COMMENTAIRE DE L'ÉVANGILE DE
SAINT JEAN
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN,
Docteur de l'Eglise
notes prises en cours par son
secrétaire, Frère Réginald de Piperno
(1269-1272)
I
CHAPITRES 1 à 11
Le Verbe fait chair
Traduction sous la direction du père Marie-Dominique
Philippe o. p.
Edition Communauté saint Jean, 3 volumes, 1980.
LES ÉDITIONS DU
CERF - www.editionsducerf.fr
- 2006
Deuxième édition numérique à partir de la traduction, http://docteurangelique.free.fr, 2006, les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Nihil obstat :
Fr. Martin Sabathé,
Communauté Saint-Jean
Fr. Paul-Marie de
Mauroy, Communauté Saint-Jean
Imprimi potest :
16 juillet 2005
Fr. Jean-Pierre-Marie
Guérin-Boutaud
Communauté
Saint-Jean, Prieur général
Liste
des sigles et abréviations
Plan
général de l'Évangile de saint Jean selon le Commentaire de saint Thomas*
Explication
de ce prologue par saint Thomas
CHAPITRE
I: Le Verbe s'est fait chair
Jean
1, 3-4: LE VERBE DIVIN ET LA CREATION
Jean
1, 5: LE VERBE DIVIN ET LES HOMMES
Jean
1, 6-8: LE TEMOIN DU VERBE INCARNE
Jean
1, 9-10: LA NECESSITE DE LA VENUE DU VERBE
Jean
I, 11-13: LE FRUIT DE LA VENUE DU VERBE DANS LE MONDE
Jean
I, 14: LA VENUE DU VERBE DANS LA CHAIR
Jean
1, 14b: LA GLOIRE DU VERBE INCARNE
Jean
1, 15 LE TEMOIGNAGE RENDU AU VERBE INCARNE
Jean
1, 16-17: LE VERBE INCARNE, SOURCE ET DONATEUR DE TOUTE GRACE
Jean
1, 18: LE VERBE INCARNE, DOCTEUR DE TOUTE SAGESSE
Jean
1, 24-28: LE MINISTERE DE JEAN. SON BAPTEME DANS L’EAU
Jean
1, 29-34: JEAN, TEMOIN DU CHRIST AGNEAU DE DIEU, VRAI FILS DE DIEU
Jean
1, 35-42: VOCATION DE JEAN, ANDRE ET PIERRE
Jean
1, 43-51: VOCATION DE PHILIPPE ET NATHANAËL
CHAPITRE
II: Les premiers signes de Jésus
Jean
2, 1-11: LES NOCES DE CANA
Jean
2, 12-17: LES VENDEURS CHASSES DU TEMPLE
Jean
2, 18-35: LE SIGNE DU TEMPLE
CHAPITRE
III: La régénération spirituelle donnée aux juifs
Jean
3, 1-6: L'ENTRETIEN AVEC NICODEME
Jean
3, 7-15: LA CAUSE DE LA REGENERATION SPIRITUELLE
Jean
3, 16-21: L’AMOUR DE DIEU POUR LE MONDE, RAISON ULTIME DE LA REGENERATION
Jean
3, 22-26: LE BAPTEME DE JEAN ET CELUI DU CHRIST
Jean
3, 27-32: LA PRIMAUTE ABSOLUE DU CHRIST SUR JEAN
Jean
3, 32b-36: L’EFFET DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST
CHAPITRE
IV: La vie spirituelle étendue aux nations
Jean
3, 1-9: LA SAMARITAINE ET LE PUIT
Jean
4, 27-33: LES PREMIERS FRUITS DE L'ENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
4, 34-38: LA MOISSON SPIRITUELLE
Jean
4, 39-42: LA CONVERSION DES SAMARITAINS
Jean
4, 32-36: LA GALILEE, LIEU DU MIRACLE
Jean
5, 50-54: LA GUERISON DU FILS DU FONCTIONNAIRE ROYAL
CHAPITRE
V: Le don de la vie spirituelle
Jean
5, 1-9a: LE MIRACLE DE BETHSAIDE
Jean
5, 9b-18a: LA REACTION DES JUIFS DEVANT LA GUERISON DE L’INFIRME
Jean
5, 18b-25: LA PUISSANCE DU CHRIST, FRUIT DE L’AMOUR DU PERE
Jean
5, 20b-25: LE CHRIST DONATEUR DE VIE
Jean
5, 26-30: LE CHRIST, FILS DE L’HOMME ET FILS DE DIEU
Jean
5, 31-40: LES TEMOIGNAGES CONFIRMANT L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
5, 41-47: L’INCRÉDULITÉ DES JUIFS
CHAPITRE
VI: Le don de la nourriture spirituelle 1
Jean
6, 1-13: LA MULTIPLICATION DES PAINS
A.
L’ACCOMPLISSEMENT DU MIRACLE
Jean
6, 14-25: L’EFFET DU MIRACLE
LA
REVELATION DE LA NOURRITURE SPIRITUELLE
Jean
6, 26-40a: L’ENSEIGNEMENT DE LA VÉRITÉ
Jean
6, 41-60: LA REFUTATION DES OBJECTIONS FAITES À CET ENSEIGNEMENT
L’APAISEMENT
DU LITIGE SURGI À PROPOS DE LA CONSOMMATION DE CETTE NOURRITURE.
Jean
6, 61-72: L’APAISEMENT DU SCANDALE DES DISCIPLES
CHAPITRE
VII: L’origine de l’enseignement du Christ
Jean
7, 1-11: LE LIEU OÙ LE CHRIST A MANIFESTÉ L’ORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT
COMMENT
LE CHRIST EST MONTÉ EN JUDÉE
Jean
7, 11-15: LES OCCASIONS DE MANIFESTER L’ORIGINE DE L’ENSEIGNEMENT
Jean
7, 16-24: LE CHRIST MANIFESTE L’ORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT
A.
L’ORIGINE DIVINE DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
7, 25-32: LE DOUTE DES FOULES SUR L’ORIGINE DU CHRIST
L’EFFET
DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
7, 33-36: LE TERME DU CHEMIN
Jean
7, 37-53: LE CHRIST INVITE À RECEVOIR SON ENSEIGNEMENT
CHAPITRE
VIII: La puissance illuminative de l'enseignement du Christ montrée par la
parole
Jean
8, 1-12: LA FEMME ADULTERE
Jean
8, 13-20: LA PUISSANCE ILLUMINATIVE DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST
LE
PRIVILÈGE DE LA LUMIÈRE SPIRITUELLE
Jean,
8, 21-30: L’EFFET DE LA LUMIÈRE
LES
RAISONS CONDUISANT À LA FOI
LE
PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE.
LE
MOYEN POUR PARVENIR À LA FOI.
Jean
8, 31-50: LA VERITE VOUS RENDRA LIBRE
Jean
8, 51-59: LE FRUIT DE LA LUMIÈRE
CHAPITRE
IX: La puissance illuminative de l'enseignement du Christ confirmée par un acte
Jean
9, 1: ET EN PASSANT, JÉSUS VIT UN HOMME AVEUGLE DEPUIS SA NAISSANCE.
Jean
9, 6-7: LA GUÉRISON DE L’AVEUGLE PAR LE CHRIST
Jean
9, 8-12: LA DISCUSSION DES JUIFS ET LA RÉPONSE DU CHRIST
Jean
9, 13-27: LES PHARISIENS PERSUADENT L’AVEUGLE DE NIER LA VÉRITÉ
Jean
9, 28-29: LA MALÉDICTION DES PHARISIENS
Jean
9, 30: LA RÉPLIQUE DE L’AVEUGLE
Jean
9, 31-33: DIEU N’ÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS.
Jean
9, 34: LA CONDAMNATION DES PHARISIENS
B.
L’AVEUGLE EST INSTRUIT ET MIS EN VALEUR PAR LE CHRIST (Jean 9, 36-38)
CHAPITRE
X: La puissance vivificatrice de l'enseignement du Christ montrée par la parole
Jean
10, 1-13: LE CHRIST POSSÈDE UNE PUISSANCE VIVIFICATRICE
B.
LA NÉCESSITÉ DE L’EXPLICATION
C.
L’EXPLICATION DE LA PARABOLE PAR LE CHRIST
Jean
10, 14-18: LA MANIERE DONT LE CHRIST VIVIFIE
A.
LE CHRIST PROUVE CE QU’IL DIT
B.
LE CHRIST EXPUCITE LA PREUVE QU’IL A DONNÉE
Jean
10, 19-42: SOUS QUEL ASPECT LE CHRIST POSSÈDE CETTE PUISSANCE
B.
LA DISCUSSION DES CHEFS DES JUIFS AVEC LE CHRIST
CHAPITRE
XI: La puissance vivificatrice du Christ confirmée par un miracle
Jean
11, 1-5:LA MALADIE ET LA MORT DE LAZARE
B.
LES SOEURS DE LAZARE ANNONCENT SA MALADIE AU CHRIST
Jean
11, 6-19: LA RÉSURRECTION DE LAZARE
A.
L’INTENTION DU CHRIST DE RESSUSCITER LAZARE
Jean
11, 20: MARTHE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST
Jean
11, 21: L’AMOUR DE DÉVOTION DE MARTHE
Jean
11, 23-26: LE CHRIST INSTRUIT MARTHE
Jean
11, 27: LA CONFESSION DE MARTHE
Jean
11, 29-31: MARIE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST
Jean
11, 32-42: LA DÉVOTION DE MARIE ENVERS JÉSUS
Jean
11, 43: LA VOIX DE CELUI QUI LE FAIT SE DRESSER
Jean
11, 44: LE COMMANDEMENT DU CHRIST
Jean
11, 45-46: LES EFFETS DE LA RÉSURRECTION
B.
SON EFFET SUR LES PRINCES DES PRÊTRES
Jean
11, 47-57: LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL.
In Ioannis Evangelium, 18 Leçon 5
Préface par M.-D. PHILIPPE, o. p., Traduction et notes sous sa direction
Nihil obstat :
Fr. Martin Sabathé, Communauté Saint-Jean
Fr. Paul-Marie de Mauroy, Communauté Saint-Jean
Imprimi potest :
16 juillet 2005
Fr. Jean-Pierre-Marie Guérin-Boutaud
Communauté Saint-Jean, Prieur général
Dans son encyclique Foi et raison, Jean Paul II nous a rappelé avec force qu'il faut aimer saint Thomas, vivre ce qu'il enseigne, et pour cela le lire et le relire en cherchant à comprendre le plus profondément possible ce qu'il nous dit. En l'aimant et en cherchant la vérité avec lui, nous serons plus proches du cœur du Christ et nous entrerons davantage dans la sagesse.
Saint Thomas et les trois sagesses
Saint Thomas, ami du Christ, a précisé ce que sont les trois sagesses - philosophique, théologique et spirituelle l -, et il en a vécu pleinement. Se mettant à l'école d'Aristote, celui qu'il considérait comme le Philosophe, et essayant de le comprendre, d'aiguiser en quelque sorte son intelligence à son contact, il s'est fait serviteur de la sagesse philosophique en le commentant2.
Et saint Thomas a été très spécialement serviteur pour l'Église en tant que théologien. On peut dire que toute sa vie il a fait œuvre de théologien, en grand serviteur, mais en voulant que la théologie soit une sagesse et une science, ou plus exactement qu'elle soit scientifique tout en étant sapientiale. Il a voulu que la théologie soit de plus en plus précise, d'une précision spéculative et non logique : il savait trop bien ce qu'était la logique pour s'y arrêter, mais il s'en est servi comme d'un instrument qui lui a permis de communiquer correctement ses recherches.
1. Somme théologique, I, q. 1, a. 6 ; II-II, q. 45, a. 1, ad 2 et a. 2. voir aussi Fides et ratio, n° 44.
2. Voir entre autres In decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nichomachum expositio, In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, In duodecem libros Metaphysicorum expositio.
Quant à la sagesse mystique, elle est pour saint Thomas la vie du chrétien. Nous sommes tous appelés à vivre cette sagesse mystique, don du Saint-Esprit, sagesse infuse alors que les deux autres sont acquises. C'est très beau, du reste, de voir chez saint Thomas ce travail du philosophe et du théologien, travail qui aboutit à l'acquisition de L’habitus de sagesse philosophique et de L’habitus de sagesse théologique. Ces deux habitus, saint Thomas les a acquis. Il était un grand travailleur, un travailleur exceptionnel, et en même temps il était l'ami du Christ, celui qui vivait de la parole de Dieu en l'aimant. Il suffit de lire son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean pour toucher combien il aimait la parole de Dieu et combien cette parole divine était l'aliment de sa foi, de son espérance et de sa charité.
La sainteté de saint Thomas est évidemment celle du serviteur de Dieu par la philosophie et la théologie, mais elle est avant tout la sainteté de l'enfant du Père, de l'ami de Jésus, de l'enfant de Marie et de l'ami de saint Jean. Cela reste caché derrière l'armure très puissante du théologien et du philosophe, mais ce qui caractérise l'âme de saint Thomas, c'est bien cette emprise très forte du Saint-Esprit, du Paraclet, qui lui permettait de pénétrer la parole de Dieu pour en découvrir vraiment les secrets et devenir ainsi l'ami de Jésus. Et c'est aussi ce qui permet de comprendre la profondeur de sa théologie. C'est cette intimité avec Jésus, avec le Père, qui donne à la recherche théologique de saint Thomas une pénétration et une splendeur uniques. C'est pour cela que même aujourd'hui, après bien des siècles, on peut encore lire Thomas d'Aquin en enfants du Père et en comprenant qu'il a aimé l'Évangile de saint Jean d'une manière toute spéciale 1
L'Évangile de saint Jean : la révélation du Verbe et de l'Agneau
Dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, saint Thomas nous montre combien l'Évangile de Jean est capital et demeure ce qu'il y a d'ultime dans la Révélation. Et ce qu'il y a d'unique dans cet Évangile, c'est la révélation du Verbe2, celle de l'Agneau, et celle du Paraclet que l'Agneau nous envoie « d'auprès du Père3 ». C'est pour être parfaitement Agneau de Dieu que le Verbe s'est fait chair4. Tout le mystère de l'Incarnation, tel que Dieu a voulu le réaliser, est pour que le Verbe soit parfaitement Agneau de Dieu. Le mystère de la Rédemption finalise le mystère de l'Incarnation : « Jésus lui-même, l'agneau véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il devait être immolé de son plein gré pour le salut du monde - Il s'est offert parce que lui-même l'a voulu5 » (n° 1590).
1. Saint Thomas a compris combien saint Jean, en écrivant son Évangile, a communiqué les secrets du cœur du Christ : « Pour rendre son témoignage digne de foi, Jean prit comme preuve de la vérité de ses paroles l'intimité dans laquelle il avait vécu avec le Christ, et écrivit : Il a habité parmi nous. Comme s'il disait : Je suis bien placé pour lui rendre témoignage, car j'ai vécu dans son intimité » {Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, vo1. I, n° 178).
2. « Jean a voulu montrer la vérité et le caractère unique de cette union [du Verbe et de la chair] dans le Christ. Assurément Dieu s'unit à d'autres hommes saints, mais à leur âme seulement ; c'est pourquoi il est écrit : D'âge en âge la Sagesse se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes (Sg 7, 27). Mais que le Verbe de Dieu se soit uni à la chair, cela est propre au Christ, selon ce passage du Psaume : Pour moi, je suis seul, jusqu 'à ce que je passe (Ps 140, 10), et selon cette parole de Job : L'or ne peut lui être comparé (Jb 28, 17). C'est le caractère unique de cette union dans le Christ que veut montrer l’Évangéliste en faisant mention seulement de la chair lorsqu'il dit : Le Verbe s'est fait chair » (n° 169).
3. Jn 15,26.
4. Le
Verbe s'est fait « chair » : « L'Évangéliste
parle de la chair seule pour montrer que l'homme a été restauré de la manière
qui convenait le mieux. C'est en effet par la chair que l'homme était
rendu infirme ; aussi l'Évangéliste, voulant prouver combien la venue
du Verbe convenait à notre restauration, a fait mention spécialement de la
chair, pour montrer que la chair infirme a été restaurée par la chair du
Verbe ; et c'est ce que l'Apôtre dit : Ce qui était impossible à la Loi, que la chair rendait
impuissante, Dieu l'a fait : en envoyant pour le péché son propre Fils
dans une chair semblable à cette du péché et pour le péché, il a condamné le
péché dans la chair (Rm 8, 3) » (n° 169).
5. Is 53, 7 (verset propre à la Vulgate).
Chrétiens de la fin du XXe siècle et du début du troisième millénaire de l'Église, nous vivons des luttes extrêmes, des luttes intellectuelles profondes et multiples. L'union tout à fait première, dans la sagesse de Dieu, de l'homme et de la femme, est elle-même attaquée et, par le fait même, la finalité propre de la personne humaine est ébranlée et souvent rejetée. L'homme devient le maître absolu, non seulement de lui-même mais aussi des autres. Au milieu de ce bouleversement mondial et si total, où tout demande d'être repris, rectifié, purifié, l'Évangile de saint Jean nous révèle l'amour du Père pour Jean et pour chacun d'entre nous, et nous montre que seul cet amour est éternel et victorieux de toutes les luttes. « Le Christ porte sa croix comme un roi son sceptre au sein de la gloire qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné par le bois6. - II a reçu le pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix7. Il la porte comme le vainqueur porte le trophée de sa victoire -Dépouillant les principautés et les puissances, il les a menées captives avec hardiesse, triomphant d'elles hautement en lui-même1 » (n° 2414). Et c'est la victoire du Christ crucifié qui manifeste le mieux l'amour du Père pour nous - Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique 2, et « il l'a donné pour la mort de la Croix3 ».
6. Cf. Ps 95, 10.
7. Is 9, 6.
Saint Thomas, théologien de l'amour et du Paraclet
Saint Thomas, théologien de l'amour, veut que nous gardions ces paroles si étonnantes de Jésus : « Et maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Où vas-tu ? Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. Mais moi, je vous dis la vérité : II est bon pour vous que moi je m'en aille. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l'enverrai4. » Ces paroles, Jésus veut que nous les entendions comme la Vierge Marie elle-même les a entendues. Or ces paroles prophétiques ont dû résonner dans son cœur d'une manière unique : même pour elle, il est bon que Jésus parte par la Croix, car s'il ne part pas, il n'enverra pas le Paraclet pour elle et, par le fait même, elle ne pourra pas vivre du Christ de cette manière nouvelle, plus excellente encore que la première. N'oublions pas ce que dit saint Thomas à propos des disciples : « Tant que le Christ était avec eux, ils avaient avec eux une aide suffisante ; mais avec son départ, ils se trouvaient exposés à de nombreuses tribulations, et c'est pour cela qu'il leur a été donné aussitôt un autre Consolateur pour les aider. Aussi le Seigneur dit-il expressément : Et il vous donnera un autre Paraclet5. -A qui enseignera-t-il la science ? A qui fer a-t-il comprendre ce qui aura été entendu ? A des enfants à peine sevrés, qui viennent de quitter le sein0 » (n° 2088).
1. Col 2, 15.
2. Jn3, 16.
3. « Dieu a-t-il donc donné son Fils pour qu'il mourût sur la Croix ? Assurément il l'a donné pour la mort de la Croix (Ph 2, 8), en tant qu'il lui a donné la volonté d'y souffrir, et cela de deux manières. Car d'une part, en qualité de Fils de Dieu, il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous ; et cette volonté, il la tenait du Père ; et, d'autre part, c'est Dieu qui inspira à l'âme du Christ la volonté de souffrir » (n° 478).
4. Jn 16, 5-7.
Jésus peut-il se donner d'une manière plus excellente et plus intime que la première fois ? À l'Annonciation Jésus a été donné à Marie d'une manière unique par le Père et l'Esprit Saint, et voilà que, avant sa Passion, il lui annonce un don plus parfait. Est-ce possible ? Marie ne met pas en doute les paroles de Jésus : ce que Jésus annonce, il le réalise, mais il faut alors qu'il parte, qu'il s'offre au Père pour nous.
Et avant ce départ, avant cette offrande, Jésus promet à ses disciples « l'instruction qu'ils recevront par la venue de l'Esprit Saint, qui leur enseignera la vérité tout entière. En effet, puisqu'il est de la Vérité, il lui appartient d'enseigner la vérité et de rendre [les autres] semblables à son principe [la Vérité]. Et le Christ dit : la vérité tout entière, c'est-à-dire la vérité de la foi, que l'Esprit nous enseignera par une certaine élévation de notre intelligence en cette vie, et enfin de manière plénière dans la vie éternelle où nous connaîtrons comme nous sommes connus - L'onction vous enseignera tout7 » (n° 2102).
Saint Thomas, théologien de l'Eucharistie
La première réalisation de cette promesse sera le don de l'Eucharistie, don unique de Jésus, Agneau de Dieu, pour Marie et pour nous, et ce don de l'Eucharistie se réalisera à la fois par et pour le don du Paraclet. L'humanité de Jésus s'offrant au Père « par l'Esprit éternel1 » en victime d'amour, en holocauste, permet à tous les hommes de recevoir le corps du Christ en nourriture, comme pain, et son sang comme vin. Marie, par l'Eucharistie, reçoit le corps de son Fils comme pain et son sang comme vin. Il y a donc une unité d'amour plus grande (le réalisme de l'assimilation le manifeste) qui se réalise entre elle et Jésus, unité d'amour qui réclame la mort de Jésus. L'Agneau de Dieu est tout pour elle : il est son Pain divin, Dieu un avec elle. L'Eucharistie est la réponse du Père au « oui » de Marie à l'Annonciation. La théologie de l'amour va jusque-là.
5. Jn 14, 16.
6. Is 28, 9.
7. 1 Jn 2, 27.
Un aspect de la théologie de saint Thomas, et de sa sainteté, c'est l'amour qu'il a eu pour l'Eucharistie. C'est cet amour pour l'Eucharistie qui lui a permis de rester ici-bas un homme assoiffé de Dieu, du mystère de l'Agneau qui nous est donné pour nous nourrir divinement. L'Eucharistie est la nourriture par excellence de celui qui est appelé à la vision béatifique, la seule nourriture « adéquate » à cette vision, puisque c'est le mystère du Christ crucifié qui nous est donné, et qui nous est donné pour que nous puissions, dès ici-bas, nous nourrir substantiellement de Dieu et être tout entiers dépendants de lui et tournés vers lui. L'Eucharistie nous fait entrer, par le mystère du Verbe qui s'est incarné pour être notre Sauveur et notre Pain, dans le mystère même de la Très Sainte Trinité. Saint Thomas a étudié théologiquement ce mystère de l'Eucharistie2 avec une extraordinaire précision et simplicité, et spécialement le mystère de la transsubstantiation3 qui, par le corps victimal du Christ offert au Père, nous fait entrer dans l'intimité même du Père. Par l'Eucharistie, l'offrande de la Croix nous est vraiment donnée et nous vivons cet acte d'offrande où Jésus, dans l'obéissance4, a tout donné, tout livré au Père, pour nous introduire dans son unité avec le Père5.
1. He 9, 14. Voir aussi les épiclèses des Prières eucharistiques II, III et IV. La IVe a ceci de très beau qu'elle exprime à la fois le par et le pour, ou plutôt, dans l'ordre inverse, le pour - « Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d'auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l'Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » - et le par : « Que ce même Esprit Saint, nous t'en prions, Seigneur, sanctifie ces offrandes. Qu'elles deviennent ainsi le corps et le sang de ton Fils... »
2. Voir Somme théologique, III, q. 73-83. Saint Thomas a aussi beaucoup scruté le mystère de l'Eucharistie en théologie mystique, en particulier en commentant le chapitre 6 de l'Évangile de saint Jean - voir vo1. I, nos 954 à 976.
Saint Thomas, théologien du cœur de Marie
Le don du Paraclet, révélé dans l'Évangile de Jean, réclame, pour pouvoir se réaliser, le don de Marie comme Mère. Quand il s'agit de la formation du corps de Jésus, Marie est nécessaire. C'est le Père lui-même qui nous le montre à l'Annonciation, c'est lui qui demande à Marie son corps. Mais le don du corps du Christ comme nourriture, comme pain, c'est le Christ lui-même qui le réalise, et il ne veut le réaliser que par le Paraclet et par le sacrifice de la Croix. Le Christ, comme Verbe incarné, ne peut pas mourir, il est au-dessus de la mort6. S'il veut mourir, c'est par pur amour pour nous, et c'est pourquoi il veut que son corps devienne notre pain et son sang notre vin - « le vin qui réjouit le cœur de l'homme7 » -, et pour cela il faut l'action personnelle de l'Esprit Saint. Comme l'Esprit Saint a réalisé en Marie - et par son fiat - la formation du corps du Christ, l'Esprit Saint Paraclet réalise le « comment » du pain divin et du sang du Christ par et dans l'Eucharistie. Cela, c'est l'œuvre propre du Paraclet. « Quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, et de la justice, et du jugement1. » Et saint Thomas commente : « Si le Seigneur a dit : Il convaincra le monde, c'est parce que l'Esprit, en pénétrant invisiblement vos cœurs, répandra en eux la charité (...) » (n°2093).
3. Somme théo1., q. 75, a. 4.
4. Voir Ph 2, 7-8 : S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mon, et à la mort sur une croix... He 5, 8 : Tout fils qu'il était, il apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance...
5. Saint Augustin n'hésite pas à dire : « Ô éternelle Vérité et vraie charité et chère éternité ! (...) J'ai découvert que j'étais loin de toi dans la région de la dissemblance, comme si j'entendais ta voix me dire des hauteurs : "Je suis l'aliment des grands ; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme l'aliment de ta chair ; mais c'est toi qui seras changé en moi"« (Les Confessions, in : Œuvres de saint Augustin, t. 13 (BA), Desclée De Brouwer, Paris 1962, VII, x, 16, p. 617).
6. Voir Somme théo1., III, q. 50, a. 1.
7. Ps 103, 15. Cf. Jg 9, 13 ; Pr 9, 1-6 ; Si 31, 27-28 ; Za 10, 7.
De même que Marie, par son fiat, a permis au Père de réaliser le don de son Fils dans le mystère de l'Incarnation, de même elle seule est vraiment disposée à recevoir le don du corps du Christ comme pain, et elle seule peut nous préparer à le recevoir. Ayant vécu la mort de l'Agneau qui implique la séparation de son corps et de son sang, elle peut recevoir ce corps et ce sang et les offrir au Père. Et le Père lui donne son Fils comme pain et vin sous l'action propre du Paraclet. Aussi le don du Paraclet et le don du corps et du sang du Christ réclament-ils, pour que nous puissions les recevoir dignement et en vivre véritablement, que Marie soit notre Mère. Elle est donnée à Jean pour cela. Jean, disciple bien-aimé du Christ, reçoit de Jésus crucifié sa Mère pour qu'elle devienne la sienne - « Voici ta Mère2 » - et à travers lui la nôtre. C'est le don ultime que Jésus réalise à la Croix avant de mourir, c'est comme son testament3.
C'est une volonté ultime d'amour qui ne s'explique que par elle-même, comme un don gratuit d'amour. Jésus lui-même meurt, mais sa Mère ne meurt pas à la Croix pour qu'il puisse la donner à Jean. Elle est au Père, toute donnée à lui, et elle ne peut rien lui donner de plus que son Fils. Mais l'amour de Dieu se manifeste dans l'amour du prochain, et on ne peut pas aimer plus le prochain qu'en lui donnant ce qu'on aime le plus ; or c'est bien ce que Jésus fait en nous donnant sa Mère.
Saint Thomas a si profondément saisi ce mystère de la maternité divine4 de Marie que ce mystère a donné à toute sa vie de théologien un caractère de simplicité, un caractère en quelque sorte materne1.
MARIE-DOMINIQUE PHILIPPE, o. p.
1. Jn
16, 8.
2. Jn 19, 27.
3. « II dit au disciple : "Voici ta Mère", c'est-à-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mère, que celle-ci l'aime comme une mère aime son fils » (n° 2442). « Le disciple, Jean, la prit, c'est-à-dire la mère de Jésus, pour sienne, c'est-à-dire pour mère, assurément, et comme confiée à ses soins » (n° 2443).
4. N'oublions pas ce qu'il dit dans la Somme théologique : « L'humanité du Christ, du fait qu'elle est unie à Dieu, la béatitude créée, du fait qu'elle est une jouissance de Dieu, et la Bienheureuse Vierge, selon qu'elle est Mère de Dieu, ont en quelque sorte une dignité infinie, provenant du bien infini qui est Dieu même ; et sous ce rapport rien ne peut être fait de meilleur qu'eux, comme rien ne peut être meilleur que Dieu » (I, q. 25, a. 6, ad 4).
La traduction que nous présentons ici a été faite sur la base du texte édité par le P. Raphaël Cai, o.p. (5e édition revue, Marietti 1952), mais elle a bénéficié des corrections de l'édition critique, dite « léonine », qui n'est pas encore publiée 1. Nous tenons, à ce propos, à exprimer toute notre gratitude au P. Léon Reid, o.p., qui a pris la peine de nous communiquer toutes les corrections - et elles sont nombreuses -qui devaient être apportées au texte de l'édition Marietti2.
De l'édition Marietti nous avons gardé certaines gloses du reportateur, que nous avons mises en note ou laissées dans le texte en les signalant. D'autre part, nous avons gardé la numérotation des paragraphes de cette édition, mais non le découpage en leçons, parfois très artificiel, qui ne correspond pas à la structure organique du commentaire explicitée par saint Thomas lui-même. C'est cette structure et cet ordre du commentaire de saint Thomas que nous avons cherché à mettre en valeur dans la présentation de cette traduction.
1. La bibliographie des ouvrages cités figure à la fin de ce volume.
2.
Cette édition, nous indique le P. Reid, dépend (à travers bien d'autres) de
l'édition princeps (Venise 1508). Elle présente de nombreuses
divergences par rapport aux manuscrits qui nous restent de la Lectura in
Ioannem - ce qui se comprend sans peine puisque le Fr. Marcus Antonius
Luciano, dans son introduction à l'édition de 1508 préparée par ses soins,
déclare avoir « débarrassé le livre de ses erreurs », l'avoir
« corrigé avec le plus grand soin », avoir « retranché ce qui
était superflu et ajouté ce qui manquait dans de nombreux codices » !
Nous avons, dans nos traductions de l'Écriture, suivi le texte de saint Thomas, et nous avons gardé la numérotation de la Vulgate pour toutes les citations bibliques, en précisant lorsqu'il s'agit d'un verset propre à la Vulgate. Pour que le lecteur puisse retrouver le texte dans la Bible de Jérusalem (BJ), là où il y a une grande différence de numérotation nous avons indiqué entre crochets la référence correspondante.
BA Bibliothèque augustinienne
BJ Bible de Jérusalem
CCL Corpus Christianorum, Séries latina
CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum
latinorum
GCS Die Griechischen
Christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahr-hunderte
LXX Texte de l'Écriture selon la version grecque des Septante
PG Patrologie grecque
PL Patrologie latine
SC Sources chrétiennes
Tract, in Io. Tractatus in Iohannis Evangelium (Homélies de saint Augustin sur l'Évangile de saint Jean)
Ad Rom. lect. Super Epistolam ad Romanos lectura (Commentaire de saint Thomas sur l'épître aux Romains ; notations analogues pour les commentaires sur les autres épîtres de saint Paul)
Sup. Matth. lect Super Evangelium S. Matthaei lectura (Commentaire de saint Thomas sur l'Évangile de saint Matthieu)
Exp. in Psalmos Expositio in Psalmos L (Commentaire de saint Thomas sur les cinquante premiers Psaumes)
Exp. super Isaiam Expositio super Isaiam (Commentaire de saint Thomas sur Isaïe)
Exp. super Hier. Expositio super Hieremiam (Commentaire de saint Thomas sur Jérémie)
Exp. super lob Expositio super lob ad litteram (Commentaire de saint Thomas sur le livre de Job)
LA DIVINITÉ DU CHRIST (chap. i)
A. Le Christ, Verbe incarné 23
B. La manière dont s'est manifestée la divinité du Christ 179
LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ
A. Dans sa vie (chap. ii-xi)
- Par son pouvoir souverain sur la nature (chap. π) 335
- Par les effets de sa grâce
I. La nouvelle naissance (chap. ni et iv) 423
II Les bienfaits apportés par cette naissance (chap. v-xi) 699
B. Dans sa Passion, sa mort et sa Résurrection (chap. xn-xxi)
- La Passion et la mort du Christ
I. Leurs occasions (chap. xn) 1589
II Comment le Christ y prépare ses disciples (chap. xiii-xvii) 1727
III. La réalisation du mystère de la Passion (chap. xvni et xix) 2271
- La gloire de la Résurrection (chap. XX et xxi)
I. La Résurrection du Christ 2470
II La troisième apparition du Christ à ses disciples 2569
* Nous renvoyons aux paragraphes de l'édition Marietti, dont nous avons gardé la numérotation.
Plan détaillé de l'Évangile de
saint Jean selon le Commentaire de saint Thomas
(chap. xii-xxi)
LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA DIVINITÉ
B. Dans sa Passion, sa mort
et sa Résurrection
(chap. XII-XXI)
La Passion et la mort du Christ
I. Les occasions de la Passion et de la mort du Christ chap. XII
1. La gloire du Christ
A. Le Christ glorifié par les hommes
a) Le Christ glorifié par ses intimes et par ses proches 1589, v. 1-8
b) Le Christ glorifié par la foule des Juif s 1612, v. 9-19
c) Le Christ glorifié par les Gentils 1631, v. 20-26
B. Le Christ glorifié par Dieu
a) La demande de la gloire 1649, v. 27-28a
b) La promesse de la gloire 1661, v. 28b-36
2. L'incrédulité des Juifs
A. Jean rapporte l'incrédulité des Juifs
a) Ceux qui ne croyaient pas du tout 1688, v. 37-41
b) Ceux qui croyaient en secret 1706, v. 42-43
B. Le Christ blâme l'incrédulité des Juifs
a) Le devoir de croire 1710, v. 44-45
b) Le fruit de la foi 1713, v. 46
c) Le châtiment des incrédules 1715, v. 47-50
II. Comment le Christ prépare ses disciples à vivre sa Passion (chap. XIII-XVII)
1. Comment le Christ prépare ses disciples à vivre sa Passion en les formant par un exemple chap. XIII
• L'exemple que le Christ donna à ses disciples A. L'exemple
a) L'amour fervent du Christ donnant l'exemple 1727, v. 1
b) L'action par laquelle il donna l'exemple 1739, v. 2-5
B. La finalité de l'exemple
a) Cet exemple est mystique 1751, v. 6-7
b) Cet exemple est nécessaire 1757, v. 8
c) Cet exemple convient 1760, v. 9-11
C. Le Christ nous invite à imiter son exemple
a) Les circonstances de l'exhortation 1769, v. 12a
b) L'exhortation du Christ 1772, v. 12b-20
• La défaillance des disciples qui n'étaient pas capables de suivre le Christ
A. La défaillance du disciple qui trahit le Christ
a) La trahison du disciple 1795, v. 21-30
b) Le départ du Christ 1825, v. 31-35
B. La défaillance du disciple qui renie le Christ
a) Le désir et la hardiesse de Pierre 1840, v. 36-37
b) Le Christ prédit son reniement 1844, v. 38
2. Comment le Christ prépare ses disciples à vivre sa Passion en les fortifiant par des paroles
• Le Christ fortifie ses disciples quant à son départ chap. XIV
- Le Christ fortifie ses disciples quant au fait qu'ils restent
A. Le Christ annonce qu'il va vers le Père
a) Le Christ va vers le Père 1849, v. 1-3
b) Le chemin par lequel il devait s'en aller 1863, v. 4-7
c) Le Christ dissipe le doute qui s'élève chez son disciple 1882, v. 8-10a
d) Le Christ manifeste sa réponse à travers des œuvres 1892, v. 10b-14
B. Le Christ promet le don de l'Esprit Saint
a) Le Christ prépare ses disciples à recevoir l'Esprit Saint 1907, v. 15-16a
b) II leur promet l'Esprit Saint 1911, v. 16b
c) Il leur explique cette promesse 1913, v. 16c-17
C. Le Christ promet sa présence
a) II promet à ses disciples son retour 1921, v. 18-24
b) II leur promet ses dons 1952, v. 25-27a
- Le Christ réconforte ses disciples quant à son départ
A. Il les console par l'utilité du fruit qui suivrait son départ 1965, v. 27b-29
B. Il les console par la cause de sa mort 1974, v. 30-31
• Le Christ affermit l'âme de ses disciples face aux tribulations à venir chap. XV
- L'allégorie de la vigne et du vigneron 1979, v. 1-2
- Le développement de l'allégorie 1986
A. L'union des sarments à la vigne
a) Le Christ exhorte ses disciples à demeurer en lui 1987, v. 3-4a
b) Il en donne les raisons 1989, v. 4b-8
c) La manière de demeurer en lui 1997, v. 9-17
B. La taille des sarments
a) Pourquoi le Christ console ses disciples 2030, v. 18-19
b) Le développement de ces raisons 2039, v. 20-21
c) Le Christ rejette ce qui pourrait excuser les persécuteurs 2044, v. 22-27
• Le Christ explique les raisons qu'il vient de donner à ses disciples pour les consoler de son départ et de leurs futures tribulations chap. XVI
- Le Christ explique les raisons données aux disciples pour les consoler
A. La consolation par rapport aux tribulations à venir
a) L'intention du Christ 2069, v. 1
b) L'annonce de la persécution 2070, v. 2
c) La raison de la persécution 2075, v. 3-5a
B. La consolation par rapport à son départ
a) La promesse de l'Esprit Paraclet 2082, v. 5b-15
b) La promesse de le voir de nouveau 2116, v. 16-22
c) L'accès auprès du Père 2135, v. 23-28
- L'effet de l'explication sur les disciples
A. La confession des disciples 2165, v. 29-30
B. Leur faiblesse 2169, v. 31-32
C. L'intention du Christ dans son enseignement 2173, v. 33
3. Comment le Christ prépare ses disciples à vivre sa Passion
en les réconfortant par sa prière chap. XVII
• Le Christ prie pour lui-même
A. Le Christ présente une demande au Père
a) L'ordre de sa prière 2178, v. la
b) Sa manière de prier 2179, v. lb
c) Les paroles de sa prière 2180, v. le
B. Le Christ indique le fruit de sa demande
a) En le présentant 2183, v. ld
b) En l'explicitant 2184, v. 2-3
C. Le mérite du Christ 2189, v. 4-5
• Le Christ prie pour l'assemblée des disciples
A. Les raisons de la prière du Christ
a) Quant à ses disciples 2194, v. 6-8
b) Quant à lui 2205, v. 9-1 la
B. Le contenu de la prière du Christ
a) Il demande que ses disciples soient gardés 2213, v. 11 b-16
b) II demande leur sanctification 2228, v. 17-19
• Le Christ intercède pour tous les croyants
A. Le Christ présente sa prière
a) La perfection de l'unité 2233, v. 20-23
b) La vision de la gloire 2252, v. 24
B. La raison pour laquelle sa prière est exaucée
a) Le défaut du monde 2264, v. 25a
b) Le progrès des disciples 2266, v. 25b-26
III. La réalisation du mystère de la Passion (chap. XVIII et XIX)
1. Ce que le Christ a souffert de la part des Juifs chap. XVIII
• Comment le Christ est livré par un disciple
A. Le lieu 2272, v. 1-2
B. Les préparatifs du traître 2278, v. 3
C. La volonté d'amour du Christ d'endurer la trahison
a) Le Christ s'offre volontairement 2280, v. 4-9
b) Le Christ arrête le disciple qui résiste 2286, v. 10-11
• Comment le Christ est présenté par les gardes aux chefs du peuple
A. Comment il est conduit à Anne
a) Comment il est présenté à Anne 2295, v. 12-18
b) Comment il est examiné par Anne 2311, v. 19-23
B. Comment il est conduit à Caïphe 2322, v. 24-27
• Comment le Christ est accusé par les chefs du peuple auprès du gouverneur
A. Le Christ est remis à Pilate 2329, v. 28
B. Pilate examine sa cause
a) Comment Pilate examine le Christ en face des accusateurs 2336, v. 29-32
b) Comment Pilate examine le Christ chez lui 2343, v. 33-38a
C. Pilate proclame l'innocence du Christ 2366, v. 38b-40
2. Ce que le Christ a souffert spécialement de la part des Gentils chap. XIX
• La flagellation du Christ 2372, v. 1
• La dérision que subit le Christ
A. Les faux honneurs 2375, v. 2-3a
B. Les opprobres 2378, v. 3b
• La crucifixion
A. La crucifixion du Christ
a) La discussion entre Pilate et les Juifs 2380, v. 4-12
b) La condamnation du Christ 2401, v. 13-16a
c) L'exécution de la sentence 2411, v. 16b-18
d) Ce qui suit la crucifixion 2418, v. 19-27
Β. La mort du Christ
a) L'opportunité de la mort du Christ 2445, v. 28-30a
b) La description de sa mort 2452, v. 30b
c) La blessure du corps du Christ 2454,
v. 31-37
C. L'ensevelissement du Christ
a) La possibilité et la permission d'ensevelir le Christ 2464, v. 38a
b) Le zèle de Joseph d'Arimathie 2465, v. 38b-40
c) Le lieu de la sépulture 2468, v. 41
d) La sépulture elle-même 2469, V. 42
La gloire de la Résurrection (chap. XX et XXI)
I. La Résurrection du Christ chap. XX
1. Le Christ manifeste sa Résurrection aux saintes femmes
A. Le tombeau ouvert
a) La vision qu'eut la femme 2471, v. 1
b) L'annonce de ce qu'elle a vu 2476, V. 2
c) La recherche de ce qui a été annoncé 2477, v. 3-9
B. L'apparition des anges
a) La dévotion de Marie 2491, v. 10-11
b) La vision des anges 2495, V. 12
c) Les paroles des anges 2500, v. 13
C. La vision du Christ
a) La vision du Christ 2505, v. 14-15
b) Marie reconnaît le Christ 2513, v. 16
c) Marie est instruite par le Christ 2515, V. 17-18
2. Le Christ manifeste sa Résurrection aux disciples
A. L'apparition à tous les Apôtres, excepté Thomas
a) L'apparition du Seigneur 2524, v. 19-20
b) La remise du ministère 2535, v. 21
c) La communication du don spirituel 2538, v. 22-23
d) Le doute d'un disciple 2545, v. 24-25
B. L'apparition aux Apôtres, Thomas étant présent
a) L'apparition du Christ 2552, v. 26
b) La confirmation de Thomas 2555, V. 27-29
c) La récapitulation de tout ce qui a été dit dans l'Évangile 2567, v. 30-31
IL La troisième apparition du Christ à ses disciples chap. XXI
1. Ce que le Christ révéla de manière générale à ses disciples A. L'annonce de l'apparition
a) Le moment de l'apparition 2570, v. la
b) Le mode de l'apparition 2572, v. lb
c) Le lieu de l'apparition 2573, v. le
B. L'apparition du Christ
a) Les disciples auxquels elle a été faite 2575, v. 2
b) Leur activité 2576, v. 3
c) La manière dont eut lieu l'apparition 2583, v. 4-13
C. Épilogue des apparitions 2613, v. 14
2. Ce que le Christ confia plus spécialement aux deux disciples qu’il aimait d'un amour de prédilection
A. Ce que le Christ révéla à Pierre
a) Le Christ lui confie sa charge de pasteur 2615, v. 15-17
b) II lui annonce son martyre 2628, v. 18-19a
B. Ce que le Christ révéla à Jean
a) La recommandation de Jean par le Christ 2635, v. 19b-23
b) Éloge de son Évangile 2652, v. 24-25
JE VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT
SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE; ET TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE,
ET CE QUI E TAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE. 1
1. Les paroles du Prophète Isaïe que nous venons de citer sont celles d’un homme qui contemple; et, si on les reçoit de la bouche même de Jean l’Evangéliste, elles conviennent bien pour présenter son Evangile. En effet, comme le dit Augustin 2, les autres Evangélistes nous forment à la vie active, mais Jean nous forme aussi à la vie contemplative. Isaïe 6, 1.
Ces paroles d’Isaïe décrivent de trois manières la contemplation de Jean parce que Jean lui-même a contemplé la divinité du Seigneur Jésus de trois manières. Cette contemplation, elles la montrent en effet élevée, ample et parfaite. Elevée: JE VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE; ample: TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE; parfaite: CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
JE
VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE
2. Au sujet de ce premier aspect de la contemplation de Jean, remarquons que l’élévation et la sublimité de la contemplation consistent surtout dans la contemplation et la connaissance de Dieu: Levez au plus haut votre regard et considérez qui a fait ces choses 3. Isaïe 40, 26. Lorsque l’homme élève au plus haut le regard de sa contemplation, il voit en effet et contemple le Créateur même de toutes choses. Et, parce que Jean s’élève au-dessus de tout le créé, c’est-à-dire au-dessus des montagnes, des cieux, des anges, et parvient au Créateur même de toutes choses, il est donc manifeste, comme le dit Augustin, que sa contemplation fut la plus élevée. Aussi dit-il: JE VIS LE SEIGNEUR; et parce que — selon les paroles de Jean lui-même — Isaïe a dit cela quand il a vu sa gloire, celle du Christ, et qu’il a parlé de Lui 4. Jean 12, 41, ce SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE est donc le Christ.
Or ces paroles d’Isaïe dévoilent la quadruple grandeur que Jean contempla du Verbe incarné. Sa seigneurie: j’ai vu LE SEIGNEUR; son éternité: SIEGEANT; la dignité et la noblesse de sa nature: SUR UN TRONE SUBLIME; enfin sa vérité incompréhensible: ET ELEVE.
Ce sont bien là les quatre manières dont les philosophes anciens parvinrent à la contemplation de Dieu.
3. Certains en effet parvinrent à la connaissance de Dieu par sa seigneurie; c’est la voie la plus efficace. Nous voyons en effet, dans la nature, les réalités agir en vue d’une fin, et atteindre des fins utiles et déterminées. Etant dépourvues d’intelligence, ces réalités ne peuvent se diriger elles-mêmes à moins d’être mues et dirigées par l’intelligence d’un autre. Ainsi, ce mouvement même des réalités de la nature vers une fin déterminée indique l’existence d’une réalité plus élevée qui les dirige vers leur fin et les gouverne. Et donc, puisque toute la nature suit son cours et se dirige avec ordre vers une fin, il nous faut nécessairement reconnaître une réalité plus élevée, qui dirige les autres et les gouverne comme un maître; et cette réalité, c’est Dieu. Isaïe, dans le texte cité, montre bien cette seigneurie que possède le Verbe de Dieu quand il dit LE SEIGNEUR; et le Psaume déclare à son sujet: Toi, tu domines sur la puissance de la mer et tu apaises le mouvement de ses flots Ps 88, 10 comme pour dire: "Tu es le Seigneur de la nature et celui qui gouverne toutes choses". Jean, lui, montre qu’il possède cette connaissance du Verbe quand il dit: Il est venu chez lui Jean 1, 11, c’est-à-dire dans le monde, car le monde entier Lui appartient en propre.
4. D’autres parvinrent à la connaissance de Dieu à partir de son éternité. Ils virent en effet que tout dans les réalités de la nature est soumis au changement, et que plus quelque chose est noble dans les degrés des réalités, moins cela est soumis au changement: ainsi les corps inférieurs sont soumis au changement à la fois quant à leur substance et quant au lieu; tandis que les corps célestes, qui sont plus nobles, sont immuables selon la substance et ne sont mus que selon le lieu. De là on peut conclure avec évidence que le Principe premier de toutes les réalités, qui est aussi le Principe suprême et le plus noble, est immuable et éternel. Et c’est cette éternité du Verbe que le Prophète désigne quand il dit SIEGEANT, c’est-à-dire au-delà de toute mutabilité et ayant la préséance dans son éternité. Le Psalmiste l’affirme: Ton trône, ô Dieu, est établi pour toujours Ps 44, 7; et saint Paul aussi: Hier et aujourd’hui Jésus-Christ est le même He 13, 8; Il le sera à jamais. Cette éternité, Jean la montre quand il dit: Dans le Principe était le Verbe Jean 1, 1.
5. D’autres encore accédèrent à la connaissance de Dieu à partir de la dignité de Dieu Lui-même; ce sont les Platoniciens. Ils considèrent en effet que tout ce qui est par participation se ramène à ce qui est tel par son essence comme au premier et au suprême; c’est ainsi que tout ce qui est feu par participation se ramène au feu qui est tel par son essence: Il est donc nécessaire, puisque toutes les réalités existantes participent à l’être et sont des êtres par participation, qu’au sommet de toutes les réalités existe quelque chose qui soit l’être même par son essence, de telle sorte que son essence soit son être; et cette réalité, c’est Dieu, qui est la cause absolument suffisante, suprêmement digne et parfaite de tout l’être, et de qui tout ce qui existe participe l’être. Isaïe montre cette dignité lorsqu’il dit: SUR UN TRONE SUBLIME, ce qui, selon Denys (Cf. DENYS, La hiérarchie céleste, 13, 4 (304 C), se rapporte à la nature divine De même le Psalmiste: Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations Ps 112, 4. C’est aussi cette dignité du Verbe que nous montre Jean lorsqu’il dit: Et le Verbe était Dieu Jean 1, 1.
6. D’autres enfin parvinrent à la connaissance de Dieu à partir de l’incompréhensibilité de la Vérité. En effet, toute vérité que notre intelligence peut saisir est limitée; car, selon Augustin, "tout ce qui est connu est limité par la compréhension de celui qui connaît" (Cité de Dieu, 12, 19); et si [ce qui est connu] est limité, [ce qui est connu] est déterminé et particularisé. C’est pourquoi il est nécessaire que la Vérité première et suprême, qui surpasse toute intelligence, soit incompréhensible et infinie; et cette Vérité, c’est Dieu. Aussi le Psalmiste dit-il: Ta grandeur, ô Dieu, est élevée au-dessus des cieux Ps 8, 2, c’est-à-dire au-dessus de toute intelligence créée, non seulement humaine, mais même angélique car, comme le dit l’Apôtre, Dieu habite une lumière inaccessible 1 Tm 6, 16. Isaïe nous montre l’incompréhensibilité de cette Vérité quand il dit: ET ELEVEE, c’est-à-dire au-dessus de toute connaissance d’une intelligence créée. C’est cette incompréhensibilité que nous fait entendre Jean par ces paroles: Personne n’a jamais vu Dieu Jean 1, 18.
Ainsi la contemplation de Jean, dans son élévation, découvrit la seigneurie, l’éternité, la dignité du Verbe et son incompréhensibilité, et son incompréhensibilité, et c’est cela qu’il nous a livré dans son Evangile.
TOUTE
LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE
7. La contemplation de Jean fut encore ample. En effet, la contemplation est ample quand, dans une cause, quelqu’un peut voir tous les effets de cette cause, c’est-à-dire quand il connaît non seulement l’essence de la cause, mais encore sa puissance qui la fait s’étendre à de nombreux effets. C’est de cette extension que parle l’Ecclésiastique: Il fait abonder la sagesse comme les eaux du Phison et comme le Tigre à la saison des fruits 17, et le Psalmiste: Le fleuve de Dieu déborde d’eaux 18; car la profondeur de la sagesse de Dieu se voit dans sa connaissance de toutes choses — Avec toi, Seigneur, dès le commencement est la sagesse qui connaît tes oeuvres 19 Ainsi donc, parce que Jean l'Evangéliste a été élevé à la contemplation de la nature et de l’essence du Verbe divin, quand il dit: Dans le Principe était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu 20, il nous manifeste aussitôt la puissance de ce Verbe, selon laquelle Il est présent en toutes choses, en disant: Tout a été fait par Lui C’est pourquoi sa contemplation fut ample. Aussi, dans le texte cité, le Prophète, après avoir dit: JE VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT, ajoute-t-il au sujet de sa puissance: ET TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE, c’est-à-dire: tout l’ensemble des réalités et de l’univers vient de la majesté et de la puissance du Verbe de Dieu, par qui tout a été fait et dont la lumière illumine tout homme venant en ce monde 22. Le Psalmiste, lui, dit à ce sujet: Au Seigneur est la terre et tout ce qu’elle renferme 23.
ET
CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
8. Enfin la contemplation de Jean fut parfaite. En effet la contemplation est parfaite quand celui qui contemple est conduit et élevé à la hauteur de la réalité contemplée; s’il demeurait à un niveau inférieur, si haut que soit ce qu’il contemple, sa contemplation ne serait pas parfaite. Aussi faut-il, pour qu’elle soit parfaite, qu’il s’élève et atteigne la fin même de la réalité contemplée en s’attachant et adhérant, par la volonté aimante et par l’intelligence, à la vérité contemplée. Job nous dit Connaissez-vous les routes des nuées — c’est-à-dire la contemplation de ceux qui prêchent —, savez-vous qu’elles sont parfaites? 24 parce qu’ils adhèrent fermement, par la volonté aimante et l’intelligence, à la Vérité suprême contemplée. Or Jean n’a pas seulement enseigné comment le Christ Jésus, le Verbe de Dieu, est élevé au-dessus de tout, et comment tout a été fait par Lui, mais aussi que nous sommes sanctifiés par Lui et que nous adhérons à Lui, par la grâce qu’Il répand en nous, lorsqu’il dit: De sa plénitude nous avons tous reçu 25. Ainsi sa contemplation, on le voit, fut parfaite. Isaïe montre cette perfection lorsqu’il ajoute: ET CE QUI ETAJT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE. Le chef du Christ, en effet, c’est Dieu 26, et ce qui est sous le Christ, ce sont les sacrements de son humanité, par lesquels les fidèles sont remplis de la plénitude de la grâce. Ainsi donc, CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI, c’est-à-dire les mystères de son humanité, REMPLISSAIT LE TEMPLE, c’est-à-dire les fidèles qui sont le temple saint de Dieu, comme le dit saint Paul 27. En effet, par les sacrements de son humanité, tous les fidèles du Christ reçoivent la plénitude de sa grâce.
La contemplation de Jean fut donc élevée, ample et parfaite.
9. Cependant il faut remarquer
que ces trois modes de contemplation correspondent aux différentes sciences. A
la science morale, qui traite de la fin ultime, revient la perfection de la
contemplation; la science naturelle, qui considère les êtres procédant de Dieu,
en a la plénitude; tandis que la métaphysique possède, entre toutes les
sciences philosophiques, la hauteur de la contemplation. Mais l’Evangile de
Jean renferme tout à la fois ce que ces sciences possèdent séparément: sa
perfection est donc totale.
10. Ce qui précède nous apprend donc quelle est la matière de cet Evangile. En effet, alors que les autres Evangélistes traitent principalement des mystères de l’humanité du Christ, Jean montre avant tout dans son Evangile, et d’une manière qui lui est propre, la divinité du Christ 28, sans taire pour autant les mystères de son humanité. En voici la raison: après que les autres Evangélistes eurent écrit leurs Evangiles, des hérésies s’élevèrent au sujet de la divinité du Christ; elles enseignaient que le Christ était homme seulement, comme Ebion et Cérinthe le pensaient faussement 29. C’est pourquoi Jean l’Evangéliste, qui avait puisé la vérité de la divinité du Verbe à la source même du coeur divin, écrivit, à la prière des fidèles, cet Evangile où il nous a livré son enseignement sur la divinité du Christ et a réfuté toutes les hérésies.
Ces paroles d’Isaïe montrent encore clairement l’ordre suivi dans cet Evangile. En effet, Jean nous présente d’abord LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE, quant il dit: Dans le Principe était le Verbe 30. Ensuite il montre comment TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE, par ces paroles: Tout a été fait par Lui 31. Enfin il manifeste comment CE QUI E TAIT AU-DESSOUS du Seigneur REMPLISSAIT LE TEMPLE, en disant: Et le Verbe s’est fait chair (...) et nous avons vu sa gloire 32.
De même ces paroles d’Isaïe manifestent bien la fin de cet Evangile: il faut que les fidèles, devenus le temple de Dieu, soient remplis de la majesté divine. C’est pourquoi Jean lui-même dit: Ces miracles ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son Nom.
Nous voyons donc clairement par là quelle est la matière de cet Evangile — la connaissance de la divinité du Verbe — 33 quel est son ordre et quelle est sa fin.
II
11. Tout ce qui vient d’être dit permet de situer l’auteur lui-même de cet Evangile, et cela de quatre manières: du point de vue de son nom, de sa vertu, de son symbole et de son privilège.
Le nom de l’auteur de cet Evangile est Jean, nom qui signifie "en qui est la grâce". En effet, seuls ceux qui ont en eux la grâce de Dieu peuvent contempler les secrets de la divinité, et c’est pourquoi l’Apôtre dit: Nul ne connaît les secrets de Dieu, si ce n’est par l’Esprit de Dieu 34.
Jean vit donc LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE. A cela, il fut disposé du fait qu’il était vierge. C’est aux vierges en effet qu’il appartient de voir le Seigneur, comme le Seigneur Lui-même l’a dit: Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu 35.
Le symbole de Jean est l’aigle. Voici pourquoi: les trois autres Evangélistes se sont occupés de ce que le Christ a accompli dans la chair et ils sont désignés par des vivants qui marchent sur la terre, à savoir par l’homme, le boeuf et le lion 36. Jean, lui, volant comme un aigle au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, contemple la lumière de l’immuable Vérité avec les yeux du coeur, du regard le plus pénétrant et le plus ferme qui soit possible à l’homme, et, attentif à la divinité même de Notre Seigneur Jésus-Christ, par laquelle Il est égal à son Père, il s’est efforcé principalement, dans son Evangile, de la manifester autant que, homme parmi les hommes, il l’a cru nécessaire. De ce vol de Jean il est dit au Livre de Job: L’aigle c’est-à-dire Jean — à ton commandement s’élèvera-t-il en haut? et encore: Ses yeux perçants voient de loin 37 car du regard de l’esprit il contemple le Verbe même de Dieu dans le sein du Père.
Quant à son privilège, il fut d’être, parmi tous les disciples du Seigneur, celui qui fut le plus aimé par le Christ: Jean fut en effet le disciple que Jésus aimait 38, comme lui-même l’a dit sans se nommer. Or aux amis on révèle ses secrets, comme le montrent ces paroles de Jésus: Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais mes amis, parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître 39. Le Christ a donc révélé ses secrets de façon toute spéciale à ce disciple très spécialement aimé. A ceux qu’enfle la démesure — à savoir les orgueilleux — le Christ cache la lumière — c’est-à-dire la vérité de sa divinité — et il annonce à son ami — Jean — que la lumière est son partage 40; c’est lui en effet qui, voyant plus parfaitement la lumière du Verbe incarné, nous la manifeste en disant: Le Verbe tait la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 41.
Telle est donc la matière, tel est l’ordre, telle est la fin, tel est l’auteur de cet Evangile de Jean, que nous avons en main.
Voici Jean l’Evangéliste, l’un des disciples du Seigneur: Dieu l’a choisi vierge et l’a appelé du milieu des noces alors qu’il voulait se marier.
L’Evangile donne un double témoignage de sa virginité: il a été aimé de Dieu plus que les autres et c’est à lui que le Seigneur, suspendu à la croix, confia sa Mère, afin que la Vierge fût gardée par un homme vierge.
Ensuite, l’Evangéliste montre clairement dans cet Evangile ce qu’il était lui-même lorsque, commençant à parler de l’oeuvre du Verbe incorruptible, il est seul à témoigner que le Verbe s’est fait chair et que les ténèbres n’ont pas étreint la lumière 1. Il montre encore ce qu’il était lui-même en plaçant au début de son Evangile le signe que fit le Seigneur au cours des noces, pour prouver au lecteur que là où le Seigneur a été invité, le vin des noces doit manquer, et que, une fois les réalités anciennes changées, toutes les réalités nouvelles instituées par le Christ apparaissent. Du reste, il écrivit cet Evangile en Asie, après avoir, dans l’île de Patmos, écrit l’Apocalypse. Ainsi, c’est par un homme vierge qu’aura été reconnue une fin incorruptible — par cette parole du Christ dans l’Apocalypse: "Je suis l’Alpha et l’Oméga" 2 — Celui à qui la Genèse, le premier livre de l’Ecriture, attribue un commencement incorruptible.
Tel est Jean. Lorsqu’il sut proche le jour de son départ, ayant réuni ses disciples à Ephèse, il leur manifesta le Christ par de nombreux signes, puis il descendit dans le lieu creusé pour sa sépulture et, après avoir prié, il fut déposé aux côtés de ses pères, aussi étranger aux douleurs de la mort qu’il fut exempt de la corruption de la chair.
Il écrivit son Evangile après tous les autres: c’était dû à cet homme vierge. Nous n’expliquerons pas en détail dans quel ordre il écrivit ses livres ni comment ils furent ordonnés, pour, après avoir donné le désir de savoir, laisser aux chercheurs le fruit du travail, et réserver à Dieu l’enseignement magistral.
12. En faisant précéder cet Evangile d’un prologue, Jérôme a une double intention: décrire l’auteur de l’Evangile et montrer que c’est à lui qu’il revenait d’écrire ce livre.
Dans ce prologue, divisé en deux parties, il décrit d’abord la vie de Jean, puis sa mort [n° 201. Dans la première partie, il présente en premier lieu l’auteur de l’ouvrage par les dons qui lui furent accordés en cette vie; puis, à partir de là, il montre son aptitude à écrire l’Evangile [n° 16].
Pour présenter l’auteur, saint Jérôme commence par montrer ses privilèges; puis il en donne des preuves [n° 15].
VOICI JEAN L’EVANGELISTE L’UN
DES DISCIPLES DU SEIGNEUR: DIEU L’A CHOISI VIERGE ET L’A APPELE DU MILIEU DES
NOCES ALORS QU’IL VOULAIT SE MARIER.
13. L’auteur de l’Evangile est
décrit ici en premier lieu par son nom: VOICI JEAN, c’est-à-dire: "en
qui se trouve la grâce" — C’est par la grâce de Dieu que je suis ce
que je suis 3, dit saint Paul. Puis il est désigné par son office: L’EVANGELISTE
— selon ces paroles du Seigneur: Le premier je dirai à Sion: "Les
voici"; et à Jérusalem je donnerai un Evangéliste 4. Puis
par sa dignité: L’UN DES DISCIPLES DU SEIGNEUR — Tous vos fils, dit Isaïe,
seront instruits par le Seigneur 5. En quatrième lieu par sa vertu de chasteté, lorsque Jérôme dit:
VIERGE. Ensuite par le choix divin: DIEU L’A CHOISI. Ce n’est pas vous qui
m’avez choisi, dit Jésus à ses Apôtres, c’est moi qui vous ai choisis 6. Enfin
Jérôme présente Jean par la manière dont Jésus l’ap pela: IL L’A APPELE DU
MILIEU DES NOCES, celles où le Christ fut invité avec ses disciples et où Il
changea l’eau en vin.
14. On objectera sans doute que, d’après Matthieu 7, Jean fut appelé de sa barque avec son frère Jacques et ne fut donc pas appelé comme le dit Jérôme. A cela il faut répondre qu’il y eut diverses vocations des Apôtres. En effet, appelés en premier lieu à vivre dans l’intimité du Christ, ils furent ensuite appelés à devenir ses disciples quand, après avoir tout abandonné, ils suivirent Jésus. Ce que dit ici Jérôme, il faut l’entendre de la première vocation, par laquelle Jean fut appelé des noces l’intimité du Christ; et ce que dit Matthieu s’entend de la dernière vocation, celle où Jean fut appelé de sa barque avec son frère Jacques, c’est-à-dire quand, après avoir abandonné filets et barque, il suivit le Christ.
L’EVANGILE DONNE UN DOUBLE
TEMOIGNAGE DE SA VIRGINITE: IL A ETE AIME DE DIEU PLUS QUE LES AUTRES ET C’EST
A LUI QUE LE SEIGNEUR, SUSPENDU A LA CROIX, CONFIA SA MERE, AFIN QUE LA VIERGE
FUT GARDEE PAR UN HOMME VIERGE.
15. Jérôme prouve ici le privilège de la virginité de Jean par deux signes. D’abord par le signe du plus grand amour. A ce propos il dit: A son égard (il s’agit de Jean) L’EVANGILE — c’est-à-dire les paroles qui sont conte nues dans l’Evangile — DONNE UN DOUBLE TEMOIGNAGE DE SA VIRGINITE, parce qu’il y est dit que [Jean] a été aimé du Seigneur plus que les autres, lui, ce disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites 8. Or la cause de cet amour tout spécial fut la pureté de Jean; la pureté en effet appelle l’amour. comme le dit l’Ecriture: Celui qui aime la pureté du coeur, à cause de la grâce répandue sur ses lèvres aura le roi pour ami 9.
Jérôme donne ensuite un second signe — le fait que Jésus confia sa mère à Jean — lorsqu’il dit: ET C’EST A LUI, c’est-à-dire à Jean, QUE LE SEIGNEUR Dieu, le Christ, alors qu’Il était SUSPENDU A LA CROIX, CONFIA SA MERE (comme Jean lui-même le rapporte dans son Evangile) 10, AFIN QUE LA VIERGE, Marie, FUT GARDEE, comme il convenait, PAR UN HOMME VIERGE, Jean.
III
ENSUITE L’EVANGELISTE MONTRE
CLAIREMENT DANS CET EVANGILE CE QU’IL E TAIT LUI-MEME LORSQUE, COMMENÇANT A
PARLER DE L’OEUVRE DU VERBE INCORRUPTIBLE, IL EST SEUL A TE MOIGNER QUE LE
VERBE S’EST FAIT CHAIR ET QUE LES TENEBRES N’ONT PAS ETREINT LA LUMIERE 11. IL MONTRE ENCORE CE QU’IL
ETAIT LUI MEME EN PLAÇANT AU DEBUT DE SON EVANGILE LE SIGNE QUE FIT LE SEIGNEUR
AU COURS DES NOCES, POUR PROUVER AU LECTEUR QUE LA OU LE SEIGNEUR A ETE INVITE,
LE VIN DES NOCES DOIT MANQUER, ET QUE, UNE FOIS LES REALITES ANCIENNES
CHANGEES, TOUTES LES REALITES NOUVELLES INSTITUEES PAR LE CHRIST APPA RAISSENT.
DU RESTE, IL ECRI VIT CET EVANGILE EN ASIE, APRES AVOIR, DANS L’ILE DE PATMOS,
ECRIT L’APOCALYPSE. AINSI, C’EST PAR UN HOMME VIERGE QU’AURA ETE RECONNUE UNE
FIN INCORRUPTIBLE — PAR CETTE PAROLE DU CHRIST [L’APOCALYPSE]: "JE SUIS
L’ALPHA ET L’OMEGA" — A CELUI A QUI LA GENESE, LE PREMIER LIVRE DE
L’ECRITURE, ATTRIBUE UN COMMENCEMENT INCORRUPTIBLE.
16. Jérôme montre ici qu’il revenait à Jean d’écrire cet Evangile, pour trois raisons.
La première concerne le commencement de son Evangile. Celui-ci commence en effet en parlant du Verbe incorruptible, dont il ne convient pas de parler à moins d’être incorrompu. C’est pour cette raison que Jérôme dit: L’EVANGELISTE MONTRE CLAIREMENT CE QU’IL ETAIT LUI-MEME, c’est-à-dire vierge incorruptible, LORSQUE COMMENÇANT A PARLER DE L’OEUVRE DU VERBE INCORRUPTIBLE, IL EST SEUL A TEMOIGNER QUE LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ET QUE LES TENEBRES N’ONT PAS ETREINT LA LUMIERE.
17. La seconde concerne le début
des miracles. Jean commence en effet le récit des miracles successifs du
Seigneur par celui du changement de l’eau en vin pendant des noces 12 où le
vin manqua, mais où le Christ substitua un vin nouveau, celui de la virginité.
A ce propos Jérôme dit: EN PLAÇANT LE SIGNE, c’est-à-dire le miracle, QUE FIT
LE SEIGNEUR AU COURS DES NOCES, au début de son Evangile, c’est-à-dire avant
les autres miracles, IL MONTRE ENCORE CE QU’IL ETAIT LUI-MEME, c’est-à-dire un
homme vierge, POUR PROUVER AU LECTEUR QUE LA OU LE SEIGNEUR A ETE IN VITE, LE
VIN DES NOCES, c’est-à-dire le plaisir du mariage, DOIT MANQUER, ET QUE, UNE
FOIS LES REALITES ANCIENNES CHANGEES, c’est-à-dire l’eau antique transformée en
vin nouveau, TOUTES LES REALITES NOUVELLES INSTITUEES PAR LE CHRIST
APPARAISSENT, c’est-à-dire que les hommes convertis au Christ doivent
dépouiller le vieil homme et revêtir l’homme nouveau, comme le dit l’Apôtre 13 et
comme le montrent ces paroles de l’Apocalypse: Et Celui qui était assis sur le
trône dit: "Voici, je fais toutes choses nouvelles" 14.
18. Cependant, d’après ce que dit Jérôme: LA OU LE SEIGNEUR A ETE INVITE, LE VIN DES NOCES DOIT MANQUER, il semble que quiconque a Dieu et l’ai me doive s’abstenir du mariage et qu’il n’est pas permis de se marier. Je réponds en disant que l’homme est invité par Dieu de deux façons: ou bien selon la grâce commune, et alors il n’est pas nécessaire que manque le vin des noces; ou bien il est invité au faîte particulier de la contemplation dans ce cas le vin des noces doit manquer. L’Apôtre en donne la raison: C’est, dit-il, qu’une femme mariée cherche à plaire à son mari — elle est donc nécessairement empêchée de contempler — au contraire la femme non mariée cherche comment plaire à Dieu 15.
On peut dire aussi que pour ceux qui aiment
Dieu et L’ont en eux par la grâce, le vin des noces doit manquer quant à ses
effets, je veux dire qu’ils ne doivent pas s’enivrer du plaisir de la chair.
Celui-ci peut en effet atteindre de telles proportions, et s’exercer avec tant
de violence, que même entre époux il peut devenir un péché mortel.
19. La troisième raison concerne le rang de rédaction de ce livre. En effet, c’est après tous les autres livres canoniques que cet Evangile a été écrit. Sans doute les livres canoniques commencent par la Genèse et s’achèvent par l’Apocalypse, mais cet Evangile fut rédigé à la prière des évêques d’Asie après que Jean eut été appelé de l’île de Patmos. Cependant on ne plaça pas cet Evangile au terme des livres canoniques, bien qu’il ait été écrit en dernier lieu, ce qui fait dire à Jérôme qu’il convenait bien à Jean d’écrire cet Evangile (comme on l’a dit plus haut) afin que, dans l’Apocalypse, dernier livre selon l’ordre du canon de l’Ecriture (mais non selon l’ordre de rédaction), UN HOMME VIERGE ait reconnu UNE FIN INCORRUPTIBLE A CELUI A QUI LA GENE SE, PREMIER LIVRE DE L’ECRITURE, ATTRIBUE UN COMMENCEMENT INCORRUPTIBLE — elle dit en effet: Au commencement Dieu créa le ciel et la terre 16
IV
TEL EST JEAN. LORSQU’IL SUT
PROCHE LE JOUR DE SON DEPART, AYANT REUNI SES DISCIPLES A EPHESE, IL LEUR
MANIFESTA LE CHRIST PAR DE NOMBREUX SIGNES, PUIS IL DESCENDIT DANS LE LIEU
CREUSE POUR SA SEPULTURE ET, APRES AVOIR PRIE, IL FUT DEPOSE AUX COTES DE SES PERES,
AUSSI ETRANGER AUX DOULEURS DE LA MORT QU’IL FUT EXEMPT DE LA CORRUPTION DE LA
CHAIR.
20. Ici Jérôme désigne l’auteur
du dernier Evangile en faisant l’éloge di privilège de sa mort, avant de
conclure, de tout ce qui précède, au bien fondé de la place de cet Evangile [n° 22].
21. Le privilège de la mort de Jean est admirable et extraordinaire, puisqu’il n’y ressentit aucune douleur. Cela, Dieu l’a fait pour que celui qui demeura totalement étranger à la corruption de la chair fût exempt de la douleur de la mort.
V
IL ECRIVIT SON EVANGILE APRES
TOUS LES AU TRES: C’ETAIT DU A CET HOMME VIERGE. NOUS N’EXPLIQUERONS PAS EN
DETAIL DANS QUEL ORDRE IL ECRIVIT SES LIVRES NI COMMENT ILS FURENT ORDONNES,
POUR, APRES AVOIR DONNE LE DESIR DE SAVOIR, LAISSER AUX CHERCHEURS LE FRUIT DU
TRAVAIL, ET RESER VER A DIEU L’ENSEIGNEMENT MAGISTRAL.
22. Jérôme souligne ici qu’il convenait que Jean écrivît son Evangile en dernier lieu. [Il indique aussi que,] dans les livres de la Sainte Ecriture, on peut considérer deux ordres celui de l’époque de leur rédaction et celui de leur place dans la Bible.
CHAPITRE
I: Le Verbe s'est fait chair
[1]
1 Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le
Verbe était Dieu. 2 Il était dans le Principe auprès de Dieu.
[2]
3 Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait. 4 qui a été fait en
Lui était vie.
[3]
5 Et la vie était la lumière des hommes, la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont pas étreinte.
[4]
6 Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin,
pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. 8 Il
n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
[5]
Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde. 10
Il était dans le mon de, et le monde a été fait par Lui. Et le monde ne L’a pas
connu.
[6]
11 Il est venu chez Lui, et les siens ne L’ont pas reçu. 12 à tous ceux qui
L’ont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient
en son nom, 13 ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un
vouloir d’homme, mais de Dieu.
[7]
14 Et le Verbe s’est fait chair, et Il a habité parmi nous.
[8]
Nous avons vu sa gloire, gloire qu’Il tient de son Père comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
[9]
15 Lui rend témoignage, et il crie Voici Celui dont j’ai dit: Celui qui vient
après moi est passé avant moi, parce qu’avant moi Il était.
[10]
16 Et de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce sur grâce. 17 Parce que la
Loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par
Jésus-Christ.
[11]
18 Personne n’a jamais vu Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Père,
Lui, L’a fait connaître.
[12]
Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque les Juifs envoyèrent de
Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander: "Qui es-tu?"
Il confessa, il ne nia pas, il confessa: "Je ne suis pas le Christ"
Ils lui demandèrent: "Quoi donc? Es-tu Elie?" Il dit" Je ne le
suis pas". " Es-tu le Prophète?" Il répondit" Non".
Ils lui dirent alors" Qui es-tu, que nous donnions une réponse à ceux qui
nous ont envoyés? Que dis-tu de toi-même?"" Je suis, déclara-t-il, la
voix de celui qui crie dans le désert Rendez droit le chemin du Seigneur, comme
a dit le prophète Isaïe
[13]
24 Les envoyés étaient des Pharisiens. Ils l’interrogèrent et lui dirent:
"Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Elie, ni le
Prophète?" Jean leur répondit" Moi, je baptise dans l’eau; au milieu
de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas. 27 Il est Celui qui doit
venir après moi, qui existait avant moi, et moi je ne suis pas digne de délier
la courroie de sa chaussure". 28 Cela se passait à Béthanie, au delà du
Jourdain, où Jean baptisait.
[14]
Le lendemain, Jean vit Jésus venir à lui, et il dit" Voici l’Agneau de
Dieu, voici Celui qui enlève les péchés du monde. 30 C’est Celui dont j’ai dit
un homme vient après moi, qui est passé devant moi, car avant moi il était. 31
Et moi je ne le connaissais pas, mais c’est pour qu’Il fût manifesté à Israël
que je suis venu baptiser dans l’eau". Et Jean rendit témoignage:
"J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et Il est demeuré
sur Lui. 32 Et moi je ne Le connaissais pas; mais Celui qui m’a envoyé baptiser
dans l’eau m’a dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer,
c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi j’ai vu, et j’ai attesté que
c’est Lui le Fils de Dieu
[15]
Le lendemain, de nouveau Jean se tenait là avec deux de ses disciples. Fixant
son regard sur Jésus qui passait, il dit: "Voici l’Agneau de Dieu".
Les
deux disciples l’entendirent parler ainsi, et ils suivirent Jésus. Jésus se
retourna, les vit qui Le suivaient et leur dit: "Que cherchez-vous?"
Ils Lui répondirent" Rabbi (ce qui signifie Maître), où
habites-tu?" "Venez et
voyez", leur dit-Il. Ils vinrent donc et virent où Il demeurait, et ils
demeurèrent auprès de Lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure. ° André,
frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de
Jean et avaient suivi Jésus. 4111 trouva d’abord son frère Simon et lui dit:
"Nous avons trouvé le Messie" (ce qui signifie le Christ). Et il
l’amena à Jésus. Fixant sur lui son regard, Jésus dit: "Tu es Simon, fils
de Jean; tu t’appelleras Céphas" (ce qui signifie Pierre).
[16]
Le lendemain, Jésus, voulant partir pour la Galilée, trouve Philippe et lui
dit: "Suis-moi". Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de
Pierre. Philippe trouva Nathanaël et lui dit: "Celui dont il est parlé
dans la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous L’avons trouvé; c’est Jésus,
le fils de Joseph, de Nazareth". Nathanaël lui dit: "De Nazareth
peut-il sortir quelque chose de bon?" — "Viens et vois" lui dit
Philippe. Jésus vit Nathanaël qui venait à Lui et Il dit à son sujet:
"Voici un véritable Israélite, un homme sans artifice". — " D’où
me connais-tu?" Lui dit Nathanaël. — "Avant que Philippe t’appelât,
répondit Jésus, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu". Nathanaël Lui
répondit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël". Il
reprit: "Parce que je t’ai dit Je t’ai vu sous le figuier, tu crois; tu
verras mieux encore". ' Et Il ajouta: "En vérité, en vérité je vous
le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges monter et descendre au-dessus
du Fils de l’homme."
23. L’intention principale de Jean l'Evangéliste, nous l’avons dit dans le prologue, est de montrer la divinité du Verbe Incarné. D’où la division de son Evangile en deux parties; il expose d’abord la divinité du Christ — c’est le chapitre 1 — puis la manifeste par ce qu’a fait le Christ dans la chair — c’est le reste de l’Evangile.
Dans ce premier chapitre, il commence par affirmer la divinité du Christ [n° 24] et continue en montrant la manière dont cette divinité s’est fait connaître à nous
[n° 179]. Dans son affirmation de la divinité du Christ, l’Evangéliste traite d’abord du Christ en tant que Dieu, puis de l’Incarnation du Verbe [n° 108].
Traitant du Christ en tant que Dieu, il en considère, comme on doit le faire en toute réalité, l’être et l’opé ration ou puissance. Il parle d’abord de l’être du Verbe incarné quant à la nature divine, et c’est l’objet de la présente leçon; il parlera ensuite de sa puissance ou de son opération [n° 68]. Pour faire connaître l’être du Verbe quant à la nature divine il le montre sous quatre aspects: quand était-il? DANS LE PRINCIPE. Où était il? ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU. Qu’était il? ET LE VERBE ETAIT DIEU. Comment était-il? IL E TAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DiEU. Les deux premiers aspects répondent à la question: existe. t-il? les deux autres à la question: qu’est-il?
DANS LE PRINCIPE ETAIT LE
VERBE
24. Il nous faut commencer par voir ce que signifie DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE. Trois points sont ici à examiner avec soin: le sens du terme VERBE, celui de DANS LE PRINCIPE, et enfin celui de toute la proposition.
LE VERBE
25. Pour avoir l’intelligence du mot "Verbe", il faut savoir que, selon le Philosophe, ce que disent les paroles est signe de ce qui est dans l’esprit, c’est-à-dire de ce qu’il a éprouvé 1. L’Ecriture a coutume de donner aux réalités signifiées le nom des signes, et inversement; ainsi l’Apôtre dit la pierre, c’était le Christ 2 s’ensuit nécessairement que ce qui se trouve à l’intérieur de l’esprit, et que nous faisons connaître par notre verbe [parole] extérieur, est aussi appelé "verbe". Que ce nom de "verbe" convienne en premier lieu à la parole proférée à l’extérieur, ou plutôt à ce que conçoit intérieurement notre esprit, cela n’a pas d’importance pour le moment. Il est clair cependant que le verbe que la parole signifie et qui se trouve à l’intérieur de l’esprit est antérieur au verbe proféré, puisqu’il en est la cause.
Si donc nous voulons savoir ce qu’est dans notre esprit le verbe intérieur, voyons ce que signifie la parole proférée à l’extérieur.
Dans notre intelligence, il y a trois [éléments]: la puissance intellectuelle elle-même, la forme intentionnelle de la réalité saisie par l’intelligence 3, qui informe cette intelligence en ayant avec elle le même rapport que la forme intentionnelle de la couleur avec l’oeil, et enfin l’opération qui est l’acte d’intelligence. Cependant la parole proférée à l’extérieur ne signifie aucun de ces trois [éléments].
Par exemple, celui qui prononce le nom "pierre" n’exprime pas la substance de l’intelligence — ce n’est pas ce qu’il vise; il n’exprime pas la forme intentionnelle qui est ce par quoi l’intelligence saisit [la réalité] — ce n’est pas non plus ce qu’il veut nommer; enfin, il n’exprime pas davantage l’acte d’intelligence, car celui-ci n’est pas un acte procédant de manière extérieure de celui dont l’intelligence est en acte, mais une action qui demeure en lui-même. On appelle en termes propres "verbe intérieur" ce que forme, par son acte d’intelligence, celui dont l’intelligence est en acte.
Or, selon ses deux opérations, l’intelligence forme deux choses. En effet, selon l’opération que l’on appelle la saisie des indivisibles 4, elle forme une définition; et selon l’opération par laquelle elle compose et divise, elle forme une énonciation ou quelque chose de ce genre. Ce qui est ainsi formé et exprimé par l’opération de l’intelligence — soit qu’elle définisse, soit qu’elle compose et divise — est signifié par la parole extérieure. C’est pourquoi, pour Aristote, la définition est le contenu intelligible signifié par le nom. C’est donc ce qui est ainsi exprimé, ainsi formé dans l’esprit, qu’on appelle verbe intérieur. Par rapport à l’intelligence, ce n’est pas ce par quoi l’intelligence saisit, mais ce dans quoi elle saisit, parce qu’elle voit, dans ce qu’elle a formé et exprimé, la nature de la réalité qu’elle saisit. Nous avons donc main tenant le sens de ce mot "verbe".
D’après ce que nous venons de dire, nous pouvons comprendre deux choses: que le verbe est toujours quelque chose qui procède de l’intelligence quand celle-ci est en acte, et que le verbe est le contenu intelligible et la similitude de la réalité saisie par l’intelligence. Si donc la réalité saisie par l’intelligence et celui qui intellige sont une seule et même réalité, alors le verbe est le contenu intelligible et la similitude de l’intelligence dont il procède. Mais si ce qui est saisi par l’intelligence est autre que celui qui le saisit par son intelligence, alors le verbe n’est pas le contenu intelligible et la similitude de celui qui intellige, mais de la réalité saisie. Ainsi, ce que l’intelligence saisit de la pierre est seulement la similitude de la pierre; mais quand l’intelligence se saisit elle-même, alors le verbe est le conte nu intelligible et la similitude de l’intelligence. Voilà pourquoi Augustin 5 voit dans l’âme une similitude de la Trinité lorsque l’esprit se saisit lui-même, et non lors qu’il saisit d’autres choses.
Il est donc manifeste que l’on doit reconnaître un verbe à toute réalité douée d’intelligence. En effet, l’acte d’intelligence en lui-même implique que l’intelligence, en saisissant, forme quelque chose; or ce qui est ainsi formé est ce qui est appelé un "verbe"; par conséquent, il faut reconnaître un verbe à tout être dont l’intelligence est en acte.
Or la nature intellectuelle est humaine, angélique et divine. Il y a donc un verbe humain — L’insensé a dit en son coeur: Dieu n’existe pas 6 — ; un verbe angélique, dont le prophète Zacharie a écrit: L’ange qui me parlait me dit... et que manifestent beaucoup d’autres passages de la Sainte Ecriture; enfin le Verbe divin, dont parle la Genèse: Dieu dit: Que la lumière soit 8. Du quel donc de ces verbes l’Evangéliste parle-t-il ici en disant: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE? Il est manifeste qu’il ne parle ni du verbe humain ni du verbe angélique, parce que ces deux verbes ont l’un et l’autre été faits, puisque le verbe ne précède pas celui qui le dit et que l’homme et l’ange ont une cause et un principe. Mais le Verbe dont parle Jean n’a pas été fait, au contraire tout a été fait par Lui. Si donc ce que dit Jean ne se rapporte pas aux deux premiers, il faut nécessairement l’entendre du troisième, c’est-à-dire du Verbe de Dieu.
26. Or il faut savoir qu’entre le Verbe de Dieu, dont parle ici Jean, et notre verbe, il y a trois différences.
La première, selon Augustin 10, est que notre verbe est en formation avant d’être formé. En effet, il faut un mouvement de la raison pour parvenir à concevoir le contenu intelligible de la pierre, et de même pour toute autre réalité que nous saisissons par l’intelligence, à l’exception des premiers principes: ceux-ci sont connus naturellement et immédiatement, sans aucun processus de la raison. Donc, aussi longtemps que, raisonnant, l’intelligence discursive est jetée de-ci, de-là, la formation n’est pas encore achevée; elle ne sera achevée que lors que l’intelligence aura conçu parfaitement le contenu intelligible lui-même de la réalité; c’est alors seulement qu’elle possède le verbe comme verbe. Voilà pourquoi il y a une cogitation dans notre esprit, c’est-à-dire ce mouvement de recherche, puis un verbe formé dans une parfaite contemplation de la vérité. Ainsi, notre verbe est en puissance avant d’être en acte; mais le Verbe de Dieu est toujours en acte, aussi le nom de "cogitation" ne lui convient-il pas proprement. Augustin dit à ce sujet: "Nous parlons du Verbe de Dieu pour éviter le mot de "cogitation", afin qu’on ne croie à rien de mouvant en Dieu" 11. Quant à ce que dit Anselme 12: "Pour l’esprit suprême, dire n’est rien d’autre que voir intuitivement en "cogitant", cela a été dit improprement.
27. La seconde différence entre notre verbe et le Verbe divin est que notre verbe est imparfait, alors que le Verbe de Dieu est absolument parfait; en effet, nous ne pouvons exprimer tout ce qui est dans notre esprit par un verbe unique; aussi nous faut-il former de nombreux verbes imparfaits pour exprimer séparément tout ce qui se trouve dans notre connaissance. En Dieu il n’en est pas ainsi: comme Il saisit par l’intelligence et Lui-même et tout ce qu’Il saisit par son essence, dans un seul acte de son intelligence, l’unique Verbe de Dieu exprime tout ce qui est en Dieu, non seulement le Père, mais encore les créatures; autrement il serait imparfait. C’est ce qui fait dire à Augustin 13: "S’il y avait moins dans le Verbe que ne contient la science de Celui qui le prononce, le Verbe serait imparfait. Mais il est manifeste qu’Il est très parfait, donc "Il est unique." Et nous lisons dans le livre de Job: Dieu ne parle qu’une fois, et Il ne répète pas ce qu’Il a dit 14.
28. La troisième différence, c’est que notre verbe n’est pas de même nature que nous, tandis que le Verbe divin est de même nature que Dieu: Il est quelque chose qui subsiste dans la nature divine.
En effet, le contenu intelligible saisi par
l’intelligence, et que celle-ci forme à partir d’une réalité, ne possède qu’un
être intelligible, dans notre esprit. Or l’acte d’intelligence de l’esprit
n’est pas identique à la nature de l’esprit, parce que l’esprit n’est pas son
opération. C’est pourquoi le verbe que forme notre intelligence n’appartient
pas à l’essence de notre esprit, mais lui est accidentel. Au contraire, en
Dieu, l’acte d’intelligence et l’être sont identiques et c’est pourquoi le
Verbe de l’intelligence divine n’est pas accidentel mais appartient à sa
nature; c’est pourquoi il faut qu’Il soit subsistant, car tout ce qui est dans
la nature de Dieu est Dieu. C’est pour cela que Jean Damascène 15 dit que
"le Verbe substantiel est Dieu et un être ayant une hypostase, tandis
que les autres verbes, les nôtres, sont des qualités de l’âme."
29. D’après ce qui précède, il faut donc affirmer que le mot VERBE, à proprement parler, est toujours pris dans un sens personnel quand il s’agit de Dieu, puisqu’Il ne comporte rien d’autre que ce qui est exprimé par celui dont l’intelligence est en acte.
Il faut dire aussi que le Verbe, en Dieu, est la similitude de Celui dont Il procède; qu’Il est coéternel à Celui dont Il procède, puisqu’Il n’a pas été en formation avant d’être formé mais est toujours en acte; qu’Il est égal au Père, puisqu’Il est parfait et exprime tout l’être du Père; qu’Il est coessentiel et consubstantiel au Père, puisqu’Il subsiste dans sa nature.
De plus, on appelle fils l’être qui, en quelque nature que ce soit, procède d’un autre dont il possède la similitude et la nature. Or le Verbe divin procède du Père dans la similitude de sa nature; Il est donc appelé "Fils", et sa production est une génération.
Voilà maintenant élucidé notre premier point: ce que signifie VERBE.
30. Cependant certaines questions se posent à ce sujet. Ainsi Jean Chrysostome 16 se demande pourquoi Jean l'Evangéliste, sans s’occuper du Père, a commencé aussitôt par le Fils: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE.
A cette interrogation on peut répondre de
deux manières. D’abord, c’est que le Père était connu de tous dans l’Ancien
Testament — bien que ce ne fût pas comme Père mais comme Dieu — tandis que le
Fils était inconnu; et donc, dans le Nouveau Testament, où il s’agit de la
connaissance du Verbe, Jean a commencé par le Fils. On peut dire aussi que
c’est parce que le Fils nous conduit à la connaissance du Père: Père, j’ai
manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés 17. Ainsi, voulant mener les fidèles
à la connaissance du Père, Jean, à juste titre, commence par le Fils, ajoutant
aussitôt au sujet du Père: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU.
31. Jean Chrysostome cette autre question 18 puisque le Verbe procède du Père comme un Fils, ainsi que nous l’avons dit, pourquoi Jean parle-t-il du VERBE et non du "Fils"?
Ici encore, deux réponses sont possibles. D’abord, "fils" veut dire engendré et, en entendant parler de génération d’un fils, nous pourrions penser à la génération que nous connaissons, c’est-à-dire la génération matérielle et soumise au changement. Voilà pourquoi Jean ne dit pas "Fils" mais VERBE — terme qui est essentiellement lié à un processus intellectuel — pour qu’on ne comprenne pas cette génération comme matérielle et soumise au changement. Donc, en montrant que le Fils a été produit par Dieu sans qu’il y ait eu aucun changement, l’Evangéliste supprime par l’emploi du mot "Verbe" toute interprétation pernicieuse.
On peut répondre encore que Jean voulait traiter du Verbe en tant qu’Il était venu pour manifester le Père; or le nom de "Verbe" exprime davantage la manifestation comme telle que celui de "Fils"; c’est pourquoi il s’est servi plutôt du nom de "Verbe".
32. La troisième question est d’Augustin 19. Dans le grec, là où le latin porte verbum, il y a logos. Ce mot grec correspond en latin à ratio [contenu intelligible] et à verbum [verbe]. Pourquoi donc les traducteurs ont-ils choisi verbum et non ratio, puisque ratio signifie quelque chose d’intrinsèque aussi bien que verbum?
Voici la réponse. Il faut dire que ratio,
au sens propre, signifie le concept de l’esprit en tant qu’il est dans l’esprit,
même si quelque chose est produit par lui à l’extérieur; au contraire verbum
comporte un rapport avec l’extérieur. En disant logos, l’Evangéliste ne
voulait pas seulement indiquer le rapport et l’existence du Fils dans le Père,
mais encore la puissance opératrice du Fils par laquelle Lui-même fit toutes
choses. C’est pour cela que les anciens ont traduit par verbum, mot qui
comporte ce rapport à l’extérieur, de préférence à ratio, qui suggère
seulement le concept de l’esprit.
33. La quatrième question est d’Origène 20. La voici en d’assez nombreux passages, l’Ecriture, parlant du Verbe de Dieu, ne dit pas simplement Verbe, mais ajoute de Dieu, en disant: Verbe de Dieu ou du Seigneur. Ainsi elle dit: Le Verbe de Dieu est source de sagesse dans les hauteurs 21 et encore: Et son Nom est: Verbe de Dieu 22. Pourquoi, alors, parlant ici du Verbe de Dieu, l'Evangéliste n’a-t-il pas dit: DANS LE PRINCIPE ETAIT le "Verbe de Dieu", mais seulement LE VERBE?
II faut répondre ainsi: bien qu’il y ait beaucoup de vérités participées, il n’y a cependant qu’une Vérité absolue qui est vérité par son essence: c’est l'Etre divin lui-même. C’est par cette vérité que tout vrai est vrai. De même, il y a une seule Sagesse absolue, élevée au-dessus de tous, la Sagesse divine, et tous les sages sont sages en participant à cette Sagesse. Et encore, il y a un seul Verbe absolu, et quand on dit que tous ceux qui s’expriment possèdent un verbe, c’est en participant au Verbe absolu qu’ils ont ce verbe. Le Verbe absolu est le Verbe divin qui par Lui-même est le Verbe élevé au-dessus de tous les verbes.
Pour signifier cette suréminence du Verbe divin, Jean nous en parle en Le nommant "le Verbe" sans aucune addition. Et parce que l’usage chez les Grecs, quand ils veulent désigner une réalité séparée et élevée, dans l’être, au-dessus de toutes les autres, est de mettre l’article devant le nom qui signifie cette réalité (les Platoniciens, voulant désigner les substances séparées, par exemple le Bien-en-soi, l’Homme-en-soi, les nommaient avec l’article), l’Evangéliste, voulant faire comprendre la transcendance et l’excellence de ce Verbe par-dessus toutes choses, écrivit le mot Logos avec l’article.
DANS
LE PRINCIPE
34. Il faut maintenant examiner le sens de l’expression: DANS LE PRINCIPE.
Origène 23 fait remarquer que le terme "principe" a de nombreux sens. En effet le principe introduit un certain ordre dans les autres et donc, partout où il y a ordre, il y a aussi principe. C’est le cas dans la quantité, où l’on parle alors de commencement du parcours et de la longueur, par exemple de la ligne. On trouve aussi un ordre dans le temps, et alors on parle de commencement du temps ou de la durée. On trouve un ordre dans l’enseignement, et là il faut même distinguer deux ordres différents: selon la nature et par rapport à nous 24. Dans ces deux cas il y a principe. Alors qu’avec le temps, dit l’Epître aux Hébreux, vous devriez être devenus des maîtres, vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments de la Parole de Dieu 25. Ainsi, dans l’enseignement de la doctrine chrétienne, le commencement et le principe de notre sagesse selon l’ordre de nature est le Christ en tant que Sagesse et Verbe de Dieu, c’est-à-dire en tant qu’Il est Dieu. Cependant, par rapport à nous, le principe est le Christ en tant que Verbe fait chair, c’est-à-dire dans son Incarnation. Enfin il y a un ordre dans la production d’une réalité. Là, le principe se prend ou bien du côté de ce qui est fait, et ainsi les fondations sont appelées le principe de la maison; ou bien du côté de celui qui fait, et alors il y a trois principes: celui de l’intention, qui est la fin qui meut celui qui agit; l’idée, qui est la forme dans l’esprit de l’artisan, et [la source] de l’exécution, qui est la puissance à l’oeuvre.
DANS
LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE
Entre ces différentes acceptions du terme "principe", il faut maintenant chercher celle qu’il a ici.
D’abord, "principe" s’entend de la Personne du Fils qui est le principe des créatures en tant que puissance créatrice, et par mode de sagesse, laquelle est l’Idée [Dieu] des choses qui sont faites. C’est pour quoi l’Apôtre dit: Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu et le Seigneur, parlant de Lui-même, déclare: Je suis le Principe, moi qui vous parle 27.
Si l’on entend "principe" en ce sens, l’expression: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE revient à dire: "Dans le Fils était le Verbe". Le sens est alors: le Verbe est principe; on s’exprime alors de la même manière que quand, on dit que la vie est en Dieu, cette vie qui cependant n’est autre que Dieu même. Cette explication est celle d’Origène 28.
Selon Jean Chrysostome 29, l’Evangéliste dit ici DANS LE PRINCIPE pour montrer dès le début de son livre la dignité du Verbe en affirmant qu’Il est le Principe; en effet, de l’avis de tous, le Principe est au sommet de la dignité.
36. Ensuite, on peut considérer que le mot "principe" désigne la Personne du Père parce qu’Il est le Principe, non seulement des créatures, mais encore du Fils. C’est le sens de [la parole adressée au Messie] Avec toi est le Principe au jour de ta force 30. Selon cette acception, DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE équivaut à: Dans le Père était le Fils. C’est l’interprétation d’Augustin 31 et aussi d’Origène 32.
Or on dit que le Fils est dans le Père parce
qu’Il est de la même essence que le Père. En effet, puisque le Fils est sa
propre essence, partout où est l’essence du Fils, là se trouve le Fils; et
puisque l’essence du Fils se trouve dans le Père par leur consubstantialité, il
convient que le Fils soit dans le Père, comme Il l’affirme lui-même: Je suis
dans le Père et le Père est en moi 33.
37. Enfin le terme "principe"
peut être pris au sens de début de la durée. Notre expression signifie alors: "Au
commencement était le Verbe", c’est-à-dire le Verbe existait avant
toutes choses, comme l’expose Augustin 34, et cela indique, comme le disent
Basile 35 et Hilaire 36, l’éternité du Verbe. En effet, dire "Au commencement était le
Verbe", c’est montrer que, quel que soit le commencement de durée que l’on
considère (qu’il s’agisse du temps des réalités corporelles, du siècle des
réalités éternelles, de l’âge du monde entier, ou de n’importe quel
commencement de durée imaginé), à ce commencement le Verbe préexistait déjà.
Hilaire écrit 37: "Traversez les temps, remontez le cours des siècles, ôtez tous
les âges. Mettez ce que vous voudrez comme commencement de vos imaginations: le
Verbe existait déjà, et c’est de Lui qu’était tiré ce commencement." La Sainte Ecriture l’enseigne: Le Seigneur m’a possédée au
commencement de ses voies, avant de faire quoi que ce soit, dès l’origine 38. Or ce
qui est avant le commencement de la durée est éternel.
38. Ainsi, selon la première interprétation, est affirmée la causalité du Verbe; selon la seconde, sa consubstantialité avec le Père; selon la troisième, sa coéternité.
39. Dans cette expression: LE VERBE ETAIT, il faut remarquer que le temps imparfait du verbe semble convenir au plus haut point pour signifier les réalités éternelles, si nous sommes attentifs au mode des réalités qui sont dans le temps. En effet, par le futur on ne dit pas encore que la réalité est en acte; par le présent au contraire, on dit qu’elle est en acte, mais on n’indique pas qu’elle a été. Quant au passé, il indique que quelque chose a existé et est désormais terminé et a cessé d’être, tandis que l’imparfait indique que quelque chose a été et n’est pas encore terminé ni n’a cessé d’être, mais demeure encore. Aussi, toutes les fois qu’il s’agit d’une réalité éternelle, Jean dit était; s’il parle d’une réalité temporelle, il dit, comme on le verra plus loin, a été, ou fut.
Cependant le temps présent en tant que tel
convient par excellence pour désigner l’éternité, parce qu’il indique que la
réalité est en acte, ce qui convient toujours aux réalités éternelles. Voilà
pourquoi le Seigneur a dit: Je suis celui qui suis 39, et Augustin remarque que seul
est véritablement celui dont l’être ne connaît ni passé ni futur 40.
40. Il importe aussi de
considérer que, d’après la Glose, ce verbe "était" n’est pas
pris ici pour signifier le mouvement temporel à la manière des autres verbes,
mais pour affirmer l’existence de la réalité, et c’est pourquoi on l’appelle "verbe
substantif".
41. On peut se demander pourtant comment le Verbe, engendré par le Père, peut lui être coéternel. En effet, chez les hommes, le fils engendré par un père vient après lui. A cela il faut répondre qu’il y a trois raisons pour lesquelles le principe qui est à l’origine d’une réalité se trouve antérieur à celle-ci par la durée.
En premier lieu, lorsque le principe précède dans le temps l’action par laquelle il produit la réalité dont il est le principe; par exemple, un homme ne se met pas à écrire dès qu’il existe et c’est pourquoi il est antérieur à son écriture.
Ensuite, lorsque l’action comporte une succession. Alors, même si l’action commence à exister avec l’agent, son terme est cependant postérieur à l’agent. Ainsi, dès que du feu est produit ici-bas, il commence à s’élever. Cependant le feu existe avant d’être élevé parce que le mouvement par lequel il s’élève est mesuré par un certain temps.
Le troisième cas est celui où la volonté du principe détermine le début de la durée de ce qui est issu du principe. Il en va ainsi de la créature: le commencement de sa durée est déterminé par la volonté de Dieu; aussi Dieu est-Il antérieur à la créature.
Or aucun de ces cas ne se trouve réalisé dans la génération du Verbe divin. D’abord l’existence en Dieu n’a pu précéder la génération de son Verbe; car, cette génération n’étant rien d’autre qu’une conception intellectuelle, il s’ensuivrait que Dieu aurait eu son intelligence en puissance avant de l’avoir en acte, ce qui est impossible. De même, il n’est pas possible que la génération du Verbe implique une succession, car le Verbe divin aurait été d’abord informe avant d’être formé, comme cela arrive en nous qui formons nos verbes par un mouvement de la raison; or cela est faux, comme on l’a dit. Enfin on ne peut dire que le Père aurait par un acte de volonté fixé un commencement de durée à son Fils, car le Père n’engendre pas son Fils par ia volonté comme le pensent les Ariens, mais par sa nature. En effet Dieu le Père conçoit le Verbe en se saisissant naturellement Lui-même par son intelligence, et c’est pourquoi Dieu le Père n’a pas existé avant le Fils.
Il en va semblablement du feu. Aussitôt qu’il existe le feu a une lumière dont procède — non pas successivement mais immédiatement, non pas par une vo1ont mais naturellement — un éclat ou une splendeur; et donc aussitôt qu’il y a feu, il y a splendeur et c’est pour quoi, si le feu était éternel, sa splendeur lui serait coéternelle. C’est pour cette raison que le Fils est appelé, dans l’Epître aux Hébreux, splendeur du Père: Lui qui est la splendeur de sa gloire 41. Mais dans cette similitude manque la connaturalité et c’est pourquoi nous appelons le Verbe Fils, bien que pour nos fils à nous manque la coéternité. Nous ne pouvons en effet parvenir à la connaissance des réalités divines qu’au moyen de nombreuses similitudes avec les réalités sensibles, parce qu’une seule ne peut suffire. Le livre du Concile d’Ephèse le dit: "Que le Fils coexiste toujours avec le Père," le mot "splendeur" doit te l’indiquer; le nom de "Verbe" est là pour montrer l’absence de changement dans sa naissance; quant au nom de "Fils", il est là pour faire saisir la consubstantialité" 42.
42. Nous donnons donc au Fils des noms divers pour exprimer de manières diverses sa perfection, perfection qu’un seul nom ne peut traduire. Nous le nommons Fils pour montrer sa connaturalité avec le Père, Image pour montrer qu’Il Lui est absolument semblable, Splendeur pour montrer sa coéternité, Verbe pour montrer sa génération immatérielle.
II
ET
LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU [lb]
43. Dans cette seconde affirmation du texte de Jean, il nous faut d’abord chercher le sens des deux mots que l’Evangéliste n’avait pas employés dans la première affirmation: DIEU et AUPRES DE. Nous avons déjà précisé ce qu’est le VERBE de Dieu et ce qu’est le PRINCIPE; poursuivons avec soin en cherchant les significations de DIEU et de AUPRES DE afin de mieux expliquer cette affirmation de Jean.
DIEU
44. Il faut savoir que le nom DIEU signifie la divinité, mais dans un sujet et une réalité concrète; quant au nom déité, il signifie la divinité abstraitement et d’une manière absolue, et c’est pourquoi il ne peut être employé — en raison même de sa signification naturelle et de sa manière de signifier — pour désigner une Personne divine, mais seulement la nature divine. Au contraire le nom "Dieu" — en raison même de sa signification naturelle et de sa manière de signifier — peut être employé pour désigner n’importe quelle Personne divine, de même que nous utilisons le mot "homme" pour désigner un sujet de l’humanité. Aussi, partout o le sens de la phrase, ou le prédicat, exigent que le nom "Dieu" s’entende d’une Personne, alors certainement il désigne une Personne, comme lorsque nous disons:
"Dieu engendre Dieu". Ainsi, quand l’Evangéliste dit ici AUPRES DE DIEU, parce que auprès de est une préposition signifiant la distinction du Verbe Lui-même, qui cependant ne doit pas être distingué de la nature du Père AUPRES DE qui Il est, mais de la première Personne seulement par relation d’origine, il faut que DIEU ici désigne la Personne du Père. L’Evangéliste donc, lorsqu’il dit DIEU, signifie la Personne du Père.
AUPRES
DE
45. A propos de la préposition auprès de, il faut savoir qu’elle signifie, pour la réalité dont on parle en premier lieu, le fait d’être conjointe à la réalité intro duite indirectement par la préposition. Il en est de même pour la préposition dans, avec cette différence que la préposition dans implique le fait d’être conjoint de l’intérieur, et auprès de le fait l'être conjoint pour ainsi dire de l’extérieur. Ces deux expressions se disent au sujet de Dieu: le Fils est dans le Père et Il est auprès du Père. Le fait d’être conjoint de l’intérieur, pour les Personnes divines, se rapporte à la consubstantialité; le fait d’être conjoint de l’extérieur — qu’on nous permette de parler ainsi, malgré l’impropriété de l’expression "de l’extérieur" quand il s’agit des réalités divines — ne se rapporte qu’à la distinction des Personnes, puisque le Fils ne se distingue du Père que personnellement. Et c’est pourquoi les deux prépositions signifient la consubstantialité dans la nature et la distinction des Personnes: la consubstantialité en tant qu’elles impliquent une certaine conjonction, la distinction des Personnes du fait qu’elles signifient une certaine séparation, comme on l’a dit plus haut 43.
Mais dans désigne principalement la
consubstantialité en tant qu’elle implique cette conjonction de l’intérieur, et
la distinction des Personnes seulement comme conséquence, toute préposition
impliquant un rapport entre deux réalités distinctes. Quant à la préposition
auprès de, elle désigne certes la consubstantialité en tant qu’elle implique
une certaine conjonction, mais elle désigne plus principalement la distinction
des personnes en tant qu’elle implique une conjonction en quelque manière
extérieure. Aussi l’Evangéliste, en ce passage, s’est-il servi de préférence de
la préposition auprès de pour exprimer la distinction personnelle du Fils à
l’égard du Père. Il a dit: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, c’est-à-dire le
Fils auprès du Père comme une personne auprès d’une autre.
46. Cependant il faut savoir que la préposition auprès de implique quatre significations, grâce aux quelles nous repousserons quatre objections.
En effet, cette préposition signifie d’abord, pour celui dont on dit qu’il est auprès de quelque chose, le fait de subsister. En effet on ne peut dire proprement que la blancheur est auprès du corps puisqu’elle ne subsiste pas; mais l’homme étant une réalité subsistante, on dit proprement que l’homme est auprès d’un autre homme. C’est pourquoi on ne peut dire au sens propre qu’une réalité est auprès d’une autre que lorsqu’il s’agit d’une réalité subsistante.
En second lieu, auprès de signifie indirectement l’autorité. En effet, il serait impropre de dire que le roi se trouve auprès du soldat, mais on dira que le soldat se trouve auprès du roi.
En troisième lieu, cette préposition implique une distinction. Il est impropre en effet de dire que quel qu’un se trouve auprès de lui-même, mais un homme est auprès d’un autre.
Enfin, auprès de signifie le fait d’être conjoint et d’être en communion. Quand nous disons de quelqu’un qu’il est auprès d’un autre, nous suggérons entre les deux le fait d’être en communauté.
Ces conditions impliquées par la signification de la préposition auprès de montrent l’à-propos avec lequel l'Evangéliste a joint l’affirmation ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU à la précédente: DANS LE PRIN CIPE ETAIT LE VERBE. En effet, mise à part l’une des trois interprétations de l’affirmation DANS LE PPJN CIPE ETAIT LE VERBE — celle où par "Principe" on entend le Fils —, les deux autres, celle où DANS LE PRINCIPE signifie "avant toutes choses" et celle ou "Principe" est mis pour le Père, donnent lieu chacune à deux objections de la part des hérétiques, soit quatre en tout, auxquelles nous pouvons répondre au moyen de ces quatre conditions impliquées par la préposition
AUPRES
DE.
47. Voici la première difficulté: Tu dis que le VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, c’est-à-dire avant toutes choses; mais avant toutes choses il n’y avait rien; où donc était le Verbe s’Il était avant toutes choses?
Cette objection provient de l’imagination de
ceux qui se figurent que tout ce qui existe existe quelque part et dans un
lieu. Mais Jean l’exclut en disant AUPRES DE DIEU, expression qui désigne le
fait d’être conjoint, selon la dernière des conditions rapportées plus haut.
C’est ainsi que l’entend Basile 44: Où donc était le Verbe? L’Evangéliste répond AUPRES DE DIEU,
c’est-à-dire non dans quelque lieu, puisqu’il n’est pas possible de L’enfermer
dans des limites, mais AUPRES DU Père qui Lui-même n’est ni contenu dans un
lieu, ni circonscrit d’aucune manière.
48. La seconde question des hérétiques est la suivante: Tu dis que LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, c’est-à-dire avant toutes choses. Mais ce qui est avant toutes choses ne procède pas de quelque chose; ce Verbe ne procède donc pas d’un autre.
Cette objection est réfutée par les paroles:
ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, où l’on entend AUPRES DE selon la deuxième
signification, celle qui comporte autorité. Voici alors le sens, selon Hilaire 45: Par
qui est le Verbe s’Il est avant toutes choses? L’Evangéliste répond: LE VERBE
ETAIT AUPRES DE DIEU, ce qui revient à dire: bien qu’Il n’ait pas de
commencement de durée, le Verbe ne manque cependant pas d’un Auteur; en effet,
IL ETAIT AUPRES DE DIEU comme auprès de son Auteur.
49. La troisième question se rapporte à l’autre interprétation, celle où" Principe" s’entend du Père. La voici: Tu dis DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, c’est-à-dire dans le Père était le Fils. Mais ce qui est dans un autre ne subsiste pas; ainsi la blancheur qui est dans un corps ne subsiste pas par elle-même. Le Verbe n’est donc pas subsistant ni hypostase.
Cette objection se résout par les paroles: LE
VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, en prenant AUPRES DE selon la première
signification, qui comporte la subsistance dans la réalité dont on parle en
premier lieu. C’est pourquoi, selon Chrysostome 46, le sens est le suivant: Le Verbe
était DANS LE PRINCIPE, non comme un accident, mais Il était AUPRES DE DIEU,
comme subsistant et hypostase.
50. Et voici la dernière question: Tu dis que LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, c’est-à-dire dans le Père. Or ce qui est dans un autre n’est pas distinct de lui; donc le Fils n’est pas distinct du Père.
Mais cette objection se réfute par l’affirmation: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, en donnant à AUPRES DE le sens de sa troisième signification, selon laquelle cette préposition suppose la distinction des Personnes. Le sens devient alors, selon Alcuin et Bède: LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, c’est-à-dire, Il était DANS le Père par consubstantialité de nature, de telle sorte qu’Il est cependant AUPRES DE DIEU, c’est-à-dire du Père, par la distinction des Personnes.
51. Ainsi, cette affirmation ET
LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU montre, selon Basile, le fait, pour le Verbe,
d’être conjoint au Père dans la nature; selon Alcuin et Bède, la distinction
des Personnes; selon Jean Chrysostome, la subsistance du Verbe dans la nature
divine; selon Hilaire, l’autorité de Principe dans le Père à l’égard du Fils.
52. Origène 47 fait remarquer enfin que la parole: LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU montre que le Fils a toujours été auprès du Père. En. effet, dans l’Ancien Testament on lit, en de nombreux passages, que le Verbe, la Parole du Seigneur, a été adressé à Jérémie ou à un autre, mais on n’y lit pas que le Verbe de Dieu était auprès de Jérémie. En effet, ceux à qui la parole de Dieu est adressée commencent à la recevoir, et donc ils ne l’avaient pas auparavant. C’est pourquoi l’Evangéliste ne dit pas: LE VERBE a paru auprès de Dieu, mais ETAIT AUPRES DE DIEU, parce que, depuis que le Père existait, le Verbe était auprès de Lui.
III
ET
LE VERBE ETAIT DIEU.
53. Voici la troisième
affirmation de Jean. Elle vient parfaitement dans la suite de son enseignement:
en effet, il a dit quand était le Verbe et en qui Il était; il lui restait à
s’enquérir de ce qu’Il était, ce à quoi il il répond en disant: ET LE VERBE
ETAIT DIEU.
54. Mais, dira-t-on, il faut chercher à propos d’une chose ce qu’elle est, avant de s’enquérir de son lieu et de son temps; il semble donc que Jean ait renversé cet ordre en faisant connaître en premier lieu OU est le Verbe et QUAND Il existe.
A cette difficulté Origène 48 répond
par une distinction: dire que le Verbe de Dieu est auprès d’un homme, ou dire
qu’Il est AUPRES DE DIEU, n’a pas le même sens. Il est auprès d’un homme pour
le rendre parfait, car le Verbe de Dieu rend l’homme sage et fait de lui un
prophète — La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des
amis de Dieu et des prophètes 49 — ce qui veut dire que le Verbe illumine les prophètes par la
lumière de la Sagesse. Mais on ne dit pas que le VERBE EST AUPRES DE DIEU comme
s’Il donnait au Père sa perfection et sa splendeur; au contraire, le VERBE EST
AUPRES DE DIEU de telle sorte qu’Il reçoit et obtient du Père d’être Dieu; et
ainsi, c’est du fait qu’Il EST AUPRES DE DIEU, que le VERBE EST DIEU et c’est
pourquoi il était nécessaire de montrer d’abord que le Verbe était DANS le Père
et AUPRES du Père avant de dire qu’Il ETAIT DIEU.
55. D’autre part, cette expression LE VERBE ETAIT DIEU répond bien à deux questions qui surgissent des développements précédents. L’une vient du nom "Verbe". La voici: Tu dis que le VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE et AUPRES DE DIEU. Mais il est clair que le terme de "verbe", selon l’usage courant, signifie soit un certain mot, soit l’énonciation de ce qui est nécessaire, soit enfin la manifestation des mouvements de la raison; or ces verbes passent et ne subsistent pas, et l’on pourrait donc croire qu’il en est de même pour le Verbe dont parle l’Evangéliste.
Mais cette question est résolue par Hilaire 50 de la manière suivante: ce qui a été dit plus haut exclut l’objection parce que, lorsque l’Evangéliste dit DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, il est manifeste que "verbe", ici, n’est pas pris au sens du langage parlé; en effet le langage n’étant que dans un mouvement, on ne pourrait dire: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE.
De plus, en disant ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, Jean donne à entendre la même idée. En effet la différence est assez claire entre être dans [un sujet] et être vers [un autre]. Notre verbe humain, parce qu’il ne subsiste pas, n’est pas vers nous, mais il est en nous. Au contraire le Verbe de Dieu subsiste et c’est pourquoi Il est vers le Père. Voilà pourquoi l’Evangéliste dit de manière précise LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU 51 et, pour ôter tout prétexte à objection, il dit ensuite le nom et l’être du Verbe: ET LE VERBE ETAIT DIEU.
56. Une autre difficulté vient de l’expression AUPRES DE DIEU. Puisque AUPRES DE implique distinction [deux réalités], on pourrait croire que LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, c’est-à-dire du Père, comme distinct de Lui en nature. Aussi, pour exclure cette erreur, l’Evangéliste ajoute aussitôt la consubstantialité du Verbe avec le Père: ET LE VERBE ETAIT DIEU, ce qui revient à dire: Il n’est pas distinct de la nature divine, mais le Verbe est Dieu Lui-même.
57. On doit remarquer aussi la manière
spéciale dont l’Evangéliste s’exprime. Il dit LE VERBE ETAIT DIEU, utilisant le
terme "Dieu" sans aucune adjonction. Il veut montrer par là
que le Verbe n’est pas Dieu à la manière dont il est dit dans l’Ecriture que
les créatures sont Dieu, mais qu’Il l’est purement et simplement et de manière
absolue. En effet, bien que la Sainte Ecriture dise parfois d’une créature
qu’elle est Dieu, cette attribution y est toujours soulignée par certaines
additions. Ainsi Dieu dit à Moïse J’ai fait de toi le dieu de Pharaon 52 pour
indiquer à Moïse qu’il n’était pas Dieu, purement
et simplement, comme l’est le Verbe de Dieu, mais qu’il était donné comme dieu
au Pharaon pour le punir et libérer les fils d’Israël. De même, Dieu dit: J’ai
dit: Vous êtes des dieux 53 par le titre que je vous ai donné, non en réalité; car autre chose
est être donné comme dieu et appelé dieu, autre chose être Dieu. Aussi le Verbe
est-Il DIEU, sans adjonction, parce qu’Il est Dieu par son essence, et non par
participation comme le sont les hommes ou les anges.
58. Il est bon de savoir qu’Origène s’est honteusement trompé au sujet de cette affirmation, et que c’est la manière grecque de s’exprimer qui occasionna son erreur. L’usage en grec, pour signifier une certaine distinction, est de mettre l’article devant le nom. Aussi, dans le texte grec de l’Evangile de Jean, aux passages: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE et LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, les mots qui signifient "Verbe" et "Dieu" sont précédés de l’article, pour signifier la pré émir et la différence du Verbe par rapport aux autres verbes, ainsi que l’autorité de principe du Père dans la divinité. C’est pourquoi, dans le passage suivant LE VERBE ETAIT DIEU, le mot "Dieu" étant sans article dans le grec, Origène 54 en a conclu — et là il blasphème — que le Verbe n’était pas Dieu par essence, bien qu’Il soit essentiellement Verbe, mais seulement par participation. Seul le Père serait Dieu par essence. Ainsi, Origène affirmait le Fils inférieur au Père.
59. Mais cela n’est pas vrai et Jean Chrysostome 55, pour le prouver, s’appuie sur deux textes de l’Apôtre montrant que le Christ est "le grand Dieu". D’abord un passage de l'Epître à Tite: Attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus 56. Puis un passage de l’Epître aux Romains: D’eux [les Patriarches] est issu selon la chair le Christ, qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement 57. En outre, en de nombreux passages, dans le grec, on n’appose pas l’article au nom "Dieu" quand il désigne le Père. De plus Jean a écrit: Nous sommes dans son vrai Fils, le Christ Jésus: Il est le vrai Dieu et la Vie éternelle 58. Le Christ est donc le vrai Dieu, et non Dieu par participation, et ce qu’Origène a imaginé est manifestement faux.
La raison pour laquelle l'Evangéliste n’a pas mis l’article à ce terme "Dieu", Jean Chrysostome 59 nous la donne. Jean avait déjà deux fois nommé Dieu avec l’article; il n’était pas nécessaire de le mettre une troisième fois, il était sous-entendu.
On peut dire encore — et c’est mieux — qu’ici le terme "Dieu" est attribut et pris formellement. C’est d’ailleurs l’usage de ne pas mettre l’article devant les noms employés comme attributs, puisque l’article indique une distinction. Si au contraire le mot "Dieu" était alors sujet, il serait mis pour n’importe quelle Personne divine: le Père, le Fils ou l’Esprit Saint; et alors, en grec, il serait employé ici sans aucun doute avec l’article.
IV
IL
ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU.
60. Voici maintenant la quatrième affirmation. Jean la pose à cause de la précédente. En effet, de cette proposition: LE VERBE ETAIT DIEU, ceux qui ne pensent pas avec vérité pouvaient tirer deux erreurs. L’une est celle des païens, l’autre celle des Ariens.
Les païens en effet affirment une pluralité et une diversité de dieux. Contre cela le Seigneur dit: Ecoute, Israël!, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 60. Ils affirment aussi entre les dieux des volontés contraires. C’est ainsi que leurs fables racontent le combat de Jupiter et de Saturne et que les Manichéens imaginent deux principes contraires. Donc, comme Jean avait dit LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU et LE VERBE ETAIT DIEU, les païens pouvaient mettre en avant ces expressions pour soutenir leur erreur en y entendant qu’autre serait le Dieu auprès duquel se trouverait le Verbe, et autre le Verbe lui-même, qui serait d’une volonté différente ou contraire, ce qui s’oppose à l’enseignement de l’Evangile. Pour empêcher cette erreur, Jean dit: IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Selon Hilaire cela revient à dire: j’affirme que le Verbe est Dieu, ce qui ne signifie pas qu’Il possède une divinité séparée, mais qu’Il est AUPRES DE DIEU, donc dans l’unique nature en laquelle est Dieu. De même l'Evangéliste a dit: ET LE VERBE ETAIT DIEU, mais pour qu’on ne comprenne pas que le Verbe et le Père auraient des volontés contraires, il ajoute: LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, c’est-à-dire auprès du Père, non divisé de Lui, non contraire, mais ayant avec Lui unité de nature et accord de volonté. Et cette union se fait par la communion de la nature divine dans les trois Personnes et par le noeud de l’Amour du Père et du Fils.
61. Quant aux Ariens 62, ils affirment que le Fils est moindre que le Père, à cause de ces paroles de Jésus: Le Père est plus grand que moi 63. Ils disent en effet que le Père est plus grand que le Fils par l’éternité et par la divinité de sa nature 64.
62. Cette erreur se réfute
ainsi: Il y a, propres au "grand Dieu", deux attributs
qu’Arius ne donne qu’au Père: ce sont l’éternité et la toute-puissance. Par
conséquent, quiconque possède ces deux attributs est "le grand
Dieu" et aucun n’est plus grand. Or l’Evangéliste les donne au Verbe;
le Verbe est donc "le grand Dieu" et Il n’est donc pas moindre
que le Père. En effet, Jean affirme l’éternité du Verbe par ces paroles: IL
ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, Lui, le Verbe, de toute éternité et non
pas seulement au commencement des créatures comme Arius pouvait le comprendre
du fait qu’il est dit: AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE. D’autre part
l’Evangéliste [attribue] la toute-puissance au Verbe par les paroles suivantes: Tout a été
fait par Lui 65.
63. Origène 66 explique cette affirmation d’une manière assez belle. Pour lui, elle ne dit rien d’autre que les trois précédentes. En effet nous avons coutume, lors que nous avons suffisamment traité d’une matière et que nous passons à une autre, de résumer au terme, en guise de conclusion, ce qui a été dit, avant de passer à autre chose. C’est pourquoi, après avoir exposé la vérité sur l’être du Fils, l’Evangéliste, qui va mainte nant faire connaître sa puissance, rassemble dans cette unique affirmation, comme en un résumé servant de conclusion, ce qu’il avait dit dans les trois premières. Ainsi quand il dit: IL, Jean reprend la troisième; avec ETAIT DANS LE PRINCIPE, il reprend la première; enfin, avec AUPRES DE DIEU, il rappelle la seconde, afin que l’on comprenne, non pas qu’il y avait un Verbe qui était dans le Principe et un autre qui était Dieu, mais que ce VERBE qui était Dieu, ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU.
CONCLUSION
64. Une réflexion judicieuse sur ces quatre affirmations montrera donc clairement qu’elles renversent toutes les erreurs des hérétiques et des philosophes.
Certains hérétiques, comme Ebion et Cérinthe 67, prétendirent que le Christ n’avait pas existé avant la Vierge Marie. Le disant pur homme, ils soutinrent qu’Il avait tiré d’elle le principe de sa durée, et que ce n’est qu’ensuite qu’Il avait mérité la divinité par ses bonnes actions Photin et Paul de Samosate 68 les suivirent sur ce point.
Ces erreurs sont réfutées par l’Evangéliste quand il dit: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, c’est-à-dire avant toutes choses et dans le Père de toute éternité. Il n’a donc pas tiré son origine de la Vierge Marie.
Quant à Sabellius 69, il admettait bien que Dieu qui a pris la chair n’a pas tiré son origine de la Vierge Marie, mais qu’Il a existé de toute éternité; cependant il disait que la Personne du Père, qui est de toute éternité, n’est pas autre que celle du Fils qui a pris la chair de la Vierge Marie. Pour lui, le Père et le Fils étaient le même; ainsi il défigurait la Trinité des Personnes divines. Contre cette erreur l'Evangéliste a dit: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, le Fils auprès du Père, comme une Personne auprès d’une autre.
Eunome 70, par contre, nie toute ressemblance entre le Père et le Fils; mais la suite de l’Evangile le réfute par ces mots: ET LE VERBE ETAIT DIEU. Si en effet le Verbe est auprès de Dieu, c’est-à-dire du Père, et si le Verbe est Dieu, c’est-à-dire si le Fils est Dieu, le Fils est donc semblable au Père.
Arius 71 enfin disait le Fils moindre que le Père, comme on l’a vu; l’Evangéliste exclut cela en ajoutant ces mots: IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, que nous avons expliqués tout à l’heure.
65. Le texte évangélique repousse encore toutes les opinions fausses des philosophes. En effet certains des philosophes les plus anciens, les "Physiciens", affirmaient que le monde n’a pas son origine dans une Intelligence, qu’il n’est pas le résultat d’une Idée, mais du hasard. En conséquence ils ne mettaient au principe, comme cause des réalités, ni Idée, ni h mais seulement une matière indéterminée: des atomes pour Démocrite ou, pour d’autres, des principes matériels de ce genre. Contre ces philosophes on lit dans l’Evangile: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, de qui, et non du hasard, les choses ont reçu leur principe.
Quant à Platon, il a fait des Idées de toutes les choses réalisées des Etres séparés, subsistant dans leurs propres n et par la participation desquels les réalités matérielles existaient. Pour lui, par exemple, c’est par "l’Idée" d’homme, "Idée" séparée qu’il appelait "l’Homme-en-soi", que les hommes étaient. Aussi, pour éviter que l’Idée par laquelle toutes choses ont été faites, tu ne la comprennes comme une Idée séparée de Dieu, comme le soutenait Platon, l’Evangéliste a ajouté: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU.
D’autres Platoniciens, comme le rapporte Jean Chrysostome, imaginaient un Dieu Père, suréminent et premier, et plaçaient au-dessous de Lui une Intelligence dans laquelle ils disaient qu’étaient les Similitudes et les Idées de toutes les choses. Pour empêcher donc une [1-2] telle interprétation, selon laquelle le Verbe serait auprès du Père mais en dessous de Lui, et moindre que Lui, l’Evangéliste a ajouté: ET LE VERBE ETAIT DIEU.
Quant à Aristote, il a bien placé en Dieu les
Idées de toutes les choses et affirmé qu’en Dieu l’intelligence, celui dont
l’intelligence est en acte et ce qui est saisi par l’intelligence ne font
qu’un. Cependant il a dit que le monde était coéternel à Dieu. Contre cette
opinion nous avons la parole de l’Evangéliste: IL, c’est-à-dire le Verbe, ETAIT
AUPRES DE DIEU, de telle sorte que ce IL n’exclut pas une autre Personne mais
une autre nature coéternelle.
66. Remarquons encore dans ces
affirmations de Jean une différence entre cet Evangéliste et les autres: il
commence son Evangile d’une manière plus élevée. En effet, ils ont annoncé le
Christ Fils de Dieu, né dans le temps: Comme Jésus était né à Bethléem... 72. Jean,
lui, affirme qu’Il a existé de toute éternité: DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE 73. Les autres rapportent
son apparition subite parmi les hommes: Maintenant, ô Maître souverain, tu peux
laisser s’en aller ton serviteur en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu
ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour
éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. Mais Jean dit qu’Il a
toujours été auprès du Père: ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU. Les autres
l’appellent homme: Les foules glorifièrent Dieu qui avait donné un tel pouvoir
aux hommes 75. Mais Jean affirme que Jésus est Dieu: ET LE VERBE ETAIT DIEU. Les
autres ont dit qu’Il avait vécu au milieu des hommes: Tandis que les disciples
se trouvaient en Galilée, Jésus leur dit... 76. Mais Jean affirme qu’Il a
toujours été auprès du Père: IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU.
67. Remarquons enfin que
l’Evangéliste répète à dessein quatre fois ce verbe ETAIT pour montrer que le
Verbe de Dieu transcende tous les temps, présent, passé et futur, autrement dit
qu’Il est au-delà du temps, passé, présent ou futur, comme le dit la Glose sur
ce passage.
68. Après nous avoir parlé de l’être et de la nature du Verbe divin, autant qu’il est possible de les exprimer, l'Evangéliste poursuit en montrant sa puissance et son opération: sa puissance d’abord à l’égard de tout ce qui vient à l’être [c'est l’objet de cette leçon], puis spécialement à l’égard des hommes [ce sera l’objet de la suivante: n° 95].
Sur la puissance du Verbe à l’égard de tout ce qui vient à l’être, Jean se sert de trois propositions que nous ne ponctuons pas pour le moment puisqu’il faudra les séparer selon les diverses manières de les comprendre.
I
TOUT
A ETE FAIT PAR LUI
69. L’Evangéliste introduit cette première affirmation pour montrer trois choses au sujet du Verbe de Dieu.
En premier lieu, selon Chrysostome In Ioanneni hom., 5, ch. 3, PG 59, col. 56, l’égalité du Verbe avec le Père. Comme nous l’avons dit plus haut Mt 17, 22, Jean avait exclu l’erreur d’Arius en montrant la coéternité du Fils et du Père, par ces paroles: IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Il exclut ici la même erreur, mais cette fois en montrant la toute-puissance du Fils, en disant: TOUT A ETE FAIT PAR LUI. En effet, être le principe de tout ce qui a été fait, c’est le propre du Dieu grand et tout-puissant. Tout ce que le Seigneur a voulu, Il l’a fait au ciel et sur la terre 3. Donc le Verbe, par qui tout a été fait, est "le grand Dieu", égal au Père.
70. En second lieu, selon
Hilaire 4, l’affirmation de l’Evangéliste montre la coéternité du Verbe avec
le Père. En effet, parce que Jean a dit précédemment AU COMMENCEMENT ETAIT LE
VERBE, on pourrait dire qu’Il a été au commencement des créatures et que
cependant il y a eu un temps, avant les créatures, où le Verbe n’était pas.
C’est pour exclure cette interprétation que l’Evangéliste a dit: TOUT A ETE
FAIT PAR LUI. Si tout [été fait par le Verbe], le temps aussi a été fait par lui. D’où l’argument: si tout temps
a été fait par Lui, aucun temps n’a été avant Lui, et Lui-même n’a pas été dans
un temps ni n’a commencé d’être dans un siècle; Il a donc été, de toute
éternité, coéternel au Père.
71. En troisième lieu, selon Augustin 5, l’affirmation de l’Evangéliste montre la consubstantialité du Verbe avec le Père. En effet, si TOUT A ETE FAIT par le Verbe, on ne peut dire que le Verbe Lui-même ait été fait: car s’Il a été fait, il faut qu’Il ait été fait par un Verbe, puisque TOUT A ETE FAIT par le Verbe. Il faut donc qu’il y ait un autre Verbe, par lequel le Verbe dont nous parlons, ait été fait. Mais ce Verbe-là, par qui celui ci a été fait, je dis qu’Il est le Fils unique de Dieu par qui TOUT A ETE FAIT; or si ce Verbe, par qui TOUT
A ETE FAIT, n’a pas été fait, Il n’est pas une créature; et s’Il n’est pas une créature, il est nécessaire de dire qu’Il est de la même substance que le Père, puisque toute substance, excepté l’essence divine, a été faite. En effet, une substance qui n’est pas une créature, est Dieu. Donc le Verbe par qui TOUT A ETE FAIT est consubstantiel au Père, puisqu’Il n’a pas été fait et n’est pas une créature.
72. Par l’affirmation de
l'Evangéliste: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, nous connaissons donc l’égalité du
Verbe avec le Père, selon Chrysostome; sa coéternité, selon Hilaire; et sa
consubstantialité, selon Augustin.
73. Il faut ici prendre garde à trois erreurs. En premier lieu, l’erreur de Valentin. Ces paroles de l’Evangéliste: TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, furent comprises par Valentin comme si le Verbe avait été pour le Créateur la cause pour laquelle Il aurait créé le monde, de telle sorte que tout serait dit fait par le Verbe, comme si le fait que le Créateur de ce monde visible ait créé ce monde, venait du Verbe. Il semble du reste que cela revienne à l’opinion de ceux qui affirmaient que Dieu a fait le monde pour une cause qui lui est extérieure; ce qui contredit l’Ecriture: LE SEIGNEUR A FAIT TOUTES CHOSES POUR LUI-MEME 6. Mais [ce que dit Valentin ici] est faux. En effet, comme le dit Origène, si le Verbe avait été pour le Créateur une cause lui donnant matière à créer le monde, l'Evangéliste n’aurait pas dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, mais à l’inverse: "Tout a été fait par le Créateur à cause du Verbe."
74. Il faut, en second lieu,
éviter l’erreur d’Origène 7 qui, en lisant TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comprend que l’Esprit aussi
est du nombre de toutes ces réalités faites par le Verbe, d’où il suit, et
c’est ce que dit aussi Origène, que l’Esprit Saint est Lui-même une créature.
Cela est hérétique. L’Esprit Saint, en effet, a la même gloire, la même
substance et la même dignité que le Père et le Fils: De toutes les nations
faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint
Esprit; et: Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le
Verbe et l’Eprit Saint, et ces trois sont un 8. Donc, lorsque l’Evangéliste dit
TOUT A ETE FAIT PAR LUI, par ce mot TOUT, il ne faut pas comprendre: TOUT
absolument A ETE FAIT PAR LUI, mais seulement ce qui appartient au genre des
créatures, des réalités faites. C’est comme si Jean disait: TOUT ce qui a été
fait A ETE FAIT PAR LUI. Autrement, si on comprend "tout" d’une
manière absolue, le Père aussi aurait été fait par Lui, ce qui est faux. Donc,
ni le Père, ni ce, qui est consubstantiel au Père, n’a été fait par le Verbe.
75. Il faut encore éviter une autre erreur du même Origène 9. Tout, a-t-il prétendu, a été fait PAR le Verbe, à la façon dont une chose est faite par quelqu’un de supérieur au moyen d’un autre qui lui est inférieur, comme si le Fils par qui TOUT A ETE FAIT était inférieur au Père, et son instrument. Mais cela est faux et n’est même pas cohérent, parce que dans l’Ecriture nous lisons, non seulement que certaines choses ont été faites par le Fils, mais encore par le Père. L’Apôtre dit en effet [en parlant du Père]: Dieu est fidèle, par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils 10. Si donc nous avons été appelés par le Père à la communion de son Fils et si celui par qui quelque chose est fait a un agent qui lui est supérieur, le Père aussi aura donc quelqu’un qui lui sera supérieur. Or cela est faux. Donc il est faux que le Fils par qui TOUT A ETE FAIT soit moindre que le Père.
76. Pour rendre cette vérité plus manifeste, il faut savoir ceci: quand on dit que "quelque chose est fait par quelqu’un", la préposition par implique indirectement une causalité qui a rapport à l’opération, mais de diverses manières. En effet, puisque l’opération, selon notre manière de la saisir, est intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré — par exemple, lorsque je dis: le bâtisseur bâtit par la hache, l’opération est regardée comme intermédiaire entre celui qui opère et ce qui est opéré —, l’opération peut être considérée de deux manières: soit comme provenant de celui qui opère, soit comme se terminant à ce qui est opéré. La préposition par signifie donc la cause de l’opération tantôt en tant qu’elle provient de celui qui opère, tan tôt en tant qu’elle se termine à ce qui est opéré.
La préposition par signifie la cause de l’opération en tant qu’elle provient de celui qui opère, quand ce qui est ainsi désigné par cette proposition est, pour celui qui opère, cause efficiente ou cause formelle qu’il opère. Cause formelle: par exemple, puisque le feu chauffe par la chaleur, la chaleur est cause formelle du feu, en ce sens qu’elle est ce par quoi le feu chauffe. Cause motrice, ou efficiente: par exemple, si je dis que le bailli opère par le roi, le roi est pour le bailli cause efficiente de son action. C’est ainsi que Valentin a compris TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comme si le Verbe était pour le Créateur cause de l’action par laquelle Il crée toutes choses.
La préposition par désigne la causalité de l’opération en tant qu’elle se termine à son effet, quand ce qui est signifié par la causalité elle-même n’est pas cause pour l’opérant de son opération, mais cause de l’opération en tant qu’elle se termine à l’effet. Par exemple, lorsque je dis: "le menuisier fait le banc par la hache", celle-ci n’est pas cause, pour le menuisier, qu’il opère, mais elle est plutôt cause de ce que le banc est fait par l’ouvrier.
Donc, lorsque Jean dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, si la préposition PAR indique la cause efficiente qui meut le Père à opérer, il faut dire que le Père ne fait rien PAR le Fils, mais qu’Il fait tout par Lui-même, comme nous l’avons dit. Si au contraire la préposition PAR indique la cause formelle, alors, puisqu’Il opère par sa sagesse, qui est son essence, le Père opère par sa sagesse comme Il opère par son essence; et puisque la sagesse et la puissance du Père sont attribuées au Fils — l’Ecriture dit en effet que le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu 11— nous disons par mode d’appropriation que le Père fait toutes choses PAR le Fils, c’est-à-dire par sa sagesse. C’est la raison pour laquelle, à propos du texte: C’est de Dieu, par Lui et en Lui que sont toutes choses 12, Augustin dit que "De qui sont toutes choses", "par qui sont toutes choses" et "en qui sont toutes choses" sont appropriés aux trois Personnes, c’est-à-dire respectivement au Père, au Fils et à l’Esprit 13. Cependant, si la pré position PAR désigne la causalité du côté de ce qui est opéré, alors, lorsque nous disons que le Père fait tout le Fils, nous ne disons pas cela du Verbe par appropriation, mais au sens propre, car si le Verbe est cause des créatures, Il le tient d’un autre, c’est-à-dire du Père de qui Il reçoit l’être. Il ne s’ensuit pas pour autant que le Fils soit l’instrument du Père, bien que tout ce qui est mû par un autre pour faire quelque chose ait, d’une façon générale, ce qu’il faut pour être comme un instrument. En effet, dire que quelqu’un agit par une puissance reçue d’un autre peut se comprendre de deux façons. On peut entendre par là que la puissance de celui qui reçoit est absolument la même que la puissance de celui qui donne; et de cette manière celui qui opère par la puissance reçue d’un autre n’est pas inférieur, mais égal à celui dont il la reçoit. Donc, parce que le Père donne au Fils la puissance même qu’Il possède et par laquelle le Fils agit, quand nous disons que le Père agit PAR le Fils, il ne faut pas pour cela en conclure que le Fils soit inférieur au Père, ni qu’Il soit son instrument — comme l’est celui qui reçoit d’un autre, non la même puissance, mais une puissance autre et causée. Ainsi, il est donc évident que l’Esprit Saint n’a pas été fait, que le Fils n’est pas pour le Créateur cause qu’Il opère, et qu’Il n’est du Père ni le ministre ni l’instrument, comme le disait Origène 14
77. A bien considérer les paroles citées précédemment: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, il apparaît avec évidence que l’Evangéliste s’est exprimé dans les termes les plus propres. En effet, quiconque fait une chose doit la concevoir d’abord dans sa sagesse. Car jamais quelqu’un ne ferait quelque chose si ne préexistait une conception actuelle de sa sagesse qui soit forme et idée de la réalité faite; par exemple, la forme du coffre préconçue dans l’esprit de l’artiste est l’idée du coffre qui sera réalisé 15, Ainsi donc Dieu ne fait rien, si ce n’est par ce que conçoit son intelligence et qui est la Sagesse conçue de toute éternité, c’est-à-dire le Verbe de Dieu et Fils de Dieu; c’est pourquoi il lui est impossible de faire quelque chose si ce n’est par son Fils. C’est ce qui fait dire à Augustin 16 que le Verbe est "l’Idée contenant parfaitement ce que sont les êtres vivants". Ainsi tout ce que le Père fait, A ETE FAIT PAR LUI.
