 1). Voir plus haut, n° 1733, où l'heure du Christ est indiquée par saint Thomas comme déterminée par la disposition de la Providence divine ; et ci-dessous, n° 2180, où elle est indiquée comme l'heure de la Sagesse.

2. Tusculanes, III, xiv, 29 - xv, 31, Les Belles Lettres, p. 19-21.

3. Saint Thomas, en s'appuyant sur Cicéron, montre ici le réalisme de la connaissance et de l'amour. Seule la réalité dans son actualité d'être peut déterminer l'intelligence et l'affectivité. Le futur n’est-il pas souvent source d'angoisse et d'un primat de l'imaginaire parce qu'il n'est pas encore là ? Et n'est-ce pas le propre de Dieu de connaître les choses futures ? Ainsi, pour mieux vivre des événements difficiles qui vont arriver et qui lui font peur s'il s'attarde a les imaginer, l'homme peut se préparer par une certaine réflexion. Saint Thomas montre que cette réflexion sur les événements futurs ne peut exister pour nous que si nous avons un regard de science, et surtout de sagesse, explicitant les liens des effets par rapport à leurs causes : « II faut savoir que les choses futures peuvent être connues de deux façons. D'une première manière en elles-mêmes, d'une seconde manière dans leurs causes. En elles-mêmes les réalités futures ne peuvent être connues que par Dieu. À lui en effet elles sont présentes tandis que dans le cours des choses elles sont à venir, en tant que son regard éternel se porte au-delà de toute la course du temps. Mais en tant qu'elles existent dans leurs causes, elles peuvent être connues aussi par nous. Et si elles existent dans leurs causes de telle sorte qu'elles en proviennent par nécessité, elles sont connues par la certitude de la science, comme l'astrologue connaît par avance l'éclipsé future. Mais si elles existent ainsi dans leurs causes de telle sorte qu'elles proviennent d'elles la plupart du temps, ainsi elles peuvent être connues par une conjecture plus ou moins certaine, selon que les causes sont plus ou moins inclinées vers leurs effets » (Somme théol, I, q. 86, a. 4, c). Et n'est-ce pas en définitive le regard de la Providence divine que le sage découvre par sa réflexion ? 4. Voir Somme théol, I-II, q. 38, a. 3, où saint Thomas montre que la compassion d'un ami révèle son amour et ainsi atténue la tristesse.

Ainsi donc, si le Seigneur annonce aux disciples leurs tribulations, c'est pour une double raison : pour affermir leur espérance en son secours, et pour atténuer leur tristesse 4.

III

ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DES LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS.

2079. À présent le Seigneur donne la raison pour laquelle il ne leur a pas prédit cela plus tôt : PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS.

Cela peut se rapporter aux deux raisons précédentes. D'abord pour affermir leur espérance, car « lorsque j'étais avec vous, confiants en mon secours, vous ne doutiez pas ; mais bientôt, quand vous me verrez mourir, vous pourrez douter de ma puissance. Aussi est-il nécessaire que je vous annonce les événements à venir, pour que par eux vous reconnaissiez ma divinité et ma puissance ».

Cela peut se rapporter aussi à la seconde raison ; le sens est alors le suivant : J'ÉTAIS AVEC VOUS, vous protégeant et prenant sur moi tout poids - Père, lorsque j'étais avec eux, moi, je les gardais1. Mais parce que je vais m'éloigner de vous, tout le poids de la tribulation vous restera ; aussi faut-il que ces tribulations ne vous arrivent pas à l'improviste2.

2080. Toutefois, d'après le récit des trois autres Évangélistes, il semble qu'avant cette heure le Seigneur avait déjà fait une prédiction : avant ce moment-là, il avait prédit aux disciples qu'ils devraient comparaître devant des rois et des gouverneurs, et être flagellés dans les synagogues des Juifs3.

On doit répondre que cela ne contredit pas ce que dit le Seigneur : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT, puisque [selon ces mêmes Évangélistes] le Seigneur a dit cela au mont des Oliviers4, ce qui eut lieu alors que sa Passion était imminente, trois jours avant qu'il vînt pour la Cène5. Aussi l'expression DÈS LE COMMENCEMENT ne se réfère-t-elle pas au temps de la Passion, mais aux premiers moments où il fut avec ses disciples, comme le dit Augustin6.

2081. Mais Matthieu dit autrement : il dit que le Seigneur a annoncé à ses disciples les tribulations qui allaient s'abattre, non seulement alors que sa Passion était imminente, mais dès le commencement, quand il choisit les Douze - Voici, dit-il, que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups7.

À cela il faut répondre que l'affirmation : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT, ne doit pas s'entendre seulement des tribulations qui vont survenir, mais également de la venue de l'Esprit Saint, qu'il ne leur avait pas prédit dès le commencement, ainsi que le dit Augustin8.

Ou bien disons, selon Chrysostome9, que cela doit s'entendre des tribulations. Donc, ce qu'il dit : DÈS LE COMMENCEMENT, il le dit à cause de deux aspects nouveaux qu'il vient de leur prédire : l'un, c'est qu'ils allaient souffrir des tribulations de la part des Juifs, ce qu'il ne leur avait pas dit auparavant - il leur avait seulement dit qu'ils souffriraient de la part des Gentils -, comme il apparaît clairement au même chapitre de Matthieu10. L'autre, qu'il leur avait prédit précédemment, c'est qu'ils souffriraient la flagellation ; mais il ajoute ici un aspect qui pouvait les frapper de stupeur : c'est que leur mort serait considérée comme un hommage rendu à Dieu.

B. LA CONSOLATION PAR RAPPORT A SON DEPART

2082. Précédemment, le Seigneur a expliqué les raisons données aux disciples pour les consoler face aux tribulations qui allaient leur advenir. Ici il explique les raisons données pour les consoler de son départ ; or [au chapitre 14], il les en a consolés par trois raisons. Premièrement, parce qu'ils auront accès auprès du Père, accès qu'il avait promis ; il disait alors : Que votre cœur ne se trouble pas (...). Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures11. Deuxièmement, à cause du Paraclet qu'il allait leur envoyer ; aussi disait-il : Et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet1. Troisièmement, parce qu'à nouveau ils verront le Christ, ce qu'il affirmait en ces termes : Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers vous2. Ces trois raisons, il les explique ici, mais selon l'ordre inverse : en premier lieu, la promesse de l'Esprit Paraclet ; puis la promesse de le voir de nouveau [n° 2116] ; enfin, l'introduction auprès du Père [n° 2135].

1. Jn 17, 12.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1. 421.

3. Voir Mt 10, 17-18 ; Me 13, 9 ; Lc 21, 12.

4. Mt 24, 3 ; Me 13, 3.

5. Mt 26, 2 ; Me 14, 1.

6. Tract, in Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 243-245.

7. Mt 10, 16. Saint Thomas commente : « II les compare à des brebis à cause de leur douceur, mais leurs persécuteurs aux loups à cause de leur rapacité. En effet, le Christ lui-même fut une brebis - Comme une brebis qu'on mène à l'abattoir (Is 53, 7) -, et les disciples aussi - Nous, son peuple, et les brebis de son bercail (Ps 94, 7) » (Sup. Matth., X, n° 838).

8. Tract, in Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 245.

9. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1. 421.

10. Mt 10, 22 : Vous serez haïs de tous à cause de mon nom.

11. Jn 14, 1-2. Voir ci-dessus, n° 1848.

a) La promesse de l'Esprit Paraclet.

En ce qui concerne cette promesse, le Seigneur montre d'abord la nécessité d'une consolation, puis il présente cette consolation [n° 2086].

La nécessité d'une consolation.

ET MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ ; ET AUCUN D'ENTRE VOUS NE M'INTERROGE : OÙ VAS-TU ? MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR. (16, 5-6)

Ici, le Seigneur annonce son départ ; puis il montre l'effet de cette annonce [n° 2085].

2083. Il se retire donc, en allant vers son Père, et c'est pourquoi il dit : J'étais avec vous, jusqu'à présent, mais MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-à-dire le Père : ce qui est en vérité la perfection. Chaque réalité, en effet, trouve sa perfection lorsqu'elle retourne à son principe 3 - Le temps est venu pour moi de retourner auprès de celui qui m'a envoyé*. - Vers le lieu d'où ils sortent, les fleuves retournent pour de nouveau couler5. C'est dans son humanité qu'il allait vers Celui auprès de qui, de toute éternité, il était dans sa divinité. Cela, on l'a expliqué d'une manière plus étendue dans ce qui précède6.

2084. Mais il ajoute : AUCUN D'ENTRE VOUS NE M'INTERROGE : OÙ VAS-TU ? Mais pourquoi dit-il cela ? Pierre ne l'a-t-il pas interrogé précédemment : Seigneur, où vas-tu ?7, ainsi que Thomas : Nous ne savons pas où tu vas8 ?

À cette question, Chrysostome et Augustin répondent, mais de manières différentes. Chrysostome9 dit en effet que les disciples, en entendant qu'ils devaient être mis à mort et exclus des synagogues, furent tellement attristés et frappés de stupeur que, ayant comme oublié le départ du Christ et perdant presque la parole, ils ne l'interrogeaient pas à propos de son départ. Aussi le Christ enchaîne-t-il : MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR. Et Chrysostome affirme qu'en disant ainsi : ET MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ, le Seigneur leur fait davantage un reproche. Et c'est pourquoi ils ne l'interrogeaient pas - Interroge ton père, et il te l'annoncera1. — [La sagesse], recherche-la, et elle te sera manifestée2.

1. Jn 14, 16. Voir ci-dessus, n" 1907.

2. Jn 14, 18. Voir ci-dessus, n° 1921.

3. On trouve cette affirmation à plusieurs reprises dans la Somme théologique, où saint Thomas note (entre autres) : « Selon la foi, la perfection dernière de la créature raisonnable doit se trouver dans Celui qui est pour elle principe d'existence, vu qu'une chose est parfaite dans la mesure où elle atteint à son principe » (I, q. 12, a. 1, c). Et aussi : « Chaque réalité, en effet, trouve sa perfection par le fait qu'elle est soumise à son principe, comme le corps par le fait qu'il est animé par l'âme et l'air par le fait qu'il est illuminé par le soleil » (II-II, q. 81, a. 7, c).

4. Tb 12, 20.

5.Qo 1, 7.

6. Voir Jn 14, 28 et le commentaire de ce verset, ci-dessus, au n° 1970.

7. Jn 13, 36.

8. Jn 14, 5.

9. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1. 420-421.

Augustin3, lui, veut que l'affirmation : MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ ne soit pas pour l'instant même où le Seigneur parlait, mais pour le temps où il allait monter au cie1. Comme s'il disait : Précédemment vous m'avez demandé où j'allais, mais maintenant je m'en vais de telle manière qu'il n'est pas nécessaire que l'un de vous m'interroge : OÙ VAS-TU ? Car selon les Actes, sous leurs regards il fut élevé 4.

MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR.

2085. Par ces mots le Seigneur montre la tristesse qui est, selon Chrysostome5, l'effet de cette annonce. Selon Augustin6, c'est de son départ qu'ils s'attristent ; car ils trouvaient leur joie dans la présence du Christ, étant d'une certaine manière attachés d'une affection terrestre7 à son aspect (species) humain, comme l'homme trouve sa joie dans la présence de l'ami ; c'est pour cela qu'ils s'attristaient de son départ - Au soir de la Passion, seront réservés les pleurs chez les Apôtres, et au matin de la Résurrection la joie8.

Cependant, s'il est humain que la tristesse touche le cœur, il est vicieux qu'elle le remplisse parce qu'alors la raison en est troublée9 ; aussi dit-il, comme pour les reprendre : LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR - Ne livre pas ton âme à la tristesse10. - Que votre cœur ne se trouble pas 11.

La consolation par la promesse de l'Esprit Saint.

2086. Ici, le Seigneur donne la raison de la consolation qui est la promesse de l'Esprit Saint. D'abord il promet l'Esprit Saint, puis il annonce son effet [n° 2091].

I

MAIS MOI, JE VOUS DIS LA VÉRITÉ : IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE. CAR SI JE NE PARS PAS, LE PARACLET NE VIENDRA PAS VERS VOUS ; MAIS SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI. (16, 7)

2087. Au sujet de la promesse de l'Esprit Saint, le Seigneur montre en premier lieu la nécessité de son départ, puis l'utilité de ce départ.

1. Dt 32, 7.

2. Si 6, 28.

3. Tract, in Io., XCIV, 3, BA 74B, p. 247.

4. Ac 1, 9.

5. Voir ci-dessus, n° 2084.

6. Tract, in Io., XCIV, 4, BA 74B, p. 249.

7. Carnaliter affecti. Sur la traduction « terrestre », voir vo1. I, n° 1209, note 5.

Il dit donc : LA TRISTESSE - sous-entendu : de mon départ - A REMPLI VOTRE CŒUR ; mais vous devez plutôt vous réjouir, parce qu'IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE, c'est-à-dire : cela vous est grandement nécessaire, CAR SI JE NE PARS PAS, LE PARACLET NE VIENDRA PAS VERS VOUS. De même, c'est pour vous fécond et Utile, car SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI, à savoir l'Esprit Saint.

8. Ps 29, 6. Saint Thomas commente : « Au sens mystique, le texte est clair : car au soir de l'ensevelissement du Seigneur ce fut la tristesse, parce que les fidèles pleuraient la mort du Christ. Mais au matin, à cause de l'annonce de la Résurrection, ce fut la joie. Si on applique cela au genre humain tout entier, alors au soir, c'est-à-dire lors du péché de nos premiers parents (Gn 3), ce fut la tristesse car après le milieu du jour, tandis que le soleil déclinait déjà pour se coucher, Adam pécha. Et on ne peut pas dire que ce gémissement fut de courte durée, puisque même après la restauration de la grâce ses séquelles demeurent. Mais au matin, c'est-à-dire dans le Christ, c'est la joie. Ou bien au soir, c'est-à-dire lorsque la lumière spirituelle commence à s'affaiblir dans l'homme, alors vient en lui le gémissement, mais lorsque la lumière brille de nouveau en lui, alors c'est la joie - Dès le matin, je me présenterai à toi et je verrai (Ps 5,5) » (Exp. in Psalmos, 29, n° 4).

9. Voir ci-dessus, n° 1651, note 2.

10. Si 30, 22 et Si 38, 21.

11. Jn 14, 27.

2088. Mais le Christ n'aurait-il pas pu donner l'Esprit Saint lorsqu'il vivait dans la chair ? Il faut répondre que si, puisque l'Esprit Saint est même descendu sur lui lors de son baptême sous la forme d'une colombe et ne l'a jamais quitté, puisqu'il l'a reçu sans mesure 1 dès l'instant de sa conception2. Mais il n'a pas voulu le donner aux disciples lorsqu'il était avec eux, pour quatre raisons.

Premièrement parce qu'ils n'étaient pas disposés à cela3 ; car l'Esprit Saint étant amour spirituel, l'amour terrestre (carnalis) lui est contraire. Or les disciples étaient attachés à l'humanité du Christ d'un amour terrestre (carnalis), et n'avaient pas encore été élevés jusqu'à sa divinité par un amour spirituel ; et c'est pourquoi ils n'étaient pas encore capables de l'Esprit Saint : Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair - c'est-à-dire selon l'affection terrestre - et si nous avons connu le Christ selon la chair - à savoir le Christ avant sa Passion - maintenant ce n'est plus ainsi que nous le connaissons4.

Deuxièmement à cause de la condition du secours divin : c'est dans les nécessités qu'il est le plus présent - Le Seigneur s'est fait refuge pour le pauvre, son aide aux moments opportuns, dans la tribulation5 ; et encore : Puisque mon père et ma mère m'ont abandonné, le Seigneur, lui, m'a pris avec lui6. Or tant que le Christ était avec eux, il était pour eux une aide suffisante ; mais avec son départ ils se trouvaient exposés à de nombreuses tribulations, et c'est pour cela qu'il leur a été donné aussitôt un autre Consolateur pour les aider. Aussi le Seigneur dit-il expressément : Et il vous donnera un autre Paraclet7. - A qui enseignera-t-il la science ? A qui fera-t-il comprendre ce qui aura été entendu ? A des enfants à peine sevrés, qui viennent de quitter le sein 8.

1. Cf. Jn 3, 34.

2. Jésus a eu dès le début l'Esprit Saint sans mesure, et pourtant l'Esprit Saint est descendu sur lui au baptême : comment le comprendre ? Saint Thomas répond à cette interrogation dans la question de la Somme théologique sur le baptême du Christ (III, q. 39, voir spécialement a. 1 et a. 6), en reprenant toute la Tradition de l'Église. Le Christ n'a pas eu besoin du baptême pour recevoir l'Esprit Saint. Ce sont ceux qui sont baptisés par la puissance de son baptême qui le reçoivent et que le Christ « préfigure ». Et il cite ce très beau passage de saint Augustin : « II est absurde de dire que le Christ, quand il eut trente ans accomplis, reçut l'Esprit Saint. Il vint au baptême sans péché, mais non sans l'Esprit Saint ! Si en effet on écrit de Jean qu'il est rempli d'Esprit Saint depuis le ventre de sa mère, que faut-il dire du Christ homme dont sa conception de chair ne fut pas charnelle mais toute spirituelle ? Ainsi, au baptême, il a daigné préfigurer son corps, c'est-à-dire l'Église, dans laquelle les baptisés reçoivent surtout l'Esprit Saint (De Trinitate, XV) » (a. 6, ad 1).

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCIV, 4, BA 74B, p. 249-251.

4. 2 Co 5, 16. Voir vo1. I, n° 1074, note 6.

5. Ps 9, 10. Saint Thomas commente : « Ce jugement se fonde sur le temps car c'est lorsqu'ils sont privés du temps favorable qu'ils accueillent sa miséricorde - Belle est la miséricorde de Dieu au temps de la tribulation, comme la nuée de la pluie au temps de la sécheresse (Si 35, 26) -, et c'est pourquoi il ajoute dans la tribulation, car c'est au temps de la tribulation que les hommes se convertissent à Dieu, et c'est alors qu'il leur faut prêcher » (Exp. in Psalmos, 9, n° 7).

Troisièmement, en considération de la dignité du Christ : car selon Augustin dans son traité sur La Trinité9, le Christ en tant qu'homme n'a pas à donner l'Esprit Saint, c'est en tant que Dieu qu'il le donne 10. Or quand il était avec les Apôtres, il semblait être comme un homme, l'un d'entre eux. Il ne l'a donc pas donné avant son Ascension, pour qu'on ne puisse pas penser qu'un homme donnerait l'Esprit Saint- L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié1. - Du trône de ta grandeur, envoie-la [la Sagesse]2.

Quatrièmement, pour sauvegarder l'unité de l'Église. Car, comme il a été dit plus haut, Jean n'a fait aucun signe3, pour que le peuple ne se divise pas à l'égard du Christ, et pour qu'apparaisse avec plus d'évidence l'éminence du Christ par rapport à Jean. Les disciples, quant à eux, devaient être remplis de l'Esprit lui-même pour faire des œuvres plus grandes que celles que le Christ a faites - Celui qui croit en moi fera lui-même aussi les œuvres que moi je fais ; et il en fera de plus grandes 4 ; c'est pourquoi, si l'Esprit leur avait été donné avant la Passion, le peuple aurait pu mettre en doute qui était le Christ, et il y aurait eu ainsi division au sein du peuple - Montant dans les hauteurs (...), il a donné des dons aux hommes5.

6. Ps 26, 10.

7. Jn 14, 16.

8. Is 28, 9.

9. La Trinité, I, XII, 25, BA 15, p. 157.

10. Cf. Somme théo1., III, q. 7, a. 5, ad 2 : « Ce n'est pas sous le même rapport que le Christ reçoit et communique les dons du Saint-Esprit. Il les donne comme Dieu, il les reçoit comme homme ». La théologie mystique viendra pourtant préciser que l'humanité du Christ est associée à la spiration de l'Esprit Saint. Le Père et le Fils, dans une œuvre commune, spirent l'Esprit Saint. Cf. Somme théo1., I, q. 43, a. 5, ad 2 ; voir aussi vo1. I, n° 946 : « La Parole, le Verbe de Dieu le Père, est celui qui spire l'amour ». Or le Christ, dans sa prière que saint Jean nous rapporte au chapitre 17, vient demander au Père la glorification de son humanité : Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût (Jn 17, 5). En quoi consiste cette gloire pour lui qui, de toute éternité, voit le Père ? Il s'agit que son humanité sainte, totalement offerte par l'immolation de la Croix, puisse participer à cette gloire à laquelle il est associé en tant que Verbe de Dieu, c'est-à-dire faire œuvre commune avec le Père en spirant l'Esprit Saint. Sur la spiration de l'Esprit Saint, voir saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, strophe 39, 1, in : Œuvres complètes, DDB 6è éd. 1989, p. 680-681. Et saint Jean de la Croix montre comment cette prière de Jésus - Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi... (17, 24) - se réalise. Voir loc. cit.,p. 681-682 ; La vive flamme d'amour, strophe III, 5 et 6, op. cit., p. 799-801.

2089. Selon Chrysostome6, on peut tirer de là un argument contre les macédoniens, qui disent que l'Esprit Saint est une créature, et ministre du Père et du Fils. Car s'il en était ainsi, l'avènement de l'Esprit Saint ne serait pas une consolation à l'égard du départ du Christ, de même que ce ne serait pas une consolation suffisante au départ d'un roi si on mettait à sa place l'un de ses ministres. C'est donc parce que l'Esprit Saint est égal au Fils7 que le Seigneur les console par la promesse de l'Esprit Saint.

1. Jn7, 39.

2. Sg 9, 10.

3. Jn 10, 41. Voir vo1. I, n° 1470.

4. Jn 14, 12.

5. Ps 67, 19, cité par Paul d'après les Septante (Ep 4, 8 : Montant dans les hauteurs, il a fait captive la captivité, il a donné des dons aux hommes). Le texte du psaume, selon la Vulgate, est le suivant : Tu es monté sur la hauteur, tu as emmené des captifs, tu as reçu des hommes en présent.

6. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1. 421.

7. Dans le Compendium theologiae, XLVIII, n° 85, saint Thomas explique pourquoi l'Esprit Saint n'est pas moins que Dieu : « De même que la pensée de Dieu est son être, de même elle est son amour. Dieu donc ne s'aime pas lui-même selon quelque chose survenant à son essence, mais selon son essence. Donc, comme il s'aime lui-même selon ce qu'il est en lui-même, comme l'aimé dans l'aimant, il n'est pas Dieu aimé en Dieu aimant de manière accidentelle, comme les choses aimées sont en nous qui les aimons de manière accidentelle : Dieu est en lui-même comme l'aimé dans l'aimant substantiellement. Donc l'Esprit Saint lui-même, par qui nous est donné l'amour divin, n'est pas quelque chose d'accidentel en Dieu, mais il est une réalité subsistant dans l'essence divine, comme le sont le Père et le Fils ».

2090. Mais si le Fils et l'Esprit Saint sont égaux, pourquoi est-il bon que le Fils s'en aille pour que vienne l'Esprit Saint ? C'est parce qu'il s'en allait corporellement, et qu'en même temps que l'Esprit Saint il venait invisiblement. Car si le Fils avait habité invisiblement et disait : « II est bon que je m'en aille, parce que l'Esprit Saint viendra », l'Esprit Saint serait considéré comme plus grand que lui.

II

2091. Précédemment, le Seigneur a consolé les Apôtres en leur promettant l'Esprit Saint ; à présent il montre l'utilité de la venue de l'Esprit Saint pour eux. Et il montre trois aspects de cette utilité : pour le monde, pour les disciples et pour le Christ.

Pour le monde parce que l'Esprit Saint, en venant, convaincra le monde ; pour les disciples, parce qu'il les instruira [n° 2099] ; pour le Christ, parce qu'il le glorifiera [n° 2105].

L'Esprit Saint convaincra le monde

Le Christ expose donc d'abord l'utilité de la venue de l'Esprit Saint pour le monde ; puis il l'explique [n° 2095].

ET QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE, ET DU JUGEMENT. DU PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI ; DE LA JUSTICE, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ. (16, 8-11)

2092. Il dit donc : IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE, parce que je vous enverrai l'Esprit Saint, ET QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE, ET DU JUGEMENT. Il y a deux manières de lire cela : celle d'Augustin et celle de Chrysostome [n° 2098].

2093. Selon Augustin1, de cette manière : QUAND IL, c'est-à-dire l'Esprit Saint, SERA VENU, IL CONVAINCRA (arguet), c'est-à-dire reprendra (reprehendet) LE MONDE - Reprends le sage, et il t'aimera2.

Mais le Christ n'a-t-il pas lui aussi convaincu le monde ? Certes, il l'a convaincu auparavant : Vous êtes issus du diable, votre père3 ; et, selon Matthieu, lorsqu'il a dit beaucoup de choses contre les pharisiens et les scribes4. Pourquoi donc dit-il : IL CONVAINCRA, comme si lui-même n'avait pas convaincu ? On pourrait peut-être dire que le Christ a convaincu seulement les Juifs, tandis que l'Esprit Saint, dans les disciples et par eux, a convaincu le monde entier. Mais à cela s'oppose le fait que le Christ parle dans les Apôtres et par eux, comme l'Esprit Saint : Vous cherchez à tester celui qui parle en moi, le Christ ?5

À cela il faut répondre que si le Seigneur a dit : IL CONVAINCRA LE MONDE, c'est parce que l'Esprit, en pénétrant invisiblement vos cœurs, répandra en eux la charité par laquelle, toute crainte chassée, vous aurez autorité pour convaincre6. En effet, tant que les disciples étaient attachés au Christ d'une manière terrestre (carnalis), l'Esprit Saint n'était pas en eux, comme nous l'avons dit, de la manière dont il y fut par la suite ; et c'est pourquoi ils n'étaient pas aussi audacieux qu'ils le furent après sa venue - Par le souffle de sa bouche, toute force des deux, c'est-à-dire des Apôtres, a été affermie7. - L'Esprit de Dieu revêtit Zacharie8.

Également, IL CONVAINCRA LE MONDE parce qu'en emplissant les cœurs qui avaient été autrefois mondains, il les a fait se reprendre - J'examinerai mes voies en sa présence9. Et cela, c'est l'Esprit Saint qui le fait : Renouvelle en mon sein un esprit droit10.

2094. Mais de quoi convaincra-t-il ? De trois choses. Au sujet DU PÉCHÉ qu'ils ont commis - Dénonce à mon peuple ses forfaits, à la maison de Jacob ses péchés 11. Et cela, les Apôtres l'ont fait - Par toute la terre a retenu leur voix1. De même, au sujet DE LA JUSTICE, qu'ils ont négligée - IL· n'ont pas accompli la justice2. Et cela aussi les Apôtres l'ont fait - II n'y a pas de juste, pas un seul3, dit saint Pau1. Enfin au sujet DU JUGEMENT, qu'ils ont méprisé4 ; car comme le disent les Proverbes, l'impie, une fois arrivé à un abîme de péchés, méprisera5. - II a méprisé mes jugements, au point d'être plus impie que les païens 6.

1. Tract, in Io., XCV, 1, BA 74B, p. 257-259.

2. Pr 9, 8.

3. Jn 8, 44.

4. Cf. Mt 23. 5.2 Co 13, 3.

6. Selon saint Augustin (loc. cit.), le Saint-Esprit donnera aux Apôtres la « liberté » (libertas) et non le « pouvoir » d'accuser (potestas arguendi).

7. Ps 32, 6. Voir le début du verset : Par la parole du Seigneur, les deux ont été affermis, que saint Thomas commente ainsi : « Au sens mystique, par deux on entend les Apôtres ; ceux-ci ont été affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-à-dire du Christ, ou par le Fils du Seigneur ; et telles sont sa supplication et sa doctrine : Moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères (Le 22, 32) » (Exp. in Psalmos, 32, n° 5). En Rm 10, 18, saint Paul applique l'image des deux à la prédication des Apôtres ; et en commentant le psaume 18 saint Thomas dit : « Selon la vérité, par deux on comprend les Apôtres, dans lesquels Dieu habite comme dans les deux. Et ils sont appelés deux à cause de la hauteur de la cité - Notre cité est dans les deux (Ph 3, 20). Ils sont aussi étoiles en raison de l'abondance de leurs vertus - C'est la beauté du dei que l'éclat des étoiles (Si 43, 18). - Autant les deux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies (Is 55, 9). Car ils sont lumineux par la doctrine et par l'exemple - Qu'ainsi votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les deux (Mt 5, 16). Car ils sont empressés dans l'obéissance et volubiles dans le discours de leur prédication - J'ai fait seule le tour du ciel et j'ai pénétré le profond de l'abîme, et j'ai marché sur les flou de la mer, et j'ai posé le pied sur toute la terre, et chez tous les peuples et chez toutes les nations j'ai eu le premier rang (Si 24, 8-10). Ceux-ci racontent la gloire de Dieu, c'est-à-dire du Père, gloire dans laquelle est le Christ, et parce qu'il est égal au Père, et parce qu'il est Dieu et qu'il remet gratuitement les péchés - Vous avez été vendus pour rien et sans argent vous serez rachetés (Is 52, 3). De même les Apôtres sont appelés firmament parce qu'ils ont été affermis par la force du Saint-Esprit - Restez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut (Le 24, 49) » (Exp. in Psalmos, 18, n" 1).

8. 2 Ch 24, 20. La suite est : fils du prêtre Yehoyada. Il se posta au-dessus du peuple et lui dit : Ainsi parle le Seigneur : Pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, ce qui ne vous réussira pas, et avez-vous abandonné le Seigneur, si bien qu'il vous abandonne ?

9. Jb 13, 15.

10. Ps 50, 12.

11. Is 58, 1.

DU PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI ; DE LA JUSTICE, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ. (16,9-11)

2095. À présent le Seigneur explique ce qu'il a dit, d'abord AU SUJET DU PÉCHÉ, et cela PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI. L'Esprit Saint convainc seulement du péché d'incroyance, car par la foi tous les autres péchés sont remis7. Selon Matthieu8, au jugement dernier le Seigneur n'impute aux damnés que le manque de miséricorde, parce que par la miséricorde tous les péchés sont purifiés9. Il en va de même ici, parce que lorsque l'incroyance demeure, tous les autres péchés sont retenus, et lorsqu'elle disparaît ils sont remis 10.

Il dit bien : PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI, et non pas : « Ils n'ont pas cru à moi » ni : « Ils ne m'ont pas cru 11 », parce que les démons croient que le Christ existe, et ils se mettent à trembler12. Mais ILS N'ONT PAS CRU EN MOI, avec une foi formée par l'espérance et l'amour13.

2096. En second lieu, l'Esprit Saint convainc le monde AU SUJET DE LA JUSTICE, et cela PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE ET VOUS NE ME VERREZ PLUS. On peut expliquer cela de deux manières, selon qu'il s'agit de la justice du Christ ou de celle des Apôtres.

En ce qui concerne la justice des Apôtres, AU SUJET DE LA JUSTICE est à comprendre ainsi : au sujet de notre justice, qu'ils [ceux du monde] n'ont pas imitée - je veux dire : la justice provenant non pas de la Loi, mais de la foi - Maintenant a été manifestée (...) la justice de Dieu, par la foi en Jésus Christ1. La foi porte sur les réalités invisibles, selon l'Épître aux Hébreux2 ; or il y avait quelque chose que les disciples voyaient, son humanité, et quelque chose qu'ils ne voyaient pas, sa divinité, mais cela il le leur promet en récompense - Celui qui m'aime (...), je me manifesterai moi-même à lui3. Au sujet du Christ, les disciples avaient donc la foi quant à sa divinité seulement ; mais quand l'humanité du Christ leur fut retirée, leur foi porta alors sur les deux. Voilà pourquoi, selon le commentaire d'Augustin 4, le Seigneur dit : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, autrement dit : Vous, vous croyez en moi selon ma divinité, mais PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE VOUS croirez en moi aussi quant à mon humanité. Et cette justice de la foi, le monde, assurément, ne l'imite pas.

1. Ps 18, 5.

2. Saint Thomas renvoie-t-il à Isaïe 59, 4 (II n'est personne qui invoque la justice, ni qui juge en vérité) ? Voir aussi Is 59, 14, et Jr 5, 1 : Parcourez les rues de Jérusalem (...) et cherchez sur ses places publiques si vous trouvez un homme faisant la justice et cherchant la vérité.

3. Rm 3, 10, citant le Ps 13, 3. Saint Thomas commente : « Cela peut se comprendre de deux manières. D'une première manière : nul n'est juste en lui-même par lui-même, mais par lui-même tout homme est pécheur, c'est de Dieu seul qu'il détient la justice - Dominateur, Seigneur Dieu, miséricordieux et clément (...), qui efface l'iniquité et les péchés, et nul auprès de toi n'est innocent par lui-même (Ex 34, 6). D'une autre manière, nul n'est juste en tout, non sans avoir quelque péché - Qui peut dire : "Mon cœur est pur" ? (Pr 20, 9) - Car il n'est pas d'homme juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche point (Qo 7, 21). Cela peut se comprendre encore d'une troisième manière, en se rapportant aux gens mauvais^ parmi lesquels nul n'est juste. C'est en effet un usage courant de l'Écriture de parler de tout le monde parfois en désignant les mauvais, parfois en désignant les bons. (...) Mais les deux premiers sens sont plus selon l'intention de l'Apôtre » (Ad Rom. lect., III, n° 277).

4. Saint Thomas montrera aussi comment l'Esprit Saint meut les Apôtres à travers ses dons : à travers le don de science qu'il leur donne pour discerner les péchés (Somme théo1., II-II, q. 9, a. 4, c), et le don de piété qu'il leur donne pour accomplir la justice (loc. cit., q. 121, a. 1), enfin, à travers le don de crainte qui les soumet à la sagesse de Dieu (loc. cit., q. 19, a. 9).

5. Pr 18, 3.

6. Ez 5, 6.

7. Voir Mt 10, 32 : Quiconque donc se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui, moi aussi, devant mon Père qui est dans les deux. Voir aussi Rm 4, 5-8.

8. Mt 25, 34 sq. et 41 sq. Il s'agit du jugement dernier : Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger...

9. Voir Pr 15, 27 : Qui s'adonne à l'avarice trouble sa maison, mais qui déteste les présents vivra, et Pr 21, 21 : Qui poursuit la justice et la miséricorde trouvera la vie, la justice et la gloire. C'est donc par la miséricorde et la foi qu'on est purifié de ses péchés.

10. Saint Thomas s'inspire ici, comme annoncé au n° 2093, du commentaire de saint Augustin.

11. Sur « croire en », « croire à », « croire », voir vo1. I, n° 485, note 2 et n° 901.

12. Cf. Je 2, 19 : Tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu. Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent. Sur la foi des démons, voir Somme théo1., I, q. 64, a. 1. : « II y a une double connaissance de la vérité, celle qui vient de la grâce et celle qui vient de la nature. Celle qui vient de la grâce est double : soit spéculative, comme lorsque les secrets divins sont révélés à quelqu'un, soit affective, produisant l'amour de Dieu et relevant du don de sagesse. De ces trois connaissances, celle qui est naturelle n'est chez les démons ni enlevée, ni diminuée. Elle est, en effet, une propriété de la nature de l'ange, qui selon sa nature est intelligence et esprit. (...) Quant à la connaissance spéculative issue de la grâce, elle ne leur est pas totalement enlevée mais elle est diminuée : les secrets divins ne leur sont révélés que dans la mesure nécessaire, par l'intermédiaire des bons anges ou par les "manifestations temporelles de la puissance divine" dit saint Augustin. Mais cette connaissance n'a pas l'étendue et la clarté de celle des saints anges qui voient dans le Verbe les vérités révélées. Enfin, pour ce qui est de la connaissance affective issue de la grâce, ils en sont totalement privés, aussi bien que de la charité ». Voir aussi op. cit., II-II, q. 5, a. 2.

13. « Nam si [quis] fidem habet sine spe ac sine dilectione, Christum esse credit, non in Christum credit » (saint Augustin, Serm. de Scr., 144, II, 2, PL 38, co1. 788).

Mais le Seigneur dit : ET VOUS NE ME VERREZ PLUS : non pas qu'ils ne puissent plus jamais le voir, mais parce qu'ils ne le verraient plus dans cette chair mortelle. Ils l'ont vu après sa Résurrection, mais vivant d'une existence immortelle ; ils le verront aussi lors du jugement, mais venant dans sa majesté.

En ce qui concerne la justice du Christ, voici comment [l'ouvrage d'Augustin] Les Paroles du Seigneur5 explique cette parole. Les Juifs n'ayant pas voulu reconnaître que le Christ était juste - Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur6 -, il les convaincra de cette justice en disant : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE. En effet, le fait même que j'aille vers le Père relève de ma justice. Car si la venue du Christ relevait de la miséricorde, son Ascension lui était due selon la justice - Il s'est abaissé (...). C'est pourquoi Dieu l'a exalté7.

2097. En troisième lieu, l'Esprit Saint convainc le monde au sujet DU JUGEMENT ; et cela PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE, à savoir le diable, qui est prince du monde, c'est-à-dire de ceux qui sont du monde non pas selon la création mais en se laissant séduire et en l'imitant - Ils l'imitent, ceux qui sont de son parti8. - C'est lui qui est le roi de tous les fils de l'orgueil^ -, parce que ce prince, disions-nous, A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ, c'est-à-dire expulsé au-dehors - C'est maintenant le jugement du monde, c'est-à-dire, en faveur du monde, c'est maintenant que le prince de ce monde sera jeté dehors 10. Et il parle ainsi pour éliminer l'excuse de ceux qui se disculpent de leur péché en raison de la tentation du diable, comme s'il disait11 : On ne peut pas les excuser, parce que le diable a été chassé du cœur des croyants par la grâce, par la foi au Christ et par l'Esprit Saint, si bien qu'il ne tente plus de l'intérieur comme avant, mais seulement de l'extérieur par les tentations que Dieu lui permet d'exercer, et c'est pourquoi ceux qui veulent adhérer au Christ peuvent lui résister. C'est ainsi que de faibles femmes ont vaincu le diable12 alors que des hommes très forts se sont laissé dominer par lui. Le monde est donc convaincu au sujet de ce JUGEMENT parce qu'il est vaincu par le diable lorsqu'il ne veut pas résister, et qu'en consentant au péché il fait revenir celui qui avait été expulsé loin de lui - Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel1.

1. Rm 3, 22. Voir vo1. I, n° 1361, note 1.

2. He 11,1 : La foi est la substance de ce qu'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas.

3. Jn 14, 21.

4. Tract, in Io., XCV, 2-3, BA 74B, p. 265-269.

5. Serm. de Scr., 144, II-III, PL 38, co1. 788-789.

6. Jn 9, 24.

7. Ph 2, 8-9.

8. Sg 2, 25.

9. Jb 41, 25. Voir ci-dessus, n° 1975, note 4.

10. Jn 12, 31.

11. Cf. saint Augustin, Serm. de Scr., 143, V, 5, PL 38, co1. 787.

12. Voir ci-dessous, n" 2176.

Selon une autre interprétation, Augustin, dans le même ouvrage2, dit que : A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ s'entend du jugement de condamnation3 ; autrement dit, le diable a déjà été condamné, et donc aussi tous ceux qui adhèrent à lui - Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges4. Le monde lui aussi est convaincu au sujet du jugement car, sachant que le prince de ce monde a été condamné, il n'échappe pas non plus à ce jugement, mais il est jugé avec son prince puisqu'il imite son orgueil et son impiété.

2098. Selon Chrysostome5 le texte, depuis le début, s'explique autrement : QUAND l'Esprit Saint SERA VENU, IL CONVAINCRA (arguet), c'est-à-dire confondra (convincet) LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ, autrement dit l'Esprit Saint lui-même sera comme l'accusateur du monde - Dieu y joignant son témoignage par des signes et prodiges, et par des miracles divers et des communications d'Esprit Saint selon sa volonté*. Et au sujet de ce PÉCHÉ, il montrera qu'ils ont péché gravement du fait qu'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI7, lorsqu'ils verront que l'Esprit Saint sera donné en mon nom aux fidèles - Nous en sommes témoins, nous et l'Esprit Saint, que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent91.

1. Rm 6, 12. Saint Thomas commente : « II a été dit que notre vieil homme a été crucifié avec le Christ pour que fut détruit notre corps de péché, ce qui fait comprendre que le pouvoir du péché a été diminué de telle manière qu'il ne peut nous dominer. Donc, que le péché, dorénavant, ne règne pas dans votre corps morte1. Or il ne dit pas : Qu'il n'y ait pas de péché dans votre corps mortel, car aussi longtemps que notre corps est mortel, c'est-à-dire voué à la nécessité de la mort, il est impossible que dans notre corps mortel il n'y ait pas de péché, c'est-à-dire le foyer du péché. Mais du fait que nous avons été libérés par Dieu du règne du péché, nous devons nous efforcer de faire que le péché dans notre corps ne reprenne pas sur nous le pouvoir qui lui a déjà été retiré » (Ad Rom. lect., VI, n° 493).

2. Serm. de Scr., 144, V, 6, PL 38, co1. 790, à travers le commentaire de SAINT BEDE LE Vénérable (In S. Ioannis Εν. exp. In h. loc., PL 92, co1. 858 B).

3. Sur le jugement de condamnation, voir vo1. I, n° 1360, note 3.

4. Mt 25, 41.

5. In Ioannem hom., LXXVIII, 1-2, PG 59, co1. 421-422.

6. He 2, 4.

7. Cf. 1 Jn 2, 22 : L'Antichrist est celui qui refuse de croire que Jésus est le Christ. Par contre les fidèles ont reçu l'onction de l'Esprit Saint et ils ont tous la science (cf. 1 Jn 2, 20).

L'Esprit Saint convaincra aussi au sujet DE LA JUSTICE, c'est-à-dire de celle que moi je possède, mais que le monde ne m'a pas reconnue ; et cela PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE et que je vous enverrai l'Esprit, c'est-à-dire celui qui montrera que je suis juste et que j'ai mené une vie irréprochable - Le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, c'est lui qui rendra témoignage à mon sujet9. C'est bien ce qui est dit dans le psaume : le Christ, une fois monté dans les hauteurs, a donné des dons aux hommes 10.

L'Esprit Saint convaincra enfin au sujet DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ, du fait même qu'il est jugé par l'Esprit Saint, c'est-à-dire expulsé du cœur des fidèles - Les prophètes et l'esprit d'impureté, je les expulserai du pays 11.- Nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui vient de Dieu 12. Et au sujet de ce jugement il convaincra le monde, parce qu'ils ont jugé à tort que le Christ avait un démon 13 et qu'il chassait les démons par Béelzéboul14 ; de cela ils seront convaincus parce que l'Esprit Saint, que moi j'enverrai, condamnera le démon lui-même et le jettera dehors.

8. Ac 5, 32.

9. Jn 15, 26. Voir aussi 1 Jn 5, 6 : C'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité ; et 1 Jn 5, 9 : Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. Car tel est le témoignage de Dieu, qui est plus grand : il a témoigné au sujet de son Fili.

10. Cf. Ps 67, 19. Voir ci-dessus, n° 2088, note 5, p. 260.

11. Za 13, 2.

12. 1 Co 2, 12. Voir aussi 1 Jn 4, 1-2.

13. Cf. Jn 7, 20 ; 8, 48 et 52 ; 10, 20 ; Me 3, 30.

14. Cf. Le 11, 15 ; Me 3, 22 ; Mt 9, 34 et 12, 24.

L'Esprit Saint instruira les disciples

J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT. MAIS QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE. CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA, ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA. (16, 12-14)

2099. Par ces mots le Seigneur expose l'utilité de l'avènement de l'Esprit Saint pour les disciples, à savoir leur instruction. En premier lieu, il met en avant la nécessité de leur instruction, puis il promet cette instruction [n° 2102] ; enfin il écarte un doute [n° 2103].

J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT.

2100. Il dit donc : L'avènement de l'Esprit Saint sera utile au monde, puisqu'il le convaincra, mais à vous aussi il sera utile pour votre instruction. Et vous avez besoin de cette instruction, parce que J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT. Autrement dit : Moi, je vous ai instruits, mais vous n'êtes pas encore comblés - Voici ce qui a été dit d'une partie de ses paroles ; et si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ?1 Mais qu'est ce BEAUCOUP qu'ils ne peuvent pas porter ? Il est stupide de s'en enquérir, comme le dit Augustin2, car si eux-mêmes ne pouvaient pas le porter, nous le pouvons encore bien moins !

2101. Mais divers hérétiques se servent de cette affirmation : VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT pour voiler leur erreur, en disant dans l'ombre à leurs partisans des choses tout à fait honteuses qu'ils n'oseraient pas dire au grand jour ; comme si c'était là ce que les disciples ne pouvaient pas alors porter, et que l'Esprit Saint avait enseigné ce que l'esprit de l'homme a honte d'enseigner et de prêcher ouvertement.

Il ne faut donc pas comprendre ici que l'on taise aux plus petits des croyants certains secrets de doctrine qu'on devrait dire en privé aux plus grands : c'est à tous les croyants qu'on expose ce qui relève de la foi - Ce que vous entendez à l'oreille, proclamez-le sur les toits3. Toutefois il y a une manière d'exposer aux gens incultes, et une autre aux gens cultivés. Ainsi, ce qu'il y a de subtilités dans le mystère de l'Incarnation ou d'autres mystères ne doit pas être exposé aux gens incultes car, ne pouvant pas comprendre, ils seraient scandalisés4. Le Seigneur exposa donc aux disciples tout ce qui relevait de la foi, mais pas de la manière dont il le révéla ensuite, surtout dans la vie éternelle.

Ainsi, donc, les choses qu'ils ne pouvaient pas porter sont remplies de la connaissance des réalités divines, qu'ils n'avaient pas alors : par exemple, l'égalité du Fils avec le Père et autres choses de cette sorte. Aussi Paul dit-il : Il entendit des paroles secrètes, qu'il n'est pas permis à l'homme de dire5 ; ces paroles ne se rapportaient pas à une vérité autre que celle de la foi, mais elles s'y rapportaient d'une manière plus profonde. Ce qu'ils ne pouvaient pas encore porter, c'est aussi l'intelligence spirituelle de toutes les Écritures, qu'ils n'avaient pas à ce moment-là mais qu'ils eurent quand le Christ leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Écritures1. Et c'était encore les souffrances et les dangers qu'ils allaient endurer, ce dont ils n'étaient alors pas capables parce que leur esprit était faible - Courbe ton épaule, et porte-la [la sagesse, comme ton joug]2. L'instruction leur était donc nécessaire.

1. Jb 26, 14.

2. Tract, in Io., XCVI, 1, BA 74B, p. 275-279.

3. Mt 10, 27.

4. Saint Thomas suit dans ce paragraphe la progression du commentaire de saint Augustin (cf. Tract, in Io., XCVIII, 3-4, BA 74B, p. 319-325).

5. 2 Co 12, 4.

MAIS QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE.

2102. Ici le Seigneur leur promet l'instruction qu'ils recevront par la venue de l'Esprit Saint, qui leur ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE3. En effet, puisqu'il est de la Vérité, il lui appartient d'enseigner la vérité et de rendre [les autres] semblables à son principe [la Vérité]. Et le Christ dit : LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE, c'est-à-dire la vérité de la foi, que l'Esprit nous enseignera par une certaine élévation de notre intelligence en cette vie, et enfin de manière plénière dans la vie éternelle4 où nous connaîtrons comme nous sommes connus5 - L'onction vous enseignera tout0. On pourrait aussi comprendre LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE des figures de la Loi, vérité que les disciples ont acquise grâce à l'Esprit Saint. C'est ainsi que Daniel dit que le Seigneur a donné sagesse et intelligence aux quatre jeunes gens7.

CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA, ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA.

1. Lc 24, 45.

2. Si 6, 26.

3. Sur le lien entre l'Esprit Saint et la vérité, voir ci-dessus, n° 1916.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCVI, 4, BA 74B, p. 289-291.

5. 1 Co 13, 12 : Mais alors je connaîtrai tout comme je suis connu.

6. 1 Jn 2, 27.

7. Dn 1, 17 : Et à ces quatre jeunes gens Dieu donna savoir et intelligence en toute littérature et sagesse. Voir aussi 1, 20.

2103. Ici, le Seigneur écarte un doute qui pouvait exister. Si l'Esprit Saint doit instruire les disciples, il semble qu'il soit plus grand que le Christ8. Mais il n'en est pas ainsi, puisqu'il les instruira par le pouvoir (virtus) du Père et du Fils ; CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME, mais de moi (a me), puisque c'est de moi qu'il sera. En effet, de même que le Fils n'opère pas de lui-même parce qu'il n'est pas de lui-même mais du Père, de même l'Esprit Saint, parce qu'il est d'un autre (ab alio), c'est-à-dire du Père et du Fils, NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL ENTENDRA en recevant la science comme il reçoit l'essence de toute éternité, IL LE DIRA, non pas de manière sensible, mais intérieurement, en illuminant intérieurement l'esprit - Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à son cœur9. -J'écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 10.

2104. Mais puisque l'Esprit Saint a entendu de toute éternité, pourquoi le Christ dit-il : IL ENTENDRA, au futur ? Là il faut dire que l'éternité inclut tout le temps, et c'est pourquoi on peut dire de l'Esprit Saint, qui entend de toute éternité, qu'il entend, ou a entendu, ou entendra 11.

Cependant, si parfois on emploie le futur (il entendra), c'est parce que ces réalités dont il a connaissance sont des réalités à venir. Donc TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA en ce sens qu'il enseignera non seulement les réalités éternelles, mais aussi les réalités futures ; aussi le Seigneur ajoute-t-il : ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA, ce qui est le propre de la divinité - Les signes et les prodiges, elle [la Sagesse] les sait avant qu'ils ne se réalisent12. - Annoncez-nous ce qui viendra plus tard ; et nous saurons que vous êtes des dieux1. Et cela est propre à l'Esprit Saint - Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront2 ; or les Apôtres eurent l'esprit de prophétie3.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., C, 4, BA 74B, p. 383-385.

9. Os 2, 14.

10. Ps 84, 9.

11. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCIX, 5, BA 74B, p. 359.

12. Sg 8, 8.

Ou bien l'Esprit ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE, c'est-à-dire celle des préfigurations 4. Mais afin qu'ils ne doutent pas de la manière dont ils vont connaître les tribulations futures qu'il leur a annoncées, il ajoute : ET CE QUI VA VENIR, sous-entendu sur VOUS, IL VOUS L'ANNONCERA.

L'Esprit Saint glorifiera le Christ

LUI, IL ME GLORIFIERA, PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI ET VOUS L'ANNONCERA. TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA. (16, 14-15)

2105. Précédemment5, on a montré un double fruit de la venue de l'Esprit Saint : le fait de convaincre le monde et l'instruction des disciples ; l'Évangéliste nous donne à présent le troisième fruit : la glorification du Christ. Le Seigneur commence donc par mettre en avant ce finit qu'est la glorification, puis il donne la raison de cette glorification [n° 2107] ; enfin, il explicite cette raison [n° 2109].

LUI, IL ME GLORIFIERA.

2106. Il dit donc de l'Esprit Saint : IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE, parce que LUI, IL ME GLORIFIERA, moi en qui existe toute la vérité - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie6. - Le Christ, en qui se trouvent tous les trésors de la sagesse et de la science (...) 7.

IL ME GLORIFIERA8, c'est-à-dire il rendra claire la connaissance qu'on a de moi9. Premièrement en illuminant les disciples ; car ils étaient encore soumis à la chair et attachés au Christ selon la chair, c'est-à-dire selon la faiblesse de la chair, eux qui ne connaissaient pas la majesté de sa divinité mais qui en furent rendus capables plus tard par l'Esprit Saint - C'est à nous que Dieu l’α révélé par son Esprit10.

Deuxièmement, en leur donnant la hardiesse de l'annoncer clairement. Car auparavant les disciples étaient craintifs au point de ne pas oser confesser publiquement le Christ ; mais une fois remplis de l'Esprit Saint, la crainte étant chassée, ils annoncèrent le Christ aux hommes, poussés en quelque sorte par l'Esprit Saint lui-même - Lorsqu'il viendra comme un fleuve impétueux que le souffle du Seigneur agite11. Aussi l'Apôtre disait-il : La charité du Christ nous presse12.

Troisièmement, en réalisant dans les Apôtres, et par eux, des œuvres étonnantes - Tout cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, répartissant ses dons à chacun en particulier comme il le veut13.

PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI ET VOUS L'ANNONCERA.

2107. Le Seigneur donne ici la raison de la glorification : c'est que le Fils est principe de l'Esprit Saint. Car tout ce qui est d'un autre1 manifeste ce à partir de quoi il est : le Fils en effet manifeste le Père, parce qu'il est de lui. Donc, puisque l'Esprit Saint est du Fils2, il lui appartient en propre de le glorifier.

1. Is 41, 23.

2. Jl 2, 28.

3. Cf. Somme théo1., I, q. 43, a. 3, ad 4.

4. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du Saint-Esprit, § 150, SC 386, P. 285.

5. NT 2091 et 2099. 6. Jn 14, 6.

7. Col 2, 3.

8. Clarificabit. Sur gloria et claritas, voir vo1. I, n° 1278 et notes 3 et 4.

9. Les deux premières explications sont reprises du commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., C, 1, BA 74B, p. 371-373).

10. 1 Co 2, 10.

11. Is 59, 19. Saint Thomas commente : « Remarque que le Christ est un fleuve impétueux d'abord à cause de la multitude des eaux - Le fleuve de Dieu est rempli d'eau (Ps 64, 10) ; deuxièmement à cause de la ferveur de l'amour - Un fleuve de feu rapide sortait de sa face (Dn 7, 10) ; troisièmement en raison de la rapidité de son cours - L'assaut du fleuve réjouit la cité de Dieu (Ps 45, 5) ; quatrièmement en raison de la grandeur de son origine - Il me montra un fleuve profond (Ap 22, 1) » » (Exp. super Isaiam, 59, 19, p. 234, 1. 186-194).

12. 2 Co 5, 14.

13. 1 Co 12, 11.

Le Seigneur dit donc : Et il me glorifiera PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI. Mais comprenons que ce n'est pas recevoir à la manière des créatures. Car dans la manière dont les créatures reçoivent il y a trois aspects, dont deux n'existent pas dans les réalités divines. D'abord, chez les créatures, autre est ce qui reçoit, autre ce qui est reçu ; et il n'en est pas ainsi dans les réalités divines, puisque les personnes divines sont simples et qu'en elles il n'y a pas telle chose et telle autre. Au contraire l'Esprit Saint, quel que soit celui dont il reçoit, reçoit toute sa substance, et de même aussi le Fils.

L'autre différence, c'est que dans les créatures, ce qui reçoit a été, à un certain moment, dépourvu de ce qu'il reçoit, comme lorsque la matière reçoit la forme, ou le sujet l'accident. Car à un moment, la matière a été dépourvue de telle forme, et le sujet de tel accident. Or il n'en est certes pas ainsi dans les réalités divines, parce que le Fils possède de toute éternité ce qu'il reçoit du Père, et l'Esprit Saint ce qu'il reçoit du Père et du Fils. Et donc l'Esprit Saint reçoit du Fils comme le Fils reçoit du Père - Ce que m'a donné le Père est plus grand que tout3. Ainsi donc, dans les réalités divines, recevoir du Père exprime un ordre.

2108. Mais remarque que lorsqu'il dit : IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, le DE n'implique pas participation, mais consubstantialité4, parce que l'Esprit reçoit tout ce que le Fils a. En effet, de même que l'on dit : « Le Fils est de la substance du Père » parce qu'il reçoit toute la substance du Père, de même dit-on que « l'Esprit Saint est de la substance du Fils » parce qu'il reçoit toute sa substance. Et donc, puisqu'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, et que moi je suis le Verbe de Dieu, IL VOUS L'ANNONCERA. En effet l'esprit d'un être vivant ne peut exister qu'en procédant d'un verbe conçu intérieurement.

1. Est ab alio. Voir ci-dessus, n° 2061, note 1.

2. Cf. Somme théo1., I, q. 36, a. 2 et a. 3. Citons notamment : « On a dit que le Fils procède selon le mode propre à l'intelligence comme Verbe, et que le Saint-Esprit procède selon le mode propre à la volonté, comme amour. Or il est nécessaire que l'amour procède du Verbe : nous n'aimons rien en dehors de ce que nous appréhendons dans une conception de l'esprit. Selon cela, il est donc manifeste que le Saint-Esprit procède du Fils » (loc. cit., a. 2, c).

3. Jn 10, 29.

TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA.

2109. Le Christ va maintenant expliciter la raison de sa glorification, en prouvant que l'Esprit Saint recevait de ce qui est à lui en raison de l'unité et la consubstantialité du Père et du Fils. Il commence par montrer la consubstantialité du Père et du Fils ; puis il met en avant la conclusion qu'il avait en vue [n° 2114].

TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI.

2110. Il dit donc : L'Esprit recevra de ce qui est à moi, parce que TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI, autrement dit : Quoique l'Esprit de vérité procède du Père, cependant, comme TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI, et que cet Esprit est l'Esprit du Père, il recevra aussi de ce qui est à moi.

Mais remarquons que lorsque nous disons que nous « avons » quelque chose, cela peut être de deux manières : soit comme une possession, soit comme ce qui est en nous, par exemple à la manière d'une forme ou d'une partie. Le Père « a » donc, comme une possession et comme une réalité soumise à lui, toute créature - Au Seigneur est la terre et sa plénitude1 ; il « a » aussi quelque chose qui est en lui, ou plutôt qui est lui-même, car il est lui-même tout ce qui est en lui, puisqu'il est lui-même son essence, sa bonté, sa vérité et son éternité. C'est donc de cette deuxième manière d'avoir que nous parlons ici. Et ainsi, tout ce qu'a le Père appartient au Fils, parce que la sagesse, l'essence, la bonté qu'a le Fils sont celles-là mêmes qu'a le Père2 - Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même3. - Toutes choses m'ont été remises par mon Père4.

4. Sur la consubstantialité, voir ci-dessous, n° 2115, note 3.

2111. Mais, au dire de Didyme5, certains objectent : Si tout ce qu'a le Père, le Fils l'a aussi, alors, puisque le Père a la paternité, il s'ensuit que le Fils l'a aussi.

Didyme répond que ce raisonnement aurait bien une apparence [de vérité] si le Seigneur disait : Tout ce qu'a Dieu est à moi. Mais en disant : TOUT CE QU'A LE PÈRE, il sauve la distinction du Père et du Fils, en donnant à entendre que tout ce qu'a le Père est à lui6, hormis ce en quoi le Père se distingue du Fils. En effet, c'est au nom du Père qu'il s'est déclaré Fils ; et la paternité, il ne l'a pas usurpée, lui qui était Fils.

1. Ps23, 1.

2. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du Saint-Esprit, § 171, SC 386, p. 301. 3. Jn 5, 26.

4. Mt 11, 27. Saint Thomas commente : « Remarque l'égalité, mais cependant l'origine : par mon Père. Mais pourquoi dit-il toutes choses ? Cela peut s'expliquer de trois manières : Tout, c'est-à-dire au-dessus de toute créature - Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre (Mt 28, 18). Ou bien tout, c'est-à-dire les élus et ceux qui ont été prédestinés, eux qui ont été donnés de manière particulière - Ils étaient à toi et tu me les as donnés (Jn 17, 6). Ou encore tout, à savoir les choses intérieures, toute la perfection de la divinité - Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jn 5, 26). Et nous ne devons pas le comprendre selon la chair, parce que s'il l'a donné, il l'a aussi gardé Pour lui. Mais on pourrait dire : Comment l'a-t-il donné ? Aussi a-t-il ajouté le mode : par mon Père. Aussi est-ce par la génération qu'il a reçu cela » (Super Matth. lect., XI, n° 964).

5. Traité du Saint-Esprit, § 172, SC 386, p. 301.

6. Voir vo1. I, nos 947 et 977 ; ci-dessus nos 2061 et note 1,2110, et ci-dessous, nos 2113, 2114, 2199, 2208, etc. Voir aussi Ad Heb. lect., VII, n° 333.

2112. Précisons toutefois que nous concédons purement et simplement l'affirmation : « Tout ce qu'a le Père, le Fils l'a », mais non pas cependant que le Fils l'ait selon l'ordre par lequel le Père l'a. Car le Fils l'a comme celui qui reçoit d'un autre, alors que le Père l'a comme celui qui donne à un autre. La distinction n'est donc pas dans ce qui est possédé, mais dans l'ordre selon lequel cela est possédé. Or les relations de cette sorte, c'est-à-dire la paternité et la filiation, impliquent la distinction de cet ordre ; car la paternité implique de donner à un autre, tandis que la filiation implique de recevoir d'un autre7.

2113. Mais on peut se demander si, dans les réalités divines, la relation est réellement quelque chose. Il semble que oui : autrement, puisque les personnes divines se distinguent par les relations, leur distinction ne serait pas réelle.

Il faut donc dire que dans les réalités divines, il y a deux façons de considérer la relation. La première, par rapport à l'essence du Père ou à sa personne ; et ainsi [la relation de paternité] n'est pas une réalité autre que l'essence ou la personne du Père. L'autre manière de considérer la relation est par rapport à la relation opposée, en l'occurrence à la filiation ; et ainsi la paternité est une relation réelle, parce que selon cela elle implique un ordre de nature que le Père donne au Fils par génération éternelle ; et cet ordre existe bien en Dieu selon la vérité de la réalité8.

7. Cf. Somme théol, I, q. 40, a. 2, c. : « En toute pluralité où l'on trouve un élément commun, il faut bien chercher un élément distinctif. Et puisque les trois personnes communient en l'unité d'essence, il faut nécessairement chercher quelque chose qui les distingue et fasse qu'elles soient plusieurs. Or, en ces divines personnes, il y a deux choses en quoi elles diffèrent : l'origine et la relation. Non qu'origine et relation fassent deux en réalité, mais leur mode de signification n'est pas le même. On signifie l'origine comme une action : la génération, par exemple ; la relation comme une forme : la paternité (...) ».

8. Voir Somme théo1., I, q. 39, a. 1, c. Voir aussi ci-dessus, n° 1911, note 7.

Ainsi donc, si la paternité se rapporte à l'essence du Père, tout ce qu'a le Père, le Fils l'a, la paternité n'étant pas autre chose que l'essence du Père ; cependant le Fils ne l'a pas selon le même ordre, comme nous l'avons dit.

2114. En disant : VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA, le Seigneur met en avant la conclusion qu'il avait en vue, à savoir que l'Esprit Saint reçoit du Fils. En effet, si tout ce qu'a le Père appartient au Fils, et que le Fils est consubstantiel au Père, il faut nécessairement que l'Esprit Saint procède du Fils comme il procède du Père, comme le montrent Hilaire1 et Didyme2.

À ce sujet, il faut savoir qu'en toute procession ou origine d'une réalité créée, nous disons que ce par quoi l'agent agit ou donne ce qu'il a, et ce que la réalité réceptrice reçoit, est une seule et même chose. Ainsi, le feu généré reçoit la forme de feu, que le feu générateur donne par sa propre forme. Or dans l'origine des personnes divines il y a d'une certaine manière quelque chose de semblable, car ce par quoi le Père donne, et ce que le Fils reçoit, c'est la même chose. Le Père donne en effet sa nature au Fils, non par volonté, mais par nature, c'est-à-dire par sa propre nature. Mais il y a une dissemblance : pour les créatures, ce qui est communiqué et ce par quoi cela est communiqué n'est pas la même chose numériquement, mais seulement spécifiquement ; tandis que dans les réalités divines, la nature que le Père donne au Fils est numériquement la même que celle par laquelle il la donne ou communique.

2115. Mais remarque que nous disons : le Fils reçoit de (de) la substance du Père, c'est-à-dire reçoit la substance du Père ; et l'Esprit Saint reçoit de la substance du Père et du Fils ; et nous disons aussi que le Père, par le pouvoir de sa nature, donne sa propre substance au Fils, et le Père et le Fils à l'Esprit Saint. Et cependant nous ne disons pas que le Père est de la substance du Fils, ni que le Père et le Fils sont de la substance de l'Esprit Saint, parce que la préposition de implique la consubstantialité avec un ordre d'origine3. Ainsi donc, à l'Esprit Saint est communiqué ce qui est commun au Père et au Fils. Or dans les réalités divines, le principe de communication doit être la même réalité que ce qui est communiqué. Si donc l'essence est communiquée à l'Esprit Saint, ce qui communique doit être l'essence. Mais l'essence est commune au Père et au Fils ; il faut donc que si le Père donne l'essence à l'Esprit Saint, le Fils aussi la donne de manière semblable. Et c'est pourquoi il dit : TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. Et l'Esprit Saint reçoit du Père ; VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA, car c'est en tant qu'il reçoit de moi, qu'il vous l'annoncera.

1. La Trinité, VIII, 20-21, SC 448, p. 409-411.

2. Traité du Saint-Esprit, § 170-173, SC 386, p. 299-303.

3. Dans la Somme théologique, saint Thomas précise ce mystère de la consubstantialité en mettant en lumière l'aspect du mystère qui échappe à la raison, et en utilisant pour cela des analogies. Que veut exprimer en effet le théologien en disant que « le Fils reçoit la substance du Père » ? En s'appuyant sur l'autorité de saint Augustin qui écrit : « Dieu le Père seul a engendré de sa propre nature et sans commencement un Fils égal à lui-même » (De Fide ad Petrum), saint Thomas expose : « Le Fils n'est pas engendré de rien, mais bien de la substance du Père. En effet, on a montré plus haut (q. 27, a. 2 ; q. 33, a. 2, ad 3 et 4 ; a. 3) qu'il y a en Dieu véritablement et proprement paternité, filiation et naissance. Or entre "engendrer" vraiment, acte par lequel un fils procède, et "faire", il y a cette différence que l'on fait une chose avec une matière extérieure - le menuisier fait un escabeau avec du bois -, mais c'est de lui-même que l'homme engendre un fils. Et tandis que l'artiste créé fait quelque chose à partir d'une matière, Dieu, lui, fait quelque chose de rien (...). Non que le rien passe dans la substance de la chose, mais parce que toute la substance de la chose est produite par Dieu sans rien de présupposé. Si donc le Fils procédait du Père comme existant à partir de rien, il serait par rapport au Père comme l'œuvre d'art pour l'artiste. Et il est clair que l'œuvre ne peut pas prendre le nom de fils au sens propre mais seulement par similitude. Il s'ensuit que si le Fils de Dieu procédait du Père comme tiré de rien, il ne serait pas véritablement Fils au sens propre, ce qui va contre l'affirmation de Jean : Nous sommes dans son vrai Fils Jésus Christ (1 Jn 5, 20). (...) Il reste donc que le Fils de Dieu est bien engendré de la substance du Père, d'une autre manière cependant que le fils d'un homme. En effet, une part de la substance de l'homme qui engendre passe dans la substance de celui qui est engendré. Mais la nature divine est indivisible. Il faut donc que le Père, en engendrant le Fils, ne lui transmette pas une partie de sa nature, mais la lui communique tout entière et ne se distingue de lui que par une relation d'origine comme on l'a montré plus haut (q. 40, a. 2) » (I, q. 41, a. 3, c). Au sujet de la préposition de qui implique la consubstantialité avec un ordre d'origine, saint Thomas poursuit : « La préposition latine de dénote toujours un principe consubstantie1. Ainsi on ne dit pas que la maison est faite du constructeur, car celui-ci n'est pas cause consubstantielle. Par contre, on dit qu'une chose est faite (d’une autre dès qu'elle signifie un principe consubstantie1. Soit qu'elle soit un principe actif, comme le fils est dit être du père, soit qu'elle soit un principe matériel, comme un couteau est dit être de fer, soit qu'elle soit un principe formel, pour les réalités en qui la forme est elle-même subsistante et n'advient pas à un sujet distinct - d'un ange on peut dire qu'il est de nature intellectuelle. C'est en ce sens qu'on dit que le Fils est engendré de l'essence du Père, car l'essence du Père, communiquée au Fils par génération, subsiste en celui-ci » (I, q. 41, a. 3, ad 2).

b) La promesse de le voir de nouveau.

2116. Auparavant1, le Seigneur a expliqué la première raison donnée pour consoler les disciples, à savoir la promesse de l'Esprit Saint ; ici, il explique la seconde2, liée au fait qu'ils le verront de nouveau.

L'Évangéliste présente d'abord la promesse de le voir de nouveau, puis le doute des disciples [n° 2121] ; enfin, il ajoute une réponse pour dissiper ce doute [n° 2125].

La promesse de le voir de nouveau.

UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME VERREZ ; PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE. (16, 16)

2117. Le Seigneur, en leur annonçant son départ, leur promet qu'ils le verront de nouveau ; et s'il leur rappelle si souvent son départ, c'est pour qu'en pensant fréquemment à ce qui va arriver, ils supportent avec plus de patience ce départ, une fois venu.

Le Seigneur présente trois faits propres à les consoler : une absence brève, une présence renouvelée et un départ digne d'honneur.

2118. L'absence certes est brève : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, en comprenant que le UN PEU DE TEMPS se rapporte à VOUS NE ME VERREZ PLUS ; autrement dit : Bientôt je serai enlevé d'auprès de vous par la mort, ET

VOUS NE ME VERREZ PLUS. Mais vous ne devez pas en être accablés de tristesse, parce que ce temps où vous ne me verrez plus sera court, puisque je me relèverai au point du jour3) le troisième jour - Cache-toi un peu pour un moment, jusqu'à ce que soit passée l'indignation 4.

2119. Mais à nouveau je serai présent, car ENCORE UN PEU, c'est-à-dire pendant un certain temps après ma Résurrection, à savoir quarante jours - Il se présenta (...), se faisant voir d'eux pendant quarante jours5 -, ET VOUS ME VERREZ - Les disciples furent dans la joie à la vue du Seigneur6.

2120. Et ceci, puisque je pars d'une manière honorable, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE - Sous leurs regards, il fut élevé7.

On peut interpréter autrement, en comprenant que le UN PEU se réfère au temps précédant sa mort, le sens étant alors : UN PEU DE TEMPS, à savoir il y aura un temps où je vous serai retiré, et ce sera le lendemain même - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous1 -, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, sous-entendu, morte1. Nous lisions en effet : Encore un peu, et le monde ne me voit plus2, comme mortel, puisqu'il verra le Christ au jugement venant en majesté ; les disciples, par contre, le voient après la Résurrection, immortel, car Dieu lui a donné de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance3. Aussi ajoute-t-il : ET ENCORE UN PEU, c'est-à-dire cela durera encore un peu, ET VOUS ME VERREZ, puisqu'il est resté peu de temps dans la mort - Dans un moment d'indignation, je t'ai caché un instant ma face4.

1. Voir n° 2082.

2. La seconde raison était exposée au n° 1907.

3. Ps 56, 9.

4. Is 26, 20.

5. Ac l, 3.

6. Jn 20, 20.

7. Ac l, 9.

On peut encore rapporter le UN PEU DE TEMPS à la durée de toute notre vie, jusqu'au jugement ; nous le verrons alors au jugement et dans la gloire. Et s'il est dit UN PEU DE TEMPS, c'est en comparaison avec l'éternité - Mille ans à tes yeux sont comme le jour d'hier qui est passé, comme une veille dans la nuit5. PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, par la Résurrection et l'Ascension - Jésus, sachant qu 'était venue son heure de passer de ce monde vers le Père (...)6

Le doute des disciples.

QUELQUES-UNS DE SES DISCIPLES SE DIRENT DONC ENTRE EUX : « QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LÀ : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME VERREZ, ET : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE ? » ILS DISAIENT DONC : « QU'EST-CE QU'IL DIT : ENCORE UN PEU ? NOUS NE SAVONS PAS DE QUOI IL PARLE. » (16, 17-18)

2121. Ici, l'Évangéliste expose le doute des disciples. Il présente d'abord les propos qu'ils échangent ; puis il nous donne ce qui amena ce doute ; enfin, il décrit la disposition d'esprit et le sentiment7 de ceux qui doutent.

2122. Du fait des paroles du Seigneur, les disciples échangeaient entre eux, en disant : QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LÀ : UN PEU DE TEMPS ? On remarque là leur respect à l'égard du Christ, respect si grand qu'ils n'osaient pas l'interroger. Et les anges font de même - Quel est celui qui vient d'Edom, de Bosra, les vêtements teints ? À cela cependant il répond en disant : C'est moi qui proclame la justice, et qui combats pour le salut8. Mais par là, il nous est donné à entendre que les disciples n'avaient pas encore une intelligence parfaite des paroles du Christ, soit à cause de la tristesse qui les absorbait, soit à cause de l'obscurité de ses paroles9 - Êtes-vous encore, vous aussi, sans intelligence ?10

1. Jn 13, 33.

2. Jn 14, 19.

3. Ac 10, 40-41.

4. Is 54, 8.

5. Ps 89, 4.

6. Jn 13, 1.

7. Sentiment traduit ici le mot latin affectio. Voir ci-dessus n° 1727, note 2, et vo1. I, n" 1500, note 4.

8. Is 63, 1.

9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIX, PG 59, co1. 427.

10. Mt 15, 16.

2123. L'occasion du doute, c'était l'enchaînement même des paroles, qui semblaient impliquer une certaine contrariété. Car ils comprenaient assez bien ce qu'il dit : VOUS NE ME VERREZ PLUS, et : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE ; mais ce qui suscitait leur doute, c'était qu'alors qu'il allait partir et mourir, ils allaient le revoir peu de temps après. En effet, ils n'avaient pas encore connaissance de la Résurrection, car selon le psaume : Quel est l'homme qui vivra et ne verra pas la mort, et qui arrachera son âme de la main des enfers ?1 De même, selon le livre de la Sagesse, on ne connaît personne qui soit revenu des enfers2.

2124. Et voilà pourquoi ils disent : QU'EST-CE QU'IL DIT : ENCORE UN PEU ? - sous-entendu, ce PEU de temps pendant lequel vous me verrez. Mais dans ce doute ils restaient modestes : NOUS NE SAVONS PAS, disent-ils, DE QUOI IL PARLE. En effet, comme le dit Augustin3, il y a certaines personnes qui, ne comprenant pas les paroles de l'Écriture, blasphèment en préférant leur jugement propre à l'autorité de l'Écriture ; tandis que d'autres, modestes, quand elles ne comprennent pas, reconnaissent leur ignorance - Je suis un homme faible et éphémère, et peu capable de comprendre les jugements et les lois4. C'est ce que font ici les disciples ; en effet ils ne disent pas : « II a mal parlé 5 », et ne se taisent pas non plus, mais ils attribuent à leur ignorance le fait de ne pas comprendre.

La réponse qui dissipe le doute.

2125. Voici à présent la connaissance que le Christ a de leur doute, puis l'explication qu'il en donne [n° 2127] ; enfin il présente une comparaison [n° 2131].

I

JÉSUS CONNUT QU'ILS VOULAIENT L'INTERROGER, ET IL LEUR DIT : « VOUS VOUS DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES CE QUE J'AI DIT : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME VERREZ ? » (16, 19)

2126. L'Évangéliste montre en premier lieu comment le doute des disciples est connu du Christ : JÉSUS CONNUT, en vertu de sa divinité, QU'ILS VOULAIENT L'INTERROGER, sur ce dont ils doutaient - Car il savait, lui, ce qu'il y a dans l'homme6. - Les hommes voient ce qui paraît, mais le Seigneur regarde le cœur7.

1. Ps 88, 49.

2. Sg 2, 1.

3. Enarrationes in psalmos, 48, 1, PL 36, co1. 545 et 146, 12-13, PL 37, co1. 1907-1908.

4. Sg 9, 5.

5. Cf. Jn 18, 23.

6. Jn 2, 25.

En deuxième lieu, l'Évangéliste montre comment ce doute est manifesté par la parole du Christ, puisqu'IL LEUR DIT : VOUS VOUS DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES - Les premiers événements (...) depuis longtemps je les ai fait entendre, je les ai accomplis tout d'un coup et ils sont arrivés8.

II

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS VOUS LAMENTEREZ ET VOUS PLEUREREZ ; LE MONDE, LUI, SE RÉJOUIRA, ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, MAIS VOTRE TRISTESSE SE CHANGERA EN JOIE. (16, 20)

2127. Ici le Seigneur explique ce qu'il a dit pour dissiper le doute, sans reprendre expressément les paroles qu'il avait dites, afin de satisfaire ses disciples plus que lui-même. D'abord il montre l'alternance de la joie et de la tristesse ; puis la tristesse intérieure [n° 2129] ; enfin, la joie qui viendra ensuite [n° 2130].

7. 1 S 16, 7.

8. Is 48, 3.

2128. AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, dans ce peu de temps où vous ne me verrez pas, VOUS VOUS LAMENTEREZ, en poussant un gémissement de douleur, ET VOUS PLEUREREZ, en versant des larmes - Durant la nuit, elle a pleuré en gémissant, c'est le premier aspect, et ses larmes [coulent] sur ses joues1, c'est le deuxième aspect. - Que ta voix se repose de ses pleurs, et tes yeux de leurs larmes2.

2129. Leur tristesse intérieure, elle, sera en contraste avec l'allégresse du monde3 : LE MONDE, LUI, SE RÉJOUIRA. On peut le comprendre particulièrement du temps de la Passion du Christ, où LE MONDE, c'est-à-dire les scribes et les pharisiens, SE RÉJOUIRA de la mise à mort du Christ - Le voilà, le jour que nous attendions : nous l'avons trouvé, nous l'avons vu4. Ou bien LE MONDE, c'est-à-dire les mauvais qui sont dans l'Église, SE RÉJOUIRA de la persécution des saints - Et ceux qui habitent sur la terre se réjouiront à cause d'eux et seront en fête5. Ou bien LE MONDE pris universellement, c'est-à-dire les hommes qui vivent d'une manière terrestre, SE RÉJOUIRA dans les réalités de ce monde - Ce n'est que joie et allégresse : on tue des veaux, on égorge des béliers, on mange des viandes et on boit du vin6.

Vient ensuite la tristesse des disciples : ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, à cause des souffrances que vous endurerez dans le monde, ou plutôt de ma mise à mort. C'est ainsi que les saints eux-mêmes s'attristent des souffrances que le monde leur inflige, et des péchés - Car la tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable7.

2130. Mais la tristesse est suivie de l'allégresse, puisque VOTRE TRISTESSE, celle que vous aurez lors de la Passion, SE CHANGERA EN JOIE, à la Résurrection - Les disciples furent dans la joie à la vue du Seigneur8. Et d'une manière générale la tristesse de tous les saints se changera en la joie de la vie et de la gloire futures - Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés9. - Ils s'en allaient, ils s'en allaient tout en pleurs, en jetant la semence ; ils viendront, ils viendront débordant de joie, en portant leurs gerbes10. En effet, lorsque c'est le temps de mériter, les saints pleurent en semant ; mais au temps de la récompense, ils se réjouiront en récoltant.

III

LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE SON HEURE EST VENUE. MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE. VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE ; MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE, ET VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA. (16, 21-22)

2131. Ici le Seigneur propose une comparaison, puis il l'applique à ses disciples [n° 2134]. Il fait une comparaison avec la femme qui enfante ; il expose donc la tristesse de la femme face à l'accouchement, puis son allégresse devant celui qu'elle a enfanté [n° 2133].

1. Lm 1, 2.

2. Jr 31, 16.

3. Au sujet de l'expression « le monde », voir ci-dessus, n° 2032, note 4.

4. Lm 2, 16.

5. Voir Ap 11, 10.

6. Is 22, 13.

7. 2 Co 7, 10.

8. Jn 20, 20.

9. Mt 5, 5. Voir ci-dessus, n° 1955, note 5.

10. Ps 125, 6.

LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE SON HEURE EST VENUE.

2132. Il dit donc, quant au premier point : LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, une tristesse sensible, et la plus grande, PARCE QUE SON HEURE, celle de la douleur, EST VENUE - Ils ont ressenti comme les douleurs d'une femme qui enfante1. Par cette douleur est signifiée la douleur de la Passion du Christ, qui fut la plus grande douleur - Ο vous tous qui passez par le chemin, regardez, et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur2. De même cela nous fait comprendre celle des saints faisant pénitence pour les péchés - Comme une femme enceinte, sur le point d'enfanter, souffre et crie dans ses douleurs, tels nous étions devant toi, Seigneur3.

MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE.

2133. Ici, le Seigneur expose la joie de la délivrance. Car l'enfantement est suivi d'une double joie : celle d'être délivrée de la douleur, et elle est grande, mais une autre plus grande encore, celle de la naissance de l'enfant. Et assurément cette dernière joie est très grande si l'enfant est de sexe masculin, car le mâle est quelque chose de parfait, alors que la femelle est quelque chose d'imparfait et d'incomplet4 - Avant d'être en travail, elle a enfanté, avant que lui viennent les douleurs elle a accouché d'un mâle5. Et selon la Genèse, quand Sarah conçut, elle dit : Dieu m'a donné de quoi rire, et quiconque l'apprendra en rira avec moi6. Aussi le Seigneur dit-il : MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION7, dans sa joie d'être délivrée de la douleur, et plus encore, À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE.

Cette similitude convient bien pour le Christ qui, en souffrant, nous a délivrés des afflictions de la mort, et qui, régénérant l'homme, en a fait un homme nouveau, c'est-à-dire qui retourne à la nouveauté de la vie8 et de la gloire qui n'était pas encore connue des hommes. Aussi ne dit-il pas : « Un enfant est né », mais : UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE ; puisque le Christ lui-même, étant homme, ressuscitait nouveau d'entre les morts, comme un enfant9.

Elle convient de même à l'Église, qui chemine dans la nouveauté de la vie en l'Église militante. Et le Seigneur ne dit pas : « II n'y aura plus d'affliction », mais : ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION ; car même si les saints se rappelleront les misères qu'ils ont souffertes, lorsqu'ils seront dans la béatitude de la gloire, cependant ils n'expérimenteront plus rien de ces misères dans leur affectivité.

1. Ps 47, 7.

2. Lm 1, 12.

3.1s 26, 17.

4. Voir Aristote, De Generatione Animalium, II, 3, 737 a 27.

5. Is 66, 7. Tous les manuscrits lisent ce verset (qui convient mieux ici que Jr 20, 15, la référence donnée dans le texte : Maudit soit l'homme qui a annoncé à mon père : II t'est né un enfant mâle). Saint Thomas commente : « Avant d'être en travail, c'est-à-dire que soudainement et en même temps les fils de Jérusalem se rassembleront vers elle, comme si la femme subitement engendrait un fils, sans avoir été en travail auparavant. (...) Mystiquement cela se dit de l'enfantement de la Bienheureuse Vierge, et de l'enfantement de l'Église dans la conversion des fidèles, et de l'enfantement de la génération éternelle » {Exp. super Isaiam, 66, 7, p. 254, 1. 66-73).

6. Gn 21, 6.

7. Le mot pressura (pression, fardeau, tribulation, malheur, affliction) est employé par saint Thomas pour désigner la femme qui enfante dans une tristesse sensible extrême et dans la douleur (nos 2132-2133) ; face à la mort {mortis pressuras, au n° 2133) ; pour les misères souffertes par les saints sur cette terre (n° 2133) ; comme synonyme de l'angoisse, face au monde qui oppresse et à sa haine (n° 2175) ; à propos du feu {pressura flammae : la suffocation du brasier, selon Osty) au n° 2175.

8. Rm 6, 4 (in novitate vitae).

9. Ce paragraphe reprend le développement de saint Jean Chrysostome, associant l'image des douleurs de l'enfantement d'un « homme », et non d'un « enfant », à la Résurrection de Jésus, P »homme » nouveau (cf. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 427).

VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE.

2134. Ici, le Seigneur applique la comparaison. En premier lieu à la tristesse présente, celle qu'éprouvaient alors les Apôtres : VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT, c'est-à-dire à l'heure de la Passion, VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE, à cause de ma mort - Quels sont ces propos que vous échangez entre vous, et pourquoi êtes-vous tristes ?1 Ou bien : MAINTENANT, c'est-à-dire dans toute la vie présente, VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE. Plus haut : Vous vous lamenterez et vous pleurerez2.

MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE, ET VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA. (16, 22)

En second lieu, il applique la comparaison à leur joie future. Il leur promet premièrement qu'ils le verront, lorsqu'il dit : MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ce qui revient à dire : « Vous me verrez », puisque nous ne pouvons pas le voir si lui-même ne se montre. Toutefois, il ne dit pas : « Vous me verrez », mais JE VOUS VERRAI, parce que le fait de se montrer lui-même vient de sa miséricorde, qui est signifiée par son regard3. Il dit donc : MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, c'est-à-dire je vous prendrai auprès de moi de manière à être vu de vous, ou encore, je vous visiterai, à la Résurrection et dans la gloire future - Tes yeux verront le roi dans sa beauté4.

ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE.

Le Seigneur promet ensuite la joie du cœur et l'exultation : ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE, à savoir celle de me voir à la Résurrection. Aussi l'Église chante-t-elle : Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et soyons dans l'allégresse5. ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE également à cause de la vision de la gloire - Tu m'empliras d'allégresse près de ta face6. - Alors tu verras, tu t'épancheras, tu seras dans l'admiration et ton cœur se dilatera7. Pour tout être, en effet, il est naturel de trouver sa joie dans la contemplation de la réalité aimée. Or personne ne peut voir l'essence divine s'il ne l'aime - Et il annonce à son ami que la lumière est son partage8. Voilà pourquoi il est nécessaire que cette vision donne lieu à la joie - Vous le verrez, en le connaissant par l'intelligence, et votre cœur se réjouira9 ; et cette joie elle-même rejaillira jusque sur le corps, lorsqu'il sera glorifié ; aussi Isaïe enchaîne-t-il : Et vos os seront florissants comme l'herbe. - Entre dans la joie de ton Seigneur10.

ET VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA.

Enfin le Seigneur leur promet une joie qui durera toujours, lorsqu'il dit : ET VOTRE JOIE, celle que vous aurez à cause de moi à la Résurrection - Je me réjouirai d'une grande joie dans le Seigneur11 -, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA comme le firent auparavant les Juifs par la Passion, puisque ressuscitant des morts, le Christ ne meurt plus ; la mort sur lui n'aura plus d'empire12. Ou encore, VOTRE JOIE, la joie de jouir de la gloire, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA, puisqu'elle ne peut être perdue et qu'elle est perpétuelle - Une allégresse éternelle sera sur leur tête13. Cette joie, en effet, nul ne se l'enlèvera lui-même par le péché, puisque là, la volonté de chacun aura été confirmée dans le bien ; et personne non plus n'enlèvera cette joie à un autre, puisqu'il n'y aura là aucune violence et que nul ne portera préjudice à un autre.

1. Lc 24, 17.

2. Jn 16, 20.

3. Ejus visionem. Selon le sens, il semble bien qu'il s'agisse de la vision que le Christ a de nous.

4. 1s 33, 17.

5. Graduel de la messe du jour de Pâques, d'après le Ps 117, 24. Le graduel poursuit : Célébrez le Seigneur, car il est bon ; car sa miséricorde est pour les siècles (Ps 117, 1 ; voir aussi Ps 135, 1).

6. Ps 15, 11.

7. Is 60, 5.

8. Jb 36, 33 (propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.

9. Is 66, 14.

10. Mt 25, 21.

11. Is 61, 10.

12. Rm 6, 9. 13.1s 35, 10.

c) L'accès auprès du Père.

2135. Précédemment1, le Seigneur s'est attaché à donner deux raisons capables de réconforter ses Apôtres : la promesse du Paraclet et de son propre retour ; à présent, il donne la troisième raison qui les réconforte : la promesse de leur accès auprès du Père. Il leur promet d'abord l'accès intime2 auprès du Père ; puis il en précise la raison [n° 2147].

La promesse de l'accès intime auprès du Père.

En ce qui concerne cette promesse, le Seigneur affermit d'abord la confiance des Apôtres ; puis il les exhorte à vivre de cette confiance [n° 2143].

I

ET EN CE JOUR-LÀ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN. AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA. (16, 23)

D'abord il écarte la nécessité d'une interrogation, puis il leur promet qu'ils seront exaucés [n° 2141].

ET EN CE JOUR-LÀ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN.

2136. Selon Augustin3, là où dans cette phrase nous avons INTERROGEREZ (rogabitis), les Grecs ont un verbe qui signifie deux choses : « chercher à obtenir » (petere) et « interroger » (interrogare). Aussi peut-on comprendre la phrase de deux manières : « Vous ne chercherez pas à obtenir de moi quoi que ce soit », ou « Vous ne m'interrogerez sur rien ».

Le Seigneur dit donc : EN CE JOUR-LÀ. Quel est ce jour, cela paraît évident à partir de ce qu'il a dit précédemment - Mais de nouveau je vous verrai4 -, ce qui peut s'entendre de la Résurrection et aussi de la vision dans la gloire [n° 2139].

2137. De la Résurrection, selon Chry-sostome5 : EN CE JOUR-LÀ, à savoir : quand je serai ressuscité des morts, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-à-dire vous ne direz pas : Montre-nous le Père6, ni rien de ce genre.

À l'encontre de cette interprétation, Augustin7 objecte qu'après la Résurrection, les disciples disent : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le royaume d'Israël ?8 Et dans l'Évangile de Jean, plus loin, Pierre interroge en disant : Et de lui, qu'en sera-t-ïl ?1

1. Nos 2082 et 2116.

2. Familiarem : sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5, p. 612.

3. Tract, in Io., CI, 4, BA 74B, p. 391-393. Le verbe έρωτάν signifie interroger. Il peut être employé aussi pour demander quelque chose, ce qui est le sens normal du verbe αίτέω, utilisé dans le reste du verset. Et il peut avoir encore celui de prier quelqu'un en vue de (donc, selon l'interprétation de saint Jean Chrysostome reprise par saint Thomas au n° 2138 : prier le Christ « médiateur » ; cf. In Ioannem hom., LXXIX, 1, co1. 428). Sur l'opportunité de ces trois interprétations, voir la discussion de M.-J. Lagrange, L'Évangile selon saint Jean, p. 429.

4. Jn 16, 22.

5. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428.

6. Jn 14, 8.

7. Tract, in Io., CI, 4, BA 74B, p. 393.

8. Ac 1, 6.

Mais en soutenant l'interprétation de Chrysostome, il faut dire que le Seigneur appelle CE JOUR-LÀ non seulement le jour de la Résurrection, mais aussi le jour où les disciples devaient être enseignés par l'Esprit Saint - Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de venté, il vous enseignera la vérité tout entière2. Et ainsi, lorsqu'il parle de ce temps-là sans précision, il inclut aussi la venue de l'Esprit Saint ; c'est comme s'il disait : EN CE JOUR-LÀ, c'est-à-dire une fois l'Esprit Saint donné, vous ne m'interrogerez pas, puisque vous saurez tout grâce à l'Esprit Saint - Son onction vous enseigne sur tout3.

Pareillement, selon le même auteur, EN CE JOUR de la venue de l'Esprit Saint, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-à-dire il n'y aura pour vous aucune nécessité de m'interroger.

2138. Mais après la Résurrection, les Apôtres n'ont-ils pas fait de prière au Christ ? On verra que si, puisque l'Apôtre Paul dit : A ce sujet, trois fois j'ai sollicité le Seigneur 4S c'est-à-dire le Christ.

Voici la réponse : on doit dire que dans le Christ il y avait une double nature : une nature humaine, par laquelle il est médiateur entre Dieu et les hommes5, et une nature divine, par laquelle il est un seul Dieu avec le Père. Or, en tant qu'homme, le Christ n'était pas un médiateur tel qu'il ne pourrait jamais nous unir à Dieu, comme les médiateurs qui n'unissent jamais les extrêmes. Il nous unit donc au Père6. Or l'union à Dieu le Père et l'union au Christ selon sa nature divine est la même ; aussi dit-il : il ne sera plus nécessaire d'utiliser ma médiation, en tant que je suis homme. Ainsi donc, EN CE JOUR-LÀ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS comme médiateur, parce que vous aurez par vous-mêmes accès auprès de Dieu ; mais vous me solliciterez comme Dieu. Et quoique le Christ intercède en notre faveur, comme le dit l'Apôtre Paul7, l'Église toutefois ne le sollicite pas comme un intercesseur, et c'est pourquoi nous ne disons pas : « Ô Christ, prie pour nous » ; mais l'Église le sollicite en tant qu'il est Dieu, en adhérant à lui comme à Dieu, par l'amour et la foi.

1. Jn 21, 21.

2. Jn 16, 13.

3. 1 Jn 2, 27.

4. 2 Co 12, 8.

5. 1 Tm 2, 5-6 : II n'y a qu'un Dieu ; il n'y a aussi qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, Christ Jésus (c'est-à-dire Jésus, Christ, comme homme) qui s'est donné pour le rachat de tous.

6. Cf. Somme théo1., III, q. 22, a. 1 et a. 3 ; le sacerdoce du Christ est un sacerdoce qui réconcilie l'homme avec Dieu. Voir aussi loc. cit., q. 26 sur la médiation du Christ, et ci-dessous, n° 2201 et note 5.

2139. Selon Augustin8, il s'agit du jour de la vision de gloire, de la manière suivante : EN CE JOUR-LÀ, quand je vous verrai dans la gloire, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-à-dire vous ne chercherez pas à obtenir quoi que ce soit, car il ne restera rien à désirer, puisque dans la patrie tous les biens surabondent pour nous - Tu m'empliras d'allégresse près de ta face9 ; et encore : Je serai rassasié quand apparaîtra ta gloire 10. De même, vous ne m'interrogerez sur rien, parce que vous serez comblés de la connaissance de Dieu - Dans ta lumière nous verrons la lumière11.

7. Rm 8, 34 : Qui est-ce qui condamnera ? Le Christ Jésus, qui est mort, ou plutôt qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu, et qui intercède pour nous ?

8. Tract, in Io., CI, 6, BA 74B, p. 399.

9. Ps 15, 11.

10. Ps 16, 15.

11. Ps 35, 10. Sur la vision béatifique, voir Somme théol, I, q. 12 (a. 2 et a. 5). Saint Thomas montre que l'intelligence de la créature sera fortifiée de l'intérieur par une lumière, la lumière de gloire, remplaçant la foi et lui permettant de voir toutes choses créées dans la lumière du Verbe et par lui. L'intelligence ne connaîtra plus par le moyen des formes créées, mais sera possédée, ravie par la lumière du Verbe lui-même qui la fera sortir de son mode naturel de connaître. Elle sera ainsi déiforme et verra Dieu tel qu'il est, par essence, sans intermédiaire, et par lui toutes choses. Cependant cette connaissance de vision n'est pas une connaissance de compréhension, connaissance qui appartient à Dieu seu1. L'intelligence du bienheureux reste l'intelligence d'une créature, bien que possédée par une lumière supérieure. Voir aussi ci-dessous n° 1854, note 10. Sur le mot lumen, et sur la différence avec lux, voir vo1. I, n° 1145, note 5.

2140. À ces deux interprétations d'Augustin on peut objecter que les saints prient dans la patrie, selon ce passage du livre de Job : Appelle donc, s'il y a quelqu'un pour te répondre, et tourne-toi vers l'un des saints '. Et au second livre des Maccabées, il est dit qu'une personne [du ciel] priait pour son peuple2. Et l'on ne peut pas dire qu'un saint prie pour les autres et non pour lui-même, puisque l'Apocalypse dit : Jusques à quand, Seigneur saint et véridique, ne juges-tu pas, et ne venges-tu pas notre sang ?3

De même, les saints interrogent. Car ils seront égaux aux anges, d'après Matthieu4 ; or les anges interrogent, lorsqu'ils disent : Qui est ce roi de gloire ?5 Et au livre d'Isaïe : Qui est-il donc, celui qui arrive d'Édom ?6, c'est selon Denys7 la voix des anges. Les saints interrogent donc, eux aussi.

Mais il y a une double réponse à l'une et l'autre objection. La première, c'est que le temps de la gloire peut être considéré de deux points de vue : selon le commencement de la gloire, et selon sa consommation plénière. Or le temps du commencement de la gloire va jusqu'au jour du jugement ; car quant à leur âme, les saints ont reçu la gloire, mais ils attendent encore de recevoir quelque chose : pour eux-mêmes, la gloire du corps, et pour les autres, que soit complet le nombre des élus. C'est ainsi que jusqu'au jour du jugement ils peuvent chercher à obtenir et interroger, mais cependant pas en ce qui concerne l'essence de la béatitude. Quant au temps de la gloire pleinement consommée, il vient après le jour du jugement ; après ce jour, il ne reste rien à demander, et rien non plus à connaître, et c'est de ce jour que le Seigneur dit : EN CE JOUR-LÀ, c'est-à-dire au jour de la gloire consommée, vous ne chercherez plus à obtenir quoi que ce soit, vous n'interrogerez plus sur rien.

1. Jb 5, 1.

2. 2 M 15, 12 : Voici ce qu'il avait vu : Onias (...), étendant les mains, prier pour tout le peuple des Juifs.

3. Ap 6, 10.

4. Mt 22, 30 : A la résurrection (...) on est comme les anges de Dieu dans le cie1. Saint Thomas commente : « Ils seront comme des anges, parce qu'ils seront libres des passions. À présent l'homme a son intelligence liée à ses sens, et en cela les anges le dépassent ; mais alors ce sera purifié. C'est pourquoi ils seront comme des anges » (Sup. Matth. lect., XXII, n° 1800).

5. Ps 23, 8.

6.1s 63, 1.

7. La hiérarchie céleste, VII, 3, SC 58 bis, p. 113-115.

Quant à ce qui est dit des anges, à savoir qu'ils interrogent, cela est vrai en ce qui concerne les mystères de l'humanité et de l'Incarnation du Christ, mais non en ce qui concerne sa divinité.

AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA.

2141. Ici le Seigneur leur promet qu'ils seront exaucés : il y a là une continuité avec ce qui précède, continuité qui peut être comprise de deux manières. D'une première manière, selon Chrysostome 8, cela se réfère au temps de la Résurrection et à la venue de l'Esprit Saint. Comme s'il disait : II est vrai qu'EN CE JOUR de la Résurrection et de l'Esprit Saint, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, et cependant vous aurez mon aide, parce que vous demanderez EN MON NOM, AU PÈRE, auprès de qui vous aurez accès par moi.

D'une autre manière, selon Augustin9 : EN CE JOUR-LÀ, celui de la gloire, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, mais en attendant, tant que vous vivez ensemble le pèlerinage de la misère présente, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE (...) IL VOUS LE DONNERA. Et en ce sens, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE ne se réfère pas à CE JOUR-LÀ, mais à ce qui précède ce jour-là.

2142. Or le Seigneur donne sept conditions d'une bonne prière10. La première, c'est de demander des biens spirituels, et cela lorsqu'il dit : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE. Car ce qui est entièrement terrestre, même si c'est en soi quelque chose, n'est rien comparativement aux réalités spirituelles 1 - En comparaison de la sagesse, j'ai tenu les richesses pour rien2. - J'ai regardé la terre, et voici qu'elle était vide, une terre de néant3. Mais en Matthieu, le Seigneur n'enseigne-t-il pas au contraire à demander des biens temporels - notre pain de chaque jour* ? Mais il faut dire que la demande d'un bien temporel, si elle se réfère à celle d'un bien spirituel, est déjà QUELQUE CHOSE.

8. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428.

9. Tract, in Io., CI, 6, BA 74B, p. 399.

10. Sur la prière, voir aussi ci-dessus, n" 1905 et ci-dessous, au chapitre 17, n° 2177, note 2 (mais tout le chapitre 17 expose la prière du Christ). Voir aussi le commentaire du « Notre Père », in : Le Pater et l'Ave, Nouvelles Éditions Latines (Col1. Docteur commun) 1967, Prologue, I, n° 1, où saint Thomas donne cinq qualités requises pour toute prière : la confiance, la droiture, l'ordre, la dévotion, l'humilité.

La deuxième condition, c'est que la prière soit faite avec persévérance. Aussi le Seigneur dit-il à ce propos : DEMANDEZ, sous-entendu, en persévérant - Il faut prier toujours, et ne jamais se décourager5 ; et : Priez sans cesse6.

La troisième condition, c'est que la prière soit faite dans la concorde ; c'est pourquoi le Seigneur parle au pluriel : SI VOUS DEMANDEZ - Si deux d'entre vous se mettent d'accord sur la terre pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est dans les deux7. Aussi est-il impossible, selon la Glose de l'épître aux Romains, que la prière de beaucoup ne soit pas exaucée8.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 2, BA 74B, p. 407.

2. Sg 7, 8. 3.Jr4, 23.

4. Mt 6, 11.

5. Lc 18, 1.

6. 1 Th 5, 17. Saint Thomas commente : « Mais comment cela est-il possible ? Je réponds : il faut dire que cela est possible de trois manières. Premièrement, parce que celui-là prie toujours, qui ne manque pas les heures fixées - on trouve une chose semblable au second livre de Samuel : Tu mangeras toujours ton pain à ma table (2 S 9, 7). Deuxièmement : Priez sans cesse, c'est-à-dire priez continuellement, mais alors la prière est prise au sens de l'effet de la prière. En effet, la prière est l'interprétation ou l'explication d'un désir, puisque quand je désire quelque chose, je le demande en priant. C'est pourquoi la prière est la demande à Dieu de ce qui convient et, pour cette raison, le désir a la force de la prière - Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres (Ps 68, 34). Donc tout ce que nous faisons provient d'un désir. La prière demeure donc en puissance (in virtute) dans le bien que nous faisons, puisque le bien que nous faisons provient d'un bon désir. Comme le dit la Glose : "II ne cesse pas de prier, celui qui ne cesse pas de faire le bien". Troisièmement, quant à la cause de la prière, à savoir en faisant l'aumône. Et dans la vie des Pères on lit : "Celui-là prie toujours, qui donne des aumônes, parce que celui qui reçoit l'aumône prie pour toi, même quand tu dors"« (Ad 1 Thess. lect., V, n° 130).

La quatrième condition, c'est que la prière provienne d'un amour filial (ex filiali affectu), quand il dit : AU PÈRE. Car celui qui demande par crainte, ce n'est pas au père qu'il demande, mais au maître de maison ou à l'ennemi - Si donc vous, mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les deux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui les lui demandent ?9

La cinquième condition, c'est que la prière soit faite avec piété, c'est-à-dire avec humilité - II a regardé la prière des humbles, et n'a pas méprisé leur supplication 10 -, avec la confiance d'être exaucé - Mais qu'il demande dans la foi, sans hésiter en rien 11 -et selon un ordre juste - Vous demandez, et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal12. Et quant à cela le Seigneur dit : EN MON NOM, qui est le nom du Sauveur13. C'est au nom du Sauveur que l'on demande ce qui se rapporte au salut, et c'est de cette manière qu'on peut obtenir le salut - Il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés 14.

La sixième condition, c'est que la prière soit faite en temps opportun ; aussi le Seigneur dit-il : IL VOUS LE DONNERA. Car si on ne reçoit pas, il ne faut pas se décourager aussitôt : ce sera donné certainement, même si c'est différé pour être donné au moment qui convient, afin que notre désir croisse davantage - Les yeux de tous espèrent en toi, et toi, tu leur donnes la nourriture au moment opportun1.

7. Mt 18, 19.

8. Glossa ordinaria. Ad Rom., 15, 30, PL 114, co1. 517 C.

9. Mt 7, 11.

10. Ps 101, 18.

11. Je 1, 6.

12. Je 4, 3.

13. Cette condition ainsi que les deux suivantes sont tirées du commentaire de saint Augustin (Tract, in Io., Cil, 1, BA 74B, p. 403-405).

14. Ac 4, 12.

La septième condition, c'est qu'on demande pour soi ; c'est pourquoi le Seigneur dit : IL VOUS LE DONNERA. Car parfois on n'est pas exaucé pour d'autres, leur manque de mérite faisant obstacle - Toi donc, ne prie pas pour ce peuple-là2. - Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, mon âme ne se tournerait pas vers ce peuple3.

II

JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM ; DEMANDEZ, ET VOUS RECEVREZ, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE. (16, 24)

2143. Ici, le Seigneur les exhorte à vivre dans la confiance qui leur a été donnée : il rappelle d'abord leur défaillance passée, puis il les exhorte à progresser à l'avenir [n° 2145].

JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM.

2144. Leur défaillance passée consiste à n'avoir rien demandé ; aussi dit-il : JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM. Mais Matthieu et Luc n'affirment-ils pas au contraire : Il leur donna puissance sur tous les démons, et pour guérir les maladies 4 ? Or cela, les disciples le faisaient en priant : ils ont donc demandé quelque chose au nom du Christ, et d'autant plus qu'ils disaient : Seigneur, en ton nom, même les démons nous sont soumis !5

C'est pourquoi on doit dire que la phrase peut s'expliquer de deux manières. Voici la première 6 : JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ, c'est-à-dire rien qui soit quelque chose de grand, EN MON NOM. Car les demandes de guérisons corporelles sont peu de chose en comparaison des grandes choses qui allaient se faire par la prière ; et ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit d'adoption, par qui ils aspireraient aux réalités spirituelles et célestes. Et si vous dites que précédemment, ils ont demandé quelque chose de grand - Seigneur, montre-nous le Père7 -, précisons qu'ils ne le demandaient pas au Père, dont il est question ici ; mais, confiants seulement dans le Christ homme, ils s'adressaient à lui comme médiateur, pour qu'il leur montre le Père.

Il y a une autre manière8 d'expliquer la phrase, du fait que le Seigneur avait dit : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM ; c'est qu'auparavant, ils n'avaient pas demandé en ce nom, n'ayant pas une parfaite connaissance du nom du Christ.

DEMANDEZ, ET VOUS RECEVREZ, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE.

2145. Ici, suite à ce qui précède, le Seigneur exhorte ses disciples à progresser à l'avenir, c'est-à-dire à demander - Demandez et il vous sera donné9. DEMANDEZ, dis-je, ET VOUS RECEVREZ, à savoir ce que vous demandez, pour que votre joie soit complète - Les soixante-douze s'en retournèrent avec joie, disant : Seigneur, en ton nom, même les démons nous sont soumis !10 Et de cette manière, ce qu'il dit : POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE est présenté comme la fin de l'exaucement. Ou bien cela peut être présenté comme la réalité demandée, le sens étant alors : DEMANDEZ ET VOUS RECEVREZ : et demandez, vous dis-je, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE.

1. Ps 144, 15.

2. Jr 7, 16 ; la suite du verset est : ne profère en leur faveur ni louange nt supplication, n'interviens pas auprès de moi, car je ne t'écouterai pas.

