COMMENTAIRE DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, Docteur de
l'Eglise
notes prises en cours par son secrétaire,
Frère Réginald de Piperno
(1269-1272)
II
La Passion, la mort et la Résurrection du Christ
CHAPITRES 12 à 21
Traduction sous la direction du père Marie-Dominique
Philippe o. p.
LES ÉDITIONS DU CERF - www.editionsducerf.fr
- 2006
Édition numérique à partir de la traduction, http://docteurangelique.free.fr, 2006, les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Préface par M.-D. PHILIPPE, o. p., Traduction et notes sous sa direction
Nihil obstat :
Fr. Martin Sabathé, Communauté
Saint-Jean
Fr. Paul-Marie de Mauroy,
Communauté Saint-Jean
Imprimi potest :
16 juillet 2005
Fr. Jean-Pierre-Marie
Guérin-Boutaud
Communauté Saint-Jean, Prieur
général
CHAPITRE XII : LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE
LA MORT DU CHRIST
I. LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST
A. LE CHRIST GLORIFIE PAR LES HOMMES
a) Le Christ glorifié par ses intimes et par ses
proches.
b) Le Christ glorifié par la foule des Juifs.
c) Le Christ glorifié par les Gentils.
B. LE CHRIST GLORIFIE PAR DIEU
A. JEAN RAPPORTE L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS
a) Ceux qui ne croyaient pas du tout.
b) Ceux qui croyaient en secret.
B. LE CHRIST BLÂME L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS
c) Le châtiment des incrédules.
CHAPITRE XIII : LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À
VIVRE SA PASSION
II COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA
PASSION
1. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA
PASSION EN LES FORMANT PAR UN EXEMPLE
L'EXEMPLE QUE LE CHRIST DONNA À SES DISCIPLES
a) L'amour fervent du Christ donnant l'exemple.
b) L'action par laquelle il donna l'exemple.
b) Cet exemple est nécessaire.
C. LE CHRIST NOUS INVITE A IMITER SON EXEMPLE
a) Les circonstances de l'exhortation.
LA DÉFAILLANCE DES DISCIPLES QUI N'ÉTAIENT PAS
CAPABLES DE SUIVRE LE CHRIST
A. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI TRAHIT LE CHRIST
B. LA DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI RENIE LE CHRIST
a) Le désir et la hardiesse de Pierre.
b) Le Christ prédit son reniement.
CHAPITRE XIV : LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES
QUANT À SON DÉPART
2. COMMENT LE CHRIST PRÉPARÉ SES DISCIPLES À VIVRE SA
PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES
LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART
LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT AU FAIT QU'ILS
RESTENT
A. LE CHRIST ANNONCE QU'IL VA VERS LE PÈRE
b) Le chemin par lequel il devait s'en aller.
c) Le Christ dissipe le doute qui s'élève chez son
disciple.
d) Le Christ manifeste sa réponse à travers des
œuvres.
B. LE CHRIST PROMET LE DON DE L'ESPRIT SAINT
a) Le Christ prépare ses disciples à recevoir l'Esprit
Saint.
b) Le Christ promet l'Esprit Saint.
c) Le Christ explique la promesse de l'Esprit Saint.
C. LE CHRIST PROMET SA PRESENCE
a) Il promet à ses disciples son retour.
b) Il promet à ses disciples ses dons.
LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART
A. IL LES CONSOLE PAR L'UTILITE DU FRUIT QUI SUIVRAIT
SON DEPART
B. IL LES CONSOLE PAR LA CAUSE DE SA MORT
CHAPITRE XV : LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES
DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS À VENIR
LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX
TRIBULATIONS À VENIR
L'ALLEGORIE DE LA VIGNE ET DU VIGNERON
LE DÉVELOPPEMENT DE L'ALLÉGORIE
A. L'UNION DES SARMENTS A LA VIGNE
a) Le Christ exhorte ses disciples à demeurer en lui.
b) Le Christ donne les raisons de demeurer en lui.
c) La manière de demeurer en lui.
a) Pourquoi le Christ console ses disciples.
b) Le développement de ces raisons.
c) Le Christ rejette ce qui pourrait excuser les
persécuteurs.
LE CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS DONNÉES AUX DISCIPLES
A. LA CONSOLATION PAR RAPPORT AUX TRIBULATIONS A VENIR
b)L'annonce de la persécution.
c) La raison de la persécution.
B. LA CONSOLATION PAR RAPPORT A SON DEPART
a) La promesse de l'Esprit Paraclet.
b) La promesse de le voir de nouveau.
L'EFFET DE L'EXPLICATION SUR LES DISCIPLES
A. LA CONFESSION DES DISCIPLES
C. L'INTENTION DU CHRIST DANS SON ENSEIGNEMENT
CHAPITRE XVII : PREPARATION A LA PASSION
3. COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA
PASSION EN LES RÉCONFORTANT PAR SA PRIÈRE
A. LE CHRIST PRÉSENTE UNE DEMANDE AU PÈRE
B. LE CHRIST INDIQUE LE FRUIT DE SA DEMANDE
a) Le Christ présente le fruit de sa demande.
b) Le Christ explicite le fruit de sa demande.
LE CHRIST PRIE POUR L'ASSEMBLÉE DES DISCIPLES
A. LES RAISONS DE LA PRIÈRE DU CHRIST
B. LE CONTENU DE LA PRIÈRE DU CHRIST
a) Il demande que ses disciples soient gardés.
b) Le Christ demande la sanctification de ses
disciples.
LE CHRIST INTERCÈDE POUR TOUS LES CROYANTS
A. LE CHRIST PRÉSENTE SA PRIÈRE
B. LA RAISON POUR LAQUELLE LA PRIÈRE DU CHRIST EST
EXAUCÉE
CHAPITRE XVIII : [LES SOUFFRANCES DE LA PART DES
JUIFS]
III. LA RÉALISATION DU MYSTÈRE DE LA PASSION
1. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT DE LA PART DES JUIFS
COMMENT LE CHRIST EST LIVRE PAR UN DISCIPLE
C. LA VOLONTÉ D'AMOUR DU CHRIST D'ENDURER LA TRAHISON
a) Le Christ s'offre volontairement.
b) Le Christ arrête le disciple qui résiste.
COMMENT LE CHRIST EST PRÉSENTÉ PAR LES GARDES AUX
CHEFS DU PEUPLE
A. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A ANNE
a) Comment le Christ est présenté à Anne.
b) Comment le Christ est examiné par Anne.
B. COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A CAÏPHE
COMMENT LE CHRIST EST ACCUSE PAR LES CHEFS DU PEUPLE
AUPRÈS DU GOUVERNEUR
A. LE CHRIST EST REMIS A PILATE
a) Comment Pilate examine le Christ en face des
accusateurs.
b) Comment Pilate examine le Christ chez lui.
C. PILATE PROCLAME L'INNOCENCE DU CHRIST
CHAPITRE XIX : [LES SOUFFRANCES PAR LES PAÏENS]
2. CE QUE LE CHRIST A SOUFFERT SPÉCIALEMENT DE LA PART
DES GENTILS
LA DÉRISION QUE SUBIT LE CHRIST
a) La discussion entre Pilate et les Juifs.
c) L'exécution de la sentence.
d) Ce qui suit la crucifixion.
a) L'opportunité de la mort du Christ.
c) La blessure du corps du Christ.
C. L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST
a) La possibilité et la permission d'ensevelir le
Christ.
b) Le zèle de Joseph d'Arimathie.
CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION
LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ DANS SA
PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION
1. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX SAINTES
FEMMES
b) L'annonce de ce qu'elle a vu.
c) La recherche de ce qui a été annoncé.
c) Marie est instruite par le Christ.
2. LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES
A. L'APPARITION À TOUS LES APÔTRES, EXCEPTE THOMAS
c) La communication du don spiritue1.
B. L'APPARITION AUX APÔTRES, THOMAS ÉTANT PRÉSENT
c) La récapitulation de tout ce qui a été dit dans
l'Évangile.
CHAPITRE XX : LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION
(SUITE)
II. LA TROISIÈME APPARITION DU CHRIST À SES DISCIPLES
1. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA DE MANIÈRE GÉNÉRALE À SES
DISCIPLES
a) Les disciples auxquels elle a été faite.
c) La manière dont eut lieu l’ apparition.
CHAPITRE XXI : [LE SECRET A PIERRE ET JEAN]
A. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A PIERRE
a) Le Christ lui confie sa charge de pasteur.
b) Le Christ annonce à Pierre son martyre.
B. CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA A JEAN
a) La recommandation de Jean par le Christ.
Table des références à l'Écriture sainte
Évangile selon saint Jean Chapitre XII
1 Jésus donc, avant les six jours de la
Pâque, vint à Béthanie, où était mort Lazare, que Jésus avait relevé [d'entre
les morts]. 2 On lui fit là un repas. Marthe servait, et Lazare était un de
ceux qui étaient à table avec lui. 3 Marie donc prit une livre de parfum d'un
nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses
cheveux, et la maison s'emplit de l'odeur du parfum. 4 Alors l'un de ses
disciples, Judas Iscariote, celui qui allait le livrer, dit : 5
« Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on
aurait donnés aux pauvres ? » 6 Or il dit cela, non parce qu'il se
souciait des pauvres mais parce qu'il était voleur, et que tenant la bourse, il
dérobait ce qu'on y mettait. 7 Jésus dit donc : « Laissez-la, c'est
pour le jour de ma sépulture qu'elle devait garder ce parfum. 8 Les pauvres, en
effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas
toujours. »
9 La grande foule des Juifs sut qu'il
était là et ils vinrent, non à cause de Jésus seulement, mais pour voir Lazare,
qu'il avait relevé d'entre les morts. 10 Les princes des prêtres décidèrent de
tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs s'en allaient a cause de lui et
croyaient en Jésus.
12 Le lendemain, la foule nombreuse qui
était venue pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem,
13 prit des rameaux de palmiers et sortit au-devant de lui ; et ils
criaient : « Hosanna ! Béni celui qui vient au nom du Seigneur,
le roi d'Israël ! » 14 Et Jésus trouva un petit âne et s'assit
dessus, comme il est écrit : 15 « Ne crains pas, fille de Sion :
voici que ton roi vient, assis sur le petit d'une ânesse. » 16 Cela, ses
disciples ne le comprirent pas d'abord ; mais quand Jésus eut été
glorifié, alors ils se souvinrent que cela se trouvait écrit à son sujet et que
c'était ce qu'on lui avait fait. 17 La foule donc rendait témoignage, celle qui
était avec lui lorsqu'il appela Lazare du tombeau et le releva d'entre les
morts. 18 C'est pour cela aussi que la foule vint au-devant de lui, parce
qu'ils avaient appris qu'il avait fait ce signe. 19 Les pharisiens se dirent
donc entre eux : « Vous voyez que nous ne gagnons rien. Voilà que
tout le monde est parti après lui. »
20 Or il y avait quelques Gentils, de
ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête. 21 Ceux-ci donc s'avancèrent
vers Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et ils le priaient en
disant : « Seigneur, nous voulons voir Jésus. » 22 Philippe
vient et il le dit à André ; puis André et Philippe le disent à Jésus. 23
Et Jésus leur répondit en disant : « L'heure est venue, où doit être
glorifié le Fils de l'homme. 24 Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé
tombant en terre ne meurt pas, 25 il demeure seu1. Mais s'il meurt, il porte
beaucoup de fruit. Celui qui aime son âme la perdra, et celui qui hait son âme
en ce monde la gardera en vie éternelle. 26 Si quelqu'un me sert, qu'il me
suive : et où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me
sert, mon Père l'honorera. 27 Maintenant mon âme est troublée. Et que
dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je
suis venu à cette heure. 28 Père, glorifie ton nom. » Vint donc une voix
du ciel, disant : « Je l'ai glorifié, et de nouveau je le
glorifierai. »
29 La foule donc, qui se tenait là et
avait entendu, disait qu'il y avait eu un coup de tonnerre. D'autres
disaient : « Un ange lui a parlé. »30 Jésus répondit et
dit : « Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour
vous. 31 C'est maintenant le jugement du monde. Maintenant le prince de ce monde
va être jeté dehors. 32 Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai
tout à moi. » 33 Or il disait cela pour signifier de quelle mort il devait
mourir.
34 La foule lui répondit :
« Nous avons appris de la Loi, nous, que le Christ demeure à jamais. Et
comment dis-tu, toi : "II faut que le Fils de l'homme soit
élevé" ? Qui est ce Fils de l'homme ? » 35 Jésus leur dit
donc : « Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez
tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous
saisissent ; et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. 36
Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous soyez des
fils de lumière. » Jésus dit cela et il s'en alla et se cacha d'eux.
37 Mais bien qu'il eût fait tant de
signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui, 38 pour que s'accomplît la
parole que le prophète Isaïe avait dite : « Seigneur, qui a cru à ce
qui a été entendu de nous, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été
révélé ? » 39 Voilà pourquoi ils ne pouvaient pas croire. Et parce
qu'Isaïe a dit encore : 40 « II a aveuglé leurs yeux et endurci leur
cœur, pour qu'ils ne voient pas de leurs yeux et ne comprennent pas par le
cœur, pour qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » 41
Isaïe a dit cela quand il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui. 42 Cependant,
même parmi les princes du peuple, beaucoup crurent en lui, mais à cause des
pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'être rejetés de la synagogue.
43 En effet, ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu.
44 Or Jésus cria et dit : « Qui
croit en moi ne croit pas en moi mais en celui qui m'a envoyé. 45 Et qui me
voit, voit celui qui m'a envoyé. 46 Moi, la lumière, je suis venu dans le monde
afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres.47 Et si
quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, moi je ne le juge pas. En
effet, je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. 48
Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a quelqu'un qui le juge. La parole
que j'ai dite, c'est elle qui le jugera au dernier jour. 49 Parce que moi ce
n'est pas de moi-même que j'ai parlé. Mais le Père qui m'a envoyé m'a lui-même
commandé ce que je dois dire et ce dont je dois parler.50 Et je sais que son
commandement est vie éternelle. Et donc ce que moi je dis, comme le Père me l'a
dit ainsi je le dis. »
1589. Auparavant
l'Évangéliste a montré la puissance de la divinité du Christ à travers ce qu'il
a fait et enseigné pendant sa vie1 ; ici il commence à montrer la
puissance de sa divinité dans sa Passion et dans sa mort : il traite
d'abord de sa Passion et de sa mort, puis de sa Résurrection [n°2470].
La première partie
est divisée en trois : dans la première, il montre les causes ou les
circonstances de sa Passion et de sa mort ; dans la deuxième, il expose
comment le Christ prépare ses disciples avant de leur être retiré physiquement
par sa Passion et par sa mort [n° 1727] ; dans la troisième, il traite de
sa Passion et de sa mort [n° 2271]. La cause ou la circonstance de la Passion du
Christ fut double : la gloire même du Christ, qui a suscité la jalousie,
et l'incrédulité des Juifs. L'Évangéliste traite d'abord de la gloire du
Christ, puis de l'incrédulité des Juifs [n° 1688].
À propos de la
gloire du Christ, il montre comment le Christ a été glorifié par les hommes,
puis comment il a été glorifié par Dieu [n° 1649].
L'Évangéliste montre
d'abord comment le Christ a été glorifié par ses amis et par ses proches, puis
par la foule des Juifs [n° 1612] et, en troisième lieu, comment il a été
glorifié par les Gentils2 [n° 1631].
1. Sur la
manifestation au monde de la divinité du Christ, voir vo1. I, n° 335.
2. Sur ceux qui sont désignés par le terme « Gentils »,
voir vo1. I, n° 549, note 1.
Jean commence par
montrer la gloire du Christ à travers le service que lui ont prodigué ses
intimes1, puis la jalousie suscitée par cela chez le
traître [n° 1600].
La gloire du
Christ à travers le service que lui ont prodigué ses intimes.
JÉSUS DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE, VINT À
BÉTHANIE, OÙ ÉTAIT MORT LAZARE, QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS]. ON
LUI FIT LÀ UN REPAS. MARTHE SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT UN DE CEUX QUI ÉTAIENT À
TABLE AVEC LUI. MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND
PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON
S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM. (12, 1-3)
II décrit le temps,
puis le lieu [n° 1592], et enfin l'hommage rendu au Christ [n° 1593].
JÉSUS DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE2
1590. Il dit donc
d'abord que le Christ, avant la fête de la Pâque, s'en alla dans une région
proche du désert et que, la solennité de la Pâque étant toute proche, les Juifs
le cherchaient.
1.
« Intimes » traduit ici le latin familiaritas. Sur le sens de
ce mot, voir vo1. I, n° 1475, note 5.
2. L'Évangéliste,
en employant l'expression les six jours de la Pâque, évoque ici les
quelques jours qui précédaient la Pâque, fête que les Juifs
commémoraient chaque année en souvenir de la délivrance du peuple d'Israël
sortant d'Égypte. Le jour de la Pâque coïncidait avec le début de la semaine
des azymes où on ne trouvait pas de pain levé chez les Hébreux. Comme le
souligne saint Thomas plus loin (n° 1591), les six jours avant la Pâque ont une
importance particulière puisqu'ils sont les jours où le Christ s'est avancé
vers sa Passion. Ils sont célébrés d'une manière particulière chez les
chrétiens par la Semaine Sainte.
Ainsi, comme
approchait le temps de la Pâque où l'agneau symbolique était immolé, Jésus
lui-même, l'agneau véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il
devait être immolé de son plein gré pour le salut du monde - Il s'est
offert parce que lui-même l’α voulu3.
Il dit AVANT LES SIX
JOURS DE LA PÂQUE pour que tu comprennes le jour de la Pâque non pas comme le
quatorzième jour du premier mois où, le soir venu, l'agneau pascal était
immolé, comme on le voit au chapitre 12 de l'Exode, mais plutôt ici comme le
quinzième jour - qui était tout entier un jour de fête -, et cette année-là ce
fut le sixième jour de la semaine4 que le Seigneur souffrit ; c'est ainsi
que le sixième jour avant la Pâque fut le premier jour de la semaine,
c'est-à-dire le jour du Seigneur, où le Seigneur entra dans Jérusalem
[accueilli] avec des rameaux de palmiers. Et le jour précédent, autrement dit
le jour du sabbat, le Christ vint à Béthanie : c'est pourquoi il est dit
AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE.
1591. Or ce chiffre
convient bien aux mystères. D'abord quant au chiffre lui-même : en effet,
un nombre composé de six est parfait, d'où il vient que Dieu acheva l'œuvre de
la création en six jours, comme il est dit au premier chapitre de la Genèse. Et
à cause de cela il convenait que l'œuvre de la Passion, par laquelle tout a été
repris5, fût en quelque sorte accomplie en six jours
- Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre, soit ce
qui est dans les deux1. - Dans le Christ Dieu se réconciliait le monde2.
3. Is 53, 7
(verset propre à la Vulgate).
4. « Le jour
de la semaine » traduit le latin feria (voir ci-dessous, n° 2471).
C'est donc le jour du sabbat qu'était célébrée la Pâque cette année-là ;
voir Jn 19, 31 - car c'était un grand jour que ce sabbat et ci-dessous,
n" 2455.
5. Voir Alcuin, Commentaria in Sancti
Ioannis Evangelium (Glossa), V, 28, PL 100, co1. 906.
D'autre part, il
convient au mystère quant à ce qu'il représente. En effet, il est prescrit au
livre 12 de l'Exode que chacun, le dixième jour du premier mois, prenne par famille
un agneau pascal à immoler. C'est la raison pour laquelle le Seigneur a voulu
entrer à Jérusalem le dixième jour du premier mois, qui est le sixième jour
avant le quinzième, comme pour s'avancer vers le lieu de son immolation. Cela
est manifeste d'après ce qui est dit plus loin : Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue
pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, prit des
rameaux de palmiers et sortit au-devant de lui3.
VINT À BÉTHANIE
1592. C'est ensuite
le lieu qui est décrit. Or c'était un village proche de Jérusalem et dont le
nom signifie littéralement « maison d'obéissance4 »
- ce qui convenait au mystère.
Premièrement quant à
la cause de la Passion : Il s'est fait obéissant - au Père -jusqu'à
la mort5 ; deuxièmement quant à son fruit, que seuls obtiennent ceux qui lui obéissent - II a été fait, pour tous ceux
qui lui obéissent, cause de salut éternel6.
1. Col 1, 20. 2. 2 Co 5, 19. 3. Jn 12, 12-13.
4. Voir vo1. I, nos 252 et 1473.
5. Ph 2, 8. Voir
vo1. I, n° 1422, note 1.
6. He 5,
8-9 : Il apprit de ce qu'il souffrit l'obéissance et ainsi conduit à sa
perfection il a été fait pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éterne1. Saint Thomas commente ainsi ces
versets : « Il apprit de ce qu'il souffrit, c'est-à-dire il en a fait l'expérience.
Et l'Apôtre parle ainsi parce que
celui qui a appris quelque chose a vraiment voulu le connaître. Or le Christ a voulu accepter notre fragilité. Et c'est
pourquoi il dit qu'il a appris
l'obéissance, c'est-à-dire combien il est dur d'obéir : lui-même a obéi dans des choses très dures et
très difficiles, puisqu'il est allé
jusqu'à la mort de la Croix (Ph 2, 8). Et cela montre combien difficile est le bien de l'obéissance. Car ceux qui
nont pas fait l'expérience de
l'obéissance, et ne l'ont pas apprise dans
des choses difficiles, croient qu'obéir est très facile. Mais pour φιε tu saches ce qu'est
l'obéissance, il faut que tu apprennes à obéir dans des choses difficiles, et celui qui n'a pas appris à
s'abaisser en obéissant ne sait jamais
gouverner en commandant bien. Le Christ Peut
donc avoir su de toute éternité par une simple connaissance (notitia) ce qu'est
l'obéissance ; cependant il a appris - par l'expérience - l'obéissance
de ce qu'il souffrit, c'est-à-dire dans des choses difficiles, à savoir par
les souffrances et la mort - Par l'obéissance d'un seul la multitude sera
constituée juste (Rm 5, 19) » (Ad Heb. lect., V, n° 259).
En outre, il est
clairement ajouté : OÙ ÉTAIT M ORT LAZARE, QUE
JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS], parce que dans la maison d'obéissance ceux qui sont
morts spirituellement dans leurs péchés sont ressuscites en étant ramenés à la
vie de la justice - Par
l'obéissance d'un seul la multitude sera constituée juste7. Mais cela est dit aussi
au sens littéral pour montrer que le Christ vint à Béthanie pour faire mémoire
de la résurrection de Lazare – Il a laissé un mémorial de ses merveilles, le Seigneur compatissant et
miséricordieux8.
ON LUI FIT LÀ UN
REPAS. MARTHE SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT UN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE AVEC LUI.
MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES
PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR
DU PARFUM.
1593. L'Évangéliste
montre ensuite l'hommage9 rendu au Christ par ses intimes, et cela
d'abord en général, de la part de tous, puis en particulier, de la part de
chacun [n° 1595].
1594. Or il
convenait au mystère10 que ce fût LÀ - à Béthanie - qu'ON LUI FIT
UN REPAS, parce que le Seigneur se repose, au sens spirituel, dans la maison
d'obéissance, en se réjouissant de notre obéissance - Si quelqu 'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai
chez lui, et je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi1.
7. Rm 5, 19.
8. Ps 110, 4.
9.
« Hommage » traduit ici le mot obsequium. Dans le vo1. I, n°
1510, obsequium est traduit par obéissance. Ici, il a le sens de
« hommage », et donc aussi de déférence, de soumission respectueuse.
10. Dans son Commentaire
sur l'Évangile de saint Jean, saint Thomas distingue constamment un sens « littéral »
et un sens « mystique ». Ses expressions les plus fréquentes
sont : convenu mysterio, secundum mysterium, mystice, sensus mysticus, pour
évoquer le sens mystique ; et ad litteram, ad litteram pertinet,
litteraliter, sensus litteralis, pour évoquer le sens littéra1. Pour la
compréhension de ces différentes expressions, voir vo1. I, Préface, p.
17 sq. Pour saint Thomas, le sens mystique est le sens littéral divin, où
la lettre est porteuse du mystère, où la lettre conduit au mystère. Au-delà de
la distinction du sens littéral historique et du sens spirituel, c'est le sens
voulu par l'auteur principal, l'Esprit Saint. Voir Somme théol, I, q. 1,
a. 10, c. ; Quodlibeta VII,
q. 6, a. 1, c. et a. 3 ; Ad Gai. lect., n° 254.
1595. Trois
personnes sont ensuite présentées, qui se tiennent auprès de lui ou qui le
servent : Marthe, Lazare et Marie.
Marthe représente
ceux qui ont l'autorité dans l'Église, qui sont institués dans les Églises pour
le service - Qu'on nous regarde comme des serviteurs du Christ et des
intendants des mystères de Dieu2. C'est pourquoi il est dit : MARTHE SERVAIT - Marthe était absorbée par les multiples
soins du service3.
Quant à Lazare
ressuscité, il représente ceux qui, ayant été ramenés de leurs péchés à l'état
de justice, sont remis à l'autorité des supérieurs de l'Église, et qui, avec
les autres justes, mangent, au sens spirituel, à la table du Seigneur - Les justes festoieront et
ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d'une grande joie 4.
Marie représente les
contemplatifs. Il est dit en effet en saint Luc que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait ses paroles5.
1.Ap 3, 20.
2. 1 Co 4, 1.
Saint Thomas commente : « Et des intendants des mystères de Dieu, c'est-à-dire
de ses secrets, qui sont ses enseignements spirituels - L'esprit est celui
qui dit les mystères (1 Co 14, 2) ; ou encore les sacrements de
l'Église, dans lesquels la puissance divine opère en secret le salut. C'est
aussi pourquoi il est dit dans la formule de consécration de
l'Eucharistie : Mysterium fidei » (Ad 1 Cor. lect., IV,
n° 186).
3. Le 10, 40.
4. Ps 67, 4.
5. Le 10, 39.
Saint Thomas, après avoir évoqué les différents aspects de la vie contemplative
sur la terre (Somme théol, II-II, q. 180), parle longuement des rapports
entre la vie contemplative et la vie active (q. 182). Il montre tout d'abord
(q. 182, a. 1, a), à la suite d'Aristote (voir Éthique à Nicomaque, X,
7-8), la supériorité de la vie contemplative sur la vie active par huit
raisons : « 1. La vie contemplative convient à l'homme selon ce qu'il
y a de meilleur en lui, qui est l'intelligence. (...) La vie active, elle, est
occupée de choses extérieures (...). 2. La vie contemplative peut être plus
continue, mais non pas quant au degré suprême de contemplation (cf. q. 180, a.
8). Aussi nous montre-t-on Marie, figure de la vie contemplative, assise
sans bouger aux pieds du Seigneur (Le 10, 39). 3. Il y a plus de
délectation dans la vie contemplative que dans la vie active. D'où la parole
d'Augustin : "Marthe s'agitait, Marie festoyait". 4. Dans la vie
contemplative, l'homme se suffit davantage à lui-même, ayant besoin de moins de
choses pour s'y livrer. D'où cette parole : Marthe, Marthe, tu
t'inquiètes et te troubles pour beaucoup de choses (Le 10, 41). 5. La vie
contemplative est davantage aimée pour elle-même, tandis que la vie active est
ordonnée à autre chose - J'ai demandé au Seigneur une seule chose, et c'est
elle que j'entends poursuivre, qui est d'habiter la maison du Seigneur tous les
jours de ma vie, pour voir les délices du Seigneur (Ps 26, 4). 6. La vie
contemplative se présente comme un loisir et un repos - Donnez-vous du
loisir et voyez que je suis Dieu (Ps 45, 11). 7. La vie contemplative
concerne le divin, la vie active concerne l'humain. "Au commencement
était le Verbe, écrit Augustin, voilà celui que Marie écoutait ; le
Verbe s'est fait chair, voilà celui que Marthe servait". 8. La vie
contemplative appartient à ce qu'il y a de proprement humain dans l'homme,
c'est-à-dire l'intelligence, tandis que les puissances inférieures, communes à
l'homme et à la bête, ont part aux opérations de la vie active. D'où le psaume
(35, 7-10), après avoir dit : Tu sauveras, Seigneur, les hommes et les
bêtes, ajoute ceci, qui est spécial à l'homme : Dans ta lumière
nous verrons la lumière ». Et saint Thomas, à la fin de sa réponse
ajoute une neuvième raison, qui vient directement du Christ lui-même : Marie
a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée (Le 10, 42). Mais
au-delà de cette supériorité de la vie contemplative sur la vie active, qu'il
affirme à d'autres reprises (voir surtout q. 182, a. 2, c. et a. 4, c), saint
Thomas montre cependant aussi les bienfaits de la vie active qui apporte le
réalisme du don et de l'engagement et qui devient la disposition à une vraie
vie contemplative (voir q. 182, a. 3, c, et ci-dessous, n° 2487, note 2).
MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND
PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON
S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM. (12, 3)
1596. À propos du
service de Marie on traite de trois aspects qui concernent le sens littéra1.
Premièrement le parfum avec lequel elle a rendu hommage au Christ, puis
l'hommage qu'elle a rendu - [ELLE] OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ; enfin
l'effet de son hommage - ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM.
Par rapport au
parfum on note d'abord sa quantité car il y en avait beaucoup : UNE LIVRE,
dit l'Évangéliste - Si tu as beaucoup, distribue avec abondance6. Puis sa matière : il était fait de NARD - Tandis que le roi était
étendu sur sa couche, mon nard a donné son odeur7. Le nard, en effet, est une herbe de petite
taille, avec des épis, de couleur noire, à partir de laquelle est fait un
parfum qui a une vertu réconfortante par son arôme. Enfin, l'Évangéliste note
la qualité de sa composition, puisqu'il dit : PUR, DE GRAND PRIX. Selon
Augustin, ce parfum est dit PUR en raison du lieu où le nard poussait, mais il
vaut mieux comprendre PUR au sens de « fidèle » ou
« fiable », c'est-à-dire qui n'a pas été rendu artificiel par quelque
mélange, car pistis en grec signifie la même chose que fides (foi,
fidélité)1. En outre il ajoute DE GRAND PRIX,
parce que ce parfum avait été confectionné à partir d'un épi de nard, dont on
fait un parfum précieux et auquel on mélange parfois d'autres choses
précieuses. En cela nous apprenons que les choses qui sont les plus précieuses
à nos yeux, nous devons les offrir à Dieu -Je t'offrirai de gras holocaustes
avec la fumée des béliers2. - Maudit soit le fourbe qui possède dans
son troupeau un mâle et qui, pour faire un vœu, offre au Seigneur une bête
avariée3.
6. Tb 4, 9.
7. Ct 1, 12.
Par rapport à
l'hommage rendu par Marie, remarque d'abord son humilité : elle OIGNIT LES
PIEDS DE JÉSUS en se jetant à ses pieds - Nous adorerons dans le lieu où se
sont arrêtés ses pieds4. Puis sa soumission aimante (devotio5), car elle LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX pour offrir en quelque sorte
l'hommage de sa propre personne -Présentez vos membres comme des armes de
justice au service de Dieu6.
L'effet de son
hommage au Christ est ensuite montré quand il est dit : ET LA MAISON
S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM ; cela nous indique la bonté du
parfum dont l'odeur a rempli toute la maison - Nous courrons à l'odeur de
tes parfums7.
1. Tractatus in Iohannis Evangelium, L, 6, ΒΑ 73Β, p. 267-269. Voir aussi saint Jérôme, Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7.) SC 259, p. 237 : « Un autre Évangéliste [que Matthieu] a
mis "du nard pur" (pistica),
c'est-à-dire authentique, non falsifié, pour figurer la foi de l'Église et des Gentils ».
2. Ps 65, 15.
3. Ml 1, 14
4. Ps 131,7.
5. Sur le sens du mot devotio,
voir vo1. I, n° 843, note 5, et n°
1391, note 6.
6-Rm 6, 13.
7. Ct 1, 3 (verset propre à la Vulgate).
1597. Quant à savoir
si la femme dont on dit ici qu'elle a oint le Seigneur est la même que celle
dont il est question dans Luc, Matthieu et Marc8, cela est mis en doute.
Selon Jérôme9 et
Chrysostome10, beaucoup pensent que la femme pécheresse
dont parle Luc ne serait pas Marie, la sœur de Lazare, dont il est dit qu'elle
a oint le Seigneur.
Origène11,
lui, ajoute que ce ne serait même pas la même femme que celle dont parlent
Matthieu et Marc mais encore une troisième : et cela, il veut le prouver
de trois manières. Premièrement d'après le temps : en effet, celle-ci a
oint le Seigneur avant les six jours de la Pâque, et celle dont parlent
Matthieu et Marc, moins de deux jours avant la Pâque. De fait, juste avant,
Matthieu précise que le Seigneur avait dit : Vous savez que la Pâque
tombe dans deux jours 12. Et Marc : La Pâque et les Azymes
allaient avoir lieu deux jours plus tard13. Deuxièmement d'après le lieu : en effet, au sujet de cette
femme-là nous lisons qu'elle a oint le Seigneur dans la maison de Simon le
lépreux ; or il est montré ici que cela s'est produit dans la maison de
Marthe, puisqu'il est dit que Marthe servait, comme le dit aussi Augustin.
Troisièmement d'après le fait lui-même : on lit que cette femme-là a
parfumé la tête du Seigneur et celle-ci ses pieds.
Cependant selon
Augustin14 et Grégoire 15, c'est une seule et même femme qui,
rapportent les quatre Évangélistes, a oint le Seigneur, mais elle l'a fait deux
fois.
8. Cf. Le 7,
37 ; Mt 26, 7 ; Me 14, 3.
9. Commentaire
sur Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7), SC 259, p. 236.
10. In Matthaeum homiliae, LXXXI, 1, PG 58, co1.
723.
11. Commentaria in Evangelium secundum Matthaeum, LXXVII,
GCS 38, p. 178-183.
12. Mt 26, 2.
13. Me 14, 1.
14. De consensu Evangelistarum, II, 79, 154, PL
34, co1. 1154-1155.
15. XL homiliarum in Evangelia libri duo, II,
hom. 33, 1, PL 76, co1. 1239 C.
Une première fois au
début de sa conversion, au temps de la prédication du Christ - ce que rapporte
Luc * ; et une deuxième fois, alors que la Passion du Christ était
imminente - ce que rapportent les trois autres Évangélistes. C'est donc le même
fait qui est raconté ici et que l'on trouve dans Matthieu et Marc2.
Pour répondre à la
première objection qui montre la discordance de temps, il faut dire, selon
Augustin, que Jean garde l'ordre historique, alors que Matthieu et Marc placent
ce fait, à la manière d'un souvenir, juste avant la trahison de Judas dont on
croit qu'il a été l'occasion.
Quant à l'objection
concernant le lieu, on peut comprendre que la maison de Simon le lépreux serait
aussi celle de Marie et de Marthe dont Simon aurait été le chef de famille, et
qu'il était appelé « le lépreux » parce qu'il avait d'abord été
lépreux et avait été guéri par le Christ.
À la troisième
objection au sujet du fait lui-même, il faut répondre, selon Augustin, que la
femme a parfumé à la fois les pieds et la tête du Seigneur.
1598. Et si
quelqu'un fait une objection à ce que dit Marc, à savoir que, ayant brisé le
flacon, elle versa le parfum sur la tête de Jésus alors qu'il était à table, on
peut répondre de deux manières.
D'une première
manière, qu'il ne fut pas brisé sans qu'il en soit resté de quoi lui oindre
aussi les pieds. D'une autre manière, on peut dire qu'elle a d'abord oint ses
pieds et qu'ensuite, après avoir brisé le flacon, elle a versé tout le reste
sur sa tête3.
1599. Selon le
mystère, la livre de parfum que Marie a prise signifie une œuvre de justice4 :
en effet, c'est à la justice qu'il appartient de mesurer et de peser les
réalités singulières - Leur poids sera égal par rapport à la mesure du kor5. Or une œuvre de justice
doit être parfaite, grâce à l'apport de quatre vertus. Premièrement la piété,
et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : DE PARFUM. Le parfum, parce qu'il
adoucit, signifie la miséricorde - Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas fait
miséricorde6. Deuxièmement l'humilité, et c'est pourquoi il dit : D'UN NARD. Le
nard, étant une herbe de petite taille, signifie l'humilité - Humilie-toi en
toutes choses d'autant plus que tu es grand7. Troisièmement la fidélité, et c'est pourquoi il dit : PUR,
c'est-à-dire fidèle (fidelis) - Mon juste vivra par la foi (fide) 8.
Quatrièmement la charité : DE GRAND PRIX, car seule la charité garantit le
prix de la vie éternelle - Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres (...) si
je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien9.
C'est bien par une
œuvre de justice que les pieds de Jésus sont oints, ainsi que sa tête. Par ses
pieds nous entendons le mystère de son humanité et par sa tête sa divinité,
selon ce passage de la première épître aux Corinthiens : La tête du
Christ est Dieu10, pour que celui qui vénère sa divinité et
son humanité comprenne qu'il doit oindre et la tête et les pieds du Christ. Ou
bien par sa tête nous pouvons entendre la personne même du Christ, selon ce
passage de l'épître aux Éphésiens : Il
l'a établi tête sur toute l'Église \ Et par ses pieds, les fidèles du Christ, dont Matthieu
dit : Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits
de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait2. Et
Isaïe : Qu'ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui
annonce et proclame la
paix !3 Ainsi, celui qui vénère le Christ lui-même
oint la tête du Christ et celui qui honore ses fidèles oint ses pieds. Et parce
que les cheveux sont produits par surabondance, les pieds du Seigneur sont
essuyés avec les cheveux, puisque quelqu'un subvient au manque de ses proches
en prenant de son superflu - Donnez
plutôt en aumônes ce que vous avez en trop4. C'est pourquoi Augustin5 dit : « Si tu as du superflu,
donne-le aux pauvres, et tu as essuyé les pieds du Seigneur. » D'autre
part, à travers les paroles suivantes : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR
DU PARFUM, il est signifié que, grâce aux œuvres de justice, la bonne renommée
remplit toute l'Église - Par nous, il répand en tout lieu le parfum de sa connaissance : car nous sommes
la bonne odeur du Christ6.
1. Cf. Lc7, 37.
2. Cf. Mt 26 ; Me 14.
3. Saint Thomas poursuit les remarques que saint Augustin propose
pour identifier la sœur de Lazare et la femme pécheresse (De consensu
Évangelistarum, II, 79, 155, PL 34).
4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., L, 6, BA 73B, p. 267.
5. Ez 45, 11. Le kor (l'homer ou le muid) est une ancienne unité de mesure - C'est à partir du kor que
les mesures seront fixées (Ez 45, 11) - prise pour les liquides, les grains
et diverses matières, et dont la contenance variait selon les pays et les
marchandises. Cela explique la diversité des notes dans les différentes
traductions bibliques. Ainsi la Bible de Jérusalem donne pour le kor (ou homer
ou muid) la contenance de 450 litres. Par contre la Bible du chanoine Osty
donne pour le kor la contenance de 364 litres. Il faut noter le 1/2 kor, le
livek, 225 ou 182 litres, et le 1/10 kor, l'épha ou le bat, 45 ou 36,4 litres.
Le verset 11 de ce passage d'Ézéchiel est souvent traduit ainsi : « Leur poids sera égal à la
mesure du kor. Que la mesure contienne un dixième de kor et le boisseau un
dixième de kor. C'est à partir du kor que les mesures seront fixées »,
traduction où le boisseau et la mesure représentent l'épha, le 1/10 du kor. Il est
peut-être intéressant de noter que le kor représentait la charge que pouvait
porter un âne. Dans ce passage d'Ézéchiel, Yahvé invite son peuple à la
justice : il l'exhorte à avoir des mesures justes.
6. Je 2, 13.
7. Si 3, 20.
8. Ha 2, 4.
9. 1 Co 13, 3.
10. 1 Co 11, 3.
La jalousie du
traître.
ALORS L'UN DE SES DISCIPLES, JUDAS ISCARIOTE, CELUI QUI
ALLAIT LE LIVRER, DIT : « POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU
TROIS CENTS DENIERS QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES ? » OR IL DIT
CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, ET
QUE TENANT LA BOURSE, IL DÉROBAIT CE QU'ON Y METTAIT. JÉSUS DIT DONC :
« LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE
PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS
NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. » (12, 4-8)
1600. Puis nous est
montrée la jalousie du traître que le service dont nous venons de parler [le
geste de Marie] a suscitée. Et cela de deux manières : l'Évangéliste
montre d'abord la jalousie du traître, puis la correction de cette jalousie [n°
1607].
1. Ep 1, 22.
2. Mt 25, 40.
3. Is 52, 7.
4. Lc 11, 41.
5. Tract, in Io., L, 6, ΒΑ 73B, p.
269.
6. 2 Co 2, 14-15. Voir vo1. I, n°
1546, note 4.
I
Il montre la
jalousie du traître d'abord en décrivant sa personne, puis en exposant ses
paroles [n° 1602], et enfin en manifestant la malice de son intention [n°
1603].
Sa personne
1601. Sa personne
est manifestée par trois choses. En premier lieu par sa dignité, lorsqu'il est
dit : ALORS L'UN DE SES DISCIPLES (...) DIT, pour montrer que personne,
quelle que soit l'excellence en laquelle il a été établi, ne doit présumer de
lui-même, car il est dit dans Job : Chez ses anges il a trouvé une faute7.
7. Jb 4, 18. Saint Thomas commente : « Et assurément
cette phrase est tout à fait selon l'enseignement de la foi catholique. La foi
catholique soutient en effet que tous les anges ont été créés bons, mais que
certains par leur propre faute sont déchus de leur état de rectitude, alors que d'autres sont
parvenus à une gloire plus grande. Le fait que des anges soient tombés de cet
état de rectitude paraît étonnant pour deux raisons, dont l'une concerne leur
capacité de contempler et l'autre leur capacité d'agir. » Quant à leur
capacité de contempler, saint Thomas ajoute : « Comme les anges
paraissent adhérer à Dieu plus que les autres créatures, et de manière plus
proche en tant qu'ils le contemplent avec plus de pénétration, ils semblent
plus stables que les autres créatures, et cependant ils ne furent pas stables.
Aussi les créatures inférieures - c'est-à-dire les hommes -, si liées
soient-elles à Dieu dans le culte qu'elles lui rendent - qui est de le servir
-, peuvent-elles encore moins être tenues pour stables » (Exp. super
lob, 4, 18, p. 31-32, 1. 411-440).
En second lieu par
son nom : JUDAS ISCARIOTE. Or Judas signifie « celui qui confesse
* », pour signifier qu'outre la confession2 qui relève de la vertu et dont il est dit
dans l'épître aux Romains : La confession des lèvres se fait en vue du salut3, il y a une certaine confession blâmable et
intéressée dont parle le psaume : Il
te confessera (flattera) lorsque tu lui auras
fait du bien4.
En troisième lieu
par son crime : CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER - Celui qui mangeait mon
pain a levé le talon contre moi5.
Ses paroles
POURQUOI CE PARFUM
N'A-T-IL PAS ETE VENDU TROIS CENTS DENIERS QU'ON AURAIT DONNÉS AUX
PAUVRES ?
1602. Ensuite sont
exposées les paroles mêmes de Judas, à partir desquelles il nous est montré
qu'à la bonne odeur du parfum il était mort spirituellement6,
selon ce passage de la deuxième épître aux Corinthiens : Nous sommes la
bonne odeur du Christ : pour les uns, une odeur de mort qui conduit à la
mort ; pour les autres, une odeur de vie qui conduit à la vie1. Il lui déplaisait en effet que le parfum n'ait pas été vendu, mais
répandu en hommage au Christ ; c'est pour cette raison qu'il dit :
POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS DENIERS ? Mais comme
il est dit, les ministres de Satan se déguisent en ministres de justice8.
Voilà pourquoi il cachait son iniquité sous une apparence de piété9, en
disant : QU'ON AURAIT DONNÉS AUX
PAUVRES - Son cœur fait l'iniquité pour feindre et pour parler à Dieu en le
trompant d'une manière fourbe10.
1. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag.
61, 27-28), CCL, vo1. LXXII,
p. 136.
2. Saint Thomas,
dans la Somme théologique, distingue l'acte intérieur de la foi et son
acte extérieur, qui est la confession de foi. Citant un passage de l'épître aux
Romains (10, 10), il montre que « la confession de foi n'est pas de
nécessité de salut à tout moment et en tout lieu », mais qu'elle est
nécessaire « quand, par omission de cette confession, on soustrairait à
Dieu l'honneur qui lui est dû, ou on priverait le prochain de l'utilité qu'on
doit lui procurer » (II-II, q. 3, a. 2, c).
3. Rm 10, 10.
4. Ps 48, 19. Voir
vo1. I, n° 893, note 2.
5. Ps 40, 10.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., L,
8, BA 73B, p. 273 : « Si
tu as aimé celui qui fait le bien, la bonne odeur t'a fait vivre ; si tu
as jalousé celui qui fait le bien, la bonne odeur te fera mourir », et loc.
cit., 10, BA 73B, p. 277 :
« Pierre et Judas reçurent le même pain [eucharistique], et cependant qu'y
a-t-il de commun entre le fidèle et l'infidèle ? (2 Co 6, 15) Pierre
en effet reçut ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Il en va en effet de
cette bonne nourriture comme de cette bonne odeur : comme la bonne odeur,
la bonne nourriture donne elle aussi la vie aux bons et la mort aux méchants.
En effet, celui qui la mange indignement mange et boit sa propre
condamnation (1 Co 11, 29) ». 7.2 Co 2, 15-16.
1603. Aussi
l'Évangéliste met-il à découvert l'intention trompeuse de Judas en
ajoutant : OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES. En
effet il ne se souciait pas de leur venir en aide, parce que, comme il est dit
dans les Proverbes : Les entrailles des impies sont cruelles11 ; MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, il avait l'habitude de voler et
déplorait que l'occasion de voler lui ait été enlevée par l'effusion du
parfum ; et c'est par cette avarice qu'il a été conduit à la trahison. Il
est dit en effet dans l'Ecclésiastique :
Pour l'avare, rien n'est trop criminel12. - Le voleur ne vient que pour voler, et
pour mettre à mort et pour perdre 13.
Du fait donc qu'il
avait l'habitude de voler, l'Évangéliste ajoute cette explication : ET QUE
TENANT LA BOURSE, c'est-à-dire établi gardien de la bourse du Seigneur, il
portait avec lui, en raison de son service, CE QU'ON Y METTAIT, les dons des
fidèles destinés à l'usage du Christ et des pauvres, mais il les emportait en
voleur.
8. Cf. 2 Co 11, 15.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem homiliae, LXV, 2, PG 59, co1. 362.
10. Is 32, 6.
11. Pr 12, 10.
12. Si 10, 9
(verset propre à la Vulgate). 13. Jn 10, 10.
1604. Ici on
remarque deux choses. Premièrement, le fait que le Christ vivait d'aumônes,
comme un pauvre - Et moi je suis mendiant et pauvre1. Deuxièmement, que ce n'est pas un manque de perfection que de garder
des aumônes en réserve ; c'est pourquoi, ce qui est dit dans Matthieu : Ne
vous inquiétez pas du lendemain2, ne signifie pas qu'il ne faut rien garder
en réserve pour le lendemain, puisque le Seigneur a fait cela, lui qui fut le
modèle souverain de la perfection.
1605. Mais,
demande-t-on, pourquoi le Seigneur a-t-il confié à Judas la garde de la bourse,
alors qu'il le savait voleur ?
À cela il faut
répondre de trois manières. D'abord, selon Augustin3, le Christ a fait cela pour que son Église,
lorsqu'elle a à souffrir de voleurs, les supporte : car celui qui n'a pas
pu supporter les mauvais n'est pas
bon - Comme le lis entre les chardons, ainsi est ma bien-aimée entre les
jeunes femmes*. D'autre part, le Seigneur lui a confié la
bourse pour lui enlever une occasion de trahison, puisqu'il avait avec la
bourse de quoi apaiser sa convoitise5 ; mais, comme il est dit dans
l'Ecclésiaste : L'avare ne se rassasiera pas d'argent6. Enfin, selon d'autres7, c'est pour enseigner que les choses
spirituelles doivent être confiées aux plus grands mais les choses temporelles
aux moins dignes ; c'est pourquoi les Apôtres ont dit : Il ne
sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour
servir aux tables8,
mais ont confié ce service à l'un des sept diacres.
1. Ps 39, 18.
2. Mt 6, 34.
3. Tract, in Io., L, 11, BA 73B, p.
279.
4. Ct 2, 2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, co1. 363.
6. Qo 5, 9.
7. Cf. ThÉophylacte, Enarratio
in Évangelium S. Ioannis. In h. toc-, PG 124, co1. 118 D.
1606. On se demande
aussi comment il est dit ici que seul Judas a fait une remarque sur ce parfum
répandu, alors que d'après Matthieu ce sont des disciples.
Mais là il faut dire9 que
Matthieu emploie le pluriel à la place du singulier, de même qu'il est dit : Ils sont morts,
ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant10. Ou bien on peut dire11 que
d'abord Judas a murmuré et que, à cause de lui, les autres ensuite ont été
poussés à proférer des paroles semblables, bien que n'ayant pas la même
intention.
II
JESUS DIT DONC : « LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE JOUR
DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS
LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. »
(12, 7-8)
1607. Après avoir
exposé la jalousie du traître à cause de l'hommage de la femme, l'Évangéliste
montre ici la correction de cette jalousie : d'abord le Seigneur repousse
l'accusation calomnieuse que Judas avait portée contre la femme ; puis il
exclut la raison pieuse que ce même Judas avait prétendue [n° 1610].
8. Ac 6, 2.
9. Cf. saint Jérôme, Commentaire sur Saint
Matthieu, TV, 7 (26, 8), SC 259, p. 237-239. Saint Jérôme nomme cette
construction syllepsis ; en fait, il s'agit de la synecdoque, « figure
de rhétorique qui consiste à prendre le plus pour le moins, la matière pour
l'objet, l'espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le
plurie1... ou inversement » (P. Robert, Dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française, t. 6, Art. Synecdoque, Le Nouveau
Littré, Paris, 1980).
10. Mt 2, 20.
11. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXV, 2, PG 59, co1. 363 ; saint
Augustin, De consensu Evangelistarum, II, 79, 156, PL 34, co1.
1155-1156.
1608. Il dit
donc : LAISSEZ-LA, c'est-à-dire : ne l'empêchez pas1. Il
faut savoir en effet que beaucoup de bonnes œuvres sont accomplies, que nous
n'aurions pas conseillé de faire si on nous avait demandé conseil auparavant,
parce que peut-être elles auraient pu être meilleures ; cependant, une
fois qu'elles ont été commencées, pourvu qu'elles soient bonnes, on ne doit pas
les empêcher. Et comme le dit Chrysostome2, Jésus, avant que la femme eût répandu le
parfum, aurait peut-être plutôt choisi qu'il fut donné aux pauvres ; mais
puisque cela avait déjà été fait, il arrête ceux qui l'en empêchent, en
disant : LAISSEZ-LA - N'empêchez pas celui qui fait le bien ; et
si tu le peux, toi-même jais le bien3.
Et il ajoute :
C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM : ici,
il annonce pour la première fois l'imminence de sa mort et l'hommage que cette
femme aurait été prête à lui rendre pour son ensevelissement, si elle n'avait
été devancée par la prompte Résurrection du Christ : en effet, comme on le
lit dans Marc4, Marie-Madeleine ainsi que d'autres femmes
achetèrent des aromates pour aller oindre Jésus. C'est pourquoi il dit :
C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM,
c'est-à-dire non pas celui qui a été répandu mais un parfum semblable soit par
l'espèce, soit par le genre, soit par l'usage qui en a été fait, comme s'il
disait : ne l'empêchez pas de faire pour moi tant que je vis ce qu'elle ne
pourra pas faire quand je serai mort ; car, comme il a été dit, elle a été
devancée par la prompte Résurrection du Christ5. Et cela est exprimé davantage dans
Marc : D'avance elle a parfumé mon corps pour l’ ensevelissement0.
1. Saint Thomas commente ainsi la réponse semblable de Jésus en Mt
26, 10 : « Le Seigneur est toujours l'avocat de cette femme et, quand
le pharisien l'accusait de péché - Si cet homme était un prophète, il saurait qui est vraiment cette
femme qui le touche et ce qu'elle est (Le 7, 39) -, le Seigneur l'a
excusée au nom de l'amour (dilectio). De même aussi, Marthe l'accusait
d'être oisive, et le Seigneur l'a excusée au nom de la contemplation. Ici les
disciples [l'accusent] de répandre ce parfum et le Seigneur l'excuse en raison
de la ferveur de son amour (devotio)
- Pourquoi tracassez-vous cette femme ? - Vous vous ruez sur l'orphelin et
vous vous efforcez de détruire votre ami (Jb 6, 27) » (Sup.
Matth. lect., XXVI, n° 2136).
2. In Matthaeum hom., LXXX,
2, PG 58, co1. 726.
3. Pr 3, 27.
4. Cf. Me 16, 1.
1609. Mais a-t-elle
pressenti la mort du Christ ? Il faut dire que non : en effet elle
n'avait pas l'intelligence de ce qu'elle faisait ; mais elle a été
mue par un certain « instinct7 » intérieur8 à faire cela. Car souvent certains sont
poussés à faire quelque chose qu'ils ne comprennent pas, comme Caïphe, plus
haut9. C'est pourquoi ces choses-là sont appelées présages en tant qu'elles
se produisent avant les faits [qu'elles annoncent].
LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS,
MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.
1610. Ensuite il
exclut la raison pieuse prétendue par Judas - Pourquoi ce parfum n'a-t-il
pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés aux pauvres ? C'est
bien à cause de cela que le Seigneur ajoute : LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS
LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS.
Ici, il faut savoir
que parfois il faut faire ce qui est moins nécessaire, s'il reste l'occasion
d'accomplir ce qui est plus nécessaire, surtout si l'occasion de faire ce qui est moins nécessaire va nous être
retirée. Et, pour cette raison, bien qu'il fût plus nécessaire que ce parfum
fût donné aux pauvres, plutôt que d'en oindre les pieds de Jésus, cependant
puisque cela peut encore être fait, vu que les pauvres, nous les aurons
toujours avec nous, le Seigneur a permis que fût accompli ce qui était moins
nécessaire.
5. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., V, 28, PL 100,
co1. 908.
6. Me 14, 8.
7. Sur l'usage que fait ici saint Thomas du mot instinctus, voir
vo1. I, n° 1577, note 4.
8. Ailleurs saint Thomas commente : « Avait-elle l'intention
d'ensevelir le Christ ? Non. Mais, comme le dit Augustin, l'Esprit Saint,
de même qu'il meut à parler, meut parfois à agir - Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu ne sont plus
sous la Loi (Rm 8, 14).
C'est pourquoi
il peut arriver que l'Esprit Saint incline quelqu'un à faire quelque chose qui
n'était pas son intention. Ainsi, l'intention de Marie-Madeleine était celle
d'une œuvre bonne, mais l'Esprit Saint ordonnait cette œuvre à la sépulture du
Christ » (Sup. Matth. lect., XXVI, n°2138).
9. Voir Jn 11, 49-52.
Et dans ce qu'il dit
- LES PAUVRES, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS - il laisse entendre la
familiarité 1 que les riches doivent avoir envers les
pauvres - Fais-toi aimer
de la communauté des pauvres2.
MAIS MOI, VOUS NE
M'AUREZ PAS TOUJOURS.
1611. Cela semble
aller à rencontre de ce qu'il dit dans Matthieu : Et moi, je suis avec
vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles3.
Je réponds que,
selon saint Augustin4, le Seigneur, en disant : MAIS MOI VOUS
NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, parlait de la présence de son corps, en tant qu'il
apparaît sous la forme avec laquelle il s'élèverait dans le ciel - De
nouveau, je quitte le monde5. Mais quant à la présence de sa divinité, il est toujours avec
nous ; et de même d'une manière sacramentelle dans l'Église.
Ou bien on peut
répondre autrement6, en disant que le Seigneur, lorsqu'il dit
cela, entend la présence de sa divinité. En effet, certains semblent avoir le
Christ spirituellement soit dans le sacrement, soit dans la confession de la
foi, qui cependant ne sont pas destinés à l'avoir toujours, puisqu'ils sont
d'Église seulement quant au nombre mais pas quant au mérite - et tels sont les
esclaves. Les fils, eux, sont destinés à l'avoir toujours : car, comme il
est dit plus haut : Le fils demeure dans la maison pour l'éternité1. Il dit donc à Judas : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS parce
que tu t'en es rendu indigne. En cela, comme le dit Chrysostome, le Seigneur
réprimande Judas : en effet, en ayant mal supporté cet hommage rendu au
Christ, il semble être accablé par la présence du Christ ; et c'est
pourquoi le Christ dit : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, comme
s'il disait : je suis gênant et pesant pour toi, mais attends un peu et je
m'en irai.
1612. Ensuite
l'Évangéliste montre comment Jésus a été glorifié par la foule des Juifs :
premièrement par la foule qui venait le voir ; deuxièmement par la foule
qui s'avançait à sa rencontre [n° 1616].
1. Sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5.
2. Si 4, 7.
3. Mt 28, 20.
4. Tract, in Io., L, 13, BA
73B, p. 283-285. La deuxième
explication sera elle aussi reprise au commentaire de saint Augustin, <*·
12, p. 281-283.
5. Jn 16, 28.
6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG
59, co1. 363. 7. Jn 8, 35.
LES OCCASIONS DE LA
PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST
Le Christ glorifié
par la foule venue pour le voir.
LA GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LÀ ET ILS VINRENT,
NON À CAUSE DE JÉSUS SEULEMENT, MAIS POUR VOIR LAZARE, QU'IL AVAIT RELEVÉ
D'ENTRE LES MORTS. LES PRINCES DES PRÊTRES DÉCIDÈRENT DE TUER AUSSI LAZARE,
PARCE QUE BEAUCOUP DE JUIFS S'EN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS.
(12,9-11)
II montre d'abord la
dévotion x de la foule qui vient voir le Christ, puis comment la jalousie extrême
des pharisiens s'excite [n° 1614].
1613. L'Évangéliste
montre d'abord la venue de la foule, puis l'occasion de cette venue.
À propos de la venue
de la foule, il dit : LA GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LÀ [à
Béthanie] ET ILS VINRENT, - ce à quoi le Seigneur invite : Venez à moi,
vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le
repos2. Et c'est pourquoi, là où nous savons qu'il est, nous devons nous rendre
en toute hâte.
La cause de cette
venue est double. Ils venaient pour jouir de la vue du Christ et de son
enseignement, et aussi POUR VOIR LAZARE, et cela pour deux raisons. D'abord,
parce que ce qui lui était arrivé, dans la mesure où il a été relevé d'entre
les morts après avoir passé quatre jours dans le tombeau, était très
admirable ; et cela, les hommes désirent le voir - Admirables tes œuvres,
et mon âme les connaîtra bien3, c'est-à-dire : elle se donnera de la
peine pour les connaître. Deuxièmement parce que, Lazare ayant été ramené à la
vie, ils espéraient entendre quelque chose sur l'autre vie et pouvoir en
juger ; et le désir de cette connaissance est inné chez les hommes4, et
cela va contre ce que disent les sots : Courte et ennuyeuse est notre
vie, et il n'est pas de bonheur éternel à la fin de l'homme ; et on ne
connaît personne qui soit revenu des enfers5. Voici en effet que Lazare, qu'il a relevé d'entre les morts, est revenu
des enfers.
1614. D'autre part,
l'Évangéliste montre la jalousie extrême des pharisiens envieux, en
disant : LES PRINCES DES PRÊTRES DÉCIDÈRENT DE TUER AUSSI LAZARE, en quoi
ils semblaient aller contre Dieu : lui-même, en effet, rendait la vie à
Lazare, et eux voulaient le tuer -11 a couru contre Dieu le cou tendu0. Or voici la raison de cette jalousie : PARCE QUE BEAUCOUP DE JUIFS
S'EN ALLAIENT À CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS.
1615. Cependant le
Christ en avait guéri beaucoup, par exemple le paralytique 7,
l'aveugle8 ; pourquoi donc voulaient-ils tuer
seulement Lazare ?
Chrysostome9
donne à cela quatre raisons : l'une est que ce miracle était plus
manifeste, ayant été réalisé devant beaucoup de monde, et qu'il était
inconcevable de voir un homme mort depuis quatre jours marcher et parler. Une
autre, que Lazare était une personne illustre mais l'aveugle quelqu'un
d'inconnu, et c'est pourquoi ils l'ont chassé du Temple. La troisième raison
est que ce miracle a été fait alors que la fête était toute proche, quand tout
le peuple des Juifs, se rassemblant pour le jour de la fête, était dans
l'admiration et que quittant la fête, ils venaient à
1. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5
et n° 1391, note 6.
2. Mt 11, 28. 3.Ps 138, 14.
4. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, co1. 119.
5. Sg 2, 1. 6.Jb 15, 26.
7. Cf. Jn 5, 1-9.
8. Cf. Jn 9, 1-7.
9. In Ioannem hom., LXVI, 1,
PG 59, co1. 365-366.
Béthanie. La
quatrième est que pour les autres miracles du Christ ils s'efforçaient de
l'accuser de violer le sabbat et, par là, essayaient de détourner de lui les
foules, mais qu'ici ils ne pouvaient rien faire de te1. Voilà pourquoi, parce
qu'ils n'avaient rien à reprocher à Jésus, ils ont entrepris quelque chose
contre Lazare, comme si c'était le moyen le plus puissant de dissimuler
le miracle - Leurs pieds courent vers le mal et ils ont hâte de répandre le
sang1.
Le Christ glorifié par la foule se portant à sa
rencontre.
1616. Ici nous est
montrée la dévotion de la foule qui s'avance à la rencontre du Christ :
d'abord le mouvement de la foule, puis la jalousie des pharisiens [n° 1630].
I
L'Évangéliste montre
premièrement le mouvement de la foule, puis l'arrivée du Seigneur [n° 1625], et
enfin la cause de ce mouvement [n° 1629].
LE LENDEMAIN, LA FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE
JOUR DE LA FÊTE, AYANT APPRIS QUE JÉSUS VENAIT À JÉRUSALEM, PRIT DES RAMEAUX DE
PALMIERS ET SORTIT AU-DEVANT DE LUI ; ET ILS CRIAIENT :
« HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI
D'ISRAËL ! » (12, 12-13)
1617. Ce mouvement
est décrit sous quatre aspects. Premièrement, le moment où il a lieu : LE
LENDEMAIN, c'est-à-dire à partir du jour dont il avait dit : AVANT LES SIX
JOURS DE LA PÂQUE, ce qui correspond au dixième jour du mois. Et cela s'accorde
avec la préfiguration où il est dit que c'était le dixième jour du mois qu'il
fallait se procurer l'agneau pascal pour l'immoler le quatorzième jour au soir2.
1618. Deuxièmement,
la description porte sur les personnes qui vont à la rencontre du Christ : LA
FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE JOUR DE LA FÊTE. Par là est signifiée
la multitude des peuples qui devaient se convertir au Christ - L'assemblée des peuples t'environnera 3. Or l'Évangéliste dit POUR LE JOUR DE LA
FÊTE, parce que les fidèles se convertissent au Christ pour parvenir au jour de
la fête de la Jérusalem céleste - Beaucoup viendront de l'Orient et de
l'Occident et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume
des deux4.
1619. Troisièmement
on en vient au motif du mouvement de la foule : le fait qu'elle a entendu
dire que Jésus arrivait. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : AYANT APPRIS
QUE JÉSUS VENAIT À JÉRUSALEM. En effet, tous les fidèles se convertissent au Christ
à cause de ce qu'ils ont entendu - La foi vient de l'audition, et l'audition
par la parole du Christ5. - Les fils d'Israël apprirent que le Seigneur les avait visités, et
le peuple crut1.
l-Pr 1, 16.
2. Cf. Ex 12, 3 sq. Voir ci-dessus, n° 1589,
note 2, p. 44.
3. Ps 7, 8.
4. Mt 8, 11.
5. Rm 10, 17. Saint Thomas a déjà souvent cité dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean ce passage de l'épître aux Romains : La
foi vient de l'audition. Il a d'abord montré comment saint Jean est
attentif au fait que Jésus s'est révélé aux Apôtres et à d'autres par le
témoignage de Jean Baptiste (Jn 1, 15, voir vo1. I, n° 191). Ce témoignage est
plein de ferveur et d'ardeur (n° 193), il est continu (n° 195), il conduit à la
rencontre avec le Christ (nos 196-199). Puis, à la suite de saint
Jean, saint Thomas montre que ce sont les paroles de la Samaritaine qui sont
source de conversion pour son entourage Qn 4, 39, n° 657). Il précise cependant
que si « ce qui conduit à la foi, c'est la parole de l'homme (...) nous
sommes amenés par la parole de l'homme à croire, non à l'homme qui parle, mais
à Dieu dont il dit les paroles » (n° 773). Parmi toutes ces paroles qui
conduisent à la foi, c'est la parole du Christ qui a la plus grande
efficacité : La foi vient de l'audition, et l'audition par la parole du
Christ. Saint Thomas, en commentant cette parole du Christ : Si
vous demeurez dans ma parole vous serez vraiment mes disciples (Jn 8, 31),
explique que cette parole exige de nous trois choses : la promptitude pour
l'écouter, la foi pour croire, et un amour fervent (n° 1195). Dans son traité
sur l'Incarnation (Somme théo1., III, q. 1-26), il montre que du fait de
l'Incarnation « notre foi devient plus certaine puisque c'est Dieu
lui-même qui parle et à qui elle adhère : "Pour que l'homme, dit
Augustin, marchât vers la vérité avec plus d'assurance, le Fils de Dieu qui est
la Vérité même a, en se faisant homme, constitué les fondements de notre
foi"« (loc. cit., q. 1, a. 2, c.)· Voir aussi Ad Rom. lect., X,
n° 844, cité dans le vo1. I, n° 657, note 1.
1620. En quatrième
lieu, le mouvement de la foule est décrit selon la manière dont il s'est
produit : d'abord par rapport à ce que la foule a fait, puisqu'elle PRIT
DES RAMEAUX DE PALMIERS. Or la palme, parce qu'elle garde sa verdeur, signifie
la victoire, c'est pourquoi chez les anciens elle était donnée aux vainqueurs
en signe de victoire.
Et nous lisons dans
l'Apocalypse, au sujet des martyrs qui ont remporté la victoire, qu'ils tenaient des palmes dans
leurs mains2. Les rameaux de palmiers sont donc, selon Augustin3, les
louanges exprimant la victoire par laquelle le Seigneur, en mourant, allait
vaincre la mort et, par la victoire de la Croix, triompher du diable, le prince
de la mort. ET SORTIT AU-DEVANT
DE LUI : Prépare-toi, Israël, à la rencontre de ton Dieu4.
1621. Puis quant à
ce que la foule a dit, puisqu'ILS CRIAIENT : « HOSANNA ! BÉNI
CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI D'ISRAËL ! » Ici, c'est
une demande et une louange. Une demande, assurément, puisqu'ils disent HOSANNA,
c'est-à-dire : « Sauve, je t'en prie. » Hosy signifie
« sauve » et anna signifie « je t'en prie ». Et,
selon Augustin5, ce n'est pas un verbe, mais l'interjection
de celui qui supplie. Or c'est
d'une manière droite qu'ils demandent à Dieu le salut puisque, comme il est dit dans Isaïe : Dieu lui-même
viendra et nous sauvera0 ; c'est aussi pourquoi le psaume disait : Réveille ta puissance
et viens7.
1. Ex 4, 31.
2. Ap 7, 9.
3. Tract, in Io., LI, 2, BA
73B, p. 291.
4. Am 4, 12.
5. Ibid. L'étymologie que saint Thomas rapporte du mot Hosanna
provient des Étymologies de saint
Isidore de Séville (Etymologiarum sive originum librì XX, VI,
XDC, 22-23), à travers le commentaire de SAINT BÈDE le VÉNÉRABLE (In Sancti Ioannis Evangelium Expositio, co1.
787 Β).
1622. C'est aussi
une louange, à deux points de vue : à savoir, à l'égard de son arrivée et
à l'égard de la puissance de sa royauté. Ils louent son arrivée en
disant : BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. Ici il faut savoir que
bénir, c'est dire du bien. C'est différemment que Dieu nous bénit et que nous
bénissons Dieu. En effet, Dieu, en nous bénissant, nous rend bons, car pour
lui, dire c'est faire - Lui-même
a dit, et tout a été fait8. Mais nous, en bénissant
Dieu, nous confessons sa bonté -
De la maison du Seigneur, nous vous bénissons9. - Béni soit qui te bénira 10.
6. Is 35, 4.
7. Ps 79, 3.
8. Ps 148, 5. Saint Thomas, en commentant l'évangile de saint
Jean, cite souvent ce verset de psaume (voir vo1. I, nos 135, 694,
719, 1310). C'est toujours pour rappeler l'action créatrice de Dieu,
toute-puissante, « effet du Verbe conçu dans l'Esprit divin » (voir
n° 135 et note 3). Mais ici, dans ce passage, en assumant la pensée
philosophique d'Aristote sur la découverte de l'existence de Dieu, substance
séparée (voir Métaphysique, A, ch. 6 à 10), saint Thomas met en lumière
la différence de l'Être de Dieu et de notre être humain. Dieu est l'Être
premier, tout à fait simple dans son être, en qui aucune composition n'existe,
ni celle des parties quantitatives, ni celle de la forme et de la matière, de
la nature et du sujet, de l'essence et de l'être, du genre et de la différence,
du sujet et des accidents (voir Somme théo1., I, q. 3). En lui, le dire,
la pensée, l'agir et l'être ne font qu'un. Dieu se suffit à lui-même. Il est
l'Acte pur, l’ipsum esse
subsistens, l’esse subsistant
par soi, Vesse non reçu donc infini. Il s'aime et se contemple
lui-même. Il est la Pensée de la pensée. Ainsi quand il nous bénit, il nous
rend bons ; quand il nous aime, il nous rend bons parce que son acte
d'aimer, de bénir, est substantie1. En nous, notre être est limité, second,
participé. Nous existons parfois sans penser et nous pensons parfois sans
parler ni agir. Notre être est l'être d'une créature. Il y aura toujours en
nous, même après notre mort, une distance entre notre substance créée et nos
opérations. Et nous avons constamment besoin de l'autre pour nous déterminer,
nous actuer. Quand nous aimons, c'est parce que l'autre, l'ami, dans son être,
dans sa bonté, nous attire, et ainsi détermine et actue notre capacité d'aimer
dans ce qu'elle a de plus radica1. Et nous ne rendons pas l'autre bon par notre
amour ; c'est le bien existant chez l'autre qui est source de notre amour
(voir Somme théo1., I, q. 20, a. 2, c).
9.Ps 117, 26. 10. Gn 27, 29.
BÉNI, donc, CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. En effet, le
Christ œuvrait au nom de Dieu ;
parce que toutes les œuvres qu'il faisait, il les ordonnait à la gloire de
Dieu. Mais puisque le Père est Seigneur et que le Fils aussi est Seigneur, AU
NOM DU SEIGNEUR peut se comprendre de deux manières. D'une première manière,
BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, à savoir : en son propre nom, en
tant qu'il est Seigneur - Le Seigneur est notre législateur1. Donc Moïse, en ce sens, n'est pas venu au nom du Seigneur, puisqu'il
est venu comme serviteur - Moïse a été fidèle, comme serviteur, dans toute
la maison [de Dieu], pour témoigner de ce qui devait être dit2. Mais selon Augustin3, il vaut mieux dire AU NOM DU SEIGNEUR,
c'est-à-dire du Père. Car c'est vers cela que ses paroles dirigent notre
intelligence - Moi je suis venu au nom de mon Père4. Or venir au nom du Père se dit en deux sens. D'abord, certes, en tant
qu'il vient comme Fils, ce qui fait comprendre « Père » ;
ensuite, en tant qu'il vient comme celui qui manifeste le Père -J'ai
manifesté ton nom aux hommes5.
1623. D'autre part,
ils louent la puissance de sa royauté lorsqu'ils disent : LE ROI D'ISRAË1.
En effet les Juifs, parce qu'ils en restaient à la lettre des Écritures,
croyaient qu'il était venu pour régner sur eux d'une manière temporelle et pour
les libérer de la servitude des Romains, et c'est pourquoi ils
l'applaudissaient comme roi - Π régnera en roi et il sera sage6. - Voici
que le roi régnera par la justice7.
1624. Mais il faut
savoir que toutes leurs paroles pouvaient venir des psaumes. En effet, alors
que le psaume disait : La pierre que les bâtisseurs ont rejetée,
celle-là est devenue la tête d'angle8, il est ajouté : Ô Seigneur, je t'en prie, donne-moi le
salut ! (...) Béni celui qui vient au nom du Seigneur9. Ici Jérôme, selon la vérité de l'hébreu, a transcrit :
HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR10.
Cependant, ce qu'ils ajoutent ensuite : LE ROI D'ISRAËL, ne se trouve pas
dans le psaume, où il est dit : Le Seigneur est Dieu, et il nous a
illuminés11. En cela, à cause de leur aveuglement, ils diminuent leur louange,
puisque le psaume le loue comme Dieu et eux comme un roi tempore1.
1. Is 33, 22.
2. He 3, 5.
3. Tract,
in Io., LI, 3, BA 73B, p. 291-293.
4. Jn5, 43.
5. Jn 17, 6.
6. Jr23, 5.
7. Is 32, 1.
ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS, COMME IL EST
ÉCRIT : « NE CRAINS PAS, FILLE DE SION : VOICI QUE TON ROI
VIENT, ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE. » CELA, SES DISCIPLES NE LE
COMPRIRENT PAS D'ABORD ; MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS ILS SE
SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI
AVAIT FAIT.
LA FOULE DONC RENDAIT TÉMOIGNAGE, CELLE QUI ÉTAIT AVEC LUI
LORSQU'IL APPELA LAZARE DU TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS. C'EST POUR
CELA AUSSI QUE LA FOULE VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS
QU'IL AVAIT FAIT CE SIGNE. (12, 14-18)
1625. L'Évangéliste
expose ici la venue du Seigneur. Il montre d'abord la manière dont il est
venu ; il introduit la prophétie [n° 1627], puis présente la disposition
des disciples à l'égard de ce fait [n° 1628].
8. Ps 117, 22.
9. Ps 117, 25-26.
10. Aucune édition de la Vulgate ne rend la formule hébraïque du
Ps 117 par Hosanna. Saint Jérôme aurait pu, selon saint Thomas, traduire
le texte de Jn 12, 13 en revenant à l'étymologie du mot Hosanna (« Sauve,
je t'en prie ! »). Pour rester proche de la parole hébraïque,
intégrée dans le Sanctus de la liturgie, il l'a laissée telle qu'on la
lit, simplement transcrite, dans le texte grec. On retrouve la même indication
dans le commentaire de saint Thomas (Sup. Matth. lect., XXI, n° 1693)
sur le passage parallèle de Matthieu (21, 9) s'appuyant là aussi sur
l'interprétation de saint Jérôme.
11. Ps 117, 27.
ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.
1626. Au sujet du
premier point, remarquons que l'Évangéliste Jean a écrit son Évangile après
tous les autres. Par conséquent il avait lu en entier et avec soin tous les
évangiles, et ce qui avait été davantage développé par les autres, lui-même l'a
rapporté succinctement, tandis que ce qu'ils avaient omis, lui l'a ajouté.
Aussi, puisqu'il est montré en détail dans les autres évangiles comment le Seigneur
envoya deux de ses disciples chercher un âne, Jean est passé brièvement sur ce
fait en disant : ET JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.
Or il faut savoir
que les actions du Christ sont comme intermédiaires entre les actions de
l'Ancien Testament et celles du Nouveau : pour cette raison, la foule qui
le précédait et celle qui le suivait le louaient l'une et l'autre, parce que
les actions du Christ sont la règle et l'exemple de celles qui sont accomplies
dans le Nouveau Testament et qu'elles ont été préfigurées par les pères de
l'Ancien Testament \
Quant à l'âne, qui
est un animal grossier, il représente le peuple des nations païennes, et Jésus
s'est assis dessus pour montrer que lui-même serait le Rédempteur des nations -
Je t'ai donné comme lumière aux nations pour que tu sois mon salut jusqu'aux
extrémités de la terre2. — Heureux vous qui
semez partout où il y a de l'eau, et laissez en liberté le pied du bœuf et de l'âne3, c'est-à-dire rassemblant dans l'unité de la foi le peuple juif et celui
des païens.
Matthieu, parce
qu'il a écrit son Évangile pour les Juifs, fait mention d'une ânesse, par
laquelle est signifiée la synagogue des Juifs, qui fut comme la mère des
nations dans les choses spirituelles, car de Sion sortira la loi, et
la parole du Seigneur de Jérusalem4. Mais les autres Évangélistes, parce qu'ils ont
écrit leurs évangiles pour les nations, ont aussi fait mention du petit de
l'ânesse.
1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVI, 1, PG
59, co1. 365-366.
2. Is 49, 6. Saint Thomas commente : « Je te glorifierai
dans un si grand ministère que par toi mon salut sera annoncé non seulement aux
Juifs mais à toutes les nations. Dieu est-il seulement le Dieu des
Juifs ? (Rm 3, 29). Cela convient parfaitement au Christ, qui par sa
prédication et l'anéantissement de la mort a produit peu de fruit chez les
Juifs mais a illuminé les nations et les a sauvées » (Exp. super
Isaiam, 49, 6, p. 202, 1. 55-63).
3. Is 32, 20.
COMME IL EST ÉCRIT : « NE CRAINS PAS, FILLE DE
SION : VOICI QUE TON ROI VIENT, ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE. »
1627. L'Évangéliste
introduit ensuite la prophétie écrite en Zacharie5, qui premièrement apporte l'apaisement, puis
promet la majesté royale et enfin ajoute l'utilité d'un roi.
Le prophète apporte
l'apaisement en disant : NE CRAINS PAS, FILLE DE SION. La citadelle de
Sion était à Jérusalem là où se trouvait la demeure du roi. La fille de Sion
est donc le peuple de Jérusalem et des Juifs qui étaient assujettis au roi de
Jérusalem. Il dit donc aux Juifs : NE CRAINS PAS, puisque le Seigneur est
ton défenseur - Qui es-tu pour craindre l'homme mortel ?6
- Le Seigneur est le défenseur de ma vie, devant qui tremblerais-je ?7 En cela l'Évangéliste exclut la crainte
mondaine et servile8.
Il promet la majesté
royale en disant : VOICI QUE TON ROI VIENT - Un tout-petit nous
a été donné9. - Il siégera
sur le trône de David et sur son royaume10.
4. Is 2, 3.
5. Voir Za 9, 9. 6.1s 51, 12.
7. Ps 26, 1.
8. À ce sujet, voir ci-dessous, n° 1783, note 2.
9. Is 9, 6. Saint Thomas commente : « Ici, il décrit le
Sauveur, tout d'abord quant à notre manière de le recevoir. (...) En effet,
nous le recevons en notre nature dans la Nativité - Mais l'ange leur
dit : "Ne craignez
pas, car voici que je vous apporte la bonne nouvelle d'une grande joie pour
tout le peuple ; c'est qu'il vous est né aujourd'hui, dans la ville de
David, un Sauveur, qui est le Christ-Seigneur" (Le 2, 10-11). Nous le recevons en
notre connaissance selon la parole du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout
mon amour : écoutez-le (Mt 17, 5). (...) Nous le recevons encore dans une crainte
divine (reverentia) par sa Passion afin qu 'au nom de Jésus
tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers (Ph 2, 10) » {Exp.
super Isaiam, 9, 6, p. 68, 1. 84-102).
10. Is 9, 7.
II dit TON, à savoir
prenant chair de toi, puisque ce n'est certes pas des anges qu'il se charge,
mais de la descendance d'Abraham \ Ou bien TON au sens de : pour ton
utilité. D'où il ajoute : VIENT à toi - Si tu avais connu, toi aussi,
ce qui maintenant peut te donner la paix ! mais cela est demeuré caché à
tes yeux2... Par leur résistance, ils ont empêché que ce soit utile pour eux.
Il vient, dis-je,
vers toi, non pas pour la terreur mais pour la libération, et c'est pourquoi il
dit ensuite : ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE, ce qui signifie la clémence
du roi, qui est fort bien accueillie par ceux qui lui sont soumis - Son
trône est affermi dans la clémence21. Mais contre cela il est dit : Semblable au rugissement du lion,
la fureur du roi !4 Autrement dit, il ne vient pas dans le faste
royal, par lequel il pourrait être odieux, mais il vient dans la douceur - On
t'a établi maître ? Ne t'exalte pas5. Ne crains donc pas l'oppression du roi. La
Loi ancienne, elle, a été donnée dans la terreur parce qu'elle engendrait pour
la servitude. De plus, ce qui manifeste la puissance de ce roi, c'est qu'en
venant dans l'humilité et la faiblesse il a attiré le monde entier - Car ce
qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes6.
CELA, SES DISCIPLES
NE LE COMPRIRENT PAS D'ABORD ; MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS
ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ETAIT CE
QU'ON LUI AVAIT FAIT. (12, 16)
1. He 2, 16.
2. Le 19, 42.
3. Pr 20, 28.
4. Pr 19, 12.
5. Si 32, 1.
6. 1 Co 1, 25.
Saint Thomas commente : « II n'est pas dit que quelque chose est
faible en Dieu par manque de puissance, mais par un dépassement de la puissance
humaine, de même aussi qu'il est dit invisible
en tant qu'il dépasse l'intelligence humaine - Tu montres ta puissance, si
l'on ne croit pas que tu es souverainement puissant (Sg 12, 17). Il est
vrai que cela peut se rapporter au mystère de l'Incarnation, car ce qui est
tenu pour fou et faible en Dieu du côté de la nature qu'il a assumée transcende toute sagesse et toute puissance
- Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur ? (Ex 15,
11) » (Ad 1 Cor. lect., I, n° 62).
1628. L'Évangéliste,
en disant cela, montre dans quelles dispositions se trouvaient les disciples à
l'égard de la prophétie citée, et il confesse à la fois son ignorance et celle
des disciples, car, comme il est dit dans les Proverbes, le juste est le
premier à s'accuser lui-même1.
Voilà pourquoi il
dit que ces choses qui viennent d'être dites, SES DISCIPLES NE LES COMPRIRENT
PAS D'ABORD, c'est-à-dire avant la Passion, MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ,
à savoir quand il montra la puissance de sa Résurrection, ALORS ILS SE
SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT ÉCRIT À SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI
AVAIT FAIT. La raison pour laquelle ils ont compris cela quand il a été
glorifié, c'est qu'alors ils ont reçu la plénitude de l'Esprit Saint, ce qui
les a rendus plus sages que tous les sages - C'est l'inspiration du
Tout-Puissant qui donne l'intelligence8. Or l'Évangéliste dit cela pour montrer que
ce n'est pas ce qui a eu lieu ici, mais que les disciples y ont prêté attention
plus tard.
LA FOULE DONC
RENDAIT TÉMOIGNAGE.
1629. L'Évangéliste
expose ici la cause du mouvement de la foule. Ce fut le TÉMOIGNAGE QUE LA FOULE
RENDAIT au sujet de la résurrection de Lazare LORSQU'IL APPELA LAZARE DU
TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS.
C'EST POUR CELA
AUSSI QUE LA FOULE VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS QU'IL
AVAIT FAIT CE SIGNE - Les Juifs demandent des signes 9.
C'était bien en effet le signe le plus manifeste et le plus admirable, et c'est
pourquoi il l'a réservé pour la
fin, pour qu'il s'imprimât davantage dans leur mémoire.
7. Pr 18, 17
(verset propre à la Vulgate).
8. Jb 32, 8.
9. 1 Co 1, 22.
II
LES PHARISIENS SE DIRENT DONC ENTRE EUX : « VOUS
VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS RIEN. VOILÀ QUE TOUT LE MONDE EST PARTI APRÈS
LUI. » (12, 19)
1630. Jean montre
alors la jalousie des pharisiens, excitée par l'échec de leur tentative ;
c'est pourquoi ils disaient : VOUS VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS RIEN. VOILÀ QUE TOUT LE MONDE EST PARTI APRÈS
LUI. Ce qui est bien la parole des pharisiens jaloux, quand ils disent :
NOUS NE GAGNONS RIEN, sous-entendu par notre malice, puisque nous sommes incapables de l'arrêter.
« Gagner » est pris dans le même sens dans la deuxième épître à
Timothée : Quant
aux hommes mauvais et aux séducteurs, ils gagneront toujours plus en mal1.
Mais pourquoi cette
foule aveugle est-elle jalouse ? Parce que LE MONDE EST PARTI APRÈS LUI,
lui par qui le monde a été fait2. Cependant il est signifié par cela que le
monde tout entier le suivrait - Nous vivrons en sa présence,
et nous chercherons à connaître le Seigneur0. Chrysostome4,
quant à lui, veut que ces paroles
soient celles des pharisiens qui croyaient, mais en secret par crainte des
Juifs5. Et ils disent cela pour qu'ils cessent de
persécuter le Christ, comme s'ils disaient : plus vous lui dressez des
embûches, plus il grandit et sa gloire s'étend. Pourquoi donc ne renoncez-vous
pas à tant d'embûches ? - ce qui est presque identique au conseil de
Gamaliel dont il est question dans les Actes des Apôtres6.
1631. Après avoir
exposé la gloire que le Christ a reçue du service de ses proches et de la
dévotion des foules, l'Évangéliste montre ici la gloire qu'il a reçue de la
dévotion des Gentils. Tout d'abord il montre la dévotion des Gentils, puis
comment leur dévotion s'est déclarée [n° 1634]. En dernier lieu vient l'annonce
de la Passion du Christ [n° 1635].
La dévotion des
Gentils.
OR IL Y AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS
POUR ADORER PENDANT LA FÊTE. CEUX-CI DONC S'AVANCÈRENT VERS PHILIPPE, QUI ÉTAIT
DE BETHSAÏDE EN GALILÉE, ET ILS LE PRIAIENT EN DISANT : « SEIGNEUR,
NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. » (12, 20-21)
1. 2 Tm 3, 13. Saint Thomas commente : « II faut dire
que ceux qui progressent dans le mal le font en vertu d'une permission de Dieu,
ou bien ici qu'ils progressent dans le mal du fait de l'intention de leur
malice qui est toujours en vue du mal ; mais selon la providence divine ils
sont empêchés de pouvoir achever ce qu'ils ont commencé. Cependant ils
deviennent de plus en plus mauvais en eux-mêmes en tant qu'ils se trompent au
sujet de la vérité » (Ad 2 Tim. lect., III, nos 118).
La dévotion des
Gentils est premièrement considérée quant aux sacrements de l'Ancien Testament
et, deuxièmement, quant au Christ [n° 1633].
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Il, 7, BA 73B, p. 297.
3. Os 6,
3.
4. In Ioannem hom., LXVI, 2,
PG 59, co1. 367.
5. Jn 19, 38.
6. Cf. Ac 5, 34-39.
1632. Leur dévotion
à l'égard des sacrements de l'Ancien Testament est manifestée par le fait
qu'ils venaient au Temple. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR IL Y
AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS (sous-entendu à Jérusalem) POUR ADORER PENDANT LA
FÊTE, autrement dit : non seulement la foule des Juifs mais encore les
Gentils eux-mêmes honoraient le Christ.
Or la raison pour
laquelle ils montaient est précisée, selon un ajout, par le fait qu'ils étaient
prosélytes et convertis au rite des Juifs, à la prédication des Juifs
eux-mêmes : car ils étaient dans le monde entier et s'efforçaient de
convertir à eux beaucoup de gens
- Vous parcourez mers et continents pour gagner un prosélyte1. Et
c'est pourquoi, selon le rite
des Juifs, ils montaient avec les autres.
Mais il vaut mieux
dire, selon Chry-sostome2, que, comme on le voit dans le second livre
des Maccabées3, le Temple de Dieu qui se trouvait à
Jérusalem était vénéré par tous les peuples et rois de la terre entière, de
telle sorte qu'ils embellissaient ce même Temple par de très grands présents.
Et c'est pourquoi il arrivait que les jours de fête beaucoup de Gentils aussi,
par dévotion, montaient à Jérusalem. Nous lisons quelque chose de semblable
dans les Actes des Apôtres4 à propos de l'eunuque de Candace, reine des
Éthiopiens, qui était venu adorer à Jérusalem. Voilà pourquoi il est dit dans Isaïe : Ma maison sera
appelée maison de prière pour tous les peuples, dit le Seigneur5. Or les Gentils dont il s'agit ici, à cause de leur dévotion, étaient
montés au Temple en préfiguration de la conversion des Gentils à la foi.
1. Mt 23, 15.
2. Absente chez saint Jean Chrysostome, cette explication est un
développement du commentaire de Théophylacte (Enatr. in Ev. S. Ioannis. In
h. loc, PG 124, co1. 123). Saint Thomas y ajoute la référence à 2 M 3, 2.
On la retrouvera dans la Postula de Nicolas de Lyre (vers 1320) sur ce
même verset : « Car parmi les Gentils certains étaient convertis au
rite des Juifs - on les appelait les prosélytes - et ceux-ci étaient tenus,
comme les autres, d'être présents à la solennité de la Pâque. Ils sont nommés
ici Gentils parce que cela restait pour eux leur premier nom. D'une autre
manière, on interprète cela, et mieux, des Gentils selon la vérité parce que le
Temple, à cause de sa sainteté, était vénéré par les Gentils qui étaient au
milieu des Juifs (comme on le rapporte en 2 M 3, 2), et c'est pourquoi beaucoup
d'entre eux montaient à Jérusalem pour adorer, et surtout lors de la solennité
de la Pâque ; cependant ils n'étaient pas admis à manger l'agneau pascal,
sauf ceux qui ayant abandonné le rite de la gentilité étaient circoncis, comme
le livre de l'Exode le rapporte au chapitre 12 [v. 44 et 48]. Ceux-ci donc, qui
avaient entendu parler des miracles du Christ, voulaient le voir et entendre
son enseignement » {Bibliorum
Sacrorum cum Glossa Ordinaria, éd. de Venise, 1603).
3. Cf. 2 M 3, 2
sq.
1633. Quant à leur
dévotion à l'égard du Christ, elle est manifestée par le fait qu'ils désiraient
le voir ; c'est pourquoi Jean dit : CEUX-CI DONC, à savoir les
Gentils, S'AVANCÈRENT VERS PHILIPPE (...) ET ILS LE PRIAIENT EN DISANT :
« SEIGNEUR, NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. » En effet, il faut savoir que
le Christ n'a prêché en personne qu'aux Juifs -Je V affirme, le Christ Jésus
s'est fait ministre de la circoncision pour montrer la vérité de Dieu en
accomplissant les promesses faites à nos pères6. Mais pour les nations il a prêché par ses
apôtres - J'enverrai certains de leurs rescapés vers les nations (...), vers
les îles lointaines qui n'ont pas entendu parler de moi et n'ont pas vu ma
gloire. Et ils révéleront ma gloire aux nations "''. - Allez, de toutes
les nations faites des disciples8.
Cela donc était déjà
annoncé ici, dans la mesure où les Gentils, voulant voir le Christ, ne sont pas
venus directement vers lui mais vers l'un de ses disciples, Philippe. Et cela
convient, puisque c'est lui qui, le premier, a prêché à ceux qui étaient
étrangers au rite des Juifs, c'est-à-dire les Samaritains9,
comme il est dit dans les Actes
des Apôtres : C'est ainsi que Philippe descendit dans une ville de
Samarie et leur prêchait le Christ1. Cela lui convient selon la signification de son nom : en effet,
Philippe signifie « bouche (ouverture) de lampe2 ». Or les prédicateurs sont la bouche
du Christ - Si tu sépares ce qui est noble de ce qui est vil, tu seras comme
ma bouche3. Or le Christ est la lampe - Je t'ai
donné comme lumière aux nations*. Cela convient à Philippe aussi par
rapport au lieu parce qu'il ÉTAIT DE BETHSAÏDE, qui veut dire « chasse5 »,
et que les prédicateurs vont à la chasse de ceux qui se convertissent au Christ
- J'enverrai mes chasseurs et ils leur feront la chasse0. De même pour DE GALILÉE qui veut dire « passage7 » :
les Gentils, par suite de la prédication des apôtres, sont passés de l'état de
païens à l'état de croyants - Toi donc, fils d'homme, fais-toi un bagage
d'émigré ; tu émigreras devant eux en plein jour8.
4. Cf. Ac 8, 27.
5. Is 56, 7.
6. Rm 15, 8. 7.1s 66, 19.
8. Mt 28, 19.
9. En réalité, ce fut le diacre Philippe qui, selon le ch. 8 des
Actes des Apôtres, partit évangéliser la Samarie. Dans la Somme théologique,
III, q. 38, a. 6, ad 1, saint Thomas distingue clairement les deux
personnages.
S'avançant donc vers
Philippe, ils expriment leur désir en disant : NOUS VOULONS VOIR JÉSUS, ce
qui signifie que les Gentils, qui n'avaient pas vu le Christ d'une manière
sensible, ayant été convertis à la foi par le ministère des apôtres, désirent
le voir glorifié dans la patrie - Toute la terre désirait voir le visage de
Salomon 9.
La déclaration de
cette dévotion.
PHILIPPE VIENT ET IL
LE DIT A ANDRE ; PUIS ANDRÉ ET PHILIPPE LE DISENT À JÉSUS. (12, 22)
1634. Cette dévotion
des Gentils est déclarée au Christ, et à travers cette déclaration se découvre
un ordre car, comme il est dit dans l'épître aux Romains : Ce qui vient
de Dieu a été ordonné10. Or cet ordre divin existe pour que les
réalités inférieures soient ramenées à Dieu par les réalités supérieures :
André, en effet, fut supérieur à Philippe dans l'apostolat parce qu'il fut
converti avant lui ; et c'est pourquoi Philippe n'a pas voulu conduire ces
Gentils au Christ par lui-même seulement, mais par André, se rappelant
peut-être ce que le Seigneur avait dit : Ne prenez pas le chemin des
nations11. C'est bien ce que dit Jean : PHILIPPE (...) LE DIT À ANDRÉ ;
PUIS ANDRÉ ET PHILIPPE LE DISENT À JÉSUS. En cela nous est donné l'exemple
qu'il faut tout faire d'après le conseil de ceux qui sont plus grands que nous.
C'est ainsi que Paul est monté à Jérusalem et a exposé aux Apôtres l'Évangile
qu'il prêchait chez les Gentils n. Nous pouvons, par les noms de ces deux Apôtres, comprendre deux choses
qui sont nécessaires aux prédicateurs pour conduire les hommes au Christ. En
premier lieu, l'éloquence d'une parole ordonnée, ce qui est indiqué dans le nom
de Philippe, qui signifie « bouche de lampe ». En second lieu, la
puissance d'une bonne opération,
comme l'indique le nom d'André, qui signifie « viril * » - Par la parole du Seigneur les cieux
ont été affermis, et par le souffle de sa bouche toute leur puissance2.
1. Ac 8, 5.
2. Cf. saint JÉRÔME, Liber
interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 64, 22-23), CCL, vo1. LXXII, p. 140.
3.Jr 15, 19.
4. Is 42, 6.
5. Cf. saint Jérôme, op.
cit. (Lag. 60, 21), CCL, vo1. LXXII, p. 135. Sur la signification de Bethsaïde, voir aussi vo1.
I, n° 314.
6.Jr 16, 16.
7. Cf. SAINT
JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum, (Lag. 64, 25), CCL,
vo1. LXXII, p. 140. Voir aussi vo1. I, nos 310, 338 et 1011.
8. Ez 12, 3.
9. 1 R 10, 24.
10. Rm 13, 1.
Saint Thomas commente : « La raison en est que Dieu a tout fait par
sa sagesse - Tu as fait toutes choses avec sagesse (Ps 103, 24). Or
c'est le propre de la sagesse de disposer toutes choses avec ordre - Elle
déploie sa force d'un bout du monde à l'autre et dispose tout avec douceur (Sg
8, 1). Et c'est pourquoi il faut que les effets divins soient ordonnés - Connais-tu
l'ordre du ciel, et en rendras-tu raison sur la terre ? (Jb 38, 33).
Or Dieu a institué un double ordre dans ses effets : l'un par lequel tout
est ordonné vers lui - Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même (Pr
16,4) ; l'autre par
lequel les effets divins sont ordonnés les uns par rapport aux autres, comme il
est dit dans le Deutéronome (4, 19) au sujet du soleil, de la lune et des
étoiles » {Ad Rom. lect., XIII, n° 1024). Dans ce paragraphe, saint
Thomas développe d'abord l'interprétation de ThÉophylacte
(Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 123) puis
celle de saint Jean Chrysostome {In
Ioannem hom., LXVI, 2, PG 59, co1. 367-368).
11. Mt 10, 5.
12. Cf. Ga 2, 1-2.
Le Christ annonce
sa Passion.
1635. Le Christ
commence par annoncer que le temps de sa Passion est imminent, puis il révèle
la nécessité de sa Passion [n° 1638]. Enfin, il montre la nécessité de la
passion des autres [n° 1642].
I
ET JÉSUS LEUR
RÉPONDIT EN DISANT : « L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE GLORIFIÉ LE
FILS DE L'HOMME. » (12, 23)
1636. Remarquons ici
qu'en voyant ces Gentils se hâter vers la foi, et comprenant qu'en eux, d'une
certaine manière, commençait la conversion des nations, le Seigneur a annoncé
que le temps de sa Passion était imminent ; de même lorsqu'il voit le
champ déjà blanc, il dit : l'heure est venue de jeter la faucille pour la
moisson3 — Voyez les campagnes : elles sont
déjà blanches pour la moisson4. C'est de la même façon, donc, que le Seigneur parle ici. Du fait,
dit-il, que les nations cherchent à me Voir, L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE
GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.
1637. C'est bien de
trois manières qu'il a été glorifié. Premièrement, dans sa Passion - Le Christ ne s'est pas glorifié
(clarificavit) lui-même en se faisant grand prêtre (sur l'autel de
la Croix), mais il a été glorifié par celui qui lui a dit : Tu es mon
fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré5. Et en ce sens il dit : L'HEURE EST VENUE, OÙ DOIT ÊTRE GLORIFIÉ LE
FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire où
il doit souffrir, parce qu'avant sa Passion les nations ne se convertiront pas
à lui. C'est bien par sa Passion qu'il a été glorifié, avec des signes visibles
comme l'éclipsé du soleil, le déchirement du voile et d'autres du même
genre ; et avec des signes invisibles comme la victoire triomphante qu'il
a remportée ouvertement, en lui-même, sur les princes des enfers6. Et
c'est pour cette raison qu'il a dit plus haut : Mon heure n'est pas
encore venue7, car la dévotion des nations n'était pas
encore prête comme à présent.
1. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis
hebraicorum nominum (Lag· 64, 24-27), CCL, vo1. LXXII, p. 142. Voir vo1. I, n°
299.
2. PS 32, 6.
3. Cf. Ap 14, 15.
4. Jn 4, 35. Voir vo1. I, nos 646-648.
5.He5, 5.
Deuxièmement, il a
été glorifié dans sa Résurrection et son Ascension. Il fallait d'abord, en
effet, que le Christ ressuscitât et montât au ciel, et qu'ainsi glorifié il
envoyât le Saint-Esprit sur les Apôtres par lesquels les nations devaient être
converties - L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait
pas encore été glorifié*. - Montant dans les hauteurs, le Christ a emmené des
captifs9.
En troisième lieu,
il a été glorifié par la conversion des Gentils - Que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur à la
gloire de Dieu le Père10.
6. Cf. Col 2, 15.
7. Jn 2, 4.
8. Jn 7, 39. Voir vo1. I, nos 1095 et 1096.
9. Ps 67, 19.
10. Ph 2, 11.
II
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN
TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL MEURT, IL PORTE BEAUCOUP DE
FRUIT. (12, 24-25)
1638. En disant
cela, le Christ laisse entendre la nécessité de sa Passion, et après l'avoir
exposée il en donne l'utilité [n° 1641].
1639. La nécessité
de sa Passion a pour cause la conversion des nations, qui ne peut avoir lieu
sans que le Fils de l'homme soit glorifié par sa Passion et sa Résurrection, et
c'est bien ce qu'il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS - c'est-à-dire
« en vérité » -, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS, IL
DEMEURE SEU1.
À ce propos, au sens
littéral, il faut savoir que nous utilisons le grain de blé pour deux
choses : soit pour le pain, soit comme semence. Or le grain de blé est
compris ici en tant qu'il est une semence, non en tant qu'il est la matière du
pain ; car en ce sens il ne se multiplie jamais pour porter du fruit. Et
le Christ dit : MEURT, non pas qu'il perde sa vertu de semence, mais parce
qu'il est changé en une autre espèce - Ce que tu sèmes, toi,
ne reprend vie s'il ne meurt1. Ainsi, de même que la parole de Dieu est une
semence dans l'âme de l'homme, selon qu'elle est revêtue de la voix sensible,
en vue de produire le fruit d'une bonne opération - La semence, c'est la
parole de Dieu2 -, de même le Verbe de Dieu, revêtu de
chair, est la semence envoyée dans le monde, à partir de laquelle une très
grande moisson devait se lever : c'est aussi pourquoi il est comparé à un
grain de moutarde3.
Il dit donc :
moi je suis venu comme une semence pour porter du fruit et c'est pourquoi, en
vérité, je vous le dis : SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS,
IL DEMEURE SEUL, c'est-à-dire : si moi je ne meurs pas, le fruit de la
conversion des nations ne s'ensuivra pas. D'autre part, il se compare au grain
de blé puisqu'il est venu pour refaire et soutenir les esprits humains, ce que
le pain de blé réalise particulièrement - Le pain fortifie le cœur de
l'homme*. - Et le pain que moi je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde5.
1640. Mais est-ce
uniquement par la mort du Christ que la multitude des nations pouvait être
convertie ? Elle pouvait être convertie [sans la mort du Christ], certes,
selon la puissance de Dieu mais non pas selon la détermination qu'il a ordonnée
pour que cela se réalisât de cette manière, parce que cela convenait davantage6 - Sans effusion de sang il n'y a pas de rémission 1. - Si
je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous2.
1. 1 Co 15, 36.
2. Lc 8, 11.
3. Cf. Mt 13, 31.
4. Ps 103, 15.
5. Jn 6, 52.
6. Saint Thomas met cela en lumière, et d'une façon très précise,
dans la troisième partie de la Somme théologique. Il commence par
montrer qu'est convenant pour une réalité tout ce qui constitue sa propre nature (secundum rationem
propriae naturae). Ainsi il convient à l'homme de raisonner, cela appartient à
sa nature rationnelle. De même, pour Dieu sera convenant tout ce qui appartient
à sa bonté et à sa sagesse, ce qui est le propre de sa nature divine (voir III,
q. 1, a. 1). Dieu est bon dans tout ce qu'il est, et comme le propre du bien
est de se communiquer, le mystère de l'Incarnation trouve ainsi sa raison de
convenance quant à Dieu. Il faut cependant distinguer la raison de convenance
qui touche Dieu et la raison de nécessité qui touche notre finalité. Dieu, en
vertu de sa toute-puissance, pourrait relever notre nature humaine blessée par
le péché (et donc convertir les nations païennes) par une voie tout autre que
l'Incarnation impliquant la mort de Jésus sur la Croix. Saint Thomas
différencie alors la nécessité absolue, « ce sans quoi quelque chose ne
peut être », de la nécessité relative, « ce par quoi on parvient à la
fin le mieux et de la manière la plus convenable, comme le cheval est
nécessaire pour voyager » (III, q. 1, a. 2, a). Et, à la suite de saint
Augustin (De Trinitate, XIII, 10, ΒΑ 16, p. 301), il affirme
que Dieu n'avait pas de moyen plus convenable, c'est-à-dire répondant mieux à
sa bonté et à sa sagesse, pour guérir notre misère et convertir les païens, que
de s'incarner (voir III, q. 1, a. 2, a). Dans la question 46 saint Thomas
précise enfin, en évoquant cinq raisons, que c'est précisément par sa mort sur
la Croix que le Christ peut libérer l'homme de l'esclavage du péché et le
convertir à lui de la façon qui convient le mieux : « Par la Passion
du Christ en effet, l'homme connaît combien Dieu l'aime et par là est incité à
l'aimer (...). Par elle, le Christ nous a donné l'exemple de l'obéissance, de
l'humilité, de la constance, de la justice et des autres vertus nécessaires au
salut de l'homme. (...) Par elle le Christ n'a pas seulement libéré l'homme du
péché mais il lui a encore mérité la grâce de la justification et la gloire de
la béatitude. Par elle l'homme a découvert une plus grande nécessité de se garder pur du péché. (...)
La Passion a conféré à l'homme une
plus grande dignité : vaincu et trompé par le diable, l'homme devait le vaincre à son
tour ; ayant mérité la mort, il devait aussi, en mourant, la dépasser. (...) Et pour toutes ces raisons il convenait davantage que nous soyons
délivrés par la Passion du Christ
plutôt que par la seule volonté de Dieu » (III, q.
46, a. 3, c).
1641. Quant à
l'utilité de la Passion, il la donne en disant : MAIS S'IL MEURT, IL PORTE
BEAUCOUP DE FRUIT, autrement dit : s'il ne tombe pas en terre par
l'humilité de sa Passion - Il s'humilia en se faisant obéissant jusqu'à la
mort3 -, il n'en résultera aucune utilité, puisqu'lL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL
MEURT, mis à mort et tué par les Juifs, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUIT. Et le
premier fruit, c'est la rémission du péché - Tout le fruit, c'est d'enlever
les péchés*. Et c'est bien ce fruit que la Passion du Christ a porté,
d'après ce passage de la première épître de saint Pierre : Le Christ
est mort une fois pour nos péchés, juste pour des injustes, afin de nous offrir
à Dieu5.
Le deuxième fruit
est la conversion des nations à Dieu - Je vous ai établis pour que vous
alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure6. Tel
est le fruit que la Passion du Christ a porté, comme il le dit encore plus
loin : Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi1.
Le troisième fruit
est la gloire - Le fruit des bons labeurs est plein de gloire91. - Celui qui moissonne reçoit un salaire et
amasse du fruit pour la vie éternelle9. Et ce fruit, c'est bien encore la Passion
du Christ qui l'a porté - Nous avons l'assurance voulue pour l'accès au
sanctuaire dans le sang du Christ, qui a inauguré pour nous une voie nouvelle
et vivante, à travers le voile, c'est-à-dire sa chair10.
1. He 9, 22.
2. Jn 16, 7.
3. Ph 2, 8.
4. 1s 27, 9.
5. 1 Ρ 3, 18.
6. Jn 15, 16.
7. Jn 12, 32.
8. Sg3, 15.
9. Jn 4, 36.
III
CELUI QUI AIME SON ÂME LA PERDRA, ET CELUI QUI HAIT SON ÂME
EN CE MONDE LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE. SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME
SUIVE : ET OÙ MOI JE SUIS, LA AUSSI SERA MON SERVITEUR. SI QUELQU'UN ME
SERT, MON PÈRE L'HONORERA. (12, 25-26)
1642. Il montre ici
la nécessité que d'autres meurent en s'exposant aux souffrances par amour du
Christ.
Il commence par
montrer la nécessité de cette mort, d'abord en mettant en avant la nécessité de
cette mort à cause du Christ, puis en ajoutant son utilité [n° 1645]. Ensuite,
il exhorte à la mort elle-même [n° 1646].
CELUI QUI AIME SON ÂME LA PERDRA.
1643. Or assurément
tout homme aime son âme. Mais certains d'une manière absolue (simpliciter) et
d'autres relativement à quelque chose (secundum quid). En effet, aimer
quelqu'un, c'est lui vouloir du bien ; celui-là donc aime son âme qui lui
veut du bien. Celui qui veut pour son âme ce qui est bon d'une manière absolue,
l'aime d'une manière absolue ; celui qui veut pour elle quelque bien
particulier l'aime relativement à quelque chose. Les biens de l'âme au sens
absolu sont ceux par lesquels
elle est rendue bienheureuse, à savoir le bien souverain, qui est Dieu. Celui
donc qui veut pour son âme un bien divin et spirituel, l'aime d'une manière
absolue ; mais celui qui veut pour elle des biens terrestres, comme la
richesse et les honneurs, les plaisirs et d'autres biens de ce genre, l'aime
relativement à quelque chose - Qui aime l'iniquité hait son âme1.
10. He 10, 19-20.
Saint Thomas commente : « II montre quelle est cette voie en
ajoutant : A travers le voile, c'est-à-dire sa chair. De même en
effet que le prêtre entrait à travers le voile dans le Saint des Saints, de
même si nous voulons entrer dans le Sanctuaire de la gloire, il nous faut
entrer par la chair du Christ, qui fut le voile de sa divinité - Vraiment,
tu es un Dieu caché (Is 45, 15). Car la foi en sa divinité ne suffit pas
s'il n'y a pas la foi en son incarnation - Vous croyez en Dieu, croyez aussi
en moi (Jn 14, 1). Ou bien à travers le voile, c'est-à-dire à
travers sa chair qui nous est donnée sous le voile de l'espèce du pain dans le
sacrement. En effet elle ne nous est pas proposée sous son espèce propre pour
éviter une sainte terreur et en raison du mérite de la foi » (Ad Heb.
lect., X, n° 502).
- Si tu accordes à ton âme [la satisfaction de] ses
concupiscences, tu deviens la risée de tes ennemis2.
1644. Cette parole
peut donc se comprendre de deux manières. D'une première manière ainsi :
CELUI QUI AIME SON ÂME, ajoute : d'une manière absolue, en vue des biens
éternels, LA PERDRA, c'est-à-dire s'exposera à mourir pour le Christ. Mais cç
n'est pas le sens véritable.
C'est pourquoi il
faut dire : CELUI QUI AIME SON ÂME relativement à quelque chose, à savoir
à des biens temporels, LA PERDRA, c'est-à-dire d'une manière absolue - Que
sert à l'homme, en effet, de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son
âme ?3 Et la vérité de ce sens est rendue évidente
par ce qui suit : CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE. Donc CELUI QUI AIME
SON ÂME, en ce monde, c'est-à-dire relativement aux biens du monde, LA PERDRA,
quant aux biens éternels
- Malheur à vous
qui riez, car vous pleurerez*. - Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant
ta vie, et Lazare pareillement ses maux ; maintenant donc il trouve ici
consolation, et toi, tu souffres la torture5.
ET CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE LA GARDERA EN VIE
ÉTERNELLE.
1645. Il donne
ensuite l'utilité de cette mort lorsqu'il dit : ET CELUI QUI HAIT SON ÂME
EN CE MONDE, c'est-à-dire celui qui refuse à son âme des biens présents et
supporte à cause de Dieu ce qui est considéré comme des maux en ce monde, LA
GARDERA EN VIE ÉTERNELLE - Bienheureux ceux qui souffrent la
persécution pour la justice, car le Royaume des deux est à eux6.
- Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses
enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu 'à sa propre âme, il ne peut être mon
disciple''.
Remarque d'ailleurs
que ce qui est dit plus haut du grain de blé rejoint cette phrase. Car de même
que le Christ fut envoyé dans le monde comme une semence destinée à porter du
fruit, de même tout ce qui nous est donné par Dieu temporellement ne nous est
pas confié comme un fruit mais afin que, grâce à cela, nous parvenions au fruit
de la récompense éternelle.
En effet, notre vie
est un certain don temporel que Dieu nous fait. Celui donc qui l'expose à cause
du Christ, porte beaucoup de fruit. Et c'est bien celui-là qui hait son âme,
c'est-à-dire qui expose sa vie et sème pour le Christ en vue de la vie
éternelle - Ils s'en allaient, ils s'en allaient en pleurant, portant leurs
semences ; ils s'en viennent, ils s'en viennent en exultant de joie, ils
rapportent leurs gerbes9". Et il en est de même pour celui qui, à cause du Christ, expose ses
richesses et les autres biens qu'il possède, et les communique aux autres pour
la vie éternelle - Qui sème dans les bénédictions moissonnera aussi dans les
bénédictions 1.
1. Ps 10, 6.
2. Si 18, 31.
3. Mt 16, 26.
4. Lc 6, 25.
5. Lc 16, 25.
6. Mt 5, 10. Saint Thomas commente : « La huitième
béatitude signifie la perfection de toutes celles qui précèdent, l'homme en
effet est parfait en toutes choses quand il n'abandonne rien malgré les tribulations - Le four éprouve les vases
du potier et la tentation de la tribulation les hommes justes (Si 27, 6). Mais
peut-être quelqu'un, entendant Bienheureux ceux qui souffrent, dira
qu'ils ne sont pas heureux à cause de la persécution, parce que la persécution
trouble la paix ou l'enlève complètement - non pas, assurément, la paix
intérieure mais la paix extérieure - Grande paix à ceux qui aiment ta loi (Ps
118, 165). Ce n'est pas la persécution elle-même qui rend heureux mais sa fin,
aussi dit-il pour la justice » (Sup. Matth. lect., V, n°
443).
7. Le 14, 26.
8. Ps 125, 6.
1646. Mais parce
qu'il semble dur qu'un homme ait de la haine pour son âme, le Seigneur exhorte
à cela : SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE. L'Évangéliste montre
d'abord l'exhortation, puis la raison de cette exhortation [n° 1648].
SI QUELQU'UN ME
SERT, QU'IL ME SUIVE : ET OÙ MOI JE SUIS, LÀ AUSSI SERA MON SERVITEUR.
1647. Le Christ
commence par décrire la condition de ses fidèles, puis les invite à
l'imiter ; enfin, il ajoute la récompense réservée à ceux qui l'imitent.
Et remarque, quant
au premier point, la dignité des fidèles du Christ, puisqu'ils sont serviteurs
du Christ - Ils sont ministres du Christ ? moi aussi2. Ceux-là donc servent le Christ, qui recherchent ce qui est du
Christ ; mais ceux qui recherchent leurs propres intérêts ne sont pas les
serviteurs du Christ mais d'eux-mêmes - Tous recherchent leurs propres
intérêts3. Or ceux qui ont l'autorité dans l'Église
sont les serviteurs du Christ dans la mesure où ils dispensent ses sacrements
aux fidèles - Que les hommes nous regardent donc comme des serviteurs du
Christ et des intendants des mystères de Dieu 4. Il en est de même pour n'importe quel
fidèle qui garde les commandements du Christ - Montrons-nous en toutes
choses comme des ministres de Dieu5.
Quant au second
point, remarque la gloire et la noblesse des fidèles du Christ. C'est pourquoi
il dit : QU'IL ME SUIVE, comme s'il disait : les hommes suivent les
maîtres qu'ils servent ; celui donc qui ME SERT, QU'IL ME SUIVE, afin que,
comme moi je subis la mort pour porter beaucoup de fruit, de même aussi
celui-là. Or suivre le Christ est une grande gloire - C'est une grande
gloire, de suivre le Seigneur6. - Mes brebis écoutent ma voix, et moi je
les connais et elles me suivent7.
Quant au troisième
point, remarque la béatitude de ses fidèles, puisque OÙ MOI JE SUIS - non pas
seulement au lieu où moi je suis mais encore dans cette participation à ma
gloire -, LÀ AUSSI SERA MON SERVITEUR - Là où il y aura un corps, là se
rassembleront les aigles s. - Le vainqueur, je lui donnerai de siéger
auprès de moi sur mon trône 9.
SI QUELQU'UN ME
SERT, MON PÈRE L'HONORERA.
1648. Il donne
ensuite la raison de cette exhortation ; en effet celui qui sert le
Christ, le Père l'honore. Mais il est dit plus haut : Afin que tous
honorent le Fils comme ils honorent le Père10. C'est donc la même chose d'honorer le Fils
et d'honorer le Père. Or le Père dit : Celui qui m'aura glorifié, je le
glorifierai11. Celui donc qui sert Jésus, en recherchant non pas ses propres intérêts
mais ceux de Jésus Christ, le Père de Jésus l'honorera. Et il ne dit pas :
« Moi je l'honorerai », mais MON PÈRE, parce qu'ils n'avaient pas
encore à son sujet cette opinion qu'il était égal au Père. Ou bien il faut dire
qu'il dit cela en signe d'une plus grande familiarité, dans la mesure où ils
seront honorés par celui-là même par qui le Fils est honoré. Car l'honneur que
le Fils a par nature, eux-mêmes l'auront par grâce. C'est pourquoi Augustin dit
que le fils adoptif ne pourra
recevoir de plus grand honneur que celui d'être là où est le Fils unique ! - Il les a aussi prédestinés à
être conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit le Premier-né d'une
multitude de frères2.
1. 2 Co 9, 6.
2. Cf. 2 Co 11, 23.
3. Ph2,21.
4. 1 Co4, 1.
5. 2 Co 6, 4.
6. Si 23, 38 (verset propre à la Vulgate).
7. Jn 10, 27.
8. Mt 24, 28.
9. Ap 3, 21.
10. Jn 5, 23.
11. 1 S 2, 30.
1649. Auparavant il
a été question de la gloire du Christ manifestée par différents hommes ;
ici il s'agit de la gloire du Christ manifestée par Dieu.
L'Évangéliste
rapporte d'abord la demande de cette gloire, puis la promesse de la gloire [n°
1661].
MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. ET QUE DIRAI-JE ?
PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE. MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE
HEURE. PÈRE, GLORIFIE TON NOM. (12, 27-28)
Le Christ commence
par exprimer le trouble de son âme, puis il présente sa demande [n° 1665].
I
MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE.
1650. Mais remarque,
quant au premier point, qu'il est étonnant que le Christ dise : MAINTENANT
MON ÂME EST TROUBLÉE. Plus haut, en
effet, il a exhorté ses fidèles à haïr leur âme en ce monde et voilà qu'à
présent, à l'approche de la mort, nous avons entendu le Seigneur lui-même
dire :
MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. Pour cette raison Augustin dit3 : « Seigneur, tu ordonnes à mon
âme de te suivre, et je vois ton âme se troubler : quel fondement
chercherai-je, si la pierre s'affaisse ? »
Voilà pourquoi il
nous faut d'abord voir ce qu'est ce trouble dans le Christ, et ensuite pourquoi
il a voulu le subir [n° 1652].
1651. Il faut
d'abord savoir qu'au sens propre on dit d'une chose qu'elle est troublée quand
elle est mise en mouvement : ainsi disons-nous de la mer agitée qu'elle
est troublée. Par conséquent, toutes les fois qu'une chose dépasse la mesure de
son repos et de sa tranquillité, nous disons alors qu'elle est troublée. Or il
y a dans l'âme humaine une partie sensitive et une partie rationnelle. Et c'est
dans la partie sensitive de l'âme que le trouble se produit, quand elle est mue
par certains mouvements ; par exemple, quand elle est saisie par la
crainte, élevée par l'espoir, dilatée par la joie, ou qu'elle est affectée par
quelque autre passion. Mais ce trouble parfois demeure en dessous de la raison
et parfois il dépasse la limite de la raison, c'est-à-dire quand la raison
elle-même est troublée. C'est ce qui se produit bien souvent en nous, mais cela
n'a pas lieu dans le Christ, puisqu'il est la sagesse même du Père, ni même
chez le sage, et c'est pourquoi la pensée des stoïciens est que le sage n'est
pas troublé, c'est-à-dire quant à sa raison.
1. Voir Tract, in Io., LI, 11, BA 73B, p. 305-307 : « Quel plus grand honneur pourrait
recevoir le fils adoptif que d'être là où est le Fils unique, sans être rendu
égal à la divinité, mais en étant associé à l'éternité ? (non æqualis factus divinitati, sed
consociatus aeternitati) ».
2. Rm 8, 29. Saint
Thomas commente : « Il les a aussi prédestinés à être conformes à
l'image de son Fils, de telle sorte que cette conformité n'est pas la
raison (ratio) de la prédestination, mais son terme ou effet. L'Apôtre dit en effet : Il
nous a prédestinés à être des fils adoptif s de Dieu (Ep 1,5). Car
l'adoption des fils n'est rien d'autre que cette conformité. Celui en effet qui
est adopté comme fils de Dieu est vraiment conformé à son Fils » {Ad
Rom. lect., VIII, nos 703-704). Sur la prédestination, voir vo1.
I, n° 938, note 1.
3. Tract, in Io., LU, 2, BA 73B, p. 319.
Voici donc le sens
de : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE, à savoir, elle a été affectée quant
à sa partie sensitive par les passions de crainte et de tristesse qui cependant
ne troublaient pas sa raison et ne lui faisaient pas perdre son ordre - Jésus
commença à ressentir tristesse et angoisse1.
D'autre part, les
passions de cette sorte sont autres en nous qu'elles ne furent dans le Christ2. En
nous, en effet, elles existent par nécessité, dans la mesure où nous sommes mus
et affectés comme de l'extérieur ; tandis que dans le Christ elles
n'existent pas par nécessité, mais par le pouvoir de la raison, puisqu'en lui
il n'y eut aucune passion que lui-même n'eût suscitée. Car les puissances
inférieures étaient tellement soumises à la raison dans le Christ qu'elles ne
pouvaient rien faire ni souffrir d'autre que ce que la raison ordonnait ;
voilà pourquoi il est dit plus haut :
Jésus donc, quand il la vit pleurer, pleurer aussi les Juifs qui l'avaient
accompagnée, frémit en son esprit et se troubla3. - Tu as fait trembler la terre, à
savoir, la nature humaine, tu l’as bouleversée4.
1. Mc 14, 33.
2. C'est dans la lumière du traité sur la béatitude {Somme
théo1., I-II q. 1 à 5) que saint Thomas parle des onze passions de l'homme,
actes de ses puissances
appétitives sensibles (loc. cit., q. 22 à 48). Le concupiscible et l'irascible dans leur
élan vital, radical, restent le grand conditionnement
que l'homme doit assumer et éduquer de l’intérieur pour rejoindre sa finalité. Les passions ne sont ni
bonnes ni mauvaises, elles sont
naturelles et constituent le milieu dont l’homme, qui est esprit et corps, doit se servir pour rejoindre sa
finalité. Dans le Christ,
l'affectivité sensible est parfaitement finalisée du fait de sa plénitude de grâce (op. cit., III, q. 15, a. 4 sq.). Voir aussi vo1. I, n° 1535, note 1.
3. Jn 11,33.
4. Ps 59, 4.
Ainsi donc l'âme du
Christ fut troublée dans le sens où ce n'est pas contre la raison mais selon
l'ordre de la raison qu'il y eut en lui ce trouble.
1652. À ce propos,
il faut savoir que le Seigneur a voulu être troublé pour deux raisons.
Premièrement, à cause de l'enseignement de la foi, pour prouver la vérité de sa
nature humaine : pour cette raison, désormais, approchant de sa Passion,
il agit en tout conformément à la nature humaine.
Deuxièmement, pour
nous donner l'exemple : car, s'il avait agi en tout avec la même constance
et sans ressentir aucune passion dans son âme, il n'aurait pas donné aux hommes
un exemple suffisant pour supporter la mort. C'est pour cela qu'il a voulu être
troublé, afin que, lorsque nous sommes troublés, nous ne refusions pas de
supporter la mort et que nous n'en venions pas à défaillir - Nous n'avons pas un grand prêtre incapable de
compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d'une manière
semblable à nous, hormis le péché5.
1653. De là apparaît
clairement la continuité avec ce qui précède. Parce qu'en effet il avait
dit : Celui qui hait son âme en ce monde la gardera en vie éternelle, en
quoi il avait exhorté ses
disciples à la Passion pour qu'aucun ne dise : « Ô Seigneur, tu peux
bien parler et philosopher tranquillement au sujet de la mort, toi qui,
existant sans connaître les douleurs humaines, n'es pas troublé par la
mort. » Aussi, pour exclure cela, a-t-il voulu être troublé6.
Or ce trouble du
Christ fut naturel7 : car de même que l'âme aime
naturellement son union avec le corps, de même c'est naturellement qu'elle fuit
la séparation d'avec lui, d'autant plus que la raison du Christ a permis à son
âme et à ses puissances inférieures de faire ce qui leur était propre.
5. He 4, 15.
6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVII, 1, PG 59,
co1. 371.
7. Au sujet de la tristesse du Christ à l'agonie, saint Thomas
s'interroge : « Mais pourquoi s'est-il attristé ? Damascène dit
qu'il s'est attristé pour lui-même. Et pourquoi ? Parce que la tristesse
vient de ce que nous sommes privés de ce que nous aimons naturellement. L'âme
naturellement veut être unie au corps et cela fut dans l'âme du Christ, parce
qu'il a bu, il a mangé et il a eu faim. Cette séparation allait donc contre son
désir naturel : il était donc triste de cette séparation. Cependant nous
pouvons comprendre que quelque chose est dans l'âme en lui-même, et que quelque
chose y est relativement à autre chose : de même qu'un remède amer
considéré pour lui-même est cause de désagrément, mais relativement à la fin de
notre salut est cause de joie ; ainsi la mort du Christ considérée en
elle-même était pour lui un sujet de tristesse mais, regardée avec
l'intelligence de la finalité, elle était cause de joie » (Sup. Matth.
lect., XXVI, n° 2225).
1654. À cause de ce
qu'il dit : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE (...), est détruite l'erreur
d'Anus et d'Apollinaire 1 qui disaient qu'il n'y a pas d'âme dans le
Christ, mais seulement le Verbe2.
II
ET QUE DIRAI-JE ? PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE. MAIS
C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE. PÈRE, GLORIFIE TON NOM. (12,
27-28)
1655. Puis le
Seigneur exprime sa demande de la gloire. Et là il prend sur lui le sentiment
de l'homme troublé, de telle sorte que sa demande a quatre aspects :
premièrement, il pose la question de quelqu'un qui délibère [n° 1656] ;
deuxièmement, il exprime sa demande qui procède d'un premier mouvement ;
puis, par la raison, il repousse ce mouvement [n° 1657] ; enfin, à la
suite d'un second mouvement, il fait une autre demande.
1. Au sujet d'Anus, voir vo1. I, n° 61, note 2 ; au sujet
d'Apollinaire, voir vo1. I, n° 168, note 4.
2. Dans son commentaire sur saint Matthieu, à propos de la
tristesse et de l'affliction du Christ, saint Thomas dit : « II faut
ici éviter deux erreurs ; certains ont dit qu'il avait ressenti de la
tristesse selon sa divinité, ce qui ne peut être, parce que s'il a ressenti de
la tristesse c'est qu'il était capable de souffrir, mais sa divinité ne pouvait
pas souffrir. L'opinion des ariens ou eunomiens était que dans le Christ il n'y
avait pas d'âme, mais que le Verbe tenait lieu d'âme. Et pourquoi disaient-ils
cela ? Pour que tout ce qui relève d'un manque soit rapporté au Verbe afin
de montrer qu'il est moins que le Père. Et cela est faux. C'est pourquoi il a
souffert en tant qu'il pouvait souffrir, c'est-à-dire selon son âme » (Sup.
Matth. lect., XXVI, n° 2223).
ET QUE DIRAI-JE ?
1656. Il pose la
question de celui qui délibère, parce qu'il est naturel aux hommes, dans les
situations angoissantes, de délibérer, d'où le Philosophe dit dans la Rhétorique3 que la crainte fait les conseillers. Aussi le Christ, après avoir
manifesté son trouble, ajoute aussitôt : ET QUE DIRAI-JE ? comme s'il
disait : Que faire après ce trouble ? On trouve la même chose dans le
psaume : Crainte et tremblement ont fondu sur moi ; et juste
après : Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe ?
Alors je volerais et me reposerais*. Car ceux qui sont accablés par
l'angoisse et la passion cherchent un secours pour être libérés.
PÈRE, SAUVE-MOI DE
CETTE HEURE.
1657. Sous l'impulsion
d'un premier mouvement, il exprime ensuite une demande, puisque lorsque
quelqu'un est dans le trouble quant à ce qu'il doit faire, il doit avoir
recours à Dieu - Comme nous ignorons ce que nous devons faire, il ne nous
reste qu'à diriger nos yeux vers vous5. - J'ai levé les yeux vers les monts, d'où viendrait mon
secours ?6 C'est pourquoi, ayant recours au Père, il dit : PÈRE, SAUVE-MOI DE
CETTE HEURE ; c'est-à-dire : délivre-moi de la tribulation qui
m'envahit à l'heure de la Passion - Sauve-moi, Seigneur, car les eaux me
sont entrées jusqu'à l'âme1.
D'autre part, comme
le dit Augustin8, ce que le Seigneur dit ici :
MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE et PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE, est la même
chose que ce qu'il dit dans Matthieu : Mon âme est triste jusqu'à la mort et Père, s'il est possible, que cette
coupe passe loin de moi !λ
3. II, 5, co1. 1383 a.
4. Ps 54, 6 et 7.
5. 2 Ch 20, 12.
6. Ps 120, 1.
7. Ps 68, 2.
8. Tract, in Io., LU, 3, BA
73B, p. 321-323.
1658. Mais il faut
remarquer que cette demande n'est pas faite sous le mouvement propre de la
raison, mais que la raison elle-même, comme un avocat, parle au nom de
l'affection naturelle qui désirait ne pas mourir : aussi, dans cette
demande, la raison représente-t-elle le mouvement de l'affection naturelle.
Cela permet de résoudre l'objection qu'on a coutume de faire, étant donné qu'il
est dit dans l'épître aux Hébreux : Il
a été exaucé en tout en raison de sa
piété2, et que cependant, dans ce qu'il demanda
ici, il ne fut pas exaucé.
À cela il faut
répondre qu'il a été exaucé pour ce que la raison demandait de sa part à elle,
et en vue d'être exaucée. Mais ce qu'elle demande ici, elle ne l'exprime pas de
sa part à elle, ni en vue d'être exaucée, mais comme en exprimant un sentiment
naturel : c'est pourquoi Chrysostome la lit de manière interrogative. ET
QUE DIRAI-JE ? c'est-à-dire : dirai-je PÈRE, SAUVE-MOI DE CETTE
HEURE ? - comme s'il disait : je ne dirai pas cela3.
MAIS C'EST POUR CELA
QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE.
1659. Cette demande
faite par le mouvement de l'appétit naturel, il la repousse en disant :
MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU À CETTE HEURE, comme s'il disait :
il n'est pas juste que je sois délivré de cette heure de la Passion,
1. Mt 26, 38 et 39. Saint Thomas commente : « Hilaire
dit : Le Seigneur ne
demande pas de ne pas mourir, sa demande porte sur les autres ; comme pour dire : je recevrai cette
coupe avec confiance. Je te demande
que mes disciples la reçoivent sans défiance. Mais pourquoi dit-il : S'il est possible ? Parce que
cela paraît contre nature d’accepter la
mort sans souffrir. Aussi veut-il dire : Moi je voudrais que les autres ne souffrent pas, si
c'était possible, mais qu'il soit fait comme
tu veux, c'est-à-dire selon ta sagesse » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2232).
2. He 5, 7.
3. Ni le commentaire de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXVII, 1, PG 59, co1. 371), ni aucune autre source habituelle de saint Thomas ne vont dans ce sens.
puisque je suis venu
pour souffrir, non pas conduit par une nécessité fatale ni contraint par la
violence humaine, mais offert spontanément4 - Il s'est offert parce que lui-même l'a voulu5. - Personne
ne me l'enlève, à savoir mon âme, mais moi je la livre de moi-même0.
PÈRE, GLORIFIE TON NOM.
1660. La raison
exprime sa propre demande. Ici, nous pouvons comprendre TON NOM7 de
deux manières. À savoir comme étant le Fils lui-même. En effet, le nom se dit à
partir de la connaissance, comme un moyen de désigner quelque chose :
ainsi le nom est ce par quoi une réalité est manifestée ; or le Fils
manifeste le Père - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes91. Et au sujet de ce nom il est dit dans Isaïe : Voici venir de
loin le nom du Seigneur1. Tel est donc le sens : PÈRE, GLORIFIE TON NOM, c'est-à-dire ton
Fils - Glorifie-moi, Père,
auprès de toi, de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût2.
4. En latin : sponte oblatus. Le Lévitique, les
Nombres et le Deutéronome parlent souvent des victimes « offertes
spontanément » (Lv 7, 16 ; 22, 18 et 21 ; Nb 15, 3 ; Dt 12,
17). On parle aussi de l'or et de l'argent offerts spontanément (Esd 1,
6 ; 7, 15 et 16 ; 8, 28). Mais l'expression prend toute sa force
quand, dans le cantique de Debora et Baraq, elle exprime une offrande
personnelle, l'offrande de soi-même : « Vous qui, [parmi les fils]
d'Israël, avez spontanément offert vos âmes au péril, bénissez le
Seigneur » (Jg 5, 2 : qui sponte obtulistis de Israel animas
vestras ad periculum, benedicite Domino ; cf. 5, 9 : qui
propria voluntate obtulistis vos discrimini).
5. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate).
6. Jn 10, 18.
7. Saint Thomas, dans la Somme théologique, consacre toute
une question aux noms divins (I, q. 13). En effet, citant Aristote qui rappelle
que « les noms sont les signes des concepts, et les concepts les
similitudes des réalités » (De l'interprétation, ch. 1), il montre
que nous pouvons nommer Dieu non à partir de son essence divine que nous ne
connaissons pas, mais d'après les créatures à partir desquelles nous pouvons le
connaître analogiquement (a. 1). Ainsi les noms comme bon, sage, signifient la
divine substance mais imparfaitement, comme imparfaitement les créatures la
représentent (a. 2). Aucun nom n'est attribué à Dieu et à la créature dans un
sens univoque (a. 5). Saint Thomas montre ensuite que Dieu ne nous est pas
connu dans sa nature même et nous est révélé uniquement par ses activités et
par ses œuvres (a. 8). Et le mot « Dieu » nomme une opération, celle
qui est « de prendre soin de toutes choses avec une prévoyance et une
bonté parfaite » (Denys). « Dieu » n'en est pas moins
destiné à signifier la nature divine, qui cependant est incommunicable (a. 9).
Saint Thomas termine en citant le livre de l'Exode et la révélation faite à
Moïse : « Celui qui est m'a envoyé vers vous » (Ex 3, 14) ;
et selon lui, Celui qui est convient au plus haut point à Dieu (a. 11).
Ici saint Thomas regarde non plus la révélation de Dieu faite à Moïse, mais la
révélation que Jésus fait à ses disciples lors de sa dernière semaine sur la
terre. Jésus vient révéler le Père, le manifester, et ici d'une manière ultime.
C'est donc lui, le Fils, qui est véritablement le nom du Père. C'est le Fils
qui, en glorifiant le Père par sa Passion, par sa mort sur la Croix, permet au
nom du Père d'être glorifié.
8. Jn 17, 6.
Ou bien le nom du
Seigneur est la connaissance du Père ; et alors en voici le sens :
fais ceci, PÈRE, GLORIFIE TON NOM ; c'est-à-dire : fais ce qui est la
gloire de ton nom. Et cela revient au même, puisque quand le Fils a été
glorifié, le nom du Père est glorifié. Or il dit cela parce que c'est par sa
Passion que le Fils devait être glorifié - Il
s'est fait obéissant, au Père, jusqu'à la mort, et la mort de la
Croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté3. C'est comme s'il disait : le sentiment naturel demande que je sois
sauvé, mais la raison demande que ton nom soit glorifié, c'est-à-dire que le
Fils souffre ; parce que c'est encore par la Passion du Christ que la
connaissance de Dieu devait être glorifiée. En effet, avant la Passion, Dieu
n'était connu qu'en Judée et en Israël grand était son nom4 ;
mais après sa Passion, son nom a été glorifié parmi les nations - Grand est
mon nom chez les nations5.
VINT DONC UNE VOIX DU CIEL, DISANT : « JE L'AI
GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI. » LA FOULE DONC, QUI SE TENAIT
LÀ ET AVAIT ENTENDU, DISAIT QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE. D'AUTRES
DISAIENT : « UN ANGE LUI A PARLÉ. » JÉSUS RÉPONDIT ET DIT :
« CE N'EST PAS POUR MOI QUE CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. C'EST
MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE. MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ
DEHORS. ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À
MOI. » OR IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.
(12, 28-33)
1661. À propos de la
promesse de la gloire qui est exprimée ici, l'Évangéliste fait d'abord mention
de la voix de celui qui promet la gloire, puis de l'opinion de la foule qui
doute de cette voix [n° 1663]. Enfin, il donne l'explication à propos de la
voix qui s'est fait entendre [n° 1664].
La voix du Père.
VINT DONC UNE VOIX DU CIE1.
1662. Cette voix,
c'est la voix de Dieu le Père, comme la voix qui vint sur le Christ baptisé - Celui-ci est mon Fils bien-aimé6 -, et qui vint de même sur lui transfiguré.
Mais bien qu'une
telle voix soit toujours formée par la puissance de toute la Trinité, cependant
elle est spécialement formée pour représenter la personne du Père ; c'est
pourquoi on dit que c'est la voix du Père, comme la colombe a été formée par
toute la Trinité pour signifier la personne de l'Esprit Saint ; et de même
le corps du Christ a été formé par toute la Trinité, mais il est spécialement
assumé par la personne du Verbe, parce que c'est pour être uni à lui qu'il a
été formé.
1. Is 30, 27.
2. Jn 17, 5.
3. Ph 2, 8.
4. Cf. Ps 75, 2.
5. Ml 1, 11.
6. Mt 3, 17 et 17, 5.
JE L'AI GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI.
Cette voix fait donc
deux choses. Premièrement, elle manifeste le passé, en disant : JE L'AI
GLORIFIÉ, c'est-à-dire : de toute éternité je l'ai engendré glorieux,
puisque le Fils n'est que gloire et splendeur du Père - Elle est l'éclat de la lumière éternelle et le miroir sans
tache de la majesté de Dieu1. - Lui qui est la splendeur de sa gloire
et l'effigie de sa substance2. Ou bien : JE L'AI GLORIFIÉ en sa
nativité, lorsque les anges chantèrent :
Gloire à Dieu au
plus haut des deux3, et dans les miracles faits par lui.
Deuxièmement, elle
annonce le futur : ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans sa Passion, en
laquelle il a triomphé du diable, dans sa Résurrection et son Ascension, et
dans la conversion du monde entier
- Le Dieu de nos pères a glorifié son Fils Jésus 4.
L'opinion de la
foule.
LA FOULE DONC, QUI
SE TENAIT LA ET AVAIT ENTENDU, DISAIT QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE.
1663. L'Évangéliste
expose ensuite l'opinion de la foule qui doute de cette voix. Dans cette foule,
de fait, comme dans toute foule, certains avaient une intelligence plus
grossière et plus lente, et d'autres au contraire une intelligence plus
pénétrante, bien que tous fussent imparfaits dans la connaissance de la voix
elle-même.
Car ceux qui étaient
oisifs et charnels n'ont pas perçu la voix elle-même mais seulement un
bruit ; voilà pourquoi ils disaient QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE.
Mais ils ne se trompaient pas complètement : en effet la voix du Seigneur
était un tonnerre, tantôt parce qu'elle avait une signification étonnante,
tantôt parce qu'elle contenait de grandes choses - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite
goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa
grandeur ?5 - Voix de ton tonnerre dans le tourbillon6. Les
plus pénétrants, quant à eux,
ont perçu cette voix comme le son d'une voix articulée et porteuse de
signification : c'est pourquoi ils dirent que c'était une parole. Mais,
croyant que le Christ était purement homme, ils se sont trompés en attribuant
cette parole à un ange. C'est pourquoi ils disaient : UN ANGE LUI A PARLÉ,
eux qui admettaient les mêmes choses que le démon, qui croyait que le Christ
avait besoin du secours des anges. Aussi le démon disait-il au Christ : Il a pour toi donné ordre à ses anges, et ils te porteront dans leurs
mains1. Or le Christ n'a pas
besoin de la garde et de l'aide des anges, mais c'est lui-même qui glorifie et
qui garde les anges.
1. Sg 7, 26.
2. He 1, 3. Au sujet de l'expression Lui qui est la splendeur
de sa gloire, saint Thomas commente : « Le
Verbe du Père, qui est un fruit conçu
de son intelligence, est la splendeur de sa sagesse par laquelle il se connaît. Et c'est pourquoi
l'Apôtre appelle le Fils la splendeur de
sa gloire, c'est-à-dire la splendeur de la claire connaissance divine. Par là il montre qu'il n'est
pas seulement sage mais la sagesse engendrée »
(Ad Heb. lect., I, n° 26). Voir vo1. I, n° 1278, note 4.
3. Lc 2, 14.
4. Ac 3, 13.
5. Jb 26, 14. Dans le Contra Gentiles (IV,
1), saint Thomas, en commentant ce verset du livre de Job, expose les trois
connaissances dont l'homme dispose à l'égard de Dieu : « La première
consiste à remonter jusqu'à Dieu par le moyen des créatures et à la seule
lumière naturelle de la raison. Dans la deuxième, c'est la vérité divine, dans
sa transcendance par rapport à l'intelligence, qui descend jusqu'à nous par
mode de révélation, non pas qu'elle soit déjà démontrée jusqu'à l'évidence,
mais seulement offerte à notre foi par la parole. Dans la troisième enfin,
c'est l'esprit humain qui sera élevé jusqu'à la pleine intuition des vérités
révélées. C'est à cette triple connaissance que Job veut faire allusion dans ce
verset. Il dit en effet :
Voici : ce qu'on a dit, ce n'est qu'une partie des voies de Dieu, et ceci se
rapporte à la démarche de l'intelligence qui, empruntant la voie des créatures,
s'élève jusqu'à la connaissance de Dieu. Mais les voies elles-mêmes, nous ne
les connaissons qu'imparfaitement. Aussi Job a-t-il raison de préciser : une
partie - C'est en partie, en effet, que nous connaissons, comme dit
l'Apôtre (1 Co 13, 9). Ce qu'il ajoute ensuite : Si c'est avec peine
que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles, se rapporte à la
seconde connaissance suivant laquelle les vérités divines sont révélées par
mode de parole et pour que nous y croyions. (...) Qui pourra contempler
l'éclat du tonnerre de sa grandeur ? relève de la troisième
connaissance, par laquelle la vérité première sera connue non par la foi mais
dans la vision - Nous le
verrons tel qu'il est (1
Jn 3, 2) ».
6. Ps 76, 19.
L'explication de
cette voix.
1664. L'Évangéliste
commence par expliquer la voix émise en donnant d'abord la cause de la voix [n°
1665], puis sa signification [n° 1666], après quoi il montre l'opposition de la
foule [n° 1675]. Enfin, il rapporte la réponse du Seigneur [n° 1681].
I
JÉSUS RÉPONDIT ET
DIT : « CE N'EST PAS POUR MOI QUE CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR
VOUS. »
1665. Quant au
premier point, il faut savoir que puisqu'ils avaient dit : UN ANGE LUI A
PARLÉ, et qu'un ange parle à quelqu'un pour lui révéler une chose destinée à
l'utilité de celui qui parle, comme on le voit clairement dans le premier
chapitre de l'Apocalypse et le premier chapitre d'Ézéchiel, le Seigneur,
montrant qu'il n'a pas besoin de voix ni du secours d'une révélation angélique,
dit : CE N'EST PAS POUR MOI - c'est-à-dire pour m'instruire - QUE CETTE
VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. En effet, elle n'a rien signifié qu'il n'ait su
auparavant, puisqu'en lui
sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu2, de telle sorte qu'il a connu
tout ce que le Père connaît. MAIS POUR VOUS, c'est-à-dire pour vous instruire.
Cela fait comprendre que, dans l'économie divine3, beaucoup de choses concernant le Christ ont
été réalisées pour nous, et non parce que lui-même en avait besoin - Tout ce qui a été écrit le fut
pour notre instruction4.
C'EST MAINTENANT LE
JUGEMENT DU MONDE. MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS. ET
MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI. (12, 31-32)
1666. Il indique
d'abord le jugement par lequel il devait être glorifié, puis l'effet du
jugement [n° 1668] et, en dernier lieu, le mode de cette glorification [n°
1672].
Le jugement
C'EST MAINTENANT LE
JUGEMENT DU MONDE.
1667. Mais s'il en
est ainsi, pourquoi donc attendons-nous que le Seigneur vienne une seconde fois
pour juger ? Il faut répondre qu'il est déjà venu pour juger selon un
jugement de discernement5, par lequel il devait discerner les siens de
ceux qui n'étaient pas à lui - C'est pour un jugement que je suis venu dans ce monde0. Et de ce jugement il dit : C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE.
Mais il va venir pour juger selon un jugement de condamnation, pour lequel il
n'était pas venu la première fois - Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde,
mais pour que le monde soit sauvé par lui1.
Ou bien il faut dire
que le jugement est double : l'un par lequel le monde est condamné, et qui
n'est pas celui dont il est question ici ; l'autre par lequel le jugement
est rendu en faveur du monde, dans la mesure où le monde est libéré de
l'esclavage du diable. On doit entendre de cette manière ce verset du
psaume : Juge, Seigneur,
ceux qui me nuisent1.
1. Mt 4, 6 ;
Ps 90, 11.
2. Col 2, 3.
3. Sur le sens du
mot dispensatio, voir vo1. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.
4. Rm 15, 4.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LU, 6, BA 73B, p. 327. Voir
vo1. I, n° 483 et n° 1360, note 3.
6. Jn 9, 39. 7. Jn
3, 17.
Et les deux
reviennent au même parce que, par ce jugement en faveur du monde, le diable
étant chassé, les bons sont discernés des mauvais.
L'effet du jugement
1668. L'effet du
jugement est l'expulsion du diable : MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA
ÊTRE JETÉ DEHORS, par la puissance de la Passion du Christ. Ainsi sa Passion
est-elle sa glorification, comme si par là il expliquait ce qu'il dit : ET
DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans la mesure où LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE
JETÉ DEHORS, comme si c'était par sa Passion qu'il remportait la victoire sur
le démon - Le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire les œuvres
du diable2.
1669. Mais à ce
sujet s'élèvent trois objections. Premièrement du fait qu'il dit que le diable
est le prince de ce monde ; c'est à partir de là que les manichéens 3 disent
qu'il est le créateur et le seigneur de toutes les réalités visibles.
La réponse est que
le diable est appelé le prince de ce monde, non pas par un pouvoir naturel,
mais par usurpation, en tant que les hommes de ce monde, par mépris du vrai
Dieu, se sont soumis à lui - Le
dieu de ce monde a aveuglé l’ esprit des infidèles4. Il est donc le prince de ce monde dans la mesure où il règne sur les
hommes de ce monde, comme le dit Augustin5, qui se sont répandus sur toute la surface
de la terre.
Car le terme
« monde6 » est tantôt pris dans un mauvais sens
à l'égard des hommes qui aiment le monde - Le monde ne l’α pas connu7 -,
tantôt dans un bon sens, à l'égard des hommes bons qui vivent dans le monde de
telle manière que leur séjour (conversatio 8) soit cependant dans les cieux - C'était Dieu, en effet, qui dans le
Christ se réconciliait le monde 9.
1670. Deuxièmement,
l'objection porte sur : VA ÊTRE JETÉ DEHORS. En effet, s'il avait été jeté
dehors, il ne tenterait pas à présent comme il tentait auparavant. Cependant il
n'a pas cessé de tenter : c'est donc qu'il n'a pas été jeté dehors.
À cela il faut
répondre, selon Augustin 10, que bien que le diable tente les hommes qui
ne sont plus du monde, cependant il ne tente pas de la même manière
qu'auparavant. Car alors il tentait et régnait de l'intérieur mais, par la
suite, de l'extérieur uniquement. En effet, aussi longtemps que les hommes sont
dans le péché, c'est de l'intérieur qu'il règne et qu'il tente - Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel
de manière à obéir à ses concupiscences n. Ainsi, il a été jeté dehors parce que l'effet du péché dans l'homme ne
vient pas de l'intérieur mais de l'extérieur.
1671. Troisièmement,
l'objection concerne l'affirmation : MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA
ÊTRE JETÉ DEHORS, ce qui semble entraîner qu'avant la Passion du Christ il
n'avait pas été jeté dehors et que, par conséquent, puisqu'il est jeté dehors
au moment où les hommes sont libérés du péché, alors Abraham, Isaac et les
autres figures de l'Ancien Testament n'ont pas été affranchis du péché.
1. Ps 34, 1.
2. 1 Jn 3, 8.
3. Voir vo1. I, n° 81, note 3.
4. 2 Co 4, 4.
5. Tract, in
Io., LU, 10, BA 73B, p. 335.
6. Voir
ci-dessous, n° 2032, note 4, et n°
2129.
7. Jn 1, 10.
8. Sur le sens du
mot conversatio, voir vo1. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374, note 13,
et n° 1584, note 2.
9. 2 Co 5, 19.
10. Tract, in Io., LII, 9, BA 73B, p. 333.
11. Rm 6, 12.
Il faut dire, selon
Augustin \ qu'avant la Passion du Christ il avait été chassé de
personnes singulières, mais non pas du monde, comme après. Car ce qui a été
réalisé alors chez un tout petit nombre d'hommes, on reconnaît que maintenant
cela a été réalisé par la puissance de la Passion du Christ pour les nombreux
et grands peuples des Juifs et des païens convertis au Christ.
Ou bien il faut
affirmer que le diable est jeté dehors par le fait que les hommes sont libérés
du péché ; cependant, avant la Passion du Christ, les hommes justes
avaient été affranchis du péché mais pas totalement, puisqu'ils étaient encore
empêchés d'être introduits dans le Royaume : quant à cela, le diable avait
encore sur eux un droit, mais qui lui fut totalement enlevé par la Passion du
Christ, au moment où le glaive flamboyant a été enlevé2,
quand il a été dit à l'homme :
Aujourd'hui, tu seras avec moi dans k Paradis3.
Le mode de la
glorification
ET MOI, QUAND
J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI.
1672. Le mode de la
Passion est par exaltation.
À ce sujet, il faut
savoir que Chrysostome 4 utilise l'exemple suivant : prenons un
tyran qui aurait eu l'habitude d'opprimer ses sujets, de les frapper et de les
jeter aux fers ; si ensuite, poussé par la même folie, il traite de la
même manière un homme qui ne lui est soumis en rien, et qu'il l'emprisonne, il
doit à juste titre être aussi privé du pouvoir sur ceux qui lui étaient
soumis : et c'est ainsi que le Christ a fait contre le diable. En effet, à
cause du péché de nos premiers parents, le diable avait un certain droit sur
les hommes ; aussi pouvait-il, en un sens, sévir contre eux d'une manière
juste. Mais parce qu'il a osé tenter des choses semblables même contre le
Christ, sur lequel il n'avait aucun droit, le tentateur, en attaquant celui sur
lequel il n'avait aucun droit, comme il est dit plus loin5, a
mérité d'être également privé de son pouvoir par la mort du Christ.
Et c'est bien ce
qu'il dit : QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI. Par
là, il montre le mode de sa mort ; puis l'Évangéliste explique ce
que dit le Christ : OR IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE QUELLE MORT IL
DEVAIT MOURIR : le mode de sa mort est par l'exaltation sur le bois de la
Croix. Il a donc bien, en cela, désigné DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.
1673. Or il faut
savoir que la cause pour laquelle le Seigneur a voulu mourir de la mort de la
Croix est double : la première, à cause de l'infamie de cette mort - Condamnons-le à la mort la plus infâme6. C'est pourquoi Augustin dit :
« C'est de cette manière que le Seigneur a voulu mourir, afin que
l'ignominie de sa mort ne détourne pas l'homme de la perfection de la justice7. »
La deuxième, parce
qu'une mort de cette sorte a lieu par mode d'exaltation ; c'est pour cela
que le Seigneur dit : QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ. Et assurément ce genre de
mort convenait au fruit, à la cause et à la figure de la Passion.
1. Tract. In Ιο., LIΙ, 8, BA73B, p. 331. Voir aussi Somme théo1., III, q. 1,
a. 2, c. et q. 46, a. 3, c.
2. Cf. Gn 3,
24 : Après avoir renvoyé Adam du Paradis, Dieu plaça à l'entrée du
jardin de délices les chérubins avec un glaive flamboyant qu'ils faisaient
tournoyer pour garder la voie de l'arbre de vie.
3. Lc 23, 43.
4. In Ioannem hom., LXVII, 2, PG 59, co1. 373.
5. Cf. Jn 13, 2-3.
6. Sg 2, 20.
7. L'idée que la
crucifixion soit la plus horrible forme de trépas et qu'elle soit un exemple
pour les chrétiens se trouve à plusieurs reprises dans les œuvres de saint
Augustin. Le Père Centi (Commenta sul Vangelo di san Giovanni, n. 10, p.
336) renvoie à : De diversis quaestionibus LXXXlll, Quaest. XXV : De
cruce Christi, CCL vo1. XLIVA, p. 17 ; De symbolo, III, 9, CCL
vo1. XLVI, p. 191-192 ; Contra Adimantum, XXI, BA 17, p. 353. Mais
nous n'avons pas trouvé de citation correspondant précisément au texte de saint
Thomas.
À son fruit, puisque
c'est par sa Passion qu'il devait être exalté - Il s'est fait obéissant jusqu'à
la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a
donné le nom qui est au-dessus de tout nom1. Et
pour cette raison le psaume
disait : Lève-toi, Seigneur, dans ta force2.
À la cause de la
Passion, cela convenait doublement : à la fois du côté du démon et du côté
des hommes. Du côté des hommes, parce qu'il mourait pour leur salut ; en
effet eux-mêmes avaient péri, puisqu'ils avaient été abaissés et plongés vers
les choses terrestres - Ils ont résolu d'abaisser leurs yeux vers la terre3. Il a donc voulu mourir exalté pour élever nos cœurs vers les choses
célestes. Car ainsi il est lui-même notre chemin vers le cie1. Et du côté des
démons cela convenait aussi, pour qu'élevé lui-même dans les airs il foulât aux
pieds ceux qui, dans les airs, avaient la suprématie et le pouvoir.
Cela convenait enfin
à la figure de la Passion, puisque le Seigneur enseigna qu'il deviendrait le
serpent d'airain dans le désert, comme il est montré au livre des
Nombres : Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi
faut-il que soit élevé le Fils de l'homme*. Ayant donc été ainsi exalté, J'ATTIRERAI TOUT, par la charité, À MOI - D'un
amour éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré, ayant pitié de toi5. En cela apparaît aussi au plus haut point la charité de Dieu pour les
hommes, dans la mesure où il a daigné mourir pour eux - Dieu prouve
ainsi son amour envers nous, puisque, au temps où nous étions encore pécheurs,
le Christ est mort pour nous0. En cela il a accompli ce que l'épouse demande dans le Cantique des
cantiques : Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l'odeur de
tes parfums7.
1. Ph 2, 8. Sur l'exaltation de la Croix voir aussi vo1. I, nos 474, 1166 et 1422.
2.Ps20, 14.
3. Ps 16, 11.
4. Jn3, 14.
5. Jr 31, 3. Saint
Thomas commente : « D'un amour éternel je t'ai aimé, comme s'il disait : non
pour un temps mais de toute éternité il t'a distribué ses largesses, il t'a
attiré vers ton lieu, ayant pitié de toi, complétant extérieurement sa miséricorde par un bienfait - Par
des "*ns humains
je les attirerai, par les liens de la charité (Os 11, 4). - Je me suis souvenu de toi,
ayant pitié de ta jeunesse et de l'amour de tes fiançailles Qr 2, 2) »
(Exp. super Hier., XXXI, lectio 1).
1674. Or il faut
remarquer que le Père attire et que le Fils aussi attire - Nul ne peut venir
à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire91. C'est pourquoi il dit ici : J'ATTIRERAI TOUT, pour montrer que
l'opération de l'un et de l'autre est la même.
Il dit TOUT, non pas
« tous », parce que tous ne sont pas attirés vers le Fils.
J'ATTIRERAI TOUT dit-il, c'est-à-dire l'âme et le corps. Ou bien tous les
genres d'hommes, à savoir les Gentils et les Juifs, les esclaves et les hommes
libres, les hommes et les femmes. Ou encore tout ce qui a été prédestiné en vue
du salut9.
Et remarquons que le
fait même de dire qu'il attire tout à lui, c'est jeter dehors le prince de ce
monde, car il n'y a pas d'alliance entre le Christ et Bélial, ni entre la
lumière et les ténèbres 10.
II
LA FOULE LUI REPONDIT : « NOUS AVONS APPRIS DE LA
LOI, NOUS, QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. ET COMMENT DIS-TU, TOI :
"IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ" ? QUI EST CE FILS DE
L'HOMME ? » (12, 34)
1675. Après avoir
exposé la promesse de la glorification du Seigneur et l'explication de la voix,
l'Évangéliste rapporte ici le doute
de la foule. Et d'abord la foule fait appel à l'autorité de la Loi pour, à
partir de là, émettre son doute [n° 1677].
6. Rm 5, 8.
7. Ct 1, 3 (propre à la Vulgate).
8. Jn 6, 44. Voir vo1. I, n° 935.
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LII, 11, BA 73B, p.
337-339.
10. Cf. 2 Co 6, 15.
1676. Il dit donc
premièrement : LA FOULE LUI RÉPONDIT - au Seigneur qui parlait de sa mort
- « NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, NOUS (la Loi est prise ici d'une manière
générale pour désigner tous les écrits de l'Ancien Testament), QUE LE CHRIST
DEMEURE À JAMAIS. Et l'on peut dire cela à partir de nombreux passages de
l'Ancien Testament, en particulier : Son empire se multipliera, et la
paix n'aura pas de fin1. - Sa puissance est une puissance éternelle
qui ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit2.
1677. Et à partir de
cette autorité, ils soulèvent deux doutes : l'un concerne le fait, l'autre
sa personne [n° 1680]. Le fait, quand ils disent : COMMENT DIS-TU,
TOI : « IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ » ?
Mais puisque le
Christ n'a pas dit : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, mais ET
MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, comment les Juifs disent-ils : IL
FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ ?
Il faut dire ici que
les Juifs, déjà habitués aux paroles du Seigneur, ont bien gardé dans leur
mémoire qu'il disait être le Fils de l'homme. Aussi, quand il a dit : ET
MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT À MOI, ils l'ont
compris comme s'il avait dit : Quand le Fils de l'homme aura été élevé -
selon ce que dit Augustin3. Ou bien il faut dire que, bien qu'ici il
n'ait pas fait mention du Fils de l'homme, cependant plus haut il a dit
ceci : II faut que le Fils de l'homme soit élevé1.
1678. Mais il semble
que ce qu'ils disent eux-mêmes : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, ne
contredit en rien ce qu'ils avaient dit : QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS.
À cela il faut répondre que, parce que le Seigneur avait l'habitude de leur
parler en paraboles, ils comprenaient beaucoup de ce qui était dit. Aussi se
sont-ils douté que le Seigneur parlait de son exaltation par la mort de la
Croix - Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que
moi je suis5. Ou bien il faut dire que s'ils ont compris cela, c'est que déjà ils
pensaient le faire. Ce n'est donc pas la pénétration de la connaissance qui
leur donna l'intelligence de ces paroles, mais la connaissance fausse
qu'invente la malice6.
1679. Remarque bien
leur malice : ils ne disent pas NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI que le Christ
ne souffre d'aucune manière ; en effet, dans de nombreux passages des
Écritures il est question de sa Passion et de sa Résurrection, comme dans ce
verset d'Isaïe : Comme une brebis il est conduit à l'abattoir7 ; ou dans ce psaume : Et moi, j'ai dormi, j'ai sombré dans un
profond sommeil et je me suis relevé8. Mais ils disent : QUE LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS. En cela
il n'y aurait eu aucune contradiction
puisque rien de ce que le Christ a accompli par sa Passion n'aurait fait
obstacle à son immortalité. Ils voulaient en effet montrer qu'il n'était pas le
Christ puisque LE CHRIST DEMEURE À JAMAIS, comme le dit Chrysostome1.
1. Is 9, 7.
2. Dn 7, 14.
3. Tract, in Io., LII, 12, BA 73B, p. 341. 4. Jn 3, 14.
5. Jn 8, 28. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 374.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LU, 12, BA 73B, p. 341.
7. Is 53, 7.
8. Ps 3, 6. Saint
Thomas commente : « Moi, j'ai dormi. Il montre là en quoi il a
été exaucé, parce que je me suis relevé. II y a une différence entre le
mort et celui qui dort : le mort ne se relève pas - Penses-tu qu'une
fois mort l'homme vive de nouveau ? (Jb 14, 14), mais celui qui dort
se relève - Celui qui dort ne pourra-t-il se lever de nouveau ? (Ps
40, 9). Ainsi donc, quand la tribulation est si grande qu'un homme ne revient
pas à son état antérieur, on parle de mort. Mais, quand affligé ou tenté il
tombe dans le péché et se relève, on dit qu'il dort. De même on peut dire que
David a dormi parce qu'il a été libéré de son fils et de son péché. On dit
somnoler en parlant d'un léger sommeil, tandis que dormir se dit d'un sommeil
profond. C'est pourquoi une autre version dit : J'ai fait un somme, c'est-à-dire
j'ai dormi profondément. Ainsi on dit que le Christ a dormi profondément parce
qu'il s'est volontairement offert lui-même à sa Passion ; et parce qu'il a
dormi d'un sommeil profond, la mort s'ensuivit. C'est pourquoi il passa du
repos au sommeil profond. Ce sommeil est préfiguré dans celui d'Adam - Le
Seigneur fit tomber un profond sommeil sur Adam (Gn 2, 21) - parce que
c'est du côté du Christ mort sur la Croix qu'a été formée l'Église. Il dit
donc : Et je me suis relevé, c'est-à-dire par ma propre puissance -
J'ai le pouvoir de livrer ma vie et de la prendre de nouveau (Jn 10, 18)
-, et cela parce que le Seigneur m'a pris. Il eut en effet la puissance
de la divinité, puisqu'il est ressuscité - Quand le juste est tombé, il ne
reste pas terrassé car le Seigneur le soutient de sa main (Ps 36,
24) » (Exp. in Psalmos, 3, n°3).
1680. La deuxième
question porte sur sa personne, quand ils disent : QUI EST CE FILS DE
L'HOMME ? Ils demandent cela parce qu'il est dit dans Daniel : Je
voyais, et voici, venant comme un Fils d'homme et il s'avança jusqu'à l'Ancien2, et
qu'à travers ce Fils d'homme ils comprenaient le Christ ; comme s'ils
disaient : Tu dis qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé, et le Fils
de l'homme, que nous comprenons comme le Christ, demeure à jamais ; QUI
EST donc CE FILS DE L'HOMME ? S'il ne demeure pas à jamais, ce n'est pas
le Christ. En cela il faut blâmer leur lenteur d'esprit, puisqu'ils doutaient
encore qu'il fût le Christ, après tant de choses vues et tant de choses
entendues - C'est comme de parler à quelqu'un qui dort que
d'enseigner la sagesse à un sot3.
III
JÉSUS LEUR DIT DONC : << POUR PEU DE TEMPS ENCORE
LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS. MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE PEUR QUE
LES TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE
SAIT OÙ IL VA. TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, AFIN QUE
VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE. » JÉSUS DIT CELA ET IL S'EN ALLA ET SE
CACHA D'EUX. (12, 35-36)
1681. En disant
cela, le Seigneur satisfait à leur doute, en quelque sorte : il met
d'abord en lumière ce qu'ils avaient de bon puis il les exhorte à avancer [n°
1683]. Enfin, il explique son avertissement [n° 1686].
1682. Jésus leur dit
alors : POUR PEU DE TEMPS ENCORE LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS, ce qui peut se
lire de deux manières. D'une certaine manière, selon Augustin4, au
sens où le mot modicum (pour peu de temps) serait l'adjectif qualifiant
« lumière », comme s'il disait : il y a une certaine lumière en
vous dans la mesure où vous savez que le Christ demeure à jamais. En effet ceci
est une vérité, et toute manifestation de la vérité est une lumière infusée par
Dieu. Cependant, cette lumière qui est en vous est limitée puisque, bien que
vous ayez connaissance de l'éternité du Christ, vous ne croyez pas en sa mort
et en sa Résurrection : en cela il est évident que vous n'avez pas une foi
parfaite. Ce qui a été dit à Pierre leur convient donc bien : Homme de
peu de foi, pourquoi as-tu douté ?5
Mais selon
Chrysostome6, il est dit POUR PEU DE TEMPS ENCORE au sens
de : c'est pour peu de temps que LA LUMIÈRE EST PARMI VOUS, c'est-à-dire
moi, qui suis la lumière ; comme s'il disait : c'est pour peu de
temps que moi, la lumière, je suis avec vous - Un peu de temps et
vous ne me verrez plus1.
L'exhortation du
Christ
MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE PEUR QUE LES
TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE
SAIT OÙ IL VA. TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, AFIN QUE
VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE.
1683. Et voilà
pourquoi il les exhorte ensuite à aller jusqu'au bout et à progresser dans le bien : il les exhorte, puis
leur montre le danger qui les guette s'ils n'avancent pas [n° 1685].
1. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 373-374.
2. Dn7, 13.
3. Si 22, 9.
4. Tract, in Io., LU, 13, BA 73B, p. 341-343.
5. Mt 14, 31.
6. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 374.
7. Jn 16, 16.
1684. Il dit
donc : je dis que vous n'avez qu'un peu de lumière ; cependant, tant
que vous l'avez, MARCHEZ, c'est-à-dire avancez et progressez, pour comprendre
que le Christ tout en étant éternel doit mourir et ressusciter - cela d'après
la première explication \
Ou bien :
MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, c'est-à-dire : tant que je suis
avec vous, progressez et efforcez-vous de me garder si bien que vous ne me
perdiez jamais - Seigneur, à la lumière de ta face ils marcheront2. Et cela, de peur que LES TÉNÈBRES de l'incroyance, de l'ignorance et de
la damnation perpétuelle NE VOUS SAISISSENT et qu'ainsi vous ne puissiez plus
avancer. En effet l'homme, quand il est tout entier plongé dans l'incroyance,
est alors saisi par les ténèbres, ce qui vous arriverait si vous croyiez
l'éternité du Christ de manière telle que vous refusiez pour lui l'abaissement
de la mort3 - A l'homme dont la route est cachée
(...)4 - Nous sommes tous enveloppés de ténèbres5.
1. Cf. saint
Augustin, ibid.
2. Ps 88, 16.
3. Cf. saint
Augustin, ibid.
4. Jb 3, 23. Saint Thomas commente : « En effet la voie de
l'homme lui est cachée car il ignore où le mène l'état de prospérité actuelle -
Le rire sera mêlé à la douleur et après la joie vient le deuil (Pr 14,
13). -A l'homme n'appartient pas sa voie (Jr 10, 23). - Pourquoi
faut-il que l'homme cherche ce qui le dépasse alors qu'il ignore ce qui lui
convient durant sa propre vie ? Ou qui peut dire ce qui va venir après lui
sous le soleil ? (Qo 7, 1). Il montre comment la voie de l'homme lui
est cachée en ajoutant : Et Dieu a entouré l'homme de ténèbres, ce
qui est manifeste de plusieurs manières : quant à ce qui vient avant et
après : Grand est le malheur de l'homme parce qu 'il ignore le passé et
ne peut connaître ce qui arrivera par aucun message (Qo 8, 6-7) ;
quant à ce qui est proche, c'est-à-dire les hommes : Qui connaît ce qui
est de l'homme sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ? (1 Co 2,
11) ; quant à ce qui est au-dessus : [Dieu] qui habite une lumière
inaccessible, que nul homme n'a vu ni ne peut voir (1 Tm 6, 16), et il est
dit dans le psaume : Il a fait des ténèbres sa retraite (Ps
17, 12) ; et quant à ce qui est en dessous : Toutes les choses
difficiles, l'homme ne peut les expliquer par la parole (Qo 1,8). Or on
dit que Dieu a entouré l'homme
de ténèbres parce que Dieu lui a donné une intelligence telle qu'elle ne peut
connaître toutes les choses qu'on vient de dire » (Exp. super lob, III,
23). Sur la lumière et les ténèbres, voir vo1. I, n° 102.
5. Jb 37, 19.
ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OU IL VA.
1685. Il montre
ensuite le danger qui les guette s'ils ne progressent pas. Car la lumière, soit
de l'extérieur, soit de l'intérieur, dirige l'homme. De l'extérieur, elle le
dirige quant à ses actes corporels extérieurs, mais de l'intérieur elle dirige
sa volonté même. Celui donc qui ne marche pas dans la lumière, en ne croyant
pas parfaitement dans le Christ, mais qui MARCHE DANS LES TÉNÈBRES NE SAIT OÙ
IL VA, c'est-à-dire vers quel terme il se dirige - Ils n'ont ni savoir ni intelligence ; ils marchent
dans les ténèbres0. Et c'est bien ce qui arrive aux Juifs eux-mêmes parce qu'ils ne savent
pas ce qu'ils font mais, marchant dans les ténèbres, ils pensent suivre le
droit chemin et c'est pourquoi ils croient plaire à Dieu mais ils lui
déplaisent plutôt7. De même les hérétiques errent, aussi
croient-ils mériter la lumière de la vérité et de la grâce alors qu'ils
mériteraient plutôt d'en être privés - Telle route paraît droite à un homme, mais elle conduit, enfin de
compte, à la mort8.
TANT QUE VOUS AVEZ
LA LUMIÈRE, CROYEZ EN LA LUMIÈRE.
1686. Le Christ
explicite ici ce qu'est marcher, et cela de deux manières, selon les deux
explications données plus haut.
Selon la première
explication9, TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE
signifie : tant que vous avez quelque chose de la connaissance et de la
lumière de la vérité, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, à savoir en la vérité parfaite,
AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE, c'est-à-dire afin de renaître à la vérité
- Nous ne sommes pas les fils des ténèbres : ne dormons donc pas 1.
6. Ps 81, 5.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 375.
8. Pr 14, 12.
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LU,
13, BA 73B, p. 343.
Ou bien, selon
l'autre explication, TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE signifie : tant que
vous m'avez, moi, qui suis la lumière - Il
était la lumière, la vraie, qui
illumine tout homme venant en ce monde2 -, CROYEZ EN LA LUMIÈRE, c'est-à-dire en moi : progressez dans ma
connaissance AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIÈRE, parce que du fait que
vous croyez en moi, vous serez fils de Dieu - A ceux qui croient en son nom
il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu3.
JÉSUS DIT CELA ET IL
S'EN ALLA ET SE CACHA D'EUX.
1687. Ici l'Évangéliste
rapporte ce que Jésus a fait, à savoir qu'il se cacha. Au chapitre 8 où nous
avons lu que le Christ a fait la même chose, la raison est facile à comprendre
puisqu'ils prirent des pierres pour les lui jeter*s mais
ici il n'y a aucune explication à son geste puisqu'ils ne ramassaient pas de
pierres ni ne blasphémaient contre lui : pourquoi donc s'est-il
caché ?
1. 1 Th 5, 5. Saint Thomas commente : « [L'Apôtre]
ajoute qu'ils sont fils de la lumière et du jour. Or dans l'Écriture on appelle
fils de quelque chose ceux qui ont cette chose en abondance (...). Ceux donc
qui participent beaucoup au jour et à la lumière en sont les fils. Cette
lumière, c'est la foi au Christ - Moi je suis la lumière du monde (Jn 8, 12). - Croyez en la lumière pour
être des fils de lumière (Jn 12, 36). En effet, de même que de la lumière
provient le jour, ainsi de la foi au Christ se lève le jour, c'est-à-dire
l'honnêteté des bonnes œuvres » {Ad 1 Thess. lect., V, n° 115).
2. Jn 1, 9.
3. Jn 1, 12.
Il faut répondre que
le Seigneur, scrutant leurs cœurs, connut la fureur et la malice que déjà ils
avaient conçues en vue de le tuer. C'est pourquoi, voulant les devancer, il n'a
pas attendu qu'ils passent à l'exécution, mais, en se cachant, il a voulu
adoucir leur haine et leur colère. En cela il nous a donné l'exemple que
lorsque la malice de certains à notre égard est manifeste, nous devons fuir
avant même qu'ils ne tentent d'arriver à leurs fins. Néanmoins le Seigneur a
montré par ce fait ce qu'il a dit par sa parole. Il avait dit en effet : MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIÈRE, DE
PEUR QUE LES TÉNÈBRES NE VOUS SAISISSENT ; il a laissé entendre en se cachant ce que sont ces ténèbres - J'ai
attendu le Seigneur qui a
caché sa face loin de la maison de Jacob5.
4. Jn 8, 59.
5. Is 8, 17.
1688. Jusqu'ici,
l'Évangéliste a traité de plusieurs manières de la gloire du Christ, en raison
de laquelle les Juifs, par jalousie, ont été poussés à le tuer ; à
présent, il s'agit de l'autre cause de sa Passion : l'incrédulité des
Juifs.
Il est d'abord
question de leur incrédulité ; puis cette incrédulité est blâmée par le
Seigneur [n° 1710].
Jean, premièrement,
blâme l'incrédulité de ceux qui ne croyaient pas du tout, puis celle de ceux qui
croyaient, mais en secret [n° 1706].
À l'égard de ceux
qui ne croyaient pas du tout, il commence par montrer la dureté étonnante de
leur incrédulité ; puis, pour qu'on ne croie pas que cela se fit d'une
manière irrationnelle ou fortuite, il introduit une prophétie [n° 1690].
La dureté
étonnante de leur incrédulité.
MAIS BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE
CROYAIENT PAS EN LUI. (12, 37)
1689. L'Évangéliste
dit donc, comme en s'étonnant : il est dit que le Seigneur fait beaucoup
de signes, par exemple qu'il a changé l'eau en vin ', qu'il a guéri un
paralytique 2, qu'il a illuminé un aveugle3,
qu'il a ressuscité un mort4, et cependant BIEN QU'IL EÛT FAIT
TANT DE SIGNES DEVANT
EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI. Ils disaient donc : Quel signe fais-tu
donc pour que nous voyions et croyions en toi ?5 Mais
voici ce que dit l'Évangéliste : BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT
EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI - Si je n'avais fait parmi eux les œuvres
que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché6. Aussi ne pouvaient-ils
pas dire ceci : Nous n'avons plus vu de signes7.
1. Cf. Jn 2, 1-11.
2. Cf. Jn 5, 1-9.
3. Cf. Jn 9, 1-7.
4. Cf. Jn 11, 43.
5. Jn 6, 30.
6. Jn 15, 24.
7. Ps 73, 9.
La prophétie
d'haïe.
POUR QUE S'ACCOMPLÎT LA PAROLE QUE LE PROPHÈTE ISAÏE AVAIT
DITE : « SEIGNEUR, QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS, ET LE
BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ? » (12, 38)
1690. En vue de cela
sont introduits les témoignages des prophètes, et après avoir cité les
prophéties l'Évangéliste montre qu'elles parlent du Christ [n° 1703].
I
II cite d'abord la
prophétie prédisant leur incrédulité, puis il ajoute celle qui prédit la cause
de cette incrédulité [n° 1697].
1691. Il dit
donc : je dis qu'ils ne croyaient pas en lui, POUR QUE S'ACCOMPLÎT LA
PAROLE QUE LE PROPHÈTE ISAÏE AVAIT DITE.
Ici il faut savoir
que l'expression « pour que » dans les Saintes Écritures a tantôt un
sens causal, comme plus haut : Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie l ; tantôt un sens
consécutif, et signifie alors un événement futur. Et c'est en ce sens qu'elle
est prise ici. En effet ce n'est pas parce qu'Isaïe l'avait prédit qu'ils ne
croyaient pas2 mais c'est parce qu'ils n'allaient pas
croire qu'il l'a prédit ; ainsi c'est à partir des non-croyants que la
parole d'Isaïe est accomplie - II faut que s'accomplisse tout ce qui est
écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes3. - Un
seul iota ou un seul point de la Loi ne passera pas que tout ne soit accompli*.
1692. Mais s'il
était nécessaire que s'accomplît la parole d'Isaïe, il semble que les Juifs
soient excusables de ce qu'ils n'ont pas cru : en effet, ils ne pouvaient
aller contre la prophétie.
Je réponds : il
faut dire qu'ainsi était prophétisé qu'ils useraient de leur libre arbitre. En
effet Dieu, qui connaît par avance les choses futures, a prédit par le prophète
leur incrédulité, mais ce n'est pas lui qui en est l'auteur5 :
ce n'est pas parce qu'il connaît déjà les péchés futurs des hommes que Dieu
force quelqu'un à pécher. Ce péché, donc, que les Juifs ont commis, le
Seigneur, à qui rien n'est caché, a prédit qu'ils allaient le commettre6.
1693. Il ajoute
ensuite ce que dit le prophète : SEIGNEUR, QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ
ENTENDU DE NOUS, ET LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ?
Il faut savoir ici
qu'il y a deux manières de croire. Parfois c'est par l'instruction d'un autre -
et c'est là la manière commune de
croire - La foi vient de ce qu 'on entend, et on entend par la parole du
Christ1. Parfois par une
révélation divine, ce qui est un mode particulier dont l'Apôtre dit : Ce
n'est pas non plus d'un homme que je l'ai reçu ou appris, mais par une
révélation de Jésus Christ*.
1694. Isaïe a donc
prédit9 que les croyants seraient rares, en disant :
SEIGNEUR, QUI A CRU ? Et en premier lieu quant à la manière commune,
c'est-à-dire par l'instruction, quand il dit : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? Et ce
verset d'Isaïe peut se comprendre de deux façons.
1. Jn 10, 10.
2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 2, PG
59, co1. 375.
3. Lc 24, 44.
4. Mt 5, 18.
5. Au sujet de la prédestination divine et de la liberté humaine,
voir vo1. I, n° 1301 et note 11, et n° 1373 et note 12.
6. La question comme la réponse proviennent du commentaire de
saint Augustin {Tract, in Io., LUI, 4, BA 73B, p. 351-353).
7. Rm 10, 17.
8. Ga 1, 12.
9. Is 53, 1.
D'une première façon
en ce sens : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? à savoir ce
que nous avons entendu de toi - Nous avons entendu du Seigneur des armées un
message1... - J'entendrai ce que dit en moi le
Seigneur Dieu2. Autrement dit : nous, nous l'avons entendu de toi, mais. Seigneur,
qui croira ce que nous avons entendu de ta bouche au sujet de ta nativité et de
ta Passion ? C'est aussi pourquoi tout ce chapitre d'Isaïe parle de ces
choses.
Or il dit que les
prophètes entendent, pour faire comprendre la manière dont les prophètes sont
illuminés. En effet, par la vision l'homme reçoit immédiatement une
connaissance de la réalité vue, tandis que par l'ouïe la connaissance ne
provient pas immédiatement de la réalité vue, mais d'un signe de cette réalité.
Donc, parce que les prophètes ne voyaient pas immédiatement l'essence divine
mais seulement des signes des réalités divines, il dit qu'ils entendent - Si
quelqu'un parmi vous est prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai dans une
vision ou je lui parlerai en songe3, c'est-à-dire par des signes. Or le Fils
voit éternellement l'essence divine elle-même - Personne n'a jamais vu
Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’α fait
connaître*. QUI donc A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? à
savoir : qui a cru ce que nous avons entendu et fait connaître ? - Ce
que j'ai entendu du Seigneur des armées, le Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé5.
D'une autre
façon : QUI A CRU À CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? c'est-à-dire ce
qu'ils entendent de nous - Ils entendent mes paroles de ta bouche et ne les
observent pas6.
1695. Quant au mode
particulier de croire, c'est-à-dire par une révélation, il dit : ET LE BRAS DU
SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ? Le Fils est appelé « bras »,
lui par qui le Père opère toutes choses, comme on appelle bras de l'homme ce
par quoi l'homme opère7. Et si l'homme opérait par un seul verbe
intérieur, alors ce verbe pourrait être appelé son bras. Ainsi donc le Fils est
appelé le bras de Dieu, non que Dieu le Père soit déterminé par une figure de
chair humaine et qu'il ait un bras corporel, mais parce que Tout a été fait
par lui8. - Ton bras est-il comme celui de Dieu, et
ta voix peut-elle tonner comme la sienne ?9 - II a déployé la force de son bras10.
1696. Notons que
cette parole a été l'occasion de l'erreur de Sabellius, qui a dit que le Père
et le Fils sont une même personne, et aussi de l'erreur d'Arius11,
disant que le Fils est moindre que le Père. En effet, un homme et son bras ne
forment pas deux personnes mais une seule ; et on ne peut dire que le bras
soit égal à l'homme.
Il faut répondre en
disant qu'en de telles choses il n'y a pas de similitude suffisante : car
ce qui se trouve dans les créatures ne représente pas parfaitement ce qui est
en Dieu. C'est pourquoi Denys dit que la théologie symbolique n'est pas
argumentative12. Le Fils n'est donc pas appelé
« bras » comme s'il était la même personne que le Père, ou moins
grand que lui, mais parce que par lui le Père opère tout. Il dit donc : ET
LE BRAS DU SEIGNEUR, À QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ?, comme s'il disait : à
un petit nombre, à savoir aux Apôtres eux-mêmes - Car c'est à nous que Dieu
l’α révélé par son Esprit1.
1. Ab 1c.
2. Ps 84, 9.
3. Nb 12, 6.
4. Jn 1, 18. Voir vo1. I, nos
215 à 222. 5.1s 21, 10.
6. Ez 33, 31.
7. Saint Thomas reprend ici l'interprétation spirituelle de saint
Augustin, identifiant le Fils de Dieu au bras de Dieu (Tract, in Io.,
LIII, 3, BA 73B, p. 349-351).
8. Jn 1, 3. 9.Jb40, 4.
10. Le 1, 51.
11. Sur Sabellius et Anus : voir vo1. I, n" 64, note 3,
et n° 61, note 2.
12. Cette remarque de saint Thomas s'appuie sur la distinction
qu'il établit entre analogie propre et analogie métaphorique (cf. Somme
théo1., I, q. 13, a. 3, ad 1, et a. 6). L'analogie métaphorique, comme
celle du « bras », ne convient pas directement à Dieu, puisque Dieu n'a pas de corps. Seule une propriété
ou un effet du « bras »
- la puissance - convient à
Dieu. L'analogie propre, elle, exprime une
notion qui peut être retrouvée éminemment en Dieu : la bonté, la sagesse, etc. À la suite
de la Révélation, et de l'Écriture, la théologie
symbolique ne néglige pas la qualité des analogies (ou « ^similitudes ») métaphoriques pour
révéler le mystère divin. Mais l’insuffisance
des « similitudes » métaphoriques dont use une théologie
symbolique la rend inférieure, au niveau de l'argumentation rationnelle, à une théologie recourant
de préférence à des analogies propres.
VOILA POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. ET PARCE
QU'ISAÏE A DIT ENCORE : « IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR
CŒUR, POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE
CŒUR, POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE. » (12,
39-40)
1697. Jean cite
ensuite la prophétie prédisant la cause de leur incrédulité. Et si nous sommes
attentifs à ces paroles de l'Évangéliste, il semble bien, à première vue,
qu'elles aient une signification obscure.
D'abord parce que
s'il est dit : VOILÀ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE, ce qu'Isaïe a dit, les Juifs semblent être
excusables2. En effet, quel est le péché de l'homme qui
ne fait pas ce qu'il ne peut pas faire ? Et, ce qui est plus grave, on
fait retomber la faute sur Dieu, parce qu'IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX et leur cœur.
Ce serait tolérable si on disait cela du diable, puisque le dieu de ce monde
a aveuglé l'esprit des infidèles3. Mais ici on dit cela de notre Seigneur ! Car Isaïe dit : Je
vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 4. Et
plus loin : Aveugle le cœur de ce peuple, rends-le dur d'oreille,
bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles
n'entendent, que son cœur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit
guéri5.
1. 1 Co 2, 10.
2. La double objection provient du
commentaire de saint Augustin {Tract,
in Io., LUI, 5, BA 73B, p. 353-355).
3. 2 Co 4, 4.
1698. Pour bien
comprendre cela, expliquons d'abord ce que dit l'Évangéliste : VOILÀ
POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. Il faut savoir que quelque chose est dit
impossible ou nécessaire de deux manières : d'une manière absolue et d'une
manière relative. D'une manière absolue, comme il est impossible qu'un homme
soit un âne ; d'une manière relative, comme il est impossible que je sois
à l'extérieur de la maison si je suis à l'intérieur. En fonction de cela, il
faut donc dire qu'un homme est excusé s'il ne fait pas les choses qui, d'une
manière absolue, lui sont impossibles. Mais s'il ne fait pas celles qui lui
sont impossibles d'une manière relative, il n'est pas excusé. Ainsi, si l'on
rapporte que quelqu'un a vraiment la mauvaise volonté de voler et qu'il dit
qu'il lui est impossible de ne pas pécher tant qu'il a cette volonté, il n'est
pas excusé ; parce qu'une impossibilité de cette sorte n'est pas absolue
mais relative : en effet il peut abandonner cette mauvaise volonté. Il est
donc dit : VOILÀ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE comme s'ils avaient,
dans leur malice, une volonté aveuglée - Si l'Éthiopien peut changer sa peau
ou le léopard ses taches, alors vous aussi pourrez bien faire, quoique vous
ayez appris le mal1. - Comment pourriez-vous faire le bien, vous qui êtes mauvais ?2 Et c'est la même chose que si je disais de
quelqu'un : moi, en aucune manière je ne peux l'aimer, mais je l'ai en
haine.
4. Is 6, 1. Saint
Thomas commente : « Le secret céleste, dit Chrysostome, n'est pas vu
sans médiation dans sa propre essence - comme c'est le cas pour les bienheureux
dans la patrie - par certains qui l'atteignent selon la perfection qu'ils ont
en raison d'une lumière divine reçue et par ceux qui sont élevés par rapt à ce
mode de la vision. Il semble que ceux-là aient une vision moins parfaite, selon
les similitudes de la bonté elle-même, soit dans des réalités sensibles, soit
dans des images, soit dans des formes intelligibles : et c'est par une
vision de ce genre que les prophètes ont vu par la lumière de la prophétie, et
que nous voyons par la foi, et que voient même des philosophes qui ont connu
Dieu par la lumière de la raison (cf. Rm 1, 20) » (Exp. super Isaiam, 6,
1, p. 48,Ί. 118-131). Pour le commentaire de ce verset, voir aussi vo1. I,
Prologue, nos 1-6. Sur la vision de la gloire de Dieu, voir Ad
1 Cor. lect., XIII, n" 800, cité au vo1. I, n° 1548, note 4.
5. Is 6, 10.
Quant à la deuxième
partie de la prophétie, il faut savoir que l'aveuglement et l'endurcissement
venant de Dieu ne s'entendent pas comme si Dieu suscitait la malice ou qu'il
poussait à pécher, mais du fait qu'il n'infuse pas sa grâce3,
grâce qu'il infuse par sa miséricorde. Mais la raison pour laquelle il ne
l'infuse pas provient de nous, en tant qu'il y a en nous quelque chose qui
répugne à la grâce divine. Car lui, quant à ce qu'il est lui-même, illumine
tout homme venant en ce
monde4 - Il veut que tous les hommes soient sauvés5. Mais c'est parce que nous
nous détournons de Dieu qu'il nous retire sa grâce - Parce que tu as, toi, rejeté la science, je te rejetterai0. - Ta perte, Israël, provient de toi ;
en moi seul ton secours1. Et c'est comme si quelqu'un avait fermé la fenêtre de sa maison et
qu'on lui disait : Tu ne peux pas voir puisque tu es privé de la lumière
du solei1. Or ce ne serait pas à cause d'un manque de soleil, mais parce que
lui-même se serait coupé de la lumière du solei1. C'est d'une manière semblable
qu'on dit ici qu'ils NE POUVAIENT PAS CROIRE parce que Dieu les a
aveuglés : c'est qu'en fait eux-mêmes avaient produit la cause de leur
aveuglement - Leur malice les
a aveuglés8.
1. Jr 13, 23.
2. Mt 12, 34.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LUI,
6, BA 73B, p. 357.
4. Jn 1, 9. Voir vo1. I, n" 130.
5. 1 Tm 2, 4.
6. Os 4, 6.
7. Os 13, 9. Au
sujet du mystère de la grâce, voir vo1. I, n° 154, note 8, n" 206, note 4
et n° 1269, note 5. Voir aussi Somme théo1., I-II, q. 112, a. 3 et 4. Citons cette réponse de saint
Thomas : « Quand la grâce manque, la cause première de ce défaut de
grâce est en nous ; quand au contraire elle est donnée, la cause première
de ce don est en Dieu. D'où cette parole d'Osée : Ta perte vient de
toi-même, ó Israël, mais ton secours est en moi seul (Os 13, 9) » (ibid.,
a. 3, ad 2).
IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR CŒUR, POUR QU'ILS NE
VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR, POUR QU'ILS NE SE
CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE. (12, 40)
1699. Après avoir vu
cela il faut considérer les paroles de cette prophétie du livre d'Isaïe, non
pas en elles-mêmes mais selon leur signification. Dans ces paroles, donc, sont
contenues trois choses : premièrement, l'endurcissement et l'aveuglement des
Juifs ; deuxièmement, l'effet de l'un ei de l'autre [n° 1701] ;
troisièmement, la fin de cet endurcissement et de cet aveuglement [n° 1702].
IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX.
1700. À propos du
premier point, il faul considérer que le Seigneur amenait à la foi de deux
manières : par des miracles et par un enseignement ; c'est pourquoi
il les reprend sur ces deux points en disant : Si je n 'avais fait parmi eux les œuvres que nui
autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché9. Et encore : Si je n 'étais pas venu, et que je ne leur avais
pas parlé, ils n'auraient pas dé péché, mais maintenant ils n'ont pas d'excuse
à leur péché10. Ils ont en effet méprisé l'un et l'autre.
Donc, parce qu'ils n'étaient pas attentifs aux miracles du Christ avec la
ferveur qu'ils auraient dû avoir, il dit : IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX,
à savoir : les yeux de leur cœur - Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur11 pour qu'ils considèrent pai leur intelligence que de tels miracles ne
pouvaient être faits si ce n'est par la puissance divine. - Toi qui as vu tant de choses, tu n'y fais pas
attention ?l Et : Qui est aveugle, sinon mon serviteur ?2
8. Sg2, 21.
9. Jn 15, 24.
10. Jn 15, 22.
11. Ep 1, 18.
IL A ENDURCI LEUR
CŒUR.
Parce qu'ils
n'étaient pas impressionnés par l'enseignement du Christ, il ajoute : ET
ENDURCI LEUR CŒUR. Ce qui n'est pas dissous par une forte chaleur ni broyé par
un coup violent est à l'évidence très dur. Or les paroles du Christ sont
comme un feu, et comme un marteau qui brise la pierre, comme il est dit
dans Jérémie3. Comme du feu, certes, parce qu'elles
enflamment par la charité ; comme un marteau, parce qu'elles effraient par
la menace et brisent par la très grande évidence de la vérité. Et pourtant le
cœur des Juifs n'était pas attentif à la parole du Christ. Aussi il est
manifeste qu'il fut endurci - Son cœur est dur comme l'enclume de celui qui
manie le marteau*. - II fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il
veut5.
POUR QU'ILS NE
VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR.
1701. Il montre
ensuite l'effet de leur aveuglement lorsqu'il dit : POUR QU'ILS NE VOIENT
PAS DE LEURS YEUX, à savoir ceux de l'esprit, en découvrant la divinité du
Christ - Elles ont des yeux et ne voient pas6.
Au contraire, il est
dit dans Luc : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez7. Il
montre l'effet de leur endurcissement lorsqu'il dit : ET NE COMPRENNENT
PAS PAR LE CŒUR, sous-entendu : Pour qu'ils NE COMPRENNENT PAS PAR LE CŒUR
- Et parce que pas un ne comprend, ils périront à jamais^. - II n'a pas
voulu comprendre de façon à bien agir9.
Ici, il faut
remarquer que l'expression « pour que » n'est pas prise au sens
causal mais au sens consécutif.
POUR QU'ILS NE SE
CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE.
1702. Puis il
indique la fin de cet aveuglement et de cet endurcissement. Et cela peut se
comprendre de deux manières, comme le dit Augustin10.
D'une première
manière, avec la répétition de la négation11, le sens serait : QU'ILS NE SE
CONVERTISSENT PAS ET QUE JE NE LES GUÉRISSE PAS. En effet, le chemin de la
guérison du péché est la conversion à Dieu - Convertis-nous à toi, Seigneur,
et nous serons convertis, et il est ajouté aussitôt : Renouvelle
nos jours comme autrefois12.
Mais à ceux qui se
sont montrés indignes de la rémission de leurs péchés, Dieu n'accorde pas les
faveurs par lesquelles ils se convertiraient et seraient guéris, puisque
manifestement ils ne les acceptent pas mais les rejettent.
D'une autre manière,
sans la répétition de la négation, le sens serait : ils ont été aveuglés
et endurcis afin que pour un temps ils ne voient ni ne comprennent ; et
qu'ainsi, ne voyant ni ne comprenant, c'est-à-dire ne croyant pas dans le
Christ, ils le tuent puis, touchés de componction 13, se convertissent et soient guéris. Car Dieu
permet que quelques-uns parfois tombent dans le péché afin qu'humiliés, ils se
rétablissent plus fermement dans la justice.
I. Is 42, 20.
2. Is 42, 19.
3Jr23, 29.
4. Jb 41, 16.
5. Rm 9, 18.
6. Ps 113, 5.
7. Lc 10, 23.
8. Jb 4, 20.
9. Ps 35, 4.
10. Quaestiones
Evangeliorum. Quaest. XIII super Matthaeum, XLIV B, CCL, p. 134-135.
11. Dans le texte
latin, en effet, la négation n'est pas répétée. On peut donc la sous-entendre
ou non.
12. Lm 5, 21.
Saint Thomas commente : « -Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous
serons convertis. Mais contre cela il est dit en Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous
à moi. Il faut dire que les deux sont vrais, car l'œuvre méritoire exige à
la fois la préparation du libre arbitre et l'infusion de la grâce » {In
Threnos Hieremiae, V).
13. Le sens du mot
componction est ici : « remords », « regret »,
« douleur de ses fautes », « contrition profonde et
cordiale », et au sens plus large, « tristesse pour les fautes
humaines » (d'après R. Brouillard, art.
« Componction », in : Catholicisme, vo1. 2, Letouzey et Ané,
Paris, 1950, co1. 1428). Saint Thomas, en commentant l'épître aux Romains (11, 8),
retrouve le sens étymologique du mot « componction » (du latin
compungere, littéralement : piquer, percer) et dit que « le
mot componction exprime une douleur qui perce le cœur. Il y a une
componction qui est bonne quand on souffre de ses propres péchés, et une qui
est mauvaise quand par envie on souffre à cause des biens que possèdent les
autres » {Ad Rom. lect., XI, n° 874). 1.Ac 2, 37.
L'une et l'autre de
ces explications se retrouvent chez différents Juifs. La première, chez ceux
qui sont demeurés jusqu'au bout dans leur refus de croire ; la deuxième,
chez ceux qui, après la Passion du Christ, se sont convertis au Christ et qui,
pris de componction en leur cœur par les paroles de Pierre, ont dit aux
Apôtres : Frères, que devons-nous faire ?l
II
ISAÏE A DIT CELA QUAND IL A VU SA GLOIRE ET QU'IL A PARLÉ DE
LUI. (12, 41)
1703. L'Évangéliste
montre ensuite que les paroles de l'Écriture citées auparavant tombent à
propos. Car Isaïe a vu en même temps la gloire de Dieu et l'aveuglement des Juifs,
comme cela apparaît clairement lorsqu'il dit d'abord : Je vis le
Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé2 :,
puis ajoute : Aveugle le cœur de ce peuple, rends-le dur d'oreille,
bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles
n'entendent, que son cœur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit
guéri3. Et parce que ce qu'il avait vu convenait pour qu'il rendît témoignage4, on
trouve ensuite : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI, c'est-à-dire du Christ, dont il
a vu la gloire : Tous les prophètes rendent de lui ce témoignage5. - Dieu
avait promis auparavant [l'Évangile] par ses prophètes dans les Saintes
Écritures, au sujet de son Fils6.
2. Is 6, 1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.
3. Is 6, 10.
4. Cf. 1 Jn 1, 2.
5. Ac 10, 43.
6. Rm 1, 2.
1704. Concernant les
deux premières choses que l'on regarde à présent, il faut prendre garde à
l'erreur des ariens qui disent que seul le Père est invisible à toute créature,
mais que le Fils a été vu dans les visions de l'Ancien Testament. Mais puisqu'il
est dit plus loin : Qui me voit, voit aussi le Père1, il est manifeste que c'est d'une seule et même manière que le Fils et
le Père sont visibles. Donc, en voyant la gloire du Fils, Isaïe a vu aussi la
gloire du Père ; et bien plus, de toute la Trinité qui est un seul Dieu siégeant
sur un trône élevé et que les séraphins proclamaient : Saint,
saint, saint. Non pas de telle sorte qu'Isaïe ait vu l'essence de la
Trinité, mais par une vision de l'imagination, avec son intelligence, il a
exprimé des signes de sa majesté - Si quelqu'un parmi vous est prophète du
Seigneur, je lui parlerai en songe ou dans une vision.
1705. Ce qui est dit
ensuite : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI exclut l'erreur des manichéens qui ont
dit qu'aucune prophétie de l'Ancien Testament n'a annoncé le Christ, comme
Augustin le rapporte9, et celle de Théodore de Mopsueste qui a dit
que toutes les prophéties de l'Ancien Testament ont été dites au sujet d'autre
chose mais rattachées au ministère du Christ par les Apôtres et les
Évangélistes, grâce à une certaine adaptation, comme ce qui est dit d'un fait
peut être appliqué à un autre10.
Or tout cela est
exclu par ce qui est dit : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI, comme le Christ a dit
au sujet de Moïse : C'est de moi qu'il a écrit11.
7. Jn 14, 9. Sur le commentaire de ce verset, voir ci-dessous, n°
1887.
8. Nb 12, 6.
9. Voir les livres 12 et 13 du Contra Faustum, PL 42, co1.
253-294.
10. Voir notamment le commentaire du v. 7 du psaume 13 (p. 85-86
de l'édition de R. Devreesse, Commentaire sur les psaumes, Vatican,
1939). Théodore, évêque de Mopsueste, sans nier la validité de l'interprétation
allégorisante, critiquait sévèrement l'usage abusif qui en était fait dans
l'école d'Alexandrie, ce qui, parallèlement à une christologie hésitante, lui
valut d'être mêlé aux innombrables querelles théologiques des iv et ν
siècles. Il refusait de reconnaître comme messianiques des textes tels que Os
11, 1 ; Mi 4, 2-3 ; Ag 2, 9 ; Za 11, 12-14. Il réduisait à
quatre les psaumes prophétisant l'Incarnation du Christ : Ps 2, 8, 45,
110. Il refusait l'interprétation allégorisante du Cantique des cantiques et
affirmait qu'il s'agit d'un épithalame composé par Salomon pour célébrer son
mariage avec une princesse égyptienne.
11. Jn 5, 46.
CEPENDANT, MÊME PARMI LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP
CRURENT EN LUI, MAIS À CAUSE DES PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS, DE PEUR
D'ÊTRE REJETÉS DE LA SYNAGOGUE. EN EFFET, ILS AIMÈRENT LA GLOIRE DES HOMMES
PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU. (12, 42-43)
1706. Après avoir
exposé le défaut de ceux qui ne croyaient pas du tout [n° 1688], l'Évangéliste
montre ici le défaut de ceux qui, pusillanimes, croyaient en secret. Et il
commence par mettre en avant leur dignité [n° 1707], puis montre leur défaut
[n° 1708], et enfin révèle la racine de ce défaut [n° 1709].
1707. La dignité de
ceux qui croyaient en secret est grande parce que ce sont des princes ; et
à cet égard il dit : CEPENDANT, MÊME PARMI LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP
CRURENT EN LUI. Comme s'il disait : J'ai dit que BIEN QU'IL EÛT FAIT TANT
DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI ; et de fait cela est
vrai pour la plus grande partie, non pas cependant sans que quelques-uns
crussent en lui, puisque PARMI LES PRINCES, à savoir LES PRINCES DU PEUPLE,
BEAUCOUP CRURENT EN LUI ; et parmi eux il y eut Nicodème, qui vint à Jésus
de nuit, comme il est dit plus haut1. Ainsi s'accomplit ce qui est dit dans le psaume : Les grands
des peuples se sont assemblés2, et est aussi montré que ce que les pharisiens ont dit plus haut était faux : Y
a-t-il quelqu'un parmi les princes des prêtres qui ait cru en lui, ou parmi les
Pharisiens ?3
1708. Le défaut de ces princes est la pusillanimité, et c'est pourquoi il
dit : MAIS
À CAUSE DES
PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS. Comme il a été dit, les pharisiens
s'étaient déjà entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le
Christ, on l'excluât de la synagogue4. Ne voulant donc
pas être exclus de la synagogue, bien qu'ils crussent dans leur cœur ILS NE LE
CONFESSAIENT cependant PAS de leur bouche. Mais leur foi était insuffisante
puisque, comme il est dit dans l'épître aux Romains : La foi du cœur
obtient la justice, et la confession des lèvres se fait en vue du salut5. Et dans Luc : Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de
celui-là le Fils de l'homme rougira^.
1709. La racine de
leur défaut est la vaine gloire7. D'où ce qui suit : EN EFFET, ILS
AIMÈRENT LA GLOIRE DES HOMMES PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU ; en effet, du
fait qu'ils confessaient publiquement, ils perdaient la gloire des hommes mais
obtenaient par là la gloire de Dieu. Or ils ont choisi d'être privés de la
gloire de Dieu, ne voulant pas confesser leur foi publiquement, plutôt que
d'être privés de la gloire des nommes, car ils désiraient être glorifiés dans
les choses du monde
- Comment
pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne
cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ? 8
- Si je plaisais
encore à des hommes, je ne serais plus le serviteur de Dieu9.
1. Cf. Jn 3, 2.
2. Ps46, 10.
3. Jn7, 48.
4. Jn 9, 22.
5. Rm 10, 10.
6. Le 9, 26.
7. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 377.
8. Jn
5, 44.
9. Ga
1, 10.
1710. L'Évangéliste
montre ici comment le Christ confond l'incrédulité des Juifs.
En premier lieu il
montre le devoir de croire ; en second lieu, le fruit de la foi [n°
1713] ; et en troisième lieu, il menace les incrédules d'un châtiment [n°
1715].
OR JÉSUS CRIA ET DIT : « QUI CROIT EN MOI NE CROIT
PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ. ET QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A
ENVOYÉ. » (12, 44-45)
Parce que la vision
succède à la foi, il parle d'abord de la foi puis de la vision [n° 1712].
I
1711. Jean
dit : OR JÉSUS CRIA, à la fois à cause de la grandeur de ce qui allait
être dit et de la liberté d'esprit avec laquelle il devait dénoncer les péchés
- Crie, ne t'arrête pas, fais retentir ta voix comme une trompette et
dénonce à mon peuple ses crimes1.
ET DIT :
« QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A
ENVOYÉ », ce qui semble impliquer une contradiction, puisqu'il dit :
QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI. Pour en avoir l'intelligence, il faut
savoir que premièrement, selon Augustin2, cela fut dit par le Seigneur pour
distinguer en lui la nature divine et la nature humaine. Puisqu'en effet
l'objet propre de la foi est Dieu, nous pouvons croire qu'il a quelque chose
d'une créature, mais nous ne devons pas croire en une créature mais en Dieu
seu1. Or dans le Christ il y a une nature créée et une nature incréée. Il est
donc requis, pour la vérité de la foi, que notre foi porte sur le Christ quant
à sa nature incréée3 ; et selon cela il dit : QUI CROIT
EN MOI, à savoir en ma personne, NE CROIT PAS EN MOI, en tant qu'homme, MAIS EN
CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-à-dire en moi selon que j'ai été envoyé par le Père
- Mon enseignement
n'est pas le mien, mais il est de celui qui m'a envoyé1.
1. Is 58, 1.
2. Tract, in Io., LIV. 2-3,
BA 73B, p. 379.
3. Le Christ dans son mystère est une personne divine, le Verbe,
dans deux natures : la nature divine et la nature humaine. C'est la vérité
de notre foi. Saint Thomas, dans son traité du Verbe incarné (Somme théol, III,
q. 1 à 26), après avoir exposé les convenances de l'Incarnation (q. 1), montre
de quelle manière le Verbe s'unit à la nature humaine. En reprenant les Actes
du Concile de Chalcédoine et du Concile d'Éphèse, et la tradition des Pères
avec saint Jean Damascène, il montre que l'union du Verbe à la nature humaine,
dans le Christ, ne se fait pas dans la nature - en effet, dans le Christ
existent la nature humaine et la nature divine, et ainsi toutes les opérations
du Christ sont à la fois humaines et divines - mais dans la personne (q. 2, a.
1 à 6). L'Incarnation du Verbe est une assomption (q. 2, a. 8) dont la
conséquence est la relation nouvelle de la nature humaine avec la personne du
Verbe. Et c'est dans l'article 2 de la question 17 où il pose la
question : « Y a-t-il dans le Christ unité d'être ? » que
saint Thomas précise bien ce qu'implique cette union hypostatique :
« La nature humaine est unie au Fils de Dieu hypostatiquement ou
personnellement, mais non accidentellement ; il s'ensuit que selon la
nature humaine il ne résulte pas un nouvel être personnel mais une nouvelle
relation de son être personnel préexistant à la nature humaine : la
personne du Fils de Dieu subsiste désormais non seulement sous le rapport de la
nature divine mais aussi sous le rapport de la nature humaine » (q. 17, a.
2, c). Saint Thomas, dans la question disputée De unione Verbi Incarnati, affirme
qu'il y a deux esse (voir A. Patfoort,
o. p., L'unité d'être
dans le Christ d'après saint Thomas. A la croisée de l'ontologie et de la
christologie, col1. Bibliothèque de théologie, théologie dogmatique, série 1,
vo1. 4. Desclée et Cie, Paris et Tournai 1964). Mais dans la Somme, il
conclut à l'unicité de Vesse du Christ. Dans le Christ, il n'y a qu'une
seule réalité, celle du Verbe, qui subsiste dans la nature humaine. Dans la
manifestation, dans les effets, Jésus vit parfaitement sa vie de Dieu et sa vie
d'homme. L’esse divin assume la nature humaine en la respectant
complètement. Il n'y a qu'un seul esse dans le Christ, qu'une unité
d'être, c'est l'esse du Verbe. Ainsi, en commentant cette parole du
Christ : Qui croit en moi ne croit pus en moi mais en celui qui m'a
envoyé, saint Thomas met en pleine lumière la sagesse du Christ qui veut
réveiller notre foi contemplative : en Jésus, tout est lié au mystère du
Verbe et nous conduit au Père.
Mais selon
Chrysostome2, il faut remarquer que le Seigneur dit cela
uniquement pour révéler son origine. Et c'est la même chose que si quelqu'un,
puisant de l'eau d'un fleuve, disait : cette eau n'est pas du fleuve mais
de la source, c'est-à-dire : elle n'a pas son origine dans le fleuve
lui-même. Ainsi donc le Seigneur dit : QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN
MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ, comme s'il disait : Je ne suis pas
principe de moi-même, mais la divinité est à moi par un autre, c'est-à-dire par
le Père, c'est pourquoi QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI, sinon en tant que
je suis par le Père.
II
ET QUI ME VOIT, VOIT
CELUI QUI M'A ENVOYÉ.
1712. À ce sujet il
faut savoir que, de même que le Père a envoyé son Fils pour convertir les
Juifs, de même aussi le Christ a envoyé ses disciples : Comme le
Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie3. Or aucun des disciples n'a osé dire - et il ne le devait pas - que l'on
croyait en lui, bien qu'il eût pu dire qu'on le croyait. Parce que cela
n'aurait pas pu être sans porter atteinte à celui qui l'envoyait, car si l'on
croyait au disciple on cessait de croire au maître. Les Juifs pourraient donc
dire que de la même manière, puisque tu as été envoyé par le Père,
celui qui croit en toi cesse de croire en le Père. Voilà pourquoi le Seigneur,
contre cela, montre que celui qui ne croit pas en lui ne croit pas en le
Père : QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ.
Ce qui est appelé
ici vision, ce n'est pas le regard sensible mais la considération du vrai par
l'intelligence. Et c'est pourquoi celui qui voit le Fils voit aussi le Père,
parce que le Fils est en lui par unité d'essence. On dit en effet qu'une chose
est vue dans une autre parce qu'elles sont ou bien identiques ou tout à fait
semblables. Or le Père et le Fils sont identiques selon la nature et tout à
fait semblables, puisque le Fils est l'image du Père sans aucune dissemblance4
- Il est
l'image du Dieu invisible5. - Lui qui est la splendeur de sa gloire
et l'effigie de sa substance 6. Voilà pourquoi, de même qu'il croit en le
Père, de même aussi il croit en moi
- Philippe, qui
me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu donc pas que je suis dans le Père et
que le Père est en moi ?7 Autrement dit, voilà la raison pour laquelle
celui qui me voit, voit aussi le Père : le Père est en moi et moi en lui.
Tel est donc le
devoir de la foi : qu'elle porte sur le Christ en tant que Dieu, de la
même manière qu'elle porte sur le Père.
1. Jn 7, 6.
2. In Ioannem
hom., LXIX, 1, PG 59, co1.
378.
3. Jn 20, 21.
4. Cf. Somme théol, I, q. 35 : saint Thomas rappelle
que pour être vraiment l'image d'un autre, il faut lui être semblable dans
l'espèce, mais aussi « en procéder de manière à lui ressembler dans
l'espèce » (a. 1). Et le Fils est seul l'image du Père, car « il en
procède comme Verbe à qui appartient en propre la similitude dans
l'espèce envers celui dont il procède » (a. 2).
5. Col 1, 15.
6. He 1, 3. Voir ci-dessus, n° 1662, note 2.
7. Jn 14, 9-10.
MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE AFIN QUE
QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNÈBRES. (12, 46)
I
MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE.
1713. Il montre
ensuite le fruit de la foi et d'abord sa dignité et sa puissance. De quelle
manière le Christ est lumière, cela a été exposé plus haut : Il était
la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce mondel, et : Moi je suis la lumière du monde2.
En cela aussi il
montre qu'il a une nature divine. En effet être la lumière est le propre de
Dieu, les autres n'étant que lumineux, c'est-à-dire qu'ils participent de la
lumière. Mais Dieu est lumière par essence - Dieu est lumière, et il n'y a
pas en lui de ténèbres3. Mais parce qu'il est dit qu'*7 habite
une lumière inaccessible qu'aucun homme n'a vue ni ne peut voir4, nous ne pouvions pas aller vers lui, et pour cette raison il fallait
que lui-même vînt vers nous. Et c'est ce qui est dit ensuite : JE SUIS
VENU DANS LE MONDE, c'est-à-dire moi je suis la lumière inaccessible, qui
arrache à l'erreur et dissipe les ténèbres de l'intelligence5 - Je
suis sorti du Père et je suis venu dans le monde6. - II est venu chez lui1. Bien que les Apôtres soient appelés lumière - Vous êtes la lumière
du monde8 - ils ne le sont pas cependant dans le même
sens que le Christ. En effet, eux sont une lumière illuminée, bien qu'en un
sens par leur ministère ils soient ceux qui illuminent. Et il ne convient pas
que l'un des Apôtres dise : MOI, LA LUMIÈRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE,
puisque, quand ils sont venus dans le monde, ils étaient encore ténèbres et non
lumière car nous sommes tous enveloppés de ténèbres9.
1. Jn 1, 9. 2. Jn
8, 12.
3. 1 Jn 1, 5.
4. 1 Tm 6, 16. Sur
la lecture propre de ce verset par saint Thomas, voir vo1. I, n° 454, note 11,
et surtout Ad 1 Tim. lect., VI, nos 268 et 269.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 378.
6. Jn 16, 28.
7. Jn 1, 11.
8. Mt 5, 14. Saint
Thomas commente : « II montre ici qu'ils doivent illuminer par la
parole de leur enseignement. Là on peut noter trois choses que doit avoir le
prédicateur de la parole divine : d'abord la stabilité afin de ne pas
s'écarter de la vérité, deuxièmement la lumière afin de ne pas enseigner d'une
manière obscure, troisièmement la finalité afin de chercher la louange de Dieu
et non pas la sienne » (Sup. Matth. lect., V, n° 456). 9.Jb 37, 19.
II
AFIN QUE QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE PAS DANS LES
TÉNÈBRES.
1714. L'illumination
est donc le fruit de la foi - Celui qui croit en moi ne marche pas dans les
ténèbres 10, NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNÈBRES, à savoir
celles de l'ignorance, de l'incroyance et de la damnation perpétuelle ; ce
qui montre avec évidence que nous naissons tous dans les ténèbres de la faute -
Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le
Seigneur11. Pareillement, nous naissons dans les ténèbres de l'ignorance - L'homme
dont la route est cachée et que Dieu a entouré de ténèbres12. Et
enfin, si nous ne nous convertissons pas au Christ, nous sommes conduits vers
les ténèbres de la damnation perpétuelle. Qui donc ne croit pas en moi, demeure
dans les ténèbres - Celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie,
mais la colère de Dieu demeure sur lui13.
10. Jn 8, 12. Voir
vo1. I, n° 1144.
11. Ep 5, 8.
12. Jb 3, 23. Pour
le commentaire de ce verset, voir ci-dessus, n° 1684, note 4. Sur la lumière et
les ténèbres, voir vo1. I, n° 102.