78. Il faut remarquer, selon Chrysostome 17, que tout ce que Moïse énumère en de nombreuses paroles sur la production des réalités par Dieu, en disant: Dieu dit: Que la lumière soit, et la lumière fut (...) Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux (...) Que les eaux s’amassent en une seule masse... 18, l'Evangéliste, allant bien au-delà, l’embrasse dans cette parole: TOUT A ETE FAIT PAR LUI. La raison en est que Moïse, voulant enseigner l’émanation des créatures à partir de Dieu, les énumère une à une. Mais Jean, se hâtant vers un sujet plus élevé, veut dans ce livre nous mener spécialement à la connaissance du Créateur Lui-même.
II
[3b]
SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT.
79. L énonce ici sa seconde
affirmation [concernant la puissance du Verbe]. Certains, comme le dit Augustin 19, l’ont
mal comprise. En effet, à cause de la construction utilisée ici par Jean,
plaçant le mot RIEN [NIHIL] en fin de phrase [IPSO FACTUM EST NIHIL], ils ont
cru que le mot RIEN était pris affirmativement, comme si RIEN était quelque
chose qui aurait été fait sans le Verbe. Aussi ont-ils prétendu que l’Evangéliste
avait mis ce membre de phrase pour exclure quelque chose qui n’aurait donc pas
été fait par le Verbe. De sorte que, d’après eux, l’Evangéliste, après avoir
dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute: SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, comme pour
dire: "en affirmant que TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI, je veux
cependant dire que sans Lui quelque chose a été fait, à savoir le RIEN
lui-même."
80. De là proviennent trois hérésies. D’abord celle de Valentin 20 qui, selon Origène 21 admet plusieurs principes et affirme que de ces principes procèdent trente siècles. Valentin soutient en effet qu’il y a deux premiers principes: l’Abîme, qu’il appelle Dieu le Père, et le Silence. De ces deux principes procédèrent dix siècles. De l’Abîme et du Silence viennent deux autres principes: l’Intelligence et la Vérité, d’où procédèrent huit siècles. Et de l’Intelligence et de la Vérité viennent encore deux autres principes: le Verbe et la Vie, d’où procédèrent douze siècles, ce qui fait donc en tout trente. Or, du Verbe et de la Vie procédèrent, d’après lui, l’homme-Christ et l'Eglise. Ainsi donc, selon Valentin, il s’est écoulé de nombreux siècles avant que le Verbe soit "dit". Voilà pourquoi il explique: Comme l'Evangéliste avait affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, pour qu’on ne comprît pas que les siècles précédents auraient été faits par le Verbe, il ajoute ET SANS LUI [LE] RIEN A ETE FAIT, c’est-à-dire tous les siècles qui préexistent et ce qui les a remplis. L’Evangéliste les nomme RIEN, parce qu’ils dépassent notre raison et que notre intelligence ne peut saisir ce qu’ils sont.
81. Le fait de donner au mot
RIEN, dans le texte de Jean, un sens positif, a engendré une seconde erreur
celle des Manichéens 22, qui admettaient deux principes contraires, un pour les réalités
corruptibles et un autre pour les incorruptibles. Ils disaient donc que, après
avoir dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, Jean, pour que l’on ne risque pas de
comprendre que le Verbe serait cause des réalités corruptibles — lesquelles [eux]
proviennent d’un principe contraire — a ajouté ET SANS [LE] LUI RIEN,
c’est-à-dire les réalités corruptibles, A ETE FAIT, comme pour dire: Tout ce
qui retourne au néant a été fait sans Lui.
82. Une troisième erreur est
commise par ceux qui prétendent que RIEN désigne le diable, selon cette parole:
Ils habitent dans la tente de leur compagnon, qui n’est pas 23. Ils
affirment donc que TOUT A ETE FAIT par le Verbe, excepté le diable. C’est
pourquoi, d’après eux, Jean a ajouté: SANS LUI A ETE FAIT [LE] RIEN,
c’est-à-dire le diable.
83. En fait ces trois erreurs
proviennent d’une même source, à savoir que toutes trois prennent le mot RIEN
affirmativement; mais cela même les exclut toutes trois, puisqu’ici le mot RIEN
n’a pas un sens affirmatif, mais seulement négatif. SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT
signifie alors: je dis que TOUT A ETE FAIT PAR LUI de telle sorte que SANS LUI
RIEN N’A ETE FAIT.
84. On objectera peut-être que, puisque cela pouvait se comprendre du seul fait qu’il avait dit TOUT A. ETE FAIT PAR LUI, cette fin de phrase négative n’était pas nécessaire: il y a donc une raison spéciale qui légitime cette addition. Selon de nombreux Pères, il y a de multiples manières de comprendre cette addition. En effet, selon Chrysostome 24, l’Evangéliste, qui avait dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pour que celui qui lit l’Ancien Testament et n’y voit énumérées par Moïse [le récit de la création] que des réalités visibles, ne croie pas que celles-ci seulement ont été faites par le Verbe. Voilà pourquoi l’Evangéliste, après avoir affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, à savoir tout ce que Moïse énumère, ajoute ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour dire: RIEN de ce qui est, que ce soit visible ou spirituel, N’A ETE FAIT SANS LE VERBE. L’Apôtre parle de la même manière: Toutes choses, dit-il, ont été créées dans le Christ, au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles 25; l’Apôtre fait ici mention spéciale des réalités invisibles, parce que Moïse ne les avait pas explicitement nommées, en raison de la faiblesse et de la grossièreté de l’intelligence des Juifs à qui il transmettait la doctrine.
Chrysostome 26 indique encore une autre raison. A la lecture, dans les autres Evangiles, des nombreux signes et miracles accomplis par le Christ — par exemple: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris 27 —, on aurait pu croire, en effet, que ces paroles de l'Evangéliste: TOUT A ETE FAIT PAR LUI devaient s’entendre seulement des miracles rapportés dans les autres Evangiles, et que rien d’autre n’avait été fait par le Verbe. Pour que personne ne fasse cette supposition, l’Evangéliste affirme ensuite: ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, comme pour dire: Non seulement ce que contiennent les Evangiles en fait d’actes du Christ, A ETE FAIT PAR LUI, mais RIEN de ce qui a été fait N’A ETE FAIT SANS LUI. Ainsi, selon Chrysostome 24, l’Evangéliste introduit ce petit membre de phrase pour montrer que la causalité du Verbe est totale; et ces paroles, ainsi, complètent les précédentes: TOUT A ETE FAIT PAR LUI.
85. Selon Hilaire 28, l’Evangéliste introduit ce membre de phrase SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer que le Verbe tient sa puissance créatrice d’un autre. En effet, Jean ayant dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le Père est exclu de toute causalité. L’Evangéliste ajoute donc ET SANS LUI, RIEN N’A ETE FAIT, pour dire: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte, cependant, que le Père a tout fait avec Lui. Les paroles SANS LUI ne signifient en effet pas autre chose que: "Il n’était pas seul". Le sens est donc le suivant: Le Verbe n’est pas le seul PAR QUI TOUT A ETE FAIT, mais Il est l’autre SANS qui RIEN N’A ETE FAIT, autrement dit: SANS LUI, coopérant avec un autre, à savoir le Père, RIEN N’A ETE FAIT: J’étais avec Lui, réglant toutes choses 29.
86. Dans une homélie attribuée à Origène 30, on trouve une autre explication assez belle. Nous y lisons que là où en grec il y a khoris, nous avons SANS. Or le grec khoris équivaut à "en dehors" ou "hors de". Le sens des paroles de Jean est donc: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte qu’en dehors de Lui RIEN N’A ETE FAIT. L’Evangéliste s’exprime ainsi pour mon trer que la conservation des réalités dans l’être a lieu par Lui 31. Certaines réalités, en effet, n’ont besoin d’un agent que pour leur devenir, puisqu’elles peuvent subsister, après avoir été faites, sans l’influx de cet agent: la maison, par exemple, n’a besoin de l’artisan que pour son devenir, mais elle persiste dans son être sans l’in fluence de l’artisan. Donc, pour qu’on ne croie pas que l’action du Verbe sur toutes choses se limite à leur devenir, sans s’étendre à leur conservation dans l’être, Jean a ajouté: ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, c’est-à-dire: Rien n’a été fait en dehors de Lui, car Il embrasse toutes choses, en les conservant dans l’être.
87. D’autre part, Augustin 32,
Origène 33 et plusieurs autres, quand ils expliquent ce verset, entendent par
RIEN le péché. En effet, lorsque Jean dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait
comprendre que le péché et le mal ont été faits par le Verbe. C’est pour quoi
il a ajouté. ET [qui n’est] RIEN, c’est-à-dire le péché, A ETE FAIT SANS LUI. Parce que ce
n’est pas le défaut qui provient de l’art, mais la forme. Les défauts, en
effet, ne sont pas causés par l’art, ils échappent à l’efficacité de l’art, par
exemple du fait d’un man que de disposition de la matière, ou autre chose de ce
genre. Et c’est pourquoi, du Verbe, qui est l’Idée contenant parfaitement ce
que sont les vivants, ne pro vient rien de désordonné ni aucun mal ou péché,
qui sont non-être selon cette parole de l’Apôtre: "Nous savons que
l’idole n’est rien dans le monde 34". En effet l’idole, en tant
qu’elle est péché et mal, n’a pas été faite par le Verbe, bien que la forme de
l’idole, en tant qu’elle est une certaine forme, soit par le Verbe.
88. Ainsi l’Evangéliste ajoute les paroles: SANS [LE VERBE] RIEN N’A ETE FAIT, pour montrer: la causalité universelle du Verbe, selon Chrysostome; l’uni té d’opération avec le Père, selon Hilaire; la puissance du Verbe dans la conservation des créatures, selon Origène; et enfin, selon Augustin, la pureté de sa causalité, parce qu’Il est cause de ce qui est bon, de telle sorte qu’Il n’est pas cause du péché.
III
CE
QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. [4a]
89. L’Evangéliste avance ici une troisième affirmation, où il faut éviter la fausse interprétation des Manichéens 35; ces paroles, en effet, les avaient amenés à affirmer que tout ce qui existe vit: par exemple une pierre, du bois, un homme et toute autre réalité existant dans le monde. Et ils ponctuaient ainsi: CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Or il n’y a de vie que dans ce qui vit; et donc tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, vit. Ils prétendent aussi que dire EN LUI est la même chose que dire PAR LUI, puisque l’Ecriture emploie souvent EN LUI avec le sens de PAR LUI, comme dans ce texte: En lui, c’est-à-dire par Lui, toutes choses ont été créées 36. Mais l’expérience même montre que cette interprétation est fausse.
90. On peut cependant, sans commettre d’erreur, expliquer l’affirmation de Jean de bien des manières. L’homélie attribuée à Origène 37 lui donne le sens suivant: CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE, non pas en soi-même, mais dans sa cause. Car toutes les réalités causées ont ceci de commun que les effets produits par la nature ou par l’intelligence sont dans leur cause, non pas selon leur être propre, mais selon le mode d’être de leur cause en tant que cause. Ainsi, les effets produits sur la terre sont dans le soleil comme dans leur cause, non selon leur être propre, mais selon le mode d’être du soleil comme cause. Donc, puisque la cause de tous les effets produits par Dieu est une Vie et une Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui, ETAIT VIE dans sa cause, à savoir en Dieu même.
91. Augustin 38, lui, lit ces paroles de Jean en les ponctuant ainsi CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. En effet, on peut considérer les réalités de deux manières: selon qu’elles existent en elles-mêmes et selon qu’elles existent dans le Verbe. Si on les considère selon qu’elles existent en elles-mêmes, alors, toutes les réalités ne sont pas vie, ni même vivantes; certaines manquent de vie et d’autres vivent. Par exemple, la terre, les métaux ont été faits, mais ils ne sont pas vie, ni ne vivent; les animaux, les hommes ont été faits, mais en eux-mêmes ils ne sont pas vie, ils vivent seulement.
Cependant, si on considère les réalités en tant qu’elles sont dans le Verbe, non seulement elles sont vivantes, mais encore elles sont VIE. Car les idées qui existent de manière spirituelle dans la Sagesse de Dieu et par lesquelles les réalités ont été faites par le Verbe, sont vie; de même que le coffre fait par l’artisan, en lui-même certes, ne vit pas et n’est pas vie, tandis que l’idée du coffre qui a précédé dans l’esprit de l’artisan vit, d’une certaine manière, en tant qu’elle a un être intelligible dans l’esprit de l’artisan; et cependant elle n’est pas vie, parce que l’acte d’intelligence de l’artisan n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, l’acte d’intelligence est sa vie et son essence; c’est n’est pas son essence, ni son être. Au contraire, en Dieu, non seulement vit, mais est la vie elle-même, puisque tout ce qui est en Dieu est son essence. Par suite, la créature en Dieu est l’essence créatrice. Si donc on considère les réalités selon qu’elles sont dans le Verbe, elles sont VIE 39.
92. Origène 40, dans son Commentaire sur Jean, lit autrement les paroles de l’Evangéliste; il les ponctue ainsi: CE QUI A ETE FAIT EN LUI — ETAIT VIE. Il faut remarquer ici que certaines choses sont dites du Fils de Dieu considéré en Lui-même: quand, par exemple, on Le dit Dieu tout-puissant et autres choses semblables; mais que d’autres sont dites de Lui par rapport à nous: quand, par exemple, on Le dit Sauveur et Rédempteur; enfin d’autres Lui conviennent de l’une et l’autre façon: quand, par exemple, on Le dit Sagesse et Justice. Or, dans tout ce qui se dit du Fils considéré en Lui-même et d’une façon absolue, on ne dit pas qu’Il a été fait; ainsi on n’affirme pas: le Fils a été fait Dieu, ou tout-puissant. Mais dans tout ce qui se dit de Lui par rapport à nous, ou de l’une et l’autre manière, on peut ajouter le terme fait; ainsi Paul écrit: Lui, le Christ Jésus, a été fait pour nous, de par Dieu, sages se, justification, sanctification et rédemption 41. Ainsi, bien qu’Il ait toujours été en Lui-même Sagesse et Justice, on peut cependant dire que, d’une nouvelle manière, Il a été fait pour nous Justice et Sagesse. D’après ce que nous venons de dire, Origène 42 explique ainsi les paroles de l’Evangéliste: Le Verbe, bien qu’il soit vie en Lui-même, a été fait cependant vie pour nous, du fait qu’Il nous a vivifiés, conformément à ces paroles: De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ 43. C’est pourquoi l’Evangéliste dit: Ce Verbe qui pour nous a été fait vie, ETAIT LA VIE en Lui-même, précisément afin qu’un jour Il devînt vie pour nous. Aussi ajoute-t-il tout de suite: Et la vie était la lumière des hommes.
93. Quant à Hilaire 44, il ponctue ce passage ainsi ET SANS LUI RIEN N’A ET. E FAIT, QUI N’AIT ETE FAIT EN LUI, pour dire ensuite IL ETAIT LA VIE. Comme il le dit en effet, les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT pourraient susciter le doute suivant outre ce qui a été fait par le Verbe, peut-être certaines choses n’ont pas été faites PAR Lui, bien qu’elles n’aient pas été faites SANS Lui; mais pour ces choses, Il s’est associé à Celui qui les a faites. Jean aurait alors ajouté ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, pour corriger les paroles précédentes: TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI. Pour écarter cette ambiguïté, l’Evangéliste, après avoir dit: TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute donc: ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, qui cependant N’AIT ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui; et la raison en est qu’Il ETAIT LA VIE.
Il est manifeste en effet, d’après cette interprétation, que Jean dit: TOUT A ETE FAIT PAR [LE VERBE], en tant que le Verbe procédant du Père est Dieu. Supposons qu’un père ait un fils qui ne soit pas parfaitement capable d’agir en homme, mais le devienne peu à peu; il est clair que le père fera bien des choses, non par son fils lui-même, mais pas non plus sans lui. Donc, parce que le Fils de Dieu a de toute éternité, du fait qu’Il est Fils, la vie parfaite, la même que le Père — Comme le Père a la vie en Lui-même, ainsi Il a donné au Fils d’avoir la vie en Lui-même 45— on ne peut dire que Dieu le Père, bien qu’Il n’ait rien fait sans le Fils, ait cependant fait quelque chose sans que ce soit PAR Lui, parce qu’IL ETAIT LA VIE. En effet, dans la réalité vivante, il peut arriver qu’une vie imparfaite précède la vie parfaite; mais pour [celui qui est] la vie par soi et d’une manière absolue, il n’y a en aucune manière une vie imparfaite antérieure. Donc, parce que le Verbe est la vie par soi, la vie en Lui ne fut jamais imparfaite, mais toujours parfaite. C’est pourquoi RIEN N’A ETE FAIT SANS LUI, qui n’ait ETE FAIT EN LUI, c’est-à-dire par Lui.
94. Chrysostome 46, lui, lit ce texte d’une autre manière et le ponctue ainsi: ET SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT. En effet, quelqu’un pour rait croire que l’Esprit Saint a été fait par le Verbe. C’est pourquoi, voulant exclure cela, l’Evangéliste, après les paroles SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT, ajoute celles-ci: DE CE QUI A ETE FAIT, car l’Esprit Saint n’est pas quelque chose qui ait été fait. Vient ensuite EN LUI ETAIT LA VIE. Jean ajoute ces paroles pour deux raisons.
D’abord pour montrer qu’après la production de toutes réalités, il n’y a aucune déficience d’influence ou de causalité; et cela non seulement à l’égard des réalités déjà produites, mais encore à l’égard de celles qui doivent être produites. Cela revient à dire EN LUI ETAIT LA VIE, une vie par laquelle non seulement Il a pu produire toutes choses, mais encore une vie 47 qui a, pour produire de façon continue les réalités, un flux sans déficience et une causalité que n’affaiblit aucun changement, comme une source vive dont le flux continu ne baisse pas; tandis que l’eau recueillie et non vive [d'une citerne] insuffisamment alimentée, baisse et vient à manquer. Voilà pourquoi il est écrit En toi est la source de la vie 48.
De plus, Jean dit: [LE VERBE] ETAIT LA VIE, pour montrer que le gouvernement des réalités se fait par le Verbe. En effet, par ces paroles, il fait voir que le Verbe n’a pas produit les réalités par une nécessité de nature, mais par la volonté et l’intelligence, et qu’Il gouverne les réalités qu’Il a produites. [On lit en effet dans l’Epître aux Hébreux]: La parole de Dieu est vivante 49.
Et parce que chez les Grecs l’autorité de Chrysostome dans ses commentaires est telle que, là où il a expliqué un passage de l'Ecriture sainte, ils n’admettent aucune autre explication que la sienne, dans aucun livre grec on ne trouve ce texte ponctué d’une autre manière que la sienne, c’est-à-dire: SANS LUI RIEN N’A ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT.
95. Plus haut, l’Evangéliste a manifesté la puissance du Verbe en tant qu’elle est universellement productrice de toutes les réalités; ici, il manifeste sa puissance dans son rapport spécial aux hommes, en disant que ce Verbe est LA LUMIERE DES HOMMES.
Il nous présente d’abord cette lumière [n° 96], ensuite son rayonnement [n° 102], enfin sa participation [n° 103].
Le tout peut s’interpréter de deux manières, soit selon le don de la lumière naturelle, soit selon la communication de la grâce [n° 104].
I
LE
DON DE LA LUMIERE NATURELLE ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES
96. Ici, il faut d’abord considérer que, selon Augustin 1 et plusieurs autres, le nom de "lumière" se dit plus proprement des réalités spirituelles que des réalités sensibles. Pourtant Ambroise veut que la splendeur se dise métaphoriquement en Dieu. Mais cela n’a pas grande importance car, quelle que soit la réalité à laquelle il s’applique, le nom de "lumière" se réfère à une manifestation, que celle-ci soit dans l’ordre intelligible ou dans l’ordre sensible. Si donc on compare la manifestation intelligible et la manifestation sensible, le nom de "lumière" se rencontre, selon l’ordre de nature 2, en premier lieu à propos des réalités intelligibles, tandis que selon l’ordre génétique, c’est en premier lieu à propos des réalités sensibles. Et c’est pourquoi, si nous considérons la nature même de la manifestation, nous parlerons de lumière en premier lieu dans les réalités intelligibles, plutôt que dans les réalités sensibles; mais si nous considérons notre manière de nommer, c’est l’inverse.
97. Pour bien comprendre ces paroles: ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, il faut savoir qu’il y a divers degrés de vie. En effet, certains êtres comme les plantes vivent, mais sans lumière, en ce sens qu’ils sont dépourvus de toute connaissance; aussi leur vie n’est-elle pas lumière. D’autres au contraire, comme les animaux dépourvus de raison, vivent et connaissent; cependant leur connaissance, n’étant que sensible, ne porte que sur les réalités concrètes et matérielles, et c’est pourquoi ils ont la vie et la lumière, mais non LA LUMIERE DES HOMMES; enfin certains êtres vivent et connaissent non seulement les réalités [concrètes qui sont] vraies, mais ce qu’est la vérité elle-même. Telles sont les créatures douées d’intelligence, qui non seulement connaissent telle ou telle réalité [vraie] mais sont capables de connaître la vérité elle-même, par laquelle elles peuvent connaître toutes les réalités.
C’est pourquoi l’Evangéliste, parlant du
Verbe, dit non seulement qu’Il est LA VIE, mais aussi qu’Il est LA LUMIERE,
pour que tu comprennes qu’en lui la vie n’est pas sans connaissance; et il
ajoute DES HOMMES, pour que tu n’imagines pas qu’il s’agit seulement de la
connaissance sensible telle qu’elle se trouve chez les animaux dépourvus de
raison.
98. Mais puisque cette lumière, c’est-à-dire le Verbe, est commune aux anges et aux hommes, il faut se demander pourquoi l’Evangéliste n’a pas dit: "Il était la lumière des hommes et des anges, ou des créatures douées d’intelligence", mais seulement: Il ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.
A cela on peut répondre de deux manières.
Chrysostome 3 dit que l’Evangéliste avait l’intention de nous transmettre ce que
l’on peut connaître du Verbe dans son rapport au salut des hommes; c’est
pourquoi, étant donné son intention, il rapporte [ce qu’il transmet de la
connaissance du Verbe] davantage aux hommes qu’aux anges. Mais pour Origène 4, la
participation de cette lumière revient aux hommes en tant qu’ils ont une nature
douée d’intelligence; et, parce que "homme" est le nom d’une
nature douée d’intelligence, il veut ici, par le nom "homme",
entendre toute nature douée d’intelligence. En ce sens, ET LA VIE ETAIT LA
LUMIERE DES HOMMES s’entend de toute créature douée d’intelligence; et c’est
pourquoi l’Evangéliste, en disant IL ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, a voulu dire:
de toute nature douée d’intelligence.
99. Ces paroles expriment aussi la perfection et la dignité de la vie du Verbe, puisqu’il s’agit ici de la vie de l’intelligence.
En effet, puisqu’on appelle vivants les êtres qui se meuvent d’une manière ou d’une autre, on appelle vivants parfaits ceux qui se meuvent d’une manière parfaite.
Or se mouvoir d’une manière parfaite et au sens propre n’appartient, parmi les créatures inférieures, qu’à l’homme seul. Les autres en effet, même s’ils se meuvent d’eux-mêmes en vertu d’un principe intrinsèque, ne se meuvent cependant pas librement: [ils se meuvent] comme mus par un autre et déterminés à ceci ou à cela. Mais l’homme, étant maître de ses actes, se meut librement vers tout ce qu’il veut; aussi a-t-il une vie parfaite, et de même toute nature douée de raison ou d’intelligence.
Donc LA VIE du Verbe, qui est LA LUMIERE de la nature douée d’intelligence, est parfaite.
100. Remarquons aussi à quel point convient l’ordre de ce début du Prologue. En effet, dans l’ordre naturel des réalités, nous trouvons d’abord l’être, comme ce qu’il y a de plus commun, ensuite la vie et enfin l’intelligence. C’est donc à juste titre que l’Evangéliste, en nous décrivant le Verbe 5, affirme d’abord son être en disant: Dans le principe était le Verbe en second lieu sa vie: En Lui était la vie 6; enfin son intelligence: ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.
C’est pourquoi, d’après Origène 7,
l’Evangéliste attribue à juste titre la lumière à la vie, parce que la lumière
ne peut être attribuée qu’au vivant.
101. Il faut cependant noter que l’on peut considérer la lumière, par rapport au vivant, de deux manières soit comme son objet, soit comme participée par lui. Cela est manifeste dans la vision sensible. L’oeil, en effet, connaît la lumière extérieure comme son objet, mais il faut, pour qu’il la voie, qu’il participe à une certaine lumière intérieure qui le rende apte et le dispose à voir la lumière extérieure.
Ainsi, ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES peut être compris de deux manières.
LA LUMIERE DES HOMMES peut être ici considérée comme l’objet que seuls les hommes peuvent regarder, parce que seule la créature douée d’intelligence peut la regarder, puisqu’elle seule est capable de la vision divine — Il nous a faits plus intelligents que les animaux de la terre, plus sages que les oiseaux du ciel 8; en effet, bien que les autres animaux connaissent les réalités [concrètes qui sont] vraies, l’homme seul connaît ce qu’est la vérité elle-même.
LA LUMIERE DES HOMMES peut encore être considérée comme participée. En effet, jamais nous ne pourrions contempler le Verbe Lui-même, la lumière elle-même, si l’homme n’avait en lui une participation [à cette lumière], qui est la partie supérieure de notre âme, c’est-à-dire cette lumière [qui est notre faculté] intellectuelle. C’est d’elle que parle le Psaume: Elle a été gravée sur nous (c’est-à-dire dans la partie supérieure de l’âme, à savoir la raison), la lumière de ton visage 9, c’est-à-dire de ton Fils, qui est ta face, par laquelle tu te révèles.
ET LA LUMIERE BRILLE DANS LES
TENEBRES, ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE.
102. L’Evangéliste nous a parlé plus haut de la lumière; il traite ici de son rayonnement, et ses paroles peuvent s’interpréter de deux manières, selon les deux acceptions du mot "ténèbres".
En premier lieu, prenons "ténèbres" au sens où ce mot désigne l’indigence naturelle propre à l’esprit créé. En effet l’esprit est à la lumière dont parle ici l’Evangéliste ce que l’air est à la lumière du soleil; car bien qu’il soit capable d’être illuminé par le soleil, l’air en lui-même est ténèbre. De même l’esprit créé, bien qu’il soit capable de cette lumière, est cependant, en tant que créé et considéré en lui-même, ténèbre. En ce sens les paroles de l’Evangéliste s’entendent ainsi: LA LUMIERE, c’est-à-dire cette VIE QUI EST LA LUMIERE DES HOMMES, BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est-à-dire dans les âmes et les esprits créés, répandant sa lumière sur tous, comme en témoigne l’interrogation de Job: Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée aux malheureux et la vie à ceux dont l’âme est remplie d’amertume (...), à l’homme dont la route est cachée? 10
MAIS
LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE,
C’est-à-dire n’ont pu la contenir. En effet,
on dit que quelque chose est étreint quand on en circonscrit parfaitement les
limites et qu’on les embrasse totalement du regard. Or, comme le dit Augustin,
atteindre Dieu par l’esprit est une grande béatitude, mais L’étreindre est
impossible. Ainsi les ténèbres, bien qu’elles atteignent à la lumière, ne
peuvent cependant l’étreindre — Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 11; Tu es
grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées 12.
103. En second lieu, on peut prendre "ténèbres" au sens où, selon Augustin, ce terme désigne la folie qui affecte naturellement 13 les hommes — J’ai vu que la sagesse a autant d’avantages sur la folie que la lumière sur les ténèbres 14, On est fou, insensé, du fait que l’on est privé de la sagesse divine.
De même, donc, que les esprits des sages sont lumineux en raison de leur participation à cette lumière et sagesse divine, de même les esprits sont ténèbres du fait qu’ils en sont privés. Si donc certains esprits sont ténébreux, cela n’est pas dû à une indigence de la part de cette lumière car, pour ce qui la concerne, elle BRILLE DANS LES TENEBRES et illumine tous les esprits; mais si les insensés sont privés de cette lumière, c’est parce que LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire [les insensés] ne l’ont pas saisie, incapables qu’ils étaient, à cause de leur folie, de participer à elle, ou plutôt parce que, une fois élevés jusque-là, ils n’en ont eu cure — A ceux qu’enfle la démesure, c’est-à-dire aux orgueilleux, Il cache la lumière, c’est-à-dire la lumière de sagesse, et Il annonce à son ami que la lumière est son partage et qu’il peut s’élever vers elle 15; Ils n’ont pas connu la voie de la sagesse et ne se sont pas souvenu de ses sentiers 16, Cependant, bien que certains esprits soient ténébreux, c’est-à-dire privés de la sagesse savoureuse et lumineuse, aucun pourtant n’est ténébreux au point de ne participer en rien à la lumière divine. En effet, toute vérité connue par qui que ce soit est due totalement à la participation de cette LUMIERE QUI BRILLE DANS LES TENEBRES; car "tout vrai, quel que soit celui qui le dise, vient du Saint-Esprit" 17, Et cependant LES TENEBRES c’est-à-dire les hommes ténébreux, NE L’ONT PAS ETREINTE comme vérité plénière.
C’est ainsi qu’Origène 18 et Augustin 19 interprète ce verset.
II
LE
DON DE LA GRÂCE
104. On peut encore entendre ces versets comme exprimant la communication de la grâce par laquelle le Christ illumine, et cela est en continuité avec ce que disait précédemment l'Evangéliste. En effet, celui-ci a parlé plus haut de la création par le Verbe; ici il traite de la re-création, par le Christ, de la créature douée d’intelligence.
[4b]
ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES
ET LA VIE, celle du Verbe, ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, de tous les hommes et non seulement des Juifs, car le Fils de Dieu assumant la chair est venu dans le monde pour illuminer tous {les hommes] — pour autant que cela dépendait de Lui — par la grâce et la vérité — Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité 20; Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde 21. C’est pourquoi Jean ne dit pas "la lumière des Juifs" parce que, bien qu’au début Il ait été seulement connu en Judée 22, par la suite cependant Il se fit connaître au monde entier — Je t’ai donné comme lumière aux nations pour que tu sois mon salut jus qu’aux extrémités de la terre 23.
C’est encore à juste titre qu’il unit la lumière et la vie en disant ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, pour montrer que l’une et l’autre, la lumière et la vie, nous sont venues par le Christ: la vie, par la participation à la grâce — La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ 24 — ; la lumière, par la con naissance de la vérité et de la sagesse.
ET
LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE.
105. Ces paroles peuvent, selon cette interprétation, s’entendre de trois manières, suivant les trois acceptions possibles du mot "ténèbres".
Les "ténèbres" peuvent signifier la peine. En effet on peut appeler "ténèbres" toute tristesse et toute affliction du coeur, et "lumière" toute joie — Si je suis assis dans les ténèbres 25, c’est-à-dire dans l’affliction, le Seigneur est ma lumière, c’est-à-dire ma joie et ma consolation.
C’est pourquoi, suivant cette acception,
Origène dit que LA LUMIERE qui BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est le Christ qui
vient dans le monde avec un corps capable de souffrir et exempt de péché, dans
une chair semblable à celle du péché 26; Il a brillé dans la chair, cette
chair du Christ qui, en tant qu’elle est semblable à celle du péché, est dite
ténèbres. Ainsi, la lumière qui a brillé dans le monde, c’est le Verbe de Dieu
caché par le voile 27 des ténèbres de la chair — Je cacherai le soleil par des nuages 28.
106. En un second sens, les "ténèbres" peuvent signifier les démons, selon l’Epître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et la sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres 29. Suivant cette acception l’Evangéliste dit: LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, autrement dit le Fils de Dieu est descendu dans le monde où dominaient les ténèbres, c’est-à-dire les démons — C’est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors 30. ET LES TENEBRES — les démons — NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire qu’ils n’ont pu obscurcir la lumière, le Christ, en Le tentant, comme on peut le voir en saint Matthieu 31.
107. Enfin les "ténèbres" peuvent signifier les erreurs ou les ignorances dont le monde entier était rempli avant la venue du Christ, comme le dit l’Apôtre: Autrefois vous étiez ténèbres 32.
Il dit donc: LA LUMIERE, c’est-à-dire le Verbe de Dieu incarné, BRILLE DANS LES TENEBRES, c’est-à-dire dans le monde, qui désigne ici les hommes du monde obscurcis par les ténèbres de l’erreur et de l’ignorance Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort 33. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière 34.
ET LES TENEBRES NE L’ONT PAS ETREINTE, c’est-à-dire n’en ont pas été victorieuses. En effet, aussi loin que soient allés les hommes, obscurcis par leurs péchés, aveuglés par la jalousie, enténébrés par l’orgueil, dans leur combat contre le Christ (comme on peut le voir dans l’Evangile), en Le chargeant d’opprobre, en Le couvrant d’injures et d’affronts et enfin en Le tuant, cependant ils NE L’ONT PAS ETREINT, c’est-à-dire ils ne L’ont pas vaincu en obscurcissant sa lumière, et son éclat n’en a que brillé davantage dans le monde entier — Comparée à la lumière [la Sagesse] l’emporte sur elle, car la lumière fait place à la nuit, mais la malice, c’est-à-dire celle des Juifs et des hérétiques, ne prévaut pas contre la Sagesse 35, c’est-à-dire le Fils de Dieu incarné; car, comme il est dit au livre de la Sagesse, Un rude combat lui a été ménagé, pour qu’il vainquît et qu’il sût que la Sagesse est plus puissante que tout 36.
108. Plus haut, l’Evangéliste a traité de la divinité du Verbe [n° 1 à 3]; il commence maintenant à traiter de son Incarnation. A ce sujet, il parle d’abord du témoin du Verbe incarné, c’est-à-dire du Précurseur [c'est l’objet de la présente leçon]; il parlera ensuite de l’avènement du Verbe, quand il dira: Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde [n° 124]. Jean décrit en premier lieu le Précurseur comme venant pour témoigner; en second lieu il le montre comme ne suffisant pas à sauver [n° 122].
I
[6-7]
IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU; SON NOM ETAIT JEAN. IL VINT COMME TEMOIN,
POUR REN DRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.
L’Evangéliste fait connaître le Précurseur
sous quatre aspects: il précise la condition de sa nature: IL Y EUT UN HOMME;
son autorité: ENVOYE DE DIEU [n°
111]; son aptitude à accomplir sa mission: SON NOM
ETAIT JEAN [n° 114]; enfin la dignité de cette mission: CELUI-CI VINT COMME TEMOIN,
POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI [n° 115].
109. Remarquons tout d’abord que l'Evangéliste n’a plus la même façon de s’exprimer dès qu’il commence à parler d’un événement qui se passe dans le temps. En effet, jusqu’ici, parlant des réalités éternelles, il employait le verbe être à l’imparfait; il montrait par là que l’éternité est sans terme; mais maintenant, puisqu’il parle des réalités temporelles, il emploie le verbe être au passé simple, pour montrer qu’elles ont eu lieu de telle sorte qu’elles sont terminées.
IL Y
EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU
110. L’Evangéliste commence ici
par écarter une fausse opinion des hérétiques sur la condition ou la nature de
Jean. A cause de la parole du Seigneur à son sujet: C’est de lui qui est écrit:
Voici que j’envoie mon ange devant ta face 1, ils pensèrent que Jean était de
nature angélique. Ce qu’exclut l'Evangéliste en disant: IL Y EUT UN HOMME par
nature et non un ange — On sait ce qu’est un homme: il ne peut s’attaquer en
justice à plus fort que lui 2. Du reste, il convient que ce soit un homme qu’on envoie à des
hommes, car ceux-ci sont davantage attirés par un de leurs semblables — La Loi
établit grands-prêtres des hommes sujets à la faiblesse 3. En
effet, Dieu pouvait gouverner les hommes par des anges, mais Il a préféré le
faire par des hommes, afin que leur exemple les instruisît davantage. Voilà
pourquoi Jean fut un homme et non un ange.
111. Ensuite l’Evangéliste fait connaître Jean par son autorité: Il fut ENVOYE DE DIEU. Si Jean ne fut pas un ange quant à la nature, il le fut cependant quant à la fonction, car il fut envoyé par Dieu. En effet, la fonction propre des anges est d’être les envoyés de Dieu et ses messagers: Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service 4? C’est pourquoi "ange" traduit "envoyé". Les hommes, envoyés par Dieu pour annoncer quelque chose, peuvent donc être appelés "anges" — Aggée, ange parmi les anges du Seigneur 5, c’est-à-dire messager parmi les messagers du Seigneur, parla en ces termes au peuple selon le message du Seigneur. Mais pour que quelqu’un rende témoignage à Dieu, il faut qu’il soit envoyé par Lui — Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont pas envoyés? 6 Et envoyés par Dieu, ils ne doivent pas chercher leurs intérêts, mais ceux de Dieu — Car ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 7. Celui, en revanche, qui est envoyé non par Dieu mais par lui-même, cherche ses intérêts ou ceux des hommes, mais non pas ceux du Christ. Aussi l’Evangéliste dit-il ici: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, pour que tous comprennes que Jean n’a rien annoncé que de divin, qu’il n’a rien annoncé d’humain.
112. Remarquons qu’il y a trois sortes d’envoyés de Dieu. Certains le sont par une inspiration intérieure — Et maintenant le Seigneur m’a envoyé, ainsi que son Esprit 8, ce qui revient à dire: je suis envoyé de Dieu par une inspiration intérieure de l’Esprit. D’autres sont envoyés par une vision claire et manifeste, soit corporelle soit imaginaire — J’entendis la voix du Seigneur disant: "Qui enverrai-je? Quel sera notre messager?" Je répondis: "Me voici, envoie-moi." 9 Enfin on peut être envoyé par l’injonction d’un supérieur qui tient en cela la place de Dieu — Si j’ai pardonné, c’est par amour pour vous, au nom du Christ 10. C’est pourquoi ceux qui sont envoyés par un supérieur sont envoyés par Dieu, comme Barnabé et Timothée furent envoyés par l’Apôtre Paul.
Lorsque l’Evangéliste dit ici: IL Y EUT UN
HOMME ENVOYE DE DIEU, il faut comprendre que ce fut par une inspiration
intérieure; ou peut-être Jean fut-il envoyé par Dieu sur une [vision]
extérieure [comme pourraient le suggérer ces paroles]: Celui qui m’a envoyé baptiser
dans l’eau m’a dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer,
c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint 11.
113. Quand l’Evangéliste dit: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il ne faut pas non plus l’entendre à la manière de certains hérétiques, pour qui les âmes des hommes ont été créées avec les anges dès le commencement, mais ne sont envoyées dans le corps qu’au moment de la naissance; de sorte que, d’après eux, [l'Evangéliste voudrait dire que] Jean fut envoyé à la vie, c’est-à-dire que son âme fut envoyée dans son corps. En réalité, il faut comprendre que Jean fut envoyé pour baptiser et prêcher.
SON
NOM ETAIT JEAN.
114. L’Evangéliste fait ici connaître Jean par ce qui le rendait apte à remplir sa mission.
En effet, la mission du témoin requiert une aptitude. Car si le témoin est inapte, il a beau être envoyé par un autre, son témoignage est insuffisant. Or, c’est par la grâce de Dieu que l’on est rendu apte à accomplir une fonction — C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 12 C’est Dieu qui nous a rendus capables d’être les ministres de la nouvelle alliance 13. L’Evangéliste indique donc fort à propos l’aptitude du Précurseur en disant: SON NOM ETAIT JEAN, nom qui signifie "en qui est la grâce". Ce nom ne lui fut pas donné en vain, mais selon la préordination divine avant même sa naissance: Et tu lui donneras le nom de Jean, avait dit l’ange à Zacharie 14 C’est pourquoi il peut dire: Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère 15, et: Celui qui sera, déjà est nommé 16. C’est ce que l’Evangéliste montre aussi par sa manière de s’exprimer lorsqu’il dit ETAIT, ce qui se réfère à la préordination de Dieu.
[7] IL VINT COMME TEMOIN, POUR
RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.
115. L’Evangéliste, enfin, nous
fait connaître Jean par la dignité de sa mission. Il dit: IL VINT COMME TEMOIN
— voilà sa mission —, POUR RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE — voilà en quoi
consiste cette mission.
116. La mission de Jean-Baptiste est donc de témoigner. Ici, il faut remarquer que tout ce que Dieu fait — qu’il s’agisse des hommes ou de ses autres oeuvres — Dieu le fait pour Lui-même — Le Seigneur a fait toutes ces choses pour Lui-même 17; non certes pour s’ajouter à Lui-même quelque chose, car Il n’a pas besoin de nos biens 18, mais pour manifester sa bonté en toutes ses oeuvres, en ce sens que par elles sont rendues visibles à l’intelligence (...) sa puissance éternelle et sa divinité 19. Toute créature devient donc témoin de Dieu, puisque toute créature est un certain témoignage de la bonté divine. Ainsi la grandeur de la création est un témoignage de la toute-puissance divine; sa beauté, un témoignage de la sagesse divine. Mais certains hommes sont l’objet d’un dessein de Dieu d’une manière spéciale; de sorte que non seulement matériellement, en tant qu’ils sont, mais encore par leurs oeuvres bonnes, ils rendent témoignage à Dieu. C’est pourquoi tous les saints sont les témoins de Dieu dans la mesure où, par leurs oeuvres bonnes, Dieu est glorifié devant les hommes — Que brille votre lumière devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos oeuvres bonnes et glorifient votre Père qui est dans les cieux 20. Cependant, ceux qui, non seulement participent aux dons de Dieu en eux-mêmes en faisant le bien par la grâce de Dieu, mais encore transmettent ces dons aux autres par leur enseignement, leur influence et leurs exhortations, sont plus spécialement les témoins de Dieu — Quiconque invoque mon nom, je l’ai créé pour ma gloire 21 Jean vint donc pour témoigner, c’est-à-dire pour transmettre aux autres les dons de Dieu et annoncer sa louange.
117. Or cette mission de Jean, cet office de témoin, est très grand, car on ne peut témoigner de quelque chose que dans la mesure où on y participe — Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu 22. C’est pourquoi rendre témoignage à la vérité divine indique que l’on connaît cette vérité. De là vient que le Christ aussi eut cette mission: Si je suis né, et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité. Mais autre est le témoignage du Christ, autre celui de Jean-Baptiste, parce que autre est en chacun d’eux la connaissance de la vérité 23. Le Christ, en effet, témoignage comme la lumière même qui embrasse tout, bien plus, comme la lumière même subsistante; tandis que Jean témoigne comme celui qui ne fait que participer à la lumière. C’est pourquoi le Christ rend parfaitement témoignage et manifeste parfaitement la vérité, tandis que Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure où ils participent à cette vérité divine.
Grande est donc la mission de Jean, et par la participation à la lumière divine, et par sa similitude avec le Christ qui a rempli cette même mission. Voici que je l’ai donné pour témoin aux peuples, pour chef et pour maître aux païens 24.
118. L’Evangéliste précise ensuite en quoi consiste cette mission. Il dit: IL VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
Ici, il faut savoir que l’on peut témoigner
de quel que chose pour deux raisons: soit à cause de la réalité même dont on
témoigne, par exemple si elle est douteuse et incertaine, soit à cause des
auditeurs, par exemple s’ils ont le coeur dur et lent à croire. En ce qui
concerne Jean, s’il est venu rendre témoignage, ce n’est pas à cause de la
réalité elle-même dont il témoignait, puis qu’elle était la lumière. Aussi
l’Evangéliste dit-il: IL VINT RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, c’est-à-dire non
pas à une réalité obscure, mais à une réalité manifeste. S’il vint témoigner,
c’est donc à cause de ceux pour qui il témoignait, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR
LUI, c’est-à-dire par Jean. En effet, comme la lumière est non seulement
visible en elle-même et par elle-même, mais rend encore visible tout le reste,
ainsi le Verbe de Dieu n’est pas seulement lumière en Lui-même: Il est aussi
Celui qui manifeste [fait connaître] tout ce qui est manifesté. Car tout être se manifeste et se fait
connaître par sa forme. Or toutes les formes sont par le Verbe, qui est l’Idée
contenant parfaitement ce que sont les vivants: Il est donc non seulement la
lumière en soi, mais encore la lumière qui manifeste toutes choses — Tout ce
qui est manifesté est lumière 25. Et l’Evangéliste
appelle à juste titre le Fils "LUMIERE de Dieu", car la
LUMIERE est venue pour éclairer les nations 26. Or, plus haut, Jean a appelé le
Fils "Verbe de Dieu", [VERBE] par lequel le Père se dit
Lui-même et [dit] toute créature. C’est pourquoi, comme le Fils est à proprement
parler la LUMIERE des hommes, et que l’Evangéliste en parle ici comme de Celui qui
est venu pour opérer le salut de l’homme, c’est à juste titre que, pour parler
du Fils, il cesse ici de se servir du nom de Verbe, et emploie le mot LUMIERE.
119. Mais si cette lumière suffit par elle-même à manifester toutes choses, et non pas seulement elle-même, que lui manquait-il pour qu’il y ait témoignage? Les témoignages de Jean et des prophètes au sujet du Christ ne seraient donc pas nécessaires?
Je réponds que cette objection est celle des Manichéens, qui veulent, réduire à rien ces témoignages. Aussi les saints apportent-ils contre eux de nombreuses raisons pour expliquer que le Christ ait voulu le témoignage des prophètes.
Origène donne trois raisons 27.
D’abord, Dieu veut avoir des témoins, non qu’Il ait besoin Lui-même de leur témoignage, mais pour ennoblir ceux dont Il fait ses témoins. C’est ce que nous voyons également dans l’ordre de l’univers: Dieu produit certains effets par des causes secondes, non qu’Il soit impuissant à les produire immédiatement, mais parce qu’Il daigne, pour les ennoblir, communiquer à ces causes secondes la dignité de la causalité. Ainsi donc, Dieu aurait pu par Lui-même illuminer tous les hommes et les amener à la connaissance de Lui-même; cependant, pour préserver l’ordre qui doit être dans le monde et ennoblir certains hommes, Il a voulu que la connaissance divine parvînt aux hommes par d’autres hommes — Vous êtes vraiment mes témoins, dit le Seigneur 28.
La seconde raison pour laquelle le Christ voulut avoir des témoins, c’est qu’Il illumina le monde par des miracles: or ceux-ci, parce qu’ils furent opérés dans le temps, passèrent avec le temps, de sorte qu’ils n’ont pas atteint tous les hommes. Mais les paroles des prophètes, confiées à l’Ecriture, pouvaient parvenir non seulement à ceux qui étaient présents, mais encore aux hommes à venir. Le Seigneur voulut donc que les hommes viennent à la connaissance du Verbe par le témoignage des prophètes: ainsi, non seulement ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui viendraient ensuite seraient illuminés à son sujet; aussi l’Evangéliste dit-il expressément: AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, non seulement ceux qui étaient présents, mais encore les hommes à venir.
La troisième raison, c’est que les conditions des hommes sont différentes, et qu’ils sont conduits et dis posés de diverses manières à la connaissance de la vérité. En effet, certains sont amenés à la connaissance de la vérité plutôt par les signes et les miracles; d’autres au contraire plutôt par la sagesse. Voilà pourquoi les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quête de la sagesse 29. Pour montrer à chacun une voie de salut, le Seigneur voulut donc ouvrir l’une et l’autre voie, celle des signes et celle de la sagesse. Ainsi, ceux qui ne seraient pas conduits à la voie du salut par les miracles opérés dans l’Ancien et le Nouveau Testament, pourraient du moins parvenir à la connaissance de la vérité 30 par la voie de la sagesse, exposée par les prophètes et les autres livres de l’Ecriture sainte.
Jean Chrysostome 31 donne une quatrième raison les hommes d’intelligence faible ne peuvent saisir en elles-mêmes la vérité et la connaissance de Dieu. Pour se mettre à leur portée, Dieu a voulu illuminer certains hommes plus que les autres sur les mystères divins; de la sorte, les faibles reçoivent d’eux, d’une manière humaine, la connaissance des mystères divins qu’ils n’avaient pas en eux-mêmes la possibilité d’atteindre. C’est pourquoi l’Evangéliste dit AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, c’est-à-dire: IL VINT COMME TEMOIN, non pas à cause de LA LUMIERE, mais à cause des hommes, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI.
Ainsi il est clair que les témoignages des prophètes sont convenables; aussi devons-nous les recevoir, car ils nous sont nécessaires pour connaître la vérité.
120. L’Evangéliste dit AFIN QU’ILS CRUSSENT, parce qu’il y a deux modes de participation à la lumière divine. L’un, parfait, qui a lieu dans la gloire — Dans ta lumière, nous verrons la lumière 32; l’autre, imparfait, que donne la foi, et c’est pour cela qu’IL VINT COMME TEMOIN. A propos de ces deux modes, l’Apôtre dit: Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face; et encore: Maintenant je connais d’une manière partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu 33. De ces deux modes, celui de la participation par la foi précède l’autre, parce que c’est par lui qu’on parvient à la vision — Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 34. Et l’Apôtre Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de clarté en clarté en cette même image 35, c’est-à-dire celle que nous avons perdue. La Glose explique "De la clarté de la foi à la clarté de la vision 36".
L’Evangéliste dit donc: AFIN QUE TOUS CRUS
SENT PAR LUI; car ce n’est pas "afin que tous aussitôt voient Dieu
parfaitement", mais afin que, croyant d’abord par la foi, ils arrivent
plus tard à jouir de la vision dans la patrie.
121. Si l’Evangéliste dit PAR LUI, c’est pour montrer la différence entre Jean-Baptiste et le Christ. Le Christ en effet est venu afin que tous crussent par Lui et en Lui: Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive 37. Tandis que Jean est venu afin que tous crussent, non certes en lui, mais dans le Christ, PAR LUI.
On objectera sans doute que tous ne crurent pas par lui. Si donc il est venu AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, il est venu en vain. A cela je réponds que, autant qu’il dépend de Dieu qui envoya et de Jean qui vint, tous eurent à leur portée un moyen suffisant pour parvenir à la foi; mais que, si tous ne crurent pas, ce fut par la faute de ceux qui décidèrent de tenir leurs yeux baissés vers la terre 38, et ne voulurent pas voir la lumière.
II
IL
N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT [81 RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
122. Jean, sur qui on a tant dit et qui fut envoyé par Dieu, est certes grand; néanmoins sa venue ne suffit pas aux hommes pour le salut; car le salut de l’homme consiste à participer à la lumière elle-même. Si donc Jean avait été la lumière, sa venue aurait suffi aux hommes pour le salut; mais lui-même n’était pas la lumière, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Par suite, la lumière était nécessaire, elle qui devait suffire aux hommes pour le salut.
Ou encore: Jean, on l’a dit, VINT POUR RENDRE
TEMOIGNAGE A LA LUMIERE. Or le témoin possède d’ordinaire une autorité plus
grande que celui à qui il rend témoignage. L’Evangéliste dit donc ici: IL
N’ETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE, pour
qu’on ne croie pas que Jean eût une plus haute autorité que le Christ. Il rend
témoignage en effet non parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il est plus
connu, bien qu’il soit plus petit.
123. Mais une question se pose à propos de ce que dit l’Evangéliste: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. Car on lit en un sens contraire: Autrefois vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur 39 et: Vous êtes la lumière du monde 40. Ainsi, Jean et les Apôtres, et tous les hommes bons, sont lumière. Je réponds: certains disent que Jean n’était pas "la lumière", avec l’article, car cela est propre à Dieu seul; mais que si l’on prend "lumière" sans article, Jean et tous les autres saints sont lumière. Ce qui peut s’expliciter ainsi le Fils de Dieu est la lumière par essence, mais Jean l’est par participation. Et donc, parce que Jean participait à la vraie lumière, il était vraiment apte à RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE: en effet le feu est manifeste de manière plus appropriée par quelque chose d’enflammé que par tout autre chose, et de même la couleur par le coloré.
124. Plus haut [n° 108], l’Evangéliste nous a présenté le Précurseur, le témoin du Verbe incarné; mainte nant il va parler du Verbe incarné Lui-même: de la nécessité de sa venue [l’objet de la présente leçon], de la finalité de cette venue pour nous [n° 142], et enfin du mode de sa venue [n° 165].
La nécessité de la venue du Verbe semble tenir au manque de connaissance de Dieu qui régnait dans le monde. Ainsi, en disant: Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité 1, le Seigneur indique la nécessité de sa venue. Pour expliquer ce manque de connaissance de Dieu, l’Evangéliste montre d’abord qu’il n’est pas imputable à Dieu ni au Verbe, puis il montre qu’il est imputable aux hommes [n° 137] ET LE MONDE NE L’A PAS CONNU.
I
IL
ETAIT LA LUM1ERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. IL
ETAIT DANS LE MONDE, ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI.
Si les hommes ne connaissaient pas Dieu et n’étaient pas illuminés par le Verbe, cela n’était imputable ni à Dieu, ni au Verbe. L’Evangéliste en donne trois raisons. D’abord l’efficacité de la lumière divine: IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE [125]; ensuite la présence de cette divine lumière: IL ETAIT DANS LE MONDE [132]; enfin son évidence: ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI [136].
[9]
IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE.
Le manque de connaissance de Dieu dans le
monde ne provenait donc pas du Verbe, puisqu’Il est efficace. L’Evangéliste
montre d’abord en quoi consiste cette efficacité: IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE
[n° 125]; puis il montre l’efficacité même du Verbe: Il ILLUMINE TOUT HOMME
VENANT EN CE MONDE [n°
127].
125. L’efficacité illuminative du Verbe divin provient de ce qu’IL EST LA LUMIERE, LA VRAIE. Comment le Verbe est LUMIERE et comment Il est LUMIERE DES HOMMES, il est superflu de le répéter à pré sent: nous l’avons suffisamment expliqué plus haut. Nous devons seulement dire ici en quel sens le Verbe est LA LUMIERE, LA VRAIE.
Pour en avoir l’évidence, il faut remarquer que "vrai'", dans l'Ecriture, a trois opposés. Parfois, "vrai" s’oppose à "faux": Rejetant le mensonge, dites la vérité 2 parfois, "vrai" s’oppose à ce qui n’est que figure: La Loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 3, car la vérité des figures de la Loi a été accomplie par le Christ; enfin, "vrai" s’oppose parfois à ce qui participe, comme il est dit dans la Première épître de Jean: Nous sommes dans son vrai Fils 4, c’est-à-dire Celui qui n’est pas fils par participation.
Or il y eut, avant l’avènement du Verbe dans le monde, une lumière que les philosophes se vantaient de posséder; mais celle-ci était fausse car, comme le dit l’Apôtre, Ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est obscurci. Se prétendant sages, ils sont devenus insensés 5; et Tout homme devient insensé par sa science 6. Il y eut d’autre part une lumière que les Juifs se glorifiaient de posséder dans les enseignements de la Loi, mais c’était une lumière qui n’était que figure: Ne possédant en effet que l’ombre des biens à venir, non la réalité des choses, la Loi demeure à jamais incapable (...) de rendre parfaits ceux qui s’avancent vers Dieu 7. Enfin, dans les anges et dans les saints brillait aussi une lumière, puisque la grâce leur avait donné une connaissance plus spéciale de Dieu; mais c’était une lumière participée — Sur qui ne resplendit pas sa lumière? 8, ce qui revient à dire tous ceux qui sont lumineux brillent dans la mesure où ils participent à sa lumière, c’est-à-dire celle de Dieu. Le Verbe de Dieu, Lui, n’était pas une lumière fausse, ni en figure, ni participée, mais Il était la vraie lumière, c’est-à-dire qu’Il était LA LUMIERE par son essence, et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE.
126. Cette affirmation écarte deux erreurs. D’abord celle de Photin 9, qui s’imaginait que le Verbe avait pris son origine de la Vierge. Afin que personne ne puisse le supposer, l’Evangéliste, parlant de l’Incarnation du Verbe, dit: IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, et cela dès l’éternité, non seulement avant la Vierge, mais avant toute créature.
Ces paroles écartent aussi l’erreur d’Arius et d’Origène 10: le Christ, disaient-ils, n’est pas le vrai Dieu, mais Il l’est seulement par participation.
Si c’était vrai, Il ne serait pas LA LUMIERE, LA VRAIE, comme l’affirme l’Evangéliste — Dieu est lumière non par participation, mais la vraie. Si donc le Verbe ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, il est manifeste qu’Il est le vrai Dieu. Ainsi est manifeste en quoi consiste l’efficacité du Verbe divin, cause en nous de la connaissance de Dieu.
QUI
ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE.
127. Telle est l’efficacité du
Verbe, qu’Il ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. Car tout ce qui est [quelque
chose] par participation dérive de ce qui est tel par son essence; ainsi
tout ce qui est enflammé l’est par participation au feu [qui est
feu] par sa nature. Donc, puisque le Verbe est LA VRAIE LUMIERE par son
essence, il faut que tout ce qui est lumineux le soit par le Verbe, dans la
mesure où il participe de Lui. Il est donc vraiment celui QUI ILLUMINE TOUT
HOMME VENANT EN CE MONDE.
128. Pour bien comprendre cette parole, il faut savoir que l’Ecriture envisage le monde de trois points de vue différents. Parfois elle le regarde en tant que créé: le monde a été fait par Lui 12 D’autres fois elle le voit dans la perfection qu’il atteint par le Christ: Dans le Christ, [Dieu] se réconciliait le monde 13. Parfois enfin elle le considère dans sa perversité: Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais 14. Quant à l’illumination, ou au fait d’être illuminé par le Verbe, elle peut s’entendre de deux façons: soit de la lumière de la connaissance naturelle: Elle a été gravée sur nous, la lumière de ton visage, Seigneur 15, Soit de la lumière de la grâce: Lève-toi, sois illuminée, Jérusalem 16.
129. Ces deux distinctions établies, on éclaircira facilement un doute qui peut surgir de ces paroles.
En effet, l’Evangéliste dit du Verbe: IL ILLUMINE TOUT HOMME; cela semble inexact puisque, en ce monde, beaucoup d’hommes sont encore dans les ténèbres. Mais si, nous rappelant les distinctions mention nées, nous regardons le monde du point de vue de sa création, et l’illumination comme la lumière de la raison naturelle, la parole de l’Evangéliste ne contient rien de faux. En effet, si tous les hommes venant en ce monde sensible sont illuminés par la lumière de la raison naturelle, c’est par participation à cette VRAIE LUMIERE dont dérive toute lumière de connaissance naturelle. En disant: VENANT EN CE MONDE, l’Evangéliste utilise une façon de parler; il ne veut pas dire que les hommes auraient vécu un certain temps hors du monde, avant de venir dans le monde, ce qui serait contraire à la pensée de l’Apôtre: Alors que les enfants de Rébecca n’étaient pas encore nés, qu’ils n’avaient fait ni bien ni mal (pour que demeure le dessein de Dieu, dessein de. libre choix, qui dépend non des oeuvres mais de Celui qui appelle), il lui fut dit: "L’aîné sera assujetti au plus jeune," ainsi qu’il est écrit: "J’ai aimé Jacob, mais Esaü, je l’ai haï" 17. Puisque ces enfants n’avaient rien fait avant de naître, il est donc clair que l’âme humaine n’existe pas avant son union avec le corps.
Jean dit aussi VENANT EN CE MONDE pour
montrer que c’est en tant qu’ils viennent dans le monde, que les hommes sont
illuminés par Dieu, c’est-à-dire en tant qu’ils ont une intelligence provenant
d’une cause extrinsèque. Car l’homme est constitué d’une nature double
corporelle, c’est-à-dire animale ou sensible, et intellectuelle. Selon sa
nature corporelle ou sensible, il est éclairé par la lumière corporelle et
sensible, et selon son âme et sa nature intellectuelle, il est éclairé par la
lumière intellectuelle et spirituelle. Ainsi l’homme, selon sa nature
corporelle, ne VIENT pas dans ce monde, il est de ce monde; [s'il
vient en ce monde, c’est comme il a été dit, selon sa nature intellectuelle qui
provient d’une cause extrinsèque, c’est-à-dire de Dieu, par la création [ainsi que
le rappelle l’Ecclésiaste]: Souviens-toi de ton créateur (...) avant que toute chair retourne
à son origine, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a créé 18. Par
conséquent, dans l’expression VENANT EN CE MONDE, l’Evangéliste montre que
l’illumination concerne ce qui provient d’une [extrinsèque, c’est-à-dire
l’intelligence.
130. Mais si l’illumination se comprend de la lumière de la grâce, il y a trois manières d’expliquer ces paroles: Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME.
La première, celle d’Origène 19, nous amène à considérer le monde dans sa perfection, à laquelle l’homme réconcilié avec Dieu est conduit par le Christ. Il est dit alors: le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, par la foi, EN CE MONDE spirituel, c’est-à-dire l’Eglise, illuminée par la lumière de la grâce.
Chrysostome 20, lui, regarde le monde en tant que créé et montre comment le Verbe, voulant que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité 21, ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, c’est-à-dire naissant, EN CE MONDE sensible, autant que cela dépend de Lui, puisque de son côté Il ne fait défaut à personne. Si donc quelqu’un n’est pas illuminé, cela vient de lui, parce qu’il se détourne de la lumière qui l’illumine.
Enfin Augustin 22, dans l’expression ILLUMINE TOUT
HOMME, donne au mot TOUT une acception particulière. Le sens n’est pas: Le
Verbe ILLUMINE TOUT HOMME en général, mais tout homme qui est illuminé;
c’est-à-dire qu’aucun homme n’est illuminé, sinon par le Verbe. Et (toujours
selon Augustin 23), le monde étant alors considéré sous l’aspect de sa perversité et
de sa déficience, l’Evangéliste, en ajoutant VENANT EN CE MONDE, donne la
raison pour laquelle l’homme a besoin d’être illuminé; comme s’il disait:
l’homme a besoin d’être illuminé, parce qu’il vient dans ce monde enténébré par
sa perversité et ses déficiences, et rempli d’ignorance. A propos du monde
spirituel du premier homme avant le péché, il est écrit: Il est venu nous
visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans
les ténèbres et l’ombre de la mort 24.
131. Les mêmes paroles: Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, renversent l’erreur des Manichéens pour qui les hommes et le monde avaient été créés par un principe contraire, c’est-à-dire le diable. En effet, si l’homme était une créature du diable, à sa venue dans ce monde il ne serait pas illuminé par Dieu ou par le Verbe, puisque le Christ est venu dans ce monde pour détruire les oeuvres du diable 25.
132. Ainsi donc, l’efficacité du Verbe divin prouve que le manque de connaissance divine chez les hommes ne provient pas du Verbe Lui-même, qui, puisqu’IL EST LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, est capable de les illuminer tous.
[l0a]
IL ETAIT DANS LE MONDE
Pour qu’on ne croie pas que ce manque vient
de l’éloignement ou de l’absence de la véritable lumière, l’Evangéliste ajoute:
IL ETAIT DANS LE MONDE — Dieu n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en
Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être 26. En d’autres termes le Verbe
divin est efficace et présent dans ce monde pour illuminer.
133. Mais, remarquons-le, on peut être dans le monde de trois façons. Soit comme contenu en lui, à la manière d’un objet localisé dans un lieu; [ainsi le Seigneur dira des Apôtres]: Eux sont dans le monde 27. Soit comme partie dans le tout, puisque toute partie du monde est dans le monde même si elle n’y est pas comme dans un lieu; ainsi les substances spirituelles, bien qu’elles ne soient pas localisées dans le monde, en font néanmoins partie: Dieu a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment.
Mais LA VRAIE LUMIERE n’était dans le monde ni de l’une ni de l’autre manière, puisqu’elle n’est ni susceptible d’être localisée, ni partie de l’univers. Au con traire, s’il est permis de parler ainsi, c’est tout l’univers, d’une certaine façon, qui en est partie, lui qui ne participe que partiellement à sa bonté. IL ETAIT donc DANS LE MONDE d’une troisième manière, comme sa cause [efficiente] et conservatrice — Est-ce que le ciel et la terre, moi, je ne les remplis pas? 29.
Cependant il en va autrement du Verbe de
Dieu, agent et cause de toutes choses, et des autres agents. Ceux-ci en effet
agissent de l’extérieur, et puisque de fait ils n’agissent qu’en mouvant et
modifiant de quelque façon ce qui est extrinsèque à la réalité, ils n’opèrent
que comme des [agents] extrinsèques. Mais Dieu opère en toutes les réalités comme agissant
de l’intérieur, par ce qu’Il agit en créant. Or créer, c’est donner l’acte
d’être à la réalité créée; et puisque l’acte d’être est ce qu’il y a de plus
intime en chaque réalité, Dieu, qui en opérant donne l’acte d’être, opère dans
les réalités comme agissant de l’intérieur. IL ETAIT donc DANS LE MONDE, comme
donnant au monde l’acte d’être.
134. On dit communément que Dieu est en toutes réalités par son essence, sa présence et sa puissance. Pour le comprendre, il faut savoir que quelqu’un est dit être par sa puissance en tous ceux qui sont soumis à sa puissance: comme le roi est dit être par sa puissance dans tout le royaume qui lui est soumis, sans toute fois y être par sa présence ni par son essence. Par sa présence, quelqu’un est dit être en toutes les réalités qui sont sous son regard, comme le roi est dit être par sa présence dans sa demeure. Mais quelqu’un est dit être par son essence dans les réalités en lesquelles est sa substance: comme le roi est [dans sa propre individualité] en un seul lieu déterminé.
Nous disons que Dieu est partout dans le monde par sa puissance, car toutes choses sont soumises à son pouvoir — Si je monte au ciel, tu y es (...) si je prends mes ailes dès l’aurore et que j’aille habiter aux confins de la mer, là encore ta main me conduira et ta droite me saisira 30. Dieu est aussi partout par sa présence, car tout ce qui est dans le monde est nu et découvert à ses yeux 31. Enfin Dieu est partout par son essence, car son essence est ce qu’il y a de plus intime en toutes les réalités en effet, chaque agent, en tant qu’il agit, doit nécessairement être conjoint à son effet de façon immédiate, puisque le moteur et ce qui est mû doivent être simultanés. Or Dieu crée et conserve toutes choses selon l’acte d’être de chaque réalité. Et puisque l’acte d’être est ce qu’il y a de plus intime en chaque réalité, il est manifeste que Dieu est dans toutes les réalités par son essence, par laquelle Il les crée.
135. Remarquons-le, l’Evangéliste emploie à dessein le mot ETAIT lorsqu’il dit Le Verbe ETAIT DANS LE MONDE, pour montrer que dès le commencement de la création Il avait toujours été dans le monde, causant et conservant toutes choses; car si Dieu retirait un seul instant des réalités créées sa puissance, elles seraient toutes réduites au néant et cesseraient d’exister. Origène 32 emploie à ce sujet une heureuse comparaison: il y a, dit-il, le même rapport entre la parole sensible et notre verbe, qu’entre toute la création et le Verbe divin.
Comme notre parole est l’effet du verbe conçu
dans notre esprit, ainsi toute la création est l’effet du Verbe conçu dans
l’esprit divin: Dieu a dit et tout a été créé. Aussi, comme nous voyons notre
parole sensible s’arrêter aussitôt que notre verbe fait défaut, de même, si la
vertu du Verbe divin était soustraite aux réalités, toutes disparaîtraient à
l’instant même; car Dieu sou tient tout par la puissance de son Verbe.
136. Il est donc manifeste que le manque de con naissance de Dieu chez l’homme ne vient pas de l’absence du Verbe, puisqu’IL ETAIT DANS LE MONDE.
ET
LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI.
Cette ignorance ne vient pas non plus de l’invisibilité du Verbe ou du fait qu’Il se cache, puisqu’Il a produit une oeuvre en laquelle sa similitude resplendit de façon évidente: le monde — La grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur créateur 35; et: Les [perfections] invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses oeuvres, ainsi que sa puissance éternelle et sa divinité 36. Voilà pourquoi l’Evangéliste ajoute aussitôt: ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, pour montrer que dans le monde, LA LUMIERE elle-même a été manifestée. De même que l’oeuvre manifeste l’art de l’artiste, la forme de l’oeuvre d’art n’étant autre que la similitude de l’idée qui est dans l’esprit de l’artiste, ainsi le monde entier n’est autre qu’une certaine représentation de la sagesse divine conçue dans l’esprit du Père — Dieu en effet a répandu sa sagesse sur toutes ses œuvres 37.
Il est ainsi manifeste que le manque de connaissance divine ne vient pas du Verbe. En effet, étant LA VRAIE LUMIERE, Il est efficace; Il est présent parce qu’IL ETAIT DANS LE MONDE; et Il est évident puis que LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI.
137. En disant cela,
l’Evangéliste montre d’où provient ce manque de connaissance de Dieu: ce manque
ne vient pas du Verbe mais du MONDE qui NE L’A PAS CONNU. Il dit: LE MONDE NE
L’A PAS CONNU, "Lui", de façon personnelle, parce que plus
haut il avait dit que le Verbe était non seulement LUMIERE DES HOMMES, mais
Dieu: c’est pourquoi en disant "Lui", il entend Dieu. Jean
emploie ici le mot "monde" pour l’homme, car les anges L’ont
connu par leur intelligence, les éléments L’ont connu en Lui obéissant, mais LE
MONDE, c’est-à-dire l’homme, habitant du monde 38, NE L’A PAS CONNU.
138. Nous pouvons attribuer ce manque de connaissance de Dieu à la nature de l’homme ou bien à sa faute.
A sa nature car, en dépit de tous les secours susdits donnés à l’homme pour l’amener à la connaissance de Dieu, la raison humaine cependant défaille dans cette connaissance: Chacun Le considère de loin. Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 39. Et si quelques-uns L’ont connu, ce n’est pas en tant qu’ils furent dans le monde, mais au contraire en tant qu’ils furent au delà du monde et tels que le monde n’était pas digne d’eux 40, C’est pourquoi, s’ils perçurent dans leur esprit quelque chose d’éternel, ce fut en tant qu’ils n’étaient pas de ce monde.
Mais si on attribue à la faute de l’homme son man que de connaissance divine, les paroles: LE MONDE NE L’A PAS CONNU expriment la raison pour laquelle Dieu n’est pas connu. Dans ce cas le monde est pris pour l’homme qui aime le monde de manière désordonnée. Autrement dit, LE MONDE NE L’A PAS CONNU parce que les hommes aiment le monde; et l’amour du monde, dit Augustin 41, détourne au plus haut degré de la connaissance de Dieu, car l’amour du monde rend ennemi de Dieu 42, Or celui qui n’aime pas Dieu ne peut pas Le connaître: L’homme charnel n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 43.
139. Ainsi se trouve résolue la vaine question des païens: si c’est depuis peu de temps que le Fils de Dieu s’est fait connaître au monde pour le salut des hommes, il semble qu’avant ce temps Il ait méprisé la nature humaine. Il faut leur répondre: Dieu n’a pas méprisé la nature humaine; Il fut toujours dans le monde et, pour ce qui est de Lui, Il est connaissable par tous. Si quelques-uns ne L’ont pas connu, ce fut de leur faute, parce qu’ils aimaient le monde.
ET
LE MONDE NE L’A PAS CONNU.
140. II faut remarquer encore que l’Evangéliste parle ici de l’Incarnation du Verbe afin de montrer que c’est le même Verbe qui est incarné, qui était au commencement auprès de Dieu, qui est Dieu.
Il reprend ici ce qu’il avait dit auparavant
au sujet du Verbe Le Verbe était la lumière des hommes; ici il dit: IL ETAIT LA
LUMIERE, LA VRAIE. Plus haut il avait dit: tout a été fait par Lui; ici il dit
ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI. Plus haut il avait affirmé: sans Lui rien n’a
été fait, c’est-à-dire, selon une interprétation, toutes choses sont conservées
par Lui; ici il dit: IL ETAIT DANS LE MONDE, créant et conservant toutes
choses. Là il avait affirmé Et les ténèbres ne l’ont pas étreinte; ici: ET LE
MON DE NE L’A PAS CONNU. Tout ce qui est dit à la suite de ce verset: IL ETAIT
LA LUMIERE, LA VRAIE, est donc comme une explicitation des versets précédents.
141. Tout ce qui précède nous permet de découvrir trois motifs pour lesquels Dieu a voulu s’incarner.
Le premier est la perversité de la nature humaine, que sa propre malice avait plongée dans les ténèbres des vices et de l’ignorance. C’est pourquoi l’Evangéliste avait dit de la lumière: Les ténèbres ne l’ont pas étreinte. Dieu est donc venu dans la chair pour que les ténèbres puissent saisir la lumière, c’est-à-dire parvenir à sa connaissance: Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière 44.
Le second motif de l’Incarnation est l’insuffisance du témoignage des prophètes: Les prophètes en effet étaient venus, mais ils ne pouvaient éclairer suffisamment les hommes, car [il pouvait dire de chacun d’eux comme] de Jean lui-même: IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE. C’est pourquoi il était nécessaire qu’après la prédiction des prophètes, après la venue de Jean, LA LUMIERE elle-même vînt et livrât au monde la connaissance d’elle-même; c’est ce que dit l’Apôtre: Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos Pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 45 et Pierre: Ainsi nous tenons d’autant plus ferme la parole prophétique à laquelle vous faites bien de prêter attention (...) jusqu’à ce que le jour vienne à poindre et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs 46.
Le troisième motif de l’Incarnation est la déficience des créatures. En effet les créatures n’étaient pas suffisantes pour conduire à la connaissance du Créateur
LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, ET LE MONDE NE L’A PAS CONNU. Il était donc nécessaire que le Créateur Lui-même vînt dans le monde par la chair et qu’Il se fît connaître par Lui-même: Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants 47.
142. Après avoir montré la nécessité de l’Incarnation du Verbe, l’Evangéliste manifeste sa finalité 1 pour les hommes.
Il fait connaître en premier lieu la venue de la lumière: IL EST VENU CHEZ LUI [n° 143]; puis la rencontre des hommes avec cette lumière: ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU; MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU [n° 145]; enfin le fruit de sa venue: IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU [n° 148]. IL EST VENU CHEZ LUI
143. Selon Jean, cette lumière
qui était présente au monde et évidente ou manifeste par ses effets n’était
pourtant pas connue [du monde]. Aussi le Verbe est-Il VENU CHEZ LUI pour se faire connaître. La parole
de l'Evangéliste ne doit pas être comprise d’un mouvement local: car venir
signifierait alors cesser d’être où l’on était auparavant pour commencer d’être
où l’on n’était pas. Pour éviter cette interprétation, l’Evangéliste dit IL EST
VENU CHEZ LUI, c’est-à-dire dans ce qui était sien, qu’Il a fait Lui-même, là
où Il était déjà — Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde 2.
L’expression CHEZ LUI signifie pour certains la Judée, qui était sienne d’une
manière spéciale — Dieu est connu en Judée 3, et: La vigne du Seigneur des
armées, c’est la maison d’Israël 4. Mais il vaut mieux dire que CHEZ LUI signifie le monde créé par
Lui — Au Seigneur, la terre et tout ce qu’elle renferme 5.
144. Cependant, s’Il était déjà dans le monde, comment a-t-Il pu y venir?
II faut répondre que venir dans un lieu peut s’entendre de deux manières: ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où Il ne se trouvait en aucune façon auparavant, ou bien de quelqu’un qui va en un lieu où d’une certaine manière Il était déjà, mais où il commence d’être d’une manière nouvelle. Tel le roi qui, déjà présent par sa puissance dans quelque cité de son royaume, y vient ensuite en personne; on dit qu’il vient là où il était déjà. Là où il était seulement par sa puissance, il est venu par sa substance. Ainsi le Fils de Dieu est venu dans le monde, et pourtant Il était dans le monde. A la vérité, Il y était par son essence, sa puissance et sa présence, mais Il y est venu en assumant la chair; Il y était invisiblement, Il est venu pour y être visiblement.
II
ET
LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU. MAIS A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU…
[llb]
ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU.
145. L’Evangéliste parle ici de la rencontre des hommes avec le Verbe: ceux-ci se comportèrent de différentes manières à l’égard de Celui qui venait, car certains Le reçurent, d’autres non, et c’étaient LES SIENS; c’est pourquoi il dit: ET LES SIENS NE L’ONT PAS REÇU. LES SIENS, ce sont tous les hommes parce qu’ils ont été formés par Lui — Le Seigneur forma l’homme de la poussière du sol 6. Sachez-le, le Seigneur est Dieu et c’est Lui qui nous a faits 7, et qu’ils ont été faits à son image — Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance 8.
Cependant il est préférable de dire: LES SIENS, c’est-à-dire les Juifs, NE L’ONT PAS REÇU, par la foi, en croyant en Lui et en L’honorant — Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez pas reçu 9. J’honore mon Père et vous, vous me déshonorez 10. Les Juifs sont SIENS en vérité, car Il les a choisis pour son propre peuple — Le Seigneur t’a choisi comme nation qui soit bien à Lui 11. Ils sont SIENS parce qu’ils sont ses parents selon la chair 12 et parce qu’ils ont été élevés par ses bienfaits — Mes fils, je vous ai nourris et exaltés 13 Mais bien qu’ils fussent SIENS, c’est-à-dire Juifs, ils ne L’ont pas reçu.
MAIS
A TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU...
146. Il n’en manqua cependant
pas pour Le recevoir; aussi l’Evangéliste ajoute-t-il: MAIS A TOUS CEUX QUI
L’ONT REÇU. L’emploi de l’expression TOUS CEUX montre que l’accomplissement de
la pro messe fut plus grand que la promesse elle-même: celle-ci ne s’adressait
qu’aux SIENS, c’est-à-dire aux Juifs — Le Seigneur seul est notre législateur,
le Seigneur est notre roi; c’est Lui qui nous sauvera 14;
l’accomplissement, lui, concerna non seulement les SIENS, mais TOUS CEUX QUI
L’ONT REÇU, c’est-à-dire tous ceux qui croient en Lui [selon
l’enseignement de saint Paul]: Je l’affirme en effet, le Christ Jésus s’est fait ministre de la
circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses
faites à nos pères tandis que les païens glorifient Dieu à cause de sa
miséricorde 15, car Dieu les accueille miséricordieusement.
147. Si Jean a dit: TOUS CEUX, c’est pour montrer que Dieu donne indifféremment sa grâce à tous ceux qui reçoivent le Christ — La grâce de l’Esprit Saint s’est répandue aussi sur les païens 16. Le Seigneur la donne non seulement aux hommes mais aux femmes également — Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; vous n’êtes tous qu’un dans le Christ Jésus 17.
III
...
IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM,
QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME,
MAIS DE DIEU.
148. L’Evangéliste rapporte le fruit de la venue du Verbe et en expose d’abord la magnificence [n° 149] puis il montre à qui Il donne ce fruit: A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM [n° 157]; enfin comment Il leur a donné ce fruit: QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, MAIS DE DIEU [n° 160].
[12bJ...
IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU
149. Le fruit de la venue du
Fils de Dieu est grand car, par elle, les hommes deviennent fils de Dieu — Dieu
envoya son Fils, né d’une femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs 18. Ne convenait-il pas que nous qui sommes fils de Dieu par le fait
que nous sommes rendus semblables au Fils, nous soyons transformés par ce même
Fils?
150. Pour comprendre ces paroles de Jean, il faut savoir que les hommes sont triplement fils de Dieu, par une triple assimilation à Dieu.
Par le don de la grâce. Quiconque a la grâce sanctifiante est fait fils de Dieu — Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption filiale qui nous fait crier Abba, Père 19; Parce que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père 20.
Par la perfection de nos oeuvres. Celui qui accomplit les oeuvres de la justice est fils de Dieu: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes 21.
Par l’acquisition de la gloire à la fois dans
l’âme par la lumière de gloire — Lorsqu’il apparaîtra, nous Lui serons
semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est et dans le corps — Le
Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misère pour le conformer à
son corps de gloire avec cette force qu’Il a de pouvoir se soumettre même
l’univers entier 23. C’est bien ce que dit Paul: Nous attendons l’adoption des enfants
de Dieu, la rédemption de nos corps 24.
151. Si donc nous considérons que le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU se rapporte à la perfection des oeuvres ou à l’acquisition de la gloire, le texte de Jean IL LEUR A DONNE POUVOIR n’offre aucune difficulté; on l’entend alors de la puissance de la grâce par laquelle l’homme qui la possède peut accomplir les oeuvres de la perfection et acquérir la gloire, car la grâce de Dieu, c’est la vie éternelle 25. Selon cette interprétation, on dit IL A DONNE, à ceux qui L’ont reçu, le POUVOIR, c’est-à-dire le don de la grâce, DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en accomplissant le bien et en acquérant la gloire.
152. Mais si nous entendons le
POUVOIR DE DEVE NIR ENFANTS DE DIEU du don même de la grâce, ce que dit
l'Evangéliste devient équivoque, car il n’est pas en notre pouvoir de DEVENIR
ENFANTS DE DIEU, puisqu’il n’est pas en notre pouvoir de posséder la grâce. IL
LEUR A DONNE POUVOIR peut s’entendre alors soit du pouvoir de la nature, et
cela ne semble pas être vrai parce que le don de la grâce est au-dessus de
notre nature; soit du pouvoir de la grâce, et alors avoir la grâce serait avoir
le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, et ainsi le Verbe ne leur aurait pas
donné le pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, mais d’être enfants de Dieu.
153. Voici la réponse à cette difficulté: quand Il accorde sa grâce pour la justification, Dieu requiert de l’homme adulte son consentement par le mouvement de son libre arbitre. C’est pourquoi, parce qu’il est au pouvoir de l’homme de donner ou de refuser son consentement, Dieu lui A DONNE POUVOIR de devenir enfant de Dieu.
Dieu a donné aux hommes ce pouvoir de
recevoir sa grâce de deux manières. En premier lieu Il les prépare à cette
grâce et la leur propose. En effet, de celui qui compose un livre et en
présente la lecture à un homme, on dit qu’il donne à l’homme le pouvoir de lire
ce livre. De même le Christ, par qui la grâce nous a été communiquée 26, et qui
a opéré le salut au milieu de la terre 27, nous A DONNE POUVOIR DE DEVENIR
EN FANTS DE DIEU par la réception de la grâce.
154. En second lieu, parce que cela ne suffit pas — puisque pour être mû à recevoir la grâce, le libre arbitre a encore besoin du secours de la grâce divine, non certes de la grâce habituelle, mais d’une motion actuelle 28 — Dieu donne ce pouvoir en mouvant le libre arbitre de l’homme à consentir à recevoir la grâce, suivant cette parole: Convertis-nous à toi, Seigneur, en mouvant notre volonté à t’aimer, et nous serons convertis 29. Et cette motion est appelée appel intérieur, celui dont parle l’Apôtre Ceux qu’Il a appelés, en incitant intérieurement leur volonté à consentir à la grâce, Il les a justifiés, en répandant en eux la grâce 30.
155. Cependant, par cette grâce,
l’homme a le pou voir de se conserver dans la filiation divine; on peut donc
dire alors: IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui Le reçoivent, le POUVOIR
DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à savoir la grâce qui leur donne le pouvoir de se
conserver dans la filiation divine — Quiconque est né de Dieu ne pèche pas,
mais la génération de Dieu, par laquelle nous sommes régénérés en fils de Dieu,
LE PROTEGE 31.
156. Ainsi, par la grâce sanctifiante, par la perfection des oeuvres et par l’acquisition de la gloire, le Verbe a donné A CEUX QUI L’ONT REÇU le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en les préparant à recevoir la grâce, en les poussant à [y consentir] et en la leur conservant.
{1,
12b] A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM
157. En disant cela l’Evangéliste montre à qui est accordé le fruit de la venue du Verbe. Ces paroles peu vent être comprises comme une explication de ce qui a été dit plus haut, ou bien comme apportant une restriction.
Comme une explication: pour expliciter le
sens de TOUS CEUX QUI L’ONT REÇU, pour montrer ce que c’est que Le recevoir,
Jean ajoute A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM; comme s’il disait: recevoir le
Christ, c’est croire en Lui, car le Christ habite dans vos coeurs par la foi 32.
Ceux-là donc L’ONT REÇU, qui CROIENT EN SON NOM.
158. Comme apportant une
restriction: selon Origène 33, les paroles A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM doivent s’entendre comme
restreignant les précédentes TOUS CEUX QUI LE REÇOIVENT. Beaucoup en effet se
disant chrétiens reçoivent le Christ, mais sans devenir pour autant fils de
Dieu, parce qu’ils ne croient pas vraiment en son nom, enseignant à son sujet
de faux dogmes, c’est-à-dire soustrayant quelque chose soit à sa divinité soit
à son humanité — Tout esprit qui divise le Christ n’est pas de Dieu 34. Aussi
l’Evangéliste précise-t-il: IL LEUR A DONNE, c’est-à-dire à ceux qui L’ont reçu
par la foi, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, à ceux-là cependant QUI
CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui gardent intègre le nom du Christ, ne
retranchant rien à sa divinité ni à son humanité.
159. On peut aussi rapporter ces paroles à la formation de la foi 35; elles signifient alors: A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, c’est-à-dire qui font des œuvres de salut, grâce à leur foi informée par la charité, le Verbe A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Ceux qui n’ont qu’une foi informe ne croient pas en son nom, parce qu’ils ne travaillent pas en vue du salut. Cependant la première interprétation est plus appropriée.
QUI
NE SONT PAS NES DU SANG, NI D’UN VOULOIR DE CHAIR, NI D’UN VOULOIR D’HOMME,
MAIS DE DIEU.
160. En disant cela l’Evangéliste montre de quelle manière ce fruit si magnifique est accordé aux hommes. Il vient de dire que le fruit de la venue de la lumière est le POUVOIR donné aux hommes DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Or on dit de quelqu’un qu’il est fils du fait qu’il naît. Mais afin qu’on ne pense pas que les enfants de Dieu naissent par une génération naturelle, l’Evangéliste dit: QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Il faut remarquer ici que la génération charnelle implique une double cause, à savoir la cause matérielle et celle qui pousse à l’acte. Or la cause matérielle de la génération est le sang et c’est pourquoi il dit: QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Bien que le mot "sang" en latin n’ait pas de pluriel, parce qu’en grec il en a un le traducteur latin a négligé la grammaire pour enseigner parfaitement la vérité. Aussi n’a-t-il pas dit: "Nés du sang", comme les latins, mais: "Nés des sangs". Par cette expression il faut entendre tout ce qui est engendré du sang et concourt comme matière à la génération charnelle. Or la semence, d’après Aristote, est le superflu de la nourriture du sang 36. Aussi, semence de l’homme ou menstrues de la femme, l’Evangéliste les désigne par le SANG. La cause sous la motion de laquelle s’accomplit l’acte charnel est la volonté de ceux qui s’unissent, c’est-à-dire l’homme et la femme; car, bien que l’acte de la fonction génératrice en tant que tel ne soit pas soumis à la volonté, du moins les préambules lui sont-ils soumis. Aussi Jean dit-il QUI NE SONT PAS NES D’UN VOULOIR DE CHAIR, c’est-à-dire de la femme, NI D’UN VOULOIR D’HOMME, comme cause efficiente, MAIS DE DIEU — comme s’il disait: ils sont devenus enfants de Dieu d’une manière non pas charnelle mais spirituelle.
D’après Augustin 37 la chair, ici, désigne la femme car, de même que la chair obéit à l’esprit, de même la femme doit obéir à l’homme — Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair, dit Adam en parlant d’Eve 38. Et selon la remarque d’Augustin 39, de même que les riches ses d’une maison sont réduites à rien là où la femme commande et où le mari obéit, de même c’est la ruine pour l’homme en qui la chair domine l’esprit; aussi l’Apôtre dit-il: Nous ne sommes pas débiteurs envers la chair pour vivre selon la chair 40. Et au sujet de la génération charnelle, nous lisons: J’ai été fait chair dans le sein de ma mère 41.
161. Ou bien nous pouvons dire
que ce qui pousse l’homme à la génération charnelle est double: d’une part, du
côté de l’appétit spirituel, la volonté; d’autre part, du côté sensible, la
concupiscence. Pour désigner la cause matérielle, Jean dit: NON DU SANG; et
pour désigner la cause efficiente, du côté de la concupiscence, il dit: NI D’UN
VOULOIR DE CHAIR. Certes c’est d’une manière impropre qu’il parle de volonté à
propos de la concupiscence de la chair, mais c’est bien en ce sens qu’il est
écrit: La chair convoite contre l’esprit et l’es prit contre la chair; en
effet, ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que
vous voulez 42. La volonté s’entend ici de la volonté de la chair, qui est la
concupiscence, et de la volonté de l’esprit. Et pour l’appétit spirituel,
l’Evangéliste dit: NI D’UN VOULOIR D’HOMME. Ainsi, la génération des enfants de
Dieu n’est point charnelle, mais spirituelle, parce qu’ils sont nés de Dieu —
Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde 43.
162. Il faut remarquer que la préposition latine a (par) indique toujours la cause qui meut, tandis que la préposition de indique toujours la cause matérielle et efficiente, et même la cause consubstantielle. Nous disons en effet que l’artisan fabrique un couteau de ferro, avec du fer, et que le père engendre son fils de seipso, de lui-même, car quelque chose de lui concourt d’une certaine manière à la génération du fils. Quant à la préposition ex (de), on l’utilise dans un sens plus général; elle désigne la cause matérielle et efficiente, mais non la cause consubstantielle.
Or seul le Verbe est le Fils de Dieu, de la
substance du Père; bien plus Il est une seule substance avec le Père, tandis
que les autres, les hommes justes, sont fils de Dieu sans toutefois être de sa
substance. L’Evangéliste, pour cette raison, se sert de la préposition ex pour
dire de ces derniers qu’ils sont nés de Dieu, ex Deo; mais, du Fils selon la
nature, on dit d’une manière uni que qu’Il est né de Dieu le Père, de Deo
Patre.
163. Remarquons enfin que d’après la dernière explication sur la génération charnelle, nous pouvons reconnaître une autre différence entre cette génération et la génération spirituelle.
En effet celle-là, parce qu’elle vient du sang, est charnelle; et celle-ci, parce qu’elle ne vient pas du sang, est spirituelle — Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit 44. Parce qu’elle vient d’un vouloir de chair, c’est-à-dire de la concupiscence, la génération charnelle est impure et engendre des enfants pécheurs — Jadis (...) nous étions par nature enfants de colère 45. Au contraire, celle qui vient d’un vouloir d’homme, c’est-à-dire de l’esprit, est pure et fait des fils de lumière 46.
De plus, selon la première explication, la
génération charnelle, parce qu’elle vient d’une volonté d’homme, engendre des
enfants d’homme; tandis que la génération spirituelle, parce qu’elle vient de
Dieu, engendre des enfants de Dieu.
164. Si nous voulons rapporter au baptême, par lequel nous sommes régénérés en enfants de Dieu, les paroles: IL LEUR A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, nous pouvons voir en elles l’ordre requis pour le baptême. Pour celui-ci, en effet, est exigée en premier lieu la foi au Christ; aussi les catéchumènes doivent-ils être d’abord instruits de la foi, afin de croire EN SON NOM et d’être ensuite régénérés par le baptême, [par lequel ils naissent] non certes DU SANG, d’une manière charnelle, MAIS DE DIEU, d’une manière spirituelle.
165. L’Evangéliste vient de montrer la nécessité et l’avantage qui a résulté pour les hommes de la venue du Verbe dans la chair; il explique maintenant comment s’est réalisée cette venue: ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, ET IL A HABITE PARMI NOUS.
C’est la suite des paroles précédentes: Il
est venu chez Lui 1, et c’est comme si Jean affirmait: le Verbe de Dieu est venu chez
Lui. Mais pour qu’on ne croie pas que cette venue implique un changement de
lieu, l’Evangéliste montre comment Il est venu: en se faisant chair; en effet
Il est venu de la manière dont Il a été envoyé par le Père, et Il a été envoyé
par le Père en étant fait chair — Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme 2; ce qui fait dire à Augustin: "Tel Il a été fait, tel Il a
été envoyé".
ET
LE VERBE S’EST FAIT CHAIR
Pour Jean Chrysostome 3, ces paroles se relient à celles-ci: A tous ceux qui L’ont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. En effet, l’Evangéliste a dit: Il leur a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu 4; et parce qu’on pourrait se demander d’où vient ce pouvoir, il répond en ajoutant avec raison que LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; autrement dit, le fait même que le Verbe se soit fait chair nous a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu — Dieu a envoyé son Fils né d’une femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs.
Cependant, pour Augustin 5 qui les
rattache aux paroles précédentes nés de Dieu, ces mots sont comme un argument
pour convaincre ceux qui trouveraient dur de croire que les hommes sont nés de
Dieu; pour que l’on croie que c’est bien vrai, l’Evangéliste ajoute une autre
assertion encore moins vraisemblable: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. Autrement dit:
ne t’étonne pas si des hommes sont nés de Dieu, puisque le VERBE S’EST FAIT
CHAIR, c’est-à-dire: Dieu s’est fait homme.
166. Remarquons que certains, comprenant mal cette affirmation LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, en prirent prétexte à erreur.
En effet les uns affirmèrent que le Verbe s’était fait chair en ce sens qu’Il s’était changé en chair, Lui ou une partie de son être, tout comme de la farine devient du pain, ou de l’air se change en feu. Ce fut l’erreur d’Eutychès 6: il se fit dans le Christ, disait-il, une combinaison des deux natures, et en Lui la nature de Dieu et celle de l’homme étaient la même. La fausseté de cette opinion est manifeste, car l’Evangéliste dit plus haut: le Verbe était Dieu 7. Or Dieu est immuable, comme Il le dit Lui-même: Moi je suis Dieu et je ne change point 8. Il ne peut donc en aucune manière être changé en une autre nature. Aussi faut-il dire contre Eutychès 6: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; cela signifie qu’Il a pris la chair, et non que le Verbe Lui-même soit la chair elle-même. C’est comme si nous disions: "L’homme s’est fait blanc"; cela ne signifie rait pas que l’homme soit la blancheur elle-même, mais qu’il a pris la blancheur.
167. D’autres, tout en croyant que le Verbe ne s’est pas changé en chair, mais qu’Il l’a prise, affirmèrent cependant qu’Il avait pris la chair sans âme; car, disaient-ils, s’Il avait pris une chair animée, l’Evangéliste aurait dit: "Le Verbe s’est fait chair animée". Telle fut l’erreur d’Arius 9: il disait que dans le Christ il n’y avait pas d’âme, mais que le Verbe de Dieu en tenait lieu.
La fausseté de cette thèse apparaît dans son opposition à l’Ecriture Sainte qui, en plusieurs endroits, fait mention de l’âme du Christ, par exemple en Matthieu où le Seigneur dit: Mon âme est triste jusqu’à la mort 10; de plus elle attribue au Christ des passions de l’âme qui ne peuvent en aucune façon se trouver dans le Verbe de Dieu, ni non plus dans la chair seule: Jésus commença à ressentir tristesse et angoisse 11. De plus, Dieu ne peut être la forme d’un corps: même un ange ne peut être uni à un corps à la manière d’une forme puisque, par nature, il est séparé de tout corps, tandis que l’âme est unie au corps en qualité de forme. Le Verbe de Dieu ne peut donc être la forme d’un corps. D’ailleurs il est certain que la chair ne reçoit son caractère propre de chair que par l’âme; c’est évident car, une fois séparée du corps d’un homme ou d’un boeuf, la chair de l’homme ou du boeuf ne peut être appelée chair que d’une manière équivoque. Si donc le Verbe n’a pas pris une chair animée, il est clair qu’Il n’a pas pris chair. Or LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, donc Il a pris une chair animée.
168. D’autres enfin, tenant compte de cet argument, affirmèrent que le Verbe a pris une chair avec une âme, certes, mais une âme seulement sensitive, et non spirituelle; car, pour eux, le Verbe tenait lieu de cette dernière dans le corps du Christ. Ce fut l’erreur d’Apollinaire 12 qui, un certain temps, suivit Arius; mais à cause de l’autorité des textes sacrés cités plus haut, il fut contraint, à la fin, d’admettre dans le Christ une âme capable d’être sujette à ces passions; cependant cette âme, disait-il, fut privée de raison et d’intelligence car le Verbe, dans l’homme-Christ, en tenait lieu.
Cette opinion est manifestement fausse, comme opposée à l’autorité de l’Ecriture, car celle-ci affirme du Christ certaines choses qui ne peuvent se trouver ni dans la divinité, ni dans l’âme sensitive, ni dans la chair. [On y lit par exemple] Entendant les paroles pleines de foi d’un centurion de Capharnaüm, Jésus fut dans l’admiration 13. Or l’admiration, étant le désir de connaître la cause cachée d’un effet vu, est une passion de l’âme rationnelle et spirituelle. Ainsi, comme la tristesse oblige contre Arius à admettre dans le Christ la partie sensitive de l’âme, de même l’admiration oblige à admettre dans le Christ la partie spirituelle de l’âme.
Le raisonnement le prouve également. De même en effet qu’il n’y a pas de chair sans âme, de même il n’y a pas de vraie chair humaine sans l’âme humaine, qui est une âme spirituelle. Par conséquent, si le Verbe a pris une chair animée d’une âme seulement sensitive, et non rationnelle, Il n’a pas pris une chair humaine et on ne peut pas dire Dieu s’est fait homme.
En outre, si le Verbe a assumé la nature humaine, c’est pour la restaurer. Il a donc restauré ce qu’Il a assumé. Si donc Il n’avait pas assumé l’âme rationnelle, Il ne l’aurait pas restaurée; et dans ce cas, aucun fruit ne nous proviendrait de l’Incarnation du Verbe, ce qui est faux. Donc LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, c’est-à-dire Il a pris une chair animée d’une âme rationnelle.
LE
VERBE S’EST FAIT" CHAIR"
169. Mais peut-être dira-t-on si le Verbe a pris une chair ainsi animée, pourquoi l’Evangéliste ne fait-il pas mention de l’âme rationnelle, mais seulement de la chair, disant LE VERBE S’EST FAIT CHAIR?
Voici la réponse. L’Evangéliste a agi ainsi pour quatre raisons.
D’abord afin de prouver la vérité de l’Incarnation contre les Manichéens. Ceux-ci disaient que le Verbe n’a pas pris une vraie chair, mais seulement une chair imaginaire, car il ne convenait pas que le Verbe du Dieu bon prît un corps, le corps étant pour eux une créature du diable. Aussi, pour empêcher cette erreur, l’Evangéliste a fait spécialement mention de la chair; comme le Christ Lui-même, aux disciples qui Le prenaient pour un fantôme, montra la vérité de sa résurrection en disant: Un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai 14.
Ensuite l’Evangéliste a écrit: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR pour faire connaître la grandeur de la bonté divine envers nous. Il est certain en effet que l’âme rationnelle est plus semblable à Dieu que la chair et certes, c’eût déjà été un grand mystère d’amour si le Verbe n’avait assumé qu’une âme humaine, qui Lui ressemble davantage; mais prendre une chair si éloignée de la simplicité de la nature divine fut le signe d’un bien plus grand amour encore, et même d’un amour inestimable, comme le dit l’Apôtre C’est sans contredit un grand mystère d’amour qui a été manifesté dans la chair 15. Donc, pour montrer cette vérité, l’Evangéliste a fait mention seulement de la chair.
En troisième lieu Jean a voulu montrer la vérité et le caractère unique de cette union dans le Christ. Assurément Dieu s’unit à d’autres hommes saints, mais à leur âme seulement; c’est pourquoi il est écrit: D’âge en âge la Sagesse se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes 16. Mais que le Verbe de Dieu se soit uni à la chair, cela est propre au Christ, selon ce passage du Psaume: Pour moi, je suis seul, jusqu’à ce que je passe 17, et selon cette parole de Job: L’or ne peut lui être comparé 18. C’est le caractère unique de cette union dans le Christ que veut montrer l’Evangéliste en faisant mention seulement de la chair lorsqu’il dit: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR.
Enfin, l'Evangéliste parle de la chair seule pour montrer que l’homme a été restauré de la manière qui convenait le mieux. C’est en effet par la chair que l’homme était rendu infirme; aussi l’Evangéliste, voulant prouver combien la venue du Verbe convenait à notre restauration, a fait mention spécialement de la chair, pour montrer que la chair infirme a été restaurée par la chair du Verbe; et c’est ce que l’Apôtre dit Ce qui était impossible à la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l’a fait: envoyant pour le péché son propre fils dans une chair semblable à celle du péché et pour le péché, Il a condamné le péché dans la chair 19.
LE
VERBE "S’EST FAIT" CHAIR.
170. On dira peut-être: si LE VERBE S’EST FAIT CHAIR parce qu’Il a pris chair, pourquoi l’Evangéliste n’a-t-il pas dit: "le Verbe a pris chair", au lieu de LE VERBE S’EST FAIT CHAIR? Je réponds qu’il s’est exprimé ainsi pour écarter l’erreur de Nestorius 20. Celui ci affirmait qu’il y avait deux personnes dans le Christ, et deux fils, et qu’en Lui, autre était le Fils de Dieu, autre le fils de la Vierge; c’est pourquoi il ne reconnais sait pas que la bienheureuse Vierge fût Mère du Fils de Dieu. Mais d’après cette opinion, ce qu’affirme l’Evangéliste en disant que Dieu s’est fait homme, serait faux, parce que, si deux réalités individuelles sont diverses par leur suppôt 21, il est impossible d’attribuer l’une à l’autre. C’est pourquoi si, dans le Christ, autre est la personne (ou le suppôt) du Verbe et autre la personne (ou le suppôt) de l’homme, la parole de l'Evangéliste LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ne sera pas exacte. En effet, c’est pour être que quelque chose se fait; si donc le Verbe n’était pas homme, on ne pourrait pas dire qu’Il s’est fait homme. C’est pourquoi l’Evangéliste a dit expressément du Verbe qu’Il S’EST FAIT et non qu’Il "a assumé" la chair, pour montrer qu’Il ne s’est pas uni à la chair de la même manière qu’Il a pris les Prophètes, qui n’étaient pas assumés dans l’unité de la personne mais seulement en vue de l’acte prophétique. Au contraire, l’union du Verbe à la chair est telle que Dieu, elle Le fait homme et l’homme, elle le fait Dieu; c’est-à-dire qu’elle est telle que Dieu soit homme.
171. Il y en eut d’autres qui, ne comprenant pas le mode de l’Incarnation, admirent que cette assomption se terminait vraiment à la personne, reconnaissant dans le Christ une unique personne à la fois divine et humai ne; et qui cependant disaient qu’il y avait en Lui deux hypostases, ou deux suppôts, l’un de la nature humaine, créé et temporel, l’autre de la nature divine, incréé et éternel. Telle est la première opinion qui est exposée dans les Sentences de Pierre Lombard 22.
Si l’on est attentif, il faut reconnaître que d’après cette opinion on ne peut pas maintenir que Dieu s’est fait homme et que l’homme s’est fait Dieu. Mais parce qu’on doit le maintenir, le cinquième concile oecuménique 23 a condamné cette opinion comme hérétique en ces termes: "Si quelqu’un dit qu’il y a dans le Seigneur Jésus-Christ une seule personne et deux hypostases, qu’il soit anathème". Aussi l’Evangéliste, pour exclure toute assomption qui ne se terminerait pas à l’unité de la personne, emploie l’expression S’EST FAIT.
172. Mais si l’on cherche comment le Verbe est homme, on doit dire qu’Il est homme comme Socrate est homme, c’est-à-dire en ce sens qu’Il a la nature humaine. Le Verbe n’est pas la nature humaine elle-même; et le fait qu’Il ait été fait homme n’introduit pas de changement dans le Christ du côté du Verbe, mais du côté de la chair assumée à un moment donné du temps dans l’unité de la Personne. On dit en effet que le Verbe s’est fait chair à cause de l’union. Or l’union est une relation, et les relations attribuées nouvellement à Dieu par rapport aux créatures n’impliquent aucun changement du côté de Dieu, mais seulement du côté de la nature ayant avec Dieu un rapport nouveau.
II
ET
IL A HABITE PARMI NOUS.
173. On peut comprendre de deux manières en quoi ce que Jean dit ici
diffère de ce qui précède. L’Evangéliste nous a d’abord parlé de l’Incarnation
du Verbe: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR; ici il fait connaître le mode de l’Incarnation:
ET IL A HABITE PARMI NOUS. Selon Chrysostome 24 et Hilaire 25, du
fait que l’Evangéliste dit LE VERBE S’EST FAIT CHAIR, on pourrait comprendre
que le Verbe s’est changé en chair et qu’il n’y a pas dans le Christ deux
natures distinctes, mais une seule nature résultant du mélange des natures
divine et humaine; c’est pourquoi l’Evangéliste, écartant cette interprétation,
a ajouté ET IL A HABITE PARMI NOUS, c’est-à-dire dans notre nature, tout en
demeurant cependant distinct dans la sienne: en effet, ce qui se change en un
autre ne demeure pas distinct, et ce qui n’est pas distinct d’un autre n’habite
pas en lui. Or le Verbe A HABITE dans notre nature, donc Il est distinct d’elle
par sa propre nature. Et c’est pourquoi la nature humaine, en tant qu’elle fut
distincte dans le Christ de la nature du Verbe, est dite demeure et temple du
Dieu vivant: Mais Lui parlait du temple de son corps. 26
174. Bien que cela ait été dit par les saints nommés plus haut, il faut éviter de porter contre eux une accusation injuste. En effet, lorsque les anciens docteurs et les saints parlent contre une erreur redoutée, ils renchérissent de telle sorte, par des expressions imprécises, contre l’erreur qu’ils combattent, que d’autres en raison même de ces expressions tombent dans une autre erreur.
Par exemple, les expressions d’Augustin contre les Manichéens qui détruisaient le libre arbitre, expressions renforçant et exaltant la dignité du libre arbitre, ont été pour Pélage l’occasion de tomber dans l’erreur qu’il commet en soutenant que l’homme n’a plus besoin de la grâce de Dieu pour éviter le péché et accomplir des oeuvres méritoires.
C’est ainsi que les saints, voulant éviter la
confusion des natures dans le Christ, ont affirmé l’inhabitation pour la raison
que l’on a dite. Mais cela fut pour Nestorius 27 une occasion d’erreur. Il affirma
en effet que le Fils de Dieu est uni à l’homme non de telle manière que de Dieu
et de l’homme soit faite une seule personne, mais à cause de l’inhabitation du
Fils de Dieu dans le Christ, qui, pour lui, se réalise par la grâce. Et ainsi
le Fils de Dieu ne se serait pas FAIT homme.
175. Pour éclairer cela, il faut savoir que dans le Christ on peut considérer deux choses: la nature et la personne.
Il y a dans le Christ distinction de natures, mais non de personnes, parce que la nature humaine en Lui fut assumée dans l’unité de la personne. Donc, l’inhabitation dont parlent les saints docteurs doit être rapportée à la nature, et l’on doit dire: IL A HABITE PARMI NOUS en ce sens que la nature du Verbe a habité notre nature; mais non selon l’hypostase ou la personne, celle-ci dans le Christ étant la même pour les deux natures.
176. Quant au blasphème de Nestorius, il est clairement réfuté par l’autorité de l’Ecriture Sainte. En effet, l’Apôtre appelle "anéantissement" l’union de Dieu et de l’homme, en disant du Fils de Dieu: Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais Il s’anéantit Lui-même, prenant la condition d’esclave 28. L’Apôtre ne dit pas que Dieu s’est "anéanti" en habitant la créature raisonnable par la grâce, car alors le Père et l’Esprit Saint se seraient "anéantis", puisqu’on dit qu’Ils habitent par la grâce dans la créature douée d’intelligence; en effet le Christ dit, en parlant de Lui et du Père: Nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure 29 et l’Apôtre dit de l’Esprit Saint: L’Esprit de Dieu habite en nous 30.
En outre, si le Christ n’était pas Dieu personnellement, Il eût été extrêmement présomptueux en disant: Moi et le Père nous sommes un 31 et: Avant qu’Abraham fût, je suis 32. En effet moi et je indiquent la personne qui parle; or celui qui parlait était homme; il n’y a donc qu’une seule et même personne du Fils de Dieu et de l’homme, mais celui-là, un avec le Père, préexistait à Abraham.
177. On peut aussi considérer
autrement les paroles ET IL A HABITE PARMI NOUS, par rapport à ce qui précède.
Plus haut l’Evangéliste a parlé de l’Incarnation du Verbe; maintenant il
exprime la façon de vivre du Verbe incarné: ET IL A HABITE PARMI NOUS,
c’est-à-dire Il a vécu familièrement au milieu de nous, les Apôtres, ce à quoi
Pierre fait allusion en parlant de tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu
au milieu d’eux 33. Il a été vu sur la terre et Il a conversé avec les hommes 34.
178. L’Evangéliste a donc ajouté IL A HABITE PAR MI NOUS, d’abord pour montrer la conformité du Christ aux hommes dans la vie qu’Il a menée avec eux. On pourrait en effet croire que le Verbe s’était fait chair de telle sorte que le Christ aurait été différent des autres hommes par sa manière de vivre au milieu d’eux; c’est pourquoi l'Evangéliste dit ET IL A HABITE PARMI NOUS, c’est-à-dire, LE VERBE S’EST FAIT CHAIR de telle sorte qu’Il a vécu au milieu de nous comme un homme parmi les autres. Il s’est anéanti Lui-même, prenant la condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 35.
De plus l’Evangéliste a écrit LE VERBE A HABITE PARMI NOUS pour montrer la véracité de son témoignage. En effet, plus haut, il avait révélé certaines des grandeurs du Verbe, et il allait encore en dire de nombreuses autres plus admirables. Pour rendre son témoignage digne de foi, il prit comme preuve de la vérité de ses paroles l’intimité dans laquelle il avait vécu avec le Christ, et écrivit: IL A HABITE PARMI NOUS. Comme s’il disait: Je suis bien placé pour Lui rendre témoignage, car j’ai vécu dans son intimité — Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont palpé du Verbe de vie — car la vie s’est manifestée, et nous l’avons vue (...) et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous fut manifestée — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi 36. Et Dieu a donné à son Fils de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, c’est-à-dire à nous qui avons mangé et bu avec lui après qu’il se fut levé d’entre les morts 37.
179. L’Evangéliste, qui vient de parler de l’Incarnation du Verbe, met maintenant en évidence la manifestation du Verbe incarné. Pour cela il en indique les modes, puis les explique [cf. n° 200].
Le Verbe incarné se fit connaître aux Apôtres de deux manières: ils Le connurent en premier lieu par la vue, comme recevant du Verbe Lui-même la connaissance du Verbe, et en second lieu par l’ouïe, en recevant cette fois du témoignage de Jean la connaissance du Verbe. L’Evangéliste nous apprend donc d’abord ce que les Apôtres ont vu du Verbe (c’est l’objet de la présente leçon), puis ce qu’ils ont entendu de la bouche de Jean-Baptiste [n° 191].
Au sujet du Verbe, Jean affirme trois choses: la manifestation de sa gloire: ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE [n° 180]; le caractère unique de cette gloire: GLOIRE QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE [n° 184]; la qualification de cette gloire: PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE [n° 188].
NOUS
AVONS VU SA GLOIRE [1, 14c]
180. Ces paroles peuvent être la suite naturelle de ce qui précède, de trois manières différentes. Elles peuvent être prises d’abord comme preuve de l’affirmation: LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. C’est alors comme si Jean disait: Je sais avec certitude que le Verbe de Dieu s’est incarné, car moi et les autres Apôtres, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.
En effet: Nous parlons de ce que nous savons,
et nous attestons ce que nous avons vu 1, et: Ce qui était dès le
commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce
que nous avons contemplé (...), car la vie s’est manifestée; nous l’avons vue
(...) et nous vous annonçons la vie éternelle (...), qui nous fut manifestée;
ce que nous avons vu (...) nous vous l’annonçons 2.
181. Pour Chrysostome 3, Ies paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE se rattachent aux précédentes, Le Verbe s’est fait chair, pour exprimer que le bienfait est multiple. L’Evangéliste veut dire: L’Incarnation nous a conféré non seulement le bienfait de devenir fils de Dieu, mais encore celui de voir sa gloire. En effet, des yeux faibles et malades ne peuvent par eux-mêmes regarder la lumière du soleil, mais quand il brille dans un nuage ou un corps opaque, alors ils le peuvent. Or, avant l’Incarnation du Verbe, les esprits humains étaient incapables de regarder en elle-même la lumière QUI ILLUMINE TOUT HOMME. Afin donc qu’ils ne fussent pas privés de la joie de sa vision, la lumière elle-même, c’est-à-dire le Verbe de Dieu, a voulu revêtir la chair afin de pouvoir être vue de nous — Ils se tournèrent vers le désert, et ils virent la gloire du Seigneur dans une nuée 4, c’est-à-dire le Verbe de Dieu dans la chair.
182. Augustin 5 rattache
les paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE aux précédentes en les rapportant au
bienfait de la grâce. En effet, non seulement à cause de la faiblesse
naturelle, mais encore en raison de l’imperfection due au péché, l’oeil de
l’homme était incapable de contempler la lumière divine. Le feu, celui de la
concupiscence, est tombé sur eux et ils n’ont pas vu le soleil, c’est-à-dire le
Soleil de justice 6. Donc, pour que nous puissions voir la lumière divine, le Verbe a
guéri les yeux des hommes en faisant de sa chair un collyre salutaire, de sorte
que les yeux corrompus par la concupiscence de la chair puissent guérir par sa
chair. Voilà pourquoi, aussitôt après avoir dit Le Verbe s’est fait chair, il
ajoute ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE, comme pour dire: aussitôt appliqué le
collyre, nos yeux ont été guéris. [C'est pour signifier cela que le Seigneur] dit de la boue avec sa salive et
la mit sur les yeux de l’aveugle né 7. La boue vient de la terre, mais la salive vient de la tête. Ainsi
dans la personne du Christ, la nature humaine qu’Il a prise vient de la terre;
mais le Verbe incarné vient de la tête, c’est-à-dire de Dieu le Père. Aussitôt
que cette boue fut appliquée sur nos yeux, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.
183. C’est cette gloire, c’est-à-dire la splendeur du Verbe, que Moïse désira voir quand il dit: Montre-moi ta gloire 8 Mais il ne mérita pas de la voir; bien plus, le Seigneur ne lui a-t-Il pas dit: Tu me verras de dos 9, c’est-à-dire tu ne verras de moi que des ombres et des figures? Les Apôtres, au contraire, virent sa splendeur même — Nous tous qui, le visage découvert, réfléchis Sons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de splendeur en splendeur 10.
Quant aux Prophètes, ils ont certes vu cette splendeur; cependant ils ne l’ont pas vue à visage découvert mais en figures et en énigmes; voilà pourquoi Jean dit: Isaïe a dit cela, parce qu’il a vu sa gloire 11. Les Apôtres, eux, la virent à visage découvert, c’est-à-dire sans figures: Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, vous, et ils ne l’ont pas vu; entendre ce que vous entendez, et ils ne l’ont pas entendu 12.
GLOIRE
QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE
184. L’Evangéliste montre ici le caractère unique de cette gloire. On sait en effet de certains hommes qu’ils rayonnèrent de gloire; ainsi l’Exode dit de Moïse: Son visage devint resplendissant 13, ou selon une autre version: Il jetait des rayons de lumière. Dès lors on pour rait raisonner ainsi: ce n’est pas parce que les Apôtres ont vu le Christ rayonner de gloire qu’on doit conclure que le Verbe s’est fait chair. Mais l’Evangéliste prévient ce raisonnement en disant: GLOIRE QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE. Comme s’il disait: sa gloire n’est pas comme la gloire d’un ange, de Moïse, d’Elie, d’Elisée, elle est celle du Fils unique; car, dit l’Apôtre, Il a été digne d’une gloire supérieure à celle de Moïse 14, c’est-à-dire par-dessus tous les saints et les anges, parce que eux sont glorieux par participation, tandis que le Verbe est la gloire elle-même. Qui est semblable à Dieu parmi les fils de Dieu? 15
185. Selon Grégoire 16,
lorsque l’Evangéliste emploie ici le mot comme, il ne l’emploie pas seulement
pour indiquer que nous sommes appelés fils de Dieu en rai son d’une
ressemblance avec la filiation divine, mais pour exprimer la vérité; tandis que
pour Jean Chrysostome 17, c’est une manière de parler: si quelqu’un avait vu un roi
s’avancer entouré d’une gloire aux aspects multiples et qu’un autre
l’interrogeât pour savoir comment s’avançait le roi, le premier, pour aller au
plus court et exprimer d’un mot cette gloire aux aspects multiples, dirait
qu’il s’avançait comme un roi, c’est-à-dire comme il convenait à un roi. Ainsi
fait l’Evangéliste: comme si on lui avait demandé quelle était la gloire du
Verbe qu’il avait contemplée, Jean, incapable de l’exprimer parfaitement, dit:
cette GLOIRE était celle QU’IL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE,
c’est-à-dire une gloire telle qu’elle convient au Fils unique de Dieu.
186. Le caractère unique de la gloire du Verbe s’est manifesté de quatre manières. D’abord dans le témoignage que le Père a rendu au Fils. Jean fut l’un des trois qui virent le Christ transfiguré sur la montagne et entendirent la voix du Père disant: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais 18; et de cette gloire il est dit: Il reçut de Dieu e Père honneur et gloire, quand la gloire venue de la splendeur magnifique lui dit: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé" 19
Ensuite dans le service dont s’acquittent les anges à son égard. En effet, avant l’Incarnation du Verbe, les hommes étaient soumis aux anges; mais ensuite les anges, soumis au Christ, Le servirent — Des anges s’approchèrent du Christ et Le servaient 20.
Puis dans l’obéissance de la nature; parce que, créée par Lui, toute la nature obéissait au Christ et était à ses ordres — Tout a été fait par Lui 21; or cela n’a été donné ni aux anges, ni à aucune autre créature, mais au seul Verbe incarné — Quel est celui-ci, disait-on, pour que la mer et les vents Lui obéissent? 22
Enfin dans la manière d’enseigner et d’agir du Christ. Ce n’est pas de leur propre autorité que Moïse et les autres prophètes donnaient des préceptes et instruisaient les hommes, mais avec l’autorité même de Dieu; aussi disaient-ils: Le Seigneur dit ceci... et: Le Seigneur parla à Moïse... Mais le Christ, Lui, parle en maître et comme ayant autorité, c’est-à-dire avec sa propre puissance; aussi s’exprime-t-Il ainsi: Moi je vous dis... 23 Pour cette raison Matthieu remarque, à la fin du sermon sur la montagne, qu’Il enseignait [les foules] en homme qui a autorité, et non comme les scribes 24 De même les autres saints opéraient des miracles, mais non par leur propre puissance; le Christ au contraire les accomplissait par sa propre puissance; c’est pour quoi on disait de Lui: Quel est ce nouvel enseignement? Il commande en maître aux esprits impurs et ils Lui obéissent 25. La gloire du Verbe est donc vraiment unique.
187. L’Ecriture, remarquons-le, appelle le Christ tantôt FILS UNIQUE, comme en ce verset 14, et plus loin: Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, Lui, L’a fait connaître 26 tantôt au contraire "Premier-né" [comme dans l’Epître aux Hébreux]: De nouveau, lors qu’Il introduit le Premier-né dans le monde, Dieu dit: "Que tous les anges de Dieu l’adorent" 27 En voici la raison: de même qu’il appartient en propre à toute la Sainte Trinité d’être Dieu, de même c’est le propre du Verbe d’être Dieu engendré. Or, tantôt nous nommons Dieu selon ce qu’Il est en Lui-même, et alors Lui seul, d’une manière unique, est Dieu par son essence; en ce sens, nous disons: il n’y a qu’un seul Dieu, selon ce que dit l'Ecriture: Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 28 tantôt nous attribuons aussi à d’autres, d’une manière dérivée, le nom de la divinité, par suite d’une certaine ressemblance de la divinité communiquée aux hommes. Cette similitude participée nous fait dire, en ce sens, qu’il y a beaucoup de "dieux": De fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs. 29
De la même manière, si nous considérons le caractère propre du Fils, qui est d’être engendré, si nous nous plaçons du point de vue du mode selon lequel cette filiation Lui est assignée, c’est-à-dire selon la nature, nous L’appelons le FILS UNIQUE de Dieu; puisque Lui seul est naturellement engendré par le Père, il n’y a qu’un seul Fils de Dieu. Mais si nous considérons ce Fils en tant qu’Il communique à d’autres, par une certaine ressemblance, la participation à sa filiation, il y a alors beaucoup de fils de Dieu par participation. Et puisque c’est grâce à cette ressemblance qu’on les appelle "fils de Dieu", on L’appelle le "Premier-né" de tous — Ceux qu’il a connus d’avance, Dieu les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils, pour qu’il soit le Premier né d’une multitude frères 30. Le Christ est donc FILS UNIQUE de Dieu par nature; mais on L’appelle "Premier-né" en tant que, de sa filiation naturelle, la filiation est communiquée à beaucoup par une certaine ressemblance et participation.
III
188. En disant cela, l’Evangéliste précise ce qu’est la gloire du Verbe; comme s’il disait: sa gloire est telle qu’Il est PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE.
Cette affirmation peut se comprendre de trois façons.
D’abord du point de vue de l’union, ensuite de la perfection de son âme [n° 189], enfin de sa dignité de chef [n° 190]. Du point de vue de l’union, car la grâce est donnée à l’homme pour que, par elle, il soit uni à Dieu. Est donc PLEIN DE GRÂCE celui qui est uni à Dieu de la manière la plus parfaite. Les autres sont unis à Dieu en participant à Lui par mode de similitude naturelle: c’est le cas de tous les hommes — Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance 31 parmi eux certains Lui sont en outre unis par la foi 32 — Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi et par la charité, parce que celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu 33. Mais tous ces modes d’union demeurent partiels, car la participation à Dieu par mode de similitude naturelle unit à Dieu de manière imparfaite, et Dieu n’est ni vu par la foi tel qu’Il est, ni aimé par la charité autant qu’Il est aimable, puisque l’infini n’est aimé de la créature douée d’intelligence que d’une manière finie. C’est pourquoi l’union n’est pas plénière, tandis que dans le Christ elle est plénière, puisque la nature humaine est assumée par Dieu de telle sorte que l’homme soit Dieu Lui-même par l’unité de la personne. Il fut donc PLEIN DE GRÂCE, non par quelque don gratuit spécial reçu de Dieu, mais parce qu’Il était Dieu Lui-même. C’est pourquoi Dieu — c’est-à-dire le Père — Lui a donné — c’est-à-dire au Christ — le nom qui est au-dessus de tout nom 34. Il était prédestiné à être Fils de Dieu avec puissance 35. Il fut encore PLEIN DE VERITE, parce que dans le Christ la nature humaine, par l’union, parvint à la vérité divine elle-même, c’est-à-dire que cet homme était la vérité divine elle-même. Dans les autres hommes, il y a de nombreuses vérités participées, selon que la vérité première brille en leurs esprits par de nombreuses similitudes; mais le Christ est la vérité elle-même; c’est pourquoi il est dit: En Lui sont cachés tous les trésors de la sagesse 36.
189. On peut encore interpréter les paroles: PLEIN DE GRACE ET DE VERITE de la perfection de l’âme du Christ, parce qu’Il a reçu sans mesure tous les dons de l’Esprit Saint: Dieu Lui a donné l’Esprit sans mesure 37, alors qu’Il l’a donné avec mesure à toutes les créatures douées d’intelligence, aux anges comme aux hommes. En effet, selon Augustin, de même qu’en chaque membre du corps il y a un sens commun à tous, le sens du toucher, mais que dans la tête il y a tous les sens, de même dans le Christ, qui est la tête, toutes les grâces sont en surabondance, tandis que dans les autres saints il y a un unique don gratuit commun à tous, à savoir la charité, et des dons spéciaux différents chez les uns et les autres, parce que les grâces sont diverses 38; mais le Christ a eu toute la grâce. [C'est bien de la plénitude de la grâce du Christ qu’Isaïe parle en ces termes]: Un rejeton sort de la souche de Jessé et une fleur pousse de sa racine; sur Lui reposera l’Esprit du Seigneur: Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété; et l’Es prit de crainte du Seigneur le remplit 39.
Le Christ fut aussi PLEIN DE VERITE, parce
que son âme précieuse connut toute vérité, posséda la science de toutes choses.
C’est pourquoi Pierre lui dit: Seigneur, Tu sais tout 40; [Dieu
Lui-même avait déclaré par le psalmiste:] Ma vérité, c’est-à-dire la
connaissance de toute vérité, et ma miséricorde c’est-à-dire la plénitude de
toutes les grâces, seront avec Lui 41.
190. On peut enfin expliquer les paroles PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE en les rapportant à la dignité capitale du Christ, car Il est la tête de l’Eglise 42 et de ce point de vue il Lui appartient de répandre la grâce dans les autres, grâce qu’Il a répandue sur nous par ses gestes et son enseignement, selon ce qui est dit dans les Actes: Jésus commença à agir et à enseigner 43. Il est donc dit PLEIN DE GRÂCE en tant qu’Il a réalisé la grâce en justifiant. En effet la loi ancienne était impuissante à justifier, mais le Christ, Lui, a justifié: Ce que ne pouvait la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l’a fait: en envoyant en vue du péché son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché, Il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice exigée par la Loi s’accomplît en nous 44.
De même le Christ réalisa la vérité, en ce sens qu’Il accomplit les figures de l’Ancienne Loi et les promesses faites aux Pères — J’affirme que le Christ Jésus s’est fait ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses faites à nos Pères 45; et: Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui 46.
Jean Le dit encore PLEIN DE GRÂCE parce qu’Il l’a répandue en nous par les paroles pleines de grâce de son enseignement. La grâce est répandue sur tes lèvres 47. Ps 44, 3. Voilà pourquoi Luc dit que dès l’aurore tous venaient à Lui 48. Luc 21, 38, c’est-à-dire que dès le matin ils cherchaient à se rendre auprès de Lui. Et PLEIN DE VERITE, car Il n’enseignait pas en énigmes et en figures, mais en vérité et ouvertement, sans aucune ruse. Voilà que maintenant Tu parles ouvertement, sans user de paraboles 49. Jean 16, 29.
191. Après avoir montré comment le Verbe s’est Lui-même fait connaître aux Apôtres par la vue, l’Evangéliste va montrer ici comment Il s’est fait connaître aux Apôtres et à d’autres par l’ouïe 1. Ro 10, 17, à travers le témoignage de Jean-Baptiste.
Il introduit d’abord le témoin: JEAN LUI REND TEMOIGNAGE; puis il indique le mode de témoignage: ET IL CRIE [n° 193]; enfin il décrit ce témoignage. Voici Celui dont j’ai dit: Celui qui vient après moi est passé devant moi parce qu’avant moi Il était [n° 194].
JEAN
LUI REND TEMOIGNAGE
192. Voici ce que dit l'Evangéliste: Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique 2. In 1, 14 mais au cas où l’on ne croirait pas les Apôtres, qu’un autre témoin s’approche donc, Jean-Baptiste, qui LUI REND TEMOIGNAGE, car c’est un témoin fidèle et qui donc ne mentira pas — Le témoin fidèle ne ment pas 3. Prov 14, 5. Vous avez envoyé à Jean des messagers et il a rendu témoignage à la vérité, [dit le Seigneur]. 4. in 5, 33.
JEAN en effet REND TEMOIGNAGE autrement dit, il remplit son office avec persévérance, car les lèvres véridiques seront affermies pour jamais. 5. Prov 12, 19.
II.
ET IL CRIE
193. L’Evangéliste indique ici comment Jean rend témoignage: par un cri. C’est pourquoi il dit: IL CRIE, c’est-à-dire qu’il s’exprime avec liberté et sans crainte — Elève la voix avec force (...) Elève-la sans crainte. Dis aux villes de Juda: Voici votre Dieu 6. Isaïe 40, 9.
IL CRIE, c’est-à-dire qu’il s’exprime avec ardeur et grande ferveur — Sa parole brûlait comme une torche7. Sir 48, 1, comme les Séraphins, c’est-à-dire ceux qui brûlent — qui criaient l’un à l’autre 8. Isaïe 6, 3, exprimant par là l’amour brûlant au plus intime d’eux-mêmes.
IL CRIE, c’est-à-dire qu’il s’exprime publiquement et ouvertement, et non pas en figures — CRIE SANS CESSE, FAIS ENTENDRE TA VOIX 9. Isaïe 58, 1.
III.
VOICI CELUI DONT J’AI DIT: CELUI QUI VIENT. APRES MOI EST PASSE AVANT MOI,
PARCE QU’A VANT MOI IL ETAÏT.
194. En rapportant ces paroles du Baptiste, Jean exprime ce qu’est ce témoignage. Il en expose d’abord la continuité, puis présente celui qui en est l’objet [n° 196].
VOICI
CELUI DONT J’AI DIT...
195. Le témoignage de Jean-Baptiste fut continu, car il rendit témoignage au Christ non pas une fois seulement, mais bien souvent et avant même que le Christ ne vînt à lui; aussi déclare-t-il: VOICI CELUI DONT J’AI DIT..., c’est-à-dire: je Lui ai rendu témoignage avant de Le voir — Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut 10. Luc 1, 76. Et cela parce qu’il montre le présent et le futur. De plus son témoignage fut certain, car il L’a désigné non seulement en son absence mais en sa présence; c’est pourquoi il dit: VOICI, comme le montrant du doigt; de même il dira plus tard: voici l’Agneau de Dieu 11. Jean 1, 36.
Cela indique que le Christ fut présent en ce lieu; souvent, de fait, avant d’être baptisé et de prêcher, Il avait coutume de venir auprès de Jean.
CELUI
QUI VIENT APRES MOI
196. Jean décrit ensuite Celui à qui il rend témoignage. Il faut remarquer ici que Jean observe les usages d’un bon maître qui ne livre pas immédiatement à ses disciples les choses les plus profondes et cachées de la science, mais qui peu à peu, partant des choses qui leur sont manifestes, progresse vers ce qu’il y a de plus profond dans la doctrine.
Ainsi Jean ne dit pas immédiatement que le
Christ est le Fils de Dieu; il commence par Le présenter comme le dépassant,
pour, de là, conduire ceux qui l’écoutent à des choses plus profondes. Jean, en
effet, avait une si grande réputation que les hommes auraient pu croire qu’il
était le Christ; c’est pourquoi, dès le point de départ, il était nécessaire de
présenter Jésus comme plus grand que lui. II se compare ainsi au Christ dans
l’ordre de la prédication [n°
197], de la dignité [n° 198] et de la durée [n° 199].
197. Dans l’ordre de la prédication Jean a certes devancé le Christ. C’est pourquoi il dit: CELUI QUI, c’est-à-dire le Christ, VIENT ou va venir APRES MOI, non pas dans le monde puisque le Christ était déjà né quand il a dit cela, mais pour prêcher et être connu des hommes — Voici que j’envoie mon messager et il préparera la voie devant ma face12. Mal 3, 1.
Notons que le verbe "venir" est ici au présent [venit latin peut être présent ou passé], parce que le grec emploie le participe présent.
Jean est venu avant le Christ pour deux raisons. D’abord, selon Chrysostome 13. In Ioannem hom., 13, ch. 2, PG 59, col. 88, parce que Jean était parent du Christ selon la chair: Déjà Elisabeth, ta pa rente, a conçu un fils dans sa vieillesse 14. Luc 1, 36. Si le Précurseur avait rendu témoignage au Christ après L’avoir connu, on aurait pu suspecter son témoignage; aussi, pour lui donner plus d’efficacité, il vint remplir le ministère de la prédication alors qu’il n’avait pas encore eu d’intimité avec le Christ. Voilà pourquoi il disait: Moi, je ne le connaissais pas, mais c’est pour qu’Il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. 15. Jean 1, 31.
En second lieu, Jean a précédé le Christ parce que, dans les réalités qui passent de la puissance à l’acte, il faut que l’imparfait précède le parfait dans le temps; [C'est pourquoi Paul dit:] Ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord, mais ce qui est charnel 16. 1 Corinthiens 15, 46. Il fallait donc que l’enseignement parfait du Christ vînt après l’enseignement imparfait de Jean; ce dernier, en effet, est intermédiaire entre l’enseignement de l’ancienne Loi, qui était en figures et annonçait de loin le Christ, et l’enseignement du Christ qui est manifeste et L’annonce clairement.
IL
EST PASSE AVANT MOI
198. Dans l’ordre de la dignité, c’est le Christ qui précède Jean: IL EST PASSE AVANT MOI [IL A PARU AVANT MOI], dit Jean. Les Ariens trouvèrent là une occasion d’erreur. En effet, ils disaient que ces paroles: CELUI QUI VIENT APRES MOI doivent s’en tendre du Christ selon la chair, mais que ce qu’ajoute Jean: IL A PARU AVANT MOI, ne peut s’entendre de Lui qu’en tant qu’Il est le Verbe. Ils prétendaient donc que le Verbe de Dieu, avant d’être uni à la chair, était quelque chose de créé. Mais selon Chrysostome 17. In Ioannem hom., 13, c 3, PG 59, col. 89. c’est là une opinion insensée. En effet, si cela était vrai, le Baptiste n’aurait pas dit: IL A PARU AVANT MOI, PARCE QU’AVANT MOI IL ETAIT; car nul n’ignore que s’Il était avant lui, Il a paru avant lui. Il aurait dit au contraire: "Il était avant moi parce qu’avant moi Il a paru". Voilà pourquoi, il faut entendre IL A PARU AVANT MOI [d'une priorité] de dignité; autrement dit, "Il m’a été préféré et Il a été placé avant moi", c’est-à-dire: Jésus est venu après moi pour prêcher, cependant Il a été placé avant moi, car II est plus digne que moi et Il m’est supérieur par l’autorité et dans l’estime des hommes L’or ne peut Lui être comparé 18. Jb 28, 17. Ce qui est futur [CELUI QUI QUI VA VENIR APRES MOI], il le dit accompli [IL EST PASSE AVANT MOI] parce que la certitude de la prophétie implique que l’on parle des choses futures comme si elles étaient déjà accomplies. Ainsi, il est dit dans la Glose que à IL EST PASSE
AVANT MOI correspond dans le grec IL EST PASSE DEVANT MOI 19. Glossa ordinaria, PL 114, col. 357, c’est-à-dire en ma présence; autrement dit Il m’est apparu, Il s’est fait connaître et s’est manifesté à moi.
PARCE QU’AVANT MOI IL ETAIT.
199. Dans l’ordre de la durée c’est le Christ qui précède Jean. C’est pourquoi Jean dit: AVANT MOI IL ETAIT, parce que Lui est de toute éternité et que moi je suis dans le temps. Aussi, bien que je sois venu prêcher avant Lui, c’est cependant avec raison qu’Il m’a été préféré, parce qu’AVANT MOI IL ETAIT, c’est-à-dire de toute éternité — Hier et aujourd’hui Jésus-Christ est le même, Il le sera à jamais 20. He 13, 8, et: Avant qu’Abraham fût, je suis 21. In 8, 58. Ainsi le Christ, selon sa divinité, précède Jean dans la durée.
Les paroles AVANT MOI IL ETAIT peuvent enfin s’expliquer en référence à l’ordre du temps selon la chair. En effet, le Christ, dès le premier instant de sa conception, fut Dieu parfait et homme parfait, doté d’une âme raisonnable rendue parfaite par ses vertus, et d’un corps différencié en tous ses linéaments, mais sans avoir pour autant sa quantité parfaite. [Jérémie avait prédit:] La femme entourera l’homme 22. Jérémie 31, 22, c’est-à-dire un homme parfait. Or c’est un fait reconnu que le Christ a été conçu avant la naissance de Jean, et comme un homme parfait; ainsi, avant Jean, Il fut parfait dans son humanité. Aussi Jean pouvait-il dire: IL A PARU AVANT MOI PARCE QU’AVANT MOI IL ETAIT.
200. Les paroles ET DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU peuvent s’entendre d’une double manière, selon qu’on les rattache au verset 15 ou au verset 14.
Selon Origène 1, elles sont prononcées par Jean-Baptiste qui les ajoute comme preuve de ce qui pré cède, comme pour dire: Il était vraiment avant moi, parce que DE SA PLENITUDE, c’est-à-dire de sa plénitude de grâce, non seulement moi mais TOUS, c’est-à-dire les prophètes, NOUS AVONS REÇU. Donc, avant nous Il était. D’après cette lecture, l'Evangéliste entreprend son récit à partir du verset Jean rend témoignage.
Selon Augustin 2 et Chrysostome 3, ces paroles sont celles de l’Evangéliste et se rattachent à ce qu’il a dit précédemment du Verbe: plein de grâce et de vérité. Ainsi, après avoir rapporté que le Verbe incarné s’est fait connaître par la vue et par l’ouïe, comme on l’a dit précédemment, l’Evangéliste explique maintenant, en premier lieu, comment le Verbe s’est fait connaître aux Apôtres par la vue, par ce qu’ils ont reçu du Christ; et, en second lieu, comment Jean lui a rendu témoignage: Voici quel fut le témoignage de Jean [n° 223].
A propos du premier point, l’Evangéliste montre d’abord que le Christ est la source et l’origine de toute grâce spirituelle; il montre ensuite [n° 203] que c’est du Christ que nous proviennent les grâces.
I
ET
DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU
201. Il dit donc d’abord: l’expérience atteste que nous L’avons vu plein de grâce et de vérité, puisque DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU.
C’est pourquoi nous pouvons dire qu’Il a été "plein" [de grâce]. Certes, nous lisons dans l’Ecriture que certains ont été pleins de grâce 4, par exemple la bienheureuse Vierge — je te salue, pleine de grâce, — et Etienne — plein de grâce et de force 5. Mais la plénitude du Christ est autre que la leur. On dit en effet qu’est "plein" ce en quoi il n’y a aucun vide. La capacité de l’âme peut donc être pleine dans l’ordre de la suffisance, c’est-à-dire de telle sorte que rien ne lui manque de la grâce [pour accomplir les actes bons; c’est cette plénitude qui fut en Etienne. La capacité de l’âme peut aussi être pleine non seulement dans l’ordre de la suffisance, mais encore dans l’ordre de la surabondance; et cette plénitude de surabondance fut spécialement, et d’une manière unique, dans le Christ, parce qu’elle a surabondé sur les autres de telle sorte qu’Il fut l’auteur et la source de la grâce. Mais dans la bienheureuse Vierge, la plénitude de grâce fut d’un ordre intermédiaire parce que, bien qu’il y eût en elle la plénitude d’une certaine surabondance, elle ne fut cependant pas auteur de la grâce pour les autres; mais de son âme la grâce surabondait dans la chair. En effet, par la grâce de l’Esprit Saint, non seulement l’esprit de la Vierge fut uni à Dieu par l’amour, mais encore ses entrailles furent fécondées par l’Esprit Saint; c’est pourquoi Gabriel, aussitôt après avoir dit: Je te salue, pleine de grâce, a ajouté, faisant allusion à la plénitude [en] ses entrailles: le Seigneur est avec toi 6.
Donc, pour montrer cette plénitude unique de
surabondance qui est dans le Christ, l’Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS
AVONS TOUS REÇU, c’est-à-dire les Apôtres et les fidèles qui furent, sont et
seront, ainsi que tous les anges.
202. Remarquons-le, ta préposition latine DE marque parfois l’efficience, parfois la consubstantialité comme lorsqu’on dit: le Fils est "du Père" —, parfois le caractère partiel, comme lorsque je dis: "prends de ceci", c’est-à-dire une partie et non pas le tout. Et elle a bien ces trois sens quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU. En effet, elle indique d’abord dans le Christ l’efficience de la grâce ou l’autorité; car la plénitude de la grâce qui est dans le Christ est cause de toute grâce qui est en toute créature douée d’intelligence. [Aussi la Sagesse] dit-elle:] Venez à moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits, c’est-à-dire de ce qui procède de moi, rassasiez-vous 7.
La préposition DE marque ici, en second lieu, la consubstantialité parce que, bien que les dons habituels soient en nous autres que dans le Christ, cependant l’Esprit Saint qui est dans le Christ, un et le même, remplit tous les saints. En ce sens, la plénitude du Christ est l’Esprit Saint qui procède de Lui, en Lui étant consubstantiel en nature, en puissance et en majesté.
En effet, bien que les dons habituels soient autres dans l’âme du Christ et en nous, c’est cependant l’unique et même Esprit qui est en Lui et qui remplit tous ceux qui doivent être sanctifiés. Un seul et même Esprit produit tous ces dons [dit saint Paul] 8; Je répandrai mon Esprit sur toute chair 9. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas 10, Car l’unité de l’Esprit Saint fait l’unité dans l’Eglise. "L’Esprit du Seigneur remplit toute la terre." 11.