3. Jr 15, 1.

4. Le 9, 1.

5. Le 10, 17.

6. Cf. saint Augustin, Serm. de Scr., 145, VI, PL 38, co1. 795.

7. Jn 14, 8.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 2, BA 74B, p. 407.

9. Mt 7, 7.

10. Lc 10, 17.

2146. Précisons ici que l'objet de la joie, c'est le bien ardemment désiré. En effet, le désir étant le mouvement de l'appétit vers le bien, et la joie son repos dans ce bien, l'homme est dans la joie lorsqu'il se repose dans le bien désormais possédé, vers lequel se portait son désir. Mais la joie est proportionnée au bien possédé ; et un bien créé ne peut pas nous donner une joie plénière, parce que le désir et l'appétit de l'homme ne s'y reposent pas pleinement. Notre joie sera donc enfin plénière lorsque nous posséderons ce bien dans lequel existent, d'une manière surabondante, tous les biens que nous pouvons désirer. Et ce bien ne peut être que Dieu, lui qui comble de biens notre désir, d'après le psaume1. Voilà pourquoi le Seigneur dit : DEMANDEZ POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE, autrement dit, demandez de jouir de Dieu et de la Trinité ; comme le dit Augustin2, il n'y a rien de plus grand - Tu m'empliras d'allégresse près de ta face3. Et pourquoi cela ? Parce qu'en même temps qu'elle - c'est-à-dire la contemplation de la divine sagesse - me sont venus tous les biens4.

La raison de l'intimité promise avec le Père.

2147. Plus haut le Seigneur a promis aux disciples l'accès intime auprès du Père ; il précise maintenant la raison de cette familiarité. Or il y a deux choses qui donnent à l'homme la confiance de faire une demande à quelqu'un et l'intimité [avec lui] : ce sont la connaissance et l'amour. Aussi le Seigneur donne-t-il cette double raison : la première est tirée de la claire connaissance du Père ; la seconde, de son amour spécial [n° 2153].

I

CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES ; ELLE VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, MAIS OÙ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE. (16, 25)

2148. Le Seigneur rappelle d'abord la connaissance imparfaite que les disciples avaient du Père ; puis il promet la connaissance parfaite.

C'est bien une connaissance imparfaite qu'ils avaient ; aussi le Christ dit-il : CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES5. À proprement parler, on appelle « proverbe » ce qui est communément sur la bouche de tous ; ainsi, c'est un proverbe qu'un jeune homme qui suit son chemin, même devenu vieux, ne s'en écartera pas6. Mais parce que tout cela est parfois obscur et métaphorique, « proverbe » est parfois pris pour « parabole », où autre chose est ce qui est dit, autre chose ce qui est désigné. Et c'est ainsi que « proverbe » est pris ici pour « parabole », c'est-à-dire « expression parabolique ».

2149. La phrase peut alors avoir quatre sens. En premier lieu, au sens littéral, elle se rapporte à ce qu'il avait dit juste avant. On comprendra donc : Je vous ai dit que jusqu'à présent vous n'avez nen demandé, et que vous demanderez en mon nom, et j'ai parlé1 pour ainsi dire d'une manière obscure et EN PROVERBES. Mais ELLE VIENT, L'HEURE où, ce que je vous ai dit obscurément, je vous le dirai clairement ; aussi ajoute-t-il : Le Père lui-même vous aime2 et : Je suis sorti du Père3. C'est ainsi que les Apôtres semblent l'avoir compris car, après avoir entendu cela du Seigneur, ils lui disent : Voici à présent que tu parles ouvertement, et ne dis aucun proverbe*.

1. Ps 102, 5 : Lui qui rassasie de biens ton désir.

2. La Trinité, I, vm, 18, BA 15, p. 135.

3. Ps 15, 11.

4. Sg7, 11.

5. Sur l'expression in proverbiis (en grec : έν παροιμίαις : « en proverbes », « en paraboles », ou plus précisément, « en discours énigmatiques »), voir Jn 10, 6 ; 16, 25 et 29 ; 2 Ρ 2, 22. Nous traduisons « proverbes » parce que Jean n'utilise jamais le mot παραβολή, et parce que παροιμία signifie premièrement « proverbe » (voir, par exemple, le titre du livre des Proverbes). Les proverbes étant souvent obscurs et métaphoriques, l'expression « en proverbes » signifiera ici « en expressions paraboliques », « dans un enchevêtrement de paroles », « obscurément et par énigmes » (n° 2151).

6. Pr 22, 6.

2150. Au second sens5, la phrase CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES se réfère à tout ce qu'on lit sur l'enseignement du Christ dans cet Évangile, tandis que l'affirmation ELLE VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, MAIS OÙ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE se réfère au temps de la gloire. En effet, c'est parce qu'à présent nous voyons dans un miroir et en énigme, que ce qui nous est dit de Dieu nous est donné en proverbes. Mais, parce que dans la patrie nous verrons face à face6, alors nous sera révélé clairement ce qui concerne le Père. Et s'il dit DE MON PÈRE, c'est parce que personne ne peut voir le Père dans une telle gloire si le Fils ne le manifeste - Personne ne connaît le Père sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler7. Car le Fils est la lumière véritable8, par laquelle nous devenons capables de voir le Père - Moi je suis la lumière du monde 9.

1. Il a semblé préférable de garder ici le texte de l'édition Marietti, sans utiliser la correction de la Léonine : « je n'ai pas parlé ».

2. Jn 16, 27.

3. Jn 16, 28.

4. Jn 16, 29.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 3, BA 74B, p. 409.

6. 1 Co 13, 12 : Car nous voyons à présent dans un miroir, d'une Manière obscure, mais alors ce sera face à face. Voir vo1. I, n° 1548, note 4.

7. Mt 11, 27.

8. Jn 1, 9.

9. Jn 8, 12.

2151. Mais à cette explication s'oppose ce qui suit : EN CE JOUR-LÀ VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM. Or nous n'allons rien demander en son nom s'il s'agit du jour de la gloire, où notre désir sera comblé de biens 10. Aussi le texte a-t-il deux autres sens.

L'un, selon Chrysostome11 : CES CHOSES-LÀ, c'est-à-dire celles que je vous ai dites maintenant, c'est EN PROVERBES, c'est-à-dire dans un certain enchevêtrement de paroles, que JE VOUS LES AI DITES, sans exprimer totalement ce que vous devez connaître de moi et de mon Père, parce que j'ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant12. Mais ELLE VIENT, L'HEURE, où je serai ressuscité des morts, OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, c'est-à-dire obscurément et par énigmes, MAIS OÙ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE. En effet, pendant les quarante jours où il leur est apparu, il leur a enseigné de nombreux mystères, et leur a révélé beaucoup de choses sur lui et son Père ; et comme désormais, croyant fermement, par la foi en la Résurrection, qu'il est le Dieu véritable, ils avaient été élevés à des réalités plus hautes, aussi est-il ajouté : Se faisant voir d'eux pendant quarante jours et leur parlant du royaume de Dieu (...)13 - II leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Écritures14.

2152. L'autre sens est, selon Augustin15, que le Seigneur, en disant : CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES, promet qu'il fera d'eux des hommes spirituels. Telle est en effet la différence qu'il y a entre l'homme spirituel et l'homme naturel16 : l'homme naturel reçoit les paroles spirituelles comme des proverbes, non pas qu'elles aient été dites de manière proverbiale mais parce que, son esprit n'étant pas assez fort pour s'élever au-dessus des réalités corporelles, elles lui sont obscures - L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu1. L'homme spirituel, lui, perçoit ce qui est spirituel comme étant spiritue1. Or les disciples, au commencement, étaient comme des hommes naturels, et ce qui leur était dit était obscur, comme des proverbes ; mais par la suite, une fois rendus spirituels par le Christ et enseignés par l'Esprit Saint, ils saisissaient ouvertement les réalités spirituelles. Voilà pourquoi le Seigneur dit : CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES, autrement dit, elles furent pour vous comme des proverbes. Mais ELLE VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES - Et nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, de gloire en gloire2, comme de par l'Esprit du Seigneur3.

10. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 3, BA 74B, p. 411.

11. In Ioannem hom., LXXIX, 2, PG 59, co1. 428.

12. Jn 16, 12.

13. Ac 1, 3.

14. Lc 24, 45.

15. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 411-413.

16. Voir ci-dessous, n° 2356, note 4.

II

EN CE JOUR-LA VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS ; CAR LE PERE LUI-MÊME VOUS AIME, PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. JE SUIS SORTI DU PÈRE ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ; DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE. (16, 26-28)

2153. Voici à présent la deuxième raison d'avoir confiance, qui se prend de l'amour du Père pour les disciples. Le Seigneur montre d'abord l'amour du Père pour eux ; puis l'intimité que le Père a avec le Fils [n° 2160].

L'amour du Père pour les disciples

Le Seigneur commence par rappeler la promesse qu'il leur a faite ; puis il donne la raison de cette promesse [n° 2157].

EN CE JOUR-LÀ VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS.

2154. Au sujet de sa promesse, le Seigneur rappelle d'abord une chose qu'il avait promise. Puis il fait quelque chose d'autre : il leur promet l'assurance pour demander. Il dit donc : EN CE JOUR-LÀ, c'est-à-dire lorsque je vous parlerai ouvertement du Père, VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, car connaissant alors clairement le Père, vous saurez que moi je lui suis coessentiel et que, par moi, vous avez accès auprès de lui. En effet, demander au nom du Christ, c'est espérer avoir par lui accès au Père - Ceux-ci invoquent leurs chars, ceux-là leurs chevaux ; mais nous, nous invoquerons le nom du Seigneur notre Dieu4. Or ici le Christ cache qu'il va prier le Père pour eux ; aussi dit-il : ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS.

2155. Mais est-ce qu'il ne prie pas pour nous ? Si, au contraire : Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste3. - Il peut même sauver définitivement ceux qui par lui s'approchent de Dieu6.

Et à ce sujet il faut dire en premier lieu, selon Augustin7, qu'il dit cela pour exclure l'idée qu'il serait dorénavant comme une personne qui intercède en tant qu'homme. Ainsi, en ce jour-là, quand je vous parlerai ouvertement et que vous demanderez en mon nom, vous connaîtrez que je suis un avec le Père, et que je ne suis pas une personne qui intercède ; mais que, en tant que Dieu, sollicité1 avec le Père, j'exaucerai.

1. 1 Co 2, 14.

2. A claritate in claritatem : sur le sens du mot claritas, voir vo1. I, n° 1278, notes 3 et 4.

3. 2 Co 3, 18.

4. Ps 19, 8.

5. 1 Jn 2, 1.

6. He 7, 25. Voir ci-dessus, n" 1910, note 2.

7. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 415.

D'une autre manière, selon Chry-sostome2, le Seigneur dit peut-être cela pour que les disciples ne croient pas que, obtenant ce qu'ils demandent par le Fils, ils n'aient donc pas accès immédiat auprès du Père. C'est comme s'il disait : A présent, vous avez recours à moi, pour que j'intercède pour vous ; mais alors, vous aurez une si grande confiance en le Père que vous-mêmes pourrez lui demander en mon nom, sans avoir besoin qu'un autre vous introduise.

2156. Mais les Apôtres n'ont-ils pas eu besoin du Christ homme pour intercéder ? Sinon, même s'il intercédait pour eux, son intercession serait inutile.

Mais il faut dire qu'il n'intercède pas pour eux comme s'ils étaient très loin et incapables d'avoir accès [auprès du Père], mais en rendant leurs prières plus dignes d'être exaucées.

CAR LE PÈRE LUI-MÊME VOUS AIME, PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. (16, 27)

2157. À présent, le Seigneur précise la raison de sa promesse qui est cet amour du Père pour eux. Il montre donc l'amour du Père, puis la preuve de cet amour [n° 2159].

CAR LE PÈRE LUI-MÊME VOUS AIME.

2158. Voici donc ce que dit le Seigneur : JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS - car il semblerait alors qu'il ne vous aime pas - mais de toute manière LE PÈRE LUI-MÊME, qui aime toutes choses, en voulant pour elles le bien de leur nature - Tu aimes en effet tout ce qui est, et tu ne détestes nen de ce que tu as fait3 -, VOUS AIME, vous les Apôtres et les saints, d'un amour privilégié, en voulant pour vous le bien suprême, c'est-à-dire lui-même - Il a aimé les peuples : tous les saints sont dans sa main4 : il vous a aimés pour cela - Les âmes des justes sont dans la main de Dieu5.

PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU.

2159. Le Christ en donne une preuve à partir de deux choses : l'amour des disciples à son égard, et leur foi en lui.

En ce qui concerne l'amour des disciples à son égard, il dit : PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ. Ce n'est certes pas une preuve par la cause, puisque, selon la première épître de Jean, ce n'est pas que nous, nous ayons aimé Dieu ; mais c'est lui qui nous a aimés le premier6. C'est en fait une preuve par le signe, parce que le fait même que nous aimons Dieu est signe que lui-même nous aime ; car le fait que nous puissions l'aimer provient d'un don de Dieu7 - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné8. - Celui qui m'aime sera aimé de mon Père9.

Quant à la foi, le Seigneur dit : ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. En effet, sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu1. Or la foi nous vient de l'amour de Dieu car c'est le don de Dieu2, et il n'y a de don qu'en raison de l'amour de celui qui donne. Or croire et aimer le Christ en tant qu'il est sorti de Dieu, c'est un signe suffisamment évident de l'amour de Dieu3, car on aime encore plus ce par quoi toute chose existe. Si donc quelqu'un aime le Christ, qui est sorti de Dieu, son amour retourne principalement à Dieu le Père ; mais non pas s'il l'aime en tant qu'il est homme.

1. Interpellatus. C'est le même verbe interpello que nous avons traduit ici par « intercéder » et « solliciter ».

2. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428, développé par Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 222.

3. Sg 11, 25.

4. Dt 33, 3.

5. Sg3, 1.

6. 1 Jn 4, 10.

7. « Aimer Dieu est entièrement un don de Dieu. Lui qui nous a aimés sans être aimé nous a donné de l'aimer » (saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 5, BA 74B, p. 417).

8. Rm 5, 5. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir vo1. I, n° 1234, note 8.

9. Jn 14, 21.

La familiarité du Père et du Fils

JE SUIS SORTI DU PÈRE ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ; DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE.

2160. Parce que le Christ a mentionné qu'il est sorti du Père, il en donne à présent une explication plus manifeste, où il montre son intimité avec le Père : il révèle d'abord qu'il est sorti d'auprès du Père, puis son retour vers le Père [n° 2163].

2161. Or il y a une double procession du Fils à partir du Père : l'une éternelle4, l'autre temporelle [n° 2162]. Et il désigne la procession éternelle en disant : JE SUIS SORTI DU PÈRE, ayant été engendré par lui éternellement.

JE SUIS SORTI DU PÈRE.

Notons que tout ce qui sort d'une réalité a d'abord été en elle. Or une chose est dans une autre de trois manières : comme le contenu est dans le contenant, comme la partie est dans le tout, ou comme l'accident est dans le sujet et l'effet dans la cause, et selon cela on dira que certaines choses sortent d'autres choses. Mais selon les deux premières manières, ce qui sort est une réalité qui est numériquement identique, comme le vin qui sort du tonneau est le même quant au nombre, et la partie qui sort du tout, identique ; tandis que, selon les deux dernières manières citées, ce qui sort n'est pas une réalité numériquement identique. Or cela, on ne doit pas le dire de Dieu : car puisque Dieu est tout à fait simple, et qu'il n'est pas dans un lieu, si ce n'est métaphoriquement, on ne peut pas dire que le Fils soit en lui comme une partie ou comme un contenu, mais qu'il est en lui par unité d'essence - Moi et le Père nous sommes un5. Car toute l'essence du Père est toute l'essence du Fils, et réciproquement ; aussi le Fils n'est-il pas sorti du Père à la manière de ce dont nous avons parlé. En effet, ce qui sort du tout comme une partie en est distinct par l'essence, car la partie sortant du tout devient un être en acte, elle qui était, dans le tout, un être en puissance. De même, ce qui sort du tout qui le contient s'en distingue selon le lieu ; mais le Fils ne sort pas du Père selon le lieu, puisqu'il emplit tout, selon le passage de Jérémie : Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre ?6 II n'en sort pas non plus par division, puisque le Père est impartageable ; mais il sort de lui par distinction personnelle. Ainsi donc, par la sortie, en tant qu'elle présuppose l'inhérence, on désigne l'unité d'essence ; et en tant qu'elle suggère un certain processus, on désigne la distinction personnelle - De l'extrémité du ciel, c'est-à-dire de Dieu le Père, il sort1. Et encore : Du sein, avant l'aurore, je t'ai engendré*. Dans les réalités corporelles, ce qui sort d'une chose n'est plus en elle, puisqu'il en sort par séparation d'essence ou de lieu. Tandis qu'ici, comme il ne s'agit pas d'une telle sortie, le Fils est sorti de toute éternité du Père d'une manière telle que, cependant, il est en lui de toute éternité ; et ainsi, quand il est en lui, il sort, et quand il sort, il est en lui ; si bien qu'il sort toujours, et qu'il est toujours en lui.

1. He 11, 6.

2. Ep 2, 8.

3. Cf. 1 Jn 4, 10-15.

4. Sur la procession éternelle du Fils à partir du Père dans le mystère de la Très Sainte Trinité, voir ci-dessus n° 1911, note 7, et nos 2107 et 2115.

5. Jn 10, 30.

6. Jr 23, 24.

7. Ps 18, 7.

8. Ps 109, 3.

ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE.

2162. Ici, c'est la procession temporelle que le Seigneur désigne. Or, de même que ce n'est pas selon le lieu qu'il est sorti du Père de toute éternité, de même sa venue dans le monde n'est pas non plus locale : car le Fils étant dans le Père et réciproquement, de même que le Père emplit tout, de même aussi le Fils, et il n'y a rien vers quoi il se meuve localement. On dit donc qu'il est venu dans le monde en tant qu'il a assumé la nature humaine, quant à son corps qui tire son origine du monde, mais non pas en changeant de lieu - Il est venu chez lui} et les siens ne l'ont pas reçu 1.

DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE.

2163. Ensuite le Seigneur traite de son retour vers le Père. En premier lieu, il expose son départ du monde : DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE, mais sans suspendre la providence de son gouvernement, puisqu'en même temps que le Père il gouverne toujours le monde et qu'il est toujours avec les fidèles par le secours de la grâce - Voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles2. Il quitte donc le monde en se soustrayant au regard terrestre de ceux qui sont du monde.

En second lieu, il expose son retour vers le Père : JE VAIS VERS LE PÈRE, dont il ne s'était jamais séparé. Et il va, en tant qu'il s'est offert au Père en sa Passion - Il s'est offert lui-même à Dieu en hostie d'agréable odeur3. De même en tant que, par la Résurrection, il a été comme homme configuré au Père dans l'immortalité - Mais vivant, c'est pour Dieu qu'il vit4. Enfin en tant que dans l'Ascension il est monté aux cieux, en quoi il resplendit spécialement de la gloire divine - Or donc le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il siège à la droite de Dieu5 ; et plus haut : Et maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Où vas-tu ?6

1. Jn 1, 11.

2. Mt 28, 20.

3. Ep 5, 2.

4. Rm 6, 10.

5. Me 16, 19.

6. Jn 16, 5.

L'EFFET DE L'EXPLICATION SUR LES DISCIPLES

2164. Après avoir exposé les raisons et les paroles données pour consoler les Apôtres, l'Évangéliste montre leur effet sur les disciples : l'attitude des disciples, d'abord, puis leur condition [n° 2169] ; enfin il précise l'intention avec laquelle le Christ leur a parlé auparavant [n° 2173].

A. LA CONFESSION DES DISCIPLES

LES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI A PRÉSENT QUE TU PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS AUCUN PROVERBE. NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT, ET QUE TU N'AS PAS BESOIN QU'ON T'INTERROGE. EN CECI NOUS CROYONS QUE TU ES SORTI DE DIEU. (16, 29-30)

Ici, l'attitude des disciples est l'attitude de la confession et de la foi. Et dans ce passage, ils confessent trois choses au sujet du Christ : la clarté de son enseignement [n° 2165], la certitude de sa science [n° 2166], et son origine divine [n° 2168].

LES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI À PRÉSENT QUE TU PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS AUCUN PROVERBE.

2165. Les disciples confessent ainsi ce premier point. En effet, si l'on fait bien attention, on trouvera difficilement un lieu de l'Écriture sainte où l'origine du Christ soit exprimée comme ici quand il dit : Je vous parlerai ouvertement de mon Père1 et : Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde2. Et c'est pourquoi, croyant que cette promesse : Je vous parlerai ouvertement de mon Père s'est accomplie pour eux de telle sorte qu'ils n'ont pas besoin d'une autre manifestation, les disciples disent : VOICI À PRÉSENT

QUE TU PARLES OUVERTEMENT. Mais, comme le dit Augustin3, les disciples étaient encore ignorants, au point d'ignorer qu'ils ne comprenaient pas. Car le Seigneur ne leur avait pas promis de parler sans proverbes à cette heure-là, mais à l'heure de la Résurrection ou de la gloire. Cependant, en ce qui concerne les disciples, il leur a alors parlé plus clairement, même s'il fallait encore attendre une autre clarté de ses paroles - Moi j'ai parlé ouvertement au monde4.

NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT.

2166. Les disciples confessent à présent le deuxième point. Les paroles, prises extérieurement, sont la preuve évidente d'une science certaine et parfaite quand on manifeste ce qu'on dit : en effet, le signe que quelqu'un sait, c'est qu'il est tout à fait capable d'enseigner5 ; aussi le livre des Proverbes affirme-t-il que l'enseignement est facile pour les hommes prudents6. Ce qui dépasse notre intelligence, en effet, nous ne l'expliquons pas clairement avec des mots. Mais cependant, c'est avec une autre intention que les Apôtres parlent ainsi, parce que le Seigneur sait tous les secrets de leur cœur et éclaire leurs doutes : il les console en promettant la joie de l'Esprit Saint, une nouvelle vision de lui et l'amour du Père1. Aussi disent-ils : NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT, c'est-à-dire tous les secrets des cœurs - Toi, tu sais tout2. -Avant d'être faites, toutes choses sont connues du Seigneur notre Dieu3.

1. Jn 16, 25.

2. Jn 16, 28.

3. Tract, in Io., CUI, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 423.

4. Jn 18, 20.

5. Cf. Aristote, Métaphysique, A, 1, 981 b 7-10 : « D'une manière générale, le signe qui distingue celui qui sait de celui qui ne sait pas, c'est qu'il peut enseigner, et c'est pourquoi nous pensons que l'art est plus science que l'expérience : en effet les hommes d'art peuvent enseigner, tandis que les autres [les hommes d'expérience] ne le peuvent pas ».

6. Pr 14, 6 : Le railleur cherche la sagesse et ne la trouve pas : l'enseignement est facile pour les hommes prudents.

ET QUE TU N'AS PAS BESOIN QU'ON T'INTERROGE.

2167. Cela semble contredire ce qui précède. Ils disent en effet que le Seigneur sait tout ; or à celui qui sait, il appartient non pas d'interroger, mais d'être interrogé. Comment donc n'a-t-il pas besoin qu'on l'interroge ?

Mais il faut répondre que les disciples parlent ainsi pour indiquer qu'il sait même les secrets des cœurs, puisque précédemment, lorsqu'ils se disaient entre eux : Qu'est-ce qu'il dit : encore un peu ?4, il leur avait donné satisfaction avant même leur interrogation. Néanmoins, le Christ interroge et est interrogé, non pas que lui en ait besoin, mais nous.

EN CECI NOUS CROYONS QUE TU ES SORTI DE DIEU.

2168. Voilà le troisième point que confessent les disciples, et certes cela convient, car savoir toutes choses, même les secrets des cœurs, est propre à la divinité - Pervers est le cœur de l'homme et insondable. Qui peut le pénétrer ? Moi, le Seigneur, je scrute le cœur et je sonde les reins5. Voilà pourquoi ils disent : TU ES SORTI DE DIEU, consubstantiel au Père, et vrai Dieu.

B. LA FAIBLESSE DES DISCIPLES

2169. À présent il nous montre la condition des disciples, qui est une condition de faiblesse : le Seigneur leur fait un reproche à propos de la lenteur de leur foi, puis à propos de la tribulation à venir, imminente [n° 2171] ; enfin il montre qu'il n'est atteint par aucun dommage venant de la part de ses disciples [n° 2172].

JÉSUS LEUR RÉPONDIT : À PRÉSENT VOUS CROYEZ ? (16, 31)

2170. Cette phrase, si elle est prise au sens interrogatif6, est un reproche concernant leur lenteur à croire, comme s'il disait : Vous avez attendu jusqu'à maintenant pour croire ? On lisait plus haut, au chapitre 14 : Depuis si longtemps je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! (...) Ne crois-tu pas que moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ?7 Mais si la phrase est entendue avec une nuance d'indulgence8, le Seigneur leur reproche l'instabilité de leur foi, comme s'il disait : C'est vrai que maintenant, vous croyez ; mais lorsque je serai livré, aussitôt vous m'abandonnerez - Ils croient pour un temps et, au moment de la tentation, ils s'écartent1.

1. Sur cette triple promesse, voir ci-dessus, n° 2082.

2. Jn 21, 17.

3. Si 23, 29 [BJ 23, 20]. Au sujet de Dieu qui connaît les cœurs, voir aussi 1 S 16, 7 ; 1 Ch 28, 9 ; Ps 7, 10 ; Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20, 12 ; Ap 2, 23.

4. Jn 16, 18.

5. Jr 17, 9-10.

6. Cf. saint Bède le Vénérable, In S. Ioannis Εν. Εχρ., in h. loc, PL 92, co1. 868 C.

7. Jn 14, 9-10.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CUI, 3, ΒΑ 74Β, ρ. 431.

VOICI QU'ELLE VIENT, L'HEURE, ET ELLE EST DÉJÀ VENUE, OÙ VOUS SEREZ DISPERSÉS, CHACUN DE SON CÔTÉ, ET VOUS ME LAISSEREZ SEU1. (16, 32)

2171. Ce qui est présenté ici, c'est la tribulation et le scandale imminents [pour les disciples]. Il faut savoir qu'à la menace d'un tel scandale, ils perdaient ce qu'ils avaient acquis antérieurement grâce au Christ. En effet, ils avaient la compagnie du Christ, sa possession, et le fait d'être déchargés des réalités [du monde], ainsi que tout un mode de vie en commun. Aussi, ce sont ces trois aspects que Pierre énumère, dans l'Évangile selon Matthieu, lorsqu'il dit : Voici que nous, c'est-à-dire nous tous - voilà pour le troisième point -, nous avons tout laissé — pour le second - et nous t'avons suivi2 - voilà pour le premier. Et c'est tout cela qu'ils perdirent ; c'est pourquoi le Seigneur le leur a prédit, en disant : VOICI QU'ELLE VIENT, L'HEURE, ET ELLE EST DÉJÀ VENUE, OÙ VOUS SEREZ DISPERSÉS - il s'agit là du troisième point -en raison de la crainte qui vous dominera à tel point que vous ne pourrez même pas fuir ensemble - Frappe le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées3.

CHACUN DE SON CÔTÉ : il s'agit là du second point, c'est-à-dire le fait de posséder des biens en propre. C'est pour cela que Pierre et les autres disciples sont revenus au bateau et à leurs biens propres - Ils sortirent, et montèrent dans le bateau4. ET VOUS ME LAISSEREZ SEUL : il s'agit là du premier point - Mes proches m'ont abandonné, et ceux qui m'ont connu m'ont oublié5. - Au pressoir j'ai foulé seul6.

ET CEPENDANT JE NE SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE PÈRE EST AVEC MOI. (16, 32)

2172. Mais le Christ ne souffre aucun dommage du scandale de ses disciples ; aussi dit-il : ET CEPENDANT JE NE SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE PÈRE EST AVEC MOI. Autrement dit : Même si par l'unité d'essence je suis un avec le Père, par la distinction des personnes je ne suis pas seul ; c'est pourquoi je ne suis pas sorti du Père de sorte que je me serais éloigné de lui7.

1. Lc 8, 13.

2. Mt 19, 27. Saint Thomas commente : « Ce n'est pas le fait de tout quitter qui fait la perfection, mais le fait de tout quitter et de suivre le Christ, parce que beaucoup de philosophes ont tout quitté. Pierre avait laissé sa barque et son filet. Cependant il est davantage loué en raison de son amour que pour ce qu'il a laissé, parce qu'il a si bien renoncé à l'inclination de sa volonté qu'il aurait encore abandonné tout le reste s'il avait eu autre chose. Cela nous montre qu'il ne faut pas juger que ceux qui ont abandonné ce qu'ils avaient ont laissé peu de chose, même s'ils avaient peu de chose. (...) On suit Dieu de plusieurs manières, selon Jérôme. En esprit grâce à la contemplation - Connaissons et suivons afin de connaître Dieu (Os 6, 3). Aussi ceux-là suivent Dieu qui ont Dieu devant les yeux et ils connaissent Dieu par le moyen de la contemplation. Ou encore, on suit Dieu par l'observation de ses commandements - Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent (cf. Jn 10, 4 et 16). Ou encore en imitant son œuvre - Mon pied a suivi ses traces (Jb 23, 11). Également par le mépris de soi et des siens - Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive (Mt 16, 24). Et encore, par la pureté de l'esprit et du cœur - Ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges ; ceux-là suivent l'Agneau partout où il va (Ap 14, 4). C'est la pauvreté volontaire qui dispose à le suivre ainsi » (Sup. Matth. lect., XIX, nos 1607-1608).

3. Za 13, 7.

4. Jn 21, 3.

5.Jb 19, 14. Au lieu de « Mes proches », saint Thomas disait : « Mes frères », comme au verset 13 : II a éloigné de moi mes frères, et les personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers. Saint Thomas commente : « Ensuite, il en vient à la racine de l'espoir, enlevée du côté du secours humain, montrant qu'il ne pouvait s'attendre à aucun secours de ceux-là mêmes dont il était le plus considéré. Et il énumère d'abord ceux qui n'habitent pas sous le même toit, en commençant par ses frères, et il dit : il a éloigné de moi mes frères, de sorte qu'ils ne puissent ou ne veuillent me porter secours. Ensuite, il cite ses amis intimes : les personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers, ne m'apportant aucune aide. Quant à ceux de sa parenté, ou proches de quelque façon, il dit : mes proches m'ont abandonné, me laissant sans secours. Quant à ceux avec lesquels il avait eu des relations, il dit : et ceux qui m'ont connu, à savoir comme un ami intime dans le passé, maintenant dans ma tribulation ils m'ont oublié, ne se souciant pas de moi » (Exp. super lob, 19, 14, p. 114-115, 1. 126-141).

6. Is 63, 3.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CUI, 2, ΒΑ 74Β, ρ. 429.

C. L'INTENTION DU CHRIST DANS SON ENSEIGNEMENT

2173. À présent le Seigneur expose son intention par rapport à son enseignement : il montre d'abord l'utilité de cet enseignement, puis sa nécessité [n° 2175].

JE VOUS AI DIT CES CHOSES, POUR QU'EN MOI VOUS AYEZ LA PAIX. (16, 33)

2174. Le fruit de l'enseignement du Seigneur, c'est la paix. Aussi affirme-t-il : Je vous le dis, vous finirez par me laisser seul, et pour cela je vous offre mon enseignement, afin que vous ne persistiez pas dans cet abandon ; oui, tout ce dont je vous ai parlé dans cet entretien, ou bien dans tout l'Évangile, JE VOUS [L']AI DIT pour que, revenant à moi, EN MOI VOUS AYEZ LA PAIX.

En effet, la fin de l'Évangile, c'est la paix dans le Christ - Paix en abondance pour ceux qui aiment ton nom1. En voici la raison : la paix du cœur s'oppose au trouble qui provient des maux qui surviennent et s'accroissent. Mais lorsqu'on a un chagrin ou une joie qui dépasse de beaucoup de tels maux, il est évident que le trouble ne demeure pas. Voilà pourquoi les hommes qui sont du monde, eux qui ne sont pas unis à Dieu par l'amour, ont des tribulations sans paix, alors que les saints qui ont Dieu dans leur cœur par l'amour, même si de la part du monde ils ont des tribulations, ont la paix dans le Christ - Lui qui a mis en paix ton territoire2. Telle doit être en effet notre fin : que nous ayons la paix en Dieu - Mon âme refuse d'être consolée, à savoir dans les choses du monde, mais lorsque je me suis souvenu de Dieu, je me suis réjoui3.

DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION ; MAIS AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU LE MONDE. (16, 33)

2175. La nécessité de cette paix vient du tourment infligé par le monde ; aussi le Seigneur dit-il : DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION. Il prédit d'abord l'angoisse à venir ; puis, face à elle, il donne confiance.

Quant au premier point, il dit : DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION, à savoir venant de ceux qui sont du monde - Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait4 ; et encore : Parce que (...) moi je vous ai choisis du milieu du monde, pour cette raison-là le monde vous hait5.

Quant au deuxième point, il dit : AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU LE MONDE. Car lui nous libère - Tu m'as libéré de la détresse de ce feu qui m'entourait6. C'est comme s'il disait : Ayez recours à moi, et vous aurez la paix, et cela parce que MOI J'AI VAINCU LE MONDE, qui vous oppresse.

2176. Le Christ a vaincu le monde d'une première manière en lui retirant les armes avec lesquelles il attaque et qui sont tout ce qui est objet de convoitise - Tout ce qui est dans le monde est soit concupiscence des yeux, soit concupiscence de la chair, soit orgueil de la vie7. C'est ainsi que le Christ a vaincu les richesses par la pauvreté - Moi, je suis indigent et pauvre8. - Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête 1. Il a vaincu l'honneur par l'humilité - Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur2. Il a vaincu les plaisirs par les souffrances et les labeurs – Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix3. Et encore : Jésus, donc, fatigué de la route, était assis à même la source4. - Je suis pauvre et je peine depuis ma jeunesse5. Celui donc qui vainc ainsi ces concupiscences, vainc le monde ; et c'est ce que réalise la foi - Telle est la victoire qui vainc le monde : notre foi6. Car étant la substance des réalités à espérer7, qui sont les biens spirituels et éternels, elle nous fait mépriser les biens terrestres et passagers.

1. Ps 118, 165. La Vulgate dit « qui aiment ta loi ». Si saint Thomas dit « qui aiment ton nom », c'est sans doute une réminiscence de Ps 5, 12 (Tu auras ta demeure en eux et ils se glorifieront en toi, ceux qui aiment ton nom) ou de Ps 68, 37 {Ceux qui aiment son nom y auront leur demeure, c'est-à-dire en Sion ou dans les villes de Juda).

2. Ps 147, 14.

3. Ps 76, 3-4.

4. 1 Jn 3, 13.

5. Jn 15, 19.

6. Si 51, 4 et 6.

7. 1 Jn 2, 16.

8. Ps 85, 1.

La deuxième manière dont le Seigneur a vaincu le monde, c'est en mettant dehors le prince du monde - C'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors8. - Dépouillant les principautés et les puissances, il les a résolument données en spectacle, en les entraînant aux yeux de tous dans le cortège de son triomphe, triomphe qu'il a en lui-même9. De ce fait, il nous a présenté le diable comme celui qui devait être vaincu par nous - Joueras-tu avec lui comme avec un oiseau, ou l’ attacheras-tu pour tes servantes 10 ? Au sens littéral, après la Passion, les toutes jeunes servantes du Christ et les tout-petits se jouent du diable.

1. Lc 9, 58.

2. Mt 11, 29. Voir vo1. I, n° 1124, note 2.

3. Ph 2, 8.

4. Jn4, 6.

5. Ps 87, 16.

6. 1 Jn 5, 4.

7. He 11, 1.

8. Jn 12, 31.

La troisième manière dont le Seigneur a vaincu, c'est en convertissant à lui les hommes de ce monde. Par eux le monde se révoltait en fomentant des séditions, et le Christ les a attirés à lui - Moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi11. - Voilà que tout le monde est parti à sa suite12.

Ainsi donc nous ne devons pas craindre les afflictions venant du monde, parce qu'il a été vaincu - Mais grâces soient à Dieu, qui nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus Christ13.

9. Col 2, 15.

10. Jb 40, 24 [BJ40, 29],

11. Jn 12, 32.

12. Jn 12, 19.

13. 1 Co 15, 57.

 

CHAPITRE XVII : PREPARATION A LA PASSION

Évangile selon saint Jean Chapitre XVII

1 Jésus parla ainsi ; puis, levant les yeux au ciel, il dit : « Père, elle est venue l'heure ; glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie ; 2 afin que, comme tu lui as donné puissance sur toute chair, à tous ceux que tu lui as donnés, il donne la vie éternelle. 3 Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.4 Moi, je t'ai glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donné à faire. 5 Et maintenant toi, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût.

6 J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu m'as donnés du milieu du monde ; ils étaient à toi, et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. 7 Maintenant ils ont connu que tout ce que tu m'as donné vient de toi ; 8 parce que les paroles que tu m'as données, je les leur ai données ; et ils les ont reçues, et ils ont connu vraiment que c'est de toi que je suis sorti, et ils ont cru que c'est toi qui m'as envoyé. 9 Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, parce qu'ils sont à toi. 10 Et tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux.

11 Et déjà je ne suis plus dans le monde, et eux sont dans le monde, et moi je viens vers toi. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, pour qu'ils soient un comme nous. 12 Quand j'étais avec eux je les gardais en ton nom. Ceux que tu m'as donnés, je les ai gardés, et aucun d'eux ne s'est perdu, hormis le fils de perdition, pour que l'Écriture s'accomplisse. 13 Maintenant je viens vers toi ; et je dis ces choses dans le monde pour qu'ils aient en eux-mêmes ma joie en plénitude.

14 Moi je leur ai donné ta parole, et le monde les a eus en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. 15 Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du ma1. 16 Ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. 17 Sanctifie-les dans la vérité. Ta parole est vérité. 18 Comme tu m'as envoyé dans le monde, ainsi moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 19 Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.

20 Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi, 21 afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé. 22 Et moi, la gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée, afin qu'ils soient un comme nous aussi sommes un. 23 Moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient consommés dans l'unité, et que le monde connaisse que c'est toi qui m'as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

24 Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils voient la gloire que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. 25 Père juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que c'est toi qui m'as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux. »

3. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES RÉCONFORTANT PAR SA PRIÈRE

2177. Précédemment, le Seigneur a réconforté ses disciples par un exemple et une exhortation1. Dans cette partie, il les réconforte par sa prière, dans laquelle il fait trois choses. D'abord il prie pour lui-même, puis pour l'assemblée des disciples [n° 2193], enfin pour tout le peuple des croyants [n° 2232].

LE CHRIST PRIE POUR LUI-MÊME

Concernant le premier point, après avoir présenté sa demande il indique le fruit de sa demande [n° 2182], et enfin le mérite grâce auquel elle sera exaucée [n° 2189].

A. LE CHRIST PRÉSENTE UNE DEMANDE AU PÈRE

JÉSUS PARLA AINSI ; PUIS, LEVANT LES YEUX AU CIEL, IL DIT : « PÈRE, ELLE EST VENUE L'HEURE ; GLORIFIE TON FILS. » (17, 1)

1. Il s'agit de l'exemple donné par Jésus dans le lavement des pieds au chapitre 13, et de son long enseignement des chapitres 14, 15 et 16.

2. Dans la Somme théologique, saint Thomas aborde la prière du Christ dans la perspective de la soumission au Père, parce que la nature humaine du Christ est créée. Il s'agit donc d'une prière de demande face au Père, qui nous révèle les profondeurs du cœur de Jésus. Voir III, q. 21, où saint Thomas montre qu'« il convient au Christ en tant qu'homme, possédant une volonté humaine, de prier » (a. 1, c). Et il ajoute : « dans sa nature humaine, de même qu'il possédait déjà certains biens reçus du Père, de même il en attendait d'autres qu'il lui restait à obtenir. C'est pourquoi, tandis que pour les biens déjà reçus il rendait grâces à son Père, reconnaissant qu'il en était l'auteur, pour les biens qu'il n'avait pas encore reçus, comme la gloire du corps et autres choses du même genre, il les demandait à son Père, manifestant par là qu'ils venaient de lui. En cela le Christ nous donnait l'exemple, afin que nous rendions grâces pour les dons reçus et que nous demandions par la prière les bienfaits que nous ne possédons pas encore » (a. 3, c). Saint Thomas montre enfin que la prière du Christ fut toujours exaucée parce qu'« elle était conforme à la volonté de Dieu » (a. 4, c). Et de même nos prières sont toujours exaucées dans la mesure où elles sont conformes aux vouloirs divins. Voir aussi ci-dessus, nos 1905, 2142, et ci-dessous plus particulièrement nos 2205 à 2207. Sur la prière, voir aussi II—II, q. 83, a. 3, où la prière est abordée comme un acte de la vertu de religion.

L'Évangéliste nous montre ici l'ordre de la prière du Christ2, puis sa manière de prier [n° 2179] ; enfin les paroles de sa prière [n° 2180].

a) L'ordre de sa prière.

JÉSUS PARLA AINSI.

2178. L'ordre de cette prière est opportun, parce qu'elle vient après une exhortation. En cela le Seigneur nous donne un exemple, afin que, ceux que nous instruisons par la parole, nous les aidions par le suffrage de nos prières, parce que c'est quand elle est soutenue par la prière où on implore le secours divin que la parole divine a le plus grand effet dans le cœur de ceux qui l'écoutent - Frères, priez aussi ensemble pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de sa parole1. Aussi la fin de notre parole doit-elle s'achever dans la prière divine - L'accomplissement des paroles, c'est Lui en toutes choses2.

b) Sa manière de prier.

LEVANT LES YEUX AU CIEL

2179. La manière de prier convient bien. Il y a en effet une différence entre la prière du Christ et la nôtre : notre prière est seulement en vue d'une nécessité, alors que la prière du Christ est davantage pour notre instruction ; il n'y avait en effet pour lui aucune nécessité de prier, puisque c'est lui qui, avec le Père, exauce ceux qui prient.

Et pour cela il nous a instruits à la fois par la parole et par le geste. Par le geste, en LEVANT LES YEUX, afin que nous aussi, dans notre prière, nous levions les yeux vers le ciel3 - Vers toi j'ai levé les yeux, vers toi qui habites dans les deux 4. Et pas seulement les yeux, mais aussi tous nos actes, en les rapportant5 à Dieu - Levons nos cœurs avec nos mains vers le Seigneur, dans les deux6.

c) Les paroles de sa prière.

IL DIT : « PÈRE, ELLE EST VENUE L'HEURE ; GLORIFIE TON FILS. »

1. Col 4, 3.

2. Si 43, 29 (verset propre à la Vulgate).

3. Les saints nous donnent souvent l'exemple d'une prière fervente qui saisit leur être tellement profondément que non seulement leur âme mais aussi leur corps est saisi par la présence de Dieu. Saint Dominique est souvent évoqué pour sa manière expressive de prier ainsi avec son corps. Ses neuf manières de prier restent un exemple pour la vie de tous les chrétiens : la prière des inclinations (voir Ps 94, 6 ; 2 Ch 20, 18...), la prière des prostrations (voir Ps 118, 25...), la prière de la flagellation (voir 2 M 8, 2-3...), la prière du regard (voir Ps 120, 1-2 ; Ct 4, 9...), la prière des mains (voir Ps 62, 5 ; 140, 2...), la prière des bras en croix (Ex 17, 11), la prière de supplication (voir Ps 141, 1...), la prière avec la parole de Dieu (voir Ps 118, 42 ; 118, 105...), la prière du pèlerin (voir Ps 16, 5 ; 36, 23...).

4. Ps 122, 1.

5. Saint Thomas reprend ici l'expression du Ps 28, 2 : Rapportez à Yahvé, fils de Dieu, rapportez à Yahvé gloire et puissance. Rapportez à Yahvé la gloire de son nom. Cf. Ps 95, 7 ; Ps 113, 9 et 1 Ch 16, 28-29.

6. Lm 3, 41.

Il nous a instruits par la parole aussi, car il a exprimé ouvertement sa prière. C'est pourquoi l'Évangéliste dit IL DIT, c'est-à-dire pour instruire en priant ceux qu'il avait instruits en les enseignant. Car ce sont non seulement les paroles du Christ mais aussi ses actes qui nous instruisent7.

2180. Les paroles de sa prière sont efficaces, et cette efficacité est causée par trois choses. D'abord par l'amour de celui qui prie ; c'est en effet le Fils qui prie le Père, lui à qui il appartient, en raison de son amour, de chercher le Père et de le supplier. C'est pourquoi il dit PÈRE, pour nous faire comprendre que nous devons prier Dieu avec un amour filial - Tu m'appelleras Père et sans cesse tu marcheras à ma suite1.

7. Saint Thomas, véritable « apôtre de la vérité » (Paul vi, Lettre apostolique Lumen Ecclesiae, 20 novembre 1974, n° 10), sait, en enseignant cette vérité, le prix du témoignage humain et chrétien qui accompagne la prédication. Aussi souligne-t-il ici l'exemple du Christ qui instruit ses disciples par sa prière. C'est en le voyant prier qu'ils vont apprendre à prier et à entrer dans une véritable adoration glorifiant le Père. Voir aussi Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, n° 2, Centurion, Paris 1977.

Deuxièmement, par la nécessité de prier, et c'est pourquoi il dit : ELLE EST VENUE L'HEURE de ma Passion, dont il est dit auparavant : Mon heure n'est pas encore venue2. L'HEURE, dis-je, et non pas le moment, non pas le jour, parce qu'il allait être arrêté aussitôt3. Non pas l'heure selon une nécessité fatale, mais l'heure4 selon Tordre de sa sagesse et de son bon plaisir. Et, comme il allait supplier, il convenait qu'il mît en avant ses tribulations, parce que c'est surtout dans les tribulations que Dieu exauce5 - Dans les tourments j'ai crié vers le Seigneur et il m'a exaucé6. - Puisque nous ignorons ce que nous devons faire, nous n'avons plus qu'à diriger nos yeux vers toi1.

Troisièmement, par le contenu de sa demande, et c'est pourquoi il dit : GLORIFIE TON FILS.

2181. Mais puisque le Fils de Dieu est la Sagesse même8 et puisque cette sagesse a la plus grande gloire - C'est une sagesse glorieuse qui jamais ne se ternit9 -, comment peut-on dire que la gloire 10 est glorifiée, d'autant plus qu'il est lui-même splendeur du Père11 ?

1. Jr 3, 19.

2. Jn 2, 4.

3. Cf. saint Hilaire, La Trinité, III, 10, 1-5, SC 443, p. 351.

4. Sur l'heure, voir ci-dessus, n° 2078, note 1.

5. Sur la prière du Christ à l'heure de sa Passion, voir Somme théo1., III, q. 21, a. 4, ad 1, ou saint Thomas reprend ce que les Pères ont dit sur la demande du Christ que la coupe passe loin de lui.

6. Ps 119, 1.

7. 2 Ch 20, 12.

8. Cf. 1 Co 1, 24. Saint Thomas commente ainsi le verset Pour ceux qui sont appelés, et Juifs et Grecs, c'est un Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu : « II dit puissance et sagesse de Dieu par une certaine appropriation. Puissance, certes, en tant que par lui le Père fait tout - Par lui tout a été fait (Jn 1, 3). Et sagesse en tant que le Verbe qui est le Fils n'est rien d'autre que la Sagesse engendrée ou conçue ~ Moi je suis sortie de la bouche du Très-Haut, première née avant toute créature (Si 24, 5 [propre à la Vulgate]) » {Ad 1 Cor. lect., 1, n° 61). Sur l'appropriation, voir Somme théo1., I, q. 39, a. 7, c. : « La manifestation des personnes par leurs attributs essentiels est appelée "appropriation". »

Il faut dire que le Christ demandait à être glorifié par le Père de trois manières. A savoir dans sa Passion, et cela par les nombreux miracles qui alors furent manifestés lorsque le soleil s'obscurcit, que le rideau du Temple se déchira et que les tombeaux s'ouvrirent. Et à ce sujet il est dit plus haut : Et je l'ai glorifié, c'est-à-dire par les miracles, avant la Passion, et de nouveau je le glorifierai12 - dans la Passion. C'est pourquoi il dit en ce sens : Glorifie-moi, dans ma Passion, en montrant que je suis ton Fils : GLORIFIE TON FILS. Aussi le centurion, à la vue de ces miracles, a-t-il dit : Celui-ci était vraiment le Fils de Dieu13.

Le Christ demandait à être glorifié par le Père aussi dans sa Résurrection. En effet, cette âme sainte fut toujours conjointe à Dieu 14, ayant la gloire qui vient de la vision de Dieu - Nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité15. Car dès le début de sa conception il eut, quant à son âme, la gloire 16, mais dans la Résurrection, il eut la splendeur de la gloire (gloriae claritatem) du corps, dont il est dit : Il transfigurera notre corps de misère pour le configurer à son corps de gloire 17.

Enfin, dans la connaissance qu'auraient de lui tous les peuples - Grâce à elle [la sagesse], j'aurai la gloire parmi les foules18.

Et ainsi il dit : GLORIFIE TON FILS, c'est-à-dire : manifeste au monde entier que je suis ton Fils1,c'est-à-dire ton propre Fils. Et cela de naissance, non pas par création, contre Arius qui dit que le Fils de Dieu est une créature ; en vérité et non pas par dénomination, contre Sabellius qui dit que c'est le même qui est nommé Père et qui est nommé Fils ; enfin par l'origine et non par adoption, contre Nestorius qui dit que le Christ est Fils adoptif2.

9. Sg 6, 13 ; voir aussi 7, 25.

10. « Gloire » traduit ici claritas. Voir vo1. I, n° 1278, notes 3 et 4.

11. Cf. He 1, 3. Cf. ci-dessus, n° 1662, note 2.

12. Jn 12, 28.

13. Mt 27, 54.

14. Même la mort du Christ n'a pas séparé l'âme du Verbe ; on dit d'une part qu'il a été enseveli quant au corps, et d'autre part qu'il est descendu aux enfers quant à l'âme, mais le Verbe est demeuré lié à l'un et à l'autre. Voir Somme théo1., III, q. 50, a. 3.

15. Jn 1, 14.

16. Cf. Somme théo1., III, q. 10, a. 4.

17. Ph 3, 21.

18. Sg 8, 10.

B. LE CHRIST INDIQUE LE FRUIT DE SA DEMANDE

2182. Ici est montré le fruit de la glorification. D'abord il présente le fruit, ensuite il l'explicite [n° 2184].

a) Le Christ présente le fruit de sa demande.

AFIN QUE TON FILS TE GLORIFIE. (17, 1)

2183. Il faut savoir qu'Arius, entendant le Seigneur dire GLORIFIE TON FILS, a conjecturé que le Père est plus grand que le Fils, ce qui est vrai certes selon l'humanité - Le Père est plus grand que moi3. Et c'est pourquoi, pour montrer son égalité avec le Père selon la divinité, le Christ ajoute : AFIN QUE TON FILS TE GLORIFIE, à savoir dans la connaissance des hommes. La gloire en effet est une connaissance lumineuse accompagnée de louange4. Autrefois, en effet, Dieu était manifeste chez les Juifs, parce qu'en Juda Dieu est connu5. Mais après cela, c'est par le Fils qu'il fut connu par le monde entier. Mais les hommes saints eux aussi, par leurs bonnes œuvres, permettent une connaissance de Dieu plus lumineuse - Qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les deux6. - Moi, je ne cherche pas ma gloire : II en est un qui la cherche, et qui juge7.

b) Le Christ explicite le fruit de sa demande.

2184. Maintenant le Christ explicite pour nous le fruit de sa demande et d'abord il expose le bienfait conféré par lui aux hommes ; deuxièmement, il montre que ce bienfait appartient à la gloire du Père [n° 2186].

1. Dans la Somme théologique, I, q. 33, q. 34 et q. 35, saint Thomas met en lumière le mystère du Fils par ses trois noms : Fils, Verbe et Image. Il expose comment le Fils se distingue du Père par la relation de génération. Il est l'engendré du Père inengendré. Il s'agit donc bien d'une génération et non d'une création. Voir aussi I, q. 27, a. 3 et q. 28. Dans le Contra Gentiles, saint Thomas, face aux hérésies d'Arius, de Sabellius, de Nestorius et d'autres, affirme que le Fils de Dieu est Dieu : « L'Écriture nous enseigne donc ainsi que le Fils de Dieu, engendré par Dieu, est bien Dieu. Et que Jésus Christ soit le Fils de Dieu, Pierre l'a proclamé quand il a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16, 16). Il est tout ensemble Unique engendré et Dieu » (IV, 3), puis il montre « comment il faut entendre la génération en Dieu » (IV, 11), et « comment le Fils est appelé Sagesse de Dieu » (IV, 12).

2. Voir saint Hilaire, La Trinité, III, 11, SC 443, p. 355.

3. Jn 14, 28.

4. Saint Thomas se réfère de nouveau à la définition de Cicéron : « Gloria est frequens de aliquo fama cum laude » (« La gloire est une réputation élogieuse largement répandue », De inventione, II, 55, 166, trad. G. Achard, p. 228). Voir ci-dessus, n° 1826 et note 1.

5. Ps 75, 2.

6. Mt 5, 16. Voir vo1. I, nos 116, 496 et 812.

7. Jn 8, 50.

Ι

AFIN QUE, COMME TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, À TOUS CEUX QUE TU LUI AS DONNÉS, IL DONNE LA VIE ÉTERNELLE. (17, 2)

2185. Il faut savoir en effet que l'intention de tout agent qui agit par un autre est d'amener son effet à manifester sa cause : car par l'action d'un principe qui provient d'un principe, est manifesté le principe lui-même. Or tout ce qu'a le Fils, il le tient du Père1, aussi faut-il que par tout ce qu'il fait, il manifeste le Père, et c'est pourquoi il dit : TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE sur tous les hommes. Mais le Fils lui aussi, par cette puissance2, doit les conduire à la connaissance de toi, connaissance qui est la vie éternelle.

Et c'est le sens de : COMME TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, c'est-à-dire sur tout homme - Et toute chair verra le salut de Dieu3. TU [LA] LUI AS DONNÉE, dis-je, selon Hilaire4, en lui donnant la nature divine par la génération éternelle qui lui donne le pouvoir de contenir toutes choses - Tout m'a été remis par mon Père5, et plus haut : Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait6. Ou bien, TU [LA] LUI AS DONNÉE, au Christ dans son humanité, en tant qu'elle participe à la personne de ton Fils, afin qu'ainsi la chair ait pouvoir sur la chair - Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre7. - II lui a donné, au Fils de l'homme, la puissance et l'honneur et le règne8.

1. Voir ci-dessous, n° 1971, note 9.

2. Sur la puissance du Christ, voir Somme théo1., III, q. 13, a. 1 et a. 2.

3. Le 3, 6. Saint Luc cite Is 40, 5 en l'adaptant.

4. La Trinité, IX, 31, 24-29, SC 462, p. 79.

5. Mt 11, 27. Saint Thomas cite souvent ce verset. Voir surtout vo1. I, nos 545 et 1414. Et il le commente ainsi : « En effet la manifestation se fait par le Verbe - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes (Jn 17, 6). Dieu, personne ne l'a jamais vu (Jn 1, 18), mais lui le connaît. Il a donc pu le manifester. Donc ce qu'il avait dit du Père, 1 » se l'attribue. En effet, il avait dit : Tu as caché cela aux sages et tu l'as révélé aux petits (Mt 11, 25). De même aussi le Fils le peut, du fait qu'il a le même pouvoir » (Sup. Matth. lect., XI, n° 966).

6. Jn 5, 20.

7. Mt 28, 18. Saint Thomas commente : « Le pouvoir signifie un certain honneur de présidence (...)· Or il est manifeste que le Christ, qui possédait de toute éternité la royauté du monde comme Fils de Dieu, en reçut à partir de sa Résurrection l'exécution, comme s'il disait : "Désormais je suis en possession" - Puis le tribunal siégera, et on lui retirera sa domination pour qu'elle soit détruite et anéantie jusqu'au bout. Et le royaume, la domination et la grandeur des royaumes seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son royaume est un royaume éternel, et tous les rois le serviront et lui obéiront (Dn 7, 26-27). Cela s'entend donc d'une présidence actuelle, comme si le Fils était élevé à l'exercice d'un pouvoir qu'il avait naturellement - Il est digne, l'Agneau qui a été immolé, de recevoir la puissance et la divinité (Ap 5, 12) »> (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2461). Voir aussi vo1. I, nos 760, 762, note 4 et 789, note 4.

Pour cette raison il dit : TU LUI AS DONNÉ, afin que, de même que tu as un pouvoir tel que tu ne reçois rien de l'homme, mais que c'est toi qui te donnes à lui, de même tu te donnes au Christ homme, AFIN QUE (...) À TOUS CEUX QUE TU LUI AS DONNÉS par la prédestination éternelle, IL DONNE, à ceux qui lui ont été ainsi donnés, LA VIE ÉTERNELLE - Mes brebis écoutent ma voix, et moi je les connais9.

II

2186. Mais la vie éternelle donnée aux hommes appartient-elle à la gloire du Père ? Oui, parce que LA VIE ÉTERNELLE, C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT, TOI, LE SEUL VRAI DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, c'est-à-dire pour que le Père soit glorifié dans la connaissance que les hommes ont de lui.

Mais ici il faut préciser deux choses. D'abord ce qu'il dit : OR LA VIE ÉTERNELLE, C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT. À ce propos il faut savoir qu'à proprement parler, sont dites vivantes les réalités qui se meuvent elles-mêmes en vue de leur opération. En effet, toutes les réalités qui ne sont mues que par d'autres ne sont pas dites vivantes, mais mortes. C'est pourquoi toutes les opérations vers lesquelles le sujet se meut lui-même sont appelées opérations vitales ; ainsi vouloir, connaître (intelligere), sentir, croître, se mouvoir...

8. Dn 7, 14.

9. Jn 10, 27.

On dit que quelque chose « vit » de deux manières : ou bien parce qu'il possède en puissance les opérations vitales et ainsi, quand il dort, on dit qu'il vit selon la vie sensitive parce qu'il a la puissance de se mouvoir, bien qu'il ne se meuve pas en acte ; ou bien parce que déjà il exerce en acte les opérations vitales, et alors on dit qu'il vit quelque chose de manière parfaite 1 : c'est pourquoi le sommeil est une demi-vie.

Or, parmi les opérations vitales, la plus élevée est celle de l'intelligence, qui est l'intellection2, et c'est pourquoi l'opération de l'intelligence est au plus haut point la vie. Or, de même que la sensation en acte est semblable au sensible en acte, ainsi celui qui intellige en acte est la chose intelligée en acte3. Donc, puisque l'intelligence est la vie et qu'intelliger c'est vivre, il s'ensuit qu'intelliger une réalité éternelle est la vie éternelle. Or Dieu est éternel, donc intelliger Dieu et le voir est une vie éternelle.

Et c'est pourquoi le Seigneur dit que la vie éternelle consiste principalement, selon toute sa substance4, en une vision. Certes l'amour nous meut vers elle et en est un certain achèvement : car de la joie causée par la jouissance divine, que réalise la charité, naissent l'achèvement et la beauté de la béatitude, mais sa substance consiste en une vision5 - Nous le verrons comme il est6.

1. Saint Thomas, à la suite d'Aristote, distingue les capacités vitales et l'exercice de ces capacités, qui représente la perfection, l'acte du vivant. Cette distinction permet à Aristote d'ordonner trois aspects : le sujet matériel, capable, par exemple, de science, de santé ; la science, la santé qui sont les qualités acquises par le sujet vivant ; et Y exercice de la science, de la santé, qui manifeste le vivant parfait. Voir surtout De Anima, II, 1, 412 a 9-11 ; 2, 414 a 4-14 et 5, 417 a 9-20.

2. Cf. Somme théo1., I, q. 18, a. 3.

3. Là aussi saint Thomas reprend la pensée d'Aristote. Voir De Anima, III, 4, 429 a 10-429 b 10, où Aristote précise : « Si donc le fait de penser est comme le fait de sentir, il est un certain pâtir par l'intelligible ou quelque autre semblable ». Et il affirme à plusieurs reprises : « C'est une même chose que la science en acte et son objet » (op. cit., III, 5, 430 a 20-25 et 7, 431 a 1-2). Il l'avait déjà affirmé de la sensation et du sensible : « La puissance sensible pâtit en tant qu'elle n'est pas semblable à son objet ; quand elle a pâti elle est devenue semblable et telle que son objet » (op. cit., II, 5, 418 a 5)·

4. Saint Thomas veut dire ici : la vie éternelle dans ce qu'elle est essentiellement.

TOI, LE SEUL VRAI DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST. (17, 3)

2187. Il est manifeste en effet que le Christ s'adressait à son Père. Et puisqu'il dit : TOI, LE SEUL VRAI DIEU, il semblerait que seul Dieu le Père soit vrai Dieu. Ce que les ariens acceptent, eux qui disent que le Fils diffère du Père par l'essence, puisqu'il est une substance créée, mais que cependant parmi toutes les créatures il participe davantage et plus parfaitement à la divinité du Père en tant qu'il est appelé Dieu, mais non pas vrai Dieu, parce qu'il n'est pas Dieu par nature, ce que seul le Père est.

Cependant Hilaire7 réfute cela. Il s'avère en effet que lorsque nous voulons savoir d'une réalité si elle est vraie, nous pouvons le savoir en fonction de deux choses : d'après sa nature et d'après sa puissance. En effet, est vrai l'or qui a la vraie espèce de l'or, ce que nous constatons s'il fait l'œuvre de l'or vrai. Si donc nous considérons, à propos du Fils, qu'il a la vraie nature de Dieu, et cela parce qu'il réalise l'œuvre vraie de la divinité, il est manifeste qu'il est vrai Dieu. Quant au fait que le Fils réalise les œuvres vraies de la divinité, cela apparaît plus haut : Tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement8. Et il dit de nouveau : De même que le Père a la vie en lui-même, certes non pas participée, de même il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même9. - Pour que nous soyons en son vrai Fils Jésus Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle 1.

5. Sur la vision béatifique, voir ci-dessus nos 1854 et 2139, et ci-dessous n° 2203.

6. 1 Jn 3, 2.

7. La Trinité, III, 14, 7-16, SC 443, p. 361 ; et V, 3, 15-19, SC 448, p. 153.

8. Jn 5, 19.

9. Jn 5, 26.

Or il dit TOI, LE SEUL VRAI DIEU, selon Hilaire2, sans exclure quelque chose. C'est pourquoi il ne dit pas de manière absolue TOI, LE SEUL, mais il ajoute : ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, comme s'il disait : pour qu'ils connaissent que toi, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ, êtes un seul et vrai Dieu, selon cette expression : « Toi seul est le Très-Haut, Jésus Christ, avec le Saint-Esprit3. » Dans sa prière le Christ ne parle pas de l'Esprit Saint, parce que chaque fois que sont mentionnés le Père et le Fils, et principalement en ce qui appartient à la majesté de la divinité, l'Esprit Saint est inclus (cointelligitur), lui qui est le nœud des deux4.

2188. Ou bien, selon Augustin5, il dit cela pour exclure l'erreur de ceux qui affirment qu'il est faux de dire : Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, l'Esprit Saint est Dieu ; mais cela est vrai : Le Père, le Fils et l'Esprit Saint sont un seul Dieu.

Et le raisonnement de ceux-là était que, selon ce que dit l'Apôtre, le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu6. Or il est manifeste que nul ne peut dire que quelqu'un est Dieu s'il n'a pas la puissance et la sagesse divines. Et donc, puisque ceux-là voulaient que le Père fût la Sagesse, qui est le Fils, ils disaient en outre que le Père sans le Fils ne serait pas considéré comme Dieu ; donc, pour exclure cela il dit : C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT, TOI, LE SEUL VRAI DIEU, comme si le Père sans le Fils pouvait être considéré comme Dieu, et de même le Fils et l'Esprit Saint. Et parce que dans sa mission est signifiée l'Incarnation du Fils de Dieu, par le fait même qu'il dit : ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, il nous est donné à entendre que, dans la vie éternelle, nous nous réjouirons aussi de l'humanité du Christ - Ils verront le roi, le Christ, dans sa beauté7, et plus haut : Il entrera et trouvera des pâturages8.

C. LE MÉRITE DU CHRIST

MOI, JE T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE. ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS DE TOI DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FÛT. (17, 4-5)

1. 1 Jn 5, 20.

2. Op. cit., IX, 34,1-7, SC 462, p. 83.

3. Saint Thomas fait ici allusion à la fin du Gloria de la célébration eucharistique : « Toi seul es le Très-Haut, Jésus Christ, avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. »

4. « C'est le même Esprit qui est Esprit du Père et du Fils. Dès lors, en nommant le Père et le Fils, on comprend aussi le Saint-Esprit, puisqu'il est l'Esprit du Père et du Fils » (saint Augustin, Tract, in Io., IX, 7, ΒΑ 71, p. 521). « Car il est l'Esprit du Père et du Fils, étant la charité substantielle et consubstantielle de l'un et de l'autre (amborum)* {op. cit., CV, 3, BA 75, p. 61). Voir vo1. I, n° 357, n° 1004 et note 10, et n° 1156.

5. La Trinité, VI, IX, 10, BA 15, p. 493.

2189. Ici est exposé le mérite grâce auquel sa demande sera exaucée. D'abord il rappelle ce mérite, ensuite il demande la récompense [n° 2191].

MOI, JE T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE.

2190. Il rappelle ce double mérite. D'abord celui de l'enseignement, en disant : MOI, JE T'AI GLORIFIÉ en te faisant connaître aux hommes, en te manifestant par l'enseignement - Par vos enseignements, glorifiez Dieu 1. Puis celui de l'obéissance, et là il dit : J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE.

6. 1 Co 1, 24. Voir ci-dessus n° 2181, note 8.

7. Is 33, 17.

8. Jn 10, 9.

Il utilise le passé pour le futur. JE T'AI GLORIFIÉ, c'est-à-dire je te glorifierai, et J'AI ACHEVÉ, c'est-à-dire je mènerai à son achèvement ; et cela parce que déjà l'œuvre avait été commencée, et encore parce qu'était imminente l'heure de sa Passion où cette œuvre fut achevée. L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉE, et non pas ce que tu m'as « ordonné » : en effet il ne suffit pas pour le Christ et pour nous d'être commandés divinement, parce que tout ce que le Christ a fait en tant qu'homme, et ce que nous aussi pouvons faire, cela provient d'un don de Dieu2 - J'ai compris que je ne peux rien garder, si Dieu ne me le donne3. Il dit donc : L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉE, à moi, par le don de la grâce4, pour que je la fasse, à savoir que je la mène à son achèvement Il mettra tout son cœur à achever son œuvre5.

ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS DE TOI DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FÛT.

2191. Mais, parce que la récompense de l'obéissance et de l'enseignement du Christ est la gloire - Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom6 -, il demande cette récompense en disant : ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI. Il ne faut pas comprendre, dit Augustin7, comme certains l'ont pensé, que dans le Christ la nature humaine, une fois reçue par le Verbe, est changée en le Verbe, et que l'homme est changé en Dieu8. Parce que ceci ne serait rien d'autre que de réduire à rien la nature elle-même. En effet, tout ce qui est ainsi changé en un autre, sans que ce en quoi il est changé soit augmenté, semble être réduit à rien. Or, en ce qui concerne le Verbe divin, rien ne peut être augmenté.

1. Is 24, 15 (propre à la Vulgate).

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CV, 4, BA 75, p. 65.

3. Sg 8, 21 (propre à la Vulgate).

4. Saint Thomas met en lumière ce mystère de la grâce du Christ très précisément dans la Somme théologique, III, q. 7 et q. 8. Une des raisons de la plénitude de la grâce du Christ tient à l'œuvre qu'il devait accomplir : « En effet, l'âme du Christ devait recevoir la grâce de manière à pouvoir en quelque sorte la diffuser sur les autres. Et c'est pourquoi il fallait qu'elle ait la grâce la plus grande » (III, q. 7, a. 9, c). C'est ce qu'il a repris plus haut, vo1. I, n" 544, note 3, p. 252, et notes 1 et 2, p. 253.

5. Si 38, 31.

6. Ph 2, 8-9. Voir vo1. I, n° 477 et n° 478, note 10.

Et c'est pourquoi, selon Augustin9, il faut comprendre ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI de la prédestination du Christ homme 10. Car nous avons part11 à la prédestination divine, et aussi à sa réalisation. Or le Christ Jésus comme homme, comme aussi les autres hommes, fut prédestiné par Dieu le Père - II a été prédestiné à être Fils de Dieu 12.

Et pour cette raison il dit : ET MAINTENANT, c'est-à-dire maintenant que JE T'AI GLORIFIÉ et que J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE, TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS DE TOI, c'est-à-dire fais que je siège à ta droite 13, et cela DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE

7. Tract, in Io., CV, 6, BA 75, p. 71.

8. Saint Thomas, dans son traité de l'Incarnation, montre que le Verbe de Dieu n'est pas changé par le mystère de l'Incarnation. Ce serait impossible, Dieu ne change pas. Et de même, la nature humaine n'est pas transformée, elle est assumée par le mystère de la divinité. Après avoir montré les convenances de l'Incarnation {Somme théol, III, q. 1) et après avoir souligné que « Dieu en assumant la chair ne diminue pas sa majesté » (III, q. 1, a. 2, ad 3), saint Thomas développe ensuite longuement ce mystère du Verbe incarné où l'union entre le divin et l'humain dans le Christ se fait dans la personne et non dans la nature (III, q. 2 à q. 6). Voir entre autres q. 2, a. 1, ad 3 : « On dit que la nature divine s'incarne, parce qu'elle est unie à la chair dans la personne (personaliter) ; elle n'est pas changée en une nature de chair. De même on dit que la chair est déifiée non par conversion mais par union au Verbe, restant sauves ses propriétés. On comprend que la chair a été déifiée parce qu'elle est devenue la chair du Verbe de Dieu, non parce qu'elle est devenue Dieu ».

9. Tract, in Io., CV, 8, BA 75, p. 75-77.

10. Sur la prédestination qui regarde la personne et non la nature, voir Somme théo1., III, q. 24, a. 1, ad 2.

11. Par la grâce, nous devenons fils adoptifs dans le Christ. Cf. Rm 8, 29-30 ; Ep 1, 3-6.

12. Rm 1, 4. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir vo1. I, n" 1461, note 7.

13. Cf. Ps 109, 1 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite. Cf. aussi Rm 8, 34 ; He 10, 12 ; 1 Ρ 3, 22.

TOI AVANT QUE LE MONDE FÛT, c'est-à-dire dans ta prédestination1 - Le Seigneur Jésus est monté dans le ciel et siège à la droite de Dieu2.

1. Sur la prédestination du Christ, voir Somme théologique, III, q. 24, a. 1, c. : « La prédestination est au sens propre une préordination divine éternelle touchant les réalités produites dans le temps par la grâce de Dieu. Par la grâce d'union, Dieu a réalisé ceci dans le temps que l'homme fût Dieu et que Dieu fût homme. On ne peut pas dire que Dieu n'a pas ordonné de toute éternité cette réalisation dans le temps. Il s'ensuivrait que, pour l'intelligence divine, quelque chose de nouveau pourrait arriver. C'est pourquoi il faut dire que l'union des natures dans la personne du Christ relève nécessairement de la prédestination éternelle de Dieu. Et c'est pour cette raison qu'on dit que le Christ a été prédestiné ». Et, dans l'article 2, saint Thomas précise : « La prédestination est attribuée au Christ uniquement en raison de sa nature humaine. D'une part celle-ci n'a pas toujours été unie au Verbe, et d'autre part c'est par la grâce qu'elle a été unie personnellement au Fils de Dieu. (...) D'où cette parole de saint Augustin : "La nature humaine a été prédestinée à cette sublime et souveraine assomption de telle manière qu'il ne puisse y en avoir pour elle de plus haute". Par ailleurs ce qui convient à quelqu'un en raison de sa nature humaine lui est attribué en tant qu'il est homme. Par conséquent on doit dire que le Christ, en tant qu'homme, a été prédestiné à être Fils de Dieu ».

2. Me 16, 19.

2192. On peut le comprendre autrement, selon Hilaire3, car la gloire des hommes est une certaine conformité à la gloire de Dieu, bien qu'inégale. Or le Christ en tant que Dieu eut de toute éternité la gloire auprès du Père, c'est-à-dire la gloire divine, et égale à celle du Père. Il demande donc ici d'être glorifié dans son humanité, pour que ce qui dans le temps était chair, et transformé en corruption, reçoive la gloire qui n'est pas dans le temps, la splendeur de la gloire4. Cependant non pas une gloire « égale » mais semblable, afin que, de même que de toute éternité il fut immortel auprès du Père et siégeant avec lui à sa droite, de même, selon qu'il a été fait homme mortel, il soit aussi exalté à la droite de Dieu.

3. La Trinité, III, 16, 25-31, SC 443, p. 364.

4. Voir ci-dessus n° 2181.

LE CHRIST PRIE POUR L'ASSEMBLÉE DES DISCIPLES

2193. Auparavant, le Seigneur a prié pour lui ; ici il prie pour le groupe des Apôtres, et d'abord il indique les raisons de sa prière, puis il donne le contenu de cette prière [n° 2212].

A. LES RAISONS DE LA PRIÈRE DU CHRIST

À propos du premier point, il fait deux choses. D'abord il mentionne les raisons quant à ses disciples, puis quant à lui [n° 2205].

a) Quant à ses disciples.

J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE ; ILS ÉTAIENT À TOI, ET TU ME LES AS DONNÉS, ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE. (17, 6)

En ce qui concerne les disciples, il donne trois raisons de prier pour eux : la première est qu'ils ont été instruits par lui ; la deuxième, qu'ils lui ont été donnés [n° 2196] ; et la troisième, qu'ils lui sont liés par l'obéissance et une soumission aimante [n° 2197].

I

J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.

2194. Il donne la première raison en disant J'AI MANIFESTÉ, comme s'il disait, selon Augustin 1 : afin que ton Fils te glorifie2. Et certes, cette glorification a déjà été accomplie en partie parce que J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.

Ou bien, selon Chrysostome3 : Je dis que j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donné à faire. Quelle œuvre ? Il l'ajoute : J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES, ce qui est l'œuvre propre du Fils de Dieu, qui est le Verbe, dont le propre est de manifester par sa parole - Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler4. - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître5.

2195. Mais ici, il y a un doute. Puisque Dieu le Père fut connu des hommes avant la venue du Christ, selon le psaume - En Juda, Dieu est connu6 -, pourquoi dit-il : J'AI MANIFESTÉ TON NOM ?

Je réponds : il faut dire que le nom de Dieu Père pouvait être connu de trois manières. La première, en tant qu'il est Créateur de tout. Et c'est de cette manière qu'il était connu des Gentils - Les choses invisibles de Dieu sont perçues par l'intelligence à travers les œuvres qu'il a faites1 - Dieu le leur a révélé2.

1. Tract, in Io., CVI, 1, BA 75, p. 79.

2. Jn 17, 1.

3. In Ioannem hom., LXXXI, 1, PG 59, co1. 438.

4. Mt 11, 27.

5. Jn 1, 18.

6. Ps 75, 2.

D'une autre manière, en tant qu'il était le seul à qui devait être rendu le culte de latrie3 : de cette manière il n'était pas connu des Gentils qui rendaient aussi aux autres dieux un culte de latrie, mais seulement des Juifs qui seuls avaient comme précepte dans leur Loi de n'immoler [des victimes] qu'à Dieu - Qui immole à d'autres dieux sera tué, sauf au Seigneur seul4.

D'une troisième manière, en tant que Père de son Fils unique Jésus Christ, et de cette manière il n'était connu de personne ; mais il se fit connaître par son Fils quand les Apôtres crurent qu'il était le Fils de Dieu5.

II

AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNES DU MILIEU DU MONDE

2196. En disant cela il donne la deuxième raison. Et d'abord il traite du don, puis il en donne la raison ou le mode6. Il dit donc : AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, à savoir ces hommes auxquels J'AI MANIFESTÉ TON NOM.

1. Rm 1, 20. Saint Thomas commente : « II montre de quelle manière ils reçurent cette connaissance. Il faut d'abord considérer quelles sont ces choses qu'ils connurent de Dieu. D'abord les choses invisibles (invisibilia), par où l'on entend l'essence de Dieu, qui ne peut être vue par nous, comme on l'a dit - Dieu, personne ne l'a jamais vu (Jn 1, 18) par essence, en vivant une vie mortelle. - Au roi des siècles, immortel, invisible (1 Tm 1, 17). Il dit au pluriel invisibles parce que l'essence de Dieu n'est pas connue de nous selon ce qu'elle est, c'est-à-dire selon qu'en elle-même elle est une. Elle sera ainsi connue par nous dans la Patrie et alors le Seigneur sera un et son nom sera un (Za 14, 9). Mais elle est manifestée par des similitudes que nous trouvons dans les créatures (...). Ensuite sa puissance, selon laquelle les réalités procèdent de lui comme d'un principe - Grand est le Seigneur et grande sa puissance (Ps 146, 5). (...) Enfin sa divinité, et sous cet aspect ils connurent Dieu comme la fin ultime vers laquelle tendent toutes choses. (...) Les trois choses se rapportent aux trois modes de connaissance dont nous avons parlé. Car les choses invisibles de Dieu sont connues par voie de négation, sa puissance éternelle par voie de causalité, sa divinité par voie d'excellence » (Ad Rom. lect., I, n° 117). Voir aussi vo1. I, nos 116, 211 et 1548, note 4.

2. Rm 1, 19.

3. Le culte de latrie est le culte de la vertu de religion dont l'acte principal est l'acte d'adoration. Le mot est d'origine grecque et il sert à désigner la révérence du serviteur à l'égard du Seigneur (cf. Somme théol, II-II, q. 81, a. 1, ad 3). « Mais autre est la vénération que nous portons à Dieu, qui appartient au culte de latrie, et autre la vénération due aux créatures excellentes, qui appartient au culte de dulie » (loc. cit., q. 84, a. 1, ad 1). Au Christ cependant est dû le culte de latrie en tant que Verbe de Dieu, et un culte de dulie à l’égard de son humanité sainte (cf. op. cit., III, q. 25, a. 2, c).

4. Ex 22, 20 (propre à la Vulgate).

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CVI, 4, BA 75, p. 87.

Mais le Fils ne les a-t-il pas eus comme le Père aussi les a eus ? Oui, certes, en tant que Dieu. Mais il dit : QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, à savoir à moi en tant qu'homme, pour qu'ils m'écoutent et m'obéissent - Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire7. Or le fait que quelques-uns viennent au Christ provient d'un don et de la grâce de Dieu - C'est par grâce que vous êtes sauvés, c'est un don de Dieu 8.

QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, dis-je, c'est-à-dire choisis dans le monde ; plus haut : Parce que je vous ai choisis du milieu du monde9. Car même si tout le monde était donné au Fils comme sa propriété, cependant les Apôtres, eux, ont été donnés au Fils pour lui obéir.

ILS ÉTAIENT À TOI, ET TU ME LES AS DONNÉS.

Il donne la raison de ce don. Ils sont donnés parce qu'ILS ÉTAIENT À TOI, et aussi à moi, et prédestinés selon la divinité de toute éternité, pour parvenir par la grâce à la gloire future - Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde10. ET TU ME LES AS DONNÉS, c'est-à-dire ce à quoi dès l'origine tu les as prédestinés avec moi et en moi1, tu l'as accompli par une œuvre, en faisant qu'ils adhèrent à moi.

6. Saint Thomas va donner plus loin la raison (ratio) de ce don en précisant son mode (modus), qui correspond au passage de la prédestination éternelle à sa réalisation dans le temps.

7. Jn 6, 44.

8. Ep 2, 8. Voir vo1. I, n° 918, note 1.

9. Jn 15, 19.

10. Ep 1,4. Saint Thomas commente : « Il nous a choisis : il touche ici le bienfait de l'élection, et celle-ci est mise en lumière parce qu'elle est libre - Il nous a choisis en lui -, éternelle - avant la constitution du monde -, parce qu'elle porte du fruit - pour que nous soyons saints et immaculés dans son regard -, et qu'elle est gratuite - dans l'amour. Il nous a bénis, non pas à cause de nos mérites mais par la grâce du Christ - Il nous a choisis ~, et gratuitement en nous séparant du chaos de la perdition, et il nous a prédestinés en lui, c'est-à-dire par le Christ - Vous ne m'avez pas choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (Jn 15, 16). Et il nous a choisis avant la fondation du monde, c'est-à-dire de toute éternité, avant que nous ayons été faits - Alors qu'ils n'étaient pas encore nés, qu'ils n'avaient fait ni bien, ni mal (Rm 9, 11).Il nous a choisis, dis-je, non pas que nous étions saints, parce que nous ne l'étions pas, mais pour que nous soyons saints par les vertus et immaculés, sans défauts » (Ad Eph. lect., I, n° 8).

III

ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE. MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ VIENT DE TOI ; PARCE QUE LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI, ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 6-8)

2197. Il donne la troisième raison qui est la soumission aimante des disciples. D'abord il montre cette soumission aimante à l'égard du Fils. Puis il montre qu'elle rejaillit en gloire pour le Père [n° 2199]. Et en troisième lieu, il en donne la raison [n° 2200].

ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE.

2198. Il dit donc, en ce qui concerne le premier point : ET TU ME LES AS DONNÉS parce qu'ILS ÉTAIENT À TOI ; mais eux aussi ont agi avec amour parce qu'ILS ONT GARDÉ TA PAROLE2 dans leur cœur par la foi et dans leurs actes en l'accomplissant- Garde mes commandements afin de vivre3. - Si vous gardez mes commandements vous demeurerez dans mon amour4.

1. Sur la prédestination des hommes dans le Christ, saint Thomas dit : « On peut entendre par prédestination ce à quoi l'on est prédestiné, c'est-à-dire le terme et l'effet de la prédestination. En ce sens, la prédestination du Christ est l'exemplaire de la nôtre. Elle l'est tout d'abord quant au bien auquel nous sommes prédestinés. Le Christ en effet a été prédestiné à être Fils de Dieu par nature ; nous, nous sommes prédestinés à être fils par adoption, ce qui est une certaine similitude participée de la filiation naturelle - Ceux qu'il a distingués d'avance, il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils (Rm 8, 29). Elle l'est encore quant au mode d'acquisition de ce bien, qui est une acquisition par grâce, ce qui est très manifeste dans le Christ, car la nature humaine a été unie au Fils de Dieu sans aucun mérite antécédent de sa part ; quant à nous, de la plénitude de sa grâce nous avons tous reçu (cf. Jn 1, 16) » (Somme théol, III, q. 24, a. 3, c). Voir aussi loc. cit., a. 4, c. Sur le mystère de la prédestination, voir aussi vo1. I, n° 938, note 1.

2. Sur le mystère de l'Église qui, à la suite de Marie et des Apôtres, garde la parole de Dieu, voir vo1. I, Préface, p. 7 sq.

MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ VIENT DE TOI.

2199. Mais le fait même qu'ils aient ainsi gardé la parole rejaillit pour ta gloire, Père. Car telle est ma parole, parce que tout ce que j'ai, je le tiens de toi : MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ, à savoir à ton Fils comme homme, VIENT DE TOI - Nous avons vu la gloire qu'il tient du Père comme Fils unique5, c'est-à-dire que nous l'avons vu comme celui qui tient tout du Père. Et parce qu'ils ont reconnu cela, le Père est glorifié dans leur esprit.

PARCE QUE LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI, ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.

2200. Ici il donne la raison de cette glorification, du fait que l'obéissance des disciples à l'égard du Fils rejaillit en gloire pour le Père. D'abord, il donne l'ordre selon lequel les disciples sont connus par le Père. Puis, il présente l'ordre selon lequel l'esprit des disciples est ramené vers le Père [n° 2202].

2201. Premièrement, il le montre par le don de l'enseignement que nous a fait le Père. Et ce don est double. Le premier est celui que le Père a donné au Fils, et c'est pourquoi il dit : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES selon la génération éternelle, dans laquelle le Père a donné ses paroles au Fils, bien que cependant le Fils soit lui-même Verbe du Père1 De telles paroles ne sont rien d'autre que l'intelligibilité de toutes les choses à venir que le Père, éternellement, a toutes données au Fils en l'engendrant. Ou : TU M'AS DONNÉES, à savoir au Christ homme, parce que son âme très sainte fut comblée dès l'instant même de sa conception de toute la connaissance de la vérité - Plein de grâce et de vérité2, c'est-à-dire de la connaissance de toute vérité. - En lui sont tous les trésors de la sagesse et de la science3.

3. Pr 7, 2.

4. Jn 15, 10.

5. Jn 1, 14.

Le deuxième don est celui que le Christ fait à ses disciples : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES en les enseignant intérieurement et extérieurement - Toutes les choses que j'ai entendues de mon Père, je vous les ai fait connaître4. En cela il se montre médiateur entre Dieu et les hommes5, parce que ce qu'il a reçu de son Père, il le transmet à ses disciples - J'ai été l'intermédiaire entre le Seigneur et vous en ce temps, pour vous annoncer ses paroles6.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CVI, 7, BA 75, p. 99.

2. Jn 1, 14. Voir vo1. I, n° 188.

3. Col 2, 3. Saint Thomas commente ainsi ce verset : « Tout ce qu'on peut savoir de Dieu, relevant de la sagesse, Dieu le connaît totalement en lui-même avec abondance (...). Or tout ce qui est dans la sagesse de Dieu est dans son Verbe unique, parce que par un seul acte simple d'intelligence il connaît toutes choses, parce qu'en lui il n'y a pas de science, ni en puissance ni en habitus. Et c'est pourquoi dans son Verbe sont tous les trésors de la sagesse et de la science » {Ad Co1. lect., II, n° 81).

4. Jn 15, 15.

5. Cf. 1 Tm 2, 5. Voir Somme théo1., III, q. 26, où saint Thomas précise ce mystère de la médiation du Christ en s'appuyant sur la Tradition : « Le Christ, lui, a en commun avec Dieu la béatitude, et avec l'homme la nature mortelle. Et c'est pourquoi "il s'est interposé comme médiateur, afin que, ayant passé par la mort, il nous rendît immortels, nous qui étions mortels, et il nous l'a montré dans sa Résurrection ; afin encore de nous rendre bienheureux, nous qui étions misérables, lui qui n'a jamais abandonné la béatitude" (saint Augustin, La cité de Dieu, IX). Et c'est pourquoi "il est le bon médiateur, qui réconcilie les ennemis" (ibid.) » (q. 26, a. 1, ad 2). « Le Saint-Esprit, étant en tout égal à Dieu, ne peut être appelé intermédiaire ou médiateur entre Dieu et les hommes. Cela appartient au Christ seul, qui tout en étant égal au Père, cependant sous le rapport de l'humanité est moindre que le Père [voir q. 20, a. 1]. Aussi, à propos de ce verset : le Christ est médiateur (Ga 3, 20), nous lisons dans la Glose : "non pas le Père et l'Esprit Saint". Et si l'on dit que l'Esprit Saint interpelle pour nous, c'est en ce sens qu'il nous pousse à interpeller » (q. 26, a. 1, ad 3).

6. Dt 5, 5.

ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI. (17, 8)

2202. Il montre ensuite le retour de l'esprit des disciples vers Dieu en disant : ET ILS LES ONT REÇUES. Il y a là un double accueil correspondant au double don dont nous avons parlé. Le premier accueil répond au deuxième don : ET ILS LES ONT REÇUES de moi, sans être rebelles - Le Seigneur a ouvert mon oreille et moi je ne contredis pas7. - Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son école vient à moi8. Et en les recevant, ILS ONT CONNU que c'est toi qui m'as donné toutes choses, ce qui répond au premier don.

ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.

2203. Ces paroles, selon Augustin9, explicitent le développement de celles qui précèdent. En effet il existe une double connaissance des choses divines : l'une parfaite qui est celle de la gloire par la pleine vision, l'autre, imparfaite, qui est la connaissance de celui qui chemine dans la foi10 - Nous voyons à présent dans un miroir, par énigme (c'est la seconde connaissance), mais alors ce sera face à face11 (c'est la première).

ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI. Mais de quelle connaissance ? celle de la Patrie ? Non, mais celle de la foi. C'est pourquoi il ajoute ET ILS ONT CRU, comme si c'était la même chose de connaître et de croire. ILS ONT CRU, dis-je, vraiment, c'est-à-dire avec fermeté et stabilité - Maintenant vous croyez ?1 c'est-à-dire avec stabilité. Voici que l'heure est venue2, puisque vous croyez d'une manière parfaite. Et il utilise le passé pour parler du futur, d'une part en raison de la certitude de la réalité à venir, d'autre part en raison de l'infaillibilité de la prédestination divine.

7. Is 50, 5. Voir vo1. I, nos 946 et 1197.

8. Jn 6, 45.

9. Tract, in Io., CVI, 6, BA 75, p. 95-97.

10. Cf. Somme théo1., I, q. 12. Voir ci-dessus n° 2139, note 11, à propos de la connaissance de la vision qui remplace la connaissance de la foi.

11.1 Co 13, 12. Voir vo1. I, nos 208 sq. Voir aussi Somme théo1., 1, q. 12, a. 7.

Ou encore, selon Chrysostome, il parle de ce qui est passé3. Et il dit que ces choses sont arrivées parce qu'elles étaient déjà commencées. Il faut donc dire, pour être en accord avec l'un et l'autre sens, qu'elles étaient déjà toutes commencées mais qu'elles devaient maintenant être achevées. Donc en tant que cela appartient au commencement, il parle de ce qui est passé ; mais en tant que cela relève de l'achèvement, il parle du futur, des choses qui devaient se faire par la venue de l'Esprit Saint.

2204. Mais que crurent-ils ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ - Dieu a envoyé son Fils 4 -, ce qui selon Augustin5 est la même chose que : C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI. Mais cela va contre ce que dit Hilaire6 car selon lui, comme on l'a dit, « sortir » relève de la génération éternelle, alors qu'« être envoyé » relève de l'Incarnation.

Mais il faut dire que nous pouvons parler du Christ de deux manières : selon sa divinité, et ainsi, pour le Fils de Dieu, autre chose est de sortir, autre chose d'être envoyé, comme le dit Hilaire ; ou bien selon son humanité, et ainsi, pour le Fils de l'homme, c'est la même chose de sortir et d'être envoyé, comme le dit Augustin.

b) Quant à lui.

MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT À TOI. ET TOUT CE QUI EST À MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI ; ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX. ET DÉJÀ JE NE SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE MONDE, ET MOI JE VIENS VERS TOI. (17, 9-11)

2205. À présent sont exposées, du point de vue du Christ, les raisons de sa prière7. Il donne pour cela trois raisons.

2206. La première se prend du pouvoir qu'il avait reçu sur eux, et c'est pour cela qu'il dit : MOI JE PRIE POUR EUX - à savoir les disciples. D'abord il donne la raison elle-même, puis il l'explicite.

MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT À TOI.

1. Jn 16, 31.

2. Jn 16, 32.

3. In Ioannem hom., LXXXI, 1, PG 59, co1. 438.

4. Ga 4, 4. Voir le commentaire que saint Thomas fait de ce verset : vo1. I, n° 1555, note 3.

5. Tract, in Io., CVI, 6, BA 75, p. 95.

6. La Trinité, VI, 30, 22-29 ; 31, 9-22 ; 34, 1-26, SC 448, p. 231-233 ; 235 ; 239-241.

7. Voir ci-dessus, n° 2177, note 2.

La raison pour laquelle une personne doit être écoutée et doit prier pour d'autres est si celles-là lui appartiennent de manière spéciale. Les prières générales, en effet, sont moins exaucées. Et c'est pourquoi il dit : MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, c'est-à-dire pour ceux qui aiment le monde1, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS comme disciples et qui m'obéissent de manière spéciale, bien que toutes choses soient à moi selon ma puissance - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage2.

2207. Objection : il semble que le Christ a prié pour tous - Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste ; c'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier3. - Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité4.

Je réponds : il faut dire que le Christ, en ce qui le concerne, a prié pour tous, parce que sa prière, en elle-même, a une efficacité telle qu'elle vaut pour le monde entier ; cependant tous n'en reçoivent pas l'effet, si ce n'est les saints et les élus de Dieu : et cela à cause des choses du monde qui y font obstacle.

ET TOUT CE QUI EST À MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI.

2208. Et il explicite cette raison en disant : ils étaient à toi5, à savoir par la prédestination éternelle. Mais ils n'étaient pas au Père sans être au Fils, et ils ne sont pas non plus donnés au Fils en étant retirés au Père. C'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUI EST À MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI, ce par quoi nous est montrée l'égalité du Fils au Père, lui qui, selon qu'il est Dieu, a de toute éternité tout ce que le Père a6.

1. Voir ci-dessus, n° 2032 et note 4.

2. Ps 2, 8. Voir vo1. I, n° 1417 et note 4.

3. 1 Jn 2, 1-2.

4. 1 Tm 2, 4.

5. Jn 17, 6.

6. Saint Augustin (Tract, in Io., CVII, 2, BA 75, p. 103-105) profite de l'affirmation de la « commune possession » de toutes choses par le Père et le Fils, et du rapprochement avec Jn 16, 14, qui étend le rapport commun de l'un et de l'autre à l'égard de l'Esprit Saint, pour revenir sur la foi en la divinité du Fils et en son aequalitas avec le Père ; saint Thomas reprend cela ici et dans le paragraphe suivant.

2209. Mais il faut remarquer que le Père possède les choses qui appartiennent à son essence comme la sagesse, la bonté et autres, qui ne sont rien d'autre que sa propre essence, et cela le Fils affirme qu'il les possède quand il parle de la procession de l'Esprit Saint : C'est de mon bien qu'il recevra et il vous l'annoncera7 ; et cela parce que Tout ce qu'a le Père est à moi8. Et il dit « tout » parce que, bien qu'il n'y ait qu'une chose en réalité, cependant selon la raison il y en a beaucoup.

Deuxièmement, le Père a ce qui relève de la possession de la sainteté et qui lui est consacré par la foi, comme le sont tous les saints et les élus au sujet desquels il dit plus haut : Ils étaient à toi9. Et toutes ces choses aussi, le Fils affirme qu'il les possède lorsqu'il dit à présent en parlant d'elles : ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI, c'est-à-dire parce qu'ils ont été prédestinés pour jouir du Fils, comme aussi du Père.

Troisièmement, le Père a par mode de possession toutes les réalités créées - Au Seigneur la terre et sa plénitude10. Et toutes ces choses sont au Fils, comme on le voit dans la parabole du fils prodigue où le Père dit à son fils aîné : Tout ce qui est à moi est à toi11.

II

2210. La seconde raison se prend de la gloire que le Christ avait en eux, et pour cela il dit : ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX, parce qu'ils connaissaient déjà en partie sa gloire et ils allaient la connaître encore davantage - Ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de Notre-Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été faits témoins oculaires de sa majesté 1.

7. Jn 16, 14.

8. Jn 16, 15.

9. Jn 17, 6.

10. Ps 23, 1.

11. Le 15, 31.

III

ET DÉJÀ JE NE SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE MONDE, ET MOI JE VIENS VERS TOI.

2211. La troisième raison est liée à l'absence où il les laissait en les quittant selon son corps2. Là il faut savoir qu'on dit de deux manières que quelque chose est dans le monde : à savoir en s'attachant au monde affectivement - Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie3. Mais en ce sens il ne faut pas dire que le Christ n'est plus dans le monde, puisqu'il n'a jamais été dans le monde en s'y attachant affectivement. Mais il faut le comprendre selon un autre sens, c'est-à-dire que désormais il ne serait plus présent dans le monde par son corps, parce qu'arrivait le moment où, lui qui avait été dans le monde selon son corps, allait le quitter corporellement. ET EUX - c'est-à-dire ses disciples -SONT DANS LE MONDE, c'est-à-dire par leur corps ; ET MOI JE VIENS VERS TOI, selon que je suis homme, pour participer à ta gloire et être élevé jusqu'à ta droite. Et c'est pourquoi il est juste que je prie pour eux que je vais bientôt quitter corporellement.

B. LE CONTENU DE LA PRIÈRE DU CHRIST

2212. Après avoir donné les raisons pour lesquelles Jésus prie pour ses Apôtres, l'Évangéliste expose ici les demandes qu'il adresse pour eux. Premièrement il demande qu'ils soient gardés du mal, deuxièmement il demande leur sanctification dans le bien [n° 2228].

a) Il demande que ses disciples soient gardés.

Concernant le premier point, d'abord il demande que ses disciples soient gardés, puis il en montre la nécessité [n° 2215].

I

PÈRE SAINT, GARDE EN TON NOM CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, POUR QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS. (17, 11)

2213. Concernant le premier point, il faut considérer celui auquel il demande, puis ce qu'il demande, enfin pour qui et en vue de quoi il demande.

1. 2 P 1, 16.

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CVII, 4, BA 75, p. 107-109.

3. 1 Jn 2, 16.

PÈRE SAINT

C'est au Père qu'il demande. C'est pourquoi il dit : PÈRE, et à juste titre parce que c'est lui qui est le principe [la source] de tout bien - Tout don excellent, toute donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières4. Mais il ajoute SAINT, parce que c'est aussi en lui que résident le principe [la source] et l'origine de toute sainteté, et parce qu'ultimement c'est la sainteté qu'il demandait - Vous serez saints parce que moi, votre Seigneur Dieu, je suis saint1. - Nul n'est saint comme le Seigneur2.

4. Je 1, 17.

GARDE EN TON NOM

II demande qu'ils soient gardés. C'est pourquoi il dit : GARDE, parce que selon le psaume : Si le Seigneur ne garde pas la cité, il veille en vain celui qui la garde3. En effet notre bien ne consiste pas seulement en ce que nous tenons de Dieu l'être : il faut aussi que nous soyons gardés4 par lui. Parce que, comme le dit Grégoire5, « toutes choses seraient ramenées au néant si la main du Tout-Puissant ne les tenait » - Celui qui porte tout par la puissance de sa parole0. Et c'est pourquoi le psalmiste implorait : Garde-moi, Seigneur, parce que j'ai espéré en toi1. Or l'homme est gardé du mal et du péché dans le nom de Dieu. C'est pourquoi il dit : EN TON NOM, c'est-à-dire par la puissance de ton nom et de ta connaissance, parce qu'en lui sont la gloire et notre salut - Ceux-ci se confient dans les chars, ceux-là dans les chevaux, mais nous c'est le nom du Seigneur notre Dieu que nous invoquerons 8.

1. Lv 19, 2.

2. 1 S 2, 2.

3. Ps 126, 1.

4. Il s'agit ici du mystère du gouvernement divin, le mystère de Dieu Créateur et Père qui non seulement donne à sa créature d'exister - il lui donne gratuitement l'être - mais aussi la garde, la « conserve » vers sa fin, en lui permettant de la découvrir et de la rejoindre. Voir Somme théol, I, q. 104, a. 1.

5. Morales sur Job, XVI, xxxvii, 45, SC 221, p. 207.

6. He 1, 3. Voir vo1. I, nos 69 sq., par exemple n° 86.

7. Ps 15, 1. Saint Thomas commente : « Le psalmiste montre du Christ qu'il adhère à Dieu seul (...), et cela de deux manières : par l'espérance et par la foi -J'ai dit au Seigneur. Concernant la première manière, il expose deux choses : le signe de l'espérance et l'espérance elle-même. Le signe de l'espérance : Garde-moi, Seigneur, comme [pour dire] : je ne crois pas pouvoir être conservé par moi-même, mais toi, Seigneur, Garde-moi, ou bien en lui ou bien dans ses membres - Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés (Jn 17, 11). Et cela parce que j'ai espéré en toi. Mais le Christ a-t-il espéré ? Il faut dire que oui. En vérité il a espéré la vie éternelle pour les autres, mais pour lui la glorification de son corps. Quant à la glorification de son âme, il l'a eue dès l'instant de sa conception » (Exp. in Psalmos, 15, n° 1).

CEUX QUE TU M'AS DONNÉS

Or il fait cette demande pour ceux qui lui ont été donnés - Examine toutes les œuvres de Dieu, personne ne peut corriger celui qu'il aura méprisé9. Nul en effet ne peut être gardé du mal si ce n'est par l'élection divine, qu'il désigne en disant : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, c'est-à-dire par le don de ta grâce pour qu'ils s'attachent à moi - Tous ne saisissent pas cette parole, mais ceux auxquels cela est donné 10. En effet ce sont ceux qui sont ainsi donnés au Christ qui sont gardés du ma1.

POUR QU'ILS SOIENT UN

II ajoute cela pour montrer en vue de quoi il demande qu'ils soient préservés. Et cela peut être rattaché de deux manières à ce qui précède. En un sens, « pour » (ut) désigne la manière de les garder ; le sens est alors : « Ils seront gardés de telle sorte qu'ils soient un. » Car toute réalité est gardée dans l'être aussi longtemps qu'elle est « une », et n'est pas divisée - Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné11. Et c'est pourquoi l'Église peut être gardée, et les hommes aussi, à condition d'être un. En un autre sens, « pour » (ut) marque la fin de cette conservation ; le sens est alors : « Et c'est pour cela qu'ils sont gardés : pour qu'ils soient un. » Car c'est dans l'unité de l'esprit que réside toute notre perfection - Soucieux de garder l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix1. - Voyez qu'il est bon, qu'il est doux, d'habiter en frères dans l'unité2.

8. Ps 19, 8.

9. Qo 7, 14.

10. Mt 19, 11.

11. Mt 12, 25.

2214. Mais il ajoute : COMME NOUS sommes un. On peut objecter cependant que s'ils sont un selon l'essence, nous aussi serons donc un par essence. Mais cela n'est pas vrai.

Voici la réponse3. Il faut dire que la perfection de chaque homme n'est rien d'autre que la participation à la ressemblance divine. En effet, c'est dans la mesure où nous sommes bons que nous ressemblons à Dieu. Notre unité est donc parfaite en tant qu'elle participe de l'unité divine. Or l'unité est double dans les réalités divines : à savoir l'unité de nature - Moi et le Père nous sommes un4 - et l'unité d'amour dans le Père et le Fils, qui est l'unité de l'Esprit. Et l'une et l'autre sont en nous, non pas, certes, par égalité mais par une certaine similitude5. En effet le Père et le Fils sont de même nature par le nombre ; mais nous, nous sommes un dans la nature selon l'espèce. De même eux sont un par un amour qui n'est pas participé, venant du don de quelqu'un, mais qui procède d'eux6 ; car le Père et le Fils s'aiment dans l'Esprit Saint, mais nous, nous nous aimons par un amour participé de quelqu'un de plus grand.

1. Ep 4, 3. Saint Thomas commente : « La manière de conserver l'unité est dans le lien de la paix. La charité en effet est l'union des amis. Or aucune union de choses matérielles ne peut tenir si elle n'est liée par quelque lien. De la même manière, aucune union d'âmes par la charité ne peut tenir si elle n'est liée. Un tel vrai lien est la paix qui est selon Augustin la tranquillité du mode, de l'espèce et de l'ordre, c'est-à-dire quand chacun a ce qui est sien » (Ad Eph. lect., IV, n° 194).

2. Ps 132, 1.

3. Saint Thomas reprend ici la remarque de saint Augustin en lui apportant des précisions importantes : l'unité entre le Père et le Fils correspond à une unité d'esse, tandis que l'unité de l'humanité est fondée sur la seule communauté de natura (cf. Tract, in Io., CVII, 5, BA 75, p. 109).

4. Jn 10, 30.

5. Pour saint Thomas, la grâce est une participation formelle à la nature de Dieu (Somme théol, I-II, q. 110, a. 3, c). En raison de cette participation, il y a une similitude entre la nature divine et la grâce. D'autre part, par la grâce toute la Très Sainte Trinité habite l'âme (op. cit., I, q. 43, a. 5, c).

6. Sur l'Esprit Saint, Amour qui procède du Père et du Fils, voir vo1. I, nos 545 et 1004, et ci-dessus, n° 1912 et note 2, et nos 1946, 2061-2065, 2069.

II

2215. Il expose la nécessité de cette conservation, nécessité qui provient de deux causes : premièrement de son départ, deuxièmement de la haine du monde [n° 2221].

La nécessité due à son départ

Concernant la première, il fait trois choses. Il commence par exposer cette ardeur à les garder que le Seigneur leur a montrée quand il était présent. Puis il laisse entendre son départ pour retourner vers le Père [n° 2219], Enfin, il donne la raison pour laquelle il prononce ces paroles [n° 2220].

QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM. CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE LES AI GARDES, ET AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION, POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE. (17, 12)

Concernant le premier point il met en avant la manière de les garder, puis le fait qu'il se doit de les garder [n° 2217], enfin l'efficacité avec laquelle il les garde [n° 2218].

QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM.

2216. La manière de les garder convient bien, parce que c'est par la puissance du Père. C'est pourquoi il dit : QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX, c'est-à-dire par ma présence physique - Ensuite il est apparu sur terre et il a conversé avec les hommes1 -, moi, c'est-à-dire le Fils de l'homme, JE LES GARDAIS, c'est-à-dire je les protégeais du mal et du péché ; par une puissance non pas humaine, mais au contraire divine, car JE LES GARDAIS EN TON NOM, lequel est commun au Père, au Fils et au Saint-Esprit - Les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Espnt2. Et cela est vrai parce que le Père et le Fils sont un seul Dieu et parce que dans le nom du Père est aussi compris le nom du Fils : est dit père celui qui a un fils.

Mais remarque qu'auparavant3, alors qu'il avait nié avoir un démon, il ne nia pas qu'il était un Samaritain, c'est-à-dire un gardien, parce qu'il est un gardien - Veilleur, où en est la nuit ?4, celle de ce monde. En effet lui-même, comme un berger, garde son troupeau5.

CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE LES AI GARDÉS.

2217. Il montre le devoir qu'il a de les garder. Un gardien, en effet, est tenu de garder ceux qui ont été confiés à sa garde - Garde cet homme6. —Je me tiendrai à mon poste de garde7. C'est ainsi que se tient le prélat8 quand il veille avec diligence sur ceux qui lui ont été confiés - II y avait des bergers dans la même région qui veillaient et qui gardaient leurs troupeaux pendant les veilles de la nuit9.

ET AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION, POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE.