13. Jn 3, 36.
1715. Le Christ
laisse entendre le châtiment des incrédules : ET SI QUELQU'UN ENTEND MES
PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS - châtiment qu'ils
encourraient en vertu du jugement de condamnation.
Il montre qu'il
remet le jugement, puis il annonce qu'il y aura un jugement [n° 1718]. Enfin,
il donne la raison pour laquelle il le remet [n° 1719].
I
ET SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI
JE NE LE JUGE PAS. EN EFFET, JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR
SAUVER LE MONDE. (12, 47)
1716. Il faut donc
remarquer que ceux-là sont rendus bienheureux qui entendent la parole de Dieu
et la gardent, en croyant intérieurement dans leur cœur, et en la mettant en
pratique extérieurement par une œuvre. Mais ceux qui l'entendent et ne
s'efforcent pas de la garder sont, à cause de cela, d'autant plus à blâmer - Ce
ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes devant Dieu, mais les
observateurs de la Loi qui seront justifiés λ. - Soyez de ceux qui accomplissent la
Loi, et non seulement de ceux qui l'écoutent2. Et c'est pourquoi SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS,
MOI JE NE LE JUGE PAS.
Mais cela semble
contraire à ce qui est dit plus haut : Le Père a remis tout jugement au
Fils3. C'est pourquoi il faut comprendre : JE NE LE JUGE PAS,
c'est-à-dire pas maintenant. En effet cela aurait pu lui être imputé comme une
faiblesse de laisser aller ceux qui le méprisent4. Et, pour cette raison, il dit qu'ils seront
jugés de cette manière, mais pas maintenant - Tout ce que Dieu a fait, il le
mène au jugement5. - Fuyez à la face de l'iniquité, car il y a
un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement6.
1717. Il donne
ensuite la cause de ce délai qui entraîne le doute : EN EFFET, JE NE SUIS
PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE.
En effet, il y a
deux venues du Fils de Dieu. L'une où il vient comme Sauveur, l'autre où il
vient comme juge7. Mais parce que tous étaient dans le péché,
s'il était venu d'abord comme juge il n'aurait sauvé personne, car tous nous
étions des fils de la colère8. Et c'est pourquoi il fallait qu'il vînt
d'abord pour sauver les croyants et ensuite pour juger et les fidèles et les
pécheurs. Et c'est bien ce qu'il dit : c'est pourquoi je ne le juge pas
tout de suite, parce que JE NE SUIS PAS VENU - lors de ma première venue - POUR
JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE - Car Dieu n'a pas
envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit
sauvé par lui9.
II
QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI
LE JUGE. (12, 48)
1. Rm2, 13.
2. Je 1,22.
3. Jn5, 22.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, co1. 378.
5. Qo 12, 14.
6. Jb 19, 29.
7. « Nunc est tempus misericordiae, post erit iudicii »
(saint Augustin, Tract, in Io., LJV, 5, BA 73B, p. 387).
8. Cf. Ep 2, 3. 9. Jn 3, 17.
1718. Il annonce le
jugement à venir ; comme s'il disait : bien que ceux qui ne gardent
pas mes paroles ne soient pas jugés maintenant, cependant ils ne resteront pas
impunis, quels qu'ils soient, parce que QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES
PAROLES, en y croyant et en les mettant en pratique, A QUELQU'UN QUI LE JUGE.
La raison est que si on ne reçoit pas les paroles du Fils, on méprise les
paroles de Dieu dont il est le Verbe, comme celui qui n'obéit pas au
commandement de son maître [n° 1716] - Fuyez à la face de l'iniquité car il
y a un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement1. - Quant à toutes les choses que Dieu
fait, il les appellera en jugement2. - Malheur à toi qui méprises, est-ce que tu
ne seras pas toi-même méprisé ?3 - Ceux au contraire qui me méprisent
seront avilisA.
III
1719. Il indique
ensuite la cause de la remise du jugement, et après l'avoir indiquée, il montre
que cette cause est suffisante [n° 1721].
1720. Il dit
donc : je dis qu'un tel homme a quelqu'un qui le juge. Mais qui sera
celui-ci ? LA PAROLE, dit-il, QUE J'AI DITE, C'EST ELLE QUI LE JUGERA AU
DERNIER JOUR. Et cela revient au même, comme le dit Augustin5, que
s'il avait dit : Moi je le jugerai au dernier jour. C'est vraiment
lui-même que le Christ a exprimé dans sa parole, lui-même qu'il a annoncé. Il
est donc lui-même la parole qu'il a dite parce que c'est de lui qu'il a parlé -
Même si moi je me
rends témoignage à moi-même, vrai est mon témoignage, parce que je sais d'où je
suis venu et où je vais6.
Autrement dit : cela même que je leur ai dit et qu'ils ont pourtant
méprisé, voilà ce qui les jugera -
C'est lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts1.
PARCE QUE MOI CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ. MAIS
LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE
DOIS PARLER. ET JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE. ET DONC CE QUE
MOI JE DIS, COMME LE PÈRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS. (12, 49-50)
1721. Il montre que
cette cause est suffisante ; d'abord d'après l'origine de cette parole,
puis à partir de sa dignité [n° 1725].
En ce qui concerne
le premier point, il exclut ce qui est faux, puis il établit la vérité [n°
1723].
CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ.
1722. Il est faux,
certes, de penser que le Fils opère, parle ou existe uniquement par lui-même et
non par un autre, car ce serait affirmer que le Fils n'est pas par le Père. Or
voici ce qu'il dit : Je dis que la parole que j'ai prononcée, c'est elle
qui les jugera, parce que moi, CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ - Le
Fils ne peut rien faire
de lui-même8. - Les paroles que moi je vous dis, je ne
les dis pas de moi-même9. Or c'est la même chose de dire : CE
N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ que de dire : « Moi, je ne suis
pas né de moi-même mais du Père », comme s'il disait : « Je le
jugerai au dernier jour, apparaissant sous les traits d'un esclave 10 »
- Il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est le Fils de
l'homme1. Mais cependant je ne le jugerai pas par un pouvoir humain, à savoir en
tant que je suis le Fils de l'homme, mais par un pouvoir divin, en tant que je
suis le Fils de Dieu. Je ne jugerai donc pas de moi-même mais à partir du Père,
de qui je tiens la puissance de juger.
1. Jb 19, 29.
2. Qo 12, 14.
3.1s 33, 1.
4. 1 S 2, 30c.
5. Tract, in Io., LTV, 6, BA 73B, p. 389.
6. Jn 8, 14.
7. Ac 10, 42.
8. Jn 5, 19.
9. Jn 14, 10.
10. Voir saint Augustin, La
Trinité, I, xii, 26-27 ;
xm, 28-30, BA 15, p. 159-173.
MAIS LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ CE QUE JE
DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER.
1723. Il établit là
la vérité. Mais ces paroles, si on ne les comprenait pas avec une piété
filiale, donneraient lieu à deux erreurs.
Une première erreur,
parce que celui qui commande est plus grand que celui à qui il commande. C'est
donc pour cela que les ariens prétendaient : le Père commande, donc le
Père est plus grand que le Fils. Une deuxième, parce que ce qui est donné à quelqu'un
n'était pas en sa possession avant que cela lui soit donné ; et par
conséquent il ne le connaissait pas. Si donc le Père donne un commandement à
son Fils, il s'ensuit que le Fils auparavant ne l'a pas eu et par conséquent
l'a ignoré : c'est quelque chose qui lui a été ajouté. Donc le Fils n'est
pas vraiment Dieu2.
Là il faut savoir
que tous les commandements divins sont dans la pensée du Père, puisque ces
commandements mêmes ne sont rien d'autre que l'intelligibilité (rationes3) de ce qui doit être fait. Donc, de même que se trouve dans la pensée du
Père l'intelligibilité de toutes les créatures qui sont produites par Dieu - ce
que nous appelons les « idées » -, de même aussi c'est dans ces
commandements que se trouve l'intelligibilité de tout ce que nous devons faire.
Donc, de même que l'intelligibilité de toutes les réalités se transmet du Père
au Fils, qui est la Sagesse du Père, de même aussi l'intelligibilité de tout ce
qui doit être fait. Ainsi donc le Fils dit : MAIS LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ
M'A LUI-MÊME - en tant que Dieu - COMMANDÉ - c'est-à-dire : m'a communiqué
par une génération éternelle - CE QUE JE DOIS DIRE - intérieurement - ET CE
DONT JE DOIS PARLER - extérieurement, comme aussi notre parole (si nous voulons
dire des choses vraies) énonce ce que l'intelligence conçoit.
1. Jn 5, 27.
2. La question a
été posée par saint Augustin {Tract, in Io., LIV, 7j BA 73B, p. 393), et la première réponse de
saint Thomas en reprend en
partie le développement.
3. Sur les différents sens du mot ratio,
voir vo1. I, Préface, p. 18,
note 4.
1724. Chrysostome4,
quant à lui, explique tout cela autrement et d'une manière plus claire :
SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS,
comme s'il disait : moi je ne le condamne pas. En effet on peut dire de
deux manières que quelqu'un condamne un autre : ou bien comme le juge, ou
bien comme la cause de condamnation. En effet, l'homicide est condamné à la
pendaison et par le juge qui profère la sentence, et par l'homicide même qu'il
a commis et qui est cause de sa condamnation. Il dit donc : MOI JE NE LE
JUGE PAS, c'est-à-dire : je ne suis pas cause de sa condamnation, mais
c'est lui-même
- Ta perte,
Israël, provient de toi5. Et cela parce que JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, à
savoir : je n'ai pas été envoyé pour condamner mais pour sauver.
Mais un tel homme ne sera-t-il pas jugé ? Si, parce que
QUI ME REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI LE JUGE. Or, qui
est celui qui juge, il le montre : LA PAROLE QUE J'AI DITE, que nous avons
entendue, qui se tiendra au rang d'accusateur, C'EST ELLE QUI LE JUGERA AU
DERNIER JOUR - Si je n'étais pas venu, et que je ne leur avais pas parlé,
ils n'auraient pas de péché, mais maintenant ils n'ont pas d'excuse à leur péché1. Il montre que la parole qu'il a dite les
jugera PARCE QUE MOI CE N'EST PAS DE MOI-MÊME QUE J'AI PARLÉ. Cela certes n'est
pas pris au sens causal, mais pour ainsi dire matériellement, et le sens est
donc : Tu dis que ta parole le jugera, c'est-à-dire le condamnera ;
mais quelle est cette parole ? Celle que j'ai dite, puisque moi ce n'est
pas de moi-même que j'ai parlé ; c'est-à-dire la parole que j'ai dite au
nom du Père, et ce qu'il m'a donné à dire et à faire entendre. D'ailleurs, si
j'avais parlé contre le Père ou dit des choses que je n'ai pas tenues de lui,
et s'ils ne m'avaient pas cru, ils auraient une excuse ; mais puisque j'ai
parlé ainsi, il est certain que ce n'est pas moi seulement, mais mon Père aussi
qu'ils ont méprisé.
4. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, co1. 377.
5. Os 13, 9
(propre à la Vulgate).
1725. Et selon cette
explication, ce qu'il a dit : LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MÊME COMMANDÉ
CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER doit être entendu du Christ en
tant qu'homme. Par conséquent, lorsqu'il dit : ET JE SAIS QUE SON
COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE, cela montre que cette cause est suffisante, en
raison de la dignité de sa parole. Et tout d'abord il montre sa dignité, puis,
en conclusion, la réalisation de cette parole.
Il montre sa dignité
en disant : ET JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE - par
essence, si on comprend ce commandement selon qu'il est dans l'Esprit
divin ; car tout ce qui est en Dieu est vie éternelle - C'est lui h
véritable Dieu et la vie éternelle2. En effet le Fils lui-même est le commandement du Père, ou bien il est
vie éternelle, c'est-à-dire celui qui conduit à la vie éternelle - Si tu
veux entrer dans la vie, observe les commandements3.
Donc, parce que le
Père m'a donné ce commandement, et que ce commandement est vie éternelle, moi
c'est pour cela que je suis venu, pour conduire les hommes à la vie
éternelle ; c'est pourquoi à travers tout j'accomplis le commandement du
Père. Et c'est ce qu'il dit : ET DONC CE QUE MOI JE DIS, COMME LE PÈRE ME
L'A DIT AINSI JE LE DIS. Ce qui, selon Chrysostome4, est évident et signifie : CE QUE MOI
JE DIS, en prêchant extérieurement, COMME LE PÈRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS,
c'est-à-dire : en tant que j'ai reçu de lui la connaissance ; on le
comprend alors du Christ en tant qu'homme.
1726. Mais, selon
Augustin5, si on l'entend du Christ en tant que Fils
de Dieu, comment le Père le lui dit-il, puisqu'il est lui-même le Verbe ?
Il faut dire qu'il
ne le lui a pas dit comme si c'était avec des paroles (verba) qu'il
s'adressait à son unique Verbe, mais le Père a parlé au Fils comme il l'a
engendré et lui a donné d'avoir la vie en lui-même - Le Seigneur m'a
dit : Tu es mon fils. Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré6.
1. Jn 15, 22. Voir ci-dessus, n° 1700.
2. 1 Jn 5, 20.
3. Mt 19, 17.
4. In Ioannem hom., LXIX, 2,
PG 59, co1. 379.
5. Tract, in Io., LJV, 7, BA 73B, p. 391-395.
6. Ps 2, 7. Saint Thomas, en commentant ce verset, montre d'abord
« le mode de la génération, puis la propriété de la filiation, enfin
l'éternité du Fils engendré. Le mode est indiqué par ces mots : Le
Seigneur a dit, c'est-à-dire qu'il a procédé par mode d'intelligence.
Chaque génération a un mode propre. Le mode de la nature divine n'est pas
charnel mais intellectuel, bien plus il est l'acte même d'intelligence.
Ensuite, la génération est une procession selon l'origine, qui se trouve dans
la réalité intelligible, qui procède de l'intelligence selon la conception du
Verbe. Et c'est cela, dire le Verbe dans son cœur ; et c'est pourquoi il
dit : Le Seigneur a dit, comme s'il disait : en disant il m'a
engendré. C'est pourquoi le Fils est le Verbe que le Père a dit, c'est-à-dire a
produit en l'engendrant. La propriété est montrée en ceci, qu'il dit :
"mon fils" non pas "adoptif ' comme ceux dont parle Jean – Il
leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu (Jn 1, 12) -, mais selon
une propriété de nature : c'est pourquoi tu es mon Fils par nature,
unique, consubstantiel - Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé (Mt 3,
17). L'éternité est donnée dans ce qu'il ajoute : Moi, je t'ai engendré
aujourd'hui, c'est-à-dire éternellement. En effet cette génération n'est
pas une génération nouvelle mais éternelle, et c'est pourquoi le psalmiste
dit : aujourd'hui ; ce mot signifie le temps présent, et ce
qui est éternel est toujours. Il dit aussi : je t'ai engendré, et
non pas : "je t'engendre, pour désigner la perfection de la
génération ; en effet puisque cette génération est sans mouvement, à la
fois il est engendré et a été engendré. Il dit encore aujourd'hui pour
désigner l'éternel présent et l'éclat
qui conviennent au Christ - qui habite une lumière inaccessible (1 Tm 6, 16), et
qui est vraiment celui en qui il n'y a rien de passé ou de futur ou d'obscur
mais seulement la lumière » (Exp- '" Psalmos, 2, n° 5).
Évangile selon saint Jean Chapitre XIII
1 Avant le jour de la fête de la Pâque,
Jésus, sachant qu'est venue son heure de passer de ce monde vers le Père, ayant
aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin. 2 Et au
cours d'un repas, alors que déjà le diable avait jeté dans le cœur de Judas
Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le livrer, 3 sachant que le Père
lui a tout donné dans les mains, et qu'il est sorti de Dieu et qu'il va vers
Dieu, 4 il se lève du repas, et dépose ses vêtements, et ayant pris un linge,
il se ceignit. 5 Ensuite, il versa de l'eau dans un bassin et commença à laver
les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.
6 II vient donc vers Simon-Pierre. Et
Pierre lui dit : « Seigneur, toi, tu me laves les
pieds ? »7 Jésus répondit et lui dit : « Ce que moi je
fais, tu ne le sais pas à présent ; mais tu sauras plus tard. » 8
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds,
jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu
n'auras pas de part avec moi. » 9 Simon-Pierre lui dit :
« Seigneur, non seulement mes pieds, mais encore les mains et la tête. »
10 Jésus lui dit : « Celui qui s'est baigné n'a besoin que de se
laver les pieds ; il est pur tout entier - Vous aussi, vous êtes purs,
mais non pas tous. » n II savait en effet qui donc était celui qui le
livrerait. C'est pourquoi il dit : « Vous n'êtes pas tous purs. »
12 Après donc avoir lavé leurs pieds, il
reprit ses vêtements, et s'étant allongé de nouveau, il leur dit :
« Savez-vous ce que je vous ai fait ? 13 Vous, vous m'appelez
"Maître et Seigneur", et vous dites bien : de fait, je le suis.
14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi
vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 En effet c'est un
exemple que je vous ai donné, pour que, comme moi je vous ai fait, ainsi vous
aussi vous fassiez. 16 Amen, amen, je vous le dis : le serviteur n'est pas
plus grand que son seigneur, ni l'envoyé plus grand que celui qui l'a envoyé.
17 Sachant cela, heureux serez-vous, si vous le faites ! 18 Ce n'est pas
de vous tous que je parle ; moi, je connais ceux que j'ai choisis. Mais
c'est pour que l'Écriture s'accomplisse : "Celui qui mange le pain
avec moi, lèvera contre moi son talon." 19 Dès à présent je vous le dis,
avant que cela n'arrive : pour que quand cela arrivera vous croyiez que
moi je suis. 20 Amen, amen, je vous le dis : Qui reçoit quelqu'un que
j'aurai envoyé, c'est moi qu'il reçoit ; et qui me reçoit, reçoit celui
qui m'a envoyé. »
21 Ayant dit cela, Jésus fut troublé en
son esprit et il attesta et dit : « Amen, amen, je vous dis que l'un
d'entre vous me livrera. » 22 Les disciples se regardaient donc les uns
les autres, ne sachant pas de qui il parlait. 23 À table, tout contre le sein
de Jésus, était allongé un de ses disciples, celui que Jésus aimait. 24
Simon-Pierre lui fait donc signe et lui dit : « Qui est celui dont il
parle ? » 25 Celui-ci, se renversant sur la poitrine de Jésus, lui
dit : « Seigneur, qui est-ce ? » 26 Jésus répondit :
« C'est celui à qui moi j'offrirai le pain trempé. » Et ayant trempé
le pain, il le donna à Judas, fils de Simon l'Iscariote.
27 Et après la bouchée, Satan entra en
lui. Et Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le très vite. »
28 Or aucun de ceux qui étaient à table ne sut pourquoi il lui avait dit cela.
29 Parce que Judas avait la bourse, certains en effet pensaient que Jésus lui
avait dit : « Achète ce dont nous avons besoin pour le jour de la
fête », ou qu'il lui avait dit de donner quelque chose aux pauvres. 30
Ayant donc pris la bouchée, il sortit aussitôt. Or c'était la nuit.
31 Lors donc qu'il fut sorti, Jésus
dit : « Maintenant a été glorifié le Fils de l'homme, et Dieu a été
glorifié en lui. 32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en
lui-même et c'est bientôt qu'il le glorifiera. 33 Petits enfants, pour peu de
temps encore je suis avec vous. Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux
Juifs : "Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir", à vous
aussi je le dis à présent. 34 Je vous donne un commandement nouveau : que
vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous
aussi vous vous aimiez les uns les autres. 35 En cela tous connaîtront que vous
êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. »
36 Simon-Pierre lui dit :
« Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Où
moi je vais, tu ne peux pas me suivre à présent ; mais tu me suivras plus
tard. » 37 Pierre lui dit : « Pourquoi ne puis-je te suivre à
présent ? Je livrerais mon âme pour toi. » 38 Jésus lui
répondit : « Tu livreras ton âme pour moi ? Amen, amen, je te le
dis : le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois. »
1727. Plus haut,
l'Évangéliste a exposé certaines occasions qui ont entraîné le Christ vers la
Passion et la mort ; dans cette partie, il montre comment le Christ
prépare ses disciples avant sa Passion. Il commence par montrer [c'est le but
du présent chapitre] comment il les forma par un exemple. Ensuite, au chapitre
14, il montre comment il les réconforta par ses paroles [n° 1848] ; enfin,
au chapitre 17, comment il les fortifia par le soutien de ses prières [n°
2177].
Ici l'Évangéliste
expose d'abord l'exemple que le Christ a donné à ses disciples. Puis il
montrera la défaillance des disciples qui n'étaient pas encore capables de le
suivre [n° 1795].
II présente d'abord
l'exemple, puis il en ajoute la finalité1 [n° 1751], enfin il entraîne ses disciples à
l'imiter [n° 1768].
II montre d'abord
l'amour2 du Christ donnant l'exemple. Puis il indique
l'action par laquelle il donna l'exemple [n° 1739].
1. Finalité traduit ici le mot utilitas. Saint Thomas met
en lumière le fait que Jésus, après avoir donné cet exemple du lavement des
pieds, l'explique à ses disciples en en donnant le pourquoi. Saint Thomas
montre dans la Somme théologique - voir I-II, q. 7, a. 2, ad 1 et q. 16,
a. 3, c. - que le bien utile est celui qui est ordonné à la fin ; c'est
pourquoi nous avons préféré traduire militas par finalité.
2. Amour traduit ici le mot latin affectus. Affectus est un
terme général que précédemment nous avons plusieurs fois traduit par
« affection » (voir vo1. I, n" 1500, note 4). Il exprime la
vulnérabilité affective qu'on éprouve à l'égard de quelqu'un. Il renvoie au
sujet, à ce que le sujet porte en lui-même. Saint Thomas emploie aussi souvent
le terme appetitus, plus objectif, qui se traduit par
« appétit », et qui montre la tendance vers l'autre. Aimer, c'est
tendre vers le bien qui attire, qui suscite l'amour. Cependant il s'agit ici du
Christ, qui aime ses disciples non pas à cause de quelque chose qui existerait
en eux et qui serait pour lui source d'amour, mais à cause de lui-même qui aime
gratuitement tous les hommes.
a) L'amour fervent du Christ donnant
l'exemple.
AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE, JÉSUS, SACHANT QU'EST
VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE PÈRE, AYANT AIMÉ LES SIENS QUI
ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES AIMA JUSQU'À LA FIN. (13, 1)
Trois aspects sont
abordés ici : la fête présente, ensuite la mort imminente du Christ [n°
1731], enfin la dilection fervente1 du Christ [n° 1735].
La fête présente.
AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE
1728. La fête
présente était la Pâque2. Certains disent que ce nom Pâque est
grec et vient donc du verbe πασχείν (paschein),
comme si à partir de là cette fête était appelée Pâque, parce qu'on
y célèbre la Passion du Seigneur. Et cela concorde avec le grec car
πασχείν en grec est la même chose que pati
en latin (souffrir). Mais l'origine première de ce mot3 se
prend de l'hébreu : pâque en effet signifie phase qui en
hébreu signifie passage ; et ici il s'agit du passage du Seigneur4.
Ici, l'Évangéliste
traduit ainsi en fonction d'un double passage du Seigneur. Le premier, celui de
l'ange frappant les premiers-nés d'Égypte et sauvant les premiers-nés des
Hébreux ; et l'autre qui suit, celui des fils d'Israël traversant la mer
Rouge. C'est pourquoi on a bien fait d'appeler cette fête Pâque. Et nous
pouvons dire ainsi que notre Pâque a la signification de l'une et de l'autre
langue, à savoir de l'hébreu et du grec, parce que dans la Passion même du
Seigneur se réalisa le passage du Christ de ce monde vers le Père -
Il a passé en faisant le bien et en guérissant5. De même notre passage à tous se fait en
suivant le Christ soit par la pénitence et le martyre selon le psaume - Nous
passions par le feu et par l’eau6 -, soit par le désir de l'esprit en aspirant
aux choses célestes, selon l'Ecclésiastique : Passez à moi, vous tous
qui me désirez''.
1. Dilection
fervente est ici la traduction de dilectio fervens. Sur le sens du mot dilectio,
voir vo1. I, n° 1475, note 4.
2. Voir vo1. I, nos
375, 376, 377, 846 et 1586.
3. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag.
64, 22 ; 70, 20), CCL, vo1. LXXII, p. 140-148 ; et Commentaire sur Saint Matthieu, IV,
26, SC 259, p. 235. Ou plus immédiatement pour saint Thomas, qui le suit ici de
près, voir saint Augustin, Tract,
in Io., LV, 1, BA 74A, p. 57-59.
4. Voir Ex 12.
1729. Or dire :
LE JOUR DE LA FÊTE, c'est s'exprimer par antonomase8. Car, comme il est dit dans le livre de l'Exode9, il
y avait dans l'année trois jours solennels où les Juifs devaient se rassembler
dans le lieu que le Seigneur avait choisi : la Phase où était
immolée la Pâque, la Pentecôte, et la fête des Tentes, la Scénopégie.
Mais entre tous, le jour de la Pâque était le plus célébré.
5. Ac 10, 38.
6. Ps 65, 12.
7. Si 24, 26.
8. Dans la Somme
théologique, saint Thomas explique la signification du mot
« antonomase » : « C'est une coutume dans le langage humain
de restreindre certains noms communs à la désignation de ce qui est principal
parmi toutes les réalités qu'ils recouvrent ; ainsi, par antonomase, le
mot "Ville" est pris pour Rome » (II-II, q. 141, a. 2, c). Et
aussi : « Une chose commune à plusieurs s'attribue par antonomase à
celui chez lequel elle convient par excellence. Ainsi le nom de force se trouve
réservé à la vertu qui affermit l'âme devant les choses les plus difficiles, et
celui de tempérance à la vertu qui modère les plus grandes délectations »
(II-II, q. 186, a. 1, c). Ici saint Thomas semble lire le texte de
l'évangile : « le jour de la fête », et non « le jour de la
fête de la Pâque ». Sur le sens du mot « antonomase », voir
aussi vo1. I, n° 1098, note 1.
9. Ex 23,
14-17 : Trois fois chaque année vous célébrerez des fêtes en mon
honneur. Tu garderas la solennité des azymes. Durant sept jours tu mangeras des
azymes, comme je t'ai ordonné, au temps du mois des nouveaux fruits, quand tu
es sorti de l'Égypte : tu ne paraîtras pas en ma présence les mains vides.
Tu garderas de plus la solennité de la moisson des prémices de ton travail,
quoi que ce soit que tu aies semé dans ton champ : et aussi la solennité à
la fin de l'année, quand tu auras recueilli tous les fruits de ton champ. Trois
fois dans l'année paraîtront tous tes mâles en présence de moi, le Seigneur ton
Dieu. Il faut noter qu'au mois d'Abib, au printemps, la fête de la Pâque,
fête Israélite pour commémorer la sortie d'Égypte et la libération du joug du
Pharaon, et la fête agraire des Azymes fusionnent. Pendant sept jours le peuple
d'Israël ne mange pas de pain levé - voir aussi Ex 12, 15-20 ; Lv 23,
5-14 ; Dt 16, 1-8. La fête de la Moisson est aussi appelée fête des Semaines.
Célébrée sept semaines après la Pâque, le cinquantième jour, elle clôt le temps de la moisson, comme l'ouvrait l'offrande
de la première gerbe. Voir aussi Lv 23, 15-22 ; Dt 16, 9-12. La fête de la
récolte se dit aussi fête des Huttes ou des Tentes, ou des Tabernacles. Voir Lv
23, 33-43 et Dt 16, 13-15. Voir aussi vo1. I, n° 846, note 6. Elle commémore en
effet le temps où les Israélites campaient dans le désert et habitaient donc sous des huttes, et recevaient
ainsi l'éducation forte mais aussi miséricordieuse de Yahvé, Dieu d'Israë1.
Ici un doute se
présente à propos de : AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE. Car le jour de la Pâque était le jour où
était immolé l'agneau, et c'était la quatorzième lune. Donc, puisque
l'Évangéliste dit que cela se passa avant le jour de la fête de la Pâque, il
semble que cela eut lieu à la treizième lune, qui précédait la quatorzième lune.
Et les Grecs, en suivant cela, disent que le Seigneur a souffert à la
quatorzième lune, quand les Juifs devaient célébrer la Pâque. C'est pourquoi le
Seigneur, sachant que sa Passion était imminente, devança la célébration de la
Pâque en célébrant sa Pâque le jour précédent, avant la fête de la Pâque des
Juifs. Mais parce que dans le livre de l'Exode J il est prescrit que, du soir du quatorzième
jour au vingt et unième jour du mois, on ne trouve pas de pain levé chez les
Hébreux, ils disent en outre que le Seigneur a tout réalisé non pendant le
temps des azymes, mais pendant le temps du pain levé. Car avant le jour de la
fête de la Pâque, c'est-à-dire la treizième lune, on trouvait du pain levé chez
les Hébreux.
Mais les trois
autres Évangélistes2 vont à l'encontre de cette opinion. Eux
disent que cela eut lieu le premier jour des azymes au moment où devait être
immolée la Pâque. Il s'ensuit que la Cène du Seigneur fut accomplie le jour où
était immolée la Pâque des Juifs.
1. Cf. Ex 12, 18-20.
2. Cf. Mt 26, 17 ; Me 14, 12 ; Lc 22, 7.
1730. À cela les
Grecs répondent en disant que les autres Évangélistes n'ont pas raconté ce fait
d'une manière vraie, et qu'à cause de cela Jean, qui fut le dernier à écrire
son Évangile, les a corrigés. Mais il est hérétique de dire qu'il puisse se
trouver quelque chose de faux, non seulement dans les évangiles, mais encore
dans n'importe quel écrit canonique, et c'est pourquoi il est nécessaire de
dire que tous les Évangélistes disent la même chose, et ne sont en désaccord sur
aucun point. Pour avoir l'évidence de cela, il faut savoir que, comme le
rapporte le livre de l'Exode3, les solennités des Juifs commençaient le
soir du jour précédent. La raison en est qu'ils comptaient les jours selon la
lune, qui apparaît dès le soir ; c'est pourquoi aussi ils considéraient
qu'un jour allait d'un soir à un autre soir. Ainsi, chez eux, la solennité de
la Pâque commençait le soir du jour précédent et était terminée au soir du jour
de la Pâque ; c'est aussi de cette manière que les fêtes sont célébrées
chez nous.
Ainsi, ce qui se
passe chez nous la veille de la Nativité du Seigneur, on peut dire que cela
s'est passé en la fête de la Nativité. Et assurément, en gardant cette manière
de faire, les autres Évangélistes ont dit que la Cène eut lieu le premier jour
des azymes, parce qu'elle eut lieu le jour précédent, au soir, qui déjà
appartenait au premier jour des azymes. Or ici l'Évangéliste Jean comprend le
jour de la fête de la Pâque comme celui qui était tout entier célébré, et non
pas celui dont le soir seulement était célébré, qui était le jour précédant la
Pâque ; c'est pourquoi il dit AVANT LE JOUR DE LA FÊTE DE LA PÂQUE.
Il est donc évident que la Cène du Seigneur eut lieu la quatorzième lune au
soir.
3. Cf. Ex 12, 6 et 18.
La mort imminente
du Christ.
JÉSUS, SACHANT
QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE PÈRE
1731. La mort
imminente du Christ était son passage hors de ce monde par le moyen de la
Passion ; et quant à cela l'Évangéliste dit : JÉSUS, SACHANT QU'EST
VENUE SON HEURE, car cette solennité des Juifs était la figure de la Passion du
Christ - Tout en effet leur arrivait en figure, comme le dit la première
épître aux Corinthiens 1 -, et c'est pourquoi il expose aussitôt la vérité, c'est-à-dire la
Passion du Christ. Et comme pour montrer que pâque vient de phase, c'est-à-dire
de passage, il fait mention du passage - DE PASSER, dit-il, DE CE MONDE
VERS LE PÈRE.
1732. L'Évangéliste
expose là trois aspects de la Passion du Christ. D'abord, elle fut
prévue ; ensuite, elle convenait [n° 1733] ; enfin, elle fut cause
pour nous de croissance et d'élévation [n° 1734].
Certes elle fut
prévue, elle n'arriva pas par hasard ; et quant à cela il dit :
JÉSUS, SACHANT, comme pour dire : ce n'est ni malgré lui, ni par
ignorance, mais en SACHANT et volontairement, qu'il a souffert - Jésus,
sachant tout ce qui allait lui arriver2... Et à l'inverse il est dit de nous : L'affliction de l'homme est
grande parce qu'il ne sait pas ce qui sera, et il ne peut savoir d'aucune
manière ce qui va arriver3.
1733. Elle convint4
quant au temps, et c'est pourquoi il dit QU'EST VENUE SON HEURE, c'est-à-dire
le jour même de la Pâque, où il s'en irait par la Croix - Pour toute affaire
il y a un temps et un moment favorable5. C'est cette heure dont il est dit plus haut : Mon heure n'est
pas encore venue6. Mais il ne faut pas comprendre cette heure comme fatale, comme soumise
à la course et à la position des étoiles, mais comme déterminée par la
disposition de la Providence divine. C'est pourquoi, dis-je, elle était
déterminée à se réaliser dans la Pâque des Juifs, parce qu'il convenait à la
solennité des Juifs que la vérité suivît la figure, c'est-à-dire qu'au moment
où l'agneau, qui figurait le Christ, était immolé, le Christ fut immolé, lui
qui est le véritable agneau de Dieu7 - Ce n'est pas par des choses corruptibles, or ou argent,
que vous avez été rachetés (...) mais par le sang précieux de l'agneau immaculé8.
Elle convenait aussi
à ce qui était à accomplir. Déjà en effet le Christ avait été glorifié - Maintenant
le Fils de l'homme a été glorifié9. Désormais il avait manifesté le Père au monde - Père, j'ai manifesté
ton nom aux hommes10. Il restait donc que fût consommée l'œuvre de la Passion et de la
Rédemption humaine dont il est dit : Tout est achevé et inclinant
la tête, il remit l'esprit11.
1734. La Passion du
Christ fut pour nous cause de croissance et d'élévation et non pas de
destruction : SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE MONDE VERS LE
PÈRE, c'est-à-dire en rendant la nature humaine participante de la gloire du
Père 12 - Je monte vers mon Père et votre Père13. Mais il ne faut pas comprendre qu'il passe d'un lieu à un autre, puisque Dieu le Père n'est pas
contenu dans un lieu - Moi je remplis le ciel et la terre1. Mais, de même qu'on dit que le Christ est venu du Père sans le quitter
mais en assumant une nature inférieure semblable à nous, de même aussi on dit
qu'il est retourné vers lui dans la mesure où, jusque dans son humanité, il
partage désormais la gloire du Père - Et s'il vit, il vit pour Dieu2. - Que toute langue confesse que Jésus
Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père 3.
1. 1 Co 10, 11.
2. Jn 18, 4.
3. Qo 8, 6-7.
4. Sur les convenances de la Passion du Christ, voir Somme
théo1., III, q. 46, a. 3. Voir aussi ci-dessus, n° 1640, note 6.
5. Qo 8, 6.
6. Jn 2, 4.
7. Cf. Jn 1, 29.
8. 1 Ρ 1, 18-19.
9. Jn 13, 31.
10. Jn 17, 6.
11. Jn 19, 30.
12. Voir ci-dessous, nos 1829 et 1830.
13. Jn 20, 17.
La dilection
fervente du Christ.
AYANT AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES AIMA
JUSQU'À LA FIN.
1735. L'Évangéliste
poursuit en mettant en lumière la dilection fervente du Christ, et cela sous
quatre aspects. Tout d'abord en ce qu'elle fut prévenante - Ce n'est pas
nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui-même qui nous a aimés le premier·4. Et quant à cela il dit AYANT AIMÉ LES
SIENS, comme pour signifier un « avant ». Il les a aimés avant de les
créer - Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait5. Il les a aimés avant de les appeler - D'un amour éternel je t'ai
aimé6. Il les a aimés avant de les racheter. C'est
pourquoi il est dit plus bas : Personne n'a de plus grand amour que
celui qui livre son âme pour ses amis1.
1736. En second
lieu, il met en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle convenait
parce qu'il a AIMÉ LES SIENS. Là, il faut savoir que les hommes sont à lui de
diverses manières, et que selon cela ils sont aimés par Dieu de diverses
manières. Ils sont à lui de trois manières. D'abord par la création. Et ceux-là
il les aime en conservant pour eux les biens de la nature - Il est
venu chez lui, et les siens, par la création, ne l'ont pas reçu8.
D'autres sont à lui parce qu'il les consacre : il s'agit de ceux qui lui
ont été donnés par Dieu le Père par la foi, ceux que lui-même racheta - Ils
étaient à toi, et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole9. Et ceux-là il les aime en les conservant dans les biens de la grâce.
Mais d'autres encore sont à lui par un amour 10 spécial - Nous sommes à toi, ô David11. Ceux-là, il les aime spécialement en les consolant12.
1. Jr 23,24.
2. Rm 6, 10. Saint Thomas commente :
« Et s'il vit, il vit pour Dieu, c’est-à-dire pour la conformité à Dieu. Il est dit en effet :
S'il a été crucifié, c 'est à cause de sa faiblesse, s'il vit, c 'est par la puissance
de Dieu (2 Co 13, 4). Or
l'effet est conforme à sa cause ; c'est aussi pourquoi la vie que le Christ a acquise en
ressuscitant est déiforme. Et donc comme
la vie de Dieu est éternelle et sans corruption - Le seul qui Possède l'immortalité (1 Tm 6, 16)
- ainsi aussi la vie du Christ est «immortelle »
{Ad Rom. lect., VI, n°
490).
3. Ph 2, 11.
4. 1 Jn 4, 10.
5. Sg 11,25.
6. Jr 31, 3.
7. Jn 15, 13.
1737. Ensuite, il
met en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle fut nécessaire, parce
qu'il a AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE. Il y en a parmi les siens qui
étaient déjà dans la gloire du Père, parce que même les pères de l'ancien
Testament étaient à lui, en tant que tous ont espéré être libérés par lui - Tous
les saints sont dans sa main 13. Mais ceux-ci n'ont pas besoin d'un tel
amour autant que ceux qui étaient dans le monde, et c'est pourquoi il
dit : LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, c'est-à-dire par le corps, non par l'esprit \
8. Jn 1, 11.
9. Jn 17, 6.
10. Amour traduit ici le terme devotio. Il s'agit de
l'amour spécial que certains hommes ont pour Dieu, et non de l'amour que Dieu a
pour les hommes, évoqué juste après par le terme latin diligo. Voir vo1.
I, n° 843, note 5.
11. 1 Ch 11, 1.
12. Ceci se rattache peut-être au don du
« Consolateur », c'est-à-dire de l'Esprit Saint comme
« Paraclet ». À ce sujet, voir ci-dessous nos 1911-1912,
2058-2067, 2069, 2086-2115, 2182 et 2269.
13. Dt 33, 3.
1738. Enfin, il met
en lumière la dilection du Christ en montrant qu'elle fut parfaite, c'est
pourquoi il dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN. Or la fin peut s'entendre
de deux manières : la fin de l'intention et la fin de l'exécution.
La fin de
l'intention est ce à quoi notre intention est ordonnée ; et une telle fin
doit être la vie éternelle, selon l'épître aux Romains : Vous avez pour
fruit la sanctification, et pour fin la vie éternelle2. Mais le Christ aussi doit être une telle fin - La fin de la Loi,
c'est le Christ3. Et ces deux réalités sont une seule fin, parce que la vie éternelle
n'est rien d'autre que de jouir du Christ selon sa divinité - La vie éternelle
est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu4. C'est en ce sens qu'il est dit : IL LES AIMA JUSQU'À LA FIN,
c'est-à-dire de telle sorte qu'il les conduise lui-même à la fin, ou à la vie
éternelle qui n'est rien d'autre - D'un amour éternel je t'ai aimé5.
Quant à la fin de
l'exécution, c'est le terme de la réalité ; et ainsi la mort peut être
dite fin, de sorte qu'il est dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN,
c'est-à-dire jusqu'à la mort, ce qui peut avoir trois significations. En un
premier sens, selon Augustin, cela revient à dire d'une manière humaine que le
Christ aima les siens jusqu'à la mort seulement, et non au-delà. Mais ce sens
est faux : en effet, il ne saurait convenir que celui qui n'est pas limité
par la mort ait limité l'amour par la mort6.
En un autre sens, on
peut comprendre que « jusqu'à » (in) indique la cause. Et le
sens est celui-ci : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'À LA FIN, c'est-à-dire jusqu'à
la mort, comme si l'Évangéliste disait que son amour pour eux l'a conduit
jusqu'à la mort - Il nous a aimés, et s'est
livré lui-même pour nous7.
En un troisième
sens, on peut comprendre que JUSQU'À LA FIN signifie : alors qu'il leur
avait donné auparavant de nombreux signes d'amour, à la fin, à savoir au moment
de la mort, il leur donna les plus grands signes d'amour - Je ne vous ai pas
dit cela depuis le commencement8. Comme s'il disait : il ne fut nécessaire de vous montrer combien
je vous aimais qu'au moment de mon départ, de telle sorte qu'ainsi l'amour et
la mémoire de moi fussent imprimés plus profondément dans vos cœurs.
b) L'action par laquelle il donna l'exemple.
1739. L'Évangéliste
poursuit en indiquant l'action par laquelle il donnait l'exemple.
ET AU COURS D'UN REPAS, ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ
DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER,
SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET QU'IL EST SORTI DE DIEU
ET QU'IL VA VERS DIEU, IL SE LÈVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT
PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT. ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET
COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL
ÉTAIT CEINT. (13, 2-5)
1. Cf. SAINT Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXX, 1, PG 59, co1. 382.
2. Rm 6, 22.
3. Rm 10, 4. 4. Jn
17, 3. 5.Jr 31, 3.
D'abord il décrit
l'heure de l'action. Ensuite, il ajoute la dignité de celui qui la réalise [n°
1743], enfin il poursuit en montrant l'humilité de cette action [n° 1744].
6. Tract, in Io., LV, 2, BA 74A, p. 63.
7. Ep 5, 2.
8. Jn 16, 5.
L'heure de
Faction.
ET AU COURS D'UN
REPAS, ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE,
[FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER
Au sujet du moment,
il souligne deux aspects. L'un qui se rapporte à la charité du Christ, et
l'autre qui insiste sur l'iniquité de Judas [n° 1741].
ET AU COURS D'UN
REPAS
1740. Il dit
donc : AU COURS D'UN REPAS, littéralement : le repas ayant été fait.
Or, qu'une chose ait été faite, cela se dit autrement pour les choses qui
demeurent et pour celles qui passent. Pour les choses qui demeurent, on dit
qu'une chose a été faite quand elle est parvenue à la perfection de sa forme et
de son espèce propres, comme on dit qu'une maison a été faite quand elle a sa
forme propre. Mais pour les choses qui passent, on dit qu'une chose a été faite
quand elle est accomplie ; par exemple, on dit que le jeu a été fait quand
il est achevé \ Et on dit aussi qu'une chose a été faite en raison de ce
qu'elle reçoit son espèce propre.
Donc, quand il
dit : ET AU COURS D'UN REPAS, il ne faut pas comprendre que le repas ait
été accompli et achevé ; parce que, après avoir lavé les pieds des
disciples, il se remit à table et donna la bouchée à Judas. Il faut donc
comprendre qu'AU COURS D'UN REPAS signifie : le repas ayant été préparé et
amené à sa forme propre. En effet ils avaient déjà commencé à prendre le repas,
et c'est plus tard qu'il se leva. C'est donc au milieu du repas [il s'agit du
repas du soir] qu'il lava les pieds des disciples2.
1. Saint Thomas a repris la recherche
d'Aristote sur la causalité. Aristote parle
de la recherche des causes en de nombreux passages de ses écrits. Voir notamment la Physique,
livre II, ch. 3, et la Métaphysique, A, ch. 3. Ici saint Thomas
regarde la perfection de la forme, qui est celle de l'œuvre d'art, comme pour la maison, et celle de l’efficience,
qui est celle d'une activité
transitive, comme pour le jeu. La forme est immanente, sa perfection est plus intérieure, plus qualitative.
L'efficience implique un
mouvement, une succession et un terme. Ainsi c’est la recherche de la forme qui explique une réalité qui
demeure, et recherche de
l'efficience donnera l'intelligibilité d'une réalité qui passe. Cependant, même pour une
activité qui passe, l'accomplissement a
lieu quand elle atteint sa forme propre, avant de s'achever, comme pour un repas.
Au sujet du repas
[pris le soir], Luc rapporte dans le chapitre 14 : Un homme fit un
grand repas3. Or le déjeuner diffère du dîner. Car on appelle « déjeuner » (prandium)
le repas qui a lieu dans la première partie du jour, et « dîner »
(coena) celui qui a lieu dans la dernière. Ainsi, se refaire
spirituellement est appelé « déjeuner » en tant que cela convient aux
commençants ; et « dîner » (cène) en tant que cela convient aux
parfaits4.
ALORS QUE DÉJÀ LE
DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE
DESSEIN] DE LE LIVRER
1741. L'Évangéliste
poursuit en décrivant le moment à partir d'un fait qui insiste sur l'iniquité
du traître, et qu'il décrit pour deux raisons. D'abord pour montrer davantage
l'iniquité de Judas qui, entouré de tant de marques de charité et de tant de
gestes d'humilité, projetait de commettre une si grande iniquité - Celui qui mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi5. En second lieu pour que fût rendue plus admirable la charité du Christ
qui, tout en sachant cela, fit cependant à son égard un geste de charité et
d'humilité en lui lavant les pieds - Avec ceux qui haïrent la paix, j'étais pacifique !.
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LV, 3, BA 74A, p. 65.
3. Le 14, 16. Luc
dans cette citation : Un homme fit un grand repas et Jean à propos
de la Cène utilisent coena.
4. Cf. OrigÈne, Commentaire sur saint Jean,
XXXII, II, § 5-6, SC 385, p. 189.
5. Ps 40, 10.
Saint Thomas commente : « Celui qui mangeait mon pain, parce
que le Christ l'a désigné par le signe du pain - C'est celui à qui je
présenterai du pain trempé (Jn 13, 26). Et, bien que Judas ait mangé le
pain du Christ, cependant il est allé contre lui - Il rassasiera et désaltérera
les ingrats (Si 29, 32 [propre à la Vulg.]). Mon pain peut
signifier aussi "mon enseignement" - Aser, son pain est
nourrissant et fera les délices des rois (Gn 49, 20). Un tel pain est le
pain du Christ, et il est nourrissant en raison de la douceur de son
enseignement - Que tes paroles sont douces à mon palais (Ps 118,
103) » (Exp. in Psalmos, 40, n° 6).
1742. Mais le diable
peut-il jeter quelque chose dans le cœur de l'homme ? Il semble que oui.
Un psaume, en effet, parle de l'indignation et de la colère envoyées par des anges mauvais2.
En réponse à cela,
il faut savoir que ce qui est dans le cœur de l'homme, c'est ce qui est dans sa
pensée et dans sa volonté. Aussi quand il dit : ALORS QUE DÉJÀ LE DIABLE
AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR..., il faut comprendre dans sa volonté. Mais jeter
ainsi dans le cœur peut se réaliser de deux manières.
Directement, et
ainsi seul celui qui a la puissance de mouvoir intérieurement la volonté de
l'homme peut jeter quelque chose dans son cœur ; et cela, Dieu seul le
peut. Et c'est pourquoi lui seul peut imprimer directement quelque chose dans
la volonté de l'homme - Le cœur du roi est dans la main, c'est-à-dire
dans la puissance, du
Seigneur ; partout où il le veut, il l'inclinera 3.
Indirectement :
quand la volonté est mue par un objet extérieur comme un bien appréhendé. Ainsi
celui qui suggère que quelque chose est un bien jette cela dans le cœur de
l'homme, en lui faisant indirectement appréhender ce quelque chose comme un
bien par lequel [sa] volonté est mue. Or cela arrive de deux manières :
soit en suggérant extérieurement, et de cette façon même l'homme peut jeter
quelque chose dans le cœur ; soit en suggérant intérieurement, et c'est de
cette manière que le diable jette quelque chose dans le cœur. Car, puisqu'elle
est corporelle, la puissance Imaginative, quand Dieu le permet, est soumise à
la puissance du démon4. C'est pourquoi, que l'homme soit éveillé ou
endormi, le démon forme en lui certaines formes qui, lorsqu'elles ont été
appréhendées, meuvent la volonté de l'homme à désirer quelque chose. Ainsi le
diable jette quelque chose dans le cœur de l'homme, non pas directement à la
manière de celui qui meut, mais indirectement, à la manière de celui qui
suggère.
La dignité de
celui qui réalise cette action.
SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET
QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS DIEU (13, 3)
1743. L'Évangéliste
poursuit en traitant de la dignité de celui qui réalise l'action. Dans
l'Ecclésiastique, il est dit : Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es
grand5. C'est pourquoi l'Évangéliste, devant dire la très grande humilité du
Christ, met en avant sa très
grande dignité ; et cela de quatre manières.
1. Ps 119, 7.
2. Ps 77, 49.
3. Pr 21, 1.
4. Voir vo1. I, n° 1577.
5. Si 3, 20.
D'abord quant à la
science. Et quant à cela il dit : SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ. En
effet, les dons spirituels sont tels que, lorsqu'ils sont donnés, on ne peut
les ignorer - Nous, nous avons reçu l'Esprit qui n'est pas de ce monde, mais
l'Esprit qui est de Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par
Dieu6. Et c'est pourquoi le
Christ connaissait tout ce qui lui avait été donné par Dieu. L'Évangéliste dit
cela précisément pour que son humilité soit davantage mise en lumière. En
effet, parfois il arrive que quelqu'un soit d'une grande dignité et cependant,
à cause de sa simplicité, ne reconnaisse pas sa dignité. Si donc un tel homme
faisait quelque chose d'humble, il ne s'attribuerait pas à lui-même une grande
humilité, selon cette parole du
Cantique : Si tu t'ignores, ô la plus belle d'entre les femmes1. Mais si quelqu'un connaît
l'état de sa dignité et que cependant sa volonté aimante est inclinée vers des
choses humbles, son humilité doit être reconnue. Et c'est pourquoi
l'Évangéliste dit que SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ, il n'a cependant
pas omis de faire des choses qui sont humbles.
6. 1 Co 2, 12.
En second lieu quant
au pouvoir : SACHANT QUE LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS,
c'est-à-dire en son pouvoir. Dieu a donné au Christ homme, dans le temps, ce
qui avait cependant été au pouvoir du Fils de toute éternité - Tout pouvoir
m'a été donné au ciel et sur la terre2. Et s'il dit que LE PÈRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, c'est d'abord
pour montrer que le Christ ne souffrait pas contre son gré. Car si tout était
dans sa main, c'est-à-dire en son pouvoir, il est donc manifeste que ses
adversaires ne pouvaient rien lui faire contre sa volonté. C'est ensuite parce
que quand quelqu'un de peu d'importance est exalté, il s'enorgueillit
facilement et ne fait pas quelque chose d'humble, de peur de paraître déroger à
sa dignité. Mais si quelqu'un de condition élevée est exalté, il ne néglige pas
les choses humbles. Et c'est pourquoi il fait mention de la dignité du Christ.
En troisième lieu
quant à sa noblesse, et quant à cela il dit : ET QU'IL EST SORTI DE DIEU
ET QU'IL VA VERS DIEU - Jouissant de l'intimité de Dieu3.
Enfin quant à la
sainteté, parce qu'IL VA VERS DIEU. En ceci consiste la sainteté de
l'homme : qu'il aille vers Dieu. Et c'est pourquoi l'Évangéliste dit qu'IL
VA VERS DIEU, parce que, du fait que lui-même va vers Dieu, il lui revient en
propre de ramener les autres vers Dieu, ce qui se réalise spécialement par
l'humilité et la charité. Et c'est pourquoi il leur donna un exemple d'humilité
et de charité.
L'humilité de
cette action.
IL SE LÈVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT PRIS
UN LINGE, IL SE CEIGNIT. ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA
À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT
CEINT. (13, 4-5)
1744. Après avoir
mis en lumière la majesté du Christ, l'Évangéliste fait ici valoir son
humilité, humilité qu'il manifeste dans le lavement des pieds. D'abord, il met
en avant la préparation du Christ au geste d'humilité, ensuite il décrit ce
geste lui-même [n° 1747].
1. Ct 1,7.
2. Mt 28, 18. Saint
Thomas commente : « Ce don, selon Hilaire, peut se comprendre quant à sa divinité, parce que de toute
éternité le Père a communiqué sa
propre essence au Fils ; et parce que son essence est sa puissance, aussi lui a-t-il donné de toute éternité
sa puissance. On peut aussi le
rapporter au Fils selon son humanité. Mais
il faut comprendre que l'humanité du Christ reçoit quelque chose par la grâce de l'union, à
savoir toutes choses qui sont propres à
Dieu ; et il reçoit quelque chose qui découle de cette union, qui
est comme l'effet de l'union,
telle la plénitude de grâce - Nous l'avons *** comme Fils unique du Père, plein de
grâce et de vérité (Jn 1, 14).
Donc, toutes les choses qui sont dans le Christ
selon la grâce de l'union, il ne faut pas dire qu'elles soient doubles mais
seulement celles qui en découlent. C'est pourquoi je dis que la puissance lui a
été donnée, non comme si une autre puissance lui avait été donnée, mais parce
qu'elle lui a été donnée en tant qu'elle est unie au Verbe comme au Fils de
Dieu par nature, et au Christ par la grâce de l'union » (Sup. Matth.
lect., XXVIII, n° 2460). Sur les différentes grâces reçues par le Christ et
son pouvoir de juger, voir aussi vo1. I, nos 544 et 789. Sur l'union
des deux natures dans le Christ par la grâce et sur les rapports de la grâce de
l'union hypostatique et de la grâce habituelle dans le Christ, voir Somme
théo1., III, respectivement
q. 2, a. 10 et q. 6, a. 6, c. 3. Sg 8, 3.
I
IL SE LÈVE DU REPAS,
ET DÉPOSE SES VÊTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT.
1745. Au sujet de ce
premier fait il faut savoir que le Christ, dans ce geste d'humilité, se montre
serviteur, selon cette parole de
Matthieu : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour
servir1.
Or, pour être un bon
serviteur, trois choses sont requises. D'abord, qu'il soit attentif à voir tout
ce qui peut manquer au service, et il en serait empêché au plus haut point s'il
s'asseyait ou s'allongeait ; c'est pourquoi il est propre aux serviteurs
de se tenir debout. L'Évangéliste dit donc : IL SE LÈVE DU REPAS - Qui est le plus grand,
celui qui est à table ou celui qui sert ?2
En second lieu, le
serviteur doit être disponible pour accomplir jusqu'au bout, comme il convient,
les choses qui sont nécessaires au service ; et là, un grand nombre de
vêtements l'embarrasse beaucoup. C'est pourquoi le Seigneur DÉPOSE SES
VÊTEMENTS. Et cela est signifié dans la Genèse où il est dit qu'Abraham choisit
des serviteurs disponibles3.
1. Mt 20, 28.
Saint Thomas commente : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour
être servi mais pour servir, c'est-à-dire : si quelqu'un désire avoir
une responsabilité dans l'Église, qu'il sache que ce n'est pas avoir un
pouvoir, mais une servitude. C'est en effet le propre du serviteur [de l'esclave]
de se dépenser tout entier pour le service de son maître ; ainsi les
prélats de l'Église doivent à ceux qui leur sont soumis tout ce qu'ils ont,
tout ce qu'ils sont - Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait
l'esclave de tous (1 Co 9, 19). - Nous sommes vos serviteurs par le
Christ Jésus (2 Co 4, 5). (...) Et il est venu pour servir, c'est-à-dire
pour donner aux autres l'abondance de la gloire. (...) Mais tu diras :
Est-il esclave, puisqu'il est prince (princeps) ? Oui. En effet on
appelle esclave celui qui est reçu contre argent : et lui-même a payé ce
prix, et s'est donné en rançon pour la multitude (1 Tm 2, 6) » (Sup.
Matth. lect., XX, nos 1669-1670).
2. Lc 22, 27.
En troisième lieu,
il doit être prompt à servir, de sorte qu'il ait toutes les choses nécessaires
pour son service. Il est dit de Marthe
quelle était absorbée par les multiples soins du service*. Et de là vient que le Seigneur, AYANT PRIS UN
LINGE, SE CEIGNIT, de sorte qu'ainsi il était prêt non seulement à laver les
pieds, mais aussi à les essuyer. Par là il foule aux pieds tout orgueil,
puisque lui qui va vers Dieu et qui est sorti de Dieu lave les pieds.
1746. Au sens
mystique ce fait peut se rapporter à deux choses, à savoir l'Incarnation du
Christ et sa Passion. S'il se rapporte à l'Incarnation, ainsi on reçoit du
Christ trois choses. D'abord, certes, sa volonté de secourir le genre humain,
dans le fait qu'lL SE LÈVE DU REPAS. Car Dieu, aussi longtemps qu'il supporte
que nous soyons dans l'épreuve, semble rester assis ; mais quand il nous
arrache de la tribulation, on le voit se lever - Lève-toi, Seigneur, viens à notre aide5.
Ensuite son
anéantissement ; non qu'il déposât la majesté de sa dignité mais qu'il la
cachât en assumant notre petitesse6. C'est pourquoi il est dit : Vraiment,
tu es un Dieu caché''. Et cela est signifié dans le fait qu'il DÉPOSE SES
VÊTEMENTS - Il s'anéantit lui-même8.
Enfin l'assomption
de notre nature mortelle dans le fait qu'AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT - Prenant
la condition d'esclave9.
Mais si cela se
rapporte à la Passion du Christ, alors, au sens littéral, il déposa ses
vêtements quand les soldats le dépouillèrent et tirèrent au sort son
vêtement1, et il fut ceint d'un linge dans le sépulcre. Et dans sa Passion il a
aussi déposé les vêtements de notre mortalité et pris UN LINGE, c'est-à-dire la
blancheur de l'immortalité - Le Christ, en ressuscitant des morts, ne meurt
plus2.
3. Cf. Gn 17,
23 : Abraham prit (...) tous les serviteurs de sa maison et tous ceux
qu'il avait achetés...
4. Le 10, 40.
5. Ps 43, 26.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LV, 7, BA 74A, p. 71.
7. Is 45, 15.
8. Ph 2, 7.
9. Ibid.
II
ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA À
LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET À LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT
CEINT.
1747. L'Évangéliste
montre ensuite le geste d'obéissance du Christ, geste qui met en lumière son
humilité, et cela de trois manières. D'abord quant au genre de ce service, qui
fut assurément très humble puisque le Seigneur de majesté s'abaissait pour
laver les pieds de ses serviteurs. En second lieu quant à la multitude des
gestes de ce service, parce qu'il versa l'eau dans un bassin, lava les pieds,
et les essuya, etc. En troisième lieu quant à sa manière de faire, parce qu'il
n'agit pas par les autres, ni avec l'aide des autres, mais par lui-même - Humilie-toi
en toutes choses d'autant plus que tu es grand3.
1748. Au sens
mystique, par ces trois aspects on peut comprendre trois choses. En premier
lieu, par le fait qu'lL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN est signifiée l'effusion
de son sang sur la terre. En effet le sang de Jésus peut être appelé eau parce
qu'il a la puissance de laver - Il nous a lavés de nos péchés par son sang*. Et
de là vient qu'il sortit en même temps de son côté du sang et de l'eau, pour
donner à entendre que ce sang était capable de laver les péchés. Ou bien, par
l'eau, on peut comprendre la Passion du Christ ; car dans l'Écriture l'eau
signifie les tribulations - Viens me sauver, Seigneur, car les eaux, c'est-à-dire
les tribulations, sont entrées jusque dans mon âme5. IL
VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN, c'est-à-dire qu'il imprima dans les âmes des
fidèles la mémoire de la Passion par la foi et la dévotion - Souviens-toi de
ma pauvreté0.
1749. En second
lieu, il COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES suggère l'imperfection
humaine. Car les Apôtres, après le Christ, étaient les plus parfaits, et
cependant ils avaient besoin d'être lavés, ayant en eux des impuretés. Cela
pour nous donner à comprendre qu'aussi parfait que soit un homme, il a néanmoins
besoin d'être rendu plus parfait et peut encore contracter certaines impuretés
- Qui peut dire : mon cœur est pur ?1 Cependant c'est seulement aux pieds qu'ils ont des impuretés de cette
sorte. Mais certains sont souillés non seulement aux pieds mais aussi
entièrement. En effet, ceux qui se traînent dans les impuretés terrestres sont
tout entiers salis par elles, et c'est pourquoi ceux qui restent complètement
attachés à l'amour des biens terrestres, à la fois selon leur affection8 et
selon leurs sens, sont entièrement impurs.
Mais ceux qui
restent debout, c'est-à-dire qui par l'esprit et par le désir tendent vers les
réalités célestes, ne contractent une impureté qu'aux pieds. En effet comme un
homme qui se tient debout doit toucher la terre au moins par ses pieds, de
même, aussi longtemps que nous vivons dans cette vie mortelle qui a besoin des
réalités terrestres pour le soutien du corps, nous contractons quelque chose du
monde au moins du côté de nos puissances sensibles.
1. Jn 19, 24.
2. Rm 6, 9.
3. Si 3, 20.
4. Ap 1, 5.
5. Ps 68, 2.
6. Lm 3, 19.
7. Pr 20, 9.
8. Sur le sens du mot affectus voir ci-dessus, n° 1727,
note 2.
Et c'est pourquoi le
Seigneur commanda à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds1. Et
là il dit : COMMENÇA À LAVER, parce que la purification des affections
terrestres commence maintenant et s'achève dans le futur. C'est alors, en
effet, que sera réalisé ce qui est dit : On l'appellera la voie sainte2.
Mais il faut
remarquer, selon Origène3, qu'il commença à laver les pieds des
disciples alors que sa Passion était imminente, parce que s'il les avait lavés
longtemps avant, ils auraient été à nouveau souillés. C'est pourquoi il
commença, alors que peu de temps après il allait les laver par l'eau du
Saint-Esprit, c'est-à-dire après sa Passion - Vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés,
dans peu de jours 4. Ainsi, donc, l'effusion de son sang est manifestée par le fait qu'IL VERSA DE
L'EAU DANS UN BASSIN, et la purification de nos péchés par le fait qu'il
COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES.
1750. En troisième
lieu apparaît le fait qu'il a pris sur lui nos peines ; en effet non
seulement il a lavé nos taches, mais il a pris sur lui les peines dues à
celles-ci. En effet, nos peines et nos pénitences ne suffiraient pas si elles
n'étaient pas fondées sur le mérite et la puissance de la Passion du Christ. Et
cela apparaît dans le fait qu'il essuya les pieds des disciples avec un linge,
c'est-à-dire avec le linge de son corps - Il
porta jusqu'au bout nos
péchés dans son corps sur le bois5.
1751. Ensuite
l'Évangéliste montre la finalité de l'exemple à travers une concertation entre
le disciple et le maître : dans cette concertation, le Seigneur montre que
cet exemple est mystique, ensuite qu'il est nécessaire [n° 1757], et enfin
qu'il convient [n° 1760].
IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT :
« SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? » JÉSUS RÉPONDIT ET LUI
DIT : « CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ; MAIS
TU SAURAS PLUS TARD. » PIERRE LUI DIT : « TU NE ME LAVERAS PAS
LES PIEDS, JAMAIS ! » JÉSUS LUI RÉPONDIT : « SI JE NE TE
LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI. » (13, 6-8)
1. Cf. Le 9, 5.
2. Is 35, 8. En commentant ce verset, saint Thomas explique que
cette « voie sainte » désigne, au sens mystique, ou bien l'Église
militante, ou bien l'Église triomphante (Voir Exp. super Isaiam, 35, 8,
p. 154, 1. 53-54).
3. Comm. sur saint Jean, XXXII, viii, § 84-88, SC 385, p.
225.
4. Ac 1, 5.
5. 1 Ρ 2, 24.
En ce qui concerne
le premier point, il expose d'abord ce qui occasionna ces paroles du Christ,
puis il ajoute les paroles mêmes du Christ [n° 1756].
IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT :
« SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? »
1752. L'occasion des
paroles du Christ fut l'attitude de Pierre, qui refusa de recevoir cet exemple
d'humilité. Cela s'explique de trois manières. Premièrement, selon Origène \
parce que le Seigneur commença à laver les pieds en partant des derniers.
Et cela précisément parce que, de même que le médecin désirant soigner de très
nombreux malades commence ses traitements particuliers par ceux qui en ont le
plus besoin, de même aussi le Christ, pour laver les pieds sales des disciples,
commence par ceux qui étaient les plus sales, et ainsi à la fin il vient vers
Pierre comme s'il en avait moins besoin que les autres - En commençant par
les derniers jusqu'aux premiers2. Et c'est bien ce que semblent faire entendre ces paroles de
l'Évangile : [IL] COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES, et ce qui
vient ensuite : IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. À partir de là il semble
que le Christ ait lavé d'abord les pieds des autres.
1753. Mais si on
cherche pourquoi Pierre refusa cela devant les autres, Origène3
répond qu'il le fit à cause de la trop grande ferveur de son amour pour le
Christ. Les autres disciples révéraient le Christ avec une certaine crainte, et
c'est pourquoi ils recevaient son acte sans discuter sur sa cause. Mais Pierre
était plus fervent qu'eux, selon ce que saint Jean rapporte plus tard : Simon,
fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?*, et tirant sa confiance
de l'amour il refuse de supporter cet acte et en cherche la cause - L'ami,
s'il demeure constant,
sera pour toi comme un égal et il agira avec confiance à l'égard de ceux de ta
maison5.
Et c'est pourquoi,
dans l'Écriture, on trouve fréquemment Pierre en train d'interroger et de faire
connaître avec vivacité ce qui lui semble meilleur.
1754. La deuxième
explication est celle de Chrysostome6, à savoir que le Christ a commencé à laver
les pieds des Apôtres à partir des premiers. Mais parce que le traître,
c'est-à-dire Judas, était sot et orgueilleux, il s'étendit le premier pour
l'ablution des pieds, avant Pierre. En effet, aucun des autres n'aurait osé
passer devant Pierre. L'Évangéliste parle donc de Judas quand il dit :
[IL] COMMENÇA À LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES, c'est-à-dire de Judas qui, parce
qu'il était orgueilleux et sot, fut sans aucune résistance, et ne refusa pas de
recevoir ce que le Seigneur faisait. Mais quand Jésus vient vers Pierre, qui
révérait et aimait le Maître, Pierre refuse avec frayeur et cherche la cause de
cet acte ; n'importe lequel des autres aurait fait la même chose.
1755. Selon la
troisième explication, celle d'Augustin7, nous ne devons pas comprendre, à partir des
paroles de l'Évan-géliste, que le Seigneur a lavé d'abord les pieds des autres
disciples, et ensuite est venu vers Pierre, mais que l'Évangéliste, selon son
habitude, montre d'abord l'acte du Christ, et ensuite expose son ordre, comme
il le fait aussi plus haut8. C'est pourquoi il présente en premier lieu
le fait dans son ensemble, à savoir que le Christ a lavé les pieds de ses
disciples.
Et par la suite, si
on cherche comment cela eut lieu, il dit que Jésus vint d'abord vers
Simon-Pierre. Et c'est pourquoi d'abord Pierre refusa en disant :
SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES PIEDS ? Ces paroles ont un grand poids.
SEIGNEUR, dit-il, TOI, qui es le Fils du Dieu vivant, TU ME LAVES LES PIEDS, à
moi qui suis Simon Bariona, c'est-à-dire Simon Iona, à savoir Simon, fils de
Jean9 ? De même, SEIGNEUR, TOI qui es l'Agneau sans souillure l3 le miroir sans tache, l’éclat de la lumière éternelle2, TU
ME LAVES LES PIEDS, à moi qui suis un homme pécheur ? Comme Pierre l'avait
dit dans ce passage de
Luc : Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur3. SEIGNEUR, TOI qui es le Créateur, TU ME LAVES LES PIEDS, à moi qui suis
une créature, et de peu de foi4 ? Pierre disait cela effrayé en
considérant la majesté du Christ - J'ai considéré tes œuvres, et j'ai craint5.
1. Comm. sur
saint Jean, XXXII, vi, § 68-69, SC 385, p. 217-219.
2. Mt 20, 8.
3. Comm. sur
saint Jean, XXXII, ν et VI, § 61 et 66, SC 385, p. 213 et 217.
4. Jn 21, 15.
5. Si 6, 11.
6. In Ioannem hom., LXX, 2, PG 59, co1. 383.
7. Tract, in L·., LVI, 1, BA 74A, p. 75-77.
8. Voir Jn 6.
9. Cf. Mt 16, 17.
II
JÉSUS RÉPONDIT ET
LUI DIT : « CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ;
MAIS TU SAURAS PLUS TARD. »
1756. Par ces
paroles, le Seigneur montre que ce geste a un sens mystique. C'est pourquoi il
dit à Pierre : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT ; MAIS
TU SAURAS PLUS TARD. Et ce qu'il a fait est assurément un exemple et un mystère. Un exemple comme témoignage
d'humilité - C'est un exemple que je vous a donné, pour que, comme moi je
vous ai fait ainsi vous aussi vous fassiez6 - et un mystère de purification intérieure -
Celui qui s'es baigné n'a besoin que de se laver les pieds7.
On peut donc
comprendre de deux manières ce qu'il dit : CE QUE MOI JE FAIS D'une
première manière, CE QUE MOI JE FAIS, c'est-à-dire la manière dont j'agis en
donnant l'exemple, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT, c'est-à-dire tu ne le
comprend : pas. MAIS TU SAURAS PLUS TARD, à savoir quand il leur aura
expliqué en disant Savez-vous ce que je vous ai fait ?8
D'une autre manière9, CE
QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS À PRÉSENT veut dire que c'est un mystère et
un secret et que cela signifie une purification intérieure qu ne peut se faire
que par moi, et que tu ne peux pas comprendre à présent. MAIS TU SAURAS PLUS
TARD, quand tu recevra : l'Esprit Saint -J'ai beaucoup de choses à vous
dire, mais vous ne pouvez pas les porter main tenant. Mais quand il viendra,
lui, l'Esprit d vérité, il vous enseignera la vérité tout entière10
b) Cet exemple est nécessaire.
PIERRE LUI
DIT : « TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS ! » JÉSUS
LUI RÉPONDIT : « SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC
MOI. »
1757. L'Évangéliste
montre d'abord les paroles de Pierre qui ont donné occasion aux paroles du
Christ, puis il ajoute le paroles du Christ [n° 1759].
1. Cf. 1 Ρ 1, 19.
2. Sg 7, 26.
3. Le 5, 8.
4. Cf. Mt 14,
31 : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Voir aussi 6, 30 ;
8, 26 ; 16, 8.
5. Ha 3, 2.
6. Jn 13, 15.
7. Jn 13, 10.
8. Jn 13, 12.
9. Cf. Origène, Comm.
sur saint Jean, XXXII, viii, § 87-88, SC 385, p. 225.
10. Jn 16, 12-13.
1758. Pierre dit
donc tout d'abord : TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS Comme s'il
disait : Loin de moi de supporter cela du Maître, mon Seigneur et mon Dieu
'1. Et bien que Pierre fît cela avec zèle, son
zèle était cependant sans discernement et désordonné - Ils ont le zèle d Dieu,
mais non selon la scienceI2.
Et ce zèle était
désordonné pour trois raisons. Parce qu'il refuse ce qui était utile et nécessaire ; car, comme le dit
l'épître aux Romains : Nous ne savons pas ce qu'il convient de demander
dans nos prières 1. Et c'est pourquoi nous refusons sans
discernement de recevoir ce que Dieu nous accorde largement, mais qui nous
semble contraire - comme Paul, qui demandait qu'on lui enlevât une écharde2 qui
lui était cependant utile.
11. Cf. Jn 20, 28.
12. Rm 10, 2.
De même, parce qu'il
semble faire preuve d'une certaine irrévérence à l'égard du Christ en voulant
briser son ordre. De même encore parce qu'il semble tendre à se dissocier ses
compagnons, étant donné que, ce que les autres, selon Origène 3,
avaient reçu du Christ sans contradiction, lui refusait de le recevoir en
disant : TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS !
1759. Et c'est
pourquoi le Seigneur le reprend en disant : SI JE NE TE LAVE PAS, TU
N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI. Et cela peut se rapporter à deux choses,
c'est-à-dire à l'action que le Christ accomplissait et à sa signification.
Si cela se rapporte
à la signification, alors ce qui est dit est clair. En effet nul ne peut
devenir participant de l'héritage éternel et cohéritier4 du
Christ sans être purifié spirituellement, puisqu'il est dit dans
l'Apocalypse : Rien de souillé ne pénétrera en elle5. Et
dans le psaume : Seigneur, qui habitera sous ta tente ?6 Le psalmiste répond en ajoutant : Celui qui a les mains
innocentes et le cœur pur. C'est donc comme s'il disait : SI JE NE TE
LAVE PAS, tu ne seras pas pur, et si tu n'es pas pur, TU N'AURAS PAS DE PART
AVEC MOI.
Mais si cela se
rapporte à ce que le Christ fait, alors on peut se demander si cette ablution est
nécessaire au salut. À cela il faut répondre que, de même que certaines choses
sont interdites parce qu'elles sont mauvaises et que d'autres sont mauvaises
parce qu'elles sont interdites, de même certaines sont commandées parce
qu'elles sont nécessaires et d'autres sont nécessaires parce qu'elles sont
commandées. Donc cet acte d'ablution au sujet duquel le Seigneur dit : SI
JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI, considéré en lui-même,
n'est pas nécessaire au salut ; mais s'il est commandé par le Christ, cet
acte est alors nécessaire - Meilleure est l'obéissance que le sacrifice''.
SIMON-PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, NON SEULEMENT
MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE. » JÉSUS LUI DIT :
« CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL
EST PUR TOUT ENTIER - VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS
TOUS. » (13, 9-10)
1. Rm 8, 26.
2. Cf. 2 Co 12, 7-8 : II m'a été
mis une écharde dans la chair, un ange de
Satan chargé de me souffleter pour que je ne m'enorgueillisse pas !
À ce sujet, par trois fois, j'ai
prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi.
3. Comm. sur saint Jean, XXXII, VI, § 65, SC 385, p. 215.
4. Cf. Rm 8, 17 et 1 Ρ 3, 7.
5. Ap 21, 27.
6. Ps 14, 1-2
7. 1 S 15, 22.
1760. Ici
l'Évangéliste montre que cet exemple convient. Il cite d'abord les paroles de
Pierre, puis la réponse du Christ [n° 1763].
SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET
LA TÊTE.
1761. Dans les
paroles de Pierre se révèle son amour très fervent8 envers le Christ. Car, plus haut, quand le
Seigneur lui avait dit : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS
8. Sur la ferveur de Pierre, voir ci-dessous, n° 2593.
À PRÉSENT, il lui
avait fait comprendre que cet acte serait utile. Cependant Pierre, ayant
négligé l'utilité de ce geste, ne pouvait pas être amené à recevoir le lavement
des pieds. Mais quand le Seigneur le menaça de se trouver séparé de lui en
disant : TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI, il s'offrit pour recevoir non
seulement cette ablution, mais d'autres encore, en disant : SEIGNEUR, NON
SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TÊTE. Dans cette réponse en
effet, effrayé, il s'offre tout entier pour être lavé, troublé par l'amour et
la crainte. Comme on le lit dans L'itinéraire de Clément1, Pierre était si sensible à la présence corporelle du Christ, présence
qu'il avait aimée avec une très grande ferveur, qu'après l'Ascension du Christ,
lorsqu'il se souvenait de sa présence très douce et de sa manière si sainte de
vivre2, il se répandait tout entier en larmes, si bien que ses joues
semblaient enflammées.
1762. Il faut savoir
que dans l'homme il y a trois choses : la tête, qui est le sommet ;
les pieds, qui se trouvent en bas ; les mains, qui sont au milieu. Et de
même à l'intérieur de l'homme, à savoir dans l'âme, il y a la tête,
c'est-à-dire la raison supérieure3 par laquelle l'âme est fixée en Dieu - La
tête de la femme, c'est
l'homme4, c'est-à-dire la raison
supérieure ; les mains, c'est-à-dire la raison inférieure, qui vaque aux
œuvres actives ; et les pieds qui sont la sensibilité. Mais le Seigneur
savait ses disciples purs quant à la tête parce qu'ils étaient unis à Dieu par
la foi et la charité, et quant aux mains parce que leurs œuvres étaient
saintes. Mais quant aux pieds, ils avaient quelques affections pour les choses
terrestres qui provenaient de leur sensibilité. Pierre, craignant la menace du
Christ, consentit non seulement à l'ablution des pieds, mais aussi des mains et
de la tête, en disant : SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES
MAINS ET LA TÊTE. Comme s'il disait : Je ne sais pas si j'ai besoin de
l'ablution des mains et de la tête — A la vérité, ma conscience ne me
reproche rien, mais je n'en suis pas justifié pour autant5 ; et c'est pourquoi je suis prêt à laver NON SEULEMENT MES PIEDS,
c'est-à-dire les affections inférieures - J'ai lavé mes pieds 6 -,
MAIS ENCORE LES MAINS, c'est-à-dire les œuvres -Je laverai mes mains parmi
les innocents7 -, ET LA TÊTE, c'est-à-dire la raison
supérieure - Lave ton visage8.
1. Saint Thomas cite ici, comme dans la Somme théologique, I,
q. 117, a. 4, un ouvrage apocryphe du IVe
ou ν siècle appelé ensuite Recognitionem. Mais on n'y trouve pas la
remarque faite ici à propos de Pierre.
2. Cette expression traduit conversatio. Sur le sens de ce
mot voir vo1. I, n° 1176, note 3.
3. Saint Thomas distingue, à la suite de saint Augustin, la raison
supérieure et la raison inférieure, non pas comme deux puissances différentes,
mais comme deux fonctions, deux habitus d'une même puissance :
« La raison supérieure est celle qui est tendue vers les réalités
éternelles pour les considérer ou les consulter : les considérer en tant
qu'elle les contemple en elles-mêmes, les consulter en tant qu'elle en reçoit
des règles pour agir. La raison inférieure est celle qui s'occupe des réalités
temporelles. Or les réalités éternelles et les réalités temporelles se
rapportent à notre connaissance de cette manière, que les unes sont le moyen de
connaître les autres. En effet, selon la voie de découverte, nous parvenons par
les réalités temporelles à la connaissance des réalités éternelles, selon ce
que dit l'Apôtre : Les
perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l'intelligence parle
moyen de ses œuvres (Rm 1, 20) » (Somme théo1., I, q. 79, a. 9, a). Voir
aussi I-II, q. 15, a. 4, ad 1. Saint Thomas éclaire donc la demande de Pierre
pressant le Christ de lui laver non seulement les pieds mais aussi les mains et
la tête par ces trois grands aspects de la vie humaine : l'intelligence
spéculative ordonnée d'une manière ultime à la contemplation du mystère de
Dieu, l'intelligence pratique ordonnée à la réalisation des œuvres, et la
sensibilité liée à l'imaginaire et aux passions, qui est l'amour des biens
sensibles.
JÉSUS LUI DIT : « CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A
BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER - VOUS AUSSI,
VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS. » (13, 10)
4. 1 Co 11, 3.
5. 1 Co 4, 4.
6. Ct 5, 3.
7. Ps 25, 6. Saint Thomas commente : « Je laverai mes
mains parmi les innocents, c'est-à-dire mes œuvres qui sont principalement
lavées par Dieu au moyen de la grâce qu'il infuse - Lave-moi tout entier,
Seigneur, de mon iniquité (Ps 50, 4). Elles sont aussi lavées par nous au
moyen de la pénitence - Lavez-vous, purifiez-vous (Is 1, 16). Je me
laverai les mains, c'est-à-dire je m'appliquerai donc à la pénitence pour
qu'elles soient lavées. Et cela parmi les innocents, parce que les mœurs
se forment par la vie commune - Avec l'innocent, tu seras innocent (Ps 17, 26) » (Exp. in Psalmos, 25,
n° 4).
8. Mt 6, 17.
1763. La réponse du
Seigneur est ensuite exposée. D'abord il donne un exemple général, ensuite il
l'adapte à son propos [n° 1766]. Enfin, l'Évangéliste explique les paroles du
Christ [n° 1767].
1764. Le Seigneur
dit donc d'abord : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES
PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER, sous-entendu excepté les pieds par
lesquels il touche la terre. Par cela il est donné à entendre que les Apôtres
avaient déjà été baptisés. Il dit en effet : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A
BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS, et plus tard il ajoute : VOUS AUSSI,
VOUS ÊTES PURS, parce qu'ils avaient été baptisés.
1765. Certains
disent qu'ils avaient été baptisés seulement du baptême de Jean. Mais cela ne
semble pas vrai, parce qu'ainsi ils n'auraient pas été lavés car le baptême de
Jean ne purifiait pas intérieurement de la faute. Et c'est pourquoi il faut
dire qu'ils avaient été baptisés du baptême du Christ, selon saint Augustin 1. Et
si tu objectes que le Christ ne baptisait pas, mais ses disciples, comme on le
dit plus haut2, je dis qu'il ne baptisait pas les
foules ; mais ses disciples, eux qui lui étaient intimes et familiers, il
les a baptisés.
Mais puisque le
baptême enlève même la saleté des pieds, il semble que celui qui a été lavé,
c'est-à-dire baptisé, n'a pas besoin de se laver les pieds. À cela il faut
répondre que, si aussitôt après leur baptême ils sortaient de ce monde, ils
n'auraient de toutes façons pas besoin de cette ablution, parce qu'étant purs
tout entiers, ils s'envoleraient aussitôt. Par contre, ceux qui, après leur
baptême, vivent dans cette vie mortelle, ne peuvent s'élever à un si grand
sommet de perfection sans que surgissent encore des mouvements désordonnés de
la sensibilité liés à des affections terrestres. Et c'est pourquoi, pour
pouvoir s'envoler, il faut qu'ils lavent leurs pieds soit par le martyre qui
est un baptême de sang, soit par la conversion3 qui est un baptême de feu.
1. Epistula 265 ad Seleucianam, 4-5, CSEL, vo1. LVII, p. 641-644 (cf. vo1. I, n° 555, note 7). Bien que, dans un
premier temps, saint Augustin nie
clairement que Jésus ait jamais baptisé « de ses propres mains », même ses disciples les
plus proches, sinon « par la présence de sa majesté » à travers leur propre ministère baptismal, il
est ensuite contraint d'admettre
que les disciples ont été réellement baptisés
« du baptême du Christ » et non seulement de celui de Jean. En effet, le Christ « n'a pas
dérogé au ministère du baptême, afin d'avoir
ses serviteurs baptisés, eux qui devraient baptiser tous les autres, de même qu'il n'a pas dérogé
au ministère de l'abaissement quand il leur
lava les pieds... » (loc. cit., 5, p. 643). Dans la lettre 44 (aux évêques Eleusius, Glorius et
Félix), saint Augustin s'appuie précisément
sur le verset commenté ici pour en conclure que les disciples ont été baptisés du baptême
du Christ dès avant sa Passion. En effet,
« la purification parfaite ne se trouve pas dans le baptême de Jean mais dans [celui qui est
accompli] au nom du Seigneur » (10, CSEL, vo1. XXXIV, p.
117-118).
2. Voir Jn 4, 2.
VOUS AUSSI, VOUS ÊTES PURS, MAIS NON PAS TOUS.
1766. Le Seigneur
adapte ensuite l'exemple général à son propos. Mais s'ils étaient purs,
pourquoi le Seigneur les lavait-il à nouveau ? À cela Augustin4 répond
qu'ils étaient purs quant aux mains et à la tête, mais qu'ils manquaient [de
pureté] quant aux pieds.
Chrysostome5,
lui, dit qu'ils étaient purs mais pas d'une manière absolue, parce qu'ils
n'étaient pas encore purifiés de l'impureté originelle : puisque le Christ
n'avait pas encore souffert, le prix de notre rédemption n'avait pas encore été
payé. Mais ils étaient purs relativement, à savoir purs des erreurs des Juifs.
Origène6 dit
qu'ils étaient purs, mais qu'il fallait encore une purification plus grande
parce que la raison doit toujours chercher à égaler les meilleurs charismes,
toujours s'élever jusqu'aux plus hautes vertus, et s'efforcer de resplendir de
l'éclat de la justice - Celui
qui est saint, qu'il se sanctifie encore 1. MAIS NON PAS TOUS : parce que l'un
d'eux avait à la fois la tête et les mains impures.
3. Le terme poenitentia
correspond au grec μετάνοια qui signifie
repentir, conversion. Voir Le 3, 3 : II [Jean Baptiste] clame un
baptême de conversion pour la rémission des péchés, et Me 1, 4. Voir aussi Somme
théol, III, q. 66, a. 11, c,
où saint Thomas montre l'unité et l'ordre de ces trois baptêmes d'eau, de sang
et de feu.
4. Tract, in Io., LVI, 3-4, BA 74A, p. 79-83.
5. In Ioannem hom., LXX, PG 59, 2, co1. 384.
6. Comm. sur
saint Jean, XXXII, IX, § 101, SC 385, p. 231.
IL SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE LIVRERAIT.
C'EST POURQUOI IL DIT : « VOUS N'ÊTES PAS TOUS PURS. » (13, 11)
1767. C'est pourquoi
l’Évangéliste poursuit en expliquant les paroles du Seigneur : IL
SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE LIVRERAIT ; autrement
dit : s'il a dit VOUS N'ÊTES PAS TOUS PURS, c'est parce qu'il connaissait l'impureté de Judas, le traître.
En effet, deux
choses purifient l'homme : l'aumône et la miséricorde envers les pauvres - Faites l'aumône, et voici que
tout sera pur pour vous2 -, et l'amour de Dieu - Ses nombreux
péchés lui ont été remis, parce qu'elle a beaucoup aimé3. - La charité couvre toutes les fautes*. Or ces deux choses manquaient à Judas : la miséricorde
certes, parce qu'il était voleur et que, ayant la bourse, il dérobait les
aumônes des pauvres ', et de même l'amour envers le Christ, parce que
déjà le diable avait jeté dans son cœur l'intention de le livrer aux chefs des
prêtres pour qu'ils le crucifient.
1768. Après avoir
montré que son geste d'humilité est nécessaire, le Seigneur invite à l'imiter.
Et d'abord l'Évangéliste annonce les circonstances de cette exhortation, en
dévoilant son ordre. Puis il manifeste la condition de celui qui les exhorte
[n° 1770]. Enfin il nous donne l'exhortation elle-même [n° 1772].
a) Les circonstances de l'exhortation.
APRÈS DONC AVOIR LAVE LEURS PIEDS, IL REPRIT SES VÊTEMENTS,
ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, IL LEUR DIT (13, 12)
1769. L'ordre voulu
par le Seigneur pour cette exhortation consiste à enseigner par la parole ce
qu'il a fait tout d'abord par une œuvre. Et quant à cela, l'Évangéliste dit :
APRÈS DONC AVOIR LAVÉ LEURS PIEDS - Tout ce que Jésus a commencé à faire et
à enseigner5. - Celui qui les
fera et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des deux6.
1. Ap 22, 11.
2. Lc 11, 41.
3. Lc 7, 47.
4. Pr 10, 12.
5. Ac 1, 1.
1770. La condition
de celui qui donne l'exhortation est indiquée par son habit (habitus) et
par sa position7.
Par son habit, parce
qu'à différentes personnes conviennent des habits différents selon la diversité
de leurs actes propres - Le vêtement d'un homme parle de lui8. Donc, autre est l'habit
qui convient au serviteur, autre celui qui convient à celui qui enseigne. Parce
qu'il doit être libre pour servir, il convient au serviteur de déposer les
vêtements qui le gênent. Et c'est pourquoi le Christ, lorsqu'il voulut servir, se
lève du repas et dépose ses vêtements1. À celui qui enseigne, qui doit être grave et éminent par son autorité,
il convient d'être bien habillé et élégant. Et c'est pourquoi le Seigneur
voulant enseigner REPRIT SES VÊTEMENTS.
6. Mt 5, 19.
7. Saint Thomas,
au lieu de reprendre le mot latin vestimentum, dit ici habitus. Il
se réfère là aux « catégories » (Organon, I : Catégories,
eh. 4) d'Aristote décrivant la manière d'exister de tout être individuel,
et il parle des deux dernières : le situs, sa position dans
l'espace, et L’habitus, son avoir (sa manière de posséder). Sur les dix
catégories, voir ci-dessous, n° 2527, note 1.
8. Si 19, 27.
La condition de
celui qui exhorte est indiquée aussi par sa position : parce qu'il voulait
servir, il se leva ; c'est pourquoi l’Évangéliste dit : il se lève
du repas. Et maintenant, voulant enseigner, le Christ se remet à table, et
c'est pourquoi il est dit : ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, IL LEUR DIT. Et
cela parce que la doctrine doit être enseignée dans la tranquillité. En effet,
en s'asseyant et en se reposant, l'âme devient sage et prudente.
1771. Ces trois
choses sont porteuses d'un mystère. En effet, le Christ a donné à ses disciples
une doctrine parfaite quand il leur envoya l'Esprit Saint - Mais le
Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui-même3
vous enseignera tout2.
Trois choses ont
précédé la mission même de l'Esprit Saint. D'abord le lavement des péchés par
la Passion - Il nous a lavés de nos péchés par son sang3 ; et quant à cela il dit : APRÈS DONC AVOIR LAVÉ LEURS PIEDS,
c'est-à-dire la purification étant accomplie par son sang.
Ensuite la
Résurrection : en effet le Christ, avant sa Passion, eut un corps mortel,
et certes cette mortalité ne lui convenait pas selon sa personne de Fils de
Dieu, mais selon la nature humaine qu'il a assumée ; mais après qu'il fût
ressuscité par la puissance de sa divinité, il reçut l'immortalité du corps. Et
quant à cela il dit : IL REPRIT SES VÊTEMENTS, c'est-à-dire qu'en
ressuscitant il a été rendu immorte1. Et il dit SES, parce qu'il a reçu
l'immortalité par sa propre puissance - Sa vie est une vie pour Dieu4 -,
c'est-à-dire qu'il vit par la puissance de Dieu. Au sujet de ces vêtements, il
est dit dans l'Apocalypse : Le vainqueur sera revêtu de vêtements
blancs5.
Enfin la session à
la droite du Père, et cela dans l'Ascension, comme il est dit plus bas : Si
je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous0. Et quant à cela il dit : S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, c'est-à-dire
siégeant à la droite du Père - Or le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé,
fut enlevé au ciel et il s'assit à la droite de Dieu1. Et il dit DE NOUVEAU, non pas qu'en tant que Fils de Dieu il ait jamais
manqué de siéger - bien au contraire, de toute éternité il est dans le sein du
Père -, mais parce que, en tant qu'homme, il a été élevé jusqu'aux biens les
plus excellents du Père - Aussi Dieu l’α-t-il exalté et lui a-t-il
donné le Nom qui est au-dessus de tout nom8.
Ainsi donc, avant
d'envoyer le Saint-Esprit qui enseigne parfaitement, il lava par son sang
versé ; il reprit ses vêtements en ressuscitant ; il se remit à table
en montant dans la gloire9.
1. Jn 13, 4.
2. Jn 14, 26.
3.Ap 1, 5.
4. Rm 6, 10.
5. Ap 3, 5.
6. Jn 16, 7.
7. Me 16, 19.
8. Ph 2, 9.
9. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VI, 32, PL 100,
co1. 926 B.
1772. Le Seigneur
donne ensuite son exhortation ; d'abord il interroge, ensuite il rappelle
leur confession qu'il met en lumière [n° 1774], puis il conclut [n° 1778], et
enfin il confirme la conclusion [n° 1780].
Selon Origène 6,
SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? peut être pris d'une manière
impérative. Autrement dit : VOUS SAVEZ CE QUE JE VOUS AI FAIT. Et le
Seigneur dit alors cela pour éveiller leur intelligence.
II
SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? (13, 12)
1773. Il interroge
quand il dit : SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? autrement dit : vous avez vu les faits,
mais la cause pour laquelle j'ai fait cela, vous ne la comprenez pas. Et c'est
pourquoi il cherche ainsi à montrer la grandeur de cet acte, et il conduit à la
considérer.
En effet les œuvres
de Dieu doivent être considérées parce qu'elles sont profondes - Qu'elles
sont magnifiques tes œuvres, Seigneur ! Tes pensées extrêmement profondes
\ À peine en effet pouvons-nous connaître d'une façon suffisante la raison (ratio)
des œuvres de Dieu - J'ai compris que la raison des œuvres de Dieu,
l'homme ne pouvait en trouver aucune2. Elles sont aussi délectables à considérer - Tu m'as réjoui, Seigneur,
dans tes actes3. De plus elles sont utiles car elles conduisent à la connaissance de
leur Auteur - Ils n'ont pas, en considérant les œuvres, connu quel était
l'ouvrier*. Et plus haut : Les œuvres que le Père m'a données pour
que je les accomplisse, ces œuvres mêmes que je fais rendent témoignage de moi5.
VOUS, VOUS M'APPELEZ « MAÎTRE ET SEIGNEUR », ET
VOUS DITES BIEN : DE FAIT, JE LE SUIS. (13, 13)
1774. Il approuve
leur confession ; d'abord il la présente, puis il la loue [n° 1776].
1775. Il faut savoir
que l'Apôtre, dans la première épître aux Corinthiens, dit deux choses du
Christ, à savoir qu'il est puissance de Dieu et sagesse de Dieu7. En tant qu'il est puissance de Dieu, il domine sur toutes choses, comme
le dit Ambroise8 : le Seigneur est un nom de puissance.
En tant qu'il est sagesse de Dieu il les instruit tous, et c'est pourquoi les
disciples l'appelaient Seigneur - Seigneur, à qui irons-nous ?9 - et
Maître - Rabbi, mange 10. Et ceci à juste titre. En effet, le
Seigneur lui-même est le seul qui crée et recrée - Sachez que lui-même est
Dieu n -, et lui seul est le Maître qui enseigne de l'intérieur - Votre
Maître unique, c'est le Christ12.
1. Ps 91, 6.
2. Qo 8, 17.
3. Ps91, 5.
4. Sg 13, 1.
5. Jn 5, 36 (voir vo1. I, n° 816).
6. Comm. sur saint Jean, XXXII, x, § 113, SC 385, p.
237-239.
7. 1 Co 1, 24.
8. Il s'agit en réalité d'un auteur écrivant à Rome dans la
deuxième moitié du rv siècle appelé par la suite Ambrosiaster. Cf. Commentarium
in prima epistula ad Corinthios, CSEL, vo1. LXXXI, II, p. 17.
9. Jn 6, 69.
10. Jn 4, 31.
11. Ps 99, 3.
12. Mt 23, 10. Saint Thomas commente : « Le Christ
s'attribue à lui-même le magistère, parce que le Christ est le Verbe ; et
c'est pourquoi il lui appartient d'enseigner, parce que nul n'enseigne si ce
n'est par le Verbe. Il est aussi maître quant à sa nature humaine, parce qu'il
a été envoyé pour enseigner - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le
sein du Père, lui l'a fait connaître (Jn 1, 18) » (Sup. Matth. lect., XXIII,
n° 1852).
ET VOUS DITES BIEN : DE FAIT, JE LE SUIS.
1776. Il loue
ensuite leur confession. Là il faut savoir que quelque chose est rendu louable
de deux manières. D'une première manière si ce qui est dit correspond à la
réalité dont on parle, ce qui se fait par la vérité, parce que si c'est faux,
cela ne correspond pas à la réalité \ C'est pourquoi on dit bien : Rejetant
le mensonge, dites la vérité2. En effet on doit à ce point éviter les mensonges que même s'ils
semblent tourner à la louange de Dieu, ils ne doivent pas être dits. Quant à
cela donc, il dit : VOUS DITES BIEN, ce que vous dites est vrai, parce que
cela se rapporte à moi : DE FAIT, JE LE SUIS, MAÎTRE ET SEIGNEUR. MAÎTRE,
dis-je, à cause de la sagesse que j'enseigne par des paroles ; SEIGNEUR, à
cause de la puissance que je manifeste par des miracles.
D'une autre manière,
quelque chose est rendu louable si ce qui est dit correspond à la personne qui
le dit. Certains, en effet, appellent le Christ MAÎTRE ET SEIGNEUR sans que
cela leur convienne puisqu'ils ne se soumettent pas à la discipline et au
commandement de Dieu. Et ceux-là ne le disent pas bien. C'est pourquoi à ceux
qui disent : Seigneur, ouvre-nous3', il répond : Amen, Amen, je vous le
dis, je ne vous connais pas, parce qu'ils ne disent pas cela avec leur
cœur, mais seulement avec leur bouche4. MAÎTRE ET SEIGNEUR : cela, les Apôtres
le disaient bien, parce qu'il leur revenait de le dire. C'est pourquoi il leur
dit : ET VOUS DITES BIEN, à savoir : vous dites vrai, DE FAIT, JE LE
SUIS, c'est-à-dire, pour vous, Maître et Seigneur, car vous m'écoutez comme
Maître - A qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle5 -, et vous me suivez comme Seigneur - Voici que nous avons tout
laissé et nous t'avons suivi6.
1. Saint Thomas reprend ici toute la philosophie première
d'Aristote, et particulièrement la découverte du lien de l'intelligence avec le
vrai - la vérité -, découverte s'appuyant sur la recherche philosophique de
l'être en acte et de ses différentes modalités (voir Métaphysique, Θ,
ch. 10). En effet quand nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose qui
existe. Sinon, si la chose à laquelle nous pensons n'existe pas, ce n'est plus
une véritable pensée, mais une imagination, un rêve. Nos jugements sont vrais
dans la mesure où ce qu'ils affirment est conforme à ce qui est dans la
réalité. « Atteint la vérité celui qui pense que ce qui est séparé est
séparé et que ce qui est uni est uni ; se trompe celui qui pense
contrairement à ce que sont les réalités » (Aristote, loc. cit., 1051 b, 3-5). C'est donc le réel
qui détermine notre capacité de connaître, notre intelligence, et qui l'actue.
Et notre intelligence, en adhérant au réel en ce qu'il a de plus lui-même, son
acte d'être, se qualifie. La vérité est ainsi cette qualité de l'intelligence
correspondant à l'adéquation de l'intelligence et de la réalité. À plusieurs
reprises saint Thomas, dans ses écrits, précise ou évoque le lien de
l'intelligence avec le vrai. Voir notamment De veritate, q. 1, a.
1 ; Somme théo1., I, q. 16, a. 1, c. ; q. 21, a. 2, c. Voir
aussi ci-dessous, nos
2364 et 2365.
2. Ep 4, 25.
3. Mt 25, 11-12.
1777. Mais
contrairement à cela, il est dit dans le livre des Proverbes : Qu'un
étranger te loue, et non ta bouche1. Il semble donc que le Seigneur n'ait pas bien agi en se recommandant.
Mais à cela Augustin8 répond de deux manières.
D'une première
manière, en disant qu'il est blâmable que quelqu'un se recommande lui-même, à
cause du danger de s'enorgueillir. Car se plaire à soi-même est dangereux pour
celui qui veille à ne pas s'enorgueillir. Par conséquent, quand le danger de
s'enorgueillir ne menace pas, se recommander soi-même n'est pas blâmable. Or
chez le Christ ce danger n'était pas à craindre ; lui en effet qui est
au-dessus de tout, aussi grandement qu'il se loue, ne s'élève pas trop haut.
D'une autre manière,
en disant que parfois il est louable que l'homme se mette en avant quand cela
sert à l'utilité des fidèles. Et c'est ainsi que l'Apôtre se met en avant9.
Mais il nous est fort utile et nécessaire de toute manière de connaître Dieu
parce qu'en cela consiste toute notre perfection. C'est pourquoi il nous est
utile qu'il nous révèle sa grandeur ; du reste nous ne pourrions d'aucune
façon la connaître s'il ne se révélait pas, lui qui la connaît. Et c'est pourquoi
il faut que lui-même se loue pour nous, parce que, comme le dit Augustin \ si
en ne se louant pas il veut éviter une sorte d'arrogance, il nous refusera la
sagesse - La Sagesse louera son âme2.
4. Cf. Mt 12, 34-37 (Lc 6, 45) et Rm 10, 8-10.
5. Jn 6, 69.
6. Mt 19, 27.
7. Pr 27, 2.
8. Tract, in Io., LVIII, 3,
BA 74A, p. 107-109.
9. Cf. 2 Co 11.
III
SI DONC JE VOUS AI LAVE LES PIEDS, MOI LE SEIGNEUR ET LE
MAÎTRE, VOUS AUSSI VOUS DEVEZ VOUS LAVER LES PIEDS LES UNS AUX AUTRES. (13, 14)
1778. Il conclut, et
ici il argumente à partir de ce qui semble être moindre vers ce qui semble être
davantage. En effet, il semble moins [évident] que le plus grand doive faire
quelque chose d'humble plutôt que le plus petit. Et selon cela, il
conclut : SI DONC MOI, qui suis plus grand, parce que je suis LE SEIGNEUR
ET LE MAÎTRE, JE VOUS AI LAVÉ LES PIEDS, VOUS AUSSI, qui êtes plus petits, qui
êtes disciples et serviteurs, devez d'autant plus VOUS LAVER LES PIEDS LES UNS
AUX AUTRES - Celui qui est plus grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur
(...)· Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir0'.
1779. Or il semble
que cela ait raison de précepte ; mais celui qui néglige un
précepte pèche mortellement. Donc celui qui ne lave pas les pieds des autres
pèche mortellement.
Il faut répondre,
selon Augustin4, que tout homme doit laver les pieds de
l'autre soit corporellement, soit spirituellement. Et il est bien meilleur, et
plus vrai sans controverse, qu'il le fasse aussi de ses mains, afin que le
chrétien ne dédaigne pas de faire ce que fit le Christ. En effet, quand le
corps est incliné vers les pieds du frère, en son cœur aussi le sentiment
d'humilité est éveillé ou, si déjà il était présent, il est confirmé. Et si
cela ne se fait pas par une œuvre, nous devons du moins le faire par le cœur.
Dans le lavement des
pieds est donné à entendre le lavement des taches. Donc, spirituellement, tu
laves les pieds de ton frère toutes les fois que tu laves ses taches, dans la
mesure de tes moyens. Et cela se fait de trois manières. En lui remettant son
offense - Pardonnez-vous mutuellement, si l'un a contre l'autre quelque
sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonnes, faites de même à votre
tour5. De même en priant pour ses péchés
- Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés6. Et
cette double manière de laver les fautes est commune à tous les fidèles. Une
troisième manière appartient aux prêtres, qui doivent laver en remettant les
péchés par le pouvoir des clefs7 - Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous
remettrez les péchés, ils leur seront remis8.
Nous pouvons dire
aussi que, dans cet acte, le Seigneur montre toutes les œuvres de la
miséricorde. Car celui qui donne du pain à l'affamé lave ses pieds, et de même
celui qui l'accueille en son logement et celui qui couvre celui qui est nu, et
de même pour les autres choses - Prenez part aux besoins des saints9.
IV
1780. Il confirme
maintenant la conclusion, et cela de quatre manières : en soulignant son
intention [n° 1781], par son autorité [n° 1782], en rappelant la récompense qui
est due à cette œuvre [n° 1784], et à cause de la dignité de ceux auxquels il
lave les pieds [n° 1793].
1. Tract, in Io., LVIII, 3, BA 74A, p. 105.
2. Si 24, 1.
3. Mt 20, 26 et
28. Voir ci-dessus, n° 1745, note 1.
4. Tract, in Io., LVIII, 4, BA 74A, p. 113.
5. Col 3, 13.
6. Je 5, 16.
7. Sur le pouvoir
des clefs, voir vo1. I, n° 1561.
8. Jn 20, 22-23.
9. Rm 12, 13.
L'intention du
Christ
EN EFFET C'EST UN EXEMPLE QUE JE VOUS AI DONNÉ, POUR QUE,
COMME MOI JE VOUS AI FAIT, AINSI VOUS AUSSI VOUS FASSIEZ. (13, 15)
1781. Il dit
donc : cela, je l'ai fait précisément pour vous donner un exemple. Et
c'est pourquoi vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux
autres, parce que c'était mon intention à travers cet acte. Car pour les
actions des hommes, les exemples touchent plus que les paroles. En effet, un
homme fait et choisit ce qui lui semble bon. C'est pourquoi il montre que ce
qu'il a lui-même choisi est bon, plus qu'il ne montre qu'il faut choisir ce
qu'il enseigne. Et de là vient que quand quelqu'un dit quelque chose et
cependant fait autre chose, ce qu'il fait influence plus les autres que ce
qu'il enseigne. Et c'est pourquoi il est grandement nécessaire de donner
l'exemple à partir d'un acte même.
Mais l'exemple de
l'homme purement homme dans le genre humain n'était pas suffisant à imiter,
soit parce que la raison humaine ne possède pas toute la connaissance, soit
parce que dans la considération même des réalités elle se trompe. Et c'est
pourquoi nous est donné l'exemple du Fils de Dieu, exemple qui est infaillible
et qui suffit à tout. Augustin 1 dit : « L'orgueil n'est pas guéri
s'il n'est pas guéri par l'humilité divine », et semblablement l'avarice,
et ainsi les autres défauts.
Remarque que le Fils
de Dieu nous est donné comme exemple de vertu d'une manière très convenable. En
effet il est lui-même l'art du Père, de sorte que, comme il fut l'exemplaire de
la création2, il devait être aussi l'exemplaire de la
justification - Le Christ a
souffert pour vous, en vous laissant un exemple3. - Mon pied a suivi ses traces*.
L'autorité du Christ
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : LE SERVITEUR N'EST PAS
PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, NI L'ENVOYÉ PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ.
(13, 16)
1782. Ensuite, le
Seigneur confirme la conclusion en vertu de son autorité ; et d'abord il
montre la condition des disciples, puis leur office.
La condition des
disciples est d'être des serviteurs
- Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous
sommes des serviteurs inutiles5 ; leur office est d'être des apôtres,
c'est-à-dire des envoyés - Il en choisit douze, qu'il nomma Apôtres6. Ainsi donc, il dit : Je dis que vous aussi vous devez vous
laver les pieds les uns aux autres, comme moi je vous ai lavé les pieds,
parce que LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR quant à sa
condition, NI l'apôtre, c'est-à-dire L'ENVOYÉ, PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A
ENVOYÉ. Bien que le Fils de Dieu
lui-même, qui est l'Apôtre de notre profession de foi, comme le dit l'épître
aux Hébreux7, soit égal à celui qui l'a envoyé, à savoir
au Père, il est vrai cependant pour tous les autres que
1. Le combat chrétien (De agone christiano), XI, 12,
ΒΑ 1, p. 397.
2. Cf. Somme théol, I, q. 45, a. 6, c. : « Les
personnes divines, selon la raison de leur procession, ont une causalité à
l'égard de la création des réalités. Comme on l'a montré antérieurement en
traitant de la science et de la volonté de Dieu, Dieu est cause des réalités
par son intelligence et sa volonté, comme l'artisan pour les produits de son art.
Or l'artisan opère d'après le verbe conçu dans son intelligence, et par l'amour
que sa volonté porte à son œuvre. Aussi Dieu le Père a-t-il produit la créature
par son Verbe, qui est le Fils, et par son Amour, qui est l'Esprit
Saint ».
3. 1 Ρ 2, 21.
4. Jb 23, 11. Voir vo1. I, n° 1376, note 5.
5. Le 17, 10.
6. Le 6, 13.
7. Cf. He 3, 1.
L'ENVOYE N'EST PAS
PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ.
1783. Mais plus bas,
le Seigneur dit à ses
disciples : Désormais, je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que
le serviteur ne sait pas ce que fait son maître 1.
Il faut répondre
qu'il existe deux servitudes2 : l'une qui procède d'une crainte
filiale, et qui fait un bon serviteur - C'est bien, serviteur bon et fidèle3 -, et c'est de cette
manière que le Seigneur les appelle serviteurs. L'autre est la servitude
qu'entraîne la crainte servile, au sujet de laquelle Matthieu dit : Serviteur
mauvais, je t'ai remis
toute cette somme parce que tu m'as supplié4. Et de cette servitude, le Seigneur dit : Je ne vous appellerai plus serviteurs.
1. Jn 15, 15.
2. Saint Augustin distingue la crainte « que bannit la
charité » de la crainte « chaste » (Ps 18, 10). Voir son Commentaire
de la Première Épître de S. Jean, IX, 4-8, SC 75, Cerf 1994, p.
385-395 ; La Cité de Dieu, XIV, ix, 5, BA 35, p. 395-397. Saint
Thomas, reprenant saint Augustin, distingue plus précisément quatre sortes de
crainte : la crainte humaine ou mondaine, la crainte servile, la crainte
filiale et la crainte initiale. « Nous traitons ici de la crainte selon
que, de quelque façon, elle nous tourne vers Dieu ou nous détourne de lui. En
effet, puisque l'objet de la crainte est un mal, parfois l'homme s'éloigne de
Dieu à cause des maux qu'il craint, et c'est la crainte humaine ou mondaine.
Parfois au contraire l'homme, en raison du mal qu'il craint, se tourne vers
Dieu et s'attache à lui. Ce dernier mal est double : mal de peine et mal
de faute. Si l'on se tourne vers Dieu et que l'on s'attache à lui par crainte
de la peine, il y aura crainte servile. Si c'est par crainte de la faute, il y
aura crainte filiale, car ce sont les fils qui craignent d'offenser leur père.
Si l'on craint en même temps la faute et la peine, c'est la crainte initiale,
qui est intermédiaire entre la crainte filiale et la crainte servile » (Somme
théol, II-II, q. 19, a. 2, c). Citons aussi ce très beau passage où saint
Thomas se demande si la crainte est le commencement de la sagesse :
« La crainte est le commencement de la sagesse, de façon différente dans
la crainte servile et dans la crainte filiale. La crainte servile est
commencement en ce sens qu'elle dispose de l'extérieur à la sagesse
chrétienne : craignant la peine, le pécheur s'éloigne du péché et ainsi se
dispose à recevoir l'effet de la sagesse - La crainte du Seigneur bannit le
péché (Si 1, 27 [verset propre à la Vulgate]). Mais la crainte chaste ou
filiale est le commencement de la sagesse en ce sens qu'elle est son premier
effet. Puisqu'il appartient à la sagesse d'ordonner la vie humaine selon la
pensée de Dieu, c'est en s'appuyant sur ce principe que l'homme doit révérer
Dieu et se soumettre à lui ; c'est ainsi que, par conséquent, il sera
ordonné en toutes choses selon Dieu » (loc. cit., a. 7, c). Et
encore : « La crainte de Dieu joue, par rapport à toute vie humaine
ordonnée par la sagesse de Dieu, le rôle de la racine à l'égard de l'arbre - La
racine de la sagesse
est la crainte du Seigneur et ses rameaux sont une longue vie (Si 1, 20). Et
c'est pourquoi, de même qu'on dit de la racine qu'elle est virtuellement tout
l'arbre, de même dit-on de la crainte de Dieu qu'elle est la sagesse » (loc.
cit., ad 2). Au sujet de la distinction entre crainte filiale ou chaste et
crainte mondaine, voir vo1. I, n° 969, note 9.
3. Mt 25, 23.
La récompense
1784. Ensuite, il
confirme la conclusion en exposant la récompense. D'abord il présente la
récompense, puis il en écarte un de cette récompense [n° 1786].
SACHANT CELA, HEUREUX
SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES ! (13, 17)
1785. Il dit
donc : SACHANT CELA, autrement
dit : tu nous dis ce qu'assurément nous n'ignorons pas. Pourquoi donc nous
le dis-tu ? Parce que, dis-je, SACHANT CELA, ce qui est certes le propre
de tous, cependant HEUREUX SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES, ce qui est le propre
d'un petit nombre.
Et il dit SACHANT et
SI VOUS LE FAITES parce que, comme il est dit dans Luc : Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu
et qui la gardent5. - Une bonne intelligence à tous ceux qui la
pratiquent0. Et à l'opposé : Celui qui sait faire le bien et qui ne le fait
pas, il y a péché pour lui1.
CE N'EST PAS DE VOUS
TOUS QUE JE PARLE ; MOI, JE CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS. MAIS C'EST POUR
QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE : <« CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC
MOI, LÈVERA CONTRE MOI SON TALON. » DÈS A PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE
CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS.
(13, 18-19)
1786. Là il en
écarte un en disant : CE N'EST
PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE.
D'abord il indique
cette exception en la montrant
[n° 1787], puis en répondant à une question tacite [n° 1788]. Ensuite il donne
la raison de cette exception [n° 1790] et enfin la raison pour laquelle il
montre l'exception [n° 1792].
4. Mt 18, 32.
5. Lc 11, 28.
6. Ps 110, 10.
7. Je 4, 17.
CE N'EST PAS DE VOUS
TOUS QUE JE PARLE.
1787. Ici, il montre
l'exception. Autrement dit : HEUREUX SEREZ-VOUS, cependant non pas tous, parce
que CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE quand je dis que vous parviendrez à
la béatitude - Tous courent, mais un seul remporte le ρήχ1. Il y a en effet parmi vous quelqu'un,
Judas, qui ne sera pas heureux, qui ne le fera pas.
Mais, selon Origène2, le
Seigneur ne dit pas HEUREUX SEREZ-VOUS d'une manière absolue ; il pose une
condition en disant : SI VOUS LE FAITES. Et cela assurément est vrai pour
tous, même pour Judas. Si en effet Judas l'avait fait, il aurait été heureux.
C'est pourquoi il veut restreindre plus ce qu'il dit : LE SERVITEUR N'EST
PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, autrement dit : je dis que vous êtes
serviteurs et apôtres, cependant CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE. Judas,
en effet, étant donné qu'il était serviteur du péché, n'était pas serviteur du
Verbe divin ni Apôtre, le diable étant entré dans son cœur.
MOI, JE CONNAIS CEUX
QUE J'AI CHOISIS.
1788. Mais on pourrait
dire : du fait qu'il ne dit pas de tous qu'ils doivent être heureux, ou
être ses apôtres, c'est donc par imprévu que quelqu'un de son collège va périr.
C'est pourquoi le Seigneur, répondant à cela, dit : MOI, JE CONNAIS CEUX
QUE J'AI CHOISIS, autrement dit : ceux qui ont été choisis ne périront
pas.
Mais tous n'ont pas
été choisis. Celui-là donc périra qui n'a pas été choisi, c'est-à-dire Judas - Ce
n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis3.
1789. Mais à cela
s'oppose ce qui est dit plus haut : N'est-ce pas moi qui vous ai
choisis, vous les Douze ?4 Donc, puisque Judas était l'un des Douze, il semble qu'il ait été
choisi.
Il faut dire qu'il y
a deux choix. L'un est pour la justice présente, et selon celui-là Judas fut
choisi. L'autre choix est en vue de la grâce finale, et selon celui-là Judas ne
fut pas choisi5.
MAIS C'EST POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE :
« CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LÈVERA CONTRE MOI SON TALON. »
1790. La raison de
cette exception est POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE. Et ici l'Écriture annonce à l'avance non parce
qu'elle oblige, mais parce que ce qui devait arriver, elle ne l'a pas tu - Il faut
que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les
Prophètes et les Psaumes6. - Pas un i, pas un point sur l'i, ne
passera de la Loi, jusqu'à ce que tout cela arrive1. Ici l'Écriture dit : CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LÈVERA
CONTRE MOI SON TALON. Il existe de ce verset une autre traduction où nous
lisons : Même l'homme de ma paix, en qui j'espérais, lui qui mangeait
mon pain, a levé contre moi le talon8.
Là est montrée la
familiarité de Judas à l'égard du Christ, quand il dit : CELUI QUI MANGE
LE PAIN AVEC MOI. Judas en effet,
avec les autres disciples, a mangé le pain avec le Christ, même le pain
consacré.
1. 1 Co 9, 24.
2. Comm. sur saint Jean, XXXII, xm, § 148-151, SC 385, p.
253.
3. Jn 15, 16.
4. Jn 6, 71.
5. Voir saint Augustin, Tract,
in Io., LIX, 1, BA 74A, p.
119 : Judas a été choisi, certes, pour accomplir une œuvre nécessaire,
mais non pour parvenir à la béatitude, comme les onze autres disciples. Sur la
prédestination, voir surtout vo1. I, n" 938, note 1 ; n° 1301, note
11 ; n° 1373, note 12 ; et aussi ci-dessous, n° 2218.
6. Le 24, 44.
7. Mt 5, 18.
8. Ps 40, 10.
De même nous est
montrée sa tentative maligne contre le Christ : LÈVERA CONTRE MOI SON
TALON, c'est-à-dire qu'il essaiera de me fouler aux pieds. En effet, c'est avec
le talon que nous écrasons nos ennemis - Celle-ci te brisera la tête, et
toi, tu la viseras au talon1.
On dit donc que quelqu'un lève son
talon contre un autre quand il essaie de l'écraser. Mais cela Judas ne le
pourra pas ; parce que là où il croit m'écraser, de là je serai exalté.
Plus haut : Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout
à moi2.
1791. En regardant
l'exemple de Judas qui, devenu possesseur de biens infinis, récompensa son
bienfaiteur dans le sens contraire, nous avons un exemple pour ne pas être
scandalisés si parfois nous souffrons quelques maux de la part de serviteurs ou
de gens de très peu de valeur. Le Seigneur a choisi Judas, sachant qu'il serait
mauvais, pour faire comprendre qu'aucune société humaine n'existerait sans
quelque mélange de mal - Comme le lis entre les épines, ainsi est ma
bien-aimée entre les jeunes femmes3". C'est pourquoi Augustin dit dans une lettre4 : « Je n'ose pas prétendre que ma
maison soit meilleure que l'assemblée des Apôtres. »
L'exemple nous est
encore donné pour que, s'il arrive que quelqu'un admis par un prélat dans la
société de l'Église devienne mauvais, cela ne soit par pour la condamnation de
ce prélat. Voilà en effet que Judas, choisi par le Christ, est devenu le
traître. Ainsi aussi Philippe prit Simon le magicien5 - Rend-on le mal pour le bien, puisqu'ils
ont creusé une fosse pour mon âme ?6 - Les ennemis de l'homme, les gens de sa
maison (...)7
DÈS À PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE CELA N'ARRIVE :
POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS. (13, 19)
1792. Il poursuit en
indiquant la cause pour laquelle il a fait cette exception. Autrement
dit : longtemps, j'ai tu sa malice, mais parce que c'est le moment de la
faire paraître en public, DÈS À PRÉSENT JE VOUS LE DIS, c'est-à-dire je le
manifeste, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ
QUE MOI JE SUIS, moi qui prédis ce qui doit arriver et manifeste les secrets
du cœur8, ce qui est le propre de Dieu - Pervers est le cœur de l'homme, et
insondable : qui peut le pénétrer ? Moi, le Seigneur, je scrute le
cœur et je sonde les reins9. - Annoncez-nous ce qui arrivera, et nous
saurons que vous êtes des dieux 10. - Moi je suis celui qui suis11.
La dignité de ceux
auxquels il lave les pieds
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE
J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI
QUI M'A ENVOYÉ. (13, 20)
1793. La conclusion
qu'il a donnée, il la confirme ensuite à partir de la dignité de ceux auxquels
il a lavé les pieds. Leur dignité est si grande que les gestes de service
empressés à leur égard semblent en quelque sorte rejaillir sur Dieu, mais
cependant selon un certain degré, c'est-à-dire parce que ce qui est fait aux fidèles du Christ rejaillit sur
Dieu le Père.
1. Gn 3, 15.
2. Jn 12, 32.
3. Ct 2, 2.
4. Lettre 78, § 8, CSEL, vo1. XXXIII, p. 344.
5. Cf. Ac 8, 13.
6.Jr 18, 20.
7. Mt 10, 36.
8. 1 Co 14, 25 ; cf. Rm 2, 16.
9. Jr 17, 9-10.
10. Is 41, 23.
11. Ex 3, 14.
En premier lieu, il
montre comment ce qui est fait aux disciples du Christ rejaillit sur le Christ.
Et quant à cela il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS. Autrement dit :
vraiment vous devez vous laver les pieds, parce que QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE
J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT. Le service qui est prodigué à ceux que
moi j'envoie, je me l'attribue - Qui vous accueille, m'accueille1.
En second lieu, il montre
comment le service prodigué au Christ rejaillit sur le Père, en disant :
QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. Plus haut il avait dit : Afin
que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père2.
Selon Origène 3, on
peut comprendre cela de deux manières. D'une première manière en unissant, et
alors voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI
QU'IL REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ ;
c'est-à-dire : qui reçoit ceux que j'ai envoyés, reçoit aussi le Père. Qui
donc reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, reçoit le Père.
D'une autre manière,
en distinguant, et voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI
ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL REÇOIT. C'est vrai d'une manière sensible, mais QUI ME
REÇOIT, c'est-à-dire en tant que je viens spirituellement dans les âmes - Que
le Christ habite en vos cœurs par la foi4 -, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-à-dire le Père. Non seulement moi
je demeurerai en lui, mais aussi le Père - Nous viendrons à lui, et nous
ferons chez lui notre demeure5.
1794. Mais à partir
de cela, Arius s'efforce de confirmer son erreur : le Seigneur dit que
celui qui reçoit celui que lui-même envoie, le reçoit lui-même, et que celui
qui le reçoit lui-même, reçoit le Père. Donc le rapport est le même entre le
Père qui envoie et son Fils, et entre le Fils qui envoie et ses disciples. Mais
le Christ qui envoie est plus grand que les disciples qui sont envoyés. Donc le
Père est plus grand que le Fils.
À cela il faut
répondre, selon Augustin6, que dans le Christ il y eut deux
natures : la nature humaine et la nature divine7. Il parle donc d'une part selon la nature
humaine, en disant : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI,
en tant qu'homme, QU'IL REÇOIT, moi qui partage avec eux une même nature ;
et, d'autre part, selon la divinité : QUI ME REÇOIT, comme Dieu, REÇOIT
CELUI QUI M'A ENVOYÉ, moi qui suis avec lui une seule nature. Ou bien :
QUI REÇOIT celui que moi j'envoie, ME REÇOIT, moi dont l'autorité est en
eux ; et QUI ME REÇOIT, reçoit le Père dont l'autorité est en moi. Ainsi
dans ces paroles est contenue comme la médiation8 du Christ entre Dieu et l'homme - Le
médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même (…)9
1. Mt 10, 40.
2. Jn 5, 23.
3. Comm. sur saint Jean, XXXII, xvii, § 212-213, SC 385, p. 277.
4. Ep3, 17.
5. Jn 14, 23.
6. Tract, in Io., LIX, 3, BA
74A, p. 123-125.
7. Voir ci-dessus n° 1711, note 3.
8. Voir n° 2201, note 5.
9. 1 Tm 2, 5.
1795. Plus haut
l'Évangéliste montre l'exemple que le Christ donna à ses disciples. Ici il
montre cette défaillance des disciples que Jésus leur annonce, à eux qui
n'étaient pas encore capables de le suivre. Il montre d'abord la défaillance du
disciple qui le trahit, puis la défaillance du disciple qui le renia [n° 1840].
L'Évangéliste
annonce la trahison du disciple, puis sa séparation d'avec eux, ou son départ
[n° 1825].
L'annonce de la
trahison future est exposée, et d'abord le crime de trahison, ensuite la
personne du traître [n° 1800].
Puis, pour confirmer
la vérité de cette prédiction, l'exécution de la trahison elle-même [n° 1814].
La trahison.
I
AYANT DIT CELA, JÉSUS FUT TROUBLE EN SON ESPRIT ET IL
ATTESTA ET DIT : « AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE L'UN D'ENTRE VOUS ME
LIVRERA. » (13, 21)
1796. L'Évangéliste
présente d'abord le sentiment de celui qui annonce, puis ce qui est
effectivement annoncé. Celui qui annonce est donc le Christ, qui est affecté
jusqu'au trouble. Et quant à cela il dit : AYANT DIT CELA, en les
réinvitant à la charité dont il voyait le disciple traître privé, JÉSUS FUT
TROUBLÉ EN SON ESPRIT.
À ce sujet il faut
savoir que le trouble désigne un certain mouvement. Cela apparaît dans ce qui a
été dit plus haut1 : L'ange du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine, et
l'eau s'agitait. Et ensuite2 :
Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine quand Veau a été
troublée. Et il est dit
indifféremment que l'eau est troublée et qu'elle est mue. C'est aussi de cette
manière que nous disons que la mer est troublée quand elle est agitée. Donc le
trouble de l'âme désigne son mouvement. Mais certains actes de l'âme sont sans
mouvement du corps, à savoir les actes de la partie intellective.
1. Jn 5, 4.
2. Jn 5, 7.
Les actes de
l'appétit sensible s'accompagnent d'un mouvement du corps : c'est pourquoi
les affections de l'appétit sensible sont appelées passions. Et parmi toutes
les affections ou les passions de l'appétit sensible, c'est la tristesse1 qui a le plus la puissance de mouvoir. En effet la jouissance,
puisqu'elle exprime le repos dans le bien présent, a davantage le sens de repos
que de mouvement. De même la crainte, puisqu'elle porte sur un mal futur, meut
moins que la tristesse qui porte sur le mal présent. Et de là vient que c'est
surtout la tristesse qu'on appelle trouble de l'âme. Jésus donc fut troublé,
c'est-à-dire attristé.
1797. Il faut
remarquer ici que certains philosophes, à savoir les stoïciens, disent qu'un
trouble et des passions de cette sorte ne viennent pas chez le sage. Selon eux,
en effet, le sage a beau craindre, se réjouir et désirer, en aucune façon
cependant il n'est attristé. Mais leur erreur apparaît clairement du fait que Jésus,
qui est la Sagesse souveraine, a été troublé.
Il faut cependant
savoir qu'il existe deux troubles. L'un provient de la chair, quand quelqu'un
est triste ou troublé à partir d'une perception sensible, au-delà du jugement
de la raison. Ce trouble se borne parfois aux limites de la raison et ne
l'obnubile en aucune manière. Et cette passion n'est pas parfaite, elle est
appelée par saint Jérôme « propassion2 ». Et elle peut se trouver chez le
sage. Mais parfois elle excède la limite de la raison et la trouble, alors elle
n'est pas seulement une passion, mais aussi un trouble ; et celui-ci ne se
produit pas chez le sage.
Autre est le trouble
qui procède de la raison, c'est-à-dire quand, à partir d'un jugement et d'une
délibération de sa raison, quelqu'un est troublé dans son appétit sensible. Et
c'est ce trouble que connut le Christ. C'est pourquoi, l'Évangéliste dit
clairement qu'il FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT, et ce trouble qu'il y eut dans
l'appétit sensible fut dans le Christ à partir du jugement de sa raison. C'est
pourquoi, plus haut3, il dit qu'il se troubla. Dans le
Christ, en effet, tout provenait de la délibération de la raison, même ce qui
se trouve dans la partie inférieure de l'appétit sensible. C'est pourquoi il
n'y eut pas dans le Christ ces mouvements soudains de sensibilité.
1798. Mais Jésus
voulut ici être troublé pour deux raisons. D'abord certes pour l'instruction de
notre foi. Car sa Passion et sa mort, que la nature humaine fuit naturellement,
étaient imminentes ; et quand il les sent imminentes pour lui, il s'en
attriste comme d'un mal et un danger pour lui déjà présents. Donc, pour montrer
qu'il avait une vraie nature humaine, il voulut être affecté jusque dans son
âme elle-même par ce trouble qui provient du jugement de la raison. Par là est
exclue l'erreur d'Apollinaire qui dit que dans le Christ il n'y eut pas d'âme,
mais le Verbe à la place de l'âme4.
En second lieu, pour
notre édification. En effet, selon Augustin5, le Christ voyait que le traître allait
sortir afin de conduire les Juifs vers lui pour qu'ils le prennent. Et, par
cela, il se trouvait séparé du collège des saints et recevait contre lui la
sentence de mort. C'est pourquoi le Christ, par un sentiment de piété,
s'attristait pour lui, donnant par cela aux prélats cet exemple ; que si
parfois il leur arrive de proférer une sentence dure contre ceux qui leur sont
soumis, ils la profèrent d'un cœur douloureux
- Le juste me corrigera dans la miséricorde1. Car lui-même, voulant manifester aux autres la séparation de Judas, FUT
TROUBLÉ EN SON ESPRIT ET IL ATTESTA, afin que Judas ne trahît pas dans
l'ignorance, ET [IL] DIT : « AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE L'UN D'ENTRE
VOUS ME LIVRERA. »
1. Au sujet des
passions voir ci-dessus, n" 1651, note 2. Sur la tristesse, voir Somme
théol, I-II, q. 35 à 38.
2. Commentaire
sur Saint Matthieu, I, 1 (5, 28), SC 242, p. 119. Cf. aussi Lettre LXXIX
à Salvina, § 9, éd. Labourt, p. 104 (où saint Jérôme, deux ans à peine
après le commentaire de Matthieu, rend le terme grec propatheia non plus
par propassio mais par antepassio).
3. Jn 11, 33.
4. Voir la réfutation d'Apollinaire par saint Thomas dans la Somme théologique, III, q. 5, a. 4, c.
5. Tract, in Io., LX, 1, BA 74A, p. 129. (Le développement sur la charité que le
prélat doit avoir envers ceux qu'il condamne ne provient pas de l'homélie de
saint Augustin.)
1799. Le Christ dit
clairement L'UN D'ENTRE VOUS, de ceux qui ont été choisis pour le collège
saint, pour donner à entendre qu'aucun collège ne sera si saint qu'on ne puisse
trouver en lui quelque pécheur et méchant - Alors que les fils de Dieu
étaient venus se présenter devant le Seigneur, Satan vint aussi parmi eux2. Il dit UN, et non pas
deux ou plusieurs, pour ne pas sembler maudire le collège, mais seulement le
traître issu du collège des Apôtres. Car le collège [tout entier] ne doit pas
être jugé mauvais à cause d'un seul homme mauvais issu de ce collège. Alors que
s'il y avait plusieurs mauvais le collège pourrait être jugé mauvais.
L'UN, dit-il,
D'ENTRE VOUS, quant au nombre et non quant au mérite ou au lien de l'esprit - Ils sont sortis de chez
nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils
seraient restés avec nous3 -, ME LIVRERA, c'est-à-dire : ME LIVRERA, moi, dis-je, le Maître,
moi le Seigneur, moi le Sauveur.
1. Ps 140, 5.
2. Jb 1, 6.
3. 1 Jn 2, 19.
II
LES DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE
SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT. À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT
ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC
SIGNE ET LUI DIT : « QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? »
CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT :
« SEIGNEUR, QUI EST-CE ? » JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST
CELUI À QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. » ET AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL
LE DONNA À JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. ET APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA
EN LUI. (13, 22-27)
1800. L'Évangéliste
désigne d'une manière cachée la personne du traître. Et tout d'abord il montre
ce qui en fut l'occasion, puis la désignation de la personne [n° 1808], enfin
son effet [n° 1810].
Or l'occasion est
double : l'hésitation commune des disciples et l'interrogation du disciple
aimé d'un amour de prédilection [n° 1802].
L'occasion pour
désigner le traître
LES DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE
SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT.
1801. Il faut savoir
que les bons disciples avaient pour le Christ une très grande charité, et une
très grande fermeté de foi. Assurément, en raison de cette charité, chacun
d'entre eux présumait qu'aucun ne le renierait. Mais, par la fermeté de leur
foi, ils tenaient pour absolument certain que la parole du Christ ne pouvait
être fausse. Et c'est pourquoi, bien qu'ils n'eussent pas conscience d'avoir en
eux-mêmes quelque chose de mauvais, ils estimaient cependant que la prédiction
du Christ était plus vraie et plus crédible que leurs propres pensées. C'est
pourquoi, se rappelant qu'ils étaient des hommes et que le sentiment de
l'homme, même celui des plus avancés, est changeant de telle sorte qu'il peut
vouloir le contraire de ce qu'il a d'abord voulu, ils doutaient plus
d'eux-mêmes que de la vérité du Christ. Et c'est pourquoi ils SE REGARDAIENT
DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT - Que celui
qui croit tenir debout, prenne garde de tomber1.
-Si j'avais été lavé comme dans de l'eau de neige, et si mes mains brillaient
comme étant très pures, cependant tu me plongerais dans la fange2.
À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE
SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI
DIT : « QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? » CELUI-CI, SE
RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : « SEIGNEUR, QUI
EST-CE ? »
1802. Ici est
exposée l'interrogation du disciple. D'abord est décrite sa familiarité envers
le Christ, puis ce qui l'a poussé à interroger [n° 1805], enfin son
interrogation elle-même [n° 1807].
À TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE
SES DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. (13, 23)
1803. La familiarité
du disciple envers le Christ est montrée dans le fait qu'il reposa sur
lui ; c'est pourquoi il dit : ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES
DISCIPLES.
Ce disciple fut Jean
l'Évangéliste, qui écrivit cet Évangile, et qui parle de lui à la troisième
personne, voulant éviter la vantardise, suivant la coutume de ceux qui écrivirent
les Écritures sacrées 3. Ainsi
Moïse, dans ses
livres, parle de lui comme de quelqu'un d'autre, en disant : Le Seigneur a parlé à Moïse en lui disant4. De même Matthieu : Jésus vit un homme assis au bureau de
percepteur d'impôts, du nom de Matthieu5. Et Paul : Je connais un homme dans le Christ (...), cet
homme-là fut ravi jusqu'au troisième ciel6.
1804. Jean évoque
ici trois choses à son sujet. En premier lieu l'amour avec lequel il se
reposait dans le Christ, en disant qu'il ÉTAIT ALLONGÉ, c'est-à-dire qu'il se
reposait - Tu abonderas en délices dans le Tout-Puissant, tu lèveras vers
Dieu ton visage1'. - Vers les eaux du repos, il m'a conduit8. En second lieu, la connaissance de secrets que le Christ lui révélait,
et spécialement dans la rédaction de cet Évangile. C'est pourquoi il dit qu'il
ÉTAIT ALLONGÉ TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS. Par le sein, en effet, on signifie
le secret9. Plus haut : L'unique engendré, qui est dans le sein du Père,
lui-même l'a fait connaître10. En
troisième lieu, la dilection spéciale dont le Christ l'aimait ; c'est
pourquoi il dit : CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. Il l'aima non d'une manière
singulière, mais pour ainsi dire d'une façon plus excellente que les autres.
1. 1 Co 10, 12.
2.Jb 9, 30-31.
3. C'est à cinq reprises que, dans son évangile, Jean parle du disciple que Jésus aimait, et cela
sans se nommer explicitement - Jn 13, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21,
7 ; 21, 20. En effet, du vivant des premiers disciples et Apôtres du
Christ, il était difficile pour Jean de parler de lui-même comme du disciple
bien-aimé, celui que Jésus aimait. C'est la Tradition de l'Église, œuvre de
l'Esprit Saint dans le cœur des saints, qui permet cette explicitation. Avant
saint Thomas, citons saint Augustin, Tract,
in Io., LXI, 4, BA 74A, p.
147-149 : « C'était en effet la coutume de ceux qui nous ont donné
les Saintes Écritures : quand l'histoire divine était racontée par l'un
d'entre eux, lorsqu'il en arrivait à lui-même, il en parlait comme d'un autre
et il se situait dans le déroulement de son écrit comme rapportant ce qui
s'était passé, non comme se prêchant lui-même. (...) C'est pourquoi ici encore,
si le bienheureux Évangéliste ne dit pas : Je reposais sur le sein de
Jésus, mais dit : L'un des disciples reposait, nous avons à
reconnaître l'habitude de nos écrivains plus qu'à nous étonner. En effet,
qu'est-ce que la vérité y perd, puisque la chose elle-même est dite et que
d'une certaine manière est évitée la vanité de la dire ? Il racontait là
en effet ce qui avait été fait à sa louange la plus grande ». Voir aussi op.
cit., note complémentaire 12, p. 418.
4. Ex 6, 2. Voir aussi Ex 3, 14 ; 4, 4 ; 4, 19, etc.
5. Mt 9, 9.
6. 2 Co 12, 2.
7. Jb 22, 26.
8. Ps 22, 2.
9. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXI, 5 et 6, BA 74A, p.
149-151 : « Le sein de la poitrine est ici sans aucun doute le secret
de la sagesse ».
10. Jn 1, 18.
Comment il l'a aimé
d'une façon plus excellente que les autres, on le dit davantage à la fin de ce
livre !. Mais pour le moment, il faut savoir que Jean fut plus aimé du
Christ à cause de trois choses. En premier lieu à cause de la limpidité de sa
pureté : choisi vierge par le Seigneur, il est toujours demeuré vierge - Celui
qui aime la pureté du
cœur et qui a la grâce sur ses lèvres aura le roi pour ami2. En second lieu à cause de la sublimité de sa sagesse, parce que son
regard a pénétré les secrets de la divinité plus profondément que les autres.
C'est aussi pourquoi on le compare à un aigle3
- Le serviteur
intelligent est agréable au roi4. Enfin à cause de la ferveur véhémente de son amour pour le Christ - Moi
[dit la Sagesse] j'aime
ceux qui m'aiment5.
1. Voir
ci-dessous, n° 2639 et note 3.
2. Pr22, 11.
3. Saint Thomas
compare ici saint Jean à un aigle. Dans son Commentaire sur haïe, ce
sont tous les saints qu'il compare aux aigles : « Les saints sont
comparés aux aigles à cause de la hauteur de leur vol - Est-ce à ton ordre que l'aigle s'élèvera, et
placera son nid dans les lieux les plus élevés ? Dans les pierres il
demeure et il fait son séjour sur des rocs escarpés et des rochers inaccessibles
(Jb 39, 27-28) ; par là
est désignée l'éminence de leur contemplation - Ses yeux verront le roi dans
sa splendeur, ils apercevront la terre de loin (Is 33, 17). À cause
de la subtilité de leur odorat -
Là où sera le corps, là aussi se rassembleront les aigles (Le 17,
37) ; par là est désignée la ferveur de leur amour - Entraîne-moi après
toi (Ct 1, 3). À cause de la sublimité de leur lieu - Trois choses sont
difficiles pour moi, et la quatrième je l'ignore entièrement : la voie de
l'aigle dans le ciel (...) (Pr 30,
18-19) ; par là est désignée l'ardeur de leur
séjour céleste - Notre séjour se trouve dans les deux (Ph 3, 20). À
cause de la rapidité de leur mouvement - Nos persécuteurs ont été plus
rapides que les aigles du ciel (Lm 4, 19) ; par là est désignée leur promptitude à bien agir - As-tu vu un
homme prompt dans son œuvre ? Il se tiendra devant les rois et il ne sera
pas devant les hommes obscurs (Pr 22, 29). A cause de leur rajeunissement -
Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle (Ps 102, 5) ; par là est désigné leur zèle à se
purifier et à progresser - Bien qu'en nous l'homme extérieur se détruise,
cependant l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Co 4, 16). À
cause de la beauté de leurs membres - L'Aigle énorme aux grandes ailes, aux
longs membres, plein de plumes variées vint sur le Liban (...) (Ez 17,
3) ; par là est désigné l'éclat de leurs vertus - Tu es toute belle ma
bien-aimée, et aucune tache n'est en toi (Ct 4, 7). À cause de leur
sollicitude pour leurs fils - Comme un aigle qui provoque ses petits à voler
et voltige sur eux (Dt 32, 11) ; par là est désignée la sollicitude
des saints - Qui est faible sans que je ne sois faible ? Qui est
scandalisé sans que je ne brûle ? (2 Co 11, 29) » (Exp. super Isaiam, 40, 31, p. 172, 1.
289-303).
4. Pr 14, 35.
5. Pr8, 17.
SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT :
« QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? »
1805. L'Évangéliste
montre ici ce qui pousse Pierre à interroger. Mais puisque faire signe, c'est
faire comprendre sans recourir à la parole, pourquoi dit-il : PIERRE LUI
FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT ?
Il faut
répondre : on dit que nous « disons » quelque chose quand nous
pensons quelque chose intérieurement, selon les paroles du psaume : L'insensé
dit dans son cœur6. On peut donc d'autant plus affirmer que nous « disons »
quelque chose quand nous indiquons déjà extérieurement, par telle ou telle
sorte de signes, ce qui avait été conçu en notre cœur. Et voici le sens :
SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT, à savoir il dit en faisant un
signe7.
Ou bien on peut dire
qu'il indique tout d'abord par un signe, et qu'ensuite il dit par une parole ce
qui suit : QUI EST CELUI DONT IL PARLE ?, à savoir qui est celui qui
le livrera8.
1806. Mais puisque
partout dans les évangiles on trouve Pierre toujours audacieux et le premier à
répondre à cause de la ferveur de son amour, pourquoi se tait-il ici ?
Pourquoi confie-t-il à un autre son interrogation ?
Selon Chrysostome9, la
raison en est peut-être que, puisque auparavant il fut réprimandé par le
Seigneur pour n'avoir pas supporté que celui-ci lave ses pieds et qu'il avait
entendu : Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi10, il hésitait maintenant à
l'importuner à ce sujet. Une autre raison est que Pierre ne voulait pas que le
Seigneur manifestât cela publiquement, de telle sorte que les autres puissent
l'entendre. C'est pourquoi, parce que lui-même était éloigné du Christ et qu'il
ne l'aurait pas aussi bien entendu, il poussa Jean, qui était proche du Christ,
à l'interroger.
6. Ps 52, 1.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXI, 6, p. 149.
8. Cf. Origène, Comm. sur saint Jean, XXXII,
xxi, § 274, SC 385, p. 305.
9. In Ioannem hom., LXXII, 1, PG 59, co1. 389.
10. Jn 13, 8.
Et il y a aussi à
cela une raison mystique. Par Jean, en effet, on désigne la vie
contemplative ; par Pierre, la vie active. Or Pierre est instruit
par le Christ par l'intermédiaire de Jean, parce que la vie active est
instruite des choses divines par la médiation de la vie contemplative l - Marie, en effet, assise aux pieds du
Seigneur, écoutait ses paroles. Mais Marthe était absorbée par les multiples
soins du service2.
CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI
DIT : « SEIGNEUR, QUI EST-CE ? » (13,25)
1807. Ici
l'Évangéliste montre l'interrogation elle-même. Il faut noter que lorsque
Pierre fit signe pour qu'il l'interroge, Jean reposait sur le sein de Jésus.
Mais à présent, quand Jean interroge, il se penche sur sa poitrine. En effet,
la poitrine est plus proche de la bouche que le sein3. Donc Jean, voulant écouter la réponse plus
secrètement et plus silencieusement, s'éleva du sein à la poitrine.
Au sens mystique, il
est ainsi donné à entendre que plus l'homme veut saisir les secrets de la
sagesse divine, plus il doit s'efforcer de se rapprocher de Jésus, selon le
psaume : Approchez-vous de lui et vous serez illuminés4. Car les secrets de la sagesse divine sont révélés avant tout à ceux qui
sont liés à Dieu par l'amour - Et il annonce à son ami que la lumière est son partage5. - Son ami est venu et il l’α sondé6.
La désignation du
traître
JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST CELUI A QUI MOI
J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. » ET AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA À JUDAS,
FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. (13, 26)
1808. Le Seigneur
désigne ici la personne du traître, d'abord par la parole, ensuite par un geste
[n° 1809].
Par la parole en
disant : C'EST CELUI À QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. Et cette parole
peut signifier deux choses, selon qu'elle peut être prise de deux manières. Si
on prend cette parole ici dans un mauvais sens, elle signifie la simulation de
Judas. Car de même que le pain trempé est imprégné de ce dans quoi on le trempe
et change de couleur, de même aussi le simulateur, tandis qu'il porte une chose
dans son cœur, en laisse entendre une autre par sa bouche. Et ainsi était
Judas, qui extérieurement prétendait aimer le Maître et dans son cœur méditait
la trahison - Ils parlent
de paix à leur prochain, et le mal est dans leur cœur.7
Mais si cette parole
est prise dans un bon sens, elle est donnée pour amplifier son ingratitude. En
effet le pain trempé est plus savoureux. Donc pour montrer que bien que Judas
ait reçu de nombreux bienfaits de la part du Christ et que cependant, les
oubliant, il le trahit, le Seigneur lui présente le pain trempé - Mais toi,
homme qui vivais avec moi dans un même esprit, mon guide et mon
intime, toi qui partageais avec moi de douces nourritures (...)l
1. Sur les rapports
des deux formes de vie, la vie active et la vie contemplative, voir Somme
théo1., II-II, q. 182, où
saint Thomas montre que la vie
contemplative l'emporte en dignité sur la vie active. Il se réfère pour cela aux huit points qu'Aristote évoque
dans \'Éthique à Nicomaque, X, 7-8. Voir ci-dessus, n" 1595, note
5.
2. Le 10, 39-40.
3. Sur le terme sinus, voir vo1. I, n° 218.
4. Ps 33, 6. Voir vo1. I, n° 1089, note 6.
5.Jb 36, 33 (verset propre à la Vulgate). Sur la lecture que fait
saint Thomas de ce verset, voir vo1. I, n° 11, note 4. Saint Thomas
commente : « II nous est donné d'apprendre qu'auprès de lui se trouve
une lumière plus excellente, c'est-à-dire spirituelle, que Dieu réserve aux
hommes en récompense de leur vertu (...). Il
annonce à son ami, c'est-à-dire
à l'homme vertueux que Dieu aime, qu'elle est son partage, à savoir que
cette lumière spirituelle est un trésor que Dieu réserve à ses amis comme
récompense, et qu'on peut l'atteindre, c'est-à-dire en la méritant par des
œuvres vertueuses et en se préparant à la posséder » (Exp. super lob, 36,
33, p. 193, 1. 25-34).
6. Pr 18, 17.
7. Ps 27, 3.
1809. Le Seigneur révèle
la personne du traître par un geste en disant : AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL
LE DONNA À JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE.
Certains disent à
partir de là que ce pain fut le corps du Christ consacré mais, selon Augustin2,
cela n'est pas vrai. Car, comme on le tient des autres évangiles, le Seigneur
alors qu'il était à table donna son corps aux disciples. Et c'est pourquoi il
est évident que Judas reçut en même temps que les autres disciples le corps du
Christ au cours du repas. Or le Christ, après avoir à peine commencé le repas,
se leva du repas, lava les pieds des disciples, et les ayant lavés s'assit à
nouveau ; et c'est ensuite qu'il donna à Judas le pain trempé. Il est donc
évident que ce n'était pas le corps du Christ3.
L'effet :
comment Satan entre dans l'homme
ET APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI.
1810. Mais ici se
pose la question : comment Satan entre-t-il dans l'homme ?
À cela il faut
répondre que le fait que Satan entre dans l'homme peut se comprendre de deux
manières. Il peut entrer dans le corps de l'homme, comme on le voit chez ceux
qui sont tourmentés d'une manière corporelle par le démon, et ainsi le diable
peut entrer essentiellement dans l'homme.
1. Ps 54, 14-15.
2. Tract, in Io., LXII, 3, BA
74A, p. 157-159.
3. Soulignons les autres passages (nos 1790 et 1823) où
saint Thomas évoque que Judas semble au contraire avoir mangé le pain consacré.
Ou bien on peut
comprendre qu'il entre dans l'esprit de telle sorte que le démon pénètre
essentiellement dans l'esprit. Mais nul ne peut entrer dans l'homme de cette
manière, sinon Dieu seu1. En effet l'âme rationnelle ne possède pas les
dimensions de la quantité, de telle sorte que l'on dise que quelque chose est
en elle comme contenu dans ses dimensions. Et ainsi il ne peut rien y avoir en
elle sinon celui qui lui donne d'être, qui est là par sa puissance. Je dis donc
que celui qui donne à l'âme d'être est dans l'âme par sa puissance. Or là où
est la puissance de Dieu, là est aussi l'essence de Dieu. En Dieu, en effet,
l'essence et la puissance ne font qu'un. Il est donc manifeste que Dieu est
essentiellement dans l'âme.
On dit cependant que
le diable pénètre dans l'esprit humain par l'effet et le sentiment de la
malice, en tant que l'homme séduit par lui le suit pour accomplir le mal qu'il
suggère. Et c'est de cette manière qu'il entra dans Judas.
1811. Mais puisque
l'Évangéliste a dit plus
haut : Alors que déjà le diable avait jeté dans le cœur de Judas
Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le livrer*, et qu'il dit ici : SATAN ENTRA EN LUI, il semble que
ce soit autre de « jeter dans le cœur » et d'« entrer ».
Mais là il faut préciser que ce n'est pas dit pour désigner une différence mais
pour faire comprendre l'augmentation de sa malice. En effet on dit que le
diable « jette quelque chose de mauvais » dans le cœur de l'homme
quand l'homme lui offre son consentement au mal, et que cependant il se demande
avec une certaine agitation s'il doit faire cela. Mais le diable
« entre » dans le cœur quand l'homme se donne totalement pour suivre
son instinct et ne lui résiste en rien. Satan entra donc en lui, pour le
posséder pleinement et le pousser à commettre la malice, lui en qui il avait
d'abord mis [l'intention] de tromper1.
4. Jn 13, 2.
1812. On se demande
pourquoi, en Luc, on dit que Satan entra en lui avant qu'il reçût la bouchée.
C'est contraire à ce que Jean dit ici, à savoir qu'APRÈS LA BOUCHÉE, SATAN
ENTRA EN LUI.
Réponse : il
faut dire qu'alors (selon Luc) il entra pour susciter la trahison, mais que
maintenant (selon Jean) il entra pour l'exécuter jusqu'au bout et l'achever2.
1813. Mais est-ce
que donner la bouchée à Judas après que Satan fut entré en lui fut un
mal ? Réponse : il faut dire que non. Mais Judas lui-même, puisqu'il
était mauvais, a mal usé du bien. Ainsi quand quelqu'un reçoit d'une manière
indigne l'Eucharistie, qui est un bien, et le bien le meilleur, il la reçoit
mal et la change pour lui en mal3 parce qu'il mange et boit son propre
jugement4.
L'exécution de la
trahison.
ET JÉSUS LUI DIT : « CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRÈS
VITE. » OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT
DIT CELA. PARCE QUE JUDAS AVAIT LA BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT QUE
JÉSUS LUI AVAIT DIT : « ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR
DE LA FÊTE », OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.
AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT LA NUIT. (13, 27-30)
1814. Après avoir
exposé l'annonce de la trahison future, l'Évangéliste expose ici
l'accomplissement de la réalité annoncée, c'est-à-dire l'exécution de la
trahison.
En premier lieu, le
Seigneur permet à Judas d'accomplir ce qu'il avait dit. L'Évangéliste expose
d'abord les paroles du Seigneur qui lui permet, ensuite il manifeste
l'obscurité des paroles elles-mêmes [n° 1816], enfin il ajoute comment ces
paroles furent comprises par les Apôtres [n° 1819]. En second lieu,
l'Évangéliste montre comment cela a été accompli [n° 1822].
I
CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRÈS VITE.
1815. Assurément ces
paroles ne sont pas celles de celui qui commande ou qui donne un conseil,
puisque le péché ne peut arriver ni sous le commandement ni sous le conseil
divin, comme le dit le psaume : Le commandement limpide du Seigneur
illumine les yeux5. Mais ce sont les paroles de celui qui
permet. Car, comme on l'a dit, LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CŒUR DE JUDAS [LE
DESSEIN] DE LE LIVRER - lui, Jésus - et avait déjà traité de cela avec les
chefs des prêtres ; mais il ne pouvait pas l'accomplir sans que le
Christ lui-même le lui permît. Parce que, comme il est dit plus haut : Personne
ne m'enlève mon âme, mais moi je la livre de moi-même6. - II s'est offert parce que lui-même Va
voulu7.
Ces paroles sont
aussi les paroles de celui qui
blâme ce crime de la trahison 1 pour montrer que, tandis que celui-ci (le
Christ) conférait des bienfaits, celui-là (Judas) projetait sa mort - J'argumenterai
contre toi et je me dresserai devant ta face2.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXII, 2, BA 74A, p. 157.
2. Cf. saint Augustin, ibid.
3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXII, 1, BA 74A, p. 153-155.
4. 1 Co 11, 29.
5. Ps 18, 9. Saint Thomas commente : « C'est-à-dire les
yeux de l'intelligence » (Exp. in Psalmos, 18, n° 5).
6. Jn 10, 18.
7. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate). Saint Thomas
commente : « Le prophète montre ici la douceur de celui qui souffre
et il expose tout d'abord cette douceur par rapport à l'oblation volontaire de
lui-même : Il s'est offert à Dieu le Père pour
nous, comme hostie - Je t'offrirai volontairement un sacrifice (Ps 53, 8) » (Exp. super Isaiam, 53,
7, p.
215,1. 136-140).
Ce sont encore les
paroles de celui qui aspire à l'œuvre de notre rédemption, comme le dit
Augustin3. Il n'a cependant pas prévu le crime, mais
il l'a prédit, non pas tant par colère en vue de perdre le perfide que dans sa
hâte de sauver les fidèles. C'est pourquoi il disait : Je dois être baptisé
d'un baptême, et quel souci m'étreint jusqu'à ce qu'il soit accompliA.
OR AUCUN DE CEUX QUI
ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA.
1816. Or les paroles
du Seigneur étaient obscures pour les disciples. Et c'est pourquoi il
dit : OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT
DIT CELA. En cela il est donné à entendre que les paroles du Christ sont
tellement profondes et excèdent tellement l'intelligence humaine que nous ne
pouvons pas en saisir plus, si lui-même ne le révèle - La gloire du Seigneur
est de cacher sa parole5.
1817. Mais ici se
pose une question. Alors qu'en effet le Seigneur avait désigné la personne du
traître à Jean, en disant : C'est celui à qui moi j'offrirai le
pain trempé, et qu'il avait donné
le pain trempé à Judas, les disciples semblent avoir été extrêmement ignorants
de ne pas avoir compris la parole du Seigneur.
A cela il faut
répondre que le Seigneur avait dit ces paroles d'une manière cachée, à Jean
seulement, pour que le traître ne soit pas manifesté. La raison en est que
Pierre était tellement fervent dans son amour pour le Christ que s'il avait
tenu pour certain que Judas allait trahir le Christ, il l'aurait tué
sur-le-champ6.
1818. Mais comme
Jean était l'un des convives, surgit encore une autre question, à savoir,
pourquoi PÉvangéliste a dit qu'AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT À TABLE NE SUT
POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA.
À cela il faut
répondre que généralement un esprit bon et innocent croit que les autres aussi
sont loin de l'iniquité, iniquité dont eux-mêmes se reconnaissent exempts. Donc
Jean, parce qu'il était le plus innocent et qu'il était éloigné de l'iniquité
du traître, ne soupçonnait absolument pas qu'un disciple irait si loin dans
l'iniquité7.
PARCE QUE JUDAS AVAIT LA BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT
QUE JÉSUS LUI AVAIT DIT : « ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE
JOUR DE LA FÊTE », OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX
PAUVRES.
1819. Ce que les
disciples, qui ignoraient la vraie cause de ces paroles, pensaient à leur
sujet, l'Évangéliste l'ajoute ici. Là, il faut savoir que le Seigneur, le Dieu
du ciel, qui donne la nourriture à toute chair8, a possédé une bourse ; non qu'il possédât quelque chose de
terrestre, mais gardant les dons offerts par les fidèles, il subvenait à ses
propres besoins et à ceux des autres. Et c'est Judas qui portait cette bourse.
Par là on donne
l'exemple, comme le dit Augustin9, que l'Église peut avoir de l'argent et le
réserver pour les nécessités imminentes. En cela nous apprenons aussi que
l'argent de l'Église doit être dépensé seulement pour deux choses. En premier
lieu, pour les choses qui se rapportent au culte divin. C'est pourquoi il
dit : ACHÈTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FÊTE, à savoir
les choses avec lesquelles nous pouvons honorer Dieu en ce jour de fête - Apportez
toute la dîme au Trésor, pour qu'il y ait de la nourriture dans ma maison^. Et
enfin pour les choses qui relèvent du soutien à donner aux pauvres, de sorte
qu'il ajoute : OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 391.
2. Ps 49, 21.
3. Tract, in
Io., LXII, 4, BA 74A, p.
161 ; voir aussi XXVII, 10, BA 72, p. 557-559.
4. Le 12, 50.
5.Pr 25, 2.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 391.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, ibid.
8. Ps 135, 25.
9. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163. Cf. aussi De mendacio, XV, 29, BA 1,
p. 309-311, et Contra Adimantum, XXTV, BA 17, p. 355-357.
1820. Mais si tu
objectes contre cela ce que dit le Seigneur : Ne pensez pas au
lendemain2) Augustin répond3 que cela ne fut pas enseigné par le Seigneur
pour qu'aucun argent ni rien du salaire du jour ne fût gardé par les saints
pour le lendemain. S'il a dit cela, c'est pour que nous ne prêchions pas et ne
fassions pas les autres services de Dieu en vue de prévoir pour nous l'avenir.
Ou bien pour que nous ne nous dérobions pas à ce qui relève de la vertu à cause
de l'inquiétude du lendemain. À partir de là il est évident que le Seigneur, en
disant : Ne pensez pas au lendemain^ défend deux choses. L'une, de
faire le bien pour le lendemain, l'autre, de nous priver de biens par peur d'en
manquer le lendemain.
Chrysostome4
expose [cela] très clairement en disant : Ne pensez pas au lendemain^ c'est-à-dire :
le souci qui incombe au lendemain, ne l'anticipez pas aujourd'hui. En effet, à
chaque jour suffit sa peine5.
1821. Il y a ici un
doute parce que le Seigneur a commandé à ses disciples : N'emportez pas
en chemin de bourse, ni de besace, ni de sandales0. Comment donc lui-même possédait-il une bourse ?
Mais selon
Chrysostome7, le Seigneur portait une bourse pour le
service des pauvres pour que tu apprennes qu'aussi pauvre soit-on et crucifié au
monde, il faut avoir souci des pauvres - Il
dispersa et donna aux pauvres8.
Ou bien, il faut
dire que ce qu'il dit - N'emportez rien en chemin - doit se rapporter
aux prédicateurs et aux apôtres individuellement, qui ne doivent rien emporter
quand ils vont prêcher. Cela ne doit pas se rapporter à tout le collège parce
qu'il faut qu'ils aient quelque chose pour eux-mêmes et pour les pauvres.
II
AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT
LA NUIT. (13, 30)
1822. Ensuite
l'Évangéliste montre l'accomplissement de ce qui a été annoncé ; d'abord
il montre l'exécution [n° 1823], ensuite il en détermine le moment [n° 1824].
1823. L'exécution
est rapide parce qu'AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. Là sois
attentif, selon Origène9, au fait que l'Évangéliste ne dit pas
« Ayant mangé la bouchée » mais AYANT PRIS, ce qui peut se comprendre de deux manières.
1.M13, 10.
2. Mt 6, 34.
3. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163.
4. Il s'agit en
fait du Pseudo-Chrysostome, In
Matthaeo opus imperfectum, XVI, PG 56, co1. 724-725. Voir
aussi In Matthaeum fiom., XXII, 3-4, PG 57, co1. 303-304.
5. Mt 6, 34.
6. Lc 10, 4.
7. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 392.
8. Ps 111, 9.
9.Comm. sur
saint Jean, XXXII, xxiv, §
300-312, SC 385, p. 317-321.
D'abord que le
traître, tellement tourmenté d'obéir en cela au Maître, ayant pris le pain, ne
le mangea pas ; mais peut-être qu'ayant quitté la table, il ne contracta
aucun retard pour aller exécuter la trahison. La raison de cela peut être que
le diable, qui était déjà entré dans le cœur de Judas, craignant de devoir se
retirer si celui-ci mangeait le pain, puisqu'il ne pouvait pas être dans le
même lieu que Jésus, ne permit pas à Judas de manger le pain - Quel rapport du Christ avec
Belial ?1 -Vous ne pouvez pas en même temps être
participants de la table du Seigneur et de la table des démons2.
D'une autre manière3 on
peut comprendre qu'il a mangé le pain reçu. Et voici le sens : AYANT DONC
PRIS LA BOUCHÉE, non seulement dans la main mais aussi en la mangeant, alors IL
SORTIT AUSSITÔT, utilisant le bien pour le ma1. Et de même que celui qui mange
le pain du Seigneur ou boit son calice indignement, mange et boit à son propre
préjudice4 et est rendu plus lourd par ses péchés,
ainsi le pain donné par Jésus à Judas fut pour sa perte de telle sorte qu'après
que celui-ci eût pris le pain, Satan entra en lui.
OR C'ÉTAIT LA NUIT.
1824. Le moment est
déterminé, c'est l'heure des ténèbres, et l'Évangéliste précise cela pour deux
raisons. D'abord pour aggraver la malice de Judas5, qui était devenue tellement forte dans son
cœur qu'il n'avait pas attendu jusqu'au matin à cause de l'inopportunité de ce
moment - L'homicide se lève dès le grand matin (...) et pendant la nuit, il
devient voleur^. En second lieu pour désigner la qualité de son esprit7 :
C'ÉTAIT LA NUIT, parce que l'esprit du traître Judas était obscurci loin de la
lumière divine - Si quelqu'un marche pendant le jour il ne bute pas, parce qu 'il voit la lumière de ce
monde ; mais si quelqu'un marche la nuit, il bute parce que la lumière
n'est pas en lui8.
1825. Après que
Judas fut sorti pour comploter la mort du Seigneur, le Seigneur traite de son
propre départ vers la gloire. Il leur annonce d'abord la gloire vers laquelle
il va, pour qu'ils en soient consolés [n° 1826], puis son départ [n° 1831].
1. 2 Co 6, 15.
2. 1 Co 10, 21.
3. Saint Thomas s'inspire de nouveau du commentaire d'Origène.
4. Voir 1 Co 11, 27-32.
5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG
59, co1. 391.
6.Jb 24, 14.
7. Cf. OrigÈNE, Comm.
sur saint Jean, XXXII, xxiv, § 316, SC 385, p. 323.
8. Jn 11, 9-10.
La gloire vers laquelle il va.
LORS DONC QU'IL FUT SORTI, JÉSUS DIT :
« MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN
LUI. SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME ET
C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA. » (13, 31-32)
1826. La gloire vers
laquelle il va est la glorification et l'exaltation du Christ en tant qu'il est
Fils de l'homme. Et c'est ce qui est dit : LORS DONC QU'IL FUT SORTI, à
savoir Judas, JÉSUS DIT à ses disciples : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ (clarificatus)
LE FILS DE L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ (clarificatus) EN LUI.
Ici il faut savoir
que clarificari et glorificari ont la même signification ;
la gloire (gloria) est dite en effet comme une clarté (claritas). D'où,
selon Ambroise *, « la gloire est une connaissance lumineuse accompagnée
de louange ». C'est pourquoi les commentateurs, là où dans le grec il y a clarificare,
transposent en glorificare, et inversement. Et ainsi ce qu'on dit
ici : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ [clarificatus] LE FILS DE L'HOMME
est la même chose que si on disait glorificatus2.
Cela peut donc être
expliqué de quatre manières, en se référant aux quatre aspects de la gloire du
Christ. D'abord certes à la gloire de la Croix [n° 1827], ensuite à la gloire
du pouvoir de juger [n° 1828], puis à la gloire de la Résurrection [n° 1829],
enfin à la gloire qui est la connaissance du Christ dans la foi des peuples [n°
1830]. En effet l'Écriture attribue ces quatre gloires au Christ.
1. Il s'agit en fait de saint Augustin,
qui cite par deux fois dans son commentaire de saint Jean (Tract, in Io., C,
1, BA 74B, p. 373 et CV, 3, BA 75, p. 63) une formule provenant de Cicéron et
devenue classique : « Gloria est frequens de aliquo fama cum
laude » (De inventione, Π, 55, 166, éd. G. Achard, p. 228). Saint
Augustin la citera plus tard dans son
traité contre l'Évêque arien Maximin (voir Contra Maxi-minum, II, 13, 2, PL 42,
co1. 770). À plusieurs reprises saint Thomas,
dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean (voir vo1. I, n° 1278, et ci-dessous, n°
2183), s'y réfère partiellement. Il s'y
réfère aussi en commentant
l'épître aux Hébreux (Ad Heb. lect., I, n° 26), dans la Question disputée De maio (q. 9, a. 1, c.)
et dans la Somme théologique (I-II,
q. 2, a. 3, c, et II-II, q.
103, a. 1, ad 3).
2. Au sujet de ce passage sur la gloire,
voir vo1. I, nos 1277 et 1278 avec les notes 3 et 4.
I
1827. En premier
lieu, le Christ fut donc glorifié dans l'exaltation de la Croix, c'est pourquoi
aussi Paul dit que sa gloire est dans la Croix elle-même - Pour moi, que
jamais je ne me glorifie sinon dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ3. Et c'est de cette gloire que Chrysostome parle4. Et
le Seigneur traite de quatre manières de la gloire de la Croix : en
premier la gloire elle-même, en second le fruit de la gloire, en troisième
l'auteur de la gloire, enfin l'heure de la gloire.
Il faut savoir en
effet que, quand quelque chose commence à exister, cela semble être comme déjà
fait. Judas étant sorti pour conduire les soldats [à Jésus], il semble que le
négoce de la Passion du Christ par lequel il devait être glorifié ait commencé,
et c'est pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE
L'HOMME, c'est-à-dire commence la
Passion dans laquelle il sera glorifié. En effet le Christ a été glorifié par
la Passion de la Croix, parce que par elle il a triomphé de ses ennemis, à
savoir la mort et le diable - Afin de détruire par la mort celui qui
avait l'empire de la mort5.
De même, parce que
par elle il a uni les choses terrestres aux choses célestes - Pacifiant
par le sang de sa Croix, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les
deux 6. De même, parce que par elle il reçut en sa
possession toutes les royautés, selon cet autre passage du psaume : Dites
parmi les nations que le Seigneur a régné par le bois 1. De même
encore parce qu'en elle il a manifesté de nombreux miracles : le voile du
Temple se déchira, la terre fut ébranlée, les pierres furent brisées, le soleil
fut obscurci, et de nombreux corps de saints ressuscitèrent, comme le dit
Matthieu2. À cause de cela donc, sa Passion étant imminente,
il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, comme pour
dire : Maintenant commence ma Passion, qui est ma glorification.
3. Ga 6, 14. Voir
ci-dessous, n° 2560.
4. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, co1. 392.
5. He 2, 14.
6. Col 1, 20. Cf.
vo1. I, n° 474 : « Déjà, en effet, par la sainteté de sa vie, il
avait purifié ce qui est sur la terre ; il lui restait, par sa mort, à
purifier ce qui est dans les airs ». Saint Thomas commente aussi ce verset
ainsi : « Et ainsi a été pacifié soit ce qui est dans les deux - comme
les anges et Dieu -, soit ce qui est sur la terre - à savoir les Juifs
et les Gentils » (Ad Co1. lect., I, n° 53).
Le fruit de cette gloire est que par là Dieu soit glorifié.
Et c'est pourquoi il dit : ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire
dans le Fils de l'homme glorifié, parce que la gloire de la Passion tend à ce
que Dieu soit par là glorifié. En effet, si Dieu est glorifié par la mort de
Pierre – Il dit cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu3
-, il a été glorifié bien davantage par la mort du Christ.
L'auteur de cette gloire n'est ni un ange, ni un homme, mais
Dieu lui-même. Et c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.
Si la gloire est telle que Dieu soit par là glorifié, il ne devait pas être
glorifié par un autre. Mais DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME, c'est-à-dire
par lui-même - Glorifie-moi, Père, de la gloire que j'ai eue auprès de toi
avant que fût le monde4.
L'heure de cette gloire est immédiate parce que BIENTÔT,
c'est-à-dire tout de suite, IL LE GLORIFIERA, il lui donnera la glorification
de la Croix.
En effet la Croix, bien qu'elle soit folie pour les Gentils et ceux qui périssent, est cependant pour nous, qui croyons, la plus grande sagesse de Dieu et la puissance de Dieu5.
II
1828. La seconde gloire du Christ est la gloire liée au
pouvoir de juger - Alors on verra le Fils de l'homme venant dans les nuées
avec une grande puissance et une grande gloire6. Augustin7
parle de cette gloire, comme on le voit dans la Glose, et il le fait de quatre
manières. En premier lieu il expose la gloire liée au pouvoir de juger. En
second lieu il montre le mérite par lequel on parvient à cette gloire. En
troisième lieu il explique cela. Enfin il montre le principe de cette gloire.
MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.
Là il faut savoir que, dans la Sainte Écriture, les réalités
signifiées sont désignées par le nom des réalités signifiantes 8,
la signification n'étant pas exprimée,
selon cet [exemple] : Or cette pierre était le Christ1. Là il ne dit pas que « pierre » signifie
« Christ ». Or dans le fait que Judas quitta les Apôtres est
représentée la figure du jugement futur où les mauvais seront séparés des bons,
quand il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche, comme Matthieu le rapporte2. Donc dans le fait que Judas parte était
figuré le jugement futur. C'est pourquoi le Seigneur, après le départ de Judas,
parle de la gloire de son pouvoir de juger, pouvoir en vertu duquel il jugera,
en disant : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire que
par le départ de Judas a été représentée la gloire que le Fils de l'homme possédera
au jugement, où aucun des mauvais ne sera plus et où aucun bon ne périra. Or il
n'est pas dit : maintenant « a été signifiée la glorification du Fils
de l'homme », mais MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, selon
l'usage de l'Écriture sainte dont nous avons parlé.
1. Cf. Ps95, 10.
2. Cf. Mt 27, 51 sq.
3. Jn 21, 19.
4. Jn 17, 5.
5. Cf. 1 Co 1,
30 : Et c'est par lui que vous êtes dans le Christ Jésus, que Dieu a
fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption.
6. Mc 13, 26.
7. Tract, in Io., LXIII, 2, BA 74A, p. 175. On peut résumer ainsi les éléments que
saint Thomas reprend à saint Augustin tout au long de ce paragraphe : la
séparation de Judas d'avec les autres Apôtres signifie et annonce le jugement
dernier, quand les brebis seront séparées des boucs, jugement qui sera en
lui-même un acte du Fils de l'homme glorifié. De plus l'humanité du Christ
elle-même sera glorifiée par la résurrection, laquelle est si imminente qu'on
peut déjà en parler comme d'un fait accompli. Par la résurrection, méritée du
fait que le Christ n'a rien voulu d'autre qu'accomplir la volonté de son Père, <>
la nature humaine du Christ reçoit la gloire de l'immortalité » dans
le Verbe.
8. Sur les
différents sens de l'Écriture et sur la distinction du sens littéral et du sens
spirituel, citons saint Thomas : « L'auteur de l'Écriture sacrée est
Dieu. Or il est au pouvoir de Dieu d'employer, pour signifier quelque chose,
non seulement des mots, ce que l'homme aussi peut faire, mais encore les réalités
elles-mêmes. Et c'est pourquoi, s'il est commun à toutes les sciences de
s'exprimer par des mots, cette science-ci [doctrina sacra] a ceci de
propre que les réalités exprimées par les mots signifient à leur tour autre
chose. Donc la première signification, à savoir celle par laquelle les mots
employés expriment certaines réalités, correspond au premier sens, qui est le
sens historique ou littéra1. La signification seconde, par laquelle les
réalités exprimées par les mots signifient de nouveau d'autres réalités, est
appelée le sens spirituel, qui se fonde sur le premier et le suppose » (Somme
théo1., I, q. 1, a. 10, c). Voir aussi vo1. I, Préface, p. 17 sq.
ET DIEU A ÉTÉ
GLORIFIÉ EN LUI.
Le mérite de cette
glorification est que Dieu soit glorifié en lui. En effet, Dieu est glorifié en
ceux qui cherchent à faire sa volonté, non la leur. Or tel était le Christ - Je
suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui
m'a envoyé^". Et c'est pourquoi DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.
SI DIEU A ÉTÉ
GLORIFIÉ EN LUI, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME.
Il explique cela
quand il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire si en faisant
la volonté de Dieu il glorifie Dieu, C'est à juste titre que DIEU AUSSI LE
GLORIFIERA EN LUI-MÊME, pour qu'à la nature humaine assumée par le Verbe
éternel soit aussi donnée une éternité immortelle ; et c'est pourquoi il
dit EN LUI-MÊME, c'est-à-dire dans sa gloire - C'est pourquoi Dieu l'a
exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom4. Donc cette glorification par laquelle Dieu a été glorifié dans le
Christ est le mérite par lequel le Christ en tant qu'homme a été glorifié EN
LUI-MÊME, c'est-à-dire dans la gloire de Dieu. Et cela se réalisa quand sa
nature humaine, ayant déposé sa faiblesse par la mort de la Croix, reçut la
gloire de l'immortalité dans la Résurrection. De là vient que la Résurrection
elle-même fut le principe par lequel fut commencée cette gloire. Et c'est
pourquoi il dit : ET C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, dans la Résurrection,
qui sera aussitôt, selon ce psaume : Je me lèverai au point du jour5. Et cet autre psaume : Tu ne laisseras pas ton
saint voir la corruption6.
III
1829. La troisième
gloire du Christ est la gloire de la Résurrection dont il est dit : Comme
le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père7. Et c'est cette gloire que commente Hilaire8, et en partie aussi Augustin9. Et
selon cela, le Christ annonce tout d'abord cette gloire qui est la sienne, en
disant : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME. Et il parle du
futur en utilisant un temps du passé, parce que ce que nous croyons être
bientôt fait, nous le tenons pour déjà fait. Or la gloire de la Résurrection
était toute proche, et c'est pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ
LE FILS DE L'HOMME, comme si son
corps par son union à la nature divine avait acquis en quelque sorte la gloire
de la divinité.
1. 1 Co 10, 4.
2. Mt 25, 33.
3. Jn6, 38.
4. Ph 2, 9.
5. Ps 107, 3.
6. Ps 15, 10. Voir vo1.
I, n" 402.
7. Rm 6, 4.
8. La Trinité, XI, 42, SC 462, p. 369.
9. Tract, in Io., LXIII, 3,
BA 74A, p. 177-179.
En second lieu il
ajoute la cause de cette glorification, et cela fort subtilement ; car,
comme le dit Hilaire \ l'humanité du Christ a été glorifiée dans la
Résurrection par son union à la nature divine qui l'assumait dans la personne
du Verbe, et cela est dit dans le psaume : Tu n'abandonneras pas mon
âme dans l'enfer, ni ne laisseras ton saint - qui est le Saint des saints -
voir la corruption2.
Une telle gloire est
aussi due au Christ homme en tant qu'il est Dieu. Nous aurons nous aussi la
gloire de la résurrection dans la mesure où nous sommes participants de la
divinité3 - Celui qui a ressuscité d'entre les
morts le Christ Jésus, ressuscitera aussi vos corps mortels par son Esprit qui
habite en vous4. Et c'est pourquoi il dit que LE FILS DE
L'HOMME, à savoir le Christ, selon sa nature humaine, A ÉTÉ GLORIFIÉ par sa
Résurrection. Et qui le glorifiera ? DIEU, dit-il, LE GLORIFIERA EN
LUI-MÊME, de telle sorte que le Christ homme, qui règne dans la gloire qui est
la gloire venant de Dieu, passe aussi lui-même de là dans la gloire de Dieu,
pour demeurer tout entier en Dieu, comme déifié en vertu de cette économie (dispensatio5) divine par laquelle il est homme. Comme si je disais : la lampe
est lumineuse parce que le feu brille en elle. Donc ce qui envoie des rayons de
gloire à l'humanité sainte du Christ, c'est Dieu.
1. Dans le
commentaire de saint Augustin mentionné dans ce passage de saint Thomas, saint
Hilaire est beaucoup cité.
2. Ps 15, 10.
Saint Thomas commente : « La raison est que la résurrection requiert
l'union du corps et de l'âme ; et c'est pourquoi son âme conjointe à la
divinité ne devait pas demeurer dans les enfers ; mais elle devait se
tenir là jusqu'à ce que fût prouvée la vérité de son humanité et de sa vraie
chair ; et il ne convenait pas davantage qu'elle fût laissée dans les
enfers où elle était descendue pour libérer les saints - Je pénétrerai
toutes les profondeurs de la terre et je visiterai tous ceux qui dorment (Si
24, 45 [verset propre à la Vulgate]). De même pour son corps, parce que tu
ne laisseras pas ton saint - c'est-à-dire mon corps sanctifié par toi - voir
la corruption, celle de la putréfaction ou de la décomposition qu'il n'a
pas subie ; mais il a subi la corruption de la mort » (Exp. in
Psalmos, 15, n° 7). Voir aussi vo1. I, n° 402.
3. Participants
de la nature divine (2 Ρ 1, 4), participants à la vocation céleste (He
3, 1), nous sommes devenus participants du Christ (3, 14), participants
de l Esprit Saint (6, 4). Déjà le livre de la Sagesse disait que ceux qui
ont reçu le trésor infini qu'est la Sagesse sont désormais participants de
l'amitié de Dieu (7, 14).
4. Rm 8, 11.
Et ainsi l'humanité
du Christ est glorifiée par la gloire de sa divinité et est conduite dans la
gloire de la divinité, non par changement de nature mais par une participation
à la gloire, en tant que le Christ homme lui-même est adoré comme Dieu - C'est
pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 6. Et
c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire si la
gloire de sa divinité rejaillit sur la gloire de son humanité, Dieu l’α
glorifié^ c'est-à-dire l'a rendu participant de sa gloire, en l'assumant
dans sa propre gloire - Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est
dans la gloire de Dieu le Père1.
Et ainsi la gloire
du Christ est double : l'une est dans son humanité dérivée de sa divinité,
et l'autre est celle de sa divinité en laquelle est en quelque sorte assumée
son humanité, comme on l'a dit. Mais c'est tout autre. Car la première gloire a
eu un commencement dans le temps, et c'est pourquoi à son sujet il parle au
passé en disant : et Dieu l'a glorifié en lui-même^ ce qui eut lieu
au jour de la Résurrection, alors que la seconde gloire est éternelle, parce
que de toute éternité le Verbe de Dieu est Dieu. Et l'humanité du Christ
assumée dans cette gloire sera glorifiée à jamais. C'est pourquoi au sujet de
cette gloire il parle au futur, disant : ET C'EST BIENTÔT, c'est-à-dire
toujours, QU'IL LE GLORIFIERA, qu'il fera qu'il soit dans cette gloire à
jamais.
5. Sur le sens du
mot dispensatio, voir vo1. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.
6. Ph 2, 9.
7. Ph 2, 11.
IV
1830. Le quatrième
aspect de la gloire du Christ est la gloire de sa connaissance par les peuples
dans la foi. Et c'est cette gloire dont parle Origène \ Là il faut noter
que cette gloire, selon lui, est comprise dans le langage commun des hommes
autrement que dans les Écritures. Car selon l'usage commun, la gloire n'est
rien d'autre que des éloges proférés par plusieurs ou bien « une
connaissance lumineuse accompagnée de louanges », comme le dit Ambroise2.
Dans l'Écriture sacrée, la gloire implique un certain signe divin au-dessus des
hommes - La gloire du Seigneur apparut au-dessus de la tente3, c'est-à-dire qu'un signe divin reposa sur elle. Et c'est également ce
qui est dit du visage de Moïse qui avait été glorifié4. Et
de même que la gloire exprime d'une manière sensible un signe divin au-dessus
des hommes, de même spirituellement on dit que l'intelligence de l'homme est
glorifiée quand elle a été ainsi déifiée et que, transcendant toutes choses
matérielles, elle est élevée à la connaissance de Dieu : par cela en effet
elle est rendue participante de sa gloire - Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un
miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image5.
Si donc tout homme
qui connaît Dieu est glorifié et rendu participant de sa gloire, il est
manifeste que le Christ, qui connaît Dieu très parfaitement en tant qu'il est la
splendeur de toute la
gloire divine6 et qu'il peut prendre
l'éclat de toute la gloire divine, a été glorifié très parfaitement et que tous
ceux qui connaissent Dieu reçoivent cela du Christ. Mais les hommes ne savaient
pas encore que le Christ serait ainsi glorifié dans la plus parfaite
connaissance et participation de la divinité. Et c'est pourquoi, bien qu'il fut
glorifié en lui-même, il n'avait cependant pas été glorifié dans la
connaissance des hommes. Mais il commença à avoir cette gloire dans sa
Résurrection et dans sa Passion par lesquelles les hommes commencèrent à
connaître sa puissance et sa divinité.
1. Comm. sur saint Jean, XXXII, XXVI, § 330-334,
SC 385, p. 329-331. Tout ce paragraphe, plus encore que le précédent (avec le recours à saint Hilaire), est un
exemple étonnant de ce que peut avoir de
fécond la rencontre entre le théologien et un Père de l'Église quand ensemble, à l'école de saint
Jean, ils se laissent guider vers ce qu'il
y a d'ultime dans le mystère du Fils, « rayonnement de toute la gloire de Dieu ».
2. Voir ci-dessus, n° 1826, note 1.
3. Ex 40, 32.
4. Voir 2 Co 3, 7 (cf. Ex 34, 30).
5. 2 Co 3, 18.
6. He 1, 3.
Parlant ici de cette
glorification qui est la sienne, le Seigneur dit : MAINTENANT A ÉTÉ
GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-à-dire selon son humanité, dans sa Passion
et sa Résurrection qui étaient imminentes, et il a été manifesté à la
connaissance des hommes. ET DIEU, c'est-à-dire le Père, A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.
Le Fils en effet non seulement se révèle, mais révèle aussi le Père - Père, j'ai manifesté ton nom7 ; et c'est pourquoi non seulement le
Fils a été glorifié mais aussi le Père - Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils8. Et
il dit EN LUI parce que celui qui voit le Fils, voit aussi le Père9. Or c'est le propre du
plus grand de rendre en retour quelque chose de plus grand et c'est pourquoi il
ajoute : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-à-dire, si par la gloire du
Fils de l'homme grandit en quelque sorte la gloire pour Dieu le Père, en tant
qu'il est plus connu par tous les hommes, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MÊME,
c'est-à-dire fera connaître que le Christ Jésus est dans sa gloire. Et cela
sans délai parce que C'EST
BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, à savoir
sur-le-champ.
7. Jn 17, 6.
8. Mt 11, 27. Saint Thomas commente : « Mais quoi ?
Est-ce que l'Esprit Saint ne le connaît pas ? Si. Mais il faut remarquer
que parfois des phrases exclusives sont ajoutées aux noms divins selon
l'essence, parfois selon la personne. Et quand elles qualifient des noms
personnels, elles n'excluent pas ce qui est identique selon la nature :
aussi, ce qui est ajouté au Père n'exclut pas le Fils. Aussi est-il dit : Au roi immortel,
invisible, au seul Dieu honneur et gloire (1 Tm 1, 17), et cela n'exclut pas le
Fils de même nature. De même, quand il dit : Si ce n'est le Fils, n'est
pas exclu l'Esprit Saint qui est le même selon la nature. Mais quand il
dit : Nul ne connaît, il faut entendre : "nul homme sinon
le Fils". Et c'est ainsi que le Fils connaît le Père. En effet, il le
connaît par compréhension. Donc, parce qu'il le connaît parfaitement et qu'il
est connaissable, il a, comme le Père, le pouvoir de révéler » (Sup.
Matth. lect., XI, nos 965-966).
9. Cf. Jn 14, 9.
Son départ.
1831. Plus haut le
Seigneur a montré la gloire qu'il allait recevoir à travers son départ ;
ici il leur annonce ce départ lui-même : tout d'abord il leur annonce son
départ, puis il montre que les disciples n'étaient pas encore capables de le
suivre [n° 1834]. Enfin il leur enseigne comment le devenir [n° 1835].
I
PETITS ENFANTS, POUR
PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS. (13, 33)
1832. Il leur
annonce brièvement ce départ à venir en disant : PETITS ENFANTS, POUR PEU
DE TEMPS ENCORE, et il emploie ce terme de filiation pour les enflammer d'amour.
Car quand des amis se séparent, c'est alors qu'ils brûlent le plus d'amour1.
Plus haut : Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima
jusqu'à la fin2.
Mais il dit PETITS
ENFANTS, employant le diminutif, pour leur montrer leur imperfection ; en
effet ils n'étaient pas encore parfaitement fils parce qu'ils n'aimaient pas
encore parfaitement, ils n'étaient pas encore parfaits dans la charité - Mes
petits enfants que
j'enfante à nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous3. Néanmoins ils avaient
suffisamment grandi en perfection, puisque de serviteurs ils sont devenus
petits enfants4, comme on le voit ici, et frères -Va trouver mes frères et dis-leur5.
1. Cette remarque pleine de réalisme est suggérée par saint Jean Chrysostome (In Ioannem nom., LXXII,
3, PG 59, co1. 393).
2. Jn 13, 1.
3. Ga 4, 19.
4. Origène avait indiqué en passant la connotation affectueuse du
terme filioli avant de développer longuement son caractère
d'imperfection puis de compléter par l'appel à devenir, par la croissance, des fratres (Comm. sur saint Jean, XXXII, XXX, § 368-374, SC 385, p. 345-349). Saint
Thomas ne reprend que ce deuxième point, en le résumant.
5. Jn 20, 17.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIV, 1-2, BA 74A, p. 181-185. 7.Rm 6, 9. 8. Le
24, 44.
1833. Notons
cependant que ce qui est dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE peut être pris de
trois manières, selon que le Christ est avec ses disciples de trois manières6.
En effet le Christ
était avec ses disciples corporellement. Or son corps peut être considéré de
deux manières. Tout d'abord en ce qu'il est semblable à la condition de la
nature humaine, car le Christ selon son corps était mortel comme les autres
hommes ; et ainsi POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend du temps qui allait
s'écouler entre les paroles de cet entretien et sa mort. Le sens de POUR PEU DE
TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS est donc : je reste PEU DE TEMPS ENCORE, le
temps que je sois pris et que je meure, et alors je ressusciterai, désormais
immortel aussi selon mon corps -
Ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus, la mort ne dominera plus sur lui1. Et c'est pourquoi il leur dit : Je vous ai dit ces choses tant que j'étais
encore avec vous8.
Deuxièmement il fut
avec eux présent par son corps mais dans la mesure où son corps avait déjà été
glorifié. Et ainsi PEU DE TEMPS ENCORE se rapporte au temps écoulé jusqu'à son
Ascension - Un peu de temps et vous ne me verrez plus ;
et encore un peu, et vous me verrez ; parce que je vais vers le Père 1.
- Un peu de temps encore et j'ébranlerai ciel, terre, mer et désert2.
Troisièmement, cela
s'explique en tant qu'il fut avec eux spirituellement selon la présence de sa
divinité et dans les sacrements ; ainsi POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend
du temps qui restait jusqu'à la consommation des siècles, et certes on peut
dire de ce temps qu'il est peu en comparaison de l'éternité - Mes petits
enfants, c'est la dernière heure3. Et c'est le sens de ces paroles : POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS
AVEC VOUS, c'est-à-dire : bien que je me sépare de vous corporellement,
cependant spirituellement je suis avec vous encore un peu de temps, ce temps
qui reste jusqu'à la consommation des siècles - Voici que je suis avec vous
jusqu'à la fin du monde4. Mais cette explication ne convient pas selon la présence de sa divinité,
parce qu'il sera avec eux non seulement jusqu'à la fin du monde, mais encore
pour toujours. Et c'est pourquoi Origène l'explique5 autrement, en disant que le Christ est
toujours avec les parfaits qui ne pèchent pas mortellement, mais n'est pas
toujours avec les imparfaits parce que, lorsqu'ils pèchent, il s'éloigne d'eux.
Or, après un peu de
temps, les disciples allaient être séparés du Christ, souffrir le scandale et
l'abandonner - Tous vous souffrirez le scandale à cause de moi
cette nuit6. Et ainsi le Christ se séparait d'eux même spirituellement ; c'est
à ce propos qu'il dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS,
c'est-à-dire que dans peu de temps vous fuirez, m'ayant abandonné, et ainsi je
ne serai plus avec vous.
1. Jn 16, 16.
2. Ag 2, 7.
3. 1 Jn 2, 18.
4. Mt 28, 20.
5. Comm. sur saint Jean, XXXII, xxx, § 377-382, SC 385, P.
349-351.
6. Mt 26, 31.
II
VOUS ME CHERCHEREZ, ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS :
« OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR », À VOUS AUSSI JE LE
DIS À PRÉSENT. (13, 33)
1834. En leur disant
ensuite : VOUS ME CHERCHEREZ, il leur montre leur incapacité à le
suivre ; d'abord il montre leur effort en disant : VOUS ME
CHERCHEREZ, moi que vous avez abandonné spirituellement par la fuite et par le
reniement. VOUS ME CHERCHEREZ, dis-je, par le repentir, comme Pierre qui pleura
amèrement - Cherchez le Seigneur tant qu'on peut le trouver7. - Dans leur détresse, au matin ils
reviendront vers moi8. VOUS ME CHERCHEREZ, c'est-à-dire ma présence corporelle, par le
désir - Des jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils
de l'homme et vous ne le verrez pas9.
Ensuite il montre ce
qui leur manque en disant : ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS : « OÙ
MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR. » Mais c'est de manière toute
différente car, comme parmi les Juifs il y en avait certains qui ne se
convertiraient jamais, il leur a été dit de manière absolue qu'ils ne pouvaient
pas aller là où le Christ allait. Mais désormais, après le départ de Judas,
aucun parmi les disciples ne devait se séparer du Christ, et c'est pourquoi il
n'a pas dit de manière absolue : VOUS NE POUVEZ VENIR mais il a
ajouté : À VOUS AUSSI JE LE DIS À PRÉSENT. Comme s'il disait : J'ai
dit aux Juifs « jamais » dans la mesure où je m'adressais à des
obstinés, mais à vous, je dis qu'À PRÉSENT vous ne pouvez me suivre parce que
vous n'êtes pas encore parfaits dans la charité, au point de vouloir mourir
pour moi ; moi, en effet, c'est par la mort que je vais partir. De même,
moi je m'en vais vers la gloire du Père à laquelle nul ne peut venir s'il n'est
parfait dans la charité1.
7. Is 55, 6.
8. Os 6, 1.
9. Lc 17, 22.
De même, moi je dois
être glorifié maintenant parce que, comme on l'a dit : Maintenant le
Fils de l'homme a été glorifié, mais il n'est pas encore temps que vos
corps soient glorifiés ; et c'est pourquoi là OÙ MOI JE VAIS, VOUS,
VOUS NE POUVEZ VENIR.
III
JE VOUS DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU : QUE VOUS VOUS
AIMIEZ LES UNS LES AUTRES ; COMME JE VOUS AI AIMÉS, QUE VOUS AUSSI VOUS
VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES
DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES. »> (13,
34-35)
1835. En
conséquence, lorsqu'il dit : JE VOUS DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU, il leur enseigne comment se rendre capable de le suivre. Premièrement il
montre la condition du commandement. Deuxièmement il montre la raison pour
laquelle ils doivent l'accomplir [n° 1839].
Pour la première
partie il fait trois choses : d'abord il montre la qualité du
commandement, puis son contenu dont il donne ensuite un exemple.
1836. La qualité du
commandement est mise en lumière par sa nouveauté, et c'est pourquoi il dit :
UN COMMANDEMENT NOUVEAU. Pourtant, dans l'ancienne Loi, le commandement de
l'amour du prochain n'a-t-il pas été donné ? Il a été donné certes parce
que le Christ, à un scribe qui lui demandait quel était le premier commandement, répondit : Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu, et ajoute : et ton prochain comme toi-même2. - Tu aimeras ton prochain comme toi-même 3.
Mais ce commandement
est dit NOUVEAU spécialement pour trois raisons. D'abord pour l'effet de
renouveau qu'il réalise - Dévêtez-vous du vieil homme avec ses actes
et revêtez le nouveau qui se renouvelle dans la connaissance à l'image de celui
qui l'a créé4. Ce renouveau se réalise par la charité à
laquelle ce commandement exhorte.
Deuxièmement pour la
cause qui réalise cela, parce qu'il provient d'un esprit nouveau. Il y a en
effet deux esprits, l'ancien et le nouveau. Or l'ancien est un esprit
d'esclavage, le nouveau un esprit d'amour5. Celui-là engendre des esclaves, celui-ci
des fils adoptifs - Vous n'avez pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber
dans la crainte6. - Je vous donnerai un cœur nouveau7. Et
cet esprit enflamme en vue de la charité - Parce que le charité
de Dieu a été répandue dans nos cœur par l'Esprit Saint8.
Troisièmement par
l'effet qu'il établit, à savoir le nouveau Testament. Car la petite différence
qui existe entre le nouveau et l'ancien Testament est celle qui existe entre la
crainte et l'amour, comme le dit Augustin9 - Je
conclurai avec la maison d'Israël une alliance nouvelle10. Et parce que ce
commandement dans l'ancien Testament provenait d'une crainte et d'un amour
saints, il appartenait au nouveau Testament. C'est pourquoi ce commandement
était dans la Loi ancienne, non pas comme lui étant propre mais comme
préparatoire à la Loi nouvelle.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIV, 4, BA 74A, p. 191.
2. Mt 22, 37 et 39.
3. Lv 19, 18.
4. Col 3, 9-10.
5. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXV, 1, BA 74A, p.
193-195
6. Rm 8, 15. Sur l'esprit qui produit la crainte ou l'amour, voi
vo1. I, n° 1461, note 6.
7. Ez 36, 26.
8. Rm 5, 5.
9. La formule est de saint
Augustin, Contra Adimantum, XVII 2, BA 17, p. 323. Au cœur de la
polémique qui l'oppose au manichéen Adimante, à propos de la haine des ennemis
acceptée par l'ancien Testament, saint Augustin montre qu'il est faux de dire
non seulement que l'ancien Testament est mauvais, mais aussi qu'il est en
opposition avec le nouveau. En guise d'illustration, il avance l'opinion
suivante : au sein même du peuple d'Israël, il pouvait se trouver
« des hommes spirituels qui pouvaient comprendre que la conduite de Dieu
était sans haine pour personne et combien ce que le Seigneur nous commande dans
l'Évangile n'y était pas contraire à savoir que nous aimions nos ennemis »
(XVII, 3, BA 17, p. 327.
10. Jr 31, 31. Saint Thomas commente : « Il promet le
renouvellement de l'alliance : Voici venir des jours, à savoir de
grâce, et je ferai une alliance nouvelle, un nouveau testament :
c'est l'Évangile. (·· ) -
Je ferai avec vous une alliance éternelle, qui montrera véritables les miséricordes promises
à David (Is 55, 3). Puis il pose la teneur de ce pacte. Mais voici l'alliance que je ferai avec la
maison d'Israël après ces jours-là dit le Seigneur : je mettrai ma Loi, l'Évangile, dans leurs entrailles (Jr
31 33),
et non sur des tables de pierre - Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à son cœur (Os 2, 14) » (Exp. super Hier.,
XXX lectio
10).
1837. Le contenu de
ce commandement est la dilection l mutuelle. Aussi dit-il : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.
C'est en effet le propre (ratio) de l'amitié de ne pas être cachée,
autrement elle ne serait pas une amitié mais seulement une bienveillance. Et
c'est pourquoi il faut, pour une amitié vraie et ferme, que les amis s'aiment
mutuellement2, parce qu'alors l'amitié est juste et ferme,
comme doublée. Le Seigneur donc, voulant qu'entre ses fidèles et ses disciples
l'amitié soit parfaite, leur donna le commandement de la dilection mutuelle - Qui
craint le Seigneur aura une bonne amitié3.
1838. Il donne un
exemple de ce contenu en disant : COMME JE VOUS AI AIMÉS. En effet le
Christ nous a aimés de trois manières : gratuitement, efficacement et de
façon droite.
Gratuitement parce
que c'est lui qui a commencé et qu'il n'a pas attendu que nous commencions à
l'aimer - Ce n'est pas nous
qui avons aimé Dieu, c'est lui-même qui nous a aimés le premier4. Ainsi nous aussi nous
devons aimer les premiers nos proches, et ne pas attendre leurs prévenances ou
leurs bienfaits5.
1. Sur le sens du mot dilectio, voir
vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612.
2. Sur l'amour d'amitié et son
explicitation chez Aristote et saint Thomas, voir vo1. I, n° 1475, note 7.
Ajoutons ici que saint Thomas, dans son
traité sur la charité, rappelle : « Cependant la bienveillance ne
suffit pas pour constituer l'amitié ; il faut de plus qu'il y ait
réciprocité d'amour, car un ami est l'ami de celui qui est lui-même son ami. Une telle bienveillance mutuelle
est fondée sur une certaine mise en
commun » (Somme théol, II-II,
q. 23, a. 1, a). Et plus
loin où il se demande ce qui est le mieux, aimer son ami ou son ennemi, il
commente : « Cependant, comme un même feu agit avec plus d'intensité
sur ce qui est proche que sur ce qui est éloigné, la charité nous fait aimer plus ardemment ceux
qui nous sont unis que ceux qui sont
éloignés. De ce point de vue, la dilection des amis, absolument considérée, est
plus ardente et meilleure que celle des ennemis » (loc. cit., q.
27, a. 7, c).
3. Si 6, 17.
4. 1 Jn 4, 10.
Il a aussi aimé de
manière efficace, ce qui se manifeste dans une œuvre : « La preuve de
l'amour, c'est l'accomplissement d'une œuvre6. » Ce qu'un homme peut faire de plus
grand pour son ami, c'est de se donner pour lui, et c'est ce que le Christ a fait - Il
nous a aimés et s'est livré lui-même
pour nous7. C'est pourquoi il dit : Personne n'a de plus grand amour que
celui qui livre son âme pour ses amis8. Aimons-nous donc les uns
les autres à cet exemple, de manière efficace et fructueuse - N'aimons ni de mots ni de langue mais par des actes et
en vérité9.
De manière droite
puisque, toute amitié étant fondée sur une certaine mise en commun (la
similitude 10 en effet est cause d'amour), est droite
l'amitié qui existe à cause de la similitude ou de la communication dans le
bien. Or le Christ nous a aimés dans la mesure où nous lui sommes semblables
par la grâce d'adoption, en nous aimant selon cette similitude afin de nous attirer à Dieu - D'un amour de charité
éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré dans ma miséricorde11. Ainsi donc nous aussi nous devons aimer dans l'ami non seulement le
fait qu'il est source de bienfait ou de plaisir, mais le fait qu'il est de Dieu1. Et
dans un tel amour du prochain est aussi inclus l'amour de Dieu2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem nom., LXXII, 3, PG 59, co1. 394.
6. Probatio dilectionis exhibitio est operis. Cf.
saint Grégoire le Grand, XL
hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, co1. 1220 C.
7. Ep 5, 2.
8. Jn 15, 13.
9. 1 Jn 3, 18.
10. Sur la
similitude dans l'amour, voir ci-dessous, n° 2034, note 8.
11. Jr 31, 3. Voir
ci-dessus, n° 1673, note 5.
1839. Par suite,
lorsqu'il dit : EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES
DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES, il donne la raison d'accomplir ce commandement.
Là il faut savoir
que tout homme compté dans la milice d'un roi se doit d'en porter les insignes.
Or les insignes du Christ sont les insignes de la charité. Donc quiconque veut
être compté dans la milice du Christ doit être marqué du sceau de la charité.
Et c'est ce qu'il dit : EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ÊTES MES
DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR
LES AUTRES, je veux
dire un amour saint une dilection sainte - Moi je suis la mère du bel amour,
de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance3. Mais remarque que, bien
que les Apôtres aient reçu du Christ beaucoup de dons, comme la vie,
l'intelligence, la santé du corps, et aussi des dons spirituels comme le
pouvoir de faire des miracles - Moi je vous donnerai un langage et une
sagesse4 -, toutes ces choses ne sont pas les signes qu'on est disciple du
Christ, puisqu'elles peuvent être communes aux bons et aux mauvais. Mais, de
manière toute spéciale, le signe qu'on est disciple du Christ est la charité
ainsi que l'amour mutuel - Il nous a marqués d'un sceau
et donné l'Esprit5.
1840. Après avoir
exposé la défaillance d'un disciple, c'est-à-dire la trahison de Judas,
l'Évangéliste montre à présent celle d'un autre disciple, le reniement de
Pierre ;
premièrement est
rapportée l'occasion d( cette prédiction et deuxièmement h prédiction du
reniement elle-même [n° 1844].
a)
Le désir et la hardiesse de Pierre.
Concernant cette
première partie, il montre deux choses : il expose d'abord le désir de
Pierre, ensuite il montre sa hardiesse [n° 1843].
1. Dans la Somme théologique, dans la question où saint
Thomas se demande si Dieu seul doit être aimé de charité, ou aussi le prochain,
il commente : « Or la raison d'aimer le prochain, c'est Dieu ;
car ce que nous devons aimer dans le prochain, c'est qu'il soit en Dieu. Il est
donc manifeste que l'acte par lequel Dieu est aimé et celui par lequel est aimé
le prochain sont de même espèce. Par conséquent {'habitus de la charité
ne s'étend pas seulement à l'amour de Dieu mais aussi à l'amour du
prochain » (II-II, q. 25, a. 1, a). Et plus loin, dans la question sur
l'ordre de la charité : « L'amitié de charité est fondée sur la
communication de la béatitude, qui réside essentiellement en Dieu comme dans
son premier principe, d'où elle dérive en tous les êtres qui sont aptes à la
posséder. C'est donc Dieu qui doit être aimé de charité à titre principal et
par-dessus tout : il est aimé en effet comme cause de la béatitude, tandis
que le prochain est aimé comme participant en même temps que nous de la
béatitude » (loc. cit., q. 26, a. 2, a).
2. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXV, 2, BA 74A, p.
201 : « Celui qui aime son prochain d'un amour saint et spirituel,
qu'aime-t-il en lui si ce n'est Dieu ? »
SIMON-PIERRE LUI DIT : « SEIGNEUR, OÙ
VAS-TU ? » JÉSUS LUI RÉPONDIT : « OÙ MO JE VAIS, TU NE PEUX
PAS ME SUIVRE À PRÉSENT ; MAIS TU ME SUIVRAS PLUS TARD. » (13, 36)
Dans cette première
partie, il commence par présenter Pierre manifestant son désir puis le retard
avec lequel il le réalise [n° 1842].
1841. Le désir de
Pierre se manifeste dans la vivacité de cette interrogation quand il dit :
SEIGNEUR, OÙ VAS-TU ? En effet il avait appris du Seigneur qu'il serait
avec eux pour peu de temps encore : aussi est-il inquiet de ce que le
Christ s'éloigne d'eux, et c'est pourquoi il interroge : OÙ VAS-TU ?
Chrysostome1 dit à ce propos : « Vraiment
l'amour de Pierre est grand et plus véhément que le feu lui-même dont aucun
interdit ne peut entraver l'ardent élan. » C'est pourquoi, alors même que
le Christ avait dit : Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir2, Pierre voulait le suivre ; aussi lui demandait-il où il allait,
comme l'une des jeunes filles du Cantique qui cherche [le bien-aimé] - Où
est parti ton bien-aimé,
ô la plus belle des femmes, où est-il parti que nous le cherchions avec
toi ?3
3. Si 24, 24 (verset propre à la Vulgate).
4. Le 21, 15.
5. 2 Co 1, 22.
1842. Le retard de
la réalisation de ce désir est dû au fait que, pour le moment, il se trouve
empêché de suivre le Christ. Et c'est ce que le Christ lui-même dit : OÙ MOI
JE VAIS, TU NE PEUX PAS ME SUIVRE À PRÉSENT ; MAIS TU ME SUIVRAS PLUS TARD, comme s'il disait : Tu es encore
imparfait et c'est pourquoi tu ne peux me suivre à présent ; mais plus
tard, quand tu seras parfait, tu me suivras. C'est aussi ce qu'il dit plus
loin : En vérité je te le dis, quand tu étais plus jeune - ce qui
signifie « imparfait » - tu mettais toi-même ta ceinture ;
quand tu seras vieux - et que tu auras atteint le sommet de la perfection -
tu étendras tes mains (,..)4
PIERRE LUI DIT : « POURQUOI NE PUIS-JE TE SUIVRE À
PRÉSENT ? JE LIVRERAIS MON ÂME POUR TOI. » (13, 37)
1843. Par ces
paroles l'Évangéliste montre la hardiesse de Pierre. Pierre avait bien saisi
que le Seigneur avait dit ces paroles comme en se défiant de la perfection de
son amour. Or l'amour est parfait lorsque quelqu'un s'expose lui-même à la mort
pour ses amis - Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme
pour ses amis5. Et donc, parce que Pierre était prêt à mourir pour le Christ, il se
montrait parfait dans son amour en disant : JE LIVRERAIS MON ÂME POUR TOI,
c'est-à-dire : je suis prêt à mourir pour toi. Il disait cela comme il lui
semblait et non avec un esprit faux. Cependant l'homme ne peut savoir la force
de son amour (affectus), surtout devant l'imminence d'un danger - Ma conscience, il est vrai, ne me
reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour autant6.
b)
Le Christ prédit son reniement.
JÉSUS LUI RÉPONDIT : « TU LIVRERAS TON ÂME POUR
MOI ? AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE
M'AIES RENIÉ TROIS FOIS. » (13, 38)
1844. En disant
cela, il prédit le reniement de Pierre. Tout d'abord il lui reproche sa
présomption, puis prédit son reniement [n° 1846].
1845. Dans cette
première partie il faut savoir que Pierre, présumant de lui-même, alors que le
Christ disait : TU NE PEUX PAS ME SUIVRE À PRÉSENT, affirmait qu'il
pouvait le suivre et mourir pour lui. Aussi le Seigneur, le corrigeant, lui dit :
TU LIVRERAS TON ÂME POUR MOI ?, comme s'il disait : Considère ce que
tu dis. Je sais mieux que toi-même ce qu'il y a en toi. Toi, tu ne sais pas
mesurer le poids de ton amour ; ne présume donc pas de toi-même outre mesure - Ne t'enorgueillis pas, crains
plutôt1. Et Matthieu en donne la raison : L'esprit est prompt
mais la chair est faible2.
1. In Ioannem hom., LXXIII,
1, PG 59, co1. 395.
2. Jn 13, 33.
3. Ct 5, 17.
4. Jn 21, 18.
5. Jn 15, 13.
6. 1 Co 4, 4.
Le Seigneur a permis
que Pierre fût tenté et tombât afin qu'une fois élevé à la tête de l'Église, il
apprenne à connaître ses propres faiblesses et à compatir aux pécheurs qui lui
seraient confiés. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux Hébreux : Nous n'avons pas un grand prêtre incapable de
compatir à nos infirmités, ayant été éprouvé en tout d'une manière semblable, à
l'exception du péché3. Mais en Pierre la tentation est allée jusqu'à la faute, alors que dans
le Christ elle alla jusqu'à la similitude de la peine parce qu'il n'a pas commis de péché4.
AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE
TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.
1846. On pourrait
d'abord émettre un doute concernant cette affirmation. Il semble qu'elle soit
fausse, parce qu'aussitôt après le premier reniement de Pierre le coq
chanta, comme le rapporte Marc5.
Mais saint Augustin6
répond à cette objection de deux manières. Selon la première, le Seigneur a
davantage exprimé le sentiment de Pierre que son acte : car une si grande
crainte avait envahi l'âme de Pierre que dès le premier chant du coq il était
prêt à renier, non seulement une fois, mais trois fois ; c'est ce que
signifie : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS
FOIS.
L'autre manière
regarde le commencement du reniement : parce qu'on dit qu'une chose a lieu
avant une autre même si elle commence seulement à se réaliser.
Or le Seigneur a
prédit le triple reniement qui a commencé avant le premier chant du coq, bien
qu'alors il n'ait pas été entièrement réalisé. C'est ainsi qu'il faut
comprendre cette parole : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ
TROIS FOIS, c'est-à-dire : Tu commenceras à me renier trois fois avant que
le coq ne chante.
1847. On peut aussi
s'interroger sur le lieu où furent dites ces paroles, car Matthieu et Marc
disent que le Seigneur a dit cela à Pierre après avoir quitté le lieu où il
avait pris le repas avec ses disciples. Mais Luc et Jean disent qu'il a
prononcé ces paroles à l'endroit où avait eu lieu la Cène. Car après cet
entretien, le Seigneur a dit : Levez-vous, partons d'ici7. Il faut répondre qu'il est vrai que le Seigneur a dit ces paroles au
lieu où il avait pris le repas, mais que Matthieu et Marc suivent l'ordre de
leurs souvenirs et non pas l'ordre historique.
On peut dire aussi,
selon Augustin8, que le Seigneur a prononcé trois fois ces
paroles. Car si on considère attentivement les paroles du Seigneur qui nous
conduisent à la prédiction du reniement de Pierre, on remarquera qu'elles ont
été dites de trois façons.
Chez Matthieu et
Marc, il est écrit que le
Seigneur a dit : Vous tous, vous souffrirez le scandale à cause de moi
durant cette nuit. Et Pierre répond : Même si tous se scandalisent
à cause de toi, moi je ne me scandaliserai jamais. Et Jésus lui dit : Aujourd'hui,
cette nuit même, avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois9.
Luc rapporte : Jésus
leur dit : « Voilà que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme
le froment. Mais moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille
pas. » Pierre lui dit alors : « Seigneur, je suis prêt à
aller avec toi en prison et à la mort. » Le Seigneur lui répondit :
« Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui que tu aies nié
par trois fois me connaître » 1.
1. Rm 11, 20.
2. Mt 26, 41.
3. He 4, 15.
4. 1 Ρ 2, 22.
5. Me 14, 68.
6. De consensu
Evangelistarum, III, ii, 7,
PL 34, co1. 1161-1162.
7. Jn 14, 31.
8. Op. cit., III,
il, 5, PL 34, co1. 1160.
9. Mt 26, 31.
33-34.
1. Lc 22, 31-34.
Or ici, alors que
Pierre demandait au Seigneur : OÙ VAS-TU ?, le Seigneur lui
dit : AMEN, AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU
NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.
On constate donc
bien que le Seigneur avait prédit plusieurs fois le reniement de Pierre.
Évangile selon saint Jean Chapitre XIV
1 Et il dit à ses disciples :
« Que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en
moi.2 Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. Sinon je vous
l'aurais dit : je vais vous préparer un lieu. 3 Et quand je m'en serai
allé et que je vous aurai préparé un lieu, je viendrai de nouveau et je vous
prendrai près de moi, pour que là où moi je suis, vous soyez aussi. 4 Et où moi
je vais vous le savez, et vous savez le chemin. »
5 Thomas lui dit : « Seigneur,
nous ne savons pas où tu vas. Et comment pouvons-nous savoir le
chemin ? » 6 Jésus leur dit : « Moi je suis le Chemin, la
Vérité et la Vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. 7 Si vous m'aviez
connu, vous auriez connu aussi mon Père. Et dorénavant vous le connaîtrez, et
vous l'avez vu. »
8 Philippe lui dit :
« Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. »9 Jésus lui
dit : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me
connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi le Père. Comment
dis-tu, toi : "Montre-nous le Père" ? 10 Ne crois-tu pas
que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que
moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-même. Mais le Père demeurant en moi
fait lui-même les œuvres. n Ne croyez-vous pas que moi je suis dans le Père et
que le Père est en moi ? 12 Du moins croyez à cause des œuvres
elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : Qui croit en moi fera lui-même
aussi les œuvres que moi je fais ; et il en fera de plus grandes, parce
que moi je vais vers le Père. 13 Et tout ce que vous demanderez au Père en mon
nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. 14 Si vous me
demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. 15 Si vous m'aimez, gardez mes
commandements ; 16 et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre
Paraclet afin qu'il demeure avec vous éternellement, 17 l'Esprit de vérité que
le monde ne peut pas recevoir parce qu'il ne le voit pas ni ne le connaît. Mais
vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera auprès de vous et qu'il sera en
vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers vous. 19
Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me
verrez, parce que moi je vis et que vous, vous vivrez. 20 En ce jour-là vous
connaîtrez que moi je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous. 21
Qui a mes commandements et les garde, c'est celui-là qui m'aime. Or celui qui
m'aime sera aimé de mon Père ; et moi je l'aimerai, et je me manifesterai
moi-même à lui. »
22 Judas, non celui appelé l'Iscariote,
lui dit : « Seigneur, qu'est-il advenu, que tu doives te manifester
toi-même à nous et non au monde ? » 23 Jésus répondit et lui
dit : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole. Et mon Père
l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. 24 Celui
qui ne m'aime pas ne garde pas mes paroles. Et la parole que vous avez entendue
n'est pas la mienne mais celle du Père qui m'a envoyé. 25 Je vous ai dit cela,
demeurant auprès de vous ; 26 mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père
enverra en mon nom, celui-là vous enseignera tout, et vous rappellera tout ce
que je vous aurai dit.
27 Je vous laisse la paix, je vous donne
ma paix. Moi, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur
ne soit pas troublé ni ne s'effraie. 28 Vous avez entendu ce que moi je vous ai
dit : Je m'en vais et je viens vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous
réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que
moi. 29 Et maintenant je vous ai dit cela avant que cela n'arrive afin que,
quand ce sera arrivé, vous croyiez. 30 Je ne parlerai plus beaucoup avec vous.