Enfin, quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, la préposition DE indique que nous ne recevons qu’une partie. Le Christ, Lui, a eu la plénitude des dons de l’Esprit Saint, qu’Il n’a pas reçu avec mesure 12; mais nous, nous recevons en partie parce que nous participons aux dons du Saint-Esprit, puisque nous Le recevons avec mesure: A chacun de nous la grâce a été accordée selon la mesure du don du Christ 13.
II
ET GRÂCE SUR GRÂCE. PARCE QUE
LA LOI A ETE DONNEE PAR MOISE, MAIS LA GRÂCE ET LA VERITE SONT VENUES PAR
JESUS-CHRIST.
203. L’Evangéliste montre ici que les grâces nous viennent du Christ. Il montre d’abord que c’est du Christ, qui en est l’auteur, que nous avons reçu la grâce; puis que c’est de Lui que nous recevons la sagesse qu’Il nous enseigne: Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Père, Lui l’a fait connaître. Jean développe le premier point en deux parties. Il montre d’abord que NOUS AVONS REÇU DE SA PLENITUDE, et montre ensuite la nécessité, pour nous, de la recevoir [n° 205].
ET
GRACE SUR GRACE.
204. L’Evangéliste affirme donc en premier lieu que NOUS AVONS REÇU DE LA PLENITUDE du Christ, ET GRACE SUR GRACE.
Or, dans cette affirmation, nous devons comprendre que DE SA PLENITUDE nous recevons une certaine grâce, mais que sur cette grâce nous en avons reçu une autre; c’est pourquoi il faut voir quelle est la première grâce, et quelle est la seconde.
Selon Chrysostome 14, la première grâce que reçut tout le genre humain — c’est en effet de tout le genre humain que parle ici l'Evangéliste — fut la grâce de l’Ancien Testament, donnée dans la Loi. Cette grâce fut grande, certes; la Sagesse l’affirme: Je vous accorderai un don excellent 15. Ce fut une grande chose, en effet, que les préceptes aient été donnés par Dieu aux hommes idolâtres, ainsi que la connaissance véritable du seul vrai Dieu — Quel est donc le privilège du Juif, ou quelle est l’utilité de la circoncision? Grands à tous égards. D’abord, c’est à eux qu’ont été confiés les oracles de Dieu 16 Cependant sur cette grâce, c’est-à-dire à sa place, nous en avons reçu une seconde: Il égalera une grâce à sa grâce 17.
La première grâce ne suffisait-elle donc pas? Je réponds: il faut dire que non 18, et c’est pourquoi il était nécessaire que vînt une autre grâce.
PARCE
QUE LA LOI A ETE DONNEE PAR MOÏSE, [17] MAIS LA GRACE ET LA VERITE SONT VENUES
PAR JESUS-CHRIST.
205. Et c’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles, faisant passer devant Moïse le Christ que Jean-Baptiste n’avait fait passer que devant lui. Or Moïse passait pour être le plus grand des prophètes: En Israël il ne s’est pas levé de prophète semblable à Moïse 19.
En effet, comparé à Moïse du point de vue de
ce que l’un et l’autre opère, le Christ passe avant lui; car ce que donne
Moïse, c’est la Loi, tandis que le Christ donne la grâce et la vérité. Du point
de vue de la manière dont ils opèrent, le Christ l’emporte encore, car LA LOI A
ETE DONNEE PAR MOÏSE comme par celui qui la promulgue et non qui la fait,
puisque le Seigneur seul est notre législateur 20; tandis que LA GRÂCE ET LA VERITE
SONT VENUES PAR JESUS-CHRIST, comme de leur maître et auteur.
206. Selon Augustin 21, la première grâce est justifiante et prévenante 22, car elle ne nous est pas donnée à cause de nos œuvres 23 — Si c’est par grâce, ce n’est plus en raison des oeuvres. Sur cette grâce, encore imparfaite, nous avons reçu une autre grâce, achevée: celle de la vie éternelle. Et bien que la vie éternelle soit acquise par les mérites, ceux-ci ont leur origine en nous dans la grâce prévenante; c’est pourquoi la vie éternelle est appelée grâce [c'est le mot de saint Paul]: La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle 24. Pour conclure brièvement, l’expression GRÂC E SUR GRÂCE désigne toute grâce qui s’ajoute à la grâce prévenante.
Quant à la nécessité de la seconde grâce, elle vient de l’insuffisance de la Loi; c’est pour cela que l’Evangéliste dit: PAR MOISE A ETE DONNEE LA LOI qui prescrivait ce qu’il fallait faire, mais qui n’aidait pas à l’accomplir et c’est pourquoi, occasionnellement, elle entraînait la mort — ce qui explique que l’Apôtre parle d’un "ministère de mort": si ce ministère de mort, gravé en lettres sur des pierres, a été environné d’une gloire telle que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder la face de Moïse, à cause de la gloire de son visage, laquelle devait s’évanouir, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux? car si le ministère de la condamnation est glorieux, le ministère de justice est beaucoup plus abondant en gloire 25 et encore: or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence; car sans la Loi le péché était mort 26. De même la Loi promettait le secours de la grâce mais ne le donnait pas, car la Loi n’a amené personne à la perfection 27. De même, par ses sacrifices et ses cérémonies elle figurait, mais ne manifestait pas; c’est pourquoi il était nécessaire que vînt le Christ, qui fut la source de la grâce en tuant le péché par sa mort et qui, en mourant, mérita la grâce qui nous viendrait en aide dans l’accomplissement des préceptes de Dieu — Notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché 28. C’est par Lui aussi qu’est venue la vérité, et c’est Lui qui a réalisé les figures et les ombres de la Loi en accomplissant les pro messes faites aux pères — Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui 29. D’une autre manière on peut dire que LA VERITE EST VENUE PAR JESUS, en entendant par là la Sagesse, car Il a enseigné au monde la vérité cachée: J’ai parlé ouvertement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s’assemblent, et en secret je n’ai rien dit 30. Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité 31.
207. Mais si le Christ Lui-même est la Vérité — Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie 32— comment LA VERITE est-elle VENUE PAR LUI [selon la lettre de la Vulgate, "a été faite" par Lui], puisque rien n’est fait par soi-même?
Il faut dire que le Christ est par son essence la Vérité incréée; celle-ci n’a pas été faite par Lui, mais par Lui ont été faites les vérités participées qui, venant de la Vérité incréée qu’Il est Lui-même, brillent dans les âmes saintes.
208. L’Evangéliste a montré plus haut comment les Apôtres reçurent la grâce du Christ en tant qu’Il en est l’auteur; ici, il montre comment ils reçurent de Lui la sagesse dans son enseignement.
Les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU manifestent la nécessité de cet enseignement [n° 209] les suivantes: LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, la capacité d’enseigner de Celui qui enseigne {n 215]; et les dernières: LUI, L’A FAIT CONNAITRE, montrent l’enseignement même [n° 221].
I
PERSONNE
N’A JAMAIS VU DIEU
209. C’est un manque de sagesse chez les hommes qui rendit nécessaire cet enseignement, manque que l’Evangéliste indique en exprimant l’ignorance de Dieu qui était en eux par ces mots: PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Et il fait bien de dire cela, car la sagesse au sens propre consiste en la connaissance de Dieu. D’où l’affirmation d’Augustin: la sagesse est la connaissance des réalités divines comme la science est la connaissance des réalités humaines 1.
210. Cependant beaucoup de textes de l’Ecriture Sainte semblent contredire l’affirmation: PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU. Isaïe dit en effet: Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 2; le deuxième livre de Samuel s’exprime presque de la même manière: Le nom du Seigneur siège sur les Chérubins 3; et le Seigneur déclare: Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu 4.
A propos de cette affirmation de Jean, on dira peut-être qu’il est vrai que, dans le passé, PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, comme Jean le dit ici; mais que, cependant, on Le verra dans l’avenir, comme le Seigneur le promet [ceux qui ont le coeur pur]. Mais cela même n’est-il pas exclu par l’Apôtre? Car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul d’entre les hommes n’a vue ni ne peut voir 5.
Cependant, puisque selon Paul nul d’entre les hommes n’a vu Dieu, peut-être dira-t-on que si les hommes ne peuvent Le voir, du moins est-Il vu par les anges, d’autant plus que le Seigneur affirme: Leurs anges voient sans cesse la face de mon Père 6. Mais cela non plus, on ne peut pas le dire, puisqu’à la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu dans le ciel 7. Si donc les anges voient Dieu dans le ciel, les hommes, eux aussi, Le verront certainement à la résurrection, comme Jean l’affirme: Lorsqu’Il apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est 8.
211. Comment donc comprendre la parole de Jean: PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU? Pour en avoir l’intelligence, il faut savoir qu’il y a plusieurs manières de voir Dieu.
D’abord, par le moyen d’une créature substituée [à Dieu] et offerte à la vue corporelle; ainsi croit-on qu’Abraham a vu Dieu quand il vit trois hommes et n’en adora qu'un seul" 9; il n’en adora à la vérité qu'"un seul" 9, car en ces trois qu’il avait d’abord pris pour des hommes et dont il crut ensuite que c’étaient des anges, il reconnut le mystère de la Sainte Trinité.
On peut aussi voir Dieu par une créature substituée [à Dieu] et représentée à l’imagination; c’est de cette manière qu’Isaïe vit le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 10, et l’on trouve dans les Ecritures plu sieurs visions semblables à celle-là.
On peut également voir Dieu grâce à une forme intentionnelle intelligible, abstraite des réalités sensibles; c’est le fait de ceux qui, considérant la grandeur des créatures, aperçoivent par l’intelligence la grandeur du Créateur, car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur Créateur 11 et Les [perfections] invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses oeuvres 12
D’une autre manière encore, selon un mode plus éminent, Dieu est vu non pas par le moyen que nous venons d’indiquer, mais par une certaine lumière ou des formes intentionnelles intelligibles imprimées par Dieu dans les esprits des saints; on dit alors qu’ils voient Dieu par contemplation. C’est ainsi que Jacob vit Dieu face à face 13, dans une vision qu’il eut, selon Grégoire, grâce à une contemplation élevée.
Cependant on ne peut, par aucune de ces visions, parvenir à la vision de l’essence divine; en effet, aucune forme intentionnelle créée, qu’elle informe les sens extérieurs, l’imagination ou l’intelligence, n’est capable de représenter l’essence divine telle qu’elle est. L’homme connaît une chose par son essence quand la forme intentionnelle qu’il a dans son intelligence la représente telle qu’elle est. Par conséquent, aucune forme intentionnelle créée ne conduit à la vision de l’essence divine. Car il est clair qu’aucune forme intentionnelle créée ne représente l’essence divine: en effet, rien de fini ne peut représenter l’infini tel qu’il est; or toute forme intentionnelle créée est finie; donc, puisque ce qu’est Dieu Lui-même est infini, on ne peut pas Le représenter par une forme intentionnelle créée. En outre, Dieu est son être même; aussi, sa sagesse, sa bonté et ses autres [s’identifient-elles, en Lui, à son être; or rien de créé ne pourrait représenter la bonté, la sagesse et les autres perfections divines. Il s’ensuit qu’aucune connaissance par laquelle on voit Dieu au moyen d’une forme intentionnelle créée n’est la connaissance de son essence; elle ne peut être qu’une connaissance en énigme et dans un miroir 14, et à partir de ce que nous écartons de Lui; [Nous lisons en effet dans l’Ecriture:] Tous les hommes voient Dieu (de l’une des manières susdites), mais chacun ne Le regarde que de loin 15 parce qu’aucune de ces connaissances de Dieu ne dit ce qu’Il est, mais [ce qu’Il n’est pas ou s’Il existe. Voilà pourquoi, selon Denys 16, ce que l’homme peut atteindre de plus élevé dans la connaissance de Dieu par le moyen des formes intentionnelles créées, il y parvient par la négation.
212. Certains ont soutenu que l’essence divine ne peut jamais être vue d’aucune intelligence créée, mais que ce qui est vu par les anges et les bienheureux, c’est le rayonnement de gloire 17 de Dieu. Cela est erroné, pour trois raisons.
En premier lieu, parce que cela contredit l’autorité de l'Ecriture — "Nous Le verrons tel qu’Il est" 18 et encore: "La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 19"
Ensuite, parce que le rayonnement de la gloire de Dieu n’est autre que sa substance; il ne brille pas par participation à une lumière, mais par lui-même.
Enfin, c’est seulement dans la vision de l’essence divine que l’on peut obtenir la parfaite béatitude; en effet, nul ne peut être bienheureux si son désir naturel n’est totalement comblé. Or il est naturel à l’intelligence créée, lorsqu’elle voit un effet et qu’elle en ignore la cause, de s’étonner et de désirer savoir à son sujet non seulement si elle est, mais encore ce qu’elle est. Selon le Philosophe, c’est cela qui pousse les hommes à philosopher.
Si donc la créature voyait toutes les réalités créées et n’en connaissait pas la cause, il est manifeste qu’elle s’étonnerait et désirerait la connaître. Or la cause de toutes les réalités est Dieu Lui-même. Donc, quoi que l’intelligence connaisse au sujet des créatures, son désir naturel reste insatisfait tant qu’elle ne voit pas et ne connaît pas l’essence divine. C’est pourquoi, priver les hommes de la vision de l’essence divine, c’est les priver de la béatitude elle-même. La vision de l’essence divine est donc nécessaire à la béatitude de l’intelligence créée — Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu 20.
213. En ce qui concerne la vision de l’essence divine, il nous faut considérer trois points.
D’abord, jamais l’essence divine n’est vue par un oeil corporel, ni perçue par l’imagination; en effet, puis que la vision corporelle et l’imagination sont des puissances liées à des organes corporels, rien ne peut être connu ou perçu par elles qui ne soit corporel et matériel. Or Dieu est incorporel et immatériel — Dieu est esprit. Il ne peut donc être vu que par un oeil immatériel et spirituel, c’est-à-dire l’intelligence: Dieu est esprit, et ceux qui L’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent L’adorer 21.
Ensuite, l’intelligence, aussi longtemps qu’elle est liée à un corps corruptible, ne peut voir l’essence divine; car l’intelligence liée à un corps corruptible est accaparée et appesantie par l’activité des sens, de sorte qu’elle ne peut parvenir au sommet de la contemplation. Aussi, plus l’âme est purifiée des passions corporelles et libé rée des affections terrestres, plus elle s’élève dans la Contemplation de la vérité et goûte combien le Seigneur est doux 22. Or, le plus haut degré de la contemplation, c’est de voir Dieu par son essence; donc, aussi long temps que l’intelligence de l’homme est appesantie par la corruption du corps, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il est en cette vie, il ne peut voir Dieu par son essence: L’homme, c’est-à-dire aucun homme vivant dans cette chair mortelle, ne peut me voir et vivre 23.
Donc, pour que l’intelligence créée voie l’essence divine, il faut soit qu’elle abandonne complètement le corps par la mort, comme le dit l’Apôtre — Nous sommes pleins de confiance et préférons nous exiler du corps pour aller nous tenir devant le Seigneur 24 — soit qu’un ravissement l’arrache entièrement aux sens corporels, de sorte qu’elle ne sache pas "si c’est dans son corps ou hors de son corps", comme cela est arrivé à Paul 25.
Enfin, aucune intelligence créée, qu’elle soit comme arrachée à son corps, ou même qu’elle en soit séparée par la mort, ne peut cependant, bien qu’elle voie l’essence divine, la comprendre en aucune manière. Aussi dit-on communément que, bien que les bienheureux voient l’essence divine tout entière puisqu’elle est parfaitement simple et ne comporte pas de parties, ils ne la voient pas totalement, parce que ce serait la "comprendre". Quand je dis "voir totalement", je désigne un certain mode de vision; or, en Dieu, tout mode est identique à son essence. Voilà pourquoi celui qui ne voit pas totalement l’essence divine ne la "comprend" pas; car, à proprement parler, nous disons de quelqu’un qu’il comprend une réalité en la connaissant s’il la connaît autant qu’elle est connaissable en elle-même; autrement, bien qu’il la connaisse, il ne la "comprend" pas. Ainsi, celui qui connaît la proposition "Le triangle a trois angles égaux à deux droits", seulement par un syllogisme dialectique, en connaît bien toute la conclusion; mais puisqu’elle peut être connue aussi par démonstration, il ne la connaît pas autant qu’elle peut être connue, et c’est pourquoi il ne la "comprend" que s’il la connaît par démonstration. Toute réalité, en effet, est connaissable autant qu’elle a d’entité et de vérité; mais le sujet connaissant lui-même ne connaît que dans la mesure de sa puissance intellectuelle. Or toute puissance intellectuelle créée est finie: elle connaît donc de manière finie. Puis donc que Dieu est infini dans sa puissance et dans son être, et par conséquent infiniment connaissable, Il ne peut être connu autant qu’Il est connaissable par aucune intelligence créée, et c’est pourquoi aucune intelligence créée qui Le voit ne Le comprend — Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 26. Dieu seul se comprend Lui-même, parce que sa puissance dans le connaître est aussi vaste que son entité dans l’être — Toi, Dieu grand et fort dont le nom est Seigneur des armées, tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées 27.
214. D’après ce qui précède, les paroles PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU ont un triple sens. PERSONNE, autrement dit nul homme, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine, avec les yeux du corps ou avec son imagination; PERSONNE, vivant en cette vie mortelle, N’A VU DIEU, c’est-à-dire l’essence divine. PERSONNE, c’est-à-dire ni homme ni ange ni aucune créature, N’A VU DIEU, c’est-à-dire en comprenant l’essence divine. Si on dit de certains qu’ils ont vu Dieu en cette vie par les yeux du corps ou par l’imagination, cela doit s’entendre comme on l’a dit. Donc, parce que PERSONNE N’A JAMAIS VU DIEU, il nous était nécessaire de recevoir la sagesse.
II
LE
FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE
215. L’Evangéliste nous présente ici le Docteur capable d’enseigner cette sagesse. La capacité de ce Docteur est montrée en ces paroles de trois manières: par la ressemblance naturelle [avec le Père], par l’excellence unique, par la consubstantialité absolument parfaite.
216. Un fils est naturellement
semblable à son père. De là vient que l’homme est appelé fils de Dieu pour
autant qu’il participe, par mode de similitude, au Fils de Dieu par nature; et
il connaît Dieu dans la mesure où il Lui ressemble, puisque toute connaissance
se fait par assimilation — Maintenant nous sommes fils de Dieu (...). Lorsqu’Il
apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il
est. Donc, dans ce mot de" Fils" employé par l’Evangéliste, sont
impliquées la ressemblance et l’aptitude à connaître Dieu.
217. Mais ce Docteur connaît
Dieu plus particulièrement que les autres fils de Dieu, et c’est pourquoi
l’Evangéliste nous le montre dans son excellence uni que en ajoutant: UNIQUE —
comme pour dire: bien que les autres fils de Dieu connaissent Dieu, Celui-ci,
cependant, parce qu’Il est son Fils d’une manière uni que, étant LE FILS
UNIQUE, Le connaît d’une manière unique: Le Seigneur m’a dit: Tu es mon fils
d’une manière unique, avant tous les autres, aujourd’hui je t’ai engendré 29.
218. Malgré cette connaissance unique, la capacité d’enseigner aurait pu faire défaut au Christ, si cette connaissance n’avait pas été totale. Voilà pourquoi Jean ajoute comme troisième caractère sa consubstantialité avec le Père, en disant: DANS LE SEIN DU PERE. Il ne faut pas prendre ici le mot "sein" au sens habituel qu’il a chez les hommes vêtus et dont la ceinture est nouée mais il faut l’entendre comme "le secret du Père", car on garde secret ce qu’on porte dans son sein. Or il y a bien un secret du Père, puisque, l’essence divine étant infinie, Il transcende toute puissance et connaissance. Donc, dans ce SEIN, c’est-à-dire dans l’essence infiniment cachée de Dieu qui surpasse toute puissance et tout mode de la créature, est LE FILS UNIQUE; aussi est-Il consubstantiel au Père.
Ce que l’Evangéliste désigne ici par le "sein", David l’a exprimé par uterus en disant: Ex utero, de mon sein, avant l’étoile du matin, c’est-à-dire de l’intime et du secret de l’essence divine dépassant la capacité de toute intelligence créée, je t’ai engendré 31; c’est pourquoi LE FILS UNIQUE, Lui, Le comprend — Qui donc entre les hommes sait les choses de l’homme sinon l’esprit de l’homme qui est en lui? Ainsi, personne ne connaît les choses de Dieu sinon l’Esprit de Dieu 32. Il est encore manifeste, si le Fils est consubstantiel au Père, qu’Il a autant de capacité de connaître que Dieu en a d’être. Et ainsi Il le connaît autant qu’Il peut être connu: Il Le "comprend" donc.
219. Mais l’âme du Christ, dans sa connaissance de Dieu, ne "comprend" pas [l'essence divine], puisque les paroles de Jean ne s’appliquent qu’au FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE. Voilà pourquoi le Seigneur déclare: Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler 33; l’un et l’autre doivent s’entendre de la connaissance de compréhension totale dont semble parler ici l’Evangéliste. Personne, en effet, ne comprend l’essence divine sinon Dieu seul, le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
La capacité d’enseigner de ce Docteur est
donc manifeste.
220. Remarquons-le: en disant QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, Jean écarte l’erreur de certains qui prétendent que le Père est par nature invisible, mais que le Fils est visible, bien qu’on ne Le vît pas dans l’Ancien Testament. Si, en effet, Il est dans le secret du Père, il est manifeste qu’Il est par nature invisible, comme le Père. Aussi la Sainte Ecriture dit-elle du Seigneur: Vraiment, tu es un Dieu caché 34, et partout elle fait mention à la fois de l’incompréhensibilité du Père et de celle du Fils: Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils 35; et Quel est son nom et quel est le nom de son Fils, si tu le sais? 36
III
LUI,
L’A FAIT CONNAITRE.
221. Ici, l’Evangéliste montre la manière d’enseigner du Christ. Jadis, en effet, le Fils unique révéla la connaissance de Dieu par l’intermédiaire des prophètes, qui L’annoncèrent dans la mesure où ils participèrent au Verbe éternel; aussi chacun d’eux disait: La parole de Dieu me fut adressée en ces termes... Mais maintenant c’est le Fils unique en personne qui a fait connaître Dieu aux fidèles — Voici ce que dit le Seigneur Dieu: (...) Moi qui parlais autrefois, me voici présent 37. Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 38.
Aussi son enseignement l’emporte-t-il sur
tous les autres, parce qu’il est donné par LE FILS UNIQUE — Le salut, annoncé
d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’avaient entendu 39.
222. Mais qu’a-t-Il annoncé, sinon le Dieu unique? Moïse lui aussi l’annonça: Ecoute, Israël le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 40. Qu’a donc le Seigneur de plus que Moïse? Beaucoup, et de toutes manières, car Il a enseigné le mystère de la Trinité et bien d’autres que ni Moïse, ni aucun des prophètes n’ont annoncés.
223. Précédemment, l’Evangéliste a montré comment le Christ se fit connaître aux Apôtres eux-mêmes par le témoignage de Jean; maintenant, il explique d’une manière plus parfaite ce témoignage. Il présente d’abord le témoignage porté par Jean devant les foules 1, puis devant ses propres disciples 2. Si on considère attentivement ce que dit l’Evangile, on trouve deux témoignages du Précurseur au sujet du Christ: l’un qu’il porta en présence du Christ et l’autre en son absence; en effet, s’il n’avait pas porté son témoignage en présence du Christ, il n’aurait pas dit: voilà Celui... 3 et si auparavant il n’en avait pas porté un autre en son absence, il n’aurait pas ajouté dont j’ai dit...
L’Evangéliste expose donc en premier lieu le témoignage rendu par Jean au Christ en son absence 4, puis celui qui fut porté en sa présence 5. Ces deux témoignages diffèrent; en effet, le Précurseur a donné le premier après une interrogation, et le second spontanément. C’est pourquoi, dans le premier, l’Evangéliste rapporte non seulement le témoignage, mais aussi l’interrogation. On interrogea Jean d’abord sur sa personne 6 (c’est l’objet de la leçon présente), ensuite sur sa fonction 7 [n° 240]. L’Evangéliste nous montre donc comment Jean confessa d’abord n’être pas ce qu’il n’était pas, puis ne nia pas être ce qu’il était [n° 234].
I
ET
VOICI QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM.
DES PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?". IL
CONFESSA, IL NE NIA PAS, IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST". ILS
LUI DEMANDERENT: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT: "JE NE LE SUIS
PAS". " ES-TU LE PROPHETE?" IL REPONDIT: "NON". ET
VOICI QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM
DES PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?"
224. Comme le montre le texte, le premier point comprend trois questions des envoyés et trois réponses de Jean.
A propos de la première interrogation, considérons le grand respect dont les Juifs, qui envoyèrent recueillir le témoignage du Précurseur, font preuve à son égard.
Quatre particularités illustrent la grandeur de ce respect. D’abord la dignité de ceux qui envoient [ces lévites et ces prêtres]; en effet, ce ne sont pas des Galiléens qui les envoyèrent, mais ceux qui étaient les notables du peuple d’Israël, des Juifs de la tribu de Juda, habitant près de Jérusalem, et qui étaient plus honorables — De Juda, le Seigneur a choisi les princ8s de son peuple 8. Le salut vient des Juifs 9.
Ensuite, la prééminence du lieu [où l’on envoie]; c’est Jérusalem, la cité royale et sacerdotale, vouée au culte divin — Vous, vous dites que c’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer 10.
Puis l’autorité des envoyés, qui étaient des personnages insignes et parmi les plus consacrés du peuple, des prêtres et des lévites — Vous serez appelés prêtres du Seigneur 11.
Enfin, le fait que les Juifs ont envoyé demander à Jean de témoigner sur lui-même, comme s’ils avaient une telle confiance en ses paroles qu’ils étaient prêts à croire jusqu’à son témoignage sur lui-même. Aussi l’Evangéliste dit-il: ILS ENVOYERENT... POUR LUI DEMANDER: "QUI ES-TU?" Cela, ils ne l’ont pas fait pour le Christ; bien plus ils Lui disaient: "C’est toi qui te rends témoignage, ton témoignage n’est pas véridique" 12.
[1,
20] IL CONFESSA, IL NE NIA PAS, IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE
CHRIST".
225. L’Evangéliste donne ici la
réponse de Jean; et il dit à deux reprises CONFESSA, pour montrer l’hu milité
de Jean. En effet, bien que celui-ci jouît auprès des Juifs d’une autorité
telle que ceux-ci voyaient en lui le Christ, il ne voulut cependant pas usurper
un honneur qui ne lui était pas dû; bien plus, IL CONFESSA: "JE NE SUIS
PAS LE CHRIST".
226. Mais que signifie cette parole: IL CONFESSA, IL NE NIA PAS? Il semble en effet qu’il ait nié, puis qu’il dit n’être pas le Christ. Il faut répondre qu’il n’a pas nié la vérité en disant qu’il n’était pas le Christ: autrement, il aurait renié la vérité. Job a dit: Si, à la vue du soleil dans son éclat et de la lune radieuse dans sa course, mon coeur alors a ressenti une secrète joie, et si j’ai porté ma main à ma bouche 13, c’est là le comble de l’iniquité et un reniement du Dieu très-haut 14 n’a donc pas renié la Vérité puisque, si grand qu’on le jugeât, il ne s’est pas élevé avec orgueil, s’attribuant l’honneur qui ne lui appartenait pas. IL CONFESSA: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST", parce qu’en vérité il ne l’était pas, comme nous l’avons dit plus haut en expliquant ces paroles: Il n’était pas la lumière 15.
227. Cependant, ceux qui avaient été envoyés ne lui demandaient pas s’il était le Christ, mais qui il était; pourquoi alors Jean répondit-il: JE NE SUIS PAS LE CHRIST? Il faut dire que le Précurseur répond plutôt à la pensée de ceux qui l’interrogent qu’à leur question elle-même; sa réponse peut se comprendre de deux manières.
Selon Origène 16, les prêtres et les lévites
étaient venus à lui dans une bonne intention. Ils conjecturaient en effet, par
les Ecritures et surtout par la prophétie de Daniel, qu’était venu le temps de
l’avènement du Christ. Aussi, voyant la sainteté de Jean, ils supposaient qu’il
était le Christ. C’est pourquoi ils lui envoyèrent des délégués pour savoir si
à leur question: "QUI ES-TU?", il déclarerait être le Christ.
Aussi répondit-il à leur pensée: "JE NE SUIS PAS LE CHRIST".
Mais d’après Chrysostome 17,
prêtres et lévites interrogeaient Jean d’une manière perfide; Jean, en effet,
était parent des prêtres, puisque fils d’un prince des prêtres. De plus, il
était consacré; et pourtant il rendait témoignage au Christ dont la naissance
parais sait sans noblesse. D’où ce que disaient les Juifs: N’est-ce pas là le
fils du charpentier? 18; et Il leur restait inconnu. Désirant donc avoir pour maître Jean
plutôt que le Christ, ils lui envoyèrent des émissaires chargés de le séduire
par des flatteries, pour l’amener à s’attribuer cet honneur et à se dire le
Christ. Mais, voyant leur malice, le Précurseur dit: "JE NE SUIS PAS LE
CHRIST".
ILS
LUI DEMANDERENT: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT: "JE NE LE SUIS
PAS".
228. L’Evangéliste rapporte ici
la deuxième interrogation. A ce sujet, il faut se rappeler que si le peuple
juif attendait la venue du Seigneur, il attendait aussi Elie qui devait Le
précéder [selon cette prophétie]: Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète, avant que
n’arrive le jour du Seigneur grand et redoutable 19 Aussi les envoyés, voyant que
Jean confessait n’être pas le Christ, insistent pour que du moins il dise s’il
est Elie: "QUOI DONC? ES-TU ELIE?"
229. Or il y a des hérétiques
qui pensent que l’âme est transmissible d’un corps à un autre et que ce dogme
était alors professé chez les Juifs. Ceux-ci croyaient donc [disaient-ils] en raison de la ressemblance des oeuvres de Jean et d’Elie, que
l’âme de ce dernier était dans le corps de Jean. Aussi, pour ces hérétiques,
lorsque les envoyés demandaient au Précurseur s’il était Elie, cela revenait à
lui demander si l’âme d’Elie était dans son corps. Ils citent en faveur de leur
opinion ces paroles du Seigneur au sujet de Jean: Si vous voulez comprendre,
l’Elie qui doit venir, c’est lui 20. Mais aussitôt la réponse de Jean: "JE NE SUIS PAS
ELIE" dit le contraire. A cela ils répondent que Jean parla par
ignorance, ne sachant pas que son âme était l’âme d’Elie. Mais On gène réfute
cette idée: il paraît tout à fait déraison nable que Jean, le prophète illuminé
par l’Esprit, qui a dit de si grandes choses du Fils unique de Dieu, ait pu
ignorer à son propre sujet que son âme ait été celle d’Elie.
230. Ce n’était donc pas dans cette intention qu’ils lui demandaient: "ES-TU ELIE?" Mais comme les Ecritures racontent 22 qu’Elie n’était pas mort et qu’un char de feu l’avait enlevé vivant jusqu’au ciel, ils le croyaient réapparu subitement parmi eux.
Contre cette interprétation, il y a le fait que le Pré curseur était né de parents connus et que sa naissance n’était ignorée de personne. Luc écrit [sujet des événements qui marquèrent sa venue au monde]: Tous furent étonnés (...) et ils gravaient ces merveilles dans leur coeur, en disant: "Que sera donc cet enfant?" 23
On peut dire qu’il n’est pas incroyable que les Juifs aient pensé de Jean ce qu’on vient de rapporter, car on constate un fait analogue dans saint Matthieu 24. Hérode croyait que le Christ était Jean qu’il avait décapité; et pourtant le Christ avait prêché et avait été connu long temps avant que le Précurseur n’eût été décapité. Ce serait avec une démence et un aveuglement semblable que les Juifs auraient demandé à Jean s’il était Elie.
231. Mais pourquoi Jean dit-il
JE NE SUIS PAS ELIE, alors que le Christ dira: l’Elie qui doit venir, c’est
lui? L’ange Gabriel résout cette difficulté quand il dit que Jean marchera
devant le Seigneur avec l’esprit et la puissance d’Elie 25. Il ne
fut donc pas Elie en personne, mais il le fut par l’esprit et la puissance,
parce que dans ses oeuvres se manifestait la ressemblance d’Elie.
232. On peut en effet remarquer trois points de ressemblance entre Jean et Elie.
En premier lieu dans la fonction: car Elie précédera le second avènement du Seigneur, comme Jean devança le premier. Aussi l’ange a-t-il dit: Il marchera devant le Seigneur. Ensuite, dans leur mode de vie: Elie séjournait dans le désert, mangeant peu et couvert de vêtements rudes 26; Jean vivait au désert, se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, et sa ceinture était de poil de chameau.
Enfin dans leur zèle: Elie fut d’un zèle extrême; aussi disait-il: Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur 27. De même Jean mourut à cause de son zèle pour la vérité, comme on le voit dans saint Matthieu.
"ES-TU
LE PROPHETE?" IL REPONDIT: "NON".
233. Telle est la troisième question que rapporte l’Evangéliste. Mais d’abord, comment se fait-il que Jean, à la question: "ES-TU LE PROPHETE?" ait répondu qu’il ne l’était pas, [et que Zacharie] dit de lui: "Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut" 29?
On peut répondre de trois manières. D’abord, Jean n’est pas simplement un prophète, il est plus que prophète. En effet, les autres prophètes n’annonçaient l’avenir que longtemps à l’avance. [d'où la recommandation d’Habacuc:] Si tarde la réalisation de la vision, attendez-la. Mais Jean a annoncé le Christ présent, en Le montrant en quelque sorte du doigt — "Voici l’Agneau de Dieu. Voici celui qui enlève les péchés du monde" 31. C’est pourquoi le Seigneur dit de lui qu’il est plus qu’un prophète 32.
Ensuite, d’après Origène 33, les Juifs, à partir d’une mauvaise interprétation [des Ecritures], s’imaginaient que paraîtraient, au moment de la venue du Christ, trois personnages éminents: le Christ Lui-même, Elie et un autre très grand prophète [dont Moïse avait dit:] le Seigneur ton Dieu nous suscitera du milieu de nous, d’entre nos frères, un prophète tel que moi 34.
Ce très grand prophète, en réalité, n’est autre que le Christ; mais, selon les Juifs, c’est un autre personnage. Voilà pourquoi ils ne demandent pas simplement au Précurseur s’il est prophète, mais s’il est ce très grand Prophète. Cela se voit à l’ordre des questions, car ils demandent d’abord s’il est le Christ, ensuite s’il est Elle, enfin s’il est ce Prophète. Ce qui explique, en grec, la présence d’un article, pour signifier LE prophète par excellence.
Enfin, les Pharisiens en voulaient à Jean parce qu’il s’était attribué le ministère du baptême en dehors de la Loi et de leurs traditions. [Il y a en effet dans l’Ancien Testament trois personnages auxquels il pouvait convenir de baptiser: le Christ, à qui Ezéchiel fait dire: Je ferai sur vous une aspersion d’eaux pures 36;
Elie qui, d’après le Deuxième livre des Rois 36, partagea les eaux du Jourdain et, les ayant passées, fut enlevé; Elisée qui, selon le même livre 37, ordonna à Naaman le Syrien de se laver sept fois dans le Jourdain pour être purifié de sa lèpre.
Les Juifs donc, voyant Jean baptiser, croyaient qu’il était l’une de ces trois personnes, le Christ, Elie ou Elisée. Aussi, lorsqu’ici ils disent à Jean: "ES-TU LE PROPHETE?" ils lui demandent s’il n’est pas Elisée. Elisée est appelé le Prophète, d’une manière spéciale, à cause des nombreux miracles qu’il a faits; il dit du reste, en parlant de lui-même: Que le roi d’Israël sache qu’il y a un prophète en Israël 38. Pour cette raison, Jean répond: JE NE LE SUIS PAS, c’est-à-dire: Je ne suis pas Elisée.
II
ILS
LUI DIRENT ALORS: "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX QUI
NOUS ONT ENVOYES? QUE DIS-TU DE TOI-MEME?" "
JE SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT
LE CHEMIN DU SEIGNEUR, COMME A DIT LE PROPHETE ISAIE".
234. L’Evangéliste montre ici comment Jean confessa ce qu’il était. Il expose en premier lieu la question des envoyés; puis la réponse de Jean [n° 236].
[22]
ILS LUI DIRENT ALORS: "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX QUI
NOUS ONT ENVOYES? QUE DIS-TU DE TOI-MEME?"
235. Nous avons, disent ici les Juifs, été envoyés pour savoir qui tu es; aussi dis-nous: QUE DIS-TU DE TOI-MEME? Mais remarquons combien Jean est consacré: déjà il a réalisé ces paroles de l’Apôtre: Je vis, mais non pas moi, c’est le Christ qui vit en moi 39. C’est pourquoi il ne répond pas: "Je suis le fils de Zacharie, ou tel et tel": il dit uniquement sa dépendance à l’égard du Christ.
JE SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX
DE CELUI QUI [23] CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT LE CHE MIN DU SEIGNEUR,
COMME A DIT LE PROPHETE ISAÏE.
236. Jean dit qu’il est une VOIX
parce que si, par l’origine, la voix est postérieure au verbe, elle est en
revanche première pour la connaissance. En effet, le verbe conçu dans le coeur
se fait connaître à nous par l’émission de la parole qui en est le signe. Or
Dieu le Père a envoyé le Précurseur Jean, créé dans le temps, pour annoncer son
Verbe, conçu de toute éternité; c’est donc à juste titre que Jean dit: JE SUIS
LA VOIX.
237. Ce qu’il ajoute: DE CELUI QUI CRIE, peut se comprendre de deux façons: ou c’est Jean qui crie, ou c’est le Christ qui crie en Jean, [comme disait saint Paul]: Voulez-vous une preuve que celui qui parle en moi, c’est le Christ? 40.
Celui qui crie peut le faire pour quatre raisons. En effet, le cri implique d’abord une manifestation et c’est pourquoi Jean crie, pour montrer que le Christ parlait manifestement en lui, comme lorsqu’Il criera Lui-même: Le dernier jour de la fête, le plus solennel, Jésus debout s’écriait: "Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive"; alors que, dans les prophéties, Il n’a pas crié, parce que les prophéties furent données de manière énigmatique et sous des figures; aussi le Psalmiste dit-il: La tente de Dieu autour de lui, c’est l’eau ténébreuse des nuées de l’air 42.
Ensuite, le cri s’adresse à des personnes éloignées; or les Juifs s’étaient éloignés de Dieu; aussi fallait-il crier — Tu as éloigné de moi mes amis et mes proches 43.
En troisième lieu, le cri s’adresse à des sourds — Qui est sourd, sinon mon serviteur?44
Enfin, le cri exprime qu’on
parle avec indignation, parce que celui qui crie s’adresse à ceux qui ont
mérité la colère de Dieu — [Le Seigneur] leur parlera dans sa colère. 45
238. Mais remarquons qu’il crie DANS LE DESERT, car Le Seigneur fit entendre sa parole à Jean, fils de Zacharie, dans le désert 46. On peut trouver là un sens littéral et un sens mystique.
Au sens littéral, Jean reste DANS LE DESERT pour être exempt de tout péché, afin d’être ainsi plus digne de porter témoignage pour le Christ et de rendre, par sa vie, son témoignage plus digne de foi auprès des hommes.
Au sens mystique, le DESERT s’explique de deux façons. Le DESERT, en effet, signifie d’abord les païens, conformément à cette parole d’Isaïe: Les fils de la délaissée [du latin desertae] sont plus nombreux que les fils de celle qui avait un époux 48. Ainsi, pour montrer que la connaissance de Dieu ne doit pas être prêchée seulement à Jérusalem, mais chez toutes les nations, il cria DANS LE DESERT — Le royaume de Dieu [dira le Christ aux Juifs] vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits.
Par DESERT, d’autre part, on entend la Judée, qui était alors déserte — Voici que votre maison vous est laissée déserte 49. Jean cria donc DANS LE DESERT, c’est-à-dire en Judée, pour faire comprendre que le peuple à qui il prêchait était alors déserté par Dieu — Dans cette terre déserte et où il n’y a ni chemin ni eau, je me suis présenté devant toi, dans ton sanctuaire, pour contempler ta puissance et ta gloire 50.
239. Mais que crie Jean? RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR. C’est en effet pour cela qu’il fut envoyé — Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies 51. Or le chemin préparé pour recevoir le Seigneur, le chemin DROIT, c’est le chemin de justice [selon Isaïe:] Le chemin du juste est droit, droite est la voie que tu aplanis pour le juste 52.
La voie du juste est droite lorsque l’homme
tout entier est soumis à Dieu: l’intelligence par la foi, la volonté par
l’amour, l’agir par l’obéissance à Dieu. Et, à ces paroles: JE SUIS LA VOIX DE
CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT: RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR, Jean ajoute:
COMME LE DIT LE PROPHETE ISAIE, c’est-à-dire comme l’a prédit Isaïe. C’est comme
si Jean disait: "Je suis celui en qui ces paroles
s’accomplissent."
240. Plus haut Jean-Baptiste, interrogé, a rendu témoignage au Christ en parlant de sa propre personne; ici, il le fait en parlant de son ministère.
A ce sujet, l’Evangéliste traite quatre
points: quels sont ceux qui l’interrogent [n° 241]; leur interrogation [n° 243];
la réponse de Jean, dans laquelle il rend témoignage au Christ [n° 244];
enfin le lieu où les choses se sont passées [n° 251].
I
[24]
LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS.
241. Ceux qui interrogent sont des Pharisiens. L’Evangéliste le souligne. Or, selon Origène 1, les paroles rapportées ici relèvent d’un autre témoignage 2: ces envoyés du parti des Pharisiens ne sont pas les mêmes que les prêtres et les lévites envoyés par l’ensemble des Juifs, mais d’autres, envoyés spécialement par les Pharisiens. Selon cette interprétation, l’Evangéliste dit LES ENVOYES, non ceux des Juifs comme furent les prêtres et les lévites, mais d’autres, ETAIENT DES PHARISIENS. Dans la pensée d’Origène, les prêtres et les lévites, personnages instruits et respectueux, interrogent Jean humblement et avec déférence sur sa dignité; ils lui demandent s’il est le Christ, ou Elie, ou le Prophète. Mais ceux-là, Pharisiens et donc, comme l’indique leur nom, gens séparés et acerbes, avancent des propos injurieux pour Jean-Baptiste; aussi lui disent-ils: POURQUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?
Cependant, selon d’autres, à savoir Grégoire 3,
Chrysostome 4 et Augustin 5, ces Pharisiens sont les mêmes que les envoyés des Juifs, qui
étaient prêtres et lévites. Il y avait en effet parmi les Juifs une secte dont
les membres étaient séparés des autres pour des raisons d’observances
extérieures: d’où leur nom de "Pharisiens", c’est-à-dire "séparés".
Dans cette secte, certains étaient prêtres et lévites, d’autres appartenaient
au peuple. Pour que leurs messagers aient plus d’autorité, les Juifs envoyèrent
des prêtres et des lévites qui étaient des Pharisiens, à qui ne manquaient par
conséquent ni la dignité de l’ordre sacerdotal, ni l’autorité religieuse.
242. C’est pourquoi l’Evangéliste ajoute ces paroles LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS. Il le dit d’abord pour indiquer le motif de leur question sur le baptême de Jean, question pour laquelle ils n’avaient pas été envoyés. En d’autres termes: ils avaient été envoyés pour demander à Jean qui il était; mais s’ils lui posent cette autre question: POURQUOI DONC BAPTISES-TU? c’est qu’ils faisaient partie des Pharisiens, que leur situation religieuse rendait hardis.
Jean dit encore que c’étaient des Pharisiens pour — selon Grégoire 6 — montrer dans quelle intention ils demandèrent à Jean: QUI ES-TU? Les Pharisiens, en effet, parmi tous les autres Juifs, se comportaient à l’égard du Christ d’une manière perfide et calomnieuse. Ainsi dirent-ils du Seigneur: Cet homme chasse les démons par Beelzéboul, le prince des démons. Les mêmes encore se concertèrent avec les Hérodiens pour Le prendre en défaut dans ses paroles 8. C’est pourquoi, en affirmant LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS, l’Evangéliste indique qu’ils L’interrogeaient d’une manière calomnieuse, et poussés par l’envie.
II
[25]
ILS L’INTERROGERENT ET LUI DIRENT: "POUR QUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU N’ES
NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?
243. Leur interrogation concerne
le ministère du baptême. Remarquons-le, ils ne cherchent pas à s'instruire mais
à dresser un obstacle: en effet, voyant la multitude du peuple courir vers
Jean-Baptiste à cause du rite nouveau du baptême, étranger à celui des
Pharisiens et de la Loi, ils jalousaient Jean et s’efforçaient de tout leur
pouvoir d’empêcher son baptême. Voilà pourquoi, incapables de se contenir, ils
manifestent leur jalousie et disent: POURQUOI BAPTISES-TU, SI TU N’ES NI LE
CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE? Ce qui veut dire: "Tu ne dois pas
baptiser, puisque tu as dit n’être aucun des trois personnages en qui le
baptême a été préfiguré; si tu n’es pas le Christ qui sera la fontaine pour
laver les péchés, si tu n’es pas Elie, ni le Prophète, c’est-à-dire Elisée, qui
l’un et l’autre ont traversé le Jourdain à pied sec 9, comment
oses-tu baptiser?"
Les envieux leur ressemblent, qui empêchent le progrès des âmes et disent aux voyants: "Ne voyez pas", et aux prophètes: "Ne nous prophétisez pas la vérité" 10.
III
JEAN
LEUR REPONDIT: "MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU; AU MILIEU DE VOUS SE TIENT
QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS. IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI,
QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA
CHAUSSURE". MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU.
244. La réponse de Jean est vraie. Il répond d’abord en parlant de son ministère, puis en parlant du Christ [n° 245]. Il leur dit: MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, autrement dit: n’allez donc pas vous étonner si je baptise, alors que je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète: mon baptême ne mène pas à la perfection, il est imparfait. En effet, pour qu’un baptême soit parfait, il lui faut laver le corps et l’âme; or l’eau, par nature, lave le corps, mais l’âme ne peut être lavée que par l’esprit. C’est pourquoi Jean-Baptiste dit: MOI, JE BAPTISE DANS L’EAU, c’est-à-dire je lave le corps par une réalité corporelle; un autre viendra qui baptisera d’une manière parfaite, dans l’eau et l’Esprit Saint; Il sera Dieu et homme, Il lavera le corps avec l’eau, l’esprit avec l’Esprit, de telle sorte que la sanctification de l’es prit rejaillira sur le corps — Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint 11.
245. [Après avoir parlé de son ministère,] Jean rend témoignage au Christ; d’abord par rapport aux Juifs: AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; ensuite par rapport à lui-même: IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI... [n° 247].
AU
MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.
246. Jean situe ici le Christ par rapport aux Juifs. Ses précédentes paroles revenaient à dire: "Moi, j’ai fait une oeuvre imparfaite; mais il y en a un autre qui parachèvera mon oeuvre". Or cet autre, ajoute-t-il, SE TIENT AU MILIEU DE VOUS. On peut expliquer cette dernière parole de multiples manières.
D’après Grégoire, Chrysostome et Augustin, elle a trait à la vie commune du Christ avec les hommes par ce que, selon la nature humaine, Il apparut semblable aux autres hommes — Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais Il s’anéantit Lui-même, prenant condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 12, C’est en ce sens que Jean dit: AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire: Il a partagé votre vie bien des fois, comme étant l’un des vôtres — Je suis au milieu de vous comme celui qui sert 13, [Pourtant] VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, c’est-à-dire: que Dieu se soit fait homme, vous ne pouvez pas le comprendre. De même, vous ignorez combien Il est grand selon la nature divine, qui se cachait en Lui — Oui, Dieu est si grand qu’Il dépasse notre science 14, Aussi, comme le dit Augustin 15, "une lampe, c’est-à-dire Jean, fut allumée pour que les hommes trouvent le Christ" — J’ai préparé une lampe à mon Christ 16.
Origène propose deux autres explications 17: D’après la première, les paroles de l’Evangéliste se rapportent à la divinité du Christ et doivent s’entendre ainsi: AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire au milieu de toutes les réalités, SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire le Christ, car en tant que Verbe de Dieu Il a rempli toute la création depuis son commencement — Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi? dit le Seigneur 18. Cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste le dit plus haut, Il était dans le monde (...) et le monde ne l’a pas connu 19.
D’après la seconde explication d’Origène, ces paroles se rapportent au fait que le Verbe est cause de la sagesse humaine, et il est dit: QUELQU’UN SE TIENT AU MILIEU DE VOUS, c’est-à-dire qu’Il brille dans toutes les intelligences, parce que tout ce qui est lumière et sagesse dans les hommes leur vient de leur participation au Verbe. Et Jean dit AU MILIEU, parce qu’au milieu du corps de l’homme se trouve le coeur; or on attribue au coeur sagesse et intelligence, de sorte que, bien que l’intelligence n’ait pas d’organe corporel, le coeur, parce qu’il est l’organe principal, est pris habituellement pour l’intelligence. L’Evangéliste dit donc, selon cette comparaison, que le Verbe SE TIENT AU MILIEU, en tant qu’Il illumine tout homme venant en ce monde; cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme l’Evangéliste l’a dit plus haut, la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas étreinte 20.
Enfin, selon une quatrième explication, ces paroles se rapportent à l’annonce prophétique du Christ. La réponse s’adresse spécialement aux Pharisiens: ils ne cessaient de consulter les écrits de l’Ancien Testament qui annonçaient le Christ, et pourtant ils ne Le con naissaient pas. D’après cette interprétation, le Précurseur dit AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQU’UN, c’est-à-dire dans la Sainte Ecriture que vous ruminez sans cesse — Vous scrutez les Ecritures 21 — et cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que votre coeur est endurci à cause de votre infidélité, et vos yeux sont aveuglés de sorte que vous ne reconnaissez pas présent Celui dont vous croyez qu’Il va venir.
[27]
IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI, QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE
SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE.
247. Jean considère ici le
Christ par rapport à lui-même. Il affirme d’abord l’éminence du Christ par rap
port à lui, et montre ensuite l’immensité de cette éminence [n° 249].
248. Jean-Baptiste montre l’éminence du Christ par rapport à lui-même à la fois dans l’ordre de la prédication et dans l’ordre de la dignité. En premier lieu dans l’ordre de la prédication; c’est pour cela qu’il déclare.
Il est Celui qui vient après moi, pour prêcher, baptiser et mourir — Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies 22. Mais Jean précède le Christ comme l’imparfait précède le parfait, et comme la dis position précède la forme, selon ce que dit l’Apôtre.
Ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord, mais ce qui est charnel 23. En effet, toute la vie de Jean a été une préparation au Christ. C’est pourquoi il a dit plus haut
Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. Mais le Christ a précédé Jean et nous tous, comme le parfait pré cède l’imparfait et le modèle son image. [Il dit Lui-même]: Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renon ce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive et [Pierre écrit:] Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces 25.
Jean montre encore l’éminence de Jésus dans l’ordre de la dignité, en disant: IL EXISTAIT AVANT MOI, c’est-à-dire: Il a été placé devant moi et Il me devance en dignité parce que, comme il est dit plus loin: Il faut que Lui croisse et que moi je diminue 26.
249. Puis Jean indique l’immensité de l’éminence [du Christ] en disant: ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE. C’est-à-dire ne pensez pas qu’Il me dépasse en dignité comme un homme doit être préféré à un autre, mais d’une manière si éminente que je ne suis rien en comparaison de Lui. C’est évident, puisque JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, ce qui est le plus humble des services que l’on puisse rendre aux hommes.
Il ressort de là que Jean était très avancé dans la connaissance de Dieu, en ce sens que la considération de l’infinie grandeur de Dieu le faisait se mépriser totalement et se compter pour rien. De même Abraham, lors qu’il eut reconnu Dieu, disait Je parlerai à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre 27. Et Job, après avoir vu le Seigneur, s’écria: Maintenant mon oeil te voit, c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre 28.
Quant à Isaïe, après avoir vu la gloire de Dieu, il dit: Toutes les nations sont devant Lui comme si elles n’existaient pas 29. Cette lecture est littérale.
250. Cependant il y a aussi un sens mystique. Selon Grégoire 30, par la chaussure qui est faite avec des peaux d’animaux morts, il faut entendre la nature humaine mortelle que le Christ a prise — J’étendrai ma chaussure en Idumée 31. La courroie de la chaussure est l’union même de la divinité et de l’humanité, que ni Jean ni aucun autre ne peut dénouer, ni n’a pu pleinement scruter, puisque cette union était telle qu’elle faisait de l’homme un Dieu et de Dieu un homme. C’est pourquoi Jean dit: JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire d’expliquer le mystère de l’Incarnation, etc., — entendons au sens plénier et parfait; car, d’une certaine manière, Jean et les autres prédicateurs, bien qu’imparfaitement, dénouent la courroie de sa chaussure.
Voici une autre lecture mystique 32: selon l’ancienne Loi, lorsque quelqu’un mourait sans enfant, le frère du défunt était tenu de prendre l’épouse du défunt et de donner, de cette épouse, une descendance à son frère. Si celui-ci ne voulait pas la prendre pour épouse, alors un proche parent du défunt, qui acceptait d’épouser la veuve, devait enlever [au frère] sa chaussure, signifiant par là le désistement de ce dernier; il prenait alors la veuve pour épouse, et la maison du premier devait s’appeler maison du déchaussé 33. Se référant à cela, Jean dit: JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, c’est-à-dire: Je ne suis pas digne d’avoir pour épouse celle qui est due [au Christ], l’Eglise. C’est comme s’il disait: je ne suis pas digne d’être appelé l’époux de l’Eglise, elle qui est consacrée au Christ dans le baptême de l’Esprit; moi je baptise seulement dans l’eau — Celui qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux: cette joie qui est mienne est donc à son comble 34.
IV
CELA
SE PASSAIT A BETHANIE, AU DELA DU JOURDAIN, OU JEAN BAPTISAIT.
251. L’Evangéliste signale ensuite le lieu où ces choses se sont passées.
A ce propos une question se pose: alors que Béthanie est sur le mont des Oliviers, situé près de Jérusalem, comme le dit Jean l’Evangéliste 35, ainsi que Marc 36 et Luc 37 comment Jean peut-il dire ici que CELA SE PASSA AU DELA DU JOURDAIN, qui était très éloigné de Jérusalem? Voici la réponse que donnent Origène 38 et Chrysostome 39: il ne faut pas lire Béthanie, mais Béthabora, ville située au delà du Jourdain; le fait que le texte dise "Béthanie" serait dû à une erreur des copistes. Cependant, les manuscrits grecs et latins portent communément "Béthanie"; il faut donc répondre autrement et dire qu’il y a deux Béthanie, l’une qui est près de Jérusalem, sur le flanc du mont des Oliviers, l’autre au delà du Jourdain, où Jean baptisait.
252. Le fait que l’Evangéliste fasse mention du lieu a une signification littérale et une signification mystique. Voici la signification littérale, selon Chrysostome 40: lors que Jean écrivait son Evangile, peut-être des contemporains de ces événements vivaient-ils encore, qui avaient vu ce lieu; et, pour donner une plus grande certitude, il les fait témoins de ce qu’ils avaient vu.
Selon la signification mystique, ces lieux conviennent au baptême. En effet, si on lit BETHANIE, qui se traduit "maison d’obéissance", cela signifie que l’obéissance de la foi est nécessaire pour parvenir au baptême — [ainsi l’Epître aux Romains dit:] Nous, nous avons reçu mission d’Apôtre pour amener tous les païens à l’obéissance de la loi 41. Mais si on lit "Béthabora", qui se traduit "maison de la préparation", cela signifie que, par le baptême, nous sommes préparés à la vie éternelle.
Et que Béthanie soit AU DELA DU JOURDAIN n’est pas sans signification cachée. JOURDAIN, en effet, veut dire "leur descente" et, selon Origène 42, signifie le Christ qui descendit des cieux, comme Il le dit Lui-même: Je suis descendu du ciel pour faire (...) la volonté de mon Père 43. C’est pourquoi la Sagesse dit d’elle-même: Je suis comme un canal issu d’un fleuve 44. Il convient en effet que par le Christ soient purifiés tous ceux qui entrent dans ce monde, selon cette affirmation de l’Apocalypse: Il nous a lavés de nos péchés dans son sang 45.
Le Jourdain peut aussi signifier le baptême. Il for me en effet la frontière entre ceux qui, d’un côté, ont reçu de Moïse leur héritage, et ceux qui, de l’autre, l’ont reçu de Josué 46; ainsi le baptême forme une sorte de frontière entre les Juifs et les païens qui s’y rendent pour se laver en venant au Christ, afin de déposer la honte du péché. De même, en effet, que les fils d’Israël au moment de leur entrée dans la terre promise ont eu à franchir le Jourdain, de même c’est par le baptême qu’il faut [pour] entrer dans la patrie céleste.
L’Evangéliste dit: AU DELA DU JOURDAIN, pour faire comprendre que Jean prêchait son baptême de pénitence même aux transgresseurs de la Loi et aux pécheurs; c’est pourquoi le Seigneur dit pareillement: Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs 47.
253. Dans les versets précédents [n° 223], Jean, interrogé [par les Pharisiens], a rendu témoignage au Christ. Maintenant, c’est en sa présence et spontanément qu’il va rendre un nouveau témoignage au Christ. Il donne d’abord son témoignage, puis le confirme [n° 267].
I
LE LENDEMAIN, JEAN
VIT JESUS VENIR A LUI, ET IL DIT: "VOICI L’AGNEAU DE DIEU, VOICI CELUI QUI
ENLEVE LES PECHES DU MONDE. C’EST CELUI DONT J’AI DIT: UN HOMME VIENT APRES
MOI, QUI EST PASSE DEVANT MOI, CAR AVANT MOI IL ETAIT. ET MOI JE NE LE
CONNAISSAIS PAS, MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU
BAPTISER DANS L’EAU".
L’Evangéliste commence par décrire les circonstances de ce témoignage; ensuite il expose le témoignage lui-même [n° 256]; enfin il écarte les soupçons que l’on pourrait avoir sur le témoin [n° 263].
[29a1
LE LENDEMAIN, JEAN VIT JESUS VENIR A LUI
254. La description des circonstances du témoignage porte d’abord sur le temps. L’Evangéliste dit: LE LENDEMAIN, pour mettre en valeur la constance de Jean, qui ne rendit pas témoignage au Christ un jour, ni une fois seulement, mais bien des jours et de nombreuses fois — Chaque jour je bénirai ton Nom 1. Cela met aussi en relief sa croissance; en effet, les jours ne doivent pas se succéder pour nous d’une manière uniforme, mais chacun doit être autre que le précédent, c’est-à-dire meilleur, selon le Psaume Ceux dont la force est en toi marchent avec une vigueur croissante 2.
Une autre circonstance concerne le mode de témoignage JEAN VIT JESUS. Par là l’Evangéliste montre sa certitude, car le témoignage portant sur ce qu’on a vu est plus certain.
Enfin, une autre circonstance concerne celui
à qui le témoignage est rendu: JEAN VIT JESUS VENIR A LUI, c’est-à-dire de
Galilée, selon ce que dit Matthieu 3. Par là il ne faut pas entendre la venue du Christ pour son
baptême, dont parlait Matthieu, mais une autre venue auprès de Jean après le
baptême, à un moment où [Jésus] demeura près du Jourdain; autrement [Jean- Baptiste] n’aurait
pas précisé Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit: Celui sur qui tu
verras l’Es prit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit
Saint. Et moi j’ai vu et j’ai attesté que c’est Lui le Fils de Dieu 4. II
avait donc déjà vu Jésus et l’Es prit descendant sur Lui comme une colombe,
ainsi qu’il le dira.
255. Une des causes pour lesquelles le Christ vint à Jean après son baptême, c’est qu’Il voulait confirmer le témoignage du Précurseur. Jean, en effet, avait dit du Christ: Il est Celui qui doit venir après moi 5. Donc, pour qu’on puisse reconnaître sans se tromper Celui qui devait venir au moment où Il serait là, Jésus vint à Jean pour être montré du doigt: VOICI L’AGNEAU DE DIEU.
Une autre raison fut d’empêcher une erreur. En effet, on aurait pu croire que le Christ, quand Il vint trouver Jean la première fois pour son baptême, l’avait fait pour être lavé de ses péchés. Afin d’exclure cette interprétation, le Christ vint de nouveau trouver Jean après son baptême, et c’est pourquoi Jean dit expressément: VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE, comme s’il disait: Il ne vient pas pour être purifié de ses péchés, puisqu’Il n’a fait aucun péché, mais Il vient enlever le péché. Il vient aussi pour donner un exemple d’humilité, car il est écrit: Humilie-toi en toutes choses d’autant plus que tu es grand 6.
Remarquons que, de même qu’après la conception du Christ, lorsque la Vierge sa mère monta en hâte dans le haut pays 7 pour visiter Elisabeth, mère de Jean, celui-ci, encore dans le sein de sa mère et incapable de parler, tressaillit pour exprimer au Christ son respect et ses transports de joie, de même maintenant, au Christ qui vient à lui par humilité, Jean rend témoignage et exprime son respect en s’exclamant: VOICI L’AGNEAU DE DIEU.
ET IL DIT: "VOICI
L’AGNEAU DE DIEU, VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE".
256. L’Evangéliste expose ici le témoignage de Jean, où sont montrées la puissance du Christ et sa dignité [n° 260].
Le Précurseur montre la puissance du Christ à l’ai de d’une figure qu’il explique ensuite: VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE [n° 259].
257. Il faut savoir que, dans l’Ancienne Loi, comme le rappelle Origène 8, la coutume était d’offrir au temple cinq espèces d’animaux: trois qui vivent sur la terre, le boeuf, la chèvre et le mouton (c’est-à-dire, sous ce nom, le bélier, la brebis et l’agneau), deux qui vivent dans les airs, la tourterelle et la colombe. Tous étaient la préfiguration de la vraie victime, le Christ, qui s’est offert Lui-même en oblation à Dieu 9.
Pourquoi donc le Baptiste, rendant témoignage au Christ, L’a-t-il désigné spécialement par le nom d’AGNEAU? La raison se trouve dans le Livre des Nombres. On y voit 10 qu’à certains jours on offrait dans le temple certains sacrifices; cependant il y en avait un qui était quotidien: c’était l’offrande perpétuelle 11 matin et soir, d’un agneau. Ce sacrifice ne changeait jamais, on l’accomplissait comme le rite principal, les autres venant s’y joindre. C’est ainsi que l’agneau, qui était le sacrifice principal, représente le Christ, qui est le sacrifice principal. Car, bien que tous les saints qui ont souffert pour la foi au Christ contribuent au salut des fidèles, cependant ils ne le font que dans la mesure où ils sont immolés sur l’oblation de l’Agneau, comme une oblation étroitement liée au sacrifice principal.
L’agneau était offert matin et soir, parce que le Christ nous a ouvert l’accès à la contemplation et à la jouissance de ce que nous pouvons saisir des réalités divines, ce qui appartient à la "connaissance matutinale" 12, et qu’Il nous a instruits de la manière d’user des biens terrestres sans nous souiller par le péché, ce qui appartient à la "connaissance vespertinale". Aussi Jean dit-il VOICI L’AGNEAU DE DIEU, c’est-à-dire Celui dont l’agneau était le signe.
Il dit AGNEAU DE DIEU, car dans le Christ il y a deux natures, l’humaine et la divine; et s’Il a la puissance de satisfaire [les péchés] et de purifier des péchés, c’est en vertu de la divinité — C’était Dieu, en effet, qui dans le Christ se réconciliait le monde 13
VOICI L’AGNEAU DE DIEU signifie encore: voici l’Agneau offert par Dieu, c’est-à-dire par le Christ Lui-même qui est Dieu: ainsi appelle-t-on" offrande de l’homme" celle qu’offre l’homme.
AGNEAU DE DIEU peut vouloir dire aussi "Agneau du Père"; car le Père Lui-même a donné à l’homme de pouvoir offrir pour les péchés un sacrifice suffisant, sacrifice que l’homme lui-même était incapable d’offrir. Voilà pourquoi, lorsqu’Isaac demanda à son père Abraham: "Où est la victime pour l’holocauste?", celui-ci répondit: "Dieu pourvoira Lui-même à la victime pour l’holocauste" 14 Dieu, en effet, n’a pas épargné son propre Fils, mais L’a livré pour nous tous 15.
258. Le Christ est aussi appelé AGNEAU à cause de sa pureté — [agneau pascal, figure du Christ] sera sans tache. Ce sera un mâle, il n’aura qu’un an 16 Ce n’est point par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés [dit saint Pierre] 17; à cause de sa douceur — Comme un agneau devant le tondeur, il resta muet 18; à cause de ce qu’Il nous apporte, car Il est vêtement — Les agneaux sont pour vous vêtir 19;
Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ 20; et nourriture — Le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde 21. C’est pourquoi Isaïe disait: Seigneur, envoie l’agneau dominateur de la terre 22.
259. Jean explique ensuite la figure dont il s’est servi: CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE. Ni la Loi, ni l’agneau, ni les autres sacrifices ne pouvaient enlever les péchés, parce qu’il est impossible que le sang des boucs et des taureaux enlève les péchés 23
L’Agneau, Lui, ENLEVE, c’est-à-dire efface, LES PECHES DU MONDE — efface toute iniquité 24 ou bien Il ENLEVE, c’est-à-dire prend sur Lui, LES PECHES DU MONDE entier, car Il a porté nos péchés sur son corps 25. Lui-même, Il a porté nos douleurs et Il s’est chargé de nos langueurs 26.
Selon la Glose, Jean dit: "Il a enlevé le péché", et non LES PECHES, afin de montrer, en se servant d’un terme universel, que le genre tout entier du péché est enlevé — Il est lui-même victime de propitiation pour nos péchés 27. Ou bien encore, Jean dit: "Il a enlevé LE PECHE", pour souligner que le Christ est mort pour un seul péché, le péché originel — Par un homme le péché est entré dans le monde 28.
C’EST CELUI DONT J’AI DIT: UN
HOMME VIENT [30] APRES MOI, QUI EST PASSE DEVANT MOI, CAR AVANT MOI IL ETAIT.
260. Ce n’est plus maintenant en montrant sa puissance que le Baptiste rend témoignage au Christ, mais en montrant sa dignité, ce qu’il fait en se comparant à Lui d’une triple manière.
D’abord dans l’ordre de la prédication; c’est
pour quoi il dit, en Le montrant du doigt: CELUI-CI, c’est-à-dire l’Agneau, EST
CELUI DONT J’AI DIT en son absence: UN HOMME VIENT APRES MOI, pour prêcher et
baptiser, qui vient APRES MOI par la naissance. Il appelle le Christ UN HOMME en
raison de son âge parfait car, quand Il commença à enseigner après son baptême,
Il était déjà dans l’âge parfait, puisqu’Il avait environ trente ans 29; et également en
raison de la perfection de toutes les vertus qui étaient en Lui. [L’Ecriture
dit en effet]: Sept femmes, c’est-à-dire les sept vertus, saisiront un homme,
c’est-à-dire le Christ par fait 30; et: Voici un homme dont le nom est orient 31, car Il
est, pour Lui-même et pour les autres, origine de toutes les vertus. De même [il
appelle le Christ HOMME] en raison du fait qu’Il s’engage comme époux, car le Christ
Lui-même est l’époux de l’Eglise — En ce jour-là, dit le Seigneur, tu
m’appelleras: "Mon époux" 32 l’Apôtre disait en effet: Je vous
ai fiancés à un époux unique 33.
261. Jean se compare ensuite au Christ dans l’ordre de la dignité en disant: IL EST PASSE DEVANT MOI, comme s’il disait: bien qu’Il soit venu après moi pour prêcher, cependant AVANT MOI IL ETAIT, c’est-à-dire Il a été placé devant moi en dignité — Le voici, Il vient, bondissant sur les montagnes, sautant sur les collines 34.
Jean-Baptiste fut une colline que le Christ dépassa; [n° 30] Jean dit en effet, plus loin: Il faut que Lui croisse et que moi je diminue 35.
262. Enfin, Jean se compare au Christ dans l’ordre de la durée en disant AVANT MOI IL ETAIT, comme s’il disait: il n’est pas étonnant qu’Il me dépasse en dignité car, bien qu’Il soit venu après moi dans le temps, Il est avant moi par l’éternité, car AVANT MOI IL ETAIT.
Par ces paroles, Jean écarte deux erreurs. D’abord celle d’Arius 36. De fait le Baptiste ne dit pas: "Avant moi Il a été fait", comme s’Il était une créature, mais AVANT MOI IL ETAIT, dès l’éternité, avant toute créature — Avant toutes les collines, c’est-à-dire avant tous les saints et avant toute créature, le Seigneur m’a engendré 37. Il écarte aussi l’erreur de Paul de Samosate 38, car il dit AVANT MOI IL ETAIT afin de montrer que le Christ ne tire pas son origine de Marie; en effet, s’Il avait pris de la Vierge le principe de son être, Il n’aurait certes pas existé avant le Précurseur qui, selon la génération humaine, précédait le Christ de six mois.
ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS
PAS, MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU BAPTISER
DANS L’EAU.
263. Jean prévient ici une fausse interprétation de son témoignage. On pourrait dire en effet qu’il rendait témoignage au Christ à cause de l’affection, de l’inti mité unique qu’il avait avec le Christ; c’est pourquoi, écartant cette supposition, Jean dit: ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS. Depuis son enfance, en effet, il avait vécu dans le désert. Les nombreux miracles qui avaient eu lieu à la naissance du Christ, par exemple ceux concernant les mages, l’étoile et d’autres sembla bles, n’étaient pas connus de Jean, parce qu’il était alors trop petit, et qu’ensuite, s’étant retiré au désert, il n’avait pas vécu dans l’intimité du Christ.
D’autre part, dans l’intervalle de temps allant de sa nativité à son baptême, Jésus n’opéra aucun miracle; mais sa vie était comparable à celle des autres hommes et sa puissance demeurait inconnue de tous.
264. Que le Christ, dans cet
intervalle, n’ait pas fait de miracles jusqu’à l’âge de trente ans, est
certain; car [L'évangéliste, parlant du miracle de Cana, dira]: Ce fut
le premier des signes de Jésus 39. D’où apparaît la fausseté du livre L’enfance du Sauveur. Jésus ne
fit pas de miracle durant cette période; si, enfant, Il ne s’était pas comporté
comme les autres, on aurait pu penser que le mystère de l’Incarnation n’était
qu’apparence. C’est pourquoi Il remit la manifestation de sa science et de sa
puissance au temps où d’ordinaire les autres hommes jouissent de science et de
puissance. Luc dit en effet: L’enfant croissait en sagesse, en taille et en
grâce 40, non qu’Il reçut alors un accroissement de puissance et de sagesse
qu’Il n’aurait pas possédées auparavant, puisqu’Il fut parfait en puissance et
en sagesse dès le premier instant de sa conception, mais sa puissance et sa
sagesse se dévoilaient davantage aux hommes — Vraiment, tu es un Dieu caché 41.
265. Jean ne connaissait donc pas le Christ parce qu’il ne L’avait pas encore vu accomplir de signes, et Jésus ne s’était pas fait connaître à d’autres par des signes. Aussi le Précurseur ajoute: MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU BAPTISER DANS L’EAU, comme s’il disait: tout mon ministère est pour Le manifester — [n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière 42.
266. Jean dit: Je suis venu BAPTISER DANS L’EAU, pour montrer la différence de son baptême et de celui du Christ; parce que le Christ n’a pas baptisé seulement dans l’eau, mais dans l’Esprit, en donnant la grâce. Le baptême de Jean fut donc seulement un signe, il n’avait pas la capacité de réaliser ce qu’il signifiait.
Le baptême de Jean servit à manifester le Christ de trois manières.
D’abord par la prédication de Jean. En effet, bien que le Précurseur eût pu, même sans son baptême, simplement en prêchant, préparer la voie au Seigneur et conduire les foules au Christ, cependant, en raison de la nouveauté de son ministère on accourait vers lui en plus grand nombre que s’il avait prêché sans baptiser.
Ensuite, le baptême de Jean servit à manifester l’humilité du Christ qui voulut être baptisé par lui; Matthieu dit en effet: Le Christ vint à Jean pour être baptisé par lui 43. En cela précisément Il offrit un exemple d’humilité pour que nul, si grand soit-il, ne dédaigne de recevoir les sacrements de n’importe quel ministre ordonné en vue de cela.
Enfin, au baptême conféré au Christ par Jean sont présents la puissance du Père dans la voix, et l’Esprit Saint dans la colombe, par où furent pleinement manifestées la puissance et la dignité du Christ — Et la voix du Père retentit: Voici mon Fils bien-aimé 44.
II
[32]
ET JEAN RENDIT TEMOIGNAGE: "J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE DU CIEL COMME UNE
COLOMBE ET IL EST DEMEURE SUR LUI. ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS; MAIS CELUI
QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU M’A DIT: CELUI SUR QUI TU VERRAS L’ESPRIT
DESCENDRE ET DEMEURER, C’EST LUI QUI BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT. ET MOI J’AI
VU, ET J’AI ATTESTE QUE C’EST LUI LE FILS DE DIEU".
267. Les grandes choses dont Jean a témoigné au sujet du Christ, à savoir que seul Jésus enlève les péchés de tout l’univers, il les confirme par l’autorité de Dieu en exposant sa vision, en en expliquant le sens [n° 274] et en montrant ce qu’il a saisi de cette vision [n° 278].
[32] ET JEAN RENDIT
TEMOIGNAGE: "J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE DU CIEL COMME UNE COLOMBE ET IL
EST DEMEURE SUR LUI".
268. Le Baptiste expose ici sa
vision. Jean l’Evangéliste ne précise pas quand cela se passa, mais Matthieu et
Luc disent que ce fut lorsque le Christ fut baptisé par Jean. Certes, pour
Celui qui était baptisé, comme pour le baptême, il convenait que l’Esprit Saint
fût pré sent. Cela convenait pour Celui qui était baptisé car, de même que le
Fils, existant par le Père, Le manifeste — Père, j’ai manifesté ton nom 45, de même l’Esprit Saint, existant par le Fils, manifeste ce dernier
— Lui me glorifiera car Il prendra de moi 46. Cela convenait aussi pour le
baptême, parce que le baptême reçu par le Christ est l’ébauche et la
consécration de notre baptême. Notre baptême, en effet, est consacré par
l’invocation de la Sainte Trinité — De toutes les nations faites des disciples,
les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit 47. Donc
ceux que nous invoquons à notre baptême furent présents au baptême du Christ:
le Père dans la voix, l’Esprit Saint dans la colombe et le Fils dans la nature
humaine.
269. Jean dit: J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE, parce que le mouvement de descente a deux termes: un commencement, en haut, et un aboutissement, en bas, et que de ces deux points de vue l’expression convient au baptême.
Il y a en effet deux esprits, l’un qui est du monde et l’autre qui est de Dieu. L’esprit du monde, c’est l’amour du monde; il ne vient pas d’en haut, mais monte d’en bas vers l’homme et le fait descendre; mais l’Esprit de Dieu, c’est l’amour de Dieu: il descend d’en haut vers l’homme et le fait monter — Or nous avons reçu non l’esprit du monde, mais l’Esprit de Dieu 48. Parce que cet Esprit vient d’en haut, Jean dit: J’AI VU L’ESPRIT DESCENDRE.
De la même façon, comme il est impossible à une créature de recevoir la bonté de Dieu dans toute la plénitude qui convient à Dieu, ainsi la dérivation de sa bonté en nous est comme une descente — Tout don excellent, toute grâce parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières 49.
270. Mais parce que l’Esprit
Saint ne peut être vu dans sa nature même — comme il est dit plus loin: Le vent
souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où Il vient ni où Il
va 50 — et que, de plus, le propre de l’Esprit n’est pas de descendre
mais de monter — L’Esprit me souleva 51—, voilà pourquoi l’Evangéliste expose
le mode de sa vision et de la descente de l’Esprit Saint en disant que l’Esprit
Saint ne fut pas ici selon sa nature, mais sous la forme d’une colombe, forme
sous laquelle Il apparut; et c’est pour quoi il dit COMME UNE COLOMBE. Il
convenait certes que le Fils de Dieu, rendu visible par la chair, fût manifesté
par l’Esprit Saint sous la forme visible d’une colombe. Cependant l’Esprit
Saint n’assuma pas cette colombe dans l’unité de sa personne, comme le Fils de
Dieu assuma la nature humaine. C’est que le Fils n’apparut pas seulement pour
manifester, mais pour sauver. Aussi fallait-il, dit saint Léon 52, qu’Il
fût Dieu et homme: Dieu pour apporter la guérison, homme pour donner l’exemple.
Mais l’Esprit Saint apparut seulement pour manifester: or, pour manifester, il
suffisait qu’Il assume une forme corporelle destinée seulement à être un
symbole.
271. La colombe était-elle un véritable animal? Existait-elle avant l’apparition? A vrai dire, il est plus conforme à la raison d’affirmer que ce fut une vraie colombe. Car l’Esprit Saint vint pour manifester le Christ qui, étant la vérité, ne devait être manifesté que par la vérité.
A la seconde question — existait-elle avant
l’apparition? — il faut répondre: non, elle fut formée alors par la puissance
divine sans l’accouplement d’un mâle et d’une femelle, comme le corps du Christ
fut conçu par la puissance de l’Esprit, et non à partir de la semence de
l’homme. Cependant, ce fut une vraie colombe car, dit Augustin 53, "Au
Dieu tout-puissant qui a fait de rien toutes les créatures, il n’était pas
difficile de former un vrai corps de colombe sans le concours d’autres
colombes, comme il ne Lui fut pas difficile de façonner un vrai corps dans le
sein de la bien heureuse Vierge sans une semence naturelle". Et saint
Cyprien écrit 54: "L’Esprit Saint vint sous la forme d’une colombe parce que
cet oiseau est simple et pur, sans colères amères, sans morsures cruelles,
qu’il ne fait de mal ni du bec ni de l’ongle; il aime la demeure des hommes et
se plaît à demeurer dans une seule mai son. Quand ils engendrent des petits,
ils les élèvent de compagnie; rassemblés, ils volent en bande; ils passent leur
vie en commerce familier; les baisers de leurs becs montrent leur paix
harmonieuse et ils observent en tout point la loi de la concorde".
272. Pourquoi l’Esprit Saint apparut-Il sous la forme d’une colombe, plutôt que sous une autre forme? A cela on peut assigner de multiples raisons.
Premièrement, à cause de la simplicité de la colombe, car la colombe est simple — Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes 55. Or l’Esprit Saint, parce qu’Il fait regarder l’Un, c’est-à-dire Dieu, rend simple; c’est pourquoi Il apparut sous la forme d’une colombe. Selon Augustin 56, Il apparut encore sous forme de feu au-dessus des disciples réunis parce que certains sont simples mais tièdes, et d’autres fervents mais fourbes. Aussi, pour que ceux que sanctifie l’Esprit Saint fuient toute duplicité, Celui-ci se montre sous la forme d’une colombe; et, afin que la simplicité n’engendre pas la froideur, Il se montre sous la forme du feu.
Deuxièmement 57, à cause de l’unité de la charité, car la colombe brûle d’un grand amour — Unique est ma colombe 58. Afin donc de montrer l’unité de l’Eglise, l’Esprit Saint apparaît sous la forme d’une colombe. Aussi, ne te trouble pas de ce qu’à la descente du Saint Esprit sur chacun des disciples soient apparues des langues de feu qui se partagèrent 59 entre eux, parce que l’Esprit se montre partagé selon les divers ministères, et cependant Il unit par la charité; et c’est pourquoi Il apparaît d’une part sous forme de langues divisées — Il y a certes répartition des dons —, et d’autre part sous la forme d’une colombe — mais c’est le même Esprit 60.
Troisièmement, à cause du gémissement. En effet la colombe a pour chant un gémissement. Ainsi l’Esprit Saint, comme le dit saint Paul, intercède pour nous en des gémissements ineffables 61; et, comme le dit le prophète: Ses servantes gémissent, telle la voix de la colombe 62.
Quatrièmement, à cause de la fécondité. La colombe en effet est un animal très fécond; c’est pourquoi l’Esprit Saint apparut sous la forme d’une colombe, pour désigner la fécondité de la grâce spirituelle dans l’Eglise. Voilà pourquoi, dans l’Ancien Testament, le Seigneur commanda qu’on Lui offrît les petits des colombes 63.
Cinquièmement, à cause du caractère avisé de la colombe: car elle siège aux bords des eaux, elle y regarde, aperçoit le vol du faucon et se met à l’abri — Ses yeux sont des colombes au bord des ruisseaux 64 puisque, dans le baptême, l’Esprit Saint est notre garde et notre défense, il convient qu’Il apparaisse sous la forme d’une colombe.
[Que l’Esprit Saint soit descendu du ciel comme une colombe] cela répond enfin à une figure de l’Ancien Testament 65. En effet, de même que la colombe, en rapportant un rameau d’olivier, donna un signe de la clémence de Dieu à ceux qui avaient été préservés des eaux du déluge, de même l’Esprit Saint, venant sous la forme d’une colombe lors du baptême du Christ, donne un signe de la clémence divine qui remet les péchés et confère la grâce aux baptisés.
273. Jean ajoute que l’Esprit Saint EST DEMEURE SUR LUI, parce que le fait de demeurer implique le repos. Que l’Esprit Saint ne demeure pas en quelqu’un, cela peut avoir lieu pour deux raisons. L’une provient du péché. Tous les hommes, excepté le Christ, sont déchirés par les blessures du péché mortel qui fait fuir l’Esprit Saint, ou sont ternis par la tache du péché véniel qui empêche certaines opérations du Saint-Esprit. Or, dans le Christ, il n’y eut de péché ni mortel, ni véniel, ni originel; c’est pourquoi en Lui le repos de l’Esprit Saint ne fut pas troublé, mais IL EST DEMEURE SUR LUI, c’est-à-dire: Il s’est reposé sur Lui.
Que l’Esprit ne demeure pas en quelqu’un, cela peut s’entendre aussi des grâces charismatiques. Les saints, en effet, n’en ont pas toujours le pouvoir à leur dis position. Ainsi ils n’ont pas toujours celui de faire des miracles, et l’esprit de prophétie n’assiste pas toujours les prophètes. Le Christ au contraire eut toujours le pouvoir d’opérer tous les miracles et d’exercer tous les charismes; et c’est pour l’exprimer qu’il est dit: IL EST DEMEURE SUR LUI. Voilà pourquoi ce fut là le signe propre permettant de reconnaître le Christ, comme le dit la Glose à propos du texte d’Isaïe: L’Esprit du Seigneur reposera sur Lui 66; ce qu’il faut entendre du Christ selon qu’Il est homme, par où Il est moindre que le Père et l’Esprit Saint.
[33]
ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS; MAIS CELUI QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU
M’A DIT: CELUI SUR QUI TU VERRAS L’ESPRIT DESCENDRE ET DEMEURER, C’EST LUI QUI
BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT.
274. Ici, Jean interprète sa
vision. Selon certains hérétiques comme les Ebionites 67, le
Christ ne fut pas Christ dès sa naissance, ni Fils de Dieu, mais commença de
l’être quand, à son baptême, Il fut oint de l’huile de l’Esprit Saint. Cette
opinion est erronée, puisqu’à l’heure même de la nativité l’ange dit aux
bergers: Aujourd’hui vous est né un sauveur, qui est le Christ Seigneur dans la
cité de David 68. Afin donc qu’on ne s’imagine pas que l’Esprit Saint était descendu
sur le Christ lors de son baptême parce qu’Il aurait eu un besoin actuel de
l’Esprit pour sa sanctification, le Baptiste montre la cause de cette descente
en disant qu’elle n’était pas nécessaire au Christ, mais qu’elle était pour
nous, afin que sa grâce nous soit manifestée. C’est pourquoi il dit: ET MOI JE
NE LE CONNAISSAIS PAS, MAIS C’EST POUR QU’IL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS
VENU BAPTISER DANS L’EAU.
275. Mais ici surgit une, question. Jean dit en effet: CELUI QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU. Si nous disons que c’est le Père qui L’envoya, cela est vrai; de même, si nous affirmons que c’est le Fils, c’est encore plus manifeste, puisqu’on dit que le Père et le Fils l’envoyèrent; en effet Jean n’est pas de ceux dont il est dit: Je n’ai pas envoyé ces prophètes et ils courent, je ne leur ai pas parlé et ils prophétisent 69. Dès lors, comment Jean peut-il affirmer: MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, si le Fils l’a envoyé? Si on dit que, bien qu’il Le connût selon la divinité, cependant il ne Le connaissait pas selon l’humanité, et ne Le connut ainsi qu’après avoir vu descendre sur Lui l’Esprit Saint, je réplique que l’Esprit Saint descendit sur le Christ à son baptême et que Jean a connu le Christ avant de Le baptiser; autrement il n’aurait pas dit: C’est moi qui dois être baptisé par toi, et tu viens à moi 70.
Il faut donc dire qu’on peut répondre à la question de trois manières.
Premièrement, selon Chrysostome 71 [ces paroles de Jean] doivent s’entendre d’une connaissance de l’humanité du Christ. Ainsi, lorsque Jean dit: MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS, il faut entendre: d’une manière intime. Si l’on objecte qu’il a dit au Christ: C’est moi qui dois être baptisé par toi, il faut répondre que ces deux affirmations se réfèrent à deux moments différents: MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS se rapporte à un moment bien antérieur au baptême, alors qu’il n’avait aucune intimité avec le Christ, et c’est moi qui dois être baptisé par toi se rapporte au moment où le Christ fut baptisé, quand le Christ lui était déjà intime pour l’avoir fréquemment visité.
Selon Jérôme, il faut dire que le Christ était le Fils de Dieu et le Sauveur du monde, mais que Jean ignorait que Jésus serait sauveur du monde par le baptême; voilà pourquoi il a ajouté ce qu’il ignorait, c’est-à-dire que C’EST LUI QUI BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT.
Mais il vaut mieux dire avec Augustin 72 que Jean sut une chose et en ignora une autre, et qu’il ajoute ce qu’il a ignoré, à savoir que Jésus a gardé pour Lui seul le pouvoir de baptiser qu’Il pouvait communiquer à ses fidèles; c’est le sens des paroles de Jean: CELUI QUI M’A ENVOYE BAPTISER DANS L’EAU M’A DIT: CELUI SUR QUI TU VERRAS L’ESPRIT DESCENDRE ET DEMEURER, C’EST LUI particulièrement, et Lui seul, QUI BAPTISE DANS L’ESPRIT SAINT, parce qu’Il a gardé pour Lui seul ce pouvoir.
276. Notons cependant que le baptême implique un triple pouvoir. L’un est le pouvoir d’efficience par lequel le Christ purifie intérieurement l’âme de la tache du péché; ce pouvoir, le Christ ne le communique à personne.
L’autre pouvoir est celui du ministère, pouvoir qu’Il a communiqué aux fidèles: Baptisez toutes les nations au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit 73. C’est pourquoi les prêtres, comme ministres, ont le pouvoir de baptiser; quant au Christ en tant qu’homme, Il est bien appelé "ministre" par l’Apôtre 74 mais en réalité Il est le chef de tous les ministres de l'Eglise.
Et, comme chef, le Christ possède dans les sacrements un pouvoir singulier et éminent, dont l’éminence se manifeste de quatre manières. Premièrement dans l’institution des sacrements. En effet, de par leur institution, les sacrements donnent la grâce invisible; or il appartient à Dieu seul de donner la grâce; c’est donc au seul vrai Dieu qu’il appartient d’instituer des sacrements. Deuxièmement dans l’efficacité des mérites du Christ, car c’est des mérites de la passion du Christ que les sacrements tiennent leur puissance — Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés 75. Troisièmement dans le fait que le Christ peut accorder l’effet du baptême sans le sacrement, ce qui appartient à Lui seul. Quatrièmement, dans le fait que pendant un certain temps on conféra le baptême à la seule invocation du nom du Christ;, mais maintenant il n’en est plus ainsi.
Le Seigneur n’a communiqué à personne ces quatre modalités d’éminence; pourtant Il aurait pu le faire pour certaines d’entre elles: que ce fût par exemple au nom de Pierre ou de quelque autre que fût conféré le baptême ou un des autres sacrements. Mais Il ne le fit pas pour éviter tout schisme dans l’Eglise, et pour éviter que des baptisés mettent leur espoir en ceux au nom desquels ils auraient été baptisés. Voilà pourquoi Jean apprit, par la descente du Saint-Esprit sur le Christ, que Lui seul par sa propre puissance baptise intérieurement 76.
ET
MOI J’AI VU, ET J’AI ATTESTE QUE C’EST LUI LE FILS DE DIEU.
278. Enfin le Baptiste montre ce qu’il a compris dans cette vision, c’est-à-dire que le Christ est le Fils de Dieu: ET MOI J’AI VU, c’est-à-dire l’Esprit descendant sur Lui, ET J’AI ATTESTE QUE LUI, le Christ, EST LE FILS DE DIEU, le Fils véritable et engendré par nature. En effet les fils adoptifs, eux, sont [à la ressemblance du Fils de Dieu engendré par nature — Car ceux qu’Il a connus d’avance, Dieu les a prédestinés à reproduire l’image de son Fils 77. Celui-là, donc, doit faire des fils de Dieu, qui baptise dans l’Esprit Saint par qui sont adoptés les fils — Car vous n’avez pas reçu un esprit de servitude (...) mais vous avez reçu un esprit d’adoption filiale 78 Et donc, parce que le Christ est Celui qui baptise dans l’Esprit Saint, le Baptiste en conclut à juste titre qu’Il est véritablement et absolument le Fils de Dieu — Afin que nous soyons en son vrai Fils Jésus-Christ 79.
279. Mais si d’autres ont vu l’Esprit Saint descendre sur Lui, pourquoi n’ont-ils pas cru? Je réponds qu’ils n’y étaient pas disposés, ou peut-être que Jean-Baptiste fut le seul à qui cette vision fut accordée.
280. Plus haut [n° 223-279] l’Evangéliste a rap porté le témoignage du Baptiste devant les foules; main tenant il parle de son témoignage devant ses disciples. II commence par exposer le témoignage puis il en montre le fruit [n° 284].
I
LE
LENDEMAIN, DE NOUVEAU JEAN SE TENAIT LA AVEC DEUX DE SES DISCIPLES. FIXANT SON
REGARD SUR JESUS QUI PASSAIT, IL DIT: "VOICI L’AGNEAU DE DIEU".
L’Evangéliste décrit d’abord le témoin, puis mon tre le mode du témoignage [n° 282] et enfin expose le témoignage lui-même [n° 283].
LE LENDEMAIN, DE NOUVEAU JEAN
SE TENAIT LA AVEC DEUX DE SES DISCIPLES.
281. L’Evangéliste décrit ici le témoin. En disant: IL SE TENAIT LA, il souligne trois caractères de Jean. En premier lieu sa manière d’enseigner, qui fut différente de celle du Christ et de ses disciples. Le Christ en effet enseignait en parcourant le pays; aussi Matthieu dit-il: Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues 1. De même les Apôtres enseignaient en parcourant le monde entier, conformément à l’ordre du Seigneur: Allez dans le monde entier, prêchez l’Evangile à toute créature 2. Jean, lui, enseignait en demeurant là — ce que l’Evangéliste souligne en disant que JEAN SE TENAIT LA, dans un seul lieu, au-delà du Jourdain —, et il prêchait le Christ à tous ceux qui venaient à lui. Si le Christ et ses disciples enseignaient en se déplaçant sans cesse, c’est que la prédication du Christ était accréditée par des miracles; ils parcouraient donc divers lieux pour manifester les miracles et la puissance du Christ. La prédication de Jean, elle, ne fut confirmée par aucun miracle — Jean ne fit aucun miracle 3, comme il sera dit plus loin —, mais elle fut confirmée par le mérite et la sainteté de sa vie. Aussi se tenait-il dans un seul lieu pour que toutes sortes de gens vinssent le trouver et qu’ils fussent conduits au Christ par sa sainteté. Ajoutons que si Jean, sans faire de miracles, avait couru de tous côtés pour annoncer le Christ, il eût rendu son témoignage plus difficile à croire, car il eût semblé agir de manière inopportune et comme de sa propre initiative.
En second lieu, l’expression JEAN SE TENAIT sou ligne sa fermeté dans la vérité; car Jean ne fut pas un roseau agité par le vent 4, mais il fut ferme dans la foi, selon ces paroles: Que celui qui se flatte d’être debout prenne garde de tomber 5 et celles-ci: Je me tiendrai à mon poste de garde 6.
En troisième lieu, remarquons que, d’une manière figurée, SE TENIR LA implique aussi le sens de s’arrêter et, par le fait même, de disparaître. Ainsi, on lit au Livre des Rois: L’huile s’arrêta 7, c’est-à-dire cessa de couler. Donc, Jean SE TENAIT LA quand vint le Christ parce que, quand vint la vérité, la figure disparut. Jean SE TIENT LA, c’est-à-dire disparaît, la Loi passe. FIXANT SON REGARD SUR JESUS QUI PASSAIT...
282. En rapportant le mode du témoignage — il se réalise par la vue —, l’Evangéliste en montre la certitude. A ce sujet, il faut savoir que tous les prophètes ont rendu témoignage au Christ, comme le dit saint Pierre: Tous les prophètes rendent de Lui ce témoignage que tout homme qui croit en Lui reçoit par son nom la rémission de ses péchés 8. Et de même les Apôtres parcourant le monde: Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre 9. Cependant leur témoignage ne s’appuie pas sur la vue du Christ et il ne se réalise pas en sa présence, mais en son absence. En effet les prophètes ont témoigné de Lui comme de Celui qui devait venir, et les Apôtres comme de Celui qui était déjà venu. Jean, lui, rend témoignage au Christ qui lui est présent et que lui-même voit. C’est pourquoi l’Evangéliste dit: FIXANT SON REGARD SUR JESUS, avec les yeux du corps et ceux de l’esprit, selon la parole du Psaume: Regarde la face de ton Christ; et celle d’Isaïe: Ils verront le Seigneur les yeux dans les yeux 10.
L’Evangéliste ajoute que Jésus PASSAIT, pour signifier le mystère de l’Incarnation, par lequel le Verbe de Dieu assuma une nature sujette au changement, comme Il le dit Lui-même: Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde 11.
VOICI
L’AGNEAU DE DIEU.
283. C’est maintenant le contenu du témoignage du Baptiste qui nous est exposé. Par ces paroles, non seulement il montre le Christ, mais il admire sa puissance. Isaïe avait dit: Il sera appelé l’Admirable 12. Et vraiment Il est d’une puissance admirable, cet Agneau qui, égorgé 13, tua le lion, ce lion dont il est dit: Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer 14 Aussi ce même Agneau a-t-il mérité d’être appelé Lion vainqueur et glorieux — Il a vaincu, le Lion de la tribu de Juda 15.
Jean donne brièvement son témoignage: VOICI L’AGNEAU DE DIEU, soit parce que les disciples à qui il présentait ce témoignage étaient déjà suffisamment informés sur le Christ par tout ce qu’ils avaient entendu de Jean, soit encore parce que cela fait bien comprendre toute l’intention de Jean, qui était uniquement d’amener ses disciples au Christ. Et Jean ne leur dit pas: "Allez à Lui", pour que ses disciples ne paraissent pas faire une grâce au Christ en Le suivant, mais il met en lumière la grâce du Christ comme un bienfait pour eux s’ils Le suivent. C’est pourquoi il dit VOICI L’AGNEAU DE DIEU, c’est-à-dire voici Celui en qui est la grâce, et la puissance purificatrice des péchés. On offrait en effet un agneau en sacrifice pour les péchés, comme le dit l’Ecriture 16.
II
LES
DEUX DISCIPLES L’ENTENDIRENT PARLER 37-39] AINSI, ET ILS SUIVIRENT JESUS. JESUS
SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT: "QUE
CHERCHEZ-VOUS?" ILS LUI REPON DIRENT: "RABBI (CE QUI SIGNIFIE
MAITRE), OU HABITES-TU?"" VENEZ ET VOYEZ", LEUR DIT-IL. ILS
VINRENT DONC ET VIRENT OU IL DEMEURAIT, ET ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE
JOUR LA. C’ETAIT ENVIRON LA DIXIEME HEURE.
284. L’Evangéliste rapporte ici le fruit de ce témoignage. Il expose en premier lieu le fruit du témoignage de Jean et de ses disciples, ensuite celui de la prédication du Christ [n° 309].
Le premier point comporte deux parties. Dans
la première, l’Evangéliste expose le fruit du témoignage de Jean, dans la
seconde celui de la prédication d’un de ses disciples [n° 298].
Au sujet du fruit provenant du témoignage de Jean, l’Evangéliste indique
d’abord sa formation première, puis son achèvement par le Christ [n° 286].
285. L’Evangéliste dit d’abord: LES DEUX DISCIPLES qui étaient avec Jean L’ENTENDIRENT qui disait: VOICI L’AGNEAU DE DIEU, et ILS SUIVIRENT JESUS — littéralement: ils s’en allèrent avec Lui.
A ce sujet on peut faire, selon Chrysostome 17, quatre remarques.
Voici la première: Jean parle, le Christ se tait, et c’est à la parole de Jean que ses disciples se rassemblent autour du Christ. Cela correspond à un mystère. Le Christ est en effet l’époux de l’Eglise; Jean, l’ami de l’époux et son paranymphe. Le rôle du paranymphe est de remettre l’épouse à l’époux et, avec les paroles voulues, de livrer la dot. Il revient à l’époux de se taire, comme par réserve, mais, une fois qu’il a reçu l’épouse, de disposer d’elle comme il le veut. Ainsi Jean remet au Christ les disciples qui Lui sont fiancés par la foi. Jean parle, le Christ se tait; mais après les avoir reçus, Il les instruit avec soin.
La seconde remarque est celle-ci: lorsque Jean sou lignait la dignité du Christ en disant: Il existait avant moi, et moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure 18, personne ne s’est converti. Mais quand il a parlé des abaissements du Christ et du mystère de l’Incarnation, alors ses disciples ont suivi Jésus. Car les abaissements du Christ, ce qu’Il a souffert pour nous, nous émeuvent davantage. En ce sens on lit dans le Cantique des Cantiques: Ton nom est une huile répandue 19. Il s’agit de la miséricorde avec laquelle Il a procuré le salut des hommes; aussi l’Ecriture ajoute-t-elle aussitôt: Les jeunes filles t’aiment.
La troisième remarque de Chrysostome est la sui vante. La parole de la prédication est comme une semence qui tombe en diverses terres. Dans l’une elle fructifie, dans l’autre, non. Ainsi, lorsque Jean prêche, il ne convertit pas au Christ tous ses disciples mais deux seulement, ceux qui étaient bien disposés. La jalousie, au contraire, anime les autres contre le Christ; aussi soulèvent-ils à son endroit une accusation: Pourquoi, tandis que les Pharisiens et nous, nous jeûnons souvent, tes disciples ne jeûnent-ils pas? 20
Dernière remarque: ayant entendu son témoignage, les disciples de Jean ne se permirent pas de parler sur-le-champ à Jésus, mais pleins à la fois d’ardeur et de retenue, ils cherchèrent à s’entretenir avec Lui en parti culier dans un endroit retiré — Il y a en effet pour toute chose un temps et un jugement.
JESUS
SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT: "QUE CHERCHEZ-VOUS?"
286. L’Evangéliste expose maintenant l’achèvement du fruit par le Christ; le Christ, en effet, consomme l’oeuvre commencée par Jean, car la Loi n’a amené personne à la perfection 22.
Pour ce faire, le Christ accomplit deux
choses: Il sonde d’abord les disciples en les interrogeant et en écoutant leur
réponse, puis Il les instruit.
287. L’Evangéliste dit donc: JESUS SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT: "QUE CHERCHEZ-VOUS?" Au sens littéral, il faut entendre que le Christ marchait devant eux et que ces deux disciples qui Le suivaient ne pouvaient pas voir son visage. Aussi le Christ, pour leur donner confiance, se tourne-t-Il vers eux. Entendons par là que, à tous ceux qui commencent à Le suivre avec un coeur pur, le Christ donne la confiance ou l’espérance en sa miséricorde — La Sagesse prévient ceux qui la désirent 23. Jésus se tourne vers nous pour que nous Le voyions, mais ce sera dans la vision bienheureuse, quand Il nous montrera sa face (selon le Psaume): Montre-nous ta face et nous serons sauvés 24. En effet, aussi longtemps que nous sommes en ce monde, nous Le voyons de dos, car nous ne parvenons à sa connaissance que par ses effets. C’est pourquoi Dieu dit à Moïse: Tu me verras de dos 25. Jésus se tourne encore vers nous pour nous dispenser le secours de sa miséricorde — ce que demandait le psalmiste: Reviens, Seigneur, jusques à quand détourneras-tu ton visage? 26 Car tant que le Christ n’a pas dispensé la richesse de sa compassion, Il semble se détourner de nous. Jésus s’est donc retourné vers les disciples de Jean qui Le suivaient, pour leur montrer son visage et répandre en eux sa grâce.
288. Cependant Il les sonde en
particulier sur leur intention. Car ceux qui suivent le Christ n’ont pas tous
la même intention. Certains Le suivent pour des biens temporels, d’autres pour
des biens spirituels. Aussi le Seigneur les interroge-t-Il pour connaître leur
intention: QUE CHERCHEZ-VOUS? dit-Il, non certes pour l’apprendre, mais pour
qu’ils manifestent la droiture de leur intention et que, par là, Il se les
rende plus proches et montre qu’ils sont dignes de L’entendre.
289. Il est remarquable que cette parole: QUE CHERCHEZ-VOUS? soit dans cet Evangile la première que prononce le Christ. Cela convient bien, car ce que Dieu réclame en premier lieu de l’homme, c’est la droiture d’intention. Selon Origène, Jean-Baptiste avait prononcé six paroles, et le Christ prononce maintenant la septième. En effet, Jean parla une première fois pour rendre témoignage au Christ; il criait: Voici celui dont j’ai dit: Celui qui vient après moi est passé devant moi, parce qu’avant moi Il était 27. Une seconde fois, quand il dit: Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure 28. La troisième: Moi, je baptise dans l’eau; au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas 29. La quatrième: Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. La cinquième: J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe, et Il est demeuré sur Lui (...). C’est Lui le Fils de Dieu 31. La sixième, lorsqu’il dit de nouveau: Voici l’Agneau de Dieu 32. Et le Christ prononce la septième parole pour nous faire entendre mystiquement que le repos, marqué parle septième jour, nous viendra par Lui, et qu’en Lui est la plénitude de la grâce septiforme de l’Esprit Saint.
MAITRE,
OU HABITES-TU?
290. Voilà la réponse des disciples. Le Christ a posé une seule question; la réponse des disciples est double. En effet, ils disent d’abord pourquoi ils suivent le Christ: c’est afin de recevoir son enseignement. Cela, ils l’expriment en L’appelant RABBI, c’est-à-dire MAITRE — ce qui revient à dire: nous te cherchons pour que tu nous enseignes. Car ils avaient déjà compris ce que Jésus devait dire plus tard: Vous n’avez qu’un Maître, le Christ 33.
Ils précisent ensuite ce qu’ils cherchent en Le suivant: OU HABITES-Tu? Certes, au sens littéral, on peut dire qu’ils cherchaient vraiment la demeure du Christ. En effet, ils avaient entendu dire par Jean tant de choses grandes et admirables qu’ils ne voulaient pas interroger Jésus en passant, ni une seule fois, mais souvent et à loisir. Ils voulaient donc connaître sa demeure afin de pouvoir s’y rendre fréquemment, selon le conseil du Sage: Si tu vois un homme sage, va le trouver dès le point du jour et que ton pied use le seuil de sa porte 34, [suivant cette parole de la Sagesse]: Heureux qui m’écoute et veille à ma porte chaque jour.
Au sens allégorique, la demeure de Dieu est dans les cieux, selon le Psaume: J’ai levé les yeux vers toi, qui habites dans les cieux 36. Les deux disciples cherchent donc où habite le Christ, parce que nous devons suivre le Christ pour être conduits par Lui aux cieux, c’est-à-dire à la gloire céleste.
Enfin, au sens moral, ils demandent à Jésus: OU HABITES-TU? comme s’ils voulaient savoir ce que doivent être les hommes pour être dignes que le Christ habite en eux, selon ce que dit l’Apôtre: Vous êtes construits pour être une demeure où Dieu habite 37 [selon la demande de l’épouse du Cantique]: Apprends-moi, toi que mon coeur aime, où tu mènes paître ton troupeau, où tu reposes à midi. 38. Jean 1, 32.
VENEZ
ET VOYEZ, LEUR DIT-IL.
291. Ces paroles exposent
l’instruction que le Christ donne à ses disciples. En premier lieu est décrite
l’instruction elle-même; ensuite est mise en lumière l’obéissance des disciples
[n° 294]; enfin est précise le moment de cette instruction [n° 295].
292. Jésus leur dit en premier lieu: VENEZ ET VOYEZ, c’est-à-dire: où j’habite. Mais ici se pose une question. Puisque le Seigneur dit: Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête 39, comment peut-Il dire ici: VENEZ ET VOYEZ où j’habite? Je réponds en disant avec Chrysostome 40 que la parole du Seigneur en saint Matthieu signifie que le Christ n’eut pas de demeure propre; elle ne veut pas dire qu’Il ne pouvait pas demeurer dans la maison d’un autre. C’est cette maison qu’Il invitait les disciples à venir voir en disant VENEZ ET VOYEZ.
Au sens mystique, le Christ dit: VENEZ ET VOYEZ parce que l’habitation de Dieu, celle de la gloire comme celle de la grâce, ne peut être connue que par expérience: en effet, elle ne peut être expliquée. Ainsi lit-on dans l’Apocalypse: Au vainqueur, dit l’Esprit, je donnerai une pierre blanche, et sur cette pierre un nom nouveau se trouve écrit, que nul ne connaît sinon celui qui le reçoit 41. Voilà pourquoi le Christ dit: VENEZ ET VOYEZ; VENEZ, par la foi et par les oeuvres, ET VOYEZ, par l’expérience et la connaissance.
293. Remarquons qu’il y a quatre moyens de par venir à cette connaissance. Le premier est la pratique des oeuvres bonnes et c’est pour cela qu’Il dit: VENEZ — Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu? 42 Le second, c’est le repos de l’esprit, ou l’absence de préoccupation — Chassez toute préoccupation et voyez que je suis Dieu 43. Le troisième, c’est le goût de la douceur divine — Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 44. Le dernier, c’est l’appartenance sans réserve à Dieu dans la prière — Elevons nos coeurs avec nos mains, en priant, vers le Seigneur qui est dans les cieux 45. C’est pourquoi le Seigneur dira: Touchez et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai 46.
ILS
VINRENT DONC ET VIRENT OU IL DEMEURAIT, ET ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE
JOUR-LA.
294. Ici nous est montrée l’obéissance des disciples; car c’est en venant qu’ils virent, et ce qu’ils virent, ils ne l’abandonnèrent pas. ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE JOUR-LA. En effet [comme Jésus le dira]: Quiconque écoute le Père et se laisse instruire vient à moi 47. Ceux qui abandonnèrent le Christ ne L’ont pas vu encore comme il faut Le voir. Mais ceux qui Le virent en croyant parfaitement DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE JOUR-LA. L’écoutant et Le voyant, quel jour bienheureux et quelle nuit bienheureuse ils passèrent! — Heureux tes gens, heureux tes serviteurs, qui se tiennent sans cesse en ta présence 48. Et donc nous aussi, comme le dit Augustin 49, bâtissons dans notre coeur et faisons-lui une demeure où Il vienne nous enseigner.
Jean dit: CE JOUR-LA, parce qu’il ne peut y avoir de nuit là où est la lumière du Christ, là où est le Soleil de justice 50.
C’ETAIT
ENVIRON LA DIXIEME HEURE.
295. L’Evangéliste précise ici l’heure de la rencontre. Au sens littéral, cettemention a pour but de faire l’éloge du Christ et des disciples. En effet, la dixième heure 51 est proche de la tombée du jour; c’est à la louange du Christ, qui avait tant de zèle pour enseigner que, malgré l’heure tardive, Il n’a pas différé de les enseigner, mais les a enseignés à LA DIXIEME HEURE — Dès le matin, sème ta semence, et le soir, ne laisse pas reposer ta main 52.
296. Par là, l’Evangéliste loue encore la sobriété des disciples. En effet, à la dixième heure, les hommes ont ordinairement achevé leur repas et sont alors moins capables de recevoir la sagesse; eux étaient sobres, et donc bien disposés pour écouter la sagesse. A cela rien d’étonnant: ils avaient été disciples de Jean qui avait pour boisson l’eau et pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
297. D’après Augustin 53, cette dixième heure signifie la Loi, qui fut donnée en dix commandements. C’était donc la dixième heure quand les disciples vinrent au Christ, demeurèrent avec Lui et reçurent son enseignement, afin que fût accomplie par le Christ la Loi qui ne pouvait être accomplie par les Juifs. C’est pourquoi encore, à cette heure même, Il fut appelé RABBI, c’est-à-dire MAÎTRE.
III
ANDRE,
FRERE DE SIMON-PIERRE, ETAIT L’UN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES PAROLES DE
JEAN ET AVAIENT SUIVI JESUS. IL TROUVA D’ABORD SON FRERE SIMON ET LUI DIT"
NOUS AVONS TROUVE LE MESSIE" (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). ET IL L’AMENA A
JESUS. FIXANT SUR LUI SON REGARD, JESUS DIT: "TU ES SIMON, FILS DE JEAN;
TU L’APPELLERAS CEPHAS" (CE QUI SIÇNIFIE PIERRE).
298. L’Evangéliste expose ici le fruit produit par le disciple de Jean qui venait de se convertir au Christ. A ce sujet, il fait d’abord connaître ce disciple, puis la formation première du fruit par André [n° 300], enfin son achèvement par le Christ [n° 303].
[40]
ANDRE, FRERE DE SIMON-PIERRE, ETAIT L’UN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES
PAROLES DE JEAN ET AVAIENT SUIVI JESUS.
299. L’Evangéliste fait connaître le disciple d’abord par son nom: C’était ANDRE, nom qui signifie "viril" — Agissez virilement et que votre coeur s’affermisse 54. Il donne son nom pour mettre en lumière son privilège, soit parce qu’il fut le premier à se convertir parfaitement à la foi au Christ, soit encore parce qu’il prêcha le Christ. Ainsi, de même qu’Etienne fut le premier martyr après le Christ, André fut le premier chrétien.
Jean le fait connaître ensuite par sa parenté: il était FRERE DE SIMON-PIERRE, et son cadet; ce qui est encore à sa louange puisque, second par l’âge, par la foi il devint le premier.
II le fait connaître en troisième lieu par sa qualité de disciple: ANDRE (...) ETAIT L’UN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES PAROLES DE JEAN. S’il mentionne le nom d’André à cause de son privilège, parce que ce fut un homme remarquable, il tait le nom de l’autre disciple parce que cet autre était Jean l’Evangéliste lui-même, qui a l’habitude, quand il s’agit de lui dans son Evangile, de ne pas se nommer, par humilité. Chrysostome 55 suggère une autre raison: c’est parce que cet autre disciple n’eut rien de remarquable et ne fit rien de grand; il n’était donc pas utile de donner son nom, pas plus que Luc ne jugea nécessaire de mentionner les noms des soixante-douze disciples que le Seigneur envoya deux par deux devant Lui 56, car ce n’étaient pas des personnages officiels et remarquables comme le furent les Apôtres. Alcuin, lui, pense que cet autre disciple était Philippe et, d’après lui, c’est évident, car l'Evangéliste, aussitôt après avoir parlé d’André, mentionne Philippe en ces termes: Le lendemain, Jésus, voulant partir pour la Galilée, trouve Philippe et lui dit: Suis-moi 57.
En dernier lieu, Jean souligne chez André la ferveur de son appartenance au Christ par ces paroles: IL ETAIT L’UN DES DEUX QUI AVAIENT SUIVI JESUS — J’ai mis mes pas dans la trace des siens 58.
IL
TROUVA D’ABORD SON FRERE SIMON ET LUI DIT: "NOUS AVONS TROUVE LE
MESSIE" (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). ET IL L’AMENA A JESUS.
300. Jean rapporte donc ici la démarche fructueuse d’André; et pour montrer la perfection de la conversion de ce dernier, il commence par dire en qui il a produit du fruit: en son frère.
En effet, comme l’itinéraire de Clément 59 le fait dire à Pierre, un signe évident de la parfaite conversion d’un homme, c’est que, une fois converti, plus quelqu’un lui est proche, plus il se donne de peine pour le convertir au Christ. Et c’est pourquoi André, parfaitement converti, n’a pas gardé pour lui le trésor qu’il avait découvert; il se hâte et court aussitôt à son frère pour lui communiquer les biens qu’il a reçus: André TROUVA D’ABORD SON FRERE SIMON, qu’il cherchait pour en faire son frère par la foi comme il l’était par le sang — Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte 60. — Que celui qui écoute dise: Viens 61.
301. L’Evangéliste rapporte ensuite les paroles d’André à son frère: NOUS AVONS TROUVE LE MESSIE (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). D’après Chrysostome, André répond tacitement à une question. Lui aurait-on demandé de quoi ils avaient été instruits par le Christ, la réponse est immédiate: Jésus l’avait pleinement amené, par les témoignages des Ecritures, à reconnaître qu’Il était le Christ. C’est pourquoi il dit: NOUS L’AVONS TROUVE. Cette parole marque d’ailleurs qu’il avait longtemps cherché avec désir — Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse 63.
Le mot hébreu Messiah se traduit en
grec par Christos, en latin par Unctus, "Oint". Parce
que Jésus a été oint d’une façon unique d’une huile invisible, c’est-à-dire de
l’Esprit Saint, André, en employant ce nom, Le manifeste clairement comme tel —
Ton Dieu t’a oint d’une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons 64,
c’est-à-dire de préférence à tous les saints. Tous les saints en effet ont reçu
l’onction de cette huile; mais le Christ l’a reçue d’une manière qui Lui est
propre, comme Il est saint d’une manière unique. Voilà pourquoi, selon
Chrysostome 65, André ne dit pas simplement Messie, mais LE Messie.
302. Enfin Jean rapporte le fruit de la démarche d’André: IL AMENA [PIERRE] A JESUS. Ces dernières paroles mettent en lumière l’obéissance de Pierre: en effet il accourt aussitôt, sans tarder. Remarquez ici l’appartenance sans réserve d’André au Christ: il amène son frère au Christ et non à soi (il connaissait en effet sa faiblesse). Il le conduit au Christ pour que Celui-ci l’instruise. Par là il enseigne en même temps que tel doit être l’effort et le zèle des prédicateurs, qu’ils ne revendiquent par pour eux-mêmes les fruits de leur prédication, ni ne cherchent à en retirer profit et honneurs personnels, mais qu’ils tendent à tout ramener à Jésus, c’est-à-dire à tout rapporter à sa gloire et à son honneur — ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 66.
FIXANT
SUR LUI SON REGARD, JESUS LUI DIT: "TU ES SIMON, FILS DE JEAN; TU
T’APPELLERAS CEPHAS" (CE QUI SIGNIFIE PIERRE).
303. Par ces paroles,
l'Evangéliste montre comment le Christ achève le fruit [de la
prédication] d’André. Ici le Christ, voulant élever Pierre jusqu’à la foi en sa divinité,
commence à faire les oeuvres qui sont celles de Dieu en révélant les choses
cachées présentes, [passées et à venir]. Jésus révèle d’abord ce qui est caché du présent: FIXANT SUR LUI
SON REGARD, c’est-à-dire aussitôt qu’Il l’a vu avec la puissance de sa
divinité, Il le considère et lui dit son nom: TU ES SIMON. Rien là d’étonnant,
car le Seigneur a dit: L’homme ne voit que l’apparence, mais Dieu pénètre le
cœur 67. En effet le nom de Simon s’accorde avec le mystère [de sa
vocation], car il signifie "obéissant"; il nous fait donc
entendre que l’obéissance est nécessaire à qui s’est converti au Christ par la
foi — Dieu donne l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent 68.
304. Jésus révèle ensuite ce qui est caché du passé, en disant FILS DE JEAN, car le père de Simon s’appelait ainsi; ou bien, selon Matthieu 69, SIMON BARJONA, ce qui signifie "Fils de Jonas". Ces deux noms s’accordent l’un et l’autre avec le mystère: Jean, en effet, veut dire "grâce", et cela fait comprendre que c’est par la grâce que les hommes viennent à la foi au Christ — C’est par grâce que vous êtes sauvés 70; et Jonas signifie "colombe", ce qui indique que c’est par l’Esprit Saint, qui nous a été donné, que nous sommes affermis dans l’amour de Dieu — La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné 71.
305. Enfin Jésus révèle ce qui
est caché de l’avenir lorsqu’Il dit: TU T’APPELLERAS CEPHAS. Ce mot, qui [en araméen] SIGNIFIE
"PIERRE", signifie [tête] en grec "chef" et, de fait, il convient bien au mystère
que celui qui doit être le chef des autres et le vicaire du Christ soit fixé
dans la fermeté — Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise 72.
306. A propos de ce passage se pose une question littérale. On peut se demander d’abord pourquoi le Christ a donné à Simon ce nom de "Pierre" au début de sa conversion, et n’a pas voulu qu’il fût appelé de ce nom dès sa naissance. On peut répondre de deux façons.
Selon Chrysostome 73 c’est que les noms donnés par Dieu indiquent quelque grâce spirituelle éminente. Mais parfois Dieu confère une grâce spéciale à quelqu’un dès sa naissance et son nom lui est alors donné de la part de Dieu, comme on le voit bien pour Jean-Baptiste, qui reçut de Dieu son nom avant de naître parce qu’il fut sanctifié dans le sein de sa mère. D’autres fois, Dieu confère à quelqu’un une grâce éminente à un moment donné de sa vie; et à celui-ci Il n’impose pas de nom dès la naissance, mais à ce moment-là de sa vie, comme ce fut le cas pour Abraham et Sara, dont les noms furent changés quand ils reçurent la promesse de la multiplication de leur postérité. De la même façon Pierre reçoit de Dieu ce nom lorsqu’il est appelé à la foi au Christ et à la grâce de l’apostolat.
Pour Augustin 74, si on avait donné à Simon le nom
de "Céphas" dès sa naissance, le mystère n’eût pas apparu.
Aussi le Seigneur voulut-Il qu’il eût alors le nom de Simon, afin que le
changement de nom fît apparaître le mystère de l’Eglise, qui est fondée sur la
confession de sa foi. Le nom de "Pierre", en effet, vient du
mot "pierre" et la pierre, c’était le Christ 75. Le nom
de "Pierre" est donc une figure de l'Eglise qui est bâtie sur une
pierre ferme, c’est-à-dire sur le Christ.
307. Une seconde question se pose: ce nouveau nom fut-il donné à Simon au moment dont nous parle Jean, ou bien lorsque [Jésus lui dit à Césarée]: Tu es Pierre 76? A cela Augustin 77 répond que ce nom fut donné à Simon au moment dont parle Jean; en lui disant [à Césarée] Tu es Pierre, le Seigneur ne lui donne pas son nom, mais Il lui rappelle qu’Il le lui a donné, en utilisant ce nom comme déjà donné.
Cependant, pour d’autres, ce nom fut donné à
Simon lorsque le Seigneur lui dit: Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai
mon Eglise. Ici [au moment de la vocation de Pierre], Jésus ne lui donne pas ce nom,
mais fait seulement connaître à l’avance qu’il lui sera donné par la suite.
308. Une troisième question concerne la vocation de Pierre et d’André. Ici l’Evangéliste dit qu’ils furent appelés par le Christ sur les bords du Jourdain, et qu’ils étaient disciples de Jean. Or Matthieu 78 dit que le Christ les appela sur les bords de la mer de Galilée.
A cela il faut répondre qu’il y eut une triple vocation des Apôtres. La première fut un appel à la connaissance ou à l’intimité du Christ et à la foi: c’est de cet appel qu’il s’agit ici. La seconde leur assigna à l’avance leur ministère c’est l’appel dont parle Luc: Désormais ce sont des hommes que tu prendras 79. La troisième vocation, celle que rapporte Matthieu, fut un appel à l’apostolat: Et aussitôt, laissant là leurs filets, ils Le suivirent 80. Cette vocation fut parfaite car, après cela, les Apôtres ne retournèrent pas à ce qui leur était propre.
309. Après avoir exposé le fruit de la prédication de Jean-Baptiste et de son disciple [n° 284], l’Evangéliste manifeste le fruit de la prédication du Christ: il rapporte d’abord la conversion d’un disciple grâce à la prédication du Christ; ensuite la conversion des autres grâce à la prédication du disciple converti au Christ [n° 315].
I
LE
LENDEMAIN, JESUS, VOULANT PARTIR POUR LA GALILEE, TROUVE PHILIPPE ET LUI DIT:
"SUIS-MOI". PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE, LA VILLE D’ANDRE ET DE
PIERRE.
A ce propos, l'Evangéliste considère trois choses.
En premier lieu, il expose l’occasion de l’appel du disciple; ensuite l’appel lui-même [n° 311]; enfin sa condition [n° 3141.
LE
LENDEMAIN, JESUS, VOULANT PARTIR POUR LA GALILEE...
310. L’occasion de l’appel fut le départ de Jésus de la Judée. C’est pourquoi l'Evangéliste dit: VOULANT PARTIR de la Judée POUR LA GALILEE.
On peut donner trois raisons à ce départ de Jésus pour la Galilée, dont deux sont littérales.
La première est que, après avoir été baptisé par Jean, Jésus, voulant rendre honneur au Baptiste, partit pour la Galilée, se retirant de Judée pour ne pas le gêner par sa présence ni amoindrir l’autorité de maître de Jean, tant que celui-ci devait l’exercer. Le Seigneur nous enseigne par là à nous prévenir d’honneur les uns les autres, comme saint Paul le recommande 1.
La seconde raison du départ de Jésus est l’absence, en Galilée, de personnalités remarquables — Cherche bien, disent les Pharisiens à Nicodème, et tu verras que de Galilée il ne se lève pas de prophète 2. Jésus voulut donc partir pour ce pays et y choisir les princes de toute la terre 3 qui sont plus grands que les prophètes et, par ce choix, manifester sa puissance — Du désert, il a fait jaillir une source 4.
La troisième raison du départ de Jésus est mystique. Galilée, en effet, signifie "passage". Jésus voulut donc partir de Judée en Galilée pour faire comprendre que le lendemain, c’est-à-dire au jour de la grâce, au jour de l’Evangile, Il partirait de Judée POUR LA GALILEE, c’est-à-dire pour sauver les nations — Ira t-Il vers ceux qui sont dispersés parmi les nations? 5
IL TROUVE PHILIPPE ET LUI DIT "SUIS-MOI".
311. L’appel de Jésus au
disciple est donc un appel à Le suivre; remarquons que tantôt l’homme trouve
Dieu, mais comme inconnu — Qui m’aura trouvé trouvera la vie et obtiendra son
salut du Seigneur 6; tantôt c’est Dieu qui trouve l’homme, mais pour le mettre en
évidence et le rendre grand — J’ai trouvé David mon serviteur 7. C’est
ainsi que le Christ TROUVE PHILIPPE pour l’appeler à la foi et à la grâce; et
c’est pourquoi Il dit aussi tôt: "SUIS-MOI".
312. On peut se demander
pourquoi Jésus n’a pas appelé ses disciples dès le début. A cette question
Chrysostome 8 répond: Jésus ne voulut appeler personne avant qu’on ne se joigne à
Lui spontanément grâce à la prédication de Jean; les hommes en effet sont plus
attirés par l’exemple que par les paroles.
313. On peut se demander aussi pourquoi Philippe suivit le Christ sur une seule parole alors qu’André Le suivit en entendant Jean parler du Christ, et Pierre en entendant André. A cette question on peut donner trois réponses 9.
Voici la première: Philippe suivit Jésus aussitôt parce qu’il avait déjà été instruit par Jean; en effet, selon une explication donnée plus haut, cet autre qui, avec André, avait suivi le Christ, était Philippe.
La seconde raison est que la voix du Christ avait la puissance non seulement d’attirer extérieurement, mais encore de mouvoir intérieurement le coeur — Mes paroles ne sont-elles pas comme un jeu? 10 La voix du Christ, en effet, ne s’adressait pas seulement aux sens, mais enflammait de son amour le coeur des fidèles.
La troisième raison est que peut-être Philippe avait déjà été instruit au sujet du Christ par André et Pierre, car tous trois étaient de la même ville; l’Evangéliste semble l’indiquer par les paroles qu’il ajoute: PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE.
[44]
PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE, LA VILLE D’ANDRE ET DE PIERRE.
314. Par ces mots Jean exprime la condition du disciple appelé. Cela s’accorde avec le mystère de sa vocation, car Bethsaïde signifie "demeure des chasseurs", ce qui montre de quel esprit étaient animés Philippe, Pierre et André; il convenait en effet que, de la demeure des chasseurs, le Christ appelât des chasseurs pour prendre les âmes et les conduire à la vie — J’enverrai mes chasseurs... 11.
II
PHILIPPE TROUVA NATHANAEL ET
LUI DIT: "CELUI DONT IL EST PARLE DANS LA LOI DE MOISE ET DANS LES
PROPHETES, NOUS L’AVONS TROU VE; C’EST JESUS, LE FILS DE JOSEPH, DE
NAZARETH". NATHANAEL LUI DIT: "DE NAZARETH? PEUT-IL SORTIR QUELQUE
CHOSE DE BON?" — " VIENS ET VOIS" LUI DIT PHILIPPE. JESUS VIT
NATHANAEL QUI VENAIT A LUI ET IL DIT A SON SUJET: "VOICI UN VERITABLE
ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE. " — " D'OÙ ME CONNAIS-TU?"
LUI DIT NATHANAËL. " AVANT QUE PHILIPPE T’APPELAT, REPONDIT JESUS, QUAND
TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE T’AI VU. " NATHANAEL LUI REPONDIT:
"RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU, TU ES LE ROI D’ISRAEL. " JESUS REPRIT:
"PARCE QUE JE T’AI DIT: JE T’AI VU SOUS LE FIGUIER, TU CROIS; TU VERRAS
MIEUX ENCORE. " ET IL AJOUTA: "EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS,
VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DES CENDRE AU-DESSUS DU FILS
DE L’HOMME."
315. L’Evangéliste expose maintenant le fruit pro duit par le disciple converti au Christ; il en montre d’abord les débuts, puis l’achèvement par le Christ [n° 320].
Le premier sujet est traité en trois points: la nouvelle qu’annonce Philippe à Nathanaël, la réponse de celui-ci [n° 318], enfin l’invitation que lui adresse Phi lippe [n° 319].
PHILIPPE TROUVA NATHANAEL ET
LUI DIT: "CELUI DONT IL EST PARLE DANS LA LO1 DE MOISE ET DANS LES
PROPHETES, NOUS L’AVONS TROUVE; C’EST JESUS, LE FILS DE JOSEPH, DE
NAZARETH."
316. Au sujet de la nouvelle annoncée à Nathanaël, remarquons que, de même qu’André parfaitement converti s’efforça d’amener son frère au Christ, de même Philippe Lui conduisit son frère Nathanaël. C’est pour quoi Jean dit: PHILIPPE TROUVA NATHANAEL, qu’il cherchait peut-être. Nathanaël signifie "don de Dieu"; or la conversion de quelqu’un au Christ est un don de Dieu.
Philippe annonce à Nathanaël: CELUI DONT IL
EST PARLE DANS LA LOI ET LES PROPHETES, NOUS L’AVONS TROUVE; C’EST JESUS. Ces
paroles montrent que Nathanaël connaissait parfaitement la Loi et que Philippe,
qui le savait et qui lui-même était déjà instruit au sujet du Christ, voulut
conduire Nathanaël au Christ à partir de ce que Nathanaël connaissait,
c’est-à-dire la Loi et les prophètes; aussi lui dit-il: CELUI DONT MOISE... En
effet Moïse a écrit au sujet du Christ [comme Lui-même le dira]: Si vous
croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi, car il a écrit de moi 12 De même
les prophètes ont écrit au sujet du Christ — Tous les prophètes (...) Lui
rendent témoignage 13.
317. Remarquons encore que Philippe dit du Christ trois choses qui sont bien conformes à la Loi et aux prophètes.
Tout d’abord son nom: NOUS AVONS TROUVE JESUS. Ce nom [qui signifie Sauveur 14] est en accord avec les dires des prophètes; Isaïe disait en effet: Je leur enverrai un sauveur 15, et Habacuc: J’exulterai de joie en Dieu mon sauveur [mon Jésus] 16
Philippe nomme ensuite la famille d’où le Christ a tiré son origine humaine, en disant: LE FILS DE JOSEPH. En effet il est dit: On le croyait fils de Joseph Il n’est pas étonnant que Philippe nomme le Christ FILS DE JOSEPH; car sa mère elle-même, consciente de l’Incarnation divine de son fils, l’appelait aussi fils de Joseph: Ton père et moi, tout angoissés, nous te cherchions 18. Certes, si celui qui est élevé par un autre peut s’appeler son fils, à plus forte raison Joseph pouvait-il être dit le père de Jésus bien qu’il ne fût pas son père selon la chair, car il avait élevé Jésus et, de plus, il était l’époux de la Vierge Mère. D’ailleurs, si Philippe parle ainsi, ce n’est pas qu’il veuille dire que le Christ était né de l’union de Joseph et de la Vierge, mais parce qu’il savait que le Christ devait naître de la race de David, de la maison et de la famille de qui était Joseph, dont Marie était l’épouse: Je susciterai à David un héritier juste 19.
Enfin Philippe fait mention de la patrie [de Jésus] DE NAZARETH, non parce qu’Il y était né, car ce fut à Bethléem, mais parce qu’Il y avait été élevé. Le lieu de naissance de Jésus était en effet ignoré de beaucoup; au contraire le lieu où Il avait été élevé était connu de beaucoup. A cause de cela Philippe passe Bethléem sous silence, et nomme Nazareth. Cette précision est en harmonie avec les oracles des prophètes: Un rejeton sort de la souche de Jessé, et une fleur (ou, selon une autre leçon: un Nazaréen) pousse de ses racines 20.
NATHANAEL LUI DIT: "DE
NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?"
318. On peut lire cette réponse soit comme une affirmation, soit comme une interrogation; dans les deux cas cette réponse s’accorde bien avec les paroles de Philippe. En effet, si nous la lisons comme une affirmation, selon l’interprétation d’Augustin 21, le sens est alors: de Nazareth, il peut sortir quelque chose de bon; c’est-à-dire, de la cité qui porte un tel nom, il peut se faire que surgisse pour nous la plus grande grâce, ou un docteur éminent pour nous enseigner la fleur des vertus et la pureté de la sainteté. Nazareth en effet signifie "fleur". Par là il nous est donné à entendre que Nathanaël très savant dans la Loi, avait scruté les Ecritures et savait d’avance qu’il fallait attendre le Sauveur de Nazareth, ce que les autres Scribes et les Pharisiens ne reconnaissent pas facilement; aussi, lorsque Philippe eut dit: NOUS AVONS TROUVE JESUS DE NAZARETH, [transporté d’espérance, répondit assurément, de Nazareth il peut sortir quelque chose de bon.
Mais si on lit la réponse de Nathanaël selon Chrysostome 22, comme une interrogation, le sens est alors: DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON? Comme s’il disait: "tout le reste de tes paroles me paraît digne de foi: son nom et sa famille en effet s’accordent avec les oracles des prophètes; mais qu’Il soit de Nazareth, comme tu l’affirmes, ne semble pas possible". Nathanaël en effet avait appris par les Ecritures que le Christ devait venir de Bethléem — Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre parmi les principales villes de Juda; car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître mon peuple Israël 23. Aussi Nathanaël, trouvant que l’affirmation de Philippe ne correspond pas à l’enseignement des prophètes, l’interroge avec prudence et douceur sur la vérité de son dire: DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?
"VIENS
ET VOIS", LUI DIT PHILIPPE.
319. Jean rapporte ici l’invitation de Philippe à Nathanaël Cette invitation convient aux deux interprétations possibles de la réponse de Nathanaël. Si celle-ci est affirmative, en voici alors le sens: Tu affirmes que de Nazareth il peut sortir quelque chose de bon; mais moi je dis que le bien que je t’annonce est tel, et si grand, que je suis incapable de l’exprimer; aussi, VIENS ET VOIS. Si la réponse de Nathanaël est interrogative, le sens en est alors: Tu demandes: DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON? VIENS ET VOIS, et tu sauras que ce que je dis est vrai.
Philippe entraîne Nathanaël vers le Christ sans être découragé par ses questions, car il sait que Nathanaël ne le contredira plus lorsqu’il aura goûté aux paroles et à l’enseignement du Christ: en cela Philippe suit l’exemple du Christ qui, à ceux qui L’interrogeaient tout à l’heure sur sa demeure, avait répondu: Venez et voyez 24. Allez à lui, dit le Psaume, et vous serez illuminés 25.
JESUS VIT NATHANAEL QUI VENAIT
A LUI ET IL DIT A SON SUJET: "VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS
ARTIFICE". — "D'OÙ ME CONNAIS-TU" LUI DIT NATHANAEL. "AVANT
QUE PHILIPPE T’APPELAT, REPONDIT JESUS, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE T’AI
VU". NATHA NAEL LUI REPONDIT: "RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU, TU ES LE
ROI D’ISRAEL." JESUS REPRIT: "PARCE QUE JE T’AI DIT: JE T’AI VU SOUS
LE FIGUIER, TU CROIS: TU VERRAS MIEUX ENCORE." ET IL AJOUTA: "EN
VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT ET LES ANGES
MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE L’HOMME."
320. L’Evangéliste montre ici l’achèvement du fruit porté par la prédication de Philippe.
A ce propos il faut savoir que l’on peut se convertir au Christ de deux manières: certains sont convertis grâce à des miracles, d’autres par le moyen de la prophétie ou de la prescience d’événements futurs encore cachés.
Mais pour se convertir, les prophéties ou la prescience des choses futures sont une voie plus efficace que les miracles. En effet les démons eux-mêmes et des hommes aidés par eux peuvent faire miroiter des prodiges, mais prédire les événements futurs est le fait de la seule puissance divine — Annoncez ce qui arrivera et nous dirons que vous êtes des dieux 26. Les prophéties ne sont pas pour les infidèles, mais pour les fidèles 27, Voilà pourquoi le Seigneur attire Nathanaël à la foi non par des miracles, mais en lui annonçant à l’avance des choses cachées; aussi dit-Il de lui: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE.
321. Le Seigneur révèle ici intérieurement à Nathanaël trois vérités qui lui sont cachées: celles du présent qui sont dans son coeur, puis des faits passés, enfin des réalités célestes à venir; or connaître ces trois choses cachées est quelque chose de divin.
Assurément le Christ révèle à Nathanaël le
présent caché lorsqu’Il déclare: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS
ARTIFICE. A ce sujet, l’Evangéliste expose en premier lieu l’annonce du Christ;
ensuite la question de Nathanaël [n°
324]: D'OÙ ME CONNAIS-TU?
322. L’Evangéliste dit en effet: JESUS VIT NATHANAEL QUI VENAIT A LUI, comme pour dire: avant que Nathanaël ne fût arrivé jusqu’à Lui, Jésus avait dit à son sujet: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE. Jésus a dit cela de Nathanaël avant que celui-ci ne soit auprès de Lui, car s’Il avait dit ces paroles après son arrivée, Nathanaël aurait pu croire que Jésus avait appris cela de Philippe.
Au sujet des paroles de Jésus: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, notons qu’"Israël" peut s’interpréter de deux manières. Il peut signifier "très droit". [nous lisons en effet dans Isaïe]: Ne crains pas, mon serviteur, toi le très droit que j’ai choisi 28; or la Glose dit ici que "très droit" est le sens du [mot hébreu] Israël. D’autre part, "Israël" peut signifier" l’homme qui voit Dieu". Or, selon ces deux acceptions d’"Israël", Nathanaël est UN VERITABLE ISRAELITE; en effet on qualifie d’homme droit celui qui est sans artifice, et c’est pour cela que le Seigneur dit: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, comme pour dire: tu représentes véritablement ta race, parce que tu es droit et sans artifice. D’autre part, c’est par la pureté et la simplicité que l’homme voit Dieu; aussi Jésus dit-Il: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, c’est-à-dire: tu es un homme qui voit Dieu véritablement, parce que tu es simple et sans artifice. Jésus dit encore UN HOMME SANS ARTIFICE pour qu’on ne croie pas que Nathanaël ait dit avec une mauvaise intention sur un ton interrogatif: DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?
323. Augustin 29 explique autrement les paroles de Jésus. Manifestement, tous naissent dans le péché; et on dit pleins d’artifice ceux qui cachent le péché dans leur coeur et qui extérieurement feignent d’être justes; mais celui qui est pécheur et le confesse est exempt d’artifice. Si donc Jésus a dit: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, ce n’est pas que Nathanaël n’eût pas de péché, ni que le médecin ne lui fût nécessaire, car personne en effet n’est né tel qu’il n’ait besoin d’aucun médecin; mais ce que le Christ loua en lui, ce fut l’aveu du péché.
324. L’Evangéliste rapporte
ensuite l’interrogation de Nathanaël: D'OÙ ME CONNAIS-TU? Nathanaël reconnaît
avec étonnement la puissance de Dieu dans la manifestation des choses cachées,
car c’est bien le fait de Dieu seul — Pervers est le coeur de l’homme et
insondable. Qui peut le pénétrer? Moi, le Seigneur, je scrute le coeur et je
sonde les reins 30; L’homme ne voit que l’apparence, mais Dieu pénètre le coeur 31. C’est pourquoi
Nathanaël demande: D'OÙ ME CONNAIS-TU? Ces paroles font valoir son humilité
car, malgré la louange du Seigneur, il ne s’est pas enorgueilli; il a plutôt
tenu pour suspecte la louange qu’on lui adresse; [C'est dans ce sens que le Seigneur
parle par la bouche du prophète]: Mon peuple, ceux qui te disent heureux te séduisent 32.
325. Jean expose maintenant le
dévoilement des faits passés en l’absence de Jésus: AVANT QUE PHILIPPE
T’APPELÂT, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE T’AI VU; puis la confession de
Nathanaël: NATHANAEL LUI REPONDIT: "RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU, TU ES
LE ROI D’ISRAEL".
326. Concernant le premier point, il faut savoir que Nathanaël pouvait avoir deux soupçons au sujet du Christ: l’un, que le Christ aurait dit ces paroles: VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, dans l’intention de le flatter; l’autre, que Jésus aurait connu antérieurement par un autre qu’il était un homme sans artifice. Pour écarter tout soupçon et élever son esprit à des réalités plus hautes, Jésus lui manifeste des faits cachés que nul n’aurait pu savoir si ce n’est divinement, c’est-à-dire ce qui venait juste de lui arriver.
Et voici ce qu’Il dit: AVANT QUE PHILIPPE T’APPELAT, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE T’AI VU. En effet, au sens littéral, Nathanaël était sous un figuier quand il fut appelé par Philippe et le Christ l’avait su par sa puissance divine — car Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil 33.
Au sens mystique, le figuier représente le péché: soit parce que nous voyons en Matthieu que le figuier maudit ne portait que des feuilles et pas de fruits 34, ce qui eut lieu pour figurer le péché; soit encore parce que, lorsqu’Adam et Eve eurent péché, ils se firent des ceintures de feuilles de figuier 35.
Aussi Jésus dit-Il à Nathanaël: QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, c’est-à-dire à l’ombre du péché, avant d’avoir été appelé à la grâce, JE T’AI VU, c’est-à-dire des yeux de la miséricorde; car la prédestination de Dieu à l’égard des hommes demeure même quand ils sont dans le péché — Dieu le Père (...) nous a élus [dans le Christ] avant la fondation du monde, (...) nous ayant prédestinés à être pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ 36.