2218. Et l'efficacité de la garde est parfaite parce qu'AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU - Mes brebis écoutent ma voix (...) et nul ne les arrachera de ma main 10. - Que quiconque (...) croit en lui ait la vie éternelle 11 !. Mais de cette efficacité, un seul est exclu, à savoir LE FILS DE PERDITION, c'est-à-dire Judas, appelé fils de perdition comme si d'avance il avait été connu et prédestiné à la perdition perpétuelle 12. Ainsi, en effet, certains assignés à la mort sont appelés fils de la mort - Vous tous êtes des fils de la mort13. - Vous parcourez mer et terre ferme pour faire un seul disciple et vous en faites un fils de la mort, deux fois plus que vous 14.

Mais note ce que dit la Glose interlinéaire : « Fils de la mort15 », c'est-à-dire prédestiné à la perdition, bien que cependant on trouve rarement que la prédestination soit en vue d'un ma1. C'est pourquoi ici, cela est compris communément comme la science ou l'ordre de la sagesse de Dieu (ordinatione). La prédestination 16 est toujours pour un bien, précisément parce qu'elle possède le double effet de la grâce et de la gloire. Et Dieu ordonne vers l'une et l'autre. Mais dans la réprobation il y a deux choses, la faute et la peine temporelles. Et Dieu ordonne seulement vers l'une des deux, à savoir la peine1 et non pour elle-même2. POUR QUE L'ÉCRITURE, par laquelle tu as prédit que je serais trahi, S'ACCOMPLISSE - Dieu, ne tais pas ma louange parce que la bouche du pécheur et la bouche du méchant s'ouvrent contre moi3.

1. Ba 3, 38.

2. Mt 28, 19.

3. Voir Jn 8, 48-49 : Les Juifs répondirent donc et dirent : « N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon ? » Jésus répondit : « Moi, je n'ai pas de démon ; mais j'honore mon Père, et vous, vous me déshonorez ».

4. Is 21, 11.

5. Cf. Jn 10, 11.

6. 1 R 20, 39.

7. Ha 2, 1.

8. Voir vo1. I, nos 1398 sq., sur le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis.

9. Le 2, 8.

10. Jn 10, 27-28.

11. Jn 6, 40.

12. Voir ci-dessus n° 1789 et note 5. Saint Thomas distingue la « volonté antécédente de Dieu » par laquelle tous sont prédestinés à la sainteté et la « volonté conséquente » par laquelle il veut que certains soient damnés selon ce qu'exige sa justice (cf. Somme théo1., I, q. 19, a. 6, c. et ad 1).

13. 1 S 26, 16.

14. Mt 23, 15.

15. Cette interprétation a sa source dans le commentaire de saint Augustin : il identifie explicitement les deux formules « fils de la perdition » et « prédestiné à la perdition » {Tract, in Io., CVII, 7, BA 75, p. 113 ; cf. paragraphe précédent).

16. Sur le mystère de la prédestination, voir vo1. I, n° 938, note 1, n" 1301 et note 11, n° 1373 et note 12.

MAINTENANT JE VIENS VERS TOI ; ET JE DIS CES CHOSES DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES MA JOIE EN PLÉNITUDE. (17, 13)

2219. MAINTENANT JE VIENS VERS TOI, les quittant selon ma présence corporelle - De nouveau je quitte le monde et je vais vers le Père4. Mais ces paroles dans le cœur de ceux qui comprennent mal pourraient engendrer le scandale de l'infidélité, comme s'il ne pouvait pas les garder en s'éloignant d'eux, ou comme si le Père auparavant ne les avait pas gardés. Mais assurément le Père aussi les gardait auparavant, c'est pourquoi il dit : JE LES GARDAIS EN TON NOM, et le Fils aussi après son départ pouvait les garder.

ET JE DIS CES CHOSES DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES MA JOIE EN PLÉNITUDE.

2220. C'est comme s'il disait : J'ai parlé comme un homme qui prie, mais JE DIS CES CHOSES pour la consolation de mes disciples qui pensent que je ne suis qu'un homme (hominem purum), afin qu'au moins ils soient consolés par le fait que c'est à toi, Père, toi qu'ils croient plus grand, que je les confie ; et qu'ils se réjouissent d'être sous la protection du Père. Et cela selon Chrysostome5.

Ou bien, selon Augustin6, ces paroles se rapportent à ce qu'il a dit plus haut : pour qu'ils soient un comme nous7. Et ainsi elles expriment les fruits de l'unité, comme s'il disait : POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES MA JOIE, ce qu'il a déjà exprimé auparavant, c'est-à-dire qu'ils se réjouissent en moi, ou bien parce que la joie leur vient de moi. EN EUX-MÊMES (...) EN PLÉNITUDE, ce qu'ils obtiennent par l'unité de l'esprit, unité par laquelle ils parviennent à la joie de la vie éternelle, qui est plénière. La joie suit l'unité, parce que l'unité et la paix ont pour effet la joie parfaite - Ceux qui entrent dans les conseils de paix, la joie les suit8. - Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix (...)9

1. Voir vo1. I, n° 1301 et note 9.

2. Et non per se indique ici que la peine n'est pas voulue en elle-même par Dieu ; elle est une conséquence de la faute que Dieu ne fait que permettre. Voir Somme théo1., I, q. 19, a. 9, c. et ad 3.

3.Ps 108, 2.

4. Jn 16, 28.

5. In Ioannem hom., LXXXI, 2, PG 59, co1. 439-440.

6. Tract, in Io., CVII, 8, BA 75, p. 115.

La nécessité due à la haine du monde

MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, ET LE MONDE LES A EUS EN HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE. JE NE DEMANDE PAS QUE TU LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU LES GARDES DU MA1. ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE. (17, 14-16)

2221. À présent l'Évangéliste expose une autre nécessité à cette protection, provenant de la haine du monde ; et d'abord il met en avant le bienfait qu'il avait accordé aux disciples, deuxièmement la haine du monde qu'ils avaient encourue [n° 2223]. Troisièmement, il demande le secours du Père afin qu'il les protège [n° 2225].

MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE.

2222. Il dit donc d'abord : MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, c'est-à-dire celle que j'ai reçue de toi. Auparavant il a dit la même chose : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES. Ou JE LEUR AI DONNÉ, c'est-à-dire je leur donnerai par l'inspiration du Paraclet, TA PAROLE, celle qui vient de toi, parce qu'en vérité c'est là le plus grand don et le plus grand bienfait -Je vous donnerai un don excellent : n'abandonnez pas ma loi1.

7. Jn 17, 11.

8. Pr 12, 20.

9. Ga 5, 22. Voir ci-dessus, n° 2060, note 4.

ET LE MONDE LES A EUS EN HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE.

2223. Mais de cela s'ensuit la haine du monde, puisque c'est parce qu'ils ont reçu ta parole que LE MONDE LES A EUS EN HAINE - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront2 et Ne vous étonnez pas si le monde vous hait3. La cause de cette haine est le fait qu'ils se sont séparés du monde. En effet la Parole de Dieu fait que les hommes se séparent du monde, car elle unit à Dieu, à qui nul ne peut être uni s'il ne se sépare pas du monde. Car si quelqu'un aime le monde, le parfait amour (perfecta caritas) de Dieu n'est pas en lui. Et c'est pourquoi il dit : PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE - Parce que je vous ai choisis dans le monde, pour cela le monde vous hait4. En effet il est naturel pour tout homme d'aimer son semblable5 - Tout être vivant aime son semblable6 et hait celui qui est différent de lui. - Sa vue nous est à charge car son genre de vie ne ressemble pas aux autres7.

COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE.

2224. Et pour cela il donne un exemple indiquant la manière dont ils ne sont pas du monde : COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE, ce qu'il faut entendre quant à l'amour, parce que de même que le Christ n'était pas dans le monde par affection pour le monde, de même eux non plus. Mais ils le sont quant à l'origine, parce qu'il y a eu un temps où ils étaient du monde. Mais le Christ, jamais, puisque même selon la naissance charnelle, il est né du Saint-Esprit8 - Vous êtes du monde, moi je ne suis pas du monde9.

2225. Il réclame alors un secours contre cette haine. D'abord il présente sa demande, et ensuite il donne la raison de cette demande [n° 2227].

JE NE DEMANDE PAS QUE TU LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU LES GARDES DU MA1.

2226. Concernant le premier point, il présente deux choses. L'une, qu'il dit ne pas demander, à savoir qu'ils soient retirés du monde. Cependant comment peuvent-ils être retirés du monde, eux qui ne sont pas du monde ? En effet, déjà auparavant il avait dit : ILS NE SONT PAS DU MONDE. Mais disons qu'affectivement ils n'étaient pas du monde par un attachement, comme il l'a dit plus haut, mais qu'ils étaient du monde par leur vie corporelle ; et c'est pour cette raison qu'il ne voulut pas qu'ils fussent retirés du monde. Et cela pour le bien des croyants qui, par eux, allaient croire - Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute créature 10.

Mais il demande autre chose, c'est-à-dire que, bien qu'ils demeurent par leur corps dans le monde, TU LES GARDES DU MAL, le mal qui est dans le monde. En effet il est difficile qu'un homme vivant parmi des mauvais reste préservé du mal, surtout parce que le monde entier a été placé sous le pouvoir du malin1 - Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, et les flots ne te recouvriront pas2.

1. Pr 4, 2.

2. Lc 6, 22.

3. 1 Jn 3, 13.

4. Jn 15, 19.

5. Cf. 2034 et note 8 ; n° 2036 et note 3.

6. Si 13, 19.

7. Sg 2, 15.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CVIII, 1, BA 75, p. 117-119. Voir aussi Mt 1, 20, que saint Thomas commente ainsi : « c'est-à-dire de la puissance de l'Esprit Saint, non pas de sa substance, pour qu'on ne croie pas qu'il soit fils de l'Esprit Saint » (Sup. Matth. lect., I, n° 111).

9. Jn 8, 23.

10. Mc 16, 15.

ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE.

2227. Voilà la raison de sa demande. Il semble qu'il y ait là une confusion de mots et une répétition inutile puisqu'il a dit précédemment les mêmes paroles. Mais en fait ce n'est pas une répétition inutile, parce qu'elles sont dites là pour une raison, et ici pour une autre. Précédemment, en effet, elles sont dites pour montrer la cause pour laquelle le monde les tient en haine, mais ici pour donner la raison pour laquelle ils doivent être gardés par Dieu.

Par là il nous est donné à comprendre que la raison pour laquelle les saints sont haïs du monde et aimés de Dieu est la même : le mépris du monde3 - Dieu ne vous a-t-il pas choisis pauvres en ce monde, riches dans la foi et héritiers du royaume que Dieu a promis à ceux qui l'aiment ?4 -, et c'est pourquoi l'homme, quel que soit le bien qu'il fait, est rendu haïssable pour le monde mais bien-aimé de Dieu - Nous offrirons à notre Seigneur Dieu des sacrifices abominés par les Égyptiens5.

b) Le Christ demande la sanctification de ses disciples.

SANCTIFIE-LES DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ. COMME TU M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI MOI AUSSI JE LES AI ENVOYÉS DANS LE MONDE. ET POUR EUX JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, AFIN QU'EUX AUSSI SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA VÉRITÉ. (17, 17-19)

2228. Auparavant le Seigneur a demandé la protection des disciples, ici il demande leur sanctification ; premièrement il la demande, deuxièmement il en donne la nécessité [n° 2230] et troisièmement il laisse entendre que cette sanctification est commencée [n° 2231].

SANCTIFIE-LES DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ.

2229. Il dit donc : Ainsi j'ai demandé qu'ils soient préservés du mal, mais cela ne suffit pas s'ils ne deviennent parfaits dans le bien - Détourne-toi du mal et fais le bien6. C'est pourquoi, Père, SANCTIFIE-LES7, c'est-à-dire rends-les parfaits et fais d'eux des saints8. Et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire en moi, ton Fils, qui suis la Vérité9, comme s'il disait : Fais-les participer à ma perfection et à ma sainteté. Et c'est pourquoi il ajoute : TA PAROLE, c'est-à-dire ton Verbe, EST VÉRITÉ, pour signifier : Sanctifie-les en moi, la Vérité, parce que moi, ton Verbe, je suis la Vérité.

1. Cf. 1 Jn 5, 19 : Nous savons que nous sommes de Dieu ; et le monde est tout entier sous l'empire du malin.

2. Is 43, 2.

3. Cf. 1 Jn 3, 13 : Ne vous étonnez pas, mes frères, si le monde vous hait.

4. Jc 2, 5.

5. Ex 8, 26.

6. Ps 36, 27. Saint Thomas commente : « Et il ne dit pas qu'il ne fasse pas le mal, parce qu'en cela il ne serait question que de négation seulement, mais détourne-toi du mal, pour ne pas avoir la volonté de l'accomplir. (...) Il y a un double ordre. Le premier ordre est celui de l'intentionnalité, et selon cet ordre le bien doit toujours être mis avant l'évitement du mal, parce que le juste évite le mal en vue de faire le bien. Le second ordre est celui de l'exécution ; et selon cet ordre, il est d'abord prescrit d'éviter le mal : car tous nous naissons fils de la colère et ne pouvons devenir justes sans repousser le mal » (Exp. in Psalmos, 36, n° 19).

7. En commentant ce verset saint Thomas explicite le lien entre la perfection, la sainteté et la vérité. En effet, pour chacun de nous, la perfection consiste dans la quête de la finalité. Aussi le Christ prie-t-il son Père de faire de nous des saints. La finalité chrétienne est la sainteté, qui est l'unité avec le Christ. Jésus en effet est venu pour nous conduire au Père et nous introduire dans son unité d'amour avec le Père. Et parce que Jésus est la Vérité, c'est lui-même qui fait le lien entre la sanctification de tous les hommes et la vérité qui est son propre mystère de lumière et d'amour.

8. Nous sommes sanctifiés par l'oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes (He 10, 10). Par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il sanctifie (10, 14). Cf. 2, 10 : II convenait, en effet, que, voulant conduire à la gloire un grand nombre de fils, Celui pour qui et par qui sont toutes choses rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les guider vers leur salut. Voir aussi He 5, 8-9 ; 9, 14, etc.

9. Voir Jn 14, 6.

Ou bien : SANCTIFIE-LES, en leur envoyant l'Esprit Saint ; et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire dans la connaissance de la vérité de la foi et de tes commandements1 - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres2. Car c'est par la foi et la connaissance de la vérité que nous sommes sanctifiés - Justice de Dieu par la foi en Jésus Christ en tous et sur tous ceux qui croient en lui3. Aussi ajoute-t-il : TA PAROLE EST VÉRITÉ, parce que la vérité des paroles de Dieu n'est mêlée d'aucune fausseté - Mes paroles sont droites et il n'y a en elles rien de faux ni de tortueux4 ; et aussi parce que sa parole enseigne la Vérité incréée.

On peut dire autre chose : dans l'Ancien Testament, on avait coutume de dire que tout ce qui était assigné au culte divin était sanctifié - Fais approcher vers moi Aaron, ton frère, avec ses fils, du milieu des fils d'Israël, pour qu'ils s'acquittent de mon sacerdoce5. Il dit donc : SANCTIFIE-LES - c'est-à-dire assigne-les comme par mode de sanctification - DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à la prédication de ta vérité, parce que TA PAROLE, qu'ils doivent prêcher, EST VÉRITÉ6.

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, co1. 442-443.

2. Jn 8, 32.

3. Rm 3, 22. Saint Thomas commente : « On dit que la justice de Dieu est par la foi en Jésus Christ non pas comme si, par la foi, nous méritions d'être justifiés, comme si notre foi existait par nous-mêmes et que par elle nous méritions la justice de Dieu, comme disent les pélagiens. Mais parce que, dans cette justification par laquelle nous sommes justifiés par Dieu, le premier mouvement de l'esprit vers Dieu se réalise par la foi » (Ad Rom. lect., III, n° 302).

4. Pr 8, 8.

5. Ex 28, 1.

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, co1. 442-443.

COMME TU M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI MOI AUSSI JE LES AI ENVOYÉS DANS LE MONDE.

2230. Le Seigneur ajoute ainsi la nécessité de la sanctification. Comme s'il disait : Moi c'est pour cela que je suis venu, pour prêcher la vérité - Je suis né dans ce monde pour rendre témoignage à la vérité7 -, et ainsi moi aussi j'ai envoyé mes disciples pour prêcher la vérité - Allez dans le monde entier, prêchez l'Évangile à toute créature8. Il est donc nécessaire qu'ils soient sanctifiés dans la vérité - Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie9.

ET POUR EUX JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, AFIN QU'EUX AUSSI SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA VÉRITÉ.

2231. Mais ils doivent être sanctifiés non seulement à cause du service auquel ils sont destinés, mais parce que cette sanctification a déjà été commencée par moi.

Selon Augustin 10, en effet, il faut savoir qu'il existe dans le Christ deux natures : quant à sa nature divine, le Christ est saint par essence et, quant à sa nature humaine, le Christ est saint par la grâce, qui découle de la nature divine. C'est donc selon sa divinité qu'il dit : JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, en assumant pour eux la chair, et cela, pour que la sainteté de la grâce qui, par moi en tant que Dieu, est en moi en tant qu'homme, découle de moi sur eux ; parce que de sa plénitude nous avons tous reçu11. Comme l'huile qui est versée sur la tête, du Christ qui est Dieu, qui descend sur la barbe d'Aaron, c'est-à-dire sur l'humanité, et de là descend sur le bord de son vêtement12, c'est-à-dire sur nous.

7. Jn 18, 37.

8. Mc 16, 15.

9. Jn 20, 21.

10. Tract, in Io., CVIII, 5, BA 75, p. 127.

11. Jn 1, 16.

12. Ps 132, 2.

Ou encore, selon Chrysostome1, il a demandé qu'ils soient sanctifiés d'une sanctification spirituelle. Dans l'Ancien Testament, il existait des justifications de la chair - Des règles pour la chair imposées jusqu'au temps de la réforme2. Mais celles-ci étaient des préfigurations de la sanctification spirituelle, et cependant elles étaient réalisées par un certain sacrifice 3 ; c'est pourquoi il convenait, pour la sanctification de ses disciples, que soit fait un sacrifice. Et c'est ce que dit le Christ : pour QU'EUX SOIENT SANCTIFIÉS, maintenant JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, c'est-à-dire je m'offre en sacrifice - Il s'est offert lui-même à Dieu 4. - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte5. Et cela en vérité, non pas par une préfiguration, comme dans l'Ancien Testament.

1. In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, co1. 443.

2. He 9, 10.

3. Voir Lv ch. 1-7, où est décrit le rituel des sacrifices comportant : les sacrifices de l'holocauste où toute la victime est brûlée ; le sacrifice d'oblation, sacrifice de végétaux accompagné d'une libation de vin, en signe de paix ; le sacrifice de communion (à nouveau un sacrifice d'animaux) en action de grâces ; le sacrifice pour le péché, pour demander pardon ; le sacrifice de réparation, pour réparer la faute. Voir aussi Nb 28, 3-6 : Voici les sacrifices que vous devez offrir : deux agneaux d'un an, sans tache, tous les jours, en holocauste perpétuel ; vous en offrirez un le matin, et l'autre vers le soir (…). C'est l'holocauste perpétuel que vous avez offert sur la montagne de Sinaï, en odeur très suave d'un sacrifice au Seigneur, consumé par le feu. Saint Thomas précise : « Par là était signifié que l'oblation de l'agneau, c'est-à-dire du Christ, devait consommer tous les autres sacrifices ; et c'est pourquoi il est dit en Jn 1, 29 : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde » {Somme théo1., III, q. 22 ; a. 3, ad 3).

4. He 9, 14.

5. He 13, 12.

LE CHRIST INTERCÈDE POUR TOUS LES CROYANTS

2232. Après avoir prié pour ses disciples, le Seigneur intercède à présent de manière générale pour tous les croyants. D'abord il présente sa prière, puis il ajoute la raison qu'elle a d'être exaucée [n° 2263].

A. LE CHRIST PRÉSENTE SA PRIÈRE

Dans sa prière il demande au Père deux choses pour ses disciples : la perfection de l'unité et la vision de la gloire [n° 2252].

a) La perfection de l'unité.

Concernant le premier point, il demande comme homme la perfection de l'unité. Puis il montre que lui-même comme Dieu leur a donné le pouvoir de parvenir à cette unité [n° 2244].

I

CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI, PAR LEURS PAROLES, CROIRONT EN MOI, AFIN QUE TOUS SOIENT UN. COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI SOIENT UN EN NOUS, AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 20-21)

Pour ce premier point, il présente ceux pour lesquels il prie, puis dit ce qu'il demande [n° 2237].

CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI, PAR LEURS PAROLES, CROIRONT EN MOI.

2233. Il adresse sa demande pour toute l'assemblée des croyants, et c'est pourquoi il dit : J'ai dit : Garde mes disciples du mal et sanctifie-les dans la venté1 ; mais CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI (...) CROIRONT EN MOI, c'est-à-dire pour ceux dont la foi sera confirmée, et cela PAR LEURS PAROLES, à savoir celles des Apôtres. Et c'est à juste titre qu'il le demande, parce que nul n'est sauvé si ce n'est par l'intercession du Christ. Or ce n'était pas seulement les Apôtres qui allaient être sauvés, mais aussi les autres ; il devait donc aussi prier pour les autres - II a aimé tes pères et il a élu leur descendance après eux2. - Je resterai avec leur descendance, et leur postérité sera un saint héritage3.

1. Jn 17, 17.

2. Dt 4, 37.

3. Cf. Si 44, 11.

2234. Mais on pourrait objecter : il semble qu'il n'ait pas prié pour tous ses fidèles. Car ici il prie pour ceux qui devaient être convertis par les paroles des Apôtres, mais les pères anciens et Jean Baptiste n'ont pas été convertis par leurs paroles. À cela il faut répondre qu'ils étaient déjà parvenus à la perfection ; et, bien que ne jouissant pas de la vision de Dieu puisque le prix n'avait pas été payé, cependant ils avaient quitté la terre avec leurs grands mérites, de sorte qu'aussitôt la porte du Paradis ouverte ils devaient être introduits, et c'est pourquoi ils n'avaient pas besoin de la prière.

2235. Mais on peut encore s'interroger : Qu'en est-il de ceux qui ont cru, non pas grâce aux paroles des Apôtres, mais immédiatement grâce au Christ, comme Paul - Je ne l'ai pas reçu ni appris des hommes ou par l'intermédiaire de l'homme mais par la révélation de Jésus Christ1 -, et le larron en croix2 ? Il ne semble donc pas que le Christ ait prié pour eux.

Voici ce qu'il faut répondre, selon Augustin3 : on dit que, par la parole des Apôtres, croient non seulement ceux qui l'ont entendue d'eux-mêmes, mais aussi tous ceux qui croient grâce à la parole que les Apôtres ont prêchée, qui est la parole de la foi4, appelée parole des Apôtres parce que c'est principalement à eux qu'elle a été confiée et annoncée ; et qui à Paul aussi, comme au larron en croix, a été révélée divinement. Ou bien il faut dire que ceux qui ont été immédiatement convertis par le Christ et grâce au Christ comme Paul et le larron sur la croix, et d'autres s'il y en a, sont comptés dans cette prière que le Seigneur a faite pour ses disciples. C'est pourquoi le Seigneur a dit : ceux que tu m'as donnés5, ou que tu me donneras.

2236. On peut encore se poser la question : Et nous, qui ne croyons pas grâce aux Apôtres ? Mais à cela il faut répondre que, bien que nous n'ayons pas cru grâce aux Apôtres, cependant nous croyons grâce à leurs disciples.

AFIN QUE TOUS SOIENT UN. COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI.

2237. Maintenant le Seigneur demande la perfection de l'unité. D'abord il présente l'unité qu'il demande, puis le modèle et la cause de cette unité [n° 2239], et enfin le fruit de cette unité [n° 2241].

AFIN QUE TOUS SOIENT UN.

2238. Il dit donc : Je demande cela AFIN QUE TOUS SOIENT UN. Car, comme le disent les platoniciens6, toute chose tient son unité de ce à partir de quoi elle a sa bonté. En effet le bien est ce qui peut conserver la réalité ; or aucune réalité n'est conservée si ce n'est par le fait qu'elle est une. Et c'est pourquoi le Seigneur, demandant la perfection de ses disciples dans la bonté, demande qu'ils soient un ; ce qui effectivement a été réalisé - Le cœur de la multitude des croyants était un et leur âme une7. - Voyez ! qu'il est bon, qu'il est doux, d'habiter en frères dans l'unité /8

COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI SOIENT UN EN NOUS.

2239. Le Seigneur donne ensuite le modèle et la cause de l'unité, en disant : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI. En effet certains sont un, mais dans le ma1. Aussi Dieu ne demande-t-il pas cette unité, mais celle par laquelle les hommes sont unis en vue du bien, c'est-à-dire pour Dieu, et c'est pourquoi le Christ dit : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, c'est-à-dire qu'ils soient unis de manière à croire en moi et en toi - A plusieurs nous sommes un seul corps dans le Christ1. - Appelés à garder l'unité de l’Esprit, (...) unité qui est un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême2. Et en vérité, dans le Père et le Fils qui sont un, nous sommes un : alors que si nous recherchons des choses diverses en croyant et en désirant, notre affection se disperse vers de multiples choses.

1. Ga 1, 12.

2. Voir Le 23, 43.

3. Tract, in Io., CIX, 1, BA 75, p. 131-132. Les divers cas mentionnés par saint Thomas reprennent succinctement ceux que saint Augustin avait notés, ainsi que les explications auxquelles toute l'homélie CIX est consacrée.

4. Voir Rm 10, 8.

5. Jn 17, 12.

6. Aristote, à plusieurs reprises, en évoquant la théorie platonicienne des Idées, montre que les platoniciens identifient parfois l'Un et le Bien. « Même parmi les partisans des substances immobiles, certains assimilent l'Un en soi au Bien en soi » {Métaphysique, N, 4, 1091 b 13-14. Voir aussi Éthique à Eudème, I, 8, 1218 a 15-32). Pour Platon, dit aussi Aristote, « les Idées sont causes de l'essence pour toutes les autres choses, et l'Un à son tour est cause pour les Idées » {Métaphysique, A, 988 a 10-11). Platon développe sa théorie des Idées dans de nombreux dialogues comme La République, Le Timée, Le Phédon. Saint Thomas, lui, a étudié dans un regard critique la convertibilité de l'un et du bien {De veritate, q. 1, a. 1). Ici, en assumant ce regard critique, il montre que tant du côté de la source que du côté des effets, bonté et unité se tiennent, en particulier dans l'Église pour laquelle le Christ prie.

7. Ac 4, 32.

8. Ps 132, 1.

2240. Mais Arius tire de là l'argument que, de la même manière que le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, ainsi nous sommes en Dieu. Or nous ne sommes pas en Dieu par unité d'essence, mais par une conformité de volonté et d'amour ; il conclut donc que, de la même manière aussi, le Père n'est pas dans le Fils selon une unité d'essence3.

Mais on doit dire qu'entre le Père et le Fils il y a une double unité, celle de l'essence et celle de l'amour ; et le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père selon l'une et l'autre4. Ce qu'il dit ici - COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI -peut donc se rapporter en un sens à l'unité d'amour, selon Augustin5, et cela signifie alors : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI par l'amour ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI, c'est-à-dire mes disciples, SOIENT UN EN NOUS par l'amour, parce que la charité fait que nous sommes un avec Dieu ; comme s'il disait : Comme le Père aime le Fils et réciproquement, qu'ainsi ceux-ci aiment le Père et le Fils. Et ainsi COMME n'exprime pas une égalité mais une similitude lointaine 6.

Ou, selon Hilaire7, cela peut se rapporter à l'unité de nature : non pas qu'il y ait en nous, quant au nombre, la même nature que le Père et le Fils, comme elle se trouve en eux, mais parce que notre unité existe par le fait que nous sommes assimilés à cette nature divine par laquelle le Père et le Fils sont un. En ce sens aussi, COMME exprime une certaine imitation. Et de là vient que nous sommes invités à une imitation de la dilection divine - Cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien-aimés, et suivez la voie de l'amour à l'exemple du Christ qui nous a aimés8 ; et aussi de la perfection ou de la bonté divines - Soyez parfaits comme votre Père est parfait9.

AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 21)

2241. Il indique le fruit de l'unité par ces mots. Rien en effet ne manifeste la vérité de l'Évangile comme la charité des croyants - En cela ils connaîtront tous que vous êtes mes disciples, à l'amour que vous aurez les uns pour les autres10. Tel sera donc le fruit de l'unité : parce que du fait qu'ils sont un le monde croira que l'enseignement que je leur ai donné est de toi, et connaîtra QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Dieu, en effet, n'est pas cause de dissension, mais de paix11.

2242. Ici se pose une question, parce que nous serons parfaitement un dans la Patrie où il ne sera plus temps de croire ; il ne convient donc pas qu'après avoir demandé l'unité il ajoute : AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Mais il faut dire qu'ici il ne parle pas d'une unité pleinement achevée (consummata), mais d'une unité déjà commencée (inchoata).

1. Rm 12, 5. Voir vo1. I, n° 961, note 2.

2. Ep 4, 3-5.

3. Cf. saint Hilaire, La Trinité, VIII, 5, SC 448, p. 385-387.

4. Au sujet du lien entre le Père et le Fils dans la Très Sainte Trinité, voir ci-dessus, n° 1970, n" 1971 et note 9.

5. La Trinité, IV, IX, 12, BA 15, p. 371-373.

6. Cf. Somme théo1., II—II, q. 23, a. 1, où saint Thomas explique que la charité est comme une amitié. Mais la charité de l'homme demeure créée et limitée, et n'est qu'une participation à celle de Dieu qui est infinie. Aussi la similitude porte-t-elle sur le fait que Dieu donne à l'homme de participer à sa béatitude.

7. La Trinité, VIII, 11, 20-23, SC 448, p. 393.

8. Ep 5, 1-2. Voir vo1. I, n° 1376, note 5.

9. Mt 5, 48. Voir aussi vo1. I, n° 1376, note 5.

10. Jn 13, 35.

11. Cf. 1 Co 14, 33. Voir saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG 59, co1. 444.

2243. Il y a encore une autre question1 parce que lui-même prie pour que soient un ceux qui croient en lui : donc le monde qui croit est un. Comment donc ajoute-t-il, après avoir dit qu'ils sont un, AFIN QUE LE MONDE CROIE ?

À cela on peut répondre, au sens mystique2, qu'en un premier sens le Seigneur demande pour tous les croyants qu'ils soient un : cependant tous ne croiraient pas en même temps, mais certains par lesquels les autres devaient être convertis croiraient avant eux. Et donc, AFIN QUE LE MONDE CROIE se comprend de ceux qui n'ont pas cru dès le commencement, et qui quand ils ont cru sont devenus un, et de même les autres qui ont cru après eux, et ainsi jusqu'à la fin du monde.

En un autre sens, selon Hilaire3, AFIN QUE LE MONDE CROIE signifie la fin de l'unité et de la perfection. Comme s'il disait : Rends-les parfaits pour qu'ainsi ILS SOIENT UN, c'est-à-dire AFIN QUE LE MONDE CROIE que c'est toi qui m'as envoyé. Alors le AFIN QUE (ut) marque la cause finale.

En un troisième sens, selon Augustin4, on peut dire que AFIN QUE LE MONDE CROIE serait une autre demande, et alors il faut que soit répété : « Je te demande », comme s'il disait : Je te demande QU'ILS SOIENT UN et je te demande QUE LE MONDE CROIE.

II

2244. Ce que le Christ a réalisé en vue de cette unité, il l'ajoute en disant : ET MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE, comme si ce qu'il demande en tant qu'homme, il le réalise comme Dieu.

Et d'abord il montre qu'il a lui-même œuvré pour QU'ILS SOIENT UN ; puis il expose le mode de cette unité et son ordre [n° 2247] ; enfin il montre la fin de l'unité [n° 2249].

ET MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE, AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. (17, 22)

2245. Il dit donc : Même si en tant qu'homme je demande leur perfection, cependant c'est conjointement avec toi que je fais cela, parce que moi aussi LA GLOIRE, celle de la Résurrection, QUE toi, Père, TU M'AS DONNÉE par une prédestination éternelle et que tu vas me donner bientôt en réalité, JE LA LEUR AI DONNÉE, c'est-à-dire aux disciples. Et cette gloire est l'immortalité que recevront les fidèles à la résurrection, aussi quant à leur corps5 - Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire6. - On est semé dans l’ignominie, on ressuscitera dans la gloire1.

Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN, parce que du fait qu'ils seront glorieux dans leur corps, ils seront faits un COMME NOUS AUSSI SOMMES UN.

1. Saint Thomas reprend ici une interrogation de saint Augustin (voir ci-dessous n° 2243, note 4).

2. Sur le sens du mot mystice-, voir ci-dessus, n° 1594, note 10.

3. La Trinité, VIII, 12, 8-11, SC 448, p. 395.

4. Tract, in Io., CX, 2, BA 75, p. 153.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 3, BA 75, p. 155.

6. Ph 3, 21. Voir vo1. I, n° 791. Saint Thomas commente : « Le corps du Christ est certes glorifié par la gloire de sa divinité, et cela il l'a mérité par sa Passion ; quiconque donc participe à la puissance de la divinité par la grâce et imite la Passion du Christ sera glorifié - Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi j'ai vaincu et je siège avec mon Père sur son trône (Ap 3, 21). - Nous serons semblables à lui (1 Jn 3, 2). -Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père (Mt 13, 43) » (Ad Phi1. lect., III, n° 145).

7. 1 Co 15, 43.

2246. Mais il semble distinguer son œuvre de l'œuvre du Père en disant que le Père lui a donné la gloire et que lui, le Christ, l'a donnée aux croyants. Mais si on le comprend bien, il ne dit pas cela pour distinguer l'opération, mais les personnes. Car le Fils en tant que Fils, conjointement au Père, donne la gloire au Christ homme, et la donne aussi avec lui aux croyants. Cependant c'est spécialement par son humanité qu'il leur accorde cette gloire. C'est pourquoi il attribue à lui-même celle-ci, et celle-là au Père. Et c'est ainsi qu'on comprend ici la gloire, selon Augustin1.

Ou bien, selon Chrysostome2, LA GLOIRE, la gloire de la grâce, QUE TU M'AS DONNÉE à moi comme homme, c'est-à-dire quant à la connaissance parfaite, la perfection et l'accomplissement des miracles, JE LA LEUR AI DONNÉE en partie et je la leur donnerai encore plus parfaitement - Nous sommes transformés de gloire en gloire3. - Il a donné des dons aux hommes4. Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. En effet, la finalité des dons divins est que nous soyons unis dans cette unité qui est conforme à l'unité du Père et du Fils.

MOI EN EUX ET TOI EN MOI (17, 23)

2247. L'ordre de l'unité est donc donné. Car c'est par cet ordre qu'ils parviennent à l'unité, parce qu'ils voient que, par la grâce, moi je suis en eux comme en un temple - Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?5 Cette grâce est comme une certaine similitude6 de l'essence divine, par laquelle tu es en moi par l'unité de nature - Moi je suis dans le Père et le Père est en moi7. Et cela pour qu'ils soient consommés - c'est-à-dire parfaits - dans l'unité.

1. Loc. cit.

2. In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG 59, co1. 444.

3. 2 Co 3, 18. Saint Thomas commente : « Chez les disciples du Christ on distingue trois degrés de connaissance. Le premier : de la gloire de la connaissance naturelle à la gloire de la connaissance de la foi. Le second : de la gloire de la connaissance de l'Ancien Testament à la gloire de la connaissance de la grâce du Nouveau Testament. Le troisième : de la gloire de la connaissance naturelle et de l'Ancien et du Nouveau Testament à la gloire de la vision éternelle » {Ad 2 Cor. lect., III, n° 115).

4. Ps 67, 19.

Mais remarque : alors qu'il avait dit auparavant : AFIN QU'ILS SOIENT UN, ici il ajoute : POUR QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS. La première proposition se rapporte à l'unité de la grâce, mais la seconde à l'unité de la gloire ; la première au commencement, la seconde à l'achèvement. Ou encore, selon Hilaire : MOI EN EUX, sous-entendu : je suis en eux par l'unité de la nature humaine que j'ai en commun avec eux, et encore parce que je leur donne mon corps en nourriture sacramentelle, ET TOI EN MOI par l'unité d'essence8.

2248. Mais après avoir d'abord exposé que, par la grâce, non seulement le Fils est en eux, mais aussi le Père - Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure9 -, pourquoi dit-il : MOI EN EUX sans mentionner le Père ? Réponse : il faut dire, selon Augustin10, qu'il ne dit pas cela dans l'intention de montrer que le Fils est en eux sans le Père, mais pour montrer que c'est par le Fils qu'ils ont accès auprès du Père - Ayant reçu de la foi notre justification, nous sommes en paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce1.

5. 1 Co 3, 16. Saint Thomas commente : « II faut considérer que Dieu est en toutes créatures par son essence, par sa puissance et par sa présence, emplissant toutes choses de ses bontés - Moi j'emplis le ciel et la terre (Jr 23, 24). Mais spirituellement on dit que Dieu habite comme en une demeure familière en ses saints dont l'esprit, par la connaissance et l'amour, est capable de Dieu même s'ils ne l'aiment et ne le connaissent pas en acte, pourvu qu'ils aient par la grâce les vertus de foi et de charité comme les enfants baptisés. Mais la connaissance sans l'amour ne suffit pas à l'inhabitation de Dieu - Celui qui demeure dans la chanté demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4, 16). De là vient que beaucoup connaissent Dieu soit par une connaissance naturelle soit par une foi informe, en qui cependant l'Esprit de Dieu n'habite pas » (Ad 1 Cor. lect., III, n° 173). Sur l'inhabitation de l'Esprit Saint, voir aussi Contra Gentiles, IV, 21.

6. Voir Somme théol, I-II, q. 110, a. 3, c.

7. Jn 14, 10.

8. La Trinité, VIII, 15, SC 448, p. 401.

9. Jn 14, 23.

10. Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 159.

Ou bien, selon Chrysostome2, plus haut il a dit nous viendrons à lui3 pour montrer la pluralité des personnes divines, contre Sabellius ; mais ici il dit MOI EN EUX pour montrer l'égalité du Père et du Fils contre Arius. Par cela en effet, il nous est donné à entendre que le fait que le Fils seul habite en eux suffit aux croyants, puisque du fait qu'il habite en eux, le Père lui-même habite en eux.

POUR QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS DANS L'UNITÉ, ET QUE LE MONDE CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ, ET QUE TU LES AS AIMÉS COMME TU M'AS AIMÉ. (17, 23)

2249. Ici est donnée la finalité de l'unité. Et si l'union consommée se rapporte à l'achèvement du chemin, alors QUE LE MONDE CONNAISSE signifie la même chose que ce qu'il a dit auparavant - Que le monde croie4. Mais croie, il l'a dit alors parce qu'il s'agit d'un commencement, alors qu'ici il dit : CONNAISSE parce que ce qui suit une connaissance imparfaite, ce n'est pas la foi mais une connaissance plénière5.

Et il dit : pour QUE LE MONDE CONNAISSE, non pas ce que le monde est maintenant, mais ce que le monde a été ; le sens est donc : QUE LE MONDE - qui était déjà croyant6 - CONNAISSE. Ou bien QUE LE MONDE - c'est-à-dire ceux qui aiment le monde7 - CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ; parce qu'alors les méchants, par des signes manifestes, connaîtront que le Christ est le Fils de Dieu - Tout œil le verra8. - Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé9. - Ils verront le Fils de l'homme venant avec grande puissance et majesté sur les nuées du ciel10.

1. Rm 5, 1.

2. In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG 59, co1. 444.

3. Jn 14, 23.

4. Jn 17, 21.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 161. Sur la connaissance de la gloire qui remplacera celle de la route, voir ci-dessus, n° 2203, et n° 2139 et note 11. Voir aussi Somme théol, II-II, q. 2, a. 3, c, où saint Thomas montre que la foi est l'école de la vision béatifique : « L'homme n'entre pas tout d'un coup dans un enseignement de cette sorte : il y entre progressivement, suivant en cela la manière même de sa nature. À cette vision il est sûr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met à apprendre à l'école même de Dieu, selon qu'il est dit en saint Jean (Jn 6, 45) : Quiconque prête l'oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi. De là vient que pour être en état de parvenir à la vision parfaite qu'on a dans la béatitude, l'homme doit auparavant croire à Dieu comme un disciple au maître qui l'enseigne. »

6. Saint Thomas fait ici allusion à la foi d'Abraham et de ses descendants : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice (Gn 15, 6).

2250. Et non seulement pour QUE LE MONDE CONNAISSE cela, mais qu'il connaisse aussi la gloire des saints, parce que TU LES AS AIMÉS, les croyants. En effet, à présent nous ne pouvons pas connaître combien est grand l'amour de Dieu pour nous, parce que les biens que Dieu nous donne, excédant notre désir et notre appétit, ne peuvent tomber dans notre cœur - L'œil n'a pas vu3 l'oreille n'a pas entendu, et n'est pas monté au cœur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment11. Et c'est pourquoi le monde croyant, c'est-à-dire les saints, connaîtront par expérience combien il nous aime ; mais ceux qui aiment le monde, c'est-à-dire les méchants, le connaîtront en voyant cela et en admirant la gloire des saints - Ceux que, à un moment donné, nous avons tournés en dérision et dont nous avons fait un objet d'outrage (...), comment ont-ils été comptés entre les fils de Dieu, comment partagent-ils le sort des saints ?12

2251. Mais il dit : COMME TU M'AS AIMÉ, ce qui n'implique pas l'égalité de l'amour mais sa raison (ratio) et une similitude (similitudo) dans l'amour. Comme s'il disait : l'amour dont tu m'as aimé est la raison (ratio) et la cause (causa) de pourquoi tu les as aimés 1 ; car du fait que tu m'aimes, tu aimes ceux qui m'aiment et mes membres2 - Le Père lui-même vous aime parce que vous m'avez aimé3.

7. Sur les deux sens du mot « monde », voir ci-dessus, n° 2032, note 4.

8. Ap 1, 7.

9. Jn 19, 37.

10. Lc 21, 27.

11. 1 Co 2, 9.

12. Sg5, 3 et 5.

Mais il faut savoir que Dieu aime toutes les réalités qu'il a faites, en leur donnant l'être 4 - Tu ne hais rien de ce que tu as fait, car si tu avais haï quelque chose tu ne l'aurais pas fait5. Et plus que tout il aime son Fils unique, à qui il a donné toute sa propre nature par la génération éternelle. Quant aux membres de son Fils unique, ceux qui croient au Christ, c'est selon un mode intermédiaire qu'il les aime en leur donnant la grâce par laquelle le Christ habite en nous - II a aimé les peuples : tous les saints sont dans sa main6.

b) La vision de la gloire.

PERE, CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE. (17, 24)

2252. Plus haut le Seigneur a demandé pour ses disciples la perfection de l'unité [n° 2232], à présent il demande pour eux la gloire de la vision. D'abord il précise les personnes pour lesquelles il fait cette demande, ensuite il expose sa manière de demander [n° 2254], enfin ce qu'il demande [n° 2255].

PÈRE, CEUX QUE TU M'AS DONNÉS

2253. Il demande pour ceux qui lui ont été donnés. Il faut savoir qu'est dit « donné à quelqu'un » ce qui est soumis à sa volonté, c'est-à-dire pour qu'il en fasse ce qu'il veut. Or la volonté du Christ est double : de miséricorde et de justice. Mais la volonté de miséricorde lui appartient en premier lieu et par elle-même, parce que sa miséricorde s'étend à toutes ses œuvres7 - II veut que tous les hommes soient sauvés8 ; quant à la volonté de justice de celui qui punit, elle ne lui appartient pas de manière première, mais présuppose le péché - Dieu en effet ne se réjouit pas de la perdition des hommes9. - Je ne veux pas la mort du pécheur10, cela est vrai en soi, mais cependant il la veut par voie de conséquence à cause du péché.

1. Saint Thomas rappelle ici que la raison, qui est dans la réalité ce qu'il y a d'intelligible, renvoie à la cause de la réalité, et surtout à sa cause finale (le pourquoi de la réalité). Ainsi c'est l'amour du Père pour le Fils qui est la raison de l'amour du Père pour chacun de nous. Sur le sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p. 18, note 4.

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 5, BA 75, p. 165.

3. Jn 16, 27.

4. Dieu crée par pur amour et par gratuité. Aucune existence autreque lui n'est nécessaire. Nous dépendons tous dans notre être de l'Être premier, et cette dépendance actuelle est une dépendance dans l'amour qui respecte cependant pleinement notre liberté. Nous restons libres, par nos opérations, de dire oui à Dieu qui nous a créés.

5. Sg 11, 25.

6. Dt 33, 3.

Tous les hommes ont donc été donnés au Fils. Tu lui as donné puissance sur toute chair11, c'est-à-dire sur tout homme, pour qu'il réalise en eux sa volonté, soit de miséricorde pour sauver, soit de justice pour punir - Il est en effet le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts 12.

Mais ceux qui lui ont été donnés au sens absolu sont ceux qui lui ont été donnés pour qu'il réalise en eux sa volonté de miséricorde en vue du salut ; aussi dit-il de ceux-ci : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS dans ta prédestination, de toute éternité - Me voici, moi et les enfants que le Seigneur m'a donnés13.

7. Ps 144, 9.

8. 1 Tm 2, 4.

9. Sg 1, 13.

10. Cette citation est un mélange des versets 23 et 32 du chapitre 18 d'Ézéchie1.

11. Jn 17, 2.

12. Ac 10, 42.

13. Is 8, 18 repris par He 2, 13.

JE VEUX QUE LA OU JE SUIS

2254. Sa manière de demander est indiquée quand il dit : JE VEUX, ce qui peut désigner soit son autorité, soit son mérite. L'autorité, si nous l'entendons de sa volonté qui, en tant qu'il est Dieu, est la même volonté que celle du Père ; car c'est par sa volonté qu'il justifie et sauve les hommes - II fait miséricorde à qui il veut1. Et le mérite si nous l'entendons de sa volonté en tant qu'il est homme, volonté qui nous mérite le salut. En effet, si les volontés des justes qui sont les membres du Christ ont le mérite d'obtenir - Tout ce que vous demanderez vous sera accordé2 -, combien plus la volonté du Christ homme, qui est la Tête de tous les saints.

PÈRE, CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE.

2255. Ici il ajoute ce qu'il demande. Il demande d'abord l'union des membres à la Tête, puis la manifestation de sa gloire à ses membres [n° 2259].

CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI.

2256. Cela peut s'entendre de deux manières. En un sens cela se rapporterait au Christ homme. Car le Christ en tant qu'homme allait bientôt monter au ciel - Je monte vers mon Père et votre Père3'. Cela signifie alors : Je veux que dans le ciel, où moi je serai bientôt, ceux-ci aussi - c'est-à-dire les croyants - soient avec moi, même quant au lieu - Où il y aura un corps, là se

rassembleront aussi les aigles 4, c'est-à-dire les saints5. En effet, c'est ce qu'il avait promis - Réjouissez-vous, exultez, parce que votre récompense est abondante dans le ciel6.

2257. Mais un doute subsiste parce que, puisqu'il n'était pas encore au ciel, il aurait dû dire : « où moi je serai », et non pas LÀ OÙ JE SUIS. De même, pourquoi a-t-il dit plus haut : Et personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel7 ?

À la première objection, il faut répondre que le Christ qui parlait était à la fois Dieu et homme, et c'est pourquoi, bien qu'il ne fut pas au ciel selon son humanité, il y était cependant selon sa divinité, si bien qu'ainsi, tout en étant sur terre, il était au ciel ; et c'est pourquoi il dit : LÀ OÙ JE SUIS. À la seconde, il faut répondre que ce qu'il dit plus haut - Personne n'est descendu du ciel sinon le Fils de l'homme qui descend du ciel8 -se comprend parce qu'il est au ciel selon sa divinité, qu'il en descend en assumant une nature humaine et qu'il y monte selon cette nature humaine désormais glorifiée. Et ainsi, pourvu que nous soyons avec lui nous sommes déjà un. Il est donc venu seul, lui-même, en descendant du ciel, et il y est aussi retourné seul en montant pour nous au ciel, selon Grégoire1.

1.Rm 9, 18.

2. Jn 15, 7.

3. Jn20, 17.

4. Mt 24, 28. Saint Thomas commente : « II ne dit pas les vautours ou les corbeaux, mais les aigles, qui désignent les saints - Ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils voleront et ne s'épuiseront pas (Is 40, 31). Ainsi, comme le dit Jérôme, partout où sera fait mémoire de la Passion du Christ, les saints doivent être rassemblés par la mémoire continuelle de sa Passion - Rappelez-vous ces premiers jours où, après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10, 32) » (Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Dans la Somme théologique, saint Thomas voit dans cette image la présence corporelle du Christ, promise à ses amis, et que le mystère de l'Eucharistie prépare : « Et puisque, selon Aristote, le propre de l'amitié est que l'on partage la vie de ses amis (Éthique à Nicomaque, IX, 12), il nous a promis pour récompense sa présence corporelle - Où il y aura un corps, là se rassembleront aussi les aigles. En attendant toutefois, il ne nous a pas privés de sa présence corporelle pour le temps de notre pèlerinage, mais, par la vérité de son corps et de son sang, il nous unit à lui dans ce sacrement - Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 57) » (III, q. 75, a. 1, a). Voir aussi vo1. I, n° 1558, note 10.

5. Voir ci-dessus, nc 1804, note 3.

6. Mt 5, 12 ; Lc 6, 23.

7. Jn3, 13.

8. Pour comprendre ce verset qui n'est pas littéral, voir Jn 3, 13 : Et personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est au cie1. Jn 6, 33 : Car le vrai pain [de Dieu] est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. Et Jn 6, 38 : Parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.

Et s'il dit JE SUIS, en mettant un présent au lieu du futur, c'est soit parce qu'il devait y être bientôt, soit parce que cela se rapporte au Christ Dieu.

2258. Mais alors, dans ce cas, puisque Dieu est partout - Moi j'emplis le ciel et la terre2 -, les saints, semble-t-il, seront aussi partout.

À ce sujet il faut dire que Dieu est pour nous comme ce que la lumière est pour les hommes. Or la lumière se diffuse partout grâce au soleil qui est au-dessus de la terre. Et la lumière a beau être avec les hommes, tous cependant ne sont pas dans la lumière du soleil, mais seulement ceux qui la voient. Ainsi donc, puisque Dieu est partout, il est avec tous en tous lieux ; cependant tous ne sont pas avec Dieu, si ce n'est ceux qui lui sont unis par la foi et l'amour et qui seront finalement unis à lui dans la jouissance parfaite3 - Et moi je suis toujours avec toi4. — Ainsi nous serons toujours avec le Seigneur5.

Le sens est donc : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, en ta divinité que j'ai par nature, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, par la participation de la grâce - II a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu 6. - Qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui7.

AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE. (17, 24)

1. Moralium libri, XXVII, 15, 30, PL 76, co1. 416 C.

2. Jr 23, 24.

3. « De même que l'aveugle qui est à la lumière n'est pas cependant lui-même avec la lumière, mais absent à sa présence, de même l'incrédule et l'impie, et même l'homme fidèle et religieux mais qui n'est pas encore capable de regarder la lumière de la Sagesse, n'est pas lui-même avec le Christ, du moins par la vision, alors même qu'il ne peut être nulle part où ne soit pas aussi le Christ » (saint Augustin, Tract, in Io., CXI, 2, BA 75, p. 187-189).

4. Ps 72, 23.

5. 1 Th 4, 16.

6. In 1, 12.

7. 1 In 4, 16.

2259. Il expose ensuite la manifestation de la gloire à ses membres. D'abord il présente la demande, puis il montre l'origine de la gloire [n° 2261], et enfin il donne le sens (ratio) de cette gloire [n° 2262].

AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE

2260. Il dit donc : JE VEUX, non seulement qu'ils soient avec moi, mais QU'ILS VOIENT, à savoir dans la vision béatifique - Quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est8 -, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, ce qui peut s'entendre de sa gloire selon son humanité, celle dont il a été illuminé dans la Résurrection - Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire9 -, ou de sa gloire selon sa divinité. Il est en effet la splendeur de la gloire et la figure de la substance du Père10, sa blancheur est celle de la lumière éternelle 11. Et les saints dans la gloire verront l'une et l'autre gloire. Car il est dit de la première : Ils verront le roi dans sa beauté 12. Mais celle-là, les impies la verront seulement lors du jugement - Alors ils verront le Fils de l'homme venant avec puissance et majesté13. Et Marc dit : Venant dans la gloire14, c'est-à-dire dans la clarté (in claritate15). Mais la vision de cette gloire leur sera retirée après le jugement, selon une autre parole : Que l'impie soit enlevé pour qu'il ne voie pas la gloire de Dieu 16. Mais la seconde gloire, celle de sa divinité, les saints la verront pour toujours - Dans ta lumière, celle de la grâce, nous verrons la lumière1, celle de la gloire, que les mauvais ne verront jamais. - Dans ses mains^ c'est-à-dire aux orgueilleux, il cache la lumière, (...) et il annonce à son ami que la lumière est son partage2.

8. 1 Jn 3, 2.

9. Ph 3, 21.

10. He 1, 3.

l1. Sg 7, 26.

12. Is 33, 17. Voir vo1. I, n" 1393, note 2.

13. Lc 21, 27.

14. Mc 13, 26.

15. Sur la distinction entre gloria et claritas, voir vo1. I, n" 1278, notes 3 et 4.

16. Is 26, 10.

QUE TU M'AS DONNÉE

2261. L'origine de cette gloire vient du Père ; c'est pourquoi il dit : QUE TU M'AS DONNÉE. Il lui a donné la gloire du corps dans la Résurrection, mais parce que cela était déjà accompli dans l'ordonnance [de la sagesse] divine, bien que ce fût encore à venir dans la réalité, il dit : TU M'AS DONNÉE - Tu l'as couronné de gloire et d'honneur3. Mais il lui a donné la gloire divine de toute éternité, parce que de toute éternité le Fils provient du Père comme la splendeur provient de la lumière.

PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE.

2262. Il donne ensuite le sens (ratio) de la gloire qui lui fut donnée. Et si cela se rapporte au Christ homme, le PARCE QUE indique alors la cause. En effet, de même que l'amour et la prédestination éternelle sont cause de ce que nous avons à présent la splendeur de la grâce et plus tard celle de la gloire jusque dans notre corps - Il nous a élus en lui dès avant la création du monde4 -, de même aussi ils sont cause de la gloire du Christ en tant qu'il est homme - Qui a été prédestiné Fils de Dieu dans la puissance5.

Cela signifie donc : Je dis que tu m'as donné la gloire, et ceci PARCE QUE TU M'AS AIMÉ, c'est-à-dire parce que dans ton amour tu m'as prédestiné, et cela AVANT LA FONDATION DU MONDE, pour que cet homme soit uni au Fils de Dieu dans la personne - Heureux ton élu, ton familier, il demeure en tes parvis 6.

Mais si cela se rapporte au Christ en tant qu'il est Dieu, le PARCE QUE indique alors un signe. En effet, ce n'est pas parce qu'il l'a aimé qu'il lui a donné la gloire, car dans le don que le Père a fait au Fils est désignée la génération éternelle. Or l'amour, si on le prend essentiellement (essentialiter), implique la volonté divine ; alors que si on regarde la notion (notionaliter7), c'est la notion de l'Esprit Saint qui est signifiée. Mais le Père a donné la gloire à son Fils par nature et non par sa volonté, parce qu'il l'a engendré par nature ; ce n'est donc pas non plus parce qu'il a spire l'Esprit Saint qu'il a donné la gloire au Fils8.

B. LA RAISON POUR LAQUELLE LA PRIÈRE DU CHRIST EST EXAUCÉE

2263. Ici, l'Évangéliste donne la raison pour laquelle sa demande est exaucée. Plus haut9 le Seigneur a inclus dans sa demande même ceux qui allaient croire - Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi10 -, et il a exclu le inonde et les incroyants ; c'est pourquoi il a dit : Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde1. Il en donne donc la raison, en montrant d'abord le défaut du monde puis le progrès des disciples [n° 2666].

1. Ps 35, 10. Voir vo1. I, n° 120 et note 6 ; n° 1145 et note 10.

2. Jb 36, 32-33 (propre à la Vulgate). Voir vo1. I, n° 103. Voir aussi ci-dessus, n° 1807, note 5.

3. Ps 8, 6.

4. Ep 1, 4.

5. Rm 1, 4. Voir vo1. I, n° 1461, note 7.

6. Ps 64, 5.

7. Saint Thomas distingue essentialiter et notionaliter pour signifier d'une part ce qui appartient à Dieu dans son essence et d'autre part ce qui qualifie chaque personne de la Très Sainte Trinité. Ainsi on peut parler d'actes notionnels, c'est-à-dire propres au Père, au Fils, à l'Esprit Saint. C'est le propre du Père d'engendrer le Fils, par nature et non par volonté. Cf. Somme théol, I, q. 41, a. 2.

8. Voir vo1. I, n" 545, où saint Thomas montre combien le Père aime le Fils, et que cet amour dont le Père aime le Fils est le signe que le Père a tout remis dans sa main. Et saint Thomas précise déjà que le Père engendre le Fils par nature et non par volonté. Ici il fait le lien avec la gloire. Sur les liens entre le Père et le Fils, voir ci-dessus, n° 2181 et note 1, et n° 2240.

9. Voir n° 2232.

10. Jn 17, 20.

a) Le défaut du monde.

PÈRE JUSTE, LE MONDE NE T'A PAS CONNU. (17, 25)

2264. Mais remarque que, quand il a demandé leur sanctification, il a appelé le Père saint, c'est pourquoi il a dit : Père saint2 ; mais à présent, demandant la rétribution, il l'appelle JUSTE - Dieu le juge juste3. Par là est exclue l'erreur des anciens affirmant qu'autre est le Dieu juste, c'est-à-dire celui de l'Ancien Testament, autre le Dieu bon, le Dieu du Nouveau Testament.

Le défaut du monde concerne la connaissance de Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE, non pas le monde réconcilié mais le monde damné, NE T'A PAS CONNU - Le monde a été fait par lui. Et le monde ne l’α pas connu4.

2265. Mais pourtant : Ce que l’on connaît de Dieu est manifeste en eux, ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence, à travers ses œuvres5.

Réponse. Disons qu'il y a deux connaissances : l'une spéculative et l'autre affective6 ; et le monde n'a connu Dieu parfaitement ni par l'une, ni par l'autre. En effet, bien que quelques-uns des Gentils l'aient connu selon ce que la raison pouvait en connaître, cependant lui, en tant qu'il est Père du Fils unique qui lui est consubstantiel, ils ne l'ont pas connu : et c'est de cette connaissance que parle le Seigneur. Et de là vient que l'Apôtre dit : ce que l'on connaît7, c'est-à-dire ce qui peut être connu de Dieu. Mais même s'ils connaissaient quelque chose de Dieu par la connaissance spéculative [de la raison], leur connaissance était souillée de nombreuses erreurs : tandis que certains8 l'évinçaient de la Providence sur toutes les réalités, d'autres disaient qu'il est l'âme du monde9, d'autres1 honoraient en même temps que lui beaucoup d'autres dieux. Aussi dit-on qu'ils ignoraient Dieu. En effet, si on peut en partie connaître et en partie ignorer les réalités composées, les réalités simples cependant, tant qu'elles ne sont pas atteintes parfaitement, sont ignorées. C'est pourquoi, même si ceux-là se trompaient très peu dans leur connaissance de Dieu, on peut dire qu'ils l'ignoraient totalement. On peut donc dire que ceux qui ne connaissent pas l'excellence singulière de Dieu l'ignorent - Puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu, gloire et action de grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé s'est obscurci2. - N'étant pas attentifs à ses œuvres ils n'ont pas su quel en était l'artisan3. De manière semblable, le monde ne l'a pas connu d'une connaissance affective parce qu'il ne l'aime pas - Comme les peuples qui ignorent Dieu4. Il dit donc : LE MONDE NE T'A PAS CONNU sans erreur et, en tant que Père, par l'amour.

1. Jn 17, 9.

2. Jn 17, 11.

3. Ps 7, 12.

4. Jn 1, 10.

5. Rm 1, 19-20. Voir ci-dessus, n° 2195, note 1.

6. Voir ci-dessus, n° 1762, note 3. Saint Thomas semble évoquer ici la différence que fait Aristote entre la connaissance spéculative (ou théorétique) et la connaissance pratique, affective. « Ces deux puissances, l'intelligence et le désir, sont donc principes du mouvement local - j'entends l'intelligence qui raisonne en vue d'un but, c'est-à-dire l'intelligence pratique : elle se différencie de l'intelligence théorétique par sa fin » (De Anima, III, 10, 433 a 13-15). « C'est d'une manière droite que la philosophie est appelée la science de la vérité. En effet, la fin de la connaissance théorétique est la vérité, celle de la connaissance pratique est l'œuvre » (Métaphysique, a, 1, 993 b 20-21). Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote précise que cette recherche de vérité au niveau éthique est pratique et qu'elle n'est pas là pour permettre de connaître ce qu'est la vertu, mais pour aider à devenir vertueux (II, 2, 1103 b 26-29). La connaissance pratique est tout ordonnée à l'activité elle-même. Par contre, la connaissance théorétique dépasse l'œuvre et est tout ordonnée à la contemplation. Voir aussi Somme thèoi, I, q. 79, a. 11, et q. 64, a. 1, c.

7. Rm 1, 19.

8. Saint Thomas songe ici à Démocrite et Épicure : « Certains penseurs ont nié complètement la Providence, comme Démocrite et les épicuriens » (Somme théo1., I, q. 22, a. 2, c). Voir également In octo libros Physicorum Ariswtelis expositio, II, ch. IV, lectio VII, n° 203, et Contra Gentiles, II, XXXIX. « Épicure affirme que Dieu est éternel et immortel et qu'il ne prévoit rien, qu'il n'existe en un mot ni Providence, ni destin, mais que toutes choses sont le produit du hasard » (Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, in : ÉPICURE, Doctrines et Maximes, p. 164, Hermann éd. des sciences et des arts, Paris 1999). « Tout ce qui arrive est dû soit à la nécessité, soit à la volonté, soit au hasard » (Aetios, in : Épicure, Doctrines et Maximes, p. 141).

9. Platon parle de l'Âme du Monde : « II [le Dieu] installa l'intelligence dans l'âme, puis l'âme dans le corps, et construisit l'Univers de manière à réaliser ce qu'il peut y avoir dans la nature de plus beau et de plus excellent comme ouvrage. Ainsi donc, suivant un raisonnement vraisemblable, il faut dire que ce monde, vivant doué en vérité d'âme et d'intelligence, c'est par la providence de Dieu qu'il est devenu » (Timée, 30 b, in : Platon, Œuvres complètes, t. II, éd. Gallimard 1950, p. 446). « Pour ce qui est de l'âme, il la plaça au centre du monde, puis Tetendit à travers toutes ses parties et même en dehors, de sorte que le corps en fût enveloppé » (Timée, 34 b, op. cit., p. 449). Pour les premiers stoïciens également, comme Zenon, le monde est un grand vivant doué d'une Âme. Et de cette Âme du Tout, qui est Dieu, l'âme humaine est une parcelle (voir I. ab Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, I, 120 et 124).

b) Le progrès des disciples.

MAIS MOI JE T'AI CONNU, ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE, POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX. (17, 25-26)

2266. Il signifie ainsi le progrès des disciples, d'abord quant à la connaissance, puis quant à son fruit [n° 2270].

I

Quant au progrès des disciples dans la connaissance de Dieu, le Christ montre d'abord la racine et la source de la connaissance de Dieu, puis les rameaux et les petits ruisseaux qui en découlent [n° 2268], enfin le fait qu'ils en dérivent comme d'une racine ou d'une source [n° 2269].

1. Il s'agit, entre autres, des premiers penseurs grecs qui ont cherché à découvrir l'origine de l'univers et du monde des vivants. Hésiode, le premier, cherche la vérité au sujet de l'origine des dieux : il fait remonter leur généalogie en dernier lieu à trois premiers : « Bien avant toutes choses fut le Chaos, / Puis ensuite la Terre aux larges flancs (...) / Et l'Amour, qui brille entre tous les immortels » (Théogonie, 116-120, Les Belles Lettres, p. 36). Citons aussi Parménide : « Aphrodite a créé l'Amour, le premier de tous les dieux » (Le Poème : Fragments, Fragment 13, Épiméthée, p. 230).

2. Rm 1, 21.

3. Sg 13, 1.

4. 1 Th 4, 5.

MAIS MOI JE T'AI CONNU.

2267. La racine et la source de la connaissance de Dieu est le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le Christ - La source de la sagesse est le Verbe de Dieu dans les hauteurs5. Or la sagesse humaine consiste à connaître Dieu6. Et cette connaissance dérive du Verbe vers les hommes, parce que c'est en tant que les hommes participent au Verbe de Dieu qu'ils connaissent Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE NE T'A PAS CONNU, MAIS MOI, source de la sagesse, ton Verbe, JE T'AI CONNU, d'une connaissance éternelle de compréhension7 - Si je dis que je ne le connais pas, je serai semblable à vous, un menteur8.

ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.

2268. Et de cette connaissance du Verbe, qui est source et racine, découlent comme ruisseaux et rameaux toutes les connaissances des croyants. Et c'est pourquoi il dit : ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ; ainsi, QUE (QUIA, qui signifie « parce que ») donne la raison de cette connaissance, selon Augustin1. Le sens est alors : MAIS MOI JE T'AI CONNU par nature, ET CEUX-CI ONT CONNU par la grâce. Et pourquoi ? Parce que TU M'AS ENVOYÉ, ajoutons, pour qu'ils te connaissent - Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la venté2. - J'ai manifesté ton nom aux hommes3.

5. Si 1, 5 (verset propre à la Vulgate).

6. Voir Somme théo1., I, q. 1, a. 6, c, où saint Thomas montre que « celui qui considère d'une manière absolue la cause la plus élevée de tout l'univers, qui est Dieu, est dit sage au plus haut point ».

7. Sur la science du Christ, voir Somme théo1., III, q. 9, où saint Thomas distingue la science du Verbe, science de compréhension, de la science des bienheureux que possédait le Christ.

8. Jn 8, 55.

Ou bien QUE désigne la réalité connue, et le sens est alors : CEUX-CI ONT CONNU, mais quoi ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ parce que celui qui voit le Fils voit aussi le Père4.

JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE.

2269. Ce n'est pas d'eux-mêmes qu'ils ont acquis cette connaissance, mais c'est de moi qu'elle dérive sur eux, parce que personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler5. Aussi dit-il : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE. Il désigne ici les deux connaissances qu'ont par lui les fidèles : celle de la doctrine, et quant à celle-ci il dit : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, en enseignant de l'extérieur par mes paroles - Dieu, personne ne l’α jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître6. - Ce salut inauguré par la prédication du Seigneur nous a été garanti par ceux qui l'ont entendu7. L'autre connaissance se réalise de l'intérieur, par l'Esprit Saint, et quant à celle-là il dit : ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE, c'est-à-dire par le don de l'Esprit Saint - Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière8.

Ou bien il dit : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM par la connaissance de la foi, parce qu'à présent nous voyons dans un miroir par énigme, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE par la vision de la gloire dans la Patrie, où nous verrons face à face9.

II

2270. Le fruit de cette connaissance, c'est que L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX.

Et cela peut être explicité de deux manières. En un sens, et c'est le meilleur, pour que soit manifesté, par la gloire qu'il lui a donnée, que le Père aime le Fils 10, ce qui a été dit. Il s'ensuit donc que c'est pour que le Père aime tous ceux en qui est le Fils, qui est en eux en tant qu'ils ont la connaissance de la vérité. Et ainsi, cela signifie : JE LEUR FERAI CONNAÎTRE TON NOM, et, du fait qu'ils te connaîtront, moi, ton Verbe, je serai en eux ; et, par le fait que je suis en eux, QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, c'est-à-dire leur soit donné et que tu les aimes comme tu m'as aimé.

Ou bien11, POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ, c'est-à-dire, comme toi tu m'as aimé, qu'ainsi ils m'aiment par participation à l'Esprit Saint ; et de ce fait, moi je serai en eux comme Dieu dans son Temple, et eux en moi comme les membres à l'égard de la tête - Celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui12.

1. Tract, in Io., CXI, 5, BA 75, p. 199.

2. Jn 18, 37.

3. Jn 17, 6.

4. Jn 14, 9.

5. Mt 11, 27. Voir plus haut, n° 2185, note 5.

6. Jn 1, 18.

7. He 2, 3.

8. Jn 16, 13.

9. 1 Co 13, 12. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 199. Sur la distinction entre connaissance de foi et connaissance de gloire, voir nos 2203 et 2249, et aussi n° 2139, note 11.

10. Jn 3, 35 : Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main. Jn 5, 20 : Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu 'il fait.

11. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 201-203.

12. 1 Jn 4, 16.

CHAPITRE XVIII : [LES SOUFFRANCES DE LA PART DES JUIFS]

III. LA RÉALISATION DU MYSTÈRE DE LA PASSION

Évangile selon saint Jean Chapitre XVIII

1 Ayant dit cela, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cedron. Là se trouvait un jardin, dans lequel il entra ainsi que ses disciples. 2 Or Judas, qui le livrait, connaissait aussi le lieu, car Jésus s'y était fréquemment retrouvé avec ses disciples. 3 Judas, donc, ayant pris une cohorte et des gardes auprès des grands prêtres et des pharisiens, vint là avec des lanternes, des torches et des armes. 4 Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s'avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » 5 Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Jésus leur dit : « C'est moi. » Or Judas, qui le livrait, se tenait aussi avec eux. 6 Quand donc il leur eut dit : « C'est moi », ils reculèrent et tombèrent à terre. 7 De nouveau donc il les interrogea : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Jésus le Nazaréen. » 8Jésus répondit : « Je vous ai dit que c'est moi. Si donc vous me cherchez, laissez aller ceux-ci », 9 pour que soit accomplie la parole qu'il avait dite : « Ceux que tu m'as donnés, je n'en ai perdu aucun. »

10 Simon-Pierre, donc, ayant un glaive, le tira et frappa le serviteur du grand prêtre, et il lui trancha l'oreille droite. Or le nom du serviteur était Malchus. n Jésus dit donc à Pierre : « Remets le glaive au fourreau. La coupe que le Père m'a donnée, tu ne veux pas que je la boive ? » 12 La cohorte, le tribun et les gardes des Juifs s'emparèrent de Jésus et le ligotèrent, 13 et ils l'amenèrent d'abord à Anne. Il était en effet le beau-père de Caïphe, qui était le grand prêtre de cette année-là. 14 Or c'était Caïphe qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Mieux vaut qu'un seul homme meure pour le peuple. »

15 Or Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple. Ce disciple était connu du grand prêtre et il entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre, 16 alors que Pierre se tenait au-dehors, à la porte. L'autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc et dit un mot à la portière, et il fit entrer Pierre. 17 La servante qui gardait la porte dit donc à Pierre : « N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme ? » II dit : « Je n'en suis pas. » 18 Or les serviteurs et les gardes se tenaient près des braises parce qu'il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre aussi se tenait avec eux et se chauffait.

19 Le grand prêtre donc, interrogea Jésus au sujet de ses disciples et de son enseignement. 20Jésus lui répondit : « Moi, j'ai parlé au monde ouvertement ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs se rassemblent, et je n'ai rien dit en secret. 21 Pourquoi m'interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit : c'est eux qui savent ce que moi j'ai dit. » 22 Quand il eut dit cela, l'un des serviteurs qui se tenait là lui donna une gifle, en disant : « C'est ainsi que tu réponds au grand prêtre ? » 23 Jésus lui dit : « Si j'ai mal parlé, porte témoignage au sujet du ma1. Mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » 24 Et Anne l'envoya, lié, au grand prêtre Caïphe.

25 Or Simon-Pierre se tenait là et se chauffait. Ils lui dirent donc : « N'es-tu pas, toi aussi, de ses disciples ? » II nia et dit : « Je n'en suis pas. » 26 Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, lui dit : « Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui ? » 27 De nouveau Pierre nia. Et aussitôt, un coq chanta.

28 Ils amènent donc Jésus de chez Caïphe au prétoire. Comme c'était le matin, eux-mêmes n'entrèrent pas dans le prétoire pour ne pas être souillés mais pouvoir manger la Pâque. 29 Pilate sortit donc vers eux au-dehors et dit : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » 30 Ils répondirent et lui dirent : « Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. » 31 Pilate leur dit donc : « Prenez-le, vous, et jugez-le selon votre Loi. » Les Juifs lui dirent donc : « II ne nous est pas permis de tuer quelqu'un », 32 pour que la parole de Jésus fut accomplie, celle qu'il avait dite, signifiant de quelle mort il devait mourir.

33 Pilate entra donc de nouveau dans le prétoire, appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » 34 Jésus répondit : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » 35 Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ton peuple et tes grands prêtres t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait ? » 36 Jésus répondit : « Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais non, mon royaume n'est pas d'ici. » 37 Alors Pilate lui dit : « Donc, tu es roi ? » Jésus répondit : « C'est toi qui dis que je suis roi. Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »38 Pilate lui dit : « Qu'est-ce que la vérité ? » Et quand il eut dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs et leur dit : « Moi, je ne trouve en lui aucune cause [de condamnation]. 39 Mais c'est la coutume que, pour la Pâque, je vous relâche un homme. Voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » 40 Tous crièrent de nouveau en disant : « Pas lui, mais Barabbas ! » Or Barabbas était un brigand.

1. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT DE LA PART DES JUIFS

2271. Plus haut, avant la Passion, le Seigneur a préparé ses disciples en les instruisant à de multiples reprises par des exemples, en les confortant par des paroles et en les faisant avancer par des recommandations ; ici, l'Évangéliste en arrive à raconter la Passion du Seigneur. D'abord il expose le mystère de la Passion, puis la gloire de la Résurrection au chapitre 20 [n° 2470]. Or la Passion du Christ a été accomplie (completa est) en partie par les Juifs, en partie par les Gentils. D'abord, l'Évangéliste décrit la Passion du Christ quant à ce qu'il a souffert de la part des Juifs, puis quant à ce qu'il a souffert de la part des Gentils, au chapitre 19. À propos du premier point, il montre d'abord comment le Seigneur est livré par un disciple, puis comment il est présenté aux chefs du peuple par les serviteurs [n° 2294], enfin, comment il est accusé par les chefs du peuple auprès du gouverneur (praesidem) [n° 2328].

COMMENT LE CHRIST EST LIVRE PAR UN DISCIPLE

À propos de la trahison du disciple, l'Évangéliste touche trois points : le lieu, puis les préparatifs [n° 2278], enfin, la prompte volonté d'amour du Christ d'endurer la trahison [n° 2279].

A. LE LIEU

AYANT DIT CELA, JÉSUS SORTIT AVEC SES DISCIPLES ET TRAVERSA LE TORRENT DU CEDRON. LÀ SE TROUVAIT UN JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE SES DISCIPLES. OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES. (18, 1-2)

Le lieu est montré comme convenant à la trahison sous trois aspects : il était éloigné de la ville, en lui-même caché et fermé, et connu du traître.

AYANT DIT CELA

2272. Ce lieu était éloigné de la ville. Judas pouvait donc faire plus facilement ce dont il avait l'intention. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : AYANT DIT CELA, à savoir ce qu'il avait dit plus haut. Puisque les choses que le Christ a dites relevaient de sa prière, il eût été plus convenable que l'Évangéliste dise : « ayant prié cela ». Mais il s'est exprimé ainsi pour montrer que le Seigneur a fait cette prière, non pas qu'elle lui fût nécessaire, parce que c'était lui-même qui priait en tant qu'homme et qui exauçait en tant que Dieu, mais pour notre instruction. C'est pourquoi elle était comme un discours1 (dictio2).

JÉSUS SORTIT AVEC SES DISCIPLES.

2273. Non pas aussitôt après sa prière, selon Augustin3, puisque d'autres choses racontées par les autres évangélistes et omises par celui-ci sont intervenues, à savoir qu'il y eut une dispute entre les disciples : qui, d'entre eux, semblait être le plus grand ?4 Entre-temps aussi, Jésus a dit à Pierre : Voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas5, comme Luc le rapporte au même endroit. Les disciples ont aussi prié une hymne avec le Seigneur, comme le rapportent Matthieu6 et Marc7. On ne doit donc pas comprendre ici qu'il sortit aussitôt après avoir dit cela, mais qu'il ne sortit pas avant de l'avoir dit.

JÉSUS SORTIT (...) ET TRAVERSA LE TORRENT DU CÉDRON.

2274. Mais Matthieu et Marc8 disent qu'ils sortirent vers le Mont des Oliviers et qu'alors il s'arrêta avec eux dans un domaine qu'on appelle Gethsémani. En cela il n'y a aucune contradiction, du fait que c'est le même lieu que celui que mentionnent Jean et Matthieu. En effet, le torrent du Cédron est au pied du Mont des Oliviers, où se trouve aussi le domaine qu'on appelle Gethsémani. En grec. Cédron est au génitif pluriel, autrement dit ils traversent le torrent des Cèdres9. Peut-être y avait-il là de nombreux cèdres plantés ? Il convient au mystère qu'il ail traversé le torrent, parce que par celui-ci or désigne sa Passion -Au torrent il s'abreuvera en chemin, c'est pourquoi il relèvera la tête10, II convient aussi que le Christ ait traversé le torrent du Cédron, puisqu'on peut interpréter ce nom comme signifiant l'ombre obscure11 et que le Christ, par sa Passion, s supprimé l'obscurité du péché et de la Loi et ayant étendu les mains sur la Croix, nous a protégés à l'ombre de sa main - A l'ombre de tes ailes protège-moi12.

LÀ SE TROUVAIT UN JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE SES DISCIPLES.

2275. Ce lieu convenait à la trahison, parce qu'il était clos. Et il convenait que ce soit un jardin, parce que le Christ lui-même satisfaisait pour le péché du premier homme, qui avait été commis dans un jardin. En effet, « paradis » veut dire « jardin de délices 13 », et par le moyen de sa Passion le Christ nous introduit dans un jardin, un paradis, comme ceux qui doivent être couronnés1 - Aujourd'hui, tu seras avec moi au Paradis2.

1. Voir n° 2177 et note 2, n° 2178.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 447.

3. De consensu Évangelistarum, III, m, 9, PL 34, co1. 1163.

4. Lc 22, 24.

5.Loc. cit., 31-32.

6. Cf. Mt 26, 30.

7. Cf. Mc 14, 26.

8. Voir Mt 26, 36 et Mc 14, 32.

9. On lit cette étymologie quelque peu fantaisiste dans 1< commentaire d'Alcuin qui rapproche aussi le mystère de la Passion de ce « torrent » auquel le Christ devait boire (Comm. in S. Ioanni Evang., VII, 40, PL 100, co1. 968 C).

10. Ps 109, 7.

11. Cedron a en effet la même racine hébraïque que Qédar l’Onomastica sacra le rend par ténèbres (cf. saint JÉRÔME, Liber inter pretationis hebraicorum nominum [Lag. 48, 13], CCL, vo1. LXXII p. 119).

12. Ps 16, 8. Saint Thomas commente : « Pour faire connaîtra cette vigilance attentive, le psalmiste se sert d'une double métaphore, c'est-à-dire de l'ombre et des ailes : car l'ombre soulage de la chaleur et la protection soulage de la même manière en procurant la sécurité - À l'ombre de tes ailes protège-moi, c'est-à-dire sous la garde des anges. - Il ordonnera à ses anges de te garder en toutes tes voie (Ps 90, 11). Ou bien les ailes sont les deux bras du Christ étendu sur la Croix - II a déployé ses ailes et l’α pris, il l'a porté sur ses épaule (Dt 32, 11) »> (Exp. in Psalmos, 16, n° 3).

13. Cf. Gn 2, 8 et 15 ; 3, 23-24. Ez 28, 13.

OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES.

2276. Le lieu convenait aussi parce qu'il était connu du traître. La raison en est que JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES, parmi lesquels Judas se trouvait comme le loup au milieu des brebis - N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et parmi vous, l'un est un diable !3donc, le loup, revêtu d'une peau de brebis et toléré au milieu des brebis par la haute sagesse prudentielle du père de famille, a appris où il disperserait le troupeau au moment opportun4.

2277. Mais puisque Judas était sorti du repas longtemps auparavant pour accomplir sa trahison, on se demande comment il a su que le Christ allait se rendre en ce lieu à cette heure-là ! Là il faut dire, selon Chry-sostome5, que c'était l'habitude du Christ, et principalement lors des grandes fêtes, d'emmener les disciples à part après le repas du soir (coena) et de leur enseigner à propos de la fête des choses sublimes qu'il n'était pas permis aux autres d'entendre ; et parce que c'était alors la fête principale, Judas jugea opportun de se rendre à cet endroit après le repas. Et si le Christ a voulu enseigner à ses disciples les choses les plus élevées dans les montagnes et dans les jardins, en cherchant un lieu tout à fait pur d'agitations, c'était pour que leur esprit ne soit pas embarrassé - Je l'emmènerai dans la solitude, et je parlerai à son cœur6.

B. LES PRÉPARATIFS DU TRAÎTRE

JUDAS, DONC, AYANT PRIS UNE COHORTE ET DES GARDES AUPRÈS DES GRANDS PRÊTRES ET DES PHARISIENS, VINT LÀ AVEC DES LANTERNES, DES TORCHES ET DES ARMES. (18, 3)

2278. Ici sont exposés les préparatifs du traître7. Notons que, comme il est dit en Luc8, après avoir comploté la trahison avec les princes du peuple, Judas cherchait une opportunité pour livrer le Christ sans provoquer un tumulte des foules. Et c'est pourquoi il voulut le trouver en secret et durant la nuit, parce que pendant le jour il était toujours pris par l'instruction des foules. Mais durant la nuit le traître pouvait être gêné, soit par un soudain afflux des foules, soit par les ténèbres, grâce auxquelles le Christ pourrait être arraché ou s'échapper de leurs mains ; c'est pourquoi Judas se munit d'armes contre la foule, et de lanternes et torches contre les ténèbres. Cependant, dans la foule, certains pourraient lui résister par la puissance du peuple ; c'est pourquoi, pour éviter cela, il prit une cohorte, non de Juifs, mais de soldats auprès du gouverneur, pour qu'ainsi, l'ordre du pouvoir légitime ayant été observé, personne n'osât s'opposer à lui. De même, certains des Juifs conduits par le zèle de la Loi auraient peut-être voulu leur résister, surtout parce que le Seigneur allait être pris par les Gentils ; c'est pourquoi Judas prit aussi DES GARDES AUPRÈS DES GRANDS PRÊTRES ET DES PHARISIENS, et VINT LÀ – Il a couru contre Dieu le cou tendu 1. - Comme pour un brigand vous êtes sortis avec des glaives et des bâtons2.

1.Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100, co1. 968 C-D. L'interprétation de paradis comme « jardin de délices » se trouve dans l’Onomastica sacra de saint Jérôme (4, 30-32, CCL vo1. LXXII, p. 4).

2. Lc 23, 43.

3. Jn 6, 71.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.

5. In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 447.

6. Os 2, 14.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.

8. Cf. Le 22, 3 sq.

C. LA VOLONTÉ D'AMOUR DU CHRIST D'ENDURER LA TRAHISON

2279. Ici l'Évangéliste montre la prompte volonté d'amour du Christ de supporter volontairement la trahison, d'abord en s'offrant volontairement, puis en arrêtant le disciple qui résistait [n° 2286].

a) Le Christ s'offre volontairement.

À propos du premier point, l'Évangéliste fait deux choses : il raconte d'abord que le Christ s'est montré pour manifester sa puissance, puis qu'il s'est montré pour manifester sa patience [n° 2283].

Le Christ s'est montré pour manifester sa puissance.

ALORS JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA ET LEUR DIT : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » ILS LUI RÉPONDIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN. » JÉSUS LEUR DIT : « C'EST MOI. » OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI AVEC EUX. QUAND DONC IL LEUR EUT DIT : « C'EST MOI », ILS RECULÈRENT ET TOMBÈRENT À TERRE. (18, 4-6)

À propos du premier point, il dit d'abord que le Christ interroge, puis qu'il se manifeste lui-même [n° 2281], puis il dit l'effet de la manifestation [n° 2282].

2280. [À propos de l'interrogation du Christ,] il fait trois choses. D'abord, il met en valeur la science et la connaissance du Christ : ALORS JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA (...) - Jésus, sachant que son heure était venue (...) Cela, l'Évangéliste l'a intégré pour deux raisons : d'abord, pour qu'il ne semble pas que l'interrogation que le Christ allait leur adresser était faite par ignorance. Ensuite pour qu'il ne semble pas qu'il s'était offert à eux involontairement et par ignorance alors qu'ils venaient pour le tuer. Ces pourquoi, TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, il le savait. En second lieu, l'Évangéliste expose l'interrogation du Christ qui, alors qu'il savait tout cela, S'AVANÇA cependant ET LEUR DIT : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? », mais non par ignorance, comme on l'a dit. En troisième lieu, il donne leur réponse : ILS LUI RÉPONDIRENT « JÉSUS LE NAZARÉEN », sous-entendu : nous le cherchons, non certes pour l'imiter, mais pour agir avec méchanceté et le tuer. C’est pourquoi il est dit plus haut : Vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché1.

1. Jb 15, 26. Saint Thomas commente : « C'est-à-dire en s'enorgueillissant. En effet c'est par orgueil que l'homme résiste le plus à Dieu à qui il doit être soumis par l'humilité - Le commencement de l'orgueil, c'est d'abandonner le Seigneur (Si 10, 14). Et de même qu'on dit que celui qui aime Dieu court dans ses voies à cause de la promptitude de sa volonté à le servir, ainsi l'orgueilleux, lui aussi, à cause de la présomption de son esprit, court contre Dieu » (Exp. super lob, 15, 26, p. 99, 1. 248-255).

2. Lc 22, 52.

3. Jn 13, 1.

JÉSUS LEUR DIT : « C'EST MOI. » OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI AVEC EUX.

2281. L'Évangéliste expose ici la manifestation de lui-même par laquelle le Christ s'est présenté à eux pour être pris : « C'EST MOI », Jésus le Nazaréen, que vous cherchez. Et l'Évangéliste ajoute la présence de Judas, parce qu'il a dit plus haut que Judas l'avait quitté2. On pourrait croire qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le Christ n'ait pas été reconnu par eux à son visage, à cause des ténèbres ; mais que quelqu'un ne soit pas reconnu à sa voix, et surtout par un homme qui lui est familier, cela ne peut pas être imputé aux ténèbres. En disant « C'EST MOI », le Christ montre donc qu'il n'a même pas été reconnu par Judas, familier de lui, qui se tenait avec eux ; cela manifeste plus que tout la puissance de la divinité du Christ3. JUDAS, donc, SE TENAIT AVEC EUX, c'est-à-dire persévérait dans le mal, au point de le montrer par le signe d'un baiser4.

QUAND DONC IL LEUR EUT DIT : « C'EST MOI », ILS RECULÈRENT ET TOMBÈRENT À TERRE.

2282. Ici est montré l'effet de la manifestation. Et comme le dit Grégoire5, on lit parfois au sujet des saints qu'ils tombent à terre - Il tomba sur sa face et se prosterna devant Daniel6. - Je tombai sur ma face7. Des hommes iniques aussi, on dit qu'ils tombent - Tes hommes très beaux tomberont8 -, mais voici la différence : au sujet des hommes iniques il est dit qu'ils tombent à la renverse - Ils tombent à la renverse et sont pris au piège9. - Il tomba de son siège à la renverse 10 -, alors que des saints il est dit qu'ils tombent sur leur face. La raison en est indiquée dans le livre des Proverbes : Les sentiers des justes sont comme la brillante lumière dont l'éclat va croissant jusqu'au plein jour, et la voie des impies est ténébreuse, ils ne savent où ils vont s'écrouler11. En effet, tout homme qui tombe en arrière tombe là où il ne voit pas. On dit donc des hommes iniques qu'ils tombent à la renverse parce qu'ils tombent dans des choses invisibles ; en effet, ils s'écroulent là où ils ne peuvent voir tout de suite ce qui alors les suit. Mais celui qui tombe devant lui, tombe là où il voit ; et c'est pourquoi on dit des saints qu'ils s'abaissent spontanément dans les choses visibles pour être debout dans les réalités invisibles, et qu'ils tombent sur leur face parce que, saisis de crainte en les voyant, ils s'humilient12. Au sens mystique, le fait que [ceux qui venaient chercher le Christ] soient tombés à la renverse donne à entendre que le peuple des Juifs, qui était le peuple particulier13 [de Dieu], n'ayant pas écouté la voix du Christ dans sa prédication, est retourné en arrière, exclu du Royaume14.

1. Jn 8, 21.

2. Cf. Jn 13, 30.

3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 448. Par ailleurs, sur la puissance de la divinité du Christ, voir vo1. I, nos 752 et 761. Et saint Thomas souligne l'égalité de la puissance du Christ par rapport à celle du Père, et que « toutes les choses que fait le Fils, même selon sa nature divine, il les tient du Père » (vo1. I, n° 1304).

4. L'édition Marietti renvoie ici à Isaïe 33, en citant un verset de l'Exode : II sera ta bouche (4, 16). Mais ce verset (qui n'est pas corrigé par l'édition léonine), exprimant le lien d'amitié et de service entre Aaron et Moïse, surprend. Nous renvoyons plutôt à Pr 11, 9 : Un menteur trompe par sa bouche son ami. Voir aussi Pr 10, 11 et 32 ; 19, 28 ; Ps 61, 5, etc.

5. Homélies sur Ézéchiel, I, 9, 5, SC 327, p. 337.

6. Dn 2, 46.

7.Ez 2, 1.

8. Is 3, 25.

9. Is 28, 13.

10. 1 S 4, 18.

11. Pr 4, 18-19.

12. Cf. 1 R 21, 29 ; 2 R 22, 19. 2 Ch 7, 14 ; 12, 6-7 ; 12, 12 ; 32, 26, etc. Esd 8, 21. Jdt 4, 9. Si 2, 17.

13. Dt 7, 6 ; 14, 2 ; 26, 18.

14. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 3, BA 75, p. 211.

Le Christ s'est montré pour manifester sa patience.

DE NOUVEAU DONC IL LES INTERROGEA : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » ILS LUI DIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN. » JÉSUS RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI. SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, LAISSEZ ALLER CEUX-CI », POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE : « CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN. » (18, 7-9)

2283. On rapporte ici la seconde interrogation. D'abord l'interrogation réitérée, puis la manifestation du Christ, et enfin son oblation. S'il a interrogé de nouveau c'est, selon Chrysostome1 pour deux raisons. D'abord pour qu'en indiquant sa puissance - du fait que les ennemis qui venaient contre lui sont, en face de lui, tombés à terre à la renverse - ceux qui croient en lui découvrent que c'est de sa propre volonté qu'il a été pris - II a été offert parce que lui-même l’α voulu2. En second lieu, aussi, pour donner aux Juifs, autant qu'il le pouvait3, matière à conversion, après avoir vu un miracle de sa puissance - Qu'aurais-je dû faire de plus pour ma vigne, que je ne lui aie pas fait ?4 C'est pourquoi, puisqu'ils ne se convertirent pas dès cette manifestation de sa puissance, il s'omît à eux spontanément pour être pris. Et quand DE NOUVEAU IL LES INTERROGEA : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » et qu'ILS LUI DIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN », lui-même se manifestant de nouveau RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI. » En cela, il est évident qu'ils étaient aveugles au point de ne pas pouvoir le reconnaître.

L'oblation que le Christ fait de lui-même est exposée quand il dit : SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, c'est-à-dire : si vous cherchez à me prendre, faites ce dont vous avez l'intention, de telle sorte cependant que vous laissiez aller ceux-ci, à savoir mes disciples, parce que le moment n'est pas encore venu qu'ils soient enlevés du monde par la Passion - Je ne prie pas pour que tu les enlèves du monde5. En quoi il est évident que lui-même a donné [à ceux qui le cherchaient] pouvoir de le prendre ; car de même qu'il a gardé ses disciples par sa puissance, il aurait pu encore bien plus se garder lui-même - Personne ne m'enlève mon âme, mais moi je la dépose de moi-même6.

2284. L'Évangéliste montre que ce n'est pas parce qu'ils auraient été persuadés par le Christ que les gardes laissèrent les Apôtres s'en aller, mais en raison de son pouvoir : POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE, comme si les gardes avaient laissé les Apôtres s'en aller parce qu'ils ne pouvaient les retenir, puisque lui-même avait dit plus haut : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN 7.

2285. Là on peut objecter que le Seigneur avait dit plus haut cela de la perdition de l'âme ; comment l'Évangéliste adapte-t-il cela à la perdition du corps ? À cela je réponds : il faut dire, selon Chrysostome, que le Seigneur a parlé plus haut de la perdition de l'âme et du corps. Et s'il a seulement parlé de la perdition de l'âme, il faut dire qu'ici l'Évangéliste la rapporte à la perdition du corps par une certaine extension8. Ou bien, selon Augustin, il faut dire que ce qui est dit doit être compris aussi de la perdition de l'âme, parce que les Apôtres ne croyaient pas encore comme croient ceux qui ne périssent pas9. Et c'est pourquoi, s'ils avaient alors quitté ce monde, ils auraient été de ceux qui périssent.

1. In Ioannem hom., LXXXIII, 1-2, PG 59, co1. 447-448.

2. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus n" 1815 et note 7.

3. En ce sens que Dieu respecte la liberté de l'homme. Cf. Jr 15, 19 : Si tu reviens, je te ferai revenir et devant moi tu te tiendras.

4. Is 5, 4.

5. Jn 17, 15.

6. Jn 10, 18.

7. Cf. Jn 17, 12.

8. In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 448.

9. Tract, in Io., CXII, 4, BA 75, p. 213.

b) Le Christ arrête le disciple qui résiste.

SIMON-PIERRE, DONC, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE, ET IL LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE. OR LE NOM DU SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS. JÉSUS DIT DONC À PIERRE : « REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU. LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? » (18, 10-11)

2286. Après avoir montré la promptitude du Christ à supporter la trahison en s'offrant lui-même volontairement à ceux qui le livraient, l'Évangéliste montre ici qu'il est prompt à la même chose en interdisant la résistance du disciple. D'abord est exposée la manifestation du zèle du disciple qui résiste, puis le fait que Jésus l'ait empêché [n° 2291].

I

À propos du premier point, il note d'abord le zèle du disciple à frapper le serviteur, puis celui de l'Évangéliste quand il nomme le serviteur [n° 2290].

2287. Il s'exprime donc ainsi : les gardes s'emparèrent de Jésus, mais Simon-Pierre, plus ardent que tous les autres disciples, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE qui était parmi les gardes, ET IL LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE ; ce n'était pas son intention principale, puisqu'il avait l'intention de le tuer, mais le coup qu'il dirigeait vers la tête fut dévié vers l'oreille. Il dirigeait en effet le coup vers la tête pour montrer avec plus d'évidence qu'il faisait cela par zèle pour son Seigneur - Je suis zélé d'un zèle jaloux pour le Seigneur Dieu des armées1.

2288. Mais ici surgit une double question : puisque le Seigneur avait commandé à ses disciples de n'avoir même pas deux tuniques2, comment Pierre avait-il aussi un glaive ? Je réponds : il faut dire que ce précepte, le Christ le leur donna quand il les envoya pour prêcher, et il devait durer jusqu'au temps de la Passion. C'est pourquoi le Christ le révoqua dans la Passion : Quand je vous ai envoyés sans bourse ni besace, avez-vous jamais manqué de quelque chose ?3 - Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n'en a pas vende sa tunique pour acheter un glaive4. À cause de cette autorisation (concessio), il semble que Pierre ait compris qu'il lui était permis de porter un glaive. Mais d'où a-t-il pu avoir si vite un glaive, puisque le Seigneur avait prononcé peu de temps auparavant les paroles qu'on a dites ? Il faut répondre, selon Chrysostome 5, que Pierre, ayant depuis longtemps entendu que les Juifs devraient livrer le Christ aux princes des prêtres pour le crucifier, avait pris peur et s'était préparé un glaive. Ou bien il faut dire, selon la Glose interlinéaire6, que par « glaive » il faut entendre ici le couteau qu'il avait peut-être à table pour manger l'agneau et qu'il avait, en se levant de table, pris avec lui.

2289. En second lieu, on se demande pourquoi, alors que le Seigneur leur avait dit de ne pas résister au mal7, Pierre a frappé le serviteur du grand prêtre. À cela il faut répondre que le Seigneur leur a défendu de résister à quelqu'un pour se défendre eux-mêmes, mais non pas pour défendre les maîtres. Ou bien qu'ils n'étaient pas encore confirmés par une force venant sur eux d'en haut - Demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus d'une force d'en haut1. C'est pourquoi ils n'étaient pas encore parfaits au point de ne pas du tout résister au mal2.

1. 1 R 19, 10.

2. Cf. Mt 10, 10.

3. Lc 22, 35.

4. Lc 22, 36.

5. In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449.

6. Il s'agit en fait d'un commentaire de Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 246.

7. Cf. Mt 5, 39. Saint Thomas, en commentant ce verset de l'évangile de saint Matthieu, précise : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal, c'est-à-dire n'ayez pas la volonté de repousser avec un esprit de vengeance une injustice qui vous a été faite. Aussi, quand il dit au mal, il s'agit du mal temporel, ou du mal de peine, comme le disent Augustin et Jérôme, et non pas du mal de faute auquel il faut résister jusqu'à la mort » (Sup. Matth. lect., V, n° 541).

OR LE NOM DU SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS.

2290. On donne ici le nom du serviteur. Il est spécialement signalé par Jean parce que, comme il est dit plus loin3, lui-même était connu du grand prêtre, et c'est pourquoi il connaissait aussi ses serviteurs. Aussi, sachant son nom, il ne l'a pas tu parce qu'il en avait la certitude. Mais Luc ajoute que le Seigneur lui guérit l'oreille4, et cela convient au mystère5, car par ce serviteur est signifié le peuple des Juifs, qui était opprimé par les princes des prêtres - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissaient eux-mêmes. (...) Ce qui était gras, vous l'égorgiez (...)6 Pierre, le Prince des Apôtres, a donc amputé l'oreille de ce serviteur, oreille avec laquelle le peuple des Juifs entendait mal, c'est-à-dire d'une façon charnelle (carnaliter), les paroles de la Loi ; mais le Seigneur leur a restitué une nouvelle ouïe - Dès que son oreille m'a entendu, il m'a obéi7. Et en ce sens le serviteur du grand prêtre est à juste titre appelé Malchus, c'est-à-dire roi, parce que le Christ a fait de nous des rois dans une nouveauté de vie8 - II a fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres, et nous régnerons sur la terre9.

II

JÉSUS DIT DONC À PIERRE : « REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU. LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? »

2291. Ici on expose le fait que Jésus ait retenu Pierre dans son zèle ; d'abord le fait qu'il l'ait retenu, puis la raison de son geste [n° 2293].

2292. L'Évangéliste dit donc que Pierre sortit son glaive pour frapper le serviteur, mais que le Seigneur lui dit : « REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU », comme pour lui dire qu'il n'y avait pas à se défendre mais à pâtir, et que l'usage du glaive matériel ne lui était pas permis - Ô, épée du Seigneur, jusques à quand ne te reposeras-tu pas ? Rentre en ton fourreau (...) 10 Au sens mystique, cela signifie que le glaive de la parole du Seigneur devait être remis au fourreau, c'est-à-dire à la foi des Gentils11.

2293. La raison pour laquelle le Christ empêche le geste de Pierre est donnée quand il dit : « LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? » En effet, on ne doit pas résister à ce qui est disposé par la Providence divine - Qui lui a résisté et a eu la paix ?1 Mais la Passion est appelée coupe parce qu'elle est douce en raison de la charité de celui qui la subit, mais amère en raison de sa nature, de même qu'un remède qui guérit est doux à cause de l'espérance de la santé, mais amer à cause de sa saveur - Je prendrai la coupe du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur2.

1. Lc 24, 49.

2. L'une et l'autre explication proviennent de saint Jean Chry-SOSTOME, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449.

3. Cf. Jn 18, 15.

4. Cf. Le 22, 51.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 5, BA 75, p. 215.

6. Ez 34, 2-3.

7. Ps 17, 45.

8. Rm 6, 4 : Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort [au péché], afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous marchions, nous aussi, dans une nouveauté de vie.

9. Ap 5, 10. Comme le Fils ne veut rien d'autre que ce que veut le Père, « il appartient au libre arbitre de sa puissance de faire vivre qui il veut » (vo1. I, n° 761). Et par lui nous devenons rois et prêtres -Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte (Ex 19, 6). - Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu miséricorde (1 Ρ 2, 9-10). —Ils seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille années (Ap 20, 6).

10. Jr 47, 6.

11. Cf. Glossa ordinaria. Evang. sec. Ioannem. In h. loc, PL 114, co1. 418 C.

1. Jb 9, 4.

2. Ps 115, 13.

Cette coupe, c'est donc le Père qui la lui a donnée, parce qu'il a subi la Passion de son plein gré, par sa propre volonté et celle du Père 3 - Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut4.

3. Cf. vo1. I, n° 478 : « Dieu a-t-il donc donné son Fils pour qu'il mourût sur la Croix ? Assurément il l'a donné pour la mort de la Croix (Ph 2, 8), en tant qu'il lui a donné la volonté d'y souffrir, et cela de deux manières. Car d'une part, en qualité de Fils de Dieu, il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous ; et cette volonté, il la tenait du Père ; et, d'autre part, c'est Dieu qui inspira à l'âme du Christ la volonté de souffrir ».

4. Jn 19, 11.

COMMENT LE CHRIST EST PRÉSENTÉ PAR LES GARDES AUX CHEFS DU PEUPLE

2294. Ici est exposé comment le Seigneur, ayant été pris par les gardes, est présenté aux princes du peuple ; d'abord comment il est conduit à l'un d'eux, à savoir Anne, puis à l'autre, à savoir Caïphe [n° 2322].

A. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A ANNE

À propos du premier point, l'Évangéliste dit d'abord comment il est présenté à Anne, puis comment il est examiné par lui [n° 2311].

a) Comment le Christ est présenté à Anne.

À propos du premier point, il montre d'abord comment il est conduit à la maison d'Anne, puis comment les disciples le suivent [n° 2299].

I

LA COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARÈRENT DE JÉSUS ET LE LIGOTÈRENT, ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE. IL ÉTAIT EN EFFET LE BEAU-PÈRE DE CAÏPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ. OR C'ÉTAIT CAÏPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL : « MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE »> (18, 12-14)

Là, on montre d'abord ce qui a été fait à l'égard de Jésus, puis on précise qui est le pontife auquel il est conduit [n° 2297].

LA COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARÈRENT DE JÉSUS ET LE LIGOTÈRENT, ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE.

2295. En ce qui concerne le Christ, trois choses ont été accomplies. D'abord on s'empare de lui ; c'est pourquoi il est dit : LA COHORTE, c'est-à-dire [la cohorte] des soldats, et leur TRIBUN, ET LES GARDES DES JUIFS, S'EMPARÈRENT (comprehenderunt) DE JÉSUS, lui qu'on ne peut saisir1 - Tu es grand dans ton conseil, et incompréhensible dans ta pensée2. Peut-être avaient-ils en tête cette parole du psaume : Dieu l’α abandonné ; poursuivez-le et saisissez-le, puisqu'il n'est personne qui délivre3. - Le souffle (spiritus) de notre bouche, l'Oint du Seigneur, a été pris dans nos péchés4, c'est-à-dire à cause de nos péchés, pour nous libérer. - Voici ce que dit le Seigneur : Même la proie du fort lui sera enlevée5. En second lieu, il est ligoté, et c'est pourquoi il dit : LE LIGOTÈRENT, lui qui est venu libérer ceux qui étaient liés et rompre leurs liens1 - Tu as rompu mes liens2. En troisième lieu, il est amené : ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE, pour le perdre, lui qui est venu conduire tous [les hommes] sur le chemin du salut - Tu m'as conduit, parce que tu es devenu mon espérance3.

1. Qui incomprehensibilis est ; saint Thomas emploie ce terme à dessein : Dieu est incompréhensible, aucune créature spirituelle ne peut le connaître autant qu'il peut être connu. Dieu seul a de lui-même une science de compréhension. Cf. Somme théo1., I, q. 14 ; III, q. 9 sq.

2. Jr 32, 19.

3. Ps 70, 11.

4. Lm 4, 20.

5. Is 49, 25.

2296. On peut donner deux raisons pour lesquelles il est d'abord conduit à Anne. L'une est la charge de Caïphe, le grand prêtre de cette année-là, en ce sens qu'il envoya Jésus à Anne pour être plus excusable si lui-même, par la suite, condamnait quelqu'un qui avait déjà été condamné par Anne. L'autre raison est la proximité de la maison d'Anne : celle-ci, située sur la route, était plus proche4. Et craignant que, s'il s'élevait un tumulte dans le peuple, Jésus fût arraché de leurs mains, ils le mirent là à l'écart.

IL ÉTAIT EN EFFET LE BEAU-PÈRE DE CAÏPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ.

2297. Ici on présente d'abord le pontife par son affinité avec Caïphe, parce qu'IL ÉTAIT son BEAU-PÈRE ; puis on présente Caïphe lui-même, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ. Il faut savoir, en effet, que selon la Loi le grand prêtre remplissait sa fonction à vie ; un fils lui succédait après sa mort. Mais par la suite, l'envie et l'ambition des princes croissant, non seulement le fils ne succédait pas au père, mais même le pontife ne remplissait pas sa fonction plus d'une année ; de plus c'est l'argent qui procurait cette fonction, comme Josèphe5 le rapporte. C'est pourquoi il n'est pas étonnant que, dans l'année de ce pontificat si mal acquis, Caïphe ait accompli une chose si abominable.

2298. Il est aussi décrit d'après son conseil ; c'est pourquoi l'Évangéliste a dit que C'ÉTAIT CAÏPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL, rapporté plus haut6 : « MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. » Cela, l'Évangéliste l'a rappelé pour enlever le scandale du cœur des fidèles, en montrant aussi par les prophéties des adversaires que ce n'est pas en raison d'une infirmité ou d'une impuissance de sa part que Jésus a été pris et qu'il est mort, mais pour le salut du peuple, c'est-à-dire pour que la nation tout entière ne périsse pas7. En effet, le témoignage de l'adversaire est plus efficace ; et la vérité est d'une nature telle que même l'adversaire ne peut la taire8.