En effet, il vient le prince de ce monde, et sur moi il n'a aucun pouvoir. 31
Mais afin que le monde connaisse que j'aime le Père et comme le Père m'en a
donné le commandement, ainsi je fais. Levez-vous, partons d'ici ! »
1848. Auparavant le
Seigneur a formé ses disciples par des exemples, ici il les fortifie par des
paroles : en premier lieu est exposée sa longue exhortation, en second
lieu l'explication de ce qu'il a dit [chapitre 16, n° 2068]. À propos du
premier point, il faut savoir que deux choses menaçaient les disciples et
pouvaient les troubler, l'une concernant le présent, à savoir le départ
imminent du Christ, l'autre liée au futur : les tribulations qu'ils
auraient à souffrir.
D'abord, donc, il
les fortifie au sujet du premier point, c'est-à-dire son départ. Plus tard il
les fortifiera quant aux tribulations qu'ils auront à souffrir [chapitre 15, n°
1978]. Ici il les fortifie quant au fait qu'ils allaient rester là, puis au
sujet de son départ [n° 1965].
En premier lieu, il
annonce qu'il va vers le Père. En second lieu, il leur promet le don de
l'Esprit Saint [n° 1907]. Et en troisième lieu, il leur promet sa présence [n°
1921].
A. LE CHRIST ANNONCE QU'IL VA VERS LE PÈRE
Il annonce qu'il va vers le Père, puis il parle du chemin par lequel il va aller vers lui.
D'abord il chasse le
trouble de ses disciples, puis il montre sa puissance [n° 1851], enfin il
ajoute une promesse [n° 1852].
Le Christ chasse
leur trouble.
QUE VOTRE CŒUR NE SE TROUBLE PAS. (14, 1)
1849. Il faut savoir
que les disciples pouvaient être profondément troublés1 par les paroles du Seigneur prononcées plus haut à propos de la
trahison de Judas, du reniement de Pierre, et de son propre départ. Vraiment
tout portait au trouble et à la douleur - Tu as ébranlé la terre, c'est-à-dire
les cœurs de tes disciples, et tu l'as bouleversée2. Et pour cette raison le Seigneur, voulant guérir leur détresse,
dit : QUE VOTRE CŒUR NE SE TROUBLE PAS.
1850. Cependant, il
est dit dans les Actes des Apôtres : Jésus commença à agir et à
enseigner3. Mais plus haut, il est dit : Jésus fut troublé en son esprit4. Comment donc peut-il nous apprendre à ne pas être troublés, lui qui fut
troublé le premier ? Je réponds : il faut dire qu'il n'a pas enseigné
le contraire de ce qu'il a fait. Mais à propos de ce trouble, on dit qu'il fut troublé
en son esprit, et non pas que son esprit fut troublé. Or ici, il ne leur
défend pas d'être troublés en leur esprit, mais il défend que leur cœur,
c'est-à-dire leur esprit, soit troublé. Il y a en effet un certain trouble
provenant de l'esprit et de l'intelligence qui est louable et n'est pas défendu
- Ce qui en effet est une tristesse selon Dieu produit un repentir salutaire et durable5. Autre est la tristesse ou le trouble de la raison elle-même, et cela
n'est pas louable parce que cela détourne de la vraie droiture, et cela est
interdit - Le juste ne
sera pas troublé parce que le Seigneur le soutient de sa main6. En effet, qui a toujours Dieu, rien ne peut
le troubler.
Le Christ montre
sa puissance.
VOUS CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI. (14, 1)
1851. C'est pourquoi
le Seigneur montre ensuite la puissance de sa divinité en disant : VOUS
CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI ; et là il suppose une chose et il en
prescrit une autre.
Il suppose leur foi
en Dieu en disant : VOUS CROYEZ EN DIEU, car en cela ils avaient déjà été
instruits par lui - II faut que celui qui s'approche de Dieu croie7.
Et il leur prescrit
de croire en lui en disant : CROYEZ AUSSI EN MOI. Si en effet vous croyez
en Dieu, vous devez par conséquent croire en moi, puisque moi je suis Dieu. Et
cette conséquence est valable, soit que le terme DIEU soit pris
essentiellement, puisque le Fils lui-même est Dieu, soit qu'il désigne la
personne du Père. Car nul ne peut croire en le Père s'il ne croit pas en le
Fils - Qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père8. Et dans ce qu'il dit : CROYEZ AUSSI EN MOI, il atteste qu'il est
vraiment Dieu ; car bien qu'on puisse croire à l'homme ou à quelque
créature, cependant nous ne devons croire en personne9 si
ce n'est en Dieu. Donc il faut croire en le Christ comme en Dieu - Afin que vous soyez dans son véritable Fils Jésus
Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle1. Et plus haut : L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui
qu'il a envoyé2.
1. Voir plus haut, n° 1801.
2. Ps 59, 4.
3. Ac 1, 1.
4. Jn 13, 21.
5. 2 Co 7, 10.
6. Ps 36, 24.
7. He 11, 6.
8. Jn 5, 23.
9. Sur la distinction des trois modalités de l'acte de foi -
croire Dieu, croire à Dieu, croire en Dieu -, voir vo1. I, n° 1570, note 6. Et
ici saint Thomas précise que si l'on peut croire à l'homme, on ne peut croire
en l'homme. Voir aussi saint Augustin, Tract,
in Io., XXIX, 6, ΒΑ 72, p. 607-609.
Le Christ ajoute
une promesse.
DANS LA MAISON DE
MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES. SINON JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS
VOUS PRÉPARER UN LIEU. (14, 2)
1852. Ensuite,
lorsqu'il dit DANS LA MAISON DE MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES, il ajoute
la promesse que, par le Christ,
ils iront vers le Père et seront introduits auprès de lui. Or la promesse de
l'accès de quelques-uns en quelque lieu implique deux choses : l'une
précède, à savoir la préparation du lieu ; l'autre suit, à savoir
l'introduction dans le lieu. Et c'est pourquoi le Seigneur fait ici deux
promesses : l'une concerne la préparation du lieu, l'autre l'introduction
dans le lieu. Or la première n'est pas nécessaire, puisque déjà le lieu a été
préparé ; mais la seconde l'est, et c'est pourquoi à propos de
cela, il fait deux choses.
En premier lieu, il
exclut la nécessité de la première promesse : d'abord en écartant la
nécessité d'une préparation, puis en montrant qu'il aurait la faculté de
préparer le lieu, si c'était nécessaire [n° 1857]. En second lieu, il donne la
seconde promesse [n° 1858].
I
DANS LA MAISON DE
MON PÈRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES.
1853. Là il faut
savoir que, puisque la maison de quelqu'un est celle où il habite, on appelle
maison de Dieu celle où Dieu habite ; or Dieu habite dans les saints - Toi
tu es en nous. Seigneur3. Dans certains, c'est par la foi - J'habiterai en eux4. - Que le Christ habite en vos cœurs par la
foi5. Mais en d'autres c'est
par la jouissance6 parfaite- Afin que Dieu soit tout en tous1. La
maison de Dieu est donc double. L'une est l'Église militante, à savoir
l'assemblée des fidèles - Afin que tu saches comment il faut te comporter
dans la maison de Dieu2 -, et Dieu habite celle-ci par la foi - Voici la tente de Dieu avec
les hommes, et j'habiterai en eux3. L'autre est l'Église triomphante, à savoir le rassemblement des saints
dans la gloire - Nous serons rassasiés des biens de ta maison4.
1. 1 Jn 5, 20.
2. Jn 6, 29.
3. Jr 14, 9.
4. 2 Co 6, 16 ; Lv 26,
11 ; cf. Ez 37, 27-28. Saint Thomas commente : « J'habiterai en eux, à
savoir dans les saints, en les perfectionnant par la grâce. Or bien que Dieu
soit dit être en toutes les réalités par sa présence, sa puissance et son
essence, on ne dit cependant pas qu'il habite en elles, mais seulement dans les
saints par la grâce. La raison en est que Dieu est en toutes les réalités par
son action en tant qu'il s'unit à elles en leur donnant l'exister et en les
conservant dans l'être, alors qu'il est dans les saints par l'opération des saints
eux-mêmes, opération par laquelle ils atteignent Dieu et d'une certaine manière
le saisissent en l'aimant et en le connaissant. En effet on dit que celui qui
aime et qui connaît a en lui-même ce qu'il connaît et ce qu'il aime » {Ad
2 Cor. lect., VI, n° 240). Dans la Somme théologique, saint Thomas
précise bien, à la suite de saint Grégoire, que Dieu est en toute réalité qu'il
crée « par sa puissance parce que tout lui est soumis, par sa présence
parce que tout est à découvert et comme à nu devant ses yeux, par son essence
parce qu'il est présent à tout comme cause d'être ». Et il précise aussi
que Dieu est présent « dans les saints par sa grâce » (I, q. 8, a. 3,
c). Outre ces deux grandes modalités de la présence de Dieu en nous - la présence
dite d'immensité, qui est celle du Créateur à sa créature (actuellement Dieu
crée notre âme, et il nous garde dans l'être), et la présence de grâce où Dieu
par le Christ nous communique la vie même de la Très Sainte Trinité -, il y a
la présence sacramentelle où Dieu se donne, et d'une manière éminente dans
l'Eucharistie. Et il faut noter que l'unité de vie avec la Très Sainte Trinité,
qui est ce vers quoi nous tendons dans la foi, l'espérance et la charité, est
éminemment personnelle puisque chacun, aimé par Dieu d'un amour unique (cf. Somme
théo1., I, q. 20, a. 3), y répond par des actes qui lui sont propres. Mais
nous sommes les membres du Corps mystique du Christ, l'Église qui est
« comme une seule personne mystique » (voir De Veritate, q.
29, a. 7, sed contra 3 et ad 11 ; Somme théo1., III, q. 19, a.
4 ; q. 48, a. 2, ad 1 ; q. 49, a. 1 ; Commentaire sur
l'Évangile de saint Jean, vo1. I, n° 960).
5. Ep 3, 17.
6. Sur le sens du mot fruitio voir vo1. I, n° 527, note 2. Dans la Somme
théologique, I-II, q. 11, saint Thomas rappelle que la joie est un acte de
l'appétit, qu'elle appartient en propre à la créature rationnelle, qu'elle
accompagne la quête de la fin ultime et surtout qu'elle est présente quand
cette fin est, non certes possédée, mais touchée, atteinte par notre cœur et
notre intelligence. Saint Thomas montre aussi que la joie spirituelle est un
effet de la charité (II-II, q. 28, a. 1). Et à plusieurs reprises il met en
lumière que la véritable joie, la jouissance plénière, sera celle de la
béatitude. « Mais quand nous aurons atteint la béatitude parfaite, il ne
restera plus rien à désirer parce que nous aurons la pleine jouissance de Dieu,
en laquelle nous obtiendrons aussi tout ce qui aura pu être l'objet de nos
désirs pour les autres biens, suivant la parole du psaume : 77 comble
de biens tous nos désirs (102, 5). (...) La joie des bienheureux est donc
absolument plénière, et même plus que plénière puisqu'ils obtiendront plus
qu'ils n'auront pu désirer car, comme le dit l'Apôtre : Le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a
préparé pour ceux qu'il aime (1 Co 2, 9). - C'est une bonne mesure, tassée, secouée,
débordante, qu'on versera dans le pli de votre vêtement (Le 6, 38).
Toutefois, puisque nulle créature n'est capable d'une joie au sujet de Dieu qui soit
digne de lui, il faut dire que cette joie plénière n'est pas contenue dans
l'homme, mais que c'est plutôt lui qui y pénètre, selon cette parole de
Matthieu (25, 21) : Entre dans la joie de ton maître » (II-II,
q. 28, a. 3, a). Voir aussi III, q. 23, a. 1, c.
Mais est appelée
maison du Père non seulement celle qu'il habite, mais aussi lui-même parce que
lui-même est en lui-même. Et dans cette maison il nous rassemble. Or, que Dieu
soit lui-même une maison, on le voit dans la deuxième Épître aux Corinthiens :
Nous avons une maison venant de Dieu, qui n'est pas faite de main d'hommes5. Et
cette maison est une maison de gloire, qui est Dieu lui-même - Le trône de
ta gloire élevé depuis le commencement, lieu de notre sanctification*'. Or
l'homme demeure en ce lieu, à savoir en Dieu lui-même, quant à la volonté et
l'amour7 par la jouissance de la charité - Qui
demeure dans la chanté, demeure en Dieu8 -, et quant à l'intelligence par la
connaissance de la vérité - Sanctifie-les dans la venté9.
1. 1 Co 15, 28. Saint Thomas commente : « Afin que
Dieu soit tout en tous, c'est-à-dire afin que l'âme de l'homme se repose
totalement en Dieu et que Dieu seul soit sa béatitude. En effet, pour le moment
il y a d'une part la vie, de l'autre la vertu, et de l'autre la gloire ;
mais alors, Dieu sera la vie, et le salut, et la vertu, et la gloire et toutes
choses. Ou, dans un autre sens, afin que Dieu soit tout en tous, parce
qu'alors sera manifesté que tout ce que nous avons de bon vient de Dieu » {Ad
1 Cor. lect., XV, n° 950).
2. 1 Tm 3, 15.
3. Ap 21, 3.
4. Ps 64, 5.
5. 2 Co 5, 1.
6. Jr 17, 12.
7. Amour traduit ici le latin affectus. Sur le sens du mot affectus,
voir ci-dessus, n° 1727, note 2.
8. 1 Jn 4, 16.
9. Jn 17, 17.
Donc, dans cette
maison, c'est-à-dire dans la gloire qui est Dieu, IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES,
c'est-à-dire diverses participations à sa béatitude ; parce que celui qui
aime plus et connaît plus, aura une place plus grande. Donc les diverses
participations à la connaissance et à la jouissance divines sont les diverses
demeures.
1854. Mais ici se
pose la question de savoir si l'un peut être plus bienheureux que l'autre. Il
semble que non. En effet la béatitude est la fin, et ce qui est parfait
n'accepte pas le plus et le moins : donc elle ne peut être possédée plus
ou moins.
Je réponds : il
faut dire que quelque chose est dit parfait de deux manières : absolument,
et sous un certain aspect. Certes, la perfection absolue de la béatitude
appartient à Dieu seul, parce que lui seul se connaît et s'aime autant qu'il
est connaissable et aimable (en effet il connaît infiniment et il aime sa
vérité et sa bonté infinies). Et quant à cela, le souverain bien lui-même, qui
est l'objet de la béatitude et sa cause, ne peut pas être une béatitude plus
grande qu'une autre, car il n'est qu'un seul souverain bien, qui est Dieu. Et
quelque chose est dit parfait sous un certain aspect, c'est-à-dire selon
certaines conditions de temps, de nature et de grâce ; ainsi l'un peut
être plus bienheureux 10 que l'autre selon l'acquisition de ce bien
et la capacité de chaque homme. Parce que l'homme est d'autant plus capable de
la béatitude qu'il y participe plus en tant qu'il est mieux disposé et ordonné
à en jouir. Et on se dispose à cela de deux manières. En effet, la béatitude
consiste en deux choses : en la vision divine, et à celle-ci on se dispose
par la pureté ; et pour cette raison, plus quelqu'un a le cœur élevé
au-dessus des choses terrestres, plus il verra Dieu, et plus parfaitement. De
même, la béatitude consiste en la parfaite jouissance de cette vision, et à
celle-là on se dispose par l'amour ; et pour cette raison, celui dont le
cœur brûlera plus de l'amour de Dieu, goûtera plus de joie dans la jouissance
divine. À propos de la première il est dit : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce
qu'ils verront Dieu 1.
10. Dans la Somme théologique, saint Thomas montre que le
degré de l'intensité de notre vision béatifique ne dépendra pas en premier lieu
de l'acquisition de nos connaissances intellectuelles mais de l'intensité et de
la ferveur de notre charité : « Certainement, il faut dire que parmi
ceux qui verront l'essence de Dieu, l'un la verra plus parfaitement que
l'autre. Mais ce ne sera pas par une similitude de Dieu plus parfaite dans l'un
que dans l'autre ; car cette vision-là ne se fera pas par similitude,
ainsi qu'on l'a montré (a. 2). Cela proviendra de ce que l'intelligence de l'un
aura une capacité plus grande à l'égard de cette vision de Dieu. Et la faculté
de voir Dieu n'appartient pas à l'intelligence créée selon sa nature mais
résulte de la lumière de gloire, qui établit l'intelligence dans une sorte
d'état déiforme, ainsi qu'on l'a exposé (a. 2 et a. 5). C'est pourquoi
l'intelligence qui participera davantage à cette lumière de gloire verra Dieu
plus parfaitement. Et celui qui participera le plus à la lumière de gloire est
celui qui a le plus de charité, car plus grande est la charité, plus grand est
le désir. Et le désir rend d'une certaine manière l'être qui désire apte et
prêt à recevoir ce qui est désiré. Ainsi, celui qui aura plus de charité verra
Dieu plus parfaitement et il sera plus heureux » (I, q. 12, a. 6, c.)-
Saint Thomas montre l'importance du désir pour cette connaissance de la vision
béatifique qui dépasse la capacité naturelle de l'intelligence humaine et qui
nécessite une lumière divine venant fortifier et diviniser l'intelligence, de
l'intérieur. Il nous aide ainsi à dépasser tout regard trop formel et
intellectuel sur notre manière de nous préparer à voir Dieu. C'est notre désir
et notre soif d'aimer, au-delà des résultats toujours inadéquats, qui agrandissent notre cœur et
préparent notre intelligence à la vision béatifique.
1855. De même, on
s'interroge sur ce qui est dit dans Matthieu2, qu'un seul denier est donné à tous ceux qui
ont travaillé. Or ce denier n'est rien d'autre qu'une demeure dans la maison du
Père. Il n'y a donc pas de nombreuses demeures. À cela je réponds : il
faut dire que la récompense de la vie éternelle est une, et qu'elle est
multiple. Multiple, certes, selon la capacité différente des participants,
selon laquelle il y a diverses demeures dans la maison du Père. Mais une, de
trois manières. Premièrement, à cause de l'unité de l'objet : en effet, ce
que tous les bienheureux voient et ce dont tous jouissent est le même ; et
c'est pourquoi il y a un seul denier, mais il sera vu et aimé de diverses manières - Alors tu abonderas en délices
dans le Tout-Puissant2'. - En ce jour-là, le Seigneur des armées
sera une couronne de gloire et un sceptre d'exultation pour le reste de son
peuple 4. Et c'est comme si quelqu'un indiquait à un autre une source, afin que
tous y puisent à volonté ; celui qui aurait un plus grand vase, recevrait
plus de la source, et celui qui en aurait un plus petit, moins. Donc la source,
quant à elle, est unique, mais la mesure des récipients, elle, n'est pas la
même. Et c'est l'avis du bienheureux Grégoire5. En second lieu, à cause de la mesure même
de l'éternité, selon Augustin6 : parce que tous auront la béatitude
éternelle, puisque les justes iront vers la vie éternelle, mais diversement
selon leur capacité. En troisième lieu, à cause de la charité qui unit tout,
faisant des joies de chacun les joies de tous, et réciproquement - Se réjouir avec ceux qui se réjouissent7.
1. Mt 5, 8. Saint Thomas commente : « Bienheureux
ceux qui ont le cœur pur parce que, comme l'œil qui voit la couleur doit
être purifié, ainsi l'esprit qui voit
Dieu - Cherchez-le en simplicité de cœur parce qu'use laisse trouver par
ceux qui ne le tentent pas ; il apparaît à ceux qui ont foi en lui (Sg 1, 1-2). En
effet, le cœur est purifié par la foi, par la foi qui purifie les cœurs (Ac
15, 9). Et parce que la vision succède à la foi, il est dit : Ils verront Dieu » (Sup.
Matth. lect., V, n° 434).
2. Cf. Mt 20, 1-16.
1856. Mais il faut
remarquer que cette parole fut pour les pélagiens8 une occasion d'erreur. En effet, ils disent que les enfants qui meurent
non baptisés seront sauvés dans la maison de Dieu, mais non dans le royaume de
Dieu, parce que plus haut il est dit : Personne, à moins de renaître de
Veau et de l'Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu 1.
3. Jb 22, 26.
4. Is 28, 5.
5. Moralium libri, IV, 36,
70, PL 75, co1. 677 A-B. Voir aussi Homélies sur Ezechiel, II, 4, 6, SC 360,
p. 197.
6. Tract, in Io., LXVII, 2, BA 74A, p. 221-223 : Dans la vie éternelle, « nul ne vit plus
que l'autre puisqu'il n'y a pas dans l'éternité diverses longueurs de vie (vivendi
mensura) ».
7. Rm 12, 15.
8. Pélage est un moine du ν siècle, originaire des
îles britanniques. Source d'une hérésie qu'on a appelée pélagianisme, sa
principale erreur fut, en exaltant les forces du libre arbitre, de nier la
transmission du péché originel, la nécessité de la grâce divine, la distinction
entre l'ordre naturel et l'ordre surnature1. Il niait donc que la volonté humaine
ait été affaiblie par suite du péché d'Adam, et qu'elle soit donc inclinée au
ma1. Ainsi, selon lui, les petits enfants sont baptisés seulement pour être
admis au Royaume de Dieu, en passant du bien au mieux : le baptême ne les
délivre d'aucun mal, ils en sont exempts. Quant aux adultes, ils n'ont besoin
du baptême que pour la rémission de leurs péchés. Pelage a nié encore la
nécessité de la grâce en tant qu'elle est un don reçu dans l'âme pour la
guérir, la fortifier, mais aussi l'ennoblir et la surélever. Selon lui, l'homme
peut, sans le secours de la grâce, accomplir tous les préceptes divins.
Cependant Pelage, ayant été blâmé par ses frères de ce qu'il rejetait le
secours de la grâce divine pour l'accomplissement des commandements, céda à
leur observation, mais en partie seulement. Il disait alors que la grâce était
donnée aux hommes afin qu'ils accomplissent plus facilement, par son
moyen, ce qu'ils devaient faire par le libre arbitre. La grâce n'était pas pour
lui un don premier, au-dessus de la nature. Mais il affirmait encore que cette
grâce, sans laquelle nous ne pouvons faire aucun bien, n'est pas différente du
libre arbitre que notre nature a reçu de Dieu, et que Dieu aide par sa Loi et
par sa doctrine. Aussi le Christ est-il simplement un modèle qui nous encourage
à nous perfectionner dans la justice et à devenir meilleurs. Saint Augustin a
combattu avec toute l'intensité de sa foi cette hérésie, notamment par deux de ses écrits : De spiritu et littera et
De natura et gratia. Il y proclame la nécessité de la grâce qui, loin
d'être contre nature, la libère et la surélève. Parmi les actes du Magistère
condamnant cette hérésie, citons notamment ceux du Concile de Carthage de 418
qui la réfute en 9 canons.
Contre cela Augustin2
rapporte que le Seigneur dit que ces demeures sont dans la maison de Dieu. Or
rien n'est plus dans le royaume que la maison : car le royaume est
constitué de cités, et les cités de quartiers, et les quartiers de maisons.
Donc si les demeures sont dans la maison, il est manifeste qu'elles sont dans
le royaume.
SINON, JE VOUS
L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU.
1857. Ensuite, il
montre qu'il serait capable de leur préparer un lieu si cela était nécessaire.
En effet, quelqu'un
pourrait dire : C'est vrai que, dans la maison de son Père, de nombreuses
demeures ont été préparées ; parce que si cela n'était pas nécessaire, il
n'aurait pas à les préparer. Et c'est pourquoi le Seigneur, excluant cela, dit
que SINON, c'est-à-dire si les demeures n'avaient pas été préparées, JE VOUS
L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU.
Là il faut voir ce
qu'il dit : VOUS PRÉPARER UN LIEU. Or on prépare un lieu de deux manières.
D'une manière, quand on le dispose en lui-même, par exemple quand on nettoie ou
qu'on agrandit un lieu - Élargis l'espace de ta tente3. D'une autre manière, quand on donne à quelqu'un la possibilité
d'entrer ; de là vient que le psaume demandait : Sois-moi un Dieu
protecteur et un lieu fortifié4, comme s'il disait : que j'aie toujours la possibilité d'entrer. Et
on peut comprendre cela de deux manières. Si en effet ce lieu était quelque
chose de tel qu'il eût un défaut ou qu'il fût quelque chose de créé, il
appartiendrait à ma puissance de le perfectionner, car toute créature est
soumise à la puissance du Verbe - Tout a été fait par lui5. Si donc il était tel qu'il eût un défaut, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE
VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Mais le lieu en lui-même a été préparé. En effet,
ce lieu est Dieu lui-même, comme il a été dit, en qui réside l'excellence de
toutes les perfections. Mais peut-être n'avez-vous pas la possibilité
d'entrer ; et c'est pourquoi SINON, c'est-à-dire si vous n'aviez pas la
possibilité d'entrer et n'aviez pas été prédestinés à ce lieu, JE VOUS L'AURAIS
DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. En effet il est en mon pouvoir de
vous prédestiner à ce lieu. Car lui-même, avec le Père et l'Esprit Saint, nous
a prédestinés à la vie éternelle - Il nous a élus en lui-même6.
1. Jn 3, 5. Voir vo1. I, nos 431-435.
2. Loc. cit., LXVII, 3, BA 74A, p. 225-227. Les pélagiens n'acceptaient pas que les nouveau-nés
morts sans baptême soient damnés, mais ils inventaient pour les besoins de la
cause une distinction entre des « maisons » célestes, lieux
intermédiaires qui leur seraient accessibles, et le « royaume de Dieu »,
réservé aux seuls baptisés.
II
ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN
LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, POUR QUE LÀ OÙ
MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI. (14, 3)
3. Is 54, 2.
4. Ps 70, 3.
5. Jn 1, 3.
6. Ep 1, 4.
1858. Mais parce que
plus haut il avait dit : Où moi je vais, tu ne peux pas me suivre à
présent1, il ajoute, afin qu'ils ne croient pas qu'ils seront définitivement
séparés de lui : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ
UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, POUR QUE LÀ OÙ
MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI. Là, il présente la seconde promesse, à savoir
celle de les faire entrer dans le royaume. Il semble qu'il y ait là une
contradiction dans ses paroles. En effet il dit : SINON JE VOUS L'AURAIS
DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU, indiquant par là qu'il ne va pas pour
préparer un lieu. Or ici il dit : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE
VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, il indique qu'il va pour préparer un lieu. Mais il
faut dire que, d'une première manière, on pourrait lire cela « ensemble2 »,
et alors le sens serait : SINON, c'est-à-dire si cela était nécessaire, JE
VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Et il redit :
SINON JE VOUS L'AURAIS DIT, c'est-à-dire si je m'en vais et que je vous prépare
un lieu.
Mais selon Augustin
on lit « séparément », de sorte qu'il y a une conclusion autre que
celle-là. Et il faut dire que le Seigneur a PRÉPARÉ en prédestinant de toute
éternité et qu'il a PRÉPARÉ en exécutant3. Et il a PRÉPARÉ par son départ. Donc ce
qu'il a dit en premier lieu, c'est-à-dire que les demeures avaient été
préparées, on le comprend de la première préparation de toute éternité ;
mais ce qu'il dit ici - QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ –
se comprend de l'exécution de la
prédestination éternelle4.
1859. Or le Seigneur
par son départ nous a préparé un lieu de cinq manières.
Premièrement en
donnant le lieu de la foi. En effet, puisque la foi porte sur des choses qu'on
ne voit pas5, elle n'existait pas chez les disciples à
l'égard du Christ quand ils le voyaient en personne. Donc, il s'éloigna d'eux
pour que celui qu'ils avaient par la présence corporelle et qu'ils voyaient par
les yeux du corps, ils l'aient par une présence spirituelle, et le distinguent
par l'œil de l'esprit : et c'est cela, avoir par la foi6. En
second lieu, en leur montrant le chemin pour aller vers ce lieu - Il monte
en ouvrant le
chemin devant eux1. En troisième lieu, en priant pour eux - Sy approchant par lui-même de Dieu, il peut
sauver8. - Celui qui monte sur le ciel est ton aide9. En quatrième lieu, en les attirant en haut - Entraîne-moi à ta suite10. - Si
vous êtes ressuscites avec le Christ, recherchez les choses d'en haut11. En cinquième lieu, en
leur envoyant l'Esprit-Saint - L'Esprit
n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié 1.
1. Jn 13, 36.
2. A savoir les
versets 2 et 3 : Sinon je vous l'aurais dit : je vais vous
préparer un lieu, et : Quand je m'en serai allé et que je vous
aurai préparé un lieu.
3. Saint Thomas distingue les deux ordres liés à la
finalité : l'ordre d'intention où la finalité est première et où tout est
ordonné en fonction d'elle ; l'ordre d'exécution qui est l'ordre des
moyens en vue de la fin, impliquant l'aspect de la réalisation.
4. Tract, in Io., LXVIII, 1,
BA 74A, p. 231-233.
5. Cf. He 11, 1. Rappelons la manière dont saint Thomas distingue
la foi et l'opinion de l'intelligence et de la science : « La foi
implique une adhésion de l'intelligence à ce que l'on croit. Mais
l'intelligence adhère à quelque chose de deux façons. D'une manière, elle
adhère parce qu'elle y est portée par l'objet lui-même, qui est connu soit par
lui-même, comme il se voit dans les principes premiers, soit par autre chose,
comme il se voit dans les conclusions qui sont matière de science. De l'autre
manière, l'intelligence adhère à quelque chose sans y être pleinement portée
par son objet propre, mais en s'attachant volontairement par un choix à un
parti plutôt qu'à un autre. Et si l'on prend ce parti avec une hésitation ou
une crainte à l'égard de l'autre, on aura une opinion ; mais si l'on prend
parti avec certitude et sans aucun reste d'une telle crainte, on aura une foi.
Or lorsqu'on dit qu'on voit les choses, c'est qu'elles forcent notre esprit ou
nos sens à prendre connaissance d'elles. D'où il est manifeste que ni la foi ni
l'opinion ne peuvent avoir pour objet des choses qui seraient vues soit par les
sens soit par l'esprit » {Somme théo1., II-II, q. 1, a. 4,
c. ; voir aussi II-II, q. 1, a. 5, ad 4). Saint Thomas montre ici que la
foi en le mystère de l'Incarnation ne porte pas seulement sur la divinité du
Christ. Lorsque la présence corporelle du Christ disparaît, la foi des
disciples porte également sur son nouveau mode de présence, une « présence
spirituelle ».
6. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXVIII, 3, BA 74A, p.
237 : « Celui qui pérégrine loin du Seigneur a besoin de vivre de la
foi parce qu'il est préparé par elle à contempler la réalité ».
7. Mi 2, 13.
8. He 7, 25. Voir ci-dessous, n° 1910, note 2.
9. Dt 33, 26.
10. Ct 1, 3.
11. Col 3, 1.
1860. Or
l'accomplissement de la glorification du Christ eut lieu dans son
Ascension ; et c'est pourquoi, aussitôt qu'il est monté, il a envoyé
l'Esprit Saint à ses disciples. Ainsi, il leur a prédit un départ corporel, en
disant : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN
LIEU ; et ensuite il leur promet un retour spirituel, en disant : JE
VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI. Je viendrai à la fin du
monde - Il reviendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel2. ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, glorifiés en votre âme et votre corps
- Nous serons emportés avec eux dans les nuées, au-devant du Christ, dans
les airs3.
1861. Mais les
esprits des Apôtres ne sont-ils pas pris par le Christ auprès de lui avant la
fin du monde ? À cela il faut répondre que l'opinion des Grecs est que les
saints n'entrent pas au paradis avant le jour du jugement. Mais s'il en était
ainsi, alors c'est en vain que l'Apôtre aurait eu le désir d'être avec le
Christ4. Et c'est pourquoi il faut dire qu'aussitôt
que notre maison terrestre a été détruite5, quant à notre âme nous sommes avec le
Christ. Et ainsi, ce qu'il dit - JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI
PRÈS DE MOI - peut s'entendre de la venue spirituelle par laquelle le Christ
visite toujours l'Église des fidèles, et vivifie n'importe lequel des saints
dans la mort. Et le sens serait : JE VIENDRAI DE NOUVEAU vers l'Église de
manière spirituelle et continue, ET JE VOUS PRENDRAI PRÈS DE MOI, c'est-à-dire
je vous affermirai dans la foi et dans mon amour - Mon bien-aimé est monté
dans le parterre des aromates6, c'est-à-dire dans l'assemblée des saints, pour
qu'il paisse, c'est-à-dire qu'il se délecte dans leurs vertus, et
cueille des lis, c'est-à-dire qu'il attire à lui les âmes pures, quand il
vivifie les saints dans la mort.
1862. Ensuite il
montre le fruit, en disant : POUR QUE LÀ OU MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI,
c'est-à-dire : où est la Tête, que soient les membres ; où est le
Maître, que soient les disciples - Où sera le corps, là aussi s'assembleront
les aigles7. - Où moi je suis, là aussi sera mon
serviteur8.
b) Le chemin par lequel il devait s'en aller.
1863. Plus haut le
Seigneur a fortifié ses disciples quant à son départ, leur promettant qu'ils
auraient accès auprès du Père ; ici il parle du chemin par lequel ils vont
vers le Père. Or on ne connaît pas un chemin sans son terme, et c'est pourquoi
il parle aussi du terme ; et il présente d'abord le chemin et le terme,
comme étant connus d'eux ; après quoi il manifeste ce qu'il a présenté [n°
1865].
1. Jn 7, 39.
2. Ac 1, 11.
3. 1 Th 4, 16.
4. Cf. Ph 1,
23 : Et je me sens pressé des deux côtés, désirant d'être dissous et
d'être avec le Christ, chose bien meilleure pour moi.
5. Cf. 2 Co 5, 1.
6. Ct 6, 1. La
Vulgate dit : Dilectus meus descendit, mon bien-aimé est descendu.
7. Mt 24, 28.
Saint Thomas commente : « Remarquez qu'en hébreu on trouve anathe,
ce qui est la même chose que cadavre, aussi a-t-il voulu désigner la
Passion du Christ, parce qu'alors le Christ viendra montrant les marques de sa
Passion, et il emploie une comparaison : Où sera le corps, là aussi
s'assembleront les aigles. - Nous serons emportés dans les nuées à la rencontre
du Seigneur (1 Th 4, 16). Mais certains sont des aigles, et d'autres des
vautours et des corbeaux. Mais il ne dit pas "les vautours" ou
"les corbeaux", mais les aigles, qui désignent les saints - Ils
déploieront leurs ailes comme des aigles, ils voleront et ne s'épuiseront pas (Is
40, 31). Ainsi, comme le dit Jérôme, partout où il sera fait mémoire de la
Passion du Christ, les saints doivent être rassemblés par la mémoire
continuelle de sa Passion - Rappelez-vous les jours d'autrefois où,
illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10,
32) » (Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Voir aussi vo1. I, n° 1558, note 10, le commentaire de 1 Th
4, 15. Voir aussi ci-dessous, n° 2256, note 4.
8. Jn 12, 26.
Le Christ présente le chemin et le terme.
ET OU MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN.
(14, 4)
1864. À ce propos, il faut savoir que le Seigneur avait
dit : QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE
VIENDRAI DE NOUVEAU vers vous. Parce
que les disciples lui demanderaient peut-être où il allait, comme ci-dessus
Pierre a demandé : Seigneur, où vas-tu ? ', le Seigneur,
sachant cela2, leur dit : ET OÙ MOI JE VAIS VOUS LE
SAVEZ, ET VOUS
SAVEZ LE CHEMIN. En
effet, je vais vers le Père, que vous connaissez, car je vous l'ai manifesté - J'ai
manifesté ton nom aux hommes3. Or le chemin par lequel je vais, je le suis, moi que vous connaissez - Nous
avons vu sa gloire4. C'est donc à juste titre qu'il a dit : OÙ MOI JE VAIS VOUS LE
SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN, parce qu'ils connaissaient le Père par le
Christ, et avaient appris à connaître le Christ en vivant avec lui5, et
par sa présence.
Il rend clair ce qu'il a affirmé.
1865. Le Seigneur
éclaire ensuite ce qu'il a affirmé ; et l'Évangéliste commence par
présenter l'occasion de cette révélation (manifestatio), puis il donne
cette révélation [n° 1867].
THOMAS LUI DIT : « SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OÙ
TU VAS. ET COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? » (14, 5)
1866. L'occasion de
la révélation faite ici par le Christ fut le doute de Thomas qui interroge.
THOMAS LUI DIT : « SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OÙ TU VAS. ET COMMENT
POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? » Là, remarque que Thomas nie les
deux choses que le Seigneur a affirmées ; car le Seigneur a dit qu'ils
savaient à la fois le chemin et le terme du chemin ; or Thomas dit qu'il
ne sait pas le chemin, ni le terme ; cependant l'un et l'autre sont vrais.
Car il est vrai qu'ils savaient, cependant ils ne savaient pas qu'ils savaient6. En
effet, beaucoup savaient à propos du Père et du Fils des choses qu'ils avaient
apprises du Christ ; mais ils ignoraient que le Père était celui
vers qui le Christ allait et que le Fils était le chemin par lequel il allait.
En effet, il est difficile d'aller vers le Père ; et il n'est pas étonnant
qu'ils l'aient ignoré, parce que, bien qu'ils connussent parfaitement le Christ
en tant qu'homme, ils reconnaissaient cependant imparfaitement sa divinité - L'oiseau
a ignoré son sentier7.
Et il ajoute :
COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? La connaissance du chemin dépend
en effet de la connaissance du terme ; donc, parce que le terme nous est
inconnu - Il habite une lumière inaccessible 8 -, son chemin nous est impénétrable, selon
ce passage de l'Épître aux Romains : Ses chemins sont impénétrables \
1. Jn 13, 36.
2. Cf. saint Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIII, 2, PG 59, co1. 387 :
« En disant : "Vous savez", il dévoile le désir de leur esprit et leur donne l'occasion
de l'interroger ».
3. Jn 17, 6.
4. Jn 1, 14.
5. Saint Thomas utilise le mot conversatio.
6. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXIX, 1, BA 74\ p. 245 : « C'est donc qu'ils
savaient et qu'ils ignoraient qu'ils savaient. Que le Seigneur les convainque
qu'ils savent déjà ce qu'ils pensent ne pas savoir encore ».
7. Jb 28, 7.
8. 1 Tm 6, 16. Voir vo1. I, n° 454,
note 11.
II
JÉSUS LEUR DIT : « MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA
VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI. SI VOUS M'AVIEZ
CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE. ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET
VOUS L'AVEZ VU. » (14, 6-7)
1867. Le Seigneur
révèle ensuite les deux choses qu'il leur avait annoncées. D'abord le chemin et
son terme ; ensuite le fait qu'ils connaissaient l'un et l'autre [n°
1876].
MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE
VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI.
En premier lieu, il
révèle ce qu'est le chemin ; en second lieu ce qu'est le terme [n° 1873].
1868. Le chemin,
comme il a été dit, est le Christ lui-même, et c'est pourquoi il dit : MOI
JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. Et cette affirmation n'est pas sans
raison, car par lui nous avons accès auprès du Père, comme il est dit dans
l'Épître aux Romains2. Cela convient aussi à son propos : il
veut montrer clairement le doute du disciple qui l'interroge.
Et parce que ce
chemin n'est pas distant du terme mais lui est conjoint, il ajoute : LA
VÉRITÉ ET LA VIE ; et ainsi lui-même est en même temps le chemin et le
terme. Le chemin, certes, selon son humanité, le terme selon sa divinité. Ainsi
donc, selon qu'il est homme, il dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN ; et
selon qu'il est Dieu, il ajoute : LA VÉRITÉ ET LA VIE. Ces deux mots
désignent de manière convenable le terme de ce chemin.
Car le terme de ce
chemin est la fin du désir humain. Or l'homme désire avant tout deux
choses : premièrement, la connaissance de la vérité, ce qui lui est
propre ; en second lieu la conservation3 de son être, ce qui est commun à toutes les
réalités. Or le Christ est le chemin pour parvenir à la connaissance de la
vérité, bien que cependant il soit lui-même la Vérité - Conduis-moi, Seigneur, dans ta vérité et
que je marche dans ta voie4. Le Christ est aussi le
chemin pour parvenir à la vie, bien qu'il soit lui-même la Vie - Tu m'as
fait connaître les chemins de la vie5. Et c'est pourquoi il a désigné le terme de
ce chemin par la vérité et la vie ; ces deux mots ont été dits plus haut à
propos du Christ. Il a d'abord été dit qu'il est lui-même la Vie - En
lui-même était la vie -, et ensuite qu'il est la Vérité, parce qu'il était la lumière des hommes6, et que la lumière est la
vérité.
1869. Il faut noter
que ces deux termes conviennent en propre, par eux-mêmes, au Christ. La vérité,
en effet, lui convient par soi parce que lui-même est le Verbe. La vérité, en
effet, n'est rien d'autre que l'adéquation de la réalité à l'intelligence ], qui
se fait quand l'intelligence conçoit la réalité telle qu'elle est. Donc la
vérité de notre intelligence appartient à notre verbe2, qui
en est la conception. Mais cependant bien que notre verbe soit vrai, il n'est
pourtant pas la vérité elle-même, puisqu'il n'existe pas par lui-même mais
qu'il provient de l'adéquation à la réalité conçue. Donc la vérité de
l'intelligence divine appartient au Verbe de Dieu. Mais parce que le Verbe de
Dieu est vrai par lui-même, puisqu'il n'est pas mesuré par les réalités mais
que les réalités, dans la mesure où elles sont vraies, parviennent à sa
ressemblance, de là vient que le Verbe de Dieu est la Vérité elle-même. Et
parce que nul ne peut connaître la vérité s'il n'adhère pas à la Vérité, il
faut que tout homme qui désire connaître la vérité adhère à ce Verbe.
1. Rm 11, 33.
2. Cf. Rm 5,
2 : Lui à qui nous devons d'avoir accès, par la foi, à cette grâce où
nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de
Dieu.
3. Saint Thomas,
en disant sui esse continuationem, parle en effet de la conservation de
l'être, concernant toutes les réalités. Dans la question de la Somme
théologique où il traite de la loi naturelle, saint Thomas distingue trois
niveaux : « C'est selon l'ordre des inclinations naturelles que se
prend l'ordre des préceptes de la loi naturelle. En effet, il y a en premier
lieu dans l'homme une inclination à chercher le bien, selon la nature, qu'il a
en commun avec toutes les autres réalités : toute réalité recherche la
conservation de son être, selon sa nature propre. (...) En second lieu, il y a
dans l'homme une inclination à chercher certains biens plus spéciaux,
correspondant à la nature qui lui est commune avec les autres animaux. Ainsi
appartient à la loi naturelle ce que "la nature enseigne à tous les
animaux", comme l'union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc.
En troisième lieu, il y a dans l'homme une inclination à chercher le bien
correspondant à sa nature rationnelle, qui lui est propre : ainsi a-t-il
une inclination naturelle à connaître la vérité sur Dieu, et à vivre en
communauté » (Somme théol, I-II, q. 94, a. 2, c).
4. Ps 85, 11. La
Vulgate dit l'inverse : Conduis-moi, Seigneur, dans ta voie, et que je
marche dans ta vérité.
5. Ps 15, 11.
Saint Thomas commente : « Cela s'applique au Christ pour ses
membres ; et ces chemins sont ses enseignements et ses préceptes, qui sont
des chemins vers la béatitude - Garde mes commandements et tu vivras (Pr
7, 2). Et c'est pourquoi il dit : Tu m'as fait connaître les chemins de
la vie » (Exp. in Psalmos, 15, n° 7).
6. Jn 1, 4.
Quant à la vie, elle
lui convient en propre parce que toute réalité qui a par elle-même quelque
opération est dite vivante. Et on dit non vivantes les réalités qui n'ont pas
par elles-mêmes le mouvement. Parmi les opérations de la vie, il y a avant tout
les opérations intellectuelles : c'est pourquoi l'intelligence elle-même
est dite vivante, et son action est une certaine vie. Or en Dieu l'acte
d'intelligence et l'intelligence ne font qu'un3 : d'où il est manifeste que le Fils,
qui est le Verbe de l'intelligence du Père, est sa vie. Ainsi donc le Christ
s'est désigné lui-même comme le Chemin, et le chemin conjoint au terme :
parce que lui-même est le terme ayant en lui tout ce qui peut être désiré, puisqu'il
est la Vérité et la Vie.
1870. Si donc tu
cherches par où passer, accueille le Christ, parce qu'il est lui-même le Chemin - Voici le chemin, marchez-y 4. Et Augustin dit5 :
« Avance par l'homme, et tu parviendras à Dieu. » II vaut mieux en
effet boiter sur le chemin qu'avancer fermement en dehors du chemin. Car celui
qui boite sur le chemin, même s'il avance peu, s'approche du terme ; quant
à celui qui marche en dehors du chemin, plus il court fermement, plus il
s'éloigne du terme. Mais si tu cherches où aller, adhère au Christ, parce que
lui-même est la Vérité à laquelle nous désirons parvenir - Ma bouche
méditera ta vérité6. Si tu cherches où demeurer, adhère au Christ parce que lui-même est la Vie - Celui qui me
trouvera, trouvera la vie7.
Adhère donc au Christ
si tu veux être en sûreté : en effet tu ne pourras pas dévier, parce qu'il
est lui-même le Chemin. Aussi ceux qui adhèrent à lui ne marchent pas où il n'y
a pas de route, mais par un chemin droit - Je te montrerai le chemin de la
sagesse8. Et, au contraire, il est dit de certains : Ils n'ont pas trouvé le chemin vers une cité habitée9. De même on ne peut être trompé, parce que lui-même est la Vérité et
enseigne toute vérité - Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci :
rendre témoignage à la venté10. De même encore, on ne peut être troublé parce que lui-même
est la Vie et donne la vie - Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie, et qu'on l'ait surabondante1. Car, comme dit Augustin2, le Seigneur dit : MOI JE SUIS LE
CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE comme s'il disait : Par où veux-tu
aller ? MOI JE SUIS LE CHEMIN. Où veux-tu aller ? MOI JE SUIS LA
VÉRITÉ. Où veux-tu demeurer ? MOI JE SUIS LA VIE. En effet, comme le dit
Hilaire3, il ne conduit pas par des voies trompeuses,
lui qui est le Chemin, il ne trompe pas par des mensonges, lui qui est la
Vérité, il ne laisse pas dans l'erreur de la mort, lui qui est la Vie.
1. Pour la créature rationnelle, la vérité est l'adéquation de
l'intelligence à la réalité, mais pour l'intelligence divine, vraie en elle-même, qui est mesure et cause de
toutes les réalités, la vérité est précisément l'adéquation de la réalité à
l'intelligence. Voir Somme théol, I, q. 16, a. 5, c.
2. Sur le sens du
mot verbum, voir vo1. I, n° 25.
3. C'est Aristote qui le premier, en contemplant le mystère de Dieu, met en lumière que
l'Intelligence première est son acte de penser,
et qu'elle se pense elle-même, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus excellent et que « sa pensée
est la pensée de la pensée » {Métaphysique, A, ch. 9, 1074 b 34).
Voir aussi Somme théol, I, q. 14, a. 4.
4. Is 30, 21.
5. Sermones de Scripturis, 141, IV, PL 38, co1. 777-778. L'éd.
Marietti met une seule phrase entre guillemets mais en fait tout l'alinéa est
une citation ad litteram, morcelée, du texte de saint Augustin.
6. Pr 8, 7.
7. Pr 8, 35.
8. Pr4, 11.
9. Ps 106, 4.
10. Jn 18, 37.
1871. On peut
expliquer cela autrement. Il y a trois choses dans l'homme qui sont liées à sa
sainteté, à savoir son action, sa contemplation et son intention4 ;
et ces choses sont menées à leur perfection par le Christ. Car pour ceux qui
exercent une activité, le Christ est le Chemin ; pour ceux qui persévèrent
dans la contemplation, le Christ est la Vérité ; mais il dirige
l'intention des actifs et des contemplatifs vers la Vie, c'est-à-dire la vie
éternelle5. Il enseigne en effet à aller et à prêcher
pour le siècle à venir6. Ainsi donc, le Seigneur est pour nous le
chemin par lequel nous allons vers lui, et par lui vers le Père.
1872. Mais puisque
lui, qui est le Chemin, va vers le Père, est-il à lui-même son propre
chemin ? Comme dit Augustin7, il est le Chemin et celui qui va par le
Chemin, et le lieu où il va : c'est pourquoi lui-même va par lui-même vers
lui-même. Car en tant qu'homme il est le Chemin : c'est pourquoi il est
venu par la chair, en demeurant où il était ; et il s'en va par la chair,
sans quitter le lieu d'où il est venu ; par la chair aussi il revient vers
lui, la Vérité et la Vie : car Dieu était venu par la chair vers les
hommes, la Vérité vers les menteurs, la Vie vers les mortels - Dieu, en
effet, est véridique, mais tout homme est menteur91. Or, quand il a quitté les hommes pour aller là où personne ne ment, il
a élevé sa chair, lui-même qui est le Verbe fait chair, et par sa chair il est
retourné vers la Vérité qu'il est lui-même. Et c'est comme si je disais :
mon esprit, tandis que je parle à d'autres, part vers eux, et cependant ne me
quitte pas : mais quand je me suis tu, je retourne en quelque sorte vers
moi, et je demeure avec ceux à qui je parle. Ainsi donc le Christ, qui pour
nous est le Chemin, s'est fait le chemin pour lui-même aussi, c'est-à-dire pour
sa chair, pour aller vers la Vérité et la Vie.
1. Jn 10, 10.
2. Serm. de Scr., 142, I, PL
38, co1. 778.
3. La Trinité, VII, 33, SC 448, p. 353-355.
4. Ce sont les trois aspects de l'image de Dieu en l'homme :
le dominium (l'action), l'intelligence (la contemplation) et la volonté
(l'intention). Mais ces trois aspects sont ici liés à la finalité, à leur acte.
Et par ces actes finalisés, l'homme ressemble à Dieu. Sur les différentes
similitudes entre Dieu et l'homme, voir ci-dessous, note 5 du n° 1879. Voir
aussi Somme théol, I, q. 93, a. 7 et a. 8.
5. Saint Thomas reprend ici le commentaire de Théophylacte sur ce
verset (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc., PG 124, co1. 171 C).
6. Cf. Me 10, 30 ; Ep 1, 21.
7. Ce paragraphe reprend les affirmations principales d'un
développement plus long du Tract, in Io., LXIX, 2-4, BA 74A, p. 247-259.
PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI.
1873. Il éclaire
ensuite les questions qui s'étaient posées à propos du terme du chemin. Or le
chemin, qui est le Christ, comme il a été dit, conduit vers le Père. Mais parce
que le Père et le Fils sont un, ce chemin conduit aussi à lui-même. Et c'est
pourquoi le Christ dit qu'il est le terme du chemin. PERSONNE, dit-il, NE VIENT
AU PÈRE SINON PAR MOI.
1874. Mais il faut
savoir que, comme dit l'Apôtre, personne
ne connaît les choses de l'homme si ce n'est son esprit qui est en lui9 ; il faut
comprendre : si ce n'est dans la mesure où l'homme veut se manifester. Or
quelqu'un manifeste son secret par son verbe, et c'est pourquoi nul ne peut
pénétrer le secret de l'homme si ce n'est par le verbe de l'homme. Donc puisque
personne ne sait les choses de Dieu si ce n'est l'Esprit de Dieu *, nul
ne peut venir à la connaissance du Père si ce n'est par son Verbe, qui est son
Fils - Et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils2. Et de même que l'homme, voulant se révéler par le verbe de son cœur
qu'il profère par sa bouche, revêt en quelque sorte ce même verbe de lettres ou
d'une voix, ainsi Dieu, voulant se manifester aux hommes3,
revêt de la chair, dans le temps, son Verbe conçu de toute éternité. Et ainsi
nul ne peut parvenir à la connaissance du Père si ce n'est par le Fils. C'est
pourquoi il dit : Moi je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il
sera sauvé4.
8. Rm 3, 4, qui se réfère au Ps 115, 11.
9. 1 Co 2, 11.
1875. Mais il faut
noter, selon Chrysostome, que plus haut le Seigneur dit : Nul ne peut
venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire5, alors qu'ici il dit : PERSONNE NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI. En
cela est montrée l'égalité du Fils et du Père6. Ce qui est le chemin apparaît donc, c'est
le Christ ; et ce qui est le terme, c'est le Père.
SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE. ET
DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU. (14, 7)
1876. Il montre
ensuite que les disciples connaissent ces deux choses, à savoir le lieu où il
va et le chemin, et d'abord il en donne la manifestation ; ensuite il
exclut le doute qui s'élève [n° 1882]. Premièrement, il montre que la
connaissance qu'on a du Fils ne va pas sans la connaissance qu'on a du Père. En
second lieu il manifeste où en sont les disciples par rapport à la connaissance
du Père [n° 1880].
1. Ibid.
2. Mt 11, 27. Cf. ci-dessus, n° 1830, note 8.
3. Somme
théo1., III, q. 1, Sur les convenances de l'Incarnation. Citons
notamment : « Par le mystère de l'Incarnation nous sont manifestées à
la fois la bonté, la sagesse, la justice et la puissance de Dieu » (a. 1, sed
contra).
4. Jn 10,9.
5. Jn 6, 44.
6. In Ioannem nom., LXXIII, 2, PG 59, co1. 388.
Sitôt après avoir rappelé une
première parole du Christ (le Père attire vers le Christ, rf· Jn 6, 44), saint
Jean Chrysostome plaçait conjointement une autre affirmation grâce à laquelle
la conclusion sur l'égalité du Fils avec le Père est plus claire : Quand
j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Jn 12, 32). En effet,
comment le Père et le Fils peuvent-ils exercer la même attraction s'ils ne sont
pas égaux ?
SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE.
1877. Il dit donc en
premier lieu : Je vous ai dit que je suis le Chemin, et que vous
connaissez le chemin, c'est-à-dire moi ; donc vous savez aussi où je vais,
parce qu'on ne peut avoir la connaissance de moi-même sans la connaissance du
Père. Et c'est ce qu'il dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ
CONNU AUSSI MON PÈRE.
1878. Plus haut il
dit aux Juifs : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être
aussi mon Père !1 Pourquoi donc dit-il : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU
AUSSI MON PÈRE, alors que plus haut il dit peut-être ? Il semble
que là il ait douté de ce qu'ici il affirme.
Mais il faut dire
qu'alors il parlait aux Juifs qu'il blâmait ; et c'est pourquoi il ajoute peut-être,
non qu'il doute, mais parce qu'il les blâme. Mais ici, il parle aux
disciples qu'il instruit : et c'est pourquoi il leur présente la vérité
avec une affirmation, en disant : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU
AUSSI MON PÈRE, comme s'il disait : Si vous connaissiez ma grâce et ma
dignité, vous connaîtriez aussi celles du Père. Car rien ne fait mieux
connaître une réalité que son verbe et son image ; or le Fils est
le Verbe du Père - Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès
de Dieu8. - Et le Verbe s'est fait chair, et il a
habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire, gloire qu 'il tient de son Père
comme Fils unique, plein
de grâce et de vérité1. Le Fils est aussi l'image du Père - [Lui] qui est l'image du Dieu
invisible2. - Lui qui étant la splendeur de sa gloire
et l'empreinte de sa substance3. Donc, c'est dans le Fils que le Père est connu, comme dans son Verbe et
sa propre image4.
7. Jn 8, 19.
8. Jn 1, 1.
1879. Mais il faut
remarquer que, dans la mesure où une chose accède à la ressemblance du Verbe du
Père, dans cette même mesure le Père est connu en elle, et de même dans la
mesure où cette réalité a quelque chose de l'image du Père. Or, puisque tout
verbe créé est une certaine similitude de ce Verbe, et que dans toute réalité
on trouve une similitude de la divinité - ou une similitude d'image ou une
similitude de vestige5 -, mais une similitude imparfaite, de là
vient que ce que Dieu est en lui-même ne peut être connu parfaitement par
aucune créature ni par aucune intelligence ni conception d'une intelligence
créée6 ; mais seul le Verbe, l'unique engendré, qui est parfait et qui
est la parfaite image du Père, connaît et comprend cela même qui est du Père.
Aussi, selon Hilaire7, ces
paroles peuvent s'enchaîner autrement. Car quand le Seigneur dit : PERSONNE
NE VIENT AU PÈRE SINON PAR MOI, Arius, interrogé sur la manière d'aller au Père
par le Fils, répond que c'est par l'enseignement de sa doctrine, c'est-à-dire
dans la mesure où le Fils instruit les hommes à propos du Père par sa doctrine
- Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes8. Mais le Seigneur, excluant ceci, dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS
AURIEZ CONNU AUSSI MON PÈRE, comme pour dire : Arius ou tout autre homme
peut bien parler du Père, mais nul n'est assez grand pour que, étant connu, le
Père soit connu, si ce n'est le Fils qui est de même nature que lui.
1. Jn 1, 14.
2. Col 1, 15.
3. He 1, 3. Cf. vo1. I, n° 1278, note
4. Voir aussi ci-dessus, n° 1662, note 2.
4. Voir ci-dessus, n° 1712 et note 4.
5. Voir Somme théol, I, q. 33, a. 3 ; q. 45, a. 7.
Saint Thomas, pour parler du lien qu'une créature peut avoir avec Dieu, met en
lumière quatre similitudes : la similitude de vestige, pour les créatures
irrationnelles ; la similitude d'image, pour les créatures
rationnelles ; la similitude de grâce, pour ceux qui, ayant reçu le don de
la grâce, sont destinés à l'héritage de la gloire éternelle ; la
similitude de gloire, pour ceux qui possèdent déjà l'héritage de la gloire
(voir q. 33, a. 3, a). Par rapport au mystère de la Très Sainte Trinité, il dit
aussi que « dans les créatures rationnelles, en qui il y a l'intelligence
et la volonté, on trouve une similitude (similitudo) de la Trinité par
mode d'image, en tant qu'on trouve en elles le verbe qui conçoit et l'amour qui
procède. Mais dans toutes les créatures on trouve une similitude (similitudo)
de la Trinité par mode de vestige » (q. 45, a. 7, a). Il montre
également la différence entre le Verbe, Image du Père, et la créature qui est à
l'image de Dieu (q. 35, a. 2, ad 3), ainsi que le rapport du Verbe à la
créature (q. 34, a. 3). Sur l'image de Dieu chez l'homme, voir aussi op.
cit., I, q. 93.
6. Cf. Somme théo1., I, q.
12, a. 7.
7. La Trinité, VII, 33, SC 448, p. 355.
ET DORÉNAVANT VOUS
LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU.
1880. Il montre
ensuite où en sont les disciples par rapport à la connaissance du Père. Or le
Seigneur avait dit plus haut à ses disciples qu'ils connaissaient le Père, en
disant : Où moi je vais vous le savez9. Et cela Thomas l'a nié, en disant : Seigneur, nous ne savons
pas où tu vas 10. Et c'est pourquoi ici le Seigneur montre
que d'une certaine manière ils connaissent le Père, afin de montrer que sa
parole est vraie, et que d'une autre manière ils ne le connaissent pas, de
sorte que la parole de Thomas est vraie. Il expose par rapport à cela une
double connaissance du Père : l'une à venir, l'autre qui était dans le
passé.
Donc il dit que
DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ. Il dit DORÉNAVANT puisqu'il y a deux
connaissances à propos du Père. L'une parfaite, qui est par la vision immédiate
de Dieu, et que nous aurons dans la Patrie - Quand il apparaîtra, nous
serons semblables à lui11 ; l'autre imparfaite, qui existe par un miroir et en énigme, et que nous
avons par la foi - Nous voyons maintenant par un miroir, en énigme 1.
Donc cette parole peut
s'entendre de chacune des deux ; et le sens serait : DORÉNAVANT VOUS
LE CONNAÎTREZ, selon une connaissance parfaite, dans la Patrie - Je vous annoncerai
des choses à propos du Père ouvertement2 -, comme s'il disait : C'est vrai que vous ne le connaissez pas
d'une connaissance parfaite, mais DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, quand le
mystère de ma Passion aura été accompli. Ou : DORÉNAVANT, c'est-à-dire
après ma Résurrection et mon Ascension et l'envoi de l'Esprit Saint, VOUS LE
CONNAÎTREZ d'une connaissance parfaite de foi, parce que, quand viendra
l'Esprit Paraclet, celui-là vous enseignera tout3. Ainsi donc, tu dis vrai parce
que tu ne le connais pas d'une connaissance parfaite ; mais moi je dis
vrai, parce que vous l'avez vu - Après cela il a été vu sur la terre et il a
vécu avec les hommes4. Ils ont vu en effet le Christ, selon qu'il a assumé notre chair en
laquelle était le Verbe, et dans le Verbe, le Père : c'est pourquoi en lui
ils ont vu le Père - C'est de lui que je suis, et c'est lui qui m'a envoyé5.
8. Jn 17, 6.
9. Jn 14, 4.
10. Jn 14, 5.
11. 1 Jn 3, 2.
1881. Mais remarque
que le Père n'était pas dans la chair par l'unité de personne, mais il était
dans le Verbe incarné par une unité de nature, et le Père était vu dans le Christ incarné - Nous avons vu sa gloire,
gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de venté 6.
c) Le Christ dissipe le doute qui s'élève
chez son disciple.
1882. Ici, le
Seigneur dissipe le doute qui s'élève chez son disciple, et l'Évangéliste nous
montre premièrement l'opinion de celui qui doute ; puis il montre comment
le Christ chasse ce doute [n° 1884].
L'opinion de
celui qui doute.
PHILIPPE LUI DIT : « SEIGNEUR, MONTRE-NOUS LE
PÈRE, ET CELA NOUS SUFFIT. » (14, 8)
1883. Il faut savoir
qu'auparavant le Seigneur avait promis aux disciples une chose à venir :
la connaissance parfaite de Dieu, lorsqu'il a dit : Et dorénavant, vous
le connaîtrez7 ; et une autre chose passée : le
fait qu'ils l'ont vu. Et Philippe, en entendant cela, croyait qu'il avait vu le
Père ; mais il réclame la connaissance en disant : SEIGNEUR,
MONTRE-NOUS LE PÈRE - demande qui ne se rapporte pas à la vision mais à la
connaissance -, ET CELA NOUS SUFFIT. Cela n'est pas étonnant, puisque la vision
du Père est la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions, de sorte qu'il
n'y a rien de plus à rechercher - Tu me rempliras de joie par
ton visage8, c'est-à-dire par la vision de ton visage. - C'est lui qui
remplit de biens ton désir9.
1. 1 Co 13, 12.
2. Jn 16, 25.
3. Jn 14, 26.
4. Ba 3, 38.
5. Jn 7, 29.
6. Jn 1, 14.
7. Jn 14, 7.
8. Ps 15, 11. Voir ci-dessus, n° 1868, note 5.
9. Ps 102, 5.
Le Christ chasse ce doute.
1884. En premier
lieu est exposé le rejet du doute, puis est ajoutée la manifestation de ce qui
a été dit [n° 1892].
JÉSUS LUI DIT : « JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI
LONGTEMPS, ET VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS ? PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT
AUSSI LE PÈRE. COMMENT DIS-TU, TOI : "MONTRE-NOUS LE
PÈRE" ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE
EST EN MOI ? » (14, 9-10)
Le Seigneur commence
par reprocher [au disciple] sa lenteur, puis il établit la vérité [n° 1887].
Enfin, il blâme sa demande [n° 1890].
I
JÉSUS LUI DIT : « JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI
LONGTEMPS, ET VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS ? »
1885. Autrement dit
: du fait de l'intimité 1 prolongée dans laquelle j'ai vécu pendant si longtemps avec vous, vous
auriez dû me connaître. Et si vous m'aviez connu, vous connaîtriez aussi le
Père. Du fait donc que tu ne connais pas le Père, tu laisses entendre que tu ne
me connais pas : et en cela tu dois être blâmé pour ta lenteur - Vous
aussi, êtes-vous encore sans intelligence ?2 - Alors qu'avec le temps vous devriez être
devenus des maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers
éléments de la parole de Dieu3.
1886. Mais là un
doute se présente : plus haut le Seigneur a dit aux disciples qu'ils le
connaissaient, quand il a dit : Vous savez le chemin4, or ici il semble dire le contraire en disant : VOUS NE ME
CONNAISSEZ PAS.
Mais il faut dire,
selon Augustin5, que parmi les disciples il y en avait qui
connaissaient le Christ aussi en tant qu'il était le Verbe de Dieu, et parmi
eux, Pierre, qui dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant6 ;
et il y en avait d'autres qui ne le connaissaient pas vraiment, parmi lesquels
Philippe. À l'égard des premiers, le Seigneur dit donc : ET OÙ MOI JE
VAIS, VOUS LE SAVEZ, mais à l'égard des seconds il dit : VOUS NE ME
CONNAISSEZ PAS.
On peut dire
autrement. Le Christ pouvait être connu de deux manières : selon sa nature
humaine, et de cette manière tous le connaissaient ; quant à cela il
dit : ET OÙ MOI JE VAIS, VOUS LE SAVEZ. Et selon sa nature divine, et de
cette manière-là ils ne le connaissaient pas encore parfaitement ; c'est
pour cela qu'il dit : VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS. C'est évident d'après ce
qu'il ajoute : PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, comme pour
dire : si vous me connaissiez, vous connaîtriez le Père ; et ainsi tu
ne dirais pas : MONTRE-NOUS LE PÈRE, puisque tu l'aurais déjà vu, m'ayant
vu - Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père1.
II
PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE.
1887. Mais Sabellius8 a
pris là un appui pour son erreur, en disant : pourquoi a-t-il
dit : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, sinon parce que lui-même est à la fois le Père et le Fils ?
1. Saint Thomas emploie le mot conversatio. Sur le sens de
ce mot, voir vo1. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374,
note 13 ; n° 1584, note 2.
2. Mt 15, 16.
3. He 5, 12.
4. Jn 14, 4.
5. Tract, in Io., LXX, 2, BA
74A, p. 267.
6. Mt 16, 16.
7. Jn 8, 19.
8. Au sujet de Sabellius, voir vo1. I, n° 64, note 3.
À cela
Hilaire ! répond : s'il en était ainsi, le Seigneur aurait dit :
QUI ME VOIT, VOIT LE PÈRE sans aucune conjonction apposée ; mais puisqu'il
a ajouté une conjonction, en disant : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, il
montre la distinction. Et selon Augustin2, c'est comme si quelqu'un disait en parlant
de deux réalités semblables : « Si tu as vu celle-ci, tu as vu aussi
celle-là. » Or dans le Fils il y a une similitude du Père absolument
parfaite3 ; c'est pourquoi il dit : QUI ME
VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE. Mais dans le Fils il y a une similitude encore plus
grande que dans les hommes, parce qu'en eux la similitude ne peut jamais être
selon la même forme ou la même qualité numériquement, mais seulement selon
l'espèce ; alors que, dans le Fils, il y a numériquement la même nature
que celle qui est dans le Père ; et voilà pourquoi le Père est vu
davantage dans la vision du Fils que dans celle de n'importe quel homme, si
semblables qu'ils paraissent.
1888. Il faut noter
qu'à partir des paroles qui sont dites ici est exclue l'erreur d'Arius4
quant à deux aspects. Premièrement quant au fait qu'il nie la
consubstantialité. En effet, il est impossible que dans la vision d'une
substance créée puisse être vue une substance incréée, de même que par la
connaissance d'une substance d'un genre donné on ne peut avoir la connaissance
d'une substance d'un autre genre. Il est donc manifeste que le Fils n'est pas
une substance créée, mais qu'il est consubstantiel au Père : autrement
celui qui voit le Fils ne verrait pas le Père5.
Deuxièmement, par
rapport à ce que les ariens disent sur ce passage de la première épître à
Timothée : Au roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu6, à savoir que seul le Père
est invisible, tandis que le Fils dans sa nature aurait été vu souvent :
si cela était, il s'ensuivrait aussi que le Père aurait été vu fréquemment,
puisque celui qui voit le Fils voit aussi le Père. Donc, puisque le Père est
invisible selon sa nature, il est impossible que le Fils ait été vu dans sa
nature.
1889. Mais on peut
objecter : pourquoi le Seigneur a-t-il blâmé Philippe qui, voyant le Fils,
demandait à voir le Père, alors que n'est pas blâmable celui qui, voyant une
représentation, voudrait voir la réalité représentée ?
À cela Chrysostome7
répond en disant que Philippe, entendant parler de la vision du Père et de sa
connaissance, voulait voir le Père lui-même avec ses yeux de chair, de la même
manière qu'il pensait aussi avoir vu le Fils lui-même ; et c'est pourquoi
le Seigneur a désapprouvé cela en lui montrant que ce n'est pas le Fils
lui-même dans sa nature qu'il a vu avec son œil de chair. Augustin8,
quant à lui, dit que le Seigneur n'a pas désapprouvé la demande mais l'esprit
de celui qui demandait. Car Philippe dit : MONTRE-NOUS LE PÈRE, ET CELA
NOUS SUFFIT, comme pour dire : « Nous, nous te connaissons, mais cela
ne suffit pas. » Et ainsi croyait-il que la satisfaction parfaite n'était
pas dans la connaissance du Fils mais dans la connaissance du Père. Et par là
il semblait juger que le Fils était moindre que le Père. Et c'est cela que le
Seigneur a reproché, en disant : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PÈRE, montrant
par là qu'il y a dans la connaissance du Fils la même satisfaction que dans la connaissance
du Père.
1. La Trinité, VII,
38, SC 448, p. 363.
2. Tract, in Io., LXX, 2, BA 74A, p. 267-269.
3. Cf. Somme théo1., I, q. 35.
4. Au sujet
d'Arius, voir vo1. I, n° 61, note 2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG59, co1. 401.
6. 1 Tm 1, 17.
7. In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG 59, co1. 400.
8. Cf. Tract,
in Io., LXX, 3, BA 74A, p.
271-273 : « Philippe désirait connaître le Père comme si le Père
était meilleur que le Fils et, de ce fait, il ne connaissait même pas le Fils
puisqu'il croyait que quelque chose était meilleur que lui ».
III
COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE
PÈRE » ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE
EST EN MOI ?
1890. Voilà pourquoi
ensuite lorsqu'il dit :
COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE PÈRE » ?, il blâme
sa demande d'abord en elle-même, puis dans sa racine.
Il blâme sa demande
en disant : COMMENT DIS-TU, TOI : « MONTRE-NOUS LE
PÈRE » ?, puisque le Père est vu dans le Fils. Philippe pouvait dire
assurément : Moi qui ai parlé légèrement, que puis-je répondre ?
Je mettrai ma main sur ma bouche 1.
Il blâme cette
demande dans sa racine quand il dit : NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS
LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ?, comme s'il disait : Tu veux
avoir le Père, croyant avoir en lui l'absolu ; mais si tu crois ainsi, TU
NE CROIS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOL Car si tu
croyais cela, tu espérerais avoir en moi le même absolu que dans le Père.
1891. Or ce qu'il
dit : MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET LE PÈRE EST EN MOI, est dit à cause de
l'unité d'essence - Moi et le Père, nous sommes un2.
Il faut savoir en
effet que l'essence se rapporte autrement à la personne dans les Personnes
divines et dans les hommes. Car chez les hommes, l'essence de Socrate n'est pas
Socrate, parce que Socrate est quelque chose de composé ; mais dans les
Personnes divines, l'essence est identique à la personne selon la réalité, et
ainsi l'essence du Père est le Père et l'essence du Fils, le Fils. Donc partout
où est l'essence du Père, le Père lui-même est ; et partout où est
l'essence du Fils, le Fils lui-même est. Or l'essence du Père est dans le Fils
et l'essence du Fils est dans le Père. Donc le Fils est dans le Père et le Père
dans le Fils. Et c'est ainsi qu'Hilaire l'explique3.
d) Le Christ manifeste sa réponse à travers
des œuvres.
1892. Ici le
Seigneur manifeste sa réponse, en premier lieu à travers les œuvres qu'il fait
par lui-même, et en second lieu à travers les œuvres qu'il fera par ses
disciples [n° 1897].
1. Jb 39, 34 [BJ
40, 4]. Saint Thomas commente : « II faut ici remarquer que devant
Dieu et sa conscience Job ne s'accuse pas de mauvaise foi en ses paroles ou
d'orgueil en son intention, car il avait parlé avec pureté de cœur, mais
légèreté de langage. C'est-à-dire que même s'il n'avait pas parlé avec un
orgueil intérieur, cependant ses paroles semblaient avoir une note d'arrogance,
dont ses amis avaient pris occasion pour se scandaliser. Car il faut éviter non
seulement le mal mais aussi toute forme de mal - Abstenez-vous de toute
forme de mal (1 Th 5, 22) -, et c'est pourquoi il ajoute : Je
mettrai ma main sur ma bouche, c'est-à-dire pour ne plus jamais laisser
échapper de semblables paroles, et de toutes celles que j'ai dites je me
repens » (Exp. super lob, 39, 34, p. 212, 1. 345-357).
2. Jn 10, 30.
3. La Trinité, VII ;
39-41, SC 448, p. 363-371.
Les œuvres faites
par le Seigneur lui-même.
Il expose d'abord
les œuvres qu'il fait lui-même, puis il conclut par une exhortation sur la foi
[n° 1896].
I
LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE
MOI-MÊME. MAIS LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES. NE
CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ?
DU MOINS CROYEZ À CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES. (14, 10-12)
1893. La foi au
Christ en tant que Dieu pouvait être manifestée de deux manières : à
partir de son enseignement et à partir de ses miracles. Et plus loin le
Seigneur dit les deux : Si je n'avais pas fait parmi eux des
œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché1 - quant aux miracles ; et si je n'étais pas venu et que je ne
leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché2 - quant à son enseignement. Et plus haut, les serviteurs des princes
des prêtres disent de lui : Jamais un homme n'a parlé ainsi, comme
parle cet homme3. Et l'aveugle dit de lui : Jamais on n'a entendu dire que
quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né4.
En se servant de ces
deux choses, le Seigneur montre sa divinité. Quant au premier point il
dit : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, à savoir par l'instrument de mon
humanité, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME, mais de par celui qui est en moi,
c'est-à-dire le Père - Moi, ce que j'ai entendu de mon Père, c'est ce que je
dis dans le monde5. Donc le Père qui parle en moi est en moi. Mais puisque tout ce que dit
un homme, il est nécessaire qu'il le tienne du Verbe premier - or le Verbe
premier, c'est-à-dire le Verbe de Dieu, est du Père -, il est donc nécessaire
que toutes les paroles (verba) que nous disons viennent de Dieu. Quand
donc quelqu'un dit des paroles qu'il tient du Père, le Père est en lui.
Quant au second
point il dit : LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES, parce
que personne ne pourrait faire les œuvres que moi je fais, sans le Père - Le
Fils ne peut rien faire de lui-même6.
1894. Mais
Chrysostome7 demande comment le Christ, commençant par
des paroles, en est venu aux œuvres. Il a dit en effet : LES PAROLES QUE
MOI JE VOUS DIS, et il dit ensuite : LE PÈRE (...) FAIT LUI-MÊME LES
ŒUVRES.
Cela se résout de
deux manières. D'une première manière selon Chrysostome, qui dit, à la manière
dont on les a liés plus haut, qu'il parle d'abord de son enseignement et
ensuite de ses miracles. Selon Augustin8, il faut dire que les paroles que le
Seigneur disait, il les appelle des œuvres : L'œuvre de Dieu, c'est que
vous croyiez en celui qu'il a envoyé9. C'est pourquoi, lorsqu'il dit : LE PÈRE FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES,
il fait comprendre que ses paroles elles-mêmes sont des œuvres.
1895. Mais remarque
que c'est à partir de ces deux aspects pris séparément que des hérésies ont
trouvé leur appui : parce que ce qu'il dit - JE SUIS DANS LE PÈRE -,
Sabellius l'interprète en disant que le Père et le Fils sont le même. Et ce que
Jésus dit : JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME, Arius le comprend en concluant
à partir de là que le Fils est moindre que le Père. Mais par cela même les
hérésies en question sont exclues. Car si le Père et le Fils étaient
identiques, comme Sabellius l'imagine, le Fils ne dirait pas : LES PAROLES
QUE MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MÊME. Et si le Fils était moindre
que le Père, selon le blasphème d'Arius, il ne dirait pas l : LE PÈRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MÊME LES ŒUVRES.
1. Jn 15, 24.
2. Jn 15, 22.
3. Jn 7, 46.
4. Jn 9, 32.
5. Jn8, 26.
6. Jn 5, 19.
7. In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, co1. 401.
8. Tract, in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283-285.
9. Jn 6, 29.
II
NE CROYEZ-VOUS PAS
QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI ? DU MOINS CROYEZ À
CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES.
1896. Puisqu'à
partir des deux affirmations précédentes est manifestée la foi en la Trinité,
il conclut en les exhortant à croire :
NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN
MOI ? En grec il y a CROYEZ - à savoir, à moi - QUE MOI JE SUIS DANS LE
PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI. Ou bien : II est étonnant que vous ne
croyiez pas QUE MOI JE SUIS DANS LE PÈRE ET QUE LE PÈRE EST EN MOI. Comment
cela doit être compris, cela a été expliqué plus haut. Mais remarque qu'avant
il a parlé seulement à Philippe, alors qu'à partir du moment où il dit :
LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS..., il parle à tous les Apôtres en même temps2. Que
si les paroles que moi je vous dis ne suffisent pas à montrer la
consubstantialité, du moins CROYEZ À CAUSE DES ŒUVRES ELLES-MÊMES3.
Plus haut : Les œuvres que le Père m'a données pour que je les
accomplisse, ces œuvres mêmes que je fais, rendent témoignage de moi4. — Si vous ne voulez pas croire en moi,
croyez dans les œuvres5.
Les œuvres que le
Seigneur devait faire par ses disciples.
AMEN, AMEN, JE VOUS
LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE
FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES, PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE.
ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI, AFIN QUE LE
PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 12-13)
1897. Après avoir
manifesté ce qu'il avait dit par les œuvres qu'il faisait par lui-même, ici le
Seigneur le manifeste par les œuvres qu'il accomplira par ses disciples ;
il expose tout d'abord les œuvres des disciples, puis de quelle manière ils œuvrent
[n° 1903].
1. Ce passage reprend un développement quelque peu polémique de
saint Augustin (il faut tenir les deux extrêmes de la foi dans le Christ, homme
et Dieu), dont on perçoit encore le style ironique (cf. Tract, in Io., LXXI,
2, BA 74A, p. 279).
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXI, 2, BA 74A, p. 279.
3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG
59, co1. 401.
4. Jn 5, 36. 5. Jn 10, 38.
I
Il commence par
exposer les œuvres des disciples et, en second lieu, il donne la raison de ce
qui a été dit [n° 1902].
AMEN, AMEN, JE VOUS
LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE
FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES.
1898. Il dit donc
d'abord : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, comme s'il disait : les œuvres
que moi je fais sont si grandes qu'elles donnent une preuve suffisante de ma
divinité ; mais si elles ne vous suffisent pas, regardez les œuvres que je
vais faire par d'autres.
En effet, qu'un
homme opère, non seulement par lui-même mais encore par d'autres, des choses
extraordinaires, c'est le signe par excellence d'une grande puissance ; et
c'est pourquoi il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI
FERA LUI-MÊME AUSSI LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS - et ces paroles montrent non
seulement la vérité de la divinité dans le Christ, mais aussi la puissance de
la foi, et l'union du Christ avec les croyants. De même en effet que le Christ
opère à cause du Père qui demeure en lui par unité de nature, de même aussi les
croyants opèrent à cause du Christ qui demeure en eux par la foi - Que le
Christ habite dans vos cœurs par la foi !.
Or les œuvres que le
Christ a faites et que les disciples font par la puissance du Christ sont des
œuvres miraculeuses - Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront
cru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues
nouvelles, ils saisiront des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel,
il ne leur nuira point ; ils imposeront les mains sur les malades, et ils
seront guéris2.
1899. Mais ce qu'il
ajoute est étonnant : ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES. D'une première
manière on peut comprendre que le Seigneur fait par ses Apôtres des œuvres plus
nombreuses et plus grandes que par lui-même. Le plus grand, en effet, parmi les
miracles du Christ, fut que des malades étaient guéris au toucher de la frange
de son vêtement3, comme il est rapporté dans Matthieu4.
Mais on lit de Pierre dans les Actes des Apôtres que les malades étaient guéris
au passage de son ombre5. Or il est plus grand de guérir par son
ombre que par la frange de son vêtement6. Deuxièmement, on peut comprendre que le
Christ a fait des œuvres plus nombreuses par les paroles de ses disciples que
par les siennes. En effet, le Seigneur parle ici des œuvres qui avaient été
faites par des paroles, comme le dit Augustin, et il appelait alors œuvres ces
paroles qu'il disait et dont le fruit était leur foi7. On lit en effet à propos du Christ dans
Matthieu8, qu'à ses paroles le jeune homme ne fut pas
déterminé à vendre ce qu'il avait et à le suivre. Car, alors qu'il disait au
jeune homme : Va, et vends tout ce que tu as, on ajoute : Il s'en
alla triste. Mais à propos de Pierre et des autres Apôtres, on lit
dans les Actes9 que ceux à qui ils prêchaient vendaient
leurs possessions et tout ce qu'ils avaient et qu'ils en apportaient le prix
aux pieds des Apôtres.
1900. Mais quelqu'un
pourrait objecter que le Seigneur ne dit pas que ce sont les Apôtres qui feront
des œuvres plus grandes, mais [CELUI] QUI CROIT EN MOI. Celui qui n'a pas fait
des œuvres plus grandes que le Christ ne doit donc pas être compté parmi ceux
qui croient dans le Christ ? Au contraire ! car ce serait dur10.
Voilà pourquoi il faut comprendre autrement, et dire que le Christ fait une
œuvre double. L'une sans nous, et cela va de soi pour ce qui est de créer le
ciel et la terre, relever des morts et autres choses du même genre ;
l'autre opérée en nous, mais pas sans nous ; et c'est l'œuvre de la foi,
par laquelle l'impie est justifié1. C'est donc de ces œuvres-là que le Seigneur
parle ici, celles qui sont communes au croyant et à lui. Et c'est l'œuvre que
le Christ fait en nous, mais pas sans nous : tout homme qui croit fait la
même chose, puisque ce qui est fait en moi par Dieu est aussi fait en moi par
moi-même, à savoir par mon libre arbitre2. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Non
pas moi - sous-entendu moi seul -, mais la grâce de Dieu avec moi3. Et de ces œuvres-là il dit : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MÊME AUSSI
LES ŒUVRES QUE MOI JE FAIS, ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES parce qu'il est plus
grand de justifier l'impie que de créer le ciel et la terre. Car la
justification de l'impie, quant à elle, demeure pour l'éternité - La justice
est perpétuelle et immortelle4. Le ciel et la terre, eux, passeront, comme il est dit en
Luc5. De même, parce qu'une œuvre matérielle est ordonnée à une œuvre
spirituelle : le ciel et la terre sont une œuvre matérielle, tandis que la
justification de l'impie est une œuvre spirituelle.
1. Ep 3, 17. Voir vo1. I, n° 1207,
note 7.
2. Me 16, 17-18.
3. Pourquoi est-ce le plus grand miracle ? Ressusciter
n'est-il pas Plus grand ? Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCI,
3, BA 74B, p. 207-209.
4. Voir Mt 9, 20.
5. Voir Ac 5, 15.
6. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283.
7. Ibid. Saint Augustin donne comme exemple, outre la guérison
par le seul effet de l'ombre et la conversion de riches, le fait que les
disciples aient conduit des foules à la foi, et il rapporte la parole du Christ : Sans
moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5 ; cf. LXXII, 1, BA 74A, p. 287).
8. Voir Mt 19, 21-22.
9. Cf. Ac 4, 34-35.
10. Cf. saint Augustin, auquel
se rattache aussi tout le développement suivant (Tract, in Io., LXXII,
1, BA 74A, p. 287-291) contenant la
formule : « Faire des choses plus grandes par lui qu'en dehors de lui
n'est pas abaissement, mais condescendance ».
1901. Mais ici se
présente un doute. Car dans la création du ciel et de la terre est incluse
aussi la création des saints et des anges bienheureux. Celui qui coopère avec
le Christ en vue de sa justification fait-il donc des choses plus grandes que
de créer un ange ?
1. Selon saint Thomas, les deux grands effets de la grâce en nous
sont la justification de l'impie (effet de la grâce opérante) et le mérite
(effet de la grâce coopérante) : voir Somme théol, I-II, q. 113 et
114. Sur la grâce, voir aussi ci-dessus n° 1698, note 7.
2. Au sujet de la coopération de notre libre arbitre à ce don reçu
gratuitement de Dieu, citons ce passage de la Somme théologique :
« La nature propre de l'homme, c'est d'être doué du libre arbitre. D'où,
quand il s'agit d'un homme qui a l'usage de son libre arbitre, la motion que
Dieu lui donne pour l'amener à la justice ne va pas sans que s'exerce ce libre
arbitre. Dieu communique la grâce de la justification de telle sorte qu'il meut
en même temps le libre arbitre à accepter le don de la grâce, et cela dans tous
ceux qui sont capables de recevoir cette motion » (I-II, q. 113, a. 3, c).
Saint Thomas montre aussi que le caractère méritoire de nos actions vient de
cette coopération de notre libre arbitre que Dieu permet et porte :
« C'est ainsi que les réalités naturelles parviennent par leurs mouvements
et leurs opérations propres à ce à quoi elles sont ordonnées par Dieu, mais
cependant différemment. La créature raisonnable se porte d'elle-même à l'action
par son libre arbitre, c'est pourquoi son action est méritoire, ce qui n'existe
pas dans les autres créatures » (I-II, q. 114, a. 1, c).
3. 1 Co 15, 10.
4. Sg 1, 15.
5. Le 21, 33.
Cela, Augustin ne le
détermine pas mais il dit : « Que celui qui le peut juge s'il est
plus grand de créer des anges justes que de justifier des hommes impies :
certainement, si ces deux choses sont égales en puissance, cette dernière est
d'une plus grande miséricorde. »6 Or si nous regardons avec grande attention
de quelles œuvres le Seigneur parle ici, nous ne pouvons préférer la création
des anges à la justification de l'impie. En effet, par ce qu'il dit : ET
IL EN FERA DE PLUS GRANDES, il ne faut pas entendre toutes les œuvres du
Christ, mais peut-être seulement celles qu'il faisait à ce moment-là. Or c'est
par la parole de la foi qu'il les faisait : et certes il est moins grand
de prêcher les paroles de la justice - ce qu'il a fait sans nous - que de
justifier des impies - ce qu'il fait en nous de telle manière que nous le fassions,
nous aussi.
PARCE QUE MOI JE
VAIS VERS LE PÈRE
1902. Il donne
ensuite la raison de ce qui a été dit - que celui-là fera des œuvres plus
grandes -, en disant : PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE. Et cela peut
être interprété de trois manières, selon Chry-sostome7.
D'une première manière, en ce sens : moi j'œuvre aussi longtemps que je
suis dans le monde mais, une fois que je serai parti, c'est vous qui serez à ma
place ; et c'est pourquoi ce que moi je fais, vous, vous le ferez, et même
des œuvres plus grandes PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE, et à partir de ce
moment-là je ne fais rien par moi-même, c'est-à-dire en prêchant.
D'une autre manière
en ce sens : les Juifs croient que, quand j'aurai été tué, la foi [des
hommes] en moi va disparaître ; et cela n'est pas vrai, au
contraire elle va être augmentée, et vous, vous ferez des œuvres plus grandes
PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PÈRE ; c'est-à-dire : je ne disparais
pas, mais je demeurerai dans ma dignité propre, et je serai dans les cieux - Maintenant
a été glorifié le Fils de l'homme \
6. Tract, in Io., LXXII, 3, BA 74A, p. 297-299, repris par saint Thomas dans la Somme
théologique, III, q. 43, a. 4, ad 2.
7. In Ioannem hom., LXXIV, 2,
PG 59, co1. 402. Les trois réponses proviennent de ce passage de saint Jean
Chrysostome.
D'une troisième
manière : vous ferez des œuvres plus grandes, et cela PARCE QUE MOI JE
VAIS VERS LE PÈRE ; comme pour dire : étant donné que je serai
glorifié davantage, il convient que je fasse des œuvres plus grandes et aussi,
que je vous donne les capacités d'en faire de plus grandes. Voilà pourquoi,
avant que Jésus eût été glorifié, l'Esprit ne fut pas donné aux disciples dans
la plénitude avec laquelle il a été donné plus tard : L'Esprit n'avait
pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié2.
II
ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE
FERAI, AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 13)
1903. Le Seigneur
indique ici la manière de réaliser les œuvres ; il montre d'abord son
intention, puis il en donne la raison [1906].
ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PERE EN MON NOM, JE LE
FERAI.
1904. À ce propos il
faut savoir que, puisque le Seigneur a dit : ET IL EN FERA DE PLUS
GRANDES, on pourrait croire, puisque c'est d'après la grandeur des œuvres
qu'est reconnue la grandeur de celui qui les fait, que celui qui croit dans le
Fils de Dieu deviendra plus grand que lui3 ; le Seigneur exclut cela d'après sa
manière de faire, puisque le Fils fait ses œuvres de sa propre autorité, tandis
que celui qui croit en lui les fait en faisant appel à lui, et c'est pourquoi
il dit : ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI.
Et là l'égalité des
croyants avec le Fils est exclue de trois manières. Premièrement, parce que
ceux-là, comme nous l'avons dit, font les œuvres en faisant appel ; c'est
pourquoi il dit : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ - Quiconque demande,
reçoit*. Deuxièmement, parce qu'ils les font par la puissance du
Fils : aussi dit-il EN MON NOM, c'est-à-dire par la puissance de mon nom -
Il n'est
pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être
sauvés5. Ce nom en effet est au-dessus de tout nom6 - Non
pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire7. Troisièmement, parce que c'est le Fils lui-même qui fait en eux et par
eux toutes les œuvres, c'est pourquoi il dit : JE LE FERAI. Et remarque
que c'est au Père qu'on demande et que c'est le Fils qui fait : parce que
les œuvres du Père et du Fils sont indivisibles - Tout ce que le Père fait,
cela le Fils aussi le fait pareillement8. Car le Père fait tout par le Fils - Tout
a été fait par lui9.
1905. Mais pourquoi
dit-il : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI,
alors que nous voyons de ses fidèles demander10 et ne pas recevoir ?
1. Jn 13, 31.
2. Jn 7, 39.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXII, 1, BA 74A, p. 287-289.
4. Mt 7, 8.
5. Ac 4, 12.
6. Ph 2, 9 : C'est
pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom.
7. Ps 113 [B], 1.
8. Jn 5, 19.
9. Jn 1, 3.
10. Sur la prière
de demande, voir ci-dessous n° 2142, et surtout n° 2177, note 2, et nos
2205-2207.
Mais, selon Augustin1, ici
il faut d'abord considérer ce qu'il dit, à savoir EN MON NOM, puis ce qu'il
ajoute : JE LE FERAI.
En effet, le nom2 du
Christ est le nom du salut - Tu
l'appelleras du nom de Jésus : car c'est lui qui sauvera son peuple de ses
péchés3. Celui donc qui demande quelque chose se rapportant au salut, demande au
nom du Christ. Mais il arrive que quelqu'un demande des choses qui ne se
rapportent pas au salut pour deux raisons. En raison d'une affection
mauvaise ; par exemple, lorsqu'il demande que lui soit accordée quelque
chose qui cependant, s'il l'avait, empêcherait son salut. Et c'est pourquoi
celui qui demande ainsi n'est pas exaucé parce qu'il demande mal - Vous
demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez mal4. En effet, lorsque quelqu'un, à cause d'une affection mauvaise, usera
mal de ce qu'il veut recevoir, ce sera une plus grande miséricorde du Seigneur
qu'il ne le reçoive pas, parce que le Seigneur ne l'aura pas exaucé selon sa
demande mais plutôt en vue de son bien. Car le Seigneur, qui est bon, refuse
souvent ce que nous demandons afin d'accorder ce que nous aurions préféré.
Deuxièmement, en
raison d'une ignorance, étant donné que parfois quelqu'un demande ce qu'il
croit être avantageux pour lui et qui cependant ne l'est pas. Mais c'est plutôt
parce qu'il veille sur eux que le Seigneur ne fait pas ce qu'ils demandent. Car
Paul, qui a travaillé plus que tous, a demandé par trois fois au Seigneur que
s'éloignât de lui l'aiguillon de la chair, et cependant il n'obtint pas ce
qu'il demandait parce que cela n'était pas avantageux pour lui5 - En effet, nous ne savons pas ce qu'il
convient de demander dans nos prières6. - Vous ne savez pas ce que vous demandez7. Il apparaît donc que lorsque nous demandons quelque chose en son nom,
c'est-à-dire au nom de Jésus Christ, cela, lui-même le fera.
Or il dit : JE
LE FERAI, dans le futur, et non pas : je le fais, à présent, parce que
parfois il tarde à faire ce que nous demandons en vue d'augmenter notre désir,
et pour que cela se fasse au moment qui convient - Je vous donnerai les pluies en leur temps8. - Au
jour du salut je t'ai exaucé9. Il arrive aussi quelquefois que nous demandions pour un autre, pour
lequel peut-être nous ne sommes pas exaucés ; c'est qu'alors sa conduite y
fait obstacle - Toi donc, ne
prie pas pour ce peuple (...) parce que je ne t'exaucerai point10. - Quand
même Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon âme ne serait pas pour
ce peuple11.
AFIN QUE LE PÈRE
SOIT GLORIFIE DANS LE FILS. SI VOUS ME DEMANDEZ QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE
FERAI. (14, 13-14)
1906. Ce passage est
lu ainsi par Augustin 12 : ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU
PÈRE EN MON NOM, JE LE FERAI. Comme s'il y avait ici un point. Et il
reprend : AFIN QUE LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, SI VOUS ME DEMANDEZ
QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE FERAI ; comme pour dire : la raison
pour laquelle je ferai ce que vous demanderez en mon nom, c'est AFIN QUE
LE PÈRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, et tout
ce que fait le Fils est ordonné à la gloire du Père - Je ne cherche pas ma gloire1.
1. Tract, in Io., LXXIII, 3,
BA 74A, p. 309.
2. Sur les noms de Dieu, voir ci-dessus n° 1660, note 7.
3. Mt 1, 21.
4. Je 4, 3.
5. Voir 2 Co 12, 8-9.
6. Rm 8, 26.
7. Mt 20, 22.
8. Lv 26, 3.
9. Is 49, 8.
10. Jr 7, 16.
11. Jr 15, 1. Saint Thomas
commente : « Ce n'est pas par un défaut de l'orant que la prière
n'est pas exaucée, mais à cause d'un défaut du peuple pour lequel il prie - Et
si ces trois justes, Noé, Daniel et Job, sont au milieu d'elle fia maison d'Israël], eux-mêmes, par
leur justice, délivreront leurs âmes. (...) Ils ne délivreront ni leurs fils ni
leurs filles, mais eux seuls seront délivrés (Ez 14, 14 et 16) » (Exp. super Hier., XV,
lectio 1).
12. Tract, in Io :, LXXIII, 4, BA 74A, p. 311.
Ainsi, nous aussi
devons ordonner toutes nos œuvres à la gloire de Dieu - Faites tout pour
la gloire de Dieu2.
B. LE CHRIST PROMET LE DON DE L'ESPRIT SAINT
SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE
PRIERAI LE PÈRE ET IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET AFIN QU'IL DEMEURE AVEC
VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR PARCE
QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE
QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS. (14, 15-17)
1907. Plus haut le
Seigneur a consolé ses disciples de son départ en leur promettant l'accès
auprès du Père3 [n° 1848], mais parce qu'il pouvait leur
sembler long [d'attendre] d'avoir accès auprès de lui et d'avoir à souffrir,
pendant ce temps, d'être sans maître, il les console en leur promettant
l'Esprit Saint. Et là il commence par préparer ses disciples à recevoir
l'Esprit Saint, puis il leur promet le don de l'Esprit Saint [n° 1911], et en
troisième lieu il leur explique la promesse de l'Esprit Saint [n° 1913].
a) Le Christ prépare ses disciples à recevoir
l'Esprit Saint.
SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE
PRIERAI LE PÈRE.
Cette préparation en
vue de recevoir l'Esprit Saint était nécessaire, d'une part du côté des
disciples, d'autre part du côté du Christ [n° 1910].
SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS.
1908. Pour les
disciples, une double préparation était nécessaire, à savoir l'amour du cœur et
l'obéissance des œuvres. Le Seigneur suppose qu'ils ont déjà l'une de ces deux
choses, et quant à cela il dit : SI VOUS M'AIMEZ, c'est-à-dire parce que
vous m'aimez, ce qui est clair puisque vous vous attristez de mon départ - Vous m'avez aimé4, et vous aussi vous rendrez témoignage,
parce que vous êtes avec moi depuis le commencement5. Mais l'autre, il la
commande pour le futur ; et quant à cela il dit : GARDEZ MES
COMMANDEMENTS, autrement dit : Ne montrez pas l'amour que vous avez pour
moi en pleurant mais en obéissant à mes commandements : car c'est cela, le
signe manifeste de l'amour - Si
quelqu'un m'aime, il gardera ma parole6.
Ces deux choses,
donc, préparent à recevoir l'Esprit Saint. En effet, puisqu'il est amour,
l'Esprit Saint n'est donné qu'à ceux qui aiment - J'aime ceux qui m'aiment7. De même, il est donné à ceux qui obéissent - Nous, nous sommes témoins de cette chose, nous et
l'Esprit Saint que Dieu a donné à tous ceux qui lui obéissent1. - Sur lui repose mon Esprit2.
1. Jn8,
50.
2. 1 Co 10, 31.
3. Voir Ep 2,
18 ; He 10, 19.
4. Jn 16, 27.
5. Jn 15, 27.
6. Jn 14, 23.
7. Pr8, 17.
1909. Mais
l'obéissance des disciples et leur amour à l'égard du Christ les préparent-ils
au Saint-Esprit ? Il semble que non, puisque l'amour3 dont
nous aimons Dieu est par (per) l'Esprit Saint - La chanté de Dieu est
répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné 4.
Quant à l'obéissance, elle est à nous par l'Esprit Saint : Ceux qui
sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu5. - J'ai
couru sur la voie de tes commandements quand tu as dilaté mon cœur6.
Mais quelqu'un
pourrait dire que par l'amour du Fils nous méritons le Saint-Esprit et que,
l'ayant reçu, nous aimons le Père ; mais c'est contradictoire, puisque
l'amour du Père et du Fils est le même. C'est pourquoi il faut plutôt dire7
qu'il y a ceci de particulier dans les dons de Dieu, que celui qui utilise bien
le don qui lui a été accordé mérite de recevoir une grâce et un don plus
grands ; et qu'à celui qui l'utilise mal, cela même qu'il a reçu est
enlevé. Car, comme on le lit en Matthieu8, au serviteur paresseux a été retiré le
talent qu'il avait reçu de son maître parce qu'il ne l'a pas bien utilisé, et
ce même talent a été donné à celui qui en avait reçu cinq grâce auxquels il en
avait gagné cinq autres. Il en va de même du don du Saint-Esprit. Nul, en
effet, ne peut aimer Dieu s'il n'a le Saint-Esprit : car ce n'est pas nous
qui devançons la grâce de Dieu, mais c'est elle-même qui nous devance9. Car
lui-même nous a aimés le premier10. C'est pourquoi il faut dire que les Apôtres ont d'abord reçu le
Saint-Esprit pour aimer Dieu et obéir à ses commandements, mais que, en vue de
recevoir le Saint-Esprit avec une plus grande plénitude, il leur était
nécessaire de bien utiliser, en aimant et en obéissant, le don du Saint-Esprit
qu'ils avaient d'abord reçu. Et le sens est alors : SI VOUS M'AIMEZ, par
le Saint-Esprit que vous avez, et si vous obéissez à mes commandements, vous
recevrez le Saint-Esprit dans une plus grande plénitude.
1. Ac 5, 32.
2. Is 11, 2 et 42, 1.
3. Saint Thomas emploie le mot dilectio. Sur le sens de ce
mot, voir vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612.
4. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n° 1234,
note 8.
5. Rm 8, 14. Saint Thomas commente : « On peut
comprendre : Tous ceux
qui sont menés par l'Esprit de Dieu en ce sens qu'ils sont menés par quelqu'un qui les conduit et
les dirige, ce que l'Esprit fait assurément en nous, en tant qu'il nous
illumine intérieurement sur ce que nous devons faire - Ton bon Esprit me
conduira (Ps 142, 10). Mais parce que celui qui est conduit n'opère pas par
lui-même, l'homme spirituel n'est pas seulement instruit par l'Esprit Saint de
ce qu'il doit faire, mais son cœur aussi est mû par l'Esprit Saint, c'est
pourquoi il y a plus à comprendre dans l'expression : Tous ceux qui
sont menés par l'Esprit de Dieu. En effet, de ceux qui sont menés par un
instinct supérieur, on dit qu'ils sont mus. C'est pourquoi nous disons des
bêtes sauvages qu'elles n'agissent pas mais qu'elles sont menées, parce
qu'elles sont mues par leur nature et non par leur propre mouvement commandant
leurs actions. Semblablement l'homme spirituel est incliné à faire quelque
chose non principalement par le mouvement de sa propre volonté mais par
l'instinct de l'Esprit Saint -
Car il viendra comme un fleuve violent que l'Esprit de Dieu pousse devant
lui (Is 59, 19). Et Luc (4, 1) dit que le Christ était mené par
l'Esprit au désert. Cependant cela n'exclut pas le fait que les hommes
spirituels agissent par leur propre volonté et leur libre arbitre puisque l'Esprit
Saint est source en eux du mouvement même de leur volonté et de leur libre
arbitre - C'est Dieu qui opère en nous et le vouloir et le faire selon son bon plaisir (Ph 2, 13) » (Ad Rom. lect., VIII, n° 635).
6. Ps 118, 32.
7. Saint Thomas intègre de nouveau ici une de ces remarques dont
saint Augustin a le génie, à la fois pleine de réalisme et riche de sens
théologique (voir Tract, in Io., LXXIV, 1-2, ΒA 74A, p. 319-321).
ET MOI JE PRIERAI LE
PÈRE.
1910. Une autre
préparation était nécessaire, et cette fois de la part du Christ : ET MOI
JE PRIERAI LE PÈRE. Ici, il faut savoir que Notre-Seigneur Jésus Christ, en
tant qu'homme, est médiateur
entre Dieu et les hommes1. De là vient qu'en tant qu'homme, en allant
vers Dieu il nous obtient les dons célestes, et en venant vers nous il nous
élève et nous ramène à Dieu. Donc, puisqu'il était déjà venu vers nous, et
qu'en nous donnant les commandements de Dieu il avait ramené à lui les
croyants, il lui restait à retourner vers le Père et à obtenir les dons
spirituels - S'approchant par lui-même de Dieu, il peut sauver de façon définitive2. Et il fait cela en priant le Père, comme il le dit lui-même : ET
MOI JE PRIERAI LE PÈRE - Montant
dans les hauteurs il a fait captive la captivité, il a donné des dons aux
hommes3.
8. Voir Mt 25, 24 sq.
9. Saint Thomas précise que la grâce sanctifiante peut se diviser
d'une manière convenable en grâce prévenante (qui devance) et grâce subséquente
(qui suit) : « II y a cinq effets de la grâce en nous le premier est
que notre âme est guérie. Le second est qu'elle veut le bien, le troisième,
qu'elle réalise avec efficacité ce bien, le quatrième, qu'elle persévère dans
ce bien et enfin le cinquième qu'elle parvient à la gloire. La grâce selon
qu'elle cause en nous le premier effet est appelée prévenante à l'égard du
second effet, et selon qu'elle cause en nous le second effet, elle est appelée
subséquente à l'égard du premier effet » (Somme théo1., I-II, q.
111, a. 3 a). La grâce prévenante manifeste cette présence de Dieu qui nous
aime le premier et nous devance dans tout ce que nous faisons. La
grâce subséquente nous montre combien Dieu nous relève et nous entraîne
toujours à aller plus loin.
10. 1 Jn 4, 10.
Mais ici sois
attentif : c'est le même qui demande que le Paraclet soit donné, et qui le
donne. Il demande en tant qu'homme, il donne en tant que Dieu. Et il dit :
ET MOI JE PRIERAI, pour chasser leur tristesse concernant son départ, puisque
c'est ce départ lui-même qui est la raison pour laquelle ils vont recevoir le
Saint-Esprit.
b) Le Christ promet l'Esprit Saint.
ET IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET.
1911. Le Christ
maintenant promet l'Esprit Saint. Mais remarque que le mot « Paraclet »
est grec et signifie soit le consolateur, soit celui qui intercède ; et
c'est pourquoi il a dit : IL - à savoir le Père, mais cependant pas sans
le Fils - VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET, c'est-à-dire l'Esprit Saint, qui est
le consolateur, puisqu'il est l'Esprit d'amour et que l'amour réalise la
consolation et la joie
spirituelles4 - Le fruit de l'Esprit est chanté, joie (...) 5 -, et qui est aussi celui qui intercède : En effet, nous ne savons
ce qu'il convient de demander dans nos prières ; mais l'Esprit lui-même
demande pour nous avec des gémissements inénarrables 6.
1. Voir 1 Tm 2, 5. Et He 8, 6 ;
9, 15 ; 12, 24.
2. He 7, 25. Saint Thomas cite
ce verset autrement que la Vulgate,
qui lit ici : II peut même sauver de façon définitive ceux qui par son
entremise s'approchent de Dieu. Et il commente : « On pourrait objecter que celui
qui accède à quelqu'un en est distant. Or le Christ n'est pas distant de Dieu.
À cela il faut répondre que l'Apôtre par ces mots montre la double nature du
Christ, c'est-à-dire la nature humaine selon laquelle il lui convient
d'accéder, puisqu'en elle il est distant de Dieu - certes, il n'accède pas d'un
état de faute à un état de grâce, mais par la contemplation de l'intelligence
portée par l'amour, et l'acquisition de la gloire ; et la nature divine,
du fait qu'il dit que c'est par
lui-même qu'il a accès à Dieu. En effet, s'il n'était qu'homme il ne pourrait
pas par lui-même accéder à Dieu - Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne
l'attire (Jn 6, 44). C'est
pourquoi,
en disant que le Christ a accès par lui-même, l'Apôtre montre sa puissance - Il marche
dans la grandeur de sa puissance (Is 63, 1) » (Ad Heb. lect,
VII, n° 371).
3. Ep 4, 8 (cf. Ps 67, 19). Dans la Somme théologique, saint
Thomas commente : « Ceux qui avaient été faits captifs par le démon,
il les a emmenés avec lui au Ciel, comme en un lieu étranger à la nature
humaine, captifs d'une bonne captivité, puisqu'il les avait acquis par sa
victoire » (III, q. 57, a.
6, a).
Et s'il a dit :
UN AUTRE, c'est pour désigner une distinction personnelle7 dans
les personnes divines, contrairement à ce qu'a prétendu Sabellius '.
4. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 1, PG
59, co1. 403.
5. Ga 5, 22.
6. Rm 8, 26.
7. Dieu révèle son mystère trinitaire dans l'Écriture et dans le
cœur des hommes à qui il donne la foi. Dans la Somme théologique, saint
Thomas précise que les deux processions révélées sont la génération du Verbe - Au commencement était
le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1,
1) - et la procession de l'Amour - Je prierai le Père et il vous donnera un
autre Paraclet (Jn 14, 16) (Voir I, q. 27, a. 3). Chaque procession implique des
relations personnelles, qui sont donc au nombre de quatre : la paternité
et la filiation, qui proviennent de la procession du Verbe, la spiration et la
procession, qui proviennent de la procession de l'Amour (q. 28, a. 4). Saint
Thomas explicite aussi le lien entre les relations et les personnes divines.
« En Dieu, nous l'avons dit [q. 28, a. 3], il n'y a de distinction que par
les relations d'origine. Et la relation en Dieu n'est pas comme un accident
inhérent à un sujet, elle est l'essence divine elle-même. Elle est donc
subsistante, comme l'essence divine. De même donc que la déité est Dieu, de
même aussi la paternité divine est Dieu le Père, qui est une personne divine.
Ainsi la personne divine signifie la relation en tant que subsistante »
(q. 29, a. 4, c). « Comme on l'a montré plus haut [q. 29, a. 4], le nom de
personne signifie en Dieu la relation comme réalité subsistante dans la nature
divine. Or en Dieu il y a plusieurs relations réelles [q. 28, a. 1, a. 3 et a.
4], c'est pourquoi plusieurs réalités subsistantes existent en Dieu. Il y a
donc plusieurs personnes en Dieu » (q. 30, a. 1, c). « Les trois
relations de paternité, filiation et procession sont qualifiées de propriétés
personnelles, comme constituant les personnes : la paternité est la
personne du Père, la filiation est la personne du Fils, la procession est la
personne de l'Esprit Saint » (q. 30, a. 2, ad 1). Voir aussi saint Augustin, De Trinitate, VII.
Voir aussi le Symbole Quicumque, qui fut longtemps attribué à saint
Athanase d'Alexandrie, in : H. Denzinger,
Symboles et définitions de la foi catholique, éd. du Cerf 1996, nos
75-76, p. 27-29. Sur le mystère de la Très Sainte Trinité, voir aussi
ci-dessous, nos 1971 et 2063-2065.
1912. À cela on
objectera : puisque ce qui est dit « Paraclet » exprime l'action
de l'Esprit Saint, en disant UN AUTRE PARACLET il semble désigner une altérité
de nature ; car l'altérité d'opération désigne une altérité de nature.
L'Esprit Saint est donc d'une autre nature que le Fils.
Je réponds : il
faut dire que l'Esprit Saint est consolateur2 et avocat, et de même le Fils. Qu'il soit
avocat, cela est dit dans la première épître de Jean : Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ, le Juste3. Et qu'il soit consolateur, cela est dit dans Isaïe : L'Esprit du Seigneur (...)
m'a envoyé (...) consoler ceux qui ont pris le deuil dans Sion 4.
1. Sur Sabellius et le sabellianisme, voir vo1. I, n° 64 et note
3.
2. Saint Thomas, en parlant de chacune des personnes de la Très
Sainte Trinité, en se fondant sur l'Écriture, cherche quels sont les noms et
les propriétés qui peuvent lui convenir, qui sont les plus propres à exprimer
son mystère. Au sujet de la troisième personne de la Trinité, il dit :
« Dans le monde corporel, le terme spiritus paraît signifier une
impulsion et une motion. On donne ce nom de spiritus au souffle et au
vent. Or le propre de l'amour est de mouvoir et de pousser la volonté de
l'aimant vers l'aimé. Quant à la sainteté, on l'attribue aux choses qui sont
ordonnées à Dieu. Donc puisqu'il y a une personne divine qui procède par mode
d'amour, de l'amour dont Dieu s'aime, il convient qu'on l'appelle l'Esprit
Saint » (Somme théo1., I, q. 36, a. 1, c). Saint Thomas montre
ensuite qu'amour et don sont aussi des noms appropriés convenablement à
l'Esprit Saint. « On dit que l'Esprit Saint est le nœud (nexus) du
Père et du Fils, en tant qu'il est l'Amour. Le Père s'aime lui-même et aime le
Fils par une dilection unique, et réciproquement, aussi dans l'Esprit Saint qui
est Amour y a-t-il un rapport réciproque entre le Père et le Fils, de celui qui
aime à celui qui est aimé. Mais du fait que le Père et le Fils s'aiment
mutuellement, il faut que leur amour mutuel qui est l'Esprit Saint procède des
deux. Selon l'origine, l'Esprit Saint n'est pas au milieu mais la troisième
personne de la Sainte Trinité. Mais selon ce rapport réciproque, il est le nœud
qui les unit, procédant de chacun d'eux » (I, q. 37, a. 1, ad 3). Saint
Thomas, en assumant la pensée des Pères de l'Église, dira que l'Esprit Saint
est aussi usus, « l'usage dans lequel le Père et le Fils jouissent
l'un de l'autre », connexio, l'union, qui est l'unité du Père et du
Fils, bonitas, la bonté « qui est la raison et l'objet de l'amour
et qui a donc une similitude avec l'Esprit divin ». Et enfin l'expression en
lui est appropriée à l'Esprit Saint (cf. I, q. 39, a. 8, c). C'est dans le Contra
Gentiles, IV, xxii, que saint Thomas parle de l'Esprit Saint comme le
Paraclet, le consolateur : « C'est le propre de l'amitié que de se
réjouir de la présence de l'ami, de trouver sa joie dans ses paroles et dans
ses gestes, de trouver en lui une consolation face à toutes les angoisses. Et
dans les tristesses aussi, nous trouvons refuge chez nos amis pour être
consolés. Or c'est l'Esprit Saint qui fait de nous des amis de Dieu, et qui le
fait habiter en nous, et nous en lui. Il s'ensuit que par l'Esprit Saint nous
avons la joie de Dieu et la consolation contre toutes les oppositions et les
assauts du monde - Rends-moi la joie de ton salut et soutiens-moi par
l'Esprit souverain (Ps 50, 14). - Le royaume de Dieu, c'est la justice,
la paix et la joie dans l'Esprit Saint (Rm 14, 17). - L'Église avait la
paix, elle se développait et marchait dans la crainte de Dieu, remplie de la
consolation de l'Esprit Saint (Ac 9, 31). Et c'est pourquoi le Seigneur
appelle l'Esprit Saint, Paraclet, c'est-à-dire consolateur : Le
consolateur, l'Esprit Saint... (Jn 14, 26) ». Voir aussi Super
Matth. lect., V, n° 423. À part ces quelques textes, saint Thomas parle peu
de l'Esprit Saint comme Paraclet. Le lieu où il en parle le plus reste son Commentaire
sur l'Évangile de saint Jean.
Cependant, le Fils
et l'Esprit Saint sont consolateur et avocat pour des raisons différentes5, si
nous entendons cela selon ce qui est propre aux personnes : en effet, le
Christ est dit avocat en tant que, comme homme, il intercède pour nous auprès du
Père, et l'Esprit Saint en tant qu'il nous fait demander. De même, l'Esprit
Saint est dit consolateur en tant qu'il est l'Amour, formellement ; et le
Fils en tant qu'il est le Verbe. Et cela de deux manières : par son
enseignement, et en tant qu'il est le Fils, il donne l'Esprit Saint et fait
brûler l'amour dans nos cœurs. Ainsi le mot UN AUTRE ne désigne pas une
altérité de nature entre le Fils et l'Esprit Saint, mais le mode différent
selon lequel l'un et l'autre sont consolateur et avocat.
3. 1 Jn 2, 1.
4. Is 61, 1.
5. Saint Thomas évoque peu le Christ comme le premier Paraclet, le
Consolateur. Ce passage du Commentaire sur l'Évangile de saint Jean est
sans doute l'un des plus précis dans les œuvres de saint Thomas. Voir aussi Catena
aurea in Ioannem, XIV, n° 5 : « Paraclet en latin veut dire
avocat. Et on le dit du Christ : Nous avons un avocat auprès du Père,
Jésus Christ, le Juste (1 Jn 2, 1), ou le Paraclet, c'est-à-dire le
Consolateur. Ils avaient en effet un unique consolateur qui avait l'habitude de
relever et de réconforter par la douceur des miracles et par la prédication. Il
nomma l'Esprit Saint un autre Paraclet Qn 14, 16), non à cause de sa
nature différente, mais à cause d'une diversité d'opération ».
c) Le Christ explique la promesse de l'Esprit
Saint.
AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT DE
VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE
CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS ET
QU'IL SERA EN VOUS. (14, 16-17)
1913. Le Christ
explique ici la promesse : premièrement quant à l'action même de donner,
deuxièmement quant au don lui-même [n° 1916] et troisièmement quant à ceux qui
reçoivent le don [n° 1917].
I
1914. La donation
est vraie, puisqu'elle est perpétuelle ; voilà pourquoi il dit : AFIN
QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT.
En effet, quand
quelque chose est donné à quelqu'un pour un temps seulement, ce n'est pas une
vraie donation ; mais celle-ci est vraie quand c'est donné pour être
possédé à jamais ; et puisqu'il est donné pour demeurer avec eux à jamais,
l'Esprit Saint est vraiment donné : ici-bas en éclairant, en enseignant et
en suggérant, et plus tard en introduisant à [la réalité] qui va être vue -
L'Esprit du Seigneur descendit sur David dès ce jour-là et à jamais1.
Judas, lui, a reçu
l'Esprit Saint et cependant l'Esprit Saint n'est pas demeuré toujours avec lui
car Judas ne l'a pas reçu pour qu'il demeurât avec lui à jamais, mais seulement
selon la justice présente.
Selon Chrysostome2, on
peut dire que le Seigneur dit cela pour exclure un soupçon trop humain de la
part des disciples. Ils auraient pu en effet soupçonner que ce Paraclet qui
leur avait été donné se retirerait d'eux ensuite par la Passion, comme le
Christ ; c'est pourquoi il exclut cela en disant : AFIN QU'IL DEMEURE
AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, comme pour dire : II ne souffrira pas la mort
comme moi, ni ne s'éloignera de vous.
1915. Mais à cela
s'oppose ce qui a été dit plus haut à Jean Baptiste : Celui sur qui tu verras
l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise3 ; car à partir de là il semble que le
fait que l'Esprit Saint demeure toujours avec lui soit propre au Christ, ce qui
n'est pas vrai s'il demeure éternellement avec les disciples.
Je réponds :
selon Grégoire4, il faut dire que le Saint-Esprit demeure en
nous par ses dons. Or certains dons du Saint-Esprit sont nécessaires au
salut : et ceux-là sont communs à tous les saints et demeurent toujours en
nous, comme la charité, qui ne passe jamais (ainsi que le dit la
première épître aux Corinthiens5) puisqu'elle existera même dans le futur.
Alors que d'autres ne sont pas nécessaires au salut, mais sont donnés aux
fidèles en vue d'une manifestation de l'Esprit - A chacun la
manifestation de l'Esprit est donnée pour le bien des autres6.
Ainsi donc, quant aux premiers dons,
l'Esprit Saint demeure avec les disciples et les saints pour l'éternité ;
mais quant aux seconds dons, il est propre au Christ que l'Esprit Saint demeure
toujours avec lui, parce qu'il possède toujours en plénitude le pouvoir de
faire des miracles, et de prophétiser, et de réaliser d'autres choses de cette sorte \ Mais il n'en est pas ainsi des
autres parce que, comme le dit Grégoire, les esprits des prophètes ne sont pas
soumis aux prophètes.
1. 1 S 16, 13.
2. In Ioannem hom., LXXV, 1,
PG 59, co1. 405.
3. Jn 1, 33.
4. L'éd. Marietti met saint
Jean Chrysostome, mais tout ce passage provient en réalité de saint Grégoire le Grand, Morales sur
Job, II, lvi, 90-92, SC 32bis, p. 389-393.
5. 1 Co 13, 8.
6. 1 Co 12, 7. Saint Thomas parle ici des charismes qui sont
donnés pour le bien des autres. Il les distingue des dons qui proviennent de la
grâce sanctifiante et qui sont nécessaires au salut, à la sanctification
personnelle. Voir Somme théol, I-II, q. 111, a. 1 sq.
II
L'ESPRIT DE VÉRITÉ
1916. Ce don est le
plus excellent, puisque c'est l'ESPRIT DE VÉRITÉ. Le Christ dit ESPRIT pour
manifester la subtilité de sa nature. En effet, est appelé « esprit »
ce qui est caché et invisible, et c'est pourquoi ce qui est invisible est habituellement
appelé esprit. Ainsi l'Esprit Saint lui aussi est caché et invisible - L'Esprit
souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d'où il vient ni où
il va2. C'est également pour montrer sa puissance, puisqu'il nous meut à bien
agir et opérer. L'Esprit, en effet, donne une certaine impulsion, et c'est pour
cela que nous appelons aussi le vent « esprit »
[« souffle »] - Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-là
sont fils de Dieu3. - Ton Esprit qui est bon me conduira dans
une terre droite4.
Et il ajoute DE
VÉRITÉ, parce que l'Esprit Saint procède de la Vérité et conduit à la Vérité.
En effet, l'Esprit Saint n'est rien d'autre que l'Amour de Dieu. Or la première
chose qui pousse à aimer, c'est l'amour. Quand donc quelqu'un est poussé à
aimer les réalités terrestres et le monde, il est alors poussé par l'esprit du
monde - Or nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est
de Dieu5. Quand il est poussé à des œuvres de la
chair, il n'est pas poussé par l'Esprit Saint - Malheur aux prophètes
insensés qui suivent leur esprit0.
1. La plénitude des charismes dans le Christ a pour origine sa
plénitude de grâce et sa mission d'annoncer la Bonne Nouvelle. « II est
donc manifeste que le Christ a dû, comme premier et principal Docteur de la
foi, posséder excellemment tous les charismes » {Somme théol, III,
q. 7, a. 7, c).
2. Jn 3, 8. Sur le sens du mot spiritus, voir vo1. I, n° 449, note 3.
3. Rm 8, 14.
4. Ps 142, 10.
5. 1 Co 2, 12.
Mais cet Esprit
conduit à la connaissance de la vérité, puisqu'il procède de la Vérité qui dit
plus haut : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie7. Car, comme en nous c'est de la vérité conçue et considérée que découle
l'amour de la vérité elle-même, de même en Dieu l'Amour procède de la Vérité conçue
qui est le Fils. Et comme il procède d'elle, ainsi il conduit à sa
connaissance. Plus loin : Lui me glorifiera car il prendra de ce qui
est mien8. Et c'est pourquoi Ambroise9 dit
que toute vérité, dite par qui que ce soit, est de l'Esprit Saint - Personne
ne peut dire « Seigneur Jésus » que dans l'Esprit Saint10. - Lorsque
sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de
vérité qui procède du Père, c'est lui qui rendra témoignage de moi11. Or manifester la vérité convient à la propriété de l'Esprit Saint. En
effet, c'est l'amour qui réalise la révélation des secretsI2 - Je
vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous
l'ai fait connaître13. - Il annonce à son ami que la lumière
(à savoir la vérité) est son partage14.
6. Ez 13, 3.
7. Jn 14, 6.
8. Jn 16, 14.
9. Voir vo1. I, n° 103, note
8.
10. 1 Co 12, 3.
11. Jn 15, 26.
12. Voir Contra Gentiles, IV, xxi : « C'est le
propre de l'amitié que l'ami révèle ses secrets à son ami. En effet, puisque
l'amitié unit les affections, et fait de deux cœurs comme un seul cœur, celui
qui révèle quelque chose à un ami ne semble pas le sortir de son propre cœur.
C'est pourquoi le Seigneur dit à ses disciples : Je ne vous appellerai plus serviteurs mais mes amis, car
tout ce que j'ai entendu de mon Père je vous l'ai fait connaître (Jn 15, 15). Donc,
puisque par l'Esprit Saint nous devenons des amis de Dieu, il convient de dire
que c'est par l'Esprit Saint que les mystères divins sont révélés aux hommes - Il est écrit que l'œil n'a pas vu, ni l'oreille
entendu, ni qu'il soit monté au cœur de l'homme, ce que Dieu a préparé pour
ceux qui l'aiment ; mais Dieu nous l'a révélé par son Esprit Saint (1
Co 2, 9-10) ».
13. Jn 15, 15.
14. Jb 36, 33
(verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
III
1917. Or ce sont les
croyants qui reçoivent l'Esprit Saint, et à ce sujet il dit : QUE
LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR. Et il
commence par montrer qui sont ceux à qui il n'est pas donné, puis ceux à qui il
est donné [n° 1920].
Il montre d'abord
que l'Esprit Saint n'est pas donné au monde, puis il donne la cause pour
laquelle il n'est pas donné [n° 1919].
QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR.
1918. Ici le
Seigneur appelle « monde » ceux qui aiment le monde. Ceux-là, aussi
longtemps qu'ils aiment le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit Saint, car il
est l'Amour de Dieu ' : or on ne peut pas aimer à la fois Dieu et le monde
d'un amour2 qui finalise - Si quelqu'un aime le
monde, la charité du Père n'est pas en lui3. En effet, comme le dit Grégoire : « Le Saint-Esprit enflamme
chacun de ceux qu'il a remplis pour qu'ils désirent les réalités invisibles. Et
puisque les cœurs mondains n'aiment que les réalités visibles, le monde ne
reçoit pas l'Esprit Saint, car il ne s'élève pas à l'amour des réalités
invisibles. Et, de fait, plus les esprits profanes se répandent au-dehors par
leurs désirs, plus ils diminuent la capacité qu'a leur cœur de le recevoir4 »
- L'Esprit Saint qui
nous éduque fuira le mensonge5.
PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT.
1919. Les dons
spirituels ne sont pas reçus s'ils ne sont pas désirés - Elle, la sagesse divine, prévient ceux qui la
désirent6 ; et ils ne sont pas désirés s'ils ne sont pas connus de quelque manière7.
Or s'ils ne sont pas
connus, cela vient soit de ce que l'homme n'a pas l'intention de les connaître,
soit du fait qu'il ne peut pas être capable de cette connaissance. Or les gens
du monde n'en ont ni l'intention ni la capacité. En effet, ils n'ont pas
l'intention de désirer les dons spirituels, et par rapport à cela il dit :
PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS, c'est-à-dire : il n'a pas l'intention de le
connaître - Ils ont résolu d'incliner leurs yeux vers la terre8. Et, de plus, ils ne peuvent pas connaître les dons spirituels, et c'est pourquoi il
dit : NI NE LE CONNAÎT : car, comme le dit Augustin, « l'amour
du monde n'a pas ces yeux invisibles par lesquels l'Esprit Saint ne peut être
vu qu'invisiblement9 » - L'homme charnel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit
de Dieu 10. De
même que la langue infectée ne goûte pas la bonne saveur à cause de la
corruption de son humeur, de même l'âme infectée par la corruption du monde ne
goûte pas la douceur des choses célestes 11.
Ou bien, selon
Chrysostome 12, je dis qu'IL VOUS DONNERA UN AUTRE
PARACLET, L'ESPRIT DE VÉRITÉ ; mais celui-ci n'assumera pas la chair,
parce que LE MONDE NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT, c'est-à-dire : il ne
le recevra pas ; c'est vous seuls qui le recevrez.
MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS
DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXIV, 4, BA 74A, p. 327.
2. Saint Thomas emploie ici le mot dilectio.
3. 1 Jn2, 15.
4. Moralium libri, V, xxviii,
50, PL 75, co1. 706 A. Saint Grégoire emploie l'expression sinum cordis, littéralement :
« le sein de leur cœur ».
5. Sg 1, 5.
6. Sg 6, 14.
7. Saint Thomas rappelle ici que l'amour et le désir présupposent
toujours la connaissance. Je ne peux pas aimer ou désirer un bien si je ne le
connais pas. Les biens sensibles réclament la connaissance sensible, et les
biens spirituels la connaissance de l'esprit. Mais la connaissance ne détermine
pas l'amour ; elle en est une condition nécessaire, et c'est le bien qui
le détermine.
8. Ps 16, 11.
9. Tract, in Io., LXXIV, 4,
BA 74A, p. 327.
10. 1 Co 2, 14. La Vulgate dit homo animalis. Voir
ci-dessous, n° 2356, note 4.
11. Cf. ci-dessous, n° 1959.
12. In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, co1. 404-5.
1920. Ici le
Seigneur commence par montrer ceux à qui l'Esprit Saint est donné, puis il en
donne la raison.
C'est aux fidèles
qu'il est donné, et c'est pourquoi il dit : MAIS VOUS, qui êtes mus par
l'Esprit Saint, VOUS LE CONNAÎTREZ - Or nous, nous n'avons pas reçu l'esprit
du monde, mais l'Esprit qui est de Dieu1 -, et cela parce que vous méprisez le monde - Nous ne contemplons
pas ce qui se voit mais ce qui ne se voit pas2.
Or la raison de
cela, c'est PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRÈS DE VOUS. Là, note d'abord la
familiarité de l'Esprit Saint à l'égard des Apôtres, PARCE QU'IL DEMEURERA
AUPRÈS DE VOUS, c'est-à-dire pour votre bien - Ton Esprit qui est bon me
conduira sur une voie droite3. - Qu'il est bon, ton Esprit, Seigneur, en
toutes choses !4 Note ensuite son inhabitation5
intime, puisqu'il sera en nous, c'est-à-dire au plus intime de notre cœur - Et
je mettrai dans leurs entrailles un esprit nouveau 6.
C. LE CHRIST PROMET SA PRESENCE
1921. Plus haut7, le
Seigneur a promis l'Esprit Saint consolateur. Mais parce que les Apôtres ne
s'appliquaient pas beaucoup à connaître l'Esprit Saint et restaient fixés sur
la présence du Christ, une consolation de cette sorte leur paraissait
petite ; et pour cette raison, dans cette partie, il leur promet en
premier lieu son retour et ensuite ses dons [n° 1952].
a) Il promet à ses disciples son retour.
Il leur promet
d'abord une nouvelle venue puis il leur en donne la raison [n° 1931] ;
enfin, il exclut le doute du disciple [n° 1938].
La promesse d'une
nouvelle venue.
JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS
VOUS. ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS. MAIS VOUS, VOUS ME
VERREZ, PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ. EN CE JOUR-LÀ VOUS
CONNAÎTREZ QUE MOI
1. 1 Co 2, 12.
2. 2 Co 4, 18.
3. Ps 142, 10.
4. Sg 12, 1.
5. Saint Thomas emploie le mot inhabitatio pour désigner la
présence des personnes divines dans les créatures spirituelles par la grâce
(voir Somme théo1., I, q. 43, a. 3, c. et a. 6, c, et I-II, q. 114, a.
3, ad 3). Voir aussi Ad 1 Cor. lect., III, nos 172-173.
6. Ez 11, 19.
7. Cf. n° 1848.
JE SUIS DANS MON PÈRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS. (14,
18-20)
Le Seigneur commence
par leur promettre son retour ; il manifeste ensuite la manière dont il
reviendra [n° 1924], et en dernier lieu il annonce déjà le fruit de ce retour
[n° 1926].
JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS
VOUS.
Au sujet du premier
point, il montre premièrement la nécessité de revenir, puis il promet son
retour [n° 1923].
JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS.
1922. Il est
nécessaire qu'il revienne pour que les disciples ne demeurent pas orphelins. En
effet, en grec les orphelins sont ceux qu'on appelle pupilles en latinl ; et de ces petits privés de père, il est dit selon ce passage des
Lamentations : Nous sommes
devenus comme des orphelins (pupilli) sans père, et nos mères sont comme des
veuves2.
Or il faut
considérer qu'un homme peut avoir un père de trois manières. À savoir : le
père de son origine charnelle - Nous avons eu les pères de
notre chair pour nous corriger (...)
3. Et encore, le père par une imitation faussée - Vous, vous êtes issus du diable, votre père4. Enfin, le père par une adoption gratuite - Vous avez reçu l'esprit d'adoption des fils5. Mais ceux qui imitent leur père le diable, Dieu ne les adopte pas comme
fils puisqu'il n'y a pas d'accord entre la lumière et les ténèbres, comme il
est dit dans la deuxième épître aux Corinthiens6. Et de manière semblable, il n'adopte pas
non plus ceux qui sont attachés d'une façon trop sensible à leurs parents car
il est dit en Matthieu : Qui
aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi7. Celui donc qui sera
devenu orphelin, c'est-à-dire qui aura quitté son attachement au péché et
abandonnera un attachement sensible à l'égard de ses parents, celui-là Dieu
l'adopte comme son fils - Parce que mon père et ma mère m'ont abandonné, le Seigneur,
lui, m'a recueilli8. Et encore beaucoup plus celui qui les quitte - Oublie ton peuple et
la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté9. Mais il faut noter que le Christ se présente
à ses disciples comme un père 10 : en effet, quoique ce nom de père,
pris d'une manière personnelle, soit propre à la personne du Père, cependant,
pris d'une manière essentielle, il convient à toute la Trinité. Voilà pourquoi
il leur a dit plus haut : Petits
enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous11.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333.
2. Lm 5, 3.
3. He 12, 9.
4. Jn 8, 44.
5. Rm 8, 15. Voir vo1. I, n° 1461, note 6.
6. Voir 2 Co 6, 15.
7. Mt 10, 37.
JE VIENDRAI VERS
VOUS.
1923. Il leur promet
sa venue en disant : JE VIENDRAI VERS VOUS. Le Christ était déjà venu vers
eux en assumant la chair - Le Christ est venu en ce monde12. Il
restait donc trois de ses
venues, dont deux sont corporelles : l'une après la Résurrection et avant
l'Ascension, c'est-à-dire quand, s'étant éloigné d'eux par sa mort, Jésus vint
après sa Résurrection et se tint au milieu des disciples, comme il est dit plus
loin 13. L'autre qui aura lieu à la fin du monde - Il viendra de la
même manière que vous l'avez vu allant au ciel14. — Ils verront le Fils de l'homme venir dans
une nuée avec grande puissance et majesté15. Mais la troisième est spirituelle et
invisible : à savoir quand il vient vers ceux qui ont foi en lui, par la grâce, dans la vie ou dans la mort - S'il
vient à moi, je ne le
verrai pas 1.
8. Ps 26, 10.
9. Ps 44, 11-12.
10. Cette remarque
vient de saint Augustin {Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333) qui
l'illustre aussitôt par une affirmation de Jésus différente de celle que saint
Thomas rapporte : Viendront des jours où l'époux leur sera enlevé, et
alors ils jeûneront (Mt 9, 15).
11. Jn 13, 33.
12. 1 Tm 1,15.
Saint Thomas commente : « Le fait qu'il soit venu dans le monde
exprime sa double nature : celle de sa divinité, dans laquelle il était
avant que le monde apparût - Je suis sorti du Père et venu dans le monde (Jn
16, 28) -, et celle de son humanité, dans laquelle il est apparu. Et, parce
qu'il est Dieu, il emplit le ciel et la terre [cf. Jr 23, 24], c'est pourquoi
il ne lui convient pas selon sa nature divine d'être dans un certain lieu, mais
cela lui convient selon sa nature humaine - Il
était dans le monde (Jn 1,
10). - Il est venu chez les siens (Jn 1, 11) » (Ad 1 Tim.
lect., I, n° 39).
13. Cf. Jn 20, 19.
14. Ac 1, 11.
15.1x21, 27.
Il dit donc :
JE VIENDRAI VERS VOUS, après la Résurrection quant à sa première venue - Mais
je vous verrai de nouveau2. De même à la fin du
monde - Le Seigneur viendra
pour le jugement3. Et encore dans la mort pour vous prendre auprès de moi - Je viendrai
vers vous et je vous emporterai près de moi4. Enfin, JE VIENDRAI VERS VOUS en vous visitant spirituellement - Nous
viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure5.
II
ENCORE UN PEU DE
TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS. MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, PARCE QUE MOI
JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ.
1924. Le Seigneur
expose ici le mode de sa venue en montrant que cette venue doit être manifestée
uniquement aux Apôtres. Et parce qu'ils pouvaient croire qu'il reviendrait
encore vers eux selon une existence mortelle, il exclut ensuite cela en
disant : ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS.
En expliquant cela
premièrement en fonction de son retour après la Résurrection, le sens
est : ENCORE UN PEU DE TEMPS, c'est-à-dire : je suis avec vous pour
un peu de temps dans cette chair mortelle, et ensuite je serai crucifié, mais après,
LE MONDE NE ME VERRA PLUS. Et cela parce qu'après la Résurrection il ne s'est
pas manifesté à tous, mais à des témoins fixés d'avance par Dieu6, à
savoir ses disciples ; voilà pourquoi il dit : MAIS VOUS, VOUS ME
VERREZ, c'est-à-dire glorifié dans mon corps et immorte1.
De cela il leur
donne la raison en disant : PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ.
Par là, il écarte le doute. En effet, les disciples pourraient dire :
Comment te verrons-nous, puisque tu vas mourir ? Est-ce que nous aussi nous
mourrons avec toi ? Et c'est pourquoi il dit qu'il n'en sera pas ainsi,
puisque MOI JE VIS, c'est-à-dire je vivrai après ma Résurrection - Je fus
mort et me voici vivant pour les siècles des siècles7 -,
ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ, parce que vous ne serez pas tués tout de suite avec
moi - Si c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là8. Ou
bien : MOI JE VIS, par ma Résurrection, et VOUS, VOUS VIVREZ,
c'est-à-dire, vous vous en réjouirez, puisque les disciples se réjouirent à
la vue du Seigneur9.
C'est de cette
manière que le mot vivre est pris dans ce passage de la Genèse : Quand Jacob eut entendu [que Joseph régnait
en terre d'Egypte] (...) son esprit reprit vie10, à savoir à cause de la joie n.
1925. Mais Augustin12
fait une objection à cette explication : parce que de ce que dit le
Seigneur - ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS -, il s'ensuit
que les hommes de ce monde ne le verront jamais, ce qui est faux puisqu'ils le
verront au jugement - Tout œil le verra 13. À cela, on pourrait dire qu'il est vrai que
les hommes de ce monde ne le verront plus : ENCORE UN PEU DE TEMPS ET LE
MONDE NE [LE] VERRA PLUS dans cette chair mortelle ; et à cause de
cela, Augustin explique ce ENCORE UN PEU DE TEMPS en se référant au second
avènement, où il viendra pour juger.
1. Jb 9, 11.
2. Jn 16, 22.
3. Is 3, 14.
4. Jn 14, 3.
5. Jn 14, 23.
6. Ac 10, 41.
7. Ap 1, 18.
8. Jn 18, 8.
9. Jn 20, 20.
10. Gn 45, 26-27.
11. Le lien de cause à effet entre la joie et le renouveau de la
vie provient du commentaire de Théophylacte sur ce verset (Enarr. in Ev. S.
Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 182 C-D).
12. Tract, in Io., LXXV, 3,
BA 74A, p. 335.
13. Ap 1, 7.
Et on dit que ce
temps jusqu'au jugement est court, en considération de l'éternité - Car
mille ans, devant tes yeux, sont comme le jour d'hier qui est passé 1. Et c'est de cette manière que l'Apôtre, dans l'épître aux Hébreux,
appelle ce temps « court », en expliquant ce verset d'Aggée : Encore
un peu de temps, et moi j'ébranlerai le ciel et la terre 2. ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS, puisque après
le jugement les hommes qui aiment le monde et qui sont mauvais ne le verront
plus, eux qui iront dans le feu éternel3. Voilà pourquoi, selon une autre lecture
d'Isaïe : Que l'impie soit supprimé, afin qu'il ne voie pas la gloire
de Dieu4. Mais vous, qui m'avez suivi et qui êtes demeurés avec moi dans mes
épreuves, vous me verrez pour toujours dans l'éternité - Tes yeux verront le
roi dans sa beauté5. - Nous serons avec le Seigneur toujours 6. Et
cela PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ ; comme pour
dire : De même que moi j'ai une vie glorieuse dans mon âme et dans mon
corps, ainsi vous aussi - Il réformera le corps de notre misère en le
configurant à son corps de gloire7. Et il dit cela parce que notre vie glorieuse
est créée à partir de la vie glorieuse du Christ : De même que tous
meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ8. Mais, de lui, il dit au présent : JE VIS, parce que sa
Résurrection ne devait pas tarder après sa mort, mais la suivre aussitôt - Je
me lèverai au point du jour9 - puisque, comme il est dit dans le psaume : Tu ne laisseras
pas ton Saint voir la corruption 10. Mais des disciples il dit : VOUS
VIVREZ, au futur, parce que la résurrection de leur corps devait être différée
jusqu'à la fin du monde - Tes morts vivront, ceux qui m'ont
été tués ressusciteront11.
1. Ps 89, 4.
2. Ag2, 7. Cf. He 12, 26.
3. Cf. Mt 25, 41.
4. Is 26, 10. La
Vulgate dit : Ayons pitié de l'impie, et il n'apprendra pas la justice : dans la terre
des saints il fit le mal, et il ne verra pas la gloire de Dieu.
5. Is 33, 17.
Voir vo1. I, n° 1393, note 2.
6. 1 Th 4, 16.
7. Ph3, 21.
8. 1 Co 15, 22.
9. Ps 107, 3.
III
EN CE JOUR-LÀ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE,
ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.
1926. Ici est montré
le fruit de cette venue, qui est la connaissance de ce que les Apôtres
ignoraient. En effet, comme il a été dit plus haut12, Pierre ignorait où allait le Christ, c'est
pourquoi il disait : Seigneur, où vas-tu ? Cela, Thomas
également l'ignorait, ainsi que le chemin par lequel il allait ; c'est
pourquoi il disait : Nous ne savons pas où tu vas. Et comment
pouvons-nous savoir le chemin ?13 Philippe, quant à lui, ignorait le
Père ; c'est pourquoi il demandait : Seigneur, montre-nous
le Père, et cela nous suffit14. Et tout cela était causé par leur ignorance
d'une seule chose, à savoir comment le Père est dans le Fils et le Fils dans le
Père ; c'est aussi pourquoi le Christ dit à Philippe : Ne crois-tu
pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ?15 Il leur en promet donc la connaissance, disant ici : EN CE JOUR-LÀ
VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PÈRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.
Et par le fait même tout doute se trouve exclu des cœurs des disciples.
1927. Or cela peut
être expliqué de sa venue au moment de la Résurrection, et de sa venue pour le
jugement. Mais il faut distinguer une double connaissance des mystères de la
divinité. L'une est imparfaite, qui est reçue par la foi ; l'autre
parfaite, qui est reçue par la vision (per speciem) ; de ces deux
connaissances il est dit : Nous voyons maintenant à travers un miroir,
en énigme, quant à la première, mais alors nous verrons face à face1, quant à la seconde.
10. Ps 15, 10.
Voir ci-dessus, n° 1829 et note 2.
11. Is 26, 19.
Voir vo1. I, n° 1513, note 3, où saint Thomas lit interfecti tui, ceux
qui t'ont été tués.
12. Jn 13, 36.
13. Jn 14, 5.
14. Jn 14, 8.
15. Jn 14, 10.
Il dit donc :
EN CE JOUR-LÀ, après ma Résurrection, VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON
PÈRE, et cela par la connaissance de la foi, puisque alors, en voyant qu'il
était ressuscité et qu'il était avec eux, ils eurent de lui la foi la plus
certaine, surtout ceux qui reçurent l'Esprit Saint qui leur enseignait tout2. Ou
bien : EN CE JOUR-LÀ, de l'ultime résurrection lors du jugement, vous
CONNAÎTREZ, c'est-à-dire clairement par vision (per speciem) - Alors je
connaîtrai comme je suis connu3.
1928. Mais que
connaîtront-ils ? Deux choses dont il parle plus haut : l'une, que le
Père demeurant en moi fait lui-même les œuvres4 ; et quant à cela il dit : QUE MOI
JE SUIS DANS MON PÈRE, c'est-à-dire par la consubstantialité de nature.
L'autre, qu'il fera des œuvres par ses disciples, quand il dit : Qui
croit en moi fera lui-même aussi les œuvres que moi je fais5 ; et par rapport à cela il dit : ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.
1929. Il faut
remarquer ici que, parce que le Seigneur semble établir un rapport semblable
entre lui et son Père et entre lui et ses disciples, les ariens voulaient que,
de même que les disciples sont moindres que le Christ et ne lui sont pas
consubstantiels, de même le Fils soit moindre que le Père et d'une autre
substance que lui. Et c'est pourquoi il faut dire que ce qu'il dit : MOI
JE SUIS DANS MON PÈRE, est dit par consubstantialité de nature. Plus haut :
Moi et le Père nous sommes un6 et le Verbe était auprès de Dieu \
ET VOUS EN MOI, ET
MOI EN VOUS
1930. Cela se
comprend d'une première manière, c'est-à-dire en tant que les disciples sont
dans le Christ. En effet, on dit que ce qui est protégé par quelqu'un est en
lui, comme le contenu dans ce qui le contient : et de cette façon, on dit
que les choses qui sont dans le royaume sont dans le roi. Et à cause de cela il
est dit dans les Actes des Apôtres : C'est en lui que nous vivons et
que nous nous mouvons, et que nous sommes91. ET MOI je suis EN VOUS, en vous dirigeant de l'intérieur, en œuvrant et
en habitant en vous par la grâce - Que le Christ habite dans vos cœurs par
la foi9. - Voulez-vous une preuve de celui qui parle
en moi, le Christ ?I0
D'une autre manière,
selon Hilaire11. VOUS EN MOI, sous-entendu : vous êtes
en moi par votre nature, que j'ai assumée : car en assumant notre nature,
il nous a tous assumés - Car nulle part il ne prend des anges, mais c'est la
race d'Abraham qu'il prend12. ET MOI je suis EN VOUS, par le fait que vous preniez mon
sacrement : car celui qui prend le corps du Christ, le Christ est en lui -
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui13.
D'une autre
manière : VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS, sous-entendu : nous le sommes,
par un amour mutuel, car il est dit : Dieu est charité : et qui
demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui14. Et
ces choses étaient inconnues de vous, mais en ce jour-là vous les connaîtrez.
1. 1 Co 13, 12.
2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 2, PG
59, co1. 406.
3. 1 Co 13, 12.
4. Jn 14, 10.
5. Jn 14, 12.
6. Jn 10, 30.
7. Jn 1, 1.
8. Ac 17, 28.
9. Ep 3, 17.
10. 2 Co 13, 3.
11. La Trinité,
VIII,
15, SC 448, p. 401.
12. He 2, 16.
13. Jn 6, 57.
14. 1 Jn 4, 16.
La raison de
cette nouvelle venue.
QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI
M'AIME. OR CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PÈRE ; ET MOI JE L'AIMERAI,
ET JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI. (14, 21)
1931. Le Seigneur
donne une double raison pour laquelle il doit être vu de ceux qui croient en
lui et non du monde. La première, c'est leur amour ' véritable pour Dieu ;
la seconde, l'amour véritable de Dieu pour eux [n° 1934].
I
QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI
M'AIME.
1932. Ici, il faut
remarquer que l'amour véritable est celui qui se montre et se prouve dans une
œuvre ; car c'est par la réalisation d'une œuvre que l'amour est manifesté
2. Puisqu'en effet aimer quelqu'un c'est lui vouloir du bien et désirer
ce que lui-même veut3, celui qui ne fait pas la volonté de l'aimé,
et n'accomplit pas ce qu'il sait que l'ami veut, ne semble pas aimer vraiment.
Celui donc qui ne fait pas la volonté de Dieu ne semble pas l'aimer
vraiment ; et c'est pourquoi il dit : QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES
GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME, c'est-à-dire qui a un amour véritable envers
moi.
1933. Mais remarque
bien qu'un homme a d'abord les commandements de Dieu dans son cœur par la
mémoire et la méditation continuelle - Dans mon cœur j'ai caché tes paroles*.
Mais cela ne suffit pas, s'il ne les garde pas dans une œuvre - Le commencement de la sagesse est la crainte du
Seigneur. La bonne intelligence est à tous ceux qui agissent conformément à
cette crainte5. Certains les ont dans leur bouche, en enseignant et exhortant - Que
tes paroles sont douces à mon palais Ie Et ceux-là aussi doivent les accomplir par une œuvre car celui qui les accomplira et les enseignera,
celui-là sera appelé grand dans le royaume des deux7. Voilà pourquoi ceux qui disent et ne font
pas sont blâmés par le Seigneur8.
1. Amour traduit ici dilectio.
2. Cf. Saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, co1. 1220 C.
3. Sur l'amour d'amitié, voir vo1. I, n° 1475, note 7, p. 611, et ci-dessus, n° 1837, note 2.
4. Ps 118, 11.
Certains, d'autre
part, les ont dans l'oreille, en les écoutant volontiers et avec attention - Celui qui est de Dieu écoute
les paroles de Dieu9. Mais cela ne suffit pas, s'ils ne les
gardent pas, car ce ne sont pas les auditeurs de la Loi mais ceux qui
l'accomplissent qui seront justifiés10. - Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt, mais en vue
de celle qui demeure pour la vie éternelle n.
Celui donc qui a
ainsi les commandements de Dieu les garde d'une certaine manière, mais il lui
est encore imposé de les garder en persévérant. C'est pourquoi Augustin
dit : « Celui qui les a dans sa mémoire et qui les garde dans sa vie,
celui qui les a dans ses paroles et les garde dans ses œuvres, celui qui les a
par son écoute et qui les garde par son agir, ou celui qui les a par son agir
et qui les garde par sa persévérance, c'est celui-là qui m'aime 12. »
5. Ps 110, 10.
6. Ps 118, 103.
7. Mt 5, 19.
8. Cf. Mt 23, 3.
9. Jn 8, 47.
10. Rm 2, 13.
11. Jn 6, 27.
12. Tract, in Io., LXXV, 5, BA 74A, p. 339.
II
OR CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PÈRE ; ET MOI JE
L'AIMERAI, ET JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI.
1934. Mais cela, au
premier regard, semble absurde. En effet, est-ce que le Seigneur nous aime
parce que nous l'aimons ? Loin de là ! Car il est dit : Ce
n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui-même qui nous a aimés le premier1. C'est pourquoi il faut dire que nous en avons l'intelligence à partir
de ce qui a été dit auparavant : QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES
GARDE, C'EST CELUI-LÀ QUI M'AIME.
En effet, il ne dit
pas là qu'il aime parce qu'il garde les commandements ; mais que parce
qu'il aime, il accomplit les commandements. Et ainsi il faut dire ici que si
quelqu'un aime le Christ, c'est parce qu'il est aimé par le Père, et non pas
qu'il est aimé parce qu'il aime. Nous aimons donc le Fils parce que le Père
nous aime. Car le propre du véritable amour, c'est qu'il entraîne ceux qui sont
aimés à l'amour de celui qui les aime - D'un amour éternel je t'ai aimé,
c'est pourquoi je t'ai attiré, ayant pitié de toi2.
1935. Mais parce que
l'amour du Père n'est pas sans l'amour du Fils, l'amour de l'un et de l'autre
étant le même - Car tout ce que le Père fait, cela le Fils aussi le fait
pareillement3 -, il ajoute : ET MOI JE L'AIMERAI. Mais puisque le Père et le
Fils aiment toutes choses de toute éternité, pourquoi dit-il JE L'AIMERAI, au
futur ?
Il faut donc dire
que l'amour, en tant qu'il est dans la volonté divine, est éternel ; mais
que, en tant qu'il est manifesté dans la réalisation d'une œuvre et d'un effet,
il est tempore1. Et c'est pourquoi le sens est : ET MOI JE L'AIMERAI,
c'est-à-dire : je montrerai l'effet de mon amour (dilectio), puisque
de fait JE ME MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI, « c'est-à-dire je l'aimerai
pour me manifester4 ».
1936. Or il faut
savoir que l'amour de quelqu'un pour un autre est tantôt relatif à quelque
chose, tantôt absolu5 : relatif à quelque chose quand il veut
pour lui quelque bien particulier, et absolu quand il veut pour lui le bien
tout entier. Or Dieu aime toutes les réalités causées d'une manière relative
puisqu'il veut un certain bien pour toute créature, même pour les démons, à
savoir qu'ils vivent, qu'ils pensent et qu'ils soient - et ce sont des biens.
Mais il aime d'une manière absolue ceux pour qui il veut le bien tout entier,
c'est-à-dire qu'ils possèdent Dieu lui-même, ce qui est posséder la vérité,
puisque Dieu est la Vérité. Or la vérité est possédée quand elle est connue.
Dieu aime donc véritablement et d'une manière absolue ceux à qui il se
manifeste lui-même, lui qui est la Vérité. Et c'est ce qu'il dit : JE ME
MANIFESTERAI MOI-MÊME À LUI, c'est-à-dire dans le futur par la gloire, qui est
l'effet ultime de la béatitude future - Il
annonce à son ami que la lumière est
son partage6. - La sagesse prévient ceux qui la
désirent''.
1937. Mais quelqu'un
pourrait dire : le Père ne se manifestera-t-il pas ? Si : et le
Père, et le Fils ; car le Fils manifeste en même temps et le Père et
lui-même, puisqu'il est son
Verbe - Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils
veut le révéler1. Cependant si, pour un temps, le Fils se manifeste à quelqu'un d'une
manière particulière, c'est un signe de l'amour divin. Cela peut donc être la
raison pour laquelle le monde ne le verra pas : il ne se manifestera pas à
lui, et cela parce que le monde ne l'aime pas.
1. 1 Jn 4, 10.
2.Jr 31, 3.
3. Jn 5, 19.
4. Saint
Augustin, Tract, in 7o.,.LXXV, 5, BA 74A, p. 341.
5. Cette distinction entre ce qui est relatif, secundum quid, et
ce qui est absolu, simpliciter, est souvent employée par saint Thomas.
Il s'en sert pour mettre en lumière la réalité qui, découverte comme principe,
absolu, n'est jamais choisie pour autre chose, mais au contraire pour elle-même
car elle est première et source de ses effets qui sont relatifs. Ainsi, elle
lui permet ici de distinguer l'amour du bien-fin, c'est-à-dire l'amour de Dieu,
de l'amour des biens relatifs, utiles, l'amour des biens particuliers, des
moyens.
6. Jb 36, 33 (propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note
5.
7. Sg 6, 14.
Le Christ écarte
le doute de son disciple.
1938. Plus haut le
Seigneur a promis sa venue à ses disciples [n° 1921] ; ici il écarte le
doute du disciple. L'Évangéliste expose d'abord le doute du disciple, puis la
réponse du Christ [n° 1940].
JUDAS, NON CELUI APPELÉ L'ISCARIOTE, LUI DIT :
« SEIGNEUR, QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS
ET NON AU MONDE ? » (14, 22)
1939. Il faut savoir
à ce propos que c'est une habitude des saints et des humbles, quand ils
entendent de grandes choses à leur sujet, d'être stupéfaits et de s'étonner. Or
les disciples avaient entendu le Seigneur dire : Encore un peu de
temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi
je vis et que vous, vous vivrez2. En cela il semblait préférer les Apôtres au monde entier : et
c'est pourquoi Judas, le frère de Jacques dont l'épître fait partie des écrits
canoniques, en état d'étonnement et de stupéfaction, dit : SEIGNEUR,
QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS ? Comme pour
dire : Quelle en sera la cause ? Sommes-nous au-dessus du monde tout
entier ? David a dit quelque chose de semblable : Qui suis-je,
moi, et quelle est ma maison ?3 Dans Matthieu, les justes disent : Seigneur,
quand t'avons-nous vu ayant faim et t'avons-nous rassasié ? 4
1. Mt 11, 27 ; Le 10, 22. Saint Thomas
commente : « Le Fils connaît par compréhension. Parce qu'il connaît
parfaitement et qu'il est connaissable, il a donc le pouvoir de révéler comme
le Père. C'est pourquoi il dit : Et celui à qui le Fils veut le
révéler. En effet, la manifestation
se fait par le Verbe - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes Gn
17, 6). - Personne n'a jamais vu Dieu (Jn 1, 18), mais lui le connaît. Donc il a pu manifester. Ce qu'il avait
donc dit du Père, il se 1 attribue. Il avait dit en effet : Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, tu les as révélées aux tout-petits (Mt 11, 25). Cela aussi le Fils le peut,
du fait qu'il a le même pouvoir » (Super Matth. lect., XI) n° 966). Voir aussi ci-dessus, n° 1830,
note 8.
2. Jn 14, 19.
1940. Le Christ
commence par donner la cause de sa manifestation aux disciples et non au monde,
puis il manifeste ce qu'il vient de dire [n° 1950].
JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : « SI QUELQU'UN M'AIME,
IL GARDERA MA PAROLE. ET MON PÈRE L'AIMERA ET NOUS VIENDRONS À LUI, ET NOUS
FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE. CELUI QUI NE M'AIME PAS NE GARDE PAS MES
PAROLES. »> (14, 23-24)
II montre d'abord
pourquoi il va se manifester aux disciples ; ensuite pourquoi il ne va pas
se manifester au monde [n° 1949].
En premier lieu est
montrée la capacité qu'avaient les disciples de recevoir une manifestation du
Christ, et en second lieu, le déroulement de cette manifestation et son ordre
[n° 1943]. Au sujet du premier point, il indique deux choses qui rendent l'homme
capable de recevoir une manifestation de Dieu : la première est la
charité ; la seconde, l'obéissance [n° 1942].
SI QUELQU'UN M'AIME
1941. Quant à la
première, il dit : SI QUELQU'UN M'AIME. Trois choses, en effet, sont
nécessaires à l'homme qui veut voir Dieu. Premièrement, qu'il s'approche de
Dieu - Ceux qui s'approchent de ses pieds recevront de sa doctrine1. Deuxièmement, qu'il élève les yeux pour le voir - Levez vos yeux en
haut et voyez qui a créé ces choses2. Troisièmement, qu'il vaque à cette vision : car les réalités
spirituelles ne peuvent être vues si l'on ne se vide pas de celles de la terre
- Vaquez et voyez que je suis Dieu3. Et c'est la charité qui réalise ces trois choses. En effet, c'est elle
qui unit l'âme de l'homme à Dieu - Celui qui demeure dans la charité demeure
en Dieu et Dieu en lui4. C'est elle qui élève le regard vers Dieu - Là où est ton trésor, là
aussi est ton cœur5. Voilà pourquoi on dit : « Là où est ton amour, là sont tes
yeux6. » C'est elle encore qui fait qu'on se vide des réalités de ce
monde - Celui qui aime le monde, la charité parfaite de Dieu n’est pas en lui7. Par conséquent, au contraire, celui qui aime Dieu parfaitement, l'amour
du monde n'est pas en lui.
3. 2 S 7, 18.
4. Mt 25, 37.
IL GARDERA MA
PAROLE.
1942. Or de la
charité découle l'obéissance ; c'est pourquoi il dit : IL GARDERA MA
PAROLE. Comme le dit Grégoire8 : « La preuve de l'amour, c'est la
réalisation d'une œuvre. (...) L'amour de Dieu n'est jamais oisif ; en
effet, si c'est l'amour, il opère de grandes choses, mais s'il a refusé
d'œuvrer, ce n'est pas l'amour. » Car la volonté, et surtout celle qui
regarde la fin, meut toutes les autres puissances vers leurs actes : en
effet, l'homme ne se repose pas s'il ne fait pas ce par quoi il peut parvenir à
la fin vers laquelle il tend, en particulier si sa volonté est tendue vers
cette fin. Quand donc la volonté de l'homme est tendue vers Dieu, qui est sa
fin, elle meut toutes ses forces à faire tout ce qui conduit vers lui. Or c'est
par la charité qu'elle est tendue vers Dieu ; et voilà pourquoi c'est la
charité qui nous fait garder les commandements - La charité du Christ nous
presse9. - Ses lampes sont des lampes de feu et
de flammes10.
1. Dt 33, 3.
2. Is 40, 26.
3. Ps 45,
11 : Vacate et videte quoniam ego sunt Deus. « Vaquer à »
et « se vider de » traduisent ici le même verbe latin vacare. Saint
Jean de la Croix cite ce verset pour montrer que si elle acceptait « de se
bien purifier et évacuer de toutes les formes et images appréhensibles, (...)
l'âme, désormais simple et pure, se transformerait en la simple et pure
Sagesse, qui est le Fils de Dieu », et il ajoute : « C'est ce
que Notre-Seigneur nous demande par David, disant : Apprenez à vous
évacuer de toutes choses (à savoir intérieurement) et vous verrez que je
suis Dieu ! » (La Montée du Carmel, II, ch. 15 et 32, Œuvres
complètes, DDB 1967, p. 174 et 328).
4. 1 Jn 4, 16.
5. Mt 6, 21.
6. On retrouve
souvent dans l'Écriture des expressions qui associent le cœur et les yeux. Voir
par exemple Qo 11, 9 ; Jn 12, 40 ; 1 Jn 2, 16.
7. 1 Jn 2, 15. La
Vulgate dit : Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est pas
en lui.
8. XL hom. in
Évang., II, nom. 30 (pour le jour de la Pentecôte), 1-2, PL 76, co1.
1220 C et 1221 Β (voir ci-dessus vo1. I, n° 477, note 4).
Et par l'obéissance,
l'homme est rendu capable de voir Dieu : Par tes commandements -
sous-entendu gardés par moi -j'ai eu l'intelligence 11. Et encore : J'ai été plus intelligent que les vieillards12.
ET MON PÈRE
L'AIMERA.
1943. Le Seigneur
expose ensuite le déroulement et l'ordre de cette manifestation. Or il y a
trois choses par lesquelles une manifestation divine est faite à un homme.
La première est
l'amour divin ; et quant à cela il dit : MON PÈRE L'AIMERA. Plus haut
[n° 1935] on a expliqué pourquoi il dit AIMERA au futur, quant à l'effet de
l'amour du Père, qui cependant a aimé de toute éternité quant à sa volonté de
faire du bien - J'ai aimé Jacob13. Et il ne dit pas : MOI JE L'AIMERAI,
parce que cela leur a déjà été montré clairement auparavant - J'aime ceux
qui m'aiment14. Il restait donc à leur faire comprendre que le Père les aimait - II
a aimé les peuples ; tous les saints sont dans sa main15.
9. 2 Co 5, 14.
10. Ct 8, 6.
11. Ps 118, 104.
12. Ps 118, 100.
13. Ml 1, 2.
14. Pr 8, 17.
15. Dt 33, 3.
ET NOUS VIENDRONS A LUI.
1944. La deuxième
est la Visitation divine ; et à ce sujet il dit : ET NOUS VIENDRONS À
LUI. Mais on objecte : venir signifie un changement de lieu, mais Dieu ne
change pas. Donc...
Je réponds : on
dit que Dieu vient vers nous, non que lui-même soit mû vers nous, mais parce
que nous, nous sommes mus vers lui. En effet, on dit que quelque chose vient
dans un lieu où il n'était pas auparavant ; or cela ne convient pas à Dieu,
puisqu'il est partout - Moi je remplis le ciel et la terre1. On dit encore que quelque chose vient en un lieu dans la mesure où il y
est d'une manière nouvelle selon laquelle il n'y avait pas été auparavant,
c'est-à-dire par l'effet de la grâce ; et par cet effet de la grâce il
nous fait accéder à lui.
1945. Mais il faut
remarquer, selon Augustin2, que c'est de trois manières que Dieu vient
vers nous et que nous, nous allons vers lui.
Premièrement, il
vient vers nous en nous remplissant de ses effets, et nous, nous allons vers
lui en les recevant - Venez à moi, vous tous qui me désirez, et
remplissez-vous de tout ce qui vient de moi3. Deuxièmement, il vient vers nous en nous illuminant et nous, nous
allons vers lui en le considérant - Approchez-vous de lui, et vous serez
illuminés4. Troisièmement, il vient vers nous en nous aidant et nous vers lui en
lui obéissant, car nous ne pouvons pas obéir si nous ne sommes pas aidés par le
Christ - Venez, montons à la montagne du Seigneur5.
1946. Mais pourquoi
n'a-t-il pas fait mention de l'Esprit Saint ?
Selon Augustin6, il
n'est pas dit que l'Esprit Saint doive être exclu lors de la venue du Père et
du Fils puisqu'il est dit plus haut : Afin qu 'il demeure avec vous
éternellement7. Mais comme il y a deux aspects dans la Trinité - à savoir la
distinction des personnes et l'unité d'essence8 -, tantôt il est fait mention de trois
personnes pour signifier la distinction des personnes, tantôt il fait mention
de deux personnes sans la troisième, pour signifier l'unité d'essence.
Ou bien il faut dire
que puisque l'Esprit Saint n'est rien d'autre que l'amour du Père et du Fils,
dès qu'on parle du Père et du Fils, on sous-entend l'Esprit Saint.
ET NOUS FERONS CHEZ
LUI NOTRE DEMEURE.
1947. La troisième
chose nécessaire à la manifestation de Dieu est la persévérance dans l'amour de
Dieu et dans son habitation en nous (visitatio) ; et par rapport à
cela il dit : ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE - par là il touche
deux choses.
D'abord la fermeté
de l'adhésion à Dieu, quand il dit NOTRE DEMEURE. Car Dieu vient vers certains
par la foi mais ne demeure pas avec eux parce qu'ils croient pour un temps,
et au temps de la tentation ils se retirent9. Il vient vers certains par le regret10
du péché mais ne demeure
pourtant pas avec eux parce qu'ils retournent à leurs péchés 11 - Comme le chien qui retourne à son
vomissement, ainsi est l'imprudent qui réitère sa folie12.
Mais dans ses prédestinés il demeure toujours - Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu 'à la
consommation du siècle1.
1. Jr23, 24.
2. Tract, in Io., LXXVI, 4, BA 74A, p. 351.
3. Si 24, 26.
4. Ps 33, 6. Voir
vo1. I, n° 1089, note 6.
5. Is 2, 3.
6. La Trinité, I,
IX, 19, BA 15, p. 141.
7. Jn 14, 16.
8. Sur les
processions, les relations et la distinction des personnes dans la Trinité,
voir ci-dessus, n° 1911 et note 7.
9. Le 8, 13. Cf.
Le 19, 44 : Tu n'as pas connu le temps où tu fus visitée !
10. Saint Thomas
emploie le mot compunctio. Sur le sens de ce mot, voir ci-dessus, n°
1702, note 13.
11. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, co1.
1221 A.
12. Pr 26, 11.
Puis il montre la
familiarité2 du Christ à l'égard des hommes : NOUS
FERONS NOTRE DEMEURE CHEZ LUI, c'est-à-dire chez celui qui aime et qui obéit,
en tant qu'il se réjouit avec nous et nous fait nous réjouir en lui - Mes
délices sont d'être avec les fils des hommes^". - Tu feras l'allégresse de
ton Dieu4.
1948. Chrysostome5,
rapportant cela à une autre intention, dit que Judas (non pas l'Iscariote), en
entendant : Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers
vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me
verrez, parce que moi je vis et que vous, vous vivrez6, a pensé que le Christ viendrait vers eux après sa mort comme les morts
viennent vers nous dans notre sommeil ; c'est pourquoi il demande :
QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MÊME À NOUS ET NON AU
MONDE ?, comme pour dire : Malheur à nous, puisque tu seras mort et
que c'est comme mort que tu dois te présenter à nous. Donc pour exclure cela,
il dit : Moi et le Père NOUS VIENDRONS À LUI, c'est-à-dire, de même que le Père
se manifeste, de même moi aussi, ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE :
or cela ne relève pas des rêves, où il n'y a aucun retard.
CELUI QUI NE M'AIME
PAS NE GARDE PAS MES PAROLES.
1949. Le Seigneur
expose ici la cause pour laquelle il ne va pas se manifester au monde :
cette cause est la suppression de ce pour quoi il se manifestera aux hommes.
Car une fois la
cause supprimée, son effet est supprimé ; or ils n'ont pas en eux la cause
qui pourrait leur susciter une manifestation divine, donc Dieu ne va pas se
manifester au monde ni aux hommes de ce monde.
Qu'ils n'aient pas
en eux la cause, cela est clair, « puisque le monde ne m'aime
pas » ; et à propos de cela il dit : CELUI QUI NE M'AIME PAS. Et
de plus il ne m'obéit pas, c'est pourquoi il dit : NE GARDE PAS MES
PAROLES. En effet, comme le dit Grégoire7 : « Quand il s'agit de l'amour du
Créateur, la langue, l'esprit et la vie sont requis. » La cause pour
laquelle il va se manifester aux siens et non aux étrangers est donc
évidente : c'est parce qu'assurément ceux-là aiment. Et de fait, l'amour
sépare les saints du monde - A ceux qu'enfle la démesure, c'est-à-dire
aux orgueilleux, il cache sa lumière ; et il annonce à son ami que la
lumière est son partage 8. - L'abîme dit : Elle [la Sagesse]
n'est pas en moi ; et la mer, c'est-à-dire celui qui est agité : Elle
n'est pas avec moi9.
ET LA PAROLE QUE
VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE MAIS CELLE DU PÈRE QUI M'A ENVOYÉ. (14,
24)
1950. Le Christ met
ensuite en lumière ce qu'il a dit plus haut : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole. Et mon Père
l'aimera... On pourrait dire
en effet que ce qui a été dit n'a aucune signification (ratio) 10 et
qu'il eût dit d'une manière plus raisonnable : Moi je l'aimerai et je
viendrai à lui. Et c'est pourquoi il exclut cela en disant : ET LA PAROLE
QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE, c'est-à-dire elle n'est pas à moi
de moi-même, mais d'un autre, à savoir du Père (a Patre) qui m'a envoyé. Comme pour dire1 :
Celui qui n'écoute pas cette parole, ce n'est pas seulement moi qu'il n'aime
pas, mais aussi le Père. Et voilà pourquoi celui qui l'aime et qui aime le Père
mérite une manifestation de l'un et de l'autre. Il dit donc : ET LA
PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE, que j'ai
proférée en tant qu'homme, est bien la mienne dans la mesure où je la prononce,
et elle N'EST PAS LA MIENNE, dans la mesure où elle est d'un autre - Mon enseignement
n'est pas le mien2. - Les paroles que
moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-même 3.
1. Mt 28, 20.
2. Sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5.
3. Pr 8, 31.
4. Is 62, 5.
5. In Ioannem hom., LXXV, 3,
PG 59, co1. 406-407.
6. Jn 14, 18-19.
7. XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, co1. 1221 B.
8.Jb 36, 32-33 (verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
9.Jb 28, 14. 10. Sur le sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p.
18, note 4.
1951. Mais remarque,
selon Augustin4, que lorsque le Seigneur parle de ses paroles,
il dit au pluriel : Mes paroles ; mais quand il parle de la
parole du Père, il parle au singulier, disant : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ
ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE, parce qu'il a voulu être compris lui-même à
travers le Verbe du Père, qui est son unique Verbe. Aussi ne dit-il pas qu'il
est à lui-même mais qu'il est au Père, puisqu'il n'est ni sa propre image ni
son propre Fils, mais ceux du Père. Or toutes les paroles qui sont dans nos
cœurs proviennent de l'unique Verbe du Père.
b) Il promet à ses disciples ses dons.
1952. Ici le
Seigneur promet aux disciples ses dons. Il leur avait promis l'Esprit Saint et
lui-même, et c'est pourquoi il leur montre d'abord les dons qui proviennent de
la venue de l'Esprit Saint, puis les dons qui proviennent de lui-même : Je vous laisse la paix5 [n° 1961].
Les dons qui
proviennent de la venue de l'Esprit Saint.
JE VOUS AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS ; MAIS LE
PARACLET, L'ESPRIT SAINT QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM, CELUI-LÀ VOUS
ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT. (14, 25-26)
De la venue de
l'Esprit Saint proviennent de grands dons, à savoir l'intelligence de toutes
les paroles du Christ. Et c'est pourquoi à ce sujet il commence par leur
rappeler ses enseignements, puis il leur en promet l'intelligence [n° 1954].
JE VOUS AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS.
1953. Il dit donc,
quant au premier point : CELA, que j'ai dit, JE VOUS L'AI DIT par
l'instrument de mon humanité, DEMEURANT AUPRÈS DE VOUS d'une présence
corporelle. Et certes, c'est un très grand bienfait que le Fils lui-même nous
parle et nous enseigne - Après avoir à bien des reprises et de
bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps
qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils6. - Quelle
est toute chair pour qu'elle entende son Seigneur ?7
1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 3, PG 59, co1. 407.
2. Jn7, 16.
3. Jn 14, 10.
4. Tract, in Io., LXXVI, 5,
BA 74A, p. 353-355.
5. Jn 14, 27.
6. He 1, 1.
7. Dt 5, 26.
MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON
NOM, CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS
AURAI DIT. (14, 26)
1954. L'intelligence
de ses enseignements, il la leur promet par l'Esprit Saint qu'il leur donnera.
Et concernant l'Esprit Saint il fait ici trois choses : d'abord il le
présente, puis il décrit sa mission [n° 1956], et enfin son effet [n° 1958].
MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT
1955. Le Seigneur
présente l'Esprit Saint de plusieurs manières : comme Paraclet, comme Esprit et
comme Saint. Il est le Paraclet parce qu'il nous console quant aux tristesses
provenant des perturbations de ce monde - Au-dehors, des luttes ;
au-dedans, des craintes 1. - Lui qui nous console dans toute notre
tribulation2. Et il fait cela en tant qu'il est Amour,
nous faisant aimer Dieu et reconnaître sa grandeur, et c'est pourquoi nous
souffrons les outrages avec joie - Les Apôtres s'en allèrent tout joyeux de
devant le grand conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des
outrages pour le nom de Jésus3. - Réjouissez-vous et exultez, car votre
récompense est grande dans les deux4.
De même il nous
console des tristesses des péchés passés, dont il est dit : Bienheureux
ceux qui pleurent5. Et cela il le fait en tant qu'il nous donne l'espérance de son pardon6 - Recevez
l'Esprit Saint ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez1. — Pour que je donne la consolation à ceux
qui pleurent en Sion8.
1. 2 Co 7, 5.
2. 2 Co 1, 4.
3. Ac 5,41.
4. Mt 5, 12.
5. Mt 5, 5. Saint Thomas
commente : « À trois types de pleurs répondent trois sortes de
consolations. Pour les pleurs dus au péché, la rémission des péchés nous est
donnée, celle que réclamait David - Rends-moi la joie de ton salut (Ps
50, 14). À l'attente de la patrie céleste et à la misère de notre état présent
répond la consolation de la
vie éternelle — Je changerai leurs pleurs en cris de joie ; et je les
consolerai, je les réjouirai après leur peine (Jr 31, 13). - Dans
Jérusalem vous serez consolés (Is 66, 13). Aux troisièmes pleurs répond
la consolation de l'amour divin : en effet, quand quelqu'un souffre de
l'absence de la réalité aimée, il est consolé s'il reçoit une autre réalité
davantage aimée. C'est pourquoi les hommes sont consolés quand à la place des
réalités temporelles ils reçoivent des réalités spirituelles et éternelles, et
c'est cela, recevoir l'Esprit Saint ; c'est pourquoi il est appelé
Paraclet (cf. Jn 15, 26). En effet, par l'Esprit Saint qui est l'amour divin, les
hommes se réjouissent - Votre tristesse se changera en joie (Jn 16,
20) » (Super Matth, lect., V, n° 423).
Il est l'Esprit
parce qu'il meut nos cœurs à obéir à Dieu - Quand il sera venu comme un
fleuve impétueux que l'Esprit du Seigneur agite9. - Ceux qui sont conduits par l'Esprit de
Dieu, ceux-là sont fils de Dieu10.
Il est Saint parce
qu'il nous consacre à Dieu et que tout ce qui est consacré à Dieu est appelé
saint - Ne savez-vous pas que nos corps sont le temple de l'Esprit
Saint ?11 - L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de
Dieu : le Très-Haut a sanctifié son tabernacle 12.
QUE LE PÈRE ENVERRA
EN MON NOM
1956. Il parle
ensuite de sa mission : QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM. Là, ne comprenons
pas qu'il vient vers nous par un mouvement local, mais qu'il doit être en nous
d'une manière nouvelle, autre que celle selon laquelle il était en nous
auparavant - Envoie ton Esprit et ils seront créés13 -,
c'est-à-dire dans un exister (esse) spiritue1.
Mais remarque ici
que l'Esprit Saint est envoyé par le Père et le Fils, et qu'en vue de montrer
cela le Christ dit parfois, comme ici, que le Père envoie l'Esprit Saint, et
parfois que c'est lui-même qui l'envoie - Que moi je vous enverrai (...) 14 Mais
jamais il ne dit que l'Esprit Saint est envoyé par le Père sans faire mention
de lui-même ; aussi dit-il
ici : QUE LE PÈRE ENVERRA EN MON NOM. Et il ne dit pas non plus qu'il est
envoyé par lui, le Fils, sans mentionner le Père, et c'est pourquoi il
dit : Que moi je vous enverrai d'auprès du Père1.
6. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom.
30, 3, PL 76, co1. 1221 D.
7. Jn 20, 23.
8. Is 61, 3.
9. Is 59, 19.
10. Rm 8, 14.
11. 1 Co 6, 19.
12. Ps 45, 5. Voir vo1. I, n° 1090, note 4.
13. Ps 103, 30.
14. Jn 15, 26.
1957. Mais pourquoi
dit-il : EN MON NOM ? L'Esprit Saint sera-t-il nommé Fils ? On
pourrait dire que l'Esprit Saint était donné aux fidèles à l'invocation du nom
du Christ, mais il vaut mieux dire que, de même que le Fils vient au nom du
Père - Moi je suis venu au nom de mon Père2 -, de même l'Esprit Saint vient au nom du Fils. Or le Fils est venu au
nom du Père, non qu'il fût le Père mais parce qu'il était le Fils du Père, et
de même (similiter) l'Esprit Saint est venu au nom du Fils, non qu'il
fût dit Fils, mais parce qu'il était l'Esprit du Fils - Si quelqu'un n'a pas
l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas3. — Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de
son Fils4. - Il les a prédestinés à être conformes à
l'image de son Fils5, et cela à cause de la consubstantialité du Fils à l'égard du Père et de
l'Esprit Saint à l'égard du Fils. De même, comme le Fils venant au nom du Père
a soumis au Père ceux qui croient en lui - Tu as fait de nous pour notre
Dieu un royaume et des prêtres6 -, de même l'Esprit Saint nous configure au
Fils en tant qu'il nous adopte comme fils de Dieu7 - Vous avez reçu un Esprit d'adoption
dans lequel nous crions : Abba, Père !8 - Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de
son Fils qui crie : Abba, Père !9
1. Idem.
2. Jn 5, 43.
3. Rm 8, 9. Saint
Thomas commente : « II faut cependant noter que l'Esprit du Christ et l'Esprit de Dieu le Père sont un même Esprit ; mais on dit l'Esprit de
Dieu le Père en tant qu'il procède du Père,
et l'Esprit du Christ en tant qu'il procède du Fils. Aussi le Seigneur attribue-t-il partout cet Esprit
à lui-même comme à son Père :
Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, celui-là vous enseignera tout, et vous
rappellera tout ce que je vous aurai dit
(Jn 14, 26) ; et
encore : Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de
vérité qui procède du Père, il rendra témoignage
de moi (]n 15, 26) » (Ad Rom. lect., VIII, n° 627).
4. Ga 4, 6.
5. Rm 8, 29.
6. Ap 5, 10.
7. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 139, SC 386, P· 273-275.
Dans son Commentaire des Sentences, saint Thomas précise :
« Par le Saint-Esprit qui est donné aux hommes, ceux-ci sont dit
adoptés » (III Sent., d. 10, q. 2, a. 2b, sed contra 1). Sur
l'adoption des fils de Dieu, voir aussi Somme théol, III, q. 45, a. 4.
CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT.
1958. Le Seigneur
parle ensuite de l'effet de l'Esprit Saint.
Car, comme l'effet
de la mission du Fils fut de conduire au Père, ainsi l'effet de la mission de
l'Esprit Saint est de conduire les croyants au Fils. Or le Fils, étant la Sagesse
engendrée, est la Vérité elle-même - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la
Vie10 -, et c'est pourquoi l'effet de sa mission
est de rendre les hommes participants de la sagesse divine et de leur donner la
connaissance de la vérité. Le Fils donc nous transmet son enseignement,
puisqu'il est le Verbe, mais l'Esprit Saint nous rend capables de le recevoir11.
Il dit donc CELUI-LÀ
VOUS ENSEIGNERA TOUT parce que, quoi que l'homme enseigne au-dehors, si
l'Esprit Saint n'en donne de l'intérieur l'intelligence, c'est en vain qu'il
travaille : car si l'Esprit Saint n'est pas présent au cœur de celui qui
écoute, la parole de celui qui enseigne sera inutile - L'inspiration du
Tout-Puissant donne l'intelligence 12 ; à tel point que même le Fils, parlant
par l'instrument de son humanité, ne peut rien s'il n'est lui-même mû de
l'intérieur par l'Esprit Saint13.
1959. Mais remarque
que plus haut il dit : Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et à son
école vient à moi1. Ici le Seigneur parle de l'enseignement que
l'homme a reçu, et qu'il ne reçoit qu'en étant enseigné par l'Esprit
Saint ; autrement dit, celui qui reçoit du Père et du Fils l'Esprit Saint,
celui-là connaît le Père et le Fils et il vient à eux. Or l'Esprit Saint nous
fait connaître toutes choses en nous inspirant de l'intérieur, en nous
dirigeant, et en nous élevant vers les réalités spirituelles. En effet, de même
que celui qui a le goût infecté n'a pas la vraie connaissance des saveurs, de
même aussi celui qui est infecté par l'amour du monde ne peut goûter les
réalités divines2 - L'homme charnel (animalis) ne perçoit pas ce qui est de
l'Esprit de Dieu3.
8. Rm 8, 15.
9. Ga 4, 6.
10. Jn 14, 6.
11. Voir / Sent., à. 18,
q. 1, a. 3, ad 3 : « Bien que l'Esprit Saint ne soit pas principe du
Fils, il est cependant principe de l'effet selon lequel le Fils est dit être
donné ou envoyé, et c'est pourquoi le Fils lui-même est donné par le don qui
est l'Esprit Saint ».
12. Jb 32, 9.
13. Cf. saint
Grégoire: LE Grand, XL
hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, co1.
1222A.
1960. Mais parce
qu'il appartient aux inférieurs de rappeler les choses à d'autres, par exemple
aux acolytes dans les services divins, va-t-on dire que l'Esprit Saint, qui
nous rappelle tout, est inférieur à nous ? Là il faut répondre, selon
Grégoire4, que s'il est dit que l'Esprit Saint
rappelle, ce n'est pas qu'il mette en nous radicalement la science, mais que
dans le secret il procure des forces pour connaître, qu'il enseigne en tant
qu'il nous fait participer à la sagesse du Fils. Il rappelle en tant qu'il nous
meut, étant l'amour. Ou bien [IL] VOUS RAPPELLERA TOUT, c'est-à-dire il vous le
remettra en mémoire - Ils se
souviendront du Seigneur et se convertiront à lui, tous les confins de la terre5.
Il faut savoir en
effet que parmi les choses que le Christ a dites à ses disciples, il y en a que
ceux-ci n'ont pas comprises, et d'autres dont ils ne se souvenaient pas. Le
Seigneur dit donc : CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT ce que vous ne pouvez
pas comprendre maintenant, et VOUS RAPPELLERA TOUT ce dont vous ne pouvez pas
vous souvenir. En effet, comment l'Évangéliste Jean, quarante ans après,
aurait-il pu avoir le souvenir de toutes les paroles du Christ qu'il a écrites
dans son Évangile, si l'Esprit Saint ne les lui avait rappelées ?
Les dons qui
proviennent du Christ lui-même.
JE VOUS LAISSE LA PAIX, JE VOUS DONNE MA PAIX. MOI, JE NE
VOUS LA DONNE PAS COMME LE MONDE LA DONNE. (14, 27)
1961. Plus haut, le
Seigneur a promis à ses disciples quelque chose qu'ils allaient obtenir grâce à
la présence de l'Esprit Saint ; or ici il promet un don qu'ils allaient
obtenir par sa venue et sa présence.
Cependant, il faut
savoir que si l'on considère la propriété des personnes, à savoir du Fils et de
l'Esprit Saint, le Seigneur semble alterner les dons. En effet, puisque le Fils
est le Verbe, il semble que le don de la sagesse et de la connaissance lui
appartienne en propre. Mais à l'Esprit Saint est appropriée la paix, puisqu'il
est l'amour qui est cause de paix. Mais cependant, parce que l'Esprit Saint est
celui du Fils, et que ce que donne l'Esprit Saint, il le tient du Fils, il
attribue ce don de la connaissance à l'Esprit Saint, quand il dit :
CELUI-LÀ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI
DIT, ce qui est cependant approprié au Fils. Mais parce que l'Esprit Saint
procède du Fils, ce que l'Esprit Saint fait en propre est attribué au Fils. Et
selon ce mode, le Christ s'attribue à lui-même la paix, disant : JE VOUS LAISSE LA PAIX. En premier lieu, il promet
le don de la paix qu'il laisse, en second lieu il distingue cette paix de la
paix du monde [n° 1964].
1. Jn 6, 45.
2. Cf. ci-dessus n° 1919.
3. 1 Co 2, 14. Pour la traduction du mot animalis, voir
vo1. I, n° 138, note 6.
4. XL hom. in Évang., II,
hom. 30, 3, PL 76, co1. 1222 B.
5. Ps 21, 28.
JE VOUS LAISSE LA
PAIX.
1962. Il faut savoir
que la paix n'est rien d'autre que la tranquillité de l'ordre * : en effet
on dit que des choses sont dans la paix quand leur ordre demeure non troublé.
Or dans l'homme il y a un ordre triple : de l'homme vers lui-même, de
l'homme vers Dieu, et de l'homme vers le prochain ; et ainsi il y a dans
l'homme une triple paix. Une certaine paix intrinsèque selon laquelle il est
pacifié en lui-même sans trouble de ses puissances - Paix abondante pour
ceux qui aiment ta loi2. Une autre par laquelle l'homme est en paix avec Dieu, totalement soumis
à son ordre - Étant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu3. La
troisième paix est à l'égard du prochain - Recherchez la paix
avec tous les saints et la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu 4.
Mais il faut
remarquer qu'en nous, trois choses doivent être mises en ordre, à savoir
l'intelligence, la volonté et l'appétit sensible : la volonté doit être
dirigée selon l'esprit, ou la raison ; et l'appétit sensible selon l'intelligence
et la volonté. Et c'est pourquoi Augustin dans le livre Des paroles
du Seigneur, définissant la paix
des saints, dit : « La paix est la sérénité de l'esprit, la
tranquillité de l'âme, la simplicité du cœur, le lien de l'amour, la communion
de la charité5. » La sérénité de l'esprit se rapporte
ainsi à la raison, qui doit être libre, non pas liée ou absorbée par quelque
affection désordonnée ; la tranquillité de l'âme se rapporte à la
puissance sensible, qui doit se reposer du tracas des passions ; la
simplicité du cœur se rapporte à la volonté, qui doit être totalement portée
vers Dieu, son objet ; le lien de l'amour se rapporte au prochain et la
communion de la charité à Dieu.
1. Cf. saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX,
xin, 1, BA 37, p. 111 :
« La paix de toutes choses, c'est la tranquillité de l'ordre ». Voir Somme théol, II-II, q. 29, a. 1, c. et ad 1. Et
pour saint Thomas la paix est la
béatitude qui relève du don de sagesse parce que le propre du sage est d'ordonner (voir loc. cit., q. 45, a. 6,
c).
2. Ps 118, 165.
3. Rm 5, 1. Saint
Thomas commente : « Étant donc justifiés par la foi, à savoir,
en tant que par la foi en la Résurrection nous participons à son effet, ayons
la paix avec Dieu, en nous soumettant à lui et en lui obéissant - Soumets-toi
donc à Dieu, et tu auras la paix (Jb 22, 21). Et : Qui lui a
résisté et a eu la paix ? (Jb 9, 4). Et cela par notre Seigneur Jésus Christ qui nous a
conduits jusqu'à cette paix - C'est lui « w » est notre
paix (Ep 2, 14) » (Ad Rom. lect., V, n° 382).
4. He 12, 14.
Cette paix, les
saints l'ont ici-bas et ils l'auront dans le futur ; mais ici-bas
imparfaitement, parce que ni envers nous-mêmes, ni envers Dieu, ni envers le
prochain, nous ne pouvons avoir la paix sans quelque perturbation ; mais
dans le futur nous l'aurons parfaitement, quand nous régnerons sans
ennemi : là, jamais nous ne pourrons être en désaccord6.
Et ici le Seigneur
nous promet l'une et l'autre. La première quand il dit : JE VOUS LAISSE LA
PAIX, à savoir dans ce siècle, afin que vous vainquiez l'ennemi, et afin que
vous vous aimiez les uns les autres, ce qui est comme le testament établi pour
nous par le Christ pour que nous le gardions - II a fait avec
lui une alliance de paix, et il l'a fait prince7. Comme dit Augustin8, ne pourra pas parvenir à l'héritage du
Seigneur celui qui n'aura pas voulu observer son testament, et celui qui aura
voulu être en désaccord avec le chrétien ne peut avoir de concorde avec le
Christ. Et le Seigneur nous promet la seconde quand il dit : JE VOUS DONNE
MA PAIX, à savoir dans le futur - Je ferai couler sur elle, à savoir la
Jérusalem céleste, comme un fleuve de paix9.
1963. Mais puisque,
soit dans le monde, soit dans la Patrie, toute la paix des saints leur parvient
par le Christ - En moi vous aurez la paix ' -, pourquoi le Seigneur ne
dit-il pas JE VOUS DONNE MA PAIX quand il parle de la paix des saints qui sont
en chemin, mais seulement quand il parle de la paix des saints dans la
Patrie ?
5. Serm. de
Scr. (ou de Verbis Domini), Appendix, 97, PL 39, co1. 1932.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXVII, 3, BA 74A, p. 363.
7. Si 45, 30
[BJ45, 24].
8. Serm. de
Scr., Appendix, 97, PL 39, co1. 1932.
9. Is 66, 12.
À cela il faut dire
que l'une et l'autre paix, à savoir la présente et la future, sont celles du Christ ;
mais la présente est du Christ en tant qu'il en est seulement l'auteur, tandis
que la paix future est de lui en tant qu'il en est l'auteur et le possesseur
car il a toujours eu cette paix, ayant toujours été sans contradiction. Or la
paix présente existe avec une certaine contradiction, comme il a été dit :
et c'est pourquoi, bien que ce soit lui qui la réalise, cependant il ne la
possède pas.
Et selon ce qui a
été dit plus haut, l'explication traite de la paix de ce siècle et de la paix
de l'éternité. Mais, selon Augustin2, l'une et l'autre chose peuvent être
expliquées de la paix de ce siècle ; et il dit : JE VOUS LAISSE LA
PAIX par l'exemple, mais : JE VOUS DONNE MA PAIX par la puissance et la
force.
MOI, JE NE VOUS LA
DONNE PAS COMME LE MONDE LA DONNE.
1964. Ensuite, il
distingue cette paix-là de la paix du monde. Or on distingue la paix des saints
de la paix du monde quant à trois choses. Premièrement quant à
l'intention : car la paix du monde est ordonnée à la jouissance calme et
paisible des choses qui ne durent qu'un temps, ce qui entraîne qu'elle coopère
parfois avec les hommes pour qu'ils pèchent - Vivant dans une grande lutte
causée par l'ignorance, ils appellent paix tant de maux, et de si grands maux3.
Mais la paix des saints est ordonnée aux biens éternels. Le sens est donc :
MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS
COMME LE MONDE LA
DONNE, c'est-à-dire ce n'est pas en vue de la même fin, parce que le monde
donne de posséder en toute tranquillité des choses extérieures, alors que moi
je donne ce qui concerne l'acquisition des biens éternels.
En second lieu on la
distingue quant à l'apparence et la vérité, parce que la paix du monde est
fausse, étant seulement extérieure - Ils parlent de paix avec leur prochain
et ont le mal dans leurs cœurs4. Mais la paix du Christ est vraie parce qu'elle est intérieure et
extérieure. Et ainsi le sens est : Ce n'est pas COMME LE MONDE LA DONNE,
c'est-à-dire ce n'est pas une apparence de paix que je donne, comme le monde,
mais la vraie paix.
En troisième lieu on
la distingue quant à la perfection : parce que la paix du monde est
imparfaite puisqu'elle est seulement liée au repos de l'homme extérieur et non
pas de l'homme intérieur - Il n'est pas de paix pour les impies, dit le
Seigneur5 ; mais la paix du Christ donne le repos
intérieurement et extérieurement - Paix abondante pour ceux qui aiment ta
loi0. Et le sens est : PAS COMME LE MONDE LA DONNE, c'est-à-dire qu'il
ne s'agit pas d'une paix imparfaite.
1. Jn 16, 33.
2. Nous n'avons pu retrouver la source de cette interprétation ni
chez saint Augustin, ni chez saint Jean Chrysostome, Théophylacte ou Alcuin.
3. Sg 14, 22.
4. Ps 27, 3 :
Ne m'entraîne pas en compagnie des pécheurs, et ne me perds pas avec ceux
qui opèrent l'iniquité : qui parlent de paix avec leur prochain et ont le
mal dans leurs cœurs. Saint Thomas commente : « À propos de la
fraude il dit qui parlent de paix avec leur prochain, et il mentionne deux
choses : les douces paroles qu'ils ont dans la bouche - Par de douces paroles et des
flatteries, ils séduisent les cœurs des innocents (Rm 16, 18). - L'homme
qui parle à son ami en des termes flatteurs et déguisés tend un filet sous ses
pas (Pr 29, 5). Cependant ils ont autre chose dans leur cœur ;
d'où ce qui suit : et qui ont le mal dans leurs cœurs, c'est-à-dire
ce qu'ils préparent pour leurs propres ennemis : chacun en sa bouche parle de paix avec son ami,
et en cachette il lui tend des pièges (Jr 9, 8). Toutes ces choses
peuvent être appliquées au Christ, qui sur la Croix a été compté parmi les
scélérats (Is 53, 12). Mais le psalmiste demande de ne pas être entraîné en
même temps, c'est-à-dire pour la même cause, à savoir de ne pas être crucifié
avec eux, car leur passion ou condamnation eut lieu à cause de leur propre
péché, tandis que la Passion du Christ eut lieu à cause de notre iniquité. De
même, ne me livre pas à la même fin que les pécheurs impies, c'est-à-dire dans
l'intention qu'ils avaient d'effacer le nom du Christ. Et tels sont ceux qui
parlaient de paix avec leur prochain, et à l'égard du Christ lorsqu'ils
tentaient de le surprendre dans sa parole ; mais ils ont le mal dans
leur cœur, c'est-à-dire l'intention mauvaise : car c'était afin de le
saisir, dans le but de pouvoir le blâmer » (Exp. in Psalmos, 27, n°
3).
5. Is 57, 21.
6. Ps 118, 165.
LE CHRIST RÉCONFORTE
SES DISCIPLES QUANT À SON DÉPART
1965. Plus haut, le
Seigneur a consolé ses disciples en donnant des raisons prises du côté des
disciples eux-mêmes, leur promettant l'accès auprès du Père, la venue de
l'Esprit Saint et son propre retour ; mais ici il les console en donnant
des raisons prises de son côté à lui, de qui pouvait leur venir une double
cause de consolation : l'une provenant de l'utilité du fruit qui suivrait
le départ du Christ, et l'autre provenant de la cause de sa mort. Il montre d'abord
la première, puis la seconde [n° 1974].
A. IL LES CONSOLE PAR L'UTILITE DU FRUIT QUI
SUIVRAIT SON DEPART
QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE. VOUS
AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE VOUS AI DIT : JE M'EN VAIS ET JE VIENS VERS
VOUS. SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE,
PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI. ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA
AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. (14,
27-29)
1966. Or le fruit
qui suivrait le départ du Christ était son exaltation, aussi les disciples
pouvaient-ils être consolés. En effet, quand un ami va vers son exaltation, ce
sont les mœurs des amis d'être moins affligés de son départ, et c'est pourquoi
le Seigneur montre cette cause pour leur consolation. Et en premier lieu il
exclut le doute de leur cœur ; en second lieu, il rappelle une chose qui
les consolait en partie et les troublait en partie [n° 1968] ; en
troisième lieu, il ajoute la cause qui les console totalement [n° 1969] ;
puis il répond à une question tacite [n° 1973].
QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE.
1967. Il exclut le
trouble de leur cœur en disant : QUE VOTRE CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE
S'EFFRAIE. Le trouble se rapporte à la tristesse, la peur à la crainte. Or la
tristesse et la crainte se rejoignent en ceci, que l'une et l'autre portent sur
le mal ; mais elles diffèrent, parce que la tristesse porte sur le mal
présent et la crainte sur le mal futur. Or le Seigneur dit : QUE VOTRE
CŒUR NE SOIT PAS TROUBLÉ du mal présent - Le juste ne sera pas ébranlé1 -,
NI NE S'EFFRAIE du mal futur - Qui es-tu pour craindre un homme
mortel ?2, ce qu'il faut comprendre de la crainte humaine car il
n'exclut pas la crainte divine3.
VOUS AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE VOUS AI DIT : JE M'EN
VAIS ET JE VIENS VERS VOUS.
1968. Il rappelle
ensuite ce qui les troublait en partie. En effet, d'une part ils étaient
troublés à cause du départ du Christ, mais d'autre part ils se consolaient de
ce qu'il ajoute : ET JE VIENS VERS VOUS4. Cependant ils ne s'en consolaient pas
entièrement, craignant que peut-être pendant ce temps le loup n'attaque le
troupeau en l'absence du pasteur5, selon cette parole : Frappe le pasteur et les brebis seront
dispersées6. Donc il dit : QUE VOTRE CŒUR NE SOIT
PAS TROUBLÉ parce que JE M'EN VAIS, NI NE S'EFFRAIE, parce que JE VIENS VERS
VOUS.
1. Ps 111, 6.
2. Is 51, 12.
3. Sur les différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783,
note 2.
4. Cf. Jn 14, 3.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXVIII, 1, BA 74A, p. 373.
6. Za 13, 7 ; cf. Mt 26, 31.
Il s'en est allé,
certes, en mourant de son propre pouvoir, et il vient en ressuscitant - Le
Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le
condamneront à mort (...) et le troisième jour il ressuscitera \ II s'en est allé en montant - Il est
beau dans sa robe, il marche dans la grandeur de sa force2. Il
viendra pour juger - Ils verront le Fils de l'homme venant dans une nuée,
avec grande puissance et majesté3.
SI VOUS M'AIMIEZ,
VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS
GRAND QUE MOI.
1969. Mais il les
console totalement quand il dit : SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ
DE CE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI, comme
s'il disait : Si vous
m'aimez, vous ne devez pas être contristes mais vous devez plutôt vous réjouir
de mon départ, parce que je vais vers mon exaltation, c'est-à-dire que JE VAIS
VERS LE PÈRE, PARCE QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI.
1970. À partir de
cela, Arius donne cours à son insolence en disant que le Père est plus grand
que le Fils, mais son erreur est exclue par les paroles mêmes du Seigneur. Car
d'après ce qu'il comprend, LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE MOI se comprend de la
même manière que JE VAIS VERS LE PÈRE. Or le Fils ne va pas vers le Père ni ne
vient vers nous en tant qu'il est Fils de Dieu, selon qu'il fut avec le Père de toute éternité - Dans le Principe était
le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu4. Mais on dit qu'il va
vers le Père selon sa nature humaine. Ainsi, quand il dit : LE PÈRE EST
PLUS GRAND QUE MOI, il ne le dit pas en tant que Fils de Dieu, mais en tant que
Fils de l'homme, et là il est non seulement moindre que le Père et l'Esprit
Saint mais aussi que les anges eux-mêmes - Mais ce Jésus qui a
été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons, à cause de la mort
qu'il a soufferte, couronné de gloire et d'honneur5. De même, il était soumis à certains hommes, à
savoir ses parents, sous un certain aspect, comme on lit en Luc : Et il
leur était soumis6. Ainsi donc, il est moindre que le Père
selon son humanité, mais égal selon
sa divinité - II n'a pas considéré comme une usurpation d'être égal à Dieu,
mais il s'est anéanti lui-même, prenant la condition d'esclave, devenant
semblable aux hommes1.
1971. On peut dire
aussi, selon Hilaire8, que même selon sa divinité le Père est plus
grand que le Fils, mais cependant que le Fils n'est pas moindre, mais éga1. En
effet, le Père est plus grand que le Fils non pas par la puissance, l'éternité
et la grandeur, mais par l'autorité de celui qui donne ou qui est principe. Car
le Père ne reçoit rien d'un autre, mais le Fils reçoit sa nature, pour ainsi
dire, du Père par la génération éternelle. Donc le Père est plus grand, parce
qu'il donne ; mais le Fils n'est pas moindre, mais égal, parce que tout ce
que le Père a, il le reçoit9 - II lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom x. En effet, il n'est
désormais pas moindre que celui qui donne, avec qui il lui est donné d'être un.
1. Mt 20, 18-19.
2. Is 63, 1.
3. Lc 21, 27.
4. Jn 1, 1.
5. He 2, 9. Saint Thomas commente : « Cet abaissement ne
doit être compris dans le Christ qu'en vue de souffrir la mort. Et ce n'est pas
étonnant parce que quant à cela il est non seulement plus petit que les anges
mais encore plus petit que les hommes - Nous l'avons méprisé, lui, le dernier des hommes (Is 53, 3). Or la Glose dit, et c'est d'Augustin contre
Maximin, que le Christ n'a pas été abaissé au-dessous des anges à cause de la
condition de la nature humaine mais à cause de la Passion. Car il n'y a rien de
plus grand que la nature de l'esprit humain assumée sans le péché par le
Christ, sinon la seule Trinité. Il est donc plus petit que les anges par son
corps, puisque la Passion est selon le corps » (Ad Heb. lect., II,
n° 122).
6. Lc 2, 51.
7. Ph 2, 6-7.
8. La Trinité, IX, 54, SC 462, p. 127-129.
9. Voir vo1. I, n° 947, ci-dessus n° 1911 et ci-dessous nos
2061 sq., 2108 et 2113. Voir aussi Ad Heb. lect., VII, n"
333 ; et Denzinger, Symboles et définitions de la foi
catholique, n° 1331, p.
382 : « En raison de cette unité le Père est tout entier dans le Fils, tout
entier dans le Saint-Esprit, le Fils est tout entier dans le Père, tout entier
dans le Saint-Esprit, le
Saint-Esprit est tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils. Aucun ne précède l'autre par son éternité ou ne
l'excède en grandeur ou ne le
surpasse en pouvoir. Car c'est éternellement et sans commencement que le Fils naît du Père, et éternellement et sans commencement que le Saint-Esprit
procède du Père et du Fils. Tout ce
que le Père est ou a, il l'a non pas d'un autre, mais de soi, et il est principe sans principe. Tout ce
que le Fils est ou a, il l'a du Père, et
il est principe issu d'un
principe. Tout ce que le Saint-Esprit est
ou a, il l'a à la fois du Père et du Fils. Mais le Père et le Fils ne sont pas deux principes du
Saint-Esprit, mais un seul principe, de même
que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes de la créature, mais un seul
principe » (Concile de Florence [1442],
Bulle Cantate Domino).
1972. Mais
Chrysostome2 explique cela en disant que le Seigneur
parle à cause de la suspicion des Apôtres, qui n'avaient pas encore connu ce
qu'est la Résurrection et ne le croyaient pas égal au Père. Et c'est pourquoi
il leur dit : Et si vous ne croyez pas en moi et dans le fait que je peux
me relever moi-même et si vous n'avez pas confiance que, après la Croix, je
vous verrai de nouveau, cependant croyez-moi parce que JE VAIS VERS LE PÈRE qui
EST PLUS GRAND QUE MOI.
ET MAINTENANT JE
VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS
CROYIEZ.
1973. Ici il répond
à une question tacite, en
disant : ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN
QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. Ils pouvaient, en effet, demander
pourquoi il disait ces paroles et c'est pourquoi, les devançant, il dit :
MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA...
Mais Augustin3
demande : puisque la foi porte sur des choses qu'on ne voit pas, l'homme
ne doit-il pas croire avant qu'elles se soient réalisées, et non après ?
Là il faut dire qu'ils voyaient une chose et en croyaient une autre. En effet,
ils virent la mort du Christ et sa Résurrection, et ayant vu cela, ils crurent
qu'il était le Christ, le Fils de Dieu. C'est pourquoi, lorsque cela fut
accompli, ils ne crurent pas d'une foi nouvelle, mais augmentée. Ou bien, après
sa mort, d'une foi affaiblie ; mais après sa Résurrection, d'une foi
renouvelée, comme dit encore Augustin4.
B. IL LES CONSOLE PAR LA CAUSE DE SA MORT
1974. Il donne
encore une autre cause de consolation concernant son départ, cause qui se prend
de celle de la mort. Or il faut savoir que la cause de la mort peut amener soit
la douleur, quand quelqu'un est tué pour une faute, soit la consolation, quand
quelqu'un meurt pour un bien relevant de la vertu - Qu'aucun de vous ne souffre comme homicide, ou voleur, ou
médisant, ou avide du bien d}autrui. Mais si c'est comme chrétien, qu'il
ne rougisse pas5. À propos de cela le Seigneur montre donc en premier lieu que le péché
ne fut pas la cause de sa mort, et en second lieu que la cause de celle-ci fut
la vertu d'obéissance et de charité [n° 1976].
1. Ph 2, 9.
2. In Ioannem
hom., LXXV, 4, PG 59, co1. 407-408.
JE NE PARLERAI PLUS
BEAUCOUP AVEC VOUS. EN EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A
AUCUN POUVOIR. (14, 30)
1975. Il dit
donc : JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS, à cause de la brièveté du
temps - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous1. Ou parce que vous n'êtes
pas encore capables - J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter
maintenant2. Ou bien JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS parce qu'en une seule brève parole je vous
expliquerai que je ne mourrai pas par suite de ma faute. Et cela il le fait
ensuite quand il dit : EN
EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR, à
savoir le diable qui est dit prince
non selon la raison (ratio) de création, ni en vertu d'un pouvoir
naturel comme blasphèment les manichéens, mais selon la raison (ratio) de
faute, et c'est pourquoi il est dit PRINCE DE CE MONDE, c'est-à-dire de ceux
qui aiment le monde et le péché
- Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les
princes et les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres3. Donc il n'est pas le prince
des créatures, mais des pécheurs et des ténèbres - C'est lui qui est le roi de tous les fils de
l'orgueil4.
3. Tract, in Io., LXXIX, 1, BA 74A, p. 389-391.
4. Ibid., p.
391.
5. 1 Ρ 4,
15-16.
Ce prince est donc
venu pour persécuter : en effet, il est entré dans le cœur de Judas afin
qu'il trahisse, et des Juifs afin qu'ils tuent ; mais SUR MOI IL N'A AUCUN
POUVOIR : car en nous il n'a de pouvoir qu'à cause du péché - Tout
homme qui commet le péché
est esclave du péché5. Or dans le Christ il n'y avait aucun péché, ni selon son âme - Lui qui n'a
pas commis de faute $ -, ni selon sa chair parce qu'il a été conçu de
l'Esprit Saint et de la Vierge sans le péché originel - C'est pourquoi l'être saint qui naîtra de toi
sera appelé Fils de Dieu7. Donc, parce que le diable a attaqué même le Christ sur lequel il n'a
aucun droit8, il a mérité de perdre ce qu'il possédait
avec justice - Qu'importe à
moi et à toi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ?9
Ainsi donc il est évident que la
cause de la mort du Christ ne fut pas la faute, et qu'il n'avait pas de raison
de mourir puisqu'il n'a pas de péché.
1. Jn 13, 33.
2. Jn 16, 12.
3. Ep 6, 12.
4. Jb 41, 25.
Saint Thomas commente : « Le Leviathan dispose d'un pouvoir d'exercer
de grandes et fortes opérations, et en exposant cela Job dit : Il regarde
vers ce qui est sublime, c'est-à-dire que l'intention du démon est
de s'attaquer à tout ce qui est sublime. Et comme ces choses sont le fait de
l'orgueil, il montre en conséquence que le diable non seulement est orgueilleux
en lui-même, mais qu'il dépasse toutes les créatures par son orgueil et qu'il
est la source de l'orgueil des autres, et c'est pourquoi il ajoute : Il est
lui-même roi sur tous les fils de l'orgueil, c'est-à-dire sur ceux
qui sont les esclaves de l'orgueil et qui le suivent tous comme un guide »
(Exp. super lob, 41, 25, p. 227, 1. 438-448).
5. Jn 8, 34.
6. 1 Ρ 2, 22.
MAIS AFIN QUE LE
MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE
COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS. LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! (14, 31)
1976. Ensuite il
ajoute la vraie cause qui est le bien relevant de la vertu ; et c'est
pourquoi il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, ce
qui, selon Augustin10, est ainsi ponctué : MAIS AFIN QUE LE
MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE
COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS... LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI !
Là il faut savoir
que deux choses ont poussé le Christ à supporter la mort, à savoir l'amour (amor)
de Dieu et l'amour (dilectio) du prochain - Marchez dans l'amour11. Et il en donne une preuve en indiquant qu'il accomplit ses
commandements - Si vous m'aimez, gardez mes commandements 12. Et quant à cela il dit : MAIS AFIN QUE
LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PÈRE, et ceci d'une manière efficace, puisque
je meurs. Aussi ajoute-t-il : ET COMME LE PÈRE M'EN A DONNÉ LE
COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS, c'est-à-dire
selon que le Père le pousse à subir la mort, par l'obéissance qui est causée
par l'amour. Ce commandement, le Père ne l'a pas donné au Fils de Dieu qui,
puisqu'il est le Verbe, est aussi le commandement du Père ; mais il l'a
donné au Fils de l'homme, en tant qu'il a inspiré à son âme la nécessité, pour
le salut des hommes, que le Christ mourût dans sa nature humaine. Donc AFIN QUE
LE MONDE CONNAISSE (...) LEVEZ-VOUS, du lieu où ils avaient pris le repas, et
PARTONS vers le lieu où je dois être livré, afin que vous voyiez que ce n'est
pas par nécessité, mais par charité et obéissance que je meurs - Avec audace, il court au-devant des hommes
armés1.
7. Lc 1, 35.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXIX,
2, BA 74A, p. 395, dont saint Thomas s'inspire largement dans tout ce
paragraphe mettant en valeur à la fois la parfaite innocence du Christ (il ne
mérite aucunement la mort) et sa totale liberté (il veut seulement manifester
son amour pour le Père).
9. Me 5, 7.
10. Loc. cit., p.
395.
11. Ep 5, 2.
12. Jn 14, 15.
1977. Mais selon
Chrysostome2 il faut lire autrement : AINSI JE FAIS
est la fin de la phrase, et LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI est le commencement de
l'autre phrase, de sorte que le sens est : Je ne meurs pas, comme si le
prince de ce monde avait sur moi quelque pouvoir, mais c'est parce QUE J'AIME
LE PÈRE que je fais cela. Mais vous, LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! En effet,
il voyait qu'ils avaient peur, à la fois à cause du moment, parce que la nuit
était profonde, et à cause du lieu, parce qu'ils se trouvaient manifestement
dans une maison et tournaient toujours les yeux vers la porte comme s'attendant
à ce que des ennemis les envahissent, et qu'à cause de cela ils n'étaient pas
attentifs aux choses qui leur étaient dites. Et c'est pourquoi, afin qu'ils
comprennent mieux les paroles qu'il allait leur dire, il les conduit dans un
autre lieu secret afin que, s'estimant en sécurité, ils écoutent plus
attentivement les choses qu'il leur dirait - Je la conduirai dans la
solitude, et je parlerai à son cœur3.
1. Jb 39, 21.
2. In Ioannem hom., LXXVI, 1, PG 59, co1.
410-411.
3. Os 2, 14.
Évangile selon saint Jean Chapitre XV
1 Moi, je suis la vigne véritable, et mon
Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi, il
l'enlève ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il en
porte davantage.
3 Vous, déjà, vous êtes purs, à cause de
la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en moi, et moi en vous. Comme le
sarment ne peut porter du fruit par lui-même, s'il ne demeure en la vigne,
ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 5 Moi, je suis la vigne, et
vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là porte
beaucoup de fruit : parce que sans moi vous ne pouvez rien faire. 6 Si
quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme le sarment, et il
séchera ; et on le ramassera, et on le jettera au feu, et il brûlera. 7 Si
vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez
tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.8 En ceci mon Père est
glorifié : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez mes
disciples.
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je
vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si vous observez mes préceptes, vous
demeurerez dans mon amour ; comme moi aussi j'ai observé les préceptes de
mon Père, et je demeure dans son amour. n Je vous ai dit cela, pour que ma joie
soit en vous, et que votre joie soit en plénitude. 12 Tel est mon
précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis.
14 Vous êtes, vous, mes amis, si vous
faites ce que moi je vous commande. 15Je ne vous appellerai plus serviteurs,
parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son seigneur. Mais je vous ai
appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait
connaître. I6 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai
choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit, et que
votre fruit demeure, pour que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom,
il vous le donne. 17 Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les
uns les autres.
18 Si le monde vous hait, sachez qu'il
m'a pris en haine avant vous. I9 Si vous aviez été du monde, le monde aimerait
ce qui est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que moi je
vous ai choisis du milieu du monde, c'est pour cela que le monde vous hait.
20 Souvenez-vous de la parole que moi, je
vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur. S'ils
m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s'ils ont gardé ma
parole, ils garderont aussi la vôtre. 2I Mais tout cela, ils vous le feront à
cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé.
22 Si je n'étais pas venu et ne leur avais
pas parlé, ils n'auraient pas de péché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuse
à leur péché. 23 Celui qui me hait, hait aussi mon Père. 24 Si je n'avais pas
fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de
péché. Mais maintenant, ils ont vu, et ils nous ont haïs, moi et mon
Père ! 25 Mais c'est pour que s'accomplisse la parole qui est écrite dans
leur Loi : ils m'ont haï gratuitement.
26 Lorsque sera venu le Paraclet que moi
je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père,
c'est lui qui rendra témoignage de moi. 27 Et vous aussi, vous rendrez
témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.
COMMENT LE CHRIST
PRÉPARE SES DISCIPLES À VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT PAR DES PAROLES
1978. Dans ce qu'il
a dit précédemment à ses disciples, le Seigneur avait spécialement l'intention
d'affermir leur âme face à deux choses : l'une qui était alors imminente,
sa Passion, et l'autre qu'ils craignaient pour l'avenir, c'est-à-dire la
tribulation qui allait survenir pour eux. C'est pourquoi il leur avait dit à
l'égard de ces deux
choses : Que votre cœur ne soit pas troublé, quant à la première, ni
ne s'effraie1, quant à la seconde.