C’est de ce regard que Jésus parle ici: JE T’AI VU, c’est-à-dire en te prédestinant de toute éternité. Ou bien, selon Grégoire 37. QUAND TU E TAIS SOUS LE FIGUIER, c’est-à-dire à l’ombre de la Loi, je t’ai vu, car la Loi n’a que l’ombre des biens à venir 38.
327. Aussitôt converti par les paroles du Christ et reconnaissant en Lui la puissance divine, Nathanaël proclame sa foi et sa louange: RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU. Ce faisant, il reconnaît dans le Christ trois choses. D’abord la plénitude de sa science, lorsqu’il l’appelle RABBI (ce qui veut dire Maître), comme pour dire: tu possèdes la perfection de toute science. Déjà Nathanaël pressentait ce que dirait le Seigneur: Vous n’avez qu’un Maître, le Christ 39.
Ensuite l’excellence de la grâce qui est propre au Christ: TU ES LE FILS DE DIEU. Car ce n’est que par grâce qu’un homme est fils adoptif de Dieu; et même, être Fils de Dieu par l’union [hypostatique], ce qui est propre à l’homme-Christ, se réalise encore par la grâce: en effet, ce n’est pas par des mérites antérieurs mais par la grâce de l’union que cet homme est Fils de Dieu.
Enfin l’immensité de la puissance du Christ: TU ES LE ROI D’ISRAEL, c’est-à-dire Celui qu’attendait Israël comme roi et défenseur — Sa puissance, dit Daniel, est une puissance éternelle 40.
328. A ce propos, Chrysostome 41 se pose une question: Pierre, qui avait vu beaucoup de miracles, entendu de nombreux enseignements, fit sur le Christ la même confession de foi que fit ici Nathanaël: TU ES LE FILS DE DIEU, et pour cela il mérita d’être proclamé bien heureux par le Seigneur: Bienheureux es-tu, Simon fils de Jonas... 42. Pourquoi alors Nathanaël, qui avait parlé de même sans avoir vu de signes ni reçu d’enseignement, ne fut-il pas proclamé bienheureux?
C’est que, répond Chrysostome, Nathanaël et Pierre avaient bien prononcé les mêmes paroles, mais sans que leur intention fût la même. Pierre confessa que le Christ était le vrai Fils de Dieu par nature, c’est-à-dire qu’Il était homme de telle manière que cependant Il était vrai Dieu; tandis que Nathanaël confessa que Jésus est fils de Dieu par adoption, d’après ce Psaume: J’ai dit: Vous êtes des dieux, et tous des fils du Très-Haut 43. Les paroles que prononce ensuite Nathanaël le montrent clairement. Si en effet il avait compris que Jésus était Fils de Dieu par nature, il n’aurait pas conclu seulement TU ES LE ROI D’ISRAEL, mais: "Tu es le Roi de tout l’univers". Cela apparaît nettement aussi dans le fait que le Christ n’ajouta rien à la foi de Pierre, à cause de sa perfection, mais au contraire dit qu’Il bâtirait son Eglise sur sa confession de foi. Tandis qu’à celle de Nathanaël, il manquait le plus important; aussi Jésus l’élève-t-Il à des vérités plus grandes, c’est-à-dire à la connaissance de sa divinité.
329. Voilà pourquoi Jésus déclare: TU VERRAS MIEUX ENCORE. Jésus révèle ici intérieurement à Nathanaël des réalités futures, comme s’Il disait: parce que je t’ai révélé des événements passés, tu me crois fils de Dieu par adoption et roi d’Israël seulement; mais je te mènerai à une connaissance plus grande, et alors tu croiras que je suis par nature le Fils de Dieu et le Roi de tous les siècles.
Aussi Jésus ajoute-t-Il: EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT ET LES ANGES DE DIEU MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE L’HOMME. Par ces paroles, le Seigneur, selon Chrysostome 44, veut prouver qu’Il est vrai Fils de Dieu et Dieu Lui-même; c’est en effet le propre des anges de servir le Seigneur et de Lui être soumis — Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, ses ministres, qui accomplissez sa volonté 45. C’est comme si le Seigneur disait: Lors donc que vous verrez les anges me servir, vous serez certains que je suis le vrai Fils de Dieu. [L'épître aux Hébreux dira:] Lorsqu’il introduit le Premier-né dans le monde, Dieu dit: "Que tous les anges de Dieu L’adorent" 46.
330. Mais quand les Apôtres
virent-ils cela? Ils le virent dans sa passion, quand un ange du Seigneur fut
présent auprès de Lui, qui Le réconfortait 47. De nouveau à la Résurrection,
lorsque les Apôtres trouvèrent deux anges qui se tenaient sur le sépulcre 48. Enfin,
à l’Ascension, quand les anges dirent aux Apôtres: Hommes de Galilée, que
restez-vous là à regarder le ciel? Ce Jésus, qui du milieu de vous a été enlevé
au ciel, en reviendra de la même manière que vous L’avez vu monter 49.
331. Et parce qu’au sujet des événements passés Jésus avait déjà dit la vérité, ce qu’Il annonce à Nathanaël de l’avenir en disant VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT, lui paraît plus croyable. En effet, si quelqu’un a manifesté des faits cachés du passé, c’est une preuve évidente de la vérité de ce qu’il dit au sujet des événements futurs.
Le Seigneur dit: VOUS VERREZ (...) LES ANGES
MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE L’HOMME. En effet, bien que, selon la
chair mortelle, Il soit un peu au-dessous des anges 50 — et c’est pourquoi en tant qu’Il
est le FILS DE L’HOMME, les anges MONTENT ET DESCENDENT AU-DESSUS DE LUI —,
cependant, en tant qu’Il est le Fils de Dieu, Il est Lui-même au-dessus des
anges, comme on l’a déjà dit.
332. Selon Augustin 51, le Christ manifeste sa divinité par les paroles précédentes de façon très heureuse.
On lit en effet dans la Genèse que Jacob vit une échelle (...) et des anges monter et descendre 52. Comprenant ce qu’il avait vu, Jacob se leva, oignit d’huile la pierre sur laquelle reposait sa tête et dit: En vérité le Seigneur est en ce lieu 53. Cette pierre que les bâtisseurs ont rejetée, c’est le Christ 54; elle est ointe de l’huile invisible du Saint-Esprit; mais elle est dressée comme une stèle 55, car elle devait être le fondement de l'Eglise, ainsi que le dit l’Apôtre: Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, à savoir Jésus-Christ 56. Les anges cependant montent et descendent au-dessus de Lui en tant qu’ils Lui sont présents pour faire sa volonté et Le servir. Jésus affirme donc: EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT..., comme pour dire: Nathanaël, parce que tu es un véritable Israélite, sois donc attentif à ce qu’Israël 57 a vu, afin de croire que je suis Celui que pré figure la pierre ointe par Jacob; en effet, toi aussi tu verras au-dessus d’elle monter et descendre les anges.
333. Selon Augustin 58, les anges sont les prédicateurs prêchant le Christ — Allez, messagers rapides, vers le peuple renversé et déchiré 59.
Or les prédicateurs montent par la contemplation, comme Paul était monté jusqu’au troisième ciel 60, et descendent pour instruire les peuples sur LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire pour l’honneur du Christ, car, comme le dit l’Apôtre: Ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 61.
Or, pour permettre [aux anges] de
monter et de descendre, le ciel a été ouvert, car il faut que la grâce céleste
soit donnée aux prédicateurs pour qu’ils montent et qu’ils descendent — Les
cieux se fondirent devant Dieu (...) Tu fis tomber une pluie bienfaisante, ô
Dieu ! 62— Je vis (...) le ciel ouvert, dit Jean 63.
334. La raison pourquoi Nathanaël ne fut pas choisi comme Apôtre après une telle confession de foi, c’est que le Christ ne voulut pas que la conversion du monde à la foi fût attribuée à la sagesse humaine, mais à la seule puissance de Dieu. C’est pour cela qu’Il ne voulut pas choisir comme Apôtre Nathanaël, qui était très versé dans la Loi, mais qu’Il choisit des gens simples et incultes — Il n’y a pas beaucoup de sages (...) mais ce que le monde tient pour insensé, Dieu l’a choisi 64.
CHAPITRE
II: Les premiers signes de Jésus
Le
troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée, et la Mère de Jésus y
était. 2 aussi fut invité à ces noces, ainsi que ses disciples. 3 vin venant à
manquer, la Mère de Jésus Lui dit: "Ils n’ont plus de vin". 4 lui
répondit: "Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi? Mon heure n’est pas encore
venue". 5 Mère dit aux serviteurs: "Faites tout ce qu’Il vous
dira". 6 Or il y avait là six urnes de pierre destinées aux purifications
des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures. ' Jésus dit aux
serviteurs: "Remplissez d’eau ces urnes". Ils les remplirent jusqu’au
bord. 8" Puisez maintenant, leur dit-Il, et portez-en à l’intendant du
festin". Ils en portèrent. 9 l’intendant eut goûté l’eau changée en vin
(il ne savait pas d’où cela venait, mais les serviteurs le savaient bien, eux
qui avaient puisé l’eau), il appelle l’époux'°et lui dit: "Tout le monde
sert d’abord le bon vin, et quand les gens sont enivrés, le moins bon. Toi, tu
as gardé le bon vin jus qu’à présent". 11 Tel fut le premier des signes de
Jésus; Il le fit à Cana de Galilée. Ainsi Il manifesta sa gloire, et ses
disciples crurent en Lui. 12 Après cela, Il descendit à Capharnaüm avec sa
Mère, ses frères et ses disciples, et ils n’y restèrent que peu de jours. Pâque
des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem. 14 Il trouva dans le Temple
des gens qui vendaient des boeufs, des brebis et des colombes, et les changeurs
assis. 15 Et se faisant un fouet avec des cordes, Il les chassa du Temple,
ainsi que les brebis et les boeufs; Il jeta par terre la monnaie des changeurs
et renversa leurs tables. 16 Et Il dit à ceux qui vendaient des colombes:
"Enlevez cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison
de trafic". Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit: Le zèle de ta
maison me dévorera. 18 Les Juifs répliquèrent donc et dirent à Jésus:
"Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi?" 19 répondit et leur
dit: "Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai'". 20 Les
Juifs Lui dirent alors: "On a mis quarante-six ans pour bâtir ce Temple et
toi, en trois jours tu le relèverais!" 21 Mais Lui parlait du Temple de
son corps. Lors donc qu’Il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se
souvinrent qu’Il avait dit cela, et ils crurent à l’Ecriture et à la parole que
Jésus avait dite. Comme Il était à Jérusalem pour la Pâque pendant la fête,
beaucoup crurent en son nom, en voyant les signes qu’Il accomplissait. Mais
Jésus, Lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’Il les connaissait tous et qu’Il
n’avait pas besoin qu’on Lui rendît témoignage au sujet de l’homme: car Il
savait, Lui, ce qu’il y a dans l’homme.
335. Plus haut l’Evangéliste a montré de différentes manières la dignité du Verbe incarné et l’évidence de sa manifestation. Ici, il commence à préciser les effets et les oeuvres qui manifestèrent au monde la divinité du Verbe incarné. Il rapporte d’abord ce que le Christ a fait en ce monde, en y vivant, pour manifester sa divinité [ch. 2 au ch. 11]; puis il expose comment Il l’a manifestée en mourant [ch. 12 au ch. 19].
En ce qui concerne les effets et les oeuvres accomplis par le Christ pendant sa vie, Jean montre la divinité du Christ premièrement dans le pouvoir souverain qu’Il a exercé sur la nature [2], et ensuite par les effets de sa grâce [ch. 3 au eh. 11].
En changeant la nature, le Christ nous révéla son pouvoir souverain sur elle, et de ce changement Il fit un signe pour confirmer ses disciples dans la foi [l’objet de la présente leçon] et pour amener les foules à croire [n° 2, 12-25].
Le changement de la nature destiné à affermir la foi de ses disciples fut accompli au cours des noces où Jésus changea l’eau en vin; Jean y parle d’abord des noces [n° 336], puis de ceux qui y étaient présents [n° 339]; enfin il décrit le miracle même que Jésus y accomplit [n° 344].
[la-b]
LE TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES A CANA DE GALILEE.
336. L’Evangéliste commence ici une description des noces. D’abord quant au temps: LE TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES, c’est-à-dire le troisième jour après les événements qu’il vient de raconter au sujet de la vocation des disciples de Jean. En effet le Christ, après avoir été manifesté par le témoignage de Jean-Baptiste, voulut aussi se manifester Lui-même. Puis quant au lieu: A CANA DE GALILEE, la Galilée étant une province, et Cana un bourg de cette province.
[la]
LE TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES
337. Concernant le sens littéral, il faut savoir qu’il y a deux opinions sur la durée de la prédication du Christ. Certains disent que depuis le baptême du Christ jusqu’à sa passion, deux ans et demi s’écoulèrent; et, d’après eux, ce qu’on lit ici au sujet des noces se passa l’année même de son baptême. Mais ils ont contre eux la sentence et l’usage de l’Eglise, puisqu’en la fête de l'Epiphanie on commémore trois événements admirables: celui de l’adoration des Mages qui eut lieu l’année même de la naissance du Seigneur, le baptême qui eut lieu ce même jour, mais trente ans plus tard, et les noces célébrées en ce même jour, un an après.
Il s’ensuit qu’une année au moins s’écoula entre le baptême et les noces. Les Evangiles ne nous rapportent des actions du Seigneur durant cette année que son jeûne dans le désert et la tentation par le diable 1, ainsi que ce que Jean rapporte ici du témoignage du Baptiste et de la conversion des disciples 2 A partir de ces noces, Jésus commença à prêcher en public et à accomplir des miracles jusqu’à la passion; et ainsi sa prédication publique dura deux ans et demi.
338. Au sens mystique, les noces signifient l’union du Christ et de l’Eglise — C’est là un grand mystère, je l’entends du Christ et de l’Eglise 3. A la vérité, ces épousailles eurent leur commencement dans le sein de la Vierge 4, lorsque Dieu le Père unit la nature humaine à son Fils dans l’unité de la personne, en sorte que le lit nuptial de cette union — Dans le soleil, il dressa sa tente 5 — fut ce sein virginal. De ces noces il est dit: Le Royaume des cieux ressemble à un roi qui fit les noces de son fils 6, ce qui se réalisa à l’heure où Dieu le Père a uni à son Verbe la nature humaine dans le sein virginal. Ce mariage fut rendu public lorsque l’Eglise s’est unie au Verbe par la foi — Je t’épouserai dans la foi [dit le Seigneur] 7.
De ces noces, l’Ecriture dit: Elles sont venues les noces de l’Agneau, et son épouse s’y est préparée 8. Et ces épousailles seront consommées lorsque l’épouse, c’est-à-dire l’Eglise, sera introduite dans le lit nuptial de l’Epoux, dans la gloire céleste: Heureux ceux qui ont été appelés au repas des noces de l’Agneau 9.
Le fait que ces noces eurent lieu le troisième jour n’est pas sans signification. Le premier jour est en effet le temps de la loi naturelle, le second celui de la Loi écrite; quant au troisième, c’est le temps de la grâce où le Seigneur né dans la chair célébra ses noces — Après deux jours, Il nous rendra la vie; le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en sa présence 10.
[lb]
A CANA DE GALILEE
Le lieu convient au mystère de ces noces: en effet Cana a [en hébreu] le sens de "ferveur, zèle" 11 et Galilée le sens de "passage" 12. Ces noces se célèbrent donc dans la ferveur d’un passage; c’est pour nous avertir que les plus dignes de l’union au Christ sont ceux qui, brûlant du zèle d’une appartenance filiale et sans réserve, passent de l’état de péché à la grâce — Venez à moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits rassasiez-vous 13 — et de la mort à la vie, c’est-à-dire de l’état de mortalité et de misère à celui d’immortalité et de gloire — Voici que je fais toutes choses nouvelles 14.
II
ET LA MERE DE JESUS Y ETAIT.
JESUS AUSSI FUT INVITE A CES NOCES, AINSI QUE SES DISCIPLES.
339. L’Evangéliste décrit ensuite les personnes invitées à ces noces, c’est-à-dire la Mère de Jésus [n° 340], Jésus Lui-même [n° 341] et ses disciples [n° 342].
340. Jean commence en effet par
dire: ET LA MERE DE JESUS Y ETAIT. Il la mentionne la première, pour montrer
que Jésus était encore inconnu et qu’Il n’avait pas été invité aux noces comme
une personne insigne mais uniquement en raison de certaines relations amicales,
comme une personne de connaissance, mais une parmi d’autres. Comme on avait
invité la Mère, on invita aussi le Fils.
341. Le Christ voulut prendre part aux noces, d’abord pour nous donner un exemple d’humilité: car II n’avait pas égard à sa propre dignité. Au contraire, comme le dit Chrysostome 15, Celui qui n’a pas dédaigné de prendre la condition de serviteur, ne dédaigna pas de venir aux noces de ses serviteurs.
C’est pourquoi Augustin 16 dit: "Que l’homme rougisse d’être orgueilleux, puisque Dieu s’est fait humble". Parmi tous les autres actes d’humilité que le Fils de la Vierge a accomplis, Il vint aux noces, Lui qui, auprès de son Père, institua les noces dans le paradis. Au sujet de cet exemple il est dit: Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 17. Ensuite, le Christ voulut empêcher l’erreur de ceux qui condamnent les noces puisque, comme le dit Bède, 18 "si dans une union sans tache et des noces célébrées avec la chasteté requise il y avait péché, le Seigneur n’aurait voulu s’y rendre en aucune manière". Aussi, par le fait même qu’Il s’y est rendu, Il donne à entendre qu’on doit réprouver l’erreur perfide de ceux qui dénigrent le mariage — La femme qui se marie ne pèche pas 19.
342. Au sujet des disciples,
Jean dit: AINSI QUE SES DISCIPLES. Ceux-ci furent également invités.
343. Au sens mystique, [il faut comprendre qu’]aux noces spirituelles la Mère de Jésus, la Vierge bienheureuse, est présente en qualité de conseillère des noces, car c’est par son intercession que nous sommes unis au Christ par la grâce — En moi est toute espérance de vie et de force 20. Le Christ, Lui, y est présent en tant que véritable Epoux de l’âme, comme le dit Jean-Baptiste: Celui qui a l’épouse est l’époux 21. Quant aux disciples, ils sont là en qualité de compagnons des noces, pour unir l'Eglise au Christ, comme le dit l’un d’entre eux: Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ 22.
III
LE
VIN VENANT A MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT: "ILS N’ONT PLUS DE
VIN." JESUS LUI REPONDIT: "FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? MON
HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE. " SA MERE DIT AUX SERVITEURS: "FAITES
TOUT CE QU’IL VOUS DIRA. " OR IL Y AVAIT LA SIX URNES DE PIERRE DES TINEES
AUX PURIFICATIONS DES JUIFS, ET CONTE NANT CHACUNE DEUX OU TROIS MESURES. JESUS
DIT AUX SERVITEURS: "REMPLISSEZ D’EAU CES URNES. " ILS LES REMPLIRENT
JUSQU’AU BORD. " PUISEZ MAINTENANT, LEUR DIT-IL, ET PORTEZ-EN A
L’INTENDANT DU FESTIN. " ILS EN PORTERENT. QUAND L’INTENDANT EUT GOUTE
L’EAU CHANGEE EN VIN (IL NE SAVAIT PAS D'OÙ CELA VENAIT, MAIS LES SERVITEURS LE
SAVAIENT BIEN, EUX QUI AVAIENT PUISE L’EAU), IL APPELLE L’EPOUX ET LUI DIT:
"TOUT LE MONDE SERT D’ABORD LE BON VIN, ET QUAND LES GENS SONT ENIVRES, LE
MOINS BON. TOI, TU AS GARDE LE BON VIN JUS QU’A PRESENT. " TEL FUT LE
PREMIER DES SIGNES DE JESUS; IL LE FIT A CANA DE GALILEE. AINSI IL MANI FESTA
SA GLOIRE, ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI.
344. Et parce que dans ces noces considérées dans leur fait historique, une part du miracle revient à la Mère du Christ, une autre part au Christ et une autre part encore aux disciples, l'Evangéliste montre ici ce qui revient à la Mère du Christ, au Christ et aux disciples. A la Mère revient le soin de solliciter le miracle [n° 345], au Christ de l’accomplir [n° 355], aux disciples de l’attester [n° 364].
LE
VIN VENANT A MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT: "ILS N’ONT PLUS DE VIN".
La Mère du Christ a, dans le miracle, le rôle de médiatrice; c’est pourquoi elle accomplit deux choses: elle adresse en premier lieu une demande pressante à son Fils, puis elle donne des instructions aux serviteurs [n° 354].
L’Evangéliste rapporte la demande de la mère,
puis la réponse du Fils [n°
348].
345. Dans la demande pressante
de la Mère, remarquons d’abord sa bonté et sa miséricorde. Il appartient en
effet à la miséricorde de regarder comme sienne l’indigence d’autrui: on
appelle miséricordieux celui dont le coeur s’afflige du malheur d’autrui — Qui
est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, qu’un feu ne me brûle? [Paul]. Aussi,
parce qu’elle était remplie de miséricorde, la bienheureuse Vierge voulut-elle
subvenir à l’indigence des autres, ce que l’Evangéliste exprime ainsi: LE VIN
VENANT A MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT: "ILS N’ONT PLUS DE
VIN."
Considérons ensuite son amour respectueux à l’égard du Christ. Dans l’amour respectueux que nous avons envers Dieu, il nous faut simplement Lui présenter notre indigence, suivant ce verset: Seigneur, tout mon désir est devant toi 24. De quelle manière Dieu nous viendra en aide, il ne nous appartient pas de chercher à le savoir, car, comme le dit l’Apôtre, nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières 25. C’est pourquoi la Mère de Jésus présenta uniquement au Christ l’indigence des autres en disant: ILS N’ONT PLUS DE VIN.
Notons enfin la sollicitude et le zèle aimant
de la Vierge: car elle n’attendit pas pour intervenir que la nécessité fût
extrême, mais elle le fit LE VIN VENANT A MANQUER, c’est-à-dire comme il
commençait à manquer [imitant Dieu dont il est dit:] Le Seigneur vient au secours du
pauvre dans ses nécessités et au temps de l’affliction 26.
346. Chrysostome 27 se pose cette question: pour quoi la Vierge n’a-t-elle pas incité le Christ à accomplir des miracles avant [ce moment]? En effet elle avait été instruite par l’Ange de sa puissance, et les nombreuses choses qu’elle avait vu s’accomplir à son sujet lui en donnèrent la confirmation, car elle gardait toutes ces choses et les méditait dans son cœur 28. La raison en est que Jésus s’était comporté jusque-là comme un homme au milieu des autres: aussi, parce qu’elle n’avait pas jugé le moment opportun, la Vierge avait-elle différé. Mais à présent, après le témoignage de Jean, après la conversion des disciples, elle invite avec confiance le Christ à opérer des miracles, représentant en cela la synagogue, qui est la mère du Christ 29: les Juifs ont l’habitude, en effet, de demander des miracles, comme le dit Paul: Les Juifs demandent des signes 30.
347. La Mère de Jésus Lui dit donc: ILS N’ONT PLUS DE VIN. Ici, nous devons savoir qu’avant l’Incarnation du Christ, trois sortes de vin manquaient: le vin de la justice, celui de la sagesse et celui de la charité ou de la grâce. Le vin en effet est âpre, et c’est à ce titre que la justice est appelée vin. Le bon Samaritain versa du vin et de l’huile sur les plaies du blessé 31 c’est-à-dire la sévérité de la justice mêlée à la douceur de la miséricorde — Seigneur, tu nous as fait boire un vin de larmes 32. Le vin, d’autre part, réjouit le coeur de l’homme 33. C’est en cela que la sagesse est vin, car sa méditation apporte la joie la plus vive — Sa société ne cause aucune amertume, ni son commerce aucun ennui, mais le contentement et la joie 34. De même le vin enivre — Amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés; pour cette raison, on dit de la charité qu’elle est un vin — J’ai bu mon vin avec mon lait 35. Et la charité est encore dite "Vin" en raison de l'ardeur de la ferveur que celui-ci apporte – Le vin ait s'épanouir les vierges 36.
Certes le vin de la justice manquait dans l’Ancienne Loi, sous laquelle la justice était imparfaite: mais le Christ l’a rendue parfaite, Lui qui a dit: Si votre justice ne surpasse pas celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux 37. Le vin de la sagesse manquait aussi car elle était cachée et figurative: puisque, comme le dit l’Apôtre [au sujet des Juifs]: Tout leur arrivait en figure 38. Mais le Christ l’a rendue manifeste, car Il les enseignait en homme qui a autorité 39. Enfin le vin de la charité faisait aussi défaut, car [les Juifs] avaient reçu un esprit de servitude qui les laissait dans la crainte; mais le Christ changea l’eau de la crainte en vin de la charité, puisqu’Il nous donna un esprit d’adoption filiale qui nous fait crier: Abba, Père 40 et que la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné 41.
FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI
ET MOI? MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE.
348. L’Evangéliste rapporte ici
la réponse du Christ à Marie. On a pris occasion de cette réponse pour tomber
dans trois hérésies.
349. Les Manichéens 42 disent que le Christ n’a pas eu un corps véritable mais imaginaire. Valentin 43, lui, affirme que le Christ avait assumé un corps céleste, en prétendant que, corporellement, Il ne devait rien à la Vierge. Il tire argument, pour son erreur, de la réponse de Jésus à Marie: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? comme si le Christ disait: Je n’ai rien reçu de toi.
Mais les Manichéens et Valentin ont contre eux l’autorité de l’Ecriture sainte. L’Apôtre dit en effet: Dieu envoya son Fils, né d’une femme 44; or il ne pouvait dire né d’une femme que si le Christ avait reçu d’elle quelque chose.
Augustin 45, de son côté, réfute leurs arguments en disant: Comment savez-vous que le Seigneur a dit: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? Vous répondez que c’est l’Evangéliste qui nous le rapporte. Or ce même Evangéliste dit aussi de la Vierge qu’elle était la MERE DE JESUS. Si donc vous vous fiez à Jean lorsqu’il rapporte que Jésus a dit à sa Mère: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? , croyez-le encore lorsqu’il vous dit: ET LA MERE DE JESUS Y ETAIT.
350. Ebion 46, lui, prétend que le Christ a été conçu d’une semence virile; quant à Elvidius, il affirme que la Vierge ne demeura pas vierge après l’enfantement; tous deux fondent leur erreur sur le mot "femme" employé par Jésus, qui leur paraît impliquer la corruption.
Or cela est inexact, puisque le mot "femme" est parfois employé dans la Sainte Ecriture pour désigner uniquement le sexe féminin [par exemple dans ce texte] Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme 47. On le voit encore manifestement d’après ces paroles adressées à Dieu par Adam au sujet d’Eve: La femme que tu m’as donnée pour compagne m’a donné du fruit de l’arbre et j’en ai mangé 48: car il est évident que, se trouvant encore au paradis, où Adam ne l’avait pas connue, Eve était restée vierge jus qu’alors. C’est pourquoi ici l’appellation de "femme" n’implique pas la corruption, mais désigne le sexe féminin.
351. Les Priscillianistes 49 eux aussi ont pris occasion de ces paroles du Christ: MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE, pour tomber dans l’erreur. Ils affirment que tout arrive selon le destin: les actions des hommes, même celles du Christ, sont soumises à des heures déterminées; c’est pour cette raison que Jésus aurait dit: MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE. Mais cela n’est vrai pour personne; en effet, puisque l’homme est capable d’un choix libre et que ce choix libre dépend de sa raison et de sa volonté, facultés immatérielles, il est évident que l’homme, dans son choix, n’est soumis à aucun élément corporel, mais qu’il en est plutôt le maître; car les réalités immatérielles sont plus nobles que les matérielles; et voilà pourquoi Ptolémée déclare que le sage est maître des astres.
De plus, cette fausse théorie convient d’autant moins au Christ qu’Il est le Créateur des astres; aussi, lors qu’Il dit MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE, ces paroles doivent-elles s’entendre de l’heure de sa passion, heure déterminée non par la nécessité du destin, mais par la divine Providence.
A ces hérétiques, on peut encore opposer ces
paroles de l’Ecclésiastique: Pourquoi un jour l’emporte-t-il sur un autre?
C’est [répond-il] la science du Seigneur qui a établi entre eux des distinctions 50;
autrement dit: n’est pas le hasard qui les distingue l’un de l’autre, mais la
divine Providence.
352. Ces opinions étant donc réfutées, cherchons la raison de cette réponse du Seigneur: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI?
Il y a en Jésus deux natures, dit Augustin 51, la
divine et l’humaine, et bien que le même Christ soit dans les deux natures,
pourtant ce qui Lui convient selon la nature humaine est distinct de ce qui Lui
convient selon la nature divine. Ainsi, faire des miracles Lui appartient selon
la nature divine qu’Il a reçue du Père; mais souffrir Lui revient selon la
nature humaine qu’Il a reçue de sa Mère. C’est pourquoi, à sa Mère qui Lui
réclame un miracle, Il répond: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI?, comme s’il
disait: ce qui en moi fait des miracles, je ne l’ai pas reçu de toi; mais ce
que je souffre, c’est-à-dire ce qui me rend capable de souffrir, la nature
humaine, je l’ai reçue de toi; c’est pourquoi je te reconnaîtrai lorsque cette
faiblesse sera suspendue à la croix. Aussi le Seigneur ajoute-t-Il: MON HEURE
N’EST PAS ENCORE VENUE, c’est-à-dire: quand arrivera l’heure de ma passion,
alors je te reconnaîtrai pour ma Mère. Et c’est pour cela que, suspendu à la
croix, Jésus confia sa Mère à son disciple.
353. Chrysostome 52 explique autrement ce passage: il pense que la bienheureuse Vierge, brûlant de zèle pour l’honneur de son Fils, voulut qu’aussitôt, sans attendre le moment opportun, le Christ fît des miracles; et que le Christ, évidemment plus sage que sa Mère, la reprit. En effet, Il ne voulut pas opérer le miracle avant qu’on ne connût le manque de vin, car ce miracle eût alors été moins éclatant et moins digne de créance. Il dit donc: FEMME, QU’Y A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? autrement dit: pourquoi m’importuner? MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE, c’est-à-dire: je ne suis pas encore connu de ceux qui sont ici et ils ne se sont pas aperçus du manque de vin; laisse-les d’abord s’en rendre compte afin que, ayant connu la nécessité, ils apprécient davantage le bienfait qu’ils recevront: Il y a en effet pour toute chose un temps et un jugement 53.
[5] SA MERE DIT AUX
SERVITEURS: "FAITES TOUT CE QU’IL VOUS DIRA".
354. Mais ainsi rebutée, la Mère
de Jésus ne doute pourtant pas de la miséricorde de son Fils; c’est pour quoi
elle avertit les serviteurs en disant: FAITES TOUT CE QU’IL VOUS DIRA. Ces
paroles, à la vérité, renferment la perfection de toute justice, puisque la
justice parfaite, c’est d’obéir en toutes choses au Christ — Moïse vint
apporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes les lois; et le
peuple tout entier d’une seule voix répondit: Toutes les paroles qu’a dites le
Seigneur, nous les accomplirons 54. La parole [de Marie]: TOUT CE QU’IL VOUS DIRA, FAITES-LE, ne peut s’adresser qu’à Dieu
seul, car l’homme peut par fois se tromper; et c’est pourquoi, dans ce qui s’oppose
à Dieu, nous ne sommes pas tenus d’obéir aux hommes — Il faut obéir à Dieu
plutôt qu’aux hommes 55. Mais à Dieu qui ne se trompe pas, ni ne peut être trompé, nous
devons obéir en tout.
355. L’Evangéliste rapporte ensuite l’accomplissement du miracle par le Christ; il décrit d’abord les vases dans lesquels fut effectué le miracle; il indique ensuite la matière du miracle [n° 358]; enfin, il nous fait connaître comment ce miracle fut manifesté et confirmé [n° 359].
OR IL Y AVAIT LA SIX URNES DE
PIERRE DESTI NEES AUX PURIFICATIONS DES JUIFS, ET CONTE NANT CHACUNE DEUX OU
TROIS MESURES.
356. Les vases dans lesquels fut accompli le miracle sont au nombre de six. Les Juifs, en effet, comme le dit Marc 56, observaient de nombreuses ablutions corporelles et purifiaient de même les coupes et les vases: aussi, habitant la Palestine où l’eau est rare, ils avaient des vases pour conserver l’eau parfaitement pure afin de pouvoir souvent faire leurs ablutions et purifier leurs vases. C’est pourquoi l'Evangéliste dit: IL Y AVAIT LA SIX URNES DE PIERRE, récipients servant à conserver l’eau (en latin hydriae, du grec hydros, qui signifie "eau"), DESTINEES AUX PURIFICATIONS DES JUIFS, c’est-à-dire à l’usage de la purification, ET CONTENANT CHACUNE DEUX OU TROIS MESURES (en latin metretas, qui vient du mot grec metros, lequel signifie "mesure."
Comme le dit Chrysostome 57, l’Evangéliste rapporte ce qu’étaient ces urnes pour écarter tout doute sur la réalité du miracle; d’une part leur propreté empêche de soupçonner que l’eau avait pris le goût du vin à cause de la lie du vin qu’elles auraient contenu auparavant: en effet ces vases DESTINES AUX PURIFICATIONS devaient être parfaitement propres; d’autre part leur nombre montre à l’évidence qu’une si grande quantité d’eau ne pouvait être changée en vin que par l’effet de la puissance divine.
357. Au sens mystique, les SIX URNES signifient les six époques de l’Ancien Testament durant lesquelles avaient été préparés et proposés en exemple de vie, comme le dit la Glose, les coeurs des hommes réceptifs aux Ecritures. Le terme même de MESURES, d’après Augustin 58, se rapporte à la Trinité des personnes. Et Jean dit DEUX OU TROIS, parce que la Sainte Ecriture nomme clairement tantôt trois Personnes, comme le fait Matthieu rapportant ces paroles du Christ: De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, tantôt deux seulement, le Père et le Fils, avec lesquels est sous-entendue la Personne du Saint Esprit 59, qui est le lien des deux autres; c’est ainsi qu’il sera dit plus loin: Si quelqu’un garde ma parole, mon Père l’aimera et nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure 60. On peut dire aussi: DEUX mesures, en raison des deux conditions des hommes, Juifs et Gentils, à partir desquelles fut construite l’Eglise; ou TROIS, à cause des fils de Noé par qui fut propagé le genre humain après le déluge.
[7] JESUS DIT AUX SERVITEURS:
"REMPLISSEZ D’EAU CES URNES".
358. Il s’agit ici de la matière du miracle. On peut à ce propos se demander pourquoi le Christ n’a pas opéré ce miracle à partir de rien, mais à partir d’une matière déjà existante. Nous répondrons en donnant trois raisons.
La première est de Chrysostome 61 et se rapporte au sens littéral: il est certes plus grand et plus admirable de faire quelque chose de rien, que de le faire à partir d’une matière préexistante; mais ce n’est pas aussi manifeste et croyable pour la plupart des hommes. C’est donc pour rendre son action plus digne de foi que Jésus fit le vin à partir de l’eau, s’adaptant ainsi à la capacité des hommes.
La deuxième raison, c’est l’intention de réfuter des doctrines perverses. Il s’est trouvé en effet des hommes, comme Marcion 62 et les Manichéens 63, pour dire que le Créateur du monde était un autre que Dieu et que cet autre, c’est-à-dire le diable, avait fait toutes les choses visibles. C’est ce qui explique également pourquoi le Seigneur a fait de nombreux miracles à partir des substances créées et visibles, afin de montrer qu’elles étaient bonnes et créées par Dieu.
Il y a une autre raison, qui est mystique: Jésus n’a pas voulu faire le vin à partir de rien, mais à partir de l’eau, pour montrer qu’Il ne voulait pas établir une doctrine entièrement nouvelle ni réprouver l’ancienne, mais l’accomplir 64 — Je ne suis pas venu abolir [la Loi et les Prophètes], mais accomplir. Ce que l’Ancienne Loi figurait et promettait, le Christ le manifesta et le révéla — Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures 65.
De plus, Jésus voulut que les urnes fussent
remplies par les serviteurs, afin de les avoir comme témoins de ce qui
s’accomplissait; d’où ce qui est dit plus loin: LES SERVITEURS LE SAVAIENT
BIEN, EUX QUI AVAIENT PUISE L’EAU. "PUISEZ MAINTENANT, ET PORTEZ-EN A
L’INTENDANT DU FESTIN".
359. Jean montre ici comment le miracle fut rendu public. Car au moment même où les urnes furent pleines [ILS LES REMPLIRENT JUSQU’AU BORD], l’eau fut changée en vin, et c’est pourquoi le Seigneur, aussitôt, rend public le miracle.
Jean rapporte en premier lieu l’ordre du
Christ choisissant celui qui doit constater le miracle; puis la sentence de
l’intendant, lorsqu’il eut goûté l’eau changée en vin [n° 362].
360. Jésus dit donc aux serviteurs: PUISEZ MAIN TENANT, c’est-à-dire du vin dans les urnes, ET PORTEZ-EN A L’INTENDANT DU FESTIN (en latin archi triclinus). A ce sujet, il faut savoir qu’on appelle triclinium un lieu où se trouvent trois rangs de tables, le mot triclinium désignant lui-même une rangée de trois lits (du grec clinè, qui signifie "lit"). Les anciens, en effet, avaient coutume de prendre leurs repas étendus sur des lits, comme le raconte Maxime Valère. C’est pourquoi l’Ecriture parle de ceux qui s’étendent ou sont couchés pour manger. On appelle donc architriclinus le premier des convives qui préside le repas. Ou encore, d’après Chrysostome 66, ce titre désignait l’ordonnateur et l’in tendant du festin. Parce que ce dernier, très occupé, n’avait encore goûté à rien, le Seigneur voulut qu’il jugeât lui-même ce qui avait été fait et non les convives, en sorte que nul ne puisse contester le miracle en disant qu’ils étaient ivres et que leur goût altéré par la nourriture ne leur permettait plus de discerner l’eau du vin. Augustin, lui, pense que l’architriclinus était le principal parmi ceux qui s’étendent pour le repas, comme on l’a dit plus haut, et que Jésus voulut recueillir de celui qui présidait le jugement sur ce qui avait été fait, pour que le jugement fût mieux accueilli.
361. Au sens mystique, les serviteurs qui puisent l’eau sont les prédicateurs — Vous puiserez les eaux avec joie aux sources du Sauveur 67. Or l’intendant du festin représente celui qui est expert dans la Loi, comme Nicodème, Gamaliel ou Paul; lorsque la parole évangélique, qui était cachée sous la lettre de la Loi, est confiée à de tels hommes, c’est comme le vin fait avec l’eau et versé à l’intendant du festin: l’ayant goûté, celui-ci approuve la foi au Christ.
QUAND
L’INTENDANT EUT GOUTE L’EAU CHANGEE EN VIN (IL NE SAVAIT PAS D'OÙ CELA VENAIT,
MAIS LES SERVITEURS LE SAVAIENT BIEN, QUI AVAIENT PUISE L’EAU), IL APPELLE
L’EPOUX ET LUI DIT: "TOUT LE MONDE SERT D’ABORD LE BON VIN, ET QUAND LES
GENS SONT ENIVRES, LE MOINS BON. TOI, TU AS GARDE LE BON VIN JUSQU’A
PRESENT".
362. L’Evangéliste rapporte ici le jugement de l’expert. Celui-ci s’enquiert d’abord de la vérité du fait, puis il rend sa sentence.
Il faut ici, selon Chrysostome 68,
remarquer que, dans les miracles du Christ, tout fut absolument parfait: Il
rendit une parfaite santé à la belle-mère de Pierre qui aussitôt levée les
servait, comme le disent Marc 69 et Matthieu 70. De même, Il rendit si parfaitement le para lytique à la santé que,
se relevant sur le champ, il prit son grabat et rentra chez lui 71. Cela
apparaît aussi dans ce miracle, puisque Jésus ne fit pas de l’eau un vin quel
conque, mais le meilleur qui pût être. C’est pourquoi l’intendant du festin
dit: TOUT LE MONDE SERT D’ABORD LE BON VIN, ET QUAND LES GENS SONT ENIVRES, LE
MOINS BON.
363. Tout cela convient au mystère. Car, au sens mystique, on dit de quelqu’un qu’il sert d’abord le bon vin lorsque, ayant l’intention de tromper les autres, il ne leur expose pas d’emblée l’erreur où il a l’intention de les faire tomber, mais ce qui peut les séduire; car une fois enivrés et séduits, ils consentent à son intention, et c’est alors qu’il manifeste sa perfidie. C’est de ce vin que la Sainte Ecriture dit: Il entre agréablement, mais à la fin il mordra comme un serpent et il répandra son venin comme un basilic 72.
On dit encore de quelqu’un qu’il sert d’abord le bon vin lorsque, dans les débuts de sa conversion, ayant inauguré une vie de sainteté et toute spirituelle, il retombe finalement dans une vie charnelle — Etes-vous tellement insensés qu’après avoir commencé par l’Esprit, vous acheviez maintenant par la chair 73?
Le Christ, Lui, ne sert pas d’abord le bon vin; au commencement Il propose des réalités amères et dures — car resserrée est la voie qui mène à la vie 74. Mais plus l’homme progresse dans la foi et la doctrine du Christ, plus il acquiert de douceur et y goûte une grande suavité — Je vous conduirai dans les sentiers de la droiture et lorsque vous y serez entrés, vos pas ne seront pas à l’étroit 75. De même, tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ 76 souffrent en ce monde amertumes et tribulations. Le Christ l’a annoncé: En vérité, en vérité je vous le dis: vous pleurerez et vous lamenterez. Mais dans le monde futur, les jouissances et les joies seront leur partage; c’est pourquoi le Seigneur ajoute: Mais votre tristesse se changera en joie. J’estime [dit Paul] que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler en nous 78.
TEL FUT LE PREMIER DES SIGNES
DE JESU5; IL LE FIT A CANA DE GALILEE. AINSI IL MANIFESTA SA GLOIRE, ET SES
DISCIPLES CRURENT EN LUI.
364. Le témoignage des disciples sur ce miracle permet de reconnaître la fausseté de l’histoire de L’enfance du Sauveur, où l’on cite beaucoup de miracles accomplis par le Christ encore enfant. Si c’était vrai, l’Evangéliste n’aurait sûrement pas dit: TEL FUT LE PREMIER DES SIGNES DE JESUS. Nous avons donné plus haut la. raison pour laquelle Il n’opéra aucun miracle durant son enfance: de peur que les hommes ne les considèrent comme imaginaires; c’est pourquoi Jésus fit à Cana de Galilée ce miracle de l’eau changée en vin, qui est LE PREMIER DES SIGNES qu’Il fit par la suite. Ainsi IL MANIFESTA SA GLOIRE, c’est-à-dire sa puissance qui Le glorifie — Le Seigneur des puissances, c’est Lui, le roi de gloire 79.
365. ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI. Mais comment crurent-ils? Car ils étaient déjà disciples et avaient cru auparavant. Il faut répondre qu’on nomme parfois une chose non selon ce qu’elle est maintenant, mais selon ce qu’elle sera. Ainsi on dit: l’Apôtre Paul est né à Tarse en Cilicie, non qu’il y soit né Apôtre, mais parce que c’est là que naquit le futur Apôtre. De même on dit ici: ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI, c’est-à-dire ceux qui seraient plus tard ses disciples. Ou encore, il faut dire qu’ils avaient d’abord cru en Lui comme à un homme de bien, prêchant une doctrine juste et droite, mais qu’ils croient désormais en Lui comme Dieu.
366. Plus haut [n° 335] l’Evangéliste a exposé le signe que fit le Christ pour affermir ses disciples; ce signe relevait de son pouvoir de transformer la nature. Ici, il s’agit de sa Résurrection, qui relève de ce même pouvoir et que le Christ annonça dans le dessein de convertir les foules.
L’Evangéliste commence [c'est l’objet de cette leçon] par exposer l’occasion de l’annonce du miracle [de la Résurrection]; il rapporte ensuite la prophétie elle-même [n° 393].
Au sujet de l’occasion, l’Evangéliste nous décrit le lieu [n° 367], puis indique le fait qui fut l’occasion de l’annonce du miracle [n° 380].
APRES CELA, IL DESCENDIT A
CAPHARNAUM AVEC SA MERE, SES FRERES ET SES DISCIPLES, ET ILS N’Y RESTERENT QUE
PEU DE JOURS. LA PÂQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, ET JESUS MONTA A JERUSALEM.
Le lieu où cela se passa est Jérusalem; c’est pour quoi l’Evangéliste montre graduellement dans quel ordre le Seigneur se rendit à Jérusalem: il montre comment Il descendit d’abord à Capharnaüm, puis comment Il monta à Jérusalem [n° 374].
En ce qui concerne la descente de Jésus à Capharnaüm, Jean commence par indiquer le lieu [n° 367]; puis il décrit l’entourage de Jésus [n° 369]; enfin il indique la durée de son séjour [n° 372].
APRES CELA, IL DESCENDIT A
CAPHARNAUM
367. Le lieu où Jésus descendit est Capharnaüm; c’est pourquoi Jean dit: APRES CELA, c’est-à-dire après le miracle du vin, IL DESCENDIT A CAPHARNAÜM. Il semble, du point de vue historique, que cette affirmation soit contredite par Matthieu 1; pour lui, le Seigneur serait descendu à Capharnaüm après l’emprisonnement de Jean-Baptiste: or ce que l’Evangéliste rapporte ici est tout à fait antérieur à l’emprisonnement de Jean: car Jean n’avait pas encore été mis en prison 2.
Pour comprendre cette question, il faut savoir que, d’après l’Histoire ecclésiastique 3, les autres Evangélistes, c’est-à-dire Matthieu, Marc et Luc, commencèrent leur récit évangélique à l’époque de l’emprisonnement de Jean-Baptiste. Ainsi Matthieu, aussitôt après avoir raconté le baptême du Christ, son jeûne et sa tentation, commence son récit à partir de l’emprisonnement de Jean-Baptiste: Comme Jésus avait appris l’arrestation de Jean-Baptiste, Il se retira en Galilée 4. Marc fait de même et écrit: Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus vint en Galilée 5. Lorsque Jean l’Evangéliste, qui survécut aux trois autres Evangélistes, eut connaissance de leurs écrits, il en approuva la fidélité et la vérité. Cependant, voyant qu’il y manquait certains faits — les actions du Seigneur au temps de sa première prédication et avant l’emprisonnement de Jean —, à la prière des fidèles il fit remonter plus haut son Evangile en rapportant les actions du Seigneur avant l’arrestation de Jean, c’est-à-dire en partant de l’année où Jésus fut baptisé, comme on le voit dans l’ordre du récit de son Evangile. Ainsi les Evangélistes ne s’opposent pas, parce que le Seigneur descendit deux fois à Capharnaüm: une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste — il s’agit de celle dont Jean parle ici; et une autre fois, après — celle dont parlent Matthieu 6 et Luc 7.
368. Capharnaüm veut dire "ville très belle" et signifie ce monde dont la beauté provient de l’ordre et de la disposition [pensée par] la divine Sagesse — La beauté des champs est en ma possession [dit le Seigneur] 8 Le Seigneur descendit donc à Capharnaüm, c’est-à-dire dans ce monde, avec sa mère, ses frères et ses disciples. Car au ciel, le Seigneur a un Père, mais pas de mère; sur terre, Il a une Mère, mais pas de père; aussi Jean nomme-t-il expressément sa Mère seule 9. Au ciel, Il n’a pas non plus de frères, car Il est le Fils unique qui est dans le sein du Père 10; mais, sur terre, Il est le premier-né d’une multitude de frères 11. Sur terre, le Christ a des disciples à qui Il enseigne les mystères de la divinité auparavant inconnus des hommes, car l’Apôtre dit: Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 12.
Capharnaüm peut encore se traduire par "champ de consolation", et signifie alors tout homme qui porte du bon fruit — Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ fertile, que le Seigneur a béni [Isaac de son fils Jacob] 13 Un tel homme est appelé "champ de consolation" car il console le Seigneur qui se réjouit de ses progrès — Comme l’épousée fait l’allégresse de l’époux, tu feras l’allégresse de ton Dieu 14, et parce que les anges se réjouissent de sa bonté — Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence 15.
AVEC SA MERE, SES FRERES ET
SES DISCIPLES
369. L’Evangéliste dit: IL
DESCENDIT AVEC SA MERE. Jésus était donc accompagné en premier lieu de sa Mère,
car elle était venue aux noces et c’est elle qui avait sollicité le miracle; le
Seigneur la reconduisait à Nazareth 16, ville de Galilée dont la métropole était Capharnaüm.
370. En second lieu, Jésus était accompagné de SES FRERES. A ce sujet il faut se garder de deux erreurs. En premier lieu celle d’Elvidius, pour qui la Vierge eut d’autres fils après le Christ; ce sont ceux-là qu’il appelle "frères" du Seigneur, ce qui est hérétique. Notre foi tient que la Mère du Christ, vierge avant l’enfantement, le demeura pendant et après l’enfantement.
Ensuite, l’erreur de ceux qui prétendent que Joseph avait engendré d’une autre épouse des fils qu’on appelait "frères" du Seigneur; mais l’Eglise ne l’admet pas. Aussi Jérôme 17 les condamne-t-il. En effet le Seigneur, suspendu à la croix, confia la Vierge, sa Mère, à la garde du disciple vierge; donc, puisque Joseph a été le gardien spécial de la Vierge et même du Sauveur pendant son enfance, on peut croire qu’il fut vierge lui-même.
En conséquence, selon une saine intelligence du texte, nous disons que les "frères" du Seigneur étaient des parents consanguins de la Vierge, sa Mère, à un degré quelconque, ou encore de Joseph que l’on croyait père de Jésus; cela est conforme à l’usage de la Sainte Ecriture, qui appelle en général "frères" les parents consanguins. On lit par exemple dans la Genèse: Abraham dit à Lot: "Qu’il n’y ait pas de discorde entre toi et moi, car nous sommes frères" 18, alors que Lot était le neveu d’Abraham. Remarquons d’autre part que l’Evangéliste nomme séparément les FRERES et les DISCIPLES de Jésus, parce que tous les parents consanguins du Christ n’étaient pas ses disciples — Même ses frères ne croyaient pas en Lui 19.
371. Enfin Jésus avait pour compagnons SES DISCIPLES. Cela pose une question: qui étaient ces disciples? Il semble, selon Matthieu, que les premiers à se convertir au Christ furent Pierre et André, Jean et Jacques; mais le Christ les appela après l’emprisonnement de Jean-Baptiste, Matthieu le dit clairement 20 ne semble donc pas que ceux-ci soient descendus avec le Christ à Capharnaüm, comme Jean le dit ici, puisque cette descente à Capharnaüm eut lieu avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste.
A cela on peut donner deux réponses. Selon Augustin 21, Matthieu ne respecte pas l’ordre historique des faits, mais, récapitulant ce qu’il avait laissé de côté, il rapporte après l’emprisonnement de Jean-Baptiste des événements qui [réalité] sont antérieurs. Aussi, sans marquer d’aucune manière un rapport chronologique, Matthieu dit: Jésus marchant près de la mer vit deux frères, Simon (...) et André 22, sans ajouter "après cela" ou "en ces jours-ci".
L’autre réponse, également d’Augustin 23, est que par "disciples" l'Evangile n’entend pas seulement les douze que le Christ choisit et nomma Apôtres 24, mais aussi tous ceux qui croyaient en Lui et qui étaient instruits par son enseignement sur le Royaume des Cieux. Il se peut donc que, bien que les douze n’eussent pas encore suivi Jésus, d’autres cependant qui s’étaient joints à Lui soient appelés ici SES DISCIPLES. Cependant la première réponse est meilleure.
ILS N’Y RESTERENT QUE QUELQUES
JOURS.
372. Jean résume ici brièvement le court séjour à Capharnaüm. La raison en est que les habitants de cette ville, parce qu’ils étaient très corrompus, ne montrèrent aucun empressement à recevoir la doctrine du Christ; c’est pourquoi Matthieu dit que le Seigneur les réprimanda, parce que ni les prodiges accomplis chez eux, ni son enseignement ne les avaient amenés à faire pénitence: Toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jus qu’au ciel? (...) jusqu’aux enfers tu descendras. Parce que, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle serait encore là aujourd’hui 25. Cependant, bien qu’ils fussent mauvais, le Seigneur descendit là pour y reconduire sa Mère, et Il s’y arrêta quel que temps afin de la consoler et de l’honorer 26.
373. Au sens mystique,
l’Evangile de Jean nous fait connaître par là que certains ne peuvent retenir
beau coup de paroles du Christ mais se contentent de peu pour leur illumination,
à cause du peu de capacité de leur intelligence. C’est pourquoi, selon Origène 27, auprès
de ceux-là le Christ ne s’attarde pas à de longs enseignements — J’ai encore
beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent 28.
374. L’Evangéliste indique ensuite le lieu où monta Jésus. A ce sujet il rapporte d’abord l’occasion de sa montée à Jérusalem; puis il parle de la montée elle-même [n° 378].
LA PAQUE DES JUIFS ETAIT
PROCHE
375. L’occasion de sa montée fut la Pâque des Juifs, qui était imminente. Dans l’Exode, il est prescrit que, trois fois par an, tous les mâles viendront devant le Seigneur 29; et la Pâque était l’une de ces trois époques. Comme le Seigneur était venu pour donner à tous l’exemple de l’humilité et de la perfection, Il voulut, aussi longtemps qu’elle serait en vigueur, observer la Loi; car Il vint non l’abolir, mais l’accomplir, comme Il le dit Lui-même 30; pour ce motif, comme LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, JESUS MONTA A JERUSALEM. A l’exemple du Christ, nous devons donc observer avec soin les préceptes divins. Si en effet, célébrant les solennités, le Fils de Dieu a accompli les prescriptions de la Loi qu’Il avait donnée, avec quelle grande application pour les bonnes oeuvres ne devons-nous pas pré parer et célébrer les fêtes?
376. Remarquons que Jean, dans son Evangile, fait mention de la Pâque en trois endroits: ici, puis plus loin à propos du miracle des pains: La Pâque était proche, jour de la fête des Juifs 31; et, plus loin encore: Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue... 32. Nous savons donc, d’après cet Evangile, qu’après le miracle du vin le Christ prêcha durant deux ans, plus le temps compris entre son baptême et la Pâque; car le fait dont nous parlons eut lieu vers la Pâque, comme le dit ici Jean. Après une année révolue, à un moment proche de la Pâque suivante, Jésus fit le miracle des pains, et c’est à cette époque que Jean-Baptiste fut décapité. C’est bien aux environs de la Pâque qu’il fut décapité, puisque, comme le dit Matthieu 33, aussitôt après la décollation de Jean-Baptiste, le Christ se retira au désert et y fit le miracle des pains qui eut lieu aux alentours de la Pâque comme Jean le dit plus loin 34. Toutefois on célèbre la fête de cette décollation le jour de la découverte de la tête de Jean-Baptiste. Enfin Jésus souffrit sa passion lors d’une autre Pâque.
Selon l’opinion de ceux pour qui le miracle effectué aux noces et les faits rapportés ici eurent lieu l’année même du baptême du Christ, deux années et demie se seraient donc écoulées du baptême à la passion; ainsi, d’après eux, Jean dit que la PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE pour montrer que Jésus avait été baptisé peu de jours auparavant.
Cependant l’Eglise soutient le contraire. Nous croyons en effet que le Christ accomplit le miracle du vin un an jour pour jour après son baptême; que, un an plus tard, aux approches de la Pâque, Jean-Baptiste fut décapité; et que, depuis cette Pâque aux environs de laquelle Jean fut décapité, jusqu’à la Pâque où souffrit le Christ, il s’écoula une année. Il faut donc qu’il y ait eu, entre le baptême du Christ et le miracle du vin, une autre Pâque dont aucun évangéliste ne fait mention.
Ainsi, selon ce que l’Eglise affirme, le Christ prêcha trois ans et demi.
377. Si Jean dit LA PAQUE DES JUIFS, ce n’est pas parce que des hommes d’une autre nation auraient eux aussi célébré la Pâque, mais pour deux raisons qui sont les suivantes 35. Nous disons en effet qu’une fête célébrée d’une manière sainte et avec pureté d’intention est une fête célébrée pour le Seigneur; si au contraire on ne la célèbre ni purement, ni saintement, on célèbre non pour le Seigneur, mais pour soi-même — [c’est pour quoi le Seigneur dit:] Mon âme a horreur de vos nouvelles lunes et de vos fêtes 36; autrement dit: parce que vous les célébrez non pour moi, mais pour vous, elles me déplaisent. Quand vous jeûniez, (...) était-ce pour moi que vous jeûniez? 37 Non [veut-il dire], mais pour vous. Et puisque les Juifs dont il est question ici étaient corrompus et célébraient mal leur Pâque, l’Evangéliste ne dit pas: "La Pâque du Seigneur", mais: LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE.
Ou encore, Jean s’exprime ainsi pour différencier la Pâque DES JUIFS de la nôtre; la Pâque DES JUIFS était préfigurative, car elle était célébrée par l’immolation d’un agneau, figure du Christ; tandis que notre Pâque est la véritable: en elle, nous commémorons la véritable passion de l’Agneau immaculé — Le Christ, notre Pâque, a été immolé 38.
ET JESUS
MONTA A JERUSALEM.
378. Notons ici que, selon
l’ordre historique des faits, Jésus est monté à deux reprises à Jérusalem vers
la fête de la Pâque et a chassé du Temple acheteurs et vendeurs: une première
fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste (c’est ce que rappelle ici
l’Evangéliste); une autre fois, alors que le temps de la passion était imminent,
comme le raconte Matthieu 39. En effet, à plusieurs reprises le Seigneur a fait les mêmes
oeuvres: on le constate à propos des deux aveugles à qui Il a donné la vue,
guérisons dont l’une est rapportée par Matthieu 40, l’autre par Marc 41. De la
même façon, Il chasse deux fois du Temple vendeurs et acheteurs.
379. JESUS MONTA A JERUSALEM peut être pris au sens mystique. Jérusalem, qui veut dire "vision de paix", signifie la béatitude éternelle vers laquelle Il monta et conduisit les siens. Et le fait que Jésus descende à Capharnaüm pour ensuite monter à Jérusalem n’est pas sans signification mystique; car s’Il n’était pas d’abord descendu, Il n’aurait pu monter — Celui qui est descendu, c’est le même qui est aussi monté 42. Cependant l’Evangéliste ne fait pas mention des disciples dans la montée vers Jérusalem parce que l’ascension des disciples est la conséquence de l’ascension du Christ — Personne n’est monté au ciel si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 43.
II
IL TROUVA DANS LE TEMPLE DES
GENS QUI VEN DAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOM BES, ET LES CHANGEURS
ASSIS. ET SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA DU TEMPLE, AINSI
QUE LES BREBIS ET LES BOEUFS; IL JETA PAR TERRE LA MONNAIE DES CHANGEURS ET
RENVERSA LEURS TABLES. ET IL DIT A CEUX QUI VENDAIENT DES COLOMBES:
"ENLEVEZ CELA D’ICI, ET NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON
DE TRAFIC. " SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL EST ECRIT: LE ZELE DE TA
MAISON ME DEVORERA.
380. L’Evangéliste rapporte ici le fait qui amena le Christ à donner aux Juifs le signe de la Résurrection; il montre d’abord la perversion des Juifs, puis il indique le remède que le Christ lui applique [n° 384], où il voit la réalisation d’une parole prophétique [n° 392].
IL TROUVA DANS LE TEMPLE DES
GENS QUI VENDAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOM BES, ET LES CHANGEURS
ASSIS.
381. A propos de cette perversion des Juifs, il faut savoir que le diable tend des embûches dans les choses de Dieu et s’efforce de les corrompre. Parmi les divers moyens dont il use pour corrompre les choses saintes, le principal est le vice de l’avarice — Les pasteurs d’Israël ne comprennent rien, ils se détournent pour suivre leur propre chemin, chacun suit son avarice, du plus grand au plus petit 44. C’est ce qu’a fait le diable depuis les temps les plus reculés. Car les prêtres de l’Ancien Testament, qui avaient été établis pour vaquer aux choses divines, s’adonnaient à l’avarice. Or Dieu avait ordonné dans la Loi qu’en certaines solennités on immolât au Seigneur tels et tels animaux; pour accomplir ce précepte, ceux qui habitaient près du Temple y venaient en amenant les animaux avec eux, mais ceux qui venaient de loin ne pouvaient agir de même. Aussi, comme ce genre d’offrande profitait aux prêtres, pour que ceux qui venaient de loin soient pourvus d’animaux à offrir, les prêtres eux-mêmes s’arrangèrent pour qu’on vendît ces animaux dans le Temple; à cet effet ils les faisaient exposer dans le Temple, c’est-à-dire sur les parvis du Temple. C’est ce que dit Jean: Le Seigneur TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BOEUFS, DES BREBIS ET DES COLOMBES. Il mentionne ici deux espèces d’animaux vivant sur terre qui, selon la Loi, pouvaient être offerts au Seigneur en sacrifice: le boeuf et la brebis. Une troisième espèce qu’on offrait aussi et qui vit sur terre, la chèvre, est comprise avec la brebis. De la même façon, la tourterelle est comprise avec la colombe; en effet, parmi les oiseaux on en offrait deux au Seigneur: la colombe et la tourterelle.
382. Comme il arrivait parfois
que certains se rendent au Temple sans animaux ni argent, et ne puissent donc
rien acheter, les prêtres trouvèrent une astuce d’avare: ils installèrent des
changeurs et des banquiers qui prêtaient de l’argent à ceux qui n’en avaient
pas. Ceux-ci ne pratiquaient pas l’usure, parce que cela était interdit par la
Loi, mais ils recevaient à la place de petits cadeaux et des objets sans valeur
qui, eux aussi, passaient au profit des prêtres. C’est à cela que Jean fait
allusion en disant que le Seigneur trouva DES CHANGEURS ASSIS dans le Temple,
disposés à prêter de l’argent.
383. Au sens mystique, les paroles de l'Evangéliste peuvent s’entendre de trois manières. D’abord, vendeurs et acheteurs signifient ceux qui vendent ou achètent les biens ecclésiastiques. Les BREBIS, les BOEUFS et les COLOMBES symbolisent les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié. Car ces biens ont été consacrés et ratifiés par la doctrine des Apôtres et des docteurs, symbolisés par les BOEUFS — Où les récoltes sont abondantes, la force du boeuf paraît clairement 45, et par le sang des martyrs, symbolisés par les BREBIS: c’est en leur nom que parlent le Psalmiste 46 et l’Apôtre: On nous regarde comme des brebis d’abattoir 47. Il y a enfin les dons du Saint-Esprit, symbolisés par les COLOMBES car, comme le dit Jean: J’ai vu l’Esprit des cendre du ciel comme une colombe 48. C’est donc la doctrine même des Apôtres, le sang des martyrs et les dons du Saint-Esprit, que vendent ceux qui osent vendre les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié.
II arrive également que certains prélats ou intendants des Eglises vendent BOEUFS, BREBIS et COLOMBES, non pas ouvertement, par simonie, mais inconsciemment, par négligence: par exemple quand ils convoitent et s’occupent des richesses temporelles au point d’en négliger le salut spirituel de ceux qui leur sont soumis; car, ce faisant, ils vendent BREBIS, BOEUFS et COLOMBES, c’est-à-dire les trois sortes d’hommes qui leur sont soumis. D’abord les prédicateurs et les responsables d’oeuvres, symbolisés par les BOEUFS — Heureux vous qui semez partout où il y a de l’eau, et laissez en liberté le pied du boeuf et de l’âne. Car les prélats doivent assigner leur place aux BOEUFS, c’est-à-dire aux docteurs et aux sages, parmi les ânes 49, c’est-à-dire les incultes et les simples. Ils tirent aussi profit des exécutants et de ceux qui s’acquittent d’un service, symbolisés par les BREBIS — Mes brebis entendent ma voix 50... Et ceux-ci qui sont des brebis, qu’ont-ils fait? 51 Enfin ils tirent profit des contemplatifs, symbolisés par les COLOMBES — Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe? Alors je volerais et me reposerais, je m’enfuirais au loin et j’irais demeurer au désert 52.
Par le TEMPLE de Dieu, on peut aussi entendre l’âme spirituelle — Le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous. L’homme vend donc BREBIS, BOEUFS et COLOMBES dans le TEMPLE quand il garde dans son âme les instincts bestiaux, pour lesquels il se vend au diable. Les boeufs, qui servent à l’agriculture, symbolisent les désirs terrestres; la brebis, animal stupide, signifie la sottise humaine; la colombe est le symbole de l’instabilité de l’homme: autant de choses que Dieu chasse du coeur des hommes.
384. C’est pourquoi Jean expose aussitôt le remède qu’employa le Seigneur, remède de l’oeuvre et de la parole, pour apprendre à ceux qui ont la charge de l’Eglise le devoir qu’ils ont de corriger leurs sujets par des actes et des paroles. Jean expose d’abord le remède que le Seigneur appliqua par des actes, ensuite celui qu’Il appliqua par sa parole [n° 387].
[15] SE FAISANT UN FOUET AVEC
DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, AINSI QUE LES BREBIS ET LES BOEUFS;
IL JETA PAR TERRE LA MON NAIE DES CHANGEURS ET RENVERSA LEURS TABLES.
385. Le premier remède de Jésus consiste en trois actions: chasser les hommes, puis les brebis et les boeufs, enfin jeter par terre la monnaie. Il chasse les hommes avec un fouet, comme le dit Jean: SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, ce qu’Il ne put faire qu’en usant de sa puissance divine; car, ainsi que le rapporte Origène 54, la puissance divine de Jésus pouvait, quand Il le voulait, étouffer la colère enflammée chez les hommes, comme Il pouvait calmer l’agitation des esprits — Le Seigneur, en effet, réduit à néant les pensées des hommes 55. Le Christ fait un FOUET DE CORDES parce que, selon Augustin 56, il tire de nos fautes la matière de notre punition; on appelle en effet CORDES l’enchaînement ininterrompu de péchés s’ajoutant les uns aux autres — Le méchant est lié par les cordes du péché 57. Malheur à vous qui vous servez des mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite d’iniquités 58. Et de même qu’Il chassa les marchands du Temple, de même le Seigneur jeta à terre la monnaie des changeurs et renversa leurs tables.
386. Remarquons-le, si le Christ chassa du Temple ce qui paraissait d’une certaine manière licite parce que cela était ordonné au culte de Dieu, à combien plus forte raison n’aurait-Il pas agi ainsi s’Il y avait trouvé des choses illicites. Il LES CHASSA donc parce que les prêtres ne cherchaient pas en cela l’honneur de Dieu, mais leurs intérêts propres; c’est pourquoi il est dit: Vous avez mis des incirconcis de coeur et de chair pour garder mes observances dans mon sanctuaire 59. Et le Seigneur montre du zèle pour l’observance de la Loi afin de confondre par là même les pontifes et les prêtres qui allaient Le calomnier à propos de cette Loi.
En chassant tout cela du Temple, Jésus donna aussi à entendre que les temps étaient proches où les sacrifices de la Loi devraient cesser et où le vrai culte de Dieu passerait aux gentils [Il le dira un jour explicitement aux Juifs]: Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits 60. Et de même Il montrait que se damnent ceux qui ven dent les choses spirituelles — Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent 61.
[16] ENLEVEZ CELA D’ICI ET NE
FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
387. Jean expose ici le remède que Jésus appliqua par sa parole. Remarquons que, d’après ce texte, les Simoniaques 62 doivent être aussitôt chassés de l'Eglise. Cependant, tant qu’ils vivent, ils peuvent se convertir en usant de leur libre arbitre et revenir à l’état de grâce avec l’aide de Dieu; ils ne doivent donc pas désespérer. Mais s’ils ne se convertissent pas, alors ils ne sont même plus chassés, ils sont liés par ceux à qui il est dit: Liez-lui pieds et mains et jetez-le dans les ténèbres du dehors 63. C’est pourquoi le Seigneur, observant cela, les avertit d’abord par ces paroles: ENLEVEZ CELA D’ICI; et ensuite Il leur donne la raison de son avertissement: NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
388. Le Seigneur avertit donc
les vendeurs de colombes en les réprimandant parce qu’ils symbolisent ceux qui
vendent les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire les Simoniaques.
389. Et il donne la raison de son avertissement en disant: NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC... Otez de devant mes yeux la malignité de vos pensées 64. Remarquons que, d’après Matthieu 65, le Seigneur déclare: Ne faites pas de ma maison un repaire de brigands; mais qu’ici Il dit: UNE MAISON DE TRAFIC. Le Seigneur agit ainsi parce que, comme un bon médecin, Il commence par des remèdes assez doux pour en présenter ensuite de plus âpres. Le fait rapporté ici par Jean est le premier qui eut lieu. Aussi le Christ, au début, ne les appelle pas" brigands", mais" trafiquants". Cependant, parce qu’à cause de leur dureté ils n’avaient toujours pas cessé ce commerce, le Seigneur, les chassant de nouveau, les réprimande durement, traitant de brigandage ce qu’Il avait d’abord appelé négoce.
Le Seigneur dit LA MAISON DE MON PERE, afin de
prévenir l’erreur des Manichéens 66 qui disaient que le Père du Christ n’avait pas été le Dieu de
l’Ancien Testament, mais le Dieu du Nouveau. Si cela était vrai, puisque le
Temple était la maison du Dieu de l’Ancien Testament, le Christ n’aurait
certainement pas appelé le Temple la maison de son Père.
390. Mais pourquoi les Juifs ne sont-ils pas troublés de ce qu’Il appelle ici Dieu son PERE, alors que l’Evangéliste, plus loin 67, dit qu’ils Le persécutaient pour ce motif? A cette question il faut répondre que Dieu est le Père de certains par adoption, c’est-à-dire des justes, et que cela n’était pas nouveau pour les Juifs — Tu m’appelleras mon Père, et tu ne te sépareras pas de moi 68. Mais, par nature, Dieu n’est Père que du Christ — Le Seigneur m’a dit: Tu es mon Fils, c’est-à-dire mon propre et véritable FILS 69; et cela était inouï pour les Juifs. C’est parce que Jésus se disait le vrai Fils de Dieu que les Juifs Le persécutaient: Voilà pourquoi les Juifs cherchaient encore plus à Le faire mourir, parce que non seulement Il violait le sabbat, mais Il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu 70. Mais quand cette fois-ci Jésus appela Dieu son Père, les Juifs crurent que c’était par adoption.
391. Que la maison de Dieu ne doive pas devenir une MAISON DE TRAFIC, le prophète Zacharie l’avait dit: En ces jours-là il n’y aura plus de marchands dans la maison du Seigneur des armées 71; et on lit dans les Psaumes, selon la version [des Septante]: Parce que je n’ai pas connu le négoce, je pénétrerai dans la puissance du Seigneur 72.
[171 SES DISCIPLES SE
SOUVINRENT QU’IL EST ECRIT: LE ZELE DE TA MAISON ME DEVORERA.
392. Jean cite ici la parole prophétique d’un Psaume 73. Il faut savoir à ce propos que ZELE [en latin zelus, qui signifie encore "jalousie"] exprime à proprement parler une certaine intensité d’amour, en vertu de laquelle celui qui aime intensément ne supporte rien qui s’oppose à son amour. C’est pourquoi on dit "jaloux" les maris qui, dans leur amour intense pour leur épouse, ne peuvent souffrir auprès d’elle la compagnie des autres, la trouvant contraire à leur amour. Donc, à proprement parler, on est "zélé" pour Dieu quand on ne peut supporter sans impatience rien qui soit contraire à l’honneur de Dieu, qu’on aime à l’extrême — Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur, le Dieu des armées 74.
Or nous devons aimer la maison du Seigneur —
Seigneur, j’aime la beauté de ta maison 75. Nous devons tellement l’aimer
que son zèle doit nous dévorer, en sorte que, si nous voyons faire quelque
chose qui lui soit opposé, si chers que nous soient les coupables, nous nous
efforcions d’y mettre fin sans craindre les maux qui peuvent en résulter pour
nous. Aussi la Glose dit-elle: "Le bon zèle est la ferveur de l’âme, en
vertu de laquelle l’esprit, rejetant la crainte, s’enflamme pour la défense de
la vérité. En est dévoré celui qui, à la vue de n’importe quel désordre,
s’efforce de le corriger et, s’il ne le peut, le supporte et gémit."
393. Après avoir exposé l’occasion de l’annonce du signe [n° 366], l'Evangéliste va maintenant faire connaître l’annonce elle-même. Il commence par l’exposer, puis fait connaître les fruits qu’elle porta [n° 416].
LES
JUIFS REPLIQUERENT DONC ET DIRENT A JESUS: "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU
POUR AGIR AINSI?" JESUS REPONDIT ET LEUR DIT: "DETRUISEZ CE TEMPLE ET
EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI." LES JUIFS LUI DIRENT ALORS: "ON A
MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE ET TOI, EN TROIS JOURS TU LE RELEVE
RAIS!" MAIS LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS. LORS DONC QU’IL FUT
RESSUSCITE D’EN TRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL AVAIT DIT
CELA, ET ILS CRURENT A L’ECRITURE ET A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE.
L’Evangéliste expose en premier lieu la demande du signe, puis il le fait connaître [n° 397), et montre enfin comment les Juifs comprirent le signe que le Christ leur donnait [n° 405).
LES JUIFS REPLIQUERENT DONC ET
DIRENT A (2, 18) JESUS: "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?"
394. Jean nous montre ici que
les Juifs réclament un signe.
395. Il faut noter ici que, dans l’expulsion des marchands du Temple par Jésus, deux choses pouvaient être prises en considération dans le Christ: la droiture d’intention et le zèle, qui relèvent de la vertu, et la puissance ou l’autorité.
Si l’on regarde la vertu, c’est-à-dire la
droiture d’intention et le zèle avec lesquels le Christ avait accompli ce que
nous venons de dire, on n’avait pas à Lui demander un signe; car il est permis
à chacun d’agir selon la [droiture de son intention]. Mais, si l’on regarde l’autorité avec laquelle Il les chassait du
Temple, on pouvait Lui demander un signe, car il n’était pas permis à n’importe
qui de faire cela, mais [seulement] à celui qui a autorité. Passant donc sous silence le zèle
de Jésus et sa vertu, les Juifs Lui réclament un signe de son autorité: "QUEL
SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?", c’est-à-dire: pourquoi nous
chasses-tu avec tant de puissance et d’autorité? Cela ne semble pas être ta
charge. De même, d’après Matthieu: "Par quel pou voir fais-tu cela, et
qui t’a donné ce pouvoir 1?"
396. Ils demandent donc un signe. Demander un signe était chose familière aux Juifs, puisque les signes les avaient amenés à la Loi. L’Ecriture dit en effet: Il ne s’est pas levé en Israël de prophète semblable à Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face, et qui fit tant de signes et de miracles 2. [Et selon Paul]: Les Juifs réclament des signes 3. C’est pour cette raison que David se plaint, au nom des Juifs: Nous n’avons plus vu de signes 4. Cependant ils demandent ici un signe, non pour croire, mais en espérant que le Christ n’en pourra produire aucun, et qu’ainsi ils pourront Le repousser et Le mettre dans l’embarras. Aussi, à cause de l’intention perverse de leur requête, Jésus ne leur donne pas un signe manifeste, mais un signe caché sous une figure, celui de sa Résurrection.
[19] DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN
TROIS JOURS JE LE RELEVERAI.
397. L’Evangéliste rapporte ici comment le Christ leur donne le signe réclamé. Il leur donne le signe futur de sa Résurrection parce que c’est en cela que se manifeste au plus haut degré la puissance de sa divinité. En effet, il n’appartient pas à l’homme comme tel de se ressusciter des morts; seul le Christ, qui fut libre parmi les morts 5, put l’accomplir par la puissance de sa divinité. Ailleurs le Christ donne encore un signe semblable: Cette race méchante et adultère réclame un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui de Jonas le prophète 6, Bien qu’il ait donné dans les deux cas un signe voilé et en figure, ce dernier fut néanmoins plus clair, le premier plus obscur.
398. II faut remarquer qu’avant
l’Incarnation Dieu donna à l’avance un signe de l’Incarnation future: Le
Seigneur vous donnera Lui-même un signe: voici que la Vierge concevra et
enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel 7; de même
donna-t-II aussi à l’avance un signe de sa Résurrection future, parce qu’en ces
deux mystères du Christ se manifeste au plus haut degré la puissance de la
divinité. Rien, en effet, n’a pu se faire de plus admirable, que ceci: que Dieu
se soit fait homme et que l’humanité, dans le Christ, ait été rendue
participante, après sa Résurrection, de l’immortalité divine — Le Christ
ressuscité d’entre les morts ne meurt plus (...) sa vie est une vie pour Dieu 8,
c’est-à-dire semblable à Dieu.
399. Mais il faut être attentif
aux paroles par les quelles ce signe est donné. Le Christ dit que SON CORPS est
un temple; la raison en est qu’on appelle "temple" un lieu où
Dieu habite — Le Seigneur est dans son temple saint 9. C’est pour cela que l’âme sainte
en qui Dieu habite est appelée "temple de Dieu": Le temple de
Dieu est saint, et ce temple c’est vous 10. Donc, puisque dans le
corps du Christ demeure la divinité, le corps du Christ est le temple de Dieu
non seulement en tant qu'[il a une] âme, mais encore en tant qu’il est corps — En lui réside
corporellement toute la plénitude de la divinité 11. En nous aussi, certes, Dieu
habite par sa grâce, c’est-à-dire [par le moyen de] l’acte de l’intelligence et de la volonté, qui n’est pas acte du
corps, mais de l’âme seulement; mais dans le Christ, Dieu habite selon l’union
hypostatique, union qui n’inclut pas l’âme seulement, mais aussi le corps;
c’est pourquoi le corps même du Christ est le temple de Dieu.
400. Nestorius 12, trouvant là l’occasion de son erreur, prétend que le Verbe de Dieu n’est uni à la nature humaine que par inhabitation; ainsi, d’après lui, dans le Christ, autre est la personne de Dieu et autre la personne de l’homme comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi il faut préciser que l’inhabitation de Dieu dans le Christ se rapporte à la nature, car, en Lui, autre est la nature divine, autre la nature humaine dans le Christ; et non à la personne, qui est la même dans le Christ en tant que Dieu et en tant qu’homme, c’est-à-dire la personne du Verbe, comme on l’a dit plus haut.
401. En donnant le signe, le
Christ prédit sa mort future et sa Résurrection.
402. Il prédit sa mort par ces mots: DETRUISEZ CE TEMPLE. En effet le Christ mourut et fut mis à mort par d’autres: Le Fils de l’homme doit être livré aux mains des hommes; ils Le tueront 13, mais de son plein gré: Il s’est offert à la mort volontairement 14.
Voilà pourquoi Il dit: DETRUISEZ CE TEMPLE, c’est-à-dire mon corps. Il ne dit pas: "il sera détruit", pour qu’on ne comprenne pas qu’il s’agit d’une mort naturelle, et Il ne dit pas "je détruirai" pour qu’on n’entende pas qu’Il se mettrait à mort Lui-même; mais Il dit DETRUISEZ, non certes comme un ordre, mais comme une prédiction et une permission. En tant que prédiction, DETRUISEZ CE TEMPLE signifie alors: vous détruirez; et comme permission, DETRUISEZ CE TEMPLE veut dire: faites de mon corps ce que vous voulez, je vous le livre — de même qu’Il dit à Judas: Ce que tu fais, fais-le vite 15, non comme un commandement, mais en l’abandonnant à son libre arbitre.
Jésus emploie le terme détruisez parce que la mort du Christ est la destruction de son corps, d’une tout autre manière, cependant, que pour les autres hommes; leurs corps en effet sont détruits par la mort au point qu’ils sont réduits en cendre et putréfiés; mais une pareille destruction n’eut pas lieu pour le Christ: Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption 16 Il fut pour tant détruit par la mort, puisque son âme fut séparée de son corps comme la forme de la matière, que son sang fut séparé de son corps, et que son corps fut transpercé par les clous et la lance.
403. Le Christ annonce sa
Résurrection en disant: EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI, à savoir mon corps,
autrement dit je ressusciterai d’entre les morts. Il ne dit pas: "il
sera relevé", ni: "mon Père le relèvera", mais: moi-même
JE LE RELEVERAI, montrant ainsi qu’Il ressuscitera d’entre les morts par sa
propre puissance. Nous ne nions pas pour autant que le Père ait ressuscité le
Christ: Il a ressuscité Jésus d’entre les morts 17, dit Paul; et le Psalmiste: Mais
toi, Seigneur, aie pitié de moi et ressuscite-moi 18. Ainsi, Dieu le Père L’a relevé
d’entre les morts et le Christ est ressuscité par sa propre puissance — Et moi,
je me suis couché et me suis endormi, et je me suis éveillé car le Seigneur m’a
saisi 19. Il n’y a là aucune opposition, car le Père et le Fils ont en commun
une même puissance; par suite, tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait
pareillement 20. Si donc le Père L’a relevé, le Fils aussi s’est relevé — Il a été
crucifié en raison de sa faiblesse, mais Il vit en raison de la puissance de
Dieu 21.
404. Le Christ dit EN TROIS JOURS, et non: après trois jours, parce qu’Il n’est pas resté trois jours entiers dans le tombeau; mais comme l’explique Augustin il y a là une synecdoque, cette figure de langage où l’on prend la partie pour le tout. Origène 22 donne à ces paroles une raison mystique, disant: le corps du Christ est le véritable temple de Dieu et il représente le corps mystique, c’est-à-dire l’Eglise — Vous êtes le corps du Christ et ses propres membres 23. Comme dans le corps du Christ habite la divinité par la grâce de l’union, ainsi la divinité habite dans l'Eglise par la grâce de l’adoption. Et bien que ce corps mystique semble être détruit par les adversités des tribulations qui l’affligent, il est relevé cependant en trois jours, à savoir le jour de la loi naturelle, le jour de la Loi écrite et le jour de la loi de la grâce; en effet, bien qu’en ces trois jours il meure dans un certain nombre de ses membres, cependant il vit dans d’autres. Voilà pourquoi Jésus dit: EN TROIS JOURS, puisque cette Résurrection spirituelle s’accomplit en trois jours. Mais après ces trois jours nous serons ressuscités et parfaitement restaurés, non seulement à la première résurrection, mais aussi à la seconde — Bien heureux qui a part à la seconde résurrection 24.
ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR
BATIR CE TEMPLE, ET TOI EN TROIS JOURS TU LE RELEVE RAIS!
405. L’Evangéliste va donner
l’intelligence du signe proposé par le Christ. Il commence par exposer la
fausse interprétation des Juifs, puis rapporte la véritable intelligence du
signe, celle qu’en eurent les Apôtres [n° 412].
406. L’interprétation des Juifs était fausse parce qu’ils croyaient que le Christ parlait du Temple matériel où Il se trouvait alors; et c’est d’après cette intelligence du signe qu’ils Lui répondent: ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE, cet édifice matériel dans lequel nous sommes, ET TOI, EN TROIS JOURS TU LE RELEVERAIS!
407. Mais à ce propos se
présente une objection d’ordre littéral: car le Temple de Jérusalem fut bâti
par Salomon et, selon le premier livre des Rois 25, Salomon l’acheva en sept ans.
Comment se fait-il alors que Jean prête aux Juifs cette affirmation: ON A MIS
QUARANTE-SIX ANS POUR BÂTIR CE TEMPLE? Voici la réponse: selon certains, cela
ne doit pas s’entendre de la première construction du Temple, qui demanda sept
ans à Salomon; en effet ce Temple de Salomon fut détruit par Nabuchodonosor.
Mais il s’agit de sa reconstruction par Zorobabel au retour de la captivité,
comme on le lit au livre d’Esdras 26, reconstruction qui fut tellement entravée et retardée par les
nombreuses attaques venant d’ennemis de tous côtés qu’on ne put achever le
Temple qu’après quarante-six ans.
408. Ou bien il faut dire, en suivant Origène 27, qu’il s’agit bien du Temple de Salomon, mais que la durée de quarante-six ans que nécessita la construction commence au jour où David parla de construire un Temple et consulta le prophète Nathan sur ce sujet 28, et qu’elle va jusqu’à l’achèvement définitif de l’édifice par Salo mon; dès ce premier jour, en effet, David commença à préparer les matériaux et tout ce qu’il fallait pour la construction du Temple; et si on calcule avec soin le temps écoulé, on arrive au total de quarante-six ans.
409. Bien que les Juifs se
réfèrent à ce Temple matériel on peut, selon Augustin 29,
rapporter les paroles du Christ au TEMPLE DE SON CORPS puisque, dit-il, la
conception et la formation du corps humain se fait en quarante-cinq jours de la
façon suivante: durant les six premiers jours après la conception, le corps
humain ressemble à une masse de lait; les neufs jours suivants, il prend la
consistance du sang; les douze jours qui sui vent, les chairs s’affermissent;
et c’est dans les dix-huit jours qui restent qu’il achève de se former jusque
dans les plus petits linéaments de tous ses membres. Et ces nombres, six, neuf,
douze et dix-huit, additionnés, donnent le nombre quarante-cinq auquel il
suffit d’ajouter un, en raison du sacrement de l’unité, pour atteindre
quarante-six.
410. Mais alors une question se
pose. Car ce processus de formation ne paraît pas s’appliquer au corps du
Christ, puisque ce fut dès le premier instant de sa conception qu’il fut formé
et animé. A cela il faut ré pondre qu’il y eut bien quelque chose d’unique dans
la formation du corps du Christ, car dès le premier instant il fut parfait
quant à tous les linéaments de ses membres; cependant il ne fut pas achevé
quant aux dimensions normales du corps humain, et c’est pourquoi il demeura
dans le sein de la Vierge le temps nécessaire pour atteindre sa dimension
normale. Prenons mainte nant, dans le calcul précédent, le nombre six, le
premier indiqué, et le nombre quarante-six qui était le dernier, et
multiplions-les l’un par l’autre: le produit est deux cent soixante-seize; or,
en réduisant ce nombre en mois de trente jours, on trouve neuf mois et six
jours; c’est donc à bon droit qu’on dit que la construction du Temple figurant
le corps du Christ a duré quarante-six ans, pour laisser entendre que cette
construction matérielle demanda autant d’années que le développement parfait du
corps du Christ demanda de jours: en effet, entre le huitième jour des calendes
d’avril où le Christ fut conçu et où (à ce que l’on croit) Il souffrit sa
passion, jusqu’au huitième jour des calendes de janvier [Il naquit], il y a
autant de jours, à savoir deux cent soixante-seize, chiffre obtenu par le
produit de six par quarante-six 29
bis.
411. Augustin 30 voit un autre sens mystique dans ce même nombre (comme on le lit dans la Glose). Il dit en effet qu’avec les lettres du nom d’Adam, remplacées par le nombre qu’elles désignent selon l’usage des Grecs, on arrive au nombre quarante-six. En effet A compte pour un, comme étant la première lettre de l’alphabet, et D pour quatre, selon son rang; en ajoutant donc un pour le second A et quarante pour M, on arrive à quarante-six; ainsi est signifié que le corps du Christ est tiré du corps d’Adam.
Selon les Pères grecs, le nom d’Adam se compose des premières lettres qui désignent les quatre parties du monde, à savoir: Anatholè, qui est l’Orient; Dusis, qui est l’Occident; Arctos, qui est le Nord; Mesembria, qui est le midi. Cela exprime que le Christ prit sa chair d’Adam pour rassembler ses élus des quatre parties du monde, comme Il dit en Matthieu: Il rassemblera ses élus des quatre vents 31.
MAIS LUI PARLAIT DU TEMPLE DE
SON CORPS.
412. En disant cela,
l’Evangéliste donne le vrai sens du signe, compris par les Apôtres; puis il
rapporte l’événement qui les amena à comprendre.
413. Jean dit donc que les Juifs
disaient cela par ignorance, mais que le Christ ne l’entendait pas ainsi, qu’au
contraire Il faisait allusion au Temple de son corps: LUI PARLAIT DU TEMPLE DE
SON CORPS. Nous avons dit plus haut pourquoi le corps du Christ est appelé "temple".
Prenant prétexte de cette parole, Apollinaire
32 soutint cette erreur que la chair du Christ était une matière
inanimée, parce que le temple est une réalité inanimée. Mais en cela il se
trompe; car lorsqu’on dit que le corps du Christ est un temple, on use d’une
expression métaphorique, expression qui ne suppose pas une similitude totale [entre les
deux termes], mais seulement sous un certain rapport: ici sous le rapport de
l’habitation, ce qui se réfère à la nature, comme on l’a dit plus haut.
D’ailleurs l’autorité de l’Ecriture établit clairement cette vérité, puisque le
Christ dit Lui-même: J’ai le pouvoir de poser mon âme 33.
414. Quant à ce qui permit aux Apôtres d’avoir une intelligence vraie des paroles de Jésus, l’Evangéliste le montre ensuite: LORS DONC QU’IL FUT RESSUSCITE D’ENTRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QU’IL AVAIT DIT CELA. Avant la Résurrection, en effet, il était difficile de comprendre ce [Langage] d’abord parce qu’il affirmait que dans le corps du Christ était la vraie divinité (faute de quoi on n’eût pu l’appeler "temple"), et comprendre cela, à l’époque où Jésus par lait ainsi, dépassait la capacité humaine. Ensuite parce que Jésus fait ici mention de sa Passion et de sa Résurrection en disant JE RELEVERAI CE TEMPLE, ce qu’aucun disciple n’avait encore entendu; aussi, lorsque le Christ annonça clairement aux Apôtres sa Résurrection et sa Passion, Pierre en l’entendant fut scandalisé et s’écria: A Dieu ne plaise, Seigneur; non, cela ne t’arrivera pas. Mais après sa Résurrection, alors qu’ils avaient déjà reconnu pleinement que le Christ était Dieu par tout ce qu’Il leur avait montré dans sa Passion et sa Résurrection, et après avoir eu connaissance du mystère de sa Résurrection, alors les disciples se souvinrent qu’Il avait dit cela de son corps et ils crurent à l’Ecriture, c’est-à-dire à ce qu’avaient annoncé les prophètes: Après deux jours, Il nous rendra la vie; le troisième jour Il nous relèvera et nous vivrons en sa présence 35. Jonas demeura trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson 36. Voilà pourquoi, ce jour même de la Résurrection, le Christ leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures 37: ET LES DISCIPLES CRURENT A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE, à savoir: DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI.
415. Par anagogie, d’après Origène 38, il nous est donné ici à entendre qu’à l’ultime résurrection, nous serons vraiment disciples du Christ, lorsqu’au jour de la grande résurrection tout le corps de Jésus, c’est-à-dire son Eglise, recevra confirmation de ce que nous con naissons obscurément maintenant par la foi; et alors nous recevrons l’accomplissement de notre foi en contemplant par la vision ce que nous voyons aujourd’hui dans un miroir 39.
II
COMME IL ETAIT A JERUSALEM
POUR LA PÂQUE [PENDANT LA FETE, BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM, EN VOYANT LES
SIGNES QU’IL ACCOMPLIS SAIT. MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, PARCE
QU’IL LES CONNAISSAIT TOUS ET QU’IL N’AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOI
GNAGE AU SUJET DE L’HOMME: CAR IL SAVAIT, LUI, CE QU’IL Y A DANS L’HOMME.
416. L’Evangéliste mentionne maintenant le fruit qui a résulté des signes de Jésus, à savoir la conversion à la foi de plusieurs. Il parle de ceux qui ont cru en rai son des miracles de Jésus, montre comment Jésus se comporta avec eux [n° 420] et précise la raison de son attitude [n° 421].
[23] BEAUCOUP CRURENT EN SON
NOM, EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT.
417. Le fruit qui résulta des
signes de Jésus fut grand, car beaucoup se convertirent à Lui, comme le dit ici
l’Evangéliste, parce qu’ils étaient frappés en les voyant.
418. Remarquons pourtant qu’il y
eut, parmi ces croyants, deux motifs différents de croire. Les uns en effet
crurent en raison des signes et des miracles qu’ils avaient vus, d’autres en
raison de la révélation des secrets et de la prophétie. Mais ceux qui croient
en rai son de l’enseignement, parce qu’ils sont plus spirituels, sont plus dignes
de louange que ceux qui croient à cause des signes, car ces derniers sont plus
grossiers et davantage dominés par le sensible. En effet, ceux qui se sont
convertis ici apparaissent dominés par le sensible, du fait que ce n’est pas à
cause de l’enseignement de Jésus, comme les disciples, mais EN VOYANT LES
SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT, qu’ils CRURENT EN SON NOM — Les prophéties sont
pour les fidèles, (...) les signes pour les infidèles, dit l’Apôtre 40.
419. Mais on peut se demander quels signes ils virent accomplir par Jésus, puisqu’il n’est fait à cet endroit mention d’aucun signe accompli à Jérusalem. A cela on peut répondre, avec Origène 41, de deux manières.
D’une part Jésus a pu accomplir à ce moment beau coup de signes qui ne sont pas rapportés ici, car les Evangélistes ont sciemment omis bien des miracles du Christ. Leur nombre, en effet, était si considérable qu’on ne pouvait aisément les rapporter tous: Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits; si on les écrivait un à un, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait 42. C’est ce que montre clairement l’Evangéliste quand il dit: EN VOYANT LES SIGNES QU’IL ACCOMPLISSAIT; il ne les a pas mentionnés car l’intention des Evangélistes n’était pas de rapporter par écrit tous les signes de Jésus, mais seulement autant qu’il était nécessaire pour instruire l'Eglise des fidèles.
D’autre part on peut, parmi les miracles, regarder comme un très grand signe le fait d’avoir tout seul, avec un fouet de cordes, chassé du Temple une multitude d’hommes.
MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT
PAS A EUX
420. Quelle fut l’attitude de Jésus envers ceux qui crurent, l'Evangéliste nous le montre en disant: MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, c’est-à-dire à ceux qui avaient cru en Lui. Cependant, comment se peut-il que des hommes aient cru en Dieu et que Jésus ne se soit pas fié à eux? Auraient-ils pu Le tuer sans qu’il le voulût? On dira peut-être qu’Il ne se fiait pas à eux parce qu’Il savait que leur foi était simulée. Mais si c’était vrai, l’Evangéliste n’aurait certainement pas dit que BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM; et cependant JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX. Pour Chrysostome 43, la raison de cette attitude du Christ est que ces gens crurent en Lui, mais d’une manière imparfaite, parce qu’ils ne pouvaient encore atteindre les mystères du Christ dans toute leur perfection; c’est pourquoi JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, c’est-à-dire qu’Il ne leur révélait pas encore ses mystères cachés; du reste, même à ses Apôtres Il garda cachées bien des choses: J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent 44 et de même Paul dit: Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels 45. Ainsi l’Evangéliste, pour marquer nettement que leur foi était encore imparfaite, ne dit pas qu’ils croyaient "en Lui", puisqu’ils ne croyaient pas encore en sa divinité, mais EN SON NOM; ils croyaient seulement ce qu’on disait de Lui, les noms qu’on Lui donnait, par exemple celui d’homme juste et d’autres semblables.
On peut aussi penser avec Augustin 46 que ces croyants représentent dans l’Eglise les catéchumènes à qui, bien qu’ils croient au nom du Christ, Jésus ne se fie pas, puisque l’Eglise ne leur donne pas le corps du Christ: ce corps dont aucun ministre ne peut produire [présence] sous le mode sacramentel s’il n’a été consacré, et que, de même, nul ne peut recevoir s’il n’a été baptisé.
PARCE QU’IL LES CONNAISSAIT
N’AVAIT TOUS ET QU'IL N'AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOIGNAGE AU SUJET
DE L’HOMME: CAR IL SAVAIT, LUI, CE QU’IL Y A DANS L’HOMME.
421. Jean nous donne ici la
raison pour laquelle IL NE SE FIAIT PAS A EUX; [raison], c’est la connaissance parfaite du
Christ: IL LES CONNAISSAIT TOUS. Certes l’homme ignorant doit, à propos de
n’importe qui, présumer le bien; mais, après que la vérité s’est fait jour sur
tel ou tel, il faut se comporter à son égard selon sa condition. Comme rien de
ce qu’il y a dans l’homme n’était caché au Christ, sachant leur foi imparfaite,
IL NE SE FIAIT PAS A EUX.
422. On nous montre ici que la connaissance du Christ était universelle, puisqu’elle s’étendit non seulement à ses proches, mais encore aux étrangers; voilà pourquoi Jean dit: IL LES CONNAISSAIT TOUS, et c’était un effet de sa puissance divine — Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil 47. L’homme en effet, même s’il connaît les autres, ne peut avoir d’eux une connaissance certaine, parce qu’il ne voit que ce qui apparaît au dehors; aussi a-t-il besoin du témoignage d’autrui. Le Christ, Lui, connaît les hommes avec une certitude parfaite puisqu’Il pénètre les coeurs; c’est pourquoi IL N’AVAIT PAS BESOIN QU’ON LUI RENDIT TEMOIGNAGE AU SUJET DE L’HOMME; bien mieux, c’est Lui qui rend témoignage — Voici que mon témoin est dans le ciel 48 [disait Job].
On nous montre aussi que la connaissance du Christ est parfaite, parce qu’elle ne s’étend pas seulement aux réalités extérieures, dont la connaissance est imparfaite et que même les hommes connaissent, mais aussi aux réalités intérieures; ce que l’Evangéliste exprime en disant: Il savait, Lui, ce qu’il y a dans l’homme, c’est-à-dire les secrets du coeur 49 — car Les enfers et l’abîme sont à nu devant le Seigneur 50.
CHAPITRE
III: La régénération spirituelle donnée aux juifs
1 Or
il y avait parmi les Pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des
Juifs. 211 vint à Jésus de nuit et Lui dit: "Rabbi, nous le savons, c’est
de la part de Dieu que tu es venu en maître personne en effet ne peut faire les
signes que tu fais si Dieu n’est avec lui. " 3 répondit et lui dit:
"Amen, amen je te le dis, personne, à moins de naître de nouveau, ne peut
voir le Règne de Dieu. " 4 Lui dit: "Comment un homme peut-il naître
quand il est vieux? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère, et
renaître?" Jésus répondit: "Amen, amen je te le dis, personne, à
moins de renaître de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le Royaume
de Dieu. 6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit
est esprit."
423. Après avois montré [n° 335-422] la puissance qu’a le Christ de changer la nature, l’Evangéliste montre maintenant, et c’est son intention principale, la puissance qu’a le Christ de recréer par la grâce. Or la recréation par la grâce se fait par la régénération spirituelle et par le don de bienfaits à ceux qui sont régénérés. Il va donc traiter en premier lieu de la régénération spi rituelle, puis du don des bienfaits spirituels à ceux qui sont divinement régénérés [n° 699].
Concernant le premier de ces deux points, deux choses sont à considérer: d’une part la régénération spirituelle accordée aux Juifs [ch. III], d’autre part le fait que les fruits de cette régénération s’étendent jus qu’aux nations étrangères [IV, n° 549].
En ce qui concerne la régénération spirituelle des Juifs, l’Evangéliste montre comment le Christ la révèle d’abord par des paroles — en exposant la nécessité de cette régénération spirituelle [n° 424], son mode et sa qualité [n° 436], sa cause et sa raison [n° 457] — puis l’accomplit par des actes [n° 497].
Pour montrer la nécessité de cette régénération spi rituelle, l’Evangéliste commence par indiquer ce qui a été pour le Christ l’occasion de l’affirmer [n° 424], puis il rapporte l’affirmation même du Christ [n° 430].
I
OR
IL Y AVAIT PARMI LES PHARISIENS UN HOMME DU NOM DE NICODEME, UN NOTABLE DES
JUIFS. IL VINT A JESUS DE NUIT ET LUI DIT: "RABBI, NOUS LE SAVONS, C’EST
DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU EN MAITRE: PERSONNE EN EFFET NE PEUT FAIRE
LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU N’EST AVEC LUI."
L’occasion de l’affirmation du Christ est donnée par Nicodème, que l’Evangéliste décrit d’abord dans son personnage [n° 424], puis d’après le temps [n° le moment de sa visite] [n° 427], enfin d’après ce qu’il reconnaît du Christ [n° 428].
OR IL Y AVAIT PARMI LES
PHARISIENS UN HOMME DU NOM DE NICODEME, UN NOTABLE DES JUIFS.
424. Le personnage de Nicodème est décrit sous trois aspects. D’abord celui de sa religion: c’est un Pharisien. Il y avait en effet deux partis chez les Juifs: les Phari siens et les Sadducéens. Les premiers étaient plus pro ches de nous dans leurs convictions, car ils croyaient à la résurrection et affirmaient l’existence de créatures spirituelles. Les Sadducéens différaient davantage, par ce qu’ils ne croyaient ni à la résurrection future, ni à l’existence de l’esprit. On appelait les premiers "Pharisiens" pour signifier qu’ils étaient séparés des autres.
Et c’est parce que la croyance des Pharisiens
était plus probable et plus proche de la vérité, que Nicodème se convertit plus
facilement au Christ — J’ai vécu en Pha risien, suivant cette secte qui est la
plus austère de notre religion 2.
425. Jean le décrit ensuite par
son nom. NICODEME — dont le nom signifie en grec "victorieux"
ou "victoire du peuple" — représente ceux d’entre les Juifs
qui, convertis au Christ, sont par leur foi victorieux du monde: Telle est la
victoire qui a vaincu le monde: notre foi.
426. Enfin il le décrit par sa dignité: c’était UN NOTABLE DES JUIFS. En effet, pour que l’on n’attribuât pas la puissance de la foi à la sagesse et au pouvoir de l’homme, le Seigneur, au commencement, n’a pas choisi des sages, des puissants ou des gens bien nés Frères, dit l’Apôtre, considérez votre vocation: il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés; mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages... . Cependant Il voulut que dès le commencement quelques sages et quelques puissants se convertissent à Lui; parce que, s’il n’y avait eu que des gens sans noblesse et sans sagesse à recevoir son enseignement, on aurait pu Le mépriser et attribuer l’importance du nombre des croyants à la rusticité et à la sottise des convertis plutôt qu’à la puis sance de la foi. Néanmoins le Seigneur voulut que ces nobles et ces puissants fussent peu nombreux à se convertir, pour éviter (comme on l’a dit) qu’on n’attri buât leur conversion à la puissance ou à la sagesse humaine. C’est pourquoi il est dit que quelques-uns des chefs crurent en Lui 5, parmi lesquels il y eut ce Nicodème — Les grands des peuples se sont assemblés 6
[2a] IL VINT A JESUS DE NUIT
ET LUI DIT...
427. L’Evangéliste décrit ensuite Nicodème en faisant appel au temps. A ce sujet il faut savoir que l’Ecriture a coutume, à propos de certaines personnes, de préciser les circonstances de temps pour manifester leur mentalité ou [le caractère de] leur action. L’Evangéliste relève ici l’obscurité de l’heure: IL VINT DE NUIT. La nuit en effet est obscure et cela s’accordait bien avec la nature des sentiments de Nicodème, qui ne venait pas à Jésus sans inquiétude et ouvertement, mais avec crainte, car il était de ces chefs dont il est dit qu’ils crurent en Jésus, mais [ne se déclaraient pas à cause des Pharisiens, de peur d’être chassés de la synagogue. Leur amour en effet était imparfait; aussi l’Evangéliste ajoute-t-il. Car ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. La nuit s’accordait bien aussi avec l’ignorance de Nicodème et la connaissance imparfaite qu’il avait du Christ — La nuit est avancée, le jour est proche. Rejetons les oeuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière Ils n’ont ni savoir ni intelligence; ils marchent dans les ténèbres.
"RABBI, NOUS LE SAVONS,
C’EST DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU EN MAITRE: PERSONNE EN EFFET NE PEUT
FAIRE LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU N’EST AVEC LUI."
428. L’Evangéliste décrit enfin Nicodème par ce qu’il reconnaît du Christ: il reconnaît ici le ministère du Christ dans son enseignement et sa puissance dans ses oeuvres. Sur ces deux points Nicodème dit vrai, mais il n’en dit pas assez. En effet il proclame une vérité en appelant le Seigneur RABBI, c’est-à-dire "Maître", car le Seigneur dira aux Apôtres: Vous m’appe lez, vous, Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis 10. Nicodème avait lu ce qui est écrit dans Joèl Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur de votre Dieu, parce qu’Il vous a donné un maître de justice Cependant Nicodème ne dit pas assez, car s’il affirme que Jésus est venu de la part de Dieu comme maître, il ne dit pas qu’Il est Dieu. Venir comme maître de la part de Dieu est commun à tous ceux qui exercent une charge dans l’Eglise en bons [serviteurs]: Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur, ils vous feront paître avec intelligence et sagesse 12; cela n’est donc pas propre au Christ, bien que la manière d’enseigner soit autre pour les hommes, autre pour le Christ. Les autres maîtres, en effet, enseignent seulement de l’extérieur, mais le Christ enseigne aussi de l’intérieur, parce qu’Il est la lumière, la vraie, qui illumine tout homme 13 C’est pourquoi Lui seul donne la sagesse et peut dire ce qu’aucun homme, seulement homme, ne peut dire: Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire 14
429. Nicodème reconnaît la puissance de Jésus aux signes qu’il a vus: "Je crois que TU ES VENU EN MAITRE DE LA PART DE DIEU, parce que PERSONNE NE PEUT FAIRE LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU N’EST AVEC LUI." Nicodème dit vrai, car les signes accomplis par le Christ ne peuvent être accomplis que par une puissance divine et parce que Dieu était avec Lui. Celui qui m’a envoyé, dira plus loin [Christ], est avec moi 16. Cependant Nicodème ne dit pas assez, car il croyait que le Christ n’accomplissait pas ces signes par son propre pouvoir, mais qu’Il avait besoin d’une puissance venant d’ailleurs, comme si Dieu n’avait pas été avec Lui par l’unité de l’essence, mais seulement par le don de la grâce. Ce qui est assurément faux, car Jésus accomplissait ces signes, non par un pouvoir venant d’ailleurs, mais par sa propre puissance; en effet la puissance de Dieu et celle du Christ sont la même. La veuve de Sarepta [la résurrection de son fils] s’exprime d’une manière semblable [celle de Nicodème] quand elle dit à Elie: A cela je reconnais mainte nant que tu es un homme de Dieu 17
JESUS REPONDIT ET LUI DIT:
"AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT
VOIR LE REGNE 18 DE DIEU. " NICODEME LUI DIT: "COMMENT UN HOMME
PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? PEUT-IL ENTRER UNE SECONDE FOIS DANS LE SEIN
DE SA MERE, ET RENAITRE?" JESUS REPONDIT: "AMEN, AMEN JE TE LE DIS,
PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER
DANS LE ROYAUME DE DIEU. CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR, ET CE QUI EST NE
DE L’ESPRIT EST ESPRIT. " " AMEN, AMEN JE TE LE DIS..."
430. L’affirmation de la nécessité de la régénération spirituelle est suscitée par l’ignorance de Nicodème; c’est pourquoi le Christ commence par dire AMEN, AMEN. Remarquons d’abord ici que le mot Amen est hébreu. Le Christ l’a prononcé souvent et, par respect pour Lui, aucun traducteur ni grec ni latin n’a voulu le traduire. Tantôt Amen signifie "c’est vrai" ou "en vérité", tantôt "qu’il en soit ainsi" [fiat]. Ainsi, dans les psaumes 71, 88 et 105, là où nous avons Fiat, fiat, l’hébreu porte Amen, amen. Jean est le seul Evangéliste à doubler ce mot. En voici la raison: les autres Evangélistes nous rapportent principalement ce qui a trait à l’humanité du Christ, ce qui, étant plus facile à croire, ne demandait qu’une affirmation moins appuyée; tandis que Jean traite principalement de ce qui relève de la divinité du Christ et qui, étant caché et éloigné de la connaissance des hommes, avait besoin d’être affirmé avec plus de force.
"PERSONNE, A MOINS DE
NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU."
431. Il faut remarquer ensuite que cette réponse du Christ, si l’on n’y réfléchit pas attentivement, semble ne pas correspondre du tout aux propos de Nicodème. Comment en effet la parole de Nicodème: RABBI, NOUS SAVONS QUE C’EST DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU... s’accorde-t-elle avec la réponse du Seigneur
PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU? Rappelons-nous que Nicodème avait du Christ une opinion imparfaite, puisqu’en ce maître qui accomplissait ces signes, il ne reconnaissait qu’un homme. Le Seigneur veut donc lui montrer comment il pourrait parvenir à une plus haute connaissance de Lui. Sans doute le Seigneur aurait-Il pu à ce sujet entamer une discussion; mais c’eût été donner dans la dispute, contredisant ainsi ce qui est écrit de Lui: Il ne disputera pas 19. Aussi est-ce avec douceur qu’Il voulut conduire Nicodème à la vraie connaissance. Sa réponse revient à dire: Il n’est pas étonnant que tu me croies seulement homme, car personne, à moins d’avoir reçu la régénération spirituelle, ne peut connaître les secrets de la divinité: PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.
432. Il faut ici avoir présent à
l’esprit que, la vision étant une opération vitale, il y a diverses visions
correspondant aux divers [degrés] de vie. II y a en effet une vie charnelle qui est commune à tous
les animaux, et cette vie possède une vision ou une connaissance charnelle. Il
y a aussi une vie spirituelle par laquelle l’homme est conforme à Dieu et aux
êtres spirituels saints; cette vie possède une vision spirituelle. La vision
charnelle ne permet pas de voir les réalités spirituelles — l’homme naturel ne
perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 20 —, mais la vision spirituelle les
perçoit; c’est pourquoi Paul dit aussi que nul ne connaît ce qui est de Dieu,
sinon l’Esprit de Dieu 22. Or c’est l’Esprit qui régénère, et c’est pourquoi l’Apôtre dit:
Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais
vous avez reçu un esprit d’adoption 23. Et cet esprit, nous le recevons assurément par la régénération
spirituelle: Il nous a sauvés par le bain de régénération et de rénovation de
l’Esprit Saint 23. Si donc il n’y a de vision spirituelle que par l’Esprit Saint et
si l’Esprit Saint est répandu en nous par le bain de la régénération
spirituelle, alors nous ne pouvons VOIR LE REGNE DE DIEU que par le bain de la
régénération. Voilà pourquoi le Seigneur dira ensuite: A MOINS DE RENAITRE DE
L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NUL NE PEUT EN TRER DANS LE ROYAUME DE DIEU — comme
s’Il disait: Il n’est pas étonnant que tu ne voies pas LE REGNE DE DIEU, car
nul ne peut le voir s’il ne reçoit l’Esprit Saint, par qui il naît de nouveau
comme fils de Dieu.
433. Or, au règne n’appartient pas seulement le trône royal, mais aussi tout ce qui regarde le gouvernement du roi: la dignité royale, le [privilège] d’accorder les grâces, et les voies de la justice qui font la solidité d’un règne. Aussi le Christ dit-Il que [qui ne renaît pas] NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU, autrement dit la gloire et la dignité de Dieu, c’est-à-dire les mystères du salut éternel où le regard ne pénètre que par la justice de la foi 24 — Le Royaume [règne] de Dieu n’est pas nourriture et boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint 25.
Il y eut bien dans l’ancienne Loi une régénération spirituelle, mais elle était imparfaite et n’était qu’une figure — Nos pères ont tous été (...) baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, c’est-à-dire: ils reçurent le baptême en figure. Voilà pourquoi ils voyaient certes les mystères du Royaume de Dieu, mais seulement en figures — C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais ils l’ont vu et salué de loin 27.
Dans la nouvelle Loi au contraire, la régénération spirituelle a été manifestée; elle est toutefois demeurée imparfaite, car nous ne sommes renouvelés par la grâce qu’intérieurement, nous ne le sommes pas extérieurement par l’incorruptibilité — Même si notre homme extérieur se corrompt, notre homme intérieur se renou velle de jour en jour. C’est pourquoi nous voyons le Règne de Dieu et les mystères du salut éternel, mais imparfaitement — Nous voyons à présent dans un mi roir, en énigme 29.
C’est dans la patrie que la régénération est parfaite, parce que nous y serons renouvelés intérieurement et extérieurement. Aussi verrons-nous le Royaume de Dieu parfaitement — Nous verrons alors face à face. Lors que le Seigneur se manifestera, nous Lui serons sembla bles, parce que nous Le verrons tel qu’Il est 31.
434. Il est donc manifeste que,
de même qu’il faut être né pour posséder la vision corporelle, de même on ne
peut posséder la vision spirituelle à moins d’être né DE NOUVEAU, et qu’aux
trois modes de régénération [dont on vient de parler] correspondent trois modes de vision.
435. Remarquons que le texte grec ne dit pas "de nouveau", mais anothen, c’est-à-dire "d’en haut", que Jérôme a traduit par "de nouveau" (ce qui exprime la même chose que "d’en haut"), pour signifier que cette génération s’ajoute à la précédente. Ainsi Jérôme, en disant PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, a compris: PERSONNE, à moins de naître une seconde fois, d’une naissance surnaturelle, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.
Pour Chrysostome 32 NAITRE D’EN HAUT est le propre du Fils de Dieu, car Lui seul est né d’en haut. Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous. Nous disons que le Christ est né d’en haut quant au temps (s’il est permis de parler ainsi), parce qu’Il est engendré de toute éternité. Avant l’étoile du matin, je t’ai engendré et qu’Il est né D’EN HAUT quant au principe de sa génération, parce qu’Il est sorti du Père qui est au-dessus des cieux; [c'est pourquoi Lui-même dit]: Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, moi, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or notre régénération spirituelle est à l’image de la génération du Fils de Dieu, car ceux que Dieu a connus d’avance, Il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils. Par conséquent, puisque la génération du Christ est d’en haut, la nôtre l’est aussi: selon le temps, par notre prédestination éternelle, car Dieu nous a élus en Lui dès avant la fondation du monde 37; et en ce qui concerne le don [de Dieu], car [dira le Christ] nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 39.
NICODEME LUI DIT:
"COMMENT UN HOMME PEUT IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? PEUT-IL EN TRER UNE
SECONDE FOIS DANS LE SEIN DE SA MERE, ET RENAITRE?"
436. L’Evangéliste expose ici le
mode de cette régénération spirituelle; à ce sujet il rapporte d’abord une
objection de Nicodème [n°
437], puis la réponse du Christ [n° 440].
437. Au sujet de l’objection de Nicodème, il faut sa voir que l’homme naturel ne perçoit pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu 40; aussi Nicodème, encore charnel et naturel, ne put-il comprendre que d’une manière charnelle les paroles de Jésus. C’est pourquoi, ce que le Seigneur avait dit de la régénération spirituelle, lui l’entendait d’un nouvel engendrement charnel. D’où son interrogation: COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? Selon Chrysostome 41, Nicodème a voulu faire une objection aux paroles du Sauveur. Mais son objection est dérisoire, car le Christ parle de la régénération spirituelle tandis que l’objection porte sur une renaissance charnelle. De même sont dérisoires toutes les raisons alléguées pour attaquer les choses de la foi, parce qu’elles ne rejoignent pas l’intention de l’Ecriture Sainte.
438. L’objection de Nicodème aux paroles du Seigneur — l’homme doit naître de nouveau — était dou ble, en ce sens que ce qu’avait dit le Seigneur lui parais sait doublement impossible. D’abord à cause de l’irré versibilité de la vie humaine, car un homme ne peut, de la vieillesse, revenir à l’enfance; aussi Job dit-il: Je marche sur un chemin, celui de la vie présente, par lequel je ne reviendrai pas 42. Ainsi l’interrogation de Nicodème COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? revient à dire: Deviendra-t-il à nouveau enfant, pour renaître? [ne dit-il pas encore:] L’homme ne reviendra plus dans sa maison, et son lieu ne le reconnaîtra plus? Ensuite à cause du processus de la génération charnelle; les dimensions de l’homme, au commencement de sa génération, sont si réduites que le sein maternel peut le contenir; mais après sa naissance elles ne cessent de s’accroître peu à peu, si bien que le sein maternel ne pourrait plus le contenir. Aussi Nicodème dit-il: PEUT-IL RENTRER DANS LE SEIN DE SA MERE ET RENAITRE? ce qui revient à dire: Non, car ce sein ne peut plus le contenir.
439. Mais ces objections sont sans portée dans le cas de la génération spirituelle; en effet, si vieilli qu’il soit spirituellement par le péché — Parce que je me suis tu [PARCE que j’ai tu mon péché], mes os ont vieilli 44 —, l’homme peut, avec le secours de la grâce divine, redevenir jeune — Le Seigneur, qui pardonne toute tes offenses (...), renouvellera ta jeunesse comme celle de l’aigle 45 et, si grand qu’il soit, il peut, par le sacrement de baptême, entrer dans le sein spirituel, celui de l’Eglise. Qu’il y ait un sein spirituel, c’est manifeste: autrement il ne serait pas dit dans l’Ecriture: De mon sein, avant l’étoile du matin, je t’ai engendré 46.
Néanmoins il y a bien dans ce qu’exprime
Nicodème une certaine similitude avec la génération spirituelle. En effet, de
même que l’homme, une fois né selon la chair, ne peut plus naître, de même, une
fois né spirituellement par le baptême, le chrétien ne peut naître de nouveau,
en ce sens qu’il ne doit pas être bapti sé de nouveau: "Il y a un seul
Seigneur, une seule foi, un seul baptême".
[5] JESUS REPONDIT:
"AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOiNS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE
L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU."
440. L’Evangéliste rapporte ici la réponse du Christ, dans laquelle on peut distinguer trois moments. Le Christ, en effet, commence par réduire à rien les objec tions de Nicodème en montrant la qualité de la régénéra tion [n° 441]; puis Il s’explique par un raisonnement [n° 4471; enfin Il donne une image [n° 449].
441. Le Christ réduit donc à rien les objections de Nicodème, en montrant que la régénération dont Il parle est spirituelle et non charnelle: AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, comme s’Il disait: Toi, tu penses à une régénération charnelle, mais moi, je par le d’une régénération spirituelle.
Remarquez que, plus haut, le Seigneur avait
dit NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU; alors qu’ici Il dit: NE PEUT ENTRER DANS LE
ROYAUME DE DIEU. Cela revient au même, car nul ne voit ce qui appartient au Règne
de Dieu, s’il ne pénètre dans le Royaume de Dieu; et il voit dans la mesure où
il pénètre 48 — Au vainqueur je donnerai un caillou blanc, et sur ce caillou se
trouve écrit un nom nouveau que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit 49.
442. Que la régénération spirituelle se fasse par l’Esprit, cela s’explique. Car l’engendré doit être engendré semblable à celui qui l’engendre; or la régénération qui fait de nous des fils de Dieu nous rend semblables au Fils véritable: il faut donc que la régénération se fasse par ce par quoi nous sommes rendus semblables au Fils véritable; et nous Lui sommes rendus semblables du fait que nous avons son Esprit — Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas 50. A ceci nous savons que nous demeurons en Lui et Lui en nous, à ce qu’Il nous a donné de son Esprit 51. Il faut donc que la régénération spirituelle se fasse par l’Esprit Saint — Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption 52 C’est l’Esprit qui vivifie... 53.
443. A cette régénération l’eau également est nécessaire, pour trois raisons. D’abord à cause de la condition de la nature humaine. L’homme est en effet composé d’une âme et d’un corps; si dans cette régénération l’Esprit seul était présent, seul apparaîtrait régénéré ce qui est spirituel dans l’homme. Il faut donc, pour que la chair aussi soit régénérée, que, comme l’Esprit est là pour régénérer l’âme, il y ait de même quelque chose de corporel pour régénérer le corps, et c’est l’eau.
L’eau est nécessaire aussi à cause de la connaissance humaine. Selon Denys en effet, "la Sagesse divine ordon ne toutes choses en sorte de pourvoir à chacun conformément à sa nature" 54. Or l’homme est naturellement capable de connaître; il faut donc que les dons spirituels soient accordés aux hommes de telle manière qu’ils les connaissent Nous avons reçu (...) L’Esprit qui est de Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par Dieu. Mais le mode naturel de cette connaissance est de saisir les choses spirituelles par les sensibles, puisque toute notre connaissance commence par les sens. Il fallait donc, pour que nous comprenions ce qui est spi rituel dans cette régénération, qu’il y eût en elle quelque chose de sensible et de matériel, l’eau, grâce à quoi nous comprenions que le baptême lave et purifie intérieurement l’esprit de l’homme, comme l’eau lave et purifie extérieurement le corps.
Enfin, l’eau est nécessaire parce que cela convient à la cause de notre régénération, qui est le Verbe incar né. C’est Lui qui a donné à tous ceux qui L’ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu 56. Il convient donc que, dans les sacrements qui tiennent leur efficacité de la puissance du Verbe incarné, il y ait quelque chose qui corresponde au Verbe et quelque chose de corporel qui corresponde à la chair ou au corps. Ainsi en est-il spécialement de l’eau dans le sacrement du baptême par elle nous sommes configurés à la mort du Christ en étant plongés trois fois en elle lors du baptême, com me le Christ fut trois jours dans le sein de la terre. Nous avons en effet été ensevelis avec Lui par le baptême dans la mort 58.
Ce mystère avait été symbolisé au début de la création, lorsque l’Esprit du Seigneur planait sur les eaux. Mais le contact de la chair très pure du Christ conféra aux eaux une vertu plus grande; car au commencement, les eaux produisaient le reptile à l’âme vivante 60; mais, du fait que le Christ a été baptisé dans le Jourdain, l’eau rend les âmes spirituelles.
444. Les paroles du Christ
PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER
DANS LE ROYAUME DE DIEU mon trent clairement que l’Esprit Saint est Dieu. En
effet le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui ne sont
nés ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu
61. A partir de ces textes on peut former ce raisonnement: Celui de
qui les hommes renaissent spirituellement est Dieu; or, comme on le dit ici,
les hommes renaissent par l’Esprit Saint; donc l’Esprit Saint est Dieu.
445. Mais ici deux questions se posent. La première est celle-ci: si nul n’entre dans le Royaume de Dieu à moins de renaître de l’eau, nos pères de l’Ancien Testament, qui ne sont pas renés de l’eau puisqu’ils n’ont pas été baptisés, ne sont donc pas entrés dans le Royaume de Dieu.
La seconde question est la suivante. Il y a trois baptêmes: celui du sang, celui du feu et celui de l’eau. Or beaucoup ont été baptisés des deux premiers et nous disons qu’ils sont entrés aussitôt dans le Royaume de Dieu (bien qu’ils ne soient pourtant pas renés de l’eau). Il semble donc que ces paroles: PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, ne soient pas vraies.
En ce qui concerne la première question, il faut [n° 5] savoir que la régénération par l’eau et l’Esprit Saint se fait de deux manières: en vérité et en figure. Les anciens pères, bien qu’ils n’aient pas été régénérés de la véritable régénération, renaquirent cependant d’une régénération figurative, car ils eurent toujours un signe sensible dans lequel était préfigurée la vraie régénération; et renés grâce à ce signe, ils entrèrent dans le Royaume de Dieu, une fois payé le prix [de la Rédemption].
A la seconde question il faut répondre que ceux qui renaissent par le baptême du sang et du feu, bien qu’ils n’aient pas la régénération de l’eau en acte, l’ont néan moins par le désir; autrement, en effet, le baptême du sang serait sans valeur et le baptême de l’Esprit ne pourrait exister.
Ainsi donc, pour que l’homme entre dans le
Royau me de Dieu, il faut qu’il y ait baptême d’eau, soit réel lement, comme
c’est le cas de tous les baptisés; soit par le désir, comme c’est le cas des
martyrs et des catéchu mènes "que la mort a emportés avant
l’accomplissement de leur désir"; soit en figure, comme pour les
anciens pères.
446. De ces paroles: PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, les Pélagiens ont conclu faussement que les enfants sont baptisés, non certes pour être purifiés des péchés que, d’après eux, ils n’ont pas encore, mais afin de pouvoir entrer dans le Royaume de Dieu. Mais cela est faux; car, comme le dit Augustin, il ne convient pas que l’image de Dieu, c’est-à-dire l’homme, soit privé du Royaume de Dieu si ce n’est à cause d’un empêchement; or il ne peut y avoir [d'autre obstacle au Royaume de Dieu] que le péché. Il faut donc que, chez les enfants privés du Royaume, il y ait un péché, et c’est le péché originel 62.
"CE QUI EST NE DE LA
CHAIR EST CHAIR, ET CE QUI EST NE DE L’ESPRIT EST ESPRIT."
447. Le Seigneur prouve ici par
un raisonnement la nécessité de naître de l’eau et de l’Esprit Saint. Son
raisonnement est le suivant. Nul ne peut parvenir au Royaume de Dieu s’il n’est
rendu spirituel; mais on ne peut devenir spirituel que grâce à l’Esprit Saint;
donc, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’Esprit
Saint. Le Seigneur dit donc: CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR, c’est-à-dire
que la naissance selon la chair fait naître à une vie charnelle — Ce n’est pas
ce qui est spirituel qui a été fait d’abord, mais ce qui est charnel; ensuite
ce qui est spirituel. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre, le
second, venu du ciel est céleste 63 — ; et CE QUI EST NE DE L’ESPRIT, c’est-à-dire de la puissance de
l’Esprit Saint, est esprit, c’est-à-dire spirituel.
448. Remarquons que la préposition "de" [la chair, DE l’Esprit] désigne soit la cause matérielle, comme lorsque je dis: "le couteau de fer", soit la cause efficiente: "la maison est [de l’architecte". On peut donc comprendre de deux manières CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR: selon la causalité efficiente et selon la causalité matérielle. Selon la causa lité efficiente, car c’est la puissance présente dans la chair qui est capable d’être cause efficiente de la génération; selon la causalité matérielle, puisque c’est quelque chose de charnel qui est chez les animaux la matière de la réalité engendrée. Quant à l’esprit, on ne dit pas que de lui naisse quelque chose selon la causalité matérielle, puisque l’esprit est immuable, alors que la matière est le sujet du changement; mais on le dit selon la causalité efficiente.
D’après ce qui précède on peut donc parler d’une triple génération. La première est de la chair selon les causes matérielle et efficiente, et est commune à tous ceux dont la condition est d’être charnel. La seconde est de l’Esprit selon la cause efficiente: nous y sommes régénérés comme fils de Dieu par la grâce de l’Esprit Saint, et rendus spirituels. La troisième, intermédiaire entre les deux, est de la chair uniquement selon la causalité matérielle, et est de l’Esprit Saint selon la causa lité efficiente: elle est unique et propre au Christ. Il tient en effet sa chair, selon la causalité matérielle, de la chair de la mère dont il naît; et, selon la causalité efficiente, de l’Esprit Saint 64 — Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint. Aussi est-Il né saint: L’Es prit Saint surviendra en toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi le saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu 65.
7
"Ne t’étonne pas que je t’aie dit: Il vous faut naître de nouveau. 6 Le
vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient
ni où il va: ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. " Nicodème
répondit et Lui dit: "Comment cela peut-il se faire?" Il répondit et
lui dit: "Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses? 11 Amen, amen
je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous témoignons de ce que
nous avons vu; et notre témoignage, vous ne le recevez pas. 12 quand je vous
parle des choses de la terre, vous ne croyez pas, quand je vous parlerai des
choses du ciel, comment croirez-vous? 13 Et personne n’est monté au ciel, si ce
n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel. 14 Et
comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le
Fils de l’homme, 15 que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il
ait la vie éternelle."
[7-8] "NE T’ETONNE PAS
QUE JE T’AIE DIT: IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU. LE SOUFFLE SOUF FLE OU IL
VEUT, ET TU ENTENDS SA VOIX, MAIS TU NE SAIS D'OÙ IL VIENT NI OU IL VA: AINSI
EN EST-IL DE QUICONQUE EST NE DE L’ESPRIT."
449. Le Seigneur a prouvé plus haut [n° 440] par un raisonnement [la nécessité de] la génération spirituel le; Il donne maintenant une image.
"NE
T’ETONNE PAS QUE JE T’AIE DIT: IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU."
Ces paroles laissent entendre que Nicodème, à ces mots: CE QUI EST NE DE L’ESPRIT EST ESPRIT, fut pris d’un doute qui le troubla; voilà pourquoi le Seigneur lui dit: NE T’ETONNE PAS QUE JE T’AIE DIT: IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU.
1. Spiritus spirat, traduisant le grec pneûma pneî. Les mots spiritus et pneûma (comme le mot hébreu ruah) peuvent signifier à la fois le souffle, le vent et l’esprit. La traduction de spiritus par "souffle" dans ce verset de saint Jean n’est pas satisfaisante, la signification du mot français étant plus restreinte que celle du mot latin; elle permet cependant de ne pas opter d’emblée pour une interprétation, ce qui serait gênant puisque l’exégèse de saint Thomas (reprenant celle des Pères) va distinguer deux sens du mot spiritus.
Précisons ici qu’il y a deux sortes d’étonnement. L’un relève d’une attitude intérieure de religion: c’est l’étonnement de celui qui, considérant les merveilles de Dieu 2, reconnaît qu’elles sont pour lui incompréhensibles, ce qui l’amène à s’étonner, à admirer Le Seigneur, dit le psalmiste, est admirable dans les hauteurs 3; et encore: Tes témoignages sont admirables 4. A cet étonnement il faut amener les hommes, plutôt que de les en détourner.
L’autre sorte d’étonnement relève de l’incrédulité; c’est [L'attitude de] celui qui, ne croyant pas ce qui lui est dit, s’étonne. C’est en ce sens qu’il est dit que [habitants de Nazareth, entendant Jésus enseigner dans leur synagogue,] étaient saisis d’étonnement devant son enseignement et se scandalisaient à son sujet 5. C’est cet étonnement que le Seigneur veut éviter à Nicodème en prenant une image.
"LE
SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, ET TU EN-[8a] TENDS SA VOIX, MAIS TU NE SAIS D'OÙ
IL VIENT NI OU IL VA."
On peut, sans changer la teneur de ces
paroles, les expliquer au sens littéral de deux manières.
450. Selon Chrysostome 6, le mot SOUFFLE désigne le vent, comme dans le psaume Souffles de tempête, qui accomplissez sa parole... . Selon cette interprétation, le Seigneur affirme quatre choses au sujet du vent. D’abord sa puissance: LE SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, c’est-à-dire: le vent souffle dans la direction qu’il veut. Et si l’on objecte que le vent n’a pas de volonté, il faut répondre que l’on parle ici de "vouloir" pour désigner un appétit naturel, qui n’est rien d’autre qu’une inclination naturelle. La "volonté" du vent est donc ici son inclination naturelle, dont il est dit: [Dieu] qui donna du poids aux vents 8. Le Seigneur men tionne ensuite un signe indiquant la présence du vent ET TU ENTENDS SA voix, autrement dit le bruit que fait le vent en heurtant un corps, et dont le psaume parle ainsi: Voix de ton tonnerre dans le tourbillon. Il parle ensuite de l’origine du vent, qui est cachée: MAIS TU NE SAIS D'OÙ IL VIENT, c’est-à-dire d’où il se lève [tire le vent de ses trésors 10. Il parle enfin du terme [son mouvement], qui est également caché: tu ne sais OU IL VA, c’est-à-dire jusqu’où il continue de souffler. Puis le Seigneur applique cette comparaison à ce qu’Il veut enseigner, en disant: AINSI EN EST-IL DE QUICONQUE EST NE DE L’ESPRIT. Autrement dit: Si le vent, qui est corporel, a une origine cachée, et si sa course ne peut être connue, comment t’étonnes-tu de ne pouvoir connaître le processus 11 de la régénération spirituelle?
451. Cependant Augustin fait à cette interprétation l’objection suivante. En disant que LE SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, le Seigneur ne pensait pas au vent, car de n’importe quel vent nous savons D'OÙ IL VIENT et OU IL VA. Le vent du midi, en effet, vient du sud et va vers le nord; et, inversement, l’Aquilon va du nord au midi. Comment donc le Seigneur dirait-Il du vent corporel: TU NE SAIS D'OÙ IL VIENT NI OU IL VA? 12
452. Selon l’autre explication [Littérale], le mot SOUFFLE désigne l’Esprit Saint, au sujet duquel le Christ affirme quatre choses. En premier lieu sa puissance, lorsqu’Il dit: LE SOUFFLE [L'ESPRIT] SOUFFLE OU IL VEUT. Car c’est en vertu du libre arbitre de sa puissance qu’Il souffle OU IL VEUT et quand Il veut, en illuminant les coeurs des hommes — Tout cela [dit Paul en parlant des dons spirituels], c’est un seul et même Esprit qui l’opère, distribuant à chacun comme Il le veut 13. Par là est réfutée l’erreur de Macédonius 14, qui soutenait que l’Esprit Saint est le serviteur du Père et du Fils; en effet, [s'il l’était], Il ne soufflerait pas où Il veut, mais là où on Lui donnerait ordre de le faire.
453. Le Christ donne ensuite un
signe indiquant [la présence] du Saint-Esprit, en disant: ET TU ENTENDS SA VOIX — Aujourd’hui [disait le
psaume], si vous en tendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs 15. Mais
Chrysostome 16 fait ici une objection. Ces paroles, estime-t-il, ne peuvent
s’entendre de l’Esprit Saint; car le Seigneur parlait avec Nicodème qui ne
croyait pas encore et qui, de ce fait, n’était pas capable d’entendre la voix
de l’Esprit Saint 18 Mais à cela il faut répondre, selon Augustin 19, en
distinguant deux voix de l’Esprit Saint: l’une qui parle intérieurement, dans
le coeur de l’homme, et que seuls les croyants et les saints entendent; c’est
d’elle qu’il est question dans ce psaume: J’écouterai [ou
j’entendrai] ce que dit en moi le Seigneur Dieu 20. L’autre par laquelle l’Esprit
Saint parle dans l’Ecriture ou par la bouche des prédicateurs, selon ce qui est
dit dans l’Evangile: Ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père
qui parle en 21 et cette voix-là, les incroyants et les pécheurs eux-mêmes
l’entendent.
454. Le Christ, en troisième
lieu, évoque l’origine de l’Esprit Saint, qui est cachée: TU NE SAIS D’OÙ IL
VIENT, bien que tu entendes sa voix. Pourquoi cela? Parce qu’Il vient du Père
et du Fils — Quand viendra le Paraclet que moi, je vous enverrai d’auprès du
Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père... . Or le Père et le Fils habitent
une lumière inaccessible qu’aucun homme n’a vue ni ne peut voir 26.
455. Le Christ parle enfin du terme [de l’action] de l’Esprit, qui est certes caché — TU NE SAIS OU IL VA —, parce qu’il conduit à une fin cachée: la béatitude éternelle. C’est pourquoi il est dit que l'Esprit Saint est le gage de notre héritage 24 et que l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, le coeur de l’homme n’a pas conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment. Ou encore, les paroles TU NE SAIS D'OÙ IL VIENT NI OU IL VA peuvent vouloir dire: Tu ne sais comment Il pénètre dans l’homme, ni à quelle perfection il le con duit. — S’Il vient à moi, je ne Le verrai pas 26.
"AINSI EN EST-IL DE
QUICONQUE EST NE DE [8b] L’ESPRIT."
456. Autrement dit: celui qui est né de l’Esprit est comme l’Esprit Saint. Et cela n’a rien d’étonnant, puis que, comme le Christ l’avait dit précédemment, ce qui est né de l’Esprit est esprit v. En effet, l’homme spirituel a en lui les propriétés de l’Esprit Saint, comme le charbon ardent a en lui celles du feu; et celui qui est né de l’Esprit Saint a en lui les quatre propriétés de l’Esprit dont on a parlé plus haut. Il possède en effet, en premier lieu, la liberté 28. Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, car l’Esprit du Seigneur conduit à ce qui est droit: Ton bon esprit me conduira dans une voie droite 29, et Il libère de l’esclavage du péché et de la loi — La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus m’a libéré de la loi du péché et de la mort 30. En second lieu, il y a un signe qui dénote l’homme spirituel c’est sa voix, l’intonation de ses paroles: en l’entendant on reconnaît qu’il est spirituel — La bouche parle de l’abondance du cœur 31. Enfin, l’homme spirituel a une origine et une fin cachées, car nul ne peut le juger: L’homme spirituel juge de tout et n’est lui-même jugé par personne 32.
On peut dire encore que TU NE SAIS D’OÚ IL VIENT NI OU IL VA signifie: Tu ignores le principe de sa naissance spirituelle, qui est la grâce baptismale, et tu ne sais pas de quoi il est rendu digne, c’est-à-dire la vie éternelle, qui t’est encore cachée.
II
NICODEME REPONDIT ET LUI DIT:
"COMMENT CELA PEUT-IL SE FAIRE?" JESUS REPONDIT ET LUI DIT: "TU
ES DOCTEUR EN ISRAEL, ET TU IGNORES CES CHOSES? AMEN, AMEN JE TE LE DIS, NOUS
PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU; ET
NOTRE TEMOIGNAGE, VOUS NE LE RECEVEZ PAS. SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE
LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL,
COMMENT CR0IREZ-VOUS? ET PERSONNE N’EST MONTE AU CIEL, SI CE N’EST CELUI QUI
EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE L’HOMME QUI EST AU CIEL. ET COMME MOÏSE ELEVA
LE SERPENT DANS LE DESERT, AIN SI FAUT-IL QUE SOIT ELEVE LE FILS DE L’HOMME,
POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE
ETERNELLE."
457. L’Evangile va nous révéler maintenant la cause de la régénération spirituelle et sa raison [ultime], cela à travers une interrogation de Nicodème [n° 458] et la réponse du Seigneur [n° 459].
NICODEME REPONDIT ET LUI DIT:
"COMMENT [9] CELA PEUT-IL SE FAIRE?"
458. Cette interrogation montre bien que Nicodème, étant encore ignorant, étant encore un Juif enfermé dans le sensible, ne pouvait comprendre les mystères du Christ ni par des images, ni par des raisonnements.
Notons qu’il y a deux manières d’interroger. Certains, en effet, interrogent par manque de confiance. Ce fut le cas de Zacharie: A quoi connaîtrai-je cela? Car je suis vieux... 34; et c’est pourquoi il fut puni — Dieu réduit à rien ceux qui scrutent ses secrets 35. D’autres au contraire interrogent parce qu’ils désirent intensément apprendre, comme le fit la Bienheureuse Vierge lorsqu’elle dit à l’ange: Comment cela se fera-t-il, puis que je ne connais pas d’homme? 36 et ceux-ci sont instruits. C’est donc parce qu’il avait interrogé avec le désir intense d’apprendre que Nicodème mérita d’être instruit. La suite le montre bien.
[10] JESUS REPONDIT ET LUI
DIT: "TU ES DOCTEUR EN ISRAEL, ET TU IGNORES CES CHOSES?"
459. Avant de répondre à
l’interrogation de Nicodème [n°
465], le Seigneur lui reproche sa lenteur d’esprit [n° 460].
460. Il la lui reproche pour
trois raisons. D’abord à cause de la condition même de la personne à qui Il s’adresse,
en lui disant: TU ES DOCTEUR EN ISRAËL. Ce faisant, le Seigneur ne reprend pas
Nicodème pour l’insulter; mais Il voulait, parce que Nicodème se fiait encore à
sa fonction de docteur et comptait trop sur sa propre science, faire de lui, en
l’humiliant, la demeure de l’Esprit Saint — Vers qui regarderai-je, sinon vers
le pauvre, celui dont l’esprit est brisé et qui tremble à ma parole? 37. Et Il
souligne: TU ES DOCTEUR; car s’il est admissible qu’un homme simple ne puisse
saisir les choses profondes, cela serait tout à fait répréhensible de la part
d’un homme chargé d’enseigner, d’un docteur. Jésus dit donc à Nicodème: TU ES
DOCTEUR, mais de la lettre qui tue 38, EN ISRAEL, et CES CHOSES, c’est-à-dire les choses spirituelles, TU
LES IGNORES? — Alors qu’avec le temps vous devriez être devenus des maîtres [des
docteurs], vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments
des paroles de Dieu 39.
461. On pourrait objecter que le Seigneur aurait à juste titre reproché à Nicodème sa lenteur d’esprit s’Il lui avait parlé de l’ancienne loi et que Nicodème n’eût pas compris; mais que, ici, Il lui a parlé de la loi nouvelle. A cela il faut répondre que ce que le Seigneur dit de la génération spirituelle est contenu dans l’ancienne loi, mais en figure. Paul dit en effet que tous ont été baptisés en Moise dans la nuée et dans la mer 40; et les prophètes aussi l’avaient dit: Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et de toutes vos idoles je vous purifierai 41.