II

OR SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE. CE DISCIPLE ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE ET IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, ALORS QUE PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE. L'AUTRE DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE, SORTIT DONC ET DIT UN MOT À LA PORTIÈRE, ET IL FIT ENTRER PIERRE. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » IL DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRÈS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT. (18, 15-18)

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 6, BA 75, p. 217.

2. Ps 115, 16.

3. Ps 60, 3-4.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIII, 5, BA 75, p. 235.

5. Saint Thomas cite ici sans doute Flavius Josèphe (Antiquités juives, XVIII, iv, 3 ; Reinach, p. 150-151) à travers la présentation que fait Eusèbe de Césarée de la succession des grands prêtres dans la Démonstration évangélique (VIII, il, 96 sq. GCS, p. 385-386 ; Migne, co1. 290). Cf. aussi Histoire ecclésiastique, I, x, SC 31, p. 35-37.

6. Cf. Jn 11, 50.

7. Ibid.

8. Cf. SAINT Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449. Sur la vérité, voir ci-dessous, n° 2364 et note 6, n° 2365.

2299. Ici est exposé comment les disciples se sont associés au Christ ; on montre d'abord comment Pierre suivait le Christ avec un autre disciple, puis comment il entra à l'endroit où était le Christ [n° 2303], et enfin comment il le renia [n° 2307].

2300. Il dit donc que SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, parce qu'il lui était profondément attaché, mais qu'il le suivait de loin en raison de sa peur, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE, c'est-à-dire Jean, qui cache son nom à cause de son humilité. Mais par là il est donné à entendre que le reste des disciples s'était enfui en abandonnant Jésus, comme il est dit en Matthieu1.

2301. Au sens mystique, on entend par ces deux disciples deux vies qui suivent le Christ : la vie active, qui est signifiée par Pierre, et la vie contemplative, signifiée par Jean2. Certes la vie active suit le Christ en obéissant - Mes brebis écoutent ma voix3-, mais la vie contemplative le suit en connaissant et en contemplant - Nous te connaîtrons et nous te suivrons4.

2302. Ces deux disciples suivaient parce qu'ils aimaient le Christ plus que tous les autres - c'est pourquoi ils vinrent au tombeau5 les premiers - et parce qu'une plus grande force d'amour les unissait l'un à l'autre ; c'est pourquoi, dans l'Évangile, ils sont souvent mentionnés ensemble6. Et dans les Actes des Apôtres il est dit que [les Apôtres qui étaient à Jérusalem] envoyèrent [en Samarie] Pierre et Jean7 et [déjà, avant,] que Pierre et Jean montèrent au Temple8.

1. Cf. Mt 26, 56.

2. Voir ci-dessous, nos 2306, 2487 et 2640.

3. Jn 10, 27.

4. Os 6, 3.

5. Jn 20, 3.

6. Voir Jn 13, 23-24 ; 18, 15-16 ; 20, 2-4 et 8 ; 21, 7 ; 21, 20 et 23-24.

7. Ac 8, 14.

8. Ac 3, 1.

CE DISCIPLE ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE ET IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, ALORS QUE PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE.

2303. Ici on montre l'ordre selon lequel Pierre entra : d'abord comment Jean le précéda, puis comment il fit entrer Pierre [n° 2306].

2304. L'ordre fut tel parce que Jean entra en premier avec Jésus. La raison de cela était qu'il ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Et PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE de la cour. Bien que Jean fût pêcheur et ait été appelé jeune par le Christ, il était cependant connu du grand prêtre, soit parce que le père de Jean en était le serviteur, soit parce qu'il était quelqu'un de sa parenté. Jean n'a pas noté cela par vantardise, mais par humilité, pour que le fait qu'il entra d'abord avec Jésus dans la cour du grand prêtre, et non pas Pierre, ne fût pas davantage attribué à sa vertu et à sa supériorité qu'au fait qu'il était connu9. C'est pourquoi il dit : CE DISCIPLE, à savoir Jean, était connu du grand prêtre. Et c'est pourquoi IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, où le Christ avait été conduit. PIERRE, lui, SE TENAIT AU-DEHORS, annonçant en quelque sorte son reniement à venir - Ceux qui me voyaient s'enfuirent au-dehors loin de moi10.

2305. Au sens mystique, Jean entre avec Jésus parce que la vie contemplative lui est familière - Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 11. Mais Pierre se tient au-dehors parce que la vie active s'occupe des choses extérieures - Marie, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se démenait dans les multiples soins du service1.

9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449.

10. Ps 30, 12.

l1. Sg8, 16.

L'AUTRE DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE, SORTIT DONC ET DIT UN MOT À LA PORTIÈRE, ET IL FIT ENTRER PIERRE.

2306. Ici on montre comment Pierre fut introduit sur l'intervention de Jean, parce que L'AUTRE DISCIPLE, c'est-à-dire Jean, ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Il parla à la portière pour qu'elle l'introduise, et elle fit entrer Pierre. Par là, au sens mystique, il est donné à entendre que c'est par la vie contemplative que la vie active est introduite auprès du Christ. En effet, de même que la raison inférieure est dirigée par la raison supérieure, de même, la vie active par la vie contemplative - Envoie ta lumière et ta vérité : elles me conduiront et m'amèneront à ta sainte montagne, jusqu 'en ta demeure2.

LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » IL DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRÈS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT. (18, 17-18)

2307. On expose ici le reniement de Pierre ; d'abord le motif du reniement, puis le reniement lui-même [n° 2309], enfin la confirmation du reniement [n° 2310].

2308. L'occasion et le motif du reniement furent l'interrogation de la servante adressée à Pierre. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » Elle dit : TOI AUSSI, parce qu'elle savait que Jean était un disciple du Christ, mais parce qu'il était familier [du grand prêtre] elle ne lui dit rien. La faiblesse de Pierre apparaît à ce moment-là, parce que c'est une occasion dérisoire qui l'amena à renier, dérisoire en raison de deux choses. D'abord à cause de la personne qui l'interrogeait, car il ne s'agissait ni d'un soldat armé, ni d'un pontife digne d'admiration, mais d'une femme, et d'une servante chargée de la porte 3. Ensuite à cause de la forme de l'interrogation, parce qu'elle n'a pas dit : « N'es-tu pas des disciples de ce traître ? » En cela, il semble qu'elle lui ait parlé plutôt par compassion4. C'est pourquoi on saisit aussi par là que par la parole du Seigneur, les deux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche, toute leur puissance5, parce que celui qui renia le Christ à la voix d'une servante va, par la suite, prêcher et confesser le nom du Christ devant les chefs des prêtres6.

IL DIT : « JE N'EN SUIS PAS. »

2309. L'Évangéliste expose ici le reniement de Pierre. Et là nous devons remarquer, selon Augustin7, que le Christ peut être renié non seulement par quelqu'un qui affirme que Jésus n'est pas le Christ, mais aussi par celui qui nie être chrétien. En effet, Pierre n'a rien renié d'autre que le fait d'être chrétien. Et le Seigneur a permis que Pierre renie parce qu'il a voulu que celui qui devait être placé à la tête de l'Église ait plus de compassion pour les faibles et ceux qui pèchent, ayant expérimenté en lui-même l'infirmité du péché. L'épître aux Hébreux dit : Nous n'avons pas un grand prêtre qui ne pourrait compatir à nos infirmités puisqu'il a été éprouvé en toutes choses hormis le péché1 : cela est vrai du Christ, mais on peut aussi le dire de Pierre, même avec le péché. Certains cependant, appropriant à tort cette grâce à Pierre, disent qu'il n'a pas renié par crainte mais par amour, voulant être toujours avec le Christ et le suivre sans cesse ; il savait en effet que s'il avouait être des disciples du Christ, il aurait été séparé du Christ et expulsé2. Mais cela n'est pas en accord avec les paroles du Seigneur, parce que ce n'est pas pour cela qu'il renia mais parce qu'il n'a pas voulu perdre son âme pour le Christ. Plus haut en effet, quand il avait dit : Je perdrais mon âme pour toi, Jésus avait répondu : Tu perdrais ton âme pour moi ? Amen, amen, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois3.

1. Lc 10, 39-40.

2. Ps 42, 3. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir ci-dessous, n° 2582, note 7.

3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 450.

4. Cf. saint Jean Chrysostome, ibid.

5. Ps 32, 6. Saint Thomas commente : « Au sens mystique, par deux on entend les Apôtres ; ceux-ci ont été affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-à-dire du Christ, ou par le Fils du Seigneur ; et telles sont sa supplication et sa doctrine : Moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères (Le 22, 32). De même leur puissance a été affermie par l'Esprit Saint - Restez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut (Le 24, 49) » (Exp. in Psalmos, 32, n° 5).

6. Cf. Ac 4, 8.

7. Cf. Tract, in Io., CXIII, 2, BA 75, p. 223-225.

OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRÈS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT.

2310. La confirmation du reniement est exposée ici : Pierre se tenait là avec eux comme pour faire paraître davantage qu'il n'était pas disciple du Christ. En effet, Pierre, pour ne pas sembler faire partie des disciples, se plaça parmi les serviteurs et les gardes qui se tenaient auprès des braises parce qu'il faisait froid, comme il arrive parfois à l'équinoxe d'hiver en mars. En cela, Pierre n'a pas bien considéré ce qui est dit dans le psaume : Tu seras saint avec le saint4. Le temps lui-même aussi était en accord avec la condition de son esprit, en lequel la charité s'était refroidie 5 - La chanté de beaucoup se refroidira6.

b) Comment le Christ est examiné par Anne.

2311. Ici, Jésus est examiné par le grand prêtre. On expose d'abord l'interrogatoire, puis la réponse de Jésus [n° 2313], enfin la réprimande [d'un garde] à sa réponse [n° 2317].

1. He 4, 15. Saint Thomas commente : « II a été éprouvé si bien qu'en toutes choses, aussi bien les temporelles que toutes les autres, si ce n'est le péché seulement, il est semblable à nous. En effet, s'il avait été sans tentations, il ne les aurait pas expérimentées et ainsi il ne compatirait pas. Mais s'il avait connu le péché il n'aurait pas pu nous aider mais il aurait plutôt besoin d'aide » {Ad Heb. lect., TV, n° 237).

2. Cette opinion est rapportée par Théophylacte {Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 250 C).

3. Jn 13, 37-38.

4. Ps 17, 26.

5. Cf. saint Grégoire le Grand, Morales sur Job, II, n, 2, SC 32 bis, p. 255-257.

6. Mt 24, 12.

I

LE GRAND PRÊTRE DONC, INTERROGEA JÉSUS AU SUJET DE SES DISCIPLES ET DE SON ENSEIGNEMENT. (18, 19)

2312. Deux choses étaient reprochées au Christ par les Juifs : d'une part une doctrine fausse et nouvelle - Quel est cet enseignement nouveau ?7 D'autre part, la sédition et le fait qu'il attirait les hommes à lui - Il remue les foules dans toute la Judée, commençant par la Galilée jusqu'ici8. C'est pourquoi Anne l'interroge au sujet de ces deux choses. D'abord, certes, AU SUJET DE SES DISCIPLES qu'il semblait avoir séduits9, puis au sujet DE SON ENSEIGNEMENT, en l'accusant de fausseté.

7. Mc 1, 27.

8. Lc 23, 5.

9. À propos de seducere, voir vo1. I, n° 1110.

II

JÉSUS LUI RÉPONDIT : « MOI, J'AI PARLÉ AU MONDE OUVERTEMENT ; J'AI TOUJOURS ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE, OÙ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT, ET JE N'AI RIEN DIT EN SECRET. POURQUOI M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU CE QUE JE LEUR AI DIT : C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT. » (18, 20-21)

2313. Ici est exposée la réponse du Seigneur. D'abord il affirme le mode de son enseignement, puis il requiert le témoignage des autres [n° 2316]. À propos du premier point, il montre la manifestation de son enseignement, puis il l'explique [n° 2315].

MOI, J'AI PARLÉ AU MONDE OUVERTEMENT.

2314. À cela on peut objecter que plus haut il a dit : Elle vient, l'heure où je ne vous parlerai plus en proverbes, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père1. Si donc il n'avait pas encore parlé ouvertement aux disciples, comment a-t-il parlé au monde ouvertement ? Réponse : il faut dire qu'il ne parlait pas encore ouvertement aux disciples parce qu'il leur proposait des maximes excellentes, mais qu'il parla au monde ouvertement parce qu'il prêchait publiquement à tous.

2315. Il explique donc cela en disant : J'AI TOUJOURS ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE, OÙ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT, ET JE N'AI RIEN DIT

EN SECRET. On objectera qu'en Matthieu2 il est dit que Jésus enseignait à ses disciples, à part, beaucoup de choses sans paraboles. À cela, il y a trois réponses3. L'une est que ce qu'il disait aux douze disciples n'était pas considéré comme dit d'une manière cachée. La deuxième, qu'il ne donnait pas ces choses aux disciples avec l'intention de les cacher, mais de les publier - Ce que vous entendez au creux de l'oreille, prêchez-le sur les toits4. La troisième réponse est que, s'il se trouve une certaine vigueur dans sa parole, c'est parce que le Seigneur parle ici de l'enseignement qu'il livrait au peuple, enseignement qu'il n'a pas proposé à des petits groupes, mais qu'il a donné dans des lieux publics -J'ai annoncé ta justice dans la grande assemblée5. - Je n'ai pas parlé dans le secret, en un lieu ténébreux de la terre6.

POURQUOI M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU CE QUE JE LEUR AI DIT : C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT.

2316. Le Christ réclame ici le témoignage des autres. D'abord il le renvoie au témoignage des autres ; puis il montre ceux dont il requiert le témoignage ; enfin, il donne la raison de ces choses. À propos du premier point, il dit : « POURQUOI M'INTERROGES-TU ? », comme pour dire : tu peux savoir cela par d'autres. C'est pourquoi - et c'est le second point - il ajoute : « INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU. » Car, comme il est dit en Matthieu, Ils envoyèrent des hommes à Jésus pour qu'ils l'observent et le prennent dans sa parole7, mais ces hommes ne purent rien trouver contre lui. Et c'est pourquoi il renvoie le grand prêtre à eux. Et il ajoute la raison de cela : « C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT », donc ils peuvent témoigner de ces choses.

1. Jn 16, 25. Voir ci-dessus, n° 2151.

2. Voir Mt 13, 36 ; cf. 13, 10-11 et 15, 15. Cf. Me 4, 34 ; cf. 4, 10-11 et 7, 17.

3. Saint Thomas reprend, en le résumant, le commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., CXIII, 3, BA 75, p. 227-229). Voir aussi Somme théol, III, q. 42, a. 3.

4. Mt 10, 27.

5. Ps 39, 10.

6. Is 45, 19.

7. Mt 22, 15.

III

QUAND IL EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LA LUI DONNA UNE GIFLE, EN DISANT : « C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND PRÊTRE ? » JÉSUS LUI DIT : « SI J'AI MAL PARLÉ, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI ME FRAPPES-TU ? » (18, 22-23)

2317. Après la réponse du Seigneur, l'Évangéliste rapporte ici le blâme de cette réponse ; d'abord le blâme du serviteur, puis la justification du Seigneur [n° 2320].

2318. Le serviteur blâme la réponse du Seigneur d'abord par un geste, en lui faisant l'affront de lui donner une gifle. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : QUAND IL, Jésus, EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LÀ, c'est-à-dire un des serviteurs du grand prêtre, LUI DONNA UNE GIFLE. Ce qui n'arriva certes pas par hasard, mais avait été prophétisé longtemps auparavant et à plusieurs reprises : J'ai livré mon corps à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe1. - II tendra la joue à qui le frappe (...) 2 - A coups de verge ils frapperont la joue du juge d'Israël3. En second lieu, il le blâme par une parole en disant : C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND PRÊTRE ?, où il est donné à entendre qu'Anne était grand prêtre et que Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe4. C'est pourquoi Luc fait mention de ces deux grands prêtres : Sous les pontificats, dit-il, des grands prêtres Anne et Caïphe5. Et si on parle de deux grands prêtres, c'est parce qu'ils revendiquaient à tour de rôle le pontificat pour eux-mêmes ; mais cette année-là, Caïphe était le prince des prêtres6.

1. Is 50, 6. Commentant ce verset du troisième chant du Serviteur de Yahvé, saint Thomas dit : « II se donne en exemple quant à l'obéissance, en manifestant une obéissance parfaite (...)· Il manifeste aussi la constance dans l'obéissance, parce que pour aucun danger il n'a quitté cette obéissance -J'ai livré mon corps (...)j c'est-à-dire je me suis exposé à souffrir de telles choses. Peut-être au sens littéral a-t-il souffert ces choses mais c'est dans le Christ que cela a été pleinement accompli » (Exp. super Isaiam, 50, 6, p. 206, 1. 71-75).

2. Lm 3, 30.

3. Mi 5, 1.

2319. Le serviteur fut poussé à frapper Jésus du fait qu'il avait fait appel au témoignage de ses auditeurs. Or plus haut7, alors que les grands prêtres avaient envoyé des serviteurs pour l'appréhender, ceux-ci, saisis par les paroles de Jésus, revinrent en disant que jamais un homme n'avait parlé comme cet homme8. Voulant donc ici se justifier en montrant qu'il n'était pas de ceux-là, le serviteur le frappa, en conjecturant que le Christ avait mal répondu au grand prêtre. En effet, en disant : Pourquoi m'interroges-tu ?, il semblait avoir blâmé le grand prêtre par une interrogation imprudente, alors qu'il est écrit : Ne maudis pas le chef de ton peuple9.

SI J'AI MAL PARLÉ, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI ME FRAPPES-TU ?

4. Cf. saint Augustin, De consensu Evangelistarum, III, vi, 24, PL 34, co1. 1170.

5. Lc 3, 2.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIII, 5, BA 75, p. 235. En réalité, Caïphe occupait la charge de grand prêtre depuis l'an 18. Anne est régulièrement qualifié du titre de grand prêtre parce qu'il exerça cette fonction de l'an 6 à 15, qu'il était le beau-père de Caïphe et qu'il jouissait d'une grande influence. En 36, Vitellius, légat de Syrie, remplaça Caïphe par le propre fils d'Anne, Jonathan. Au sujet de Caïphe, déjà mentionné par l'Évangéliste au sujet de sa prophétie sur la mort de Jésus, voir vo1. I, n'11 1579 et 1580.

7. Cf. Jn 7, 32.

8. Jn 7, 46.

9. Ex 22, 28.

2320. Ensuite, Jésus se justifie avec raison quand il dit : SI J'AI MAL PARLÉ en répondant au grand prêtre, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. Autrement dit : si, à partir des paroles que j'ai prononcées, tu as quelque chose que tu puisses me reprocher, montre ce que j'aurais dit de ma1. Car c'est sur la parole de deux ou trois témoins que tout fait sera établi1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-à-dire si tu ne peux pas montrer cela, POURQUOI ME FRAPPES-TU ?, autrement dit : Pourquoi te déchaînes-tu contre moi ?

Cela peut aussi se rapporter à ce qu'il a dit plus haut : Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit2, et le sens est alors celui-ci : SI J'AI MAL PARLÉ, dans la synagogue et dans le temple, ce que je n'aurais pas dû faire, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MAL, donc de ce que j'ai dit, en face du prince des prêtres. Mais cela, le serviteur n'aurait pas pu le montrer, car il n'a pas commis le péché3. - Qui d'entre vous me convaincra de péché ? 4 MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-à-dire enseigné, POURQUOI ME FRAPPES-TU ? Autrement dit, c'est injuste - Le mal se rend-il pour le bien, qu'ils creusent une fosse pour mon âme ?5

2321. Mais il y a ici une question, parce que le Seigneur a prescrit à ses disciples : Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l'autre6, et Luc parle de ce que Jésus a fait et enseigné7. Il aurait donc dû faire ce qu'il a enseigné. Mais cela, il ne l'a pas fait8 ; bien plus, il semble avoir fait le contraire, il a protesté. À cela il faut répondre, selon Augustin9, que les paroles et les préceptes de l'Écriture Sainte peuvent être interprétés et compris à partir des actions des saints, puisque ceux-ci agissent sous la motion du même Esprit Saint qui a inspiré les Prophètes et les autres auteurs de l'Écriture Sainte. En effet, comme le dit Pierre, c'est inspirés par l'Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé10 ; et Paul : Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu11. Ainsi, l'Écriture Sainte doit être comprise telle que le Christ et les autres saints l'ont gardée. Or le Christ n'a pas présenté l'autre joue au serviteur, et Paul non plus 12. Il ne faut donc pas comprendre que le Christ avait ordonné que l'on tendît au sens littéral, matériellement, l'autre joue à celui qui en frappe une. Mais il faut comprendre que l'âme doit se préparer afin que, si cela était nécessaire, elle soit dans une disposition telle qu'elle ne s'émeuve pas contre celui qui frappe, mais soit prête à supporter quelque chose de semblable et même davantage. Et cela, le Seigneur l'a observé, lui qui a livré son corps à la mort. Ainsi la protestation du Seigneur fut utile à notre instruction13.

1. Dt 19, 15.

2. Jn 18, 21.

3. 1 Ρ 2, 22.

4. Jn 8, 46.

5. Jr 18, 20.

6. Mt 5, 39.

7. Ac 1, 1.

8. Saint Thomas commente ainsi le verset de saint Matthieu qu'il vient de citer (Mt 5, 39) : « Un outrage fait à des personnes (...) peut être repoussé de trois manières. Soit on l'empêche comme Paul qui, par des soldats, a empêché les outrages des Juifs ; soit on convainc l'autre d'erreur, comme le Seigneur l'a fait pour celui qui lui donnait une gifle (cf. Jn 18, 23) - et cela est permis à tous, aussi bien parfaits qu'imparfaits ; ou encore on la repousse contraint par une nécessité, comme quand une blessure ne peut être évitée ni par la fuite, ni par un autre moyen de l'empêcher » (Sup. Matth. lect., V, n" 542).

9. Tract, in Io., CXIII, 4, BA 75, p. 233.

10. 2 Ρ 1, 21.

11. Rm 8, 14.

12. Cf. Ac 16, 37 ; 22, 25 et 23, 2-3.

13. Voir vo1. I, Préface, p. 16 et note 3, sur la manière intérieure de garder la parole de Dieu en confrontant deux versets de l'Écriture qui semblent être en contradiction.

B. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A CAÏPHE

2322. On montre ici comment Jésus est envoyé par le grand prêtre à l'autre grand prêtre. D'abord on expose l'envoi, puis on achève le récit du reniement de Pierre [n° 2324].

2323. Il dit donc : ET ANNE L'ENVOYA, LIÉ, AU GRAND PRÊTRE CAÏPHE, à qui il était conduit dès le début ; la cause pour laquelle Anne l'avait d'abord mis à l'écart a été dite plus haut [n° 2296]. Mais soyons attentifs à sa fourberie. En effet, alors qu'il aurait dû relâcher Jésus, vu qu'il était sans faute, il l'a cependant envoyé ligoté à Caïphe.

OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LA ET SE CHAUFFAIT. ILS LUI DIRENT DONC : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DE SES DISCIPLES ? » IL NIA ET DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : « NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? >> DE NOUVEAU PIERRE NIA. ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA. (18, 25-27)

2324. On traite ici du second, puis du troisième reniement de Pierre, en affirmant d'abord l'occasion du reniement, puis le double reniement de Pierre [n° 2326], et enfin l'accomplissement du signe des paroles du Christ [n° 2327].

OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT.

2325. L'occasion du second reniement de Pierre fut qu'il s'attarda avec les serviteurs du grand prêtre qui se tenaient auprès du feu. Car, selon Chrysostome1, alors que le Christ s'éloignait vers Caïphe, Pierre resta encore avec les serviteurs. En effet il avait, après son [premier] reniement, été absorbé par le péché à tel point que, lui qui auparavant était plein d'ardeur, semblait maintenant ne plus se soucier du Christ - J'ai prêté attention et j'ai écouté (...). Personne ne fait pénitence pour son péché en disant : « Qu'ai-je fait ? »2 C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT, bien que le Christ se fût éloigné de là, et il ne se souvenait pas de ce que dit le psaume : Bienheureux l'homme qui ne va pas au conseil des impies et ne se tient pas sur le chemin des pécheurs3. Mais on ne peut pas s'arrêter à cette interprétation, parce qu'alors il s'ensuivrait que le second et le troisième reniements auraient eu lieu en l'absence du Christ, ce qui va contre ce que dit Luc : après le troisième reniement de Pierre, le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre4. C'est pourquoi Augustin5, expliquant cela autrement, dit que l'Évangéliste, selon son habitude, parle par récapitulation, pour montrer la continuation et l'ordre de la réalité. Il avait dit en effet plus haut que les serviteurs se tenaient là et que Pierre se tenait avec eux et se chauffait6, après quoi il a exposé l'interrogatoire du Christ par le grand prêtre [Anne], et pour enchaîner il reprend presque les mêmes paroles en disant : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT, c'est-à-dire avant que le Christ ait été envoyé à Caïphe.

ILS LUI DIRENT DONC : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DE SES DISCIPLES ? » IL NIA ET DIT : « JE N'EN SUIS PAS. »> UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : « NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? »> DE NOUVEAU PIERRE NIA.

1. Cf. In Ioannem hom., LXXXIII, 3, PG 59, co1. 451.

2. Jr 8, 6.

3. Ps 1, 1.

4. Lc 22, 61.

5. De consensu Evangelistarum, III, vi, 24, PL 34, co1. 1170.

6. Jn 18, 18.

2326. On rapporte ensuite le deuxième et le troisième reniements de Pierre, et à propos de l'un et l'autre deux choses sont rapportées : l'occasion du reniement (l'interrogation) et le reniement lui-même. Mais ici surgissent deux questions littérales1. Car Matthieu, parlant du second reniement, dit : Comme il sortait vers le portail, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : celui-ci aussi était avec Jésus le Nazaréen. Et de nouveau, il nia en jurant2. Il semble donc y avoir ici deux contradictions. D'abord, parce que Jean a dit que Pierre nia alors qu'il se tenait auprès du feu, et Matthieu alors qu'il sortait de la maison. Autre contradiction : selon Matthieu, Pierre est interrogé par « une autre servante » et, selon Jean, il est interrogé par d'autres, à savoir plusieurs : ILS LUI DIRENT DONC... À cela il faut répondre que la première fois où Pierre nia, il se leva et sortit par la porte et que, au moment où il sortait, une autre servante l'interrogea ou bien dit aux autres qu'il était « de ceux-là », comme le rapporte Matthieu. Et c'est ainsi qu'il nia une seconde fois. Après quoi, Pierre revint pour se disculper aussi de cela et s'assit avec les autres, et, alors qu'il était assis là, les autres qui avaient entendu la servante l'interrogèrent de nouveau, comme le dit Matthieu3. Ou bien d'abord un seul, puis beaucoup d'autres, comme il est dit ici. Et c'est ainsi qu'il nia une troisième fois. C'est pourquoi on ajoute, au sujet du troisième reniement : UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE... Ce troisième a rendu témoignage parce qu'il l'a vu : « NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? » Et DE NOUVEAU, un intervalle d'une heure s'étant écoulé, PIERRE NIA, pour la troisième fois. Peu importe que les autres évangélistes disent que la troisième interrogation a été posée par plusieurs et que Jean dise qu'elle a été posée par un seu1. En effet, il a pu se faire que celui qui était le plus sûr de lui ait interrogé et incité les autres à interroger. Car, concernant ces paroles, beaucoup de choses ont été dites par ceux qui y ont assisté, et un évangéliste en rappelle une et un autre en rappelle une autre, parce que leur intention principale ne porte pas là-dessus ; elle est plutôt de rappeler les paroles de Pierre et de montrer la vérité de ce que le Seigneur avait dit à Pierre4. C'est pourquoi tous se rejoignent dans les paroles de Pierre.

2327. Il s'agit ensuite du signe qui rappelle [ce qu'avait annoncé] le Christ, ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA, mû par la puissance divine, pour que fût accomplie la prédiction du médecin et confondue la présomption du malade5.

1. Dans l'énoncé des difficultés soulevées dans ce paragraphe et le suivant, saint Thomas reprend ce que dit saint Augustin dans son De consensu Évangelistarum, III, vi, 24-25, PL 34, co1. 1171-1172.

2. Mt 26, 71-72.

3. Cf. Mt 26, 73-74.

4. Cf. Nb 23, 19 : Dieu n'est pas comme un homme, pour qu'il mente.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIII, 6, BA 75, p. 237.

COMMENT LE CHRIST EST ACCUSE PAR LES CHEFS DU PEUPLE AUPRÈS DU GOUVERNEUR

2328. On traite ici de la remise du Christ aux Gentils. L'Évangéliste rapporte d'abord comment il a été remis au gouverneur 1 ; puis comment sa cause est examinée par le gouverneur [n° 2335] ; enfin, comment son innocence est proclamée [n° 2366].

A. LE CHRIST EST REMIS A PILATE

ILS AMENENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE. COMME C'ÉTAIT LE MATIN, EUX-MÊMES N'ENTRÈRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE. (18, 28)

À propos du premier point, il fait trois choses : il décrit d'abord où eut lieu cette remise du Christ aux Gentils, puis le temps [n° 2330], et enfin le mode [n° 2331].

ILS AMÈNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE.

2329. Le lieu est le PRÉTOIRE, qui est le lieu du jugement. C'est pourquoi, dans l'armée, on avait l'habitude d'appeler « prétoire » le lieu où était la tente du chef ; de là vient qu'ici on appelle « prétoire » la maison du gouverneur. Mais comment Jésus est-il conduit à Caïphe dans le prétoire ?2 À cela il faut répondre qu'on pourrait dire que Caïphe les avait précédés dans la maison de Pilate pour l'informer du fait que Jésus allait lui être présenté. Dans ce cas, c'est au moment où Caïphe sortait de chez Pilate pour se rendre avec lui au prétoire, que Jésus fut remis à Pilate. Ou bien on peut dire que, Caïphe étant prince des prêtres, il avait des demeures spacieuses, si bien que dans une de leurs parties il pouvait même accueillir le gouverneur. Le sens est alors celui-ci : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS à CAÏPHE, c'est-à-dire à sa maison, et cela AU PRÉTOIRE. Ou bien il faut dire, et là le texte grec est meilleur : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE ; ainsi, tout doute est enlevé.

1. Cf. Mt 27, 2.

2. Alors que dans la Vulgate on trouve de façon juste « a Caipha », le texte que commente saint Thomas, comme celui utilisé par saint Augustin (Tract, in Io., CXIV, 1, BA 75, p. 239-241, dont saint Thomas reprend l'explication), a bizarrement : « ad Caipham ». Le texte grec affirme clairement que le groupe quitta la maison de Caïphe pour se rendre chez Pilate.

C'ÉTAIT LE MATIN.

2330. On indique ici le temps. En effet, la fourberie [de ceux qui avaient arrêté Jésus] était si grande qu'ils n'eurent aucun retard à livrer à Pilate celui qui devait être tué - « Malheur à vous qui (...) inventez le mal sur vos lits » : à la lumière du matin ils l'accomplissent, parce que leur main est contre Dieu3. - L'homicide se lève de grand matin, il tue l'indigent et le pauvre4. Mais à partir de là surgit une question grave. Car les trois autres évangélistes affirment que vers le début de la nuit le Seigneur fut flagellé dans la maison de Caïphe et examiné par lui - Dis-nous si tu es le Christ5 -, et que de grand matin il fut conduit à Pilate. Mais Jean dit qu'il fut conduit à Caïphe. Là il faut dire, si nous voulons garder notre texte, que Caïphe le vit d'abord quand il était dans la maison d'Anne, de nuit, et qu'alors Jésus put être interrogé par lui. Il reste encore un doute au sujet de ce qu'ils disent, qu'il fut flagellé dans la maison de Caïphe, mais cela est complètement résolu selon ce qu'il y a dans le grec, à savoir qu'ils l'amènent de chez Caïphe au prétoire ; parce qu'alors, selon ce texte, il fut amené de nuit de la maison d'Anne à la maison de Caïphe où il fut flagellé et interrogé, et le matin, il fut conduit de chez Caïphe au prétoire.

3. Mi 2, 1.

4. Jb 24, 14.

5. Lc 22, 66.

EUX-MÊMES N'ENTRÈRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE. (18, 28)

2331. Là est indiqué le mode de la remise du Christ aux Gentils. On signale d'abord leur vaine superstition, parce qu'ils n'entrèrent pas dans le prétoire ; en second lieu la déférence de Pilate à leur égard, puisqu'il sortit à leur rencontre. Mais sur ce que dit Jean quant au premier point, à savoir qu'ils n'entrèrent pas pour ne pas être souillés, un doute subsiste. En effet, les autres évangélistes disent que le Christ fut arrêté le soir du jour de la Cène, et c'était alors la Pâque - J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir1. Et que le lendemain, dès le matin, il fût conduit au prétoire. Comment donc Jean affirme-t-il ici : POUR (...) POUVOIR MANGER LA PÂQUE, puisque c'était le lendemain de la Pâque 2 ? Devant cela, certains Grecs modernes disent que cela eut lieu le quatorzième jour après la nouvelle lune et qu'il fut crucifié le jour même où les Juifs célébraient la Pâque. Ils disent que le Christ devança la Pâque d'une journée, sachant que la mort était pour lui imminente, lors de la Pâque des Juifs ; c'est pourquoi il célébra la Pâque le soir du treizième jour après la nouvelle lune. Et ils disent cela parce qu'il était prescrit dans la Loi qu'à partir du quatorzième jour du premier mois jusqu'au vingt et unième jour du premier mois, on ne devait pas trouver de pain fermenté chez les Juifs. Aussi disent-ils que le Christ consacra son corps à partir de pain fermenté.

2332. Mais cela ne tient pas debout, pour deux raisons. D'abord parce qu'on ne trouve nulle part dans l'Ancien Testament qu'il soit permis à quelqu'un de devancer la célébration de la Pâque ; par contre, si on avait un empêchement, il était permis de la différer jusqu'au mois suivant, comme il est dit au livre des Nombres3. Or le Christ n'a rien négligé des observances légales ; ils disent donc quelque chose de faux, ceux qui affirment qu'il a devancé la Pâque. En second lieu, cette interprétation ne tient pas puisqu'il est affirmé expressément en Marc que le Christ vint le jour des azymes, où il était nécessaire d'immoler la Pâque4 ; et Matthieu dit que le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus en lui disant : « Où veux-tu que nous prépanons pour toi [ce qu'il faut] pour manger la Pâque ? »5 On ne doit donc pas dire que le Christ a devancé la Pâque.

2333. C'est pourquoi Chrysostome6 dit autrement, à savoir que le Christ, accomplissant la Loi en toutes choses, célébra la Pâque en son temps, à savoir le soir du quatorzième jour après la nouvelle lune ; mais que les Juifs étaient tellement déterminés à tuer le Christ qu'ils ne célébrèrent pas la Pâque à son jour, mais le jour suivant, à savoir le quinzième jour après la nouvelle lune. C'est pourquoi l’Évangéliste dit : POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, qu'ils avaient omise le jour précédent. Mais cela non plus ne tient pas, parce qu'il est dit dans les Nombres 1 que si quelqu'un, à cause d'empêchements, ne peut pas célébrer la Pâque le quatorzième jour après la nouvelle lune du premier mois, il doit la célébrer, non pas le jour suivant, mais le quatorzième jour après la nouvelle lune du second mois.

1. Lc 22, 15.

2. Sur le jour de la Pâque, voir ci-dessus, nos 1729-1730.

3. Nb 9, 9-11 : Yahvé parla à Moïse, et dit : « Parle aux enfants d'Israël, et dis-leur : Si quelqu'un d'entre vous ou de vos descendants est impur à cause d'un mort, ou est en voyage dans le lointain, il célébrera la Pâque en l'honneur de Yahvé. C'est au second mois qu'ils la célébreront, le quatorzième jour, entre les deux soirs ; ils la mangeront avec des pains sans levain et des herbes amères ».

4. Voir Mc 14, 12 et Lc 22, 7.

5. Mt 26, 17.

6. In Ioannem hom., LXXXIII, 3, PG 59, co1. 452.

2334. Il faut donc dire, selon Jérôme, Augustin et d'autres docteurs latins2, que le quatorzième jour après la nouvelle lune est le début de la solennité ; et ce n'est pas seulement le soir qu'on appelle la Pâque, c'est toute la durée des sept jours durant lesquels on mangeait des azymes, qui devaient être mangés par les purs. C'est pourquoi les Juifs, qui auraient contracté une impureté en entrant dans le prétoire d'un juge étranger, n'y entrèrent pas, POUR NE PAS ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, c'est à dire les pains azymes. Mais soyons attentifs à leur aveuglement impie, parce qu'ils craignaient d'être contaminés par un Gentil, un homme païen, alors que le sang de [celui qui était] Dieu et homme, ils ne craignaient pas de le répandre3 - Tes bâtisseurs vinrent pour te détruire, dévastant ils s'éloignent de toi4.

B. PILATE EXAMINE SA CAUSE

2335. L'Évangéliste montre ensuite la déférence de Pilate à l'égard des serviteurs du grand prêtre en disant : PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ; et comment, recevant d'eux le Christ offert (oblatum), il dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » II s'agit donc de l'examen du Christ, qui va être d'abord examiné par Pilate en face des accusateurs, et ensuite en privé [n° 2343].

a) Comment Pilate examine le Christ en face des accusateurs.

À propos du premier point, l'Évangéliste expose d'abord l'examen de Pilate, puis sa concession faite avec libéralité [n° 2338].

1. Cf. n° 2332, note 3.

2. Saint JÉRÔME, Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 17 (26, 17), SC 259, p. 241. Saint AUGUSTIN, Quaestiones veteris et novi testamenti, q. 84, PL 35, co1. 2279. Voir aussi Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100, co1. 968 C-D.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIV, 2, BA 75, p. 241.

4. Is 49, 17. L'édition léonine corrige et renvoie à Is 65, 4 : C'est un peuple (...) qui mange la chair de porc et met du jus impur dans ses plats.

I

PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ET DIT : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : « SI CE N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. » (18, 29-30)

2336. Ici commence l'examen de Pilate, [une interrogation] suivie de la réponse pleine de malice des Juifs. Pilate, voyant Jésus ligoté et conduit par tant de monde pour être condamné, dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : « SI CE N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. » Autrement dit : « Nous, nous l'avons examiné et nous te le livrons déjà condamné, comme un homme qu'il faut punir » - comme si leur jugement suffisait à Pilate. Mais en disant qu'il est un malfaiteur ils mentent, parce qu'il est passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable1. Cela, ils le font selon cette parole du psaume : Ils me rendaient le mal pour le bien2.

2337. Il est dit en Luc qu'ils chargeaient le Christ de nombreux crimes - Il sème le trouble dans le peuple en enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici3. Mais là [ils ne l'accusent] de rien. À cela je réponds que les Juifs ont alors dit beaucoup de paroles à Pilate, comme le dit Augustin4, mais que peut-être il y eut d'abord ce que Jean montre ici, et ensuite ce que dit Luc.

II

PILATE LEUR DIT DONC : « PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI. » LES JUIFS LUI DIRENT DONC : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », POUR QUE LA PAROLE DE JÉSUS FÛT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT DITE, SIGNIFIANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR. (18, 31-32)

2338. Ensuite, on expose la concession que Pilate fit avec libéralité. D'abord cette concession, puis la récusation des Juifs [n° 2340], enfin la raison de cette récusation [n° 2342].

2339. Pilate dit donc : « PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI », soit en voulant leur accorder une grâce - comme Festus a dit à Paul : Veux-tu monter à Jérusalem pour y être jugé là-dessus en ma présence ?5 -, soit en les accusant car, selon lui, ils avaient eux-mêmes examiné et condamné le Christ, et c'est pourquoi il voulait que ceux qui l'avaient jugé comme un malfaiteur rendent la sentence. Parce que, comme il est dit dans les Actes des Apôtres, les Romains n'ont pas coutume de condamner un homme avant que l'accusé ait été mis en présence de ses accusateurs et ait reçu le moyen de se défendre pour être lavé des fautes [dont on l'accuse]6. Le sens [de la phrase de Pilate] est alors celui-ci : Vous demandez notre jugement, mais PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI, moi je ne veux en aucune manière qu'on fasse de moi un tel juge7.

LES JUIFS LUI DIRENT DONC : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN. »

2340. La récusation des Juifs est exposée aussitôt après. Mais il est dit dans l'Exode : Tu ne laisseras pas vivre les sorciers8 ; or ils considéraient Jésus comme un sorcier. Mais, selon Augustin9, ils disent : IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN un jour de fête, mais un autre jour, oui. Ou bien, selon Chrysostome 10, les Juifs avait perdu beaucoup de pouvoir, parce que le jugement sur le péché d'ordre politique ne leur appartenait pas ; or ils avaient surtout l'intention de le condamner pour ce qui était contre l'État - Quiconque se fait roi s'oppose à César11. C'est pourquoi ils disent : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire celui qui agit contre l'État, alors que cela leur était permis pour un péché contre la Loi, dont le jugement leur était réservé. Ou bien il faut dire, autrement, que quelque chose n'est pas permis à quelqu'un soit parce que cela est défendu par la loi divine - et en ce sens cela ne leur était pas défendu -, soit parce que cela leur était défendu par une loi humaine - et en ce sens il ne leur était pas permis de tuer quelqu'un parce que ce pouvoir était détenu par le gouverneur.

1. Ac 10, 38.

2. Ps 34, 12.

3. Le 23, 5.

4. De consensu Evangelistarum, III, vu, 27, PL 34, co1. 1174.

5. Ac 25, 9.

6. Ac 25, 16.

7. Cf. Théophylacte, Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 255 D.

8. Ex 22, 18.

9. Tract, in Io., CXIV, 4, BA 75, p. 243-245.

10. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1. 452.

11. Jn 19, 12.

2341. Là il reste une question, parce qu'ils ont lapidé Etienne1. Mais à cela Chrysostome2 répond qu'aux Juifs les Romains avaient permis d'utiliser leurs propres lois ; et la peine de la lapidation, parce qu'elle était infligée par la Loi, leur avait été concédée par les Romains. Mais dans la Loi, la mort de la croix était un opprobre - Maudit soit celui qui est pendu au bois3 -, et c'est pourquoi ils n'avaient pas maintenu ce genre de mort. Or les Juifs, en raison de leur malice, n'étaient pas satisfaits de pouvoir lapider le Christ : ils voulaient le condamner à la mort la plus ignominieuse, comme il est dit au livre de la Sagesse4. Et c'est pourquoi ils disent maintenant : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire de la mort de la croix. Ou bien il faut dire qu'Etienne fut lapidé lors d'un changement de magistrature, où beaucoup de choses illicites sont usurpées, qui ne se feraient pas tant que dure le pouvoir.

POUR QUE LA PAROLE DE JÉSUS FÛT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT DITE, SIGNIFIANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.

2342. L'Évangéliste ajoute la raison de leur récusation. Le « pour » ne se réfère pas à l'intention des Juifs, mais à la disposition de la divine Providence. Jésus a dit en effet5 qu'il devait être tué par les païens et crucifié, mais en ayant été livré par les Juifs. Et c'est pourquoi, pour que cela fut accompli, ils ne voulurent pas le juger ni le tuer eux-mêmes6.

b) Comment Pilate examine le Christ chez lui.

2343. Plus haut a été exposé l'examen du Christ par Pilate face à ses accusateurs ; ici, l'Évangéliste montre comment Pilate a examiné le Christ chez lui. Il traite d'abord de l'interrogation de Pilate qui examine, puis de la réponse du Christ examiné [n° 2349].

Pilate interroge Jésus.

À propos du premier point, l'Évangéliste fait deux choses : d'abord il expose l'interrogation de Pilate, puis la cause de l'interrogation, à savoir l'examen [n° 2346].

I

PILATE ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS ET LUI DIT : « ES-TU LE ROI DES JUIFS ? » (18, 33)

1. Voir Ac 7, 58.

2. Ibid.

3. Dt 21, 23.

4. Sg 2, 20 : Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, d'après ses dires, il sera visité.

5. Voir Mt 20, 19.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIV, 5, BA 75, p. 249.

2344. À propos du premier point, il faut savoir que Pilate, comme un juste juge, et traitant toutes choses avec soin, n'a pas acquiescé tout de suite à l'accusation du grand prêtre - Tu ne suivras pas la foule pour faire le mal, et dans un jugement tu n'acquiesceras pas à la sentence du plus grand nombre de sorte que tu dévies de ce qui est vrai1. Mais il entra DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS, c'est-à-dire à part, parce qu'il avait une grande suspicion à son sujet. C'est pourquoi il appela à lui le Christ, pour scruter toutes choses avec plus de soin et pour que le Christ, éloigné du tumulte des Juifs2, répondît plus tranquillement - La cause que j'ignorais, je Vétudiais avec grande attention3.

2345. Il lui dit alors : « ES-TU LE ROI DES JUIFS ? » D'où il est évident, comme le rapporte Luc4, que les Juifs lui ont imputé ce crime, bien que Jean dise seulement : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré5, et qu'ils lui en reprochèrent beaucoup d'autres. Mais celui-ci toucha davantage le cœur de Pilate, et c'est pourquoi il l'interroge sur ce seul point - C'est de l'abondance du cœur que parle la bouche6.

II

JÉSUS RÉPONDIT : « DIS-TU CELA DE TOI-MÊME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE MOI ? » PILATE RÉPONDIT : « EST-CE QUE JE SUIS JUIF, MOI ? TON PEUPLE ET TES GRANDS PRÊTRES T'ONT LIVRÉ À MOI. QU'AS-TU FAIT ? » (18, 34-35)

2346. Ensuite est exposé l'examen de l'interrogation ; l'Évangéliste rapporte d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de Pilate [n° 2348].

2347. Il dit donc d'abord que Jésus, inversant l'interrogation, RÉPONDIT : « DIS-TU CELA DE TOI-MÊME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE MOI ? » II faut savoir ici que l'homme interroge pour deux causes : parfois pour connaître une réalité qu'auparavant il ignorait - et c'est ainsi que le disciple interroge le maître ; et parfois, au sujet d'une réalité connue, pour connaître la réponse au sujet de laquelle il interroge - et c'est ainsi que le maître interroge le disciple7. Mais le Seigneur connaissait à la fois ce sur quoi il interrogeait et ce qu'on allait lui répondre. C'est pourquoi il n'interrogeait pas comme par ignorance, parce que toutes choses sont nues et à découvert devant ses yeux8 ; mais il interroge pour que nous sachions quelle opinion avaient de sa royauté les Juifs et les Gentils, et qu'en même temps nous soyons instruits de cette royauté9.

2348. L'Évangéliste expose ensuite la réponse de Pilate : « EST-CE QUE JE SUIS JUIF, MOI ? » Mais pourquoi répond-il ainsi ? De toute évidence, c'est parce que le Seigneur lui avait demandé s'il avait dit cela de lui-même. Et c'est pourquoi Pilate montre que ce n'était pas à lui qu'il appartenait de chercher s'il était le roi des Juifs, mais plutôt aux Juifs dont il se disait roi, donnant par là à entendre que cela lui avait été dit par d'autres. Et c'est pourquoi Pilate ajoute : « TON PEUPLE ET TES GRANDS PRÊTRES T'ONT LIVRÉ À MOI » en lançant cette accusation contre toi. Et il dit : TON PEUPLE, parce que, dans son humanité, Jésus était né des Juifs - J'ai entendu en effet les outrages d'un grand nombre et la terreur tout autour de moi : « Poursuivez-le, et nous le poursuivrons » ; j'ai entendu aussi de tous les hommes qui vivaient en paix avec moi, et qui se tenaient à mes côtés : « Si en quelque manière il était trompé, et que nous prévalions contre lui, et que nous tirions vengeance de lui1. » - Le fils fait outrage à son père, et la fille s'élève contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère ; les ennemis de l'homme sont ses serviteurs2. Et s'il est dit TES GRANDS PRÊTRES, c'est parce que plus ils étaient grands dans le pouvoir, plus ils étaient puissants dans le crime - La main des pnnces et des magistrats fut la première dans cette transgression3. - J'irai vers les grands et je leur parlerai : car ils ont connu les voies du Seigneur et le jugement de leur Dieu ; et voilà que, de plus, tous ensemble ont brisé le joug, ont rompu leurs liens4. Si donc ils t'ont livré à moi, QU'AS-TU FAIT ? - autrement dit : il n'est pas croyable qu'ils t'aient livré à moi si ce n'est pas pour une cause grave.

1. Ex23, 2.

2. Cf. ThÉOPHYLACTE, Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 258 B, reprenant le commentaire de saint Jean Chry-sostome (In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, co1. 455) estimant sérieux et sincère l'intérêt que Pilate avait à l'égard de Jésus.

3. Jb 29, 16.

4. Voir Lc 23, 2.

5. Jn 18, 30.

6. Mt 12, 34.

7. Saint Thomas, en évoquant l'importance de l'interrogation dans la recherche de l'homme, se montre ici pleinement disciple d'Aristote. En effet, c'est Aristote qui met en pleine lumière les interrogations que l'intelligence humaine avide de connaître pose à partir de l'expérience. Et en soulignant ici les rapports entre le maître et le disciple, saint Thomas veut montrer comment le Christ interroge en maître. Par sa science infuse (voir Somme théo1., III, q. 11) il connaît tout, et s'il interroge c'est pour notre instruction.

8. He 4, 13. Voir vo1. I, n° 1502, note 6.

9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXV, 1, BA 75, p. 251.

La réponse du Christ.

I

JÉSUS RÉPONDIT : « MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE. » (18, 36)

2349. Ici nous est donnée la réponse du Christ. D'abord il écarte la fausseté du soupçon concernant son royaume, puis il établit la vérité [n° 2355]. À propos du premier point, il rejette d'abord le faux soupçon, puis il apporte comme preuve un signe [n° 2352].

2350. Il écarte le faux soupçon en disant : « MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE ». Comprenant mal cela, les manichéens disaient qu'il existe deux dieux et deux royaumes : un dieu bon, qui a son royaume dans la région de la lumière, et un dieu mauvais, qui a son royaume dans la région des ténèbres. Et ils disaient que cette dernière, c'est ce monde, parce que, selon eux, toutes les réalités corporelles étaient des ténèbres. Selon cette interprétation, MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE signifie que Dieu le Père, qui est bon, et moi, nous n'avons pas de royaume dans la région des ténèbres. Mais contre cela il dit dans le psaume : Dieu est le roi de toute la terre5 ; et encore : Tout ce qu'il a voulu, Dieu l'a fait, dans le ciel et sur la terre6. C'est pourquoi il faut dire que le Christ a dit cela à cause de Pilate qui croyait que le Christ ambitionnait de posséder un royaume terrestre sur lequel il régnerait de manière terrestre (corporaliter), tout comme les hommes terrestres ; et pour cela, parce qu'il cherchait à avoir un royaume illicite, il devait être puni de mort7.

2351. Or il faut savoir qu'on appelle « royaume » (regnum) tantôt le peuple sur qui on règne, tantôt le pouvoir royal lui-même [la royauté]. Prenant le terme « royaume » selon la première manière de le comprendre, Augustin8 dit que MON ROYAUME, c'est-à-dire ceux qui croient en moi - II a fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres ; et nous régnerons sur la terre1 -, N'EST PAS DE CE MONDE. Il ne dit pas : « n'est pas dans ce monde », alors qu'il est dit plus haut : Eux sont dans le monde2, mais N'EST PAS DE CE MONDE par l'amour et l'imitation3, étant arraché à ce monde par l'élection de la grâce. C'est ainsi, en effet, que Dieu nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et transportés dans le royaume 4 de son amour (caritatis).

1. Jr 20, 10.

2. Mi 7, 6.

3. Esd 9, 2.

4. Jr 5, 5.

5. Ps 46, 8.

6. Ps 134, 6.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in. Io., CXV, 1, BA 75, p. 253.

8. Tract, in Io., CXV, 2, BA 75, p. 257-259.

Chrysostome5 explique en prenant « royaume » au second sens [ma royauté] et dit : MON ROYAUME, c'est-à-dire mon pouvoir et l'autorité par laquelle je suis roi, N'EST PAS DE CE MONDE, c'est-à-dire ne tient pas son origine de causes mondaines et du choix des hommes, mais d'ailleurs, c'est-à-dire du Père lui-même - Son pouvoir est un pouvoir éternel qui ne sera pas enlevé et son règne, un règne qui ne se corrompra pas6.

SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. MAIS NON, MON ROYAUME N'EST PAS D'ICI. (18, 36)

2352. Ici, le Seigneur apporte l'évidence d'un signe pour prouver que son royaume n'est pas de ce monde. D'abord il donne le signe, puis il conclut ce qui était son intention [n° 2354].

2353. À propos du premier point, il faut savoir qu'il est nécessaire à celui qui possède un royaume terrestre, que ce soit d'une manière juste ou par la violence, d'avoir des associés et des hommes à son service (ministros) par lesquels il soit soutenu dans le pouvoir. La raison en est qu'il n'est pas puissant par lui-même mais par ses serviteurs - II y eut une longue guerre entre la maison de Saül et celle de David : David avançait, et toujours plus fort, alors que la maison de Saül s'affaiblissait de jour en jour7. Mais un roi « d'en haut » (supernus), parce qu'il est puissant par lui-même, donne la puissance à ses serviteurs (servis) ; il n'a donc pas besoin de serviteurs (ministros) pour son royaume8. C'est pourquoi le Christ dit que son royaume n'est pas de ce monde ; car SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. De là vient que Pierre, voulant combattre pour le Christ, ne se rendait pas compte que son royaume n'était pas de ce monde, comme on l'a vu plus haut9. Le Seigneur avait cependant d'autres serviteurs, à savoir les anges, qui auraient pu l'arracher aux mains des Juifs. Mais le Seigneur ne voulut pas être arraché - Ne puis-je pas faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ? 10

MAIS NON, MON ROYAUME N'EST PAS D'ICI.

2354. Parce qu'il ne cherche pas de tels serviteurs (ministros), il conclut que son royaume N'EST PAS D'ICI11, c'est-à-dire qu'il ne tient pas son principe de ce monde. Il est cependant ici, puisqu'il est partout - Il s'étend avec force d'une extrémité du monde à Vautre et dispose tout avec douceur1. - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les limites de la terre2. - Il lui a donné le pouvoir, l'honneur et le royaume ; et tous les peuples, les tribus et les langues le serviront.3

1. Ap 5, 10.

2. Jn 17, 11.

3. Voir ci-dessous, n° 2362.

4. Col 1, 13.

5. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1. 453.

6. Dn 7, 14.

7. 2 S 3, 1.

8. Le Seigneur « montre ici la fragilité du royaume des hommes, qui a sa puissance dans ses serviteurs, tandis que le royaume d'en haut se suffit à lui-même, n'en ayant pas besoin » (saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1. 453).

9. Cf. Jn 18, 10.

10. Mt 26, 53. Saint Thomas commente : « Et il a dit cela en raison de la faiblesse de l'âme de Pierre. Pierre considérait qu'il devait le défendre et qu'il avait besoin de l'aide des hommes. Le Seigneur veut donc lui dire que s'il pouvait être défendu par un secours humain, combien plus l'aurait-il été par celui des anges. Mais cela n'était pas nécessaire parce que ce sont plutôt les anges qui sont soutenus par lui » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2261).

11. Rappelons ici les paraboles par lesquelles Jésus a enseigné à ses disciples ce qu'est le Royaume de Dieu. Chacune dans sa particularité montre que Jésus vient annoncer un royaume divin et non humain, céleste et non terrestre. Ce royaume est cependant déjà présent sur la terre dans le cœur des disciples du Christ par le mystère de la grâce et les huit béatitudes. Il est en effet comme ce trésor caché dans un champ qu'un homme vient à trouver, comme ce négociant en quête de perles fines qui en trouve une de grand prix, comme et filet jeté en mer qui ramasse toutes sortes de choses (Mt 13, 44-50). Il est aussi comme ce roi qui invite aux noces tous ceux qui sont trouvés au bord des chemins parce que les premiers invités ont refusé son invitation (cf. Mt 22, 1-14), ou comme ces dix vierges qui, au milieu de la nuit, s'en vont à la rencontre de l'époux avec leurs lampes allumées (cf. Mt 25, 1-13 ; voir aussi Le 12, 35-38). Il est comparable aussi à un grain de sénevé (Le 13, 19) et au levain qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine jusqu'à ce que tout ait levé (Le 13, 21).

1. Sg 8, 1.

II

2355. Le Seigneur manifeste ici la vérité concernant ce qu'est son royaume. On expose d'abord l'occasion de la manifestation, puis la manifestation elle-même [n° 2357], enfin l'effet de la manifestation [n° 2364].

ALORS PILATE LUI DIT : « DONC, TU ES ROI ? » (18, 37)

2356. À propos du premier point, il faut savoir que Pilate, à partir des paroles susdites du Seigneur, comprenant ce royaume comme matériel et loin de ses frontières - L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu4 -, haletait [dans son désir] de connaître la vérité, et c'est pourquoi il s'enquiert en disant : « DONC, TU ES ROI ? », c'est-à-dire aussi Seigneur.

2. Ps 2, 8. Voir vo1. I, n° 1417, note 4.

3. Dn 7, 14.

4. 1 Co 2, 14. Saint Thomas commente : « Les choses au sujet desquelles l'Esprit Saint éclaire la pensée sont au-dessus du sens et de la raison humaine - De nombreuses choses qui dépassent le sens humain t'ont été montrées (Si 3, 25) - et ne peuvent donc être saisies par un homme qui s'appuie sur sa seule connaissance sensible. L'Esprit Saint enflamme même l'affection à aimer les biens spirituels au mépris des biens sensibles, et c'est pourquoi celui qui est de vie animale [l'homme naturel] ne peut saisir les biens spirituels de ce genre puisque, comme le dit le Philosophe (voir Éthique à Nicomaque, III, 7), ce qu'est chacun détermine la façon dont la fin lui apparaît - Le sot ne reçoit pas les paroles de prudence, à moins que tu ne lui dises ce qui est déjà dans son cœur (Pr 18, 2). - Il parle comme à quelqu'un qui dort, celui qui raconte la sagesse à un sot (Si 22, 9) » {Ad 1 Cor. lect., II, nos 112-113). Sur l'homme naturel et l'homme spirituel, voir vo1. I, n" 138, note 6, et n° 1039, note 4.

JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST TOI QUI DIS QUE JE SUIS ROI. MOI, JE SUIS NÉ ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ. QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX. » (18, 37)

2357. Là, il confesse d'abord qu'il est roi ; puis il montre la raison de sa royauté [n° 2359] ; enfin, il donne à entendre sur qui il règne [n° 2361].

2358. À propos du premier point, il faut savoir que le Seigneur, répondant à la question au sujet de sa royauté, a tempéré sa réponse de telle sorte qu'il ne déclare pas ouvertement qu'il est roi, puisqu'il n'est pas roi à la manière dont Pilate le comprenait, et qu'il ne le nie pas non plus, puisqu'il est spirituellement Roi des rois5. Il dit donc : « C'EST TOI QUI DIS QUE JE SUIS ROI », c'est-à-dire charnellement, mode selon lequel je ne suis pas roi ; mais moi je suis roi d'une autre manière - Voici que le roi régnera dans la justice6.

MOI, JE SUIS NÉ ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ.

2359. Le Christ montre le mode et la raison de sa royauté, ce qui s'explique de deux façons. D'une première manière, selon Augustin7, en ce sens que le royaume du Christ sont ceux qui croient en lui, comme on l'a dit plus haut8. Ainsi, le Christ règne sur les croyants. Et il est venu dans le monde pour que, rassemblant avec lui les croyants, il acquière pour lui un royaume comme Y homme noble qui s'en alla dans une région lointaine pour prendre possession d'un royaume1. Le sens est alors celui-ci : MOI, JE SUIS NÉ, c'est-à-dire d'une naissance charnelle, (...) POUR CECI... Et il l'explique en disant : ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE en naissant charnellement ; c'est ainsi en effet qu'il est venu, engendré d'une femme2 - Dieu a envoyé son Fils dans le monde3 -, POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à moi, qui suis la Venté4. - Et si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai5. Et c'est dans la mesure où je manifeste que je suis la vérité, que je me prépare un royaume. En effet, cela ne peut se faire que par la manifestation de la vérité, manifestation qui ne pouvait se réaliser que par moi qui suis la Lumière - L'unique engendré, qui est dans le sein du Père, lui l'a révélé6. - Ces choses qui ont commencé d'être révélées par le Seigneur (...) 7.

5. Voir saint Augustin, Tract, in Io., CXV, 3, BA 75, p. 259.

6. Is 32, 1.

7. Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 261.

8. Voir n° 2351.

2360. Chrysostome8 explique cela d'une autre manière : « Tu demandes si je suis roi ; et moi je te dis que oui. Mais par un pouvoir divin, parce que c'est POUR CECI que JE SUIS NÉ du Père, d'une nativité éternelle, comme Dieu de Dieu, et de même Roi de Roi » - comme dit le psaume : Moi j'ai été établi roi par lui9 ; et un peu plus loin : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré10. Mais ce que le Christ ajoute - ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI - n'est pas donné comme une explication, mais doit s'entendre de la nativité temporelle, comme s'il disait : « Bien que je sois un roi éternel, cependant JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ, c'est-à-dire du fait que je suis roi par Dieu le Père. »

1. Lc 19, 12.

2. Ga 4, 4. Voir vo1. I, n° 1555, note 3. Sur la génération charnelle et la génération spirituelle, voir aussi vo1. I, n° 163, note 4.

3. Ibid.

4. Jn 14, 6.

5. Jn 8, 14.

6. Jn 1, 18.

7. He 2, 3.

8. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1. 453.

9. Ps 2, 6.

10. Ps 2, 7. Voir vo1. I, n° 1287, note 5.

QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX.

2361. Ici, il montre sur qui il règne. Là, il faut noter que plus haut11 il s'est dit pasteur et qu'il appelle « brebis » ceux qui lui sont soumis, et c'est la même chose que ce qu'il dit ici : il se dit roi et appelle « royaume » ceux qui lui sont soumis. Car le rapport du roi aux sujets (subditos) et du pasteur aux brebis est le même : comme le pasteur fait paître les brebis 12 - N'est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître ?13 -, de même aussi le roi est le soutien de ses sujets. Et entre autres le Christ a dit spécialement : Mes brebis écoutent ma voix14. C'est pourquoi ici il dit : « QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX », non seulement de l'extérieur, mais intérieurement en croyant et en aimant, et par l'œuvre à accomplir - Quiconque écoute le Père et s'est mis à son école vient à moi15. Mais d'où vient à l'homme qu'il ÉCOUTE MA VOIX ? De ce qu'il EST DE LA VÉRITÉ, qui est Dieu.

2362. Mais alors, puisque tous sont de Dieu, tous sont de la vérité et écoutent sa voix ? 16 À cela je réponds que certains sont de Dieu par la création, et de cette manière tous sont de Dieu. Mais d'autres sont de Dieu par l'amour et l'imitation17. C'est pourquoi il est dit plus haut : Vous n'êtes pas de Dieu1, c'est-à-dire selon l'amour (affectus), mais vous l'êtes par la création. Celui-là donc ÉCOUTE la VOIX en croyant et en aimant, qui EST DE LA VÉRITÉ, c'est-à-dire qui reçoit ce don d'aimer la vérité.

11. Jn 10, 1 sq.

12. Sur le bon pasteur, voir vo1. I, nus 1371-1377 sq. Voir aussi nos 1398 et 1399 où saint Thomas commente le verset où Jésus dit : Je suis le Bon Pasteur.

13. Ez 34, 2.

14. Jn 10, 27. Voir vo1. I, n° 1372 : « En effet, les brebis reconnaissent la voix du pasteur à partir de leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux qui ont la foi et qui sont justes écoutent la voix du Christ - Aujourd'hui si vous écoutez sa voix (Ps 94, 8) ».

15. Jn 6,45.

16. La remarque et la double réponse qu'en donne saint Thomas ici et dans le paragraphe suivant s'inspirent du commentaire de saint Augustin (Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 263-265).

17. Sur les modalités de présence de Dieu dans les réalités créées, voir ci-dessus, n° 1853 et note 4, p. 157. Voir aussi n° 1879 et note 5 sur les liens qu'une créature peut avoir avec Dieu.

2363. Mais remarque qu'il ne dit pas : « quiconque écoute ma voix est de la vérité », parce qu'alors nous serions de la vérité parce que nous croyons. Alors que nous croyons parce que nous sommes de la vérité, c'est-à-dire en tant que nous recevons le don de Dieu par lequel nous croyons et aimons la vérité - C'est le don de Dieu2. - II vous a été donné, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui3.

PILATE LUI DIT : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? » (18, 38)

2364. L'Évangéliste rapporte ici l'effet de la réponse. Là il est donné à entendre que Pilate, ayant écarté l'idée d'un royaume terrestre et comprenant que le Christ est roi dans l'enseignement de la vérité, désire connaître la vérité et devenir membre de son royaume. C'est pourquoi il dit : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? », ne cherchant pas quelle est la définition de la vérité, mais ce qu'est la vérité par la puissance de laquelle il deviendrait membre de son royaume, donnant par là à entendre que la vérité était inconnue du monde et avait disparu de presque tous puisqu'ils étaient incrédules4 - La venté s'est corrompue sur les places5. - Les vérités ont été diminuées par les fils des hommes6. Mais Pilate n'a pas attendu la réponse.

1. Jn 8, 47.

2. Ep 2, 8. Saint Thomas commente : « Parce que ce qui relève de la foi est au-dessus de la raison, le libre arbitre ne suffit pas pour croire - Les choses au-dessus de la sensibilité humaine te sont montrées (Si 3, 25 [propre à la Vulgate]). - Personne ne connaît ce qui est de Dieu sauf l'Esprit de Dieu (1 Co 2, 11). Et c'est pourquoi, que l'homme croie ne peut venir de lui-même si Dieu ne le lui donne - Et ta volonté, qui l'a connue, si toi-même n'as donné la sagesse, et si tu n'as envoyé d'en haut ton Esprit Saint ? (Sg 9, 17). C'est pourquoi il ajoute : C'est le don de Dieu, c'est-à-dire la foi même - Il vous a été donné non seulement de croire en lui mais aussi de souffrir pour lui (Ph 1, 29) » (Ad Eph. lect., II, n° 95). Voir aussi vo1. I, n° 902, note 7, et n° 918, note 1.

3. Ph 1, 29. Dans son commentaire de l'épître aux Philippiens saint Thomas précise : « C'est par grâce que vous êtes sauvés par la foi (Ep 2, 8), ce qui est le grand et le premier don. Mais il vous a été donné (...) aussi de souffrir pour lui, ce qui est un don plus grand, pour que vous ayez souci du Christ comme si vous étiez ses athlètes - Les Apôtres s'en allaient tout joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Seigneur (Ac 5, 41). Si donc c'est utile et digne d'honneur, agissez avec force » (Ad Phi1. lect., I, n° 43).

2365. Il faut donc, quant à cette question, savoir que nous trouvons dans l'Évangile deux vérités : l'une, incréée et créatrice (facientem), et celle-ci est le Christ - Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie7. L'autre, faite (factam) - La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ8. Or la vérité, selon sa raison propre, implique une proportion entre la réalité et l'intelligence (intellectus). Mais le rapport de l'intelligence à la réalité est de deux sortes : il y a d'une part l'Intelligence qui existe comme mesure des réalités, et il s'agit de Celui qui est cause des réalités ; et d'autre part l'intelligence qui est mesurée par la réalité, chez celui dont la connaissance est causée par la réalité. La vérité n'est donc pas dans l'intellect divin parce qu'il est adéquat aux réalités, mais parce que les réalités sont adéquates à l'intellect divin lui-même ; alors que la vérité est dans notre intelligence parce que celle-ci connaît les réalités telles qu'elles sont1. Ainsi, la Vérité incréée, l'intellect divin, est une vérité qui n'est pas mesurée ni faite, mais une vérité qui mesure et qui fait une double vérité : l'une dans les réalités elles-mêmes, en tant qu'elle les fait être selon qu'elles sont dans l'intellect divin ; l'autre qu'elle fait dans nos âmes, et qui est une vérité seulement mesurée et non mesurante. Et de là vient que la vérité incréée de l'intellect divin est appropriée au Fils qui est la conception même de l'intellect divin et le Verbe de Dieu. En effet, la vérité suit la conception de l'intellect.

4. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 259 D.

5. Is 59, 14.

6. Ps 11, 2 (propre à la Vulgate). Saint Thomas commente ce verset en distinguant la vérité et les vérités : « La vérité primordiale est une, c'est la vérité qui est dans l'intelligence divine - Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie (Jn 14, 6) (...). Des vérités diverses apparaissent à partir de cette unique vérité dont l'âme sainte est illuminée, vérités qui sont diminuées lorsque l'âme s'éloigne de Dieu à cause de ses fautes. Ou bien il faut répondre qu'il dit "vérités" en raison de la triple vérité créée qui est dans les saints : la vérité de la vie - Ah Yahvé ! souviens-toi que j'ai marché devant ta face dans la vérité et avec un cœur intègre, et que j'ai fait ce qui est bien à tes yeux ! (Is 38, 3) ; la vérité de la doctrine - Nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu dans la vérité (Mt 22, 16) ; et la vérité de la justice - Et toi, tu distingueras d'entre tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes sûrs, ennemis du gain (Ex 18, 21). Il faut donc dire que les vérités sont diminuées non pas par elles-mêmes mais par les enfants des hommes que leurs fautes ont corrompues. Et la vérité de la vie est diminuée quand le bien est regardé comme un mal, et la vérité de l'enseignement lorsque la lumière est appelée ténèbre. Quant à la vérité de la justice, elle est diminuée quand ce qui est amer est jugé doux et inversement - Malheur à ceux qui appellent bien le mal et mal le bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui font doux ce qui est amer et amer ce qui est doux ! (Is 5, 20). Un seul péché mortel détruit aussitôt la sainteté étant donné que la grâce vient de Dieu, tandis que la vérité diminue comme progressivement » (Exp. in Psalmos, 11, n° 1).

7. Jn 14, 6.

8. Jn 1, 17.

C. PILATE PROCLAME L'INNOCENCE DU CHRIST

ET QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS ET LEUR DIT : « MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. MAIS C'EST LA COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN HOMME. VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » TOUS CRIÈRENT DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS BARABBAS ! » OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND. (18, 38-40)

2366. On traite ici de la sentence de Pilate à l'égard du Christ ; d'abord Pilate déclare son innocence, puis il cherche à faire miséricorde [n° 2368].

ET QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS ET LEUR DIT : « MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. »

2367. À propos du premier point il faut savoir que Pilate, comme le dit Augustin2, voulait volontiers libérer le Christ, et comme il avait demandé au Christ : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? », il lui vint soudain à l'esprit comment, selon la coutume qui lui permettait de leur relâcher quelqu'un pour la Pâque, il pouvait libérer le Christ. Aussi, ne s'attendant absolument pas à leur réponse, il s'efforça d'obtenir cela ; et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : ET QUAND IL EUT DIT CELA - Qu'est-ce que la vérité ? -, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS. Mais Chrysostome3 lit autrement ; il dit que quand le Christ EUT DIT CELA, Pilate entendait le tumulte des Juifs et, croyant qu'il pourrait le réprimer et ensuite entendre plus tranquillement la réponse à une question difficile, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS et, leur mettant devant les yeux l'innocence du Christ, il leur dit : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE, c'est-à-dire de mort - Lui qui n'a pas commis le péché (...)4. Et si toutefois il y en avait une en lui, moi, à qui appartient le pouvoir, et principalement celui de juger de ce qui se fait contre le roi, je veux le libérer et l'acquitter.

MAIS C'EST LA COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN HOMME. VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » TOUS CRIÈRENT DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS BARABBAS ! » OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND. (18, 39-40)

2368. Là Pilate offre la libération du Christ, puis l'Évangéliste rapporte la réponse des Juifs [n°2370].

2369. Il faut savoir que Pilate, ou d'autres gouverneurs (praesides) des Romains, ont introduit cette coutume pour avoir la faveur du peuple. C'est pourquoi voulant, selon cette coutume, relâcher le Christ, il dit : « VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » II ne dit pas cela comme s'il l'avait trouvé coupable de régner sur les Juifs, mais pour amplifier leur malice, comme s'il disait : « Même s'il est le roi des Juifs, ce dont il ne vous appartient pas de juger, car cela relève de moi, cependant, si vous le voulez, je vous le relâche. »

1. Voir ci-dessus, n° 1776 et note 1.

2. Tract, in Io., CXV, 5, BA 75, p. 265.

3. In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, co1. 455.

4. 1 Ρ 2, 22.

2370. Mais les Juifs eux-mêmes CRIÈRENT TOUS DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS BARABBAS ! » Et pour montrer la malice des Juifs, l'Évangéliste ajoute aussitôt le crime de celui dont ils demandaient la libération, en disant : OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND - Tes chefs infidèles sont les associés des voleurs1. En cela s'accomplit cette parole de Jérémie : Mon héritage est devenu pour moi comme un lion dans la forêt2. - Vous avez rejeté le saint et le juste et vous avez demandé qu'on vous accorde [la grâce d'Jun meurtrier·3.

1. Is l, 23.

2. Jr 12, 8.

3. Ac 3, 14.

CHAPITRE XIX : [LES SOUFFRANCES PAR LES PAÏENS]

 

Évangile selon saint Jean Chapitre XIX

1 Alors donc Pilate prit Jésus et le fit flageller. 2 Et les soldats, tressant une couronne d'épines, la lui mirent sur la tête et le revêtirent d'un vêtement de pourpre ; 3 et ils venaient à lui et disaient : « Salut, roi des Juifs » ; et ils lui donnaient des gifles. 4 Pilate sortit donc de nouveau, et leur dit : « Voici que je vous l'amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucune cause [de condamnation]. » 5 Jésus donc sortit, portant la couronne d'épines et le vêtement de pourpre. Et Pilate leur dit : « Voici l'homme. » 6 Quand les grands prêtres et les gardes l'eurent vu, ils criaient, disant : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le : moi, je ne trouve en lui aucune cause [de condamnation]. »7 Les Juifs lui répondirent : « Nous, nous avons une Loi, et selon cette Loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. »

8 Lors donc que Pilate eut entendu cette parole, il craignit davantage.9 II rentra dans le prétoire et dit à Jésus : « D'où es-tu ? » Mais Jésus ne lui donna pas de réponse. 10 Pilate lui dit donc : « Tu ne me parles pas ? Tu ne sais pas que j'ai le pouvoir de te crucifier et le pouvoir de te relâcher ? » 11 Jésus répondit : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché. » 12 Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs criaient, disant : « Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César. Car quiconque se fait roi se déclare contre César. » 13 Pilate, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors et s'assit à son tribunal, au lieu qui est appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha (Le Dallage) ; 14 or c'était la préparation de la Pâque, vers la sixième heure. Et il dit aux Juifs : « Voici votre roi. » 15 Mais eux criaient : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Crucifierai-je votre roi ? » Les grands prêtres répondirent : « Nous n'avons pas d'autre roi que César. » I6 Alors il le leur livra pour être crucifié.

Ils prirent donc Jésus et l'emmenèrent, 17 et portant lui-même sa croix il sortit pour aller au lieu qui est appelé Calvaire, en hébreu Golgotha, 18 où ils le crucifièrent, et avec lui deux autres, l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté, et Jésus au milieu. 19 Pilate fit une inscription et la mit sur la croix. Il y était écrit : « Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. » 20 Cette inscription, beaucoup de Juifs la lurent, parce que le lieu où Jésus avait été crucifié était proche de la ville. Et elle était écrite en hébreu, en grec et en latin. 21 Les grands prêtres des Juifs disaient donc à Pilate : « N'écris pas : le roi des Juifs, mais que lui-même a dit : "Je suis le roi des Juifs". »22 Pilate répondit : « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. »

23 Quand donc les soldats l'eurent crucifié, ils prirent ses vêtements (et ils en firent quatre parts, une part pour chaque soldat), et sa tunique. Or la tunique était sans couture, tissée d'une seule pièce à partir du haut. 24 Ils se dirent donc l'un à l'autre : « Ne la déchirons pas ; mais tirons au sort à qui elle sera. » Afin que s'accomplît l'Écriture disant : « Ils se sont partagé mes vêtements, et mon vêtement ils l'ont tiré au sort. » Et c'est bien ce que firent les soldats.

25 Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère, et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. 26 Quand donc Jésus eut vu sa mère et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » 27 Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

28 Après cela Jésus, sachant que tout était accompli, pour que l'Écriture fut accomplie, dit : « J'ai soif. »29 Or il y avait là un vase plein de vinaigre. Ils mirent donc autour d'une branche d'hysope une éponge imbibée de vinaigre et l'approchèrent de sa bouche. 30 Quand donc Jésus eut pris le vinaigre, il dit : « Tout est accompli. » Et, la tête inclinée, il remit l'esprit.

31 Les Juifs donc, puisque c'était la préparation [de la Pâque], pour que les corps ne restent pas sur la croix le jour du sabbat (car c'était un grand jour que ce sabbat), demandèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât. 32 Les soldats vinrent donc, et ils brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui. 33Mais lorsqu'ils vinrent à Jésus, et qu'ils le virent déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes ; 34 mais l'un des soldats, de sa lance, lui ouvrit le côté ; et aussitôt il sortit du sang et de l'eau. 35Et celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est vrai : et celui-là sait qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. 36 Car ces choses ont été faites pour que s'accomplît l'Écriture : « Vous ne lui briserez pas d'os. »37 Et une autre Écriture dit encore : « Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé. »

38 Or, après cela, Joseph d'Arimathie (qui était disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs) demanda à Pilate de prendre le corps de Jésus, et Pilate le permit. Il vint donc et enleva le corps de Jésus.39 Vint aussi Nicodème - qui au début était venu trouver Jésus de nuit -, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès d'environ cent livres. 40 Ils prirent le corps de Jésus et l'enveloppèrent dans des linges avec des aromates, comme c'est la coutume des Juifs pour ensevelir. 41 Or, au lieu où il fut crucifié il y avait un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf, où personne encore n'avait été mis. 42 C'est donc là que, à cause de la préparation des Juifs, et parce que le tombeau était proche, ils déposèrent Jésus.

2. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT SPÉCIALEMENT DE LA PART DES GENTILS

2371. Plus haut, l'Évangéliste s'est attaché à exposer ce que le Christ a souffert de la part des Juifs ; ici, il s'attache à exposer ce qu'il a souffert spécialement de la part des Gentils : et il a souffert d'eux trois choses, selon qu'il l'avait lui-même annoncé : Il sera livré (...) aux Nations pour être bafoué, flagellé et crucifié1.

L'Évangéliste traite donc d'abord de la flagellation du Christ, puis de la dérision qu'il a subie [n° 2374], et enfin de sa crucifixion [n° 2379].

LA FLAGELLATION DU CHRIST

ALORS DONC PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER. (19, 1)

2372. ALORS DONC, c'est-à-dire après la clameur de tous, PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER2, non certes de ses propres mains, mais par les soldats : et cela pour que les Juifs, satisfaits des outrages qu'on lui inflige, s'apaisent et renoncent à s'acharner jusqu'à sa mort3. En effet, il est naturel que la colère se calme si elle voit celui contre lequel elle s'emporte humilié et puni, comme le dit le Philosophe4. Cela, certes, est vrai de la colère qui cherche le préjudice du prochainavec mesure, mais non pas de la haine qui cherche à perdre entièrement celui qui est pris en haine5 - Ton ennemi (...) s'il trouve l'occasion, sera insatiable de ton sang6. Or ceux-ci étaient mus par la haine contre le Christ, et c'est pourquoi la flagellation ne leur suffisait pas -J'ai été flagellé tout le jour1. -J'ai donné mon corps à ceux qui me frappaient2.

1. Mt 20, 18-19. Saint Thomas commente : « Et il nomme les trois choses qui lui ont été faites, qui vont contre les trois choses que les hommes désirent au plus haut point, à savoir l'honneur, le repos et la vie » (Super Matth. lecu, XX, n° 1652).

2. En latin flagellavit, littéralement : il [le] flagella.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 1, BA 75, p. 269. On trouve chez saint Thomas comme chez saint Augustin le souci constant de chercher à disculper Pilate.

4. Voir Aristote, Rhétorique, II, 3, où, après avoir indiqué ceux contre qui on se met en colère {Rhétorique, II, 2), Aristote montre à quelle occasion et pour quelles raisons la colère s'apaise. Citons entre autres : « On ne se fâche pas non plus contre ceux qui reconnaissent nous avoir offensés, et s'en repentent : car, comme nous croyons alors qu'ils sont assez punis par leur repentir, nous nous apaisons aussitôt » (II, 3, 1380 a 14-15). « Notre colère encore ne peut durer contre ceux qui s'humilient ou écoutent tout ce que nous leur disons sans répartir ; car ils semblent avouer qu'ils sont nos inférieurs (...). Qu'on ne peut être en colère contre ceux qui s'humilient, c'est ce que les chiens même nous montrent, ne mordant jamais ceux qui sont assis par terre » (foc. cit., 1380 a 22-25). « Nous ne pouvons encore nous fâcher contre les personnes qui nous sollicitent et nous supplient, attendu que la qualité de suppliant les abaisse et les fait s'humilier devant nous » (foc. cit., 1380 a 28).

5. Sur la gravité de la haine par rapport à la colère, voir Somme théo1., I-II, q. 46, a. 6.

6. Si 12, 16.

2373. Mais cette intention excuse-t-elle Pilate de la flagellation ?

Certes non, car aucune des choses qui sont mauvaises par elles-mêmes ne peut être rendue totalement bonne par une bonne intention. Or affliger un innocent, et surtout le Fils de Dieu, est mauvais par soi au plus haut point ; c'est pourquoi cela ne peut être excusé par aucune intention.

LA DÉRISION QUE SUBIT LE CHRIST

ET LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE ET LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE ; ET ILS VENAIENT À LUI ET DISAIENT : « SALUT, ROI DES JUIFS » ; ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES. (19, 2-3)

2374. Il s'agit ici de la dérision, premièrement quant aux faux honneurs qu'ils lui ont rendus ; deuxièmement quant aux véritables opprobres dont ils l'ont accablé [n° 2378].

A. LES FAUX HONNEURS

Ils lui rendaient de faux honneurs en l'appelant roi : par là ils faisaient allusion à l'accusation des Juifs, qui disaient que lui-même se faisait roi des Juifs. Et c'est pourquoi ils lui rendaient de trois manières l'honneur dû au roi, mais un faux honneur. D'abord quant à la couronne de dérision [n° 2375], ensuite quant au vêtement de dérision [n° 2376], enfin quant à leur salutation de dérision [n° 2377].

ET LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE.

2375. Ils se moquent donc de lui quant à la couronne, parce que les rois avaient coutume d'être couronnés d'or - Une couronne d'or sur sa tête3. Et de là vient qu'il est dit de lui dans un psaume : Tu as mis sur sa tête une couronne de pierres précieuses 4. Mais LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE, c'est-à-dire la tête de celui qui est pour les siens une couronne de gloire - En ce jour-là le Seigneur des armées sera une couronne de gloire et un sceptre d'exultation pour le reste de son peuple5. Et il convenait que ce fût une couronne d'épines, puisque par elles il a retiré les épines des péchés, qui nous percent par le remords de la conscience6 - Défrichez-vous une friche, et ne semez pas sur des épines7 -, et les épines des peines qui nous affligent - Elle te produira des épines et des chardons8.

Mais cela a-t-il été fait par ordre du gouverneur ? Chrysostome dit que non, mais que les soldats, corrompus par l'argent, faisaient cela pour plaire aux Juifs1. Augustin, lui, dit que cela a été fait sur un ordre ou avec la permission du gouverneur, c'est-à-dire pour assouvir davantage la haine des Juifs et le leur arracher plus facilement2.

1. Ps 72, 14.

2. Is 50, 6.

3. Si 45, 14.

4. Ps 20, 4.

5. Is 28, 5.

6. Cf. Glossa ordinaria. Évang. sec. Ioannem. In h. /oc, PL 114, co1. 420 C.

7. Jr 4, 3.

8. Gn 3, 18.

ET LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE.

2376. En second lieu, ils se moquent de lui quant au vêtement.

ET [ILS] LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE, qui était la marque de la dignité royale chez les Romains. C'est pourquoi il est dit au premier livre des Maccabées qu'au temps où dominaient les consuls romains, aucun n'utilisait de couronne ni de pourpre3. Or, par le fait qu'ils le revêtirent de pourpre, s'accomplit ce passage d'Isaïe : Pourquoi donc ton vêtement est-il rouge et tes habits sont-ils comme les habits de ceux qui foulent au pressoir ?4 Par là est signifiée en même temps la passion des martyrs par laquelle tout le corps du Christ, c'est-à-dire l'Église, est rougi.

ET ILS VENAIENT À LUI ET DISAIENT : « SALUT, ROI DES JUIFS. »

2377. En troisième lieu, ils se moquent de lui quant à leur salutation : venant vers lui, ils lui disaient : « SALUT, ROI DES JUIFS. » C'était alors la coutume, comme cela l'est encore maintenant, que les hommes allant auprès du roi le saluent - Chusai allant vers Absalom lui dit : « Salut, ô roi ; salut, ô roi »5. Or au sens mystique, ils saluent le Christ avec dérision, ceux qui le confessent de leur bouche mais le renient par leurs actes6 - Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur, Seigneur » qui entreront dans le royaume des cieux7.

B. LES OPPROBRES

ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES.

2378. Puis l'Évangéliste montre les opprobres qu'ils lui ont infligés en disant : ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES, et cela pour montrer par cet acte même que c'était par dérision qu'ils lui rendaient un tel honneur - J'ai tendu mes joues à ceux qui arrachaient ma barbe8. - Ils ont frappé la joue du prince d'Israël9.

LA CRUCIFIXION DU CHRIST

2379. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ ; d'abord il expose la crucifixion elle-même, puis la mort du Christ [n° 2444], et enfin son ensevelissement [n°2463].

1. In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, co1. 456.

2. Pilate en donna la permission « afin que les ennemis [du Christ] boivent ces insultes avec délectation, et n'aient plus soif de [son] sang » {Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 271-273).

3. Cf. 1 M 8, 14.

4. Is 63, 2.

5. 2 S 16, 16.

6. Tt 1, 16.

7. Mt 7, 21.

8. Is 50, 6 : J'ai donné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui arrachaient ma barbe ; je n'ai pas détourné ma face de ceux qui me réprimandaient et qui crachaient sur moi.

9. Mi 5, 1.

A. LA CRUCIFIXION DU CHRIST

II rapporte d'abord la discussion entre Christ [n° 2401], et enfin l'exécution de la Pilate et les Juifs, puis la condamnation du sentence [n° 2411].

a) La discussion entre Pilate et les Juifs.

Pilate, voulant libérer le Christ, discutait avec les Juifs. C'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord comment il s'efforce de le libérer en le faisant voir aux Juifs - il montre cette manifestation, puis son effet [n° 2383] ; en second lieu, comment il s'efforce de le libérer en alléguant son innocence [n° 2384].

Pilate présente Jésus aux Juifs.

PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU, ET LEUR DIT : « VOICI QUE JE VOUS L'AMÈNE DEHORS, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » (19, 4)

2380. L'Évangéliste montre d'abord l'intention de Pilate : en leur montrant Jésus, il avait l'intention de le libérer ; PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU, à savoir du prétoire, ET LEUR DIT, c'est-à-dire aux Juifs qui attendaient : « VOICI QUE JE VOUS L'AMÈNE DEHORS, et cela POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » Pourquoi donc l'as-tu traité de manière honteuse, ô impie Pilate, sans cause ? Pour que les Juifs ne croient pas que je le relâche par faveur. En effet, quelle faveur est accordée à celui à qui sont infligés tant de coups de fouet ? Ou bien, pour que ses ennemis voient avec un très grand plaisir les outrages qu'il a subis et ne soient plus assoiffés de sang1 ; autrement dit : S'il était passible de mort, je le condamnerais comme je l'ai fait flageller. Cependant il a peut-être fait contre la loi des choses sans gravité, pour lesquelles il a seulement mérité la flagellation, mais non la mort.

JÉSUS DONC SORTIT, PORTANT LA COURONNE D'ÉPINES ET LE VÊTEMENT DE POURPRE. (19, 5)

2381. En second lieu, cela ayant été fait, on montre la manifestation du Christ. Pilate le présente dans l'état où il est tourné en dérision par les gardes pour qu'au moins ils se calment tandis qu'il sort vers eux, non pas dans la gloire du pouvoir, mais couvert d'opprobre2 - Puisque c'est à cause de toi que j'ai souffert l'opprobre, et que la confusion a couvert ma face3. En cela nous sommes instruits, afin d'être prêts à supporter tous les opprobres à cause du nom de Jésus Christ - Ne craignez pas les opprobres des hommes, et n'appréhendez pas leurs injures4.

ET PILATE LEUR DIT : « VOICI L'HOMME. » (19, 5)

2382. En troisième lieu est montrée l'explication de cette manifestation, et cela par les paroles de Pilate ; il leur a dit : « VOICI L'HOMME », parlant comme avec mépris de ce qu'un homme ainsi méprisé veuille usurper pour lui la royauté. Voici de quel homme vous croyez ces choses, de telle sorte que, selon cela, lui convient ce psaume : Moi je suis un ver, et non un homme1. Si donc c'est le roi que vous haïssez, cessez désormais puisque vous le voyez déchu. Comme le dit Augustin2 : « L'ignominie brûle, que la haine se refroidisse. »

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.

2. Cf. saint Augustin, ibid.

3. Ps 68, 8. 4.1s 51, 7.

QUAND LES GRANDS PRÊTRES ET LES GARDES L'EURENT VU, ILS CRIAIENT, DISANT : « CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! » (19, 6)

2383. Ici est montré l'effet de la manifestation du Christ sur les Juifs parce que, si déchu et flagellé qu'ils le voient, leur haine ne se refroidit pas, mais brûle davantage et grandit3. Aussi, QUAND LES GRANDS PRÊTRES ET LES GARDES L'EURENT VU, amené dehors, ILS CRIAIENT, DISANT : « CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! » Ils le répètent à cause de la véhémence de leur désir. Et ils ne se contentent pas de n'importe quelle mort, mais ils réclament la plus infâme : celle de la croix - Condamnons-le à la mort la plus infâme4.

Et l'Évangéliste dit : QUAND [ILS] L'EURENT VU, car à la vue de ce qui lui est odieux, le cœur de celui qui hait est davantage agité et enflammé contre lui - Sa vue même nous est à charge5.

Pilate allègue l'innocence du Christ.

PILATE LEUR DIT : « PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » (19, 6)

2384. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de libérer le Christ en alléguant son innocence. De là surgit une controverse, parce que Pilate allègue l'innocence du Christ et les Juifs réaffirment sa culpabilité [n° 2386].

I

2385. PILATE LEUR DIT : « PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE », autrement dit : Je ne veux pas être un juge inique, moi je ne le crucifierai pas ; vous, crucifiez-le si vous le voulez : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], c'est-à-dire aucune raison de le crucifier. Plus haut : Il vient, le prince de ce monde, et sur moi il n'a aucun pouvoir6. - Celui que vous avez, vous, livré et renié devant Pilate, quand il jugeait lui-même de le renvoyer (...) 7.

1. Ps 21, 7.

2. Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.

3. Saint Thomas reprend dans ces derniers mots la suite de la phrase de saint Augustin citée précédemment.

4. Sg 2, 20.

5. Sg 2, 15.

II

2386. Mais les Juifs à nouveau réaffirment la faute du Christ ; d'où la suite : LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT : « NOUS, NOUS AVONS UNE LOI, ET SELON CETTE LOI IL DOIT MOURIR, PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU. » Ils semblent avoir compris à partir de la réponse de Pilate qu'il n'était pas contre le Christ à cause du crime d'ambitionner la royauté, [mais à cause d'autre chose] à partir de quoi ils croyaient que l'esprit de Pilate était extrêmement troublé, au point de faire périr Jésus. Et c'est pourquoi, comme si ce crime ne suffisait pas pour le faire mourir, ils croyaient que Pilate, en disant PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE

6. Jn 14, 30.

7. Ac 3, 13.

TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], avait demandé si eux avaient selon la loi un autre crime dont il était condamnable et dont ils le condamneraient ; c'est pourquoi ils disent : SELON CETTE LOI, IL DOIT MOURIR. Ils avancent d'abord le crime du Christ contre la loi des Juifs, puis contre la loi des Romains [n° 2398].

Le Christ accusé de crime contre la Loi des Juifs

On montre d'abord ici l'accusation des Juifs contre le Christ, et ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate [n° 2388].

PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU (19, 7)

2387. Le crime qui était imputé au Christ contre la loi des Juifs était QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU, crime pour lequel ils le considéraient comme passible de mort. Plus haut : A cause de cela les Juifs cherchaient encore plus à le tuer : parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son père, se faisant l'égal de Dieu1. - Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu2.

Et ici ils disent : IL S'EST FAIT FILS DE DIEU, comme si cela n'était pas. Mais ce n'est pas contre la Loi, comme il le leur a prouvé plus haut, au chapitre 10, par ce psaume : Moi j'ai dit : vous êtes des dieux3. En effet, si d'autres hommes, qui sont des fils adoptifs4, se disent fils de Dieu sans blasphème, combien plus le Christ, qui est Fils de Dieu par nature5 ? Mais parce qu'ils ne comprenaient pas la génération éternelle, ils le tenaient pour un menteur et un blasphémateur, ce pour quoi quelqu'un, quel qu'il soit, encourait la peine de mort.

LORS DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE, IL CRAIGNIT DAVANTAGE. IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE ET DIT À JÉSUS : « D'OÙ ES-TU ? » MAIS JÉSUS NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE. (19, 8-9)

2388. L'Évangéliste montre ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate ; et premièrement l'effet de la crainte. Aussi dit-il : LORS DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE - à savoir qu'il se faisait Fils de Dieu -, IL CRAIGNIT DAVANTAGE en pensant que ce ne serait pas vrai [de sa part] et qu'il agirait mal s'il allait plus loin injustement contre lui6. Par là était donné à entendre que les Gentils, en apprenant la trahison à l'égard du Fils de Dieu, ont craint - Seigneur, j'ai entendu parler de toi, et j'ai craint7.

2389. Deuxièmement, il montre l'effet du doute et de l'investigation de Pilate. D'abord est exposée l'investigation de Pilate, puis le silence volontaire du Christ [n° 2391], et enfin la réprobation de ce silence [n° 2392].

IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE ET DIT À JÉSUS : « D'OÙ ES-TU ? »

2390. IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE, ébranlé par la crainte, ET DIT À JÉSUS, qu'il avait ramené avec lui : « D'OÙ ES-TU ? », voulant savoir s'il était Dieu, ayant une origine divine, ou s'il était un homme d'origine terrestre. À cela on peut répondre ce qui est rapporté plus haut, au chapitre 8 : Vous3 vous êtes d'en bas, moi, je suis d'en haut1.

1. Jn 5, 18.

2. Jn 10, 33.

3. Jn 10, 34 ; Ps 81, 6.

4. Cf. Ga 4, 4-5 : Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme, né sous la Loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la Loi, afin de nous conférer l'adoption des fils.

5. Voir vo1. I, n° 1461, où saint Thomas explicite que Dieu a sanctifié le Christ d'une manière spéciale, « pour qu'il soit Fils de Dieu par nature ».

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, co1. 456.

7. Ha 3, 1.

MAIS JÉSUS NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE.

2391. Mais Jésus, parce qu'il ne le voulut pas, NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE, pour montrer qu'il ne voulait pas être vainqueur par des paroles et trouver des justifications, puisqu'il était venu pour souffrir2. Et en même temps, il nous donne par là un exemple de patience3, où s'accomplit ce qui est dit dans Isaïe : Comme un agneau devant le tondeur, il restera muet et n'ouvrira pas la bouche41. Et il dit comme un agneau pour qu'on ne croie pas qu'il a gardé le silence comme s'il avait mauvaise conscience, étant convaincu de ses péchés, mais parce qu'il était doux, lui qui était immolé pour les péchés des autres5.

PILATE LUI DIT DONC : « TU NE ME PARLES PAS ? TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE RELÂCHER ? » JÉSUS RÉPONDIT : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT. C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A LIVRÉ À TOI A UN PLUS GRAND PÉCHÉ. » DÈS LORS PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. (19, 10-12)

2392. On montre ensuite comment Pilate blâme le silence volontaire du Christ, et il le fait d'abord par l'étalage de son pouvoir ; puis on montre la réponse du Christ à propos du pouvoir de Pilate [n° 2394].

1. Jn 8, 23.

2. Voir ci-dessus n° 1659, et aussi saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, co1. 457.

3. Voir Somme théo1., III, q. 46, a. 3, c, où saint Thomas donne cinq raisons de convenance montrant pourquoi Dieu a choisi de libérer l'homme du péché par le mystère de la Passion du Christ. Notons en particulier la deuxième : « Par sa Passion, le Christ nous donne l'exemple de l'obéissance, de l'humilité, de la constance, de la justice, et de toutes les autres vertus. Et celles-ci sont nécessaires pour le salut de l'homme - Le Christ a souffert pour nous, en nous laissant un exemple, pour que nous suivions ses traces (1 Ρ 2, 21) ». Voir aussi vo1. I, n° 478.

4. Is 53, 7.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 4, BA 75, p. 275.

2393. Donc, parce que le Christ ne lui a pas donné de réponse, Pilate, le reprenant, dit : « TU NE ME PARLES PAS ? TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE RELÂCHER ? » - en quoi il s'est condamné lui-même. En effet, si tout était soumis à son pouvoir, pourquoi, alors qu'il ne trouvait en lui aucun motif d'accusation, ne l'a-t-il pas acquitté ? - C'est par ta propre bouche que je te juge, mauvais serviteur6. - Ayant la puissance parmi les hommes, bien que tu sois mortel, tu fais ce que tu veux7.

2394. Et parce qu'ainsi il se glorifie de son pouvoir, selon le psaume : Il se glorifie dans l'abondance de ses richesses8, le Seigneur brise cela en disant : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT. » Aussi, comme le dit Augustin, le Christ, lorsqu'il se tait, se tait comme un agneau ; et quand il parle, il enseigne comme un pasteur9. C'est pourquoi il instruit Pilate premièrement de l'origine de son pouvoir, puis de la grandeur de son crime [n° 2396].

2395. Quant au premier point, il dit : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT », comme s'il disait : Si tu parais avoir quelque pouvoir, ce n'est pas par toi-même que tu l'as, mais il t'a été donné d'en haut, c'est-à-dire par Dieu, de qui vient tout pouvoir10 - Par moi régnent les rois11. Et il dit : AUCUN, c'est-à-dire si minime que soit ton pouvoir, puisqu'il avait un pouvoir limité soumis à un plus grand, celui de César - Moi je suis un homme soumis au pouvoir d'un autre12.

6. Lc 19, 22.

7. 2 M 7, 16.

8. Ps 48, 7.

9. Tract, in Io., CXVI, 5, BA 75, p. 281. Le commentaire de saint Thomas dans les trois paragraphes qui suivent reprend point par point celui de saint Augustin.

10. Sur la puissance, le pouvoir de Dieu (potentia Dei), voir Somme théo1., I, q. 25.

11. Pr 8, 15 ; cf. Rm 13, 1.

12. Mt 8, 9.

2396. Et pour cette raison le Christ conclut : C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A LIVRÉ À TOI, à savoir Judas, ou bien les princes des prêtres, A UN PLUS GRAND PÉCHÉ. Et il dit PLUS GRAND pour montrer que ceux qui l'ont livré, et Pilate lui-même, sont coupables de péché : mais ceux-là sont coupables d'un plus grand péché qui l'ont livré d'eux-mêmes et par jalousie ; tandis que lui, ce qu'il a fait, il l'a fait par crainte d'un pouvoir supérieur.

Par là aussi est confondue l'erreur des hérétiques qui disent que tous les péchés sont égaux : autrement le Seigneur n'aurait pas dit : A UN PLUS GRAND PÉCHÉ - Malheur à l'homme par qui le scandale arrive1

2397. L'effet de la réponse du Christ est montré quand l'Évangéliste dit : DÈS LORS, c'est-à-dire à partir de maintenant, PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Mais parce que, comme on l'a dit depuis le début, il s'efforçait de le relâcher, il convient mieux de dire DÈS LORS, c'est-à-dire pour cette cause, qu'il n'avait pas de péché, PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Ou bien, plus haut, il tentait de le relâcher, mais DÈS LORS, c'est-à-dire à partir de maintenant, il cherchait absolument, et avec un esprit ferme, à le relâcher.

Le Christ accusé de crime contre la Loi des Romains

MAIS LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : « SI TU LE RELÂCHES, TU N'ES PAS AMI DE CÉSAR. CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE CÉSAR. » (19, 12)

2398. Précédemment [n° 2386], les Juifs ont imputé au Christ un crime contre la Loi, crime dont Pilate semblait faire peu de cas, vu qu'il n'était pas soumis à la Loi ; c'est pourquoi ils imputent encore au Christ un crime contre la loi des Romains, pour presser davantage Pilate à le faire périr2. Ils commencent par exposer le péril qui menace Pilate s'il relâche le Christ, puis ils en donnent la raison [n° 2400].

2399. L'Évangéliste dit donc qu'après, quand Pilate cherchait à relâcher le Christ, LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : « SI TU LE RELÂCHES, lui qui se fait roi, TU N'ES PAS AMI DE CÉSAR », c'est-à-dire tu perdras son amitié. Car il arrive souvent que les hommes pensent des autres ce qu'eux-mêmes éprouvent.

Et parce qu'il est dit d'eux plus haut qu'ils préférèrent la gloire des hommes à la gloire de Dieu3, ils pensaient aussi au sujet de Pilate qu'il estimait davantage l'amitié de César qu'une amitié juste, bien qu'il faille faire le contraire - Il est bon d'espérer dans le Seigneur plutôt que d'espérer dans des princes 4. Du reste, le Philosophe est d'avis que la vérité est plus digne d'honneur que les amitiés5.

2400. Ils ajoutent la raison du péril qui le menace : « CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE CÉSAR. » En effet, c'est bien la nature du pouvoir terrestre de ne pouvoir supporter de partager avec un autre. Et c'est pourquoi César ne supportait pas qu'un autre domine - Ne recherche pas le pouvoir auprès des hommes, ni une chaire d'honneur auprès du roi6.

1. Mt 18, 7.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, co1. 457.

3. Jn 12, 43.

4. Ps 117, 9.

5. Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 4, 1096 a 15-16 : « II semble qu'il est meilleur et qu'il faut, pour sauver la vérité, sacrifier nos opinions personnelles, d'autant plus que nous sommes philosophes. Vérité et amitié nous sont chères l'une et l'autre, mais la vérité plus encore. »

6. Si 7, 4.

b) La condamnation du Christ.

2401. Ici, l'Évangéliste traite de la condamnation du Christ qu'il aborde par trois aspects : d'abord le lieu, puis le temps [n° 2404], enfin le mode [n° 2406].

Le motif de condamnation.

PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, FIT AMENER JÉSUS DEHORS ET S'ASSIT À SON TRIBUNAL, AU LIEU QUI EST APPELÉ LITHOSTROTOS, EN HÉBREU GABBATHA. (19, 13)

2402. Quant au premier point, il expose d'abord le motif de la condamnation, en disant : PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, craignit davantage : en effet il ne pouvait pas mépriser César, auteur de son pouvoir, de la même manière que la loi d'une nation étrangère1.

Aussi, il FIT AMENER JÉSUS DEHORS ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Mais c'est en vain que le Christ est poussé devant eux, parce qu'il n'était pas tel [qu'ils le croyaient]. En effet ce n'est ni par la pourpre, ni par un diadème, ni par un sceptre, ni par un char, ni par les soldats qu'aurait le Christ, qu'on pouvait croire qu'il ambitionnait le trône2. Il demeurait toujours seul avec ses disciples, pauvre dans sa nourriture, son avoir et son logement3. Mais l'impie fuit, personne ne le poursuivant4. - Ils ont tremblé d'effroi là où n'était pas l'effroi5. - Toi donc ne les crains pas, n'aie pas peur de leurs paroles (...) et ne redoute pas leurs visages6.

Le lieu.

2403. Deuxièmement l'Évangéliste expose le lieu : ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Le tribunal est le siège du juge comme le trône du roi et la chaire du maître - Le roi qui est assis sur le trône de la justice dissipe tout le mal par son regard7. Et c'est pourquoi on dit « tribunal », parce que chez les Romains les tribuns discernaient les causes particulières, conseillés par le peuple devant lequel elles étaient présentées.

Et il dit À SON TRIBUNAL, c'est-à-dire devant le tribunal, car les trois prépositions latines pro, ante et in sont en grec une seule préposition : επί. Et ce tribunal se trouvait dans un LIEU (...) APPELÉ LITHOSTROTOS, c'est-à-dire pavement de pierres - en effet λίθος, en grec, signifie pierre -, car le lieu où Pilate siégeait à son tribunal était pavé de pierres diverses. Et ce même lieu est appelé EN HÉBREU GABBATHA, c'est-à-dire colline ou hauteur faite d'un amoncellement de pierres8.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 7, BA 75, p. 281.

2. Cf. Mt 5, 1-12, où Jésus enseigne le chemin des béatitudes pour commencer déjà sur terre son royaume, un royaume de pauvreté, de douceur, de larmes, de désir, de miséricorde, de pureté et de paix - Heureux les pauvres de cœur car le royaume des deux est à eux (...). Ce royaume est aussi le royaume de ceux qui subiront les persécutions, à la suite du Christ.

3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, co1. 457. Voir aussi Somme théo1., III, q. 40, a. 3.

4. Pr28, 1.

5. Ps 52, 6.

6. Ez 2, 6.

7. Pr 20, 8.

8. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 32, 21), CCL, vo1. LXXII, p. 100.

Le moment de la condamnation.

2404. Il décrit le moment de la condamnation : OR C'ÉTAIT LA PRÉPARATION DE LA PÂQUE (parasceve), c'est-à-dire le jour où la Pâque était préparée, VERS LA SIXIÈME HEURE. Là il faut savoir que chez les Juifs, le jour du sabbat avait quelque chose de plus solennel que n'importe quelle autre fête, c'est-à-dire que par respect pour ce jour ils ne préparaient pas pour eux de nourriture ce jour-là mais la veille, le sixième jour. Aussi le sixième jour de cette période était-il appelé « parasceve ». Ceci tient son origine de ce qu'au livre de l'Exode il est enseigné qu'ils ne devaient pas recueillir la manne pendant le sabbat mais que le sixième jour ils en recueilleraient le double1. Ce à quoi ils ne dérogeaient jamais, pour aucune fête. Aussi, bien que ce sixième jour fut pour eux solennel, ils préparaient cependant ce jour-là la nourriture pour le jour suivant, celui du sabbat.