Les ayant donc
affermis au sujet de son départ (n° 1848] ; il les
affermit ici face aux tribulations qui allaient leur arriver. Il commence par
leur proposer une allégorie, puis il en vient à son propos [n° 1986].
MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE, ET MON PÈRE EST LE
VIGNERON. TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE ; ET
TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE.
(15, 1-2)
Cette allégorie2
porte sur la vigne et le vigneron. Le Seigneur présente d'abord la vigne, puis
le vigneron [n° 1981] et met ensuite en lumière le souci du vigneron à l'égard
des sarments [n° 1983].
MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE.
1979. Mais la vigne,
c'est le Christ lui-même : JE SUIS LA VIGNE, dit-il sous forme d'allégorie. Car de même que la vigne, bien
qu'elle paraisse méprisable, bien qu'elle soit de petite taille, surpasse tous
les autres bois par la douceur de son fruit, de même le Christ, bien qu'il ait
paru du monde parce qu'il était pauvre, qu'il semblait être de basse naissance
et supportait l'ignominie, a cependant donné les fruits les plus doux - Son
fruit est doux à mon palais \
1. Jn 14, 1 ; 14,
27.
2. Similitudo, qui est traduit ici par
« allégorie », exprime une modalité
d'analogie. En effet, nous pouvons distinguer plusieurs niveaux d'analogie, ^analogie de
l'être, découverte par le philosophe, se fonde sur la diversité des réalités existantes ; et
au-delà de ces manières d'exister,
le philosophe saisit l'unité qui caractérise l'être. Ainsi, dans la réalité expérimentée, l'être existe en étant lié au
devenir. Mais en Dieu, l'Être
premier, l'être est découvert comme au-delà
du devenir, totalement séparé de lui. Si le philosophe se sert de l'analogie de l'être pour découvrir
l'être dans ce qu'il a de plus lui-même,
et pour découvrir sa manière d'exister ultime, l'Être premier, le théologien, lui, emploie
des analogies de similitude qui présupposent
la foi. En effet, parce que le mystère le dépasse totalement il ne peut pas le rejoindre
directement, par l'analogie propre de
l'être ; c'est dans la foi qu'il adhère au mystère révélé. Et pour mieux le mettre en lumière sans
risquer de le diminuer et de le réduire
à une compréhension humaine, il se sert d'analogies de similitude,
données par l'Écriture. Ces analogies ne regardent pas l'être mais la vie, les
qualités, les fonctions. Par exemple, dire que Jésus est le Verbe - Et le
Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa
gloire (Jn 1, 14) - est une analogie de similitude, révélée par l'Écriture
et que le théologien peut expliciter (voir Somme théol, I, q. 27, a. 1
et 2), entre la génération du Verbe en Dieu et la conception, dans
l'intelligence humaine, du verbe, fruit de la pensée. Et dire que le Christ est
tête de l'Église (cf. Col 1, 18), ou que le Père est le vigneron et le Christ
la vigne qui porte les sarments (cf. Jn 15, 1 sq.), est encore une analogie de
similitude, mais impliquant des éléments sensibles. On la nomme alors plus
précisément analogie métaphorique. Sur les métaphores utilisées dans
l'Écriture, voir ci-dessus, n° 1696, note 12.
Et c'est pourquoi le
Christ est une vigne dont le vin enivre intérieurement et est un vin de
componction2 - Tu nous as fait boire un vin de
componction3. Ce vin est également fortifiant, c'est le vin qui nous refait - Mon
sang est vraiment une boisson 4. C'est ainsi, en effet, que plus haut il
s'est comparé au grain de blé5, parce que sa chair est vraiment une
nourriture.
C'est de cette
vigne-là qu'il est écrit : Je voyais en songe une vigne portant trois
rejetons6, c'est-à-dire le Christ en qui sont trois substances, à savoir le corps,
l'âme et la divinité7. C'est encore la vigne dont parle
Jacob : Mon fils, à la vigne tu attacheras ton ânesse8, c'est-à-dire l'Église.
1980. Et cette vigne
est VÉRITABLE. Ici, il faut savoir que « véritable » se distingue
parfois de « ressemblant », comme l'homme véritable de l'homme en
peinture, et que parfois il se distingue de « corrompu », comme le
vin par rapport au vinaigre, parce que c'est du vin corrompu. La phrase MOI, JE
SUIS LA VIGNE VÉRITABLE est donc prise au second sens9,
Jésus se distinguant de la vigne corrompue, c'est-à-dire du peuple des Juifs,
dont il est dit : Comment donc t'es-tu changée en amertume, ô vigne
étrangère ?10 Et ceci parce qu'elle ne donnait pas de
raisins, mais des grappes sauvages - J'en attendais des raisins, et elle a
donné des grappes sauvages11.
1. Ct 2, 3.
2. Sur le sens du mot componction, voir ci-dessus, n° 1702,
note 13.
3. Ps 59, 5.
4. Jn 6, 56.
5. Cf. Jn 12, 24.
6. Gn 40, 9-10.
7. Saint Thomas éclaire la convenance du mystère de l'Incarnation
et l'union de ces trois substances dans le Christ en disant : « II
appartient à la raison de bien de se communiquer aux autres, comme l'enseigne
Denys (De Div. Nom., IV, 20). Il appartient par conséquent à la raison
du bien souverain de se communiquer souverainement à sa créature. Et cette
souveraine communication se réalise quand Dieu "s'unit à la nature créée
de façon à ne former qu'une seule personne de ces trois réalités : le
Verbe, l'âme et la chair" (saint Augustin, De Trinitate, XIII, 17).
Il est donc manifeste qu'il convenait que Dieu s'incarnât » (Somme
théo1., III, q. 1, a. 1, c). « Dans le Christ il n'y eut pas deux
natures assumées, mais une seulement : une nature humaine constituée d'âme
et de chair » (ibid., q. 5, a. 3, c).
8. Gn 49, 11. Le verset est littéralement : Il liera à la
vigne son ânon, et au
cep son ânesse. Il lavera dans le vin sa robe, et dans le sang du raisin son
manteau.
ET MON PÈRE EST LE
VIGNERON.
1981. Mais
remarquons que dans le Christ il y a une double nature 12,
divine et humaine ; selon sa nature humaine, il est semblable à nous et il
est moindre que le Père ; selon sa nature divine, il est semblable à Dieu
et il est au-dessus de nous. Il est donc la vigne véritable en tant qu'il est
la tête de l'Église13, l'homme Christ Jésus. C'est ce qu'il laisse
entendre en présentant le vigneron qui est le Père : ET MON PÈRE EST LE
VIGNERON [AGRICOLA]. En effet, si le Fils était la vigne selon sa nature
divine, le Père serait la vigne tout comme le Fils ; mais c'est parce
qu'il est la vigne selon sa nature humaine que le Père est à son égard comme le
vigneron pour sa vigne. En tant que Dieu, lui-même aussi est le vigneron14. Or
le mot « cultivateur » (agricola) est lié au mot
« culture » (cultura) 15, c'est pourquoi le vigneron aussi, en tant
qu'il cultive, est un cultivateur.
9. Alors que saint Augustin se contentait de noter le caractère
imagé de la formule et d'expliquer que le qualificatif « vrai » met
Jésus en opposition avec le peuple visé par les deux versets prophétiques cités
à la fin de ce n° 1980 (Tract, in Io., LXXX, 1, BA 74B, p. 71), saint
Thomas précise le type de vérité qualifiant la vigne, et nomme « le peuple
des Juifs ».
10. Jr 2, 21.
11. Is 5, 2.
12. Sur les deux natures dans le Christ et l'unité de personne,
voir ci-dessus, n° 1711, note 3.
13. Cf. Ep 1, 22-23 ; 4, 15-16 ; 5, 23 ; Col 1, 18.
Voir Somme théo1., III, q. 8, a. 1 sq.
14. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXX, 2, BA 74B, p.
71-73.
15. Les mots agricola et cultura viennent l'un et
l'autre du verbe colo, colere, qui signifie « culture ».
1982. Mais puisque
cultiver, c'est dépenser son zèle pour quelque chose, nous cultivons quelque
chose de deux manières : soit pour que soit amélioré ce que nous
cultivons, et en ce sens nous cultivons un champ ou quelque chose de te1. Soit
pour que nous soyons améliorés par cela, et de cette manière l'homme cultive la
sagesse. Dieu nous « cultive » donc pour que nous soyons améliorés
par son travail, en tant qu'il extirpe de nos cœurs les mauvaises semences. Il
ouvre notre cœur par la charrue de sa parole ; il plante les semences de
ses commandements ; il recueille un fruit de piété, comme le dit Augustin1.
Nous, nous lui rendons un culte pour être améliorés par lui, mais cela en
adorant (adorando) et non en labourant (arando) — Si quelqu'un rend
un culte à Dieu (...), celui-là [Dieu] l'exauce2.
Le Père est donc le
cultivateur de cette vigne en vue du bien d'un autre. C'est lui, en effet, qui
plante - Moi, je t'ai plantée comme une vigne de choix, comme une vraie semence3. C'est lui qui fait croître - Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui
a donné la croissance4 -, car Dieu seul, de l'intérieur,
fait croître et fructifier ; et, dans la mesure où l'homme coopère de
l'extérieur, Dieu lui-même garde et conserve, comme le dit Matthieu, qui cite
Isaïe : Il a bâti une tour dans la vigne, et l’α entourée d'une
clôture5.
TOUT SARMENT QUI NE
PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE ; ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU
FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE. (15, 2)
1983. Le souci du
vigneron porte sur deux choses : sur la vigne et sur les sarments. Mais la
vigne dont il s'agit ici était parfaite et n'avait pas besoin du soin du
vigneron ; c'est pourquoi le vigneron devait dépenser tout son zèle pour
les sarments : TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLÈVE.
Or les sarments font partie de la nature de la vigne ; aussi ceux qui
adhèrent au Christ sont-ils des sarments de cette vigne - La vigne s'est développée en sarments6.
En ce qui concerne
les sarments, le Christ montre le souci de ce vigneron à l'égard des mauvais
[n° 1984], puis des bons sarments [n° 1985].
1984. Son souci à
l'égard des mauvais sarments est de les couper de la vigne : TOUT SARMENT,
c'est-à-dire tout croyant, QUI NE PORTE PAS DE FRUIT, sur la vigne, EN MOI,
sans qui rien ne peut fructifier, IL L'ENLÈVE de la vigne. De là apparaît que
ce n'est pas seulement parce qu'ils font le mal que certains sont retranchés du
Christ, mais aussi parce qu'ils négligent de faire le bien - Nous vous
exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu7. Aussi l'Apôtre disait-il de lui-même : C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce
en moi n'a pas été vaine8. Selon Matthieu9, le talent a été retiré à celui qui ne l'a pas fait fructifier mais l'a
caché ; et selon Luc 10, le Seigneur a ordonné de couper le figuier
stérile.
1. Serm. de Scr., 87, I, PL 38, co1. 530-531.
2. Jn 9, 31.
3. Jr 2, 21.
4. 1 Co 3, 6.
5. Mt 21, 33 ; cf. Is 5, 2.
6. Ez 17, 6.
7. 2 Co 6, 1.
8. 1 Co 15, 10. À
propos de ce verset saint Thomas rappelle la distinction entre grâce opérante
et grâce coopérante : « Dieu non seulement infuse la grâce par
laquelle nos œuvres sont rendues agréables et méritoires, mais il meut aussi à
bien user de la grâce infuse, et c'est ce qu'on appelle la grâce coopérante »
(Ad 1 Cor. lect., XV, n" 909). Voir aussi Somme théol, I-II, q. 111, a. 2.
9. Cf. Mt 25, 28.
10. Cf. Le 13, 7.
ET TOUT SARMENT QUI
PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE.
1985. Le souci du
Christ à l'égard des bons sarments, c'est de les entourer de soins pour qu'ils
fructifient davantage.
Au sens littéral, en
effet, pour la vigne naturelle, il arrive que le sarment aux nombreux rejetons
porte moins de fruit, parce que sa sève doit se diffuser partout ; et
c'est pourquoi les vignerons, pour qu'il fructifie plus, l'émondent des
rejetons superflus.
Il en va de même
pour l'homme : car l'homme qui est bien disposé et uni à Dieu, s'il
incline son affection vers diverses réalités, voit sa vertu s'amoindrir et perd
de son efficacité en vue de bien agir. Aussi, pour qu'il fructifie bien, Dieu
enlève fréquemment de telles entraves et « émonde » cet homme, en
envoyant tribulations et tentations pour que, par elles, il devienne plus fort
pour agir1. Voilà pourquoi il dit : IL L'ÉMONDE,
même s'il était pur ; car personne n'est assez pur en cette vie pour ne
pas avoir à être « émondé » encore et encore2 - Si nous disons que nous n'avons pas de
péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous3.
Et tout cela, c'est
POUR QU'IL PORTE DAVANTAGE [DE FRUIT], c'est-à-dire qu'il croisse en vertu,
afin que les croyants soient d'autant plus féconds qu'ils seront plus purs
- Que le juste devienne encore plus juste et que le saint se sanctifie
encore4 - La parole
de l’Évangile (...) ne cesse de fructifier et de croître5. - Ils iront de vertu en vertu6.
1986. De cette
allégorie, le Seigneur en vient maintenant à son propos. Deux aspects sont mis
en lumière dans le rapport des sarments à la vigne : l'union des sarments
à la vigne, et la taille des sarments. Il traite donc premièrement de l'union,
puis de la taille [n° 2030].
A. L'UNION DES SARMENTS A LA VIGNE
En premier lieu, il
exhorte ses disciples à demeurer attachés à la vigne ; puis il donne les
raisons de cette adhésion [n° 1989] ; enfin il montre la manière de
demeurer en lui [n° 1997].
1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVI, 1,
PG59, co1. 411.
2. Ici et jusqu'à la fin du verset, saint Thomas reprend les
remarques de saint Augustin {Tract, in Io., LXXX, 2, BA 74B, p. 73-75).
3. 1 Jn 1, 8.
4. Ap 22, 11.
5. Col 1, 5-6.
6. Ps 83, 8.
a) Le Christ exhorte ses disciples à demeurer
en lui.
VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS
AI DITE. DEMEUREZ EN MOI, ET MOI EN VOUS. (15, 3-4)
Dans son exhortation
aux disciples, le Seigneur leur rappelle le bienfait reçu, puis il les exhorte
à demeurer en lui [n° 1988].
VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS
AI DITE.
1987. Ils ont reçu
ce bienfait de la taille, c'est pourquoi il dit : VOUS, DÉJÀ, VOUS ÊTES
PURS, comme pour dire : voilà ce que j'ai dit des sarments, mais vous,
vous êtes des sarments que la taille a préparés à produire du fruit, et cela À
CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE.
En effet la parole
du Christ commence par purifier des erreurs en instruisant - Attaché à la parole digne de foi,
conforme à renseignement, pour être capable d'exhorter dans la saine doctrine
et de confondre ceux qui la
contredisent1. Et cela parce que dans les paroles de Dieu ne se trouve aucune fausseté - Toutes mes paroles sont justes,
(...) droites pour ceux qui ont l'intelligence 2. Il dit donc : VOUS
ÊTES PURS, des erreurs des Juifs. En second lieu, la parole du Christ purifie
les cœurs des affections terrestres, en enflammant d'amour pour les réalités
célestes. En effet, la parole de Dieu secoue par sa puissance le cœur de
l'homme enfoncé dans les réalités terrestres, si bien qu'il s'enflamme - Mes paroles ne
sont-elles pas comme un feu et comme un marteau ?3
1. Tt 1, 9.
2. Pr 8, 8-9.
3. Jr 23, 29. Saint Thomas commente : « Un feu pour
enflammer - Ta parole a été
très éprouvée par le feu et ton serviteur l'a aimée (Ps 118, 140). - La parole du Seigneur
l'enflamma (Ps 104, 19) -, et un marteau, pour adoucir les cœurs
durs - À cause de cela je les ai massacrés par les prophètes, et je les ai
tués par les paroles de ma bouche (Os 6, 5). Et c'est pourquoi elles ne
doivent pas être mêlées à des épines - Quelle alliance entre la lumière et les ténèbres ? Quel
accord entre le Christ et Belial ? (2 Co 6, 14-15) » (Exp.
super Hier., XXIII, lectio
7). Voir aussi ci-dessus, n° 1700.
En troisième lieu la
parole de Dieu, invoquée lors du baptême, purifie des péchés. En effet, par le
baptême les hommes sont lavés, parce que la parole purifie dans l'eau. En effet,
comme le dit Augustin : « Supprime la parole : qu'est-ce que
l'eau, sinon de l'eau ? La parole s'ajoute à l'élément et [ainsi] se
réalise le sacrement.4 » La parole fait donc que l'eau touche
le corps et lave le cœur. La parole, dis-je, non pas parce qu'elle est dite,
mais parce qu'elle est crue. En effet, cette parole de foi a une telle force
dans l'Église qu'elle purifie même les petits enfants bien qu'ils ne soient pas
capables de croire, du fait qu'elle est proférée par ceux qui croient, qui offrent,
qui bénissent et qui opèrent l'immersion
- Les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit5. En quatrième lieu, la
parole de Dieu purifie par la puissance
de la foi - Purifiant leur cœur par la foi6.
Le Seigneur leur dit
donc : VOUS, qui avez été DÉJÀ instruits, déjà touchés, déjà baptisés,
déjà affermis dans la foi7, VOUS ÊTES PURS, À CAUSE DE LA PAROLE QUE JE
VOUS AI DITE - Vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous8.
Mais parce qu'il a
dit auparavant que l'office du vigneron est d'émonder, il montre clairement
qu'il est ce vigneron en disant à présent que sa parole a la vertu d'émonder. Et vraiment il est bien, en tant
que Dieu, celui qui taille les sarments, et le vigneron.
4. Tract, in Io., LXXX, 3, BA 74B, p. 75-77.
5. Mt 28, 19.
6. Ac 15, 9.
7. Saint Thomas reprend ici les quatre manières selon lesquelles
la parole de Dieu purifie. On pourrait faire le lien avec les quatre effets de
la Sainte Écriture qu'il évoque en commentant la deuxième épître à Timothée : Toute Écriture
divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger et éduquer
dans la justice (2 Tm 3, 16). Ces quatre effets sont l'enseignement de la
vérité, l'argumentation contre les erreurs, l’éloignement du mal et la conduite
vers le bien. Saint Thomas montre combien l'intelligence se purifie par la
parole de Dieu. Voir vo1. I, n° 1366, note 8.
8. Jn 13, 10.
DEMEUREZ EN MOI, ET
MOI EN VOUS.
1988. Ici, le
Seigneur incite ses disciples à la persévérance comme pour dire : puisque
vous êtes purs, et avez reçu un si grand bienfait, vous devez persévérer. Aussi
dit-il : DEMEUREZ EN MOI, par la charité - Celui qui demeure dans la
chanté demeure en Dieu l - et par la participation aux sacrements - Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi2. Il dit donc DEMEUREZ EN MOI, en recevant la grâce, ET MOI EN VOUS, en
vous aidant.
b) Le Christ donne les raisons de demeurer en
lui.
1989. Ensuite le
Christ donne les raisons de demeurer en lui, qui sont au nombre de quatre. La
première raison de demeurer est la sanctification de ceux qui demeurent ;
la deuxième, la punition de ceux qui ne demeurent pas [n° 1994] ; la
troisième est que ceux qui demeurent en lui voient leur volonté s'accomplir [n°
1995] ; la quatrième est la glorification de Dieu [n° 1996].
I
En ce qui concerne
la première raison de demeurer, le Seigneur montre d'abord que l'adhésion au
Christ est nécessaire pour porter du fruit ; il montre ensuite qu'elle est
efficace [n° 1991].
COMME LE SARMENT NE
PEUT PORTER DU FRUIT PAR LUI-MÊME, S'IL NE DEMEURE EN LA VIGNE, AINSI VOUS NON
PLUS, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI. MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS.
(15, 4-5)
1990. Le Seigneur
présente d'abord une allégorie, puis il montre qu'elle convient.
Il dit donc :
Je dis que vous devez demeurer en moi afin de porter du fruit, parce que COMME
LE SARMENT - au sens littéral, le sarment matériel - NE PEUT PORTER DU FRUIT
PAR LUI-MÊME, S'IL NE DEMEURE EN LA VIGNE, dont la sève montant de la racine
donne vie aux sarments, AINSI VOUS NON PLUS - sous-entendu : vous ne pouvez
pas porter de fruit par vous-mêmes -, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI, qui suis la
vigne. Le fait de demeurer dans le Christ est donc la raison (ratio) de
la fructification. Aussi est-il dit de ceux qui ne demeurent pas en lui : Quel
fruit avez-vous donc retiré de tout ce qui, maintenant, vous fait rougir ?3 - Tout
ce qu'assemble l'hypocrite est stérile4.
MOI, JE SUIS LA
VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS.
Cette allégorie
convient bien parce que MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS, autrement
dit : le rapport de vous à moi est le même que celui des sarments à la
vigne. De ces sarments il est dit : La vigne étendit ses
sarments jusqu'à la mer5.
CELUI QUI DEMEURE EN
MOI ET MOI EN LUI, CELUI-LÀ PORTE BEAUCOUP DE FRUIT : PARCE QUE
SANS MOI VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE. (15, 5)
1. 1 Jn 4, 16.
2. Jn 6, 57.
3. Rm6, 21.
4. Jb 15, 34.
5. Ps 79, 12.
1991. Ici, le Christ
montre que le fait de demeurer en lui est efficace : il en montre d'abord
l'efficacité, puis il indique la cause de cette efficacité [n° 1993].
1992. Il dit donc :
Je dis que non seulement il est nécessaire que l'homme demeure en moi afin de
porter du fruit, mais encore que cela est efficace ; car CELUI QUI DEMEURE
EN MOI, en croyant, en obéissant et en persévérant, ET MOI EN LUI, en
l'illuminant, en lui venant en aide, en lui donnant la persévérance, CELUI-LÀ,
et non un autre, PORTE BEAUCOUP DE FRUIT.
Il porte, dis-je, un
triple fruit en cette vie. Le premier est qu'il s'abstient des péchés - Tout
son fruit, c'est que son péché soit ôté 1. Le second est qu'il se consacre aux œuvres de
la sainteté - Votre fruit, vous l'avez dans la sanctification2. Le troisième est qu'il se donne pour l'édification des autres - Du fruit
de tes œuvres la terre se rassasiera3.
Il porte également
un quatrième fruit dans la vie éternelle – Il amasse du fruit pour la vie
éternelle4. C'est là le fruit ultime et parfait de nos labeurs - Le fruit des
bons labeurs est plein de gloire5.
PARCE QUE SANS MOI
VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE.
1993. Par ces mots,
le Seigneur donne la raison de cette efficacité. Par là il instruit les cœurs
des humbles en même temps qu'il ferme la bouche des orgueilleux6,
principalement des pélagiens7, qui disent pouvoir faire par eux-mêmes,
sans l'aide de Dieu, les œuvres bonnes des vertus et de la Loi ; en
voulant ainsi défendre le libre arbitre, ils le renversent plutôt.
En effet, le
Seigneur dit ici que sans lui nous ne pouvons faire de grandes choses, ni même
de petites, ni d'ailleurs rien du tout. Et ce n'est pas étonnant, puisque Dieu
lui-même ne fait rien sans lui - Sans lui, rien n'a été fait8. En effet, nos œuvres sont faites soit en vertu de la nature, soit en
vertu de la grâce divine. Dans le premier cas, puisque tous les mouvements de
la nature viennent du Verbe de Dieu lui-même, sans lui aucune nature ne peut
être mue pour faire quoi que ce soit. Quant aux actes accomplis en vertu de la
grâce, puisqu'il est lui-même l'auteur de la grâce - La grâce et la vérité
nous sont venues de Jésus Christ9 -, il est manifeste qu'aucune œuvre méritoire ne peut être faite sans
lui10 - Ce n'est pas que de nous-mêmes nous suffisions à penser quelque
chose comme venant de nous ; non, notre suffisance vient de Dieu 11. Si donc nous ne pouvons même pas penser si ce n'est par Dieu, encore
moins pourrons-nous d'autres choses.
II
SI QUELQU'UN NE DEMEURE PAS EN MOI, IL SERA JETÉ DEHORS
COMME LE SARMENT, ET IL SÉCHERA ; ET ON LE RAMASSERA, ET ON LE JETTERA AU
FEU, ET IL BRÛLERA. (15, 6)
1994. Le Christ
donne ici la deuxième raison de demeurer en lui, liée à la menace d'une
peine ; car si nous ne demeurons pas en lui, nous n'échapperons pas à la
peine.
Il présente cinq
éléments qui aggravent cette peine ; certains d'entre eux se rapportent à
la peine du dam1, à savoir l'expulsion hors de la
gloire : ON LE JETTERA dehors. Parfois nous voyons que sur la vigne
matérielle, un sarment demeure attaché par un lien extérieur, mais non pas par
participation à la sève ; ainsi certains demeurent dans le Christ
seulement par la foi, sans toutefois avoir part à la sève de la vigne, parce
qu'ils ne sont pas dans la charité. C'est pourquoi ceux-là seront jetés dehors,
c'est-à-dire séparés de l'assemblée des bons2.
1. Is 27, 9.
2. Rm 6, 22.
3. Ps 103, 13. 4. Jn4, 36.
5. Sg3, 15.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXXI, 2, BA 74B, p. 83.
7. Sur Pelage et le pélagianisme, voir
ci-dessus, n° 1856, note 8.
8. Jn 1, 3.
9. Jn 1, 17.
10. Voir Somme
théol, I-II, q. 113 et 114,
où saint Thomas distingue les deux effets de la grâce opérante et de la grâce
coopérante, la justification et le mérite.
11. 2 Co 3, 5.
La deuxième peine du
dam est le dessèchement : ET IL SÉCHERA. C'est-à-dire, si le sarment
tenait quelque chose de sa racine, il le perdra, dépouillé du secours et de la
vie de cette racine. Car les mauvais chrétiens semblent avoir quelque verdeur ;
mais quand ils seront séparés des saints et du Christ, leur sécheresse
apparaîtra - Ma force s'est desséchée comme un tesson^.
La troisième peine,
c'est que ces sarments seront associés aux mauvais : ET ON LE RAMASSERA -
c'est ce que feront les anges moissonneurs à l'égard des mauvais, ce qui est
bien la plus grande des peines. Si, en effet, être pour une heure avec des
mauvais est une grande peine, combien plus être pour toujours avec les pires
hommes et les démons ? Ils se retrouveront réunis en un seul fagot dans
le lac4. - Ramassez d'abord l'ivraie, et liez-la en
bottes pour la brûler5.
La quatrième peine,
c'est la peine du sens : ET ON LE JETTERA AU FEU, c'est-à-dire au feu
éternel - Qu'adviendra-t-il du bois de la vigne entre tous les arbres des
bois ? (...) Voici qu 'il a été donné en pâture au feu 6. Car
les bois de vigne, s'ils ne demeurent pas sur la vigne, sont plus méprisables
que tous les autres bois, mais s'ils demeurent sur la vigne, ils sont les plus
glorieux. Voilà pourquoi Augustin dit : « Une de ces deux choses
convient au sarment : la vigne ou le feu ; s'il n'est pas sur la
vigne, il sera dans le feu7 » - Allez, maudits, au feu éternel8.
La cinquième peine,
c'est l'épreuve perpétuelle du feu : ET IL BRÛLERA, à perpétuité - Les
impies s'en iront au supplice éternel9.
III
SI VOUS DEMEUREZ EN MOI, ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN
VOUS, VOUS DEMANDEREZ TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ (15,
7)
1995. Le Christ
donne ici la troisième raison de demeurer en lui, qui se prend de l'efficacité
de leur demande, comme pour dire : SI VOUS DEMEUREZ EN MOI, vous
obtiendrez ce fruit, à savoir que VOUS DEMANDEREZ TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ, ET
CELA VOUS SERA ACCORDÉ.
Mais remarquons
qu'il reprend là deux points qu'il avait touchés en les exhortant à demeurer en
lui. Le premier point : Demeurez en moi10, il le reprend en disant : SI VOUS
DEMEUREZ EN MOI. Le second : et moi en vous 11, il
dit à la place : ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS Parce que le Christ
est le Verbe du Père toute parole (verbum) de sagesse vient de lui - La
source de la sagesse, c'est le Verbe de Dieu au plus haut des deux 12. Il
est donc manifeste que le Christ est en nous lorsque les paroles (verba) de
sa sagesse sont en nous - Vous n'avez pas la parole de Dieu (verbum Dei) demeurant
en vous1.
1. À ce sujet,
voir vo1. I, n° 548, note 12.
2. Cf. Ez 34,
17 : Voici que moi, je juge entre bétail et bétail, entre celui des
béliers et celui des boucs. Ez 34, 20 : Me voici moi-même, je juge
entre la brebis grasse et la brebis maigre. Ez 20, 36-38 : Je vous
jugerai, dit le Seigneur Dieu (...) et je séparerai de vous les transgresseurs
et les impies.
3. Ps 21, 16.
4. Is 24, 22.
5. Mt 13, 30.
6. Ez 15, 2 et 4.
7. Tract, in Io., LXXXI, 3, BA 74B, p. 87.
8. Mt 25, 41.
9. Mt 25, 46.
10. Jn 15, 4.
11. Idem.
12. Si 1, 5
(verset propre à la Vulgate).
Voilà pourquoi il
dit : ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS, ce qui se fait de quatre
manières : en aimant, en croyant, en méditant et en accomplissant - Mon
fils, écoute mes paroles en croyant, et incline l'oreille à mes propos en
obéissant ou en accomplissant, ne les quitte pas des yeux en méditant, et
garde-les au milieu de ton cœur2 en aimant. - Tes paroles se sont présentées, et je les ai
dévorées^".
Les paroles du
Christ sont donc en nous lorsque nous faisons ce qu'il a commandé, et que nous
aimons ce qu'il a promis. Et de là suit également que nous sommes instruits de
ce que nous devons demander - Nous ne savons ce que nous devons demander
dans la prière, mais l'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements
ineffables*. Voilà pourquoi, selon Matthieu5 et Luc6, avec ses propres paroles, il nous a
également appris à prier.
Ainsi donc, crues et
méditées, les paroles de Dieu nous forment pour que nous demandions ce qui est
nécessaire à notre salut. Mais, aimées et accomplies, elles nous aident à
mériter ; et c'est pourquoi il ajoute : vous demanderez tout ce que VOUS VOUDREZ, avec discernement et
persévérance, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ ; et plus tard il dira : Si
vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera''.
1. Jn 5, 38.
2. Pr 4, 20-21.
3. Jr 15, 16.
4. Rm 8, 26.
5. Cf. Mt 6, 9. Saint Thomas commente : « Pourquoi donc
faut-il prier ? Je réponds.
Non pas pour enseigner mais pour fléchir le genou, pour devenir un familier de Dieu, pour t'humilier et te souvenir de tes péchés. (...) Le
Seigneur dit : Priez ainsi, et non pas : "Priez ceci". Il n'interdit
pas de prier autrement mais il nous apprend
à prier ainsi. Cette prière a donc trois caractères : elle est brève, parfaite et efficace. Elle est
brève pour que tous puissent la saisir,
aussi bien les gens érudits que les gens sans instruction, et aussi pour donner confiance qu'on sera
facilement exaucé. (...) De même elle
est parfaite ; en effet, c'est Dieu lui-même qui l'a donnée, et les œuvres de Dieu sont parfaites.
Elle est aussi efficace, c'est pourquoi
les Apôtres disaient : Apprends-nous à prier (Le 11, 1). Et lui-même a dit : Vous prierez ainsi :
"Notre Père qui es aux deux..."« (Sup. Matth. lect., VI, nos
581 et 583).
6. Cf. Le 11, 2.
IV
EN CECI MON PÈRE EST GLORIFIE : QUE VOUS PORTIEZ
BEAUCOUP DE FRUIT ET QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES. (15, 8)
1996. Le Christ
donne ici la quatrième raison de demeurer en lui, tirée de la gloire du Père.
Toutes nos œuvres, nous devons les rapporter à la gloire de Dieu - Non pas à
nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire8. - Que vous mangiez ou buviez, et quoi que
vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu9.
Le Seigneur montre
donc que nous sommes dans le Christ parce qu'à partir de cela nous portons du
fruit, et que par ce fruit le Père est glorifié, et c'est pourquoi il
dit : EN CECI MON PÈRE EST GLORIFIÉ, QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT,
c'est-à-dire que ce fruit rejaillisse pour la gloire du Père.
Il présente ici,
dans l'ordre inverse, trois faits qui se suivent les uns les autres. L'un
concerne cette adhésion : QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, ce qui est la
même chose que : Demeurez en moi10.
Et de cela s'ensuit
le deuxième point : QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT. Et par là mon Père
est glorifié. Comme pour dire : C'est la gloire du Père que vous portiez
du fruit, et vous portez beaucoup de fruit du fait que vous êtes mes disciples.
D'abord en vous conduisant bien, et par là Dieu est glorifié - Qu'ils voient
vos bonnes œuvres, et glorifient votre Père11. Ensuite par un
enseignement droit, ce qui glorifie également Dieu - Tout homme qui invoque mon nom, c'est à ma gloire
que je l’ ai créé1. Les Apôtres sont donc cette terre qui porte beaucoup de fruit2,
comme il est dit ensuite : ET QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, en
demeurant en moi et en étant fervents dans la charité.
7. Jn 16, 23.
8. Ps 113 B, 1.
9. 1 Co 10, 31.
10. Jn 15, 4.
11. Mt 5, 16.
Tels sont en effet
les signes qui caractérisent les disciples du Christ : en premier lieu,
l'adhésion au Christ - Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment
mes disciples3. Par là ils sont rendus capables de porter
le fruit de la doctrine.
En second lieu,
l'observance de la charité - En ceci tous connaîtront que vous êtes mes
disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres4. C'est par là qu'ils sont rendus capables de porter un fruit de bonnes œuvres - Si j'avais le don de prophétie,
et si je connaissais tous les mystères et toute la science, si j'avais toute la
foi jusqu'à déplacer des montagnes, si je n'ai pas la chanté, je ne suis rien5 :
on montre là que sans la charité rien ne vaut.
c) La manière de demeurer en lui.
1997. Précédemment,
le Seigneur a exhorté ses disciples à demeurer en lui. À présent il montre ce
qu'est demeurer en lui, et cela en trois points. Il montre d'abord que demeurer
en lui, c'est demeurer dans son amour ; ensuite, que demeurer dans son
amour, c'est garder ses commandements [n° 2001] ; enfin, que garder ses
commandements, c'est observer la charité [n° 2005].
Demeurer en
l'amour du Christ.
COMME LE PÈRE M'A AIME, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS. DEMEUREZ
DANS MON AMOUR. (15, 9)
Le Seigneur rappelle
d'abord le bienfait accordé aux disciples ; puis il les exhorte à
persévérer [n° 2000].
1998. Premièrement,
donc, il dit que le fait que nous demeurions dans le Christ provient de sa
grâce ; et cette grâce est l'effet de l'amour lui-même - D'un
amour éternel je t'ai aimée6. Par là il apparaît évident que toutes nos œuvres bonnes sont nôtres en
vertu du bienfait de l'amour divin. En effet, elles ne seraient pas nôtres si
la foi n'opérait pas par l'amour7 ; et nous n'aimerions pas si nous
n'étions d'abord aimés8. Voilà pourquoi le Seigneur dit, rappelant
ce bienfait : COMME LE PÈRE M'A AIMÉ, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS.
1. Is 43, 7. Saint
Thomas commente : « Et tout homme qui invoque mon nom, je
l'introduirai dans ma gloire pour qu'il me glorifie et qu'en lui
j'apparaisse glorieux » (Exp. super Isaiam, 43, 7, p. 181, 1.
45-47).
2. Cf. Mt 13,
23 ; Me 4, 8 ; Le 8, 15.
3. Jn 8, 31.
4. Jn 13, 35.
5. 1 Co 13, 2.
6. Jr31,3.
7. Cf. Ga 5,
6 : La foi opère par la charité. Cf. Somme théo1., II-II, q.
4, a. 5, où saint Thomas montre que la foi est une vertu, principe d'un acte
bon, quand elle est liée à la charité. Il distingue ainsi (par la charité) la
foi informe et la foi formée (par la charité) qui seule est une vertu.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXXII, 2, BA 74B, p. 97.
1999. Mais
remarquons que le mot « comme » exprime tantôt une égalité de nature,
tantôt une similitude d'action. Les ariens, dans leur erreur, voulaient que le
« comme » implique l'égalité de nature ; et du fait que ce qui
est supérieur est exprimé plus souvent, ils en concluaient que le Fils est moindre
que le Père. Mais c'est faux ; aussi faut-il dire, selon Augustin 1, que
le « comme » indique une similitude de grâce et d'amour, car l'amour
dont le Fils aime les disciples est une certaine similitude de l'amour dont le
Père aime le Fils. Puisqu'en effet aimer quelqu'un, c'est lui vouloir du bien,
le Père aime le Fils selon sa nature divine, en tant qu'il veut pour lui le
bien infini et souverain que lui-même possède, et cela en communiquant au Fils
sa propre nature, la même numériquement que celle qu'il possède lui-même - Le
Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu'il fait2. Il l'aime aussi selon sa nature humaine - Quand Israël était enfant,
je l'ai aimé, et d'Égypte j'ai appelé mon fils3 ; et ceci pour qu'il fût à la
fois Dieu et homme.
Or ce n'est pour
rien de tout cela que le Fils a aimé les disciples : il ne les a aimés ni
pour qu'ils soient Dieu par nature, ni pour qu'ils soient unis à Dieu dans leur
personne. Mais c'est pour une similitude de tout cela qu'il les a aimés,
c'est-à-dire pour qu'ils soient dieux par participation à la grâce 4 - Moi,
j'ai dit : Vous êtes des dieux5. - Par lui, il nous a donné les grandes et
précieuses promesses, afin que nous soyons rendus participants de la nature
divine6. C'est aussi pour qu'ils soient assumés dans une unité d'amour, car celui
qui s'attache à Dieu n'est avec lui qu'un seul esprit7. - Ceux que d'avance il a connus, il les a
aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, pour qu'il soit le
premier-né parmi de nombreux frères8. Ainsi donc, le bien donné par Dieu le Père au Fils selon l'une et
l'autre nature est plus grand que le bien donné par le Fils aux
disciples ; toutefois c'est un bien semblable, comme on l'a dit.
DEMEUREZ DANS MON
AMOUR.
2000. Le Seigneur
ajoute ces mots, comme pour dire : du fait que vous avez reçu de mon amour
un si grand bienfait, DEMEUREZ dans cet amour, pour que vous m'aimiez. Ou
encore : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, l'amour dont moi je vous aime,
c'est-à-dire demeurez dans ma grâce, afin de ne pas être dépossédés des biens que
je vous ai préparés. Cette dernière explication convient davantage9 ;
le sens est donc : Persévérez dans cet état, d'être ainsi aimés de moi par
l'effet de la grâce - Que chacun demeure dans la vocation même où il a été
appelé 10. - Celui qui demeure dans la charité
demeure en Dieu, et Dieu en lui11.
1. Ibid.
2. Jn 5, 20.
3. Os 11, 1.
4. Cf. Somme
théo1., I-II, q. 110, a. 3 : « La grâce est une participation à
la nature de Dieu ».
5. Ps 81, 6.
6. 2 Ρ 1, 4.
7. 1 Co 6, 17.
8. Rm 8, 29.
9. Saint Thomas
reprend une remarque de saint Augustin, qu'il prolongera dans le n° 2002 :
quel est le « sujet » de l'amour dans lequel les disciples doivent
demeurer ? S'agit-il de l'amour que le fidèle a pour le Christ, ou de
l'amour du Christ pour le fidèle (cf. Tract, in Io., LXXXII, 3, BA 74B,
p. 99-101) ? Les deux étant grammaticalement possibles, le choix dépendra
du contexte. Dans son commentaire d'une formule parallèle : L'amour de
Dieu a été répandu dans nos cœurs (...) (Rm 5, 5), saint Thomas n'a pas
tranché, le contexte ne permettant pas d'orienter le choix vers l'un ou l'autre
sens {Ad Rom. lect., V, nos 392-393).
10. 1 Co 7, 20.
11. 1 Jn 4, 16.
Garder ses
préceptes.
2001. Le Seigneur
montre à présent ce qu'est demeurer dans son amour : il montre d'abord que
c'est garder ses commandements1 ; puis il le manifeste par son exemple
[n° 2003] ; enfin il chasse un doute [n° 2004].
SI VOUS OBSERVEZ MES
PRÉCEPTES, VOUS DEMEUREREZ DANS MON AMOUR. (15, 10)
2002. Il dit
donc : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, et vous le ferez SI VOUS OBSERVEZ MES
PRÉCEPTES ; car c'est ainsi que VOUS DEMEUREREZ DANS MON AMOUR.
En effet,
l'observation des commandements est l'effet de l'amour divin, non seulement de
l'amour dont nous aimons Dieu, mais de l'amour dont Dieu lui-même nous aime.
Car du fait qu'il nous aime, il nous meut et nous aide à accomplir ses
commandements, que nous ne pouvons accomplir que par la grâce - En cela est
la charité : ce n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui
nous a aimés (...) le premier2.
1. En ce qui concerne praeceptum et mandatum, saint
Thomas précise dans la Somme théologique certaines nuances :
« Le dû moral est double : en effet l'intelligence dicte ce que nous
devons faire soit comme nécessaire, sans quoi l'ordre de la vertu ne peut
être ; soit comme utile à mieux conserver l'ordre de la vertu. Et en ce
sens certains points de la morale sont prescrits ou interdits de façon précise par la Loi. Par exemple : Tu
ne tueras pas, tu ne voleras pas (Ex 20, 13. 15). Ce sont là les préceptes
proprement dits (praecepta). Mais d'autres choses sont prescrites ou
interdites non parce qu'elles seraient dues au sens précis, mais pour un mieux.
C'est ce qu'on peut appeler commandements (mandata), parce qu'ils incitent
et persuadent. Par exemple, il est dit dans l'Exode (22, 26) : Si tu as
reçu de ton prochain un
vêtement en gage, tu dois le lui rendre avant le coucher du solei1.
C'est
pourquoi Jérôme dit que "dans les préceptes est la justice, mais dans les
commandements la charité"« (I—II, q. 99, a. 5, a). En fait saint Thomas,
dans ce chapitre, utilise les deux mots praeceptum et mandatum de
manière souvent équivalente. Du reste le mot grec est unique :
εντολή.
2. Cette citation est l'union de deux versets : 1 Jn 4,
10 : En cela est
la charité : ce n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui
nous a aimés, et 1 Jn 4,
19 : Pour nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier.
COMME MOI AUSSI J'AI
OBSERVE LES PRÉCEPTES DE MON PÈRE, ET JE DEMEURE DANS SON AMOUR. (15, 10)
2003. Le Seigneur
ajoute à cela un exemple. De même en effet que l'amour dont le Père l'aime est
l'exemple de l'amour dont lui-même nous aime, de même il a voulu que son
obéissance soit l'exemple de la nôtre. Et c'est par là que le Christ montre
qu'il demeure dans l'amour du Père, parce qu'en toutes choses il a gardé ses
commandements. Car il a même supporté la mort – Il s'est fait obéissant au Père jusqu'à la mort., et la
mort de la croix3. Et de tout péché, il s'est abstenu - Lui qui n'a pas commis de péché et dans la bouche duquel on n'a
pas trouvé de ruse4. Et cela il faut le
comprendre du Christ en tant qu'homme – Il ne m'a pas laissé seul, parce que
moi, ce qui lui plaît, je le fais toujours5. Voilà pourquoi il dit : JE DEMEURE DANS SON AMOUR parce qu'en moi,
en tant qu'homme, il n'y a rien de contraire à son amour.
JE VOUS AI DIT CELA,
POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS, ET QUE VOTRE JOIE SOIT EN PLÉNITUDE. (15, 11)
2004. Pour qu'ils ne
croient pas que ce fût en vue de son intérêt propre, et non du leur, qu'il les
a exhortés à garder ses commandements, il dit à ses disciples : JE VOUS AI
DIT CELA, c'est-à-dire d'observer mes commandements, pour votre bien,
c'est-à-dire POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS. L'amour, en effet, est cause de
joie, car on trouve sa joie dans la réalité aimée. Or Dieu aime lui-même et la
créature, principalement la créature raisonnable, à laquelle il communique le
bien infini. Le Christ, donc, de toute éternité, trouve sa joie dans deux
réalités : dans le bien lui venant
du Père - Je trouvais mes délices en jouant devant lui en tout temps, en
jouant sur le globe de la terre1 - et dans le bien lié à la créature
raisonnable - Mes délices sont d'être avec les fils des hommes2 -, bien qui est d'être en
communion avec les fils des hommes ; et dans ces deux biens, le Christ
trouve sa joie de toute éternité - En toi, ton Dieu trouvera sa joie3.
3. Ph 2, 8 ; « au Père » n'est pas dans la Vulgate.
4. 1 Ρ 2, 22.
5. Jn 8, 29.
Par l'observation de
ses commandements, le Seigneur veut donc nous rendre participants de sa propre
joie4 ; voilà pourquoi il dit : QUE MA JOIE, celle dont moi je me
réjouis à cause de ma divinité et de celle du Père, SOIT EN VOUS : et ce
n'est rien d'autre que la vie éternelle qui est, selon Augustin5, la
joie de la vérité ; autrement dit : Que vous ayez la vie éternelle - Alors
tu abonderas de délices à cause du Tout-Puissant6. ET QUE VOTRE JOIE, celle dont moi je me réjouis à cause de mon
humanité, SOIT EN PLÉNITUDE. Car pour nous [les hommes], les biens dont nous
nous réjouissons sont soit imparfaits, soit imparfaitement possédés ; et
c'est pourquoi la joie en cette vie ne peut pas être plénière. Mais elle le
sera lorsque nous atteindrons parfaitement les biens parfaits - Entre dans la joie de ton Seigneur7.
Observer la
chanté.
2005. Ici le
Seigneur expose d'abord quel est son précepte ; il nous donne ensuite un
exemple [n° 2008] ; enfin il rappelle le bienfait accordé aux disciples
[n° 2010].
1. Pr8, 30 et 31a.
2. Pr 8, 31b.
3. Is 62, 5.
4. Joie traduit ici le mot latin gaudium.
Sur la joie de la vie éternelle, voir
ci-dessus, n° 1853, note 6, p. 157, à propos du sens du mot fruitio.
5. Les confessions,
X, xxiii, 33, BA 14, p. 201-203 : « La vie bienheureuse est la joie [qui naît] de la vérité,
c'est-à-dire la joie qui vient de toi, ô Dieu, ma lumière, le salut de ma
face, mon Dieu ! (Ps 41, 6-7) qui es la Vérité. Cette vie
bienheureuse, tous la veulent ; cette vie qui seule est bienheureuse, tous la veulent. La joie
[qui naît] de la vérité, tous la
veulent ».
6. Jb 22, 26.
7. Mt 25, 21.
Saint Thomas commente : « Pourquoi dit-il : Entre dans la joie et non pas :
"reçois" ? Il y a deux joies : celle qui relève de biens extérieurs et celle qui
relève de biens intérieurs. Celui qui se
réjouit des biens extérieurs n'entre pas dans la joie mais la joie entre en lui. Mais celui qui se
réjouit des biens spirituels entre dans la
joie - Le roi m'a introduit en ses appartements (Ct 1,3). Ou
encore : ce qui est dans quelque chose est contenu par lui, et c'est celui
qui le contient qui est plus grand. Quand donc la joie vient d'une chose qui est moindre que ton cœur, alors la
joie entre dans ton cœur. Mais Dieu est
plus grand que ton cœur (cf. 1 Jn 3, 20), aussi celui qui se réjouit à cause de Dieu entre dans la joie. De même il
entre dans la joie de son
Seigneur, c'est-à-dire venant du Seigneur, parce que le Seigneur est la vérité. Aussi la béatitude n'est-elle rien
d'autre Que la joie [qui vient] de la vérité (gaudium de veritate). Ou
bien : Entre dans la
joie de ton Seigneur, c'est-à-dire dans la joie dont il réjouit et par laquelle ton Seigneur
se réjouit, c'est-à-dire la jouissance de lui-même. Alors donc l'homme se
réjouit comme le Seigneur puisqu'il
jouit comme le Seigneur - Et moi, je dispose pour vous du Royaume comme mon
Père en a disposé pour moi, pour que vous mangiez et buviez à ma table en mon Royaume (Le 22, 29-30),
c’est-à-dire pour que vous soyez
heureux dans ce en quoi je suis heureux » (Sup. Matth. lect., XXV, n° 2054).
I
TEL EST MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES
AUTRES. (15, 12)
2006. Le précepte
qu'il donne, c'est celui de la charité, qu'il veut que nous observions. Mais
puisqu'il y a beaucoup d'autres préceptes du Seigneur dans les paroles sacrées,
on peut se demander pourquoi c'est seulement l'observance de la charité qu'il
appelle son précepte.
Il faut dire, selon
Grégoire8, que la charité est la racine et la fin de
toutes les vertus. La racine, parce que c'est par la charité affermie dans son
cœur que l'homme est mû à accomplir tous les autres préceptes - Celui qui
aime le prochain a accompli la loi1. Tous les préceptes sont donc, pour ainsi dire, ordonnés à ce que
l'homme fasse du bien à son prochain et ne lui fasse pas de tort, ce que
réalise par excellence la charité.
8. XL hom. in Evang., II, hom. 27, 1, PL 76,
co1. 1205 A.
Elle est encore la
fin des vertus, parce que tous les préceptes sont ordonnés à elle et ne se
consolident qu'en elle - La fin des préceptes est la charité qui vient d'un cœur pur2. Il dit donc : TEL EST MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES
UNS LES AUTRES, comme s'il disait que tout procède de la charité comme d'un
principe, et y est ordonné comme à une fin. Selon Grégoire3 en
effet, de même que les nombreuses branches d'un arbre s'élèvent d'une racine
unique, de même les nombreuses vertus sont engendrées à partir d'une racine
unique ; et aucune branche n'a la vigueur d'une œuvre bonne si elle ne
demeure enracinée dans la charité4.
2007. Mais puisqu'il
est dit en Matthieu5 que la Loi et les prophètes sont suspendus
non seulement à l'amour de Dieu, mais aussi à l'amour du prochain, pourquoi ne
mentionne-t-il ici que l'amour du prochain ?
Il faut dire que
l'un est inclus dans l'autre : car celui qui aime Dieu aime nécessairement
son prochain et ce qui appartient à Dieu6 ; et qui aime le prochain à cause de
Dieu, aime nécessairement Dieu : en effet, quoique les objets soient
divers, les actes mêmes sont un quant à la conséquence.
1. Rm 13, 8.
2. 1 Tm 1, 5.
3. Ibid.
4. Voir aussi Somme théo1., II-II, q. 23, a. 7 et a. 8. Il
ne peut y avoir de véritable vertu sans la charité, explique saint Thomas en
reprenant Aristote, parce que « la vertu absolument véritable est celle
qui ordonne au bien principal de l'homme » (a. 7, c). Et c'est parce que
« la charité ordonne les actes de toutes les autres vertus à la fin ultime
qu'elle donne aussi à ces actes leur forme » (a. 8, c.)· Voir aussi la
réponse à la seconde objection de l'article 8 : « On compare la
charité au fondement et à la racine pour signifier que par elle sont soutenues
et nourries toutes les autres vertus ». Et la réponse à la troisième
objection : « On doit dire que la charité est la fin des autres
vertus parce qu'elle les ordonne toutes à sa fin propre. Et, parce qu'une mère
est celle qui conçoit en elle-même par un autre, on peut dire que la charité
est la mèrç des autres vertus, parce que, à partir de l'appétit de la fin
ultime, elle conçoit les actes des autres vertus en les commandant. »
5. Cf. Mt 223 40.
6. Saint Thomas précise : « La raison d'aimer le
prochain est Dieu : en effet ce que nous devons aimer dans le prochain,
c'est qu'il soit en Dieu. Il est donc manifeste que l'acte par lequel Dieu est
aimé et celui par lequel le prochain est aimé sont de même espèce » (Somme
théo1., II-II, q. 25, a. 1, c). Mais au sujet de la différence entre
l'amour de Dieu et l'amour du prochain, il indique : « C'est donc
Dieu qui doit être aimé de charité principalement et par-dessus tout. Il est
aimé en effet comme cause de la béatitude. Mais le prochain est aimé comme
participant en même temps que nous de la béatitude » (loc. cit., q.
26, a. 2, c). Voir aussi De cantate, a. 4, in : Quaestiones disputatae (De virtutibus in
communi).
S'il fait davantage
mention de l'amour du prochain que de l'amour de Dieu, c'est pour une double
raison : l'une est qu'en cela son intention est de les instruire et de les
amener à comprendre la manière d'édifier leurs proches, et l'autre la manière
de devenir forts pour supporter jusqu'au bout les tribulations des
persécuteurs ; et pour l'une et l'autre chose la charité envers le
prochain est nécessaire.
II
COMME JE VOUS AI AIMES (15, 12)
2008. Ici, le Christ
manifeste par un exemple comment nous devons aimer le prochain, c'est-à-dire
comment lui-même nous a aimés.
Or le Christ nous a
aimés d'une manière ordonnée et efficace. D'une manière ordonnée, parce qu'il
n'a rien aimé en nous sinon Dieu et tout ce qui, en nous, est ordonné à lui - Moi je suis la mère du bel
amour''. D'une manière efficace, parce qu'il a tant
aimé qu'il s'est livré lui-même pour nous - Il nous a aimés, et s'est livré lui-même pour nous, oblation et hostie
pour Dieu, en parfum de bonne odeur8. Nous donc, nous devons
aimer nos proches9 à la fois saintement, en vue du bien, et
efficacement, c'est-à-dire de telle sorte que nous manifestions cet amour par
des actes - N'aimons pas
en parole ni de langue, mais en acte et dans la vérité1.
7. Si 24, 24
(verset propre à la Vulgate).
8. Ep 5, 2.
9. Voir Somme
théo1., II-II, q. 25, a. 1 ; q. 26, a. 2, a. 6 et a. 7.
PERSONNE N'A DE PLUS GRAND AMOUR QUE CELUI QUI LIVRE SON ÂME
POUR SES AMIS. (15, 13)
2009. Ici, le
Seigneur montre l'efficacité de l'amour qui est telle qu'un homme puisse supporter
la mort pour ses amis ; et c'est ce qui est le signe du plus grand amour.
Mais on peut
objecter à cela que le signe du plus grand amour c'est que quelqu'un livre son
âme pour ses ennemis, comme l'a fait
le Christ - Dieu confirme sa charité envers nous : au temps où nous
étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous2. À cela il faut répondre
que le Christ n'a pas livré son âme pour nous comme pour des ennemis,
c'est-à-dire pour que nous demeurions ennemis, mais pour faire de nous ses
amis ; ou encore il faut dire que bien que [ceux pour qui il mourait] ne
fussent pas des amis comme ceux qui aiment, ils l'étaient toutefois en tant
qu'aimés.
Or il est manifeste
que le signe du plus grand amour, c'est de livrer son âme pour son ami, parce
qu'on peut ordonner quatre choses dans l'ordre des réalités capables d'être
aimées : Dieu, notre âme, le prochain, et notre corps3. Et
c'est Dieu que nous devons aimer plus que nous-mêmes et que nos proches, de
telle sorte que pour Dieu nous devons nous donner nous-mêmes, c'est-à-dire
notre âme et notre corps, et donner le prochain. Pour notre âme nous devons
exposer notre corps, mais notre âme, nous ne devons pas la donner. En ce qui
concerne le prochain, c'est notre vie corporelle et notre corps que nous devons
exposer pour son salut. Voilà pourquoi, puisque la vie corporelle est ce que
nous possédons de plus important après notre âme, l'exposer pour le prochain
est ce qu'il y a d'essentiel, et le signe du plus grand amour - En cela est apparue la charité de Dieu envers
nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions
par lui4.
Le bienfait
accordé aux disciples.
2010. Précédemment,
le Seigneur nous a exhortés à la charité fraternelle, et cela par son exemple
[n° 2005] ; ici il montre aux disciples le bienfait qui leur a été accordé
et qui les engageait à l'imiter : c'est que lui, le Christ, les a élevés 5
jusqu'à l'amour dont lui-même aime (ad amorem suum). Et d'abord il donne
le signe de leur amitié, puis il en dévoile la cause [n° 2019].
VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS
COMMANDE. JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT
PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. MAIS JE VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE
QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 14-15)
Le Seigneur montre
ici un double signe de l'amitié : l'un, pris du côté des disciples ;
l'autre, de son côté à lui [n° 2013].
1. 1 Jn 3, 18.
2. Rm 5, 8.
3. Sur l'ordre de la charité, voir Somme
théol, II-II, q. 25, a. 12,
et q. 26.
4. 1 Jn 4, 9.
5. Assumpsit
eos. Cette expression, qui vient du Deutéronome, se retrouve, avec le sens d'élever jusqu'à soi, dans le commentaire
du Psaume 16, où saint Thomas
cite tout le verset : « À l'ombre de tes ailes protège-moi, c'est-à-dire
sous la garde des anges (...). Les deux ailes sont les deux bras du Christ
étendus sur la croix - II a déployé ses ailes, et l'a pris, et il l'a porté (assumpsit)
sur ses épaules (Dt 32, Π) » (Exp. in Psalmos, 16, n°
3).
VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS
COMMANDE.
2011. En ce qui
concerne les disciples, le signe qu'ils sont amis du Christ, c'est qu'ils
observent ses commandements. Il leur dit donc : VOUS ÊTES, VOUS, MES AMIS,
SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. Comme pour dire : jusqu'à
présent je vous ai avertis de vous aimer les uns les autres, mais maintenant je
vous avertis et je vous parle de votre amitié envers moi.
L'affirmation VOUS
ÊTES MES AMIS peut être entendue de deux manières, selon que le mot
« ami » désigne à la fois celui qui aime et celui qui est aimé ;
et selon ces deux sens, ce qu'ajoute le Seigneur est vrai : SI VOUS FAITES
CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. En effet ceux qui aiment Dieu observent ses
commandements ; car puisque l'ami est comme un gardien de l'âme [de son
ami], comme l'affirme Grégoire \ c'est à juste titre que celui qui garde
la volonté de Dieu dans ses préceptes est appelé son ami.
De même, ceux que
Dieu aime observent ses commandements, dans la mesure où il les aide à les
observer en leur conférant sa grâce : Dieu, en nous aimant, fait de nous
[ses amis], ceux qui l'aiment (dilectores) - Moi, j'aime ceux qui
m'aiment2 ; non que ceux-ci aient aimé les
premiers, mais parce que Dieu lui-même, en les aimant, les rend aimants3.
2012. Mais il faut
savoir que l'observation des commandements n'est pas la cause4 de
l'amitié divine, mais son signe ; le signe à la fois que Dieu nous aime et
que nous, nous l'aimons - L'amour de la sagesse est la garde de ses lois5. - Celui qui dit aimer Dieu et ne garde pas ses commandements est un
menteur6.
2013. Le Christ
montre maintenant le signe de leur amitié, de son côté à lui. Il exclut d'abord
ce qui semble contraire à l'amitié, puis il donne le signe de la véritable
amitié [n° 2016].
JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE
SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. (15, 15)
2014. Ce qui est
contraire à l'amitié, c'est la servitude ; il commence donc par l'exclure
en disant : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Autrement dit :
même si autrefois vous avez été comme des serviteurs sous la Loi, maintenant
vous êtes comme des hommes libres sous la grâce – Vous n'avez pas reçu un
esprit de servitude pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu
l'esprit d'adoption des fils7.
Ensuite, le Seigneur
dit pourquoi il exclut la servitude : PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS
CE QUE FAIT SON SEIGNEUR. Le serviteur, en effet, est comme étranger à son
seigneur. Plus haut : Le serviteur ne demeure pas dans la maison
éternellement8. Or aux étrangers, on ne doit pas confier les secrets - Ne révèle pas
les secrets à un étranger9 ; il ne faut donc pas confier les secrets aux serviteurs.
Mais ce passage peut
être rattaché à ce qui précède de la manière suivante. Les disciples pourraient
dire : si nous observons tes préceptes, nous sommes tes amis ; mais
observer les préceptes relève plus de la servitude que de l'amitié. Et c'est
pourquoi, excluant cela, le Seigneur dit : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS
SERVITEURS.
1. XL hom. in Évang., II, hom. 27, 4, PL 76, co1. 1207 A.
2. Pr 8, 17.
3. Voir ci-dessus, n° 1622, note 8.
4. En effet, comme le rappelle saint Thomas, Dieu seul est cause
de l'amour divin : « La charité ne peut pas venir en nous naturellement
ni être acquise par nos forces naturelles. Elle ne peut venir que d'une
infusion de l'Esprit Saint, qui est l'amour du Père et du Fils, dont la
participation en nous est la charité elle-même » (Somme theol, II-II,
q. 24, a. 2, a).
5. Sg 6, 19.
6. 1 Jn 2, 4 ; mais les premiers mots : Celui qui dit
le connaître ont été remplacés par les premiers mots de 1 Jn 4, 20 : Celui
qui dit aimer Dieu (et
a de la haine pour son frère).
7.Rm 8, 15. 8. Jn 8, 35. 9. Pr 25, 9.
2015. Mais ici, il y
a un doute. Les Apôtres eux-mêmes disent qu'ils sont les serviteurs du Christ -
Paul, serviteur du Christ Jésus, Apôtre1 ; David dit également : Moi, je suis ton serviteur2 ;
et même ceux qui doivent être introduits dans la vie éternelle sont appelés
serviteurs : C'est bien, serviteur bon et fidèle (...) ; entre
dans la joie de ton Seigneur2. Pourquoi alors le Seigneur dit-il : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS
SERVITEURS ?
Il y a encore un
doute sur le point suivant. Puisque les seigneurs fréquemment révèlent leurs
secrets à leurs serviteurs, et de même Dieu - Dieu ne fait rien qu'il n'ait
révélé son secret à ses serviteurs les prophètes 4 -,
ce qu'il dit ici : LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR ne
semble pas vrai.
Je réponds : il
faut dire, selon Augustin5, que la servitude est causée proprement par
la crainte. Or il y a une double crainte6 : la crainte servile, que bannit la
charité - Il n'y a pas de crainte dans la charité7 -, et la crainte filiale, qui est engendrée par la charité parce qu'on
craint de perdre ce qu'on aime. Celui donc qui aime Dieu craint de le
perdre ; voilà la crainte bonne et chaste, dont il est dit dans le
psaume : La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pour les
siècles des siècles8. Et d'après cela, ily a deux servitudes. La
première procède de la crainte filiale ; et c'est d'une telle servitude
que sont serviteurs tous les justes, et les fils de Dieu, comme on l'objectait.
L'autre servitude, qui procède de la crainte du châtiment, est contraire à
l'amour ; et c'est en parlant d'elle que le Seigneur dit : JE
NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Il faut savoir aussi que le serviteur, à
proprement parler, est celui qui n'est pas cause pour lui-même, alors que
l'homme libre est celui qui est cause pour lui-même. Il y a donc une différence
entre les opérations du serviteur et celles de l'homme libre : le
serviteur travaille pour un autre (causa alterius), tandis que l'homme
libre travaille pour lui-même (causa sui), à la fois quant à la cause
finale de l'œuvre et quant à la cause motrice9. En effet, l'homme libre travaille pour
lui-même, comme pour une fin, et travaille de lui-même, puisque c'est de sa
propre volonté qu'il est mû à [réaliser] une œuvre ; le serviteur, par
contre, ne travaille pas pour lui-même, mais pour son seigneur, ni de lui-même,
mais de par la volonté de son seigneur, et comme par une certaine contrainte.
Mais il arrive parfois qu'un serviteur, travaillant pour un autre qui est comme
sa cause finale, travaille cependant de lui-même, en tant qu'il se meut
lui-même en vue de réaliser une œuvre. Et telle est la bonne servitude ;
car c'est par la charité qu'on est mû à faire des œuvres bonnes, mais toutefois
on n'opère pas pour soi-même, puisque dans la charité nous ne cherchons pas ce
qui est nôtre, mais ce qui appartient à Jésus Christ et au salut du prochain. En revanche, ceux qui opèrent
entièrement à cause d'un autre sont de mauvais serviteurs. Il est donc évident
que les disciples étaient des serviteurs, mais selon cette servitude bonne qui
procède de l'amour.
1. Rm 1, 1.
2. Ps 118, 125.
3. Mt 25, 23. Cf. Ap 7, 3.
4. Am 3, 7.
5. Tract, in Io., LXXXV, 3, BA 74B, p. 133-134.
6. Sur les
différentes craintes, voir ci-dessus, n° 1783, note 2.
7. 1 Jn 4, 18.
8. Ps 18, 10. En commentant ce psaume saint Thomas évoque les deux sortes de crainte :
« Toute crainte est engendrée par l'amour, parce que l'homme craint de perdre ce qu'il aime. Aussi, de même qu'il y a un double amour, de même il
y a une double crainte : une crainte
sainte qui est engendrée par un amour saint ; une crainte non sainte qui est engendrée par un amour
non saint. L'amour saint est celui dont Dieu est aimé - La charité de Dieu a été répandue en nos
cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5). Cette sainte crainte fait trois
choses : elle craint d'abord d'offenser Dieu. Ensuite elle se refuse à
être séparée de lui. Enfin elle se soumet à Dieu par respect. Et cette crainte
est appelée chaste et filiale. N'est pas sainte la crainte qui est engendrée
par un amour non saint, un amour qui est selon le monde ; et un tel amour
non saint est engendré par une double crainte non sainte : la crainte
servile qui est issue d'un amour de soi, et la crainte mondaine qui procède de
l'amour du monde » (Exp.
in Psalmos, 18, n° 6).
9. Sur les quatre causes, voir ci-dessus, n° 1740, note 1.
À la seconde
question il faut répondre que le serviteur qui est mû seulement par un autre,
et non par lui-même, est à l'égard de celui qui le meut comme l'instrument à
l'égard de l'artisan. Or l'instrument est associé à l'artisan dans la réalisation
de l'œuvre, mais non pas dans la raison (ratio1) de l'œuvre ; de même, donc, de tels serviteurs participent
seulement à l'œuvre. Mais quand le serviteur opère de sa propre volonté, il est
nécessaire qu'il ait connaissance de la raison de l'œuvre, et qu'on lui révèle
certaines choses cachées par lesquelles il puisse connaître ce qu'il fait - Si
un serviteur t'est fidèle, qu'il soit pour toi comme ta propre âme2. Or les Apôtres, comme on l'a dit, étaient mus par eux-mêmes pour faire
de bonnes œuvres, c'est-à-dire par leur propre volonté orientée par
l'amour ; et c'est pourquoi le Seigneur leur a révélé ses secrets.
Quant aux mauvais
serviteurs, il est vrai qu'ils ne savent pas ce que fait leur seigneur. Mais
quelles sont donc ces choses qu'ils ne savent pas ? Celles-là mêmes que
Dieu fait en nous. En effet, tout le bien que nous faisons, c'est Dieu qui
l'opère en nous - C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire3. Donc le mauvais serviteur, enténébré par l'orgueil de son cœur, NE SAIT
PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR tant qu'il attribue à lui-même ce qu'il fait.
MAIS JE VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE QUE J'AI
ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 15)
2016. Ici, le
Seigneur montre le vrai signe de l'amitié, de son côté à lui ; c'est que
TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. En effet, le
vrai signe de l'amitié, c'est que l'ami révèle à son ami les secrets4 de
son cœur. En effet, puisque c'est le propre des amis d'être un seul cœur et
une seule âme5, il semble que l'ami ne dépose pas en dehors de son cœur ce qu'il révèle
à son ami - Ta cause, traite-la avec ton ami, et ne révèle pas les secrets à
un étranger6. - De son visage, je ne me cacherai pas7. Or Dieu, en nous rendant participants de sa sagesse, nous révèle ses
secrets - Parmi les nations elle passe en des âmes saintes, elle forme des
amis de Dieu et des prophètes8.
CE QUE J'AI ENTENDU
DE MON PÈRE
2017. Mais ici
surgit un premier doute : qu'est-ce que le Fils entend du Père, et de
quelle manière ? Cela, assurément, a déjà été manifesté plusieurs fois. En
effet, puisque entendre, c'est recevoir la science d'un autre, pour le Fils
entendre du Père n'est rien d'autre que recevoir de lui la science ; or la
science du Fils est sa propre essence : donc pour le Fils, entendre de son
Père, c'est recevoir de lui son essence.
TOUT CE QUE J'AI
ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE.
2018. Cette dernière
affirmation suscite encore un doute. Car s'il leur a tout fait connaître, il
s'ensuit que les disciples en savaient autant que le Fils.
Réponse : il
faut dire, selon Chrysostome1,TOUT CE QUE J'AI ENTENDU, c'est-à-dire
tout ce qu'il fallait que vous entendiez, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE, mais non
pas tout d'une manière absolue ; le Seigneur ne dit-il pas plus
loin : J'ai encore
beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent2 ?
1. Sur les différents sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface,
p. 18, note 4.
2. Si 33, 31.
3. Ph 2, 13. Voir aussi Is 26, 12.
4. Voir ci-dessus, n° 1916, note 12.
5. Ac 4, 32.
6. Pr 25, 9.
7. Si 22, 31.
8. Sg 7, 27.
Ou bien il faut
dire, selon Augustin3, que le Seigneur, ayant la certitude de ce
qui doit nous être dit, utilise le passé pour le futur ; le sens est alors
le suivant : TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PÈRE, JE VOUS L'AI FAIT
CONNAÎTRE, c'est-à-dire, je vous le ferai connaître en plénitude, cette
plénitude dont l'Apôtre dit : Alors je connaîtrai comme j'ai été moi aussi connu 4 ;
et plus loin le Seigneur
dira : Je vous annoncerai
ouvertement ce qui concerne mon Père, en ce jour-là5 ; et ce sera lorsqu'il nous introduira
dans la vision du Père. En effet, tout ce que sait le Fils, le Père le sait6.
Lors donc qu'il nous révélera le Père, il révélera tout ce qu'il sait, et ce
que nous savons [à présent, comme en énigme7].
Ou bien il faut
dire, selon Grégoire8, et cela convient mieux : on peut avoir
d'une même réalité une connaissance parfaite et une connaissance imparfaite,
comme cela apparaît dans les sciences, parce qu'on dit que celui qui connaît
tous les principes d'une science connaît cette science, mais il la connaît
imparfaitement. Voilà pourquoi celui qui enseigne à quelqu'un les principes
d'une science peut dire qu'il lui a enseigné cette science, parce que tout ce
qui appartient à cette science se trouve, en puissance, dans ses
principes ; mais il connaît plus parfaitement cette même science quand il
connaît chacune des conclusions, qui était en puissance dans les principes9. De
même, donc, pour les réalités divines, on peut avoir une double connaissance.
La première est imparfaite : elle est reçue par la foi qui est un
avant-goût de la béatitude future et de la connaissance que nous aurons dans la
patrie - La foi est la substance des réalités qu'on doit espérer, l'argument de ce qui n'est pas
apparent10. Voilà pourquoi le
Seigneur dit, en parlant de cette connaissance : JE VOUS L'AI FAIT
CONNAÎTRE, c'est-à-dire dans la foi, par une certaine anticipation, à la
manière dont les conclusions se trouvent en puissance dans les principes. C'est
pourquoi Grégoire dit : « Tout ce qu'il a fait connaître à ses
serviteurs, ce sont les joies de la charité intérieure et les fêtes de la
patrie d'en haut, qu'il imprime chaque jour dans nos esprits par l'aspiration
de son amour ; car quand nous aimons ces choses que nous avons entendues
d'en haut, les ayant aimées, déjà nous les connaissons, parce que l'amour
lui-même est connaissance 1. »
1. In Ioannem hom., LXXVII,
1, PG 59, co1. 415.
2. Jn 16, 12.
3. Tract, in Io., LXXXVI, 1,
BA 74B, p. 139-141.
4. 1 Co 13, 12.
5. Jn 16, 25 ; saint Thomas reprend le en ce jour-là du
verset 26.
6. Voir ci-dessus,
nos 1722 à 1726.
7. Cf. 1 Co 13, 12.
8. Saint Thomas prépare, en l'interprétant et en l'élargissant, le
passage du commentaire de saint Grégoire qu'il citera en fin de paragraphe (cf. XL hom. in Evans., II,
hom. 27, 4, PL 76, co1. 1206 D-1207 A).
9. Saint Thomas distingue ici deux connaissances, celle des
principes et celle des conclusions connues à la lumière de ces principes. En
cela, il est bien le disciple d'Aristote qui nous montre comment nous pouvons
connaître la réalité : « N'oublions pas la différence existant entre
les raisonnements qui partent des principes et ceux qui tendent à en établir.
Platon lui-même se trouvait sur ce point, et à juste titre, embarrassé, et il
cherchait à préciser si la marche à suivre allait aux principes ou partait des
principes, de même qu'on peut se demander si les coureurs dans le stade doivent
partir des athlothètes vers l'extrémité du stade ou inversement. Ce qu'il y a
de sûr, c'est qu'il faut partir du connu. Or ce qui nous est connu l'est de
deux façons : relativement à nous [l'expérience] et absolument [les
principes] » (Éthique à Nicomaque, I, 2, 1095 a 30 - 1095 b 2). Et
Aristote montre que c'est dans la lumière des principes que nous pouvons
connaître la réalité en profondeur, dans ses conclusions ; voir entre
autres Physique, I, 1, 184 a 10-15 : « Puisque nous parvenons au
savoir et au connaître scientifique dans tous les ordres de recherche pour
lesquels il existe des principes, des causes, ou éléments, à partir de
l'acquisition de la connaissance de ceux-ci - en effet nous pensons connaître
chaque chose lorsque nous connaissons les causes premières, les principes
premiers, et jusqu'aux éléments -, il est évident que pour la science de la
nature aussi il faut d'abord essayer de distinguer ce qui concerne les
principes ». Voir aussi Métaphysique, Z, III, 1029 b 3-12.
10. He 11, 1. Voir Somme theol, II-II, q. 4, a. 1, c,
où saint Thomas commente cette définition de la foi. Voir aussi loc. cit., q.
2, a. 3, c. : « L'ultime béatitude de l'homme consiste dans une
vision surnaturelle de Dieu. À cette vision, il est sûr que l'homme ne peut
parvenir s'il ne se met à apprendre à l'école même de Dieu, selon le passage de saint Jean : Quiconque
prête l'oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi (Jn 6, 45). Mais
l'homme n'entre pas d'un seul coup dans un enseignement de cette sorte :
il y entre progressivement, selon la manière même de sa nature. Et quiconque se
met ainsi à apprendre doit nécessairement commencer par croire, pour se trouver
en état de parvenir à la science parfaite. Le Philosophe lui-même le dit
bien : "II faut croire lorsqu'on veut apprendre". De là vient
que, pour être en état de parvenir à la vision parfaite qu'on a dans la
béatitude, l'homme doit auparavant croire à Dieu, comme un disciple au maître
qui l'enseigne ». Saint Thomas nous montre donc que la foi est l'école de
la vision, et de même, analogiquement, que la connaissance des principes nous
conduit à la connaissance des conclusions.
II
CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS
AI CHOISIS ET VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE
VOTRE FRUIT DEMEURE, POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM,
IL VOUS LE DONNE. CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS
LES AUTRES. (15, 16-17)
2019. Le Seigneur
montre ici la cause de l'amitié. En effet, chez les hommes, il est fréquent
qu'on s'attribue à soi-même la cause de l'amitié - Tout ami dit : moi
aussi, j'ai lié amitié2. Et ainsi, beaucoup s'attribuent la cause de l'amitié divine, en
attribuant à eux-mêmes et non à Dieu le principe de leurs œuvres bonnes. Mais
le Seigneur exclut cela en disant : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI,
comme pour dire : que celui qui a été appelé à la dignité de cette amitié
n'attribue pas la cause de l'amitié à lui-même, mais à moi qui le choisis pour
cela.
Et d'abord il met en
lumière la gratuité du choix de Dieu, puis il explique en vue de quoi sont choisis
ses disciples [n° 2025].
CE N'EST PAS VOUS
QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS.
2020. Le Seigneur
dit donc : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI pour que je sois votre ami,
MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS pour faire de vous mes amis - Ce n'est
pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés le premier^. Or
il y a un double choix de Dieu. L'un, éternel, selon lequel nous sommes
prédestinés - Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde4. L'autre, temporel, selon lequel nous sommes appelés par lui, et qui
n'est autre que l'accomplissement de cette prédestination éternelle : car
ceux qu'il a choisis en les prédestinant, il les a aussi choisis en les
appelant - Ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés5. - II en choisit douze, ceux qu'il nomma
aussi Apôtres6.
2021. Certains
disent que le choix temporel de Dieu est causé par les mérites des élus. Mais
cela est contraire à ce qui est dit ici. Car s'il t'a choisi parce que tu étais
bon, tu ne pouvais, toi, être bon que si tu choisissais le bien ; or ce
bien, éminemment, c'est Dieu ; donc tu aurais d'abord choisi le bien, qui
est Dieu, avant d'être choisi. Mais le Seigneur dit le contraire : CE
N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS. Il ne
faut donc pas dire qu'il y a en nous un bien qui précède totalement le choix de
Dieu. Je dis bien « totalement », parce qu'un bien particulier en
nous peut être cause de ce que nous soit donné un autre bien, et ce dernier
d'un autre encore, puisqu'il y a un certain ordre dans les dons divins ;
mais, d'une manière universelle, rien ne peut être cause du choix divin et le
précéder, car tous nos biens nous les tenons de Dieu.
2022. Mais, de ce
choix éternel il serait encore plus erroné de dire qu'il est précédé de notre
propre choix. Certains cependant affirmèrent que nos mérites antécédents sont
cause de ce choix. Et ce fut là l'erreur d'Origène : pour lui, les âmes
des hommes ont été créées ensemble et égales ; puis, alors que certaines
tenaient bon, d'autres péchèrent, les unes davantage et les autres moins, c'est
pourquoi certaines méritèrent d'avoir la grâce et d'autres non. Mais contre
cela, voilà ce que le Seigneur dit : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ
CHOISI.
1. Voir ci-dessus note 9, p. 229.
2. Si 37, 1.
3. 1 Jn 4, 10.
4. Ep 1,4.
5. Rm 8, 30.
6. Le 6, 13.
2023. Selon d'autres
encore, il est vrai que ce ne sont pas les mérites existant en acte qui sont
cause de la prédestination, mais les mérites préexistant dans la prescience de
Dieu ; car, disent-ils, parce que Dieu a connu ceux qui seraient bons et
useraient bien de la grâce, il a eu comme dessein de leur donner la grâce. Mais
si cela était, il s'ensuivrait qu'il nous aurait choisis parce qu'il aurait su
d'avance que nous le choisirions. Et ainsi notre choix serait préalable au
choix divin, ce qui va contre la parole du Seigneur.
2024. On dira
peut-être : quel pouvait être ce choix puisque nous n'étions rien et
qu'entre nous il n'y avait aucune prééminence ? Mais celui qui parle de la
sorte, le mode du choix humain le trompe, en ce sens qu'il croit que le choix
divin est selon ce mode. Or autre est le mode du choix humain, autre celui du
choix divin ; car notre choix est causé par un bien déjà préexistant,
tandis que le choix divin est cause en ce sens qu'il communique un bien plus
grand en telle personne qu'en telle autre. En effet, puisque le choix est un
acte de la volonté, dans la mesure où la volonté de Dieu et celle de l'homme se
rapportent diversement aux biens, divers aussi est le mode de leur choix. Or la
volonté de Dieu se rapporte au bien créé comme sa cause - Comment cela aurait-il pu exister, si tu ne
l'avais voulu ?1 Et ainsi le bien s'étend
de la volonté de Dieu aux réalités créées. Voilà pourquoi Dieu préfère (praeeligit)
un tel à tel autre, en tant qu'il lui influe plus de bien qu'à cet autre.
La volonté de l'homme, en revanche, est mue vers quelque chose à partir du bien
préexistant qui a été appréhendé par lui : c'est pour cela que, dans notre
choix, il faut qu'un bien préexiste à un autre.
Or si Dieu influe
plus de bien à telle personne qu'à telle autre, c'est pour que brille un ordre
dans les réalités2. Ainsi, dans les réalités matérielles, il
apparaît clairement que la matière première, pour ce qui relève d'elle, est
uniformément disposée à toutes les formes ; les réalités elles-mêmes
également, avant d'exister, ne sont pas davantage disposées à être ceci ou
cela. Mais pour qu'entre ces réalités un ordre soit gardé, elles reçoivent de
Dieu, en partage, des formes et un être différents.
Et d'une manière
semblable, en ce qui concerne la créature raisonnable, certains sont élus pour
la gloire, d'autres sont condamnés à
la peine - Le Seigneur sait qui sont les siens (...). Dans une grande
maison, il n'y a pas que des vases d'or et d'argent, il y en a aussi de bois et
d'argue : les uns sont pour des usages nobles, les autres pour des usages
vils3. Et ainsi apparaît un ordre divers : tandis que la
miséricorde de Dieu brille en certains, qu'il prépare à la grâce sans aucun
mérite antécédent, en d'autres brille la justice de Dieu, lorsque pour leurs
propres fautes, mais en deçà de ce qu'ils méritent, il leur impose une peine.
Ainsi donc, Dieu
nous a élus en nous prédestinant4 de toute éternité et en nous appelant à la
foi dans le temps.
1. Sg 11, 26.
2. Voir Somme théol, I-II, q. 112, a. 4, c. :
« La première cause de cette diversité doit se prendre du côté de Dieu qui
dispense différemment les dons de sa grâce, en vue de faire ressortir la beauté
et la perfection de l'Église, de même qu'il a établi les divers degrés des
êtres pour la perfection de l'univers ». Sur la diversité dans l'Église,
voir II-II, q. 183, a. 2 ;
et sur la diversité des prédestinés, voir I, q. 23, a. 5, ad 3.
3. 2 Tm 2, 19-20.
4. Sur la prédestination, voir surtout vo1. I, n" 938, note
1, nos 1373 et note 12, mais aussi ci-dessus, n" 1789, et
ci-dessous nos 2218, 2262, 2589 et 2605.
ET [JE] VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU
FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE, POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE
EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE. CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS
AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.
2025. Ici le
Seigneur précise en premier lieu ce en vue de quoi il a choisi ses disciples.
D'abord il montre qu'il les a choisis pour accomplir quelque chose [n° 2026],
puis qu'il les a choisis pour recevoir quelque chose [n° 2028]. En second lieu,
il donne la raison de tout ce qu'il a dit.
ET [JE] VOUS AI
ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE.
2026. Le Seigneur
dit donc : JE VOUS AI ÉTABLIS, c'est-à-dire j'ai établi par vous un ordre
dans mon Église - Dieu a établi dans l'Église, premièrement des Apôtres1. Aussi JE VOUS AI ÉTABLIS, c'est-à-dire je vous ai disposés avec fermeté
- Dieu fit les grands luminaires (...) et il les établit au firmament
du ciel2. - Les étoiles, restant en ordre selon leur
cours, ont combattu contre Sisara3. Établir implique en effet ordre et fermeté.
2027. [JE] VOUS AI
ÉTABLIS, dis-je, pour trois choses. D'abord pour aller : POUR QUE VOUS
ALLIEZ en parcourant le monde, pour le convertir tout entier à la foi - Allez
dans le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature4. Ou encore POUR QUE VOUS ALLIEZ, c'est-à-dire que vous avanciez de vertu
en vertu - Ils iront de vertu en vertu : le Dieu des dieux apparaîtra
en Sion5. – Ses rameaux s'étendront, sa gloire
sera comme celle de l'olivier et son odeur comme celle du Liban6.
Deuxièmement, pour
porter du fruit : que VOUS PORTIEZ DU FRUIT, le fruit de la conversion des
croyants, selon un premier
chemin - Afin de recueillir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres
nations7. Ou bien un fruit spirituel, intérieur, selon un second chemin - Le
fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)8. - Mes fleurs sont un fruit d'honneur et
d'honnêteté9.
Troisièmement, pour
porter un fruit qui ne se perde pas par la mort ou le péché : QUE VOTRE
FRUIT DEMEURE, c'est-à-dire que l'ensemble des croyants soit conduit à la vie
éternelle, et que le fruit spirituel croisse davantage - Il amasse du fruit pour la vie
éternelle 10.
POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM, IL
VOUS LE DONNE.
2028. Ici, le
Seigneur montre qu'il les a choisis pour qu'ils reçoivent quelque chose, à
savoir tout ce qu'ils demanderont. Comme pour dire : si je vous ai
établis, c'est pour que vous soyez dignes de recevoir de la part du Père tout
ce que vous lui demanderez en mon nom - Si notre cœur ne nous fait pas de reproche, nous avons de
l'assurance auprès de Dieu, et quoi que nous demandions, nous le recevrons de
lui11.
CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS
LES AUTRES.
2029. Le Christ
précise ici la raison de ce qu'il a dit. En effet, quelqu'un pourrait
dire : Pourquoi le Christ leur a-t-il dit tout cela ? Aussi le
Seigneur donne-t-il comme
réponse : CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES
AUTRES ; autrement dit, tout ce que je dis vous conduit à l'amour de vos
proches - La fin du précepte est la chanté \
1. 1 Co 12, 28.
2. Gn 1, 16-17.
3. Jg 5, 20.
4. Me 16, 15.
5. Ps 83, 8. Voir vo1. I, n° 254.
6. Os 14, 7.
7. Rm 1, 13.
8. Ga 5, 22.
9. Si 24, 2.3.
10. Jn4, 36.
11. 1 Jn 3, 21-22.
Ou bien, selon
Chrysostome2, il faut dire que les disciples pourraient
demander : Seigneur, pourquoi nous rappeler tant de fois ton amour ?
Ne serait-ce pas pour nous faire un reproche ? Mais le Seigneur dit :
Non, c'est au contraire pour vous inciter à l'amour du prochain - Tel est le
commandement que nous
tenons de Dieu : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère3.
2030. Ayant exposé
l'allégorie de la vigne et de ses sarments qu'il a explicitée tout d'abord en
regardant l'union des sarments à la vigne, le Seigneur regarde ensuite la
taille des sarments qui se fera par des tribulations. Il console donc ses
disciples des tribulations qu'ils auront à souffrir ; et d'abord il
expose, puis explicite, ce par quoi il va les consoler ; enfin il repousse
ce qui pourrait excuser les persécuteurs [n° 2044].
a) Pourquoi le Christ console ses disciples.
SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT
VOUS. SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI ;
MAIS PARCE QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU
MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 18-19)
Le Seigneur donne
ici deux raisons pour leur consolation : la première se fonde sur
l'exemple, et la seconde sur la cause [n°2033].
I
SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT
VOUS.
2031. Le Seigneur
console donc ses disciples par son propre exemple, lui qui a aussi souffert les
persécutions des tyrans : SI LE MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A
PRIS EN HAINE AVANT VOUS. Car, sachons-le
bien, de même que le principe de tous les bienfaits est l'amour, de même aussi
le principe de toutes les persécutions est la haine : voilà pourquoi le
Seigneur leur prédit la haine à venir - Vous serez haïs de tous les hommes 4. - Heureux
serez-vous quand les hommes vous haïront (...) à cause du Fils de l'homme5.
Il dit donc :
SI LE MONDE VOUS HAIT, c'est-à-dire bientôt le monde vous haïra et il
manifestera sa haine en vous persécutant, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT
VOUS - Le monde ne peut pas vous haïr, mais moi il me hait6. Mais c'est là la grande
consolation du juste, pour lui permettre de supporter les persécutions avec
force - Repensez à celui qui a supporté de la part des pécheurs une telle
contradiction, afin de ne pas être accablés par la défaillance de vos âmes1 - Le Christ a souffert pour nous, vous
laissant un exemple, pour que vous suiviez ses traces2. Aussi, selon Augustin3, les membres ne doivent pas s'élever
au-dessus de la tête, ni refuser d'être dans le corps, en ne voulant pas
supporter la haine du monde en union avec la tête.
1· 1 Tm 1, 5.
2. In Ioannem hom., LXXVII,
2, PG 59, co1. 416.
3. 1 Jn 4, 21.
4. Mt 24, 9.
5. Lc 6, 22.
6. Jn7, 7.
2032. Mais le monde
s'entend en deux sens4. Parfois en bien, quand il s'agit de ceux
qui, dans le monde, vivent selon le bien - C'était Dieu qui, dans le Christ,
se réconciliait le monde5. Parfois en mal, et il s'agit alors de ceux qui aiment le monde - Le
monde entier a été mis sous l'influence du mauvais6.
Ainsi donc, le monde entier a en haine le monde entier ; parce que ceux
qui aiment le monde, qui sont répandus dans le monde entier, haïssent le monde
entier, c'est-à-dire l'Église des bons, affermie dans le monde entier7.
II
SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À
LUI ; MAIS PARCE
1. He 12, 3. Saint
Thomas commente : « En toutes tes voies, pense à lui (Pr 3,
6). La raison de cela est que le remède à toute tribulation se trouve dans la
Croix. Là est en effet l'obéissance à Dieu - Il s'est humilié, en se
faisant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la Croix (Ph 2,
8) » (Ad Heb. lect., XII, n° 667).
2. 1 Ρ 2, 21.
3. Tract, in
Io., LXXXVII, 2, BA 74B, p. 159.
4. Saint Thomas, à
plusieurs reprises, explicite les deux sens du mot « monde ». Voir
plus haut, n° 1669, et ci-dessous, nos 2129, 2206, 2249, 2250. Saint
Jean emploie souvent le mot « monde » dans le deuxième sens : Ayez
confiance : moi, j'ai vaincu le monde (Jn 16, 33) ; Ils ne
sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde (Jn 17, 16). Et dans sa
première épître : N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde. Si
quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Car tout ce qui est
dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil
de la richesse - vient non pas du Père mais du monde. Or le monde passe avec
ses convoitises mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement (1
Jn 2, 15-17). Le mot « monde » est alors entendu en opposition avec
ce qui est divin et pur.
5. 2 Co 5, 29.
6. 1 Jn 5, 19.
7. Cf. saint
Augustin, loc cit.
QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS
DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT.
2033. Voici la
seconde raison, liée à la cause de cette haine. Car lorsque quelqu'un supporte
la haine d'un autre par sa propre faute, il doit s'en affliger et s'en
attrister ; mais quand c'est à cause de sa vertu, il doit s'en réjouir.
Le Seigneur montre
donc, premièrement, la cause pour laquelle certains sont aimés du monde ;
puis il montre pourquoi les Apôtres sont haïs du monde [n° 2037].
SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À
LUI.
2034. La cause pour
laquelle certains sont aimés du monde, c'est leur ressemblance avec le monde.
Toute chose aime ce qui lui est semblable - Toute chair s'unit à ce qui lui
est semblable8. Et c'est pourquoi le monde - c'est-à-dire ceux qui aiment le monde -
aime ceux qui aiment le monde : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, c'est-à-dire
de ceux qui suivent le monde, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI, comme étant
sien et semblable à lui. Ne lisait-on pas précédemment : Le monde ne
peut pas vous haïr ? 9 - Ils sont du monde, aussi parlent-ils
d'après le monde, et le monde les écoute 10.
2035. Contrairement
à cela, on objectera que, par « monde », le Seigneur entend ici les
princes du monde, qui allaient persécuter les Apôtres. Or ces mêmes princes
pourchassent aussi certains hommes qui vivent selon le monde, par exemple les
assassins et les brigands ; le monde n'aime donc pas ce qui est à lui, pas
plus qu'il n'aime les Apôtres.
8. Si 13, 20. Sur
la similitude dans l'amour, voir Éthique à Nicomaque, VIII, 2, 1155 a 32
sq. : « Certains estiment l'amitié comme une similitude et la disent
des amis qui sont semblables ». Voir aussi Somme théo1., I-II, q.
27, a. 3.
9. Jn 7, 7.
10. 1 Jn 4, 5.
Je réponds : il
faut dire qu'on peut trouver quelque chose de purement bon, mais qu'on ne
trouve rien de purement mauvais, puisque le sujet du mal, c'est le bien. Le mal
de la faute se fonde donc sur le bien de la nature. Aussi ne peut-il y avoir
d'homme pécheur et mauvais qui n'ait quelque chose de bon. Les hommes, donc,
selon le mal qu'ils ont, à savoir leur infidélité, appartiennent au monde, et
haïssent les Apôtres et ceux qui ne sont pas du monde ; mais selon le bien
qu'ils ont, ils ne sont pas du monde, et ils ont en haine ceux qui sont du
monde, à savoir les voleurs, les brigands et autres de ce genre. Il y en avait
cependant certains qui dans le monde vivaient selon le bien ; ils aimaient
les Apôtres et approuvaient leurs actes.
2036. Mais il semble
encore davantage y avoir un doute du fait que tout péché se rapporte au monde,
et qu'ainsi n'importe quel péché nous fait être du monde. Et nous voyons que
certains hommes se rassemblant dans le péché se prennent mutuellement en haine,
par exemple les orgueilleux - Entre
les orgueilleux, ce sont toujours des disputes1. L'avare aussi a en haine
l'avare. Et c'est pourquoi, selon le Philosophe, les potiers rivalisent entre
eux2. Le monde a donc en haine le monde. Ce que le Seigneur dit : LE
MONDE AIMERAIT CE QUI EST À LUI, ne semble donc pas être vrai.
À cela il faut
répondre qu'il y a deux sortes d'amour : l'amour d'amitié et l'amour de
concupiscence, qui sont deux amours différents. Par l'amour de concupiscence,
en effet, nous ramenons à nous les choses qui nous sont extérieures puisque par
cet amour nous aimons les réalités autres en tant qu'elles nous sont utiles ou
agréables3. Dans l'amour d'amitié, c'est le
contraire : nous sortons de nous-mêmes pour aller vers ce qui est
extérieur à nous, puisqu'à l'égard de ceux que nous aimons d'amitié, nous nous
comportons comme envers nous-mêmes, en nous communiquant d'une certaine manière
nous-mêmes à eux. Aussi, dans l'amour d'amitié, la similitude est cause d'amour4,
puisqu'on n'aime ainsi quelqu'un que dans la mesure où l'on est un avec
lui ; or la similitude est une certaine unité. Dans l'amour de
concupiscence, au contraire, qu'il soit utile ou agréable, la similitude est
cause de séparation et de haine. En effet, puisque dans un tel amour j'aime
quelqu'un dans la mesure où il m'est utile ou agréable, tout ce qui peut
empêcher l'utilité ou le plaisir, je le hais comme contraire. Voilà pourquoi
les orgueilleux se querellent, dans la mesure où l'un s'arroge la gloire que
l'autre aime, et dans laquelle il se complaît. Il en est de même chez les
potiers, dans la mesure où l'un prend pour lui le gain qu'un autre voulait pour
lui-même.
1. Pr l3,10.
2. Cf. Aristote, Éthique à
Nicomaque, VIII, 2, 1155 b 1. Voir vol-I,
n°511.
3. Saint Thomas reprend cette distinction dans la Somme
théologique en assumant la pensée d'Aristote sur l'amour d'amitié :
« Aimer, comme le dit le Philosophe (2 Rhétorique, IV), c'est
"vouloir du bien à quelqu'un". Le mouvement de l'amour tend donc vers
deux réalités : vers le bien que l'on veut à quelqu'un - soi-même ou un
autre -, et vers celui à qui l'on veut ce bien. À l'égard du bien qu'on veut à
un autre, il y a amour de concupiscence ; à l'égard de celui à qui nous
voulons du bien, il y a amour d'amitié » (I-II, q. 26, a. 4, c). Et aussi : « D'après le
Philosophe {Éthique à Nicomaque, VIII,
2), ce n'est pas n'importe quel amour qui a raison d'amitié, mais
l'amour qui s'accompagne de bienveillance, quand nous aimons quelqu'un de telle
sorte que nous lui voulons du bien. Si nous ne voulons pas le bien des réalités
aimées, mais accaparer pour nous ce qu'elles ont de bon, comme quand nous
disons aimer le vin, aimer un cheval ou d'autres choses semblables, ce n'est
plus l'amour d'amitié (amor amicitiae), mais l'amour de concupiscence (amor
concupiscentiae). Car il serait ridicule de dire de quelqu'un qu'il a de
l'amitié pour du vin ou pour un cheval » (II-II, q. 23, a. 1, c). Saint Thomas précise : « Dans
l'amitié utile et l'amitié agréable, on veut vraiment du bien à son ami, et
quant à cela est sauve la raison d'amitié. Mais ce bien de l'autre, on le veut
pour son plaisir à soi, ou son utilité, ce qui fait dire qu'à cette amitié utile
ou agréable la véritable raison d'amitié fait défaut parce qu'elle est faussée
par l'amour de concupiscence » (I-II,
q. 26, a. 4, ad 3). Aristote, dans son Éthique, en distinguant
l'amour d'amitié spirituel de l'amitié utile et agréable, remarque :
« Ceux dont l'amitié est fondée sur l'utilité aiment pour leur propre
bien, et ceux qui aiment en raison du plaisir, pour leur propre agrément, et
non pas dans l'un et l'autre cas la personne aimée pour ce qu'elle est en
elle-même, mais en tant qu'elle est utile ou agréable. Dès lors ces amitiés ont
un caractère accidentel, puisque ce n'est pas en ce qu'elle est essentiellement
que la personne aimée est aimée, mais en tant qu'elle procure quelque bien ou
quelque plaisir, suivant le cas. Les amitiés de ce genre sont par suite
fragiles, dès que les deux amis ne demeurent pas pareils à ce qu'ils
étaient : s'ils ne sont plus agréables ou utiles l'un à l'autre, ils
cessent d'être amis » (Éthique à Nicomaque, VIII, 3, 1156 a 14-21).
4. Voir plus haut, n° 2034, note 8.
Il faut savoir que
l'amour de concupiscence n'est pas un amour pour la réalité convoitée, mais
plutôt l'amour de celui qui convoite pour lui-même. Et pour cette raison, si
l'on aime quelqu'un d'un tel amour, c'est dans la mesure où il nous est utile,
nous l'avons dit ; voilà pourquoi, par cet amour, on aime plus soi-même
que l'autre. Ainsi, celui qui aime le vin parce qu'il lui est agréable s'aime
lui-même plutôt qu'il n'aime le vin. Mais l'amour d'amitié est davantage
l'amour de la réalité aimée que de celui qui aime, parce qu'on aime quelqu'un
pour lui-même, et non pas pour soi en tant qu'on aime. Ainsi donc, puisque dans
l'amour d'amitié la similitude est cause d'amour, et la dissemblance cause de
haine, le monde a en haine ce qui n'est pas à lui et ne lui est pas semblable,
et il aime d'un amour d'amitié1 ce qui est à lui. Mais pour l'amour de concupiscence, c'est le
contraire. Aussi le Seigneur dit-il : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE,
LE MONDE AIMERAIT, d'un amour d'amitié, CE QUI EST À LUI.
MAIS PARCE QUE VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS
AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 19)
2037. Le Seigneur
indique ici la cause pour laquelle les Apôtres sont haïs du monde, qui est la
dissemblance : VOUS N'ÊTES PAS DU MONDE, sous-entendu : par
l'élévation de votre esprit, bien que vous le soyez par votre origine - Vous,
vous êtes d'en bas, moi,
je suis d'en haut. Vous, vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde2. Et cela, c'est bien parce que vous avez été
élevés du monde, non pas par vous-mêmes, mais par ma grâce, c'est-à-dire parce
que MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE - C'est moi qui vous ai
choisis 3. C'EST POUR CELA QUE, parce que vous n'êtes
pas du monde, LE MONDE, c'est-à-dire ceux qui l'aiment, VOUS HAIT, en tant que
vous leur êtes dissemblables - Les justes ont en horreur les impies, et les impies ont en horreur ceux qui
sont dans le droit chemin 4. - Les hommes sanguinaires haïssent celui
qui est sans détour5.
2038. On peut
préciser trois raisons pour lesquelles le monde a en haine les saints. La
première est la différence de condition : le monde est dans la mort,
tandis que les saints sont dans l'état de la vie - Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait. Nous
savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons
nos frères6. - Sa vue même nous est à charge7.
La deuxième raison
est le désagrément de la correction. Car les hommes saints reprennent, par
leurs paroles comme par leurs actes, les agissements du monde ; aussi le
monde les a-t-il en haine - Ils l'ont haï, celui qui les reprenait à la Porte8. - II me hait, à savoir le monde, parce
que moi je rends témoignage à son sujet que ses œuvres sont mauvaises9.
La troisième raison
est l'injuste jalousie par laquelle les méchants envient les hommes justes
lorsqu'ils les voient croître et devenir nombreux en bonté et en
sainteté ; ainsi les Égyptiens, voyant croître les fils d'Israël, les
avaient en haine et les persécutaient1 ; et selon la Genèse, les frères de Joseph, voyant qu'il était plus aimé
qu'eux tous, l'avaient pris en haine2.
1. Nous avons
gardé ici l'expression de l'édition Marietti, amor amicitiae, sans tenir
compte de la correction de l'édition léonine qui indiquait amor
concupiscentiae, cela pour respecter plus le sens de l'explication de saint
Thomas qui précède.
2. Jn 8, 23.
3. Jn 15, 16. Voir
aussi Jn 6, 71 : N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les
Douze ?
4. Pr 29, 27.
5. Pr 29, 10.
6. 1 Jn 3, 13-14.
7. Sg2, 15.
8. Am 5, 10. Selon
Osty, la justice se rendait sur la place publique, qui se trouvait près de la
porte des villes et des villages.
9. Jn 7, 7.
b) Le développement de ces raisons.
SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE :
LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR. S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS
AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT ; S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT
AUSSI LA VÔTRE. MAIS TOUT CELA, ILS VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, PARCE
QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ. (15, 20-21)
2039. Le Seigneur
développe ici les raisons qu'il vient de donner pour la consolation des
disciples : la première, qui se rapporte à son propre exemple, puis la
seconde, qui concerne la haine du monde [n° 2043].
I
Le Seigneur rappelle
d'abord la diversité de rang entre lui et ses disciples ; puis il montre
la similitude des faits [n° 2042].
SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE :
LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR.
2040. Il y avait une
différence de rang entre le Christ et ses disciples, parce que lui était le
Seigneur, et eux, des serviteurs. Il rappelle donc cette différence lorsqu'il
dit : SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE
précédemment, à savoir :
Le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur3. Cela ne doit donc pas vous indigner si vous souffrez ce que votre
Seigneur a souffert ; vous devez au contraire le considérer comme une
grande gloire. Voilà pourquoi, selon Matthieu, aux disciples qui demandent de
siéger l'un à sa droite et l'autre à sa gauche, il dit : Pouvez-vous boire la coupe que moi, je suis
destiné à boire ?4 - C'est une grande gloire de suivre le
Seigneur5. - II suffit au disciple d'être comme son
maître*'.
2041. Mais plus
haut, le Seigneur ne disait-il pas au contraire : Je ne vous appellerai
plus serviteurs7, alors qu'ici il déclare : LE
SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR ?
Je réponds en disant
qu'il y a une double servitude : l'une qui procède de la crainte servile,
c'est-à-dire de la crainte du châtiment et, en ce sens, les Apôtres n'étaient
pas serviteurs ; l'autre qui procède de la crainte chaste, et une telle
servitude existait chez les Apôtres - Bienheureux les serviteurs que le maître, à sa venue,
trouvera en train de veiller8.
S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS
PERSÉCUTERONT ; S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE.
1. Cf. Ex 1, 9
sq. : Voici que le peuple des fils d'Israël est nombreux et trop fort pour nous.
2. Cf. Gn 37, 4.
3. Jn 13, 16.
4. Mt 20, 22.
5. Si 23, 38
(verset propre à la Vulgate).
6. Mt 10, 25.
7. Jn 15, 15.
8. Le 12, 37. Au
sujet des différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783, note 2, et n°
2015 et note 8 rapportant le commentaire de saint Thomas du psaume 18, 10.
2042. Si donc vous
êtes des serviteurs et moi le Seigneur, vous devez être contents qu'on vous
fasse ce qu'on m'a fait. Or moi, certains m'ont méprisé, et d'autres m'ont reçu
- Il est venu chez lui, et les siens ne Vont pas reçu. Mais à tous ceux qui
Vont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu1. Vous aussi, de même, si certains vous méprisent, d'autres cependant
vous honoreront.
Voilà pourquoi le
Seigneur dit : S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT.
Par ces mots, il expose la similitude des faits ; en effet, que leur
persécution s'exerce sur les disciples ou sur le Christ, la raison en est la
même, puisque dans les disciples, c'est le Christ qu'ils persécutent. Lors de
la persécution de ses disciples, le Christ le disait bien : Saul, Saul,
pourquoi me persécutes-tu ?2 Et c'est pourquoi, du fait de l'identité de cause, suit cette
conséquence : S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT - S'ils
ont traité le maître de maison de Béelzéboul, combien plus le feront-ils pour
les gens de sa maison ?3 Au sujet de cette persécution, il est
dit : Voici que moi, j'envoie vers vous des sages et des scribes. Vous
en tuerez et crucifierez, vous en fouetterez dans vos synagogues, et en
pourchasserez de ville en ville4.
En ce qui concerne
l'honneur, la raison est également la même. Aussi le Seigneur dit-il :
S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE, car VOS paroles sont
mes paroles - Vous cherchez à tester celui qui parle en moi, le Christ5. - Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais l'Esprit de votre Père
qui parle en vous6 -, c'est pourquoi il dit : Qui vous écoute, m'écoute7.
1. Jn 1, 11-12.
2. Ac 9, 4.
3. Mt 10, 25.
4. Mt 23, 34.
5. 2 Co 13, 3.
6. Mt 10, 20.
7. Lc 10, 16.
Que les Apôtres
aient été reçus et honorés par certains, on le voit clairement : Et
vous, quand vous avez reçu de nous la parole de Dieu que nous vous faisions
entendre, vous l'avez accueillie non comme une parole d'hommes, mais selon ce
qu'elle est vraiment, la parole de Dieu 8.
II
MAIS TOUT CELA, ILS
VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A
ENVOYÉ.
2043. Ici le
Seigneur explique la raison de la consolation des disciples, liée à la cause de
la haine. Les Apôtres, en effet, avaient été choisis et élevés au-dessus du
monde, en tant qu'ils avaient été rendus participants de la divinité et unis à
Dieu ; et c'est parce qu'ils étaient au-dessus du monde et unis à Dieu que
le monde les avait en haine : il s'ensuit que le monde haïssait plutôt
Dieu dans les Apôtres que les Apôtres eux-mêmes. Et la cause de cette haine,
c'est qu'ils n'avaient pas la vraie connaissance de Dieu, celle qui s'acquiert
par une foi vraie et un amour livré9 sans réserve. D'ailleurs, s'ils les avaient
reconnus comme amis de Dieu, ils ne les auraient pas persécutés. Et voilà
pourquoi le Seigneur dit : TOUT CELA, la haine et la persécution à votre
égard, ILS VOUS LE FERONT À CAUSE DE MON NOM, et donc cela doit être pour vous
un sujet de gloire - Qu'aucun
de vous ne souffre comme meurtrier, ou voleur, ou médisant, ou envieux des
biens d'autrui ; mais si c'est comme chrétien, qu 'il ne rougisse pas,
qu'il glorifie Dieu pour ce nom 10. Tout cela, ils le feront À CAUSE DE MON
NOM, non pas qu'ils l'aiment, mais
parce qu'ils l'ont en haine ; tandis que vous, au contraire, vous
souffrirez à cause de mon nom parce que vous l'aimez. Et ils feront cela PARCE
QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ - Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon
Père !1 Ils ne savaient pas, en effet, qu'il était agréable à Dieu
qu'ils adhèrent au Christ.
8. 1 Th 2, 13.
9. « Livré » traduit ici le mot latin devotum. Sur
le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5, et n° 1391, note 6.
10. 1 Ρ 4, 15-16.
Mais remarquons
qu'il parle ici de la connaissance parfaite, consistant dans la foi qui mène
l'intelligence à son achèvement et unit la volonté aimante à Dieu. D'une telle
connaissance il est dit : Celui qui se glorifie, qu'il se
glorifie de ceci : de la science et de la connaissance qu'il a de moi2. - Te connaître, c'est l'intelligence
accomplie3.
c) Le Christ rejette ce qui pourrait excuser
les persécuteurs.
2044. Précédemment,
en traitant de la persécution qui allait survenir pour les disciples de la part
des Juifs, le Seigneur en précisait la raison : c'est que ces derniers ne
connaissent pas celui qui l'a envoyé. Mais parce que d'ordinaire l'ignorance
excuse, il montre ici qu'ils sont absolument inexcusables, et cela pour deux
raisons : à cause de ce que lui-même en personne a fait pour eux et leur a
enseigné ; et à cause de ce qui allait arriver en son absence [n° 2058].
Ce que le Christ a personnellement fait et enseigné.
Le Seigneur montre
que les Juifs sont inexcusables d'abord à cause de son enseignement de la
vérité, puis à cause de l'évidence des signes [n° 2053].
I
SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS N'AURAIENT
PAS DE PÉCHÉ. MAIS MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE A LEUR PÉCHÉ. CELUI QUI ME
HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE. (15, 22-23)
II montre d'abord ce
qui pourrait être invoqué pour leur excuse, ensuite que cet appui leur fait
défaut [n° 2049] et enfin il montre ce qui est à la racine de leur persécution
[n° 2050].
SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS
N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
2045. Le Seigneur
dit donc : Tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom ;
et assurément, on pourrait les
en excuser, SI JE N'ÉTAIS PAS
VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ. Autrement dit, si je ne m'étais pas montré en
personne et ne les avais pas enseignés personnellement, ILS N'AURAIENT PAS DE
PÉCHÉ.
2046. Contre cela,
l'épître aux Romains affirme : Tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu1. Mais il faut dire que le Seigneur ne parle pas ici de n'importe quel
péché mais du péché d'infidélité, parce qu'ils ne croient pas dans le Christ.
Un tel péché est dit par antonomase2, parce que lorsqu'un tel péché existe, aucun
autre ne peut être remis, puisque aucun péché n'est remis sinon par la foi en
Jésus Christ, de laquelle vient toute justice, selon l'épître aux Romains3.
1. Jn8, 19.
2. Jr 9, 24. Saint Thomas commente :
« II exclut ici la fausse confiance
qu'apporte la fuite : Qu'il ne se glorifie pas, comme s'il
croit se libérer par là, dans
sa sagesse, qui est ce qu'il y a de préférable parmi les biens humains de l'âme, ni dans sa force, qui est
ce qu'il y a de préférable parmi
les biens humains du corps, ni dans les richesses Or 9, 23), qui sont
les préférables parmi les biens extérieurs - Ne multipliez pas les paroles hautaines en vous glorifiant (1 S 2, 3). Et il montre la vraie confiance : Mais qu'il se glorifie de
cela, celui qui se glorifie de
la science de moi, par la connaissance qui est dans l'intelligence, et de la connaissance de moi, par
l'expérience de la douceur dans
l'affection - En Dieu est mon salut et ma gloire (...) ; et mon
espérance est en Dieu (Ps 61, 8). - Celui qui se glorifie, qu'il se
glorifie dans « Seigneur (2
Co 10, 17) » (Exp. super Hier., IX, lectio 6).
3. Sg 15, 3. La
Vulgate emploie le mot « justice » (iustitia) à la place de sensus que nous avons
traduit ici par « intelligence ».
Et voilà pourquoi ce
qu'il dit : ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ, revient à dire : le fait
qu'ils ne croient pas en moi ne leur serait pas imputé. Et ceci premièrement
parce que la foi vient de l'audition, selon l'épître aux Romains4.
Aussi, s'il n'était pas venu et ne leur avait pas parlé, ils n'auraient pas pu
croire. Or, ne pas faire ce qu'on ne peut faire d'aucune manière, cela n'est
compté comme péché à personne.
2047. Et si l'on dit
qu'ils étaient tenus de croire, et qu'ils le pouvaient même si le Christ
n'était pas venu, puisqu'il leur avait été annoncé par les prophètes - [L'Évangile
de Dieu] que d'avance il
avait promis par ses prophètes dans les Saintes Écritures au sujet de son Fils5 -, voici ce qu'il faut répondre : les
paroles mêmes des prophètes, les Juifs ne pouvaient pas les croire et les
comprendre par eux-mêmes, sans qu'elles leur fussent montrées par un secours
divin - Ces paroles sont
fermées et scellées jusqu'au temps fixé0. Aussi l'eunuque disait-il dans les Actes : Comment puis-je comprendre si personne ne me
montre ?7
Ainsi donc, si le
Christ n'était pas venu, ils n'auraient pas ce péché, celui d'infidélité, mais
ils auraient eu cependant d'autres péchés actuels pour lesquels ils auraient
été punis. Et une raison semblable vaut pour tous ceux à qui la prédication de
la parole de Dieu n'a pu parvenir. Par le fait même, le péché d'infidélité ne
leur est pas imputé pour leur condamnation ; mais, privés du bienfait de
la foi en raison de leurs autres péchés, actuels et originel, ils sont
condamnés8.
1. Rm 3, 23. Voir
vo1. I, n° 714, note 3.
2. Sur le sens du
mot antonomase, voir vo1. I, n° 1098, note 1, ou ci-dessus, n° 1729,
note 8.
3. Voir Rm 3, 21 à
5, 21.
4. Rm 10, 17. Voir
ci-dessus, n° 1619, note 5.
5. Rm 1, 2.
6. Dn 12, 9.
7. Ac 8, 31.
2048. Il faut savoir
que, pour beaucoup, l'avènement et l'enseignement du Christ ont tourné à leur
bien, pour ceux qui l'ont reçu et ont gardé sa parole ; et que pour
beaucoup ils ont tourné à leur mal, c'est-à-dire pour ceux qui n'ont voulu ni
l'écouter, ni le croire - Il sera pour vous une sanctification, une pierre d'achoppement, un
rocher où l'on trébuche, pour les deux maisons d'Israël, un filet et un piège
pour les habitants de Jérusalem9. - Celui-ci a été établi pour la ruine et la
résurrection de beaucoup10.
MAIS MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE À LEUR PÉCHÉ.
2049. Le Seigneur
vient donc d'exposer ce par quoi on pourrait excuser les persécuteurs de leur
infidélité. Mais à cela il n'y a pas de fondement, parce que le Christ s'est
présenté personnellement à eux et les a enseignés. Aussi dit-il : MAIS
MAINTENANT, c'est-à-dire du fait que je suis venu et leur ai parlé, ILS N'ONT
PAS D'EXCUSE, c'est-à-dire
l'excuse de l'ignorance, À LEUR PÉCHÉ - Ils sont donc inexcusables puisque,
connaissant Dieu, ils ne Vont pas glorifié ni remercié comme Dieu1. Or, qu'ils aient connu
le Christ, cela est évident - Voici
l'héritier ; venez, tuons-le2. Mais ils ont connu qu'il
était le Christ promis dans la Loi, non pas qu'il était Dieu ; car s'ils
l'avaient connue [cette
sagesse], ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire3.
L'ignorance ne sert donc pas à
les excuser, puisqu'ils n'ont pas fait cela par ignorance, mais pour un autre
motif, à savoir par haine et en raison de leur malice bien déterminée.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXXIX, 1, BA 74B, p. 181.
9. Is 8, 14. Saint
Thomas commente : « Il sera pour vous. Il montre ici le
fruit de l'obéissance : une sanctification, c'est-à-dire il vous
fera saints - C'est moi le Seigneur qui vous sanctifie (Lv 22, 32). Une
pierre d'achoppement : (...) il montre l'occasion de la peine (...)
grâce à la métaphore de la pierre sur le chemin, qui est un obstacle pour le
voyageur de deux manières : en blessant son pied et en étant une occasion
de chute. De même le Christ fut, pour ceux des Juifs qui étaient incrédules,
occasion de blessure et de chute, non pas par sa faute, mais par la leur. Il
dit donc : Il sera pour les deux maisons d'Israël, c'est-à-dire
pour les infidèles des douze tribus, ou les scribes et les pharisiens, une
pierre d'achoppement quant à la blessure - Ils ont buté contre la pierre
d'achoppement (Rm 9, 32) - et un rocher où l'on trébuche (in petram
scandali), où le pied se heurte jusqu'à faire tomber : σκάνδαλον
en grec, en latin "pierre d'achoppement" - Mais nous, nous
prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens (1
Co 1, 23) » (Exp. super Isaiam, 8, 14, p. 65, 1. 409-430).
10. Le 2, 34.
CELUI QUI ME HAIT,
HAIT AUSSI MON PÈRE.
2050. Le Seigneur
ajoute cela comme pour dire : leur péché, ce n'est pas l'ignorance, mais
la haine qu'ils ont eue à mon égard, et cela parce qu'elle rejaillit en haine
pour le Père.
En effet, puisque le
Fils et le Père sont un dans leur essence, leur vérité et leur bonté, et que
toute connaissance d'une réalité se fait par la vérité qui est en elle, et que
semblablement tout ce qui est aimé l'est par la bonté qui est en lui, quiconque
aime le Fils, aime aussi le Père ; et quiconque connaît l'un, connaît
l'autre semblablement. C'est pourquoi celui qui hait le Fils, hait aussi le
Père.
2051. Mais ici
surgissent deux questions. La première : quelqu'un peut-il avoir Dieu en
haine ? Il faut dire que Dieu, en tant qu'il est Dieu, personne ne peut
l'avoir en haine, puisque Dieu est la pure essence de la bonté, qui, étant
aimable en elle-même, ne peut être haïe en elle-même par qui que ce soit. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle il est impossible que quelqu'un de mauvais
voie Dieu. Car il est impossible que Dieu soit vu de quelqu'un qui ne l'aime
pas ; mais celui qui aime Dieu est bon. Aussi est-il incompatible que
quelqu'un voie Dieu et soit mauvais.
Cependant, on peut
avoir Dieu en haine selon un autre point de vue : par exemple celui qui
aime la volupté hait Dieu en tant qu'il réprouve les jouissances des voluptés,
et celui qui cherche l'impunité hait la justice punitive de Dieu.
2052. La deuxième
question est la suivante : personne ne peut avoir en haine ce qu'il
ignore ; or les Juifs ignoraient le Père, comme l'a dit le Seigneur
auparavant : Ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé4. Ce qu'il dit : [IL] HAIT AUSSI MON PÈRE ne semble donc pas vrai.
Mais on doit dire,
selon Augustin5, que l'on peut aimer ou haïr quelqu'un qu'on
n'a jamais vu, et qu'on ne connaît pas en vérité mais seulement d'après ce que
l'opinion dit de lui en bien ou en ma1. Et ceci peut arriver de deux manières.
Soit on l'a en haine ou on l'aime pour sa propre personne, soit c'est à cause
de ce qu'on raconte de lui : par exemple, si j'entends dire que quelqu'un
est un voleur, je le hais, non pas que je connaisse ou haïsse sa propre
personne, mais parce que j'ai de la haine pour tout voleur en général ;
c'est pourquoi, si quelqu'un était voleur et que moi je ne le sache pas, je
l'aurais en haine, sans toutefois savoir que je le hais.
Les Juifs, quant à
eux, avaient en haine le Christ et la vérité qu'il prêchait. Et comme la vérité
même que le Christ prêchait était dans la volonté de Dieu le Père, ainsi que
les œuvres qu'il faisait, de même, comme ils haïssaient le Christ, ils
haïssaient le Père, sans savoir que tout cela était dans la volonté du Père.
1. Rm 1, 20-21.
2. Mt 21, 38.
3. 1 Co 2, 8.
4. Jn 15, 21.
5. Tract, in Io., XC, 1 et 3, BA 74B, p. 191-193 et
197-201. Saint Augustin distingue une opinion qui transmet une connaissance
vraie de telle personne, d'une opinion mensongère (quant à cette personne) qui
nous laisse au niveau d'une connaissance générale du bien et du ma1.
II
SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE
N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS
NOUS ONT HAÏS, MOI ET MON PÈRE ! MAIS C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA
PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT. (15,
24-25)
2053. Que les
persécuteurs soient inexcusables, le Seigneur le montre ici par l'évidence des
signes. Car ils pourraient dire que ses paroles contre eux ne les ont pas
convaincus ; aussi confirme-t-il ses paroles par des faits prodigieux, en
disant : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE
N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
Tout d'abord, il
montre qu'ils pourraient être excusables jusqu'à un certain point ; puis
il montre la racine de leur péché [n° 2056] ; enfin, il fait intervenir
une autorité [n° 2057].
SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE
N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
2054. Quant au
premier point, deux questions se posent. La première concerne la vérité de
l'affirmation précédente : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES
ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES. Là, on se demande si le Christ a fait parmi eux des œuvres bonnes que nul autre
n'avait faites. Et il semble que non ; car si l'on dit que le Christ a
ressuscité des morts, cela Élie 1 et Elisée2 l'ont fait, eux aussi. Si le Christ a marché
sur la mer3, Moïse a partagé la mer en deux4.
Mais Josué, lui, a fait quelque chose de plus grand : que le soleil
s'immobilise5. Le Christ les confond donc d'une manière
inconvenante et ce qui s'ensuit semble dépourvu de vérité.
Je réponds que, selon
Augustin6, le Seigneur ne parle pas ici de n'importe
quels miracles réalisés parmi eux, c'est-à-dire en leur présence, mais de ceux
réalisés PARMI EUX, c'est-à-dire en leurs personnes. Car en ce qui concerne la
guérison de malades, personne n'en a fait parmi eux autant que le Christ ;
du reste, dans d'autres domaines également, il a fait DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE
N'A FAITES parce qu'il n'y a aucun autre homme qui ait été fait Dieu7, et
qu'aucun homme n'est né d'une vierge sinon le Christ.
Il a donc FAIT PARMI
EUX DES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES quant à la guérison de malades, et cela
de trois manières. Premièrement, en grandeur, puisqu'il a relevé d'entre les
morts un mort de quatre jours8, qu'il a rendu la lumière à un aveugle de
naissance9, ce qu'on n'a jamais entendu dire10.
Deuxièmement, en nombre, comme le dit Matthieu11, car il guérissait, quel qu'en soit le
nombre, tous ceux qui avaient quelque maladie, ce que personne d'autre n'avait
fait. Troisièmement, dans la manière de faire : car les autres procédaient
en invoquant, montrant ainsi qu'ils ne le faisaient pas par leur propre
puissance, tandis que le Christ procédait en commandant, comme de sa propre puissance - Quel est ce nouvel
enseignement, donné avec autorìté ? Il commande même aux esprits impurs,
et ils lui obéissent !1 Ainsi donc, bien que d'autres aient
ressuscité certains morts et fait d'autres actions miraculeuses que le Christ a
faites, ce n'était toutefois pas de la même manière ni par leur propre
puissance comme le Christ. De même, ce qu'on rapporte de l'immobilisation du
soleil est moins important que ce que le Christ a fait en mourant : il fit
reculer la lune et changea toute la course du firmament, comme le dit Denys2.
1. Voir 1 R 17, 17-24.
2. Voir 2 R4, 18-37.
3. Cf. Mt 14, 25 ; Me 6, 48 ; Jn 6,
19.
4. Voir Ex 14, 21.
5. Voir Jos 10, 12-14.
6. Tract, in
Io., XCI, 2, BA 74B, p.
205-209.
7. Voir ci-dessus, n° 1711, note 3.
8. Voir Jn 11, 17-44.
9. Voir Jn 9, 1-7.
10. Jn 9, 32.
11. Cf. Mt 14,
35-36 : Et on lui présenta tous ceux qui allaient ma1. Et on le priait
de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau ; et tous ceux
qui la touchèrent furent complètement sauvés.
2055. La deuxième
question concerne la vérité de la proposition conditionnelle suivante : SI
[LE CHRIST] N'AVAIT PAS FAIT PARMI EUX LES ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ils
seraient exempts du péché d'infidélité.
La réponse
est : si nous parlions de n'importe quels miracles, les persécuteurs
auraient une excuse si le Christ ne les avait pas réalisés parmi eux. Car
personne ne peut venir au Christ par la foi s'il n'est attiré - Nul ne peut
venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire3. C'est pour cela que, dans le Cantique des cantiques, l'épouse dit :
Attire-moi à ta suite, nous courrons à l'odeur de tes parfums4. Voilà pourquoi, s'il n'y avait personne pour les attirer à la foi, ils
seraient excusables de leur infidélité.
Mais remarquons que
le Christ a exercé une attraction par sa parole, par des signes visibles et
invisibles, c'est-à-dire en remuant et en éveillant de l'intérieur leurs cœurs
- Le cœur du roi est dans la main de Dieu5. L'œuvre de Dieu en nous est donc un instinct intérieur qui nous pousse
à bien agir, et ceux qui y résistent pèchent ; autrement, c'est en vain
qu'Etienne aurait dit : Toujours vous résistez, vous, à
l'Esprit-Saint6. - Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, celle du cœur, et moi je ne le contredis
pas7. Ce que le Seigneur dit : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES
ŒUVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, doit donc s'entendre non seulement des œuvres
visibles, mais aussi de cet instinct intérieur et de l'attraction de son
enseignement ; et assurément, s'il n'avait pas réalisé cela parmi eux, ILS
N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. Ainsi donc, on voit clairement de quelle manière ils
pourraient être excusés, c'est-à-dire si le Seigneur n'avait pas fait d'œuvres
miraculeuses parmi eux.
MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS NOUS ONT HAÏS, MOI ET
MON PÈRE ! (15, 24)
2056. Ici le
Seigneur montre ce qui est à la racine du péché d'infidélité qu'ils encouraient :
c'est la haine, à cause de laquelle ils ne croyaient pas aux œuvres qu'ils
avaient vues. Aussi dit-il : MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU - sous-entendu
les œuvres que j'ai faites parmi eux -, ET ILS NOUS ONT HAÏS, MOI ET MON PÈRE -
Puisqu'ils ont eu en haine la discipline et n'ont pas reçu la crainte du
Seigneur8. Et, comme le dit Grégoire, dans l'Église il y en a qui non seulement ne
font pas le bien, mais aussi persécutent, et ce qu'ils négligent de faire
eux-mêmes, ils le détestent encore chez les autres ; aussi leur péché
n'est-il pas commis par faiblesse ou ignorance, mais par leur seule application9.
MAIS C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE
DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT. (15, 25)
1. Mc 1, 27.
2. Lettres, VII, 2,
PG 3, co1. 1082.
3. Jn 6, 44.
4. Ct 1, 3 (propre à la Vulgate).
5. Pr 21, 1.
6. Ac 7, 51.
7. Is 50, 5.
8. Pr 1, 29.
9. Moralium libri, XXV, 11, PL 76, co1. 339 C. Saint
Grégoire avait auparavant fait remarquer que l'on commet le péché de trois
manières : par ignorance, par faiblesse ou avec application (studio). Et
il ajoutait que si pécher par faiblesse est plus grave que par ignorance, s'y
appliquer l'est encore davantage.
2057. On pourrait
dire : si c'est un fait que les Juifs t'ont haï, toi et ton Père, pourquoi
fais-tu des miracles pour eux ? Aussi le Seigneur répond-il en disant
qu'il fait cela POUR QUE
S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI : ILS M'ONT HAÏ
GRATUITEMENT.
Mais à ce propos, un
doute s'élève : pourquoi le Seigneur dit-il que cela est écrit dans leur
Loi, alors qu'en fait cela est écrit dans les Psaumes ?
À cela il faut
répondre que, dans l'Écriture, la Loi peut s'entendre en trois sens. Parfois,
en effet, il s'agit communément de tout l'Ancien Testament ; et c'est
ainsi qu'on le comprend ici, parce que toute la doctrine de l'Ancien Testament
est ordonnée à l'observance de la Loi - Souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans ton royaume1. Parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on distingue
des hagiographes et des Prophètes
- II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de
Moïse, et les Prophètes, et les Psaumes2, auxquels s'ajoutent aussi les hagiographes.
Et parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on distingue des
Prophètes seulement ; les hagiographes sont alors comptés avec les
Prophètes.
Le Seigneur dit donc : c'est POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI (c'est-à-dire au psaume 34, 19 3) : ILS M'ONT HAÏ GRATUITEMENT, c'est-à-dire non pas pour obtenir un avantage ou éviter un inconvénient, car c'est bien pour cela que l'homme déteste certaines choses, qui n'ont pas existé chez le Christ ; celui-ci, bien au contraire, leur donnait l'occasion d'aimer, en les guérissant et en les enseignant - Lui qui a passé en faisant le bien 4. - Le mal se rend-il pour le bien, qu 'ils creusent une fosse pour mon âme ?5 - Qu'est-ce que vos pères ont trouvé d'injuste en moi pour s'éloigner de moi ?6
Le témoignage de
l'Esprit Saint et des Apôtres.
2058. Le Seigneur
montre à présent que les persécuteurs sont inexcusables en raison de ce qui
allait survenir après lui, parce qu'ils allaient avoir d'autres
témoignages : celui de l'Esprit Saint, et aussi celui des Apôtres. Il
expose d'abord ce qui leur adviendrait de la part de l'Esprit Saint, puis ce
qui leur serait donné par les Apôtres [n° 2067].
I
LORSQUE SERA VENU LE
PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI
PROCÈDE DU PÈRE, C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI. (15, 26)
En ce qui concerne
l'Esprit Saint, il touche quatre points : sa liberté ou sa puissance (potestas),
sa douceur [n° 2060], sa procession [n° 2061], son opération [n° 2066].
LORSQUE SERA VENU LE
PARACLET
2059. D'abord la
liberté ou la puissance de l'Esprit Saint - LORSQUE SERA VENU LE PARACLET -,
car on dit proprement de quelqu'un qu'il vient lorsqu'il va de lui-même, de sa propre autorité, et cela convient à
l'Esprit Saint qui souffle où il veut1 -J'ai supplié, et l'Esprit de sagesse est
venu en moi2. L'expression JE VOUS ENVERRAI ne désigne donc pas une contrainte, mais
l'origine.
1. Lc 23, 42.
2. Lc 24, 44.
3. Ou Ps 68, 5.
4. Ac 10, 38.
5. Jr 18, 20. Et
la suite : Souviens-toi que je me suis tenu devant toi pour dire du
bien à leur sujet, pour détourner d'eux ta fureur.
6. Jr 2, 5.
LE PARACLET
2060. Le Seigneur
fait allusion à la douceur de l'Esprit Saint en disant LE PARACLET,
c'est-à-dire le Consolateur3. Car puisqu'il est l'Amour de Dieu, il nous
fait mépriser les réalités terrestres et adhérer à Dieu, et par là il éloigne
de nous douleur et tristesse, et nous procure la joie des réalités divines - Le
fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)4 - L'Église était remplie de la
consolation de l'Esprit Saint5.
QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, L'ESPRIT DE
VÉRITÉ QUI PROCÈDE DU PÈRE
2061. En troisième
lieu, le Seigneur révèle une double procession de l'Esprit Saint, et d'abord sa
procession temporelle.
LE PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE
Là il faut
considérer que, lorsqu'on dit que l'Esprit Saint est envoyé, ce n'est pas comme
s'il changeait de lieu, puisqu'il emplit le monde entier, comme le dit le livre
de la Sagesse6 ; mais c'est parce qu'il commence à
habiter d'une nouvelle manière, par la grâce, en ceux dont il fait le temple de
Dieu7 - Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que
l'Esprit de Dieu habite en vous ?8 Et il n'est pas contradictoire de dire que
l'Esprit Saint est envoyé et qu'il vient, car dire de lui qu'il vient nous fait
voir manifestement la majesté de sa divinité - [lui] qui opère (...)
comme il le veut9. Et on dit qu'il est envoyé pour montrer qu'il procède d'un autre, car
le fait de sanctifier la créature rationnelle en habitant en elle, il le tient
d'un autre, de qui il tient d'être, comme le Fils tient d'un autre tout ce
qu'il opère.
Remarquons aussi que
la mission de l'Esprit Saint vient du Père et du Fils communément, comme
l'indique symboliquement l'Apocalypse : L'Ange me montra un fleuve
d'eau de la vie - c'est-à-dire l'Esprit Saint - procédant du trône de
Dieu et de l'Agneau 10 - c'est-à-dire du Christ. Voilà pourquoi,
pour la mission de l'Esprit Saint, il est fait mention du Père et du Fils par
lesquels, en vertu d'une égale et même puissance, il est envoyé. Aussi le
Christ présente-t-il parfois le Père comme celui qui envoie, mais cependant pas
sans le Fils - Mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon
nom11 -, et parfois il se présente lui-même comme celui qui envoie, mais pas
sans le Père : QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRÈS DU PÈRE, parce que tout
ce qu'opère le Fils, il le tient du Père - Le Fils ne peut rien faire de
lui-même1.
1. Jn3, 8.
2. Sg 7, 7.
3. Voir ci-dessus,
n° 1912, note 2.
4. Ga 5, 22. Saint
Thomas commente : « La fin ultime par laquelle l'homme est
rendu parfait intérieurement est la joie, qui procède de la présence de la
réalité aimée. Or celui qui a la charité a déjà ce qu'il aime - Celui qui demeure dans la
charité, demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4, 16). Et de là jaillit la
joie - Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur (Ph 4, 4). Or cette
joie doit être parfaite, et pour cela deux choses sont requises. Premièrement,
que la réalité aimée suffise à celui qui aime à cause de sa perfection. Et
quant à cela, il dit : paix ; en effet, celui qui aime a la paix quand il possède suffisamment
la réalité aimée - Aussi
ai-je à ses yeux trouvé la paix (Ct 8, 10). Deuxièmement, que l'on jouisse
parfaitement de la réalité aimée (...) car, quoi qu'il arrive, si quelqu'un jouit parfaitement de la réalité
aimée, notamment de Dieu, il ne peut être écarté de la jouissance de cette réalité - Grande paix pour ceux qui
aiment ta Loi [et] il n'y a pas pour eux de scandale (Ps 118, 165). Ainsi
donc la joie exprime la jouissance de la charité, mais la paix la perfection de
la charité. Et par elles l'homme est rendu parfait intérieurement relativement
aux biens » {Ad Gai.
lect., V, n° 330).
5. Ac 9, 31.
6. Cf. Sg 1, 7.
7. Voir Il Sent.,
à. 26, q. 1, a. 1, c. : « II y a un don gratuitement donné
qui est incréé, à savoir le Saint-Esprit. Mais que ce don soit maintenant
possédé alors qu'il ne l'était pas avant, cela n'arrive pas par un changement
quelconque dans le Saint-Esprit mais par une mutation dans celui à qui il est
donné ». Voir aussi Somme théo1., I-II, q. 114, a. 3, ad 3 : « Par la grâce, le Saint-Esprit
qui est la cause suffisante de la vie éternelle habite dans l'homme ».
8. 1 Co 3, 16.
9. 1 Co 12, 6 et 11.
10. Ap 22, 1.
11. Jn 14, 26. Voir ci-dessus, n° 1956.
L'ESPRIT DE VÉRITÉ
QUI PROCÈDE DU PÈRE
2062. En second
lieu, le Seigneur révèle la procession éternelle2. Et là il montre également que l'Esprit
Saint appartient au Fils, en disant : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, car lui-même en
effet est la Vérité - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie3 ; et que l'Esprit Saint appartient au Père, lorsqu'il dit : QUI
PROCÈDE DU PÈRE. Ainsi donc, quand il dit : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, cela
revient au même que s'il disait : l'Esprit du Fils - Dieu a envoyé dans
nos cœurs l'Esprit de son Fils4.
Et puisque ce nom
« esprit » exprime une certaine impulsion, et que tout mouvement a un
effet qui convient à son principe (comme la chaleur rend chaud), il s'ensuit
que l'Esprit Saint rend ceux auxquels il est envoyé semblables à celui dont il
est l'Esprit. Et parce qu'il est L'ESPRIT DE VÉRITÉ, il enseigne la vérité tout
entière, comme il est dit plus loin : Mais quand il viendra, lui,
l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière5. - L'inspiration
du Tout-Puissant donne l'intelligence6. De même, parce qu'il est l'Esprit du Fils, il fait des fils - Vous
avez reçu un esprit d'adoption filiale7
1. Jn 5, 19. Saint Thomas met souvent cela en lumière, comme par
exemple dans le Contra Gentiles, IV, ch. 25 : « II n'y a rien
d'étonnant à ce que le Seigneur ait dit que l'Esprit Saint procède du Père sans
faire aucune mention de lui-même ; car il a coutume de référer tout au
Père, de qui il a tout ce qu'il a, comme quand il dit : Ma doctrine
n'est pas de moi mais de celui qui m'a envoyé, le Père (Jn 7, 16) ».
2. Sur l'Esprit Saint procédant du Père et du Fils, voir entre
autres vo1. I, n° 1004, note 10, et ci-dessus, n° 1911, note 7 ; n° 1912
et note 2 ; n° 1971, note 9. Voir aussi Somme théo1., I, q. 36.
3. Jn 14, 6.
4. Ga 4, 6.
5. Jn 16, 13.
6. Jb 32, 8.
7. Rm 8, 15. Au sujet de Rm 8, 29 saint Thomas commente :
« L'adoption des enfants n'est autre que cette conformité [à l'image du
Fils]. Car celui qui est adopté comme fils devient conforme au Fils véritable,
d'abord par le droit à participer à l'héritage (cf. Rm 8, 17). (...) Ensuite,
par la participation à sa splendeur. Lui-même en effet est engendré du Père en
tant que splendeur de sa gloire (cf. He 1,3). Aussi, en illuminant les saints
de la lumière de la sagesse et de la grâce, le Fils les fait devenir conformes
à lui-même » (Ad Rom. lect., VIII, n° 704). 8.1s 19, 14.
Si le Seigneur dit
L'ESPRIT DE VÉRITÉ, c'est pour le différencier de l'esprit du mensonge - Le
Seigneur a répandu au milieu de l'Égypte un esprit d'égarement8. - Je sortirai, et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous
ses prophètes9.
2063. Mais parce
qu'il dit : QUI PROCÈDE DU PÈRE, sans ajouter « et du Fils »,
les Grecs disent que l'Esprit Saint ne procède pas du Fils, mais seulement du
Père, ce qui ne peut absolument pas être.
En effet, l'Esprit
Saint ne pourrait pas être distingué du Fils s'il ne procédait du Fils ou,
inversement, si le Fils ne procédait de lui, ce que personne ne dit. Car on ne
peut pas dire qu'entre les personnes divines, qui sont tout à fait
immatérielles et simples, il y ait une distinction matérielle, celle qui se
fait selon la division de la quantité (la matière étant le fondement de la
quantité). Il faut donc que la distinction 10 des personnes divines soit selon le mode
d'une distinction formelle, parce qu'il faut qu'elle soit selon une opposition.
Car des formes non opposées, quelles qu'elles soient, peuvent se trouver
ensemble dans une même réalité sans diversifier le sujet ; par exemple, le
blanc et le grand. C'est pourquoi, pour les personnes divines, l'innascibilité 11 et
la paternité, parce qu'elles ne s'opposent pas, appartiennent à une seule
personne. Si donc le Fils et l'Esprit Saint sont des personnes distinctes
procédant du Père, on doit les distinguer par des propriétés
opposées ! : non pas opposées selon l'affirmation et la négation, ni
selon la privation et l'avoir, parce qu'alors le Fils et l'Esprit Saint
seraient l'un par rapport à l'autre comme l'être et le non-être, ou comme le
parfait et le dépourvu, ce qui répugne à leur égalité ; ce n'est pas non
plus selon l'opposition de contrariété, parce qu'entre des contraires, l'un est
toujours plus parfait que l'autre. Il reste donc que l'Esprit Saint se
distingue du Fils par la seule opposition relative.
9. 1 R 22, 22.
10. Voir Somme théo1., I, notamment q. 28, a. 3. Voir aussi
ci-dessus, n° 1911 et note 7 ; n° 1946 ; n° 2112 et note 7.
11. Saint Thomas emploie ce terme pour signifier que le Père est
celui qui ne procède d'aucun autre. Voir Somme théo1., I, q. 32, a. 3.
Or cette opposition
ne peut exister que du fait que l'un des opposés se rapporte à l'autre. Car des
relations diverses entre deux réalités et une troisième ne s'opposent pas
directement, si ce n'est peut-être accidentellement dans les conséquences.
Aussi reste-t-il, pour que l'Esprit Saint se distingue du Fils, à leur
attribuer des relations opposées, par lesquelles ils s'opposent mutuellement.
Et on ne peut trouver d'autres relations que des relations d'origine, selon que
l'un vient de l'autre. Il est donc impossible, supposée la Trinité des
personnes, que l'Esprit Saint ne vienne pas du Fils.
2064. Certains
disent que l'Esprit Saint et le Fils se distinguent selon la différence des
processions, en tant que le Fils est à partir du Père en naissant, et l'Esprit
Saint en procédant.
Mais on revient
encore à la même question : comment ces deux processions diffèrent-elles ?
En effet, on ne peut pas dire qu'elles se distinguent par ce qui serait reçu de
divers dans la génération, à la manière dont la génération de l'homme et celle
du cheval diffèrent selon les diverses natures communiquées ; en effet,
c'est la même nature divine que le Fils reçoit du Père en naissant, et l'Esprit
Saint en procédant. Il reste donc qu'ils se distinguent seulement selon l'ordre
d'origine, c'est-à-dire en tant que la naissance du Fils est principe de la
procession de l'Esprit Saint. C'est pourquoi, si l'Esprit Saint n'était pas [à
partir] du Fils, il ne serait pas distinct de lui, pas plus que la procession
ne serait distincte de la naissance.
1. Voir Somme
théol, I, q. 30, a. 2.
C'est pourquoi même
les Grecs reconnaissent un certain ordre entre le Fils et l'Esprit Saint :
ils disent que l'Esprit Saint est l'Esprit du Fils, et que le Fils opère par
l'Esprit Saint, mais non pas l'inverse. Certains aussi concèdent que l'Esprit
Saint est [à partir] du Fils et cependant ils ne veulent pas concéder que
l'Esprit Saint procède du Fils ; mais là ils parlent manifestement avec
impudence. Nous utilisons en effet le mot « procession » pour tout ce
qui est, d'une manière ou d'une autre, [à partir] d'un autre (ab alio), et
c'est pourquoi, en raison de son caractère très commun, ce mot convient pour
désigner l'existence de l'Esprit Saint à partir du Fils, existence dont on ne
peut trouver dans les créatures aucun exemple à partir duquel on pourrait lui
donner un nom propre, comme le nom de « génération » pour le Fils.
Car si dans les créatures on trouve bien une personne procédant selon la nature
comme fils, on n'en trouve pas qui procède selon la volonté comme amour. Voilà
pourquoi on peut conclure que l'Esprit Saint, quelle que soit la manière dont il
se rapporte au Fils, procède de lui.
2065. Cependant,
certains parmi les Grecs affirment qu'on ne doit pas dire que l'Esprit Saint
procède du Fils parce que cette préposition « de » (a ou ab)
désigne chez eux un principe ne dépendant pas d'un principe, ce qui
convient au Père seu1. Mais cette raison n'est pas contraignante parce que le
Fils est avec le Père un seul principe de l'Esprit Saint, comme aussi des
créatures. Or, bien que le Fils tienne du Père d'être principe des créatures,
on dit cependant que les créatures sont [à partir] du Fils ; aussi peut-on
dire, pour la même raison, que l'Esprit Saint procède du Fils. Et rien ne
s'oppose à ce que le Seigneur dit ici : QUI PROCÈDE DU PÈRE, et non pas
« du Père et du Fils », car il dit semblablement : QUE MOI JE
VOUS ENVERRAI, et cependant on comprend que c'est le Père qui envoie, du fait
qu'il ajoute : D'AUPRÈS DU PÈRE. De même encore, le fait qu'il
ajoute : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, c'est-à-dire du Fils, fait comprendre qu'il
procède du Fils. Car toujours, comme nous l'avons dit, le Fils est conjoint au
Père et réciproquement, en ce qui concerne la procession de l'Esprit
Saint ; ainsi emploie-t-on des expressions diverses pour signifier la
distinction des personnes.
C'EST LUI QUI RENDRA
TÉMOIGNAGE DE MOI.
2066. En quatrième
lieu le Seigneur, en disant : C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI,
révèle les opérations de l'Esprit Saint qui rend témoignage d'une triple
manière : premièrement, en instruisant les disciples et en leur donnant
confiance pour témoigner - Car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit
de votre Père qui parle en vous1. Deuxièmement, en communiquant à ceux qui croient en le Christ son
enseignement - Dieu y joignant son témoignage par des signes et des
prodiges, et par des miracles divers et des répartitions variées d'Esprit Saint2. Troisièmement, en attendrissant les cœurs de ceux qui écoutent - Envoie
ton esprit, et ils seront créés3.
II
ET VOUS AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, PARCE QUE VOUS ÊTES
AVEC MOI DEPUIS LE COMMENCEMENT. (15, 27)
2067. Enfin, le
Seigneur révèle ce qui allait se passer du côté des disciples : ET VOUS
AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, inspirés par l'Esprit Saint - Vous serez mes
témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu 'aux
extrémités de la terre4. Les Actes parlent de ce double témoignage : Nous sommes témoins
de ces choses, nous et l'Esprit Saint que le Seigneur a donné à tous ceux qui
lui obéissent5.
Et il ajoute que
leur témoignage convient parfaitement [est idoine] en disant : PARCE QUE
VOUS ÊTES AVEC MOI DEPUIS LE COMMENCEMENT, c'est-à-dire le commencement de la
prédication et de l'accomplissement des miracles ; ainsi ils pourraient
témoigner de ce qu'ils ont vu et entendu, selon cette parole de la première
épître de Jean : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons6.
Par là aussi on peut
comprendre que le Christ n'a pas fait de miracles dans son enfance, comme le
rapportent certains apocryphes, mais seulement à partir du moment où il a
rassemblé les disciples.
1. Mt 10, 20.
2. He 2, 4.
3. Ps 103, 30.
4. Ac 1, 8.
5. Ac 5, 32.
6. 1 Jn 1, 3.
Évangile selon saint Jean Chapitre XVI
1 « Je vous ai dit ces choses afin
que vous ne soyez pas scandalisés. 2 Ils vous excluront des synagogues. Mais
l'heure vient où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu. 3 Et ils
vous feront ces choses parce qu'ils ne connaissent ni le Père, ni moi. 4 Mais
je vous ai dit cela pour qu'une fois leur heure venue, vous vous rappeliez que
moi, je vous l'ai dit. 5 Et je ne vous l'ai pas dit dès le commencement, parce
que j'étais avec vous.
Et maintenant je vais vers celui qui m'a
envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Où vas-tu ? 6
Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. 7
Mais moi, je vous dis la vérité : II est bon pour vous que moi je m'en
aille. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais
si je pars, je vous l'enverrai.
8 Et quand il sera venu, il convaincra le
monde au sujet du péché, et de la justice, et du jugement. 9 Du péché, parce
qu'ils n'ont pas cru en moi ; 10 de la justice, parce que je vais vers le
Père, et vous ne me verrez plus ; n du jugement, parce que le prince de ce
monde a déjà été jugé.
12 J'ai encore beaucoup de choses à vous
dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. 13 Mais quand il viendra,
lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entière. Car il ne
parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu'il entendra, il le dira, et ce
qui va venir, il vous l'annoncera. 14 Lui, il me glorifiera, parce qu'il
recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. 15 Tout ce qu'a le Père est à
moi. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi, et vous
l'annoncera. 16 Un peu de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un
peu, et vous me verrez ; parce que je vais vers le Père. »
17 Quelques-uns de ses disciples se
dirent donc entre eux : « Qu'est-ce qu'il nous dit là : Un peu
de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un peu, et vous me verrez,
et : Parce que je vais vers le Père ? » 18 Ils disaient
donc : « Qu'est-ce qu'il dit : encore un peu ? Nous ne
savons pas de quoi il parle. » 19 Jésus connut qu'ils voulaient
l'interroger, et il leur dit : « Vous vous demandez les uns aux
autres ce que j'ai dit : Un peu de temps et vous ne me verrez plus, et
encore un peu, et vous me verrez ? 20 Amen, amen, je vous le dis, vous
vous lamenterez et vous pleurerez ; le monde, lui, se réjouira, et vous, vous
serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie. 21 La femme, quand
elle enfante, a de la tristesse, parce que son heure est venue. Mais quand elle
a donné naissance à l'enfant, elle ne se souvient plus de son affliction à
cause de la joie de ce qu'un homme est né dans le monde. 22 Vous donc aussi,
maintenant vous avez de la tristesse ; mais de nouveau je vous verrai, et
votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera.
23 Et en ce jour-là vous ne
m'interrogerez plus sur rien. Amen, amen, je vous le dis : Si vous
demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. 24 Jusqu'à
présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez,
pour que votre joie soit plénière.
25 Ces choses-là, je vous les ai dites en
proverbes ; elle vient, l'heure où je ne vous parlerai plus en proverbes,
mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. 26 En ce jour-là vous
demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que moi je prierai le Père pour
vous ; 27 car le Père lui-même vous aime, parce que vous, vous m'avez
aimé, et vous avez cru que je suis sorti de Dieu. 28 Je suis sorti du Père et
je suis venu dans le monde ; de nouveau je quitte le monde et je vais vers
le Père. »
29 Les disciples lui disent :
« Voici à présent que tu parles ouvertement, et ne dis aucun proverbe. 30
Nous savons maintenant que tu sais tout, et que tu n'as pas besoin qu'on
t'interroge. En ceci nous croyons que tu es sorti de Dieu. » 31 Jésus leur
répondit : « À présent vous croyez ? 32 Voici qu'elle vient,
l'heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés, chacun de son côté,
et vous me laisserez seul ; et cependant je ne suis pas seul, parce que le
Père est avec moi. 33 Je vous ai dit ces choses, pour qu'en moi vous ayez la
paix. Dans le monde vous aurez de l'affliction j mais ayez confiance : moi
j'ai vaincu le monde. »
2068. Auparavant, en
leur en donnant les raisons, le Seigneur a consolé ses disciples de son départ1, ainsi que des persécutions et tribulations qui allaient leur advenir2 ;
à présent, il explique d'une manière plus manifeste les raisons propres par
lesquelles il console ses disciples.
L'Évangéliste nous
rapporte donc l'explication des raisons données précédemment ; puis il
expose l'effet de cette explication sur les disciples [n° 2164].
POUR LES CONSOLER
Si on considère bien
les paroles des deux chapitres précédents, on voit que le Seigneur avait
l'intention de consoler ses disciples de deux choses : de son départ et
des tribulations qui allaient leur advenir. Les raisons qu'il donnait alors
dans ce double but, il les explique maintenant, mais selon l'ordre inverse. En
voici la raison : au chapitre 14, comme son départ était tout à fait
imminent, et qu'il ne leur annonçait pas encore les tribulations qui allaient
leur advenir, il les consola d'abord de son départ. Mais au chapitre 15, parce
que des tribulations leur avaient été annoncées, les disciples paraissaient
davantage affectés par elles que par le départ du Christ ; aussi,
dans ce chapitre 16, les console-t-il d'abord des tribulations qui allaient
survenir, puis de son départ [n° 2082].
1. Jn 14 ; voir ci-dessus, n° 1848.
2. Jn 15 ; voir ci-dessus, n° 1978.
A. LA CONSOLATION PAR RAPPORT AUX
TRIBULATIONS A VENIR
JE VOUS AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS
SCANDALISÉS. ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE
VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU. ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES PARCE
QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PÈRE, NI MOI. MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE
FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE
VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 1-5)
Le Seigneur
manifeste d'abord son intention ; puis il annonce aux disciples une
persécution avec des tribulations [n° 2070] ; enfin il ajoute la raison de
cette persécution [n° 2075].
JE VOUS AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS
SCANDALISÉS.
2069. Il dit
donc : J'ai dit que les Juifs m'ont haï et vous ont haïs aussi, parce
qu'ils n'ont pas connu celui qui m'a envoyé. En cela ils sont inexcusables, et
l'Esprit Saint et vous-mêmes témoignerez contre eux. Mais toutes CES CHOSES \
JE VOUS LES AI DITES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS, c'est-à-dire
pour que vous ne vous scandalisiez pas lorsque viendront les tribulations que
je vous annonce2.
Et c'est avec raison3 que
le Seigneur, après avoir promis l'Esprit Saint, interdit le scandale, parce que
l'Esprit Saint est amour4 - La
chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné5 -, et qu'il chasse tout scandale - Grande paix pour ceux qui aiment ta loi, pour eux il n'est pas de
scandale6. Selon les Proverbes7,
n'est-ce pas le propre des amis que de ne pas faire cas d'un dommage à cause de
leur ami ? Pour les amis de Dieu, ce n'est donc pas un scandale de
souffrir peines et dommages pour le Christ. Mais parce qu'avant la mort du
Christ les disciples n'avaient pas reçu le Saint-Esprit, ils ont été
scandalisés de sa Passion - Vous
tous, vous serez scandalisés à mon sujet en cette nuit8. Tandis qu'après l'avènement de l'Esprit Saint, ils ne furent absolument
pas scandalisés.
1. Il s'agit de ce
qui a été dit en Jn 15, 18-27.
2. Cf. 1 Co 1,
23 : Nous, nous prêchons le Christ crucifié ; pour les Juifs, il
est vrai scandale, et pour les Gentils, folie.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIII, 1, BA 74B, p. 229.
4. Sur l'Esprit
Saint Paraclet, consolateur, voir ci-dessus, n° 1912, note 2 ; et n"s
2058 sq. Voir aussi plus loin, nos 2086 sq.
5. Rm 5, 5. Voir
vo1. I, n" 1234, note 8.
6. Ps 118, 165.
Voir Somme théol, II-II, q. 45, a. 6, ad 1 : « II appartient à
la charité d'avoir la paix. Mais faire la paix est le propre de la sagesse qui
ordonne. Semblablement, l'Esprit Saint est appelé Esprit d'adoption en tant que
par lui nous est donnée la similitude de celui qui est Fils par nature, qui est
la sagesse engendrée ».
7. Pr 12, 26
(verset propre à la Vulgate) : Qui néglige un dommage à cause d'un ami
est juste.
8. Mt 26, 31.
b)L'annonce de la persécution.
ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OÙ
QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU.
2070. Mais les
disciples pourraient dire : Y a-t-il pour nous matière à scandale ?
Et comment ! puisque beaucoup de tribulations s'abattront sur nous :
l'exclusion, d'abord, puis la mise à mort [n° 2073].
ILS VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES.
2071. D'abord
l'exclusion de la communauté des Juifs ; comme il est dit plus haut :
Les Juifs s'étaient déjà
entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le Christ, on l'exclût
de la synagogue1. Et cela fut tel, nous rapporte l'Évangile, que certains chefs des
Juifs, qui croyaient dans le Christ, craignaient pour cela de le confesser
publiquement2. C'est cette exclusion que le Seigneur
annonce à ses disciples - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront, et lorsqu'ils vous
excluront et qu'ils insulteront et rejetteront votre nom comme mauvais, à cause
du Fils de l'homme3.
2072. Mais était-ce
vraiment un mal pour les Apôtres, d'être exclus de la synagogue des Juifs,
puisqu'ils allaient eux-mêmes s'en retirer ?
Répondons avec
Augustin4 que leur tribulation consistait en ce que le
Seigneur laissait ainsi entendre que les Juifs ne recevraient pas le Christ.
Car, s'ils l'avaient reçu, la synagogue des Juifs aurait été identique à
l'Église du Christ ; et ceux qui se convertiraient à l'Église du
Christ seraient convertis à la synagogue des Juifs.
1. Jn9, 22.
2. Jn 12, 42 : Cependant, même parmi les chefs, beaucoup
crurent en lui ;
mais à cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'être exclus
de la synagogue. Sur la
confession de foi, voir ci-dessus, n° 1601, note 2. Le manque de courage de ces
chefs des Juifs les maintient dans le mensonge et les écarte de la béatitude
des persécutés que Jésus promet à ses disciples (cf. Mt 5, 10 ; Lc 6,
22-23 ; 1 Ρ 3, 14 et 4, 13-14).
3. Lc 6, 22.
4. Tract, in Io., XCIII, 2, ΒΑ 74Β, p. 231. Tout ce passage (nos 2072-2074) reprend son commentaire.
MAIS L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE
HOMMAGE À DIEU.
2073. Il s'agit là
de la mise à mort. On peut assurément recevoir ces paroles comme destinées à
consoler les disciples, le MAIS étant pris dans un sens d'opposition, ce qui
signifie alors : Vous devez pour ainsi dire vous consoler de ce qu'ils
vous feront, parce que L'HEURE VIENT OÙ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA
RENDRE HOMMAGE À DIEU 5.
Mais quelle consolation
pouvait-il y avoir pour eux à ce que quiconque les tue croie RENDRE
HOMMAGE À DIEU ?
À cela il faut
répondre, selon Augustin6, que l'affirmation ILS VOUS EXCLURONT DES
SYNAGOGUES donnait à entendre que ceux qui se convertiraient au Christ devraient
aussitôt être tués par les Juifs. Aussi, pour les consoler, le Seigneur leur
dit qu'expulsés des assemblées des Juifs, ils allaient gagner au Christ un tel
nombre de personnes qu'on ne pourrait pas les détruire. Et pour cela on
chercherait à les mettre à mort, de peur qu'ils ne convertissent tout le monde
au nom du Christ, par leur prédication.
Ou bien on doit
répondre qu'en cela le Seigneur
leur a annoncé la tribulation de leur mise à mort.
5. Le texte grec a
la conjonction adversative αλλά. Ici elle est généralement
comprise dans le sens de : « bien plus » (cf. M.-J. Lagrange, L'Évangile selon saint
Jean [Études bibliques], Gabalda-Lecoffre, Paris, 19252, p. 415). En considérant presque systématiquement que
les paroles de Jésus ont pour but principal de consoler ses disciples,
saint Thomas suit de près la pensée de saint Augustin. Plutôt que de donner au
« mais » (sed) une note plus large que la simple indication
d'opposition, ils se demandent comment, malgré tout, la séparation
d'avec les Juifs qui refusent de suivre le Christ est promesse de bienfait pour
les disciples, « comme si [le Christ] annonçait quelque chose de bon après
ces maux » (cf. saint Augustin, Tract,
in Io., XCIII, 3, ΒΑ 74Β, ρ. 235-239).
6. Tract, in
Io., XCIII, 4, ΒΑ 74Β, ρ. 241.
2074. Le Seigneur
dit toutefois qu'on CROIRA RENDRE HOMMAGE À DIEU, et non pas « aux
dieux » ; pour donner à entendre qu'il s'agit seulement de la
persécution venant des Juifs - Voici que moi j'envoie vers vous des
prophètes., et des sages, et des scribes. Vous en tuerez et crucifierez 1. Les martyrs du Christ, en effet, ont été
tués par les Gentils, mais ceux-ci cependant n'ont pas cru rendre hommage à
Dieu, mais seulement à leurs dieux. Or si les Juifs, en tuant les prédicateurs
du Christ, estimaient rendre hommage à Dieu, c'est parce qu'ils avaient pour
Dieu un zèle, mais qui n'était pas éclairé par la connaissance ; car ils
croyaient que quiconque se convertissait au Christ abandonnait le Dieu d'Israël2.
Parlant de cette mise à mort, le psaume dit : C'est à cause de toi
qu'on nous met à mort tout le jour ; nous sommes considérés comme des
brebis d'abattoir3.
c) La raison de la persécution.
ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI
LE PÈRE, NI MOI. MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE,
VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS
LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 3-5)
2075. Ici, le
Seigneur précise la raison de ce qui a été dit : d'abord la raison de la
persécution qui va survenir, puis la raison de l'annonce qu'il en fait [n°
2077].
I
2076. Il dit
donc : Ils vous persécuteront, ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES non pas par
zèle de la vérité, mais PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PÈRE, c'est-à-dire en
tant qu'il est Père, NI MOI, son Fils - Si vous me connaissiez, vous
connaîtriez peut-être aussi mon Père 4. - Moi qui étais auparavant
blasphémateur, persécuteur, insolent, j'ai obtenu miséricorde de Dieu parce que
j'avais agi par ignorance, dans l'incrédulité5.
II
MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE,
VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT.
2077. Mais on
pourrait dire aux disciples : Si c'est par ignorance de la foi que les
Juifs vont vous persécuter, pourquoi donc le Seigneur vous l'a-t-il
prédit ? Aussi le Seigneur explique pourquoi il l'a annoncé, puis pourquoi
il a tardé à l'annoncer [n° 2079].
UNE FOIS LEUR HEURE VENUE
2078. On dit que
l'heure de certaines personnes vient lorsqu'elles peuvent accomplir ce qu'elles
désirent, et faire ce qu'elles veulent - Ne laissons pas passer la fleur de
l'âge6, de l'âge qui nous permet de réaliser nos
volontés. Elle viendra donc, l'heure des Juifs, lorsqu'ils pourront mettre en œuvre leurs persécutions contre vous.
Mais cette heure est une heure nocturne - C'est votre heure et le pouvoir des ténèbres \
1. Mt 23, 34.
2. Cf. Ga 1, 13-14.
3. Ps 43, 22.
4. Jn 8, 19.
5. 1 Tm 1, 13.
6. Sg 2, 7.
POUR QUE (...) VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT.
Ceci est efficace de
deux manières. D'abord, lorsqu'au milieu des tribulations les disciples se
souvinrent que le Christ les leur avait prédites, ils reconnurent sa divinité
et se confièrent davantage en son secours. Et aussi parce que, lorsqu'on prévoit
les tribulations qui vont nous arriver, on en est moins affecté, car les traits
[qu'on nous lance], aperçus à l'avance, blessent moins. Cicéron2 en
précise la raison dans Les Tusculanes : plus on connaît les biens
et les maux temporels, plus on les estime de peu d'importance. Les hommes, en
effet, estiment davantage les richesses quand ils n'en ont pas que lorsqu'elles
sont en leur possession. De même pour les tribulations, avant qu'elles
surviennent on les redoute et on les croit plus éprouvantes que lorsqu'elles
surviennent et sont présentes. Quant au mal, lorsqu'on y pense à l'avance, il
en devient comme présent, et du fait de cette présence est tenu pour moindre 3.
C'est pourquoi Cicéron dit que le sage, en se préparant par la réflexion, peut
trouver une consolation à une tristesse future, tristesse que les autres
reçoivent avec le poids constant d'une tristesse imminente.
1. Le 22, 53. Le mot « heure » est employé dans les
évangiles en deux sens. Soit il
signifie l'heure des ténèbres, de la nuit, l'heure utilisée pour faire le mal, et c'est là son sens dans ce verset de
saint Luc. Soit il signifie
l'heure du jour, l'heure de la victoire de l'amour, l'heure du Christ, celle que Jésus annonce comme le temps pour lui
de réaliser jusqu'au bout la
volonté du Père. C'est particulièrement l'heure
de la Croix, que Jésus annonce déjà à Cana Qn 2, 4) et dont il parle durant sa dernière semaine
(cf. Jn 12, 23 et 27), spécialement dans la prière du chapitre 17 : Père, l heure est venue,
glorifie ton Fils (Jn 17, 1). Voir plus haut, n° 1733, où l'heure du Christ
est indiquée par saint Thomas
comme déterminée par la disposition de la Providence divine ; et
ci-dessous, n° 2180, où elle est indiquée comme l'heure de la Sagesse.
2. Tusculanes, III,
xiv, 29 - xv, 31, Les Belles Lettres, p. 19-21.
3. Saint Thomas, en s'appuyant sur Cicéron,
montre ici le réalisme de la
connaissance et de l'amour. Seule la réalité dans son actualité d'être peut déterminer l'intelligence et l'affectivité.
Le futur n’est-il pas souvent
source d'angoisse et d'un primat de l'imaginaire parce qu'il n'est pas encore là ? Et n'est-ce pas le propre
de Dieu de connaître les choses
futures ? Ainsi, pour mieux vivre des événements difficiles qui vont arriver et qui lui font peur s'il
s'attarde a les imaginer,
l'homme peut se préparer par une certaine réflexion. Saint Thomas montre que cette réflexion sur les événements futurs
ne peut exister pour nous que si nous avons un regard de science, et surtout de
sagesse, explicitant les liens des effets par rapport à leurs causes :
« II faut savoir que les choses futures peuvent être connues de deux
façons. D'une première manière en elles-mêmes, d'une seconde manière dans leurs
causes. En elles-mêmes les réalités futures ne peuvent être connues que par
Dieu. À lui en effet elles sont présentes tandis que dans le cours des choses
elles sont à venir, en tant que son regard éternel se porte au-delà de toute la
course du temps. Mais en tant qu'elles existent dans leurs causes, elles
peuvent être connues aussi par nous. Et si elles existent dans leurs causes de
telle sorte qu'elles en proviennent par nécessité, elles sont connues par la
certitude de la science, comme l'astrologue connaît par avance l'éclipsé
future. Mais si elles existent ainsi dans leurs causes de telle sorte qu'elles
proviennent d'elles la plupart du temps, ainsi elles peuvent être connues par
une conjecture plus ou moins certaine, selon que les causes sont plus ou moins
inclinées vers leurs effets » (Somme théol, I, q. 86, a. 4, c). Et
n'est-ce pas en définitive le regard de la Providence divine que le sage
découvre par sa réflexion ? 4. Voir Somme théol, I-II, q. 38, a. 3,
où saint Thomas montre que la compassion d'un ami révèle son amour et ainsi
atténue la tristesse.
Ainsi donc, si le
Seigneur annonce aux disciples leurs tribulations, c'est pour une double
raison : pour affermir leur espérance en son secours, et pour atténuer
leur tristesse 4.
III
ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DES LE COMMENCEMENT, PARCE QUE
J'ÉTAIS AVEC VOUS.
2079. À présent le
Seigneur donne la raison pour laquelle il ne leur a pas prédit cela plus
tôt : PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS.
Cela peut se
rapporter aux deux raisons précédentes. D'abord pour affermir leur espérance,
car « lorsque j'étais avec vous, confiants en mon secours, vous ne doutiez
pas ; mais bientôt, quand vous me verrez mourir, vous pourrez douter de ma
puissance. Aussi est-il nécessaire que je vous annonce les événements à venir,
pour que par eux vous reconnaissiez ma divinité et ma puissance ».
Cela peut se
rapporter aussi à la seconde raison ; le sens est alors le suivant :
J'ÉTAIS AVEC VOUS, vous protégeant et prenant sur moi tout poids - Père,
lorsque j'étais avec eux, moi, je les gardais1. Mais parce que je vais m'éloigner de vous, tout le poids de la
tribulation vous restera ; aussi faut-il que ces tribulations ne vous
arrivent pas à l'improviste2.
2080. Toutefois,
d'après le récit des trois autres Évangélistes, il semble qu'avant cette heure
le Seigneur avait déjà fait une prédiction : avant ce moment-là, il avait prédit
aux disciples qu'ils devraient comparaître devant des rois et des gouverneurs,
et être flagellés dans les synagogues des Juifs3.
On doit répondre que
cela ne contredit pas ce que dit le Seigneur : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS
LE COMMENCEMENT, puisque [selon ces mêmes Évangélistes] le Seigneur a dit cela
au mont des Oliviers4, ce qui eut lieu alors que sa Passion était
imminente, trois jours avant qu'il vînt pour la Cène5. Aussi l'expression DÈS LE COMMENCEMENT ne
se réfère-t-elle pas au temps de la Passion, mais aux premiers moments où il
fut avec ses disciples, comme le dit Augustin6.
2081. Mais Matthieu
dit autrement : il dit que le Seigneur a annoncé à ses disciples les
tribulations qui allaient s'abattre, non seulement alors que sa Passion était
imminente, mais dès le commencement, quand il choisit les Douze - Voici, dit-il,
que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups7.
À cela il faut
répondre que l'affirmation : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DÈS LE COMMENCEMENT,
ne doit pas s'entendre seulement des tribulations qui vont survenir, mais
également de la venue de l'Esprit Saint, qu'il ne leur avait pas prédit dès le
commencement, ainsi que le dit Augustin8.
Ou bien disons,
selon Chrysostome9, que cela doit s'entendre des tribulations.
Donc, ce qu'il dit : DÈS LE COMMENCEMENT, il le dit à cause de deux
aspects nouveaux qu'il vient de leur prédire : l'un, c'est qu'ils allaient
souffrir des tribulations de la part des Juifs, ce qu'il ne leur avait pas dit
auparavant - il leur avait seulement dit qu'ils souffriraient de la part des
Gentils -, comme il apparaît clairement au même chapitre de Matthieu10.
L'autre, qu'il leur avait prédit précédemment, c'est qu'ils souffriraient la
flagellation ; mais il ajoute ici un aspect qui pouvait les frapper de
stupeur : c'est que leur mort serait considérée comme un hommage rendu à
Dieu.
B. LA CONSOLATION PAR RAPPORT A SON DEPART
2082. Précédemment,
le Seigneur a expliqué les raisons données aux disciples pour les consoler face
aux tribulations qui allaient leur advenir. Ici il explique les raisons données
pour les consoler de son départ ; or [au chapitre 14], il les en a
consolés par trois raisons. Premièrement, parce qu'ils auront accès auprès du
Père, accès qu'il avait promis ; il disait alors : Que votre cœur
ne se trouble pas (...). Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures11. Deuxièmement, à cause du Paraclet qu'il allait leur envoyer ;
aussi disait-il : Et moi je prierai le Père, et il vous donnera un
autre Paraclet1. Troisièmement, parce qu'à nouveau ils verront le Christ, ce qu'il
affirmait en ces termes : Je ne vous laisserai pas orphelins : je
viendrai vers vous2. Ces trois raisons, il les explique ici, mais selon l'ordre
inverse : en premier lieu, la promesse de l'Esprit Paraclet ; puis la
promesse de le voir de nouveau [n° 2116] ; enfin, l'introduction auprès du
Père [n° 2135].
1. Jn 17, 12.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1. 421.
3. Voir Mt 10,
17-18 ; Me 13, 9 ; Lc 21, 12.
4. Mt 24, 3 ;
Me 13, 3.
5. Mt 26, 2 ;
Me 14, 1.
6. Tract, in
Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 243-245.
7. Mt 10, 16.
Saint Thomas commente : « II les compare à des brebis à cause de leur
douceur, mais leurs persécuteurs aux loups à cause de leur rapacité. En effet,
le Christ lui-même fut une brebis - Comme une brebis qu'on mène à l'abattoir
(Is 53, 7) -, et les disciples aussi - Nous, son peuple, et les brebis
de son bercail (Ps 94, 7) » (Sup. Matth., X, n°
838).
8. Tract, in Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 245.
9. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, co1.
421.
10. Mt 10,
22 : Vous serez haïs de tous à cause de mon nom.
11. Jn 14, 1-2.
Voir ci-dessus, n° 1848.
a) La promesse de l'Esprit Paraclet.
En ce qui concerne
cette promesse, le Seigneur montre d'abord la nécessité d'une consolation, puis
il présente cette consolation [n° 2086].
La nécessité
d'une consolation.
ET MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ ; ET
AUCUN D'ENTRE VOUS NE M'INTERROGE : OÙ VAS-TU ? MAIS PARCE QUE JE
VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR. (16, 5-6)
Ici, le Seigneur
annonce son départ ; puis il montre l'effet de cette annonce [n° 2085].
2083. Il se retire
donc, en allant vers son Père, et c'est pourquoi il dit : J'étais avec
vous, jusqu'à présent, mais MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ,
c'est-à-dire le Père : ce qui est en vérité la perfection. Chaque réalité,
en effet, trouve sa perfection lorsqu'elle retourne à son principe 3 - Le
temps est venu pour moi de retourner auprès de celui qui m'a envoyé*. - Vers le
lieu d'où ils sortent, les fleuves retournent pour de nouveau couler5. C'est dans son humanité qu'il allait vers Celui auprès de qui, de toute
éternité, il était dans sa divinité. Cela, on l'a expliqué d'une manière plus
étendue dans ce qui précède6.
2084. Mais il
ajoute : AUCUN D'ENTRE VOUS NE M'INTERROGE : OÙ VAS-TU ? Mais pourquoi
dit-il cela ? Pierre ne l'a-t-il pas interrogé précédemment : Seigneur,
où vas-tu ?7, ainsi que Thomas : Nous ne savons
pas où tu vas8 ?
À cette question,
Chrysostome et Augustin répondent, mais de manières différentes. Chrysostome9 dit
en effet que les disciples, en entendant qu'ils devaient être mis à mort et
exclus des synagogues, furent tellement attristés et frappés de stupeur que,
ayant comme oublié le départ du Christ et perdant presque la parole, ils ne
l'interrogeaient pas à propos de son départ. Aussi le Christ
enchaîne-t-il : MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A
REMPLI VOTRE CŒUR. Et Chrysostome affirme qu'en disant ainsi : ET
MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ, le Seigneur leur fait davantage
un reproche. Et c'est pourquoi ils ne l'interrogeaient pas - Interroge ton
père, et il te l'annoncera1. —
[La sagesse], recherche-la, et elle te sera manifestée2.
1. Jn 14, 16. Voir ci-dessus, n" 1907.
2. Jn 14, 18. Voir ci-dessus, n° 1921.
3. On trouve cette affirmation à plusieurs reprises dans la Somme
théologique, où saint Thomas note (entre autres) : « Selon la
foi, la perfection dernière de la créature raisonnable doit se trouver dans
Celui qui est pour elle principe d'existence, vu qu'une chose est parfaite dans
la mesure où elle atteint à son principe » (I, q. 12, a. 1, c). Et
aussi : « Chaque réalité, en effet, trouve sa perfection par le fait
qu'elle est soumise à son principe, comme le corps par le fait qu'il est animé
par l'âme et l'air par le fait qu'il est illuminé par le soleil » (II-II,
q. 81, a. 7, c).
4. Tb 12, 20.
5.Qo 1, 7.
6. Voir Jn 14, 28 et le commentaire de ce verset, ci-dessus, au n°
1970.
7. Jn 13, 36.
8. Jn 14, 5.
9. In Ioannem hom., LXXVIII,
1, PG 59, co1. 420-421.
Augustin3,
lui, veut que l'affirmation : MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ
ne soit pas pour l'instant même où le Seigneur parlait, mais pour le temps où
il allait monter au cie1. Comme s'il disait : Précédemment vous m'avez
demandé où j'allais, mais maintenant je m'en vais de telle manière qu'il n'est
pas nécessaire que l'un de vous m'interroge : OÙ VAS-TU ? Car selon
les Actes, sous leurs regards il fut élevé 4.
MAIS PARCE QUE JE
VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR.
2085. Par ces mots
le Seigneur montre la tristesse qui est, selon Chrysostome5,
l'effet de cette annonce. Selon Augustin6, c'est de son départ qu'ils
s'attristent ; car ils trouvaient leur joie dans la présence du Christ,
étant d'une certaine manière attachés d'une affection terrestre7 à
son aspect (species) humain, comme l'homme trouve sa joie dans la
présence de l'ami ; c'est pour cela qu'ils s'attristaient de son départ - Au soir de la Passion, seront
réservés les pleurs chez les Apôtres, et au matin de la Résurrection
la joie8.
Cependant, s'il est
humain que la tristesse touche le cœur, il est vicieux qu'elle le remplisse
parce qu'alors la raison en est troublée9 ; aussi dit-il, comme pour les
reprendre : LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CŒUR - Ne livre pas ton âme à
la tristesse10. - Que votre cœur ne se trouble pas 11.
La consolation
par la promesse de l'Esprit Saint.
2086. Ici, le
Seigneur donne la raison de la consolation qui est la promesse de l'Esprit
Saint. D'abord il promet l'Esprit Saint, puis il annonce son effet [n° 2091].
I
MAIS MOI, JE VOUS DIS LA VÉRITÉ : IL EST BON POUR VOUS
QUE MOI JE M'EN AILLE. CAR SI JE NE PARS PAS, LE PARACLET NE VIENDRA PAS VERS
VOUS ; MAIS SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI. (16, 7)
2087. Au sujet de la
promesse de l'Esprit Saint, le Seigneur montre en premier lieu la nécessité de
son départ, puis l'utilité de ce départ.
1. Dt 32, 7.
2. Si 6, 28.
3. Tract, in
Io., XCIV, 3, BA 74B, p. 247.
4. Ac 1, 9.
5. Voir ci-dessus,
n° 2084.
6. Tract, in
Io., XCIV, 4, BA 74B, p. 249.
7. Carnaliter
affecti. Sur la traduction « terrestre », voir vo1. I, n° 1209,
note 5.
Il dit donc :
LA TRISTESSE - sous-entendu : de mon départ - A REMPLI VOTRE CŒUR ;
mais vous devez plutôt vous réjouir, parce qu'IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE
M'EN AILLE, c'est-à-dire : cela vous est grandement nécessaire, CAR SI JE
NE PARS PAS, LE PARACLET NE VIENDRA PAS VERS VOUS. De même, c'est pour vous
fécond et Utile, car SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI, à savoir l'Esprit Saint.
8. Ps 29, 6. Saint Thomas commente : « Au sens mystique,
le texte est clair : car au soir de l'ensevelissement du Seigneur
ce fut la tristesse, parce que les fidèles pleuraient la mort du Christ. Mais au
matin, à cause de l'annonce de la Résurrection, ce fut la joie. Si on
applique cela au genre humain tout entier, alors au soir, c'est-à-dire
lors du péché de nos premiers parents (Gn 3), ce fut la tristesse car après le
milieu du jour, tandis que le soleil déclinait déjà pour se coucher, Adam
pécha. Et on ne peut pas dire que ce gémissement fut de courte durée, puisque
même après la restauration de la grâce ses séquelles demeurent. Mais au
matin, c'est-à-dire dans le Christ, c'est la joie. Ou bien au soir, c'est-à-dire
lorsque la lumière spirituelle commence à s'affaiblir dans l'homme, alors vient
en lui le gémissement, mais lorsque la lumière brille de nouveau en lui, alors
c'est la
joie - Dès le matin, je me présenterai à toi et je verrai (Ps
5,5) » (Exp. in Psalmos, 29, n° 4).
9. Voir ci-dessus, n° 1651, note 2.
10. Si 30, 22 et Si 38, 21.
11. Jn 14, 27.
2088. Mais le Christ
n'aurait-il pas pu donner l'Esprit Saint lorsqu'il vivait dans la chair ?
Il faut répondre que si, puisque l'Esprit Saint est même descendu sur lui lors
de son baptême sous la forme d'une colombe et ne l'a jamais quitté, puisqu'il
l'a reçu sans mesure 1 dès l'instant de sa conception2. Mais il n'a pas voulu le donner aux
disciples lorsqu'il était avec eux, pour quatre raisons.
Premièrement parce
qu'ils n'étaient pas disposés à cela3 ; car l'Esprit Saint étant amour
spirituel, l'amour terrestre (carnalis) lui est contraire. Or les
disciples étaient attachés à l'humanité du Christ d'un amour terrestre (carnalis),
et n'avaient pas encore été élevés jusqu'à sa divinité par un amour
spirituel ; et c'est pourquoi ils n'étaient pas encore capables de
l'Esprit Saint : Ainsi
donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair - c'est-à-dire
selon l'affection terrestre - et si nous avons connu le Christ selon la
chair - à savoir le Christ avant sa Passion - maintenant ce n'est plus
ainsi que nous le connaissons4.
Deuxièmement à cause
de la condition du secours divin : c'est dans les nécessités qu'il est le
plus présent - Le Seigneur s'est fait refuge pour le pauvre, son aide aux
moments opportuns, dans la tribulation5 ; et encore : Puisque mon père
et ma mère m'ont abandonné, le Seigneur, lui, m'a pris avec lui6. Or tant que le Christ était avec eux, il était pour eux une aide
suffisante ; mais avec son départ ils se trouvaient exposés à de
nombreuses tribulations, et c'est pour cela qu'il leur a été donné aussitôt un
autre Consolateur pour les aider. Aussi le Seigneur dit-il expressément : Et
il vous donnera un autre
Paraclet7. - A qui enseignera-t-il la science ? A
qui fera-t-il comprendre ce qui aura été entendu ? A des enfants à peine
sevrés, qui viennent de quitter le sein 8.
1. Cf. Jn 3, 34.
2. Jésus a eu dès le début l'Esprit Saint sans mesure, et pourtant
l'Esprit Saint est descendu sur
lui au baptême : comment le comprendre ? Saint Thomas répond à cette
interrogation dans la question de la Somme théologique sur le baptême du
Christ (III, q. 39, voir spécialement a. 1 et a. 6), en
reprenant toute la Tradition de l'Église. Le Christ n'a pas eu besoin du
baptême pour recevoir l'Esprit Saint.
Ce sont ceux qui sont baptisés par la puissance de son baptême qui le reçoivent
et que le Christ « préfigure ». Et il cite ce très beau passage de saint Augustin : « II est absurde
de dire que le Christ, quand il eut trente ans accomplis, reçut
l'Esprit Saint. Il vint au baptême
sans péché, mais non sans l'Esprit Saint ! Si en effet on écrit de Jean qu'il est rempli
d'Esprit Saint depuis le ventre de sa mère,
que faut-il dire du Christ homme dont sa conception de chair ne fut pas
charnelle mais toute spirituelle ? Ainsi, au baptême, il a daigné préfigurer son corps,
c'est-à-dire l'Église, dans laquelle les baptisés reçoivent surtout l'Esprit
Saint (De Trinitate, XV) » (a. 6, ad 1).
3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., XCIV, 4, BA 74B, p.
249-251.
4. 2 Co 5, 16. Voir vo1. I, n° 1074,
note 6.
5. Ps 9, 10. Saint Thomas commente : « Ce jugement se
fonde sur le temps car c'est lorsqu'ils sont privés du temps favorable qu'ils accueillent sa miséricorde - Belle est
la miséricorde de Dieu au temps de la tribulation, comme la nuée de la pluie au
temps de la sécheresse (Si 35, 26) -, et c'est pourquoi il ajoute dans
la tribulation, car c'est au temps de la tribulation que les hommes se
convertissent à Dieu, et c'est alors qu'il leur faut prêcher » (Exp. in
Psalmos, 9, n° 7).
Troisièmement, en considération de la dignité du Christ : car selon Augustin dans son traité sur La Trinité9, le Christ en tant qu'homme n'a pas à donner l'Esprit Saint, c'est en tant que Dieu qu'il le donne 10. Or quand il était avec les Apôtres, il semblait être comme un homme, l'un d'entre eux. Il ne l'a donc pas donné avant son Ascension, pour qu'on ne puisse pas penser qu'un homme donnerait l'Esprit Saint- L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié1. - Du trône de ta grandeur, envoie-la [la Sagesse]2.
Quatrièmement, pour
sauvegarder l'unité de l'Église. Car, comme il a été dit plus haut, Jean n'a
fait aucun signe3, pour que le peuple ne se divise pas à
l'égard du Christ, et pour qu'apparaisse avec plus d'évidence l'éminence du
Christ par rapport à Jean. Les disciples, quant à eux, devaient être remplis de
l'Esprit lui-même pour faire des œuvres plus grandes que celles que le Christ a
faites - Celui qui croit en moi fera lui-même aussi les œuvres
que moi je fais ; et il en fera de plus grandes 4 ; c'est pourquoi, si l'Esprit leur avait été donné
avant la Passion, le peuple aurait pu mettre en doute qui était le Christ, et
il y aurait eu ainsi division au sein du peuple - Montant dans les hauteurs (...), il a donné des dons
aux hommes5.
6. Ps 26, 10.
7. Jn 14, 16.
8. Is 28, 9.
9. La Trinité, I, XII, 25, BA 15, p. 157.
10. Cf. Somme théo1., III, q. 7, a. 5, ad 2 : « Ce n'est pas sous le même
rapport que le Christ reçoit et communique les dons du Saint-Esprit. Il les
donne comme Dieu, il les reçoit comme homme ». La théologie mystique viendra
pourtant préciser que l'humanité du Christ est associée à la spiration de
l'Esprit Saint. Le Père et le Fils, dans une œuvre commune, spirent l'Esprit
Saint. Cf. Somme théo1., I, q. 43, a. 5, ad 2 ; voir aussi vo1. I,
n° 946 : « La Parole, le Verbe de Dieu le Père, est celui qui spire
l'amour ». Or le Christ, dans sa prière que saint Jean nous rapporte au
chapitre 17, vient demander au Père la glorification de son humanité : Père,
glorifie-moi auprès de
toi de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût (Jn 17, 5). En
quoi consiste cette gloire pour lui qui, de toute éternité, voit le Père ?
Il s'agit que son humanité sainte, totalement offerte par l'immolation de la
Croix, puisse participer à cette gloire à laquelle il est associé en tant que
Verbe de Dieu, c'est-à-dire faire œuvre commune avec le Père en spirant
l'Esprit Saint. Sur la spiration de l'Esprit Saint, voir saint Jean de la Croix, Cantique
spirituel, strophe 39, 1, in : Œuvres complètes, DDB 6è éd. 1989, p. 680-681. Et
saint Jean de la Croix montre comment cette prière de Jésus - Père, ceux que tu m'as
donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi... (17, 24) -
se réalise. Voir loc. cit.,p. 681-682 ; La vive flamme d'amour, strophe
III, 5 et 6, op. cit., p.
799-801.
2089. Selon
Chrysostome6, on peut tirer de là un argument contre les
macédoniens, qui disent que l'Esprit Saint est une créature, et ministre du
Père et du Fils. Car s'il en était ainsi, l'avènement de l'Esprit Saint ne
serait pas une consolation à l'égard du départ du Christ, de même que ce ne
serait pas une consolation suffisante au départ d'un roi si on mettait à sa
place l'un de ses ministres. C'est donc parce que l'Esprit Saint est égal au
Fils7 que le Seigneur les console par la promesse de l'Esprit Saint.
1. Jn7, 39.
2. Sg 9, 10.
3. Jn 10, 41. Voir vo1. I, n° 1470.
4. Jn 14, 12.
5. Ps 67, 19, cité par Paul d'après les Septante (Ep 4, 8 : Montant
dans les hauteurs, il a
fait captive la captivité, il a donné des dons aux hommes). Le texte du
psaume, selon la Vulgate, est le suivant : Tu es monté sur la hauteur,
tu as emmené des captifs, tu as reçu des hommes en présent.
6. In Ioannem hom., LXXVIII,
1, PG 59, co1. 421.
7. Dans le Compendium theologiae, XLVIII, n° 85, saint
Thomas explique pourquoi l'Esprit Saint n'est pas moins que Dieu :
« De même que la pensée de Dieu est son être, de même elle est son amour.
Dieu donc ne s'aime pas lui-même selon quelque chose survenant à son essence,
mais selon son essence. Donc, comme il s'aime lui-même selon ce qu'il est en
lui-même, comme l'aimé dans l'aimant, il n'est pas Dieu aimé en Dieu aimant de
manière accidentelle, comme les choses aimées sont en nous qui les aimons de
manière accidentelle : Dieu est en lui-même comme l'aimé dans l'aimant
substantiellement. Donc l'Esprit Saint lui-même, par qui nous est donné l'amour
divin, n'est pas quelque chose d'accidentel en Dieu, mais il est une réalité
subsistant dans l'essence divine, comme le sont le Père et le Fils ».
2090. Mais si le
Fils et l'Esprit Saint sont égaux, pourquoi est-il bon que le Fils s'en aille
pour que vienne l'Esprit Saint ? C'est parce qu'il s'en allait
corporellement, et qu'en même temps que l'Esprit Saint il venait invisiblement.
Car si le Fils avait habité invisiblement et disait : « II est bon
que je m'en aille, parce que l'Esprit Saint viendra », l'Esprit Saint
serait considéré comme plus grand que lui.
II
2091. Précédemment,
le Seigneur a consolé les Apôtres en leur promettant l'Esprit Saint ; à
présent il montre l'utilité de la venue de l'Esprit Saint pour eux. Et il
montre trois aspects de cette utilité : pour le monde, pour les disciples
et pour le Christ.
Pour le monde parce
que l'Esprit Saint, en venant, convaincra le monde ; pour les disciples,
parce qu'il les instruira [n° 2099] ; pour le Christ, parce qu'il le
glorifiera [n° 2105].
L'Esprit Saint
convaincra le monde
Le Christ expose
donc d'abord l'utilité de la venue de l'Esprit Saint pour le monde ; puis
il l'explique [n° 2095].
ET QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU SUJET DU
PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE, ET DU JUGEMENT. DU PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU
EN MOI ; DE LA JUSTICE, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE
DE CE MONDE A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ. (16, 8-11)
2092. Il dit
donc : IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE, parce que je vous
enverrai l'Esprit Saint, ET QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU SUJET
DU PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE, ET DU JUGEMENT. Il y a deux manières de lire
cela : celle d'Augustin et celle de Chrysostome [n° 2098].
2093. Selon Augustin1, de
cette manière : QUAND IL, c'est-à-dire l'Esprit Saint, SERA VENU, IL
CONVAINCRA (arguet), c'est-à-dire reprendra (reprehendet) LE
MONDE - Reprends le sage, et il t'aimera2.
Mais le Christ
n'a-t-il pas lui aussi convaincu le monde ? Certes, il l'a convaincu
auparavant : Vous êtes issus du diable, votre père3 ; et, selon Matthieu, lorsqu'il a dit beaucoup de choses contre les
pharisiens et les scribes4. Pourquoi donc dit-il : IL CONVAINCRA,
comme si lui-même n'avait pas convaincu ? On pourrait peut-être dire que
le Christ a convaincu seulement les Juifs, tandis que l'Esprit Saint, dans les
disciples et par eux, a convaincu le monde entier. Mais à cela s'oppose le fait
que le Christ parle dans les Apôtres et par eux, comme l'Esprit Saint : Vous
cherchez à tester celui qui parle en moi, le Christ ?5
À cela il faut
répondre que si le Seigneur a dit : IL CONVAINCRA LE MONDE, c'est parce
que l'Esprit, en pénétrant invisiblement vos cœurs, répandra en eux la charité
par laquelle, toute crainte chassée, vous aurez autorité pour convaincre6. En
effet, tant que les disciples étaient attachés au Christ d'une manière
terrestre (carnalis), l'Esprit Saint n'était pas en eux, comme nous
l'avons dit, de la manière dont il y fut par la suite ; et c'est pourquoi
ils n'étaient pas aussi audacieux qu'ils le furent après sa venue - Par le
souffle de sa bouche, toute force des deux, c'est-à-dire des Apôtres, a
été affermie7. - L'Esprit de Dieu revêtit Zacharie8.
Également, IL
CONVAINCRA LE MONDE parce qu'en emplissant les cœurs qui avaient été autrefois
mondains, il les a fait se reprendre - J'examinerai mes voies en sa présence9. Et cela, c'est l'Esprit Saint qui le fait : Renouvelle en mon
sein un esprit droit10.
2094. Mais de quoi
convaincra-t-il ? De trois choses. Au sujet DU PÉCHÉ qu'ils ont commis - Dénonce
à mon peuple ses forfaits, à la maison de Jacob ses péchés 11. Et cela, les Apôtres l'ont fait - Par
toute la terre a retenu leur voix1. De même, au sujet DE LA JUSTICE, qu'ils ont négligée - IL· n'ont pas
accompli la justice2. Et cela aussi les Apôtres l'ont fait - II n'y a pas de juste, pas un
seul3, dit saint Pau1. Enfin au sujet DU JUGEMENT, qu'ils ont méprisé4 ;
car comme le disent les Proverbes, l'impie, une fois arrivé à un abîme
de péchés, méprisera5. - II a méprisé mes
jugements, au point d'être plus impie que les païens 6.
1. Tract, in Io., XCV, 1, BA
74B, p. 257-259.
2. Pr 9, 8.
3. Jn 8, 44.
4. Cf. Mt 23. 5.2 Co 13, 3.
6. Selon saint Augustin (loc. cit.), le Saint-Esprit donnera
aux Apôtres la « liberté » (libertas) et non le
« pouvoir » d'accuser (potestas arguendi).
7. Ps 32, 6. Voir le début du verset : Par la parole du
Seigneur, les deux ont été affermis, que saint Thomas commente ainsi :
« Au sens mystique, par deux on entend les Apôtres ; ceux-ci
ont été affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-à-dire du Christ, ou par le
Fils du Seigneur ; et telles sont sa supplication et sa doctrine : Moi,
j'ai prié pour toi afin
que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras revenu, affermis tes
frères (Le 22, 32) » (Exp.
in Psalmos, 32, n° 5). En Rm 10, 18, saint Paul applique l'image des deux
à la prédication des Apôtres ; et en commentant le psaume 18 saint Thomas
dit : « Selon la vérité, par deux on comprend les Apôtres, dans
lesquels Dieu habite comme dans les deux. Et ils sont appelés deux à
cause de la hauteur de la cité - Notre cité est dans les deux (Ph 3,
20). Ils sont aussi étoiles en raison de l'abondance de leurs vertus - C'est
la beauté du dei que
l'éclat des étoiles (Si
43, 18). - Autant les deux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont
élevées mes voies au-dessus de vos voies (Is 55, 9). Car ils sont lumineux
par la doctrine et par l'exemple - Qu'ainsi votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils
voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les deux (Mt
5, 16). Car ils sont empressés dans l'obéissance et volubiles dans le
discours de leur prédication -
J'ai fait seule le tour du ciel et j'ai pénétré le profond de l'abîme, et
j'ai marché sur les flou de la mer, et j'ai posé le pied sur toute la terre, et
chez tous les peuples et chez toutes les nations j'ai eu le premier rang (Si
24, 8-10). Ceux-ci racontent la gloire de Dieu, c'est-à-dire du Père,
gloire dans laquelle est le Christ, et parce qu'il est égal au Père, et parce
qu'il est Dieu et qu'il remet gratuitement les péchés - Vous avez été vendus pour rien et sans argent
vous serez rachetés (Is 52, 3). De même les Apôtres sont appelés firmament parce
qu'ils ont été affermis par la force du Saint-Esprit - Restez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la
force d'en haut (Le 24,
49) » (Exp. in Psalmos, 18, n" 1).
8. 2 Ch 24, 20. La
suite est : fils du prêtre Yehoyada. Il se posta au-dessus du peuple et
lui dit : Ainsi parle le Seigneur : Pourquoi transgressez-vous le
précepte du Seigneur, ce qui ne vous réussira pas, et avez-vous abandonné le
Seigneur, si bien qu'il vous abandonne ?
9. Jb 13, 15.
10. Ps 50, 12.
11. Is 58, 1.
DU PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI ; DE LA JUSTICE,
PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT,
PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ. (16,9-11)
2095. À présent le
Seigneur explique ce qu'il a dit, d'abord AU SUJET DU PÉCHÉ, et cela PARCE
QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI. L'Esprit Saint convainc seulement du péché
d'incroyance, car par la foi tous les autres péchés sont remis7.
Selon Matthieu8, au jugement dernier le Seigneur n'impute
aux damnés que le manque de miséricorde, parce que par la miséricorde tous les
péchés sont purifiés9. Il en va de même ici, parce que lorsque
l'incroyance demeure, tous les autres péchés sont retenus, et lorsqu'elle
disparaît ils sont remis 10.
Il dit bien :
PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI, et non pas : « Ils n'ont pas cru à
moi » ni : « Ils ne m'ont pas cru 11 », parce que les démons croient que le
Christ existe, et ils se mettent à trembler12. Mais ILS N'ONT PAS CRU EN MOI, avec une foi
formée par l'espérance et l'amour13.
2096. En second
lieu, l'Esprit Saint convainc le monde AU SUJET DE LA JUSTICE, et cela PARCE
QUE JE VAIS VERS LE PÈRE ET VOUS NE ME VERREZ PLUS. On peut expliquer cela de
deux manières, selon qu'il s'agit de la justice du Christ ou de celle des
Apôtres.
En ce qui concerne
la justice des Apôtres, AU SUJET DE LA JUSTICE est à comprendre ainsi : au
sujet de notre justice, qu'ils [ceux du monde] n'ont pas imitée - je veux
dire : la justice provenant non pas de la Loi, mais de la foi - Maintenant
a été manifestée (...) la justice de Dieu, par la foi en Jésus Christ1. La foi porte sur les réalités invisibles,
selon l'Épître aux Hébreux2 ; or il y avait quelque chose que les
disciples voyaient, son humanité, et quelque chose qu'ils ne voyaient pas, sa
divinité, mais cela il le leur promet en récompense - Celui qui m'aime (...),
je me manifesterai moi-même à lui3. Au sujet du Christ, les disciples avaient donc la foi quant à sa
divinité seulement ; mais quand l'humanité du Christ leur fut retirée,
leur foi porta alors sur les deux. Voilà pourquoi, selon le commentaire
d'Augustin 4, le Seigneur dit : PARCE QUE JE VAIS
VERS LE PÈRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, autrement dit : Vous, vous croyez
en moi selon ma divinité, mais PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE VOUS croirez en
moi aussi quant à mon humanité. Et cette justice de la foi, le monde,
assurément, ne l'imite pas.
1. Ps 18, 5.
2. Saint Thomas
renvoie-t-il à Isaïe 59, 4 (II n'est personne qui invoque la justice, ni qui
juge en vérité) ? Voir aussi Is 59, 14, et Jr 5, 1 : Parcourez les
rues de Jérusalem (...) et cherchez sur ses places publiques si vous trouvez un
homme faisant la justice et cherchant la vérité.
3. Rm 3, 10,
citant le Ps 13, 3. Saint Thomas commente : « Cela peut se comprendre
de deux manières. D'une première manière : nul n'est juste en lui-même par
lui-même, mais par lui-même tout homme est pécheur, c'est de Dieu seul qu'il
détient la justice - Dominateur, Seigneur Dieu, miséricordieux et clément
(...), qui efface l'iniquité et les péchés, et nul auprès de toi n'est innocent
par lui-même (Ex 34, 6). D'une autre manière, nul n'est juste en tout, non
sans avoir quelque péché - Qui peut dire : "Mon cœur est
pur" ? (Pr 20, 9) - Car il n'est pas d'homme juste sur la
terre qui fasse le bien et ne pèche point (Qo 7, 21). Cela peut se
comprendre encore d'une troisième manière, en se rapportant aux gens mauvais^
parmi lesquels nul n'est juste. C'est en effet un usage courant de l'Écriture
de parler de tout le monde parfois en désignant les mauvais, parfois en
désignant les bons. (...) Mais les deux premiers sens sont plus selon
l'intention de l'Apôtre » (Ad Rom. lect., III, n° 277).
4. Saint Thomas
montrera aussi comment l'Esprit Saint meut les Apôtres à travers ses
dons : à travers le don de science qu'il leur donne pour discerner les
péchés (Somme théo1., II-II, q. 9, a. 4, c), et le don de piété qu'il
leur donne pour accomplir la justice (loc. cit., q. 121, a. 1), enfin, à
travers le don de crainte qui les soumet à la sagesse de Dieu (loc. cit., q.
19, a. 9).
5. Pr 18, 3.
6. Ez 5, 6.
7. Voir Mt 10,
32 : Quiconque donc se déclarera pour moi devant les hommes, je me
déclarerai pour lui, moi aussi, devant mon Père qui est dans les deux. Voir
aussi Rm 4, 5-8.
8. Mt 25, 34 sq.
et 41 sq. Il s'agit du jugement dernier : Car j'ai eu faim, et vous
m'avez donné à manger...
9. Voir Pr 15, 27 : Qui s'adonne à
l'avarice trouble sa maison, mais qui déteste les présents vivra, et Pr 21,
21 : Qui poursuit la justice et la miséricorde trouvera la vie, la
justice et la gloire. C'est donc par la miséricorde et la foi qu'on est
purifié de ses péchés.
10. Saint Thomas
s'inspire ici, comme annoncé au n° 2093, du commentaire de saint Augustin.
11. Sur
« croire en », « croire à », « croire », voir
vo1. I, n° 485, note 2 et n° 901.
12. Cf. Je 2,
19 : Tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu. Tu fais bien. Les démons le
croient aussi, et ils tremblent. Sur la foi des démons, voir Somme
théo1., I, q. 64, a. 1. : « II y a une double connaissance de la
vérité, celle qui vient de la grâce et celle qui vient de la nature. Celle qui
vient de la grâce est double : soit spéculative, comme lorsque les secrets
divins sont révélés à quelqu'un, soit affective, produisant l'amour de Dieu et
relevant du don de sagesse. De ces trois connaissances, celle qui est naturelle
n'est chez les démons ni enlevée, ni diminuée. Elle est, en effet, une
propriété de la nature de l'ange, qui selon sa nature est intelligence et
esprit. (...) Quant à la connaissance spéculative issue de la grâce, elle ne
leur est pas totalement enlevée mais elle est diminuée : les secrets
divins ne leur sont révélés que dans la mesure nécessaire, par l'intermédiaire
des bons anges ou par les "manifestations temporelles de la puissance
divine" dit saint Augustin. Mais cette connaissance n'a pas l'étendue et
la clarté de celle des saints anges qui voient dans le Verbe les vérités
révélées. Enfin, pour ce qui est de la connaissance affective issue de la
grâce, ils en sont totalement privés, aussi bien que de la charité ». Voir
aussi op. cit., II-II, q. 5, a. 2.
13. « Nam
si [quis] fidem habet sine spe ac sine dilectione, Christum esse credit, non in
Christum credit » (saint
Augustin, Serm. de Scr., 144, II, 2, PL 38, co1. 788).
Mais le Seigneur
dit : ET VOUS NE ME VERREZ PLUS : non pas qu'ils ne puissent plus
jamais le voir, mais parce qu'ils ne le verraient plus dans cette chair
mortelle. Ils l'ont vu après sa Résurrection, mais vivant d'une existence
immortelle ; ils le verront aussi lors du jugement, mais venant dans sa
majesté.
En ce qui concerne
la justice du Christ, voici comment [l'ouvrage d'Augustin] Les Paroles du
Seigneur5 explique cette parole. Les Juifs n'ayant pas voulu reconnaître que le
Christ était juste - Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur6 -,
il les convaincra de cette justice en disant : PARCE QUE JE VAIS VERS LE
PÈRE. En effet, le fait même que j'aille vers le Père relève de ma justice. Car
si la venue du Christ relevait de la miséricorde, son Ascension lui était due
selon la justice - Il s'est abaissé (...). C'est pourquoi Dieu l'a
exalté7.
2097. En troisième
lieu, l'Esprit Saint convainc le monde au sujet DU JUGEMENT ; et cela
PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE, à savoir le diable, qui est prince du monde,
c'est-à-dire de ceux qui sont du monde non pas selon la création mais en se
laissant séduire et en l'imitant - Ils l'imitent, ceux qui sont de son parti8. - C'est lui qui est le roi de tous les fils
de l'orgueil^ -, parce que
ce prince, disions-nous, A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ, c'est-à-dire expulsé au-dehors - C'est
maintenant le jugement du monde, c'est-à-dire, en faveur du monde, c'est
maintenant que le prince de ce monde sera jeté dehors 10. Et
il parle ainsi pour éliminer l'excuse de ceux qui se disculpent de leur péché
en raison de la tentation du diable, comme s'il disait11 :
On ne peut pas les excuser, parce que le diable a été chassé du cœur des
croyants par la grâce, par la foi au Christ et par l'Esprit Saint, si bien
qu'il ne tente plus de l'intérieur comme avant, mais seulement de l'extérieur
par les tentations que Dieu lui permet d'exercer, et c'est pourquoi ceux qui
veulent adhérer au Christ peuvent lui résister. C'est ainsi que de faibles
femmes ont vaincu le diable12 alors que des hommes très forts se sont
laissé dominer par lui. Le monde est donc convaincu au sujet de ce JUGEMENT
parce qu'il est vaincu par le diable lorsqu'il ne veut pas résister, et qu'en
consentant au péché il fait
revenir celui qui avait été expulsé loin de lui - Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel1.
1. Rm 3, 22. Voir
vo1. I, n° 1361, note 1.
2. He 11,1 : La
foi est la substance de ce qu'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit
pas.
3. Jn 14, 21.
4. Tract, in
Io., XCV, 2-3, BA 74B, p. 265-269.
5. Serm. de
Scr., 144, II-III, PL 38, co1. 788-789.
6. Jn 9, 24.
7. Ph 2, 8-9.
8. Sg 2, 25.
9. Jb 41, 25. Voir
ci-dessus, n° 1975, note 4.
10. Jn 12, 31.
11. Cf. saint Augustin, Serm. de Scr., 143,
V, 5, PL 38, co1. 787.
12. Voir
ci-dessous, n" 2176.
Selon une autre
interprétation, Augustin, dans le même ouvrage2, dit que : A DÉJÀ ÉTÉ JUGÉ s'entend du
jugement de condamnation3 ; autrement dit, le diable a déjà été
condamné, et donc aussi tous ceux qui
adhèrent à lui - Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le
diable et ses anges4. Le monde lui aussi est convaincu au sujet du jugement car, sachant que
le prince de ce monde a été condamné, il n'échappe pas non plus à ce jugement,
mais il est jugé avec son prince puisqu'il imite son orgueil et son impiété.
2098. Selon
Chrysostome5 le texte, depuis le début, s'explique
autrement : QUAND l'Esprit Saint SERA VENU, IL CONVAINCRA (arguet), c'est-à-dire
confondra (convincet) LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ, autrement dit l'Esprit
Saint lui-même sera comme l'accusateur du monde - Dieu y joignant son témoignage par des signes et prodiges,
et par des miracles divers et des communications d'Esprit Saint selon sa volonté*. Et au sujet de ce PÉCHÉ, il montrera qu'ils ont péché gravement du fait
qu'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI7, lorsqu'ils verront que l'Esprit Saint sera
donné en mon nom aux fidèles - Nous
en sommes témoins, nous et l'Esprit Saint, que Dieu a donné à tous ceux qui lui
obéissent91.
1. Rm 6, 12. Saint
Thomas commente : « II a été dit que notre vieil homme a été crucifié
avec le Christ pour que fut détruit notre corps de péché, ce qui fait
comprendre que le pouvoir du péché a été diminué de telle manière qu'il ne peut
nous dominer. Donc, que le péché, dorénavant, ne règne pas dans votre
corps morte1. Or il ne dit pas : Qu'il n'y ait pas de péché dans votre
corps mortel, car aussi longtemps que notre corps est mortel, c'est-à-dire voué
à la nécessité de la mort, il est impossible que dans notre corps mortel il n'y
ait pas de péché, c'est-à-dire le foyer du péché. Mais du fait que nous avons
été libérés par Dieu du règne du péché, nous devons nous efforcer de faire que
le péché dans notre corps ne reprenne pas sur nous le pouvoir qui lui a déjà
été retiré » (Ad Rom. lect., VI, n° 493).
2. Serm. de
Scr., 144, V, 6, PL 38,
co1. 790, à travers le commentaire de SAINT BEDE LE Vénérable (In S. Ioannis Εν. exp. In h. loc.,
PL 92, co1. 858 B).
3. Sur le jugement
de condamnation, voir vo1. I, n° 1360, note 3.
4. Mt 25, 41.
5. In Ioannem hom., LXXVIII, 1-2, PG 59, co1.
421-422.
6. He 2, 4.
7. Cf. 1 Jn 2,
22 : L'Antichrist est celui qui refuse de croire que Jésus est le Christ.
Par contre les fidèles ont reçu l'onction de l'Esprit Saint et ils ont tous la
science (cf. 1 Jn 2, 20).
L'Esprit Saint
convaincra aussi au sujet DE LA JUSTICE, c'est-à-dire de celle que moi je
possède, mais que le monde ne m'a pas reconnue ; et cela PARCE QUE JE VAIS
VERS LE PÈRE et que je vous enverrai l'Esprit, c'est-à-dire celui qui montrera
que je suis juste et que j'ai mené une vie irréprochable - Le Paraclet que
moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père,
c'est lui qui rendra témoignage à mon sujet9. C'est bien ce qui est dit dans le psaume : le Christ, une fois
monté dans les hauteurs, a donné des dons aux hommes 10.
L'Esprit Saint
convaincra enfin au sujet DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJÀ
ÉTÉ JUGÉ, du fait même qu'il est jugé par l'Esprit Saint, c'est-à-dire expulsé
du cœur des fidèles - Les prophètes et l'esprit d'impureté, je les expulserai du pays 11.- Nous, nous n'avons pas reçu l'esprit de ce
monde, mais l'esprit qui vient de Dieu 12. Et au sujet de ce jugement il convaincra le
monde, parce qu'ils ont jugé à tort que le Christ avait un démon 13 et
qu'il chassait les démons par Béelzéboul14 ; de cela ils seront convaincus parce
que l'Esprit Saint, que moi j'enverrai, condamnera le démon lui-même et le
jettera dehors.
8. Ac 5, 32.
9. Jn 15, 26. Voir
aussi 1 Jn 5, 6 : C'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que
l'Esprit est la vérité ; et 1 Jn 5, 9 : Si nous recevons le
témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. Car tel est le
témoignage de Dieu, qui est plus grand : il a témoigné au sujet de son
Fili.
10. Cf. Ps 67, 19.
Voir ci-dessus, n° 2088, note 5, p.
260.
11. Za 13, 2.
12. 1 Co 2, 12.
Voir aussi 1 Jn 4, 1-2.
13. Cf. Jn 7,
20 ; 8, 48 et 52 ; 10, 20 ; Me 3, 30.
14. Cf. Le 11,
15 ; Me 3, 22 ; Mt 9, 34 et 12, 24.
L'Esprit Saint
instruira les disciples
J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS VOUS NE
POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT. MAIS QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE
VÉRITÉ, IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE. CAR IL NE PARLERA PAS DE
LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA, ET CE QUI VA VENIR, IL
VOUS L'ANNONCERA. (16, 12-14)
2099. Par ces mots
le Seigneur expose l'utilité de l'avènement de l'Esprit Saint pour les
disciples, à savoir leur instruction. En premier lieu, il met en avant la
nécessité de leur instruction, puis il promet cette instruction [n°
2102] ; enfin il écarte un doute [n° 2103].
J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS VOUS NE
POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT.
2100. Il dit donc :
L'avènement de l'Esprit Saint sera utile au monde, puisqu'il le convaincra,
mais à vous aussi il sera utile pour votre instruction. Et vous avez besoin de
cette instruction, parce que J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES À VOUS DIRE, MAIS
VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT. Autrement dit : Moi, je vous ai
instruits, mais vous n'êtes pas encore comblés - Voici ce qui a été
dit d'une partie de ses paroles ; et si c'est avec peine que nous avons
entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du
tonnerre de sa grandeur ?1 Mais
qu'est ce BEAUCOUP qu'ils ne peuvent pas porter ? Il est stupide de s'en
enquérir, comme le dit Augustin2, car si eux-mêmes ne pouvaient pas le
porter, nous le pouvons encore bien moins !
2101. Mais divers
hérétiques se servent de cette affirmation : VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER
MAINTENANT pour voiler leur erreur, en disant dans l'ombre à leurs partisans
des choses tout à fait honteuses qu'ils n'oseraient pas dire au grand jour ;
comme si c'était là ce que les disciples ne pouvaient pas alors porter, et que
l'Esprit Saint avait enseigné ce que l'esprit de l'homme a honte d'enseigner et
de prêcher ouvertement.
Il ne faut donc pas
comprendre ici que l'on taise aux plus petits des croyants certains secrets de
doctrine qu'on devrait dire en privé aux plus grands : c'est à tous les
croyants qu'on expose ce qui relève de la foi - Ce que vous entendez à l'oreille, proclamez-le sur les
toits3. Toutefois il y a une
manière d'exposer aux gens incultes, et une autre aux gens cultivés. Ainsi, ce
qu'il y a de subtilités dans le mystère de l'Incarnation ou d'autres mystères
ne doit pas être exposé aux gens incultes car, ne pouvant pas comprendre, ils
seraient scandalisés4. Le Seigneur exposa donc aux disciples tout
ce qui relevait de la foi, mais pas de la manière dont il le révéla ensuite,
surtout dans la vie éternelle.
Ainsi, donc, les
choses qu'ils ne pouvaient pas porter sont remplies de la connaissance des
réalités divines, qu'ils n'avaient pas alors : par exemple, l'égalité du
Fils avec le Père et autres choses de cette sorte. Aussi Paul dit-il : Il entendit
des paroles secrètes, qu'il n'est pas permis à l'homme de dire5 ;
ces paroles ne se rapportaient pas à une vérité autre que celle de la foi, mais
elles s'y rapportaient d'une manière plus profonde. Ce qu'ils ne pouvaient pas
encore porter, c'est aussi l'intelligence spirituelle de toutes les Écritures,
qu'ils n'avaient pas à ce moment-là mais qu'ils eurent quand le Christ leur
ouvrit l'esprit à l'intelligence des Écritures1. Et c'était encore les souffrances et les dangers qu'ils allaient
endurer, ce dont ils n'étaient alors pas capables parce que leur esprit était
faible - Courbe ton épaule, et porte-la [la sagesse, comme ton joug]2. L'instruction leur était donc nécessaire.
1. Jb 26, 14.
2. Tract, in
Io., XCVI, 1, BA 74B, p. 275-279.
3. Mt 10, 27.
4. Saint Thomas
suit dans ce paragraphe la progression du commentaire de saint Augustin (cf. Tract,
in Io., XCVIII, 3-4, BA 74B, p. 319-325).
5. 2 Co 12, 4.
MAIS QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, IL VOUS
ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE.