AMEN, AMEN JE TE LE DIS, NOUS
PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU; ET
NOTRE TEMOIGNAGE, VOUS NE LE RECEVEZ PAS.
462. La seconde raison de reprocher à Nicodème sa lenteur est la condition de Celui qui lui parle. En effet, que l’on n’acquiesce pas aux paroles d’un ignorant, c’est admissible; mais s’opposer à ce que dit un homme sage et d’une grande autorité, cela est intolérable. Voilà pourquoi le Christ dit: AMEN, AMEN JE TE LE DIS, NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU; car ce qui est exigé pour qu’un témoin soit digne de foi, c’est qu’il rende témoignage de ce qu’il a entendu ou de ce qu’il a vu: Ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu, nous vous l’annonçons 42. Aussi le Seigneur dit Il l’un et l’autre: NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU. Or le Seigneur, en tant qu’homme, sait tout — Seigneur, tu sais tout... 43 Seigneur, toi qui possèdes la science sainte, tu le sais manifestement... 44. Mais, en outre, Il voit toutes choses par la connaissance qu’Il a en tant que Dieu: Ce que j’ai vu auprès de mon Père, je le dis 45. Du reste, Il dit au pluriel NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU, pour faire entendre par là le mystère de la Trinité — Le Père qui demeure en moi fait Lui-même les œuvres 46. Ou bien encore, en disant CE QUE NOUS SAVONS, Il parle de Lui-même et d’autres, de ceux qui ont été rendus spirituels, puisque Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu Le révéler 47. Et cependant, ajoute-t-Il, notre témoignage, ainsi éprouvé et solidement établi, VOUS NE LE RECEVEZ PAS. Et de nouveau, plus loin, il sera dit: Il témoigne de ce qu’il a vu et entendu; et son témoignage, personne ne le reçoit 48.
[12]" SI, QUAND JE VOUS
PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES
CHOSES DU CIEL, COMMENT CROI REZ-VOUS?"
463. Le Seigneur a ici une troisième raison de reprocher à Nicodème sa lenteur: c’est la nature des choses dont Il a parlé. En effet, que l’on ne saisisse pas des choses difficiles, cela n’a rien d’étonnant; mais que l’on ne comprenne pas des choses faciles, c’est inadmissible. C’est pourquoi le Christ dit: SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CROIREZ-VOUS? Autrement dit: Si tu ne comprends pas ces choses qui sont faciles, comment pourras-tu saisir la procession du Saint-Esprit? Nous avons peine à deviner ce qui est sur la terre (...); ce qui est dans les cieux, qui donc le découvrira 49?
464. Mais on ne voit pas, dans ce qui précède, que le Seigneur ait parlé à Nicodème des CHOSES DE LA TERRE. A cette objection il faut répondre, selon Chrysostome 50, que les CHOSES DE LA TERRE dont parle ici le Seigneur doivent s’entendre de l’image du vent. Le vent, en effet, étant sujet à la génération et à la corruption, compte parmi les réalités terrestres. Ou bien l’on peut dire, toujours selon Chrysostome 51, que la régénération spirituelle réalisée par le baptême, si elle est céleste, certes, dans son principe qui sanctifie et régénère, est terrestre quant à son sujet: en effet, ce qui est régénéré, l’homme, est terrestre.
On peut encore répondre, avec Augustin 52, que par CHOSES DE LA TERRE il faut entendre ce que le Seigneur avait dit plus haut: Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai 53. C’est là chose terrestre, puisque le Seigneur parlait du temple de son corps, qu’Il avait reçu de la terre. Ainsi, en disant SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CROIREZ-VOUS?, le Christ veut dire Si vous ne croyez pas à la génération spirituelle temporelle, comment croirez-vous à la génération éternelle du Fils? Ou bien Si vous ne croyez pas ce que je dis de la puissance de mon corps, comment croirez-vous ce que je vous dirai de la puissance de ma divinité et de la puissance de l’Esprit Saint?
"ET PERSONNE N’EST MONTE
AU CIEL, SI CE N’EST CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE L’HOMME QUI EST
AU CIEL."
465. Le Seigneur répond maintenant à la question de Nicodème. Il commence par donner les causes de la régénération spirituelle [n° 466], puis Il en dévoile [la raison ultime] [n° 476].
La régénération spirituelle a deux causes: le
mystère de l’Incarnation du Christ et celui de sa Passion; le Seigneur traite
donc d’abord de l’Incarnation [n°
466], puis de la Passion [n° 472].
466. Mais comment cette réponse
du Christ satisfait-elle à la question de Nicodème? Voilà ce qu’il faut
examiner en premier lieu. En effet le Seigneur avait dit auparavant, parlant du
souffle: TU NE SAIS D'OÙ IL VIENT NI OU IL VA, où Il donnait à entendre que la
ré génération spirituelle a un principe et une fin cachés. Or les choses qui
nous sont cachées sont celles qui sont dans les cieux, selon les mots du livre
de la Sagesse cités plus haut: Ce qui est dans les cieux, qui donc le
découvrira? 54. La question de Nicodème COMMENT CELA PEUT-IL SE FAIRE? doit donc
être comprise de la manière suivante: Comment quelque chose pourrait-il venir du
secret des cieux, ou aller au secret des cieux? Aussi le Christ, avant de
répondre à la question, a-t-Il commencé par en expliciter le sens en disant:
QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMment CROIREZ-VOUS? Après quoi Il
commence aussitôt à montrer à qui il appartient de monter au ciel; car celui
qui descend du ciel, c’est celui-là qui monte au ciel: Celui qui est descendu
est Celui-là même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir
toutes choses 55. Dans les réalités de la nature aussi, on constate que tout corps
tend vers un lieu, selon son origine ou sa nature. Ainsi, il peut se faire que
quelqu’un, par l’esprit, aille en un lieu que les êtres charnels ignorent, et
cela en montant au ciel, si cela se réalise par la puissance de Celui QUI EST
DESCENDU DU CIEL; car Il est descendu pour, en montant, nous ouvrir la voie —
Celui qui fait la brèche monte devant eux 56.
467. Ces paroles du Seigneur: CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE L’HOMME, ont été pour certains occasion d’erreur. L’expression FILS DE L’HOMME désignant en effet la nature humaine, qui est composée d’une âme et d’un corps, Valentin 57 voulut, de ces paroles affirmant que le Fils EST DESCENDU DU CIEL, conclure qu’Il avait apporté du ciel même son corps et était passé par la Vierge sans rien recevoir d’elle, comme de l’eau passant par un canal; mais cela va contre la parole de l’Apôtre concernant le Fils, issu de la descendance de David selon la chair 58.
Origène, lui, soutient que le Christ est
DESCENDU DU CIEL selon son âme, dont il dit qu’elle a été créée au commencement
avec les anges et unie au Verbe, et qu’elle est ensuite descendue du ciel en
prenant chair de la Vierge 59; mais cela aussi est contraire à la foi catholique, qui enseigne
que les âmes n’ont pas existé avant les corps.
468. Il ne faut donc pas comprendre que le Fils de l’homme serait descendu du ciel selon sa nature humai ne, mais qu’Il en est descendu selon la nature divine. En effet, puisqu’il y a dans le Christ un seul suppôt, ou hypostase, ou personne, de deux natures, la nature divine et la nature humaine, on peut attribuer à ce suppôt, quelle que soit la nature à partir de laquelle on le nom me, et ce qui est divin, et ce qui est humain. Ainsi nous pouvons affirmer que le Fils de l’homme a créé les étoiles et que le Fils de Dieu a été crucifié. Mais le Fils de Dieu n’a pas été crucifié selon la nature divine, il l’a été selon la nature humaine; et c’est selon la nature divine que le Fils de l’homme a créé les étoiles. Il en va ainsi de toutes les choses que l’on dit du Christ: il ne faut pas les distinguer à partir de [la réalité concrète] dont elles sont dites, parce que [dans le Christ] les choses divines et les choses humaines sont dites indifféremment de Dieu et de l’homme; mais il faut les distinguer en fonction de ce en raison de quoi elles sont dites, car les choses divines sont dites du Christ en rai son de la nature divine et les choses humaines en raison de la nature humaine. Descendre du ciel se dit donc du Fils de l’homme, non selon sa nature humaine, mais selon sa nature divine, en raison de laquelle il Lui appartient, avant l’incarnation, d’avoir été du ciel, comme le dit le psaume: Le ciel des cieux est au Seigneur; mais la terre, il l’a donnée aux fils des hommes 60.
469. Si l’on dit que le Fils de
l’homme est descendu, il ne s’agit pas d’un mouvement local, sinon Il ne serait
pas demeuré dans le ciel; car rien de ce qui se meut localement ne reste à
l’endroit d’où il descend. C’est donc pour exclure le mouvement local que le
Christ ajoute: QUI EST DANS LE CIEL, comme pour signifier: IL EST DESCENDU DU
CIEL de telle manière que cependant Il EST DANS LE CIEL. Il est en effet
descendu du ciel, non certes en cessant d’être en haut, mais en assumant une
nature qui est d’en bas; et parce qu’Il n’est pas contenu ni enfermé en elle,
durant le temps même où son corps vivait sur la terre Il était Lui-même, selon
sa divinité, dans les cieux et partout. Afin donc de montrer que si l’on dit
qu’Il EST DESCENDU, c’est parce qu’Il a pris cette nature, Il précise: CELUI
QUI EST DESCENDU, LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire en tant qu’il s’est fait
Fils de l’homme.
470. On peut dire encore, avec
Hilaire 61, qu’Il est descendu du ciel en ce qui concerne son corps; non que
la matière du corps du Christ soit descendue du ciel, mais parce que la
puissance qui l’a formé était du ciel.
471. Mais pourquoi dit-Il: PERSONNE N’EST MON TE AU CIEL, SI CE N’EST CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE L’HOMME QUI EST AU CIEL? Paul, Pierre et les autres saints ne sont-ils pas montés eux aussi, selon ce que Paul lui-même dit: Nous avons une maison qui est l’oeuvre de Dieu, une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, une demeure éternelle dans les cieux 62? A cela je réponds que personne n’est monté au ciel que le Christ et ses membres, c’est-à-dire les croyants qui sont justes. Si donc le Fils de Dieu est descendu des cieux, c’est pour, en faisant de nous ses membres, nous préparer à monter aux cieux, maintenant en espérance, mais à la fin en réalité: Dieu (...) nous a ressuscités avec Lui et nous a fait asseoir ensemble dans les cieux en Jésus-Christ 63.
"ET COMME MOÏSE ELEVA LE
SERPENT DANS LE DESERT, AINSI FAUT-IL QUE LE FILS DE L’HOMME SOIT ELEVE, POUR
QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE
ETERNELLE."
472. Le Seigneur évoque ici le mystère de sa Passion, dont la puissance donne au baptême son efficacité. Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés 64. Il commence par donner une figure de sa Passion [n° 473], puis Il en montre le mode [n° 474] et enfin le fruit [n° 475].
"ET COMME MOÏSE ELEVA LE
SERPENT DANS LE DESERT..."
473. Pour amener Nicodème à comprendre, le Christ prend une figure de l’ancienne loi. En effet, au peuple juif qui se déclarait dégoûté de cette nourriture sans consistance 65, le Seigneur envoya, en punition, des serpents. Le peuple accourut alors vers Moïse, et celui-ci supplia le Seigneur, qui lui ordonna de faire un serpent de bronze, lequel fut à la fois un remède contre les serpents [et une figure de la Passion du Seigneur. Aussi est-il dit que Moïse l’exposa comme un signe 66. Le propre du serpent est d’avoir du venin; le serpent de bronze n’en avait pas, mais il figurait les serpents venimeux. De même le Christ n’eut pas en Lui le péché, qui est un venin — car le péché, une fois accompli, engendre la mort 67 — mais Il eut la ressemblance du venin, c’est-à-dire du péché: car Dieu a envoyé son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché 68. Voilà pourquoi le Christ posséda le pouvoir du serpent de bronze contre l’assaut et l’ardeur des concupiscences.
"AINSI FAUT-IL QUE LE
FILS DE L’HOMME SOIT ELEVE"
474. En parlant de cette élévation, qui doit s’entendre de son élévation sur la croix, le Christ annonce le mode de sa Passion. C’est pourquoi, lorsque plus tard, Il dira: Il faut que le Fils de l’homme soit élevé 69, l'Evangéliste ajoutera Il disait cela pour signifier de quelle mort Il allait mourir 70, et par là glorifier Dieu 71. Il voulut en effet mourir élevé, pour plusieurs raisons. D’abord pour purifier les cieux; déjà, en effet, par la sainteté de sa vie, Il avait purifié ce qui est sur la terre; il Lui restait, par sa mort, à purifier ce qui est dans les airs — Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux 72. En second lieu, Il voulut être élevé pour triompher des démons qui préparent la guerre dans les airs — l’Apôtre parle du prince des puissances des airs 73. Il le voulut aussi pour attirer à Lui nos coeurs: Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi 74. Il le voulut encore parce qu’Il fut exalté 75 dans la mort de la croix, car c’est là qu’Il triompha de ses ennemis; voilà pourquoi Il ne parle pas de mort, mais d’élévation, d’exaltation: Il boira au torrent sur le chemin, dit le psaume, et c’est pourquoi il relèvera [exaltera] la tête 76. Enfin, Il voulut mourir élevé parce que la croix fut la cause de son exaltation. Il s’est fait obéissant jus qu’à la mort, et la mort de la croix; c’est pourquoi Dieu L’a exalté et Lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 77.
[15]" POUR QUE TOUT HOMME
QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE."
475. Le fruit de la Passion du Christ est la vie éternelle; voilà pourquoi Il dit: POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI, en agissant bien, NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE. Ce fruit correspond au fruit du serpent qui préfigurait [le Christ crucifié]. En effet, quiconque regardait le serpent de bronze était délivré du venin et avait la vie sauve; or il regarde le Fils de l’homme élevé, celui qui croit au Christ crucifié, et il est par là libéré du venin du péché — Celui qui croit en moi ne mourra pas à jamais 78 — et sauvé pour la vie éternelle — Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom 79.
16
"Car Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique, afin
que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternel
le. 17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais
pour que le monde soit sauvé par Lui. 18 qui croit en Lui n’est pas jugé; mais
celui qui ne croit pas a déjà été jugé, parce qu’il ne croit pas au nom du Fils
unique de Dieu. 19 tel est le jugement: la lumière est venue dans le monde, et
les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres
étaient mauvaises. 20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et il ne
vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient réprouvées; 21 mais
celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, pour que ses oeuvres soient
manifestées, parce qu’elles ont été faites en Dieu."
476. Plus haut [n° 465], le Seigneur a attribué la cause de la régénération spirituelle à la descente du Fils de Dieu et à l’exaltation du Fils de l’homme, et Il en a fait connaître le fruit la vie éternelle. Mais ce fruit, cette éternité de vie, semblait incroyable à des hommes nécessairement voués à la mort. C’est pourquoi le Seigneur en dévoile [la raison ultime], d’abord en expliquant la grandeur de ce fruit par la grandeur de l’amour divin [n° 477], puis en excluant une objection [n° 481].
"CAR
DIEU A TELLEMENT AIME LE MONDE QU’IL A DONNE SON FILS UNIQUE, AFIN QUE TOUT
HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE."
477. Comprenons ici que la cause de tous nos biens est l’amour divin. En effet, aimer quelqu’un, c’est proprement vouloir pour lui le bien; or la volonté de Dieu est cause des réalités; donc, le bien nous vient de ce que Dieu nous aime. L’amour de Dieu est certes la cause du bien de la nature — Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait 1 —, et il est aussi la cause du bien de la grâce — D’un amour éternel je t’ai aimé, c’est pourquoi je t’ai attiré 2, attiré par la grâce; mais que Dieu nous donne aussi le bien de la gloire, cela provient d’un [très] grand amour 3. C’est pourquoi le Christ montre ici que cet amour est le plus grand qui soit. Il le montre de quatre points de vue [différents, regardant successivement]:
1° la personne de celui qui aime; c’est Dieu qui aime, et immensément DIEU A TELLEMENT AIME... Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main 4.
2° La condition de celui qui est aimé: c’est l’homme qui est aimé, l’homme de ce monde, l’homme de chair, et même l’homme vivant dans le péché — Dieu prouve ainsi son amour envers nous: (...) alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec [lui] par la mort de son Fils 5. — Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu le visites? 6 Voilà ce que veut exprimer le Christ lorsqu’Il dit que Dieu a aimé LE MONDE.
3° La grandeur du don. L’amour, en effet, se manifeste par le don; car, comme le dit Grégoire, "l’amour se prouve par des actes 7". Or Dieu nous a fait le plus grand des dons, puisque, comme le dit ici le Christ, IL A DONNE SON FILS UNIQUE — Il n’a pas épargné son propre Fils, mais Il L’a livré pour nous tous 8. Et le Christ dit SON Fils, c’est-à-dire [celui qui est] Fils par nature, qui Lui est consubstantiel, et non un fils adoptif, comme ceux dont il est parlé dans le psaume: J’ai dit Vous êtes des dieux, et tous les fils du Très-Haut ç. Ces paroles du Christ font apparaître clairement l’erreur d’Ariusbis. Car si le Fils de Dieu était une créature, comme Arius 9bis le prétendait, Il ne pourrait pas manifester l’immensité de l’amour divin en vivant en Lui la bonté infinie, qu’aucune créature ne peut recevoir. Le Christ dit aussi: son Fils UNIQUE, pour montrer que Dieu ne partage pas son amour entre plusieurs fils, mais que tout son amour est dans son Fils, ce Fils qu’Il a donné pour prouver l’immensité de son amour — Le Père aime le Fils et il Lui montre tout ce qu’il fait 10.
4° Enfin, la grandeur du fruit, puisque par Lui nous avons la vie éternelle: ... afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle, vie qu’Il nous a acquise par la mort de la Croix 11.
478. Dieu a-t-Il donc donné son
Fils pour qu’Il mourût sur la Croix? Assurément Il L’a donné pour la mort de la
Croix 12, en tant qu’Il Lui a donné la volonté d’y souffrir, et cela de deux
manières. Car d’une part, de qualité de Fils de Dieu, Il a eu de toute éternité
la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous; et cette volonté, Il la
tenait du Père; et, d’autre part, c’est Dieu qui inspira à l’âme du Christ la
volonté de souffrir.
479. Remarquons que plus haut [n° 467], le Seigneur, parlant de la descente qui convient au Christ selon sa divinité, L’a nommé Fils de l’homme, cela parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt dans deux natures, comme on l’a dit [n° 468], ce qui nous permet d’attribuer ce qui est divin au suppôt de la nature humaine et ce qui est humain au suppôt de la nature divine, mais non pas, toute fois, selon la même nature: ce qui est divin est attribué selon la nature divine, et ce qui est humain selon la nature humaine. Et si, alors qu’Il s’est nommé plus haut Fils de l’homme, le Seigneur, ici, parlant de Lui en tant qu’Il est voué à la mort, se nomme FILS DE DIEU, c’est pour une raison spéciale parce que Lui-même a voulu communiquer ce don en signe de l’amour divin, amour par lequel nous vient le fruit de la vie éternelle. Un tel nom était bien dû à Celui à qui il appartenait de manifester la puissance qui réalise la vie éternelle, puissance qui ne se trouve pas dans le Christ en tant que Fils de l’homme, mais en tant que Fils de Dieu C’est Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle 13. En Lui était la vie 14.
480. Notons encore l’expression: AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS. Périr, ou se perdre 15, c’est être empêché de parvenir à la fin à laquelle on est ordonné. Or l’homme est ordonné à une fin qui est la vie éternelle; et, aussi longtemps qu’il pèche, il se détourne de cette fin. Certes, tant qu’il vit, il ne périt pas tout à fait, au point de ne pouvoir être ramené à la vie; mais s’il meurt dans le péché, il périt [se perd] alors tout à fait Le chemin des impies se perdra 16.
Enfin, les paroles QU’IL AIT LA VIE ETERNELLE révèlent l’immensité de l’amour divin: car en donnant la vie éternelle, Il se donne Lui-même. La vie éternelle, en effet, n’est rien d’autre que jouir de Dieu; et se donner soi-même est le signe du [plus] grand amour: Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause de l’amour extrême dont Il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos péchés, nous a fait revivre avec le Christ 17, c’est-à-dire qu’Il nous a donné d’avoir en Lui la vie éternelle.
"CAR
DIEU N’A PAS ENVOYE SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE
LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI. CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE; MAIS CELUI
QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE
DE DIEU. OR TEL EST LE JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES
HOMMES ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS OEUVRES
ETAIENT MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIE RE ET IL NE VIENT
PAS A LA LUMIERE, DE PEUR QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI
FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE, POUR QUE SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES,
PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU. "
"CAR DIEU N’A PAS ENVOYE
SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE
PAR LUI."
481. Le Seigneur exclut ici une objection "que l’on pourrait faire". Dans l’ancienne loi, en effet, il avait été promis que le Seigneur viendrait pour juger: Le Seigneur viendra pour le jugement 18. On pourrait donc dire que le Fils de Dieu n’était pas venu pour donner la vie éternelle, mais pour juger le monde. Aussi le Seigneur, pour écarter cette objection, montre d’abord en quel sens. Il n’est pas venu pour juger, puis Il le prouve (n° 484).
482. Il dit donc que le Fils de
Dieu n’est pas venu pour juger, car Dieu n’a pas envoyé son Fils, lors de son
premier avènement, POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT SAUVE PAR
LUI. De même Il dira plus loin Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais
pour sauver le monde 19. Or le salut de l’homme consiste à parvenir jusqu’à Dieu: En Dieu
est mon salut et ma gloire 20 et parvenir jusqu’à Dieu, c’est obtenir la vie éternelle. Etre
sauvé est donc la même chose qu’avoir la vie éternelle. Et il ne faut pas, sous
prétexte que le Seigneur a dit: Je ne suis pas venu pour juger le monde, être
paresseux et abuser de la miséricorde de Dieu en se donnant licence de pécher;
car si, lors de son premier avènement, Il n’est pas venu pour juger mais pour
remettre [les péchés], lors de son second avènement Il viendra pour juger et non pour
remettre [les péchés], comme le dit Chrysostome 21 — Au temps que j’aurai fixé, je
rendrai le juste jugement 22.
483. Mais le Seigneur ne dit-Il pas plus loin: C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde 23? A cette objection il faut répondre qu’il y a deux sortes de jugement. Il y a un jugement de discernement, et c’est pour celui-là que le Fils de l’homme est venu lors de son premier avènement; en effet, à sa venue, un discernement s’est opéré parmi les hommes, selon l’aveuglement des uns et la lumière de grâce des autres. Et il y a un jugement de condamnation; mais le Seigneur, au tant qu’il dépendait de Lui, n’est pas venu pour celui-là.
"CELUI QUI CROIT EN LUI
N’EST PAS JUGE; MAIS CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE
CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU."
484. Le Christ prouve ici ce qu’Il a dit plus haut; Il le fait en utilisant un procédé de division Quiconque sera jugé sera ou croyant, ou incroyant; mais je ne suis pas venu juger les croyants, parce qu’ils ne sont pas jugés, ni pour juger les incroyants, parce qu’ils sont déjà jugés. Dieu n’a donc pas envoyé en premier lieu son Fils pour juger le monde.
Le Christ montre donc en premier lieu que les
croyants ne sont pas jugés [n°
485] et ensuite que ceux qui ne croient pas ne sont
pas jugés non plus [n°
487].
485. Le Christ dit ici qu’Il n’est pas venu POUR JUGER LE MONDE, parce qu’Il n’est pas venu pour juger les croyants, puisque CELUI QUI CROIT EN LUI N’EST PAS JUGE — entendons d’un jugement de condamnation. En effet, aucun de ceux qui croient en Lui d’une foi formée n’est passible d’un tel jugement — Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie —, mais il sera jugé d’un jugement de récompense et d’approbation, ce jugement dont parle l’Apôtre: Celui qui me juge, c’est le Seigneur 26.
"CELUI QUI CROIT EN LUI
N’EST PAS JUGE..."
486. Mais qu’en est-il des nombreux croyants qui sont pécheurs? Ne seront-ils pas condamnés? A cette question certains hérétiques ont répondu qu’aucun croyant, si grand pécheur soit-il, ne sera condamné, mais qu’il sera sauvé par le mérite du fondement, c’est-à-dire de la foi, bien qu’il ait à souffrir une certaine peine. Ces hérétiques appuient leur erreur sur ces paroles de l’Apôtre: Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus; et si l’oeuvre [quelqu’un aura bâtie sur ce fondement] brûle, il en subira la perte; lui pourtant sera sauvé, mais comme à travers le feu 27.
Mais cette interprétation s’oppose manifestement à ce que l’Apôtre enseigne aux Galates: Les oeuvres de la chair sont manifestes: ce sont la fornication, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la sorcellerie, les inimitiés, les querelles, la jalousie (...) et autres choses semblables au sujet desquelles je vous préviens, comme je vous ai déjà prévenus: ceux qui commettent de telles choses n’hériteront pas du Royaume de Dieu 28.
Il faut donc répondre que le fondement, c’est-à-dire la foi au Christ, doit être sauf, mais que ce fondement n’est pas la foi informe: il est la foi formée, celle qui opère par la charité 29. Aussi le Seigneur dit-Il expressément, non pas que "celui qui Le croit", mais que CELUI QUI CROIT EN LUI 30 — c’est-à-dire qui, en croyant, tend vers Lui par la charité — celui-là N’EST PAS JUGE, parce qu’il ne pèche pas mortellement — ce qui fait dis paraître le fondement. Ou bien il faut dire, avec Chrysostome 31 que quiconque agit mal ne croit pas — Ils f ont profession de connaître Dieu, mais par leurs oeuvres ils Le renient — 32 mais que celui qui agit bien [de la foi] — Je te montrerai ma foi par les œuvres 33 — et que celui-là n’est pas jugé, c’est-à-dire n’est pas condamné pour n’avoir pas cru.
"MAIS CELUI QUI NE CROIT
PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QU’IL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNI QUE DE
DIEU."
487. Le Seigneur montre maintenant que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés. Il commence par l’affirmer [n° 488], après quoi Il explicitera son affirmation [n° 490].
488. En ce qui concerne l’affirmation elle-même, il faut noter que, selon Augustin, le Christ ne dit pas que CELUI QUI NE CROIT PAS est jugé, mais qu’il n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE — ce que l’on peut expliquer de trois manières. Selon Augustin, en effet, CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé parce qu’il A DEJA ETE JUGE, non dans la réalité 34, mais dans la prescience de Dieu, c’est-à-dire que Dieu, à l’avance, sait qu’il sera condamné: Le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui 35. Chrysostome donne une autre interprétation 36. Pour lui, CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE en ce sens que le fait même qu’il ne croie pas le condamne. Ne pas croire, en effet, c’est ne pas adhérer à la lumière, autrement dit être dans les ténèbres 37; et c’est là la grande condamnation. Ils avaient tous été liés d’une même chaîne de ténèbres. — Quelle joie aurai-je encore, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel? 38 Troisième interprétation, encore selon Chrysostome 39: CELUI QUI NE CROIT PAS n’est pas jugé en ce sens qu’il est déjà con damné, c’est-à-dire qu’il y a déjà en lui un motif manifeste de condamnation; comme si, de quelqu’un qui, visiblement, est tout proche de la mort, on disait qu’il est déjà mort, avant même que soit prononcée sur lui la sentence de mort.
Aussi Grégoire dit-il qu’il y a deux
procédures possibles dans le jugement de ceux qui doivent être condamnés 40.
Certains, en effet, seront jugés après examen, car il y a en eux quelque chose
qui s’oppose à leur condamnation: le bien de la foi; ce sont les croyants
pécheurs. Mais ceux qui ne croient pas, dont la condamnation est évidente, sont
condamnés sans examen; et c’est d’eux qu’il est dit ici CELUI QUI NE CROIT PAS
A DEJA ETE JUGE. Les impies, dit le psaume, ne ressusciteront pas au jugement 41, c’est-à-dire pour l’examen de leur cause.
489. Ajoutons qu’être jugé a ici le même sens qu’être condamné, et qu’être condamné, c’est être privé du salut, auquel on ne parvient que par une seule voie qui est le NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU: car il n’est pas sous le ciel d’autre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés 42. — O Dieu, sauve-moi par ton Nom 43. Ceux donc qui ne croient pas dans le Fils de Dieu se privent du salut, et il y a en eux un motif manifeste de condamnation.
"OR
TEL EST LE JUGEMENT: LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT
MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS OEUVRES ETAIENT
MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE ET NE VIENT PAS A LA
LUMIERE, DE PEUR
[19] QUE SES OEUVRES NE SOIENT
REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIE RE, POUR QUE SES
OEUVRES SOIENT MANIFES TEES, PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU."
490. Le Seigneur explicite ici son affirmation en montrant que le motif de la condamnation est manifeste chez ceux qui ne croient pas. Pour cela Il propose d’abord un symbole capable de l’expliciter [n° 491], puis Il montre la convenance de ce symbole [n° 493].
[19]" OR TEL EST LE
JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT MIEUX AIME LES
TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES."
491. A travers ce symbolisme le Christ fait ressortir trois choses le don de Dieu, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas, et enfin la cause de cette perversité.
Le Christ dit donc ceci: Il est manifeste que CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Le don de Dieu — LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE — le montre clairement. Les hommes, en effet, étaient dans les ténèbres de l’ignorance, et ces ténèbres, Dieu les a dissipées en envoyant la lumière dans le monde afin que les hommes connaissent la vérité Je suis la lumière du monde: celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie 44. — Il est venu nous visiter d’en haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort 45. Mais cette lumière EST VENUE DANS LE MONDE parce que l’homme ne pouvait y avoir accès, car Dieu habite une lumière inaccessible, que nul homme n’a vue ni ne peut voir 46.
Que CELUI QUI NE CROIT PAS ait DEJA ETE JUGE, la perversité d’esprit de ceux qui ne croient pas le montre également: car ils ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, autrement dit ils ont préféré rester dans les ténèbres de l’ignorance, plutôt que d’être instruits par le Christ. Ils ont été rebelles à la lumière 47— Malheur à ceux qui (...) font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres 48.
Et la cause de cette perversité, c’est que LEURS OEUVRES ETAIENT MAUVAISES, ces oeuvres qui sont en désaccord avec la lumière et qui cherchent les ténèbres. Rejetons les oeuvres des ténèbres 49, dira Paul, c’est-à-dire les péchés, qui cherchent les ténèbres: Ceux qui dorment, dorment la nuit 50, et l’oeil de l’adultère guette le crépuscule 51. Si quelqu’un ne croit pas à la lumière, c’est qu’il s’oppose à elle et s’en écarte.
492. Mais tous les incroyants font-ils des oeuvres mauvaises? Il semble que non; car beaucoup de païens, Caton par exemple, et de nombreux autres, ont agi selon la vertu.
A cela il faut répondre, selon Chrysostome 53, qu’autre chose est de bien agir par vertu, autre chose de le faire grâce à une aptitude qui nous y dispose naturellement. Il y a en effet des hommes qui agissent bien par disposition naturelle, simplement parce que leurs dispositions ne les poussent pas à faire le contraire. Et même des incroyants ont pu agir bien de cette manière: tel, par exemple, a vécu chastement parce qu’il n’avait pas à lutter contre la concupiscence. Mais ceux-là agissent bien par vertu qui, malgré un penchant au vice contraire, ne s’écartent pourtant pas de la vertu, cela grâce à la rectitude de leur raison et à la bonté de leur volonté; et c’est le propre des croyants.
On peut dire encore que, s’ils faisaient le bien, les incroyants ne le faisaient cependant pas par amour de la vertu, mais par vaine gloire; et que, du reste, ils n’agissaient pas bien dans tous les domaines, puisqu’ils ne rendaient pas à Dieu le culte qui Lui est dû.
[20] EN EFFET, QUICONQUE AGIT
MAL HAIT LA LUMIERE ET IL NE VIENT PAS A LA LUMIERE, DE PEUR QUE SES OEUVRES NE
SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LU MIERE, POUR QUE
SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES, PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU."
493. Le Seigneur montre ici la
convenance du symbole qu’Il vient de donner, d’abord en ce qui concerne les
méchants [n° 494], puis en ce qui concerne les bons [n° 495].
494. Le Christ dit donc ceci:
S’ils n’ont pas aimé la lumière, c’est parce que LEURS OEUVRES ETAIENT
MAUVAISES. Cela est évident, puisque QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE. Il ne
dit pas "a agi", mais AGIT; car si quelqu’un a mal agi mais
s’en repent et, voyant qu’il a mal fait, s’en afflige, il VIENT A LA LUMIERE.
Au contraire QUICONQUE AGIT MAL, c’est-à-dire persévère dans le mal, ne s’en
afflige pas et ne vient pas à la lumière, mais il la hait, non en tant qu’elle
est une vérité manifeste, mais en tant que par elle le péché de l’homme est
manifesté. Car l’homme mauvais aime connaître la lumière et la vérité; mais il
déteste être dénoncé par elle Si soudain paraît l’aurore, ils la prennent pour
l’ombre de la mort 54. Celui qui AGIT MAL ne vient donc pas à la lumière, et cela DE PEUR
QUE SES OEUVRES NE SOIENT REPROUVEES. Nul homme, en effet, s’il est décidé à ne
pas renoncer au mal, ne veut être blâmé; il fuit le blâme au contraire, et le
hait Ils ont haï celui qui réprimande à la Porte, et celui qui parle avec
intégrité, ils l’ont eu en horreur 55.— L’homme pernicieux
n’aime pas celui qui le reprend 56.
495. Le Christ montre ensuite la convenance du symbole qu’Il a donné en ce qui concerne les bons. La vérité, en effet, ne réside pas seulement dans les pensées et les paroles, mais aussi dans les actes: CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE.
Mais quelqu’un a-t-il agi ainsi avant le Christ? Il semble que non; car qui FAIT LA VERITE? Celui qui ne pèche pas. Or, avant le Christ, tous ont péché 57.
A cela je réponds, en suivant Augustin 58, que
celui-là FAIT LA VERITE en lui-même, à qui déplaît le mal qu’il a fait et qui,
après avoir abandonné les ténèbres, se garde du péché et, regrettant ses fautes
passées, VIENT A LA LUMIERE, afin que SES OEUVRES SOIENT MANIFESTEES d’une
manière spéciale [c’est-à-dire comme celles d’un pécheur repentant].
496. On objectera sans doute que nul ne doit donner en spectacle le bien qu’il fait, et que le Seigneur blâme les Pharisiens d’agir ainsi. A cela il faut répondre [distinguant diverses manières de manifester ses oeuvres]. Vouloir les manifester devant Dieu pour qu’Il les approuve, cela est permis, car ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais celui que Dieu recommande 59. Voici, dit Job, que dans le ciel est mon témoin 60. Il est également permis à tous, et il n’est pas répréhensible, de vouloir manifester ses oeuvres à sa propre conscience afin de s’en réjouir Ce qui fait notre gloire, c’est ce témoignage de notre conscience, que nous nous sommes comportés dans ce monde (...) dans la simplicité du coeur et la sincérité de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu 61. Mais manifester devant les hommes, pour sa propre gloire, le bien qu’on fait, voilà qui est répréhensible. Néanmoins les hommes saints désirent que le bien qu’ils font soit, pour l’honneur de Dieu et au profit de la foi, manifesté aux hommes: Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux 62. S’ils viennent à la lumière pour que leurs oeuvres soient manifestées, c’est PARCE QU’ELLES ONT ETE FAITES EN DIEU, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu ou par la grâce de Dieu. En effet, tout ce que nous faisons de bien, que ce soit en évitant le péché, en regrettant les fautes que nous avons commises ou en accomplissant des oeuvres bonnes, tout vient de Dieu, comme le dit Isaïe Seigneur, tu nous donneras la paix, car toutes nos oeuvres, c’est toi qui les as accomplies pour nous 63.
22
Après cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée; et Il y
demeurait avec eux, et Il baptisait. Or Jean aussi baptisait à Aenon, près de
Salim, parce qu’il y avait là beaucoup d’eau; et l’on y venait, et l’on y était
baptisé. 24 Jean n’avait pas encore été mis en prison. Or il s’éleva de la part
des disciples de Jean une discussion avec les Juifs à propos de la
purification. Et ils vinrent à Jean et lui dirent " Rabbi, celui qui
était avec toi de l’autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage,
le voilà qui baptise, et tous viennent à lui."
497. Plus haut [n° 423], le Seigneur a donné son enseignement concernant la régénération spirituelle; ici, Il accomplit par des oeuvres, en baptisant, ce qu’Il avait d’abord enseigné par des paroles.
Il est d’abord question ici de deux baptêmes, celui du Christ et celui de Jean [n° 500], puis d’une discussion qui s’éleva à leur sujet, mettant l’un en comparai son avec l’autre [n° 506].
APRES
CELA, JESUS VINT AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y DEMEURAIT AVEC
EUX, ET IL BAPTISAIT. OR JEAN AUSSI BAPTI SAIT A AENON, PRES DE SALIM, PARCE
QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETA1T BAPTiSE. CAR
JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.
[22] APRES CELA, JESUS VINT
AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y DEMEURAIT AVEC EUX, ET IL
BAPTISAIT.
498. APRES CELA, dit l’Evangéliste, c’est-à-dire après ce qui a été rapporté de l’enseignement du Christ sur la régénération spirituelle, JESUS VINT AVEC SES DIS CIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE. Mais ici se pose une question d’ordre littéral; car plus haut (2, 13), l’Evangéliste avait dit que le Seigneur était venu de Galilée à Jérusalem, qui se trouve dans le territoire de Judée, où Il avait instruit Nicodème. Comment donc, après avoir instruit Nicodème, vint-Il en Judée, puisqu’Il y était déjà?
A cette question il y a deux réponses. D’après Bède 1, le Christ, après son entretien avec Nicodème, se rendit en Galilée, y demeura quelque temps, puis revint en Judée; il ne faut donc pas, lorsqu’il nous est dit: APRES CELA, JESUS VINT..., entendre qu’Il se rendit en Judée immédiatement après son entretien avec Nicodème.
Chrysostome 2 comprend cette phrase d’une autre
manière. Pour lui, il faut entendre que le Christ, APRES CELA, se rendit
immédiatement DANS LA TERRE DE JUDEE. II voulait en effet prêcher là où la
multitude se rassemblait, afin que beaucoup se convertissent : J’ai
annoncé ta justice dans la grande assemblée 3. C’est ouvertement que j’ai parlé
au monde 4. Or il y avait en Judée deux endroits où affluait la foule des
Juifs. Jérusalem, où l’on montait pour les fêtes, et le Jourdain, où l’on
accourait à cause de la prédication et du baptême de Jean. C’est pourquoi le
Seigneur, qui fréquentait ces deux lieux, dès que furent achevés les jours de
fête, quitta Jérusalem qui est située dans une partie de la Judée, et se rendit
dans l’autre partie, celle du Jourdain, où Jean baptisait.
499. Au sens moral 5, le fait que Jésus vint en JUDEE mot dont le sens étymologique est "confession" 6 — signifie que le Christ visite ceux qui confessent leurs péchés ou proclament la louange de Dieu 7— La Judée est devenue son sanctuaire 8. Et Il demeure 9, parce qu’on ne visite pas en passant ceux qui agissent ainsi: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure 10. Et là Il baptise, c’est-à-dire purifie des péchés; car si l’on ne confesse pas ses péchés, on n’en obtient pas la rémission: Celui qui cache ses crimes ne sera pas conduit dans la bonne voie, mais celui qui les confesse et les abandonne obtiendra miséricorde 11.
OR JEAN AUSSI BAPTISAIT A
AENON, PRES DE SALIM, PARCE QU’IL AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT, ET
L’ON Y ETAIT BAPTISE. CAR JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.
500. L’Evangéliste dépeint maintenant le baptême de Jean, en faisant connaître d’abord la personne de celui qui baptise [n° 501], puis le lieu du baptême [n° 502], puis son fruit [n° 503] et enfin le temps où a lieu ce baptême [n° 504].
OR JEAN AUSSI BAPTISAIT A
AENON, PRES DE SA LIM, PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU; ET L’ON Y VENAIT,
ET L’ON Y ETAIT BAPTISE.
501. La personne qui baptise est Jean: OR JEAN AUSSI BAPTISAIT. Mais ici se pose une question. Puis que le baptême de Jean était ordonné au baptême du Christ, il semble que, le baptême du Christ une fois venu, Jean aurait dû cesser de baptiser, de même que, une fois venue la vérité, la figure cesse.
Il y a à cela trois réponses. La première se fonde sur la personne du Christ Jean a baptisé pour que le Christ fût baptisé par lui. Et il ne fallait pas que le Christ fût seul à être baptisé par lui, sinon le baptême de Jean, en raison de ce caractère unique, aurait pu paraître meilleur que le baptême du Christ 12 ; et il était opportun que d’autres fussent baptisés par Jean avant le Christ, parce que, avant que l’enseignement du Christ ne fût connu de tous, il était nécessaire que les hommes fussent préparés à [le Christ par le baptême de Jean. En ce sens, le baptême de Jean est à celui du Christ ce qu’est au vrai baptême la catéchèse, où l’on instruit de la foi les catéchumènes et où on les prépare au baptême. Il fut encore nécessaire que, après que le Christ eut été baptisé par Jean, d’autres fussent baptisés par lui, pour que l’on ne pensât pas que son baptême était à rejeter; de même que, une fois venue la vérité, la pratique des observances légales ne cessa pas tout de suite, mais il fut permis aux Juifs, selon Augustin, de les conserver pendant un certain temps 13.
La deuxième réponse se fonde sur la personne de Jean: si Jean, dès que le Christ avait commencé à baptiser, avait lui-même cessé aussitôt de baptiser, on aurait pu croire qu’il le faisait par jalousie ou par colère. Mais parce qu’il est dit que nous devons avoir soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes 14, Jean ne cessa pas tout de suite de baptiser.
Enfin, la troisième réponse se fonde sur les
disciples de Jean, qui commençaient déjà à être jaloux du Christ et de ses
disciples, parce qu’ils baptisaient. Si donc Jean avait aussitôt cessé
complètement de baptiser, il aurait laissé ses disciples céder davantage encore
à la jalousie et à l’hostilité envers le Christ et ses disciples. En effet,
alors même que Jean baptisait, ils supportaient déjà difficilement le baptême
du Christ, comme la suite le montre clairement; voilà pourquoi Jean ne cessa
pas immédiatement de baptiser — Prenez garde que cette liberté que vous avez ne
devienne pour les faibles une occasion de chute 15.
502. Le lieu du baptême était AENON, PRES DE SALIM, PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU. SALIM est appelée aussi d’un autre nom SALEM, la ville dont Melchisédech fut roi 16. L’Evangéliste dit ici SALIM parce que, chez les Juifs, le lecteur peut, à l’intérieur des mots, user des voyelles à son gré; si bien que, chez les Juifs, il importe peu que l’on dise Salim ou Salem. Et en ajoutant PARCE QU’IL Y AVAIT LA BEAUCOUP D’EAU, l’Evangéliste explique le nom du lieu, AENON, qui signifie "eau" 17.
503. Quant au fruit du baptême, c’est la rémission des péchés. C’est pourquoi l’Evangéliste dit: ET L’ON Y VENAIT, ET L’ON Y ETAIT BAPTISE, c’est-à-dire purifié; car, comme le disent Matthieu et Luc 18, une grande multitude allait à Jean.
CAR JEAN N’AVAIT PAS ENCORE
ETE MIS EN PRISON.
504. L’Evangéliste situe enfin
dans le temps ce qu’il rapporte, et par là donne à entendre qu’il fait
commencer son récit des actions du Christ avant ceux des autres Evangélistes.
Les autres, en effet, n’ont commencé le récit des oeuvres du Christ qu’à partir
du moment où Jean fut emprisonné. C’est ainsi que Matthieu commence son récit [la vie
apostolique du Christ] par ces mots Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira
en Galilée 19. Tous les actes du Christ antérieurs à l’emprisonnement de Jean
avaient donc été passés sous silence; voilà pourquoi Jean, qui écrivit son
Evangile en dernier lieu, combla cette lacune; et c’est ce qu’il fait
comprendre en disant que JEAN N’AVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON 20.
505. Notons encore que c’est en raison de l’économie divine que Jean ne baptisa ni ne prêcha plus long temps à partir du moment où le Christ Lui-même commença à baptiser, cela pour éviter qu’un schisme ne se fît dans le peuple; toutefois il lui fut permis de le faire encore un certain temps, pour ne pas apparaître comme quelqu’un que l’on doit rejeter, comme on l’a dit plus haut [n° 501]. De même, c’est encore en raison de l’économie divine que, après la prédication de la foi et la conversion des croyants, le temple fut entièrement détruit, afin que toute la piété religieuse et l’espérance des croyants soient attirées vers le Christ.
II
"OR IL S’ELEVA DE LA PART
DES DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A PROPOS DE LA
PURIFICATION. ET ILS VINRENT A JEAN ET LUI DIRENT: "RABBI, CELUI QUI ETAIT
AVEC TOI DE L’AUTRE COTE DU JOURDAIN, CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNAGE, LE
VOILA QUI BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A LUI."
506. L’Evangéliste introduit ici la discussion qui s’éleva à propos des baptêmes. II expose d’abord le fait de cette discussion, qui met en comparaison les deux baptêmes [n° 507], puis le rapport qui en est fait à Jean [n° 508], puis la manière dont celui-ci y met fin [n° 513].
OR IL S’ELEVA DE LA PART DES
DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A PROPOS DE LA PURIFICATION.
507. Le fait qu’ils étaient, comme on l’a dit, deux à baptiser, le Christ et Jean, fut pour les disciples de Jean, jaloux pour leur maître, une occasion de dissension IL S’ELEVA UNE DISCUSSION, une controverse, DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN, ce qui veut dire qu’ils en furent les instigateurs, AVEC LES JUIFS, auxquels les disciples de Jean reprochaient d’accourir vers le Christ à cause des miracles qu’Il faisait, plutôt que vers Jean, qui n’en faisait aucun.
Cette discussion s’éleva A PROPOS DE LA PURIFICATION, c’est-à-dire du baptême. Quant à la cause de la jalousie des disciples de Jean, qui les poussa à engager la controverse, ce fut le fait que Jean envoyait au Christ ceux qu’il baptisait, alors que le Christ, Lui, n’envoyait pas à Jean ceux qu’Il baptisait; ce qui laissait paraître — et peut-être les Juifs le disaient-ils — que le Christ était plus grand que Jean. C’est ainsi que les disciples de ce dernier, n’étant pas encore spirituels, se querellent avec les Juifs à ce sujet. — Puisqu’il y a parmi vous jalousie et querelle, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme? 21
ET ILS VINRENT A JEAN ET LUI
DIRENT: "RABBI, CELUI QUI ETAIT AVEC TOI DE L’AUTRE COTE DU JOURDAIN,
CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNA GE, LE VOILA QUI BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A
LUI."
508. ILS VINRENT A JEAN, dit l’Evangéliste, pour lui rapporter la discussion qu’ils avaient suscitée. Et si i’on est très attentif [texte de l’Evangile], on comprend que les disciples de Jean s’efforcèrent de provoquer chez celui-ci un sentiment d’opposition à l’égard du Christ, semblables en cela au délateur et à l’homme à la langue double dont parle l’Ecriture: Le délateur et l’homme à la langue double seront maudits, car ils en troubleront beaucoup qui avaient la paix 22.
Ces disciples mettent en avant quatre choses destinées à susciter dans l’âme de Jean une opposition à l’égard du Christ. Ils lui rappellent d’abord l’humble condition qui fut jusque-là celle du Christ [n° 509], puis le fait que Jean s’est dépensé pour le bien du Christ [n° 510]; après quoi ils soulignent que le Christ s’est approprié le ministère [qu’exerçait Jean] [n° 511] et, enfin, le dommage qui en résulte pour celui-ci [n° 512].
509. Pour lui rappeler l’humble
condition du Christ, ils disent: CELUI QUI E TAIT AVEC TOI, comme s’il
s’agissait de l’un des disciples, et non pas "celui avec qui tu
étais", comme avec un maître; car si l’on rend honneur à quelqu’un de
plus grand que nous, cela n’est pas un si grand motif de jalousie; mais si l’on
manifeste plus d’honneur à quelqu’un de plus petit que nous, c’est alors que
nous sommes jaloux — J’ai vu des esclaves sur des chevaux, et des princes
marchant sur la terre comme des esclaves 23 — J’ai appelé mon serviteur et il
ne m’a pas répondu 24. Un maître, en effet,
est plus troublé par la révolte d’un serviteur ou d’un sujet que par celle de
quelqu’un d’autre.
510. Ensuite, voulant rappeler à Jean qu’il s’est dépensé pour le bien du Christ, ils ne disent pas "celui que tu as baptisé"; car ils auraient par là confessé la grandeur du Christ qui fut manifestée lors du baptême, ils auraient reconnu que l’Esprit Saint était descendu sur Lui sous la forme d’une colombe et que la voix du Père s’était fait entendre pour Lui; mais ils disent CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNAGE, c’est-à-dire celui que tu as glorifié et vers qui tu as fait se tourner tous les regards, voilà ce qu’il a l’audace de faire en retour — ce qui est de nature à susciter beaucoup d’irritation: Celui qui mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi 25. Car ceux qui cherchent leur propre gloire 26, et qui visent leur propre avantage dans le ministère qu’ils exercent, éprouvent du mécontentement si un autre s’approprie ce ministère.
511. C’est pourquoi, en
troisième lieu, ils soulignent que le Christ s’est approprié le ministère de
Jean, en disant: LE VOILA QUI BAPTISE, c’est-à-dire qui exerce ton ministère —
ce qui est de nature à susciter beau coup de trouble. On voit en effet, d’une
façon générale, les hommes d’un même métier être à l’affût les uns des autres
et se jalouser mutuellement. Le potier est jaloux du potier, et non du
charpentier. C’est ainsi que les docteurs jaloux, qui cherchent leur propre
honneur, sont eux aussi mécontents si un autre enseigne la vérité. C’est contre
eux que Grégoire affirme: "L’âme d’un pasteur juste souhaite que d’autres
enseignent la vérité qu’à lui seul il ne suffit pas à enseigner" 27. Tel
fut Moïse: Puisse tout le peuple prophétiser, le Seigneur leur donnant son
Esprit! 28
512. Cependant les disciples de Jean ne se contentèrent pas de le provoquer à propos de ce ministère assumé par le Christ. Ils lui exposent en quatrième lieu ce qui pouvait l’affecter davantage, le dommage que le Christ semblait lui causer en s’attribuant son ministère: ET TOUS, c’est-à-dire tous ceux qui avaient coutume de venir à toi, VIENNENT A LUI — autrement dit: "Tous courent à son baptême en t’abandonnant et te méprisant." Qu’auparavant ils aient eu coutume d’aller à Jean, cela ne fait pas de doute; le Seigneur Lui-même l’atteste: Qui êtes-vous allés voir au désert? 29 Une jalousie semblable excitait les Pharisiens contre le Christ et leur faisait dire: Voilà que tout le monde court après Lui 30. Mais les propos des disciples de Jean ne réussirent pas à le dresser contre le Christ, car il n’était pas un roseau agité par le vent 31. On le voit clairement dans la réponse qui suit, par laquelle il met fin à la discussion qui lui avait été rapportée.
[5]
Jean répondit en disant: "L’homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été
donné du ciel. Vous me rendrez vous-mêmes témoignage, que j’ai dit: Je ne suis
pas, moi, le Christ, mais j’ai été envoyé devant Lui. Celui qui a l’épouse est
l’époux; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de
joie à la voix de l’époux. Cette joie qui est mienne est donc à son comble. Il
faut que Lui croisse et que moi je diminue. 31 Celui qui vient d’en haut est
au-dessus de tous. Celui qui est [de la terre est de la terre, et parle de la
terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous; et ce qu’Il a vu et
entendu, c’est de cela qu’Il témoigne."
513. Voici maintenant la réponse de Jean à la discussion qui lui avait été rapportée par ses disciples 1. Cette discussion impliquait [de la part des disciples de Jean] deux griefs, l’un portant sur le ministère que le Christ s’était approprié — LE VOILA QUI BAPTISE —, l’autre sur le fait que le Christ conquérait l’opinion et l’estime des hommes: ET TOUS VIENNENT A LUI. Aussi Jean fait-il porter sa réponse sur ces deux points: il commence par répondre au grief concernant le ministère assumé, et répond ensuite au second grief, portant sur la renommée croissante du Christ [n° 522].
Pour répondre au premier grief, il montre d’abord l’origine du ministère du Christ et du sien [n° 514], puis ce qui les distingue [n° 516], et enfin quel est le rôle propre du Christ et quel est le sien dans l’exercice de leurs ministères [n° 522].
I
JEAN REPONDIT EN DISANT:
"L’HOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR QUI NE LUI AIT ETE DONNE DU CIEL. VOUS ME
RENDEZ VOUS-MEME TEMOIGNAGE QUE J’AI DIT: JE NE SUIS PAS, MOI, LE CHRIST. MAIS
J’AI ETE ENVOYE DEVANT LUI. CELUI QUI A L’EPOUSE EST L’EPOUX; MAIS L’AMI DE
L’EPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI L’ENTEND, EST RAVI DE JOIE A LA VOIX DE
L’EPOUX. CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST DONC A SON COMBLE."
514. Dans la réponse de Jean, plusieurs choses sont à remarquer. En premier lieu, alors que ses disciples lui rapportent leur discussion dans une mauvaise intention, et qu’ils méritent pour cela d’être blâmés, Jean cependant ne leur fait pas de vifs reproches, et cela à cause de leur imperfection. Il craignait en effet que, se révoltant devant une réprimande, ils ne se séparent de lui et que, se joignant aux Pharisiens, ils ne tendent publiquement des pièges au Christ. En agissant ainsi, Jean réalise ce qui est dit du Seigneur: Il ne brisera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui fume encore 2. En même temps, il faut aussi remarquer qu’au début de sa réponse, Jean n’affirme pas au sujet du Christ des choses difficiles et élevées, mais des choses humbles et simples, et cela à cause de la jalousie de ses disciples. En effet, ce qui dans l’autre nous dépasse, provoque la jalousie; Jean aurait donc entretenu celle de ses disciples s’il avait d’emblée mis sous leurs yeux la transcendance du Christ.
[27] JEAN REPONDIT EN DISANT:
"L’HOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR QUI NE LUI AIT ETE DONNE DU CIEL."
515. Jean affirme donc ici quelque chose d’humble, avec l’intention de leur inspirer de la crainte. Le fait que tous accourent vers le Christ, veut-il leur faire comprendre, ne peut venir que de Dieu, car l’homme ne peut rien recevoir, en fait de perfection et de bien, qui ne lui ait été donné du ciel. Si donc vous vous opposez au Christ, c’est à Dieu que vous vous opposez — Si ce dessein ou cette oeuvre est des hommes, elle se détruira; mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez la détruire 3. Voilà l’explication que donne Chrysostome, qui applique au Christ l’affirmation de Jean 4.
Augustin, lui, l’applique à Jean lui-même 5, et c’est préférable. En ce sens, L’HOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR 6 QUI NE LUI AIT ETE DONNE DU CIEL signifie: "Vous, vous êtes jaloux pour moi et vous voulez que je sois plus grand que le Christ;" mais cela ne m’a pas été donné et je ne veux pas l’usurper — Nul ne s’attribue cet honneur, mais on est appelé par Dieu, comme Aaron 7. Voilà donc manifestée l’origine du ministère du Christ et de celui de Jean] ils viennent du ciel.
[28] "VOUS ME RENDEZ
VOUS-MEMES TEMOIGNAGE QUE J’AI DIT: JE NE SUIS PAS, MOI, LE CHRIST, MAIS J’AI
ETE ENVOYE DEVANT LUI."
516. Il s’agit maintenant de ce qui distingue le ministère du Christ de celui de Jean. D’après le témoignage que je Lui ai rendu, dit Jean, vous pouvez savoir quel ministère m’a été confié, et quel ministère a été confié au Christ; car VOUS ME RENDEZ VOUS-MEMES TE MOIGNAGE, c’est-à-dire vous pouvez témoigner, QUE J’AI DIT: JE NE SUIS PAS, MOI, LE CHRIST — Il confessa, il ne nia pas, il confessa: Je ne suis pas le Christ 8. Mais j’ai dit cela, poursuit-il, parce que j'ai été envoyé devant Lui, comme un héraut devant un juge. Ain si, par mon témoignage, vous pouvez savoir quel est mon ministère: précéder le Christ et Lui préparer la voie — Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin...9 —, alors que le ministère du Christ est de juger et d’exercer l’autorité.
Enfin, si l’on est attentif, on remarquera que Jean, dans sa manière de répondre, agit avec prudence: il réfute ceux qui avaient suscité la discussion en s’appuyant sur leurs propres paroles — C’est par ta propre bouche que je te juge 10.
"CELUI QUI A L’EPOUSE EST
L’EPOUX; MAIS L’AMI DE L’EPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI L’EN TEND, EST RAVI DE
JOIE A LA VOIX DE L’EPOUX. CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST DONC A SON
COMBLE."
517. Jean montre ici quel est son rôle propre dans l’exercice de son ministère. Il donne d’abord une comparaison, puis l’applique à ce qu’il veut montrer [n° 521]. La comparaison qu’il donne se rapporte d’abord au Christ, puis à lui-même [n° 519].
"CELUI QUI A L’EPOUSE EST
L’EPOUX."
518. Il faut à ce sujet souligner que, dans les choses humaines, il appartient à l’époux seul de disposer de l’épouse, d’exercer à son égard l’autorité et de l’avoir à lui. Voilà pourquoi Jean dit: CELUI QUI A L’EPOUSE, c’est-à-dire celui à qui il appartient d’avoir l’épouse, EST L’EPOUX. Or cet époux, c’est le Christ — Et lui, comme un époux sortant de sa chambre nuptiale... 11 — et son épouse est l'Eglise, qui lui est unie par la foi — Je t’épouserai dans la foi 12 La parole de Séphora à Moïse — Tu es pour moi un époux de sang 13 — est une figure de ces noces; et c’est d’elles qu’il est dit dans l’Apocalypse Voici venues les noces de l’Agneau 14. Ainsi, parce que le Christ est l’époux, il Lui appartient d’avoir l’épouse, c’est-à-dire l'Eglise; mais à moi, dit Jean, il m’appartient seulement de me réjouir de ce que l’époux a l’épouse. C’est pourquoi il ajoute:
"MAIS
L’AMI DE L’EPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI L’ENTEND, EST RAVI DE JOIE A LA VOIX
DE L’EPOUX."
519. Plus haut, Jean avait dit qu’il n’était pas digne de délier la courroie de la chaussure de Jésus 15; mais ici, pour faire comprendre la fidélité de son amour pour le Christ, il se nomme son AMI. En effet, pour ce qui concerne son maître, le serviteur n’est pas mû par un sentiment d’amour, mais par un esprit de servitude 16; tandis que l’ami, lui, s’occupe par amour des biens de son ami, et le fait avec fidélité. C’est pourquoi le serviteur fidèle est comme l’ami de son maître: Si tu as un serviteur fidèle, qu’il soit pour toi comme ton âme 17. Et la fidélité du serviteur se manifeste quand il se réjouit du bien de son maître et quand il s’occupe de ses biens non pour lui-même, mais pour son maître. Ainsi, parce que Jean n’a pas gardé pour lui, mais pour l’époux, l’épouse qui lui avait été confiée, il fut serviteur fidèle 18 et AMI DE L’EPOUX. C’est pour faire comprendre cela qu’il se dit L’AMI DE L’EPOUX
C’est ainsi que doivent agir les hommes amis de la vérité, afin de ne pas faire servir à leur propre intérêt et à leur propre gloire l’épouse confiée à leurs soins, mais de la garder avec respect pour l’honneur et la gloire de l’époux; autrement ils ne seraient pas amis de l’époux, mais plutôt adultères. C’est pourquoi Grégoire dit que le serviteur par l’intermédiaire de qui l’époux transmet ses dons est coupable de pensées adultères s’il désire plaire à l’épouse 20. L’Apôtre ne faisait pas cela, lui qui disait Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure 21. Et Jean aussi faisait de même, puisqu’il ne garda pas pour lui l’épouse, c’est-à-dire le peuple croyant, mais le conduisit à l’époux, au Christ 22.
520. Ainsi, en se disant L’AMI DE L’EPOUX, Jean fait comprendre la fidélité de son amour. Puis il fait comprendre sa constance en disant qu’il SE TIENT LA, ferme dans son amitié et sa fidélité, sans s’élever au-dessus de lui-même — A mon poste de garde je me tiendrai 23. Soyez fermes et inébranlables, vous donnant toujours plus à l’oeuvre du Seigneur 24. Si l’ami demeure constant, il sera comme ton égal 25.
Jean fait comprendre encore son attention en disant: ET QUI L’ENTEND, c’est-à-dire qui considère avec attention la manière dont l’époux est uni à l’épouse. En disant cela il dévoile, selon Chrysostome 26, le mode de ces épousailles. Celles-ci, en effet, sont célébrées dans la foi (comme on l’a dit plus haut); or la foi vient de ce que l’on entend 27 QUI L’ENTEND peut encore vouloir dire qui obéit avec un grand respect, en disposant de l’épouse selon l’ordre de l’époux — Dès le matin il éveille mon oreille pour que je l’écoute comme un maître 28. Voilà qui condamne les mauvais prélats, qui ne disposent pas de l’Eglise 29 conformément aux commandements du Christ.
Enfin Jean fait connaître sa joie spirituelle
en disant que L’AMI DE L’EPOUX est RAVI DE JOIE A LA VOIX DE L’EPOUX,
c’est-à-dire lorsque celui-ci s’adresse à l’épouse. Il dit qu’il est RAVI DE
JOIE [SE REJOUIT DE JOIE] pour montrer la vérité et la perfection de sa joie. En effet, celui
qui ne se réjouit pas du bien ne se réjouit pas d’une vraie joie. C’est
pourquoi, "si je m’affligeais de ce que le Christ, qui est l’Epoux
véritable, évangélise l’épouse, c’est-à-dire l’Eglise, je ne serais pas l’ami
de l’époux; mais je ne m’en afflige pas".
"CETTE JOIE QUI EST
MIENNE EST DONC A SON COMBLE."
521. Non, je ne m’en afflige pas, dit Jean; bien au contraire CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE, puisque je vois ce que j’ai longtemps désiré l’époux s’adressant à l’épouse. Ou encore, CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE en ce sens qu’elle atteint sa mesure parfaite dès lors que l’épouse est unie à l’époux; car je suis désormais comblé 30 et j’ai accompli mon ministère — Pour moi je me réjouirai dans le Seigneur, et j’exulterai en Dieu mon Sauveur [mon Jésus] 31.
II
IL FAUT QUE LUI CROiSSE ET QUE
MOI JE DIMINUE. CELUI QUI VIENT D’EN HAUT EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI EST
ISSU DE LA TERRE EST DE LA TERRE, ET PARLE DE LA TERRE. CELUI QUI VIENT DU CIEL
EST AU-DESSUS DE TOUS; ET CE QU’IL A VU ET ENTENDU, C’EST DE CELA QU’IL
TEMOIGNE.
522. Jean met maintenant fin à la discussion en répondant au grief concernant la renommée croissante du Christ. Pour cela il montre d’abord qu’il convenait que cette renommée croisse [n° 523], puis il en donne la raison [n° 525].
[3, 30] "IL FAUT QUE LUI
CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE."
523. Voici ce que dit Jean: Vous dites, vous que tous accourent vers le Christ, et qu’ainsi Il grandit en considération et en popularité; mais moi je dis qu’il n’y a rien à redire à cela, car IL FAUT QUE LUI CROISSE, non en Lui-même, mais par rapport aux autres, en ce sens que sa puissance doit se faire connaître d’eux de plus en plus; mais il faut QUE MOI JE DIMINUE en considération et en popularité; car ce n’est pas à moi que sont dus l’honneur et la considération, comme si je tenais la première place, mais au Christ. C’est pour quoi sa venue met fin aux marques de considération qui m’étaient données, et les fait croître à son égard, comme la venue du prince met fin à la fonction de son envoyé — Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel sera aboli 32. De même que dans le ciel l’éclat de l’étoile du matin précède le lever du soleil, mais que la venue du soleil met fin à son éclat, ainsi Jean a précédé le Christ, et c’est pourquoi on le compare à l’étoile du matin — Fais-tu lever en son temps l’étoile du matin? 33
Que le Christ doive croître et Jean diminuer, cela est signifié aussi dans la naissance et la mort de Jean. Dans sa naissance, car il naquit à l’époque où les jours commencent à décroître, tandis que la naissance du Christ eut lieu le huitième jour des calendes de janvier, au moment où les jours commencent à croître. Et dans sa mort, car Jean mourut diminué par la décapitation, tandis que le Christ mourut grandi par l’élévation sur la croix 34.
524. Au sens moral 35, il doit en être ainsi de chacun de nous: IL FAUT QUE LUI, le Christ, CROISSE en toi, c’est-à-dire qu’il faut que tu progresses dans la connaissance et l’amour du Christ. En effet, plus tu deviens capable de Le percevoir 36 par la connaissance et l’amour, plus le Christ grandit en toi; comme, à celui qui voit de mieux en mieux une même et unique lumière, il semble que cette lumière grandit 37.
Du même coup, les hommes qui progressent ainsi diminuent dans l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes; car plus on progresse dans la connaissance de la grandeur de Dieu, moins on a de considération pour la petitesse humaine. C’est pourquoi, au livre des Proverbes, aussi tôt après l’annonce Vision qu’a racontée l’homme avec qui est Dieu, on lit: "Je suis le plus insensé des hommes, et la sagesse des hommes n’est pas avec moi" 38. Et au livre de Job: Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon oeil te voit; c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre 39.
"CELUI
QUI VIENT D’EN HAUT EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI EST [DE LA TERRE EST DE LA
TERRE, ET PARLE DE LA TERRE. CELUI QUI VIENT DU CIEL EST AU-DESSUS DE TOUS; ET
CE QU’IL A VU ET ENTENDU, C’EST DE CELA QU’IL TEMOIGNE."
525, Jean donne ici la raison de ce qu’il a dit précédemment: IL FAUT
QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE; et cela de deux points de vue: du point
de vue de l’origine [n°
526] et du point de vue de l’enseignement [n° 530].
526. Toute réalité, pour être
parfaite, doit parvenir au terme qui lui est dû en raison de son origine. Par
exemple, celui qui est né d’un roi doit grandir jusqu’à ce qu’il puisse devenir
roi. Or le Christ a une origine transcendante et éternelle; il faut donc que,
par la manifestation de sa puissance, Il grandisse devant les autres jusqu’à ce
que l’on reconnaisse qu’Il est AU-DESSUS DE TOUS. Voilà pourquoi Jean dit CELUI
QUI VIENT D’EN HAUT, en parlant du Christ selon sa divinité — Personne n’est
monté au ciel, si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme
qui est au ciel 40. Vous, vous êtes d’en bas; moi je suis d’en haut 41.
527. On peut dire aussi que le Christ VIENT D’EN HAUT selon la nature humaine, en ce sens qu’Il vient de ce qu’il y a de plus élevé dans cette nature, en l’assumant dans ce qu’elle a de plus élevé en chacun de ses états 42.
On peut en effet distinguer trois états de la
nature humaine. Le premier état est celui d’avant le péché; de celui-là le
Christ a pris la pureté, en assumant une chair non souillée par la contagion de
la faute originelle — Ce sera un agneau sans tache, mâle, âgé d’un an 43. Le
second état de la nature humaine est celui d’après le péché; de celui-là le
Christ a pris la capacité de souffrir et de mourir, en assumant une chair
semblable à celle du péché du point de vue de la peine, et non pas le péché
lui-même comme faute: Dieu, en envoyant son Fils dans une chair semblable à
celle du péché, a condamné le péché dans la chair... 44. Enfin,
le troisième état de la nature humaine est celui de la résurrection et de la
gloire; et de celui-là le Christ a pris l’impossibilité de pécher et
l’épanouissement plénier de l’âme 45.
528. Mais il faut se garder ici
d’une erreur. Certains, en effet, soutiennent qu’il serait demeuré en Adam,
matériellement, quelque chose de non souillé par la tache originelle, qui
aurait été transmis pur à ses descendants, jusqu’à la bienheureuse Vierge; et
que c’est de cela que le corps du Christ aurait été formé. Une telle
affirmation est hérétique; car tout ce qui a existé matériellement en Adam a
été souillé par la tache du péché originel; et la matière à partir de laquelle
a été formé le corps du Christ fut purifiée par la puissance de l’Esprit Saint
sanctifiant la bienheureuse Vierge.
529. Ainsi le Christ vient d’en haut selon la divinité et selon la nature humaine, et Il est au-dessus de tous par l’éminence de son rang — Il est élevé au-dessus de toutes les nations, le Seigneur, et sa gloire est au-dessus des cieux 46 — ainsi que par son autorité et sa puissance: Le Père de la gloire (...) L’a établi chef sur toute l’Eglise 47.
530. C’est ensuite du point de vue de l’enseignement que Jean donne la raison de ce qu’il avait dit précédemment IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE [n° 525]. Pour cela il montre d’abord quel est le mode de l’enseignement du Christ, et sa profondeur, puis la diversité des réactions certains reçoivent cet enseignement, d’autres ne le reçoivent pas [n° 535].
Pour faire ressortir quel est le mode de
l’enseignement du Christ, Jean expose d’abord la condition de son propre enseignement
[n° 531], puis celle de l’enseignement du Christ [n° 533].
531. C’est principalement à son langage que l’on connaît l’homme — Ton langage te fait reconnaître 48. La bouche parle de l’abondance du coeur 49. Voilà pour quoi ce qui constitue l’enseignement d’un homme se découvre à partir de la condition de cet homme, et celle-ci à partir de ce qui caractérise son origine.
Pour connaître ce qui constitue
l’enseignement de Jean, il faut donc considérer en premier lieu ce qui
caractérise l’origine de Jean. Lui-même nous la dit il EST [ISSU] DE LA
TERRE, non seulement matériellement, mais aussi selon la cause efficiente,
puisque son corps fut formé par une puissance créée, comme pour tous ceux qui
habitent des maisons de boue, et qui ont un fondement de terre 50. Il
faut ensuite considérer la condition de Jean, qui est terrestre; lui-même la
manifeste en disant que CELUI QUI EST [DE LA TERRE est DE LA TERRE,
c’est-à-dire terrestre. Et c’est pourquoi, en troisième lieu, il décrit son
enseignement comme terrestre en disant qu’il PARLE DE LA TERRE, c’est-à-dire
des choses terrestres C’est de la terre que tu parleras, et de la poussière que
sera entendue ta parole 51.
532. Mais comment parle-t-il DE LA TERRE, celui qui fut rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère 52?
A cela on peut répondre, avec Chrysostome 53, que si Jean dit qu’il parle des choses terrestres, c’est en comparaison de l’enseignement du Christ. Autrement dit, les choses dont il parle sont petites et humbles, susceptibles d’être saisies par une nature terrestre, comparativement à [Ce que peut dire] Celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu 54. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées 55.
Ou bien l’on peut répondre avec Augustin 56, et c’est même préférable; qu’en tout homme il faut distinguer ce qu’il possède de lui-même et ce qu’il tient d’un autre. Or Jean, et de même tout homme comme tel, n’a par lui-même que d’être DE LA TERRE; et donc, pour ce qui est de lui, il ne peut parler que DE LA TERRE, et s’il dit des choses divines, il le tient d’une illumination de Dieu — Ton coeur est en proie à des imaginations (...) à moins qu’elles ne te soient envoyées par le Très-Haut dans une vision, n’y abandonne pas ton coeur 57. C’est pourquoi l’Apôtre dit: Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 58. Et Jésus Lui-même: Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous 59. Ainsi, pour ce qui est de lui, Jean est DE LA TERRE et PARLE DE LA TERRE. S’il y eut en lui quel que chose de divin, il faut l’attribuer non à celui qui reçoit, mais à celui qui illumine.
"CELUI QUI VIENT DU CIEL
EST AU-DESSUS DE TOUS; ET CE QU’IL A VU ET ENTENDU, C’EST DE CELA QU’IL
TEMOIGNE."
533. Jean montre ici ce qui constitue l’enseignement du Christ, en trois points. Il commence par dire ce qui caractérise l’origine du Christ: elle est céleste, Il VIENT DU CIEL. En effet, si le corps du Christ a été, matériellement, tiré de la terre, il est cependant venu du ciel dans son principe efficient, en ce sens qu’il a été formé par la puissance divine. Le Christ vient aussi du ciel en ce sens que c’est la personne éternelle et incréée du Fils de Dieu qui vient du ciel en assumant la chair: Personne n’est monté au ciel, si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 60.
Jean montre ensuite la dignité de la condition du Christ, qui est souverainement élevée: Il EST AU-DESSUS DE TOUS, affirmation qui a été commentée plus haut [n° 529].
Enfin Jean conclut en affirmant la dignité de l’enseignement du Christ, qui est absolument sûr, car CE QU’IL A VU ET ENTENDU, C’EST DE CELA QU’IL TEMOIGNE. En effet le Christ, en tant que Dieu, est la Vérité même; mais en tant qu’homme Il est témoin de la Vérité: Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la Vérité 61. Voilà pourquoi Il se rend témoignage à Lui-même [ce que Lui reprocheront les Pharisiens]: Tu te rends témoignage à toi-même 62 ; mais ce dont Il témoigne est certain, parce qu’Il témoigne de ce qu’Il a vu auprès de son Père — Pour moi, ce que j’ai vu auprès de mon Père, je le dis — et de ce qu’Il a entendu — Et moi, ce que j’ai entendu de Lui, je le dis 63 au monde 64. A leur tour les Apôtres diront: Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons 65.
534. Notons ici qu’on ne connaît pas une réalité de la même manière par la vue et par l’ouïe. Par la vue, en effet, on connaît la réalité par la réalité même que l’on voit; tandis que par l’ouïe on ne connaît pas la réalité par la voix même que l’on entend, mais par l’intelligence de celui qui parle. Parce que le Seigneur possède la science qu’Il reçoit de son Père, on parle de CE QU’IL A VU en tant qu’Il procède de l’essence du Père, et de CE QU’IL A ENTENDU en tant qu’Il procède, comme Verbe, de l’intelligence du Père. Dans les réalités intelligentes, autre est l’être, autre le connaître; et, à cause de cela, elles reçoivent leur connaissance autrement de la vue et de l’ouïe. Mais en Dieu le Père, l’être et le connaître sont identiques; et c’est pourquoi, dans le Fils, voir et entendre sont identiques. De même encore, ce n’est pas l’essence même de la réalité en elle-même qui est [en celui qui voit, mais une similitude de cette réalité; et en celui qui entend n’est pas [sent] ce que conçoit "celui qui parle", mais un signe de ce concept; et, à cause de cela, celui qui voit n’est pas l’essence même de la réalité en elle-même, et celui qui entend n’est pas le verbe, ou ce que conçoit, celui qui parle. Mais dans le Fils est l’essence même du Père, reçue par génération, et le Fils est Lui-même le Verbe [du Père]; voir et entendre sont donc en Lui identiques 66.
Jean conclut donc de là: "Puisque
l’enseignement du Christ est plus élevé et plus certain que le mien, il faut
écouter le Christ plus que moi."
32b
"Et son témoignage, personne ne le reçoit. Celui qui reçoit son témoignage
certifie que Dieu est véridique. En effet, Celui que Dieu a envoyé dit les
paroles de Dieu; car Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure. Le Père aime le
Fils, et Il a tout remis dans sa main. Celui qui croit en le Fils a la vie
éternelle; celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie, mais la
colère de Dieu demeure sur lui."
535. Plus haut, Jean-Baptiste a attiré l’attention de ses disciples sur l’enseignement du Christ [n° 530]; il parle maintenant de la foi qu’il faut avoir en cet enseignement, en montrant d’abord la rareté des croyants, c’est-à-dire de ceux qui reçoivent le témoignage [n° 536], puis le devoir de croire [n° 538], et enfin la récompense de la foi [n° 546].
I
"ET SON TEMOIGNAGE,
PERSONNE NE LE REÇOIT."
536. Jean déclare donc: "J’affirme
que le Christ possède la science certaine et qu’Il dit la vérité. Cependant peu
reçoivent son témoignage; mais cela ne diminue en rien son enseignement, parce
que cela ne provient pas de Lui mais de ceux qui ne reçoivent pas son
témoignage", autrement dit les disciples de Jean qui ne croyaient pas
encore et les Pharisiens, qui s’opposaient à l’enseignement du Christ. Voilà
pourquoi Jean dit: ET SON TEMOIGNAGE, PERSONNE NE LE REÇOIT.
537. PERSONNE, ici, peut s’entendre en deux sens. PERSONNE peut ici vouloir dire "peu" — si toutefois il en est quelques-uns pour le recevoir. De fait, que quelques-uns le reçoivent, il le montre en ajoutant: CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE... L’Evangéliste s’est déjà exprimé de la même manière en disant plus haut qu’Il est venu chez Lui et que les siens ne l’ont pas reçu 1, parce que peu L’ont reçu. D’autre part, recevoir le témoignage de Dieu, c’est croire en Dieu; mais nul ne peut croire en Dieu par lui-même: on ne le peut que par Dieu — C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, car c’est un don de Dieu 2. En ce sens Jean veut dire que PERSONNE NE LE REÇOIT par lui-même, que seul le reçoit celui à qui cela est donné par Dieu.
On peut encore donner une autre interprétation. L’Ecriture a coutume de parler d’un seul peuple comme de deux. Parce que, tant que nous sommes en ce monde, les méchants sont mêlés aux bons, l’Ecriture parle du "peuple" tantôt avec l’intention de parler des méchants, tantôt avec l’intention de parler des bons. On trouve cette manière de parler dans Jérémie, qui dit d’abord (au chapitre 26), que tout le peuple et les prêtres cherchaient à le tuer 3— avec ici l’intention de parler des méchants — ‘ pour dire aussitôt après, en parlant cette fois des bons, que tout le peuple cherchait à le libérer 4. De même Jean-Baptiste, portant le regard vers la gauche, c’est-à-dire vers les méchants 5, dit: ET SON TEMOIGNAGE PERSONNE NE LE REÇOIT; puis, se tournant vers la droite, c’est-à-dire vers les bons, il dit: CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE...
II
"CELUI QUI REÇOIT SON
TEMOIGNAGE CERTIFIE QUE DIEU EST VERIDIQUE. EN EFFET, CELUI QUE DIEU A ENVOYE
DIT LES PAROLES DE DIEU; CAR DIEU NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC MESURE. LE PERE
AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN."
538. Jean montre ici l’exigence de la foi, qui consiste à se soumettre à la vérité divine. Pour cela il commence par affirmer la vérité divine [n° 539], puis parle de l’annonce de cette vérité [n° 540], puis de la capacité de l’annoncer [n° 541], et donne enfin la raison de cette capacité [n° 545].
[33] CELUI QUI REÇOIT SON
TEMOIGNAGE CERTIFIE QUE DIEU EST VERIDIQUE.
539. Ce que la foi exige de l’homme, c’est qu’il se soumette à la vérité divine. C’est pourquoi Jean dit que CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE — car, bien que peu le reçoivent, il en est cependant quelques-uns pour le recevoir —, celui-là, quel qu’il soit, CERTIFIE 6, c’est-à-dire doit poser sur son coeur comme un sceau 7 attestant que le Christ est Dieu, et qu’Il EST VERIDIQUE parce qu’Il se dit Lui-même Dieu; s’Il ne l’était pas, Il ne serait pas véridique 8: or il est écrit que Dieu est véridique C’est de ce sceau qu’il est écrit Pose-moi comme un sceau sur ton coeur 9 ; et La solide fondation de Dieu tient debout, munie de ce sceau: le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui 10.
On peut encore comprendre avec Chrysostome 11 : CELUI
QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE, celui-là CERTIFIE, c’est-à-dire manifeste, QUE DIEU,
le Père, EST VERIDIQUE parce qu’Il a envoyé son Fils qu’Il avait promis
d’envoyer. Et l’Evangéliste dit cela pour montrer que ceux qui ne croient pas
au Christ nient la vérité du Père. C’est pourquoi il attire aussitôt
l’attention sur la vérité divine en disant: "EN EFFET, CELUI QUE DIEU A
ENVOYE DIT LES PAROLES DE DIEU".
540. Autrement dit, CELUI QUI REÇOIT SON TE MOIGNAGE CERTIFIE que CELUI dont il reçoit le témoignage, le Christ, QUE DIEU A ENVOYE, DIT LES PAROLES DE DIEU. Voilà pourquoi celui qui croit à Lui croit au Père. Celui qui m’a envoyé est véridique; et moi, ce que j’ai entendu de Lui, je le dis au monde 12. Le Christ ne disait donc que le Père et les paroles du Père, parce qu’Il avait été envoyé par le Père et parce qu’Il est Lui-même le Verbe du Père; et de là vient encore que, quand Il parle de Lui-même, c’est du Père qu’Il parle.
Les paroles DIEU EST VERIDIQUE peuvent aussi se rapporter au Christ. Elles donnent alors à entendre la distinction des personnes. En effet, puisque le Père est le Dieu VERIDIQUE et que le Christ est le Dieu VERIDIQUE, il s’ensuit que le vrai Dieu a envoyé le vrai Dieu, distinct de Lui dans la personne, non dans la nature.
"CAR DIEU NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC
MESURE."
541. Le Christ possède au plus
haut degré le pouvoir d’annoncer la vérité parce qu’Il n’a pas reçu l’Esprit
AVEC MESURE. Voilà pourquoi Jean dit ici que DIEU NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC
MESURE. On pourrait dire en effet que, bien qu’Il ait été envoyé par Dieu, tout
ce qu’Il dit ne vient pas de Dieu, mais seulement une partie; car les prophètes
eux-mêmes ont parlé tantôt par eux-mêmes, selon leur propre esprit, tantôt en
étant mus par l’Esprit de Dieu. On lit par exemple, au second livre de Samuel,
que le prophète Nathan, parlant selon son propre esprit, conseilla à David de
construire le temple; mais que, par la suite, mû par l’Esprit de Dieu et
obéissant à son ordre, il retira ce qu’il avait dit 13. Mais le Baptiste montre qu’il
n’en va pas ainsi pour le Christ; car si les prophètes reçoivent l’Esprit de
Dieu avec mesure, c’est-à-dire pour certaines choses et non pour toutes, et, de
ce fait, ne disent pas à propos de tout LES PAROLES DE DIEU, le Christ, Lui,
parce qu’Il a reçu l’Esprit sans mesure et pour toutes choses, DIT en toutes
choses LES PAROLES DE DIEU.
542. Mais comment l’Esprit Saint peut-Il être donné à quelqu’un avec mesure, puisqu’Il est immense, comme l’affirme Athanase dans son Symbole: "Immense est le Père, immense le Fils, immense le Saint-Esprit 13a"
A cela je réponds qu’aux hommes l’Esprit Saint est donné avec mesure, non pas quant à son essence et à sa puissance, selon lesquelles Il est infini, mais quant à ses dons qui, eux, sont donnés avec mesure: A chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ 14.
543. Il faut noter aussi que ce qui est dit ici du Christ, à savoir que DIEU, le Père, ne Lui a pas donné L’ESPRIT AVEC MESURE, peut s’entendre de deux manières: on peut l’entendre du Christ en tant qu’Il est Dieu ou en tant qu’Il est homme. En effet, si l’on donne quelque chose à quelqu’un, c’est pour que celui-ci le possède, qu’il l’ait. Or avoir l’Esprit Saint convient au Christ à la fois en tant que Dieu et en tant qu’homme; c’est donc à ce double titre qu’Il a l’Esprit Saint. Cependant, en tant qu’homme, Il a l’Esprit Saint comme Celui qui Le sanctifie L’Esprit du Seigneur est sur moi par ce que le Seigneur m’a oint 15, c’est-à-dire [oint en moi] l’homme; tandis que, comme Dieu, Il a l’Esprit Saint comme Celui qui seulement Le manifeste, parce qu’Il procède de Lui 16. Celui-là me glorifiera, parce qu’Il recevra de ce qui est à moi, et Il vous l’annoncera 17.
Ainsi, de l’une et l’autre manière, en tant qu’Il est Dieu et en tant qu’Il est homme, le Christ a l’Esprit Saint sans mesure. Car nous disons qu’au Christ en tant que Dieu, DIEU le Père NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC MESURE parce qu’Il Lui donne le pouvoir et la puissance de spirer l’Esprit Saint. Celui-ci étant infini, le Père Le Lui donne infiniment, et Il Le Lui donne comme Il Le possède Lui-même: c’est-à-dire que, comme Il procède du Père, ainsi l’Esprit procède aussi du Fils. Et cela, le Père le donne au Fils par la génération éternelle. De même le Christ, en tant qu’homme, n’a pas eu [Lui] L’ESPRIT AVEC MESURE. Aux hommes, en effet, l’Esprit Saint est donné avec mesure parce que c’est avec mesure que sa grâce leur est donnée; mais le Christ, en tant qu’homme, n’a pas reçu la grâce avec mesure, et donc Il n’a pas reçu l’ESPRIT Saint AVEC MESURE.
544. Il faut noter ici qu’il y a dans le Christ trois grâces la grâce d’union, la grâce propre à la personne, ou grâce habituelle, et la grâce capitale, qui est une grâce de fécondité. Chacune de ses grâces a été reçue sans mesure par le Christ.
La grâce d’union, qui n’est pas la grâce habituelle, est un don gratuit accordé au Christ pour qu’Il soit Dieu, Fils de Dieu, non par participation, mais par nature, dans la nature humaine, en tant que la nature humaine du Christ elle-même est unie dans la personne au Fils de Dieu. Cette union est dite "grâce" car le Christ l’a reçue sans aucun mérite antérieur. Et parce que être Dieu par nature est infini 18, le Christ a reçu, par cette union même, un don infini. Il n’a donc pas reçu AVEC MESURE l’Esprit, c’est-à-dire le don et la grâce de l’union qui, en tant que gratuite, est attribuée à l’Esprit Saint.
On appelle habituelle la grâce selon laquelle l’âme du Christ fut pleine de grâce et de sagesse, comme il a été dit plus haut: nous L’avons vu comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité 19. Cette grâce, on peut se demander s’Il ne l’a pas reçue avec mesure. En effet, puisqu’une telle grâce est un don créé, il faut reconnaître qu’elle a une essence finie 20.
Certes, dans son essence, en tant qu’elle est quel que chose de créé, la grâce habituelle du Christ fut finie [reçue donc limitée]; cependant on dit que le Christ l’a reçue sans mesure, pour trois raisons.
D’abord à cause de celui qui reçoit cette grâce. Il est manifeste que la capacité de toute nature est finie; car, même si elle peut recevoir le bien infini en le connaissant, en l’aimant et en jouissant de lui, elle ne le reçoit cependant pas infiniment. Chaque créature a, suivant son espèce et sa nature, une mesure déterminée de capacité; ce qui n’empêche pas que la puissance divine pourrait faire [de cette créature] une autre créature douée d’une plus grande capacité; mais alors cette dernière ne serait plus de même nature selon l’espèce — de même que, si l’on ajoute une unité au nombre trois, il devient alors une autre espèce de nombre. Quand donc il n’est pas donné à une réalité autant de bonté divine qu’en peut recevoir la capacité naturelle de son espèce, il apparaît que le don lui a été fait avec mesure. Quand, au contraire, toute la capacité naturelle est comblée, il ne semble pas que le don lui soit fait avec mesure, parce que, même s’il y a mesure du côté de celui qui reçoit, il n’y a pas mesure du côté de celui qui donne, lequel est prêt à tout donner. Si quelqu’un porte au fleuve un vase, il y trouve à sa disposition de l’eau sans mesure, bien qu’il la reçoive avec mesure à cause des dimensions limitées du vase. Ainsi, bien que la grâce habituelle du Christ soit finie [selon son essence, on dit qu’elle Lui est donnée infiniment, et non avec mesure, parce qu’elle Lui est donnée autant que la nature créée peut la recevoir.
La seconde raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure est du côté du don reçu. En effet, toute forme ou tout acte, considéré en lui-même, n’est pas fini [à la manière dont il est limité par le sujet en lequel il est reçu; mais rien n’empêche qu’il soit fini selon son essence, en tant que son acte d’être est reçu dans quelque chose. Est infini selon son essence Celui qui a toute la plénitude de l’acte d’être: mais cela ne convient qu’à Dieu, qui est son être. Supposons maintenant qu’une forme particulière, par exemple la blancheur ou la chaleur, existe sans être [reçue] dans un sujet: elle n’aurait certes pas une essence infinie, puisque son essence serait limitée à un genre ou une espèce; néanmoins elle posséderait toute la plénitude de l’espèce, et donc, considérée en tant qu’espèce, elle serait sans limite ou sans mesure, possédant tout ce qui peut appartenir à cette espèce. Mais si la blancheur ou la chaleur est reçue dans un sujet, elle n’a pas toujours tout ce qui appartient nécessairement et toujours à cette forme considérée en elle-même: elle ne l’a que quand elle est possédée aussi parfaitement qu’elle peut l’être, c’est-à-dire de telle sorte que le mode de possession soit adéquat à la capacité de la réalité possédée. Ainsi, la grâce habituelle du Christ fut certes finie selon son essence, et pourtant on dit qu’elle fut sans limite et sans mesure parce que, tout ce qui pouvait appartenir à la grâce considérée en elle-même 21, le Christ l’a reçu en totalité. Les autres, eux, ne reçoivent pas tout: l’un reçoit de telle manière, l’autre de telle autre: Il y a répartition des grâces 22.
Enfin, la troisième raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure relève de la cause même de la grâce. Car dans la cause est contenu d’une certaine manière l’effet. On dira donc, de celui (quel qu’il soit) en qui se trouve une cause ayant une puissance infinie de produire un effet, qu’il possède cet effet sans mesure et en quelque sorte infiniment. Par exemple, si quelqu’un possédait une source capable de jaillir infiniment, on dirait qu’il possède l’eau sans me sure et infiniment. De même l’âme du Christ possède une grâce infinie et sans mesure, parce qu’elle est unie au Verbe qui est le principe infini et inépuisable de toute l’émanation des créatures 23.
De ce qui vient d’être dit il ressort clairement que la grâce du Christ, qu’on appelle "capitale" parce que le Christ est la tête de l’Eglise 24, est elle aussi infinie dans sa fécondité [notre égard]. En effet, du [seul fait] qu’Il possède la grâce, Il la répand. Et donc, parce qu’Il a reçu sans mesure les dons de l’Esprit, Il possède sans mesure la puissance de les répandre, de sorte que la grâce du Christ suffit non seulement au salut de quelques hommes, mais à celui des hommes du monde entier: Il est Lui-même victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier 25 — on pourrait même ajouter: et de plusieurs mondes, s’ils existaient.
"LE PERE AIME LE FILS, ET
IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN."
545. Le Christ possède aussi la capacité qui convient pour annoncer la vérité divine, parce que tout est en sa puissance. Voilà pourquoi Jean dit: LE PERE AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN, ce qui peut se rapporter au Christ en tant qu’homme et au Christ en tant que Dieu, mais de deux manières différentes.
Si ces paroles se rapportent au Christ selon sa nature divine, alors AIME n’exprime pas [une relation de] principe 26, mais [de] Signe; car nous ne pouvons pas dire que le Père donne tout au Fils parce qu’Il L’aime, et cela pour deux raisons. D’abord parce que aimer est un acte de la volonté, alors que donner au Fils sa nature, c’est L’engendrer; si donc c’était par sa volonté que le Père donnait au Fils sa nature, c’est la volonté du Père qui serait le principe de la génération du Fils, et par conséquent le Père engendrerait le Fils par sa volonté et non par sa nature — ce que prétend l’hérésie arien ne. En second lieu, parce que l’amour du Père pour le Fils est l’Esprit Saint. Si donc la raison pour laquelle le Père a TOUT REMIS entre les mains du Fils était son amour pour Lui, le Saint-Esprit serait principe de la génération du Fils — ce qui n’est pas conforme [à la foi]. Il faut donc dire que AIME inclut seulement [relation de] signe; autrement dit l’amour parfait dont le Père aime le Fils est [signifié] par 27 y le fait que le Père a TOUT REMIS DANS SA MAIN, c’est-à-dire tout ce que Lui, le Père, possède — Tout m’a été remis par mon Père 28. Sachant que le Père avait tout remis dans ses mains... 29
Mais si ces paroles se rapportent au Christ en tant qu’homme, AIME est comme leur principe. On veut dire alors que le Père a TOUT REMIS entre les mains du Fils, c’est-à-dire tout ce qui est au ciel et sur la terre 30: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre Dieu (...) a établi [Fils] héritier de toutes choses 31. Et pour quelle raison le Père a-t-Il TOUT REMIS au Fils? parce qu’Il L’aime. C’est pourquoi Jean dit: LE PERE AIME LE FILS, car c’est bien l’amour du Père qui est la raison de la création de toute créature Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait 32. L’Ecriture nous parle de cet amour du Père pour le Fils: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance 33. Dieu le Père (...) nous a transférés dans le Royaume du Fils de son amour 34, c’est-à-dire de son Fils bien-aimé.
III
"CELUI QUI CROIT EN LE
FILS A LA VIE ETERNELLE; CELUI QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA
VIE, MAIS LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR LUI."
546. Par ces paroles le Baptiste montre quel est le fruit de la foi, et cela en exposant d’abord la récompense de la foi [n° 547], puis le châtiment de l’infidélité [rejet de la foi] [n° 548].
CELUI QUI CROIT EN LE FILS A
LA VIE ETERNELLE
547. La récompense de la foi est inestimable: c’est la vie éternelle. Jean le dit ici, et ce qui précède le montre. Si le Père A TOUT REMIS au Fils, c’est-à-dire s’Il Lui a donné tout ce qu’Il a, et s’Il a la vie éternelle, Il a donc donné aussi au Fils d’être la vie éternelle Com me le Père a la vie en Lui-même, ainsi a-t-Il donné au Fils d’avoir la vie en Lui-même 35, ce qui convient au Christ en tant qu’Il est le vrai Fils de Dieu par nature — Afin que nous soyons en son vrai Fils, Jésus-Christ. C’est Lui le véritable Dieu et la vie éternelle 36. Celui qui croit en Lui a ce vers quoi il tend, c’est-à-dire le Fils Lui-même en qui il croit. Et parce qu’Il est Lui-même la vie éternelle, celui qui croit en Lui a la vie éternelle Mes brebis écoutent ma voix (...) et moi je leur donne la vie éternelle 37.
"CELUI QUI REFUSE DE
CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA VIE, MAIS LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR
LUI."
548. Le châtiment de l’infidélité est intolérable, tant en ce qui concerne la peine du dam, qu’en ce qui regarde la peine du sens 38.
Il est intolérable en ce qui concerne la peine du dam, parce qu’on est privé de la vie. C’est pourquoi Jean dit: CELUI QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA VIE. Il ne dit pas: "n’aura pas", mais NE VER RA PAS, parce que la vie éternelle consiste dans la vision de la vraie vie — La vie éternelle, c’est qu’ils te connais sent, toi le seul vrai Dieu, et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 39. Cette vision et cette connaissance, ceux qui refusent de croire ne l’auront pas: l’impie, dit le livre de Job, ne voit pas couler les ruisseaux [d’huile], les torrents de miel et de laitage 40, c’est-à-dire la vie éternelle. Et Jean dit NE VERRA PAS, parce que voir la vie elle-même est la récompense propre de la foi formée 41.
Le châtiment de l’infidélité [du rejet de la foi] est également intolérable en ce qui concerne la peine du sens, parce qu’on est lourdement puni. C’est pourquoi Jean dit: LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR LUI. L’Ecriture, en effet, parle de la "colère" de Dieu pour exprimer la peine dont Il punit les méchants. Par conséquent, dire LA COLERE DE DIEU le Père DEMEURE SUR LUI, c’est dire: il ressentira la peine infligée par Dieu le Père. Et bien que le Père ait remis au Fils tout jugement 42, le Baptiste attribue cependant cela au Père, dans le dessein d’amener par là les Juifs à croire au Fils. Et de ce jugement il est dit qu’il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant 43. S’il dit que la colère de Dieu DEMEURE sur ceux qui refusent de croire, c’est parce que cette peine qu’ils devront subir ne cessera jamais, et parce que tous ceux qui naissent en cette vie mortelle ont sur eux la colère de Dieu que porta le premier Adam — Nous étions par nature, c’est-à-dire par notre naissance, fils de colère 44. Or, de cette colère, nous ne sommes délivrés que par la foi au Christ; c’est pourquoi ceux qui ne croient pas en le Christ, Fils de Dieu, LA COLERE DE DIEU DEMEURE sur eux.
CHAPITRE
IV: La vie spirituelle étendue aux nations
1
Quand donc Jésus connut que les Pharisiens avaient entendu dire qu’Il faisait
plus de disciples et en baptisait plus que Jean 2 (pourtant ce n’était pas
Jésus qui baptisait, mais ses disciples), Il quitta la Judée et s’en alla de
nouveau en Galilée. Or il Lui fallait passer par la Samarie. Il vient donc dans
une ville de Samarie nommée Sichar, près du domaine que Jacob donna à son fils
Joseph. 6 était la source de Jacob. Jésus, donc, fatigué de la route, était
assis à même la source. C’était environ la sixième heure. Vient une femme de
Samarie pour puiser de l’eau. Jésus lui dit: "Donne-moi à boire. " 8
Ses disciples en effet étaient partis pour la ville afin d’y acheter des
vivres. Cette femme samaritaine Lui dit donc: "Comment! toi qui es juif,
tu me demandes à boire, à moi qui suis une femme samaritaine?" Les Juifs
en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains.
549. Après avoir exposé l’enseignement du Christ sur la régénération spirituelle, et montré que le Christ avait communiqué cette grâce aux Juifs [n° 423], l’Evangéliste va montrer maintenant comment cette grâce même est venue par le Christ jusqu’aux nations païennes 1. Or la grâce salvatrice du Christ a été communiquée aux nations de deux manières: par l’enseignement et par les miracles. Les Onze, rapporte Marc, étant partis, prêchèrent partout — voilà l’enseignement —, le Seigneur oeuvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui l’accompagnaient 2 — voilà les miracles.
L’Evangéliste montre donc d’abord comment la conversion des nations va s’opérer par l’enseignement [n° 549], puis comment elle va s’opérer par des miracles [n° 664].
Avant de montrer la première manière dont va s’opérer cette conversion, il commence par donner quelques préambules à l’enseignement [n° 549], puis expose l’enseignement lui-même et son effet [n° 575].
I
QUAND
DONC JESUS CONNUT QUE LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QU’IL FAISAIT PLUS DE
DISCIPLES ET EN BAPTISAIT PLUS QUE JEAN (POURTANT CE N’ETAIT PAS JESUS QUI BAP
TISAIT, MAIS SES DISCIPLES), IL QUITTA LA JUDEE ET S’EN ALLA DE NOUVEAU EN
GALILEE. OR IL LUI FALLAIT PASSER PAR LA SAMARIE. IL VIENT DONC DANS UNE VILLE
DE SAMARIE NOMMEE SICHAR, PRES DU DOMAINE QUE JACOB DONNA A SON FILS JOSEPH.
Du côté de celui qui enseigne, le préambule [à l’enseignement] est son arrivée au lieu où Il va enseigner. L’Evangéliste indique donc le lieu d’où vient le Christ la Judée [n° 550], puis le lieu où Il se rend la Galilée [n° 557], et enfin le lieu par lequel Il passe: la Samarie [n° 558].
Concernant le premier point, il donne d’abord la cause pour laquelle le Christ a quitté le lieu où Il était [n° 550], puis il ajoute quelques précisions au sujet de cette cause [n° 554]; enfin il expose le départ du Christ de Judée [n° 556].
QUAND DONC JESUS CONNUT QUE
LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QU’IL FAISAIT PLUS DE DISCIPLES ET EN
BAPTISAIT PLUS QUE JEAN (POURTANT CE N’ETAJT PAS JESUS QUI BAPTISAIT, MAÏS SES
DISCIPLES), IL QUITTA LA JUDEE...
550. L’Evangéliste veut montrer
ici que, après que le Baptiste eut réprimé la jalousie de ses disciples, le
Christ se déroba à la malveillance des Pharisiens.
551. Mais comme il est dit dans l’Ecriture, du Seigneur notre Dieu, avant qu’elles fussent créées, toutes choses étaient connues 3, et tout est à nu et à découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte 4; il semble donc qu’il faille se demander en quel sens il est dit que Jésus connaît quelque chose de nouveau.
A cela il faut répondre que Jésus, en vertu
de sa divinité, connut de toute éternité toutes les choses passées, présentes
et futures, comme le garantit l’autorité de l’Ecriture que l’on vient de citer;
mais que, en tant qu’homme, Il apprit des choses nouvelles, d’une con naissance
expérimentale. C’est de cela qu’il s’agit quand l’Evangéliste dit: QUAND DONC
JESUS CONNUT, après qu’on le Lui eut appris, QUE LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU
DIRE, etc. Si le Christ voulut recevoir cette connaissance comme une
connaissance toute nouvelle, c’était dans le dessein de manifester la vérité de
sa nature humaine, de même qu’Il voulut, dans ce but, faire et souffrir
beaucoup d’autres choses qui sont propres à la nature humaine.
552. Mais pourquoi est-il dit que LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES EN BAPTISAIT PLUS QUE JEAN, puisque cela ne les concernait pas? Ces mêmes Pharisiens, en effet, persécutaient Jean et ne le croyaient pas. Comme le rapporte Matthieu, lorsque le Seigneur leur demanda d’où venait le baptême de Jean, ils se dirent entre eux: Si nous répondons: Du ciel, il nous dira Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru? 5 C’est donc qu’ils n’avaient pas cru Jean.
A cette question on peut répondre de deux manières. Ou bien les disciples de Jean qui avaient précédemment provoqué une discussion contre le Christ étaient eux-mêmes Pharisiens ou liés aux Pharisiens; cela expliquerait qu’il soit dit, en Matthieu, que les Pharisiens, en même temps que les disciples de Jean, posèrent des questions hostiles aux disciples du Christ 6. Et la conclusion que tire l’Evangéliste en disant: QUAND DONC JESUS CONNUT (...), IL QUITTA LA JUDEE, signifierait ceci après que Jésus eut compris la discussion des disciples de Jean, qui étaient Pharisiens ou liés aux Pharisiens, et leur agitation au sujet de son baptême et de celui de ses disciples, IL QUITTA LA JUDEE.
Ou bien — seconde réponse possible — les Pharisiens furent, par jalousie, troublés au sujet de la prédication de Jean, et à cause de cela persuadèrent Hérode de se saisir de lui. Cela apparaît clairement dans le passage de Matthieu où le Christ, parlant de Jean, dit Elie est déjà venu (...) et ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu, pour ajouter aussitôt: De même le Fils de l’homme aura à souffrir par eux 7, passage au sujet du quel la Glose 8 dit que les Pharisiens incitèrent Hérode à emprisonner Jean et à le faire mourir. Il semble donc probable qu’ils éprouvaient contre le Christ une irritation semblable, du fait qu’Il prêchait. Et en ce sens, les paroles de l’Evangéliste signifient que les Pharisiens, jaloux du Christ et tout prêts à Le persécuter, avaient prêté attention, en vue de Le persécuter, au fait QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES ET EN BAPTI SAIT PLUS QUE JEAN.
553. De cette manière d’entendre [de prêter attention] il est dit au livre de Job La perdition et la mort ont dit: Nous en avons de nos oreilles entendu parler 9. Mais les bons, eux, écoutent pour obéir: Nous avons entendu dire que [l’arche du Seigneur] était en Ephrata (...) Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds 10.
Les Pharisiens, donc, avaient entendu dire
deux choses QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES QUE JEAN, ce qui était, certes,
juste et compréhensible puis que, comme il a été dit plus haut, il fallait que
le Christ croisse et que je [Jean] diminue 11; et que Jésus BAPTISAIT, cela à juste titre, puisque c’est Lui qui
purifie Lève-toi, Seigneur, en baptisant, selon le précepte que tu as établi au
sujet du baptême, et l’assemblée des peuples réunis par le baptême
t’environnera 12.
554. En disant ensuite que, POURTANT, CE N’ETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT, MAIS SES DISCIPLES, l’Evangéliste précise ce qu’il vient de dire au sujet du baptême du Christ dont les Pharisiens avaient entendu parler.
Cependant Augustin dit qu’il semble y avoir là une incohérence. Plus haut, en effet, l’Evangéliste avait dit qu’Il baptisait mais ici, comme pour corriger une affirmation qui aurait été fausse, il dit ET POURTANT CE N’ETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT 14.
A cela on peut répondre de deux manières. Selon Chrysostome 15, ce que l’Evangéliste dit ici est vrai: le Christ n’a baptisé personne. Quant à ce qui a été dit précédemment, à savoir qu’Il baptisait, il faut le prendre comme le bruit qui courait chez les Pharisiens, que le Christ baptisait; et cela parce qu’on serait venu leur dire: "Vous avez fait emprisonner Jean parce qu’il faisait des disciples et baptisait: mais voilà que celui-ci, c’est-à-dire Jésus, fait plus de disciples que Jean, et baptise. Pourquoi donc le supportez-vous?" Ce n’est donc pas de lui-même que l’Èvangéliste, plus haut, dit que le Christ baptise il rapporte ce que les Pharisiens ont entendu dire. Et maintenant, voulant corriger la fausse rumeur qui circule dans le peuple, il dit: Il est vrai que les Pharisiens ont entendu dire que le Christ baptise, mais c’est faux. Tel est le sens de ses paroles: POUR TANT CE N’ETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT, MAIS SES DISCIPLES.
Toujours selon Chrysostome, le Christ n’a pas baptisé parce qu’en aucun des baptêmes conférés par Jean et les disciples du Christ durant tout le temps qui précéda la Passion du Christ, l’Esprit Saint ne fut donné; mais le but de ce baptême était de disposer les hommes au baptême du Christ et de les rassembler pour la prédication, comme Chrysostome le dit lui-même 16. Il ne convenait pas, en effet, que le Christ baptisât, si dans ce baptême n’était pas donné l’Esprit Saint, qui ne fut pas donné avant la Passion du Christ, comme il sera dit plus loin: L’Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié 17.
Mais d’après Augustin 18 il faut dire, et c’est plus vrai, que les disciples conféraient le baptême du Christ, c’est-à-dire le baptême dans l’eau et dans l’Esprit, lequel était donné dans ce baptême, et que le Christ Lui-même à la fois baptisait et ne baptisait pas. Il baptisait, certes, parce que c’est Lui qui purifiait intérieurement; mais Il ne baptisait pas, parce que ce n’est pas Lui qui, à l’extérieur, pratiquait l’immersion. Les disciples en effet s’acquittaient du ministère de l’ablution du corps, tandis que le Christ apportait l’Esprit qui purifie intérieurement 19 C’est donc Lui qui, à proprement parler, baptisait Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est Lui qui baptise dans l’Esprit Saint 20.
Que faut-il donc répondre à ce que dit Chrysostome, alléguant que l’Esprit Saint n’avait pas encore été donné, etc.? Qu’Il n’avait pas été donné avec des signes visibles, comme Il fut donné aux disciples après la Résurrection de Jésus-Christ; mais qu’Il avait cependant été donné, et qu’Il était donné, aux croyants par la sanctification intérieure.
Si le Christ n’a pas toujours baptisé, c’est
pour nous donner un exemple ceux qui exercent les plus hautes charges dans
l'Eglise ne doivent pas s’employer aux fonctions qui peuvent être remplies par
d’autres, mais ils doivent en laisser le soin à leurs inférieurs — Le Christ ne
m’a pas envoyé baptiser, mais évangéliser 21.
555. Les disciples du Christ furent-ils eux-mêmes baptisés? A cette question on peut répondre, comme le fait Augustin dans sa lettre à Seleuciana 22, qu’ils furent baptisés soit du baptême de Jean, parce que certains des disciples du Christ avaient été disciples de Jean, soit (ce qui est plus vraisemblable) du baptême du Christ. On ne croit pas, en effet, qu’Il se soit abstenu d’exercer le ministère du baptême, et cela afin d’avoir des serviteurs baptisés par l’intermédiaire desquels Il baptiserait les autres. C’est cela qu’il faut entendre par les paroles qu’Il prononcera plus tard Celui qui s’est baigné n’a besoin que de se laver les pieds. Vous aussi vous êtes purs, mais non pas tous 23.
556. L’Evangéliste affirme ensuite le départ du Christ en disant qu’IL QUITTA LA JUDEE, cela pour trois motifs. En premier lieu pour se soustraire à la jalousie des Pharisiens, qui étaient agités par ce qu’ils avaient entendu dire du Christ et qui se préparaient à Le persécuter. Il nous donne ainsi un exemple, pour que nous n’hésitions pas à nous écarter momentanément, par douceur, de ceux qui font le mal: N’entasse pas de bois sur son feu [dit l'Ecriture en nous conseillant de ne pas avoir de querelle avec un grand parleur] 24. Second motif de son départ: le Christ veut nous montrer que ce n’est pas pécher que de fuir ses persécuteurs 25: Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 26. Troisième cause de son départ: le temps de sa Passion n’était pas encore venu, comme Il le dira Lui-même plus loin: Mon temps n’est pas encore venu 27. Enfin il y a encore une autre cause, qui a une signification cachée par un tel départ le Christ signifiait que ses disciples, à cause de la persécution des Juifs, quitteraient ceux-ci et iraient vers les nations, comme le rapportent les Actes: ... les Juifs furent remplis de jalousie, et en blasphémant ils contre disaient ce que disait Paul. Alors Paul et Barnabé dirent avec assurance: C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les nations. Car ainsi nous l’a ordonné le Seigneur... 29
[3b] ET IL S’EN ALLA DE
NOUVEAU EN GALILEE.
557. L’Evangéliste indique maintenant le lieu où se rendit le Christ. S’il dit DE NOUVEAU, c’est parce que, plus haut, il avait fait mention d’une autre descente du Christ en Galilée: lorsque, après le miracle des noces, II était descendu à Capharnaüm 29. Les trois autres Evangélistes ne font pas mention de cette première descente; c’est pourquoi Jean dit DE NOUVEAU, afin de donner à entendre que les autres Evangélistes ont passé sous silence tout ce que lui-même a dit jusqu’à ce chapitre, et qu’à partir de maintenant il commence à ponctuer 30 l’histoire contemporaine de leurs Evangiles.
Quant à la Galilée, il y a deux manières d’interpréter son nom. Ou bien il faut l’entendre de la gentilité, vers laquelle va le Christ en quittant les Juifs: "Galilée" peut en effet se traduire "transmigration". Ou bien, selon une autre interprétation, il faut entendre ici par la Galilée la gloire céleste, car "Galilée" peut aussi se traduire "révélation" 31.
[4-5] OR IL LUI FALLAIT PASSER
PAR LA SAMARIE. IL VIENT DONC DANS UNE VILLE DE SAMARIE NOMMEE SICHAR, PRES DU
DOMAINE QUE JACOB DON-[4-5] NA A SON FILS JOSEPH.
558. L’Evangéliste indique enfin
le lieu par lequel passe le Christ; il le fait d’abord d’une manière générale [n° 559],
puis avec plus de précision [n°
560].
559. Le lieu par lequel le Christ passe pour se rendre en Galilée est LA SAMARIE. L’Evangéliste dit qu’il LUI FALLAIT PASSER par là afin de montrer que, mal gré les apparences, Il n’agit pas contrairement à ce qu’Il enseigne. Il donna en effet à ses disciples l’ordre de ne pas prendre le chemin des nations et de ne pas entrer dans une ville des Samaritains 32. Or la Samarie était une terre des nations. L’Evangéliste, en disant IL LUI FALLAIT, veut donc montrer que ce n’est pas à des sein que le Christ s’y rendit, mais par nécessité; et la raison de cette nécessité est que la Samarie était située entre la Judée et la Galilée.
Au sujet de cette Samarie, il faut savoir que Amri, roi d’Israël, établit sur une certaine montagne une ville qu’il appela SAMARIE et qui devint le siège du royaume et sa capitale; et qu’à cause de cela toute la région fut appelée SAMARIE, du nom de cette ville 33. Quand l’Evangéliste dit qu’IL LUI FALLAIT PASSER PAR LA SAMARIE, il faut donc comprendre que c’est par la région que le Christ devait passer, et non par la ville.
560. Aussi, indiquant d’une manière plus précise le lieu par lequel Jésus passe, ajoute-t-il: IL VIENT DONC DANS UNE VILLE DE SAMARIE, c’est-à-dire de la région de Samarie, NOMMEE SICHAR. Sichar, en effet, est sous un autre nom la même ville que Sichem dont parle la Genèse. Jacob, y est-il dit, dressa ses tentes près de cette ville; et, à cause du rapt de sa fille Dma par Sichem, le fils du roi [Hémor] 35, deux fils de Jacob, indignés, tuèrent les hommes de cette ville 36. C’est ainsi qu’elle devint la possession de Jacob, qui y habita et y creusa des puits. Plus tard, sur le point de mourir, il la donna à son fils Joseph, comme on le lit encore dans la Genèse: Je te donne de plus qu’à tes frères une part que j’ai prise des mains de l’Amorrhéen avec mon glaive et mon arc 37. C’est ce que rappelle l’Evangéliste en disant: PRES DU DOMAINE, c’est-à-dire près du champ, QUE JACOB DONNA A SON FILS JOSEPH.
Si l’Evangéliste mentionne avec soin toutes ces choses, c’est pour montrer que tous les événements qui concernent les Patriarches n’eurent d’autre sens que de conduire au Christ, que le Christ a été annoncé par les Patriarches et qu’Il descend d’eux selon la chair.
II
LA ETAIT LA SOURCE DE JACOB.
JESUS, DONC, FATIGUE DE LA ROUTE, ETAIT ASSIS A MEME LA SOURCE. C’ETAIT ENVIRON
LA SIXIEME HEURE.
561. L’Evangéliste donne ici un second préambule à l’enseignement du Christ. Il s’agit cette fois de la réalité à propos de laquelle l’enseignement allait être donné; et il convient bien d’en parler. En effet, l’enseignement devant porter sur l’eau jaillissant de la source spirituel le, c’est à juste titre que l’Evangéliste fait ici mention de la source matérielle qui fut l’occasion d’un dialogue sur la source spirituelle qu’est le Christ — En Toi est la source de vie 38, la vie étant ici l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de vie 39, et la source, le baptême, dont il est dit En ce jour-là il y aura une source ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour laver le pécheur 40.
Ainsi, pour montrer ce qui a été l’occasion de l’enseignement du Christ, l’Evangéliste situe d’abord la source elle-même [n° 562], puis décrit la halte du Christ assis à même la source [n° 563], et enfin indique l’heure à la quelle Il s’y assit [n° 565].
LA ETAIT LA SOURCE DE JACOB.
562. L’Evangéliste parle ici d’une source; mais plus loin il est dit que le puits est profond (4, 11). Il ne s’agissait donc pas d’une source? A cela il faut répondre, selon Augustin, que c’était à la fois une source et un puits. Tout puits, en effet, est une source, mais l’in verse n’est pas vrai; car l’endroit d’où l’eau sourd de la terre est une source; et si l’eau sourd en surface, on parle seulement d’une source, tandis que si elle sourd à une grande profondeur on l’appelle "puits", sans qu’elle perde pour autant son nom de "source" 41. Et la source dont il est question ici est dite "source DE JACOB" parce que c’est lui qui avait creusé ce puits à cet endroit à cause du manque d’eau, comme le rap porte la Genèse.
JESUS, DONC, FATIGUE DE LA
ROUTE, ETAIT ASSIS A MEME LA SOURCE.
563. En s’asseyant ainsi, le
Christ montre de la faiblesse, bien que sa force fût immense; [Il montre de
la faiblesse] non par manque de force, mais pour manifester la vérité de sa
nature [humaine]. Comme le dit Augustin, Jésus est fort parce que dans le Principe
était le Verbe 43, mais Il est faible parce que le Verbe s’est fait chair 44. Ainsi,
voulant montrer la vérité de sa nature humaine, le Christ laissait celle-ci
faire et subir ce qui est propre à l’homme; et voulant aussi manifester en
Lui-même la vérité de sa nature divine, Il faisait et accomplissait ce qui est
propre à Dieu. Quand donc Il retirait à son corps l’influx de la force divine,
Il avait faim et Il était fatigué; quand au contraire II laissait se manifester
la puissance divine de son corps, Il se passait de nourriture sans avoir faim
et Il n’était pas fatigué au milieu des labeurs. Il jeûna quarante jours et
quarante nuits, rapporte Matthieu, et ensuite Il eut faim 45.
564. Le fait que Jésus ait été FATIGUE DE LA ROUTE nous donne un exemple: lorsqu’il s’agit du salut des autres, nous ne devons pas reculer devant la peine — Je suis pauvre, dit le psalmiste, et je peine depuis ma jeunesse 46. De même, Jésus nous donne là l’exemple de la pauvreté, en étant ASSIS A MEME LA SOURCE, c’est-à-dire à même la terre, tout simplement.
Le fait que le Christ soit assis a également une signification mystique; il signifie d’une part l’humilité de sa Passion — Tu sais quand je m’assieds (c’est-à-dire: tu connais ma passion) et quand je me relève (tu connais ma résurrection) 47 — d’autre part son autorité de docteur, car Il parlait comme ayant autorité 48, et c’est pour quoi Matthieu dit que s’étant assis (...), Il les enseignait 49.
C’ETAIT
ENVIRON LA SIXIEME HEURE.
565. L’Evangéliste précise maintenant l’heure à la quelle Jésus s’assit. La raison de cette précision est [à la fois] littérale et mystique.
Au sens littéral, cette précision est donnée pour montrer la cause de la fatigue du Christ; en effet, en pleine chaleur et à la sixième heure du jour, les hommes sont davantage fatigués par leur labeur. Elle est donnée aussi afin de montrer pourquoi le Christ s’assied; car, à l’heure du jour où la chaleur est accablante, les hommes se reposent volontiers près de l’eau.
Au sens mystique, il y a trois raisons [pour que le Christ se soit assis à la sixième heure]. L’une est que le Christ est venu dans le monde 50, en prenant [notre] chair, au sixième âge du monde 51. La seconde est que l’homme fut créé le sixième jour 52, et que le Christ fut conçu au sixième mois 53. La troisième est que, à la sixième heure du jour, le soleil est au zénith et qu’il ne lui reste plus qu’à décliner. Or le soleil signifie, dans ce contexte, la prospérité temporelle Si, à la vue du soleil dans son éclat, disait Job, mon coeur alors a ressenti une secrète joie... 54 Ainsi le Christ est venu quand la prospérité du monde était à son sommet, c’est-à-dire quand l’amour [du monde] florissait dans le coeur des hommes 55 ; mais grâce à la [présence du] Christ cet amour devait décliner dans le coeur des hommes.
III
VIENT UNE FEMME DE SAMARIE
POUR PUISER DE L’EAU. JESUS LUI DIT: "DONNE-MOI A BOIRE. " SES
DISCIPLES EN EFFET ETAIENT PARTIS POUR LA VILLE AFIN D’Y ACHETER DES VIVRES.
CETTE FEMME SAMARITAINE LUI DIT DONC: "COMMENT! TOI QUI ES JUIF, TU ME
DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI SUIS UNE FEMME SAMARITAINE?" LES JUIFS EN
EFFET N’ONT PAS DE RELATIONS AVEC LES SAMARITAINS.
566. L’Evangéliste donne maintenant un troisième préambule à l’enseignement du Christ, du côté, cette fois, de celle qui l’écoute. Il commence par présenter la personne à qui l’enseignement va être donné [n° 567], puis il montre comment elle est préparée à le recevoir [n° 568].
VIENT UNE FEMME DE SAMARIE
POUR PUISER DE [7a] L’EAU.
567. La personne à qui va être donné l’enseignement est UNE FEMME DE SAMARIE. Cette femme représente l’Eglise des Gentils qui, n’étant pas encore justifiée, était retenue dans l’idolâtrie, mais qui devait cependant être justifiée par le Christ 56. Elle vient de chez les étrangers, c’est-à-dire de chez les Samaritains qui avaient été des étrangers, bien qu’ils habitassent les terres voisines; [elle vient de chez eux] parce que l’Eglise issue des nations, étrangère à la race des Juifs, devait venir au Christ — Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux 57.
[7b JESUS LUI DIT: "DONNE-MOI
A BOIRE."
568. Ces paroles préparent cette
femme à recevoir l’enseignement du Christ, en lui donnant l’occasion de
L’interroger; mais avant de rapporter l’interrogation de la femme,
l’Evangéliste notera la circonstance [qui permet au Christ Lui-même] de lui
faire une demande [n°
570].
569. L’occasion que le Christ donne à la femme de L’interroger, par où Il la prépare à recevoir son enseignement, est sa propre demande: DONNE-MOI A BOIRE. Et s’Il lui demande à boire, c’est à la fois parce qu’Il avait soif d’eau à cause de la forte chaleur du jour, et parce qu’Il avait soif du salut des hommes à cause de son amour pour eux, ce qui Lui fit dire, lorsqu’Il était suspendu à la croix: J’ai soif 58.
[8] SES DISCIPLES EN EFFET
ETAIENT PARTIS POUR LA VILLE AFIN D’Y ACHETER DES VIVRES.
570. Voilà la circonstance qui permet au Christ d’adresser sa demande à la femme: ses disciples, à qui Il aurait demandé de l’eau, n’étaient pas là.
Remarquons ici trois choses au sujet du Christ. En premier lieu son humilité on Le laissait seul. Il donnait par là un exemple à ses disciples, leur apprenant à fouler aux pieds tout orgueil.
Mais peut-être pourrait-on se demander quelle nécessité il y avait d’habituer les disciples à l’humilité, eux qui avaient été d’humbles pêcheurs ou fabricants de tentes. Ceux qui font une telle objection doivent prêter attention au fait que ces pêcheurs devinrent, en un instant, plus dignes de respect que tous les rois, plus éloquents que les philosophes et les rhéteurs, et devinrent aussi les amis les plus intimes du Seigneur de l’univers; et que généralement ceux qui se trouvent soudain élevés ainsi s’enorgueillissent, parce qu’ils n’ont pas l’expérience de si grands honneurs.
Remarquons ensuite la sobriété du Christ: Il se souciait si peu de la nourriture qu’Il n’emportait avec Lui aucunes provisions.
Remarquons encore que [ses disciples] Le laissèrent seul sur la croix Au pressoir j’ai foulé solitaire, et des peuples aucun homme n’était avec moi 59.
CETTE FEMME SAMARITAINE LUI
DIT DONC "COMMENT! TOI QUI ES JUIF, TU ME DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI
SUIS UNE FEMME SAMARITAINE?" LES JUIFS EN EFFET N’ONT PAS DE RELA
TIONS AVEC LES SAMARITAINS.
571. Le Seigneur, nous l’avons
vu, a préparé la femme à recevoir son enseignement spirituel en lui donnant une
occasion de L’interroger. L’Evangéliste rapporte maintenant la question de la
femme, puis donne la rai son de cette question [n° 573].
572. Il faut comprendre que le Seigneur, en demandant à boire à la femme, avait en vue une boisson spi rituelle, plus que celle qui désaltère le corps; tandis que la femme, ne saisissant pas encore ce qu’est une boisson spirituelle, ne pensait qu’à celle du corps. C’est pourquoi elle lui répond COMMENT! TOI QUI ES JUIF, TU ME DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI SUIS UNE FEMME SAMARITAINE? Le Christ, en effet, était juif les promesses annonçaient qu’Il sortirait de Juda — Le sceptre ne sera pas enlevé à Juda, ni le bâton de chef ôté d’entre ses pieds, jus qu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé 60. C’est pourquoi l’Apôtre dit, en parlant des Israélites: eux de qui est le Christ selon la chair 61. Et la femme reconnaissait, à son vêtement, qu’Il était juif; il est dit, en effet que le Seigneur ordonna aux Juifs de porter des franges d’hyacinthe aux quatre pans de leur vêtement 62, afin de se distinguer par là des autres peuples.
573. La raison de la question de la femme est ensuite donnée, soit par l’Evangéliste, selon la Glose 63, soit par la femme elle-même, selon Chrysostome 64: LES JUIFS EN EFFET N’ONT PAS DE RELATIONS AVEC LES SAMARITAINS. A ce sujet il faut se rappeler que le peuple d’Israël, c’est-à-dire les dix tribus qui avaient adoré les idoles, fut, à cause de son péché, emmené en captivité à Babylone par le roi d’Assyrie 65 et que celui-ci, pour que la Samarie ne demeurât pas sans habitants, y établit des gens venus de différents pays 66. Mais alors qu’ils y étaient ainsi installés, le Seigneur, voulant montrer que s’Il avait livré les Juifs, ce n’était pas par manque de puissance, mais à cause de leur péché, envoya à ces gens des lions et des bêtes sauvages qui en firent un massacre. Lorsque le roi d’Assyrie eut appris la nouvelle et eut été averti que cela leur arrivait parce qu’ils n’observaient pas les préceptes du Dieu de ce pays, il leur envoya un prêtre de chez les Juifs [déportés] pour leur enseigner les préceptes de Dieu, selon la Loi de Moïse 67. Voilà pourquoi ces gens, bien qu’ils ne fissent pas partie du peuple juif, observaient néanmoins la Loi de Moïse; mais avec le vrai Dieu ils adoraient des idoles, ils n’écoutaient pas les prophètes et s’appelaient eux-mêmes "Samaritains", du nom de la ville de Samarie, située sur la montagne de Somer. Lors donc que les Juifs furent revenus [de la captivité] en ce pays, les Samaritains leur furent toujours hostiles et opposés; et, comme le rapporte Esdras, ils les empêchaient de construire le Temple 70. Aussi les Juifs, s’ils évitaient toutes les autres nations, se détournaient-ils particulièrement des Samaritains, et n’avaient-ils avec eux aucune relation, comme le dit ici l’Evangéliste: LES JUIFS EN EFFET N’ONT PAS DE RELATIONS AVEC LES SAMARITAINS.
Remarquons qu’il ne dit pas: "Les
Samaritains n’ont pas de relations avec les Juifs" 71, car
ils au raient bien voulu se joindre à eux et les fréquenter, mais les Juifs les
repoussaient, selon ce qui est écrit Tu ne concluras pas d’alliance avec [les
nations] et tu n’en auras pas pitié 72.
574. Mais s’il n’était pas permis aux Juifs de fréquenter les Samaritains, pourquoi le Seigneur demanda-t-Il à boire à la Samaritaine? A cela on pourrait répondre, selon Chrysostome 73, que le Seigneur savait qu’elle ne Lui donnerait pas à boire, et que c’est pour cela qu’Il le lui a demandé. Mais une telle réponse n’est pas satisfaisante; car celui qui demande ce qu’il n’est pas permis de demander n’est pas, pour ce qui le regarde, exempt de péché, et il n’est pas sans scandaliser, même si on ne lui donne pas ce qu’il demande. Ce qu’il faut donc répondre ici, c’est que le Fils de l’homme est maître même du sabbat 74 et que, en maître de la Loi, Il pouvait appliquer ou ne pas appliquer la Loi et les observances légales, selon qu’Il le jugeait bon. Or le temps approchait où les nations seraient appelées à la foi; voilà pourquoi Il entretenait des relations avec elles.
10
Jésus répondit et lui dit: "Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui
qui te dit: Donne-moi à boire, c’est toi peut-être qui l’en aurais prié, et il
t’aurait donné de l’eau vive. "' La femme Lui dit: "Seigneur, tu n’as
rien pour puiser, et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, cette eau vive?
12 Es-tu plus grand, toi, que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y
a bu, lui, ses fils et ses troupeaux?"' répondit et lui dit: "Quiconque
boit de cette eau aura encore soif, 14i celui qui boira de l’eau que moi je lui
donnerai n’aura plus jamais soif l’eau que moi je lui donnerai deviendra en lui
source d’eau jaillissant en vie éternel le. " 15 La femme Lui dit"
Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif et que je ne vienne
plus ici pour puiser. " 16 Jésus lui dit: "Va, appelle ton mari et
viens ici. " 17 La femme Lui répondit en disant" Je n’ai pas de mari.
" Jésus lui dit: "Tu as bien dit Je n’ai pas de mari, 18 tu as eu
cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari; en cela tu as dit
vrai. " 19 La femme Lui dit: "Seigneur, je vois que tu es un
prophète. 20 Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites, vous, que
c’est à Jérusalem qu’est le lieu où il faut adorer. " 21 Jésus lui dit:
"Femme, crois-moi, elle vient, l’heure où ce n’est ni sur cette montagne
ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez, vous, ce que vous ne
connaissez pas; nous adorons, nous, ce que nous connaissons, parce que le salut
vient des Juifs. Mais l’heure vient, — et c’est maintenant — où les vrais
adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car tels sont les
adorateurs que cherche le Père. 24 est Esprit, et ceux qui L’adorent doivent
adorer en esprit et en vérité. " La femme Lui dit" Je sais que le
Messie vient, Celui qu’on appelle Christ; Celui-là, lorsqu’Il sera venu, nous
annoncera toutes choses. " Jésus lui dit: "Je le suis, moi qui te
parle."
575. L’Evangéliste rapporte
maintenant l’enseignement spirituel [à la Samaritaine]; il commence par l’exposer [n° 576], puis en montre les effets [n° 620].
Voyons d’abord l’exposé. Le Christ commence par donner une sorte de résumé de
tout son enseignement [n°
576], puis Il le développe progressivement [n° 580].
I
576. Il dit donc d’abord ceci: "Tu t’étonnes de ce que moi, un Juif, je t’aie demandé à boire, à toi, une Samaritaine; mais tu ne dois pas t’étonner, car c’est pour cela que je suis venu: pour donner à boire même aux Gentils". C’est bien ce qui est dit ici
JESUS REPONDIT ET LUI DIT:
"SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, ET QUI EST CELUI QUI TE DIT: DON NE-MOI A
BOIRE, C’EST TOI PEUT-ETRE QUI L’EN AURAIS PRIE, ET IL T’AURAIT DONNE DE L’EAU
VIVE."
577. Commençons par ces derniers mots et demandons-nous ce qu’il faut entendre par "l’eau". Par "l’eau", on entend la grâce de l’Esprit Saint, que l’on nomme parfois "feu", parfois "eau", pour montrer qu’elle n’est pas nommée "feu" ou "eau" selon la propriété de sa substance, mais seulement selon une similitude d’action 1 En effet, on dit de la grâce qu’elle est un "feu" parce qu’elle élève le coeur par la ferveur et l’ardeur — Soyez fervents par l’esprit —, et parce qu’elle consume les péchés — Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes. D’autre part on l’appelle "eau" parce qu’elle purifie — Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures 4 —, parce qu’elle rafraîchit [l’âme] des ardeurs de la tentation — L’eau éteint le jeu ardent 5 — et parce que, en désaltérant, elle ôte la soif de ce qui est terrestre et de tout ce qui est temporel — Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux... 6
Mais il y a deux sortes d’eau celle qui est vive et celle qui ne l’est pas. L’eau non vive est celle qui n’est pas reliée à son principe, d’où elle jaillit, mais qui, provenant de la pluie ou d’une autre origine, est recueillie et conservée, séparée de son principe, dans des fossés ou des citernes. L’eau vive, au contraire, est celle qui coule en continuité avec son principe. En ce sens la grâce de l’Esprit Saint est justement appelée "eau vive", car la grâce est donnée à l’homme de telle sorte que la source même de la grâce, c’est-à-dire l’Esprit Saint, est donnée; et c’est par Lui que la grâce est donnée — L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné 7. L’Esprit Saint, en effet, est la source intarissable d’où découlent tous les dons de la grâce — Tous ces dons, c’est un seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme Il veut 8. De là vient que, si quelqu’un possède un don de l’Esprit Saint sans avoir l’Esprit Lui-même, il est une eau coupée de son principe, une eau qui est donc morte et non vive — La foi sans les oeuvres est morte 9. On voit ainsi clairement ce qu’il faut entendre par "l’eau".
578. La suite montre que chez
les adultes c’est le désir, c’est-à-dire la prière de demande, qui obtient
l’eau vive, c’est-à-dire la grâce — Le Seigneur exauce le désir des pauvres 10 — parce
que sans la prière de demande et le désir, la grâce n’est donnée à personne.
Aussi di sons-nous que la justification de l’impie exige le libre arbitre, pour
détester les péchés et désirer la grâce — Demandez et il vous sera donné 11. Le désir
est tellement requis que le Fils Lui-même est invité à demander.
Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les extrémités de la terre 12. C’est pourquoi celui qui s’oppose à la grâce ne peut la recevoir sans être d’abord amené à la désirer — Seigneur, que veux-tu que je fasse? 13, Et c’est pour cela que le Seigneur dit expressément [à la Samaritaine]: C’EST TOI PEUT ETRE QUI L’EN AURAIS PRIE. Il dit PEUT-ETRE à cause du libre arbitre par lequel l’homme tantôt désire la grâce et la demande, tantôt non 13bis.
579. Mais, pour demander la grâce, le désir de l’homme est suscité de deux manières: par la connaissance du bien à désirer et par la connaissance de celui qui le donne. C’est pourquoi le Seigneur présente ici les deux choses qu’il faut connaître: d’abord le don lui-même; aussi dit-Il: SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, c’est-à-dire tout bien désirable qui vient de l’Esprit Saint 14 — Je sais que je ne peux être chaste si Dieu ne me donne de l’être 15. Voilà pour le don. Ensuite, le Seigneur présente le donateur en disant: SI TU SAVAIS QUI EST CELUI QUI TE DIT: DONNE-MOI A BOIRE, c’est-à-dire: Si tu connaissais Celui qui peut donner, et que je suis moi-même — Quand viendra le Paraclet, que moi je vous enverrai d’auprès du Père... 16 — Il a donné des dons aux hommes 17.
Ainsi cet enseignement [du Christ] porte sur trois points: le don de l’eau vive, la demande de ce don, et son donateur.
580. L’Evangéliste va maintenant traiter explicitement de l’enseignement même du Christ quant au don [n° 580], puis quant à la demande [n° 595], enfin quant au donateur [n° 616].
II
LA
FEMME LUI DIT: "SEIGNEUR, TU N’AS RIEN POUR PUISER, ET LE PUITS EST
PROFOND. D’OÙ L’AS-TU DONC, CETTE EAU VIVE? ES-TU PLUS GRAND, TOI, QUE NOTRE
PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS ET Y A BU, LUI, SES FILS ET SES
TROUPEAUX?" JESUS REPONDIT ET LUI DIT: "QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU
AURA ENCORE SOIF, MAIS CELUI QUI BOIRA DE L’EAU QUE MOI JE LUI DONNERAI N’AURA
PLUS JAMAIS SOIF: L’EAU QUE MOI JE LUI DONNERAI DEVIENDRA EN LUI SOURCE D’EAU
JAILLISSANT EN VIE ETERNEL LE. " LA FEMME LUI D1T: "SEIGNEUR,
DONNE-MOI DE CETTE EAU, QUE JE N’AIE PLUS SOIF ET QUE JE NE VIENNE PLUS ICI
POUR PUISER. '"JESUS LUI DIT: "VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI.
" LA FEMME LUI REPONDIT EN DISANT: "JE N’AI PAS DE MARI. " JESUS
LUI DIT: "TU AS BIEN DIT: "JE N’AI PAS DE MARI", CAR TU AS EU
CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT N’EST PAS TON MARI; EN CELA TU AS DIT
VRAI."
Dans son enseignement sur le don, le Seigneur montre d’abord la puissance du don [n° 581], puis sa perfection [n° 588]. Et pour montrer la puissance du don, l’Evangéliste rapporte d’abord l’interrogation de la femme [n° 581], puis la réponse du Christ [n° 584].
LA FEMME LUI DIT:
"SE1GNEUR, TU N’AS RIEN [POUR PUISER, ET LE PUITS EST PROFOND. D'OÙ
L’AS-TU DONC, CETTE EAU VIVE? SERAIS-TU PLUS 11-12] GRAND, TOI, QUE NOTRE PERE
JACOB QUI NOUS A DONNE CE PUITS ET Y A BU, LUI, SES FILS ET SES
TROUPEAUX?"
581. A propos de cette
interrogation de la femme, il faut savoir que les paroles que le Seigneur
entendait de manière spirituelle, cette femme samaritaine les recevait de
manière charnelle, parce qu’elle était charnelle — L’homme naturel n’accueille
pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 18. C’est pourquoi elle
s’efforçait de contredire les paroles dites par le Seigneur comme étant
incohérentes et impossibles, au moyen de l’argument suivant: Tu me promets de
l’eau vive, donc de l’eau de ce puits ou d’un autre. Or cela ne peut être de ce
puits, car TU N’AS RIEN POUR PUISER, ET LE PUITS EST PROFOND. Et il ne semble
pas croyable que tu puisses me donner de l’eau d’un autre puits, car TU N’ES
PAS PLUS GRAND QUE NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS.
582. Voyons donc, toujours à propos de l’interrogation de la femme, le premier point [de son argument]: SEIGNEUR, TU N’AS RIEN POUR PUISER, c’est-à-dire: il te manque l’instrument voulu pour pouvoir tirer l’eau de ce puits, ET LE PUITS EST PROFOND, si bien que, sans instrument, tu ne peux atteindre [l'eau] avec la main.
Par la hauteur ou profondeur du puits est signifiée la profondeur de la Sainte Ecriture et de la Sagesse divine — combien est grande sa profondeur, et qui la sondera 19? Quant à l’instrument avec lequel on puise l’eau de la sagesse qui donne le salut 20, c’est la prière — Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous généreusement sans faire de blâme, et elle lui sera donnée 21.
583. [La Samaritaine] montre le second [point de son raisonnement] en disant: SERAIS-TU PLUS GRAND, TOI, QUE NOTRE PERE JACOB QUI NOUS A DONNE CE PUITS? Comme si elle disait: As-tu une eau meilleure à nous donner que celle que nous a donnée Jacob? Si elle appelle Jacob son père, ce n’est pas que les Samaritains soient de la race de Jacob, comme il ressort de ce qui a été dit plus haut 22, mais parce qu’ils avaient la Loi de Moïse et qu’ils étaient entrés dans la Terre promise à la descendance de Jacob.
Cette femme fait valoir ce puits pour trois raisons. D’abord à cause de l’autorité de celui qui l’a donné: NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS.
Ensuite parce que l’eau de ce puits était de l’eau douce; c’est pour cela qu’elle dit que Jacob lui-même en a bu, ainsi que ses fils, car si l’eau n’avait pas été douce, ils n’en auraient pas bu, mais l’auraient laissée à leurs troupeaux. Enfin à cause de l’abondance de l’eau: leurs troupeaux aussi en ont bu. En effet, puisque c’était de l’eau douce, ils n’en auraient pas donné à leurs troupeaux si elle n’avait pas été très abondante.
De même la Sainte Ecriture est grande en vertu de son autorité, parce qu’elle a été donnée par l’Esprit Saint; délectable par sa douceur — Que tes paroles sont douces à mon palais 23 ; et féconde par son abondance, car elle est communiquée non seulement aux sages, mais aussi aux insensés 24
JESUS REPONDIT ET LUI DIT: "QUICONQUE
BOIT DE CETTE EAU AURA ENCORE SOIF, MAIS CELUI QUI BOIRA DE L’EAU QUE MOI JE
LUI DONNERAI N’AURA PLUS JAMAIS SOIF: L’EAU QUE MOI JE LUI DONNERAI DEVIENDRA
EN LUI SOURCE D’EAU JAILLISSANT EN VIE ETERNELLE."
584. L’Evangéliste expose ici la
réponse du Seigneur, réponse où Il explicite le pouvoir de son enseignement, en
référence à ce qu’Il avait dit précédemment, à savoir que cet enseignement est
une eau [n° 585] et qu’il est une eau vive [n° 587].