2405. Et il ajoute VERS LA SIXIÈME HEURE ; cependant on trouve chez Marc : Or c'était la troisième heure et ils le crucifièrent2. Mais il s'avère que Pilate a siégé à son tribunal avant que le Christ fût crucifié. À cela il y a deux réponses, selon Augustin3.

La première, et la meilleure, est que le Christ fut crucifié de deux manières. Tout d'abord par les langues et les voix des Juifs disant : Crucifie-le ! Crucifie-le !4 Deuxièmement par les mains des soldats qui le crucifièrent. Aussi, parce que les Juifs voulaient imputer la crucifixion du Christ aux Gentils, Marc, qui écrivit son Évangile pour les nations païennes, l'attribua aux Juifs, disant que c'est au moment où les Juifs ont crié : Crucifie-le ! Crucifie-le ! qu'ils crucifièrent le Christ. Ce qui eut lieu à la troisième heure.

Mais Jean, qui suit l'ordre du temps, dit : VERS LA SIXIÈME HEURE, car quand le Christ fut en croix, c'était déjà la fin de la cinquième heure et le début de la sixième, au moment où il y eut des ténèbres pendant trois heures, à savoir jusqu'à la neuvième heure5. Aussi, parce que la sixième heure n'était pas encore achevée, il dit : VERS LA SIXIÈME HEURE.

La seconde réponse est que la préparation de la Pâque est appelée « parasceve ». Or, notre Pâque, c'est le Christ immolé6. C'est pourquoi la parasceve est la préparation à l'immolation du Christ ; et c'était la sixième heure de la préparation de l'immolation mais non pas la sixième heure du jour, parce que cette préparation commença à la neuvième heure de la nuit quand, le Christ ayant été arrêté, ils disaient : Il est passible de mort7.

Voilà pourquoi, si aux trois heures restantes de la nuit nous ajoutons les trois heures du jour jusqu'au moment où le Christ fut crucifié, il est manifeste que c'est à la sixième heure de la parasceve - c'est-à-dire de la préparation - qu'il fut crucifié, bien que ce fut la troisième heure du jour, comme le dit Marc.

Et certes il convient qu'il ait été crucifié à LA SIXIÈME HEURE8 parce que par la Croix, au sixième âge9, il répara l'homme créé le sixième jour.

1. Cf. Ex 16, 23. Sur la fête de la Pâque, voir aussi vo1. I, n" 1586, et ci-dessus, nos 1590-1591, 1728-1730 ; et sur le sabbat correspondant à la Pâque, ci-dessous, n° 2455.

2. Me 15, 25.

3. Tract, in Io., CXVII, 1-2, BA 75, p. 287-289 ; De consensu Évangelistarum, III, xiii, 40-50, PL 34, co1. 1185-1189.

4. Jn 19, 6.

5. Cf. Mt 27, 45 ; Me 15, 33 ; Le 23, 44.

6. 1 Co 5, 7.

7. Mt 26, 66.

8. Cf. Mt 27, 45. Saint Thomas commente : « Matthieu raconte qu'il a été crucifié à la sixième heure (...). Cela se rapporte au mystère parce qu'à midi le soleil est au milieu du ciel ; et cela se rapporte donc au Fils de Dieu qui est le vrai soleil - Pour vous qui craignez le nom de Dieu se lèvera le soleil de justice (Ml 4, 2 [BJ 3, 20])· De même cela convient à la transgression du premier homme, parce qu'Adam a péché après midi (cf. Gn 3, 8), aussi le Christ voulut-il satisfaire à cette heure-là » (Super Matth. lect., XXVII, n" 2379).

9. L'homme, créé le sixième jour, est recréé au sixième âge, âge où, vieilli par le péché, il est renouvelé par la Croix du Christ. Le sixième âge correspond au temps où Jésus s'incarne pour sauver le monde. Voir saint Augustin, Serm. de Scr., 125, IX, PL 38, co1. 692 ; De catechizandibus rudibus, XXII, 39, PL 40, co1. 338, et De diversis quaestionibus, LXIV, 2, PL 40, co1. 55.

Le mode et l'ordre de la condamnation.

ET IL DIT AUX JUIFS : « VOICI VOTRE ROI. » MAIS EUX CRIAIENT : « À MORT ! À MORT ! CRUCIFIE-LE ! » PILATE LEUR DIT : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? » LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT : « NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR. » ALORS IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. (19, 14-16)

2406. L'Évangéliste décrit ici le mode et l'ordre de la condamnation. Il faut remarquer que Pilate voulait encore le libérer bien que la crainte de César le pressât. Et c'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord la tentative de Pilate de libérer le Christ, puis il ajoute son assentiment à ce qu'il soit crucifié [n° 2410].

I

Concernant le premier point, il expose l'effort que fait Pilate pour libérer le Christ, d'abord en se moquant de lui puis en invoquant le déshonneur des Juifs [n° 2409]. Il montre d'abord la tentative de Pilate, puis la malice des Juifs [n° 2408].

ET IL DIT AUX JUIFS : « VOICI VOTRE ROI. »

2407. Il dit donc qu'après s'être assis à son tribunal, Pilate DIT AUX JUIFS comme avec une certaine indignation : « VOICI VOTRE ROI », comme pour dire : II est étonnant que vous craigniez de l'avoir pour roi, ainsi humilié et méprisé. Nul, sinon les riches et les puissants, ne menace un royaume, mais tel n'est pas celui-ci - Moi je suis un pauvre, dans les labeurs depuis ma jeunesse1.

MAIS EUX CRIAIENT : « À MORT ! À MORT ! CRUCIFIE-LE ! »

2408. Mais ces paroles n'attendrissent pas la malice des Juifs. EUX CRIAIENT, pris d'une haine démesurée, et redoublant l'abondance de leur malice : « À MORT ! À MORT ! CRUCIFIE-LE ! », insinuant en même temps par là qu'ils ne pouvaient pas le voir - Ils dirent à Dieu : éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas avoir connaissance de tes voies2. - Sa vue même nous est à charge3. Et c'est pourquoi ils ajoutent : Condamnons-le à la mort la plus infâme4, ce qui est la même chose que CRUCIFIE-LE !

PILATE LEUR DIT : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? »

2409. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de le libérer en invoquant le déshonneur des Juifs. Il présente d'abord la tentative de Pilate : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? », comme s'il disait : Si vous n'êtes pas émus par son humilité, ce qui doit vous émouvoir c'est le déshonneur qu'il y aurait pour vous si je crucifiais - ce qui est très ignominieux si cela est fait par des étrangers -celui qui a ambitionné votre royaume.

En second lieu il montre l'obstination des Juifs. LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT : « NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR », ce par quoi ils se soumirent eux-mêmes à une servitude perpétuelle, refusant la royauté du Christ. Et c'est pourquoi jusqu'au jour d'aujourd'hui, étrangers au Christ, ils se sont rendus esclaves de César et d'un pouvoir terrestre5 - Ce n'est pas toi qu'ils rejetèrent mais moi pour que je ne règne pas sur eux6. - IL· m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes qui ne peuvent retenir les eaux7.

1.Ps 87, 16.

2. Jb 21, 14.

3. Sg2, 15.

4. Sg 2, 20.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459.

6. 1 S 8, 7.

7. Jr 2, 13. Saint Thomas commente : « Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive, moi qui peux leur donner la vraie consolation - En toi est la source de vie (Ps 35, 10) -, et ils se sont creusé des citernes, des idoles qui ne peuvent sauver, parce qu'eux-mêmes les ont faites - Simulacres des nations, l'argent et l'or, des œuvres de mains d'hommes (Ps 113 [B], 4) » (Exp. super Hier., II, lectio 3).

II

ALORS IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ.

2410. Ensuite est présenté l'assentiment de Pilate à la mort du Christ. Alors donc, voyant que les Juifs s'étaient ainsi soumis au pouvoir des Romains, IL LE LEUR LIVRA, c'est-à-dire à leur volonté, POUR ÊTRE CRUCIFIÉ, contre ce conseil : Ne suis pas la foule pour faire le mal1. - La terre a été livrée aux mains de l'impie2. - Mon âme chêne, je l'ai livrée aux mains de ses ennemis3.

c) L'exécution de la sentence.

2411. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ. Il expose d'abord l'ignominie de la croix, puis il rapporte ce qui suit la crucifixion [n° 2418]. Il décrit l'ignominie de la croix quant à la condition de ceux qui crucifièrent Jésus, quant à la manière de l'y mener [n° 2413], quant au lieu [n° 2415] et quant à l'entourage [n° 2417].

ILS PRIRENT DONC JÉSUS ET L'EMMENÈRENT. (19, 16)

2412. La condition de ceux qui le crucifièrent est décrite : ce sont des soldats. C'est pourquoi il dit : ILS PRIRENT DONC JÉSUS. Ce sont des soldats, de fait, car il est écrit ensuite : Quand donc les soldats l'eurent crucifié4, mais des Juifs par leur religion : parce qu'eux-mêmes firent, puis réduirent à rien5 tout ce qui a été fait6. Par là est signifié que les Juifs devaient perdre l'utilité de la Croix du Christ, et les Gentils l'obtenir - Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera porter du fruit7.

ET PORTANT LUI-MÊME SA CROIX (19, 17)

1. Ex 23, 2.

2. Jb 9, 24.

3. Jr 12, 7.

4. Jn 19, 23.

5. Cf. 1 Co 1, 17.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 9, BA 75, p. 285.

7. Mt 21, 43.

2413. La manière de le mener fut ignominieuse - PORTANT LUI-MÊME SA CROIX - car la mort de la croix était la plus ignominieuse. Aussi est-il dit : Maudit soit celui qui pend au bois8. Et c'est pourquoi, évitant le bois de la croix comme profane et ne voulant pas le toucher9, ils en chargent Jésus condamné.

2414. Cependant il est dit qu'ils réquisitionnèrent un certain Simon qui venait de la ville, pour porter la croix10.

Réponse : il faut dire que le Christ la porta depuis le début. Mais tandis qu'il avançait, les Juifs trouvèrent cet homme, et le réquisitionnèrent par conformité à leur religion11. Et cela n'est pas sans mystère, parce que c'est lui qui le premier a supporté la Passion de la Croix et, après cela, les autres, et surtout les étrangers, les Gentils, en l'imitant - Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple12. - Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renie lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive13.

Mais le fait que le Christ a porté lui-même sa croix, même si c'est pour les impies et les incroyants un grand sujet de moquerie, est cependant pour les croyants et les hommes pieux un grand mystère - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent ; mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu1. Le Christ porte sa croix comme un roi son sceptre au sein de la gloire qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné par le bois2. - II a reçu le pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix3. Il la porte comme le vainqueur porte le trophée de sa victoire - Dépouillant les principautés et les puissances, il les a menées captives avec hardiesse, triomphant d'elles hautement en lui-même4. Ou encore comme un docteur porte le lampadaire où devait être déposée la lampe de sa doctrine, parce que le langage de la Croix est puissance de Dieu pour les croyants - Personne n'allume une lampe et la pose sous un boisseau, mais sur un lampadaire, afin que ceux qui entrent voient sa lumière5.

8. Dt 21, 23.

9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459, qui ajoute : « Et ceci advint sous le mode de figure : en effet, Isaac porta le bois ; mais ce qui advint alors se trouva limité par la volonté du Père (c'était une figure). Maintenant cependant, cela fut accompli en acte, car c'était la vérité. »

10. Voir Mt 27, 32 et Sup. Matth. lect., XXVII, n" 2357.

11. Cf. saint Augustin, De consensu Evangelistarum, III, χ, 37, PL 34, co1. 1182.

12. 1 Ρ 2, 21.

13. Mt 16, 24.

IL SORTIT POUR ALLER AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE. (19, 17)

1. 1 Co 1, 18. Saint Thomas commente : « Le langage de la Croix, c'est-à-dire l'annonce de la Croix du Christ, est folie, c'est-à-dire semble quelque chose de fou, pour ceux qui se perdent - à savoir pour les incroyants qui se croient sages selon le monde -, parce que la prédication de la Croix du Christ contient quelque chose qui semble impossible selon la sagesse humaine : par exemple, le fait que Dieu meure, que le Tout-Puissant soit soumis aux mains des violents. Elle contient aussi certaines choses qui semblent contraires à la prudence de ce monde : par exemple, le fait que quelqu'un ne fuie pas les désordres alors qu'il le pourrait, et des choses de ce genre. Et c'est pourquoi, à Paul qui annonçait cela, Festus dit : Tu es fou, Paul, ton grand savoir te fait perdre la tête (Ac 26, 24). Et Paul lui-même dit : Nous sommes fous, nous, à cause du Christ (1 Co 4, 10). Et pour que l'on ne croie pas que le langage de la Croix contienne réellement de la folie, il ajoute : Mais pour ceux qui se sauvent, pour nous - à savoir les fidèles du Christ qui sommes sauvés par lui, selon ce passage de Matthieu : Lui-même en effet sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21) -, il est puissance de Dieu, puisque ceux-là mêmes ont reconnu dans la mort du Christ la mort de Dieu, par laquelle il a vaincu le diable et le monde - Voici qu 'il a vaincu, le lion de la tribu de Juda (Ap 5, 5). De même ils ont reconnu la puissance qu'ils ont expérimentée en eux-mêmes, étant donné qu'avec le Christ ils meurent aux vices et aux concupiscences - Ceux qui sont du Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga 5, 24). Voilà pourquoi il est dit : Ton sceptre de puissance, le Seigneur l’ étendra depuis Sion (Ps 109, 2). - Une force sortait de lui et les guérissait tous (Le 6, 19) » (Ad 1 Cor. lect., I, n° 47). Voir aussi vo1. I, n° 1425.

2. Cf. Ps 95, 10.

3. Is 9, 6.

4. Col 2, 15.

5. Lc 11, 33.

2415. Le lieu de la Passion est ignominieux quant à deux choses. Premièrement parce qu'il était en dehors de la cité, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : IL SORTIT, c'est-à-dire en dehors des remparts de la ville, POUR ALLER AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte6.

Et cela pour deux raisons : d'abord pour montrer que la puissance de sa Passion ne devait pas se limiter aux frontières du peuple juif ; ensuite pour montrer que tous ceux qui veulent obtenir le fruit de la Passion doivent quitter le monde, au moins quant à leur cœur. L'Apôtre ajoute donc aussitôt : Sortons donc vers lui en dehors du camp7.

2416. Deuxièmement parce que c'était le lieu le plus bas8 : AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE, lieu du Crâne - J'ai été compté parmi ceux qui descendent à la fosse9. Et selon Chrysostome, certains disent que dans ce lieu, appelé Calvaire, Adam mourut et fut enterré - d'où « Calvaire », à cause du crâne du premier homme - pour que, de même que la mort a régné là, de même à cet endroit le Christ établisse son trophée10. Mais, comme le dit Jérôme11, une interprétation de ce genre a la faveur du peuple et charme ses oreilles, cependant elle n'est pas vraie, car Adam a été enseveli en Hebron - Adam était l'homme le plus grand des Anaquim 12. Et c'est pourquoi il faut dire que c'était un lieu à l'extérieur des portes de Jérusalem, où étaient tranchées les têtes des condamnés. C'est pourquoi ce lieu prit le nom de Crâne, à cause des crânes des décapités qui y gisaient.

6. He 13, 12. Saint Thomas commente : « Hors de la porte, c'est-à-dire hors de la société commune de ceux qui sont soumis à la chair, ou bien hors de l'observance des lois ; ou encore hors des sensations du corps. » (Ad Heb. lect., XIII, n° 749).

7. He 13, 13.

8. Le Calvaire, le lieu du Crâne, n'est pas le lieu situé le plus bas géographiquement mais sur une butte à la périphérie de la ville. « Bas » ici veut dire « méprisable » ou « abject ».

9. Ps 87, 5.

10. In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459.

11. Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 33 (27, 33), SC 259, p. 289-291.

12.Jos 14, 15.

ILS LE CRUCIFIÈRENT, ET AVEC LUI DEUX AUTRES, L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ, ET JÉSUS AU MILIEU. (19, 18)

2417. L'entourage et les compagnons de la Passion indiquent son ignominie. ILS LE CRUCIFIÈRENT, ET AVEC LUI DEUX AUTRES, à savoir des brigands, comme le dit Luc.1 Et il dit : L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ, c'est-à-dire l'un à droite et l'autre à gauche, ET JÉSUS AU MILIEU.

Et remarque bien que le Christ, même dans sa Passion, se tient au milieu. Mais ceci, quant à l'intention des Juifs, lui a été fait pour [le couvrir] d'ignominie, c'est-à-dire pour que la cause de sa mort fût jugée semblable à celle de la mort des brigands - II a été compté parmi les criminels2.

Mais si on est attentif au mystère, cela appartient à la gloire3 du Christ, car par là est montré que le Christ, par sa Passion, méritait le pouvoir de juger - Ta cause a été jugée comme celle d'un impie, mais tu recevras le jugement et la cause4. En effet, se tenir au milieu est le propre du juge ; c'est pourquoi, selon le Philosophe aussi, aller vers le juge, c'est aller vers le juste milieu5. Et c'est pourquoi il est placé au milieu, et l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, parce qu'au jugement assurément il établira les brebis à sa droite mais les boucs à sa gauche. Aussi, le larron à sa droite, celui qui a cru, est libéré, et l'autre à sa gauche, celui qui l'insulte, a été condamné.

d) Ce qui suit la crucifixion.

2418. Après avoir traité de la crucifixion du Christ, l'Évangéliste à présent nous rapporte ce qui la suit. Et d'abord les choses qui suivent la crucifixion quant à Pilate ; ensuite quant aux soldats [n° 2425] ; enfin quant aux amis qui se tenaient là [n° 2434].

Ce qui suit la crucifixion quant à Pilate.

PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN. LES GRANDS PRÊTRES DES JUIFS DISAIENT DONC A PILATE : « N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : "JE SUIS LE ROI DES JUIFS". » PILATE RÉPONDIT : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » (19, 19-22)

1. Cf. Lc 23, 33.

2. Is 53, 12.

3. Sur la gloire, voir vo1. I, n° 1278, note 4, et ci-dessus, nos 2106 et 2152.

4. Jb 36, 17 (verset propre à la Vulgate).

5. Aristote, dans l'Éthique à Nicomaque, montre que « toute vertu est une disposition stable qui nous permet de choisir dans un juste milieu relatif à nous, milieu déterminé par l'intelligence, tel que le déterminerait l'homme prudent. C'est un juste milieu entre deux vices, l'un par excès et l'autre par défaut » (II, 6, 1106 b 36 - 1107 a 2). Ainsi la vertu de justice, qui est par excellence la vertu concernant les rapports avec autrui, s'intéresse à l'égalité, dans un juste milieu entre les différentes parties (voir op. cit., V, 1).

Trois choses se rapportant à Pilate sont exposées, à savoir l'inscription d'un écriteau, la lecture qu'on en fit, et la conservation de l'inscription.

Ι

PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX.

2419. Quant au premier point, deux choses sont montrées. D'abord l’inscription de l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela convenait tout à fait afin de se venger des Juifs au moins par ceci : en montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre leur roi.

Mais cependant cela convient au mystère car, de même que, lors des triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire, parce que les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons notre nom célèbre avant d'être dispersés à travers toutes les terres1 -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une inscription fut faite sur la croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi de ma pauvreté et de l'excès commis contre moi, de l'absinthe et du fiel2.

IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. »

2420. En second lieu est exposé le contenu de l'inscription : IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » Et certes ces trois mots conviennent bien au mystère de la Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui signifie Sauveur, convient à la puissance de la Croix par laquelle s'est réalisé pour nous le salut - Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés3. Quant à DE NAZARETH, qui se traduit « en fleur4 », cela se rapporte à l'innocence de celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis des vallées5. - Une fleur montera de sa racine6. Quant à ROI DES JUIFS, cela se rapporte à la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il a mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu l’α exalté7. - II régnera, Seigneur, et sera sage 8. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume9.

2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs mais aussi des Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi10 -, c'est pourquoi après avoir dit : Moi j'ai été établi roi sur Sion11 il ajoute : Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage 12. Pourquoi donc écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?

Réponse : il faut dire que les Gentils ont été introduits dans la sève de l'olivier comme l'olivier sauvage 13. Et de même que l'olivier sauvage a part à la sève de l'olivier sans que l'olivier ait part à l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils eux-mêmes convertis à la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit, non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit14. Et c'est pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris aussi les Gentils convertis.

II

CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN.

2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de cette inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez1.

1.Gn 11, 4.

2. Lm 3, 19.

3. Mt 1, 21. Voir vo1. I, n° 663.

4. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorutn nominum (Lag. 62, 24-25), CCL, vo1. LXXII, p. 137.

5. Ct 2, 1.

6. Is 11, 1.

7. Ph 2, 9.

8. Jr 23, 5. La Vulgate dit Rex et non Dominus.

9. Is 9, 7.

10. Rm 3, 29.

11. Ps 2, 6.

12. Ps 2, 8. Voir vo1. I, n" 1417, note 4, et ci-dessus, n° 2206.

13. Voir Rm 11, 17.

14. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 299-301.

En second lieu nous est montrée la possibilité de lire ; et celle-ci est double. La première se prend de la proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du fait que l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que ces trois langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes à cause du culte du Dieu unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin à cause de la puissance des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour elles la dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin2. Par là est signifié que, par la Croix du Christ, devaient être soumis les hommes pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le grec et les puissants désignés par le latin.

Ou bien3 par l'hébreu était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie théologique, qui est signifiée par l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été livrée la connaissance des réalités divines ; mais par le grec était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie naturelle et physique, car les Grecs ont peiné sur la spéculation des réalités de la nature ; et par le latin était signifié qu'il devait régner sur la philosophie pratique4, parce que chez les Romains prévalait surtout la science morale, afin qu'ainsi réduite en captivité, l'intelligence humaine soit ramenée à l'obéissance au Christ5.

1. Jn 20, 31.

2. Tract, in Io., CXVII, 4, BA 75, p. 295.

3. Cf. Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 275 B.

4. Saint Thomas semble reprendre ici les trois niveaux de connaissance philosophique qu'Aristote précise dans ses écrits {Éthique, Métaphysique, Poétique, Politique, etc.) : 1. La philosophie sagesse, ou théologie naturelle, qui s'adonne à la découverte des réalités divines, dont la finalité est la contemplation du mystère de Dieu. Aristote l'inclut dans ses livres de philosophie première où il étudie l'être en tant qu'être. Cette contemplation du mystère du Dieu unique rejoint celle des hommes religieux de l'ancien Testament. 2. La philosophie de la nature, la physique, qui étudie les réalités naturelles faisant partie de l'univers physique, toujours en devenir. Comme la philosophie première, cette connaissance a pour finalité la connaissance même de la vérité. 3. La philosophie pratique qui consiste en une réflexion sur les trois grandes activités humaines - le travail (activité artistique), l'amitié (activité morale) et la coopération au sein d'une vie commune (activité politique) -, et dont la finalité est l'activité elle-même. (Sur la différence entre la philosophie spéculative et la philosophie pratique, par la finalité, voir par exemple, Métaphysique, a, 1, 993 b 20-21.) Saint Thomas évoque, à travers ces trois niveaux de connaissance, comment le mystère du Christ, tout en respectant l'intelligence humaine dans son développement naturel, lui apporte un don nouveau, celui de la foi, et réclame une obéissance nouvelle. L'intelligence devient servante du mystère de la Révélation et de la parole de Dieu dans la théologie chrétienne. Voir aussi plus haut, n° 2265, note 6.

III

LES GRANDS PRÊTRES DES JUIFS DISAIENT DONC À PILATE : « N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : "JE SUIS LE ROI DES JUIFS". » PILATE RÉPONDIT : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » (19, 21-22)

2423. Jean présente d'abord la tentative des Juifs pour supprimer l'inscription. En effet les grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS. » Car par là sont manifestés la proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs, parce qu'il est proclamé ROI DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs d'avoir fait crucifier leur roi6.

Mais s'il avait été inscrit : LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS », cet outrage serait retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part7. Et telle était leur intention, à savoir retirer sa renommée au crucifié à qui, vivant, ils avaient déjà retiré la vie - Ils parlaient contre moi, ceux qui se tenaient à la porte8.

5. 2 Co 10, 5. Saint Thomas commente : « Ce qui a lieu quand ce que l'homme sait, il le met entièrement au service (ministerium) du Christ et de la foi - pour lier leurs rois avec des entraves (Ps 149, 8). - Engage ton pied dans ses entraves (Si 6, 25), c'est-à-dire dans les enseignements de la foi » (Ad 2 Cor. lect., X, n° 352).

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 460.

7. Cf. saint Jean Chrysostome, Ibid., co1. 460-461.

8. Ps 68, 13.

2424. En second lieu est présentée la constance de Pilate pour garder cette inscription parce que, voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas changer la phrase. Aussi PILATE RÉPONDIT : « CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » Et cela n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu longtemps auparavant et prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi : « Ne corromps pas - De David - pour une inscription de titre (...) », psaumes qui, de fait, se rapportent surtout à la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, à mes ennemis1, ainsi que les deux précédents : Pitié pour moi mon Dieu, pitié pour moi, car en toi se confie mon âme2 et Si c'est bien avec vérité que vous parlez de justice (...)3

Aussi les grands prêtres protestaient-ils sottement, car de même qu'on ne peut corrompre ce qu'a dit la Vérité, de même ne peut être détruit ce que Pilate a écrit. En effet, Pilate a dit : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT », parce que ce qu'a dit le Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin4.

Ce qui suit la crucifixion quant aux soldats.

QUAND DONC LES SOLDATS L'EURENT CRUCIFIÉ, ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT), ET SA TUNIQUE. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU HAUT. ILS SE DIRENT DONC L'UN À L'AUTRE : « NE LA DÉCHIRONS PAS ; MAIS TIRONS AU SORT À QUI ELLE SERA. » AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : « ILS SE SONT PARTAGÉ MES VÊTEMENTS, ET MON VÊTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. » ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. (19, 23-24)

2425. L'Évangéliste présente ce qui suivit la crucifixion quant aux soldats ; et d'abord le partage des vêtements, ensuite le tirage au sort de la tunique sans couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce prophétique [n° 2433].

ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT).

2426. Quant au premier point, nous pouvons saisir deux choses, à savoir l'abjection de la mort du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se faisait seulement pour les personnes méprisables ; deuxièmement la rapacité des soldats parce qu'ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT). En effet ce genre d'homme est très rapace, aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez personne (...) contentez-vous de votre solde5. - Ils renvoient des hommes tout nus, enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid6.

ET SA TUNIQUE

2427. Quant au deuxième point, il nous donne d'abord la description de la tunique, puis rapporte son tirage au sort [n° 2430].

2428. Il dit donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en même temps que les autres vêtements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la divisa pas. À cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand prix de la tunique.

Mais Chrysostome7 au contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggère de manière cachée le peu de valeur du vêtement. Car en Palestine il existe un genre de vêtement pour les pauvres, fait de plusieurs pièces de tissu assemblées les unes aux autres comme une seule pièce - En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus Christ qui riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous1.

1.Ps 58, 2.

2. Ps 56, 2.

3. Ps 57, 2.

4. Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 297.

5. Lc 3, 14.

6. Jb 24, 7.

7. In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, co1. 461.

2429. Au sens mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du Christ ; et ainsi, les vêtements sont répartis en quatre parts parce que l'Église s'est répandue aux quatre coins du monde2 -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur : de tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revêtue, et tu t'en pareras comme une épouse3.

LA TUNIQUE (...) SANS COUTURE qui n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres vertus ne sont pas unies en elles-mêmes, mais sont unies par autre chose, dans la mesure où toutes se rassemblent dans la fin ultime, à laquelle seule la charité unit4. Car même si la foi met en évidence la fin ultime et que l'espérance nous fait tendre vers elle, cependant seule la charité nous y unit - Gardant par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection5. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que la charité est au-dessus de toutes les autres vertus - Je vais vous montrer une voie encore plus excellente6. - Connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu7. Ou bien parce que la charité ne vient pas de nous-mêmes mais de l'Esprit Saint8 - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné9.

1. 2 Co 8, 9. En commentant ce verset, saint Thomas souligne que l'Apôtre emploie l'adjectif egenus et non pauper pour désigner la pauvreté du Christ : « Et il dit : egenus - indigent -, qui est plus que pauvre. Car est dit indigent celui qui non seulement a peu mais est dans le besoin ou manque de quelque chose, alors que le pauvre est celui qui a peu. C'est donc pour signifier la plus grande pauvreté qu'il est dit : il s'est fait indigent, à savoir à l'égard des biens temporels - Le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête (Le 9, 58). - Me souvenir de ma misère et de ma vie errante, c'est absinthe et fiel (Lm 3, 19). Or il s'est fait indigent non par nécessité, mais par sa volonté, car [autrement] cette grâce ne serait plus une grâce, et c'est pourquoi il dit : Lui qui était riche en tout, à savoir riche de biens spirituels - Dieu est le même, riche envers tous ceux qui l'invoquent (Rm 10, 12). - Avec moi sont les richesses (Pr 8, 18). Or il dit était, non "avait été", pour qu'on ne croie pas que le Christ ait perdu des richesses spirituelles en assumant la pauvreté. Car il a assumé cette pauvreté de telle manière qu'il n'a pas perdu ces inestimables richesses : tout à la fois riche et pauvre (Ps 48, 3), riche de biens spirituels, pauvre de biens temporels. Et il ajoute la cause pour laquelle le Christ a voulu se faire indigent : pour que par sa pauvreté nous devenions riches, c'est-à-dire pour que par sa pauvreté à l'égard des biens temporels vous deveniez riches de biens spirituels » {Ad 2 Cor. lect., VIII, nos 294-295).

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVIII, 4, Β A 75, p. 309-311.

3. Is 49, 18.

4. Voir Somme théol, II-II, q. 23, a. 8, où saint Thomas montre que la charité est la forme des vertus.

Cela peut encore se rapporter au vrai corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que le corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en haut, à savoir celle de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint10.

5. Col 3, 14. Saint Thomas commente : « Selon la Glose, l'homme est perfectionné par toutes les vertus, mais la charité les lie les unes aux autres et les rend stables (perseverantes), et c'est pourquoi elle est appelée lien. Ou bien par nature elle est un lien puisqu'elle est amour et que l'amour est ce qui unit l'être aimé à l'ami - Par des liens humains je les attirerai, par les liens de la charité (Os 11, 4). Mais il ajoute de la perfection car une chose est parfaite quand elle adhère à la fin ultime, c'est-à-dire Dieu, ce que fait la charité » {Ad Co1. lect., III, n° 163). Sur la foi formée par la charité, voir vo1. I, n° 1396, note 7.

6. 1 Co 12, 31. Saint Thomas commente : « à savoir la charité, par laquelle on va plus directement en Dieu - J'ai couru dans la voie de tes commandements (Ps 118, 32). - Voici la voie, marchez-y (Is 30, 21) » {Ad 1 Cor. lect., XII, n° 758).

7. Ep 3, 19. Saint Thomas commente : « Ici il faut savoir que tout ce qui est dans le mystère de la Rédemption humaine et de l'Incarnation du Christ est tout entier l'œuvre de la charité. Car le fait qu'il s'est incarné a procédé de la charité - A cause de la trop grande charité dont il nous a aimés (Ep 2, 4). Qu'il soit mort, cela a procédé aussi de la charité - Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis (Jn 15, 13). - Le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous en oblation et en hostie à Dieu (Ep 5, 2). À cause de cela Grégoire dit : "Ô inestimable amour de charité ! Pour racheter l'esclave, tu as livré le Fils". Et c'est pourquoi, connaître la charité du Christ c'est connaître tous les mystères de l'incarnation du Christ et de notre rédemption, qui ont procédé de l'immense charité de Dieu, charité qui assurément dépasse toute intelligence créée et la science de toutes choses, puisqu'elle est incompréhensible pour la pensée. Et voilà pourquoi il dit : surpassant toute connaissance, c'est-à-dire naturelle, et dépassant toute intelligence créée - Et la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment (Ph 4, 7) -, la charité du Christ, c'est-à-dire que Dieu le Père a réalisée par le Christ - C'était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde (2 Co 5, 19) » {Ad Eph. lect., III, n° 178).

8. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 278 A.

9. Rm 5, 5. Cf. vo1. I n° 1234, note 8.

10. Mt 1, 20. Saint Thomas commente : « Cela est ineffable et incompréhensible, non seulement pour l'homme mais aussi pour les anges eux-mêmes » {Sup. Matth. lect., I, n° 131).

ILS SE DIRENT DONC L'UN À L'AUTRE : « NE LA DÉCHIRONS PAS ; MAIS TIRONS AU SORT À QUI ELLE SERA. »

2430. Il existe en effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a pas de nécessité, est illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de diviser ; et celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour les réalités spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont pas aptes à diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et au conseil divins - Les sorts se jettent dans le pli du vêtement, mais c'est par le Seigneur qu'ils sont dirigés1, et encore : Le sort apaise la contradiction et décide entre les puissants2.

2431. Cependant, on voit en Matthieu qu'ils tirèrent au sort ses vêtements3. Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirèrent tous au sort mais que, tandis qu'ils se partagèrent les autres vêtements, ils tirèrent au sort la tunique.

2432. En outre, Marc insiste encore davantage : Ils tirèrent au sort ce que chacun prendrait4, donc toutes les parts. Réponse : il faut, selon Augustin5, comprendre et présenter ainsi les paroles de Marc : Ils tirèrent au sort, c'est-à-dire [pour désigner] qui aurait quoi, c'est-à-dire lequel d'entre eux prendrait la tunique.

AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : « ILS SE SONT PARTAGÉ MES VÊTEMENTS, ET MON VÊTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. » ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. (19, 24)

2433. Puis il expose la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE. D'abord est présentée l'annonce prophétique dans laquelle on remarque la diligence du prophète6 lorsqu'il annonçait aussi certains événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.

Et c'est pourquoi il dit AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-à-dire suite à ce qu'a dit le psaume 21 : Ils se sont partagé mes vêtements7 - il ne dit pas « mon vêtement » parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vêtement, c'est-à-dire ma tunique, ils ont jeté le sort.

Ensuite est exposé l'accomplissement de la prophétie 8 : ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. Par là nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant que toutes choses se réalisent9. - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écnt de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes10.

1.Pr 16, 33.

2. Pr 18, 18.

3. Cf. Mt 27, 35.

4. Me 15, 24.

5. Tract, in Io., CXVIII, 3, BA 75, p. 309. Dans ce passage, saint Augustin propose une solution au problème des différences qu'on lit dans les quatre récits évangéliques rapportant la division des vêtements du Christ.

6. Sur la prophétie, voir vo1. I, n° 1579.

7. Ps 21, 19. Saint Thomas commente : « Ils se sont partagé mes vêtements - qui étaient nombreux et partageables - et sur ma robe, sans couture, ils ont jeté le sort, et ils firent cela par cupidité, ou bien par une certaine dérision. À travers ces vêtements partagés sont signifiés les sacrements de l'Église, mais par la robe qui n'est pas déchirée est signifiée l'unité de l'Église que chacun croit détenir ; mais il n'en existe qu'une seule, car unique est l'unité de l'Église - Unique est ma colombe, ma parfaite (Ct 6, 8) » (Exp. in Psalmos, 21, n° 14).

8. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 461.

9. Mt 5, 18.

10. Lc 24, 44.

Ce qui suit la crucifixion quant aux amis qui se tenaient là.

OR PRÈS DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS. » PUIS IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE. » ET À PARTIR DE CETTE HEURE-LÀ, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI. (19, 25-27)

2434. Jean présente en troisième lieu ce qui suit la crucifixion quant aux amis. Et d'abord il montre la présence des femmes qui se tenaient là ; puis l'attention pleine de sollicitude du Christ à l'égard de sa mère [n° 2439] ; enfin l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].

OR PRÈS DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA.

2435. Or les femmes présentes auprès de la croix sont au nombre de trois : SA MÈRE, ET LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. Mais remarquons que, alors que les autres évangélistes 1 font mention de nombreuses femmes se tenant auprès du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge, excepté Jean. Aussi, à cause du récit des deux autres2, surviennent deux doutes.

2436. Le premier parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient à distance, mais Jean, qu'elles se tenaient PRÈS DE LA CROIX.

On peut répondre à cela que, autres étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres celles dont Jean fait mémoire. Mais à cela s'oppose le fait que Marie de Magdala est comptée parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et Jean également. Et c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les mêmes que celles-là. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car « près de » et « à distance » sont dits de manière relative. Et rien n'empêche qu'une chose soit dite d'une certaine manière « à distance » et d'une autre « près ». Il est dit qu'elles étaient « près » parce qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais « à distance » parce qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires3.

Ou bien on peut dire que dès le début de la crucifixion elles se tenaient tout près de lui, si bien qu'il pouvait leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant, elles se retirèrent et se tinrent à distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu d'abord, les autres ce qui eut lieu ensuite.

2437. La seconde question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de Cléophas, mais que Matthieu et Marc font mémoire à sa place de Marie, femme de Jacques, qui était appelé Alphée. Là il faut dire4 que Marie, femme de Cléophas, que Jean nomme, est la même que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut en effet deux maris, à savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que Cléophas fut son père.

2438. Le fait que les femmes se tenaient près de la croix alors que les disciples, ayant abandonné le Christ, avaient fui, met en lumière la constance dévouée des femmes5 - Ma chair étant consumée, mes os s'attachent à ma peau1, c'est-à-dire comme si les disciples, désignés par la chair, étaient partis alors que les femmes, signifiées par la peau s'attachèrent.

1. Voir Mt 27, 55-56 ; Me 15, 40-41 ; Le 23, 49.

2. Les trois autres évangélistes évoquent les femmes se tenant auprès du Christ, mais Luc, lui, ne nomme aucune d'entre elles.

3. Cette interprétation et la suivante proviennent de saint Augustin, De consensu Evangelistarum, III, XXI, 58, PL 34, co1. 1194-1195.

4. Cf. SAINT Jérôme, Adversus Helvidium de Mariae virginitate perpetua, XIII-XIV, PL 23, co1. 196-197.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, co1. 462.

QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS. » PUIS IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE. »

2439. Ensuite est montrée sa sollicitude envers sa Mère. D'abord est montrée cette sollicitude quant au disciple dont il remit le soin à sa Mère, puis quant à sa mère dont il confia le soin au disciple [n° 2442],

2440. Quant au premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS », comme pour dire : Jusqu'à présent j'ai pris soin de toi, aussi je me suis souvenu de toi, je te laisse celui-là. Par là est montrée la dignité de Jean.

Mais sois attentif car plus haut, quand sa mère a dit : Ils n'ont plus de vin2, il dit : Mon heure, c'est-à-dire l'heure de la Passion que je souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi3, n'est pas encore venue 4 ; mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai5. Et c'est pourquoi, à présent, il la reconnaît comme MÈRE. Car faire des miracles ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que j'ai de mon Père la génération éternelle, c'est-à-dire selon que je suis Dieu.

1. Jb 19, 20.

2. Jn2, 3.

3. Saint Thomas évoque ici le mystère de l'Incarnation où la Vierge Marie a donné au Christ sa nature humaine, nature selon laquelle il souffrirait la Croix. Voir vo1. I, n" 352.

4. Jn2, 4.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIX, 1, BA 75, p. 319-321, qui ajoute : à Cana, le Seigneur, « sur le point de faire des œuvres divines, repoussait [comme] une inconnue la mère non de sa divinité mais de sa fragilité ; maintenant au contraire, souffrant déjà de douleurs humaines, celle de laquelle il a été fait homme, il la recommande à l'affection humaine ».

2441. Et remarque, selon Augustin6, que le Christ suspendu à la croix se comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne qu'il nous faut subvenir à nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux - Honore ton père et ta mère7. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est pire qu'un infidèle8.

Mais cependant il est dit : Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère et sa femme et ses fils, et encore sa propre âme, il ne peut être mon disciple9. Réponse : il faut dire que, de même que le Seigneur nous commande de haïr nos parents, de même il nous commande de haïr aussi notre âme, et en cela il nous commande d'aimer la nature et de haïr l'iniquité et ce qui détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos parents, les aimer et les respecter quant à la nature, mais les haïr quant à leurs vices et ce par quoi ils nous détournent de Dieu.

2442. Quant au second point, IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE », c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci l'aime comme une mère aime son fils.

ET A PARTIR DE CETTE HEURE-LA, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI (IN SUA).

2443. Ici est montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bède 10, il faut dire « pour sienne » (in suam), et ainsi le sens est : LE DISCIPLE, Jean, LA PRIT, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne, c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins.

6. Loc. cit., 2, BA75, p. 321.

7. Ex 20, 12.

8. 1 Tm 5, 8. Saint Thomas commente : « L'état du fidèle par rapport à l'infidèle peut être considéré de deux manières. Premièrement, quant à l'état de péché, et ainsi les infidèles sont dans un état pire, puisqu'ils ne font rien qui soit accepté par Dieu ; deuxièmement, quant au péché dans sa singularité, et alors c'est le contraire ; en effet, si le fidèle et l'infidèle commettent l'adultère, le fidèle pèche plus, parce qu'il fait injure à la foi. Et il dit ainsi que si le fidèle méprise le soin de ses parents, il pèche plus gravement que si un infidèle faisait cela - Mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de la justice que de se détourner, après l'avoir connue, du saint commandement qui leur avait été transmis (2 Ρ 2, 21) » (Ad 1 Tim. lect., V, n° 192).

9. Lc 14, 26.

10. In S. Ioannis Εν. exp. In h. loc, PL 92, co1. 914 B-C.

Mais, selon Augustin1, comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas, certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre2 - car il est dit que Jacques et Jean, ayant tout quitté, ont suivi Jésus3 -, mais CHEZ LUI, c'est-à-dire en se mettant à son service, lui obéissant avec empressement et respect.

B. LA MORT DU CHRIST

2444. Après avoir traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent, l'Évangéliste rapporte à présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-même [n° 2452]. Enfin, il révèle la blessure faite au mort [n° 2454].

a) L'opportunité de la mort du Christ.

APRÈS CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, POUR QUE L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, DIT : « J'AI SOIF. » OR IL Y AVAIT LÀ UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHÈRENT DE SA BOUCHE. QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE VINAIGRE, IL DIT : « TOUT EST ACCOMPLI. » (19, 28-30)

L'opportunité de la mort est montrée en ce que désormais TOUT EST ACCOMPLI. Aussi, concernant cet accomplissement, d'abord est mise en avant la connaissance que le Christ avait de cet accomplissement même, puis est accompli ce qui restait à accomplir [n° 2451], en troisième lieu est exprimé l'accomplissement même.

APRÈS CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI

1. Tract, in lo., CXIX, 3, BA 75, p. 325.

2. Mt 19, 27. Saint Thomas commente : « La perfection n'est pas de tout laisser, mais de tout laisser et de suivre le Christ, parce que beaucoup de philosophes ont tout laissé » (Sup. Matth. lect., XIX, n° 1607).

3. Voir Mt 4, 21-22 ; Mc 1, 19-20 ; Lc 5, 10-11.

2445. Concernant le premier point, il dit donc : APRÈS, c'est-à-dire après toutes les choses qui ont été exposées avant, JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, tout ce que les Prophètes et la Loi avaient annoncé à son sujet - II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes 4. - J'ai vu la fin de tout accomplissement5.

2446. Mais, parce qu'il y avait encore autre chose de la prophétie de l'Écriture qui devait être accompli, il ajoute : POUR QUE L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : « J'AI SOIF. »

D'abord, l'Évangéliste nous rapporte la parole que le Christ a prononcée ; ensuite il nous dit qu'il convenait que sa demande fût exaucée [n° 2448] ; enfin, il nous rapporte le fait qu'on lui proposa un service qu'il n'avait pas voulu [n° 2449].

4. Lc 24, 44.

5. Ps 118, 96.

POUR QUE L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : « J'AI SOIF. »

2447. Là, il faut savoir que POUR QUE n'est pas causal mais consécutif. En effet, il n'a pas fait cette demande POUR QUE L'ÉCRITURE - l'Ancien Testament - FÛT ACCOMPLIE, mais c'est parce qu'elles devaient être accomplies par le Christ que ces choses ont été dites. En effet, si nous disions que le Christ a fait ces choses parce que les Écritures les ont annoncées, il s'ensuivrait que le Nouveau Testament existerait à cause de l'Ancien et pour l'accomplir, alors que c'est le contraire1. Ainsi donc elles ont été annoncées parce qu'elles devaient être accomplies par le Christ.

En disant « J'AI SOIF », il montre que sa mort est vraie, non pas imaginaire. De même nous est montré son désir ardent du salut du genre humain2 - Il veut que tous les hommes soient sauvés3. - Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu4. Or nous exprimons habituellement un désir véhément par la soif - Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant5.

1. Saint Thomas, en exposant dans la Somme théologique les différents sens de l'Écriture, explique que le sens allégorique est le sens où « les réalités de l'ancienne Loi signifient celles de la loi nouvelle » (I, q. 1, a. 10, c.)- Ailleurs il expose les différentes manières du Christ d'accomplir l'Écriture : « II accomplit premièrement les choses qui relèvent de la morale, en les accommodant par la douceur de sa charité, parce que la plénitude de la Loi c'est l'amour - L'amour est la plénitude de la Loi (Rm 13, 10).- Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 15, 12). Deuxièmement, il accomplit les rites du culte en enlevant le voile des figures - Le voile du Temple se déchira (Mt 27, 51). - Il est digne l'Agneau, d'ouvrir le livre et d'en briser les sceaux (Ap 5, 12 et 9), c'est-à-dire les observances des figures qui étaient dans la Loi. Troisièmement, il accomplit les prophéties en montrant qu'elles sont achevées en lui - Il faut que soit accompli tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes (Lc 24, 44). Quatrièmement, il accomplit les promesses en les confirmant - Les promesses ont été faites à Abraham et à celui qui naîtrait de lui (Ga 3, 16). Cinquièmement, il accomplit les choses relatives aux jugements en les tempérant par la miséricorde - à la femme adultère : Moi non plus je ne te condamnerai pas (Jn 8, 11). Sixièmement, il accomplit en ajoutant des conseils - Va, vends tout ce que tu as (...) (Mt 19, 21). Septièmement, il accomplit en s'acquittant entièrement de toutes les promesses qui leur avaient été faites au sujet de l'envoi de l'Esprit Saint et de l'Incarnation du Fils -J'accomplirai (...) une nouvelle alliance (He 8, 8). - Tout est accompli (Jn 19, 30) » (Super Matth., V, n° 467). Voir aussi Ad 2 Cor. lect., III, n° 105.

2. Voir vol. I, n° 569.

3. 1 Tm 2, 4.

4. Lc 19, 10.

IL Y AVAIT LÀ UN VASE PLEIN DE VINAIGRE.

2448. Ici nous est montré qu'il convenait que sa demande fut exaucée : du fait qu'IL Y AVAIT LÀ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. Par ce vase est désignée la synagogue des Juifs qui, à partir du vin des patriarches et des prophètes, avait dégénéré en vinaigre, c'est-à-dire en malice et cruauté de la part des grands prêtres6.

2449. L'Évangéliste rapporte ensuite le service qu'il n'avait pas voulu. OR IL Y AVAIT LÀ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHÈRENT DE SA BOUCHE.

De là naît une question littérale : Comment présentèrent-ils cette éponge à la bouche du Christ suspendu en hauteur ? L'Évangile de Matthieu répond à cela qu'ils la fixèrent à une tige de roseau7. Ou bien, selon certains, à une branche d'hysope qui était grande, et c'est pourquoi elle est appelée roseau par Matthieu.

2450. Or, au sens mystique, sont signifiés par là trois maux qu'il y avait chez les Juifs : par le vinaigre, la jalousie ; par la capacité d'absorber et de rejeter qu'a l'éponge, la fourberie ; par l'amertume de l'hysope, la malice8.

Ou encore, l'hysope signifie l'humilité du Christ parce que c'est une herbe qui purifie le cœur, que l'on purifie surtout par l'humilité - Purifie-moi Seigneur avec l’hysope, je serai pur1.

5. Ps 41, 3. Voir vo1. I, n° 586, note 7.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in L·., CXIX, 4, BA 75, p. 327.

7. Cf. Mt 27, 48. Saint Thomas commente : « Par la branche de roseau est signifiée l'Écriture. Ils veulent donc confirmer leur malice en se servant de l'Écriture » (Sup. Matth. lect., XXVII, n° 2387).

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIX, 4, BA 75, p. 327-329. L'interprétation suivante est aussi tirée du même passage de saint Augustin.

2451. L'accomplissement ultime est montré : QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE VINAIGRE, IL DIT : « TOUT EST ACCOMPLI », ce qui peut se rapporter à l'accomplissement de sa mort - Il était digne de celui pour qui et par qui sont toutes choses, qui voulait conduire une multitude d'enfants à la gloire, d'accomplir par les souffrances l'auteur de leur salut2 -, ou bien à l'accomplissement de notre sanctification, par sa Passion et par sa Croix - Car par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés3 - ; ou encore à l'accomplissement des Écritures - Tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme sera accompli4.

b) La description de sa mort.

ET, LA TÊTE INCLINÉE, IL REMIT L'ESPRIT. (19, 30)

2452. Ici, l'Évangéliste décrit la mort du Christ. Et d'abord il expose la cause de sa mort. En effet, il ne faut pas comprendre que c'est parce qu'il a remis l'esprit qu'il a incliné la tête, mais le contraire5. Car l'inclination de la tête désigne l'obéissance, au nom de laquelle il a supporté la mort - Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort6.

En second lieu nous est montrée la puissance de celui qui meurt parce qu'IL REMIT L'ESPRIT par sa propre puissance - Personne ne me l'enlève [mon âme], mais moi je la livre de moi-même7. Car, comme le dit Augustin8, nul n'a ainsi en son pouvoir de dormir quand il veut, comme le Christ de mourir quand il le voulut.

1. Ps 50, 9. Saint Thomas commente : « L'hysope est une plante qui adhère à la terre et qui soigne l'enflure, comme on le rapporte dans la Glose, et elle convient à la foi qui possède l'humilité car par la foi l'intelligence est soumise à Dieu - Nous faisons toute pensée captive pour l'amener à obéir au Christ (2 Co 10, 5). Elle est aussi enracinée sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ - Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle (Mt 16, 18). - Cette pierre était le Christ (1 Co 10, 4). Semblablement elle chasse de l'esprit humain l'orgueil qui habite en ceux qui n'obéissent pas à la foi au Christ » (Exp. in Psalmos, 50, n° 4).

2. He 2, 10. Saint Thomas commente : « Lui-même, en tant que fils par nature, est totalement parfait, mais parce que dans sa Passion il a été abaissé, il a dû être rendu parfait par le mérite de sa Passion. À partir de cet accomplissement donc, la convenance de la manière dont l'Apôtre dit qu'il a goûté [la mort] est évidente. En effet, il a seulement goûté la mort puisqu'il ne l'a acceptée que pour être accompli par le mérite de sa Passion. Car son accomplissement même est sa glorification - Il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans sa gloire (Le 24, 26) » (Ad Heb. lect., II, n" 128).

3. He 10, 14.

4. Le 18, 31.

5. Cette remarque provient de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, co1. 463), mais saint Thomas en tire une conclusion toute différente : au lieu de la manifestation de la pleine maîtrise que le Christ avait de lui, il y voit plutôt sa parfaite obéissance.

6. Ph 2, 8.

2453. Mais remarquons que du fait qu'IL REMIT L'ESPRIT, certains affirment qu'il y a en l'homme deux âmes ; à savoir une âme intellectuelle qu'ils appellent esprit, et une autre âme, animale - végétative et sensitive - qui anime le corps, et c'est surtout elle qu'on appelle « l'âme ». C'est pourquoi ils disent que le Christ a seulement remis son âme intellectuelle9.

Mais cela est faux ; d'une part parce que, dans le livre des dogmes de l'Église, qu'il y ait en l'homme deux âmes est compté parmi les erreurs ; d'autre part parce que s'il avait remis l'esprit tandis que son âme demeurait encore, il ne serait pas mort. Et donc, parce qu'il n'y a aucun autre esprit dans l'homme que son âme, il faut dire qu'il remit l'esprit, c'est-à-dire son âme 10.

7. Jn 10, 18.

8. Tract, in Io., CXIX, 6, BA 75, p. 331.

9. Saint Thomas vise ici le commentaire de saint Grégoire (Morales sur Job, XI, v, 7, SC 212, p. 51).

10. Saint Thomas assume la pensée d'Aristote concernant la découverte d'une âme humaine unique, principe radical de vie, et donc source de toutes les opérations vitales de l'homme - végétatives, sensibles et spirituelles -, source de leur diversité et de leur unité. L'esprit signifie les deux puissances spirituelles émanant de l'âme, l'intelligence et la volonté, qui sont sources des opérations de pensée (l'intelligence) et d'amour (la volonté). Ces deux puissances représentent le sommet de l'âme humaine et, à la différence de ses autres capacités (comme l'imaginaire, les sens, la mémoire, les puissances végétatives, etc.), peuvent se séparer du corps quant à leur détermination puisqu'elles atteignent l'universel et l'être, le bien spirituel et la personne. Tout en étant ultime, l'esprit donne à l'âme humaine ce qui la caractérise en propre. Et cette âme humaine est unie substantiellement au corps qu'elle détermine et actue, qu'elle affine et spiritualise. Voir Aristote, De l'âme, notamment II, 2 et 3, sur la découverte de l'âme et ses puissances, et III, 3 sq., sur la vie de l'esprit. Voir aussi Somme théol, I, q. 76.

Par là est aussi exclue l'erreur de ceux qui disent que les âmes des hommes morts ne vont pas aussitôt après la mort au paradis, en enfer ou au purgatoire, mais qu'elles demeurent dans les tombeaux jusqu'au jour du jugement1. Car le Seigneur a aussitôt remis l'esprit à son Père, par où il nous est donné de comprendre que les âmes des justes sont dans la main de Dieu2.

c) La blessure du corps du Christ.

2454. Ici est montrée la blessure du corps du Christ. Et premièrement le récit de cette blessure, deuxièmement la certitude de ce récit [n° 2459].

Quant au premier point, l'Évangéliste fait trois choses. D'abord, il montre la tentative des Juifs et leur intention ; puis l'accomplissement de cette tentative pour une part [n° 2456] ; enfin, comment cela est accompli dans le Christ [n° 2458].

Ι

LES JUIFS DONC, PUISQUE C'ÉTAIT LA PRÉPARATION [DE LA PÂQUE], POUR QUE LES CORPS NE RESTENT PAS SUR LA CROIX LE JOUR DU SABBAT (CAR C'ÉTAIT UN GRAND JOUR QUE CE SABBAT), DEMANDÈRENT À PILATE QU'ON LEUR BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES ENLEVÂT. (19, 31)

2455. En effet il faut savoir, comme on le trouve au Deutéronome 3, qu'il était prescrit dans la Loi que les cadavres des hommes suspendus pour des crimes ne devaient pas être laissés suspendus jusqu'au matin, afin que la terre ne soit pas souillée, et aussi pour faire disparaître l'ignominie de ceux qui étaient suspendus, car une mort de ce genre était regardée comme la plus honteuse. Aussi est-il écrit au même endroit : Maudit soit tout homme qui pend au bois4, c'est-à-dire en malédiction de peine5. Or, bien que les Juifs n'eussent plus en leur pouvoir d'infliger une peine de ce genre, cependant, ce qui était en leur pouvoir, ils s'efforçaient de le faire. Aussi, parce que c'était la Préparation, pour que le corps du Christ et aussi ceux des autres ne demeurent pas en croix le jour du sabbat, qui était très solennel, et à cause du sabbat lui-même et à cause de la fête des azymes, ils DEMANDÈRENT À PILATE QU'ON LEUR BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES ENLEVÂT. Ils sont certes diligents à observer la Loi dans les petites choses, mais dans les grandes choses ils la méprisèrent, filtrant le moustique mais engloutissant le chameau 6.

1. C'est l'opinion de Théophylacte (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 282 B).

2. Sg3, 1.

3. Voir Dt 20, 22-23.

II

2456. Il donne ensuite la manière dont cela est accompli en partie : LES SOLDATS VINRENT DONC, ET ILS BRISÈRENT LES JAMBES DU PREMIER - à savoir un des larrons vers lequel ils vinrent en premier lieu, PUIS DE L'AUTRE QUI AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ AVEC LUI, c'est-à-dire avec Jésus. Par là nous est montrée leur cruauté – Ils mangèrent la chair de mon peuple 1.

4. Dt 21, 23.

5. Sur la distinction entre le mal de faute et le mal de peine, voir vo1. I, n° 1301, note 9.

6. Mt 23, 24.

2457. Mais pourquoi ajoute-t-il : MAIS LORSQU'ILS VINRENT À JÉSUS, ET QU'ILS LE VIRENT DÉJÀ MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES ? N'avait-il pas été crucifié au milieu ?

Réponse. Il faut dire que chacun des deux soldats vint vers un des larrons pour lui briser les jambes ; et les ayant brisées, l'un celles du premier, l'autre celles du deuxième, ils vinrent vers Jésus. Aussi est-ce de là qu'est venue l'occasion de le blesser, parce que comme ILS LE VIRENT DÉJÀ MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES.

III

MAIS L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE CÔTÉ ; ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. (19, 34)

2458. Mais pour s'assurer de sa mort, L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE CÔTÉ. Et il est significatif qu'il dise OUVRIT, et non pas « blessa », parce que par ce côté est ouverte pour nous la porte de la vie éternelle2 - Après cela, je vis une porte ouverte3. C'est la porte sur le côté de l'arche par laquelle entrent les animaux qui ne périraient pas dans le déluge4.

Et cette porte est cause de salut : ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. Car il est très miraculeux que du corps d'un mort où le sang est figé sorte du sang. Mais si quelqu'un dit que cela s'est produit en raison d'une certaine chaleur qui était encore demeurée dans le corps, cependant, pour l'écoulement de l'eau on ne peut pas nier qu'il y ait eu un miracle, puisque l'eau qui est sortie était très pure.

Et certes, cela s'est produit afin que le Christ montrât ce qu'il était, c'est-à-dire vrai homme5. En effet un homme est composé de deux choses : d'éléments et d'humeurs. Un des éléments est l'eau ; et parmi les humeurs, il y a principalement le sang.

Ou bien cela est arrivé pour montrer que, par la Passion du Christ, nous obtenons la purification plénière de nos péchés et de nos taches6. De nos péchés, certes par le sang, qui est le prix de notre rédemption - Ce n'est pas par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés de votre vaine conduite, mais par le sang précieux comme d'un agneau sans tache et immaculé, le Christ7. Mais de nos taches par l'eau, qui est le bain de notre régénération 8 - Je répandrai sur vous une eau pure9. - II y aura une source ouverte à la maison de David10.

Et c'est pourquoi ces deux choses appartiennent de manière spéciale à deux sacrements : l'eau au sacrement du baptême, le sang à l'Eucharistie. Ou bien, l'une et l'autre appartiennent à l'Eucharistie parce que, dans le sacrement de l'Eucharistie, l'eau est mêlée au vin, bien que l'eau n'appartienne pas à la substance du sacrement11.

1. Mi 3, 3.

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 2, BA 75, p. 335. Les références à l'arche de Noé, aux sacrements et à la formation de la femme à partir d'Adam endormi proviennent du même passage de saint Augustin.

3. Ap 4, 1.

4. Cf. Gn 6, 16.

5. Sur le mystère du Christ qui est vrai Dieu et vrai homme, voir ci-dessus, n" 1711, note 3, et n° 1979, note 7.

6. Il s'agit des taches du péché originel.

7. 1 Ρ 1, 18-19.

8. Tt 3, 5.

9. Ez 36, 25.

10. Za 13, 1.

11. Voir Somme théo1., III, q. 74, a. 6, 7 et 8. « L'ajout de l'eau au vin est rapporté pour signifier la participation des fidèles à ce sacrement, quant au fait que par l'eau mêlée au vin est signifié le peuple uni au Christ. (...) Mais que du côté du Christ pendu à la croix jaillisse de l'eau se rapporte au même [mystère] : parce que par l'eau était signifié le lavement des péchés, qui se réalisait par la Passion du Christ. Or on a dit plus haut que ce sacrement s'achève dans la consécration de la matière : l'usage qu'en font les fidèles n'est pas quelque chose de conséquent à l'égard du sacrement. D'où il s'ensuit que l'ajout de l'eau n'est pas propre à la nécessité du sacrement » (loc. cit., a. 7, c.).

Cela convient aussi à la préfiguration parce que, de même que du côté du Christ endormi sur la croix ont coulé le sang et l'eau dans lesquels est consacrée l'Église, de même du côté d'Adam endormi a été formée la femme, qui préfigurait l'Église elle-même.

La certitude de ce récit.

2459. Ici nous est donnée la certitude du récit, d'abord à partir du témoignage apostolique, ensuite à partir de la prophétie de l'Écriture [n° 2461].

Ι

ET CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, ET SON TÉMOIGNAGE EST VRAI : ET CELUI-LÀ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ. (19, 35)

2460. Concernant le premier point, il commence par décrire la convenance du témoin parce que CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, et c'est Jean lui-même - Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons1. Après cela il ajoute la vérité du témoignage : ET SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Je dis la vérité, je ne mens pas2. - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera3. Et enfin il réclame la foi : ET CELUI-LÀ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez4'.

II

CAR CES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE : « VOUS NE LUI BRISEREZ PAS D'OS. » (19, 36)

2461. Et non seulement cela est certifié par le témoignage apostolique, mais il ajoute la prophétie de l'Écriture, et c'est pourquoi il dit : CES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, étant donné que le POUR est pris comme consécutif, comme on l'a déjà dit plus haut5. Et il indique deux autorités de l'Ancien Testament. L'une se rapporte à ce qu'il dit : ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES, et se trouve au livre de l'Exode : Vous ne lui briserez pas d'os6, à savoir à l'agneau pascal qui préfigurait le Christ, parce que, comme il est dit : Le Christ, notre Pâque, a été immolé7.

Aussi a-t-il été voulu par Dieu que les os de l'agneau pascal ne fussent pas brisés pour donner à entendre que la force de l'Agneau véritable et sans tache, Jésus Christ, ne devait en aucune manière être brisée par la Passion. Aussi les Juifs pensaient-ils détruire par la Passion la puissance de la doctrine du Christ ; mais elle en a été plutôt affermie - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour nous il est puissance de Dieu8. C'est pourquoi il dit plus haut : Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que Moi Je Suis9.

ET UNE AUTRE ÉCRITURE DIT ENCORE : « ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ. » (19, 37)

2462. La seconde autorité se rapporte à ce qu'il dit : DE SA LANCE, [IL] LUI OUVRIT LE CÔTÉ. Et on trouve : ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ, là où le texte que nous avons dit : Ils regarderont vers moi qu 'ils ont percé1.

1. 1 Jn 1, 3.

2. Rm 9, 1.

3. Jn 8, 32.

4. Jn 20, 31.

5. Voir n° 2447.

6. Ex 12, 46 ; cf. Nb 9, 12.

7. 1 Co 5, 7.

8. 1 Co 1, 18. Voir ci-dessus n° 2414, note 1.

9. Jn 8, 28.

C'est pourquoi, si nous nous attachons à la parole du Prophète, il est manifeste que le Christ crucifié est Dieu. Car ce que dit le Prophète en la personne de Dieu, l'Évangéliste l'attribue au Christ. ILS REGARDERONT, dit-il, vers le jugement qui vient2, ou bien ILS REGARDERONT convertis par la foi.

C. L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST

2463. L'Évangéliste, après avoir traité de la crucifixion et de la mort, traite ici de la sépulture du Christ, et montre d'abord la possibilité et la permission de l'ensevelir ; ensuite, le zèle de Joseph d'Arimathie pour s'occuper du corps [n° 2465] ; puis il indique le lieu de la sépulture [n° 2468] ; et enfin rapporte la sépulture elle-même [n° 2469].

a) La possibilité et la permission d'ensevelir le Christ.

OR, APRÈS CELA, JOSEPH D'ARIMATHIE (QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS) DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, ET PILATE LE PERMIT. (19, 38)

2464. OR, APRÈS CELA, c'est-à-dire après la Passion et la mort du Christ, JOSEPH D'ARIMATHIE, ce qui est la même chose que Ramatha3, QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS - non pas l'un des Douze, mais l'un des nombreux autres croyants, parce que tous ceux qui ont cru dès le début sont appelés disciples -, DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS. Or il était DISCIPLE (...) MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, comme aussi beaucoup d'autres, mais cela avant la Passion - Toutefois, il est vrai, beaucoup parmi les notables crurent en lui ; mais à cause des pharisiens ils ne se déclaraient pas pour ne pas être exclus de la synagogue4. C'est pourquoi il est évident que là où les disciples perdirent confiance après la Passion en se cachant, celui-ci reprit confiance en posant publiquement un acte d'obéissance.

Celui-ci, dis-je, DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, c'est-à-dire [de le descendre] de la croix et de l'ensevelir, parce que, selon les lois humaines, les corps des condamnés ne devaient pas être ensevelis sans permission. ET PILATE LE PERMIT, parce que Joseph était noble et qu'il lui était familier5, c'est pourquoi il est dit qu'il était un noble décurion6.

1. Za 12, 10.

2. Voir Ap 1, 7.

3. Voir 1 S 1, 19. Elquana et Anne, les parents de Samuel, habitaient cette ville de Ramatha d'où vient Joseph, celui qui fut choisi par Dieu pour ensevelir le cadavre du Christ.

4. Jn 12, 42.

5. Cf. saint Augustin, De consensu Évangelistarum, III, xxn, 59, PL 34, co1. 1195.

6. Me 15, 43 (Propre à la Vulgate. La BJ en parle comme « membre notable du Conseil »). Décurion : officier qui primitivement commandait dix cavaliers ou sénateur dans les villes municipales ou les colonies.

b) Le zèle de Joseph d'Arimathie.

IL VINT DONC ET ENLEVA LE CORPS DE JÉSUS. VINT AUSSI NICODÈME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU TROUVER JÉSUS DE NUIT -, APPORTANT UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS D'ENVIRON CENT LIVRES. ILS PRIRENT LE CORPS DE JÉSUS ET L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES AVEC DES AROMATES, COMME C'EST LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR. (19, 38-40)

2465. D'abord est exposée la matière qui servit à embaumer le corps, puis l'embaumement lui-même [n° 2467].

VINT AUSSI NICODÈME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU TROUVER JÉSUS DE NUIT -, APPORTANT UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS D'ENVIRON CENT LIVRES.

2466. La matière qui servit à embaumer le corps fut UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS que Nicodème apporta en grande quantité. Et c'est pourquoi l'Évangéliste fait mention de deux hommes : D'abord de Joseph qui prit le corps ; puis de Nicodème, qui apporta les aromates.

Or Nicodème est celui qui vint vers Jésus de nuit, avant la Passion, comme on le rapporte plus haut1. Et il rappelle cela parce qu'il avait dit de Joseph qu'il était DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, pour montrer que même celui-là [Nicodème], qui était disciple de Jésus, mais en secret, maintenant se montre en public, mais sans avoir encore la vraie foi en la Résurrection puisqu'il apporta UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS, comme si le corps de Jésus avait besoin d'être protégé de la putréfaction. À ce propos l'Écriture dit : Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption2.

Au sens mystique, il nous est donné par là de comprendre que nous devons cacher le Christ crucifié dans notre cœur avec l'amertume de la pénitence et de la compassion3 - Mes mains ont distillé la myrrhe4.

ILS PRIRENT LE CORPS DE JÉSUS ET L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES AVEC DES AROMATES, COMME C'EST LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR.

2467. Après avoir donné la matière de la préparation, on montre la préparation elle-même. Là naît un doute ; car Jean dit qu'ils L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES, alors que Matthieu dit qu'ils l'enveloppèrent dans un linceul5.

Réponse : il faut dire, selon Augustin6, que Matthieu dit un linceul seulement parce qu'il ne fait mention que de Joseph, et celui-ci en apporta un seu1. Mais parce que seul Jean fait mention de Nicodème, il dit DES LINGES parce que Nicodème en apporta un autre. Ou bien il faut dire que nous appelons linge tout morceau d'étoffe fait de lin. Or le corps du Christ fut enveloppé de bandelettes, comme on le dit aussi au sujet de Lazare, parce que telle était LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR. Il y avait aussi un suaire posé sur la tête ; et c'est pourquoi Jean, englobant tout cela, dit : DES LINGES.

Et le fait qu'ils l'embaumèrent avec des aromates nous rappelle qu'en ces devoirs de piété il faut conserver la coutume de la nation, quelle qu'elle soit7.

1. Jn3, 2.

2. Ps 15, 11. Voir vo1. I, n° 402.

3. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 287 A.

4. Ct 5, 5.

5. Mt 27, 59.

6. De consensu Évangelistarum, III, xxm, 60, PL 34, co1. 1196.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 4, BA 75, p. 341.

c) Le lieu de la sépulture.

OR, AU LIEU OU IL FUT CRUCIFIE IL Y AVAIT UN JARDIN, ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF, OÙ PERSONNE ENCORE N'AVAIT ÉTÉ MIS. (19, 41)

2468. Puis le lieu de la sépulture est désigné. Il faut remarquer là que le Christ fut pris dans un jardin, qu'il souffrit dans un jardin, et qu'il fut enseveli dans un jardin, pour désigner que c'est par la puissance de sa Passion que nous sommes libérés du péché qu'Adam commit au jardin des délices 1 et que, par elle, l'Église est consacrée, elle qui est comme un jardin clos2.

ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF. Il y a deux raisons pour lesquelles il voulut être enseveli dans un sépulcre neuf. Une littérale, pour qu'on ne croie pas que d'autres corps qui auraient été là aient été ressuscites, et non pas le Christ3, ou bien qu'ils aient tous été ressuscites par une puissance égale.

L'autre raison est qu'il convenait que celui qui était né d'une vierge pure (de Virgine intacta) fût enseveli dans un sépulcre neuf. Afin que, de même qu'il n'y eut personne avant lui dans le sein de Marie, ni personne après lui, de même aussi dans ce tombeau4. Et pour nous donner de comprendre qu'il est caché par la foi dans un esprit renouvelé5 - Que le Christ habite dans nos cœurs par la foi6.

d) La sépulture elle-même.

C'EST DONC LA QUE, A CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT PROCHE, ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS. (19, 42)

2469. Puis est exposée la sépulture. C'EST DONC LÀ, c'est-à-dire dans le tombeau neuf, À CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, parce que déjà le soir approchait où, à cause du sabbat, il n'était pas permis de faire quelque chose, qu'ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS. Car c'est environ à la neuvième heure qu'il expira, et à cause des soins de la sépulture et des choses qui étaient nécessaires, la journée était déjà presque arrivée au soir7. ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT PROCHE, C'EST DONC LÀ - là où il avait été crucifié - QU'ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS.

1. Voir ci-dessus, n° 2275 et notes 13 et 1.

2. Cf. Ct 4, 12 : Elle est un jardin clos, ma sœur, ma fiancée.

3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 5, BA 75, p. 341.

5. Cf. ThÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 286 D - 287 A.

6. Ep 3, 17.

7. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.

 

 

CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION

LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ DANS SA PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION

 

I. LA RÉSURRECTION DU CHRIST

Évangile selon saint Jean Chapitre XX

I Or le premier jour de la semaine, le matin, quand les ténèbres duraient encore, Marie-Madeleine vint au sépulcre, et vit la pierre roulée du tombeau. 2 Elle courut donc et vint trouver Simon-Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : « On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis. »

3 Pierre sortit donc, ainsi que l'autre disciple, et ils vinrent au tombeau. 4 Ils couraient tous deux ensemble ; mais l'autre disciple courut en avant plus vite que Pierre, et il arriva le premier au tombeau. 5 Et, s'étant penché, il vit les linges posés là ; cependant il n'entra pas. 6 Pierre, qui le suivait, vint aussi, et entra dans le tombeau, et vit les linges posés là, 7 et le suaire qui avait été sur sa tête, posé non pas avec les linges, mais enroulé dans un lieu à part. 8 Alors entra aussi l'autre disciple qui était venu le premier au tombeau : il vit et il crut. 9 Car ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. 10 Les disciples donc s'en retournèrent chez eux.

11 Mais Marie se tenait dehors près du tombeau, pleurant. Et, tout en pleurant, elle se pencha et regarda dans le tombeau : 12 elle vit deux anges vêtus de blanc, assis, un à la tête et un aux pieds, là où avait été déposé le corps de Jésus. 13 Ils lui demandèrent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répondit : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l'a mis. » 14 Lorsqu'elle eut dit cela, elle se retourna en arrière et vit Jésus debout ; et elle ne savait pas que c'était Jésus. 15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Que cherches-tu ? » Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et moi j'irai le prendre. » 16 Jésus lui dit : « Marie. » Elle, se retournant, lui dit : « Rabbouni ! » (ce qui veut dire maître). 17 Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » 18 Marie-Madeleine vint annoncer aux disciples : « J'ai vu le Seigneur et voilà ce qu'il m'a dit. »

19 Ce jour-là, le premier de la semaine, lorsque le soir fut venu, et que les portes du lieu où les disciples se trouvaient rassemblés étaient closes, par peur des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d'eux, et leur dit : « Paix à vous. » 20 Et, lorsqu'il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent donc à la vue du Seigneur. 21 Et il leur dit de nouveau : « Paix à vous. Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. » 22 Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ; 23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »

24 Or Thomas, un des Douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux quand Jésus vint. 25 Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur. » Mais lui leur répondit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, et si je n'enfonce pas mon doigt à l'endroit des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas. »

26 Et huit jours après, ses disciples étaient encore à l'intérieur, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant closes, et il se tint au milieu d'eux et leur dit : « Paix à vous. » 27 Puis il dit à Thomas : « Mets ton doigt là et vois mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois pas incrédule mais croyant. » 28 Thomas répondit et lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu. » 29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. »

30 Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. 31 Mais ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus, le Christ, est le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son nom.

 

2470. Après avoir rapporté les mystères de la Passion du Christ, l'Évangéliste révèle ici sa Résurrection. Premièrement il révèle comment la Résurrection du Christ fut manifestée aux femmes ; deuxièmement, comment elle fut manifestée aux disciples [n° 2523].

1. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX SAINTES FEMMES

La Résurrection du Christ a été manifestée aux femmes dans un certain ordre : d'abord par le tombeau ouvert, ensuite par l'apparition de l'ange [n° 2490], et enfin par la vision du Christ [n° 2504].

A. LE TOMBEAU OUVERT

L'Évangéliste commence par exposer la vision qu'eut la femme, puis l'annonce de ce qu'elle a vu [n° 2476] et, en troisième lieu, la recherche de ce qui a été annoncé [n° 2477].

a) La vision qu'eut la femme.

OR LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE, ET VIT LA PIERRE ROULÉE DU TOMBEAU. (20, 1)

2471. Ici se présentent quatre choses qu'il faut considérer. Premièrement, le temps de la vision : LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche. En effet, le jour du Sabbat était considéré par les Juifs comme le plus solennel, et c'est pourquoi tout autre jour était nommé à partir de lui. De là vient qu'ils disaient « le premier jour de la semaine », « le deuxième jour de la semaine1 », etc. Matthieu dit : Le premier jour de la semaine (prima sabbati) 2 ; mais Jean dit UNA SABBATI, à cause du mystère, parce qu'en ce jour où eut lieu la Résurrection commença comme une nouvelle création - Envoie ton esprit et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre3. - Dans le Christ Jésus, ni la circoncision ne vaut quelque chose ni l’incirconcision, mais la création nouvelle4. Au commencement, dans la Genèse5, Moïse n'a pas dit du premier jour « il y eut un premier jour » (dies primus), mais « un jour unique » (dies unus). Voilà pourquoi l'Évangéliste se sert de la parole de Moïse pour suggérer cette rénovation6.

Il le fait aussi parce que commençait ce jour-là le jour d'éternité qui est un seul jour sans l'interruption de la nuit, parce que le soleil qui l'a fait ne se couche jamais7 - Cette ville n'a pas besoin de la lumière du soleil ou de la lune, car la gloire de Dieu l'illumine et sa lumière, c'est l'Agneau8. -Il y aura un jour, connu du Seigneur, sans jour ni nuit, et il y aura de la lumière à l'heure du soir9.

2472. Deuxièmement est indiquée la personne qui voit : LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE. Mais il y a ici un doute, car Marc dit : Marie-Madeleine, Marie de Jacques et Salome 10 ; et au sépulcre, Matthieu 11 mentionne également l'autre Marie.

1. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 287 C.

2. Mt 28, 1.

3. Ps 103, 30.

4. Ga 6, 15. Saint Thomas commente : « La foi formée par la charité est une création nouvelle. Car nous avons été créés et produits dans l'existence de la nature par Adam ; mais cette créature était déjà vieille et détruite (inveterate.), et pour cette raison le Seigneur, nous conduisant et nous établissant dans l'existence de la grâce, a fait une certaine création nouvelle - Pour que nous soyons comme les prémices de ses créatures (Je 1, 18). Et elle est dite nouvelle parce que par elle nous sommes renouvelés dans une vie nouvelle, et par l'Esprit Saint - Envoie ton Esprit, et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre (Ps 103, 30) -, et par la Croix du Christ - Si quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle (2 Co 5, 17). Ainsi donc par la création nouvelle, à savoir par la foi au Christ et la charité de Dieu, qui a été diffusée dans nos cœurs, nous sommes renouvelés, et conjoints au Christ » (Ad Gai. lect., VI, n° 374). Sur la re-création, voir vo1. I, n° 721.

5. Gn 1, 5. Saint Thomas partage avec les auteurs de son temps la certitude que Moïse est l'auteur du Pentateuque.

6. Cf. saint Augustin, La Genèse au sens littéral, I, xvii, 33, BA 48, p. 129.

7. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 287 C.

8. Ap 21, 23.

9. Za 14, 7.

Réponse. Selon Augustin12 il faut dire que Marie-Madeleine était plus fervente et avait plus de dévotion13 pour le Christ que les autres femmes. De là vient que Luc dit : De nombreux péchés lui sont remis car elle a beaucoup aimé14. Voilà pourquoi l'Évangéliste la nomme de manière spéciale et que c'est à elle en premier lieu que le Seigneur apparut15 - Elle fla Sagesse] se porte vers ceux qui la désirent pour leur apparaître en premier16.

2473. En troisième lieu est mentionnée l'heure, quel en fut le moment : LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. Luc dit que Marie-Madeleine et les autres femmes, voyant le lieu du sépulcre, préparèrent les aromates, mais que parce que déjà pointait le sabbat, elles gardèrent le silence selon le commandement17. Donc, dès la fin du sabbat, avant la lumière du premier jour de la semaine, Marie vint au tombeau, car l'ardeur excessive de son amour la pressaitI8 - Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes19, c'est-à-dire de charité.

2474. Mais ici se pose une question littérale : puisque Marc dit De grand matin, le soleil s'étant levé1, pourquoi donc l'Évangéliste dit-il QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE ? Réponse : il faut dire que ce que dit Marc s'entend de l'aurore : le soleil s'étant déjà levé, non qu'il apparût sur la terre mais parce qu'il approchait de nos régions2.

10. Mc 16, 1.

11. Mt 28, 1. Saint Thomas commente : « Cela ne fut pas sans mystère que deux femmes de ce même nom vinrent (...) parce que par elles est signifiée l'Église ; d'abord, en effet, l'une fut à partir des païens (gentibus), l'autre à partir des Juifs, mais à présent tous sont une seule Église - Unique est ma colombe (Ct 6, 8). De même elles s'appellent Marie. En effet, de même que de son sein clos Marie a conçu un enfant, ainsi celles-ci méritèrent de voir celui qui sortit du tombeau clos » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2421).

12. De consensu Evangelistarum, III, ΧΧIV, 68, PL 34, col. 1201.

13. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5 et n° 1391, note 6.

14. Lc 7, 47.

15. Cf. Mc 16, 9.

16. Sg 6, 14.

17. Cf. Lc 23, 55-56.

18. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.

19. Ct 8, 6.

2475. En quatrième lieu est mentionné ce que Marie voit : ELLE VIT LA PIERRE ROULÉE DU TOMBEAU, ce qui était le signe soit que quelqu'un avait emporté le Christ, soit qu'il était ressuscité. Et comme le dit Matthieu, Fange du Seigneur descendit du ciel3 ; par cela il ne faut pas entendre que la pierre aurait été roulée avant la Résurrection du Christ, mais après. En effet, le Christ est sorti du sein clos de la Vierge sans avoir encore un corps glorieux. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit sorti du sépulcre avec son corps glorieux4. En effet, la pierre a été roulée pour que, voyant que le Christ n'était pas là, on crût plus facilement à sa Résurrection 5.

b) L'annonce de ce qu'elle a vu.

ELLE COURUT DONC ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT, ET LEUR DIT : « ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU TOMBEAU, ET NOUS NE SAVONS PAS OÙ ON L'A MIS. » (20, 2)

2476. En effet, à cause de son trop grand amour, elle n'a pas tardé à annoncer aux disciples ce qu'elle a vu ; mais ELLE COURUT ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT - Ce jour est un jour de bonne nouvelle ; si nous nous taisons et refusons de l’annoncer jusqu'au matin, on nous convaincra de crime6. Ainsi celui qui entend les paroles de Dieu doit-il en toute hâte les dire aux autres - Que celui qui entend dise : Viens !7 Mais Marie est venue vers ceux qui étaient les disciples principaux et qui aimaient le Christ d'une manière plus fervente, afin qu'ils cherchent ensemble ou souffrent ensemble8.

1. Mc 16, 2.

2. Cf. saint Augustin, De consensu Evangelistarum, III, xxiv, 65, PL 34, co1. 1198.

3. Mt 28, 2. Saint Thomas commente : « II convient que la Résurrection soit annoncée par un ange, à cause de la gloire de celui par qui elle est réalisée, comme dit saint Paul : Dieu l'a ressuscité d'entre les morts (Ac 13, 30). Or ses serviteurs sont les anges. Et de même cela convient pour indiquer la dignité de celui qui ressuscite. Plus haut il est dit de lui que des anges s'approchèrent et le servaient (Mt 4, 11). De même cela arrive ainsi parce que, par la Résurrection, les choses célestes sont unies aux terrestres » (Sup. Matth. ha., XXVIII, n° 2425).

4. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 1, PL 76, co1. 1197 C.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.

6. 2 R 7, 9.

7. Ap22, 17.

Et elle leur dit : ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU TOMBEAU. En effet, ayant vu le sépulcre vide et n'ayant pas encore en son cœur que le Christ était ressuscité, elle dit : ET NOUS NE SAVONS PAS OÙ ON L'A MIS. Elle donne ici à entendre qu'elle n'est pas allée seule au tombeau et qu'encore à présent elle doute de la Résurrection. Ce n'est donc pas sans raison que l'Évangéliste a dit que LES TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. En précisant le temps, il indiquait aussi la qualité de l'esprit où étaient les ténèbres du doute - IL· n'ont ni savoir ni intelligence : Us marchent dans les ténèbres'*.

Mais considère que dans les manuscrits grecs on trouve MON SEIGNEUR, pour désigner une plus grande inclination à la charité et l'affection de la servante 10 - Car qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et hors de toi qu'ai-je voulu sur la terre ? Mon cœur et ma chair ont défailli : le Dieu de mon cœur, ma part, c'est Dieu pour l'éternité11.

8. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 41, PL 100, co1. 987 C.

9. Ps 81, 5.

10. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 6, BA 75, p. 343.

11. Ps 72, 25-26.

c) La recherche de ce qui a été annoncé.

Ι

PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE, ET ILS VINRENT AU TOMBEAU. (20, 3)

2477. L'Évangéliste rapporte d'abord le zèle de ceux qui cherchent pour arriver à découvrir, et cela en sortant : PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE. En effet, celui qui veut scruter les mystères du Christ doit d'une certaine manière sortir de lui-même et des mœurs de la terre 1 - Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon2.

II

La course

ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE. (20, 4)

2478. Ensuite il rapporte l'ordre ou le mode de la recherche. En premier lieu quant à la course, puisqu'ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE, eux qui aimaient le Christ plus que tout3 -J'ai couru dans la voie de tes commandements quand tu as dilaté mon cœur4. - J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course5. - Courez ainsi afin de saisir6.

L'arrivée

MAIS L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE, ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU. ET, S'ÉTANT PENCHÉ, IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ ; CEPENDANT IL N'ENTRA PAS. (20, 4-5)

2479. En second lieu quant à l'arrivée, puisque L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE. On rapporte d'abord comment Jean est arrivé le premier, puis comment Pierre l'a suivi.

2480. Mais note que ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste raconte ces détails avec tant de diligence. En effet, par ces deux disciples sont désignés deux peuples, à savoir celui des Juifs et celui des Gentils7 : par Pierre, qui était le plus âgé, le peuple des Gentils, et par Jean, qui était le plus jeune, le peuple des Juifs. Car, bien que les Juifs aient reçu en premier lieu la connaissance du Dieu unique et vrai, cependant le peuple des Gentils est le plus ancien dans le monde, car les Juifs eux-mêmes sont sortis des Gentils - Quitte ta terre et ta parenté1. Ces deux peuples couraient ensemble la course du monde : les Juifs par la lettre de la Loi, les Gentils par la loi naturelle2. Ou encore ils courent ensemble par le désir naturel de la béatitude et de la connaissance de la vérité, que tous les hommes, par nature, désirent connaître3. MAIS L'AUTRE DISCIPLE, à savoir le plus jeune, COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE, parce que les Gentils sont parvenus plus tard que les Juifs à la connaissance de la vérité, car alors Dieu n'était connu qu'en Judée4. C'est pourquoi l'Écriture dit : 11 n'a pas fait de telles choses pour toutes les nations et ses jugements, il ne les leur a pas manifestés5. ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU car il a été le premier à considérer les mystères du Christ, et la promesse au sujet du Christ a été faite en premier lieu aux Juifs, à qui appartiennent l'adoption des fils, la gloire, l'alliance, la législation, le culte, les promesses et aussi les pères de qui est issu le Christ selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen6.

1. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 2, PL 76, co1. 1190 C-D.

2. Ct 3, 11.

3. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 2, PL 76, co1. 1175 A.

4. Ps 118, 32.

5. 2 Tm 4, 7. Saint Thomas commente : « Le mérite de la vie consiste en trois choses, à savoir la résistance au mal, le progrès dans le bien, et le bon usage des dons de Dieu. On dit de la première qu'elle est un certain combat ; d'où il dit ici : J'ai combattu le bon combat. Mais on dit qu'un combat est bon premièrement s'il est en vue du bien ; par exemple, s'il est en vue de la foi ou de la justice, comme celui des Apôtres - J'ai été contraint de vous écrire au sujet de votre salut commun, vous suppliant de combattre pour la sainte foi transmise une fois pour toutes (Jude 3). - Combats pour la justice, pour ton âme, et combats pour la justice jusqu'à la mort (Si 4, 33). Deuxièmement, à cause du mode de combat, à savoir si on combat avec attention et d'une manière légitime. Au-dessus (2 Tm 2, 5) : Celui qui combat dans l'arène ne sera couronné que s'il a combattu d'une manière légitime. - Je combats ainsi, non comme si je frappais dans le vide, mais je châtie mon corps (1 Co 9, 26-27). Troisièmement, à cause de la difficulté du combat - Et elle lui donna un rude combat, pour qu'il vainque (Sg 10, 12). Selon cela on dit que le progrès dans le bien est une course, d'où : J'ai achevé ma course. - Courez, afin de saisir (1 Co 9, 24). Et on dit que le progrès des saints est une course parce qu'ils courent avec hâte, de sorte qu'en devenant meilleurs ils l'achèvent, poussés par l'aiguillon de la charité - Hâtons-nous d'entrer dans son repos (He 4, 11). - J'ai couru dans la voie de tes commandements (Ps 118, 32) » (Ad 2 Tim. lect., IV, n° 149).

6. 1 Co 9, 24.

7. Toute l'interprétation qui suit est reprise de saint Grégoire le Grand, op. cit., II, hom. 22, 2-3, PL 76, co1. 1175 B-D.

1. Gn 12, 1.

2. Cf. Rm 2, 14. Ce thème se retrouve chez les Pères de l'Église, notamment Clément d'Alexandrie. Saint Thomas commente ce verset de l'épître aux Romains : « Ils [les Gentils] accomplissent naturellement les choses de la Loi, c'est-à-dire les choses que la Loi commande quant aux préceptes moraux, qui sont sous la dictée de la raison naturelle ; ainsi est-il dit de Job (1, 1) qu'il était juste et droit, craignant le mal et s'écartant de lui. (.·■) Naturellement, c'est-à-dire par la loi naturelle leur montrant ce qu'il faut faire, selon ce que dit le Psaume 4, 6-7 : Beaucoup disent : Qui nous montre les biens [qu'on nous promet] ? La lumière de ta face, Seigneur, s'est imprimée sur nous, ce qui est la lumière de la raison naturelle, dans laquelle est l'image de Dieu » (Ad Rom. lect., II, nos 215-216).

3. Saint Thomas fait ici référence à Aristote : « Tous les hommes désirent par nature connaître » (Métaphysique, A, 980 a 1). À la suite du Philosophe, il distingue dans l'homme trois appétits. L'appétit naturel, qui ne procède pas d'une connaissance, correspond à l'ordre vers la fin ; présent dans toute réalité créée, il se découvre, dans un jugement de sagesse, dans la lumière de Dieu Créateur qui gouverne tout dans l'amour et conduit toute réalité vers sa finalité. Cependant tout homme qui aime et cherche la vérité peut le dévoiler, en découvrant l'élan qui l'habite et le pousse à aller toujours plus loin dans l'amour et la quête de la vérité. L'appétit sensible est la tendance vers le bien sensible, ce bien étant alors connu par les sens. Enfin l'appétit spirituel, la volonté, porte sur le bien personnel connu par l'intelligence et source de l'amour spiritue1. Voir notamment Somme théo1., I, q. 59, a. 1, c. et q. 80, a. 2, c ; I-II, q. 30, a. 1, ad 3 ; II-II, q. 18, a. 1, c.

4. Voir Ps 75, 1 : Dieu est connu en Juda : en Israël, son nom est grand.

5. Ps 147, 20.

ET, S'ÉTANT PENCHÉ, IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ ; CEPENDANT IL N'ENTRA PAS. (20, 5)

ET S'ÉTANT PENCHÉ, à savoir sous le joug de la Loi - Tout ce que le Seigneur prescrira, nous le ferons7 -, IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ, à savoir certaines préfigurations de tous les mystères du Christ -Jusqu'à aujourd'hui, un voile demeure sans être levé quand on lit l'Ancien Testament8. CEPENDANT, IL N'ENTRA PAS ; parce qu'il ne parvint pas à la connaissance de la vérité tant qu'il refusa de croire en celui qui était mort. Ceci est dit en Luc9 du frère aîné qui, entendant la musique et les danses faites pour son frère revenu, refusa d'entrer, alors que cependant l'entrée est promise par David lorsqu'il dit : J'entrerai vers l'autel de Dieu 10.

PIERRE, QUI LE SUIVAIT, VINT AUSSI. (20, 6)

2481. Il s'agit ici de l'arrivée de Pierre. Selon le sens littéral, le fait qu'ils couraient ensemble était le signe d'une dévotion fervente ; mais Jean est arrivé plus vite parce qu'il était plus jeune que Pierre, son aîné.

Mais selon le mystère.11 Pierre suit Jean parce que les Gentils convertis au Christ ne devaient pas être rassemblés dans une Église autre que l'Église des Juifs, mais être greffés sur un olivier et une Église qui existaient déjà1. C'est pourquoi l'Apôtre, en faisant leur éloge, dit : Mais vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises qui sont dans le Christ en Judée2.

6. Rm 9, 4-5.

7. Ex 24, 7.

8. 2 Co 3, 14.

9. Lc 15, 25.

10. Ps 42, 4. Saint Thomas commente : « Enfin l'autel signifie l'humanité du Christ - Ils regarderont le roi dans sa beauté (Is 33, 17). Et le Christ est appelé l'autel de Dieu - Nous avons un autel auquel n'ont pas le droit de manger ceux qui restent au service du Tabernacle (He 13, 10). Car, de même que tous les sacrifices charnels étaient offerts sur l'autel, ainsi toutes les prières sont offertes par le Christ. (...) Mais parce que le repos n'est pas dans l'humanité du Seigneur, il se dirige plus loin, vers la divinité. Aussi [David] dit-il : vers Dieu » (Exp. in Psalmos, 42, n° 2).

11. Sur la différence entre sens littéral et sens mystique (selon le mystère), voir vo1. I, Préface, p. 17 sq., et ci-dessus, n° 1594, note 10, n° 1828, note 8.

L'entrée

[IL] ENTRA DANS LE TOMBEAU, ET VIT LES LINGES POSÉS LÀ, ET LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TÊTE, POSÉ NON PAS AVEC LES LINGES, MAIS ENROULÉ DANS UN LIEU À PART. (20, 6-7)

2482. En troisième lieu est rapporté l'ordre de leur entrée, puisqu'il ENTRA DANS LE TOMBEAU. Il est dit d'abord comment Pierre est entré le premier, puis comment Jean est entré [n° 2486].

2483. L'Évangéliste dit donc que Pierre entra dans le tombeau. Certes, selon le sens littéral, si Jean, qui était arrivé le premier, n'entra pas, ce fut par révérence à l'égard de Pierre à qui il réservait d'entrer le premier. Mais selon le mystère, cela indique que le peuple des Juifs, qui entendit le premier les mystères de l'Incarnation, se convertit à la foi plus tard que le peuple des Gentils - Les païens qui ne cherchaient pas la justice ont embrassé la justice, celle qui vient de la foi ; tandis qu 'Israël, qui suivait une loi de justice, n'est pas parvenu à la loi de justice3.

Et Pierre VIT LES LINGES POSÉS LÀ. Jean ne vit que les linges, que Pierre vit pareillement : en effet, nous ne rejetons pas l'Ancien Testament4, puisque le Seigneur ouvrit l'intelligence [des disciples d'Emmaùs] à l'intelligence des Écritures5.

Mais Pierre vit en outre LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TÊTE - Le chef [en latin caput, qui signifie « tête »] du Christ, c'est Dieu6. Donc, voir le suaire qui avait été sur la tête de Jésus, c'est avoir foi en la divinité du Christ, que les Juifs n'ont pas voulu accepter7. Ce suaire est décrit comme étant séparé des autres linges, et ENROULÉ, et DANS UN LIEU À PART, car la divinité du Christ est cachée et séparée de toute créature en raison de son excellence – Il est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles, amen8. - Vraiment tu es un Dieu caché9. Il vit le suaire roulé presque à la manière d'un cercle : en effet, lorsqu'on roule des linges, on ne voit en eux ni début ni fin, [ce qui est un symbole de] la majesté de la divinité qui n'a pas commencé à être ni ne cesse d'être - Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui et pour les siècles 10. - Mais toi tu es le même et tes années ne cesseront pas11. Mais ils le virent DANS UN [UNIQUE] LIEU, car Dieu n'habite pas là où se trouve une division des esprits, mais ceux-là méritent sa grâce qui sont un par la charité - C'est dans la paix qu'a été fait son lieu 12. - Il n'est pas un Dieu de dissension mais de paix13.

2484. Ou bien on peut le comprendre autrement : par le suaire, par lequel la sueur de ceux qui travaillent est habituellement essuyée, on peut entendre le labeur de Dieu parce que, même si en lui-même il demeure toujours en repos, il déclare pourtant qu'il travaille lorsqu'il porte les lourdes perversités des hommes - Elles me sont un fardeau, j'ai travaillé en les supportant1. Et c'est principalement ce labeur que le Christ a enduré dans l'humanité qu'il a assumée - II présentera sa mâchoire à celui qui le frappe, il sera rassasié d'opprobres2.

1. Cf. Rm 11, 16-24.

2. 1 Th 2, 14.

3. Rm 9, 30-31. Sur la justice de la foi, voir vo1. I, n° 1361, et note 1.

4. Ici, les linges désignent l'Ancien Testament.

5. Lc 24, 45.

6. 1 Co 11, 3.

7. Saint Thomas reprend ici et dans le paragraphe suivant la suite du commentaire de saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 22, 2-4, PL 76, co1. 1175 D-1176 C.

8. Rm 9, 5. 9.1s 45, 15.

10. He 13, 8.

11. Ps 101, 28.

12. Ps 75, 3.

13. 1 Co 14, 33.

Ce suaire, donc, se trouve éloigné à part, car la Passion de notre Rédempteur est loin de la nôtre, qui en est séparée. En effet, par les linges, qui se rapportent aux membres comme le suaire à la tête, on peut entendre les passions des saints ; le suaire, à savoir la Passion du Christ, en est séparé, car le Christ a porté sans faute ce que nous, nous supportons avec des fautes - Le Christ est mort, juste pour les injustes3. Il a voulu de lui-même succomber à la mort - Personne ne m'enlève ma vie, mais je la donne de moi-même4. - II nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous5. Mais les saints vont à la mort malgré eux - Un autre te ceindra et te conduira là où tu ne voudrais pas aller6.

2485. Mais pourquoi l'Évangéliste raconte-t-il tout cela avec autant de soin ? Selon Chrysostome7, il faut répondre qu'il voulait écarter la fausse opinion divulguée par les Juifs, selon laquelle le corps du Christ avait été enlevé en cachette, comme on le voit en Matthieu8. En effet, si certains l'avaient emporté de cette manière, ils ne l'auraient certainement pas dénudé, surtout parce qu'ils auraient dû faire cela avec hâte en raison de la présence des gardes. Et ils ne se seraient pas non plus souciés d'enlever le suaire, de le rouler et de le poser dans un lieu à part ; mais si cela était arrivé, ils auraient simplement laissé le suaire après avoir pris le corps. Une autre raison est le fait que la sépulture fut effectuée avec de la myrrhe et de l'aloès qui collent les linges au corps, de telle manière qu'ils n'auraient pas pu être si rapidement séparés du corps.

1. Is 1, 14. Saint Thomas commente : « II montre le travail (labor) de celui qui porte : j'ai travaillé en les supportant. - Tu m'as offert un travail dans tes fautes (Is 43, 24). Et il parle d'une manière humaine au sujet de Dieu, parce que pour l'homme on dit pénible et laborieux ce qui ne lui plaît pas » (Exp. super Isaiam, 1, 14, p. 15, 1. 591-595).

2. Lm 3, 30.

3. 1 Ρ 3, 18.

4. Jn 10, 18.

5. Ep 5, 2.

6. Jn 21, 18.

7. In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 465.

8. Mt 28, 13-15. Saint Thomas rapporte les paroles de saint Augustin dévoilant le mensonge des soldats : « Soit ils vinrent tandis que vous veilliez, soit tandis que vous dormiez. Si vous veilliez, pourquoi ne les avez-vous pas repoussés ? Si vous dormiez, comment les avez-vous vus ? Et ainsi il apparaît que ce fut un mensonge » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2448).

ALORS ENTRA AUSSI L'AUTRE DISCIPLE QUI ÉTAIT VENU LE PREMIER AU TOMBEAU. (20, 8)

2486. L'Évangéliste mentionne ensuite l'entrée de Jean. Celui-ci en effet ne resta pas dehors mais il entra après Pierre, car à la fin du monde la Judée aussi sera acquise à la foi en la Rédemption9 - Une partie d'Israël a été aveuglée jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des nations, et ainsi tout Israël sera sauvé10. - Un reste sera sauvé11.

2487. Ou autrement12, selon le mystère : ces deux disciples représentent deux genres d'hommes, à savoir ceux qui s'adonnent à la contemplation de la vérité - ceux-ci sont signifiés par Jean - et ceux qui s'attachent à l'obéissance aux commandements, lesquels sont signifiés par Pierre. De fait, Simon se traduit par « obéissant 13 ».

Il arrive très souvent, en effet, que le contemplatif parvienne le premier à la connaissance des mystères du Christ par son aptitude à apprendre, mais qu'il n'entre pas ; car parfois l'intelligence est première mais l'amour ne suit que tardivement, ou ne suit pas. Mais l'actif, par la véhémence de sa ferveur et son zèle, même s'il comprend plus tardivement - Par tes commandements j'ai acquis l'intelligence1 -, cependant entre plus vite, si bien que ceux qui furent les derniers à arriver deviennent les premiers à connaître 2 - Les premiers seront derniers et les derniers seront premiers3.

9. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 22, 5, PL 76, co1. 1176 D.

10. Rm 11, 25-26. Voir vo1. I, n° 1483 et note 4. Sur l'aveuglement des Juifs, voir aussi ci-dessus, nos 1700 à 1702.

11. Is 10, 22.

12. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 291 C-D.

13. Voir vo1. I, n° 303.

III

IL VIT ET IL CRUT. CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES MORTS. (20, 8-9)

2488. Il indique ici l'effet de la recherche. On pourrait d'abord penser que le sens est le suivant : IL VIT cela et IL CRUT que le Christ était ressuscité. Mais, selon Augustin4, cela n'a pas de sens, car on a ensuite : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE. Il faut donc dire qu'IL VIT le tombeau vide et qu'IL CRUT ce que la femme avait dit, à savoir qu'on avait emporté le Seigneur. Alors suit le verset : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, car leur intelligence n'avait pas encore été ouverte à l'intelligence des Écritures5.

1. Ps 118, 104.

2. Sur la différence entre la vie active et la vie contemplative, voir ci-dessus, n° 1595 et note 5. Saint Thomas, dans sa question sur les rapports de la vie contemplative et de la vie active, précise que parfois la vie active doit être préférée à la vie contemplative. Non pas absolument, mais comme une disposition à la vie contemplative : ainsi les actifs se trouvent parfois mieux préparés que les autres à entrer dans la connaissance des mystères divins, à entrer dans une vraie contemplation. Et aussi, la vie active est parfois préférée à la vie contemplative quand il s'agit d'obéir à une volonté précise de Dieu. Par exemple, « dans un cas particulier on doit plutôt choisir la vie active, en raison de la nécessité de la vie présente. Comme le dit aussi le Philosophe : "Philosopher est meilleur que s'enrichir. Mais s'enrichir est meilleur par nécessité pour celui qui souffre" (/Il Topique, II) » (Somme théol, II-II, q. 182, a. 1, a). « Il peut arriver que quelqu'un ait plus de mérite dans les œuvres de la vie active qu'un autre dans celles de la vie contemplative. Par exemple si, à cause de l'abondance de l'amour divin et pour accomplir la volonté de Dieu pour sa gloire, il supporte par moments d'être séparé pour un temps de la douceur de la contemplation divine. C'est ce que disait saint Paul : Je souhaiterais être anathème loin du Christ pour mes frères (Rm 9, 3) » (loc. cit., a. 2, a). « On peut envisager la vie active en tant qu'elle discipline les passions intérieures de l'âme et les ordonne. Et quant à cela, la vie active est un secours en vue de la contemplation, qui est empêchée par le désordre des passions intérieures. C'est pourquoi Grégoire dit : "Ceux qui veulent tenir la citadelle de la contemplation doivent s'éprouver au préalable sur le champ de bataille de l'action". (...) Donc l'exercice de la vie active apporte à la vie contemplative l'apaisement des passions intérieures d'où proviennent les imaginations qui empêchent la contemplation » (loc. cit., a. 3, c). « Ceux qui sont plus aptes à la vie active peuvent, par l'exercice de cette vie, se préparer à la vie contemplative, et néanmoins ceux qui sont plus aptes à la vie contemplative peuvent supporter les exercices de la vie active pour être par là préparés davantage à la contemplation » (loc. cit., a. 4, ad 3).

3. Mt 20, 16.

Mais le Christ ne leur a-t-il pas prédit sa Passion et sa Résurrection ? - Et le troisième jour il ressuscitera6. Je réponds en disant que, parce qu'ils avaient l'habitude d'entendre de Jésus des paraboles, parmi les choses qu'il leur disait ouvertement il y en avait beaucoup qu'ils ne comprenaient pas, et ils croyaient qu'il voulait signifier quelque chose d'autre7.

2489. Ou bien, selon Chrysostome8, IL VIT les linges ainsi posés en ordre, ce qui n'aurait pas été fait si le corps avait été enlevé en cachette, et IL CRUT, d'une foi vraie, que le Christ s'était relevé de la mort. Et alors ce qui suit : CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, se rapporte à ce qu'il dit : IL VIT ET IL CRUT, comme s'il disait : avant de voir, il n'avait pas compris l'Écriture SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES MORTS. Mais quand il vit, il crut qu'il était ressuscité des morts.

4. Tract, in Io., CXX, 9, BA 75, p. 345-347.

5. Cf. Le 24, 45.

6. Mt 20, 19.

7. Cf. saint Augustin, ibid., p. 347.

8. In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 465.

Β. L'APPARITION DES ANGES

2490. Après avoir rapporté comment Marie-Madeleine est venue voir le tombeau ouvert, l’Évangéliste montre ici comment elle est parvenue à la vision des anges, et premièrement il montre la dévotion de cette femme, puis la vision des anges [n° 2495] ; enfin il rapporte les paroles que les anges lui adressent [n° 2500].

a) La dévotion de Marie.

LES DISCIPLES DONC S'EN RETOURNÈRENT CHEZ EUX. MAIS MARIE SE TENAIT DEHORS PRÈS DU TOMBEAU, PLEURANT. ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. (20, 10-11)

La dévotion de cette femme, qui mérita la vision des anges, est mise en lumière de trois manières.

I

2491. Sa dévotion est mise en lumière en premier lieu1 par sa constance que, d'abord, le retour des disciples a rendue louable, car LES DISCIPLES, ne connaissant pas encore l'Écriture selon laquelle il fallait que Jésus ressuscitât d'entre les morts, S'EN RETOURNÈRENT CHEZ EUX, c'est-à-dire là où ils habitaient et d'où ils étaient venus au tombeau en courant. Jusque-là, en effet, dispersés en raison de la peur, ils ne demeuraient pas ensemble - Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées2. - Les pierres du sanctuaire ont été dispersées à Ventrée de toutes les places3.