2102. Ici le
Seigneur leur promet l'instruction qu'ils recevront par la venue de l'Esprit
Saint, qui leur ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE3. En effet, puisqu'il est de la Vérité, il
lui appartient d'enseigner la vérité et de rendre [les autres] semblables à son
principe [la Vérité]. Et le Christ dit : LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE,
c'est-à-dire la vérité de la foi, que l'Esprit nous enseignera par une certaine
élévation de notre intelligence en cette vie, et enfin de manière plénière dans
la vie éternelle4 où nous connaîtrons comme nous sommes connus5 - L'onction
vous enseignera tout0. On pourrait aussi comprendre LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE des figures de la
Loi, vérité que les disciples ont acquise grâce à l'Esprit Saint. C'est ainsi
que Daniel dit que le Seigneur a donné sagesse et intelligence aux quatre
jeunes gens7.
CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL
ENTENDRA, IL LE DIRA, ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA.
1. Lc 24, 45.
2. Si 6, 26.
3. Sur le lien
entre l'Esprit Saint et la vérité, voir ci-dessus, n° 1916.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCVI, 4, BA 74B, p. 289-291.
5. 1 Co 13,
12 : Mais alors je connaîtrai tout comme je suis connu.
6. 1 Jn 2, 27.
7. Dn 1, 17 :
Et à ces quatre jeunes gens Dieu donna savoir et intelligence en toute
littérature et sagesse. Voir aussi 1, 20.
2103. Ici, le
Seigneur écarte un doute qui pouvait exister. Si l'Esprit Saint doit instruire
les disciples, il semble qu'il soit plus grand que le Christ8.
Mais il n'en est pas ainsi, puisqu'il les instruira par le pouvoir (virtus) du
Père et du Fils ; CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME, mais de moi (a
me), puisque c'est de moi qu'il sera. En effet, de même que le Fils n'opère
pas de lui-même parce qu'il n'est pas de lui-même mais du Père, de même
l'Esprit Saint, parce qu'il est d'un autre (ab alio), c'est-à-dire du
Père et du Fils, NE PARLERA PAS DE LUI-MÊME ; MAIS TOUT CE QU'IL
ENTENDRA en recevant la science comme il reçoit l'essence de toute éternité, IL
LE DIRA, non pas de manière sensible, mais intérieurement, en illuminant
intérieurement l'esprit - Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à
son cœur9. -J'écouterai ce que dit en moi le Seigneur
Dieu 10.
2104. Mais puisque
l'Esprit Saint a entendu de toute éternité, pourquoi le Christ dit-il : IL
ENTENDRA, au futur ? Là il faut dire que l'éternité inclut tout le temps,
et c'est pourquoi on peut dire de l'Esprit Saint, qui entend de toute éternité,
qu'il entend, ou a entendu, ou entendra 11.
Cependant, si
parfois on emploie le futur (il entendra), c'est parce que ces réalités dont il
a connaissance sont des réalités à venir. Donc TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE
DIRA en ce sens qu'il enseignera non seulement les réalités éternelles, mais
aussi les réalités futures ; aussi le Seigneur ajoute-t-il : ET CE
QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA, ce qui est le propre de la divinité -
Les signes et les prodiges, elle [la Sagesse] les sait avant qu'ils ne se
réalisent12. - Annoncez-nous ce qui viendra plus
tard ; et nous saurons que vous êtes des dieux1. Et
cela est propre à l'Esprit Saint - Je
répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles
prophétiseront2 ; or les Apôtres eurent l'esprit de prophétie3.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., C, 4, BA 74B, p. 383-385.
9. Os 2, 14.
10. Ps 84, 9.
11. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIX, 5, BA 74B, p. 359.
12. Sg 8, 8.
Ou bien l'Esprit
ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE, c'est-à-dire celle des préfigurations 4.
Mais afin qu'ils ne doutent pas de la manière dont ils vont connaître les
tribulations futures qu'il leur a annoncées, il ajoute : ET CE QUI VA
VENIR, sous-entendu sur VOUS, IL VOUS L'ANNONCERA.
L'Esprit Saint
glorifiera le Christ
LUI, IL ME GLORIFIERA, PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À
MOI ET VOUS L'ANNONCERA. TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. VOILÀ POURQUOI J'AI
DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA. (16, 14-15)
2105. Précédemment5, on
a montré un double fruit de la venue de l'Esprit Saint : le fait de
convaincre le monde et l'instruction des disciples ; l'Évangéliste nous
donne à présent le troisième fruit : la glorification du Christ. Le
Seigneur commence donc par mettre en avant ce finit qu'est la glorification,
puis il donne la raison de cette glorification [n° 2107] ; enfin, il
explicite cette raison [n° 2109].
LUI, IL ME
GLORIFIERA.
2106. Il dit donc de
l'Esprit Saint : IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIÈRE, parce que LUI,
IL ME GLORIFIERA, moi en qui existe toute la vérité - Moi je suis le Chemin,
la Vérité et la Vie6. - Le Christ, en qui se trouvent tous
les trésors de la sagesse et de la science (...) 7.
IL ME GLORIFIERA8,
c'est-à-dire il rendra claire la connaissance qu'on a de moi9.
Premièrement en illuminant les disciples ; car ils étaient encore soumis à
la chair et attachés au Christ selon la chair, c'est-à-dire selon la faiblesse
de la chair, eux qui ne connaissaient pas la majesté de sa divinité mais qui en
furent rendus capables plus tard par l'Esprit Saint - C'est à nous que
Dieu l’α révélé par son Esprit10.
Deuxièmement, en
leur donnant la hardiesse de l'annoncer clairement. Car auparavant les
disciples étaient craintifs au point de ne pas oser confesser publiquement le
Christ ; mais une fois remplis de l'Esprit Saint, la crainte étant
chassée, ils annoncèrent le Christ aux hommes, poussés en quelque sorte par
l'Esprit Saint lui-même - Lorsqu'il viendra comme un fleuve impétueux que le
souffle du Seigneur agite11. Aussi l'Apôtre disait-il : La charité du Christ
nous presse12.
Troisièmement, en
réalisant dans les Apôtres, et par eux, des œuvres étonnantes - Tout
cela, c'est l'unique et même Esprit qui l'opère, répartissant ses dons à chacun
en particulier comme il le veut13.
PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI ET VOUS L'ANNONCERA.
2107. Le Seigneur
donne ici la raison de la glorification : c'est que le Fils est principe de l'Esprit Saint. Car tout ce qui
est d'un autre1 manifeste ce à partir de quoi il est :
le Fils en effet manifeste le Père, parce qu'il est de lui. Donc, puisque
l'Esprit Saint est du Fils2, il lui appartient en propre de le
glorifier.
1. Is 41, 23.
2. Jl 2, 28.
3. Cf. Somme théo1., I, q. 43, a. 3, ad 4.
4. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 150, SC 386, P. 285.
5. NT 2091 et
2099. 6. Jn 14, 6.
7. Col 2, 3.
8. Clarificabit.
Sur gloria et claritas, voir vo1. I, n° 1278 et notes 3 et 4.
9. Les deux
premières explications sont reprises du commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., C, 1, BA 74B, p.
371-373).
10. 1 Co 2, 10.
11. Is 59, 19.
Saint Thomas commente : « Remarque que le Christ est un fleuve
impétueux d'abord à cause de la multitude des eaux - Le fleuve de Dieu est
rempli d'eau (Ps 64, 10) ; deuxièmement à cause de la ferveur de
l'amour - Un fleuve de feu rapide sortait de sa face (Dn 7, 10) ;
troisièmement en raison de la rapidité de son cours - L'assaut du fleuve
réjouit la cité de Dieu (Ps 45, 5) ; quatrièmement en raison de la
grandeur de son origine - Il me montra un fleuve profond (Ap
22, 1) » » (Exp. super Isaiam, 59, 19, p. 234, 1. 186-194).
12. 2 Co 5, 14.
13. 1 Co 12, 11.
Le Seigneur dit
donc : Et il me glorifiera PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI. Mais
comprenons que ce n'est pas recevoir à la manière des créatures. Car dans la
manière dont les créatures reçoivent il y a trois aspects, dont deux n'existent
pas dans les réalités divines. D'abord, chez les créatures, autre est ce qui
reçoit, autre ce qui est reçu ; et il n'en est pas ainsi dans les réalités
divines, puisque les personnes divines sont simples et qu'en elles il n'y a pas
telle chose et telle autre. Au contraire l'Esprit Saint, quel que soit celui
dont il reçoit, reçoit toute sa substance, et de même aussi le Fils.
L'autre différence,
c'est que dans les créatures, ce qui reçoit a été, à un certain moment, dépourvu
de ce qu'il reçoit, comme lorsque la matière reçoit la forme, ou le sujet
l'accident. Car à un moment, la matière a été dépourvue de telle forme, et le
sujet de tel accident. Or il n'en est certes pas ainsi dans les réalités
divines, parce que le Fils possède de toute éternité ce qu'il reçoit du Père,
et l'Esprit Saint ce qu'il reçoit du Père et du Fils. Et donc l'Esprit Saint
reçoit du Fils comme le Fils reçoit du Père - Ce que m'a donné le
Père est plus grand que tout3. Ainsi donc, dans les réalités divines, recevoir du Père exprime un
ordre.
2108. Mais remarque
que lorsqu'il dit : IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, le DE n'implique pas
participation, mais consubstantialité4, parce que l'Esprit reçoit tout ce que le
Fils a. En effet, de même que l'on dit : « Le Fils est de la
substance du Père » parce qu'il reçoit toute la substance du Père, de même
dit-on que « l'Esprit Saint est de la substance du Fils » parce qu'il
reçoit toute sa substance. Et donc, puisqu'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, et
que moi je suis le Verbe de Dieu, IL VOUS L'ANNONCERA. En effet l'esprit d'un
être vivant ne peut exister qu'en procédant d'un verbe conçu intérieurement.
1. Est ab alio. Voir ci-dessus, n° 2061, note 1.
2. Cf. Somme théo1., I, q. 36, a. 2 et a. 3. Citons
notamment : « On a dit que le Fils procède selon le mode propre à
l'intelligence comme Verbe, et que le Saint-Esprit procède selon le mode propre
à la volonté, comme amour. Or il est nécessaire que l'amour procède du
Verbe : nous n'aimons rien en dehors de ce que nous appréhendons dans une
conception de l'esprit. Selon cela, il est donc manifeste que le Saint-Esprit
procède du Fils » (loc. cit., a. 2, c).
3. Jn 10, 29.
TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. VOILÀ POURQUOI J'AI DIT
QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET VOUS L'ANNONCERA.
2109. Le Christ va
maintenant expliciter la raison de sa glorification, en prouvant que l'Esprit
Saint recevait de ce qui est à lui en raison de l'unité et la consubstantialité
du Père et du Fils. Il commence par montrer la consubstantialité du Père et du
Fils ; puis il met en avant la conclusion qu'il avait en vue [n° 2114].
TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI.
2110. Il dit
donc : L'Esprit recevra de ce qui est à moi, parce que TOUT CE QU'A LE
PÈRE EST À MOI, autrement dit : Quoique l'Esprit de vérité procède du Père,
cependant, comme TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI, et que cet Esprit est l'Esprit
du Père, il recevra aussi de ce qui est à moi.
Mais remarquons que
lorsque nous disons que nous « avons » quelque chose, cela peut être
de deux manières : soit comme une possession, soit comme ce qui est en
nous, par exemple à la manière d'une forme ou d'une partie. Le Père
« a » donc, comme une possession et comme une réalité soumise à lui,
toute créature - Au Seigneur est la terre et sa plénitude1 ; il « a » aussi quelque chose qui est en lui, ou plutôt
qui est lui-même, car il est lui-même tout ce qui est en lui, puisqu'il est
lui-même son essence, sa bonté, sa vérité et son éternité. C'est donc de cette
deuxième manière d'avoir que nous parlons ici. Et ainsi, tout ce qu'a le Père
appartient au Fils, parce que la sagesse, l'essence, la bonté qu'a le Fils sont
celles-là mêmes qu'a le Père2 - Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il
aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même3. - Toutes choses m'ont été remises par
mon Père4.
4. Sur la consubstantialité, voir ci-dessous, n° 2115, note 3.
2111. Mais, au dire
de Didyme5, certains objectent : Si tout ce qu'a
le Père, le Fils l'a aussi, alors, puisque le Père a la paternité, il s'ensuit
que le Fils l'a aussi.
Didyme répond que ce
raisonnement aurait bien une apparence [de vérité] si le Seigneur disait :
Tout ce qu'a Dieu est à moi. Mais en disant : TOUT CE QU'A LE PÈRE, il
sauve la distinction du Père et du Fils, en donnant à entendre que tout ce qu'a
le Père est à lui6, hormis ce en quoi le Père se distingue du
Fils. En effet, c'est au nom du Père qu'il s'est déclaré Fils ; et la
paternité, il ne l'a pas usurpée, lui qui était Fils.
1. Ps23, 1.
2. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 171, SC 386, p. 301. 3. Jn 5, 26.
4. Mt 11, 27.
Saint Thomas commente : « Remarque l'égalité, mais cependant
l'origine : par mon Père. Mais pourquoi dit-il toutes
choses ? Cela peut s'expliquer de trois manières : Tout,
c'est-à-dire au-dessus de toute créature - Tout pouvoir m'a été donné au
ciel et sur la terre (Mt 28, 18). Ou bien tout, c'est-à-dire les élus et
ceux qui ont été prédestinés,
eux qui ont été donnés de manière particulière - Ils étaient à toi et tu me
les as donnés (Jn 17, 6). Ou encore tout, à savoir les choses intérieures,
toute la perfection de la divinité - Comme le Père a la vie en lui-même,
ainsi a-t-il aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jn 5, 26). Et
nous ne devons pas le comprendre selon la chair, parce que s'il l'a donné, il
l'a aussi gardé Pour lui. Mais on pourrait dire : Comment l'a-t-il
donné ? Aussi a-t-il ajouté
le mode : par mon Père. Aussi est-ce par la génération qu'il a reçu cela » (Super
Matth. lect., XI, n° 964).
5. Traité du
Saint-Esprit, § 172, SC 386, p. 301.
6. Voir vo1. I, nos
947 et 977 ; ci-dessus nos 2061 et note 1,2110, et ci-dessous,
nos 2113, 2114, 2199, 2208, etc. Voir aussi Ad Heb. lect., VII,
n° 333.
2112. Précisons
toutefois que nous concédons purement et simplement l'affirmation :
« Tout ce qu'a le Père, le Fils l'a », mais non pas cependant que le
Fils l'ait selon l'ordre par lequel le Père l'a. Car le Fils l'a comme celui
qui reçoit d'un autre, alors que le Père l'a comme celui qui donne à un autre.
La distinction n'est donc pas dans ce qui est possédé, mais dans l'ordre selon
lequel cela est possédé. Or les relations de cette sorte, c'est-à-dire la
paternité et la filiation, impliquent la distinction de cet ordre ; car la
paternité implique de donner à un autre, tandis que la filiation implique de
recevoir d'un autre7.
2113. Mais on peut
se demander si, dans les réalités divines, la relation est réellement quelque
chose. Il semble que oui : autrement, puisque les personnes divines se
distinguent par les relations, leur distinction ne serait pas réelle.
Il faut donc dire
que dans les réalités divines, il y a deux façons de considérer la relation. La
première, par rapport à l'essence du Père ou à sa personne ; et ainsi [la
relation de paternité] n'est pas une réalité autre que l'essence ou la personne
du Père. L'autre manière de considérer la relation est par rapport à la
relation opposée, en l'occurrence à la filiation ; et ainsi la paternité
est une relation réelle, parce que selon cela elle implique un ordre de nature
que le Père donne au Fils par génération éternelle ; et cet ordre existe
bien en Dieu selon la vérité de la réalité8.
7. Cf. Somme
théol, I, q. 40, a. 2, c. : « En toute pluralité où l'on trouve
un élément commun, il faut bien chercher un élément distinctif. Et puisque les
trois personnes communient en l'unité d'essence, il faut nécessairement
chercher quelque chose qui les distingue et fasse qu'elles soient plusieurs.
Or, en ces divines personnes, il y a deux choses en quoi elles diffèrent :
l'origine et la relation. Non qu'origine et relation fassent deux en réalité,
mais leur mode de signification n'est pas le même. On signifie l'origine comme
une action : la génération, par exemple ; la relation comme une
forme : la paternité (...) ».
8. Voir Somme
théo1., I, q. 39, a. 1, c. Voir aussi ci-dessus, n° 1911, note 7.
Ainsi donc, si la
paternité se rapporte à l'essence du Père, tout ce qu'a le Père, le Fils l'a,
la paternité n'étant pas autre chose que l'essence du Père ; cependant le
Fils ne l'a pas selon le même ordre, comme nous l'avons dit.
2114. En
disant : VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET
VOUS L'ANNONCERA, le Seigneur met en avant la conclusion qu'il avait en vue, à
savoir que l'Esprit Saint reçoit du Fils. En effet, si tout ce qu'a le Père
appartient au Fils, et que le Fils est consubstantiel au Père, il faut
nécessairement que l'Esprit Saint procède du Fils comme il procède du Père,
comme le montrent Hilaire1 et Didyme2.
À ce sujet, il faut
savoir qu'en toute procession ou origine d'une réalité créée, nous disons que
ce par quoi l'agent agit ou donne ce qu'il a, et ce que la réalité réceptrice
reçoit, est une seule et même chose. Ainsi, le feu généré reçoit la forme de
feu, que le feu générateur donne par sa propre forme. Or dans l'origine des
personnes divines il y a d'une certaine manière quelque chose de semblable, car
ce par quoi le Père donne, et ce que le Fils reçoit, c'est la même chose. Le
Père donne en effet sa nature au Fils, non par volonté, mais par nature,
c'est-à-dire par sa propre nature. Mais il y a une dissemblance : pour les
créatures, ce qui est communiqué et ce par quoi cela est communiqué n'est pas
la même chose numériquement, mais seulement spécifiquement ; tandis que
dans les réalités divines, la nature que le Père donne au Fils est numériquement
la même que celle par laquelle il la donne ou communique.
2115. Mais remarque
que nous disons : le Fils reçoit de (de) la substance du Père,
c'est-à-dire reçoit la substance du Père ; et l'Esprit Saint reçoit de la
substance du Père et du Fils ; et nous disons aussi que le Père, par le
pouvoir de sa nature, donne sa propre substance au Fils, et le Père et le Fils
à l'Esprit Saint. Et cependant nous ne disons pas que le Père est de la
substance du Fils, ni que le Père et le Fils sont de la substance de l'Esprit
Saint, parce que la préposition de implique la consubstantialité avec un
ordre d'origine3. Ainsi donc, à l'Esprit Saint est communiqué
ce qui est commun au Père et au Fils. Or dans les réalités divines, le principe
de communication doit être la même réalité que ce qui est communiqué. Si donc
l'essence est communiquée à l'Esprit Saint, ce qui communique doit être
l'essence. Mais l'essence est commune au Père et au Fils ; il faut donc
que si le Père donne l'essence à l'Esprit Saint, le Fils aussi la donne de
manière semblable. Et c'est
pourquoi il dit : TOUT CE QU'A LE PÈRE EST À MOI. Et l'Esprit Saint reçoit
du Père ; VOILÀ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST À MOI, ET
VOUS L'ANNONCERA, car c'est en tant qu'il reçoit de moi, qu'il vous l'annoncera.
1. La Trinité, VIII, 20-21, SC 448, p. 409-411.
2. Traité du Saint-Esprit, § 170-173, SC 386, p. 299-303.
3. Dans la Somme théologique, saint Thomas précise ce
mystère de la consubstantialité en mettant en lumière l'aspect du mystère qui
échappe à la raison, et en utilisant pour cela des analogies. Que veut exprimer
en effet le théologien en disant que « le Fils reçoit la substance du
Père » ? En s'appuyant sur l'autorité de saint Augustin qui
écrit : « Dieu le Père seul a engendré de sa propre nature et sans
commencement un Fils égal à lui-même » (De Fide ad Petrum), saint
Thomas expose : « Le Fils n'est pas engendré de rien, mais bien de la
substance du Père. En effet, on a montré plus haut (q. 27, a. 2 ; q. 33,
a. 2, ad 3 et 4 ; a. 3) qu'il y a en Dieu véritablement et proprement
paternité, filiation et naissance. Or entre "engendrer" vraiment,
acte par lequel un fils procède, et "faire", il y a cette différence
que l'on fait une chose avec une matière extérieure - le menuisier fait un
escabeau avec du bois -, mais c'est de lui-même que l'homme engendre un fils.
Et tandis que l'artiste créé fait quelque chose à partir d'une matière, Dieu,
lui, fait quelque chose de rien (...). Non que le rien passe dans la substance
de la chose, mais parce que toute la substance de la chose est produite par
Dieu sans rien de présupposé. Si donc le Fils procédait du Père comme existant
à partir de rien, il serait par rapport au Père comme l'œuvre d'art pour
l'artiste. Et il est clair que l'œuvre ne peut pas prendre le nom de fils au
sens propre mais seulement par similitude. Il s'ensuit que si le Fils de Dieu
procédait du Père comme tiré de rien, il ne serait pas véritablement Fils au
sens propre, ce qui va contre l'affirmation de Jean : Nous sommes dans son vrai Fils Jésus
Christ (1 Jn 5, 20). (...) Il reste donc que le Fils de Dieu est bien
engendré de la substance du Père, d'une autre manière cependant que le fils
d'un homme. En effet, une part de la substance de l'homme qui engendre passe
dans la substance de celui qui est engendré. Mais la nature divine est
indivisible. Il faut donc que le Père, en engendrant le Fils, ne lui transmette
pas une partie de sa nature, mais la lui communique tout entière et ne se
distingue de lui que par une relation d'origine comme on l'a montré plus haut
(q. 40, a. 2) » (I, q. 41, a. 3, c). Au sujet de la préposition de qui
implique la consubstantialité avec un ordre d'origine, saint Thomas
poursuit : « La préposition latine de dénote toujours un
principe consubstantie1. Ainsi on ne dit pas que la maison est faite du constructeur,
car celui-ci n'est pas cause consubstantielle. Par contre, on dit qu'une chose
est faite (d’une autre dès qu'elle signifie un principe consubstantie1. Soit
qu'elle soit un principe actif, comme le fils est dit être du père, soit
qu'elle soit un principe matériel, comme un couteau est dit être de fer,
soit qu'elle soit un principe formel, pour les réalités en qui la forme est
elle-même subsistante et n'advient pas à un sujet distinct - d'un ange on peut
dire qu'il est de nature intellectuelle. C'est en ce sens qu'on dit que
le Fils est engendré de l'essence du Père, car l'essence du Père, communiquée
au Fils par génération, subsiste en celui-ci » (I, q. 41, a. 3, ad 2).
b) La promesse de le voir de nouveau.
2116. Auparavant1, le
Seigneur a expliqué la première raison donnée pour consoler les disciples, à
savoir la promesse de l'Esprit Saint ; ici, il explique la seconde2,
liée au fait qu'ils le verront de nouveau.
L'Évangéliste
présente d'abord la promesse de le voir de nouveau, puis le doute des disciples
[n° 2121] ; enfin, il ajoute une réponse pour dissiper ce doute [n° 2125].
La promesse de le
voir de nouveau.
UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE
UN PEU, ET VOUS ME VERREZ ; PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE. (16, 16)
2117. Le Seigneur,
en leur annonçant son départ, leur promet qu'ils le verront de nouveau ;
et s'il leur rappelle si souvent son départ, c'est pour qu'en pensant
fréquemment à ce qui va arriver, ils supportent avec plus de patience ce départ,
une fois venu.
Le Seigneur présente
trois faits propres à les consoler : une absence brève, une présence
renouvelée et un départ digne d'honneur.
2118. L'absence
certes est brève : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, en
comprenant que le UN PEU DE TEMPS se rapporte à VOUS NE ME VERREZ PLUS ;
autrement dit : Bientôt je serai enlevé d'auprès de vous par la mort, ET
VOUS NE ME VERREZ
PLUS. Mais vous ne devez pas en être accablés de tristesse, parce que ce temps
où vous ne me verrez plus sera court, puisque je me relèverai au point du jour3) le troisième jour - Cache-toi un peu pour un moment, jusqu'à ce que
soit passée l'indignation 4.
2119. Mais à nouveau
je serai présent, car ENCORE UN PEU, c'est-à-dire pendant un certain temps
après ma Résurrection, à savoir quarante jours - Il se présenta (...), se
faisant voir d'eux pendant quarante jours5
-, ET VOUS ME VERREZ - Les disciples furent dans la joie à la vue du Seigneur6.
2120. Et ceci,
puisque je pars d'une manière honorable, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE - Sous leurs regards, il fut
élevé7.
On peut interpréter
autrement, en comprenant que le
UN PEU se réfère au temps précédant sa mort, le sens étant alors : UN PEU
DE TEMPS, à savoir il y aura un temps où je vous serai retiré, et ce sera le lendemain
même - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous1 -, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, sous-entendu, morte1. Nous lisions en effet : Encore
un peu, et le monde ne me voit plus2, comme mortel, puisqu'il verra le Christ au
jugement venant en majesté ; les disciples, par contre, le voient après la
Résurrection, immortel, car Dieu lui a donné de se manifester, non à tout le
peuple, mais aux témoins choisis d'avance3. Aussi ajoute-t-il : ET ENCORE UN PEU, c'est-à-dire cela durera
encore un peu, ET VOUS ME VERREZ, puisqu'il est resté peu de temps dans la mort
- Dans un moment d'indignation, je t'ai caché un instant ma face4.
1. Voir n° 2082.
2. La seconde raison était exposée au n° 1907.
3. Ps 56, 9.
4. Is 26, 20.
5. Ac l, 3.
6. Jn 20, 20.
7. Ac l, 9.
On peut encore
rapporter le UN PEU DE TEMPS à la durée de toute notre vie, jusqu'au
jugement ; nous le verrons alors au jugement et dans la gloire. Et
s'il est dit UN PEU DE TEMPS, c'est en comparaison avec l'éternité - Mille
ans à tes yeux sont comme le jour d'hier qui est passé, comme une veille
dans la nuit5. PARCE QUE JE
VAIS VERS LE PÈRE, par la Résurrection et l'Ascension - Jésus, sachant qu
'était venue son heure de passer de ce monde vers le Père (...)6
Le doute des disciples.
QUELQUES-UNS DE SES DISCIPLES SE DIRENT DONC ENTRE
EUX : « QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LÀ : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE
ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME VERREZ, ET : PARCE QUE
JE VAIS VERS LE PÈRE ? » ILS DISAIENT DONC : « QU'EST-CE
QU'IL DIT : ENCORE UN PEU ? NOUS NE SAVONS PAS DE QUOI IL
PARLE. » (16, 17-18)
2121. Ici,
l'Évangéliste expose le doute des disciples. Il présente d'abord les propos
qu'ils échangent ; puis il nous donne ce qui amena ce doute ; enfin,
il décrit la disposition d'esprit et le sentiment7 de ceux qui doutent.
2122. Du fait des
paroles du Seigneur, les disciples échangeaient entre eux, en disant :
QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LÀ : UN PEU DE TEMPS ? On remarque là leur
respect à l'égard du Christ, respect si grand qu'ils n'osaient pas
l'interroger. Et les anges font de même - Quel est celui qui vient d'Edom,
de Bosra, les vêtements teints ? À cela cependant il répond en
disant : C'est moi qui proclame la justice, et qui
combats pour le salut8. Mais par là, il nous est donné à entendre que les disciples n'avaient
pas encore une intelligence parfaite des paroles du Christ, soit à cause de la
tristesse qui les absorbait, soit à cause de l'obscurité de ses paroles9
- Êtes-vous encore, vous aussi, sans intelligence ?10
1. Jn 13, 33.
2. Jn 14, 19.
3. Ac 10, 40-41.
4. Is 54, 8.
5. Ps 89, 4.
6. Jn 13, 1.
7. Sentiment traduit
ici le mot latin affectio. Voir ci-dessus n° 1727, note 2, et vo1. I,
n" 1500, note 4.
8. Is 63, 1.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIX, PG 59, co1. 427.
10. Mt 15, 16.
2123. L'occasion du
doute, c'était l'enchaînement même des paroles, qui semblaient impliquer une
certaine contrariété. Car ils comprenaient assez bien ce qu'il dit : VOUS
NE ME VERREZ PLUS, et : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PÈRE ; mais ce qui suscitait
leur doute, c'était qu'alors qu'il allait partir et mourir, ils allaient le revoir peu de temps après. En effet, ils
n'avaient pas encore connaissance de la Résurrection, car selon le
psaume : Quel est l'homme qui vivra et ne verra pas la mort, et qui
arrachera son âme de la main des enfers ?1
De même, selon le livre de la Sagesse, on
ne connaît personne qui soit revenu des enfers2.
2124. Et voilà
pourquoi ils disent : QU'EST-CE QU'IL DIT : ENCORE UN PEU ? -
sous-entendu, ce PEU de temps pendant lequel vous me verrez. Mais dans ce doute
ils restaient modestes : NOUS NE SAVONS PAS, disent-ils, DE QUOI IL PARLE.
En effet, comme le dit Augustin3, il y a certaines personnes qui, ne
comprenant pas les paroles de l'Écriture, blasphèment en préférant leur
jugement propre à l'autorité de l'Écriture ; tandis que d'autres,
modestes, quand elles ne comprennent pas, reconnaissent leur ignorance - Je
suis un homme faible et éphémère, et peu capable de comprendre les jugements et
les lois4. C'est ce que font ici les disciples ; en effet ils ne disent
pas : « II a mal parlé 5 », et ne se taisent pas non plus, mais
ils attribuent à leur ignorance le fait de ne pas comprendre.
La réponse qui
dissipe le doute.
2125. Voici à
présent la connaissance que le Christ a de leur doute, puis l'explication qu'il
en donne [n° 2127] ; enfin il présente une comparaison [n° 2131].
I
JÉSUS CONNUT QU'ILS VOULAIENT L'INTERROGER, ET IL LEUR
DIT : « VOUS VOUS DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES CE QUE J'AI DIT :
UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME
VERREZ ? » (16, 19)
2126. L'Évangéliste
montre en premier lieu comment le doute des disciples est connu du
Christ : JÉSUS CONNUT, en vertu de sa divinité, QU'ILS VOULAIENT
L'INTERROGER, sur ce dont ils doutaient - Car il savait, lui, ce qu'il y a
dans l'homme6. - Les hommes voient ce qui paraît, mais le
Seigneur regarde le cœur7.
1. Ps 88, 49.
2. Sg 2, 1.
3. Enarrationes in
psalmos, 48, 1, PL 36, co1. 545 et 146,
12-13, PL 37, co1. 1907-1908.
4. Sg 9, 5.
5. Cf. Jn 18, 23.
6. Jn 2, 25.
En deuxième lieu,
l'Évangéliste montre comment ce doute est manifesté par la parole du Christ,
puisqu'IL LEUR DIT : VOUS VOUS DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES - Les
premiers événements (...) depuis longtemps je les ai fait entendre, je les ai
accomplis tout d'un coup et ils sont arrivés8.
II
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS VOUS LAMENTEREZ ET VOUS
PLEUREREZ ; LE MONDE, LUI, SE RÉJOUIRA, ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, MAIS
VOTRE TRISTESSE SE CHANGERA EN JOIE. (16, 20)
2127. Ici le
Seigneur explique ce qu'il a dit pour dissiper le doute, sans reprendre
expressément les paroles qu'il avait dites, afin de satisfaire ses disciples
plus que lui-même. D'abord il montre l'alternance de la joie et de la
tristesse ; puis la tristesse intérieure [n° 2129] ; enfin, la joie qui viendra ensuite [n° 2130].
7. 1 S 16, 7.
8. Is 48, 3.
2128. AMEN, AMEN, JE
VOUS LE DIS, dans ce peu de temps où vous ne me verrez pas, VOUS VOUS
LAMENTEREZ, en poussant un gémissement de douleur, ET VOUS PLEUREREZ, en
versant des larmes - Durant la nuit, elle a pleuré en gémissant, c'est
le premier aspect, et ses larmes [coulent] sur ses joues1, c'est le deuxième aspect. - Que ta voix
se repose de ses pleurs, et tes yeux de leurs larmes2.
2129. Leur tristesse
intérieure, elle, sera en contraste avec l'allégresse du monde3 :
LE MONDE, LUI, SE RÉJOUIRA. On peut le comprendre particulièrement du temps de
la Passion du Christ, où LE MONDE, c'est-à-dire les scribes et les pharisiens,
SE RÉJOUIRA de la mise à mort du Christ - Le voilà, le jour que nous attendions :
nous l'avons trouvé, nous l'avons vu4. Ou bien LE MONDE,
c'est-à-dire les mauvais qui sont dans l'Église, SE RÉJOUIRA de la persécution
des saints - Et ceux qui habitent sur la terre se réjouiront à cause d'eux
et seront en fête5. Ou bien LE MONDE pris universellement, c'est-à-dire les hommes qui
vivent d'une manière terrestre, SE RÉJOUIRA dans les réalités de ce monde - Ce
n'est que joie et allégresse : on tue des veaux, on égorge des béliers, on
mange des viandes et on boit du vin6.
Vient ensuite la tristesse
des disciples : ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, à cause des souffrances que
vous endurerez dans le monde, ou plutôt de ma mise à mort. C'est ainsi que les
saints eux-mêmes s'attristent des souffrances que le monde leur inflige, et des péchés - Car la tristesse qui est
selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable7.
2130. Mais la
tristesse est suivie de l'allégresse, puisque VOTRE TRISTESSE, celle que vous
aurez lors de la Passion, SE CHANGERA EN JOIE, à la Résurrection - Les
disciples furent dans la joie à la vue du Seigneur8. Et d'une manière générale la tristesse de tous les saints se changera
en la joie de la vie et de la gloire futures - Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés9. - Ils
s'en allaient, ils s'en allaient tout en pleurs, en jetant la semence ;
ils viendront, ils viendront débordant de joie, en portant leurs gerbes10. En
effet, lorsque c'est le temps de mériter, les saints pleurent en semant ;
mais au temps de la récompense, ils se réjouiront en récoltant.
III
LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE
SON HEURE EST VENUE. MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À L'ENFANT, ELLE NE SE
SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ
DANS LE MONDE. VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE ;
MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE, ET VOTRE JOIE,
NUL NE VOUS L'ENLÈVERA. (16, 21-22)
2131. Ici le
Seigneur propose une comparaison, puis il l'applique à ses disciples [n° 2134].
Il fait une comparaison avec la femme qui enfante ; il expose donc la
tristesse de la femme face à l'accouchement, puis son allégresse devant celui
qu'elle a enfanté [n° 2133].
1. Lm 1, 2.
2. Jr 31, 16.
3. Au sujet de l'expression « le monde », voir
ci-dessus, n° 2032, note 4.
4. Lm 2, 16.
5. Voir Ap 11, 10.
6. Is 22, 13.
7. 2 Co 7, 10.
8. Jn 20, 20.
9. Mt 5, 5. Voir ci-dessus, n° 1955, note 5.
10. Ps 125, 6.
LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE
SON HEURE EST VENUE.
2132. Il dit donc,
quant au premier point : LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE,
une tristesse sensible, et la plus grande, PARCE QUE SON HEURE, celle de la
douleur, EST VENUE - Ils ont ressenti comme les douleurs d'une femme qui enfante1. Par cette douleur est signifiée la douleur de
la Passion du Christ, qui fut la plus grande douleur - Ο vous tous qui
passez par le chemin,
regardez, et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur2. De même cela nous fait
comprendre celle des saints faisant pénitence pour les péchés - Comme une femme enceinte, sur le point d'enfanter,
souffre et crie dans ses douleurs, tels nous étions devant toi, Seigneur3.
MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À L'ENFANT, ELLE NE SE
SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ
DANS LE MONDE.
2133. Ici, le
Seigneur expose la joie de la délivrance. Car l'enfantement est suivi d'une
double joie : celle d'être délivrée de la douleur, et elle est grande,
mais une autre plus grande encore, celle de la naissance de l'enfant. Et
assurément cette dernière joie est très grande si l'enfant est de sexe
masculin, car le mâle est quelque chose de parfait, alors que la femelle est
quelque chose d'imparfait et d'incomplet4
- Avant d'être en
travail, elle a enfanté, avant que lui viennent les douleurs elle a accouché d'un mâle5. Et selon la Genèse, quand Sarah conçut, elle dit : Dieu m'a
donné de quoi rire, et
quiconque l'apprendra en rira avec moi6. Aussi le Seigneur dit-il : MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE À
L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION7, dans sa joie d'être délivrée de la douleur,
et plus encore, À CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE.
Cette similitude
convient bien pour le Christ qui, en souffrant, nous a délivrés des afflictions
de la mort, et qui, régénérant l'homme, en a fait un homme nouveau,
c'est-à-dire qui retourne à la nouveauté de la vie8 et
de la gloire qui n'était pas encore connue des hommes. Aussi ne dit-il
pas : « Un enfant est né », mais : UN HOMME EST NÉ DANS LE
MONDE ; puisque le Christ lui-même, étant homme, ressuscitait nouveau
d'entre les morts, comme un enfant9.
Elle convient de
même à l'Église, qui chemine dans la nouveauté de la vie en l'Église militante.
Et le Seigneur ne dit pas : « II n'y aura plus d'affliction »,
mais : ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION ; car même si les
saints se rappelleront les misères qu'ils ont souffertes, lorsqu'ils seront
dans la béatitude de la gloire, cependant ils n'expérimenteront plus rien de
ces misères dans leur affectivité.
1. Ps 47, 7.
2. Lm 1, 12.
3.1s 26, 17.
4. Voir Aristote, De Generatione Animalium, II, 3, 737 a 27.
5. Is 66, 7. Tous les manuscrits lisent
ce verset (qui convient mieux ici
que Jr 20, 15, la référence donnée dans le
texte : Maudit soit l'homme qui a annoncé à mon père : II t'est né
un enfant mâle). Saint Thomas commente : « Avant d'être en
travail, c'est-à-dire que soudainement et en même temps les fils de
Jérusalem se rassembleront vers elle, comme si la femme subitement engendrait
un fils, sans avoir été en travail auparavant. (...) Mystiquement cela se dit
de l'enfantement de la Bienheureuse Vierge, et de l'enfantement de l'Église
dans la conversion des fidèles, et de l'enfantement de la génération
éternelle » {Exp. super Isaiam, 66, 7, p. 254, 1. 66-73).
6. Gn 21, 6.
7. Le mot pressura
(pression, fardeau, tribulation, malheur, affliction) est employé par saint
Thomas pour désigner la femme qui enfante dans une tristesse sensible extrême
et dans la douleur (nos 2132-2133) ; face à la mort {mortis
pressuras, au n° 2133) ; pour les misères souffertes par les saints
sur cette terre (n° 2133) ; comme synonyme de l'angoisse, face au monde
qui oppresse et à sa haine (n° 2175) ; à propos du feu {pressura
flammae : la suffocation du brasier, selon Osty) au n° 2175.
8. Rm 6, 4 (in
novitate vitae).
9. Ce paragraphe reprend le développement de
saint Jean Chrysostome, associant l'image des douleurs de l'enfantement d'un
« homme », et non d'un « enfant », à la Résurrection de
Jésus, P »homme » nouveau (cf. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 427).
VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE.
2134. Ici, le
Seigneur applique la comparaison. En premier lieu à la tristesse présente,
celle qu'éprouvaient alors les Apôtres : VOUS DONC AUSSI, MAINTENANT,
c'est-à-dire à l'heure de la Passion, VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE, à cause de ma
mort - Quels sont ces propos que vous échangez entre vous, et pourquoi
êtes-vous tristes ?1 Ou bien : MAINTENANT, c'est-à-dire dans toute la vie présente,
VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE. Plus haut : Vous vous lamenterez
et vous pleurerez2.
MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA
JOIE, ET VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA. (16, 22)
En second lieu, il
applique la comparaison à leur joie future. Il leur promet premièrement qu'ils
le verront, lorsqu'il dit : MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ce qui revient
à dire : « Vous me verrez », puisque nous ne pouvons pas le voir
si lui-même ne se montre. Toutefois, il ne dit pas : « Vous me
verrez », mais JE VOUS VERRAI, parce que le fait de se montrer lui-même
vient de sa miséricorde, qui est signifiée par son regard3. Il
dit donc : MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, c'est-à-dire je vous prendrai
auprès de moi de manière à être vu de vous, ou encore, je vous visiterai, à la
Résurrection et dans la gloire future - Tes yeux verront le roi dans sa
beauté4.
ET VOTRE CŒUR SERA
DANS LA JOIE.
Le Seigneur promet
ensuite la joie du cœur et l'exultation : ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE,
à savoir celle de me voir à la Résurrection. Aussi l'Église chante-t-elle :
Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et soyons dans l'allégresse5. ET VOTRE CŒUR SERA DANS LA JOIE
également à cause de la vision de la gloire - Tu m'empliras d'allégresse
près de ta face6. - Alors tu verras, tu
t'épancheras, tu seras dans l'admiration et ton cœur se dilatera7. Pour tout être, en effet, il est naturel de trouver sa joie dans la
contemplation de la réalité aimée. Or personne ne peut voir l'essence divine
s'il ne l'aime - Et il annonce à son ami que la lumière est son partage8. Voilà pourquoi il est nécessaire que cette vision donne lieu à la joie
- Vous le verrez, en le connaissant par l'intelligence, et
votre cœur se réjouira9 ; et cette joie elle-même rejaillira jusque sur le corps,
lorsqu'il sera glorifié ; aussi Isaïe enchaîne-t-il : Et vos os
seront florissants comme l'herbe. - Entre dans la joie de ton Seigneur10.
ET VOTRE JOIE, NUL
NE VOUS L'ENLÈVERA.
Enfin le Seigneur
leur promet une joie qui durera toujours, lorsqu'il dit : ET VOTRE JOIE,
celle que vous aurez à cause de moi à la Résurrection - Je me réjouirai d'une
grande joie dans le Seigneur11 -, NUL NE VOUS L'ENLÈVERA comme le firent auparavant
les Juifs par la Passion, puisque ressuscitant des morts, le Christ ne meurt
plus ; la mort sur lui n'aura plus d'empire12. Ou encore, VOTRE JOIE, la joie de jouir de la gloire, NUL NE VOUS
L'ENLÈVERA, puisqu'elle ne peut être perdue et qu'elle est perpétuelle -
Une allégresse éternelle sera sur
leur tête13. Cette joie, en effet, nul ne se l'enlèvera lui-même par le péché, puisque
là, la volonté de chacun aura été confirmée dans le bien ; et personne non
plus n'enlèvera cette joie à un autre, puisqu'il n'y aura là aucune violence et
que nul ne portera préjudice à un autre.
1. Lc 24, 17.
2. Jn 16, 20.
3. Ejus visionem. Selon le sens, il semble bien qu'il
s'agisse de la vision que le Christ a de nous.
4. 1s 33, 17.
5. Graduel de la messe du jour de Pâques, d'après le Ps 117, 24. Le graduel poursuit : Célébrez le
Seigneur, car il est bon ; car sa miséricorde est pour les siècles (Ps
117, 1 ; voir aussi Ps 135, 1).
6. Ps 15, 11.
7. Is 60, 5.
8. Jb 36, 33
(propre à la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
9. Is 66, 14.
10. Mt 25, 21.
11. Is 61, 10.
12. Rm 6, 9. 13.1s
35, 10.
2135. Précédemment1, le
Seigneur s'est attaché à donner deux raisons capables de réconforter ses
Apôtres : la promesse du Paraclet et de son propre retour ; à
présent, il donne la troisième raison qui les réconforte : la promesse de
leur accès auprès du Père. Il leur promet d'abord l'accès intime2 auprès
du Père ; puis il en précise la raison [n° 2147].
La promesse de
l'accès intime auprès du Père.
En ce qui concerne
cette promesse, le Seigneur affermit d'abord la confiance des Apôtres ;
puis il les exhorte à vivre de cette confiance [n° 2143].
I
ET EN CE JOUR-LÀ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN. AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM,
IL VOUS LE DONNERA. (16, 23)
D'abord il écarte la
nécessité d'une interrogation, puis il leur promet qu'ils seront exaucés [n° 2141].
ET EN CE JOUR-LÀ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN.
2136. Selon Augustin3, là
où dans cette phrase nous avons INTERROGEREZ (rogabitis), les Grecs ont
un verbe qui signifie deux choses : « chercher à obtenir » (petere) et « interroger » (interrogare). Aussi peut-on comprendre la phrase de deux
manières : « Vous ne chercherez pas à obtenir de moi quoi que ce
soit », ou « Vous ne m'interrogerez sur rien ».
Le Seigneur dit
donc : EN CE JOUR-LÀ. Quel est ce jour, cela paraît évident à partir de ce
qu'il a dit précédemment - Mais de nouveau je vous verrai4 -, ce qui peut s'entendre de la Résurrection
et aussi de la vision dans la gloire [n° 2139].
2137. De la
Résurrection, selon Chry-sostome5 : EN CE JOUR-LÀ, à savoir : quand
je serai ressuscité des morts, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN,
c'est-à-dire vous ne direz pas : Montre-nous le Père6, ni rien de ce genre.
À l'encontre de
cette interprétation, Augustin7 objecte qu'après la Résurrection, les
disciples disent : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le royaume d'Israël ?8 Et dans l'Évangile de Jean, plus loin, Pierre interroge en disant : Et
de lui, qu'en sera-t-ïl ?1
1. Nos
2082 et 2116.
2. Familiarem :
sur le sens du mot familiaritas, voir vo1. I, n° 1475, note 5, p. 612.
3. Tract, in Io., CI, 4, BA 74B, p. 391-393. Le verbe έρωτάν
signifie interroger. Il
peut être employé aussi pour demander quelque chose, ce qui est le sens
normal du verbe αίτέω, utilisé dans le reste du
verset. Et il peut avoir encore celui de prier quelqu'un en vue de (donc,
selon l'interprétation de saint Jean Chrysostome reprise par saint Thomas au n° 2138 : prier
le Christ « médiateur » ; cf. In Ioannem hom., LXXIX,
1, co1. 428). Sur l'opportunité de ces trois interprétations, voir la
discussion de M.-J. Lagrange, L'Évangile
selon saint Jean, p. 429.
4. Jn 16, 22.
5. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428.
6. Jn 14, 8.
7. Tract, in
Io., CI, 4, BA 74B, p. 393.
8. Ac 1, 6.
Mais en soutenant
l'interprétation de Chrysostome, il faut dire que le Seigneur appelle CE
JOUR-LÀ non seulement le jour de la Résurrection, mais aussi le jour où les
disciples devaient être enseignés par l'Esprit Saint - Mais quand il
viendra, lui, l’Esprit de venté, il vous enseignera la vérité tout entière2. Et ainsi, lorsqu'il parle de ce temps-là sans précision, il inclut
aussi la venue de l'Esprit Saint ; c'est comme s'il disait : EN CE
JOUR-LÀ, c'est-à-dire une fois l'Esprit Saint donné, vous ne m'interrogerez
pas, puisque vous saurez tout grâce à l'Esprit Saint - Son onction vous
enseigne sur tout3.
Pareillement, selon
le même auteur, EN CE JOUR de la venue de l'Esprit Saint, VOUS NE
M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-à-dire il n'y aura pour vous aucune
nécessité de m'interroger.
2138. Mais après la
Résurrection, les Apôtres n'ont-ils pas fait de prière au Christ ? On
verra que si, puisque l'Apôtre Paul dit : A ce sujet, trois fois j'ai
sollicité le Seigneur 4S c'est-à-dire le
Christ.
Voici la
réponse : on doit dire que dans le Christ il y avait une double
nature : une nature humaine, par laquelle il est médiateur entre Dieu
et les hommes5, et une nature divine, par laquelle il est
un seul Dieu avec le Père. Or, en tant qu'homme, le Christ n'était pas un
médiateur tel qu'il ne pourrait jamais nous unir à Dieu, comme les médiateurs
qui n'unissent jamais les extrêmes. Il nous unit donc au Père6. Or
l'union à Dieu le Père et l'union au Christ selon sa nature divine est la
même ; aussi dit-il : il ne sera plus nécessaire d'utiliser ma
médiation, en tant que je suis homme. Ainsi donc, EN CE JOUR-LÀ VOUS NE
M'INTERROGEREZ PLUS comme médiateur, parce que vous aurez par vous-mêmes accès
auprès de Dieu ; mais vous me solliciterez comme Dieu. Et quoique le
Christ intercède en notre faveur, comme le dit l'Apôtre Paul7,
l'Église toutefois ne le sollicite pas comme un intercesseur, et c'est pourquoi
nous ne disons pas : « Ô Christ, prie pour nous » ; mais
l'Église le sollicite en tant qu'il est Dieu, en adhérant à lui comme à Dieu,
par l'amour et la foi.
1. Jn 21, 21.
2. Jn 16, 13.
3. 1 Jn 2, 27.
4. 2 Co 12, 8.
5. 1 Tm 2, 5-6 : II n'y a qu'un Dieu ; il n'y a aussi
qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, Christ Jésus (c'est-à-dire
Jésus, Christ, comme homme) qui s'est donné pour le rachat de tous.
6. Cf. Somme théo1., III, q. 22, a. 1 et a. 3 ; le
sacerdoce du Christ est un sacerdoce qui réconcilie l'homme avec Dieu. Voir
aussi loc. cit., q. 26 sur la médiation du Christ, et ci-dessous, n°
2201 et note 5.
2139. Selon Augustin8, il
s'agit du jour de la vision de gloire, de la manière suivante : EN CE
JOUR-LÀ, quand je vous verrai dans la gloire, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR
RIEN, c'est-à-dire vous ne chercherez pas à obtenir quoi que ce soit, car il ne
restera rien à désirer, puisque dans la patrie tous les biens surabondent pour
nous - Tu m'empliras d'allégresse près de ta face9 ;
et encore : Je serai rassasié quand apparaîtra ta gloire 10. De
même, vous ne m'interrogerez sur rien, parce que vous serez comblés de la
connaissance de Dieu - Dans ta lumière nous verrons la lumière11.
7. Rm 8, 34 : Qui est-ce qui condamnera ? Le Christ
Jésus, qui est mort, ou plutôt qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu,
et qui intercède pour nous ?
8. Tract, in Io., CI, 6, BA
74B, p. 399.
9. Ps 15, 11.
10. Ps 16, 15.
11. Ps 35, 10. Sur la vision béatifique, voir Somme théol, I,
q. 12 (a. 2 et a. 5). Saint Thomas montre que l'intelligence de la créature
sera fortifiée de l'intérieur par une lumière, la lumière de gloire, remplaçant
la foi et lui permettant de voir toutes choses créées dans la lumière du Verbe
et par lui. L'intelligence ne connaîtra plus par le moyen des formes créées,
mais sera possédée, ravie par la lumière du Verbe lui-même qui la fera sortir
de son mode naturel de connaître. Elle sera ainsi déiforme et verra Dieu tel
qu'il est, par essence, sans intermédiaire, et par lui toutes choses. Cependant
cette connaissance de vision n'est pas une connaissance de compréhension,
connaissance qui appartient à Dieu seu1. L'intelligence du bienheureux reste
l'intelligence d'une créature, bien que possédée par une lumière supérieure.
Voir aussi ci-dessous n° 1854, note 10. Sur le mot lumen, et sur la
différence avec lux, voir vo1. I, n° 1145, note 5.
2140. À ces deux
interprétations d'Augustin on peut objecter que les saints prient dans la
patrie, selon ce passage du livre
de Job : Appelle donc, s'il y a quelqu'un pour te répondre, et
tourne-toi vers l'un des saints '. Et au second livre des Maccabées, il est
dit qu'une personne [du ciel] priait pour son peuple2. Et l'on ne peut pas dire qu'un saint prie
pour les autres et non pour lui-même, puisque l'Apocalypse dit : Jusques
à quand, Seigneur saint et véridique, ne juges-tu pas, et ne venges-tu pas
notre sang ?3
De même, les saints
interrogent. Car ils seront égaux aux anges, d'après Matthieu4 ;
or les anges interrogent, lorsqu'ils
disent : Qui est ce roi de gloire ?5 Et au livre d'Isaïe : Qui est-il donc, celui qui arrive
d'Édom ?6, c'est selon Denys7 la
voix des anges. Les saints interrogent donc, eux aussi.
Mais il y a une
double réponse à l'une et l'autre objection. La première, c'est que le temps de
la gloire peut être considéré de deux points de vue : selon le
commencement de la gloire, et selon sa consommation plénière. Or le temps du
commencement de la gloire va jusqu'au jour du jugement ; car quant à leur
âme, les saints ont reçu la gloire, mais ils attendent encore de recevoir
quelque chose : pour eux-mêmes, la gloire du corps, et pour les autres,
que soit complet le nombre des élus. C'est ainsi que jusqu'au jour du jugement
ils peuvent chercher à obtenir et interroger, mais cependant pas en ce qui
concerne l'essence de la béatitude. Quant au temps de la gloire pleinement
consommée, il vient après le jour du jugement ; après ce jour, il ne reste
rien à demander, et rien non plus à connaître, et c'est de ce jour que le
Seigneur dit : EN CE JOUR-LÀ, c'est-à-dire au jour de la gloire consommée,
vous ne chercherez plus à obtenir quoi que ce soit, vous n'interrogerez plus
sur rien.
1. Jb 5, 1.
2. 2 M 15,
12 : Voici ce qu'il avait vu : Onias (...), étendant les mains,
prier pour tout le peuple des Juifs.
3. Ap 6, 10.
4. Mt 22,
30 : A la résurrection (...) on est comme les anges de Dieu dans le
cie1. Saint Thomas commente : « Ils seront comme des anges, parce
qu'ils seront libres des passions. À présent l'homme a son intelligence liée à
ses sens, et en cela les anges le dépassent ; mais alors ce sera purifié.
C'est pourquoi ils seront comme des anges » (Sup. Matth. lect., XXII,
n° 1800).
5. Ps 23, 8.
6.1s 63, 1.
7. La
hiérarchie céleste, VII, 3, SC 58 bis, p. 113-115.
Quant à ce qui est
dit des anges, à savoir qu'ils interrogent, cela est vrai en ce qui concerne
les mystères de l'humanité et de l'Incarnation du Christ, mais non en ce qui
concerne sa divinité.
AMEN, AMEN, JE VOUS
LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE
DONNERA.
2141. Ici le
Seigneur leur promet qu'ils seront exaucés : il y a là une continuité avec
ce qui précède, continuité qui peut être comprise de deux manières. D'une
première manière, selon Chrysostome 8, cela se réfère au temps de la Résurrection
et à la venue de l'Esprit Saint. Comme s'il disait : II est vrai qu'EN CE
JOUR de la Résurrection et de l'Esprit Saint, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR
RIEN, et cependant vous aurez mon aide, parce que vous demanderez EN MON NOM,
AU PÈRE, auprès de qui vous aurez accès par moi.
D'une autre manière,
selon Augustin9 : EN CE JOUR-LÀ, celui de la gloire,
VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, mais en attendant, tant que vous vivez
ensemble le pèlerinage de la misère présente, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU
PÈRE (...) IL VOUS LE DONNERA. Et en ce sens, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU
PÈRE ne se réfère pas à CE JOUR-LÀ, mais à ce qui précède ce jour-là.
2142. Or le Seigneur
donne sept conditions d'une bonne prière10. La première, c'est de demander des biens spirituels, et cela lorsqu'il
dit : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE. Car ce qui est entièrement
terrestre, même si c'est en soi quelque chose, n'est rien comparativement aux
réalités spirituelles 1 - En comparaison de la sagesse, j'ai tenu les
richesses pour rien2. - J'ai regardé la terre, et voici qu'elle
était vide, une terre de néant3. Mais en Matthieu, le
Seigneur n'enseigne-t-il pas au contraire à demander des biens temporels - notre pain de chaque
jour* ? Mais il faut
dire que la demande d'un bien temporel, si elle se réfère à celle d'un bien
spirituel, est déjà QUELQUE CHOSE.
8. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428.
9. Tract, in Io., CI, 6, BA 74B, p. 399.
10. Sur la prière,
voir aussi ci-dessus, n" 1905 et ci-dessous, au chapitre 17, n° 2177, note
2 (mais tout le chapitre 17 expose la prière du Christ). Voir aussi le
commentaire du « Notre Père », in : Le Pater et l'Ave,
Nouvelles Éditions Latines (Col1. Docteur commun) 1967, Prologue,
I, n° 1, où saint Thomas donne cinq qualités requises pour toute prière :
la confiance, la droiture, l'ordre, la dévotion, l'humilité.
La deuxième
condition, c'est que la prière soit faite avec persévérance. Aussi le Seigneur
dit-il à ce propos : DEMANDEZ, sous-entendu, en persévérant - Il faut
prier toujours, et
ne jamais se décourager5 ; et : Priez sans cesse6.
La troisième
condition, c'est que la prière soit faite dans la concorde ; c'est
pourquoi le Seigneur parle au pluriel : SI VOUS DEMANDEZ - Si deux d'entre vous se mettent d'accord sur la
terre pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est
dans les deux7. Aussi est-il impossible,
selon la Glose de l'épître aux Romains, que la prière de beaucoup ne
soit pas exaucée8.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 2, BA 74B, p. 407.
2. Sg 7, 8. 3.Jr4, 23.
4. Mt 6, 11.
5. Lc 18, 1.
6. 1 Th 5, 17. Saint Thomas
commente : « Mais comment cela est-il possible ? Je
réponds : il faut dire que cela est possible de trois manières.
Premièrement, parce que celui-là prie toujours, qui ne manque pas les heures
fixées - on trouve une chose semblable au second livre de Samuel : Tu
mangeras toujours ton pain à ma table (2 S 9, 7). Deuxièmement : Priez
sans cesse, c'est-à-dire priez continuellement, mais alors la prière est prise
au sens de l'effet de la prière. En effet, la prière est l'interprétation ou
l'explication d'un désir, puisque quand je désire quelque chose, je le demande
en priant. C'est pourquoi la prière est la demande à Dieu de ce qui convient
et, pour cette raison, le désir a la force de la prière - Le Seigneur a
exaucé le désir des pauvres (Ps 68, 34). Donc tout ce que nous faisons
provient d'un désir. La prière demeure donc en puissance (in virtute) dans
le bien que nous faisons, puisque le bien que nous faisons provient d'un bon
désir. Comme le dit la Glose : "II ne cesse pas de prier, celui qui
ne cesse pas de faire le bien". Troisièmement, quant à la cause de la
prière, à savoir en faisant l'aumône. Et dans la vie des Pères on lit :
"Celui-là prie toujours, qui donne des aumônes, parce que celui qui reçoit
l'aumône prie pour toi, même quand tu dors"« (Ad 1 Thess. lect., V,
n° 130).
La quatrième
condition, c'est que la prière provienne d'un amour filial (ex filiali
affectu), quand il dit : AU PÈRE. Car celui qui demande par crainte,
ce n'est pas au père qu'il demande, mais au maître de maison ou à l'ennemi - Si
donc vous, mauvais que
vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre
Père qui est dans les deux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui les lui
demandent ?9
La cinquième
condition, c'est que la prière soit faite avec piété, c'est-à-dire avec humilité - II a regardé la prière des
humbles, et n'a pas méprisé leur supplication 10 -, avec la confiance d'être exaucé - Mais qu'il demande dans la foi, sans hésiter en rien 11 -et selon un ordre juste - Vous demandez, et vous ne recevez pas,
parce que vous demandez mal12. Et quant à cela le Seigneur dit : EN MON NOM, qui est le nom du
Sauveur13. C'est au nom du Sauveur que l'on demande ce
qui se rapporte au salut, et c'est de cette manière qu'on peut obtenir le salut - Il n'est pas sous le ciel
d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés 14.
La sixième
condition, c'est que la prière soit faite en temps opportun ; aussi le
Seigneur dit-il : IL VOUS LE DONNERA. Car si on ne reçoit pas, il ne faut
pas se décourager aussitôt : ce sera donné certainement, même si c'est
différé pour être donné au moment qui convient, afin que notre désir croisse davantage - Les yeux de tous
espèrent en toi, et toi, tu leur donnes la nourriture au moment opportun1.
7. Mt 18, 19.
8. Glossa ordinaria. Ad Rom., 15,
30, PL 114, co1. 517 C.
9. Mt 7, 11.
10. Ps 101, 18.
11. Je 1, 6.
12. Je 4, 3.
13. Cette condition ainsi que les deux suivantes sont tirées du
commentaire de saint Augustin (Tract, in Io., Cil, 1, BA 74B, p.
403-405).
14. Ac 4, 12.
La septième
condition, c'est qu'on demande pour soi ; c'est pourquoi le Seigneur
dit : IL VOUS LE DONNERA. Car parfois on n'est pas exaucé pour d'autres,
leur manque de mérite faisant obstacle - Toi donc, ne prie pas pour ce
peuple-là2. - Même si Moïse et Samuel se tenaient
devant moi, mon âme ne se tournerait pas vers ce peuple3.
II
JUSQU'À PRÉSENT VOUS
N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM ; DEMANDEZ, ET VOUS RECEVREZ, POUR QUE
VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE. (16, 24)
2143. Ici, le
Seigneur les exhorte à vivre dans la confiance qui leur a été donnée : il
rappelle d'abord leur défaillance passée, puis il les exhorte à progresser à
l'avenir [n° 2145].
JUSQU'À PRÉSENT VOUS
N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM.
2144. Leur
défaillance passée consiste à n'avoir rien demandé ; aussi dit-il :
JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM. Mais Matthieu et Luc
n'affirment-ils pas au contraire : Il
leur donna puissance sur tous les
démons, et pour guérir les maladies 4 ? Or cela, les disciples le faisaient
en priant : ils ont donc demandé quelque chose au nom du Christ, et
d'autant plus qu'ils disaient : Seigneur, en ton nom, même les démons
nous sont soumis !5
C'est pourquoi on
doit dire que la phrase peut s'expliquer de deux manières. Voici la première 6 :
JUSQU'À PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ, c'est-à-dire rien qui soit quelque
chose de grand, EN MON NOM. Car les demandes de guérisons corporelles sont peu
de chose en comparaison des grandes choses qui allaient se faire par la
prière ; et ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit d'adoption, par qui ils
aspireraient aux réalités spirituelles et célestes. Et si vous dites que
précédemment, ils ont demandé quelque chose de grand - Seigneur, montre-nous
le Père7 -, précisons qu'ils ne le demandaient pas au
Père, dont il est question ici ; mais, confiants seulement dans le
Christ homme, ils s'adressaient à lui comme médiateur, pour qu'il leur montre
le Père.
Il y a une autre
manière8 d'expliquer la phrase, du fait que le
Seigneur avait dit : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON
NOM ; c'est qu'auparavant, ils n'avaient pas demandé en ce nom, n'ayant
pas une parfaite connaissance du nom du Christ.
DEMANDEZ, ET VOUS
RECEVREZ, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE.
2145. Ici, suite à
ce qui précède, le Seigneur exhorte ses disciples à progresser à l'avenir,
c'est-à-dire à demander - Demandez et il vous sera donné9.
DEMANDEZ, dis-je, ET VOUS RECEVREZ, à savoir ce que vous demandez, pour que
votre joie soit complète - Les soixante-douze s'en retournèrent avec joie,
disant : Seigneur, en ton nom, même les démons nous sont soumis !10 Et
de cette manière, ce qu'il dit : POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE est
présenté comme la fin de l'exaucement. Ou bien cela peut être présenté comme la
réalité demandée, le sens étant alors : DEMANDEZ ET VOUS RECEVREZ :
et demandez, vous dis-je, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE.
1. Ps 144, 15.
2. Jr 7, 16 ; la suite du verset
est : ne profère en leur faveur ni louange nt supplication,
n'interviens pas auprès de moi, car je ne t'écouterai pas.
3. Jr 15, 1.
4. Le 9, 1.
5. Le 10, 17.
6. Cf. saint Augustin, Serm.
de Scr., 145, VI, PL 38, co1. 795.
7. Jn 14, 8.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 2, BA 74B, p. 407.
9. Mt 7, 7.
10. Lc 10, 17.
2146. Précisons ici
que l'objet de la joie, c'est le bien ardemment désiré. En effet, le désir
étant le mouvement de l'appétit vers le bien, et la joie son repos dans ce
bien, l'homme est dans la joie lorsqu'il se repose dans le bien désormais
possédé, vers lequel se portait son désir. Mais la joie est proportionnée au
bien possédé ; et un bien créé ne peut pas nous donner une joie plénière,
parce que le désir et l'appétit de l'homme ne s'y reposent pas pleinement.
Notre joie sera donc enfin plénière lorsque nous posséderons ce bien dans
lequel existent, d'une manière surabondante, tous les biens que nous pouvons
désirer. Et ce bien ne peut être que Dieu, lui qui comble de biens notre désir,
d'après le psaume1. Voilà pourquoi le Seigneur dit :
DEMANDEZ POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIÈRE, autrement dit, demandez de jouir de
Dieu et de la Trinité ; comme le dit Augustin2, il n'y a rien de plus grand - Tu
m'empliras d'allégresse près de ta face3. Et pourquoi cela ? Parce qu'en même
temps qu'elle - c'est-à-dire
la contemplation de la divine sagesse
- me sont venus tous les biens4.
La raison de
l'intimité promise avec le Père.
2147. Plus haut le
Seigneur a promis aux disciples l'accès intime auprès du Père ; il précise
maintenant la raison de cette familiarité. Or il y a deux choses qui donnent à
l'homme la confiance de faire une demande à quelqu'un et l'intimité [avec
lui] : ce sont la connaissance et l'amour. Aussi le Seigneur donne-t-il
cette double raison : la première est tirée de la claire connaissance du
Père ; la seconde, de son amour spécial [n° 2153].
I
CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES ; ELLE
VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, MAIS OÙ JE VOUS
PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE. (16, 25)
2148. Le Seigneur
rappelle d'abord la connaissance imparfaite que les disciples avaient du
Père ; puis il promet la connaissance parfaite.
C'est bien une
connaissance imparfaite qu'ils avaient ; aussi le Christ dit-il : CES
CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES5. À proprement parler, on appelle
« proverbe » ce qui est communément sur la bouche de tous ;
ainsi, c'est un proverbe qu'un jeune homme qui suit son chemin, même devenu
vieux, ne s'en écartera pas6. Mais parce que tout cela est parfois obscur et métaphorique,
« proverbe » est parfois pris pour « parabole », où autre
chose est ce qui est dit, autre chose ce qui est désigné. Et c'est ainsi que
« proverbe » est pris ici pour « parabole », c'est-à-dire
« expression parabolique ».
2149. La phrase peut
alors avoir quatre sens. En premier lieu, au sens littéral, elle se rapporte à
ce qu'il avait dit juste avant. On comprendra donc : Je vous ai dit que jusqu'à
présent vous n'avez nen demandé, et que vous demanderez en mon nom, et j'ai
parlé1 pour ainsi dire d'une manière obscure et EN PROVERBES. Mais ELLE
VIENT, L'HEURE où, ce que je vous ai dit obscurément, je vous le dirai
clairement ; aussi ajoute-t-il : Le Père lui-même vous aime2 et : Je suis sorti du Père3. C'est ainsi que les Apôtres semblent l'avoir compris car, après avoir
entendu cela du Seigneur, ils lui disent : Voici à présent que tu
parles ouvertement, et ne dis aucun proverbe*.
1. Ps 102,
5 : Lui qui rassasie de biens ton désir.
2. La Trinité, I,
vm, 18, BA 15, p. 135.
3. Ps 15, 11.
4. Sg7, 11.
5. Sur
l'expression in proverbiis (en grec : έν
παροιμίαις : « en
proverbes », « en paraboles », ou plus précisément, « en
discours énigmatiques »), voir Jn 10, 6 ; 16, 25 et 29 ; 2 Ρ
2, 22. Nous traduisons « proverbes » parce que Jean n'utilise jamais
le mot παραβολή, et parce que
παροιμία signifie premièrement
« proverbe » (voir, par exemple, le titre du livre des Proverbes).
Les proverbes étant souvent obscurs et métaphoriques, l'expression « en
proverbes » signifiera ici « en expressions paraboliques »,
« dans un enchevêtrement de paroles », « obscurément et par
énigmes » (n° 2151).
6. Pr 22, 6.
2150. Au second sens5, la
phrase CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES se réfère à tout ce
qu'on lit sur l'enseignement du Christ dans cet Évangile, tandis que
l'affirmation ELLE VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES,
MAIS OÙ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE se réfère au temps de la
gloire. En effet, c'est parce qu'à présent nous voyons dans un miroir et
en énigme, que ce qui nous est dit de Dieu nous est donné en proverbes.
Mais, parce que dans la patrie nous verrons face à face6, alors nous sera révélé clairement ce qui concerne le Père. Et s'il dit
DE MON PÈRE, c'est parce que personne ne peut voir le Père dans une telle
gloire si le Fils ne le manifeste - Personne ne connaît le Père sinon le
Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler7. Car le Fils est la lumière véritable8, par laquelle nous devenons capables de voir le Père - Moi je suis la
lumière du monde 9.
1. Il a semblé préférable de garder ici
le texte de l'édition Marietti, sans utiliser la correction de la
Léonine : « je n'ai pas parlé ».
2. Jn 16, 27.
3. Jn 16, 28.
4. Jn 16, 29.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil,
3, BA 74B, p. 409.
6. 1 Co 13,
12 : Car nous voyons à présent dans un miroir, d'une Manière obscure,
mais alors ce sera face à face. Voir vo1. I, n° 1548, note 4.
7. Mt
11, 27.
8. Jn 1, 9.
9. Jn 8, 12.
2151. Mais à cette
explication s'oppose ce qui suit : EN CE JOUR-LÀ VOUS DEMANDEREZ EN MON
NOM. Or nous n'allons rien demander en son nom s'il s'agit du jour de la
gloire, où notre désir sera comblé de biens 10. Aussi le texte a-t-il deux autres sens.
L'un, selon
Chrysostome11 : CES CHOSES-LÀ, c'est-à-dire celles
que je vous ai dites maintenant, c'est EN PROVERBES, c'est-à-dire dans un certain
enchevêtrement de paroles, que JE VOUS LES AI DITES, sans exprimer totalement
ce que vous devez connaître de moi et de mon Père, parce que j'ai encore
beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant12. Mais ELLE VIENT, L'HEURE, où je serai ressuscité des morts, OÙ JE NE
VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, c'est-à-dire obscurément et par énigmes, MAIS
OÙ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PÈRE. En effet, pendant les quarante
jours où il leur est apparu, il leur a enseigné de nombreux mystères, et leur a
révélé beaucoup de choses sur lui et son Père ; et comme désormais,
croyant fermement, par la foi en la Résurrection, qu'il est le Dieu véritable,
ils avaient été élevés à des réalités plus hautes, aussi est-il ajouté : Se
faisant voir d'eux pendant quarante jours et leur parlant du royaume de Dieu
(...)13 - II leur ouvrit l'esprit à l'intelligence
des Écritures14.
2152. L'autre sens
est, selon Augustin15, que le Seigneur, en disant : CES
CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES, promet qu'il fera d'eux des
hommes spirituels. Telle est en effet la différence qu'il y a entre l'homme
spirituel et l'homme naturel16 : l'homme naturel reçoit les paroles spirituelles comme des proverbes,
non pas qu'elles aient été dites de manière proverbiale mais parce que, son
esprit n'étant pas assez fort pour s'élever au-dessus des réalités corporelles,
elles lui sont obscures - L'homme
naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu1. L'homme spirituel, lui,
perçoit ce qui est spirituel comme étant spiritue1. Or les disciples, au
commencement, étaient comme des hommes naturels, et ce qui leur était dit était
obscur, comme des proverbes ; mais par la suite, une fois rendus
spirituels par le Christ et enseignés par l'Esprit Saint, ils saisissaient
ouvertement les réalités spirituelles. Voilà pourquoi le Seigneur dit :
CES CHOSES-LÀ, JE VOUS LES AI
DITES EN PROVERBES, autrement dit, elles furent pour vous comme des proverbes.
Mais ELLE VIENT, L'HEURE OÙ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES - Et nous tous
qui, le visage dévoilé, contemplons la gloire du Seigneur, nous sommes
transformés en cette même image, de gloire en gloire2,
comme de par l'Esprit du Seigneur3.
10. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil, 3, BA 74B, p. 411.
11. In Ioannem hom., LXXIX, 2, PG 59, co1. 428.
12. Jn 16, 12.
13. Ac 1, 3.
14. Lc 24, 45.
15. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 411-413.
16. Voir
ci-dessous, n° 2356, note 4.
II
EN CE JOUR-LA VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS
PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS ; CAR LE PERE LUI-MÊME VOUS AIME,
PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU.
JE SUIS SORTI DU PÈRE ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ; DE NOUVEAU JE QUITTE
LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE. (16, 26-28)
2153. Voici à présent
la deuxième raison d'avoir confiance, qui se prend de l'amour du Père pour les
disciples. Le Seigneur montre d'abord l'amour du Père pour eux ; puis
l'intimité que le Père a avec le Fils [n° 2160].
L'amour du Père pour
les disciples
Le Seigneur commence
par rappeler la promesse qu'il leur a faite ; puis il donne la raison de
cette promesse [n° 2157].
EN CE JOUR-LÀ VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS
PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS.
2154. Au sujet de sa
promesse, le Seigneur rappelle d'abord une chose qu'il avait promise. Puis il
fait quelque chose d'autre : il leur promet l'assurance pour demander. Il
dit donc : EN CE JOUR-LÀ, c'est-à-dire lorsque je vous parlerai
ouvertement du Père, VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, car connaissant alors clairement
le Père, vous saurez que moi je lui suis coessentiel et que, par moi, vous avez
accès auprès de lui. En effet, demander au nom du Christ, c'est espérer avoir
par lui accès au Père - Ceux-ci
invoquent leurs chars, ceux-là leurs chevaux ; mais nous, nous invoquerons
le nom du Seigneur notre Dieu4. Or ici le Christ cache qu'il va prier le Père pour eux ; aussi
dit-il : ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR VOUS.
2155. Mais est-ce
qu'il ne prie pas pour nous ? Si, au contraire : Nous avons un avocat
auprès du Père, Jésus Christ le juste3. - Il peut même sauver
définitivement ceux qui par lui s'approchent de Dieu6.
Et à ce sujet il
faut dire en premier lieu, selon Augustin7, qu'il dit cela pour exclure l'idée qu'il
serait dorénavant comme une personne qui intercède en tant qu'homme. Ainsi, en
ce jour-là, quand je vous parlerai ouvertement et que vous demanderez en mon
nom, vous connaîtrez que je suis un avec le Père, et que je ne suis pas
une personne qui intercède ; mais que, en tant que Dieu, sollicité1 avec le Père, j'exaucerai.
1. 1 Co 2, 14.
2. A claritate
in claritatem : sur le sens du mot claritas, voir vo1. I, n°
1278, notes 3 et 4.
3. 2 Co 3, 18.
4. Ps 19, 8.
5. 1 Jn 2, 1.
6. He 7, 25. Voir
ci-dessus, n" 1910, note 2.
7. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 415.
D'une autre manière,
selon Chry-sostome2, le Seigneur dit peut-être cela pour que les
disciples ne croient pas que, obtenant ce qu'ils demandent par le Fils, ils
n'aient donc pas accès immédiat auprès du Père. C'est comme s'il disait :
A présent, vous avez recours à moi, pour que j'intercède pour vous ; mais
alors, vous aurez une si grande confiance en le Père que vous-mêmes pourrez lui
demander en mon nom, sans avoir besoin qu'un autre vous introduise.
2156. Mais les
Apôtres n'ont-ils pas eu besoin du Christ homme pour intercéder ? Sinon,
même s'il intercédait pour eux, son intercession serait inutile.
Mais il faut dire
qu'il n'intercède pas pour eux comme s'ils étaient très loin et incapables
d'avoir accès [auprès du Père], mais en rendant leurs prières plus dignes
d'être exaucées.
CAR LE PÈRE LUI-MÊME VOUS AIME, PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ
AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. (16, 27)
2157. À présent, le
Seigneur précise la raison de sa promesse qui est cet amour du Père pour eux.
Il montre donc l'amour du Père, puis la preuve de cet amour [n° 2159].
CAR LE PÈRE LUI-MÊME VOUS AIME.
2158. Voici donc ce
que dit le Seigneur : JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PÈRE POUR
VOUS - car il semblerait alors qu'il ne vous aime pas - mais de toute manière
LE PÈRE LUI-MÊME, qui aime toutes choses, en voulant pour elles le bien de leur
nature - Tu aimes en effet tout ce qui est, et tu ne détestes nen de ce que
tu as fait3 -, VOUS AIME, vous les Apôtres et les saints, d'un amour privilégié, en
voulant pour vous le bien suprême, c'est-à-dire lui-même - Il a aimé les
peuples : tous les saints sont dans sa main4 : il vous a aimés pour cela - Les âmes des justes sont dans la main
de Dieu5.
PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE
SUIS SORTI DE DIEU.
2159. Le Christ en
donne une preuve à partir de deux choses : l'amour des disciples à son égard,
et leur foi en lui.
En ce qui concerne
l'amour des disciples à son égard, il dit : PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ
AIMÉ. Ce n'est certes pas une preuve par la cause, puisque, selon la première
épître de Jean, ce n'est pas que nous, nous ayons aimé Dieu ; mais c'est lui qui nous a aimés le
premier6. C'est en fait une preuve
par le signe, parce que le fait même que nous aimons Dieu est signe que
lui-même nous aime ; car le fait que nous puissions l'aimer provient d'un
don de Dieu7 - La
chanté de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été
donné8. - Celui qui m'aime sera aimé de mon Père9.
Quant à la foi, le
Seigneur dit : ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. En
effet, sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu1. Or la foi nous vient de l'amour de Dieu car c'est le don de Dieu2, et il n'y a de don qu'en
raison de l'amour de celui qui donne. Or croire et aimer le Christ en tant
qu'il est sorti de Dieu, c'est un signe suffisamment évident de l'amour de Dieu3, car
on aime encore plus ce par quoi toute chose existe. Si donc quelqu'un aime le
Christ, qui est sorti de Dieu, son amour retourne principalement à Dieu le
Père ; mais non pas s'il l'aime en tant qu'il est homme.
1. Interpellatus.
C'est le même verbe interpello que nous avons traduit ici par
« intercéder » et « solliciter ».
2. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, co1. 428,
développé par Théophylacte, Enarr. in Ev. S.
Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 222.
3. Sg 11, 25.
4. Dt 33, 3.
5. Sg3, 1.
6. 1 Jn 4, 10.
7. « Aimer Dieu est entièrement un don de Dieu. Lui qui nous
a aimés sans être aimé nous a donné de l'aimer » (saint Augustin, Tract, in Io., Cil, 5, BA 74B, p.
417).
8. Rm 5, 5. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce
verset, voir vo1. I, n° 1234, note 8.
9. Jn 14, 21.
La familiarité du
Père et du Fils
JE SUIS SORTI DU PÈRE ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ;
DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE.
2160. Parce que le
Christ a mentionné qu'il est sorti du Père, il en donne à présent une
explication plus manifeste, où il montre son intimité avec le Père : il
révèle d'abord qu'il est sorti d'auprès du Père, puis son retour vers le Père
[n° 2163].
2161. Or il y a une
double procession du Fils à partir du Père : l'une éternelle4,
l'autre temporelle [n° 2162]. Et il désigne la procession éternelle en
disant : JE SUIS SORTI DU PÈRE, ayant été engendré par lui éternellement.
JE SUIS SORTI DU
PÈRE.
Notons que tout ce
qui sort d'une réalité a d'abord été en elle. Or une chose est dans une autre
de trois manières : comme le contenu est dans le contenant, comme la
partie est dans le tout, ou comme l'accident est dans le sujet et l'effet dans la
cause, et selon cela on dira que certaines choses sortent d'autres choses. Mais
selon les deux premières manières, ce qui sort est une réalité qui est
numériquement identique, comme le vin qui sort du tonneau est le même quant au
nombre, et la partie qui sort du tout, identique ; tandis que, selon les
deux dernières manières citées, ce qui sort n'est pas une réalité numériquement
identique. Or cela, on ne doit pas le dire de Dieu : car puisque Dieu est
tout à fait simple, et qu'il n'est pas dans un lieu, si ce n'est
métaphoriquement, on ne peut pas dire que le Fils soit en lui comme une partie
ou comme un contenu, mais qu'il est en lui par unité d'essence - Moi et le
Père nous sommes un5. Car toute l'essence du Père est toute
l'essence du Fils, et réciproquement ; aussi le Fils n'est-il pas sorti du
Père à la manière de ce dont nous avons parlé. En effet, ce qui sort du tout
comme une partie en est distinct par l'essence, car la partie sortant du tout
devient un être en acte, elle qui était, dans le tout, un être en puissance. De
même, ce qui sort du tout qui le contient s'en distingue selon le lieu ;
mais le Fils ne sort pas du Père selon le lieu, puisqu'il emplit tout, selon le
passage de Jérémie : Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre ?6 II
n'en sort pas non plus par division, puisque le Père est impartageable ;
mais il sort de lui par distinction personnelle. Ainsi donc, par la sortie, en
tant qu'elle présuppose l'inhérence, on désigne l'unité d'essence ; et en
tant qu'elle suggère un certain processus, on désigne la distinction
personnelle - De l'extrémité du ciel, c'est-à-dire de Dieu le Père, il
sort1. Et encore : Du sein, avant l'aurore, je t'ai engendré*. Dans
les réalités corporelles, ce qui sort d'une chose n'est plus en elle, puisqu'il
en sort par séparation d'essence
ou de lieu. Tandis qu'ici, comme il ne s'agit pas d'une telle sortie, le Fils
est sorti de toute éternité du Père d'une manière telle que, cependant, il est
en lui de toute éternité ; et ainsi, quand il est en lui, il sort, et
quand il sort, il est en lui ; si bien qu'il sort toujours, et qu'il est
toujours en lui.
1. He 11, 6.
2. Ep 2, 8.
3. Cf. 1 Jn 4, 10-15.
4. Sur la procession éternelle du Fils à partir du Père dans le
mystère de la Très Sainte Trinité, voir ci-dessus n° 1911, note 7, et nos
2107 et 2115.
5. Jn 10, 30.
6. Jr 23, 24.
7. Ps 18, 7.
8. Ps 109, 3.
ET JE SUIS VENU DANS
LE MONDE.
2162. Ici, c'est la
procession temporelle que le Seigneur désigne. Or, de même que ce n'est pas
selon le lieu qu'il est sorti du Père de toute éternité, de même sa venue dans
le monde n'est pas non plus locale : car le Fils étant dans le Père et
réciproquement, de même que le Père emplit tout, de même aussi le Fils, et il
n'y a rien vers quoi il se meuve localement. On dit donc qu'il est venu dans le
monde en tant qu'il a assumé la nature humaine, quant à son corps qui tire son
origine du monde, mais non pas en changeant de lieu - Il est venu chez lui}
et les siens ne l'ont pas reçu 1.
DE NOUVEAU JE QUITTE
LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PÈRE.
2163. Ensuite le
Seigneur traite de son retour vers le Père. En premier lieu, il expose son
départ du monde : DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE, mais sans suspendre la
providence de son gouvernement, puisqu'en même temps que le Père il gouverne
toujours le monde et qu'il est toujours avec les fidèles par le secours de la
grâce - Voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la
consommation des siècles2. Il quitte donc le monde en se soustrayant au regard terrestre de ceux
qui sont du monde.
En second lieu, il
expose son retour vers le Père : JE VAIS VERS LE PÈRE, dont il ne s'était
jamais séparé. Et il va, en tant qu'il s'est offert au Père en sa Passion - Il s'est
offert lui-même à Dieu en hostie d'agréable odeur3. De même en tant que, par la Résurrection, il a été comme homme
configuré au Père dans l'immortalité - Mais vivant, c'est pour Dieu qu'il
vit4. Enfin en tant que dans l'Ascension il est monté aux cieux, en quoi il
resplendit spécialement de la gloire divine - Or donc le Seigneur Jésus, après
leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il siège à la droite de Dieu5 ;
et plus haut : Et maintenant je vais vers celui qui m'a
envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Où vas-tu ?6
1. Jn 1, 11.
2. Mt 28, 20.
3. Ep 5, 2.
4. Rm 6, 10.
5. Me 16, 19.
6. Jn 16, 5.
2164. Après avoir
exposé les raisons et les paroles données pour consoler les Apôtres,
l'Évangéliste montre leur effet sur les disciples : l'attitude des disciples,
d'abord, puis leur condition [n° 2169] ; enfin il précise l'intention avec
laquelle le Christ leur a parlé auparavant [n° 2173].
A. LA CONFESSION DES DISCIPLES
LES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI A PRÉSENT QUE TU
PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS AUCUN PROVERBE. NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS
TOUT, ET QUE TU N'AS PAS BESOIN QU'ON T'INTERROGE. EN CECI NOUS CROYONS QUE TU
ES SORTI DE DIEU. (16, 29-30)
Ici, l'attitude des
disciples est l'attitude de la confession et de la foi. Et dans ce passage, ils
confessent trois choses au sujet du Christ : la clarté de son enseignement
[n° 2165], la certitude de sa science [n° 2166], et son origine divine [n°
2168].
LES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI À PRÉSENT QUE TU
PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS AUCUN PROVERBE.
2165. Les disciples
confessent ainsi ce premier point. En effet, si l'on fait bien attention, on
trouvera difficilement un lieu de l'Écriture sainte où l'origine du Christ soit
exprimée comme ici quand il dit : Je vous parlerai ouvertement de mon Père1 et : Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde2. Et c'est pourquoi, croyant que cette promesse : Je vous parlerai ouvertement de mon Père s'est accomplie pour eux de telle sorte qu'ils n'ont pas besoin d'une
autre manifestation, les disciples disent : VOICI À PRÉSENT
QUE TU PARLES OUVERTEMENT. Mais, comme le dit Augustin3, les disciples étaient encore ignorants, au
point d'ignorer qu'ils ne comprenaient pas. Car le Seigneur ne leur avait pas
promis de parler sans proverbes à cette heure-là, mais à l'heure de la
Résurrection ou de la gloire. Cependant, en ce qui concerne les disciples, il
leur a alors parlé plus clairement, même s'il fallait encore attendre une autre
clarté de ses paroles - Moi j'ai parlé ouvertement au monde4.
NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT.
2166. Les disciples
confessent à présent le deuxième point. Les paroles, prises extérieurement,
sont la preuve évidente d'une science certaine et parfaite quand on manifeste
ce qu'on dit : en effet, le signe que quelqu'un sait, c'est qu'il est tout
à fait capable d'enseigner5 ; aussi le livre des Proverbes
affirme-t-il que l'enseignement est facile pour les hommes prudents6. Ce qui dépasse notre intelligence, en effet, nous ne l'expliquons pas
clairement avec des mots. Mais cependant, c'est avec une autre intention que
les Apôtres parlent ainsi, parce que le Seigneur sait tous les secrets de leur
cœur et éclaire leurs doutes : il les console en promettant la joie de
l'Esprit Saint, une nouvelle vision de lui et l'amour du Père1.
Aussi disent-ils : NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT, c'est-à-dire
tous les secrets des cœurs - Toi, tu sais tout2. -Avant d'être faites, toutes choses sont
connues du Seigneur notre Dieu3.
1. Jn 16, 25.
2. Jn 16, 28.
3. Tract, in Io., CUI, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 423.
4. Jn 18, 20.
5. Cf. Aristote, Métaphysique,
A, 1, 981 b 7-10 : « D'une manière générale, le signe qui
distingue celui qui sait de celui qui ne sait pas, c'est qu'il peut enseigner,
et c'est pourquoi nous pensons que l'art est plus science que
l'expérience : en effet les hommes d'art peuvent enseigner, tandis que les
autres [les hommes d'expérience] ne le peuvent pas ».
6. Pr 14, 6 :
Le railleur cherche la sagesse et ne la trouve pas : l'enseignement est
facile pour les hommes prudents.
ET QUE TU N'AS PAS
BESOIN QU'ON T'INTERROGE.
2167. Cela semble
contredire ce qui précède. Ils disent en effet que le Seigneur sait tout ;
or à celui qui sait, il appartient non pas d'interroger, mais d'être interrogé.
Comment donc n'a-t-il pas besoin qu'on l'interroge ?
Mais il faut
répondre que les disciples parlent ainsi pour indiquer qu'il sait même les
secrets des cœurs, puisque précédemment, lorsqu'ils se disaient entre
eux : Qu'est-ce qu'il
dit : encore un peu ?4, il leur avait donné satisfaction avant même leur interrogation. Néanmoins, le
Christ interroge et est interrogé, non pas que lui en ait besoin, mais nous.
EN CECI NOUS CROYONS QUE TU ES SORTI DE DIEU.
2168. Voilà le
troisième point que confessent les disciples, et certes cela convient, car
savoir toutes choses, même les secrets des cœurs, est propre à la divinité - Pervers est le cœur de l'homme
et insondable. Qui peut le pénétrer ? Moi, le Seigneur, je scrute le cœur
et je sonde les reins5. Voilà pourquoi ils disent : TU ES SORTI DE DIEU, consubstantiel au
Père, et vrai Dieu.
2169. À présent il
nous montre la condition des disciples, qui est une condition de
faiblesse : le Seigneur leur fait un reproche à propos de la lenteur de
leur foi, puis à propos de la tribulation à venir, imminente [n° 2171] ;
enfin il montre qu'il n'est atteint par aucun dommage venant de la part de ses
disciples [n° 2172].
JÉSUS LEUR RÉPONDIT : À PRÉSENT VOUS CROYEZ ? (16,
31)
2170. Cette phrase,
si elle est prise au sens interrogatif6, est un reproche concernant leur lenteur à
croire, comme s'il disait : Vous avez attendu jusqu'à maintenant pour
croire ? On lisait plus haut, au chapitre 14 : Depuis si longtemps je suis avec vous, et tu ne
me connais pas, Philippe ! (...) Ne crois-tu pas que moi, je suis dans le
Père, et que le Père est en moi ?7 Mais si la phrase est entendue avec une nuance d'indulgence8, le
Seigneur leur reproche l'instabilité de leur foi, comme s'il disait :
C'est vrai que maintenant, vous croyez ; mais lorsque je serai livré,
aussitôt vous m'abandonnerez - Ils
croient pour un temps et, au moment de la tentation, ils s'écartent1.
1. Sur cette triple promesse, voir ci-dessus, n° 2082.
2. Jn 21, 17.
3. Si 23, 29 [BJ 23, 20]. Au sujet de Dieu qui connaît les cœurs,
voir aussi 1 S 16, 7 ; 1 Ch 28, 9 ; Ps 7, 10 ; Jr 11, 20 ;
17, 10 et 20, 12 ; Ap 2, 23.
4. Jn 16, 18.
5. Jr 17, 9-10.
6. Cf. saint Bède le Vénérable, In S. Ioannis Εν. Εχρ., in h. loc, PL 92, co1. 868 C.
7. Jn 14, 9-10.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CUI, 3, ΒΑ 74Β, ρ. 431.
VOICI QU'ELLE VIENT, L'HEURE, ET ELLE EST DÉJÀ VENUE, OÙ
VOUS SEREZ DISPERSÉS, CHACUN DE SON CÔTÉ, ET VOUS ME LAISSEREZ SEU1. (16, 32)
2171. Ce qui est
présenté ici, c'est la tribulation et le scandale imminents [pour les
disciples]. Il faut savoir qu'à la menace d'un tel scandale, ils perdaient ce
qu'ils avaient acquis antérieurement grâce au Christ. En effet, ils avaient la
compagnie du Christ, sa possession, et le fait d'être déchargés des réalités
[du monde], ainsi que tout un mode de vie en commun. Aussi, ce sont ces trois
aspects que Pierre énumère, dans l'Évangile selon Matthieu, lorsqu'il
dit : Voici que nous, c'est-à-dire nous tous - voilà pour le
troisième point -, nous avons
tout laissé — pour le second
- et nous t'avons suivi2 - voilà pour le premier. Et c'est tout cela qu'ils perdirent ;
c'est pourquoi le Seigneur le leur a prédit, en disant : VOICI QU'ELLE
VIENT, L'HEURE, ET ELLE EST DÉJÀ VENUE, OÙ VOUS SEREZ DISPERSÉS - il s'agit là
du troisième point -en raison de la crainte qui vous dominera à tel point que
vous ne pourrez même pas fuir ensemble - Frappe le pasteur, et les brebis du
troupeau seront dispersées3.
CHACUN DE SON
CÔTÉ : il s'agit là du second point, c'est-à-dire le fait de posséder des
biens en propre. C'est pour cela que Pierre et les autres disciples sont
revenus au bateau et à leurs biens propres - Ils sortirent, et montèrent
dans le bateau4. ET VOUS ME LAISSEREZ SEUL :
il s'agit là du premier point - Mes
proches m'ont abandonné, et ceux qui m'ont connu m'ont oublié5. - Au pressoir j'ai foulé seul6.
ET CEPENDANT JE NE
SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE PÈRE EST AVEC MOI. (16, 32)
2172. Mais le Christ
ne souffre aucun dommage du scandale de ses disciples ; aussi
dit-il : ET CEPENDANT JE NE SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE PÈRE EST AVEC MOI.
Autrement dit : Même si par l'unité d'essence je suis un avec le
Père, par la distinction des personnes je ne suis pas seul ; c'est
pourquoi je ne suis pas sorti du Père de sorte que je me serais éloigné de lui7.
1. Lc 8, 13.
2. Mt 19, 27.
Saint Thomas commente : « Ce n'est pas le fait de tout quitter qui
fait la perfection, mais le fait de tout quitter et de suivre le Christ, parce
que beaucoup de philosophes ont tout quitté. Pierre avait laissé sa barque et
son filet. Cependant il est davantage loué en raison de son amour que pour ce
qu'il a laissé, parce qu'il a si bien renoncé à l'inclination de sa volonté
qu'il aurait encore abandonné tout le reste s'il avait eu autre chose. Cela
nous montre qu'il ne faut pas juger que ceux qui ont abandonné ce qu'ils
avaient ont laissé peu de chose, même s'ils avaient peu de chose. (...) On suit
Dieu de plusieurs manières, selon Jérôme. En esprit grâce à la contemplation - Connaissons
et suivons afin de connaître Dieu (Os 6, 3). Aussi ceux-là suivent Dieu qui
ont Dieu devant les yeux et ils connaissent Dieu par le moyen de la
contemplation. Ou encore, on suit Dieu par l'observation de ses commandements -
Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent (cf. Jn 10, 4 et 16).
Ou encore en imitant son œuvre - Mon pied a suivi ses traces (Jb 23,
11). Également par le mépris de soi et des siens - Si quelqu'un veut venir
derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive
(Mt 16, 24). Et encore, par la pureté de l'esprit et du cœur - Ceux-là,
ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges ; ceux-là
suivent l'Agneau partout où il va (Ap 14, 4). C'est la pauvreté volontaire
qui dispose à le suivre ainsi » (Sup. Matth. lect., XIX, nos
1607-1608).
3. Za 13, 7.
4. Jn 21, 3.
5.Jb 19, 14. Au
lieu de « Mes proches », saint Thomas disait : « Mes
frères », comme au verset 13 : II a éloigné de moi mes frères, et
les personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers. Saint
Thomas commente : « Ensuite, il en vient à la racine de l'espoir,
enlevée du côté du secours humain, montrant qu'il ne pouvait s'attendre à aucun
secours de ceux-là mêmes dont il était le plus considéré. Et il énumère d'abord
ceux qui n'habitent pas sous le même toit, en commençant par ses frères, et il
dit : il a éloigné de moi mes frères, de sorte qu'ils ne puissent
ou ne veuillent me porter secours. Ensuite, il cite ses amis intimes : les
personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers, ne
m'apportant aucune aide. Quant à ceux de sa parenté, ou proches de quelque
façon, il dit : mes proches m'ont abandonné, me laissant sans
secours. Quant à ceux avec lesquels il avait eu des relations, il dit : et
ceux qui m'ont connu, à savoir comme un ami intime dans le passé,
maintenant dans ma tribulation ils m'ont oublié, ne se souciant pas de
moi » (Exp. super lob, 19, 14, p. 114-115, 1. 126-141).
6. Is 63, 3.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CUI, 2, ΒΑ 74Β, ρ. 429.
C. L'INTENTION DU CHRIST DANS SON
ENSEIGNEMENT
2173. À présent le
Seigneur expose son intention par rapport à son enseignement : il montre
d'abord l'utilité de cet enseignement, puis sa nécessité [n° 2175].
JE VOUS AI DIT CES CHOSES, POUR QU'EN MOI VOUS AYEZ LA PAIX.
(16, 33)
2174. Le fruit de
l'enseignement du Seigneur, c'est la paix. Aussi affirme-t-il : Je vous le
dis, vous finirez par me laisser seul, et pour cela je vous offre mon
enseignement, afin que vous ne persistiez pas dans cet abandon ; oui, tout
ce dont je vous ai parlé dans cet entretien, ou bien dans tout l'Évangile, JE
VOUS [L']AI DIT pour que, revenant à moi, EN MOI VOUS AYEZ LA PAIX.
En effet, la fin de
l'Évangile, c'est la paix dans
le Christ - Paix en abondance pour ceux qui aiment ton nom1. En voici la raison : la paix du cœur
s'oppose au trouble qui provient des maux qui surviennent et s'accroissent.
Mais lorsqu'on a un chagrin ou une joie qui dépasse de beaucoup de tels maux,
il est évident que le trouble ne demeure pas. Voilà pourquoi les hommes qui
sont du monde, eux qui ne sont pas unis à Dieu par l'amour, ont des
tribulations sans paix, alors que les saints qui ont Dieu dans leur cœur par
l'amour, même si de la part du monde ils ont des tribulations, ont la paix dans
le Christ - Lui qui a
mis en paix ton territoire2. Telle doit être en effet
notre fin : que nous ayons la paix en Dieu - Mon âme refuse d'être consolée, à savoir dans les choses du monde, mais lorsque je me suis
souvenu de Dieu, je me suis réjoui3.
DANS LE MONDE VOUS
AUREZ DE L'AFFLICTION ; MAIS AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU LE
MONDE. (16, 33)
2175. La nécessité
de cette paix vient du tourment infligé par le monde ; aussi le Seigneur
dit-il : DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION. Il prédit d'abord l'angoisse
à venir ; puis, face à elle, il donne confiance.
Quant au premier
point, il dit : DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION, à savoir venant
de ceux qui sont du monde - Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous
hait4 ; et encore : Parce que (...) moi je vous ai choisis du milieu du
monde, pour cette raison-là le monde vous hait5.
Quant au deuxième
point, il dit : AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU LE MONDE. Car lui
nous libère - Tu m'as libéré de la détresse de ce feu qui m'entourait6. C'est comme s'il disait : Ayez recours à moi, et vous aurez la
paix, et cela parce que MOI J'AI VAINCU LE MONDE, qui vous oppresse.
2176. Le Christ a
vaincu le monde d'une première manière en lui retirant les armes avec
lesquelles il attaque et qui sont tout ce qui est objet de convoitise - Tout
ce qui est dans le monde est soit concupiscence des yeux, soit
concupiscence de la chair, soit orgueil de la vie7. C'est ainsi que le Christ a vaincu les richesses par la pauvreté - Moi,
je suis indigent et pauvre8. - Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa
tête 1. Il a vaincu l'honneur par l'humilité - Apprenez
de moi que je suis doux et humble de cœur2. Il a vaincu les plaisirs
par les souffrances et les labeurs – Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la
mort de la croix3. Et encore : Jésus, donc, fatigué de
la route, était assis à même la source4. - Je suis pauvre et je peine depuis ma
jeunesse5. Celui donc qui vainc ainsi ces concupiscences, vainc le monde ; et
c'est ce que réalise la foi - Telle
est la victoire qui vainc le monde : notre foi6. Car étant la substance des réalités à espérer7, qui sont les biens spirituels et éternels,
elle nous fait mépriser les biens terrestres et passagers.
1. Ps 118, 165. La
Vulgate dit « qui aiment ta loi ». Si saint Thomas dit « qui
aiment ton nom », c'est sans doute une réminiscence de Ps 5, 12 (Tu
auras ta demeure en eux et ils se glorifieront en toi, ceux qui aiment ton nom) ou de Ps 68, 37 {Ceux qui
aiment son nom y auront leur demeure, c'est-à-dire en Sion ou dans les
villes de Juda).
2. Ps 147, 14.
3. Ps 76, 3-4.
4. 1 Jn 3, 13.
5. Jn 15, 19.
6. Si 51, 4 et 6.
7. 1 Jn 2, 16.
8. Ps 85, 1.
La deuxième manière
dont le Seigneur a vaincu le monde, c'est en mettant dehors le prince du monde
- C'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors8. - Dépouillant les principautés et les
puissances, il les a résolument données en spectacle, en les entraînant aux
yeux de tous dans le cortège de son triomphe, triomphe qu'il a en lui-même9. De ce fait, il nous a présenté le diable comme celui qui devait être
vaincu par nous - Joueras-tu
avec lui comme avec un oiseau, ou l’ attacheras-tu pour tes servantes 10 ?
Au sens littéral, après la
Passion, les toutes jeunes servantes du Christ et les tout-petits se jouent du
diable.
1. Lc 9, 58.
2. Mt 11, 29. Voir vo1. I, n° 1124,
note 2.
3. Ph 2, 8.
4. Jn4, 6.
5. Ps 87, 16.
6. 1 Jn 5, 4.
7. He 11, 1.
8. Jn 12, 31.
La troisième manière
dont le Seigneur a vaincu, c'est en convertissant à lui les hommes de ce monde.
Par eux le monde se révoltait en fomentant des séditions, et le Christ les a
attirés à lui - Moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi11. - Voilà que tout le monde est parti à sa
suite12.
Ainsi donc nous ne
devons pas craindre les afflictions venant du monde, parce qu'il a été vaincu - Mais grâces soient à Dieu,
qui nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus Christ13.
9. Col 2, 15.
10. Jb 40, 24 [BJ40, 29],
11. Jn 12, 32.
12. Jn 12, 19.
13. 1 Co 15, 57.
Évangile selon saint Jean Chapitre XVII
1 Jésus parla ainsi ; puis, levant
les yeux au ciel, il dit : « Père, elle est venue l'heure ;
glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie ; 2 afin que, comme tu
lui as donné puissance sur toute chair, à tous ceux que tu lui as donnés, il
donne la vie éternelle. 3 Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent,
toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.4 Moi, je t'ai
glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donné à faire. 5
Et maintenant toi, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j'avais
auprès de toi avant que le monde fût.
6 J'ai manifesté ton nom aux hommes que
tu m'as donnés du milieu du monde ; ils étaient à toi, et tu me les as
donnés, et ils ont gardé ta parole. 7 Maintenant ils ont connu que tout ce que
tu m'as donné vient de toi ; 8 parce que les paroles que tu m'as données,
je les leur ai données ; et ils les ont reçues, et ils ont connu vraiment
que c'est de toi que je suis sorti, et ils ont cru que c'est toi qui m'as envoyé.
9 Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que
tu m'as donnés, parce qu'ils sont à toi. 10 Et tout ce qui est à moi est à toi,
et tout ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux.
11 Et déjà je ne suis plus dans le monde,
et eux sont dans le monde, et moi je viens vers toi. Père saint, garde en ton
nom ceux que tu m'as donnés, pour qu'ils soient un comme nous. 12 Quand j'étais
avec eux je les gardais en ton nom. Ceux que tu m'as donnés, je les ai gardés,
et aucun d'eux ne s'est perdu, hormis le fils de perdition, pour que l'Écriture
s'accomplisse. 13 Maintenant je viens vers toi ; et je dis ces choses dans
le monde pour qu'ils aient en eux-mêmes ma joie en plénitude.
14 Moi je leur ai donné ta parole, et le
monde les a eus en haine, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi-même je
ne suis pas du monde. 15 Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais
que tu les gardes du ma1. 16 Ils ne sont pas du monde, comme moi-même je ne
suis pas du monde. 17 Sanctifie-les dans la vérité. Ta parole est vérité. 18
Comme tu m'as envoyé dans le monde, ainsi moi aussi je les ai envoyés dans le
monde. 19 Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu'eux aussi soient
sanctifiés dans la vérité.
20 Ce n'est pas seulement pour eux que je
prie, mais aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi, 21 afin que
tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi
soient un en nous, afin que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé. 22 Et
moi, la gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée, afin qu'ils soient un
comme nous aussi sommes un. 23 Moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient
consommés dans l'unité, et que le monde connaisse que c'est toi qui m'as
envoyé, et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.
24 Père, ceux que tu m'as donnés, je veux
que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils voient la gloire que
tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. 25 Père
juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu, et ceux-ci ont connu
que c'est toi qui m'as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom, et je le
leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en
eux. »
2177. Précédemment,
le Seigneur a réconforté ses disciples par un exemple et une exhortation1.
Dans cette partie, il les réconforte par sa prière, dans laquelle il fait trois
choses. D'abord il prie pour lui-même, puis pour l'assemblée des disciples [n°
2193], enfin pour tout le peuple des croyants [n° 2232].
Concernant le
premier point, après avoir présenté sa demande il indique le fruit de sa
demande [n° 2182], et enfin le mérite grâce auquel elle sera exaucée [n° 2189].
JÉSUS PARLA AINSI ; PUIS, LEVANT LES YEUX AU CIEL, IL
DIT : « PÈRE, ELLE EST VENUE L'HEURE ; GLORIFIE TON FILS. »
(17, 1)
1. Il s'agit de l'exemple donné par Jésus dans le lavement des pieds au chapitre 13, et de son long
enseignement des chapitres 14, 15 et 16.
2. Dans la Somme théologique, saint Thomas aborde la prière
du Christ dans la perspective de la soumission au Père, parce que la nature humaine du Christ est créée. Il
s'agit donc d'une prière de demande face au Père, qui nous révèle les
profondeurs du cœur de Jésus. Voir
III, q. 21, où saint Thomas
montre qu'« il convient au Christ en
tant qu'homme, possédant une volonté humaine, de prier » (a. 1, c). Et il
ajoute : « dans sa nature humaine, de même qu'il possédait déjà
certains biens reçus du Père, de même il en attendait d'autres qu'il lui
restait à obtenir. C'est pourquoi, tandis que pour les biens déjà reçus il rendait grâces à son Père, reconnaissant
qu'il en était l'auteur, pour
les biens qu'il n'avait pas encore reçus, comme la gloire du corps et autres
choses du même genre, il les demandait à son Père, manifestant par là qu'ils
venaient de lui. En cela le Christ nous donnait l'exemple, afin que nous
rendions grâces pour les dons reçus et que nous demandions par la prière les
bienfaits que nous ne possédons pas encore » (a. 3, c). Saint Thomas
montre enfin que la prière du Christ fut toujours exaucée parce qu'« elle
était conforme à la volonté de Dieu » (a. 4, c). Et de même nos prières
sont toujours exaucées dans la mesure où elles sont conformes aux vouloirs
divins. Voir aussi ci-dessus, nos 1905, 2142, et ci-dessous plus
particulièrement nos 2205 à 2207. Sur la prière, voir aussi II—II, q. 83, a. 3, où la prière est
abordée comme un acte de la vertu de religion.
L'Évangéliste nous
montre ici l'ordre de la prière du Christ2, puis sa manière de prier [n° 2179] ;
enfin les paroles de sa prière [n° 2180].
JÉSUS PARLA AINSI.
2178. L'ordre de
cette prière est opportun, parce qu'elle vient après une exhortation. En cela
le Seigneur nous donne un exemple, afin que, ceux que nous instruisons par la
parole, nous les aidions par le suffrage de nos prières, parce que c'est quand
elle est soutenue par la prière où on implore le secours divin que la parole
divine a le plus grand effet dans le cœur de ceux qui l'écoutent - Frères,
priez aussi ensemble pour
nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de sa parole1. Aussi la fin de notre parole
doit-elle s'achever dans la prière divine
- L'accomplissement des paroles, c'est Lui en toutes choses2.
LEVANT LES YEUX AU CIEL
2179. La manière de
prier convient bien. Il y a en effet une différence entre la prière du Christ
et la nôtre : notre prière est seulement en vue d'une nécessité, alors que
la prière du Christ est davantage pour notre instruction ; il n'y avait en
effet pour lui aucune nécessité de prier, puisque c'est lui qui, avec le Père,
exauce ceux qui prient.
Et pour cela il nous
a instruits à la fois par la parole et par le geste. Par le geste, en LEVANT
LES YEUX, afin que nous aussi, dans notre prière, nous levions les yeux vers le ciel3 - Vers toi j'ai levé les yeux, vers toi
qui habites dans les deux 4. Et pas seulement les yeux, mais aussi tous nos actes, en les rapportant5 à Dieu - Levons nos cœurs avec nos mains
vers le Seigneur, dans les deux6.
IL DIT : « PÈRE, ELLE EST VENUE L'HEURE ;
GLORIFIE TON FILS. »
1. Col 4, 3.
2. Si 43, 29 (verset propre à la Vulgate).
3. Les saints nous donnent souvent l'exemple d'une prière fervente
qui saisit leur être tellement profondément que non seulement leur âme mais
aussi leur corps est saisi par la présence de Dieu. Saint Dominique est souvent
évoqué pour sa manière expressive de prier ainsi avec son corps. Ses neuf
manières de prier restent un exemple pour la vie de tous les chrétiens :
la prière des inclinations (voir Ps 94, 6 ; 2 Ch 20, 18...), la prière des
prostrations (voir Ps 118, 25...), la prière de la flagellation (voir 2 M 8,
2-3...), la prière du regard (voir Ps 120, 1-2 ; Ct 4, 9...), la prière
des mains (voir Ps 62, 5 ; 140, 2...), la prière des bras en croix (Ex 17,
11), la prière de supplication (voir Ps 141, 1...), la prière avec la parole de
Dieu (voir Ps 118, 42 ; 118, 105...), la prière du pèlerin (voir Ps 16,
5 ; 36, 23...).
4. Ps 122, 1.
5. Saint Thomas reprend ici l'expression du Ps 28, 2 : Rapportez
à Yahvé, fils de Dieu, rapportez à Yahvé gloire et puissance. Rapportez à Yahvé
la gloire de son nom. Cf. Ps 95, 7 ; Ps 113, 9 et 1 Ch 16, 28-29.
6. Lm 3, 41.
Il nous a instruits
par la parole aussi, car il a exprimé ouvertement sa prière. C'est pourquoi
l'Évangéliste dit IL DIT, c'est-à-dire pour instruire en priant ceux qu'il
avait instruits en les enseignant. Car ce sont non seulement les paroles du
Christ mais aussi ses actes qui nous instruisent7.
2180. Les paroles de
sa prière sont efficaces, et cette efficacité est causée par trois choses.
D'abord par l'amour de celui qui prie ; c'est en effet le Fils qui prie le
Père, lui à qui il appartient, en raison de son amour, de chercher le Père et
de le supplier. C'est pourquoi il dit PÈRE, pour nous faire comprendre que nous
devons prier Dieu avec un amour filial - Tu m'appelleras Père et sans cesse tu marcheras
à ma suite1.
7. Saint Thomas, véritable « apôtre de la vérité » (Paul vi, Lettre apostolique Lumen
Ecclesiae, 20 novembre 1974, n° 10), sait, en enseignant cette vérité, le
prix du témoignage humain et chrétien qui accompagne la prédication. Aussi
souligne-t-il ici l'exemple du Christ qui instruit ses disciples par sa prière.
C'est en le voyant prier qu'ils vont apprendre à prier et à entrer dans une
véritable adoration glorifiant le Père. Voir aussi Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation
divine, Dei Verbum, n° 2, Centurion, Paris 1977.
Deuxièmement, par la
nécessité de prier, et c'est pourquoi il dit : ELLE EST VENUE L'HEURE de
ma Passion, dont il est dit auparavant : Mon heure n'est pas encore
venue2. L'HEURE, dis-je, et non pas le moment, non pas le jour, parce qu'il
allait être arrêté aussitôt3. Non pas l'heure selon une nécessité fatale,
mais l'heure4 selon Tordre de sa sagesse et de son bon
plaisir. Et, comme il allait supplier, il convenait qu'il mît en avant ses
tribulations, parce que c'est surtout dans les tribulations que Dieu exauce5 - Dans les tourments j'ai crié vers le
Seigneur et il m'a exaucé6. - Puisque nous ignorons ce que nous devons faire, nous n'avons plus
qu'à diriger nos yeux vers toi1.
Troisièmement, par
le contenu de sa demande, et c'est pourquoi il dit : GLORIFIE TON FILS.
2181. Mais puisque
le Fils de Dieu est la Sagesse même8 et puisque cette sagesse a la plus grande
gloire - C'est une sagesse glorieuse qui jamais ne se ternit9 -, comment peut-on dire
que la gloire 10 est glorifiée, d'autant plus qu'il est
lui-même splendeur du
Père11 ?
1. Jr 3, 19.
2. Jn 2, 4.
3. Cf. saint Hilaire, La
Trinité, III, 10, 1-5, SC 443, p. 351.
4. Sur l'heure, voir ci-dessus, n° 2078, note 1.
5. Sur la prière du Christ à l'heure de sa Passion, voir Somme
théo1., III, q. 21, a. 4, ad 1, ou saint Thomas reprend ce que les Pères
ont dit sur la demande du Christ que la coupe passe loin de lui.
6. Ps 119, 1.
7. 2 Ch 20, 12.
8. Cf. 1 Co 1, 24. Saint Thomas commente ainsi le verset Pour ceux qui sont appelés, et Juifs et Grecs,
c'est un Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu : « II dit puissance et sagesse de
Dieu par une certaine appropriation. Puissance, certes, en tant que par lui le
Père fait tout - Par lui tout a été fait (Jn 1, 3). Et sagesse en tant
que le Verbe qui est le Fils n'est rien d'autre que la Sagesse engendrée ou
conçue ~ Moi je suis sortie
de la bouche du Très-Haut, première née avant toute créature (Si 24, 5 [propre
à la Vulgate]) » {Ad 1 Cor. lect., 1, n° 61). Sur l'appropriation,
voir Somme théo1., I, q. 39, a. 7, c. : « La manifestation des
personnes par leurs attributs essentiels est appelée
"appropriation". »
Il faut dire que le
Christ demandait à être glorifié par le Père de trois manières. A savoir dans
sa Passion, et cela par les nombreux miracles qui alors furent manifestés
lorsque le soleil s'obscurcit, que le rideau du Temple se déchira et que les
tombeaux s'ouvrirent. Et à ce sujet il est dit plus haut : Et je l'ai
glorifié, c'est-à-dire par les miracles, avant la Passion, et de nouveau
je le glorifierai12 - dans la Passion. C'est pourquoi il dit en ce sens :
Glorifie-moi, dans ma Passion, en montrant que je suis ton Fils : GLORIFIE
TON FILS. Aussi le centurion, à la vue de ces miracles, a-t-il dit : Celui-ci était vraiment le Fils
de Dieu13.
Le Christ demandait
à être glorifié par le Père aussi dans sa Résurrection. En effet, cette âme
sainte fut toujours conjointe à Dieu 14, ayant la gloire qui vient de la vision de Dieu - Nous avons vu sa gloire, gloire
qu'il tient de son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité15.
Car dès le début de sa conception il eut, quant à son âme, la gloire 16,
mais dans la Résurrection, il eut la splendeur de la gloire (gloriae
claritatem) du corps, dont il est dit : Il transfigurera notre corps de misère pour le configurer à son
corps de gloire 17.
Enfin, dans la
connaissance qu'auraient de lui tous les peuples - Grâce à elle [la sagesse], j'aurai la gloire parmi les foules18.
Et ainsi il
dit : GLORIFIE TON FILS, c'est-à-dire : manifeste au monde entier que je suis ton Fils1,c'est-à-dire ton propre Fils. Et cela de
naissance, non pas par création, contre Arius qui dit que le Fils de Dieu est
une créature ; en vérité et non pas par dénomination, contre Sabellius qui
dit que c'est le même qui est nommé Père et qui est nommé Fils ;
enfin par l'origine et non par adoption, contre Nestorius qui dit que le Christ
est Fils adoptif2.
9. Sg 6, 13 ; voir aussi 7, 25.
10. « Gloire » traduit ici claritas. Voir vo1. I,
n° 1278, notes 3 et 4.
11. Cf. He 1, 3. Cf. ci-dessus, n° 1662, note 2.
12. Jn 12, 28.
13. Mt 27, 54.
14. Même la mort du Christ n'a pas séparé l'âme du Verbe ; on
dit d'une part qu'il a été enseveli quant au corps, et d'autre part qu'il est
descendu aux enfers quant à l'âme, mais le Verbe est demeuré lié à l'un et à
l'autre. Voir Somme théo1., III, q. 50, a. 3.
15. Jn 1, 14.
16. Cf. Somme théo1., III, q. 10, a. 4.
17. Ph 3, 21.
18. Sg 8, 10.
2182. Ici est montré
le fruit de la glorification. D'abord il présente le fruit, ensuite il
l'explicite [n° 2184].
a)
Le Christ présente le fruit de sa demande.
AFIN QUE TON FILS TE GLORIFIE. (17, 1)
2183. Il faut savoir
qu'Arius, entendant le Seigneur dire GLORIFIE TON FILS, a conjecturé que le
Père est plus grand que le Fils, ce qui est vrai certes selon l'humanité - Le Père est plus grand que
moi3. Et c'est pourquoi, pour montrer son égalité avec le Père selon la
divinité, le Christ ajoute : AFIN QUE TON FILS TE GLORIFIE, à savoir dans la
connaissance des hommes. La gloire en effet est une connaissance lumineuse
accompagnée de louange4. Autrefois, en effet, Dieu était manifeste
chez les Juifs, parce qu'en Juda Dieu est connu5. Mais après cela, c'est par le Fils qu'il fut connu par le monde entier.
Mais les hommes saints eux aussi, par leurs bonnes œuvres, permettent une
connaissance de Dieu plus lumineuse - Qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre
Père qui est dans les deux6. - Moi, je ne cherche pas ma gloire :
II en est un qui la cherche, et qui juge7.
b)
Le Christ explicite le fruit de sa demande.
2184. Maintenant le
Christ explicite pour nous le fruit de sa demande et d'abord il expose le
bienfait conféré par lui aux hommes ; deuxièmement, il montre que ce
bienfait appartient à la gloire du Père [n° 2186].
1. Dans la Somme théologique, I, q. 33, q. 34 et q. 35,
saint Thomas met en lumière le mystère du Fils par ses trois noms : Fils,
Verbe et Image. Il expose comment le Fils se distingue du Père par la relation
de génération. Il est l'engendré du Père inengendré. Il s'agit donc bien d'une
génération et non d'une création. Voir aussi I, q. 27, a. 3 et q. 28. Dans le Contra
Gentiles, saint Thomas, face aux hérésies d'Arius, de Sabellius, de
Nestorius et d'autres, affirme que le Fils de Dieu est Dieu :
« L'Écriture nous enseigne donc ainsi que le Fils de Dieu, engendré par
Dieu, est bien Dieu. Et que Jésus Christ soit le Fils de Dieu, Pierre l'a
proclamé quand il a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt
16, 16). Il est tout ensemble Unique engendré et Dieu » (IV, 3), puis il
montre « comment il faut entendre la génération en Dieu » (IV, 11),
et « comment le Fils est appelé Sagesse de Dieu » (IV, 12).
2. Voir saint Hilaire, La
Trinité, III, 11, SC 443, p. 355.
3. Jn 14, 28.
4. Saint Thomas se réfère de nouveau à la définition de
Cicéron : « Gloria
est frequens de aliquo fama cum laude » (« La gloire est une réputation
élogieuse largement répandue », De inventione, II, 55, 166, trad.
G. Achard, p. 228). Voir ci-dessus, n° 1826 et note 1.
5. Ps 75, 2.
6. Mt 5, 16. Voir vo1. I, nos 116, 496 et 812.
7. Jn 8, 50.
Ι
AFIN QUE, COMME TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, À
TOUS CEUX QUE TU LUI AS DONNÉS, IL DONNE LA VIE ÉTERNELLE. (17, 2)
2185. Il faut savoir
en effet que l'intention de tout agent qui agit par un autre est d'amener son
effet à manifester sa cause : car par l'action d'un principe qui provient
d'un principe, est manifesté le principe lui-même. Or tout ce qu'a le Fils, il
le tient du Père1, aussi faut-il que par tout ce qu'il fait, il manifeste le Père, et
c'est pourquoi il dit : TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE sur tous les hommes.
Mais le Fils lui aussi, par cette puissance2, doit les conduire à la connaissance de toi,
connaissance qui est la vie éternelle.
Et c'est le sens
de : COMME TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, c'est-à-dire sur
tout homme - Et toute chair verra le salut de Dieu3. TU [LA] LUI AS DONNÉE, dis-je, selon Hilaire4, en lui donnant la nature divine par la
génération éternelle qui lui donne le pouvoir de contenir toutes choses - Tout
m'a été remis par mon Père5, et plus haut : Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il
fait6. Ou bien, TU [LA] LUI AS DONNÉE, au Christ dans son humanité, en tant
qu'elle participe à la personne de ton Fils, afin qu'ainsi la chair ait pouvoir
sur la chair - Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre7. - II lui a donné, au Fils de l'homme, la puissance et
l'honneur et le règne8.
1. Voir
ci-dessous, n° 1971, note 9.
2. Sur la
puissance du Christ, voir Somme théo1., III, q. 13, a. 1 et a. 2.
3. Le 3, 6. Saint
Luc cite Is 40, 5 en l'adaptant.
4. La Trinité, IX,
31, 24-29, SC 462, p. 79.
5. Mt 11, 27.
Saint Thomas cite souvent ce verset. Voir surtout vo1. I, nos 545 et
1414. Et il le commente ainsi : « En effet la manifestation se fait
par le Verbe - Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes (Jn 17, 6). Dieu,
personne ne l'a jamais vu (Jn 1, 18), mais lui le connaît. Il a donc pu le
manifester. Donc ce qu'il avait dit du Père, 1 » se l'attribue. En effet,
il avait dit : Tu as caché cela aux sages et tu l'as révélé aux petits (Mt
11, 25). De même aussi le Fils le peut, du fait qu'il a le même pouvoir » (Sup.
Matth. lect., XI, n° 966).
6. Jn 5, 20.
7. Mt 28, 18.
Saint Thomas commente : « Le pouvoir signifie un certain honneur
de présidence (...)· Or il est manifeste que le Christ, qui possédait de toute
éternité la royauté du monde comme Fils de Dieu, en reçut à partir de sa
Résurrection l'exécution, comme s'il disait : "Désormais je suis en
possession" - Puis le tribunal siégera, et on lui retirera sa domination pour qu'elle
soit détruite et anéantie jusqu'au bout. Et le royaume, la domination et la
grandeur des royaumes seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son
royaume est un royaume éternel, et tous les rois le serviront et lui obéiront (Dn 7, 26-27). Cela s'entend donc
d'une présidence actuelle, comme si le Fils était élevé à l'exercice d'un
pouvoir qu'il avait naturellement - Il est digne, l'Agneau qui a été immolé, de recevoir la
puissance et la divinité (Ap
5, 12) »> (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2461). Voir aussi vo1.
I, nos 760, 762, note 4 et 789, note 4.
Pour cette raison il
dit : TU LUI AS DONNÉ, afin que, de même que tu as un pouvoir tel que tu
ne reçois rien de l'homme, mais que c'est toi qui te donnes à lui, de même tu
te donnes au Christ homme, AFIN QUE (...) À TOUS CEUX QUE TU LUI AS DONNÉS par
la prédestination éternelle, IL DONNE, à ceux qui lui ont été ainsi donnés, LA
VIE ÉTERNELLE - Mes brebis
écoutent ma voix, et moi je les connais9.
II
2186. Mais la vie
éternelle donnée aux hommes appartient-elle à la gloire du Père ? Oui,
parce que LA VIE ÉTERNELLE, C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT, TOI, LE SEUL VRAI
DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, c'est-à-dire pour que le Père
soit glorifié dans la connaissance que les hommes ont de lui.
Mais ici il faut
préciser deux choses. D'abord ce qu'il dit : OR LA VIE ÉTERNELLE, C'EST
QU'ILS TE CONNAISSENT. À ce propos il faut savoir qu'à proprement parler, sont
dites vivantes les réalités qui se meuvent elles-mêmes en vue de leur
opération. En effet, toutes les réalités qui ne sont mues que par d'autres ne
sont pas dites vivantes, mais mortes. C'est pourquoi toutes les opérations vers
lesquelles le sujet se meut lui-même sont appelées opérations vitales ;
ainsi vouloir, connaître (intelligere), sentir, croître, se mouvoir...
8. Dn 7, 14.
9. Jn 10, 27.
On dit que quelque
chose « vit » de deux manières : ou bien parce qu'il possède en
puissance les opérations vitales et ainsi, quand il dort, on dit qu'il vit
selon la vie sensitive parce qu'il a la puissance de se mouvoir, bien qu'il ne
se meuve pas en acte ; ou bien parce que déjà il exerce en acte les
opérations vitales, et alors on dit qu'il vit quelque chose de manière parfaite
1 : c'est pourquoi le sommeil est une demi-vie.
Or, parmi les
opérations vitales, la plus élevée est celle de l'intelligence, qui est
l'intellection2, et c'est pourquoi l'opération de
l'intelligence est au plus haut point la vie. Or, de même que la sensation en
acte est semblable au sensible en acte, ainsi celui qui intellige en acte est
la chose intelligée en acte3. Donc, puisque l'intelligence est la vie et
qu'intelliger c'est vivre, il s'ensuit qu'intelliger une réalité éternelle est
la vie éternelle. Or Dieu est éternel, donc intelliger Dieu et le voir est une
vie éternelle.
Et c'est pourquoi le
Seigneur dit que la vie éternelle consiste principalement, selon toute sa
substance4, en une vision. Certes l'amour nous meut
vers elle et en est un certain achèvement : car de la joie causée par la
jouissance divine, que réalise la charité, naissent l'achèvement et la beauté
de la béatitude, mais sa substance consiste en une vision5 - Nous le verrons comme il est6.
1. Saint Thomas, à la suite d'Aristote, distingue les capacités
vitales et l'exercice de ces capacités, qui représente la perfection, l'acte du
vivant. Cette distinction permet à Aristote d'ordonner trois aspects : le sujet
matériel, capable, par exemple, de science, de santé ; la science, la
santé qui sont les qualités acquises par le sujet vivant ; et Y
exercice de la science, de la santé, qui manifeste le vivant parfait. Voir
surtout De Anima, II, 1, 412 a 9-11 ; 2, 414 a 4-14 et 5, 417 a
9-20.
2. Cf. Somme théo1., I, q. 18, a. 3.
3. Là aussi saint Thomas reprend la pensée d'Aristote. Voir De
Anima, III, 4, 429 a 10-429 b 10, où Aristote précise : « Si donc
le fait de penser est comme le fait de sentir, il est un certain pâtir par
l'intelligible ou quelque autre semblable ». Et il affirme à plusieurs
reprises : « C'est une même chose que la science en acte et son
objet » (op. cit., III, 5, 430 a 20-25 et 7, 431 a 1-2). Il l'avait
déjà affirmé de la sensation et du sensible : « La puissance sensible
pâtit en tant qu'elle n'est pas semblable à son objet ; quand elle a pâti
elle est devenue semblable et telle que son objet » (op. cit., II,
5, 418 a 5)·
4. Saint Thomas veut dire ici : la vie éternelle dans ce
qu'elle est essentiellement.
TOI, LE SEUL VRAI DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS
CHRIST. (17, 3)
2187. Il est manifeste
en effet que le Christ s'adressait à son Père. Et puisqu'il dit : TOI, LE
SEUL VRAI DIEU, il semblerait que seul Dieu le Père soit vrai Dieu. Ce que les
ariens acceptent, eux qui disent que le Fils diffère du Père par l'essence,
puisqu'il est une substance créée, mais que cependant parmi toutes les
créatures il participe davantage et plus parfaitement à la divinité du Père en
tant qu'il est appelé Dieu, mais non pas vrai Dieu, parce qu'il n'est pas Dieu
par nature, ce que seul le Père est.
Cependant Hilaire7
réfute cela. Il s'avère en effet que lorsque nous voulons savoir d'une réalité
si elle est vraie, nous pouvons le savoir en fonction de deux choses :
d'après sa nature et d'après sa puissance. En effet, est vrai l'or qui a la
vraie espèce de l'or, ce que nous constatons s'il fait l'œuvre de l'or vrai. Si
donc nous considérons, à propos du Fils, qu'il a la vraie nature de Dieu, et
cela parce qu'il réalise l'œuvre vraie de la divinité, il est manifeste qu'il
est vrai Dieu. Quant au fait que le Fils réalise les œuvres vraies de la
divinité, cela apparaît plus
haut : Tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait pareillement8. Et il dit de nouveau : De même que le Père a la vie en
lui-même, certes non pas participée, de même il a aussi donné au Fils
d'avoir la vie en lui-même9. - Pour que nous soyons en son vrai Fils Jésus Christ. Celui-ci est le vrai Dieu
et la vie éternelle 1.
5. Sur la vision béatifique, voir ci-dessus nos 1854 et
2139, et ci-dessous n° 2203.
6. 1 Jn 3, 2.
7. La Trinité, III, 14, 7-16, SC 443, p. 361 ; et V,
3, 15-19, SC 448, p. 153.
8. Jn 5, 19.
9. Jn 5, 26.
Or il dit TOI, LE
SEUL VRAI DIEU, selon Hilaire2, sans exclure quelque chose. C'est pourquoi
il ne dit pas de manière absolue TOI, LE SEUL, mais il ajoute : ET CELUI
QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, comme s'il disait : pour qu'ils
connaissent que toi, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ, êtes un seul et
vrai Dieu, selon cette expression : « Toi seul est le Très-Haut,
Jésus Christ, avec le Saint-Esprit3. » Dans sa prière le Christ ne parle
pas de l'Esprit Saint, parce que chaque fois que sont mentionnés le Père et le
Fils, et principalement en ce qui appartient à la majesté de la divinité,
l'Esprit Saint est inclus (cointelligitur), lui qui est le nœud des deux4.
2188. Ou bien, selon
Augustin5, il dit cela pour exclure l'erreur de ceux
qui affirment qu'il est faux de dire : Le Père est Dieu, le Fils est Dieu,
l'Esprit Saint est Dieu ; mais cela est vrai : Le Père, le Fils et
l'Esprit Saint sont un seul Dieu.
Et le raisonnement
de ceux-là était que, selon ce que dit l'Apôtre, le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu6. Or il est manifeste que
nul ne peut dire que quelqu'un est Dieu s'il n'a pas la puissance et la sagesse
divines. Et donc, puisque ceux-là voulaient que le Père fût la Sagesse, qui est
le Fils, ils disaient en outre que le Père sans le Fils ne serait pas considéré
comme Dieu ; donc, pour exclure cela il dit : C'EST QU'ILS TE
CONNAISSENT, TOI, LE SEUL VRAI DIEU, comme si le Père sans le Fils pouvait être
considéré comme Dieu, et de même le Fils et l'Esprit Saint. Et parce que dans
sa mission est signifiée l'Incarnation du Fils de Dieu, par le fait même qu'il
dit : ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, il nous est donné à
entendre que, dans la vie éternelle, nous nous réjouirons aussi de l'humanité
du Christ - Ils verront le
roi, le Christ, dans sa beauté7, et plus haut : Il entrera et trouvera des pâturages8.
MOI, JE T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ
L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE. ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS
DE TOI DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FÛT. (17, 4-5)
1. 1 Jn 5, 20.
2. Op. cit., IX, 34,1-7, SC 462, p. 83.
3. Saint Thomas fait ici allusion à la fin du Gloria de la
célébration eucharistique : « Toi seul es le Très-Haut, Jésus Christ,
avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. »
4. « C'est le même Esprit qui est Esprit du Père et du Fils.
Dès lors, en nommant le Père et
le Fils, on comprend aussi le Saint-Esprit,
puisqu'il est l'Esprit du Père et du Fils » (saint Augustin, Tract, in Io., IX, 7, ΒΑ
71, p. 521). « Car il est l'Esprit du Père et du Fils, étant la charité
substantielle et consubstantielle de l'un et de l'autre (amborum)* {op. cit., CV, 3, BA 75, p. 61). Voir
vo1. I, n° 357, n° 1004 et note 10, et n° 1156.
5. La Trinité, VI, IX, 10, BA 15, p. 493.
2189. Ici est exposé
le mérite grâce auquel sa demande sera exaucée. D'abord il rappelle ce mérite,
ensuite il demande la récompense [n° 2191].
MOI, JE T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ
L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE.
2190. Il rappelle ce
double mérite. D'abord celui de l'enseignement, en disant : MOI, JE T'AI
GLORIFIÉ en te faisant connaître aux hommes, en te manifestant par
l'enseignement - Par vos enseignements, glorifiez Dieu 1. Puis celui de l'obéissance, et là il dit : J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE.
6. 1 Co 1, 24. Voir ci-dessus n° 2181, note 8.
7. Is 33, 17.
8. Jn 10, 9.
Il utilise le passé
pour le futur. JE T'AI GLORIFIÉ, c'est-à-dire je te glorifierai, et J'AI
ACHEVÉ, c'est-à-dire je mènerai à son achèvement ; et cela parce que déjà
l'œuvre avait été commencée, et encore parce qu'était imminente l'heure de sa
Passion où cette œuvre fut achevée. L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉE, et non pas ce
que tu m'as « ordonné » : en effet il ne suffit pas pour le
Christ et pour nous d'être commandés divinement, parce que tout ce que le
Christ a fait en tant qu'homme, et ce que nous aussi pouvons faire, cela
provient d'un don de Dieu2 - J'ai
compris que je ne peux rien garder, si Dieu ne me le donne3. Il dit donc : L'ŒUVRE QUE TU M'AS DONNÉE, à moi, par le don de la
grâce4, pour que je la fasse, à savoir que je la mène à son achèvement – Il mettra tout son cœur à achever son
œuvre5.
ET MAINTENANT TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS DE TOI DE LA
GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FÛT.
2191. Mais, parce
que la récompense de l'obéissance et de l'enseignement du Christ est la gloire - Il s'est fait obéissant
jusqu'à la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi Dieu l'a exalté
et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom6 -, il demande cette récompense en disant : ET MAINTENANT TOI,
PÈRE, GLORIFIE-MOI. Il ne faut pas
comprendre, dit Augustin7, comme certains l'ont pensé, que dans le
Christ la nature humaine, une fois reçue par le Verbe, est changée en le Verbe,
et que l'homme est changé en Dieu8. Parce que ceci ne serait rien d'autre que
de réduire à rien la nature elle-même. En effet, tout ce qui est ainsi changé
en un autre, sans que ce en quoi il est changé soit augmenté, semble être
réduit à rien. Or, en ce qui concerne le Verbe divin, rien ne peut être
augmenté.
1. Is 24, 15
(propre à la Vulgate).
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CV, 4, BA 75, p. 65.
3. Sg 8, 21
(propre à la Vulgate).
4. Saint Thomas
met en lumière ce mystère de la grâce du Christ très précisément dans la Somme
théologique, III, q. 7 et q. 8. Une des raisons de la plénitude de la grâce
du Christ tient à l'œuvre qu'il devait accomplir : « En effet, l'âme
du Christ devait recevoir la grâce de manière à pouvoir en quelque sorte la
diffuser sur les autres. Et c'est pourquoi il fallait qu'elle ait la grâce la
plus grande » (III, q. 7, a. 9, c). C'est ce qu'il a repris plus haut,
vo1. I, n" 544, note 3, p. 252, et notes 1 et 2, p. 253.
5. Si 38, 31.
6. Ph 2, 8-9. Voir
vo1. I, n° 477 et n° 478, note 10.
Et c'est pourquoi,
selon Augustin9, il faut comprendre ET MAINTENANT TOI, PÈRE,
GLORIFIE-MOI de la prédestination du Christ homme 10. Car nous avons part11 à
la prédestination divine, et aussi à sa réalisation. Or le Christ Jésus comme
homme, comme aussi les autres hommes, fut prédestiné par Dieu le Père - II a
été prédestiné à être Fils de Dieu 12.
Et pour cette raison
il dit : ET MAINTENANT, c'est-à-dire maintenant que JE T'AI GLORIFIÉ et que J'AI ACHEVÉ L'ŒUVRE
QUE TU M'AS DONNÉ À FAIRE, TOI, PÈRE, GLORIFIE-MOI AUPRÈS DE TOI, c'est-à-dire
fais que je siège à ta droite 13, et cela DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS AUPRÈS DE
7. Tract, in
Io., CV, 6, BA 75, p. 71.
8. Saint Thomas,
dans son traité de l'Incarnation, montre que le Verbe de Dieu n'est pas changé
par le mystère de l'Incarnation. Ce serait impossible, Dieu ne change pas. Et
de même, la nature humaine n'est pas transformée, elle est assumée par le
mystère de la divinité. Après avoir montré les convenances de l'Incarnation {Somme
théol, III, q. 1) et après avoir souligné que « Dieu en assumant la
chair ne diminue pas sa majesté » (III, q. 1, a. 2, ad 3), saint Thomas
développe ensuite longuement ce mystère du Verbe incarné où l'union entre le
divin et l'humain dans le Christ se fait dans la personne et non dans la nature
(III, q. 2 à q. 6). Voir entre autres q. 2, a. 1, ad 3 : « On dit que
la nature divine s'incarne, parce qu'elle est unie à la chair dans la personne (personaliter) ;
elle n'est pas changée en une nature de chair. De même on dit que la chair est
déifiée non par conversion mais par union au Verbe, restant sauves ses
propriétés. On comprend que la chair a été déifiée parce qu'elle est devenue la
chair du Verbe de Dieu, non parce qu'elle est devenue Dieu ».
9. Tract, in
Io., CV, 8, BA 75, p. 75-77.
10. Sur la
prédestination qui regarde la personne et non la nature, voir Somme théo1., III,
q. 24, a. 1, ad 2.
11. Par la grâce,
nous devenons fils adoptifs dans le Christ. Cf. Rm 8, 29-30 ; Ep 1, 3-6.
12. Rm 1, 4. Pour
le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir vo1. I, n" 1461,
note 7.
13. Cf. Ps 109,
1 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite. Cf.
aussi Rm 8, 34 ; He 10, 12 ; 1 Ρ 3, 22.
TOI AVANT QUE LE
MONDE FÛT, c'est-à-dire dans ta prédestination1 - Le Seigneur Jésus est monté dans le
ciel et siège à la droite de Dieu2.
1. Sur la prédestination du Christ, voir Somme théologique, III,
q. 24, a. 1, c. : « La prédestination est au sens propre une
préordination divine éternelle touchant les réalités produites dans le temps
par la grâce de Dieu. Par la grâce d'union, Dieu a réalisé ceci dans le temps
que l'homme fût Dieu et que Dieu fût homme. On ne peut pas dire que Dieu n'a
pas ordonné de toute éternité cette réalisation dans le temps. Il s'ensuivrait
que, pour l'intelligence divine, quelque chose de nouveau pourrait arriver.
C'est pourquoi il faut dire que l'union des natures dans la personne du Christ
relève nécessairement de la prédestination éternelle de Dieu. Et c'est pour
cette raison qu'on dit que le Christ a été prédestiné ». Et, dans l'article
2, saint Thomas précise : « La prédestination est attribuée au Christ
uniquement en raison de sa nature humaine. D'une part celle-ci n'a pas toujours
été unie au Verbe, et d'autre part c'est par la grâce qu'elle a été unie
personnellement au Fils de Dieu. (...) D'où cette parole de saint
Augustin : "La nature humaine a été prédestinée à cette sublime et
souveraine assomption de telle manière qu'il ne puisse y en avoir pour elle de
plus haute". Par ailleurs ce qui convient à quelqu'un en raison de sa
nature humaine lui est attribué en tant qu'il est homme. Par conséquent on doit
dire que le Christ, en tant qu'homme, a été prédestiné à être Fils de
Dieu ».
2. Me 16, 19.
2192. On peut le
comprendre autrement, selon Hilaire3, car la gloire des hommes est une certaine
conformité à la gloire de Dieu, bien qu'inégale. Or le Christ en tant que Dieu
eut de toute éternité la gloire auprès du Père, c'est-à-dire la gloire divine,
et égale à celle du Père. Il demande donc ici d'être glorifié dans son
humanité, pour que ce qui dans le temps était chair, et transformé en
corruption, reçoive la gloire qui n'est pas dans le temps, la splendeur de la
gloire4. Cependant non pas une gloire
« égale » mais semblable, afin que, de même que de toute éternité il
fut immortel auprès du Père et siégeant avec lui à sa droite, de même, selon
qu'il a été fait homme mortel, il soit aussi exalté à la droite de Dieu.
3. La Trinité, III, 16, 25-31, SC 443, p. 364.
4. Voir ci-dessus n° 2181.
2193. Auparavant, le
Seigneur a prié pour lui ; ici il prie pour le groupe des Apôtres, et
d'abord il indique les raisons de sa prière, puis il donne le contenu de cette
prière [n° 2212].
À propos du premier
point, il fait deux choses. D'abord il mentionne les raisons quant à ses
disciples, puis quant à lui [n° 2205].
J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU
MILIEU DU MONDE ; ILS ÉTAIENT À TOI, ET TU ME LES AS DONNÉS, ET ILS ONT
GARDÉ TA PAROLE. (17, 6)
En ce qui concerne
les disciples, il donne trois raisons de prier pour eux : la première est
qu'ils ont été instruits par lui ; la deuxième, qu'ils lui ont été donnés
[n° 2196] ; et la troisième, qu'ils lui sont liés par l'obéissance
et une soumission aimante [n° 2197].
I
J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU
MILIEU DU MONDE.
2194. Il donne la
première raison en disant J'AI MANIFESTÉ, comme s'il disait, selon
Augustin 1 : afin que ton Fils te glorifie2. Et
certes, cette glorification a déjà été accomplie en partie parce que J'AI MANIFESTÉ
TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.
Ou bien, selon
Chrysostome3 : Je dis que j'ai achevé l'œuvre que
tu m'as donné à faire. Quelle œuvre ? Il l'ajoute : J'AI
MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES, ce qui est l'œuvre propre du Fils de Dieu, qui
est le Verbe, dont le propre est de manifester par sa parole - Nul ne
connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler4. - Personne n'a jamais vu Dieu ; le Fils
unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître5.
2195. Mais ici, il y
a un doute. Puisque Dieu le Père fut connu des hommes avant la venue du Christ,
selon le psaume - En Juda, Dieu est connu6 -, pourquoi dit-il : J'AI MANIFESTÉ TON
NOM ?
Je réponds : il
faut dire que le nom de Dieu Père pouvait être connu de trois manières. La
première, en tant qu'il est Créateur de tout. Et c'est de cette manière qu'il
était connu des Gentils - Les choses invisibles de Dieu sont
perçues par l'intelligence à
travers les œuvres qu'il a faites1 - Dieu le leur a révélé2.
1. Tract, in Io., CVI, 1, BA
75, p. 79.
2. Jn 17, 1.
3. In Ioannem hom., LXXXI, 1,
PG 59, co1. 438.
4. Mt 11, 27.
5. Jn 1, 18.
6. Ps 75, 2.
D'une autre manière,
en tant qu'il était le seul à qui devait être rendu le culte de latrie3 :
de cette manière il n'était pas connu des Gentils qui rendaient aussi aux
autres dieux un culte de latrie, mais seulement des Juifs qui seuls avaient
comme précepte dans leur Loi de n'immoler [des victimes] qu'à Dieu - Qui immole à d'autres dieux sera
tué, sauf au Seigneur seul4.
D'une troisième
manière, en tant que Père de son Fils unique Jésus Christ, et de cette manière
il n'était connu de personne ; mais il se fit connaître par son Fils quand
les Apôtres crurent qu'il était le Fils de Dieu5.
II
AUX HOMMES QUE TU
M'AS DONNES DU MILIEU DU MONDE
2196. En disant cela
il donne la deuxième raison. Et d'abord il traite du don, puis il en donne la
raison ou le mode6. Il dit donc : AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU
MONDE, à savoir ces hommes auxquels J'AI MANIFESTÉ TON NOM.
1. Rm 1, 20. Saint
Thomas commente : « II montre de quelle manière ils reçurent cette
connaissance. Il faut d'abord considérer quelles sont ces choses qu'ils connurent de Dieu. D'abord les choses
invisibles (invisibilia), par
où l'on entend l'essence de Dieu, qui ne peut être vue par nous, comme on l'a dit - Dieu, personne ne
l'a jamais vu (Jn 1, 18) par essence, en vivant une vie mortelle. - Au
roi des siècles, immortel, invisible (1 Tm 1, 17). Il dit au pluriel invisibles
parce que l'essence de Dieu
n'est pas connue de nous selon ce qu'elle
est, c'est-à-dire selon qu'en elle-même elle est une. Elle sera ainsi connue par nous dans la Patrie
et alors le Seigneur sera un et son nom sera un (Za 14, 9). Mais elle
est manifestée par des similitudes que nous
trouvons dans les créatures (...). Ensuite sa puissance, selon laquelle les
réalités procèdent de lui comme d'un principe - Grand est le Seigneur et
grande sa puissance (Ps 146, 5). (...) Enfin sa divinité, et sous cet
aspect ils connurent Dieu comme la fin ultime vers laquelle tendent toutes choses. (...) Les trois choses se rapportent aux trois modes de
connaissance dont nous avons parlé. Car
les choses invisibles de Dieu sont connues par voie de négation, sa
puissance éternelle par voie de causalité, sa divinité par voie
d'excellence » (Ad Rom. lect., I, n° 117). Voir aussi vo1. I, nos
116, 211 et 1548, note 4.
2. Rm 1, 19.
3. Le culte de
latrie est le culte de la vertu de religion dont l'acte principal est l'acte d'adoration. Le mot est d'origine grecque et
il sert à désigner la révérence
du serviteur à l'égard du Seigneur (cf. Somme théol, II-II, q. 81, a. 1, ad 3). « Mais
autre est la vénération que nous
portons à Dieu, qui appartient au culte de latrie, et autre la vénération due
aux créatures excellentes, qui appartient au culte de dulie » (loc. cit., q. 84, a. 1, ad 1). Au Christ cependant est dû le culte de latrie en tant que Verbe de
Dieu, et un culte de dulie à l’égard de
son humanité sainte (cf. op. cit., III, q. 25, a. 2, c).
4. Ex 22, 20
(propre à la Vulgate).
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVI, 4, BA 75, p. 87.
Mais le Fils ne les
a-t-il pas eus comme le Père aussi les a eus ? Oui, certes, en tant que
Dieu. Mais il dit : QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, à savoir à moi
en tant qu'homme, pour qu'ils m'écoutent et m'obéissent - Personne ne peut
venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire7. Or le fait que quelques-uns viennent au Christ provient d'un don et de
la grâce de Dieu - C'est par grâce que vous êtes sauvés, c'est un don de
Dieu 8.
QUE TU M'AS DONNÉS
DU MILIEU DU MONDE, dis-je, c'est-à-dire choisis dans le monde ; plus
haut : Parce que je vous ai choisis du milieu du monde9. Car même si tout le monde
était donné au Fils comme sa propriété, cependant les Apôtres, eux, ont été
donnés au Fils pour lui obéir.
ILS ÉTAIENT À TOI,
ET TU ME LES AS DONNÉS.
Il donne la raison
de ce don. Ils sont donnés parce qu'ILS ÉTAIENT À TOI, et aussi à moi, et
prédestinés selon la divinité de toute éternité, pour parvenir par la grâce à
la gloire future - Il nous
a choisis dans le Christ avant la fondation du monde10. ET
TU ME LES AS DONNÉS, c'est-à-dire ce à quoi dès l'origine tu les as prédestinés
avec moi et en moi1, tu l'as accompli par une œuvre, en faisant
qu'ils adhèrent à moi.
6. Saint Thomas va
donner plus loin la raison (ratio) de ce don en précisant son mode (modus),
qui correspond au passage de la prédestination éternelle à sa réalisation
dans le temps.
7. Jn 6, 44.
8. Ep 2, 8. Voir vo1. I, n° 918, note 1.
9. Jn 15, 19.
10. Ep 1,4. Saint Thomas
commente : « Il nous a choisis : il touche
ici le bienfait de l'élection, et celle-ci est mise en lumière parce qu'elle
est libre - Il nous a choisis en lui -, éternelle - avant la constitution
du monde -, parce qu'elle porte du fruit - pour que nous soyons saints
et immaculés dans son regard -, et qu'elle est gratuite - dans l'amour. Il
nous a bénis, non pas à cause de nos mérites mais par la grâce du Christ - Il nous
a choisis ~, et gratuitement en nous séparant du chaos de la
perdition, et il nous a prédestinés en lui, c'est-à-dire par le Christ - Vous
ne m'avez pas choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (Jn 15, 16). Et il
nous a choisis avant la fondation du monde, c'est-à-dire de toute éternité,
avant que nous ayons été faits - Alors qu'ils n'étaient pas encore nés,
qu'ils n'avaient fait ni bien, ni mal (Rm 9, 11).Il nous a choisis, dis-je,
non pas que nous étions saints, parce que nous ne l'étions pas, mais pour
que nous soyons saints par les vertus et immaculés, sans
défauts » (Ad Eph. lect., I, n° 8).
III
ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE. MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE
TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ VIENT DE TOI ; PARCE QUE LES PAROLES QUE TU M'AS
DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU
VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI, ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI
M'AS ENVOYÉ. (17, 6-8)
2197. Il donne la
troisième raison qui est la soumission aimante des disciples. D'abord il montre
cette soumission aimante à l'égard du Fils. Puis il montre qu'elle rejaillit en
gloire pour le Père [n° 2199]. Et en troisième lieu, il en donne la raison [n°
2200].
ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE.
2198. Il dit donc,
en ce qui concerne le premier point : ET TU ME LES AS DONNÉS parce qu'ILS
ÉTAIENT À TOI ; mais eux aussi ont agi avec amour parce qu'ILS ONT GARDÉ
TA PAROLE2 dans leur cœur par la foi et dans leurs
actes en l'accomplissant- Garde mes commandements afin de vivre3. - Si vous gardez mes commandements vous
demeurerez dans mon amour4.
1. Sur la prédestination des hommes dans le Christ, saint Thomas
dit : « On peut entendre par prédestination ce à quoi l'on est
prédestiné, c'est-à-dire le terme et l'effet de la prédestination. En ce sens,
la prédestination du Christ est l'exemplaire de la nôtre. Elle l'est tout
d'abord quant au bien auquel nous sommes prédestinés. Le Christ en effet a été
prédestiné à être Fils de Dieu par nature ; nous, nous sommes prédestinés
à être fils par adoption, ce qui est une certaine similitude participée de la
filiation naturelle - Ceux qu'il a distingués d'avance, il les a prédestinés à être conformes à
l'image de son Fils (Rm 8, 29). Elle l'est encore quant au mode d'acquisition de
ce bien, qui est une acquisition par grâce, ce qui est très manifeste dans le
Christ, car la nature humaine a été unie au Fils de Dieu sans aucun mérite
antécédent de sa part ; quant à nous, de la plénitude de sa grâce nous avons tous reçu (cf. Jn 1, 16) » (Somme théol, III,
q. 24, a.
3, c). Voir aussi loc. cit., a. 4, c. Sur le mystère de la
prédestination, voir aussi vo1. I, n° 938, note 1.
2. Sur le mystère de l'Église qui, à la suite de Marie et des
Apôtres, garde la parole de Dieu, voir vo1. I, Préface, p. 7 sq.
MAINTENANT ILS ONT
CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ VIENT DE TOI.
2199. Mais le fait
même qu'ils aient ainsi gardé la parole rejaillit pour ta gloire, Père. Car
telle est ma parole, parce que tout ce que j'ai, je le tiens de toi :
MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ, à savoir à ton Fils
comme homme, VIENT DE TOI - Nous avons vu la gloire qu'il tient du Père
comme Fils unique5, c'est-à-dire que nous l'avons vu comme celui qui tient tout du Père. Et
parce qu'ils ont reconnu cela, le Père est glorifié dans leur esprit.
PARCE QUE LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI
DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE
TOI QUE JE SUIS SORTI, ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2200. Ici il donne
la raison de cette glorification, du fait que l'obéissance des disciples à
l'égard du Fils rejaillit en gloire pour le Père. D'abord, il donne l'ordre
selon lequel les disciples sont connus par le Père. Puis, il présente l'ordre
selon lequel l'esprit des disciples est ramené vers le Père [n° 2202].
2201. Premièrement,
il le montre par le don de l'enseignement que nous a fait le Père. Et ce don
est double. Le premier est celui que le Père a donné au Fils, et c'est pourquoi
il dit : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES selon la génération éternelle,
dans laquelle le Père a donné ses paroles au Fils, bien que cependant le Fils
soit lui-même Verbe du Père1 De telles paroles ne sont rien d'autre que
l'intelligibilité de toutes les choses à venir que le Père, éternellement, a
toutes données au Fils en l'engendrant. Ou : TU M'AS DONNÉES, à savoir au
Christ homme, parce que son âme très sainte fut comblée dès l'instant même de
sa conception de toute la connaissance de la vérité - Plein de grâce et de
vérité2, c'est-à-dire de la connaissance de toute vérité. - En lui sont tous
les trésors de la sagesse et de la science3.
3. Pr 7, 2.
4. Jn 15, 10.
5. Jn 1, 14.
Le deuxième don est
celui que le Christ fait à ses disciples : LES PAROLES QUE TU M'AS
DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES en les enseignant intérieurement et
extérieurement - Toutes les choses que j'ai entendues de mon Père, je vous
les ai fait connaître4. En cela il se montre médiateur entre Dieu et les hommes5,
parce que ce qu'il a reçu de son Père, il le transmet à ses disciples - J'ai
été l'intermédiaire entre le Seigneur et vous en ce temps, pour vous annoncer
ses paroles6.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CVI, 7, BA 75, p. 99.
2. Jn 1, 14. Voir vo1. I, n° 188.
3. Col 2, 3. Saint Thomas commente ainsi ce verset :
« Tout ce qu'on peut savoir de Dieu, relevant de la sagesse, Dieu le connaît
totalement en lui-même avec abondance (...). Or tout ce qui est dans la sagesse
de Dieu est dans son Verbe unique, parce que par un seul acte simple
d'intelligence il connaît toutes choses, parce qu'en lui il n'y a pas de
science, ni en puissance ni en habitus. Et c'est pourquoi dans son Verbe sont tous les
trésors de la sagesse et de la science » {Ad Co1. lect., II, n° 81).
4. Jn 15, 15.
5. Cf. 1 Tm 2, 5. Voir Somme théo1., III, q. 26, où saint
Thomas précise ce mystère de la médiation du Christ en s'appuyant sur la
Tradition : « Le Christ, lui, a en commun avec Dieu la béatitude, et
avec l'homme la nature mortelle. Et c'est pourquoi "il s'est interposé
comme médiateur, afin que, ayant passé par la mort, il nous rendît immortels,
nous qui étions mortels, et il nous l'a montré dans sa Résurrection ; afin
encore de nous rendre bienheureux, nous qui étions misérables, lui qui n'a
jamais abandonné la béatitude" (saint Augustin, La cité de Dieu, IX).
Et c'est pourquoi "il est le bon médiateur, qui réconcilie les
ennemis" (ibid.) » (q. 26, a. 1, ad 2). « Le
Saint-Esprit, étant en tout égal à Dieu, ne peut être appelé intermédiaire ou
médiateur entre Dieu et les hommes. Cela appartient au Christ seul, qui tout en
étant égal au Père, cependant sous le rapport de l'humanité est moindre que le
Père [voir q. 20, a. 1]. Aussi, à propos de ce verset : le Christ est
médiateur (Ga 3, 20), nous lisons dans la Glose : "non pas le
Père et l'Esprit Saint". Et si l'on dit que l'Esprit Saint interpelle pour
nous, c'est en ce sens qu'il nous pousse à interpeller » (q. 26, a. 1, ad
3).
6. Dt 5, 5.
ET ILS LES ONT
REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI. (17, 8)
2202. Il montre
ensuite le retour de l'esprit des disciples vers Dieu en disant : ET ILS
LES ONT REÇUES. Il y a là un double accueil correspondant au double don dont
nous avons parlé. Le premier accueil répond au deuxième don : ET ILS LES
ONT REÇUES de moi, sans être rebelles - Le Seigneur a ouvert mon oreille et
moi je ne contredis pas7. - Quiconque s'est mis à l'écoute du Père et
à son école vient à moi8. Et en les recevant, ILS ONT CONNU que c'est toi qui m'as donné toutes
choses, ce qui répond au premier don.
ET ILS ONT CRU QUE
C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2203. Ces paroles,
selon Augustin9, explicitent le développement de celles qui
précèdent. En effet il existe une double connaissance des choses divines :
l'une parfaite qui est celle de la gloire par la pleine vision, l'autre,
imparfaite, qui est la connaissance de celui qui chemine dans la foi10 - Nous
voyons à présent dans un miroir, par énigme (c'est la seconde
connaissance), mais alors ce sera face à face11 (c'est la première).
ET ILS ONT CONNU
VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI. Mais de quelle connaissance ?
celle de la Patrie ? Non, mais celle de la foi. C'est pourquoi il ajoute
ET ILS ONT CRU, comme si c'était la même chose de connaître et de croire. ILS
ONT CRU, dis-je, vraiment, c'est-à-dire avec fermeté et stabilité - Maintenant
vous croyez ?1 c'est-à-dire avec stabilité. Voici que l'heure est venue2, puisque vous croyez d'une manière parfaite. Et il utilise le passé pour
parler du futur, d'une part en raison de la certitude de la réalité à venir,
d'autre part en raison de l'infaillibilité de la prédestination divine.
7. Is 50, 5. Voir vo1. I, nos 946 et 1197.
8. Jn 6, 45.
9. Tract, in Io., CVI, 6, BA
75, p. 95-97.
10. Cf. Somme théo1., I, q.
12. Voir
ci-dessus n° 2139, note 11, à propos de la connaissance de la vision qui
remplace la connaissance de la foi.
11.1 Co 13, 12. Voir vo1. I, nos 208 sq. Voir aussi Somme
théo1., 1, q. 12, a. 7.
Ou encore, selon
Chrysostome, il parle de ce qui est passé3. Et il dit que ces choses sont arrivées
parce qu'elles étaient déjà commencées. Il faut donc dire, pour être en accord
avec l'un et l'autre sens, qu'elles étaient déjà toutes commencées mais
qu'elles devaient maintenant être achevées. Donc en tant que cela appartient au
commencement, il parle de ce qui est passé ; mais en tant que cela relève
de l'achèvement, il parle du futur, des choses qui devaient se faire par la
venue de l'Esprit Saint.
2204. Mais que
crurent-ils ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ - Dieu a envoyé son Fils 4 -,
ce qui selon Augustin5 est la même chose que : C'EST DE TOI
QUE JE SUIS SORTI. Mais cela va contre ce que dit Hilaire6 car
selon lui, comme on l'a dit, « sortir » relève de la génération
éternelle, alors qu'« être envoyé » relève de l'Incarnation.
Mais il faut dire
que nous pouvons parler du Christ de deux manières : selon sa divinité, et
ainsi, pour le Fils de Dieu, autre chose est de sortir, autre chose d'être
envoyé, comme le dit Hilaire ; ou bien selon son humanité, et ainsi, pour
le Fils de l'homme, c'est la même chose de sortir et d'être envoyé, comme le
dit Augustin.
b)
Quant à lui.
MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE,
MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT À TOI. ET TOUT CE QUI EST
À MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI ; ET JE SUIS GLORIFIÉ
EN EUX. ET DÉJÀ JE NE SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE MONDE, ET
MOI JE VIENS VERS TOI. (17, 9-11)
2205. À présent sont
exposées, du point de vue du Christ, les raisons de sa prière7. Il
donne pour cela trois raisons.
2206. La première se
prend du pouvoir qu'il avait reçu sur eux, et c'est pour cela qu'il dit :
MOI JE PRIE POUR EUX - à savoir les disciples. D'abord il donne la raison
elle-même, puis il l'explicite.
MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE,
MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT À TOI.
1. Jn 16, 31.
2. Jn 16, 32.
3. In Ioannem hom., LXXXI, 1,
PG 59, co1. 438.
4. Ga 4, 4. Voir le commentaire que saint Thomas fait de ce
verset : vo1. I, n° 1555, note 3.
5. Tract, in Io., CVI, 6, BA 75, p. 95.
6. La Trinité, VI, 30, 22-29 ; 31, 9-22 ; 34,
1-26, SC 448, p. 231-233 ; 235 ; 239-241.
7. Voir ci-dessus, n° 2177, note 2.
La raison pour
laquelle une personne doit être écoutée et doit prier pour d'autres est si
celles-là lui appartiennent de manière spéciale. Les prières générales, en
effet, sont moins exaucées. Et c'est pourquoi il dit : MOI JE PRIE POUR
EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, c'est-à-dire pour ceux qui aiment le monde1, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS comme
disciples et qui m'obéissent de manière spéciale, bien que toutes choses soient
à moi selon ma puissance - Demande-moi
et je te donnerai les nations en héritage2.
2207. Objection : il semble que le Christ a prié pour tous - Nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ le juste ; c'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier3. - Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité4.
Je réponds : il
faut dire que le Christ, en ce qui le concerne, a prié pour tous, parce que sa
prière, en elle-même, a une efficacité telle qu'elle vaut pour le monde
entier ; cependant tous n'en reçoivent pas l'effet, si ce n'est les saints
et les élus de Dieu : et cela à cause des choses du monde qui y font
obstacle.
ET TOUT CE QUI EST À
MOI EST À TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI.
2208. Et il
explicite cette raison en disant : ils étaient à toi5, à savoir par la prédestination éternelle. Mais ils n'étaient pas au
Père sans être au Fils, et ils ne sont pas non plus donnés au Fils en étant
retirés au Père. C'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUI EST À MOI EST À
TOI, ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI, ce par quoi nous est montrée l'égalité
du Fils au Père, lui qui, selon qu'il est Dieu, a de toute éternité tout ce que
le Père a6.
1. Voir ci-dessus, n° 2032 et note 4.
2. Ps 2, 8. Voir vo1. I, n° 1417 et note 4.
3. 1 Jn 2, 1-2.
4. 1 Tm 2, 4.
5. Jn 17, 6.
6. Saint Augustin (Tract, in Io., CVII, 2, BA 75, p.
103-105) profite de
l'affirmation de la « commune possession » de toutes choses par le Père et le Fils, et du
rapprochement avec Jn 16, 14, qui étend le rapport commun de l'un et de l'autre à l'égard de
l'Esprit Saint, pour revenir sur
la foi en la divinité du Fils et en son aequalitas avec le Père ; saint Thomas
reprend cela ici et dans le paragraphe suivant.
2209. Mais il faut
remarquer que le Père possède les choses qui appartiennent à son essence comme
la sagesse, la bonté et autres, qui ne sont rien d'autre que sa propre essence,
et cela le Fils affirme qu'il les possède quand il parle de la procession de
l'Esprit Saint : C'est de mon bien qu'il recevra et il vous l'annoncera7 ;
et cela parce que Tout ce qu'a le Père est à moi8. Et il dit « tout » parce que, bien qu'il n'y ait qu'une chose
en réalité, cependant selon la raison il y en a beaucoup.
Deuxièmement, le Père
a ce qui relève de la possession de la sainteté et qui lui est consacré par la
foi, comme le sont tous les saints et les élus au sujet desquels il dit plus
haut : Ils étaient à toi9. Et toutes ces choses aussi, le Fils affirme qu'il les possède lorsqu'il
dit à présent en parlant d'elles : ET TOUT CE QUI EST À TOI EST À MOI,
c'est-à-dire parce qu'ils ont été prédestinés pour jouir du Fils, comme aussi
du Père.
Troisièmement, le
Père a par mode de possession toutes les réalités créées - Au Seigneur la terre et sa plénitude10. Et
toutes ces choses sont au Fils,
comme on le voit dans la parabole du fils prodigue où le Père dit à son fils aîné : Tout ce qui est
à moi est à toi11.
II
2210. La seconde
raison se prend de la gloire que le Christ avait en eux, et pour cela il
dit : ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX, parce qu'ils connaissaient déjà en
partie sa gloire et ils allaient la connaître encore davantage - Ce n'est pas en suivant des
fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et la
venue de Notre-Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été faits témoins
oculaires de sa majesté 1.
7. Jn 16, 14.
8. Jn 16, 15.
9. Jn 17, 6.
10. Ps 23, 1.
11. Le 15, 31.
III
ET DÉJÀ JE NE SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE
MONDE, ET MOI JE VIENS VERS TOI.
2211. La troisième
raison est liée à l'absence où il les laissait en les quittant selon son corps2. Là
il faut savoir qu'on dit de deux manières que quelque chose est dans le
monde : à savoir en s'attachant au monde affectivement - Tout ce qui
est dans le monde est
concupiscence de la chair et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie3.
Mais en ce sens il ne faut pas
dire que le Christ n'est plus dans le monde, puisqu'il n'a jamais été dans le
monde en s'y attachant affectivement. Mais il faut le comprendre selon un autre
sens, c'est-à-dire que désormais il ne serait plus présent dans le monde par
son corps, parce qu'arrivait le moment où, lui qui avait été dans le monde
selon son corps, allait le quitter corporellement. ET EUX - c'est-à-dire ses
disciples -SONT DANS LE MONDE, c'est-à-dire par leur corps ; ET MOI JE
VIENS VERS TOI, selon que je suis homme, pour participer à ta gloire et être
élevé jusqu'à ta droite. Et c'est pourquoi il est juste que je prie pour eux
que je vais bientôt quitter corporellement.
2212. Après avoir
donné les raisons pour lesquelles Jésus prie pour ses Apôtres, l'Évangéliste
expose ici les demandes qu'il adresse pour eux. Premièrement il demande qu'ils
soient gardés du mal, deuxièmement il demande leur sanctification dans le bien
[n° 2228].
a) Il
demande que ses disciples soient gardés.
Concernant le
premier point, d'abord il demande que ses disciples soient gardés, puis il en
montre la nécessité [n° 2215].
I
PÈRE SAINT, GARDE EN TON NOM CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, POUR
QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS. (17, 11)
2213. Concernant le
premier point, il faut considérer celui auquel il demande, puis ce qu'il
demande, enfin pour qui et en vue de quoi il demande.
1. 2 P 1, 16.
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVII, 4, BA 75, p. 107-109.
3. 1 Jn 2, 16.
PÈRE SAINT
C'est au Père qu'il
demande. C'est pourquoi il dit : PÈRE, et à juste titre parce que c'est
lui qui est le principe [la source] de tout bien - Tout don excellent, toute
donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières4. Mais il ajoute SAINT,
parce que c'est aussi en lui que résident le principe [la source] et l'origine
de toute sainteté, et parce qu'ultimement c'est la sainteté qu'il demandait - Vous
serez saints parce que moi, votre Seigneur Dieu, je suis saint1. - Nul n'est saint comme le Seigneur2.
4. Je 1, 17.
GARDE EN TON NOM
II demande qu'ils
soient gardés. C'est pourquoi il dit : GARDE, parce que selon le
psaume : Si le Seigneur ne garde pas la cité, il veille en vain celui
qui la garde3. En effet notre bien ne consiste pas
seulement en ce que nous tenons de Dieu l'être : il faut aussi que nous
soyons gardés4 par lui. Parce que, comme le dit Grégoire5,
« toutes choses seraient ramenées au néant si la main du Tout-Puissant ne
les tenait » - Celui qui porte tout par la puissance de sa parole0. Et c'est pourquoi le psalmiste implorait : Garde-moi, Seigneur,
parce que j'ai espéré en toi1. Or l'homme est gardé du mal et du péché dans le nom de Dieu. C'est
pourquoi il dit : EN TON NOM, c'est-à-dire par la puissance de ton nom et
de ta connaissance, parce qu'en lui sont la gloire et notre salut - Ceux-ci
se confient dans les chars, ceux-là dans les chevaux, mais nous c'est le nom du
Seigneur notre Dieu que nous invoquerons 8.
1. Lv 19, 2.
2. 1 S 2, 2.
3. Ps 126, 1.
4. Il s'agit ici du mystère du gouvernement divin, le mystère de
Dieu Créateur et Père qui non seulement donne à sa créature d'exister - il lui
donne gratuitement l'être - mais aussi la garde, la « conserve » vers
sa fin, en lui permettant de la découvrir et de la rejoindre. Voir Somme
théol, I, q. 104, a. 1.
5. Morales sur Job, XVI, xxxvii, 45, SC 221, p. 207.
6. He 1, 3. Voir vo1. I, nos 69 sq., par exemple n° 86.
7. Ps 15, 1. Saint Thomas commente : « Le psalmiste
montre du Christ qu'il adhère à Dieu seul (...), et cela de deux
manières : par l'espérance et par la foi -J'ai dit au Seigneur. Concernant
la première manière, il expose deux choses : le signe de l'espérance et
l'espérance elle-même. Le signe de l'espérance : Garde-moi, Seigneur, comme
[pour dire] : je ne crois pas pouvoir être conservé par moi-même, mais
toi, Seigneur, Garde-moi, ou bien en lui ou bien dans ses membres - Père
saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés (Jn 17, 11). Et cela parce
que j'ai espéré en toi. Mais le Christ a-t-il espéré ? Il faut dire
que oui. En vérité il a espéré la vie éternelle pour les autres, mais pour lui
la glorification de son corps. Quant à la glorification de son âme, il l'a eue
dès l'instant de sa conception » (Exp. in Psalmos, 15, n° 1).
CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS
Or il fait cette
demande pour ceux qui lui ont été donnés - Examine toutes les œuvres de
Dieu, personne ne peut corriger celui qu'il aura méprisé9. Nul en effet ne peut être gardé du mal si ce n'est par l'élection
divine, qu'il désigne en disant : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, c'est-à-dire
par le don de ta grâce pour qu'ils s'attachent à moi - Tous ne saisissent
pas cette parole, mais ceux auxquels cela est donné 10. En
effet ce sont ceux qui sont ainsi donnés au Christ qui sont gardés du ma1.
POUR QU'ILS SOIENT
UN
II ajoute cela pour
montrer en vue de quoi il demande qu'ils soient préservés. Et cela peut être
rattaché de deux manières à ce qui précède. En un sens, « pour » (ut)
désigne la manière de les garder ; le sens est alors : « Ils
seront gardés de telle sorte qu'ils soient un. » Car toute réalité est
gardée dans l'être aussi longtemps qu'elle est « une », et n'est pas
divisée - Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné11. Et c'est pourquoi l'Église peut être gardée, et les hommes aussi, à
condition d'être un. En un autre sens, « pour » (ut) marque
la fin de cette conservation ; le sens est alors : « Et c'est
pour cela qu'ils sont gardés : pour qu'ils soient un. » Car c'est
dans l'unité de l'esprit que réside toute notre perfection - Soucieux de
garder l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix1. - Voyez qu'il est bon, qu'il est doux,
d'habiter en frères dans l'unité2.
8. Ps 19, 8.
9. Qo 7, 14.
10. Mt 19, 11.
11. Mt 12, 25.
2214. Mais il
ajoute : COMME NOUS sommes un. On peut objecter cependant que s'ils sont
un selon l'essence, nous aussi serons donc un par essence. Mais cela n'est pas
vrai.
Voici la réponse3. Il
faut dire que la perfection de chaque homme n'est rien d'autre que la
participation à la ressemblance divine. En effet, c'est dans la mesure où nous
sommes bons que nous ressemblons à Dieu. Notre unité est donc parfaite en tant
qu'elle participe de l'unité divine. Or l'unité est double dans les réalités
divines : à savoir l'unité de nature - Moi et le Père nous sommes un4 - et l'unité d'amour dans le Père et le Fils, qui est l'unité de
l'Esprit. Et l'une et l'autre sont en nous, non pas, certes, par égalité mais
par une certaine similitude5. En effet le Père et le Fils sont de même
nature par le nombre ; mais nous, nous sommes un dans la nature selon
l'espèce. De même eux sont un par un amour qui n'est pas participé, venant du
don de quelqu'un, mais qui procède d'eux6 ; car le Père et le Fils s'aiment dans
l'Esprit Saint, mais nous, nous nous aimons par un amour participé de quelqu'un
de plus grand.
1. Ep 4, 3. Saint Thomas commente : « La manière de
conserver l'unité est dans le lien de la paix. La charité en effet est l'union
des amis. Or aucune union de choses matérielles ne peut tenir si elle n'est liée
par quelque lien. De la même manière, aucune union d'âmes par la charité ne
peut tenir si elle n'est liée. Un tel vrai lien est la paix qui est selon
Augustin la tranquillité du mode, de l'espèce et de l'ordre, c'est-à-dire quand
chacun a ce qui est sien » (Ad Eph. lect., IV, n° 194).
2. Ps 132, 1.
3. Saint Thomas reprend ici la remarque de saint Augustin en lui
apportant des précisions importantes : l'unité entre le Père et le Fils
correspond à une unité d'esse, tandis que l'unité de l'humanité est fondée
sur la seule communauté de natura (cf. Tract, in Io., CVII, 5, BA
75, p. 109).
4. Jn 10, 30.
5. Pour saint Thomas, la grâce est une participation formelle à la
nature de Dieu (Somme théol, I-II, q. 110, a. 3, c). En raison de cette
participation, il y a une similitude entre la nature divine et la grâce.
D'autre part, par la grâce toute la Très Sainte Trinité habite l'âme (op.
cit., I, q. 43, a. 5, c).
6. Sur l'Esprit Saint, Amour qui procède du Père et du Fils, voir
vo1. I, nos 545 et 1004, et ci-dessus, n° 1912 et note 2, et nos
1946, 2061-2065, 2069.
II
2215. Il expose la
nécessité de cette conservation, nécessité qui provient de deux causes :
premièrement de son départ, deuxièmement de la haine du monde [n° 2221].
La nécessité due à
son départ
Concernant la
première, il fait trois choses. Il commence par exposer cette ardeur à les
garder que le Seigneur leur a montrée quand il était présent. Puis il laisse
entendre son départ pour retourner vers le Père [n° 2219], Enfin, il donne la
raison pour laquelle il prononce ces paroles [n° 2220].
QUAND J'ÉTAIS AVEC
EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM. CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE LES AI GARDES, ET
AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION, POUR QUE L'ÉCRITURE
S'ACCOMPLISSE. (17, 12)
Concernant le
premier point il met en avant la manière de les garder, puis le fait qu'il se
doit de les garder [n° 2217], enfin l'efficacité avec laquelle il les garde [n°
2218].
QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM.
2216. La manière de
les garder convient bien, parce que c'est par la puissance du Père. C'est
pourquoi il dit : QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX, c'est-à-dire par ma présence
physique - Ensuite il est apparu sur terre et il a conversé avec les hommes1 -, moi, c'est-à-dire le Fils de l'homme, JE LES GARDAIS, c'est-à-dire
je les protégeais du mal et du péché ; par une puissance non pas humaine,
mais au contraire divine, car JE LES GARDAIS EN TON NOM, lequel est commun au
Père, au Fils et au Saint-Esprit - Les baptisant au nom du Père et du Fils
et du Saint-Espnt2. Et cela est vrai parce que le Père et le Fils sont un seul Dieu et
parce que dans le nom du Père est aussi compris le nom du Fils : est dit
père celui qui a un fils.
Mais remarque
qu'auparavant3, alors qu'il avait nié avoir un démon, il ne
nia pas qu'il était un Samaritain, c'est-à-dire un gardien, parce qu'il est un
gardien - Veilleur, où en est la nuit ?4, celle de ce monde. En effet lui-même, comme
un berger, garde son troupeau5.
CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, JE LES AI GARDÉS.
2217. Il montre le
devoir qu'il a de les garder. Un gardien, en effet, est tenu de garder ceux qui
ont été confiés à sa garde - Garde cet homme6. —Je me tiendrai à mon poste de garde7. C'est ainsi que se tient le prélat8 quand il veille avec diligence sur ceux qui
lui ont été confiés - II y avait des bergers dans la même région qui
veillaient et qui gardaient leurs troupeaux pendant les veilles de la nuit9.
ET AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION,
POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE.
2218. Et
l'efficacité de la garde est parfaite parce qu'AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU - Mes
brebis écoutent ma voix (...) et nul ne les arrachera de ma main 10. - Que
quiconque (...) croit en lui ait la vie éternelle 11 !. Mais de cette efficacité, un seul est exclu, à savoir LE FILS DE
PERDITION, c'est-à-dire Judas, appelé fils de perdition comme si d'avance il
avait été connu et prédestiné à la perdition perpétuelle 12.
Ainsi, en effet, certains assignés à la mort sont appelés fils de la mort - Vous
tous êtes des fils de la mort13. - Vous parcourez mer et terre ferme pour
faire un seul disciple et vous en faites un fils de la mort, deux fois plus que
vous 14.
Mais note ce que dit
la Glose interlinéaire : « Fils de la mort15 », c'est-à-dire prédestiné à la
perdition, bien que cependant on trouve rarement que la prédestination soit en
vue d'un ma1. C'est pourquoi ici, cela est compris communément comme la science
ou l'ordre de la sagesse de Dieu (ordinatione). La prédestination 16 est
toujours pour un bien, précisément parce qu'elle possède le double effet de la
grâce et de la gloire. Et Dieu ordonne vers l'une et l'autre. Mais dans la
réprobation il y a deux choses, la faute et la peine temporelles. Et Dieu
ordonne seulement vers l'une des deux, à savoir la peine1 et non pour elle-même2. POUR QUE L'ÉCRITURE, par laquelle tu as
prédit que je serais trahi, S'ACCOMPLISSE - Dieu, ne tais pas
ma louange parce que la bouche du pécheur et la bouche du méchant s'ouvrent
contre moi3.
1. Ba 3, 38.
2. Mt 28, 19.
3. Voir Jn 8,
48-49 : Les Juifs répondirent donc et dirent : « N'avons-nous
pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon ? »
Jésus répondit : « Moi, je n'ai pas de démon ; mais
j'honore mon Père, et vous, vous me déshonorez ».
4. Is 21, 11.
5. Cf. Jn 10, 11.
6. 1 R 20, 39.
7. Ha 2, 1.
8. Voir vo1. I, nos
1398 sq., sur le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis.
9. Le 2, 8.
10. Jn 10, 27-28.
11. Jn 6, 40.
12. Voir ci-dessus
n° 1789 et note 5. Saint Thomas distingue la « volonté antécédente de
Dieu » par laquelle tous sont prédestinés à la sainteté et la
« volonté conséquente » par laquelle il veut que certains soient
damnés selon ce qu'exige sa justice (cf. Somme théo1., I, q. 19, a. 6,
c. et ad 1).
13. 1 S 26, 16.
14. Mt 23, 15.
15. Cette
interprétation a sa source dans le commentaire de saint Augustin : il
identifie explicitement les deux formules « fils de la perdition » et
« prédestiné à la perdition » {Tract, in Io., CVII, 7, BA 75,
p. 113 ; cf. paragraphe précédent).
16. Sur le mystère
de la prédestination, voir vo1. I, n° 938, note 1, n" 1301 et note 11, n°
1373 et note 12.
MAINTENANT JE VIENS VERS TOI ; ET JE DIS CES CHOSES
DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES MA JOIE EN PLÉNITUDE. (17, 13)
2219. MAINTENANT JE VIENS VERS TOI, les quittant selon ma présence corporelle - De nouveau je
quitte le monde et je vais vers le
Père4. Mais ces paroles dans le cœur de ceux qui comprennent mal pourraient
engendrer le scandale de l'infidélité, comme s'il ne pouvait pas les garder en
s'éloignant d'eux, ou comme si le Père auparavant ne les avait pas gardés. Mais
assurément le Père aussi les gardait auparavant, c'est pourquoi il dit : JE LES
GARDAIS EN TON NOM, et le Fils aussi après son départ pouvait les garder.
ET JE DIS CES CHOSES DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT EN
EUX-MÊMES MA JOIE EN PLÉNITUDE.
2220. C'est comme
s'il disait : J'ai parlé comme un homme qui prie, mais JE DIS CES CHOSES
pour la consolation de mes disciples qui pensent que je ne suis qu'un homme (hominem
purum), afin qu'au moins ils soient consolés par le fait que c'est à toi, Père,
toi qu'ils croient plus grand, que je les confie ; et qu'ils se
réjouissent d'être sous la protection du Père. Et cela selon Chrysostome5.
Ou bien, selon
Augustin6, ces paroles se rapportent à ce qu'il a dit
plus haut : pour
qu'ils soient un comme nous7. Et ainsi elles expriment
les fruits de l'unité, comme s'il disait : POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MÊMES
MA JOIE, ce qu'il a déjà exprimé auparavant, c'est-à-dire qu'ils se réjouissent
en moi, ou bien parce que la joie leur vient de moi. EN EUX-MÊMES (...) EN
PLÉNITUDE, ce qu'ils obtiennent par l'unité de l'esprit, unité par laquelle ils
parviennent à la joie de la vie éternelle, qui est plénière. La joie suit
l'unité, parce que l'unité et la paix ont pour effet la joie parfaite - Ceux
qui entrent dans les conseils de paix, la joie les suit8. - Le fruit de l’Esprit est amour, joie,
paix (...)9
1. Voir vo1. I, n° 1301 et note 9.
2. Et non per se indique ici que la peine n'est pas voulue
en elle-même par Dieu ; elle est une conséquence de la faute que Dieu ne fait
que permettre. Voir Somme théo1., I, q. 19, a. 9, c. et ad 3.
3.Ps 108, 2.
4. Jn 16, 28.
5. In Ioannem hom., LXXXI, 2,
PG 59, co1. 439-440.
6. Tract, in Io., CVII, 8, BA 75, p. 115.
La nécessité due à
la haine du monde
MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, ET LE MONDE LES A EUS EN
HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU
MONDE. JE NE DEMANDE PAS QUE TU LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU LES GARDES DU
MA1. ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE. (17, 14-16)
2221. À présent
l'Évangéliste expose une autre nécessité à cette protection, provenant de la
haine du monde ; et d'abord il met en avant le bienfait qu'il avait
accordé aux disciples, deuxièmement la haine du monde qu'ils avaient encourue
[n° 2223]. Troisièmement, il demande le secours du Père afin qu'il les protège
[n° 2225].
MOI JE LEUR AI DONNÉ
TA PAROLE.
2222. Il dit donc
d'abord : MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, c'est-à-dire celle que j'ai
reçue de toi. Auparavant il a dit la même chose : LES PAROLES QUE TU M'AS
DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES. Ou JE LEUR AI
DONNÉ, c'est-à-dire je leur donnerai par l'inspiration du Paraclet, TA PAROLE,
celle qui vient de toi, parce qu'en vérité c'est là le plus grand don et le
plus grand bienfait -Je vous donnerai un don excellent : n'abandonnez
pas ma loi1.
7. Jn 17, 11.
8. Pr 12, 20.
9. Ga 5, 22. Voir ci-dessus, n° 2060, note 4.
ET LE MONDE LES A
EUS EN HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE.
2223. Mais de cela
s'ensuit la haine du monde, puisque c'est parce qu'ils ont reçu ta parole que
LE MONDE LES A EUS EN HAINE - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous
haïront2 et Ne vous étonnez pas si le monde vous hait3. La cause de cette haine est le fait qu'ils se sont séparés du monde. En
effet la Parole de Dieu fait que les hommes se séparent du monde, car elle unit
à Dieu, à qui nul ne peut être uni s'il ne se sépare pas du monde. Car si
quelqu'un aime le monde, le parfait amour (perfecta caritas) de Dieu
n'est pas en lui. Et c'est pourquoi il dit : PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU
MONDE - Parce que je vous ai choisis dans le monde, pour cela le monde vous
hait4. En effet il est naturel pour tout homme d'aimer son semblable5 - Tout
être vivant aime son semblable6 et hait celui qui est différent de lui. - Sa vue nous est à charge
car son genre de vie ne ressemble pas aux autres7.
COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE.
2224. Et pour cela
il donne un exemple indiquant la manière dont ils ne sont pas du monde :
COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU MONDE, ce qu'il faut entendre quant à l'amour,
parce que de même que le Christ n'était pas dans le monde par affection pour le
monde, de même eux non plus. Mais ils le sont quant à l'origine, parce qu'il y
a eu un temps où ils étaient du monde. Mais le Christ, jamais, puisque même
selon la naissance charnelle, il est né du Saint-Esprit8 - Vous
êtes du monde, moi je ne suis pas du monde9.
2225. Il réclame
alors un secours contre cette haine. D'abord il présente sa demande, et ensuite
il donne la raison de cette demande [n° 2227].
JE NE DEMANDE PAS QUE TU LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU
LES GARDES DU MA1.
2226. Concernant le
premier point, il présente deux choses. L'une, qu'il dit ne pas demander, à
savoir qu'ils soient retirés du monde. Cependant comment peuvent-ils être
retirés du monde, eux qui ne sont pas du monde ? En effet, déjà auparavant
il avait dit : ILS NE SONT PAS DU MONDE. Mais disons qu'affectivement ils
n'étaient pas du monde par un attachement, comme il l'a dit plus haut, mais
qu'ils étaient du monde par leur vie corporelle ; et c'est pour cette
raison qu'il ne voulut pas qu'ils fussent retirés du monde. Et cela pour le
bien des croyants qui, par eux, allaient croire - Allez dans le monde
entier, prêchez l'Évangile à toute créature 10.
Mais il demande
autre chose, c'est-à-dire que, bien qu'ils demeurent par leur corps dans le
monde, TU LES GARDES DU MAL, le mal qui est dans le monde. En effet il est
difficile qu'un homme vivant parmi des mauvais reste préservé du mal, surtout parce que le monde entier a été placé sous le pouvoir du malin1 - Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, et les flots ne
te recouvriront pas2.
1. Pr 4, 2.
2. Lc 6, 22.
3. 1 Jn 3, 13.
4. Jn 15, 19.
5. Cf. n° 2034 et note 8 ; n° 2036 et
note 3.
6. Si 13, 19.
7. Sg 2, 15.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVIII,
1, BA 75, p. 117-119. Voir
aussi Mt 1, 20, que saint Thomas commente ainsi : « c'est-à-dire de
la puissance de l'Esprit Saint, non pas de sa substance, pour qu'on ne croie
pas qu'il soit fils de l'Esprit Saint » (Sup. Matth. lect., I, n° 111).
9. Jn 8, 23.
10. Mc 16, 15.
ILS NE SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MÊME JE NE SUIS PAS DU
MONDE.
2227. Voilà la
raison de sa demande. Il semble qu'il y ait là une confusion de mots et une
répétition inutile puisqu'il a dit précédemment les mêmes paroles. Mais en fait
ce n'est pas une répétition inutile, parce qu'elles sont dites là pour une
raison, et ici pour une autre. Précédemment, en effet, elles sont dites pour
montrer la cause pour laquelle le monde les tient en haine, mais ici pour
donner la raison pour laquelle ils doivent être gardés par Dieu.
Par là il nous est
donné à comprendre que la raison pour laquelle les saints sont haïs du monde et
aimés de Dieu est la même : le mépris du monde3 - Dieu ne vous a-t-il pas choisis pauvres en ce monde,
riches dans la foi et héritiers du royaume que Dieu a promis à ceux qui
l'aiment ?4 -, et c'est pourquoi l'homme, quel que soit le bien qu'il fait, est rendu haïssable
pour le monde mais bien-aimé de Dieu - Nous offrirons à notre Seigneur Dieu des sacrifices abominés
par les Égyptiens5.
b)
Le Christ demande la sanctification de ses disciples.
SANCTIFIE-LES DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ. COMME TU
M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI MOI AUSSI JE LES AI ENVOYÉS DANS LE MONDE. ET
POUR EUX JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, AFIN QU'EUX AUSSI SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA
VÉRITÉ. (17, 17-19)
2228. Auparavant le
Seigneur a demandé la protection des disciples, ici il demande leur
sanctification ; premièrement il la demande, deuxièmement il en donne la
nécessité [n° 2230] et troisièmement il laisse entendre que cette
sanctification est commencée [n° 2231].
SANCTIFIE-LES DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ.
2229. Il dit
donc : Ainsi j'ai demandé qu'ils soient préservés du mal, mais cela ne
suffit pas s'ils ne deviennent parfaits dans le bien - Détourne-toi du mal et fais le bien6. C'est pourquoi, Père, SANCTIFIE-LES7, c'est-à-dire rends-les parfaits et fais
d'eux des saints8. Et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire en
moi, ton Fils, qui suis la Vérité9, comme s'il disait : Fais-les
participer à ma perfection et à ma sainteté. Et c'est pourquoi il ajoute :
TA PAROLE, c'est-à-dire ton Verbe, EST VÉRITÉ, pour signifier :
Sanctifie-les en moi, la Vérité, parce que moi, ton Verbe, je suis la Vérité.
1. Cf. 1 Jn 5,
19 : Nous savons que nous sommes de Dieu ; et le monde est tout
entier sous l'empire du malin.
2. Is 43, 2.
3. Cf. 1 Jn 3,
13 : Ne vous étonnez pas, mes frères, si le monde vous hait.
4. Jc 2, 5.
5. Ex 8, 26.
6. Ps 36, 27.
Saint Thomas commente : « Et il ne dit pas qu'il ne fasse pas le mal,
parce qu'en cela il ne serait question que de négation seulement, mais détourne-toi
du mal, pour ne pas avoir la volonté de l'accomplir. (...) Il y a un double
ordre. Le premier ordre est celui de l'intentionnalité, et selon cet ordre le
bien doit toujours être mis avant l'évitement du mal, parce que le juste évite
le mal en vue de faire le bien. Le second ordre est celui de l'exécution ;
et selon cet ordre, il est d'abord prescrit d'éviter le mal : car tous
nous naissons fils de la colère et ne pouvons devenir justes sans repousser le
mal » (Exp. in Psalmos, 36, n° 19).
7. En commentant
ce verset saint Thomas explicite le lien entre la perfection, la sainteté et la
vérité. En effet, pour chacun de nous, la perfection consiste dans la quête de
la finalité. Aussi le Christ prie-t-il son Père de faire de nous des saints. La
finalité chrétienne est la sainteté, qui est l'unité avec le Christ. Jésus en
effet est venu pour nous conduire au Père et nous introduire dans son unité
d'amour avec le Père. Et parce que Jésus est la Vérité, c'est lui-même qui fait
le lien entre la sanctification de tous les hommes et la vérité qui est son
propre mystère de lumière et d'amour.
8. Nous sommes
sanctifiés par l'oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes (He
10, 10). Par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours ceux
qu'il sanctifie (10, 14). Cf. 2, 10 : II convenait, en effet, que,
voulant conduire à la gloire un grand nombre de fils, Celui pour qui et par qui
sont toutes choses rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les
guider vers leur salut. Voir aussi He 5, 8-9 ; 9, 14, etc.
9. Voir Jn 14, 6.
Ou bien :
SANCTIFIE-LES, en leur envoyant l'Esprit Saint ; et cela DANS LA VÉRITÉ,
c'est-à-dire dans la connaissance de la vérité de la foi et de tes
commandements1 - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité
vous rendra libres2. Car c'est par la foi et la connaissance de
la vérité que nous sommes sanctifiés - Justice de Dieu par la foi en Jésus
Christ en tous et sur tous ceux qui croient en lui3. Aussi ajoute-t-il : TA PAROLE EST VÉRITÉ, parce que la vérité des
paroles de Dieu n'est mêlée d'aucune fausseté - Mes paroles sont droites et
il n'y a en elles rien de faux ni de tortueux4 ; et aussi parce que sa parole enseigne
la Vérité incréée.
On peut dire autre
chose : dans l'Ancien Testament, on avait coutume de dire que tout ce qui
était assigné au culte divin était sanctifié - Fais approcher vers moi
Aaron, ton frère, avec ses fils, du milieu des fils d'Israël, pour qu'ils
s'acquittent de mon sacerdoce5. Il dit donc : SANCTIFIE-LES - c'est-à-dire assigne-les comme par
mode de sanctification - DANS LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à la prédication de ta
vérité, parce que TA PAROLE, qu'ils doivent prêcher, EST VÉRITÉ6.
1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG
59, co1. 442-443.
2. Jn 8, 32.
3. Rm 3, 22. Saint Thomas commente : « On dit que la
justice de Dieu est par la foi en Jésus Christ non pas comme si, par la foi,
nous méritions d'être justifiés, comme si notre foi existait par nous-mêmes et
que par elle nous méritions la justice de Dieu, comme disent les pélagiens.
Mais parce que, dans cette justification par laquelle nous sommes justifiés par
Dieu, le premier mouvement de l'esprit vers Dieu se réalise par la foi » (Ad
Rom. lect., III, n° 302).
4. Pr 8, 8.
5. Ex 28, 1.
6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG
59, co1. 442-443.
COMME TU M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI MOI AUSSI JE LES
AI ENVOYÉS DANS LE MONDE.
2230. Le Seigneur ajoute
ainsi la nécessité de la sanctification. Comme s'il disait : Moi c'est
pour cela que je suis venu, pour prêcher la vérité - Je suis né dans ce
monde pour rendre témoignage à la vérité7 -, et ainsi moi aussi j'ai envoyé mes
disciples pour prêcher la vérité - Allez dans le monde entier, prêchez
l'Évangile à toute créature8. Il est donc nécessaire qu'ils soient sanctifiés dans la vérité - Comme
le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie9.
ET POUR EUX JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, AFIN QU'EUX AUSSI
SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA VÉRITÉ.
2231. Mais ils
doivent être sanctifiés non seulement à cause du service auquel ils sont
destinés, mais parce que cette sanctification a déjà été commencée par moi.
Selon Augustin 10, en
effet, il faut savoir qu'il existe dans le Christ deux natures : quant à
sa nature divine, le Christ est saint par essence et, quant à sa nature
humaine, le Christ est saint par la grâce, qui découle de la nature divine.
C'est donc selon sa divinité qu'il dit : JE ME SANCTIFIE MOI-MÊME, en
assumant pour eux la chair, et cela, pour que la sainteté de la grâce qui, par
moi en tant que Dieu, est en moi en tant qu'homme, découle de moi sur
eux ; parce que de sa plénitude nous avons tous reçu11. Comme l'huile qui est versée sur la tête, du Christ qui est Dieu, qui descend sur la
barbe d'Aaron, c'est-à-dire sur l'humanité, et de là descend sur le bord
de son vêtement12, c'est-à-dire sur nous.
7. Jn 18, 37.
8. Mc 16, 15.
9. Jn 20, 21.
10. Tract, in Io., CVIII, 5, BA
75, p. 127.
11. Jn 1, 16.
12. Ps 132, 2.
Ou encore, selon
Chrysostome1, il a demandé qu'ils soient sanctifiés d'une
sanctification spirituelle. Dans l'Ancien Testament, il existait des
justifications de la chair - Des
règles pour la chair imposées jusqu'au temps de la réforme2. Mais celles-ci étaient
des préfigurations de la sanctification spirituelle, et cependant elles étaient
réalisées par un certain sacrifice 3 ; c'est pourquoi il convenait, pour la
sanctification de ses disciples, que soit fait un sacrifice. Et c'est ce que
dit le Christ : pour QU'EUX SOIENT SANCTIFIÉS, maintenant JE ME SANCTIFIE
MOI-MÊME, c'est-à-dire je m'offre en sacrifice - Il s'est offert lui-même à Dieu 4. - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier
le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte5. Et cela en vérité, non pas par une préfiguration, comme dans l'Ancien
Testament.
1. In Ioannem hom., LXXXII,
1, PG 59, co1. 443.
2. He 9, 10.
3. Voir Lv ch. 1-7, où est décrit le rituel des sacrifices
comportant : les sacrifices de l'holocauste où toute la victime est brûlée ;
le sacrifice d'oblation, sacrifice de végétaux accompagné d'une libation de
vin, en signe de paix ; le sacrifice de communion (à nouveau un sacrifice
d'animaux) en action de grâces ; le sacrifice pour le péché, pour demander
pardon ; le sacrifice de réparation, pour réparer la faute. Voir aussi Nb
28, 3-6 : Voici les sacrifices que vous devez offrir : deux agneaux d'un
an, sans tache, tous les jours, en holocauste perpétuel ; vous en offrirez
un le matin, et l'autre vers le soir (…). C'est l'holocauste perpétuel que vous
avez offert sur la montagne de Sinaï, en odeur très suave d'un sacrifice au
Seigneur, consumé par le feu. Saint Thomas précise : « Par là
était signifié que l'oblation de l'agneau, c'est-à-dire du Christ, devait
consommer tous les autres sacrifices ; et c'est pourquoi il est dit en Jn
1, 29 : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde » {Somme théo1., III, q. 22 ; a. 3,
ad 3).
4. He 9, 14.
5. He 13, 12.
2232. Après avoir prié
pour ses disciples, le Seigneur intercède à présent de manière générale
pour tous les croyants. D'abord il présente sa prière, puis il ajoute la raison
qu'elle a d'être exaucée [n° 2263].
Dans sa prière il
demande au Père deux choses pour ses disciples : la perfection de l'unité
et la vision de la gloire [n° 2252].
Concernant le
premier point, il demande comme homme la perfection de l'unité. Puis il montre
que lui-même comme Dieu leur a donné le pouvoir de parvenir à cette unité [n°
2244].
I
CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR
CEUX QUI, PAR LEURS PAROLES, CROIRONT EN MOI, AFIN QUE TOUS SOIENT UN. COMME
TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI SOIENT UN EN NOUS, AFIN QUE
LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 20-21)
Pour ce premier
point, il présente ceux pour lesquels il prie, puis dit ce qu'il demande [n°
2237].
CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR
CEUX QUI, PAR LEURS PAROLES, CROIRONT EN MOI.
2233. Il adresse sa
demande pour toute l'assemblée des croyants, et c'est pourquoi il dit :
J'ai dit : Garde mes disciples du mal et sanctifie-les dans la venté1 ; mais CE N'EST PAS SEULEMENT
POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI (...) CROIRONT EN MOI, c'est-à-dire pour ceux dont la foi
sera confirmée, et cela PAR LEURS PAROLES, à savoir celles des Apôtres. Et
c'est à juste titre qu'il le demande, parce que nul n'est sauvé si ce n'est par
l'intercession du Christ. Or ce n'était pas seulement les Apôtres qui allaient
être sauvés, mais aussi les autres ; il devait donc aussi prier pour les
autres - II a aimé tes pères
et il a élu leur descendance après eux2. - Je resterai avec leur descendance, et
leur postérité sera un saint héritage3.
1. Jn 17, 17.
2. Dt 4, 37.
3. Cf. Si 44, 11.
2234. Mais on
pourrait objecter : il semble qu'il n'ait pas prié pour tous ses fidèles.
Car ici il prie pour ceux qui devaient être convertis par les paroles des
Apôtres, mais les pères anciens et Jean Baptiste n'ont pas été convertis par
leurs paroles. À cela il faut répondre qu'ils étaient déjà parvenus à la
perfection ; et, bien que ne jouissant pas de la vision de Dieu puisque le
prix n'avait pas été payé, cependant ils avaient quitté la terre avec leurs
grands mérites, de sorte qu'aussitôt la porte du Paradis ouverte ils devaient
être introduits, et c'est pourquoi ils n'avaient pas besoin de la prière.
2235. Mais on peut
encore s'interroger : Qu'en est-il de ceux qui ont cru, non pas grâce aux
paroles des Apôtres, mais immédiatement grâce au Christ, comme Paul - Je ne l'ai pas reçu ni appris
des hommes ou par l'intermédiaire de l'homme mais par la révélation de Jésus
Christ1 -, et le larron en croix2 ? Il ne semble donc pas que le Christ
ait prié pour eux.
Voici ce qu'il faut
répondre, selon Augustin3 : on dit que, par la parole des
Apôtres, croient non seulement ceux qui l'ont entendue d'eux-mêmes, mais aussi
tous ceux qui croient grâce à la parole que les Apôtres ont prêchée, qui est la
parole de la foi4, appelée parole des Apôtres parce que c'est
principalement à eux qu'elle a été confiée et annoncée ; et qui à Paul
aussi, comme au larron en croix, a été révélée divinement. Ou bien il faut dire
que ceux qui ont été immédiatement convertis par le Christ et grâce au Christ
comme Paul et le larron sur la croix, et d'autres s'il y en a, sont comptés
dans cette prière que le Seigneur a faite pour ses disciples. C'est pourquoi le
Seigneur a dit : ceux que tu m'as donnés5, ou que tu me donneras.
2236. On peut encore
se poser la question : Et nous, qui ne croyons pas grâce aux
Apôtres ? Mais à cela il faut répondre que, bien que nous n'ayons pas cru
grâce aux Apôtres, cependant nous croyons grâce à leurs disciples.
AFIN QUE TOUS SOIENT UN. COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET
MOI EN TOI.
2237. Maintenant le
Seigneur demande la perfection de l'unité. D'abord il présente l'unité qu'il
demande, puis le modèle et la cause de cette unité [n° 2239], et enfin le fruit
de cette unité [n° 2241].
AFIN QUE TOUS SOIENT UN.
2238. Il dit
donc : Je demande cela AFIN QUE TOUS SOIENT UN. Car, comme le disent les
platoniciens6, toute chose tient son unité de ce à partir
de quoi elle a sa bonté. En effet le bien est ce qui peut conserver la
réalité ; or aucune réalité n'est conservée si ce n'est par le fait
qu'elle est une. Et c'est pourquoi le Seigneur, demandant la perfection de ses
disciples dans la bonté, demande qu'ils soient un ; ce qui
effectivement a été réalisé - Le cœur de la multitude des croyants était un et leur
âme une7. - Voyez ! qu'il est bon, qu'il est
doux, d'habiter en frères dans l'unité /8
COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI
SOIENT UN EN NOUS.
2239. Le Seigneur
donne ensuite le modèle et la cause de l'unité, en disant : COMME TOI,
PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI. En effet certains sont un, mais dans
le ma1. Aussi Dieu ne demande-t-il pas cette unité, mais celle par laquelle les
hommes sont unis en vue du bien, c'est-à-dire pour Dieu, et c'est pourquoi le
Christ dit : COMME TOI, PÈRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, c'est-à-dire
qu'ils soient unis de manière à croire en moi et en toi - A plusieurs nous sommes un seul corps dans le Christ1. - Appelés à garder l'unité de l’Esprit, (...) unité qui est un seul Dieu, une seule
foi, un seul baptême2. Et en vérité, dans le
Père et le Fils qui sont un, nous sommes un : alors que si nous
recherchons des choses diverses en croyant et en désirant, notre affection se
disperse vers de multiples choses.
1. Ga 1, 12.
2. Voir Le 23, 43.
3. Tract, in Io., CIX, 1, BA 75, p. 131-132. Les divers cas
mentionnés par saint Thomas reprennent succinctement ceux que saint Augustin
avait notés, ainsi que les explications auxquelles toute l'homélie CIX est
consacrée.
4. Voir Rm 10, 8.
5. Jn 17, 12.
6. Aristote, à plusieurs reprises, en évoquant la théorie
platonicienne des Idées, montre que les platoniciens identifient parfois l'Un
et le Bien. « Même parmi les partisans des substances immobiles, certains
assimilent l'Un en soi au Bien en soi » {Métaphysique, N, 4, 1091 b
13-14. Voir aussi Éthique à Eudème, I, 8, 1218 a 15-32). Pour Platon,
dit aussi Aristote, « les Idées sont causes de l'essence pour toutes les
autres choses, et l'Un à son tour est cause pour les Idées » {Métaphysique,
A, 988 a 10-11). Platon développe sa théorie des Idées dans de nombreux
dialogues comme La République, Le Timée, Le Phédon. Saint Thomas, lui, a
étudié dans un regard critique la convertibilité de l'un et du bien {De
veritate, q. 1, a. 1). Ici, en assumant ce regard critique, il montre que
tant du côté de la source que du côté des effets, bonté et unité se tiennent,
en particulier dans l'Église pour laquelle le Christ prie.
7. Ac 4, 32.
8. Ps 132, 1.
2240. Mais Arius
tire de là l'argument que, de la même manière que le Fils est dans le Père et
le Père dans le Fils, ainsi nous sommes en Dieu. Or nous ne sommes pas en Dieu
par unité d'essence, mais par une conformité de volonté et d'amour ; il
conclut donc que, de la même manière aussi, le Père n'est pas dans le Fils
selon une unité d'essence3.
Mais on doit dire
qu'entre le Père et le Fils il y a une double unité, celle de l'essence et
celle de l'amour ; et le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père
selon l'une et l'autre4. Ce qu'il dit ici - COMME TOI, PÈRE, TU ES
EN MOI ET MOI EN TOI -peut donc se rapporter en un sens à l'unité d'amour,
selon Augustin5, et cela signifie alors : COMME TOI,
PÈRE, TU ES EN MOI par l'amour ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI, c'est-à-dire mes
disciples, SOIENT UN EN NOUS par l'amour, parce que la charité fait que nous
sommes un avec Dieu ; comme s'il disait : Comme le Père aime le Fils
et réciproquement, qu'ainsi ceux-ci aiment le Père et le Fils. Et ainsi COMME
n'exprime pas une égalité mais une similitude lointaine 6.
Ou, selon Hilaire7,
cela peut se rapporter à l'unité de nature : non pas qu'il y ait en nous,
quant au nombre, la même nature que le Père et le Fils, comme elle se trouve en
eux, mais parce que notre unité existe par le fait que nous sommes assimilés à
cette nature divine par laquelle le Père et le Fils sont un. En ce sens aussi,
COMME exprime une certaine imitation. Et de là vient que nous sommes invités à
une imitation de la dilection divine - Cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien-aimés,
et suivez la voie de l'amour à l'exemple du Christ qui nous a aimés8 ;
et aussi de la perfection ou de
la bonté divines - Soyez parfaits
comme votre Père est parfait9.
AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17,
21)
2241. Il indique le
fruit de l'unité par ces mots. Rien en effet ne manifeste la vérité de l'Évangile
comme la charité des croyants - En
cela ils connaîtront tous que vous êtes mes disciples, à l'amour que vous aurez
les uns pour les autres10.
Tel sera donc le fruit de l'unité : parce que du fait qu'ils sont un le
monde croira que l'enseignement que je leur ai donné est de toi, et connaîtra
QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Dieu, en effet, n'est pas cause de dissension,
mais de paix11.
2242. Ici se pose
une question, parce que nous serons parfaitement un dans la Patrie où il ne
sera plus temps de croire ; il ne convient donc pas qu'après avoir demandé
l'unité il ajoute : AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
Mais il faut dire qu'ici il ne parle pas d'une unité pleinement achevée (consummata),
mais d'une unité déjà commencée (inchoata).
1. Rm 12, 5. Voir vo1. I, n° 961,
note 2.
2. Ep 4, 3-5.
3. Cf. saint Hilaire, La
Trinité, VIII, 5, SC 448, p. 385-387.
4. Au sujet du lien entre le Père et le Fils dans la Très Sainte
Trinité, voir ci-dessus, n° 1970, n" 1971 et note 9.
5. La Trinité, IV, IX, 12, BA 15, p. 371-373.
6. Cf. Somme théo1., II—II, q. 23, a. 1, où saint Thomas
explique que la charité est comme une amitié. Mais la charité de l'homme
demeure créée et limitée, et n'est qu'une participation à celle de Dieu qui est
infinie. Aussi la similitude porte-t-elle sur le fait que Dieu donne à l'homme
de participer à sa béatitude.
7. La Trinité, VIII, 11, 20-23, SC 448, p. 393.
8. Ep 5, 1-2. Voir vo1. I, n° 1376,
note 5.
9. Mt 5, 48. Voir aussi vo1. I, n° 1376, note 5.
10. Jn 13, 35.
11. Cf. 1 Co 14, 33. Voir saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXXII, 2, PG 59, co1. 444.
2243. Il y a encore
une autre question1 parce que lui-même prie pour que soient un ceux qui croient en
lui : donc le monde qui croit est un. Comment donc ajoute-t-il, après
avoir dit qu'ils sont un, AFIN QUE LE MONDE CROIE ?
À cela on peut
répondre, au sens mystique2, qu'en un premier sens le Seigneur demande
pour tous les croyants qu'ils soient un : cependant tous ne croiraient pas
en même temps, mais certains par lesquels les autres devaient être convertis
croiraient avant eux. Et donc, AFIN QUE LE MONDE CROIE se comprend de ceux qui
n'ont pas cru dès le commencement, et qui quand ils ont cru sont devenus un, et
de même les autres qui ont cru après eux, et ainsi jusqu'à la fin du monde.
En un autre sens,
selon Hilaire3, AFIN QUE LE MONDE CROIE signifie la fin de
l'unité et de la perfection. Comme s'il disait : Rends-les parfaits pour
qu'ainsi ILS SOIENT UN, c'est-à-dire AFIN QUE LE MONDE CROIE que c'est toi qui
m'as envoyé. Alors le AFIN QUE (ut) marque la cause finale.
En un troisième
sens, selon Augustin4, on peut dire que AFIN QUE LE MONDE CROIE
serait une autre demande, et alors il faut que soit répété : « Je te
demande », comme s'il disait : Je te demande QU'ILS SOIENT UN et je
te demande QUE LE MONDE CROIE.
II
2244. Ce que le
Christ a réalisé en vue de cette
unité, il l'ajoute en disant : ET MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA
LEUR AI DONNÉE, comme si ce qu'il demande
en tant qu'homme, il le réalise comme Dieu.
Et d'abord il montre
qu'il a lui-même œuvré pour QU'ILS SOIENT UN ; puis il expose le mode de
cette unité et son ordre [n° 2247] ; enfin il montre la fin de l'unité [n°
2249].
ET MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE,
AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. (17, 22)
2245. Il dit
donc : Même si en tant qu'homme je demande leur perfection, cependant
c'est conjointement avec toi que je fais cela, parce que moi aussi LA GLOIRE,
celle de la Résurrection, QUE toi, Père, TU M'AS DONNÉE par une prédestination
éternelle et que tu vas me donner bientôt en réalité, JE LA LEUR AI DONNÉE,
c'est-à-dire aux disciples. Et cette gloire est l'immortalité que recevront les
fidèles à la résurrection, aussi quant à leur corps5 - Il transfigurera notre corps de misère pour le
conformer à son corps de gloire6. - On est semé dans l’ignominie, on
ressuscitera dans la gloire1.
Et cela AFIN QU'ILS
SOIENT UN, parce que du fait qu'ils seront glorieux dans leur corps, ils seront
faits un COMME NOUS AUSSI SOMMES UN.
1. Saint Thomas reprend ici une interrogation de saint Augustin
(voir ci-dessous n° 2243, note 4).
2. Sur le sens du mot mystice-, voir ci-dessus, n° 1594,
note 10.
3. La Trinité, VIII, 12, 8-11, SC 448, p. 395.
4. Tract, in Io., CX, 2, BA
75, p. 153.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 3, BA 75, p. 155.
6. Ph 3, 21. Voir vo1. I, n° 791. Saint Thomas commente :
« Le corps du Christ est certes glorifié par la gloire de sa divinité, et
cela il l'a mérité par sa Passion ; quiconque donc participe à la
puissance de la divinité par la grâce et imite la Passion du Christ sera
glorifié - Le vainqueur, je
lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi j'ai vaincu et je
siège avec mon Père sur son trône (Ap 3, 21). - Nous serons semblables à
lui (1 Jn 3, 2). -Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le
royaume de leur Père (Mt 13, 43) » (Ad Phi1. lect., III, n° 145).
7. 1 Co 15, 43.
2246. Mais il semble
distinguer son œuvre de l'œuvre du Père en disant que le Père lui a donné la
gloire et que lui, le Christ, l'a donnée aux croyants. Mais si on le comprend
bien, il ne dit pas cela pour distinguer l'opération, mais les personnes. Car
le Fils en tant que Fils, conjointement au Père, donne la gloire au Christ
homme, et la donne aussi avec lui aux croyants. Cependant c'est spécialement
par son humanité qu'il leur accorde cette gloire. C'est pourquoi il attribue à
lui-même celle-ci, et celle-là au Père. Et c'est ainsi qu'on comprend ici la
gloire, selon Augustin1.
Ou bien, selon
Chrysostome2, LA GLOIRE, la gloire de la grâce, QUE TU
M'AS DONNÉE à moi comme homme, c'est-à-dire quant à la connaissance parfaite,
la perfection et l'accomplissement des miracles, JE LA LEUR AI DONNÉE en partie
et je la leur donnerai encore plus parfaitement - Nous sommes transformés de
gloire en gloire3. - Il a donné des dons aux hommes4. Et
cela AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. En effet, la finalité
des dons divins est que nous soyons unis dans cette unité qui est conforme à
l'unité du Père et du Fils.
MOI EN EUX ET TOI EN
MOI (17, 23)
2247. L'ordre de
l'unité est donc donné. Car c'est par cet ordre qu'ils parviennent à l'unité,
parce qu'ils voient que, par la grâce, moi je suis en eux comme en un temple - Ne
savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite
en vous ?5 Cette grâce est comme une certaine similitude6 de
l'essence divine, par laquelle tu es en moi par l'unité de nature - Moi je
suis dans le Père et le Père est en moi7. Et cela pour qu'ils soient consommés - c'est-à-dire parfaits - dans
l'unité.
1. Loc. cit.
2. In Ioannem hom., LXXXII,
2, PG 59, co1. 444.