585. Le Seigneur montre donc en premier lieu que son enseignement est la meilleure des eaux puisqu’il a les effets de l’eau, c’est-à-dire qu’il enlève la soif, [et qu’il l’enlève] bien mieux que cette eau matérielle. En cela le Christ montre qu’Il est plus grand que Jacob. Tel est en effet le sens de sa réponse: Toi, tu dis que Jacob vous a donné ce puits, mais moi je donnerai une eau meilleure, car QUICONQUE BOIRA DE CETTE EAU, c’est-à-dire de l’eau matérielle ou de l’eau du désir et de la concupiscence charnelle, s’il assouvit son appétit pour un temps, AURA ENCORE SOIF, car insatiable est l’appétit du plaisir — Quand me réveillerai-je et trouverai-je encore du vin? 25 MAIS CELUI QUI BOIRA DE L’EAU spirituelle QUE MOI JE LUI DONNERAI N’AURA PLUS JAMAIS SOIF — Voici que mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif 26.
586. Cependant il est dit dans l’Ecclésiastique: Ceux qui me boivent auront encore soif 27. Comment donc n’au ra-t-il plus jamais soif, celui qui aura bu de cette eau qu’est la divine Sagesse, alors que la Sagesse dit elle-même: Ceux qui me boivent auront encore soif?
Il faut répondre que les deux sont vrais, et cela pour deux raisons. En effet, celui qui boit de l’eau que donne le Christ, à la fois a encore soif et n’a plus soif, alors que celui qui boit de l’eau matérielle, lui, aura encore soif. D’abord parce que l’eau matérielle et sensible n’est pas perpétuelle et que sa cause non plus ne l’est pas, car il n’est pas nécessaire qu’elle existe; il faut donc aussi que son effet cesse — Toutes ces choses ont passé comme une ombre 28. L’eau spirituelle, au contraire, a une cause qui dure toujours: c’est l’Esprit Saint, qui est source de vie 29, une source qui ne tarit jamais. Voilà pourquoi celui qui boit de cette eau n’aura plus jamais soif, comme n’aurait jamais soif celui qui aurait en son sein une source d’eau vive.
La seconde raison est qu’il y a une différence entre réalité spirituelle et réalité temporelle. Toutes deux engendrent la soif, mais de manière tout autre: une réalité temporelle possédée donne soif, non d’elle-même, mais d’une autre; tandis qu’une réalité spirituelle supprime la soif d’une autre réalité et donne soif d’elle-même. La raison en est que la réalité temporelle, avant d’être possédée, est estimée de grand prix et suffisante [pour apaiser le désir]; mais que, une fois qu’elle est possédée, on ne la trouve ni si grande, ni suffisante pour apaiser le désir, et c’est pourquoi elle ne rassasie pas le désir au point de l’empêcher de se porter vers la possession d’autre chose. La réalité spirituelle, au contraire, n’est connue que quand elle est possédée — Nul ne connaît [le nom nouveau] hormis celui qui le reçoit 30. C’est pourquoi, avant d’être possédée, elle ne meut pas le dé sir; mais dès qu’elle est possédée et connue, alors elle réjouit la volonté aimante et meut le désir, non certes pour qu’il se porte vers la possession d’autre chose, mais parce que, imparfaitement saisie à cause de l’imperfection de celui qui la reçoit, elle le meut afin d’être elle-même possédée parfaitement. C’est de cette soif qu’il est dit: Mon âme a soif de Dieu, source vive 31. Or cette soif n’est jamais enlevée totalement en ce monde, parce que nous ne pouvons, en cette vie, saisir parfaitement les biens spirituels; et c’est pourquoi celui qui boira de cette eau aura encore soif de sa perfection; mais il n’au ra plus soif comme il aurait soif si l’eau venait à manquer, car il est écrit Les fils des hommes (...) seront enivrés de l’abondance de ta maison 32. Mais dans la vie de la gloire, où ils boivent parfaitement l’eau de la grâce divine, les bienheureux n’ont PLUS JAMAIS SOIF: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice en ce monde, parce qu’ils seront rassasiés dans la vie de la gloire 33.
587. En disant que l’eau qu’Il donnera deviendra, en celui à qui Il la donnera, SOURCE D’EAU JAILLISSANT EN VIE ETERNELLE, le Seigneur présente son enseignement comme une eau vive en raison du mouvement de cette eau; Il parle donc d’une source dont l’eau s’écoule — Le cours d’un fleuve abondant réjouit la cité de Dieu 34.
Mais autre est le cours de l’eau matérielle, qui descend, autre celui de l’eau spirituelle, qui s’élève 35. Aussi le Christ affirme-t-Il: Je dis que l’eau matérielle est telle qu’elle ne supprime pas la soif, mais que l’eau que moi je donne, non seulement enlève la soif, mais est vive, parce qu’elle est reliée à sa source. C’est pourquoi Il dit qu’elle deviendra, en celui à qui Il la donne, une source: oui, une SOURCE conduisant par les oeuvres bonnes jusqu’à la vie éternelle; et une source D’EAU JAILLISSANT, c’est-à-dire qui fait bondir 35 bis dans la VIE ETERNELLE, là où il n’y a plus de soif — Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive, c’est-à-dire des fleuves de désirs ardents 36, couleront de son sein 37. Auprès de toi est la source de vie 38.
LA FEMME LUI DIT:
"SEIGNEUR, DONNE-LA MOI, CETTE EAU, QUE JE N’AIE PLUS SOIF ET QUE JE NE
VIENNE PLUS ICI POUR PUISER." JESUS LUI DIT: "VA, APPELLE TON MARI ET
VIENS ICI."
588. L’Evangéliste montre ici comment la femme reçoit le don. Il expose d’abord la manière de le recevoir [n° 589], puis montre comment la femme est confondue [n° 591].
La manière de recevoir le don dépend, comme
on l’a dit, de la prière de demande. Aussi expose-t-on d’abord la demande de la
femme [n° 589], puis la réponse du Christ [n° 590].
589. Concernant la demande de la femme, il faut noter qu’au début de leur entretien, la femme ne donna pas au Christ le titre de "Seigneur", mais l’appela simplement "Juif", en disant Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire? Mais dès qu’elle comprend qu’Il lui sera utile car Il pourra lui donner de l’eau, elle L’appelle "Seigneur": SEIGNEUR, DONNE-LA MOI, CETTE EAU. En effet, parce qu’elle avait compris la réponse du Christ d’une manière charnelle et qu’elle était astreinte à une double nécessité corporelle, d’une part la soif, d’autre part le labeur consistant à venir jusqu’au puits et à porter l’eau, elle fait allusion, en demandant l’eau, à ces deux choses: QUE JE N’AI PLUS SOIF et QUE JE NE VIENNE PLUS ICI POUR PUISER. Il est en effet naturel à l’homme de fuir le labeur — Ils ne prennent pas part au labeur des hommes 39.
590. A cette demande de la femme le Seigneur répond: VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI. Mais notons bien que si le Seigneur répondait d’une manière spirituelle, la femme, elle, comprit d’une manière charnelle.
On peut comprendre la réponse spirituelle de Jésus de deux manières. Selon Chrysostome 40, le Seigneur ne voulait pas donner l’eau de son enseignement spirituel à la femme seule, mais aussi et spécialement à son mari; car, comme le dit l’Apôtre, le chef de la femme, c’est l’homme 41, et à cause de cela il voulait que les préceptes de Dieu parvinssent aux femmes par l’intermédiaire de l’homme Si elles veulent s’instruire de quelque chose, qu’elles interrogent leur mari à la maison 42. Voilà pour quoi le Seigneur dit VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI. Alors, avec lui et par lui je te donnerai cette eau.
Augustin 43 donne de ces paroles une autre interprétation, qui est mystique: de même que le Seigneur, en parlant de l’eau, parlait en figures, de même le fait-Il en parlant du mari. Ce mari, d’après Augustin, c’est l’intelligence. En effet, la volonté conçoit et enfante par la puissance cognitive qui la meut; par suite, la volonté est comme une femme et la raison qui meut la volonté est son mari. Ainsi, parce que la femme, c’est-à-dire la volonté, tout en étant prompte à recevoir, n’était pas mue par l’intelligence et la raison pour comprendre de façon spirituelle les paroles du Christ, mais était encore prisonnière des sens, le Seigneur lui dit: VA, toi qui es sensuelle, APPELLE TON MARI, c’est-à-dire fais appel à l’intelligence raisonnable pour que tu puisses entendre d’une manière spirituelle et intelligible ce que maintenant tu goûtes charnellement, ET VIENS ICI, en comprenant ce que je dis sous la conduite de l’intelligence raisonnable.
LA FEMME REPONDIT EN DISANT:
"JE N’AI PAS DE MARI." JESUS LUI DIT: "TU AS BIEN DIT: "JE
N’AI PAS DE MARI", CAR TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT
N’EST PAS TON MARI; EN CELA TU AS DIT VRAI."
591. La femme est ici confondue. L’Evangéliste rapporte en premier lieu sa réponse [n° 592], puis la réplique du Christ qui la confond [n° 593].
592. Concernant le premier
point, il faut savoir que la femme, voulant cacher sa honte et ne voyant dans
le Christ qu’un homme, Lui donna sans doute une réponse qui était vraie, mais
tut néanmoins son déshonneur et le cacha en le déguisant; car, selon
l’Ecriture, toute femme qui se prostitue sera foulée aux pieds comme du fumier
sur un chemin 44. C’est pourquoi elle Lui répondit en disant: JE N’AI PAS DE MARI;
et c’était vrai, car bien que précédemment elle en ait eu plusieurs, jusqu’à
cinq, à présent elle n’avait pas de mari légitime, mais vivait avec quelqu’un.
Aussi est-elle confondue par le Seigneur.
593. Jésus lui dit donc: "TU
AS BIEN DIT: "JE N’AI PAS DE MARI", c’est-à-dire de mari légitime,
CAR TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, c’est-à-dire celui
avec qui tu vis comme s’il était ton mari, N’EST PAS TON MARI; EN CELA TU AS
DIT VRAI: tu n’as pas de mari. Le Seigneur lui dit ces faits qu’Il n’avait pas
appris d’elle et qui semblaient Lui être cachés, afin de réveiller en elle
l’intelligence spirituelle et de l’amener à croire qu’il y a en Lui quel que
chose de divin 45.
594. Au sens mystique, les cinq maris sont les cinq livres de Moïse 46, parce que les Samaritains, comme on l’a dit, les acceptaient 47. Aussi le Seigneur dit-Il: TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, c’est-à-dire celui que tu écoutes, le Christ, N’EST PAS TON MARI, car tu ne crois pas en Lui.
Cependant, pour Augustin 48, cette explication n’est pas bonne, parce que c’est après avoir abandonné cinq maris que cette femme était venue à celui qu’elle avait maintenant; mais ceux qui viennent au Christ n’abandonnent pas les cinq livres de Moïse. Il faut donc donner une autre explication: TU AS EU CINQ MARIS, c’est-à-dire cinq sens dont tu usais jusqu’à présent; ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT, c’est-à-dire ta raison égarée qui te fait entendre d’une manière encore charnelle des paroles spirituelles, N’EST PAS TON MARI légitime, mais un adultère; rejette donc cette erreur adultère, qui te pervertit, ET APPELLE TON MARI, je veux dire ton intelligence, afin de me comprendre.
III
LA FEMME LUI DIT:
"SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE. NOS PERES ONT ADORE SUR CETTE
MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE C’EST A JERUSALEM QU’EST LE LIEU OU IL FAUT
ADORER. " JESUS LUI DIT: "FEMME, CROIS-MOI, ELLE VIENT, L’HEURE OU CE
N’EST NI SUR CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE. VOUS
ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE NOUS
CONNAISSONS, PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS. MAIS L’HEURE VIENT — ET C’EST
MAINTENANT — OU LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT LE PERE EN ESPRIT ET EN VERITE;
CAR TELS SONT LES ADORATEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU EST ESPRIT, ET CEUX QUI
L’ADORENT DOIVENT ADORER EN ESPRIT ET EN VERITE."
595. Il s’agit ici de la demande par laquelle le don est obtenu, et qui est la prière. Pour commencer, l’Evangéliste expose la question de la femme à propos de la prière [n° 596]; puis il donne la réponse du Christ [n° 599].
Avant de poser sa question [n° 597], la femme commence par reconnaître l’aptitude du Christ à lui répondre [n° 596].
[19] LA FEMME LUI DIT: "SEIGNEUR,
JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE."
596. Après avoir entendu ce que le Christ lui avait manifesté de choses qui étaient cachées, cette femme, qui jusqu’alors avait cru qu’Il n’était qu’un homme, proclame maintenant qu’Il est un prophète, capable d’éclaircir ses doutes. C’est le propre des prophètes d’annoncer des choses éloignées et inconnues — Celui qu’autrefois on appelait voyant, on le nomme maintenant prophète 49. La femme Lui dit donc: "SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE"; autrement dit: En me disant ce que j’ai caché, tu montres que tu es un prophète. Ici, selon Augustin 50, il est manifeste que son mari commence à revenir à elle. Mais il n’est pas encore revenu pleinement, puisqu’elle prenait le Seigneur pour un prophète; or, bien qu’Il fût prophète — Un prophète n’est méprisé que dans sa propre patrie 51 —, Il était cependant plus qu’un prophète, Lui qui fait les prophètes: La Sagesse se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et en fait des amis de Dieu et des prophètes 52.
"NOS PERES ONT ADORE SUR
CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE C’EST A JERUSALEM QU’EST LE LIEU OU IL
FAUT ADORER."
597. Dans cette question qu’elle pose sur la prière, il faut admirer le zèle aimant de cette femme; car les femmes sont ordinairement curieuses et vaines, et non seulement vaines, mais aussi oisives 53 comme le dit l’Apôtre; mais celle-ci n’interrogeait ni sur des questions mondaines, ni sur l’avenir, mais sur les choses de Dieu — Cherchez d’abord le Royaume de Dieu 54.
Elle pose d’abord une question à propos de ce dont les gens du pays avaient coutume de discuter, c’est-à-dire à propos du lieu de l’adoration, qui faisait l’objet d’une controverse entre Juifs et Samaritains. NOS PERES, dit-elle, ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE C’EST A JERUSALEM QU’EST LE LIEU OU IL FAUT ADORER. A ce propos il faut savoir que les Samaritains qui honorent Dieu (selon les commandements de la Loi) construisirent un temple pour pouvoir L’y adorer sans aller à Jérusalem, à cause des Juifs qui leur étaient hostiles; et ce temple, ils le bâtirent sur le mont Garizim, tandis que les Juifs, eux, avaient le leur sur le mont Sion. D’où la question débattue entre eux, de savoir lequel de ces deux monts était le lieu le plus convenable pour la prière. Les uns aussi bien que les autres avançaient des arguments en faveur de leur point de vue; les Samaritains, notamment, soutenaient qu’il était préférable d’adorer sur le mont Garizim parce que les anciens pères y adorèrent le Seigneur. Voilà pourquoi la femme dit: NOS PERES ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE.
598. Par ces "pères" ont peut entendre ceux du temps d’Abraham, car d’après Chrysostome certains di sent que c’est sur cette montagne qu’Abraham offrit son fils 55, bien que d’autres disent que ce fut sur le mont Sion 56. On peut dire aussi que l’expression NOS PERES désigne Jacob et ses fils qui, selon la Genèse 57 et comme on l’a dit plus haut [n° 560], demeurèrent à Sichem, qui est située près du mont Garizim, et qui peut-être adorèrent là le Seigneur. Ou bien on peut dire que l’expression NOS PERES désigne les fils d’Israël qui adorèrent sur cette montagne lorsque Moïse leur prescrivit de monter sur le mont Garizim pour bénir ceux qui observaient les préceptes du Seigneur 58.
Les Juifs, eux, disent qu’il faut prier à Jérusalem, en vertu de l’autorité du Seigneur qui leur ordonna de détruire les autels et les pieux sacrés et de ne pas L’adorer n’importe où 59, mais en un lieu unique et déterminé qu’Il avait Lui-même choisi 60. Ce lieu de prière fut d’abord Silo; puis, sur l’ordre de David, de Salomon et du prophète Nathan 61, l’arche de Dieu fut transportée de Silo à Jérusalem et là fut bâti le Temple, selon ce que dit le Psaume: Dieu rejeta la demeure de Silo (...) mais Il choisit la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il a aimée 62. Et c’est pourquoi il est dit dans Isaïe: C’est devant cet auquel que vous adorerez 63. Ain si, les Samaritains avançaient en leur faveur l’autorité des pères; et les Juifs, celle des prophètes, que les Samaritains ne recevaient pas.
Voilà donc la question que pose la femme. Il ne faut pas s’en étonner ni se demander qui l’avait ainsi instruite, car il arrive fréquemment, dans les pays où règnent des croyances diverses, que même les gens simples en soient informés. Ainsi, parce que les Samaritains avaient été en perpétuel litige avec les Juifs, même les femmes et les gens simples étaient instruits à ce sujet.
599. L’Evangéliste donne maintenant la réponse du Christ, qui commence par distinguer trois formes de prière [n° 600], pour ensuite les comparer entre elles (n° 602].
JESUS
LUI DIT: "FEMME, CROIS-MOI, ELLE VIENT, L’HEURE OU CE N’EST Ni SUR
CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE."
600. Le Christ, parce qu’Il va parler de choses très élevées, commence par éveiller l’attention de la femme en disant: CROIS-MOI, c’est-à-dire fais preuve de foi, car partout la foi est nécessaire: Celui qui s’approche de Dieu doit croire 64; et, selon une variante d’Isaïe: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 65. Puis Il lui dévoile trois formes d’adoration, dont deux existaient déjà, mais dont une autre était encore attendue. Des deux déjà existantes, l’une était celle des Samaritains qui priaient sur le mont Garizim; le Christ l’évoque ainsi: ELLE VIENT, L’HEURE OU CE N’EST PAS SUR CET TE MONTAGNE, c’est-à-dire sur le mont Garizim, QUE VOUS ADOREREZ LE PERE. L’autre adoration est celle des Juifs, qui priaient sur le mont Sion, à Jérusalem; le Christ l’évoque en disant: NI A JERUSALEM. La troisième forme d’adoration reste à venir, elle est attendue et est autre que les deux premières; car si vient une heure où l’on n’adorera ni sur le mont Garizim, ni à Jérusalem, il est manifeste qu’il y aura une troisième adoration. Et certes il fallait que l’adoration du Christ supprimât les deux autres. Car si l’on veut unir deux peuples en un seul 66, il faut écarter de l’un et l’autre ce qui les divise, puis leur donner quelque chose qui leur soit commun, en quoi ils s’accordent. Le Christ, donc, voulant unir Juifs et Gentils, a enlevé aux Juifs leurs cérémonies et aux Gentils l’idolâtrie, qui à elles deux formaient comme un mur de dissension entre eux, puis des deux peuples Il en a fait un seul — Car c’est Lui qui est notre paix, Lui qui des deux en a fait un seul, détruisant en sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés 67. Ain si, ayant fait cesser le culte rituel des Juifs et l’idolâtrie des Gentils, le Christ a introduit le vrai culte de Dieu.
601. Mais au sens mystique, selon Origène 68, il faut entendre, par les trois adorations, trois participations à la Sagesse divine. Certains, en effet, y participent bien qu’elle demeure voilée par les ténèbres de l’erreur; ceux-là adorent sur la montagne, car toute erreur a pour cause l’orgueil — Je viens à toi, montagne pestilentielle, dit le Seigneur, toi qui corromps toute la terre 69. D’autres participent sans erreur à la Sagesse divine elle-même, mais de manière imparfaite, comme dans un miroir et en énigme 70; ceux-ci adorent à Jérusalem, qui signifie l’Eglise présente dont le psaume dit: Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les [enfants] dispersés d’Israël 71. Quant aux bienheureux et aux saints, ils participent à la Sagesse sans erreur et de manière parfaite, parce qu’ils voient Dieu comme Il est — Nous savons que lorsqu’il apparaîtra nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est 72.
602. Le Christ compare maintenant entre elles les adorations susdites. Il compare d’abord la seconde à la première [n° 602], puis la troisième à la première et à la seconde [n° 607].
VOUS
ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE NOUS
CONNAISSONS, PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS.
Pour comparer la seconde adoration à la
première, le Christ montre d’abord l’insuffisance de la première [n° 603],
puis la vérité de la seconde [n°
604]; enfin il en donne les raisons [n° 605].
603. Il pourrait sembler que le Seigneur aurait dû relever ce qu’il y avait de vrai dans la question de la femme, et résoudre le problème qu’elle posait. Mais Il ne s’en soucie pas, car l’une et l’autre adoration devaient cesser.
Quant à ces paroles: VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, il faut savoir que, pour le Philosophe, autre est la connaissance des réalités composées, autre celle des réalités simples. En effet, les réalités composées peuvent n’être connues que sous un certain aspect, de sorte que sous un autre elles demeurent inconnues, ce qui entraîne que l’on puisse avoir d’elles une connaissance fausse. Par exemple, celui qui a d’un animal une connaissance vraie quant à sa substance, peut cependant se tromper dans la connaissance des accidents — ne pas discerner s’il est blanc ou noir — ou de l’espèce — si c’est un volatile ou un quadrupède. Mais on ne peut en aucune manière avoir des réalités simples une connaissance fausse: ou bien on les connaît parfaitement en connaissant leur quiddité, ou bien, si on ne peut atteindre leur quiddité, on ne les connaît en aucune manière 73. Ainsi, puisque Dieu est absolument simple, si l’on a de Lui une connaissance fausse, ce ne peut être en connaissant quelque chose de Lui et en ignorant de Lui autre chose; cela ne peut venir que de ce qu’Il n’est pas atteint et qu’Il reste inconnu. Par conséquent, quiconque croit que Dieu est quelque chose qu’Il n’est pas, par exemple un corps ou autre chose de ce genre, n’adore pas Dieu, parce qu’il ne Le connaît pas, mais adore autre chose.
Or les Samaritains avaient de Dieu une opinion doublement fausse. En premier lieu, ils Le croyaient corporel, et par suite croyaient qu’Il était localisé dans un lieu unique, corporel, et que c’était en cet endroit qu’il fallait L’adorer. De plus, ils ne croyaient pas qu’Il est au-dessus de tout 74 mais Le pensaient égal à certaines créatures; aussi, avec Lui, adoraient-ils des idoles, comme si elles Lui étaient égales. Ils ne Le connaissaient donc pas, puisqu’ils ne parvenaient pas à une connaissance vraie de Lui. Voilà pourquoi le Seigneur dit VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, et vous n’adorez pas Dieu, car ce n’est pas Lui que vous connaissez, mais ce que vous avez imaginé et que vous prenez pour Dieu — Les nations marchent dans la vanité de leurs pensées, leur intelligence étant obscurcie par des ténèbres... 75
604. En ce qui concerne la
vérité de l’adoration des Juifs, le Seigneur déclare NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE
NOUS CONNAISSONS. Il se compte au nombre des Juifs, parce qu’Il était de race
juive et que, de plus, la femme Le regardait comme un prophète juif. NOUS
ADORONS, dit-Il, CE QUE NOUS CONNAISSONS; car les Juifs avaient, par la Loi et
les Prophètes, une connaissance ou une appréciation vraie de Dieu ils ne Le
croyaient pas corporel, ni présent dans un lieu déterminé, comme si sa majesté
pouvait être conte nue dans un lieu — Voici que les cieux et les cieux des
cieux ne peuvent te contenir; combien moins cette mai son que j’ai bâtie !
76 Ils n’adoraient pas non plus des idoles; c’est pourquoi il est dit:
Dieu est connu en Judée, son Nom est grand en Israël 77.
605. Le Seigneur donne la raison de ce qu’Il vient de dire en ajoutant: PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS. Autrement dit: les Juifs possédaient seuls la vraie connaissance de Dieu, parce que le salut du monde devait venir d’eux et que, comme le principe de la santé doit être quelque chose de sain, ainsi le principe du salut, salut qui est obtenu par la connaissance et le vrai culte de Dieu, doit avoir une connaissance vraie de Dieu. C’est pourquoi, puisque c’est des Juifs que devaient venir le principe et la cause du salut, c’est-à-dire le Christ — En ta descendance seront bénies toutes les nations 78 —, il fallait que Dieu fût connu en Judée.
606. Il y a trois aspects sous lesquels le salut est venu des Juifs. En premier lieu l’enseignement de la vérité; car, alors que toutes les nations étaient dans l’erreur, les Juifs persévéraient dans la vérité — Qu’est-ce donc que le Juif a de plus? (...) Premièrement, c’est à eux qu’ont été confiées les paroles de Dieu 79. Ensuite, les dons spirituels; car c’est d’abord à eux que furent donnés la prophétie et les autres dons de l’Esprit Saint, et c’est d’eux que ces dons parvinrent aux autres — Toi, c’est-à-dire les Gentils, alors que tu étais un olivier sauvage, tu as été greffé sur eux, c’est-à-dire sur les Juifs 80. Si donc les Gentils ont eu part à leurs biens spirituels, c’est-à-dire à ceux des Juifs, ils doivent à leur tour les servir dans les choses temporelles 81. Enfin, c’est des Juifs qu’est venu l’auteur même du salut, qui est issu d’eux selon la chair: C’est d’eux que le Christ est issu selon la chair 82.
MAIS ELLE VIENT, L’HEURE — ET
C’EST MAINTENANT — OU LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT LE PERE EN ESPRIT ET EN
VERITE; CAR TELS SONT LES ADORATEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU EST ESPRIT, ET
CEUX QUI L’ADORENT DOI VENT ADORER EN ESPRIT ET EN VERITE."
607. Jésus compare ici la
troisième adoration aux deux premières; Il montre d’abord son éminence par
rapport aux deux autres [n°
608], puis montre la convenance de cette adoration
éminente [n° 613].
608. Mais au sujet de l’éminence de cette troisième adoration il faut remarquer, d’après Origène 83, que plus haut le Seigneur, parlant de cette même adoration — ELLE VIENT, L’HEURE OU CE N’EST NI SUR CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE —, n’a pas ajouté "et c’est maintenant"; tandis qu’ici, parlant toujours de cette adoration, Il dit: ELLE VIENT, L’HEURE, ET C’EST MAINTENANT.
C’est que plus haut Il a parlé de l’adoration
dans la patrie, qui nous fera participer à une connaissance par faite de Dieu
et qui n’est pas encore venue pour ceux qui vivent dans cette chair mortelle;
tandis qu’ici, Il parle de l’adoration exercée en cette vie et qui nous est
déjà communiquée par le Christ.
609. C’est pourquoi Il dit ELLE VIENT, L’HEURE — ET C’EST MAINTENANT — OU LES VRAIS ADORATEURS. ADORERONT LE PERE EN ESPRIT ET EN VERITE. Cette affirmation peut s’entendre de plusieurs manières. On peut en premier lieu, avec Chrysostome 84, comprendre que l’ensemble de la phrase montre la prééminence de cette adoration sur celle des Juifs. Le sens est alors le suivant: comme l’adoration des Juifs l’emporte sur celle des Samaritains, ainsi l’adoration des chrétiens l’emporte sur celle des Juifs. Et cela de deux manières. D’abord parce que l’adoration des Juifs s’exerce dans des cérémonies corporelles 85 — Ce ne sont que prescriptions pour le corps, imposées jusqu’au temps du redressement 86, tandis que celle des chrétiens est [avant tout] spirituelle. Ensuite parce que l’adoration des Juifs était en figures. En effet ses victimes, en tant que réalités [matérielles] ne plaisaient pas à Dieu] — Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs? 87 Si tu avais voulu un sacrifice, je te l’au rais certes offert; mais les holocaustes ne te sont pas agréables 88, c’est-à-dire: dans leur réalité [matérielle]. Cependant ces victimes étaient agréables à Dieu en tant qu’elles étaient les figures de la vraie victime et du vrai sacrifice — La Loi possède l’ombre des biens à venir, non l’image même des réalités 89. L’adoration des chrétiens, elle, est l’adoration EN VERITE, parce qu’en elle-même elle plaît à Dieu — La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 90. Voilà pourquoi le Seigneur, pour manifester l’éminence de cette adoration, dit que LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT EN ESPRIT, pour montrer qu’ils n’adoreront pas par des cérémonies corporelles, ET EN VERITE, pour montrer qu’ils n’adoreront pas en figure.
610. Dans cette affirmation on
peut encore comprendre que le Seigneur, par ces deux mots: EN ESPRIT ET EN
VERITE, veut montrer ce qui différencie cette adoration non seulement de celle
des Juifs, mais encore de celle qui était propre aux Samaritains. EN ESPRIT la
distingue de celle des Juifs, pour la raison qu’on a dite plus haut, en EN
VERITE de celle des Samaritains, car celle-ci était dans l’erreur, puisque les
Samaritains ado raient ce qu’ils ne connaissaient pas, alors que l’adoration
des chrétiens implique la vraie connaissance de Dieu.
611. Enfin on peut, dans les mots EN ESPRIT ET EN VERITE, lire la condition d’une vraie adoration. Deux choses en effet sont requises pour que la prière soit bonne et vraie. La première est que la prière soit spirituelle; c’est pourquoi le Christ dit EN ESPRIT, c’est-à-dire dans la ferveur de l’esprit — Je prierai avec l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence 91, chantant et célébrant le Seigneur de tout [mon] cœur 92. L’autre est qu’elle soit dans la vérité, et en premier lieu la vérité de la foi, car sans la vérité de la foi aucune ferveur du désir spirituel n’est apte à mériter — Si quel qu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu (...); mais qu’il la demande avec foi, sans hésitation 93. EN VERITE veut dire aussi sans feinte ni simulation Lorsque vous priez, vous ne serez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin d’être vus des hommes 94. Pour la prière sont donc requises la ferveur de la charité (EN ESPRIT), puis la vérité de la foi et la droiture d’intention (EN VERITE). Et si le Christ dit que les vrais adorateurs adoreront le Père, c’est parce que sous la Loi les Juifs n’adoraient pas le Père, mais le Seigneur. Nous, nous adorons en fils, par amour, alors qu’eux adoraient comme des serviteurs, par crainte.
612. Ainsi, en parlant des vrais
adorateurs, le Christ exclut, d’après ce qu’on vient de dire, trois choses: la
fausseté de l’adoration des Samaritains — Rejetant le mensonge, dites la vérité
95 ; le caractère vain et
transitoire des cérémonies corporelles — Pourquoi aimez-vous la vanité et
cherchez-vous le mensonge? 96 enfin ce qui n’était que figure — La grâce et la vérité sont venues
par Jésus-Christ 97.
613. En disant ensuite: TELS
SONT LES ADORA TEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU EST ESPRIT..., le Christ montre
la convenance de cette troisième adoration. Il la montre en se référant d’abord
à la volonté de Celui qui est adoré et à ce qui Lui est agréable, et ensuite à
sa nature même [n° 615].
614. Sachons d’abord que, pour que quelqu’un mérite de recevoir ce qu’il demande, il doit demander des choses qui ne soient pas contraires à la volonté de celui qui donne, et doit les demander d’une manière qui lui soit agréable. Voilà pourquoi, quand nous prions Dieu, il nous faut être tels que Dieu nous veut. Or Dieu cherche des hommes qui L’adorent EN ESPRIT ET EN VERITE, c’est-à-dire dans la ferveur de la charité et la vérité de la foi — Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, si ce n’est que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies et que tu L’aimes, et que tu serves le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme (...) pour que tu aies le bonheur? 98 — Je vais t’indiquer, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur réclame de toi: c’est de pratiquer la justice, d’aimer la miséricorde, et de marcher humblement avec ton Dieu 99.
615. Cette convenance [la troisième adoration], le Christ la montre aussi en se référant à la nature même de Dieu: DIEU EST ESPRIT. Car de même que, comme le dit l’Ecclésiastique, Tout vivant aime son semblable 100, ainsi Dieu nous aime dans la mesure où nous Lui ressemblons; or nous ne Lui ressemblons pas par le corps, parce qu’Il est incorporel, mais par l’esprit, parce que DIEU EST ESPRIT. Renouvelez-vous, dit l’Apôtre, par l’esprit de votre esprit 101. En disant DIEU EST ESPRIT, le Christ souligne l’incorporéité de Dieu — Un esprit n’a ni chair ni os 102, et de même son action vivifiante, car toute notre vie vient de Dieu comme de son principe efficient. Et Dieu est aussi Vérité — Je suis la voie, la vérité et la vie 103. Voilà pourquoi c’est EN ESPRIT ET EN VERITE qu’il faut L’adorer.
IV
LA FEMME LUI DIT: "JE
SAIS QUE LE MESSIE 25-26] VIENT, CELUI QU’ON APPELLE CHRIST; CELUI-LA,
LORSQU’IL SERA VENU, NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. " JESUS LUI DIT: JE LE
SUIS, MOI QUI TE PARLE."
616. Il s’agit ici du donateur, de l’auteur du don dont le Seigneur avait parlé plus haut: SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, ET QUI EST CELUI QUI TE DIT: DONNE-MOI A BOIRE... L’Evangéliste expose d’abord la confession de foi de la femme [n° 616], puis l’enseignement du Christ [n° 619].
[25] LA FEMME LUI DIT: "JE
SAIS QUE LE MESSIE VIENT, CELUI QU’ON APPELLE CHRIST; CELUI-LA, LORSQU’IL SERA
VENU, NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES."
Dans sa confession de foi, la femme commence
par proclamer sa foi au Christ qui doit venir [n° 617], puis elle affirme la
perfection de son enseignement [n°
618].
617. Sachons que la femme, toute
retournée par la profondeur des paroles du Seigneur, resta interdite, sans
pouvoir les comprendre. Elle Lui dit donc JE SAIS QUE LE MESSIE VIENT, CELUI
QU’ON APPELLE CHRIST, comme pour dire: Je ne comprends pas tes paroles, mais un
jour le Messie viendra, et alors nous connaîtrons tout cela. L’hébreu "Messie"
se dit en latin "Oint", et en grec "Christ" 104. Cette
femme savait que le Messie viendrait parce qu’elle l’avait appris par les
livres de Moïse, où fut annoncée la venue du Christ: Le sceptre ne sera pas
enlevé de Juda, ni le chef de sa descendance, jusqu’à ce que vienne celui qui
doit être envoyé 105. Comme le note
Augustin, cette parole de la femme est la première où elle nomme le Christ, ce
qui donne à entendre que, laissant ses cinq sens corporels, elle a commencé
désormais à revenir à son mari légitime 106.
618. Ce Messie, lorsqu’Il sera venu, nous donnera un enseignement parfait; voilà ce qu’elle veut dire par ces paroles: IL NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. Cela, Moïse 107 l’avait prédit: Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à toi; je placerai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai 108. Et parce que la femme avait désormais appelé son mari, c’est-à-dire l’intelligence et la rai son, le Seigneur lui offre à boire l’eau de son enseignement spirituel, en se manifestant à elle au moment opportun.
JESUS LUI DIT: "JE LE
SUIS, MOI QUI TE PARLE." [26]
619. JE LE SUIS, c’est-à-dire:
Je suis le Christ — La Sagesse prévient ceux qui la désirent, pour se montrer à
eux la première 109. Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai et je
me manifesterai à lui 110. Le Seigneur ne s’est pas manifesté tout de suite car la femme ne
l’aurait peut-être pas cru, et elle aurait pensé qu’Il parlait par vanité. Mais
maintenant, l’amenant peu à peu à la connaissance du Christ, Il s’est révélé
Lui-même, au temps opportun — Pommes d’or sur ciselures d’argent, celui qui dit
une parole en son LES PREMIERS FRUITS DE L’ENSEIGNEMENT temps 111. Aux Pharisiens qui L’interrogeaient pour savoir s’Il était le
Christ — Si c’est toi le Christ, dis-le nous clairement 112 — Il
ne se révéla pas ouvertement, parce qu’ils ne L’interrogeaient pas pour être
éclairés,
27 Là-dessus vinrent ses
disciples, et ils s’étonnaient de ce qu’Il parlait avec une femme. Aucun
pourtant ne dit" Que lui veux-tu?" ou: "Pourquoi parles-tu avec
elle?" La femme laissa donc sa cruche et s’en alla à la ville. Et elle dit
aux hommes [de la ville]" Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que
j'ai fait. Ne serait-Il pas le Christ?" Ils sortirent donc de la ville, et
ils venaient à Lui. Entre temps les disciples Le priaient en disant:
"Rabbi, mange. " Mais Il leur dit" Moi, j’ai à manger une
nourriture que vous, vous ne connaissez pas. " Les disciples se disaient
donc entre eux: "Quelqu’un Lui a-t-il apporté à manger?"
620. Après avoir exposé l’enseignement du Christ mais dans le but de Lui nuire. Cette femme, au contraire, sur l’eau spirituelle, l’Evangéliste traite ici de son effet; parlait en toute simplicité de coeur. il l’expose d’abord [n° 620], puis le manifeste [n° 631].
I
LA-DESSUS
VINRENT SES DISCIPLES, ET ILS S’ETONNAIENT DE CE QU’IL PARLAIT AVEC UNE FEMME.
AUCUN POURTANT NE DIT: "QUE LUI VEUX-TU?" OU: "POURQUOI
PARLES-TU AVEC ELLE?" LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET S’EN ALLA A LA
VILLE. ET ELLE DIT AUX HOMMES [LA VILLE]: "VENEZ ET VOYEZ UN HOMME QUI M’A
DIT TOUT CE QUE J’AI FAIT. NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST?" ILS SORTIRENT DONC
DE LA VILLE, ET ILS VENAIENT A LUI.
L’effet de l’enseignement du Christ est le fruit qu’il produit chez les fidèles; c’est pourquoi l’Evangéliste expose d’abord le fruit produit chez les disciples qui s’étonnent [n° 621], puis chez la femme qui annonce [aux hommes de Samarie] la puissance du Christ [n° 624].
LA-DESSUS VINRENT SES
DISCIPLES, ET ILS S’ETONNAIENT DE CE QU’IL PARLAIT AVEC UNE FEMME. AUCUN
POURTANT NE DIT: "QUE LUI VEUX-TU?" OU" POURQUOI PARLES-TU AVEC
ELLE?"
621. Trois choses nous sont
dites ici au sujet des disciples. D’abord leur retour auprès du Christ —
LA-DESSUS VINRENT SES DISCIPLES. Comme le dit Chrysostome 1, c’est
tout à fait à propos que, après que le Christ se fût manifesté à la femme, les
disciples survinrent, afin de montrer que tous les temps sont réglés par la
divine Providence — Dieu a fait Lui-même le petit et le grand, et Il prend
également soin de tous (...) et [sa Sagesse], dans sa Providence universelle, va au-devant d’eux 2. Pour toute affaire il y a un temps et un moment favorable 3.
622. L’Evangéliste montre ensuite leur étonnement au sujet du Christ: ET ILS S’ETONNAIENT DE CE QU’IL PARLAIT AVEC UNE FEMME. Ils s’étonnaient en bien et ne soupçonnaient aucun mal, comme le dit Augustin 4.
ILS S’ETONNAIENT de deux choses. D’abord de la douceur et de l’humilité surabondantes du Christ ils s’étonnaient de ce que le Seigneur de l’univers daignât parler, et longuement, avec une pauvre femme, nous donnant en cela un exemple d’humilité — Montre-toi accueillant pour la communauté des pauvres 5. D’autre part, ils s’étonnaient de Le voir parler avec une Samaritaine, une étrangère, car ils ignoraient le mystère, à savoir que cette femme était l’image de l’Eglise des Gentils, que cherchait Celui qui est venu chercher et [n° 27] sauver ce qui était perdu 6,
623. Enfin l’Evangéliste souligne le respect confiant des disciples pour le Christ, manifesté par leur silence. Nous montrons en effet notre respect confiant pour Dieu quand nous n’avons pas l’audace de discuter ses actes — La gloire de Dieu est de cacher son verbe, et la gloire des rois de scruter la parole 7. Aussi l’Evangéliste dit-il que, malgré leur étonnement, AUCUN POUR TANT NE DIT: "QUE LUI VEUX-TU?" OU: "POUR QUOI PARLES-TU AVEC ELLE?" — Ecoute en silence, et pour ton respect confiant te viendra la faveur divine 8.
Cependant, si les disciples avaient appris à garder leur rang par respect et par crainte filiale envers le Christ, c’était de telle sorte que parfois ils L’interrogeaient avec confiance sur ce qui les regardait, par exemple quand le Christ leur annonçait des vérités les concernant, mais dépassant la capacité de leur intelligence — Jeune homme, parle à peine dans ta propre cause 9 —, mais que parfois ils se gardaient de Le questionner, quand cela ne les regardait pas, ce qui est le cas ici.
624. L’Evangéliste expose maintenant le fruit pro duit par l’enseignement du Christ chez la femme celle-ci assume la fonction des Apôtres en portant le message. A travers les paroles et les actes de cette femme on peut saisir l’aspect amoureux de son dévouement [n° 625], le caractère propre de sa prédication [n° 626] et son effet [n° 630].
LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE
ET S’EN ALLA A LA VILLE.
625. L’amour de la femme apparaît de deux manières. D’abord en ce que, dans la grandeur de son dévouement, elle laisse là son eau comme si elle avait oublié ce pour quoi elle était spécialement venue LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET S’EN ALLA A LA VILLE pour annoncer des merveilles au sujet du Christ 10, méprisant son bien-être corporel pour le bien des autres. En cela elle suit l’exemple des Apôtres qui, laissant là leurs filets, suivirent [le Seigneur] 11. Par la CRUCHE il faut entendre la convoitise du monde, avec laquelle les hommes tirent leurs plaisirs du fond ténébreux dont le puits offre l’image, c’est-à-dire d’une vie toute terrestre 12. Ceux donc qui abandonnent les, convoitises du monde pour le Christ laissent là leur cruche — Personne, combattant pour Dieu, ne s’embarrasse des affaires du siècle 13.
Le zèle de la femme apparaît encore dans le grand nombre de ceux auxquels elle porte son message: non pas à un seulement, ni à deux ou trois, mais à la ville entière 14. C’est ce que veut dire l’Evangéliste en disant qu’elle S’EN ALLA A LA VILLE. En cela elle représente le ministère qui fut confié aux Apôtres par le Seigneur Allez, enseignez toutes les nations 15 — Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit 16.
ET ELLE DIT AUX HOMMES [LA
VILLE]: "VENEZ ET VOYEZ UN HOMME QUI M’A DIT TOUT CE QUE J’AI FAIT. NE
SERAIT-IL PAS LE CHRIST?"
626. L’Evangéliste indique ici le caractère propre de la prédication de la femme. En premier lieu elle invite à venir voir le Christ, en disant: VENEZ ET VOYEZ UN HOMME. Cette femme avait bien entendu le Christ lui dire "Je suis le Christ"; mais elle n’a pas tout de suite dit aux hommes de venir "au Christ" ou de croire, pour ne pas leur donner occasion de blasphémer. C’est pour cette raison qu’elle a dit d’abord du Christ ce qui était croyable et s’offrait aux yeux de tous, à savoir que c’était UN HOMME — Il s’est fait semblable aux hommes 17. Et elle n’a pas dit non plus "croyez", mais VOYEZ, car elle savait bien que s’ils goûtaient à cette source en Le voyant, ils éprouveraient la même chose qu’elle 18 — Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu, et je raconterai tout ce qu’Il a fait pour mon âme 19. En cela la Samaritaine n’en imite pas moins l’exemple du véritable prédicateur, qui appelle les hommes non à soi, mais au Christ — Ce n’est pas nous-mêmes que nous prêchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 20.
627. Elle donne ensuite un signe
de la divinité du Christ en disant: IL M’A DIT TOUT CE QUE J’AI FAIT,
c’est-à-dire combien elle a eu de maris. C’est en effet une marque de la
divinité de manifester ce qui est caché et secret dans les coeurs. Et bien que
sa conduite passée n’ait pu que la couvrir de confusion, cette femme n’eut
pourtant pas honte de la rappeler; car "une fois que l’âme a été
embrasée du feu divin, comme le dit Chrysostome, il ne lui reste plus de regard
pour ce qui est de la terre, ni pour la gloire ni pour la honte, mais elle est
relative à cette seule flamme qui la possède" 21.
628. Enfin la femme achève sa prédication sur la majesté du Christ: NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? Elle n’a pas osé montrer de manière affirmative que c’était le Christ, de peur de paraître vouloir instruire les autres et que ceux-ci, irrités, ne veuillent pas sortir [n° 28b] de la ville] pour aller vers Lui. Cependant elle ne l’a pas tu entièrement, mais elle l’a dit sous forme d’interrogation, comme s’en remettant à leur jugement NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? C’est là en effet une manière plus facile de persuader.
629. Par cette femme, qui est d’une condition très humble, est signifiée la condition des Apôtres qui prêchent. Il est dit en effet: Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages 22. Aussi les Apôtres eux-mêmes sont-ils appelés "servantes": Elle, la Sagesse divine, c’est-à-dire le Fils de Dieu, a envoyé ses servantes, c’est-à-dire les Apôtres, appeler au sommet de la ville et sur ses remparts: "Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. (...) Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai mêlé" 23.
ILS SORTIRENT DONC DE LA
VILLE, ET ILS VE NAIENT A LUI.
630. Voici le fruit de la prédication [de la femme] ILS SORTIRENT DONC DE LA VILLE, où la femme était allée, ET ILS VENAIENT A LUI, c’est-à-dire au Christ; ce qui nous donne à entendre que si nous voulons aller au Christ, il nous faut sortir de la ville, autrement dit abandonner l’amour de la cupidité charnelle — Sortons donc vers Lui hors du camp en portant son opprobre 24.
II
631. Maintenant va être manifesté l’effet de l’enseignement spirituel du Christ: d’abord par l’enseignement même du Christ aux disciples [n° 631], puis par l’effet qu’il produit dans les autres [n° 656].
ENTRE
TEMPS LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN 31331 DISANT: "RABBI, MANGE". MAIS
IL LEUR DIT: "MOI, J’AI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS NE CONNAISSEZ
PAS." LES DISCIPLES SE DISAIENT DONC ENTRE EUX: "QUELQU’UN LUI
A-T-IL APPORTE A MANGER?"
Pour manifester l’effet de l’enseignement du Christ sur les disciples, l’Evangéliste rapporte d’abord l’occasion de la manifestation de ce fruit [chez les disciples] [n° 6321, puis la manifestation proprement dite [n° 633].
[31] ENTRE TEMPS LES DISCIPLES
LE PRIAIENT EN DISANT: "RABBI, MANGE."
632. L’occasion de cette manifestation est l’insistance avec laquelle les disciples pressent le Christ de manger: ENTRE TEMPS, c’est-à-dire entre le moment où ils trouvent la femme parlant au Christ et Celui-ci s’entretenant avec elle, et le moment de l’arrivée des Samaritains, LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN DI SANT: "RABBI, MANGE", jugeant que ce moment était propice au repas, avant que la foule ne se rassemblât autour d’eux. En effet, devant un étranger ils ne préparaient pas de nourriture; c’est pourquoi il est dit ailleurs qu’une telle foule se pressait autour de Lui qu’Il n’avait même pas le temps de manger 25.
633. L’occasion Lui ayant donc été donnée, le Seigneur manifeste maintenant le fruit de son enseignement. Il présente d’abord ce fruit en un langage figuré [n° 634], puis Il souligne la lenteur des disciples à comprendre [n° 636]; enfin Il explique ce qu’Il a dit [n° 638].
MAIS IL LEUR DIT: "MOI,
J’AI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS, VOUS NE CONNAISSEZ PAS."
634. Le Christ présente ici le fruit de son enseignement spirituel sous la figure d’une nourriture et d’un repas. Il faut à ce propos savoir que, de même qu’on ne peut refaire parfaitement ses forces corporelles si la boisson n’est pas jointe à la nourriture ou inversement, de même, pour refaire ses forces spirituelles, il faut avoir l’une et l’autre: Dieu nourrira [celui qui Le craint] du pain de la vie et de l’intelligence (voilà la nourriture) et Il l’abreuvera de l’eau de la sagesse qui donne le salut 26 (voilà la boisson). Il convenait donc qu’après avoir parlé de la boisson dont avait été abreuvée la Samaritaine, le Seigneur parlât de la nourriture. Et de même que par l’eau il faut entendre la sagesse qui donne le salut, de même par la nourriture il faut entendre l’accomplissement de l’oeuvre du Père 27.
Or cette nourriture que le Christ avait à manger, c’est le salut des hommes 28 qu’Il cherchait; en disant qu’Il a une nourriture à manger, Il montre combien est grand le désir qu’Il a de notre salut. En effet, ce qu’est pour nous le désir de manger quand nous avons faim, le désir de nous sauver l’est pour le Christ — Mes délices sont d’être avec les fils de hommes. C’est pourquoi Il dit: J’AI A MANGER UNE NOURRITURE, c’est-à-dire la conversion des Gentils, QUE VOUS. VOUS NE CONNAISSEZ PAS, parce que les disciples ne pouvaient pas encore prévoir cette conversion.
635. On peut, avec Origène 29, expliquer ces paroles d’une autre manière. Il en va de la nourriture spirituelle comme de la nourriture corporelle: la même quantité ne suffit pas à tous; pour l’un une plus grande quantité est nécessaire, pour un autre une moindre; et est sain pour l’un ce qui nuira à un autre. Il en va de même pour la nourriture spirituelle on ne doit pas dis penser à tous un enseignement spirituel de même qualité, ni selon la même quantité; on doit tenir compte de la disposition et de la capacité des hommes [qu’on enseigne]. Car, comme le dit l’Apôtre Pierre, les enfants nouveaux-nés désirent le lait spirituel 30, tandis que la nourriture solide est celle des parfaits. C’est pourquoi Origène dit que celui qui a une doctrine plus élevée et qui surpasse les autres dans les choses spirituelles peut transmettre cette parole à ceux qui sont faibles et dont l’intelligence manque de force 31. C’est ainsi que parle l’Apôtre: Comme à des petits enfants dans le Christ, c’est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide 32. A bien plus forte raison Jésus peut-Il dire en vérité: J’AI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS, VOUS NE CONNAISSEZ PAS. J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter [n° 32] maintenant 33.
LES DISCIPLES SE DISAIENT DONC
ENTRE EUX: "QUELQU’UN LUI A-T-IL APPORTE A MANGER?"
636. La lenteur de
l’intelligence des disciples se révèle ici au fait que, ce que le Seigneur a
dit de la nourriture spirituelle, ils l’entendaient d’une nourriture
corporelle; car ils étaient encore sans intelligence 34. Voilà
pourquoi ils SE DISAIENT ENTRE EUX: "QUELQU’UN LUI A-T-IL APPORTE A
MANGER?"
Il ne faut donc pas s’étonner que la femme, une Samaritaine, n’ait pas compris l’eau spirituelle; car voilà que les disciples, des Juifs, ne comprennent pas la nourriture spirituelle.
Le fait qu’ils se disent entre eux QUELQU’UN LUI A-T-IL APPORTE A MANGER? nous indique que le Christ avait coutume d’accepter la nourriture que d’autres Lui offraient. Et pourtant Il n’a pas besoin de nos biens — J’ai dit au Seigneur: Tu es mon Dieu, tu n’as pas besoin de mes biens 35 — et Celui qui donne la nourriture à toute chair 36 n’a pas besoin de la nourriture des hommes.
637. Pourquoi alors le Christ demandait-Il de la nourriture aux autres et l’acceptait-Il d’eux? Il le faisait pour deux raisons. D’abord pour permettre à ceux qui la Lui donnaient et la Lui apportaient d’acquérir ainsi un mérite. Ensuite, pour donner à ceux qui vaquent aux choses spirituelles l’exemple de ne pas rougir de la pauvreté, et pour qu’ils ne trouvent pas pénible d’être nourris par les autres. Il appartient en effet à ceux qui enseignent d’avoir leur subsistance assurée par d’autres, pour qu’ils puissent, n’ayant souci de rien, donner tous leurs soins au ministère de la parole, comme le dit Chrysostome 37. La Glose 38 dit la même chose en commentant ces paroles de l’Ecriture: Que les anciens qui exercent bien la présidence soient regardés comme dignes d’un double honneur, surtout ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement 39.
Jésus
leur dit: "Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé
et d’accomplir son oeuvre. Ne dites-vous pas, vous: Encore quatre mois et vient
la moisson? Voici que je vous dis: Levez les yeux et voyez les campagnes: elles
sont déjà blanches pour la moisson. Et celui qui moissonne reçoit un salaire et
amasse du fruit pour la vie éternelle, afin que se réjouissent ensemble celui
qui sème et celui qui mois sonne. Car en cela se vérifie la parole: Autre est
celui qui sème, autre celui qui moissonne. Moi, je vous ai envoyés moissonner
ce pour quoi vous, vous n’avez pas peiné; d’autres ont peiné, et vous, vous
êtes entrés dans leurs labeurs."
638. Après avoir montré la lenteur des disciples à comprendre le langage figuré du Seigneur [n° 633-636], l’Evangéliste nous Le montre ici donnant l’explication de ce langage figuré [n° 639], puis prenant une comparaison [n° 644]
I
JESUS LEUR DIT: "MA
NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE ET D’ACCOMPLIR SON
OEUVRE."
639. De même que, plus haut, le
Seigneur a expliqué à la femme ce qu’Il lui avait dit en figure à propos de
l’eau, ainsi Il explique maintenant aux Apôtres ce qu’Il leur a dit en figure à
propos de la nourriture. Cependant il le fait cette fois de manière tout autre
aux Apôtres, plus capables de comprendre, Il donne aussitôt, sans
circonlocutions, son explication; alors que la femme, moins capable, Il la
conduit par beaucoup de paroles à la connaissance de la vérité.
640. Ce que le Christ dit ici aux Apôtres s’explique facilement. En effet, puisque la nourriture corporelle est ce qui sustente l’homme et le rend parfait, on considérera comme nourriture spirituelle de l’âme et de la créature douée d’intelligence ce qui les sustente et les rend parfaites. Or leur perfection consiste à être unies à leur fin et à suivre une règle supérieure — ce que David, qui l’avait bien compris, exprimait ainsi: Il est bon pour moi d’adhérer à Dieu 1. C’est pourquoi il convenait au Christ, en tant qu’homme, de dire que sa NOURRITURE était de FAIRE LA VOLONTE de Dieu ET D’ACCOMPLIR SON OEUVRE.
641. Ces deux expressions: FAIRE LA VOLONTE de Dieu et ACCOMPLIR SON OEUVRE, peuvent être comprises comme signifiant la même chose, la seconde étant cependant l’explicitation de la première. Elles peuvent aussi être comprises comme signifiant deux choses différentes.
Si on les comprend comme n’en signifiant qu’une, le sens est alors le suivant: MA NOURRITURE, autrement dit ma force et mon soutien, EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE — J’ai voulu, mon Dieu, faire ta volonté, et ta loi est au fond de mon coeur 2 Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé 3. Mais comme" faire la volonté" de quelqu’un peut s’entendre de deux manières — soit qu’on le fasse vouloir, soit qu’on accomplisse par des oeuvres ce que l’on sait qu’il veut —, le Seigneur, expliquant ce qu’est FAIRE LA VOLONTE de Celui qui L’a envoyé, dit que c’est ACCOMPLIR SON OEUVRE, c’est-à-dire mener à bien les oeuvres dont je sais qu’Il les veut — Tant qu’il fait jour, il me faut travailler aux oeuvres de Celui qui m’a envoyé 4.
Si maintenant on entend ces deux expressions comme signifiant deux choses différentes, il faut savoir que le Christ a accompli les deux en ce monde. Il a d’abord enseigné la vérité, en invitant et appelant à la foi; et en cela Il a accompli la volonté de son Père Telle est la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en Lui ait la vie éternelle 5. Ensuite, II a achevé la vérité elle-même en nous ouvrant par sa Passion la porte de la vie, nous donnant ainsi le pouvoir de parvenir à la vérité achevée — J’ai achevé l’oeuvre que tu m’as donnée à faire 6. En ce sens, le Christ dit MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CE LUI QUI M’A ENVOYE en appelant les hommes à la foi, ET D’ACCOMPLIR SON OEUVRE en les conduisant à la perfection.
642. On peut, d’après Origène 7, donner une autre interprétation. Tout homme qui agit bien doit diriger son intention vers deux fins: l’honneur de Dieu et le bien du prochain; car, comme le dit l’Apôtre, La fin du précepte, c’est la charité 8, qui comprend l’amour de Dieu et du prochain. Ainsi, quand nous faisons quelque chose pour Dieu, la fin du précepte est Dieu; et quand nous agissons pour le bien du prochain, la fin du précepte est le pro chain. Selon cette interprétation, le Christ affirme donc MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE de Dieu, c’est de diriger son intention et de la régler sur ce qui est en vue de la gloire de Dieu, ET D’ACCOMPLIR SON OEUVRE, c’est de faire ce qui concourt au bien et à la perfection de l’homme.
643. Mais on peut objecter que les oeuvres de Dieu sont parfaites 9, et qu’il ne convient donc pas de dire qu’on "accomplit" 10 l’oeuvre de Dieu. A cela je réponds que parmi toutes les autres créatures inférieures, l’homme est l’oeuvre spéciale de Dieu, parce qu’il a été fait à son image et à sa ressemblance 11; et qu’à l’origine cette oeuvre fut certainement parfaite, car Dieu a fait l’homme droit, comme dit l’Ecclésiaste 12. Mais ensuite, à cause du péché, l’homme perdit cette perfection et s’écarta de cette rectitude. Aussi, afin que cette oeuvre de Dieu fût parfaite, était-il nécessaire de la réparer: ce qui fut fait par le Christ — En effet, comme par la désobéissance d’un seul homme, la multitude a été constituée pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera constituée juste 13. Ainsi le Christ dit-Il que sa nourriture est D’ACCOMPLIR L’OEUVRE de Celui qui L’a envoyé, c’est-à-dire de conduire l’homme à sa perfection 14.
II
"NE DITES-VOUS PAS, VOUS:
ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE VOUS DIS: LEVEZ LES YEUX
ET VOYEZ LES CAMPA GNES: ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON. ET CELUI QUI
MOISSONNE REÇOIT UN SALAIRE ET AMASSE DU FRUIT POUR LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE
SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE. CAR EN CELA SE
VERIFIE LA PAROLE: AUTRE EST CE LUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI MOISSONNE. MOI,
JE VOUS AI ENVOYES MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS N’AVEZ PAS PEINE;
D’AUTRES ONT PEINE, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS."
644. Le Seigneur emploie ici une image. Remarquons à ce sujet qu’Il demanda à boire à la femme en disant: Donne-moi à boire, et que c’est à l’occasion de cette demande qu’Il introduisit l’image de l’eau. Ici, au contraire, ce sont les disciples qui exhortent le Seigneur à manger; mais, de la même façon, le Seigneur saisit cette occasion d’introduire l’image de la nourriture spirituelle; car par l’image de la nourriture et celle de la boisson le même mystère est signifié. Ainsi, à certains (comme la femme), Dieu demande à boire, tandis que d’autres Lui offrent à boire. Mais nul n’offre à Dieu de la nourriture si Dieu le premier ne lui en fait la demande. En effet, nous offrons à Dieu une nourriture spirituelle quand nous sollicitons de Lui notre salut, c’est-à-dire quand nous demandons: Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel 15. Ce salut, nous ne pouvons pas l’obtenir par nous-mêmes; [nous ne pouvons l’obtenir que] si Dieu nous a devancés par la grâce prévenante — Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons 16. C’est donc Dieu qui demande le premier, Lui qui, par la grâce prévenante, nous fait demander.
Dans cette comparaison qu’Il prend, le Seigneur parle d’abord de la moisson [n° 645], puis des moissonneurs [n° 650]. A propos de la moisson, Il commence par donner la comparaison de la moisson visible [n° 645], puis Il parle de la moisson spirituelle [n° 646].
"NE
DITES-VOUS PAS, VOUS: ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE VOUS
DIS LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES: ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA
MOISSON."
645. Les paroles ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON nous laissent entendre que le Christ quitta la Judée aussitôt après l’emprisonnement de Jean, comme le dit Matthieu, qu’Il traversa la Samarie et que cela eut lieu pendant l’hiver, comme l’emprisonnement de Jean. Cela explique pourquoi il ne restait que quatre mois jusqu’à la moisson, celle-ci se faisant, dans cette région, plus tôt qu’ailleurs. Voici donc ce que dit le Christ: NE DITES-VOUS PAS, VOUS, en parlant de la moisson visible (physique): ENCORE QUA TRE MOIS à passer, ET VIENT LA MOISSON, c’est-à-dire le temps de récolter la moisson? Mais VOICI QUE JE VOUS DIS, en parlant de la moisson spirituelle
LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES
CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON.
646. Notons ici qu’on appelle "temps des moissons" le moment où l’on récolte les fruits et que, par conséquent, toute récolte de fruits peut être regardée comme "le temps des moissons". Or il y a deux temps pour la récolte des fruits. Rien n’empêche en effet, dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre physique, que ce qui est fruit par rapport à ce qui précède soit aussi semence par rapport à ce qui suit. Ainsi les oeuvres bonnes, comme la foi et autres choses du même ordre, sont les fruits de l’enseignement spirituel, et elles sont pour tant les semences de la vie éternelle, puisque par elles on parvient à la vie éternelle. C’est ainsi que la Sagesse dit: Mes fleurs, par rapport aux fruits qui viendront après elles, sont des fruits de gloire et de noblesse 17, par rapport à ce qui précède.
D’après cela il y a donc une moisson
spirituelle qui est la récolte des fruits éternels, c’est-à-dire le
rassemblement des fidèles dans la vie éternelle — La moisson, c’est la fin du
monde 18 — ; mais ce n’est pas d’elle qu’il est question ici. Une autre a
lieu dans la vie présente, et on peut la voir de deux manières: soit comme
cette récolte des fruits qu’est la conversion des fidèles qui doivent être
rassemblés dans l’Eglise, soit comme la con naissance même de la vérité, par laquelle
on récolte dans son âme les fruits de la vérité. Selon les divers commentaires,
il s’agit ici de l’une ou de l’autre.
647. Augustin 19 et Chrysostome 20 s’en tiennent à la première manière de comprendre la moisson spirituelle de la vie présente, et interprètent les paroles du Christ de la façon suivante VOUS DITES, VOUS, que ce n’est pas encore le moment de la moisson visible; mais il n’en va pas de même de la moisson spirituelle. Bien au contraire, VOICI QUE JE VOUS DIS: LEVEZ LES YEUX, c’est-à-dire considérez des yeux de votre esprit, ou même regardez des yeux du corps, ET VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, toute la campagne étant remplie de Samaritains qui venaient vers le Christ. L’expression SONT BLANCHES est métaphorique. Lorsqu’en effet les blés ont blanchi, c’est signe qu’ils sont prêts pour la moisson. Par là le Seigneur n’a voulu signifier rien d’autre que ceci: les hommes étaient prêts pour le salut et prêts à recevoir sa parole. C’est pourquoi Il dit: VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, car non seulement les Juifs, mais encore les Gentils sont prêts pour la foi — La moisson est abondante 21.
Comme les moissons blanchissent à cause de la présence du soleil qui durant l’été est plus ardent, ainsi les hommes étaient préparés au salut par la venue du Soleil de justice, le Christ, ainsi que par sa prédication et sa puissance. C’est de ce Soleil qu’il est dit: Pour vous qui craignez mon nom se lèvera le Soleil de justice, avec la guérison dans ses ailes 22. Et c’est pour cela que l’Ecriture appelle "temps de la plénitude" le temps de sa venue — Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils 23.
648. Origène 24, lui, interprète de la seconde manière la moisson spirituelle de la vie présente: comme la récolte des fruits de la vérité dans l’âme. On récolte dans cette moisson, dit-il, autant de fruits de vérité que l’on connaît de vérités. Et Origène veut que l’on comprenne comme une parabole l’ensemble de ces paroles: NE DITES-VOUS PAS, VOUS: ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE VOUS DIS: LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES: ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON.
En ce sens le Seigneur, par ces mots, expose, pour ensuite l’écarter, une opinion fausse qu’avaient certains.
Certains en effet défendaient cette opinion, que l’homme ne peut posséder la vérité sur aucune réalité. De là provient l’hérésie des Académiciens, pour qui rien ne peut être tenu pour certain en cette vie — J’ai tout tenté, dit l’Ecclésiaste, pour acquérir la sagesse. J’ai dit: Je deviendrai sage; mais elle s’est retirée bien loin de moi, beaucoup plus loin qu’elle n’était 25. C’est donc à cette opinion que le Seigneur fait allusion en disant: NE DITES-VOUS PAS, VOUS: ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON — autrement dit: toute la vie présente, durant laquelle l’homme est asservi aux quatre éléments 26, doit prendre fin pour qu’après elle la récolte de la vérité ait lieu dans l’autre vie 27. Mais le Seigneur écarte ensuite cette opinion en disant: Il n’en est pas ainsi; au contraire VOICI QUE JE VOUS DIS: LEVEZ LES YEUX. Cette dernière expression s’emploie habituellement dans la Sainte Ecriture chaque fois qu’il est demandé de considérer quelque chose de subtil et d’élevé 28. Levez vos yeux vers les hauteurs et voyez: Qui a créé ces choses? 29. En effet, si les yeux ne s’élèvent pas au-dessus des réalités terrestres et de la concupiscence charnelle, ils ne sont pas capables de connaître les fruits spirituels; car tantôt, détournés de la considération des réalités divines, ils s’abaissent vers les choses terrestres — Ils ont résolu de tenir leurs yeux baissés vers la terre 30 —, tantôt ils sont aveuglés par la concupiscence -Ils détournèrent leurs yeux pour ne pas voir le ciel, et ne pas se souvenir des jugements de Dieu 31.
649. Le Christ dit donc: LEVEZ
LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES: ELLES SONT DEJA BLAN CHES POUR LA MOISSON,
c’est-à-dire ordonnées de telle manière qu’on peut à partir d’elles connaître
la vérité. Car par les CAMPAGNES il faut entendre particulièrement tout ce à
partir de quoi on peut atteindre la vérité, et spécialement deux choses. D’une
part, ce sont les Ecritures — Vous scrutez les Ecritures (...) et ce sont elles
qui me rendent témoignage 32. Ces CAMPAGNES, si elles étaient déjà dans l’Ancien Testament, n’y étaient
cependant pas BLANCHES POUR LA MOISSON, car les hommes ne pouvaient en tirer un
fruit spirituel avant que vînt le Christ, qui les fit blanchir en ouvrant
l’intelligence des hommes — Il ouvrit leur intelligence pour qu’ils comprennent
les Ecritures 33. D’autre part, les moissons sont aussi les créatures, d’où l’on
récolte le fruit de la vérité, car les [perfections] invisibles
[de Dieu] sont rendues visibles à l’intelligence par ses oeuvres 34.
Pourtant les Gentils, qui s’adonnaient à la connaissance des créatures, en
recueillaient des fruits d’erreur plutôt que de vérité — ils ont adoré et servi
la créature au lieu du Créateur 35. Voilà pourquoi ces CAMPAGNES n’étaient pas encore blanches; mais
quand vint le Christ, elles devinrent BLANCHES POUR LA MOISSON.
650. Le Christ parle ensuite des moissonneurs. A ce propos II fait d’abord mention de leur récompense [n° 651], puis cite un proverbe [n° 652]; enfin Il explique ce proverbe et l’applique à son propos [n° 653].
[36] "ET CELUI QUI
MOISSONNE REÇOIT UN SALAIRE ET AMASSE DU FRUIT POUR LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE
SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE."
651. A propos de la récompense des moissonneurs 36, une remarque s’impose: plus haut, le Seigneur, expliquant ce qu’Il avait dit de l’eau spirituelle, précisa ce qui différencie celle-ci de l’eau physique, à savoir que celui qui boira de l’eau physique aura encore soif, tandis que celui qui boira de l’eau spirituelle n’aura plus jamais soif. De même, expliquant ici ce qu’Il dit de la moisson, Il montre en quoi sont dissemblables la moisson visible (physique) et la moisson spirituelle; et Il mentionne là trois choses.
En premier lieu, considérant la ressemblance de l’une et l’autre moisson, Il affirme que CELUI QUI MOISSONNE, tant dans la moisson visible que dans la moisson spirituelle, REÇOIT UN SALAIRE. Or, moisson ne spirituellement celui qui rassemble les fidèles dans l'Eglise ou celui qui recueille les fruits de la vérité dans son âme; et tous deux reçoivent un salaire — Chacun recevra son propre salaire selon son labeur 37.
Puis Il précise deux autres choses, qui regardent cette fois la dissemblance des deux moissons. La première est que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson visible appartient à la vie corruptible, tandis que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson spirituelle appartient à la vie éternelle. C’est pourquoi le Christ dit: celui qui moissonne spirituellement AMAS SE DU FRUIT POUR LA VIE ETERNELLE: du fruit, c’est-à-dire soit les fidèles qui parviennent à la vie éternelle 38 — Vous avez pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle — soit la connaissance et la communication de là vérité, par lesquelles l’homme acquiert la vie éternelle — Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle 39.
La seconde chose que souligne le Christ en considérant la dissemblance des deux moissons est que, dans la moisson visible (physique), on regarde comme un malheur le fait que l’un sème et qu’un autre moissonne, si bien que le semeur s’attriste de ce qu’un autre récolte, tandis que dans les semailles spirituelles, il en va autrement: CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE SE REJOUISSENT ENSEMBLE.
Selon Chrysostome 40 et Augustin 41, ceux qui sèment la semence spirituelle sont les pères de l’Ancien Testament et les prophètes, car, comme il est dit, la semence, c’est la parole de Dieu 42 que Moïse et les prophètes ont semée en Judée; mais ce furent les Apôtres qui moissonnèrent, car ce vers quoi les premiers faisaient tendre leur effort — amener les hommes au Christ —, ils ne purent l’accomplir, tandis que les Apôtres le firent. Ainsi les uns et les autres, Apôtres et prophètes, SE REJOUISSENT ENSEMBLE de la conversion des fidèles dans l’unique demeure de la gloire — On y trouvera l’allégresse et la joie, l’action de grâces et la voix de la louange 43.
Par là se trouve réfutée l’hérésie des Manichéens condamnant les pères de l’Ancien Testament, puisque, comme le dit ici le Seigneur, ils se réjouiront avec les Apôtres.
D’après Origène 44, d’autre part, on dit que "sèment" dans n’importe quelle discipline ceux qui communiquent les principes de cette discipline, quels qu’ils soient, et que "moissonnent", ceux qui, à partir de ces principes, progressent plus avant; et cela à bien plus forte raison dans la discipline qui est la science de toutes les sciences. Les prophètes sont les semeurs, parce qu’ils ont communiqué beaucoup de vérités sur Dieu, et les moissonneurs sont les Apôtres, eux qui, par leur prédication et leur enseignement, révélèrent aux hommes ce que les prophètes ne leur avaient pas manifesté — Le mystère du Christ (...), en d’autres générations, n’a pas été porté à la connaissance des fils des hommes comme il ci été révélé maintenant à ses saints Apôtres et prophètes dans l’Esprit 45.
"CAR
EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE AUTRE EST CELUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI
MOISSONNE."
652. Par ces paroles, où Il cite
un proverbe, le Christ veut dire: EN CELA, c’est-à-dire en ce fait, SE VERIFIE
LA PAROLE, autrement dit se réalise un pro verbe qui était familier aux Juifs: "L’un
sème et un autre moissonne." Il semble que ce proverbe ait pour
origine un passage du Lévitique: Vous sèmerez en vain votre semence, qui sera
dévorée par vos ennemis 46. A partir de cela les Juifs prirent l’habitude de citer un proverbe
de ce genre lorsque quelqu’un avait peiné dans une affaire et qu’un autre en
jouissait. Voilà donc ce que dit le Seigneur: "Là où les prophètes ont semé
et peiné, vous, vous moissonnez et vous vous réjouissez; le proverbe se
vérifie."
Interprétant d’une autre manière, on peut lire: EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE, c’est-à-dire celle que je vous dis, qu’AUTRE EST CELUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI MOISSONNE; car vous, vous moissonnez les fruits du labeur des prophètes. Cependant, si les Apôtres et les prophètes diffèrent dans leurs labeurs, ils ne diffèrent pas dans la foi au Christ, car les uns et les autres eurent cette foi et l’enseignèrent — Mais maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la Loi et les prophètes 47 —, mais ils diffèrent dans leur manière de vivre leur foi; car les prophètes vivaient assujettis aux cérémonies léga les, dont les chrétiens et les Apôtres sont affranchis — Lors que nous étions enfants, nous étions asservis aux éléments du monde; mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, pour que nous recevions l’adoption filiale 48.
Bien qu’ils aient peiné dans leurs travaux en des temps différents, les Apôtres et les prophètes jouiront néanmoins de la même joie et recevront le même salaire LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE. Cela fut préfiguré lors de la Transfiguration du Christ où, manifestant sa gloire, Il eut auprès de Lui à la fois les pères de l’Ancien Testament, Moïse et Elie, et ceux du Nouveau, Pierre, Jacques et Jean, donnant ainsi à entendre que dans cette gloire à venir les justes du Nouveau et de l’Ancien Testaments SE REJOUISSENT ENSEMBLE 49.
"MOI, JE VOUS AI ENVOYE S
MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS N’AVEZ PAS PEINE; D’AUTRES ONT PEINE, ET
VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS."
653. Le Seigneur applique
ensuite le proverbe à son propos. Pour cela, Il montre d’abord que les Apôtres
sont des moissonneurs [n°
654], et ensuite qu’autres sont ceux qui ont peiné [n° 655].
654. Il montre que les Apôtres sont des moissonneurs en disant ceci: "Je dis qu’AUTRE EST CELUI QUI MOISSONNE, car vous, vous êtes les moissonneurs, et AUTRE CELUI QUI SEME, parce que MOI, JE VOUS AI ENVOYES MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS N’AVEZ PAS PEINE." Il ne dit pas "Je vous enverrai", mais: "JE VOUS AI ENVOYES", car Il les envoya par deux fois. Une première fois, avant sa Passion, Il les envoya vers les Juifs seulement, en leur disant Ne prenez pas le chemin des nations et n’entrez pas dans les villes des Samaritains; mais allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël 50; et clans cette mission les Apôtres furent ENVOYES MOISSONNER là où ils n’avaient PAS PEINE, pour convertir les Juifs auprès de qui avaient peiné les prophètes. Mais après sa Résurrection, Il les envoya de nouveau, cette fois aux Gentils, en leur disant: Allez dans le monde entier prêcher l’Evangile à toute créature 51. Dans cette mission, ils furent envoyés de nouveau, mais cette fois pour semer; c’est pourquoi l’Apôtre disait: J’ai pris soin de prêcher l’Evangile là où n’avait pas été prononcé le nom du Christ, pour ne pas bâtir sur le fondement d’autrui, mais selon qu’il est écrit ceux à qui on ne l’avait pas annoncé verront, et ceux qui n’en avaient pas entendu parler comprendront 52. C’est donc en référence à la première mission que le Christ dit ici: JE VOUS AI ENVOYES. Ainsi les Apôtres sont les moissonneurs, mais les autres, les prophètes, sont les semeurs.
655. C’est pour cela qu’Il ajoute: D’AUTRES ONT PEINE, en semant les principes de l’enseignement du Christ, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS pour en recueillir les fruits — Le fruit des bons labeurs est plein de gloire 53. Les prophètes ont en effet travaillé pour amener les hommes au Christ — Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi; car C est de moi qu’il a écrit. Et si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles? 54 — mais ils n ont pas moissonné eux-mêmes les fruits. Aussi Isaïe disait-il: C’est en vain que j’ai peiné, et sans cause; et c’est vainement que j’ai consumé ma force 55.
Beaucoup
de Samaritains de cette ville crurent en Lui à cause de la parole de la femme,
qui rendait ce témoignage" Il m’a dit tout ce que j’ai fait." 40 donc
les Samaritains vinrent à Lui, ils Le prièrent de demeurer là, et Il y demeura
deux jours. 41 Et c’est en bien plus grand nombre qu’ils crurent en Lui à cause
de sa parole à Lui; et ils disaient à la femme: "Ce n’est plus à cause de
tes dires que nous croyons: nous L’avons entendu nous-mêmes, et nous savons que
c’est Lui qui est vraiment le Sauveur du monde."
656. Plus haut 1, le Seigneur a prédit aux Apôtres le fruit que produirait chez les Samaritains la prédica tion de la femme. C’est de ce fruit que parle mainte nant l’Evangéliste, en le montrant d’abord provenant de la prédication de la femme [n° 657], puis accru par le Christ [n° 660].
I
BEAUCOUP
DE SAMARITAINS DE CETTE VILLE CRURENT EN LUI A CAUSE DE LA PAROLE DE LA FEMME,
QUI RENDAIT CE TEMOIGNAGE: IL M’A DIT TOUT CE QUE J’AI FAIT. " QUAND DONC
LES SAMA RITAiNS VINRENT A LUI, ILS LE PRIERENT DE DEMEURER LA, ET IL Y DEMEURA
DEUX JOURS.
Le fruit produit chez les Samaritains par la
prédication de la femme se manifeste de trois manières.
657. On le voit d’abord dans la
foi avec laquelle ils crurent au Christ. C’est pour cela que l’Evangéliste dit:
DE CETTE VILLE, où était allée la femme, BEAUCOUP d’hommes SAMARITAINS CRURENT
EN LUI, et cela A CAUSE DE LA PAROLE DE LA FEMME, à qui le Christ avait demandé
de l’eau et QUI RENDAIT CE TEMOIGNAGE: le Christ lui avait dit tout ce qu’elle
avait fait. Ce témoignage était suffisant pour amener à croire au Christ. En
effet, les paroles que le Christ lui avait dites ayant abouti à dévoiler ses
fautes, elle ne les aurait pas rapportées si elle-même n’avait pas été assez
secouée pour croire. Voilà pourquoi, dès qu’ils eurent entendu ses paroles, ils
CRURENT; par là est manifesté que la foi vient de ce qu’on entend 2.
658. En second lieu, le fruit de
la prédication de la femme se manifeste dans la venue des Samaritains au
Christ; car de la foi naît le désir de la réalité à laquelle on croit. C’est
pourquoi, après avoir cru, ils viennent au Christ, pour qu’Il les mène à la
perfection. C’est ce qui est exprimé ici: QUAND DONC LES SAMARITAINS VINRENT A
LUI... — Approchez-vous de Lui et vous serez illuminés 3. — Venez
à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je referai vos
forces 4.
659. Le fruit de la prédication de la femme se manifeste enfin dans leur désir; car à celui qui croit, il n’est pas nécessaire seulement de venir au Christ, mais encore de L’avoir avec lui; c’est pourquoi l’Evangéliste dit: ILS LE PRIERENT DE DEMEURER LA, ET IL Y DEMEURA DEUX JOURS.
Or c’est par la charité que le Seigneur demeure avec nous: Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera; et Il ajoute et nous ferons chez lui notre demeure 5. Et s’Il demeure DEUX JOURS [chez les Samaritains], c’est parce que la charité comporte deux préceptes, l’amour de Dieu et celui du prochain, auxquels toute la Loi est suspendue, ainsi que les prophètes 6. Quant au troisième jour, c’est le jour de la gloire: Après deux jours Il nous fera revivre; le troisième jour Il nous relèvera, et nous vivrons en sa présence 7. Et le Christ ne demeura pas un troisième jour chez les Samaritains, parce que ceux-ci n’étaient pas encore capables [de vivre] de la gloire.
II
ET C’EST EN BIEN PLUS GRAND
NOMBRE QU’ILS CRURENT EN LUI A CAUSE DE SA PAROLE A LUI; ET ILS DISAIENT A LA
FEMME: "CE N’EST PLUS A CAUSE DE TES DIRES QUE NOUS CROYONS: NOUS L’AVONS
ENTENDU NOUS-MEMES, ET NOUS SAVONS QUE C’EST LUI QUI EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU
MONDE.
660. L’Evangéliste montre ici
que le fruit provenant de la prédication de la femme fut accru par la présence
du Christ. On le voit de trois manières au grand nombre de ceux qui crurent [n° 661];
à leur manière de croire [662]; à la vérité de leur foi [n° 663].
661. Que ce fruit ait été accru par la présence du Christ, cela se voit en effet à la multitude des croyants 8; car si, à cause de la femme, BEAUCOUP CRURENT EN LUI, C’EST EN BIEN PLUS GRAND NOMBRE QU’ILS CRURENT EN LUI A CAUSE DE SA PAROLE A LUI, c’est-à-dire à cause de la parole du Christ. Il nous est par là indiqué que si beaucoup ont cru grâce aux prophètes, un bien plus grand nombre s’est converti à la foi lors de la venue du Christ — Lève-toi, Seigneur, mon Dieu, selon le précepte que tu as établi, et l’assemblée des peuples t’environnera 9.
662. Que le fruit ait été accru par le Christ, cela se voit encore à la manière dont ils croient: CE N’EST PLUS A CAUSE DE TES DIRES QUE NOUS CROYONS.
Notons que trois choses sont nécessaires à la perfection de la foi; elles sont ici données selon un ordre: la foi doit d’abord être droite, ensuite prompte, enfin certaine.
La foi est droite quand on obéit à la vérité 10 non pas à cause d’autre chose, mais pour elle-même. C’est cela qu’indique l’Evangéliste en rapportant que les Samaritains disaient à la femme: Maintenant, nous croyons à la vérité non A CAUSE DE TES DIRES, mais à cause de la vérité elle-même. Et ce qui nous amène à croire au Christ, c’est en premier lieu la raison naturelle — Depuis la création du monde, les [vertus invisibles de Dieu] sont rendues visibles à l’intelligence par ses oeuvres 11 — ; puis le témoignage de la Loi et des prophètes — Maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la Loi et les prophètes 12; enfin la prédication des Apôtres et des autres — Comment croiront-ils à celui qu’ils n’ont pas entendu? et comment entendront-ils si personne ne prêche? 13 Mais quand l’homme, conduit ainsi comme par la main, croit, il peut alors dire que ce n’est pour aucune de ces raisons qu’il croit: ni à cause de la raison naturelle, ni à cause des témoignages de la Loi, ni à cause de la prédication des autres, mais uniquement à cause de la vérité elle-même — Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 14.
La foi est prompte si elle croit tout de suite. Telle était bien la foi de ces Samaritains, car il leur avait suffi d’entendre le Christ pour se tourner vers Dieu. C’est pourquoi ils disent: NOUS L’AVONS seulement ENTENDU, ET NOUS CROYONS, sans avoir vu ses miracles comme les Juifs les virent. Sans doute est-ce une marque de légèreté que de croire trop vite aux hommes — Qui croit trop vite est un coeur léger 15; mais croire à Dieu tout de suite est très louable — Dès que son oreille m’a entendu, il m’a obéi 16.
La foi doit enfin être certaine, parce que celui qui doute dans la foi est incroyant: Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu (...) mais qu’il demande avec foi, sans hésiter en rien 17. Et c’est parce que leur foi était certaine que les Samaritains di sent: ET NOUS SAVONS. Parfois, en effet, on dit "savoir" pour "croire", comme c’est le cas ici, parce que science et foi ont en commun la certitude. En effet, comme la science est certaine, la foi l’est aussi; elle l’est même bien davantage, car la certitude de la science repose sur la raison humaine, qui peut faillir, tandis que la certitude de la foi repose sur la lumière divine 18 que rien ne peut contredire. Leurs certitudes diffèrent cependant dans le mode: la foi reçoit sa certitude d’une lumière divine infusée gratuitement, la science la reçoit de la lumière naturelle. En effet, de même qu’on possède la certitude de la science grâce aux premiers principes connus naturellement, ainsi on connaît les principes de la foi grâce à la lumière divinement infuse: C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi; et cela ne vient pas de vous, car c’est un don de Dieu 19.
663. Que le fruit ait été accru par le Christ, cela se voit enfin à la vérité de la foi des Samaritains. En disant
C’EST LUI QUI EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE, ils confessent que le Christ est l’unique Sauveur, le vrai, celui de tout l’univers.
Unique, certes, puisqu’ils Le distinguent des autres en disant: C’EST LUI, c’est-à-dire Lui seul, qui vient sauver — Vraiment tu es un Dieu caché, Dieu d’Israël Sauveur 20 — Il n’est pas sous le ciel d’autre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés 21
Ils Le reconnaissent aussi comme le vrai Sauveur en disant: VRAIMENT. Puisque, selon Denys 22, le salut consiste dans la délivrance des maux et la conservation dans le bien, il y a un double salut: l’un qui est vrai, l’autre qui ne l’est pas. Le salut est vrai lorsque nous sommes délivrés des vrais maux et conservés dans les vrais biens. Or, s’il y eut dans l’Ancien Testament quelques hommes qui furent envoyés comme sauveurs, ils ne sauvaient pourtant pas vraiment; car ils délivraient de maux temporels et conservaient dans des biens temporels, qui ne sont ni de vrais maux, ni de vrais biens, parce qu’ils passent. Le Christ au contraire est VRAI MENT LE SAUVEUR parce qu’Il libère des vrais maux, c’est-à-dire des péchés — C’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés 23 — et qu’Il nous conserve dans les vrais biens, qui sont les biens spirituels.
Enfin les Samaritains Le reconnaissent comme Sauveur de tout l’univers, parce qu’Il ne se limite pas à quelques-uns, mais qu’Il est le Sauveur DU MONDE entier Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui 24.
Après
deux jours, Il partit de là et s’en alla en Galilée. Jésus en effet a Lui-même
rendu ce témoignage, qu’un prophète n’est pas honoré dans sa propre patrie.
Lors donc qu’Il vint en Galilée, les Galiléens L’accueillirent, ayant vu tout
ce qu’Il avait fait à Jérusalem pendant la fête; car eux aussi étaient venus à
la fête. Il vint donc de nouveau à Cana de Galilée, où Il avait changé l’eau en
vin.
664. Après la conversion des nations par la voie de l’enseignement du Christ 1, l’Evangéliste montre ici leur conversion par la voie du miracle, en en rapportant un accompli par le Christ. Pour cela, il indique d’abord le lieu du miracle [n° 665], puis le décrit [n° 675] et enfin en montre l’effet [n° 696].
Le lieu du miracle est désigné d’abord d’une manière générale [n° 665], puis d’une manière précise [n° 673].
I
APRES
DEUX JOURS, IL PARTIT DE LA ET S’EN ALLA EN GALILEE. JESUS EN EFFET A LUI-MEME
RENDU CE TEMOIGNAGE, QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE.
LORS DONC QU’IL VINT EN GALILEE, LES GALILEENS L’ACCUEILLIRENT, AYANT VU TOUT
CE QU’IL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FETE; CAR EUX AUS SI ETAIENT VENUS A
LA FETE.
En indiquant d’une manière générale le lieu du miracle [n° 665], l’Evangéliste donne aussi la raison pour laquelle le Christ a choisi ce lieu [n° 666], et il montre comment Il y fut reçu [n° 670].
APRES DEUX JOURS, IL PARTIT DE
LA ET S’EN ALLA EN GALILEE.
665. L’Evangéliste dit donc que Jésus demeura deux jours chez les Samaritains, et qu’après deux jours IL PARTIT DE LA, c’est-à-dire quitta la Samarie après avoir confirmé les Samaritains dans leur foi, ET S’EN ALLA EN GALILEE, où Il avait été élevé 2. Par là il est signifié qu’à la fin du monde, une fois les nations confirmées dans la foi et la vérité, Il reviendra pour convertir les Juifs — Une partie d’Isra est tombée dans l’aveugle nent jus qu’à ce que soit entrée la plénitude des nations; et ainsi tout Israël sera sauvé 3.
JESUS EN EFFET A LUI-MEME
RENDU CE TEMOIGNAGE, QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE.
666. Voilà la raison pour laquelle le Christ a choisi ce lieu; mais ces paroles suscitent une double perplexité: l’une concernant le sens littéral, l’autre l’enchaînement du texte [n° 668].
On peut en effet hésiter sur le sens littéral, car ce que le Christ dit ici, à savoir qu’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE, ne semble pas vrai, puisqu’on lit que certains prophètes furent honorés dans leur patrie.
Selon Chrysostome 4, il faut répondre à cela que le Seigneur parle ici de ce qui arrive dans la plupart des cas. Par conséquent, bien que les paroles du Seigneur ne se vérifient pas dans tel ou tel cas particulier, on ne doit pas pour autant les considérer comme fausses; car, dans le domaine des réalités naturelles et morales, une règle qui s’applique à la majorité des cas est vraie; et s’il en va autrement dans un cas particulier, on n’estime pas pour autant que la règle est fausse. Or ce que dit le Seigneur est vrai pour la plupart des prophètes, car, dans l’Ancien Testament, c’est à peine si l’on en trouve un qui n’ait pas souffert la persécution de la part de ses compatriotes — Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté? 5. Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés... 6. Cette parole du Seigneur n’est pas seulement vraie des prophètes chez les Juifs, mais aussi, comme le notre Origène 7, de la plupart des prophètes chez les Gentils, qui furent méprisés par leurs concitoyens et conduits à la mort. En effet, le commerce habituel avec les hommes et une familiarité excessive diminuent le respect de l’amour et engendrent le mépris; si bien que, généralement, ceux que nous traitons plus familièrement, nous les respectons moins, et nous avons plus de considération pour ceux avec qui l’intimité n’est pas possible. Mais quand il s’agit de Dieu, c’est le contraire qui arrive. Plus on entre dans son intimité par l’amour et la contemplation, plus, reconnaissant son excellence, on Le respecte avec amour et plus on s’estime petit — Je t’avais entendu de mon oreille mais maintenant mon oeil te voit; c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre 8. La raison en est que, la nature de l’homme étant faible et fragile, quand on fréquente longtemps quelqu’un on trouve en lui des faiblesses, et le respect affectueux qu’on a pour lui en est diminué. Au contraire, la perfection de Dieu étant sans mesure, plus l’homme progresse dans la connaissance de Dieu, plus il admire l’excellence de sa perfection et plus augmente le respect aimant qu’il a pour Lui.
667. Mais le Christ a-t-Il été prophète? Il semble que non, puisque la prophétie comporte une connaissance énigmatique — Si quelqu’un parmi vous est prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai en songe 9 — et que le Christ, Lui, n’eut pas de connaissance énigmatique.
Cependant, que le Christ ait été prophète, ce passage de l’Ecriture qui s’applique à Lui le montre manifestement: Le Seigneur ton Dieu te suscitera, de ta nation et d’entre tes frères, un prophète comme moi: c’est lui que tu écouteras 10.
A l’objection je réponds que le prophète exerce une double fonction il voit — Celui qu’on appelle mainte nant prophète, on l’appelait autrefois voyant 11 — et il annonce. A cet égard le Christ fut prophète, parce qu’Il annonça la vérité sur Dieu — Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la Vérité 12. En ce qui concerne l’office de voyant, il faut savoir que le Christ à la fois était pèlerin sur la terre et possédait la vision béatifique; il était pèlerin selon la passibilité de sa nature humaine et tout ce qui en relève, mais Il possédait la vision béatifique dans son union à la divinité 13, par laquelle Il jouis sait de Dieu de la manière la plus parfaite.
Mais la vision de la prophétie comporte deux choses la lumière intellectuelle de l’esprit et l’image. En ce qui concerne la première, le Christ n’eut pas la prophétie, parce qu’Il n’eut pas de lumière imparfaite, mais la lumière de celui qui voit Dieu. En ce qui concerne la vision imaginaire, Il eut une ressemblance avec les prophètes, du fait que, pèlerin sur la terre, Il pouvait former dans son imagination des images diverses.
668. On peut hésiter aussi sur l’enchaînement du texte. En effet, les paroles de l’Evangéliste APRES DEUX JOURS, IL PARTIT DE LA ET S’EN ALLA EN GALILEE, et les suivantes JESUS A LUI-MEME REN DU CE TEMOIGNAGE, QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE, ne semblent pas s’enchaîner de manière cohérente. Il semble que l’Evangéliste aurait dû plutôt dire que Jésus ne s’en alla pas en Galilée, puisqu’il A LUI-MEME RENDU CE TEMOI GNAGE, QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE. Car s’Il n’y était pas honoré, c’était une raison, semble-t-il, pour ne pas y aller.
Augustin résout cette difficulté en disant que l’Evangéliste répond ici à une question que l’on pourrait poser: "Pourquoi allait-Il là puisqu’Il avait demeuré longtemps en Galilée et que les Galiléens ne s’étaient pas convertis, alors que les Samaritains se convertirent en deux jours?" Ce qui revient à dire bien qu’ils ne se fussent pas convertis, néanmoins Il y alla 14. Il avait LUI-MEME RENDU CE TEMOIGNAGE QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE.
Chrysostome résout la difficulté autrement,
en comprenant le texte de la manière suivante 15 APRES DEUX JOURS IL PARTIT DE LA,
mais pas pour Capharnaüm qui était sa patrie en ce sens qu’Il y fit des séjours
prolongés, ni pour Bethléem qui était sa patrie puisque c’était le lieu de sa
naissance, ni pour Nazareth qui était encore sa patrie car c’était la ville où
Il avait été élevé. Il n’alla donc pas à Capharnaüm, à qui II adresse ce
reproche: Et toi, Capharnaüm, t’élèveras-tu jusqu’au ciel? (...) Jusqu’aux
enfers tu descendras 16, mais A CA NA DE GALILEE. Et l’Evangéliste en donne ici la rai son
c’est qu’ils étaient mal disposés envers Lui 17, ce qu’il exprime ainsi: JESUS EN
EFFET A LUI-MEME RENDU CE TEMOIGNAGE, QU’UN PROPHETE N’EST PAS HONORE DANS SA
PROPRE PATRIE.
669. Mais alors, le Christ recherchait-Il la gloire qui vient des hommes 18? Il semble que non, puisque plus tard II dira Pour moi, je ne cherche pas ma gloire 19.
A cela je réponds que Dieu seul peut, sans péché, chercher sa propre gloire; tandis que l’homme ne doit pas chercher auprès des hommes sa propre gloire, mais doit chercher la gloire de Dieu 20. Quant au Christ, en tant que Dieu il convenait qu’Il cherchât sa gloire, et, en tant qu’homme, qu’Il cherchât la gloire de Dieu en Lui-même.
[45]
LORS DONC QU’IL VINT EN GALILEE, LES GALI LEENS L’ACCUEILLIRENT, AYANT VU TOUT
CE QU’IL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FE TE; CAR EUX AUSSI ETAIENT VENUS A
LA FETE.
670. L’Evangéliste montre ici
que le Christ fut reçu par les Galiléens avec plus d’honneur que précédemment
LES GALILEENS, dit-il, L’ACCUEILLIRENT AVEC HONNEUR. La raison en est qu’ils
avaient vu TOUT CE QU’IL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FETE; CAR EUX AUSSI
ETAlENT VENUS A LA FETE, conformément à ce qui était prescrit par la Loi.
Pourtant, nous n’avons pas lu plus haut que le Christ ait fait un miracle à
Jérusalem. A cela je réponds, avec Origène 21 que les Juifs considérèrent comme
un très grand miracle que le Christ ait avec une si grande autorité chassé du
Temple acheteurs et vendeurs. On peut également dire que peut-être Il fit à
Jérusalem plusieurs miracles qui ne furent pas écrits, selon ce qui est dit
plus loin: Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d’autres
signes qui n’ont pas été écrits dans ce livre 22.
671. Mystiquement, il nous est donné par là un exemple à suivre: si nous voulons recevoir en nous le Christ Jésus, il nous faut monter A JERUSALEM PENDANT LA FETE, c’est-à-dire chercher le repos de l’esprit et voir une par une les choses que Jésus y accomplit — Regarde Sion, la cité de nos fêtes 23. J’ai médité sur toutes tes oeuvres 24.
672. Remarquons encore ceci: autant les hommes étaient inférieurs aux autres dans l’ordre de la dignité, autant ils étaient meilleurs qu’eux au regard de Dieu. Or les Juifs l’emportaient en dignité sur les Galiléens — Scrute les Ecritures, et tu verras que de Galilée il ne se lève pas de prophète 25 — et les Galiléens l’emportaient en dignité sur les Samaritains — Les Juifs n’ont pas de relations avec les Samaritains 26 — ; mais, inversement, les Samaritains étaient meilleurs que les Galiléens, puis qu’en deux jours et sans avoir vu de miracle ils crurent dans le Christ en plus grand nombre que les Galiléens ne le firent en bien des jours, et encore, avec le miracle du vin; en effet ceux-ci ne crurent pas en Lui, à l’exception de ses disciples 27. Quant aux Juifs, ils étaient pires que les Galiléens eux-mêmes, puisqu’aucun d’eux n’avait cru, si ce n’est peut-être Nicodème.
II
IL VINT DONC DE NOUVEAU A CANA
DE GALILEE, OU IL AVAIT CHANGE L’EAU EN VIN.
673. Selon Chrysostome, ces paroles de l’Evangéliste se présentent comme une conclusion de ce qu’il vient de dire 28. Autrement dit parce qu’Il n’était pas honoré à Capharnaüm, le Christ n’alla pas là où on Le déshonorait; mais Il devait aller A CANA DE GALILEE, où Il avait une première fois été invité à des noces, et où cette fois Il revint sans avoir été invité. Ainsi, c’est pour montrer leur dureté que l’Evangéliste fait mention de la double venue à Cana; puisque lors du premier miracle, celui du vin, seuls ses disciples crurent en Lui, et qu’au second ne crurent en Lui que l’officier royal et toute sa maison 30, alors que les Samaritains crurent sur sa seule parole.
674. Au sens mystique, la double venue à Cana signifie le double effet de la parole de Dieu sur l’esprit. En effet, elle réjouit d’abord — ils reçoivent la parole avec joie 31 —, et c’est ce qui est signifié dans le miracle du vin, qui réjouit le coeur de l’homme 32. Puis elle guérit — Ce n’est ni une herbe, ni un émollient qui les a guéris, mais ta parole, Seigneur, qui guérit tout —, et c’est ce qui est signifié dans la guérison du malade.
Cette double venue signifie encore le double avènement du Fils de Dieu. Le premier fut un avènement de douceur, pour donner la joie — Exulte et loue, demeure de Sion, car Il est grand au milieu de toi, le Saint d’Isaïe 34. C’est pourquoi l’ange dit aux bergers: Voici que je vous annonce une grande joie (...): il vous est né aujourd’hui un Sauveur 35. C’est ce que signifie le miracle du vin. Le second avènement du Fils de Dieu en ce mon de sera un avènement de majesté, quand Il viendra enlever toutes nos infirmités et nos peines, et nous con former à son Corps de gloire 36 ; c’est ce qui est signifié dans la guérison du malade.
Or
il y avait un fonctionnaire royal dont le fils était malade à Capharnaüm.
Lorsqu’il eut entendu dire que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il alla vers
Lui, et Le priait pour qu’Il descende et guérisse son fils: celui-ci était en
effet sur le point de mourir. Jésus lui dit donc: "Si vous n’avez pas vu
des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. " Le fonctionnaire royal
Lui dit: "Seigneur, descends avant que mon fils ne meure. " 50 lui
dit: "Va, ton fils vit." L’homme crut à la parole que lui dit Jésus,
et s’en alla. Or, comme déjà il descendait, ses serviteurs vinrent à sa
rencontre et lui annoncèrent que son fils vivait. Il leur demanda à quelle
heure il s’était trouvé mieux. Ils lui dirent: "C’est hier, à la septième
heure, que la fièvre l’a quitté. " Le père reconnut alors que c’était
l’heure où Jésus lui avait dit: "Ton fils vit. " Et il crut, lui et
toute sa maison. Tel fut le second signe que fit encore Jésus quand Il vint de
Judée en Galilée.
675. Après avoir indiqué le lieu du miracle [leçon 6], l’Evangéliste parle maintenant du miracle lui-même.
I
OR
IL Y AVAIT UN FONCTIONNAIRE ROYAL DONT LE FILS ETAIT MALADE A CAPHARNAÜM.
LORSQU’IL EUT ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRIVAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA VERS
LUI, ET LE PRIAIT POUR QU’IL DESCENDE ET GUERISSE SON FILS: CELUI-CI ETAIT EN
EFFET SUR LE POINT DE MOURIR. JESUS LUI DIT DONC: "SI VOUS N’AVEZ PAS VU
DES SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE CROYEZ PAS. " LE FONCTIONNAIRE ROYAL
LUI DIT: "SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. " JESUS LUI
DIT: "VA, TON FILS VIT. " L’HOMME CRUT A LA PAROLE QUE LU! DIT JESUS,
ET S’EN ALLA. OR, COMME DEJA IL DESCENDAIT SES SERVITEURS VINRENT A SA
RENCONTRE ET LUI ANNONCERENT QUE SON FILS VIVAIT. IL LEUR DEMANDA A QUELLE
HEURE IL S’ETAIT TROUVE MIEUX. ILS LUI DIRENT: "C’EST HIER, A LA SEPTIEME
HEURE, QUE LA FIEVRE L’A QUITTE."
Le récit du miracle fait intervenir trois personnes celle qui est malade [n° 676], celle qui intercède [n° 679] et celle qui guérit [n° 683].
La personne malade est le fils du fonctionnaire royal, celle qui intercède est son père; et celle qui guérit, c’est le Christ.
OR IL Y AVAIT UN FONCTIONNAIRE
ROYAL (REGULUS) DONT LE FILS ETAIT MALADE A CAPHARNAÜM.
676. Concernant le malade, l’Evangéliste expose d’abord sa condition: c’est le FILS du FONCTIONNAIRE ROYAL; puis la ville où il habite: CAPHARNAUM; enfin la nature de sa maladie: il est atteint de FIEVRE.
Au sujet de sa condition, il faut savoir que le mot regulus a plusieurs significations. Il désigne d’abord celui qui est à la tête d’un petit royaume; ce n’est pas en ce sens qu’il est pris ici, puisqu’à cette époque il n’y avait pas de roi en Judée — Nous n’avons pas d’autre roi que César 1. Regulus désigne encore, selon Chrysostome 2, quelqu’un d’origine royale; cette acception n’est pas non plus à retenir. Enfin, tout fonctionnaire royal peut être appelé regulus, et c’est en ce sens que le terme est pris ici.
De là vient, selon Chrysostome 3, que certains y voient la même personne que le centurion dont parle Matthieu 4. Mais cela n’est pas vrai, car ils [le fonctionnaire royal et le centurion] diffèrent de quatre manières. D’abord quand au genre de la maladie: en effet, le centurion intercédait pour un paralytique — Mon serviteur gît paralysé dans ma maison 5 —, tandis que le fils du fonctionnaire royal avait de la fièvre, et c’est pourquoi il est dit: HIER, A LA SEPTIEME HEURE, LA FIEVRE L’A QUITTE. Ensuite quant à la personne malade: celui-là était serviteur — mon serviteur, dit le centurion —, tandis que celui-ci était fils — UN FONCTION NAIRE ROYAL DONT LE FILS ETAIT MALADE... Puis quant à la demande: le centurion, en effet, alors que le Christ voulait aller dans sa maison, Le priait de ne pas se déranger en disant: Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit; mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri 6. Le fonctionnaire royal, au contraire, Lui demandait de descendre chez lui: SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. Enfin quant au lieu: l’une des guérisons eut lieu à Capharnaüm, l’autre à Cana de Galilée. Ce fonctionnaire royal n’est donc pas le même homme que le centurion, mais il appartenait à la maison d’Hérode le tétrarque, soit comme envoyé, soit comme fonctionnaire de l’empereur.
677. Au sens allégorique, ce FONCTIONNAIRE ROYAL est Abraham ou l’un des pères de l’Ancien Testament, puisqu’il adhérait au grand roi, le Christ, dont il est dit dans le psaume: Pour moi, j’ai été établi roi par Lui sur Sion, sa montagne sainte 7. Or Abraham y adhérait: Abraham, votre père, exulta à la pensée qu’il verrait mon jour 8, et le peuple juif est fils d’Abraham — Nous sommes la descendance d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne 9. Ce peuple se rendit malade par les jouissances malsaines et les fausses croyances, et cela à Capharnaüm, c’est-à-dire dans l’abondance à cause de laquelle les Juifs s’éloignèrent de Dieu — Le bien-aimé s’est engraissé et s’est révolté (...), il a abandonné Dieu son Créateur, et il s’est éloigné de Dieu son salut 10.
678. Au sens moral, dans le royaume de l’âme, le roi est l’intelligence elle-même, d’après ce passage de l’Ecriture: Le roi qui est assis sur le trône de la justice dissipe tout mal par son regard 11.
Pourquoi est-elle appelée roi? parce que le corps de l’homme tout entier est guidé par elle, que sa capacité d’aimer est orientée et déterminée par elle et que les autres puissances de l’âme lui sont soumises. Mais elle mérite parfois d’être appelée "petit roi" (regulus), quand sa connaissance diminue et que, obscurcie, elle se soumet aux passions désordonnées sans leur résister: "Les nations marchent dans la vanité de leurs pensées, leur intelligence étant obscurcie par des ténèbres..." 12. C’est pourquoi SON FILS, c’est-à-dire la capacité d’ai mer, est malade en ce sens qu’elle se détourne du bien pour aller vers le mal. Si en effet l’intelligence avait été roi, c’est-à-dire forte, son fils n’aurait pas été malade; mais parce qu’elle est un petit roi, son fils est malade. Et cela A CAPHARNAUM, car l’abondance des biens temporels est la cause de l’infirmité spirituelle — Voici quelle a été l’iniquité de Sodome ta soeur l’orgueil, l’excès de nourriture, l’abondance et l’oisiveté où elle vivait avec ses filles 13.
[47]
LORSQU’IL EUT ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRI VAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA
VERS LUI, ET LE PRIAIT POUR QU’IL DESCENDE ET GUERIS SE SON FILS: CELUI-CI
ETAIT EN EFFET SUR LE POINT DE MOURIR.
679. L’Evangéliste présente ici
la personne qui inter cède: le fonctionnaire royal. Il expose d’abord ce qui
l’a incité à faire sa demande [n°
680], puis la demande elle-même [n° 681],
enfin la nécessité de cette demande [n°
682].
680. La décision de demander fut
suscitée par la venue du Christ; c’est pourquoi il est dit: LORSQU’IL EUT
ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRIVAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA VERS LUI. Car,
aussi long temps que tardait la venue du Christ, l’espérance des hommes
concernant la guérison de leurs péchés était bien faible; mais à la nouvelle de
l’approche de sa venue, l’espérance de la guérison se fortifie en nous, et
alors nous allons à Lui: en effet, c’est pour cela qu’Il est venu dans le monde
pour sauver les pécheurs — Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce
qui était perdu 14 Mais, comme le dit l’Ecclésiastique, nous devons préparer notre âme
avant la prière 15, et cela en allant au-devant de Dieu par le désir. C’est bien ce
que fit le fonctionnaire royal IL ALLA VERS LUI — Pré pare-toi, Israël à la
rencontre de ton Dieu 16.
681. La demande porte sur la guérison de son fils IL PRIAKÎ Jésus POUR QU’IL DESCENDE par miséricorde — Oh, si tu déchirais les cieux, et si tu descendais 17 — ET QU’IL GUERISSE SON FILS. Ainsi devons-nous prier, nous aussi, pour être guéris de nos péchés — Guéris mon âme, car j’ai péché contre toi 18. Personne, en effet, ne peut revenir à l’état de justice s’il n’est pas guéri par Dieu: Je ne trouve en moi-même aucun secours 19. C’est ainsi que les pères de l’Ancien Testament priaient pour le peuple d’Israël. Aussi est-il dit de l’un d’eux: Voici l’ami de ses frères et du peuple d’Israël celui qui prie pour le peuple et pour toute la cité sainte, Jérémie, le prophète de Dieu 20.
682. La nécessité de la demande est urgente le fils ETAIT SUR LE POINT DE MOURIR. En effet, quand un homme est tenté, il tombe malade, mais lorsque la tentation l’emporte de telle sorte qu’il est sur le point de consentir, il est proche de la mort; et lorsqu’il y a déjà consenti, il est sur le point de mourir. Donc, en consommant le péché, il meurt, car il est dit: Le péché, lorsqu’il a été consommé, engendre la mort 21 De cette mort des pécheurs le psaume dit qu’elle est affreuse 22, car elle commence ici-bas et, dans le futur, elle est tourment sans fin 23.
JESUS LUI DIT DONC: "SI
VOUS N’AVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE CROYEZ PAS. " LE
FONCTIONNAIRE ROYAL LUI DIT: "SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE
MEURE. " JESUS LUI DIT: "VA, TON FILS VIT. " L’HOMME CRUT A LA
PAROLE QUE LUI DIT JESUS, ET S’EN ALLA.
683. L’Evangéliste traite ici de la demande de guérison et de son accomplissement par le Christ. Pour cela il rapporte le reproche du Seigneur [n° 684], puis la demande du fonctionnaire royal [n° 686] qui obtient ce qu’il a demandé [n° 687].
684. Le Seigneur reproche au fonctionnaire royal son manque de foi. C’est pourquoi Il lui dit: SI VOUS N’AVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE CROYEZ PAS. Mais ceci pose quelques questions. D’abord parce qu’il ne semble pas juste de parler ainsi à ce fonctionnaire royal. En effet, si celui-ci n’avait pas cru que Jésus était le Sauveur, il ne Lui aurait pas demandé la guérison.
A cela il faut répondre que ce fonctionnaire royal ne croyait pas encore parfaitement: sa foi était déficiente en deux points. D’abord parce que tout en croyant que le Christ était un homme bon, il ne croyait cependant pas en sa puissance divine: autrement il au rait cru que, même absent, Jésus pouvait guérir, puis que Dieu est partout présent Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre? 24. Et ainsi, il ne Lui aurait pas demandé de descendre dans sa maison, mais seulement de donner un ordre.
Ensuite, sa foi était imparfaite en ce sens que, selon Chrysostome 25, il doutait que le Christ pût guérir son fils: s’il l’avait tenu pour certain, il n’aurait pas attendu la venue du Christ en son pays, mais serait plutôt allé lui-même en Judée. Mais en étant arrivé à désespérer du salut de son fils, et ne voulant rien négliger de ce qu’il pouvait faire, il alla trouver Jésus, comme ces parents qui, désespérant de sauver leurs enfants, vont consulter même des médecins incompétents.
685. Il semble ensuite qu’on ne pouvait reprocher au fonctionnaire royal de demander DES SIGNES: car la foi est confirmée par les signes. A cela il faut répondre que les incroyants sont amenés à la foi au Christ d’une manière, et les croyants d’une autre. Les in croyants, en effet, ne peuvent pas être attirés et conduits par l’autorité de l’Ecriture sainte, puisqu’ils n’y croient pas, ni par la puissance naturelle de l’intelligence, parce que la foi la dépasse; et c’est pourquoi il faut les conduire pas des miracles — Les signes sont donnés non pour les croyants, mais pour les incroyants 26. Mais les croyants doivent être conduits et amenés à la foi par l’autorité de l’Ecriture à laquelle ils sont tenus d’adhérer.
Sur ce point donc, le fonctionnaire royal est corrigé parce que, alors qu’il avait été élevé au milieu des Juifs et instruit de la Loi, il voulait croire, non par l’autorité de l’Ecriture, mais par des signes. Et c’est pourquoi le Seigneur le reprend en disant: SI VOUS N’AVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, c’est-à-dire des miracles qu’on appelle parfois "signes" en tant qu’ils indiquent la puissance divine, et que parfois on appelle aussi "prodiges", soit parce qu’ils indiquent avec la plus grande certitude, comme si prodigium (prodige) avait le sens de porrodicium 27, soit parce qu’ils annoncent un événement futur, comme si prodigium avait le sens de procul ostendens, c’est-à-dire "manifestant de loin" un effet futur.
686. L’Evangéliste rapporte ensuite la demande pressante du fonctionnaire royal: en effet, devant le reproche du Seigneur il ne s’est pas découragé, mais il Lui dit de manière pressante: SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. — Il faut toujours prier et ne jamais se lasser 28.
Ceci montre, d’une certaine manière, le
progrès de sa foi, parce qu’il L’appelle SEIGNEUR; mais il n’a pas encore
atteint la plénitude de la foi, puisque, croyant encore la présence corporelle
du Christ nécessaire au salut son fils, il Le prie de descendre.
687. Cependant, parce que la prière persévérante est exaucée, le Seigneur lui accorde ce qu’il demande; c’est pourquoi Jésus lui dit: "VA, TON FILS VIT." Ces paroles sont l’annonce, par le Christ, de la guérison qu’Il opéra [n° 687]; les suivantes indiquent les personnes qui en furent les témoins [n° 691]. L’annonce de la guéri son est donnée par le commandement du Christ [n° 688], suivi de l’obéissance du fonctionnaire royal [n° 690].
688. Le Seigneur ordonne
d’abord, et ensuite Il an nonce. Il ordonne en effet à l’homme d’aller: VA,
c’est-à-dire dispose-toi en t’ouvrant au don de la grâce dans un mouvement du
libre arbitre vers Dieu — Convertissez-vous à moi, et vous serez sauvés 29—, et
dans un mouvement du libre arbitre contre le péché. La justification de
l’impie, spécialement des adultes, exige quatre choses: l’infusion de la grâce
et la rémission de la faute, le mouvement du libre arbitre vers Dieu, qui est
la foi, et celui contre le péché, qui est la contrition. Ensuite, le Seigneur
annonce à l’homme la guérison qu’il avait demandée pour son fils: TON FILS VIT.
689. On peut se demander pourquoi le Christ, sollicité par le fonctionnaire royal de descendre dans sa maison, refuse de se déplacer, alors qu’Il propose de se rendre auprès du serviteur du centurion.
On a donné à cela deux raisons. Pour Grégoire 30, c’est afin de rabaisser notre orgueil, nous qui offrons nos services aux grands de ce monde mais les refusons aux petits, alors que Lui, qui est le Seigneur de toutes choses, offrit d’aller auprès du serviteur du centurion, mais refuse d’aller auprès du fils du fonctionnaire royal — Montre-toi accueillant pour la communauté des pauvres 31.
Pour Chrysostome 32, la raison est que le centurion était déjà confirmé dans la foi au Christ, puisqu’il croyait que même absent, Il pouvait le sauver. Aussi, pour manifester la foi et la piété de cet homme, le Seigneur promit-Il de se déplacer. Le fonctionnaire royal, lui, était encore imparfait: il ne savait pas encore clairement que, même absent, le Seigneur pouvait guérir; aussi le Christ n’accéda-t-Il pas à sa demande, pour lui faire connaître son imperfection.
690. L’Evangéliste montre deux aspects de l’obéissance du fonctionnaire royal. D’abord il crut à Celui qui lui avait annoncé la guérison — L’HOMME CRUT A LA PAROLE QUE LUI DIT JESUS, c’est-à-dire TON FILS VIT. Ensuite il obéit au commandement ET IL S’EN ALLA, progressant dans la foi, bien que ce ne fût pas encore d’une manière parfaite et plénière comme le dit Origène 33. Ceci montre que la justification doit s’opérer par la foi — Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, par notre Seigneur Jésus Christ Il faut que nous allions en progressant, parce que celui qui s’arrête s’expose au danger de ne pouvoir conserver la vie de la grâce. Dans le chemin qui mène à Dieu, ne pas progresser, c’est reculer.
OR, COMME DEJA IL DESCENDAIT,
SES SERVITEURS VINRENT A SA RENCONTRE ET LUI ANNON CERENT QUE SON FILS VIVAIT.
IL LEUR DEMANDA A QUELLE HEURE IL S’ETAIT TROUVE MIEUX. ILS LUI DIRENT: "C’EST
HIER, A LA SEPTIEME HEU RE, QUE LA FIEVRE L’A QUITTE."
691. Pour rapporter l’annonce de la guérison par les serviteurs, l’Evangéliste donne d’abord l’annonce elle-même [n° 692], puis l’interrogation du fonctionnaire royal sur l’heure de la guérison [n° 694].
692. L’Evangéliste dit donc: OR,
COMME DEJA IL DESCENDAIT de Cana de Galilée vers sa maison, SES SERVITEURS
VINRENT A SA RENCONTRE — ce qui montre que ce fonctionnaire royal était riche,
puisqu’il avait de nombreux serviteurs —, ET LUI ANNONCE RENT QUE SON FILS
VIVAIT, parce qu’ils croyaient que le Christ allait venir en personne, Lui dont
la présence semblait inutile maintenant que son fils était guéri.
693. Au sens mystique, les SERVITEURS
du fonctionnaire royal, c’est-à-dire de l’intelligence, sont les oeuvres de
l’homme; car l’homme est maître de ses actes et de ses passions parce que
celles-ci obéissent à l’intelligence qui les commande et les dirige. Et ces
serviteurs annoncent que le fils du fonctionnaire royal, c’est-à-dire de
l’intelligence, vit, quand brille dans l’homme les oeuvres bonnes et que les
forces vitales inférieures obéissent davantage à l’intelligence — Le vêtement
du corps, le rire des dents et la démarche d’un homme le font connaître 35.
694. Mais parce qu’il ne croyait pas encore parfaitement et totalement, le fonctionnaire royal voulait savoir si son fils avait été guéri par hasard ou par le commandement du Christ. Voilà pourquoi il s’enquit de l’heure de la guérison: IL DEMANDA à ses serviteurs A QUEL LE HEURE son fils S’ETAIT TROUVE MIEUX, et il constata qu’il avait été guéri à l’heure même où le Christ lui avait dit VA, TON FILS VIT. Cela n’est pas étonnant puisque le Christ est le Verbe par qui furent créés le ciel et la terre — Lui-même a dit, et les choses ont été faites. Lui-même a commandé, et elles ont été créées 36. Il est facile aux yeux de Dieu d’enrichir tout d’un coup le pauvre 37.
695. Les serviteurs lui dirent donc C’EST HIER, LA SEPTIEME HEURE, QUE LA FIEVRE L’A QUITTE.
Au sens mystique, LA SEPTIEME HEURE, heure à la quelle la fièvre a quitté l’enfant, signifie les sept dons du Saint-Esprit par qui s’accomplit la rémission des péchés — Recevez le Saint-Esprit; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez 38 — et par qui aussi la vie spirituelle est causée dans l’âme — C’est l’Esprit qui vivifie 39. La septième heure peut encore signifier le temps du repos; en effet, le Seigneur se reposa le septième jour de toute l’oeuvre qu’Il avait faite 40, ce qui donne à entendre que la vie spirituelle de l’homme consiste dans un repos spirituel — Si vous revenez et vous tenez en repos, vous serez sauvés 41. Et des méchants il est dit Les impies sont comme une mer impétueuse qui ne peut s’apaiser 42.
II
LE
PERE RECONNUT ALORS QUE C’ETAIT L’HEURE 5354] OU JESUS LUI AVAIT DIT: "TON
FILS VIT. " ET IL CRUT, LUI ET TOUTE SA MAISON. TEL FUT LE SECOND SIGNE
QUE FIT ENCORE JESUS QUAND IL VINT DE JUDEE EN GALILEE.
696. Après avoir fait connaître le lieu du miracle [n° 665], puis le miracle lui-même [n° 675], l’Evangéliste expose maintenant l’effet de ce miracle. Il en donne d’abord le fruit, puis indique sa relation avec un autre.
[53]
LE PERE RECONNUT ALORS QUE C’ETAIT L’HEURE OU JESUS LUI AVAIT DIT: "TON
FILS VIT. " ET IL CRUT, LUI ET TOUTE SA MAISON.
697. En comparant l’heure indiquée par ses serviteurs à l’heure où Jésus lui avait annoncé la guérison de son fils, le père reconnut QUE C’ETAIT L’HEURE OU JESUS LUI AVAIT DIT: "TON FILS VIT". De ce fait, il se convertit au Christ, reconnaissant que le miracle était l’oeuvre de sa puissance, ET IL CRUT, LUI ET TOU TE SA MAISON, c’est-à-dire ses serviteurs et même ses esclaves, parce que les esclaves sont conditionnés par la manière d’agir de leur maître, qu’elle soit bonne ou mauvaise — Comme est le juge du peuple, ainsi sont aussi ses serviteurs 43. — Je sais (...) qu’il ordonnera à ses enfants et à toute sa maison... 44. Ainsi il est manifeste que la foi du fonctionnaire royal ne cessa de progresser: au début, lorsqu’il intercéda en faveur de son fils malade, elle était faible. Elle commença à s’affermir quand il appela le Christ SEIGNEUR. Ensuite, lorsque cet homme crut à sa parole et se mit en route, elle était plus parfaite, sans toutefois l’être pleinement parce qu’il doutait encore. Ici, ayant clairement reconnu la puissance de Dieu dans le Christ, il a atteint la perfection de la foi: car le sentier des justes est comme une lumière éclatante qui s’avance et croît jusqu’au jour parfait 45.
TEL
FUT LE SECOND SIGNE QUE FIT ENCORE [54] JESUS QUAND IL VINT DE JUDEE EN
GALILEE.
698. Par ces mots, l’Evangéliste rapproche ce miracle d’un miracle précédent. Ce rapprochement peut s’en tendre de deux manières. Ou bien le Seigneur aurait fait lors de cette même venue de Judée en Galilée deux miracles dont l’Evangéliste n’aurait relaté que le second; ou bien Jésus fit deux SIGNES en Galilée à deux moments différents: le premier, celui du vin, et le second, celui qu’il accomplit en faveur du fils du fonctionnaire royal quand, de Judée, Il revint en Galilée. Ce récit montre bien que les Galiléens étaient pires que les Samaritains [n° 672]. Ces derniers, sans attendre aucun signe du Seigneur, crurent en grand nombre à sa seule parole 46. Mais devant ce miracle, il n’y eut à croire au Christ que le fonctionnaire royal et toute sa maison. Car les Juifs, à cause de leur dureté, ne se convertissaient à la foi que peu à peu — Malheur à moi parce que je suis devenu comme celui qui, en automne, grappille après la vendange: il n’y a pas une grappe à manger, pas une de ces figues précoces que mon âme a désirées 47.
CHAPITRE
V: Le don de la vie spirituelle
1
Après cela, il y avait une fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem. 2 Or il
y a Jérusalem la piscine probatique, appelée en hébreu Bethsaïde, qui a cinq
portiques. ceux-ci gisait une multitude de malades, d’aveugles, de boiteux, de
gens aux membres desséchés, qui attendaient le mouvement de l’eau. Car l’ange
du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine, et l’eau s’agitait;
le premier qui était descendu dans la piscine après l’agitation de l’eau était
guéri, de quel que mal qu’il fût atteint. 5 il y avait là un homme qui
souffrait de sa maladie depuis trente-huit ans. 6 sus, l’ayant vu étendu et
connaissant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit"
Veux-tu être guéri?" Le malade Lui répondit: "Seigneur, je n’ai
personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau a été agitée: pendant que
moi j’y vais, un autre descend avant moi. " 8 lui dit: "Lève-toi,
prends ton grabat et marche. " 9a Et aussitôt l’homme fut guéri, il prit
son grabat, et il marchait.
699. Le Seigneur a parlé plus haut de la régénération spirituelle [n° 423]; Il parle maintenant des bien faits qui sont accordés par Dieu à ceux qui ont été régénérés spirituellement [ch. 5 à 11]. Or ceux qui sont engendrés selon la chair reçoivent trois choses de leurs parents selon la chair: la vie, la nourriture et l’enseignement (ou l’éducation); ceux qui ont été régénérés spi rituellement reçoivent également du Christ ces trois dons: la vie spirituelle, la nourriture spirituelle, l’enseignement spirituel.
Il est donc question ici de ces trois dons: celui de la vie spirituelle [Ch. 5]; celui de la nourriture spirituelle [Ch. 6, n° 838]; celui de l’enseignement spirituel [Ch. 7 à 11].
Pour traiter du don de la vie spirituelle, l’Evangéliste rapporte d’abord un signe visible où se manifeste la puissance qu’a le Christ de donner la vie et de la restaurer — selon la coutume de cet Evangile, qui joint toujours à l’enseignement du Christ quelque action visible se rapportant au sujet de l’enseignement, afin qu’à partir des réalités visibles on connaisse les invisibles. Ensuite, il expose l’occasion qui permet au Christ de donner son enseignement [2, n° 720]. Enfin, l’Evangéliste expose l’enseignement lui-même [Ch. 3, n° 744].
Pour rapporter le signe visible, il décrit d’abord le lieu où le miracle a été accompli [n° 700], puis l’infirmité [n° 709], enfin le rétablissement de la santé [n° 715].
I
[1-4]
APRES CELA, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS, ET JESUS MONTA A JERUSALEM. OR IL Y
A A JERUSALEM LA PISCINE PROBATIQUE, APPELEE EN HE BREU BETHSAIDE, QUI A CINQ
PORTIQUES. SOUS CEUX-CI GISAIT UNE MULTITUDE DE MALADES, D’AVEUGLES, DE
BOITEUX, DE GENS AUX MEM BRES DESSECHES, QUI ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE L’EAU.
CAR L’ANGE DU SEIGNEUR DES CENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ET L’EAU
S’AGITAIT; LE PREMIER QUI ETAIT DES CENDU DANS LA PISCINE APRES L’AGITATION DE
L’EAU ETAIT GUERI, DE QUELQUE MAL QU’IL FUT ATTEINT.
700. Le lieu du miracle est décrit de deux manières d’abord d’une manière générale [n° 700], puis d’une manière précise [n° 701].
[1]
APRES CELA, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS, ET JESUS MONTA A JERUSALEM.
Le lieu pris d’une façon générale est Jérusalem; c’est pourquoi l’Evangéliste dit APRES CELA, c’est-à-dire après le miracle accompli en Galilée, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS. Cette fête est la Pentecôte, selon Chrysostome 1, car plus haut (2, 13) l’Evangéliste fait mention de la fête de la Pâque, lorsque le Seigneur était allé à Jérusalem. De nouveau, donc, pour la fête de la Pentecôte suivante, JESUS MONTA A JERUSALEM; car, ainsi qu’on le lit dans l’Exode, il avait été prescrit par le Seigneur que tout individu mâle du peuple juif se présentât dans le Temple en trois occasions de l’année 2 : la Pâque, la Pentecôte et la fête des Tentes.
En ces jours de fêtes, le Seigneur monta à Jérusalem pour deux raisons pour ne pas paraître aller contre la Loi, comme Il l’avait dit Lui-même: Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir 3; et pour attirer à Dieu par ses miracles et son enseignement la multitude du peuple qui venait pour la fête 4, selon ce que disent les psaumes: Au milieu de la multitude je Le louerai 5; et J’ai annoncé ta justice dans une grande assemblée. Aussi le Christ dit-Il Lui-même: J’ai parlé ouvertement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les Juifs s’assemblent 7.
OR IL Y A A JERUSALEM LA
PISCINE PROBATIQUE, APPELEE EN HEBREU BETHSAIDE, QUI A CINQ PORTIQUES.
701. Le lieu précis du miracle fut la piscine probatique, qui est décrite sous quatre aspects: son nom [n° 702], la disposition des lieux [n° 704], ceux qui l’habitent [n° 7051 et sa vertu particulière
702. Le nom de cette piscine est
PISCINE PROBATIQUE, du grec probaton qui signifie "brebis".
On l’appelle "probatique", c’est-à-dire "pour les
troupeaux de brebis ou de bestiaux", parce que les prêtres y lavaient
les cadavres des bêtes, surtout ceux des brebis, qui étaient le plus souvent
offertes en sacrifice 8— d’où l’appellation hébraïque "Bethsaïde",
c’est-à-dire "maison des brebis" 9. Cette piscine était en effet
proche du Temple, et alimentée par les eaux de pluie.
703. Au sens mystique, selon Chrysostome 10, cette piscine préfigurait le baptême: voulant donner diverses préfigurations de la grâce baptismale, le Seigneur donna d’abord une eau purifiant les souillures du corps contractées au contact des choses considérées par la Loi comme impures; c’est de cette eau que parle le livre des Nombres 11. Ensuite, Il donna à cette piscine une vertu particulière, qui représente de manière plus expressive que l’autre eau la vertu du baptême, parce que non seulement elle guérissait des impuretés de la chair, mais encore elle délivrait des infirmités du corps. En effet, les préfigurations exprimaient d’autant mieux la vérité qu’elles en étaient plus proches.
La vertu de cette eau était donc le signe de la vertu du baptême; car de même que cette eau, du fait qu’elle lavait les corps, avait la vertu de guérir l’infirmité — non certes par sa propre nature, mais grâce à un ange —, ainsi l’eau du baptême a la vertu de guérir l’âme et de la laver des péchés. Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés 12. D’où l’on voit que la Passion du Christ a été préfigurée par les sacrifices de l’ancienne Loi Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés; car nous avons été ensevelis avec Lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi, nous marchions dans une vie nouvelle 13.
Selon Augustin, d’autre part, l’eau renfermée dans cette piscine signifiait l’état du peuple juif Eaux abondantes, les peuples nombreux 14. Car les nations n’avaient pas été enfermées dans les limites de la Loi divine, mais chaque peuple marchait selon la vanité de son coeur 15. Le peuple juif, au contraire, était enfermé sous le culte du Dieu unique Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, en vue de la foi qui devait être révélée 16. C’est pourquoi ce peuple était représenté par l’eau renfermée dans la piscine; celle-ci est appelée "probatique" parce que les Juifs étaient d’une manière spéciale les brebis de Dieu: Nous sommes le peuple de son pâturage et les brebis de sa main 17.
704. La piscine est décrite maintenant sous un autre aspect: celui de la disposition des lieux: elle avait CINQ PORTIQUES à son pourtour, afin que les nombreux prêtres puissent s’y tenir facilement sans se gêner, pour laver les cadavres des bêtes.
Au sens mystique, ces cinq portiques, selon Chrysostome, signifient les cinq plaies du Christ 18, dont il est dit plus loin: Mets ton doigt ici et vois mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté 19 Selon Augustin, d’autre part, ce sont les cinq livres de Moïse 20.
[3] SOUS CEUX-CI GISAIT UNE
MULTITUDE DE MALA DES, D’AVEUGLES, DE BOITEUX, DE GENS AUX MEMBRES DESSECHES,
QUI ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE L’EAU.
705. La piscine est décrite ici du point de vue de ceux qui l’habitent: sous ses portiques gisait UNE MULTITUDE. Au sens littéral, il y a multitude du fait du rassemblement de tous les infirmes à cause de la vertu de l’eau: celle-ci ne guérissait pas toujours, ni de manière continue, ni plusieurs à la fois; il était donc inévitable qu’un grand nombre restât là en attente.
Au sens mystique, selon Augustin 21, cela signifie que la Loi ne pouvait pas guérir les péchés: Il est impossible que les péchés soient effacés par le sang de taureaux et de boucs 22. Elle les montrait seulement: La Loi donne seulement la connaissance du péché 23.
706. Sous ces portiques gisaient donc des malades aux infirmités diverses et incurables. Ces malades sont décrits de quatre manières. D’abord par leur position ils gisaient prostrés, c’est-à-dire collant par leurs péchés aux choses de la terre; celui qui gît colle en effet à la terre par tout lui-même. — Il en eut pitié, parce qu’ils étaient accablés et prostrés comme des brebis sans berger 24. Les justes, eux, ne gisent pas, mais ils se tiennent dressés vers les réalités célestes. Eux, les pécheurs, se sont trouvés liés et sont tombés; alors que nous, les justes, nous nous sommes relevés et nous nous sommes dressés 25.
Ensuite par leur nombre, qui est grand: Les pervers se corrigent difficilement et le nombre des insensés est infini 26. Large est la porte, et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et ils sont nombreux ceux qui s’y engagent 27.
Les infirmes sont enfin décrits par leurs dispositions ou leur état. L’Evangéliste indique ici quatre maux que l’homme encourt par le péché. D’abord, parce qu’il est assujetti aux passions coupables qui dominent sur lui, l’homme est affaibli comme par une maladie; l’Evangéliste parle donc de MALADES. C’est la raison pour la quelle Cicéron 28 dit que les passions de l’âme, comme celles de la colère, de la concupiscence, etc., sont comme des maladies de l’âme. Aussi le psalmiste disait-il : Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade 29.
Le second de ces maux est l’aveuglement de la raison dû à l’emprise des passions et à leur victoire dans l’homme consentant. C’est pourquoi l’Evangéliste parle d’AVEUGLES, c’est-à-dire d’hommes aveuglés par leurs péchés 30 — Leur malice les a aveuglés. Le feu, celui de la colère et de la concupiscence, est tombé sur eux et ils n’ont pas vu le soleil.
Ensuite, l’homme malade et aveugle devient instable dans ses oeuvres, et il est comme boiteux; c’est pourquoi l’Ecriture dit que ce que fait l’impie est instable 32, et le Philosophe, que les hommes mauvais sont remplis de remords 33. Aussi l’Evangéliste parle-t-il de BOITEUX — Jusques à quand clocherez-vous des deux côtés? 34
Enfin, l’homme qui est ainsi malade, aveugle dans son intelligence, boiteux dans ce qu’il réalise, devient DESSECHE dans sa capacité d’aimer, car en lui est des séchée toute cette moelle de la piété 35 que David demandait dans le psaume: "Que de moelle et de graisse mon âme soit rassasiée" 36. C’est pourquoi l’Evangéliste parle de GENS AUX MEMBRES DESSECHES — Ma force s’est desséché comme un tesson 37.
Certains cependant sont à ce point affectés par la maladie du péché qu’ils n’attendent pas le bouillonnement de l’eau, mais se reposent dans leurs péchés : Alors qu’ils vivent dans une grande lutte à cause de l’ignorance, ils appellent paix des maux si nombreux et si grands 38. C’est d’eux encore qu’il est dit: Ils sont joyeux alors qu’ils ont fait le mal, et ils exultent dans les choses les plus mauvaises 39. La raison en est qu’ils n’ont pas horreur du péché, et ne pèchent pas par ignorance ou par faiblesse, mais par une malice résolue. Toutefois, ceux dont parle l’Evangéliste, ne péchant pas par malice, ne se reposaient pas dans leurs péchés, mais attendaient par leur désir le mouvement de l’eau; c’est pourquoi il dit qu’ils ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE L’EAU. — Pendant tous les jours où maintenant je combats, j’attends que mon changement survienne 40. C’est ainsi que ceux de l’Ancien Testament attendaient le Christ Ton salut, Seigneur, je l’attendrai 41.
CAR
L’ANGE DU SEIGNEUR DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ET L’EAU
S’AGITAIT; LE PREMIER QUI ETAIT DESCENDU DANS LA PIS CINE APRES L’AGITATION DE L’EAU
ETAIT GUERI, DE QUELQUE MAL QU’IL FUT ATTEINT.
707. La piscine est décrite ici par la vertu qui lui est attachée 42: grâce à un ange qui y descend, elle guérit de toute infirmité corporelle.
La vertu de cette piscine diffère de celle du baptême sous un aspect, et lui est semblable sous un autre. La similitude porte sur deux points. En premier lieu. de part et d’autre la vertu est cachée: la vertu de l’eau de cette piscine, en effet, ne venait pas de sa nature — autrement elle aurait toujours guéri — mais d’une vertu cachée, à savoir d’un ange : L’ANGE DU SEIGNEUR DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE. De même, l’eau du baptême n’a pas la vertu de purifier les âmes du seul fait qu’elle est de l’eau, mais elle la tient de la vertu cachée de l’Esprit Saint: Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu 43. En second lieu, ces deux eaux sont semblables par leur effet: car, comme l’eau du baptême, cette eau guérit LE PREMIER QUI ETAIT DESCENDU DANS LA PISCINE ETAIT GUERI. Si Dieu conféra à l’eau de cette piscine la vertu de guérir les corps, c’est pour que les hommes, en s’y lavant, se disposent, par le salut du corps, à chercher le salut spirituel.
Quant à la différence, elle porte sur trois points. Elle porte d’abord sur la source de la vertu qui guérissait: l’eau de la piscine donnait la guérison par la vertu d’un ange; tandis que celle du baptême la donne par la vertu incréée, non seulement de l’Esprit Saint, mais aussi de toute la Trinité. C’est pourquoi toute la Trinité fut présente quand le Seigneur fut baptisé: le Père dans la voix, le Fils dans la personne du Christ, l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe 44. C’est aussi pour quoi, dans notre baptême, est invoquée la Trinité.
La différence porte en second lieu sur l’efficacité l’eau de la piscine n’a pas eu la vertu de guérir de façon continue, mais DE TEMPS EN TEMPS, c’est-à-dire à des moments déterminés; tandis que l’eau du baptême a d’une manière continue la vertu de purifier: En ce jour-là, il y aura une source ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem pour laver le pécheur et celle qui est souillée 45.
Enfin, la différence porte sur le nombre des personnes à guérir: quand l’eau de cette piscine était mise en mouvement, un seul était guéri; mais quand c’est l’eau du baptême, tous le sont. Cela n’est pas étonnant puis que la vertu de la première eau, étant créée, est limitée et a un effet limité, alors que dans la seconde la vertu est infinie, pour purifier, si elles existaient, une infinité d’âmes: Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et de toutes vos idoles je vous purifierai 46.
708. Par l’ANGE il faut entendre, selon Augustin 47, le Christ, d’après cette autre version d’Isaïe: On l’appellera l’ange du grand conseil 48. De même que cet ange DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ainsi le Christ, Lui aussi, au temps fixé par le Père, descendit dans le monde: Son temps est près de venir et ses jours ne seront pas différés 49. Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils 50. De même, aussi, qu’on ne percevait pas l’ange, si ce n’est par le mouvement de l’eau, ainsi le Christ n’était pas connu selon sa divinité. Car s’ils L’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire 51. Isaïe dit en effet Vraiment, tu es un Dieu caché, Dieu d’Israël Sauveur 52. Si on voyait l’eau agitée, mais non celui qui l’agitait, c’est que, voyant la faiblesse du Christ, on ne reconnaissait pas sa divinité. Et comme celui qui descendait dans la piscine était guéri, ainsi celui qui croit avec humilité à la Passion du Seigneur est guéri: ceux qui ont péché sont justifiés gratuitement par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus que Dieu a établi victime de propitiation par la foi en son sang 53.
D’autre part, un seul était guéri, parce que personne ne peut être guéri si ce n’est dans l’unité de l’Eglise: Il y a un seul Seigneur, une’ seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous 54. Malheur donc à ceux qui haïssent l’unité et créent pour eux des partis parmi les hommes.
II
OR IL Y AVAIT LA UN HOMME QUI
SOUFFRAIT DE SA MALADIE DEPUIS TRENTE-HUiT ANS. JESUS, L’AYANT VU ETENDU ET
CONNAISSANT QU’IL ETAIT DANS CET ETAT DEPUIS LONGTEMPS DEJA, LUI DIT:
"VEUX-TU ETRE GUERI?" LE MALADE LUI REPONDIT: "SEIGNEUR, JE N’AI
PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE QUAND L’EAU A ETE AGITEE: PENDANT QUE
MOI J’Y VAIS, UN AUTRE DESCEND AVANT MOI."
709. L’Evangéliste décrit maintenant l’infirmité qui va être guérie. Il commence par montrer la longue durée de cette infirmité [n° 710]; il en donne ensuite la cause [n° 712].
[5] OR IL Y AVAIT LA UN HOMME
QUI SOUFFRAIT DE SA MALADiE DEPUiS TRENTE-HUIT ANS.
710. L’infirmité durait donc
depuis longtemps; c’est une manière assez belle de nous faire comprendre que
l’homme, qui ne pouvait être guéri par la piscine, devait cependant être guéri
par le Christ; car ceux que la Loi ne pouvait guérir, le Christ les a guéris
parfaitement Ce qui était impossible à la Loi, que la chair rendait
impuissante, Dieu l’a fait: en envoyant son propre Fils dans une chair
semblable à celle du péché et pour le péché, Il a condamné le péché dans la
chair, afin que la justification de la Loi s’accomplît en nous qui ne marchons
pas selon la chair, mais selon l’esprit 55. Renouvelle les signes et produis
d’autres merveilles 56.
711. Le nombre TRENTE-HUIT s’accorde bien avec l’infirmité, car il convient davantage à la maladie qu’à la santé. Le nombre quarante en effet, selon Augustin 57, sert à désigner la perfection de la justice, qui consiste dans l’observation de la Loi. Celle-ci fut donnée en dix commandements, et devait être prêchée dans les quatre parties du monde, ou encore accomplie par les quatre Evangiles: La fin de la Loi, c’est le Christ 58. Puisque dix multipliés par quatre font quarante, la justice parfaite est donc bien indiquée par le nombre quarante. En soustrayant deux à quarante, on obtient trente-huit. Or le nombre deux représente les deux préceptes de la charité, par lesquels est accomplie toute justice parfaite. Voilà pourquoi cet homme était malade: il avait quarante ans moins deux, c’est-à-dire une justice imparfaite, puisqu’il est dit: A ces deux commandements toute la Loi est suspendue, ainsi que les prophètes 59.