En second lieu4, sa constance est louable du fait qu'elle s'attarde : car MARIE SE TENAIT DEHORS PRÈS DU TOMBEAU, PLEURANT. En effet, après le départ des disciples, un amour plus fort et plus fervent maintenait en ce lieu cette femme qui par sa nature était plus faible5.

2492. Mais il y a ici une question, car Marc dit que les femmes sortirent du tombeau6 ; elles y étaient donc entrées. Pourquoi donc Jean dit-il qu'elle SE TENAIT DEHORS ?

Réponse : il faut dire que le tombeau du Christ était creusé dans la pierre et qu'autour de lui se trouvait un jardin clos, comme on l'a vu plus haut7. Parfois, donc, les évangélistes appellent « tombeau » seulement le petit lieu (loculum) où le corps avait été enseveli, et parfois tout le lieu qui était clos. Ainsi, lorsqu'il est dit qu'elles sortirent du tombeau, il faut le comprendre de tout le jardin clos. Mais ce qui est dit - MARIE SE TENAIT DEHORS - doit s'entendre : devant le lieu du sépulcre de pierre, mais cependant à l'intérieur de cet espace où les femmes étaient déjà entrées et où elle, Marie, se tenait en raison de la constance de son amour8, constance qui avait enflammé son esprit - Soyez fermes et inébranlables, toujours abondants dans l'œuvre du Seigneur9. - Nos pieds s'étaient arrêtés 10.

1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.

2. Za 13, 7.

3. Lm 4, 1.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.

5. Nous avons essayé de rendre l'expression inferior sexus que saint Thomas emploie ici. Cf. Somme théol, I, q. 92, a. 1 et a. 2. Voir aussi ci-dessus, n° 2133.

6. Cf. Me 16, 8.

7. Voir n° 2475.

8. Cf. SAINT AUGUSTIN, De consensu Évangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, co1. 1202.

9. 1 Co 15, 58.

10. Ps 121, 2.

II

2493. En second lieu sa dévotion est mise en lumière par l'abondance de ses larmes, car elle pleurait - Pleurant, elle a pleuré pendant la nuit1.

Il y a en effet deux genres de larmes : des larmes de componction pour la purification des péchés - Je laverai chaque nuit mon lit [de mes pleurs] ; j'arroserai ma couche de mes larmes2 - et des larmes de dévotion dans le désir des réalités célestes - Ils s'en allaient en pleurant, portant la semence3, c'est-à-dire se hâtant vers les réalités célestes. Certes, Marie-Madeleine a abondé en larmes de componction au temps de sa conversion quand, en aimant la vérité, elle a lavé de ses larmes les taches de ses fautes, elle qui avait été pécheresse dans la ville - De nombreux péchés lui sont remis car elle a beaucoup aimé 4. Elle a encore abondé en larmes de dévotion lors de la Passion et de la Résurrection du Christ, comme on le voit ici5.

III

2494. En troisième lieu sa dévotion est mise en lumière par la diligence de sarecherche. C'est pourquoi il est dit ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. Car ces pleurs provenaient du désir de son amour. En effet, la nature de l'amour est de vouloir avoir la présence de l'aimé, et s'il ne peut l'avoir en réalité, il la possède au moins par la connaissance6 - Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur7. Marie pleurait donc amèrement, car ses yeux qui cherchaient le Seigneur et ne le trouvaient pas se livraient aux larmes, souffrant encore plus de ce qu'il avait été enlevé du tombeau ; car il ne restait aucun souvenir d'un maître si grand, dont la vie avait été enlevée8. Et c'est pourquoi, puisqu'elle ne pouvait l'avoir, voulant du moins voir le lieu où il avait été déposé, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. Il nous est ici donné à entendre que nous devons regarder la mort du Christ avec humilité de cœur - Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents et tu les as révélées aux tout-petits9. ELLE (...) REGARDA, pour nous donner l'exemple de regarder sans cesse la mort du Christ avec les yeux de l'esprit. En effet, à celui qui aime il ne suffit pas d'avoir regardé une fois, alors que la force de son amour décuple son intention de chercher - Contemplant l'auteur de votre foi et qui la mène à sa perfection, Jésus, qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura la croix dont il méprisa l'infamie1.

1. Lm 1, 2.

2. Ps 6, 7. Saint Thomas commente : « Au sens moral, le lit sur lequel l'homme se repose, c'est la conscience ; c'est elle que l'homme purifie par les larmes dans la pénitence - Purifie ton cœur de sa malice (Jr 4, 14). Mais par le mot couche sont signifiés les péchés qui couvrent la conscience, péchés qui doivent être purifiés par les larmes, car les larmes lavent le péché qu'il est honteux d'avouer - Mes yeux ont défailli à force de larmes (Lm 2, 11). Chaque nuit, dit-il, c'est-à-dire chaque péché. Car l'homme doit pleurer chaque péché en faisant pénitence. Et par là il laisse entendre que celui qui s'adonne à la pénitence répare alternativement ses péchés ; car parmi le bien qu'il faisait, il péchait parfois, et pleurait chacun de ses péchés. Et c'est pourquoi il ne dit pas une (unam) mais chaque (singulas) nuit. Et il dit : j'arroserai, à cause du flot des larmes - Qui donnera à ma tête de l'eau, et à mes yeux une fontaine de larmes ? (Jr 9, 1). - Fais couler comme un torrent tes larmes pendant le jour et pendant la nuit ; ne te donne pas de repos, et que la prunelle de ton œil ne se taise pas (Lm 2, 18) » (Exp. in Psalmos, 6, n" 4).

3. Ps 125, 6.

4. Le 7, 47.

5. En attribuant ici et dans le paragraphe suivant les deux formes de pleurs à Marie-Madeleine, saint Thomas reprend le commentaire de saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 1-2, PL 76, co1. 1189 B-D.

6. Voir ci-dessus, n° 1919 et note 7. Saint Thomas expose en bien des lieux que l'amour sensible ou spirituel se fonde sur la connaissance du bien : on ne peut aimer une réalité qu'on ne connaît pas. Voir par exemple Somme théo1., I-II, q. 9, a. 1, c. et ad 3. Et q. 27, a. 2, c. : « Le bien est cause de l'amour, comme son objet. Or le bien est objet de l'appétit dans la mesure où il est connu. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine connaissance du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe (Éthique à Nicomaque, IX) que "la vision corporelle est le principe de l'amour sensible". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe de l'amour spiritue1. Ainsi, donc, la connaissance est cause de l'amour ». Ici il montre que si le bien connu et aimé n'est pas présent, l'amour peut trouver un certain repos dans la connaissance de ce bien.

7. Mt 6, 21.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349. Saint Thomas cite ensuite le commentaire de saint Grégoire. Voir ci-dessus, note 5 de cette page.

9. Mt 11, 25.

ELLE SE PENCHA ET REGARDA, car la charité du Christ2 la pressait - La charité du Christ nous presse3. Ou plutôt, selon Augustin4, il y eut dans son âme un instinct divin pour qu'elle regarde et qu'elle voie quelque chose de plus élevé, à savoir les anges - Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu5.

b) La vision des anges.

ELLE VIT DEUX ANGES VÊTUS DE BLANC, ASSIS, UN À LA TÊTE ET UN AUX PIEDS, LÀ OU AVAIT ÉTÉ DÉPOSÉ LE CORPS DE JÉSUS. (20, 12)

2495. L'Évangéliste traite ensuite de la vision des anges, au sujet de laquelle il aborde quatre points.

2496. Premièrement, ce que Marie-Madeleine a vu : DEUX ANGES, pour montrer que tous les ordres des anges se soumettaient au Christ, aussi bien ceux qui se tiennent devant lui que ceux qui le servent - Que tous ses anges l'adorent6, ce qui est tiré d'un psaume7.

Mais ici surgit une question, puisque Matthieu8 et Marc9 disent que Marie et les autres femmes ont vu un seul ange se tenant à côté du tombeau, alors qu'ici on parle de deux anges, et à l'intérieur. Mais les deux sont vrais 10, car Matthieu et Marc racontent ce qui est arrivé en premier lieu, à savoir qu'elles sont d'abord venues et que, découvrant que le corps avait été emporté, elles sont retournées vers les disciples. Et ce que Jean raconte est arrivé au retour, lorsque Marie revint avec les disciples et qu'après leur départ elle resta là.

1. He 12, 2. Saint Thomas commente : « Le Christ est l'auteur de la foi ; si donc tu veux être sauvé, tu dois observer attentivement cet exemple. C'est pourquoi l'auteur de l'épître dit contemplant Jésus souffrant. Cela a été signifié par le serpent d'airain élevé comme un signe, par lequel ceux qui le regardaient étaient guéris (Nb 21, 9) - Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le Fils de l'homme, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle (Jn 3, 14-15). Si donc tu veux être sauvé, regarde la face de ton Christ (Ps 83, 10) » {Ad Heb. lect., XII, n° 663).

2. La charité du Christ : non pas notre amour pour le Christ, mais l'amour du Christ pour nous.

3. 2 Co 5, 14.

4. Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 351.

5. Rm 8, 14. Voir ci-dessus, n" 1909 et note 5.

6. He 1, 6. Sur la soumission des anges au Christ, voir vo1. I, n° 329.

7. Ps 96, 7 (propre à la Vulgate).

8. Voir Mt 28, 2-5.

9. Voir Me 16, 5.

10. Cf. SAINT AUGUSTIN, De consensu Evangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, co1. 1202.

2497. Deuxièmement, l'Évangéliste décrit l'habit des anges, VÊTUS DE BLANC, montrant par là la clarté de la Résurrection et la gloire du Christ ressuscité11 - Ils marcheront avec moi vêtus de blanc12. Dans l'Apocalypse il est dit aussi que l'armée qui est dans le ciel le suivait en vêtements blancs 13, c'est-à-dire glorieux.

2498. Troisièmement, il décrit leur position : ASSIS, ce qui signifie le repos et la puissance du Christ qui, se reposant désormais de toutes ses tribulations, règne dans sa chair immortelle, siégeant à la droite du Père 14 - Siège à ma droite15. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume 16.

2499. Quatrièmement, il décrit l'ordre, UN À LA TÊTE ET UN AUX PIEDS, ce qui peut se référer à trois choses1. D'abord aux deux Testaments : en effet, l'original grec du mot « ange », en latin angelus, signifie « envoyé » (nuntius). Or les deux Testaments avaient annoncé (annuntiaverunt) le Christ, car il est dit en Matthieu : La foule qui le précédait et celle qui le suivait criaient : « Hosanna au fils de David. »2 Ainsi, l'ange assis à la tête signifie l'Ancien Testament et celui qui est assis aux pieds, le Nouveau.

11. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 467.

12. Ap 3, 4.

13. Cf. Ap 19, 14.

14. Sur cette position du Christ siégeant à la droite du Père (évoquée ici par la position des anges), voir le Prologue de saint Thomas à son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, vo1. I, n" 4.

15. Ps 109, 1.

16. Is 9, 7.

Cela se réfère aussi aux prédicateurs. En effet, il y a deux natures dans le Christ : la nature divine et la nature humaine3. La tête du Christ, c'est Dieu, comme le dit la première épître au Corinthiens4, mais les pieds sont son humanité - Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds5. Celui donc qui annonce la divinité du Christ, comme il est dit plus haut : Dans le principe était le Verbe, siège à la tête ; tandis que celui qui annonce l'humanité du Christ - Le Verbe s'est fait chair6 - siège aux pieds. Enfin, cela peut se référer au temps de l'annonce, et ainsi l'un siège à la tête et l'autre aux pieds car ils signifiaient que les mystères du Christ doivent être annoncés du début jusqu'à la fin du monde - Vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne7.

c) Les paroles des anges.

ILS LUI DEMANDÈRENT : « FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? » ELLE LEUR RÉPONDIT : « PARCE QU'ON A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, ET JE NE SAIS PAS OÙ ON L'A MIS. » (20, 13)

2500. L'Évangéliste traite ici de la parole des anges, rapportant d'abord leur interrogation puis la réponse de la femme [n° 2502].

ILS LUI DEMANDÈRENT : « FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? »

2501. Au sujet du premier point il faut savoir que les anges, sachant que la femme doutait encore, s'enquièrent de la cause de ses pleurs, en commençant d'une certaine manière par des choses éloignées. C'est pourquoi le texte dit : ILS, à savoir les anges, LUI DEMANDÈRENT : « POURQUOI PLEURES-TU ? » Comme s'ils disaient : Ne pleure pas8, c'est tout à fait vain, car au soir, de la Passion, sera réservé le pleur et au matin, de la Résurrection, la joie9. - Que ta voix se repose des pleurs et tes yeux des larmes, car il y a une récompense pour ton œuvre10.

1. Les deux premières interprétations proviennent de saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 3, PL 76, co1. 1191 B-C ; la troisième de saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA75, p. 351.

2. Mt 21,9. Saint Thomas commente : « Par qui cet honneur lui est-il donné ? Par ceux qui le précédaient et ceux qui le suivaient, c'est-à-dire par ceux qui furent avant son avènement et après ; et les uns et les autres cherchent le salut et l'ont par le Christ - Ayant la même récompense (2 Co 6, 13). Or les foules désiraient le salut et c'est pourquoi elles criaient en disant : Hosanna au fils de David. Ce salut est commencé à présent et sera achevé à l'avenir » (Sup. Matth. lect., XXI, n" 1693).

3. Sur les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la personne du Verbe, voir ci-dessus n° 1711 et note 3.

4. 1 Co 11, 3.

5. Ps 131, 7.

6. Jn 1, 1 ; Jn 1, 14.

7. 1 Co 11, 26.

Il faut noter ici, selon Grégoire11, que ces saintes paroles qui excitent en nous des larmes d'amour, consolent les mêmes larmes en nous promettant l'espérance de notre Rédempteur - Selon la multitude des douleurs qui étaient dans mon cœur, tes consolations ont réjoui mon âme12.

2502. Mais la femme, croyant qu'ils avaient interrogé comme par ignorance, pense qu'ils ne sont pas des anges mais des hommes, et elle leur expose la cause de ses pleurs : ON A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, c'est-à-dire le corps de mon Seigneur. Là elle désigne la partie par le tout, comme nous confessons que le Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, a été enseveli, alors que seule sa chair a été ensevelie puisque sa divinité n'a pas abandonné sa chair. ET JE NE SAIS PAS OÙ ON L'A MIS, ce qui était la cause de sa désolation : elle ne savait pas où aller et le trouver pour consoler sa douleur1.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 351-353.

9. Ps 29, 6. Voir ci-dessus n° 2085 et note 8.

10. Jr 31, 16.

11. XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1191 D-l 192 A.

12. Ps 93, 19.

2503. Mais avoir une chose qui a appartenu à l'ami, cela va-t-il consoler celui qui aime ? Selon Augustin2, cela va plutôt le faire souffrir. C'est pourquoi il dit lui-même qu'il fuyait tous les lieux dans lesquels il avait vécu3 avec son ami. Et cependant, Chry-sostome4 dit que cela va le consoler.

Mais les deux sont vrais. En effet, dans toutes les réalités où joie et tristesse sont mêlées, l'espérance de la réalité désirée est cause de joie - Joyeux dans l'espérance, patients dans la tribulation5. Cependant elle est aussi cause de tristesse, car l'espérance déçue afflige l'âme6, mais ce n'est pas selon la même raison. En effet, en tant que par l'espérance la réalité aimée se présente comme pouvant être obtenue, cette réalité cause la joie ; mais la réalité espérée en tant qu'elle est absente en acte, attriste. Tel est le cas ici : la réalité qui appartient à l'ami, en tant qu'elle rend présent l'ami, est cause de joie pour celui qui aime, mais en tant qu'elle rappelle à la mémoire que l'ami a été enlevé, elle cause la tristesse7.

C. LA VISION DU CHRIST

2504. Ici l'Évangéliste montre comment cette femme est parvenue à voir le Christ ; il rapporte d'abord la vision du Christ, puis montre que cette femme l'a reconnu [n° 2513] ; enfin, il expose l'instruction de cette femme par le Christ [n° 2515].

a) La vision du Christ.

Il mentionne premièrement la vision que la femme a du Christ, puis il rapporte les paroles du Christ [n° 2507].

1. Dans ce paragraphe, saint Thomas reprend saint Augustin (Tract, in Io., CXXI, 1, Β A 75, p. 353) suivi par saint Grégoire le Grand (loc. cit.).

2. Les Confessions, IV, vu, 12, BA 14, p. 429.

3. « Vécu » traduit ici le latin conversatus. Sur le sens du mot conversatio, voir vo1. I, n° 1176, note 3.

4. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 467.

5. Rm 12, 12.

6. Pr 13, 12.

7. La passion de joie porte sur le bien sensible et la présence de l'ami ; la passion de tristesse sur le mal, à savoir l'absence de l'ami. Sur les passions de l'homme en général, voir Somme théo1., I-II, q. 22 sq. Sur les passions comme conditionnement assumé en vue de sa béatitude, voir ci-dessus, n° 1651 et note 2.

Ι

LORSQU'ELLE EUT DIT CELA, ELLE SE RETOURNA EN ARRIÈRE ET VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (20, 14)

2505. Il dit donc d'abord LORSQU'ELLE, Marie-Madeleine, EUT DIT CELA, aux anges, ELLE SE RETOURNA EN ARRIÈRE. Mais Chrysostome8 demande : cette femme qui parlait avec les anges, qu'elle considérait au moins comme des hommes respectables, pourquoi se retourne-t-elle sans attendre la réponse à ce qu'elle leur avait dit ?

8. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 468. Saint Thomas reprend aussi sa réponse.

Réponse : il faut dire qu'après que la femme eût répondu aux anges, le Christ vint, et que les anges lui manifestèrent leur révérence en se levant ; voyant cela, la femme, étonnée, regarda en arrière pour savoir devant quoi ils s'étaient levés. De là vient que Luc rapporte que les anges ont été vus debout1. Ainsi, s'étant retournée en arrière pour regarder, ELLE (...) VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. En effet, elle voyait sous une apparence non glorieuse celui que les anges, le voyant glorieux, honoraient.

Il nous est aussi montré par là que si quelqu'un désire voir le Christ, il doit se tourner vers lui - Tournez-vous vers moi, dit le Seigneur des armées, et je me tournerai vers vous2. Ceux-là parviennent à le voir qui se convertissent totalement à lui par l'amour - Elle [la Sagesse] se porte au-devant de ceux qui la désirent3. Au sens mystique4, cela signifie que cette femme avait tourné le dos au Christ par l'infidélité ; mais quand son âme s'est convertie pour le connaître, elle s'est retournée5 en arrière.

2506. Mais pourquoi ne l'a-t-elle pas reconnu, puisqu'il était le même ? Disons qu'il en fut ainsi soit parce que celui qu'elle avait vu mort, elle ne le croyait pas ressuscité, soit parce que ses yeux étaient empêchés de le reconnaître, comme il est dit des deux disciples allant à Emmaus6.

II

2507. L'Évangéliste expose d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de la femme [n° 2509].

JÉSUS LUI DIT : « FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? QUE CHERCHES-TU ? » (20, 15)

2508. Au sujet du premier point, il faut savoir que cette femme progresse peu à peu7 ; car les anges s'enquièrent de la cause de ses pleurs, mais le Christ interroge pour savoir ce qu'elle cherche. En effet, les pleurs étaient causés par le désir de la recherche. Il interroge donc pour savoir qui elle cherche pour augmenter son désir, afin qu'en nommant qui elle cherchait, son amour devienne plus ardent8 et qu'ainsi elle recherche toujours - Recherchez sans cesse sa face9. - Le chemin des justes est comme une lumière de l'aube dont l'éclat grandit jusqu'au plein jour10.

2509. L'Évangéliste rapporte ensuite la réponse de la femme, et d'abord l'opinion qu'elle avait de celui qui interrogeait. Puis il rapporte les paroles de sa réponse [n° 2513].

ELLE, PENSANT QUE C'ETAIT LE JARDINIER, LUI DIT : « SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OÙ TU L'AS MIS, ET MOI J'IRAI LE PRENDRE. » (20, 15)

1. Cf. Lc 24, 4.

2. Za 1, 3.

3. Sg 6, 14.

4. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1192 B.

5. Le verbe latin convertere, dans le texte de la Vulgate, signifie à la fois se tourner et se convertir.

6. Voir Lc 24, 16.

7. Sur la croissance de la charité, voir Somme théol, II-II, q. 24, a. 4, c. : « Nous sommes appelés voyageurs (viatores) parce que nous tendons vers Dieu, qui est la fin ultime de notre béatitude. Sur ce chemin, nous progressons d'autant plus que nous nous rapprochons davantage de Dieu, qu'on n'approche pas par des pas du corps mais par des affections de l'âme. Or c'est la charité qui fait ce rapprochement, puisque par elle l'esprit est uni à Dieu. Et c'est pourquoi c'est le propre (ratio) de la charité ici-bas de pouvoir être augmentée, car autrement, si elle ne pouvait augmenter, le progrès ici-bas n'existerait pas. Aussi l'Apôtre appelle-t-il la charité une voie quand il dit : Je vous montre une voie plus excellente encore (1 Co 12, 31) ».

8. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1192 C.

9. Ps 104, 4.

10. Pr4, 18.

2510. Elle pensait que C'ÉTAIT LE JARDINIER, car elle savait que les gardes, terrifiés à cause des anges, avaient déjà fui et que personne n'occupait les lieux, sauf celui qui les cultivait. Comme le dit Grégoire1, cette femme tout en se trompant ne se trompa pas en croyant que le Christ était le jardinier ; car il plantait dans son cœur les semences des vertus par la force de son amour - J'ai dit : j'arroserai les plantations de mon jardin, et j'enivrerai le fruit de ma prairie2.

2511. Elle lui répondit : SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI : elle l'appelle SEIGNEUR pour capter sa bienveillance. Mais comme celui-ci venait d'arriver et qu'elle ne lui avait pas dit qui elle cherchait, pourquoi dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ ? Qui, lui ?

Il faut dire que la force de l'amour réalise ceci dans l'âme, qu'elle croit que nul autre n'ignore celui auquel elle pense toujours3. De là vient que lorsque le Seigneur demanda en Luc : Quelles sont ces paroles que vous échangiez entre vous ? on lui répondit : Tu es le seul pèlerin à Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !4

2512. Mais pourquoi dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OÙ TU L'AS MIS, ET MOI J'IRAI LE PRENDRE ? Admirable audace de cette femme, que l'aspect d'un mort ne terrifie pas et qui dans sa vaillance désire plus qu'elle ne le peut : emporter le lourd cadavre d'un mort ! Mais c'est bien ce que dit la première épître aux Corinthiens : La charité espère tout5. Elle voulait donc le prendre, de peur que les Juifs ne s'acharnent sur le corps inanimé, et désirait le transporter dans un autre lieu inconnu6.

b) Marie reconnaît le Christ.

JÉSUS LUI DIT : « MARIE. » ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT : « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE). (20, 16)

2513. L'Évangéliste traite ensuite de la reconnaissance du Christ par la femme, et d'abord de son appel quand Jésus dit « MARIE » à celle qu'il avait appelée plus haut du nom commun de « femme ». Ici, il l'appelle par son nom propre, MARIE, pour montrer la connaissance spéciale qu'il a des saints 7 - Lui qui compte la multitude des étoiles et à toutes leur donne un nom8. —Je te connais par ton nom9 ; et pour montrer que, bien que toutes les réalités soient mues par Dieu d'une certaine motion générale, cependant une grâce spéciale 10 est nécessaire pour la justification de l'homme.

1. Loc. cit., co1. 1192 C.

2. Si 24, 42 [BJ 24, 31].

3. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. xxv, 4, PL 76, co1. 1192 C.

4. Le 24, 17-18.

5. 1 Co 13, 7.

6. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 294 C.

7. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1192 D.

8. Ps 146, 4.

On voit ensuite l'effet de l'appel : ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT : « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE).

2514. Mais est-ce qu'elle ne regardait pas vers le Christ qui l'avait appelée ? Je réponds : selon Augustin1, il faut dire que ceci se réfère à la disposition intérieure de son esprit : en effet, d'abord lorsqu'elle se retourna physiquement (corpore) elle pensa que le Christ était ce qu'il n'était pas, à savoir le jardinier ; mais à présent, elle est convertie de cœur car elle a reconnu ce qu'il était.

9. Ex 33, 12.

10. Sur la grâce spéciale nécessaire pour la justification de l'homme, voir ci-dessus n° 1900 et notes 1 et 2, et ch. XV. Dans la Somme théologique saint Thomas, en rappelant le verset : Ils sont justifiés gratuitement par sa grâce (Rm 3, 24), explique : « Cet effet de l'amour divin en nous, qui est enlevé par le péché, c'est la grâce qui rend l'homme digne de la vie éternelle et qui exclut le péché morte1. Et c'est pourquoi la rémission du péché [qui est la justification de l'homme, cf. a. 1] ne saurait se comprendre sans l'infusion de la grâce » (I-II, q. 113, a. 2, c). Voir aussi q. 113, a. 8, c. où saint Thomas précise, en les ordonnant, les quatre aspects requis pour la justification : « l'infusion de la grâce, le mouvement du libre arbitre vers Dieu, le mouvement du libre arbitre contre le péché, la rémission de la faute ».

On peut dire aussi qu'elle croyait qu'il était quelqu'un d'autre. C'est pourquoi tandis qu'il lui parlait, préoccupée de ce qu'elle portait dans son cœur, elle ne le regarda pas, lui, mais regarda tout autour, cherchant à voir un signe de celui qui avait été enseveli. C'est pourquoi le Christ, l'appelant de nouveau, l'appela par son nom propre en lui disant « MARIE », comme s'il lui disait : « Où regardes-tu ? Reconnais celui par qui tu es reconnue. » Et c'est pourquoi aussitôt, appelée par son nom, elle en reconnut l'auteur2 en disant « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE), car c'est ainsi qu'elle l'appelait d'habitude.

En cela il nous est donné de comprendre que l'appel du Christ est la cause de notre justification3 et de la vraie confession4.

c) Marie est instruite par le Christ.

2515. L'Évangéliste montre ici comment Marie est instruite par le Christ, d'abord par une interdiction, puis par une affirmation [n° 2519].

Ι

JÉSUS LUI DIT : « NE ME TOUCHE PAS, CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE. » (20, 17)

1. Tract, in Io., CXXI, 2, BA 75, p. 355.

2. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom.25, 4, PL 76, co1. 1192 D.

3. À la différence de la Somme théologique où il étudie la grâce en général (I-II, q. 109-114), saint Thomas explicite ici une modalité particulière de la grâce : le lien entre le mystère du Christ et notre justification. En effet il appartient au théologien de mettre en lumière les différentes modalités de la grâce, participation à la nature divine, qui unit l'homme à Dieu et l'oriente vers la vision béatifique. La grâce de justice originelle, donnée à Adam et Eve, apportait une harmonie très particulière entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel : elle ordonnait tout dans leur vie à la vision béatifique. La grâce donnée d'une façon spéciale au peuple d'Israël, choisi par Dieu, était une grâce d'espérance, d'attente, qui le liait au mystère du Sauveur qu'il attendait. Enfin, la grâce est possédée en plénitude par le Christ de par son union hypostatique. Au plus intime de son âme il a la grâce sanctifiante en plénitude et la grâce capitale qui fait de lui le nouvel Adam, la Tête du Corps mystique qui est l'Église (cf. Col 1, 18). Dans son humanité glorifiée, il est ainsi source de la grâce chrétienne pour tous ceux qu'il appelle à se tourner vers lui et qui croient en lui. La grâce chrétienne n'est cependant pas une harmonie entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel : elle est une nouvelle naissance ; et, dans un dépassement, elle assume la nature en la respectant. Elle apporte aux croyants une nouvelle maturité en faisant d'eux des enfants bien-aimés du Père par et dans le Christ.

4. Il s'agit de la confession de foi. Voir ci-dessus, n° 1601, note 2.

2516. Il nous rapporte d'abord son admonition puis en donne la raison. Le Christ admoneste Marie pour qu'elle ne le touche pas, en lui disant NE ME TOUCHE PAS. Bien qu'on ne lise pas ici que la femme voulut le toucher, selon Grégoire5 nous devons comprendre par là que Marie, prosternée aux pieds de Jésus, voulut embrasser les traces de celui qu'elle reconnaissait.

Et il donne ensuite la raison : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE, ce qui semble indiquer qu'après sa Résurrection et avant de monter au ciel, le Seigneur n'a pas voulu être touché par les hommes ; mais on voit le contraire en Luc : Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os6. Et si tu dis qu'il a voulu être touché par les disciples et non par les femmes, cela ne peut pas tenir7, car Matthieu dit de Madeleine et des autres femmes qu'elles s'approchèrent et lui saisirent les pieds8.

Il faut donc comprendre, selon le sens littéral, que cette femme vit deux fois les anges sur son chemin. D'abord avec les autres femmes elle vit un ange assis sur la pierre, comme le disent Matthieu1 et Marc2. Puis à son retour elle vit deux anges à l'intérieur du tombeau, comme le dit Jean. De manière semblable3, en chemin elle vit deux fois le Christ : une première fois dans le jardin, quand elle le prit pour le jardinier, comme on l'a vu plus haut ; une deuxième fois sur le chemin, quand elle courait avec les autres annoncer aux disciples ce qu'elle avait vu, afin qu'ils fussent plus affermis dans la foi en la Résurrection, et alors elles s'approchèrent et saisirent ses pieds, comme le disent Matthieu et Marc.

5. XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1193 A.

6. Le 24, 39.

7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 357.

8. Mt 28, 9.

2517. Au sens mystique il y a deux raisons pour lesquelles le Christ n'a pas voulu être touché. La première4, c'est que cette femme représentait l'Église des Gentils qui ne devait pas toucher le Christ par la foi avant qu'il ne fût monté vers le Père - L'assemblée des peuples t'environnera, et à cause d'elle remonte dans les hauteurs5.

La deuxième raison est que, selon Augustin6, le toucher est comme le terme de la connaissance. En effet, quand nous voyons une réalité, nous la connaissons d'une certaine manière ; mais par le toucher nous en avons une connaissance achevée. Or cette femme avait foi dans le Christ comme en un homme saint, et c'est pourquoi elle l'appelait « maître » ; elle n'était pas encore parvenue à le connaître comme égal au Père et un avec Dieu. C'est pourquoi il dit : « NE ME TOUCHE PAS, c'est-à-dire ne fais pas de ce que tu crois de moi la fin de ta connaissance, CAR dans ton cœur JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE parce que tu ne crois pas que moi je suis un avec lui », ce que cependant elle crut plus tard. En effet, au plus intime de ses sens le Christ, d'une certaine manière, monta vers le Père, lui qui avait tant grandi en elle qu'elle le connaissait7 égal au Père8.

1. Cf. Mt 28, 2.

2. Cf. Me 16, 5.

3. Cf. saint Augustin, De consensu Evangelistarum, III, XXIV, 68, PL 34, co1. 1202.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 357.

5. Ps 7, 8. Saint Thomas commente : « Lève-toi d'entre les morts, et ainsi l'assemblée des peuples t'environnera, c'est-à-dire l'assemblée des bienheureux qui seront récompensés, et celle des méchants qui seront punis - Ton nom est une huile répandue : c'est pour cela que les jeunes filles t'ont chéri (Ct 1,2).- La montagne préparée pour la demeure du Seigneur sera établie sur le sommet des montagnes, et elle sera élevée au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront (Is 2, 2). - Lève les yeux à l'entour ; tous ceux-ci se sont rassemblés, ils sont venus à toi (Is 49, 18 et 60, 4). Et à cause d'elle remonte dans les hauteurs, c'est-à-dire afin d'achever l'éducation de cette assemblée, l'assemblée des croyants - Montant dans les hauteurs, il a emmené une captivité captive ; il a donné des dons aux hommes (Ep 4, 8 ; cf. Ps 67, 19). - Celui qui ouvrira le chemin montera devant eux (Mi 2, 13) » (Exp. in Psalmos, 7, n°3).

6. La Trinité, I, IX, 18, BA 15, p. 139.

2518. On peut dire aussi, selon Chry-sostome9, que cette femme, voyant le Christ ressuscité, crut qu'il existait dans la même qualité de chair en laquelle il avait été auparavant, possédant une vie mortelle ; c'est pourquoi elle voulait être avec lui comme avant la Passion et, en raison de sa joie, n'imaginait rien de plus grand, bien que la chair du Christ, en ressuscitant, fût devenue bien meilleure. Aussi, voulant la faire revenir de cette compréhension, il lui dit : NE ME TOUCHE PAS ; comme pour dire : ne pense pas que j'aie dorénavant une vie mortelle et que je vive avec vous de la même manière qu'auparavant - Si nous avons connu le Christ selon la chair, ce n'est plus ainsi que nous le connaissons maintenant10. C'est ce qu'il ajoute : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE. Et ce n'est pas alors un avertissement mais la réponse à une question tacite, comme s'il disait : « Tu me vois demeurant ici, non que je n'aie pas une chair glorieuse mais parce que JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE ». En effet, avant son Ascension, il voulut affermir dans le cœur des Apôtres la foi en sa Résurrection et en sa divinité.

7. Il s'agit ici de la connaissance que réalise le don de sagesse dans l'intelligence du disciple du Christ dont la charité est élevée à la perfection. En effet, cette perfection de la charité est bien celle qui se réalise sous la motion du don de sagesse, don qui permet à l'intelligence de se mettre complètement au service de l'amour, parce que c'est l'amour qui porte en premier lieu l'intelligence. La sagesse, celle de l'Esprit Saint, est bien cette connaissance dans l'amour qui apporte un jugement non par science, mais par connaturalité (cf. Somme théo1., II-II, q. 45, a. 2, c.) ; c'est en quelque sorte une « compassion » aux réalités divines (cf. Denys, qui emploie l'expression « patiens divina », dans les Noms divins, ch. 2) qui nous unit à Dieu. C'est dans la fréquentation de l'ami que naît cette connaissance, tout intime, provenant de l'amour et toute au service de cet amour. Marie-Madeleine, grandissant dans la foi, l'espérance et la charité, verra avec les yeux du cœur, de cette connaissance aimante. Sur ce jugement de connaturalité provenant du don de sagesse, voir aussi Somme théo1., I, q. 1, a. 6, ad 3.

8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359 ; saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 5, PL 76, co1. 1193 A-B.

9. In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, co1. 469.

10. 2 Co 5, 16. Sur l'affection sensible et l'affection spirituelle, voir vo1. I, n° 1074, note 6, et ci-dessus n° 2088.

II

« MAIS VA VERS MES FRÈRES ET DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE, VERS MON DIEU ET VOTRE DIEU. » MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES : « J'AI VU LE SEIGNEUR ET VOILÀ CE QU'IL M'A DIT. » (20, 17-18)

2519. L'Évangéliste rapporte ici une recommandation affirmative. Et d'abord il montre la recommandation, puis la promptitude de Marie à obéir. Il dit donc : MAIS VA VERS MES FRÈRES, à savoir les Apôtres, qui sont ses frères par conformité de nature - Il dut en tout être assimilé à ses frères1 -, et par l'adoption de la grâce car ils sont fils adoptifs2 du Père dont lui-même est le Fils par nature - J'annoncerai ton nom à mes frères3.

Il faut ici noter le triple privilège qui fut octroyé à Madeleine. D'abord un privilège prophétique, car elle a mérité de voir les anges ; le prophète, en effet, est l'intermédiaire entre les anges et le peuple. Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait qu'elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher4. Enfin elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue apôtre des Apôtres en ceci qu'il lui fut confié d'annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur pour que, de même qu'une femme apporta au premier homme des paroles de mort, ainsi aussi une femme annonce la première à des hommes les paroles de vie5.

1. He 2, 17. Saint Thomas commente : « En tout ce en quoi ils sont ses frères, non dans la faute mais dans la peine, et c'est pourquoi il doit avoir une nature capable de pâtir (passibilem) - Lui qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable à nous, hormis le péché (He 4, 15) -, quant à la peine et non quant à la tentation de la faute. De même ils sont frères quant à la grâce - Voyez quelle charité nous a donnée le Père, pour que nous soyons appelés fils de Dieu et que nous le soyons (1 Jn 3, 1). - Ceux que Dieu a connus d'avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils (Rm 8, 29) » (Ad Heb. lect., II, n° 150).

2. Voir vo1. I, n° 1461, et notes 6 et 7.

3. Ps 21, 23.

2520. ET DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE -Je m'en vais vers celui qui m'a envoyé6. - Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les deux7.

Mais Arius a pris appui sur ce verset pour son erreur : parce que Jésus dit MON PÈRE ET VOTRE PÈRE, il a voulu conclure que Dieu est Père du Fils de la même manière qu'il est notre Père, et Dieu du Fils comme il est notre Dieu. Mais à cela on doit répondre que, manifestement, l'intention avec laquelle le Christ dit cela se comprend à partir des circonstances du discours. En effet il a dit plus haut VA VERS MES FRÈRES : ceux-là, le Christ les a pour frères en tant qu'il est homme - donc il dit ces paroles en tant qu'il est homme -, et selon cela le Christ est soumis au Père comme la créature au créateur ; en effet, le corps même du Christ est une certaine créature8.

2521. Ou autrement, selon Augustin9 : le Christ parle ici de lui selon l'une et l'autre nature. En effet, ce qu'il dit - JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE - relève de la nature divine selon laquelle il a pour Père Dieu, avec qui il a même nature et auquel il est éga1. Et ainsi, il faut comprendre autrement MON et VOTRE : il est le mien par nature et le vôtre par la grâce ; comme pour dire : ce que vous êtes, des fils adoptifs par la grâce, c'est par moi que vous l'avez - Dieu a envoyé son Fils (...) pour que nous recevions l'adoption des fils de Dieu 1. - Ceux qu 'il a connus par avance pour être conformes à l'image de son Fils, pour que celui-ci soit l'aîné d'une multitude de frères2. Et ce qu'il dit ensuite - MON DIEU ET VOTRE DIEU - se rapporte à la nature humaine selon laquelle il est gouverné par Dieu. Il dit ainsi MON DIEU, à qui moi en tant qu'homme je suis soumis, et VOTRE DIEU dont je suis à votre égard le médiateur, parce que par lui nous sommes en paix avec Dieu, et ainsi il est « notre » Dieu - Justifiés par la foi, nous avons la paix par notre Seigneur Jésus Christ par qui nous avons accès à la grâce dans laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire des fib de Dieu3. - C'est Dieu qui se réconciliait le monde dans le Christ4.

4. Cf. 1 Ρ 1, 12.

5. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, nom. 25, 5, PL 76, co1. 1194 A-B.

6. Jn 16, 5.

7. Ep 4, 10. Saint Thomas commente : « En cela est désignée l'unité de sa personne de Dieu et d'homme. En effet, il est descendu (...), le Fils de Dieu, en assumant une nature humaine, mais il est monté, le Fils de l'homme, selon sa nature humaine, vers la sublimité de la vie immortelle. Et ainsi c'est le même, le Fils de Dieu qui est descendu et le Fils de l'homme qui est monté - Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel (]n 3, 13) » (Ad Eph. lect., IV, n° 209).

8. Sur les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la personne du Verbe, voir ci-dessus n° 1711 et note 3.

9. Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359.

2522. On voit ensuite la promptitude de l'obéissance de Marie lorsque l'Évangéliste dit : MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES : « J'AI VU LE SEIGNEUR ET VOILÀ CE QU'IL M'A DIT. » Elle VINT, du lieu où était l'espace du jardin devant la pierre du tombeau, ANNONCER AUX DISCIPLES - J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis5. - Ce que j'ai entendu du Seigneur Dieu des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé6.

1. Ga4, 4-5.

2. Rm 8, 29. Sur la filiation naturelle et par adoption, voir vo1. I, n° 187, et ci-dessus n° 1648, note 2.

3. Rm 5, 1-2.

4. 2 Co 5, 19.

5. 1 Co 11, 23.

6. Is 21, 10.

2. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES

2523. Après avoir traité des apparitions du Christ aux femmes, l'Évangéliste, dans cette partie, traite des apparitions faites aux Apôtres ; d'abord de l'apparition à Jérusalem à tous les Apôtres ensemble excepté Thomas, puis de celle qui eut lieu en présence de Thomas [n° 2551], et enfin, au chapitre 21, de celle qui eut lieu pour quelques-uns de manière spéciale près de la merde Galilée [n° 2569].

A. L'APPARITION À TOUS LES APÔTRES, EXCEPTE THOMAS

L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Seigneur, puis le doute d'un disciple [n° 2545].

a) L'apparition du Seigneur.

Concernant le premier point l'Évangéliste rapporte trois choses : premièrement l'apparition du Seigneur, deuxièmement la remise du ministère [n° 2535], troisièmement la communication du don spirituel [n° 2538].

L'apparition du Seigneur.

Jean expose d'abord les circonstances de l'apparition, puis le contenu de l'apparition [n° 2530] et enfin ses conséquences [n° 2534].

Ι

CE JOUR-LÀ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, LORSQUE LE SOIR FUT VENU, ET QUE LES PORTES DU LIEU OÙ LES DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES JUIFS (20, 19)

L'apparition du Seigneur aux disciples est décrite à partir de quatre circonstances. D'abord à partir de la précision de l'heure ; ensuite à partir de la désignation du jour [n° 2525] ; puis à partir de la condition du lieu [n° 2526] ; enfin à partir de la disposition des disciples [n° 2529].

LORSQUE LE SOIR FUT VENU

2524. Cette apparition eut donc lieu à l'heure du soir. Selon le sens littéral, il y a à cela deux raisons. La première1, c'est que Jésus voulut apparaître à tous ensemble, et c'est pourquoi il a attendu jusqu'au soir afin que ceux qui étaient dispersés durant le jour fussent réunis le soir, car la nuit ils étaient ensemble.

La deuxième raison2 est que le Seigneur leur apparut pour les réconforter. Il a donc choisi l'heure où, étant davantage engourdis, ils avaient plus besoin de réconfort : l'heure du soir - Secours dans les tribulations qui nous ont assaillis à l'excès1.

1. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 295 D.

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, co1. 470.

II y a également une raison mystique : à la fin du monde, le Seigneur apparaîtra aux fidèles quand se fera entendre au milieu de la nuit ce cri : « Voici l'époux qui vient2 », qui vient leur donner en retour leur récompense - Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : appelle les ouvriers et donne-leur leur salaire3.

CE JOUR-LÀ, LE PREMIER DE LA SEMAINE

2525. Le jour de l'apparition fut le jour même de la Résurrection : CE JOUR-LÀ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche, dont il a été fait mention plus haut dans ce chapitre : Or, le premier jour de la semaine4. Nous avons déjà vu pourquoi il est appelé LE PREMIER DE LA SEMAINE [n° 2471].

En rassemblant les données des évangiles, on peut voir que le Seigneur est apparu cinq fois ce jour-là : deux fois aux femmes, à savoir une fois à Madeleine seule, et une autre fois avec les autres femmes qui s'en retournaient, et alors elles s'approchèrent et lui saisirent les pieds5. Il est apparu une troisième fois aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs ce même jour6. Il est apparu une quatrième fois à Simon-Pierre, mais où, quand et comment, cela n'est pas exprimé ; on dit seulement qu'il lui est apparu - Le Seigneur est vraiment ressuscité et il est apparu à Simon7. En cinquième lieu il est apparu à tous les Apôtres réunis le soir, comme on le voit ici. Voilà pourquoi nous chantons : Voici le jour que fit le Seigneur : exultons et réjouissons-nous en lui8.

Par là il nous est donné à entendre qu'au jour de la résurrection « commune », il apparaîtra de manière manifeste à tous : femmes, pécheurs, pèlerins, apôtres et hommes apostoliques, car tout œil le verra, même ceux qui l'ont transpercé 9.

LES PORTES DU LIEU (...) ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES JUIFS.

2526. La condition du lieu est décrite par la fermeture des portes, qui indique leurs doutes et leurs craintes, car LES PORTES ÉTAIENT CLOSES, au sens littéral en raison de l'heure tardive parce que c'était la nuit, ET PAR PEUR DES JUIFS. Mais en ce qui concerne le Christ, quelle était la cause de la fermeture ? C'était pour qu'il leur manifestât la force de sa puissance en entrant chez eux les portes étant closes.

2527. Il faut savoir à ce sujet que, selon certains 10, entrer les portes étant closes est une propriété du corps glorieux11 : ils disent que par une certaine condition qui lui est inhérente, il peut, en tant qu'il est glorieux, se trouver en même temps qu'un autre corps dans le même lieu, et que cela s'est fait et peut se faire sans miracle.

Mais cela ne peut pas être. En effet, il appartient par nature au corps humain non glorifié de ne pas pouvoir être dans le même lieu en même temps qu'un autre corps. Mais si on dit que le corps glorifié possède en lui comme propriété inhérente de pouvoir être dans le même lieu en même temps qu'un autre corps, il faut donc que soit exclue de lui cette propriété qui l'empêche actuellement d'exister en même temps qu'un autre corps. Mais cette propriété ne peut en aucune manière être séparée ou détruite du corps, puisqu'elle n'est pas une corporéité mathématique, comme disent certains, mais les dimensions mêmes du corps quantifié auxquelles la position1 (situs) appartient en propre. C'est pourquoi le Philosophe2 argumente contre ceux qui affirment l'existence d'idées et d'êtres mathématiques. Même en supposant que tout l'espace sur la terre fût vide, un corps sensible ne pourrait pas se trouver simultanément avec eux, à cause de ses dimensions quantitatives. Aucune propriété du corps glorieux ne peut retirer au corps ses dimensions [de quantité], la nature du corps demeurant. Il faut donc dire que le Christ a fait cela de manière miraculeuse par la puissance de sa divinité, et si quelque chose de semblable devait arriver à des saints, cela arriverait par miracle, et ce serait un nouveau miracle. Cela, Augustin et Grégoire le disent expressément. Augustin3 dit en effet : « Tu demandes comment il a pu entrer par les portes fermées ? Si tu comprends la manière, ce n'est plus un miracle. Là où la raison défaille, là la foi édifie » ; et il ajoute : « Celui-là a pu entrer sans que les portes soient ouvertes, lui à la naissance de qui la virginité de sa mère est restée inviolée. » Donc, comme sa naissance d'une mère vierge fut miraculeuse en vertu de sa divinité, ainsi cette entrée fut miraculeuse.

1. Ps 45, 2.

2. Mt 25, 6.

3. Mt 20, 8.

4. Jn 20, 1.

5. Mt 28, 9.

6. Voir Lc 24, 13 sq.

7. Lc 24, 34.

8. Ps 117, 24.

9. Ap 1, 7.

10. Pour plus de détails concernant ces quidam (« certains »), on peut se reporter aux notes de l'édition léonine du Quolibet 1, in : Quaestiones de Quolibet (in : Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia, t. XXV). Ou bien voir Quaestiones de Quolibet, vo1. 2, Éditions du Cerf, Paris 1996, p. 205.

11. Sur les propriétés des corps glorieux, voir Contra Gentiles, IV, ch. 86, où saint Thomas évoque leurs quatre qualités : ils seront lumineux, doués d'agilité, impassibles et totalement soumis à l'esprit. Sur « les qualités du Christ ressuscité », voir aussi Somme théol, III, q. 54.

1. Aristote précise les dix déterminations de la réalité existante, considérée en tant qu'elle existe : « La substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la passion. Est substance, par exemple, homme, cheval ; quantité : long-de-deux-coudées, long-de-trois-coudées ; qualité : blanc, grammairien ; relation : double, moitié, plus grand ; lieu : dans le Lycée, au Forum ; temps : hier, l'an dernier ; position : il est couché, il est assis ; possession : il est chaussé, il est armé ; action : il coupe, il brûle ; passion : il est coupé, il est brûlé » (Catégories, 4, 1 b 25 - 2 a 3). La position est une dimension des corps quantifiés, dont font partie les corps glorieux.

2. Voir notamment Métaphysique, A, ch. 6. « Platon fut amené à penser que [F] universel devait exister dans des réalités d'un autre ordre que les choses sensibles : il est en effet impossible, croyait-il, que la définition commune existe dans aucun des objets sensibles individuels, de ceux du moins qui sont en perpétuel changement. Guidé par ces raisons, il donna alors à de telles réalités le nom d'Idées, disant, d'autre part, que les choses sensibles sont séparées des Idées et sont toutes dénommées d'après elles » (Joe. cit., 987 b 4-9).

3. Sermones de Tempore, 247, II, PL 38, co1. 1157. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 1, PL 76, co1. 1197 C-D.

2528. Au sens mystique, il nous est par là donné à entendre que le Christ nous apparaît quand les portes, c'est-à-dire les sens extérieurs, sont fermés dans la prière - Toi donc, quand tu pries, entre dans ta chambre4 - et à la fin du monde, quand les vierges qui seront prêtes entreront pour les noces et que la porte sera ensuite fermée, comme on le voit en Matthieu5.

LES DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS.

2529. La disposition des disciples nous est donnée pour que nous l'imitions, car ils SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS, ce qui n'est certes pas vide de mystère. En effet, le Christ vient vers ceux qui sont rassemblés et le Saint-Esprit descend sur ceux qui sont rassemblés, car le Christ et le Saint-Esprit ne sont présents qu'à ceux qui sont rassemblés dans la charité - Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d'eux6.

4. Mt 6, 6. Saint Thomas commente : « Entre dans ta chambre, c'est-à-dire le lieu retiré de ta pensée, et le secret, comme dit Augustin, et comme dit Raban Maur : par l'acte de la méditation secrète. Et Chrysostome dit : "Dieu ne doit pas être frappé par des cris de voix, mais fléchi par une conscience droite, parce qu'il écoute non la voix mais le cœur". Ou bien entre dans ta chambre au sens littéra1. Et il dit chambre d'une façon significative, parce que l'âme doit se calmer des choses extérieures quand elle prie, et alors c'est le temps le plus convenable et le lieu le plus secret » (Sup. Matth. lect., VI, n° 574).

5. Cf. Mt 25, 10.

6. Mt 18, 20.

II

JÉSUS VINT ET SE TINT AU MILIEU D'EUX, ET LEUR DIT : « PAIX À VOUS. » ET, LORSQU'IL EUT DIT CELA, IL LEUR MONTRA SES MAINS ET SON CÔTÉ. (20, 19-20)

2530. L'apparition du Christ est ici rapportée en trois points : la présence du Christ donnée aux disciples, la salutation qu'il leur fit [n° 2532], et la manifestation certaine qu'il leur accorda [n° 2533].

JÉSUS VINT ET SE TINT AU MILIEU D'EUX.

2531. Le Christ leur manifesta sa présence sans laisser le moindre doute. Il vint en personne, lui-même, le même, comme il le leur avait promis plus haut : Je m'en vais et je reviens vers vous1. Mais IL SE TINT AU MILIEU pour que tous le reconnaissent avec certitude. C'est pourquoi on peut blâmer les Juifs qui ne l'ont pas reconnu -Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas2. IL SE TINT AU MILIEU D'EUX pour montrer la conformité de nature humaine qu'il a avec eux - Une couronne de frères est autour de lui, comme une plantation de cèdres sur la montagne du Liban3. De même, IL SE TINT AU MILIEU par condescendance, car il a vécu avec eux comme l'un d'entre eux - Ils t'ont établi chef ? Ne t'exalte pas, sois parmi eux comme l'un d'entre eux4. - Je suis au milieu de vous comme celui qui sert5. En outre, ce fut pour indiquer que nous devons être dans le milieu de la vertu6- Voici la voie : marchez-y sans vous en écarter à droite ou à gauche7. Celui qui tombe dans l'excès s'écarte à droite ; celui qui pèche par défaut s'écarte à gauche.

1. Jn 14, 28.

2. Jn 1, 26.

3. Si 50, 13.

4. Si 32, 1.

5. Le 22, 27.

6. Pour saint Thomas, comme déjà pour Aristote, toute vertu morale est un juste milieu entre un vice par excès et un vice par défaut (par exemple, à la vertu de courage s'opposent par excès la témérité et par défaut la lâcheté). Voir ci-dessus, n° 2417, note 5. Saint Thomas reprend cela dans son traité sur la vertu, Somme théo1., MI, q. 64.

[IL] LEUR DIT : « PAIX À VOUS. »

2532. Il leur adressa des paroles de salutation en disant : « PAIX À VOUS ». Or celle-ci leur fut nécessaire, car leur paix était troublée de multiples manières. D'abord à l'égard de Dieu, contre lequel ils avaient péché, certains en niant, d'autres en fuyant - Vous tous vous allez tomber cette nuit à cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées8. Face à cela, le Christ leur offrit la paix de la réconciliation avec Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils9 -, ce qu'il fit par sa Passion.

Ensuite, leur paix était troublée quant à eux-mêmes, car ils étaient tristes et remplis de doutes dans leur foi. Et cette paix-là aussi, il la leur offrit [déjà] réalisée - Grande paix pour ceux qui aiment ta loi10.

Enfin à l'égard de l'extérieur, car ils souffraient des persécutions de la part des Juifs ; face à cela il leur dit : « PAIX À VOUS », à savoir face aux persécutions des Juifs - Je vous donne la paix, je vous laisse ma paix11.

LORSQU'IL EUT DIT CELA,, IL LEUR MONTRA SES MAINS ET SON COTÉ. (20, 20)

2533. Il se manifesta à eux de manière certaine par ses mains et son côté, car c'est en eux qu'ont demeuré de manière spéciale les signes de sa Passion - Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi1. Et c'est ainsi qu'il se montrera dans la gloire : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole 2, et encore : Je me manifesterai à lui3.

7. Is 30, 21.

8. Mt 26, 31. Saint Thomas commente : « Le péché des disciples est aggravé par la proximité du temps, ayant été commis après tant de monitions et après la réception du sacrement. De là ils avaient déjà oublié ce qu'il avait fait pour eux, aussi sont-ils bien comparés à l'homme qui considère son visage dans un miroir - II s'est considéré en effet, et est parti, et aussitôt a oublié comment il était (Je 1, 24) » (Sup. Matth. lect., XXVI, nos 2208 et 2209).

9. Rm 5, 10.

10. Ps 118, 165.

11. Jn 14, 27.

III

LES DISCIPLES SE RÉJOUIRENT DONC À LA VUE DU SEIGNEUR. (20, 20)

b) La remise du ministère.

2534. On rapporte ici l'effet de l'apparition qui est la joie dans les cœurs des disciples à la vue du Seigneur, joie qu'il leur avait promise plus haut : Mais à nouveau je vous verrai, et votre cœur se réjouira 4. Mais, pour les bons, cette joie sera plénière dans la Patrie par la claire vision de Dieu - Vous verrez et votre cœur se réjouira, et vos os comme l'herbe verdiront5.

ET IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS. COMME MON PÈRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE. » (20, 21)

2535. Il confie aux Apôtres un ministère. D'abord il leur annonce une alliance de paix, puis il leur remet le ministère [n° 2537].

ET IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS. »

2536. Il leur dit cela pour chasser deux troubles. En effet, contre la perturbation présente venant des Juifs, il leur a dit d'abord : « PAIX À VOUS » ; mais contre la perturbation venant des Gentils, IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS » - Dans le monde vous aurez à souffrir, mais en moi vous aurez la paix6. Car c'est aux Gentils qu'ils devaient être envoyés.

1. Lc 24, 39.

2. Jn 14, 23.

3. Jn 14, 21.

4. Jn 16, 22.

5.1s 66, 14. Saint Thomas commente : « II promet la pleine perception de la consolation (...) quant à la jouissance (fruitio) des biens : Vous verrez les biens que Dieu vous a donnés (...). Ou bien : Vous verrez l'essence divine - La lumière est douce et il est délectable pour nos yeux de voir le soleil (Qo 11, 7) » (Exp. super Isaiam, 66, 14, p. 254, 1. 103-119).

6. Cf. Jn 16, 33 : Je vous ai dit ces choses pour qu'en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous aurez à souffrir ; mais ayez confiance : moi j'ai vaincu le monde.

COMME MON PERE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE.

2537. Et c'est pourquoi nous est aussitôt rapporté le don du ministère, et par là il montre qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes - Un homme, le Christ Jésus, est médiateur entre Dieu et les hommes7. C'était pour consoler les disciples qui, reconnaissant l'autorité du Christ, savaient qu'il les envoyait en vertu d'une autorité divine ; et pour qu'ils considèrent leur dignité propre, à savoir qu'ils auraient un ministère proprement apostolique : apôtre, en effet, est la même chose qu'envoyé.

Il dit donc COMME MON PÈRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE ; c'est-à-dire, comme le Père qui m'aime m'a envoyé dans le monde afin d'y souffrir la Passion pour le salut des fidèles - Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui1 -, ainsi moi qui vous aime, je vous envoie endurer des tribulations pour mon nom2 - Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups3.

7. 1 Tm 2, 5. Sur la médiation du Christ, à propos de cette même citation de la première épître à Timothée, voir ci-dessus, n° 2201, note 5.

c) La communication du don spiritue1.

AYANT DIT CELA, IL SOUFFLA SUR EUX ET LEUR DIT : « RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ; CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS ; ET CEUX À QUI VOUS LES RETIENDREZ, ILS LEUR SERONT RETENUS. » (20, 22-23)

2538. Ensuite, il les rend capables, en leur donnant l'Esprit Saint, d'exercer leur ministère - Lui qui nous a rendus capables d'être ministres d'une nouvelle Alliance, non de la lettre, mais de l'esprit4.

Au sujet de ce don, il commence par leur en donner un signe qui est le souffle : IL SOUFFLA SUR EUX. On voit quelque chose de semblable dans la Genèse : Il insuffla sur son visage un souffle de vie5, celui de la vie naturelle, que le premier homme a corrompu mais que le Christ a réparé en donnant l'Esprit Saint.

Il ne faut pas entendre que ce souffle émis par le Christ fut l'Esprit Saint, mais un signe de lui. C'est pourquoi Augustin dit6 : « Ce souffle corporel ne fut pas la substance de l'Esprit Saint, mais un signe adéquat montrant que l'Esprit Saint ne procède pas seulement du Père mais aussi du Fils. »

2539. Il faut en effet noter que l'Esprit Saint7 a été envoyé deux fois sur le Christ et deux fois sur les Apôtres ; sur le Christ d'abord, sous l'aspect d'une colombe lors du baptême8 et sous l'aspect d'une nuée lors de la Transfiguration9. La raison en est que la grâce du Christ, qui est donnée par l'Esprit Saint, devait découler jusqu'à nous par la propagation de la grâce dans les sacrements, et ainsi il descendit au baptême sous la forme d'une colombe 10 qui est un animal fécond ; et aussi par la doctrine, et ainsi il descendit dans une nuée lumineuse. C'est aussi pourquoi il fut révélé alors comme docteur : Écoutez-le11.

Sur les Apôtres, il est descendu une première fois par le souffle, pour désigner la propagation de la grâce dans les sacrements dont ils étaient les ministres - Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis 12. - Allez donc et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit13. Mais il est descendu une deuxième fois sous la forme de langues de feu pour signifier la propagation de la grâce par la doctrine. C'est pourquoi il est dit dans les Actes des Apôtres qu'après avoir été remplis de l'Esprit Saint ils commencèrent aussitôt à parler14.

2540. L'Évangéliste rapporte ensuite les paroles exprimant le don : RECEVEZ L'ESPRIT SAINT. Mais est-ce là qu'ils ont reçu l'Esprit Saint ? Il semble que non : puisque le Christ n'était pas encore monté au ciel, il ne devait pas donner de dons aux hommes1. Et, selon Chrysostome 2, certains disent que ce n'est pas là que le Christ leur a donné l'Esprit Saint, mais qu'il les a préparés au don futur de la Pentecôte. Ils sont poussés à dire cela en raison de Daniel qui dit qu'il n'a pu soutenir la vision de l'ange3 ; et donc les Apôtres, s'ils n'avaient pas été préparés, n'auraient pas pu soutenir la venue de l'Esprit Saint. Cependant, le même Chrysostome dit : « L'Esprit Saint n'a pas été donné aux disciples d'une manière commune pour tout, mais pour un certain effet », c'est-à-dire remettre les péchés, et comme on le lit en Matthieu4, faire des miracles. Augustin5 et Grégoire6, eux, disent que l'Esprit Saint a deux préceptes d'amour, à savoir l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Et donc il a d'abord été donné « sur la terre » pour signifier le précepte de l'amour du prochain7, puis « du ciel » pour signifier le précepte de l'amour de Dieu.

1. Jn 3, 17.

2. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 2, PL 76, co1. 1198 B.

3. Mt 10, 16. Voir vo1. I, n° 1376, note 11.

4. 2 Co 3, 6.

5. Gn 2, 7.

6. La Trinité, IV, xx, 29, BA 15, p. 415.

7. Sur l'Esprit Saint, voir ci-dessus : ch. XIV, nos 1907-1921, et 1952-1960 ; ch. XV, nos 2058-2067 ; ch. XVI, nos 2085-2115 ; ch. XVII, n° 2269.

8. Voir Mt 3, 16 ; Me 1, 10 ; Lc 3, 22.

9. Voir Mt 17, 5 ; Me 9, 6 ; Lc 9, 34.

10. Cf. Somme théol, III, q. 39, a. 6.

11. Mt 17, 5.

12. Jn 20, 23.

13. Mt 28, 19.

14. Voir Ac 2, 4.

2541. On voit ensuite le fruit du don : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, et cet effet - la rémission des péchés - convient à l'Esprit Saint car lui-même est charité et c'est par lui que la charité nous est donnée - La chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné8. En effet, la rémission des péchés ne se fait que par la charité, parce que la charité couvre tous les péchés9. - La charité couvre une multitude de péchés10.

1. Cf. Ep 4, 8 et Ps 67, 19.

2. In Ioannem hom., LXXXVI, 3, PG 59, co1. 471 (la deuxième citation en est la suite).

3. Voir Dn 10, 8-9.

4. Cf. Mt 10, 8.

5. Il s'agit en fait d'Alcuin (Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 41, PL 100, co1. 993 B) qui cite lui-même Grégoire.

6. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 3, PL 76, co1. 1198 D-l 199 A.

7. Dans l'Ancienne Alliance, le précepte de l'amour du prochain est explicite dans le livre du Lévitique : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lv 19, 18). Mais Jésus vient donner un commandement nouveau : Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13, 34). Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour (Jn 15, 9). Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. (Jn 15, 12).

8. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n° 1234, note 8, et ci-dessus n° 2069.

2542. Ici on s'interroge d'abord sur ce qu'il dit : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, puisque Dieu seul remet les péchés. Pour cette raison, certains disent que Dieu seul remet la faute et que le prêtre n'absout que du mal de peine et déclare le pécheur absous du mal de faute11. Mais cela n'est pas vrai car le sacrement de pénitence, étant un sacrement de la loi nouvelle, confère la grâce, comme elle est aussi conférée lors du baptême. Or au baptême le prêtre baptise comme instrument, et cependant il confère la grâce ; donc, de manière semblable, dans le sacrement de pénitence il absout de manière sacramentelle et ministérielle et de la peine et de la faute, en tant qu'il donne le sacrement dans lequel les péchés sont remis.

Quant à ce qui est dit, à savoir que Dieu seul remet les péchés, cela est vrai à cause de son autorité. C'est ainsi également qu'on dit que Dieu seul baptise, mais le prêtre le fait par son ministère, comme on l'a dit.

2543. De même, cherchons le sens de la parole RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ; CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS. Là il semble que celui qui n'a pas l'Esprit Saint ne puisse pas remettre les péchés.

À cela il faut répondre que si la rémission des péchés était l'œuvre propre du prêtre, c'est-à-dire s'il faisait cela de son propre pouvoir, il ne pourrait de toutes façons pas sanctifier s'il n'était pas saint. Mais la rémission des péchés est l'œuvre propre de Dieu, qui par sa puissance et son autorité propres remet les péchés ; elle n'est pas l'œuvre du prêtre, si ce n'est en tant qu'il est un instrument. De même qu'un seigneur peut exécuter sa volonté par le moyen d'un serviteur ou d'un ministre, que celui-ci soit bon ou mauvais, pour accomplir quelque chose, ainsi le Seigneur peut conférer par des ministres, même si ceux-ci sont mauvais1, les sacrements dans lesquels est donnée la grâce.

9. Pr 10, 12.

10. 1 Ρ 4, 8.

11. Sur la distinction entre le mal de peine et le mal de faute, voir vo1. I, n° 1301, note 9.

2544. Si on se demande ce que signifie CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, il faut dire, comme on l'a dit plus haut, que le prêtre agit dans les sacrements comme ministre de Dieu - Qu'on nous regarde donc comme des ministres du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu2. De la même manière que Dieu remet et retient les péchés, de même le prêtre. Or Dieu remet les péchés en accordant sa grâce ; mais on dit qu'il les retient en ne l'accordant pas, en raison d'un empêchement du côté de celui qui reçoit. De même le ministre remet les péchés en tant qu'il dispense les sacrements de l'Église, et il les retient en tant qu'il montre que certains sont indignes de recevoir les sacrements.

d) Le doute d'un disciple.

2545. Après avoir parlé de l'apparition du Sauveur, l'Évangéliste traite à présent du doute d'un disciple. Il mentionne d'abord l'absence du disciple, puis l'annonce qui lui est faite [n° 2548], enfin son doute obstiné [n° 2549].

Ι

OR THOMAS, UN DES DOUZE, APPELÉ DIDYME, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX QUAND JÉSUS VINT. (20, 24)

2546. Le disciple absent est présenté d'abord par son nom, THOMAS, qui signifie « abîme » ou « jumeau »3. Or il y a deux choses dans l'abîme : la profondeur et l'obscurité. Thomas est donc abîme en raison de l'obscurité de l'incroyance qu'il porte en lui, et il est aussi abîme en raison de la profondeur de la miséricorde qu'il reçoit du Christ. Il est dit à ce propos dans le psaume4 : L'abîme de la profondeur, c'est-à-dire le Christ, appelle, en faisant miséricorde, l'abîme de l'obscurité, c'est-à-dire Thomas ; et l'abîme de l'obstination, Thomas, appelle en confessant [sa foi] l'abîme de la profondeur, le Christ.

1. Voir Somme théol, III, q. 64, a. 5. Voir aussi a. 8, a. 9 et a. 10. Pour que le sacrement soit effectivement conféré, le ministre doit avoir l'intention de le donner ; mais son intégrité morale n'est pas requise.

2. 1 Co 4, 1. Voir ci-dessus n° 1595 et la note 2.

3. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 63, 10), CCL, vo1. LXXII, p. 138. Thomas est de forme araméenne et signifie jumeau, comme le grec didymos et le latin geminus. En hébreu fhôm a le sens d'abîme, en latin abyssus (cf. Gn 1, 2). Geminus est rapproché par assonance de Jeminus, qui, dans plusieurs passages vétérotestamentaires, correspond à Benjamin. ThÉophylacte interprète l'étymologie jumeau comme indiquant que l'apôtre avait une double pensée, donc qu'il hésitait, qu'il doutait (Enarr. in S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 299).

Le disciple est ensuite décrit par sa dignité, UN DES DOUZE, c'est-à-dire des douze Apôtres, non qu'alors ils aient été douze, puisque Judas avait déjà péri5, mais parce qu'il avait été choisi pour cette dignité que Dieu avait scellée du nombre douze - Il en choisit douze qu'il appela Apôtres6. Et le Seigneur a toujours voulu que ce nombre demeurât intègre.

Enfin par la signification de son nom, APPELÉ DIDYME. Thomas, en effet, est un nom syrien ou hébraïque qui a deux significations : « jumeau » et « abîme ». Jumeau (geminus en latin) se dit Didymus en grec et donc, parce que Jean écrivit son Évangile en grec, il a écrit DIDYME. Et Thomas est appelé « jumeau » parce qu'il fut peut-être de la tribu de Benjamin dans laquelle certains, voire même tous, étaient appelés jumeaux. Ou bien cela peut se référer à son doute, car celui qui est certain se tient ferme d'un côté, mais celui qui doute choisit un côté en ayant peur de l'autre1.

4. Ps 41, 8.

5. Cf. Mt 27, 5.

6. Lc 6, 13.

2547. Ce Thomas donc, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX, à savoir les disciples, QUAND JÉSUS VINT : en effet, il revint plus tard que les autres qui étaient dispersés durant le jour, et il perdit ainsi la consolation de la vision du Seigneur, la bonne parole de la paix et le souffle de l'Esprit Saint. Nous apprenons par là que nous ne devons pas nous séparer de la communauté - Ne désertez pas notre assemblée, comme certains en ont la coutume2. Mais comme le dit Grégoire3, ce n'est pas arrivé par hasard, mais en vertu de la volonté divine, qu'un disciple choisi fût alors absent ; et ce fut selon l'économie de la miséricorde divine, c'est-à-dire pour que le disciple qui doutait, en palpant les blessures de la chair de son maître, guérît en nous les blessures de l'incroyance.

1. C'est ainsi que saint Thomas distingue l'opinion, qui laisse dans le doute, de la foi qui apporte la certitude. Cf. Somme théol, II-II, q. 1, a. 4, c.

2. He 10, 25. Saint Thomas commente : « La charité est un amour, or le propre de l'amour est d'unir puisque, comme le dit Denys, l'amour est une force unitive - Qu'ils soient un comme nous sommes un, (...) parce que tu les as aimés comme tu m'as aimé (Jn 17, 22-23) -, c'est pourquoi se séparer les uns des autres est directement l'opposé de la charité. Et c'est pourquoi [l'Apôtre] dit : Ne désertez pas notre assemblée, à savoir l'Église, que certains désertent de trois façons. Premièrement ceux qui, à cause des persécutions, apostasient. Et ceux-là sont signifiés par ceux dont Jean dit qu'ils se retirèrent et dès lors n'allaient plus avec lui (Jn 6, 67) - Que survienne une tribulation ou des persécutions à cause de la parole, aussitôt ils sont scandalisés (Mt 13, 21). - Ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent (Le 8, 13). D'une seconde façon, les mauvais prélats qui abandonnent les brebis dans le danger - Le mercenaire fuit parce qu'il est mercenaire (Jn 10, 13). Mais d'autres désertent par l'orgueil car, alors qu'ils pourraient être utiles pour guider, marqués par leur orgueil ils se séparent des autres - Ils sont ceux qui se séparent des autres, êtres animés n'ayant pas l'esprit (Jude 19) -, comme sous l'apparence d'une perfection plus grande » (Ad Heb. lect., X, n° 512).

3. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76, co1. 1201 C.

En cela apparaissent donc les signes les plus éclatants de la très grande miséricorde de Dieu. Premièrement, parce qu'il aime tellement le genre humain que parfois il permet que certaines tribulations arrivent à ses élus, afin que de là en résulte un bien pour le genre humain. C'est pour cela en effet qu'il a permis que les apôtres, les prophètes et les saints soient affligés - C'est pourquoi je les ai frappés par mes prophètes, je les ai tués par les paroles de ma bouche4. - Si nous sommes dans la tribulation, c'est pour votre encouragement et votre salut ; si nous sommes consolés, c'est pour votre consolation ; si nous sommes encouragés, c'est pour votre encouragement et votre salut qui s'accomplit par la patience à supporter les mêmes souffrances que nous supportons5.

Mais, et c'est plus admirable encore, il permet qu'un saint tombe dans le péché pour nous instruire. Pourquoi, en effet, a-t-il permis que des saints et des hommes justes aient gravement péché, comme David, qui fut adultère et homicide, si ce n'est pour que, instruits de ces exemples, nous soyons plus prudents et plus humbles ? Afin que celui qui estime tenir debout prenne garde de ne pas tomber et que celui qui est tombé s'efforce de se relever. C'est pourquoi Ambroise disait à l'empereur Théodose : « Tu as suivi en errant, efforce-toi de poursuivre en faisant pénitence6. » Ainsi, comme le dit Grégoire7, l'incroyance de Thomas a été plus utile à notre foi que la foi des disciples croyants.

4. Os 6, 5.

5. 2 Co 1, 6.

6. Vita sancti Ambrosii, 24, PL 14, co1. 35.

7. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76, co1. 1201 C.

II

LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC : « NOUS AVONS VU LE SEIGNEUR. » (20, 25)

2548. Parce que Thomas n'était pas venu aussitôt, LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC : « NOUS AVONS VU LE SEIGNEUR. » Et c'est bien selon l'ordre de la sagesse divine (ordinatione divina), que ce que l'un a reçu de Dieu, il le communique aux autres - Que chacun mette au service des autres la grâce qu 'il a reçue1. - Ce que j'ai entendu du Seigneur des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé2. -J'ai vu le Seigneur et j'ai eu la vie sauve3.

III

MAIS LUI LEUR RÉPONDIT : « SI JE NE VOIS PAS DANS SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS, ET SI JE N'ENFONCE PAS MON DOIGT À L'ENDROIT DES CLOUS, ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. » (20, 25)

2549. Là l'Évangéliste expose le doute obstiné de Thomas. Certes, Thomas pourrait avoir été assez excusable de n'avoir pas cru tout de suite, car, comme le dit l'Ecclésiastique, Celui qui croit trop facilement est léger de cœur4. Mais tant investiguer, surtout lorsqu'il s'agit des secrets de Dieu, relève d'un esprit très grossier5 - De même que celui qui mange beaucoup de miel ne s'en porte pas bien, ainsi celui qui scrute la majesté sera écrasé par la gloire6. - Ne recherche pas ce qui est plus élevé que toi et ne scrute pas ce qui est plus fort que toi. Mais médite toujours ce que Dieu a prescrit et ne sois pas curieux au sujet de ses œuvres7.

2550. Au sujet de Thomas, il faut considérer qu'il fut résistant8 dans sa foi et irréfléchi dans sa demande. Résistant, certes, car il n'a voulu croire que grâce à une preuve sensible, et pas seulement d'un seul sens mais de deux : la vue - car SI JE NE VOIS PAS DANS SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS - et le toucher - ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. Et il manque vraiment de réflexion, car il demandait à voir les blessures pour confirmer sa foi, alors qu'il voyait plus, à savoir le relèvement de tout l'homme ressuscité.

Et bien que Thomas ait dit cela à cause de son doute, cela advint cependant de manière divine pour notre utilité et notre édification. Il est certain, en effet, que celui qui refit pleinement l'homme en ressuscitant aurait pu aussi faire disparaître les cicatrices des blessures ; mais celles-ci ont été gardées pour notre utilité.

B. L'APPARITION AUX APÔTRES, THOMAS ÉTANT PRÉSENT

2551. On traite ici de la seconde apparition du Seigneur, où il apparut à tous les disciples, Thomas étant présent. L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Christ, puis la confirmation accordée au disciple [n° 2555] ; enfin est récapitulé tout ce qui a été dit dans l'Évangile [n° 2567].

1. 1 P 4, 10.

2. Is 21, 10.

3. Gn 32, 30.

4. Si 19, 4.

5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, co1. 473.

6. Pr 25, 27.

7. Si 3, 22.

8. « Résistant » traduit durus. Ce mot a donc ici un sens négatif.

a) L'apparition du Christ.

ET HUIT JOURS APRÈS, SES DISCIPLES ÉTAIENT ENCORE À L'INTÉRIEUR, ET THOMAS AVEC EUX. JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE TINT AU MILIEU D'EUX ET LEUR DIT : « PAIX À VOUS. » (20, 26)

Au sujet du premier point, l'Évangéliste fait trois choses : il décrit le moment de l'apparition, puis les personnes auxquelles le Christ apparut [n° 2553], enfin il montre le mode de l'apparition [n° 2554].

2552. Il indique d'abord le moment : HUIT JOURS APRÈS, c'est-à-dire après le jour de la Résurrection du Seigneur, où eut lieu, le soir, la première apparition. À cela, il y a une première raison littérale : l'Évangéliste veut montrer que, bien que le Christ soit apparu plusieurs fois à ses disciples, il ne vivait cependant pas avec eux de façon continue, puisqu'il n'était pas ressuscité pour le même mode de vie, de même que nous non plus nous ne ressusciterons pas pour la même vie - Pendant tous les jours où je combats maintenant, j'attends que mon changement survienne1. Et c'est encore pour que Thomas, entendant entre-temps les disciples parler de l'apparition précédente, soit enflammé d'un plus grand désir et devienne plus fidèle à l'avenir2.

Une autre raison, mystique, est que cette apparition signifie celle par laquelle le Christ nous apparaîtra dans la gloire - Lorsqu'il apparaîtra, nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu'il est3. Et assurément cette apparition aura lieu au huitième âge de ceux qui ressuscitent4.

1. Jb 14, 14. Saint Thomas commente : « II avait comparé précédemment la vie de l'homme sur terre à un service militaire et aux journées d'un mercenaire, car le soldat comme le mercenaire attendent autre chose au terme de leur service. Et donc, de même que plus haut il a exprimé l'état du ressuscité par le jour auquel aspire le mercenaire, ainsi maintenant il exprime la même chose sous l'image du soldat. Et notons qu'il n'attend pas une fin qu'il aurait désirée quelques jours de sa vie ; car tous les jours de sa vie, il les assimile au temps du service militaire en disant : Pendant tous les jours où je combats maintenant. En outre, il faut noter que l'homme n'attend pas une autre vie semblable à celle-ci ; car alors elle serait aussi un service militaire, mais il attend une vie où il ne milite plus, mais où il triomphe et règne, et donc il dit : J'attends que mon changement survienne, comme s'il disait : En toute cette vie je milite, sujet aux mutations, aux labeurs et aux angoisses. Et de ce renouveau l'Apôtre dit : Nous ressusciterons tous mais nous ne serons pas tous changés (1 Co 15, 51) » (Exp. super lob, 14, 14, p. 93, 1. 177-195).

2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, co1. 473.

SES DISCIPLES ÉTAIENT ENCORE À L'INTÉRIEUR, ET THOMAS AVEC EUX.

2553. L'Évangéliste montre ensuite ceux auxquels le Christ est apparu. Notons ici que seul Thomas avait besoin de cette apparition ; cependant, ce n'est pas à lui en particulier (singulanter) que le Seigneur est apparu, mais à lui en tant qu'il appartenait à la communauté, pour signifier que les singularités ne sont pas tellement agréées par Dieu, mais plutôt ceux qui demeurent dans la communion de la charité - Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux5. Et de même que ceux à qui il apparaît maintenant n'ont pas été rassemblés en même temps6, ainsi lors de cette apparition tous n'étaient pas ensemble. Mais dans l'apparition future, tous seront présents, de sorte qu'aucun ne manquera - Là où se trouve le corps, là aussi se rassembleront les aigles1. — Il enverra ses anges avec trompette et grande voiX) et ils rassembleront les élus des quatre vents d'une extrémité des deux à l’autre2.

3. 1 Jn 3, 2.

4. Le huitième âge représente l'âge éternel, celui de notre résurrection pour la vie éternelle, dont le Christ nous a ouvert le chemin en y entrant le premier par sa résurrection (le huitième jour). Citons saint Augustin : « Pourquoi donc au huitième jour ? Parce que dans la semaine, le premier jour est le même que le huitième. En effet, les sept jours étant achevés, on revient au premier. Le septième se finit avec la sépulture du Seigneur, et on revient au premier avec la résurrection du Seigneur. La résurrection du Seigneur nous a en effet promis un jour éternel et a consacré pour nous le jour du Seigneur » (Serm. de Scr., 169, II, 3, PL 38, co1. 916). Et : « Le septième âge sera notre sabbat, et ce sabbat n'aura pas de soir, mais il sera le jour du Seigneur et, pour ainsi dire, un huitième jour éternel : car le dimanche, consacré par la résurrection du Christ, préfigure l'éternel repos de l'esprit et du corps. Là, nous nous reposerons et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons. Voilà ce qui sera à la fin, sans fin. Car quelle autre fin avons-nous, sinon de parvenir au royaume qui n'aura pas de fin ? » (La Cité de Dieu, XXII, xxx, 5, BA 37, p. 717-719).

5. Mt 18, 20.

6. Il s'agit ici de l'appel des disciples. Cf. Jn 1, 35 sq. ; Mt 4, 18 sq. ; Mc 1, 16 sq. ; Lc 5, 1 sq.

JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE TINT AU MILIEU D'EUX ET LEUR DIT : « PAIX À VOUS. »

2554. L'Évangéliste rapporte ensuite le mode de l'apparition, ce qu'on a exposé plus haut3. Néanmoins, il mentionne ici trois choses à ce sujet. Premièrement, il mentionne la manière dont il vient LES PORTES ÉTANT CLOSES, ce qui se produisit de manière miraculeuse, comme le dit Augustin4, en vertu de cette puissance grâce à laquelle il a marché à pied sec sur la mer5. Ensuite la manière dont il s'est tenu, AU MILIEU, pour être vu de tous ; de fait, il convenait qu'il se tînt au milieu6. Enfin la manière dont il leur parla : « PAIX À VOUS », à savoir la paix7 de la réconciliation, qu'il annonça comme désormais accomplie à l'égard de Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils 8. - Faisant la paix par le sang de sa Croix, aussi bien dans les deux que sur la terre9. Paix aussi de l'éternité et de l'immortalité à venir dont il leur promit la possession - Lui qui a établi sur tes confins^ ceux de la Jérusalem céleste, la paix 10. Paix enfin de la charité et de l'unité qu'il leur a commandé de garder - Ayez la paix entre vous11.

b) La confirmation de Thomas.

2555. On voit ici que le disciple qui doutait est affermi et de nouveau appelé ; il apparaît, par ce signe de la miséricorde divine, que le Seigneur vient aussitôt au secours de ses élus dans le malheur, bien que tous tombent. Les élus, en effet, tombent parfois, comme aussi les réprouvés, mais de manière différente, car les réprouvés se brisent ; mais aux élus le Seigneur tend aussitôt la main afin qu'ils se relèvent - Lorsque tombe le juste il ne se brisera pas car le Seigneur lui tient la main 12. - Si je disais : « Mon pied est ébranlé », ta miséricorde, Seigneur, me soutenait13. Et donc le Seigneur tend aussitôt la main à Thomas qui a trébuché, si bien que, alors que celui-ci disait : Si je ne vois pas, je ne croirai pas, il le rappelle en disant : Mets ton doigt là.

Trois choses sont rapportées à ce propos : la présentation des cicatrices, la confession de Thomas [n° 2562] et le reproche au sujet de sa lenteur à croire [n° 2563].

1. Mt 24, 28. Voir ci-dessus, n° 1862, note 7.

2. Mt 24, 31.

3. Cf. nos 2526, 2531, 2532.

4. Sermo CCXLVU in diebus paschalibus, in : Sermones de Tempore, PL 38, co1. 1157.

5. Cf. Mt 14, 25 ; Me 6, 48 ; Jn 6, 19.

6. Cf. ci-dessus, nos 2417 et 2531.

7. Sur la paix, voir ci-dessus, nus 1961-1964 et 2174.

8. Rm 5, 10.

9. Col 1, 20.

10. Ps 147, 14.

11. Me 9, 49.

12. Ps 36, 24.

13. Ps 93, 18.

Ι

PUIS IL DIT À THOMAS : « METS TON DOIGT LÀ ET VOIS MES MAINS ; APPROCHE TA MAIN ET METS-LA DANS MON CÔTÉ, ET NE SOIS PAS INCRÉDULE MAIS CROYANT. » (20, 27)

2556. Il faut d'abord, ici, noter que Thomas a posé des conditions pour croire, à savoir voir et palper les cicatrices, comme il a été dit ; et si cela lui advenait, il promettait de croire. C'est pourquoi, comme il disait cela, le Seigneur, se tenant là par la présence de sa divinité, le rappelle à lui en tenant compte de ses conditions. Le Seigneur effectue la condition, puis demande l'accomplissement de la promesse de Thomas [n° 2561].

METS TON DOIGT LÀ.

2557. La condition en effet était de pouvoir palper les cicatrices. Mais ici surgit un doute : parce qu'aucun défaut ne peut se trouver dans les corps glorieux et que les cicatrices sont des défauts, comment donc y eut-il des cicatrices dans le corps du Christ ?

Augustin répond en disant : « Le Seigneur pouvait, s'il le voulait, faire disparaître toute marque de cicatrice du corps ressuscité et glorifié, mais il savait pourquoi il laissait les cicatrices dans son corps. D'abord pour les montrer à Thomas qui ne croirait pas s'il ne les touchait et voyait, ensuite pour blâmer les infidèles et les pécheurs lors du jugement ; non pas pour leur dire comme à Thomas : Parce que tu m'as vu tu as cru, mais pour les confondre en disant : Voici l'homme que vous avez crucifié ; vous voyez les blessures que vous lui avez infligées, vous reconnaissez le côté que vous avez transpercé, puisque c'est par vous et pour vous qu'il a été ouvert et que cependant vous n'avez pas voulu entrer. »1

2558. À la suite de cela on se demande aussi si les traces des blessures demeurent dans les corps des martyrs. Mais Augustin répond également à cela dans La Cité de Dieu, en disant qu'elles demeureront non pour la laideur mais pour une beauté sans mesure : « Car il y aura en elles non de la laideur, mais de la dignité ; et une beauté, non la beauté du corps bien qu'elle soit dans un corps, mais la beauté de la vertu, rayonnera en elles. Si des membres ont été amputés ou arrachés aux martyrs, il ne s'ensuivra cependant pas qu'ils en seront privés à la résurrection des morts, eux à qui a été dit : Aucun cheveu de votre tête ne périra2. Mais des cicatrices seront visibles aux endroits où les membres, pour être détachés, ont été frappés ou coupés ; ces membres eux-mêmes ne se trouveront pourtant pas perdus, mais restitués3. »

2559. Mais, selon Grégoire4, puisqu'il n'est pas possible de palper ce qui est incorruptible, comment le Seigneur a-t-il présenté son corps incorruptible pour qu'on puisse le palper ? - Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus5. C'est pourquoi, troublé par cette raison, l'hérétique Eutychès a dit que le corps du Christ et les corps de tous les hommes ressuscites ne seront pas palpables, mais subtils et spirituels6 à la manière du vent et des esprits.

Mais cela va contre ce que dit le Seigneur : Touchez-moi et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os7 ; et le Seigneur a donc manifesté qu'il était incorruptible et palpable pour montrer qu'après la Résurrection son corps était de même nature, qu'il avait été corruptible et qu'il avait revêtu l'incorruptibilité8, et qu'il était d'une gloire autre, car ce qui avait été laid et ignominieux ressuscita dans la gloire, avec une subtilité due à l'effet d'une puissance spirituelle.

2560. Mais il ajoute : VOIS MES MAINS qui furent suspendues sur la croix ET METS-LA [ta main] DANS MON CÔTÉ, transpercé par la lance, et reconnais que je suis celui-là même qui fut suspendu à la croix. Au sens mystique, par le doigt est signifié le discernement, et par la main, notre œuvre. Le Seigneur nous exhorte donc à mettre dans son côté et le doigt et la main, afin que tout ce que nous pouvons avoir comme discernement et comme œuvre, nous le dépensions au service du Christ - Pour moi, que jamais je ne me glorifie si ce n'est dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ1.

1. Pseudo-Augustin, Sermo de Symbolo ad Catechumenos, VIII, 16, PL 40, co1. 647.

2. Ac 27, 34. Cf. Mt 10, 30 ; Lc 12, 7.

3. La Cité de Dieu, XXII, XIX, 3, BA 37, p. 635.

4. Morales sur Job, XIV, LVI, 72, SC 212, p. 435.

5. Rm 6, 9.

6. Voir ci-dessus, n" 2527 et note 11.

7. Le 24, 39.

8. Cf. 1 Co 15, 53.

2561. Et il lui demande de tenir sa promesse en disant : ET NE SOIS PAS INCRÉDULE MAIS CROYANT - Sois fidèle jusqu'à la mort2.

II

THOMAS RÉPONDIT ET LUI DIT : « MON SEIGNEUR ET MON DIEU. » (20, 28)

2562. Il apparaît ici que Thomas devint aussitôt un bon théologien en confessant la vraie foi, car il a confessé l'humanité du Christ en disant « MON SEIGNEUR ». C'est ainsi en effet qu'ils l'appelaient avant la Passion - Vous m'appelez Seigneur et Maître3. Et il a aussi confessé sa divinité en disant : « MON DIEU »4. Auparavant, en effet, ils ne l'appelaient pas Dieu, si ce n'est quand Pierre a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant5. - Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle6. - Tu es mon Dieu et je te confesse7.

1. Ga 6, 14. Saint Thomas commente : « II [l'Apôtre] ne se glorifie en rien sinon dans le Christ, et principalement dans la Croix du Christ, et cela parce qu'en elle se trouvent toutes les choses dont les hommes ont coutume de se glorifier. En effet, certains se glorifient de l'amitié des grands (par exemple des rois ou des princes), et cela l'Apôtre le trouve au plus haut point dans la Croix, puisque là est montré le signe évident de l'amitié divine - Dieu prouve ainsi sa charité envers nous : le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous (Rm 5, 8). Car rien ne montre son amour (caritatem) pour nous autant que la mort du Christ. Aussi Grégoire dit-il : "Ô inestimable dilection de la charité ! Pour racheter l'esclave, tu as livré le Fils". De même certains se glorifient de la science. Et l'Apôtre trouve la science la plus excellente dans la Croix - En effet je n'ai rien estimé savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié (1 Co 2, 2). Car dans la Croix est la perfection de toute la Loi, et tout l'art de bien vivre. De même certains se glorifient de la puissance. Et l'Apôtre a la plus grande puissance par la Croix - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu (1 Co 1, 18). De même certains se glorifient de la liberté [qu'ils ont] acquise. Et celle-là l'Apôtre l'obtient par la Croix - Notre vieil homme est crucifié, (...) pour que nous ne servions plus ensuite le péché (Rm 6, 6). De même certains se glorifient dans le signe triomphal de la victoire. Mais la Croix est le signe triomphal de la victoire du Christ contre les démons - Dépouillant les principautés et les puissances, il les a traînées hardiment, les soumettant ouvertement (Col 2, 15). - Béni le bois par lequel se fait la justice (Sg 14, 7) » (Ad Gai. lect., VI, n° 371).

2. Ap 2, 10.

III

JÉSUS LUI DIT : « PARCE QUE TU M'AS VU, THOMAS, TU AS CRU. HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU. » (20, 29)

2563. Mais le Seigneur reproche à Thomas sa lenteur en disant : PARCE QUE TU M'AS VU, THOMAS, TU AS CRU. Il lui reproche d'abord sa lenteur, puis il met en lumière la promptitude des autres à croire [n° 2566].

2564. Il lui dit donc : PARCE QUE TU M'AS VU. Il y a ici un doute8 car, puisque la foi est la substance des réalités qu'on espère, l'argument de ce qui n'est pas évident9, comme le dit l'épître aux Hébreux, comment le Seigneur peut-il dire : PARCE QUE TU M'AS VU, TU AS CRU ? Mais il faut dire qu'il a vu une chose et en a cru une autre 10. Il a vu l'homme et les cicatrices et, à partir de là, il a cru à la divinité du Christ ressuscité.

2565. Il y a un autre doute, car à Thomas qui avait demandé : Si je ne vois pas et ne touche pas, le Seigneur a accordé ces deux choses, le toucher et la vision. Il aurait donc dû dire : parce que tu m'as vu et touché, tu as cru.

3. Jn 13, 13.

4. Cf. Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 302 A.

5. Mt 16, 16.

6. 1 Jn 5, 20.

7. Ps 117, 28.

8. Saint Thomas reprend la remarque de saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 26, 8, PL 76, co1. 1202 A.

9. He 11, 1.

10. Voir ci-dessus, n" 2489.

Je réponds en disant que, selon Augustin1, nous nous servons de la vision pour désigner n'importe quel sens. Nous disons en effet : « Vois » comme c'est chaud, comme cela retentit, « vois » le goût de ceci, « vois » comme cela fait ma1. Jésus dit donc : METS TON DOIGT LÀ ET VOIS, non pas que la vision se trouve dans le doigt, mais pour dire : Touche et expérimente ; de même PARCE QUE TU M'AS VU, c'est-à-dire parce que tu as eu une expérience de moi aussi par le toucher2.

Ou bien disons qu'en voyant les blessures et les cicatrices, Thomas a été confondu en lui-même et, avant de mettre le doigt, il crut et dit : « MON SEIGNEUR ET MON DIEU. » Cependant, Grégoire3 dit qu'il a touché et que, en voyant, il a confessé.

2566. En disant ensuite HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU, le Christ met en lumière la promptitude avec laquelle les autres ont cru ; et cela nous concerne spécialement, car il utilise le passé à la place du futur à cause de la certitude4. Contrairement à cela il y a ce verset de saint Luc : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez5. Donc ceux qui ont vu sont davantage bienheureux que ceux qui n'ont pas vu. Là je réponds qu'il y a deux béatitudes. La première béatitude regarde une réalité qui consiste en un don divin qui, plus il est donné, plus il rend bienheureux ; de ce point de vue, bienheureux sont les yeux qui voient, car c'est un don de la grâce. L'autre béatitude, celle de l'espérance, réside dans le mérite ; de cet autre point de vue, celui-là est d'autant plus heureux qu'il peut mériter davantage. En effet, celui qui croit et ne voit pas mérite davantage que celui qui voit et croit.

c) La récapitulation de tout ce qui a été dit dans l'Évangile.

2567. L'Évangéliste donne ici l'épilogue : il souligne d'abord l'insuffisance de ce qu'il a écrit, puis en montre l'utilité [n° 2568].

1. Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 365.

2. Saint Thomas, là encore, est bien le disciple d'Aristote, qui lie l'expérience au sens du toucher et montre qu'il est le sens de la vie, nécessaire pour sa conservation : « II est nécessaire que ce soit le seul sens dont la privation entraîne chez les animaux la cessation de la vie » (De l'âme, III, 13, 435 b 4). « C'est par le toucher que la vie se définit » (loc. cit., b 16), et il se trouve d'une manière excellente dans l'homme : « En ce qui concerne le toucher, [l'homme] possède une finesse très supérieure à celle des autres animaux, ce qui justifie qu'il soit le plus prudent d'entre eux » (op. cit., II, 9, 421 a 20-23). Aussi l'expérience du réel existant, l'expérience au sens fort, qui se distingue de l'expérience purement interne, affectionne le sens du toucher qui permet un contact plus immédiat et plus intime avec la réalité existante, et ainsi un éveil plus profond de l'intelligence prudentielle et sapientiale. Aristote ne le dit pas plus explicitement, mais toute sa philosophie fondée sur l'expérience le montre. Et on voit bien ici le réalisme de la foi qui va assumer le réalisme de l'intelligence en l'utilisant comme une disposition : Thomas, en touchant sensiblement les blessures du Christ, réveille son intelligence puis, porté par le regard et l'amour du Christ, pose un acte de foi.

3. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 8, PL 76, co1. 1201 D-1202 A.

4. Saint Augustin voyait dans ce qu'on appellerait aujourd'hui un « parfait prophétique » le signe que Jésus connaissait le futur selon la prédestination divine (Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 367).

5. Le 10, 23.

JÉSUS A FAIT ENCORE EN PRÉSENCE DE SES DISCIPLES BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE. (20, 30)

L'insuffisance du livre apparaît en ceci, que JÉSUS A FAIT ENCORE (...) BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ?6 - Beaucoup de choses cachées sont plus grandes que celles-ci, car nous voyons peu de ses œuvres7. Selon Chrysostome8, si Jean dit cela, c'est parce qu'il raconte moins de miracles que les autres évangélistes. Donc, ne voulant pas paraître les nier, il dit cela et ajoute de manière spéciale : QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE.

6. Jb 26, 14.

7. Si 43, 36.

8. In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, co1. 474. Saint Jean Chrysostome insiste aussi sur le fait que les signes non rapportés par Jean appartiennent à la période des apparitions du Ressuscité.

Ou bien ceci se rapporte à la Passion et à la Résurrection, comme s'il disait : après être ressuscité, il a fait beaucoup de choses devant ses disciples, pour montrer sa Résurrection, qu'il n'a pas montrées aux autres - Il lui a donné de se manifester non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu1.

MAIS CEUX-CI ONT ÉTÉ ÉCRITS AFIN QUE VOUS CROYIEZ QUE JÉSUS, LE CHRIST, EST LE FILS DE DIEU, ET AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE EN SON NOM. (20, 31)

2568. Puis il mentionne l'utilité du livre dont l'effet est la foi. À cela, en effet, est ordonnée toute l'Écriture du Nouveau et de l'Ancien Testament - En tête du livre il est écrit de moi2. - Vous scrutez les Écritures (...) et ce sont elles qui rendent témoignage de moi3. Le fruit de ce livre est la vie : AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE, ici-bas la vie de justice que l'on a par la foi - Mon juste vivra par la foi4 -, et dans le monde futur la vie de la vision5 que l'on aura dans la gloire, EN SON NOM, à savoir le nom du Christ - II n'y a pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés6.

1. Ac 10, 40-41.

2. Ps 39, 8. Saint Thomas commente : « Le livre, c'est le Christ.

Le livre, c'est l'instrument dans lequel sont écrits les projets (conceptiones) du cœur ; mais dans le Christ sont les projets de l'intelligence divine - En lui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés (Col 2, 3). La tête du livre est Dieu le Père - La Tête du Christ [est] Dieu (1 Co 11, 3). Donc en tête du livre, c'est-à-dire dans la volonté de Dieu le Père, il est écrit, à savoir prescrit "à mon sujet", que je viendrai. Ou bien autrement : il s'agit du livre de la prédestination qui est le livre de vie - Qu'ils soient effacés du livre de vie (Ps 68, 29), c'est-à-dire des vivants. Dans ce livre sont inscrits tous ceux qui doivent être sauvés, mais selon un ordre : car en tête de ce livre il est écrit "Sauveur", et tous sont inscrits par lui - Il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même le premier-né entre beaucoup de frères (Rm 8, 29). - Il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous soyons saints et sans tache en sa présence dans la charité (Ép 1, 4) -, autrement dit : le Christ n'est pas inscrit comme les autres mais en tête du livre » (Exp. in Psalmos, 39, n° 4). 3. Jn 5, 39.

4. Ha 2, 4.

5. Voir vo1. I, n° 1145 et note 10.

6. Ac 4, 12.

 

CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION (SUITE)

II. LA TROISIÈME APPARITION DU CHRIST À SES DISCIPLES

Évangile selon saint Jean Chapitre XXI

1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau à l'ensemble de ses disciples près de la mer de Tiberiade. Or il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanael qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi que deux autres de ses disciples, se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui disent : « Nous aussi nous venons avec toi. » Et ils sortirent et montèrent dans la barque, et cette nuit-là ils ne prirent rien.4 Or, le matin venu, Jésus se tint sur le rivage, mais ses disciples ne connurent pas que c'était Jésus. 5 Jésus leur dit donc : « Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » 6 II leur dit : « Lâchez le filet à droite de la barque et vous trouverez. » Ils le lâchèrent donc et ils n'avaient plus la force de le remonter à cause de la multitude de poissons.

7 Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Simon-Pierre, ayant entendu « C'est le Seigneur », noua sa tunique à la ceinture, car il était nu, et se jeta à la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque, car ils n'étaient pas loin de la terre mais à environ deux cents coudées, en tirant le filet plein de poissons.

9 Une fois descendus à terre, ils virent des braises disposées et, posés dessus, du poisson et du pain. 10 Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11 Simon-Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et, bien qu'il y en eût autant, le filet ne se déchira pas. 12 Jésus leur dit : « Venez, mangez ! » Et aucun de ceux qui prenaient part au repas n'osait lui demander : « Toi, qui es-tu ? », sachant qu'il est le Seigneur. 13 Et Jésus vient, il prend le pain et le leur donne, et de même le poisson. 14 C'était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples après s'être relevé d'entre les morts.

15 Quand ils eurent pris le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » II lui dit : « Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! » II lui dit : « Pais mes agneaux. » 16 II lui dit de nouveau : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » II lui dit : « Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! » II lui dit encore : « Pais mes agneaux. » 17 II lui dit une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut contristé de ce qu'il lui eût demandé une troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il lui dit : « Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je t'aime ! » II lui dit : « Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis, lorsque tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra et t'emmènera là où tu ne veux pas. » 19 Or il dit cela pour signifier par quelle mort il glorifierait Dieu. Après avoir dit cela, il lui dit : « Suis-moi ! » 20 S'étant retourné, Pierre vit que le disciple que Jésus aimait les suivait - celui qui à la Cène reposa sur sa poitrine et dit : « Seigneur, qui est celui qui te livrera ? » 21 L'ayant donc vu, Pierre dit à Jésus : « Et de lui, Seigneur, qu'en sera-t-il ? »22 Jésus lui dit : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! » 23 Le bruit se répandit donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus ne lui a pas dit : « II ne mourra pas », mais : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? »

24 C'est ce disciple-là qui témoigne de ces choses et les a mises par écrit, et nous savons que son témoignage est vrai. 25 Mais il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites, et s'il fallait les mettre par écrit une par une, je ne pense pas que le monde lui-même pourrait contenir les livres qu'il faudrait écrire.

 

2569. Ayant relaté les deux premières apparitions du Christ à ses disciples, l'Évangéliste rapporte ici la troisième apparition.

Et si nous regardons bien l'ordre et la fin de ces apparitions, il apparaît que, dans la première, il manifeste l'autorité de sa divinité en leur insufflant l'Esprit Saint ; dans la seconde, il révèle l'identité de sa personne en leur montrant ses cicatrices ; dans la troisième, il manifeste la vérité de sa Résurrection en mangeant avec eux.

Cette dernière partie se divise en deux ; en premier lieu l'Évangéliste montre ce que le Seigneur révéla de manière générale à plusieurs de ses disciples, puis en second lieu ce qu'il confia en particulier aux deux disciples qu'il aimait d'un amour de prédilection [n° 2614].

1. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA DE MANIÈRE GÉNÉRALE À SES DISCIPLES

Concernant cette première partie, il présente d'abord l'apparition elle-même, puis rapporte la manière dont elle se déroula [n° 2574], et enfin il donne une conclusion [n° 2613].

A. L'ANNONCE DE L'APPARITION

APRÈS CELA, JÉSUS SE MANIFESTA DE NOUVEAU À L'ENSEMBLE DE SES DISCIPLES PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE. OR IL SE MANIFESTA AINSI. (21,1)

II présente l'apparition sous trois aspects : le moment, le mode [n° 2572] et le lieu de l'apparition [n° 2573].

a) Le moment de l’apparition.

2570. Le moment, en effet, puisque l'Évangéliste dit APRÈS CELA (postea), c'est-à-dire après les événements déjà rapportés. Et il le dit à dessein parce que, comme nous l'avons dit, le Christ ne se trouvait pas continuellement avec ses disciples mais leur apparaissait à certains moments. La raison en est qu'il n'était pas ressuscité pour la même vie mais pour la vie glorieuse, celle où sont les anges et où seront les bienheureux - Excepté les dieux, c'est-à-dire les anges, qui ne vivent pas avec les hommes1.

2571. Mais pourquoi l'Évangéliste ajoute-t-il ici ce récit après avoir plus haut donné une conclusion en disant : Ces choses ont été écrites2 ? À cela Augustin3 attribue une raison mystique : par cette apparition est signifiée la gloire de la vie à venir, où [le Christ] nous apparaîtra tel qu'il est4. C'est pourquoi il a placé cette [apparition] après la fin, pour rendre plus évident le lieu où [le Christ] donnerait à percevoir cette [gloire].

b) Le mode de l’apparition.

JÉSUS SE MANIFESTA DE NOUVEAU.

2572. La manière dont Jésus apparut nous est donnée ici. C'est en effet le propre d'un corps glorieux5, dans sa nature et sa puissance, de pouvoir comme il le veut se rendre visible et invisible à un corps non glorieux. C'est pourquoi il est dit : JÉSUS SE MANIFESTA, c'est-à-dire se rendit visible. On appelle encore cela « apparaître » ou, ce qui revient au même, « se manifester », comme on le lit dans les Actes des Apôtres : leur apparaissant pendant quarante jours6. Car, comme le dit Ambroise 7, apparaît celui qui a le pouvoir d'être visible et invisible.

c) Le lieu de l’apparition.

2573. L'Évangéliste mentionne le lieu de l'apparition, PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE, qui est la mer de Galilée, nommée ainsi à cause de la province de Galilée, mais appelée aussi de Tibériade en raison de la cité édifiée en l'honneur de Tibère César. En précisant cela, l'Évangéliste veut d'abord indiquer que la promesse faite aux disciples - Il vous précédera en Galilée8 - a été accomplie ; et encore, que le Seigneur avait bien chassé du cœur de ses disciples la crainte, afin qu'ils ne demeurent plus désormais enfermés dans leur maison mais avancent au loin, jusqu'à la Galilée9.

1. Dn 2,11. Quorum conversatio non est cum hominibus. Sur le sens du mot conversatio, voir vo1. I, n° 1176, note 3, n° 1374, note 13, et n° 1584, note 2.

2. Jn 20, 31.

3. Tract, in Io., CXXII, 1, BA 75, p. 369.

4. Cf. 1 Jn 3, 2.

5. Sur la propriété des corps glorieux, voir ci-dessus, n° 2527 et note 11.

6. Ac 1, 3.

7. Nous n'avons pu trouver l'origine de cette citation, qui n'est sans doute pas de saint Ambroise.

8. Mt 28, 7. Saint Thomas commente : « Au sens mystique, Galilée signifie transmigratio et peut signifier le passage vers les païens. C'est pourquoi vous le verrez en Galilée, c'est-à-dire vous annoncerez son nom aux païens. Or ils n'auraient pas fait cela s'il ne les précédait » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2433).

9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.

Β. L'APPARITION DU CHRIST

OR IL SE MANIFESTA AINSI. SIMON-PIERRE, THOMAS APPELÉ DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, AINSI QUE DEUX AUTRES DE SES DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE. (21, 1-2)

OR IL SE MANIFESTA.

2574. Par ces mots, l'Évangéliste présente l'apparition elle-même ; d'abord les personnes auxquelles elle a été faite, ensuite l'activité 1 de ces personnes [n° 2576]. Il nous rapporte enfin la manière dont eut lieu l'apparition [n° 2583].

a) Les disciples auxquels elle a été faite.

SIMON-PIERRE, THOMAS APPELÉ DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, AINSI QUE DEUX AUTRES DE SES DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE.

2575. Les personnes auxquelles il se manifesta sont au nombre de sept ; c'est pourquoi il dit SIMON-PIERRE - celui qui avait renié -, THOMAS APPELÉ DIDYME - qui n'avait pas été là lors de la première apparition -, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA DE GALILÉE - qui, à ce qu'on croit, était frère de Philippe dont il a déjà été question -, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, c'est-à-dire Jacques et Jean, AINSI QUE DEUX AUTRES, qui ne sont pas nommés expressément.