3. 2 Co 3, 18. Saint Thomas commente : « Chez les
disciples du Christ on distingue trois degrés de connaissance. Le
premier : de la gloire de la connaissance naturelle à la gloire de la
connaissance de la foi. Le second : de la gloire de la connaissance de l'Ancien
Testament à la gloire de la connaissance de la grâce du Nouveau Testament. Le
troisième : de la gloire de la connaissance naturelle et de l'Ancien et du
Nouveau Testament à la gloire de la vision éternelle » {Ad 2 Cor.
lect., III, n° 115).
4. Ps 67, 19.
Mais remarque :
alors qu'il avait dit auparavant : AFIN QU'ILS SOIENT UN, ici il
ajoute : POUR QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS. La première proposition se rapporte
à l'unité de la grâce, mais la seconde à l'unité de la gloire ; la
première au commencement, la seconde à l'achèvement. Ou encore, selon
Hilaire : MOI EN EUX, sous-entendu : je suis en eux par l'unité de la
nature humaine que j'ai en commun avec eux, et encore parce que je leur donne
mon corps en nourriture sacramentelle, ET TOI EN MOI par l'unité d'essence8.
2248. Mais après
avoir d'abord exposé que, par la grâce, non seulement le Fils est en eux, mais
aussi le Père - Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure9 -,
pourquoi dit-il : MOI EN EUX sans mentionner le Père ? Réponse :
il faut dire, selon Augustin10, qu'il ne dit pas cela dans l'intention de
montrer que le Fils est en eux sans le Père, mais pour montrer que c'est par le
Fils qu'ils ont accès auprès du Père - Ayant reçu de la foi notre
justification, nous sommes en paix avec Dieu par Notre-Seigneur
Jésus Christ, lui qui nous a donné d'avoir accès par la foi à cette grâce1.
5. 1 Co 3, 16. Saint Thomas commente : « II faut
considérer que Dieu est en toutes créatures par son essence, par sa puissance
et par sa présence, emplissant toutes choses de ses bontés - Moi j'emplis le
ciel et la terre (Jr 23, 24). Mais spirituellement on dit que Dieu habite
comme en une demeure familière en ses saints dont l'esprit, par la connaissance
et l'amour, est capable de Dieu même s'ils ne l'aiment et ne le connaissent pas
en acte, pourvu qu'ils aient par la grâce les vertus de foi et de charité comme
les enfants baptisés. Mais la connaissance sans l'amour ne suffit pas à
l'inhabitation de Dieu - Celui
qui demeure dans la chanté demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4, 16). De
là vient que beaucoup connaissent Dieu soit par une connaissance naturelle soit
par une foi informe, en qui cependant l'Esprit de Dieu n'habite pas » (Ad
1 Cor. lect., III, n° 173). Sur l'inhabitation de l'Esprit Saint, voir
aussi Contra Gentiles, IV, 21.
6. Voir Somme théol, I-II, q. 110, a. 3, c.
7. Jn 14, 10.
8. La Trinité, VIII, 15, SC 448, p. 401.
9. Jn 14, 23.
10. Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 159.
Ou bien, selon
Chrysostome2, plus haut il a dit nous viendrons à lui3 pour montrer la pluralité des personnes divines, contre
Sabellius ; mais ici il dit MOI EN EUX pour montrer l'égalité du Père et
du Fils contre Arius. Par cela en effet, il nous est donné à entendre que le
fait que le Fils seul habite en eux suffit aux croyants, puisque du fait qu'il
habite en eux, le Père lui-même habite en eux.
POUR QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS DANS L'UNITÉ, ET QUE LE MONDE
CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ, ET QUE TU LES AS AIMÉS COMME TU M'AS
AIMÉ. (17, 23)
2249. Ici est donnée
la finalité de l'unité. Et si l'union consommée se rapporte à l'achèvement du
chemin, alors QUE LE MONDE CONNAISSE signifie la même chose que ce qu'il a dit
auparavant - Que le monde croie4. Mais croie, il l'a dit alors parce qu'il s'agit d'un
commencement, alors qu'ici il dit : CONNAISSE parce que ce qui suit une
connaissance imparfaite, ce n'est pas la foi mais une connaissance plénière5.
Et il dit :
pour QUE LE MONDE CONNAISSE, non pas ce que le monde est maintenant, mais ce
que le monde a été ; le sens est donc : QUE LE MONDE - qui était déjà
croyant6 - CONNAISSE. Ou bien QUE LE MONDE -
c'est-à-dire ceux qui aiment le monde7 - CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS
ENVOYÉ ; parce qu'alors les méchants, par des signes manifestes,
connaîtront que le Christ est le Fils de Dieu - Tout œil le verra8. - Ils regarderont celui qu'ils ont
transpercé9. - Ils verront le Fils de l'homme venant
avec grande puissance et majesté sur les nuées du ciel10.
1. Rm 5, 1.
2. In Ioannem hom., LXXXII,
2, PG 59, co1. 444.
3. Jn 14, 23.
4. Jn 17, 21.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 161. Sur la
connaissance de la gloire qui remplacera celle de la route, voir ci-dessus, n°
2203, et n° 2139 et note 11. Voir aussi Somme théol, II-II, q. 2, a. 3,
c, où saint Thomas montre que la foi est l'école de la vision béatifique :
« L'homme n'entre pas tout d'un coup dans un enseignement de cette
sorte : il y entre progressivement, suivant en cela la manière même de sa
nature. À cette vision il est sûr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met à
apprendre à l'école même de Dieu, selon qu'il est dit en saint Jean (Jn 6,
45) : Quiconque prête l'oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi. De là vient que pour être en état
de parvenir à la vision parfaite qu'on a dans la béatitude, l'homme doit
auparavant croire à Dieu comme un disciple au maître qui l'enseigne. »
6. Saint Thomas fait ici allusion à la foi d'Abraham et de ses descendants : Abraham crut en
Dieu, et cela lui fut compté comme justice (Gn 15, 6).
2250. Et non
seulement pour QUE LE MONDE CONNAISSE cela, mais qu'il connaisse aussi la
gloire des saints, parce que TU LES AS AIMÉS, les croyants. En effet, à présent
nous ne pouvons pas connaître combien est grand l'amour de Dieu pour nous,
parce que les biens que Dieu nous donne, excédant notre désir et notre appétit,
ne peuvent tomber dans notre
cœur - L'œil n'a pas vu3 l'oreille n'a pas entendu, et n'est pas
monté au cœur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment11. Et c'est pourquoi le monde croyant, c'est-à-dire les saints,
connaîtront par expérience combien il nous aime ; mais ceux qui aiment le
monde, c'est-à-dire les méchants, le connaîtront en voyant cela et en admirant
la gloire des saints - Ceux que, à un moment donné, nous avons tournés en
dérision et dont nous avons fait un objet d'outrage (...), comment
ont-ils été comptés entre les fils de Dieu, comment partagent-ils le sort des
saints ?12
2251. Mais il
dit : COMME TU M'AS AIMÉ, ce qui n'implique pas l'égalité de l'amour mais
sa raison (ratio) et une similitude (similitudo) dans l'amour.
Comme s'il disait : l'amour dont tu m'as aimé est la raison (ratio) et
la cause (causa) de pourquoi tu les as aimés 1 ; car du fait que tu m'aimes, tu
aimes ceux qui m'aiment et mes
membres2 - Le Père lui-même vous aime parce que vous
m'avez aimé3.
7. Sur les deux sens du mot « monde », voir ci-dessus,
n° 2032, note 4.
8. Ap 1, 7.
9. Jn 19, 37.
10. Lc 21, 27.
11. 1 Co 2, 9.
12. Sg5, 3 et 5.
Mais il faut savoir
que Dieu aime toutes les réalités qu'il a faites, en leur donnant l'être 4 - Tu ne hais rien de ce que tu as fait,
car si tu avais haï quelque chose tu ne l'aurais pas fait5. Et plus que tout il aime son Fils unique, à qui il a donné toute sa
propre nature par la génération éternelle. Quant aux membres de son Fils
unique, ceux qui croient au Christ, c'est selon un mode intermédiaire qu'il les
aime en leur donnant la grâce par laquelle le Christ habite en nous - II a aimé les peuples : tous
les saints sont dans sa main6.
PERE, CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS,
EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE
PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE. (17, 24)
2252. Plus haut le
Seigneur a demandé pour ses disciples la perfection de l'unité [n° 2232], à
présent il demande pour eux la gloire de la vision. D'abord il précise les
personnes pour lesquelles il fait cette demande, ensuite il expose sa manière
de demander [n° 2254], enfin ce qu'il demande [n° 2255].
PÈRE, CEUX QUE TU M'AS DONNÉS
2253. Il demande
pour ceux qui lui ont été donnés. Il faut savoir qu'est dit « donné à
quelqu'un » ce qui est soumis à sa volonté, c'est-à-dire pour qu'il en
fasse ce qu'il veut. Or la volonté du Christ est double : de miséricorde
et de justice. Mais la volonté de miséricorde lui appartient en premier lieu et
par elle-même, parce que sa miséricorde s'étend à toutes ses œuvres7 - II veut que tous les hommes soient sauvés8 ;
quant à la volonté de justice de
celui qui punit, elle ne lui appartient pas de manière première, mais
présuppose le péché - Dieu en effet ne se réjouit pas de la perdition des hommes9.
- Je ne veux pas la mort du pécheur10, cela est vrai en soi, mais cependant il la veut par voie de conséquence
à cause du péché.
1. Saint Thomas rappelle ici que la raison, qui est dans la
réalité ce qu'il y a d'intelligible, renvoie à la cause de la réalité, et
surtout à sa cause finale (le pourquoi de la réalité). Ainsi c'est l'amour du
Père pour le Fils qui est la raison de l'amour du Père pour chacun de nous. Sur
le sens du mot ratio, voir vo1. I, Préface, p. 18, note 4.
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CX, 5, BA 75, p. 165.
3. Jn 16, 27.
4. Dieu crée par pur amour et par gratuité. Aucune existence
autreque lui n'est nécessaire. Nous dépendons tous dans notre être de l'Être
premier, et cette dépendance actuelle est une dépendance dans l'amour qui
respecte cependant pleinement notre liberté. Nous restons libres, par nos
opérations, de dire oui à Dieu qui nous a créés.
5. Sg 11, 25.
6. Dt 33, 3.
Tous les hommes ont
donc été donnés au Fils. Tu
lui as donné puissance sur toute chair11, c'est-à-dire sur tout homme, pour qu'il
réalise en eux sa volonté, soit de miséricorde pour sauver, soit de justice
pour punir - Il est
en effet le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts 12.
Mais ceux qui lui
ont été donnés au sens absolu sont ceux qui lui ont été donnés pour qu'il
réalise en eux sa volonté de miséricorde en vue du salut ; aussi dit-il de
ceux-ci : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS dans ta prédestination, de toute
éternité - Me voici,
moi et les enfants que le Seigneur m'a donnés13.
7. Ps 144, 9.
8. 1 Tm 2, 4.
9. Sg 1, 13.
10. Cette citation est un mélange des versets 23 et 32 du chapitre
18 d'Ézéchie1.
11. Jn 17, 2.
12. Ac 10, 42.
13. Is 8, 18 repris par He 2, 13.
JE VEUX QUE LA OU JE SUIS
2254. Sa manière de
demander est indiquée quand il dit : JE VEUX, ce qui peut désigner soit
son autorité, soit son mérite. L'autorité, si nous l'entendons de sa volonté
qui, en tant qu'il est Dieu, est la même volonté que celle du Père ; car
c'est par sa volonté qu'il justifie et sauve les hommes - II fait miséricorde à qui il veut1. Et le mérite si nous
l'entendons de sa volonté en tant qu'il est homme, volonté qui nous mérite le
salut. En effet, si les volontés des justes qui sont les membres du Christ ont
le mérite d'obtenir - Tout ce
que vous demanderez vous sera accordé2 -, combien plus la volonté
du Christ homme, qui est la Tête de tous les saints.
PÈRE, CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS,
EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE
PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE.
2255. Ici il ajoute
ce qu'il demande. Il demande d'abord l'union des membres à la Tête, puis la
manifestation de sa gloire à ses membres [n° 2259].
CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, EUX
AUSSI SOIENT AVEC MOI.
2256. Cela peut
s'entendre de deux manières. En un sens cela se rapporterait au Christ homme.
Car le Christ en tant qu'homme allait bientôt monter au ciel - Je monte vers mon Père et votre Père3'. Cela signifie
alors : Je veux que dans le ciel, où moi je serai bientôt, ceux-ci aussi -
c'est-à-dire les croyants - soient avec moi, même quant au lieu - Où il y aura un
corps, là se
rassembleront
aussi les aigles 4, c'est-à-dire les saints5. En effet, c'est ce qu'il avait promis - Réjouissez-vous, exultez,
parce que votre récompense est abondante dans le ciel6.
2257. Mais un doute
subsiste parce que, puisqu'il n'était pas encore au ciel, il aurait dû
dire : « où moi je serai », et non pas LÀ OÙ JE SUIS. De même,
pourquoi a-t-il dit plus haut : Et personne n'est monté au ciel
si ce n'est celui qui est descendu du ciel7 ?
À la première
objection, il faut répondre que le Christ qui parlait était à la fois Dieu et
homme, et c'est pourquoi, bien qu'il ne fut pas au ciel selon son humanité, il
y était cependant selon sa divinité, si bien qu'ainsi, tout en étant sur terre,
il était au ciel ; et c'est pourquoi il dit : LÀ OÙ JE SUIS. À la
seconde, il faut répondre que ce qu'il dit plus haut - Personne n'est
descendu du ciel sinon le Fils de l'homme qui descend du ciel8 -se
comprend parce qu'il est au ciel selon sa divinité, qu'il en descend en
assumant une nature humaine et qu'il y monte selon cette nature humaine
désormais glorifiée. Et ainsi, pourvu que nous soyons avec lui nous sommes déjà
un. Il est donc venu seul,
lui-même, en descendant du ciel, et il y est aussi retourné seul en montant
pour nous au ciel, selon Grégoire1.
1.Rm 9, 18.
2. Jn 15, 7.
3. Jn20, 17.
4. Mt 24, 28. Saint Thomas commente : « II ne dit pas les
vautours ou les corbeaux, mais les aigles, qui désignent les saints - Ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils
voleront et ne s'épuiseront pas (Is 40, 31). Ainsi, comme le dit Jérôme,
partout où sera fait mémoire de la Passion du Christ, les saints doivent être
rassemblés par la mémoire continuelle de sa Passion - Rappelez-vous ces
premiers jours où,
après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10, 32) »
(Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Dans la Somme théologique, saint
Thomas voit dans cette image la présence corporelle du Christ, promise à ses
amis, et que le mystère de l'Eucharistie prépare : « Et puisque,
selon Aristote, le propre de l'amitié est que l'on partage la vie de ses amis (Éthique
à Nicomaque, IX, 12), il nous a promis pour récompense sa présence
corporelle - Où il y aura
un corps, là se rassembleront aussi les aigles. En attendant toutefois, il ne
nous a pas privés de sa présence corporelle pour le temps de notre pèlerinage,
mais, par la vérité de son corps et de son sang, il nous unit à lui dans ce
sacrement - Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 57) » (III, q. 75, a. 1, a). Voir aussi
vo1. I, n° 1558, note 10.
5. Voir ci-dessus, nc 1804, note 3.
6. Mt 5, 12 ; Lc 6, 23.
7. Jn3, 13.
8. Pour comprendre ce verset qui n'est pas littéral, voir Jn 3,
13 : Et personne n'est
monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme
qui est au cie1. Jn 6,
33 : Car le vrai pain [de Dieu] est celui qui descend du ciel et donne
la vie au monde. Et Jn 6, 38 : Parce que je suis descendu du ciel,
non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.
Et s'il dit JE SUIS,
en mettant un présent au lieu du futur, c'est soit parce qu'il devait y être
bientôt, soit parce que cela se rapporte au Christ Dieu.
2258. Mais alors,
dans ce cas, puisque Dieu est partout - Moi j'emplis le ciel et la terre2 -, les saints, semble-t-il, seront aussi partout.
À ce sujet il faut
dire que Dieu est pour nous comme ce que la lumière est pour les hommes. Or la
lumière se diffuse partout grâce au soleil qui est au-dessus de la terre. Et la
lumière a beau être avec les hommes, tous cependant ne sont pas dans la lumière
du soleil, mais seulement ceux qui la voient. Ainsi donc, puisque Dieu est
partout, il est avec tous en tous lieux ; cependant tous ne sont pas avec
Dieu, si ce n'est ceux qui lui sont unis par la foi et l'amour et qui seront
finalement unis à lui dans la jouissance parfaite3 - Et moi je suis toujours avec toi4. — Ainsi nous serons toujours avec le
Seigneur5.
Le sens est
donc : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LÀ OÙ JE SUIS, en ta divinité
que j'ai par nature, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI, par la participation de la
grâce - II a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu 6. - Qui
demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui7.
AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU
M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE. (17, 24)
1. Moralium libri, XXVII, 15, 30, PL 76, co1. 416 C.
2. Jr 23, 24.
3. « De même que l'aveugle qui est à la lumière n'est
pas cependant lui-même avec la lumière, mais absent à sa présence, de même
l'incrédule et l'impie, et même l'homme fidèle et religieux mais qui n'est pas
encore capable de regarder la lumière de la Sagesse, n'est pas lui-même avec le
Christ, du moins par la vision, alors même qu'il ne peut être nulle part où ne
soit pas aussi le Christ » (saint
Augustin, Tract, in Io., CXI, 2, BA 75, p. 187-189).
4. Ps 72, 23.
5. 1 Th 4, 16.
6. In 1, 12.
7. 1 In 4, 16.
2259. Il expose
ensuite la manifestation de la gloire à ses membres. D'abord il présente la
demande, puis il montre l'origine de la gloire [n° 2261], et enfin il donne le
sens (ratio) de cette gloire [n° 2262].
AFIN QU'ILS VOIENT
LA GLOIRE
2260. Il dit donc :
JE VEUX, non seulement qu'ils soient avec moi, mais QU'ILS VOIENT, à savoir
dans la vision béatifique - Quand il apparaîtra, nous serons semblables à
lui parce que nous le verrons tel qu'il est8 -, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, ce qui peut s'entendre de sa gloire
selon son humanité, celle dont il a été illuminé dans la Résurrection - Il transfigurera
notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire9 -,
ou de sa gloire selon sa divinité. Il est en effet la splendeur de la gloire
et la figure de la substance du Père10, sa blancheur est celle de la lumière
éternelle 11. Et les saints dans la gloire verront l'une et l'autre gloire. Car il
est dit de la première : Ils verront le roi dans sa beauté 12.
Mais celle-là, les impies la verront seulement lors du jugement - Alors ils
verront le Fils de l'homme venant avec puissance et majesté13. Et Marc dit : Venant dans la gloire14,
c'est-à-dire dans la clarté (in claritate15). Mais la vision de cette gloire leur sera retirée après le jugement,
selon une autre parole : Que l'impie soit enlevé pour qu'il ne voie pas
la gloire de Dieu 16. Mais la seconde gloire, celle de sa
divinité, les saints la verront pour toujours - Dans ta lumière, celle
de la grâce, nous verrons la lumière1, celle de la gloire, que les mauvais ne
verront jamais. - Dans ses mains^ c'est-à-dire aux orgueilleux, il
cache la lumière, (...) et il annonce à son ami que la lumière est son partage2.
8. 1 Jn 3, 2.
9. Ph 3, 21.
10. He 1, 3.
l1. Sg 7, 26.
12. Is 33, 17. Voir vo1. I,
n" 1393, note 2.
13. Lc 21, 27.
14. Mc 13, 26.
15. Sur la distinction entre gloria et claritas, voir
vo1. I, n" 1278, notes 3 et 4.
16. Is 26, 10.
QUE TU M'AS DONNÉE
2261. L'origine de
cette gloire vient du Père ; c'est pourquoi il dit : QUE TU M'AS
DONNÉE. Il lui a donné la gloire du corps dans la Résurrection, mais parce que
cela était déjà accompli dans l'ordonnance [de la sagesse] divine, bien que ce
fût encore à venir dans la réalité, il dit : TU M'AS DONNÉE - Tu l'as
couronné de gloire et d'honneur3. Mais il lui a donné la gloire divine de toute éternité, parce que de
toute éternité le Fils provient du Père comme la splendeur provient de la
lumière.
PARCE QUE TU M'AS
AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE.
2262. Il donne
ensuite le sens (ratio) de la gloire qui lui fut donnée. Et si cela se
rapporte au Christ homme, le PARCE QUE indique alors la cause. En effet, de
même que l'amour et la prédestination éternelle sont cause de ce que nous avons
à présent la splendeur de la grâce et plus tard celle de la gloire jusque dans
notre corps - Il nous a élus en lui dès avant la création du monde4 -, de même aussi ils sont cause de la gloire du Christ en tant qu'il
est homme - Qui a été prédestiné Fils de Dieu dans la
puissance5.
Cela signifie
donc : Je dis que tu m'as donné la gloire, et ceci PARCE QUE TU M'AS AIMÉ,
c'est-à-dire parce que dans ton amour tu m'as prédestiné, et cela AVANT LA
FONDATION DU MONDE, pour que cet homme soit uni au Fils de Dieu dans la
personne - Heureux ton élu, ton familier, il demeure en tes parvis 6.
Mais si cela se
rapporte au Christ en tant qu'il est Dieu, le PARCE QUE indique alors un signe.
En effet, ce n'est pas parce qu'il l'a aimé qu'il lui a donné la gloire, car
dans le don que le Père a fait au Fils est désignée la génération éternelle. Or
l'amour, si on le prend essentiellement (essentialiter), implique la
volonté divine ; alors que si on regarde la notion (notionaliter7), c'est la notion de l'Esprit Saint qui est signifiée. Mais le Père a
donné la gloire à son Fils par nature et non par sa volonté, parce qu'il l'a
engendré par nature ; ce n'est donc pas non plus parce qu'il a spire
l'Esprit Saint qu'il a donné la gloire au Fils8.
2263. Ici,
l'Évangéliste donne la raison
pour laquelle sa demande est exaucée. Plus haut9 le Seigneur a inclus dans sa demande même
ceux qui allaient croire - Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais
aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi10 -,
et il a exclu le inonde et les incroyants ; c'est pourquoi il a dit :
Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde1. Il en donne donc la raison, en montrant d'abord le défaut du monde puis
le progrès des disciples [n° 2666].
1. Ps 35, 10. Voir vo1. I, n° 120 et note 6 ; n° 1145 et note
10.
2. Jb 36, 32-33 (propre à la Vulgate). Voir vo1. I, n° 103. Voir
aussi ci-dessus, n° 1807, note 5.
3. Ps 8, 6.
4. Ep 1, 4.
5. Rm 1, 4. Voir vo1. I, n° 1461, note 7.
6. Ps 64, 5.
7. Saint Thomas distingue essentialiter et notionaliter pour
signifier d'une part ce qui appartient à Dieu dans son essence et d'autre part
ce qui qualifie chaque personne de la Très Sainte Trinité. Ainsi on peut parler
d'actes notionnels, c'est-à-dire propres au Père, au Fils, à l'Esprit Saint.
C'est le propre du Père d'engendrer le Fils, par nature et non par volonté. Cf.
Somme théol, I, q. 41, a. 2.
8. Voir vo1. I, n" 545, où saint Thomas montre combien le
Père aime le Fils, et que cet amour dont le Père aime le Fils est le signe que
le Père a tout remis dans sa main. Et saint Thomas précise déjà que le Père
engendre le Fils par nature et non par volonté. Ici il fait le lien avec la
gloire. Sur les liens entre le Père et le Fils, voir ci-dessus, n° 2181 et note
1, et n° 2240.
9. Voir n° 2232.
10. Jn 17, 20.
PÈRE JUSTE, LE MONDE NE T'A PAS CONNU. (17, 25)
2264. Mais remarque
que, quand il a demandé leur sanctification, il a appelé le Père saint, c'est
pourquoi il a dit : Père saint2 ; mais à présent, demandant la rétribution, il l'appelle JUSTE - Dieu
le juge juste3. Par là est exclue l'erreur des anciens affirmant qu'autre est le Dieu
juste, c'est-à-dire celui de l'Ancien Testament, autre le Dieu bon, le Dieu du
Nouveau Testament.
Le défaut du monde
concerne la connaissance de Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE, non pas le
monde réconcilié mais le monde damné, NE T'A PAS CONNU - Le monde a été fait
par lui. Et le monde ne l’α pas connu4.
2265. Mais
pourtant : Ce que l’on connaît de Dieu est manifeste en eux, ce qu'il a
d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence, à
travers ses œuvres5.
Réponse. Disons qu'il
y a deux connaissances : l'une spéculative et l'autre affective6 ;
et le monde n'a connu Dieu parfaitement ni par l'une, ni par l'autre. En effet,
bien que quelques-uns des Gentils l'aient connu selon ce que la raison pouvait
en connaître, cependant lui, en tant qu'il est Père du Fils unique qui lui est
consubstantiel, ils ne l'ont pas connu : et c'est de cette connaissance
que parle le Seigneur. Et de là vient que l'Apôtre dit : ce que l'on
connaît7, c'est-à-dire ce qui peut être connu de
Dieu. Mais même s'ils connaissaient quelque chose de Dieu par la connaissance
spéculative [de la raison], leur connaissance était souillée de nombreuses
erreurs : tandis que certains8 l'évinçaient de la Providence sur toutes les
réalités, d'autres disaient qu'il est l'âme du monde9,
d'autres1 honoraient en même temps que lui beaucoup
d'autres dieux. Aussi dit-on qu'ils ignoraient Dieu. En effet, si on peut en
partie connaître et en partie ignorer les réalités composées, les réalités
simples cependant, tant qu'elles ne sont pas atteintes parfaitement, sont
ignorées. C'est pourquoi, même si ceux-là se trompaient très peu dans leur
connaissance de Dieu, on peut dire qu'ils l'ignoraient totalement. On peut donc
dire que ceux qui ne connaissent pas l'excellence singulière de Dieu l'ignorent - Puisque, ayant connu
Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu, gloire et action de
grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé
s'est obscurci2. - N'étant pas attentifs à ses œuvres ils
n'ont pas su quel en était l'artisan3. De manière semblable, le monde ne l'a pas
connu d'une connaissance affective parce qu'il ne l'aime pas - Comme les
peuples qui ignorent Dieu4. Il dit donc : LE MONDE NE T'A PAS CONNU sans erreur et, en tant
que Père, par l'amour.
1. Jn 17, 9.
2. Jn 17, 11.
3. Ps 7, 12.
4. Jn 1, 10.
5. Rm 1, 19-20. Voir ci-dessus, n°
2195, note 1.
6. Voir ci-dessus, n° 1762, note 3. Saint Thomas semble évoquer
ici la différence que fait Aristote entre la connaissance spéculative (ou
théorétique) et la connaissance pratique, affective. « Ces deux
puissances, l'intelligence et le désir, sont donc principes du mouvement local
- j'entends l'intelligence qui raisonne en vue d'un but, c'est-à-dire
l'intelligence pratique : elle se différencie de l'intelligence
théorétique par sa fin » (De Anima, III, 10, 433 a 13-15).
« C'est d'une manière droite que la philosophie est appelée la science de
la vérité. En effet, la fin de la connaissance théorétique est la vérité, celle
de la connaissance pratique est l'œuvre » (Métaphysique, a, 1, 993
b 20-21). Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote précise que cette
recherche de vérité au niveau éthique est pratique et qu'elle n'est pas là pour
permettre de connaître ce qu'est la vertu, mais pour aider à devenir vertueux
(II, 2, 1103 b 26-29). La connaissance pratique est tout ordonnée à l'activité
elle-même. Par contre, la connaissance théorétique dépasse l'œuvre et est tout
ordonnée à la contemplation. Voir aussi Somme thèoi, I, q. 79, a. 11, et
q. 64, a. 1, c.
7. Rm 1, 19.
8. Saint Thomas songe ici à Démocrite et Épicure :
« Certains penseurs ont nié complètement la Providence, comme Démocrite et
les épicuriens » (Somme théo1., I, q. 22, a. 2, c). Voir également In
octo libros Physicorum Ariswtelis expositio, II, ch. IV, lectio VII, n°
203, et Contra Gentiles, II, XXXIX. « Épicure affirme que Dieu est
éternel et immortel et qu'il ne prévoit rien, qu'il n'existe en un mot ni
Providence, ni destin, mais que toutes choses sont le produit du hasard » (Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, in : ÉPICURE, Doctrines et Maximes, p. 164, Hermann
éd. des sciences et des arts, Paris 1999). « Tout ce qui arrive est dû
soit à la nécessité, soit à la volonté, soit au hasard » (Aetios, in : Épicure, Doctrines et Maximes, p.
141).
9. Platon parle de l'Âme du Monde : « II [le Dieu]
installa l'intelligence dans l'âme, puis l'âme dans le corps, et construisit
l'Univers de manière à réaliser ce qu'il peut y avoir dans la nature de plus
beau et de plus excellent comme ouvrage. Ainsi donc, suivant un raisonnement
vraisemblable, il faut dire que ce monde, vivant doué en vérité d'âme et
d'intelligence, c'est par la providence de Dieu qu'il est devenu » (Timée,
30 b, in : Platon, Œuvres
complètes, t. II, éd. Gallimard 1950, p. 446). « Pour ce qui est de
l'âme, il la plaça au centre du monde, puis Tetendit à travers toutes ses
parties et même en dehors, de sorte que le corps en fût enveloppé » (Timée,
34 b, op. cit., p. 449). Pour les premiers stoïciens également,
comme Zenon, le monde est un grand vivant doué d'une Âme. Et de cette Âme du
Tout, qui est Dieu, l'âme humaine est une parcelle (voir I. ab Arnim, Stoicorum veterum
fragmenta, I, 120 et 124).
MAIS MOI JE T'AI CONNU, ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI
QUI M'AS ENVOYÉ. JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI
CONNAÎTRE, POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX. (17,
25-26)
2266. Il signifie
ainsi le progrès des disciples, d'abord quant à la connaissance, puis quant à
son fruit [n° 2270].
I
Quant au progrès des
disciples dans la connaissance de Dieu, le Christ montre d'abord la racine et
la source de la connaissance de Dieu, puis les rameaux et les petits ruisseaux
qui en découlent [n° 2268], enfin le fait qu'ils en dérivent comme d'une racine
ou d'une source [n° 2269].
1. Il s'agit, entre autres, des premiers penseurs grecs qui ont
cherché à découvrir l'origine de l'univers et du monde des vivants. Hésiode, le
premier, cherche la vérité au sujet de l'origine des dieux : il fait
remonter leur généalogie en dernier lieu à trois premiers : « Bien
avant toutes choses fut le Chaos, / Puis ensuite la Terre aux larges flancs
(...) / Et l'Amour, qui brille entre tous les immortels » (Théogonie, 116-120,
Les Belles Lettres, p. 36). Citons aussi Parménide : « Aphrodite a
créé l'Amour, le premier de tous les dieux » (Le Poème :
Fragments, Fragment 13, Épiméthée, p. 230).
2. Rm 1, 21.
3. Sg 13, 1.
4. 1 Th 4, 5.
MAIS MOI JE T'AI CONNU.
2267. La racine et
la source de la connaissance de Dieu est le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le
Christ - La source de la sagesse est le Verbe de Dieu dans les hauteurs5. Or la sagesse humaine consiste à connaître Dieu6. Et
cette connaissance dérive du Verbe vers les hommes, parce que c'est en tant que
les hommes participent au Verbe de Dieu qu'ils connaissent Dieu. Aussi
dit-il : LE MONDE NE T'A PAS CONNU, MAIS MOI, source de la sagesse, ton
Verbe, JE T'AI CONNU, d'une connaissance éternelle de compréhension7 - Si
je dis que je ne le connais pas, je serai semblable à vous, un menteur8.
ET CEUX-CI ONT CONNU
QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2268. Et de cette
connaissance du Verbe, qui est source et racine, découlent comme ruisseaux et
rameaux toutes les connaissances des croyants. Et c'est pourquoi il dit :
ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ; ainsi, QUE (QUIA, qui
signifie « parce que ») donne la raison de cette connaissance, selon
Augustin1. Le sens est alors : MAIS MOI JE T'AI
CONNU par nature, ET CEUX-CI ONT CONNU par la grâce. Et pourquoi ? Parce
que TU M'AS ENVOYÉ, ajoutons, pour qu'ils te connaissent - Je suis né et je
suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la venté2. - J'ai manifesté ton nom aux hommes3.
5. Si 1, 5 (verset propre à la Vulgate).
6. Voir Somme théo1., I, q. 1, a. 6, c, où saint Thomas
montre que « celui qui considère d'une manière absolue la cause la plus
élevée de tout l'univers, qui est Dieu, est dit sage au plus haut point ».
7. Sur la science du Christ, voir Somme théo1., III, q. 9,
où saint Thomas distingue la science du Verbe, science de compréhension, de la
science des bienheureux que possédait le Christ.
8. Jn 8, 55.
Ou bien QUE désigne
la réalité connue, et le sens est alors : CEUX-CI ONT CONNU, mais
quoi ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ parce que celui qui voit le Fils
voit aussi le Père4.
JE LEUR AI FAIT
CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE.
2269. Ce n'est pas
d'eux-mêmes qu'ils ont acquis cette connaissance, mais c'est de moi qu'elle
dérive sur eux, parce que personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et
celui à qui le Fils aura voulu le révéler5. Aussi dit-il : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR
FERAI CONNAÎTRE. Il désigne ici les deux connaissances qu'ont par lui les
fidèles : celle de la doctrine, et quant à celle-ci il dit : JE LEUR
AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, en enseignant de l'extérieur par mes paroles - Dieu,
personne ne l’α jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du
Père, lui, l'a fait connaître6. - Ce salut inauguré par la prédication
du Seigneur nous a été garanti par ceux qui l'ont entendu7. L'autre connaissance se réalise de l'intérieur, par l'Esprit Saint, et
quant à celle-là il dit : ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE, c'est-à-dire par
le don de l'Esprit Saint - Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il
vous enseignera la vérité tout entière8.
Ou bien il
dit : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM par la connaissance de la foi,
parce qu'à présent nous voyons dans un miroir par énigme, ET JE LE LEUR
FERAI CONNAÎTRE par la vision de la gloire dans la Patrie, où nous verrons face
à face9.
II
2270. Le fruit de
cette connaissance, c'est que L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN
EUX.
Et cela peut être
explicité de deux manières. En un sens, et c'est le meilleur, pour que soit
manifesté, par la gloire qu'il lui a donnée, que le Père aime le Fils 10, ce
qui a été dit. Il s'ensuit donc que c'est pour que le Père aime tous ceux en
qui est le Fils, qui est en eux en tant qu'ils ont la connaissance de la
vérité. Et ainsi, cela signifie : JE LEUR FERAI CONNAÎTRE TON NOM, et, du
fait qu'ils te connaîtront, moi, ton Verbe, je serai en eux ; et, par le
fait que je suis en eux, QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX,
c'est-à-dire leur soit donné et que tu les aimes comme tu m'as aimé.
Ou bien11,
POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ, c'est-à-dire, comme toi tu m'as aimé,
qu'ainsi ils m'aiment par participation à l'Esprit Saint ; et de ce fait,
moi je serai en eux comme Dieu dans son Temple, et eux en moi comme les membres
à l'égard de la tête - Celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et
Dieu en lui12.
1. Tract, in Io., CXI, 5,
BA 75, p. 199.
2. Jn 18, 37.
3. Jn 17, 6.
4. Jn 14, 9.
5. Mt 11, 27. Voir plus
haut, n° 2185, note 5.
6. Jn 1, 18.
7. He 2, 3.
8. Jn 16, 13.
9. 1 Co 13, 12. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 199. Sur la distinction entre connaissance de
foi et connaissance de gloire, voir nos 2203 et 2249, et aussi n°
2139, note 11.
10. Jn 3,
35 : Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main. Jn 5,
20 : Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu 'il fait.
11. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 201-203.
12. 1 Jn 4, 16.
Évangile selon saint Jean Chapitre XVIII
1 Ayant dit cela, Jésus sortit avec ses
disciples et traversa le torrent du Cedron. Là se trouvait un jardin, dans
lequel il entra ainsi que ses disciples. 2 Or Judas, qui le livrait,
connaissait aussi le lieu, car Jésus s'y était fréquemment retrouvé avec ses
disciples. 3 Judas, donc, ayant pris une cohorte et des gardes auprès des
grands prêtres et des pharisiens, vint là avec des lanternes, des torches et
des armes. 4 Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s'avança et
leur dit : « Qui cherchez-vous ? » 5 Ils lui
répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Jésus leur dit :
« C'est moi. » Or Judas, qui le livrait, se tenait aussi avec eux. 6
Quand donc il leur eut dit : « C'est moi », ils reculèrent et
tombèrent à terre. 7 De nouveau donc il les interrogea : « Qui
cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Jésus le Nazaréen. »
8Jésus répondit : « Je vous ai dit que c'est moi. Si donc vous me
cherchez, laissez aller ceux-ci », 9 pour que soit accomplie la parole
qu'il avait dite : « Ceux que tu m'as donnés, je n'en ai perdu
aucun. »
10 Simon-Pierre, donc, ayant un glaive,
le tira et frappa le serviteur du grand prêtre, et il lui trancha l'oreille
droite. Or le nom du serviteur était Malchus. n Jésus dit donc à Pierre :
« Remets le glaive au fourreau. La coupe que le Père m'a donnée, tu ne
veux pas que je la boive ? » 12 La cohorte, le tribun et les gardes
des Juifs s'emparèrent de Jésus et le ligotèrent, 13 et ils l'amenèrent d'abord
à Anne. Il était en effet le beau-père de Caïphe, qui était le grand prêtre de
cette année-là. 14 Or c'était Caïphe qui avait donné aux Juifs ce
conseil : « Mieux vaut qu'un seul homme meure pour le peuple. »
15 Or Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi
qu'un autre disciple. Ce disciple était connu du grand prêtre et il entra avec
Jésus dans la cour du grand prêtre, 16 alors que Pierre se tenait au-dehors, à
la porte. L'autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc
et dit un mot à la portière, et il fit entrer Pierre. 17 La servante qui
gardait la porte dit donc à Pierre : « N'es-tu pas, toi aussi, des
disciples de cet homme ? » II dit : « Je n'en suis
pas. » 18 Or les serviteurs et les gardes se tenaient près des braises
parce qu'il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre aussi se tenait avec
eux et se chauffait.
19 Le grand prêtre donc, interrogea Jésus
au sujet de ses disciples et de son enseignement. 20Jésus lui répondit :
« Moi, j'ai parlé au monde ouvertement ; j'ai toujours enseigné dans
la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs se rassemblent, et je n'ai
rien dit en secret. 21 Pourquoi m'interroges-tu ? Interroge ceux qui ont
entendu ce que je leur ai dit : c'est eux qui savent ce que moi j'ai
dit. » 22 Quand il eut dit cela, l'un des serviteurs qui se tenait là lui
donna une gifle, en disant : « C'est ainsi que tu réponds au grand
prêtre ? » 23 Jésus lui dit : « Si j'ai mal parlé, porte
témoignage au sujet du ma1. Mais si j'ai bien parlé, pourquoi me
frappes-tu ? » 24 Et Anne l'envoya, lié, au grand prêtre Caïphe.
25 Or Simon-Pierre se tenait là et se
chauffait. Ils lui dirent donc : « N'es-tu pas, toi aussi, de ses
disciples ? » II nia et dit : « Je n'en suis pas. » 26
Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé
l'oreille, lui dit : « Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec
lui ? » 27 De nouveau Pierre nia. Et aussitôt, un coq chanta.
28 Ils amènent donc Jésus de chez Caïphe au
prétoire. Comme c'était le matin, eux-mêmes n'entrèrent pas dans le prétoire
pour ne pas être souillés mais pouvoir manger la Pâque. 29 Pilate sortit donc
vers eux au-dehors et dit : « Quelle accusation portez-vous contre
cet homme ? » 30 Ils répondirent et lui dirent : « Si ce
n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. » 31 Pilate
leur dit donc : « Prenez-le, vous, et jugez-le selon votre
Loi. » Les Juifs lui dirent donc : « II ne nous est pas permis
de tuer quelqu'un », 32 pour que la parole de Jésus fut accomplie, celle
qu'il avait dite, signifiant de quelle mort il devait mourir.
33 Pilate entra donc de nouveau dans le
prétoire, appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des
Juifs ? » 34 Jésus répondit : « Dis-tu cela de toi-même, ou
bien d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » 35 Pilate répondit :
« Est-ce que je suis Juif, moi ? Ton peuple et tes grands prêtres
t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait ? » 36 Jésus répondit :
« Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes
serviteurs auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais non,
mon royaume n'est pas d'ici. » 37 Alors Pilate lui dit : « Donc,
tu es roi ? » Jésus répondit : « C'est toi qui dis que je
suis roi. Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre
témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »38
Pilate lui dit : « Qu'est-ce que la vérité ? » Et quand il
eut dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs et leur dit : « Moi,
je ne trouve en lui aucune cause [de condamnation]. 39 Mais c'est la coutume
que, pour la Pâque, je vous relâche un homme. Voulez-vous donc que je vous
relâche le roi des Juifs ? » 40 Tous crièrent de nouveau en
disant : « Pas lui, mais Barabbas ! » Or Barabbas était un
brigand.
2271. Plus haut,
avant la Passion, le Seigneur a préparé ses disciples en les instruisant à de
multiples reprises par des exemples, en les confortant par des paroles et en
les faisant avancer par des recommandations ; ici, l'Évangéliste en
arrive à raconter la Passion du Seigneur. D'abord il expose le mystère de la
Passion, puis la gloire de la Résurrection au chapitre 20 [n° 2470]. Or la
Passion du Christ a été accomplie (completa est) en partie par les
Juifs, en partie par les Gentils. D'abord, l'Évangéliste décrit la Passion du
Christ quant à ce qu'il a souffert de la part des Juifs, puis quant à ce qu'il
a souffert de la part des Gentils, au chapitre 19. À propos du premier point,
il montre d'abord comment le Seigneur est livré par un disciple, puis comment
il est présenté aux chefs du peuple par les serviteurs [n° 2294], enfin,
comment il est accusé par les chefs du peuple auprès du gouverneur (praesidem)
[n° 2328].
À propos de la
trahison du disciple, l'Évangéliste touche trois points : le lieu, puis
les préparatifs [n° 2278], enfin, la prompte volonté d'amour du Christ
d'endurer la trahison [n° 2279].
AYANT DIT CELA, JÉSUS SORTIT AVEC SES DISCIPLES ET TRAVERSA
LE TORRENT DU CEDRON. LÀ SE TROUVAIT UN JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE
SES DISCIPLES. OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR JÉSUS
S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES. (18, 1-2)
Le lieu est montré
comme convenant à la trahison sous trois aspects : il était éloigné de la
ville, en lui-même caché et fermé, et connu du traître.
AYANT DIT CELA
2272. Ce lieu était
éloigné de la ville. Judas pouvait donc faire plus facilement ce dont il avait
l'intention. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : AYANT DIT CELA, à savoir
ce qu'il avait dit plus haut. Puisque les choses que le Christ a dites
relevaient de sa prière, il eût été plus convenable que l'Évangéliste
dise : « ayant prié cela ». Mais il s'est exprimé ainsi pour
montrer que le Seigneur a fait cette prière, non pas qu'elle lui fût
nécessaire, parce que c'était lui-même qui priait en tant qu'homme et qui
exauçait en tant que Dieu, mais pour notre instruction. C'est pourquoi elle
était comme un discours1 (dictio2).
JÉSUS SORTIT AVEC SES DISCIPLES.
2273. Non pas
aussitôt après sa prière, selon Augustin3, puisque d'autres choses racontées par les
autres évangélistes et omises par celui-ci sont intervenues, à savoir qu'il y eut une dispute
entre les disciples : qui, d'entre eux, semblait être le plus grand ?4 Entre-temps aussi, Jésus a dit à Pierre : Voici que Satan vous a
réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais moi, j'ai prié pour
toi afin que ta foi ne défaille pas5, comme Luc le rapporte au même endroit. Les
disciples ont aussi prié une hymne avec le Seigneur, comme le rapportent
Matthieu6 et Marc7. On ne doit donc pas comprendre ici qu'il
sortit aussitôt après avoir dit cela, mais qu'il ne sortit pas avant de l'avoir
dit.
JÉSUS SORTIT (...)
ET TRAVERSA LE TORRENT DU CÉDRON.
2274. Mais Matthieu
et Marc8 disent qu'ils sortirent vers le Mont des
Oliviers et qu'alors il s'arrêta avec eux dans un domaine qu'on appelle
Gethsémani. En cela il n'y a aucune contradiction, du fait que c'est le même
lieu que celui que mentionnent Jean et Matthieu. En effet, le torrent du Cédron
est au pied du Mont des Oliviers, où se trouve aussi le domaine qu'on appelle
Gethsémani. En grec. Cédron est au génitif pluriel, autrement dit ils
traversent le torrent des Cèdres9. Peut-être y avait-il là de nombreux cèdres
plantés ? Il convient au mystère qu'il ail traversé le torrent, parce que
par celui-ci or désigne sa
Passion -Au torrent il s'abreuvera en chemin, c'est pourquoi il relèvera la
tête10, II convient aussi que le Christ ait traversé le torrent du Cédron,
puisqu'on peut interpréter ce nom comme signifiant l'ombre obscure11 et
que le Christ, par sa Passion, s supprimé l'obscurité du péché et de la Loi et
ayant étendu les mains sur la Croix, nous a protégés à l'ombre de sa main - A
l'ombre de tes ailes
protège-moi12.
LÀ SE TROUVAIT UN
JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE SES DISCIPLES.
2275. Ce lieu
convenait à la trahison, parce qu'il était clos. Et il convenait que ce soit un
jardin, parce que le Christ lui-même satisfaisait pour le péché du premier
homme, qui avait été commis dans un jardin. En effet, « paradis »
veut dire « jardin de délices 13 », et par le moyen de sa Passion le Christ nous introduit dans un jardin, un
paradis, comme ceux qui doivent être couronnés1 - Aujourd'hui, tu seras avec moi au Paradis2.
1. Voir n° 2177 et
note 2, n° 2178.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 447.
3. De consensu Évangelistarum, III, m, 9, PL
34, co1. 1163.
4. Lc 22, 24.
5.Loc. cit., 31-32.
6. Cf. Mt 26, 30.
7. Cf. Mc 14, 26.
8. Voir Mt 26, 36
et Mc 14, 32.
9. On lit cette
étymologie quelque peu fantaisiste dans 1< commentaire d'Alcuin qui
rapproche aussi le mystère de la Passion de ce « torrent » auquel le
Christ devait boire (Comm. in S. Ioanni Evang., VII, 40, PL 100, co1.
968 C).
10. Ps 109, 7.
11. Cedron a
en effet la même racine hébraïque que Qédar l’Onomastica sacra le rend
par ténèbres (cf. saint JÉRÔME,
Liber inter pretationis hebraicorum nominum [Lag. 48, 13], CCL, vo1.
LXXII p. 119).
12. Ps 16, 8.
Saint Thomas commente : « Pour faire connaîtra cette vigilance
attentive, le psalmiste se sert d'une double métaphore, c'est-à-dire de l'ombre
et des ailes : car l'ombre soulage de la chaleur et la protection soulage
de la même manière en procurant la sécurité - À l'ombre de tes ailes
protège-moi, c'est-à-dire sous la garde des anges. - Il ordonnera à ses anges de te
garder en toutes tes voie (Ps 90, 11). Ou bien les ailes sont les
deux bras du Christ étendu sur la Croix - II a déployé ses ailes et l’α
pris, il l'a porté sur ses épaule (Dt 32, 11) »> (Exp. in
Psalmos, 16, n° 3).
13. Cf. Gn 2, 8 et
15 ; 3, 23-24. Ez 28, 13.
OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR
JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES.
2276. Le lieu convenait
aussi parce qu'il était connu du traître. La raison en est que JÉSUS S'Y ÉTAIT
FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES, parmi lesquels Judas se trouvait comme
le loup au milieu des brebis - N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous
les Douze ? Et parmi vous, l'un est un diable !3 Là donc, le loup, revêtu d'une peau de brebis et
toléré au milieu des brebis par la haute sagesse prudentielle du père de
famille, a appris où il disperserait le troupeau au moment opportun4.
2277. Mais puisque
Judas était sorti du repas longtemps auparavant pour accomplir sa trahison, on
se demande comment il a su que le Christ allait se rendre en ce lieu à cette
heure-là ! Là il faut dire, selon Chry-sostome5, que c'était l'habitude du Christ, et
principalement lors des grandes fêtes, d'emmener les disciples à part après le
repas du soir (coena) et de leur enseigner à propos de la fête des
choses sublimes qu'il n'était pas permis aux autres d'entendre ; et parce
que c'était alors la fête principale, Judas jugea opportun de se rendre à cet
endroit après le repas. Et si le Christ a voulu enseigner à ses disciples les
choses les plus élevées dans les montagnes et dans les jardins, en cherchant un
lieu tout à fait pur d'agitations, c'était pour que leur esprit ne soit pas embarrassé - Je l'emmènerai dans
la solitude, et je parlerai à son cœur6.
JUDAS, DONC, AYANT PRIS UNE COHORTE ET DES GARDES AUPRÈS DES
GRANDS PRÊTRES ET DES PHARISIENS, VINT LÀ AVEC DES LANTERNES, DES TORCHES ET
DES ARMES. (18, 3)
2278. Ici sont
exposés les préparatifs du traître7. Notons que, comme il est dit en Luc8,
après avoir comploté la trahison avec les princes du peuple, Judas cherchait
une opportunité pour livrer le Christ sans provoquer un tumulte des foules. Et
c'est pourquoi il voulut le trouver en secret et durant la nuit, parce que
pendant le jour il était toujours pris par l'instruction des foules. Mais
durant la nuit le traître pouvait être gêné, soit par un soudain afflux des
foules, soit par les ténèbres, grâce auxquelles le Christ pourrait être arraché
ou s'échapper de leurs mains ; c'est pourquoi Judas se munit d'armes
contre la foule, et de lanternes et torches contre les ténèbres. Cependant,
dans la foule, certains pourraient lui résister par la puissance du peuple ;
c'est pourquoi, pour éviter cela, il prit une cohorte, non de Juifs, mais de
soldats auprès du gouverneur, pour qu'ainsi, l'ordre du pouvoir légitime ayant
été observé, personne n'osât s'opposer à lui. De même, certains des Juifs
conduits par le zèle de la Loi auraient peut-être voulu leur résister, surtout
parce que le Seigneur allait être pris par les Gentils ; c'est pourquoi
Judas prit aussi DES GARDES AUPRÈS DES GRANDS PRÊTRES ET DES PHARISIENS, et
VINT LÀ – Il a couru contre Dieu le cou tendu 1. - Comme pour un brigand vous êtes sortis
avec des glaives et des bâtons2.
1.Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100, co1. 968 C-D. L'interprétation
de paradis comme « jardin de délices » se trouve dans l’Onomastica sacra de
saint Jérôme (4, 30-32, CCL vo1. LXXII, p. 4).
2. Lc 23, 43.
3. Jn 6, 71.
4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.
5. In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 447.
6. Os 2, 14.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.
8. Cf. Le 22, 3
sq.
2279. Ici
l'Évangéliste montre la prompte volonté d'amour du Christ de supporter
volontairement la trahison, d'abord en s'offrant volontairement, puis en
arrêtant le disciple qui résistait [n° 2286].
a)
Le Christ s'offre volontairement.
À propos du premier
point, l'Évangéliste fait deux choses : il raconte d'abord que le Christ
s'est montré pour manifester sa puissance, puis qu'il s'est montré pour
manifester sa patience [n° 2283].
Le Christ s'est
montré pour manifester sa puissance.
ALORS JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER,
S'AVANÇA ET LEUR DIT : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » ILS LUI
RÉPONDIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN. » JÉSUS LEUR DIT :
« C'EST MOI. » OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI AVEC EUX.
QUAND DONC IL LEUR EUT DIT : « C'EST MOI », ILS RECULÈRENT ET
TOMBÈRENT À TERRE. (18, 4-6)
À propos du premier
point, il dit d'abord que le Christ interroge, puis qu'il se manifeste lui-même
[n° 2281], puis il dit l'effet de la manifestation [n° 2282].
2280. [À propos de
l'interrogation du Christ,] il fait trois choses. D'abord, il met en valeur la
science et la connaissance du Christ : ALORS JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI
ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA (...) - Jésus,
sachant que son heure était venue (...) Cela, l'Évangéliste l'a intégré pour deux raisons : d'abord, pour
qu'il ne semble pas que l'interrogation que le Christ allait leur adresser
était faite par ignorance. Ensuite pour qu'il ne semble pas qu'il s'était
offert à eux involontairement et par ignorance alors qu'ils venaient pour le
tuer. Ces pourquoi, TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, il le savait. En second
lieu, l'Évangéliste expose l'interrogation du Christ qui, alors qu'il savait
tout cela, S'AVANÇA cependant ET LEUR DIT : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? »,
mais non par ignorance, comme on l'a dit. En troisième lieu, il donne leur
réponse : ILS LUI RÉPONDIRENT « JÉSUS LE NAZARÉEN »,
sous-entendu : nous le cherchons, non certes pour l'imiter, mais pour agir
avec méchanceté et le tuer. C’est pourquoi
il est dit plus haut : Vous me chercherez, et vous mourrez dans votre
péché1.
1. Jb 15, 26. Saint Thomas commente : « C'est-à-dire en
s'enorgueillissant. En effet c'est par orgueil que l'homme résiste le plus à
Dieu à qui il doit être soumis par l'humilité - Le commencement de l'orgueil, c'est d'abandonner le Seigneur (Si 10, 14). Et de même qu'on dit que celui qui
aime Dieu court dans ses voies à cause de la promptitude de sa volonté à le
servir, ainsi l'orgueilleux, lui aussi, à cause de la présomption de son
esprit, court contre Dieu » (Exp. super lob, 15, 26, p. 99, 1.
248-255).
2. Lc 22, 52.
3. Jn 13, 1.
JÉSUS LEUR
DIT : « C'EST MOI. » OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI
AVEC EUX.
2281. L'Évangéliste
expose ici la manifestation de lui-même par laquelle le Christ s'est présenté à
eux pour être pris : « C'EST MOI », Jésus le Nazaréen, que vous
cherchez. Et l'Évangéliste ajoute la présence de Judas, parce qu'il a dit plus
haut que Judas l'avait quitté2. On pourrait croire qu'il n'y aurait rien
d'étonnant à ce que le Christ n'ait pas été reconnu par eux à son visage, à
cause des ténèbres ; mais que quelqu'un ne soit pas reconnu à sa voix, et
surtout par un homme qui lui est familier, cela ne peut pas être imputé aux
ténèbres. En disant « C'EST MOI », le Christ montre donc qu'il n'a
même pas été reconnu par Judas, familier de lui, qui se tenait avec eux ;
cela manifeste plus que tout la puissance de la divinité du Christ3.
JUDAS, donc, SE TENAIT AVEC EUX, c'est-à-dire persévérait dans le mal, au point
de le montrer par le signe d'un baiser4.
QUAND DONC IL LEUR EUT DIT : « C'EST MOI »,
ILS RECULÈRENT ET TOMBÈRENT À TERRE.
2282. Ici est montré
l'effet de la manifestation. Et comme le dit Grégoire5, on
lit parfois au sujet des saints qu'ils tombent à terre - Il tomba sur sa face et se
prosterna devant Daniel6. - Je tombai sur ma face7. Des hommes iniques aussi, on dit qu'ils tombent - Tes hommes très
beaux tomberont8 -, mais voici la différence : au sujet des hommes iniques il est
dit qu'ils tombent à la renverse - Ils tombent à la renverse et sont pris au
piège9. - Il tomba de son siège à la renverse 10 -,
alors que des saints il est dit qu'ils tombent sur leur face. La raison en est
indiquée dans le livre des Proverbes : Les sentiers des justes sont
comme la brillante lumière dont l'éclat va croissant jusqu'au plein jour, et
la voie des impies est ténébreuse, ils ne savent où ils vont s'écrouler11. En effet, tout homme qui tombe en arrière tombe là où il ne voit pas.
On dit donc des hommes iniques qu'ils tombent à la renverse parce qu'ils
tombent dans des choses invisibles ; en effet, ils s'écroulent là où ils
ne peuvent voir tout de suite ce qui alors les suit. Mais celui qui tombe
devant lui, tombe là où il voit ; et c'est pourquoi on dit des
saints qu'ils s'abaissent spontanément dans les choses visibles pour être
debout dans les réalités invisibles, et qu'ils tombent sur leur face parce que,
saisis de crainte en les voyant, ils s'humilient12. Au sens mystique, le fait que [ceux qui
venaient chercher le Christ] soient tombés à la renverse donne à entendre que
le peuple des Juifs, qui était le peuple particulier13 [de Dieu], n'ayant pas écouté la voix du Christ dans sa prédication,
est retourné en arrière, exclu du Royaume14.
1. Jn 8, 21.
2. Cf. Jn 13, 30.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, co1. 448. Par ailleurs, sur la puissance de la
divinité du Christ, voir vo1. I, nos 752 et 761. Et saint Thomas
souligne l'égalité de la puissance du Christ par rapport à celle du Père, et
que « toutes les choses que fait le Fils, même selon sa nature divine, il
les tient du Père » (vo1. I, n° 1304).
4. L'édition
Marietti renvoie ici à Isaïe 33, en citant un verset de l'Exode : II
sera ta bouche (4, 16). Mais ce verset (qui n'est pas corrigé par l'édition
léonine), exprimant le lien d'amitié et de service entre Aaron et Moïse,
surprend. Nous renvoyons plutôt à Pr 11, 9 : Un menteur trompe par sa
bouche son ami. Voir aussi Pr 10, 11 et 32 ; 19, 28 ; Ps 61, 5,
etc.
5. Homélies sur
Ézéchiel, I, 9, 5, SC 327, p. 337.
6. Dn 2, 46.
7.Ez 2, 1.
8. Is 3, 25.
9. Is 28, 13.
10. 1 S 4, 18.
11. Pr 4, 18-19.
12. Cf. 1 R 21, 29 ; 2 R 22, 19. 2 Ch 7,
14 ; 12, 6-7 ; 12, 12 ; 32, 26, etc. Esd 8, 21. Jdt 4, 9. Si 2, 17.
13. Dt 7, 6 ;
14, 2 ; 26, 18.
14. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII,
3, BA 75, p. 211.
Le Christ s'est
montré pour manifester sa patience.
DE NOUVEAU DONC IL LES INTERROGEA : « QUI
CHERCHEZ-VOUS ? » ILS LUI DIRENT : « JÉSUS LE
NAZARÉEN. » JÉSUS RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI. SI
DONC VOUS ME CHERCHEZ, LAISSEZ ALLER CEUX-CI », POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA
PAROLE QU'IL AVAIT DITE : « CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE N'EN AI PERDU
AUCUN. » (18, 7-9)
2283. On rapporte
ici la seconde interrogation. D'abord l'interrogation réitérée, puis la
manifestation du Christ, et enfin son oblation. S'il a interrogé de nouveau
c'est, selon Chrysostome1 pour deux raisons. D'abord pour qu'en indiquant sa puissance - du fait
que les ennemis qui venaient contre lui sont, en face de lui, tombés à terre à
la renverse - ceux qui croient en lui découvrent que c'est de sa propre volonté
qu'il a été pris - II a été offert parce que lui-même l’α voulu2. En second lieu, aussi, pour donner aux Juifs, autant qu'il le pouvait3,
matière à conversion, après avoir vu un miracle de sa puissance - Qu'aurais-je
dû faire de plus pour ma vigne, que je ne lui aie pas fait ?4
C'est pourquoi, puisqu'ils ne se convertirent pas dès cette manifestation de sa
puissance, il s'omît à eux spontanément pour être pris. Et quand DE NOUVEAU IL
LES INTERROGEA : « QUI CHERCHEZ-VOUS ? » et qu'ILS LUI
DIRENT : « JÉSUS LE NAZARÉEN », lui-même se manifestant de
nouveau RÉPONDIT : « JE VOUS AI DIT QUE C'EST MOI. » En cela, il
est évident qu'ils étaient aveugles au point de ne pas pouvoir le reconnaître.
L'oblation que le
Christ fait de lui-même est exposée quand il dit : SI DONC VOUS ME
CHERCHEZ, c'est-à-dire : si vous cherchez à me prendre, faites ce dont
vous avez l'intention, de telle sorte cependant que vous laissiez aller
ceux-ci, à savoir mes disciples, parce que le moment n'est pas encore venu
qu'ils soient enlevés du monde par la Passion - Je ne prie pas pour que tu
les enlèves du monde5. En quoi il est évident que lui-même a donné
[à ceux qui le cherchaient] pouvoir de le prendre ; car de même qu'il a
gardé ses disciples par sa puissance, il aurait pu encore bien plus se garder
lui-même - Personne ne m'enlève mon âme, mais moi je la dépose de moi-même6.
2284. L'Évangéliste
montre que ce n'est pas parce qu'ils auraient été persuadés par le Christ que
les gardes laissèrent les Apôtres s'en aller, mais en raison de son
pouvoir : POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE, comme si les
gardes avaient laissé les Apôtres s'en aller parce qu'ils ne pouvaient les
retenir, puisque lui-même avait dit plus haut : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS,
JE N'EN AI PERDU AUCUN 7.
2285. Là on peut
objecter que le Seigneur avait dit plus haut cela de la perdition de
l'âme ; comment l'Évangéliste adapte-t-il cela à la perdition du
corps ? À cela je réponds : il faut dire, selon Chrysostome, que le
Seigneur a parlé plus haut de la perdition de l'âme et du corps. Et s'il a
seulement parlé de la perdition de l'âme, il faut dire qu'ici l'Évangéliste la
rapporte à la perdition du corps par une certaine extension8. Ou
bien, selon Augustin, il faut dire que ce qui est dit doit être compris aussi
de la perdition de l'âme, parce que les Apôtres ne croyaient pas encore comme
croient ceux qui ne périssent pas9. Et c'est pourquoi, s'ils avaient alors
quitté ce monde, ils auraient été de ceux qui périssent.
1. In Ioannem hom., LXXXIII,
1-2, PG 59, co1. 447-448.
2. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate). Voir ci-dessus n"
1815 et note 7.
3. En ce sens que Dieu respecte la liberté de l'homme. Cf. Jr 15, 19 : Si tu reviens, je te ferai
revenir et devant moi tu te tiendras.
4. Is 5, 4.
5. Jn 17, 15.
6. Jn 10, 18.
7. Cf. Jn 17, 12.
8. In Ioannem hom., LXXXIII,
1, PG 59, co1. 448.
9. Tract, in Io., CXII, 4, BA 75, p. 213.
b)
Le Christ arrête le disciple qui résiste.
SIMON-PIERRE, DONC, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE
SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE, ET IL LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE. OR LE NOM DU
SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS. JÉSUS DIT DONC À PIERRE : « REMETS LE GLAIVE
AU FOURREAU. LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA
BOIVE ? » (18, 10-11)
2286. Après avoir
montré la promptitude du Christ à supporter la trahison en s'offrant lui-même
volontairement à ceux qui le livraient, l'Évangéliste montre ici qu'il est
prompt à la même chose en interdisant la résistance du disciple. D'abord est
exposée la manifestation du zèle du disciple qui résiste, puis le fait que
Jésus l'ait empêché [n° 2291].
I
À propos du premier
point, il note d'abord le zèle du disciple à frapper le serviteur, puis celui
de l'Évangéliste quand il nomme le serviteur [n° 2290].
2287. Il s'exprime donc ainsi : les gardes s'emparèrent de Jésus, mais Simon-Pierre, plus ardent que tous les autres disciples, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE qui était parmi les gardes, ET IL LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE ; ce n'était pas son intention principale, puisqu'il avait l'intention de le tuer, mais le coup qu'il dirigeait vers la tête fut dévié vers l'oreille. Il dirigeait en effet le coup vers la tête pour montrer avec plus d'évidence qu'il faisait cela par zèle pour son Seigneur - Je suis zélé d'un zèle jaloux pour le Seigneur Dieu des armées1.
2288. Mais ici
surgit une double question : puisque le Seigneur avait commandé à ses disciples
de n'avoir même pas deux tuniques2, comment Pierre avait-il aussi un
glaive ? Je réponds : il faut dire que ce précepte, le Christ le leur
donna quand il les envoya pour prêcher, et il devait durer jusqu'au temps de la
Passion. C'est pourquoi le Christ le révoqua dans la Passion : Quand je
vous ai envoyés sans bourse ni besace, avez-vous jamais manqué de quelque
chose ?3 - Mais maintenant, que celui qui a une
bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui n'en a pas
vende sa tunique pour acheter un glaive4. À cause de cette autorisation (concessio), il semble que Pierre
ait compris qu'il lui était permis de porter un glaive. Mais d'où a-t-il pu
avoir si vite un glaive, puisque le Seigneur avait prononcé peu de temps
auparavant les paroles qu'on a dites ? Il faut répondre, selon Chrysostome
5, que Pierre, ayant depuis longtemps entendu que les Juifs devraient
livrer le Christ aux princes des prêtres pour le crucifier, avait pris peur et
s'était préparé un glaive. Ou bien il faut dire, selon la Glose interlinéaire6, que
par « glaive » il faut entendre ici le couteau qu'il avait peut-être
à table pour manger l'agneau et qu'il avait, en se levant de table, pris avec
lui.
2289. En second
lieu, on se demande pourquoi, alors que le Seigneur leur avait dit de ne pas
résister au mal7, Pierre a frappé le serviteur du grand prêtre. À cela il faut répondre que le
Seigneur leur a défendu de résister à quelqu'un pour se défendre eux-mêmes,
mais non pas pour défendre les maîtres. Ou bien qu'ils n'étaient pas encore
confirmés par une force venant sur eux d'en haut - Demeurez dans la ville
jusqu'à ce que vous soyez revêtus d'une force d'en haut1. C'est pourquoi ils n'étaient pas encore parfaits au point de ne pas du
tout résister au mal2.
1. 1 R 19, 10.
2. Cf. Mt 10, 10.
3. Lc 22, 35.
4. Lc 22, 36.
5. In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1.
449.
6. Il s'agit en
fait d'un commentaire de Theophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 246.
7. Cf. Mt 5, 39.
Saint Thomas, en commentant ce verset de l'évangile de saint Matthieu,
précise : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal, c'est-à-dire
n'ayez pas la volonté de repousser avec un esprit de vengeance une injustice
qui vous a été faite. Aussi, quand il dit au mal, il s'agit du mal
temporel, ou du mal de peine, comme le disent Augustin et Jérôme, et non pas du
mal de faute auquel il faut résister jusqu'à la mort » (Sup. Matth.
lect., V, n° 541).
OR LE NOM DU
SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS.
2290. On donne ici
le nom du serviteur. Il est spécialement signalé par Jean parce que, comme il
est dit plus loin3, lui-même était connu du grand prêtre, et
c'est pourquoi il connaissait aussi ses serviteurs. Aussi, sachant son nom, il
ne l'a pas tu parce qu'il en avait la certitude. Mais Luc ajoute que le
Seigneur lui guérit l'oreille4, et cela convient au mystère5, car
par ce serviteur est signifié le peuple des Juifs, qui était opprimé par les
princes des prêtres - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissaient
eux-mêmes. (...) Ce qui était gras, vous l'égorgiez (...)6 Pierre, le Prince des Apôtres, a donc amputé l'oreille de ce serviteur,
oreille avec laquelle le peuple des Juifs entendait mal, c'est-à-dire d'une
façon charnelle (carnaliter), les paroles de la Loi ; mais le
Seigneur leur a restitué une nouvelle ouïe - Dès que son oreille m'a
entendu, il m'a obéi7. Et en ce sens le serviteur du grand prêtre est à juste titre appelé
Malchus, c'est-à-dire roi, parce que le Christ a fait de nous des rois dans
une nouveauté de vie8 - II a fait de nous pour notre Dieu un
royaume et des prêtres, et nous régnerons sur la terre9.
II
JÉSUS DIT DONC À PIERRE : « REMETS LE GLAIVE AU
FOURREAU. LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA
BOIVE ? »
2291. Ici on expose
le fait que Jésus ait retenu Pierre dans son zèle ; d'abord le fait qu'il
l'ait retenu, puis la raison de son geste [n° 2293].
2292. L'Évangéliste
dit donc que Pierre sortit son glaive pour frapper le serviteur, mais que le
Seigneur lui dit : « REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU », comme pour
lui dire qu'il n'y avait pas à se défendre mais à pâtir, et que l'usage du
glaive matériel ne lui était pas permis - Ô, épée du Seigneur, jusques à
quand ne te reposeras-tu pas ? Rentre en ton fourreau (...) 10 Au
sens mystique, cela signifie que le glaive de la parole du Seigneur devait être
remis au fourreau, c'est-à-dire à la foi des Gentils11.
2293. La raison pour
laquelle le Christ empêche le geste de Pierre est donnée quand il dit :
« LA COUPE QUE LE PÈRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA
BOIVE ? » En effet, on ne doit pas résister à ce qui est disposé par
la Providence divine - Qui
lui a résisté et a eu la paix ?1 Mais la Passion est
appelée coupe parce qu'elle est douce en raison de la charité de celui qui la
subit, mais amère en raison de sa nature, de même qu'un remède qui guérit est
doux à cause de l'espérance de la santé, mais amer à cause de sa saveur - Je
prendrai la coupe du
salut et j'invoquerai le nom du Seigneur2.
1. Lc 24, 49.
2. L'une et l'autre
explication proviennent de saint Jean
Chry-SOSTOME, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449.
3. Cf. Jn 18, 15.
4. Cf. Le 22, 51.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXII, 5, BA 75, p. 215.
6. Ez 34, 2-3.
7. Ps 17, 45.
8. Rm 6, 4 : Nous
avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort [au péché], afin
que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous
marchions, nous aussi, dans une nouveauté de vie.
9. Ap 5, 10. Comme
le Fils ne veut rien d'autre que ce que veut le Père, « il appartient au
libre arbitre de sa puissance de faire vivre qui il veut » (vo1. I, n°
761). Et par lui nous devenons rois et prêtres -Je vous tiendrai pour un
royaume de prêtres, une nation sainte (Ex 19, 6). - Mais vous, vous êtes
une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour
proclamer les louanges de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable
lumière, vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le peuple
de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant avez obtenu
miséricorde (1 Ρ 2, 9-10). —Ils seront prêtres de Dieu et du Christ
avec qui ils régneront mille années (Ap 20, 6).
10. Jr 47, 6.
11. Cf. Glossa ordinaria. Evang. sec. Ioannem. In h. loc,
PL 114, co1. 418 C.
1. Jb 9, 4.
2. Ps 115, 13.
Cette coupe, c'est
donc le Père qui la lui a donnée, parce qu'il a subi la Passion de son plein
gré, par sa propre volonté et celle du Père 3 - Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il
ne t'avait été donné d'en haut4.
3. Cf. vo1. I, n° 478 : « Dieu a-t-il donc donné son
Fils pour qu'il mourût sur la Croix ? Assurément il l'a donné pour la
mort de la Croix (Ph 2, 8), en tant qu'il lui a donné la volonté d'y
souffrir, et cela de deux manières. Car d'une part, en qualité de Fils de Dieu,
il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour
nous ; et cette volonté, il la tenait du Père ; et, d'autre part,
c'est Dieu qui inspira à l'âme du Christ la volonté de souffrir ».
4. Jn 19, 11.
2294. Ici est exposé
comment le Seigneur, ayant été pris par les gardes, est présenté aux princes du
peuple ; d'abord comment il est conduit à l'un d'eux, à savoir Anne, puis
à l'autre, à savoir Caïphe [n° 2322].
À propos du premier
point, l'Évangéliste dit d'abord comment il est présenté à Anne, puis comment
il est examiné par lui [n° 2311].
a)
Comment le Christ est présenté à Anne.
À propos du premier
point, il montre d'abord comment il est conduit à la maison d'Anne, puis
comment les disciples le suivent [n° 2299].
I
LA COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARÈRENT
DE JÉSUS ET LE LIGOTÈRENT, ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE. IL ÉTAIT EN EFFET
LE BEAU-PÈRE DE CAÏPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ. OR C'ÉTAIT
CAÏPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL : « MIEUX VAUT QU'UN SEUL
HOMME MEURE POUR LE PEUPLE »> (18, 12-14)
Là, on montre
d'abord ce qui a été fait à l'égard de Jésus, puis on précise qui est le
pontife auquel il est conduit [n° 2297].
LA COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARÈRENT
DE JÉSUS ET LE LIGOTÈRENT, ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À ANNE.
2295. En ce qui
concerne le Christ, trois choses ont été accomplies. D'abord on s'empare de
lui ; c'est pourquoi il est dit : LA COHORTE, c'est-à-dire [la
cohorte] des soldats, et leur TRIBUN, ET LES GARDES DES JUIFS, S'EMPARÈRENT (comprehenderunt)
DE JÉSUS, lui qu'on ne peut saisir1
- Tu es grand dans ton conseil, et
incompréhensible dans ta pensée2. Peut-être avaient-ils en
tête cette parole du psaume : Dieu l’α abandonné ;
poursuivez-le et saisissez-le, puisqu'il n'est personne qui délivre3. - Le souffle (spiritus) de notre bouche, l'Oint du Seigneur, a été
pris dans nos péchés4, c'est-à-dire à cause de nos péchés, pour nous libérer. - Voici ce que dit le
Seigneur : Même la proie du fort lui sera enlevée5. En second lieu, il est
ligoté, et c'est pourquoi il dit : LE LIGOTÈRENT, lui qui est venu libérer
ceux qui étaient liés et rompre
leurs liens1 - Tu as rompu mes liens2. En troisième lieu, il est amené : ET ILS L'AMENÈRENT D'ABORD À
ANNE, pour le perdre, lui qui est venu conduire tous [les hommes] sur le chemin
du salut - Tu m'as conduit, parce que tu es devenu mon espérance3.
1. Qui incomprehensibilis est ; saint Thomas emploie
ce terme à dessein : Dieu est incompréhensible, aucune créature
spirituelle ne peut le connaître autant qu'il peut être connu. Dieu seul a de
lui-même une science de compréhension. Cf. Somme théo1., I, q. 14 ; III, q. 9 sq.
2. Jr 32, 19.
3. Ps 70, 11.
4. Lm 4, 20.
5. Is 49, 25.
2296. On peut donner
deux raisons pour lesquelles il est d'abord conduit à Anne. L'une est la charge
de Caïphe, le grand prêtre de cette année-là, en ce sens qu'il envoya Jésus à
Anne pour être plus excusable si lui-même, par la suite, condamnait quelqu'un qui
avait déjà été condamné par Anne. L'autre raison est la proximité de la maison
d'Anne : celle-ci, située sur la route, était plus proche4. Et
craignant que, s'il s'élevait un tumulte dans le peuple, Jésus fût arraché de
leurs mains, ils le mirent là à l'écart.
IL ÉTAIT EN EFFET LE BEAU-PÈRE DE CAÏPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND
PRÊTRE DE CETTE ANNÉE-LÀ.
2297. Ici on
présente d'abord le pontife par son affinité avec Caïphe, parce qu'IL ÉTAIT son
BEAU-PÈRE ; puis on présente Caïphe lui-même, QUI ÉTAIT LE GRAND PRÊTRE DE
CETTE ANNÉE-LÀ. Il faut savoir, en effet, que selon la Loi le grand prêtre
remplissait sa fonction à vie ; un fils lui succédait après sa mort. Mais
par la suite, l'envie et l'ambition des princes croissant, non seulement le
fils ne succédait pas au père, mais même le pontife ne remplissait pas sa
fonction plus d'une année ; de plus c'est l'argent qui procurait cette
fonction, comme Josèphe5 le rapporte. C'est pourquoi il n'est pas
étonnant que, dans l'année de ce pontificat si mal acquis, Caïphe ait accompli
une chose si abominable.
2298. Il est aussi
décrit d'après son conseil ; c'est pourquoi l'Évangéliste a dit que
C'ÉTAIT CAÏPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL, rapporté plus haut6 :
« MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. » Cela, l'Évangéliste
l'a rappelé pour enlever le scandale du cœur des fidèles, en montrant aussi par
les prophéties des adversaires que ce n'est pas en raison d'une infirmité ou
d'une impuissance de sa part que Jésus a été pris et qu'il est mort, mais pour
le salut du peuple, c'est-à-dire pour que la nation tout entière ne
périsse pas7. En
effet, le témoignage de l'adversaire est plus efficace ; et la vérité est
d'une nature telle que même l'adversaire ne peut la taire8.
II
OR SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE.
CE DISCIPLE ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE ET IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU
GRAND PRÊTRE, ALORS QUE PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE. L'AUTRE
DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE, SORTIT DONC ET DIT UN MOT À LA
PORTIÈRE, ET IL FIT ENTRER PIERRE. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À
PIERRE : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET
HOMME ? » IL DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » OR LES
SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRÈS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID,
ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT. (18,
15-18)
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII,
6, BA 75, p. 217.
2. Ps 115, 16.
3. Ps 60, 3-4.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIII, 5, BA 75, p. 235.
5. Saint Thomas
cite ici sans doute Flavius Josèphe (Antiquités
juives, XVIII, iv, 3 ; Reinach, p. 150-151) à travers la présentation
que fait Eusèbe de Césarée de la
succession des grands prêtres dans la Démonstration évangélique (VIII,
il, 96 sq. GCS, p. 385-386 ; Migne, co1. 290). Cf. aussi Histoire
ecclésiastique, I, x, SC 31, p. 35-37.
6. Cf. Jn 11, 50.
7. Ibid.
8. Cf. SAINT Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449. Sur la vérité, voir ci-dessous, n° 2364 et
note 6, n° 2365.
2299. Ici est exposé
comment les disciples se sont associés au Christ ; on montre d'abord
comment Pierre suivait le Christ avec un autre disciple, puis comment il entra
à l'endroit où était le Christ [n° 2303], et enfin comment il le renia [n°
2307].
2300. Il dit donc
que SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, parce qu'il lui était profondément attaché,
mais qu'il le suivait de loin en raison de sa peur, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE,
c'est-à-dire Jean, qui cache son nom à cause de son humilité. Mais par là il
est donné à entendre que le reste des disciples s'était enfui en abandonnant
Jésus, comme il est dit en Matthieu1.
2301. Au sens
mystique, on entend par ces deux disciples deux vies qui suivent le
Christ : la vie active, qui est signifiée par Pierre, et la vie
contemplative, signifiée par Jean2. Certes la vie active suit le Christ en
obéissant - Mes brebis écoutent ma voix3-, mais la vie contemplative le suit en connaissant et en contemplant - Nous
te connaîtrons et nous te
suivrons4.
2302. Ces deux
disciples suivaient parce qu'ils aimaient le Christ plus que tous les autres -
c'est pourquoi ils vinrent au tombeau5 les premiers - et parce qu'une plus grande force d'amour les unissait
l'un à l'autre ; c'est pourquoi, dans l'Évangile, ils sont souvent
mentionnés ensemble6. Et dans les Actes des Apôtres il est dit
que [les Apôtres qui étaient à Jérusalem] envoyèrent [en Samarie] Pierre
et Jean7 et [déjà, avant,] que Pierre et Jean montèrent au Temple8.
1. Cf. Mt 26, 56.
2. Voir
ci-dessous, nos 2306, 2487 et 2640.
3. Jn 10, 27.
4. Os 6, 3.
5. Jn 20, 3.
6. Voir Jn 13,
23-24 ; 18, 15-16 ; 20, 2-4 et 8 ; 21, 7 ; 21, 20 et 23-24.
7. Ac 8, 14.
8. Ac 3, 1.
CE DISCIPLE ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE ET IL ENTRA AVEC
JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, ALORS QUE PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA
PORTE.
2303. Ici on montre
l'ordre selon lequel Pierre entra : d'abord comment Jean le précéda, puis
comment il fit entrer Pierre [n° 2306].
2304. L'ordre fut
tel parce que Jean entra en premier avec Jésus. La raison de cela était qu'il
ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Et PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, À LA PORTE de la
cour. Bien que Jean fût pêcheur et ait été appelé jeune par le Christ, il était
cependant connu du grand prêtre, soit parce que le père de Jean en était le
serviteur, soit parce qu'il était quelqu'un de sa parenté. Jean n'a pas noté
cela par vantardise, mais par humilité, pour que le fait qu'il entra d'abord
avec Jésus dans la cour du grand prêtre, et non pas Pierre, ne fût pas
davantage attribué à sa vertu et à sa supériorité qu'au fait qu'il était connu9. C'est
pourquoi il dit : CE DISCIPLE, à savoir Jean, était connu du grand prêtre. Et
c'est pourquoi IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRÊTRE, où le Christ
avait été conduit. PIERRE, lui, SE TENAIT AU-DEHORS, annonçant en quelque sorte
son reniement à venir - Ceux qui me voyaient s'enfuirent au-dehors loin de
moi10.
2305. Au sens mystique, Jean entre avec Jésus parce que la vie contemplative lui est familière - Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 11. Mais Pierre se tient au-dehors parce que la vie active s'occupe des choses extérieures - Marie, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se démenait dans les multiples soins du service1.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, co1. 449.
10. Ps 30, 12.
l1. Sg8, 16.
L'AUTRE DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE,
SORTIT DONC ET DIT UN MOT À LA PORTIÈRE, ET IL FIT ENTRER PIERRE.
2306. Ici on montre
comment Pierre fut introduit sur l'intervention de Jean, parce que L'AUTRE
DISCIPLE, c'est-à-dire Jean, ÉTAIT CONNU DU GRAND PRÊTRE. Il parla à la
portière pour qu'elle l'introduise, et elle fit entrer Pierre. Par là, au sens
mystique, il est donné à entendre que c'est par la vie contemplative que la vie
active est introduite auprès du Christ. En effet, de même que la raison
inférieure est dirigée par la raison supérieure, de même, la vie active par la
vie contemplative - Envoie ta lumière et ta vérité : elles me
conduiront et m'amèneront à ta sainte montagne, jusqu 'en ta demeure2.
LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE :
« N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » IL
DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE
TENAIENT PRÈS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT.
PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT. (18, 17-18)
2307. On expose ici
le reniement de Pierre ; d'abord le motif du reniement, puis le reniement
lui-même [n° 2309], enfin la confirmation du reniement [n° 2310].
2308. L'occasion et
le motif du reniement furent l'interrogation de la servante adressée à Pierre.
LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC À PIERRE : « N'ES-TU
PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? » Elle dit : TOI AUSSI, parce qu'elle savait que Jean était
un disciple du Christ, mais parce qu'il était familier [du grand prêtre] elle
ne lui dit rien. La faiblesse de Pierre apparaît à ce moment-là, parce que
c'est une occasion dérisoire qui l'amena à renier, dérisoire en raison de deux
choses. D'abord à cause de la personne qui l'interrogeait, car il ne s'agissait
ni d'un soldat armé, ni d'un pontife digne d'admiration, mais d'une femme, et
d'une servante chargée de la porte 3. Ensuite à cause de la forme de
l'interrogation, parce qu'elle n'a pas dit : « N'es-tu pas des
disciples de ce traître ? » En cela, il semble qu'elle lui ait parlé
plutôt par compassion4. C'est pourquoi on saisit aussi par là que par la parole du
Seigneur, les deux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche, toute leur
puissance5, parce que celui qui renia le Christ à la voix d'une servante
va, par la suite, prêcher et confesser le nom du Christ devant les chefs des
prêtres6.
IL DIT : « JE N'EN SUIS PAS. »
2309. L'Évangéliste
expose ici le reniement de Pierre. Et là nous devons remarquer, selon Augustin7, que
le Christ peut être renié non seulement par quelqu'un qui affirme que Jésus
n'est pas le Christ, mais aussi par celui qui nie être chrétien. En effet,
Pierre n'a rien renié d'autre que le fait d'être chrétien. Et le Seigneur a
permis que Pierre renie parce qu'il a voulu que celui qui devait être placé à
la tête de l'Église ait plus de compassion pour les faibles et ceux qui
pèchent, ayant expérimenté en lui-même l'infirmité du péché. L'épître aux
Hébreux dit : Nous n'avons
pas un grand prêtre qui ne pourrait compatir à nos infirmités puisqu'il a été
éprouvé en toutes choses hormis le péché1 : cela est vrai du
Christ, mais on peut aussi le dire de Pierre, même avec le péché. Certains
cependant, appropriant à tort cette grâce à Pierre, disent qu'il n'a pas renié
par crainte mais par amour, voulant être toujours avec le Christ et le suivre
sans cesse ; il savait en effet que s'il avouait être des disciples du
Christ, il aurait été séparé du Christ et expulsé2. Mais cela n'est pas en accord avec les
paroles du Seigneur, parce que ce n'est pas pour cela qu'il renia mais parce
qu'il n'a pas voulu perdre son âme pour le Christ. Plus haut en effet, quand il
avait dit : Je perdrais
mon âme pour toi, Jésus avait répondu : Tu perdrais ton âme pour
moi ? Amen, amen, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies
renié trois fois3.
1. Lc 10, 39-40.
2. Ps 42, 3. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce
verset, voir ci-dessous, n° 2582, note 7.
3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2,
PG 59, co1. 450.
4. Cf. saint Jean Chrysostome, ibid.
5. Ps 32, 6. Saint Thomas
commente : « Au sens mystique, par deux on entend les
Apôtres ; ceux-ci ont été affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-à-dire
du Christ, ou par le Fils du Seigneur ; et telles sont sa supplication et
sa doctrine : Moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu
seras revenu, affermis tes frères (Le 22, 32). De même leur puissance a été affermie par l'Esprit
Saint - Restez dans la
ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut (Le 24,
49) » (Exp. in Psalmos, 32, n° 5).
6. Cf. Ac 4, 8.
7. Cf. Tract, in Io., CXIII, 2, BA 75, p.
223-225.
OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRÈS DES BRAISES
PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC
EUX ET SE CHAUFFAIT.
2310. La
confirmation du reniement est exposée ici : Pierre se tenait là avec eux
comme pour faire paraître davantage qu'il n'était pas disciple du Christ. En
effet, Pierre, pour ne pas sembler faire partie des disciples, se plaça parmi
les serviteurs et les gardes qui se tenaient auprès des braises parce qu'il
faisait froid, comme il arrive parfois à l'équinoxe d'hiver en mars. En cela,
Pierre n'a pas bien considéré ce qui est dit dans le psaume : Tu seras
saint avec le saint4. Le temps lui-même aussi était en accord avec la condition de son
esprit, en lequel la charité s'était refroidie 5 - La chanté de beaucoup se
refroidira6.
b)
Comment le Christ est examiné par Anne.
2311. Ici, Jésus est
examiné par le grand prêtre. On expose d'abord l'interrogatoire, puis la
réponse de Jésus [n° 2313], enfin la réprimande [d'un garde] à sa réponse [n°
2317].
1. He 4, 15. Saint
Thomas commente : « II a été éprouvé si bien qu'en toutes choses,
aussi bien les temporelles que toutes les autres, si ce n'est le péché
seulement, il est semblable à nous. En effet, s'il avait été sans tentations,
il ne les aurait pas expérimentées et ainsi il ne compatirait pas. Mais s'il
avait connu le péché il n'aurait pas pu nous aider mais il aurait plutôt besoin
d'aide » {Ad Heb. lect., TV, n° 237).
2. Cette opinion
est rapportée par Théophylacte {Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 250 C).
3. Jn 13, 37-38.
4. Ps 17, 26.
5. Cf. saint Grégoire le Grand, Morales sur
Job, II, n, 2, SC 32 bis, p. 255-257.
6. Mt 24, 12.
I
LE GRAND PRÊTRE DONC, INTERROGEA JÉSUS AU SUJET DE SES
DISCIPLES ET DE SON ENSEIGNEMENT. (18, 19)
2312. Deux choses
étaient reprochées au Christ par les Juifs : d'une part une doctrine
fausse et nouvelle - Quel est cet enseignement nouveau ?7 D'autre part, la sédition et le fait qu'il attirait les hommes à lui - Il
remue les foules dans toute la Judée,
commençant par la Galilée jusqu'ici8. C'est pourquoi Anne l'interroge au sujet de ces deux choses. D'abord,
certes, AU SUJET DE SES DISCIPLES qu'il semblait avoir séduits9,
puis au sujet DE SON ENSEIGNEMENT, en l'accusant de fausseté.
7. Mc 1, 27.
8. Lc 23, 5.
9. À propos de seducere,
voir vo1. I, n° 1110.
II
JÉSUS LUI RÉPONDIT : « MOI, J'AI PARLÉ AU MONDE
OUVERTEMENT ; J'AI TOUJOURS ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE,
OÙ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT, ET JE N'AI RIEN DIT EN SECRET. POURQUOI
M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU CE QUE JE LEUR AI
DIT : C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT. » (18, 20-21)
2313. Ici est
exposée la réponse du Seigneur. D'abord il affirme le mode de son enseignement,
puis il requiert le témoignage des autres [n° 2316]. À propos du premier point,
il montre la manifestation de son enseignement, puis il l'explique [n° 2315].
MOI, J'AI PARLÉ AU MONDE OUVERTEMENT.
2314. À cela on peut
objecter que plus haut il a
dit : Elle vient, l'heure où je ne vous parlerai plus en proverbes,
mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père1. Si donc il n'avait pas encore parlé ouvertement aux disciples, comment a-t-il
parlé au monde ouvertement ? Réponse : il faut dire qu'il ne parlait
pas encore ouvertement aux disciples parce qu'il leur proposait des maximes
excellentes, mais qu'il parla au monde ouvertement parce qu'il prêchait publiquement
à tous.
2315. Il explique
donc cela en disant : J'AI TOUJOURS ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET
DANS LE TEMPLE, OÙ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT, ET JE N'AI RIEN DIT
EN SECRET. On
objectera qu'en Matthieu2 il est dit que Jésus enseignait à ses
disciples, à part, beaucoup de choses sans paraboles. À cela, il y a trois
réponses3. L'une est que ce qu'il disait aux douze
disciples n'était pas considéré comme dit d'une manière cachée. La deuxième,
qu'il ne donnait pas ces choses aux disciples avec l'intention de les cacher,
mais de les publier - Ce que vous entendez au creux de l'oreille, prêchez-le sur les toits4. La troisième réponse est que, s'il se trouve une certaine vigueur dans
sa parole, c'est parce que le Seigneur parle ici de l'enseignement qu'il
livrait au peuple, enseignement qu'il n'a pas proposé à des petits groupes,
mais qu'il a donné dans des
lieux publics -J'ai annoncé ta justice dans la grande assemblée5. - Je
n'ai pas parlé dans le secret, en un lieu ténébreux de la terre6.
POURQUOI M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX QUI ONT
ENTENDU CE QUE JE LEUR AI DIT : C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT.
2316. Le Christ
réclame ici le témoignage des autres. D'abord il le renvoie au témoignage des
autres ; puis il montre ceux dont il requiert le témoignage ; enfin, il
donne la raison de ces choses. À propos du premier point, il dit :
« POURQUOI M'INTERROGES-TU ? », comme pour dire : tu peux
savoir cela par d'autres. C'est pourquoi - et c'est le second point - il
ajoute : « INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU. » Car, comme il est
dit en Matthieu, Ils envoyèrent
des hommes à Jésus pour qu'ils l'observent et le prennent dans sa parole7,
mais ces hommes ne purent rien
trouver contre lui. Et c'est pourquoi il renvoie le grand prêtre à eux. Et il
ajoute la raison de cela : « C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI
J'AI DIT », donc ils peuvent témoigner de ces choses.
1. Jn 16, 25. Voir ci-dessus, n° 2151.
2. Voir Mt 13, 36 ; cf. 13, 10-11 et 15, 15. Cf. Me 4,
34 ; cf. 4, 10-11 et 7, 17.
3. Saint Thomas reprend, en le résumant, le commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., CXIII,
3, BA 75, p. 227-229). Voir aussi Somme théol, III, q. 42, a. 3.
4. Mt 10, 27.
5. Ps 39, 10.
6. Is 45, 19.
7. Mt 22, 15.
III
QUAND IL EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LA
LUI DONNA UNE GIFLE, EN DISANT : « C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU
GRAND PRÊTRE ? » JÉSUS LUI DIT : « SI J'AI MAL PARLÉ, PORTE
TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI ME
FRAPPES-TU ? » (18, 22-23)
2317. Après la
réponse du Seigneur, l'Évangéliste rapporte ici le blâme de cette
réponse ; d'abord le blâme du serviteur, puis la justification du Seigneur
[n° 2320].
2318. Le serviteur
blâme la réponse du Seigneur d'abord par un geste, en lui faisant l'affront de
lui donner une gifle. C'est pourquoi l'Évangéliste dit : QUAND IL, Jésus,
EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LÀ, c'est-à-dire un des
serviteurs du grand prêtre, LUI DONNA UNE GIFLE. Ce qui n'arriva certes pas par
hasard, mais avait été prophétisé longtemps auparavant et à plusieurs reprises :
J'ai livré mon corps à ceux
qui me frappaient et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe1. - II tendra la joue à qui le frappe (...) 2 - A coups de verge ils frapperont la joue du
juge d'Israël3. En second lieu, il le
blâme par une parole en disant : C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND
PRÊTRE ?, où il est donné à entendre qu'Anne était grand prêtre et que
Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe4. C'est pourquoi Luc fait mention de ces deux
grands prêtres : Sous les pontificats, dit-il, des grands prêtres
Anne et Caïphe5. Et si on parle de deux grands prêtres, c'est parce qu'ils
revendiquaient à tour de rôle le pontificat pour eux-mêmes ; mais cette
année-là, Caïphe était le prince des prêtres6.
1. Is 50, 6. Commentant ce verset du troisième chant du Serviteur
de Yahvé, saint Thomas dit : « II se donne en exemple quant à
l'obéissance, en manifestant une obéissance parfaite (...)· Il manifeste aussi
la constance dans l'obéissance, parce que pour aucun danger il n'a quitté cette
obéissance -J'ai livré mon corps (...)j
c'est-à-dire je me suis exposé à souffrir de telles choses. Peut-être au
sens littéral a-t-il souffert ces choses mais c'est dans le Christ que cela a
été pleinement accompli » (Exp. super Isaiam, 50, 6, p. 206, 1.
71-75).
2. Lm 3, 30.
3. Mi 5, 1.
2319. Le serviteur
fut poussé à frapper Jésus du fait qu'il avait fait appel au témoignage de ses
auditeurs. Or plus haut7, alors que les grands prêtres avaient envoyé
des serviteurs pour l'appréhender, ceux-ci, saisis par les paroles de Jésus,
revinrent en disant que jamais un homme n'avait parlé comme cet homme8. Voulant donc ici se justifier en montrant qu'il n'était pas de ceux-là,
le serviteur le frappa, en conjecturant que le Christ avait mal répondu au
grand prêtre. En effet, en disant : Pourquoi m'interroges-tu ?,
il semblait avoir blâmé le grand prêtre par une interrogation imprudente, alors
qu'il est écrit : Ne maudis pas le chef de ton peuple9.
SI J'AI MAL PARLÉ, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI
J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI ME FRAPPES-TU ?
4. Cf. saint Augustin, De
consensu Evangelistarum, III, vi, 24, PL 34, co1. 1170.
5. Lc 3, 2.
6. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., CXIII, 5, BA 75, p. 235. En réalité, Caïphe occupait la charge de
grand prêtre depuis l'an 18. Anne est régulièrement qualifié du titre de grand
prêtre parce qu'il exerça cette fonction de l'an 6 à 15, qu'il était le
beau-père de Caïphe et qu'il jouissait d'une grande influence. En 36,
Vitellius, légat de Syrie, remplaça Caïphe par le propre fils d'Anne, Jonathan.
Au sujet de Caïphe, déjà mentionné par l'Évangéliste au sujet de sa prophétie
sur la mort de Jésus, voir vo1. I, n'11 1579 et 1580.
7. Cf. Jn 7, 32.
8. Jn 7, 46.
9. Ex 22, 28.
2320. Ensuite, Jésus
se justifie avec raison quand il dit : SI J'AI MAL PARLÉ en répondant au
grand prêtre, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. Autrement dit : si, à
partir des paroles que j'ai prononcées, tu as quelque chose que tu puisses me
reprocher, montre ce que j'aurais dit de ma1. Car c'est sur la parole de deux ou trois témoins que tout fait
sera établi1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ,
c'est-à-dire si tu ne peux pas montrer cela, POURQUOI ME FRAPPES-TU ?,
autrement dit : Pourquoi te déchaînes-tu contre moi ?
Cela peut aussi se
rapporter à ce qu'il a dit plus haut : Interroge ceux qui ont entendu
ce que je leur ai dit2, et le sens est alors celui-ci : SI J'AI MAL PARLÉ, dans la
synagogue et dans le temple, ce que je n'aurais pas dû faire, PORTE TÉMOIGNAGE
AU SUJET DU MAL, donc de ce que j'ai dit, en face du prince des prêtres. Mais
cela, le serviteur n'aurait pas pu le montrer, car il n'a pas commis le péché3. - Qui d'entre vous me convaincra de
péché ? 4 MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-à-dire enseigné, POURQUOI ME
FRAPPES-TU ? Autrement dit, c'est injuste - Le mal se rend-il pour le
bien, qu'ils creusent une fosse pour mon âme ?5
2321. Mais il y a
ici une question, parce que le Seigneur a prescrit à ses disciples : Si
quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l'autre6, et
Luc parle de ce que Jésus a fait et enseigné7. Il aurait donc dû faire ce qu'il a
enseigné. Mais cela, il ne l'a pas fait8 ; bien plus, il semble avoir fait le
contraire, il a protesté. À cela il faut répondre, selon Augustin9, que
les paroles et les préceptes de l'Écriture Sainte peuvent être interprétés et
compris à partir des actions des saints, puisque ceux-ci agissent sous la
motion du même Esprit Saint qui a inspiré les Prophètes et les autres auteurs
de l'Écriture Sainte. En effet, comme le dit Pierre, c'est inspirés par
l'Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé10 ;
et Paul : Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de
Dieu11. Ainsi, l'Écriture Sainte doit être comprise telle que le Christ et les
autres saints l'ont gardée. Or le Christ n'a pas présenté l'autre joue au
serviteur, et Paul non plus 12. Il ne faut donc pas comprendre que le
Christ avait ordonné que l'on tendît au sens littéral, matériellement, l'autre
joue à celui qui en frappe une. Mais il faut comprendre que l'âme doit se
préparer afin que, si cela était nécessaire, elle soit dans une disposition
telle qu'elle ne s'émeuve pas contre celui qui frappe, mais soit prête à
supporter quelque chose de semblable et même davantage. Et cela, le Seigneur
l'a observé, lui qui a livré son corps à la mort. Ainsi la protestation du
Seigneur fut utile à notre instruction13.
1. Dt 19, 15.
2. Jn 18, 21.
3. 1 Ρ 2, 22.
4. Jn 8, 46.
5. Jr 18, 20.
6. Mt 5, 39.
7. Ac 1, 1.
8. Saint Thomas commente ainsi le verset de saint Matthieu qu'il
vient de citer (Mt 5, 39) : « Un outrage fait à des personnes (...)
peut être repoussé de trois manières. Soit on l'empêche comme Paul qui, par des
soldats, a empêché les outrages des Juifs ; soit on convainc l'autre
d'erreur, comme le Seigneur l'a fait pour celui qui lui donnait une gifle (cf.
Jn 18, 23) - et cela est permis à tous, aussi bien parfaits
qu'imparfaits ; ou encore on la repousse contraint par une nécessité,
comme quand une blessure ne peut être évitée ni par la fuite, ni par un autre
moyen de l'empêcher » (Sup. Matth. lect., V, n" 542).
9. Tract, in Io., CXIII, 4,
BA 75, p. 233.
10. 2 Ρ 1, 21.
11. Rm 8, 14.
12. Cf. Ac 16, 37 ; 22, 25 et 23, 2-3.
13. Voir vo1. I, Préface, p. 16 et note 3, sur la manière
intérieure de garder la parole de Dieu en confrontant deux versets de
l'Écriture qui semblent être en contradiction.
2322. On montre ici
comment Jésus est envoyé par le grand prêtre à l'autre grand prêtre. D'abord on
expose l'envoi, puis on achève le récit du reniement de Pierre [n° 2324].
2323. Il dit donc :
ET ANNE L'ENVOYA, LIÉ, AU GRAND PRÊTRE CAÏPHE, à qui il était conduit dès le
début ; la cause pour laquelle Anne l'avait d'abord mis à l'écart a été
dite plus haut [n° 2296]. Mais soyons attentifs à sa fourberie. En effet, alors
qu'il aurait dû relâcher Jésus, vu qu'il était sans faute, il l'a cependant
envoyé ligoté à Caïphe.
OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LA ET SE CHAUFFAIT. ILS LUI DIRENT
DONC : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DE SES DISCIPLES ? » IL
NIA ET DIT : « JE N'EN SUIS PAS. » UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE,
PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : « NE
T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? >> DE NOUVEAU PIERRE NIA.
ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA. (18, 25-27)
2324. On traite ici
du second, puis du troisième reniement de Pierre, en affirmant d'abord
l'occasion du reniement, puis le double reniement de Pierre [n° 2326], et enfin
l'accomplissement du signe des paroles du Christ [n° 2327].
OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT.
2325. L'occasion du
second reniement de Pierre fut qu'il s'attarda avec les serviteurs du grand
prêtre qui se tenaient auprès du feu. Car, selon Chrysostome1, alors que le Christ s'éloignait vers Caïphe, Pierre resta encore avec
les serviteurs. En effet il avait, après son [premier] reniement, été absorbé
par le péché à tel point que, lui qui auparavant était plein d'ardeur, semblait
maintenant ne plus se soucier du Christ - J'ai prêté attention et j'ai
écouté (...). Personne ne fait pénitence pour son péché en disant :
« Qu'ai-je fait ? »2 C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET
SE CHAUFFAIT, bien que le Christ se fût éloigné de là, et il ne se souvenait
pas de ce que dit le psaume : Bienheureux l'homme qui ne va pas au
conseil des impies et ne se tient pas sur le chemin des pécheurs3. Mais on ne peut pas s'arrêter à cette interprétation, parce qu'alors il
s'ensuivrait que le second et le troisième reniements auraient eu lieu en
l'absence du Christ, ce qui va contre ce que dit Luc : après le troisième
reniement de Pierre, le Seigneur, s'étant retourné, regarda Pierre4. C'est pourquoi Augustin5, expliquant cela autrement, dit que
l'Évangéliste, selon son habitude, parle par récapitulation, pour montrer la
continuation et l'ordre de la réalité. Il avait dit en effet plus haut que les
serviteurs se tenaient là et que Pierre se tenait avec eux et se
chauffait6, après quoi il a exposé l'interrogatoire du Christ par le grand prêtre
[Anne], et pour enchaîner il reprend presque les mêmes paroles en disant :
OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LÀ ET SE CHAUFFAIT, c'est-à-dire avant que le Christ
ait été envoyé à Caïphe.
ILS LUI DIRENT DONC : « N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DE
SES DISCIPLES ? » IL NIA ET DIT : « JE N'EN SUIS
PAS. »> UN DES SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE
AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : « NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN
AVEC LUI ? »> DE NOUVEAU PIERRE NIA.
1. Cf. In Ioannem
hom., LXXXIII, 3, PG 59, co1. 451.
2. Jr 8, 6.
3. Ps 1, 1.
4. Lc 22, 61.
5. De consensu
Evangelistarum, III, vi, 24,
PL 34, co1. 1170.
6. Jn 18, 18.
2326. On rapporte
ensuite le deuxième et le troisième reniements de Pierre, et à propos de l'un
et l'autre deux choses sont rapportées : l'occasion du reniement
(l'interrogation) et le reniement lui-même. Mais ici surgissent deux questions
littérales1. Car Matthieu, parlant du second reniement,
dit : Comme il sortait vers le portail, une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient
là : celui-ci aussi était avec Jésus le Nazaréen. Et de nouveau, il nia en
jurant2. Il semble donc y avoir ici deux contradictions. D'abord, parce que Jean
a dit que Pierre nia alors qu'il se tenait auprès du feu, et Matthieu alors
qu'il sortait de la maison. Autre contradiction : selon Matthieu, Pierre
est interrogé par « une autre servante » et, selon Jean, il est
interrogé par d'autres, à savoir plusieurs : ILS LUI DIRENT DONC... À cela
il faut répondre que la première fois où Pierre nia, il se leva et sortit par
la porte et que, au moment où il sortait, une autre servante l'interrogea ou
bien dit aux autres qu'il était « de ceux-là », comme le rapporte
Matthieu. Et c'est ainsi qu'il nia une seconde fois. Après quoi, Pierre revint
pour se disculper aussi de cela et s'assit avec les autres, et, alors qu'il
était assis là, les autres qui avaient entendu la servante l'interrogèrent de
nouveau, comme le dit Matthieu3. Ou bien d'abord un seul, puis beaucoup
d'autres, comme il est dit ici. Et c'est ainsi qu'il nia une troisième fois.
C'est pourquoi on ajoute, au sujet du troisième reniement : UN DES
SERVITEURS DU GRAND PRÊTRE, PARENT DE CELUI À QUI PIERRE AVAIT COUPÉ
L'OREILLE... Ce troisième a rendu témoignage parce qu'il l'a vu :
« NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? » Et DE NOUVEAU,
un intervalle d'une heure s'étant écoulé, PIERRE NIA, pour la troisième fois.
Peu importe que les autres évangélistes disent que la troisième interrogation a
été posée par plusieurs et que Jean dise qu'elle a été posée par un seu1. En
effet, il a pu se faire que celui qui était le plus sûr de lui ait interrogé et
incité les autres à interroger. Car, concernant ces paroles, beaucoup de choses
ont été dites par ceux qui y ont assisté, et un évangéliste en rappelle une et
un autre en rappelle une autre, parce que leur intention principale ne porte
pas là-dessus ; elle est plutôt de rappeler les paroles de Pierre et de
montrer la vérité de ce que le Seigneur avait dit à Pierre4.
C'est pourquoi tous se rejoignent dans les paroles de Pierre.
2327. Il s'agit
ensuite du signe qui rappelle [ce qu'avait annoncé] le Christ, ET AUSSITÔT, UN
COQ CHANTA, mû par la puissance divine, pour que fût accomplie la prédiction du
médecin et confondue la présomption du malade5.
1. Dans l'énoncé
des difficultés soulevées dans ce paragraphe et le suivant, saint Thomas reprend ce que dit saint Augustin dans son De
consensu Évangelistarum, III, vi,
24-25, PL 34, co1. 1171-1172.
2. Mt 26, 71-72.
3. Cf. Mt 26,
73-74.
4. Cf. Nb 23,
19 : Dieu n'est pas comme un homme, pour qu'il mente.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIII,
6, BA 75, p. 237.
2328. On traite ici
de la remise du Christ aux Gentils. L'Évangéliste rapporte d'abord comment il a
été remis au gouverneur 1 ; puis comment sa cause est examinée
par le gouverneur [n° 2335] ; enfin, comment son innocence est proclamée
[n° 2366].
ILS AMENENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE. COMME
C'ÉTAIT LE MATIN, EUX-MÊMES N'ENTRÈRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ÊTRE
SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE. (18, 28)
À propos du premier
point, il fait trois choses : il décrit d'abord où eut lieu cette remise
du Christ aux Gentils, puis le temps [n° 2330], et enfin le mode [n° 2331].
ILS AMÈNENT DONC
JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE.
2329. Le lieu est le
PRÉTOIRE, qui est le lieu du jugement. C'est pourquoi, dans l'armée, on avait
l'habitude d'appeler « prétoire » le lieu où était la tente du
chef ; de là vient qu'ici on appelle « prétoire » la maison du
gouverneur. Mais comment Jésus est-il conduit à Caïphe dans le prétoire ?2 À cela
il faut répondre qu'on pourrait dire que Caïphe les avait précédés dans la
maison de Pilate pour l'informer du fait que Jésus allait lui être présenté.
Dans ce cas, c'est au moment où Caïphe sortait de chez Pilate pour se rendre
avec lui au prétoire, que Jésus fut remis à Pilate. Ou bien on peut dire que, Caïphe étant prince
des prêtres, il avait des demeures spacieuses, si bien que dans une de leurs
parties il pouvait même accueillir le gouverneur. Le sens est alors
celui-ci : ILS AMÈNENT DONC JÉSUS à CAÏPHE, c'est-à-dire à sa maison, et
cela AU PRÉTOIRE. Ou bien il faut dire, et là le texte grec est meilleur :
ILS AMÈNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAÏPHE AU PRÉTOIRE ; ainsi, tout doute est
enlevé.
1. Cf. Mt 27, 2.
2. Alors que dans la Vulgate on trouve de façon juste « a Caipha »,
le texte que commente saint Thomas, comme celui utilisé par saint Augustin (Tract,
in Io., CXIV, 1, BA 75, p. 239-241, dont saint Thomas reprend
l'explication), a bizarrement : « ad Caipham ». Le texte
grec affirme clairement que le groupe quitta la maison de Caïphe pour se rendre
chez Pilate.
C'ÉTAIT LE MATIN.
2330. On indique ici
le temps. En effet, la fourberie [de ceux qui avaient arrêté Jésus] était si
grande qu'ils n'eurent aucun retard à livrer à Pilate celui qui devait être tué
- « Malheur à vous qui (...) inventez le mal sur vos lits » :
à la lumière du matin ils l'accomplissent, parce que leur main est contre Dieu3. - L'homicide se lève de grand matin, il tue
l'indigent et le pauvre4. Mais à partir de là
surgit une question grave. Car les trois autres évangélistes affirment que vers
le début de la nuit le Seigneur fut flagellé dans la maison de Caïphe et
examiné par lui - Dis-nous si
tu es le Christ5 -, et que de grand matin
il fut conduit à Pilate. Mais Jean dit qu'il fut conduit à Caïphe. Là il faut
dire, si nous voulons garder notre texte, que Caïphe le vit d'abord quand il
était dans la maison d'Anne, de nuit, et qu'alors Jésus put être interrogé par
lui. Il reste encore un doute au sujet de ce qu'ils disent, qu'il fut flagellé
dans la maison de Caïphe, mais cela est complètement résolu selon ce qu'il y a
dans le grec, à savoir qu'ils l'amènent
de chez Caïphe au prétoire ; parce qu'alors, selon ce texte, il fut amené de nuit de la maison d'Anne à la
maison de Caïphe où il fut flagellé et interrogé, et le matin, il fut conduit
de chez Caïphe au prétoire.
3. Mi 2, 1.
4. Jb 24, 14.
5. Lc 22, 66.
EUX-MÊMES N'ENTRÈRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ÊTRE
SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE. (18, 28)
2331. Là est indiqué
le mode de la remise du Christ aux Gentils. On signale d'abord leur vaine
superstition, parce qu'ils n'entrèrent pas dans le prétoire ; en second
lieu la déférence de Pilate à leur égard, puisqu'il sortit à leur rencontre.
Mais sur ce que dit Jean quant au premier point, à savoir qu'ils n'entrèrent
pas pour ne pas être souillés, un doute subsiste. En effet, les autres
évangélistes disent que le Christ fut arrêté le soir du jour de la Cène, et
c'était alors la Pâque - J'ai
désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir1. Et que le lendemain, dès le matin, il fût conduit au prétoire. Comment
donc Jean affirme-t-il ici : POUR (...) POUVOIR MANGER LA PÂQUE, puisque
c'était le lendemain de la Pâque 2 ? Devant cela, certains Grecs modernes
disent que cela eut lieu le quatorzième jour après la nouvelle lune et qu'il
fut crucifié le jour même où les Juifs célébraient la Pâque. Ils disent que le
Christ devança la Pâque d'une journée, sachant que la mort était pour lui
imminente, lors de la Pâque des Juifs ; c'est pourquoi il célébra la Pâque
le soir du treizième jour après la nouvelle lune. Et ils disent cela parce
qu'il était prescrit dans la Loi qu'à partir du quatorzième jour du premier
mois jusqu'au vingt et unième jour du premier mois, on ne devait pas trouver de
pain fermenté chez les Juifs. Aussi disent-ils que le Christ consacra son corps
à partir de pain fermenté.
2332. Mais cela ne
tient pas debout, pour deux raisons. D'abord parce qu'on ne trouve nulle part
dans l'Ancien Testament qu'il soit permis à quelqu'un de devancer la
célébration de la Pâque ; par contre, si on avait un empêchement, il était
permis de la différer jusqu'au mois suivant, comme il est dit au livre des
Nombres3. Or le Christ n'a rien négligé des
observances légales ; ils disent donc quelque chose de faux, ceux qui
affirment qu'il a devancé la Pâque. En second lieu, cette interprétation ne
tient pas puisqu'il est affirmé expressément en Marc que le Christ vint le jour
des azymes, où il était nécessaire d'immoler la Pâque4 ;
et Matthieu dit que le
premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de Jésus en lui
disant : « Où veux-tu que nous prépanons pour toi [ce qu'il faut]
pour manger la Pâque ? »5 On ne doit donc pas dire que le Christ a devancé la Pâque.
2333. C'est pourquoi
Chrysostome6 dit autrement, à savoir que le Christ,
accomplissant la Loi en toutes choses, célébra la Pâque en son temps, à savoir
le soir du quatorzième jour après la nouvelle lune ; mais que les Juifs
étaient tellement déterminés à tuer le Christ qu'ils ne célébrèrent pas la
Pâque à son jour, mais le jour suivant, à savoir le quinzième jour après la
nouvelle lune. C'est pourquoi l’Évangéliste dit : POUR NE PAS ÊTRE
SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, qu'ils avaient omise le jour précédent. Mais cela non plus ne tient pas, parce
qu'il est dit dans les Nombres 1 que si quelqu'un, à cause d'empêchements, ne peut pas célébrer la Pâque
le quatorzième jour après la nouvelle lune du premier mois, il doit la
célébrer, non pas le jour suivant, mais le quatorzième jour après la nouvelle
lune du second mois.
1. Lc 22, 15.
2. Sur le jour de la Pâque, voir
ci-dessus, nos 1729-1730.
3. Nb 9, 9-11 : Yahvé
parla à Moïse, et dit : « Parle aux enfants d'Israël, et
dis-leur : Si quelqu'un d'entre vous ou de vos descendants est impur à
cause d'un mort, ou est en voyage dans le lointain, il célébrera la Pâque en
l'honneur de Yahvé. C'est au second mois qu'ils la célébreront, le quatorzième
jour, entre les deux soirs ; ils la mangeront avec des pains sans levain et
des herbes amères ».
4. Voir Mc 14, 12
et Lc 22, 7.
5. Mt 26, 17.
6. In Ioannem hom., LXXXIII, 3, PG 59, co1. 452.
2334. Il faut donc
dire, selon Jérôme, Augustin et d'autres docteurs latins2, que
le quatorzième jour après la nouvelle lune est le début de la solennité ;
et ce n'est pas seulement le soir qu'on appelle la Pâque, c'est toute la durée
des sept jours durant lesquels on mangeait des azymes, qui devaient être mangés
par les purs. C'est pourquoi les Juifs, qui auraient contracté une impureté en
entrant dans le prétoire d'un juge étranger, n'y entrèrent pas, POUR NE PAS
ÊTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, c'est à dire les pains azymes. Mais
soyons attentifs à leur aveuglement impie, parce qu'ils craignaient d'être
contaminés par un Gentil, un homme païen, alors que le sang de [celui qui
était] Dieu et homme, ils ne craignaient pas de le répandre3 - Tes
bâtisseurs vinrent pour te détruire, dévastant ils s'éloignent de
toi4.
2335. L'Évangéliste
montre ensuite la déférence de Pilate à l'égard des serviteurs du grand prêtre
en disant : PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ; et comment,
recevant d'eux le Christ offert (oblatum), il dit :
« QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » II s'agit
donc de l'examen du Christ, qui va être
d'abord examiné par Pilate en face des accusateurs, et ensuite en privé [n°
2343].
a)
Comment Pilate examine le Christ en face des accusateurs.
À propos du premier
point, l'Évangéliste expose d'abord l'examen de Pilate, puis sa concession
faite avec libéralité [n° 2338].
1. Cf. n° 2332,
note 3.
2. Saint JÉRÔME, Commentaire sur Saint
Matthieu, IV, 17 (26, 17), SC 259, p. 241. Saint AUGUSTIN, Quaestiones veteris et novi testamenti, q.
84, PL 35, co1. 2279. Voir aussi Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100,
co1. 968 C-D.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIV, 2, BA 75, p. 241.
4. Is 49, 17.
L'édition léonine corrige et renvoie à Is 65, 4 : C'est un peuple (...)
qui mange la chair de porc et met du jus impur dans ses plats.
I
PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ET DIT :
« QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : « SI CE N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS
NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. » (18, 29-30)
2336. Ici commence
l'examen de Pilate, [une interrogation] suivie de la réponse pleine de malice
des Juifs. Pilate, voyant Jésus ligoté et conduit par tant de monde pour être
condamné, dit : « QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? » ILS RÉPONDIRENT ET
LUI DIRENT : « SI CE N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS
PAS LIVRÉ. » Autrement dit : « Nous, nous l'avons examiné et nous te le livrons déjà
condamné, comme un homme qu'il faut punir » - comme si leur
jugement suffisait à Pilate. Mais en disant qu'il est un malfaiteur ils mentent,
parce qu'il est passé en
faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable1. Cela, ils le font selon cette parole du psaume : Ils me
rendaient le mal pour le bien2.
2337. Il est dit en
Luc qu'ils chargeaient le Christ de nombreux crimes - Il sème le
trouble dans le peuple en enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée
jusqu'ici3. Mais là [ils ne l'accusent] de rien. À cela je réponds que les Juifs
ont alors dit beaucoup de paroles à Pilate, comme le dit Augustin4,
mais que peut-être il y eut d'abord ce que Jean montre ici, et ensuite ce que
dit Luc.
II
PILATE LEUR DIT
DONC : « PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI. » LES
JUIFS LUI DIRENT DONC : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER
QUELQU'UN », POUR QUE LA PAROLE DE JÉSUS FÛT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT
DITE, SIGNIFIANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR. (18, 31-32)
2338. Ensuite, on
expose la concession que Pilate fit avec libéralité. D'abord cette concession,
puis la récusation des Juifs [n° 2340], enfin la raison de cette récusation [n°
2342].
2339. Pilate dit
donc : « PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI », soit en
voulant leur accorder une grâce - comme Festus a dit à Paul : Veux-tu monter à Jérusalem pour y être jugé là-dessus
en ma présence ?5 -,
soit en les accusant car, selon lui, ils avaient eux-mêmes examiné et condamné
le Christ, et c'est pourquoi il voulait que ceux qui l'avaient jugé comme un
malfaiteur rendent la sentence. Parce que, comme il est dit dans les Actes des Apôtres, les Romains n'ont pas coutume de
condamner un homme avant que l'accusé ait été mis en présence de ses
accusateurs et ait reçu le moyen de se défendre pour être lavé des fautes [dont
on l'accuse]6. Le sens [de la phrase de Pilate] est alors
celui-ci : Vous demandez notre jugement, mais PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE
SELON VOTRE LOI, moi je ne veux en aucune manière qu'on fasse de moi un tel
juge7.
LES JUIFS LUI DIRENT
DONC : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN. »
2340. La récusation
des Juifs est exposée aussitôt après. Mais il est dit dans l'Exode : Tu
ne laisseras pas vivre les sorciers8 ; or ils considéraient Jésus comme un sorcier. Mais, selon Augustin9, ils
disent : IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN un jour de fête, mais
un autre jour, oui. Ou bien, selon Chrysostome 10, les Juifs avait perdu beaucoup de pouvoir,
parce que le jugement sur le péché d'ordre politique ne leur appartenait
pas ; or ils avaient surtout l'intention de le condamner pour ce qui était
contre l'État - Quiconque se fait roi s'oppose à César11. C'est pourquoi ils disent : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire celui
qui agit contre l'État, alors que cela leur était permis pour un péché contre
la Loi, dont le jugement leur était réservé. Ou bien il faut dire, autrement,
que quelque chose n'est pas permis à quelqu'un soit parce que cela est défendu
par la loi divine - et en ce sens cela ne leur était pas défendu -, soit parce
que cela leur était défendu par une loi humaine - et en ce sens il ne leur
était pas permis de tuer quelqu'un parce que ce pouvoir était détenu par le
gouverneur.
1. Ac 10, 38.
2. Ps 34, 12.
3. Le 23, 5.
4. De consensu
Evangelistarum, III, vu, 27, PL 34, co1. 1174.
5. Ac 25, 9.
6. Ac 25, 16.
7. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 255 D.
8. Ex 22, 18.
9. Tract, in Io., CXIV, 4, BA 75, p. 243-245.
10. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1.
452.
11. Jn 19, 12.
2341. Là il reste
une question, parce qu'ils ont lapidé Etienne1. Mais à cela Chrysostome2
répond qu'aux Juifs les Romains avaient permis d'utiliser leurs propres
lois ; et la peine de la lapidation, parce qu'elle était infligée
par la Loi, leur avait été concédée par les Romains. Mais dans la Loi, la mort
de la croix était un opprobre - Maudit
soit celui qui est pendu au bois3 -, et c'est pourquoi ils n'avaient pas maintenu ce genre de mort. Or
les Juifs, en raison de leur malice, n'étaient pas satisfaits de pouvoir
lapider le Christ : ils voulaient le condamner à la mort la plus
ignominieuse, comme il est dit au livre de la Sagesse4. Et
c'est pourquoi ils disent maintenant : « IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE
TUER QUELQU'UN », c'est-à-dire de la mort de la croix. Ou bien il faut
dire qu'Etienne fut lapidé lors d'un changement de magistrature, où beaucoup de
choses illicites sont usurpées, qui ne se feraient pas tant que dure le
pouvoir.
POUR QUE LA PAROLE
DE JÉSUS FÛT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT DITE, SIGNIFIANT DE QUELLE MORT IL
DEVAIT MOURIR.
2342. L'Évangéliste
ajoute la raison de leur récusation. Le « pour » ne se réfère pas à
l'intention des Juifs, mais à la disposition de la divine Providence. Jésus a
dit en effet5 qu'il devait être tué par les païens et
crucifié, mais en ayant été livré par les Juifs. Et c'est pourquoi, pour que
cela fut accompli, ils ne voulurent pas le juger ni le tuer eux-mêmes6.
b)
Comment Pilate examine le Christ chez lui.
2343. Plus haut a
été exposé l'examen du Christ par Pilate face à ses accusateurs ; ici,
l'Évangéliste montre comment Pilate a examiné le Christ chez lui. Il traite d'abord
de l'interrogation de Pilate qui examine, puis de la réponse du Christ examiné
[n° 2349].
Pilate interroge Jésus.
À propos du premier
point, l'Évangéliste fait deux choses : d'abord il expose l'interrogation
de Pilate, puis la cause de l'interrogation, à savoir l'examen [n° 2346].
I
PILATE ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS
ET LUI DIT : « ES-TU LE ROI DES JUIFS ? » (18, 33)
1. Voir Ac 7, 58.
2. Ibid.
3. Dt 21, 23.
4. Sg 2, 20 :
Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, d'après ses dires, il sera
visité.
5. Voir Mt 20, 19.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIV, 5, BA 75, p. 249.
2344. À propos du
premier point, il faut savoir que Pilate, comme un juste juge, et traitant
toutes choses avec soin, n'a pas acquiescé tout de suite à l'accusation du
grand prêtre - Tu ne suivras pas la foule pour faire le mal, et dans un
jugement tu n'acquiesceras pas à la sentence du plus grand nombre de sorte que
tu dévies de ce qui est vrai1. Mais il entra DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS, c'est-à-dire à
part, parce qu'il avait une grande suspicion à son sujet. C'est pourquoi il
appela à lui le Christ, pour scruter toutes choses avec plus de soin et pour
que le Christ, éloigné du tumulte des Juifs2, répondît plus tranquillement - La cause
que j'ignorais, je Vétudiais avec grande attention3.
2345. Il lui dit
alors : « ES-TU LE ROI DES JUIFS ? » D'où il est évident,
comme le rapporte Luc4, que les Juifs lui ont imputé ce crime, bien
que Jean dise seulement : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te
l'aurions pas livré5, et qu'ils lui en reprochèrent beaucoup d'autres. Mais celui-ci toucha
davantage le cœur de Pilate, et c'est pourquoi il l'interroge sur ce seul point
- C'est de l'abondance du cœur que parle la bouche6.
II
JÉSUS RÉPONDIT : « DIS-TU CELA DE TOI-MÊME, OU
BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE MOI ? » PILATE RÉPONDIT :
« EST-CE QUE JE SUIS JUIF, MOI ? TON PEUPLE ET TES GRANDS PRÊTRES
T'ONT LIVRÉ À MOI. QU'AS-TU FAIT ? » (18, 34-35)
2346. Ensuite est
exposé l'examen de l'interrogation ; l'Évangéliste rapporte d'abord
l'interrogation du Christ, puis la réponse de Pilate [n° 2348].
2347. Il dit donc
d'abord que Jésus, inversant l'interrogation, RÉPONDIT : « DIS-TU CELA DE
TOI-MÊME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE MOI ? » II faut savoir
ici que l'homme interroge pour deux causes : parfois pour connaître une
réalité qu'auparavant il ignorait - et c'est ainsi que le disciple interroge le
maître ; et parfois, au sujet d'une réalité connue, pour connaître la
réponse au sujet de laquelle il interroge - et c'est ainsi que le maître
interroge le disciple7. Mais le Seigneur connaissait à la fois ce
sur quoi il interrogeait et ce qu'on allait lui répondre. C'est pourquoi il
n'interrogeait pas comme par ignorance, parce que toutes choses sont nues et
à découvert devant ses yeux8 ; mais il interroge pour que nous
sachions quelle opinion avaient de sa royauté les Juifs et les Gentils, et
qu'en même temps nous soyons instruits de cette royauté9.
2348. L'Évangéliste
expose ensuite la réponse de Pilate : « EST-CE QUE JE SUIS JUIF,
MOI ? » Mais pourquoi répond-il ainsi ? De toute évidence, c'est
parce que le Seigneur lui avait demandé s'il avait dit cela de lui-même. Et
c'est pourquoi Pilate montre que ce n'était pas à lui qu'il appartenait de
chercher s'il était le roi des Juifs, mais plutôt aux Juifs dont il se disait
roi, donnant par là à entendre que cela lui avait été dit par d'autres. Et
c'est pourquoi Pilate ajoute : « TON PEUPLE ET TES GRANDS PRÊTRES T'ONT LIVRÉ À MOI » en lançant
cette accusation contre toi. Et il dit : TON PEUPLE, parce que, dans son
humanité, Jésus était né des Juifs - J'ai entendu en effet les outrages d'un
grand nombre et la terreur tout autour de moi : « Poursuivez-le, et
nous le poursuivrons » ; j'ai entendu aussi de tous les hommes qui
vivaient en paix avec moi, et qui se tenaient à mes côtés : « Si en
quelque manière il était trompé, et que nous prévalions contre lui, et que nous
tirions vengeance de lui1. » - Le fils fait outrage à son père,
et la fille s'élève contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère ;
les ennemis de l'homme sont ses serviteurs2. Et s'il est dit TES GRANDS PRÊTRES, c'est parce que plus ils étaient
grands dans le pouvoir, plus ils étaient puissants dans le crime - La main
des pnnces et des magistrats
fut la première dans cette transgression3. - J'irai vers les grands et je leur
parlerai : car ils ont connu les voies du Seigneur et le jugement de leur
Dieu ; et voilà que, de plus, tous ensemble ont brisé le joug, ont rompu
leurs liens4. Si donc ils t'ont livré à moi, QU'AS-TU
FAIT ? - autrement dit : il n'est pas croyable qu'ils t'aient livré à
moi si ce n'est pas pour une cause grave.
1. Ex23, 2.
2. Cf. ThÉOPHYLACTE, Enarr. in Evang. S.
Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 258 B, reprenant le commentaire de saint Jean
Chry-sostome (In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, co1. 455) estimant
sérieux et sincère l'intérêt que Pilate avait à l'égard de Jésus.
3. Jb 29, 16.
4. Voir Lc 23, 2.
5. Jn 18, 30.
6. Mt 12, 34.
7. Saint Thomas, en évoquant l'importance de l'interrogation dans
la recherche de l'homme, se montre ici pleinement disciple d'Aristote. En
effet, c'est Aristote qui met en pleine lumière les interrogations que
l'intelligence humaine avide de connaître pose à partir de l'expérience. Et en
soulignant ici les rapports entre le maître et le disciple, saint Thomas veut
montrer comment le Christ interroge en maître. Par sa science infuse (voir Somme
théo1., III, q. 11) il connaît tout, et s'il interroge c'est pour notre
instruction.
8. He 4, 13. Voir vo1. I, n° 1502,
note 6.
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXV, 1, BA 75, p. 251.
La réponse du
Christ.
I
JÉSUS RÉPONDIT : « MON ROYAUME N'EST PAS DE CE
MONDE. » (18, 36)
2349. Ici nous est
donnée la réponse du Christ. D'abord il écarte la fausseté du soupçon
concernant son royaume, puis il établit la vérité [n° 2355]. À propos du
premier point, il rejette d'abord le faux soupçon, puis il apporte comme preuve
un signe [n° 2352].
2350. Il écarte le
faux soupçon en disant : « MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE ».
Comprenant mal cela, les manichéens disaient qu'il existe deux dieux et deux
royaumes : un dieu bon, qui a son royaume dans la région de la lumière, et
un dieu mauvais, qui a son royaume dans la région des ténèbres. Et ils disaient
que cette dernière, c'est ce monde, parce que, selon eux, toutes les réalités
corporelles étaient des ténèbres. Selon cette interprétation, MON ROYAUME N'EST
PAS DE CE MONDE signifie que Dieu le Père, qui est bon, et moi, nous n'avons
pas de royaume dans la région des ténèbres. Mais contre cela il dit dans le psaume : Dieu est le roi de
toute la terre5 ; et encore : Tout ce
qu'il a voulu, Dieu l'a fait, dans le ciel et sur la terre6. C'est pourquoi il faut
dire que le Christ a dit cela à cause de Pilate qui croyait que le Christ
ambitionnait de posséder un royaume terrestre sur lequel il régnerait de
manière terrestre (corporaliter), tout comme les hommes
terrestres ; et pour cela, parce qu'il cherchait à avoir un royaume
illicite, il devait être puni de mort7.
2351. Or il faut savoir
qu'on appelle « royaume » (regnum) tantôt le peuple sur qui on
règne, tantôt le pouvoir royal lui-même [la royauté]. Prenant le terme
« royaume » selon la première manière de le comprendre, Augustin8 dit
que MON ROYAUME, c'est-à-dire ceux qui croient en moi - II a fait de nous pour notre Dieu un
royaume et des prêtres ; et nous régnerons sur la terre1 -, N'EST PAS DE CE MONDE. Il ne dit pas : « n'est pas dans ce
monde », alors qu'il est dit plus haut : Eux sont dans le monde2, mais N'EST PAS DE CE MONDE par l'amour et l'imitation3,
étant arraché à ce monde par l'élection de la grâce. C'est ainsi, en effet, que Dieu nous a arrachés au pouvoir
des ténèbres et transportés dans le royaume 4 de son amour (caritatis).
1. Jr 20, 10.
2. Mi 7, 6.
3. Esd 9, 2.
4. Jr 5, 5.
5. Ps 46, 8.
6. Ps 134, 6.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in. Io., CXV, 1, BA 75, p. 253.
8. Tract, in Io., CXV, 2, BA 75, p. 257-259.
Chrysostome5
explique en prenant « royaume » au second sens [ma royauté] et
dit : MON ROYAUME, c'est-à-dire mon pouvoir et l'autorité par laquelle je
suis roi, N'EST PAS DE CE MONDE, c'est-à-dire ne tient pas son origine de
causes mondaines et du choix des hommes, mais d'ailleurs, c'est-à-dire du Père
lui-même - Son pouvoir est
un pouvoir éternel qui ne sera pas enlevé et son règne, un règne qui ne se
corrompra pas6.
SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT
COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. MAIS NON, MON ROYAUME N'EST
PAS D'ICI. (18, 36)
2352. Ici, le
Seigneur apporte l'évidence d'un signe pour prouver que son royaume n'est pas
de ce monde. D'abord il donne le signe, puis il conclut ce qui était son
intention [n° 2354].
2353. À propos du
premier point, il faut savoir qu'il est nécessaire à celui qui possède un
royaume terrestre, que ce soit d'une manière juste ou par la violence, d'avoir
des associés et des hommes à son service (ministros) par lesquels il
soit soutenu dans le pouvoir. La raison en est qu'il n'est pas puissant par
lui-même mais par ses serviteurs - II y eut une longue guerre entre la
maison de Saül et celle de David : David avançait, et toujours plus fort,
alors que la maison de Saül s'affaiblissait de jour en jour7. Mais un roi « d'en haut » (supernus), parce qu'il est
puissant par lui-même, donne la puissance à ses serviteurs (servis) ; il
n'a donc pas besoin de serviteurs (ministros) pour son royaume8.
C'est pourquoi le Christ dit que son royaume n'est pas de ce monde ; car
SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR
QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. De là
vient que Pierre, voulant combattre pour le Christ, ne se rendait pas compte
que son royaume n'était pas de ce monde, comme on l'a vu plus haut9. Le
Seigneur avait cependant d'autres serviteurs, à savoir les anges, qui auraient
pu l'arracher aux mains des Juifs. Mais le Seigneur ne voulut pas être arraché - Ne puis-je pas faire appel
à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ?
10
MAIS NON, MON ROYAUME N'EST PAS D'ICI.
2354. Parce qu'il ne
cherche pas de tels serviteurs (ministros), il conclut que son royaume
N'EST PAS D'ICI11, c'est-à-dire qu'il ne tient pas son
principe de ce monde. Il est cependant ici, puisqu'il est partout - Il s'étend avec force d'une extrémité du monde à Vautre et dispose tout
avec douceur1. - Demande-moi et je te donnerai les nations
en héritage, et pour domaine les limites de la terre2. - Il lui
a donné le pouvoir, l'honneur et le royaume ; et tous les peuples, les
tribus et les langues le serviront.3
1. Ap 5, 10.
2. Jn 17, 11.
3. Voir ci-dessous, n° 2362.
4. Col 1, 13.
5. In Ioannem hom., LXXXIII,
4, PG 59, co1. 453.
6. Dn 7, 14.
7. 2 S 3, 1.
8. Le Seigneur « montre ici la fragilité du royaume des
hommes, qui a sa puissance dans ses serviteurs, tandis que le royaume d'en haut
se suffit à lui-même, n'en ayant pas besoin » (saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 4,
PG 59, co1. 453).
9. Cf. Jn 18, 10.
10. Mt 26, 53. Saint Thomas commente : « Et il a dit
cela en raison de la faiblesse de l'âme de Pierre. Pierre considérait qu'il devait
le défendre et qu'il avait besoin de l'aide des hommes. Le Seigneur veut donc
lui dire que s'il pouvait être défendu par un secours humain, combien plus
l'aurait-il été par celui des anges. Mais cela n'était pas nécessaire parce que
ce sont plutôt les anges qui sont soutenus par lui » (Sup. Matth.
lect., XXVI, n° 2261).
11. Rappelons ici les paraboles par lesquelles Jésus a enseigné à
ses disciples ce qu'est le Royaume de Dieu. Chacune dans sa particularité
montre que Jésus vient annoncer un royaume divin et non humain, céleste et non
terrestre. Ce royaume est cependant déjà présent sur la terre dans le cœur des
disciples du Christ par le mystère de la grâce et les huit béatitudes. Il est
en effet comme ce trésor
caché dans un champ qu'un homme vient à trouver, comme ce négociant en quête de perles
fines qui en trouve une de grand prix, comme et filet jeté en mer qui
ramasse toutes sortes de choses (Mt 13, 44-50). Il est aussi comme ce
roi qui invite aux noces tous ceux qui sont trouvés au bord des chemins parce
que les premiers invités ont refusé son invitation (cf. Mt 22, 1-14), ou comme
ces dix vierges qui, au milieu
de la nuit, s'en vont à la rencontre de l'époux avec leurs lampes allumées (cf.
Mt 25, 1-13 ; voir aussi Le 12, 35-38). Il est comparable aussi à un
grain de sénevé (Le 13, 19) et au levain qu'une femme a pris et enfoui
dans trois mesures de farine jusqu'à ce que tout ait levé (Le 13, 21).
1. Sg 8, 1.
II
2355. Le Seigneur
manifeste ici la vérité concernant ce qu'est son royaume. On expose d'abord
l'occasion de la manifestation, puis la manifestation elle-même [n° 2357],
enfin l'effet de la manifestation [n° 2364].
ALORS PILATE LUI DIT : « DONC, TU ES
ROI ? » (18, 37)
2356. À propos du
premier point, il faut savoir que Pilate, à partir des paroles susdites du
Seigneur, comprenant ce royaume comme matériel et loin de ses frontières - L'homme naturel ne perçoit
pas ce qui est de l'Esprit de Dieu4 -, haletait [dans son désir] de connaître la vérité, et c'est pourquoi il s'enquiert en disant : « DONC,
TU ES ROI ? », c'est-à-dire aussi Seigneur.
2. Ps 2, 8. Voir vo1. I, n° 1417, note 4.
3. Dn 7, 14.
4. 1 Co 2, 14. Saint Thomas commente : « Les choses au sujet desquelles
l'Esprit Saint éclaire la pensée sont au-dessus du sens et de la raison humaine
- De nombreuses choses qui dépassent le sens humain t'ont été montrées (Si
3, 25) - et ne peuvent donc être saisies par un homme qui s'appuie sur sa seule
connaissance sensible. L'Esprit Saint enflamme même l'affection à aimer les
biens spirituels au mépris des biens sensibles, et c'est pourquoi celui qui est
de vie animale [l'homme naturel] ne peut saisir les biens spirituels de ce
genre puisque, comme le dit le Philosophe (voir Éthique à Nicomaque, III,
7), ce qu'est chacun détermine la façon dont la fin lui apparaît - Le sot ne
reçoit pas les paroles de prudence, à moins que tu ne lui dises ce qui est déjà
dans son cœur (Pr 18, 2). - Il parle comme à quelqu'un qui dort, celui qui
raconte la sagesse à un sot (Si 22, 9) » {Ad 1 Cor. lect., II,
nos 112-113). Sur l'homme naturel et l'homme spirituel, voir vo1. I,
n" 138, note 6, et n° 1039, note 4.
JÉSUS RÉPONDIT : « C'EST TOI QUI DIS QUE JE SUIS
ROI. MOI, JE SUIS NÉ ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI : RENDRE
TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ. QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX. » (18,
37)
2357. Là, il
confesse d'abord qu'il est roi ; puis il montre la raison de sa royauté
[n° 2359] ; enfin, il donne à entendre sur qui il règne [n° 2361].
2358. À propos du
premier point, il faut savoir que le Seigneur, répondant à la question au sujet
de sa royauté, a tempéré sa réponse de telle sorte qu'il ne déclare pas
ouvertement qu'il est roi, puisqu'il n'est pas roi à la manière dont Pilate le
comprenait, et qu'il ne le nie pas non plus, puisqu'il est spirituellement Roi
des rois5. Il dit donc : « C'EST TOI QUI DIS
QUE JE SUIS ROI », c'est-à-dire charnellement, mode selon lequel je ne
suis pas roi ; mais moi je suis roi d'une autre manière - Voici que
le roi régnera dans la justice6.
MOI, JE SUIS NÉ ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR
CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ.
2359. Le Christ
montre le mode et la raison de sa royauté, ce qui s'explique de deux façons.
D'une première manière, selon Augustin7, en ce sens que le royaume du Christ sont
ceux qui croient en lui, comme on l'a dit plus haut8. Ainsi, le Christ règne sur les croyants. Et
il est venu dans le monde pour que, rassemblant avec lui les croyants, il
acquière pour lui un royaume
comme Y homme noble qui s'en alla dans une région lointaine pour
prendre possession d'un royaume1. Le sens est alors celui-ci : MOI, JE SUIS NÉ, c'est-à-dire d'une
naissance charnelle, (...) POUR CECI... Et il l'explique en disant : ET JE
SUIS VENU DANS LE MONDE en naissant charnellement ; c'est ainsi en effet
qu'il est venu, engendré d'une femme2 - Dieu a envoyé son Fils dans le monde3 -,
POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA VÉRITÉ, c'est-à-dire à moi, qui suis
la Venté4. - Et si je me rends témoignage à moi-même,
mon témoignage est vrai5. Et c'est dans la mesure où je manifeste que je suis la vérité, que je
me prépare un royaume. En effet, cela ne peut se faire que par la manifestation
de la vérité, manifestation qui ne pouvait se réaliser que par moi qui suis la
Lumière - L'unique engendré,
qui est dans le sein du Père, lui l'a révélé6. - Ces choses qui ont commencé d'être révélées par le Seigneur (...) 7.
5. Voir saint
Augustin, Tract, in Io., CXV, 3, BA 75, p. 259.
6. Is 32, 1.
7. Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 261.
8. Voir n° 2351.
2360. Chrysostome8
explique cela d'une autre manière : « Tu demandes si je suis
roi ; et moi je te dis que oui. Mais par un pouvoir divin, parce que c'est
POUR CECI que JE SUIS NÉ du Père, d'une nativité éternelle, comme Dieu de Dieu,
et de même Roi de Roi » - comme dit le psaume : Moi j'ai été
établi roi par lui9 ; et un peu plus loin : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré10.
Mais ce que le Christ ajoute - ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI - n'est
pas donné comme une explication, mais doit s'entendre de la nativité
temporelle, comme s'il disait : « Bien que je sois un roi éternel,
cependant JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI : RENDRE TÉMOIGNAGE À LA
VÉRITÉ, c'est-à-dire du fait que
je suis roi par Dieu le Père. »
1. Lc 19, 12.
2. Ga 4, 4. Voir
vo1. I, n° 1555, note 3. Sur la génération charnelle et la génération
spirituelle, voir aussi vo1. I, n° 163, note 4.
3. Ibid.
4. Jn 14, 6.
5. Jn 8, 14.
6. Jn 1, 18.
7. He 2, 3.
8. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, co1.
453.
9. Ps 2, 6.
10. Ps 2, 7. Voir
vo1. I, n° 1287, note 5.
QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX.
2361. Ici, il montre
sur qui il règne. Là, il faut noter que plus haut11 il s'est dit pasteur et qu'il appelle
« brebis » ceux qui lui sont soumis, et c'est la même chose que ce
qu'il dit ici : il se dit roi et appelle « royaume » ceux qui
lui sont soumis. Car le rapport du roi aux sujets (subditos) et du
pasteur aux brebis est le même : comme le pasteur fait paître les brebis 12 - N'est-ce
pas les troupeaux que les pasteurs font paître ?13 -,
de même aussi le roi est le soutien de ses sujets. Et entre autres le Christ a
dit spécialement : Mes brebis écoutent ma voix14.
C'est pourquoi ici il dit : « QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA
VOIX », non seulement de l'extérieur, mais intérieurement en croyant et en
aimant, et par l'œuvre à accomplir - Quiconque écoute le Père
et s'est mis à son école vient à moi15. Mais d'où vient à l'homme qu'il ÉCOUTE MA
VOIX ? De ce qu'il EST DE LA VÉRITÉ, qui est Dieu.
2362. Mais alors,
puisque tous sont de Dieu, tous sont de la vérité et écoutent sa voix ? 16 À
cela je réponds que certains sont de Dieu par la création, et de cette manière
tous sont de Dieu. Mais d'autres sont de Dieu par l'amour et l'imitation17.
C'est pourquoi il est dit plus haut : Vous n'êtes pas de Dieu1,
c'est-à-dire selon l'amour (affectus), mais vous l'êtes par la création.
Celui-là donc ÉCOUTE la VOIX en croyant et en aimant, qui EST DE LA VÉRITÉ,
c'est-à-dire qui reçoit ce don d'aimer la vérité.
11. Jn 10, 1 sq.
12. Sur le bon
pasteur, voir vo1. I, nus 1371-1377 sq. Voir aussi nos 1398 et 1399 où
saint Thomas commente le verset où Jésus dit : Je suis le Bon Pasteur.
13. Ez 34, 2.
14. Jn 10, 27.
Voir vo1. I, n° 1372 : « En effet, les brebis reconnaissent la voix
du pasteur à partir de leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux qui
ont la foi et qui sont justes écoutent la voix du Christ - Aujourd'hui si
vous écoutez sa voix (Ps 94, 8) ».
15. Jn 6,45.
16. La remarque et
la double réponse qu'en donne saint Thomas ici et dans le paragraphe suivant
s'inspirent du commentaire de saint
Augustin (Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 263-265).
17. Sur les
modalités de présence de Dieu dans les réalités créées, voir ci-dessus, n° 1853
et note 4, p. 157. Voir aussi n° 1879 et note 5 sur les liens qu'une créature
peut avoir avec Dieu.
2363. Mais remarque
qu'il ne dit pas : « quiconque écoute ma voix est de la
vérité », parce qu'alors nous serions de la vérité parce que nous croyons.
Alors que nous croyons parce que nous sommes de la vérité, c'est-à-dire en tant
que nous recevons le don de Dieu par lequel nous croyons et aimons la vérité
- C'est le don de Dieu2. - II vous a été
donné, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui3.
PILATE LUI DIT : « QU'EST-CE QUE LA
VÉRITÉ ? » (18, 38)
2364. L'Évangéliste
rapporte ici l'effet de la réponse. Là il est donné à entendre que Pilate,
ayant écarté l'idée d'un royaume terrestre et comprenant que le Christ est roi
dans l'enseignement de la vérité, désire connaître la vérité et devenir membre
de son royaume. C'est pourquoi il dit : « QU'EST-CE QUE LA
VÉRITÉ ? », ne cherchant pas quelle est la définition de la vérité,
mais ce qu'est la vérité par la puissance de laquelle il deviendrait membre de
son royaume, donnant par là à entendre que la vérité était inconnue du monde et
avait disparu de presque tous puisqu'ils étaient incrédules4 - La
venté s'est corrompue sur les places5. - Les
vérités ont été diminuées par les fils des hommes6. Mais Pilate n'a pas attendu la réponse.
1. Jn 8, 47.
2. Ep 2, 8. Saint
Thomas commente : « Parce que ce qui relève de la foi est au-dessus
de la raison, le libre arbitre ne suffit pas pour croire - Les choses
au-dessus de la sensibilité humaine te sont montrées (Si 3, 25 [propre à la
Vulgate]). - Personne ne connaît ce qui est de Dieu sauf l'Esprit de Dieu (1
Co 2, 11). Et c'est pourquoi, que l'homme croie ne peut venir de lui-même si
Dieu ne le lui donne - Et ta volonté, qui l'a connue, si toi-même n'as donné
la sagesse, et si tu n'as envoyé d'en haut ton Esprit Saint ? (Sg 9,
17). C'est pourquoi il ajoute : C'est le don de Dieu, c'est-à-dire
la foi même - Il vous a été donné non seulement de croire en lui mais aussi de souffrir
pour lui (Ph 1, 29) » (Ad Eph. lect., II, n° 95). Voir aussi vo1. I, n° 902, note
7, et n° 918, note 1.
3. Ph 1, 29. Dans
son commentaire de l'épître aux Philippiens saint Thomas précise : « C'est
par grâce que vous êtes sauvés par la foi (Ep 2, 8), ce qui est le grand et
le premier don. Mais il vous a été donné (...) aussi de souffrir pour lui, ce
qui est un don plus grand, pour que vous ayez souci du Christ comme si vous
étiez ses athlètes - Les Apôtres s'en allaient tout joyeux d'avoir été jugés
dignes de subir des outrages pour le Seigneur (Ac 5, 41). Si donc c'est
utile et digne d'honneur, agissez avec force » (Ad Phi1. lect., I,
n° 43).
2365. Il faut donc,
quant à cette question, savoir que nous trouvons dans l'Évangile deux
vérités : l'une, incréée et créatrice (facientem), et celle-ci est
le Christ - Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie7. L'autre, faite (factam) - La grâce
et la vérité sont venues par Jésus
Christ8. Or la vérité, selon sa raison propre, implique une proportion entre la
réalité et l'intelligence (intellectus). Mais le rapport de
l'intelligence à la réalité est de deux sortes : il y a d'une part
l'Intelligence qui existe comme mesure des réalités, et il s'agit de Celui qui
est cause des réalités ; et d'autre part l'intelligence qui est mesurée
par la réalité, chez celui dont la connaissance est causée par la réalité. La
vérité n'est donc pas dans l'intellect divin parce qu'il est adéquat aux
réalités, mais parce que les réalités sont adéquates à l'intellect divin
lui-même ; alors que la vérité est dans notre intelligence parce que
celle-ci connaît les réalités telles qu'elles sont1. Ainsi, la Vérité incréée, l'intellect divin,
est une vérité qui n'est pas mesurée ni faite, mais une vérité qui mesure et
qui fait une double vérité : l'une dans les réalités elles-mêmes, en tant
qu'elle les fait être selon qu'elles sont dans l'intellect divin ; l'autre
qu'elle fait dans nos âmes, et qui est une vérité seulement mesurée et non
mesurante. Et de là vient que la vérité incréée de l'intellect divin est
appropriée au Fils qui est la conception même de l'intellect divin et le Verbe
de Dieu. En effet, la vérité suit la conception de l'intellect.
4. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Evang. S.
Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 259 D.
5. Is 59, 14.
6. Ps 11, 2
(propre à la Vulgate). Saint Thomas commente ce verset en distinguant la vérité
et les vérités : « La vérité primordiale est une, c'est la vérité qui
est dans l'intelligence divine - Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et la
Vie (Jn 14, 6) (...). Des vérités diverses apparaissent à partir de cette
unique vérité dont l'âme sainte est illuminée, vérités qui sont diminuées
lorsque l'âme s'éloigne de Dieu à cause de ses fautes. Ou bien il faut répondre
qu'il dit "vérités" en raison de la triple vérité créée qui est dans
les saints : la vérité de la vie - Ah Yahvé ! souviens-toi que
j'ai marché devant ta face dans la vérité et avec un cœur intègre, et que j'ai
fait ce qui est bien à tes yeux ! (Is 38, 3) ; la vérité de la
doctrine - Nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu
dans la vérité (Mt 22, 16) ; et la vérité de la justice - Et toi,
tu distingueras d'entre tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des
hommes sûrs, ennemis du gain (Ex 18, 21). Il faut donc dire que les vérités
sont diminuées non pas par elles-mêmes mais par les enfants des hommes que
leurs fautes ont corrompues. Et la vérité de la vie est diminuée quand le bien
est regardé comme un mal, et la vérité de l'enseignement lorsque la lumière est
appelée ténèbre. Quant à la vérité de la justice, elle est diminuée quand ce
qui est amer est jugé doux et inversement - Malheur à ceux qui appellent
bien le mal et mal le bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière
les ténèbres, qui font doux ce qui est amer et amer ce qui est doux ! (Is
5, 20). Un seul péché mortel détruit aussitôt la sainteté étant donné que la
grâce vient de Dieu, tandis que la vérité diminue comme progressivement »
(Exp. in Psalmos, 11, n° 1).
7. Jn 14, 6.
8. Jn 1, 17.
ET QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES
JUIFS ET LEUR DIT : « MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE
CONDAMNATION]. MAIS C'EST LA COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN
HOMME. VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » TOUS
CRIÈRENT DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS
BARABBAS ! » OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND. (18, 38-40)
2366. On traite ici
de la sentence de Pilate à l'égard du Christ ; d'abord Pilate déclare son
innocence, puis il cherche à faire miséricorde [n° 2368].
ET QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES
JUIFS ET LEUR DIT : « MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. »
2367. À propos du
premier point il faut savoir que Pilate, comme le dit Augustin2,
voulait volontiers libérer le Christ, et comme il avait demandé au
Christ : « QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? », il lui vint soudain
à l'esprit comment, selon la coutume qui lui permettait de leur relâcher
quelqu'un pour la Pâque, il pouvait libérer le Christ. Aussi, ne s'attendant
absolument pas à leur réponse, il s'efforça d'obtenir cela ; et c'est
pourquoi l'Évangéliste dit : ET QUAND IL EUT DIT CELA - Qu'est-ce que
la vérité ? -, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS. Mais Chrysostome3 lit
autrement ; il dit que quand le Christ EUT DIT CELA, Pilate entendait le
tumulte des Juifs et, croyant qu'il pourrait le réprimer et ensuite entendre
plus tranquillement la réponse à une question difficile, IL SORTIT DE NOUVEAU
VERS LES JUIFS et, leur mettant devant les yeux l'innocence du Christ, il leur
dit : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE, c'est-à-dire de mort - Lui
qui n'a pas commis le péché (...)4. Et si toutefois il y en avait une en lui, moi, à qui appartient le
pouvoir, et principalement celui de juger de ce qui se fait contre le roi, je
veux le libérer et l'acquitter.
MAIS C'EST LA COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN
HOMME. VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » TOUS
CRIÈRENT DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS
BARABBAS ! » OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND. (18, 39-40)
2368. Là Pilate
offre la libération du Christ, puis l'Évangéliste rapporte la réponse des Juifs
[n°2370].
2369. Il faut savoir
que Pilate, ou d'autres gouverneurs (praesides) des Romains, ont
introduit cette coutume pour avoir la faveur du peuple. C'est pourquoi voulant,
selon cette coutume, relâcher le Christ, il dit : « VOULEZ-VOUS DONC
QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? » II ne dit pas cela comme
s'il l'avait trouvé coupable de régner sur les Juifs, mais pour amplifier leur
malice, comme s'il disait : « Même s'il est le roi des Juifs, ce dont
il ne vous appartient pas de juger, car cela relève de moi, cependant, si vous
le voulez, je vous le relâche. »
1. Voir ci-dessus,
n° 1776 et note 1.
2. Tract, in Io., CXV, 5, BA 75, p. 265.
3. In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, co1. 455.
4. 1 Ρ 2, 22.
2370. Mais les Juifs
eux-mêmes CRIÈRENT TOUS DE NOUVEAU EN DISANT : « PAS LUI, MAIS
BARABBAS ! » Et pour montrer la
malice des Juifs, l'Évangéliste ajoute aussitôt le crime de celui dont ils
demandaient la libération, en disant : OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND
- Tes chefs infidèles sont les associés des voleurs1. En
cela s'accomplit cette parole de
Jérémie : Mon héritage est devenu pour moi comme un lion dans la forêt2. - Vous avez rejeté le saint et le juste et
vous avez demandé qu'on vous accorde [la grâce d'Jun meurtrier·3.
1. Is l, 23.
2. Jr 12, 8.
3. Ac 3, 14.
Évangile selon saint Jean Chapitre XIX
1 Alors donc Pilate prit Jésus et le fit
flageller. 2 Et les soldats, tressant une couronne d'épines, la lui mirent sur
la tête et le revêtirent d'un vêtement de pourpre ; 3 et ils venaient à
lui et disaient : « Salut, roi des Juifs » ; et ils lui
donnaient des gifles. 4 Pilate sortit donc de nouveau, et leur dit : « Voici
que je vous l'amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve en lui
aucune cause [de condamnation]. » 5 Jésus donc sortit, portant la couronne
d'épines et le vêtement de pourpre. Et Pilate leur dit : « Voici
l'homme. » 6 Quand les grands prêtres et les gardes l'eurent vu, ils criaient,
disant : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur
dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le : moi, je ne
trouve en lui aucune cause [de condamnation]. »7 Les Juifs lui
répondirent : « Nous, nous avons une Loi, et selon cette Loi il doit
mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. »
8 Lors donc que Pilate eut entendu cette
parole, il craignit davantage.9 II rentra dans le prétoire et dit à
Jésus : « D'où es-tu ? » Mais Jésus ne lui donna pas de
réponse. 10 Pilate lui dit donc : « Tu ne me parles pas ? Tu ne
sais pas que j'ai le pouvoir de te crucifier et le pouvoir de te
relâcher ? » 11 Jésus répondit : « Tu n'aurais sur moi
aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui
m'a livré à toi a un plus grand péché. » 12 Dès lors Pilate cherchait à le
relâcher. Mais les Juifs criaient, disant : « Si tu le relâches, tu
n'es pas ami de César. Car quiconque se fait roi se déclare contre
César. » 13 Pilate, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors et
s'assit à son tribunal, au lieu qui est appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha
(Le Dallage) ; 14 or c'était la préparation de la Pâque, vers la sixième
heure. Et il dit aux Juifs : « Voici votre roi. » 15 Mais eux
criaient : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! »
Pilate leur dit : « Crucifierai-je votre roi ? » Les grands
prêtres répondirent : « Nous n'avons pas d'autre roi que
César. » I6 Alors il le leur livra pour être crucifié.
Ils prirent donc Jésus et l'emmenèrent,
17 et portant lui-même sa croix il sortit pour aller au lieu qui est appelé
Calvaire, en hébreu Golgotha, 18 où ils le crucifièrent, et avec lui deux
autres, l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté, et Jésus au milieu. 19 Pilate
fit une inscription et la mit sur la croix. Il y était écrit : « Jésus
de Nazareth, le roi des Juifs. » 20 Cette inscription, beaucoup de Juifs
la lurent, parce que le lieu où Jésus avait été crucifié était proche de la
ville. Et elle était écrite en hébreu, en grec et en latin. 21 Les grands
prêtres des Juifs disaient donc à Pilate : « N'écris pas : le
roi des Juifs, mais que lui-même a dit : "Je suis le roi des
Juifs". »22 Pilate répondit : « Ce que j'ai écrit, je l'ai
écrit. »
23 Quand donc les soldats l'eurent
crucifié, ils prirent ses vêtements (et ils en firent quatre parts, une part
pour chaque soldat), et sa tunique. Or la tunique était sans couture, tissée
d'une seule pièce à partir du haut. 24 Ils se dirent donc l'un à l'autre :
« Ne la déchirons pas ; mais tirons au sort à qui elle sera. »
Afin que s'accomplît l'Écriture disant : « Ils se sont partagé mes
vêtements, et mon vêtement ils l'ont tiré au sort. » Et c'est bien ce que
firent les soldats.
25 Or près de la croix de Jésus se
tenaient sa mère, et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de
Magdala. 26 Quand donc Jésus eut vu sa mère et, se tenant près d'elle, le
disciple qu'il aimait, il dit à sa mère : « Femme, voici ton
fils. » 27 Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et
à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
28 Après cela Jésus, sachant que tout
était accompli, pour que l'Écriture fut accomplie, dit : « J'ai
soif. »29 Or il y avait là un vase plein de vinaigre. Ils mirent donc
autour d'une branche d'hysope une éponge imbibée de vinaigre et l'approchèrent
de sa bouche. 30 Quand donc Jésus eut pris le vinaigre, il dit :
« Tout est accompli. » Et, la tête inclinée, il remit l'esprit.
31 Les Juifs donc, puisque c'était la
préparation [de la Pâque], pour que les corps ne restent pas sur la croix le
jour du sabbat (car c'était un grand jour que ce sabbat), demandèrent à Pilate
qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât. 32 Les soldats vinrent donc,
et ils brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié
avec lui. 33Mais lorsqu'ils vinrent à Jésus, et qu'ils le virent déjà mort, ils
ne lui brisèrent pas les jambes ; 34 mais l'un des soldats, de sa lance,
lui ouvrit le côté ; et aussitôt il sortit du sang et de l'eau. 35Et celui
qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est vrai : et celui-là sait
qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. 36 Car ces choses ont été
faites pour que s'accomplît l'Écriture : « Vous ne lui briserez pas
d'os. »37 Et une autre Écriture dit encore : « Ils regarderont
celui qu'ils ont transpercé. »
38 Or, après cela, Joseph d'Arimathie
(qui était disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs) demanda à
Pilate de prendre le corps de Jésus, et Pilate le permit. Il vint donc et
enleva le corps de Jésus.39 Vint aussi Nicodème - qui au début était venu
trouver Jésus de nuit -, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès d'environ
cent livres. 40 Ils prirent le corps de Jésus et l'enveloppèrent dans des
linges avec des aromates, comme c'est la coutume des Juifs pour ensevelir. 41
Or, au lieu où il fut crucifié il y avait un jardin, et dans le jardin un
tombeau neuf, où personne encore n'avait été mis. 42 C'est donc là que, à cause
de la préparation des Juifs, et parce que le tombeau était proche, ils
déposèrent Jésus.
2371. Plus haut,
l'Évangéliste s'est attaché à exposer ce que le Christ a souffert de la part
des Juifs ; ici, il s'attache à exposer ce qu'il a souffert
spécialement de la part des Gentils : et il a souffert d'eux trois choses,
selon qu'il l'avait lui-même annoncé : Il
sera livré (...)
aux Nations pour être bafoué, flagellé et crucifié1.
L'Évangéliste traite
donc d'abord de la flagellation du Christ, puis de la dérision qu'il a subie
[n° 2374], et enfin de sa crucifixion [n° 2379].
ALORS DONC PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER. (19, 1)
2372. ALORS DONC, c'est-à-dire après la clameur de tous,
PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER2, non certes de ses propres mains, mais par les soldats : et cela
pour que les Juifs, satisfaits des outrages qu'on lui inflige, s'apaisent et
renoncent à s'acharner jusqu'à sa mort3. En effet, il est naturel que la colère se
calme si elle voit celui contre lequel elle s'emporte humilié et puni, comme le
dit le Philosophe4. Cela, certes, est vrai de la colère qui
cherche le préjudice du prochainavec mesure, mais non pas de la haine qui
cherche à perdre entièrement celui qui est pris en haine5 - Ton
ennemi (...) s'il trouve l'occasion, sera insatiable de ton sang6. Or ceux-ci étaient mus par la haine contre le Christ, et c'est pourquoi
la flagellation ne leur suffisait pas -J'ai été flagellé tout le jour1. -J'ai donné mon corps à ceux qui me
frappaient2.
1. Mt 20, 18-19. Saint Thomas commente : « Et il nomme
les trois choses qui lui ont été faites, qui vont contre les trois choses que
les hommes désirent au plus haut point, à savoir l'honneur, le repos et la
vie » (Super Matth. lecu, XX, n° 1652).
2. En latin flagellavit, littéralement : il [le]
flagella.
3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 1, BA 75, p. 269.
On
trouve chez saint Thomas comme chez saint Augustin le souci constant de
chercher à disculper Pilate.
4. Voir Aristote, Rhétorique,
II, 3, où, après avoir indiqué ceux contre qui on se met en colère {Rhétorique,
II, 2), Aristote montre à quelle occasion et pour quelles raisons la colère
s'apaise. Citons entre autres : « On ne se fâche pas non plus contre
ceux qui reconnaissent nous avoir offensés, et s'en repentent : car, comme
nous croyons alors qu'ils sont assez punis par leur repentir, nous nous
apaisons aussitôt » (II, 3, 1380 a 14-15). « Notre colère encore ne
peut durer contre ceux qui s'humilient ou écoutent tout ce que nous leur disons
sans répartir ; car ils semblent avouer qu'ils sont nos inférieurs (...).
Qu'on ne peut être en colère contre ceux qui s'humilient, c'est ce que les
chiens même nous montrent, ne mordant jamais ceux qui sont assis par
terre » (foc. cit., 1380 a 22-25). « Nous ne pouvons encore
nous fâcher contre les personnes qui nous sollicitent et nous supplient, attendu
que la qualité de suppliant les abaisse et les fait s'humilier devant
nous » (foc. cit., 1380 a 28).
5. Sur la gravité de la haine par rapport à la colère, voir Somme
théo1., I-II, q. 46, a. 6.
6. Si 12, 16.
2373. Mais cette
intention excuse-t-elle Pilate de la flagellation ?
Certes non, car
aucune des choses qui sont mauvaises par elles-mêmes ne peut être rendue
totalement bonne par une bonne intention. Or affliger un innocent, et surtout
le Fils de Dieu, est mauvais par soi au plus haut point ; c'est pourquoi
cela ne peut être excusé par aucune intention.
ET LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI
MIRENT SUR LA TÊTE ET LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE ; ET ILS
VENAIENT À LUI ET DISAIENT : « SALUT, ROI DES JUIFS » ; ET
ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES. (19, 2-3)
2374. Il s'agit ici
de la dérision, premièrement quant aux faux honneurs qu'ils lui ont
rendus ; deuxièmement quant aux véritables opprobres dont ils l'ont
accablé [n° 2378].
Ils lui rendaient de
faux honneurs en l'appelant roi : par là ils faisaient allusion à
l'accusation des Juifs, qui disaient que lui-même se faisait roi des Juifs. Et
c'est pourquoi ils lui rendaient de trois manières l'honneur dû au roi, mais un
faux honneur. D'abord quant à la couronne de dérision [n° 2375], ensuite quant
au vêtement de dérision [n° 2376], enfin quant à leur salutation de dérision
[n° 2377].
ET LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI
MIRENT SUR LA TÊTE.
2375. Ils se moquent
donc de lui quant à la couronne, parce que les rois avaient coutume d'être
couronnés d'or - Une couronne d'or sur sa tête3. Et
de là vient qu'il est dit de lui dans un psaume : Tu as mis sur sa tête
une couronne de pierres précieuses 4. Mais LES SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE
D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE, c'est-à-dire la tête de celui qui est pour
les siens une couronne de gloire - En ce jour-là le Seigneur
des armées sera une couronne de gloire et un sceptre d'exultation pour le reste
de son peuple5. Et il convenait que ce fût une couronne d'épines, puisque par elles il
a retiré les épines des péchés, qui nous percent par le remords de la
conscience6 - Défrichez-vous une
friche, et ne semez pas sur des épines7 -, et les épines des peines qui nous affligent - Elle
te produira des épines et des chardons8.
Mais cela a-t-il été
fait par ordre du gouverneur ? Chrysostome dit que non, mais que les
soldats, corrompus par l'argent, faisaient cela pour plaire aux Juifs1. Augustin, lui, dit que cela a été fait sur
un ordre ou avec la permission du gouverneur, c'est-à-dire pour assouvir
davantage la haine des Juifs et le leur arracher plus facilement2.
1. Ps 72, 14.
2. Is 50, 6.
3. Si 45, 14.
4. Ps 20, 4.
5. Is 28, 5.
6. Cf. Glossa ordinaria. Évang. sec. Ioannem. In h.
/oc, PL 114, co1. 420 C.
7. Jr 4, 3.
8. Gn 3, 18.
ET LE REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE.
2376. En second
lieu, ils se moquent de lui quant au vêtement.
ET [ILS] LE
REVÊTIRENT D'UN VÊTEMENT DE POURPRE, qui était la marque de la dignité royale
chez les Romains. C'est pourquoi il est dit au premier livre des Maccabées
qu'au temps où dominaient les consuls romains, aucun n'utilisait de couronne ni
de pourpre3. Or, par le fait qu'ils le revêtirent de
pourpre, s'accomplit ce passage d'Isaïe : Pourquoi donc ton vêtement
est-il rouge et tes habits sont-ils comme les habits de ceux qui foulent au
pressoir ?4 Par là est signifiée en même temps la
passion des martyrs par laquelle tout le corps du Christ, c'est-à-dire
l'Église, est rougi.
ET ILS VENAIENT À LUI ET DISAIENT : « SALUT, ROI
DES JUIFS. »
2377. En troisième
lieu, ils se moquent de lui quant à leur salutation : venant vers lui, ils
lui disaient : « SALUT, ROI DES JUIFS. » C'était alors la
coutume, comme cela l'est encore maintenant, que les hommes allant auprès du
roi le saluent - Chusai allant vers Absalom lui dit : « Salut, ô
roi ; salut, ô roi »5. Or au sens mystique, ils saluent le Christ avec dérision, ceux qui le
confessent de leur bouche mais le renient par leurs actes6 - Ce
ne sont pas tous ceux qui me disent : « Seigneur, Seigneur » qui
entreront dans le royaume des cieux7.
ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES.
2378. Puis
l'Évangéliste montre les opprobres qu'ils lui ont infligés en disant : ET
ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES, et cela pour montrer par cet acte même que
c'était par dérision qu'ils lui rendaient un tel honneur - J'ai tendu mes
joues à ceux qui arrachaient ma barbe8. - Ils ont frappé la joue du prince d'Israël9.
2379. L'Évangéliste
traite ici de la crucifixion du Christ ; d'abord il expose la crucifixion
elle-même, puis la mort du Christ [n° 2444], et enfin son ensevelissement
[n°2463].
1. In Ioannem hom., LXXXIV,
1, PG 59, co1. 456.
2. Pilate en donna la permission « afin que les ennemis [du
Christ] boivent ces insultes avec délectation, et n'aient plus soif de [son]
sang » {Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 271-273).
3. Cf. 1 M 8, 14.
4. Is 63, 2.
5. 2 S 16, 16.
6. Tt 1, 16.
7. Mt 7, 21.
8. Is 50, 6 :
J'ai donné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui
arrachaient ma barbe ; je n'ai pas détourné ma face de ceux qui me
réprimandaient et qui crachaient sur moi.
9. Mi 5, 1.
II rapporte d'abord
la discussion entre Christ [n° 2401], et enfin l'exécution de la Pilate et les
Juifs, puis la condamnation du sentence [n° 2411].
a)
La discussion entre Pilate et les Juifs.
Pilate, voulant
libérer le Christ, discutait avec les Juifs. C'est pourquoi l'Évangéliste
montre d'abord comment il s'efforce de le libérer en le faisant voir aux Juifs
- il montre cette manifestation, puis son effet [n° 2383] ; en second
lieu, comment il s'efforce de le libérer en alléguant son innocence [n° 2384].
Pilate présente Jésus aux Juifs.
PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU, ET LEUR DIT :
« VOICI QUE JE VOUS L'AMÈNE DEHORS, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE
EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » (19, 4)
2380. L'Évangéliste
montre d'abord l'intention de Pilate : en leur montrant Jésus, il avait
l'intention de le libérer ; PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU, à savoir du
prétoire, ET LEUR DIT, c'est-à-dire aux Juifs qui attendaient :
« VOICI QUE JE VOUS L'AMÈNE DEHORS, et cela POUR QUE VOUS SACHIEZ
QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. » Pourquoi donc l'as-tu traité de manière honteuse, ô
impie Pilate, sans cause ? Pour que les Juifs ne croient pas que je le
relâche par faveur. En effet, quelle faveur est accordée à celui à qui sont
infligés tant de coups de fouet ? Ou bien, pour que ses ennemis voient
avec un très grand plaisir les outrages qu'il a subis et ne soient plus
assoiffés de sang1 ; autrement dit : S'il était passible de mort, je le condamnerais
comme je l'ai fait flageller. Cependant il a peut-être fait contre la loi des
choses sans gravité, pour lesquelles il a seulement mérité la flagellation,
mais non la mort.
JÉSUS DONC SORTIT, PORTANT LA COURONNE D'ÉPINES ET LE
VÊTEMENT DE POURPRE. (19, 5)
2381. En second
lieu, cela ayant été fait, on montre la manifestation du Christ. Pilate le
présente dans l'état où il est tourné en dérision par les gardes pour qu'au
moins ils se calment tandis qu'il sort vers eux, non pas dans la gloire du
pouvoir, mais couvert d'opprobre2 - Puisque c'est à cause
de toi que j'ai souffert l'opprobre, et que la confusion a couvert ma face3. En cela nous sommes instruits, afin d'être prêts à supporter tous les
opprobres à cause du nom de Jésus Christ - Ne craignez pas les
opprobres des hommes, et n'appréhendez pas leurs injures4.
ET PILATE LEUR DIT : « VOICI L'HOMME. » (19,
5)
2382. En troisième
lieu est montrée l'explication de cette manifestation, et cela par les paroles
de Pilate ; il leur a dit : « VOICI L'HOMME », parlant
comme avec mépris de ce qu'un homme ainsi méprisé veuille usurper pour lui la
royauté. Voici de quel homme
vous croyez ces choses, de telle sorte que, selon cela, lui convient ce
psaume : Moi je suis un ver, et non un homme1. Si donc c'est le roi que vous haïssez,
cessez désormais puisque vous le voyez déchu. Comme le dit Augustin2 :
« L'ignominie brûle, que la haine se refroidisse. »
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.
2. Cf. saint Augustin, ibid.
3. Ps 68, 8. 4.1s 51, 7.
QUAND LES GRANDS PRÊTRES ET LES GARDES L'EURENT VU, ILS
CRIAIENT, DISANT : « CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! »
(19, 6)
2383. Ici est montré
l'effet de la manifestation du Christ sur les Juifs parce que, si déchu et
flagellé qu'ils le voient, leur haine ne se refroidit pas, mais brûle davantage
et grandit3. Aussi, QUAND LES GRANDS PRÊTRES ET LES
GARDES L'EURENT VU, amené dehors, ILS CRIAIENT, DISANT :
« CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! » Ils le répètent à cause de
la véhémence de leur désir. Et ils ne se contentent pas de n'importe quelle
mort, mais ils réclament la plus infâme : celle de la croix - Condamnons-le
à la mort la plus infâme4.
Et l'Évangéliste
dit : QUAND [ILS] L'EURENT VU, car à la vue de ce qui lui est odieux, le
cœur de celui qui hait est davantage agité et enflammé contre lui - Sa vue
même nous est à charge5.
Pilate allègue l'innocence du Christ.
PILATE LEUR DIT : « PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET
CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE
CONDAMNATION]. » (19, 6)
2384. L'Évangéliste
montre ici comment Pilate s'efforce de libérer le Christ en alléguant son
innocence. De là surgit une controverse, parce que Pilate allègue l'innocence
du Christ et les Juifs réaffirment sa culpabilité [n° 2386].
I
2385. PILATE LEUR
DIT : « PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE », autrement
dit : Je ne veux pas être un juge inique, moi je ne le crucifierai
pas ; vous, crucifiez-le si vous le voulez : MOI, JE NE TROUVE EN LUI
AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], c'est-à-dire aucune raison de le crucifier.
Plus haut : Il vient, le prince de ce monde, et sur moi il n'a
aucun pouvoir6. - Celui que
vous avez, vous, livré et renié devant Pilate, quand il jugeait lui-même de le
renvoyer (...) 7.
1. Ps 21, 7.
2. Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.
3. Saint Thomas reprend dans ces derniers mots la suite de la
phrase de saint Augustin citée précédemment.
4. Sg 2, 20.
5. Sg 2, 15.
II
2386. Mais les Juifs
à nouveau réaffirment la faute du Christ ; d'où la suite : LES JUIFS LUI
RÉPONDIRENT : « NOUS, NOUS AVONS UNE LOI, ET SELON CETTE LOI IL DOIT
MOURIR, PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU. »
Ils semblent avoir compris à partir de la réponse de Pilate qu'il n'était pas
contre le Christ à cause du crime d'ambitionner la royauté, [mais à cause
d'autre chose] à partir de quoi ils croyaient que l'esprit de Pilate était
extrêmement troublé, au point de faire périr Jésus. Et c'est pourquoi, comme si
ce crime ne suffisait pas pour le faire mourir, ils croyaient que Pilate, en
disant PRENEZ-LE VOUS-MÊMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE
6. Jn 14, 30.
7. Ac 3, 13.
TROUVE EN LUI AUCUNE
CAUSE [DE CONDAMNATION], avait demandé si eux avaient selon la loi un autre
crime dont il était condamnable et dont ils le condamneraient ; c'est
pourquoi ils disent : SELON CETTE LOI, IL DOIT MOURIR. Ils avancent
d'abord le crime du Christ contre la loi des Juifs, puis contre la loi des
Romains [n° 2398].
Le Christ accusé de
crime contre la Loi des Juifs
On montre d'abord
ici l'accusation des Juifs contre le Christ, et ensuite l'effet de cette
accusation dans l'esprit de Pilate [n° 2388].
PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU (19, 7)
2387. Le crime qui
était imputé au Christ contre la loi des Juifs était QU'IL S'EST FAIT FILS DE
DIEU, crime pour lequel ils le considéraient comme passible de mort. Plus
haut : A cause de cela les Juifs cherchaient encore plus à le
tuer : parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait
que Dieu était son père, se faisant l'égal de Dieu1. -
Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème,
et parce que toi, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu2.
Et ici ils
disent : IL S'EST FAIT FILS DE DIEU, comme si cela n'était pas. Mais ce
n'est pas contre la Loi, comme il le leur a prouvé plus haut, au chapitre 10,
par ce psaume : Moi j'ai
dit : vous êtes des dieux3. En effet, si d'autres
hommes, qui sont des fils adoptifs4, se disent fils de Dieu sans blasphème,
combien plus le Christ, qui est Fils de Dieu par nature5 ?
Mais parce qu'ils ne comprenaient pas la génération éternelle, ils le tenaient
pour un menteur et un blasphémateur, ce pour quoi quelqu'un, quel qu'il soit,
encourait la peine de mort.
LORS DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE, IL CRAIGNIT
DAVANTAGE. IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE ET DIT À JÉSUS : « D'OÙ
ES-TU ? » MAIS JÉSUS NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE. (19, 8-9)
2388. L'Évangéliste
montre ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate ; et
premièrement l'effet de la crainte. Aussi dit-il : LORS DONC QUE PILATE EUT
ENTENDU CETTE PAROLE - à savoir qu'il se faisait Fils de Dieu -, IL CRAIGNIT
DAVANTAGE en pensant que ce ne serait pas vrai [de sa part] et qu'il agirait
mal s'il allait plus loin injustement contre lui6. Par là était donné à entendre que les
Gentils, en apprenant la trahison à l'égard du Fils de Dieu, ont craint - Seigneur, j'ai entendu
parler de toi, et j'ai craint7.
2389. Deuxièmement,
il montre l'effet du doute et de l'investigation de Pilate. D'abord est exposée
l'investigation de Pilate, puis le silence volontaire du Christ [n° 2391], et
enfin la réprobation de ce silence [n° 2392].
IL RENTRA DANS LE
PRÉTOIRE ET DIT À JÉSUS : « D'OÙ ES-TU ? »
2390. IL RENTRA DANS
LE PRÉTOIRE, ébranlé par la crainte, ET DIT À JÉSUS, qu'il avait ramené avec
lui : « D'OÙ ES-TU ? », voulant savoir s'il était Dieu, ayant une origine divine, ou s'il était
un homme d'origine terrestre. À cela on peut répondre ce qui est rapporté plus haut, au chapitre
8 : Vous3 vous êtes d'en bas, moi, je suis d'en haut1.
1. Jn 5, 18.
2. Jn 10, 33.
3. Jn 10, 34 ; Ps 81, 6.
4. Cf. Ga 4,
4-5 : Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, né
d'une femme, né sous la Loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la Loi,
afin de nous conférer l'adoption des fils.
5. Voir vo1. I, n°
1461, où saint Thomas explicite que Dieu a sanctifié le Christ d'une manière
spéciale, « pour qu'il soit Fils de Dieu par nature ».
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, co1. 456.
7. Ha 3, 1.
MAIS JÉSUS NE LUI
DONNA PAS DE RÉPONSE.
2391. Mais Jésus,
parce qu'il ne le voulut pas, NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE, pour montrer qu'il
ne voulait pas être vainqueur par des paroles et trouver des justifications,
puisqu'il était venu pour souffrir2. Et en même temps, il nous donne par là un
exemple de patience3, où s'accomplit ce qui est dit dans
Isaïe : Comme un agneau devant le tondeur, il restera muet et n'ouvrira
pas la bouche41. Et il dit comme un agneau pour qu'on ne croie pas qu'il a gardé
le silence comme s'il avait mauvaise conscience, étant convaincu de ses péchés,
mais parce qu'il était doux, lui qui était immolé pour les péchés des autres5.
PILATE LUI DIT DONC : « TU NE ME PARLES PAS ?
TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE
RELÂCHER ? » JÉSUS RÉPONDIT : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN
POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT. C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A
LIVRÉ À TOI A UN PLUS GRAND PÉCHÉ. » DÈS LORS PILATE CHERCHAIT À LE
RELÂCHER. (19, 10-12)
2392. On montre
ensuite comment Pilate blâme le silence volontaire du Christ, et il le fait
d'abord par l'étalage de son pouvoir ; puis on montre la réponse du Christ
à propos du pouvoir de Pilate [n° 2394].
1. Jn 8, 23.
2. Voir ci-dessus n° 1659, et aussi saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG
59, co1. 457.
3. Voir Somme théo1., III, q. 46, a. 3, c, où saint Thomas
donne cinq raisons de convenance montrant pourquoi Dieu a choisi de libérer
l'homme du péché par le mystère de la Passion du Christ. Notons en particulier
la deuxième : « Par sa Passion, le Christ nous donne l'exemple de
l'obéissance, de l'humilité, de la constance, de la justice, et de toutes les
autres vertus. Et celles-ci sont nécessaires pour le salut de l'homme - Le Christ a souffert pour
nous, en nous laissant un exemple, pour que nous suivions ses traces (1
Ρ 2, 21) ». Voir aussi vo1. I, n° 478.
4. Is 53, 7.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 4, BA 75, p. 275.
2393. Donc, parce
que le Christ ne lui a pas donné de réponse, Pilate, le reprenant, dit :
« TU NE ME PARLES PAS ? TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE
CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE RELÂCHER ? » - en quoi il s'est condamné lui-même. En effet, si tout
était soumis à son pouvoir, pourquoi, alors qu'il ne trouvait en lui aucun
motif d'accusation, ne l'a-t-il pas acquitté ? - C'est par ta propre
bouche que je te juge, mauvais serviteur6. - Ayant
la puissance parmi les hommes, bien que tu sois mortel, tu fais ce que tu veux7.
2394. Et parce
qu'ainsi il se glorifie de son pouvoir, selon le psaume : Il se
glorifie dans l'abondance de ses richesses8,
le Seigneur brise cela en disant :
« TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN
HAUT. » Aussi, comme le dit Augustin, le Christ, lorsqu'il se tait, se
tait comme un agneau ; et quand il parle, il enseigne comme un pasteur9.
C'est pourquoi il instruit Pilate premièrement de l'origine de son pouvoir,
puis de la grandeur de son crime [n° 2396].
2395. Quant au
premier point, il dit : « TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE
T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT », comme s'il disait : Si tu parais avoir
quelque pouvoir, ce n'est pas par toi-même que tu l'as, mais il t'a été donné
d'en haut, c'est-à-dire par Dieu, de qui vient tout pouvoir10 - Par
moi régnent les rois11. Et il dit : AUCUN, c'est-à-dire si minime que soit ton pouvoir,
puisqu'il avait un pouvoir limité soumis à un plus grand, celui de César - Moi
je suis un homme soumis au pouvoir d'un autre12.
6. Lc 19, 22.
7. 2 M 7, 16.
8. Ps 48, 7.
9. Tract, in Io., CXVI, 5, BA
75, p. 281. Le commentaire de saint Thomas dans les trois paragraphes qui
suivent reprend point par point celui de saint Augustin.
10. Sur la puissance, le pouvoir de Dieu (potentia Dei), voir
Somme théo1., I, q. 25.
11. Pr 8, 15 ; cf. Rm 13, 1.
12. Mt 8, 9.
2396. Et pour cette
raison le Christ conclut : C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A LIVRÉ À TOI, à
savoir Judas, ou bien les princes des prêtres, A UN PLUS GRAND PÉCHÉ. Et il dit
PLUS GRAND pour montrer que ceux qui l'ont livré, et Pilate lui-même, sont
coupables de péché : mais ceux-là sont coupables d'un plus grand péché qui
l'ont livré d'eux-mêmes et par jalousie ; tandis que lui, ce qu'il a fait,
il l'a fait par crainte d'un pouvoir supérieur.
Par là aussi est
confondue l'erreur des hérétiques qui disent que tous les péchés sont
égaux : autrement le Seigneur n'aurait pas dit : A UN PLUS GRAND
PÉCHÉ - Malheur à l'homme par qui le scandale arrive1
2397. L'effet de la
réponse du Christ est montré quand l'Évangéliste dit : DÈS LORS, c'est-à-dire
à partir de maintenant, PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Mais parce que, comme
on l'a dit depuis le début, il s'efforçait de le relâcher, il convient mieux de
dire DÈS LORS, c'est-à-dire pour cette cause, qu'il n'avait pas de péché,
PILATE CHERCHAIT À LE RELÂCHER. Ou bien, plus haut, il tentait de le relâcher,
mais DÈS LORS, c'est-à-dire à partir de maintenant, il cherchait absolument, et
avec un esprit ferme, à le relâcher.
Le Christ accusé de
crime contre la Loi des Romains
MAIS LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : « SI TU LE
RELÂCHES, TU N'ES PAS AMI DE CÉSAR. CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE
CÉSAR. » (19, 12)
2398. Précédemment
[n° 2386], les Juifs ont imputé au Christ un crime contre la Loi, crime dont
Pilate semblait faire peu de cas, vu qu'il n'était pas soumis à la Loi ;
c'est pourquoi ils imputent encore au Christ un crime contre la loi des
Romains, pour presser davantage Pilate à le faire périr2. Ils
commencent par exposer le péril qui menace Pilate s'il relâche le Christ, puis
ils en donnent la raison [n° 2400].
2399. L'Évangéliste
dit donc qu'après, quand Pilate cherchait à relâcher le Christ, LES JUIFS
CRIAIENT, DISANT : « SI TU LE RELÂCHES, lui qui se fait roi, TU N'ES
PAS AMI DE CÉSAR », c'est-à-dire tu perdras son amitié. Car il arrive
souvent que les hommes pensent des autres ce qu'eux-mêmes éprouvent.
Et parce qu'il est
dit d'eux plus haut qu'ils préférèrent la gloire des hommes à
la gloire de Dieu3, ils pensaient aussi au sujet de Pilate qu'il estimait davantage
l'amitié de César qu'une amitié juste, bien qu'il faille faire le contraire
- Il est bon d'espérer dans le Seigneur plutôt que d'espérer dans des
princes 4. Du reste, le Philosophe est d'avis que la vérité est
plus digne d'honneur que les amitiés5.
2400. Ils ajoutent
la raison du péril qui le menace : « CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE
DÉCLARE CONTRE CÉSAR. » En effet, c'est bien la nature du pouvoir
terrestre de ne pouvoir supporter de partager avec un autre. Et c'est pourquoi
César ne supportait pas qu'un autre domine - Ne recherche pas le pouvoir
auprès des hommes, ni une chaire d'honneur auprès du roi6.
1. Mt 18, 7.
2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG
59, co1. 457.
3. Jn 12, 43.
4. Ps 117, 9.
5. Cf. Aristote, Éthique
à Nicomaque, I, 4, 1096 a 15-16 : « II semble qu'il est meilleur
et qu'il faut, pour sauver la vérité, sacrifier nos opinions personnelles,
d'autant plus que nous sommes philosophes. Vérité et amitié nous sont chères
l'une et l'autre, mais la vérité plus encore. »
6. Si 7, 4.
2401. Ici,
l'Évangéliste traite de la condamnation du Christ qu'il aborde par trois
aspects : d'abord le lieu, puis le temps [n° 2404], enfin le mode [n°
2406].
Le motif de condamnation.
PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, FIT AMENER JÉSUS DEHORS
ET S'ASSIT À SON TRIBUNAL, AU LIEU QUI EST APPELÉ LITHOSTROTOS, EN HÉBREU
GABBATHA. (19, 13)
2402. Quant au
premier point, il expose d'abord le motif de la condamnation, en disant :
PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, craignit davantage : en effet il ne
pouvait pas mépriser César, auteur de son pouvoir, de la même manière que la
loi d'une nation étrangère1.
Aussi, il FIT AMENER
JÉSUS DEHORS ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Mais c'est en vain que le Christ est
poussé devant eux, parce qu'il n'était pas tel [qu'ils le croyaient]. En effet
ce n'est ni par la pourpre, ni par un diadème, ni par un sceptre, ni par un
char, ni par les soldats qu'aurait le Christ, qu'on pouvait croire qu'il
ambitionnait le trône2. Il demeurait toujours seul avec ses
disciples, pauvre dans sa nourriture, son avoir et son logement3.
Mais l'impie fuit, personne ne le poursuivant4. -
Ils ont tremblé d'effroi là où n'était pas l'effroi5. -
Toi donc ne les crains pas, n'aie pas peur de leurs paroles (...) et ne redoute
pas leurs visages6.
Le lieu.
2403. Deuxièmement
l'Évangéliste expose le lieu : ET S'ASSIT À SON TRIBUNA1. Le tribunal est
le siège du juge comme le trône du roi et la chaire du maître - Le roi qui
est assis sur le trône de la justice dissipe tout le mal par son regard7. Et c'est pourquoi on dit « tribunal », parce que chez les
Romains les tribuns discernaient les causes particulières, conseillés par le
peuple devant lequel elles étaient présentées.
Et il dit À SON
TRIBUNAL, c'est-à-dire devant le tribunal, car les trois prépositions latines pro,
ante et in sont en grec une seule préposition : επί.
Et ce tribunal se trouvait dans un LIEU (...) APPELÉ LITHOSTROTOS, c'est-à-dire
pavement de pierres - en effet λίθος, en grec,
signifie pierre -, car le lieu où Pilate siégeait à son tribunal était pavé de
pierres diverses. Et ce même lieu est appelé EN HÉBREU GABBATHA, c'est-à-dire
colline ou hauteur faite d'un amoncellement de pierres8.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXVI, 7, BA 75, p. 281.
2. Cf. Mt 5, 1-12, où Jésus enseigne le chemin des béatitudes pour
commencer déjà sur terre son royaume, un royaume de pauvreté, de douceur, de
larmes, de désir, de miséricorde, de pureté et de paix - Heureux les pauvres de cœur car le
royaume des deux est à eux (...). Ce royaume est aussi le royaume de ceux
qui subiront les persécutions, à la suite du Christ.
3. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG
59, co1. 457. Voir aussi Somme théo1., III, q. 40, a. 3.
4. Pr28, 1.
5. Ps 52, 6.
6. Ez 2, 6.
7. Pr 20, 8.
8. Cf. SAINT
JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 32, 21),
CCL, vo1. LXXII, p. 100.
Le moment de la
condamnation.
2404. Il décrit le
moment de la condamnation : OR C'ÉTAIT LA PRÉPARATION DE LA PÂQUE (parasceve),
c'est-à-dire le jour où la Pâque était préparée, VERS LA SIXIÈME HEURE. Là
il faut savoir que chez les Juifs, le jour du sabbat avait quelque chose de
plus solennel que n'importe quelle autre fête, c'est-à-dire que par respect
pour ce jour ils ne préparaient pas pour eux de nourriture ce jour-là mais la
veille, le sixième jour. Aussi le sixième jour de cette période était-il appelé
« parasceve ». Ceci tient son origine de ce qu'au livre de l'Exode il
est enseigné qu'ils ne devaient pas recueillir la manne pendant le sabbat mais
que le sixième jour ils en recueilleraient le double1. Ce à quoi ils ne dérogeaient jamais, pour
aucune fête. Aussi, bien que ce sixième jour fut pour eux solennel, ils
préparaient cependant ce jour-là la nourriture pour le jour suivant, celui du
sabbat.
2405. Et il ajoute
VERS LA SIXIÈME HEURE ; cependant on trouve chez Marc : Or c'était
la troisième heure et ils le crucifièrent2. Mais il s'avère que Pilate a siégé à son tribunal avant que le Christ
fût crucifié. À cela il y a deux réponses, selon Augustin3.
La première, et la
meilleure, est que le Christ fut crucifié de deux manières. Tout d'abord par
les langues et les voix des Juifs disant : Crucifie-le !
Crucifie-le !4 Deuxièmement par les mains des soldats qui
le crucifièrent. Aussi, parce que les Juifs voulaient imputer la crucifixion du
Christ aux Gentils, Marc, qui écrivit son Évangile pour les nations païennes,
l'attribua aux Juifs, disant que c'est au moment où les Juifs ont crié : Crucifie-le !
Crucifie-le ! qu'ils crucifièrent le Christ. Ce qui eut lieu à la
troisième heure.
Mais Jean, qui suit
l'ordre du temps, dit : VERS LA SIXIÈME HEURE, car quand le Christ fut en
croix, c'était déjà la fin de la cinquième heure et le début de la sixième, au
moment où il y eut des ténèbres pendant trois heures, à savoir jusqu'à la
neuvième heure5. Aussi, parce que la sixième heure n'était
pas encore achevée, il dit : VERS LA SIXIÈME HEURE.
La seconde réponse
est que la préparation de la Pâque est appelée « parasceve ». Or, notre
Pâque, c'est le Christ immolé6. C'est pourquoi la parasceve est la préparation à l'immolation du
Christ ; et c'était la sixième heure de la préparation de l'immolation
mais non pas la sixième heure du jour, parce que cette préparation commença à
la neuvième heure de la nuit quand, le Christ ayant été arrêté, ils
disaient : Il est passible de mort7.
Voilà pourquoi, si
aux trois heures restantes de la nuit nous ajoutons les trois heures du jour
jusqu'au moment où le Christ fut crucifié, il est manifeste que c'est à la
sixième heure de la parasceve - c'est-à-dire de la préparation - qu'il fut
crucifié, bien que ce fut la troisième heure du jour, comme le dit Marc.
Et certes il
convient qu'il ait été crucifié à LA SIXIÈME HEURE8 parce que par la Croix, au sixième âge9, il
répara l'homme créé le sixième jour.
1. Cf. Ex 16, 23. Sur la fête de la Pâque, voir aussi vo1. I,
n" 1586, et ci-dessus, nos 1590-1591, 1728-1730 ; et sur
le sabbat correspondant à la Pâque, ci-dessous, n° 2455.
2. Me 15, 25.
3. Tract, in
Io., CXVII, 1-2, BA 75, p. 287-289 ; De consensu Évangelistarum, III, xiii, 40-50,
PL 34, co1. 1185-1189.
4. Jn 19, 6.
5. Cf. Mt 27, 45 ; Me 15, 33 ; Le 23, 44.
6. 1 Co 5, 7.
7. Mt 26, 66.
8. Cf. Mt 27, 45. Saint Thomas commente : « Matthieu
raconte qu'il a été crucifié à la sixième heure (...). Cela se rapporte au
mystère parce qu'à midi le soleil est au milieu du ciel ; et cela se
rapporte donc au Fils de Dieu qui est le vrai soleil - Pour vous qui craignez le nom de Dieu se lèvera le soleil
de justice (Ml 4, 2 [BJ 3,
20])· De
même cela convient à la transgression du premier homme, parce qu'Adam a péché
après midi (cf. Gn 3, 8), aussi le Christ voulut-il satisfaire à cette
heure-là » (Super Matth. lect., XXVII, n" 2379).
9. L'homme, créé le sixième jour, est recréé au sixième âge, âge
où, vieilli par le péché, il est renouvelé par la Croix du Christ. Le sixième
âge correspond au temps où Jésus s'incarne pour sauver le monde. Voir saint
Augustin, Serm. de Scr., 125, IX, PL 38, co1. 692 ; De catechizandibus rudibus, XXII, 39, PL 40, co1. 338, et De
diversis quaestionibus, LXIV, 2, PL 40, co1. 55.
Le mode et l'ordre de la condamnation.
ET IL DIT AUX JUIFS : « VOICI VOTRE ROI. »
MAIS EUX CRIAIENT : « À MORT ! À MORT !
CRUCIFIE-LE ! » PILATE LEUR DIT : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE
ROI ? » LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT : « NOUS N'AVONS PAS
D'AUTRE ROI QUE CÉSAR. » ALORS IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. (19,
14-16)
2406. L'Évangéliste
décrit ici le mode et l'ordre de la condamnation. Il faut remarquer que Pilate
voulait encore le libérer bien que la crainte de César le pressât. Et c'est
pourquoi l'Évangéliste montre d'abord la tentative de Pilate de libérer le
Christ, puis il ajoute son assentiment à ce qu'il soit crucifié [n° 2410].
I
Concernant le
premier point, il expose l'effort que fait Pilate pour libérer le Christ,
d'abord en se moquant de lui puis en invoquant le déshonneur des Juifs [n°
2409]. Il montre d'abord la tentative de Pilate, puis la malice des Juifs [n°
2408].
ET IL DIT AUX JUIFS : « VOICI VOTRE ROI. »
2407. Il dit donc
qu'après s'être assis à son tribunal, Pilate DIT AUX JUIFS comme avec une
certaine indignation : « VOICI VOTRE ROI », comme pour
dire : II est étonnant que vous craigniez de l'avoir pour roi, ainsi
humilié et méprisé. Nul, sinon les riches et les puissants, ne menace un
royaume, mais tel n'est pas celui-ci - Moi je suis un pauvre, dans
les labeurs depuis ma jeunesse1.
MAIS EUX CRIAIENT : « À MORT ! À MORT !
CRUCIFIE-LE ! »
2408. Mais ces
paroles n'attendrissent pas la malice des Juifs. EUX CRIAIENT, pris d'une haine
démesurée, et redoublant l'abondance de leur malice : « À MORT !
À MORT ! CRUCIFIE-LE ! », insinuant en même temps par là qu'ils
ne pouvaient pas le voir - Ils dirent à Dieu : éloigne-toi de nous,
nous ne voulons pas avoir connaissance de tes voies2. - Sa
vue même nous est à charge3. Et c'est pourquoi ils ajoutent : Condamnons-le à la mort la
plus infâme4, ce qui est la même chose que
CRUCIFIE-LE !
PILATE LEUR DIT : « CRUCIFIERAI-JE VOTRE
ROI ? »
2409. L'Évangéliste
montre ici comment Pilate s'efforce de le libérer en invoquant le déshonneur
des Juifs. Il présente d'abord la tentative de Pilate : « CRUCIFIERAI-JE
VOTRE ROI ? », comme s'il disait : Si vous n'êtes pas émus par
son humilité, ce qui doit vous émouvoir c'est le déshonneur qu'il y aurait pour
vous si je crucifiais - ce qui est très ignominieux si cela est fait par des
étrangers -celui qui a ambitionné votre royaume.
En second lieu il
montre l'obstination des Juifs. LES GRANDS PRÊTRES RÉPONDIRENT :
« NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR », ce par quoi ils se
soumirent eux-mêmes à une servitude perpétuelle, refusant la royauté du Christ.
Et c'est pourquoi jusqu'au jour d'aujourd'hui, étrangers au Christ, ils se sont
rendus esclaves de César et d'un pouvoir terrestre5
- Ce n'est pas toi qu'ils rejetèrent mais moi pour que je ne
règne pas sur eux6. - IL· m'ont
abandonné, moi, la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes qui ne
peuvent retenir les eaux7.
1.Ps 87, 16.
2. Jb 21, 14.
3. Sg2, 15.
4. Sg 2, 20.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459.
6. 1 S 8, 7.
7. Jr 2, 13. Saint
Thomas commente : « Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau
vive, moi qui peux leur donner la vraie consolation - En toi est la
source de vie (Ps 35, 10) -, et ils se sont creusé des citernes, des
idoles qui ne peuvent sauver, parce qu'eux-mêmes les ont faites - Simulacres
des nations, l'argent et l'or, des œuvres de mains d'hommes (Ps 113 [B],
4) » (Exp. super Hier., II, lectio 3).
II
ALORS IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ.
2410. Ensuite est
présenté l'assentiment de Pilate à la mort du Christ. Alors donc, voyant que
les Juifs s'étaient ainsi soumis au pouvoir des Romains, IL LE LEUR LIVRA,
c'est-à-dire à leur volonté, POUR ÊTRE CRUCIFIÉ, contre ce conseil : Ne
suis pas la foule pour faire le mal1. - La
terre a été livrée aux mains de l'impie2. - Mon âme chêne, je
l'ai livrée aux mains de ses ennemis3.
c)
L'exécution de la sentence.
2411. L'Évangéliste
traite ici de la crucifixion du Christ. Il expose d'abord l'ignominie de la
croix, puis il rapporte ce qui suit la crucifixion [n° 2418]. Il décrit
l'ignominie de la croix quant à la condition de ceux qui crucifièrent Jésus,
quant à la manière de l'y mener [n° 2413], quant au lieu [n° 2415] et quant à
l'entourage [n° 2417].
ILS PRIRENT DONC JÉSUS ET L'EMMENÈRENT. (19, 16)
2412. La condition
de ceux qui le crucifièrent est décrite : ce sont des soldats. C'est
pourquoi il dit : ILS PRIRENT DONC JÉSUS. Ce sont des soldats, de fait,
car il est écrit ensuite : Quand donc les soldats l'eurent crucifié4, mais des Juifs par leur religion : parce qu'eux-mêmes firent, puis
réduirent à rien5 tout ce qui a été fait6. Par
là est signifié que les Juifs devaient perdre l'utilité de la Croix du Christ,
et les Gentils l'obtenir - Le royaume de Dieu vous sera enlevé
pour être donné à un peuple qui lui fera porter du fruit7.
ET PORTANT LUI-MÊME SA CROIX (19, 17)
1. Ex 23, 2.
2. Jb 9, 24.
3. Jr 12, 7.
4. Jn 19, 23.
5. Cf. 1 Co 1, 17.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 9, BA 75, p. 285.
7. Mt 21, 43.
2413. La manière de
le mener fut ignominieuse - PORTANT LUI-MÊME SA CROIX - car la mort de la croix
était la plus ignominieuse. Aussi est-il dit : Maudit soit celui qui
pend au bois8. Et c'est pourquoi, évitant le bois de la croix comme profane et ne
voulant pas le toucher9, ils en chargent Jésus condamné.
2414. Cependant il
est dit qu'ils réquisitionnèrent un certain Simon qui venait de la ville, pour
porter la croix10.
Réponse : il
faut dire que le Christ la porta depuis le début. Mais tandis qu'il avançait,
les Juifs trouvèrent cet homme, et le réquisitionnèrent par conformité à leur
religion11. Et cela n'est pas sans mystère, parce que
c'est lui qui le premier a supporté la Passion de la Croix et, après cela, les
autres, et surtout les étrangers, les Gentils, en l'imitant - Le Christ a
souffert pour vous, vous laissant un exemple12. - Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renie lui-même, qu'il porte sa croix
et qu'il me suive13.
Mais le fait que le
Christ a porté lui-même sa croix, même si c'est pour les impies et les
incroyants un grand sujet de moquerie, est cependant pour les croyants et les
hommes pieux un grand mystère - Le
langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent ;
mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu1. Le Christ porte sa croix comme un roi son sceptre au sein de la gloire
qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné
par le bois2. - II a reçu le
pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort,
Père du siècle à venir, Prince de la paix3. Il
la porte comme le vainqueur porte le
trophée de sa victoire - Dépouillant les principautés et les
puissances, il les a menées captives avec hardiesse, triomphant d'elles
hautement en lui-même4. Ou encore comme un docteur porte le lampadaire où
devait être déposée la lampe de sa doctrine, parce que le langage de la Croix
est puissance de Dieu pour les croyants - Personne n'allume une
lampe et la pose sous un boisseau, mais sur un lampadaire, afin que ceux qui
entrent voient sa lumière5.
8. Dt 21, 23.
9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459, qui ajoute : « Et ceci advint
sous le mode de figure : en effet, Isaac porta le bois ; mais ce qui
advint alors se trouva limité par la volonté du Père (c'était une figure).
Maintenant cependant, cela fut accompli en acte, car c'était la vérité. »
10. Voir Mt 27, 32
et Sup. Matth. lect., XXVII, n" 2357.
11. Cf. saint Augustin, De consensu
Evangelistarum, III, χ, 37, PL 34, co1. 1182.
12. 1 Ρ 2,
21.
13. Mt 16, 24.
IL SORTIT POUR ALLER AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE. (19,
17)
1. 1 Co 1, 18. Saint Thomas commente : « Le langage
de la Croix, c'est-à-dire l'annonce de la Croix du Christ, est folie, c'est-à-dire
semble quelque chose de fou, pour ceux qui se perdent - à savoir pour
les incroyants qui se croient sages selon le monde -, parce que la prédication
de la Croix du Christ contient quelque chose qui semble impossible selon la
sagesse humaine : par exemple, le fait que Dieu meure, que le
Tout-Puissant soit soumis aux mains des violents. Elle contient aussi certaines
choses qui semblent contraires à la prudence de ce monde : par exemple, le
fait que quelqu'un ne fuie pas les désordres alors qu'il le pourrait, et des
choses de ce genre. Et c'est pourquoi, à Paul qui annonçait cela, Festus
dit : Tu es fou, Paul, ton grand savoir te fait perdre la tête (Ac 26, 24). Et Paul lui-même dit : Nous
sommes fous, nous, à cause du Christ (1 Co 4, 10). Et pour
que l'on ne croie pas
que le langage de la Croix contienne réellement de la folie, il ajoute : Mais pour ceux qui se
sauvent, pour nous - à savoir les fidèles du Christ qui sommes sauvés
par lui, selon ce passage de Matthieu : Lui-même en effet sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21) -, il est
puissance de Dieu, puisque ceux-là mêmes ont reconnu dans la mort du Christ
la mort de Dieu, par laquelle il a vaincu le diable et le monde - Voici qu 'il a vaincu, le
lion de la tribu de Juda (Ap 5, 5). De même ils ont reconnu la puissance qu'ils ont
expérimentée en eux-mêmes, étant donné qu'avec le Christ ils meurent aux vices et aux concupiscences - Ceux qui
sont du Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga
5, 24). Voilà pourquoi il est
dit : Ton sceptre de puissance, le Seigneur l’ étendra depuis
Sion (Ps 109, 2). - Une
force sortait de lui et les guérissait tous (Le 6, 19) » (Ad 1 Cor. lect., I, n° 47). Voir
aussi vo1. I, n° 1425.
2. Cf. Ps 95, 10.
3. Is 9, 6.
4. Col 2, 15.
5. Lc 11, 33.
2415. Le lieu de la
Passion est ignominieux quant à deux choses. Premièrement parce qu'il était en
dehors de la cité, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : IL SORTIT,
c'est-à-dire en dehors des remparts de la ville, POUR ALLER AU LIEU QUI EST
APPELÉ CALVAIRE - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par
son sang, a souffert hors de la porte6.
Et cela pour deux
raisons : d'abord pour montrer que la puissance de sa Passion ne devait
pas se limiter aux frontières du peuple juif ; ensuite pour montrer que
tous ceux qui veulent obtenir le fruit de la Passion doivent quitter le monde,
au moins quant à leur cœur. L'Apôtre ajoute donc aussitôt : Sortons donc
vers lui en dehors du camp7.
2416. Deuxièmement parce que c'était le lieu le plus bas8 :
AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE, lieu du Crâne - J'ai été compté parmi ceux
qui descendent à la fosse9. Et selon Chrysostome, certains disent que dans ce
lieu, appelé Calvaire, Adam mourut et fut enterré - d'où
« Calvaire », à cause du crâne du premier homme - pour que, de même
que la mort a régné là, de même à cet endroit le Christ établisse son trophée10.
Mais, comme le dit Jérôme11, une interprétation de ce genre a la faveur
du peuple et charme ses oreilles, cependant elle n'est pas vraie, car Adam a
été enseveli en Hebron - Adam était l'homme le plus grand des
Anaquim 12. Et c'est pourquoi
il faut dire que c'était un lieu à l'extérieur des portes de Jérusalem, où
étaient tranchées les têtes des condamnés. C'est pourquoi ce lieu prit le nom
de Crâne, à cause des crânes des décapités qui y gisaient.
6. He 13, 12. Saint Thomas commente : « Hors de la
porte, c'est-à-dire hors de la société commune de ceux qui sont soumis à la
chair, ou bien hors de l'observance des lois ; ou encore hors des
sensations du corps. » (Ad Heb. lect., XIII, n° 749).
7. He 13, 13.
8. Le Calvaire, le lieu du Crâne, n'est pas le lieu situé le plus
bas géographiquement mais sur une butte à la périphérie de la ville.
« Bas » ici veut dire « méprisable » ou « abject ».
9. Ps 87, 5.
10. In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 459.
11. Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 33 (27, 33), SC
259, p. 289-291.
12.Jos 14, 15.
ILS LE CRUCIFIÈRENT,
ET AVEC LUI DEUX AUTRES, L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ, ET JÉSUS AU
MILIEU. (19, 18)
2417. L'entourage et
les compagnons de la Passion indiquent son ignominie. ILS LE CRUCIFIÈRENT, ET
AVEC LUI DEUX AUTRES, à savoir des brigands, comme le dit Luc.1 Et
il dit : L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ, c'est-à-dire l'un à
droite et l'autre à gauche, ET JÉSUS AU MILIEU.
Et remarque bien que
le Christ, même dans sa Passion, se tient au milieu. Mais ceci, quant à
l'intention des Juifs, lui a été fait pour [le couvrir] d'ignominie,
c'est-à-dire pour que la cause de sa mort fût jugée semblable à celle de la
mort des brigands - II a été compté parmi les criminels2.
Mais si on est
attentif au mystère, cela appartient à la gloire3 du Christ, car par là est montré que le
Christ, par sa Passion, méritait le pouvoir de juger - Ta cause a été jugée
comme celle d'un impie, mais tu recevras le jugement et la cause4. En effet, se tenir au milieu est le propre
du juge ; c'est pourquoi, selon le Philosophe aussi, aller vers le juge,
c'est aller vers le juste milieu5. Et c'est pourquoi il est placé au milieu,
et l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, parce qu'au jugement assurément il
établira les brebis à sa droite mais les boucs à sa gauche. Aussi, le larron à
sa droite, celui qui a cru, est libéré, et l'autre à sa gauche, celui qui
l'insulte, a été condamné.
d)
Ce qui suit la crucifixion.
2418. Après avoir
traité de la crucifixion du Christ, l'Évangéliste à présent nous rapporte ce
qui la suit. Et d'abord les choses qui suivent la crucifixion quant à
Pilate ; ensuite quant aux soldats [n° 2425] ; enfin quant aux amis
qui se tenaient là [n° 2434].
Ce qui suit la crucifixion quant à Pilate.
PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. IL Y
ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. » CETTE
INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, PARCE QUE LE LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ
CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET
EN LATIN. LES GRANDS PRÊTRES DES JUIFS DISAIENT DONC A PILATE :
« N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT :
"JE SUIS LE ROI DES JUIFS". » PILATE RÉPONDIT : « CE
QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » (19, 19-22)
1. Cf. Lc 23, 33.
2. Is 53, 12.
3. Sur la gloire,
voir vo1. I, n° 1278, note 4, et ci-dessus, nos 2106 et 2152.
4. Jb 36, 17
(verset propre à la Vulgate).
5. Aristote, dans l'Éthique
à Nicomaque, montre que « toute vertu est une disposition stable qui
nous permet de choisir dans un juste milieu relatif à nous, milieu déterminé
par l'intelligence, tel que le déterminerait l'homme prudent. C'est un juste
milieu entre deux vices, l'un par excès et l'autre par défaut » (II, 6, 1106
b 36 - 1107 a 2). Ainsi la vertu de justice, qui est par excellence la vertu
concernant les rapports avec autrui, s'intéresse à l'égalité, dans un juste
milieu entre les différentes parties (voir op. cit., V, 1).
Trois choses se
rapportant à Pilate sont exposées, à savoir l'inscription d'un écriteau, la
lecture qu'on en fit, et la conservation de l'inscription.
Ι
PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX.
2419. Quant au
premier point, deux choses sont montrées. D'abord l’inscription de
l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela
convenait tout à fait afin de se venger des Juifs au moins par ceci : en
montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre leur roi.
Mais cependant cela convient au mystère car, de même que,
lors des triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire,
parce que les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons
notre nom célèbre avant d'être dispersés à travers toutes les terres1 -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une
inscription fut faite sur la croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi
de ma pauvreté et de l'excès commis contre moi, de l'absinthe et du fiel2.
IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES
JUIFS. »
2420. En second lieu est exposé le contenu de
l'inscription : IL Y ÉTAIT ÉCRIT : « JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI
DES JUIFS. » Et certes ces trois mots conviennent bien au mystère de la
Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui signifie Sauveur, convient à la
puissance de la Croix par laquelle s'est réalisé pour nous le salut - Tu lui
donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera le peuple de ses péchés3. Quant à DE NAZARETH, qui se traduit
« en fleur4 », cela se rapporte à l'innocence de
celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis des vallées5.
- Une fleur montera de sa racine6. Quant à ROI DES JUIFS,
cela se rapporte à la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il a
mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu l’α exalté7.
- II régnera, Seigneur, et sera sage 8. - Il siégera sur le trône de
David et sur son royaume9.
2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs
mais aussi des Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne
l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi10 -, c'est pourquoi après avoir dit :
Moi j'ai été établi roi sur Sion11 il
ajoute : Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage 12.
Pourquoi donc écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?
Réponse : il faut dire que les Gentils ont été
introduits dans la sève de l'olivier comme l'olivier sauvage 13.
Et de même que l'olivier sauvage a part à la sève de l'olivier sans que
l'olivier ait part à l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils
eux-mêmes convertis à la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit,
non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit14. Et c'est
pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris aussi les Gentils
convertis.
II
CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, PARCE QUE LE
LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE
EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN.
2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de
cette inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE
INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup
sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui
la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez1.
1.Gn 11, 4.
2. Lm 3, 19.
3. Mt 1, 21. Voir
vo1. I, n° 663.
4. Cf. SAINT
JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorutn nominum (Lag. 62, 24-25),
CCL, vo1. LXXII, p. 137.
5. Ct 2, 1.
6. Is 11, 1.
7. Ph 2, 9.
8. Jr 23, 5. La
Vulgate dit Rex et non Dominus.
9. Is 9, 7.
10. Rm 3, 29.
11. Ps 2, 6.
12. Ps 2, 8. Voir
vo1. I, n" 1417, note 4, et ci-dessus, n° 2206.