[6] JESUS, L’AYANT VU ETENDU
ET CONNAISSANT QU’IL ETAIT DANS CET ETAT DEPUIS LONGTEMPS DEJA, LUI DIT:
"VEUX-TU ETRE GUERI?"
712. L’Evangéliste donne ensuite
la cause de la longue durée de l’infirmité. Pour cela, il rapporte d’abord
l’interrogation du Seigneur [n°
713], puis la réponse du malade [n° 714].
713. Jésus LE VIT ETENDU non seulement avec les yeux du corps, mais aussi avec ceux de sa miséricorde, de la manière dont David demandait à être regardé: Regarde-moi, Seigneur, et aie pitié de moi 60. Et Il connut QU’IL ETAIT DEPUIS LONGTEMPS DEJA DANS CET ETAT d’infirmité, ce qui est contraire au coeur du Christ comme à celui de l’infirme, car une maladie trop longue accable le médecin 61. Il LUI DIT: "VEUX-TU ETRE GUERI?", non par ignorance — il était en effet assez évident que le malade voulait être guéri —, mais pour réveiller son désir et pour qu’il montrât sa patience, lui qui, sans se lasser, avait attendu durant tant d’années d’être délivré de sa maladie, et afin que par là il fût reconnu plus digne d’être guéri 62. Agissez virilement et que votre coeur s’affermisse, vous tous qui espérez dans le Seigneur 63.
Si le Seigneur réveille le désir de l’infirme, c’est par ce qu’on garde plus fermement ce qu’on reçoit avec désir, et qu’on l’obtient plus facilement: Frappez, par le désir, et l’on vous ouvriras 64.
Il faut noter cependant que, de la part des aveugles, le Seigneur exige la foi: Croyez-vous que je puis se faire cela? 65, alors qu’à l’égard de cet infirme Il ne fait rien de tel. C’est parce que ceux-là avaient entendu parler des miracles de Jésus, alors que lui n’en avait pas encore entendu parler. Voilà pourquoi Jésus n’exige pas de lui la foi, si ce n’est après l’accomplissement du miracle 66.
LE MALADE LUI REPONDIT:
"SEIGNEUR, JE N’AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE QUAND L’EAU A
ETE AGITEE: PENDANT QUE MOI J’Y VAIS, UN AUTRE DESCEND AVANT MOI."
714. Cette réponse de l’infirme indique deux choses qui étaient cause de la longue durée de son infirmité la pauvreté et la faiblesse. Parce qu’il était pauvre, il ne pouvait avoir personne pour le jeter dans la piscine; c’est pourquoi il dit: SEIGNEUR, JE N’AI PERSONNE... Peut-être, selon Chrysostome 67, pensait-il que le Christ lui serait utile pour le jeter dans l’eau.
D’autre part, parce qu’il était faible et ne pouvait se déplacer rapidement, il était devancé par un autre
PENDANT QUE MOI J’Y VAIS, UN AUTRE DESCEND AVANT MOI. Aussi pouvait-il dire avec Job: Voici que je ne trouve en moi aucun secours 68. Par là est signifié qu’aucun homme qui fût seulement homme ne pouvait sauver le genre humain, parce que tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu 69, jusqu’à ce que vînt le Christ, Dieu et homme, par qui ils devaient être sauvés.
III
JESUS LUI DIT: "LEVE-TOl,
PRENDS TON GRABAT ET MARCHE". ET AUSSITOT L’HOMME FUT GUERI, IL PRIT SON
GRABAT, ET IL MARCHAIT.
715. L’Evangéliste montre maintenant le rétablissement de la santé, ou l’accomplissement du miracle, en rapportant l’ordre du Seigneur [n° 716], puis l’obéissance de l’homme [n° 719].
[8] JESUS LUI DIT:
"LEVE-TOI, PRENDS TON GRABAT ET MARCHE."
716. Le Seigneur commande à la fois à la nature et à la volonté de l’homme; celles-ci sont en effet toutes deux soumises à son pouvoir. Il commande à la nature en disant LEVE-TOI. Cet ordre, en effet, n’est pas adressé à la volonté de l’infirme, car il n’était pas en son pouvoir de se lever, mais à la nature, que le Seigneur changea par son ordre en lui donnant la capacité de se lever 70.
A la volonté Il commanda deux choses PRENDS TON GRABAT et MARCHE. Au sens littéral, Il donna ces deux ordres pour montrer qu’une santé parfaite avait été rendue à cet homme. Dans tout miracle, en effet, le Seigneur donne à l’oeuvre qu’Il fait la perfection conforme à l’excellence de sa nature — c’est ainsi que, de l’eau, Il fit un vin parfait 71 —, car Les oeuvres de Dieu sont parfaites 72.
Quant à l’homme, deux choses lui faisaient défaut d’une part ses propres forces, car il ne pouvait se tenir debout; c’est pourquoi le Seigneur le trouva ETENDU. D’autre part le secours d’autrui, ce qui lui faisait dire: JE N’AI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE. Afin donc de faire connaître la perfection de la santé rendue à l’homme, le Christ lui commande, à lui qui ne pouvait se tenir debout, de prendre son grabat; et à lui qui ne pouvait marcher, Il commande de marcher.
717. Ces trois ordres n’en sont
pas moins ceux que le Seigneur donne dans la justification. D’abord, l’homme
doit se lever en s’écartant du péché: Lève-toi, toi qui dors, et relève-toi
d’entre les morts 73. Ensuite, le Seigneur lui ordonne PRENDS TON GRABAT, en
satisfaisant pour les péchés commis. Le grabat sur lequel l’homme repose
signifie en effet le péché. L’homme prend donc son grabat quand il porte le
poids de la pénitence qui lui a été imposée pour son péché — La colère du
Seigneur, je la porterai, puisque j’ai péché contre Lui 74. Enfin le Seigneur lui ordonne de marcher en progressant dans le
bien — Ils iront de vertu en vertu 75.
718. Selon Augustin 76, deux choses manquaient à ce malade: les deux préceptes de la charité. Aussi, à la volonté qui est rendue parfaite par la charité, le Seigneur donne-t-Il deux ordres: prendre le grabat et marcher. Le premier se rapporte à l’amour du prochain, parce que cet amour est premier dans l’ordre de la réalisation 77; le second à l’amour de Dieu, qui est premier dans l’ordre de ce que nous devons faire.
Le premier ordre, "PRENDS TON GRABAT", revient donc à dire: lorsque tu es malade, ton prochain te soutient, il a compassion de toi et te soulage, comme fait le grabat pour l’infirme. Nous devons, nous qui sommes plus forts, porter les faiblesses de ceux qui n’ont pas cette force, et ne pas chercher ce qui nous plaît 78. Quand donc tu as été guéri, PRENDS TON GRABAT, c’est-à-dire soutiens et supporte ton prochain qui te portait quand tu étais faible: Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 79.
Quant au second ordre, "MARCHE", il sous-en tend: en t’approchant de Dieu. C’est pourquoi le psalmiste, après avoir dit: Ils iront de vertu en vertu, ajoute: Il sera vu, le Dieu des dieux, dans Sion 80. — Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent 81.
ET AUSSITOT L’HOMME FUT GUERI,
IL PRIT SON GRABAT, ET IL MARCHAIT.
719. L’Evangéliste rapporte ici à la fois l’obéissance de la nature et celle de la volonté. D’abord celle de la nature: AUSSITOT L’HOMME FUT GUERI. A cela rien d’étonnant, puisque c’est par le Verbe Lui-même que le ciel et la terre ont été faits: Lui-même a dit, et tout a été fait 82. Par la parole du Seigneur, les cieux ont été affermis 83. Ensuite, l’obéissance de la volonté: IL PRIT SON GRABAT, ET IL MARCHAIT. — Tout ce qu’a prescrit le Seigneur, nous le ferons, et nous serons obéissants 84.
9b
Or c’était le sabbat ce jour-là. 10 Les Juifs disaient donc à celui qui avait
été guéri: "C’est le sabbat, il ne t’est pas permis de porter ton grabat.
" 11 Il leur répondit: "Celui qui m’a guéri, c’est lui qui m’a dit:
Prends ton grabat et marche. " 12 Ils l’interrogèrent donc: "Qui est
cet homme, qui t’a dit" Prends ton grabat et marche?" 1 celui qui
avait été guéri ne savait pas qui c’était: Jésus en effet s’était éloigné de la
foule assemblée en ce lieu. 14 Après cela, Jésus le trouva dans le Temple et
lui dit: "Voilà que tu as été guéri; désormais ne pèche plus, de peur
qu’il ne t’arrive quelque chose de pire. " s’en alla et annonça aux Juifs
que c’était Jésus qui l’avait guéri. 16 pourquoi les Juifs persécutaient Jésus:
parce qu’Il fai sait cela un jour de sabbat. 17 Mais Jésus leur répondit:
"Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi aussi je travaille. "
18a A cause de cela les Juifs cherchaient encore plus à Le tuer: parce que non
seulement Il violait le sabbat, mais encore Il disait que Dieu était son Père,
se faisant l’égal de Dieu.
720. Après avoir rapporté [n° 699] un miracle visible manifestant la puissance qu’a le Christ de restaurer la vie spirituelle, l’Evangéliste montre maintenant ce qui fut l’occasion de l’enseignement du Christ: la persécution provoquée contre Lui par les Juifs.
I
OR C’ETAIT LE SABBAT CE
JOUR-LA. LES JUIFS DI SAIENT DONC A CELUI QUI AVAIT ETE GUERI: "C’EST LE
SABBAT, IL NE T’EST PAS PERMIS DE PORTER TON GRABAT. " IL LEUR REPONDIT:
"CE LUI QUI M’A GUERI, C’EST LUI QUI M’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET MARCHE.
" iLS L’INTERROGERENT DONC: "QUI EST CET HOMME, QUI T’A DIT: PRENDS
TON GRABAT ET MARCHE?" MAIS CELUI QUI AVAIT ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI
C’ETAJT: JESUS EN EFFET S’ETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. APRES
CELA, JESUS LE TROUVA DANS LE TEMPLE ET LUI DIT: "VOILA QUE TU AS ETE
GUERI; DES ORMAIS NE PECHE PLUS, DE PEUR QU’IL NE T’ARRIVE QUEL QUE CHOSE DE
PIRE. " L’HOMME S’EN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE C’ETAIT JESUS QUI
L’AVAIT GUERI. VOILA POURQUOI LES JUIFS PERSECUTAIENT JESUS: PARCE QU’IL FAISAIT
CELA UN JOUR DE SABBAT.
Cette persécution eut chez les Juifs envieux du Christ une double cause: son oeuvre de miséricorde et son enseignement de la vérité [n° 737]. L’Evangéliste commence donc par montrer comment l’oeuvre de miséricorde du Christ fut occasion de persécution. Pour cela il en indique la circonstance [n° 721], puis il rapporte les accusations abusives portées d’abord contre l’infirme guéri [n° 722] et ensuite contre le Christ [n° 725].
OR C’ETAIT LE SABBAT CE
JOUR-LA.
721. L’occasion de la persécution suscitée contre le Christ fut le fait qu’Il avait guéri un jour de sabbat; c’est pourquoi l’Evangéliste souligne que C’ETAIT LE SABBAT CE JOUR-LA, où Jésus fit le miracle au cours duquel Il ordonna à l’infirme de prendre son grabat.
Pourquoi le Seigneur se mit-Il à l’oeuvre le jour du sabbat? On donne à cela trois raisons. L’une est don née par Ambroise 1: le Christ, dit-il, est venu pour restaurer l’oeuvre de la création qui avait été défigurée, c’est-à-dire l’homme. Il devait donc commencer le jour où le Créateur avait parfaitement achevé son oeuvre créatrice. Or ce jour fut celui du sabbat; c’est pourquoi, afin de montrer qu’Il venait restaurer toute la création, le Christ commença à partir du sabbat.
La seconde raison est que le jour du sabbat est célébré par les Juifs en mémoire de la première création. Or le Christ est venu pour réaliser comme une nouvelle créature: Dans le Christ Jésus la circoncision n’est rien, ni l’incirconcision, mais la créature nouvelle 2, et cette création nouvelle est une re-création par la grâce, qui se fait par l’Esprit Saint: Tu enverras ton esprit, et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre 3. Voulant donc montrer que la recréation se fait par Lui, le Christ travaille le jour du sabbat — C’est de sa propre volonté qu’il nous a engendrés par la parole de vérité, afin que nous soyons comme les prémisses de ses créatures 4.
La troisième raison est que le Christ voulait montrer qu’Il accomplirait ce que la Loi ne pouvait faire: Ce qui était impossible à la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l’a fait: en envoyant son propre Fils dans une chair semblable à celle du péché et pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justification de la Loi s’accomplît en nous 5.
Or les Juifs ne faisaient aucun travail durant le sabbat, pour exprimer d’une manière symbolique que certaines choses qui étaient propres au sabbat devaient être accomplies, qui ne pouvaient pas être réalisées par la Loi. On le voit manifestement dans les quatre choses que fit la Sagesse de Dieu 6, l’égard du jour du sabbat: ce jour, Dieu le sanctifia, Il le bénit, Il y acheva ses oeuvres et Il s’y reposa 7. Or la Loi ne pouvait rien faire de cela. Elle ne pouvait pas sanctifier, et c’est pour quoi le psalmiste disait Sauve-moi, Seigneur, car il n’y a plus de saint 8. Elle ne pouvait pas non plus bénir; bien au contraire, tous ceux qui s’appuient sur les oeuvres de la Loi sont sous la malédiction 9. Elle ne pouvait pas non plus achever et parfaire, car la Loi n’a rien amené à la perfection 10, ni enfin accorder le parfait repos, car si Josué leur avait donné le repos, David n’au rait pas parlé d’un autre jour après celui-là 11.
Mais ce que la Loi n’a pu faire, le Christ l’a fait: Il a sanctifié le peuple par sa Passion: Jésus Lui-même, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte 12. Il l’a béni Lui-même en répandant la grâce: Béni soit le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, aux cieux, dans le Christ 13. Il l’a mené à la perfection en lui enseignant la justice parfaite: Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait 14. Il l’a introduit dans le vrai repos: Nous entrerons dans le repos, nous qui avons cru 15, alors que le psaume disait: Comme je l’ai juré dans ma colère, ils n’entreront pas dans mon repos 16. Travailler le jour du sabbat revient donc à Celui-là même qui peut accomplir ce qui appartient au sabbat, et devant quoi la Loi demeurait impuissante.
LES JUIFS DISAIENT DONC A
CELUI QUI AVAIT ETE GUERI: "C’EST LE SABBAT, IL NE T’EST PAS PERMIS DE
PORTER TON GRABAT." IL LEUR REPONDIT: "CELUI QUI M’A GUERI, C’EST LUI
QUI M’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET MARCHE."
722. L’Evangéliste expose maintenant l’accusation abusive portée contre celui qui a été guéri [n° 723]; après quoi il rapportera la manière dont il se justifie [n° 724].
LES
JUIFS DISAIENT DONC A CELUI QUI AVAIT ETE GUERI: "C’EST LE SABBAT, IL NE
T’EST PAS PERMIS DE PORTER TON GRABAT."
723. Par ces mots les Juifs accusent abusivement cet homme, non pas d’avoir été guéri le jour du sabbat, mais de porter son grabat ce jour-là. On peut trouver à cela plusieurs raisons.
La première est que les Juifs, ayant fréquemment accusé le Christ de guérir le jour du sabbat, avaient été confondus par Lui, du fait qu’eux-mêmes retiraient leurs bêtes du puits ce jour-là pour les sauver 17. C’est pour quoi ils gardent le silence au sujet de la guérison, comme à l’égard d’une chose utile et nécessaire; mais ils accu sent l’homme de porter son lit, ce qui ne leur semblait pas nécessaire. C’est comme s’ils disaient: "Admettons que cette guérison n’avait pas à être différée; mais quelle nécessité y avait-il de porter ce grabat ou de donner l’ordre de le porter?" 18
Une autre raison est que le Seigneur avait dit, met tant ainsi fin à leurs objections, qu’ il est permis de f aire le bien le jour du sabbat 19. C’est pourquoi ils accu sent celui qui a été guéri plutôt que l’auteur de la guérison, car être guéri, ce n’est pas faire le bien, mais en être l’objet.
Une troisième raison est que, s’il était universellement interdit aux Juifs, dans la Loi, de travailler le jour du sabbat, il leur était tout spécialement défendu de porter un fardeau ce jour-là: Ne portez point de fardeau le jour du sabbat 20. C’est pourquoi ils reprochèrent spécialement ce transport le jour du sabbat, comme étant contraire à la prescription du prophète.
Cependant ce commandement du prophète a une va leur mystique: en leur défendant de porter les fardeaux, il voulait les amener à se reposer le jour du sabbat du fardeau des péchés, dont le psalmiste dit: Comme un fardeau pesant, mes iniquités se sont appesanties sur moi 21. C’est pourquoi, comme le temps était venu de transformer les figures cachées, le Christ ordonne à l’homme de porter son grabat, c’est-à-dire de soutenir son prochain dans ses infirmités — Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 22.
IL
LEUR REPONDIT: "CELUI QUI M’A GUERI, C’EST LUI QUI M’A DIT: PRENDS TON
GRABAT ET MARCHE."
724. C’est ainsi que se justifie celui qui a été guéri. Il se justifie du reste avec sagacité: jamais, en effet, l’origine divine d’un enseignement n’est aussi bien confirmée que par la réalisation manifeste de miracles, qui ne peuvent être opérés sans une intervention divine — Et eux, étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur oeuvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui l’accompagnaient 23. C’est pourquoi, à ceux qui accusaient l’auteur de sa guérison, cet homme objectait : "CELUI QUI M’A GUERI, C’EST LUI QUI M’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET MARCHE"; comme s’il disait: "Vous, vous dites qu’il est interdit de porter un fardeau le jour du sabbat," et ce en vertu de l’autorité divine; mais à moi, cette même autorité m’a ordonné de prendre mon grabat; en effet, CELUI QUI M’A GUERI et qui, en me rendant la santé, m’a montré qu’il a une puissance divine, M’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET MARCHE. Aussi, aux commandements de celui qui a une si grande puissance et qui m’a accordé un tel bien fait, je suis tenu à juste titre d’obéir. "Jamais je n’oublierai tes préceptes, dit le psalmiste, car par eux tu m’as fait vivre." 24.
ILS
L’INTERROGERENT DONC: "QUI EST CET HOMME QUI T’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET
MARCHE?" MAIS CELUI QUI AVAIT ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI C’ETAIT: JESUS
EN EFFET S’ETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. APRES CELA, JESUS LE
TROUVA DANS LE TEMPLE ET LUI DIT: "VOILA QUE TU AS ETE GUERI; DESORMAIS,
NE PECHE PLUS, DE PEUR QU’IL NE T’ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. " L’HOMME
S’EN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE C’ETAIT JESUS QUI L’AVAIT GUERI.
725. Ne pouvant plus rien contre l’homme guéri, les Juifs s’efforcent d’accuser le Christ qui l’avait guéri l’homme en effet s’était déchargé sur Lui; et comme il n’avait pas indiqué avec précision qui Il était, ceux-ci l’interrogeaient avec malveillance pour le savoir. L’Evangéliste nous montre donc maintenant les Juifs recherchant le Christ [n° 726), Le trouvant [n° 729] et Le persécutant [n° 736].
ILS L’INTERROGERENT DONC:
"QUI EST CET HOMME QUI T’A DIT: PRENDS TON GRABAT ET MARCHE?" MAIS
CELUI QUI AVAIT ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI C’ETAIT: JESUS EN EFFET S’ETAIT
ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU.
726. En ce qui concerne la recherche du Christ, l’Evangéliste montre l’enquête faite par les Juifs [n° 726], puis l’ignorance de l’homme guéri [n° 727], enfin la cause de son ignorance [n° 728].
Les Juifs L’INTERROGERENT DONC, non pas dans
une bonne intention, pour progresser, mais par malveillance, pour persécuter
Jésus et Le perdre — Vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché 25. Leurs
paroles manifestent bien leur malveillance. En effet, alors que le Seigneur
avait ordonné au malade de guérir et de prendre son grabat, ils passent sous
silence ce qui est un signe révélateur et irrécusable de la puissance divine,
et ne relèvent que ce qui leur semble contraire à la Loi, en disant: "QUI
EST CET HOMME, QUI T’A DIT PRENDS TON GRABAT ET MARCHE?" — Changeant le
bien en mal, il dresse des embûches, et il marquera d’une tache (c’est-à-dire
il s’efforce de marquer d’une tache) les choses les plus pures 26.
727. MAIS CELUI QUI AVAIT ETE
GUERI NE SA VAIT PAS QUI C’ETAIT. Cet homme rendu à la santé représente les croyants
guéris par la grâce du Christ: C’est par la grâce que vous avez été sauvés 27.
Ceux-là ignorent en réalité qui est le Christ, ils ne Le connais sent que par
l’effet [de son action en eux] Tant que nous sommes dans ce corps, nous pérégrinons loin du
Seigneur: car c’est par la foi que nous marchons, et non par une claire vision 28. Mais
quand nous Le verrons tel qu’il est 29, alors nous saurons qui est le Christ.
728. La cause de l’ignorance de cet homme est indiquée par ces mots: JESUS EN EFFET S’ETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. A cela il y a une cause littérale et une cause mystique.
Une cause littérale, de deux manières: en premier lieu, Jésus voulait nous donner l’exemple de cacher nos bonnes oeuvres et de ne pas rechercher par elles la faveur des hommes: Gardez-vous d’accomplir votre justice devant les hommes pour être vus d’eux 30. Ensuite, Il voulait nous inviter à fuir et à éviter les regards des envieux dans toutes nos oeuvres, de peur qu’à cause d’elles leur envie ne s’accroisse 31. Ne résiste pas en face à l’insolent, de peur qu’il ne se tienne en embuscade devant tes lèvres 32.
Quant à la cause mystique, elle est double également. Le Christ voulait nous faire comprendre qu’on ne Le trouve pas facilement dans la foule des hommes et dans le tourbillon des soucis temporels, mais dans la retraite spirituelle 33 — Je vais la conduire au désert, et là je parlerai à son coeur 34. En effet, les paroles des sages sont entendues dans le silence 35, comme le dit l’Ecclésiaste. Ensuite, le Christ voulait nous faire entendre qu’Il devait s’éloigner des Juifs pour aller vers les nations: [Le Seigneur] cache momentanément sa face à la maison de Jacob 36, c’est-à-dire qu’Il a retiré la connaissance de sa vérité à la maison de Jacob.
APRES
CELA, JESUS LE TROUVA DANS LE TEMPLE. ET LUI DIT: "VOILA QUE TU AS ETE
GUERI; DESORMAIS NE PECHE PLUS, DE PEUR QU’IL NE T’ARRIVE QUELQUE CHOSE DE
PIRE." L’HOMME S’EN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE C’ETAIT JESUS QUI
L’AVAIT GUERI.
729. L’Evangéliste rapporte ici
comment on retrouve le Christ. Il dit d’abord qu’on Le trouve [n° 730],
puis qu’ayant été trouvé, Il enseigne [n° 731]; enfin, qu’après cet
enseignement l’homme Le fait connaître [n° 735].
730. A propos de la découverte du Christ, l'Evangéliste indique la manière dont l’homme Le trouve, et le lieu où il Le trouve.
La manière est admirable: on ne trouve pas le Christ si Lui-même ne nous trouve; c’est pourquoi il est dit APRES CELA, c’est-à-dire après ce qui a été dit, JESUS LE TROUVA. L’homme en effet, par ses propres forces, ne peut trouver le Christ si le Christ ne se présente à lui. C’est pourquoi le psalmiste disait: Seigneur, cherche ton serviteur 37 ; et le livre de la Sagesse: [La Sagesse] prévient ceux qui la désirent ardemment, afin de se montrer à eux la première 38.
Quant au lieu où on Le trouve, il est vénérable, car c’est DANS LE TEMPLE — Le Seigneur est dans son Temple saint. Sa mère aussi le trouva au Temple, et cela parce qu’il fallait qu’Il fût aux affaires de son Père 40. Il nous est par là donné à entendre que l’homme guéri ne s’est pas converti à la vanité, mais au zèle de la religion; fréquentant le Temple, il y reconnaît le Christ 41. En effet, si nous voulons parvenir à la connaissance du Créateur, il nous faut fuir le tumulte des affections mauvaises, nous éloigner des assemblées des méchants et fuir dans le temple de notre coeur, que Dieu daigne visiter et habiter 42.
731. Celui qui a été trouvé dans
le Temple donne maintenant son enseignement: "VOILA QUE TU AS ETE
GUERI; DESORMAIS NE PECHE PLUS." Il rap pelle d’abord le bienfait reçu
[n° 732], puis donne un sage conseil [n° 733]; enfin Il montre un danger
imminent [n° 734].
732. Pour ce qui est du
bienfait, il est admirable ce fut en effet le rétablissement immédiat de la
santé. Aussi convient-il de toujours le garder dans sa mémoire: Je me
souviendrai des miséricordes du Seigneur 43.
733. Quant au conseil — DESORMAIS NE PECHE PLUS —, il est utile. Mon fils, as-tu péché? Ne recommence plus, dit l’Ecclésiastique. 44
Mais pourquoi le Seigneur parle-t-Il des péchés à ce paralytique ainsi qu’à certains de ceux qu’Il a guéris, et pas aux autres? 45 C’est afin de montrer que pour certains les maladies proviennent de péchés passés : Quiconque mange [ce pain] et boit indignement [ce vin] mange et boit son propre jugement, ne discernant pas le Corps du Seigneur. C’est pourquoi il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de débiles, et que beaucoup dorment 46. Par là également Il montre qu’Il est Dieu, en dévoilant les péchés et les secrets des coeurs: L’enfer et l’abîme sont devant le Seigneur; combien plus les coeurs des fils des hommes? 47 C’est donc à ces derniers seulement qu’Il parle de leurs péchés, et non aux autres, qui ont été guéris aussi par Lui, car toutes les maladies ne surviennent pas à cause de péchés antérieurs, mais certaines proviennent d’une mauvaise disposition naturelle, d’autres sont envoyées comme des épreuves — ce qui fut le cas de Job. Ou bien le Christ ne fit mention de leurs péchés qu’à ceux qui étaient davantage préparés à la correction: Ne reprends pas le railleur, de peur qu’il ne te haïsse. Reprends le sage et il t’aimera 48. Ou encore, en donnant à certains le commandement de ne plus pécher, Il s’adressa à tous les autres.
734. Le danger imminent, enfin, était terrible. C’est pourquoi le Christ ajoute: DE PEUR QU’IL NE T’ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. Cela peut s’entendre de deux manières, selon les deux événements qui ont précédé dans la vie de cet homme: il fut d’abord puni par une longue maladie, puis il obtint un grand bienfait. La parole du Christ peut donc se référer à l’un comme à l’autre fait.
Elle peut se référer au premier; car lorsque quel qu’un est puni pour un péché et que sa punition ne le fait pas se retirer du péché, il est juste qu’il soit puni plus sévèrement 49. Aussi le Christ dit-Il: DESORMAIS NE PECHE PLUS, car si tu pèches il t’arrivera QUELQUE CHOSE DE PIRE. — En vain j’ai frappé vos enfants: ils n’ont pas reçu la correction 50.
Mais elle peut aussi se référer au second;
car celui qui, après avoir reçu des bienfaits, retombe dans le péché, devient
passible d’un châtiment plus lourd à cause de son ingratitude: Il eût mieux
valu pour eux ne pas connaître la voie de la justice, que de l’avoir connue et
de revenir ensuite en arrière, s’éloignant du saint commandement qui leur avait
été donné 51. En outre, après être
retourné une fois au péché, l’homme pèche plus facilement: Le dernier état de
cet homme devient pire que le premier 52. — Dès les temps anciens tu as
brisé mon joug, tu as rompu mes liens et tu as dit: Je ne servirai pas 53.
735. Après cela, l’homme fait
connaître Celui qui a été trouvé: L’HOMME S’EN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE
C’ETAIT JESUS QUI L’AVAIT GUERI. Selon certains on peut comprendre, comme le
dit Chrysostome 54, que c’est par malveillance qu’il L’aurait fait connaître; mais il
ne paraît pas probable qu’après un si grand bienfait l’homme se soit montré si
ingrat. IL ANNONÇA donc AUX JUIFS QUE C’ETAIT JESUS QUI L’AVAIT GUERI, afin de
faire connaître la puissance qu’avait le Christ de guérir: Venez, écoutez, vous
tous qui craignez Dieu, et je raconterai quelles grandes choses. Il a faites
pour mon âme 55. Cela est manifeste, car les Juifs lui ont demandé qui lui avait
ordonné de porter son grabat, et lui leur a annoncé QUE C’ETAIT JESUS QUI
L’AVAIT GUERI.
736. Enfin, en disant: VOILA POURQUOI LES JUIFS PERSECUTAIENT JESUS: PARCE QU’IL FAISAIT CELA UN JOUR DE SABBAT, l’Evangéliste souligne que si les Juifs persécutent le Christ, c’est en raison d’une oeuvre de miséricorde accomplie durant le sabbat: Des grands m’ont persécuté sans raison 56.
II
MAIS JESUS LEUR REPONDIT"
MON PERE TRA-[VAILLE JUS QU’A MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE." A
CAUSE DE CELA LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS A LE TUER: PARCE QUE NON
SEULEMENT IL VIOLAIT LE SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE,
SE FAISANT L’EGAL DE DIEU.
737. L’Evangéliste donne maintenant la seconde cause de la persécution: l’enseignement du Christ. Il expo se d’abord l’enseignement de la vérité [n° 738], puis la persécution due à la perversité juive [n° 741].
[17] MAIS JESUS LEUR REPONDIT:
"MON PERE TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE."
738. Le Seigneur donne l’enseignement de la vérité en se justifiant de la violation du sabbat 57. Mais il faut noter que, de cette violation, tantôt Il s’est justifié Lui-même, tantôt Il a justifié ses disciples. Parce que ceux-ci n’étaient que des hommes, Il les a justifiés en les comparant à des hommes, c’est-à-dire en prenant l’exemple des prêtres qui travaillaient dans le Temple le jour du sabbat sans le violer 58, et aussi de David qui, fuyant devant Saül un jour de sabbat, au temps du prêtre Abiathar, prit dans le Temple les pains de proposition. 59 Mais Lui-même, parce qu’Il était homme et Dieu, s’est justifié de la violation du sabbat tantôt en se comparant à des hommes — Lequel d’entre vous, si son âne ou son boeuf tombait dans un puits, ne l’en retirerait pas aussi tôt, même le jour du sabbat? 60 —, tantôt, et spécialement en cet endroit, en se comparant à Dieu: MON PERE TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE — comme s’Il disait: Ne pensez pas que mon Père se soit reposé le jour du sabbat de manière telle que depuis Il ne travaille plus; mais de même que Lui, maintenant encore, travaille sans labeur, de même MOI AUSSI JE TRAVAILLE. Par là, Il écarte la fausse interprétation des Juifs qui, voulant imiter Dieu, ne faisaient rien le jour du sabbat, comme si Dieu en ce jour-là avait tout à fait cessé de travailler. Certes, Dieu s’est reposé le jour du sabbat en ce sens qu’Il a cessé de faire des créatures nouvelles; mais Il n’en continue pas moins à TRAVAILLER JUSQU’A MAINTENANT, en conservant les créatures dans l’être. Si donc Moïse a expressément employé le mot "repos" après avoir énuméré les oeuvres de Dieu, en disant qu’Il se reposa 61 de les avoir créées, c’est pour désigner le repos spirituel que Dieu, dans un signe mystérieux, avait promis de donner aux croyants, à l’exemple de son propre repos, après les bonnes oeuvres qu’ils auraient faites. Aussi peut-on dire que le commandement concernant le sabbat fut donné comme l’ombre des choses à venir 62.
739. Remarquons que le Christ dit expressément: MON PERE TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, et non "Il a travaillé", pour montrer la continuité de l’oeuvre divine. On pourrait en effet imaginer que Dieu est la cause du monde à la manière dont l’artisan est la cause d’une maison, seulement quant à son devenir. Ainsi, de même que la maison demeure même quand cesse le travail de l’artisan, le monde aussi pourrait subsister si l’influx divin venait à cesser. Mais, comme le dit Augustin 63, Dieu est cause du devenir de toutes les créatures de manière telle qu’Il est aussi cause de leur subsistance; car si sa puissance cessait un instant, en même temps cesserait leur détermination essentielle, et toute la nature s’écroulerait — de même que l’air n’est illuminé qu’aussi longtemps que la lumière du soleil y demeure. En voici la raison: les réalités qui ont une cause quant au devenir seulement, peuvent subsister quand la cause cesse; par contre, celles dont la cause n’est pas seulement cause de leur devenir, mais aussi de leur subsistance, ont besoin d’être conservées continuellement par cette cause.
740. En disant MON PERE TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, le Christ écarte aussi l’opinion de certains, qui prétendent que Dieu produit les réalités par l’intermédiaire de causes secondes, ce qui va à l’encontre de cette affirmation: Seigneur, toutes nos oeuvres, c’est toi qui les as opérées pour nous 64. Ainsi donc, MON PERE, en fondant la nature au commencement, TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT en la maintenant et en la conservant par la même opération, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE, car je suis le Verbe du Père par lequel Il opère toutes choses: Dieu dit: "Que la lumière soit", et la lumière fut 65. Ainsi, de même que c’est par son Verbe qu’Il a fondé au commencement les réalités, de même c’est par Lui qu’Il les conserve. Si donc Lui-même TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, MOI AUS SI JE TRAVAILLE, parce que je suis le Verbe du Père par qui toutes choses sont faites et conservées 66.
A CAUSE DE CELA LES JUIFS
CHERCHAIENT ENCORE PLUS A LE TUER: PARCE QUE NON SEULEMENT IL VIOLAIT LE
SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE, SE FAISANT L’EGAL DE
DIEU.
741. L’Evangéliste rapporte maintenant la persécution occasionnée par l’enseignement: à cause de cet enseignement, LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS, c’est-à-dire avec une plus grande impatience et un zèle plus agité, à LE TUER.
Deux crimes, en effet, étaient punis de mort dans la Loi: le crime de la violation du sabbat — c’est pour quoi celui qui ramassa du bois le jour du sabbat fut lapidé 67—, et celui du blasphème: Conduis hors du camp le blasphémateur (...), et que tout le peuple le lapide 68. Or les Juifs considéraient comme un blasphème le fait qu’un homme se dit être Dieu: Ce n’est pas pour une bonne oeuvre que nous te lapidons, mais c’est pour un blasphème: parce que toi, alors que tu es homme, tu te fais Dieu 69. Et ils imputaient au Christ ces deux crimes: le premier, de violer le sabbat, l’autre, de se dire égal à Dieu.
C’est pourquoi l’Evangéliste dit: A CAUSE DE CELA LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS A LE TUER: PARCE QUE NON SEULEMENT IL VIOLAIT LE SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE. Cependant, comme d’autres justes appellent aussi Dieu leur Père — Tu m’appelleras "Père" 70 — les Juifs ne se contentent pas de dire qu’IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE, mais ils ajoutent ce qui relève du blasphème SE FAISANT L’EGAL DE DIEU, ce qu’ils déduisent de ses paroles MON PERE TRAVAILLE JUSQU’A MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE. Là, en effet, Il appelle Dieu son Père d’une manière unique, pour donner à entendre que le Père est son Père par nature, tandis qu’Il n’est celui des autres que par adoption. C’est ce qu’Il fait aussi en disant plus loin Je monte vers mon Père par nature et votre Père par grâce 71.
En outre, Il dit qu’Il travaille comme Lui, réfutant par là l’accusation des Juifs concernant la violation du sabbat — ce qui ne serait pas une réponse convenable s’Il n’avait en travaillant une autorité égale à celle de Dieu. C’est pour cela que les Juifs disent qu’Il se fait L’EGAL DE DIEU 72.
742. Grand est l’aveuglement des Ariens 73: disant que le Christ est inférieur à Dieu le Père, ils ne comprennent pas, dans ces paroles du Seigneur, ce que les Juifs, eux, comprennent 74. Mais les Ariens disent que le Christ ne s’est fait pas fait l’égal de Dieu, alors que les Juifs Le suspectent de cela.
Or, par ce qui est dit dans le texte même, il est manifeste qu’il en est autrement. L’Evangéliste dit en effet que les Juifs persécutaient le Christ parce qu’IL VIOLAIT LE SABBAT et parce qu’Il appelait Dieu SON PERE et se faisait L’EGAL DE DIEU. Ces deux choses que le Christ a faites, [le jour du sabbat et appeler Dieu son Père], l’Evangéliste les rapporte et ajoute avec raison: SE FAISANT L’EGAL DE DIEU. Ou bien donc le Christ est un menteur, ou bien Il est égal à Dieu; mais s’Il est L’EGAL DE DIEU, alors le Christ est Dieu par nature.
743. Si l’Evangéliste dit SE
FAISANT L’EGAL DE DIEU, ce n’est pas que le Christ se soit fait Lui-même égal à
Dieu, puisqu’Il Lui était égal par la génération éternelle 75, mais
il exprime la pensée des Juifs qui, ne croyant pas que le Christ était par nature
le Fils de Dieu, comprirent d’après ses paroles qu’Il se disait Fils de Dieu,
comme s’Il voulait se faire égal à Dieu, alors qu’eux ne croyaient pas qu’Il le
fût: Toi, alors que tu es homme, tu te fais Dieu 76, c’est-à-dire "tu dis que
tu es Dieu, mais nous comprenons que c’est toi-même qui te fais Dieu".
18b
Jésus répondit donc et leur dit: 19 "Amen, amen je vous le dis, le Fils ne
peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père. Car tout
ce que Celui-ci fait, cela le Fils aussi le fait pareillement. Le Père en effet
aime le Fils, et Il Lui montre tout ce qu’Il fait."
744. L’Evangéliste nous livre maintenant l’enseignement du Christ concernant sa puissance vivificatrice. Il expose en premier lieu l’enseignement lui-même [n° 745]; ensuite il en donnera la confirmation [n° 799] En ce qui concerne l’enseignement lui-même, il rapporte d’abord ce que dit le Christ de sa puissance vivificatrice en général [n° 745], puis ce qu’Il en dit de manière plus précise [n° 755].
Pour révéler sa puissance vivificatrice, le Christ commence par en indiquer l’origine [n° 745], puis Il montre sa grandeur [n° 752]; enfin Il donne la raison de l’une et de l’autre [n° 753].
I
JESUS REPONDIT DONC ET LEUR
DIT: "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI
CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE."
745. A propos de l’origine de la puissance du Christ, il faut avoir présent à l’esprit que les Ariens 1 s’appuient sur ces paroles du Seigneur pour confirmer leur erreur, à savoir que le Fils serait inférieur au Père. En effet, comme l’a dit l'Evangéliste, les Juifs persécutaient le Christ parce qu’Il se faisait l’égal de Dieu 2. D’après les Ariens, le Seigneur, voyant que les Juifs étaient troublés de cela et voulant dissiper ce trouble, aurait ajouté ces paroles afin de leur montrer qu’Il n’était pas égal au Père: "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE" — comme pour dire "Par mes paroles: Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi aussi je travaille 3, n’entendez pas que je travaille comme si je Lui étais égal, car de moi-même je ne puis RIEN FAIRE." Puis donc que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE, Il est assurément, disent les Ariens, inférieur au Père 4.
Mais cette manière de comprendre les paroles du Christ est fausse et conduit à l’erreur; car si le Fils n’était pas égal au Père, alors Il ne serait pas un même être avec Lui, ce qui va à l’encontre de ceci: Moi et le Père nous sommes un 5. En effet, l’inégalité s’entend selon la grandeur; or celle-ci, dans les personnes divines, est l’essence elle-même. C’est pourquoi, si le Fils était inégal au Père, Il différerait de Lui selon l’essence.
746. Pour saisir le vrai sens de ces paroles du Christ, il faut savoir que ce qui semble introduire une infériorité dans le Fils pourrait être considéré par certains comme étant dit du Christ selon la nature assumée, comme cette autre parole: Le Père est plus grand que moi 6. Selon cette interprétation, les paroles du Seigneur: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE devraient donc s’entendre du Fils selon la nature assumée. Or cela est insoutenable, car il faudrait alors dire que tout ce que le Fils de Dieu a fait dans la nature assumée, le Père l’aurait fait auparavant; par exemple, Il aurait marché à pied sec sur la mer, comme l’a fait le Christ 7, sinon il ne serait pas dit: SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE.
Si l’on disait, d’autre part, que tout ce que le Christ a fait dans la chair, Dieu le Père l’a fait aussi en tant que le Père opère en Lui — C’est le Père, demeurant en moi, qui accomplit Lui-même les oeuvres 8 —, alors le sens du passage serait: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE agissant en Lui, c’est-à-dire dans le Fils. Mais cela aussi est insoutenable, car alors on ne pourrait plus l’accorder avec ce qui suit: TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT, CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.
Jamais en effet, selon la nature assumée, le Fils n’a créé le monde comme le Père l’a créé. Ce n’est donc pas à la nature assumée qu’il faut rapporter les paroles du Christ.
747. Selon Augustin 9, il y a une autre manière de comprendre ces expressions qui semblent introduire une infériorité dans le Fils, bien qu’en réalité elles ne le fassent pas: c’est de les rapporter à l’origine du Fils à partir du Père. Car bien que le Fils soit égal au Père en toutes choses, Il tient cependant tout du Père par la génération éternelle, tandis que le Père ne tient rien [n° 18b-de personne, puisqu’Il est inengendré.
Les paroles du Christ s’enchaînent donc ainsi
avec ce qui précède: Pourquoi êtes-vous scandalisés de ce que j’ai appelé Dieu
mon Père et me suis fait l’égal de Dieu? AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE
PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME; comme s’Il disait: "Voici de quelle
manière je suis égal au Père: je suis de Lui, et Lui n’est pas de moi; et tout
ce que moi j’ai à faire, je le tiens du Père" 10.
748. Selon cette interprétation,
il est donc fait mention dans ces paroles de la puissance du Fils, par le verbe
PEUT, et de son opération, par le verbe FAIRE. C’est pourquoi on peut saisir là
deux choses: en premier lieu il nous est montré que la puissance du Fils
découle du Père [n° 749], et en second lieu que l’opération du Fils est conforme à
l’opération du Père 11
[n° 751].
749. Le premier point, Hilaire l’explique de la manière suivante 12. Le Seigneur a dit plus haut qu’Il était égal au Père. Mais certains hérétiques, s’appuyant sur l’autorité de l’Ecriture qui affirme l’unité et l’égalité du Fils avec le Père, attribuent au Fils d’être inengendré, comme le font les Sabelliens 13 qui soutiennent que le Fils est identique au Père dans sa personne. Donc, pour que l’on ne comprenne pas cela, le Christ dit: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME. La puissance du Fils, en effet, est identique à sa nature. Le Fils tient donc le pouvoir de Celui dont Il tient l’être; or Il tient l’être du Père — Je suis sorti du Père 14 — de qui Il tient également la nature: Il est Dieu de Dieu 15 tient donc de Lui le pouvoir 16.
Ainsi les paroles: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST QU’IL A VU FAIRE AU PERE ne peuvent avoir que cette signification: le Fils, de même qu’Il n’a l’être que par le Père, ne peut rien faire si ce n’est par le Père. En effet, dans les réalités naturelles, toute chose reçoit le pouvoir d’opérer de ce dont elle reçoit l’être: ainsi le feu reçoit le pouvoir de s’élever de ce dont il reçoit la forme et l’être. Cependant ces paroles LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME ne signifient pas l’inégalité, car elles se rapportent à la relation, tandis que la question de l’égalité et de l’inégalité concerne la quantité.
750. De ces paroles SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE pourrait naître chez certains une interprétation fausse conduisant à croire que le Fils fait CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE comme si, ce que le Père a accompli le premier, le Fils, après l’avoir vu, se mettait à le faire — à la manière de deux artisans, maître et disciple, ce dernier fabriquant un coffre de la façon dont il a vu faire son maître. Mais cela n’est pas vrai pour le Verbe, car il est dit plus haut à son sujet: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 17 Il n’y a donc rien que le Père ait fait de telle sorte que le Fils l’ait vu faire et s’en soit instruit 18.
En réalité, ces paroles ont été dites pour indiquer la communication de la puissance au Fils par la génération, communication qui est désignée d’une manière vraiment convenable par le verbe "voir" (IL A VU), car c’est par la vue et par l’ouïe que la science se transmet d’un autre à nous. C’est en effet par la vue que nous recevons des réalités la science, et par l’ouïe que nous la recevons des paroles. Or le Fils n’est autre que la Sagesse engendrée: Moi, dit la Sagesse, je suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature 19. Ainsi l’émanation du Fils à partir du Père n’est autre que la communication de la Sagesse divine. Donc, puisque la vision désigne la transmission, à partir d’un autre, de la connaissance et de la sagesse, c’est à juste titre que la génération du Fils par le Père est désignée comme "vision", de sorte que pour le Fils, voir le Père FAIRE n’est autre que procéder, selon une procession intelligible, du Père qui FAIT. On peut aussi, selon Hilaire 20, donner cette autre raison les paroles IL A VU ont pour but d’exclure de la génération du Verbe toute imperfection. En effet, dans la génération matérielle, ce qui est engendré est amené peu à peu, selon le déroulement du temps, de l’imparfait au parfait; car une réalité n’est pas encore parfaite lorsqu’elle commence à être engendrée. Mais il n’en est pas ainsi dans la génération éternelle, qui est la génération d’un être parfait à partir d’un être parfait. Aussi le Christ dit-Il: SI CE N’EST CE QUE [LE FILS] A VU FAIRE AU PERE. En effet, puisque voir est l’acte d’un être parfait, il est manifeste que le Fils, qui a immédiatement vu, fut parfait dès qu’Il fut engendré, et ne fut pas amené à la perfection selon le déroulement du temps.
751. Chrysostome explique le
second point, à savoir la conformité du Fils au Père quant à l’opération, de la
manière suivante: Je dis qu’il m’est permis de 19a1 travailler le jour du sabbat, car
mon Père aussi ne cesse de travailler, et je ne peux m’opposer à Lui en
travaillant; et cela parce que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE
N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE. En effet, on fait quelque chose de soi-même
quand en le faisant on ne se conforme pas à un autre. Or quiconque est par un
autre, s’il se met en désaccord avec lui, pèche: Celui qui parle de lui-même
cherche sa propre gloire 22. Tout être donc qui, existant par un autre, agit de lui-même,
pèche. Or le Fils est par le Père; si donc Il agit de Lui-même, Il pèche — ce
qui est impossible. Par conséquent, en disant LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE
LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE, le Seigneur n’entend rien
dire d’autre sinon que le Fils ne peut pécher. C’est comme s’Il disait: "C’est
injustement que vous me persécutez pour avoir violé le sabbat, car je ne puis
pécher, puisque je ne fais rien qui s’oppose à mon Père."
Ces deux explications, celle d’Hilaire et celle de Chrysostome, on les trouve aussi chez Augustin en divers lieux 23.
II
CAR TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT,
CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.
752. L’Evangile montre ici la grandeur de la puissance du Christ qui, par ces paroles, exclut de cette puissance la particularité, la diversité et l’imperfection.
D’abord la particularité: puisqu’il y a divers agents dans le monde, et que le premier agent a un pouvoir universel au-dessus de tous les agents, alors que les autres, qui sont par lui, ont un pouvoir d’autant plus particulier qu’ils sont inférieurs dans l’ordre de la causalité, on pourrait croire que le Fils, n’étant pas par Lui-même, a une puissance particulière à l’égard de certains effets seulement, et non pas une puissance universelle à l’égard de tous, comme a le Père. C’est donc pour exclure cela qu’Il dit: CAR TOUT CE QUE CELUI CI, c’est-à-dire le Père, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, c’est-à-dire que tout ce à quoi s’étend la puissance du Père, la puissance du Fils s’y étend aussi: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 24.
En second lieu est exclue de cette puissance la diversité. Il arrive en effet qu’un agent existant par un autre puisse faire tout ce que fait celui par qui il est, sans toutefois que ce qu’il fait soit la même chose que ce que fait celui par qui il est. Ainsi, un feu existant par un autre peut faire tout ce que fait l’autre, par exemple brûler, et cependant celui-ci brûle une chose, celui-là une autre, bien que la combustion de l’un et de l’autre soit la même spécifiquement. Afin donc que l’on ne pense pas que l’opération du Fils est différente de l’opération du Père, de la manière que l’on vient de dire, le Christ souligne CELA, c’est-à-dire non pas des choses différentes, mais les mêmes.
Enfin est exclue l’imperfection. Il arrive parfois qu’une seule et même chose soit faite par deux agents — par l’un comme par l’agent principal et parfait, et par l’autre comme par un instrument et un agent imparfait —, mais non pas de manière semblable, car autre est la manière d’agir de l’agent principal, autre celle de l’instrument. L’instrument, en effet, agit imparfaitement, du fait qu’il agit par la puissance de l’autre. Donc, pour qu’on ne pense pas que c’est ainsi que le Fils fait tout ce que fait le Père, le Christ ajoute PAREILLEMENT, c’est-à-dire avec la même puissance que celle par laquelle le Père agit; car le même pouvoir et la même perfection sont dans le Père et le Fils: J’étais avec Lui, disposant toutes choses 25, dit la Sagesse.
III
LE PERE EN EFFET AIME LE FILS,
ET IL LUI MON TRE TOUT CE QU’IL FAIT.
753. L’Evangéliste donne maintenant la raison de l’origine et de la grandeur de la puissance du Fils. Il rapporte cette raison à l’amour dont le Père aime le Fils: LE PERE EN EFFET AIME LE FILS.
Mais pour savoir de quelle manière l’amour du Père pour le Fils est la raison de l’origine ou de la communication de la puissance du Fils, il faut prêter attention au fait qu’on peut aimer une réalité de deux manières. En effet, le bien seul étant aimable, un bien peut se rapporter à l’amour de deux manières: soit comme cause de l’amour, soit comme causé par lui. Or en nous c’est le bien qui cause l’amour, car la cause de notre amour pour quelqu’un est sa bonté. En effet, il n’est pas bon parce que nous l’aimons, mais c’est parce qu’il est bon que nous l’aimons; ainsi l’amour, en nous, est causé par le bien. Mais en Dieu il en va autrement, puisque c’est l’amour même de Dieu qui est cause de bonté dans les réalités aimées. C’est parce que Dieu nous aime que nous sommes bons. En effet, parce que aimer n’est pas autre chose que vouloir du bien à quelqu’un, et que la volonté de Dieu est cause des réalités — tout ce que [le Seigneur] a voulu, Il l’a fait, au ciel et sur la terre 26 —, il est manifeste que l’amour de Dieu est cause de bonté dans les réalités. Voilà pourquoi Denys dit que l’amour divin n’a pas permis à Dieu de rester sans fécondité 27. Il nous faut donc considérer l’origine du Fils pour voir si l’amour dont le Père aime le Fils est le principe de cette origine ou s’il procède de celle-ci.
L’amour en Dieu, s’entend de deux manières. Ou bien essentiellement, et il s’agit de l’amour dont s’aiment pareillement le Père, le Fils et le Saint Esprit ; ou bien notionnellement ou personnellement, et il s’agit alors de l’Esprit Saint qui procède comme amour. Mais ce n’est entendu d’aucune de ces deux manières que l’amour peut être principe de l’origine du Fils. En effet, pris essentiellement, l’amour implique un acte de volonté; si donc il était principe de l’origine du Fils, il s’ensuivrait que le Père aurait engendré le Fils par volonté et non par nature, ce qui est erroné. Il ne s’agit pas non plus de l’amour pris notionnellement, qui s’entend de l’Esprit Saint, car il s’ensuivrait que l’Esprit Saint serait le principe du Fils, ce qui est erroné; du reste, aucun hérétique n’a dit cela. Car bien que l’amour pris notionnellement soit principe de tous les biens qui nous sont donnés par Dieu, il n’est cependant pas principe du Fils, mais procède plutôt lui-même du Père et du Fils.
La raison de l’origine et de la grandeur de la puissance du Fils ne se prend donc pas de l’amour comme principe, mais comme signe. En effet, puisque la similitude est cause de l’amour (car tout vivant aime son semblable), là où se trouve une similitude parfaite de Dieu, se trouve aussi un amour parfait de Dieu. Or la similitude parfaite du Père est dans le Fils: Il est l’image du Dieu invisible 28, le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance 29. Le Fils est donc parfaitement de bonté dans les réalités. Voilà l’amour divin n’a pas permis fécondité. Il nous faut donc Fils pour voir si l’amour dont le principe de cette origine, ou L’amour, en Dieu, s’entend bien essentiellement, et il s’agit pareillement le Père, le Fils et pourquoi Denys dit que à Dieu de rester sans considérer l’origine du le Père aime le Fils est s’il procède de celle-ci de deux manières. Ou de l’amour dont aiment l’Esprit Saint; ou bien-aimé du Père; et s’Il L’aime parfaitement, c’est donc le signe que le Père Lui a montré toutes choses et qu’Il Lui a communiqué sa puissance et sa nature. C’est de cet amour qu’il est dit plus haut: Le Père aime le Fils, et Il a tout remis dans sa main 30, et: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance 31.
754. A propos de ce qui suit: IL LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT, il faut savoir qu’on peut montrer ses oeuvres à quelqu’un de deux manières. Ou bien par la vue, comme un artisan montre à son disciple ce qu’il fait; ou bien par l’ouïe, comme quand il l’instruit par la parole. Toutefois, prendre "montrer" en l’un ou l’autre de ces deux sens peut entraîner un double man que de perfection qui cependant n’existe pas dans l’acte par lequel le Père montre au Fils. En effet, si on dit que le Père montre au Fils par la vue, il s’ensuit ce qui a lieu dans les réalités de ce monde: montrer quelque chose par la vue implique qu’on l’ait réalisé auparavant et qu’on l’ait fait indépendamment de celui à qui on le montre. Mais le Père ne montre pas au Fils ce qu’Il a fait auparavant, puisque le Fils Lui-même [la Sagesse] dit: Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant de faire quoi que ce Soit, dès l’origine 32 ; et le Père ne montre pas non plus au Fils ce qu’Il a fait indépendamment de Lui: Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien n’a été fait 33.
Si maintenant on prend "montrer" au sens de montrer par l’ouïe, deux manques de perfection semblent en découler. En effet, d’une part celui qui enseigne par la parole montre à un ignorant, et d’autre part la parole est intermédiaire entre lui et celui à qui il montre.
Or rien de cela ne peut s’appliquer à l’acte par lequel le Père montre au Fils ce qu’Il fait; en effet Il ne montre pas au Fils comme à un ignorant, puisque le Fils est la Sagesse du Père — Le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 34 —, ni par aucun autre verbe [parole] intermédiaire, puisque le Fils Lui-même est le Verbe du Père: Le Verbe était auprès de Dieu 35.
On dit donc que le Père MONTRE AU FILS TOUT CE QU’IL FAIT en tant qu’Il Lui communique la con naissance de toutes ses oeuvres, comme on dit que le maître montre à son disciple en tant qu’il lui donne la connaissance de ce qu’il fait. C’est pourquoi, selon Augustin, pour le Père, montrer au Fils n’est autre qu’engendrer le Fils, et pour le Fils, voir ce que fait le Père n’est rien d’autre que recevoir du Père son être et sa nature 36.
On peut cependant dire que cet acte de montrer est semblable à l’acte de montrer par la vue, en tant que le Fils Lui-même est la splendeur de la vision du Père, comme le dit l'Epître aux Hébreux 37. En effet le Père, en se voyant et en se connaissant, conçoit le Fils qui est Lui-même le fruit conçu par cette vision. On peut également dire que cet acte est semblable à celui qui montre par l’ouïe, en tant que le Fils procède du Père comme Verbe. Ainsi, dire que le Père MONTRE AU FILS TOUT CE QU’IL FAIT, c’est dire qu’Il Le produit comme sa splendeur et le fruit conçu par sa Sagesse, et comme son Verbe. Donc, quand le Christ dit: IL LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT, les paroles IL LUI MONTRE se rapportent à ce qu’Il a dit plus haut: LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE N’EST CE QU’IL A VU FAIRE AU PERE; et TOUT CE QU’IL FAIT se rapporte à ce qu’Il a dit ensuite TOUT CE QUE CELUI-CI, c’est-à-dire le Père, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, LE CHRIST, JUGE ET DONATEUR DE VIE
20b"
Et Il Lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, de sorte que vous
serez vous-mêmes dans l’étonnement. 21 Car, comme le Père relève les morts et
les fait vivre, ainsi le Fils fait vivre qui Il veut. Car le Père ne juge
personne, mais Il a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils
comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui
L’a envoyé. 24 amen je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à Celui
qui m’a envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est
passé de la mort à la vie. Amen, amen je vous le dis, l’heure vient, et c’est maintenant,
où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue
vivront."
755. Après avoir montré la puissance du Fils en général [n° 7441, le Seigneur va la montrer maintenant de manière précise: en manifestant d’abord la puissance qu’Il a de donner la vie [n° 755], puis en explicitant quelques paroles qui semblaient obscures [n° 781]. Concernant le premier point, le Seigneur montre d’abord que le Fils a la puissance de donner la vie [n° 755], puis II enseigne la manière de recevoir de Lui la vie [n° 770].
I
ET
IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ
VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT. CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT
VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. CAR LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS
IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS
HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE.
La puissance qu’a le Fils de donner la vie, le Seigneur la manifeste en la désignant d’abord d’une façon générale [n° 756], puis de manière plus précise [n° 761]. Il s’explique ensuite [n° 762] et montre enfin l’effet qui provient de cette puissance [n° 764].
ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES
PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEME5 DANS
L’ETONNEMENT. CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE
FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT.
756. Le Seigneur manifeste la
puissance qu’Il a de donner la vie d’une façon générale en disant: IL LUI
MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, comme s’Il disait Vous êtes
étonnés et trou blés par la puissance du Fils dans la guérison de l’infirme,
mais le Père LUI MONTRERA DES OEUVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans
la résurrection des morts, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS
L’ETONNEMENT.
757. Cependant, ces paroles du
Christ soulèvent une double difficulté. En premier lieu à propos du futur IL
MONTRERA 1. En effet, ce qu’on a dit plus haut — que le Père MONTRE au Fils
TOUT CE QU’IL FAIT — se rapporte à la génération éternelle. Comment dit-Il donc
ici IL MONTRERA, puisque le Fils est coéternel au Père et que, dans l’éternité,
il n’y a pas de futur? En second lieu à propos de ce qui suit: DE SORTE QUE
VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT. En effet, si c’est pour que les Juifs
soient étonnés que le Père doit montrer toutes choses au Fils, Il les Lui
montrera alors en même temps qu’à eux — autrement, ne voyant pas, ils ne
seraient pas dans l’étonnement —, alors que cependant le Fils aura vu toutes
choses de toute éternité auprès du Père.
758. Il y a trois manières de résoudre cette double difficulté: la première, indiquée par Augustin 2, est que cette manifestation à venir concerne les disciples. C’est en effet une manière de parler habituelle au Christ de parfois s’attribuer, comme fait à Lui-même, ce qui est fait à ses membres — Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait 3. Il faut alors comprendre ceci: Vous, vous avez vu le Fils accomplir de grandes choses dans la guérison de l’infirme, et vous êtes dans l’étonnement; mais le Père LUI MONTRERA DES OEUVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans ses membres, c’est-à-dire dans ses disciples: Celui qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes 4. Le Christ ajoute donc: DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS L’ETONNEMENT: car à cause des miracles des disciples les Juifs furent dans un tel étonnement qu’un très grand nombre d’entre eux se convertit à la foi, ainsi que le rapportent les Actes des Apôtres 5.
759. Une autre manière de résoudre la difficulté est, toujours selon Augustin 6, de comprendre que la manifestation se rapporte au Christ selon la nature qu’Il assume. Dans le Christ, en effet, il y a la nature divine et la nature humaine, et selon l’une et l’autre Il tient du Père sa puissance de donner la vie, mais de deux manières différentes; car selon la divinité, Il a la puissance de donner la vie aux âmes, mais selon la nature qu’Il assume Il donne la vie aux corps. C’est pour quoi Augustin dit que "le Verbe donne la vie aux âmes, mais le Verbe fait chair donne la vie aux corps" 7. En effet, la Résurrection du Christ et les mystères qu’Il a accomplis dans la chair sont causes de la résurrection future des corps — Dieu (...) nous a vivifiés dans le Christ (...) et nous a ressuscités avec Lui 8. Si le Christ est ressuscité, les morts aussi ressusciteront 9— . Mais la première manière de donner la vie, Il la possède de toute éternité, et c’est ce qu’Il a manifesté lorsqu’Il a dit précédemment: Et Il Lui montre tout ce qu’Il fait 10. Ces choses qu’Il Lui montre, Il les montre certes toutes à la chair, mais [successivement] dans le temps, et c’est à ce sujet qu’Il dit: ET IL LUI MONTRERA DES OEUVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, c’est-à-dire que son pouvoir sera manifesté en ce qu’Il fera des oeuvres plus grandes en ressuscitant des morts: certains dès maintenant, comme Lazare, la petite fille de Jaïre, le fils unique de la veuve 12, et tous enfin au jour du jugement.
760. La troisième manière de
résoudre la difficulté est de comprendre que cette manifestation se rapporte au
Christ selon la nature divine, suivant cette manière de dire, habituelle à
l'Ecriture, qu’une chose s’accomplit lorsqu’elle est connue, comme c’est le cas
pour cette [n° 20h-parole: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre 13. En effet, bien que le Christ ait eu de toute éternité la plénitude
de la puissance, parce que tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait
pareillement 14, Il dit néanmoins que la puissance Lui a été donnée après la
Résurrection, non qu’Il l’ait reçue seulement à ce moment-là, mais parce que,
par la gloire de la Résurrection, elle s’est alors fait pleinement connaître.
D’après cela, Il dit donc que la puissance Lui a été donnée en ce sens qu’Il
l’exerce dans une oeuvre, de telle sorte qu’Il dit: ET IL LUI MONTRERA DES
OEUVRES PLUS GRANDES, c’est-à-dire qu’Il manifestera, en l’exerçant, la
puissance qui Lui a été donnée, et cela à vous qui serez dans l’étonnement,
quand Celui qui vous semble n’être qu’un homme apparaîtra comme étant un homme
revêtu de la puissance divine et Dieu Lui-même. Le terme "montrer"
doit être pris ici comme un terme exprimant la vision, selon ce que nous avons
expliqué plus haut [n°
750].
761. Ensuite par ces paroles: CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, le Seigneur montre de manière plus précise la puissance qu’Il a de donner la vie, en faisant connaître ce que sont ces OEUVRES PLUS GRANDES que le Père montrera au Fils.
Il faut savoir ici que la puissance divine, dans l’Ancien Testament, se révèle principalement dans le fait que Dieu est l’auteur de la vie: C’est le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre 15— C’est moi qui fais mourir et moi qui fais vivre 16. Et cette puissance, le Fils l’a comme le Père et c’est pourquoi Il dit: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT — comme pour dire: Voici quelles sont les oeuvres plus grandes que le Père montrera au Fils: donner la vie aux morts. Il est clair que ce sont là des oeuvres beaucoup plus grandes, car la résurrection d’un mort est plus que la guérison d’un malade Le Fils fait donc VIVRE QUI IL VEUT à la fois en donnant aux vivants la première vie et en ressuscitant les morts. Toutefois ne pensons pas que certains soient ressuscités par le Père, d’autres par le Fils: ceux-là mêmes que le Père ressuscite et fait vivre, le Fils les ressuscite et les fait vivre. Car, de même que le Père opère toutes choses par le Fils qui est sa puissance 18, de même aussi Il fait vivre toutes choses par le Fils qui est la vie 19 — Moi je suis le chemin, la vérité et la vie 20. Cependant, Il ne ressuscite pas les morts ni ne leur donne la vie par le Fils comme par un instrument, car alors le Fils n’au rait pas été établi juge de l’exercice de sa puissance. Aussi, afin d’exclure cela, le Christ dit-Il: LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, c’est-à-dire qu’il appartient au bon plaisir de sa puissance de faire vivre QUI IL VEUT. Car le Fils ne veut rien d’autre que ce que veut le Père en effet, comme Ils n’ont qu’une substance, ainsi n’ont Ils qu’une volonté, et c’est pourquoi le Christ peut dire Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux? 21
CAR LE PERE NE JUGE PERSONNE,
MAIS IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME
ILS HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A
ENVOYE.
762. Le Seigneur explique ici ses paroles en manifestant sa puissance. Mais il faut noter qu’on a donné de ce verset et du suivant deux interprétations: l’une est d’Augustin, l’autre, d’Hilaire et de Chrysostome 22.
Voici celle d’Augustin. Le Seigneur avait dit plus haut que, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... Mais de peur que l’on ne comprenne qu’il s’agit ici de la résurrection des morts par laquelle Il en a ressuscité certains à cette vie pour la manifestation d’un miracle, et non pour la vie éternelle, Il les amène à la considération plus élevée de l’autre résurrection, celle qui aura lieu lors du jugement à venir. C’est pourquoi Il fait spécialement mention du jugement en disant: LE PERE NE JUGE PERSONNE 23.
Dans le même sens, mais d’une autre manière, on peut, toujours d’après Augustin 24, rattacher ce verset au précédent, de sorte que celui-ci: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... se réfère à la résurrection des âmes que le Fils accomplit en tant qu’Il est le Verbe, tandis que le suivant: LE PERE NE JUGE PERSONNE se réfère à la résurrection des corps qu’Il accomplit en tant qu’Il est le Verbe fait chair. En effet, la résurrection des âmes est réalisée par la substance du Père et du Fils, et c’est pourquoi Il nomme le Père et le Fils en disant: COMME LE PERE..., AINSI LE FILS...; tandis que la résurrection des corps s’opère grâce à l’économie de son humanité, qui n’est pas coéternelle au Père, et c’est pourquoi Il attribue le jugement au seul Fils 26.
763. Mais remarquez l’étonnant
changement des expressions 27: en effet, l’Evangile nous montre d’abord le Père agissant et le
Fils se reposant, lorsqu’il est dit Le Fils ne peut rien faire de Lui-même si
ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père 28; ici au contraire il nous montre
le Fils agissant et le Père se reposant: LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A
REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. Par là nous est donné à entendre que le Christ
parle ici d’une manière et là d’une autre. Là Il parle de l’opération qui est
commune au Père et au Fils, et c’est pourquoi Il dit que le Fils ne peut rien
faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père; tandis qu’ici Il
parle de l’opération par laquelle, en tant qu’homme, le Fils juge, et non le
Père, et c’est pourquoi Il dit que le Père A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. En effet,
le Père n’apparaîtra pas lors du jugement, parce que, selon la justice, Dieu ne
peut apparaître dans sa propre nature à tous ceux qui doivent être jugés: car,
la vision de Dieu étant notre béatitude, si les méchants Le voyaient dans sa
propre nature, ils seraient de ce fait bienheureux 29. Donc, le Fils seul apparaîtra,
Lui qui seul a assumé notre nature. Il jugera seul, Lui qui seul apparaîtra à
tous, et cependant par l’autorité du Père. C’est Lui qui a été établi par Dieu
juge des vivants et des morts 30. — Dieu, donne au roi ton jugement, et ta justice au fils du roi 31.
764. En disant ensuite AFIN QUE
TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI N’HONORE PAS LE FILS
N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE, le Christ montre l’effet qui provient de
la puissance du Fils. Pour cela Il dit d’abord quel fruit découle de cette
puissance [n° 765], puis Il exclut la contradiction [n° 766].
765. Il dit donc: LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS selon sa nature humaine, parce que dans son Incarnation le Fils s’est anéanti, prenant la condition d’esclave 32 dans laquelle Il a été déshonoré par les hommes: Moi j’honore mon Père et vous, vous me déshonorez 33. Le jugement Lui a donc été remis dans la nature même qu’Il a assumée, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. En effet, ils verront alors le Fils de l’homme venir dans une nuée avec grande puissance et majesté 34. — Tous les anges (...) tombèrent sur la lace devant le trône et adorèrent Dieu en disant: Amen, bénédiction, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu dans les siècles des siècles. Amen 35.
766. Quelqu’un pourrait peut-être dire: "Je veux honorer le Père et ne pas me soucier du Fils." Mais ce n’est pas possible, car celui QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE. En effet, autre chose est d’honorer Dieu parce qu’Il est Dieu, autre chose d’honorer le Père. Car on peut bien honorer Dieu en tant que Créateur, tout-puissant et immuable, sans honorer le Fils. Mais honorer Dieu comme Père, nul ne le peut sans honorer le Fils, car Il ne peut être appelé Père s’Il n’a pas de Fils. Mais si tu déshonores le Fils en diminuant sa puissance, tu déshonores aussi le Père: en effet, quand tu diminues la puissance du Fils, tu supprimes la puissance du Père 36.
767. Saint Augustin donne encore
une autre interprétation, qui est la suivante 37. Un double honneur est dû au
Christ: l’un Lui est dû en raison de sa divinité, à cause de laquelle on Lui
doit un honneur égal à celui qui est dû au Père, et c’est pourquoi Il dit: AFIN
QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. Un autre Lui est dû en
raison de son humanité, mais il n’est pas égal à celui qui est dû au Père; et
c’est en parlant de cet honneur que le Christ dit QUI N’HONORE PAS LE FILS
N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE. Voilà pourquoi, dans la première partie du
verset, Il dit expressément COMME, de même qu’Il dira: Qui vous rejette me
rejette, et qui me rejette, rejette Celui qui m’a envoyé 38 ; tandis qu’ici Il ne
dit pas COMME, mais Il dit, purement et simplement, que le Fils doit être
honoré.
768. Hilaire 39 et Chrysostome 40 donnent une explication plus proche de la lettre, qui apporte peu de changement. Le Seigneur a dit plus haut: LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. Quiconque fait quelque chose en vertu du libre arbitre de sa volonté agit par son propre jugement. Or il a été dit plus haut que tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement 41. Le Fils possède donc à l’égard de toutes choses le libre arbitre de la volonté, parce qu’Il procède suivant son propre jugement. C’est pourquoi Il fait aussitôt mention du jugement en disant: LE PERE NE JUGE PERSONNE, c’est-à-dire indépendamment du Fils. Et cette manière de parler, le Seigneur en a usé plus loin: Je ne le juge pas, moi, c’est-à-dire moi seul, mais la parole que j’ai dite, c’est elle qui le jugera au dernier jour 42. MAIS LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS, de même qu’Il Lui a tout donné. En effet, comme Il Lui a donné la vie et L’a engendré vivant, ainsi Il Lui a donné tout jugement et L’a engendré juge: Comme j’entends, je juge 43. C’est-à-dire, comme je tiens l’être du Père, ainsi je tiens de Lui le jugement. La raison en est que le Fils n’est autre, comme on l’a dit plus haut, que le fruit conçu par la Sagesse du Père 44. Or chacun juge par ce que conçoit sa sagesse. C’est pourquoi, comme le Père fait toutes choses par le Fils, ainsi juge-t-Il toutes choses par Lui; et en voici le fruit: AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, c’est-à-dire qu’ils Lui rendent un culte de latrie 45, comme au Père. Pour le reste, leurs explications ne diffèrent pas de celles d’Augustin.
769. Mais, selon Hilaire 46, il faut considérer l’admirable enchaînement des paroles afin de réfuter les erreurs concernant la génération éternelle. Deux hérésies, en effet, se sont élevées au sujet de la génération éternelle elle-même. L’une, celle d’Arius 47 disait que le Fils est inférieur au Père, ce qui s’oppose à l’égalité et à l’unité; l’autre, celle de Sabellius 48, soutenait qu’il n’y a pas de distinction des Personnes en Dieu, ce qui s’oppose à l’origine. Et c’est pourquoi, partout où il fait mention de l’unité et de l’égalité des Personnes, l’Evangéliste affirme aussitôt la distinction de celles-ci selon l’origine, et inversement. Ainsi, parce qu’il indique l’origine des Personnes en disant: le Fils ne peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père, pour qu’on ne croie pas à une inégalité, il ajoute aussi tôt: Tout ce que Celui-ci fait, cela le Fils aussi le fait pareillement 49. Et inversement, lorsqu’il indique l’égalité des Personnes en disant: COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, afin qu’on ne doute pas de l’origine du Fils et de sa génération, il ajoute: LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. De même, lorsqu’il exprime l’égalité des Personnes en disant: AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, il parle aussitôt après de la mission dans laquelle l’origine est manifestée, en disant: QUI N’HONORE PAS LE FILS N’HONORE PAS LE PERE QUI L’A ENVOYE, sans se séparer de Lui. Entendez bien mission, et non pas séparation: Celui qui m’a envoyé est avec moi, et Il ne m’a pas laissé seul 50.
II
AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS,
CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE A LA VIE ETERNELLE
ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT, MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE. AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS
ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.
770. Plus haut, le Seigneur a montré qu’Il a la puissance de donner la vie [n° 755]; ici, Il montre la manière dont on peut participer de Lui la vie. Il expose d’abord la manière dont, par Lui, on participe la vie [n° 771], puis Il annonce à l’avance la réalisation de cette participation [n° 778].
AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE
A LA VIE ETERNELLE ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT, MAIS IL EST PASSE DE LA MORT
A LA VIE.
771. Au sujet de la participation de la vie, il faut avoir présent à l’esprit qu’il y a quatre degrés de vie. Le premier se trouve dans les végétaux qui se nourrissent, croissent, sont engendrés et engendrent; le second dans les animaux qui n’ont que la sensation; le troisième dans les animaux qui se meuvent et qui sont les animaux parfaits; le dernier, et c’est vraiment un autre degré de vie, se trouve dans ceux qui sont doués d’intelligence. Parmi tous ces degrés de vie, il est impossible que la vie première soit celle des végétaux, ou même celle qui se caractérise par la sensation ou par le mouvement; la vie première, en effet, doit être vie par elle-même, et non vie participée. Mais aucune vie ne peut être telle si ce n’est la seule vie intellectuelle: d’une part les trois autres sont communes à toutes les créatures corporelles même spirituelles, et d’autre part le corps qui vit n’est pas la vie elle-même, mais participe la vie. La vie intellectuelle est donc la vie première; c’est la vie de l’esprit qui est reçue immédiatement du premier principe de vie, et c’est pourquoi on l’appelle vie de sagesse. Ainsi l’Ecriture attribue la vie à la Sagesse : Celui qui m’aura trouvée trouvera la vie 51. C’est donc du Christ que nous participons la vie, Lui qui est la Sagesse de Dieu 52, dans la mesure où notre âme reçoit de Lui la sagesse.
Cette vie de l’intelligence atteint sa
perfection dans la vraie connaissance de la Sagesse divine, qui est la vie
éternelle La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu
et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Mais l’homme ne peut parvenir à aucune
sagesse, si ce n’est par la foi: ainsi, personne n’atteint la sagesse dans les
sciences s’il n’a d’abord cru aux dires d’un maître. Si donc nous voulons
parvenir à cette vie de la Sagesse, il nous faut croire, par la foi, ce qui
nous est révélé d’elle: Il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’Il
est, et qu’Il récompense ceux qui Le cherchent 54. Et, d’après une version du texte
d’Isaïe: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 55.
772. Aussi est-ce très justement
que le Seigneur montre ici que c’est par la foi que l’on parvient à la vie. Il
le fait d’abord en affirmant le mérite de la foi [n° 773], puis en montrant quelle
est sa récompense [n°
774].
773. Au sujet du mérite de la foi, Il montre d’abord ce qui conduit à la foi, puis ce sur quoi elle s’appuie. Ce qui conduit à la foi, c’est la parole de l’homme: La foi vient de ce qu’on entend, et on entend par une parole du Christ 56. Mais la foi ne s’appuie pas sur la parole de l’homme, elle s’appuie sur Dieu Lui-même — Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 57. — Vous qui craignez le Seigneur, croyez en Lui 58. Ainsi nous sommes amenés par la parole de l’homme à croire, non à l’homme qui parle, mais à Dieu dont il dit les paroles — Ayant reçu la parole de Dieu que vous avez entendue de nous, vous l’avez reçue non comme la parole des hommes, mais (ainsi qu’elle l’est vraiment) comme la parole de Dieu 59. Le Seigneur montre donc d’abord ce qui conduit à la foi, en disant: CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, qui conduit à la foi; puis ce sur quoi elle s’appuie: ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE, c’est-à-dire non à moi, mais à Celui par la puissance de qui je parle.
Ces paroles peuvent convenir au Christ en tant qu’homme, puisque par sa parole humaine des hommes se convertirent à la foi. Elles Lui conviennent aussi en tant que Dieu, puisque le Christ est le Verbe de Dieu. En effet, puisque le Christ est le Verbe de Dieu, il est manifeste que ceux qui L’écoutaient écoutaient le Verbe de Dieu et par conséquent croyaient à Dieu. C’est bien ce qu’Il dit: CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, c’est-à-dire moi qui suis le Verbe de Dieu, ET CROIT A CELUI QUI M’A ENVOYE, c’est-à-dire au Père dont je suis le Verbe.
774. Le Christ indique ensuite
quelle est la récompense de la foi, en disant que celui qui croit A LA VIE
ETERNELLE. Et Il montre les trois biens que nous posséderons dans la gloire,
mais Il les donne dans l’ordre inverse. En effet, nous obtiendrons d’abord la
résurrection d’entre les morts, puis nous serons libérés du jugement à venir,
et enfin nous entrerons dans la vie éternelle; car, après le jugement, les
justes s’en iront à la vie éternelle 60. Ces trois biens, le Seigneur
montre qu’ils sont la récompense de la foi, et Il nomme le troisième en premier
lieu, comme étant le plus désiré.
775. C’est pourquoi Il dit: CELUI QUI CROIT, c’est-à-dire par la foi, A LA VIE ETERNELLE qui consiste dans la pleine vision de Dieu. Il est juste en effet que celui qui, à cause de Dieu, croit aux réalités qu’il ne voit pas, soit conduit à leur pleine vision — Cela a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom 61.
776. Le Seigneur mentionne ensuite le second bien en disant: ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT. Mais à cette parole semble s’opposer celle de l’Apôtre: Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal du Christ 62, jusqu’aux Apôtres eux-mêmes; il semble donc que celui qui croit viendra en jugement.
A cela il faut répondre qu’il y a un double
jugement. L’un est de condamnation, et à celui-là ne viendront pas ceux qui
croient en Dieu d’une foi formée 63. C’est de ce jugement que parle le psaume: N’entre pas en jugement
avec ton serviteur, car en ta présence nul vivant ne sera justifié 64. —
Celui qui croit en Lui [le Fils de Dieu] n’est pas jugé 65. Mais il y a aussi un jugement de discernement 66, pour
lequel nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ, comme le dit
l’Apôtre; et c’est de ce jugement qu’il est dit: Juge-moi, Seigneur, et
discerne ma cause 67.
777. Le Seigneur mentionne enfin le troisième bien quand Il dit: MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE, ou IL PASSERA, selon une autre version. Ce qui peut s’expliquer de deux manières. D’abord en rapportant ces paroles à la résurrection de l’âme; le sens alors en est clair. Cela revient en effet à dire: non seulement par la foi on obtient la vie éternelle et on est libéré du jugement, mais on obtient aussi la rémission des péchés. C’est pourquoi Il dit: IL EST PASSE de l’incroyance à la foi, de l’injustice à la justice — Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie 68. Si maintenant on les rapporte à la résurrection des corps, ces paroles sont alors une explication de cette affirmation: IL A LA VIE ETERNELLE. On pourrait en effet, d’après cette affirmation, se figurer que celui qui croit en Dieu ne mourrait jamais, mais vivrait éternellement; ce qui ne peut être, car il faut que tous les hommes s’acquittent de la dette du premier péché — Quel est l’homme qui vivra et ne verra pas la mort? 69 Il ne faut donc pas comprendre que celui qui croit A LA VIE ETERNELLE comme s’il ne devait jamais mourir, mais que de cette vie IL PASSERA par la mort A LA VIE éternelle, c’est-à-dire que, à travers la mort du corps, il sera renouvelé pour la vie éternelle. Ou bien IL PASSERA, quant à la cause; car lorsque l’homme croit, il a déjà le mérite de la résurrection glorieuse — Tes morts vivront, mes cadavres ressusciteront 70. Et, affranchis alors de la mort du vieil homme, nous recevrons la vie de l’homme nouveau, c’est-à-dire du Christ.
AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS,
L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE
DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.
778. Parce que certains pourraient douter que l’on puisse passer de la mort à la vie, le Seigneur annonce la réalisation d’un tel passage en disant: Je dis qu’IL PASSERA DE LA MORT A LA VIE, et ceci se réalise déjà par avance. Et c’est ce qu’Il dit ici: AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, L’HEURE VIENT, non pas soumise à une nécessité fatale, mais déterminée à l’avance par Dieu — Voici venue la dernière heure 71. Et pour que nous ne la croyions pas éloignée, Il ajoute ET C’EST MAINTENANT L’heure est venue de nous réveiller de notre sommeil 72—, c’est-à-dire C’EST MAINTENANT l’heure OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE VIVRONT.
779. Ces paroles peuvent s’expliquer de deux manières. D’une première manière en les rapportant à la résurrection des corps. Elles signifient alors: il est vrai qu’au terme tous ressusciteront, mais il y a plus L’HEURE VIENT ET C’EST MAINTENANT, où certains que le Seigneur allait ressusciter, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Ainsi Lazare l’entendit lorsqu’il lui fut dit: Viens dehors 73 et qu’il revint à la vie; ainsi l’entendirent la fille du chef de la synagogue et le fils de la veuve 74. C’est pourquoi Il dit expressément: ET C’EST MAINTENANT en ce sens que, par moi, les morts commencent à être rendus à la vie.
On peut comprendre d’une autre manière, selon Augustin 75, en rapportant les paroles ET C’EST MAINTENANT à la résurrection de l’âme. Il y a en effet, comme nous l’avons dit plus haut, une double résurrection celle des corps, qui sera et qui n’est pas encore, mais qui aura lieu lors du jugement à venir; et celle des âmes qui passent de la mort de l’incroyance à la vie de la foi, et de l’injustice à la justice; et celle-là se réalise déjà MAINTENANT. Aussi dit-Il: L’HEURE VIENT, ET C’EST MAINTENANT, OU LES MORTS, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas et les pécheurs, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI L’AU RONT ENTENDUE VIVRONT selon la vraie foi.
780. Mais ces paroles impliquent deux choses étonnantes la première quand le Christ dit que les morts entendent, la seconde lorsqu’Il ajoute que par l’audition ils reviennent à la vie, comme si l’audition précédait la vie, alors que pourtant elle est un acte de la vie 76.
Mais si nous rapportons cela à la résurrection des corps, il est vrai que LES MORTS ENTENDRONT, c’est-à-dire obéiront A LA VOIX DU FILS DE DIEU 77. La voix, en effet, exprime ce que l’on conçoit intérieurement. Or la nature tout entière obéit radicalement à ce que Dieu veut et conçoit — Il appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont 78. Ainsi ce sont les arbres et les pierres, et non pas seulement les os des séchés et les cendres des morts, qui ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, en ce sens que tous obéiront radicalement à son bon plaisir. Et cela ne convient pas au Christ en tant qu’Il est Fils de l’homme, mais en tant qu’Il est Fils de Dieu, parce que c’est au Verbe de Dieu que toutes choses obéissent. C’est pourquoi Il dit expressément: DU FILS DE DIEU — Quel est celui-ci, disaient-ils, pour que les vents et la mer lui obéissent ? 79
Même si on rapporte ces paroles à la résurrection des âmes, les difficultés s’expliquent en effet, la voix du Fils de Dieu, par laquelle Il meut le coeur des croyants, intérieurement par inspiration, ou extérieurement par sa propre prédication ou celle des autres, a le pouvoir de donner la vie — Les paroles que je vous ai dites son esprit et vie 80—, et ainsi sa voix donne la vie aux morts lorsqu’elle justifie les impies. Ainsi, par ce que la voie qui mène à la vie est l’audition, qu’elle soit celle de la nature qui, en obéissant, mène à la restauration de la nature, ou celle de la foi qui mène à la restauration de la vie et de la justice, Il dit: ET CEUX QUI L’AURONT ENTENDUE, par l’obéissance quant à la résurrection des corps, ou par la foi quant à la résurrection des âmes, VIVRONT dans leurs corps dans la vie éternelle, et dans la justice dans la vie de la grâce.
80. Jean 6, 64.
"Car,
comme le Père a la vie en Lui-même, ainsi a-t-Il aussi donné au Fils d’avoir la
vie en Lui-même. 27 Et Il Lui a donné le pouvoir d’exercer le jugement, parce
qu’Il est le Fils de l’homme. Ne vous en étonnez pas, parce qu’elle vient,
l’heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de
Dieu; et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection
de vie; mais ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. Je
ne puis rien faire de moi-même. Comme j’entends, je juge; et mon jugement est
juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a
envoyé."
781. Plus haut [n° 755] le Seigneur a montré qu’Il avait la puissance de donner la vie et celle de juger, et Il a manifesté l’une et l’autre par leurs effets. Ici, Il montre comment l’une et l’autre puissances Lui reviennent; II le montre d’abord de la puissance de donner la vie [n° 782], puis de celle de juger [n° 784].
I
CAR,
COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS D’AVOIR LA
VIE EN LUI-MEME 1.
782. Il dit donc d’abord ceci: "Je dis que, comme le Père relève les morts, moi aussi je le fais, et celui qui écoute ma parole à la vie éternelle" 2 ; et si j’ai ce pouvoir de donner la vie, c’est parce que, COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS D’AVOIR LA VIE EN LUI-MEME.
A ce sujet il faut savoir que certains êtres vivent, mais n’ont pas la vie en eux-mêmes, comme le dit Paul Ce que je vis maintenant dans la chair, c’est dans la foi au Fils de Dieu que je le vis (...). Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi 3. Il vivait donc, non en lui-même, mais en un autre par qui il vivait. De même le corps vit, lui aussi, et cependant n’a pas la vie en lui-même, mais en l’âme par laquelle il vit. Celui-là donc A LA VIE EN LUI-MEME, qui a la vie essentielle et non participée, c’est-à-dire qui est Lui-même la vie. Or, en tout genre de réalités, celle qui est par essence est cause de celles qui sont par participation: par exemple, le feu est cause de tout ce qui est enflammé. Ce qui est par essence la vie est donc cause et principe de toute vie dans les vivants. Aussi, pour qu’une réalité soit le principe de la vie, faut-il qu’elle soit la vie par essence. C’est donc à juste titre que le Seigneur manifeste qu’Il est le principe de toute vie en disant qu’Il a LA VIE EN LUI-MEME, c’est-à-dire par essence, quand Il dit que, COMME LE PERE A LA VIE EN LUI MEME, c’est-à-dire, comme Il est vivant par essence, de même aussi le Fils. Donc, comme le Père est la cause première de la vie, ainsi son Fils l’est aussi.
Le Christ montre aussi l’égalité du Fils avec le Père quand Il dit: COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME; et leur distinction quand Il dit AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS D’AVOIR LA VIE EN LUI MEME. En effet, le Père et le Fils sont égaux dans la vie, mais Ils se distinguent en ceci, que le Père donne et que le Fils reçoit. Mais il ne faut pas comprendre par là que le Fils reçoive la vie du Père qui la Lui donnerait comme s’Il avait d’abord existé sans l’avoir 4, de la même manière que, dans les réalités inférieures, la matière première existant [en puissance] reçoit la forme, et le sujet est soumis à l’accident. Car il n’y a rien dans le Fils qui préexiste au don de la vie. En effet, comme le dit Hilaire, "le Fils n’a rien qui ne soit né" 5, c’est-à-dire qu’Il n’ait reçu par sa naissance, et puisque la vie même est en Lui, les paroles "le Père a donné au Fils la vie" doivent s’entendre ainsi: Le Fils, Il l’a engendré à la Vie 6. Comme si l’on disait que "l’esprit donne vie à la parole", non en ce sens que la parole préexisterait et recevrait ensuite la vie, mais parce que l’esprit a produit la parole dans la même vie dont lui vit.
783. Par ces paroles, toujours selon Hilaire 7, sont réfutées trois erreurs. D’abord celle des Ariens 8. Ceux-ci, tout en soutenant que le Fils est inférieur au Père, ont été contraints, par ce qui a été dit plus haut — Tout ce que [le Père] fait, cela le Fils aussi le fait pareillement 9—, de reconnaître que le Fils est égal au Père en puissance; cependant ils niaient encore qu’Il Lui soit égal dans sa nature. Mais voici que même sur ce point ils sont réfutés par ces paroles: COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU. FILS D’AVOIR LA VIE EN LUI-MEME. En effet, puisque la vie appartient à la nature, si le Fils a la vie en Lui-même comme le Père, il est manifeste qu’Il a en Lui la nature de Celui qui est son origine, nature semblable et égale au Père.
En second lieu, l’erreur des Ariens niant la coéternité du Fils avec le Père, et disant que le Fils avait commencé dans le temps, est réfutée par ces paroles LE FILS A LA VIE EN LUI-MEME. Car dans tous les vivants dont la génération a lieu dans le temps on peut toujours trouver quelque chose qui, à un moment donné, fut non vivant. Mais dans le Fils, tout ce qui est est la vie elle-même, et c’est pourquoi Il reçoit la vie elle-même de telle sorte qu’Il a la vie en Lui-même, si bien qu’Il a toujours été vivant.
Enfin, par les paroles IL A DONNE est réfutée l’erreur de Sabellius 10 qui niait la distinction des personnes. En effet, si le Père a donné au Fils la vie, il est manifeste qu’autre est le Père qui a donné, autre le Fils qui a reçu.
II
ET IL LUI A DONNE LE POUVOIR
D’EXERCER LE JUGEMENT, PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME. NE VOUS EN ETONNEZ
PAS, PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX
ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU; ET ILS EN SORTIRONT, CEUX QUI AU RONT FAIT
LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE; MAIS CEUX QUI AURONT FAIT LE MAL, POUR
UNE RESURRECTÏON DE JUGEMENT. JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME. COMME
J’ENTENDS, JE JUGE; ET MON JUGEMENT EST JUSTE, PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA
VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE.
784. Le Christ manifeste maintenant qu’Il a le pouvoir de juger. Il commence par manifester ce pouvoir de juger en indiquant son origine [n° 785], puis en montrant l’équité du jugement [n° 792], après quoi Il donnera l’explication de ce qu’Il vient de dire [n° 794].
ET IL LUI A DONNE LE POUVOIR
D’EXERCER LE JUGEMENT, PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOM ME. NE VOUS EN ETONNEZ
PAS, PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX
ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU.
785. Ces paroles peuvent se lire
de deux manières; l’une est celle de Chrysostome, l’autre celle d’Augustin.
786. Si on les lit comme le fait Chrysostome 11, elles se divisent en deux parties, le Christ montrant d’abord d’où Il tient son pouvoir de juger, puis excluant ensuite une difficulté [n° 787]. En effet, pour Chrysostome, le texte de Jean se ponctue ainsi IL LUI A DONNE LE POUVOIR D’EXERCER LE JUGEMENT. PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME, NE VOUS EN ETONNEZ PAS... La raison de cette ponctuation est que Paul de Samosate, un hérétique des premiers siècles qui soutenait, comme Photin 12, que le Christ n’était qu’un homme et avait commencé d’exister en la Vierge, ponctuait ainsi: IL LUI A DONNE LE POU VOIR D’EXERCER LE JUGEMENT PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME. NE VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTEN DRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Comme s’il en tendait par là qu’il avait été nécessaire de donner le pouvoir de juger au Christ PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire un homme seulement, à qui, de soi, il n’appartient pas de juger les hommes, de sorte que s’il juge il faut que le pouvoir de juger lui soit donné d’ailleurs.
Mais, pour Chrysostome, cela ne tient pas, parce que ce n’est pas du tout en accord avec ce qui est affirmé. En effet, si c’est parce qu’Il est homme que le Christ a reçu le pouvoir de juger, alors, pour la même raison, ce pouvoir ne Lui revient pas plus qu’aux autres hommes, puisque tout homme a [dans cette hypothèse] le pouvoir de juger, du seul fait de sa nature humaine. Ce n’est donc pas ainsi qu’il faut lire; on doit dire au contraire que c’est parce qu’Il est le Fils du Dieu ineffable qu’Il est aussi juge. C’est du reste bien ce qu’Il dit: non seulement le Père Lui a donné le pouvoir de donner la vie, mais encore IL LUI A DONNE LE POUVOIR, par la génération éternelle, D’EXERCER LE JUGEMENT, de même que par elle Il LUI A DONNE D’AVOIR LA VIE EN LUI-MEME — C’est Lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts 13. Pour Chrysostome, le Christ écarte donc ici une difficulté. Il la soulève en disant NE VOUS EN ETONNEZ PAS, puis Il l’exclut en disant PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE...
787. Une difficulté, en effet, s’élevait dans le coeur des Juifs: estimant que le Christ n’était rien de plus qu’un homme, et constatant qu’Il disait de Lui-même des choses qui surpassaient l’homme et même l’ange 14, ils s’étonnaient en L’entendant. Et c’est pourquoi Il dit NE VOUS EN ETONNEZ PAS, c’est-à-dire ne vous étonnez pas que j'aie dit que le Fils fait vivre les morts et a le pouvoir de juger précisément parce qu’IL EST LE FILS DE L’HOMME. C’est bien de cela qu’ils s’étonnaient, en effet: ne Le regardant que comme un homme, ils voyaient en Lui des oeuvres divines — Ils étaient dans l’étonnement: "Quel est celui-ci, disaient-ils, pour que les vents et la mer Lui obéissent?" 15 —. Le Christ donne alors la raison pour laquelle ils ne doivent pas s’étonner: Lui-même, qui est le FILS DE L’HOMME, est identiquement le FILS DE DIEU.
Bien que la proposition "Lui-même,
qui est le Fils de l’homme, est identiquement le Fils de Dieu" ne soit
pas exprimée, le Seigneur affirme cependant, comme le note Chrysostome 16, ce
dont cette proposition est la conséquence nécessaire. C’est ainsi que,
fréquemment, ceux qui procèdent par syllogismes dans leur enseignement
n’expriment pas ce qu’ils ont principalement l’intention de montrer, mais ce
qui s’ensuit nécessairement. Ainsi le Seigneur ne dit pas qu’Il est Lui-même le
Fils de Dieu, mais que le Fils de l’homme est tel qu’à sa voix tous les morts
ressuscitent; d’où il suit nécessairement qu’Il est le Fils de Dieu, car
ressusciter les morts est l’oeuvre propre de Dieu. Voilà pourquoi Il dit: NE
VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS
LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Cependant Il ne dit pas et
c’est maintenant 17, comme Il l’a dit plus
haut, et Il ne le dit pas parce que ce n’est pas encore l’heure 18. Notons aussi qu’Il dit ici TOUS, ce qu’Il n’avait pas dit plus
haut; parce que, dans la première résurrection, Il en ressuscita seulement
quelques-uns: Lazare, le fils de la veuve et la jeune fille 19; tandis
que, lors de la résurrection à venir, celle qui aura lieu au jour du jugement,
TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, et ils
ressusciteront — Ainsi parle le Seigneur Dieu: Voici que moi j’ouvrirai vos
tombeaux, et je vous tirerai de vos sépulcres 20.
788. Pour Augustin 21, il
faut lire en ponctuant ainsi: IL LUI A DONNE LE POUVOIR D’EXERCER LE JUGEMENT
PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME: NE VOUS EN ETONNEZ PAS... Selon cette
lecture, les paroles du Christ se divisent en deux parties dont la première
affirme le don fait au Fils de l’homme du pou voir de juger, et dont la seconde
manifeste ce don par le don d’un pouvoir plus grand encore [n° 790].
789. Au sujet de la première partie il faut se rappeler que plus haut le Christ (selon l’interprétation d’Augustin) a parlé de la résurrection des âmes, qui est réalisée par le Fils de Dieu, tandis qu’ici Il parle de la résurrection des corps qui est réalisée par le Fils de l’homme. Et parce que la résurrection universelle des corps doit avoir lieu au moment du jugement, Il commence ici par parler du jugement en disant: IL LUI A DONNE, à Lui le Christ, LE POUVOIR D’EXERCER LE JUGEMENT, et cela PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire selon sa nature humaine 22. C’est pourquoi également Il dit après sa résurrection Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre 23.
Or le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant qu’homme, pour trois raisons. D’abord pour qu’Il soit vu de tous. Il est nécessaire, en effet, que le juge soit vu de ceux qui doivent être jugés. Or bons et méchants seront jugés; les bons, eux, verront le Christ selon sa divinité et son humanité; mais les méchants ne pourront pas le voir selon sa divinité, car cette vision est la béatitude des saints 24 et elle est réservée aux coeurs purs Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu 25. C’est pourquoi, afin d’être vu lors du jugement, non seulement des bons, mais aussi des méchants, Il jugera dans sa forme humaine 26.
Tout oeil Le verra, et même ceux qui L’ont transpercé 27. Si le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant qu’homme, c’est aussi parce qu’Il a, par l’humilité de sa Passion, mérité la gloire de son exaltation. Aussi, comme le dit Augustin 28, de même que c’est celui qui a été mort qui est ressuscité, de même la forme qui jugera sera celle qui a été jugée, et siégera comme juge pour le jugement des hommes celui qui a comparu devant un juge homme. Il condamnera les vrais coupables, Lui qui fut faussement accusé — Ta cause a été jugée comme celle de l’impie; [mais] tu reprendras la cause et le jugement 29.
Enfin, le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant qu’homme pour nous faire comprendre la clémence du juge. En effet, que l’homme soit jugé par Dieu, cela nous apparaît très redoutable, car il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant 30 ; mais que l’homme ait pour juge un homme, voilà qui donne confiance. Aussi, pour que vous expérimentiez la clémence du juge, aurez-vous un homme pour juge — Nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, Lui qui a été éprouvé en tout d’une manière semblable à nous, hormis le péché 31.
Ainsi donc, le Père a donné au Christ LE POUVOIR D’EXERCER LE JUGEMENT PARCE QU’IL EST LE FILS DE L’HOMME.
790. Mais NE VOUS EN ETONNEZ PAS, car Il Lui a conféré un plus grand pouvoir, celui de ressusciter les morts. C’est pourquoi le Christ dit: PARCE QU’ELLE VIENT, L’HEURE, la dernière qui sera celle de la fin du monde (Il vient le temps, il est proche le jour de la tuerie 32), L’HEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Plus haut Il n’a pas dit TOUS, parce qu’Il parlait alors de la résurrection spirituelle, et que tous ne ressuscitèrent pas de cette résurrection-là lors de son premier avènement, car la foi n’est pas le fait de tous 33 ; alors qu’ici Il parle de la résurrection des corps, selon laquelle tous ressusciteront 34. Mais Il ajoute: CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX, ce qu’Il n’avait pas dit plus haut, car les âmes ne sont pas dans les tombeaux, mais seulement les corps, dont ce sera alors la résurrection 35. TOUS CEUX, donc, QUI SONT DANS LES TOM BEAUX, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU.
Cette voix sera un signe sensible du Fils de
Dieu, signe auquel tous ressusciteront: Le Seigneur Lui-même, au commandement
et à la voix de l’archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du
ciel; et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers... 36. En un
instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale (...), les morts
ressusciteront incorruptibles 37 — Au milieu de la nuit s’éleva un cri Voici l’époux qui vient,
sortez au-devant de lui 38. Et cette voix tiendra sa puissance de la divinité du Christ: Il
donnera à sa voix d’être une voix puissante 39.
791. Mais, comme on l’a noté plus haut [n° 762], Augustin dit que la résurrection des corps est réalisée par le Verbe fait chair, et la résurrection des âmes par le Verbe; il faut donc chercher comment comprendre cela. En effet, cela pourrait s’entendre de la cause première ou de la cause méritoire. S’il s’agit de la cause première, il est manifeste que la divinité du Christ est cause de la résurrection corporelle et spirituelle, c’est-à-dire de la résurrection des corps et des âmes — C’est moi qui fais mourir et moi qui fais vivre 40. Mais s’il s’agit de la cause méritoire, alors l’humanité du Christ, elle aussi, est cause de l’une et l’autre résurrection; car, par les mystères qui ont été accomplis dans la chair du Christ, nous sommes restaurés non seulement quant à nos corps pour une vie incorruptible, mais aussi quant à nos âmes pour une vie spirituelle — Il a été livré pour nos fautes et Il est ressuscité pour notre justification 41. Ce que dit Augustin ne semble donc pas vrai.
A cela il faut répondre qu’Augustin parle de la cause exemplaire, celle par laquelle ce qui reçoit la vie est conformé à celui qui la donne; car tout ce qui vit par un autre est conformé à celui par qui il vit. Or la résurrection des âmes ne consiste pas dans le fait que les âmes soient conformées à l’humanité du Christ, mais au Verbe, car c’est par le Verbe seul que vit l’âme. Voilà pourquoi Augustin dit que la résurrection des âmes est réalisée par le Verbe. Mais la résurrection des corps, elle, consistera en ce que nos corps seront conformés au corps du Christ par la vie de gloire, c’est-à-dire par la glorification des corps: Notre Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misère en le conformant à son corps de gloire 42. C’est pour cela qu’Augustin dit que la résurrection des corps est réalisée par le Verbe fait chair.
ET
ILS EN SORTIRONT, CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE;
MAIS CEUX QUI AURONT FAIT LE MAL, POUR UNE RESURRECTION DE JUGEMENT.
792. Le Christ montre ici
l’équité du jugement. Les bons seront récompensés, et c’est pourquoi Il dit:
ILS SORTIRONT, CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE,
c’est-à-dire pour vivre dans la gloire éternelle. Quant aux méchants, ils
seront condamnés: CEUX QUI AURONT FAIT LE MAL sortiront de leur tombeau POUR
UNE RESURRECTION DE JUGEMENT, c’est-à-dire qu’ils ressusciteront pour leur
condamnation — Ceux-ci s’en iront au châtiment éternel, et les justes à la vie
éternelle 43. Beaucoup de ceux qui
dorment dans la poussière de la terre se réveilleront: les uns pour la vie
éternelle, les autres pour l’opprobre qu’ils auront toujours devant les yeux 44.
793. Remarquons que plus haut, en parlant de la résurrection des âmes, le Christ dit que ceux qui auront entendu sa voix vivront 45, alors qu’ici Il dit qu’ils SORTIRONT. S’Il s’exprime ainsi, c’est à cause des méchants qui vont à leur condamnation, car leur vie ne doit pas être appelée une vie, mais plutôt une mort éternelle.
De même, plus haut, Il a fait mention de la foi seulement, en disant: Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement 46 mais ici, pour qu’on ne croie pas que la foi seule, sans les oeuvres, suffise au salut, Il fait mention des oeuvres bonnes 47 en disant CEUX QUI AU RONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE, comme s’Il disait Ce n’est pas celui qui croit uniquement, mais celui qui, ayant la foi, agit bien, qui sortira POUR UNE RESURRECTION DE VIE; car la foi sans les oeuvres est morte 48.
JE NE PUIS RIEN FAIRE DE
MOl-MEME. COMME J’ENTENDS, LE JUGE; ET MON JUGEMENT EST JUSTE, PARCE QUE JE NE
CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE, DE CELUI QUI M’A ENVOYE.
794. Le Christ explique
maintenant ce qu’Il vient de dire. Or II vient d’affirmer l’origine de son
pouvoir, puis l’équité du jugement. Il donne donc ici successivement la
justification de la première affirmation [n° 795], puis celle de la seconde [n° 796].
795. Au sujet de l’origine de son pouvoir, il faut savoir que ce qu’Il dit: JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME. COMME J’ENTENDS, JE JUGE, peut — là encore, selon Augustin 49— se lire de deux manières, suivant qu’on le rapporte au Fils de l’homme [n° 795-796] ou au Fils de Dieu [n° 797-798].
Rapportons-le d’abord au Fils de l’homme: "Tu
dis que tu as le pouvoir de ressusciter les morts, parce que tu es le Fils de
l’homme; mais ce pouvoir t’appartient-il en tant que tu es le Fils de
l’homme?" — "Non, car JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME. SELON QUE
J’ENTENDS, JE JUGE." Il ne dit pas "selon que je vois",
comme précédemment — Le Fils ne peut rien f aire de Lui-même si ce n’est ce
qu’Il a vu faire au Père 50— mais COMME J’ENTENDS. Car entendre est ici la même chose qu’obéir;
or obéir appartient à celui à qui on donne un commandement, tandis que
commander revient au supérieur. C’est pourquoi, parce que le Christ en tant
qu’homme est inférieur au Père, II dit COMME J’ENTENDS, c’est-à-dire selon ce
qui est inspiré par Dieu au plus intime de mon âme J’écouterai ce que dit en
moi le Seigneur Dieu 51. Mais plus haut, parce
qu’Il parlait de Lui en tant qu’Il est le Verbe de Dieu, Il a dit ce qu’Il a
vu.
796. En disant ensuite: MON JUGEMENT EST JUSTE, PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE, le Christ manifeste l’équité de son jugement. Il avait dit en effet CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN sortiront de leurs tombeaux POUR UNE RESURRECTION DE VIE. Mais on pourrait dire: Ne fera-t-Il pas grâce à certains en les punissant moins ou en les récompensant davantage? Aussi répond-Il que non, en disant: MON JUGEMENT EST JUSTE; et la raison en est que JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE.
Il y a en effet dans le Seigneur Jésus-Christ deux volontés: l’une, divine, qui ne fait qu’un avec celle du Père; l’autre, humaine, qui Lui est propre, comme il Lui est propre d’être homme. La volonté humaine se porte vers son bien propre; mais, dans le Christ, elle était dirigée et réglée par la rectitude de sa raison, de sorte qu’elle se conformait toujours en tout à la volonté divine. C’est pourquoi Il dit: JE NE CHERCHE PAS à accomplir MA VOLONTE propre, qui d’elle-même est inclinée vers son bien propre, MAIS LA VOLONTE DE CE LUI QUI M’A ENVOYE, le Père — En tête du livre il a été écrit de moi que j’accomplisse ta volonté; mon Dieu, je l’ai voulu 52. — Non pas comme je veux, mais comme tu veux 53.
Si l’on considère attentivement ces paroles du Seigneur, on voit qu’Il donne ici la raison vraie du jugement juste en disant: PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE 54. Car le jugement de quelqu’un n’est pas injuste quand il s’exerce selon la règle de la loi. Or la volonté divine est la règle et la loi de la volonté créée; c’est pourquoi la volonté créée et la raison qui sont réglées selon la règle de la volonté divine sont justes, et leur jugement est juste 55.
797. On peut aussi entendre ce que dit ici le Christ en le rapportant au Fils de Dieu [n° 795], sans changer la division donnée préalablement [n° 794]. Le Christ, parlant en tant que Verbe et manifestant l’origine de son pouvoir, a donc dit JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME, de la même manière qu’Il a déclaré plus haut: Le Fils ne peut rien faire de Lui-même si ce n’est ce qu’il a vu faire au Père 56. En effet, son agir et son pouvoir sont son être; or son être, Il le tient d’un autre, c’est-à-dire du Père; et c’est pourquoi, de même qu’Il n’est pas par Lui-même, ainsi Il ne peut rien faire de Lui-même: Je ne fais rien de moi-même 57.
Quant à la parole: COMME J’ENTENDS, JE JUGE, elle doit s’expliquer de la même manière que celle qui a été dite plus haut: Si ce n’est ce qu’Il a vu faire au Père. En effet, en ce qui nous concerne, nous acquérons la science ou la connaissance par la vue et par l’ouïe (car ce sont ces deux sens qui servent le plus à l’enseignement); mais parce qu’en nous, autre est la vue, autre l’ouïe, nous acquérons la science d’une manière par la vue, en découvrant, et d’une autre par l’ouïe, en apprenant d’un autre. Mais dans le Fils de Dieu, la vue et l’ouïe ne font qu’un 58. C’est pourquoi, que l’on dise: "Il entend" ou "Il voit", le sens est le même en ce qui concerne l’acquisition de la science. Et parce qu’en toute nature douée d’intelligence, le jugement procède de la science, Il dit d’une manière expressive: COMME J’ENTENDS, JE JUGE, c’est-à-dire: comme j’ai reçu du Père la connaissance avec l’être, simultanément [dans l’éternité], ainsi JE JUGE — Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître 59.
798. Enfin, manifestant l’équité de son jugement, Il dit: MON JUGEMENT EST JUSTE; et la raison en est que JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE.
Mais le Père et le Fils n’ont-Ils pas la même volonté? A cela il faut répondre qu’Ils ont certes la même volonté, mais que le Père ne tient pas sa volonté d’un autre, tandis que le Fils la tient d’un autre, le Père 60. Ainsi donc le Fils accomplit sa volonté comme celle d’un autre, c’est-à-dire comme la tenant d’un autre, tandis que le Père l’accomplit comme la sienne propre en ce sens qu’Il ne la tient pas d’un autre. C’est pourquoi le Christ dit: JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, celle qui serait mienne parce qu’elle aurait son origine en moi-même, mais celle qui me vient d’un autre, le Père.
31"
Si c’est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas vrai.
Il y en a un autre qui rend témoignage de moi, et je sais qu’il est vrai, le
témoignage qu’il rend de moi. Vous, vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu
témoignage à la vérité. Pour moi, ce n’est pas d’un homme que je reçois le
témoignage; mais je dis cela pour que vous soyez sauvés. Celui-là était la
lampe qui brûle et qui brille, et vous avez voulu exulter un moment à sa
lumière. Pour moi, j’ai un témoignage plus grand que Jean; car les oeuvres que
le Père m’a données pour que je les accomplisse, ces oeuvres mêmes que je fais,
rendent témoignage de moi, que c’est le Père qui m’a envoyé. Et le Père qui m’a
envoyé a rendu Lui-même témoignage de moi. Vous n’avez jamais entendu sa voix,
ni vu son visage, et vous n’avez pas sa parole demeurant en vous, parce que
vous ne croyez pas à Celui qu’Il a envoyé. Vous scrutez les Ecritures parce que
vous pensez, vous, qu’en elles vous avez la vie éternelle; et ce sont elles qui
rendent témoignage de moi. 40 Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la
vie."
799. Après avoir donné son enseignement sur la puissance qu’a le Fils de donner la vie, le Christ confirme maintenant cet enseignement. Il commence par confirmer, en faisant appel à plusieurs témoignages, ce qu’Il avait dit de l’éminence de sa puissance [n° 800], puis Il reproche aux Juifs leur lenteur à croire [n° 825].
Pour confirmer son enseignement, Il montre d’abord la nécessité de faire intervenir un témoignage [n° 800], puis Il produit les témoignages eux-mêmes [n° 801].
I
SI C’EST MOI QUI RENDS
TEMOIGNAGE DE MOI MEME, MON TEMOIGNAGE N’EST PAS VRAI.
800. Si le Christ montre ainsi la nécessité de produi re un témoignage, c’est à cause des Juifs, qui ne croyaient pas en Lui. Mais ce qu’Il dit ici a quelque chose de sur prenant. En effet, puisque le Seigneur dit plus loin qu’Il est Lui-même la vérité 1, comment donc son témoignage ne serait-il pas vrai, s’Il est la vérité? Ou à qui croira-t on, si on ne croit pas à la vérité? C’est pourquoi il faut répondre, selon Chrysostome, que le Seigneur parle ici de Lui en fonction de l’opinion des autres, de sorte que ses paroles signifient SI C’EST MOI QUI RENDS TEMOIGNAGE DE MOI-MEME, MON TEMOIGNAGE N’EST PAS VRAI de votre point de vue, puisque vous n’acceptez ce que je dis de moi-même que si cela est confirmé par un autre témoignage: C’est toi qui te rends témoignage; ton témoignage n’est pas vrai 2.
II
IL Y EN A UN AUTRE QUI REND
TEMOIGNAGE DE MOI, ET JE SAIS QU’IL EST VRAI, LE TEMOIGNAGE QU’IL REND DE MOI.
VOUS, VOUS AVEZ ENVOYE VERS JEAN, ET IL A RENDU TEMOIGNAGE A LA VERITE. POUR
MOI, CE N’EST PAS D’UN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE; MAIS JE DIS CELA POUR
QUE VOUS SOYEZ SAUVES. CELUI-LA ETAIT LA LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS
AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE. POUR MOI, J’AI UN TEMOIGNAGE PLUS
GRAND QUE JEAN; CAR LES OEUVRES QUE LE PE RE M’A DONNEES POUR QUE JE LES
ACCOMPLISSE, CES OEUVRES MEMES QUE JE FAIS, RENDENT TE MOIGNAGE DE MOI, QUE
C’EST LE PERE QUI M’A ENVOYE. ET LE PERE QUI M’A ENVOYE A RENDU LUI-MEME
TEMOIGNAGE DE MOI. VOUS N’AVEZ JA MAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE, ET
VOUS N’AVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN VOUS, PARCE QUE VOUS NE CROYEZ PAS A
CELUI QU’IL A ENVOYE. VOUS SCRUTEZ LES ECRITURES PARCE QUE VOUS PENSEZ, VOUS,
QU’EN ELLES VOUS AVEZ LA VIE ETERNELLE; ET CE SONT ELLES QUI RENDENT TEMOIGNAGE
DE MOI. ET VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE.
801. Le Christ produit maintenant les témoignages eux-mêmes: un témoignage humain [n° 801] et un témoignage divin [n° 814] 3. En ce qui concerne le témoignage de Jean, dont II dira plus loin pourquoi Il l’invoque [n° 807], le Christ présente d’abord le témoin [n° 800], puis attire l’attention des Juifs sur la valeur de son témoignage [n° 803].
IL Y EN A UN AUTRE QUI ME REND
TEMOIGNAGE.
802. Le Christ présente donc ici le témoin. Cet autre, selon Chrysostome 4, c’est Jean-Baptiste, dont il est dit plus haut: il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui 5.
ET JE SAIS QU’IL EST VRAI, LE
TEMOIGNAGE QU’IL REND DE MOI. VOUS, VOUS AVEZ ENVOYE VERS JEAN, ET IL A RENDU
TEMOIGNAGE A LA VERITE.
803. Le Christ attire maintenant
l’attention des Juifs sur la valeur du témoignage de Jean; d’abord en
soulignant la vérité de ce témoignage [n° 804], puis en rappelant
l’autorité de Jean: les Juifs, en effet, avaient fait appel à lui [n° 806].
804. Le Christ souligne la
vérité du témoignage de Jean en disant: ET JE SAIS, c’est-à-dire je tiens pour
certain, QU’IL EST VRAI LE TEMOIGNAGE que me rend Jean. Son père Zacharie avait
en effet prophétisé ainsi à son sujet: Tu marcheras devant la face du Seigneur
pour préparer ses voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut 6. Or il est manifeste qu’un témoignage menteur n’est pas porteur de
salut, mais de mort; car le mensonge est une cause de mort: La bouche qui ment
tue l’âme 7. Si donc le témoignage de Jean doit donner la connaissance du
salut, son témoignage est vrai.
805. La Glose 8 explique ces paroles autrement. Plus haut, le Christ a parlé de Lui en tant que Dieu, mais ici Il parle en tant qu’homme; le sens de ses paroles est alors: SI MOI, en tant qu’homme, JE ME RENDS TE MOIGNAGE sans Dieu, c’est-à-dire si Dieu le Père ne témoigne pas, alors MON TEMOIGNAGE N’EST PAS VRAI; en effet, la parole humaine, si elle n’est pas sou tenue par Dieu, n’a aucune vérité, car Dieu est vrai, mais tout homme est menteur 9. C’est pourquoi, si nous concevons le Christ comme un homme séparé de la divinité et non conforme à elle, alors il y a mensonge à la fois dans son essence et dans ses paroles 10. Même si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai 11; parce que je ne suis pas seul, mais il y a moi et le Père qui m’a envoyé 12. Ainsi, parce qu’Il n’était pas seul, mais avec le Père, son témoignage est vrai.
C’est pourquoi, afin de montrer que son témoignage tient sa vérité, non de son humanité comme telle, mais de son humanité en tant qu’elle est conjointe à la divinité et au Verbe de Dieu, Il dit: IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TEMOIGNAGE DE MOI. Et cet autre, selon cette interprétation, n’est pas Jean; car si le témoignage que le Christ homme se rend à Lui-même n’est ni vrai ni efficace, le témoignage de Jean le sera encore bien moins. Ce n’est donc pas le témoignage de Jean qui attes te la vérité de ce que dit le Christ, mais celui du Père. Il faut donc entendre que cet AUTRE qui rend témoignage au Christ est le Père. ET JE SAIS QU’IL EST VRAI, LE TEMOIGNAGE QU’IL REND DE MOI, car Il est Lui-même la Vérité; Dieu est lumière, c’est-à-dire vérité, et il n’y a pas en Lui de ténèbres 13, c’est-à-dire de mensonges. Cependant la première interprétation; celle de Chrysostome, est plus littérale.
806. Le Christ attire maintenant l’attention des Juifs sur la valeur du témoignage de Jean en rappelant son autorité ils avaient fait eux-mêmes appel à lui. VO US, dit-Il, VOUS AVEZ ENVOYE VERS JEAN — comme pour dire: Moi, JE SAIS QU’IL EST VRAI, son témoignage, mais vous non plus ne devez pas le rejeter, car c’est à cause de la grande autorité dont il jouissait par mi vous que vous êtes allés chercher auprès de Jean un témoignage sur moi, ce que vous n’auriez pas fait si vous ne l’aviez pas jugé digne de foi 14 — De Jérusalem, les Juifs lui envoyèrent des prêtres et des lévites pour l’interroger 15 Et Jean A RENDU alors TEMOIGNAGE non à lui-même, mais A LA VERITE, c’est-à-dire à moi. Comme un ami de la vérité, il a rendu témoignage à la vérité qui est le Christ. Il confessa, il ne nia pas, il confessa: "Je ne suis pas le Christ" 16
POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN
HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE, MAIS JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES.
CELUI-LA ETAIT LA LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN
MOMENT A SA LUMIERE.
807. Le Christ donne ici la vraie raison pour la quelle Il invoque le témoignage de Jean. Il exclut d’abord une raison que l’on pourrait conjecturer [n° 808], puis Il donne la vraie raison [n° 810].
POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN
HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
808. On pourrait croire en effet qu’en invoquant le témoignage de Jean, le Christ cherchait une garantie à son propre témoignage en raison de son insuffisance. Aussi exclut-Il cette conjecture en disant: POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
Notons ici que, dans les sciences, on prouve une chose tantôt par quelque chose qui est moins intelligible en soi mais plus intelligible pour nous, tantôt par quel que chose qui est plus intelligible en soi et absolument. Dans le cas présent, il fallait prouver que le Christ était Dieu. Et bien que la vérité du Christ soit, en elle-même et absolument, plus intelligible, elle est néanmoins prouvée par le témoignage de Jean qui, pour les Juifs, était plus intelligible. Le Christ, en Lui-même, n’avait donc pas besoin du témoignage de Jean. Voilà pourquoi Il dit: POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
809. Mais cette parole du Christ semble être contre dite par ce que dit l’Ecriture: Vous êtes mes témoins, dit le Seigneur 17; et: Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre 18. Comment donc dit-Il ici: POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE?
Il faut répondre que ces paroles peuvent s’entendre de plusieurs manières. On peut d’abord les comprendre de la manière suivante: CE N’EST PAS D’UN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE, comme si je me contentais de lui seul, mais j’ai un témoignage plus grand, qui est divin — Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous 19, dit Paul; et Jérémie: Seigneur, Tu le saisi je n’ai pas désiré le jour de l’homme 20, c’est-à-dire être glorifié par les hommes. Ou encore: Je ne reçois pas le témoignage D’UN HOMME, c’est-à-dire: en tant que celui qui témoigne est un homme, mais en tant qu’il est éclairé par Dieu pour témoigner — Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière 21. Nous n’avons pas, dit Paul, cherché la gloire qui vient des hommes 22. Et plus loin le Christ dira: Pour moi, je ne cherche pas ma gloire 23. Ainsi, dit-Il ici, je reçois le témoignage de Jean, non en tant qu’il fut un homme, mais en tant qu’il fut envoyé de Dieu et éclairé par Lui pour témoigner 24.
Enfin, et c’est la meilleure interprétation: POUR MOI, CE N’EST PAS D’UN HOMME, c’est-à-dire d’un témoignage humain, QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE; car je n’admets aucune autorité si ce n’est celle de Dieu, qui manifeste ma gloire 25.
MAIS
JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES.
810. Le Christ donne maintenant aux Juifs la vraie raison pour laquelle Il se réfère au témoignage de Jean leur salut. Il commence par donner la raison [n° 810], puis Il l’explicite [n° 811].
Cette vraie raison de faire appel au témoignage de Jean était que, grâce à ce témoignage, les Juifs seraient sauvés en croyant au Christ. C’est pourquoi Il dit: Je ne reçois pas le témoignage de Jean pour moi, MAIS JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES. — Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés 26 ; et le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs 27.
CELUI-LA ETAIT LA LAMPE QUI
BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE.
811. Le Seigneur explique ici
les paroles POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES: Vous serez sauvés parce que je fais intervenir
un témoignage que vous avez accepté. En disant: CELUI-LA ETAIT LA LAMPE QUI
BRULE ET QUI BRILLE, Il souligne que Jean jouissait de la considération des
Juifs 28. Il montre d’abord que Jean fut un témoin digne en lui-même de
confiance [n° 812], et montre ensuite comment il fut jugé tel par les Juifs [n° 813].
812. Que Jean ait été un témoin digne en lui-même de confiance, le Christ le montre en mentionnant trois qualités qui faisaient de lui un témoin accompli. La première relève de la condition de sa nature: Il ETAIT LA LAMPE; la seconde concerne la perfection de son amour: QUI BRULE; et la troisième, la perfection de son intelligence ET QUI BRILLE.
Jean était parfait dans sa nature parce qu’il ETAIT LA LAMPE, c’est-à-dire qu’il était illuminé de la vraie lumière du Verbe de Dieu. La lampe, en effet, diffère de la lumière, car la lumière est ce qui éclaire par soi-même, tandis que la lampe n’éclaire pas par elle-même, mais par participation à la lumière 29. Or la vraie lumière est le Christ, comme il est dit plus haut Il était la lumière, la vraie 30. Jean, lui, n’était pas la lumière 31, mais une LAMPE, car il était éclairé pour rendre témoignage à la lumière 32 en conduisant au Christ. C’est de cette lampe qu’il est dit: J’ai préparé une lampe pour mon Christ 33.
Jean était aussi brûlant et fervent dans son amour, et c’est pourquoi le Seigneur dit QUI BRULE. Certains, en effet, sont lampes seulement quant à leur fonction, et sont des lampes éteintes quant à leur amour. Car de même qu’une lampe ne peut éclairer si elle ne brûle, de même une lampe spirituelle n’éclaire que si d’abord elle est ardente 34 et enflammée du feu de la charité. Aussi l’ardeur est-elle mentionnée ici avant l’illumination, car c’est par l’ardeur de la charité qu’est donnée la connaissance de la vérité: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure 35. Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître 36. Vous qui craignez le Seigneur, aimez-Le, et vos coeurs seront illuminés 37.
Le feu a en effet deux propriétés: il brûle et il brille; et l’ardeur du feu signifie l’amour pour trois raisons. D’abord parce que, de tous les corps, le feu est le plus actif, et que telle est aussi l’ardeur de la charité, au point que rien ne peut arrêter son élan, comme le dit l’Apôtre La charité du Christ nous presse 38. Ensuite parce que, comme le feu, étant ce qui affecte le plus nos sens, est cause d’un très grand échauffement, ainsi la charité est cause d’ardeur en l’homme jusqu’à ce qu’il obtienne ce vers quoi il tend. Les lampes [de l’amour] sont des lampes de feu et de flammes 39. Enfin, comme le feu s’élève, de même la charité, au point qu’elle nous unit à Dieu: Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui 40.
Jean, enfin, BRILLE dans son intelligence. Il brille intérieurement par la connaissance de la vérité Le Seigneur (...) remplira ton âme d’une lumière éclatante 41, c’est-à-dire qu’Il illuminera intérieurement ton âme. Et il brille intérieurement par la prédication — Au milieu d’une nation dépravée et perverse, parmi laquelle vous brillez comme des astres dans le monde, gardant la parole de vie 42— et par la manifestation des oeuvres bonnes: Que votre lumière brille devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos oeuvres bonnes et glorifient votre Père qui est dans les cieux 43.
813. Ainsi, parce que Jean était en lui-même digne d’estime, car il E TAIT LA LAMPE non éteinte, mais QUI BRULE, non obscure, mais QUI BRILLE, il est juste qu’il soit aussi estimé de vous. Et il en fut certes ainsi, puisque VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE. C’est très justement que le Christ unit ici l’exultation à la lumière, car ce qui fait exulter l’homme, c’est ce en quoi il trouve le plus de joie; or rien, dans les réalités physiques, n’est plus agréable que la lumière: Douce est la lumière, et il est agréable aux yeux de voir le soleil 44.
Et le Seigneur dit: VOUS AVEZ VOULU EXULTER en vous reposant en lui et en mettant en lui votre fin, croyant qu’il était le Christ; mais seulement UN MOMENT, car vous avez été instables 45: voyant Jean conduire les hommes à un autre et non à lui-même, vous vous êtes détournés de lui. C’est pourquoi Lui-même dit ailleurs que les Juifs n’ont pas cru en Jean 46. Ils sont en effet de ceux dont il est dit qu’ils croient pour un temps 47.
814. Le Christ apporte maintenant le témoignage divin [n° 816], en commençant par montrer sa grandeur [n° 815].
POUR
MOI, J’AI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN.
815. Il dit donc d’abord ceci:
Ce n’est pas pour moi que je reçois LE TEMOIGNAGE D’UN HOMME, mais pour vous.
En effet, POUR MOI J’AI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN, c’est-à-dire plus
grand que le témoignage de Jean: celui de Dieu — Si nous recevons le témoignage
des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand 48 —, plus grand, dis-je, à cause de
sa plus grande autorité, de sa connaissance plus élevée et de sa vérité plus
infaillible, car Dieu ne peut mentir: Dieu n’est pas comme un homme, pour qu’Il
mente 49.
816. Le Christ expose ensuite le témoignage de Dieu: CAR LES OEUVRES QUE LE PERE M’A DONNEES POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE, CES OEUVRES MEMES QUE JE FAIS, RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI, QUE C’EST LE PERE QUI M’A ENVOYE.
Dieu a rendu témoignage au Christ de trois
manières: par les oeuvres, par Lui-même et par les Ecritures. C’est pourquoi le
Christ expose successivement comment Dieu Lui rend témoignage par les oeuvres
miraculeuses [n° 817], puis par Lui-même [n°
818], enfin par les Ecritures [n° 822].
817. Il dit donc d’abord: POUR MOI, J’AI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN quant aux oeuvres, car ce sont des oeuvres miraculeuses QUE LE PERE M’A DONNEES POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE.
Notons ici qu’il est naturel à l’homme de connaître la puissance et la nature des réalités par leurs opérations; c’est donc à juste titre que le Seigneur dit qu’Il peut être connu tel qu’Il est par les oeuvres qu’Il accomplit. Ainsi, puisqu’Il accomplissait par sa propre puissance des oeuvres divines, on devait croire qu’il y avait en Lui une puissance divine — Si je n’avais fait parmi eux les oeuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché 50, qui est ici le refus de croire. Ainsi le Christ nous amène à la connaissance de Lui-même par les oeuvres dont Il dit LES OEUVRES QUE LE PERE M’A DONNEES, à moi le Verbe, en me donnant par la génération éternelle une puissance égale à la sienne; ou bien QUE LE PERE M’A DONNEES, dans la conception [de mon humanité], en me donnant d’être une unique personne divine et humaine, POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE, c’est-à-dire pour que je les réalise par ma propre puissance 51. Et s’Il dit cela, c’est pour se distinguer de ceux qui font des miracles non par leur propre puissance, mais en les obtenant de Dieu par la prière — Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, disait Pierre, lève-toi et marche 52. Ce ne sont pas eux qui les accomplis sent, mais Dieu; le Christ, au contraire, les accomplis sait par sa propre puissance: Lazare, sors ! 53 C’est pour quoi Il dit: CES OEUVRES MEMES QUE JE FAIS RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI; et plus loin: Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, quand vous ne voudriez pas me croire, croyez aux oeuvres 54. Que les oeuvres miraculeuses soient des témoignages de Dieu, l’Ecriture le dit: [les Apôtres] prêchèrent partout, le Seigneur oeuvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui l’accompagnaient 55.
ET LE PERE QUI M’A ENVOYE A
RENDU LUI-MEME TEMOIGNAGE DE MOI. VOUS N’AVEZ JAMAIS £N TENDU SA VOIX, NI VU
SON VISAGE, ET VOUS N’AVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN VOUS, PARCE QUE VOUS NE
CROYEZ PAS A CELUI QU’IL A ENVOYE.
818. Le Christ montre maintenant
comment Dieu Lui-même Lui a rendu témoignage; et Il expose d’abord le mode de
ce témoignage [n° 819], puis Il montre que les Juifs ne sont pas capables de recevoir un
tel témoignage [n° 820].
819. Le Seigneur dit donc: non seulement LES OEU VRES QUE LE PERE M’A DONNEES RENDENT TE MOIGNAGE DE MOI, mais le PERE QUI M’A ENVOYE A RENDU LUI-MEME TEMOIGNAGE DE MOI: au Jourdain quand le Christ fut baptisé, et sur la montagne lors qu’Il fut transfiguré. En ces deux circonstances, en effet, la voix du Père se fit entendre: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance 56. Voilà pourquoi il faut croire en Lui, comme au vrai Fils de Dieu par nature 57. Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand; car tel est le témoignage de Dieu, qui est plus grand: Il a témoigné au sujet de son Fils. Ainsi, celui qui ne croit pas qu’Il est le Fils de Dieu ne croit pas au témoignage de Dieu.
820. Mais on pourrait dire qu’à d’autres aussi Dieu a rendu Lui-même témoignage: par exemple à Moïse sur la montagne. Là, cependant, tous L’entendaient; tan dis que nous, nous n’avons pas entendu son témoignage, et c’est pourquoi le Seigneur dit: VOUS N’AVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE.
Il est dit cependant: Y a-t-il jamais eu chose semblable, ou a-t-il jamais été connu qu’un peuple ait entendu la voix de Dieu parlant du milieu du feu, comme tu l’as entendue, et soit resté vivant? 59 Pourquoi donc le Christ dit-Il maintenant: VOUS N’AVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX? Je réponds, avec Chrysostome, que le Seigneur, les amenant à une considération philosophique, veut leur montrer que Dieu peut témoigner en faveur de quelqu’un de deux manières: d’une manière sensible et d’une manière spirituelle 60.
D’une manière sensible, comme par une voix seulement sensible; c’est ainsi qu’Il a témoigné par Moïse au mont Sinaï: Le Seigneur vous parla du milieu du f eu. Vous avez entendu la voix de ses paroles, mais de forme, vous n’en avez vu aucune 61 ; ou par une forme sensible, comme lorsqu’Il apparut à Abraham 62 ; et à Isaïe: Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 63. Toutefois, dans ces visions, ni la voix corporelle, ni la figure de Dieu n’existent comme celles d’un vivant, mais elles agissent en tant que formées par Dieu; en effet, puisqu’Il est esprit, Dieu n’émet pas de voix sensible et Il ne peut être représenté.
D’une manière spirituelle, Il témoigne en inspirant au coeur de certains ce qu’ils doivent croire et à quoi ils doivent s’attacher: J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 64. — Je la conduirai au désert, et là je parlerai à son cœur 65.
Vous avez donc été capables de recevoir le premier mode de témoignage, et ce n’est pas étonnant, car ces voix et ces formes ne furent de Dieu que selon l’ordre de l’efficience, comme on l’a dit. Mais vous n’avez pas reçu le témoignage de sa voix spirituelle: VOUS N’AVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX, c’est-à-dire: vous n’y avez pas eu part. Quiconque écoute le Père et se laisse instruire vient à moi 66, mais vous, vous n’êtes pas venus à moi, vous n’avez donc JAMAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE, c’est-à-dire: vous n’avez pas reçu ce témoignage spirituel. C’est pourquoi le Seigneur ajoute: VOUS N’AVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN VOUS, c’est-à-dire: vous n’avez pas en vous cette parole inspirée intérieurement. Et la raison en est que VOUS NE CROYEZ PAS au Fils que le Père A ENVOYE. En effet, la parole (verbum) de Dieu conduit au Christ, car le Christ Lui-même est par nature la Parole, le Verbe de Dieu. Or toute parole inspirée par Dieu est une certaine similitude participée du Verbe de Dieu. Donc, puisque toute similitude participée conduit à son principe, il est manifeste que toute parole inspirée par Dieu conduit au Christ. Ainsi, puisque vous n’êtes pas conduits à moi, VOUS N’AVEZ PAS LA PAROLE de Dieu, inspirée par Lui, DEMEURANT EN VOUS. Quiconque ne croit pas en le Fils de Dieu n’a pas la vie demeurant en lui 67. S’Il dit DEMEURANT, c’est parce que, bien qu’il n’y ait personne qui ne possède quelque vérité venant de Dieu, seuls ont la vérité et la parole de Dieu DEMEURANT en eux ceux en qui la connaissance progresse au point de les conduire à la connaissance du Verbe véritable et substantiel 68.
821. Ou bien, en disant qu’ils n’ont JAMAIS ENTENDU SA VOIX, le Christ fait allusion aux trois manières dont Dieu révèle quelque chose à quelqu’un. Ce peut être par une voix sensible: ainsi le Père a rendu témoignage au Christ au Jourdain et sur la montagne, comme le dit Pierre: [nous avons été] témoins oculaires de sa grandeur. Car Il reçut de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque de la gloire majestueuse Lui parvint cette voix: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis ma complaisance: écoutez-Le" 69. Et cette voix, les Juifs ne l’ont pas entendue. Ou bien par la vision de son essence qu’Il révèle aux bienheureux; et cette vision, les Juifs ne l’ont pas; en effet, tant que nous sommes dans ce corps, nous pérégrinons loin du Seigneur; car c’est par la foi que nous marchons, et non par une claire vision 70. Ou bien le Seigneur se révèle en inspirant intérieurement une parole; et même cela, ils ne l’avaient pas.
VOUS SCRUTEZ LES ECRITURES,
PARCE QUE VOUS PENSEZ AVOIR EN ELLES LA VIE ETERNELLE; ET CE SONT ELLES QUI ME
RENDENT TEMOIGNAGE. ET VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE.
822. Le Christ expose ici la
troisième manière dont Dieu Lui a rendu témoignage par les Ecritures. Il
introduit d’abord le témoignage des Ecritures [n° 823], pour montrer ensuite que
les Juifs sont incapables de recevoir le fruit de ce témoignage [n° 824].
823. Il leur dit donc: VOUS SCRUTEZ LES ECRI TURES, comme pour dire: c’est dans les Ecritures et non pas dans votre coeur que vous avez la parole de Dieu, et c’est pourquoi il vous faut chercher ailleurs: VOUS SCRUTEZ donc LES ECRITURES, c’est-à-dire l’Ancien Testament. En effet, la foi au Christ était contenue dans l’Ancien Testament, mais elle n’y était pas en surface: elle était dans ses profondeurs, cachée sous le voile des figures 71: Jusqu’à ce jour, lorsqu’ils lisent Moise, un voile est posé sur leur coeur. C’est pourquoi le Seigneur emploie l’expression VOUS SCRUTEZ, qui signifie "vous cherchez en profondeur" — Si tu cherches [la Sagesse] comme l’argent, et que tu creuses pour la trouver, comme les trésors, alors tu comprendras la crainte du Seigneur et tu trouveras la science de Dieu 73. Donne-moi l’intelligence et je scruterai ta loi, et je la garderai de tout mon coeur 74.
Et pour quelle raison scrutez-vous les Ecritures? A cause de cette opinion que vous avez: VOUS PENSEZ AVOIR EN ELLES LA VIE ETERNELLE, d’après ce que dit Ezéchiel Parce qu’il a gardé tous mes préceptes et les a pratiqués, il vivra 75. Mais vous avez été trompés; car, bien qu’ils donnent la vie, les préceptes de l’ancien ne Loi n’ont cependant pas la vie en eux-mêmes on ne dit qu’ils donnent la vie que dans la mesure où ils conduisent à moi, le Christ. Vous, pourtant, vous en usez comme s’ils avaient la vie en eux-mêmes, et c’est ce qui vous a trompés. En effet, ces Ecritures, CE SONT ELLES QUI RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI, c’est-à-dire qu’elles donnent la vie dans la mesure où elles conduisent à me connaître. Soit par des prophéties manifestes, comme celles-ci: Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel 76; et Le Seigneur ton Dieu te suscitera, de ta nation et d’entre tes frères, un prophète comme moi c’est lui que tu écouteras 77. Et c’est pourquoi il est dit que c’est à Lui que tous les prophètes rendent témoignage 78. Soit par les actions mystérieuses des prophètes, et c’est pourquoi il est dit Par la main des prophètes j’ai été représenté 79. Soit par des sacrements et des figures, comme l’immolation de l’agneau et les autres sacrifices figuratifs de l’ancienne Loi: La Loi a l’ombre des biens à venir, non l’image même des réalités 80. Les Ecritures de l’Ancien Testament rendent donc témoignage au Christ de multiples manières, et c’est pourquoi l’Apôtre dit: Dieu avait promis auparavant [l’Evangile] par ses prophètes dans les saintes Ecritures, au sujet de son Fils, issu de la race de David selon la chair 81.
ET
VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE
824. Mais ce fruit que vous pensez trouver dans les Ecritures, c’est-à-dire LA VIE ETERNELLE, vous ne pourrez l’obtenir; parce que, ne croyant pas aux témoignages de l’Ecriture à mon sujet, VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI, c’est-à-dire: vous ne voulez pas croire en moi, en qui se trouve le fruit de ces Ecritures, POUR AVOIR en moi LA VIE que moi je donne à ceux qui croient en moi: Mes brebis écoutent ma voix (...) et elles me suivent; et moi je leur donne la vie éternelle 82. La Sagesse insuffle la vie à ses fils 83. Celui qui m’aura trouvée trouvera la vie et puisera le salut dans le Seigneur 84.
41"
Je ne reçois pas de gloire venant des hommes; mais j’ai reconnu que vous n’avez
pas en vous l’amour de Dieu. Moi, je suis venu au nom de mon Père, et vous ne
me recevez pas; qu’un autre vienne en son nom propre, celui-là vous le
recevrez. Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des
autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul? Ne pensez pas
que c’est moi qui vous accuserai auprès du Père celui qui vous accuse, c’est
Moïse, en qui vous espérez. En effet, si vous croyiez à Moïse, vous croiriez
peut-être à moi aussi, car c’est moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas
à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles?"
825. Après avoir confirmé l’éminence de sa puissance par les témoignages des hommes, de Dieu et des Ecritures [n° 799], le Seigneur reproche maintenant aux Juifs leur lenteur à croire.
Les Juifs Le persécutaient pour deux motifs parce qu’Il avait rompu le sabbat, en quoi Il semblait s’opposer à la Loi, et parce qu’Il se disait Fils de Dieu, en quoi Il semblait s’opposer à Dieu. Ainsi les Juifs paraissaient poursuivre le Christ en raison de leur respect religieux pour Dieu et du zèle qu’ils avaient pour la Loi de Moïse. Aussi le Seigneur veut-Il montrer que ce n’est pas pour ces raisons qu’ils Le persécutaient, mais pour des raisons contraires. Il montre donc que ce qui est la cause de leur incrédulité, c’est d’abord leur manque de respect religieux à l’égard de Dieu [n° 825], puis leur manque de respect pour Moïse [n° 833].
I
JE
NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOM 441 MES; MAIS J’AI RECONNU QUE VOUS
N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU. MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, ET
VOUS NE ME RECEVEZ PAS; QU’UN AUTRE VIENNE EN SON NOM PROPRE, CELUI-LA VOUS LE
RECEVREZ. COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES
AUTRES, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?