Par ce nombre est signifiée mystiquement la révélation de la gloire à venir qui aura lieu après le septième âge, c'est-à-dire au huitième, âge de ceux qui ressuscitent2 -Et il arrivera que de mois en mois, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra adorer devant ma face3.

b) Leur activité.

SIMON-PIERRE LEUR DIT : « JE VAIS PÊCHER. » ILS LUI DISENT : « NOUS AUSSI NOUS VENONS AVEC TOI. » ET ILS SORTIRENT ET MONTÈRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE NUIT-LÀ ILS NE PRIRENT RIEN. (21, 3)

2576. L'activité qui les occupait alors était la pêche. L'Évangéliste montre d'abord l'invitation de Pierre à cette activité, puis l'acquiescement des autres [n° 2581], enfin son exécution [n° 2582].

1. « Activité » traduit ici officium, qui peut avoir plusieurs sens : « service », « charge », « fonction » ou « mission ». Nous avons traduit différemment selon les cas.

2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 6, BA 75, p. 381. Voir aussi ci-dessus, n° 2552, note 4.

3. Is 66, 23.

Ι

SIMON-PIERRE LEUR DIT : « JE VAIS PÊCHER. »

2577. Simon-Pierre appelle les autres au service [de la pêche], qui au sens mystique signifie le service de la prédication - Je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes4. Pierre dit donc aux autres : JE VAIS PÊCHER, parce qu'il associe les autres à son souci et à sa prédication - Alors la charge sera plus légère pour toi, le fardeau étant partagé avec d'autres1.

4. Mt 4, 19. Saint Thomas commente : « Je vous ferai, c'est-à-dire je changerai votre travail en un plus grand - Voici que j'envoie beaucoup de pêcheurs, dit le Seigneur, qui les pécheront (Jr 16, 16). Et il dit je vous ferai parce que la prédication extérieure travaille en vain si, de l'intérieur, la grâce du Rédempteur n'est pas là. En effet, ce n'était pas par leur propre puissance qu'ils attiraient les hommes, mais par l'opération du Christ. Aussi dit-il je vous ferai. Et certes cette dignité est très grande. Aussi Denys dit-il : "Rien n'est plus digne dans un service humain que d'être coopérateur de Dieu"« (Sup. Matth. lect., IV, n° 370).

2578. Pourtant Luc dit : Quiconque ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas apte au royaume de Dieu2. Or il s'avère que Pierre avait renoncé à son métier de pêcheur ; comment donc y est-il retourné et a-t-il ainsi regardé en arrière ?

Réponse, selon Augustin3 : s'il était retourné à son métier de pêcheur avant que le Christ ne ressuscitât et leur montrât ses plaies, nous aurions pensé qu'il avait fait cela par désespoir. Mais, maintenant que le Christ leur a été rendu vivant du sépulcre, qu'ils ont examiné les marques de ses blessures et reçu de lui le souffle de l'Esprit Saint, ils sont redevenus ce qu'ils étaient, pêcheurs de poissons.

Par là il nous est donné à entendre que le prédicateur peut chercher ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance par un travail licite, gardant l'intégrité de son apostolat, et s'il n'a rien venant d'ailleurs. En effet, si le bienheureux Paul dut apprendre un métier qu'il ignorait4 pour ne pas peser sur les autres et subvenir à ses besoins, combien plus Pierre pouvait-il faire cela par son travail qui était licite.

2579. Mais tu dis que cela ne s'impose que lorsqu'on n'a rien venant d'ailleurs. Mais il est manifeste que Pierre a et a toujours eu [le nécessaire], parce que le Seigneur l'a promis - Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses, c'est-à-dire celles qui sont nécessaires à la vie, vous seront données par surcroît5.

Là il faut dire qu'il est vrai qu'elles nous sont données par surcroît, mais si nous coopérons, et c'est pourquoi le Seigneur a comblé Pierre, qui coopérait. Car qui d'autre que le Seigneur lui-même a pu faire venir ces poissons pour qu'ils puissent être pris6 ?

2580. Cependant il faut noter, selon Grégoire7, qu'il y a deux sortes de charges. L'une accapare l'esprit et fait obstacle aux œuvres spirituelles. C'est à une telle charge, comme la perception de l'impôt ou une autre du même genre, qu'il ne faut pas revenir, et on ne doit pas chercher à s'en procurer de quoi vivre. C'est pourquoi nous ne lisons pas [dans l'Évangile] que Matthieu soit revenu au bureau de douane. Mais il y a une autre charge dont l'exercice n'implique aucun péché et n'accapare pas l'esprit, comme celui de la pêche et autres du même genre ; c'est pourquoi il n'y eut pas de faute pour les Apôtres à y revenir après leur conversion.

II

NOUS AUSSI NOUS VENONS AVEC TOI.

2581. L'Évangéliste nous rapporte ainsi l'acquiescement des autres, montrant par là aux prédicateurs et aux prélats que, selon cet exemple, ils doivent s'encourager mutuellement en vue de la conversion des hommes - Un frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte 8. - Autour de lui était une couronne de frères, comme une plantation de cèdres sur le mont Liban9.

1. Ex 18, 22.

2. Le 9, 62.

3. Tract, in Io., CXXII, 2-3, BA 75, p. 371-377.

4. Voir Tract, in Io., loc. cit., p. 377, où saint Augustin précise que Paul « apprit un métier qu'il ne connaissait pas », mais cela ne s'accorde pas avec les données scripturaires (voir notamment Ac 18, 3).

5. Mt 6, 33.

6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 4, BA 75, p. 379.

7. XL hom. in Evang., II, hom. 24, 1, PL 76, co1. 1184 B-C.

8. Pr 18, 19 (propre à la Vulgate).

9. Si 50, 13.

III

ET ILS SORTIRENT ET MONTÈRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE NUIT-LÀ ILS NE PRIRENT RIEN.

2582. L'Évangéliste expose ensuite la réalisation de leur activité, et il touche les trois choses que doivent faire les prédicateurs.

En premier lieu, bien sûr, sortir (ILS SORTIRENT) de la compagnie des pécheurs - Sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur, et ne touchez pas à ce qui est impur et je vous recevrai1 ; se détacher des affections de la chair - Sors de ton pays, de ta parenté, et de la maison de ton père2 - et même quitter le repos de la contemplation en vue du labeur - Sortons dans la campagne, demeurons dans les vignes. Dès le matin, levons-nous pour aller dans les vignes3.

Ensuite les prédicateurs doivent monter ([ILS] MONTÈRENT) dans la barque, c'est-à-dire progresser dans l'amour de l'unité de l'Église appelée aussi barque - Aux jours de Noé (...), pendant qu'on bâtissait l'arche dans laquelle peu de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées à travers l'eau4 ; et encore, monter dans la barque de la Croix en assumant la mortification de la chair - Pour moi, puissé-je ne me vanter que de la Croix de Notre-Seigneur Jésus Christ par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde5. - Béni est le bois par lequel est faite la justice 6. Enfin, les prédicateurs doivent avoir une totale confiance en l'aide du Christ. Si durant toute cette nuit ILS NE PRIRENT RIEN, c'est que tant qu'elle reste privée du secours divin et de la prédication intérieure, la langue du prédicateur travaille en vain. Mais quand vient la lumière qui illumine les cœurs, alors ils « prennent » - Envoie ta lumière et ta vérité7. C'est en ce sens que la privation du secours divin est appelée « nuit » - La nuit vient où personne ne peut travailler8. On peut aussi comprendre CETTE NUIT-LÀ, c'est-à-dire l'ancienne Alliance, ILS NE PRIRENT RIEN puisqu'ils n'ont pu amener les païens à la foi - La nuit est déjà très avancée9. Selon Luc 10, s'ils péchaient la nuit, c'est qu'ils restaient encore timides.

1. 2 Co 6, 17. Saint Thomas commente : « Nous devons sortir du milieu des infidèles en renonçant à leurs péchés. (...) Ce que dit l'Apôtre doit s'entendre de la séparation spirituelle : sortez du milieu d'eux spirituellement, en veillant à ne pas suivre leur conduite - Comme le lis au milieu des chardons, ainsi ma bien-aimée parmi les jeunes filles (Ct 2, 2). Cela veut dire que nous devons éviter même les occasions de péché qui nous sont données par eux. Séparez-vous est une invitation à fuir toute entente avec eux - Je suis venu séparer le fils d'avec son père (Mt 10, 35). - Retirez-vous des tentes des impies (Nb 16, 26). En troisième lieu nous devons les confondre quand ils agissent ma1. Ne touchez à rien d'impur signifie : ne vous laissez entraîner à rien de mal par eux - Non seulement ils font de telles choses, mais ils approuvent ceux qui les font (Rm 1, 32). - Ne prenez aucune part aux œuvres stériles (Ep 5, 11) et cela, parce que qui touche la poix s'englue (Si 13, 1) » {Ad 2 Cor. lect., VI, n° 243).

2. Gn 12, 1.

3. Ct 7, 11-12.

4. 1 Ρ 3, 20.

5. Ga 6, 14. Voir ci-dessus, n° 2560, note 1.

6. Sg 14, 7.

7. Ps 42, 3. Saint Thomas commente : « On parvient à Dieu par les souffrances de l'âme et par la connaissance - L'entrée dans le repos est promise à ceux qui croient (He 4, 3). Deux choses sont nécessaires à la connaissance : la lumière et l'objet à connaître - Tout ce qui est manifesté est lumière (Ep 5, 13). Et c'est pourquoi il demande deux choses : la lumière et la vérité, biens auxquels je ne peux pas accéder par moi-même. Aussi dit-il : Envoie ta lumière et ta vérité. Ici lumière et vérité sont une même chose, car elles sont prises pour le Christ. Envoie ta lumière, c'est-à-dire le Christ - Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn 1, 9) -, et ta vérité - Moi je suis le chemin et la vérité (Jn 14, 6) -, car le Christ est lui-même la vérité et la vie, autrement dit : Dieu le Père envoie le Christ. Ou bien, lumière est pris ici dans le sens de la loi, car le commandement du Seigneur est une lampe, et sa Loi une lumière (Pr 6, 23). Et la vérité, c'est le Nouveau Testament » (Exp. in Psalmos, 42, n° 2).

8. Jn 9, 4.

9. Rm 13, 12. Sur les significations de la nuit, voir vo1. I, n° 1305, note 9.

10. Il s'agit en fait de saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.

c) La manière dont eut lieu l’ apparition.

2583. L'Évangéliste poursuit en rapportant ici la manière dont eut lieu l'apparition et l'ordre de ce qui arriva. Dans un premier temps Jésus se donne à voir de manière corporelle, puis il amène ses disciples à le reconnaître [n° 2587] et leur présente enfin un repas amical [n° 2597].

Ils voient Jésus physiquement.

OR, LE MATIN VENU, JÉSUS SE TINT SUR LE RIVAGE, MAIS SES DISCIPLES NE CONNURENT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (21, 4)

2584. Dans la première partie, il montre d'abord la présence du Christ, puis l'ignorance des disciples. Or, au sens mystique, LE MATIN évoque la gloire de la Résurrection - Au soir seront réservés les pleurs, et au matin la joie 1 - et encore les pleurs [d'émotion] de la vie éternelle - Dès le matin je me présenterai devant toi et je verrai2.

2585. Mais puisqu'au cours d'un miracle semblable avant sa Passion, Jésus ne s'était pas tenu sur le rivage mais dans la barque3, pourquoi après sa Passion se tient-il SUR LE RIVAGE ?4 La raison en est que la mer signifie l'agitation du siècle présent ; or le rivage marque la limite de la mer - Lui qui a posé le sable pour limite à la mer, précepte éternel qu'elle ne franchira pas5. Certes, avant sa Passion, le Christ se tint sur la mer parce qu'il avait un corps mortel, tandis qu'après sa Résurrection, ayant quitté désormais la corruption de la chair, il SE TINT SUR LE RIVAGE.

1. Ps 29, 6. Voir ci-dessus, n° 2085 et note 8.

2. Ps 5, 5. Saint Thomas commente : « Le psalmiste expose le motif de sa confiance. (...) Deux raisons sont attribuées à juste titre à cette confiance. D'abord, parce qu'il se présente dès le matin, c'est-à-dire adhère à Dieu, et se prépare à rencontrer Dieu. C'est pourquoi la version Juxta Hebraeos de Jérôme lit : praeparabor (je me préparerai) - Avant la prière, prépare ton âme, et ne sois pas comme un homme qui tente Dieu (Si 18, 23). Donc dès le matin du jour, c'est-à-dire aux heures du matin, je me présenterai à toi, c'est-à-dire je me dirigerai vers toi. (...) Et tu entendras ma voix. Car Dieu écoute ceux qui s'attachent à lui. Dès le matin, c'est-à-dire de la grâce, les ténèbres de la faute ayant été chassées, je me présenterai et je te contemplerai, selon la version Juxta Hebraeos de Jérôme - Le juste sera comme la lumière de l'aurore, qui, au soleil levant, le matin, brille sans nuages, et comme l'herbe qui germe de la terre par les pluies (2 S 23, 4). Tu entendras ma voix, c'est-à-dire en me libérant de la faute et du châtiment. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire au jour de l'éternité - Où étais-tu (...) lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les fils de Dieu étaient transportés de joie ? (Jb 38, 4 et 7). Et alors l'homme sera totalement entendu. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire depuis la jeunesse, je me présenterai à toi - II est bon à l'homme de porter un joug dès sa jeunesse (Lm 3, 27), et Souviens-toi de ton Créateur dans les jours de ta jeunesse, avant que vienne le temps de l'affliction (Qo 12, 1). Tu entendras ma voix qui déclare dans les Proverbes : J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui dès le matin veillent pour me chercher me trouveront (8, 17). La seconde raison de sa confiance, c'est qu'il verra ; aussi dit-il : et je verrai » {Exp. in Psalmos, 5, n° 2).

2586. L'ignorance des disciples consiste en ce qu'ils NE CONNURENT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. Nous saisissons par là que, plongés dans la mer de cette agitation, nous ne pouvons pas connaître les secrets du Christ - L'œil n'a pas vu, ô Dieu, excepté toi, ce que tu as préparé pour ceux qui t'attendent6.

3. Cf. Lc 5, 3-6.

4. La question vient de saint Grégoire le Grand {XL hom. in Evang., II, hom. 24, 1, PL 76, co1. 1184 D-l 185 A) qui répond par un texte présentant admirablement le problème de la modalité de la présence et de l'action du Christ glorifié dans l'Église militante, sur la base de la comparaison entre les deux récits évangéliques de la pêche miraculeuse, l'un avant l'autre après la Résurrection. Il reprend aussi le développement de saint Augustin.

5. Jr 5, 22.

6. Is 64, 4.

Ils reconnaissent Jésus.

JÉSUS LEUR DIT DONC : « LES ENFANTS, AVEZ-VOUS QUELQUE CHOSE À MANGER ? » ILS LUI RÉPONDIRENT : « NON. » IL LEUR DIT : « LÂCHEZ LE FILET À DROITE DE LA BARQUE ET VOUS TROUVEREZ. » ILS LE LÂCHÈRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA FORCE DE LE REMONTER À CAUSE DE LA MULTITUDE DE POISSONS. (21, 5-6)

2587. Ensuite Jésus amène les disciples à le reconnaître. D'abord l'Évangéliste montre comment il les a amenés à cette connaissance, puis souligne l'ordre [suivant lequel ils l'ont reconnu] [n° 2591].

I

JÉSUS LEUR DIT DONC : « LES ENFANTS, AVEZ-VOUS QUELQUE CHOSE À MANGER ? »

2588. Dans cette première partie, il distingue trois choses.

D'abord la question posée par le Seigneur à propos de la nourriture. Les disciples en effet croyaient qu'il n'était pas le Christ mais un acheteur de poisson, qui leur parlait comme un acheteur1. Or, au sens mystique, c'est à nous que, pour refaire (reficere) ses forces, il réclame cette nourriture qui est l'obéissance aux commandements de Dieu - Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son œuvre2.

ILS (c'est-à-dire les disciples) LUI RÉPONDIRENT : « NON », c'est-à-dire : « pas par nous-mêmes » car, comme le dit Paul, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien je ne l'y trouve pas3.

LACHEZ LE FILET A DROITE DE LA BARQUE.

2589. Ensuite l'Évangéliste nous rapporte ce commandement. Nous trouvons cependant, en Luc4, qu'avant la Passion une chose semblable avait été faite sans qu'il leur commandât de lâcher le filet à droite comme ici5. Par là est signifiée cette pêche par laquelle les prédestinés 6 sont attirés vers la vie éternelle, vie dans laquelle ne sont introduits que les fils de la droite7 - Car les voies qui sont à droite, le Seigneur les connaît, mais perverses celles qui sont à gauche8. - La droite du Seigneur a exercé sa puissance9.

La pêche précédente, elle, signifie la vocation pour l'Église de ce siècle ; et c'est pourquoi le filet peut être jeté indifféremment d'un côté ou de l'autre, puisque les poissons sont attrapés et amenés un par un vers lui - Va vite dans les places et les rues de la ville 10.

ILS LE LÂCHÈRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA FORCE DE LE REMONTER À CAUSE DE LA MULTITUDE DE POISSONS.

2590. Par ces mots l'Évangéliste souligne l'obéissance des disciples, puis l'effet de cette obéissance, LA MULTITUDE DE POISSONS, c'est-à-dire de ceux qui doivent être sauvés - Je multiplierai ta postérité comme le sable qui est sur le rivage de la mer (...) parce que tu as obéi à ma voix1. -J'ai vu une foule immense que nul ne pouvait dénombrer2.

1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.

2. Jn 4, 34.

3. Rm 7, 18.

4. Voir Lc 5, 4.

5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385.

6. Sur la prédestination, voir surtout vo1. I, n° 938, note 1, n° 1301 et note 11, n° 1373 et note 12, mais aussi ci-dessus, nos 1789, 2024, 2218, 2262, et ci-dessous, n° 2605.

7. Cf. Gn 35, 18 : Mais son âme étant près de sortir par l'excès de la douleur, et la mort déjà s'approchant, elle appela son fils du nom de Benoni, c'est-à-dire fils de ma douleur ; mais son père l'appela Benjamin, c'est-à-dire fils de la droite.

8. Pr 4, 27.

9. Ps 117, 16.

10. Lc 14, 21.

Cette pêche-ci diffère donc de celle que nous rapporte Luc où le filet se déchire3 ; ainsi l'Église souffre-t-elle de déchirures du fait de dissensions et d'hérésies. Mais ici le filet ne se déchire pas, puisqu'il ne peut exister de divisions dans la vie à venir. Aussi, tandis qu'à la première apparition les poissons sont tirés jusqu'à la barque, dans celle-ci ils sont amenés sur le rivage, car les saints qui sont dans cette gloire sont à présent cachés à nos yeux4 - Tu les cacheras dans le secret de ta face loin de la persécution des hommes5.

II

ALORS LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT À PIERRE : « C'EST LE SEIGNEUR ! » SIMON-PIERRE, AYANT ENTENDU « C'EST LE SEIGNEUR », NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA À LA MER. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE FILET PLEIN DE POISSONS. (21, 7-8)

2591. Après avoir exposé ce qui permit aux Apôtres de connaître le Christ, LA MULTITUDE DE POISSONS qu'il leur accorda, l'Évangéliste montre l'ordre suivant lequel ils le reconnurent, et d'abord comment Jean s'est comporté dans cette circonstance, puis Pierre [n° 2593], et enfin les autres disciples [n° 2595].

ALORS LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT À PIERRE : « C'EST LE SEIGNEUR ! »

2592. Jean nous apparaît comme perspicace dans sa connaissance parce qu'aussitôt il reconnut le Christ ; c'est pourquoi, poussé à cela par la capture des poissons, il dit à Pierre, qu'il aimait plus que les autres, et aussi parce qu'il était le premier de tous : « C'EST LE SEIGNEUR ! » - C'est toi qui domines sur la puissance de la mer6. - Tout ce qu'il a voulu, le Seigneur l'a fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes7. Et il dit seulement « C'EST LE SEIGNEUR ! », parce que c'est ainsi qu'ils avaient l'habitude de l'appeler - Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis8.

SIMON-PIERRE, AYANT ENTENDU « C'EST LE SEIGNEUR », NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA À LA MER.

2593. Pierre est présenté dans sa ferveur à suivre9. Celle-ci se traduit d'abord par sa promptitude10. Ayant entendu, il ne tarda pas mais se prépara aussitôt à aller le rejoindre - Ne tarde pas à te tourner vers le Seigneur et ne diffère pas de jour en jour11.

Cette ferveur apparaît ensuite dans le respect qu'il manifesta à l'égard du Christ puisque, par pudeur, il ne voulut pas le rejoindre nu, mais NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU en raison de la chaleur du pays, et aussi pour ne pas être gêné dans son travai1. Là il faut comprendre que ceux qui viennent au Christ doivent se dépouiller du vieil homme et revêtir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la foi1 - Celui qui aura vaincu sera ainsi vêtu de blanc, et je n'effacerai pas son nom du livre de vie2.

1. Gn 22, 17-18.

2. Ap 7, 9.

3. Cf. Lc 5, 6.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385-387.

5. Ps 30, 21. Voir vo1. I, n° 921, note 2.

6. Ps 88, 10.

7. Ps 134, 6. Voir vo1. I, n° 753 : « La volonté de Dieu est cause des réalités ».

8. Jn 13, 13.

9. Sur la ferveur de Pierre, voir plus haut, nos 1761-1762 et 1841-1843.

10. Les trois qualités de Pierre que saint Thomas note ici sont reprises de saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.

11. Si 5, 8.

Sa ferveur se manifeste enfin dans la sûreté de son action ; car, en raison de son trop grand amour, il ne voulut pas aller avec la barque parce qu'il aurait été retardé, mais il SE JETA À LA MER, pour parvenir plus vite au Christ.

2594. Au sens mystique, la mer représente l'agitation de ce siècle ; aussi ceux qui ont un grand désir de gagner le Christ se jettent-ils à la mer, sans fuir les tribulations de ce monde - C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu 3. - Mon fils, entrant au service de Dieu, sois ferme dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à la tentation 4.

Pierre se jeta donc à la mer et cependant parvint indemne auprès du Christ, parce que des tribulations le serviteur du Christ sort sain et sauf- C'est toi qui as tracé sur la mer une voie et au milieu des flots un sentier très assuré5.

Et, selon Chrysostome, c'est bien ici que nous sont le mieux révélés ce que sont Pierre et Jean : Jean est le plus élevé par son intelligence et Pierre le plus fervent dans son amour6.

QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE FILET PLEIN DE POISSONS.

2595. Quant aux autres disciples, ils s'avancèrent avec la barque. C'est pourquoi l'Évangéliste nous présente premièrement ce qu'ils firent : ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, parce qu'ils étaient moins fervents. Or cette barque signifie l'Église - L'espoir du globe de la terre se réfugiant dans un vaisseau conserva au monde un germe de renaissance7 -, selon la première épître de Pierre 8. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, c'est-à-dire dans le sein protecteur de l'Église redoutable comme une armée rangée en bataille9. - Tu les abriteras dans ton tabernacle contre la contradiction des langues 10.

2596. Deuxièmement, il donne l'explication de ce qu'il vient de dire : CAR ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE. C'est peut-être parce que la barque était proche de la terre que Pierre se jeta à l'eau, et que les autres disciples parvinrent rapidement au rivage. D'autre part, s'ils n'étaient pas loin, c'est que l'Église n'est pas loin de la terre des vivants11 puisqu'elle est maison de Dieu et porte du Ciel12, et c'est bien cette terre que les saints contemplent chaque jour - Parce que nous ne considérons pas les choses qui se voient mais celles qui ne se voient pas13. - Pour nous, notre vie est dans les deux 14.

Jean précise : MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, ce qui signifie la même chose que les deux navires dans Luc, c'est-à-dire deux peuples1 du milieu desquels les élus se trouvent entraînés vers la vie éternelle - Pour créer les deux en un seul peuple2.

1. Cf. Ep 4, 22-24.

2. Ap 3, 5.

3. Ac 14, 21.

4. Si 2, 1.

5. Sg 14, 3.

6. « Ille [Pierre] ferventior, hic [Jean] sublimior ; ille promptior, hic perspicacior » {In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475).

7. Sg 14, 6.

8. 1 Ρ 3, 20 : Aux jours de Noé, pendant qu'on bâtissait l'arche, dans laquelle peu de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées par l'eau.

9. Ct 6, 3.

10. Ps 30, 21. Saint Thomas commente : « Cela regarde l'Église présente, qui est la tente de ceux qui militent - II y aura une tente pour ombrage le jour contre la chaleur, et pour mettre en sûreté et à couvert de la tempête et de la pluie (Is 4, 6). Et cela contre la contradiction des langues, qui, soit en blasphémant Dieu, soit en enseignant des choses fausses, contredisent la vraie doctrine ; c'est le cas des schismes et des diverses hérésies - Un faux raisonneur est suscité devant ma face, me contredisant (Jb 16, 9). Donc si on recourt à la tente de Dieu, c'est-à-dire à l'Église, et aux mystères de sa foi, on y trouve une défense sûre contre de telles choses, contre la contradiction des langues ο (Exp. in Psalmos, 30, n° 17).

11. Cf. Ps 26, 13 ; 51, 7 ; 114, 9 ; 141, 6.

12. Gn 28, 17 : Que ce lieu est redoutable/ Ce n'est rien de moins qu'une maison de Dieu et la porte du cie1.

13. 2 Co 4, 18.

14. Ph 3, 20. Voir vo1. I, n° 1176, note 3.

Quant à ce filet dans lequel les poissons sont traînés, c'est la doctrine de la foi par laquelle d'une part Dieu nous attire en nous inspirant de l'intérieur - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire3 -, et par laquelle d'autre part les Apôtres nous attirent en nous exhortant comme ici.

Le repas que Jésus partagea avec eux.

2597. L'Évangéliste nous présente ici la manière dont le Christ a offert à ses disciples de partager un repas amical avec lui. Il présente d'abord la préparation du repas, puis l'invitation du Christ au repas [n° 2607], et enfin le repas lui-même [n° 2610].

Ι

UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES ET, POSÉS DESSUS, DU POISSON ET DU PAIN. JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE. » SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA À TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS ; ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS. (21, 9-11)

L'Évangéliste nous rapporte la préparation de ce repas en décrivant d'abord ce que le Christ lui-même a préparé, puis ce que les Apôtres ont apporté [n° 2600].

Ce que le Christ lui-même a préparé

UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES ET, POSÉS DESSUS, DU POISSON ET DU PAIN.

2598. Le Christ a préparé trois choses, à savoir les braises, le poisson et le pain. Aussi dit-il UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES, que le Christ par sa puissance avait créées à partir de rien4, ou bien qu'il avait formées à partir d'une matière déjà existante.

Mais on se rappelle que précédemment, avant sa Passion5, il a rassasié la foule par la multiplication des pains. Or maintenant, après sa Passion, il crée ou forme d'une manière nouvelle, miraculeusement, parce qu'il n'est plus temps désormais de montrer la faiblesse mais de manifester la puissance. En effet ce qu'il a fait précédemment, avant sa Passion, montrait sa volonté de s'abaisser car, s'il l'avait voulu, il aurait pu créer ou former les pains de cette nouvelle manière - à partir de rien6.

2599. Nous comprenons par là que pour le repas spirituel quelque chose est préparé par le Christ. Et si ce repas est pris allégoriquement1, pour le repas de l'Église, le Christ prépare alors ces trois choses. D'abord les BRAISES de la charité - Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire : tu amasseras des charbons ardents sur sa tête2. - Remplis ta main de charbons ardents de feu3. Ces braises, le Christ les a apportées du ciel pour les répandre sur la terre - Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres4. - Je suis venu jeter un feu sur la terre5.

1. Le peuple de la circoncision et celui de la gentilité, selon saint Augustin (Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 387-389).

2. Ep 2, 15.

3. Jn 6, 44.

4. Créer à partir de rien : cette expression renvoie au mystère de la Création où Dieu, dans sa sagesse et son amour, crée l'univers, le monde des vivants et les créatures spirituelles à partir de rien, par sa toute-puissance. À partir de rien, c'est-à-dire non pas à partir du néant, mais sans l'utilisation d'une matière déjà préexistante qui serait alors l'égale de Dieu. Dieu, quand il crée, est un artiste particulier qui travaille sans se servir d'outils, de matière, d'intermédiaire. Tout vient de lui, directement, et dépend de lui seu1. Déjà le philosophe, dans un regard de sagesse, peut affirmer cela du mystère de la Création. Ici, saint Thomas, en théologien, montre que le Christ comme Dieu peut créer à partir de rien, et comme homme peut utiliser une matière déjà existante. Voir Somme théol, III, q. 13, a. 1 et a. 2, où saint Thomas montre trois aspects : le mystère même de Dieu, le mystère du Christ dans sa nature en tant qu'elle est instrument du Verbe de Dieu uni personnellement à elle, et le mystère du Christ dans sa propre nature humaine.

5. Voir Jn 6, 5 sq.

6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475-476.

Ayant disposé les braises, il prépare aussi LE POISSON - qui est le Christ - qu'il pose DESSUS. En effet, ce poisson grillé (assus) est bien le Christ immolé (passus6), placé sur les braises lorsque, enflammé par la charité, il s'immole pour nous sur la Croix - Et il s'est livré lui-même pour nous en oblation à Dieu et en hostie de suave odeur7. - Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour comme le Christ nous a aimés8.

Enfin il prépare le PAIN qui refait nos forces, et ce pain, c'est lui-même. Car le Christ, qui demeure caché en raison de sa divinité, est symbolisé par le poisson dont le propre est de rester caché sous les eaux - Vraiment tu es un Dieu caché9. Mais en tant qu'il refait nos forces par son enseignement, et même nous donne son propre corps en nourriture, il est vraiment le pain - Moi, je suis le pain vivant10. — Et le pain, produit des grains de la terre, sera très abondant et gras11.

1. Cette expression traduit ici le terme allegorice. Voir plus haut, n° 1978, où la même expression traduit le terme similitudo. Il s'agit d'une modalité d'analogie (voir n° 1978, note 2).

2. Pr 25, 22.

3. Ez 10, 2.

4. Jn 13, 34.

5. Le 12, 49.

6. L'image vient directement de saint Grégoire le Grand (XL hom. in Évang., II, hom. 24, 5, PL 76, co1. 1187 A-B) qui la reprend de saint Augustin (Tract, in Io., CXXIII, 2, ΒΑ 75, p. 407) et qui appliquera ensuite au Christ d'avoir caché sa divinité dans l'humanité comme le poisson dans l'eau.

7. Ep 5, 2.

8. Ep 5, 1-2.

9. Is 45, 15.

10. Jn 6, 51.

À ce repas doit être apporté quelque chose de la part des ministres de l'Église, cependant rien, si cela ne préexiste pas pour nous comme venant de Dieu 12.

Ce que les disciples ont apporté

JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE. »> SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA À TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS ; ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS. (21, 10-11)

2600. Ce qu'ils apportent nous est ici indiqué. Dans ce verset l'Évangéliste nous rapporte ce commandement du Seigneur, puis son exécution par le disciple [n° 2603].

JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE. »

2601. Il leur demande donc d'apporter de ces poissons qu'ils ont pris eux-mêmes, comme s'il disait : Moi, je vous ai fait le don de la charité, j'ai livré mon corps (assavi corpus) sur la croix et je vous ai présenté le pain de la doctrine grâce auquel l'Église est perfectionnée et fortifiée ; vous, il vous appartient d'aller pêcher les autres, c'est-à-dire ceux qui se convertissent à la prédication des Apôtres - Apportez au Seigneur les petits des béliers13. - Ils ramèneront tous vos frères de toutes les nations comme un don au Seigneur1.

11. Is 30, 23.

12. Ce don que Dieu nous fait et qui préexiste à toute action venant de nous ne doit-il pas être rapproché de la grâce prévenante, grâce que Dieu nous donne gratuitement pour nous permettre de poser des actes dans la lumière de la finalité, et donc de répondre à ce qu'il nous demande ? Voir ci-dessus, n° 1909, note 9.

13. Ps 28, 1 (verset propre à la Vulgate). Saint Thomas commente : « Au sens mystique, les béliers sont les chefs du troupeau, c'est-à-dire les Apôtres - Les princes des peuples se sont réunis (Ps 46, 10). Leurs enfants, ce sont les fidèles - Moi, je vous ai engendrés par l'Évangile dans le Christ Jésus (1 Co 4, 15). Apportez donc vous-mêmes à Dieu, vous qui êtes les petits des béliers » (Exp. in Psalmos, 28, n° 2).

2602. Si l'on prend ce repas pour un repas spirituel, alors le Christ prépare en premier lieu, pour le repas de l'âme, les BRAISES de la charité - La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs2. - Je suis venu jeter un feu sur la terre3 ; aussi LE POISSON, c'est-à-dire la foi qui demeure mystérieuse (abscondita) puisqu'elle a pour objet des réalités qu'on ne voit pas4 ; et encore LE PAIN, c'est-à-dire la doctrine solide - Mais c'est pour les parfaits qu'est la nourriture solide5.

Mais pour ce repas, il nous est demandé, à nous, de bien utiliser la grâce6 qui nous est accordée - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce en moi ne fut pas vaine7. Et c'est pourquoi Jésus commande : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE », c'est-à-dire apportez vos bonnes œuvres, celles qu'il vous a été donné d'accomplir - Qu'ainsi brille votre lumière devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes œuvres8.

SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA À TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS.

2603. L'Évangéliste poursuit en nous montrant l'exécution par le disciple de l'ordre donné par le Christ. Il s'agit de Pierre, qui était plus fervent. Aussi dit-il : SIMON-PIERRE MONTA, c'est-à-dire saisit le gouvernail de l'Église - Je monterai sur le palmier9. — II a disposé dans son cœur des degrés pour s'élever10 -, ET TIRA À TERRE LE FILET, parce que c'est encore à lui qu'a été confiée la sainte Église et à lui spécialement qu'il a été dit : Pais mes brebis11, comme nous le verrons par la suite 12.

1. Is 66, 20.

2. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n° 1234, note 8 et n° 2069.

3. Le 12, 49.

4. Voir He 11, 1. Voir ci-dessus, n° 2018 et n° 2564.

5. He 5, 14.

6. Sur le mystère de la grâce, voir ci-dessus, n° 1900, notes 1 et 2, n° 1984, note 8, n° 1993, note 10, ηϋ 2095, note 12. Voir aussi n° 2513, note 10, sur la grâce et notre coopération, et n° 2514, note 3, sur les différentes modalités de la grâce.

7. 1 Co 15, 10.

8. Mt 5, 16.

9. Ct 7, 8.

Et ce que le Christ indique par ces mots : pais mes brebis, c'est précisément ce que le travail (opus) de Pierre préfigure. En effet, c'est lui qui tire les poissons sur la terre ferme, manifestant ainsi aux croyants la stabilité de la patrie éternelle 13.

2604. Il dit : LE FILET PLEIN DE (...) GROS POISSONS parce que ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés14 - Ces hommes grands en puissance et pourvus de leur prudence, ils ont montré parmi les prophètes la dignité de prophètes et ils ont commandé aux peuples de leur temps et, en vertu de leur prudence, ils ont donné aux peuples de très saintes paroles15. Pour l'autre pêche, Luc 16 ne mentionne pas le nombre comme ici : il y en eut en effet CENT CINQUANTE-TROIS.

C'est que les bons comme les mauvais sont par vocation entraînés à former l'Église présente 17 - Des insensés infini est le nombre18. C'est pourquoi il est dit dans la Genèse à Abraham à propos de cette vocation : Ta postérité sera comme le sable qui est sur le rivage de la mer19. Il s'agit là de ceux qui sont mauvais. Au contraire il est dit des autres : Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux20. Tels sont en effet ceux que Dieu compte parmi les siens, ceux qui ont du prix à ses yeux - Lui qui compte la multitude des étoiles21.

10. Ps 83, 6.

11. Jn 21, 17.

12. Aux nos 2623-2626.

13. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 24, 4, PL 76, co1. 1185 D-1186 A.

14. Rm 8, 30.

15. Si 44, 3-4.

16. Cf. Le 5, 6.

17. Cf. saint Grégoire le Grand, loc. cit., 3, co1. 1185 B-C.

18. Qo 1, 15 (propre à la Vulgate).

19. Gn 22, 17.

20. Gn 15, 5.

21. Ps 146, 4.

2605. Mais n'y aura-t-il pas plus de cent cinquante-trois élus ? Au contraire, bien davantage. Ce nombre a ici un sens mystique. En effet, nul ne peut venir à la Patrie s'il n'observe le Décalogue. Or on ne peut l'observer sans la grâce septiforme de l'Esprit Saint dont Isaïe a dit : L'esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, et l'esprit de crainte du Seigneur le remplira1. On lit dans la Genèse que cette sanctification a été faite d'abord le septième jour : Dieu bénit le septième jour et le sanctifia2.

Or dix et sept font dix-sept. Si donc on calcule de cette façon, en prenant d'abord un et deux qui font trois, et trois qui font six, six et quatre qui font dix, dix et cinq qui font quinze... et ainsi de suite en additionnant le nombre qui suit jusqu'à dix-sept, on obtient bien cent cinquante-trois3.

On peut interpréter différemment4. Les disciples auxquels le Christ apparut étaient sept. Or en multipliant ce nombre par sept - les sept dons du Saint-Esprit5 -, on obtient quarante-neuf, auxquels on ajoute un, signe de la perfection de l'unité dans laquelle doivent être les fils de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu6 ; cela fait cinquante. Si on multiplie par trois ce nombre, et qu'on y ajoute encore trois - pour signifier cette foi en la Trinité que confessent notre cœur, notre langue et nos œuvres -, cela fait cent cinquante-trois. Cela nous montre que ceux que l'Esprit Saint a sanctifiés par ses sept dons et qui ont été unis dans la foi à la Trinité, accèdent ainsi à la Patrie.

1. Is 11, 2-3.

2. Gn 2, 3.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 8, Β A 75, p. 393-395. Même interprétation dans sa Lettre 55 à Januarius (§31, PL 33, co1. 219-220).

4. La réduction de 153 à ses deux composants mettait en confrontation la Loi (10) et la grâce de l'Esprit Saint (7). En abandonnant la forme arithmétiquement parfaite, saint Augustin interprète plus librement le chiffre 153 en rassemblant trois éléments théologiques plus satisfaisants : la perfection (7 x 7) de celui qui vit dans l'Esprit Saint, son unité d'opération (49 + 1 = 50) et la Trinité (50 x 3 et addition de 3). Cf. M. Comeau, Saint Augustin exégète du Quatrième évangile (Études de Théologie Historique), Beauchesne, 19302, p. 138-140.

5. Sur les dons du Saint-Esprit, voir vo1. I, n° 1577, note 4.

6. Voir Rm 8, 14.

ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS.

2606. Dans ce passage, Jean nous dit : ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT - par la taille et par le nombre -, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS, tandis que lors de l'autre pêche7 le filet se déchirait. C'est que l'Église présente, dont cette pêche-là était le symbole, souffre de nombreuses déchirures dues aux schismes, aux hérésies, aux insoumissions, sans pour autant être entièrement déchirée, en vertu de la promesse du Christ : Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles8.

Mais dans la patrie future, préfigurée ici, c'est-à-dire dans cette paix des saints, il ne saurait y avoir de schismes9 - C'est lui qui a établi sur tes confins, c'est-à-dire la Jérusalem céleste, la paix10.

II

JÉSUS LEUR DIT : « VENEZ, MANGEZ ! » ET AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT PART AU REPAS N'OSAIT LUI DEMANDER : « TOI, QUI ES-TU ? », SACHANT QU'IL EST LE SEIGNEUR. (21, 12)

2607. L'Évangéliste nous rapporte ensuite l'invitation au repas préparé. Il nous montre d'abord cette invitation du Christ, puis l'attitude des disciples lors de ce repas [n° 2609].

7. Voir Lc 5, 6.

8. Mt 28, 20. Saint Thomas commente : « En effet le monde ne passera pas jusqu'à ce que tout soit accompli, c'est-à-dire que l'Église des fidèles soit consommée et que soit accompli le nombre de ceux que Dieu a élus pour la vie éternelle » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2469).

9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385.

10. Ps 147, 14.

JÉSUS LEUR DIT : « VENEZ, MANGEZ ! »

2608. C'est en effet le Christ qui invite au repas en nous inspirant de l'intérieur par lui-même - Venez à moi vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai1. — Mangez mes amis et buvez, enivrez-vous mes biens-aimés 2 -, et de l'extérieur, par l'enseignement et les exhortations d'autres personnes - Un homme fit un grand souper. (...) Et à l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux invités de venir3.

ET AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT PART AU REPAS N'OSAIT LUI DEMANDER : « TOI, QUI ES-TU ? », SACHANT QU'IL EST LE SEIGNEUR.

2609. Selon Augustin4, cette attitude des disciples manifeste qu'ils étaient sûrs de la Résurrection du Christ. Ils étaient en effet tellement certains que c'était le Christ qu'aucun des convives n'osa douter que ce fût bien lui. Et parce que l'interrogation est signe d'un doute, nul n'osait l'interroger : « TOI, QUI ES-TU ? », selon cette parole : En ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien5.

Chrysostome 6 y voit une marque de respect des disciples à l'égard du Christ, plus grande encore que d'habitude : ils l'auraient volontiers interrogé, mais le Christ leur apparut sous une apparence magnifique et une gloire admirable, si bien que, saisis de stupeur et de respect, ils n'osaient plus l'interroger. Et ce qui surtout les retenait de l'interroger, c'est qu'ils savaient QU'IL EST LE SEIGNEUR.

1. Mt 11, 28. Saint Thomas commente : « Venez à moi, ce qui est aussi la parole de la Sagesse : Venez à moi vous tous qui me désirez (Si 24, 26). Aussi, approchez de moi ignorants, parce qu'il veut se communiquer » (Sup. Matth. lect., XI, n° 967). Et : « Quel est ce repos (refectio) ? (...) En effet le corps n'est pas refait aussi longtemps qu'il est affecté. Et ce que la faim est pour le corps, le désir l'est pour l'esprit. C'est pourquoi ce repos (refectio) est l'accomplissement de tous nos désirs - Lui qui comble de biens ton âme (Ps 102, 5). Et ce repos est un repos de l'âme -J'ai un peu peiné et j'ai trouvé beaucoup de repos (Si 51, 35). De même que les doux ne trouvent pas de repos dans le monde, ainsi vous trouverez le repos éternel, c'est-à-dire vos désirs seront comblés (impletionem desideriorum) » (loc. cit., n° 971).

2. Ct 5, 1.

3. Le 14, 17.

4. Tract, in Io., CXXIII, 1, ΒΑ 75, p. 403-405.

5. Jn 16, 23.

6. In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475-476.

III

ET JÉSUS VIENT, IL PREND LE PAIN ET LE LEUR DONNE, ET DE MÊME LE POISSON.

(21, 13)

2610. L'Évangéliste poursuit en nous rapportant ce repas que les disciples prirent sur l'ordre du Christ - Toi, tu ouvres ta main, et tu combles tout vivant de bénédiction7. C'est lui en effet qui leur donne la nourriture au temps opportun8.

2611. Mais le Christ a-t-il mangé avec eux ? Il faut dire que oui. Bien que cela ne soit pas indiqué ici, Luc dit expressément9 qu'il mangea avec eux, et de même il est dit dans les Actes : Ensuite, mangeant avec eux, il leur commanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem 10.

2612. Mais s'agissait-il d'une véritable manducation ? Je réponds qu'un acte est dit vrai de deux manières, à savoir quant à la vérité de ce qu'il signifie, et quant à la vérité de son espèce11.

Au premier sens, un acte est vrai s'il est conforme à la réalité signifiée. Ainsi, admettons que je veuille signifier quelque chose par une parole : si ce que je signifie est vrai et concorde avec la réalité signifiée, alors ma parole est vraie quant à sa signification, sans être pour autant conforme à la vérité de l'espèce. Ainsi, lorsque le Christ dit : Moi, je suis la vraie vigne1, cela est vrai, bien qu'il ne soit pas une vraie vigne selon l'espèce « vigne », mais seulement selon ce que ce terme [vigne] signifie.

7. Ps 144, 16.

8. Cf. Ps 144, 15.

9. Voir Lc 24, 43.

10. Ac 1, 4.

11. Saint Thomas distingue deux sortes de vérité : la vérité de l'espèce et celle de la signification. Il y a vérité de l'espèce quand, par exemple, un homme véritable, en chair et en os, vivant, parle, et non pas un robot, une poupée, un mannequin ou un fantôme sans consistance. Pour cette vérité, seul le locuteur est regardé, et non pas l'impact de sa parole ni son éventuelle conformité au rée1. Quant à la vérité de la signification, elle ne renvoie pas à celui qui énonce la parole mais à la conformité de celle-ci à la réalité signifiée, comme le dit saint Thomas. C'est le sens habituel de la vérité dite « formelle » (voir De Veritate, q. 1, a. 1). Là, on ne s'arrête pas à l'élaboration de la parole elle-même, mais c'est son rapport au réel qui est examiné, afin de juger de sa vérité.

Selon la vérité de l'espèce, une chose est dite vraie lorsqu'elle a ce qui relève de la vérité de l'espèce. Or relèvent de cette vérité les principes de l'espèce mais non pas les effets qui en découlent. Ainsi l'affirmation : « L'homme est un animal » est vraie au premier sens parce qu'elle signifie quelque chose de vrai, mais selon la vérité de l'espèce elle n'est pas vraie si elle n'est pas formulée par la bouche d'un vivant parlant avec les organes qui conviennent. Et pour cette vérité, l'effet de la parole n'est pas requis, par exemple qu'elle soit entendue et autres choses de ce genre.

Ainsi il faut dire, au sujet de la manducation, qu'il en existe une qui n'est vraie que quant à sa signification, comme la « manducation des anges », puisque ceux-ci n'ont pas de membres ordonnés à la manducation. Mais ce qui est vrai, c'est ce qu'eux-mêmes signifiaient par cette expression, à savoir le désir qu'ils avaient du salut des hommes.

Quant à la manducation du Christ après la Résurrection, elle fut vraie selon la vérité de signification, puisqu'il le faisait pour montrer qu'il avait une nature humaine2 - et il l'avait en vérité ; et selon la vérité de l'espèce, puisqu'il avait les organes propres à la manducation. Cependant cette manducation ne fut pas suivie des effets de cet acte parce que cette nourriture ne fut pas transformée en celui qui la mangeait étant donné qu'il avait un corps glorifié et incorruptible. Mais elle fut dissoute par la puissance divine en la matière qui était là. Or de tels effets ne contribuent pas à la vérité de l'espèce comme nous l'avons dit.

C. ÉPILOGUE DES APPARITIONS

C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS QUE JÉSUS SE MANIFESTAIT À SES DISCIPLES APRÈS S'ÊTRE RELEVÉ D'ENTRE LES MORTS. (21, 14)

2613. L'Évangéliste met ainsi un terme au récit des apparitions. Mais selon Augustin3, si ces mots : C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS, se rapportent au nombre d'apparitions, cela n'est pas vrai car, comme on l'a dit, il apparut cinq fois le premier jour, et de même cinq fois avant son Ascension : la première fois, le huitième jour quand Thomas était avec eux4 ; la seconde, celle-ci, au bord du lac ; la troisième, sur la montagne de Galilée, selon l'Évangile de Matthieu5 ; la quatrième fois, il apparut pendant que les Onze étaient à table comme le mentionne Marc6 ; enfin la cinquième fois, le jour de l'Ascension, quand il fut élevé sous leurs yeux - Eux le voyant, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux7. Bien qu'il soit apparu plusieurs autres fois durant ces quarante jours8, cela ne fut pourtant pas écrit.

1. Jn 15, 1.

2. Voir Somme théo1., III, q. 54, a. 2, ad 3.

3. Tract, in Io., CXXIII, 3, ΒΑ 75, p. 407-409.

4. Voir Jn 20, 26.

C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS, se réfère donc plutôt aux jours où il leur apparut. Le premier jour fut en effet l'apparition du soir même de la Résurrection l ; le second, celle de l'octave de la Résurrection - et huit jours après2 ; le troisième jour, ce fut l'apparition rapportée ici.

5. Voir Mt 28, 16.

6. Voir Me 16, 14.

7. Ac 1, 9.

8. Voir Ac 1, 3.

Ou encore, on peut dire que, même en se rapportant au nombre d'apparitions, la vérité de ce qui a été dit est sauve parce qu'on ne dit pas qu'il apparut à de nombreux disciples réunis si ce n'est une première fois, le soir, alors que les portes étaient closes3, une deuxième huit jours plus tard, alors que les disciples se trouvaient réunis, et une troisième, celle-ci. C'est pourquoi il dit clairement : JÉSUS SE MANIFESTAIT À SES DISCIPLES.

1. Voir Jn 20, 19.

2. Jn 20, 26.

3. Jn 20, 19.

 

CHAPITRE XXI : [LE SECRET A PIERRE ET JEAN]

1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau à l'ensemble de ses disciples près de la mer de Tiberiade. Or il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanael qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi que deux autres de ses disciples, se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui disent : « Nous aussi nous venons avec toi. » Et ils sortirent et montèrent dans la barque, et cette nuit-là ils ne prirent rien. 4 Or, le matin venu, Jésus se tint sur le rivage, mais ses disciples ne connurent pas que c'était Jésus.5 Jésus leur dit donc : « Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » 6 II leur dit : « Lâchez le filet à droite de la barque et vous trouverez. » Ils le lâchèrent donc et ils n'avaient plus la force de le remonter à cause de la multitude de poissons.

7 Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Simon-Pierre, ayant entendu « C'est le Seigneur », noua sa tunique à la ceinture, car il était nu, et se jeta à la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque, car ils n'étaient pas loin de la terre mais à environ deux cents coudées, en tirant le filet plein de poissons.

9 Une fois descendus à terre, ils virent des braises disposées et, posés dessus, du poisson et du pain. 10 Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » n Simon-Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et, bien qu'il y en eût autant, le filet ne se déchira pas. I2 Jésus leur dit : « Venez, mangez ! » Et aucun de ceux qui prenaient part au repas n'osait lui demander : « Toi, qui es-tu ? », sachant qu'il est le Seigneur. 13 Et Jésus vient, il prend le pain et le leur donne, et de même le poisson. 14 C'était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples après s'être relevé d'entre les morts.

15 Quand ils eurent pris le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » II lui dit : « Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! » II lui dit « Pais mes agneaux. » 16 II lui dit de nouveau « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » II lui dit « Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! » II lui dit encore : « Pais mes agneaux. » 17 II lui dit une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut contristé de ce qu'il lui eût demandé une troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il lui dit : « Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je t'aime ! » II lui dit : « Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis, lorsque tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra et t'emmènera là où tu ne veux pas. » 19 Or il dit cela pour signifier par quelle mort il glorifierait Dieu. Après avoir dit cela, il lui dit : « Suis-moi ! » 20 S'étant retourné, Pierre vit que le disciple que Jésus aimait les suivait - celui qui à la Cène reposa sur sa poitrine et dit : « Seigneur, qui est celui qui te livrera ? » 21 L'ayant donc vu, Pierre dit à Jésus : « Et de lui, Seigneur, qu'en sera-t-il ? » 22 Jésus lui dit : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! » 23 Le bruit se répandit donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus ne lui a pas dit : « II ne mourra pas », mais : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? »

24 C'est ce disciple-là qui témoigne de ces choses et les a mises par écrit, et nous savons que son témoignage est vrai. 25 Mais il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites, et s'il fallait les mettre par écrit une par une, je ne pense pas que le monde lui-même pourrait contenir les livres qu'il faudrait écrire.

 

2. CE QUE LE CHRIST CONFIA PLUS SPÉCIALEMENT AUX DEUX DISCIPLES QU'IL AIMAIT D'UN AMOUR DE PRÉDILECTION

2614. L'Évangéliste a exposé précédemment ce que le Seigneur a révélé aux disciples d'une manière commune1, mais ici il nous révèle ce qu'il confia plus spécialement aux deux qu'il aimait d'un amour de prédilection ; d'abord à Pierre, puis à Jean [n° 2624],

A. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A PIERRE

Dans cette première partie, le Seigneur révèle à Pierre deux choses : d'abord il lui confère sa charge de pasteur, puis il lui annonce le martyre qu'il aura à souffrir [n° 2628].

a) Le Christ lui confie sa charge de pasteur.

Or ce n'est qu'après l'avoir interrogé qu'il lui remet sa charge de pasteur. Celui qui est choisi pour cette charge est d'abord soumis à une interrogation - N'impose hâtivement les mains à personne2. Et il l'interroge par trois fois, aussi cette partie se trouve-t-elle divisée en trois, suivant chacune des trois interrogations.

La première interrogation.

QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT À SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? » IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! » IL LUI DIT : « PAIS MES AGNEAUX. » (21, 15)

Ici encore trois parties apparaissent : d'abord Jean nous rapporte la question du Seigneur, puis la réponse de Pierre [n° 2621], et enfin Pierre reçoit du Christ sa charge [n° 2623].

QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT À SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? »

Dans cette première partie, il y a trois choses à considérer : d'abord l'opportunité de l'interrogation3, puis la manière dont le Christ s'adresse à Pierre [n° 2616] et enfin ce sur quoi porte cette interrogation [n° 2617].

1. Cf. Jn 20, 26.

2. 1 Tm 5, 22.

3. « Interrogation » traduit ici examinatio, qui implique une mise à l'épreuve.

QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS

2615. Ici est montrée l'opportunité de l'interrogation. Il s'agit là du repas spirituel dans lequel l'âme est refaite par les dons spirituels - J'entrerai chez lui et je prendrai mon repas avec lui1. C'est pourquoi il convient que ceux qui sont choisis pour ce service refassent d'abord leurs forces à cet heureux repas. Autrement, étant eux-mêmes affamés, comment pourraient-ils refaire les autres ? - Et j'enivrerai l'âme des prêtres de graisse2, celle-là même, dis-je, dont le psalmiste dit : Comme de graisse et de moelle se rassasie mon âme3.

JÉSUS DIT À SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? »

2616. La manière dont le Christ s'adresse à Pierre nous est rapportée ici. Les trois qualités nécessaires au prélat sont exposées.

L'obéissance, quand il l'appelle SIMON, qui se traduit par « obéissant4 » ; elle est nécessaire pour les prélats, car celui qui ne sait pas obéir à des supérieurs ne sait pas commander des inférieurs - L'homme obéissant parlera victoire5.

Puis la connaissance, quand il dit PIERRE, qui se traduit par « celui qui connaît » ; ce savoir est nécessaire au prélat car il est établi comme celui qui observe. Or celui qui est aveugle est un mauvais observateur - Ses guetteurs sont tous des aveugles, ils ne savent rien6. - Parce que toi tu as rejeté la connaissance, moi je te rejetterai afin que tu n'exerces pas pour moi le sacerdoce7.

Et enfin la grâce lorsqu'il dit « Ioannis8 », c'est-à-dire FILS DE JEAN, et celle-ci est nécessaire aux prélats, car sans elle ils ne sont rien - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis9. - Ayant connu la grâce de Dieu qui m'a été donnée, Jacques et Cephas et Jean, qui paraissaient être les colonnes, nous donnèrent la main à moi et à Barnabe, en signe de communion 10.

1. Ap 3, 20.

2. Jr 31, 14.

3. Ps 62, 6.

4. L'étymologie des trois noms qui caractérisent Pierre provient du Liber interpretationis hebraicorum nominum de saint Jérôme (respectivement Lag. 71, 4 ; 70, 16 ; 69, 16, CCL, vo1. LXXII, p. 148, 147, 146).

5. Pr 21, 28.

6. Is 56, 10. Saint Thomas commente : « Les guetteurs, à savoir les prélats qui sont postés pour garder le peuple des dangers, comme le guetteur des ennemis, ne savent pas prévoir les dangers - Laissez-les : ils sont aveugles et conducteurs d'aveugles (Mt 15, 14) » (Exp. super Isaiam, 56, 10, p. 224, 1. 127-131).

7. Os 4, 6.

8. Voir vol. I, n° 13.

M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ?

2617. L'interrogation porte sur la dilection11, et cela convient bien. Pierre auparavant, comme nous l'avons vu, était tombé dans le péché ; il n'était donc pas convenable qu'il fût préféré sans qu'auparavant cette faute fût absoute, ce qui ne peut se faire que par la charité - La charité couvre la multitude des péchés 12. - La charité couvre toutes les fautes13. C'est pourquoi il convenait que par cette interrogation le Christ manifestât la charité de Pierre, non pas à lui qui scrute les reins et les cœurs 14, mais aux autres. Il ne lui demande donc pas : « M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? » comme s'il ignorait la réponse, mais parce que la charité parfaite chasse la crainte 15.

De là vient que c'est en Pierre que le Seigneur renouvela l'amour et chassa la crainte, ce Pierre qui, alors que le Seigneur allait mourir, avait eu peur et avait renié. C'est pourquoi, lui qui avait renié par crainte de mourir ne craignit plus rien, le Seigneur étant ressuscité. Que craindrait-il en effet quand désormais il trouvait la mort morte ?16

2618. Cette interrogation convient aussi à la charge [qui lui est confiée]. Beaucoup de ceux qui ont reçu une charge de pasteur en usent pour l'amour d'eux-mêmes - Sache qu'à la fin des jours viendront des temps périlleux, il y aura des hommes s'aimant eux-mêmes1. Or celui qui n'aime pas le Seigneur n'est pas un véritable prélat ; seul l'est celui qui ne recherche pas son propre intérêt mais celui du Christ Jésus, et ceci par amour pour lui - La charité du Christ nous presse2.

9. 1 Co 15, 10.

10. Ga 2, 9.

11. Sur le sens du mot dilectio, voir vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612, et ci-dessus, nos 1837 et 1909.

12. 1 Ρ 4, 8.

13. Pr 10, 12.

14. Cf. Ps 7, 10 ; Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20, 12 ; Ap 2, 23.

15. 1 Jn4, 18.

16. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXIII, 4, ΒΑ 75, p. 411-413.

L'interrogation convient aussi à la charge quant au service des plus proches, car c'est l'abondance de la charité qui pousse ceux qui aiment à quitter de temps en temps le repos de leur propre contemplation pour pourvoir au service des plus proches3. En effet l'Apôtre qui affirmait : Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, (...) ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu4, ajoute ensuite : Je désirais ardemment être moi-même anathème à l'égard du Christ pour mes frères qui sont mes proches5.Voilà pourquoi l'interrogation est nécessaire pour s'assurer de la dilection de celui qui va être prélat.

1. 2 Tm 3, 1-2. Saint Thomas distingue un double amour de soi, intérieur et extérieur : « La racine de toute iniquité est l'amour de soi-même. Or un double amour fait une cité double. Mais contre cela on dira que n'importe qui s'aime naturellement. Je réponds : il faut dire qu'il y a deux choses dans l'homme, à savoir une nature rationnelle et une nature corporelle. Quant à la nature intellectuelle ou rationnelle, qui est appelée l'homme intérieur, comme il est dit en 2 Co 4, 16, l'homme doit plus s'aimer que tous les autres, parce qu'il serait insensé, celui qui voudrait pécher pour retirer les autres de leurs péchés ; mais quant à l'homme extérieur, il est louable qu'il aime les autres plus que lui. D'où ceux qui s'aiment ainsi sont blâmables - Tous recherchent leurs intérêts, non ceux de Jésus Christ (Ph 2, 21) » (Ad 2 Tim. lect., III, n° 92).

2. 2 Co 5, 14.

3. Voir ci-dessus, n° 1595, note 5, et n° 2487, note 2. Ici saint Thomas insiste sur la grandeur de la vie active en elle-même, « qui est nécessaire pour aimer le prochain de quelque façon que ce soit » (cf. Somme théo1., II-II, q. 182, a. 4, c. et ad 1).

4. Rm 8, 38-39.

5. Rm 9, 3. Saint Thomas développe : « Je désirais être moi-même anathème à l'égard du Christ, c'est-à-dire séparé de lui, ce qui peut avoir lieu de deux manières. D'abord, par une faute par laquelle on est séparé de la charité du Christ en n'observant pas son précepte : Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements (Jn 14, 15). L'Apôtre ne pouvait pas souhaiter être anathème à l'égard du Christ de cette manière pour n'importe quelle cause ; cela est de toute évidence, d'après ce qui a été dit au chapitre 8, 35. Car cela s'opposerait à l'ordre de la charité selon lequel on est tenu d'aimer Dieu par-dessus toutes choses et son propre salut plus que le salut des autres. Aussi l'Apôtre ne dit-il pas je désire, mais je désirais, c'est-à-dire au temps de l'infidélité. Cependant, selon ce sens, l'Apôtre ne dit rien d'extraordinaire, puisque alors il voulait, même pour lui-même, être séparé du Christ. (...) D'une autre manière on peut être séparé du Christ, c'est-à-dire de la jouissance du Christ qu'on possède dans la gloire. C'est de cette manière que l'Apôtre voulait être séparé du Christ pour le salut des Gentils, à plus forte raison pour la conversion des Juifs - Désirant être dissous et être avec le Christ, chose bien meilleure pour moi ; et demeurer dans la chair, chose nécessaire pour vous (Ph 1, 23-24). C'est donc ainsi qu'il disait : je désirais, à savoir si c'était possible, être anathème, c'est-à-dire séparé de la gloire, soit absolument soit pendant un temps, pour l'honneur du Christ, qui résulte de la conversion des Juifs - Dans la multitude du peuple est la dignité d'un roi (Pr 14, 28). D'où ce que dit Chrysostome dans son ouvrage De la componction du cœur : "L'amour a tellement dominé toute son âme que même ce qui lui était plus aimable que tout, c'est-à-dire d'être avec le Christ, il en arriverait à le mépriser pour plaire au Christ ; et pareillement pour le royaume des Cieux, qui semblait devoir être la récompense de ses labeurs, il souffrirait tout aussi bien d'y renoncer pour le Christ" » (Ad Rom. lect., IX, n° 740).

2619. Il ajoute PLUS QUE CEUX-CI. Même le Philosophe, dans sa Politique6, affirme que celui qui commande et gouverne doit être, selon un ordre naturel, le plus excellent. C'est pourquoi il dit que, comme l'âme se comporte à l'égard du corps qu'elle régit et l'intelligence à l'égard de ce qui lui est inférieur, et encore l'homme à l'égard des animaux qui ne sont pas doués de raison, ainsi le prélat doit regarder ceux qui lui sont confiés.

C'est pourquoi, selon Grégoire7, la vie du pasteur doit être telle que, comparativement à lui, ses subordonnés soient semblables aux brebis8 comparativement à leur pasteur. Aussi le Christ dit-il : PLUS QUE CEUX-CI, parce que plus on aime, plus on est grand - Certes, vous voyez quel est celui qu'a choisi le Seigneur et qu'il n'y en a pas de semblable dans tout le peuple9.

2620. Mais est-il nécessaire, lors d'un choix, de choisir toujours le meilleur de manière absolue quand, selon le droit, il suffit de choisir un homme qui soit bon ? Il faut ici faire une double distinction, car ce qui suffit selon le jugement humain ne suffit cependant pas selon le jugement divin.

6. Voir notamment III, 13, 1283 b 21-23 et 1284 a 3-13 et b 28-33 ; III, 16, 1287 b 12.

7. Règle pastorale, II, 1, SC 381, p. 175.

8. « Brebis » traduit ici le mot animalia.

9. 1 S 10, 24.

Selon le jugement humain, il suffit qu'on ne puisse accuser un homme et que le choix ne puisse être remis en cause. En effet, il semble difficile que des choix puissent se faire si on peut ensuite les remettre en cause parce qu'on trouve un autre homme meilleur que celui qui a été choisi. Aussi suffit-il, selon le jugement humain, comme on le lit dans les Décrétales1, que le choix soit droit et que soit choisi un homme capable.

Pourtant, selon le jugement divin et selon la conscience, il est nécessaire de choisir le meilleur. Cependant, au sens absolu, on dit d'un homme qu'il est le meilleur quand il est le plus saint, car la sainteté le rend bon ; mais celui-là n'est pas le meilleur selon ce que requiert l'Église. De ce point de vue, [un homme] est meilleur dans la mesure où il est plus lettré, où il a plus de compétence et de discernement, et où il est choisi avec un plus grand accord.

Mais si tous possèdent également les qualités nécessaires au service de l'Église, et donc l'excellence requise en vue de cette fonction, et qu'un homme moins bien au sens absolu est préféré, il y a péché parce que nécessairement quelque intérêt pousse à cela. Et donc, ce que l'on poursuit est soit l'honneur de Dieu et le bien de l'Église, soit quelque intérêt privé. Si c'est le bien de l'Église et l'honneur de Dieu qui poussent à choisir, ce bien que l'on saisit dans l'élu fait de lui le meilleur pour cette fonction. Mais si c'est quelque intérêt privé, par exemple une attache charnelle, l'espoir d'un bénéfice et d'un avantage temporel, le choix est alors frauduleux et il y a acception de personnes.

II

IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! » (21, 15)

2621. Voici la réponse de Pierre : par elle est donné un signe évident qu'il s'est corrigé de son reniement, et que les prédestinés sont toujours corrigés pour un plus grand bien, si parfois ils tombent.

Car avant son reniement, Pierre s'exalta au-dessus des autres Apôtres, en disant : Quand tous se scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai !2, mais aussi contre son Seigneur, parce qu'alors qu'il lui disait : Tu me renieras trois fois, Pierre ajouta : Quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas3 ; par là il semblait s'opposer violemment à la parole du Seigneur.

Mais à présent, vaincu dans ses propres forces, il n'ose pas confesser son amour si ce n'est en rendant témoignage au Seigneur sous forme de protestation, en s'humiliant devant le Christ par ces paroles : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! » - Car voilà que dans le ciel est mon témoin et que celui qui a une connaissance intime de moi habite au plus haut des deux 4.

Il s'humilie également devant les Apôtres en ne disant pas : « plus que ceux-ci », mais simplement « JE T'AIME ». Par là nous comprenons que nous ne devons pas nous élever au-dessus des autres, mais les élever au-dessus de nous - Mais par humilité, chacun estimant les autres supérieurs à soi1.

1. Decretales Gregorii IX, 1. I, Tit. vi, Cap. xxxil, « Quum dilectus > C.I.C. éd. Richter-Friedberg, 2è éd., Leipzig, 1881, co1. 78-79.

2. Mt 26, 33. Saint Thomas commente : « Pierre pécha en trois choses. Tout d'abord parce qu'il n'a pas cru le Seigneur plus que lui-même, alors qu'il est cependant écrit : Dieu seul est vrai et tout homme est menteur (Rm 3, 4). Aussi parce qu'il s'est mis devant les autres : Quand tous se scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai ! Il se jugeait donc plus fort que les autres et il tomba en ce qu'il est dit : Je ne suis pas comme les autres hommes (Le 18, 11). De même, parce qu'il s'attribuait ce qu'il ne devait pas - Sans moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15, 5). Donc, parce qu'il a parlé avec arrogance, Dieu a davantage permis qu'il tombât. Et Dieu a fait cela parce qu'il hait par-dessus tout l'orgueil - Et il voit tout arrogant et l'humilie (Jb 40, 6) » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2212).

3. Mt 26, 35.

4. Jb 16, 20.

2622. Notons aussi, selon Augustin, qu'au Seigneur qui lui demande : « M'AIMES-TU ? » (diligis me ?), Pierre ne répond pas : « Je t'aime » (diligo), mais Amo te. Comme si l'amour et la dilection étaient la même chose2. Ce qui est vrai selon la réalité, mais diffère selon le nom. L'amour est en effet un mouvement de l'appétit ; si ce mouvement est contrôlé par la raison, il s'agit alors d'un amour volontaire qui est à proprement parler la dilection parce qu'elle suit un choix. Voilà pourquoi on ne peut dire à proprement parler que les animaux aiment (diligere). Mais si ce mouvement n'est pas réglé par la raison, on l'appelle l'amour (amor) 3.

III

IL LUI DIT : « PAIS MES AGNEAUX. » (21, 15)

2623. Maintenant, après avoir éprouvé Pierre, il lui confie sa mission : « PAIS MES AGNEAUX », c'est-à-dire ceux qui croient en moi, ceux que moi, l'Agneau, j'appelle « mes agneaux » - Voici l’ Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde4. Cela pour qu'on ne puisse pas appeler « chrétien » celui qui affirme qu'il n'est pas sous la garde de ce pasteur, c'est-à-dire de Pierre - Un seul pasteur sera pour eux tous5. - Et ils se donneront un seul chef6.

Il convenait que le Christ confiât cette mission à Pierre de préférence à tous les autres, lui qui, selon Chrysostome, était « le plus remarquable des Apôtres », aussi bien porte-parole des disciples que tête du collège (collegium) 7.

La deuxième interrogation.

IL LUI DIT DE NOUVEAU : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU ? » IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! » IL LUI DIT ENCORE : « PAIS MES AGNEAUX. » (21, 16)

2624. Voici maintenant la seconde interrogation. Pour ne pas [en rester à] une répétition des mêmes mots, remarque que si Jésus dit trois fois PAIS MES AGNEAUX [ou MES BREBIS], c'est parce que Pierre doit les faire paître de trois manières.

1. Ph 2, 3. Saint Thomas commente : « En effet, comme le fait que l'homme s'élève au-dessus de lui-même relève de l'orgueil, ainsi il appartient à l'humilité que l'homme se soumette à sa mesure. Mais comment celui qui est supérieur pourra-t-il réaliser cela ? En effet, ou bien il ne connaît pas qu'il est supérieur, ni sa vertu, et ainsi il n'est pas vertueux puisqu'il n'est pas prudent. Ou bien il le sait, et ainsi il ne peut estimer un autre supérieur à lui. Je réponds : il faut dire que nul n'est si bon qu'il n'y ait en lui aucun défaut, et nul n'est si mauvais qu'il n'ait quelque chose de bon. D'où il ne faut pas qu'il le place devant lui de manière absolue, mais que quant à cela il dise en son esprit : "Sûrement, il est en moi quelque défaut qui n'est pas en lui". Et Augustin montre cela dans son livre De la virginité, en montrant comment la vierge préfère à elle-même la femme mariée, parce que cette dernière est sûrement plus fervente. Mais à supposer qu'en toutes choses celui-ci est bon, et celui-là mauvais, néanmoins toi et lui contenez une double personne, à savoir la tienne et celle du Christ. Si donc tu ne le places pas devant en raison de sa personne, tu le places devant en raison de l'image divine - Prévenants les uns pour les autres par le respect (Rm 12, 10) » (Ad Phi1. lect., II, n° 49).

2. Tract, in Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 417.

D'abord par la parole de la doctrine - Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, et ils vous nourriront de connaissance et de doctrine8 ; par l'exemple de sa vie - Sois l'exemple des fidèles par ta parole, par ta conduite, par ta charité, par ta foi et par ta chasteté1. - Sur les monts d'Israël, la noblesse des grands hommes, seront vos pâturages2 ; et encore, en leur apportant un secours temporel - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se faisaient paître eux-mêmes. N'est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître ?3

3. Saint Thomas distingue les actes volontaires - l'amour spirituel (être attiré par le bien spirituel), l'élection (choisir ce bien spirituel), la dilection (aimer ce bien préféré aux autres) - des actes de l'appétit sensible. Les uns sont commandés par la raison : j'aime volontairement un bien spirituel et je le choisis lorsque je le connais de l'intérieur par l'intelligence (ici Ja raison). Mais c'est une connaissance sensible qui suscitera l'amour sensible, l'acte de l'appétit sensible. Voir ci-dessus, n° 2480, note 3, et n° 2494, note 6. Voir aussi Somme théol, I-II, q. 8 et 9.

4. Jn 1, 29.

5. Ez 37, 24.

6. Os 1, 11 [BJ 2, 2].

7. In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 59, co1. 478.

8. Jr 3, 15.

La troisième interrogation.

IL LUI DIT UNE TROISIÈME FOIS : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU ? » PIERRE FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EÛT DEMANDÉ UNE TROISIÈME FOIS : « M'AIMES-TU ? » ET IL LUI DIT : « SEIGNEUR, TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! » IL LUI DIT : « PAIS MES BREBIS. » (21, 17)

2625. Mais sois attentif au fait que la troisième fois, il lui dit « PAIS MES BREBIS », après avoir dit deux fois auparavant « PAIS MES AGNEAUX ». C'est que dans l'Église, on peut distinguer trois genres (genera) d'hommes : les commençants, les progressants et les parfaits4. Et ces deux premiers sont les agneaux, comme encore imparfaits, tandis que les autres, en tant que parfaits, sont appelés brebis5 - Les montagnes, c'est-à-dire les parfaits, bondirent comme des béliers, et les collines, c'est-à-dire les autres, comme des agneaux de brebis6.

1. 1 Tm 4, 12. Voir Ad 1 Tim., IV, n° 169.

2. Ez 34, 14.

3. Ez 34, 2.

4. Voir n° 2508, note 7, et Somme théo1., II-II, q. 24, a. 9, c. : « En premier lieu, le zèle de l'homme s'appliquera principalement à s'éloigner du péché et à résister aux concupiscences qui le poussent au sens contraire de la charité. Et cela convient aux commençants chez qui la charité doit être nourrie et entretenue de peur qu'elle ne se corrompe. Deuxièmement, son zèle se poursuit de telle sorte qu'il tende à avancer dans le bien. Un tel zèle convient aux progressants, qui tendent principalement à ce que la charité augmente en eux. Enfin, un troisième zèle est que l'homme tende principalement à adhérer à Dieu et à jouir de lui. Cela se rapporte aux parfaits qui désirent disparaître et être avec le Christ (Ph 1, 23) ».

5. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 311.

6. Ps 113,4.

7. Il s'agit en fait d'un commentaire du même passage de l'évangile : Serm. de Scr., 96, II, 2, PL 38, co1. 796-797.

8. Tract, in Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 415.

9. Cf. Lc 7, 47 : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on remet moins aime moins.

10. Mt 16, 18. « Qui, de Pierre ou du Christ, est le fondement ? Il faut dire le Christ en tant que tel mais Pierre en tant qu'il a la concession du Christ, en tant qu'il est son vicaire - Bâtis sur le fondement des Apôtres et des prophètes, le Christ Jésus étant lui-même pierre principale d'angle (Ep 2, 20). - Les douze fondations de la ville, et sur chacune les noms des douze Apôtres et de l'Agneau (Ap 21, 14). C'est pourquoi le Christ en lui-même est fondement, et les Apôtres le sont, non pas en eux-mêmes, mais par une concession du Christ, et l'autorité donnée par le Christ - 5a fondation sur les saintes montagnes (...) (Ps 86, 1) » (Sup. Matth. lect., XVI, n° 1384).

Aussi tous les prélats doivent-ils garder ceux qui leur sont confiés comme les brebis du Christ et non les leurs. Mais hélas, comme le dit Augustin dans un sermon de Pâques7, « Voici que des serviteurs infidèles ont dispersé le troupeau du Christ et par leurs rapines ont entassé pour eux de l'argent ; et tu les entends dire : "Ces brebis sont à moi ! Pourquoi cherches-tu mes brebis ? Que je ne te trouve pas auprès d'elles !" Mais si nous disons "les miennes", et qu'ils les disent "leurs", c'est que le Christ a perdu ses brebis. »

2626. Remarquons encore que, de même qu'il lui confie sa mission par trois fois, il l'éprouve aussi par trois fois. D'abord parce que Pierre l'avait renié trois fois. Aussi une triple confession s'impose-t-elle, comme le dit Augustin8, « pour qu'ainsi sa langue ne serve pas moins l'amour que la crainte, et que la mort imminente ne paraisse pas avoir arraché plus de paroles que la Vie présente ».

Ensuite, parce que Pierre était tenu d'aimer le Christ pour trois raisons. D'abord à cause du péché remis - Celui à qui l'on remet plus, aime plus9 ; puis à cause de l'honneur promis, parce qu'il était grand : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église10 ; enfin à cause de la mission qui lui était confiée, comme ici où il le charge de veiller sur l'Église.

Ou encore, il dit trois fois : PAIS, à cause de ce que le Seigneur a commandé - Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, c'est-à-dire pour diriger vers Dieu toute ton intention, de toute ton âme, pour que ta volonté tout entière se repose en Dieu par l'amour, et de toute ta force1, pour que toute la réalisation de tes œuvres serve Dieu.

PIERRE FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EÛT DEMANDÉ UNE TROISIÈME FOIS : « M'AIMES-TU ? » ET IL LUI DIT : « SEIGNEUR, TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! »

2627. Remarquons aussi que Pierre, interrogé ainsi à trois reprises, fut contristé. C'est qu'avant la Passion, alors qu'il avait proclamé vivement son amour pour le Christ, il fut réprimandé par le Seigneur comme nous l'avons vu. Se voyant donc interrogé trois fois sur son amour, il craint d'être réprimandé par le Seigneur, et il en est contristé2. Aussi dit-il : « TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! », comme pour dire : Moi je t'aime, autant qu'il me semble, mais toi tu sais tout et peut-être tu sais qu'il doit arriver quelque chose d'autre. C'est pourquoi c'est à Pierre, ainsi humilié, que fut finalement confiée l'Église.

Un Docteur grec affirme que ce serait la raison pour laquelle on interroge trois fois les catéchumènes lors du baptême3.

b) Le Christ annonce à Pierre son martyre.

« EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE TE LE DIS, LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS. QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS. » OR IL DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU. (21, 18-19)

2628. Le Seigneur a désormais confié à Pierre son service de pasteur ; maintenant il lui annonce qu'il aura à souffrir le martyre ; et cela convient bien, car il revient au bon pasteur de livrer son âme pour ses brebis 4. Or il ne fut pas donné à Pierre de livrer son âme pour le Christ dans sa jeunesse, mais déjà vieux et pour ses brebis.

C'est bien ce que lui annonce le Christ dans cette prédiction ; il lui rappelle d'abord la condition de sa vie passée, puis il lui annonce la perfection de sa vie future [n° 2630]. Enfin l'Évangéliste rapporte les paroles du Seigneur [n° 2633].

1. Dt 6, 5.

2. Cf. Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 310.

3. Theophylacte, ibid.

4. Voir Jn 10, 11.

5. « Ils [les jeunes gens] sont enclins à la colère et à l'emportement, toujours prêts à suivre leurs entraînements et incapables de dominer leur fureur. Par amour-propre, ils ne supportent pas qu'on tienne peu de compte de leur personne, et se fâchent quand ils croient qu'on leur fait tort » (Aristote, La rhétorique, II, 12, 1389 a 9-10). « Ils croient tout savoir et affirment avec obstination : c'est la cause de leur excès en tout. Ils commettent leurs méfaits par démesure, non par méchanceté » (loc. cit., 1389 b 5-7).

I

LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS. QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA.

2629. Or la condition passée de Pierre ne fut pas sans défauts car dans sa jeunesse il fut trop présomptueux et trop attaché à sa volonté propre - ce qui est en effet le propre des jeunes, comme le dit le Philosophe dans sa Rhétorique5. Aussi l'Ecclésiaste dit-il, comme par manière de blâme : Réjouis-toi donc, jeune homme, en ton adolescence, et qu'heureux soit ton cœur dans les jours de ta jeunesse ; marche dans les voies de ton cœur6. C'est ce que signifie cette parole du Seigneur : LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS, c'est-à-dire : tu te maintenais à l'écart de certaines choses illicites et superflues, comme si tu ne supportais pas, selon ton jugement propre1, de te maintenir à l'écart de quelque chose. Voilà aussi pourquoi, quand il s'agit d'accomplir des bonnes œuvres, c'est toujours dans les dangers que tu veux être à ma place.

6. Qo 11, 9.

Cependant il ne t'a pas été donné de souffrir pour moi quand tu étais jeune ; mais, QUAND TU AURAS VIEILLI, je comblerai ton désir pour que, ce que tu n'auras pas souffert dans ta jeunesse, tu le souffres comme vieillard car TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA. Admirable annonce ! C'est toute la durée de sa vie et sa passion qu'elle présente. Car entre le moment où ces paroles ont été dites et la mort de Pierre se sont écoulées presque trente-sept années ; il était donc en effet bien vieux.

II

QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.

2630. Selon Chrysostome2, il dit : QUAND TU AURAS VIEILLI, parce qu'il en va autrement dans les choses humaines et dans les choses divines. Dans les choses humaines, les jeunes par leurs affaires sont utiles, mais les vieillards inutiles. Mais dans les choses divines, la vertu ne disparaît pas avec la vieillesse, au contraire elle est parfois plus forte - Ma vieillesse est comblée d'une miséricorde abondante3. - Comme les jours de ta jeunesse, ainsi sera ta vieillesse4. Mais cela s'entend, comme l'affirme Tullius5, de ceux qui pendant leur jeunesse s'exercent en vue du bien. Par contre ceux qui, jeunes, s'adonnent à l'oisiveté, ne valent pas beaucoup ou rien quand ils sont vieux.

Par là on comprend aussi, comme le dit Origène dans son commentaire sur ce passage de Matthieu6 Longtemps après, le maître revint7, qu'en effet on trouve rarement des maîtres et des enseignants dans l'Église qui soient utiles et qui ne vivent que peu de temps. Il donne alors l'exemple de Paul dont on lit dans les Actes qu'il était adolescent8, et qui plus tard écrit à Philémon : Puisque tu es comme moi, le vieux Paul9. La raison en est que, parce qu'on trouve bien peu d'hommes capables pour cela, quand on en trouve quelques-uns, le Seigneur les maintient en vie plus longtemps.

2631. Il lui annonce aussi le mode de sa passion : TU ÉTENDRAS TES MAINS, car Pierre fut crucifié ; cependant non pas avec des clous mais avec des cordes, pour le maintenir en vie plus longtemps. Et c'est cela que le Christ appelle « ceinture ».

À propos de la passion des saints, il nous faut considérer trois aspects.

D'abord le mouvement de l'affection naturelle, car il y a entre l'âme et le corps un lien naturel tel que jamais l'âme ne voudrait être séparée du corps et inversement 10 - Nous ne voulons pas être dépouillés, mais revêtus par-dessus11. - Mon âme est triste jusqu'à la mort1. Aussi le Christ dit-il : OÙ TU NE VEUX PAS, c'est-à-dire selon l'instinct de ta nature, si naturel que même la vieillesse ne pourra l'enlever à Pierre. Pourtant le désir de la grâce parvient à le vaincre, c'est pourquoi l'Apôtre dit : J'ai le désir de disparaître et d'être avec le Christ2. — Oui, nous sommes pleins d'audace, nous aimons mieux sortir de ce corps, et être présents à Dieu3.

1. Saint Thomas, commentant la parole de Jésus, semble indiquer que Pierre ne se restreignait que pour le minimum interdit ou inutile, et sinon ne souffrait pas (« Tu allais où tu voulais ») d'être entravé dans son élan « selon son jugement propre ». D'où son empressement pour courir les mêmes dangers que son Maître.

2. In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 159, p. 479.

3. Ps 91, 11 (verset propre à la Vulgate).

4. Dt 33, 25.

5. CicÉron, Caton l'ancien (De la vieillesse), xvill, 62, Les Belles Lettres, p. 121.

6. Commentaria in Evangelium secundum Matthaeum, XI, il, GCS 38, p. 156-157.

7. Mt 25, 19.

8. Cf. Ac 7, 58.

9. Phm 9.

10. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 59, co1. 479.

11.2 Co 5, 4. Saint Thomas commente : « Le désir de la grâce brûle de parvenir à la récompense mais il est retardé par le désir de la nature (...). Le caractère du désir naturel est de retarder le désir de la grâce, parce que nous voudrions être trouvés vêtus et non pas nus ; nous voudrions que notre âme parvînt à la gloire sans que le corps passât par la corruption de la mort. La raison en est qu'il y a dans l'âme un désir naturel d'être unie au corps, autrement la mort ne serait pas un châtiment. C'est pourquoi il dit : Tant que nous sommes dans cette tente, c'est-à-dire tant que nous habitons dans ce corps mortel - Je sais que je quitterai bientôt cette tente (2 Ρ 1, 14) -, nous gémissons, notre cœur gémit et non seulement notre voix - Comme des colombes nous gémissons (Is 59, 11) -, parce qu'il est dur de penser à la mort. Et nous sommes accablés, comme si notre désir se heurtait à un obstacle, en ce que nous ne pouvons parvenir à la gloire sans déposer notre corps, ce qui va contre le désir nature1. Augustin dit que la vieillesse elle-même n'a pu enlever à Pierre la crainte de la mort. Voilà pourquoi nous ne voulons pas nous dépouiller de notre tente terrestre, mais nous revêtir par-dessus de la gloire céleste, ou, selon la Glose, d'un corps glorieux » {Ad 2 Cor. lect., V, nos 158-159).

1.Mt 26, 38.

Ensuite, la divergence entre l'intention des saints et celle de leurs persécuteurs : ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.

Enfin, nous devons être prêts à souffrir mais non à tuer, c'est pourquoi il dit : TU ÉTENDRAS TES MAINS. Et c'est évident de Pierre : alors que le peuple voulait fomenter une révolte contre Néron et sauver Pierre, lui-même l'en empêcha - Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple4.

2632. On pourrait croire que T'EMMÈNERA doit précéder l'affirmation UN AUTRE TE CEINDRA, comme pour dire : il te ceindra parce qu'il T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS. Mais pour qu'on ne croie pas que cela ait été dit en vain, cela a été écrit après la mort de Pierre. Car Pierre fut tué à l'époque de Néron tandis que Jean écrivit son Évangile après son retour d'exil, sous l'empereur Domitien. Or il y eut plusieurs empereurs entre Néron et Domitien.

2. Ph 1, 23.

3. 2 Co 5, 8. Au sujet de ce verset, saint Thomas précise : « Mais pourquoi cette audace ? Pour mieux sortir de ce corps, c'est-à-dire m'arracher à lui, par la dissolution du corps, ce qui va contre le désir de la nature, et être présents à Dieu, c'est-à-dire entrer dans la claire vision, ce qui est le désir de la grâce. C'est ce que désirait le psal-miste qui disait : Mon âme a soif de Dieu (Ps 41, 3) » {Ad 2 Cor. lect., V, n° 165).

4. 1 Ρ 2, 21.

III

OR IL DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU. (21, 19)

2633. L'Évangéliste nous rapporte cet événement encore à venir comme s'il était déjà arrivé5 en disant : OR IL DIT CELA - c'est-à-dire Jésus à Pierre - POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU ; en effet, la mort des saints, et non pas seulement leur vie, est en vue de la gloire du Christ - Le Christ sera glorifié dans mon corps soit par la vie, soit par la mort6. - Qu'aucun de vous ne souffre comme voleur ou comme homicide (...) ; et, si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas, mais qu'il glorifie Dieu en ce nom7. C'est ainsi qu'est manifestée la grandeur du Seigneur, lorsqu'au nom de sa vérité et de leur foi en lui les saints s'exposent ainsi à la mort.

5. L'édition Marietti dit ici quasi adhuc futurum, et la léonine propose jam factum. N'osant pas trancher, nous avons mis les deux.

6. Ph 1, 20. « Dans notre corps le Christ est doublement glorifié. D'une [première] manière en tant que nous regardons notre corps pour son obéissance, en exécutant corporellement ses services - Glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1 Co 6, 20 [propre à la Vulgate]). D'une autre manière en exposant notre corps pour le Christ - Quand je livrerais mon corps aux flammes (1 Co 13, 3). Mais la première manière se fait par la vie, et la seconde par la mort. C'est pourquoi il dit soit par la vie, parce qu'il opère en vivant, soit par la mort - Soit que nous vivions, soit que nous mourrions, nous sommes du Seigneur (Rm 14, 8). Ce qui peut aussi se comprendre de la mort spirituelle - Mortifiez vos membres qui sont sur la terre (Col 3, 5) » {Ad Phi1. lect., I, n° 31).

7. 1 Ρ 4, 15-16.

B. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A JEAN

2634. Après avoir exposé ce que le Seigneur a révélé à Pierre, l'Évangéliste nous raconte ici ce qu'il révéla à Jean, c'est-à-dire à lui-même. Il présente d'abord la recommandation1 du disciple par le Christ, puis celle de son Évangile [n° 2652].

a) La recommandation de Jean par le Christ.

Concernant ce premier point, il nous précise d'abord l'occasion [qu'a le Christ] de recommander ce disciple, puis il l'expose [n° 2638].

L'occasion de cette recommandation.

APRÈS AVOIR DIT CELA, IL LUI DIT : « SUIS-MOI ! » (21, 19)

2635. L'occasion de cette recommandation de Jean fut l'appel du Christ invitant Pierre à le suivre. En effet, c'est APRÈS AVOIR DIT CELA - ce qui concernait sa mission et son martyre - que Jésus dit à Pierre : « SUIS-MOI ! »>

Selon Augustin2 cela est dit en référence au martyre, c'est-à-dire « en souffrant pour moi » ; car il ne suffit pas de souffrir de n'importe quelle manière, mais seulement en suivant le Christ, c'est-à-dire à cause de lui - Vous serez heureux lorsque les hommes vous haïront à cause du Fils de l'homme3. - Le Christ même a souffert pour nous vous laissant un exemple4.

2636. Mais beaucoup d'autres, parmi les disciples présents à ce moment, ont souffert à cause du Christ, et notamment Jacques qui fut mis à mort le premier - II fit mourir par le glaive Jacques, frère de Jean5. Pourquoi dit-il spécialement à Pierre « SUIS-MOI ! » ?

Là Augustin6 répond que Pierre a non seulement souffert la mort pour le Christ, mais aussi qu'il l'a suivi jusque dans le genre de mort, c'est-à-dire celui de la croix - Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive7.

Ou encore, selon Chrysostome8, il dit « SUIS-MOI ! » dans le service de prélat ; comme si Jésus disait : « Suis-moi, comme moi j'ai reçu de Dieu le Père le soin de l'Église - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage9 -, afin que tu deviennes à ma place le chef de l'Église tout entière. »

2637. Comment expliquer alors qu'après l'Ascension du Christ, Jacques ait reçu après lui la primauté à Jérusalem ? À cela il faut dire qu'il reçut l'autorité spéciale sur ce lieu. Mais Pierre lui, reçut l'autorité universelle sur les fidèles de toute l'Église10.

1. En latin commendatio, substantif correspondant au verbe commendo qui signifie « recommander », « faire valoir ».

2. Tract, in Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.

3. Lc 6, 22.

4. 1 Ρ 2, 21.

5. Ac 12, 2.

6. Tract, in Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.

7. Mt 16, 24. Saint Thomas commente : « II faut que vous soyez prêts à imiter la Passion du Christ. Les martyrs l'imitent d'une manière spéciale en leur corps, mais les hommes spirituels, spirituellement, eux qui meurent spirituellement pour le Christ. (...) Et il dit veut, parce qu'est davantage entraîné celui qui l'est volontairement que celui qui l'est par violence - Volontairement je t'offrirai un sacrifice (Ps 53, 8) » (Sup. Matth. lect., XVI, n° 1408). Et : « Qu'il prenne sa croix. La croix se dit à partir de celui qui est crucifié. Spirituellement, est crucifié celui dont l'esprit est crucifié à cause de la compassion à l'égard du prochain - Pleurez avec ceux qui pleurent (Rm 12, 15) » (ibid., n° 1410).

8. Il s'agit en fait de Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. iac., PG 124, co1. 311 D-314 A.

9. Ps 2, 8.

10. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 314 D.

La recommandation elle-même.

2638. L'Évangéliste expose ici la recommandation de Jean par le Christ, d'abord quant aux choses passées, puis quant aux choses futures [n° 2644].

Ι

S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT - CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE LIVRERA ? » (21, 20)

En ce qui concerne les choses passées, c'est en vertu d'un triple privilège que Jean est recommandé par le Christ.

S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT.

2639. D'abord à cause de cette dilection particulière du Christ pour lui. C'est pourquoi Jean nous dit : S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE - qui avait déjà commencé à suivre Jésus, même physiquement - VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT. En cela il est donné à entendre que Pierre, désormais fait pasteur, veillait attentivement sur les autres - Et toi, une fois converti, confirme tes frères1. Or Jésus aimait Jean sans pour autant exclure les autres, comme il l'a dit auparavant : Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés2. Mais il l'a préféré aux autres en raison d'une dilection spéciale. Et cela pour trois raisons3.

D'abord à cause de la perspicacité de son intelligence ; les maîtres en effet aiment spécialement les disciples intelligents - Un ministre intelligent est bien accueilli du roi4.

1. Lc 22, 32.

2. Jn 15, 9.

3. Dans son traité Adversus Jovinianum, où il fait l'éloge de la virginité, saint Jérôme présentera plus abondamment que dans le prologue à sa traduction de l'évangile de saint Jean les différents passages permettant de considérer que l'apôtre Jean a choisi la virginité, à la différence de Pierre qui était marié (I, 26, PL 23, co1. 246-247). Ce choix est une des raisons pour lesquelles Jean fut le disciple bien-aimé du Christ. Pour expliquer pourquoi il ne fut cependant pas choisi comme chef du groupe des Douze, saint Jérôme invoquera le fait qu'il était encore très jeune (adolescens). Il ajoutera que, par la qualité de son évangile, on peut le comparer à l'aigle en plein vo1. Saint Augustin reprendra à son compte la tradition concernant la virginité de Jean, mais avec nuance, d'abord dans son traité sur le bien du mariage {De bono conjugale, XXI, 26, BA 2, p. 83-85), écrit cinq ans après le Adversus Jovinianum, puis quinze ans plus tard dans son commentaire sur l'évangile (Tract, in Io., CXXIV, 7, BA 75, p. 463). Les trois motifs que saint Thomas donne ici pour expliquer pourquoi Jean est le disciple bien-aimé s'appuient sur cette tradition. Voir ci-dessus, n° 1804.

Ensuite à cause de la pureté de son cœur, puisqu'il était vierge - Celui qui aime la pureté du cœur, à cause de la grâce de ses lèvres aura pour ami le roi5.

Enfin à cause de sa jeunesse ; en effet, nous nous laissons davantage attendrir par les enfants et ceux qui sont démunis, et nous leur montrons des signes de familiarité. Ainsi aussi le Christ envers le jeune Jean - Parce qu'Israël était un enfant, je l'ai aimé6. Nous voyons par là que Dieu chérit spécialement ceux qui se mettent à son service dès leur plus jeune âge - Mon âme a désiré quelques figues précoces7.

2640. Cependant l'Écriture dit : Moi, j'aime ceux qui m'aiment8. Or c'est Pierre qui aimait davantage le Christ, comme nous l'avons vu : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?9 Le Christ aurait donc dû aimer davantage Pierre que Jean10.

Voici la réponse. On pourrait dire que Jean, parce qu'il a été plus aimé, fut plus heureux, mais que Pierre, étant plus aimant, fut meilleur11.

4. Pr 14, 35.

5. Pr 22, 11.

6. Os 11, 1.

7. Mi 7, 1.

8. Pr 8, 17.

9. Jn 21, 15.

10. Le problème est longuement présenté par saint Augustin (Tract, in Io., CXXIV, 4-6, BA 75, p. 441-459). Saint Thomas résume ici son explication en la simplifiant.

11. Voir Somme théo1., I, q. 20, a. 4, obj. 3 et ad 3, où saint Thomas dit presque la même chose. Il y précise : « Le Christ a aimé Pierre davantage quant au don de charité, et Jean davantage quant au don d'intelligence, et pour cette raison Pierre fut le meilleur et le plus aimé absolument parlant, et Jean sous un certain rapport ».

Mais cela serait contraire à la justice. Aussi cela nous renvoie-t-il au mystère. En effet, ces deux disciples manifestent deux aspects de la vie, c'est-à-dire la vie active et la vie contemplative1. De l'une comme de l'autre, le Christ est la fin et l'objet. Mais la vie active, représentée par Pierre, aime davantage Dieu que la vie contemplative, représentée par Jean, parce qu'elle ressent davantage les angoisses de la vie présente et désire avec plus d'ardeur en être libérée et aller vers Dieu.

Quant à la vie contemplative, Dieu l'aime plus puisqu'il la conserve plus ; en effet, elle ne s'achève pas avec la vie du corps comme la vie active - Le Seigneur aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob2.

2641. Certains, voulant expliquer littéralement ce passage, distinguent dans le Christ deux dilections différentes, en raison de sa volonté divine et de sa volonté humaine3. Ils affirment que le Christ a aimé davantage Pierre d'une dilection divine, et Jean d'une dilection humaine. Mais dans le Christ, la volonté humaine était totalement conforme à la volonté divine. Ainsi celui qu'il aimait le plus selon sa volonté divine, il l'aimait plus aussi selon sa volonté humaine.

Il faut donc répondre qu'il aimait davantage celui auquel il voulait un bien plus grand. Or il aimait plus Pierre pour faire de lui le disciple le plus aimant, mais Jean, il l'aimait en vue d'autre chose : la perspicacité de son intelligence - Le Seigneur l’α comblé d'un esprit de sagesse et d'intelligence4. Selon cela, Pierre est meilleur parce que la charité l'emporte sur la science - La charité ne finira jamais5. Quant à Jean, il est plus grand selon la perspicacité de l'intelligence. Mais il appartient à Dieu seul de peser leurs mérites - Celui qui pèse les esprits, c'est Dieu6.

1. Sur les rapports entre vie active et vie contemplative, voir ci-dessus, n° 1595, note 5, n° 1806, et n° 2487, note 2.

2. Ps 86, 2.

3. Sur les deux volontés dans le Christ, voir Somme théo1., III, q. 18. C'est en contemplant le mystère de Jésus dans son agonie (Le 22, 42) et en s'appuyant sur le 6è Concile œcuménique, célébré à Constantinople au VIIè siècle (680-681), que saint Thomas affirme : « II est clair que le Fils de Dieu a assumé une nature humaine parfaite. Or à la perfection de la nature humaine se rapporte la volonté qui est une puissance qui lui appartient en propre, comme aussi l'intelligence. Il est donc nécessaire de dire que le Fils de Dieu a assumé dans sa nature humaine une volonté humaine. D'autre part, par l'assomption de la nature humaine, le Fils de Dieu n'a éprouvé aucune diminution dans sa nature divine, laquelle comporte la volonté, comme on l'a rapporté plus haut (I, q. 19, a. 1). Il est donc nécessaire de dire que dans le Christ sont deux volontés, l'une divine, l'autre humaine » (III, q. 18, a. 1, c). Sur les deux natures dans le Christ, voir ci-dessus, n° 1711, note 3, n° 1979, note 7.

D'autres encore affirment, ce qui paraît plus juste, que Pierre aima plus le Christ à travers ses membres, et qu'ainsi il fut plus aimé du Christ qui, pour cela, lui confia son Église. Jean quant à lui l'aima davantage pour lui-même, et pour cette raison il fut plus aimé du Christ, et c'est pourquoi celui-ci lui confia sa Mère.

On peut dire encore que Pierre aima le Christ par son empressement et sa ferveur, mais que Jean fut plus aimé si l'on considère les marques de familiarité que le Christ lui prodiguait davantage, en raison de sa jeunesse et de sa pureté.

CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE

2642. Aussi, lorsque Jean ajoute CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE, il est mis en lumière en vertu d'un second privilège, à savoir celui de son intimité spéciale avec le Christ, ce que nous avons exposé plus haut7.

ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE LIVRERA ? »

2643. Enfin Jean est mis en lumière selon ce privilège de la confiance spéciale qu'il avait dans le Christ, si bien que, confiant plus que tous les autres, c'est lui qui pouvait l'interroger. C'est pourquoi il dit : ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE LIVRERA ? » - ce que nous avons également montré1.

4. Si 15, 5 (verset propre à la Vulgate).

5. 1 Co 13, 8.

6. Pr 16, 2.

7. Voir Jn 13, 23 et ci-dessus, nos 1803-1804.

Chrysostome2 affirme que, si Jean nous rappelle ainsi ses propres privilèges, c'est afin de recommander Pierre. On aurait pu croire en effet que Pierre, parce qu'il avait renié le Christ, ne serait plus reçu dans la même intimité qu'auparavant. Aussi, pour exclure cela, Jean montre qu'il était reçu dans une intimité plus grande ; car lui qui, à la Cène, n'osait pas interroger le Seigneur mais en confia le soin à Jean, devient après la Passion le porte-parole de ses frères et n'interroge plus seulement le maître pour lui-même, mais aussi pour les autres et pour Jean.

En cela il est donné à entendre que ceux qui sont tombés dans le péché renaissent parfois pour une grâce plus grande - Car comme votre sentiment a été d'errer loin de Dieu, en revenant à lui vous le rechercherez dix fois plus fort3.

II

L'AYANT DONC VU, PIERRE DIT À JÉSUS : « ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? » JÉSUS LUI DIT : « SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? TOI, SUIS-MOI ! » LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS », MAIS : « SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? » (21, 21-23)

2644. Aussitôt après, l'Évangéliste nous rapporte cette interrogation : « ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? » Nous voyons ici le fait de recommander Jean quant au futur. Cela implique en premier lieu l'interrogation de Pierre, puis la réponse du Christ [n° 2646], après quoi il nous est montré comment fut comprise cette réponse [n° 2651].

ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ?

2645. En ce qui concerne cette question de Pierre, il faut savoir qu'en réponse à l'appel du Seigneur : « SUIS-MOI ! », Pierre commença à le suivre physiquement, lui emboîtant le pas, et Jean aussi avec lui. Et donc, voyant Jean le suivre, Pierre interroge le Christ à son sujet : « ET DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? », comme s'il disait : « Voici que moi je te suis dans ta Passion, mais celui-ci, mourra-t-il ? » Jean aussi aurait voulu poser cette question, mais il n'osait pas4.

Selon Chrysostome5, Pierre n'entendait pas s'informer de sa passion mais du fait qu'il soit prélat6. En effet il aimait Jean plus que tous les autres disciples, et on les voit toujours ensemble dans les Évangiles et les Actes7. Et c'est pourquoi il voulait l'avoir pour compagnon dans son service de prédicateur par toute la terre. Voilà pourquoi il demande : « ET DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? » - sous-entendu : « Que fera-t-il ? Qu'il vienne avec moi ! »

SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? TOI, SUIS-MOI !

2646. Voici la réponse du Christ. Sachons que dans le texte grec il est dit non pas « ainsi », mais « si8 » JE VEUX QU'IL DEMEURE. Mais cela importe peu. Quel que soit ce qui a été dit, il a semblé aux Apôtres que le sens de ces paroles était que Jean ne mourrait pas. En effet le Christ dit : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, comme s'il disait : il ne mourra pas jusqu'à mon second avènement. Mais ceci est exclu par ce qui suit : OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS. »

1. Voir Jn 13, 25 et ci-dessus, n° 1806.

2. In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, co1. 480.

3. Ba 4, 28.

4. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, co1. 480.

5. Ibid.

6. En latin : sed de praelatione. Le terme latin praelatus signifie à la fois « supérieur » et « préféré ».

7. Voir Le 22, 8 [la préparation de la Cène]. Jn 18, 16 [chez Caïphe] ; 20, 24 [la Résurrection]. Ac 3, 1. 3-4 ; 3, 11 ; 8, 14.

8. Le texte de la Vulgate, que Marietti reprend, dit sic, « ainsi », mais nous avons préféré traduire par « si », en suivant le texte grec.

2647. Certains cependant, voulant soutenir cette signification, prétendent que Jean a ajouté cela, non pas pour exclure cette interprétation, mais pour montrer que le Seigneur ne l'a pas exprimée par les mots : IL NE MOURRA PAS mais seulement par ceux-ci : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE. Et pour cette raison, ils disent que Jean n'est pas encore mort.

Cependant, concernant sa sépulture, il y a eu des opinions variées. Il est vrai en effet selon tous qu'il entra dans un sépulcre et cela apparaît encore. Mais quelques-uns 1 disent qu'il est entré vivant dans ce sépulcre et que, par la puissance divine, il en sortit, transporté auprès d'Énoch et d'Élie, où il est gardé jusqu'à la fin du monde. Il faudrait donc comprendre : JE VEUX QU'IL DEMEURE vivant jusqu'à la fin du monde. Alors il souffrira pour moi, avec ces deux hommes, le martyre infligé par l'Antichrist. En effet il est inconvenant qu'il ne meure pas. Car tout ce qui naît doit mourir2 -II est arrêté que les hommes meurent une fois3.

D'autres au contraire affirment qu'il entra vivant dans son sépulcre qui se trouve près d'Éphèse et qu'il y vit encore maintenant, endormi, jusqu'à ce que le Christ revienne. Ils ont pour argument qu'à cet endroit la terre se soulève comme en bouillonnant, ce qui, disent-ils, est dû au souffle de l'Apôtre. Augustin4 cependant exclut cela, disant qu'il est moindre pour l'Apôtre de vivre endormi que de vivre en bienheureux. Pourquoi donc le Christ aurait-il accordé, au disciple qu'il aimait plus que les autres, ce long sommeil comme une grande récompense, et l'aurait-il privé de ce si grand bien en vue duquel Paul désirait être dissous pour être avec le Christ5 ?

Voilà pourquoi on ne doit pas croire cela, mais qu'il mourut et ressuscita aussi en son corps. Et le signe en est qu'on ne retrouve pas son corps ; ainsi il demeure bienheureux avec le Christ comme celui-ci l'y invita - Celui qui rend témoignage de ces choses dit : Oui, je viens bientôt6.

2648. Selon Augustin7, il faut comprendre cela d'une manière mystique : ne pas entendre « demeurer » au sens de « rester », mais au sens d'« attendre », selon ce verset - Vous, demeurez dans la ville jusquà ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut8.

C'est ainsi que le Seigneur dit de Jean, c'est-à-dire de la vie contemplative : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE - c'est-à-dire qu'il attende - JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, soit à la fin du monde, soit à la mort de tout contemplatif, car la vie contemplative commencée ici, sur terre, n'y atteint pas sa perfection, elle demeure inchoative et dans l'attente de la venue du Christ, devant être achevée quand il viendra - On leur dit d'attendre en repos encore un peu de temps jusquà ce que fût accompli le nombre de ceux qui servaient Dieu comme eux9. - Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas enlevée1. - La longueur des jours est dans sa droite ; et dans sa gauche sont les richesses et la gloire2.

1. Saint Thomas a pu lire cette légende chez Théophylacte qui la rapporte pour la réfuter (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc., PG 124, co1. 315 A-B).