13. Voir Rm 11, 17.
14. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 299-301.
En second lieu nous
est montrée la possibilité de lire ; et celle-ci est double. La première
se prend de la proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE
LIEU OÙ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du
fait que l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT
ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que
ces trois langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes à cause du culte
du Dieu unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin à cause
de la puissance des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour
elles la dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin2. Par
là est signifié que, par la Croix du Christ, devaient être soumis les hommes
pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le grec et les
puissants désignés par le latin.
Ou bien3 par
l'hébreu était signifié que le Christ devait régner sur la philosophie
théologique, qui est signifiée par l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été
livrée la connaissance des réalités divines ; mais par le grec était
signifié que le Christ devait régner sur la philosophie naturelle et physique,
car les Grecs ont peiné sur la spéculation des réalités de la nature ; et
par le latin était signifié qu'il devait régner sur la philosophie pratique4,
parce que chez les Romains prévalait surtout la science morale, afin
qu'ainsi réduite en captivité, l'intelligence humaine soit ramenée à
l'obéissance au Christ5.
1. Jn 20, 31.
2. Tract, in Io., CXVII, 4, BA 75, p. 295.
3. Cf. Theophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 275 B.
4. Saint Thomas
semble reprendre ici les trois niveaux de connaissance philosophique
qu'Aristote précise dans ses écrits {Éthique, Métaphysique, Poétique,
Politique, etc.) : 1. La philosophie sagesse, ou théologie naturelle,
qui s'adonne à la découverte des réalités divines, dont la finalité est la
contemplation du mystère de Dieu. Aristote l'inclut dans ses livres de
philosophie première où il étudie l'être en tant qu'être. Cette contemplation
du mystère du Dieu unique rejoint celle des hommes religieux de l'ancien
Testament. 2. La philosophie de la nature, la physique, qui étudie les réalités
naturelles faisant partie de l'univers physique, toujours en devenir. Comme la
philosophie première, cette connaissance a pour finalité la connaissance même
de la vérité. 3. La philosophie pratique qui consiste en une réflexion sur les
trois grandes activités humaines - le travail (activité artistique), l'amitié
(activité morale) et la coopération au sein d'une vie commune (activité
politique) -, et dont la finalité est l'activité elle-même. (Sur la différence
entre la philosophie spéculative et la philosophie pratique, par la finalité,
voir par exemple, Métaphysique, a, 1, 993 b 20-21.) Saint Thomas évoque,
à travers ces trois niveaux de connaissance, comment le mystère du Christ, tout
en respectant l'intelligence humaine dans son développement naturel, lui
apporte un don nouveau, celui de la foi, et réclame une obéissance nouvelle.
L'intelligence devient servante du mystère de la Révélation et de la parole de
Dieu dans la théologie chrétienne. Voir aussi plus haut, n° 2265, note 6.
III
LES GRANDS PRÊTRES DES JUIFS DISAIENT DONC À PILATE :
« N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT :
"JE SUIS LE ROI DES JUIFS". » PILATE RÉPONDIT : « CE
QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » (19, 21-22)
2423. Jean présente
d'abord la tentative des Juifs pour supprimer l'inscription. En effet les
grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE
ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS. » Car par là sont manifestés la
proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs, parce qu'il est proclamé ROI
DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs d'avoir fait crucifier leur
roi6.
Mais s'il avait été
inscrit : LUI-MÊME A DIT : « JE SUIS LE ROI DES JUIFS »,
cet outrage serait retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part7. Et
telle était leur intention, à savoir retirer sa renommée au crucifié à qui,
vivant, ils avaient déjà retiré la vie - Ils parlaient contre moi,
ceux qui se tenaient à la porte8.
5. 2 Co 10, 5.
Saint Thomas commente : « Ce qui a lieu quand ce que l'homme sait, il
le met entièrement au service (ministerium) du Christ et de la foi - pour
lier leurs rois avec des entraves (Ps 149, 8). - Engage ton pied dans
ses entraves (Si 6, 25), c'est-à-dire dans les enseignements de la
foi » (Ad 2 Cor. lect., X, n° 352).
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 460.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, Ibid., co1. 460-461.
8. Ps 68, 13.
2424. En second lieu
est présentée la constance de Pilate pour garder cette inscription parce que,
voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas changer la phrase. Aussi
PILATE RÉPONDIT : « CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. » Et cela
n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu longtemps auparavant et
prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi : « Ne corromps pas - De David - pour une
inscription de titre
(...) », psaumes qui,
de fait, se rapportent surtout à la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, à mes
ennemis1, ainsi que les deux précédents : Pitié pour moi mon Dieu, pitié
pour moi, car en toi se confie mon âme2 et Si c'est bien avec vérité que vous parlez de justice (...)3
Aussi les grands
prêtres protestaient-ils sottement, car de même qu'on ne peut corrompre ce qu'a
dit la Vérité, de même ne peut être détruit ce que Pilate a écrit. En effet,
Pilate a dit : « CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT », parce que
ce qu'a dit le Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin4.
Ce qui suit la
crucifixion quant aux soldats.
QUAND DONC LES SOLDATS L'EURENT CRUCIFIÉ, ILS PRIRENT SES
VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT), ET SA
TUNIQUE. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR DU
HAUT. ILS SE DIRENT DONC L'UN À L'AUTRE : « NE LA DÉCHIRONS
PAS ; MAIS TIRONS AU SORT À QUI ELLE SERA. » AFIN QUE
S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : « ILS SE SONT PARTAGÉ MES VÊTEMENTS,
ET MON VÊTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. » ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES
SOLDATS. (19, 23-24)
2425. L'Évangéliste
présente ce qui suivit la crucifixion quant aux soldats ; et
d'abord le partage des vêtements, ensuite le tirage au sort de la tunique sans
couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce prophétique [n° 2433].
ILS PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS,
UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT).
2426. Quant au
premier point, nous pouvons saisir deux choses, à savoir l'abjection de la mort
du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se faisait seulement pour les
personnes méprisables ; deuxièmement la rapacité des soldats parce qu'ILS
PRIRENT SES VÊTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE
SOLDAT). En effet ce genre d'homme est
très rapace, aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez
personne (...) contentez-vous de votre solde5. - Ils renvoient des hommes tout nus,
enlevant les vêtements à ceux qui n’ont pas de quoi se couvrir pendant le froid6.
ET SA TUNIQUE
2427. Quant au
deuxième point, il nous donne d'abord la description de la tunique, puis
rapporte son tirage au sort [n° 2430].
2428. Il dit
donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en même temps que les autres
vêtements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIÈCE À PARTIR
DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la
divisa pas. À cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand
prix de la tunique.
Mais Chrysostome7 au
contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggère de manière cachée le peu de valeur du vêtement.
Car en Palestine il existe un genre de vêtement pour les pauvres, fait de
plusieurs pièces de tissu assemblées les unes aux autres comme une seule pièce
- En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus Christ qui
riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous1.
1.Ps 58, 2.
2. Ps 56, 2.
3. Ps 57, 2.
4. Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 297.
5. Lc 3, 14.
6. Jb 24, 7.
7. In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, co1. 461.
2429. Au sens
mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du Christ ; et ainsi,
les vêtements sont répartis en quatre parts parce que l'Église s'est répandue
aux quatre coins du monde2 -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur :
de tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revêtue, et tu t'en pareras
comme une épouse3.
LA TUNIQUE (...)
SANS COUTURE qui n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres
vertus ne sont pas unies en elles-mêmes, mais sont unies par autre chose, dans
la mesure où toutes se rassemblent dans la fin ultime, à laquelle seule la
charité unit4. Car même si la foi met en évidence la fin
ultime et que l'espérance nous fait tendre vers elle, cependant seule la
charité nous y unit - Gardant par-dessus tout la charité, qui est le lien de
la perfection5. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU HAUT parce que la
charité est au-dessus de toutes les autres vertus - Je vais vous montrer une
voie encore plus excellente6. - Connaître l'amour du Christ qui
surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude
de Dieu7. Ou bien parce que la charité ne vient pas de nous-mêmes mais de
l'Esprit Saint8 - La chanté de Dieu a été répandue dans
nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné9.
1. 2 Co 8, 9. En
commentant ce verset, saint Thomas souligne que l'Apôtre emploie l'adjectif egenus
et non pauper pour désigner la pauvreté du Christ : « Et
il dit : egenus - indigent -, qui est plus que pauvre. Car est dit
indigent celui qui non seulement a peu mais est dans le besoin ou manque de
quelque chose, alors que le pauvre est celui qui a peu. C'est donc pour
signifier la plus grande pauvreté qu'il est dit : il s'est fait
indigent, à savoir à l'égard des biens temporels - Le Fils de l'homme,
lui, n'a pas où reposer la tête (Le 9, 58). - Me souvenir de ma misère
et de ma vie errante, c'est absinthe et fiel (Lm 3, 19). Or il s'est fait
indigent non par nécessité, mais par sa volonté, car [autrement] cette grâce ne
serait plus une grâce, et c'est pourquoi il dit : Lui qui était riche
en tout, à savoir riche de biens spirituels - Dieu est le même, riche
envers tous ceux qui l'invoquent (Rm 10, 12). - Avec moi sont les
richesses (Pr 8, 18). Or il dit était, non "avait été",
pour qu'on ne croie pas que le Christ ait perdu des richesses spirituelles en
assumant la pauvreté. Car il a assumé cette pauvreté de telle manière qu'il n'a
pas perdu ces inestimables richesses : tout à la fois riche et pauvre (Ps
48, 3), riche de biens spirituels, pauvre de biens temporels. Et il ajoute la
cause pour laquelle le Christ a voulu se faire indigent : pour que par
sa pauvreté nous devenions riches, c'est-à-dire pour que par sa pauvreté à
l'égard des biens temporels vous deveniez riches de biens spirituels » {Ad
2 Cor. lect., VIII, nos 294-295).
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVIII, 4, Β A 75, p. 309-311.
3. Is 49, 18.
4. Voir Somme
théol, II-II, q. 23, a. 8, où saint Thomas montre que la charité est la
forme des vertus.
Cela peut encore se
rapporter au vrai corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) À PARTIR DU
HAUT parce que le corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en
haut, à savoir celle de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de
l'Esprit Saint10.
5. Col 3, 14.
Saint Thomas commente : « Selon la Glose, l'homme est perfectionné
par toutes les vertus, mais la charité les lie les unes aux autres et les rend
stables (perseverantes), et c'est pourquoi elle est appelée lien. Ou
bien par nature elle est un lien puisqu'elle est amour et que l'amour est ce
qui unit l'être aimé à l'ami - Par des liens humains je les attirerai, par
les liens de la charité (Os 11, 4). Mais il ajoute de la perfection car
une chose est parfaite quand elle adhère à la fin ultime, c'est-à-dire Dieu, ce
que fait la charité » {Ad Co1. lect., III, n° 163). Sur la foi
formée par la charité, voir vo1. I, n° 1396, note 7.
6. 1 Co 12, 31.
Saint Thomas commente : « à savoir la charité, par laquelle on va
plus directement en Dieu - J'ai couru dans la voie de tes commandements (Ps
118, 32). - Voici la voie, marchez-y (Is 30, 21) » {Ad 1 Cor.
lect., XII, n° 758).
7. Ep 3, 19. Saint
Thomas commente : « Ici il faut savoir que tout ce qui est dans le
mystère de la Rédemption humaine et de l'Incarnation du Christ est tout entier
l'œuvre de la charité. Car le fait qu'il s'est incarné a procédé de la charité -
A cause de la trop grande charité dont il nous a aimés (Ep 2, 4). Qu'il
soit mort, cela a procédé aussi de la charité - Personne n'a de plus grand
amour que celui qui livre son âme pour ses amis (Jn 15, 13). - Le Christ
nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous en oblation et en hostie à Dieu (Ep
5, 2). À cause de cela Grégoire dit : "Ô inestimable amour de
charité ! Pour racheter l'esclave, tu as livré le Fils". Et c'est
pourquoi, connaître la charité du Christ c'est connaître tous les mystères de
l'incarnation du Christ et de notre rédemption, qui ont procédé de l'immense
charité de Dieu, charité qui assurément dépasse toute intelligence créée et la
science de toutes choses, puisqu'elle est incompréhensible pour la pensée. Et
voilà pourquoi il dit : surpassant toute connaissance, c'est-à-dire
naturelle, et dépassant toute intelligence créée - Et la paix de Dieu, qui
surpasse tout sentiment (Ph 4, 7) -, la charité du Christ, c'est-à-dire
que Dieu le Père a réalisée par le Christ - C'était Dieu qui dans le Christ
se réconciliait le monde (2 Co 5, 19) » {Ad Eph. lect., III, n°
178).
8. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In
h. loc, PG 124, co1. 278 A.
9. Rm 5, 5. Cf. vo1. I n° 1234, note 8.
10. Mt 1, 20.
Saint Thomas commente : « Cela est ineffable et incompréhensible, non
seulement pour l'homme mais aussi pour les anges eux-mêmes » {Sup.
Matth. lect., I, n° 131).
ILS SE DIRENT DONC L'UN À L'AUTRE : « NE LA
DÉCHIRONS PAS ; MAIS TIRONS AU SORT À QUI ELLE SERA. »
2430. Il existe en
effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a pas de nécessité, est
illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de diviser ; et
celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour les réalités
spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont pas aptes à
diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et au conseil
divins - Les sorts se jettent dans le pli du vêtement, mais c'est par le
Seigneur qu'ils sont dirigés1, et encore : Le sort apaise la
contradiction et décide entre les puissants2.
2431. Cependant, on
voit en Matthieu qu'ils tirèrent au sort ses vêtements3.
Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirèrent tous au
sort mais que, tandis qu'ils se partagèrent les autres vêtements, ils tirèrent au
sort la tunique.
2432. En outre, Marc
insiste encore davantage : Ils tirèrent au sort ce que chacun prendrait4,
donc toutes les parts. Réponse : il faut, selon Augustin5,
comprendre et présenter ainsi les paroles de Marc : Ils tirèrent au
sort, c'est-à-dire [pour désigner] qui aurait quoi, c'est-à-dire lequel
d'entre eux prendrait la tunique.
AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : « ILS SE
SONT PARTAGÉ MES VÊTEMENTS, ET MON VÊTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. » ET
C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. (19, 24)
2433. Puis il expose
la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE.
D'abord est présentée l'annonce prophétique dans laquelle on remarque la
diligence du prophète6 lorsqu'il annonçait aussi certains
événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste
aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.
Et c'est pourquoi il
dit AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-à-dire suite à ce qu'a dit le psaume
21 : Ils se sont partagé mes vêtements7 - il ne dit pas « mon vêtement »
parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vêtement, c'est-à-dire ma
tunique, ils ont jeté le sort.
Ensuite est exposé
l'accomplissement de la prophétie 8 : ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES
SOLDATS. Par là nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans
les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant
que toutes choses se réalisent9. - II faut que s'accomplisse tout ce qui est
écnt de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes10.
1.Pr 16, 33.
2. Pr 18, 18.
3. Cf. Mt 27, 35.
4. Me 15, 24.
5. Tract, in
Io., CXVIII, 3, BA 75, p. 309. Dans ce passage, saint Augustin propose une
solution au problème des différences qu'on lit dans les quatre récits
évangéliques rapportant la division des vêtements du Christ.
6. Sur la
prophétie, voir vo1. I, n° 1579.
7. Ps 21, 19.
Saint Thomas commente : « Ils se sont partagé mes vêtements - qui
étaient nombreux et partageables - et sur ma robe, sans couture, ils
ont jeté le sort, et ils firent cela par cupidité, ou bien par une certaine
dérision. À travers ces vêtements partagés sont signifiés les sacrements de
l'Église, mais par la robe qui n'est pas déchirée est signifiée l'unité de
l'Église que chacun croit détenir ; mais il n'en existe qu'une seule, car
unique est l'unité de l'Église - Unique est ma colombe, ma parfaite (Ct
6, 8) » (Exp. in Psalmos, 21, n° 14).
8. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, co1. 461.
9. Mt 5, 18.
10. Lc 24, 44.
Ce qui suit la
crucifixion quant aux amis qui se tenaient là.
OR PRÈS DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MÈRE, ET LA SŒUR
DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. QUAND DONC JÉSUS EUT
VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA
MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS. » PUIS IL DIT AU DISCIPLE :
« VOICI TA MÈRE. » ET À PARTIR DE CETTE HEURE-LÀ, LE DISCIPLE LA PRIT
CHEZ LUI. (19, 25-27)
2434. Jean présente
en troisième lieu ce qui suit la crucifixion quant aux amis. Et d'abord il
montre la présence des femmes qui se tenaient là ; puis l'attention pleine
de sollicitude du Christ à l'égard de sa mère [n° 2439] ; enfin
l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].
OR PRÈS DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MÈRE, ET LA SŒUR
DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA.
2435. Or les femmes
présentes auprès de la croix sont au nombre de trois : SA MÈRE, ET
LA SŒUR DE SA MÈRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. Mais remarquons que, alors que les autres
évangélistes 1 font mention de nombreuses femmes se tenant
auprès du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge, excepté
Jean. Aussi, à cause du récit des deux autres2, surviennent deux doutes.
2436. Le premier
parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient à distance, mais
Jean, qu'elles se tenaient PRÈS DE LA CROIX.
On peut répondre à
cela que, autres étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres
celles dont Jean fait mémoire. Mais à cela s'oppose le fait que Marie de
Magdala est comptée parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et
Jean également. Et c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les
mêmes que celles-là. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car « près
de » et « à distance » sont dits de manière relative. Et rien
n'empêche qu'une chose soit dite d'une certaine manière « à
distance » et d'une autre « près ». Il est dit qu'elles étaient
« près » parce qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais
« à distance » parce qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires3.
Ou bien on peut dire
que dès le début de la crucifixion elles se tenaient tout près de lui, si bien
qu'il pouvait leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant,
elles se retirèrent et se tinrent à distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu
d'abord, les autres ce qui eut lieu ensuite.
2437. La seconde
question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de Cléophas, mais que
Matthieu et Marc font mémoire à sa place de Marie, femme de Jacques, qui était
appelé Alphée. Là il faut dire4 que Marie, femme de Cléophas, que Jean
nomme, est la même que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut en
effet deux maris, à savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que
Cléophas fut son père.
2438. Le fait que
les femmes se tenaient près de la croix alors que les disciples, ayant
abandonné le Christ, avaient fui, met en lumière la constance dévouée des
femmes5 - Ma chair étant consumée, mes os
s'attachent à ma peau1, c'est-à-dire comme si les disciples, désignés par la chair, étaient
partis alors que les femmes, signifiées par la peau s'attachèrent.
1. Voir Mt 27,
55-56 ; Me 15, 40-41 ; Le 23, 49.
2. Les trois
autres évangélistes évoquent les femmes se tenant auprès du Christ, mais Luc,
lui, ne nomme aucune d'entre elles.
3. Cette
interprétation et la suivante proviennent de saint
Augustin, De consensu Evangelistarum, III, XXI, 58, PL 34, co1.
1194-1195.
4. Cf. SAINT Jérôme,
Adversus Helvidium de Mariae virginitate perpetua, XIII-XIV, PL
23, co1. 196-197.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, co1. 462.
QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE TENANT PRÈS D'ELLE,
LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON
FILS. » PUIS IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE. »
2439. Ensuite est
montrée sa sollicitude envers sa Mère. D'abord est montrée cette sollicitude
quant au disciple dont il remit le soin à sa Mère, puis quant à sa mère dont il
confia le soin au disciple [n° 2442],
2440. Quant au
premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MÈRE ET, SE
TENANT PRÈS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT À SA MÈRE :
« FEMME, VOICI TON FILS », comme pour dire : Jusqu'à présent j'ai pris soin de toi, aussi je me suis souvenu de toi,
je te laisse celui-là. Par là est montrée la dignité de Jean.
Mais sois attentif
car plus haut, quand sa mère a dit : Ils n'ont plus de vin2, il dit : Mon heure, c'est-à-dire l'heure de la Passion que
je souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi3, n'est pas encore venue 4 ;
mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai5. Et
c'est pourquoi, à présent, il la reconnaît comme MÈRE. Car faire des miracles
ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que j'ai de mon
Père la génération éternelle, c'est-à-dire selon que je suis Dieu.
1. Jb 19, 20.
2. Jn2, 3.
3. Saint Thomas évoque ici le mystère de l'Incarnation où la
Vierge Marie a donné au Christ sa nature humaine, nature selon laquelle il
souffrirait la Croix. Voir vo1. I, n" 352.
4. Jn2, 4.
5. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., CXIX, 1, BA 75, p. 319-321, qui ajoute : à Cana, le Seigneur,
« sur le point de faire des œuvres divines, repoussait [comme] une
inconnue la mère non de sa divinité mais de sa fragilité ; maintenant au
contraire, souffrant déjà de douleurs humaines, celle de laquelle il a été fait
homme, il la recommande à l'affection humaine ».
2441. Et remarque,
selon Augustin6, que le Christ suspendu à la croix se
comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne qu'il
nous faut subvenir à nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux - Honore
ton père et ta mère7. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de
ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est pire qu'un infidèle8.
Mais cependant il
est dit : Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère
et sa femme et ses fils, et encore sa propre âme, il ne peut être mon disciple9. Réponse : il faut dire que, de même que le Seigneur nous commande
de haïr nos parents, de même il nous commande de haïr aussi notre âme, et en
cela il nous commande d'aimer la nature et de haïr l'iniquité et ce qui
détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos parents, les aimer et les
respecter quant à la nature, mais les haïr quant à leurs vices et ce par quoi
ils nous détournent de Dieu.
2442. Quant au
second point, IL DIT AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE »,
c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci
l'aime comme une mère aime son fils.
ET A PARTIR DE CETTE HEURE-LA, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI (IN
SUA).
2443. Ici est
montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bède 10, il faut dire « pour sienne » (in
suam), et ainsi le sens est : LE DISCIPLE, Jean, LA PRIT, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne,
c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins.
6. Loc. cit., 2, BA75, p. 321.
7. Ex 20, 12.
8. 1 Tm 5, 8. Saint Thomas commente : « L'état du fidèle
par rapport à l'infidèle peut être considéré de deux manières. Premièrement,
quant à l'état de péché, et ainsi les infidèles sont dans un état pire, puisqu'ils
ne font rien qui soit accepté par Dieu ; deuxièmement, quant au péché dans
sa singularité, et alors c'est le contraire ; en effet, si le fidèle et
l'infidèle commettent l'adultère, le fidèle pèche plus, parce qu'il fait injure
à la foi. Et il dit ainsi que si le fidèle méprise le soin de ses parents, il
pèche plus gravement que si un
infidèle faisait cela - Mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de
la justice que de se détourner, après l'avoir connue, du saint commandement qui
leur avait été transmis (2 Ρ 2, 21) » (Ad 1 Tim. lect., V, n° 192).
9. Lc 14, 26.
10. In S. Ioannis Εν. exp. In h. loc, PL 92, co1. 914 B-C.
Mais, selon Augustin1,
comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas,
certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici
que nous avons tout quitté pour te suivre2 - car il est dit que Jacques et Jean, ayant
tout quitté, ont suivi Jésus3 -, mais CHEZ LUI, c'est-à-dire en se mettant
à son service, lui obéissant avec empressement et respect.
2444. Après avoir
traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent,
l'Évangéliste rapporte à présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord
l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-même [n° 2452]. Enfin, il
révèle la blessure faite au mort [n° 2454].
a)
L'opportunité de la mort du Christ.
APRÈS CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, POUR QUE
L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, DIT : « J'AI SOIF. » OR IL Y AVAIT LÀ
UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE
ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHÈRENT DE SA BOUCHE. QUAND DONC JÉSUS EUT
PRIS LE VINAIGRE, IL DIT : « TOUT EST ACCOMPLI. » (19, 28-30)
L'opportunité de la
mort est montrée en ce que désormais TOUT EST ACCOMPLI. Aussi, concernant cet
accomplissement, d'abord est mise en avant la connaissance que le Christ avait
de cet accomplissement même, puis est accompli ce qui restait à accomplir [n°
2451], en troisième lieu est exprimé l'accomplissement même.
APRÈS CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI
1. Tract, in lo., CXIX, 3, BA
75, p. 325.
2. Mt 19, 27. Saint Thomas commente : « La perfection
n'est pas de tout laisser, mais de tout laisser et de suivre le Christ, parce
que beaucoup de philosophes ont tout laissé » (Sup. Matth. lect., XIX,
n° 1607).
3. Voir Mt 4, 21-22 ; Mc 1, 19-20 ; Lc 5, 10-11.
2445. Concernant le
premier point, il dit donc : APRÈS, c'est-à-dire après toutes les choses
qui ont été exposées avant, JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, tout ce que
les Prophètes et la Loi avaient annoncé à son sujet - II faut que
s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophètes et les
Psaumes 4. - J'ai vu la fin de tout accomplissement5.
2446. Mais, parce
qu'il y avait encore autre chose de la prophétie de l'Écriture qui devait être
accompli, il ajoute : POUR QUE L'ÉCRITURE FÛT ACCOMPLIE, [JÉSUS]
DIT : « J'AI SOIF. »
D'abord,
l'Évangéliste nous rapporte la parole que le Christ a prononcée ; ensuite
il nous dit qu'il convenait que sa demande fût exaucée [n° 2448] ; enfin,
il nous rapporte le fait qu'on lui proposa un service qu'il n'avait pas voulu
[n° 2449].
4. Lc 24, 44.
5. Ps 118, 96.
POUR QUE L'ÉCRITURE
FÛT ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : « J'AI SOIF. »
2447. Là, il faut
savoir que POUR QUE n'est pas causal mais consécutif. En effet, il n'a pas fait
cette demande POUR QUE L'ÉCRITURE - l'Ancien Testament - FÛT ACCOMPLIE, mais
c'est parce qu'elles devaient être accomplies par le Christ que ces choses ont
été dites. En effet, si nous disions que le Christ a fait ces choses parce que
les Écritures les ont annoncées, il s'ensuivrait que le Nouveau Testament
existerait à cause de l'Ancien et pour l'accomplir, alors que c'est le
contraire1. Ainsi donc elles ont été annoncées parce
qu'elles devaient être accomplies par le Christ.
En disant
« J'AI SOIF », il montre que sa mort est vraie, non pas imaginaire.
De même nous est montré son désir ardent du salut du genre humain2 - Il veut
que tous les
hommes soient sauvés3. - Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver
ce qui était perdu4. Or nous exprimons habituellement un désir véhément par la soif - Mon
âme a soif de Dieu, du
Dieu vivant5.
1. Saint Thomas,
en exposant dans la Somme théologique les différents sens de l'Écriture,
explique que le sens allégorique est le sens où « les réalités de
l'ancienne Loi signifient celles de la loi nouvelle » (I, q. 1, a. 10,
c.)- Ailleurs il expose les différentes manières du Christ d'accomplir
l'Écriture : « II accomplit premièrement les choses qui relèvent de
la morale, en les accommodant par la douceur de sa charité, parce que la
plénitude de la Loi c'est l'amour - L'amour est la plénitude de la Loi (Rm
13, 10).- Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les
autres comme je vous ai aimés (Jn 15, 12). Deuxièmement, il accomplit les
rites du culte en enlevant le voile des figures - Le voile du Temple se
déchira (Mt 27, 51). - Il est digne l'Agneau, d'ouvrir le livre et
d'en briser les sceaux (Ap 5, 12 et 9), c'est-à-dire les observances
des figures qui étaient dans la Loi. Troisièmement, il accomplit les prophéties
en montrant qu'elles sont achevées en lui - Il
faut que soit accompli tout ce qui est
écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes (Lc
24, 44). Quatrièmement, il accomplit les promesses en les confirmant - Les
promesses ont été faites à Abraham et à celui qui naîtrait de lui (Ga 3,
16). Cinquièmement, il accomplit les choses relatives aux jugements en les
tempérant par la miséricorde - à la femme adultère : Moi non plus je ne
te condamnerai pas (Jn 8, 11). Sixièmement, il accomplit en ajoutant des
conseils - Va, vends tout ce que tu as (...) (Mt 19, 21). Septièmement,
il accomplit en s'acquittant entièrement de toutes les promesses qui leur
avaient été faites au sujet de l'envoi de l'Esprit Saint et de l'Incarnation du
Fils -J'accomplirai (...) une nouvelle alliance (He 8, 8). - Tout est
accompli (Jn 19, 30) » (Super Matth., V, n° 467). Voir aussi Ad
2 Cor. lect., III, n° 105.
2. Voir vol. I, n°
569.
3. 1 Tm 2, 4.
4. Lc 19, 10.
IL Y AVAIT LÀ UN VASE PLEIN DE VINAIGRE.
2448. Ici nous est
montré qu'il convenait que sa demande fut exaucée : du fait qu'IL Y AVAIT
LÀ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. Par ce vase est désignée la
synagogue des Juifs qui, à partir du vin des patriarches et des prophètes,
avait dégénéré en vinaigre, c'est-à-dire en malice et cruauté de la part des
grands prêtres6.
2449. L'Évangéliste
rapporte ensuite le service qu'il n'avait pas voulu. OR IL Y AVAIT LÀ, au pied
de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC AUTOUR D'UNE
BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHÈRENT DE SA BOUCHE.
De là naît une
question littérale : Comment présentèrent-ils cette éponge à la bouche du
Christ suspendu en hauteur ? L'Évangile de Matthieu répond à cela qu'ils
la fixèrent à une tige de roseau7. Ou bien, selon certains, à une branche
d'hysope qui était grande, et c'est pourquoi elle est appelée roseau par
Matthieu.
2450. Or, au sens
mystique, sont signifiés par là trois maux qu'il y avait chez les Juifs :
par le vinaigre, la jalousie ; par la capacité d'absorber et de
rejeter qu'a l'éponge, la fourberie ; par l'amertume de l'hysope, la
malice8.
Ou encore, l'hysope
signifie l'humilité du Christ parce que c'est une herbe qui purifie le cœur, que
l'on purifie surtout par
l'humilité - Purifie-moi Seigneur avec l’hysope, je serai pur1.
5. Ps 41, 3. Voir vo1. I, n° 586, note 7.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in L·., CXIX, 4, BA 75, p. 327.
7. Cf. Mt 27, 48.
Saint Thomas commente : « Par la branche de roseau est signifiée
l'Écriture. Ils veulent donc confirmer leur malice en se servant de
l'Écriture » (Sup. Matth. lect., XXVII,
n° 2387).
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIX, 4, BA 75, p. 327-329. L'interprétation suivante est aussi tirée
du même passage de saint Augustin.
2451.
L'accomplissement ultime est montré : QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE
VINAIGRE, IL DIT : « TOUT EST ACCOMPLI », ce qui peut se
rapporter à l'accomplissement de sa mort - Il
était digne de celui pour qui et par
qui sont toutes choses, qui voulait conduire une multitude d'enfants à la
gloire, d'accomplir par les souffrances l'auteur de leur salut2 -, ou bien à l'accomplissement de notre sanctification, par sa Passion
et par sa Croix - Car par une oblation unique, il a rendu parfaits pour
toujours ceux qu'il a sanctifiés3 - ; ou encore à l'accomplissement des Écritures - Tout
ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme sera accompli4.
ET, LA TÊTE INCLINÉE, IL REMIT L'ESPRIT. (19, 30)
2452. Ici,
l'Évangéliste décrit la mort du Christ. Et d'abord il expose la cause de sa
mort. En effet, il ne faut pas comprendre que c'est parce qu'il a remis
l'esprit qu'il a incliné la tête, mais le contraire5. Car l'inclination de la tête désigne l'obéissance,
au nom de laquelle il a supporté la mort - Il
s'est fait obéissant jusqu'à la mort6.
En second lieu nous
est montrée la puissance de celui qui meurt parce qu'IL REMIT L'ESPRIT par sa
propre puissance - Personne ne me l'enlève [mon âme], mais moi je la livre
de moi-même7. Car, comme le dit Augustin8, nul n'a ainsi en son pouvoir de dormir
quand il veut, comme le Christ de mourir quand il le voulut.
1. Ps 50, 9. Saint
Thomas commente : « L'hysope est une plante qui adhère à la terre et
qui soigne l'enflure, comme on le rapporte dans la Glose, et elle convient à la
foi qui possède l'humilité car par la foi l'intelligence est soumise à Dieu - Nous
faisons toute pensée captive pour l'amener à obéir au Christ (2 Co 10, 5).
Elle est aussi enracinée sur la pierre, c'est-à-dire sur le Christ - Sur
cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas
contre elle (Mt 16, 18). - Cette pierre était le Christ (1 Co 10,
4). Semblablement elle chasse de l'esprit humain l'orgueil qui habite en ceux
qui n'obéissent pas à la foi au Christ » (Exp. in Psalmos, 50, n°
4).
2. He 2, 10. Saint
Thomas commente : « Lui-même, en tant que fils par nature, est
totalement parfait, mais parce que dans sa Passion il a été abaissé, il a dû
être rendu parfait par le mérite de sa Passion. À partir de cet accomplissement
donc, la convenance de la manière dont l'Apôtre dit qu'il a goûté [la mort] est
évidente. En effet, il a seulement goûté la mort puisqu'il ne l'a acceptée que
pour être accompli par le mérite de sa Passion. Car son accomplissement même
est sa glorification - Il fallait que le Christ souffrit pour entrer
dans sa gloire (Le 24, 26) » (Ad Heb. lect., II, n"
128).
3. He 10, 14.
4. Le 18, 31.
5. Cette remarque
provient de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59,
co1. 463), mais saint Thomas en tire une conclusion toute différente : au
lieu de la manifestation de la pleine maîtrise que le Christ avait de lui, il y
voit plutôt sa parfaite obéissance.
6. Ph 2, 8.
2453. Mais
remarquons que du fait qu'IL REMIT L'ESPRIT, certains affirment qu'il y a en
l'homme deux âmes ; à savoir une âme intellectuelle qu'ils appellent
esprit, et une autre âme, animale - végétative et sensitive - qui anime le
corps, et c'est surtout elle qu'on appelle « l'âme ». C'est pourquoi
ils disent que le Christ a seulement remis son âme intellectuelle9.
Mais cela est
faux ; d'une part parce que, dans le livre des dogmes de l'Église, qu'il y
ait en l'homme deux âmes est compté parmi les erreurs ; d'autre part parce
que s'il avait remis l'esprit tandis que son âme demeurait encore, il ne serait
pas mort. Et donc, parce qu'il n'y a aucun autre esprit dans l'homme que son
âme, il faut dire qu'il remit l'esprit, c'est-à-dire son âme 10.
7. Jn 10, 18.
8. Tract, in
Io., CXIX, 6, BA 75, p. 331.
9. Saint Thomas
vise ici le commentaire de saint Grégoire (Morales sur Job, XI, v, 7, SC
212, p. 51).
10. Saint Thomas
assume la pensée d'Aristote concernant la découverte d'une âme humaine unique,
principe radical de vie, et donc source de toutes les opérations vitales de
l'homme - végétatives, sensibles et spirituelles -, source de leur diversité et
de leur unité. L'esprit signifie les deux puissances spirituelles émanant de l'âme,
l'intelligence et la volonté, qui sont sources des opérations de pensée
(l'intelligence) et d'amour (la volonté). Ces deux puissances représentent le
sommet de l'âme humaine et, à la différence de ses autres capacités (comme
l'imaginaire, les sens, la mémoire, les puissances végétatives, etc.), peuvent
se séparer du corps quant à leur détermination puisqu'elles atteignent
l'universel et l'être, le bien spirituel et la personne. Tout en étant ultime,
l'esprit donne à l'âme humaine ce qui la caractérise en propre. Et cette âme
humaine est unie substantiellement au corps qu'elle détermine et actue, qu'elle
affine et spiritualise. Voir Aristote, De
l'âme, notamment II, 2 et 3, sur la découverte de l'âme et ses puissances,
et III, 3 sq., sur la vie de l'esprit. Voir aussi Somme théol, I, q. 76.
Par là est aussi exclue
l'erreur de ceux qui disent que les âmes des hommes morts ne vont pas aussitôt
après la mort au paradis, en enfer ou au purgatoire, mais qu'elles demeurent
dans les tombeaux jusqu'au jour du jugement1. Car le Seigneur a aussitôt remis l'esprit à
son Père, par où il nous est donné de comprendre que les âmes des justes
sont dans la main de Dieu2.
c)
La blessure du corps du Christ.
2454. Ici est
montrée la blessure du corps du Christ. Et premièrement le récit de cette
blessure, deuxièmement la certitude de ce récit [n° 2459].
Quant au premier
point, l'Évangéliste fait trois choses. D'abord, il montre la tentative des
Juifs et leur intention ; puis l'accomplissement de cette tentative pour
une part [n° 2456] ; enfin, comment cela est accompli dans le Christ [n°
2458].
Ι
LES JUIFS DONC, PUISQUE C'ÉTAIT LA PRÉPARATION [DE LA
PÂQUE], POUR QUE LES CORPS NE RESTENT PAS SUR LA CROIX LE JOUR DU SABBAT (CAR
C'ÉTAIT UN GRAND JOUR QUE CE SABBAT), DEMANDÈRENT À PILATE QU'ON LEUR BRISÂT
LES JAMBES ET QU'ON LES ENLEVÂT. (19, 31)
2455. En effet il
faut savoir, comme on le trouve au Deutéronome 3, qu'il était prescrit dans la Loi que les
cadavres des hommes suspendus pour des crimes ne devaient pas être laissés
suspendus jusqu'au matin, afin que la terre ne soit pas souillée, et aussi pour
faire disparaître l'ignominie de ceux qui étaient suspendus, car une mort de ce
genre était regardée comme la plus honteuse. Aussi est-il écrit au même
endroit : Maudit soit tout homme qui pend au bois4, c'est-à-dire en malédiction de peine5. Or, bien que les Juifs n'eussent plus en
leur pouvoir d'infliger une peine de ce genre, cependant, ce qui était en leur
pouvoir, ils s'efforçaient de le faire. Aussi, parce que c'était la
Préparation, pour que le corps du Christ et aussi ceux des autres ne demeurent
pas en croix le jour du sabbat, qui était très solennel, et à cause du sabbat
lui-même et à cause de la fête des azymes, ils DEMANDÈRENT À PILATE QU'ON LEUR
BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES ENLEVÂT. Ils sont certes diligents à observer la
Loi dans les petites choses, mais dans les grandes choses ils la méprisèrent, filtrant
le moustique mais engloutissant le chameau 6.
1. C'est l'opinion de Théophylacte (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 282 B).
2. Sg3, 1.
3. Voir Dt 20, 22-23.
II
2456. Il donne
ensuite la manière dont cela est accompli en partie : LES SOLDATS VINRENT
DONC, ET ILS BRISÈRENT LES JAMBES DU PREMIER - à savoir un des larrons vers
lequel ils vinrent en premier lieu,
PUIS DE L'AUTRE QUI AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ AVEC LUI, c'est-à-dire avec Jésus. Par
là nous est montrée leur cruauté – Ils mangèrent la chair de mon peuple 1.
4. Dt 21, 23.
5. Sur la distinction entre le mal de faute et le mal de peine,
voir vo1. I, n° 1301, note 9.
6. Mt 23, 24.
2457. Mais pourquoi
ajoute-t-il : MAIS LORSQU'ILS VINRENT À JÉSUS, ET QU'ILS LE VIRENT DÉJÀ
MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES JAMBES ? N'avait-il pas été crucifié au
milieu ?
Réponse. Il faut
dire que chacun des deux soldats vint vers un des larrons pour lui briser les
jambes ; et les ayant brisées, l'un celles du premier, l'autre celles du
deuxième, ils vinrent vers Jésus. Aussi est-ce de là qu'est venue l'occasion de
le blesser, parce que comme ILS LE VIRENT DÉJÀ MORT, ILS NE LUI BRISÈRENT PAS
LES JAMBES.
III
MAIS L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE
CÔTÉ ; ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. (19, 34)
2458. Mais pour
s'assurer de sa mort, L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE CÔTÉ. Et il
est significatif qu'il dise OUVRIT, et non pas « blessa », parce que
par ce côté est ouverte pour nous la porte de la vie éternelle2
- Après cela, je vis une porte ouverte3. C'est la porte sur le côté de l'arche par laquelle entrent les animaux
qui ne périraient pas dans le déluge4.
Et cette porte est
cause de salut : ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. Car il est
très miraculeux que du corps d'un mort où le sang est figé sorte du sang. Mais
si quelqu'un dit que cela s'est produit en raison d'une certaine chaleur qui
était encore demeurée dans le corps, cependant, pour l'écoulement de l'eau on
ne peut pas nier qu'il y ait eu un miracle, puisque l'eau qui est sortie était
très pure.
Et certes, cela
s'est produit afin que le Christ montrât ce qu'il était, c'est-à-dire vrai
homme5. En effet un homme est composé de deux choses : d'éléments et d'humeurs.
Un des éléments est l'eau ; et parmi les humeurs, il y a principalement le
sang.
Ou bien cela est
arrivé pour montrer que, par la Passion du Christ, nous obtenons la
purification plénière de nos péchés et de nos taches6. De nos péchés, certes par le sang, qui est
le prix de notre rédemption - Ce n'est pas par des choses
corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés de votre vaine conduite,
mais par le sang précieux comme d'un agneau sans tache et immaculé, le Christ7. Mais de nos taches par l'eau, qui est le bain de notre régénération 8 - Je
répandrai sur vous une eau pure9. - II y aura une source ouverte à la maison
de David10.
Et c'est pourquoi
ces deux choses appartiennent de manière spéciale à deux sacrements :
l'eau au sacrement du baptême, le sang à l'Eucharistie. Ou bien, l'une et
l'autre appartiennent à l'Eucharistie parce que, dans le sacrement de
l'Eucharistie, l'eau est mêlée au vin, bien que l'eau n'appartienne pas à la
substance du sacrement11.
1. Mi 3, 3.
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 2, BA 75, p. 335. Les références à
l'arche de Noé, aux sacrements et à la formation de la femme à partir d'Adam
endormi proviennent du même passage de saint Augustin.
3. Ap 4, 1.
4. Cf. Gn 6, 16.
5. Sur le mystère du Christ qui est vrai Dieu et vrai homme, voir
ci-dessus, n" 1711, note 3, et n° 1979, note 7.
6. Il s'agit des taches du péché originel.
7. 1 Ρ 1, 18-19.
8. Tt 3, 5.
9. Ez 36, 25.
10. Za 13, 1.
11. Voir Somme théo1., III, q. 74, a. 6, 7 et 8.
« L'ajout de l'eau au vin est rapporté pour signifier la participation des
fidèles à ce sacrement, quant au fait que par l'eau mêlée au vin est signifié
le peuple uni au Christ. (...) Mais que du côté du Christ pendu à la croix
jaillisse de l'eau se rapporte au même [mystère] : parce que par l'eau
était signifié le lavement des péchés, qui se réalisait par la Passion du
Christ. Or on a dit plus haut que ce sacrement s'achève dans la consécration de
la matière : l'usage qu'en font les fidèles n'est pas quelque chose de
conséquent à l'égard du sacrement. D'où il s'ensuit que l'ajout de l'eau n'est
pas propre à la nécessité du sacrement » (loc. cit., a. 7, c.).
Cela convient aussi
à la préfiguration parce que, de même que du côté du Christ endormi sur la
croix ont coulé le sang et l'eau dans lesquels est consacrée l'Église, de même
du côté d'Adam endormi a été formée la femme, qui préfigurait l'Église
elle-même.
La certitude de
ce récit.
2459. Ici nous est
donnée la certitude du récit, d'abord à partir du témoignage apostolique,
ensuite à partir de la prophétie de l'Écriture [n° 2461].
Ι
ET CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, ET SON TÉMOIGNAGE EST
VRAI : ET CELUI-LÀ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ.
(19, 35)
2460. Concernant le
premier point, il commence par décrire la convenance du témoin parce que CELUI
QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, et c'est Jean lui-même - Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu,
nous vous l'annonçons1. Après cela il ajoute la vérité du témoignage : ET SON TÉMOIGNAGE
EST VRAI - Je dis la vérité, je ne mens pas2. - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera3. Et
enfin il réclame la foi : ET CELUI-LÀ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS
AUSSI VOUS CROYIEZ - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez4'.
II
CAR CES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT
L'ÉCRITURE : « VOUS NE LUI BRISEREZ PAS D'OS. » (19, 36)
2461. Et non
seulement cela est certifié par le témoignage apostolique, mais il ajoute la
prophétie de l'Écriture, et c'est pourquoi il dit : CES CHOSES ONT ÉTÉ
FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, étant donné que le POUR est pris comme
consécutif, comme on l'a déjà dit plus haut5. Et il indique deux autorités de l'Ancien
Testament. L'une se rapporte à ce qu'il dit : ILS NE LUI BRISÈRENT PAS LES
JAMBES, et se trouve au livre de l'Exode : Vous ne lui briserez pas
d'os6, à savoir à l'agneau pascal qui préfigurait
le Christ, parce que, comme il est dit : Le Christ, notre Pâque, a été
immolé7.
Aussi a-t-il été
voulu par Dieu que les os de l'agneau pascal ne fussent pas brisés pour donner
à entendre que la force de l'Agneau véritable et sans tache, Jésus Christ, ne
devait en aucune manière être brisée par la Passion. Aussi les Juifs
pensaient-ils détruire par la Passion la puissance de la doctrine du
Christ ; mais elle en a été plutôt affermie - Le langage de la Croix
est folie pour ceux qui se perdent, mais pour nous il est puissance de Dieu8. C'est pourquoi il dit plus haut : Quand vous aurez élevé le
Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que Moi Je Suis9.
ET UNE AUTRE ÉCRITURE DIT ENCORE : « ILS
REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ. » (19, 37)
2462. La seconde
autorité se rapporte à ce qu'il dit : DE SA LANCE, [IL] LUI OUVRIT LE
CÔTÉ. Et on trouve : ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ, là où le
texte que nous avons dit : Ils regarderont vers moi qu
'ils ont percé1.
1. 1 Jn 1, 3.
2. Rm 9, 1.
3. Jn 8, 32.
4. Jn 20, 31.
5. Voir n° 2447.
6. Ex 12, 46 ; cf. Nb 9, 12.
7. 1 Co 5, 7.
8. 1 Co 1, 18. Voir ci-dessus n° 2414, note 1.
9. Jn 8, 28.
C'est pourquoi, si
nous nous attachons à la parole du Prophète, il est manifeste que le Christ
crucifié est Dieu. Car ce que dit le Prophète en la personne de Dieu,
l'Évangéliste l'attribue au Christ. ILS REGARDERONT, dit-il, vers le jugement
qui vient2, ou bien ILS REGARDERONT convertis par la
foi.
2463. L'Évangéliste,
après avoir traité de la crucifixion et de la mort, traite ici de la sépulture
du Christ, et montre d'abord la possibilité et la permission de
l'ensevelir ; ensuite, le zèle de Joseph d'Arimathie pour s'occuper du
corps [n° 2465] ; puis il indique le lieu de la sépulture [n° 2468] ;
et enfin rapporte la sépulture elle-même [n° 2469].
a)
La possibilité et la permission d'ensevelir le Christ.
OR, APRÈS CELA,
JOSEPH D'ARIMATHIE (QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE
DES JUIFS) DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, ET PILATE LE PERMIT.
(19, 38)
2464. OR, APRÈS
CELA, c'est-à-dire après la Passion et la mort du Christ, JOSEPH D'ARIMATHIE,
ce qui est la même chose que Ramatha3, QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS - non pas l'un
des Douze, mais l'un des nombreux autres croyants, parce que tous ceux qui ont
cru dès le début sont appelés disciples -, DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS
DE JÉSUS. Or il était DISCIPLE (...) MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS,
comme aussi beaucoup d'autres, mais cela avant la Passion - Toutefois, il est vrai, beaucoup
parmi les notables
crurent en lui ; mais à cause des pharisiens ils ne se déclaraient pas
pour ne pas être exclus de la synagogue4. C'est pourquoi il est
évident que là où les disciples perdirent confiance après la Passion en se
cachant, celui-ci reprit confiance en posant publiquement un acte d'obéissance.
Celui-ci, dis-je,
DEMANDA À PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, c'est-à-dire [de le descendre]
de la croix et de l'ensevelir, parce que, selon les lois humaines, les corps
des condamnés ne devaient pas être ensevelis sans permission. ET PILATE LE
PERMIT, parce que Joseph était noble et qu'il lui était familier5,
c'est pourquoi il est dit qu'il était un noble décurion6.
1. Za 12, 10.
2. Voir Ap 1, 7.
3. Voir 1 S 1, 19.
Elquana et Anne, les parents de Samuel, habitaient cette ville de Ramatha d'où
vient Joseph, celui qui fut choisi par Dieu pour ensevelir le cadavre du
Christ.
4. Jn 12, 42.
5. Cf. saint Augustin, De consensu
Évangelistarum, III, xxn, 59, PL 34, co1. 1195.
6. Me 15, 43
(Propre à la Vulgate. La BJ en parle comme « membre notable du
Conseil »). Décurion : officier qui primitivement commandait dix
cavaliers ou sénateur dans les villes municipales ou les colonies.
b)
Le zèle de Joseph d'Arimathie.
IL VINT DONC ET ENLEVA LE CORPS DE JÉSUS. VINT AUSSI
NICODÈME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU TROUVER JÉSUS DE NUIT -, APPORTANT UN
MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS D'ENVIRON CENT LIVRES. ILS PRIRENT LE CORPS DE
JÉSUS ET L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES AVEC DES AROMATES, COMME C'EST LA
COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR. (19, 38-40)
2465. D'abord est
exposée la matière qui servit à embaumer le corps, puis l'embaumement lui-même
[n° 2467].
VINT AUSSI NICODÈME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU TROUVER JÉSUS
DE NUIT -, APPORTANT UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS D'ENVIRON CENT LIVRES.
2466. La matière qui
servit à embaumer le corps fut UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS que Nicodème
apporta en grande quantité. Et c'est pourquoi l'Évangéliste fait mention de
deux hommes : D'abord de Joseph qui prit le corps ; puis de Nicodème,
qui apporta les aromates.
Or Nicodème est
celui qui vint vers Jésus de nuit, avant la Passion, comme on le
rapporte plus haut1. Et il rappelle cela parce qu'il avait dit
de Joseph qu'il était DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS,
pour montrer que même celui-là [Nicodème], qui était disciple de Jésus, mais en
secret, maintenant se montre en public, mais sans avoir encore la vraie foi en
la Résurrection puisqu'il apporta UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOÈS, comme si le
corps de Jésus avait besoin d'être protégé de la putréfaction. À ce propos
l'Écriture dit : Tu ne laisseras pas ton Saint voir la
corruption2.
Au sens mystique, il
nous est donné par là de comprendre que nous devons cacher le Christ crucifié
dans notre cœur avec l'amertume de la pénitence et de la compassion3 - Mes
mains ont distillé la myrrhe4.
ILS PRIRENT LE CORPS DE JÉSUS ET L'ENVELOPPÈRENT DANS DES
LINGES AVEC DES AROMATES, COMME C'EST LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR.
2467. Après avoir
donné la matière de la préparation, on montre la préparation elle-même. Là naît
un doute ; car Jean dit qu'ils L'ENVELOPPÈRENT DANS DES LINGES, alors que Matthieu dit qu'ils l'enveloppèrent
dans un linceul5.
Réponse : il
faut dire, selon Augustin6, que Matthieu dit un linceul seulement
parce qu'il ne fait mention que de Joseph, et celui-ci en apporta un seu1. Mais
parce que seul Jean fait mention de Nicodème, il dit DES LINGES parce que Nicodème
en apporta un autre. Ou bien il faut dire que nous appelons linge tout morceau
d'étoffe fait de lin. Or le corps du Christ fut enveloppé de bandelettes, comme
on le dit aussi au sujet de Lazare, parce que telle était LA COUTUME DES JUIFS
POUR ENSEVELIR. Il y avait aussi un suaire posé sur la tête ; et c'est
pourquoi Jean, englobant tout cela, dit : DES LINGES.
Et le fait qu'ils
l'embaumèrent avec des aromates nous rappelle qu'en ces devoirs de piété il
faut conserver la coutume de la nation, quelle qu'elle soit7.
1. Jn3, 2.
2. Ps 15, 11. Voir vo1. I, n° 402.
3. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 287 A.
4. Ct 5, 5.
5. Mt 27, 59.
6. De consensu
Évangelistarum, III, xxm,
60, PL 34, co1. 1196.
7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX,
4, BA 75, p. 341.
OR, AU LIEU OU IL FUT CRUCIFIE IL Y AVAIT UN JARDIN, ET DANS
LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF, OÙ PERSONNE ENCORE N'AVAIT ÉTÉ MIS. (19, 41)
2468. Puis le lieu
de la sépulture est désigné. Il faut remarquer là que le Christ fut pris dans
un jardin, qu'il souffrit dans un jardin, et qu'il fut enseveli dans un jardin,
pour désigner que c'est par la puissance de sa Passion que nous sommes libérés
du péché qu'Adam commit au jardin des délices 1 et que, par elle, l'Église est consacrée,
elle qui est comme un jardin clos2.
ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF. Il y a deux raisons pour lesquelles il voulut être enseveli dans un
sépulcre neuf. Une littérale, pour qu'on ne croie pas que d'autres corps qui
auraient été là aient été ressuscites, et non pas le Christ3, ou
bien qu'ils aient tous été ressuscites par une puissance égale.
L'autre raison est
qu'il convenait que celui qui était né d'une vierge pure (de Virgine
intacta) fût enseveli dans un sépulcre neuf. Afin que, de même qu'il n'y
eut personne avant lui dans le sein de Marie, ni personne après lui, de même
aussi dans ce tombeau4. Et pour nous donner de comprendre qu'il est
caché par la foi dans un esprit renouvelé5 - Que le Christ habite dans
nos cœurs par la foi6.
C'EST DONC LA QUE, A CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, ET
PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT PROCHE, ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS. (19, 42)
2469. Puis est exposée la sépulture. C'EST DONC LÀ,
c'est-à-dire dans le tombeau neuf, À CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, parce que déjà le soir approchait où, à
cause du sabbat, il n'était pas permis de faire quelque chose, qu'ILS
DÉPOSÈRENT JÉSUS. Car c'est environ à la neuvième heure qu'il expira, et à
cause des soins de la sépulture et des choses qui étaient nécessaires, la
journée était déjà presque arrivée au soir7. ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT PROCHE, C'EST
DONC LÀ - là où il avait été crucifié - QU'ILS DÉPOSÈRENT JÉSUS.
1. Voir ci-dessus,
n° 2275 et notes 13 et 1.
2. Cf. Ct 4,
12 : Elle est un jardin clos, ma sœur, ma fiancée.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXX, 5, BA 75, p. 341.
5. Cf. ThÉOPHYLACTE,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 286 D - 287 A.
6. Ep 3, 17.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, co1. 464.
Évangile selon saint Jean Chapitre XX
I Or le premier jour de la semaine, le
matin, quand les ténèbres duraient encore, Marie-Madeleine vint au sépulcre, et
vit la pierre roulée du tombeau. 2 Elle courut donc et vint trouver
Simon-Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : « On
a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis. »
3 Pierre sortit donc, ainsi que l'autre
disciple, et ils vinrent au tombeau. 4 Ils couraient tous deux ensemble ;
mais l'autre disciple courut en avant plus vite que Pierre, et il arriva le
premier au tombeau. 5 Et, s'étant penché, il vit les linges posés là ;
cependant il n'entra pas. 6 Pierre, qui le suivait, vint aussi, et entra dans
le tombeau, et vit les linges posés là, 7 et le suaire qui avait été sur sa
tête, posé non pas avec les linges, mais enroulé dans un lieu à part. 8 Alors
entra aussi l'autre disciple qui était venu le premier au tombeau : il vit
et il crut. 9 Car ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle il
fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. 10 Les disciples donc s'en
retournèrent chez eux.
11 Mais Marie se tenait dehors près du
tombeau, pleurant. Et, tout en pleurant, elle se pencha et regarda dans le
tombeau : 12 elle vit deux anges vêtus de blanc, assis, un à la tête et un
aux pieds, là où avait été déposé le corps de Jésus. 13 Ils lui
demandèrent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur
répondit : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où
on l'a mis. » 14 Lorsqu'elle eut dit cela, elle se retourna en arrière et
vit Jésus debout ; et elle ne savait pas que c'était Jésus. 15 Jésus lui
dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Que
cherches-tu ? » Elle, pensant que c'était le jardinier, lui
dit : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as
mis, et moi j'irai le prendre. » 16 Jésus lui dit :
« Marie. » Elle, se retournant, lui dit :
« Rabbouni ! » (ce qui veut dire maître). 17 Jésus lui
dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon
Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et
votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » 18 Marie-Madeleine vint
annoncer aux disciples : « J'ai vu le Seigneur et voilà ce qu'il m'a
dit. »
19 Ce jour-là, le premier de la semaine,
lorsque le soir fut venu, et que les portes du lieu où les disciples se
trouvaient rassemblés étaient closes, par peur des Juifs, Jésus vint et se tint
au milieu d'eux, et leur dit : « Paix à vous. » 20 Et, lorsqu'il
eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent
donc à la vue du Seigneur. 21 Et il leur dit de nouveau : « Paix à
vous. Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. » 22 Ayant dit
cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit
Saint ; 23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront
remis ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »
24 Or Thomas, un des Douze, appelé
Didyme, n'était pas avec eux quand Jésus vint. 25 Les autres disciples lui
dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur. » Mais lui leur répondit :
« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, et si je n'enfonce
pas mon doigt à l'endroit des clous, et si je ne mets pas ma main dans son
côté, je ne croirai pas. »
26 Et huit jours après, ses disciples
étaient encore à l'intérieur, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant
closes, et il se tint au milieu d'eux et leur dit : « Paix à
vous. » 27 Puis il dit à Thomas : « Mets ton doigt là et vois
mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois pas
incrédule mais croyant. » 28 Thomas répondit et lui dit : « Mon
Seigneur et mon Dieu. » 29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as
vu, Thomas, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. »
30 Jésus a fait encore en présence de ses
disciples beaucoup d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. 31
Mais ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus, le Christ, est le
Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son nom.
2470. Après avoir
rapporté les mystères de la Passion du Christ, l'Évangéliste révèle ici sa
Résurrection. Premièrement il révèle comment la Résurrection du Christ fut
manifestée aux femmes ; deuxièmement, comment elle fut manifestée aux
disciples [n° 2523].
La Résurrection du
Christ a été manifestée aux femmes dans un certain ordre : d'abord par le
tombeau ouvert, ensuite par l'apparition de l'ange [n° 2490], et enfin par la
vision du Christ [n° 2504].
L'Évangéliste
commence par exposer la vision qu'eut la femme, puis l'annonce de ce qu'elle a
vu [n° 2476] et, en troisième lieu, la recherche de ce qui a été annoncé [n°
2477].
OR LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, LE MATIN, QUAND LES
TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE, ET VIT LA PIERRE
ROULÉE DU TOMBEAU. (20, 1)
2471. Ici se
présentent quatre choses qu'il faut considérer. Premièrement, le temps de la
vision : LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche. En effet, le
jour du Sabbat était considéré par les Juifs comme le plus solennel, et c'est
pourquoi tout autre jour était nommé à partir de lui. De là vient qu'ils
disaient « le premier jour de la semaine », « le deuxième jour de la semaine1 », etc. Matthieu dit : Le premier jour de la semaine (prima
sabbati) 2 ; mais Jean dit UNA SABBATI, à cause du mystère, parce qu'en ce
jour où eut lieu la Résurrection commença comme une nouvelle création - Envoie
ton esprit et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre3. - Dans
le Christ Jésus, ni la circoncision ne vaut quelque chose ni l’incirconcision,
mais la création nouvelle4. Au commencement, dans la Genèse5, Moïse n'a pas dit du premier jour « il
y eut un premier jour » (dies primus), mais « un jour
unique » (dies unus). Voilà pourquoi l'Évangéliste se sert de la
parole de Moïse pour suggérer cette rénovation6.
Il le fait aussi
parce que commençait ce jour-là le jour d'éternité qui est un seul jour sans
l'interruption de la nuit, parce que le soleil qui l'a fait ne se couche jamais7 - Cette
ville n'a pas besoin de la lumière du soleil ou de la lune, car la gloire de
Dieu l'illumine et sa lumière, c'est l'Agneau8. -Il y aura un jour, connu du Seigneur, sans
jour ni nuit, et il y aura de la lumière à l'heure du soir9.
2472. Deuxièmement
est indiquée la personne qui voit : LE MATIN, QUAND LES TÉNÈBRES
DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE. Mais il y a ici un doute, car Marc dit : Marie-Madeleine,
Marie de Jacques et Salome 10 ; et au sépulcre, Matthieu 11
mentionne également l'autre Marie.
1. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, co1. 287 C.
2. Mt 28, 1.
3. Ps 103, 30.
4. Ga 6, 15. Saint Thomas commente : « La foi formée par
la charité est une création nouvelle. Car nous avons été créés et produits dans
l'existence de la nature par Adam ; mais cette créature était déjà vieille
et détruite (inveterate.), et pour cette raison le Seigneur, nous
conduisant et nous établissant dans l'existence de la grâce, a fait une
certaine création nouvelle - Pour que nous soyons comme les prémices de ses créatures (Je 1, 18). Et elle est dite nouvelle parce que par elle
nous sommes renouvelés dans une vie nouvelle, et par l'Esprit Saint - Envoie ton Esprit, et ils seront
créés, et tu renouvelleras la face de la terre (Ps 103, 30) -, et
par la Croix du Christ - Si quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle (2 Co 5, 17). Ainsi donc par la
création nouvelle, à savoir par la foi au Christ et la charité de Dieu, qui a
été diffusée dans nos cœurs, nous sommes renouvelés, et conjoints au
Christ » (Ad Gai. lect., VI, n° 374). Sur la re-création, voir vo1.
I, n° 721.
5. Gn 1, 5. Saint Thomas partage avec les auteurs de son temps la
certitude que Moïse est l'auteur du Pentateuque.
6. Cf. saint Augustin, La
Genèse au sens littéral, I, xvii, 33,
BA 48, p. 129.
7. Cf. Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, co1. 287 C.
8. Ap 21, 23.
9. Za 14, 7.
Réponse. Selon
Augustin12 il faut dire que Marie-Madeleine était plus
fervente et avait plus de dévotion13 pour le Christ que les autres femmes. De là
vient que Luc dit : De nombreux péchés lui sont remis car elle a
beaucoup aimé14. Voilà pourquoi l'Évangéliste la nomme de manière spéciale et que c'est
à elle en premier lieu que le Seigneur apparut15 - Elle
fla Sagesse] se porte vers ceux qui la désirent pour leur apparaître en premier16.
2473. En troisième
lieu est mentionnée l'heure, quel en fut le moment : LE MATIN, QUAND LES
TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. Luc dit que Marie-Madeleine et les autres femmes,
voyant le lieu du sépulcre, préparèrent les aromates, mais que parce que déjà
pointait le sabbat, elles gardèrent le silence selon le commandement17.
Donc, dès la fin du sabbat, avant la lumière du premier jour de la semaine,
Marie vint au tombeau, car l'ardeur excessive de son amour la pressaitI8 - Ses
lampes sont des lampes de feu et de flammes19, c'est-à-dire de charité.
2474. Mais ici se
pose une question littérale : puisque Marc dit De grand matin, le
soleil s'étant levé1, pourquoi donc l'Évangéliste dit-il QUAND LES TÉNÈBRES DURAIENT
ENCORE ? Réponse : il faut dire que ce que dit Marc s'entend de
l'aurore : le soleil s'étant déjà levé, non qu'il apparût sur la terre
mais parce qu'il approchait de nos régions2.
10. Mc 16, 1.
11. Mt 28, 1. Saint Thomas commente : « Cela ne fut pas
sans mystère que deux femmes de ce même nom vinrent (...) parce que par elles
est signifiée l'Église ; d'abord, en effet, l'une fut à partir des païens (gentibus),
l'autre à partir des Juifs, mais à présent tous sont une seule Église - Unique
est ma colombe (Ct 6, 8). De même elles s'appellent Marie. En effet, de
même que de son sein clos Marie a conçu un enfant, ainsi celles-ci méritèrent
de voir celui qui sortit du tombeau clos » (Sup. Matth. lect., XXVIII,
n° 2421).
12. De consensu Evangelistarum, III, ΧΧIV, 68, PL 34,
col. 1201.
13. Sur le sens du mot devotio, voir vo1. I, n° 843, note 5
et n° 1391, note 6.
14. Lc 7, 47.
15. Cf. Mc 16, 9.
16. Sg 6, 14.
17. Cf. Lc 23, 55-56.
18. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG
59, co1. 464.
19. Ct 8, 6.
2475. En quatrième
lieu est mentionné ce que Marie voit : ELLE VIT LA PIERRE ROULÉE DU
TOMBEAU, ce qui était le signe soit que quelqu'un avait emporté le Christ, soit
qu'il était ressuscité. Et comme le dit Matthieu, Fange du Seigneur descendit
du ciel3 ; par cela il ne faut pas entendre que la pierre aurait été roulée avant
la Résurrection du Christ, mais après. En effet, le Christ est sorti du sein
clos de la Vierge sans avoir encore un corps glorieux. Il n'est donc pas
étonnant qu'il soit sorti du sépulcre avec son corps glorieux4. En
effet, la pierre a été roulée pour que, voyant que le Christ n'était pas là, on
crût plus facilement à sa Résurrection 5.
ELLE COURUT DONC ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE
DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT, ET LEUR DIT : « ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU
TOMBEAU, ET NOUS NE SAVONS PAS OÙ ON L'A MIS. » (20, 2)
2476. En effet, à
cause de son trop grand amour, elle n'a pas tardé à annoncer aux disciples ce
qu'elle a vu ; mais ELLE COURUT ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE
DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT - Ce jour est un jour de bonne
nouvelle ; si nous nous taisons et refusons de l’annoncer jusqu'au matin,
on nous convaincra de crime6. Ainsi celui qui
entend les paroles de Dieu doit-il en
toute hâte les dire aux autres - Que celui qui entend dise :
Viens !7 Mais Marie est venue vers ceux qui étaient les disciples principaux et
qui aimaient le Christ d'une manière plus fervente, afin qu'ils cherchent
ensemble ou souffrent ensemble8.
1. Mc 16, 2.
2. Cf. saint Augustin, De
consensu Evangelistarum, III, xxiv, 65, PL 34, co1. 1198.
3. Mt 28, 2. Saint Thomas commente : « II convient que
la Résurrection soit annoncée par un ange, à cause de la gloire de celui par
qui elle est réalisée, comme dit saint Paul : Dieu l'a ressuscité
d'entre les morts (Ac 13, 30). Or ses serviteurs sont les anges. Et de même
cela convient pour indiquer la dignité de celui qui ressuscite. Plus haut il est dit de lui que des anges
s'approchèrent et le servaient (Mt 4, 11). De même cela arrive ainsi parce que,
par la Résurrection, les choses célestes sont unies aux terrestres » (Sup.
Matth. ha., XXVIII, n° 2425).
4. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
26, 1, PL 76, co1. 1197 C.
5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG
59, co1. 464.
6. 2 R 7, 9.
7. Ap22, 17.
Et elle leur
dit : ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU TOMBEAU. En effet, ayant vu le sépulcre
vide et n'ayant pas encore en son cœur que le Christ était ressuscité, elle
dit : ET NOUS NE SAVONS PAS OÙ ON L'A MIS. Elle donne ici à entendre
qu'elle n'est pas allée seule au tombeau et qu'encore à présent elle doute de
la Résurrection. Ce n'est donc pas sans raison que l'Évangéliste a dit que LES
TÉNÈBRES DURAIENT ENCORE. En précisant le temps, il indiquait aussi la qualité
de l'esprit où étaient les ténèbres du doute - IL· n'ont ni savoir ni
intelligence : Us marchent dans les ténèbres'*.
Mais considère que
dans les manuscrits grecs on trouve MON SEIGNEUR, pour désigner une plus grande
inclination à la charité et l'affection de la servante 10 - Car
qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et hors de toi qu'ai-je voulu
sur la terre ? Mon cœur et ma chair ont défailli : le Dieu de mon
cœur, ma part, c'est Dieu pour l'éternité11.
8. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 41, PL 100,
co1. 987 C.
9. Ps 81, 5.
10. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXX, 6, BA 75, p. 343.
11. Ps 72, 25-26.
Ι
PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE, ET ILS
VINRENT AU TOMBEAU. (20, 3)
2477. L'Évangéliste
rapporte d'abord le zèle de ceux qui cherchent pour arriver à découvrir, et
cela en sortant : PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE. En
effet, celui qui veut scruter les mystères du Christ doit d'une certaine
manière sortir de lui-même et des mœurs de la terre 1 - Sortez, filles de Sion, et voyez le
roi Salomon2.
II
La course
ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE. (20, 4)
2478. Ensuite il
rapporte l'ordre ou le mode de la recherche. En premier lieu quant à la course,
puisqu'ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE, eux qui aimaient le Christ plus que
tout3 -J'ai couru dans la voie de tes commandements quand tu as dilaté
mon cœur4. - J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé
ma course5. - Courez ainsi afin de saisir6.
L'arrivée
MAIS L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE,
ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU. ET, S'ÉTANT PENCHÉ, IL VIT LES LINGES POSÉS
LÀ ; CEPENDANT IL N'ENTRA PAS. (20, 4-5)
2479. En second lieu
quant à l'arrivée, puisque L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE
QUE PIERRE. On rapporte d'abord comment
Jean est arrivé le premier, puis comment Pierre l'a suivi.
2480. Mais note que
ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste raconte ces détails avec tant de
diligence. En effet, par ces deux disciples sont désignés deux peuples, à
savoir celui des Juifs et celui des Gentils7 : par Pierre, qui était le plus âgé, le
peuple des Gentils, et par Jean, qui était le plus jeune, le peuple des Juifs.
Car, bien que les Juifs aient
reçu en premier lieu la connaissance du Dieu unique et vrai, cependant le
peuple des Gentils est le plus ancien dans le monde, car les Juifs eux-mêmes
sont sortis des Gentils - Quitte ta terre et ta parenté1. Ces deux peuples couraient ensemble la course du monde : les Juifs
par la lettre de la Loi, les Gentils par la loi naturelle2. Ou
encore ils courent ensemble par le désir naturel de la béatitude et de la
connaissance de la vérité, que tous les hommes, par nature, désirent connaître3.
MAIS L'AUTRE DISCIPLE, à savoir le plus jeune, COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE
PIERRE, parce que les Gentils sont parvenus plus tard que les Juifs à la
connaissance de la vérité, car alors Dieu n'était connu qu'en Judée4.
C'est pourquoi l'Écriture dit : 11 n'a pas fait de telles choses pour
toutes les nations et ses jugements, il ne les leur a pas manifestés5. ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU car il a été le premier à considérer
les mystères du Christ, et la promesse au sujet du Christ a été faite en
premier lieu aux Juifs, à qui appartiennent l'adoption des fils, la gloire,
l'alliance, la législation, le culte, les promesses et aussi les pères de qui
est issu le Christ selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni pour
les siècles. Amen6.
1. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
25, 2, PL 76, co1. 1190 C-D.
2. Ct 3, 11.
3. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
25, 2, PL 76, co1. 1175 A.
4. Ps 118, 32.
5. 2 Tm 4, 7. Saint Thomas commente : « Le mérite de la
vie consiste en trois choses, à savoir la résistance au mal, le progrès dans le
bien, et le bon usage des dons de Dieu. On dit de la première qu'elle est un
certain combat ; d'où il dit ici : J'ai combattu le bon combat. Mais
on dit qu'un combat est bon premièrement s'il est en vue du bien ; par
exemple, s'il est en vue de la foi ou de la justice, comme celui des Apôtres - J'ai été
contraint de vous écrire au sujet de votre salut commun, vous suppliant de
combattre pour la sainte foi transmise une fois pour toutes (Jude 3). - Combats
pour la justice, pour ton âme, et combats pour la justice jusqu'à la mort (Si
4, 33). Deuxièmement, à cause du mode de combat, à savoir si on combat avec
attention et d'une manière légitime. Au-dessus (2 Tm 2, 5) : Celui qui combat dans l'arène ne sera couronné
que s'il a combattu d'une manière légitime. - Je combats ainsi, non comme si je
frappais dans le vide, mais je châtie mon corps (1 Co 9, 26-27).
Troisièmement, à cause de la difficulté du combat - Et elle lui donna un
rude combat, pour qu'il vainque (Sg 10, 12). Selon cela on dit que le
progrès dans le bien est une course, d'où : J'ai achevé ma course. -
Courez, afin de saisir (1 Co 9, 24). Et on dit que le progrès des saints
est une course parce qu'ils courent avec hâte, de sorte qu'en devenant
meilleurs ils l'achèvent, poussés par l'aiguillon de la charité - Hâtons-nous
d'entrer dans son repos
(He 4, 11). - J'ai
couru dans la voie de tes commandements (Ps 118,
32) » (Ad 2 Tim. lect., IV, n° 149).
6. 1 Co 9, 24.
7. Toute l'interprétation qui suit est reprise de saint Grégoire le Grand, op. cit., II,
hom. 22, 2-3, PL 76, co1. 1175 B-D.
1. Gn 12, 1.
2. Cf. Rm 2, 14.
Ce thème se retrouve chez les Pères de l'Église, notamment Clément
d'Alexandrie. Saint Thomas commente ce verset de l'épître aux Romains :
« Ils [les Gentils] accomplissent naturellement les choses de la Loi, c'est-à-dire
les choses que la Loi commande quant aux préceptes moraux, qui sont sous la
dictée de la raison naturelle ; ainsi est-il dit de Job (1, 1) qu'il était
juste et droit, craignant le mal et s'écartant de lui. (.·■) Naturellement,
c'est-à-dire par la loi naturelle leur montrant ce qu'il faut faire, selon
ce que dit le Psaume 4, 6-7 : Beaucoup disent : Qui nous montre
les biens [qu'on nous promet] ? La lumière de ta face, Seigneur, s'est
imprimée sur nous, ce qui est la lumière de la raison naturelle, dans
laquelle est l'image de Dieu » (Ad Rom. lect., II, nos
215-216).
3. Saint Thomas
fait ici référence à Aristote : « Tous les hommes désirent par nature
connaître » (Métaphysique, A, 980 a 1). À la suite du Philosophe,
il distingue dans l'homme trois appétits. L'appétit naturel, qui ne procède pas
d'une connaissance, correspond à l'ordre vers la fin ; présent dans toute
réalité créée, il se découvre, dans un jugement de sagesse, dans la lumière de
Dieu Créateur qui gouverne tout dans l'amour et conduit toute réalité vers sa
finalité. Cependant tout homme qui aime et cherche la vérité peut le dévoiler,
en découvrant l'élan qui l'habite et le pousse à aller toujours plus loin dans
l'amour et la quête de la vérité. L'appétit sensible est la tendance vers le
bien sensible, ce bien étant alors connu par les sens. Enfin l'appétit
spirituel, la volonté, porte sur le bien personnel connu par l'intelligence et
source de l'amour spiritue1. Voir notamment Somme théo1., I, q. 59, a.
1, c. et q. 80, a. 2, c ; I-II, q. 30, a. 1, ad 3 ; II-II, q. 18, a.
1, c.
4. Voir Ps 75,
1 : Dieu est connu en Juda : en Israël, son nom est grand.
5. Ps 147, 20.
ET, S'ÉTANT PENCHÉ,
IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ ; CEPENDANT IL N'ENTRA PAS. (20, 5)
ET S'ÉTANT PENCHÉ, à
savoir sous le joug de la Loi - Tout ce que le Seigneur prescrira, nous le
ferons7 -, IL VIT LES LINGES POSÉS LÀ, à savoir
certaines préfigurations de tous les mystères du Christ -Jusqu'à
aujourd'hui, un voile demeure sans être levé quand on lit l'Ancien Testament8. CEPENDANT, IL N'ENTRA PAS ; parce qu'il
ne parvint pas à la connaissance de la vérité tant qu'il refusa de croire en
celui qui était mort. Ceci est dit en Luc9 du frère aîné qui, entendant la musique et
les danses faites pour son frère revenu, refusa d'entrer, alors que cependant
l'entrée est promise par David lorsqu'il dit : J'entrerai vers l'autel
de Dieu 10.
PIERRE, QUI LE
SUIVAIT, VINT AUSSI. (20, 6)
2481. Il s'agit ici
de l'arrivée de Pierre. Selon le sens littéral, le fait qu'ils couraient
ensemble était le signe d'une dévotion fervente ; mais Jean est arrivé
plus vite parce qu'il était plus jeune que Pierre, son aîné.
Mais selon le
mystère.11 Pierre suit Jean parce
que les Gentils convertis au Christ ne devaient pas être rassemblés dans une
Église autre que l'Église des Juifs, mais être greffés sur un olivier et une
Église qui existaient déjà1. C'est pourquoi l'Apôtre, en faisant leur
éloge, dit : Mais vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises qui sont dans le Christ en
Judée2.
6. Rm 9, 4-5.
7. Ex 24, 7.
8. 2 Co 3, 14.
9. Lc 15, 25.
10. Ps 42, 4.
Saint Thomas commente : « Enfin l'autel signifie l'humanité du Christ
- Ils regarderont le roi dans sa beauté (Is 33, 17). Et le Christ est
appelé l'autel de Dieu - Nous avons un autel auquel n'ont pas le droit de
manger ceux qui restent au service du Tabernacle (He 13, 10). Car, de même
que tous les sacrifices charnels étaient offerts sur l'autel, ainsi toutes les
prières sont offertes par le Christ. (...) Mais parce que le repos n'est pas
dans l'humanité du Seigneur, il se dirige plus loin, vers la divinité. Aussi
[David] dit-il : vers Dieu » (Exp. in Psalmos, 42, n°
2).
11. Sur la
différence entre sens littéral et sens mystique (selon le mystère), voir vo1.
I, Préface, p. 17 sq., et ci-dessus, n° 1594, note 10, n° 1828, note 8.
L'entrée
[IL] ENTRA DANS LE TOMBEAU, ET VIT LES LINGES POSÉS LÀ, ET
LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TÊTE, POSÉ NON PAS AVEC LES LINGES, MAIS ENROULÉ
DANS UN LIEU À PART. (20, 6-7)
2482. En troisième
lieu est rapporté l'ordre de leur entrée, puisqu'il ENTRA DANS LE TOMBEAU. Il
est dit d'abord comment Pierre est entré le premier, puis comment Jean est
entré [n° 2486].
2483. L'Évangéliste
dit donc que Pierre entra dans le tombeau. Certes, selon le sens littéral, si
Jean, qui était arrivé le premier, n'entra pas, ce fut par révérence à l'égard
de Pierre à qui il réservait d'entrer le premier. Mais selon le mystère, cela
indique que le peuple des Juifs, qui entendit le premier les mystères de
l'Incarnation, se convertit à la foi plus tard que le peuple des Gentils - Les
païens qui ne cherchaient
pas la justice ont embrassé la justice, celle qui vient de la foi ; tandis
qu 'Israël, qui suivait une loi de justice, n'est pas parvenu à la loi de
justice3.
Et Pierre VIT LES
LINGES POSÉS LÀ. Jean ne vit que les linges, que Pierre vit pareillement :
en effet, nous ne rejetons pas l'Ancien Testament4, puisque le Seigneur ouvrit l'intelligence [des disciples
d'Emmaùs] à l'intelligence des Écritures5.
Mais Pierre vit en
outre LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TÊTE - Le chef [en latin caput, qui signifie « tête »] du Christ, c'est Dieu6.
Donc, voir le suaire qui avait été sur la tête de Jésus, c'est avoir foi en la
divinité du Christ, que les Juifs n'ont pas voulu accepter7. Ce
suaire est décrit comme étant séparé des autres linges, et ENROULÉ, et DANS UN
LIEU À PART, car la divinité du Christ est cachée et séparée de toute créature
en raison de son excellence – Il est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles, amen8. - Vraiment tu es un Dieu caché9. Il vit le suaire roulé
presque à la manière d'un cercle : en effet, lorsqu'on roule des linges,
on ne voit en eux ni début ni fin, [ce qui est un symbole de] la majesté de la
divinité qui n'a pas commencé à être ni ne cesse d'être - Jésus Christ est le même hier,
aujourd'hui et pour les siècles 10. - Mais toi tu es le même et tes années
ne cesseront pas11. Mais ils le virent DANS UN [UNIQUE] LIEU, car Dieu n'habite pas là où
se trouve une division des esprits, mais ceux-là méritent sa grâce qui sont un
par la charité - C'est dans la paix qu'a été fait son lieu 12. - Il n'est
pas un Dieu de dissension mais de paix13.
2484. Ou bien on
peut le comprendre autrement : par le suaire, par lequel la sueur de ceux
qui travaillent est habituellement essuyée, on peut entendre le labeur de Dieu
parce que, même si en lui-même il demeure toujours en repos, il déclare
pourtant qu'il travaille lorsqu'il porte les lourdes perversités des hommes - Elles
me sont un fardeau, j'ai travaillé en les supportant1. Et c'est principalement ce labeur que le
Christ a enduré dans l'humanité qu'il a assumée - II présentera sa mâchoire à celui qui le frappe, il sera
rassasié d'opprobres2.
1. Cf. Rm 11, 16-24.
2. 1 Th 2, 14.
3. Rm 9, 30-31. Sur la justice de la foi, voir vo1. I, n° 1361, et
note 1.
4. Ici, les linges désignent l'Ancien Testament.
5. Lc 24, 45.
6. 1 Co 11, 3.
7. Saint Thomas reprend ici et dans le paragraphe suivant la suite
du commentaire de saint Grégoire le
Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 22, 2-4, PL 76, co1. 1175
D-1176 C.
8. Rm 9, 5. 9.1s 45, 15.
10. He 13, 8.
11. Ps 101, 28.
12. Ps 75, 3.
13. 1 Co 14, 33.
Ce suaire, donc, se
trouve éloigné à part, car la Passion de notre Rédempteur est loin de la nôtre,
qui en est séparée. En effet, par les linges, qui se rapportent aux membres
comme le suaire à la tête, on peut entendre les passions des saints ; le
suaire, à savoir la Passion du Christ, en est séparé, car le Christ a porté
sans faute ce que nous, nous supportons avec des fautes - Le Christ est
mort, juste pour les injustes3. Il a voulu de lui-même succomber à la mort - Personne ne m'enlève ma
vie, mais je la donne de moi-même4. - II nous a aimés et s'est livré lui-même
pour nous5. Mais les saints vont à la mort malgré eux -
Un autre te ceindra et te conduira là où tu ne voudrais pas aller6.
2485. Mais pourquoi
l'Évangéliste raconte-t-il tout cela avec autant de soin ? Selon
Chrysostome7, il faut répondre qu'il voulait écarter la
fausse opinion divulguée par les Juifs, selon laquelle le corps du Christ avait
été enlevé en cachette, comme on le voit en Matthieu8. En effet, si certains l'avaient emporté de
cette manière, ils ne l'auraient certainement pas dénudé, surtout parce qu'ils
auraient dû faire cela avec hâte en raison de la présence des gardes. Et ils ne
se seraient pas non plus souciés d'enlever le suaire, de le rouler et de le
poser dans un lieu à part ; mais si cela était arrivé, ils auraient
simplement laissé le suaire après avoir pris le corps. Une autre raison est le
fait que la sépulture fut effectuée avec de la myrrhe et de l'aloès qui collent
les linges au corps, de telle manière qu'ils n'auraient pas pu être si
rapidement séparés du corps.
1. Is 1, 14. Saint Thomas commente : « II montre le
travail (labor) de
celui qui porte : j'ai travaillé en les supportant. - Tu m'as offert un
travail
dans tes fautes (Is 43, 24). Et il parle d'une manière humaine au sujet de
Dieu, parce que pour l'homme on dit pénible et laborieux ce qui ne lui plaît
pas » (Exp. super Isaiam, 1, 14, p. 15, 1. 591-595).
2. Lm 3, 30.
3. 1 Ρ 3, 18.
4. Jn 10, 18.
5. Ep 5, 2.
6. Jn 21, 18.
7. In Ioannem hom., LXXXV, 4,
PG 59, co1. 465.
8. Mt 28, 13-15. Saint Thomas rapporte les paroles de saint
Augustin dévoilant le mensonge des soldats : « Soit ils vinrent
tandis que vous veilliez, soit tandis que vous dormiez. Si vous veilliez,
pourquoi ne les avez-vous pas repoussés ? Si vous dormiez, comment les
avez-vous vus ? Et ainsi il apparaît que ce fut un mensonge » (Sup.
Matth. lect., XXVIII, n° 2448).
ALORS ENTRA AUSSI L'AUTRE DISCIPLE QUI ÉTAIT VENU LE PREMIER
AU TOMBEAU. (20, 8)
2486. L'Évangéliste
mentionne ensuite l'entrée de Jean. Celui-ci en effet ne resta pas dehors mais
il entra après Pierre, car à la fin du monde la Judée aussi sera acquise à la
foi en la Rédemption9 - Une partie d'Israël a été aveuglée jusqu'à ce que
soit entrée la plénitude des nations, et ainsi tout Israël sera sauvé10. - Un
reste sera sauvé11.
2487. Ou autrement12, selon
le mystère : ces deux disciples représentent deux genres d'hommes, à
savoir ceux qui s'adonnent à la contemplation de la vérité - ceux-ci sont
signifiés par Jean - et ceux qui s'attachent à l'obéissance aux commandements,
lesquels sont signifiés par Pierre. De fait, Simon se traduit par
« obéissant 13 ».
Il arrive très
souvent, en effet, que le contemplatif parvienne le premier à la connaissance
des mystères du Christ par son aptitude à apprendre, mais qu'il n'entre
pas ; car parfois l'intelligence est première mais l'amour ne suit que
tardivement, ou ne suit pas. Mais l'actif, par la véhémence de sa ferveur et
son zèle, même s'il comprend plus tardivement - Par tes commandements j'ai acquis l'intelligence1 -, cependant entre plus vite, si bien que ceux qui furent les derniers
à arriver deviennent les premiers à connaître 2 - Les premiers seront
derniers et les derniers seront premiers3.
9. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
22, 5, PL 76, co1. 1176 D.
10. Rm 11, 25-26. Voir vo1. I, n° 1483 et note 4. Sur
l'aveuglement des Juifs, voir aussi ci-dessus, nos 1700 à 1702.
11. Is 10, 22.
12. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, co1. 291 C-D.
13. Voir vo1. I, n° 303.
III
IL VIT ET IL CRUT. CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS
L'ÉCRITURE SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES MORTS. (20,
8-9)
2488. Il indique ici
l'effet de la recherche. On pourrait d'abord penser que le sens est le
suivant : IL VIT cela et IL CRUT que le Christ était ressuscité. Mais,
selon Augustin4, cela n'a pas de sens, car on a
ensuite : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE. Il faut donc dire
qu'IL VIT le tombeau vide et qu'IL CRUT ce que la femme avait dit, à savoir
qu'on avait emporté le Seigneur. Alors suit le verset : ILS N'AVAIENT PAS
ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, car leur intelligence n'avait pas encore été ouverte
à l'intelligence des Écritures5.
1. Ps 118, 104.
2. Sur la différence entre la vie active et la vie contemplative,
voir ci-dessus, n° 1595 et note 5. Saint Thomas, dans sa question sur les
rapports de la vie contemplative et de la vie active, précise que parfois la
vie active doit être préférée à la vie contemplative. Non pas absolument, mais
comme une disposition à la vie contemplative : ainsi les actifs se trouvent
parfois mieux préparés que les autres à entrer dans la connaissance des
mystères divins, à entrer dans une vraie contemplation. Et aussi, la vie active
est parfois préférée à la vie contemplative quand il s'agit d'obéir à une
volonté précise de Dieu. Par exemple, « dans un cas particulier on doit
plutôt choisir la vie active, en raison de la nécessité de la vie présente.
Comme le dit aussi le Philosophe : "Philosopher est meilleur que
s'enrichir. Mais s'enrichir est meilleur par nécessité pour celui qui
souffre" (/Il Topique, II) » (Somme
théol, II-II, q. 182, a. 1, a). « Il peut arriver que quelqu'un ait
plus de mérite dans les œuvres de la vie active qu'un autre dans celles de la
vie contemplative. Par exemple si, à cause de l'abondance de l'amour divin et
pour accomplir la volonté de Dieu pour sa gloire, il supporte par moments
d'être séparé pour un temps de la douceur de la contemplation divine. C'est ce
que disait saint Paul : Je
souhaiterais être anathème loin du Christ pour mes frères (Rm 9, 3) »
(loc. cit., a. 2, a). « On peut envisager la vie active en tant
qu'elle discipline les passions intérieures de l'âme et les ordonne. Et quant à
cela, la vie active est un secours en vue de la contemplation, qui est empêchée
par le désordre des passions intérieures. C'est pourquoi Grégoire dit :
"Ceux qui veulent tenir la citadelle de la contemplation doivent
s'éprouver au préalable sur le champ de bataille de l'action". (...) Donc
l'exercice de la vie active apporte à la vie contemplative l'apaisement des passions
intérieures d'où proviennent les imaginations qui empêchent la
contemplation » (loc. cit., a. 3, c). « Ceux qui sont plus
aptes à la vie active peuvent, par l'exercice de cette vie, se préparer à la
vie contemplative, et néanmoins ceux qui sont plus aptes à la vie contemplative
peuvent supporter les exercices de la vie active pour être par là préparés
davantage à la contemplation » (loc. cit., a. 4, ad 3).
3. Mt 20, 16.
Mais le Christ ne
leur a-t-il pas prédit sa Passion et sa Résurrection ? - Et le
troisième jour il ressuscitera6. Je réponds en disant que, parce qu'ils avaient l'habitude d'entendre de
Jésus des paraboles, parmi les choses qu'il leur disait ouvertement il y en
avait beaucoup qu'ils ne comprenaient pas, et ils croyaient qu'il voulait
signifier quelque chose d'autre7.
2489. Ou bien, selon
Chrysostome8, IL VIT les linges ainsi posés en ordre, ce
qui n'aurait pas été fait si le corps avait été enlevé en cachette, et IL CRUT,
d'une foi vraie, que le Christ s'était relevé de la mort. Et alors ce qui
suit : CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, se rapporte à ce
qu'il dit : IL VIT ET IL CRUT, comme s'il disait : avant de voir, il
n'avait pas compris l'Écriture SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT
D'ENTRE LES MORTS. Mais quand il vit, il crut qu'il était ressuscité des morts.
4. Tract, in Io., CXX, 9, BA
75, p. 345-347.
5. Cf. Le 24, 45.
6. Mt 20, 19.
7. Cf. saint Augustin, ibid., p. 347.
8. In Ioannem hom., LXXXV, 4,
PG 59, co1. 465.
2490. Après avoir
rapporté comment Marie-Madeleine est venue voir le tombeau ouvert,
l’Évangéliste montre ici comment elle est parvenue à la vision des anges, et
premièrement il montre la dévotion de cette femme, puis la vision des anges [n°
2495] ; enfin il rapporte les paroles que les anges lui adressent [n°
2500].
LES DISCIPLES DONC S'EN RETOURNÈRENT CHEZ EUX. MAIS MARIE SE
TENAIT DEHORS PRÈS DU TOMBEAU, PLEURANT. ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA
ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. (20, 10-11)
La dévotion de cette
femme, qui mérita la vision des anges, est mise en lumière de trois manières.
I
2491. Sa dévotion
est mise en lumière en premier lieu1 par sa constance que, d'abord, le retour des
disciples a rendue louable, car LES DISCIPLES, ne connaissant pas encore
l'Écriture selon laquelle il fallait que Jésus ressuscitât d'entre les morts,
S'EN RETOURNÈRENT CHEZ EUX, c'est-à-dire là où ils habitaient et d'où ils
étaient venus au tombeau en courant. Jusque-là, en effet, dispersés en raison
de la peur, ils ne demeuraient pas ensemble - Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront
dispersées2. - Les pierres du sanctuaire ont été
dispersées à Ventrée de toutes les places3.
En second lieu4, sa
constance est louable du fait qu'elle s'attarde : car MARIE SE TENAIT
DEHORS PRÈS DU TOMBEAU, PLEURANT. En effet, après le départ des disciples, un
amour plus fort et plus fervent maintenait en ce lieu cette femme qui par sa
nature était plus faible5.
2492. Mais il y a
ici une question, car Marc dit que les femmes sortirent du tombeau6 ;
elles y étaient donc entrées. Pourquoi donc Jean dit-il qu'elle SE TENAIT
DEHORS ?
Réponse : il
faut dire que le tombeau du Christ était creusé dans la pierre et qu'autour de
lui se trouvait un jardin clos, comme on l'a vu plus haut7.
Parfois, donc, les évangélistes appellent « tombeau » seulement le
petit lieu (loculum) où le corps avait été enseveli, et parfois tout le
lieu qui était clos. Ainsi, lorsqu'il est dit qu'elles sortirent du tombeau, il
faut le comprendre de tout le jardin clos. Mais ce qui est dit - MARIE SE
TENAIT DEHORS - doit s'entendre : devant le lieu du sépulcre de pierre,
mais cependant à l'intérieur de cet espace où les femmes étaient déjà entrées
et où elle, Marie, se tenait en raison de la constance de son amour8,
constance qui avait enflammé son esprit - Soyez fermes et inébranlables, toujours abondants dans
l'œuvre du Seigneur9. - Nos pieds s'étaient arrêtés 10.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.
2. Za 13, 7.
3. Lm 4, 1.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.
5. Nous avons
essayé de rendre l'expression inferior sexus que saint Thomas emploie
ici. Cf. Somme théol, I, q. 92, a. 1 et a. 2. Voir aussi ci-dessus, n°
2133.
6. Cf. Me 16, 8.
7. Voir n° 2475.
8. Cf. SAINT
AUGUSTIN, De consensu Évangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, co1. 1202.
9. 1 Co 15, 58.
10. Ps 121, 2.
II
2493. En second lieu
sa dévotion est mise en lumière par l'abondance de ses larmes, car elle pleurait
- Pleurant, elle a pleuré pendant la nuit1.
Il y a en effet deux
genres de larmes : des larmes de componction pour la purification des
péchés - Je laverai chaque nuit mon lit [de mes pleurs] ; j'arroserai
ma couche de mes larmes2 - et des larmes de dévotion dans le désir
des réalités célestes - Ils s'en allaient en pleurant, portant la semence3,
c'est-à-dire se hâtant vers les réalités célestes. Certes, Marie-Madeleine a
abondé en larmes de componction au temps de sa conversion quand, en aimant la
vérité, elle a lavé de ses larmes les taches de ses fautes, elle qui avait été
pécheresse dans la ville - De nombreux péchés lui sont remis car elle a
beaucoup aimé 4. Elle a encore abondé en larmes de dévotion
lors de la Passion et de la Résurrection du Christ, comme on le voit ici5.
III
2494. En troisième
lieu sa dévotion est mise en lumière par la diligence de sarecherche. C'est
pourquoi il est dit ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE
TOMBEAU. Car ces pleurs provenaient du désir de son amour. En effet, la nature
de l'amour est de vouloir avoir la présence de l'aimé, et s'il ne peut l'avoir
en réalité, il la possède au moins par la connaissance6 - Là
où est ton trésor, là aussi est ton cœur7. Marie pleurait donc amèrement, car ses yeux qui cherchaient le Seigneur
et ne le trouvaient pas se livraient aux larmes, souffrant encore plus de ce
qu'il avait été enlevé du tombeau ; car il ne restait aucun souvenir d'un
maître si grand, dont la vie avait été enlevée8. Et c'est pourquoi, puisqu'elle ne pouvait
l'avoir, voulant du moins voir le lieu où il avait été déposé, ELLE SE PENCHA
ET REGARDA DANS LE TOMBEAU. Il nous est ici donné à entendre que nous devons
regarder la mort du Christ avec humilité de cœur - Tu as caché ces choses
aux sages et aux prudents et tu les as révélées aux tout-petits9.
ELLE (...) REGARDA, pour nous donner l'exemple de regarder sans cesse la mort
du Christ avec les yeux de l'esprit. En effet, à celui qui aime il ne suffit
pas d'avoir regardé une fois, alors que la force de son amour décuple son
intention de chercher - Contemplant l'auteur de votre foi et qui la mène à
sa perfection, Jésus, qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura la croix dont il méprisa l'infamie1.
1. Lm 1, 2.
2. Ps 6, 7. Saint Thomas commente : « Au sens moral, le
lit sur lequel l'homme se repose, c'est la conscience ; c'est elle que
l'homme purifie par les larmes dans la pénitence - Purifie ton cœur de sa
malice (Jr 4, 14). Mais par le mot couche sont signifiés les péchés
qui couvrent la conscience, péchés qui doivent être purifiés par les larmes,
car les larmes lavent le péché qu'il est honteux d'avouer - Mes yeux ont défailli à force de
larmes (Lm 2, 11). Chaque nuit, dit-il, c'est-à-dire
chaque péché. Car l'homme doit pleurer chaque péché en faisant pénitence. Et
par là il laisse entendre que celui qui s'adonne à la pénitence répare
alternativement ses péchés ; car parmi le bien qu'il faisait, il péchait
parfois, et pleurait chacun de ses péchés. Et c'est pourquoi il ne dit pas une (unam)
mais chaque (singulas) nuit. Et il dit : j'arroserai, à
cause du flot des larmes - Qui donnera à ma tête de l'eau, et à mes yeux une fontaine de
larmes ? (Jr 9, 1). -
Fais couler comme un torrent tes larmes pendant le jour et pendant la
nuit ; ne te donne pas de repos, et que la prunelle de ton œil ne se taise
pas (Lm 2, 18) » (Exp. in Psalmos, 6, n" 4).
3. Ps 125, 6.
4. Le 7, 47.
5. En attribuant
ici et dans le paragraphe suivant les deux formes de pleurs à Marie-Madeleine,
saint Thomas reprend le commentaire de saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 1-2, PL 76,
co1. 1189 B-D.
6. Voir ci-dessus, n° 1919 et note 7. Saint Thomas expose en bien
des lieux que l'amour sensible ou spirituel se fonde sur la connaissance du
bien : on ne peut aimer une réalité qu'on ne connaît pas. Voir par exemple
Somme théo1., I-II, q. 9, a. 1, c. et ad 3. Et q. 27, a. 2, c. :
« Le bien est cause de l'amour, comme son objet. Or le bien est objet de
l'appétit dans la mesure où il est connu. C'est pourquoi l'amour requiert une
certaine connaissance du bien que l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe (Éthique
à Nicomaque, IX) que "la vision corporelle est le principe de l'amour
sensible". Et de même, la contemplation de la beauté ou de la bonté
spirituelle est le principe de l'amour spiritue1. Ainsi, donc, la connaissance
est cause de l'amour ». Ici il montre que si le bien connu et aimé n'est
pas présent, l'amour peut trouver un certain repos dans la connaissance de
ce bien.
7. Mt 6, 21.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.
Saint
Thomas cite ensuite le commentaire de saint Grégoire. Voir ci-dessus, note 5 de
cette page.
9. Mt 11, 25.
ELLE SE PENCHA ET
REGARDA, car la charité du Christ2 la pressait - La charité du Christ nous presse3. Ou plutôt, selon Augustin4, il
y eut dans son âme un instinct divin pour qu'elle regarde et qu'elle voie
quelque chose de plus élevé, à savoir les anges - Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils
de Dieu5.
ELLE VIT DEUX ANGES VÊTUS DE BLANC, ASSIS, UN À LA TÊTE ET
UN AUX PIEDS, LÀ OU AVAIT ÉTÉ DÉPOSÉ LE CORPS DE JÉSUS. (20, 12)
2495. L'Évangéliste
traite ensuite de la vision des anges, au sujet de laquelle il aborde quatre
points.
2496. Premièrement,
ce que Marie-Madeleine a vu : DEUX ANGES, pour montrer que tous les ordres des
anges se soumettaient au Christ, aussi bien ceux qui se tiennent devant lui que
ceux qui le servent - Que
tous ses anges l'adorent6, ce qui est tiré d'un
psaume7.
Mais ici surgit une
question, puisque Matthieu8 et Marc9 disent que Marie et les autres femmes ont vu
un seul ange se tenant à côté du tombeau, alors qu'ici on parle de deux anges,
et à l'intérieur. Mais les deux sont vrais 10, car Matthieu et Marc racontent ce qui est
arrivé en premier lieu, à savoir qu'elles sont d'abord venues et que,
découvrant que le corps avait été emporté, elles sont retournées vers les
disciples. Et ce que Jean raconte est arrivé au retour, lorsque Marie revint
avec les disciples et qu'après leur départ elle resta là.
1. He 12, 2. Saint
Thomas commente : « Le Christ est l'auteur de la foi ; si donc
tu veux être sauvé, tu dois observer attentivement cet exemple. C'est pourquoi
l'auteur de l'épître dit contemplant Jésus souffrant. Cela a été
signifié par le serpent d'airain élevé comme un signe, par lequel ceux qui le
regardaient étaient guéris (Nb 21, 9) - Comme Moïse éleva le serpent dans le
désert, ainsi doit être élevé le Fils de l'homme, pour que tout homme qui croit
en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle (Jn 3, 14-15). Si donc tu
veux être sauvé, regarde la face de ton Christ (Ps 83, 10) » {Ad
Heb. lect., XII, n° 663).
2. La charité du
Christ : non pas notre amour pour le Christ, mais l'amour du Christ pour
nous.
3. 2 Co 5, 14.
4. Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 351.
5. Rm 8, 14. Voir
ci-dessus, n" 1909 et note 5.
6. He 1, 6. Sur la
soumission des anges au Christ, voir vo1. I, n° 329.
7. Ps 96, 7
(propre à la Vulgate).
8. Voir Mt 28,
2-5.
9. Voir Me 16, 5.
10. Cf. SAINT
AUGUSTIN, De consensu Evangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, co1. 1202.
2497. Deuxièmement,
l'Évangéliste décrit l'habit des anges, VÊTUS DE BLANC, montrant par là la
clarté de la Résurrection et la gloire du Christ ressuscité11 - Ils
marcheront avec moi vêtus de blanc12. Dans l'Apocalypse il est dit aussi que l'armée qui est dans le ciel le
suivait en vêtements blancs 13, c'est-à-dire glorieux.
2498. Troisièmement,
il décrit leur position : ASSIS, ce qui signifie le repos et la puissance
du Christ qui, se reposant désormais de toutes ses tribulations, règne dans sa
chair immortelle, siégeant à la droite du Père 14 - Siège à ma droite15. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume 16.
2499. Quatrièmement,
il décrit l'ordre, UN À LA TÊTE ET UN AUX PIEDS, ce qui peut se référer à trois choses1. D'abord
aux deux Testaments : en effet, l'original grec du mot « ange »,
en latin angelus, signifie « envoyé » (nuntius). Or les
deux Testaments avaient annoncé (annuntiaverunt) le Christ, car il est
dit en Matthieu : La foule qui le précédait et celle qui le suivait
criaient : « Hosanna au fils de David. »2 Ainsi, l'ange assis à la tête signifie l'Ancien Testament et celui qui
est assis aux pieds, le Nouveau.
11. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 467.
12. Ap 3, 4.
13. Cf. Ap 19, 14.
14. Sur cette
position du Christ siégeant à la droite du Père (évoquée ici par la position
des anges), voir le Prologue de saint Thomas à son Commentaire sur
l'Évangile de saint Jean, vo1. I, n" 4.
15. Ps 109, 1.
16. Is 9, 7.
Cela se réfère aussi
aux prédicateurs. En effet, il y a deux natures dans le Christ : la nature
divine et la nature humaine3. La tête du Christ, c'est Dieu, comme
le dit la première épître au Corinthiens4, mais les pieds sont son humanité - Nous
adorerons dans le lieu où
se sont arrêtés ses pieds5. Celui donc qui annonce la divinité du Christ, comme il est dit plus
haut : Dans le principe était le Verbe, siège à la tête ;
tandis que celui qui annonce l'humanité du Christ - Le Verbe s'est fait
chair6 - siège aux pieds. Enfin, cela peut se référer au temps de l'annonce,
et ainsi l'un siège à la tête et l'autre aux pieds car ils signifiaient que les
mystères du Christ doivent être annoncés du début jusqu'à la fin du monde - Vous
annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne7.
ILS LUI DEMANDÈRENT : « FEMME, POURQUOI
PLEURES-TU ? » ELLE LEUR RÉPONDIT : « PARCE QU'ON A ENLEVÉ
MON SEIGNEUR, ET JE NE SAIS PAS OÙ ON L'A MIS. » (20, 13)
2500. L'Évangéliste
traite ici de la parole des anges, rapportant d'abord leur interrogation puis
la réponse de la femme [n° 2502].
ILS LUI DEMANDÈRENT : « FEMME, POURQUOI
PLEURES-TU ? »
2501. Au sujet du
premier point il faut savoir que les anges, sachant que la femme doutait
encore, s'enquièrent de la cause de ses pleurs, en commençant d'une certaine
manière par des choses éloignées. C'est pourquoi le texte dit : ILS, à
savoir les anges, LUI DEMANDÈRENT : « POURQUOI PLEURES-TU ? » Comme s'ils disaient :
Ne pleure pas8, c'est tout à fait vain, car au soir, de
la Passion, sera réservé le pleur et au matin, de la
Résurrection, la joie9. - Que ta voix se repose
des pleurs et tes yeux des larmes, car il y a une récompense pour ton œuvre10.
1. Les deux premières interprétations proviennent de saint Grégoire le Grand, XL hom. in
Evang., II, hom. 25, 3, PL 76, co1. 1191 B-C ; la troisième de saint Augustin, Tract, in Io., CXXI,
1, BA75, p. 351.
2. Mt 21,9. Saint Thomas commente : « Par qui cet
honneur lui est-il donné ? Par ceux qui le précédaient et ceux qui le
suivaient, c'est-à-dire par ceux qui furent avant son avènement et après ;
et les uns et les autres cherchent le salut et l'ont par le Christ - Ayant
la même récompense (2 Co 6, 13). Or les foules désiraient le salut et c'est
pourquoi elles criaient en
disant : Hosanna au fils de David. Ce salut est commencé à
présent et sera achevé à l'avenir » (Sup. Matth. lect., XXI,
n" 1693).
3. Sur les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la
personne du Verbe, voir ci-dessus n° 1711 et note 3.
4. 1 Co 11, 3.
5. Ps 131, 7.
6. Jn 1, 1 ; Jn 1, 14.
7. 1 Co 11, 26.
Il faut noter ici,
selon Grégoire11, que ces saintes paroles qui excitent en
nous des larmes d'amour, consolent les mêmes larmes en nous promettant
l'espérance de notre Rédempteur
- Selon la multitude des douleurs qui étaient dans mon cœur, tes
consolations ont réjoui mon âme12.
2502. Mais la femme,
croyant qu'ils avaient interrogé comme par ignorance, pense qu'ils ne sont pas
des anges mais des hommes, et elle leur expose la cause de ses pleurs : ON
A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, c'est-à-dire le corps de mon Seigneur. Là elle désigne
la partie par le tout, comme nous confessons que le Seigneur Jésus Christ, le
Fils de Dieu, a été enseveli, alors que seule sa chair a été ensevelie puisque
sa divinité n'a pas abandonné sa chair. ET JE NE SAIS PAS OÙ ON L'A MIS, ce qui
était la cause de sa désolation : elle ne savait pas où aller et le
trouver pour consoler sa douleur1.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p.
351-353.
9. Ps 29, 6. Voir ci-dessus n° 2085 et note 8.
10. Jr 31, 16.
11. XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1. 1191 D-l 192 A.
12. Ps 93, 19.
2503. Mais avoir une
chose qui a appartenu à l'ami, cela va-t-il consoler celui qui aime ?
Selon Augustin2, cela va plutôt le faire souffrir. C'est
pourquoi il dit lui-même qu'il fuyait tous les lieux dans lesquels il avait
vécu3 avec son ami. Et cependant, Chry-sostome4 dit que cela va le consoler.
Mais les deux sont
vrais. En effet, dans toutes les réalités où joie et tristesse sont mêlées,
l'espérance de la réalité désirée est cause de joie - Joyeux dans
l'espérance, patients dans la tribulation5. Cependant elle est aussi cause de tristesse, car l'espérance déçue
afflige l'âme6, mais ce n'est pas selon la même raison. En effet, en tant que par
l'espérance la réalité aimée se présente comme pouvant être obtenue, cette
réalité cause la joie ; mais la réalité espérée en tant qu'elle est
absente en acte, attriste. Tel est le cas ici : la réalité qui appartient
à l'ami, en tant qu'elle rend présent l'ami, est cause de joie pour celui qui
aime, mais en tant qu'elle rappelle à la mémoire que l'ami a été enlevé, elle
cause la tristesse7.
2504. Ici
l'Évangéliste montre comment cette femme est parvenue à voir le Christ ;
il rapporte d'abord la vision du Christ, puis montre que cette femme l'a
reconnu [n° 2513] ; enfin, il expose l'instruction de cette femme
par le Christ [n° 2515].
Il mentionne
premièrement la vision que la femme a du Christ, puis il rapporte les paroles
du Christ [n° 2507].
1. Dans ce
paragraphe, saint Thomas reprend saint
Augustin (Tract, in Io., CXXI, 1, Β A 75, p. 353) suivi par saint Grégoire le Grand (loc. cit.).
2. Les
Confessions, IV, vu, 12,
BA 14, p. 429.
3.
« Vécu » traduit ici le latin conversatus. Sur le sens du mot conversatio,
voir vo1. I, n° 1176, note 3.
4. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 467.
5. Rm 12, 12.
6. Pr 13, 12.
7. La passion de
joie porte sur le bien sensible et la présence de l'ami ; la passion de
tristesse sur le mal, à savoir l'absence de l'ami. Sur les passions de l'homme
en général, voir Somme théo1., I-II, q. 22 sq. Sur les passions comme
conditionnement assumé en vue de sa béatitude, voir ci-dessus, n° 1651 et note
2.
Ι
LORSQU'ELLE EUT DIT
CELA, ELLE SE RETOURNA EN ARRIÈRE ET VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE SAVAIT
PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (20, 14)
2505. Il dit donc
d'abord LORSQU'ELLE, Marie-Madeleine, EUT DIT CELA, aux anges, ELLE SE RETOURNA
EN ARRIÈRE. Mais Chrysostome8 demande :
cette femme qui parlait avec les anges, qu'elle considérait au moins comme des
hommes respectables, pourquoi se retourne-t-elle sans attendre la réponse à ce
qu'elle leur avait dit ?
8. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, co1. 468.
Saint Thomas reprend aussi sa
réponse.
Réponse : il
faut dire qu'après que la femme eût répondu aux anges, le Christ vint, et que
les anges lui manifestèrent leur révérence en se levant ; voyant cela, la
femme, étonnée, regarda en arrière pour savoir devant quoi ils s'étaient levés.
De là vient que Luc rapporte que les anges ont été vus debout1. Ainsi, s'étant retournée en arrière pour
regarder, ELLE (...) VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT
JÉSUS. En effet, elle voyait sous une apparence non glorieuse celui que les
anges, le voyant glorieux, honoraient.
Il nous est aussi
montré par là que si quelqu'un désire voir le Christ, il doit se tourner vers lui - Tournez-vous vers moi,
dit le Seigneur des armées, et je me tournerai vers vous2. Ceux-là parviennent à le voir qui se convertissent totalement à lui par
l'amour - Elle [la Sagesse]
se porte au-devant de ceux qui
la désirent3. Au sens mystique4, cela signifie que cette femme avait tourné
le dos au Christ par l'infidélité ; mais quand son âme s'est convertie
pour le connaître, elle s'est retournée5 en arrière.
2506. Mais pourquoi
ne l'a-t-elle pas reconnu, puisqu'il était le même ? Disons qu'il en fut
ainsi soit parce que celui qu'elle avait vu mort, elle ne le croyait pas
ressuscité, soit parce que ses yeux étaient empêchés de le reconnaître, comme
il est dit des deux disciples allant à Emmaus6.
II
2507. L'Évangéliste
expose d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de la femme [n°
2509].
JÉSUS LUI DIT : « FEMME, POURQUOI
PLEURES-TU ? QUE CHERCHES-TU ? » (20, 15)
2508. Au sujet du
premier point, il faut savoir que cette femme progresse peu à peu7 ;
car les anges s'enquièrent de la cause de ses pleurs, mais le Christ interroge
pour savoir ce qu'elle cherche. En effet, les pleurs étaient causés par le désir
de la recherche. Il interroge donc pour savoir qui elle cherche pour augmenter
son désir, afin qu'en nommant qui elle cherchait, son amour devienne plus
ardent8 et qu'ainsi elle recherche toujours - Recherchez
sans cesse sa face9. - Le
chemin des justes est comme une lumière de l'aube dont l'éclat grandit jusqu'au
plein jour10.
2509. L'Évangéliste
rapporte ensuite la réponse de la femme, et d'abord l'opinion qu'elle avait de
celui qui interrogeait. Puis il rapporte les paroles de sa réponse [n° 2513].
ELLE, PENSANT QUE C'ETAIT LE JARDINIER, LUI DIT :
« SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OÙ TU L'AS MIS, ET MOI
J'IRAI LE PRENDRE. » (20,
15)
1. Cf. Lc 24, 4.
2. Za 1, 3.
3. Sg 6, 14.
4. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25,
4, PL 76, co1. 1192 B.
5. Le verbe latin convertere, dans le texte de la Vulgate,
signifie à la fois se tourner et se convertir.
6. Voir Lc 24, 16.
7. Sur la croissance de la charité, voir Somme théol, II-II,
q. 24, a. 4, c. : « Nous sommes appelés voyageurs (viatores) parce
que nous tendons vers Dieu, qui est la fin ultime de notre béatitude. Sur ce
chemin, nous progressons d'autant plus que nous nous rapprochons davantage de
Dieu, qu'on n'approche pas par des pas du corps mais par des affections de l'âme.
Or c'est la charité qui fait ce rapprochement, puisque par elle l'esprit est
uni à Dieu. Et c'est pourquoi c'est le propre (ratio) de la charité
ici-bas de pouvoir être augmentée, car autrement, si elle ne pouvait augmenter,
le progrès ici-bas n'existerait pas. Aussi l'Apôtre appelle-t-il la charité une
voie quand il
dit : Je vous montre une voie plus excellente encore (1 Co 12, 31) ».
8. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
25, 4, PL 76, co1. 1192 C.
9. Ps 104, 4.
10. Pr4, 18.
2510. Elle pensait
que C'ÉTAIT LE JARDINIER, car elle savait que les gardes, terrifiés à cause des
anges, avaient déjà fui et que personne n'occupait les lieux, sauf celui qui
les cultivait. Comme le dit Grégoire1, cette femme tout en se trompant ne se trompa pas en croyant que le
Christ était le jardinier ; car il plantait dans son cœur les semences des
vertus par la force de son amour - J'ai dit : j'arroserai les
plantations de mon jardin, et j'enivrerai le fruit de ma prairie2.
2511. Elle lui
répondit : SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI : elle
l'appelle SEIGNEUR pour capter sa bienveillance. Mais comme celui-ci venait
d'arriver et qu'elle ne lui avait pas dit qui elle cherchait, pourquoi
dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ ? Qui, lui ?
Il faut dire que la
force de l'amour réalise ceci dans l'âme, qu'elle croit que nul autre n'ignore
celui auquel elle pense toujours3. De là vient que lorsque le Seigneur demanda en Luc : Quelles sont ces
paroles que vous échangiez entre vous ? on lui répondit : Tu
es le seul pèlerin à Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces
jours-ci !4
2512. Mais pourquoi
dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OÙ TU L'AS MIS, ET MOI
J'IRAI LE PRENDRE ? Admirable audace de cette femme, que l'aspect d'un
mort ne terrifie pas et qui dans sa vaillance désire plus qu'elle ne le
peut : emporter le lourd cadavre d'un mort ! Mais c'est bien ce que
dit la première épître aux Corinthiens : La charité espère tout5. Elle voulait donc le prendre, de peur que les Juifs ne s'acharnent sur
le corps inanimé, et désirait le transporter dans un autre lieu inconnu6.
JÉSUS LUI DIT : « MARIE. » ELLE, SE
RETOURNANT, LUI DIT : « RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE
MAÎTRE). (20, 16)
2513. L'Évangéliste
traite ensuite de la reconnaissance du Christ par la femme, et d'abord de son
appel quand Jésus dit « MARIE » à celle qu'il avait appelée plus haut
du nom commun de « femme ». Ici, il l'appelle par son nom propre,
MARIE, pour montrer la connaissance spéciale qu'il a des saints 7 - Lui qui compte la multitude des étoiles
et à toutes leur donne un nom8. —Je te connais par ton nom9 ; et pour montrer que, bien que toutes les
réalités soient mues par Dieu d'une certaine motion générale, cependant une
grâce spéciale 10 est nécessaire pour la justification de
l'homme.
1. Loc. cit., co1. 1192 C.
2. Si 24, 42 [BJ 24, 31].
3. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. xxv, 4, PL 76,
co1. 1192 C.
4. Le 24, 17-18.
5. 1 Co 13, 7.
6. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 294 C.
7. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, co1.
1192 D.
8. Ps 146, 4.
On voit ensuite
l'effet de l'appel : ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT :
« RABBOUNI ! » (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE).
2514. Mais est-ce
qu'elle ne regardait pas vers le Christ qui l'avait appelée ? Je
réponds : selon Augustin1, il faut dire que ceci se réfère à la
disposition intérieure de son esprit : en effet, d'abord lorsqu'elle se
retourna physiquement (corpore) elle pensa que le Christ était ce qu'il
n'était pas, à savoir le jardinier ; mais à présent, elle est convertie de
cœur car elle a reconnu ce qu'il était.
9. Ex 33, 12.
10. Sur la grâce
spéciale nécessaire pour la justification de l'homme, voir ci-dessus n° 1900 et
notes 1 et 2, et ch. XV. Dans la Somme théologique saint Thomas, en
rappelant le verset : Ils sont justifiés gratuitement par sa grâce (Rm
3, 24), explique : « Cet effet de l'amour divin en nous, qui est
enlevé par le péché, c'est la grâce qui rend l'homme digne de la vie éternelle
et qui exclut le péché morte1. Et c'est pourquoi la rémission du péché [qui est
la justification de l'homme, cf. a. 1] ne saurait se comprendre sans l'infusion
de la grâce » (I-II, q. 113, a. 2, c). Voir aussi q. 113, a. 8, c. où
saint Thomas précise, en les ordonnant, les quatre aspects requis pour la
justification : « l'infusion de la grâce, le mouvement du libre
arbitre vers Dieu, le mouvement du libre arbitre contre le péché, la rémission
de la faute ».
On peut dire aussi
qu'elle croyait qu'il était quelqu'un d'autre. C'est pourquoi tandis qu'il lui
parlait, préoccupée de ce qu'elle portait dans son cœur, elle ne le regarda
pas, lui, mais regarda tout autour, cherchant à voir un signe de celui qui
avait été enseveli. C'est pourquoi le Christ, l'appelant de nouveau, l'appela
par son nom propre en lui disant « MARIE », comme s'il lui
disait : « Où regardes-tu ? Reconnais celui par qui tu es
reconnue. » Et c'est pourquoi aussitôt, appelée par son nom, elle en
reconnut l'auteur2 en disant « RABBOUNI ! » (CE
QUI VEUT DIRE MAÎTRE), car c'est ainsi qu'elle l'appelait d'habitude.
En cela il nous est
donné de comprendre que l'appel du Christ est la cause de notre justification3 et
de la vraie confession4.
2515. L'Évangéliste
montre ici comment Marie est instruite par le Christ, d'abord par une
interdiction, puis par une affirmation [n° 2519].
Ι
JÉSUS LUI DIT : « NE ME TOUCHE PAS, CAR JE NE SUIS
PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE. » (20, 17)
1. Tract, in Io., CXXI, 2, BA
75, p. 355.
2. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II,
hom.25, 4, PL 76, co1. 1192 D.
3. À la différence de la Somme théologique où il étudie la
grâce en général (I-II, q. 109-114), saint Thomas explicite ici une modalité
particulière de la grâce : le lien entre le mystère du Christ et notre
justification. En effet il appartient au théologien de mettre en lumière les
différentes modalités de la grâce, participation à la nature divine, qui unit
l'homme à Dieu et l'oriente vers la vision béatifique. La grâce de justice
originelle, donnée à Adam et Eve, apportait une harmonie très particulière
entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel : elle ordonnait tout dans
leur vie à la vision béatifique. La grâce donnée d'une façon spéciale au peuple
d'Israël, choisi par Dieu, était une grâce d'espérance, d'attente, qui le liait
au mystère du Sauveur qu'il attendait. Enfin, la grâce est possédée en
plénitude par le Christ de par son union hypostatique. Au plus intime de son
âme il a la grâce sanctifiante en plénitude et la grâce capitale qui fait de
lui le nouvel Adam, la Tête du Corps mystique qui est l'Église (cf. Col 1, 18).
Dans son humanité glorifiée, il est ainsi source de la grâce chrétienne pour
tous ceux qu'il appelle à se tourner vers lui et qui croient en lui. La grâce
chrétienne n'est cependant pas une harmonie entre l'ordre naturel et l'ordre
surnaturel : elle est une nouvelle naissance ; et, dans un
dépassement, elle assume la nature en la respectant. Elle apporte aux croyants
une nouvelle maturité en faisant d'eux des enfants bien-aimés du Père par et
dans le Christ.
4. Il s'agit de la confession de foi. Voir ci-dessus, n° 1601,
note 2.
2516. Il nous
rapporte d'abord son admonition puis en donne la raison. Le Christ admoneste
Marie pour qu'elle ne le touche pas, en lui disant NE ME TOUCHE PAS. Bien qu'on
ne lise pas ici que la femme voulut le toucher, selon Grégoire5 nous
devons comprendre par là que Marie, prosternée aux pieds de Jésus, voulut
embrasser les traces de celui qu'elle reconnaissait.
Et il donne ensuite
la raison : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE, ce qui semble indiquer qu'après sa
Résurrection et avant de monter au ciel, le Seigneur n'a pas voulu être touché
par les hommes ; mais on voit le contraire en Luc : Touchez et
voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os6. Et si tu dis qu'il a voulu être touché par
les disciples et non par les femmes, cela ne peut pas tenir7, car
Matthieu dit de Madeleine et des autres femmes qu'elles s'approchèrent
et lui saisirent les pieds8.
Il faut donc
comprendre, selon le sens littéral, que cette femme vit deux fois les anges sur
son chemin. D'abord avec les autres femmes elle vit un ange assis sur la pierre, comme le disent Matthieu1 et
Marc2. Puis à son retour elle vit deux anges à l'intérieur du tombeau, comme
le dit Jean. De manière semblable3, en chemin elle vit deux fois le
Christ : une première fois dans le jardin, quand elle le prit pour le
jardinier, comme on l'a vu plus haut ; une deuxième fois sur le chemin,
quand elle courait avec les autres annoncer aux disciples ce qu'elle avait vu,
afin qu'ils fussent plus affermis dans la foi en la Résurrection, et alors elles
s'approchèrent et saisirent ses pieds, comme le disent Matthieu et Marc.
5. XL hom. in Evang., II,
hom. 25, 4, PL 76, co1. 1193 A.
6. Le 24, 39.
7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 357.
8. Mt 28, 9.
2517. Au sens
mystique il y a deux raisons pour lesquelles le Christ n'a pas voulu être
touché. La première4, c'est que cette femme représentait l'Église
des Gentils qui ne devait pas toucher le Christ par la foi avant qu'il ne fût
monté vers le Père - L'assemblée des peuples t'environnera, et
à cause d'elle remonte dans les hauteurs5.
La deuxième raison
est que, selon Augustin6, le toucher est comme le terme de la
connaissance. En effet, quand nous voyons une réalité, nous la connaissons
d'une certaine manière ; mais par le toucher nous en avons une
connaissance achevée. Or cette femme avait foi dans le Christ comme en un homme
saint, et c'est pourquoi elle l'appelait « maître » ; elle
n'était pas encore parvenue à le connaître comme égal au Père et un avec Dieu.
C'est pourquoi il dit : « NE ME TOUCHE PAS, c'est-à-dire ne fais pas
de ce que tu crois de moi la fin de ta connaissance, CAR dans ton cœur JE NE
SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE parce que tu ne crois pas que moi je suis
un avec lui », ce que cependant elle crut plus tard. En effet, au plus
intime de ses sens le Christ, d'une certaine manière, monta vers le Père, lui
qui avait tant grandi en elle qu'elle le connaissait7 égal au Père8.
1. Cf. Mt 28, 2.
2. Cf. Me 16, 5.
3. Cf. saint Augustin, De consensu
Evangelistarum, III, XXIV, 68, PL 34, co1. 1202.
4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXI,
3, BA 75, p. 357.
5. Ps 7, 8. Saint
Thomas commente : « Lève-toi d'entre les morts, et ainsi l'assemblée des peuples
t'environnera, c'est-à-dire l'assemblée
des bienheureux qui seront récompensés, et celle des méchants qui seront punis - Ton nom est une
huile répandue : c'est pour cela que les jeunes filles t'ont chéri (Ct 1,2).- La montagne préparée
pour la demeure du Seigneur sera établie sur le sommet des montagnes, et elle
sera élevée au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront (Is
2, 2). - Lève les yeux à
l'entour ; tous ceux-ci se sont rassemblés, ils sont venus à toi (Is
49, 18 et 60, 4). Et à cause
d'elle remonte dans les hauteurs, c'est-à-dire afin d'achever l'éducation
de cette assemblée, l'assemblée des croyants
- Montant dans les hauteurs, il a emmené une captivité captive ;
il a donné des dons aux hommes (Ep
4, 8 ; cf. Ps 67, 19). - Celui qui ouvrira le chemin montera devant eux
(Mi 2, 13) » (Exp. in Psalmos, 7, n°3).
6. La Trinité, I,
IX, 18, BA 15, p. 139.
2518. On peut dire
aussi, selon Chry-sostome9, que cette femme, voyant le Christ
ressuscité, crut qu'il existait dans la même qualité de chair en laquelle il
avait été auparavant, possédant une vie mortelle ; c'est pourquoi elle
voulait être avec lui comme avant la Passion et, en raison de sa joie,
n'imaginait rien de plus grand, bien que la chair du Christ, en ressuscitant,
fût devenue bien meilleure. Aussi, voulant la faire revenir de cette
compréhension, il lui dit : NE ME TOUCHE PAS ; comme pour dire :
ne pense pas que j'aie dorénavant une vie mortelle et que je vive avec vous de
la même manière qu'auparavant - Si nous avons connu le Christ selon la
chair, ce n'est plus ainsi que nous le connaissons maintenant10. C'est ce qu'il ajoute : CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE. Et ce n'est pas alors un
avertissement mais la réponse à une question tacite, comme s'il disait :
« Tu me vois demeurant ici, non que je n'aie pas une chair glorieuse mais
parce que JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PÈRE ». En effet, avant son
Ascension, il voulut affermir dans le cœur des Apôtres la foi en sa
Résurrection et en sa divinité.
7. Il s'agit ici
de la connaissance que réalise le don de sagesse dans l'intelligence du
disciple du Christ dont la charité est élevée à la perfection. En effet, cette
perfection de la charité est bien celle qui se réalise sous la motion du don de
sagesse, don qui permet à l'intelligence de se mettre complètement au service
de l'amour, parce que c'est l'amour qui porte en premier lieu l'intelligence.
La sagesse, celle de l'Esprit Saint, est bien cette connaissance dans l'amour
qui apporte un jugement non par science, mais par connaturalité (cf. Somme
théo1., II-II, q. 45, a. 2, c.) ; c'est en quelque sorte une
« compassion » aux réalités divines (cf. Denys, qui emploie l'expression « patiens
divina », dans les Noms divins, ch. 2) qui nous unit à Dieu.
C'est dans la fréquentation de l'ami que naît cette connaissance, tout intime,
provenant de l'amour et toute au service de cet amour. Marie-Madeleine,
grandissant dans la foi, l'espérance et la charité, verra avec les yeux du
cœur, de cette connaissance aimante. Sur ce jugement de connaturalité provenant
du don de sagesse, voir aussi Somme théo1., I, q. 1, a. 6, ad 3.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359 ; saint Grégoire le Grand, XL hom. in
Evang., II, hom. 25, 5, PL 76, co1. 1193 A-B.
9. In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, co1. 469.
10. 2 Co 5, 16.
Sur l'affection sensible et l'affection spirituelle, voir vo1. I, n° 1074, note
6, et ci-dessus n° 2088.
II
« MAIS VA VERS MES FRÈRES ET DIS-LEUR : JE MONTE
VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE, VERS MON DIEU ET VOTRE DIEU. »
MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES : « J'AI VU LE SEIGNEUR
ET VOILÀ CE QU'IL M'A DIT. » (20, 17-18)
2519. L'Évangéliste
rapporte ici une recommandation affirmative. Et d'abord il montre la
recommandation, puis la promptitude de Marie à obéir. Il dit donc : MAIS
VA VERS MES FRÈRES, à savoir les Apôtres, qui sont ses frères par conformité de
nature - Il dut en tout être assimilé à ses frères1 -, et par l'adoption de la grâce car ils sont fils adoptifs2 du
Père dont lui-même est le Fils par nature - J'annoncerai ton nom à mes frères3.
Il faut ici noter le
triple privilège qui fut octroyé à Madeleine. D'abord un privilège prophétique,
car elle a mérité de voir les anges ; le prophète, en effet, est
l'intermédiaire entre les anges et le peuple. Ensuite, elle est au-dessus des
anges, du fait qu'elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher4.
Enfin elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue apôtre
des Apôtres en ceci qu'il lui fut confié d'annoncer aux disciples la
Résurrection du Seigneur pour que, de même qu'une femme apporta au premier
homme des paroles de mort, ainsi aussi une femme annonce la première à des
hommes les paroles de vie5.
1. He 2, 17. Saint Thomas commente : « En tout ce
en quoi ils sont ses frères, non dans la faute mais dans la peine, et c'est
pourquoi il doit avoir une nature capable de pâtir (passibilem) - Lui qui a été éprouvé en tout d'une manière
semblable à nous, hormis le péché (He 4, 15) -, quant à la peine et non
quant à la tentation de la faute. De même ils sont frères quant à la grâce - Voyez
quelle charité nous a
donnée le Père, pour que nous soyons appelés fils de Dieu et que nous le soyons
(1 Jn 3, 1). - Ceux que
Dieu a connus d'avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image
de son Fils (Rm 8, 29) » (Ad Heb. lect., II, n° 150).
2. Voir vo1. I, n° 1461, et notes 6 et 7.
3. Ps 21, 23.
2520. ET
DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PÈRE ET VOTRE PÈRE -Je m'en vais
vers celui qui m'a envoyé6. - Celui qui est
descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les deux7.
Mais Arius a pris
appui sur ce verset pour son erreur : parce que Jésus dit MON PÈRE ET
VOTRE PÈRE, il a voulu conclure que Dieu est Père du Fils de la même manière
qu'il est notre Père, et Dieu du Fils comme il est notre Dieu. Mais à cela on
doit répondre que, manifestement, l'intention avec laquelle le Christ dit cela
se comprend à partir des circonstances du discours. En effet il a dit plus haut
VA VERS MES FRÈRES : ceux-là, le Christ les a pour frères en tant qu'il
est homme - donc il dit ces paroles en tant qu'il est homme -, et selon cela le
Christ est soumis au Père comme la créature au créateur ; en effet, le
corps même du Christ est une certaine créature8.
2521. Ou autrement,
selon Augustin9 : le Christ parle ici de lui selon
l'une et l'autre nature. En effet, ce qu'il dit - JE MONTE VERS MON PÈRE ET
VOTRE PÈRE - relève de la nature divine selon laquelle il a pour Père Dieu,
avec qui il a même nature et auquel il est éga1. Et ainsi, il faut comprendre
autrement MON et VOTRE : il est le mien par nature et le vôtre par la
grâce ; comme pour dire : ce que vous êtes, des fils adoptifs par la
grâce, c'est par moi que vous l'avez - Dieu a envoyé son Fils
(...) pour que nous recevions l'adoption des fils de Dieu 1.
- Ceux qu 'il a connus par avance pour être conformes à l'image de son Fils,
pour que celui-ci soit l'aîné d'une multitude de frères2. Et ce qu'il dit ensuite - MON DIEU ET VOTRE DIEU - se rapporte à la
nature humaine selon laquelle il est gouverné par Dieu. Il dit ainsi MON DIEU,
à qui moi en tant qu'homme je suis soumis, et VOTRE DIEU dont je suis à votre
égard le médiateur, parce que par lui nous sommes en paix avec Dieu, et ainsi
il est « notre » Dieu - Justifiés par la foi, nous avons la
paix par notre Seigneur Jésus Christ par qui nous avons accès à la grâce dans
laquelle nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la
gloire des fib de Dieu3. - C'est Dieu qui se réconciliait
le monde dans le Christ4.
4. Cf. 1 Ρ 1, 12.
5. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, nom.
25, 5, PL 76, co1. 1194 A-B.
6. Jn 16, 5.
7. Ep 4, 10. Saint Thomas commente : « En cela est
désignée l'unité de sa personne de Dieu et d'homme. En effet, il est descendu
(...), le Fils de Dieu, en assumant une nature humaine, mais il est monté, le
Fils de l'homme, selon sa nature humaine, vers la sublimité de la vie
immortelle. Et ainsi c'est le même, le Fils de Dieu qui est descendu et le Fils
de l'homme qui est monté - Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est
descendu du ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel (]n 3, 13) » (Ad
Eph. lect., IV, n° 209).
8. Sur les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la
personne du Verbe, voir ci-dessus n° 1711 et note 3.
9. Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359.
2522. On voit
ensuite la promptitude de l'obéissance de Marie lorsque l'Évangéliste dit :
MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES : « J'AI VU LE SEIGNEUR
ET VOILÀ CE QU'IL M'A DIT. » Elle VINT, du lieu où était l'espace du jardin devant la pierre du tombeau, ANNONCER AUX
DISCIPLES - J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis5. - Ce
que j'ai entendu du Seigneur Dieu des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai
annoncé6.
1. Ga4, 4-5.
2. Rm 8, 29. Sur la filiation naturelle et par adoption, voir vo1.
I, n° 187, et ci-dessus n° 1648, note 2.
3. Rm 5, 1-2.
4. 2 Co 5, 19.
5. 1 Co 11, 23.
6. Is 21, 10.
2523. Après avoir
traité des apparitions du Christ aux femmes, l'Évangéliste, dans cette partie,
traite des apparitions faites aux Apôtres ; d'abord de l'apparition à
Jérusalem à tous les Apôtres ensemble excepté Thomas, puis de celle qui eut
lieu en présence de Thomas [n° 2551], et enfin, au chapitre 21, de celle qui
eut lieu pour quelques-uns de manière spéciale près de la merde Galilée [n°
2569].
L'Évangéliste montre
d'abord l'apparition du Seigneur, puis le doute d'un disciple [n° 2545].
Concernant le
premier point l'Évangéliste rapporte trois choses : premièrement
l'apparition du Seigneur, deuxièmement la remise du ministère [n° 2535],
troisièmement la communication du don spirituel [n° 2538].
L'apparition du
Seigneur.
Jean expose d'abord
les circonstances de l'apparition, puis le contenu de l'apparition [n° 2530] et
enfin ses conséquences [n° 2534].
Ι
CE JOUR-LÀ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, LORSQUE LE SOIR FUT
VENU, ET QUE LES PORTES DU LIEU OÙ LES DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS
ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES JUIFS (20, 19)
L'apparition du
Seigneur aux disciples est décrite à partir de quatre circonstances. D'abord à
partir de la précision de l'heure ; ensuite à partir de la désignation du
jour [n° 2525] ; puis à partir de la condition du lieu [n° 2526] ;
enfin à partir de la disposition des disciples [n° 2529].
LORSQUE LE SOIR FUT VENU
2524. Cette
apparition eut donc lieu à l'heure du soir. Selon le sens littéral, il y a à
cela deux raisons. La première1,
c'est que Jésus voulut apparaître à
tous ensemble, et c'est pourquoi il a attendu jusqu'au soir afin que ceux qui
étaient dispersés durant le jour fussent réunis le soir, car la nuit ils
étaient ensemble.
La deuxième raison2 est
que le Seigneur leur apparut pour les réconforter. Il a donc choisi l'heure où, étant davantage
engourdis, ils avaient plus besoin de réconfort : l'heure du soir - Secours
dans les tribulations qui nous ont assaillis à l'excès1.
1. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 295 D.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, co1. 470.
II y a également une
raison mystique : à la fin du monde, le Seigneur apparaîtra aux fidèles
quand se fera entendre au milieu de la nuit ce cri : « Voici
l'époux qui vient2 », qui vient leur donner en retour leur récompense - Le soir venu, le
maître de la vigne dit à son intendant : appelle les ouvriers et
donne-leur leur salaire3.
CE JOUR-LÀ, LE
PREMIER DE LA SEMAINE
2525. Le jour de
l'apparition fut le jour même de la Résurrection : CE JOUR-LÀ, LE PREMIER
DE LA SEMAINE, à savoir le dimanche, dont il a été fait mention plus haut dans
ce chapitre : Or, le premier jour de la semaine4. Nous avons déjà vu pourquoi il est appelé LE
PREMIER DE LA SEMAINE [n° 2471].
En rassemblant les
données des évangiles, on peut voir que le Seigneur est apparu cinq fois ce
jour-là : deux fois aux femmes, à savoir une fois à Madeleine seule, et
une autre fois avec les autres femmes qui s'en retournaient, et alors elles
s'approchèrent et lui saisirent les pieds5. Il est apparu une troisième fois aux deux disciples qui se rendaient à
Emmaüs ce même jour6. Il est apparu une quatrième fois à
Simon-Pierre, mais où, quand et comment, cela n'est pas exprimé ; on dit
seulement qu'il lui est apparu - Le Seigneur est vraiment ressuscité et il
est apparu à Simon7. En cinquième lieu il est apparu à tous les Apôtres réunis le soir,
comme on le voit ici. Voilà pourquoi nous chantons : Voici le jour que
fit le Seigneur : exultons et réjouissons-nous en lui8.
Par là il nous est
donné à entendre qu'au jour de la résurrection « commune », il
apparaîtra de manière manifeste à tous : femmes, pécheurs, pèlerins,
apôtres et hommes apostoliques, car tout œil le verra, même ceux qui l'ont
transpercé 9.
LES PORTES DU LIEU
(...) ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES JUIFS.
2526. La condition
du lieu est décrite par la fermeture des portes, qui indique leurs doutes et
leurs craintes, car LES PORTES ÉTAIENT CLOSES, au sens littéral en raison de
l'heure tardive parce que c'était la nuit, ET PAR PEUR DES JUIFS. Mais en ce
qui concerne le Christ, quelle était la cause de la fermeture ? C'était
pour qu'il leur manifestât la force de sa puissance en entrant chez eux les
portes étant closes.
2527. Il faut savoir
à ce sujet que, selon certains 10, entrer les portes étant closes est une
propriété du corps glorieux11 : ils disent que par une certaine
condition qui lui est inhérente, il peut, en tant qu'il est glorieux, se
trouver en même temps qu'un autre corps dans le même lieu, et que cela s'est
fait et peut se faire sans miracle.
Mais cela ne peut
pas être. En effet, il appartient par nature au corps humain non glorifié de ne
pas pouvoir être dans le même lieu en même temps qu'un autre corps. Mais si on
dit que le corps glorifié possède en lui comme propriété inhérente de pouvoir être dans le même lieu en même
temps qu'un autre corps, il faut donc que soit exclue de lui cette propriété
qui l'empêche actuellement d'exister en même temps qu'un autre corps. Mais
cette propriété ne peut en aucune manière être séparée ou détruite du corps,
puisqu'elle n'est pas une corporéité mathématique, comme disent certains, mais
les dimensions mêmes du corps quantifié auxquelles la position1 (situs) appartient en propre. C'est pourquoi le Philosophe2
argumente contre ceux qui affirment l'existence d'idées et d'êtres
mathématiques. Même en supposant que tout l'espace sur la terre fût vide, un
corps sensible ne pourrait pas se trouver simultanément avec eux, à cause de
ses dimensions quantitatives. Aucune propriété du corps glorieux ne peut retirer
au corps ses dimensions [de quantité], la nature du corps demeurant. Il faut
donc dire que le Christ a fait cela de manière miraculeuse par la puissance de
sa divinité, et si quelque chose de semblable devait arriver à des saints, cela
arriverait par miracle, et ce serait un nouveau miracle. Cela, Augustin et
Grégoire le disent expressément. Augustin3 dit en effet : « Tu demandes
comment il a pu entrer par les portes fermées ? Si tu comprends la
manière, ce n'est plus un miracle. Là où la raison défaille, là la foi
édifie » ; et il ajoute : « Celui-là a pu entrer
sans que les portes soient ouvertes, lui à la naissance de qui la virginité de
sa mère est restée inviolée. » Donc, comme sa naissance d'une mère vierge
fut miraculeuse en vertu de sa divinité, ainsi cette entrée fut miraculeuse.
1. Ps 45, 2.
2. Mt 25, 6.
3. Mt 20, 8.
4. Jn 20, 1.
5. Mt 28, 9.
6. Voir Lc 24, 13 sq.
7. Lc 24, 34.
8. Ps 117, 24.
9. Ap 1, 7.
10. Pour plus de détails concernant ces quidam (« certains »),
on peut se reporter aux notes de l'édition léonine du Quolibet 1, in :
Quaestiones de Quolibet (in : Sancti Thomae de Aquino Opera
Omnia, t. XXV). Ou bien voir Quaestiones de Quolibet, vo1. 2, Éditions
du Cerf, Paris 1996, p. 205.
11. Sur les propriétés des corps glorieux, voir Contra Gentiles,
IV, ch. 86, où saint Thomas évoque leurs quatre qualités : ils seront
lumineux, doués d'agilité, impassibles et totalement soumis à l'esprit. Sur
« les qualités du Christ ressuscité », voir aussi Somme théol, III,
q. 54.
1. Aristote précise les dix déterminations de la réalité
existante, considérée en tant qu'elle existe : « La substance, la
quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la
possession, l'action, la passion. Est substance, par exemple, homme,
cheval ; quantité :
long-de-deux-coudées, long-de-trois-coudées ; qualité : blanc,
grammairien ; relation : double, moitié, plus grand ;
lieu : dans le Lycée, au Forum ; temps : hier, l'an
dernier ; position : il est couché, il est assis ;
possession : il est chaussé, il est armé ; action : il
coupe, il brûle ; passion : il est coupé, il est brûlé »
(Catégories, 4, 1 b 25 - 2 a 3). La position est une dimension des corps
quantifiés, dont font partie les corps glorieux.
2. Voir notamment Métaphysique, A, ch. 6. « Platon fut
amené à penser que [F] universel devait exister dans des réalités d'un autre
ordre que les choses sensibles : il est en effet impossible, croyait-il,
que la définition commune existe dans aucun des objets sensibles individuels,
de ceux du moins qui sont en perpétuel changement. Guidé par ces raisons, il
donna alors à de telles réalités le nom d'Idées, disant, d'autre part, que les
choses sensibles sont séparées des Idées et sont toutes dénommées d'après
elles » (Joe. cit., 987 b 4-9).
3. Sermones de Tempore, 247,
II, PL 38, co1. 1157. Cf. saint Grégoire
le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 1, PL 76, co1. 1197
C-D.
2528. Au sens
mystique, il nous est par là donné à entendre que le Christ nous apparaît quand
les portes, c'est-à-dire les sens extérieurs, sont fermés dans la prière - Toi
donc, quand tu pries, entre dans ta chambre4 - et à la fin du monde, quand les vierges
qui seront prêtes entreront pour les noces et que la porte sera ensuite fermée,
comme on le voit en Matthieu5.
LES DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS.
2529. La disposition
des disciples nous est donnée pour que nous l'imitions, car ils SE TROUVAIENT
RASSEMBLÉS, ce qui n'est certes pas vide de mystère. En effet, le Christ vient
vers ceux qui sont rassemblés et le Saint-Esprit descend sur ceux qui sont
rassemblés, car le Christ et le Saint-Esprit ne sont présents qu'à ceux qui
sont rassemblés dans la charité - Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là
au milieu d'eux6.
4. Mt 6, 6. Saint Thomas commente : « Entre dans ta
chambre, c'est-à-dire le lieu retiré de ta pensée, et le secret, comme dit
Augustin, et comme dit Raban Maur : par l'acte de la méditation secrète.
Et Chrysostome dit : "Dieu ne doit pas être frappé par des cris de
voix, mais fléchi par une conscience droite, parce qu'il écoute non la voix
mais le cœur". Ou bien entre dans ta chambre au sens littéra1. Et
il dit chambre d'une façon significative, parce que l'âme doit se calmer
des choses extérieures quand elle prie, et alors c'est le temps le plus
convenable et le lieu le plus secret » (Sup. Matth. lect., VI, n°
574).
5. Cf. Mt 25, 10.
6. Mt 18, 20.
II
JÉSUS VINT ET SE TINT AU MILIEU D'EUX, ET LEUR DIT :
« PAIX À VOUS. » ET, LORSQU'IL EUT DIT CELA, IL LEUR MONTRA SES MAINS
ET SON CÔTÉ. (20, 19-20)
2530. L'apparition
du Christ est ici rapportée en trois points : la présence du Christ donnée
aux disciples, la salutation qu'il leur fit [n° 2532], et la manifestation
certaine qu'il leur accorda [n° 2533].
JÉSUS VINT ET SE
TINT AU MILIEU D'EUX.
2531. Le Christ leur
manifesta sa présence sans laisser le moindre doute. Il vint en personne,
lui-même, le même, comme il le leur avait promis plus haut : Je m'en
vais et je reviens vers vous1. Mais IL SE TINT AU MILIEU pour que tous le
reconnaissent avec certitude. C'est pourquoi on peut blâmer les Juifs qui ne
l'ont pas reconnu -Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne
connaissez pas2. IL SE TINT AU MILIEU D'EUX pour montrer la conformité de nature humaine
qu'il a avec eux - Une couronne de frères est autour de lui, comme une
plantation de cèdres sur la montagne du Liban3. De même, IL SE TINT AU MILIEU par
condescendance, car il a vécu avec eux comme l'un d'entre eux - Ils t'ont
établi chef ? Ne t'exalte pas, sois parmi eux comme l'un d'entre eux4. - Je suis au milieu de vous comme celui qui
sert5. En outre, ce fut pour
indiquer que nous devons être dans le milieu de la vertu6- Voici
la voie : marchez-y sans vous en écarter à droite ou à gauche7. Celui qui tombe dans l'excès s'écarte à droite ; celui qui pèche
par défaut s'écarte à gauche.
1. Jn 14, 28.
2. Jn 1, 26.
3. Si 50, 13.
4. Si 32, 1.
5. Le 22, 27.
6. Pour saint Thomas, comme déjà pour Aristote, toute vertu morale
est un juste milieu entre un vice par excès et un vice par défaut (par exemple, à la vertu de
courage s'opposent par excès la témérité et par défaut la lâcheté). Voir
ci-dessus, n° 2417, note 5. Saint Thomas
reprend cela dans son traité sur la vertu, Somme théo1., MI, q. 64.
[IL] LEUR DIT : « PAIX À VOUS. »
2532. Il leur
adressa des paroles de salutation en disant : « PAIX À VOUS ».
Or celle-ci leur fut nécessaire, car leur paix était troublée de multiples
manières. D'abord à l'égard de Dieu, contre lequel ils avaient péché, certains
en niant, d'autres en fuyant - Vous tous vous allez tomber cette nuit à
cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du
troupeau seront dispersées8. Face à cela, le Christ leur offrit la paix
de la réconciliation avec Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la
mort de son Fils9 -, ce qu'il fit par sa Passion.
Ensuite, leur paix
était troublée quant à eux-mêmes, car ils étaient tristes et remplis de doutes
dans leur foi. Et cette paix-là aussi, il la leur offrit [déjà] réalisée - Grande
paix pour ceux qui aiment ta loi10.
Enfin à l'égard de
l'extérieur, car ils souffraient des persécutions de la part des Juifs ;
face à cela il leur dit : « PAIX À VOUS », à savoir face aux
persécutions des Juifs - Je vous donne la paix, je vous laisse ma paix11.
LORSQU'IL EUT DIT CELA,, IL LEUR MONTRA SES MAINS ET SON COTÉ.
(20, 20)
2533. Il se
manifesta à eux de manière certaine par ses mains et son côté, car c'est en eux
qu'ont demeuré de manière spéciale les signes de sa Passion - Voyez mes
mains et mes pieds, c'est bien moi1. Et c'est ainsi qu'il se montrera dans la gloire : Si quelqu'un
m'aime, il gardera ma parole 2, et encore : Je me manifesterai à
lui3.
7. Is 30, 21.
8. Mt 26, 31. Saint Thomas commente : « Le péché des
disciples est aggravé par la proximité du temps, ayant été commis après tant de
monitions et après la réception du sacrement. De là ils avaient déjà oublié ce
qu'il avait fait pour eux, aussi sont-ils bien comparés à l'homme qui considère
son visage dans un miroir - II s'est considéré en effet, et est parti, et aussitôt a
oublié comment il était (Je
1, 24) » (Sup. Matth. lect., XXVI, nos 2208 et 2209).
9. Rm 5, 10.
10. Ps 118, 165.
11. Jn 14, 27.
III
LES DISCIPLES SE RÉJOUIRENT DONC À LA VUE DU SEIGNEUR. (20,
20)
2534. On rapporte
ici l'effet de l'apparition qui est la joie dans les cœurs des disciples à la
vue du Seigneur, joie qu'il leur avait promise plus haut : Mais à
nouveau je vous verrai, et votre cœur se réjouira 4.
Mais, pour les bons, cette joie sera plénière dans la Patrie par la claire
vision de Dieu - Vous verrez et votre cœur se réjouira, et vos os comme
l'herbe verdiront5.
ET IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS. COMME
MON PÈRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE. » (20, 21)
2535. Il confie aux
Apôtres un ministère. D'abord il leur annonce une alliance de paix, puis il
leur remet le ministère [n° 2537].
ET IL LEUR DIT DE NOUVEAU : « PAIX À VOUS. »
2536. Il leur dit
cela pour chasser deux troubles. En effet, contre la perturbation présente
venant des Juifs, il leur a dit d'abord : « PAIX À VOUS » ;
mais contre la perturbation venant des Gentils, IL LEUR DIT DE NOUVEAU :
« PAIX À VOUS » - Dans le monde vous aurez à souffrir, mais en moi
vous aurez la paix6. Car c'est aux Gentils qu'ils devaient être
envoyés.
1. Lc 24, 39.
2. Jn 14, 23.
3. Jn 14, 21.
4. Jn 16, 22.
5.1s 66, 14. Saint
Thomas commente : « II promet la pleine perception de la consolation
(...) quant à la jouissance (fruitio) des biens : Vous verrez les
biens que Dieu vous a donnés (...). Ou bien : Vous verrez l'essence
divine - La lumière est douce et il est délectable pour nos yeux de voir le
soleil (Qo 11, 7) » (Exp. super Isaiam, 66, 14, p. 254, 1.
103-119).
6. Cf. Jn 16,
33 : Je vous ai dit ces choses pour qu'en moi vous ayez la paix. Dans
le monde vous aurez à souffrir ; mais ayez confiance : moi j'ai
vaincu le monde.
COMME MON PERE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE.
2537. Et c'est
pourquoi nous est aussitôt rapporté le don du ministère, et par là il montre
qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes - Un homme, le Christ Jésus,
est médiateur entre Dieu et les hommes7. C'était pour consoler les disciples qui, reconnaissant l'autorité du
Christ, savaient qu'il les envoyait en vertu d'une autorité divine ; et
pour qu'ils considèrent leur dignité propre, à savoir qu'ils auraient un
ministère proprement apostolique : apôtre, en effet, est la même chose
qu'envoyé.
Il dit donc COMME
MON PÈRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE ; c'est-à-dire, comme le
Père qui m'aime m'a envoyé dans le monde afin d'y souffrir la Passion pour le
salut des fidèles - Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour
juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui1 -, ainsi moi qui vous aime, je vous envoie endurer des tribulations
pour mon nom2 - Voici
que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups3.
7. 1 Tm 2, 5. Sur la médiation du Christ, à propos de cette même
citation de la première épître à Timothée, voir ci-dessus, n° 2201, note 5.
AYANT DIT CELA, IL SOUFFLA SUR EUX ET LEUR DIT :
« RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ; CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS
LEUR SERONT REMIS ; ET CEUX À QUI VOUS LES RETIENDREZ, ILS LEUR
SERONT RETENUS. » (20, 22-23)
2538. Ensuite, il
les rend capables, en leur donnant l'Esprit Saint, d'exercer leur ministère - Lui qui nous a rendus capables
d'être ministres d'une nouvelle Alliance, non de la lettre, mais de l'esprit4.
Au sujet de ce don,
il commence par leur en donner un signe qui est le souffle : IL SOUFFLA
SUR EUX. On voit quelque chose de semblable dans la Genèse : Il insuffla
sur son visage un
souffle de vie5, celui de la vie naturelle,
que le premier homme a corrompu mais que le Christ a réparé en donnant l'Esprit
Saint.
Il ne faut pas
entendre que ce souffle émis par le Christ fut l'Esprit Saint, mais un signe de
lui. C'est pourquoi Augustin dit6 : « Ce souffle corporel ne fut pas
la substance de l'Esprit Saint, mais un signe adéquat montrant que l'Esprit
Saint ne procède pas seulement du Père mais aussi du Fils. »
2539. Il faut en
effet noter que l'Esprit Saint7 a été envoyé deux fois sur le Christ et deux
fois sur les Apôtres ; sur le Christ d'abord, sous l'aspect d'une colombe
lors du baptême8 et sous l'aspect d'une nuée lors de la
Transfiguration9. La raison en est que la grâce du Christ,
qui est donnée par l'Esprit Saint, devait découler jusqu'à nous par la
propagation de la grâce dans les sacrements, et ainsi il descendit au baptême
sous la forme d'une colombe 10 qui est un animal fécond ; et aussi par
la doctrine, et ainsi il descendit dans une nuée lumineuse. C'est aussi
pourquoi il fut révélé alors comme docteur : Écoutez-le11.
Sur les Apôtres, il
est descendu une première fois par le souffle, pour désigner la propagation de
la grâce dans les sacrements dont ils étaient les ministres - Ceux à qui vous remettrez les péchés,
ils leur seront remis 12. - Allez donc et baptisez-les au nom du
Père et du Fils et du Saint-Esprit13. Mais il est descendu une deuxième fois sous la forme de langues de feu
pour signifier la propagation de la grâce par la doctrine. C'est pourquoi il
est dit dans les Actes des Apôtres qu'après avoir été remplis de l'Esprit Saint
ils commencèrent aussitôt à parler14.
2540. L'Évangéliste
rapporte ensuite les paroles exprimant le don : RECEVEZ L'ESPRIT SAINT.
Mais est-ce là qu'ils ont reçu l'Esprit Saint ? Il semble que non :
puisque le Christ n'était pas encore monté au ciel, il ne devait pas donner de
dons aux hommes1. Et, selon Chrysostome 2,
certains disent que ce n'est pas là que le Christ leur a donné l'Esprit Saint,
mais qu'il les a préparés au don futur de la Pentecôte. Ils sont poussés à dire
cela en raison de Daniel qui dit qu'il n'a pu soutenir la vision de l'ange3 ;
et donc les Apôtres, s'ils n'avaient pas été préparés, n'auraient pas pu
soutenir la venue de l'Esprit Saint. Cependant, le même Chrysostome dit :
« L'Esprit Saint n'a pas été donné aux disciples d'une manière commune
pour tout, mais pour un certain effet », c'est-à-dire remettre les péchés,
et comme on le lit en Matthieu4, faire des miracles. Augustin5 et
Grégoire6, eux, disent que l'Esprit Saint a deux
préceptes d'amour, à savoir l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Et donc il
a d'abord été donné « sur la terre » pour signifier le précepte de
l'amour du prochain7, puis « du ciel » pour signifier
le précepte de l'amour de Dieu.
1. Jn 3, 17.
2. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 2, PL 76, co1. 1198 B.
3. Mt 10, 16. Voir vo1. I, n° 1376, note 11.
4. 2 Co 3, 6.
5. Gn 2, 7.
6. La Trinité, IV,
xx, 29, BA 15, p. 415.
7. Sur l'Esprit
Saint, voir ci-dessus : ch. XIV, nos 1907-1921, et
1952-1960 ; ch. XV, nos 2058-2067 ; ch. XVI, nos
2085-2115 ; ch. XVII, n°
2269.
8. Voir Mt 3,
16 ; Me 1, 10 ; Lc 3, 22.
9. Voir Mt 17,
5 ; Me 9, 6 ; Lc 9, 34.
10. Cf. Somme
théol, III, q. 39, a. 6.
11. Mt 17, 5.
12. Jn 20, 23.
13. Mt 28, 19.
14. Voir Ac 2, 4.
2541. On voit
ensuite le fruit du don : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS
LEUR SERONT REMIS, et cet effet - la rémission
des péchés - convient à l'Esprit Saint car lui-même est charité et c'est par
lui que la charité nous est donnée - La chanté de Dieu a été
répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné8. En effet, la rémission des péchés ne se fait que par la charité, parce que
la charité couvre tous les péchés9. -
La charité couvre une multitude de péchés10.
1. Cf. Ep 4, 8 et Ps 67, 19.
2. In Ioannem hom., LXXXVI, 3, PG 59, co1. 471 (la deuxième
citation en est la suite).
3. Voir Dn 10, 8-9.
4. Cf. Mt 10, 8.
5. Il s'agit en fait d'Alcuin (Comm. in S. Ioannis Evang., VII,
41, PL 100, co1. 993 B) qui cite lui-même Grégoire.
6. XL hom. in Evang., II,
hom. 26, 3, PL 76, co1. 1198 D-l 199 A.
7. Dans l'Ancienne Alliance, le précepte de l'amour du prochain
est explicite dans le livre du Lévitique : Tu aimeras ton prochain
comme toi-même (Lv 19, 18). Mais Jésus vient donner un commandement nouveau : Je vous donne un
commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je
vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13,
34). Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon
amour (Jn 15, 9). Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les
uns les autres comme je vous ai aimés. (Jn 15, 12).
8. Rm 5, 5. Voir
vo1. I, n° 1234, note 8, et ci-dessus n° 2069.
2542. Ici on
s'interroge d'abord sur ce qu'il dit : CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES
PÉCHÉS, puisque Dieu seul remet les péchés. Pour cette raison, certains disent
que Dieu seul remet la faute et que le prêtre n'absout que du mal de peine et
déclare le pécheur absous du mal de faute11. Mais cela n'est pas vrai car le sacrement
de pénitence, étant un sacrement de la loi nouvelle, confère la grâce, comme
elle est aussi conférée lors du baptême. Or au baptême le prêtre baptise comme
instrument, et cependant il confère la grâce ; donc, de manière semblable,
dans le sacrement de pénitence il absout de manière sacramentelle et
ministérielle et de la peine et de la faute, en tant qu'il donne le sacrement
dans lequel les péchés sont remis.
Quant à ce qui est
dit, à savoir que Dieu seul remet les péchés, cela est vrai à cause de son autorité.
C'est ainsi également qu'on dit que Dieu seul baptise, mais le prêtre le fait
par son ministère, comme on l'a dit.
2543. De même,
cherchons le sens de la parole RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ; CEUX À QUI VOUS
REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS. Là il semble que celui qui n'a pas
l'Esprit Saint ne puisse pas remettre les péchés.
À cela il faut
répondre que si la rémission des péchés était l'œuvre propre du prêtre,
c'est-à-dire s'il faisait cela de son propre pouvoir, il ne pourrait de toutes
façons pas sanctifier s'il n'était pas saint. Mais la rémission des péchés est
l'œuvre propre de Dieu, qui par sa puissance et son autorité propres remet les
péchés ; elle n'est pas l'œuvre du prêtre, si ce n'est en tant qu'il est
un instrument. De même qu'un seigneur peut exécuter sa volonté par le moyen
d'un serviteur ou d'un ministre, que celui-ci soit bon ou mauvais, pour
accomplir quelque chose, ainsi le Seigneur peut conférer par des ministres,
même si ceux-ci sont mauvais1, les sacrements dans lesquels est donnée la
grâce.
9. Pr 10, 12.
10. 1 Ρ 4, 8.
11. Sur la distinction entre le mal de peine et le mal de faute,
voir vo1. I, n° 1301, note 9.
2544. Si on se
demande ce que signifie CEUX À QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT
REMIS, il faut dire, comme on l'a dit plus haut, que le prêtre agit dans les
sacrements comme ministre de
Dieu - Qu'on nous regarde donc comme des ministres du Christ et des
dispensateurs des mystères de Dieu2. De la même manière que
Dieu remet et retient les péchés, de même le prêtre. Or Dieu remet les péchés
en accordant sa grâce ; mais on dit qu'il les retient en ne l'accordant
pas, en raison d'un empêchement du côté de celui qui reçoit. De même le
ministre remet les péchés en tant qu'il dispense les sacrements de l'Église, et
il les retient en tant qu'il montre que certains sont indignes de recevoir les
sacrements.
2545. Après avoir
parlé de l'apparition du Sauveur, l'Évangéliste traite à présent du doute d'un
disciple. Il mentionne d'abord l'absence du disciple, puis l'annonce qui lui
est faite [n° 2548], enfin son doute obstiné [n° 2549].
Ι
OR THOMAS, UN DES
DOUZE, APPELÉ DIDYME, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX QUAND JÉSUS VINT. (20, 24)
2546. Le disciple
absent est présenté d'abord par son nom, THOMAS, qui signifie
« abîme » ou « jumeau »3. Or il y a deux choses dans l'abîme : la profondeur et
l'obscurité. Thomas est donc abîme en raison de l'obscurité de l'incroyance
qu'il porte en lui, et il est aussi abîme en raison de la profondeur de la
miséricorde qu'il reçoit du Christ. Il est dit à ce propos dans le psaume4 :
L'abîme de la profondeur, c'est-à-dire le Christ, appelle, en
faisant miséricorde, l'abîme de l'obscurité, c'est-à-dire Thomas ;
et l'abîme de l'obstination, Thomas, appelle en confessant [sa
foi] l'abîme de la profondeur, le Christ.
1. Voir Somme
théol, III, q. 64, a. 5. Voir aussi a. 8, a. 9 et a. 10. Pour que le
sacrement soit effectivement conféré, le ministre doit avoir l'intention de le
donner ; mais son intégrité morale n'est pas requise.
2. 1 Co 4, 1. Voir
ci-dessus n° 1595 et la note 2.
3. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis
hebraicorum nominum (Lag. 63, 10), CCL, vo1. LXXII, p. 138. Thomas est
de forme araméenne et signifie jumeau, comme le grec didymos et
le latin geminus. En hébreu fhôm a le sens d'abîme, en
latin abyssus (cf. Gn 1, 2). Geminus est rapproché par assonance
de Jeminus, qui, dans plusieurs passages vétérotestamentaires,
correspond à Benjamin. ThÉophylacte
interprète l'étymologie jumeau comme indiquant que l'apôtre avait
une double pensée, donc qu'il hésitait, qu'il doutait (Enarr. in S.
Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 299).
Le disciple est
ensuite décrit par sa dignité, UN DES DOUZE, c'est-à-dire des douze Apôtres,
non qu'alors ils aient été douze, puisque Judas avait déjà péri5,
mais parce qu'il avait été choisi pour cette dignité que Dieu avait scellée du
nombre douze - Il en choisit douze qu'il appela Apôtres6. Et le Seigneur a toujours voulu que ce nombre demeurât intègre.
Enfin par la
signification de son nom, APPELÉ DIDYME. Thomas, en effet, est un nom syrien ou
hébraïque qui a deux significations : « jumeau » et
« abîme ». Jumeau (geminus en latin) se dit Didymus en
grec et donc, parce que Jean écrivit son Évangile en grec, il a écrit DIDYME.
Et Thomas est appelé « jumeau » parce qu'il fut peut-être de la tribu
de Benjamin dans laquelle certains, voire même tous, étaient appelés jumeaux.
Ou bien cela peut se référer à son doute, car celui qui est certain se tient
ferme d'un côté, mais celui qui doute choisit un côté en ayant peur de l'autre1.
4. Ps 41, 8.
5. Cf. Mt 27, 5.
6. Lc 6, 13.
2547. Ce Thomas
donc, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX, à savoir les disciples, QUAND JÉSUS VINT : en
effet, il revint plus tard que les autres qui étaient dispersés durant le jour,
et il perdit ainsi la consolation de la vision du Seigneur, la bonne parole de
la paix et le souffle de l'Esprit Saint. Nous apprenons par là que nous ne
devons pas nous séparer de la communauté - Ne désertez pas notre assemblée, comme certains
en ont la coutume2. Mais comme le dit Grégoire3, ce n'est pas arrivé par hasard, mais en
vertu de la volonté divine, qu'un disciple choisi fût alors absent ; et ce
fut selon l'économie de la miséricorde divine, c'est-à-dire pour que le
disciple qui doutait, en palpant les blessures de la chair de son maître,
guérît en nous les blessures de l'incroyance.
1. C'est ainsi que
saint Thomas distingue l'opinion, qui laisse dans le doute, de la foi qui
apporte la certitude. Cf. Somme théol, II-II, q. 1, a. 4, c.
2. He 10, 25.
Saint Thomas commente : « La charité est un amour, or le propre de
l'amour est d'unir puisque, comme le dit Denys, l'amour est une force unitive -
Qu'ils soient un comme nous sommes un, (...) parce que tu les as aimés comme
tu m'as aimé (Jn 17, 22-23) -, c'est pourquoi se séparer les uns des autres
est directement l'opposé de la charité. Et c'est pourquoi [l'Apôtre] dit :
Ne désertez pas notre assemblée, à savoir l'Église, que certains
désertent de trois façons. Premièrement ceux qui, à cause des persécutions,
apostasient. Et ceux-là sont signifiés par ceux dont Jean dit qu'ils se
retirèrent et dès lors n'allaient plus avec lui (Jn 6, 67) - Que
survienne une tribulation ou des persécutions à cause de la parole, aussitôt
ils sont scandalisés (Mt 13, 21). - Ils croient pour un temps, et au
temps de la tentation ils se retirent (Le 8, 13). D'une seconde façon, les
mauvais prélats qui abandonnent les brebis dans le danger - Le mercenaire
fuit parce qu'il est mercenaire (Jn 10, 13). Mais d'autres désertent par
l'orgueil car, alors qu'ils pourraient être utiles pour guider, marqués par
leur orgueil ils se séparent des autres - Ils sont ceux qui se séparent des
autres, êtres animés n'ayant pas l'esprit (Jude 19) -, comme sous
l'apparence d'une perfection plus grande » (Ad Heb. lect., X, n°
512).
3. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76,
co1. 1201 C.
En cela apparaissent
donc les signes les plus éclatants de la très grande miséricorde de Dieu.
Premièrement, parce qu'il aime tellement le genre humain que parfois il permet
que certaines tribulations arrivent à ses élus, afin que de là en résulte un
bien pour le genre humain. C'est pour cela en effet qu'il a permis que les
apôtres, les prophètes et les saints soient affligés - C'est pourquoi je les ai frappés par mes prophètes,
je les ai tués par les paroles de ma bouche4. - Si nous sommes dans la tribulation,
c'est pour votre encouragement et votre salut ; si nous sommes consolés,
c'est pour votre consolation ; si nous sommes encouragés, c'est pour votre
encouragement et votre salut qui s'accomplit par la patience à supporter les
mêmes souffrances que nous supportons5.
Mais, et c'est plus
admirable encore, il permet qu'un saint tombe dans le péché pour nous
instruire. Pourquoi, en effet, a-t-il permis que des saints et des hommes
justes aient gravement péché, comme David, qui fut adultère et homicide, si ce
n'est pour que, instruits de ces exemples, nous soyons plus prudents et plus
humbles ? Afin que celui qui estime tenir debout prenne garde de ne pas
tomber et que celui qui est tombé s'efforce de se relever. C'est pourquoi
Ambroise disait à l'empereur Théodose : « Tu as suivi en errant,
efforce-toi de poursuivre en faisant pénitence6. » Ainsi, comme le dit Grégoire7,
l'incroyance de Thomas a été plus utile à notre foi que la foi des disciples
croyants.
4. Os 6, 5.
5. 2 Co 1, 6.
6. Vita sancti Ambrosii, 24, PL 14, co1. 35.
7. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76,
co1. 1201 C.
II
LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC : « NOUS
AVONS VU LE SEIGNEUR. » (20, 25)
2548. Parce que
Thomas n'était pas venu aussitôt, LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC :
« NOUS AVONS VU LE SEIGNEUR. » Et c'est bien selon l'ordre de la
sagesse divine (ordinatione divina), que ce que l'un a reçu de Dieu, il
le communique aux autres - Que chacun mette au service des autres la grâce
qu 'il a reçue1. - Ce que j'ai entendu du Seigneur des
armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé2. -J'ai vu le Seigneur et j'ai eu la vie
sauve3.
III
MAIS LUI LEUR RÉPONDIT : « SI JE NE VOIS PAS DANS
SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS, ET SI JE N'ENFONCE PAS MON DOIGT À L'ENDROIT DES
CLOUS, ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. »
(20, 25)
2549. Là
l'Évangéliste expose le doute obstiné de Thomas. Certes, Thomas pourrait avoir
été assez excusable de n'avoir pas cru tout de suite, car, comme le dit
l'Ecclésiastique, Celui qui croit trop facilement est léger de cœur4. Mais tant investiguer, surtout lorsqu'il s'agit des secrets de Dieu,
relève d'un esprit très grossier5 - De même que celui qui mange beaucoup de
miel ne s'en porte pas bien, ainsi celui qui scrute la majesté sera écrasé par
la gloire6. - Ne recherche pas ce qui est plus élevé
que toi et ne scrute pas ce qui est plus fort que toi. Mais médite toujours ce
que Dieu a prescrit et ne sois pas curieux au sujet de ses œuvres7.
2550. Au sujet de
Thomas, il faut considérer qu'il fut résistant8 dans sa foi et irréfléchi dans sa demande.
Résistant, certes, car il n'a voulu croire que grâce à une preuve sensible, et
pas seulement d'un seul sens mais de deux : la vue - car SI JE NE VOIS PAS
DANS SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS - et le toucher - ET SI JE NE METS PAS MA
MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. Et il manque vraiment de réflexion, car
il demandait à voir les blessures pour confirmer sa foi, alors qu'il voyait
plus, à savoir le relèvement de tout l'homme ressuscité.
Et bien que Thomas
ait dit cela à cause de son doute, cela advint cependant de manière divine pour
notre utilité et notre édification. Il est certain, en effet, que celui qui
refit pleinement l'homme en ressuscitant aurait pu aussi faire disparaître les
cicatrices des blessures ; mais celles-ci ont été gardées pour notre
utilité.
2551. On traite ici
de la seconde apparition du Seigneur, où il apparut à tous les disciples,
Thomas étant présent. L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Christ, puis
la confirmation accordée au disciple [n° 2555] ; enfin est récapitulé tout
ce qui a été dit dans l'Évangile [n° 2567].
1. 1 P 4, 10.
2. Is 21, 10.
3. Gn 32, 30.
4. Si 19, 4.
5. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1,
PG 59, co1. 473.
6. Pr 25, 27.
7. Si 3, 22.
8. « Résistant » traduit durus. Ce mot a donc ici
un sens négatif.
ET HUIT JOURS APRÈS, SES DISCIPLES ÉTAIENT ENCORE À
L'INTÉRIEUR, ET THOMAS AVEC EUX. JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE
TINT AU MILIEU D'EUX ET LEUR DIT : « PAIX À VOUS. » (20, 26)
Au sujet du premier
point, l'Évangéliste fait trois choses : il décrit le moment de
l'apparition, puis les personnes auxquelles le Christ apparut [n° 2553], enfin
il montre le mode de l'apparition [n° 2554].
2552. Il indique
d'abord le moment : HUIT JOURS APRÈS, c'est-à-dire après le jour de la
Résurrection du Seigneur, où eut lieu, le soir, la première apparition. À cela,
il y a une première raison littérale : l'Évangéliste veut montrer que,
bien que le Christ soit apparu plusieurs fois à ses disciples, il ne vivait
cependant pas avec eux de façon continue, puisqu'il n'était pas ressuscité pour
le même mode de vie, de même que nous non plus nous ne ressusciterons pas pour
la même vie - Pendant tous les jours où je combats maintenant, j'attends que
mon changement survienne1. Et c'est encore pour que Thomas, entendant
entre-temps les disciples parler de l'apparition précédente, soit enflammé d'un
plus grand désir et devienne plus fidèle à l'avenir2.
Une autre raison,
mystique, est que cette
apparition signifie celle par laquelle le Christ nous apparaîtra dans la gloire
- Lorsqu'il apparaîtra, nous
serons semblables à lui car nous le verrons tel qu'il est3. Et assurément cette apparition aura lieu au huitième âge de ceux qui
ressuscitent4.
1. Jb 14, 14. Saint Thomas commente : « II avait comparé
précédemment la vie de l'homme sur terre à un service militaire et aux journées
d'un mercenaire, car le soldat comme le mercenaire attendent autre chose au
terme de leur service. Et donc, de même que plus haut il a exprimé l'état du
ressuscité par le jour auquel aspire le mercenaire, ainsi maintenant il exprime
la même chose sous l'image du soldat. Et notons qu'il n'attend pas une fin
qu'il aurait désirée quelques jours de sa vie ; car tous les jours de sa
vie, il les assimile au temps du service militaire en disant : Pendant
tous les jours où je combats maintenant. En outre, il faut noter que
l'homme n'attend pas une autre vie semblable à celle-ci ; car alors elle serait
aussi un service militaire, mais il attend une vie où il ne milite plus, mais
où il triomphe et règne, et donc il dit : J'attends que mon changement
survienne, comme s'il disait : En toute cette vie je milite, sujet aux
mutations, aux labeurs et aux angoisses. Et de ce renouveau l'Apôtre dit : Nous ressusciterons
tous mais nous ne serons pas tous changés (1 Co 15,
51) » (Exp. super lob, 14, 14, p. 93, 1. 177-195).
2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1,
PG 59, co1. 473.
SES DISCIPLES
ÉTAIENT ENCORE À L'INTÉRIEUR, ET THOMAS AVEC EUX.
2553. L'Évangéliste
montre ensuite ceux auxquels le Christ est apparu. Notons ici que seul Thomas
avait besoin de cette apparition ; cependant, ce n'est pas à lui en
particulier (singulanter) que le Seigneur est apparu, mais à lui en tant
qu'il appartenait à la communauté, pour signifier que les singularités ne sont
pas tellement agréées par Dieu, mais plutôt ceux qui demeurent dans la
communion de la charité - Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je
suis au milieu d'eux5. Et de même que ceux à qui il apparaît
maintenant n'ont pas été rassemblés en même temps6, ainsi lors de cette apparition tous
n'étaient pas ensemble. Mais dans l'apparition future, tous seront présents, de
sorte qu'aucun ne manquera - Là où se trouve le corps, là aussi se
rassembleront les aigles1. — Il enverra ses anges avec trompette et
grande voiX) et ils rassembleront les élus des quatre vents d'une extrémité des
deux à l’autre2.
3. 1 Jn 3, 2.
4. Le huitième âge représente l'âge éternel, celui de notre
résurrection pour la vie éternelle, dont le Christ nous a ouvert le chemin en y
entrant le premier par sa résurrection (le huitième jour). Citons saint
Augustin : « Pourquoi donc au huitième jour ? Parce que dans la
semaine, le premier jour est le même que le huitième. En effet, les sept jours
étant achevés, on revient au premier. Le septième se finit avec la sépulture du
Seigneur, et on revient au premier avec la résurrection du Seigneur. La
résurrection du Seigneur nous a en effet promis un jour éternel et a consacré
pour nous le jour du Seigneur » (Serm. de Scr., 169, II, 3, PL 38,
co1. 916). Et : « Le septième âge sera notre sabbat, et ce sabbat
n'aura pas de soir, mais il sera le jour du Seigneur et, pour ainsi dire, un
huitième jour éternel : car le dimanche, consacré par la résurrection du
Christ, préfigure l'éternel repos de l'esprit et du corps. Là, nous nous
reposerons et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous
aimerons et nous louerons. Voilà ce qui sera à la fin, sans fin. Car quelle
autre fin avons-nous, sinon de parvenir au royaume qui n'aura pas de
fin ? » (La Cité de Dieu, XXII, xxx, 5, BA 37, p. 717-719).
5. Mt 18, 20.
6. Il s'agit ici de l'appel des disciples. Cf. Jn 1, 35 sq. ;
Mt 4, 18 sq. ; Mc 1, 16 sq. ; Lc 5, 1 sq.
JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE TINT AU MILIEU
D'EUX ET LEUR DIT : « PAIX À VOUS. »
2554. L'Évangéliste
rapporte ensuite le mode de l'apparition, ce qu'on a exposé plus haut3.
Néanmoins, il mentionne ici trois choses à ce sujet. Premièrement, il mentionne
la manière dont il vient LES PORTES ÉTANT CLOSES, ce qui se produisit de
manière miraculeuse, comme le dit Augustin4, en vertu de cette puissance grâce à
laquelle il a marché à pied sec sur la mer5. Ensuite la manière dont il s'est tenu, AU
MILIEU, pour être vu de tous ; de fait, il convenait qu'il se tînt
au milieu6. Enfin la manière dont il leur parla :
« PAIX À VOUS », à savoir la paix7 de la réconciliation, qu'il annonça comme
désormais accomplie à l'égard de Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu
par la mort de son Fils 8. - Faisant la paix par le sang de sa
Croix, aussi bien dans les deux que sur la terre9. Paix aussi de l'éternité et de
l'immortalité à venir dont il leur promit la possession - Lui qui a établi
sur tes confins^ ceux de la Jérusalem céleste, la paix 10.
Paix enfin de la charité et de l'unité qu'il leur a commandé de garder - Ayez
la paix entre vous11.
2555. On voit ici
que le disciple qui doutait est affermi et de nouveau appelé ; il
apparaît, par ce signe de la miséricorde divine, que le Seigneur vient aussitôt
au secours de ses élus dans le malheur, bien que tous tombent. Les élus, en
effet, tombent parfois, comme aussi les réprouvés, mais de manière différente,
car les réprouvés se brisent ; mais aux élus le Seigneur tend aussitôt la
main afin qu'ils se relèvent - Lorsque tombe le juste il ne se brisera pas
car le Seigneur lui tient la main 12. - Si je disais : « Mon pied
est ébranlé », ta miséricorde, Seigneur, me soutenait13. Et donc le Seigneur tend aussitôt la main à Thomas qui a trébuché, si
bien que, alors que celui-ci disait : Si je ne vois pas, je ne croirai
pas, il le rappelle en disant : Mets ton doigt là.
Trois choses sont
rapportées à ce propos : la présentation des cicatrices, la confession de
Thomas [n° 2562] et le reproche au sujet de sa lenteur à croire [n° 2563].
1. Mt 24, 28. Voir
ci-dessus, n° 1862, note 7.
2. Mt 24, 31.
3. Cf. nos
2526, 2531, 2532.
4. Sermo CCXLVU
in diebus paschalibus, in : Sermones de Tempore, PL 38, co1.
1157.
5. Cf. Mt 14,
25 ; Me 6, 48 ; Jn 6, 19.
6. Cf. ci-dessus,
nos 2417 et 2531.
7. Sur la paix,
voir ci-dessus, nus 1961-1964 et 2174.
8. Rm 5, 10.
9. Col 1, 20.
10. Ps 147, 14.
11. Me 9, 49.
12. Ps 36, 24.
13. Ps 93, 18.
Ι
PUIS IL DIT À THOMAS : « METS TON DOIGT LÀ ET VOIS
MES MAINS ; APPROCHE TA MAIN ET METS-LA DANS MON CÔTÉ, ET NE SOIS PAS
INCRÉDULE MAIS CROYANT. » (20, 27)
2556. Il faut
d'abord, ici, noter que Thomas a posé des conditions pour croire, à savoir voir
et palper les cicatrices, comme il a été dit ; et si cela lui advenait, il
promettait de croire. C'est pourquoi, comme il disait cela, le Seigneur, se
tenant là par la présence de sa divinité, le rappelle à lui en tenant compte de
ses conditions. Le Seigneur effectue la condition, puis demande
l'accomplissement de la promesse de Thomas [n° 2561].
METS TON DOIGT LÀ.
2557. La condition
en effet était de pouvoir palper les cicatrices. Mais ici surgit un
doute : parce qu'aucun défaut ne peut se trouver dans les corps glorieux
et que les cicatrices sont des défauts, comment donc y eut-il des cicatrices
dans le corps du Christ ?
Augustin répond en
disant : « Le Seigneur pouvait, s'il le voulait, faire disparaître
toute marque de cicatrice du corps ressuscité et glorifié, mais il savait
pourquoi il laissait les cicatrices dans son corps. D'abord pour les montrer à
Thomas qui ne croirait pas s'il ne les touchait et voyait, ensuite pour blâmer
les infidèles et les pécheurs lors du jugement ; non pas pour leur dire
comme à Thomas : Parce que tu m'as vu tu as cru, mais pour les
confondre en disant : Voici l'homme que vous avez crucifié ; vous
voyez les blessures que vous lui avez infligées, vous reconnaissez le côté que
vous avez transpercé, puisque c'est par vous et pour vous qu'il a été ouvert et
que cependant vous n'avez pas voulu entrer. »1
2558. À la suite de
cela on se demande aussi si les traces des blessures demeurent dans les corps
des martyrs. Mais Augustin répond également à cela dans La Cité de Dieu, en
disant qu'elles demeureront non pour la laideur mais pour une beauté sans
mesure : « Car il y aura en elles non de la laideur, mais de la
dignité ; et une beauté, non la beauté du corps bien qu'elle soit dans un
corps, mais la beauté de la vertu, rayonnera en elles. Si des membres ont été
amputés ou arrachés aux martyrs, il ne s'ensuivra cependant pas qu'ils en
seront privés à la résurrection des morts, eux à qui a été dit : Aucun
cheveu de votre tête ne périra2. Mais des cicatrices seront visibles aux endroits où les membres, pour
être détachés, ont été frappés ou coupés ; ces membres eux-mêmes ne se
trouveront pourtant pas perdus, mais restitués3. »
2559. Mais, selon
Grégoire4, puisqu'il n'est pas possible de palper ce
qui est incorruptible, comment le Seigneur a-t-il présenté son corps
incorruptible pour qu'on puisse le palper ? - Le Christ ressuscité des
morts ne meurt plus5. C'est pourquoi, troublé par cette raison, l'hérétique Eutychès a dit
que le corps du Christ et les corps de tous les hommes ressuscites ne seront
pas palpables, mais subtils et spirituels6 à la manière du vent et des esprits.
Mais cela va contre
ce que dit le Seigneur : Touchez-moi et voyez qu'un esprit n'a ni chair
ni os7 ; et le Seigneur a donc manifesté qu'il était incorruptible et palpable
pour montrer qu'après la Résurrection son corps était de même nature, qu'il
avait été corruptible et qu'il avait revêtu l'incorruptibilité8, et
qu'il était d'une gloire autre, car ce qui avait été laid et ignominieux
ressuscita dans la gloire, avec une subtilité due à l'effet d'une puissance
spirituelle.
2560. Mais il
ajoute : VOIS MES MAINS qui furent suspendues sur la croix ET METS-LA [ta
main] DANS MON CÔTÉ, transpercé par la lance, et reconnais que je suis celui-là
même qui fut suspendu à la croix. Au sens mystique, par le doigt est signifié
le discernement, et par la main, notre œuvre. Le Seigneur nous exhorte donc à
mettre dans son côté et le doigt et la main, afin que tout ce que nous pouvons
avoir comme discernement et comme œuvre, nous le dépensions au service du Christ - Pour moi, que jamais je ne me
glorifie si ce n'est dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ1.
1. Pseudo-Augustin, Sermo
de Symbolo ad Catechumenos, VIII, 16, PL 40, co1. 647.
2. Ac 27, 34. Cf.
Mt 10, 30 ; Lc 12, 7.
3. La Cité de
Dieu, XXII, XIX, 3, BA 37, p. 635.
4. Morales sur
Job, XIV, LVI, 72, SC 212, p. 435.
5. Rm 6, 9.
6. Voir ci-dessus,
n" 2527 et note 11.
7. Le 24, 39.
8. Cf. 1 Co 15,
53.
2561. Et il lui
demande de tenir sa promesse en disant : ET NE SOIS PAS INCRÉDULE MAIS
CROYANT - Sois fidèle jusqu'à
la mort2.
II
THOMAS RÉPONDIT ET LUI DIT : « MON SEIGNEUR ET MON
DIEU. » (20, 28)
2562. Il apparaît
ici que Thomas devint aussitôt un bon théologien en confessant la vraie foi,
car il a confessé l'humanité du Christ en disant « MON SEIGNEUR ».
C'est ainsi en effet qu'ils l'appelaient avant la Passion - Vous m'appelez
Seigneur et Maître3. Et il a aussi confessé sa divinité en
disant : « MON DIEU »4. Auparavant, en effet, ils ne l'appelaient
pas Dieu, si ce n'est quand
Pierre a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant5. - Celui-ci est le vrai Dieu et la vie
éternelle6. - Tu es mon Dieu et je te confesse7.
1. Ga 6, 14. Saint Thomas commente : « II [l'Apôtre] ne
se glorifie en rien sinon dans le Christ, et principalement dans la Croix du
Christ, et cela parce qu'en elle se trouvent toutes les choses dont les hommes
ont coutume de se glorifier. En effet, certains se glorifient de l'amitié des
grands (par exemple des rois ou des princes), et cela l'Apôtre le trouve au
plus haut point dans la Croix, puisque là est montré le signe évident de
l'amitié divine - Dieu prouve ainsi sa charité envers nous : le Christ, alors que nous étions
encore pécheurs, est mort pour nous (Rm 5, 8). Car rien ne montre son amour (caritatem)
pour nous autant que la mort du Christ. Aussi Grégoire dit-il :
"Ô inestimable dilection de la charité ! Pour racheter l'esclave, tu
as livré le Fils". De même certains se glorifient de la science. Et
l'Apôtre trouve la science la plus excellente dans la Croix - En effet je n'ai rien estimé savoir parmi vous sinon
Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié (1 Co 2, 2). Car
dans la Croix est la perfection de toute la Loi, et tout l'art de bien vivre.
De même certains se glorifient de la puissance. Et l'Apôtre a la plus grande
puissance par la Croix - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour
ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu (1 Co 1, 18). De même certains se
glorifient de la liberté [qu'ils ont] acquise. Et celle-là l'Apôtre l'obtient par
la Croix - Notre vieil homme est crucifié, (...) pour que nous ne servions
plus ensuite le péché (Rm 6, 6). De même certains se glorifient dans le
signe triomphal de la victoire. Mais la Croix est le signe triomphal de la
victoire du Christ contre les démons
- Dépouillant les principautés et les puissances, il les a traînées
hardiment, les soumettant ouvertement (Col 2, 15). - Béni le bois par
lequel se fait la justice (Sg 14, 7) » (Ad Gai. lect., VI, n°
371).
2. Ap 2, 10.
III
JÉSUS LUI DIT : « PARCE QUE TU M'AS VU, THOMAS, TU
AS CRU. HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU. » (20, 29)
2563. Mais le
Seigneur reproche à Thomas sa lenteur en disant : PARCE QUE TU M'AS VU,
THOMAS, TU AS CRU. Il lui reproche d'abord sa lenteur, puis il met en lumière
la promptitude des autres à croire [n° 2566].
2564. Il lui dit
donc : PARCE QUE TU M'AS VU. Il y a ici un doute8 car,
puisque la foi est la
substance des réalités qu'on espère, l'argument de ce qui n'est pas évident9, comme le dit l'épître aux Hébreux, comment le
Seigneur peut-il dire : PARCE QUE TU M'AS VU, TU AS CRU ? Mais il
faut dire qu'il a vu une chose et en a cru une autre 10. Il
a vu l'homme et les cicatrices et, à partir de là, il a cru à la divinité du
Christ ressuscité.
2565. Il y a un
autre doute, car à Thomas qui avait demandé : Si je ne vois pas et ne
touche pas, le Seigneur a accordé ces deux choses, le toucher et la vision.
Il aurait donc dû dire : parce que tu m'as vu et touché, tu as cru.
3. Jn 13, 13.
4. Cf. Theophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, co1. 302 A.
5. Mt 16, 16.
6. 1 Jn 5, 20.
7. Ps 117, 28.
8. Saint Thomas reprend la remarque
de saint Grégoire le Grand, XL
hom. in Évang., II, hom. 26, 8, PL 76, co1. 1202 A.
9. He 11, 1.
10. Voir ci-dessus, n" 2489.
Je réponds en disant
que, selon Augustin1, nous nous servons de la vision pour désigner
n'importe quel sens. Nous disons en effet : « Vois » comme c'est
chaud, comme cela retentit, « vois » le goût de ceci,
« vois » comme cela fait ma1. Jésus dit donc : METS TON DOIGT LÀ
ET VOIS, non pas que la vision se trouve dans le doigt, mais pour dire :
Touche et expérimente ; de même PARCE QUE TU M'AS VU, c'est-à-dire parce
que tu as eu une expérience de moi aussi par le toucher2.
Ou bien disons qu'en
voyant les blessures et les cicatrices, Thomas a été confondu en lui-même et,
avant de mettre le doigt, il crut et dit : « MON SEIGNEUR ET MON
DIEU. » Cependant, Grégoire3 dit qu'il a touché et que, en voyant, il a
confessé.
2566. En disant
ensuite HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU, le Christ met en lumière
la promptitude avec laquelle les autres ont cru ; et cela nous concerne
spécialement, car il utilise le passé à la place du futur à cause de la
certitude4. Contrairement à cela il y a ce verset de saint Luc : Bienheureux les yeux qui
voient ce que vous voyez5. Donc ceux qui ont vu sont davantage bienheureux que ceux qui n'ont pas
vu. Là je réponds qu'il y a deux béatitudes. La première béatitude regarde une
réalité qui consiste en un don divin qui, plus il est donné, plus il rend
bienheureux ; de ce point de vue, bienheureux sont les yeux qui voient,
car c'est un don de la grâce. L'autre béatitude, celle de l'espérance, réside
dans le mérite ; de cet autre point de vue, celui-là est d'autant plus
heureux qu'il peut mériter davantage. En effet, celui qui croit et ne voit pas
mérite davantage que celui qui voit et croit.
2567. L'Évangéliste
donne ici l'épilogue : il souligne d'abord l'insuffisance de ce qu'il a
écrit, puis en montre l'utilité [n° 2568].
1. Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 365.
2. Saint Thomas, là encore, est bien le disciple d'Aristote, qui
lie l'expérience au sens du toucher et montre qu'il est le sens de la vie,
nécessaire pour sa conservation : « II est nécessaire que ce soit le
seul sens dont la privation entraîne chez les animaux la cessation de la
vie » (De l'âme, III, 13, 435 b 4). « C'est par le toucher que
la vie se définit » (loc. cit., b 16), et il se trouve d'une
manière excellente dans l'homme : « En ce qui concerne le toucher,
[l'homme] possède une finesse très supérieure à celle des autres animaux, ce
qui justifie qu'il soit le plus prudent d'entre eux » (op. cit., II,
9, 421 a 20-23). Aussi l'expérience du réel existant, l'expérience au sens
fort, qui se distingue de l'expérience purement interne, affectionne le sens du
toucher qui permet un contact plus immédiat et plus intime avec la réalité
existante, et ainsi un éveil plus profond de l'intelligence prudentielle et
sapientiale. Aristote ne le dit pas plus explicitement, mais toute sa
philosophie fondée sur l'expérience le montre. Et on voit bien ici le réalisme
de la foi qui va assumer le réalisme de l'intelligence en l'utilisant comme une
disposition : Thomas, en touchant sensiblement les blessures du Christ,
réveille son intelligence puis, porté par le regard et l'amour du Christ, pose
un acte de foi.
3. XL hom. in Evang., II,
hom. 26, 8, PL 76, co1. 1201 D-1202 A.
4. Saint Augustin voyait dans ce qu'on appellerait aujourd'hui un
« parfait prophétique » le signe que Jésus connaissait le futur selon
la prédestination divine (Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 367).
5. Le 10, 23.
JÉSUS A FAIT ENCORE EN PRÉSENCE DE SES DISCIPLES BEAUCOUP
D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE. (20, 30)
L'insuffisance du
livre apparaît en ceci, que JÉSUS A FAIT ENCORE (...) BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES
QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE - Si c'est avec peine que nous avons
entendu une petite goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du
tonnerre de sa grandeur ?6 - Beaucoup de choses cachées sont plus
grandes que celles-ci, car nous voyons peu de ses œuvres7. Selon Chrysostome8, si
Jean dit cela, c'est parce qu'il raconte moins de miracles que les autres
évangélistes. Donc, ne voulant pas paraître les nier, il dit cela et ajoute de
manière spéciale : QUI NE SONT PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE.
6. Jb 26, 14.
7. Si 43, 36.
8. In Ioannem hom., LXXXVII,
1, PG 59, co1. 474. Saint Jean Chrysostome insiste aussi sur le fait que les
signes non rapportés par Jean appartiennent à la période des apparitions du
Ressuscité.
Ou bien ceci se
rapporte à la Passion et à la Résurrection, comme s'il disait : après être
ressuscité, il a fait beaucoup de choses devant ses disciples, pour montrer sa
Résurrection, qu'il n'a pas montrées aux autres - Il lui a donné de se manifester non à tout le
peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu1.
MAIS CEUX-CI ONT ÉTÉ ÉCRITS AFIN QUE VOUS CROYIEZ QUE JÉSUS,
LE CHRIST, EST LE FILS DE DIEU, ET AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE EN SON
NOM. (20, 31)
2568. Puis il
mentionne l'utilité du livre dont l'effet est la foi. À cela, en effet, est
ordonnée toute l'Écriture du Nouveau et de l'Ancien Testament - En tête du
livre il est écrit de moi2. - Vous scrutez les Écritures (...) et ce
sont elles qui rendent témoignage de moi3. Le fruit de ce livre est la vie : AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA
VIE, ici-bas la vie de justice que l'on a par la foi - Mon juste vivra par
la foi4 -, et dans le monde futur la vie de la vision5 que
l'on aura dans la gloire, EN SON NOM, à savoir le nom du Christ - II n'y a
pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés6.
1. Ac 10, 40-41.
2. Ps 39, 8. Saint
Thomas commente : « Le livre, c'est le Christ.
Le livre, c'est
l'instrument dans lequel sont écrits les projets (conceptiones) du
cœur ; mais dans le Christ sont les projets de l'intelligence divine - En
lui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés (Col 2, 3).
La tête du livre est Dieu le Père - La Tête du Christ [est] Dieu (1 Co
11, 3). Donc en tête du livre, c'est-à-dire dans la volonté de Dieu le
Père, il est écrit, à savoir prescrit "à mon sujet", que je
viendrai. Ou bien autrement : il s'agit du livre de la prédestination qui
est le livre de vie - Qu'ils soient effacés du livre de vie (Ps 68, 29),
c'est-à-dire des vivants. Dans ce livre sont inscrits tous ceux qui doivent
être sauvés, mais selon un ordre : car en tête de ce livre il est écrit
"Sauveur", et tous sont inscrits par lui - Il les a prédestinés à être conformes
à l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même le premier-né entre beaucoup de
frères (Rm 8, 29). - Il nous a élus en lui avant la fondation du
monde, afin que nous soyons saints et sans tache en sa présence dans la charité
(Ép 1, 4) -, autrement dit : le Christ n'est pas inscrit comme
les autres mais en tête du livre » (Exp. in Psalmos, 39, n° 4). 3.
Jn 5, 39.
4. Ha 2, 4.
5. Voir vo1. I, n°
1145 et note 10.
6. Ac 4, 12.
Évangile selon saint Jean Chapitre XXI
1 Après cela, Jésus se manifesta de
nouveau à l'ensemble de ses disciples près de la mer de Tiberiade. Or il se
manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanael qui était de
Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi que deux autres de ses
disciples, se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : « Je
vais pêcher. » Ils lui disent : « Nous aussi nous venons avec
toi. » Et ils sortirent et montèrent dans la barque, et cette nuit-là ils
ne prirent rien.4 Or, le matin venu, Jésus se tint sur le rivage, mais ses
disciples ne connurent pas que c'était Jésus. 5 Jésus leur dit donc :
« Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui
répondirent : « Non. » 6 II leur dit : « Lâchez le
filet à droite de la barque et vous trouverez. » Ils le lâchèrent donc et
ils n'avaient plus la force de le remonter à cause de la multitude de poissons.
7 Alors le disciple que Jésus aimait dit
à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Simon-Pierre, ayant
entendu « C'est le Seigneur », noua sa tunique à la ceinture, car il
était nu, et se jeta à la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque,
car ils n'étaient pas loin de la terre mais à environ deux cents coudées, en
tirant le filet plein de poissons.
9 Une fois descendus à terre, ils virent
des braises disposées et, posés dessus, du poisson et du pain. 10 Jésus leur
dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11
Simon-Pierre monta dans la barque et tira à terre le filet, plein de cent
cinquante-trois gros poissons ; et, bien qu'il y en eût autant, le filet
ne se déchira pas. 12 Jésus leur dit : « Venez, mangez ! »
Et aucun de ceux qui prenaient part au repas n'osait lui demander :
« Toi, qui es-tu ? », sachant qu'il est le Seigneur. 13 Et Jésus
vient, il prend le pain et le leur donne, et de même le poisson. 14 C'était
déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples après s'être
relevé d'entre les morts.
15 Quand ils eurent pris le repas, Jésus
dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que
ceux-ci ? » II lui dit : « Mais oui, Seigneur, toi tu sais
que je t'aime ! » II lui dit : « Pais mes agneaux. »
16 II lui dit de nouveau : « Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu ? » II lui dit : « Mais oui, Seigneur, toi tu
sais que je t'aime ! » II lui dit encore : « Pais mes
agneaux. » 17 II lui dit une troisième fois : « Simon, fils de
Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut contristé de ce qu'il lui eût demandé
une troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il lui dit :
« Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je t'aime ! » II lui
dit : « Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis,
lorsque tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu
voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra
et t'emmènera là où tu ne veux pas. » 19 Or il dit cela pour signifier par
quelle mort il glorifierait Dieu. Après avoir dit cela, il lui dit :
« Suis-moi ! » 20 S'étant retourné, Pierre vit que le disciple
que Jésus aimait les suivait - celui qui à la Cène reposa sur sa poitrine et
dit : « Seigneur, qui est celui qui te livrera ? » 21
L'ayant donc vu, Pierre dit à Jésus : « Et de lui, Seigneur, qu'en
sera-t-il ? »22 Jésus lui dit : « Si je veux qu'il demeure
jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! » 23
Le bruit se répandit donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or
Jésus ne lui a pas dit : « II ne mourra pas », mais :
« Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? »
24 C'est ce disciple-là qui témoigne de
ces choses et les a mises par écrit, et nous savons que son témoignage est
vrai. 25 Mais il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites, et
s'il fallait les mettre par écrit une par une, je ne pense pas que le monde
lui-même pourrait contenir les livres qu'il faudrait écrire.
2569. Ayant relaté
les deux premières apparitions du Christ à ses disciples, l'Évangéliste
rapporte ici la troisième apparition.
Et si nous regardons
bien l'ordre et la fin de ces apparitions, il apparaît que, dans la première,
il manifeste l'autorité de sa divinité en leur insufflant l'Esprit Saint ;
dans la seconde, il révèle l'identité de sa personne en leur montrant ses
cicatrices ; dans la troisième, il manifeste la vérité de sa Résurrection
en mangeant avec eux.
Cette dernière
partie se divise en deux ; en premier lieu l'Évangéliste montre ce que le
Seigneur révéla de manière générale à plusieurs de ses disciples, puis en
second lieu ce qu'il confia en particulier aux deux disciples qu'il aimait d'un
amour de prédilection [n° 2614].
Concernant cette
première partie, il présente d'abord l'apparition elle-même, puis rapporte la
manière dont elle se déroula [n° 2574], et enfin il donne une conclusion [n°
2613].
APRÈS CELA, JÉSUS SE MANIFESTA DE NOUVEAU À L'ENSEMBLE DE
SES DISCIPLES PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE. OR IL SE MANIFESTA AINSI. (21,1)
II présente
l'apparition sous trois aspects : le moment, le mode [n° 2572] et le lieu
de l'apparition [n° 2573].
2570. Le moment, en
effet, puisque l'Évangéliste dit APRÈS CELA (postea), c'est-à-dire après
les événements déjà rapportés. Et il le dit à dessein parce que, comme nous l'avons
dit, le Christ ne se trouvait pas continuellement avec ses disciples mais leur
apparaissait à certains moments. La raison en est qu'il n'était pas ressuscité
pour la même vie mais pour la vie glorieuse, celle où sont les anges et où
seront les bienheureux - Excepté les dieux, c'est-à-dire les anges, qui
ne vivent pas avec les
hommes1.
2571. Mais pourquoi
l'Évangéliste ajoute-t-il ici ce récit après avoir plus haut donné une
conclusion en disant : Ces choses ont été écrites2 ? À cela Augustin3 attribue une raison mystique : par
cette apparition est signifiée la gloire de la vie à venir, où [le Christ] nous
apparaîtra tel qu'il est4. C'est pourquoi il a placé cette
[apparition] après la fin, pour rendre plus évident le lieu où [le Christ]
donnerait à percevoir cette [gloire].
JÉSUS SE MANIFESTA DE NOUVEAU.
2572. La manière
dont Jésus apparut nous est donnée ici. C'est en effet le propre d'un corps
glorieux5, dans sa nature et sa puissance, de pouvoir
comme il le veut se rendre visible et invisible à un corps non glorieux. C'est
pourquoi il est dit : JÉSUS SE MANIFESTA, c'est-à-dire se rendit visible.
On appelle encore cela « apparaître » ou, ce qui revient au même,
« se manifester », comme on le lit dans les Actes des Apôtres : leur apparaissant pendant quarante jours6. Car, comme le dit Ambroise 7, apparaît celui qui a le pouvoir d'être
visible et invisible.
2573. L'Évangéliste
mentionne le lieu de l'apparition, PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE, qui est la mer
de Galilée, nommée ainsi à cause de la province de Galilée, mais appelée aussi
de Tibériade en raison de la cité édifiée en l'honneur de Tibère César. En
précisant cela, l'Évangéliste veut d'abord indiquer que la promesse faite aux disciples - Il vous précédera en Galilée8 - a été accomplie ; et encore, que le
Seigneur avait bien chassé du cœur de ses disciples la crainte, afin qu'ils ne
demeurent plus désormais enfermés dans leur maison mais avancent au loin,
jusqu'à la Galilée9.
1. Dn 2,11. Quorum
conversatio non est cum hominibus. Sur le sens du mot conversatio, voir
vo1. I, n° 1176, note 3, n° 1374, note 13, et n° 1584, note 2.
2. Jn 20, 31.
3. Tract, in
Io., CXXII, 1, BA 75, p. 369.
4. Cf. 1 Jn 3, 2.
5. Sur la
propriété des corps glorieux, voir ci-dessus, n° 2527 et note 11.
6. Ac 1, 3.
7. Nous n'avons pu
trouver l'origine de cette citation, qui n'est sans doute pas de saint
Ambroise.
8. Mt 28, 7. Saint
Thomas commente : « Au sens mystique, Galilée signifie transmigratio et
peut signifier le passage vers les païens. C'est pourquoi vous le verrez en
Galilée, c'est-à-dire vous annoncerez son nom aux païens. Or ils n'auraient
pas fait cela s'il ne les précédait » (Sup. Matth.
lect., XXVIII, n° 2433).
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.
OR IL SE MANIFESTA AINSI. SIMON-PIERRE, THOMAS APPELÉ
DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, AINSI
QUE DEUX AUTRES DE SES DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE. (21, 1-2)
OR IL SE MANIFESTA.
2574. Par ces mots,
l'Évangéliste présente l'apparition elle-même ; d'abord les personnes
auxquelles elle a été faite, ensuite l'activité 1 de ces personnes [n° 2576]. Il nous rapporte enfin la manière dont eut
lieu l'apparition [n° 2583].
SIMON-PIERRE, THOMAS APPELÉ DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE
CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, AINSI QUE DEUX AUTRES DE SES
DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE.
2575. Les personnes
auxquelles il se manifesta sont au nombre de sept ; c'est pourquoi il dit
SIMON-PIERRE - celui qui avait renié -, THOMAS APPELÉ DIDYME - qui n'avait pas
été là lors de la première apparition -, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA DE GALILÉE
- qui, à ce qu'on croit, était frère de Philippe dont il a déjà été question -,
ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, c'est-à-dire Jacques et Jean, AINSI QUE DEUX AUTRES,
qui ne sont pas nommés expressément.
Par ce nombre est
signifiée mystiquement la révélation de la gloire à venir qui aura lieu après
le septième âge, c'est-à-dire au huitième, âge de ceux qui ressuscitent2 -Et il arrivera que de mois en mois, et de sabbat en sabbat, toute chair
viendra adorer devant ma face3.
SIMON-PIERRE LEUR DIT : « JE VAIS PÊCHER. »
ILS LUI DISENT : « NOUS AUSSI NOUS VENONS AVEC TOI. » ET ILS
SORTIRENT ET MONTÈRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE NUIT-LÀ ILS NE PRIRENT RIEN.
(21, 3)
2576. L'activité qui
les occupait alors était la pêche. L'Évangéliste montre d'abord l'invitation de
Pierre à cette activité, puis l'acquiescement des autres [n° 2581], enfin son
exécution [n° 2582].
1.
« Activité » traduit ici officium, qui peut avoir plusieurs
sens : « service », « charge »,
« fonction » ou « mission ». Nous avons traduit
différemment selon les cas.
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII,
6, BA 75, p. 381. Voir aussi ci-dessus, n° 2552, note 4.
3. Is 66, 23.
Ι
SIMON-PIERRE LEUR DIT : « JE VAIS PÊCHER. »
2577. Simon-Pierre
appelle les autres au service [de la pêche], qui au sens mystique signifie le
service de la prédication - Je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes4. Pierre dit donc aux
autres : JE VAIS PÊCHER, parce qu'il associe les autres à son souci et à
sa prédication - Alors la
charge sera plus légère pour toi, le fardeau étant partagé avec d'autres1.
4. Mt 4, 19. Saint
Thomas commente : « Je vous ferai, c'est-à-dire je changerai
votre travail en un plus grand - Voici que j'envoie beaucoup de pêcheurs,
dit le Seigneur, qui les pécheront (Jr 16, 16). Et il dit je vous ferai parce
que la prédication extérieure travaille en vain si, de l'intérieur, la grâce du
Rédempteur n'est pas là. En effet, ce n'était pas par leur propre puissance
qu'ils attiraient les hommes, mais par l'opération du Christ. Aussi dit-il je
vous ferai. Et certes cette dignité est très grande. Aussi Denys
dit-il : "Rien n'est plus digne dans un service humain que d'être
coopérateur de Dieu"« (Sup. Matth. lect., IV, n° 370).
2578. Pourtant Luc
dit : Quiconque ayant
mis la main à la charrue, regarde en arrière, n'est pas apte au royaume de Dieu2. Or il s'avère que Pierre avait renoncé à son métier de pêcheur ;
comment donc y est-il retourné et a-t-il ainsi regardé en arrière ?
Réponse, selon
Augustin3 : s'il était retourné à son métier de
pêcheur avant que le Christ ne ressuscitât et leur montrât ses plaies, nous
aurions pensé qu'il avait fait cela par désespoir. Mais, maintenant que le
Christ leur a été rendu vivant du sépulcre, qu'ils ont examiné les marques de
ses blessures et reçu de lui le souffle de l'Esprit Saint, ils sont redevenus
ce qu'ils étaient, pêcheurs de poissons.
Par là il nous est
donné à entendre que le prédicateur peut chercher ce qui lui est nécessaire
pour sa subsistance par un travail licite, gardant l'intégrité de son
apostolat, et s'il n'a rien venant d'ailleurs. En effet, si le bienheureux Paul
dut apprendre un métier qu'il ignorait4 pour ne pas peser sur les autres et subvenir
à ses besoins, combien plus Pierre pouvait-il faire cela par son travail qui
était licite.
2579. Mais tu dis
que cela ne s'impose que lorsqu'on n'a rien venant d'ailleurs. Mais il est
manifeste que Pierre a et a toujours eu [le nécessaire], parce que le Seigneur l'a promis - Cherchez donc
premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses, c'est-à-dire
celles qui sont nécessaires à la vie, vous seront données par surcroît5.
Là il faut dire
qu'il est vrai qu'elles nous sont données par surcroît, mais si nous coopérons,
et c'est pourquoi le Seigneur a comblé Pierre, qui coopérait. Car qui d'autre
que le Seigneur lui-même a pu faire venir ces poissons pour qu'ils puissent
être pris6 ?
2580. Cependant il
faut noter, selon Grégoire7, qu'il y a deux sortes de charges. L'une
accapare l'esprit et fait obstacle aux œuvres spirituelles. C'est à une telle
charge, comme la perception de l'impôt ou une autre du même genre, qu'il ne
faut pas revenir, et on ne doit pas chercher à s'en procurer de quoi vivre.
C'est pourquoi nous ne lisons pas [dans l'Évangile] que Matthieu soit revenu au
bureau de douane. Mais il y a une autre charge dont l'exercice n'implique aucun
péché et n'accapare pas l'esprit, comme celui de la pêche et autres du même
genre ; c'est pourquoi il n'y eut pas de faute pour les Apôtres à y
revenir après leur conversion.
II
NOUS AUSSI NOUS VENONS AVEC TOI.
2581. L'Évangéliste
nous rapporte ainsi l'acquiescement des autres, montrant par là aux
prédicateurs et aux prélats que, selon cet exemple, ils doivent s'encourager
mutuellement en vue de la conversion des hommes - Un frère qui est aidé par son frère est comme une ville
forte 8. - Autour de lui était une couronne de
frères, comme une plantation de cèdres sur le mont Liban9.
1. Ex 18, 22.
2. Le 9, 62.
3. Tract, in Io., CXXII, 2-3, BA 75, p. 371-377.
4. Voir Tract, in Io., loc. cit., p. 377, où saint Augustin
précise que Paul « apprit un métier qu'il ne connaissait pas », mais
cela ne s'accorde pas avec les données scripturaires (voir notamment Ac 18, 3).
5. Mt 6, 33.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 4, BA 75, p.
379.
7. XL hom. in Evang., II,
hom. 24, 1, PL 76, co1. 1184 B-C.
8. Pr 18, 19 (propre à la Vulgate).
9. Si 50, 13.
III
ET ILS SORTIRENT ET MONTÈRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE
NUIT-LÀ ILS NE PRIRENT RIEN.
2582. L'Évangéliste
expose ensuite la réalisation de leur activité, et il touche les trois choses
que doivent faire les prédicateurs.
En premier lieu,
bien sûr, sortir (ILS SORTIRENT) de la compagnie des pécheurs - Sortez du
milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur, et ne touchez pas à ce qui est
impur et je vous recevrai1 ; se détacher des affections de la
chair - Sors de ton pays, de ta parenté, et de la maison de ton père2 - et même quitter le repos de la contemplation en vue du labeur - Sortons
dans la campagne, demeurons dans les vignes. Dès le matin, levons-nous pour
aller dans les vignes3.
Ensuite les
prédicateurs doivent monter ([ILS] MONTÈRENT) dans la barque, c'est-à-dire
progresser dans l'amour de l'unité de l'Église appelée aussi barque - Aux
jours de Noé (...), pendant qu'on bâtissait l'arche dans laquelle peu de
personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées à travers l'eau4 ;
et encore, monter dans la barque de la Croix en assumant la mortification de la
chair - Pour moi, puissé-je ne me vanter que de la Croix de Notre-Seigneur
Jésus Christ par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde5. - Béni est le bois par lequel est faite la
justice 6. Enfin, les prédicateurs doivent avoir une
totale confiance en l'aide du Christ. Si durant toute cette nuit ILS NE PRIRENT
RIEN, c'est que tant qu'elle reste privée du secours divin et de la prédication
intérieure, la langue du prédicateur travaille en vain. Mais quand vient la
lumière qui illumine les cœurs, alors ils « prennent » - Envoie ta
lumière et ta vérité7. C'est en ce sens que la privation du secours divin est appelée
« nuit » - La nuit vient où personne ne peut travailler8. On peut aussi comprendre CETTE NUIT-LÀ, c'est-à-dire l'ancienne
Alliance, ILS NE PRIRENT RIEN puisqu'ils n'ont pu amener les païens à la foi - La
nuit est déjà très avancée9. Selon Luc 10, s'ils péchaient la nuit, c'est qu'ils
restaient encore timides.
1. 2 Co 6, 17.
Saint Thomas commente : « Nous devons sortir du milieu des infidèles
en renonçant à leurs péchés. (...) Ce que dit l'Apôtre doit s'entendre de la
séparation spirituelle : sortez du milieu d'eux spirituellement, en
veillant à ne pas suivre leur conduite - Comme le lis au milieu des
chardons, ainsi ma bien-aimée parmi les jeunes filles (Ct 2, 2). Cela veut
dire que nous devons éviter même les occasions de péché qui nous sont données
par eux. Séparez-vous est une invitation à fuir toute entente avec eux -
Je suis venu séparer le fils d'avec son père (Mt 10, 35). - Retirez-vous
des tentes des impies (Nb 16, 26). En troisième lieu nous devons les
confondre quand ils agissent ma1. Ne touchez à rien d'impur signifie :
ne vous laissez entraîner à rien de mal par eux - Non seulement ils font de telles choses, mais ils
approuvent ceux qui les font (Rm 1, 32). - Ne prenez aucune part aux œuvres stériles (Ep 5,
11) et cela, parce que qui touche la poix s'englue (Si 13, 1) » {Ad
2 Cor. lect., VI, n° 243).
2. Gn 12, 1.
3. Ct 7, 11-12.
4. 1 Ρ 3, 20.
5. Ga 6, 14. Voir
ci-dessus, n° 2560, note 1.
6. Sg 14, 7.
7. Ps 42, 3. Saint
Thomas commente : « On parvient à Dieu par les souffrances de l'âme
et par la connaissance - L'entrée dans le repos est promise à ceux qui
croient (He 4, 3). Deux choses sont nécessaires à la connaissance : la
lumière et l'objet à connaître - Tout ce qui est manifesté est lumière (Ep
5, 13). Et c'est pourquoi il demande deux choses : la lumière et la
vérité, biens auxquels je ne peux pas accéder par moi-même. Aussi dit-il :
Envoie ta lumière et ta vérité. Ici lumière et vérité sont une même
chose, car elles sont prises pour le Christ. Envoie ta lumière, c'est-à-dire
le Christ - Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn
1, 9) -, et ta vérité - Moi je suis le chemin et la vérité (Jn 14, 6) -,
car le Christ est lui-même la vérité et la vie, autrement dit : Dieu le
Père envoie le Christ. Ou bien, lumière est pris ici dans le sens de la
loi, car le commandement du Seigneur est une lampe, et sa Loi une lumière (Pr
6, 23). Et la vérité, c'est le Nouveau Testament » (Exp. in
Psalmos, 42, n° 2).
8. Jn 9, 4.
9. Rm 13, 12. Sur
les significations de la nuit, voir vo1. I, n° 1305, note 9.
10. Il s'agit en
fait de saint Jean Chrysostome, In
Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.
2583. L'Évangéliste
poursuit en rapportant ici la manière dont eut lieu l'apparition et l'ordre de
ce qui arriva. Dans un premier temps Jésus se donne à voir de manière
corporelle, puis il amène ses disciples à le reconnaître [n° 2587] et leur
présente enfin un repas amical [n° 2597].
Ils voient Jésus
physiquement.
OR, LE MATIN VENU, JÉSUS SE TINT SUR LE RIVAGE, MAIS SES
DISCIPLES NE CONNURENT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (21, 4)
2584. Dans la
première partie, il montre d'abord la présence du Christ, puis l'ignorance des
disciples. Or, au sens mystique, LE MATIN évoque la gloire de la Résurrection - Au soir seront réservés les
pleurs, et au matin la
joie 1 - et encore les pleurs [d'émotion] de la vie
éternelle - Dès le matin
je me présenterai devant toi et je verrai2.
2585. Mais puisqu'au
cours d'un miracle semblable avant sa Passion, Jésus ne s'était pas tenu sur le
rivage mais dans la barque3, pourquoi après sa Passion se tient-il SUR
LE RIVAGE ?4 La raison en est que la mer signifie
l'agitation du siècle présent ; or le rivage marque la limite de la mer - Lui qui a posé le sable pour
limite à la mer, précepte éternel qu'elle ne franchira pas5. Certes, avant sa Passion, le Christ se tint sur la mer parce qu'il
avait un corps mortel, tandis qu'après sa Résurrection, ayant quitté désormais
la corruption de la chair, il SE TINT SUR LE RIVAGE.
1. Ps 29, 6. Voir ci-dessus, n° 2085 et note 8.
2. Ps 5, 5. Saint Thomas commente : « Le psalmiste expose
le motif de sa confiance. (...) Deux raisons sont attribuées à juste titre à
cette confiance. D'abord, parce qu'il se présente dès le matin, c'est-à-dire
adhère à Dieu, et se prépare à rencontrer Dieu. C'est pourquoi la version Juxta
Hebraeos de Jérôme lit : praeparabor (je me préparerai) - Avant la prière, prépare
ton âme, et ne sois pas comme un homme qui tente Dieu (Si 18, 23). Donc dès
le matin du jour, c'est-à-dire aux heures du matin, je me présenterai à
toi, c'est-à-dire je me dirigerai vers toi. (...) Et tu entendras ma
voix. Car Dieu écoute ceux qui s'attachent à lui. Dès le matin, c'est-à-dire
de la grâce, les ténèbres de la faute ayant été chassées, je me présenterai et
je te contemplerai, selon la version Juxta Hebraeos de
Jérôme - Le juste sera comme la lumière de l'aurore, qui, au soleil levant,
le matin, brille sans nuages, et comme l'herbe qui germe de la terre par les
pluies (2 S 23, 4). Tu entendras ma voix, c'est-à-dire en me libérant de la
faute et du châtiment. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire au jour
de l'éternité - Où étais-tu
(...) lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les
fils de Dieu étaient transportés de joie ? (Jb 38, 4 et 7). Et alors l'homme sera
totalement entendu. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire depuis la jeunesse, je me
présenterai à toi - II est bon à l'homme de porter un joug dès sa jeunesse (Lm
3, 27), et Souviens-toi de ton Créateur dans les jours de ta jeunesse, avant
que vienne le temps de l'affliction (Qo 12, 1). Tu entendras ma voix qui
déclare dans les Proverbes : J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui dès
le matin veillent pour me chercher me trouveront (8, 17). La seconde raison
de sa confiance, c'est qu'il verra ; aussi dit-il : et je
verrai » {Exp. in Psalmos, 5, n° 2).
2586. L'ignorance
des disciples consiste en ce qu'ils NE CONNURENT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. Nous
saisissons par là que, plongés dans la mer de cette agitation, nous ne pouvons
pas connaître les secrets du Christ
- L'œil n'a pas vu, ô Dieu, excepté toi, ce que tu as préparé pour ceux qui
t'attendent6.
3. Cf. Lc 5, 3-6.
4. La question vient de saint
Grégoire le Grand {XL hom. in Evang., II, hom. 24, 1, PL 76, co1.
1184 D-l 185 A) qui répond par un texte présentant admirablement le problème de
la modalité de la présence et de l'action du Christ glorifié dans l'Église
militante, sur la base de la comparaison entre les deux récits évangéliques de
la pêche miraculeuse, l'un avant l'autre après la Résurrection. Il reprend
aussi le développement de saint Augustin.
5. Jr 5, 22.
6. Is 64, 4.
Ils reconnaissent
Jésus.
JÉSUS LEUR DIT DONC : « LES ENFANTS, AVEZ-VOUS
QUELQUE CHOSE À MANGER ? » ILS LUI RÉPONDIRENT :
« NON. » IL LEUR DIT : « LÂCHEZ LE FILET À DROITE DE LA
BARQUE ET VOUS TROUVEREZ. » ILS LE LÂCHÈRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA
FORCE DE LE REMONTER À CAUSE DE LA MULTITUDE DE POISSONS. (21, 5-6)
2587. Ensuite Jésus
amène les disciples à le reconnaître. D'abord l'Évangéliste montre comment il
les a amenés à cette connaissance, puis souligne l'ordre [suivant lequel ils l'ont
reconnu] [n° 2591].
I
JÉSUS LEUR DIT DONC : « LES ENFANTS, AVEZ-VOUS
QUELQUE CHOSE À MANGER ? »
2588. Dans cette
première partie, il distingue trois choses.
D'abord la question
posée par le Seigneur à propos de la nourriture. Les disciples en effet croyaient
qu'il n'était pas le Christ mais un acheteur de poisson, qui leur parlait comme
un acheteur1. Or, au sens mystique, c'est à nous que,
pour refaire (reficere) ses forces, il réclame cette nourriture qui est
l'obéissance aux commandements de Dieu - Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et
d'accomplir son œuvre2.
ILS (c'est-à-dire
les disciples) LUI RÉPONDIRENT : « NON », c'est-à-dire :
« pas par nous-mêmes » car, comme le dit Paul, le vouloir réside
en moi, mais accomplir le bien je ne l'y trouve pas3.
LACHEZ LE FILET A DROITE DE LA BARQUE.
2589. Ensuite
l'Évangéliste nous rapporte ce commandement. Nous trouvons cependant, en Luc4,
qu'avant la Passion une chose semblable avait été faite sans qu'il leur
commandât de lâcher le filet à droite comme ici5. Par là est signifiée cette pêche par
laquelle les prédestinés 6 sont attirés vers la vie éternelle, vie dans
laquelle ne sont introduits que les fils de la droite7 - Car
les voies qui sont à droite, le Seigneur les connaît, mais perverses celles qui
sont à gauche8. - La droite du Seigneur a exercé sa
puissance9.
La pêche précédente,
elle, signifie la vocation pour l'Église de ce siècle ; et c'est pourquoi
le filet peut être jeté indifféremment d'un côté ou de l'autre, puisque les poissons
sont attrapés et amenés un par un
vers lui - Va vite dans les places et les rues de la ville 10.
ILS LE LÂCHÈRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA FORCE DE LE
REMONTER À CAUSE DE LA MULTITUDE DE POISSONS.
2590. Par ces mots
l'Évangéliste souligne l'obéissance des disciples, puis l'effet de cette
obéissance, LA MULTITUDE DE POISSONS, c'est-à-dire de ceux qui doivent être
sauvés - Je multiplierai ta postérité comme le sable qui est sur le rivage de la mer (...) parce
que tu as obéi à ma voix1. -J'ai vu une foule immense que nul ne
pouvait dénombrer2.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.
2. Jn 4, 34.
3. Rm 7, 18.
4. Voir Lc 5, 4.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII,
7, BA 75, p. 385.
6. Sur la
prédestination, voir surtout vo1. I, n° 938, note 1, n° 1301 et note 11, n°
1373 et note 12, mais aussi ci-dessus, nos 1789, 2024, 2218, 2262,
et ci-dessous, n° 2605.
7. Cf. Gn 35,
18 : Mais son âme étant près de sortir par l'excès de la douleur, et la
mort déjà s'approchant, elle appela son fils du nom de Benoni, c'est-à-dire
fils de ma douleur ; mais son père l'appela Benjamin, c'est-à-dire fils de
la droite.
8. Pr 4, 27.
9. Ps 117, 16.
10. Lc 14, 21.
Cette pêche-ci
diffère donc de celle que nous rapporte Luc où le filet se déchire3 ;
ainsi l'Église souffre-t-elle de déchirures du fait de dissensions et
d'hérésies. Mais ici le filet ne se déchire pas, puisqu'il ne peut exister de
divisions dans la vie à venir. Aussi, tandis qu'à la première apparition les
poissons sont tirés jusqu'à la barque, dans celle-ci ils sont amenés sur le
rivage, car les saints qui sont dans cette gloire sont à présent cachés à nos
yeux4 - Tu les cacheras dans le secret de ta face loin de la persécution
des hommes5.
II
ALORS LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT À PIERRE :
« C'EST LE SEIGNEUR ! » SIMON-PIERRE, AYANT ENTENDU « C'EST
LE SEIGNEUR », NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA
À LA MER. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS N'ÉTAIENT PAS
LOIN DE LA TERRE MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE FILET PLEIN DE
POISSONS. (21, 7-8)
2591. Après avoir
exposé ce qui permit aux Apôtres de connaître le Christ, LA MULTITUDE DE
POISSONS qu'il leur accorda, l'Évangéliste montre l'ordre suivant lequel ils le
reconnurent, et d'abord comment Jean s'est comporté dans cette circonstance,
puis Pierre [n° 2593], et enfin les autres disciples [n° 2595].
ALORS LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT À PIERRE :
« C'EST LE SEIGNEUR ! »
2592. Jean nous
apparaît comme perspicace dans sa connaissance parce qu'aussitôt il reconnut le
Christ ; c'est pourquoi, poussé à cela par la capture des poissons, il dit
à Pierre, qu'il aimait plus que les autres, et aussi parce qu'il était le
premier de tous : « C'EST LE SEIGNEUR ! » - C'est toi
qui domines sur la puissance de la mer6. - Tout ce qu'il a voulu, le Seigneur l'a
fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes7. Et il dit seulement « C'EST LE SEIGNEUR ! », parce que
c'est ainsi qu'ils avaient l'habitude de l'appeler - Vous m'appelez Maître
et Seigneur, et vous dites bien car je le suis8.
SIMON-PIERRE, AYANT ENTENDU « C'EST LE SEIGNEUR »,
NOUA SA TUNIQUE À LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA À LA MER.
2593. Pierre est
présenté dans sa ferveur à suivre9. Celle-ci se traduit d'abord par sa
promptitude10. Ayant entendu, il ne tarda pas mais se
prépara aussitôt à aller le rejoindre - Ne tarde pas à te tourner vers le
Seigneur et ne diffère pas de jour en jour11.
Cette ferveur
apparaît ensuite dans le respect qu'il manifesta à l'égard du Christ puisque,
par pudeur, il ne voulut pas le rejoindre nu, mais NOUA SA TUNIQUE À LA
CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU en raison de la chaleur du pays, et aussi pour ne pas
être gêné dans son travai1. Là il faut comprendre que ceux qui viennent au
Christ doivent se dépouiller du vieil homme et revêtir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la foi1 - Celui qui aura vaincu sera ainsi vêtu de blanc, et je
n'effacerai pas son nom du livre de vie2.
1. Gn 22, 17-18.
2. Ap 7, 9.
3. Cf. Lc 5, 6.
4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385-387.
5. Ps 30, 21. Voir vo1. I, n° 921, note 2.
6. Ps 88, 10.
7. Ps 134, 6. Voir vo1. I, n° 753 : « La volonté de Dieu
est cause des réalités ».
8. Jn 13, 13.
9. Sur la ferveur de Pierre, voir plus haut, nos
1761-1762 et 1841-1843.
10. Les trois qualités de Pierre que saint Thomas note ici sont
reprises de saint Jean Chrysostome, In
Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475.
11. Si 5, 8.
Sa ferveur se
manifeste enfin dans la sûreté de son action ; car, en raison de son trop
grand amour, il ne voulut pas aller avec la barque parce qu'il aurait été
retardé, mais il SE JETA À LA MER, pour parvenir plus vite au Christ.
2594. Au sens
mystique, la mer représente l'agitation de ce siècle ; aussi ceux qui ont
un grand désir de gagner le Christ se jettent-ils à la mer, sans fuir les tribulations de ce monde - C'est par beaucoup
de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu 3. - Mon
fils, entrant au service de Dieu, sois ferme dans la justice et dans la
crainte, et prépare ton âme à la tentation 4.
Pierre se jeta donc
à la mer et cependant parvint indemne auprès du Christ, parce que des
tribulations le serviteur du Christ sort sain et sauf- C'est toi qui as tracé sur la mer une voie et au
milieu des flots un sentier très assuré5.
Et, selon
Chrysostome, c'est bien ici que nous sont le mieux révélés ce que sont Pierre
et Jean : Jean est le plus élevé par son intelligence et Pierre le plus
fervent dans son amour6.
QUANT AUX AUTRES,
ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE MAIS À
ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE FILET PLEIN DE POISSONS.
2595. Quant aux
autres disciples, ils s'avancèrent avec la barque. C'est pourquoi l'Évangéliste
nous présente premièrement ce qu'ils firent : ILS VINRENT AVEC LA BARQUE,
parce qu'ils étaient moins fervents. Or cette barque signifie l'Église - L'espoir du globe de la terre se
réfugiant dans un vaisseau conserva au monde un germe de renaissance7 -, selon la première épître de Pierre 8. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA
BARQUE, c'est-à-dire dans le sein protecteur de l'Église redoutable comme
une armée rangée en bataille9. - Tu les abriteras dans ton tabernacle
contre la contradiction des langues 10.
2596. Deuxièmement,
il donne l'explication de ce qu'il vient de dire : CAR ILS N'ÉTAIENT PAS
LOIN DE LA TERRE. C'est peut-être parce que la barque était proche de la terre
que Pierre se jeta à l'eau, et que les autres disciples parvinrent rapidement
au rivage. D'autre part, s'ils n'étaient pas loin, c'est que l'Église n'est pas
loin de la terre des
vivants11 puisqu'elle est maison de Dieu et porte du
Ciel12, et c'est bien cette terre que les saints contemplent chaque jour - Parce que nous ne considérons pas
les choses qui se voient mais celles qui ne se voient pas13. - Pour nous, notre vie est dans les deux 14.
Jean précise :
MAIS À ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, ce qui signifie la même chose que les deux
navires dans Luc, c'est-à-dire
deux peuples1 du milieu desquels les élus se trouvent
entraînés vers la vie éternelle
- Pour créer les deux en un seul peuple2.
1. Cf. Ep 4,
22-24.
2. Ap 3, 5.
3. Ac 14, 21.
4. Si 2, 1.
5. Sg 14, 3.
6. « Ille [Pierre]
ferventior, hic [Jean] sublimior ; ille promptior, hic
perspicacior » {In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1. 475).
7. Sg 14, 6.
8. 1 Ρ 3,
20 : Aux jours de Noé, pendant qu'on bâtissait l'arche, dans laquelle
peu de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées par l'eau.
9. Ct 6, 3.
10. Ps 30, 21.
Saint Thomas commente : « Cela regarde l'Église présente, qui est la
tente de ceux qui militent - II y aura une tente pour ombrage le jour contre
la chaleur, et pour mettre en sûreté et à couvert de la tempête et de la pluie (Is
4, 6). Et cela contre la contradiction des langues, qui, soit en
blasphémant Dieu, soit en enseignant des choses fausses, contredisent la vraie
doctrine ; c'est le cas des schismes et des diverses hérésies - Un faux
raisonneur est suscité devant ma face, me contredisant (Jb 16, 9). Donc si
on recourt à la tente de Dieu, c'est-à-dire à l'Église, et aux mystères de sa foi,
on y trouve une défense sûre contre de telles choses, contre la
contradiction des langues ο (Exp. in Psalmos, 30, n° 17).
11. Cf. Ps 26,
13 ; 51, 7 ; 114, 9 ; 141, 6.
12. Gn 28,
17 : Que ce lieu est redoutable/ Ce n'est rien de moins qu'une maison
de Dieu et la porte du cie1.
13. 2 Co 4, 18.
14. Ph 3, 20. Voir vo1. I, n° 1176, note 3.
Quant à ce filet
dans lequel les poissons sont traînés, c'est la doctrine de la foi par laquelle
d'une part Dieu nous attire en nous inspirant de l'intérieur - Nul ne peut
venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire3 -, et par laquelle d'autre part les Apôtres nous attirent en nous
exhortant comme ici.
Le repas que
Jésus partagea avec eux.
2597. L'Évangéliste
nous présente ici la manière dont le Christ a offert à ses disciples de
partager un repas amical avec lui. Il présente d'abord la préparation du repas,
puis l'invitation du Christ au repas [n° 2607], et enfin le repas lui-même [n°
2610].
Ι
UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES
ET, POSÉS DESSUS, DU POISSON ET DU PAIN. JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ
DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE. » SIMON-PIERRE MONTA DANS LA
BARQUE ET TIRA À TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS
POISSONS ; ET, BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS.
(21, 9-11)
L'Évangéliste nous
rapporte la préparation de ce repas en décrivant d'abord ce que le Christ
lui-même a préparé, puis ce que les Apôtres ont apporté [n° 2600].
Ce que le Christ
lui-même a préparé
UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES
ET, POSÉS DESSUS, DU POISSON ET DU PAIN.
2598. Le Christ a
préparé trois choses, à savoir les braises, le poisson et le pain. Aussi dit-il
UNE FOIS DESCENDUS À TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES, que le Christ par
sa puissance avait créées à partir de rien4, ou bien qu'il avait formées à partir d'une
matière déjà existante.
Mais on se rappelle
que précédemment, avant sa Passion5, il a rassasié la foule par la
multiplication des pains. Or maintenant, après sa Passion, il crée ou forme
d'une manière nouvelle, miraculeusement, parce qu'il n'est plus temps désormais
de montrer la faiblesse mais de manifester la puissance. En effet ce qu'il a
fait précédemment, avant sa Passion, montrait sa volonté de s'abaisser car,
s'il l'avait voulu, il aurait pu créer ou former les pains de cette nouvelle
manière - à partir de rien6.
2599. Nous
comprenons par là que pour le repas spirituel quelque chose est préparé par le
Christ. Et si ce repas est pris allégoriquement1, pour le repas de l'Église, le Christ prépare
alors ces trois choses. D'abord les BRAISES de la charité - Si ton ennemi a
faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire : tu amasseras des charbons ardents sur
sa tête2. - Remplis ta main de charbons ardents de feu3. Ces braises, le Christ les a apportées du ciel pour les répandre sur la
terre - Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres4. - Je suis venu jeter un feu sur la terre5.
1. Le peuple de la circoncision et celui de la gentilité, selon saint Augustin (Tract, in Io., CXXII,
7, BA 75, p. 387-389).
2. Ep 2, 15.
3. Jn 6, 44.
4. Créer à partir de rien : cette expression renvoie au
mystère de la Création où Dieu, dans sa sagesse et son amour, crée l'univers,
le monde des vivants et les créatures spirituelles à partir de rien, par sa
toute-puissance. À partir de rien, c'est-à-dire non pas à partir du néant, mais
sans l'utilisation d'une matière déjà préexistante qui serait alors l'égale de
Dieu. Dieu, quand il crée, est un artiste particulier qui travaille sans se
servir d'outils, de matière, d'intermédiaire. Tout vient de lui, directement,
et dépend de lui seu1. Déjà le philosophe, dans un regard de sagesse, peut
affirmer cela du mystère de la Création. Ici, saint Thomas, en théologien,
montre que le Christ comme Dieu peut créer à partir de rien, et comme homme
peut utiliser une matière déjà existante. Voir Somme théol, III, q. 13,
a. 1 et a. 2, où saint Thomas montre trois aspects : le mystère même de
Dieu, le mystère du Christ dans sa nature en tant qu'elle est instrument du
Verbe de Dieu uni personnellement à elle, et le mystère du Christ dans sa
propre nature humaine.
5. Voir Jn 6, 5 sq.
6. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2,
PG 59, co1. 475-476.
Ayant disposé les
braises, il prépare aussi LE POISSON - qui est le Christ - qu'il pose DESSUS.
En effet, ce poisson grillé (assus) est bien le Christ immolé (passus6), placé sur les braises lorsque, enflammé par la charité, il s'immole
pour nous sur la Croix - Et il s'est livré lui-même pour nous en oblation à
Dieu et en hostie de suave odeur7. - Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme
des enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour comme le Christ nous a
aimés8.
Enfin il prépare le
PAIN qui refait nos forces, et ce pain, c'est lui-même. Car le Christ, qui
demeure caché en raison de sa divinité, est symbolisé par le poisson dont le
propre est de rester caché sous les eaux - Vraiment tu es un Dieu caché9. Mais en tant qu'il refait nos forces par son enseignement, et même nous
donne son propre corps en nourriture, il est vraiment le pain - Moi, je suis
le pain vivant10. — Et le pain, produit des grains de la
terre, sera très abondant et gras11.
1. Cette expression traduit ici le terme allegorice. Voir
plus haut, n° 1978, où la même expression traduit le terme similitudo. Il
s'agit d'une modalité d'analogie (voir n° 1978, note 2).
2. Pr 25, 22.
3. Ez 10, 2.
4. Jn 13, 34.
5. Le 12, 49.
6. L'image vient directement de saint
Grégoire le Grand (XL hom. in Évang., II, hom. 24, 5, PL 76, co1.
1187 A-B) qui la reprend de saint
Augustin (Tract, in Io., CXXIII, 2, ΒΑ 75, p. 407) et
qui appliquera ensuite au Christ d'avoir caché sa divinité dans l'humanité
comme le poisson dans l'eau.
7. Ep 5, 2.
8. Ep 5, 1-2.
9. Is 45, 15.
10. Jn 6, 51.
À ce repas doit être
apporté quelque chose de la part des ministres de l'Église, cependant rien, si
cela ne préexiste pas pour nous comme venant de Dieu 12.
Ce que les disciples
ont apporté
JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE
VOUS VENEZ DE PRENDRE. »> SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA À
TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS ; ET, BIEN
QU'IL Y EN EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS. (21, 10-11)
2600. Ce qu'ils
apportent nous est ici indiqué. Dans ce verset l'Évangéliste nous rapporte ce
commandement du Seigneur, puis son exécution par le disciple [n° 2603].
JÉSUS LEUR DIT : « APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS
VENEZ DE PRENDRE. »
2601. Il leur
demande donc d'apporter de ces poissons qu'ils ont pris eux-mêmes, comme s'il
disait : Moi, je vous ai fait le don de la charité, j'ai livré mon corps (assavi
corpus) sur la croix et je vous ai présenté le pain de la doctrine grâce
auquel l'Église est perfectionnée et fortifiée ; vous, il vous appartient
d'aller pêcher les autres, c'est-à-dire ceux qui se convertissent à la
prédication des Apôtres - Apportez au Seigneur les petits des béliers13. - Ils
ramèneront tous vos frères de toutes les nations comme un don au Seigneur1.
11. Is 30, 23.
12. Ce don que Dieu nous fait et qui préexiste à toute action
venant de nous ne doit-il pas être rapproché de la grâce prévenante, grâce que
Dieu nous donne gratuitement pour nous permettre de poser des actes dans la
lumière de la finalité, et donc de répondre à ce qu'il nous demande ? Voir
ci-dessus, n° 1909, note 9.
13. Ps 28, 1 (verset propre à la Vulgate). Saint Thomas commente :
« Au sens mystique, les béliers sont les chefs du troupeau, c'est-à-dire
les Apôtres - Les princes des peuples se sont réunis (Ps 46, 10). Leurs
enfants, ce sont les fidèles - Moi, je vous ai engendrés par l'Évangile dans le Christ
Jésus (1 Co 4, 15). Apportez
donc vous-mêmes à Dieu, vous qui êtes les petits des béliers » (Exp.
in Psalmos, 28, n° 2).
2602. Si l'on prend
ce repas pour un repas spirituel, alors le Christ prépare en premier lieu, pour
le repas de l'âme, les BRAISES de la charité - La charité de Dieu a été
répandue dans nos cœurs2. - Je suis venu jeter un
feu sur la terre3 ; aussi LE POISSON, c'est-à-dire la foi qui demeure mystérieuse (abscondita)
puisqu'elle a pour objet des réalités qu'on ne voit pas4 ;
et encore LE PAIN, c'est-à-dire la doctrine solide - Mais c'est
pour les parfaits qu'est la nourriture solide5.
Mais pour ce repas,
il nous est demandé, à nous, de bien utiliser la grâce6 qui
nous est accordée - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je
suis, et sa grâce en moi ne fut pas
vaine7. Et c'est pourquoi Jésus commande : « APPORTEZ DE CES POISSONS
QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE », c'est-à-dire apportez vos bonnes œuvres,
celles qu'il vous a été donné d'accomplir - Qu'ainsi brille votre lumière
devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes œuvres8.
SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA À TERRE LE FILET,
PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS.
2603. L'Évangéliste
poursuit en nous montrant l'exécution par le disciple de l'ordre donné par le
Christ. Il s'agit de Pierre, qui était plus fervent. Aussi dit-il :
SIMON-PIERRE MONTA, c'est-à-dire saisit le gouvernail de l'Église - Je
monterai sur le palmier9. — II a disposé dans
son cœur des degrés pour s'élever10 -,
ET TIRA À TERRE LE FILET, parce que c'est encore à lui qu'a été confiée la
sainte Église et à lui spécialement qu'il a été dit : Pais mes brebis11, comme nous le verrons par la suite 12.
1. Is 66, 20.
2. Rm 5, 5. Voir vo1. I, n° 1234, note 8 et n° 2069.
3. Le 12, 49.
4. Voir He 11, 1. Voir ci-dessus, n° 2018 et n° 2564.
5. He 5, 14.
6. Sur le mystère de la grâce, voir ci-dessus, n° 1900, notes 1 et
2, n° 1984, note 8, n° 1993, note 10, ηϋ 2095, note 12. Voir aussi n°
2513, note 10, sur la grâce et notre coopération, et n° 2514, note 3, sur les
différentes modalités de la grâce.
7. 1 Co 15, 10.
8. Mt 5, 16.
9. Ct 7, 8.
Et ce que le Christ
indique par ces mots : pais mes brebis, c'est précisément ce que le
travail (opus) de Pierre préfigure. En effet, c'est lui qui tire les
poissons sur la terre ferme, manifestant ainsi aux croyants la stabilité de la
patrie éternelle 13.
2604. Il dit :
LE FILET PLEIN DE (...) GROS POISSONS parce que ceux qu'il a prédestinés, il
les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés14 - Ces
hommes grands en puissance et pourvus de leur prudence, ils ont montré parmi
les prophètes la dignité de prophètes et ils ont commandé aux peuples de leur
temps et, en vertu de leur prudence, ils ont donné aux peuples de très saintes
paroles15. Pour l'autre pêche, Luc 16 ne
mentionne pas le nombre comme ici : il y en eut en effet CENT
CINQUANTE-TROIS.
C'est que les bons
comme les mauvais sont par vocation entraînés à former l'Église présente 17 - Des
insensés infini est le nombre18. C'est pourquoi il est dit dans la Genèse à
Abraham à propos de cette vocation : Ta postérité sera comme le sable
qui est sur le rivage de la mer19. Il s'agit là de ceux qui sont mauvais. Au contraire il est dit des
autres : Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux20.
Tels sont en effet ceux que Dieu compte parmi les siens, ceux qui ont du prix à
ses yeux - Lui qui compte la multitude des étoiles21.
10. Ps 83, 6.
11. Jn 21, 17.
12. Aux nos 2623-2626.
13. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom.
24, 4, PL 76, co1. 1185 D-1186 A.
14. Rm 8, 30.
15. Si 44, 3-4.
16. Cf. Le 5, 6.
17. Cf. saint Grégoire le
Grand, loc. cit., 3, co1. 1185 B-C.
18. Qo 1, 15 (propre à la Vulgate).
19. Gn 22, 17.
20. Gn 15, 5.
21. Ps 146, 4.
2605. Mais n'y
aura-t-il pas plus de cent cinquante-trois élus ? Au contraire, bien
davantage. Ce nombre a ici un sens mystique. En effet, nul ne peut venir à la
Patrie s'il n'observe le Décalogue. Or on ne peut l'observer sans la grâce
septiforme de l'Esprit Saint dont Isaïe a dit : L'esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de sagesse
et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de
piété, et l'esprit de crainte du Seigneur le remplira1.
On lit dans la Genèse que cette sanctification a été faite d'abord le septième jour : Dieu bénit le
septième jour et le sanctifia2.
Or dix et sept font
dix-sept. Si donc on calcule de cette façon, en prenant d'abord un et deux qui
font trois, et trois qui font six, six et quatre qui font dix, dix et cinq qui
font quinze... et ainsi de suite en additionnant le nombre qui suit jusqu'à
dix-sept, on obtient bien cent cinquante-trois3.
On peut interpréter
différemment4. Les disciples auxquels le Christ apparut
étaient sept. Or en multipliant ce nombre par sept - les sept dons du
Saint-Esprit5 -, on obtient quarante-neuf, auxquels on
ajoute un, signe de la perfection de l'unité dans laquelle doivent être les
fils de Dieu qui sont mus par l'Esprit de Dieu6 ; cela fait cinquante. Si on multiplie
par trois ce nombre, et qu'on y ajoute encore trois - pour signifier cette foi
en la Trinité que confessent notre cœur, notre langue et nos œuvres -, cela
fait cent cinquante-trois. Cela nous montre que ceux que l'Esprit Saint a
sanctifiés par ses sept dons et qui ont été unis dans la foi à la Trinité,
accèdent ainsi à la Patrie.
1. Is 11, 2-3.
2. Gn 2, 3.
3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 8, Β A 75, p. 393-395. Même interprétation dans sa Lettre 55 à
Januarius (§31, PL 33, co1. 219-220).
4. La réduction de 153 à ses deux composants mettait en
confrontation la Loi (10) et la grâce de l'Esprit Saint (7). En abandonnant la
forme arithmétiquement parfaite, saint Augustin interprète plus librement le
chiffre 153 en rassemblant trois éléments théologiques plus
satisfaisants : la perfection (7 x 7) de celui qui vit dans l'Esprit
Saint, son unité d'opération (49 + 1 = 50) et la Trinité (50 x 3 et addition de
3). Cf. M. Comeau, Saint
Augustin exégète du Quatrième évangile (Études de Théologie Historique),
Beauchesne, 19302, p. 138-140.
5. Sur les dons du Saint-Esprit, voir vo1. I, n° 1577, note 4.
6. Voir Rm 8, 14.
ET, BIEN QU'IL Y EN
EÛT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS.
2606. Dans ce
passage, Jean nous dit : ET,
BIEN QU'IL Y EN EÛT AUTANT - par la taille et par le nombre -, LE FILET NE SE
DÉCHIRA PAS, tandis que lors de l'autre pêche7 le filet se déchirait. C'est que l'Église
présente, dont cette pêche-là était le symbole, souffre de nombreuses
déchirures dues aux schismes, aux hérésies, aux insoumissions, sans pour autant
être entièrement déchirée, en vertu de la promesse du Christ : Et voici que je suis avec vous tous les
jours jusqu'à la consommation des siècles8.
Mais dans la patrie
future, préfigurée ici, c'est-à-dire dans cette paix des saints, il ne saurait
y avoir de schismes9 - C'est lui qui a établi sur tes confins,
c'est-à-dire la Jérusalem céleste, la paix10.
II
JÉSUS LEUR
DIT : « VENEZ, MANGEZ ! » ET AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT
PART AU REPAS N'OSAIT LUI DEMANDER : « TOI, QUI ES-TU ? »,
SACHANT QU'IL EST LE SEIGNEUR. (21, 12)
2607. L'Évangéliste
nous rapporte ensuite l'invitation au repas préparé. Il nous montre d'abord
cette invitation du Christ, puis l'attitude des disciples lors de ce repas [n°
2609].
7. Voir Lc 5, 6.
8. Mt 28, 20. Saint Thomas commente : « En effet le
monde ne passera pas jusqu'à ce que tout soit accompli, c'est-à-dire que
l'Église des fidèles soit consommée et que soit accompli le nombre de ceux que
Dieu a élus pour la vie éternelle » (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2469).
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p.
385.
10. Ps 147, 14.
JÉSUS LEUR DIT : « VENEZ, MANGEZ ! »
2608. C'est en effet
le Christ qui invite au repas en nous inspirant de l'intérieur par lui-même - Venez à moi vous tous qui
prenez de la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai1. — Mangez mes amis et buvez, enivrez-vous
mes biens-aimés 2 -, et de l'extérieur, par l'enseignement et les exhortations
d'autres personnes - Un homme fit un grand souper. (...) Et à l'heure du souper, il
envoya son serviteur dire aux invités de venir3.
ET AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT PART AU REPAS N'OSAIT LUI
DEMANDER : « TOI, QUI ES-TU ? », SACHANT QU'IL EST LE
SEIGNEUR.
2609. Selon Augustin4,
cette attitude des disciples manifeste qu'ils étaient sûrs de la Résurrection
du Christ. Ils étaient en effet tellement certains que c'était le Christ
qu'aucun des convives n'osa douter que ce fût bien lui. Et parce que
l'interrogation est signe d'un doute, nul n'osait l'interroger :
« TOI, QUI ES-TU ? », selon cette parole : En ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur
rien5.
Chrysostome 6 y
voit une marque de respect des disciples à l'égard du Christ, plus grande encore
que d'habitude : ils l'auraient volontiers interrogé, mais le Christ leur
apparut sous une apparence magnifique et une gloire admirable, si bien que,
saisis de stupeur et de respect, ils n'osaient plus l'interroger. Et ce qui
surtout les retenait de l'interroger, c'est qu'ils savaient QU'IL EST LE
SEIGNEUR.
1. Mt 11, 28.
Saint Thomas commente : « Venez à moi, ce qui est aussi la
parole de la Sagesse : Venez à moi vous tous qui me désirez (Si 24,
26). Aussi, approchez de moi ignorants, parce qu'il veut se communiquer » (Sup.
Matth. lect., XI, n° 967). Et : « Quel est ce repos (refectio) ?
(...) En effet le corps n'est pas refait aussi longtemps qu'il est affecté. Et
ce que la faim est pour le corps, le désir l'est pour l'esprit. C'est pourquoi
ce repos (refectio) est l'accomplissement de tous nos désirs - Lui
qui comble de biens ton âme (Ps 102, 5). Et ce repos est un repos de l'âme -J'ai
un peu peiné et j'ai trouvé beaucoup de repos (Si 51, 35). De même que les
doux ne trouvent pas de repos dans le monde, ainsi vous trouverez le repos
éternel, c'est-à-dire vos désirs seront comblés (impletionem
desideriorum) » (loc. cit., n° 971).
2. Ct 5, 1.
3. Le 14, 17.
4. Tract, in Io., CXXIII, 1, ΒΑ 75, p. 403-405.
5. Jn 16, 23.
6. In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, co1.
475-476.
III
ET JÉSUS VIENT, IL PREND LE PAIN ET LE LEUR DONNE, ET DE
MÊME LE POISSON.
(21, 13)
2610. L'Évangéliste
poursuit en nous rapportant ce repas que les disciples prirent sur l'ordre du
Christ - Toi, tu ouvres ta main, et tu combles tout vivant de bénédiction7. C'est lui en effet qui leur donne la nourriture au temps opportun8.
2611. Mais le Christ
a-t-il mangé avec eux ? Il faut dire que oui. Bien que cela ne soit pas
indiqué ici, Luc dit expressément9 qu'il mangea avec eux, et de même il est dit dans les Actes : Ensuite, mangeant
avec eux, il leur commanda de ne pas s'éloigner de Jérusalem 10.
2612. Mais
s'agissait-il d'une véritable manducation ? Je réponds qu'un acte est dit
vrai de deux manières, à savoir quant à la vérité de ce qu'il signifie, et
quant à la vérité de son espèce11.
Au premier sens, un
acte est vrai s'il est conforme à la réalité signifiée. Ainsi, admettons que je
veuille signifier quelque chose par une parole : si ce que je signifie est
vrai et concorde avec la réalité signifiée, alors ma parole est vraie quant à
sa signification, sans être pour autant conforme à la vérité de l'espèce.
Ainsi, lorsque le Christ dit : Moi, je suis la vraie vigne1, cela est vrai, bien qu'il ne soit pas une
vraie vigne selon l'espèce « vigne », mais seulement selon ce que ce
terme [vigne] signifie.
7. Ps 144, 16.
8. Cf. Ps 144, 15.
9. Voir Lc 24, 43.
10. Ac 1, 4.
11. Saint Thomas
distingue deux sortes de vérité : la vérité de l'espèce et celle de la
signification. Il y a vérité de l'espèce quand, par exemple, un homme
véritable, en chair et en os, vivant, parle, et non pas un robot, une poupée,
un mannequin ou un fantôme sans consistance. Pour cette vérité, seul le
locuteur est regardé, et non pas l'impact de sa parole ni son éventuelle
conformité au rée1. Quant à la vérité de la signification, elle ne
renvoie pas à celui qui énonce la parole mais à la conformité de celle-ci à la
réalité signifiée, comme le dit saint Thomas. C'est le sens habituel de la
vérité dite « formelle » (voir De Veritate, q. 1, a. 1). Là,
on ne s'arrête pas à l'élaboration de la parole elle-même, mais c'est son
rapport au réel qui est examiné, afin de juger de sa vérité.
Selon la vérité de
l'espèce, une chose est dite vraie lorsqu'elle a ce qui relève de la vérité de
l'espèce. Or relèvent de cette vérité les principes de l'espèce mais non pas
les effets qui en découlent. Ainsi l'affirmation : « L'homme est un
animal » est vraie au premier sens parce qu'elle signifie quelque chose de
vrai, mais selon la vérité de l'espèce elle n'est pas vraie si elle n'est pas
formulée par la bouche d'un vivant parlant avec les organes qui conviennent. Et
pour cette vérité, l'effet de la parole n'est pas requis, par exemple qu'elle
soit entendue et autres choses de ce genre.
Ainsi il faut dire, au
sujet de la manducation, qu'il en existe une qui n'est vraie que quant à sa
signification, comme la « manducation des anges », puisque ceux-ci
n'ont pas de membres ordonnés à la manducation. Mais ce qui est vrai, c'est ce
qu'eux-mêmes signifiaient par cette expression, à savoir le désir qu'ils
avaient du salut des hommes.
Quant à la
manducation du Christ après la Résurrection, elle fut vraie selon la vérité de
signification, puisqu'il le faisait pour montrer qu'il avait une nature humaine2 - et
il l'avait en vérité ; et selon la vérité de l'espèce, puisqu'il avait les
organes propres à la manducation. Cependant cette manducation ne fut pas suivie
des effets de cet acte parce que cette nourriture ne fut pas transformée en
celui qui la mangeait étant donné qu'il avait un corps glorifié et
incorruptible. Mais elle fut dissoute par la puissance divine en la matière qui
était là. Or de tels effets ne contribuent pas à la vérité de l'espèce comme
nous l'avons dit.
C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS QUE JÉSUS SE MANIFESTAIT À
SES DISCIPLES APRÈS S'ÊTRE RELEVÉ D'ENTRE LES MORTS. (21, 14)
2613. L'Évangéliste
met ainsi un terme au récit des apparitions. Mais selon Augustin3, si
ces mots : C'ÉTAIT DÉJÀ LA TROISIÈME FOIS, se rapportent au nombre
d'apparitions, cela n'est pas vrai car, comme on l'a dit, il apparut cinq fois
le premier jour, et de même cinq fois avant son Ascension : la première
fois, le huitième jour quand Thomas était avec eux4 ; la seconde, celle-ci, au bord du
lac ; la troisième, sur la montagne de Galilée, selon l'Évangile de
Matthieu5 ; la quatrième fois, il apparut pendant
que les Onze étaient à table comme le mentionne Marc6 ; enfin la cinquième fois, le jour de
l'Ascension, quand il fut élevé sous leurs yeux - Eux le voyant, il s'éleva,
et une nuée le déroba à leurs yeux7. Bien qu'il soit apparu plusieurs autres fois durant ces quarante jours8,
cela ne fut pourtant pas écrit.
1. Jn 15, 1.
2. Voir Somme
théo1., III, q. 54, a. 2, ad 3.
3. Tract, in
Io., CXXIII, 3, ΒΑ 75, p. 407-409.
4. Voir Jn 20, 26.
C'ÉTAIT DÉJÀ LA
TROISIÈME FOIS, se réfère donc plutôt aux jours où il leur apparut. Le premier
jour fut en effet l'apparition du soir même de la Résurrection l ; le second, celle de l'octave de la Résurrection - et huit jours
après2 ; le troisième jour, ce fut l'apparition rapportée ici.
5. Voir Mt 28, 16.
6. Voir Me 16, 14.
7. Ac 1, 9.
8. Voir Ac 1, 3.
Ou encore, on peut
dire que, même en se rapportant au nombre d'apparitions, la vérité de ce qui a
été dit est sauve parce qu'on ne dit pas qu'il apparut à de nombreux disciples
réunis si ce n'est une première fois, le soir, alors que les portes étaient
closes3, une deuxième huit jours plus tard, alors
que les disciples se trouvaient réunis, et une troisième, celle-ci. C'est
pourquoi il dit clairement : JÉSUS SE MANIFESTAIT À SES DISCIPLES.
1. Voir Jn 20, 19.
2. Jn 20, 26.
3. Jn 20, 19.
1
Après cela, Jésus se manifesta de nouveau à l'ensemble de ses disciples près de
la mer de Tiberiade. Or il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé
Didyme, Nathanael qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi
que deux autres de ses disciples, se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur
dit : « Je vais pêcher. » Ils lui disent : « Nous
aussi nous venons avec toi. » Et ils sortirent et montèrent dans la
barque, et cette nuit-là ils ne prirent rien. 4 Or, le matin venu, Jésus se
tint sur le rivage, mais ses disciples ne connurent pas que c'était Jésus.5
Jésus leur dit donc : « Les enfants, avez-vous quelque chose à
manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » 6 II leur
dit : « Lâchez le filet à droite de la barque et vous
trouverez. » Ils le lâchèrent donc et ils n'avaient plus la force de le
remonter à cause de la multitude de poissons.
7
Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C'est le
Seigneur ! » Simon-Pierre, ayant entendu « C'est le
Seigneur », noua sa tunique à la ceinture, car il était nu, et se jeta à
la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque, car ils n'étaient pas
loin de la terre mais à environ deux cents coudées, en tirant le filet plein de
poissons.
9
Une fois descendus à terre, ils virent des braises disposées et, posés dessus,
du poisson et du pain. 10 Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons
que vous venez de prendre. » n Simon-Pierre monta dans la barque et tira à
terre le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et, bien
qu'il y en eût autant, le filet ne se déchira pas. I2 Jésus leur dit :
« Venez, mangez ! » Et aucun de ceux qui prenaient part au repas
n'osait lui demander : « Toi, qui es-tu ? », sachant qu'il
est le Seigneur. 13 Et Jésus vient, il prend le pain et le leur donne, et de
même le poisson. 14 C'était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses
disciples après s'être relevé d'entre les morts.
15
Quand ils eurent pris le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon,
fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » II lui dit :
« Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! » II lui dit
« Pais mes agneaux. » 16 II lui dit de nouveau « Simon, fils de
Jean, m'aimes-tu ? » II lui dit « Mais oui, Seigneur, toi tu
sais que je t'aime ! » II lui dit encore : « Pais mes
agneaux. » 17 II lui dit une troisième fois : « Simon, fils de
Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut contristé de ce qu'il lui eût demandé
une troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il lui dit :
« Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je t'aime ! » II lui
dit : « Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis, lorsque
tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu
voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra
et t'emmènera là où tu ne veux pas. » 19 Or il dit cela pour signifier par
quelle mort il glorifierait Dieu. Après avoir dit cela, il lui dit :
« Suis-moi ! » 20 S'étant retourné, Pierre vit que le disciple
que Jésus aimait les suivait - celui qui à la Cène reposa sur sa poitrine et
dit : « Seigneur, qui est celui qui te livrera ? » 21
L'ayant donc vu, Pierre dit à Jésus : « Et de lui, Seigneur, qu'en sera-t-il ? »
22 Jésus lui dit : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je
vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! » 23 Le bruit se
répandit donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus ne lui
a pas dit : « II ne mourra pas », mais : « Si je veux
qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? »
24
C'est ce disciple-là qui témoigne de ces choses et les a mises par écrit, et
nous savons que son témoignage est vrai. 25 Mais il y a encore beaucoup
d'autres choses que Jésus a faites, et s'il fallait les mettre par écrit une
par une, je ne pense pas que le monde lui-même pourrait contenir les livres
qu'il faudrait écrire.
2614. L'Évangéliste
a exposé précédemment ce que le Seigneur a révélé aux disciples d'une manière
commune1, mais ici il nous révèle ce qu'il confia
plus spécialement aux deux qu'il aimait d'un amour de prédilection ;
d'abord à Pierre, puis à Jean [n° 2624],
Dans cette première
partie, le Seigneur révèle à Pierre deux choses : d'abord il lui confère
sa charge de pasteur, puis il lui annonce le martyre qu'il aura à souffrir [n°
2628].
Or ce n'est qu'après
l'avoir interrogé qu'il lui remet sa charge de pasteur. Celui qui est choisi
pour cette charge est d'abord soumis à une interrogation - N'impose hâtivement les mains à personne2. Et
il l'interroge par trois fois,
aussi cette partie se trouve-t-elle divisée en trois, suivant chacune des trois
interrogations.
La première
interrogation.
QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT À
SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE
CEUX-CI ? » IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS
QUE JE T'AIME ! » IL LUI DIT : « PAIS MES AGNEAUX. »
(21, 15)
Ici encore trois
parties apparaissent : d'abord Jean nous rapporte la question du Seigneur,
puis la réponse de Pierre [n° 2621], et enfin Pierre reçoit du Christ sa charge
[n° 2623].
QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT À
SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE
CEUX-CI ? »
Dans cette première
partie, il y a trois choses à considérer : d'abord l'opportunité de
l'interrogation3, puis la manière dont le Christ s'adresse à Pierre
[n° 2616] et enfin ce sur quoi porte cette interrogation [n° 2617].
1. Cf. Jn 20, 26.
2. 1 Tm 5, 22.
3. « Interrogation » traduit ici examinatio, qui
implique une mise à l'épreuve.
QUAND ILS EURENT PRIS LE REPAS
2615. Ici est
montrée l'opportunité de l'interrogation. Il s'agit là du repas spirituel dans
lequel l'âme est refaite par les dons spirituels - J'entrerai chez lui et je
prendrai mon repas avec lui1. C'est pourquoi il convient que ceux qui sont choisis pour ce service
refassent d'abord leurs forces à cet heureux repas. Autrement, étant eux-mêmes
affamés, comment pourraient-ils refaire les autres ? - Et j'enivrerai
l'âme des prêtres de graisse2, celle-là même, dis-je, dont le psalmiste
dit : Comme de graisse et de moelle se rassasie mon âme3.
JÉSUS DIT À SIMON-PIERRE : « SIMON, FILS DE JEAN,
M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? »
2616. La manière
dont le Christ s'adresse à Pierre nous est rapportée ici. Les trois qualités
nécessaires au prélat sont exposées.
L'obéissance, quand
il l'appelle SIMON, qui se traduit par « obéissant4 » ;
elle est nécessaire pour les prélats, car celui qui ne sait pas obéir à des
supérieurs ne sait pas commander des inférieurs - L'homme obéissant
parlera victoire5.
Puis la
connaissance, quand il dit PIERRE, qui se traduit par « celui qui
connaît » ; ce savoir est nécessaire au prélat car il est établi
comme celui qui observe. Or celui qui est aveugle est un mauvais observateur
- Ses guetteurs sont tous des aveugles, ils ne savent rien6.
- Parce que toi tu as rejeté la connaissance, moi je te rejetterai afin que
tu n'exerces pas pour moi le sacerdoce7.
Et enfin la grâce
lorsqu'il dit « Ioannis8 », c'est-à-dire FILS DE JEAN, et
celle-ci est nécessaire aux prélats, car sans elle ils ne sont rien - C'est par la grâce de Dieu que
je suis ce que je suis9. - Ayant connu la grâce de Dieu qui m'a été donnée, Jacques et Cephas
et Jean, qui paraissaient être les colonnes, nous donnèrent la main à moi et à
Barnabe, en signe de communion 10.
1. Ap 3, 20.
2. Jr 31, 14.
3. Ps 62, 6.
4. L'étymologie des trois noms qui caractérisent Pierre provient du Liber interpretationis hebraicorum
nominum de saint Jérôme (respectivement
Lag. 71, 4 ; 70, 16 ; 69, 16, CCL, vo1. LXXII, p. 148, 147, 146).
5. Pr 21, 28.
6. Is 56, 10. Saint Thomas commente : « Les
guetteurs, à savoir les prélats qui sont postés pour garder le peuple des
dangers, comme le guetteur des ennemis, ne savent pas prévoir les
dangers - Laissez-les : ils sont aveugles et conducteurs d'aveugles (Mt 15, 14) » (Exp. super Isaiam, 56, 10, p. 224, 1.
127-131).
7. Os 4, 6.
8. Voir vol. I, n° 13.
M'AIMES-TU PLUS QUE
CEUX-CI ?
2617.
L'interrogation porte sur la dilection11, et cela convient bien. Pierre auparavant,
comme nous l'avons vu, était tombé dans le péché ; il n'était donc pas
convenable qu'il fût préféré sans qu'auparavant cette faute fût absoute, ce qui
ne peut se faire que par la charité - La charité couvre la multitude des péchés 12. - La
charité couvre toutes les fautes13. C'est pourquoi il convenait
que par cette interrogation le Christ manifestât la charité de Pierre, non pas à lui qui scrute les reins et les
cœurs 14, mais aux autres. Il ne lui demande donc pas : « M'AIMES-TU
PLUS QUE CEUX-CI ? » comme s'il ignorait la réponse, mais parce que la charité parfaite chasse la crainte 15.
De là vient que
c'est en Pierre que le Seigneur renouvela l'amour et chassa la crainte, ce
Pierre qui, alors que le Seigneur allait mourir, avait eu peur et avait renié.
C'est pourquoi, lui qui avait renié par crainte de mourir ne craignit plus
rien, le Seigneur étant ressuscité. Que craindrait-il en effet quand désormais
il trouvait la mort morte ?16
2618. Cette
interrogation convient aussi à la charge [qui lui est confiée]. Beaucoup de
ceux qui ont reçu une charge de pasteur en usent pour l'amour d'eux-mêmes - Sache qu'à la fin des jours viendront
des temps périlleux, il y aura des hommes s'aimant eux-mêmes1. Or celui qui n'aime pas le Seigneur n'est pas un véritable
prélat ; seul l'est celui qui ne recherche pas son propre intérêt mais
celui du Christ Jésus, et ceci par
amour pour lui - La charité du Christ nous presse2.
9. 1 Co 15, 10.
10. Ga 2, 9.
11. Sur le sens du mot dilectio, voir vo1. I, n° 1475, note 4, p. 612, et ci-dessus, nos
1837 et 1909.
12. 1 Ρ 4, 8.
13. Pr 10, 12.
14. Cf. Ps 7, 10 ; Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20, 12 ;
Ap 2, 23.
15. 1 Jn4, 18.
16. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXIII, 4, ΒΑ 75, p. 411-413.
L'interrogation
convient aussi à la charge quant au service des plus proches, car c'est
l'abondance de la charité qui pousse ceux qui aiment à quitter de temps en
temps le repos de leur propre contemplation pour pourvoir au service des plus
proches3. En effet l'Apôtre qui affirmait : Car
je suis certain que ni
mort, ni vie, ni anges, ni principautés, (...) ne pourra nous séparer de
l'amour de Dieu4, ajoute ensuite : Je désirais
ardemment être moi-même anathème à l'égard du Christ pour mes frères qui sont
mes proches5.Voilà pourquoi l'interrogation est nécessaire pour s'assurer de la
dilection de celui qui va être prélat.
1. 2 Tm 3, 1-2. Saint Thomas distingue un double amour de soi,
intérieur et extérieur : « La racine de toute iniquité est l'amour de
soi-même. Or un double amour fait une cité double. Mais contre cela on dira que
n'importe qui s'aime naturellement. Je réponds : il faut dire qu'il y a
deux choses dans l'homme, à savoir une nature rationnelle et une nature
corporelle. Quant à la nature intellectuelle ou rationnelle, qui est appelée
l'homme intérieur, comme il est dit en 2 Co 4, 16, l'homme doit plus s'aimer
que tous les autres, parce qu'il serait insensé, celui qui voudrait pécher pour
retirer les autres de leurs péchés ; mais quant à l'homme extérieur, il
est louable qu'il aime les autres plus que lui. D'où ceux qui s'aiment ainsi
sont blâmables - Tous
recherchent leurs intérêts, non ceux de Jésus Christ (Ph 2, 21) » (Ad
2 Tim. lect., III, n° 92).
2. 2 Co 5, 14.
3. Voir ci-dessus, n° 1595, note 5, et n° 2487, note 2. Ici saint
Thomas insiste sur la grandeur de la vie active en elle-même, « qui est
nécessaire pour aimer le prochain de quelque façon que ce soit » (cf. Somme
théo1., II-II, q. 182, a. 4, c. et ad 1).
4. Rm 8, 38-39.
5. Rm 9, 3. Saint Thomas développe : « Je désirais
être moi-même anathème à l'égard du Christ, c'est-à-dire séparé de lui, ce
qui peut avoir lieu de deux manières. D'abord, par une faute par laquelle on
est séparé de la charité du Christ en n'observant pas son précepte : Si vous m'aimez, vous garderez mes
commandements (Jn 14, 15).
L'Apôtre
ne pouvait pas souhaiter être anathème à l'égard du Christ de cette manière
pour n'importe quelle cause ; cela est de toute évidence, d'après ce qui a
été dit au chapitre 8, 35. Car cela s'opposerait à l'ordre de la charité selon
lequel on est tenu d'aimer Dieu par-dessus toutes choses et son propre salut
plus que le salut des autres. Aussi l'Apôtre ne dit-il pas je désire, mais
je désirais, c'est-à-dire au temps de l'infidélité. Cependant, selon ce
sens, l'Apôtre ne dit rien d'extraordinaire, puisque alors il voulait, même
pour lui-même, être séparé du Christ. (...) D'une autre manière on peut être
séparé du Christ, c'est-à-dire de la jouissance du Christ qu'on possède dans la
gloire. C'est de cette manière que l'Apôtre voulait être séparé du Christ pour
le salut des Gentils, à plus forte raison pour la conversion des Juifs - Désirant être dissous et être
avec le Christ, chose bien meilleure pour moi ; et demeurer dans la chair,
chose nécessaire pour vous (Ph 1, 23-24). C'est donc ainsi qu'il
disait : je désirais, à savoir si c'était possible, être
anathème, c'est-à-dire séparé de la gloire, soit absolument soit pendant un
temps, pour l'honneur du Christ, qui résulte de la conversion des Juifs - Dans
la multitude du peuple est la dignité d'un roi (Pr 14, 28). D'où ce que dit
Chrysostome dans son ouvrage De la componction du cœur : "L'amour
a tellement dominé toute son âme que même ce qui lui était plus aimable que
tout, c'est-à-dire d'être avec le Christ, il en arriverait à le mépriser pour
plaire au Christ ; et pareillement pour le royaume des Cieux, qui semblait
devoir être la récompense de ses labeurs, il souffrirait tout aussi bien d'y
renoncer pour le Christ" » (Ad Rom. lect., IX, n° 740).
2619. Il ajoute PLUS
QUE CEUX-CI. Même le Philosophe, dans sa Politique6, affirme que celui qui commande et gouverne doit être, selon un ordre
naturel, le plus excellent. C'est pourquoi il dit que, comme l'âme se comporte
à l'égard du corps qu'elle régit et l'intelligence à l'égard de ce qui lui est
inférieur, et encore l'homme à l'égard des animaux qui ne sont pas doués de
raison, ainsi le prélat doit regarder ceux qui lui sont confiés.
C'est pourquoi,
selon Grégoire7, la vie du pasteur doit être telle que,
comparativement à lui, ses subordonnés soient semblables aux brebis8
comparativement à leur pasteur. Aussi le Christ dit-il : PLUS QUE CEUX-CI,
parce que plus on aime, plus on
est grand - Certes, vous voyez quel est celui qu'a choisi le Seigneur et
qu'il n'y en a pas de semblable dans tout le peuple9.
2620. Mais est-il
nécessaire, lors d'un choix, de choisir toujours le meilleur de manière absolue
quand, selon le droit, il suffit de choisir un homme qui soit bon ? Il
faut ici faire une double distinction, car ce qui suffit selon le jugement
humain ne suffit cependant pas selon le jugement divin.
6. Voir notamment III, 13, 1283 b 21-23 et 1284 a 3-13 et b
28-33 ; III, 16, 1287 b 12.
7. Règle pastorale, II, 1, SC 381, p. 175.
8. « Brebis » traduit ici le mot animalia.
9. 1 S 10, 24.
Selon le jugement
humain, il suffit qu'on ne puisse accuser un homme et que le choix ne puisse
être remis en cause. En effet, il semble difficile que des choix puissent se
faire si on peut ensuite les remettre en cause parce qu'on trouve un autre
homme meilleur que celui qui a été choisi. Aussi suffit-il, selon le jugement
humain, comme on le lit dans les Décrétales1, que le choix soit droit et que soit choisi un homme capable.
Pourtant, selon le
jugement divin et selon la conscience, il est nécessaire de choisir le
meilleur. Cependant, au sens absolu, on dit d'un homme qu'il est le meilleur
quand il est le plus saint, car la sainteté le rend bon ; mais celui-là
n'est pas le meilleur selon ce que requiert l'Église. De ce point de vue, [un
homme] est meilleur dans la mesure où il est plus lettré, où il a plus de
compétence et de discernement, et où il est choisi avec un plus grand accord.
Mais si tous
possèdent également les qualités nécessaires au service de l'Église, et donc
l'excellence requise en vue de cette fonction, et qu'un homme moins bien au
sens absolu est préféré, il y a péché parce que nécessairement quelque intérêt
pousse à cela. Et donc, ce que l'on poursuit est soit l'honneur de Dieu et le
bien de l'Église, soit quelque intérêt privé. Si c'est le bien de l'Église et
l'honneur de Dieu qui poussent à choisir, ce bien que l'on saisit dans l'élu
fait de lui le meilleur pour cette fonction. Mais si c'est quelque intérêt
privé, par exemple une attache charnelle, l'espoir d'un bénéfice et d'un
avantage temporel, le choix est alors frauduleux et il y a acception de
personnes.
II
IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE
JE T'AIME ! » (21, 15)
2621. Voici la
réponse de Pierre : par elle est donné un signe évident qu'il s'est
corrigé de son reniement, et que les prédestinés sont toujours corrigés pour un
plus grand bien, si parfois ils tombent.
Car avant son
reniement, Pierre s'exalta au-dessus des autres Apôtres, en disant : Quand
tous se scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai !2,
mais aussi contre son Seigneur, parce qu'alors qu'il lui disait : Tu me
renieras trois fois, Pierre ajouta : Quand il me faudrait mourir
avec toi, je ne te renierai pas3 ; par là il semblait s'opposer
violemment à la parole du Seigneur.
Mais à présent,
vaincu dans ses propres forces, il n'ose pas confesser son amour si ce n'est en
rendant témoignage au Seigneur sous forme de protestation, en s'humiliant
devant le Christ par ces paroles : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS
QUE JE T'AIME ! » - Car voilà que dans le ciel est mon témoin et
que celui qui a une connaissance intime de moi habite au plus haut des deux 4.
Il s'humilie
également devant les Apôtres en ne disant pas : « plus que
ceux-ci », mais simplement « JE T'AIME ». Par là nous comprenons
que nous ne devons pas nous élever au-dessus des autres, mais les élever
au-dessus de nous - Mais par humilité, chacun estimant les autres supérieurs à soi1.
1. Decretales
Gregorii IX, 1. I, Tit. vi, Cap. xxxil, « Quum dilectus > C.I.C. éd.
Richter-Friedberg, 2è éd., Leipzig,
1881, co1. 78-79.
2. Mt 26, 33. Saint Thomas commente : « Pierre pécha en
trois choses. Tout d'abord parce qu'il n'a pas cru le Seigneur plus que
lui-même, alors qu'il est cependant écrit : Dieu seul est vrai et tout
homme est menteur (Rm 3, 4). Aussi parce qu'il s'est mis devant les autres : Quand tous se
scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai ! Il se jugeait donc
plus fort que les autres et il tomba en ce qu'il est dit : Je ne suis pas comme les autres hommes (Le
18, 11). De même, parce qu'il s'attribuait ce qu'il ne devait pas - Sans
moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15, 5). Donc, parce qu'il a parlé avec
arrogance, Dieu a davantage permis qu'il tombât. Et Dieu a fait cela parce
qu'il hait par-dessus tout l'orgueil - Et il voit tout arrogant et l'humilie
(Jb 40, 6) » (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2212).
3. Mt 26, 35.
4. Jb 16, 20.
2622. Notons aussi,
selon Augustin, qu'au Seigneur qui lui demande :
« M'AIMES-TU ? » (diligis me ?), Pierre ne répond
pas : « Je t'aime » (diligo), mais Amo te. Comme
si l'amour et la dilection étaient la même chose2. Ce qui est vrai selon la réalité, mais
diffère selon le nom. L'amour est en effet un mouvement de l'appétit ; si
ce mouvement est contrôlé par la raison, il s'agit alors d'un amour volontaire
qui est à proprement parler la dilection parce qu'elle suit un choix. Voilà
pourquoi on ne peut dire à proprement parler que les animaux aiment (diligere).
Mais si ce mouvement n'est pas réglé par la raison, on l'appelle l'amour (amor)
3.
III
IL LUI DIT : « PAIS MES AGNEAUX. » (21, 15)
2623. Maintenant,
après avoir éprouvé Pierre, il lui confie sa mission : « PAIS MES
AGNEAUX », c'est-à-dire ceux qui croient en moi, ceux que moi, l'Agneau,
j'appelle « mes
agneaux » - Voici l’ Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés
du monde4. Cela pour qu'on ne puisse pas appeler « chrétien » celui qui
affirme qu'il n'est pas sous la garde de ce pasteur, c'est-à-dire de Pierre - Un seul pasteur sera pour eux
tous5. - Et ils se donneront un seul chef6.
Il convenait que le
Christ confiât cette mission à Pierre de préférence à tous les autres, lui qui,
selon Chrysostome, était « le plus remarquable des Apôtres », aussi
bien porte-parole des disciples que tête du collège (collegium) 7.
La deuxième
interrogation.
IL LUI DIT DE NOUVEAU : « SIMON, FILS DE JEAN,
M'AIMES-TU ? » IL LUI DIT : « MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU
SAIS QUE JE T'AIME ! » IL LUI DIT ENCORE : « PAIS MES
AGNEAUX. » (21, 16)
2624. Voici
maintenant la seconde interrogation. Pour ne pas [en rester à] une répétition
des mêmes mots, remarque que si Jésus dit trois fois PAIS MES AGNEAUX [ou MES
BREBIS], c'est parce que Pierre doit les faire paître de trois manières.
1. Ph 2, 3. Saint Thomas commente : « En effet, comme le
fait que l'homme s'élève au-dessus de lui-même relève de l'orgueil, ainsi il
appartient à l'humilité que l'homme se soumette à sa mesure. Mais comment celui
qui est supérieur pourra-t-il réaliser cela ? En effet, ou bien il ne
connaît pas qu'il est supérieur, ni sa vertu, et ainsi il n'est pas vertueux
puisqu'il n'est pas prudent. Ou bien il le sait, et ainsi il ne peut estimer un
autre supérieur à lui. Je réponds : il faut dire que nul n'est si bon
qu'il n'y ait en lui aucun défaut, et nul n'est si mauvais qu'il n'ait quelque
chose de bon. D'où il ne faut pas qu'il le place devant lui de manière absolue,
mais que quant à cela il dise en son esprit : "Sûrement, il est en
moi quelque défaut qui n'est pas en lui". Et Augustin montre cela dans son
livre De la virginité, en montrant comment la vierge préfère à elle-même
la femme mariée, parce que cette dernière est sûrement plus fervente. Mais à
supposer qu'en toutes choses celui-ci est bon, et celui-là mauvais, néanmoins
toi et lui contenez une double personne, à savoir la tienne et celle du Christ.
Si donc tu ne le places pas devant en raison de sa personne, tu le places
devant en raison de l'image divine - Prévenants les uns pour les autres par le respect (Rm 12, 10) » (Ad Phi1. lect., II,
n° 49).
2. Tract, in
Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 417.
D'abord par la
parole de la doctrine - Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, et ils vous nourriront de
connaissance et de doctrine8 ; par l'exemple de sa vie - Sois l'exemple des fidèles par ta parole, par ta conduite, par ta charité,
par ta foi et par ta chasteté1. - Sur les monts d'Israël, la noblesse des grands hommes, seront
vos pâturages2 ; et encore, en leur apportant un secours temporel - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se faisaient paître
eux-mêmes. N'est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître ?3
3. Saint Thomas distingue les actes volontaires - l'amour
spirituel (être attiré par le bien spirituel), l'élection (choisir ce bien
spirituel), la dilection (aimer ce bien préféré aux autres) - des actes de
l'appétit sensible. Les uns sont commandés par la raison : j'aime
volontairement un bien spirituel et je le choisis lorsque je le connais de
l'intérieur par l'intelligence (ici Ja raison). Mais c'est une connaissance
sensible qui suscitera l'amour sensible, l'acte de l'appétit sensible. Voir
ci-dessus, n° 2480, note 3, et n° 2494, note 6. Voir aussi Somme théol, I-II,
q. 8 et 9.
4. Jn 1, 29.
5. Ez 37, 24.
6. Os 1, 11 [BJ 2, 2].
7. In Ioannem hom., LXXXVIII,
1, PG 59, co1. 478.
8. Jr 3, 15.
La troisième
interrogation.
IL LUI DIT UNE TROISIÈME FOIS : « SIMON, FILS DE
JEAN, M'AIMES-TU ? » PIERRE FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EÛT DEMANDÉ
UNE TROISIÈME FOIS : « M'AIMES-TU ? » ET IL LUI DIT :
« SEIGNEUR, TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! » IL LUI
DIT : « PAIS MES BREBIS. » (21, 17)
2625. Mais sois
attentif au fait que la troisième fois, il lui dit « PAIS MES
BREBIS », après avoir dit deux fois auparavant « PAIS MES
AGNEAUX ». C'est que dans l'Église, on peut distinguer trois genres (genera)
d'hommes : les commençants, les progressants et les parfaits4. Et
ces deux premiers sont les agneaux, comme encore imparfaits, tandis que les
autres, en tant que parfaits, sont appelés brebis5 - Les montagnes, c'est-à-dire les
parfaits, bondirent comme des béliers, et les collines, c'est-à-dire
les autres, comme des agneaux de brebis6.
1. 1 Tm 4, 12. Voir Ad 1 Tim., IV, n° 169.
2. Ez 34, 14.
3. Ez 34, 2.
4. Voir n° 2508,
note 7, et Somme théo1., II-II, q. 24, a. 9, c. : « En premier
lieu, le zèle de l'homme s'appliquera principalement à s'éloigner du péché et à
résister aux concupiscences qui le poussent au sens contraire de la charité. Et
cela convient aux commençants chez qui la charité doit être nourrie et
entretenue de peur qu'elle ne se corrompe. Deuxièmement, son zèle se poursuit de
telle sorte qu'il tende à avancer dans le bien. Un tel zèle convient aux
progressants, qui tendent principalement à ce que la charité augmente en eux.
Enfin, un troisième zèle est que l'homme tende principalement à adhérer à Dieu
et à jouir de lui. Cela se rapporte aux parfaits qui désirent disparaître et
être avec le Christ (Ph 1, 23) ».
5. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 311.
6. Ps 113,4.
7. Il s'agit en
fait d'un commentaire du même passage de l'évangile : Serm. de Scr., 96,
II, 2, PL 38, co1. 796-797.
8. Tract, in
Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 415.
9. Cf. Lc 7,
47 : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé.
Mais celui à qui on remet moins aime moins.
10. Mt 16, 18.
« Qui, de Pierre ou du Christ, est le fondement ? Il faut dire le
Christ en tant que tel mais Pierre en tant qu'il a la concession du Christ, en
tant qu'il est son vicaire - Bâtis sur le fondement des Apôtres et des
prophètes, le Christ Jésus étant lui-même pierre principale d'angle (Ep 2,
20). - Les douze fondations de la ville, et sur chacune les noms des douze
Apôtres et de l'Agneau (Ap 21, 14). C'est pourquoi le Christ en lui-même
est fondement, et les Apôtres le sont, non pas en eux-mêmes, mais par une
concession du Christ, et l'autorité donnée par le Christ - 5a fondation sur
les saintes montagnes (...) (Ps 86, 1) » (Sup. Matth. lect., XVI,
n° 1384).
Aussi tous les
prélats doivent-ils garder ceux qui leur sont confiés comme les brebis du
Christ et non les leurs. Mais hélas, comme le dit Augustin dans un sermon de
Pâques7, « Voici que des serviteurs infidèles
ont dispersé le troupeau du Christ et par leurs rapines ont entassé pour eux de
l'argent ; et tu les entends dire : "Ces brebis sont à
moi ! Pourquoi cherches-tu mes brebis ? Que je ne te trouve pas
auprès d'elles !" Mais si nous disons "les miennes", et
qu'ils les disent "leurs", c'est que le Christ a perdu ses
brebis. »
2626. Remarquons
encore que, de même qu'il lui confie sa mission par trois fois, il l'éprouve
aussi par trois fois. D'abord parce que Pierre l'avait renié trois fois. Aussi
une triple confession s'impose-t-elle, comme le dit Augustin8,
« pour qu'ainsi sa langue ne serve pas moins l'amour que la crainte, et
que la mort imminente ne paraisse pas avoir arraché plus de paroles que la Vie
présente ».
Ensuite, parce que
Pierre était tenu d'aimer le Christ pour trois raisons. D'abord à cause du
péché remis - Celui à qui
l'on remet plus, aime plus9 ; puis à cause de l'honneur promis, parce qu'il était
grand : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église10 ;
enfin à cause de la mission qui lui était confiée, comme ici où il le charge de
veiller sur l'Église.
Ou encore, il dit
trois fois : PAIS, à cause de ce que le Seigneur a commandé - Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, c'est-à-dire pour
diriger vers Dieu toute ton intention, de toute ton âme, pour que ta
volonté tout entière se repose en Dieu par l'amour, et de toute ta force1, pour que toute la réalisation de tes œuvres
serve Dieu.
PIERRE FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EÛT DEMANDÉ UNE
TROISIÈME FOIS : « M'AIMES-TU ? » ET IL LUI DIT :
« SEIGNEUR, TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! »
2627. Remarquons
aussi que Pierre, interrogé ainsi à trois reprises, fut contristé. C'est
qu'avant la Passion, alors qu'il avait proclamé vivement son amour pour le
Christ, il fut réprimandé par le Seigneur comme nous l'avons vu. Se voyant donc
interrogé trois fois sur son amour, il craint d'être réprimandé par le
Seigneur, et il en est contristé2. Aussi dit-il : « TOI TU SAIS
TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! », comme pour dire : Moi je
t'aime, autant qu'il me semble, mais toi tu sais tout et peut-être tu sais
qu'il doit arriver quelque chose d'autre. C'est pourquoi c'est à Pierre, ainsi
humilié, que fut finalement confiée l'Église.
Un Docteur grec
affirme que ce serait la raison pour laquelle on interroge trois fois les
catéchumènes lors du baptême3.
« EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE TE LE DIS, LORSQUE TU ÉTAIS
PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS. QUAND
TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA ET T'EMMÈNERA LÀ
OÙ TU NE VEUX PAS. » OR IL DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL
GLORIFIERAIT DIEU. (21, 18-19)
2628. Le Seigneur a
désormais confié à Pierre son service de pasteur ; maintenant il lui
annonce qu'il aura à souffrir le martyre ; et cela convient bien, car il
revient au bon pasteur de livrer son âme pour ses brebis 4. Or
il ne fut pas donné à Pierre de livrer son âme pour le Christ dans sa jeunesse,
mais déjà vieux et pour ses brebis.
C'est bien ce que lui
annonce le Christ dans cette prédiction ; il lui rappelle d'abord la
condition de sa vie passée, puis il lui annonce la perfection de sa vie future
[n° 2630]. Enfin l'Évangéliste rapporte les paroles du Seigneur [n° 2633].
1. Dt 6, 5.
2. Cf. Theophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, co1. 310.
3. Theophylacte, ibid.
4. Voir Jn 10, 11.
5. « Ils [les jeunes gens] sont enclins à la colère et à
l'emportement, toujours prêts à suivre leurs entraînements et incapables de
dominer leur fureur. Par amour-propre, ils ne supportent pas qu'on tienne peu
de compte de leur personne, et se fâchent quand ils croient qu'on leur fait
tort » (Aristote, La
rhétorique, II, 12, 1389 a 9-10). « Ils croient tout savoir et
affirment avec obstination : c'est la cause de leur excès en tout. Ils
commettent leurs méfaits par démesure, non par méchanceté » (loc. cit.,
1389 b 5-7).
I
LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE
ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS. QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN
AUTRE TE CEINDRA.
2629. Or la
condition passée de Pierre ne fut pas sans défauts car dans sa jeunesse il fut
trop présomptueux et trop attaché à sa volonté propre - ce qui est en effet le
propre des jeunes, comme le dit le Philosophe dans sa Rhétorique5. Aussi l'Ecclésiaste dit-il, comme par
manière de blâme : Réjouis-toi
donc, jeune homme, en ton adolescence, et qu'heureux soit ton cœur dans les
jours de ta jeunesse ; marche dans les voies de ton cœur6. C'est ce que signifie cette parole du Seigneur : LORSQUE TU ÉTAIS
PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MÊME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OÙ TU VOULAIS,
c'est-à-dire : tu te maintenais à l'écart de certaines choses illicites et
superflues, comme si tu ne supportais pas, selon ton jugement propre1, de
te maintenir à l'écart de quelque chose. Voilà aussi pourquoi, quand il s'agit
d'accomplir des bonnes œuvres, c'est toujours dans les dangers que tu veux être
à ma place.
6. Qo 11, 9.
Cependant il ne t'a
pas été donné de souffrir pour moi quand tu étais jeune ; mais, QUAND TU
AURAS VIEILLI, je comblerai ton désir pour que, ce que tu n'auras pas souffert
dans ta jeunesse, tu le souffres comme vieillard car TU ÉTENDRAS TES MAINS ET
UN AUTRE TE CEINDRA. Admirable annonce ! C'est toute la durée de sa vie et
sa passion qu'elle présente. Car entre le moment où ces paroles ont été dites
et la mort de Pierre se sont écoulées presque trente-sept années ; il
était donc en effet bien vieux.
II
QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE
CEINDRA ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.
2630. Selon
Chrysostome2, il dit : QUAND TU AURAS VIEILLI, parce
qu'il en va autrement dans les choses humaines et dans les choses divines. Dans
les choses humaines, les jeunes par leurs affaires sont utiles, mais les
vieillards inutiles. Mais dans les choses divines, la vertu ne disparaît pas
avec la vieillesse, au contraire elle est parfois plus forte - Ma
vieillesse est comblée d'une miséricorde abondante3. - Comme
les jours de ta jeunesse, ainsi sera ta vieillesse4. Mais cela s'entend, comme l'affirme Tullius5, de
ceux qui pendant leur jeunesse s'exercent en vue du bien. Par contre ceux qui,
jeunes, s'adonnent à l'oisiveté, ne valent pas beaucoup ou rien quand ils sont
vieux.
Par là on comprend
aussi, comme le dit Origène dans son commentaire sur ce passage de Matthieu6 Longtemps
après, le maître revint7, qu'en effet on trouve rarement des maîtres et des enseignants dans
l'Église qui soient utiles et qui ne vivent que peu de temps. Il donne alors
l'exemple de Paul dont on lit dans les Actes qu'il était adolescent8, et
qui plus tard écrit à Philémon : Puisque tu es comme moi, le vieux Paul9. La raison en est que,
parce qu'on trouve bien peu d'hommes capables pour cela, quand on en trouve
quelques-uns, le Seigneur les maintient en vie plus longtemps.
2631. Il lui annonce
aussi le mode de sa passion : TU ÉTENDRAS TES MAINS, car Pierre fut
crucifié ; cependant non pas avec des clous mais avec des cordes, pour le
maintenir en vie plus longtemps. Et c'est cela que le Christ appelle
« ceinture ».
À propos de la
passion des saints, il nous faut considérer trois aspects.
D'abord le mouvement
de l'affection naturelle, car il y a entre l'âme et le corps un lien naturel
tel que jamais l'âme ne voudrait être séparée du corps et inversement 10
- Nous ne voulons pas être dépouillés, mais revêtus par-dessus11.
- Mon âme est triste jusqu'à
la mort1. Aussi le Christ dit-il : OÙ TU NE VEUX PAS, c'est-à-dire selon
l'instinct de ta nature, si naturel que même la vieillesse ne pourra l'enlever
à Pierre. Pourtant le désir de la grâce parvient à le vaincre, c'est pourquoi
l'Apôtre dit : J'ai le désir de disparaître et d'être avec le Christ2. — Oui, nous sommes pleins d'audace, nous
aimons mieux sortir de ce corps, et être présents à Dieu3.
1. Saint Thomas,
commentant la parole de Jésus, semble indiquer que Pierre ne se restreignait
que pour le minimum interdit ou inutile, et sinon ne souffrait pas (« Tu
allais où tu voulais ») d'être entravé dans son élan « selon son
jugement propre ». D'où son empressement pour courir les mêmes dangers que
son Maître.
2. In Ioannem
hom., LXXXVIII, 1, PG 159, p. 479.
3. Ps 91, 11
(verset propre à la Vulgate).
4. Dt 33, 25.
5. CicÉron, Caton l'ancien (De la
vieillesse), xvill, 62, Les Belles Lettres, p. 121.
6. Commentaria
in Evangelium secundum Matthaeum, XI, il, GCS 38, p. 156-157.
7. Mt 25, 19.
8. Cf. Ac 7, 58.
9. Phm 9.
10. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXXVIII, 1, PG 59, co1. 479.
11.2 Co 5, 4.
Saint Thomas commente : « Le désir de la grâce brûle de parvenir à la
récompense mais il est retardé par le désir de la nature (...). Le caractère du
désir naturel est de retarder le désir de la grâce, parce que nous voudrions
être trouvés vêtus et non pas nus ; nous voudrions que notre âme parvînt à
la gloire sans que le corps passât par la corruption de la mort. La raison en
est qu'il y a dans l'âme un désir naturel d'être unie au corps, autrement la
mort ne serait pas un châtiment. C'est pourquoi il dit : Tant que nous
sommes dans cette tente, c'est-à-dire tant que nous habitons dans ce corps
mortel - Je sais que je quitterai bientôt cette tente (2 Ρ 1, 14)
-, nous gémissons, notre cœur gémit et non seulement notre voix - Comme
des colombes nous gémissons (Is 59, 11) -, parce qu'il est dur de penser à
la mort. Et nous sommes accablés, comme si notre désir se heurtait à un
obstacle, en ce que nous ne pouvons parvenir à la gloire sans déposer notre
corps, ce qui va contre le désir nature1. Augustin dit que la vieillesse
elle-même n'a pu enlever à Pierre la crainte de la mort. Voilà pourquoi nous
ne voulons pas nous dépouiller de notre tente terrestre, mais nous
revêtir par-dessus de la gloire céleste, ou, selon la Glose, d'un corps
glorieux » {Ad 2 Cor. lect., V, nos 158-159).
1.Mt 26, 38.
Ensuite, la
divergence entre l'intention des saints et celle de leurs persécuteurs :
ET T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.
Enfin, nous devons
être prêts à souffrir mais non à tuer, c'est pourquoi il dit : TU ÉTENDRAS
TES MAINS. Et c'est évident de Pierre : alors que le peuple voulait
fomenter une révolte contre Néron et sauver Pierre, lui-même l'en empêcha - Le
Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple4.
2632. On pourrait
croire que T'EMMÈNERA doit précéder l'affirmation UN AUTRE TE CEINDRA, comme
pour dire : il te ceindra parce qu'il T'EMMÈNERA LÀ OÙ TU NE VEUX PAS.
Mais pour qu'on ne croie pas que cela ait été dit en vain, cela a été écrit
après la mort de Pierre. Car Pierre fut tué à l'époque de Néron tandis que Jean
écrivit son Évangile après son retour d'exil, sous l'empereur Domitien. Or il y
eut plusieurs empereurs entre Néron et Domitien.
2. Ph 1, 23.
3. 2 Co 5, 8. Au
sujet de ce verset, saint Thomas précise : « Mais pourquoi cette
audace ? Pour mieux sortir de ce corps, c'est-à-dire m'arracher à
lui, par la dissolution du corps, ce qui va contre le désir de la nature, et
être présents à Dieu, c'est-à-dire entrer dans la claire vision, ce qui est
le désir de la grâce. C'est ce que désirait le psal-miste qui disait : Mon
âme a soif de Dieu (Ps 41, 3) » {Ad 2 Cor. lect., V, n° 165).
4. 1 Ρ 2, 21.
III
OR IL DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT
DIEU. (21, 19)
2633. L'Évangéliste
nous rapporte cet événement encore à venir comme s'il était déjà arrivé5 en
disant : OR IL DIT CELA - c'est-à-dire Jésus à Pierre - POUR SIGNIFIER PAR
QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU ; en effet, la mort des saints, et non
pas seulement leur vie, est en vue de la gloire du Christ - Le Christ sera
glorifié dans mon corps soit par la vie, soit par la mort6. - Qu'aucun de vous ne souffre comme voleur
ou comme homicide (...) ; et, si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse
pas, mais qu'il glorifie Dieu en ce nom7. C'est ainsi qu'est manifestée la grandeur du Seigneur, lorsqu'au nom de
sa vérité et de leur foi en lui les saints s'exposent ainsi à la mort.
5. L'édition
Marietti dit ici quasi adhuc futurum, et la léonine propose jam
factum. N'osant pas trancher, nous avons mis les deux.
6. Ph 1, 20.
« Dans notre corps le Christ est doublement glorifié. D'une [première]
manière en tant que nous regardons notre corps pour son obéissance, en
exécutant corporellement ses services - Glorifiez et portez Dieu dans votre
corps (1 Co 6, 20 [propre à la Vulgate]). D'une autre manière en exposant
notre corps pour le Christ - Quand je livrerais mon corps aux flammes (1
Co 13, 3). Mais la première manière se fait par la vie, et la seconde par la
mort. C'est pourquoi il dit soit par la vie, parce qu'il opère en
vivant, soit par la mort - Soit que nous vivions, soit que nous mourrions,
nous sommes du Seigneur (Rm 14, 8). Ce qui peut aussi se comprendre de la
mort spirituelle - Mortifiez vos membres qui sont sur la terre (Col 3,
5) » {Ad Phi1. lect., I, n° 31).
7. 1 Ρ 4,
15-16.
2634. Après avoir
exposé ce que le Seigneur a révélé à Pierre, l'Évangéliste nous raconte ici ce
qu'il révéla à Jean, c'est-à-dire à lui-même. Il présente d'abord la
recommandation1 du disciple par le Christ, puis celle de son
Évangile [n° 2652].
Concernant ce
premier point, il nous précise d'abord l'occasion [qu'a le Christ] de
recommander ce disciple, puis il l'expose [n° 2638].
L'occasion de
cette recommandation.
APRÈS AVOIR DIT CELA, IL LUI DIT :
« SUIS-MOI ! » (21, 19)
2635. L'occasion de
cette recommandation de Jean fut l'appel du Christ invitant Pierre à le suivre.
En effet, c'est APRÈS AVOIR DIT CELA - ce qui concernait sa mission et son
martyre - que Jésus dit à Pierre : « SUIS-MOI ! »>
Selon Augustin2 cela
est dit en référence au martyre, c'est-à-dire « en souffrant pour
moi » ; car il ne suffit pas de souffrir de n'importe quelle manière,
mais seulement en suivant le Christ, c'est-à-dire à cause de lui - Vous
serez heureux lorsque les hommes vous haïront à cause du Fils de l'homme3. - Le
Christ même a souffert pour nous vous laissant un exemple4.
2636. Mais beaucoup
d'autres, parmi les disciples présents à ce moment, ont souffert à cause du
Christ, et notamment Jacques qui fut mis à mort le premier - II fit mourir
par le glaive Jacques, frère de Jean5. Pourquoi dit-il spécialement à Pierre
« SUIS-MOI ! » ?
Là Augustin6
répond que Pierre a non seulement souffert la mort pour le Christ, mais aussi
qu'il l'a suivi jusque dans le genre de mort, c'est-à-dire celui de la croix - Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix
et qu'il me suive7.
Ou encore, selon
Chrysostome8, il dit « SUIS-MOI ! » dans
le service de prélat ; comme si Jésus disait : « Suis-moi, comme
moi j'ai reçu de Dieu le Père le soin de l'Église - Demande-moi et je te
donnerai les nations en héritage9 -, afin que tu deviennes à ma place le chef de l'Église tout
entière. »
2637. Comment
expliquer alors qu'après l'Ascension du Christ, Jacques ait reçu après lui la
primauté à Jérusalem ? À cela il faut dire qu'il reçut l'autorité spéciale
sur ce lieu. Mais Pierre lui, reçut l'autorité universelle sur les fidèles de
toute l'Église10.
1. En latin commendatio,
substantif correspondant au verbe commendo qui signifie
« recommander », « faire valoir ».
2. Tract, in Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.
3. Lc 6, 22.
4. 1 Ρ 2, 21.
5. Ac 12, 2.
6. Tract, in
Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.
7. Mt 16, 24.
Saint Thomas commente : « II faut que vous soyez prêts à imiter la
Passion du Christ. Les martyrs l'imitent d'une manière spéciale en leur corps,
mais les hommes spirituels, spirituellement, eux qui meurent spirituellement
pour le Christ. (...) Et il dit veut, parce qu'est davantage entraîné
celui qui l'est volontairement que celui qui l'est par violence - Volontairement
je t'offrirai un sacrifice (Ps 53, 8) » (Sup. Matth. lect., XVI,
n° 1408). Et : « Qu'il prenne sa croix. La croix se dit à
partir de celui qui est crucifié. Spirituellement, est crucifié celui dont
l'esprit est crucifié à cause de la compassion à l'égard du prochain - Pleurez
avec ceux qui pleurent (Rm 12, 15) » (ibid., n° 1410).
8. Il s'agit en
fait de Théophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. iac., PG 124, co1. 311
D-314 A.
9. Ps 2, 8.
10. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 314 D.
La recommandation
elle-même.
2638. L'Évangéliste
expose ici la recommandation de Jean par le Christ, d'abord quant aux choses
passées, puis quant aux choses futures [n° 2644].
Ι
S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS
AIMAIT LES SUIVAIT - CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE ET DIT :
« SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE LIVRERA ? » (21, 20)
En ce qui concerne
les choses passées, c'est en vertu d'un triple privilège que Jean est
recommandé par le Christ.
S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS
AIMAIT LES SUIVAIT.
2639. D'abord à
cause de cette dilection particulière du Christ pour lui. C'est pourquoi Jean
nous dit : S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE - qui avait déjà commencé à suivre
Jésus, même physiquement - VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT. En
cela il est donné à entendre que Pierre, désormais fait pasteur, veillait
attentivement sur les autres - Et toi, une fois converti, confirme tes
frères1. Or Jésus aimait Jean sans pour autant
exclure les autres, comme il l'a dit auparavant : Comme le Père m'a
aimé, moi aussi je vous ai aimés2. Mais il l'a préféré aux autres en raison d'une dilection spéciale. Et
cela pour trois raisons3.
D'abord à cause de
la perspicacité de son intelligence ; les maîtres en effet aiment
spécialement les disciples intelligents - Un ministre
intelligent est bien accueilli du roi4.
1. Lc 22, 32.
2. Jn 15, 9.
3. Dans son traité Adversus Jovinianum, où il fait l'éloge
de la virginité, saint Jérôme présentera plus abondamment que dans le prologue
à sa traduction de l'évangile de saint Jean les différents passages permettant
de considérer que l'apôtre Jean a choisi la virginité, à la différence de
Pierre qui était marié (I, 26, PL 23, co1. 246-247). Ce choix est une des
raisons pour lesquelles Jean fut le disciple bien-aimé du Christ. Pour
expliquer pourquoi il ne fut cependant pas choisi comme chef du groupe des
Douze, saint Jérôme invoquera le fait qu'il était encore très jeune (adolescens).
Il ajoutera que, par la qualité de son évangile, on peut le comparer à
l'aigle en plein vo1. Saint Augustin reprendra à son compte la tradition concernant
la virginité de Jean, mais avec nuance, d'abord dans son traité sur le bien du
mariage {De bono conjugale, XXI, 26, BA 2, p. 83-85), écrit cinq ans
après le Adversus Jovinianum, puis quinze ans plus tard dans son
commentaire sur l'évangile (Tract, in Io., CXXIV, 7, BA 75, p. 463). Les
trois motifs que saint Thomas donne ici pour expliquer pourquoi Jean est le
disciple bien-aimé s'appuient sur cette tradition. Voir ci-dessus, n° 1804.
Ensuite à cause de
la pureté de son cœur, puisqu'il était vierge - Celui qui aime la pureté du
cœur, à cause de la grâce de ses lèvres aura pour ami le roi5.
Enfin à cause de sa
jeunesse ; en effet, nous nous laissons davantage attendrir par les
enfants et ceux qui sont démunis, et nous leur montrons des signes de familiarité.
Ainsi aussi le Christ envers le jeune Jean - Parce qu'Israël était un
enfant, je l'ai aimé6. Nous voyons par là que Dieu chérit spécialement ceux qui se mettent à
son service dès leur plus jeune âge - Mon âme a désiré quelques
figues précoces7.
2640. Cependant
l'Écriture dit : Moi, j'aime ceux qui m'aiment8. Or c'est Pierre qui aimait
davantage le Christ, comme nous l'avons
vu : Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?9 Le Christ aurait donc dû aimer davantage Pierre que Jean10.
Voici la réponse. On
pourrait dire que Jean, parce qu'il a été plus aimé, fut plus heureux, mais que
Pierre, étant plus aimant, fut meilleur11.
4. Pr 14, 35.
5. Pr 22, 11.
6. Os 11, 1.
7. Mi 7, 1.
8. Pr 8, 17.
9. Jn 21, 15.
10. Le problème est longuement présenté par saint Augustin (Tract, in Io., CXXIV,
4-6, BA 75, p. 441-459). Saint Thomas résume ici son explication en la
simplifiant.
11. Voir Somme théo1., I, q. 20, a. 4, obj. 3 et ad 3, où
saint Thomas dit presque la même chose. Il y précise : « Le Christ a
aimé Pierre davantage quant au don de charité, et Jean davantage quant au don
d'intelligence, et pour cette raison Pierre fut le meilleur et le plus aimé
absolument parlant, et Jean sous un certain rapport ».
Mais cela serait
contraire à la justice. Aussi cela nous renvoie-t-il au mystère. En effet, ces
deux disciples manifestent deux aspects de la vie, c'est-à-dire la vie active
et la vie contemplative1. De l'une comme de l'autre, le Christ est la fin et l'objet. Mais la
vie active, représentée par Pierre, aime davantage Dieu que la vie
contemplative, représentée par Jean, parce qu'elle ressent davantage les
angoisses de la vie présente et désire avec plus d'ardeur en être libérée et
aller vers Dieu.
Quant à la vie
contemplative, Dieu l'aime plus puisqu'il la conserve plus ; en effet,
elle ne s'achève pas avec la vie du corps comme la vie active - Le Seigneur aime
les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob2.
2641. Certains,
voulant expliquer littéralement ce passage, distinguent dans le Christ deux
dilections différentes, en raison de sa volonté divine et de sa volonté humaine3. Ils
affirment que le Christ a aimé davantage Pierre d'une dilection divine, et Jean
d'une dilection humaine. Mais dans le Christ, la volonté humaine était
totalement conforme à la volonté divine. Ainsi celui qu'il aimait le plus selon
sa volonté divine, il l'aimait plus aussi selon sa volonté humaine.
Il faut donc
répondre qu'il aimait davantage celui auquel il voulait un bien plus grand. Or
il aimait plus Pierre pour faire de lui le disciple le plus aimant, mais Jean,
il l'aimait en vue d'autre chose : la perspicacité de son intelligence - Le
Seigneur l’α comblé
d'un esprit de sagesse et d'intelligence4. Selon cela, Pierre est meilleur parce que la charité l'emporte sur la
science - La charité ne finira jamais5. Quant à Jean, il est plus grand selon la perspicacité de
l'intelligence. Mais il appartient à Dieu seul de peser leurs mérites - Celui
qui pèse les esprits, c'est Dieu6.
1. Sur les rapports entre vie active et vie contemplative, voir
ci-dessus, n° 1595, note 5, n° 1806, et n° 2487, note 2.
2. Ps 86, 2.
3. Sur les deux volontés dans le Christ, voir Somme théo1., III,
q. 18. C'est en contemplant le mystère de Jésus dans son agonie (Le 22, 42) et
en s'appuyant sur le 6è Concile œcuménique,
célébré à Constantinople au VIIè siècle (680-681), que saint Thomas
affirme : « II est clair que le Fils de Dieu a assumé une nature
humaine parfaite. Or à la perfection de la nature humaine se rapporte la
volonté qui est une puissance qui lui appartient en propre, comme aussi
l'intelligence. Il est donc nécessaire de dire que le Fils de Dieu a assumé
dans sa nature humaine une volonté humaine. D'autre part, par l'assomption de
la nature humaine, le Fils de Dieu n'a éprouvé aucune diminution dans sa nature
divine, laquelle comporte la volonté, comme on l'a rapporté plus haut (I, q.
19, a. 1). Il est donc nécessaire de dire que dans le Christ sont deux
volontés, l'une divine, l'autre humaine » (III, q. 18, a. 1, c). Sur les
deux natures dans le Christ, voir ci-dessus, n° 1711, note 3, n° 1979, note 7.
D'autres encore
affirment, ce qui paraît plus juste, que Pierre aima plus le Christ à travers
ses membres, et qu'ainsi il fut plus aimé du Christ qui, pour cela, lui confia
son Église. Jean quant à lui l'aima davantage pour lui-même, et pour cette
raison il fut plus aimé du Christ, et c'est pourquoi celui-ci lui confia sa
Mère.
On peut dire encore
que Pierre aima le Christ par son empressement et sa ferveur, mais que Jean fut
plus aimé si l'on considère les marques de familiarité que le Christ lui
prodiguait davantage, en raison de sa jeunesse et de sa pureté.
CELUI QUI À LA CÈNE
REPOSA SUR SA POITRINE
2642. Aussi, lorsque
Jean ajoute CELUI QUI À LA CÈNE REPOSA SUR SA POITRINE, il est mis en lumière en vertu d'un second
privilège, à savoir celui de son intimité spéciale avec le Christ, ce que nous
avons exposé plus haut7.
ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE
LIVRERA ? »
2643. Enfin Jean est
mis en lumière selon ce privilège de la confiance spéciale qu'il avait dans le Christ, si bien que,
confiant plus que tous les autres, c'est lui qui pouvait l'interroger. C'est
pourquoi il dit : ET DIT : « SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE
LIVRERA ? » - ce que nous avons également montré1.
4. Si 15, 5 (verset propre à la Vulgate).
5. 1 Co 13, 8.
6. Pr 16, 2.
7. Voir Jn 13, 23 et ci-dessus, nos 1803-1804.
Chrysostome2
affirme que, si Jean nous rappelle ainsi ses propres privilèges, c'est afin de
recommander Pierre. On aurait pu croire en effet que Pierre, parce qu'il avait
renié le Christ, ne serait plus reçu dans la même intimité qu'auparavant.
Aussi, pour exclure cela, Jean montre qu'il était reçu dans une intimité plus
grande ; car lui qui, à la Cène, n'osait pas interroger le Seigneur mais
en confia le soin à Jean, devient après la Passion le porte-parole de ses
frères et n'interroge plus seulement le maître pour lui-même, mais aussi pour
les autres et pour Jean.
En cela il est donné
à entendre que ceux qui sont tombés dans le péché renaissent parfois pour une
grâce plus grande - Car comme votre sentiment a été d'errer
loin de Dieu, en revenant à lui vous le rechercherez dix fois plus fort3.
II
L'AYANT DONC VU, PIERRE DIT À JÉSUS : « ET DE LUI,
SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? » JÉSUS LUI DIT : « SI JE VEUX
QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? TOI,
SUIS-MOI ! » LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE
DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA
PAS », MAIS : « SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE
VIENNE, QUE T'IMPORTE ? » (21, 21-23)
2644. Aussitôt
après, l'Évangéliste nous rapporte cette interrogation : « ET DE LUI,
SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? » Nous voyons ici le fait de recommander Jean quant au
futur. Cela implique en premier lieu l'interrogation de Pierre, puis la réponse
du Christ [n° 2646], après quoi il nous est montré comment fut comprise cette
réponse [n° 2651].
ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ?
2645. En ce qui
concerne cette question de Pierre, il faut savoir qu'en réponse à l'appel du
Seigneur : « SUIS-MOI ! », Pierre commença à le suivre
physiquement, lui emboîtant le pas, et Jean aussi avec lui. Et donc, voyant
Jean le suivre, Pierre interroge le Christ à son sujet : « ET DE LUI
(...) QU'EN SERA-T-IL ? », comme s'il disait : « Voici que
moi je te suis dans ta Passion, mais celui-ci, mourra-t-il ? » Jean
aussi aurait voulu poser cette question, mais il n'osait pas4.
Selon Chrysostome5,
Pierre n'entendait pas s'informer de sa passion mais du fait qu'il soit prélat6. En
effet il aimait Jean plus que tous les autres disciples, et on les voit
toujours ensemble dans les Évangiles et les Actes7. Et c'est pourquoi il voulait l'avoir pour
compagnon dans son service de prédicateur par toute la terre. Voilà pourquoi il
demande : « ET DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? » -
sous-entendu : « Que fera-t-il ? Qu'il vienne avec
moi ! »
SI JE VEUX QU'IL
DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? TOI, SUIS-MOI !
2646. Voici la
réponse du Christ. Sachons que dans le texte grec il est dit non pas
« ainsi », mais « si8 » JE VEUX QU'IL DEMEURE. Mais cela
importe peu. Quel que soit ce qui a été dit, il a semblé aux Apôtres que le
sens de ces paroles était que Jean ne mourrait pas. En effet le Christ
dit : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, comme s'il disait :
il ne mourra pas jusqu'à mon second avènement. Mais ceci est exclu par ce qui
suit : OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : « IL NE MOURRA PAS. »
1. Voir Jn 13, 25
et ci-dessus, n° 1806.
2. In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, co1.
480.
3. Ba 4, 28.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, co1. 480.
5. Ibid.
6. En latin : sed de praelatione. Le terme latin praelatus signifie à
la fois « supérieur » et « préféré ».
7. Voir Le 22, 8
[la préparation de la Cène]. Jn 18, 16 [chez Caïphe] ; 20, 24 [la
Résurrection]. Ac 3, 1. 3-4 ; 3, 11 ; 8, 14.
8. Le texte de la
Vulgate, que Marietti reprend, dit sic, « ainsi », mais nous
avons préféré traduire par « si », en suivant le texte grec.
2647. Certains
cependant, voulant soutenir cette signification, prétendent que Jean a ajouté
cela, non pas pour exclure cette interprétation, mais pour montrer que le
Seigneur ne l'a pas exprimée par les mots : IL NE MOURRA PAS mais
seulement par ceux-ci : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE. Et pour cette raison,
ils disent que Jean n'est pas encore mort.
Cependant,
concernant sa sépulture, il y a eu des opinions variées. Il est vrai en effet
selon tous qu'il entra dans un sépulcre et cela apparaît encore. Mais
quelques-uns 1 disent qu'il est entré vivant dans ce
sépulcre et que, par la puissance divine, il en sortit, transporté auprès
d'Énoch et d'Élie, où il est gardé jusqu'à la fin du monde. Il faudrait donc
comprendre : JE VEUX QU'IL DEMEURE vivant jusqu'à la fin du monde. Alors
il souffrira pour moi, avec ces deux hommes, le martyre infligé par
l'Antichrist. En effet il est inconvenant qu'il ne meure pas. Car tout ce qui
naît doit mourir2 -II est arrêté que les hommes meurent une
fois3.
D'autres au
contraire affirment qu'il entra vivant dans son sépulcre qui se trouve près
d'Éphèse et qu'il y vit encore maintenant, endormi, jusqu'à ce que le Christ
revienne. Ils ont pour argument qu'à cet endroit la terre se soulève comme en
bouillonnant, ce qui, disent-ils, est dû au souffle de l'Apôtre. Augustin4
cependant exclut cela, disant qu'il est moindre pour l'Apôtre de vivre endormi
que de vivre en bienheureux. Pourquoi donc le Christ aurait-il accordé, au
disciple qu'il aimait plus que les autres, ce long sommeil comme une grande
récompense, et l'aurait-il privé de ce si grand bien en vue duquel Paul
désirait être dissous pour être avec le Christ5 ?
Voilà pourquoi on ne
doit pas croire cela, mais qu'il mourut et ressuscita aussi en son corps. Et le
signe en est qu'on ne retrouve pas son corps ; ainsi il demeure
bienheureux avec le Christ comme celui-ci l'y invita - Celui qui rend
témoignage de ces choses dit : Oui, je viens bientôt6.
2648. Selon Augustin7, il
faut comprendre cela d'une manière mystique : ne pas entendre
« demeurer » au sens de « rester », mais au sens
d'« attendre », selon ce verset - Vous, demeurez dans la ville
jusqu’à ce que
vous soyez revêtus de la force d'en haut8.
C'est ainsi que le
Seigneur dit de Jean, c'est-à-dire de la vie contemplative : SI JE VEUX
QU'IL DEMEURE - c'est-à-dire qu'il attende - JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, soit à
la fin du monde, soit à la mort de tout contemplatif, car la vie contemplative
commencée ici, sur terre, n'y atteint pas sa perfection, elle demeure
inchoative et dans l'attente de la venue du Christ, devant être achevée quand
il viendra - On leur dit d'attendre en repos encore un peu de temps jusqu’à ce que fût accompli le nombre de ceux qui
servaient Dieu comme eux9. - Marie a choisi la meilleure part
et elle ne lui sera pas enlevée1. - La longueur des
jours est dans sa droite ; et dans sa gauche sont les richesses et la
gloire2.
1. Saint Thomas a
pu lire cette légende chez Théophylacte qui la rapporte pour la réfuter (Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc., PG 124, co1. 315 A-B).
2. Cf. Si 8,
7 : Souviens-toi que tous nous devons mourir ; et 14, 17
[BJ] : La loi éternelle c'est qu'il faut mourir.
3. He 9, 27.
4. Tract, in Io., CXXIV, 2-3, BA 75, p.
433-437.
5. Ph 1, 23.
6. Ap 22, 20.
7. Tract, in Io., CXXIV, 5, BA 75, p. 455.
8. Le 24, 49.
9. Ap 6, 11.
Mais la vie active,
parfaite, formée à l'exemple de la Passion du Christ, le suit pendant ce temps
en souffrant pour lui3.
2649. Mais selon
Chrysostome4 il faut lire ainsi : JE VEUX QU'IL
DEMEURE, c'est-à-dire qu'il reste en Judée, dans ce pays-là, pour
prêcher ; mais toi, je veux que tu me suives en prenant soin du monde
entier et en souffrant pour moi, et cela, JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour
confondre les Juifs. ET QUE T'IMPORTE ?, comme pour dire : il
m'appartient d'ordonner. Car, et les récits historiques nous le confirment,
Jean ne quitta pas la Judée jusqu'à ce que Vespasien vînt en Judée et prît
Jérusalem ; c'est alors que Jean quitta ce lieu pour l'Asie.
2650. Ou bien, selon
Jérôme 5, il faut comprendre : TOI, SUIS-MOI,
c'est-à-dire par ta passion, mais SI JE VEUX QU'IL, c'est-à-dire Jean, DEMEURE
sans souffrir le martyre et la mort JUSQU'À CE QUE JE VIENNE pour l'appeler
auprès de moi - De nouveau je viendrai et je vous prendrai
près de moi6 -, QUE T'IMPORTE ? - sous-entendu « ce privilège ».
Voilà pourquoi il est dit dans la légende du bienheureux Jean que, alors qu'il
avait quatre-vingt-dix ans, le Seigneur Jésus Christ lui apparut et l'invita à
son festin7.
1. Lc 10, 42.
2. Pr 3, 16.
3. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXTV, 5, BA 75, p.
455.
4. Il s'agit en fait de Theophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, co1. 314 C.
5. Le commentaire d'ALCUlN {Comm. in S. Ioannis Évang., VII,
46, PL 100, co1. 1004 D-1005 A) semble être la source de ces lignes plutôt que
le passage correspondant de saint Jérôme
(Adversus Jovi-nianum, I, 26, PL 23, co1. 246-247).
6. Jn 14, 3.
LE BRUIT SE RÉPANDIT
DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR JÉSUS NE LUI A PAS
DIT : « IL NE MOURRA PAS », MAIS : « SI JE VEUX QU'IL
DEMEURE JUSQU'À CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? » (21, 23)
2651. Ensuite,
lorsqu'il dit LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRÈRES QUE CE DISCIPLE NE
MOURRAIT PAS, il nous montre la manière dont les disciples comprirent ces
paroles du Seigneur, c'est-à-dire qu'il NE MOURRAIT PAS. Et c'est ce qu'il
dit : LE BRUIT SE RÉPANDIT, c'est-à-dire on divulgua parmi les frères,
c'est-à-dire parmi les disciples - Voyez qu'il est bon et qu'il est doux
d'habiter en frères tous ensemble !8 - QUE CE DISCIPLE, Jean, NE MOURRAIT PAS. L'Évangéliste corrige
aussitôt cette manière de comprendre, en disant : OR JÉSUS NE LUI A PAS
DIT : « IL NE MOURRA PAS » - Et vous aussi êtes-vous
encore sans intelligence 9 ?
Toutes les autres
choses ont déjà été exposées.
7. Parmi les compilations des légendes qui ont formé les Acta
Apostolorum (et parmi eux les Acta Iohannis), seule celle connue
sous le nom de Virtutes Iohannis (vt
siècle) mentionne une apparition du Christ invitant l'apôtre Jean, alors
âgé de 97 ans, à son banquet céleste (cap. IX, 1-7 ; in Acta Iohannis, CCSA
2, p. 827-828). Un siècle avant saint Thomas, le moine anglais Orderic Vital la
rapporte comme certaine, ainsi que le prodige de la poussière (devenue la
manne) sortant du tombeau (Historia ecclesiastica, la pars, 1. I, PL
188, co1. 153 A). La source à la disposition de saint Thomas pourrait être
l'homélie du Pseudo-Bède pour la fête de l'assomption de saint Jean
l'Évangéliste (Homiliae subdititiae, XCII, PL 94, co1. 494 C). Dans le
monde occidental, outre le passage du Tractatus de saint Augustin, le
premier témoin de la tradition de la « manne » semble être la notice
concernant saint Jean l'Apôtre dans le Liber de Gloria Martyrum, de Grégoire de Tours (§ 29. MGH, Script.
Merov., 1.1, II, p. 5). Pour une présentation des principales légendes
relatives à l'assomption de saint Jean, voir M. Jugie, La mort et l'Assomption de la Sainte Vierge,.Vatican, 1944, Excursus D : La
mort et l'assomption de saint Jean l'Évangéliste, p. 710-726. Voir aussi le
commentaire
de saint Thomas sur Le Credo, n° 91 (Col1. Docteur commun), Nouvelles
Éditions Latines, Paris 1969, p. 127.
8. Ps 132, 1.
9. Mt 15, 16.
C'EST CE DISCIPLE-LÀ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A
MISES PAR ÉCRIT, ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI. MAIS IL Y A ENCORE
BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A FAITES, ET S'IL FALLAIT LES METTRE PAR
ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MÊME POURRAIT CONTENIR LES
LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE. (21, 24-25)
2652. Voici la
dernière partie de l'Évangile, qui en est comme un épilogue. D'abord, il expose
la mise en valeur de l'Évangile, puis souligne que la réalité dépasse de
beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile [n° 2657].
La mise en valeur
de cet Évangile.
Cet Évangile est mis
en valeur de deux manières : d'abord, bien sûr, à cause de celui qui en
est l'auteur, mais ensuite à cause de sa vérité [n° 2656].
I
C'EST CE DISCIPLE-LA QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A
MISES PAR ÉCRIT.
Concernant l'auteur,
il montre trois choses.
2653. En premier
lieu, le privilège de sa dignité1, parce qu'il est, lui, CE DISCIPLE-LÀ -
sous-entendu ce qui a déjà été dit : plus aimé2, intime, interrogeant fidèlement, et auquel
fut donné de demeurer jusqu'à ce que je vienne, toutes choses qui
regardent le privilège de sa dignité.
On dit que Jean fut
plus aimé spécialement en raison de la qualité spéciale de sa charité - En cela tous connaîtront que
vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres3. Or
aucun des Apôtres n'a autant parlé de la charité fraternelle que Jean dans ses
épîtres. On lit encore4 à son sujet que, devenu vieux, il se faisait
porter à l'église par ses disciples pour y instruire les fidèles auxquels il
disait seulement : « Petits enfants, aimez-vous les uns les autres.
C'est en cela que consiste la perfection de la vie (disciplinae) chrétienne. »
1. L'édition
Marietti met ici auctoritas, mais l'édition léonine propose dignitas.
2. « Plus aimé » (praedilectus) « sans
pour autant exclure les autres ». Voir n° 2639, et aussi n° 2641.
3. Jn 13, 35.
4. Cf. saint JÉRÔME, In epistolam ad Galatas,
6, 10, 1. III, cap. VI, PL 26, co1. 433 C.
2654. En second
lieu, il montre sa mission qui est de rendre témoignage, et c'est pourquoi il
dit : C'EST CE DISCIPLE-LÀ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES. C'est d'ailleurs le
caractère propre de la mission des Apôtres - Vous serez témoins pour moi5. - C'est vous qui êtes mes témoins, dit le Seigneur6.
2655. Enfin il
ajoute son zèle en disant : ET LES A MISES PAR ÉCRIT. Lui, qui par sa
mission apostolique a témoigné des actions du Christ auprès de ceux qui étaient
présents, a aussi, poussé par son zèle, mis par écrit ces actions dans
l'intérêt des générations futures et des absents - Prends un grand livre et
écris dessus avec un stylet d'homme7. - La sagesse du scribe lui viendra dans le
temps du loisir8.
Il fut en effet
donné à l'Apôtre Jean de vivre jusqu'au temps où l'Église avait retrouvé la
paix. Et c'est alors qu'il mit par écrit toutes ces choses. C'est pourquoi il
ajoute cela, pour qu'on ne croie pas que cet Évangile, ayant été écrit après la
mort de tous les Apôtres, et après que les autres Évangiles ont été approuvés
par eux, spécialement celui de Matthieu, semble avoir une autorité moindre que
celle des trois autres évangiles.
5. Ac 1, 8.
6. Is 44, 8.
7. Is 8, 1. Saint
Thomas commente : « De quelle manière il faut écrire : avec
un stylet d'homme, c'est-à-dire sans détours pour que cela puisse être
compris et que ce qui a été écrit demeure - Écris la vision, grave-la sur
les tablettes pour qu'on la lise facilement (Ha 2, 2) » (Exp. super
Isaiam, 8, 1, p. 60, 1. 39-42).
8. Si 38, 25.
II
ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI.
2656. L'Évangéliste
proclame ici la vérité de son Évangile. Et il parle au nom de toute l'Église
par laquelle cet Évangile fut
reçu - Ma bouche s'exercera à la vérité1.
Il faut remarquer
que, bien que beaucoup aient déjà écrit sur la vérité catholique, la différence
est que ceux qui ont rédigé l'Écriture canonique - les évangélistes, les
Apôtres et d'autres encore - la proclament avec une telle constance qu'ils ne
laissent pas la moindre place au doute. C'est pourquoi Jean dit : ET NOUS
SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que
celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème2. La raison en est que seule l'Écriture canonique est la règle de la foi3.
D'autres encore ont
parlé de la vérité en ne voulant être crus que dans ce qu'ils disent de vrai.
La réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans
l'Évangile.
MAIS IL Y A ENCORE BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A
FAITES.
2657. Jean nous
montre ici l'insuffisance de ses écrits au regard de la réalité qu'il met par
écrit, comme pour écarter le fait qu'il ait écrit ces choses, dans sa volonté
d'en attribuer la grâce à celui qui l'aime, parce que celui-ci a fait non
seulement ces choses mais encore BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES qui n'ont pas été
rapportées dans ce livre.
ET S'IL FALLAIT LES
METTRE PAR ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MÊME
POURRAIT CONTENIR LES LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE.
2658. Ce verset peut
se comprendre de trois manières.
En un sens
« contenir » se rapporte à une capacité de l'intelligence4 ;
comme s'il disait : on pourrait dire tant de choses sur le Christ que même
le monde entier ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits à leur sujet - J'ai beaucoup de choses à
vous dire, mais à présent vous ne pouvez pas les porter5, c'est-à-dire les
comprendre.
En un autre sens,
puisque cette phrase est hyperbolique 6, elle signifie que les œuvres accomplies par
le Christ nous dépassent complètement.
1. Pr 8, 7.
2. Ga 1, 9.
3. Voir saint Augustin, Lettre
82, I, 3, PL 33, co1. 277 : « Les livres des Écritures
canoniques sont les seuls auxquels j'accorde l'honneur de croire très fermement
leurs auteurs incapables d'errer en ce qu'ils écrivent. (...) Quant aux autres,
si je les lis, je ne pense pas vrai ce qu'ils ont pensé ou écrit, quelque
supérieurs qu'ils puissent être en sainteté et en doctrine », repris par
saint Thomas dans sa Somme théologique, I, q. 1, a. 8, ad 2. Voir aussi saint Thomas, /Il Sent., d. 25, q.
1, a. 1C, obj. 2 et q. 2, a. 2D, obj. 3 ; Quodlibetum XII, q. 17,
et Somme théo1., II-II, q. 1, a. 9, ad 1.
4. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p.
463.
5. Jn 16, 12.
6. Les mathématiciens désignent par « hyperbole » une
courbe particulière. La figure de l'hyperbole, en rhétorique, accroît l'excès
ou le manque pour mieux le signifier. Saint Thomas veut montrer, comme il
l'explique ensuite en s'appuyant sur saint Augustin, que la figure rhétorique
de l'hyperbole convient pour parler du Christ et de ce qu'il a accompli, qui
dépasse tout ce que nous pourrions penser.
2659. Mais qu'est-ce
qu'il dit là ? En effet, il affirme d'abord : ET NOUS SAVONS QUE SON
TÉMOIGNAGE EST VRAI, puis aussitôt il poursuit par cette proposition
hyperbolique. Mais selon Augustin1, l'Écriture Sainte utilise ces tournures
imagées, par exemple : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé2, et cependant elles ne
sont pas fausses. Et il en est ainsi de n'importe quelle expression
hyperbolique que l'on trouve dans l'Écriture Sainte.
En effet l'intention
de l'auteur quand il dit cela n'est pas de nous amener à croire ce qu'il dit,
mais de nous faire saisir ce qu'il veut signifier, à savoir que les œuvres du
Christ nous dépassent complètement. D'ailleurs ce procédé n'est pas employé
quand il s'agit de quelque chose d'obscur ou d'incertain, mais lorsque l'auteur
veut exagérer ou atténuer quelque chose d'évident. Par exemple, lorsque
quelqu'un veut mettre en valeur l'abondance d'une réalité, il dit :
« II y en aurait assez pour cent personnes, ou même mille ! » Au
contraire, s'il veut la dénigrer : « Ce serait à peine suffisant pour
trois personnes ! » II ne dit cependant rien de faux car de telles
paroles dépassent largement la réalité à laquelle elles renvoient, pour bien montrer
que l'intention n'est pas de mentir, mais de montrer qu'il y a peu ou beaucoup.
2660. Cela peut
aussi se référer à la puissance du Christ qui opérait des signes, et c'est pour
en montrer la force qu'il dit : UNE PAR UNE. En effet, écrire un par un les
signes et les paroles de Jésus Christ, c'est décortiquer toute la puissance de
chacun de ces actes et de ces paroles. Or ces actes et ces paroles du Christ
sont aussi ceux de Dieu. Et si quelqu'un voulait écrire ou raconter ce qu'il
comprend de chacun, il ne le pourrait en aucune manière ; et d'ailleurs,
le monde entier en est incapable. L'infini des mots humains ne peut en effet
atteindre une seule parole de Dieu.
Depuis le
commencement de l'Église on a toujours écrit au sujet du Christ, mais cependant
ce n'est pas suffisant. Bien au contraire, si le monde devait durer cent mille
ans, combien de livres pourraient être écrits au sujet du Christ, décortiquant
un à un ses actes et ses paroles, sans parvenir à la perfection ! - II n'y a pas de fin
à multiplier les livres3. -J'ai annoncé et j'ai parlé [des
merveilles de Dieu] ; elles ont été multipliées sans nombre4.
1. Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p. 463-465.
2. Is 6, 1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.
3. Qo 12, 12.
4. Ps 39, 6.
Pour cet Index ont
été choisis cinquante des principaux thèmes que saint Thomas aborde dans son Commentaire
sur l'Évangile de saint Jean. Cette liste peut constituer un outil de
travail pour les étudiants en théologie et permettre de connaître plus
profondément la pensée du Docteur Angélique. Pour chaque thème sont indiqués
par leur numéro les principaux paragraphes évoquant le sujet. Ce document n'est
donc pas exhaustif, il est proposé comme une introduction en vue d'une
recherche plus approfondie.
L'adoration
Vo1. I, nos 597-598, nos 600-615
Le culte de latrie
Vo1. II, n° 2195
L'agneau
L'agneau :
figure du sacrifice du Christ Vo1.
I, nos 257, 377 Vo1. II, nos 1733, 2461
La pureté et la
force de l'Agneau Vo1. I, nos 258, 283
Le Christ devant
ses persécuteurs Vo1. II, nos 2391, 2394
L'Agneau Pasteur Vo1. II, n° 2623
L'âme
Vo1. I, n° 1425
Vo1. II, nos 1651, 1762, 1796-1797, 2631
L'opinion des
hérétiques sur l'âme Vo1. I,
nos 113, 229, 1557 Vo1. II, n° 2453
Jésus remet
l'esprit, c'est-à-dire son âme Vo1.
II, n° 2453
L'amour et la
haine pour notre âme Vo1. II,
nos 1643-1645
L'amour
L'amour en Dieu Vo1. I, n° 753
L'amour
d'amitié : recherche du bien de l'ami Vo1. I, n° 1475 Vo1. II, n° 1999
La mise en commun
entre les amis Vo1. II, nos 1837-1838
Faire la volonté
de l'ami Vo1. II, n° 1932
La joie de la
présence de l'ami Vo1. II, n°
2085
Le secret
Vo1. II, nos 1916, 2016
La similitude,
cause de l'amour Vo1. II, n°
2034
L'amour d'amitié
et de concupiscence Vo1. II,
n° 2036
Amour et
connaissance Vo1. II, n° 2494
Amour, choix, dilection
Vo1. II, n° 2622
Le baptême
La régénération du
baptême Vo1. I, nos 164, 439, 503
Le baptême du
Christ Vo1. I, nos 254, 255, 266
Le baptême du
Christ et notre baptême Vo1.
I, nos 268, 707
Le triple pouvoir
du baptême du Christ Vo1. I,
n° 276
Les baptêmes
d'eau, de feu et de sang Vo1.
I, n° 445
L'eau du baptême Vo1. I, n° 703
L'instrumentalité
du prêtre qui confère la grâce au baptême
Vo1. II, n° 2542
La charité
Obéissance et
charité Vo1. II, nos 1942, 1996
Le précepte de la
charité Vo1. I, n° 480, Vo1.
II, nos 2006-2012
La charité unit
toutes les vertus Vo1. II, n°
2429
Le Christ
Une personne et
deux natures Vo1. I, nos 207, 352, 468, Vo1. II, nos 1711, 1746,
1828, 1829, 1979, 1981, 2010, 2054, 2138, 2257, 2458, 2520
La grâce du Christ
Vo1. I, nos 189, 190, 301, 543, 544, 667, Vo1. II, n°
1743
La science du
Christ Vo1. I, nos 327, 422, 551, 868, 1065, Vo1. II, n° 2347
La volonté du
Christ Vo1. I, nos 796, 923, 1425, Vo1. II, n° 2640
Les passions du
Christ Vo1. I, nos 1534-1535 Vo1. II, nos 1651-1654,
1796-1798
La présence du
Christ en nous Vo1. I, nos 398, 880, 950 Vo1. II, n° 1995
Le Christ, vigne Vo1. II, n° 1981
Le Christ, source
d'eau vive Vo1. I, n° 1090
Le Christ, chemin
et terme Vo1. II, n° 1868
L'enseignement du
Christ Vo1. I, nos 1074, 1108, 1555 Vo1. II, nos 1775, 1807
La connaissance
La connaissance
des réalités simples et complexes Vo1. I, n° 603
La connaissance
spéculative et affective Vo1.
II, nos 1762, 2265
La connaissance
des principes et des conclusions Vo1. II, n° 2018
La similitude du
connu dans le connaissant Vo1.
I, n° 1065
L'interrogation Vo1. II, n° 2347
Amour et
connaissance Vo1. II, nos 1919, 2480
La source de la
connaissance Vo1. I, nos 103, 1037, 1040, 1065
Les différentes
connaissances de Dieu Vo1.
II, nos 1663, 1876
sq., 2018, 2203, 2422, 2517
La connaissance
propre à Dieu Vo1. I, nos 1412, 1414
La crainte
Les différentes
sortes de crainte Vo1. I, n°
969, Vo1. II, nos 1783,
1967, 2015, 2041
La création
Vo1. I, nos 73, 740 Vo1. II, nos 2251, 2598
L'Écriture Sainte
Les différents
sens de l'Écriture Vo1. I, nos 25, 57, 125, 760, Vo1. II, nos 1696, 1828,
2057, 2659
L'ordre de
l'Ancien Testament au Nouveau Vo1.
I, nos 823, 1366, Vo1. II, nos 1705, 2321, 2447, 2568, 2656
L'accomplissement
de l'Écriture Vo1. II, nos 1961-1962, 2342, 2433, 2447, 2461
L'Église
Épouse du Christ Vo1. I, nos 338, 518
La barque du
Christ, « une » par la foi Vo1. I, n° 886, Vo1. II, nos 2582, 2595
Corps mystique Vo1. I, n° 404
Pierre, figure de
l'Église Vo1. I, n° 306
L'Église née du
côté du Christ Vo1. II, n°
2458
L'Église,
« sein spirituel » Vo1.
I, n° 439
L'Église militante
et triomphante Vo1. II, nos 1853, 2604, 2606
Les chrétiens sont
enseignés directement par Dieu Vo1.
I, n° 944
La célébration des
fêtes dans l'Église Vo1. I,
n° 1434
L'Esprit Saint
L'Esprit de vérité
Vo1. II, nos 1880, 1916, 2102
L'Esprit d'amour,
« nexus » du Père et du Fils Vo1. I, nos 269, 357, 545, 1004, 1097, 1156, Vo1. II,
nos 1908,
1946, 2069, 2088, 2187, 2214, 2541
Sa
mission Vo1. I, nos
270, 272, 442, 447, 577, 586, 1090, 1092, 1093, 1097, 1577, Vo1. II, nos
1609, 1908-1909, 1914, 1956-1958, 2088, 2269
Ses deux préceptes
d'amour Vo1. II, n° 2539
Voir aussi « Le
Paraclet »
L'Eucharistie
Sa source Vo1.
I, n° 961 Vo1. II, n° 2458
Sa matière Vo1. I, n° 960
La
transsubstantiation Vo1. I,
n° 962
Ses effets Vo1. I, nos 954-955, 960, 962-964, 968, 972-973
L'Eucharistie, fin
des sacrements Vo1. I, n° 969
La communion Vo1. I, nos 969-970, 972, 974, 976
Le Fils
Vérité incréée Vo1. II, n° 2365
Le Fils, Sagesse Vo1. II, n° 2181
Le Secret du Père Vo1. I, n°218
Le Fils par nature
Vo1. I, nos 187, 278, 328
Le Fils manifeste
le Père et conduit au Père Vo1.
I, n° 1162, Vo1. II, nos 1622,
1660, 1874, 1878-1879, 2150, 2194
Sa science Vo1. II, n° 2017
Voir aussi « La
Sainte Trinité »
La foi
L'objet de la foi Vo1. I, nos 658, 773 Vo1. II, n° 1619
Foi, opinion,
intelligence et science Vo1.
I, n° 662 Vo1. II, n° 1859
Actes intérieur et
extérieur de foi Vo1. II, nos 1601, 2071
Foi formée, foi
informe Vo1. I, nos 159, 485-486
Les trois
modalités de l'acte de foi Vo1.
I,
nos 485, 1570 Vo1. II, nos 1851, 2095
La foi, école de
la vision béatifique Vo1. II,
n° 2018
Le Christ, cause
de la vraie confession de foi Vo1.
II, n° 2514
La foi des démons Vo1. II, n° 2095
La gloire
Vo1. I, nos 1277-1278
Vo1. II, nos 1826, 1830, 2183
La splendeur du
Verbe Vo1. I, nos 183-184
La gloire donnée
au Fils de toute éternité Vo1.
II, n° 2261
L'Esprit Saint
glorifie le Christ Vo1. II,
n° 2106
La gloire du
Christ dans son humanité Vo1.
I, nos 186, 364, Vo1. II, nos 1734, 1827-1830,
2181, 2183, 2190-2191, 2414, 2427
La lumière de
gloire Vo1. II, n°
2148
Les corps glorieux
Vo1. II, nos 2527, 2557, 2559
Les saints verront
la gloire du Christ dans la vision béatifique Vo1. II, n° 2260
Se glorifier de la
Croix du Christ Vo1. II, n°
2560
Glorifier Dieu par
nos œuvres Vo1. II, n° 1996
La vaine gloire Vo1. I, n° 832 Vo1. II, n° 1709
La grâce
Les différentes
modalités de grâce Vo1. II,
n° 2514
Grâce prévenante,
grâce subséquente Vo1. I, n°
206 Vo1. II, n° 1998
Grâce habituelle,
grâce actuelle Vo1. I, nos 153-154
Grâce opérante,
grâce coopérante Vo1.
II, nos 1698, 1900, 1909, 1984, 1993, 2513,
2601-2602
Grâce
charismatique, grâce sanctifiante Vo1. I, n° 544 Vo1. II, n° 1914
La grâce du Christ
Voir « Le
Christ »
Le désir de la
grâce Vo1. I, nos 578-579, 688
La grâce, greffe
divine Vo1. I, n° 1269
L'heure du Christ
Vo1. I, nos
352, 1069
Vo1. II, nos
1636-1637, 1659, 1733, 2078, 2132, 2150, 2180
Jean Baptiste
Précurseur du
Christ Vo1. I, nos 229, 232-233, 236-237, 248, 266
Témoin Vo1. I, nos 111, 116, 254-255
L'ami de l'Époux Vo1. I, nos285, 518-521
Son humilité Vo1. I, nos 249, 261-262, 514, 516, 523, 535
Sa fermeté dans la
vérité Vo1. I, n° 281
Son baptême Vo1. I, n° 501
Voir aussi « Baptême »
Son origine Vo1. I, nos 110, 227, 531
Jean l’Évangéliste
L'amour spécial de
Jésus pour Jean Vo1. II, nos 1804, 2639-2642, 2653
Son intimité avec
Jésus Vo1. II, nos 1803-1807, 2643
Son humilité Vo1. I, n° 299, Vo1. II, nos 1803, 2304, 2643
La Vierge Marie et
Jean Vo1. II, nos 2435, 2440, 2443
Jean et la charité
fraternelle Vo1. II, n° 2653
Sa foi en la
Résurrection Vo1. II, nos 2489, 2592
La rédaction de
son Évangile Vo1. I, nos 10, 19, Vo1. II, nos 1626, 1960, 2654-2657
Les légendes sur
la fin de sa vie Vo1. I, n°
21, Vo1. II, nos 2647-2650
Le jugement
Jugements de
condamnation et de discernement Vo1. I, nos 483, 485, 488, 489, 776,
1360 Vo1. II, nos 1667-1669, 1724, 2097
Le pouvoir du Fils
de juger Vo1. I, nos 762, 765, 789 Vo1. II, nos 1722, 2417
La justification
Dieu seul justifie
Vo1. I, n° 681
Le Christ, cause
de la justification Vo1. II,
n° 2514
Le Christ,
exemplaire de la justification Vo1.
II, n° 1781
Ce qui est requis
pour la justification Vo1. I,
nos 578, 688, 717 Vo1. II, n° 1900
Coopérer à la
justification, est-ce plus grand que de créer un ange ? Vo1. II, n° 1901
La Loi
Les différents
sens du mot « Loi » dans l'Écriture Vo1. I, n° 1458 Vo1. II, n° 2057
Les effets de la
Loi Vo1. I, nos 206, 705, 854, Vo1. II, nos 1627, 1836
La lumière
Les différentes
lumières Vo1. I, n° 125
Le Verbe est la
Lumière Vo1. I, nos 98, 123, 127, 181 Vo1. II, n° 1713
La Lumière du
Verbe incarné Vo1. I, nos 104-107, 181, 1143 Vo1. II, nos 1682, 2150
La participation
des hommes à la Lumière Vo1. I, nos 98, 101, 103, 120, 123, 1145 Vo1. II, nos 1682-1686, 1713, 1835
La lumière de la
foi Vo1. II, n° 1714
La lumière de
l'intelligence Vo1. I, nos 96, 1142
Le mal
La cause du mal Vo1. I, n° 87
Le sujet du mal Vo1. II, n° 2035
Mal de faute et
mal de peine Vo1. I, nos 1301, 1477
Se servir du mal
pour un plus grand bien Vo1.
I, n° 1502
La peine du dam Vo1. I, n° 548 Vo1. II, n° 1994
La médiation
Vo1. II, nos 1794, 1910, 2138, 2201,
2251, 2521, 2537
La miséricorde
Vo1. I, n° 345 Vo1. II, n°
2095
Jésus donne
confiance en sa miséricorde Vo1.
I, nos 287, 326
Vo1. II, n° 2134
Le lavement des
pieds Vo1. II, n° 1779
L'économie de la
miséricorde divine Vo1. II,
n° 2547
Justice et
miséricorde Vo1. I, nos 1124, 1135-1136
Le monde
Différents sens du
mot « monde » Vo1.
I, n° 128, Vo1. II, nos
1669, 1918, 2032, 2097, 2129, 2206, 2211, 2224, 2226, 2249, 2250
Les manières
d'être d'une réalité dans le monde Vo1. I, n° 133
Le renouvellement
du monde au dernier jour Vo1.
I, n° 939
L'obéissance
Obéissance et vie
chrétienne Vo1. I, nos 303, 1310, 1419, 1510, Vo1. II, nos 1594, 1942, 2422
Béthanie, maison
de l'obéissance Vo1. I, nos 252, 1473 Vo1. II, n° 1594
Sa nécessité pour
ceux qui commandent Vo1. II,
n° 2616
L'obéissance due à
Dieu seul Vo1. I, n° 354
L'obéissance du
Christ dans sa mort Vo1.
I, n° 1422, Vo1. II, nos 1747, 2191
L'ordre
L'ordre entre
intelligence, volonté et appétit sensible Vo1. II, n° 1962
Ordre d'intention,
ordre d'exécution Vo1. II, n°
1858
L'ordre établi par
Dieu dans les réalités Vo1.
II, n° 2024
L'ordre de la
justice divine Vo1. I, n° 938
L'ordre de charité
Vo1. II, nos 1962, 2009
La paix
La tranquillité de
l'ordre Vo1. II, n°
1962
La paix en Dieu Vo1. II, n° 2174
Le Christ, cause
de notre paix Vo1. I, n° 1419
Vo1. II, n° 2532
Paix présente et
future Vo1. II, n° 1963
Paix des saints et
paix du monde Vo1. II, n°
1964
La Pâque
Le passage du Seigneur
Vo1. I, n° 846 Vo1. II, n°
1728
Figure de la
Passion du Christ Vo1. II, nos 1731-1733
La Pâque des
Juifs, la Pâque du Seigneur Vo1.
I, nos 377, 1586
Vo1. II, n° 1731
Sa date Vo1. II, nos
1590-1591, 1729-1730, 2331-2334, 2404-2405
Son observance par
le Christ Vo1. I, n° 375
Les trois Pâques
vécues par le Christ dans sa vie apostolique Vo1. I, n° 376
Le Paraclet
Vo1. II, nos
1911, 1912,1955, 2060, 2069
Le péché
Vo1. I, n°
1294 Vo1. II, n° 2396
Péché originel et
péchés actuels Vo1. I, n°
1507
L'homme pécheur Vo1. I, nos323, 706, 1513,
Vo1. II, nos 2035-2036, 2643
Le péché
d'infidélité Vo1. II, nos 2046-2047, 2095
La rémission des
péchés Vo1. II, nos 1671, 2541-2544
Le péché des
saints Vo1. II, n° 2547
Seul le Christ est
sans péché Vo1. I, n° 1135
Le Père
Vo1. II, nos 2158, 2213
Voir aussi « La
Sainte Trinité », « Le Fils », « Le Verbe »
Sa connaissance
dans l'ancien Testament Vo1.
I, nos611, 766,
830, 1161
Père du Christ par
nature, Père des justes par adoption Vo1. I, n° 390
La prédestination
Tout homme est
prédestiné Vo1. I, nos 326, 1417-1418, 1444
La prédestination
à la vie éternelle Vo1. I, n°
938, Vo1. II, nos
1857-1858, 2208, 2218, 2589
Notre
prédestination dans le Christ Vo1.
I, nos 1461, 1648 Vo1. II, nos 2185, 2196
La prédestination
du Christ homme Vo1. II, nos 2191, 2262
Prédestination et
liberté humaine Vo1. I, n° 1373, Vo1.
II, nos 1692, 1789, 2020-2024
La prière
Vo1. I, nos 611, 614, 1348,
1552 Vo1. II, nos 1905, 2142, 2180
La prière du
Christ Vo1. I, nos 1551, 1553-1554, Vo1. II, nos 2177-2180,
2205-2207
La prière des
saints au Ciel Vo1. II, n°
2140
La Résurrection
Le Christ, cause
de sa Résurrection Vo1. I,
nos 397-398,
463 Vo1. II, n° 1771
L'humanité du
Christ glorifiée dans sa Résurrection Vo1. II, nos 1771,
1829, 1924, 2181
Le Christ, cause
de notre résurrection Vo1. I,
nos 762, 791,
1516-1517, 1558
La résurrection
commune Vo1. I, nos 1514, 1558 Vo1. II, n° 1925
Les trois morts
ressuscites par Jésus Vo1. I,
n° 1513
Les sacrements
Leur source Vo1. I, nos443, 1138
Leur matière Vo1. II, n° 2458
Leurs effets Vo1. I, nos 964, 1561, Vo1.
II, nos 2539, 2542
Le baptême et
l'Eucharistie Vo1. I, n° 969
Leur ministre Vo1. I, nos 1560-1562, Vo1.
II, nos 1779, 2542-2544
Les sacrements de
l'ancien Testament Vo1. I, n°
854
La sagesse
Connaissance de
Dieu Vo1. I, nos 209, 601, 854 Vo1. II, n° 1807
Le Christ (le
Verbe, le Fils) Vo1. I, n°
854, Vo1. II, nos 2181,
2267
La Sainte
Trinité : l'appropriation
Appropriation Vo1. II, nos 1912, 2262
Le Verbe Vo1. I, n° 187
Le Fils Vo1. II, n° 2194
L'Esprit Saint Vo1. II, n° 1961
La Sainte Trinité : la consubstantialité des trois
personnes divines
Vo1. I, nos 218, 444, 947
Vo1. II, nos 1712, 1851, 1888,
1928-1929, 1957, 1970, 1999, 2089, 2107-2115, 2172, 2183, 2187-2188, 2208,
2214, 2240, 2247
La Sainte
Trinité : la distinction des trois personnes divines
Vo1. II, nos 1887, 1895, 1911, 1946, 2063-2065, 2112-2113
La Sainte
Trinité : génération et processions
Génération et
processions Vo1. II, nos 1911, 1971
Génération
éternelle et temporelle du Fils Vo1. I, nos 187, 463, 947, Vo1. II, nos 1726, 2201,
2204, 2161-2162, 2181, 2262
La procession de
l'Esprit Saint Vo1. II, nos 2061-2065, 2103
Le Verbe
Verbe divin et
verbe intellectuel Vo1. I, nos 25-28, 820 Vo1. II, n° 1879
La deuxième
personne de la Sainte Trinité Vo1.
I, nos 29, 92, 946, 1037 Vo1. II, nos 1869, 2229
Notre connaissance
du Père par le Verbe Vo1. I,
n° 820, Vo1. II, nos 1874,
1878-1879, 2267-2268
Voir aussi « Le
Fils » et « La Sainte Trinité »
La vérité
Vo1. I, nos 910, 974, 1245
Vo1. II, nos 1776, 1980, 2365, 2612
Vérité absolue et
vérités participées Vo1. I, nos33, 207, 935, 1370 Vo1. II, nos 1869, 2365
Le désir de la
vérité Vo1. II, n° 2480
Vérité et amitié Vo1. II, n° 2399
La sanctification
dans la vérité Vo1. II, nos 2229-2230
L'Esprit de vérité
Voir aussi « L'Esprit
Saint »
La vie active et
la vie contemplative
Vo1. I, nos 1473, 1510
Vo1. II, nos 1595, 1805, 1871, 2301,
2305-2306, 2487, 2640, 2648
La Vierge Marie
Sa plénitude de
grâce Vo1. I, n° 201
Médiatrice à Cana Vo1. I, nos 343-345
Mère de la nature
humaine du Christ Vo1. I, n°
352
Marie n'a pas
commis de péché Vo1. I, n°
1135
Marie à la Croix Vo1. II, nos 2435, 2439-2443
La vision
béatifique
La vision de
gloire Vo1. I, n° 213, Vo1.
II, nos 1936, 2139,
2186, 2203, 2260
La jouissance de
Dieu Vo1. I, n° 400 Vo1. II,
n° 1738
La vie glorieuse à
partir de celle du Christ Vo1.
II, n° 1925
L'intensité de la
vision béatifique liée à la ferveur de la charité Vo1. II, nos 1853-1855
La béatitude, joie
de la vérité Vo1. I, n° 1370
Le temps de la
gloire Vo1. II, n° 2140
Les chiffres de la colonne de droite renvoient aux paragraphes du
commentaire. L'astérisque placé devant un chiffre indique soit une référence
non textuelle, soit un simple renvoi.
Genèse (Gn)
Gn 1, 5 *2471
Gn 1, 16-17 2026
Gn 2, 3 2605
Gn 2, 7
2538
Gn 2, 8 et
15 *2275
Gn2, 21
*1679
Gn 3 *2085
Gn 3, 8 *2405
Gn 3, 15 1790
Gn 3, 18 2375
Gn 3, 23-24 *2275
Gn 3, 24 *1671
Gn 6, 16 *2458
Gn 11, 4 2419
Gn 12, 1 2480, 2582
Gn 15, 5 2604
Gn 15, 6 *2249
Gn 17, 23 *1745
Gn21, 6 2133
Gn 22, 17 2604
Gn 22, 17-18 2590
Gn 27, 29 1622
Gn 28, 17 2596
Gn 32, 30 2548
Gn 35, 18 *2589
Gn 37, 4 *2038
Gn 40, 9-10 1979
Gn 45,
26-27 1924
Gn 49, 11
1979
Gn 49, 20
*1741
Exode
(Ex)
Ex 1, 9 sq.
*2038
Ex 3, 14
*1660, 1792, *1803
Ex 4, 4
*1803
Ex 4, 16
*2281
Ex 4, 19
*1803
Ex 4, 31
1619
Ex 6, 2
1803
Ex 8, 26
2227
Ex 12 *1728
Ex 12, 3
sq. *1617
Ex 12, 6
*1730
Ex 12,
15-20 *1729
Ex 12, 18
*1730
Ex 12,
18-20 *1729
Ex 12, 44
et 48 *1632
Ex 12, 46
2461
Ex 14, 21
*2054
Ex 15, 11
*1627
Ex 16, 23
*2404
Ex 17, 11
*2179
Ex 18, 21
*2364
Ex 18, 22
2577
Ex 19, 6
*2290
Ex 20, 12
2441
Ex 20, 13.
15 *2001
Ex 22, 18
2340
Ex 22, 20
2195
Ex 22, 26
*2001
Ex 22, 28
2319
Ex 23, 2
2344, 2410
Ex 23,
14-17 *1729
Ex 24, 7
2480
Ex 28, 1
2229
Ex 33, 12
2513
Ex 34, 6
*2094
Ex 34, 30
*1830
Ex 40, 32
1830
Lévitique
(Lv)
Lv ch. 1-7
*2231
Lv 7, 16
*1659
Lv 19, 2
2213
Lv 19, 18
1836, *2540
Lv 22, 18
et 21 *1659
Lv 22, 32
*2048
Lv 23, 5-14
*1729
Lv 23,
15-22 *1729
Lv 23,
33-43 *1729
Lv 26, 3
1905
Lv 26, 11
1853
Nombres
(Nb)
Nb 9, 9-11
*2332
Nb 9, 12
*2461
Nb 12, 6
1704, 1694
Nb 15, 3
*1659
Nb 16, 26
*2582
Nb 21, 9
*2494
Nb 23, 19
*2326
Nb 28, 3-6
*2231
Deutéronome (Dt)
Dt 4, 19 *1634
Dt 4, 37 2233
Dt 5, 5 2201
Dt 5, 26 1953
Dt 6, 5 2626
Dt 7, 6 *2282
Dt 10, 16 *2375
Dt 12, 17 *1659
Dt 14, 2 *2282
Dt 16, 1-8 *1729
Dt 16, 9-12 *1729
Dt 16, 13-15 *1729
Dt 19, 15 2320
Dt 20, 22-23
*2455
Dt 21, 23
2341,2413,2455
Dt 26, 18 *2282
Dt 32, 7 2084
Dt 32, 11 *1804,
*2010, *2274
Dt 33, 3 1737,
1941, 1943, 2158, 2251
Dt 33, 25 2630
Dt 33, 26 1859
Josué (Jos)
Jos 10, 12-14 *2054 Jos 14, 15 2416
Juges Qg)
Jg 5, 2 *1659
Jg 5, 9 *1659
Jg 5, 20 2026
1er Livre de Samuel (1 S)
1 S 1, 19 *2464
1 S 2, 2 2213
1 S 2, 3 *2043
1 S 2, 30 1648
1 S 2, 30c 1718
1 S 4, 18 2282
1 S 8, 7 2409
1 S 10, 24 2619
1 S 15, 22 1759
1 S 16, 7 2126, *2166
1 S 16, 13 1914
1 S 26, 16 2218
2e Livre de Samuel (2 S)
2 S 3, 1 2353
2 S 7, 18 1939
2 S 9, 7 *2142
2 S 16, 16
2377
2 S 23, 4
*2584
1er Livre
des Rois (1 R)
1 R 10, 24 1633
1 R 17, 17-24 *2054
1 R 19, 10 2287
1 R20, 39 2217
1R21, 29 *2282
1 R 22, 22 2062
2e Livre des
Rois (2 R)
2 R4, 18-37 *2054
2 R 7, 9 2476
2 R22, 19 *2282
1er Livre
des Chroniques (1 Ch)
1 Ch 11, 1 1736
1 Ch 16, 28-29 *2179
1 Ch 28, 9 *2166
2e Livre des
Chroniques (2 Ch)
2 Ch 7, 14
*2282
2 Ch 12,
6-7 *2282
2 Ch 12, 12
*2282
2 Ch 20, 12
1657, 2180
2 Ch 20, 18
*2179
2 Ch 24, 20 2093
2 Ch 32, 26 *2282
Esdras (Esd)
Esd 1, 6 *1659
Esd 7, 15
et 16 *1659
Esd 8, 21
*2282
Esd 8, 28
*1659
Esd 9, 2
2348
Tobie
(Tb)
Tb 4, 9 1596
Tb 12, 20 2083
Judith
(Jdt)
Jdt 4, 9 *2282
Job(Jb)
Jb 1, 1 *2480
Jb 1, 6 1799
Jb 3, 23 1684, 1714
Jb 4, 18 1601
Jb 4, 20 1701
Jb 5, 1 2140
Jb 6, 27 *1608
Jb 9, 4 *1962, 2293
Jb 9, 11 1923
Jb 9, 24 2410
Jb 9, 30-31 1801
Jb 13, 15 2093
Jb 14, 14 *1679, 2552
Jb 15, 26 1614, 2278
Jb 15, 34 1990
Jb 16, 9 *2595
Jb 16, 20 2621
Jb 19, 13 *2171
Jb 19, 14 2171
Jb 19, 20 2438
Jb 19, 29 1716, 1718
Jb 21, 14 2408
Jb 22, 21 *1962
Jb 22, 26 1804, 1855, 2004
Jb 23, 11 1781, *2171
Jb 24, 7 2426
Jb 24, 14 1824, 2330
Jb 26, 14 1663, 2100, 2567
Jb 28, 7 1866
Jb 28, 14 1949
Jb 29, 16 2344
Jb 32, 8 1628, 2062
Jb 32, 9 1958
Jb 36, 17 2417
Jb 36, 32-33 1949, 2260
Jb 36, 33 1807, 1916, 1936, 2134
Jb 37, 19 1684, 1713
Jb 38, 4 et
7 *2584
Jb 38, 33
*1634
Jb 39, 21
1976
Jb 39, 27
*1804
Jb 39, 34 [BJ 40, 4] 1890
Jb 40, 4 1695
Jb 40, 6 *2621
Jb 40, 24 [BJ 40, 29] 2176
Jb 41, 16
1700
Jb 41, 25
1975, 2097
Psaumes
(Ps)
Ps 1, 1
2325
Ps 2 *1705
Ps 2, 6
2360, 2421
Ps 2, 7
1726, 2360
Ps 2, 8
2206, 2354, 2421, 2636
Ps 3, 6
1679
Ps 4, 6-7
*2480
Ps 5, 5
*2085, 2584
Ps 5, 12
*2174
Ps 6, 7
2493
Ps7, 8
1618,2517
Ps 7, 10
*2166, 2617
Ps 7, 12
2264
Ps 8 *1705
Ps 8, 6
2261
Ps 9, 10
2088
Ps 10, 6
1643
Ps 11, 2
2364
Ps 13 *1705
Ps 13, 3
*2094
Ps 14, 1-2
1759
Ps 15, 1
2213
Ps 15, 10
1828, 1829, 1925
Ps 15, 11
1868, 1883, 2134, 2139, 2146, 2466
Ps 16, 5 *2179
Ps 16, 8
*2010, 2274
Ps 16, 11
1673, 1919
Ps 16, 15
2139
Ps 17, 12
*1684
Ps 17, 26
*1762, 2310
Ps 17, 45
2290
Ps 18 *2093
Ps 18, 5
2094
Ps 18, 7
2161
Ps 18, 9
1815
Ps 18, 10
*1783, 2015
Ps 19, 8
2154, 2213
Ps 20, 4
2375
Ps 20, 14
1673
Ps 21, 7
2382
Ps 21, 16
1994
Ps 21, 19
2433
Ps 21, 23
2519
Ps 21, 28
1960
Ps 22, 2
1804
Ps 23, 1
2110, 2209
Ps 23, 8
2140
Ps 25, 6
1762
Ps 26, 1
1627
Ps 26, 4
*1595
Ps 26, 10
1922, 2088
Ps 26, 13
*2596
Ps 27, 3
1808, 1964
Ps 28, 1
2601
Ps 28, 2
*2179
Ps 29, 6
2085, 2501, 2584
Ps 30, 12
2304
Ps 30, 21
2590, 2595
Ps 32, 6
1634, 2093, 2308
Ps 33, 6
1807, 1945
Ps 34, 1
1667
Ps 34, 12
2336
Ps 34, 19
2057
Ps 35, 4
1701
Ps 35, 7-10
*1595
Ps 35, 10
2139, 2260, *2409
Ps 36, 23
*2179
Ps 36, 24
*1679, 1850, 2555
Ps 36, 27
2229
Ps 39, 6
2660
Ps 39, 8
2568
Ps 39, 10
2315
Ps 39, 18
1604
Ps 40, 9
*1679
Ps 40, 10
1601, 1741, 1790
Ps 41, 3
2447, *2631
Ps 41, 6-7
*2004
Ps 41, 8
2546
Ps 42, 3
2306, 2582
Ps 42, 4
2480
Ps 43, 22
2074
Ps 43, 26
1746
Ps 44,
11-12 1922
Ps 45 *1705
Ps 45, 2
2524
Ps 45, 5
1955, *2106
Ps 45, 11
*1595, 1941
Ps 46, 8
2350
Ps 46, 10
1707, *2601
Ps 47, 7
2132
Ps 48, 3
*2428
Ps 48, 7
2394
Ps 48, 19
1601
Ps49, 21
1815
Ps 50, 4
*1762
Ps 50, 9
2450
Ps 50, 12
2093
Ps 50, 14
*1912, *1955
Ps 51, 7
*2596
Ps 52, 1
1805
Ps 52, 6 2402
Ps 53, 8
*1815, *2636
Ps 54, 6-7
1656
Ps 54,
14-15 1808
Ps 56, 2
2424
Ps 56, 9
2118
Ps 57, 2
2424
Ps 58, 2
2424
Ps 59, 4
1651, 1849
Ps 59, 5
1979
Ps 60, 3-4
2295
Ps 61, 5
*2281
Ps 61, 8
*2043
Ps 62, 5
*2179
Ps 62, 6
2615
Ps 64, 5
1853, 2262
Ps 64, 10
*2106
Ps 65, 12
1728
Ps 65, 15
1596
Ps 67, 4
1595
Ps 67, 19
1637, *1910, 2088, *2098, 2246, *2517, *2540
Ps 68, 2
1657, 1748
Ps 68, 5
2057
Ps 68, 8
2381
Ps 68, 13
2423
Ps 68, 29
*2568
Ps 68, 34
*2142
Ps 68, 37
*2174
Ps 70, 3
1857
Ps 70, 11
2295
Ps 72, 14
2372
Ps 72, 23
2258
Ps 72,
25-26 2476
Ps 73, 9
1689
Ps 75, 1
*2480
Ps 75, 2
*1660, 2183, 2195
Ps 75, 3
2483
Ps 76, 3-4
2174
Ps 76, 19
1663
Ps 77, 49
1742
Ps 79, 3
1621
Ps 79, 12
1990
Ps 81, 5
1685, 2476
Ps 81, 6
1999, 2387
Ps 83, 6
2603
Ps 83, 8
1985, 2027
Ps 83, 10
*2494
Ps 84, 9
1694, 2103
Ps 85, 1
2176
Ps 85, 11
1868
Ps 86, 1
*2626
Ps 86, 2
2640
Ps 87, 5
2416
Ps 87, 16
2176, 2407
Ps 88, 10
2592
Ps 88, 16
1684
Ps 88, 49
2123
Ps 89, 4
1925, 2120
Ps 90, 11
1663, *2274
Ps 91, 5
1773
Ps 91, 6
1773
Ps 91, 11
2630
Ps 93, 18
2555
Ps 93, 19
2501
Ps 94, 6
*2179
Ps 94, 7
*2081
Ps 94, 8
*2361
Ps 95, 7
*2179
Ps 95, 10
*1827, 2414
Ps 96, 7
2496
Ps 99, 3
1775
Ps 101, 18
2142
Ps 101, 28
2483
Ps 102, 5
*1804, *1853, 1883, *2146, *2608
Ps 103, 13
1992
Ps 103, 15
1639
Ps 103, 24
*1634
Ps 103, 30
1956, 2066, 2471, *2471
Ps 104, 4
2508
Ps 104, 19
*1987
Ps 106, 4
1870
Ps 107, 3
1828, 1925
Ps 108, 2
2218
Ps 109, 1
*2191, 2498
Ps 109, 2
*2414
Ps 109, 3
2161
Ps 109, 7
2274
Ps 110
*1705
Ps 110, 4
1592
Ps 110, 10
1785, 1933
Ps 111, 6 1967
Ps 111,9
1821
Ps 113,4
2625
Ps 113,5
1701
Ps 113, 9
*2179
Ps 113 [B],
1 1904, 1996
Ps 113 [B],
4 *2409
Ps 114, 9
*2596
Ps 115, 11
*1872
Ps 115, 13
2293
Ps 115, 16
2295
Ps 117
*1624
Ps 117, 1
*2134
Ps 117, 9
2399
Ps 117, 16
2589
Ps 117,22
1624
Ps 117, 24
2134, 2525
Ps 117,
25-26 1624
Ps 117,26
1622
Ps 117,27
1624
Ps 117,28
2562
Ps 118, 11
1933
Ps 118,25
*2179
Ps 118,32
1909, *2429, 2478, *2478
Ps 118, 42
*2179
Ps 118,96
2445
Ps 118, 100
1942
Ps 118, 103
*1741, 1933
Ps 118, 104
1942, 2487
Ps 118, 105
*2179
Ps 118, 125
2015
Ps 118, 140
*1987
Ps 118, 165
*1645, 1962, 1964, *2060, 2069, 2174, 2532
Ps 119, 1
2180
Ps 119, 7
1741
Ps 120, 1
1657
Ps 120, 1-2
*2179
Ps 121, 2
2492
Ps 122, 1
2179
Ps 125, 6
1645, 2130, 2493
Ps 126, 1
2213
Ps 131, 7
1596, 2499
Ps 132, 1
2213, 2238, 2651
Ps 132, 2
2231
Ps 132, 25
1819
Ps 134, 6
2350, 2592
Ps 135, 1
*2134
Ps 138, 14
1613
Ps 140, 2
*2179
Ps 140, 5
1798
Ps 141, 1
*2179
Ps 141, 6
*2596
Ps 142, 10
*1909, 1916, 1920
Ps 144, 9
2253
Ps 144, 15
2142, *2610
Ps 144, 16
2610
Ps 146, 4
2513, 2604
Ps 146, 5
*2195
Ps 147, 14
2174, 2554, 2606
Ps 147, 20
2480
Ps 148, 5
1622
Ps 149, 8
*2422
Proverbes
(Pr)
Pr 1, 16
1615
Pr 1, 29
2056
Pr 3, 6
*2031
Pr 3, 16
2648
Pr 3, 27
1608
Pr 4, 2
2222
Pr 4, 11
1870
Pr 4, 18
2508
Pr 4, 18-19
2282
Pr 4, 20-21
1995
Pr 4, 27
2589
Pr 6, 23
*2582
Pr 7, 2
*1868, 2198
Pr 8, 7
1870, 2656
Pr 8, 8
2229
Pr 8, 8-9
1987
Pr 8, 15
2395
Pr 8, 17
1804, 1908, 1943, 2011, *2584, 2640
Sagesse
(Sg)
Sg 1, 1-2 *1854
Sg 1, 5 1918
Sg 1, 7 *2061
Sg 1, 13 2253
Sg 1, 15 1900
Sg 2, 1 1613, 2123
Sg 2, 7 2078
Sg 2, 15 2038, 2223, 2383, 2408
Sg 2, 20 1673, *2341, 2383, 2408
Sg 2, 21 1698
Sg 2, 25
2097
Sg 3, 1
2158, 2453
Sg 3, 15
1641, 1992
Sg 5, 3 et
5 2250
Sg 6, 13 2181
Sg 6, 14 1919, 1936, 2472, 2505
Sg 6, 19 2012
Sg 7, 7 2059
Sg 7, 8 2142
Sg 7, 11 2146
Sg 7, 25 *2181
Sg 7, 26 1662, *1755, 2260
Sg 7, 27 2016
Sg 8, 1 *1634, 2354
Sg 8, 3 1743
Sg 8, 8 2104
Sg 8, 10 2181
Sg 8, 16 2305
Sg 8, 21 2190
Sg 9, 5 2124
Sg 9, 10 2088
Sg 9, 17 *2363
Sg 10, 12 *2478
Sg 11,25 1735,2158,2251
Sg 11,26 2024
Sg 12, 1 1920
Sg 12, 17 *1627
Sg 13, 1 1773, 2265
Sg 14, 3 2594
Sg 14, 6
2595
Sg 14, 7
*2560, 2582
Sg 14, 22
1964
Sg 15, 3
2043
Ecclésiastique
(Si)
Si 1, 5
1995, 2267
Si 1, 20
*1783
Si 1, 27
*1783
Si 2, 1
2594
Si 2, 17
*2282
Si 3, 20
1599, 1743, 1747
Si 3, 22
2549
Si 3, 25
*2356, *2363
Si 4, 7
1610
Si 4, 33
*2478
Si 5, 8
2593
Si 6, 11
1753
Si 6, 17
1837
Si 6, 25
*2422
Si 6, 26
2101
Si 6, 28
2084
Si 7, 4
2400
Si 8, 7
*2647
Si 10, 9
1603
Si 10, 14
*2278
Si 12, 16
2372
Si 13, 1
*2582
Si 13, 19
2223
Si 13, 20
2034
Si 14, 17
*2647
Si 15, 5
2641
Si 18, 23
*2584
Si 18, 31
1643
Si 19, 4
2549
Si 19, 27
1770
Si 22, 9
1680, *2356
Si 22, 31
2016
Si 23, 29
[BJ 23, 20] 2166
Si 23, 38
1647, 2040
Si 24, 1
1777
Si 24, 5
*2181
Si 24, 8-10
*2093
Si 24, 23
2027
Si 24, 24
1839, 2008
Si 24, 26
1728, 1945, *2608
Si 24, 42
2510
Si 24, 45
*1829
Si 27, 6
*1645
Si 29, 32
*1741
Si 30, 22
2085
Si 32, 1
1627, 2531
Si 33, 31
2015
Si 35, 26
*2088
Si 37, 1
2019
Si 38, 21
2085
Si 38, 25
2655
Si 38, 31
2190
Si 43, 18
*2093
Si 43, 29
2178
Si 43, 36
2567
Si 44, 3-4
2604
Si 44, 11
*2233
Si 45, 14
2375
Si 45, 30
1962
Si 50, 13
2531, 2581
Si 51, 4 et
6 2175
Si 51, 35
*2608
Isaïe (Is)
Is 1, 14 2484
Is 1, 16 *1762
Is l, 23 2370
Is 2, 2 *2517
Is 2, 3 1626, 1945
Is 3, 14 1923
Is 3, 25 2282
Is 4, 6 *2595
Is 5, 2 1980, *1982
Is 5, 4 2283
Is 5, 20 *2364
Is 6, 1 1697, 1703, 2659
Is 6, 10 1697, 1703
Is 8, 1 2655
Is 8, 14 2048
Is 8, 17 1687
Is 8, 18 2253
Is 9, 6 1627, 2414
Is 9, 7 1627, 1676, 2420, 2498
Is 10, 22 2486
Is 11, 1 2420
Is 11, 2 1908
Is 11,2-3 2605
Is 19, 14 2062
Is 21, 10 1694, 2522, 2548
Is 21, 11 2216
Is 22, 13 2129
Is 24, 15 2190
Is 24, 22 1994
Is 26, 10 1925, 2260
Is 26, 12 *2015
Is 26, 17 2132
Is 26, 19 1925
Is 26, 20 2118
Is 27, 9 1641, 1992
Is 28, 5 1855, 2375
Is 28, 9 2088
Is 28, 13 2282
Is 30, 21 1870, *2429, 2531
Is 30, 23 2599
Is 30, 27 1660
Is 32, 1 1623, 2358
Is 32, 6 1602
Is 32, 20 1626
Is 33, 1 1718
Is 33, 17 *1804, 1925, 2134, 2188, 2260, *2480
Is 33, 22 1622
Is 35, 4 1621
Is 35, 8 1749
Is 35, 10 2134
Is 38, 3 *2364
Is 40, 5 *2185
Is 40, 26 1941
Is 40, 31 *1862, *2256
Is 41, 23 1792, 2104
Is 42, 1 1908
Is 42, 6 1633
Is 42, 19 1700
Is 42, 20 1700
Is 43, 2 2226
Is 43, 7 1996
Is 43, 24 *2484
Is 44, 8 2654
Is 45, 15 *1641, 1746, 2483, 2599
Is 45, 19 2315
Is 48, 3 2126
Is 49, 6 1626
Is 49, 8 1905
Is 49, 17 2334
Is 49, 18 2429,*2517
Is 49, 25 2295
Is 50, 5 2055, 2202
Is 50, 6 2318, 2372, 2378
Is 51, 7 2381
Is 51, 12 1627, 1967
Is 52, 3 *2093
Is 52, 7 1599, *2081
Is 53, 1 1694
Is 53, 3 *1970
Is 53, 7 1590, 1659, 1679, 1815, *2081, 2283, 2391
Is 53, 12 *1964, 2417
Is 54, 2 1857
Is 54, 8 2120
Is 55, 3 *1836
Is 55, 6 1834
Is 55, 9 *2093
Is 56, 7 1632
Is 56, 10 2616
Is 57, 21 1964
Is 58, 1 1711, 2094
Is 59, 4 2094
Is 59, 11 *2631
Is 59, 14 *2094, 2364
Is 59, 19 *1909, 1955, 2106
Is 60, 4 *2517
Is 60, 5 2134
Is 61, 1 1912
Is 61, 3 1955
Is 61, 10 2134
Is 62, 5 1947, 2004
Is 63, 1 *1910, 1968, 2122, 2140
Is 63, 2 2376
Is 63, 3 2171
Is 64, 4 2586
Is 65, 4 *2334
Is 66, 7 2133
Is 66, 12 1962
Is 66, 13 *1955
Is 66, 14 2134, 2534
Is 66, 19 1633
Is 66, 20 2601
Is 66, 23 2575
Jérémie (Jr)
Jr 2, 2 *1673
Jr 2, 5 2057
Jr 2, 6 *2057
Jr 2, 7 *2057
Jr 2, 13 2409
Jr 2, 21 1980, 1982
Jr 3, 15 2624
Jr 3, 19 2180
Jr 4, 3 2375
Jr 4, 4 *2375
Jr 4, 14 *2493
Jr 4, 23 2142
Jr 5, 1 *2094
Jr 5, 5 2348
Jr 5, 22 2585
Jr 7, 16 1905, 2142
Jr 8, 6 2325
Jr 9, 1 *2493
Jr 9, 8 *1964
Jr 9, 23 *2043
Jr 9, 24 2043
Jr 10, 23 *1684
Jr 11, 20 *2166, 2617
Jr 12, 7 2410
Jr 12, 8 2370
Jr 13, 23 1698
Jr 14, 9 1853
Jr 15, 1 1905, 2142
Jr 15, 16 1995
Jr 15, 19 1633, *2283
Jr 16, 16 1633, *2577
Jr 17, 9-10 1792, 2168
Jr 17, 10 *2166, 2617
Jr 17, 12 1853
Jr 18, 20 1791, 2057, 2320
Jr 20, 10 2348
Jr 20, 12 *2166, 2617
Jr 20, 15 *2133
Jr 23, 5 1623, 2420
Jr 23, 24 1734, *1923, 1944, 2161, *2247, 2258
Jr 23, 29 1700,
1987
Jr 31, 3 1673,
1735, 1738, 1838, 1934, 1998
Jr 31, 13 *1955
Jr 31, 14 2615
Jr 31, 16 2128, 2501
Jr 31, 31 1836
Jr 31, 33
*1836
Jr 32, 19
2295
Jr 47, 6
2292
Lamentations
(Lm)
Lm 1, 2
2128, 2493
Lm 1, 12
2132
Lm 2, 11
*2493
Lm 2, 16
2129
Lm 2, 18
*2493
Lm 3, 19
1748, 2419, *2428
Lm 3, 27
*2584
Lm 3, 30
2318, 2484
Lm3, 41 2179
Lm 4, 1 2491
Lm 4, 19 *1804
Lm 4, 20 2295
Lm 5, 3 1922
Lm 5, 21 1702
Baruch (Ba)
Ba 3, 38
1880, 2216
Ba 4, 28
2643
Ézéchiel
(Ez)
Ez 2, 1
2282
Ez 2, 6
2402
Ez 5, 6
2094
Ez 10, 2
2599
Ez 11, 19
1920
Ez 12, 3
1633
Ez 13, 3
1916
Ez 14, 14
et 16 *1905
Ez 15, 2 et
4 1994
Ez 17, 3
*1804
Ez 17, 6
1983
Ez 18, 23
et 32 2253
Ez 20,
36-38 *1994
Ez 28, 13
*2275
Ez 33, 31
1694
Ez 34, 2
2361, 2624
Ez 34, 2-3
2290
Ez 34, 14
2624
Ez 34, 17
*1994
Ez 34, 20
*1994
Ez 36, 25
2458
Ez 36, 26
1836
Ez 37, 24
2623
Ez 37,
27-28 *1853
Ez 45, 11 1599
Daniel (Dn)
Dn 1, 17 *2102
Dn 1, 20 *2102
Dn 2, 11 2570
Dn 2, 46 2282
Dn 7, 10 *2106
Dn 7, 13 1680
Dn 7, 14 1676,2185,2351,2354
Dn 7, 26-27 *2185
Dn 10, 8-9 *2540
Dn 12, 9 2047
Osée (Os)
Os 1, 11 [BJ2, 2] 2623
Os 2, 14 *1836, 1977, 2103, 2277
Os 4, 6 1698, 2616
Os 6, 1 1834
Os 6, 3 1630, *2171, 2301
Os 6, 5 *1987, 2547
Os 11, 1 *1705, 1999, 2639
Os 11, 4 *1673, *2429
Os 13, 9 1698, * 1698, 1724
Os 14, 7 2027
Joël (Jl)
Jl 2, 28 2104
Amos (Am)
Am 3, 7 2015
Am 4, 12 1620
Am 5, 10 2038
Abdias (Ab)
Ab 1c 1694
Michée (Mi)
Mi 2, 1 2330
Mi 2, 13 1859, *2517
Mi 3, 3 2456
Mi 4, 2-3 *1705
Mi 5, 1 2318,
2378
Mi 6, 3 *2057
Mi 7, 1 2639
Mi 7, 6 2348
Habacuc (Ha)
Ha 2, 1 2217
Ha 2, 2 *2655
Ha 2, 4 1599, 2568
Ha 3, 1 2388
Ha 3, 2 1755
Aggée (Ag)
Ag 2, 7 1833, 1925
Ag 2, 9 *1705
Zacharie (Za)
Za 1, 3 *1702, 2505
Za 9, 9 *1627
Za 11, 12-14 *1705
Za 12, 10 2462
Za 13, 1 2458
Za 13, 2 2098
Za 13, 7 1968, 2171, 2491
Za 14, 7 2471
Za 14, 9 *2195
Malachie (Ml)
Ml 1, 2 1943
Ml 1, 11 1660
Ml 1, 14 1596
Ml 3, 10 1819
Ml 4, 2 [BJ 3, 20] *2405
1er Livre des Maccabées (1 M)
1 M 8, 14
*2376
2e Livre des
Maccabées (2 M)
2 M 3, 2 *1632 2
M 3, 2 sq. *1632
2 M 7, 16
2393 2
M 8, 2-3 *2179
2 M 15, 12 *2140
Matthieu (Mt)
Mt 1, 20 *2224, 2429
Mt 1, 21 1905, *2414, 2420
Mt 2, 20 1606
Mt 3, 16 *2539
Mt 3, 17 1662, *1726
Mt 4, 6 1663
Mt 4, 11 *2475
Mt 4, 18 sq. *2553
Mt 4, 19 2577
Mt 4, 21-22 *2443
Mt 5, 1-12 *2402
Mt 5, 5 1955, 2130
Mt 5, 8 1854
Mt 5, 10 1645, *2071
Mt 5, 12 1955, 2256
Mt 5, 14 1713
Mt 5, 16 1996, *2093, 2183, 2602
Mt 5, 18 1691, 1790, 2433
Mt 5, 19 1769, 1933
Mt 5, 39 *2289, *2321, 2321
Mt 5, 48 2240
Mt 6, 6 2528
Mt 6, 9 *1995
Mt 6, 11 2142
Mt 6, 17 1762
Mt 6, 21 1941, 2494
Mt 6, 30 *1755
Mt 6, 33 2579
Mt 6, 34 1604, 1820, 1820
Mt 7, 7 2145
Mt 7, 8 1904
Mt 7, 11 2142
Mt 7, 21 2377
Mt 8, 9 2395
Mt 8, 11 1618
Mt 8, 26 *1755
Mt 9, 9 1803
Mt 9, 15 *1922
Mt 9, 20 *1899
Mt 9, 34 *2098
Mt 10, 5 1634
Mt 10, 8 *2540
Mt 10, 10 *2288
Mt 10, 16 2081,
2537
Mt 10, 17-18
*2080
Mt 10, 20 2042,
2066
Mt 10, 22 *2081
Mt 10, 25 2040,
2042
Mt 10, 27 2101,
2315
Mt 10, 30 *2558
Mt 10, 32 *2095
Mt 10, 35 *2582
Mt 10, 36 1791
Mt 10, 37 1922
Mt 10, 40 1793
Mt 11,25 *1937,
*2185, 2494
Mt 11, 27 1830,
1874, 1937, 2110, 2150, 2185, 2194, 2269
Mt 11, 28 1613,
2608
Mt 11,29 2176
Mt 12, 24 *2098
Mt 12, 25 2213
Mt 12, 34 1698,
2345
Mt 12, 34-37
*1776
Mt 13, 7 *2375
Mt 13, 10-11
*2315
Mt 13, 21 *2547
Mt 13, 23 *1996
Mt 13, 30 1994
Mt 13, 31 *1639
Mt 13, 36 *2315
Mt 13, 43 *2245
Mt 13, 44-50
*2354
Mt 14, 25 *2054,
*2554
Mt 14, 31 1682,
*1755
Mt 14, 35-36
*2054
Mt 15, 14 *2616
Mt 15, 15 *2315
Mt 15, 16 1885,
2122, 2651
Mt 16, 8 *1755
Mt 16, 16 1886,
*2181, 2562
Mt 16, 17 *1755
Mt 16, 18 *2450, 2626
Mt 16, 24 *2171, 2414, 2636
Mt 16, 26 1644
Mt 17, 5 *1627, 1662, 2539, *2539
Mt 18, 7 2396
Mt 18, 19 2142
Mt 18, 20 2529, 2553
Mt 18, 32 1783
Mt 19, 11 2213
Mt 19, 17 1725
Mt 19, 21 *2447
Mt 19, 21-22 1899
Mt 19, 27 1776, 2171, 2443
Mt 20, 1-16 *1855
Mt 20, 8 1752, 2524
Mt 20, 16 2487
Mt 20, 18-19 1968, 2371
Mt 20, 19 *2342, 2488
Mt 20, 22 1905, 2040
Mt 20, 26 et 28 1778
Mt 20, 28 1745
Mt 21, 9 *1624, 2499
Mt 21, 33 1982
Mt 21, 38 2049
Mt 21, 43 2412
Mt 22, 1-14 *2354
Mt 22, 15 2316
Mt 22, 16 *2364
Mt 22, 30 *2140
Mt 22, 37 et 39 1836
Mt 22, 40 *2007
Mt 23 *2093
Mt 23, 3 *1933
Mt 23, 10 1775
Mt 23, 15 1632, 2218
Mt 23, 24 2455
Mt 23, 34 2042, 2074
Mt 24, 3 *2080
Mt 24, 9 2031
Mt 24, 12 2310
Mt 24, 28 1647, 1862, 2256, 2553
Mt 24, 31 2553
Mt 25, 1-13 *2354
Mt 25, 6 2524
Mt 25, 10 *2528
Mt 25, 11-12 1776
Mt 25, 19 2630
Mt 25, 21 *1853, 2004, 2134
Mt 25, 23 1783, 2015
Mt 25, 24 sq. *1909
Mt 25, 28 *1984
Mt 25, 33 1828 Mt 25, 34 sq. et 41 sq. *2095
Mt 25, 37 1939
Mt 25, 40 1599
Mt 25, 41 *1925,
1994, 2097
Mt 25, 46 1994
Mt 26 *1597
Mt 26, 2 1597,
*2080
Mt 26, 7 *1597
Mt 26, 10 *1608
Mt 26, 17 *1729,
2332
Mt 26, 30 *2273
Mt 26, 31 1833,
*1968, 2069, 2532 Mt 26, 31. 33-34 1847
Mt 26, 33 2621
Mt 26, 35 2621
Mt 26, 36 *2274
Mt 26, 38 2631
Mt 26, 38 et 39
1657
Mt 26, 41 1845
Mt 26, 53 2353
Mt 26, 56 *2330
Mt 26, 66 2405
Mt 26, 71-72 2326
Mt 26, 73-74
*2326
Mt 27, 2 *2328
Mt 27, 5 *2546
Mt 27, 32 *2414
Mt 27, 35 *2431
Mt 27, 45 *2405,
*2405
Mt 27, 48 *2449
Mt 27, 51 *2447
Mt 27, 51 sq
*1827
Mt 27, 54 2181
Mt 27, 55-56
*2435
Mt 27, 59 2467
Mt 28, 1 2471,
*2472
Mt 28, 2 2475,
*2516
Mt 28, 2-5 *2496
Mt 28, 7 2573
Mt 28, 9 2516,
2525
Mt 28, 13-15
*2485
Mt 28, 16 *2613
Mt 28, 18 1743,
*2110, 2185
Mt 28, 19 1633,
1987, 2216, 2539
Mt 28, 20 1611,
1833, 1947, 2163, 2606
Marc (Mc)
Mc 1, 4
*1765
Mc 1, 10
*2539
Mc 1, 16
sq. *2553
Mc 1, 19-20
*2443
Mc 1, 27
2054, 2312
Mc 3, 22
*2098
Mc 3, 30
*2098
Mc 4, 8
*1996
Mc 4, 10-11
*2315
Mc 4, 34
*2315
Mc 5, 7
1975
Mc 6, 48
*2054, *2554
Mc 7, 17
*2315
Mc 9, 6
*2539
Mc 9, 49
2554
Mc 10, 30
*1871
Mc 13, 3
*2080
Mc 13, 9
*2080
Mc 13, 26
1828, 2260
Mc 14 *1597
Mc 14, 1
1597, *2080
Mc 14, 3
*1597
Mc 14, 8
1608
Mc 14, 12
*1729, *2332
Mc 14, 26
*2273
Mc 14, 32
*2274
Mc 14, 33
1651
Mc 14, 68
1846
Mc 15, 24
2432
Mc 15, 25
2405
Mc 15, 33
*2405
Mc 15,
40-41 *2435
Mc 15, 43
2464
Mc 16, 1
*1608, 2472
Mc 16, 2
2474
Mc 16, 5 *2496,
*2516
Mc 16, 8
*2492
Mc 16, 9
*2472
Mc 16, 14
*2613
Mc 16, 15 2027,
2226, 2230
Mc 16, 17-18 1898
Mc 16, 19 1771,
2163, 2191
Luc (Lc)
Lc 1, 35
1975
Lc 1, 51
1695
Lc 2, 8
2217
Lc 2, 10-11
*1627
Lc 2, 14
1662
Lc 2, 34
2048
Lc 2, 51
1970
Lc 3, 2
2318
Lc 3, 3
*1765
Lc 3, 6
2185
Lc 3, 14
2426
Lc 3, 22
*2539
Lc 4, 1
*1909
Lc 5, 1 sq.
*2553
Lc 5, 3-6
*2585
Lc 5, 4
*2589
Lc 5, 6
*2590, *2604, *2606
Lc 5, 8
1755
Lc 5, 10-11
*2443
Lc 6, 13
1782, 2020, 2546
Lc 6, 19
*2414
Lc 6, 22
2031, 2071, 2223, 2635
Lc 6, 22-23
*2071
Lc 6, 23
2256
Lc 6, 25
1644
Lc 6, 38
*1853
Lc 6, 45
*1776
Lc 7, 37
*1597
Lc 7, 39
*1608
Lc 7, 47
1767,2472,2493,2626
Lc 8, 11
1639
Lc 8, 13
1947, 2170, *2547
Lc 8, 15
*1996
Lc 9, 1
2144
Lc 9, 5
*1749
Lc 9, 26
1708
Lc 9, 34
*2539
Lc 9, 58
2176, *2428
Lc 9, 62
2578
Lc 10, 4
1821
Lc 10, 16
2042
Lc 10, 17
2144, 2145
Lc 10, 22
1937
Lc 10, 23
1701, 2566
Lc 10, 39
*1595, 1595
Lc 10,
39-40 1806, 2305
Lc 10, 40
1595, 1745
Lc 10, 41
*1595
Lc 10, 42
*1595, 2648
Lc 11, 1
*1995
Lc 11, 2
*1995
Lc 11, 15
*2098
Lc 11, 28
1785
Lc 11, 33
2414
Lc 11, 41
1599, 1767
Lc 12, 7
*2558
Lc 12,
35-38 *2354
Lc 12, 37
2041
Lc 12, 49
2599, 2602
Lc 12, 50
1815
Lc 13, 7
*1984
Lc 13, 19
*2354
Lc 13, 21
*2354
Lc 14, 16
1740
Lc 14, 17
2608
Lc 14, 21
2589
Lc 14, 26
1645, 2441
Lc 15, 25
*2480
Lc 15, 31
2209
Lc 16, 25
1644
Lc 17, 10
1782
Lc 17, 22
1834
Lc 17, 37
*1804
Lc 18, 1
2142
Lc 18, 11
*2621
Lc 18, 31
2451
Lc 19, 10
2447
Lc 19, 12
2359
Lc 19, 22
2393
Lc 19, 42
1627
Lc 19, 44
*1947
Lc 21, 12
*2080
Lc 21, 15
1839
Lc 21, 27
1923, 1968, 2249, 2260
Lc 21, 33
1900
Lc 22, 3
sq. *2278
Lc 22, 7
*1729, *2332
Lc 22, 8
*2645
Lc 22, 15
2331
Lc 22, 24
2273
Lc 22, 27
1745, 2531
Lc 22,
29-30 *2004
Lc 22,
31-32 2273
Lc 22,
31-34 1847
Lc 22, 32
*2093, *2308, 2639
Lc 22, 35
2288
Lc 22, 36
2288
Lc 22, 42
*2641
Lc 22, 51
*2290
Lc 22, 52
2278
Lc 22, 53
2078
Lc 22, 61
*2325
Lc 22, 66
2330
Lc 23, 2
*2345
Lc 23, 5
2312, 2337
Lc 23, 33
*2417
Lc 23, 42
2057
Lc 23, 43
1671, *2235, 2275
Lc 23, 44
*2405
Lc 23, 49
*2435
Lc 23,
55-56 *2473
Lc 24, 4
*2505
Lc 24, 13 sq.
*2525
Lc 24, 16
*2506
Lc 24, 17
2134
Lc 24,
17-18 2511
Lc 24, 26
*2451
Lc 24, 34
2525
Lc 24, 39
2516, 2533, 2559
Lc24, 43
*2611
Lc 24,44
1691, 1790, 1833, 2057, 2433, 2445, *2447
Lc 24,45
2101, 2151, 2483, *2488
Lc 24, 49
*2093, 2289, *2308, 2648
Jean (Jn)
Jn 1, 1
1878, *1911, 1929, 1970, 2499 Jn 1, 3 1695, 1857, 1904, 1993, *2181
Jn 1, 4 1868
Jn 1, 9 1686,
1698, 1713, 2150, *2582
Jn 1, 10 1669, *1923, 2264
Jn 1, 11 1713, 1736, *1923, 2162
Jn 1, 11-12 2042 Jn 1, 12 *1726, 1686, 2258
Jn 1, 14 *1743, 1864, 1878, 1881, *1978, 2181, 2199,
2201, 2499
Jn 1, 15 *1619
Jn 1, 16 *2196,
2231
Jn 1, 17 1993,
2365
Jn 1, 18 1694,
*1775, 1804, *1937, *2185, 2194, *2195, 2269, 2359
Jn 1, 26 2531
Jn 1, 29 *1733,
*2231, 2623
Jn 1, 33 1915
Jn 1, 35 sq *2553
Jn 2, 1-11 *1689
Jn 2, 3 2440
Jn 2, 4 1637,
1733, *2078, 2180, 2440
Jn 2, 25 2126
Jn 3, 2 *1707, 2466
Jn 3, 5 1856
Jn 3, 8 1916, 2059
Jn 3, 13 2257, *2257, *2520
Jn 3, 14 1673, 1677
Jn 3, 14-15 *2494
Jn 3, 17 1667, 1717, 2537
Jn 3, 34 *2088
Jn 3, 35 2270
Jn 3, 36 1714
Jn 4, 2 *1765
Jn 4, 6 2176
Jn 4, 31 1775
Jn 4, 34 2588
Jn 4, 35 1636
Jn 4, 36 1641, 1992, 2027
Jn 4, 39 *1619
Jn 5, 1-9 *1615, *1689
Jn 5, 4 1796
Jn 5, 7 1796
Jn 5, 18 2387
Jn 5, 19 1722, 1893, 1904, 1935, 2061, 2187
Jn 5, 20 1999, 2185, 2270
Jn 5, 22 1716
Jn 5, 23 1648, 1793, 1851
Jn 5, 26 2110, *2110, 2187
Jn 5, 27 1722
Jn 5, 36 1773, 1896
Jn 5, 38 1995
Jn 5, 39 2568
Jn 5, 43 1622, 1957
Jn 5, 44 1709
Jn 5, 46 1705
Jn 6 *1755
Jn 6, 5 sq. *2598
Jn 6, 19 *2054, *2554
Jn 6, 27 1933
Jn 6, 29 1851, 1894
Jn 6, 30 1689
Jn 6, 33 *2257
Jn 6, 38 1828, *2257
Jn 6, 40 2218
Jn 6, 44 1674, 1875, *1875, *1910, 2055, 2196, 2596
Jn 6, 45 1959, *2018, 2202, *2249, 2361
Jn 6, 51 2599
Jn 6, 52 1639
Jn 6, 56 1979
Jn 6, 57 1930, 1988, *2256
Jn 6, 67 *2547
Jn 6, 69 1775, 1776
Jn 6, 71 1789, *2037, 2276
Jn 7, 7 2031, 2034, 2038
Jn 7, 16 1711, 1950, *2061
Jn 7, 20 *2098
Jn 7, 29 1880
Jn 7, 32 *2319
Jn 7, 39 1637, 1859, 1902, 2088
Jn 7, 46 1893, 2319
Jn 7, 48 1707
Jn 8, 11 *2447
Jn 8, 12 *1686, 1713, 1714, 2150
Jn 8, 14 1720, 2359
Jn 8, 19 1878, 1886, 2043, 2076
Jn 8, 21 2280
Jn 8, 23 2037, 2224, 2390
Jn8, 26 1893
Jn 8, 28 1678, 2461
Jn 8, 29 2003
Jn 8, 31 *1619, 1996
Jn 8, 32 2229, 2460
Jn 8, 34 1975
Jn 8, 35 1611,2014
Jn 8, 44 1922, 2093
Jn 8, 46 2320
Jn 8, 47 1933, 2362
Jn 8, 48 *2098
Jn 8, 48-49 *2216
Jn 8, 50 1906, 2183
Jn 8, 52 *2098
Jn 8, 55 2267
Jn 8, 59 1687
Jn 9, 1-7 *1615, *1689, *2054
Jn 9, 4 2582
Jn 9, 22 1708, 2071
Jn 9, 24 2096
Jn 9, 31 1982
Jn 9, 32 1893, 2054
Jn 9, 39 1667
Jn 10, 1 sq. *2361
Jn 10, 4 et
16 *2171
Jn 10, 6 *2148
Jn 10, 9
1874, 2188
Jn 10, 10
1603, 1691, 1870
Jn 10, 11 *2216, *2628
Jn 10, 13 *2547
Jn 10, 18 1659, *1679, 1815, 2283, 2452, 2484
Jn 10, 20 *2098
Jn 10, 27 1647, 2185, 2301, 2361
Jn 10, 27-28 2218
Jn 10, 29 2107
Jn 10, 30 1891, 1929, 2161, 2214
Jn 10, 33 2387
Jn 10, 34 2387
Jn 10, 38 1896
Jn 10, 41 2088
Jn 11, 9-10 1824
Jn 11, 17-44 *2054
Jn 11, 33 1651, 1797
Jn 11,43 *1689
Jn 11, 49-52 *1609
Jn 11, 50 *2298
Jn 12, 12-13 1591
Jn 12, 13 *1624
Jn 12, 19
2176
Jn 12, 23
et 27 *2078
Jn 12, 24
*1979
Jn 12, 26
1862
Jn 12, 28 2181
Jn 12, 31 2097, 2176
Jn 12, 32 1641, 1790, *1875, 2176
Jn 12, 36 *1686
Jn 12, 40 *1941
Jn 12, 42 *2071, 2464
Jn 12, 43 2399
Jn 13, 1 1832, 2120, 2280
Jn 13, 2 1811
Jn 13, 2-3 *1672
Jn 13, 4 1770
Jn 13, 8 1806
Jn 13, 10 1756, 1987
Jn 13, 12 1756
Jn 13, 13 2562, 2592
Jn 13, 15 1756
Jn 13, 16 2040
Jn 13, 21 1850
Jn 13, 23 *1803, *2642
Jn 13, 23-24 *2302
Jn 13, 25 *2643
Jn 13, 26 *1741
Jn 13, 30 *2281
Jn 13, 31 1733, 1902
Jn 13, 33 1841, 1922, 1975, 2120
Jn 13, 34 *2540, 2599
Jn 13, 35 1996, 2241, 2653
Jn 13, 36 1858, 1864, 1926, 2084
Jn 13, 37-38 2309
Jn 14 *2068
Jn 14, 1
*1641, 1978
Jn 14, 1-2
2082
Jn 14, 2 et
3 *1858
Jn 14, 3
1923, 1968, 2650
Jn 14, 4 1880, 1886
Jn 14, 5 1880, 1926, 2084
Jn 14, 6 1916, 1958, 2062, 2106, *2229, 2359, *2364,
2365, *2582
Jn 14, 7 1883
Jn 14, 8 1926, 2137, 2144
Jn 14, 9 1704, *1830, 2268
Jn 14, 9-10 1712, 2170
Jn 14, 10 1722, 1926, 1928, 1950, 2247
Jn 14, 12 1928,
2088
Jn 14, 15 1976,
*2618
Jn 14, 16 *1911,
*1912, 1946, 2082, 2088
Jn 14, 18 2082
Jn 14, 18-19 1948
Jn 14, 19 1939, 2120
Jn 14, 21 2096, 2159, 2533
Jn 14, 23 1793, 1908, 1923, 2248, 2533
Jn 14, 26 1771, 1880, *1912, *1957, 2061
Jn 14, 27 1952, 1978, 2085, 2532
Jn 14, 28 *2083, 2183, 2531
Jn 14, 30 2385
Jn 14, 31 1847
Jn 15 *2068
Jn 15, 1 2612
Jn 15, 1 sq. *1978
Jn 15, 4 1995, 1996
Jn 15, 5 *2621
Jn 15, 7 2254
Jn 15, 9 *2540, 2639
Jn 15, 10 2198
Jn 15, 12 *2447, *2540
Jn 15, 13 1735, 1838, 1843, *2429
Jn 15, 15 1783, 1916, *1916, 2041, 2201
Jn 15, 16 1641, 1788, 2037, *2196
Jn 15, 18-27 *2069
Jn 15, 19 2175, 2196, 2223
Jn 15, 21 2052
Jn 15, 22 1700, 1724, 1893
Jn 15, 24 1689, 1700, 1893
Jn 15, 26 1916, *1955, 1956, *1957, 2098
Jn 15, 27 1908
Jn 16, 5 1738, 2163, 2520
Jn 16, 7 1640, 1771
Jn 16, 12 1975, 2018, 2151, 2658
Jn 16, 12-13 1756
Jn 16, 13 2062, 2137, 2269
Jn 16, 14 1916, *2208, 2209
Jn 16, 15 2209
Jn 16, 16 1682, 1833
Jn 16, 18 2167
Jn 16, 20
*1955, 2134
Jn 16, 22
1923, 2136, 2534
Jn 16, 23
1995, 2609
Jn 16, 25
1880, 2018, 2165, 2314
Jn 16, 25
et 29 *2148
Jn 16, 27 1908, 2149, 2251
Jn 16, 28 1611, 1713, *1923, 2149, 2165, 2219
Jn 16, 29 2149
Jn 16, 31 2203
Jn 16, 32 2203
Jn 16, 33 1963, *2032, *2536
Jn 17, 1 *2078, 2194
Jn 17, 2 2253
Jn 17, 3 1738
Jn 17, 5 1660, 1827, *2088
Jn 17, 6 1622, 1660, 1733, 1736, 1830,1864, 1879, *1937,
*2110, *2185, 2208, 2209, 2268
Jn 17, 9 2263
Jn 17, 11 *2213, 2220, 2264, 2351
Jn 17, 12 2079, 2235, 2284
Jn 17, 15 2283
Jn 17, 16 *2032
Jn 17, 17 1853, 2233
Jn 17, 20 2263
Jn 17, 21 2249
Jn 17, 22-23
*2547
Jn 17, 24 *2088
Jn 18, 4 1732
Jn 18, 8 1924
Jn 18, 10 *2353
Jn 18, 15 *2290
Jn 18, 15-16
*2302
Jn 18, 16 *2645
Jn 18, 18 2325
Jn 18, 20 2165
Jn 18, 21 2320
Jn 18, 23 *2124,
*2321
Jn 18, 30 2345
Jn 18, 37 1870,
2230, 2268
Jn 19, 6 2405
Jn 19, 11 2293
Jn 19, 12 2340
Jn 19, 23 2412
Jn 19, 24 1746
Jn 19, 26 *1803
Jn 19, 30 1733,
*2447
Jn 19, 31 *1590
Jn 19, 37 2249
Jn 19, 38 1630
Jn 20, 1 2525
Jn 20, 2 *1803
Jn 20, 2-4 et 8 *2302
Jn 20, 3 2302
Jn 20, 17 1734, 1832, 2256
Jn 20, 19 *1923, *2613, 2613
Jn 20, 20
1924,2119,2130
Jn 20, 21 1712,
2230
Jn 20, 22-23 1779
Jn 20, 23 1955,
2539
Jn 20, 24 *2645
Jn 20, 26 *2613,
*2613, *2614
Jn 20, 28 *1758
Jn 20, 31 2422,
2460, 2571
Jn 21, 3 2171
Jn 21, 7 *1803,
*2302
Jn 21, 15 1753,
2640
Jn 21, 17 2166,
2603
Jn 21, 18 1842,
2484
Jn 21, 19 1827
Jn 21, 20 *1803
Jn 21, 20 et 23-24 *2302
Jn 21, 21
2137
Actes
des Apôtres (Ac)
Ac 1, 1
1769, 1850, 2321
Ac 1, 3
2119, 2151, 2572, *2613
Ac 1, 4
2611
Ac 1, 5
1749
Ac 1, 6
2137
Ac 1, 8
2067, 2654
Ac 1, 9
2084, 2120, 2613
Ac 1, 11
1860, 1923
Ac 2, 4
*2539
Ac 2, 37
1702
Ac 3, 1
2302
Ac 3, 1.
3-4 *2645
Ac 3, 11
*2645
Ac 3, 13
1662, 2385
Ac 3, 14
2370
Ac 4, 8
*2308
Ac 4, 12
1904, 2142, 2568
Ac 4, 32
2016, 2238
Ac 4, 34-35
*1899
Ac 5, 15
*1899
Ac 5, 32
1908, 2067, 2098
Ac 5, 34-39
*1630
Ac 5, 41
1955, *2363
Ac 6, 2
1605
Ac 7, 51
2055
Ac 7, 58
*2341, *2630
Ac 8 *1633
Ac 8, 5
1633
Ac 8, 13
*1791
Ac 8, 14
2302, *2645
Ac 8, 27
*1632
Ac 8, 31
2047
Ac 9, 4
2042
Ac 9, 31
*1912, 2060
Ac 10, 38
1728, 2057, 2336
Ac 10,
40-41 2120, 2567
Ac 10, 41
1924
Ac 10, 42
1720, 2253
Ac 10, 43
1703
Ac 12, 2
2636
Ac 13, 30 *2475
Ac 14, 21 2594
Ac 15, 9 *1854, 1987
Ac 16, 37 *2321
Ac 17, 28 1930
Ac 18, 3 *2578
Ac 22, 25 *2321
Ac 23, 2-3
*2321
Ac 25, 9
2339
Ac 25, 16
2339
Ac 26, 24
*2414
Ac 27, 34
2558
Romains
(Rm)
Rm 1, 1
2015
Rm 1, 2
1703, 2047
Rm 1, 4
2191, 2262
Rm 1, 13
2027
Rm 1, 19
2195, 2265
Rm 1, 19-20
2265
Rm 1, 20
*1697, *1762, 2195
Rm 1, 20-21
2049
Rm 1, 21
2265
Rm 1, 32
*2582
Rm 2, 13
1716, 1933
Rm 2, 14
*2480
Rm 2, 16
*1792
Rm 3, 4
*1872, *2621
Rm 3, 10
2094
Rm 3, 21-5,
21 *2046
Rm 3, 22
2096, 2229
Rm 3, 23
2046
Rm 3, 24
*2513
Rm 3, 29
*1626, 2421
Rm 4, 5-8
*2095
Rm 5, 1
1962, 2248
Rm 5, 1-2
2521
Rm 5, 2
*1868
Rm 5, 5
1836, 1909, *2000, *2015, 2069, 2159, 2429, 2541, 2602
Rm 5, 8 1673, 2009, *2560
Rm 5, 10 2532, 2554
Rm 5, 19 1592, *1592
Rm 6, 4 1829, 2133, *2290
Rm 6, 6 *2560
Rm 6, 9 1746, 1833, 2134, 2559
Rm 6, 10 1734, 1771, 2163
Rm 6, 12 1670, 2097
Rm 6, 13 1596
Rm 6, 21 1990
Rm 6, 22 1738, 1992
Rm 7, 18 2588
Rm 8, 9 1957
Rm 8, 11 1829
Rm 8, 14 *1609, 1909, 1916, 1955, 2321, 2494, *2605
Rm 8, 15 1836, 1922, 1957, 2014, 2062
Rm 8, 17 *1759, *2062
Rm 8, 26 1758, 1905, 1911, 1995
Rm 8, 29 1648, 1957, 1999, *2062, *2196, *2519,
2521,*2568
Rm 8, 29-30 *2191
Rm 8, 30 2020, 2604
Rm 8, 34 *2138, *2191
Rm 8, 35 *2618
Rm 8, 38-39 2618
Rm 9, 1 2460
Rm 9, 3 *2487, 2618
Rm 9, 4-5 2480
Rm 9, 5 2483
Rm 9, 11 *2196
Rm 9, 18 1700, 2254
Rm 9, 30-31 2483
Rm 9, 32 *2048
Rm 10, 2 1758
Rm 10, 4 1738
Rm 10, 8 *2235
Rm 10, 8-10 *1776
Rm 10, 10 1601, *1601, 1708
Rm 10, 12 *2428
Rm 10, 17 1619, 1693, 2046
Rm 10, 18 *2093
Rm 11, 8 *1702
Rm 11, 16-24 *2481
Rm 11, 17 *2421
Rm 11,20 1845
Rm 11,25-26 2486
Rm 11,33 1866
Rm 12, 5 2239
Rm 12, 10 *2621
Rm 12, 12 2503
Rm 12, 13 1779
Rm 12, 15 1855, *2636
Rm 13, 1 1634, *2395
Rm 13, 8 2006
Rm 13, 10 *2447
Rm 13, 12 2582
Rm 14, 8 *2633
Rm 14, 17 *1912
Rm 15, 4 1665
Rm 15, 8
1633
Rm 16, 18
*1964
1re aux Corinthiens (1 Co)
1 Co 1, 17
*2412
1 Co 1, 18
2414, 2461, *2560
1 Co 1, 22
1629
1 Co 1, 23
*2048, *2069
1 Co 1, 24
*1775, *2181, 2188
1 Co 1, 25
1627
1 Co 1, 30
*1827
1 Co 2, 2
*2560
1 Co 2, 8
2049
1 Co 2, 9
*1853, 2250
1 Co 2,
9-10 *1916
1 Co 2, 10
1696, 2106
1 Co 2, 11
*1684, 1874, *2363
1 Co 2, 12
1743, 1916, 1920, 2098
1 Co 2, 14
1919, 1959, 2152, 2356
1 Co 3, 6
1982
1 Co 3, 16
2061, 2247
1 Co 4, 1
1595, 1647, 2544
1 Co 4, 4
1762, 1843
1 Co 4, 10
*2414
1 Co 4, 15
*2601
1 Co 5, 7
2405, 2461
1 Co 6, 17
1999
1 Co 6, 19
1955
1 Co 6, 20 *2633
1 Co 7, 20
2000
1 Co 9, 19
*1745
1 Co 9, 24
1787, 2478, *2478
1 Co 9,
26-27 *2478
1 Co 10, 4
1828, *2450
1 Co 10, 11
1731
1 Co 10, 12
1801
1 Co 10, 21
1823
1 Co 10, 31
1906, 1996
1 Co 11, 3
1599, 1762, 2483, 2499, *2568
1 Co 11, 23
2522
1 Co
11,27-32 *1823
1 Co 11, 26
2499
1 Co 11, 29
*1602, 1813
1 Co 12, 3
1916
1 Co 12, 6
et 11 2061
1 Co 12, 7
1915
1 Co 12, 11
2106
1 Co 12, 28
2026
1 Co 12, 31
2429, *2508
1 Co 13, 2
1996
1 Co 13, 3
1599, *2633
1 Co 13, 7
2512
1 Co 13, 8
1915, 2641
1 Co 13, 9
*1663
1 Co 13, 12
1880, 1927, 1927, 2018, *2018, *2102, 2150, 2203, 2269
1 Co 14, 2
*1595
1 Co 14, 25
1792
1 Co 14, 33
*2241, 2483
1 Co 15, 10
1900, 1984, 2602, 2616
1 Co 15, 22
1925
1 Co 15, 28
1853
1 Co 15, 36
1639
1 Co 15, 43
2245
1 Co 15, 51
*2552
1 Co 15, 53
*2559
1 Co 15, 57
2176
1 Co 15, 58
2492
2e aux Corinthiens (2 Co)
2 Co 1, 4
1955
2 Co 1, 6
2547
2 Co 1, 22
1839
2 Co 2,
14-15 1599
2 Co 2,
15-16 1602
2 Co 3, 5
1993
2 Co 3, 6
2538
2 Co 3, 7
*1830
2 Co 3, 14
2480
2 Co 3, 18
1830, 2152, 2246
2 Co 4, 4
1669, 1697
2 Co 4, 5
*1745
2 Co 4, 16
*1804, *2618
2 Co 4, 18
1920, 2596
2 Co 5, 1
1853, *1861
2 Co 5, 4
2631
2 Co 5, 8
2631
2 Co 5, 14
1942, 2106, 2494, 2618
2 Co 5, 16
2088, 2518
2 Co 5, 17
*1471
2 Co 5, 19
1591, 1669, *2429, 2521
2 Co 5, 29
2032
2 Co 6, 1
1984
2 Co 6, 4 1647
2 Co 6, 13
*2499
2 Co 6,
14-15 *1987
2 Co 6, 15
*1602, *1674, 1823, *1922
2 Co 6, 16
1853
2 Co 6, 17
2582
2 Co 7, 5
1955
2 Co 7, 10
1850, 2129
2 Co 8, 9
2428
2 Co 9, 6
1645
2 Co 10, 5
2422, *2450
2 Co 10, 17
*2043
2 Co 11
*1777
2 Co 11, 15
*1602
2 Co 11, 23
*1647
2 Co 11, 29
*1804
2 Co 12, 2
1803
2 Co 12, 4
2101
2 Co 12,
7-8 *1758
2 Co 12, 8
2138
2 Co 12,
8-9 *1905
2 Co 13, 3
1930, 2042, 2093
2 Co 13, 4 *1734
Galates (Ga)
Ga 1, 9 2656
Ga 1, 10 1709
Ga 1, 12 1693,
2235
Ga 1, 13-14 *2074
Ga 2, 1-2 *1634
Ga 2, 9 2616
Ga 3, 16 *2447
Ga 3, 20 *2201
Ga 4, 4 2204,
2359
Ga 4, 4-5 *2387,
2521
Ga 4, 6 1957,
1957, 2062
Ga 4, 19 1832
Ga 5, 6 *1998
Ga 5, 22
1911,2027,2060,2220
Ga 5, 24 *2414
Ga 6, 14 1827,
2560, 2582
Ga 6, 15 2471
Éphésiens (Ep)
Ep 1, 3-6 *2191
Ep 1, 4 1857,
2020, 2196, 2262, *2568
Ep 1, 5 *1648
Ep 1, 18 1700
Ep 1, 21 *1871
Ep 1, 22 1599
Ep 1, 22-23 *1981
Ep 2, 3 *1717
Ep 2, 4 *2429
Ep 2, 8 2159, 2196, *2363, 2363
Ep 2, 14 *1962
Ep 2, 15 2596
Ep 2, 18 *1907
Ep 2, 20 *2626
Ep 3, 17 1793, 1853, 1898, 1930, 2468
Ep 3, 19 2429
Ep 4, 3 2213
Ep 4, 3-5 2239
Ep4, 8 1910, *2088, *2517, *2540
Ep 4, 10 2520
Ep 4, 15-16 *1981
Ep 4, 22-24 *2593
Ep 4, 25 1776
Ep 5, 1-2 2240, 2599
Ep 5, 2 1738, 1838, 1976, 2008, 2163, *2429, 2484, 2599
Ep 5, 8 1714
Ep 5, 11 *2582
Ep 5, 13 *2582
Ep 5, 23 *1981
Ep 6, 12 1975
Philippiens (Ph)
Ph 1, 20 2633
Ph 1, 23 *1861, *2625, 2631, 2647
Ph 1, 23-24 *2618
Ph 1, 29 2363, *2363
Ph 2, 3 2621
Ph 2, 6-7 1970
Ph 2, 7 1746
Ph2, 8 1592, *1592, 1641, 1660, 1673, 2003, *2031,
2176, *2293, 2452
Ph 2, 8-9 2096, 2191
Ph2, 9 1771, 1828, 1829, 1904, 1971, 2420
Ph 2, 10 *1627
Ph2, 11 1637, 1734, 1829
Ph 2, 13 *1909, 2015
Ph 2, 21 1647, *2618
Ph 3, 20 1804, *2093, 2596
Ph 3, 21 1925, 2181, 2245, 2260
Ph 4, 4 *2060
Ph 4, 7 *2429
Colossiens
(Col)
Col l, 5-6
1985
Col 1, 13
2351
Col 1, 15
1712, 1878
Col 1, 18
*1978, *1981, *2514
Col 1, 20
1591, 1827, 2554
Col 2, 3
1665, 2106, 2201, *2568
Col 2, 15
*1637, 2176, 2414, *2560
Col 3, 1
1859
Col 3, 5 *2633
Col 3, 9-10
1836
Col 3, 13
1779
Col 3, 14
2429
Col 4, 3
2178
Col 4, 6
*2624
1re aux Thessaloniciens (1 Th)
1 Th 2, 13
2042
1 Th 2, 14
2481
1 Th 4, 5
2265
1 Th4, 15
*1862
1 Th 4, 16
1860, *1862, 1925, 2258
1 Th 5, 5
1686
1 Th 5, 17
2142
1 Th 5, 22
*1890
1re à Timothee (1 Tm)
1 Tm 1, 5
2006, 2029
1 Tm 1, 13
2076
1 Tm 1, 15
1923
1 Tm 1, 17
*1830, 1887, *2195
1 Tm 2, 4
1698, 2207, 2253, 2447
1 Tm 2, 5
1794, *1910, *2201, 2537
1 Tm 2, 5-6
*2138
1 Tm 2, 6
*1745
1 Tm 3, 15
1853
1 Tm 4, 12
2624
1 Tm 5, 8
2441
1 Tm 5, 22
2614
1 Tm 6, 16
*1684, 1713, *1726, *1734, 1866
2e à Timothee (2 Tm)
2 Tm 2, 5
*2478
2 Tm 2,
19-20 2024
2 Tm 3, 1-2
2618
2 Tm 3, 13
1630
2 Tm 3, 16
*1987
2 Tm 4, 7 2478
Tite (Tt)
Tt 1, 9 1987
Tt 1, 16 2377
Tt 3, 5 2458
Philémon (Phm)
Phm 9 2630
Hébreux (He)
He 1, 1
1953
He 1, 3
1662, 1712, 1830, 1878, *2062, 2181, 2213, 2260
He 1, 6
2496
He 2, 3
2269, 2359
He 2, 4
2066, 2098
He 2, 9
1970
He 2, 10
*2229, 2451
He 2, 13
2253
He 2, 14
1827
He 2, 16
1627, 1930
He 2, 17
2519
He 3, 1
*1782, *1829
He 3, 5
1622
He 3, 14
*1829
He 4, 3
*2582
He 4, 11
*2478
He 4, 13
2347
He 4, 15
1652, 1845, 2309, *2519
He 5, 5
1637
He 5, 7
1658
He 5, 8-9
1592, *2229
He 5, 12
1885
He 5, 14
2602
He 6, 4
*1829
He 7, 14
*1829
He 7, 25
1859, 1910, 2155
He 8, 6
*1910
He 8, 8
*2447
He 9, 10
2231
He 9, 14
*2229, 2231
He 9, 15
*1910
He 9, 22
1640
He 9, 27
2647
He 10, 10
*2229
He 10, 12
*2191
He 10, 14
*2229, 2451
He 10, 19
*1907
He 10,
19-20 1641
He 10, 25
2547
He 10, 32
*1862, *2256
He 11, 1
*1859, 2018, *2096, 2176, 2564, *2602
He 11, 6
1851,2159
He 12, 2
2494
He 12, 3
2031
He 12, 9
1922
He 12, 14
1962
He 12, 24
*1910
He 12, 26
*1925
He 13, 8
2483
He 13, 10
*2480
He 13, 12
2231, 2415
He 13, 13
2415
Jacques
(Jc)
Jc 1, 6
2142
Jc 1, 17
2213
Jc 1, 18
*2471
Jc 1, 22
1716
Jc 1, 24
*2532
Jc 2, 5
2227
Jc 2, 13
1599
Jc 2, 19 *2095
Jc 4, 3 1905, 2142
Jc 4, 17 1785
Jc 5, 16 1779
1re de
Pierre (1 P)
1 Ρ 1, 12
*2519
1 Ρ 1, 18-19
1733, 2458
1 Ρ 1, 19
*1755
1 Ρ 2, 9-10
*2290
1 Ρ 2, 21 1781, 2031, *2391, 2414, 2631, 2635
1. P 2, 22
1845, 1975, 2003, 2320, 2367
1 Ρ 2, 24 1750
1 Ρ 3, 7 *1759
1 Ρ 3, 14 *2071
1 Ρ 3, 18 1641, 2484
1 Ρ 3, 20
2582, *2595
1 Ρ 3, 22
*2191
1 Ρ 4, 8
2541, 2617
1 Ρ 4, 10
2548
1 Ρ 4,
13-14 *2071
1 Ρ 4,
15-16 1974, 2043, 2633
2e de
Pierre (2 Ρ)
2 Ρ 1,
4 1829, 1999 2 Ρ 1, 14 *2631
2 Ρ 1,
16 2210
2 Ρ 1,
21 2321
2 Ρ 2,
21 *2441
2 Ρ 2,
22 *2148
1re de Jean (1 Jn)
1 Jn 1, 2 *1703
1 Jn 1, 3 2067, 2460
1 Jn 1, 5 1713
1 Jn 1, 8 1985
1 Jn 2, 1 1912, *1912, 2155
1 Jn 2, 1-2 2207
1 Jn 2, 4 2012
1 Jn 2, 15 1918, 1941
1 Jn 2, 15-17 *2032
1 Jn 2, 16 *1941, 2176, 2211
1 Jn 2, 18 1833
1 Jn 2, 19 1799
1 Jn 2, 20 *2098
1 Jn 2, 22 *2098
1 Jn 2, 27 2102, 2137
1 Jn 3, 1 *2519
1 Jn 3, 2 *1663, 1880, 2186, *2245, 2260, 2552, *2571
1 Jn 3, 8 1668
1 Jn 3, 13 2175, 2223, *2227
1 Jn 3, 13-14 2038
1 Jn 3, 18 1838, 2008
1 Jn 3, 20 *2004
1 Jn 3, 21-22 2028
1 Jn 4, 1-2 *2098
1 Jn 4, 5 2034
1 Jn 4, 9 2009
1. Jn 4, 10 1735, 1838, 1909, 1934, 2002, 2020, 2159
1 Jn 4, 10-15 *2159
1. Jn 4, 16 1853, 1930, 1941, 1988, 2000, *2060, *2247,
2258, 2270
1 Jn 4, 18 2015, 2617
1 Jn 4, 19 2002
1 Jn 4, 20 2012, *2012
1 Jn 4, 21 2029
1 Jn 5, 4 2176
1 Jn 5, 6 *2098
1 Jn 5, 9 *2098
1 Jn 5, 19 2032,
*2226
1 Jn 5, 20 1725,
1851, *2115, 2187, 2562
Jude (Jude)
Jude 3 *2478
Jude 19 *2547
Apocalypse (Ap)
Ap 1, 5 1748, 1771
Ap 1, 7 1925, 2249, *2462, 2525
Ap 1, 18 1924
Ap 2, 10 2561
Ap 2, 23 *2166, 2617
Ap 3, 4 2497
Ap 3, 5 1771, 2593
Ap 3, 20 1594, 2615
Ap 3, 21 1647, *2245
Ap 4, 1 2458
Ap 5, 5 *2414
Ap 5, 10 1957, 2290, 2351
Ap 5, 12 *2185
Ap 5, 12 et
9 *2447
Ap 6, 10
2140
Ap 6, 11
2648
Ap 7, 3
*2015
Ap 7, 9 1620, 2590
Ap 11, 10 2129
Ap 14, 4 *2171
Ap 14, 15 *1636
Ap 19, 14 *2497
Ap 20, 6 *2290
Ap 21, 3 1853
Ap 21, 14 *2626
Ap 21, 23 2471
Ap 21, 27 1759
Ap 22, 1
2061, *2106
Ap 22, 11
1766, 1985
Ap 22, 17
2476
Ap 22, 20
2647