2. Cf. Si 8, 7 : Souviens-toi que tous nous devons mourir ; et 14, 17 [BJ] : La loi éternelle c'est qu'il faut mourir.

3. He 9, 27.

4. Tract, in Io., CXXIV, 2-3, BA 75, p. 433-437.

5. Ph 1, 23.

6. Ap 22, 20.

7. Tract, in Io., CXXIV, 5, BA 75, p. 455.

8. Le 24, 49.

9. Ap 6, 11.

Mais la vie active, parfaite, formée à l'exemple de la Passion du Christ, le suit pendant ce temps en souffrant pour lui3.

2649. Mais selon Chrysostome4 il faut lire ainsi : JE VEUX QU'IL DEMEURE, c'est-à-dire qu'il reste en Judée, dans ce pays-là, pour prêcher ; mais toi, je veux que tu me suives en prenant soin du monde entier et en souffrant pour moi, et cela, JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour confondre les Juifs. ET QUE T'IMPORTE ?, comme pour dire : il m'appartient d'ordonner. Car, et les récits historiques nous le confirment, Jean ne quitta pas la Judée jusqu'à ce que Vespasien vînt en Judée et prît Jérusalem ; c'est alors que Jean quitta ce lieu pour l'Asie.

2650. Ou bien, selon Jérôme 5, il faut comprendre : TOI, SUIS-MOI, c'est-à-dire par ta passion, mais SI JE VEUX QU'IL, c'est-à-dire Jean, DEMEURE sans souffrir le martyre et la mort JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour l'appeler auprès de moi - De nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi6 -, QUE T'IMPORTE ? - sous-entendu « ce privilège ». Voilà pourquoi il est dit dans la légende du bienheureux Jean que, alors qu'il avait quatre-vingt-dix ans, le Seigneur Jésus Christ lui apparut et l'invita à son festin7.

1. Lc 10, 42.

2. Pr 3, 16.

3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXTV, 5, BA 75, p. 455.

4. Il s'agit en fait de Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 314 C.

5. Le commentaire d'ALCUlN {Comm. in S. Ioannis Évang., VII, 46, PL 100, co1. 1004 D-1005 A) semble être la source de ces lignes plutôt que le passage correspondant de saint Jérôme (Adversus Jovi-nianum, I, 26, PL 23, co1. 246-247).

6. Jn 14, 3.

LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS », MAIS : « SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? » (21, 23)

2651. Ensuite, lorsqu'il dit LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS, il nous montre la manière dont les disciples comprirent ces paroles du Seigneur, c'est-à-dire qu'il NE MOURRAIT PAS. Et c'est ce qu'il dit : LE BRUIT SE RÉPANDIT, c'est-à-dire on divulgua parmi les frères, c'est-à-dire parmi les disciples - Voyez qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble !8 - QUE CE DISCIPLE, Jean, NE MOURRAIT PAS. L'Évangéliste corrige aussitôt cette manière de comprendre, en disant : OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS » - Et vous aussi êtes-vous encore sans intelligence 9 ?

Toutes les autres choses ont déjà été exposées.

7. Parmi les compilations des légendes qui ont formé les Acta Apostolorum (et parmi eux les Acta Iohannis), seule celle connue sous le nom de Virtutes Iohannis (vt siècle) mentionne une apparition du Christ invitant l'apôtre Jean, alors âgé de 97 ans, à son banquet céleste (cap. IX, 1-7 ; in Acta Iohannis, CCSA 2, p. 827-828). Un siècle avant saint Thomas, le moine anglais Orderic Vital la rapporte comme certaine, ainsi que le prodige de la poussière (devenue la manne) sortant du tombeau (Historia ecclesiastica, la pars, 1. I, PL 188, co1. 153 A). La source à la disposition de saint Thomas pourrait être l'homélie du Pseudo-Bède pour la fête de l'assomption de saint Jean l'Évangéliste (Homiliae subdititiae, XCII, PL 94, co1. 494 C). Dans le monde occidental, outre le passage du Tractatus de saint Augustin, le premier témoin de la tradition de la « manne » semble être la notice concernant saint Jean l'Apôtre dans le Liber de Gloria Martyrum, de Grégoire de Tours (§ 29. MGH, Script. Merov., 1.1, II, p. 5). Pour une présentation des principales légendes relatives à l'assomption de saint Jean, voir M. Jugie, La mort et l'Assomption de la Sainte Vierge,.Vatican, 1944, Excursus D : La mort et l'assomption de saint Jean l'Évangéliste, p. 710-726. Voir aussi le commentaire de saint Thomas sur Le Credo, n° 91 (Col1. Docteur commun), Nouvelles Éditions Latines, Paris 1969, p. 127.

8. Ps 132, 1.

9. Mt 15, 16.

b) Éloge de son Évangile.

C'EST CE DISCIPLE-LÀ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A MISES PAR ÉCRIT, ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI. MAIS IL Y A ENCORE BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A FAITES, ET S'IL FALLAIT LES METTRE PAR ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MÊME POURRAIT CONTENIR LES LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE. (21, 24-25)

2652. Voici la dernière partie de l'Évangile, qui en est comme un épilogue. D'abord, il expose la mise en valeur de l'Évangile, puis souligne que la réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile [n° 2657].

La mise en valeur de cet Évangile.

Cet Évangile est mis en valeur de deux manières : d'abord, bien sûr, à cause de celui qui en est l'auteur, mais ensuite à cause de sa vérité [n° 2656].

I

C'EST CE DISCIPLE-LA QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A MISES PAR ÉCRIT.

Concernant l'auteur, il montre trois choses.

2653. En premier lieu, le privilège de sa dignité1, parce qu'il est, lui, CE DISCIPLE-LÀ - sous-entendu ce qui a déjà été dit : plus aimé2, intime, interrogeant fidèlement, et auquel fut donné de demeurer jusqu'à ce que je vienne, toutes choses qui regardent le privilège de sa dignité.

On dit que Jean fut plus aimé spécialement en raison de la qualité spéciale de sa charité - En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres3. Or aucun des Apôtres n'a autant parlé de la charité fraternelle que Jean dans ses épîtres. On lit encore4 à son sujet que, devenu vieux, il se faisait porter à l'église par ses disciples pour y instruire les fidèles auxquels il disait seulement : « Petits enfants, aimez-vous les uns les autres. C'est en cela que consiste la perfection de la vie (disciplinae) chrétienne. »

1. L'édition Marietti met ici auctoritas, mais l'édition léonine propose dignitas.

2. « Plus aimé » (praedilectus) « sans pour autant exclure les autres ». Voir n° 2639, et aussi n° 2641.

3. Jn 13, 35.

4. Cf. saint JÉRÔME, In epistolam ad Galatas, 6, 10, 1. III, cap. VI, PL 26, co1. 433 C.

2654. En second lieu, il montre sa mission qui est de rendre témoignage, et c'est pourquoi il dit : C'EST CE DISCIPLE-LÀ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES. C'est d'ailleurs le caractère propre de la mission des Apôtres - Vous serez témoins pour moi5. - C'est vous qui êtes mes témoins, dit le Seigneur6.

2655. Enfin il ajoute son zèle en disant : ET LES A MISES PAR ÉCRIT. Lui, qui par sa mission apostolique a témoigné des actions du Christ auprès de ceux qui étaient présents, a aussi, poussé par son zèle, mis par écrit ces actions dans l'intérêt des générations futures et des absents - Prends un grand livre et écris dessus avec un stylet d'homme7. - La sagesse du scribe lui viendra dans le temps du loisir8.

Il fut en effet donné à l'Apôtre Jean de vivre jusqu'au temps où l'Église avait retrouvé la paix. Et c'est alors qu'il mit par écrit toutes ces choses. C'est pourquoi il ajoute cela, pour qu'on ne croie pas que cet Évangile, ayant été écrit après la mort de tous les Apôtres, et après que les autres Évangiles ont été approuvés par eux, spécialement celui de Matthieu, semble avoir une autorité moindre que celle des trois autres évangiles.

5. Ac 1, 8.

6. Is 44, 8.

7. Is 8, 1. Saint Thomas commente : « De quelle manière il faut écrire : avec un stylet d'homme, c'est-à-dire sans détours pour que cela puisse être compris et que ce qui a été écrit demeure - Écris la vision, grave-la sur les tablettes pour qu'on la lise facilement (Ha 2, 2) » (Exp. super Isaiam, 8, 1, p. 60, 1. 39-42).

8. Si 38, 25.

II

ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI.

2656. L'Évangéliste proclame ici la vérité de son Évangile. Et il parle au nom de toute l'Église par laquelle cet Évangile fut reçu - Ma bouche s'exercera à la vérité1.

Il faut remarquer que, bien que beaucoup aient déjà écrit sur la vérité catholique, la différence est que ceux qui ont rédigé l'Écriture canonique - les évangélistes, les Apôtres et d'autres encore - la proclament avec une telle constance qu'ils ne laissent pas la moindre place au doute. C'est pourquoi Jean dit : ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème2. La raison en est que seule l'Écriture canonique est la règle de la foi3.

D'autres encore ont parlé de la vérité en ne voulant être crus que dans ce qu'ils disent de vrai.

La réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile.

MAIS IL Y A ENCORE BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A FAITES.

2657. Jean nous montre ici l'insuffisance de ses écrits au regard de la réalité qu'il met par écrit, comme pour écarter le fait qu'il ait écrit ces choses, dans sa volonté d'en attribuer la grâce à celui qui l'aime, parce que celui-ci a fait non seulement ces choses mais encore BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES qui n'ont pas été rapportées dans ce livre.

ET S'IL FALLAIT LES METTRE PAR ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MÊME POURRAIT CONTENIR LES LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE.

2658. Ce verset peut se comprendre de trois manières.

En un sens « contenir » se rapporte à une capacité de l'intelligence4 ; comme s'il disait : on pourrait dire tant de choses sur le Christ que même le monde entier ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits à leur sujet - J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais à présent vous ne pouvez pas les porter5, c'est-à-dire les comprendre.

En un autre sens, puisque cette phrase est hyperbolique 6, elle signifie que les œuvres accomplies par le Christ nous dépassent complètement.

1. Pr 8, 7.

2. Ga 1, 9.

3. Voir saint Augustin, Lettre 82, I, 3, PL 33, co1. 277 : « Les livres des Écritures canoniques sont les seuls auxquels j'accorde l'honneur de croire très fermement leurs auteurs incapables d'errer en ce qu'ils écrivent. (...) Quant aux autres, si je les lis, je ne pense pas vrai ce qu'ils ont pensé ou écrit, quelque supérieurs qu'ils puissent être en sainteté et en doctrine », repris par saint Thomas dans sa Somme théologique, I, q. 1, a. 8, ad 2. Voir aussi saint Thomas, /Il Sent., d. 25, q. 1, a. 1C, obj. 2 et q. 2, a. 2D, obj. 3 ; Quodlibetum XII, q. 17, et Somme théo1., II-II, q. 1, a. 9, ad 1.

4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p. 463.

5. Jn 16, 12.

6. Les mathématiciens désignent par « hyperbole » une courbe particulière. La figure de l'hyperbole, en rhétorique, accroît l'excès ou le manque pour mieux le signifier. Saint Thomas veut montrer, comme il l'explique ensuite en s'appuyant sur saint Augustin, que la figure rhétorique de l'hyperbole convient pour parler du Christ et de ce qu'il a accompli, qui dépasse tout ce que nous pourrions penser.

2659. Mais qu'est-ce qu'il dit là ? En effet, il affirme d'abord : ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI, puis aussitôt il poursuit par cette proposition hyperbolique. Mais selon Augustin1, l'Écriture Sainte utilise ces tournures imagées, par exemple : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé2, et cependant elles ne sont pas fausses. Et il en est ainsi de n'importe quelle expression hyperbolique que l'on trouve dans l'Écriture Sainte.

En effet l'intention de l'auteur quand il dit cela n'est pas de nous amener à croire ce qu'il dit, mais de nous faire saisir ce qu'il veut signifier, à savoir que les œuvres du Christ nous dépassent complètement. D'ailleurs ce procédé n'est pas employé quand il s'agit de quelque chose d'obscur ou d'incertain, mais lorsque l'auteur veut exagérer ou atténuer quelque chose d'évident. Par exemple, lorsque quelqu'un veut mettre en valeur l'abondance d'une réalité, il dit : « II y en aurait assez pour cent personnes, ou même mille ! » Au contraire, s'il veut la dénigrer : « Ce serait à peine suffisant pour trois personnes ! » II ne dit cependant rien de faux car de telles paroles dépassent largement la réalité à laquelle elles renvoient, pour bien montrer que l'intention n'est pas de mentir, mais de montrer qu'il y a peu ou beaucoup.

2660. Cela peut aussi se référer à la puissance du Christ qui opérait des signes, et c'est pour en montrer la force qu'il dit : UNE PAR UNE. En effet, écrire un par un les signes et les paroles de Jésus Christ, c'est décortiquer toute la puissance de chacun de ces actes et de ces paroles. Or ces actes et ces paroles du Christ sont aussi ceux de Dieu. Et si quelqu'un voulait écrire ou raconter ce qu'il comprend de chacun, il ne le pourrait en aucune manière ; et d'ailleurs, le monde entier en est incapable. L'infini des mots humains ne peut en effet atteindre une seule parole de Dieu.

Depuis le commencement de l'Église on a toujours écrit au sujet du Christ, mais cependant ce n'est pas suffisant. Bien au contraire, si le monde devait durer cent mille ans, combien de livres pourraient être écrits au sujet du Christ, décortiquant un à un ses actes et ses paroles, sans parvenir à la perfection ! - II n'y a pas de fin à multiplier les livres3. -J'ai annoncé et j'ai parlé [des merveilles de Dieu] ; elles ont été multipliées sans nombre4.

1. Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p. 463-465.

2. Is 6, 1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.

3. Qo 12, 12.

4. Ps 39, 6.

Index thématique

Pour cet Index ont été choisis cinquante des principaux thèmes que saint Thomas aborde dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean. Cette liste peut constituer un outil de travail pour les étudiants en théologie et permettre de connaître plus profondément la pensée du Docteur Angélique. Pour chaque thème sont indiqués par leur numéro les principaux paragraphes évoquant le sujet. Ce document n'est donc pas exhaustif, il est proposé comme une introduction en vue d'une recherche plus approfondie.

L'adoration

Vo1. I, nos 597-598, nos 600-615

Le culte de latrie Vo1. II, n° 2195

L'agneau

L'agneau : figure du sacrifice du Christ Vo1. I, nos 257, 377 Vo1. II, nos 1733, 2461

La pureté et la force de l'Agneau Vo1. I, nos 258, 283

Le Christ devant ses persécuteurs Vo1. II, nos 2391, 2394

L'Agneau Pasteur Vo1. II, n° 2623

L'âme

Vo1. I, n° 1425

Vo1. II, nos 1651, 1762, 1796-1797, 2631

L'opinion des hérétiques sur l'âme Vo1. I, nos 113, 229, 1557 Vo1. II, n° 2453

Jésus remet l'esprit, c'est-à-dire son âme Vo1. II, n° 2453

L'amour et la haine pour notre âme Vo1. II, nos 1643-1645

L'amour

L'amour en Dieu Vo1. I, n° 753

L'amour d'amitié : recherche du bien de l'ami Vo1. I, n° 1475 Vo1. II, n° 1999

La mise en commun entre les amis Vo1. II, nos 1837-1838

Faire la volonté de l'ami Vo1. II, n° 1932

La joie de la présence de l'ami Vo1. II, n° 2085

Le secret

Vo1. II, nos 1916, 2016

La similitude, cause de l'amour Vo1. II, n° 2034

L'amour d'amitié et de concupiscence Vo1. II, n° 2036

Amour et connaissance Vo1. II, n° 2494

Amour, choix, dilection Vo1. II, n° 2622

Le baptême

La régénération du baptême Vo1. I, nos 164, 439, 503

Le baptême du Christ Vo1. I, nos 254, 255, 266

Le baptême du Christ et notre baptême Vo1. I, nos 268, 707

Le triple pouvoir du baptême du Christ Vo1. I, n° 276

Les baptêmes d'eau, de feu et de sang Vo1. I, n° 445

L'eau du baptême Vo1. I, n° 703

L'instrumentalité du prêtre qui confère la grâce au baptême

Vo1. II, n° 2542

La charité

Obéissance et charité Vo1. II, nos 1942, 1996

Le précepte de la charité Vo1. I, n° 480, Vo1. II, nos 2006-2012

La charité unit toutes les vertus Vo1. II, n° 2429

Le Christ

Une personne et deux natures Vo1. I, nos 207, 352, 468, Vo1. II, nos 1711, 1746, 1828, 1829, 1979, 1981, 2010, 2054, 2138, 2257, 2458, 2520

La grâce du Christ Vo1. I, nos 189, 190, 301, 543, 544, 667, Vo1. II, n° 1743

La science du Christ Vo1. I, nos 327, 422, 551, 868, 1065, Vo1. II, n° 2347

La volonté du Christ Vo1. I, nos 796, 923, 1425, Vo1. II, n° 2640

Les passions du Christ Vo1. I, nos 1534-1535 Vo1. II, nos 1651-1654, 1796-1798

La présence du Christ en nous Vo1. I, nos 398, 880, 950 Vo1. II, n° 1995

Le Christ, vigne Vo1. II, n° 1981

Le Christ, source d'eau vive Vo1. I, n° 1090

Le Christ, chemin et terme Vo1. II, n° 1868

L'enseignement du Christ Vo1. I, nos 1074, 1108, 1555 Vo1. II, nos 1775, 1807

La connaissance

La connaissance des réalités simples et complexes Vo1. I, n° 603

La connaissance spéculative et affective Vo1. II, nos 1762, 2265

La connaissance des principes et des conclusions Vo1. II, n° 2018

La similitude du connu dans le connaissant Vo1. I, n° 1065

L'interrogation Vo1. II, n° 2347

Amour et connaissance Vo1. II, nos 1919, 2480

La source de la connaissance Vo1. I, nos 103, 1037, 1040, 1065

Les différentes connaissances de Dieu Vo1. II, nos 1663, 1876 sq., 2018, 2203, 2422, 2517

La connaissance propre à Dieu Vo1. I, nos 1412, 1414

La crainte

Les différentes sortes de crainte Vo1. I, n° 969, Vo1. II, nos 1783, 1967, 2015, 2041

La création

Vo1. I, nos 73, 740 Vo1. II, nos 2251, 2598

L'Écriture Sainte

Les différents sens de l'Écriture Vo1. I, nos 25, 57, 125, 760, Vo1. II, nos 1696, 1828, 2057, 2659

L'ordre de l'Ancien Testament au Nouveau Vo1. I, nos 823, 1366, Vo1. II, nos 1705, 2321, 2447, 2568, 2656

L'accomplissement de l'Écriture Vo1. II, nos 1961-1962, 2342, 2433, 2447, 2461

L'Église

Épouse du Christ Vo1. I, nos 338, 518

La barque du Christ, « une » par la foi Vo1. I, n° 886, Vo1. II, nos 2582, 2595

Corps mystique Vo1. I, n° 404

Pierre, figure de l'Église Vo1. I, n° 306

L'Église née du côté du Christ Vo1. II, n° 2458

L'Église, « sein spirituel » Vo1. I, n° 439

L'Église militante et triomphante Vo1. II, nos 1853, 2604, 2606

Les chrétiens sont enseignés directement par Dieu Vo1. I, n° 944

La célébration des fêtes dans l'Église Vo1. I, n° 1434

L'Esprit Saint

L'Esprit de vérité Vo1. II, nos 1880, 1916, 2102

L'Esprit d'amour, « nexus » du Père et du Fils Vo1. I, nos 269, 357, 545, 1004, 1097, 1156, Vo1. II, nos 1908, 1946, 2069, 2088, 2187, 2214, 2541

Sa mission Vo1. I, nos 270, 272, 442, 447, 577, 586, 1090, 1092, 1093, 1097, 1577, Vo1. II, nos 1609, 1908-1909, 1914, 1956-1958, 2088, 2269

Ses deux préceptes d'amour Vo1. II, n° 2539

Voir aussi « Le Paraclet »

L'Eucharistie

Sa source Vo1. I, n° 961 Vo1. II, n° 2458

Sa matière Vo1. I, n° 960

La transsubstantiation Vo1. I, n° 962

Ses effets Vo1. I, nos 954-955, 960, 962-964, 968, 972-973

L'Eucharistie, fin des sacrements Vo1. I, n° 969

La communion Vo1. I, nos 969-970, 972, 974, 976

Le Fils

Vérité incréée Vo1. II, n° 2365

Le Fils, Sagesse Vo1. II, n° 2181

Le Secret du Père Vo1. I, n°218

Le Fils par nature Vo1. I, nos 187, 278, 328

Le Fils manifeste le Père et conduit au Père Vo1. I, n° 1162, Vo1. II, nos 1622, 1660, 1874, 1878-1879, 2150, 2194

Sa science Vo1. II, n° 2017

Voir aussi « La Sainte Trinité »

La foi

L'objet de la foi Vo1. I, nos 658, 773 Vo1. II, n° 1619

Foi, opinion, intelligence et science Vo1. I, n° 662 Vo1. II, n° 1859

Actes intérieur et extérieur de foi Vo1. II, nos 1601, 2071

Foi formée, foi informe Vo1. I, nos 159, 485-486

Les trois modalités de l'acte de foi Vo1. I, nos 485, 1570 Vo1. II, nos 1851, 2095

La foi, école de la vision béatifique Vo1. II, n° 2018

Le Christ, cause de la vraie confession de foi Vo1. II, n° 2514

La foi des démons Vo1. II, n° 2095

La gloire

Vo1. I, nos 1277-1278

Vo1. II, nos 1826, 1830, 2183

La splendeur du Verbe Vo1. I, nos 183-184

La gloire donnée au Fils de toute éternité Vo1. II, n° 2261

L'Esprit Saint glorifie le Christ Vo1. II, n° 2106

La gloire du Christ dans son humanité Vo1. I, nos 186, 364, Vo1. II, nos 1734, 1827-1830, 2181, 2183, 2190-2191, 2414, 2427

La lumière de gloire Vo1. II, n° 2148

Les corps glorieux Vo1. II, nos 2527, 2557, 2559

Les saints verront la gloire du Christ dans la vision béatifique Vo1. II, n° 2260

Se glorifier de la Croix du Christ Vo1. II, n° 2560

Glorifier Dieu par nos œuvres Vo1. II, n° 1996

La vaine gloire Vo1. I, n° 832 Vo1. II, n° 1709

La grâce

Les différentes modalités de grâce Vo1. II, n° 2514

Grâce prévenante, grâce subséquente Vo1. I, n° 206 Vo1. II, n° 1998

Grâce habituelle, grâce actuelle Vo1. I, nos 153-154

Grâce opérante, grâce coopérante Vo1. II, nos 1698, 1900, 1909, 1984, 1993, 2513, 2601-2602

Grâce charismatique, grâce sanctifiante Vo1. I, n° 544 Vo1. II, n° 1914

La grâce du Christ Voir « Le Christ »

Le désir de la grâce Vo1. I, nos 578-579, 688

La grâce, greffe divine Vo1. I, n° 1269

L'heure du Christ

Vo1. I, nos 352, 1069

Vo1. II, nos 1636-1637, 1659, 1733, 2078, 2132, 2150, 2180

Jean Baptiste

Précurseur du Christ Vo1. I, nos 229, 232-233, 236-237, 248, 266

Témoin Vo1. I, nos 111, 116, 254-255

L'ami de l'Époux Vo1. I, nos285, 518-521

Son humilité Vo1. I, nos 249, 261-262, 514, 516, 523, 535

Sa fermeté dans la vérité Vo1. I, n° 281

Son baptême Vo1. I, n° 501

Voir aussi « Baptême »

Son origine Vo1. I, nos 110, 227, 531

Jean l’Évangéliste

L'amour spécial de Jésus pour Jean Vo1. II, nos 1804, 2639-2642, 2653

Son intimité avec Jésus Vo1. II, nos 1803-1807, 2643

Son humilité Vo1. I, n° 299, Vo1. II, nos 1803, 2304, 2643

La Vierge Marie et Jean Vo1. II, nos 2435, 2440, 2443

Jean et la charité fraternelle Vo1. II, n° 2653

Sa foi en la Résurrection Vo1. II, nos 2489, 2592

La rédaction de son Évangile Vo1. I, nos 10, 19, Vo1. II, nos 1626, 1960, 2654-2657

Les légendes sur la fin de sa vie Vo1. I, n° 21, Vo1. II, nos 2647-2650

Le jugement

Jugements de condamnation et de discernement Vo1. I, nos 483, 485, 488, 489, 776, 1360 Vo1. II, nos 1667-1669, 1724, 2097

Le pouvoir du Fils de juger Vo1. I, nos 762, 765, 789 Vo1. II, nos 1722, 2417

La justification

Dieu seul justifie Vo1. I, n° 681

Le Christ, cause de la justification Vo1. II, n° 2514

Le Christ, exemplaire de la justification Vo1. II, n° 1781

Ce qui est requis pour la justification Vo1. I, nos 578, 688, 717 Vo1. II, n° 1900

Coopérer à la justification, est-ce plus grand que de créer un ange ? Vo1. II, n° 1901

La Loi

Les différents sens du mot « Loi » dans l'Écriture Vo1. I, n° 1458 Vo1. II, n° 2057

Les effets de la Loi Vo1. I, nos 206, 705, 854, Vo1. II, nos 1627, 1836

La lumière

Les différentes lumières Vo1. I, n° 125

Le Verbe est la Lumière Vo1. I, nos 98, 123, 127, 181 Vo1. II, n° 1713

La Lumière du Verbe incarné Vo1. I, nos 104-107, 181, 1143 Vo1. II, nos 1682, 2150

La participation des hommes à la Lumière Vo1. I, nos 98, 101, 103, 120, 123, 1145 Vo1. II, nos 1682-1686, 1713, 1835

La lumière de la foi Vo1. II, n° 1714

La lumière de l'intelligence Vo1. I, nos 96, 1142

Le mal

La cause du mal Vo1. I, n° 87

Le sujet du mal Vo1. II, n° 2035

Mal de faute et mal de peine Vo1. I, nos 1301, 1477

Se servir du mal pour un plus grand bien Vo1. I, n° 1502

La peine du dam Vo1. I, n° 548 Vo1. II, n° 1994

La médiation

Vo1. II, nos 1794, 1910, 2138, 2201, 2251, 2521, 2537

La miséricorde

Vo1. I, n° 345 Vo1. II, n° 2095

Jésus donne confiance en sa miséricorde Vo1. I, nos 287, 326 Vo1. II, n° 2134

Le lavement des pieds Vo1. II, n° 1779

L'économie de la miséricorde divine Vo1. II, n° 2547

Justice et miséricorde Vo1. I, nos 1124, 1135-1136

Le monde

Différents sens du mot « monde » Vo1. I, n° 128, Vo1. II, nos 1669, 1918, 2032, 2097, 2129, 2206, 2211, 2224, 2226, 2249, 2250

Les manières d'être d'une réalité dans le monde Vo1. I, n° 133

Le renouvellement du monde au dernier jour Vo1. I, n° 939

L'obéissance

Obéissance et vie chrétienne Vo1. I, nos 303, 1310, 1419, 1510, Vo1. II, nos 1594, 1942, 2422

Béthanie, maison de l'obéissance Vo1. I, nos 252, 1473 Vo1. II, n° 1594

Sa nécessité pour ceux qui commandent Vo1. II, n° 2616

L'obéissance due à Dieu seul Vo1. I, n° 354

L'obéissance du Christ dans sa mort Vo1. I, n° 1422, Vo1. II, nos 1747, 2191

L'ordre

L'ordre entre intelligence, volonté et appétit sensible Vo1. II, n° 1962

Ordre d'intention, ordre d'exécution Vo1. II, n° 1858

L'ordre établi par Dieu dans les réalités Vo1. II, n° 2024

L'ordre de la justice divine Vo1. I, n° 938

L'ordre de charité Vo1. II, nos 1962, 2009

La paix

La tranquillité de l'ordre Vo1. II, n° 1962

La paix en Dieu Vo1. II, n° 2174

Le Christ, cause de notre paix Vo1. I, n° 1419 Vo1. II, n° 2532

Paix présente et future Vo1. II, n° 1963

Paix des saints et paix du monde Vo1. II, n° 1964

La Pâque

Le passage du Seigneur Vo1. I, n° 846 Vo1. II, n° 1728

Figure de la Passion du Christ Vo1. II, nos 1731-1733

La Pâque des Juifs, la Pâque du Seigneur Vo1. I, nos 377, 1586 Vo1. II, n° 1731

Sa date Vo1. II, nos 1590-1591, 1729-1730, 2331-2334, 2404-2405

Son observance par le Christ Vo1. I, n° 375

Les trois Pâques vécues par le Christ dans sa vie apostolique Vo1. I, n° 376

Le Paraclet

Vo1. II, nos 1911, 1912,1955, 2060, 2069

Le péché

Vo1. I, n° 1294 Vo1. II, n° 2396

Péché originel et péchés actuels Vo1. I, n° 1507

L'homme pécheur Vo1. I, nos323, 706, 1513, Vo1. II, nos 2035-2036, 2643

Le péché d'infidélité Vo1. II, nos 2046-2047, 2095

La rémission des péchés Vo1. II, nos 1671, 2541-2544

Le péché des saints Vo1. II, n° 2547

Seul le Christ est sans péché Vo1. I, n° 1135

Le Père

Vo1. II, nos 2158, 2213

Voir aussi « La Sainte Trinité », « Le Fils », « Le Verbe »

Sa connaissance dans l'ancien Testament Vo1. I, nos611, 766, 830, 1161

Père du Christ par nature, Père des justes par adoption Vo1. I, n° 390

La prédestination

Tout homme est prédestiné Vo1. I, nos 326, 1417-1418, 1444

La prédestination à la vie éternelle Vo1. I, n° 938, Vo1. II, nos 1857-1858, 2208, 2218, 2589

Notre prédestination dans le Christ Vo1. I, nos 1461, 1648 Vo1. II, nos 2185, 2196

La prédestination du Christ homme Vo1. II, nos 2191, 2262

Prédestination et liberté humaine Vo1. I, n° 1373, Vo1. II, nos 1692, 1789, 2020-2024

La prière

Vo1. I, nos 611, 614, 1348, 1552 Vo1. II, nos 1905, 2142, 2180

La prière du Christ Vo1. I, nos 1551, 1553-1554, Vo1. II, nos 2177-2180, 2205-2207

La prière des saints au Ciel Vo1. II, n° 2140

La Résurrection

Le Christ, cause de sa Résurrection Vo1. I, nos 397-398, 463 Vo1. II, n° 1771

L'humanité du Christ glorifiée dans sa Résurrection Vo1. II, nos 1771, 1829, 1924, 2181

Le Christ, cause de notre résurrection Vo1. I, nos 762, 791, 1516-1517, 1558

La résurrection commune Vo1. I, nos 1514, 1558 Vo1. II, n° 1925

Les trois morts ressuscites par Jésus Vo1. I, n° 1513

Les sacrements

Leur source Vo1. I, nos443, 1138

Leur matière Vo1. II, n° 2458

Leurs effets Vo1. I, nos 964, 1561, Vo1. II, nos 2539, 2542

Le baptême et l'Eucharistie Vo1. I, n° 969

Leur ministre Vo1. I, nos 1560-1562, Vo1. II, nos 1779, 2542-2544

Les sacrements de l'ancien Testament Vo1. I, n° 854

La sagesse

Connaissance de Dieu Vo1. I, nos 209, 601, 854 Vo1. II, n° 1807

Le Christ (le Verbe, le Fils) Vo1. I, n° 854, Vo1. II, nos 2181, 2267

La Sainte Trinité : l'appropriation

Appropriation Vo1. II, nos 1912, 2262

Le Verbe Vo1. I, n° 187

Le Fils Vo1. II, n° 2194

L'Esprit Saint Vo1. II, n° 1961

La Sainte Trinité : la consubstantialité des trois personnes divines

Vo1. I, nos 218, 444, 947

Vo1. II, nos 1712, 1851, 1888, 1928-1929, 1957, 1970, 1999, 2089, 2107-2115, 2172, 2183, 2187-2188, 2208, 2214, 2240, 2247

La Sainte Trinité : la distinction des trois personnes divines

Vo1. II, nos 1887, 1895, 1911, 1946, 2063-2065, 2112-2113

La Sainte Trinité : génération et processions

Génération et processions Vo1. II, nos 1911, 1971

Génération éternelle et temporelle du Fils Vo1. I, nos 187, 463, 947, Vo1. II, nos 1726, 2201, 2204, 2161-2162, 2181, 2262

La procession de l'Esprit Saint Vo1. II, nos 2061-2065, 2103

Le Verbe

Verbe divin et verbe intellectuel Vo1. I, nos 25-28, 820 Vo1. II, n° 1879

La deuxième personne de la Sainte Trinité Vo1. I, nos 29, 92, 946, 1037 Vo1. II, nos 1869, 2229

Notre connaissance du Père par le Verbe Vo1. I, n° 820, Vo1. II, nos 1874, 1878-1879, 2267-2268

Voir aussi « Le Fils » et « La Sainte Trinité »

La vérité

Vo1. I, nos 910, 974, 1245

Vo1. II, nos 1776, 1980, 2365, 2612

Vérité absolue et vérités participées Vo1. I, nos33, 207, 935, 1370 Vo1. II, nos 1869, 2365

Le désir de la vérité Vo1. II, n° 2480

Vérité et amitié Vo1. II, n° 2399

La sanctification dans la vérité Vo1. II, nos 2229-2230

L'Esprit de vérité

Voir aussi « L'Esprit Saint »

La vie active et la vie contemplative

Vo1. I, nos 1473, 1510

Vo1. II, nos 1595, 1805, 1871, 2301, 2305-2306, 2487, 2640, 2648

La Vierge Marie

Sa plénitude de grâce Vo1. I, n° 201

Médiatrice à Cana Vo1. I, nos 343-345

Mère de la nature humaine du Christ Vo1. I, n° 352

Marie n'a pas commis de péché Vo1. I, n° 1135

Marie à la Croix Vo1. II, nos 2435, 2439-2443

La vision béatifique

La vision de gloire Vo1. I, n° 213, Vo1. II, nos 1936, 2139, 2186, 2203, 2260

La jouissance de Dieu Vo1. I, n° 400 Vo1. II, n° 1738

La vie glorieuse à partir de celle du Christ Vo1. II, n° 1925

L'intensité de la vision béatifique liée à la ferveur de la charité Vo1. II, nos 1853-1855

La béatitude, joie de la vérité Vo1. I, n° 1370

Le temps de la gloire Vo1. II, n° 2140

Table des références à l'Écriture sainte

Les chiffres de la colonne de droite renvoient aux paragraphes du commentaire. L'astérisque placé devant un chiffre indique soit une référence non textuelle, soit un simple renvoi.

Genèse (Gn)

Gn 1, 5 *2471

Gn 1, 16-17 2026

Gn 2, 3 2605

Gn 2, 7 2538

Gn 2, 8 et 15 *2275

Gn2, 21 *1679

Gn 3 *2085

Gn 3, 8 *2405

Gn 3, 15 1790

Gn 3, 18 2375

Gn 3, 23-24 *2275

Gn 3, 24 *1671

Gn 6, 16 *2458

Gn 11, 4 2419

Gn 12, 1 2480, 2582

Gn 15, 5 2604

Gn 15, 6 *2249

Gn 17, 23 *1745

Gn21, 6 2133

Gn 22, 17 2604

Gn 22, 17-18 2590

Gn 27, 29 1622

Gn 28, 17 2596

Gn 32, 30 2548

Gn 35, 18 *2589

Gn 37, 4 *2038

Gn 40, 9-10 1979

Gn 45, 26-27 1924

Gn 49, 11 1979

Gn 49, 20 *1741

Exode (Ex)

Ex 1, 9 sq. *2038

Ex 3, 14 *1660, 1792, *1803

Ex 4, 4 *1803

Ex 4, 16 *2281

Ex 4, 19 *1803

Ex 4, 31 1619

Ex 6, 2 1803

Ex 8, 26 2227

Ex 12 *1728

Ex 12, 3 sq. *1617

Ex 12, 6 *1730

Ex 12, 15-20 *1729

Ex 12, 18 *1730

Ex 12, 18-20 *1729

Ex 12, 44 et 48 *1632

Ex 12, 46 2461

Ex 14, 21 *2054

Ex 15, 11 *1627

Ex 16, 23 *2404

Ex 17, 11 *2179

Ex 18, 21 *2364

Ex 18, 22 2577

Ex 19, 6 *2290

Ex 20, 12 2441

Ex 20, 13. 15 *2001

Ex 22, 18 2340

Ex 22, 20 2195

Ex 22, 26 *2001

Ex 22, 28 2319

Ex 23, 2 2344, 2410

Ex 23, 14-17 *1729

Ex 24, 7 2480

Ex 28, 1 2229

Ex 33, 12 2513

Ex 34, 6 *2094

Ex 34, 30 *1830

Ex 40, 32 1830

Lévitique (Lv)

Lv ch. 1-7 *2231

Lv 7, 16 *1659

Lv 19, 2 2213

Lv 19, 18 1836, *2540

Lv 22, 18 et 21 *1659

Lv 22, 32 *2048

Lv 23, 5-14 *1729

Lv 23, 15-22 *1729

Lv 23, 33-43 *1729

Lv 26, 3 1905

Lv 26, 11 1853

Nombres (Nb)

Nb 9, 9-11 *2332

Nb 9, 12 *2461

Nb 12, 6 1704, 1694

Nb 15, 3 *1659

Nb 16, 26 *2582

Nb 21, 9 *2494

Nb 23, 19 *2326

Nb 28, 3-6 *2231

Deutéronome (Dt)

Dt 4, 19 *1634

Dt 4, 37 2233

Dt 5, 5 2201

Dt 5, 26 1953

Dt 6, 5 2626

Dt 7, 6 *2282

Dt 10, 16 *2375

Dt 12, 17 *1659

Dt 14, 2 *2282

Dt 16, 1-8 *1729

Dt 16, 9-12 *1729

Dt 16, 13-15 *1729

Dt 19, 15 2320

Dt 20, 22-23 *2455

Dt 21, 23 2341,2413,2455

Dt 26, 18 *2282

Dt 32, 7 2084

Dt 32, 11 *1804, *2010, *2274

Dt 33, 3 1737, 1941, 1943, 2158, 2251

Dt 33, 25 2630

Dt 33, 26 1859

Josué (Jos)

Jos 10, 12-14 *2054 Jos 14, 15 2416

Juges Qg)

Jg 5, 2 *1659

Jg 5, 9 *1659

Jg 5, 20 2026

1er Livre de Samuel (1 S)

1 S 1, 19 *2464

1 S 2, 2 2213

1 S 2, 3 *2043

1 S 2, 30 1648

1 S 2, 30c 1718

1 S 4, 18 2282

1 S 8, 7 2409

1 S 10, 24 2619

1 S 15, 22 1759

1 S 16, 7 2126, *2166

1 S 16, 13 1914

1 S 26, 16 2218

2e Livre de Samuel (2 S)

2 S 3, 1 2353

2 S 7, 18 1939

2 S 9, 7 *2142

2 S 16, 16 2377

2 S 23, 4 *2584

1er Livre des Rois (1 R)

1 R 10, 24 1633

1 R 17, 17-24 *2054

1 R 19, 10 2287

1 R20, 39 2217

1R21, 29 *2282

1 R 22, 22 2062

2e Livre des Rois (2 R)

2 R4, 18-37 *2054

2 R 7, 9 2476

2 R22, 19 *2282

1er Livre des Chroniques (1 Ch)

1 Ch 11, 1 1736

1 Ch 16, 28-29 *2179

1 Ch 28, 9 *2166

2e Livre des Chroniques (2 Ch)

2 Ch 7, 14 *2282

2 Ch 12, 6-7 *2282

2 Ch 12, 12 *2282

2 Ch 20, 12 1657, 2180

2 Ch 20, 18 *2179

2 Ch 24, 20 2093

2 Ch 32, 26 *2282

Esdras (Esd)

Esd 1, 6 *1659

Esd 7, 15 et 16 *1659

Esd 8, 21 *2282

Esd 8, 28 *1659

Esd 9, 2 2348

Tobie (Tb)

Tb 4, 9 1596

Tb 12, 20 2083

Judith (Jdt)

Jdt 4, 9 *2282

Job(Jb)

Jb 1, 1 *2480

Jb 1, 6 1799

Jb 3, 23 1684, 1714

Jb 4, 18 1601

Jb 4, 20 1701

Jb 5, 1 2140

Jb 6, 27 *1608

Jb 9, 4 *1962, 2293

Jb 9, 11 1923

Jb 9, 24 2410

Jb 9, 30-31 1801

Jb 13, 15 2093

Jb 14, 14 *1679, 2552

Jb 15, 26 1614, 2278

Jb 15, 34 1990

Jb 16, 9 *2595

Jb 16, 20 2621

Jb 19, 13 *2171

Jb 19, 14 2171

Jb 19, 20 2438

Jb 19, 29 1716, 1718

Jb 21, 14 2408

Jb 22, 21 *1962

Jb 22, 26 1804, 1855, 2004

Jb 23, 11 1781, *2171

Jb 24, 7 2426

Jb 24, 14 1824, 2330

Jb 26, 14 1663, 2100, 2567

Jb 28, 7 1866

Jb 28, 14 1949

Jb 29, 16 2344

Jb 32, 8 1628, 2062

Jb 32, 9 1958

Jb 36, 17 2417

Jb 36, 32-33 1949, 2260

Jb 36, 33 1807, 1916, 1936, 2134

Jb 37, 19 1684, 1713

Jb 38, 4 et 7 *2584

Jb 38, 33 *1634

Jb 39, 21 1976

Jb 39, 27 *1804

Jb 39, 34 [BJ 40, 4] 1890

Jb 40, 4 1695

Jb 40, 6 *2621

Jb 40, 24 [BJ 40, 29] 2176

Jb 41, 16 1700

Jb 41, 25 1975, 2097

Psaumes (Ps)

Ps 1, 1 2325

Ps 2 *1705

Ps 2, 6 2360, 2421

Ps 2, 7 1726, 2360

Ps 2, 8 2206, 2354, 2421, 2636

Ps 3, 6 1679

Ps 4, 6-7 *2480

Ps 5, 5 *2085, 2584

Ps 5, 12 *2174

Ps 6, 7 2493

Ps7, 8 1618,2517

Ps 7, 10 *2166, 2617

Ps 7, 12 2264

Ps 8 *1705

Ps 8, 6 2261

Ps 9, 10 2088

Ps 10, 6 1643

Ps 11, 2 2364

Ps 13 *1705

Ps 13, 3 *2094

Ps 14, 1-2 1759

Ps 15, 1 2213

Ps 15, 10 1828, 1829, 1925

Ps 15, 11 1868, 1883, 2134, 2139, 2146, 2466

Ps 16, 5 *2179

Ps 16, 8 *2010, 2274

Ps 16, 11 1673, 1919

Ps 16, 15 2139

Ps 17, 12 *1684

Ps 17, 26 *1762, 2310

Ps 17, 45 2290

Ps 18 *2093

Ps 18, 5 2094

Ps 18, 7 2161

Ps 18, 9 1815

Ps 18, 10 *1783, 2015

Ps 19, 8 2154, 2213

Ps 20, 4 2375

Ps 20, 14 1673

Ps 21, 7 2382

Ps 21, 16 1994

Ps 21, 19 2433

Ps 21, 23 2519

Ps 21, 28 1960

Ps 22, 2 1804

Ps 23, 1 2110, 2209

Ps 23, 8 2140

Ps 25, 6 1762

Ps 26, 1 1627

Ps 26, 4 *1595

Ps 26, 10 1922, 2088

Ps 26, 13 *2596

Ps 27, 3 1808, 1964

Ps 28, 1 2601

Ps 28, 2 *2179

Ps 29, 6 2085, 2501, 2584

Ps 30, 12 2304

Ps 30, 21 2590, 2595

Ps 32, 6 1634, 2093, 2308

Ps 33, 6 1807, 1945

Ps 34, 1 1667

Ps 34, 12 2336

Ps 34, 19 2057

Ps 35, 4 1701

Ps 35, 7-10 *1595

Ps 35, 10 2139, 2260, *2409

Ps 36, 23 *2179

Ps 36, 24 *1679, 1850, 2555

Ps 36, 27 2229

Ps 39, 6 2660

Ps 39, 8 2568

Ps 39, 10 2315

Ps 39, 18 1604

Ps 40, 9 *1679

Ps 40, 10 1601, 1741, 1790

Ps 41, 3 2447, *2631

Ps 41, 6-7 *2004

Ps 41, 8 2546

Ps 42, 3 2306, 2582

Ps 42, 4 2480

Ps 43, 22 2074

Ps 43, 26 1746

Ps 44, 11-12 1922

Ps 45 *1705

Ps 45, 2 2524

Ps 45, 5 1955, *2106

Ps 45, 11 *1595, 1941

Ps 46, 8 2350

Ps 46, 10 1707, *2601

Ps 47, 7 2132

Ps 48, 3 *2428

Ps 48, 7 2394

Ps 48, 19 1601

Ps49, 21 1815

Ps 50, 4 *1762

Ps 50, 9 2450

Ps 50, 12 2093

Ps 50, 14 *1912, *1955

Ps 51, 7 *2596

Ps 52, 1 1805

Ps 52, 6 2402

Ps 53, 8 *1815, *2636

Ps 54, 6-7 1656

Ps 54, 14-15 1808

Ps 56, 2 2424

Ps 56, 9 2118

Ps 57, 2 2424

Ps 58, 2 2424

Ps 59, 4 1651, 1849

Ps 59, 5 1979

Ps 60, 3-4 2295

Ps 61, 5 *2281

Ps 61, 8 *2043

Ps 62, 5 *2179

Ps 62, 6 2615

Ps 64, 5 1853, 2262

Ps 64, 10 *2106

Ps 65, 12 1728

Ps 65, 15 1596

Ps 67, 4 1595

Ps 67, 19 1637, *1910, 2088, *2098, 2246, *2517, *2540

Ps 68, 2 1657, 1748

Ps 68, 5 2057

Ps 68, 8 2381

Ps 68, 13 2423

Ps 68, 29 *2568

Ps 68, 34 *2142

Ps 68, 37 *2174

Ps 70, 3 1857

Ps 70, 11 2295

Ps 72, 14 2372

Ps 72, 23 2258

Ps 72, 25-26 2476

Ps 73, 9 1689

Ps 75, 1 *2480

Ps 75, 2 *1660, 2183, 2195

Ps 75, 3 2483

Ps 76, 3-4 2174

Ps 76, 19 1663

Ps 77, 49 1742

Ps 79, 3 1621

Ps 79, 12 1990

Ps 81, 5 1685, 2476

Ps 81, 6 1999, 2387

Ps 83, 6 2603

Ps 83, 8 1985, 2027

Ps 83, 10 *2494

Ps 84, 9 1694, 2103

Ps 85, 1 2176

Ps 85, 11 1868

Ps 86, 1 *2626

Ps 86, 2 2640

Ps 87, 5 2416

Ps 87, 16 2176, 2407

Ps 88, 10 2592

Ps 88, 16 1684

Ps 88, 49 2123

Ps 89, 4 1925, 2120

Ps 90, 11 1663, *2274

Ps 91, 5 1773

Ps 91, 6 1773

Ps 91, 11 2630

Ps 93, 18 2555

Ps 93, 19 2501

Ps 94, 6 *2179

Ps 94, 7 *2081

Ps 94, 8 *2361

Ps 95, 7 *2179

Ps 95, 10 *1827, 2414

Ps 96, 7 2496

Ps 99, 3 1775

Ps 101, 18 2142

Ps 101, 28 2483

Ps 102, 5 *1804, *1853, 1883, *2146, *2608

Ps 103, 13 1992

Ps 103, 15 1639

Ps 103, 24 *1634

Ps 103, 30 1956, 2066, 2471, *2471

Ps 104, 4 2508

Ps 104, 19 *1987

Ps 106, 4 1870

Ps 107, 3 1828, 1925

Ps 108, 2 2218

Ps 109, 1 *2191, 2498

Ps 109, 2 *2414

Ps 109, 3 2161

Ps 109, 7 2274

Ps 110 *1705

Ps 110, 4 1592

Ps 110, 10 1785, 1933

Ps 111, 6 1967

Ps 111,9 1821

Ps 113,4 2625

Ps 113,5 1701

Ps 113, 9 *2179

Ps 113 [B], 1 1904, 1996

Ps 113 [B], 4 *2409

Ps 114, 9 *2596

Ps 115, 11 *1872

Ps 115, 13 2293

Ps 115, 16 2295

Ps 117 *1624

Ps 117, 1 *2134

Ps 117, 9 2399

Ps 117, 16 2589

Ps 117,22 1624

Ps 117, 24 2134, 2525

Ps 117, 25-26 1624

Ps 117,26 1622

Ps 117,27 1624

Ps 117,28 2562

Ps 118, 11 1933

Ps 118,25 *2179

Ps 118,32 1909, *2429, 2478, *2478

Ps 118, 42 *2179

Ps 118,96 2445

Ps 118, 100 1942

Ps 118, 103 *1741, 1933

Ps 118, 104 1942, 2487

Ps 118, 105 *2179

Ps 118, 125 2015

Ps 118, 140 *1987

Ps 118, 165 *1645, 1962, 1964, *2060, 2069, 2174, 2532

Ps 119, 1 2180

Ps 119, 7 1741

Ps 120, 1 1657

Ps 120, 1-2 *2179

Ps 121, 2 2492

Ps 122, 1 2179

Ps 125, 6 1645, 2130, 2493

Ps 126, 1 2213

Ps 131, 7 1596, 2499

Ps 132, 1 2213, 2238, 2651

Ps 132, 2 2231

Ps 132, 25 1819

Ps 134, 6 2350, 2592

Ps 135, 1 *2134

Ps 138, 14 1613

Ps 140, 2 *2179

Ps 140, 5 1798

Ps 141, 1 *2179

Ps 141, 6 *2596

Ps 142, 10 *1909, 1916, 1920

Ps 144, 9 2253

Ps 144, 15 2142, *2610

Ps 144, 16 2610

Ps 146, 4 2513, 2604

Ps 146, 5 *2195

Ps 147, 14 2174, 2554, 2606

Ps 147, 20 2480

Ps 148, 5 1622

Ps 149, 8 *2422

Proverbes (Pr)

Pr 1, 16 1615

Pr 1, 29 2056

Pr 3, 6 *2031

Pr 3, 16 2648

Pr 3, 27 1608

Pr 4, 2 2222

Pr 4, 11 1870

Pr 4, 18 2508

Pr 4, 18-19 2282

Pr 4, 20-21 1995

Pr 4, 27 2589

Pr 6, 23 *2582

Pr 7, 2 *1868, 2198

Pr 8, 7 1870, 2656

Pr 8, 8 2229

Pr 8, 8-9 1987

Pr 8, 15 2395

Pr 8, 17 1804, 1908, 1943, 2011, *2584, 2640

Sagesse (Sg)

Sg 1, 1-2 *1854

Sg 1, 5 1918

Sg 1, 7 *2061

Sg 1, 13 2253

Sg 1, 15 1900

Sg 2, 1 1613, 2123

Sg 2, 7 2078

Sg 2, 15 2038, 2223, 2383, 2408

Sg 2, 20 1673, *2341, 2383, 2408

Sg 2, 21 1698

Sg 2, 25 2097

Sg 3, 1 2158, 2453

Sg 3, 15 1641, 1992

Sg 5, 3 et 5 2250

Sg 6, 13 2181

Sg 6, 14 1919, 1936, 2472, 2505

Sg 6, 19 2012

Sg 7, 7 2059

Sg 7, 8 2142

Sg 7, 11 2146

Sg 7, 25 *2181

Sg 7, 26 1662, *1755, 2260

Sg 7, 27 2016

Sg 8, 1 *1634, 2354

Sg 8, 3 1743

Sg 8, 8 2104

Sg 8, 10 2181

Sg 8, 16 2305

Sg 8, 21 2190

Sg 9, 5 2124

Sg 9, 10 2088

Sg 9, 17 *2363

Sg 10, 12 *2478

Sg 11,25 1735,2158,2251

Sg 11,26 2024

Sg 12, 1 1920

Sg 12, 17 *1627

Sg 13, 1 1773, 2265

Sg 14, 3 2594

Sg 14, 6 2595

Sg 14, 7 *2560, 2582

Sg 14, 22 1964

Sg 15, 3 2043

Ecclésiastique (Si)

Si 1, 5 1995, 2267

Si 1, 20 *1783

Si 1, 27 *1783

Si 2, 1 2594

Si 2, 17 *2282

Si 3, 20 1599, 1743, 1747

Si 3, 22 2549

Si 3, 25 *2356, *2363

Si 4, 7 1610

Si 4, 33 *2478

Si 5, 8 2593

Si 6, 11 1753

Si 6, 17 1837

Si 6, 25 *2422

Si 6, 26 2101

Si 6, 28 2084

Si 7, 4 2400

Si 8, 7 *2647

Si 10, 9 1603

Si 10, 14 *2278

Si 12, 16 2372

Si 13, 1 *2582

Si 13, 19 2223

Si 13, 20 2034

Si 14, 17 *2647

Si 15, 5 2641

Si 18, 23 *2584

Si 18, 31 1643

Si 19, 4 2549

Si 19, 27 1770

Si 22, 9 1680, *2356

Si 22, 31 2016

Si 23, 29 [BJ 23, 20] 2166

Si 23, 38 1647, 2040

Si 24, 1 1777

Si 24, 5 *2181

Si 24, 8-10 *2093

Si 24, 23 2027

Si 24, 24 1839, 2008

Si 24, 26 1728, 1945, *2608

Si 24, 42 2510

Si 24, 45 *1829

Si 27, 6 *1645

Si 29, 32 *1741

Si 30, 22 2085

Si 32, 1 1627, 2531

Si 33, 31 2015

Si 35, 26 *2088

Si 37, 1 2019

Si 38, 21 2085

Si 38, 25 2655

Si 38, 31 2190

Si 43, 18 *2093

Si 43, 29 2178

Si 43, 36 2567

Si 44, 3-4 2604

Si 44, 11 *2233

Si 45, 14 2375

Si 45, 30 1962

Si 50, 13 2531, 2581

Si 51, 4 et 6 2175

Si 51, 35 *2608

Isaïe (Is)

Is 1, 14 2484

Is 1, 16 *1762

Is l, 23 2370

Is 2, 2 *2517

Is 2, 3 1626, 1945

Is 3, 14 1923

Is 3, 25 2282

Is 4, 6 *2595

Is 5, 2 1980, *1982

Is 5, 4 2283

Is 5, 20 *2364

Is 6, 1 1697, 1703, 2659

Is 6, 10 1697, 1703

Is 8, 1 2655

Is 8, 14 2048

Is 8, 17 1687

Is 8, 18 2253

Is 9, 6 1627, 2414

Is 9, 7 1627, 1676, 2420, 2498

Is 10, 22 2486

Is 11, 1 2420

Is 11, 2 1908

Is 11,2-3 2605

Is 19, 14 2062

Is 21, 10 1694, 2522, 2548

Is 21, 11 2216

Is 22, 13 2129

Is 24, 15 2190

Is 24, 22 1994

Is 26, 10 1925, 2260

Is 26, 12 *2015

Is 26, 17 2132

Is 26, 19 1925

Is 26, 20 2118

Is 27, 9 1641, 1992

Is 28, 5 1855, 2375

Is 28, 9 2088

Is 28, 13 2282

Is 30, 21 1870, *2429, 2531

Is 30, 23 2599

Is 30, 27 1660

Is 32, 1 1623, 2358

Is 32, 6 1602

Is 32, 20 1626

Is 33, 1 1718

Is 33, 17 *1804, 1925, 2134, 2188, 2260, *2480

Is 33, 22 1622

Is 35, 4 1621

Is 35, 8 1749

Is 35, 10 2134

Is 38, 3 *2364

Is 40, 5 *2185

Is 40, 26 1941

Is 40, 31 *1862, *2256

Is 41, 23 1792, 2104

Is 42, 1 1908

Is 42, 6 1633

Is 42, 19 1700

Is 42, 20 1700

Is 43, 2 2226

Is 43, 7 1996

Is 43, 24 *2484

Is 44, 8 2654

Is 45, 15 *1641, 1746, 2483, 2599

Is 45, 19 2315

Is 48, 3 2126

Is 49, 6 1626

Is 49, 8 1905

Is 49, 17 2334

Is 49, 18 2429,*2517

Is 49, 25 2295

Is 50, 5 2055, 2202

Is 50, 6 2318, 2372, 2378

Is 51, 7 2381

Is 51, 12 1627, 1967

Is 52, 3 *2093

Is 52, 7 1599, *2081

Is 53, 1 1694

Is 53, 3 *1970

Is 53, 7 1590, 1659, 1679, 1815, *2081, 2283, 2391

Is 53, 12 *1964, 2417

Is 54, 2 1857

Is 54, 8 2120

Is 55, 3 *1836

Is 55, 6 1834

Is 55, 9 *2093

Is 56, 7 1632

Is 56, 10 2616

Is 57, 21 1964

Is 58, 1 1711, 2094

Is 59, 4 2094

Is 59, 11 *2631

Is 59, 14 *2094, 2364

Is 59, 19 *1909, 1955, 2106

Is 60, 4 *2517

Is 60, 5 2134

Is 61, 1 1912

Is 61, 3 1955

Is 61, 10 2134

Is 62, 5 1947, 2004

Is 63, 1 *1910, 1968, 2122, 2140

Is 63, 2 2376

Is 63, 3 2171

Is 64, 4 2586

Is 65, 4 *2334

Is 66, 7 2133

Is 66, 12 1962

Is 66, 13 *1955

Is 66, 14 2134, 2534

Is 66, 19 1633

Is 66, 20 2601

Is 66, 23 2575

Jérémie (Jr)

Jr 2, 2 *1673

Jr 2, 5 2057

Jr 2, 6 *2057

Jr 2, 7 *2057

Jr 2, 13 2409

Jr 2, 21 1980, 1982

Jr 3, 15 2624

Jr 3, 19 2180

Jr 4, 3 2375

Jr 4, 4 *2375

Jr 4, 14 *2493

Jr 4, 23 2142

Jr 5, 1 *2094

Jr 5, 5 2348

Jr 5, 22 2585

Jr 7, 16 1905, 2142

Jr 8, 6 2325

Jr 9, 1 *2493

Jr 9, 8 *1964

Jr 9, 23 *2043

Jr 9, 24 2043

Jr 10, 23 *1684

Jr 11, 20 *2166, 2617

Jr 12, 7 2410

Jr 12, 8 2370

Jr 13, 23 1698

Jr 14, 9 1853

Jr 15, 1 1905, 2142

Jr 15, 16 1995

Jr 15, 19 1633, *2283

Jr 16, 16 1633, *2577

Jr 17, 9-10 1792, 2168

Jr 17, 10 *2166, 2617

Jr 17, 12 1853

Jr 18, 20 1791, 2057, 2320

Jr 20, 10 2348

Jr 20, 12 *2166, 2617

Jr 20, 15 *2133

Jr 23, 5 1623, 2420

Jr 23, 24 1734, *1923, 1944, 2161, *2247, 2258

Jr 23, 29 1700, 1987

Jr 31, 3 1673, 1735, 1738, 1838, 1934, 1998

Jr 31, 13 *1955

Jr 31, 14 2615

Jr 31, 16 2128, 2501

Jr 31, 31 1836

Jr 31, 33 *1836

Jr 32, 19 2295

Jr 47, 6 2292

Lamentations (Lm)

Lm 1, 2 2128, 2493

Lm 1, 12 2132

Lm 2, 11 *2493

Lm 2, 16 2129

Lm 2, 18 *2493

Lm 3, 19 1748, 2419, *2428

Lm 3, 27 *2584

Lm 3, 30 2318, 2484

Lm3, 41 2179

Lm 4, 1 2491

Lm 4, 19 *1804

Lm 4, 20 2295

Lm 5, 3 1922

Lm 5, 21 1702

Baruch (Ba)

Ba 3, 38 1880, 2216

Ba 4, 28 2643

Ézéchiel (Ez)

Ez 2, 1 2282

Ez 2, 6 2402

Ez 5, 6 2094

Ez 10, 2 2599

Ez 11, 19 1920

Ez 12, 3 1633

Ez 13, 3 1916

Ez 14, 14 et 16 *1905

Ez 15, 2 et 4 1994

Ez 17, 3 *1804

Ez 17, 6 1983

Ez 18, 23 et 32 2253

Ez 20, 36-38 *1994

Ez 28, 13 *2275

Ez 33, 31 1694

Ez 34, 2 2361, 2624

Ez 34, 2-3 2290

Ez 34, 14 2624

Ez 34, 17 *1994

Ez 34, 20 *1994

Ez 36, 25 2458

Ez 36, 26 1836

Ez 37, 24 2623

Ez 37, 27-28 *1853

Ez 45, 11 1599

Daniel (Dn)

Dn 1, 17 *2102

Dn 1, 20 *2102

Dn 2, 11 2570

Dn 2, 46 2282

Dn 7, 10 *2106

Dn 7, 13 1680

Dn 7, 14 1676,2185,2351,2354

Dn 7, 26-27 *2185

Dn 10, 8-9 *2540

Dn 12, 9 2047

Osée (Os)

Os 1, 11 [BJ2, 2] 2623

Os 2, 14 *1836, 1977, 2103, 2277

Os 4, 6 1698, 2616

Os 6, 1 1834

Os 6, 3 1630, *2171, 2301

Os 6, 5 *1987, 2547

Os 11, 1 *1705, 1999, 2639

Os 11, 4 *1673, *2429

Os 13, 9 1698, * 1698, 1724

Os 14, 7 2027

Joël (Jl)

Jl 2, 28 2104

Amos (Am)

Am 3, 7 2015

Am 4, 12 1620

Am 5, 10 2038

Abdias (Ab)

Ab 1c 1694

Michée (Mi)

Mi 2, 1 2330

Mi 2, 13 1859, *2517

Mi 3, 3 2456

Mi 4, 2-3 *1705

Mi 5, 1 2318, 2378

Mi 6, 3 *2057

Mi 7, 1 2639

Mi 7, 6 2348

Habacuc (Ha)

Ha 2, 1 2217

Ha 2, 2 *2655

Ha 2, 4 1599, 2568

Ha 3, 1 2388

Ha 3, 2 1755

Aggée (Ag)

Ag 2, 7 1833, 1925

Ag 2, 9 *1705

Zacharie (Za)

Za 1, 3 *1702, 2505

Za 9, 9 *1627

Za 11, 12-14 *1705

Za 12, 10 2462

Za 13, 1 2458

Za 13, 2 2098

Za 13, 7 1968, 2171, 2491

Za 14, 7 2471

Za 14, 9 *2195

Malachie (Ml)

Ml 1, 2 1943

Ml 1, 11 1660

Ml 1, 14 1596

Ml 3, 10 1819

Ml 4, 2 [BJ 3, 20] *2405

1er Livre des Maccabées (1 M)

1 M 8, 14 *2376

2e Livre des Maccabées (2 M)

2 M 3, 2 *1632 2 M 3, 2 sq. *1632

2 M 7, 16 2393 2 M 8, 2-3 *2179

2 M 15, 12 *2140

Matthieu (Mt)

Mt 1, 20 *2224, 2429

Mt 1, 21 1905, *2414, 2420

Mt 2, 20 1606

Mt 3, 16 *2539

Mt 3, 17 1662, *1726

Mt 4, 6 1663

Mt 4, 11 *2475

Mt 4, 18 sq. *2553

Mt 4, 19 2577

Mt 4, 21-22 *2443

Mt 5, 1-12 *2402

Mt 5, 5 1955, 2130

Mt 5, 8 1854

Mt 5, 10 1645, *2071

Mt 5, 12 1955, 2256

Mt 5, 14 1713

Mt 5, 16 1996, *2093, 2183, 2602

Mt 5, 18 1691, 1790, 2433

Mt 5, 19 1769, 1933

Mt 5, 39 *2289, *2321, 2321

Mt 5, 48 2240

Mt 6, 6 2528

Mt 6, 9 *1995

Mt 6, 11 2142

Mt 6, 17 1762

Mt 6, 21 1941, 2494

Mt 6, 30 *1755

Mt 6, 33 2579

Mt 6, 34 1604, 1820, 1820

Mt 7, 7 2145

Mt 7, 8 1904

Mt 7, 11 2142

Mt 7, 21 2377

Mt 8, 9 2395

Mt 8, 11 1618

Mt 8, 26 *1755

Mt 9, 9 1803

Mt 9, 15 *1922

Mt 9, 20 *1899

Mt 9, 34 *2098

Mt 10, 5 1634

Mt 10, 8 *2540

Mt 10, 10 *2288

Mt 10, 16 2081, 2537

Mt 10, 17-18 *2080

Mt 10, 20 2042, 2066

Mt 10, 22 *2081

Mt 10, 25 2040, 2042

Mt 10, 27 2101, 2315

Mt 10, 30 *2558

Mt 10, 32 *2095

Mt 10, 35 *2582

Mt 10, 36 1791

Mt 10, 37 1922

Mt 10, 40 1793

Mt 11,25 *1937, *2185, 2494

Mt 11, 27 1830, 1874, 1937, 2110, 2150, 2185, 2194, 2269

Mt 11, 28 1613, 2608

Mt 11,29 2176

Mt 12, 24 *2098

Mt 12, 25 2213

Mt 12, 34 1698, 2345

Mt 12, 34-37 *1776

Mt 13, 7 *2375

Mt 13, 10-11 *2315

Mt 13, 21 *2547

Mt 13, 23 *1996

Mt 13, 30 1994

Mt 13, 31 *1639

Mt 13, 36 *2315

Mt 13, 43 *2245

Mt 13, 44-50 *2354

Mt 14, 25 *2054, *2554

Mt 14, 31 1682, *1755

Mt 14, 35-36 *2054

Mt 15, 14 *2616

Mt 15, 15 *2315

Mt 15, 16 1885, 2122, 2651

Mt 16, 8 *1755

Mt 16, 16 1886, *2181, 2562

Mt 16, 17 *1755

Mt 16, 18 *2450, 2626

Mt 16, 24 *2171, 2414, 2636

Mt 16, 26 1644

Mt 17, 5 *1627, 1662, 2539, *2539

Mt 18, 7 2396

Mt 18, 19 2142

Mt 18, 20 2529, 2553

Mt 18, 32 1783

Mt 19, 11 2213

Mt 19, 17 1725

Mt 19, 21 *2447

Mt 19, 21-22 1899

Mt 19, 27 1776, 2171, 2443

Mt 20, 1-16 *1855

Mt 20, 8 1752, 2524

Mt 20, 16 2487

Mt 20, 18-19 1968, 2371

Mt 20, 19 *2342, 2488

Mt 20, 22 1905, 2040

Mt 20, 26 et 28 1778

Mt 20, 28 1745

Mt 21, 9 *1624, 2499

Mt 21, 33 1982

Mt 21, 38 2049

Mt 21, 43 2412

Mt 22, 1-14 *2354

Mt 22, 15 2316

Mt 22, 16 *2364

Mt 22, 30 *2140

Mt 22, 37 et 39 1836

Mt 22, 40 *2007

Mt 23 *2093

Mt 23, 3 *1933

Mt 23, 10 1775

Mt 23, 15 1632, 2218

Mt 23, 24 2455

Mt 23, 34 2042, 2074

Mt 24, 3 *2080

Mt 24, 9 2031

Mt 24, 12 2310

Mt 24, 28 1647, 1862, 2256, 2553

Mt 24, 31 2553

Mt 25, 1-13 *2354

Mt 25, 6 2524

Mt 25, 10 *2528

Mt 25, 11-12 1776

Mt 25, 19 2630

Mt 25, 21 *1853, 2004, 2134

Mt 25, 23 1783, 2015

Mt 25, 24 sq. *1909

Mt 25, 28 *1984

Mt 25, 33 1828 Mt 25, 34 sq. et 41 sq. *2095

Mt 25, 37 1939

Mt 25, 40 1599

Mt 25, 41 *1925, 1994, 2097

Mt 25, 46 1994

Mt 26 *1597

Mt 26, 2 1597, *2080

Mt 26, 7 *1597

Mt 26, 10 *1608

Mt 26, 17 *1729, 2332

Mt 26, 30 *2273

Mt 26, 31 1833, *1968, 2069, 2532 Mt 26, 31. 33-34 1847

Mt 26, 33 2621

Mt 26, 35 2621

Mt 26, 36 *2274

Mt 26, 38 2631

Mt 26, 38 et 39 1657

Mt 26, 41 1845

Mt 26, 53 2353

Mt 26, 56 *2330

Mt 26, 66 2405

Mt 26, 71-72 2326

Mt 26, 73-74 *2326

Mt 27, 2 *2328

Mt 27, 5 *2546

Mt 27, 32 *2414

Mt 27, 35 *2431

Mt 27, 45 *2405, *2405

Mt 27, 48 *2449

Mt 27, 51 *2447

Mt 27, 51 sq *1827

Mt 27, 54 2181

Mt 27, 55-56 *2435

Mt 27, 59 2467

Mt 28, 1 2471, *2472

Mt 28, 2 2475, *2516

Mt 28, 2-5 *2496

Mt 28, 7 2573

Mt 28, 9 2516, 2525

Mt 28, 13-15 *2485

Mt 28, 16 *2613

Mt 28, 18 1743, *2110, 2185

Mt 28, 19 1633, 1987, 2216, 2539

Mt 28, 20 1611, 1833, 1947, 2163, 2606

Marc (Mc)

Mc 1, 4 *1765

Mc 1, 10 *2539

Mc 1, 16 sq. *2553

Mc 1, 19-20 *2443

Mc 1, 27 2054, 2312

Mc 3, 22 *2098

Mc 3, 30 *2098

Mc 4, 8 *1996

Mc 4, 10-11 *2315

Mc 4, 34 *2315

Mc 5, 7 1975

Mc 6, 48 *2054, *2554

Mc 7, 17 *2315

Mc 9, 6 *2539

Mc 9, 49 2554

Mc 10, 30 *1871

Mc 13, 3 *2080

Mc 13, 9 *2080

Mc 13, 26 1828, 2260

Mc 14 *1597

Mc 14, 1 1597, *2080

Mc 14, 3 *1597

Mc 14, 8 1608

Mc 14, 12 *1729, *2332

Mc 14, 26 *2273

Mc 14, 32 *2274

Mc 14, 33 1651

Mc 14, 68 1846

Mc 15, 24 2432

Mc 15, 25 2405

Mc 15, 33 *2405

Mc 15, 40-41 *2435

Mc 15, 43 2464

Mc 16, 1 *1608, 2472

Mc 16, 2 2474

Mc 16, 5 *2496, *2516

Mc 16, 8 *2492

Mc 16, 9 *2472

Mc 16, 14 *2613

Mc 16, 15 2027, 2226, 2230

Mc 16, 17-18 1898

Mc 16, 19 1771, 2163, 2191

Luc (Lc)

Lc 1, 35 1975

Lc 1, 51 1695

Lc 2, 8 2217

Lc 2, 10-11 *1627

Lc 2, 14 1662

Lc 2, 34 2048

Lc 2, 51 1970

Lc 3, 2 2318

Lc 3, 3 *1765

Lc 3, 6 2185

Lc 3, 14 2426

Lc 3, 22 *2539

Lc 4, 1 *1909

Lc 5, 1 sq. *2553

Lc 5, 3-6 *2585

Lc 5, 4 *2589

Lc 5, 6 *2590, *2604, *2606

Lc 5, 8 1755

Lc 5, 10-11 *2443

Lc 6, 13 1782, 2020, 2546

Lc 6, 19 *2414

Lc 6, 22 2031, 2071, 2223, 2635

Lc 6, 22-23 *2071

Lc 6, 23 2256

Lc 6, 25 1644

Lc 6, 38 *1853

Lc 6, 45 *1776

Lc 7, 37 *1597

Lc 7, 39 *1608

Lc 7, 47 1767,2472,2493,2626

Lc 8, 11 1639

Lc 8, 13 1947, 2170, *2547

Lc 8, 15 *1996

Lc 9, 1 2144

Lc 9, 5 *1749

Lc 9, 26 1708

Lc 9, 34 *2539

Lc 9, 58 2176, *2428

Lc 9, 62 2578

Lc 10, 4 1821

Lc 10, 16 2042

Lc 10, 17 2144, 2145

Lc 10, 22 1937

Lc 10, 23 1701, 2566

Lc 10, 39 *1595, 1595

Lc 10, 39-40 1806, 2305

Lc 10, 40 1595, 1745

Lc 10, 41 *1595

Lc 10, 42 *1595, 2648

Lc 11, 1 *1995

Lc 11, 2 *1995

Lc 11, 15 *2098

Lc 11, 28 1785

Lc 11, 33 2414

Lc 11, 41 1599, 1767

Lc 12, 7 *2558

Lc 12, 35-38 *2354

Lc 12, 37 2041

Lc 12, 49 2599, 2602

Lc 12, 50 1815

Lc 13, 7 *1984

Lc 13, 19 *2354

Lc 13, 21 *2354

Lc 14, 16 1740

Lc 14, 17 2608

Lc 14, 21 2589

Lc 14, 26 1645, 2441

Lc 15, 25 *2480

Lc 15, 31 2209

Lc 16, 25 1644

Lc 17, 10 1782

Lc 17, 22 1834

Lc 17, 37 *1804

Lc 18, 1 2142

Lc 18, 11 *2621

Lc 18, 31 2451

Lc 19, 10 2447

Lc 19, 12 2359

Lc 19, 22 2393

Lc 19, 42 1627

Lc 19, 44 *1947

Lc 21, 12 *2080

Lc 21, 15 1839

Lc 21, 27 1923, 1968, 2249, 2260

Lc 21, 33 1900

Lc 22, 3 sq. *2278

Lc 22, 7 *1729, *2332

Lc 22, 8 *2645

Lc 22, 15 2331

Lc 22, 24 2273

Lc 22, 27 1745, 2531

Lc 22, 29-30 *2004

Lc 22, 31-32 2273

Lc 22, 31-34 1847

Lc 22, 32 *2093, *2308, 2639

Lc 22, 35 2288

Lc 22, 36 2288

Lc 22, 42 *2641

Lc 22, 51 *2290

Lc 22, 52 2278

Lc 22, 53 2078

Lc 22, 61 *2325

Lc 22, 66 2330

Lc 23, 2 *2345

Lc 23, 5 2312, 2337

Lc 23, 33 *2417

Lc 23, 42 2057

Lc 23, 43 1671, *2235, 2275

Lc 23, 44 *2405

Lc 23, 49 *2435

Lc 23, 55-56 *2473

Lc 24, 4 *2505

Lc 24, 13 sq. *2525

Lc 24, 16 *2506

Lc 24, 17 2134

Lc 24, 17-18 2511

Lc 24, 26 *2451

Lc 24, 34 2525

Lc 24, 39 2516, 2533, 2559

Lc24, 43 *2611

Lc 24,44 1691, 1790, 1833, 2057, 2433, 2445, *2447

Lc 24,45 2101, 2151, 2483, *2488

Lc 24, 49 *2093, 2289, *2308, 2648

Jean (Jn)

Jn 1, 1 1878, *1911, 1929, 1970, 2499 Jn 1, 3 1695, 1857, 1904, 1993, *2181

Jn 1, 4 1868

Jn 1, 9 1686, 1698, 1713, 2150, *2582

Jn 1, 10 1669, *1923, 2264

Jn 1, 11 1713, 1736, *1923, 2162

Jn 1, 11-12 2042 Jn 1, 12 *1726, 1686, 2258

Jn 1, 14 *1743, 1864, 1878, 1881, *1978, 2181, 2199, 2201, 2499

Jn 1, 15 *1619

Jn 1, 16 *2196, 2231

Jn 1, 17 1993, 2365

Jn 1, 18 1694, *1775, 1804, *1937, *2185, 2194, *2195, 2269, 2359

Jn 1, 26 2531

Jn 1, 29 *1733, *2231, 2623

Jn 1, 33 1915

Jn 1, 35 sq *2553

Jn 2, 1-11 *1689

Jn 2, 3 2440

Jn 2, 4 1637, 1733, *2078, 2180, 2440

Jn 2, 25 2126

Jn 3, 2 *1707, 2466

Jn 3, 5 1856

Jn 3, 8 1916, 2059

Jn 3, 13 2257, *2257, *2520

Jn 3, 14 1673, 1677

Jn 3, 14-15 *2494

Jn 3, 17 1667, 1717, 2537

Jn 3, 34 *2088

Jn 3, 35 2270

Jn 3, 36 1714

Jn 4, 2 *1765

Jn 4, 6 2176

Jn 4, 31 1775

Jn 4, 34 2588

Jn 4, 35 1636

Jn 4, 36 1641, 1992, 2027

Jn 4, 39 *1619

Jn 5, 1-9 *1615, *1689

Jn 5, 4 1796

Jn 5, 7 1796

Jn 5, 18 2387

Jn 5, 19 1722, 1893, 1904, 1935, 2061, 2187

Jn 5, 20 1999, 2185, 2270

Jn 5, 22 1716

Jn 5, 23 1648, 1793, 1851

Jn 5, 26 2110, *2110, 2187

Jn 5, 27 1722

Jn 5, 36 1773, 1896

Jn 5, 38 1995

Jn 5, 39 2568

Jn 5, 43 1622, 1957

Jn 5, 44 1709

Jn 5, 46 1705

Jn 6 *1755

Jn 6, 5 sq. *2598

Jn 6, 19 *2054, *2554

Jn 6, 27 1933

Jn 6, 29 1851, 1894

Jn 6, 30 1689

Jn 6, 33 *2257

Jn 6, 38 1828, *2257

Jn 6, 40 2218

Jn 6, 44 1674, 1875, *1875, *1910, 2055, 2196, 2596

Jn 6, 45 1959, *2018, 2202, *2249, 2361

Jn 6, 51 2599

Jn 6, 52 1639

Jn 6, 56 1979

Jn 6, 57 1930, 1988, *2256

Jn 6, 67 *2547

Jn 6, 69 1775, 1776

Jn 6, 71 1789, *2037, 2276

Jn 7, 7 2031, 2034, 2038

Jn 7, 16 1711, 1950, *2061

Jn 7, 20 *2098

Jn 7, 29 1880

Jn 7, 32 *2319

Jn 7, 39 1637, 1859, 1902, 2088

Jn 7, 46 1893, 2319

Jn 7, 48 1707

Jn 8, 11 *2447

Jn 8, 12 *1686, 1713, 1714, 2150

Jn 8, 14 1720, 2359

Jn 8, 19 1878, 1886, 2043, 2076

Jn 8, 21 2280

Jn 8, 23 2037, 2224, 2390

Jn8, 26 1893

Jn 8, 28 1678, 2461

Jn 8, 29 2003

Jn 8, 31 *1619, 1996

Jn 8, 32 2229, 2460

Jn 8, 34 1975

Jn 8, 35 1611,2014

Jn 8, 44 1922, 2093

Jn 8, 46 2320

Jn 8, 47 1933, 2362

Jn 8, 48 *2098

Jn 8, 48-49 *2216

Jn 8, 50 1906, 2183

Jn 8, 52 *2098

Jn 8, 55 2267

Jn 8, 59 1687

Jn 9, 1-7 *1615, *1689, *2054

Jn 9, 4 2582

Jn 9, 22 1708, 2071

Jn 9, 24 2096

Jn 9, 31 1982

Jn 9, 32 1893, 2054

Jn 9, 39 1667

Jn 10, 1 sq. *2361

Jn 10, 4 et 16 *2171

Jn 10, 6 *2148

Jn 10, 9 1874, 2188

Jn 10, 10 1603, 1691, 1870

Jn 10, 11 *2216, *2628

Jn 10, 13 *2547

Jn 10, 18 1659, *1679, 1815, 2283, 2452, 2484

Jn 10, 20 *2098

Jn 10, 27 1647, 2185, 2301, 2361

Jn 10, 27-28 2218

Jn 10, 29 2107

Jn 10, 30 1891, 1929, 2161, 2214

Jn 10, 33 2387

Jn 10, 34 2387

Jn 10, 38 1896

Jn 10, 41 2088

Jn 11, 9-10 1824

Jn 11, 17-44 *2054

Jn 11, 33 1651, 1797

Jn 11,43 *1689

Jn 11, 49-52 *1609

Jn 11, 50 *2298

Jn 12, 12-13 1591

Jn 12, 13 *1624

Jn 12, 19 2176

Jn 12, 23 et 27 *2078

Jn 12, 24 *1979

Jn 12, 26 1862

Jn 12, 28 2181

Jn 12, 31 2097, 2176

Jn 12, 32 1641, 1790, *1875, 2176

Jn 12, 36 *1686

Jn 12, 40 *1941

Jn 12, 42 *2071, 2464

Jn 12, 43 2399

Jn 13, 1 1832, 2120, 2280

Jn 13, 2 1811

Jn 13, 2-3 *1672

Jn 13, 4 1770

Jn 13, 8 1806

Jn 13, 10 1756, 1987

Jn 13, 12 1756

Jn 13, 13 2562, 2592

Jn 13, 15 1756

Jn 13, 16 2040

Jn 13, 21 1850

Jn 13, 23 *1803, *2642

Jn 13, 23-24 *2302

Jn 13, 25 *2643

Jn 13, 26 *1741

Jn 13, 30 *2281

Jn 13, 31 1733, 1902

Jn 13, 33 1841, 1922, 1975, 2120

Jn 13, 34 *2540, 2599

Jn 13, 35 1996, 2241, 2653

Jn 13, 36 1858, 1864, 1926, 2084

Jn 13, 37-38 2309

Jn 14 *2068

Jn 14, 1 *1641, 1978

Jn 14, 1-2 2082

Jn 14, 2 et 3 *1858

Jn 14, 3 1923, 1968, 2650

Jn 14, 4 1880, 1886

Jn 14, 5 1880, 1926, 2084

Jn 14, 6 1916, 1958, 2062, 2106, *2229, 2359, *2364, 2365, *2582

Jn 14, 7 1883

Jn 14, 8 1926, 2137, 2144

Jn 14, 9 1704, *1830, 2268

Jn 14, 9-10 1712, 2170

Jn 14, 10 1722, 1926, 1928, 1950, 2247

Jn 14, 12 1928, 2088

Jn 14, 15 1976, *2618

Jn 14, 16 *1911, *1912, 1946, 2082, 2088

Jn 14, 18 2082

Jn 14, 18-19 1948

Jn 14, 19 1939, 2120

Jn 14, 21 2096, 2159, 2533

Jn 14, 23 1793, 1908, 1923, 2248, 2533

Jn 14, 26 1771, 1880, *1912, *1957, 2061

Jn 14, 27 1952, 1978, 2085, 2532

Jn 14, 28 *2083, 2183, 2531

Jn 14, 30 2385

Jn 14, 31 1847

Jn 15 *2068

Jn 15, 1 2612

Jn 15, 1 sq. *1978

Jn 15, 4 1995, 1996

Jn 15, 5 *2621

Jn 15, 7 2254

Jn 15, 9 *2540, 2639

Jn 15, 10 2198

Jn 15, 12 *2447, *2540

Jn 15, 13 1735, 1838, 1843, *2429

Jn 15, 15 1783, 1916, *1916, 2041, 2201

Jn 15, 16 1641, 1788, 2037, *2196

Jn 15, 18-27 *2069

Jn 15, 19 2175, 2196, 2223

Jn 15, 21 2052

Jn 15, 22 1700, 1724, 1893

Jn 15, 24 1689, 1700, 1893

Jn 15, 26 1916, *1955, 1956, *1957, 2098

Jn 15, 27 1908

Jn 16, 5 1738, 2163, 2520

Jn 16, 7 1640, 1771

Jn 16, 12 1975, 2018, 2151, 2658

Jn 16, 12-13 1756

Jn 16, 13 2062, 2137, 2269

Jn 16, 14 1916, *2208, 2209

Jn 16, 15 2209

Jn 16, 16 1682, 1833

Jn 16, 18 2167

Jn 16, 20 *1955, 2134

Jn 16, 22 1923, 2136, 2534

Jn 16, 23 1995, 2609

Jn 16, 25 1880, 2018, 2165, 2314

Jn 16, 25 et 29 *2148

Jn 16, 27 1908, 2149, 2251

Jn 16, 28 1611, 1713, *1923, 2149, 2165, 2219

Jn 16, 29 2149

Jn 16, 31 2203

Jn 16, 32 2203

Jn 16, 33 1963, *2032, *2536

Jn 17, 1 *2078, 2194

Jn 17, 2 2253

Jn 17, 3 1738

Jn 17, 5 1660, 1827, *2088

Jn 17, 6 1622, 1660, 1733, 1736, 1830,1864, 1879, *1937, *2110, *2185, 2208, 2209, 2268

Jn 17, 9 2263

Jn 17, 11 *2213, 2220, 2264, 2351

Jn 17, 12 2079, 2235, 2284

Jn 17, 15 2283

Jn 17, 16 *2032

Jn 17, 17 1853, 2233

Jn 17, 20 2263

Jn 17, 21 2249

Jn 17, 22-23 *2547

Jn 17, 24 *2088

Jn 18, 4 1732

Jn 18, 8 1924

Jn 18, 10 *2353

Jn 18, 15 *2290

Jn 18, 15-16 *2302

Jn 18, 16 *2645

Jn 18, 18 2325

Jn 18, 20 2165

Jn 18, 21 2320

Jn 18, 23 *2124, *2321

Jn 18, 30 2345

Jn 18, 37 1870, 2230, 2268

Jn 19, 6 2405

Jn 19, 11 2293

Jn 19, 12 2340

Jn 19, 23 2412

Jn 19, 24 1746

Jn 19, 26 *1803

Jn 19, 30 1733, *2447

Jn 19, 31 *1590

Jn 19, 37 2249

Jn 19, 38 1630

Jn 20, 1 2525

Jn 20, 2 *1803

Jn 20, 2-4 et 8 *2302

Jn 20, 3 2302

Jn 20, 17 1734, 1832, 2256

Jn 20, 19 *1923, *2613, 2613

Jn 20, 20 1924,2119,2130

Jn 20, 21 1712, 2230

Jn 20, 22-23 1779

Jn 20, 23 1955, 2539

Jn 20, 24 *2645

Jn 20, 26 *2613, *2613, *2614

Jn 20, 28 *1758

Jn 20, 31 2422, 2460, 2571

Jn 21, 3 2171

Jn 21, 7 *1803, *2302

Jn 21, 15 1753, 2640

Jn 21, 17 2166, 2603

Jn 21, 18 1842, 2484

Jn 21, 19 1827

Jn 21, 20 *1803

Jn 21, 20 et 23-24 *2302

Jn 21, 21 2137

Actes des Apôtres (Ac)

Ac 1, 1 1769, 1850, 2321

Ac 1, 3 2119, 2151, 2572, *2613

Ac 1, 4 2611

Ac 1, 5 1749

Ac 1, 6 2137

Ac 1, 8 2067, 2654

Ac 1, 9 2084, 2120, 2613

Ac 1, 11 1860, 1923

Ac 2, 4 *2539

Ac 2, 37 1702

Ac 3, 1 2302

Ac 3, 1. 3-4 *2645

Ac 3, 11 *2645

Ac 3, 13 1662, 2385

Ac 3, 14 2370

Ac 4, 8 *2308

Ac 4, 12 1904, 2142, 2568

Ac 4, 32 2016, 2238

Ac 4, 34-35 *1899

Ac 5, 15 *1899

Ac 5, 32 1908, 2067, 2098

Ac 5, 34-39 *1630

Ac 5, 41 1955, *2363

Ac 6, 2 1605

Ac 7, 51 2055

Ac 7, 58 *2341, *2630

Ac 8 *1633

Ac 8, 5 1633

Ac 8, 13 *1791

Ac 8, 14 2302, *2645

Ac 8, 27 *1632

Ac 8, 31 2047

Ac 9, 4 2042

Ac 9, 31 *1912, 2060

Ac 10, 38 1728, 2057, 2336

Ac 10, 40-41 2120, 2567

Ac 10, 41 1924

Ac 10, 42 1720, 2253

Ac 10, 43 1703

Ac 12, 2 2636

Ac 13, 30 *2475

Ac 14, 21 2594

Ac 15, 9 *1854, 1987

Ac 16, 37 *2321

Ac 17, 28 1930

Ac 18, 3 *2578

Ac 22, 25 *2321

Ac 23, 2-3 *2321

Ac 25, 9 2339

Ac 25, 16 2339

Ac 26, 24 *2414

Ac 27, 34 2558

Romains (Rm)

Rm 1, 1 2015

Rm 1, 2 1703, 2047

Rm 1, 4 2191, 2262

Rm 1, 13 2027

Rm 1, 19 2195, 2265

Rm 1, 19-20 2265

Rm 1, 20 *1697, *1762, 2195

Rm 1, 20-21 2049

Rm 1, 21 2265

Rm 1, 32 *2582

Rm 2, 13 1716, 1933

Rm 2, 14 *2480

Rm 2, 16 *1792

Rm 3, 4 *1872, *2621

Rm 3, 10 2094

Rm 3, 21-5, 21 *2046

Rm 3, 22 2096, 2229

Rm 3, 23 2046

Rm 3, 24 *2513

Rm 3, 29 *1626, 2421

Rm 4, 5-8 *2095

Rm 5, 1 1962, 2248

Rm 5, 1-2 2521

Rm 5, 2 *1868

Rm 5, 5 1836, 1909, *2000, *2015, 2069, 2159, 2429, 2541, 2602

Rm 5, 8 1673, 2009, *2560

Rm 5, 10 2532, 2554

Rm 5, 19 1592, *1592

Rm 6, 4 1829, 2133, *2290

Rm 6, 6 *2560

Rm 6, 9 1746, 1833, 2134, 2559

Rm 6, 10 1734, 1771, 2163

Rm 6, 12 1670, 2097

Rm 6, 13 1596

Rm 6, 21 1990

Rm 6, 22 1738, 1992

Rm 7, 18 2588

Rm 8, 9 1957

Rm 8, 11 1829

Rm 8, 14 *1609, 1909, 1916, 1955, 2321, 2494, *2605

Rm 8, 15 1836, 1922, 1957, 2014, 2062

Rm 8, 17 *1759, *2062

Rm 8, 26 1758, 1905, 1911, 1995

Rm 8, 29 1648, 1957, 1999, *2062, *2196, *2519, 2521,*2568

Rm 8, 29-30 *2191

Rm 8, 30 2020, 2604

Rm 8, 34 *2138, *2191

Rm 8, 35 *2618

Rm 8, 38-39 2618

Rm 9, 1 2460

Rm 9, 3 *2487, 2618

Rm 9, 4-5 2480

Rm 9, 5 2483

Rm 9, 11 *2196

Rm 9, 18 1700, 2254

Rm 9, 30-31 2483

Rm 9, 32 *2048

Rm 10, 2 1758

Rm 10, 4 1738

Rm 10, 8 *2235

Rm 10, 8-10 *1776

Rm 10, 10 1601, *1601, 1708

Rm 10, 12 *2428

Rm 10, 17 1619, 1693, 2046

Rm 10, 18 *2093

Rm 11, 8 *1702

Rm 11, 16-24 *2481

Rm 11, 17 *2421

Rm 11,20 1845

Rm 11,25-26 2486

Rm 11,33 1866

Rm 12, 5 2239

Rm 12, 10 *2621

Rm 12, 12 2503

Rm 12, 13 1779

Rm 12, 15 1855, *2636

Rm 13, 1 1634, *2395

Rm 13, 8 2006

Rm 13, 10 *2447

Rm 13, 12 2582

Rm 14, 8 *2633

Rm 14, 17 *1912

Rm 15, 4 1665

Rm 15, 8 1633

Rm 16, 18 *1964

1re aux Corinthiens (1 Co)

1 Co 1, 17 *2412

1 Co 1, 18 2414, 2461, *2560

1 Co 1, 22 1629

1 Co 1, 23 *2048, *2069

1 Co 1, 24 *1775, *2181, 2188

1 Co 1, 25 1627

1 Co 1, 30 *1827

1 Co 2, 2 *2560

1 Co 2, 8 2049

1 Co 2, 9 *1853, 2250

1 Co 2, 9-10 *1916

1 Co 2, 10 1696, 2106

1 Co 2, 11 *1684, 1874, *2363

1 Co 2, 12 1743, 1916, 1920, 2098

1 Co 2, 14 1919, 1959, 2152, 2356

1 Co 3, 6 1982

1 Co 3, 16 2061, 2247

1 Co 4, 1 1595, 1647, 2544

1 Co 4, 4 1762, 1843

1 Co 4, 10 *2414

1 Co 4, 15 *2601

1 Co 5, 7 2405, 2461

1 Co 6, 17 1999

1 Co 6, 19 1955

1 Co 6, 20 *2633

1 Co 7, 20 2000

1 Co 9, 19 *1745

1 Co 9, 24 1787, 2478, *2478

1 Co 9, 26-27 *2478

1 Co 10, 4 1828, *2450

1 Co 10, 11 1731

1 Co 10, 12 1801

1 Co 10, 21 1823

1 Co 10, 31 1906, 1996

1 Co 11, 3 1599, 1762, 2483, 2499, *2568

1 Co 11, 23 2522

1 Co 11,27-32 *1823

1 Co 11, 26 2499

1 Co 11, 29 *1602, 1813

1 Co 12, 3 1916

1 Co 12, 6 et 11 2061

1 Co 12, 7 1915

1 Co 12, 11 2106

1 Co 12, 28 2026

1 Co 12, 31 2429, *2508

1 Co 13, 2 1996

1 Co 13, 3 1599, *2633

1 Co 13, 7 2512

1 Co 13, 8 1915, 2641

1 Co 13, 9 *1663

1 Co 13, 12 1880, 1927, 1927, 2018, *2018, *2102, 2150, 2203, 2269

1 Co 14, 2 *1595

1 Co 14, 25 1792

1 Co 14, 33 *2241, 2483

1 Co 15, 10 1900, 1984, 2602, 2616

1 Co 15, 22 1925

1 Co 15, 28 1853

1 Co 15, 36 1639

1 Co 15, 43 2245

1 Co 15, 51 *2552

1 Co 15, 53 *2559

1 Co 15, 57 2176

1 Co 15, 58 2492

2e aux Corinthiens (2 Co)

2 Co 1, 4 1955

2 Co 1, 6 2547

2 Co 1, 22 1839

2 Co 2, 14-15 1599

2 Co 2, 15-16 1602

2 Co 3, 5 1993

2 Co 3, 6 2538

2 Co 3, 7 *1830

2 Co 3, 14 2480

2 Co 3, 18 1830, 2152, 2246

2 Co 4, 4 1669, 1697

2 Co 4, 5 *1745

2 Co 4, 16 *1804, *2618

2 Co 4, 18 1920, 2596

2 Co 5, 1 1853, *1861

2 Co 5, 4 2631

2 Co 5, 8 2631

2 Co 5, 14 1942, 2106, 2494, 2618

2 Co 5, 16 2088, 2518

2 Co 5, 17 *1471

2 Co 5, 19 1591, 1669, *2429, 2521

2 Co 5, 29 2032

2 Co 6, 1 1984

2 Co 6, 4 1647

2 Co 6, 13 *2499

2 Co 6, 14-15 *1987

2 Co 6, 15 *1602, *1674, 1823, *1922

2 Co 6, 16 1853

2 Co 6, 17 2582

2 Co 7, 5 1955

2 Co 7, 10 1850, 2129

2 Co 8, 9 2428

2 Co 9, 6 1645

2 Co 10, 5 2422, *2450

2 Co 10, 17 *2043

2 Co 11 *1777

2 Co 11, 15 *1602

2 Co 11, 23 *1647

2 Co 11, 29 *1804

2 Co 12, 2 1803

2 Co 12, 4 2101

2 Co 12, 7-8 *1758

2 Co 12, 8 2138

2 Co 12, 8-9 *1905

2 Co 13, 3 1930, 2042, 2093

2 Co 13, 4 *1734

Galates (Ga)

Ga 1, 9 2656

Ga 1, 10 1709

Ga 1, 12 1693, 2235

Ga 1, 13-14 *2074

Ga 2, 1-2 *1634

Ga 2, 9 2616

Ga 3, 16 *2447

Ga 3, 20 *2201

Ga 4, 4 2204, 2359

Ga 4, 4-5 *2387, 2521

Ga 4, 6 1957, 1957, 2062

Ga 4, 19 1832

Ga 5, 6 *1998

Ga 5, 22 1911,2027,2060,2220

Ga 5, 24 *2414

Ga 6, 14 1827, 2560, 2582

Ga 6, 15 2471

Éphésiens (Ep)

Ep 1, 3-6 *2191

Ep 1, 4 1857, 2020, 2196, 2262, *2568

Ep 1, 5 *1648

Ep 1, 18 1700

Ep 1, 21 *1871

Ep 1, 22 1599

Ep 1, 22-23 *1981

Ep 2, 3 *1717

Ep 2, 4 *2429

Ep 2, 8 2159, 2196, *2363, 2363

Ep 2, 14 *1962

Ep 2, 15 2596

Ep 2, 18 *1907

Ep 2, 20 *2626

Ep 3, 17 1793, 1853, 1898, 1930, 2468

Ep 3, 19 2429

Ep 4, 3 2213

Ep 4, 3-5 2239

Ep4, 8 1910, *2088, *2517, *2540

Ep 4, 10 2520

Ep 4, 15-16 *1981

Ep 4, 22-24 *2593

Ep 4, 25 1776

Ep 5, 1-2 2240, 2599

Ep 5, 2 1738, 1838, 1976, 2008, 2163, *2429, 2484, 2599

Ep 5, 8 1714

Ep 5, 11 *2582

Ep 5, 13 *2582

Ep 5, 23 *1981

Ep 6, 12 1975

Philippiens (Ph)

Ph 1, 20 2633

Ph 1, 23 *1861, *2625, 2631, 2647

Ph 1, 23-24 *2618

Ph 1, 29 2363, *2363

Ph 2, 3 2621

Ph 2, 6-7 1970

Ph 2, 7 1746

Ph2, 8 1592, *1592, 1641, 1660, 1673, 2003, *2031, 2176, *2293, 2452

Ph 2, 8-9 2096, 2191

Ph2, 9 1771, 1828, 1829, 1904, 1971, 2420

Ph 2, 10 *1627

Ph2, 11 1637, 1734, 1829

Ph 2, 13 *1909, 2015

Ph 2, 21 1647, *2618

Ph 3, 20 1804, *2093, 2596

Ph 3, 21 1925, 2181, 2245, 2260

Ph 4, 4 *2060

Ph 4, 7 *2429

Colossiens (Col)

Col l, 5-6 1985

Col 1, 13 2351

Col 1, 15 1712, 1878

Col 1, 18 *1978, *1981, *2514

Col 1, 20 1591, 1827, 2554

Col 2, 3 1665, 2106, 2201, *2568

Col 2, 15 *1637, 2176, 2414, *2560

Col 3, 1 1859

Col 3, 5 *2633

Col 3, 9-10 1836

Col 3, 13 1779

Col 3, 14 2429

Col 4, 3 2178

Col 4, 6 *2624

1re aux Thessaloniciens (1 Th)

1 Th 2, 13 2042

1 Th 2, 14 2481

1 Th 4, 5 2265

1 Th4, 15 *1862

1 Th 4, 16 1860, *1862, 1925, 2258

1 Th 5, 5 1686

1 Th 5, 17 2142

1 Th 5, 22 *1890

1re à Timothee (1 Tm)

1 Tm 1, 5 2006, 2029

1 Tm 1, 13 2076

1 Tm 1, 15 1923

1 Tm 1, 17 *1830, 1887, *2195

1 Tm 2, 4 1698, 2207, 2253, 2447

1 Tm 2, 5 1794, *1910, *2201, 2537

1 Tm 2, 5-6 *2138

1 Tm 2, 6 *1745

1 Tm 3, 15 1853

1 Tm 4, 12 2624

1 Tm 5, 8 2441

1 Tm 5, 22 2614

1 Tm 6, 16 *1684, 1713, *1726, *1734, 1866

2e à Timothee (2 Tm)

2 Tm 2, 5 *2478

2 Tm 2, 19-20 2024

2 Tm 3, 1-2 2618

2 Tm 3, 13 1630

2 Tm 3, 16 *1987

2 Tm 4, 7 2478

Tite (Tt)

Tt 1, 9 1987

Tt 1, 16 2377

Tt 3, 5 2458

Philémon (Phm)

Phm 9 2630

Hébreux (He)

He 1, 1 1953

He 1, 3 1662, 1712, 1830, 1878, *2062, 2181, 2213, 2260

He 1, 6 2496

He 2, 3 2269, 2359

He 2, 4 2066, 2098

He 2, 9 1970

He 2, 10 *2229, 2451

He 2, 13 2253

He 2, 14 1827

He 2, 16 1627, 1930

He 2, 17 2519

He 3, 1 *1782, *1829

He 3, 5 1622

He 3, 14 *1829

He 4, 3 *2582

He 4, 11 *2478

He 4, 13 2347

He 4, 15 1652, 1845, 2309, *2519

He 5, 5 1637

He 5, 7 1658

He 5, 8-9 1592, *2229

He 5, 12 1885

He 5, 14 2602

He 6, 4 *1829

He 7, 14 *1829

He 7, 25 1859, 1910, 2155

He 8, 6 *1910

He 8, 8 *2447

He 9, 10 2231

He 9, 14 *2229, 2231

He 9, 15 *1910

He 9, 22 1640

He 9, 27 2647

He 10, 10 *2229

He 10, 12 *2191

He 10, 14 *2229, 2451

He 10, 19 *1907

He 10, 19-20 1641

He 10, 25 2547

He 10, 32 *1862, *2256

He 11, 1 *1859, 2018, *2096, 2176, 2564, *2602

He 11, 6 1851,2159

He 12, 2 2494

He 12, 3 2031

He 12, 9 1922

He 12, 14 1962

He 12, 24 *1910

He 12, 26 *1925

He 13, 8 2483

He 13, 10 *2480

He 13, 12 2231, 2415

He 13, 13 2415

Jacques (Jc)

Jc 1, 6 2142

Jc 1, 17 2213

Jc 1, 18 *2471

Jc 1, 22 1716

Jc 1, 24 *2532

Jc 2, 5 2227

Jc 2, 13 1599

Jc 2, 19 *2095

Jc 4, 3 1905, 2142

Jc 4, 17 1785

Jc 5, 16 1779

1re de Pierre (1 P)

1 Ρ 1, 12 *2519

1 Ρ 1, 18-19 1733, 2458

1 Ρ 1, 19 *1755

1 Ρ 2, 9-10 *2290

1 Ρ 2, 21 1781, 2031, *2391, 2414, 2631, 2635

1. P 2, 22 1845, 1975, 2003, 2320, 2367

1 Ρ 2, 24 1750

1 Ρ 3, 7 *1759

1 Ρ 3, 14 *2071

1 Ρ 3, 18 1641, 2484

1 Ρ 3, 20 2582, *2595

1 Ρ 3, 22 *2191

1 Ρ 4, 8 2541, 2617

1 Ρ 4, 10 2548

1 Ρ 4, 13-14 *2071

1 Ρ 4, 15-16 1974, 2043, 2633

2e de Pierre (2 Ρ)

2 Ρ 1, 4 1829, 1999 2 Ρ 1, 14 *2631

2 Ρ 1, 16 2210

2 Ρ 1, 21 2321

2 Ρ 2, 21 *2441

2 Ρ 2, 22 *2148

1re de Jean (1 Jn)

1 Jn 1, 2 *1703

1 Jn 1, 3 2067, 2460

1 Jn 1, 5 1713

1 Jn 1, 8 1985

1 Jn 2, 1 1912, *1912, 2155

1 Jn 2, 1-2 2207

1 Jn 2, 4 2012

1 Jn 2, 15 1918, 1941

1 Jn 2, 15-17 *2032

1 Jn 2, 16 *1941, 2176, 2211

1 Jn 2, 18 1833

1 Jn 2, 19 1799

1 Jn 2, 20 *2098

1 Jn 2, 22 *2098

1 Jn 2, 27 2102, 2137

1 Jn 3, 1 *2519

1 Jn 3, 2 *1663, 1880, 2186, *2245, 2260, 2552, *2571

1 Jn 3, 8 1668

1 Jn 3, 13 2175, 2223, *2227

1 Jn 3, 13-14 2038

1 Jn 3, 18 1838, 2008

1 Jn 3, 20 *2004

1 Jn 3, 21-22 2028

1 Jn 4, 1-2 *2098

1 Jn 4, 5 2034

1 Jn 4, 9 2009

1. Jn 4, 10 1735, 1838, 1909, 1934, 2002, 2020, 2159

1 Jn 4, 10-15 *2159

1. Jn 4, 16 1853, 1930, 1941, 1988, 2000, *2060, *2247, 2258, 2270

1 Jn 4, 18 2015, 2617

1 Jn 4, 19 2002

1 Jn 4, 20 2012, *2012

1 Jn 4, 21 2029

1 Jn 5, 4 2176

1 Jn 5, 6 *2098

1 Jn 5, 9 *2098

1 Jn 5, 19 2032, *2226

1 Jn 5, 20 1725, 1851, *2115, 2187, 2562

Jude (Jude)

Jude 3 *2478

Jude 19 *2547

Apocalypse (Ap)

Ap 1, 5 1748, 1771

Ap 1, 7 1925, 2249, *2462, 2525

Ap 1, 18 1924

Ap 2, 10 2561

Ap 2, 23 *2166, 2617

Ap 3, 4 2497

Ap 3, 5 1771, 2593

Ap 3, 20 1594, 2615

Ap 3, 21 1647, *2245

Ap 4, 1 2458

Ap 5, 5 *2414

Ap 5, 10 1957, 2290, 2351

Ap 5, 12 *2185

Ap 5, 12 et 9 *2447

Ap 6, 10 2140

Ap 6, 11 2648

Ap 7, 3 *2015

Ap 7, 9 1620, 2590

Ap 11, 10 2129

Ap 14, 4 *2171

Ap 14, 15 *1636

Ap 19, 14 *2497

Ap 20, 6 *2290

Ap 21, 3 1853

Ap 21, 14 *2626

Ap 21, 23 2471

Ap 21, 27 1759

Ap 22, 1 2061, *2106

Ap 22, 11 1766, 1985

Ap 22, 17 2476

Ap 22, 20 2647