Avant de montrer que c’est leur manque de respect religieux pour Dieu qui est cause de leur incrédulité [n° 832], le Christ commence par souligner l’irréligion des Juifs [n° 825], puis Il la manifeste par un signe [n° 829].
JE
NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES; MAIS J’AI RECONNU QUE VOUS N’AVEZ
PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU.
Pour montrer l’irréligion des Juifs, Il
commence par refuser l’intention que ceux-ci Lui ont prêtée et que les paroles
qu’Il venait de dire pouvaient laisser entendre [n° 826]; puis Il dit qu’elle est sa
véritable intention [n°
827].
826. Parce que le Seigneur venait de rappeler tant de témoignages en sa faveur — ceux de Jean, de Dieu, de ses propres oeuvres et des Ecritures —, les Juifs pouvaient penser qu’Il avait fait cela comme s’Il cherchait une gloire humaine. Cela Il le refuse en disant : JE NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, c’est-à-dire Je ne cherche pas de louange humaine, car je ne suis pas venu pour donner l’exemple de la recherche d’une telle gloire — Dieu en est témoin, nous n’avons pas cherché la gloire qui vient des hommes 1. Ou bien: JE NE CHERCHE PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, c’est-à-dire, je n’ai pas besoin de la gloire humaine, moi qui de toute éternité ai la gloire auprès du Père Glorifie-moi, Père auprès de toi, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût 2. En effet, je ne suis pas venu pour être glorifié par les hommes, mais plutôt pour les glorifier, puisque c’est de moi que procède toute gloire J’aurai par elle [la Sagesse] la gloire dans les assemblées 3. Lorsqu’on dit que Dieu est honoré et glorifié par les hommes — Glorifiez le Seigneur autant que vous le pourrez: Il sera encore au-dessus 4—, ce n’est pas que par là le Seigneur devienne plus glorieux, mais que sa gloire est manifestée en nous.
827. Ce n’est donc pas pour
chercher une gloire humaine que le Seigneur a apporté ces témoignages mais pour
une autre raison: J’AI RECONNU, dit-Il, c’est-à-dire j’ai fait connaître, QUE
VOUS N’AVEZ PAS EN VOUS L’AMOUR DE DIEU que vous feignez d’avoir. Aussi
n’est-ce pas pour l’amour de Dieu que vous me persécutez. Si Dieu ou l’Ecriture
ne me rendait pas témoignage, alors ce serait pour Dieu que vous me
persécuteriez. Mais Dieu Lui-même témoigne pour moi, et par les oeuvres que je
fais, et par les Ecritures, et par Lui-même, comme on l’a dit [n° 816].
C’est pourquoi, si vous aimiez Dieu, ce au nom de quoi vous me rejetez devrait
vous faire venir à moi 5. Vous n’aimez donc pas Dieu. J’AI RECONNU QUE VOUS N’AVEZ PAS EN
VOUS L’AMOUR DE DIEU peut encore vouloir dire: Je n’ai pas fait appel à ces
témoignages comme si j’avais besoin d’être glorifié par vous, mais je sais que
vous n’aimez pas Dieu et je souffre de ce que vous errez, et je veux vous
ramener à la voie de la vérité 6: Si je n’avais pas fait parmi eux des oeuvres que nul autre n’a
faites, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu et ils ont haï
et moi et mon Père 7— L’orgueil de ceux qui te haïssent monte toujours 8.
828. Il faut cependant savoir que Dieu ne peut être haï par personne, ni en Lui-même, ni dans tous ses effets, puisque tout bien qui existe dans les réalités vient de Dieu, et qu’il est impossible que l’on haïsse tout bien, sans aimer au moins être et vivre. Cependant, un homme peut haïr un effet de Dieu en tant qu’il s’oppose à son appétit, comme la peine ou quelque chose de ce genre. C’est en ce sens qu’on dit avoir Dieu en haine.
MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE
MON PERE, ET VOUS NE ME RECEVEZ PAS; QU’UN AUTRE VIEN NE EN SON NOM PROPRE,
CELUI-LA VOUS LE RECEVREZ.
829. Le Seigneur donne
maintenant un signe manifestant que les Juifs n’ont pas en eux l’amour de Dieu
d’abord un signe concernant le présent [n° 830], puis un autre concernant
l’avenir [n° 831].
830. Pour le signe concernant le présent, Il se réfère à sa venue: MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE — ce qui revient à dire: Que vous n’aimiez pas Dieu, cela est manifeste; car si quelqu’un aime son Seigneur, il va de soi qu’il honore et reçoit celui qui vient de sa part, et qu’il cherche à l’honorer. Or MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, en manifestant son nom au monde — Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde — 9 et vous, VOUS NE ME RECEVEZ PAS: donc vous ne L’aimez pas.
On dit que le Fils manifeste son Père aux hommes, car, bien que le Père fût connu en tant que Dieu — Dieu est connu en Juda 10—, toutefois, en tant qu’Il est Père communiquant à un Fils sa propre nature 11, Il n’était pas connu avant la venue du Christ; c’est pourquoi Salomon interrogeait: Quel est son nom et quel est le nom de son fils, si tu le sais? 12.
831. Pour le signe concernant l’avenir, le Christ se réfère à la venue de l'Antéchrist. Les Juifs, en effet, au raient pu objecter: Bien que tu viennes au nom de Dieu nous ne t’avons cependant pas reçu, et cela parce que nous ne voulons recevoir personne d’autre que Dieu le Père Lui-même. Mais le Seigneur prévient une telle objection en montrant qu’il ne peut en être ainsi puis que, dit-Il, vous en recevrez un autre qui ne viendra pas au nom du Père, mais en son nom propre. Qui plus est, il viendra contre Lui: QU’UN AUTRE, c’est-à-dire l’Antichrist, VIENNE, non pas au nom du Père, mais EN SON NOM PROPRE, car il ne cherchera pas la gloire du Père, mais la sienne 13, et ce qu’il fera, il ne l’attribuera pas au Père, mais à lui-même. Ainsi l’Apôtre [annonce la venue de] l’adversaire, celui qui se dressera contre tout ce qui est appelé Dieu ou est objet de culte 14. CELUI-LA, dit le Christ, VOUS LE RECEVREZ. Aussi l’Apôtre ajoute-t-il: C’est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d’erreur qui les fera croire au mensonge 15, et cela parce qu’ils n’ont pas reçu l’enseignement de la vérité grâce auquel ils auraient été sauvés. Aussi la Glose dit-elle: "Parce que les Juifs n’ont pas voulu recevoir le Christ, il convient que, pour châtiment de ce péché, ils reçoivent l'Antéchrist, en sorte que ceux qui n’ont pas voulu croire à la vérité croient au mensonge" 16 Mais, selon Augustin 17, cela peut s’entendre des hérétiques et des faux docteurs qui tirent leur enseignement de leur propre coeur et non de la bouche de Dieu, qui louent leur propre nom et méprisent le nom de Dieu, et dont il est dit: Comme vous avez entendu que l’Antéchrist vient, ainsi maintenant, beaucoup d’antéchrists sont apparus 18. Il est donc manifeste [le Christ] que la persécution dont vous me poursuivez ne procède pas de l’amour de Dieu. Elle procédait de la haine et de la malignité des Juifs à son égard 19; et c’est cela qui était la cause de leur incrédulité.
COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE,
VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA
GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?
832. C’est pourquoi Il conclut: COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, c’est-à-dire une gloire tout humaine, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL, celle qui est la vraie gloire? Si les Juifs ne pouvaient pas croire au Christ, c’est que, leur esprit orgueilleux étant avide de gloire et de louange, ils se considéraient comme plus élevés que les autres en gloire, et tenaient pour un déshonneur de croire en le Christ, qui paraissait pauvre et méprisable. Mais celui-là peut croire en Lui, qui, ayant un coeur humble 20, cherche la gloire de Dieu seul et désire Lui plaire. C’est pourquoi il est dit plus loin: Cependant, même parmi les notables, beaucoup crurent en Lui; mais à cause des Pharisiens ils ne l’avouaient pas, de peur d’être chassés de la synagogue, et cela parce qu’ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu 21. Ceci montre bien que la vaine gloire 22 est très dangereuse, ce qui fait dire à Cicéron: "L’homme doit se garder de la gloire qui prive l’âme de la liberté, sur laquelle les hommes magnanimes doivent faire porter tout leur effort" 23.
Et c’est pourquoi la Glose dit: "C’est un grand vice que la vantardise et l’ambition de la louange humaine, qui veulent qu’on pense d’elles ce que d’elles-mêmes elles n’ont pas" 24.
II
NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI
QUI VOUS ACCU SERAI AUPRES DU PERE: CELUI QUI VOUS ACCU SE, C’EST MOISE, EN QUI
VOUS ESPEREZ. EN EFFET, SI VOUS CROYIEZ A MOÏSE, VOUS CROIRIEZ PEUT-ETRE A MOI
AUSSI, CAR C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT. MAIS SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS,
COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PA ROLES?
833. Le Seigneur montre maintenant que les Juifs n’ont pas de zèle pour Moïse. Pour cela Il montre d’abord, en écartant une opinion [n° 834] et en affirmant la vérité [n° 835], comment Moïse leur était contraire, puis Il en donne la raison [n° 836].
NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI
QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE: CELUI QUI VOUS ACCU SE, C’EST MOISE, EN QUI
VOUS ESPEREZ.
834. Ces paroles ont un triple sens. Le premier, c’est que le Fils de Dieu n’est pas venu dans le monde pour condamner le monde, mais pour le sauver; voilà pourquoi Il dit: NE PENSEZ PAS que je sois venu pour condamner: je suis venu pour délivrer: Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui. Aussi le sang du Christ ne crie-t-il pas l’accusation, mais la rémission — Vous vous êtes approchés (...) du médiateur de la nouvelle alliance, Jésus, et d’un sang d’aspersion plus éloquent que celui d’Abel 26, qui criait 27 en accusant. Qui accusera les élus de Dieu? C’est Dieu qui justifie. Quel est celui qui condamnera? Le Christ Jésus, qui est mort, bien plus qui est aussi ressuscité d’entre les morts, qui est à la droite de Dieu et qui même intercède pour nous? 28
On peut comprendre les paroles du Christ d’une autre manière: NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE, parce que je ne serai pas accusateur, mais juge. Le Père, en effet, a remis tout jugement au Fils 29.
Enfin, cette phrase peut s’entendre ainsi: NE PENSEZ PAS QUE C’EST MOI, c’est-à-dire moi seulement, QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE de ce que vous me faites; mais Moïse aussi vous accusera de ne pas le croire dans ce qu’il a dit de moi.
835. C’est pourquoi le Christ ajoute CELUI QUI VOUS ACCUSE, C’EST MOÏSE, EN QUI VOUS ESPEREZ, car vous croyez être sauvés par ses préceptes. Et Moïse les accuse doublement. Il les accuse matériellement, car du fait qu’ils ont transgressé ses commandements, ils doivent être accusés — Tous ceux qui ont péché sous la Loi seront jugés par la Loi 30. Moïse les accu se aussi en ce sens que lui-même et les autres saints exerceront un pouvoir dans le jugement: [ils auront] dans leurs mains des glaives à deux tranchants pour tirer vengeance des nations, pour châtier les peuples, afin d’exercer sur eux le jugement prescrit 31.
EN EFFET, SI VOUS CROYIEZ A
MOÏSE, VOUS CR0IRIEZ PEUT-ÊTRE A MOI AUSSI, CAR C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT.
836. Le Seigneur donne ici la raison pour laquelle Moïse leur était contraire: C’EST DE MOI QU’IL A ECRIT, en disant notamment: Le Seigneur ton Dieu suscitera de ta nation et d’entre tes frères un prophète comme moi c’est lui que tu écouteras 32, et en rapportant tous les sacrifices qui étaient des figures du Christ. Et si le Seigneur dit PEUT-ETRE, ce n’est pas qu’il y ait en Dieu le moindre doute, mais pour attirer l’attention sur la volonté libre de l’homme 33.
MAIS SI VOUS NE CROYEZ PAS A
SES ECRITS, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?
837. Après avoir donné la raison pour laquelle Moïse était contraire aux Juifs, le Seigneur en donne main tenant un signe, pris a fortiori et négativement, dans une double comparaison. D’abord une comparaison de personne à personne: en effet, bien que le Christ, absolument parlant, fût plus grand que Moïse, celui-ci cependant, aux yeux des Juifs, était plus grand; aussi le Seigneur dit-Il si vous ne croyez pas Moïse, vous ne croirez pas non plus à moi. Ensuite, Il compare leurs manières de transmettre: Moïse donna les commandements dans des écrits, qui peuvent être plus longuement médités et ne tombent pas facilement dans l’oubli, si bien qu’ils obligent davantage à croire. Mais le Christ, Lui, enseigna par la parole, et c’est pourquoi Il dit: SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS dont vous avez chez vous les livres, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?
CHAPITRE
VI: Le don de la nourriture spirituelle 1
838. Une fois exposé l’enseignement sur la vie spirituelle par laquelle le Christ vivifie ceux qui ont été régénérés, l’Evangéliste traite maintenant de la nourriture par laquelle le Christ soutient ceux qu’il a vivifiés; il regarde d’abord la production miraculeuse par le Christ d’une nourriture corporelle, puis il traite de la nourriture spirituelle [n° 892].
Du miracle visible il considère d’abord l’accomplissement, puis l’effet [n° 866].
1 Or
Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée, c’est-à-dire
de Tibériade 2 et une grande multitude le suivait, parce qu’ils voyaient les
signes qu’il faisait sur ceux qui étaient malades. Jésus gravit donc
discrètement la montagne; et là, il était assis avec ses disciples. Or proche
était la Pâque, jour de la fête des Juifs. Jésus, donc, ayant levé les yeux et
vu qu’une très grande multitude était venue à lui, dit à Philippe: "Où
achèterons-nous des pains pour que ceux-ci mangent?" Or il disait cela
pour le tenter, car lui savait ce qu’il devait faire. 7 lui répondit:
"Deux cents deniers de pain ne leur suffiraient pas pour que chacun d’eux
en ait même un petit morceau. "8 Un de ses disciples, André, frère de
Simon-Pierre, lui dit: "Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d’orge
et deux poissons; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?" 10 Jésus
dit donc: "Faites s’allonger ces hommes." Or il y avait beaucoup
d’herbe en ce lieu. Les hommes s’allongèrent donc au nombre d’environ cinq
mille. "Jésus prit donc les pains, et quand il eut rendu grâces, il les
distribua à ceux qui étaient allongés; et de même des poissons, autant qu’ils
en vou laient. 12 Lorsqu’ils furent rassasies, il dit à ses disciples:
"Recueillez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde.
"’ Ils les recueillirent donc, et remplirent douze couffins avec les
morceaux des cinq pains d’orge et des deux poissons qui restèrent en surplus à
ceux qui avaient mangé.
I
APRÈS
CELA, JÉSUS S’EN ALLA DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER DE GAULÉE, C'EST-À-DIRE DE
TIBÉRIADE; ET UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT, PARCE QU1LS VOYAIENT LES SIGNES
QU’IL FAISAIT SUR CEUX QUI ÉTAIENT MALADES. JÉSUS GRA VIT DONC DI$CRÈTEMENT LA
MONTAGNE; ETLÀ, IL ÉTAITASSIS AVEC SES DISCIPLES. OR PROCHE ÉTAIT LA PÂQUE,
JOUR DE LA FÊTE DES JUIFS.
Quant à l’accomplissement du miracle [n° 847], il en considère d’abord les circonstances: la multitude que le Christ a nourrie avec largesse, le lieu [n° 845] puis le temps où cela se passe [n° 846]. A propos de la multitude, il détermine d’abord le lieu où elle le suit [n° 839] puis la foule elle-même [n° 842] et enfin la cause pour laquelle elle le suit [n° 843].
APRÈS CELA, JÉSUS S'EN ALLA DE
L'AUTRE CÔTÉ DE [LA MER DE GALILÉE, C'EST-À-DIRE DE TIBÉRIADE.
839. C’est l’endroit où la foule suivit le Seigneur que l'Evangéliste suggère ici. Il situe donc cet épisode après les paroles mystiques que le Seigneur avait prononcées sur sa puissance.
La mer de Galilée est souvent nommée dans l’Écriture, et de multiples manières 2. En effet, puisqu’elle n’est pas salée, mais qu’elle est formée d’une accumulation des eaux du cours du Jourdain, Luc l’appelle lac 3, mais parce que, selon une particularité de la langue hébraïque, le vocable "mer" désigne toute accumulation d’eau, d’après ce passage: Dieu (...) appela mers l’accumulation des eaux 4, elle est appelée mer.
Le nom "lac de Génésareth" lui
vient de la nature du lieu. En effet, elle est très agitée du fait de l’emprise
des vents qui naissent de l’évaporation de ses propres eaux, d’où cette
dénomination de Génésareth, qui en grec signifie "qui engendre le
vent". Elle est appelée mer de Galilée parce qu’elle se trouve dans
cette province, et aussi lac de Tibériade, du nom de la ville située sur l’un
des bords de cette mer, à l’opposé de la ville de Capharnaüm. Cette ville était
autrefois appelée Zénéreth, mais après sa rénovation par le tétrarque Hérode
elle fut baptisée Tibériade 5, en l’honneur de l’empereur Tibère.
840. Au sens littéral, la raison pour laquelle Jésus partit par la mer, selon Chrysostome 6, est que le Christ se serait soustrait à la fureur et à l’agitation que les Juifs avaient conçues contre lui à cause de ce qu’il avait dit auparavant sur lui-même.
D’où, selon le même auteur 7, de même que les javelots lorsqu’ils se heurtent à quelque chose de dur blessent durement, mais lorsque rien ne leur fait obstacle, perdent leur force aussitôt envoyés et retombent, de même, si nous nous opposons à ceux qui ne respectent rien en leur résistant vivement, leur fureur ne fait alors qu’augmenter, mais si nous leur cédons, nous apaisons sans peine leur folie.
Pour cette raison le Christ, en prenant le large, a apaisé la fureur des Juifs née des paroles précédentes, nous don nant ainsi un exemple à suivre — Ne tiens pas tête à l’effronté 8.
841. Au sens mystique, la mer désigne le siècle présent et son agitation — Voici la grande mer aux vastes bras 9. C’est cette mer que le Seigneur a passée lorsqu’il a affronté, en naissant, la mer de notre mortalité et de notre souffrance. Il l’a foulée aux pieds en mourant; puis, la passant en se relevant, il est parvenu à la gloire de la Résurrection. De ce passage il est dit plus loin: Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père... 10.
Dans son passage pris en ce sens, des foules nombreuses rassemblées de chacun des deux peuples 11 l’ont suivi en croyant en lui et en l’imitant — Ton coeur sera dans l’admiration et se dilatera quand se sera tournée vers toi la multitude de la mer et que la force des nations sera venue à toi 12. Lève-toi, Seigneur, selon l’ordre que tu as donné, et l’assemblée des peuples t'environnera 13.
ET UNE GRANDE MULTITUDE LE
SUIVAIT. [2a]
842. L’Évangéliste souligne ensuite l’importance de la foule qui suivait Jésus, parce qu’UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT
PARCE
QU’ILS VOYAIENT LES SIGNES QU’IL FAISAIT SUR CEUX QUIÉTAIENT MALADES.
843. Telle est la cause pour laquelle ils le suivaient: l’accomplissement des miracles.
A ce propos, il faut savoir que certains —
les mieux disposés — le suivaient à cause de son enseignement. Tandis que
d’autres, moins parfaits, le suivaient à cause de leur admiration pour les
signes visibles; ceux-ci étaient d’esprit plus grossier 14: Ainsi
donc, les langues servent de signe non pour ceux qui croient, mais pour les
non-croyants; la prophétie, elle, n'est pas pour les non-croyants, mais pour
ceux qui croient 15. C’est encore à cause
de leur dévotion 16 et de leur foi que d’autres le suivaient, ceux-là mêmes qu’il avait
guéris par leur corps: en effet, le Seigneur les avait guéris dans leur corps
afin que jusque dans leur âme, ils soient parfaitement guéris — Les oeuvres de
Dieu sont parfaites 17. Ceci est corroboré par ce qu’il dit explicitement au paralytique: "Désormais,
ne pèche plus" et "Mon fils, tes péchés te sont remis"
19, paroles qui concernent
plus la santé de l’âme que celle du corps.
844. Remarquons que, bien que l’Évangéliste n’ait fait jusque-là mention que de trois miracles, celui des noces, celui du fils du fonctionnaire royal et celui du paralytique, il parle ici sans préciser des SIGNES QU’IL FAISAIT, pour que nous comprenions que le Christ a fait beaucoup d’autres signes, comme il est dit plus loin 20, dont il ne fait pas mention dans ce livre. En rédigeant son Evangile, en effet, il se proposait d’abord de nous introduire dans l’enseignement du Christ.
JÉSUS GRAVIT DONC DISCRÈTEMENT
LA MONTAGNE; ET LÀ, IL ÉTAIT ASSIS A VEC SES DISCIPLES.
845. L’Évangéliste indique ensuite le lieu du miracle: une montagne. Il dit pour cette raison que jésus la GRAVIT DISCRETEMENT c’est-à-dire y monta en secret. La montagne est certes un lieu assez propice à la réparation des for ces; elle symbolise en effet la perfection de la justice — Ta justice est comme les montagnes de Dieu 22. Parce que les nourritures terrestres ne rassasient pas — au contraire quiconque boit de cette eau aura encore soif 23 — alors que les nourritures spirituelles rassasient, le Seigneur monte sur les hauteurs avec ses disciples pour montrer que les nourritures spirituelles rassasient et donnent la perfection de la justice. C’est de cette montagne qu’il est dit: La montagne de Dieu est une montagne fertile 24. C’est pourquoi le Christ, siégeant entouré de ses disciples, y dispensait son enseignement. C’est lui en effet qui enseigne la science à l’homme 25.
OR PROCHE ÉTAIT LA PÂQUE, JOUR
DE LA FÊTE DES [JUIFS.
846. Maintenant l’Évangéliste indique la période, qui elle-même convient au rétablissement des forces. Pâque signifie en effet passage — C’est la Pâque, c’est-à-dire le passage du Seigneur 26. Il nous fait comprendre par là que tout homme qui désire être restauré par le pain de la parole divine et par le corps et le sang du Seigneur doit passer des vices aux vertus — Notre Pâque, le Christ, a été immolée, célébrons-la dans un repas avec des azymes de pureté et de vérité 27 ; et la Sagesse divine dit elle-même: Passez à moi, vous tous qui me désirez 28.
Cette Pâque est la seconde dont l’Évangéliste fait mention; pour celle-ci, le Seigneur ne monta pas à Jérusalem, contrairement au précepte de la Loi 29. La raison en est que le Christ était Dieu et homme: en tant qu’homme, il était certes soumis à la Loi, mais en tant que Dieu, il était au-dessus. Afin donc de se montrer homme, il observait parfois la Loi, et, comme Dieu, il s’en affranchissait. Du même coup, il faisait comprendre que sous peu les observances légales cesseraient progressivement 30.
II
847. L’Évangéliste traite ensuite de la réalisation du miracle. C’est en premier lieu la nécessité d’opérer le miracle qu’il expose; puis il poursuit en rapportant la réalisation elle-même [n° 855].
JÉSUS,
DONC, AYANT LEVÉ LES YEUX ET VU QU’UNE TRÈS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE À LUI,
DIT À PHILIPPE: "OÙ ACHÈTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI
MANGENT?" OR IL DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DE
VAIT FAIRE. PHILIPPE LUI RÉPONDIT: "DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR
SUFFIRAIENT PAS POUR QUE CHACUN D’EUX EN AIT MÊME UN PETIT MORCEAU." UN DE
SES DISCIPLES, ANDRÉ, FRÈRE DE SIMON-PIERRE, LUI DIT "IL Y A ICI UN PETIT
GARÇON QUI A CINQ PAINS D’ORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR
TANT DE MONDE?"
La nécessité que le miracle se produise vient de l’interrogation du Seigneur et de la réponse des disciples [n° 851].
A propos de l’interrogation, l’Evangéliste relate l’occasion saisie par le Christ d’interroger les disciples [n° 848], puis l’interrogation elle-même [n° 849], et il dévoile en der nier lieu l’intention du Christ interrogeant [n° 850].
JÉSUS, DONC, AYANT LEVÉ LES
YEUX ET VU QU’UNE TRÈS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE À LUI
848. C’est la vision de la multitude venant au Christ qui suscita l’interrogation. Pour cette raison, l’Evangéliste dit: Jésus, étant dans la montagne avec ses disciples, c’est-à-dire avec les plus avancés, AYANT LEVE LES YEUX ET VU...
En cela, deux traits concernant le Seigneur sont à relever.
D’abord, la perfection pleine de gravité du Christ, qui ne promène pas ses regards de tous côtés, mais est assis en compagnie de ses disciples, avec réserve et attention; c’est le contraire de ce qui est dit dans les Proverbes: Génération dont les yeux sont altiers et les paupières hautaines 31 ; et selon l’Ecclésiastique, à son regard, on connaît l’homme 32.
Ensuite, pour que nous apprenions que le Christ n’était pas assis oisif avec ses disciples, mais qu’il était tout occupé à les enseigner et que, attirant leurs coeurs à lui, il regardait ceux qu’il enseignait 33— Et lui, levant les yeux sur ses disciples 34—, il est dit ici: AYANT LEVE LES YEUX, c’est-à-dire les détournant de ses disciples, il vit la multitude.
Au sens mystique, les yeux du Seigneur sont les dons spirituels que, dans sa miséricorde, il accorde à ses élus lors qu’il lève les yeux vers eux, c’est-à-dire lorsqu’il leur accorde un regard de bienveillance 35.
OÙ
ACHÈTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX CI MANGENT?
849. L’interrogation porte sur la réfection de la multitude. Le Seigneur suppose un fait et cherche autre chose. Il suppose quelque indigence parce qu’il n’avait pas de quoi donner la nourriture à une telle multitude. Il cherche alors comment la trouver lorsqu’il dit: OUACHETERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI MANGENT?
Il faut remarquer ici que tout docteur a le devoir de faire paître spirituellement la foule qui vient à lui. Et puisqu’aucun homme ne possède de son propre fonds de quoi la faire paître, ainsi il doit acquérir auprès d’un autre par le labeur de l’étude et l’assiduité à la prière. Vous qui n’avez pas d’argent, dit le Seigneur en Isaïe, venez. Et il continue: Pourquoi dépensez-vous votre argent, c’est-à-dire votre éloquence, non pas pour des pains c’est-à-dire la Sagesse véritable qui restaure — Sagesse dont l’Ecclésiastique dit: Il l’a nourri du pain de la vie et de l’intelligence —, non pas pour des pains donc, et pourquoi dilapidez-vous votre travail pour ce qui ne rassasie pas 36 en apprenant ce qui ne rassasie pas mais vide plutôt?
OR
IL DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DEVAIT FAIRE.
850. L' Evangéliste dévoile par là l’intention de celui qui interroge; et, supprimant une incertitude, il en fait apparaître une autre.
Il était en effet possible de penser que le Seigneur avait interrogé Philippe par ignorance; cependant l’Evangéliste exclut cela en disant CAR LUI SAVAIT CE QU’IL DEVAIT FAIRE. Mais puisque tenter semble être aussi le fait d’un ignorant — c’est en effet provoquer ce dont on tirera expérience — il apparaît que l’Evangéliste conduit à une autre incertitude lorsqu’il dit: POUR LE TENTER
Mais il faut préciser que c’est de diverses
manières qu’une personne en tente une autre, au sens de la connaître par
expérience. L’homme tente d’une certaine manière, pour apprendre; le diable
d’une autre, pour tromper — Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant,
rôde, cher chant qui dévorer 37. Mais Dieu — et le
Christ — ne tente ni pour apprendre, parce qu’il est celui qui scrute les
coeurs et les reins 38 ni pour tromper — Dieu (...) ne tente personne 39; s’il
tente, c’est pour donner aux autres une connaissance d’expérience sur celui qui
est tenté. C’est ainsi que Dieu a tenté Abraham: Dieu tenta Abraham 40; et
plus loin: Je sais maintenant que tu crains le Seigneur 41, c’est-à-dire j’ai fait connaître que tu crains le Seigneur. C’est ainsi
qu’à cet endroit il a tenté Philippe afin de dévoiler sa réponse aux autres,
les conduisant par là à une connaissance plus certaine de l’événement à venir.
851. L’Évangéliste poursuit avec la réponse des disciples, d’abord celle de Philippe, puis celle d’André [n° 853].
PHILIPPE LUI RÉPONDIT: "DEUX
CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS POUR QUE CHACUN D’EUX EN AIT MÊME
UN PETIT MORCEAU".
852. A propos de la réponse de Philippe, il faut savoir que Philippe était, par rapport aux autres, plus lent et moins subtil, et que de ce fait il interrogeait le Seigneur plus souvent que les autres — Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit 42. Mais dans l’interrogation de ces deux disciples prise au sens littéral, André était mieux disposé que Philippe, qui semble n’avoir aucune ouverture ou disposition à l’accomplissement du miracle. C’est pour cela qu’il envisage cette manière dont tous les hommes auraient pu en nourrir d’autres, c’est-à-dire par l’argent, lorsqu’il dit: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS; or nous ne les possédons pas, et à cause de cela nous ne pourrons pas leur donner à manger. Cela nous dévoile la pauvreté du Christ: il n’avait même pas deux cents deniers.
UN DE SES DISCIPLES, ANDRI
FRÈRE DE SIMON PIERRE, LUI DIT: "IL YA ICI UN PETIT GARÇON QUIA CINQ PAINS
D’ORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE?"
853. André, par contre, semble
envisager la réalisation du miracle. Peut-être en effet avait-il en mémoire le
signe qu’Elisée avait accompli avec des pains d’orge, lorsqu’avec vingt pains
il nourrit cent hommes, comme on le lit au livre des Rois 43. Et c’est pour cela qu’il dit: IL YA ICI UNFETIT GARÇON QUI A CINQ
PAINS D’ORGE ET DEUX POIS SONS. Cependant, il présumait que le Christ n’allait
pas accomplir un plus grand miracle qu’Elisée. Il estimait en effet qu’à partir
d’un nombre moindre sortirait miraculeusement un nombre moindre, et à partir
d’un plus grand nombre, un nombre plus grand (bien qu’à celui qui n’a pas
besoin de la matière, celle-ci lui étant soumise, il soit aussi facile de
nourrir les foules à partir d’un nombre plus grand [ou plus petit];
et c’est pour cela qu’André ajoute: MAIS QU’EST-CE QUE CELA POURTANT DE MONDE?
comme s’il disait: même s’ils sont multipliés comme Elisée les multiplia, ce
n’est pas suffisant 44.
854. Au sens mystique, refaire les forces spirituelles renvoie à la sagesse. Et la vraie sagesse est celle qu’a enseignée le Christ, qui est lui-même la vraie Sagesse — Le Christ est Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 45. Mais, avant celui du Christ, deux enseignements avaient cours: l’un humain, celui des philosophes; et l’autre, celui de la Loi écrite.
C’est du premier que Philippe fait mention et c’est pourquoi il parle d’acheter du pain: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS. Effectivement, la sagesse humaine s’obtient par acquisition. Le nombre cent dénote la perfection. Pour cette raison, les DEUX CENTS dévoilent la double perfection nécessaire à cette sagesse; en effet, on en atteint la perfection d’une double manière: par l’expérience et parla contemplation. Il dit donc: DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS, parce que rien de ce que l’intelligence humaine peut atteindre de la vérité par expérience ou raisonnement ne suffit à épuiser sa faim de sagesse — Que le sage ne tire pas gloire de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas dans sa force, que le riche ne se glorifie pas dans ses richesses; mais que celui qui se glorifie se glorifie en ceci, de connaître et de savoir que c’est moi qui suis le Seigneur 46. En effet, il n’est aucun philosophe dont la sagesse fut telle que par elle les hommes aient pu être tirés de l’erreur; au contraire, nombreux sont ceux que les philosophes entraînent à errer.
André, lui, fait mention du second enseignement, et pour cette raison, il ne voulait pas que l’on achetât d’autres pains, mais que la foule fût restaurée avec ceux que l’on possédait, c’est-à-dire avec ceux que contenait la Loi: par là, il était mieux disposé que Philippe et c’est pourquoi il dit: IL Y A ICI UN PETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS D'ORGE. Cet enfant peut désigner Moïse à cause de l’imperfection du statut de la Loi 47— La Loi n’a conduit personne à la perfection 48-- ou le peuple des Juifs qui était asservi aux éléments du monde 49. Cet enfant possède donc CINQ pains, c’est-à-dire l’enseignement de la Loi: soit parce qu’elle a été renfermée dans les cinq livres de Moïse 50— La Loi a été donnée par Moïse soit parce qu’elle a été donnée à des hommes tout entiers pris par les réalités sensibles, dont on fait l’expérience au moyen des cinq sens 51. Ce sont des pains D’ORGE, parce que la Loi avait été donnée de telle sorte qu’en elle l’aliment vital était caché dans les réalités sensibles des sacrements de l’Ancienne Alliance 52 : le grain d’orge est en effet caché par une balle extrêmement dure; ou encore parce que le peuple des Juifs n’avait pas encore été détaché du désir charnel, mais que celui-ci, comme une balle, lui col lait au coeur. En effet, dans l’Ancien Testament, les Juifs avaient fait l’expérience de la dureté de la Loi à cause des observances liturgiques — joug (...) que ni nos pères ni nous n’avons pu porter 53— ; et les Juifs, étant eux-mêmes livrés aux choses corporelles, ne saisissaient pas le sens spirituel de la Loi — Jusqu'à ce jour, lorsqu'ils lisent Moïse, un voile est posé sur leur coeur 54.
Par les DEUX POISSONS qui donnaient bon goût au pain, on entend l’enseignement des Psaumes et des Prophètes, pour dire ainsi que l’ancienne Loi ne comportait pas seulement cinq pains, c’est-à-dire les livres de Moïse, mais aussi deux poissons, c’est-à-dire les Prophètes et les Psaumes 55, d’où la division tripartite des écrits de l’Ancien Testament — Ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes 56. Ou bien les DEUX POISSONS, selon Augustin 57, signifient deux autorités, celle du roi et celle du prêtre, par les quels ce peuple était gouverné; ils préfiguraient le Christ qui fut le roi et le prêtre véritable. MAIS QU’EST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE? Ce triple enseignement (celui des Psaumes, des Prophètes et de la Loi), en effet, n’a pas pu conduire le genre humain à la connaissance parfaite de la vérité: même si, de fait, Dieu fut connu en Judée 58, les nations cependant le méconnaissaient.
III
855. A partir du verset 10, l’Évangéliste traite de l’accomplissement du miracle: la disposition des hommes [n° 856], la réfection de leurs forces [n° 859], puis le recueil des fragments [n° 863].
JÉSUS
DIT DONC: "FAITES S’ALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP
D’HERBE EN CE LIEU LES HOMMES S’ALLONGÈRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ
MILLE. JÉSUS PRIT DONC LES PAINS, ET QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES
DISTRIBUA À CEUX QUIÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE MÊME DES POISSONS, AUTANT QU’ILS EN
VOULAIENT LORSQU’ILS FURENT RASSASIÉS, IL DIT À SES DISCIPLES: "RECUEILLEZ
LES MORCEAUX QUI SONT RES TÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE. "ILS LES
RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS
D'ORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTÈRENT EN SURPLUS À CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.
L’Évangéliste nous rapporte l’ordre donné pour que les foules s’installent [n° 856], l’opportunité de cette disposition [n° 857] et le nombre de ceux qui étaient concernés [n° 858].
JÉSUS
DIT DONC: "FAITES S'ALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP
D‘HERBE EN CE LIEU LES HOMMES S’ALLONGÈRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ
MILLE.
856. L’ordre donné par le
Seigneur aux disciples était que la foule se dispose à manger. C’est pourquoi
Jésus dit: FAITES S’ALLONGER CES HOMMES, c’est-à-dire s’asseoir pour manger.
Car, comme nous l’avons dit plus haut [n° 360], les gens, dans
l’Antiquité, prenaient leurs repas allongés sur des lits. Aussi l’habitude se
répandit de dire que s’allongent ceux qui s’asseyent pour manger. Ce terme, au
sens mystique, exprime le repos nécessaire à la perfection de la sagesse —
Celui qui donne peu à l’action acquerra la sagesse 59. Cette disposition se fait par l’intermédiaire des disciples, car
c’est par eux qu’il nous a été fait part de la connaissance de la vérité — Que
les montagnes reçoivent la paix pour le peuple 60.
857. La convenance de la disposition est fondée sur le lieu. OR IL Y AVAIT BEAUCOUP D‘HERBE EN CE LIEU, ce qui, au sens littéral, est agréable pour les convives allongés sur le sol.
Au sens mystique, l’herbe signifie la chair — toute chair est comme l’herbe 61; elle peut en ce sens se rapporter à deux choses. Elle s’applique en effet à l’enseignement de l’Ancien Testament qui était donné à l’homme cherchant son repos dans la chair et à un peuple sage selon la chair — Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre 62. Elle s’applique aussi à celui qui embrasse la vraie sagesse à laquelle on ne peut parvenir à moins d’avoir foulé aux pieds les choses de la chair — Ne vous conformez pas à ce siècle 63.
858. Le nombre de ceux qui étaient là était considérable: LES HOMMES S’ALLONGERENT DONC AU NOMBRE D’ENVIRON CINQ MILLE. L’Évangéliste prend uniquement les hommes en compte, conformément à la coutume légale, selon laquelle Moïse fit recenser le peuple en comptant tous les enfants d’Israël qui avaient vingt ans et au-dessus 64, à l’exclusion des femmes. L’Evangéliste ne compte que les hommes parce qu’ils sont seuls capables d’être enseignés parfaitement — C'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits 65 — C'est pour les parfaits qu’est la nourriture solide 66.
JÉSUS PRIT DONC LES PAINS, ET
QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES DISTRIBUA À CEUX QUI ÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE
MÊME DES POISSONS, AUTANT QU’ILS EN VOULAIENT.
859. Il traite maintenant du repas qui refait les forces, en commençant par dévoiler ce qui anime Jésus lorsqu’il donne le repas [n° 860], puis en disant quelle est la matière du repas [n°861] et en montrant qu’il rassasie parfaitement [ibid.].
Ce qui anime jésus lorsqu’il donne ce repas,
c’est d’une part l’humilité [n°
860], d’autre part l’action de grâces [n° 861].
860. L’humilité parce que ce
sont des pains reçus qu’il distribua. Certes le Christ, au moment de faire le
miracle, pouvait nourrir les foules avec des pains créés à partir de rien. Mais
c’est à dessein que, pour refaire les forces des fou les, il multiplia des
pains déjà existants. D’abord pour mettre en évidence que les réalités
sensibles ne doivent pas leur existence au diable comme le disent les
Manichéens dans leur égarement; car si c’était vrai, le Seigneur n’aurait pas
fait servir les réalités sensibles à l’oeuvre de la louange divine, d’autant
que le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire les oeuvres du diable
Ensuite, il agit ainsi pour mon trer qu’il est faux de dire, comme ils le font,
que l’enseignement, de l’Ancien Testament n’est pas de Dieu mais du diable 67. C’est
donc pour montrer que l’enseignement du Nouveau Testament n’est pas autre que
celui qui était préfiguré et contenu dans l’enseignement de l’Ancien Testament,
qu’il a multiplié des pains déjà existants, indiquant par là qu’il est lui-même
celui qui a mené la Loi à sa perfection et l’a accomplie — Je ne suis pas venu
abolir mais accomplir 68.
861. L’âme du Christ est aussi dans l’action de grâces: il rendit GRACES pour montrer qu’il tient d’un autre, c’est-à-dire du Père, tout ce qu’il a; en cela il nous donne l’exemple, pour que nous fassions de même. Son action de grâces a cependant ici un caractère particulier: il nous montre que nous devons, en commençant un repas, rendre grâces à Dieu: Rien n’est à proscrire de ce qu’on prend avec action de grâces 69 — Les pauvres mangeront et seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur 70. Il nous montre également que sa prière d’action de grâces ne le concernait pas: elle était pour la foule, et il devait la persuader qu’il était venu de Dieu. Et si, au moment où il accomplit un miracle devant la multitude, il prie, c’est pour montrer que, loin de s’opposer à Dieu, il agit selon sa volonté 71. Il est dit en Marc que le Christ fit distribuer le pain aux foules par les Apôtres 72. Mais ici on dit qu’il les a distribués lui-même parce qu’il est évident qu’il faisait lui-même ce qu’il faisait faire par d’autres. A la lumière du mystère, l’un et l’autre sont vrais, parce que si lui seul refait les forces intérieurement, les autres les refont extérieurement et comme des serviteurs.
862. La matière du repas fut les pains et les poissons, dont on a suffisamment parlé plus haut [n° 854].
Quant au rassasiement procuré par le repas, il fut par fait: AUTANT QU’ILS EN VOULAIENT En effet, seul le Christ rassasie l’âme indigente et comble de biens l’âme affamée 73. Les autres, selon la mesure de la grâce qu’ils possèdent, font des miracles. Mais le Christ, agissant selon sa puissance absolue, faisait toutes choses avec une extrême surabondance; c’est pourquoi il est dit qu’ILS FURENT RASSASIES 74.
LORSQU’ILS
FURENT RASSASIÉS, IL DIT À SES DISCIPLES: "RECUEILLEZ LES MORCEAUX QUI
SONT RESTÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE."
863. Les disciples recueillent
les morceaux: l’Évangéliste rapporte d’abord l’ordre du Seigneur [n° 864],
puis son exécution par les disciples [n° 865].
864. Si le Seigneur demande que l’on recueille les morceaux, ce n’est pas par ostentation, mais pour montrer que l’événement n’était pas irréel, puisque les restes recueillis ont été conservés un certain temps et ont profité à d’autres.
Il voulut aussi par là graver plus profondément l’événement miraculeux dans le coeur des disciples à qui il donna l’ordre d’emporter les morceaux, parce qu’il ne voulait rien négliger pour former ceux qui devaient enseigner le monde 75.
865. Et les disciples se sont exécutés fidèlement. En effet, ILS LES RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS D’ORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTÈRENT EN SURPL US À CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.
Notons que le nombre des morceaux restés en surabondance n’était ni indéterminé ni laissé au hasard; mais il relevait d’une détermination, parce que ce n’est pas plus ou moins mais exactement comme il le voulait, que le Seigneur a produit cette surabondance. En voici le signe: le couffin de chaque Apôtre était plein (un couffin est un récipient utilisé pour les travaux de la campagne 76). Les douze couffins signifient donc les douze Apôtres et leurs imitateurs 77 qui, même s’ils sont comptés pour rien dans l’immédiat, n’en sont pas moins intimement comblés par les richesses des sacrements spirituels 78. On dit qu’ils sont douze parce qu’ils devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité aux quatre parties du monde.
Ces
hommes donc, ayant vu le signe que Jésus avait fait, disaient: "Celui-ci
est vraiment le Prophète qui doit venir dans le monde. " 5 Jésus donc,
ayant connu qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit de
nouveau dans la montagne, tout seul. Lorsque le soir fut venu, ses disciples
descendirent à la mer. '‘ Et quand ils furent montés dans la barque, ils
vinrent de l’autre côté de la mer, vers Capharnaüm. Or les ténèbres s’étaient
déjà faites et Jésus n’était pas venu à eux. 18 Cependant, au souffle d’un
grand vent, la mer s’enflait. 19a Après donc qu’ils eurent ramé vingt-cinq ou
trente stades, ils voient Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la
barque; 19b et ils craignirent. 20 il leur dit: "C’est moi, ne craignez
pas. " 21a Ils voulurent donc le prendre dans la barque, "et aussitôt
la barque toucha la terre à laquelle ils allaient. 22 Le jour suivant, la foule
qui se tenait de l’autre côté de la mer observa qu’il n’y avait eu là qu’une
seule barque, que jésus n’était pas monté avec ses disciples dans cette barque,
mais que ses disciples seuls étaient partis 23 cependant, d’autres barques
vinrent de Tibériade, près du lieu où ils avaient mangé le pain, le Seigneur
ayant rendu grâces. 24 Quand donc la foule eut vu que Jésus n’était pas là, ni
ses disciples non plus, ils montèrent dans les barques et vinrent à Capharnaüm,
cherchant Jésus. Et l’ayant trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent:
"Rabbi, quand es-tu venu ici?"
866. Après le signe visible — le don d’une nourriture corporelle —, l’Evangéliste rapporte les trois effets que ce signe a opérés sur les foules. Celles-ci confessent leur foi et tentent ensuite de manifester au Christ l’admiration qu’il a suscitée en elles [n° 869]; après qu’il a fui, elles se mettent avec empressement à sa recherche [n° 873].
I
[6, 14] CES HOMMES DONC, AYANT
VU LE SIGNE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE
PROPHÈTE QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE."
867. A propos de la confession de foi, il faut savoir que c’est comme de la bouche même des Juifs qu’il est dit dans le psaume: Nous n’avons plus vu de signes: il n'a plus de prophètes 79. Il était habituel, autrefois, que les prophètes fassent de nombreux signes; pour cette raison, les signes venant à manquer, il semblait que la prophétie devînt lettre morte; mais lorsqu’ils voient les signes, ils confessent que la prophétie leur est rendue. Voilà pourquoi déjà, à la seule vue du miracle, ils en étaient venus à tenir le Seigneur pour un prophète. Donc, il est dit: CES HOMMES qui avaient été rassasiés avec cinq pains, A YANT VU LE MIRACLE QUE JESUS AVAIT FAIT, DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE."
Cependant ils n’étaient pas encore parvenus à
une foi parfaite, parce qu’ils tenaient pour un simple prophète celui qui, bien
plus, est Seigneur des prophètes. Ils ne sont cependant pas complètement dans
l’erreur, puisque le Seigneur lui-même se donne aussi le titre de prophète 80.
868. Sachons que le prophète est appelé voyant 81: Celui qu’on appelle aujourd’hui prophète s'appelait autrefois voyant 82. Or la vision se rapporte à la capacité de connaître; et le Christ possédait trois degrés de connaissance. Il possédait une connaissance sensible, et avait par là une certaine ressemblance avec les prophètes en ce sens que, dans l’imagination du Christ, pouvaient naître certaines formes sensibles qui représentaient des événements futurs ou cachés, ceci principalement à cause de la capacité de pâtir qui lui convenait selon son statut de pèlerin 83. Il possédait en outre la connaissance intellectuelle et, en celle-ci, il ne ressemblait pas aux prophètes, mais il est même au-dessus des anges parce qu’il avait une connaissance plus pénétrante que toute créature Enfin, il possédait la connaissance divine: par celle-ci il a été source de l’inspiration des prophètes et des anges, puisque toute connaissance a pour cause une participation au Verbe divin.
Nous voyons cependant les Juifs reconnaître dans le Christ l’excellence du prophète CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Même si, en effet, il y a eu de nombreux prophètes chez les Juifs, un cependant était attendu, supérieur à tous les autres, d’après cette parole: Le Seigneur ton Dieu te suscitera du milieu d’entre tes frères un prophète et c’est bien de lui qu’ils parlaient; c’est pour cette raison qu’ils disent explicitement: QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE.
II
JÉSUS DONC, A YANT CONNU
QU’ILS DEVAlENT VENIR POUR L'ENLEVER ET LE FAIRE ROI, S'ENFUIT DE NOUVEAU DANS
LA MONTAGNE, TOUT SEUL.
869. On rapporte ici le deuxième effet du signe sur les foules, lorsqu’elles entreprennent de manifester au Christ leur admiration et que cependant le Christ s’y soustrait. Ainsi, après la tentative de la foule, est rapportée la fuite du Christ [n° 871].
JÉSUS DONC, A YANT CONNU
QU’ILS DEVAIENT VENIR POUR L’ENLEVER ET LE FAIRE ROI
870. L’Évangéliste mentionne la tentative des foules par ces mots: POUR L’ENLEVER ET LE FAIRE ROI. En effet, est enlevé celui qui est pris contre sa volonté et sans motifs véritables. Il était vrai que Dieu le Père, de toute éternité, avait tout disposé en vue de la manifestation du règne du Christ, mais cette manifestation n’était pas encore opportune. Le Christ était venu, certes, mais pas pour régner comme il le fera lorsque s’accomplira notre demande: que ton règne vienne 88; alors le Christ régnera aussi selon qu’il a été fait homme. Et à cause de cela, un autre moment a été disposé pour cette manifestation, c’est-à-dire lorsque la gloire de ses saints aura été dévoilée après le jugement qu’il aura lui-même rendu. Au sujet de cette manifestation, les disciples demandaient: Seigneur, est-ce le temps où tu vas rétablir la royauté en Israël 89.
Les foules donc, croyant qu’il était venu pour régner, voulaient le faire roi. La raison en est que, la plupart du temps, les hommes veulent pour maître quelqu’un qui soit capable de leur assurer les biens temporels. C’est pourquoi, le Christ les ayant nourris, ils voulaient le faire roi — Tu as un manteau: sois notre roi 90. Ainsi s’éclaire ce que dit Chrysostome: "Vois la force de la gourmandise. Il n’est plus pour eux aucun souci de la transgression du sabbat, ils ne font plus preuve de zèle pour Dieu, mais toutes ces choses se sont évanouies, parce qu’ils se sont rempli le ventre. Mais aussi, le Prophète était enfin parmi eux et ils voulaient le faire roi" 91.
JÉSUS S’ENFUIT DE NOUVEAU DANS
LA MONTAGNE, TOUT SEUL.
871. L’Évangéliste en vient à la fuite du Christ. En disant DE NOUVEAU, il laisse entendre que le Seigneur, voyant les foules, était descendu de la montagne et qu’il les avait nourries en un lieu moins élevé: sien effet il n’était pas descendu de la montagne, on ne dirait pas qu’il y fuit de nouveau 92.
Mais puisqu’il est vraiment roi, pourquoi fuit-il? Il y a à cela trois raisons. L’une parce qu’il aurait dérogé à son rang s’il avait reçu sa royauté de l’homme, lui qui était roi de telle sorte que tous les rois le sont par participation à sa royauté — par moi règnent les rois 93. La seconde raison est qu’il aurait porté préjudice à son enseignement s’il avait reçu gloire et soutien des hommes. Par ses actes et son enseignement, il était tout relatif à la puissance divine et non à la faveur humaine — Je ne reçois pas de gloire venant des hommes 94. Il y a une troisième raison, et puisse-t-elle nous apprendre à mépriser l’estime du monde — Car je vous ai donné l’exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-mêmes 95 — Ne recherche pas le pouvoir auprès des hommes 96. Ainsi donc, il a rejeté la gloire du monde pour se soumettre de lui-même au châtiment, d’après ce passage de l’épître aux Hébreux: Au lieu de la joie qui lui était proposée, il endura la croix, ayant méprisé son infamie 97.
872. Nous voyons cependant en Matthieu un récit con traire: Il monta sur la montagne prier seul 98. Mais d’après Augustin 99, les deux passages ne sont pas contraires, parce que s’il y a cause de fuite, alors il y a nécessairement motif de prière. Le Seigneur nous enseigne ainsi que l’imminence de ce qui cause la fuite est un puissant appel à prier.
Au sens mystique, il gravit la montagne lorsque les foules, restaurées, eurent été préparées à s’attacher à lui, parce qu’il monta au ciel une fois que les peuples eurent été pré parés à se soumettre à la vérité de la foi: L'assemblée des peuples t’environnera; au-dessus d’elle, regagne la hauteur 100, c’est-à-dire lorsqu’elle t’environnera, regagne la hauteur.
Mais l’Evangéliste a dit S’ENFUIT, autrement dit, s’échappa, pour souligner que son élévation ne nous est pas compréhensible: en effet, ce que nous ne comprenons pas, nous disons que cela nous échappe.
III
873. Il s’agit ici du troisième
effet du signe: la recherche empressée du Seigneur, de la part des disciples,
mais aussi des foules [n°
885].
DÈS
QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DES DIRENT À LA MER. ET QUAND ILS FURENT
MONTÉS DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L’AUTRE CÔTE DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM.
OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAlENT DÉJÀ FAITES ET JÉSUS N’ÉTAIT PAS VENUÀ EUX.
CEPENDANT, AU SOUFFLE D’UN GRAND VENT, LA MER S’ENFLAIT APRÈS DONC QU’ILS
EURENT RAMÉ VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JÉSUS MARCHANT SUR LA MER
ET S’APPROCHANT DE LA BARQUE; ET ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL LEUR DIT: "C’EST
MOI, NE CRAIGNEZ PAS. " ILS VOULURENT DONC LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ET
AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA LA TERRE À LAQUELLE ILS ALLAIENT
Au sujet des disciples, l’Évangéliste souligne avec quelle insistance ils cherchent le Christ [n° 874]; ensuite il y revient plus longuement [n° 876], après avoir seulement mentionné la descente des disciples vers la mer et la traversée [n° 875].
DÈS QUE LE SOIR FUT VENU, SES
DISCIPLES DESCEN DIRENT À LA MER.
874. A propos de la recherche des disciples, il faut savoir que le Christ gravit la montagne à l’insu de ses disciples. Ils attendirent pour cette raison jusqu’au soir, pensant qu’il allait les rejoindre. Le soir tombé, ils n’y tiennent plus et se mettent à sa recherche, tant l’amour les possédait. Et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: DES QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT A LA MER en le cherchant.
Au sens mystique, le SOIR désigne la Passion du Seigneur ou son Ascension: aussi longtemps que Jésus fut pré sent à ses disciples avec son corps, aucun trouble ne les arrêtait, aucune amertume ne les tourmentait: Les fils de l’époux peuvent-ils s’attrister tant que l’époux est avec eux? 101 Mais le Christ s’étant séparé d’eux, ils descendent vers la mer, c’est-à-dire vers les troubles du siècles: Voici la grande mer... 102
ET QUAND ILS FURENTMONTÉS DANS
LA BARQUE, ILS VINRENT DE L'AUTRE CÔTÉ DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM.
875. Mais, à cause de l’amour
dont ils étaient enflammés, ils ne pouvaient supporter plus longtemps que man
que la présence du Seigneur; c’est pourquoi ils en viennent à traverser la mer:
ET QUAND ILS FURENT MONTES DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L’AUTRE COTE DE LA
MER 103. OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAIENT DÉJÀ FAITES ET JÉSUS N’ÉTAIT PAS VENU À
EUX. CEPENDANT, AU SOUFFLE D’UN GRAND VENT, LA MER S’ENFLAIT.
876. L’Évangéliste explicite ici ce qu’il avait sommairement noté: le trajet jusqu’à lamer, puis la traversée [n° 878].
OR LES TÉNÈBRES S’ÉTAIENT DEJÀ
FAITES ET JÉSUS N’ÉTAIT PAS VENU À EUX.
877. Ce n’est pas sans raison que les ténèbres sont mentionnées, mais pour manifester par là la ferveur de leur amour. En effet, ni le soir ni la nuit n’ont arrêté les disciples 104.
Au sens mystique, les ténèbres désignent le manque de charité. La charité est en effet la lumière, d’après ce passage: Celui qui aime son frère demeure dans la lumière 105. Les ténèbres sont donc en nous tant que Jésus, la lumière véritable, n’est pas parvenu jusqu’à nous, comme il est dit plus haut 106, lui dont la présence chasse toutes les ténèbres 107.
Si le Christ s’est soustrait aussi longtemps
à ses Apôtres, c’est d’abord pour qu’ils éprouvent ce qu’était son absence, ce
dont ils ont fait l’expérience en mer, lors de la tempête — Pour en avoir fait
l’expérience, vois combien il est mauvais et amer d’abandonner le Seigneur 108 —,
mais aussi pour qu’ils le recherchent avec encore plus de diligence — Où est
parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, (...) et nous le chercherons
avec toi 109.
878. De la traversée,
l’Évangéliste dit: CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT. Il
note d’abord la tempête de mer [n°
879], puis l’apparition du Christ et le moment de
son apparition [n° 880], et enfin l’effet de l’apparition [n° 881].
CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN
GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT
879. Sur la mer, la tempête était provoquée par le souffle du vent qui s’était levé, et c’est pourquoi il dit:
CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER
S'ENFLAIT, au large. Parce vent on désigne la tentation et la persécution par
lesquelles passera l’Eglise à cause du man que de charité. En effet, comme le
dit Augustin, là où la charité se refroidit, les vagues grandissent et la
barque est secouée. Et cependant, ni ces vents, ni la tempête, ni les vagues,
ni les ténèbres, ne réussissent à l’empêcher d’avancer ni à la disloquer et
finalement à la submerger: Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. —
Les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison et elle n’a pas
été renversée 110.
880. L’apparition du Christ n’eut pas lieu dès le début de la tempête, mais après un certain temps; c’est pour cela que l'Evangéliste dit: APRES DONC QU’ILS EURENT RAME VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JESUS. Et cela pour nous faire comprendre que le Seigneur permet que nous soyons tourmentés pour un temps afin d’éprouver notre force. Au terme cependant, lorsque l’épreuve est sur le point de nous écraser, il ne nous abandonne pas, il se fait proche de nous: Dieu est fidèle, qui ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais qui ménagera, avec la tentation, la voie par laquelle vous pourrez la supporter 111.
D’après Augustin, les vingt-cinq stades qu’ils franchissent en ramant sont les cinq livres de Moïse. En effet, un tel nombre est un carré, obtenu par la multiplication du nombre cinq par lui-même: cinq fois cinq en effet font vingt-cinq. Or le nombre multiplié conserve la signification de sa racine: pour cette raison, de même que l’on désigne par cinq l’ancienne Loi, de même aussi par vingt-cinq. Par trente, on désigne la perfection du Nouveau Testament qui manquait à la Loi. En effet, si ces mêmes cinq sont multipliés par six, qui est un nombre parfait, apparaît le nombre trente 112.
A ceux qui parcourent en ramant les vingt-cinq ou trente stades, c’est-à-dire qui accomplissent la Loi ou la perfection évangélique, à ceux-là Jésus vient, foulant aux pieds toutes les agitations du monde et toutes les prétentions du siècle — C’est toi qui domines la puissance de la mer, et le mouvement de ses flots, c’est toi qui l’apaises 113. Ils voient alors le Christ approcher de la barque, c’est-à-dire qu’ils voient approcher le secours divin — Le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent 114.
Il apparaît donc que, à ceux qui le
recherchent avec droiture, le Christ accorde sa présence. Or les Apôtres le
désiraient avec une extrême ferveur; ce que prouvent l’obscurité du moment, la
tempête de la mer et l’éloignement du port, obstacles malgré lesquels ils
s’efforçaient de le rejoindre. Et c’est pourquoi le Christ se rendit présent à
eux.
ET ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL
LEUR DIT: "C’EST MOI, NE CRAIGNEZ PAS." ILS VOULURENT DONC LE
PRENDRE DANS LA BARQUE, ET AUSSITÔTLA BARQUE TOUCHA LA TERRE À LAQUELLE ILS
ALLAIENT
881. L’Évangéliste expose ici
l’effet de l’apparition; d’abord l’effet intérieur [n° 882], puis l’effet extérieur.
882. L’effet intérieur fut la crainte. Et c’est pourquoi on rapporte en premier lieu la crainte des disciples conçue à l’apparition soudaine du Christ: ET ILS CRAIGNIRENT, d’une crainte bonne qui est causée par l’humilité — Ne conçois pas d’orgueilleux desseins, mais crains 115 ou d’une crainte mauvaise parce que, selon le récit de Matthieu, les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés et se disaient: "c’est un fantôme" et sous l’effet de la crainte, ils poussaient des cris 116 — Ils ont tremblé de crainte là où il n'y avait pas à craindre 117. Cette crainte se rencontre principalement chez les gens soumis à la chair, parce qu’ils redoutent les réalités spirituelles.
En second lieu, l’Evangéliste nous dit l’aide apportée par le Christ face à un double péril: le péril de la foi dans l’intelligence, et quant à cela il dit: C'EST MOI, comme chassant toute incertitude — Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi" et le péril de la crainte dans la volonté; quant à celui-ci, il dit: NE CRAIGNEZ PAS — A la face des peuples, sois sans crainte — Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte? 120
En troisième lieu est rapportée l’arrivée des disciples à hauteur du Christ: ILS VOULURENT LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ce qui signifie que lorsque la crainte servile est chassée de nos coeurs, alors nous recevons le Christ en l’aimant et en le contemplant: Voici que je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui 121.
ET AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA
LA TERRE À LAQUELLE ILS ALLAIENT
883. L’effet extérieur concerna la barque qui, une fois la tempête apaisée, toucha aussitôt terre, alors que, d’après la distance parcourue, elle en était encore très éloignée. Le Christ ne leur a pas assuré une navigation fictive, mais tranquille. Et voulant accomplir un plus grand miracle, il ne monta pas dans la barque.
Ainsi donc, trois miracles se rejoignent ici:
la marche sur la mer, l’arrêt soudain de la tempête, l’acheminement de la
barque au port encore éloigné. Pour que nous apprenions que les croyants en qui
le Christ demeure répriment l’agitation du monde, foulent aux pieds le flot des
tribulations et accomplissent rapidement leur traversée vers la terre des
vivants 122, d’après le psaume: Ton
esprit de bonté me conduira dans une terre sans embûches 123.
884. Mais ici, trois questions se posent. L’une concerne la lettre, à propos de laquelle jean affirme manifestement le contraire de Matthieu: en effet, Matthieu dit que les disciples gagnèrent la mer sur l’ordre du Seigneur 124, or ici, ils y descendent en le cherchant. Une autre question se pose: Matthieu dit au même endroit que c’est en passant par la mer que les disciples parviennent en terre de Génésareth 125. Or ici, il est dit qu’ils arrivèrent à Capharnaüm. Troisième question: Matthieu dit que le Christ monta dans la barque, et jean qu’il n’y monta pas.
Chrysostome 126 affirme, se débarrassant du même coup des trois questions, que ce miracle ne fut pas le même que celui rapporté par Matthieu. En effet, comme il le dit lui-même, le Christ accomplit fréquemment des miracles tels que marcher sur les eaux, non pas devant les foules, mais devant ses seuls disciples pour éviter que les foules croient qu’il n’avait pas un vrai corps.
Mais d’après Augustin 127, il est dit, et c’est plus juste, que ce fut le même miracle, rapporté ici par Jean, là par Matthieu. Et c’est pourquoi, répondant à la première question, il dit qu’il importe peu que Matthieu dise que ceux-ci étaient descendus à la mer sur l’ordre du Christ. Il a pu se faire en effet que le Seigneur le leur ait ordonné et qu’eux soient descendus, croyant que le Christ allait naviguer avec eux. Voilà pourquoi ils l’attendirent jusqu’à la nuit; et parce que le Christ ne venait pas, alors ils franchirent la mer.
A la seconde question, il y a deux réponses.
La première tient au fait que Capharnaüm et Génésareth sont sur la même rive et
voisines. Et les disciples, peut-être, parvinrent par la mer aux confins des
deux; C’est pour cela que Matthieu nomme l’une, Jean l’autre. On peut aussi
dire que Matthieu ne précise pas qu’ils vinrent tout de suite à Génésareth;
c’est pourquoi, peut-être, ils vinrent d’abord à Capharnaüm, puis de là à
Génésareth 128.
LE JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI
SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSERVA QU’IL N’Y AVAIT EU LÀ QU’UNE SEULE
BARQUE, QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE MAIS
QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS; CEPENDANT, D’AUTRES BARQUES VINRENT DE
TIBÉRIADE, PRÈS DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN, LE SEIGNEUR AYANT RENDU
GRÂCES. QUAND DONC LA FOULE EUT VU QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS LÀ, NI SES DISCIPLES
NON PLUS, ILS MONTÈRENT DANS LES BARQUES ET VINRENTÀ CAPHARNAUM, CHERCHANT
JÉSUS. ET L’AYANT TROUVÉ DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER, ILS LUI DIRENT: "RABBI,
QUAND ES-TU VENU ICI?"
885. Après avoir rapporté la manière dont les disciples cherchèrent le Christ, l’Evangéliste considère maintenant les foules qui le cherchaient.
Il expose d’abord ce qui les a poussées à le chercher [n° 886] et l’occasion qu’elles ont saisie pour mettre ce dessein à exécution [n° 887]. Vient enfin le récit de la recherche elle-même [n° 888].
LE JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI
SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSER VA QU1L N’Y AVAIT EU LÀ QU’UNE SEULE
BARQUE, QUE JÉSUS N’ÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE, MAIS
QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS.
886. Ce qui a poussé les foules à chercher le Christ, c’est le miracle qu’il vient d’accomplir: franchir la mer sans embarcation. Le miracle leur apparaît du fait que depuis le crépuscule il n’était pas sur le rivage, proche du lieu où il avait accompli le miracle des pains; la seule barque qui avait été sur ce rivage était passée avec les disciples sur l’autre bord, sans le Christ. C’est pourquoi, lorsqu’au matin ils ne trouvèrent pas le Christ sur le bord où ils étaient la veille, mais constatèrent qu’il était déjà de l’autre côté sans avoir eu aucune embarcation pour traverser, ils se doutèrent qu’il avait accompli la traversée en marchant sur la mer. C’est ce qu’exprime l’Evangéliste en disant: LE JOUR SUIVANT celui du miracle des pains, LA FOULE QUI SE TENAIT DE L’AUTRE CÔTE DE LA MER où il avait accompli le miracle OBSERVA QU’IL N’Y AVAIT EU LA QU’UNE SEULE BARQUE, parce que la veille il n’y en avait pas eu d’autres que celle-là, et vit QUE JESUS N’ETAIT PAS MONTE AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE 129.
Cette unique barque signifie l’Eglise qui est une par l’unité de la foi et des sacrements: Une seule foi, un seul baptême 130. Quant au fait que Jésus n’est pas avec ses disciples, il signifie la séparation physique que l’Ascension réalise entre le Christ et ses disciples: Le Seigneur, après leur avoir parlé, fut emporté au ciel 131.
CEPENDANT, D'AUTRES BARQUES
VINRENT DE TIBÉRIADE, PRÈS DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN, LE SEIGNEUR
AYANT RENDU GRÂCES.
887. L’occasion de la recherche est donnée par l’arrivée d’autres barques, d’un autre endroit de la mer, avec lesquelles ils pouvaient la traverser pour chercher le Christ; et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: D’AUTRES BARQUES SURVINRENT, d’un autre endroit, c’est-à-dire DE TIBERIADE, PRES DU LIEU OÙ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN.
Ces autres barques qui surviennent signifient
les groupes d’hérétiques et ceux qui cherchent leurs intérêts et non pas ceux
du Christ: Vous me cherchez (...) parce que vous avez mangé des pains 132. S’il y a d’autres barques, c’est qu’elles sont séparées de
l’Eglise, du point de vue soit de la foi pour les hérétiques, soit de la
charité pour les hommes charnels; de l’extérieur cependant, ils semblent en
être proches dans la mesure où ils font état d’une foi simulée et ont une
apparence de sainteté: Ceux qui ont l’apparence de la piété, mais qui en
rejettent la source... 133 — Il n'est pas étonnant que les serviteurs de Satan prennent
l’apparence de serviteurs de justice 134.
888. La recherche fut empressée. L’Évangéliste rap porte d’abord comment la foule se met à la recherche du Christ [n° 889], puis comment, l’ayant trouvé, elle l’interroge [n° 890].
QUAND DONC LA FOULE EUT VU QUE
JÉSUS NÉTAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTERENT DANS LES BARQUES
ET VINRENT A CAPHARNAUM, CHERCHANT JÉSUS.
889. Il dit donc d’abord que QUAND LA FOULE EUT VU QUE JESUS N’ETAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTERENT DANS LES BARQUES qui étaient arrivées de Tibériade, le CHERCHANT, ce qui est louable: Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver 135. Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 136.
ET
L’AYANT TROUVÉ DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA MER, ILS LUI DIRENT: "RABBI, QUAND
ES-TU VENU ICI?"
890. Mais l’ayant trouvé, ils
l’interrogent: les Juifs, AYANT TROUVE le Christ DE L’AUTRE COTE DE LA MER, LUI
DIRENT: "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"
On peut comprendre cette question de deux manières: ou bien ils cherchent seulement à savoir quand il est arrivé, et alors, selon Chrysostome 137: il faut blâmer les rustres qui, après un si grand miracle, ne cherchent pas à savoir comment s’est accomplie la traversée — c’est-à-dire de quelle manière il l’a accomplie sans embarcation —, mais seulement à quel moment elle s’est accomplie.
Ou bien on peut dire que leur interrogation
ne porte pas seulement sur le temps, mais aussi sur les autres circonstances de
la traversée miraculeuse.
891. Mais remarquons que, plus
haut, après qu’il eut refait leurs forces, ils voulaient le faire roi, alors
que maintenant qu’il est présent et qu’ils le tiennent, ils ne veulent plus le
faire roi. En voici la raison: ils voulaient le faire roi sous l’effet de la
joie causée par le repas. Or les passions de cette sorte sont fugitives, et
c’est pour cela que tout ce qui est fondé sur elles est passager; ce qui, au
contraire, est fondé sur l’intelligence, est plus stable: L'homme de Dieu,
semblable au soleil, demeure dans sa sagesse, mais l’insensé est changeant
comme la lune 138— L’impie fait une oeuvre instable 139.
LA REVELATION DE LA NOURRITURE SPIRITUELLE
892. Après cela, [on voit] le Seigneur traiter de la nourriture spirituelle, dont il met la vérité en lumière, pour écarter ensuite les opinions qui viennent la contredire.
26
leur répondit et dit: "Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non
parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et
avez été rassasiés. 27a Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt,
mais en vue de celle qui demeure pour la vie éternelle, 27b et que le Fils de
l’homme vous donnera; car Dieu le Père l’a marqué." Ils lui dirent donc:
"Que ferons-nous pour travailler aux oeuvres de Dieu?" 29 répondit et
leur dit: "L’oeuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a
envoyé. " 30 Ils lui dirent donc: "Quel signe fais-tu donc pour que
nous voyions et croyions en toi? Quelle oeuvre fais-tu?" Nos pères ont mangé
la manne dans le désert, comme il est écrit: Il leur a donné à manger un pain
du ciel. " 32 leur dit donc: "Amen, amen, je vous le dis, ce n’est
pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne
le vrai pain du ciel. 33 Car le vrai pain [Dieu] est celui qui descend du ciel
et donne la vie au monde. " 34 lui dirent donc: "Seigneur, donne-nous
toujours ce pain. " 3 leur dit: "C’est moi qui suis le pain de vie
qui vient à moi n’aura pas faim, et qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais
je vous l’ai dit, vous m’avez vu, et vous ne croyez pas. Tout ce que me donne
le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors,
parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté
de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé — le Père
— que de tout ce qu’il m’a donné, je ne perde rien, mais que je le ressuscite
au dernier jour. 40a Car c’est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que
quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle 40b et moi je le
ressusciterai au dernier jour."
Le Seigneur nous enseigne la vérité sur la nourriture spirituelle en nous en découvrant la puissance [n° 895], puis l’origine [n° 903], et enfin en enseignant la manière de la prendre.
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT ET DIT: "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON
PARCE QUE VOUS A VEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET
A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS. TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS
EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE, ET QUE LE FILS DE L'HOMME
VOUS DONNERA; CAR DIEU LE PÈRE L'A MARQUÉ." ILS LUI DIRENT DONC: "QUE
FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?" JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR
DIT: "L’OEUVRE DE DIEU, C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A
ENVOYÉ."
Avant de parler de la puissance de cette nourriture, le Seigneur en révèle l’existence. Après cela, il manifeste ce qu’elle est [n° 899]. A propos de son existence, il dénonce la cupidité perverse des Juifs, puis il les exhorte à se soumettre à la vérité [n° 894].
893. Le Seigneur dit donc: AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, bien que vous vous comportiez comme si vous m’étiez dévoués, cependant VOUS ME CHERCHEZ NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS, comme pour dire: c’est à cause de la chair et non de l’esprit que vous me cherchez; en effet, c’est pour être à nouveau rassasiés.
Et comme le dit Augustin 1, ils se trouvent dans cette même situation, ceux qui cherchent Jésus non pas pour lui-même mais pour en obtenir certains avantages profanes: ainsi ceux qui, engagés dans les choses du monde, s’adressent aux dignitaires de l’Eglise et aux clercs, non pas à cause du Christ, mais pour que, par leur intercession, ils soient introduits auprès des grands. Tels sont aussi ceux qui se réfugient auprès des Eglises non pas à cause de Jésus mais parce qu’ils sont opprimés par de plus forts qu’eux, comme d’ailleurs ceux qui, s’approchant du Seigneur par les ordres sacrés, y recherchent non pas le mérite de la vertu mais des ressources pour la vie présente, les richesses et les honneurs, comme le dit Grégoire 2. Et cela est vérifié ici: en effet, accomplir des signes revient à la puissance divine, mais manger le pain multiplié n’est que temporel. Ceux qui ne viennent pas au Christ à cause de la puissance qu’ils voient en lui, mais parce qu’ils se nourrissent de pain, ne servent donc pas le Christ mais leur ventre, comme il est dit dans l’épître aux Philippiens 3— Il te reconnaîtra lorsque tu lui auras fait du bien 4.
894. Il les ramène à la vérité en leur donnant connaissance d’une nourriture spirituelle; il parle d’abord de sa puissance, puis de son auteur [n° 897].
TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE
LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE
ÉTERNELLE.
895. La puissance de cette nourriture ressort du fait qu’elle ne périt pas. Sachons à ce propos que les réalités corporelles ont une certaine ressemblance avec les réalités spi rituelles dans la mesure où celles-ci en sont cause et source; et c’est pourquoi elles imitent en quelque manière les réalités spirituelles. Or le corps est soutenu par la nourriture; cela donc qui soutient l’esprit, quoi que ce soit, en est appelé la nourriture. Et ce qui soutient le corps, puisqu’il passe dans la nature de ce corps, est corruptible; mais la nourriture qui soutient l’esprit est incorruptible parce qu’elle n’est pas changée en l’esprit lui-même, mais c’est au contraire l’esprit qui est changé en la nourriture. Voilà pourquoi Augustin dit: "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi 5.
C’est pour cela que le Seigneur dit:
TRAVAILLEZ, c’est-à-dire, recherchez en travaillant — autrement dit, méritez
par vos travaux — non pas LA NOURRITURE QUI PERIT, celle qui est corporelle —
Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu
abolira l’un comme l'autre 6, les autres parce qu’on ne fera pas toujours usage des aliments, mais
TRAVAILLEZ en vue de cette nourriture, celle de l’esprit, QUI DEMEURE POUR LA
VIE ÉTERNELLE. Cette nourriture est Dieu lui-même en tant qu’il est la vérité à
contempler et la bonté à aimer qui nourrissent l’esprit — Mangez mon pain 7 — Elle
l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence 8. Cette nourriture est aussi l’obéissance aux commandements divins —
Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé 9; et encore le Christ lui-même — C’est moi qui suis le pain de vie 10. Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une
boisson 11, cela en tant que [sa chair
est] conjointe au Verbe de Dieu qui est la nourriture dont vivent les
anges. Plus haut, à propos de la boisson corporelle et de la boisson
spirituelle, il avait mis en lumière une différence semblable à celle qu’il
établit ici entre la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle:
Quiconque boit de cette eau aura encore soif mais celui qui boit de l’eau que
moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif 12. La raison en est que les réalités corporelles sont corruptibles,
tandis que les réalités spirituel les, et Dieu plus que tout, demeurent
éternellement.
896. Mais il faut savoir, selon Augustin (dans son livre sur Le travail des moines 13), que sur cette parole TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, certains moines trouvèrent le moyen d’errer en disant que les hommes spirituels ne devaient pas travailler de leurs mains, à quelque oeuvre que ce soit. Mais cette interprétation est fausse, puisque Paul, qui fut éminemment spirituel, a travaillé de ses propres mains, comme lui-même le rapporte dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens: Nous n'avons pas mangé gratuitement le pain de qui conque, mais dans le labeur et la fatigue, oeuvrant jour et nuit, afin de n’être un poids pour personne 14. La véritable intelligence du passage est donc que nous orientions notre oeuvre, c’est-à-dire notre principal effort et notre intention, vers la recherche de la nourriture qui conduit à la vie éternelle, c’est-à-dire vers les biens spirituels. Sur les choses temporel les, nous ne devons pas porter en premier lieu notre attention, mais seulement d’une manière relative: nous les procurer uniquement en raison de notre corps corruptible qu’il faut soutenir aussi longtemps que nous vivons ici-bas. Pour cette raison, et à l’encontre de ces moines, l’Apôtre dit explicitement: Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus 15, comme s’il disait: ceux qui disent qu’il ne faut travailler à aucune oeuvre corporelle — et manger en est bien une —, ceux-là doivent aussi ne pas manger.
ET QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS
DONNERA; CAR DIEU LE PÈRE L’A MARQUÉ.
897. L’Évangéliste considère ici l’auteur du don de la nourriture spirituelle. Il mentionne d’abord de qui il s’agit, puis montre d’où lui vient l’autorité de la donner [n° 898].
L’auteur et le donateur de la nourriture spirituelle est le Christ. Et c’est pourquoi il dit CELLE, c’est-à-dire la nourriture qui ne périt pas, QUE LE FILS DE L’HOMME VOUS DONNERA. S’il avait dit "le Fils de Dieu", on n’y aurait rien vu d’étonnant. Mais que ce soit le Fils de l’homme qui la donne est plus propre à éveiller l’attention. La raison pour laquelle il revient proprement au Fils de l’homme de don ner est que la nature humaine blessée par le péché se dégoûtait de la nourriture spirituelle, et n’était pas capable de la prendre dans ce qu’elle a de spirituel: pour cette rai son, il a été nécessaire que le Fils de Dieu prît chair et que, par sa chair, il nous redonnât vigueur — Tu as préparé devant moi une table 16.
898. D’où lui vient l’autorité de donner? L’Évangéliste le dit: DIEU LE PERE L’A MARQUE 17, comme s’il disait: si le Fils donne, cela ne lui revient qu’à cause du caractère uni que et éminent de sa plénitude de grâce, par laquelle il sur passe tous les fils des hommes. Il l’a MARQUE, c’est-à-dire choisi explicitement parmi les autres: Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tous tes compagnons 18.
Ou, selon Hilaire 19, il l’a MARQUÉ, c’est-à-dire marqué de son sceau. Quand on a imprimé un sceau dans de la cire, celle-ci conserve toute la figure du sceau. De même, le Fils reçoit toute la forme du Père. Et c’est de deux manières que le Fils reçoit du Père: l’une est éternelle et ce qui est dit ici ne la signifie pas, parce que dans l’apposition d’un sceau, autre est la nature de ce qui reçoit, autre celle de ce qui imprime. Mais il faut le comprendre du mystère de l’Incarnation, parce que Dieu le Père a imprimé dans la nature humaine le Verbe qui, par son Incarnation, est le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance 20.
Ou, selon Chrysostome 21, il l’a
MARQUE, c’est-à-dire Dieu le Père l’a établi spécialement pour donner la vie
éternelle au monde: Moi, je suis venu pour que mes brebis aient la vie et
qu’elles l’aient plus abondamment 22. Ainsi en effet, quand
quelqu’un est choisi pour assumer une fonction importante, on dit qu’il est
détaché 23 en vue d’exercer cette fonction: Après cela, le Seigneur détacha
encore soixante-douze autres disciples 24. Ou encore, il l'a MARQUE,
c'est-à-dire l'a manifesté par la voix lors du baptême, et par les oeuvres,
comme on l’a dit plus haut.
899. Ensuite, en disant: ILS LUI DIRENT DONC: "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?", l’Evangéliste manifeste ce qu’est la nourriture spirituelle; il note d’abord la question des Juifs, puis la réponse de Jésus-Christ.
ILS LUI DIRENT DONC: "QUE
FERONS-NOUS POUR [TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU?"
900. Sur cette question, sachons que les Juifs, instruits par la Loi, croyaient que rien n’est éternel, si ce n’est Dieu. Ainsi, lorsque le Seigneur eut dit que la nourriture spirituelle DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, ils comprirent que cette nourriture est quelque chose de divin. Et voilà pourquoi, en interrogeant, ils mentionnent non pas la nourriture mais l’oeuvre de Dieu: QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX OEUVRES DE DIEU? En cela, ils n’étaient pas loin de la vérité puisque la nourriture spirituelle n’est rien d’autre que de travailler aux oeuvres de Dieu — Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? 25
JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "L’OEUVRE
DE DIEU, C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYÉ."
901. Dans cette réponse du Seigneur, il faut avoir pré sent à l’esprit que l’Apôtre distingue la foi des oeuvres 26, en disant qu’Abraham n’a pas été justifié par les oeuvres mais par la foi. Qu’est-ce donc que le Seigneur affirme là, que la foi elle-même, c’est-à-dire croire, est l’oeuvre de Dieu?
A cela il y a deux réponses. L’une consiste à dire que l’Apôtre ne distingue pas la foi des oeuvres prises au sens absolu, mais des oeuvres extérieures. Certaines oeuvres en effet sont extérieures, celles que produisent les membres du corps, et parce qu’elles sont plus manifestes, elles sont communément appelées oeuvres. D’autres au contraire sont intérieures, celles qui s’exercent dans l’âme elle-même, qui ne sont connues que des sages et de ceux qui se recueillent en leur coeur 27. En un autre sens, on dit que croire peut être compté parmi les oeuvres extérieures, non que la foi soit les oeuvres elles-mêmes, mais au sens où elle en est le principe. C’est pour cela qu’il dit expressément: C’EST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QU’IL A ENVOYE. Ce n’est pas en effet la même chose de dire croire à Dieu — ainsi en effet je désigne l’objet —, croire Dieu parce qu’ainsi je désigne le témoin, et croire en Dieu parce qu’ainsi je désigne la fin 28; de sorte que Dieu se rapporte à la foi comme son objet, son témoin et sa fin, mais autrement ici ou là, parce que l’objet de la foi peut être une créature [comme créée] — je crois en effet que le ciel a été créé — et qu’une créature peut aussi être témoin de la foi — je crois en effet Paul ou n’importe lequel des saints — mais la fin de la foi ne peut être que Dieu: de fait, c’est vers Dieu seul que notre esprit peut être tourné comme vers sa fin. Or la fin, qui comme telle est bonne, est l’objet de l’amour: voilà pourquoi croire en Dieu comme à une fin est propre à la foi formée 29 par la charité. Cette foi ainsi formée est principe de toutes les bonnes oeuvres et, dans cette mesure, le fait même de croire est appelé OEUVRE DE DIEU.
902. Mais si la foi est L’OEUVRE DE DIEU, comment les hommes accomplissent-ils les oeuvres de Dieu?
Cette difficulté est dénouée par Isaïe lorsqu’il dit: Toutes nos oeuvres, c'est toi qui les fais pour nous, Seigneur 30. En effet, le fait même que nous croyions et tout ce que nous accomplissons de bien nous vient de Dieu: Dieu lui-même est celui qui opère en vous le vouloir et son accomplissement 31. Et s’il dit explicitement que croire est l’oeuvre de Dieu, c’est pour manifester que la foi est un don de Dieu, comme il est dit dans l’épître aux Ephésiens 32.
II
ILS LUI DIRENT DONC:
"QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI? QUELLE
OEUVRE FAIS-TU? NOS PÈRES ONT MANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT, COMME IL EST
ÉCRIT: IL LEUR A DONNÉ À MANGER UN PAIN DU CIEL. "JÉSUS LEUR DIT DONC: "AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOÏSE QUI VOUS A DONNÉ LE PAIN DU CIEL, MAIS
C’EST MON PERE QUI VOUS DONNE LE VRAI PAIN DU CIEL. CAR LE VRAI PAIN [DIEU] EST
GELUI QUI DESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE AU MONDE."
903. Ce passage traite de
l’origine de cette nourriture, que Jésus révèle [n° 906] en réponse à une question
des Juifs qui réclament un signe [n°
904] et qui précisent lequel en mettant en avant le
témoignage de l’Ecriture [n°
905].
904. Ils demandent un signe en
posant une question: ILS LUI DIRENT: "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE
NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?"
Cette question est éclaircie par Chrysostome 33, et d’une autre manière par Augustin. Chrysostome dit en effet que le Seigneur les avait invités à la foi 34. Or, parmi ce qui nous conduit à embrasser la foi, il y a les miracles: Des signes sont donnés pour ceux qui n'ont pas la foi; et pour cette raison, ils demandent encore un signe grâce auquel ils puissent croire; c’est en effet une habitude chez les Juifs que de demander des signes: Les Juifs réclament des signes 35. C’est pour cette raison qu’ils disent: QUEL SIGNE FAIS-TU DONC?
Mais il est ridicule, de la part des Juifs, de réclamer un miracle pour croire, quel que soit ce miracle, puisque le Christ venait d’en accomplir en multipliant les pains et en marchant sur le mer et que ces miracles, grâce auxquels ils auraient pu croire, s’étaient produits sous leurs yeux. Mais s’ils disent cela, c’est pour provoquer le Seigneur et l’amener à leur procurer toujours la nourriture. Cela est évident, puisqu’ils ne font mention d’aucun autre signe que celui accompli par Moïse pour leurs pères pendant quarante années, comme si par là ils lui demandaient de toujours les nourrir: NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, et non pas: Dieu a nourri nos pères de la manne, pour ne pas laisser croire qu’ils voulaient en faire l’égal de Dieu. Ils ne disent pas non plus que Moïse les a nourris, pour ne pas laisser penser qu’ils préféraient Moïse au Christ: ne voulaient-ils pas l’amadouer, pour que sans cesse il les nourrisse? De cette nourriture il est dit: Voici que moi je vais faire pleuvoir pour vous un pain du ciel 36, et dans les Psaumes: L’homme a mangé le pain des anges 37.
NOS PÈRES ONTMANGÉ LA MANNE
DANS LE DÉSERT, COMME IL EST ÉCRIT: IL LEUR A DONNÉ À MANGER UN PAIN DU CIEL.
905. Augustin 38, lui, dit que le Seigneur a affirmé qu’il allait leur donner LA NOURRITURE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE comme pour faire apparaître sa prééminence sur Moïse. Les Juifs, eux, estimaient Moïse plus grand que le Christ. Pour cette raison ils affirmaient:
Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, nous ne savons d’où il est 39. Et c’est pour cela qu’ils réclamaient du Christ qu’il accomplisse des actions plus grandes que celles de Moïse. Et à cause de cela, ils évoquent ce que fit Moïse en disant: NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, comme s’ils voulaient dire: l’action que tu t’attribues est plus grande que ce que Moïse a accompli, parce que toi tu promets la nourriture qui ne périt pas, tandis que la manne donnée par Moïse, si elle était gardée pour le lendemain, grouillait de vers. Si donc tu veux que nous croyions en toi, accomplis quelque chose de plus grand que Moïse; ce que tu as accompli, en effet, n’est pas plus grand, parce que tu as rassasié cinq mille hommes, mais avec des pains d’orge et une seule fois, alors que lui, c’est tout le peuple qu’il a rassasié avec la manne, et pendant quarante années, et cela dans le désert, ainsi qu’il est écrit dans le psaume: Il leur a donné à manger un pain du ciel 40.
JÉSUS LEUR DIT DONC: "AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOÏSE QUI VOUS A DONNÉ LE PAIN DU CIEL, MAIS
C’EST MON PÈRE QUI VOUS DONNE LE VRAI PAIN DU CIEL. CAR LE VRAI PAIN [DE DIEU]
EST CEL UI QUI DESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE AU MONDE."
906. Après avoir relevé
l’interrogation des Juifs, on donne la réponse du Christ où est d’abord montrée
[n° 907], puis prouvée [n°
910], l’origine de la nourriture spirituelle.
907. Au sujet de l’origine de la
nourriture spirituelle, sachons que les Juifs, face au Christ, avaient souligné
deux aspects de l’origine de la nourriture corporelle dont leurs pères avaient
usé: que Moïse en fut le donateur, et le ciel le lieu d’où elle leur vint. A
cause de cela, le Seigneur, considérant l’origine de la nourriture spirituelle,
écarte ces deux données et affirme que le donateur et le lieu de cette
nourriture sont autres que ceux de la nourriture corporelle. Niant ce que les
Juifs disaient, il déclare: AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE N’EST PAS MOISE QUI
VOUS A DONNE LE PAIN DU CIEL; mais il est autre, celui qui donne, non le pain
du corps mais le vrai pain du ciel, parce que c’est mon Père.
908. Objection: n’était-ce pas vraiment du pain que les pères eurent dans le désert?
Réponse: si l’on comprend "vrai" par opposition à "faux", alors ce pain était véritable. Ce n’était pas en effet un faux miracle que celui de la manne. Mais si l’on comprend "vrai" au sens où la vérité s’oppose à la figure, alors il ne s’agissait pas du pain véritable, mais de la figure du pain spirituel, c’est-à-dire du Seigneur Jésus-Christ que la manne signifiait, comme le dit l’Apôtre: Tous ont mangé la même nourriture spirituelle 41.
909. Une autre objection apparaît dans ce que nous dit le psaume: Il leur a donné à manger un pain du ciel 42.
Réponse: "ciel" peut se prendre en trois sens. Il désigne soit les airs — Les oiseaux du ciel l’ont mangé 43, ou encore: Du ciel, Dieu tonna 44, soit le ciel des astres — Au Seigneur appartient le ciel des cieux 45, et les étoiles tomberont du ciel 46, soit les biens spirituels — Réjouissez-vous et exultez, car au ciel grande est votre récompense 47. La manne était donc bien venue du ciel, mais non pas du ciel des étoiles ou du ciel spirituel: elle est venue des airs. Ou bien on dit DU CIEL en tant qu’elle était la figure du véritable pain céleste, le Seigneur Jésus-Christ 48.
[33]
CAR LE VRAI PAIN DIEU EST CELUI QUIDESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE AU MONDE.
910. Le Christ prouve ici que l’origine du vrai pain est céleste, et cela par son effet. Le vrai ciel est en effet une nature spirituelle qui par elle-même implique la vie et qui, pour cette raison, est source de vie: C’est l’esprit qui vivifie 49. Or Dieu lui-même est l’auteur de la vie. A ceci donc — à son effet propre — on reconnaît que le pain spirituel est d’origine céleste: s’il donne la vie. En effet, le pain du corps ne donnait pas la vie puisque tous ceux qui avaient mangé la manne sont morts; mais celui-ci donne la vie et c’est ainsi qu’il dit: LE VRAI PAIN — et non pas sa préfiguration — EST CELUI QUI DESCEND DU CIEL, ce qui se vérifie puisqu’il DONNE LA VIE AU MONDE. En effet, le Christ qui est le vrai pain fait vivre qui il veut 50. Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient plus abondamment 51; de plus, lui-même est descendu du ciel: Personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 52.
Ainsi donc, le Christ, vrai pain, donne la vie au monde en raison de sa divinité; et il est descendu du ciel en raison de sa nature humaine. En effet, comme nous l’avons vu précédemment 53 être descendu du ciel traduit le fait d’assumer la nature humaine — Il s’est anéanti lui-même, prenant forme d’esclave 54.
III
ILS
LUI DIRENT DONC: "SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN "JÉSUS LEUR
DIT: "C’EST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE; QUI VIENT À MOI N'AURA PAS FAIM,
ET QUI CROIT EN MOI N’AURA JAMAIS SOIF. MAIS JE VOUS L'AI DIT, VOUS M’AVEZ VU,
ET VOUS NE CROYEZ PAS. TOUT CE QUE ME DONNE LE PÈRE VIENDRA À MOI, ET CELUI QUI
VIENT À MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL,
NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. OR C’EST LA
VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ -LE PÈRE- QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNE, JE NE
PERDE RIEN, MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR. CAR C’EST LA VOLONTÉ DE
MON PÈRE QUI M’A ENVOYÉ, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE
ÉTERNELLE; ET MOI, JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR."
911. L'Evangéliste regarde ensuite comment se procurer la nourriture spirituelle; il note d’abord la demande de cette nourriture [n° 912], puis la réponse où Jésus montre comment se la procurer [n° 913].
[34] ILS LUI DIRENT DONC: "SEIGNEUR,
DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN."
912. Sachons, à propos de la demande des Juifs, qu’ils avaient des paroles du Seigneur une intelligence charnelle; et c’est parce que leurs désirs étaient ceux de la chair qu’ils demandent au Christ une nourriture pour la chair. Ainsi, ils lui disent: SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN qui restaure de cette manière et ne fasse pas défaut. La Samaritaine elle aussi, ayant du discours sur l’eau spirituelle une intelligence charnelle — elle voulait être affranchie d’un besoin — disait: Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser 55. Mais, même si les Juifs ramènent à un sens charnel les paroles du Seigneur sur la nourriture et qu’ils la demandent dans cette perspective, nous pouvons cependant faire nôtre leur demande, comprise spirituellement: Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien 56 parce que, sans ce pain spirituel, nous ne pouvons pas vivre.
913. Lorsqu’ensuite l’Évangéliste dit: JÉSUS LEUR DIT: C’EST MOI..., il expose la manière de se procurer la nourriture spirituelle en montrant d’abord ce qu’est ce pain et ensuite comment on peut l’acquérir [n° 917].
Qu’est ce pain? L’Evangéliste en relate d’abord la révélation [n° 914] puis il donne la raison de la révélation [n° 915] et en montre enfin la nécessité [n° 916].
JÉSUS LEUR DIT: "C’EST
MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE."
914. En effet, comme nous l’avons dit 57, toute pensée (verbum) de sagesse est la nourriture propre de l’esprit parce que c’est elle qui le soutient: La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence 58.
Et l’on dit que le pain de la Sagesse est un pain de vie à la différence du pain corporel, qui est un pain de mort puis qu’il ne sert qu’à réparer les défaillances de notre condition mortelle et, pour cette raison, n’est nécessaire qu’en cette seule vie mortelle. Mais le pain de la Sagesse divine est source de vie et n’a pas la mort pour contraire. En outre, le pain corporel ne donne pas la vie: il ne fait que soutenir pour un temps une vie déjà existante. Mais le pain spirituel vivifie de telle manière qu’il donne lui-même la vie: l’âme ne commence à vivre qu’en adhérant au Verbe de Dieu: Auprès de toi est la source de vie 59. Donc, puisque toute pensée (verbum) de sagesse dérive du Verbe, l’unique engendré de Dieu — La source de la sagesse, c’est l’unique engendré de Dieu qui demeure dans les cieux 60, c’est le Verbe de Dieu qui est principalement dit pain de vie; c’est pour cela que le Christ dit: C’EST MOI QUI SUIS LE PAINDE VIE. Et puisque la chair du Christ a été unie au Verbe de Dieu lui-même, il lui appartient aussi de vivifier; et pour cette raison le corps, consommé sacramentellement, donne la vie: en effet, par les mystères qu’il a accomplis dans sa chair, le Christ donne la vie au monde. Et ainsi la chair du Christ, à cause de la parole du Seigneur, est le pain, non pas pour cette vie, mais pour celle à laquelle la mort ne vient pas mettre de terme. C’est en ce sens-là que la chair du Christ est dite pain: Aser, son pain est riche 61. Elle est aussi signifiée par la manne. Ce mot en effet veut dire: Qu’est-ce? 62 parce que les Juifs, en la voyant, furent saisis d’étonnement, se disant entre eux: Qu’est-ce? Mais rien n’est plus admirable que le Fils de Dieu fait homme, de telle sorte que tout homme en vient à demander: Qu’est-ce? C’est-à-dire, comment le Fils de Dieu est-il Fils de l’homme, comment deux natures ne font-elles qu’une seule personne? — Il sera nommé Admirable 63. Elle est aussi admirable, la manière dont le Christ est sous les espèces sacramentelles 64.
QUI VIENT À MOI N’AURA PAS
FAIM, ET QUI CROIT EN MOI N’AURA JAMAIS SOIF.
915. Jésus rend ici raison de l’affirmation C’EST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE en partant de l’effet propre de ce pain. Le pain corporel en effet, une fois consommé, ne supprime pas la faim pour toujours puisqu’il se corrompt et vient alors à manquer. Pour cette raison, on est obligé d’en reprendre. Le pain spirituel, au contraire, donnant la vie par lui-même, ne se corrompt jamais. Et pour cette raison, l’homme qui le consomme une seule fois n’a plus jamais faim. C’est pour cela qu’il dit: QUI VIENTA MOI N’AURA PAS FAIM, ET QUI CROIT EN MOI N'AURA JAMAIS SOIF.
Ici, venir et croire ne diffèrent pas plus, selon Augustin 65, qu’avoir faim et avoir soif. Il revient au même de venir au Christ et de croire en lui, car nous allons vers Dieu non par les pas du corps mais par ceux de l’esprit, dont le premier est la foi. Il revient aussi au même de manger et de boire car on désigne par l’un et l’autre le rassasiement éternel où il n’y a aucune indigence: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés 66. Ainsi, la nourriture qui soutient et la boisson qui rafraîchit ne font qu’un.
Quant à savoir pourquoi les réalités temporelles ne suppriment pas la soif pour toujours, une première cause en est qu’elles ne sont pas prises en une seule fois, mais peu à peu et comme dans un mouvement, et qu’ainsi il en reste toujours à prendre. A cause de cela, de même que la délectation et le rassasiement naissent de ce qui a été déjà pris, de même le désir demeure pour ce qui reste à prendre. L’autre cause est qu’elles se corrompent. C’est pour cela que, la mémoire de ce qui s’est corrompu demeurant, le désir renaît à son égard. Les réalités spirituelles, au contraire, d’une part sont reçues tout entières en une fois, d’autre part ne se corrompent pas et ne viennent pas à manquer. Et pour cette raison, le rassasiement dont elles sont cause demeure pour toujours: ils n’auront plus ni faim ni soif 67— Tu me combleras de joie par ton visage; dans ta droite, c’est-à-dire dans les biens spirituels, délices pour toujours 68.
MAIS
JE VOUS L’AI DIT, VOUS M’AVEZ VU, ET VOUS NE CROYEZ PAS.
916. Jésus montre ici la nécessité de se révéler comme pain. On pourrait en effet dire: Nous, nous avons demandé le pain; or tu ne nous réponds pas: "Je vous le donnerai" ou "Je ne vous le donnerai pas", mais tu dis plutôt: C’EST MOI JE QUI SUIS LE PAIN DE VIE; cette réponse n’est donc pas bonne. Mais qu’elle le soit, le Seigneur le montre en disant: JE VOUS L'AI DIT, VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS. Ils sont dans la situation de celui qui ignore qu’il a du pain devant lui et auquel on dit: vois, le pain est devant toi; et c’est ainsi qu’il dit JE VOUS L’AI DIT (que MOI JE SUIS LE PAIN), VOUS M’AVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS, c’est-à-dire, vous désirez le pain, et vous l’avez devant vous, et cependant vous n’en prenez pas 69, parce que vous ne croyez pas h1 leur reproche ici leur incrédulité — Ils ont vu et ils ont haï et moi et mon Père 70.
COMMENT
ACQUÉRIR CE PAIN? TOUT CE QUE ME DONNE LE PÈRE VIENDRA À MOI, ET CELUI QUI
VIENT À MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL,
NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. OR C’EST LA
VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ - LE PÈRE- QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNÉ, JE
NE PERDE RIEN, MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR. CAR C’EST LA VOLONTÉ
DE MON PÈRE QUIM’A ENVOYÉ, QUE QUI CONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE
ÉTERNELLE, ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR."
917. Ici, le Seigneur montre comment on peut obtenir le pain de vie. Il traite d’abord de la manière de l’obtenir [n° 918], puis de la fin pour laquelle il est possédé [n° 921] et de la raison pour laquelle il peut l’être [n° 922].
TOUT CE QUE ME DONNE LE PÈRE
VIENDRA À MOI.
918. Au sujet de la manière d’obtenir ce pain, sachons que le fait même de croire est en nous par un don de Dieu: C'est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 71 — Il vous a été donné, à l’égard du Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. Or il est dit parfois que Dieu le Père donne au Fils les hommes qui croient en lui, comme ici: TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI; parfois que le Fils les donne au Père: Lorsqu'il aura remis la royauté à Dieu le Père 73. A partir de là nous comprenons que le Père, en don nant, ne se dépossède pas de la royauté, pas plus que le Fils 74. Mais le Père donne au Fils en tant qu’il donne aux hommes d’adhérer à la parole de jésus; c’est par le Père, en effet, que vous avez été appelés à la communion de son Fils 75. Le Fils, en retour, donne au Père en tant que le Verbe est manifestation du Père: Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes 76. Ainsi donc, Jésus dit TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI, c’est-à-dire ceux qui croient en moi, aux quels le Père donne de s’attacher à moi.
919. Mais on pourrait dire qu’on n’use pas nécessairement du don de Dieu. Nombreux en effet sont ceux qui le reçoivent sans en user. Comment donc peut-il dire: TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI?
Il faut dire que par ce don, on n’entend pas
seulement l’habitus qu’est la foi et ce qui est du même ordre, mais encore
l’appel intérieur à croire. Quoi que l’homme fasse en vue du salut, cela relève
totalement d’un don de Dieu.
920. Mais une question demeure: si tout homme que le Père donne au Christ va vers lui, ainsi qu’il le dit lui-même, ceux-là seuls vont vers Dieu que le Père lui donne. On ne doit donc pas accuser ceux qui ne vont pas vers lui, puis qu’ils ne lui sont pas donnés.
Il faut répondre que si, sans le secours de Dieu, ils ne peuvent parvenir à la foi, cela ne leur est pas compté. Mais ce qui est compté à celui qui n’y parvient pas, c’est l’obstacle qu’il met pour ne pas y parvenir, en se détournant du salut dont la voie, en elle-même, est ouverte à tous
[7b] ET CELUI QUI VIENT À MOI,
JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS.
921. Ici, le Christ montre la fin pour laquelle le pain est possédé. En effet, quelqu’un pourrait dire: nous viendrons à toi, mais tu ne nous recevras pas. Et pour exclure cette objection, il dit: GEL UI QUI VIENT A MOI par le cheminement de la foi et par les bonnes oeuvres 78, NE LE JETTERAI PAS DEHORS, où il laisse entendre qu’il est à l’intérieur. C’est en effet de l’intérieur qu’on sort au dehors.
Portons donc notre attention sur ce qu’est cet intérieur et sur la manière dont on en est rejeté.
Puisque nous disons que toutes les réalités visibles sont en quelque sorte extérieures aux réalités spirituelles, plus une réalité est spirituelle, plus elle est intérieure. Il y a donc pour l’âme deux degrés d’intériorité. L’un est le plus profond, et c’est la joie de la vie éternelle qui, selon Augustin 79, est le grand sanctuaire et la douce retraite d’où sont absents la tiédeur, l’amertume des mauvaises pensées et les obstacles des tentations et des douleurs. Joie dont il est dit en Matthieu: Entre dans la joie de ton maître 80, et dans le psaume: Tu les cacheras dans le secret de ton visage 81, c’est-à-dire dans la pleine vision de ton essence. Et de cet intérieur, nul ne sera rejeté: Le vainqueur, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il ne sortira plus au dehors 82, parce que, ainsi que le rapporte Matthieu, les justes s'en iront à la vie éternelle 83.
L’autre degré d’intériorité est la rectitude de la conscience, qui est la joie spirituelle 84. Il en est dit: Entrant dans ma maison, je me reposerai près d’elle; et: Le roi m’a introduite dans ses appartements 85. Et de cette intériorité, certains sont rejetés.
D’après cela, la parole du Seigneur JE NE LE
JETTERAI PAS DEHORS peut être comprise de deux manières. Soit dans le sens où
l’on dit que viennent à lui ceux qui lui ont été donnés par le Père selon une
prédestination éternelle, et de ceux-ci il dit CELUI QUI VIENT A MOI,
prédestiné par le Père, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS — Dieu n’a pas rejeté son
peuple que d’avance il a connu 86. Soit dans le sens où ceux qui sortent ne sortent pas comme s’ils
étaient rejetés par le Christ; mais la cause du rejet leur revient en tant que,
par l’infidélité et les péchés, ils s’éloignent de cette intériorité que donne
la conscience droite. Ainsi, il est dit: en ce qui me concerne, JE NE LE
JETTERAI PAS DEHORS, mais eux-mêmes se rejettent — Vous m’êtes un fardeau, et
je vous rejette rai, dit le Seigneur 87. C’est de cette manière qu’a été jeté dehors celui qui était entré
dans la salle des noces sans avoir l’habit nuptial, comme il est dit en
Matthieu 88.
922. Le Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle le pain spirituel peut être possédé: son dessein d’accomplir la volonté du Père [n° 923]. Puis il montre quelle est cette volonté [n° 9241 et quel en est l’accomplissement final [n° 928].
PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU
CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ.
923. Quant au dessein d’accomplir la volonté du Père, sachons que la lettre ici donne lieu à deux interprétations: celle d’Augustin et celle de Chrysostome.
Voici celle d’Augustin 89: CELUI QUI VIENT A MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, et cela parce que vient à moi celui qui imite mon humilité. En effet, après avoir dit: Venez à moi, vous tous qui peinez, le Seigneur a ajouté: Mettez vous à mon école parce que je suis doux et humble de coeur 90. Or voici la véritable douceur du Fils de Dieu: il a soumis sa volonté à celle du Père. Et voilà pourquoi il dit: JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. C’est parce qu’elle était orgueilleuse que l’âme est sortie de Dieu, et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle revienne par l’humilité, en venant au Christ par l’imitation de son humilité, qui consiste en ceci: faire non pas sa volonté propre, mais celle de Dieu.
Précisons qu’il y a dans le Christ deux volontés. L’une relève de la nature humaine; elle lui appartient par nature et par la volonté du Père. L’autre relève de la nature divine et cette volonté est la même que celle du Père. Sa volonté, donc — je veux dire sa volonté humaine —, il l’a soumise à la volonté divine parce que, sous la motion de la volonté qui est la même que celle du Père, il s’est montré lui-même obéissant en voulant accomplir pleinement la volonté du Père: Accomplir ta volonté, ô mon Dieu, voilà ce que j’ai voulu 91. Que cette volonté se fasse en nous, nous le demandons lorsque nous disons: que ta volonté soit faite 92. Ils ne sont donc pas rejetés au dehors, ceux qui ne font pas leur volonté mais celle de Dieu. Le diable, en effet, voulant faire sa volonté, qui est celle de l’orgueil, a été rejeté du ciel 93. et le premier homme, du paradis.
Chrysostome 94 interprète de la manière suivante: la rai son pour laquelle je ne rejette pas au dehors celui qui vient à moi, c’est que je suis venu pour ceci: accomplir la volonté du Père en ce qui concerne le salut des hommes. Si donc je me suis incarné à cause du salut des hommes, comment devrais-je les rejeter? Et c’est ce qu’il dit: je ne rejette pas, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE, c’est-à-dire ma volonté humaine en vue de mon propre bien, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A ENVOYE — la volonté du Père —, qui veut que tous les hommes soient sauvés 95. Et c’est pour cela que, quant à moi, je ne rejette personne — Si, en effet, étant ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte rai son, une fois réconciliés, serons-nous sauvés dans sa propre vie 96.
924. Le Christ considère ensuite quelle est la volonté du Père. Il l’expose d’abord [n° 925]; puis il en donne la rai son [n° 927].
OR C’EST LA VOLONTÉ DE CELUI
QUI M’A ENVOYÉ — LE PÈRE — QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNÉ, JE NE PERDE RIEN,
MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR.
925. Jésus a donc dit: JE NE JETTERAI PAS DEHORS ceux qui viennent à moi, parce que j’ai pris chair pour faire la volonté du Père. OR LA VOLONTE DE CELUI QUI M’A EN VOYE — LE PERE — C’EST QUE, précisément, celui qui vient à moi, je ne le jette pas dehors; et c’est pour cela que j’agis effectivement ainsi — Telle est la volonté de Dieu: votre sanctification 97. Et pour cette raison il dit: QUE DE TOUT CE QU’IL M’A DONNE, JE NE PERDE RIEN, autrement dit: Père, que je n’en perde aucun jusqu’à ce qu’il parvienne à la résurrection à venir; dans cette résurrection, certains seront perdus, non pas de ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle, mais les impies: le chemin des impies se perdra 98. Quant à ceux qui seront gardés jusque-là, ils ne seront pas perdus.
Cette expression, QUE JE NE PERDE, ne doit pas nous laisser penser qu’il ait besoin de la sollicitude de ses proches ou que la perte de quiconque soit pour lui un dommage. Mais il dit cela à cause de son désir de leur salut et de leur bien, qu’il considère comme sien 99.
926. Mais cela est contredit plus loin: Pas un d’eux, c’est-à-dire de ceux que tu m’as donnés, n’a péri, hors le fils de perdition 100. Donc, certains de ceux qui lui ont été donnés sont perdus. Ce qu’il dit ici: QUE JE NE PERDE RIEN ne semble donc pas juste. Mais il faut dire que parmi ceux qui lui ont été donnés selon la justice présente, certains sont perdus, mais pas parmi ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle.
CAR C’EST LA VOLONTÉ DE MON
PÈRE QUI M’A ENVOYÉ, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE
ÉTERNELLE.
927. Il donne ici la raison de cette volonté divine. Pour quoi le Père veut-il que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné? C’est que la volonté du Père est de communiquer la vie spirituelle aux hommes, parce qu’il est lui-même source de vie 101. Et quant à lui, puisqu’il est éternel, sa volonté est que quiconque vient à lui ait la vie éternelle. Et c’est ce qu’il dit: C’EST LA VOLONTE DE MON PERE QUI M’A ENVOYE, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE ÉTERNELLE.
Mais il faut noter qu’il avait dit plus haut:
Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé 102, tandis qu’ici il dit: QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI,
de manière à nous faire comprendre que la divinité du Père et du Fils est la
même, elle dont la vision par essence est notre fin ultime et l’objet de la
foi. Cette parole VOIT ne signifie pas la vision par essence, que la foi
précède, mais la vision corporelle du Christ qui conduit à la foi. Et c’est
pour cela qu’il dit explicitement QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROITENLUI; et plus
haut: Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé (...) est
passé de la mort à la vie 103, et plus bas: Ceux-ci
(les signes opérés par Jésus) ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus
est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son
nom 104.
ET
MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR.
928. L’accomplissement plénier
de cette volonté du Père viendra au terme, et c’est pour cela qu’il ajoute: ET
MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR, parce que le Père veut qu’il ait la
vie éternelle non seulement en son âme mais aussi en son corps: ils se
réveilleront 105 de la même manière que le Christ est ressuscité: Le Christ,
ressuscitant d’entre les morts, désormais ne meurt plus 106.
41
Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu’il avait dit: "Moi,
je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel" et ils disaient:
"N’est-ce pas là le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la
mère? Comment donc dit-il: "Je suis descendu du ciel’?" 43 répondit
donc et leur dit: "Ne murmurez pas entre vous 44a nul ne peut venir à moi
si le Père qui m’a envoyé ne l’attire et moi je le ressusciterai au dernier
jour. 45a Il est écrit dans les Prophètes: Tous seront enseignés par Dieu. 45b
Quiconque s’est mis à l’écoute du Père et à son école vient à moi. 46 Non que
personne ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu: celui-là a vu le
Père. Amen, amen, je vous le dis: Qui croit en moi a la vie éternelle. Moi je
suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont
morts. ° Tel est le pain qui descend du ciel: Si quelqu’un en mange, il ne
meurt pas. Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. 52 Si
quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que moi je
donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. " Les Juifs donc
disputaient entre eux, disant: "Comment celui-ci peut-il nous donner sa
chair à manger?"
Il
leur dit donc: "Amen, amen, je vous le dis: Si vous ne mangez la chair du
Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui
mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi je le ressusciterai
au dernier jour. 36 Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est
vraiment une boisson;' qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et
moi en lui. Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que moi je vis à cause
du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Tel est le pain qui est
descendu du ciel. Ce n’est pas comme vos pères qui ont mangé la manne et sont
morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement. " Il dit ces choses
dans la synagogue, au cours de son enseignement à Capharnaüm.
929. Après avoir exposé son enseignement, le Christ exclut ici les objections qui lui sont faites: d’une part celles des foules qui murmurent, d’autre part celles des disciples qui doutent [n° 983].
En premier lieu, il fait cesser le murmure des foules à propos de l’origine de la nourriture spirituelle; en second lieu, il apaise leur dispute sur la manducation de la nourriture spirituelle [n° 965].
CEPENDANT
LES JUIFS MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL A VAITDIT: "MOI, JE SUIS
LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL "; ET ILS DISAIENT: "N’EST-CE
PAS LÀ LE FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA MÈRE? COMMENT
DONC DIT-IL: 'JE SUIS DESCENDU DU CIEL’?"
L’Évangéliste rapporte d’abord le murmure des foules, puis l’intervention du Christ qui y met fin [n° 932]. Pour cela, il expose d’abord l’occasion du murmure [n° 930], puis les paroles mêmes de ceux qui murmurent [n° 931].
CEPENDANT LES JUIFS
MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QU’IL AVAIT DIT: "MOI, JE SUIS LE PAIN
VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL"
930. L’Évangéliste ajoute ici que quelques-uns murmuraient au sujet de certaines paroles du Christ, notamment celles-ci: Le vrai pain de Dieu est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde 1, et plus loin: C’est moi qui suis le pain de vie 2 ce pain spirituel qu’ils ne prenaient pas ni ne désiraient. Et s’ils murmuraient, c’est parce qu’ils étaient dans un état d’esprit étranger aux choses spirituelles, et cela depuis bien longtemps: Ils murmuraient sous leurs tentes 3— Ne murmurez pas comme certains d’entre eux murmurèrent 4.
Si jusque-là, ainsi que le dit Chrysostome ils ne murmuraient pas, c’est parce qu’ils espéraient encore obtenir une nourriture terrestre: cet espoir évanoui, ils commencent aussitôt à murmurer, même s’ils allèguent une autre cause. En effet, ils ne le contredisent pas ouvertement, à cause de la déférence qu’ils avaient encore à son égard, au souvenir du miracle précédent.
ET ILS DISAIENT:
"N’EST-CE PAS LÀ LE FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA
MÈRE? COMMENT DONC DIT-IL: 'JE SUIS DESCENDU DU CIEL’?"
931. Ainsi murmuraient les Juifs. Parce qu’ils étaient soumis à la chair, ils ne considéraient que la génération charnelle du Christ, ce qui les empêchait de connaître sa génération spirituelle et éternelle; c’est pourquoi ils ne par lent que de celle de la chair, d’après ce précédent passage: Celui qui est issu de la terre (...) parle de la terre 6, et la génération spirituelle leur échappe. C’est pour cela qu’ils ajoutent: COMMENT DONC DIT-IL: 'JE SUIS DESCENDU DU CIEL'? Et ils l’appellent fils de Joseph à cause de l’opinion établie: Joseph était en effet son père nourricier, d’après ce passage de Luc: II était, à ce qu’on croyait, fils de Joseph 7.
932. La réponse NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS, met un terme au murmure. Le Seigneur en effet y coupe court, mais lève ensuite l’incertitude qui l’avait suscité [n° 949].
I
JÉSUS
RÉPONDIT DONC ET LEUR DIT: "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS; NUL NE PEUT
VENIR À MOI SI LE PÈRE QUI M’A ENVOYÉ NE L’A TTIRE ET MOI JE LE RESSUSCITERAI
AU DERNIER JOUR. IL EST ECRIT DANS LES PROPHÈTES: TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR
DIEU QUICONQUE S’EST MIS À L’ÉCOUTE DU PÈRE ET À SON ÉCOLE VIENT À MOI NON QUE
PERSONNE AIT VU LE PÈRE, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU: CELUI-LÀ A VU LE
PÈRE."
Après avoir mis un terme au murmure [n° 933], le Christ en dévoile la cause [n° 934].
JÉSUS RÉPONDIT DONC ET LEUR
DIT: "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS."
933. Jésus, connaissant leur
murmure, leur répond en y mettant fin: NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. C’est là,
assurément, un avertissement salutaire: en effet, celui qui murmure révèle que
son esprit n’était pas établi en Dieu, et pour cette raison il est dit dans le
livre de la Sagesse: Gardez vous donc du murmure, car il ne sert à rien 8.
934. C’est parce qu’ils n’ont pas la foi que les Juifs murmurent, et le Seigneur le dévoile par ces mots: NUL NE PEUT VENIR A MOI... Le Christ montre d’abord que l’attraction du Père est nécessaire pour venir à lui, puis comment elle s’accomplit [n° 941]. Si l’attraction du Père est nécessaire, c’est parce que l’homme n’a pas, par lui-même, le pouvoir de venir au Christ par la foi; il a besoin d’un secours divin, qui est efficace [n° 935]; quant à l’accomplissement ultime, ou au fruit de cette attraction, il est excellent [n° 939].
NUL NE PEUT VENIR À MOI SI LE
PÈRE QUI M'A ENVOYÉ NE L’ATTIRE.
935. Jésus, donc, dit d’abord: il n’est pas étonnant que vous murmuriez, parce que vous n’avez pas encore été attirés à moi par le Père. En effet, NUL NE PEUT VENIR A MOI, en croyant en moi, SILE PERE QUI M’A EN VOYE NE L'ATTIRE.
Mais ici trois questions se posent. La première d’entre elles concerne cette parole du Christ SI LE PERE NE L’ATTIRE. En effet, nous venons au Christ par la foi, puisque, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est une même chose de venir à lui et de croire en lui 9. Or on ne peut croire qu’en le voulant. Mais le terme "attraction" exprime une certaine violence; celui qui vient au Christ en étant attiré vient donc à lui contraint et forcé.
Je réponds en disant que ce qui est affirmé ici de l’attraction du Père n’implique pas de contrainte, car tout ce qui attire ne fait pas nécessairement violence. Ainsi donc, le Père a de multiples manières d’attirer au Fils sans exercer de violence sur les hommes. En effet, on peut attirer quelqu’un en le persuadant par une démarche de l’intelligence. Et de cette manière, le Père attire les hommes au Fils en leur démontrant qu’il est son Fils, soit par une révélation intérieure — Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, à savoir que le Christ est le Fils du Dieu vivant, mais mon Père qui est dans les cieux 10 —, soit par des miracles accomplis par la puissance qu’il tient du Père: Les oeuvres que le Père m’a données pour que je les accomplisse (...) rendent témoignage de moi 11.
D’autre part, certains attirent par leur charme: Par la douceur de ses lèvres, elle l’a entraîné 12. Ainsi, ceux qui s’approchent du Christ à cause de l’autorité 13 de la majesté du Père sont-ils attirés par le Père. Quiconque en effet met sa foi dans le Christ parce qu’il le croit Fils de Dieu, celui-là, le Père l’attire au Fils par sa majesté. Arius n’a pas subi cette attraction, lui qui ne croyait pas que le Christ est le vrai Fils de Dieu ni qu’il est engendré de la substance du Père; Photin non plus, lorsqu’il a affirmé comme étant de foi que le Christ n’est qu’un homme. Ainsi, ils sont attirés par le Père, ceux qui sont saisis par sa majesté; mais le Fils aussi les attire par l’amour de la vérité et le fait d’y trouver une joie prodigieuse; car la vérité est finalement le Fils de Dieu lui-même. Si en effet, ainsi que le dit Augustin 14, chacun est entraîné par ce qui lui donne de la joie, combien plus l’homme doit-il être entraîné vers le Christ s’il trouve sa joie dans la vérité, la béatitude, la justice, la vie éternelle, et si le Christ est tout cela? Si donc c’est par lui que nous devons être entraînés, laissons-nous entraîner par la joie que procure la vérité: Mets ta joie dans le Seigneur, et il te donnera ce que demande ton cœur 15; c’est pourquoi l’épouse disait: Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l’odeur de tes parfums 16.
Mais puisque la révélation extérieure et
l’objet n’ont pas seuls la puissance d’attirer, puisque l’instinct intérieur
qui pousse et meut à croire la possède aussi, le Père en attire beaucoup au
Fils par cet instinct, effet de l’opération divine qui meut intérieurement le
coeur de l’homme à croire: Dieu lui-même est celui qui opère en nous le vouloir
et son accomplissement 17. — Avec des liens humains, je les attirerai dans les liens de la
charité 18 — Le coeur du roi est dans la main du Seigneur: il l’incline
partout où il veut 19.
936. La deuxième question est la suivante: puisqu’il est dit que le Fils attire au Père — Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révéler 20 et plus bas j’ai man ton nom aux hommes que tu m’as donnés 21 —, comment affirme-t-on ici que le Père attire au Fils?
Disons qu’on peut répondre à cela de deux manières. En effet, nous pouvons parler du Christ soit selon qu’il est homme, soit selon qu’il est Dieu. En tant qu’homme, le Christ est la voie: Moi, je suis la voie 22. Ainsi considéré, le Christ conduit au Père comme la voie conduit au terme ou au but. Le Père nous attire au Christ-homme en tant qu’il nous donne par sa puissance de croire dans le Christ: C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 23. En tant que le Christ est Verbe de Dieu et manifestation du Père, ainsi le Fils attire au Père. Le Père, lui, attire au Fils en tant qu’il le manifeste.
937. La troisième question concerne l’affirmation d’après laquelle personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père; parce qu’alors, si quelqu’un ne vient pas au Christ, ce n’est pas à lui qu’il faut l’imputer, mais à celui qui ne l’a pas attiré.
Je réponds en disant que, en vérité, personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père. En effet, de même que ce qui est pesant par nature ne peut par lui-même se porter vers le haut s’il n’y est pas attiré par un autre, de même le coeur de l’homme, se portant de lui-même vers les réalités inférieures, ne peut s’élever s’il n’est pas attiré vers le haut. Mais s’il n’est pas élevé, la défection n’est pas du côté de celui qui attire, parce que, quant à lui, il ne fait défaut à personne; c’est parce qu’il y a un obstacle en celui qui n’est pas attiré.
Mais à ce sujet, il faut distinguer l’homme qui est dans l’état de nature intègre de celui qui est dans l’état de nature corrompue. En effet, dans la nature intègre, il n’y avait aucun empêchement capable de nous soustraire à cette attraction, et dans cet état, tous les hommes auraient pu avoir part à cette attraction. Mais dans la nature corrompue, tous y sont également soustraits par l’obstacle du péché et, pour cette raison, ont besoin d’être entraînés.
Quant à Dieu, il tend la main à chacun pour
l’attirer et, qui plus est, non seulement il attire celui qui la saisit, mais
il fait revenir aussi ceux qui se sont détournés de lui: Fais-nous revenir à
toi, Seigneur, et nous reviendrons 24; et dans le psaume 84,
selon la version des Septante: Reviens, toi ô Dieu, et tu nous donneras la vie 25. Du fait que Dieu est prêt à donner sa grâce à tous et à attirer à
lui, si quelqu’un ne le reçoit pas, ce n’est pas imputable à Dieu, mais à celui
qui ne le reçoit pas.
938. Mais pourquoi, de tous ceux qui se sont détournés, n’en attire-t-il que certains, bien que tous se soient également détournés? On peut, d’une manière générale, donner pour raison qu’en ceux qui ne sont pas attirés apparaît et resplendit l’ordre de la justice divine, et en ceux qui le sont l’immensité de la miséricorde divine. Mais pourquoi attire-t-il précisément celui-ci et pas celui-là? Il n’y a à cela aucune autre raison que le bon plaisir de la volonté 26 divine. C’est pourquoi Augustin dit: "Quel est celui qu’il tire et celui qu’il ne tire pas, pourquoi il tire celui-ci et ne tire pas celui-là, questions dont tu ne dois pas te faire juge si tu ne veux pas te tromper. Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le: tu n’es pas encore tiré. Prie pour être tiré" 27.
On peut montrer cela par un exemple: pourquoi l’artisan place-t-il certaines pierres en bas, d’autres en haut, et d’autres sur les côtés? La raison en est le bon arrangement de la maison dont la perfection exige cet ordre. Mais pour quoi place-t-il ces pierres à cet endroit, celles-là à cet autre endroit? Cela dépend de son seul vouloir. De là vient que la raison première de l’arrangement se rapporte au vouloir de l’artisan. Ainsi donc, pour la perfection de l’univers, Dieu en attire certains pour qu’en eux apparaisse sa miséricorde, mais il en est d’autres qu’il n’attire pas, pour qu’en eux sa justice soit manifestée. Mais qu’il attire ceux-ci et non pas ceux-là, cela relève du bon plaisir de sa volonté 28. De même aussi, pourquoi dans l’Église fait-il de certains des apôtres, d’autres des confesseurs, d’autres des martyrs? 29 La raison en est la beauté de l’Eglise et sa perfection. Mais pourquoi a t-il fait de Pierre un Apôtre, d’Etienne un martyr et de Nicolas un confesseur? Il n’y a pas à cela d’autre raison que sa volonté.
Ainsi donc sont manifestes la déficience de la capacité humaine et l’assistance que lui porte le secours divin.
ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU
DERNIER JOUR.
939. Il s’agit ici de l’accomplissement et du fruit du secours divin: la résurrection opérée aussi par le Christ en tant qu’il est homme. En effet, à cause de ce qu’il a accompli dans sa chair, nous obtenons le fruit de la résurrection: Ainsi donc, comme par la faute d'un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, de même, par l’oeuvre de justice d’un seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie 30. MOI donc, en tant qu’homme, JE LE RESSUSCITERAI non seulement pour une vie conforme à notre nature, mais pour une vie de gloire, et cela AU DERNIER JOUR.
La foi catholique, en effet, affirme que le monde existera d’une manière nouvelle: Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle 31. Et parmi ce qui concourt au renouvellement du monde, nous croyons à l’arrêt du mouvement céleste et par conséquent du temps: Et l’ange que j’avais vu debout sur la mer et sur la terre leva sa main droite vers le ciel et jura (...) qu’il n'aurait plus de temps 32. Parce que, le temps ayant cessé à la résurrection, le jour et la nuit cesseront à leur tour, d’après ce passage de Zacharie: Ce sera un jour unique — il est connu de Yahvé — il n'y aura ni jour ni nuit 33, il dit: JE LE RESSUSRAI AU DERNIER JOUR.
940. Mais pourquoi le mouvement du ciel durera-t-il jusqu’à ce moment, ainsi que le temps, au lieu de cesser avant ou de se prolonger au delà? Il faut savoir que ce qui est à cause d’un autre est disposé de différentes façons, suivant la manière dont est disposé ce à cause de quoi il est. Or toutes les réalités corporelles ont été faites pour l’homme et, pour cette raison, selon que diffère la disposition de l’homme ces réalités doivent être disposées différemment. Donc, puisqu’au moment de leur résurrection commencera pour les hommes un état d’incorruptibilité — Lors donc que cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l’immortalité... 34 alors la corruption cessera même dans les réalités du monde, et donc le mouvement du ciel cessera, lui qui est cause de génération et de corruption pour les réalités corporelles: La création, elle aussi, sera libérée de l’esclavage de la corruption en vue de la liberté de la gloire des enfants de Dieu 35. Il s’avère donc ainsi que l’attraction du Père nous est nécessaire pour croire.
IL EST ÉCRIT DANS LES
PROPHÈTES: TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU QUICONQUE S’EST MIS À L’ÉCOUTE DU
PÈRE ET À SON ÉCOLE VIENT À MOI. NON QUE PERSONNE AIT VU LE PÈRE, SI CE N’EST
CELUI QUI EST DE DIEU: CELUI-LÀ A VU LE PÈRE.
941. Par ces paroles, le Seigneur détermine d’une part le mode selon lequel l’attraction s’exerce, d’autre part son efficacité [n° 946]. Et il exclut qu’elle puisse s’exercer par la vision, ce que l’on aurait pu concevoir [n° 947].
IL EST ÉCRIT DANS LES
PROPHÈTES: TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU
942. Par ces mots l’Évangéliste exprime le mode selon lequel l’attraction s’exerce. Ce mode concorde avec ce qui a été révélé précédemment de l’attraction, puisque le Père attire en révélant et en enseignant. . D’après Bède 36 cela a été écrit dans Joël, mais cela ne semble pas y être dit expressément, bien qu’on y trouve quelque chose d’avoisinant: Et vous, fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car il vous a donné un maître de justice 37. Et pour cette rai son, selon Bède, le Christ dit DANS LES PROPHETES pour faire comprendre que ce sens peut être conclu de diverses paroles des Prophètes. Mais nous le remarquons de la manière la plus frappante dans Isaïe: Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur 38. Il est dit aussi dans Jérémie: Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur, qui vous feront paître avec science et intelligence 39.
943. Le mot TOUS peut se comprendre de trois manières: il peut désigner soit tous les hommes du monde, soit tous ceux qui sont dans l’Eglise du Christ, soit tous ceux qui seront dans le Royaume des cieux.
Si TOUS est pris dans le premier sens, il apparaît clairement que l’affirmation n’est pas vraie. En effet, le Christ ajoute aussitôt: QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE DU PERE ET A SON ECOLE VIENT A MOI. Si donc tous les hommes du monde étaient enseignés par Dieu, tous viendraient au Christ. Mais cela est faux, car tous n’ont pas la foi.
A cela il y a trois réponses. En effet, selon Chrysostome 40 il faut dire que cela concerne la plupart des hommes. Ils seront, dit-il, TOUS, c’est-à-dire le plus grand nombre... C’est en ce sens qu’il est dit en Matthieu: Beau coup viendront de l’Orient et de l’Occident 41.
La deuxième réponse est que TOUS, pour autant que cela dépend de Dieu, SERONT ENSEIGNES. Mais si certains ne le sont pas, et c’est un fait, cela dépend d’eux. Le soleil en effet, quant à lui, illumine tout, mais il se peut que certains ne le voient pas s’ils ferment les yeux ou s’ils sont aveugles. C’est en ce sens que l’Apôtre dit: Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité 42.
La troisième réponse est d’Augustin 43: il s’agit ici d’un universel restreint par son contexte, de telle sorte qu’on dit: TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU, c’est-à-dire tous ceux qui sont enseignés sont enseignés par Dieu. Ainsi, parlant de quelqu’un qui enseigne les lettres, nous disons, s’il enseigne dans la cité: lui seul enseigne tous les enfants de la cité, parce qu’aucun n’y est enseigné si ce n’est par lui. En ce sens, il est dit plus haut: Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 44.
944. Si maintenant sont visés ceux qui sont dans l’Eglise, il est dit proprement qu’ILS SERONT TOUS, c’est-à-dire ceux qui sont dans l’Eglise, ENSEIGNES PAR DIEU En effet, il est dit dans Isaïe: Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur 45 ce qui montre la transcendance de la foi chrétienne qui n’est pas liée à un enseignement humain, mais à celui de Dieu 46.
En effet, l’enseignement de l’Ancien Testament avait été donné par les Prophètes, mais celui du Nouveau Testament a été donné par le Fils de Dieu lui-même: Après avoir à bien des reprises et de bien des manières, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament, parlé jadis à nos pères par les Prophètes, Dieu, en cette fin des jours, nous a parlé par le Fils; et dans la même épître: Le salut annoncé d’abord par Notre Seigneur nous a été confirmé par ceux qui l’ont entendu 47. Ainsi donc, tous ceux qui sont dans l’Eglise sont enseignés non pas par les Apôtres ou les Prophètes, mais par Dieu lui-même. Et selon Augustin 48, cela même qui est enseigné par l’intermédiaire d’un homme l’est par Dieu qui enseigne de l’intérieur: Vous n’avez qu’un seul maître: le Christ 49. En effet l’intelligence, qui nous est tout particulièrement nécessaire pour recevoir l’enseignement, nous vient de Dieu.
945. Si enfin l’on considère ceux qui sont dans le Royaume des cieux, alors TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU parce qu’ils verront immédiatement son essence: Nous le verrons tel qu'il est 50.
QUICONQUE
S’EST MIS À L’ÉCOUTE DU PÈRE ET À SON ECOLE VIENT À MOI.
946. Ces mots nous révèlent que l’attraction du Père est souverainement efficace. L’Evangéliste la considère de deux manières: en tant qu’elle relève du don de Dieu lors qu’il dit: QUICONQUE S’EST MIS A L’ECOUTE, à savoir de Dieu qui révèle; en tant qu’elle relève du libre arbitre lors qu’il dit: ETA SON ECOLE, par l’adhésion de l’intelligence. Et écouter celui qui enseigne, puis saisir ce qu’on a écouté, est bien nécessaire à tout enseignement! Cela l’est donc aussi à l’enseignement de la foi.
QUICONQUE S’EST MIS À L'ECOUTE DU PÈRE qui enseigne et manifeste, ET A SON ECOLE en donnant son adhésion, VIENT A MOI. Il VIENT, dis-je, de trois manières: par la connaissance de la vérité, par l’élan de l’amour et par l’imitation de l’oeuvre. Et en chacune de ces manières, il lui faut écouter et apprendre.
En effet, celui qui vient par la connaissance de la vérité doit écouter, puisque Dieu l’inspire — J’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 51, et apprendre en donnant son adhésion, comme on l’a dit. Celui qui vient au Christ par l’amour et le désir — selon qu’il est dit plus loin: Si quelqu'un a soif, c’est-à-dire désire, qu'il vienne à moi et qu'il boive 52— doit aussi écouter la parole du Père et la faire sienne, afin d’en pénétrer le sens et pour qu’elle enflamme en lui le désir. Celui-là, en effet, apprend une parole, qui la saisit selon le sens qu’elle a pour celui qui la dit; or la Parole, le Verbe de Dieu le Père, est celui qui spire l’Amour; donc, celui qui le reçoit avec la ferveur de l’Amour apprend: La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes 53. Enfin, on va au Christ par l’imitation de son oeuvre: Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos 54. Et c’est encore de cette manière que quiconque apprend vient au Christ: en effet, la conclusion est au savoir ce que l’action est à l’agir. Or, dans les sciences, celui qui apprend parfaitement parvient à la conclusion; et donc, dans l’agir, celui qui apprend parfaitement les paroles en vient à l’action droite: Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, et moi je ne me suis pas rebellé 55.
[3, 46] NON QUE PERSONNE AIT
VU LE PÈRE, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU: CELUI-LÀ A VU LE PÈRE.
947. Mais parce que certains pourraient penser que les hommes entendraient sensiblement la voix du Père et apprendraient ainsi de lui, le Seigneur ajoute, afin d’exclure cette opinion: NON QUE PERSONNE AIT VU LE PERE, c’est-à-dire aucun homme en cette vie n’a vu le Père dans son essence — L'homme ne peut me voir et vivre 56, SI CE N’EST CELUI, c’est le Fils, QUI EST DE DIEU; CELUI-LA A VU LE PERE, son Père, dans son essence. Ou bien: PERSONNE n’a vu le Père de la vision de compréhension 57, vision que ni l’homme ni l’ange n’ont jamais eue, ni ne peuvent avoir, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU, c’est-à-dire le Fils: Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils 58.
En voici la raison: puisque toute vision et
connaissance se font par une certaine similitude, la connaissance que les
créatures ont de Dieu découle du mode de similitude qu’el les ont par rapport à
Dieu. A cause de cela, les philosophes disent que les intelligences connaissent
la cause première dans la mesure où elles en ont la similitude. Et toute
créature a en participation une certaine similitude de Dieu, mais infiniment
distante de la similitude de sa nature; et, à cause de cela, aucune créature ne
peut connaître Dieu lui-même parfaitement et totalement, selon ce qu’il est
dans sa nature. Le Fils, lui, parce qu’il a reçu parfaitement toute la nature
du Père par la génération éternelle, le voit totalement et le comprend.
948. Notons bien la pertinence de l’ordre du discours. En effet, lorsqu’il parlait plus haut de la connaissance des autres, le Christ a parlé en terme d’audition; mais ici, lors qu’il parle de la connaissance du Fils, il parle de vision. En effet, la connaissance par la vue est immédiate et évidente, alors que, par l’ouïe, nous connaissons par l’intermédiaire de celui qui voit 59. Ainsi, la connaissance que nous avons du Père, nous l’avons reçue du Fils qui voit; de telle sorte que nul ne connaît le Père si ce n’est par le Christ qui le manifeste, et nul ne vient au Fils s’il n’a entendu le Père qui le manifeste.
II
949. Le murmure des Juifs réprimé 60, le Seigneur prend en compte la difficulté née dans le coeur des Juifs au sujet de la parole qu’il avait dite: Moi, je suis le pain (...) qui suis descendu du ciel 61; il a l’intention de prouver que c’est à son sujet qu’elle est vraie, et il argumente ainsi: Ce pain descend du ciel qui donne la vie au monde; mais MOI JE SUIS LE PAIN qui donne la vie au monde; je suis donc LE PAIN QUI SUIS DESCENDU DU CIEL.
Il répond en trois temps: En posant d’abord ce qui est comme la mineure de son raisonnement [n° 950], puis la majeure, c’est-à-dire que le pain descendu du ciel doit don ner la vie [n° 952]; enfin il conclut [n° 956]. Dans le premier temps, il manifeste son propos, puis il infère ce qu’il voulait montrer comme étant prouvé.
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS:
QUI CROIT ENMOI A LA VIE ÉTERNELLE.
950. Son propos est de montrer qu’il est le pain de vie. Or, pour que le pain vivifie, il faut en prendre; et il est évident que celui qui croit en le Christ le prend au-dedans de lui-même: Que le Christ habite en vos coeurs par la foi 62. Si donc celui qui croit en le Christ a la vie, il est manifeste que c’est en mangeant ce pain qu’il est vivifié: Ce pain est donc le pain de vie. Et c’est ce qu’il dit: AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS: QUI CROIT EN MOI, à savoir d’une foi formée 63, qui rend parfaite non seulement l’intelligence, mais aussi la volonté aimante (en effet, on ne tend vers la réalité en laquelle on croit que si on l’aime), A LA VIE ETERNELLE.
Or le Christ est en nous de deux manières: dans l’intelligence par la foi, dans la mesure où il y a foi, et dans la volonté par la charité qui informe la foi: Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui 64. Qui donc croit dans le Christ de telle sorte qu’il tende vers lui, le possède dans la volonté et l’intelligence. Et si nous ajoutons que le Christ est la vie éternelle 65, ainsi qu’il est dit: (...) afin que nous soyons dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ; celui-ci est le Dieu véritable et la vie éternelle; et plus haut: En lui était la vie 66, nous pouvons inférer que quiconque croit en le Christ a la vie éternelle. Il l’a, dis-je, dès ici-bas, dans sa cause et en espérance; et un jour il l’aura dans sa réalité plénière.
JE SUIS LE PAIN DE VIE.
951. Une fois son propos manifesté, il infère ce qu’il veut montrer en disant: MOI JE SUIS LE PAIN DE VIE, c’est-à-dire qui donne la vie, ainsi qu’il découle clairement des prémisses. De ce pain, il est dit: Aser, son pain est riche; il donnera leurs délices, c’est-à-dire celles de la vie éternelle, aux rois 67.
VOS PÈRES ONT MANGÉ LA MANNE
DANS LE DÉSERT ET ILS SONT MORTS. TEL EST LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL: SI
QUELQU’UN EN MANGE, IL NE MEURT PAS.
952. En disant ces paroles, le Christ pose la majeure, c’est-à-dire que donner la vie est l’effet du pain qui descend du ciel. Il met d’abord son propos en lumière [n° 953] avant de l’exposer [n° 955].
VOS PÈRES ONT MANGÉ LA MANNE
DANS LE DÉSERT ET ILS SONT MORTS.
953. Il met son propos en lumière par son contraire. On a dit en effet plus haut que Moïse n’a pas donné aux Juifs le pain du ciel, sauf si par ciel on entend les airs 68; or tout pain qui n’est pas du ciel véritable ne peut donner une vie suffisante: il est donc propre au pain du ciel de donner la vie. Et c’est pourquoi le pain de Moïse dont vous vous enorgueillissez ne donne pas la vie. Il le prouve en disant: VOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT ET ILS SONT MORTS.
Ici, il leur reproche d’abord leur vice en disant: VOS PERES. En effet, vous en êtes les fils non seulement selon l’origine de la chair, mais aussi par l’imitation des oeuvres, puisque vous êtes de la race de ceux qui murmurent, comme eux-mêmes murmurèrent sous leurs tentes 69 et c’est pourquoi il leur disait: Vous mettez un comble à la mesure de vos pères Aussi saint Augustin dit-il qu’en aucune chose le peuple n’a plus offensé Dieu qu’en murmurant contre lui 71.
En second lieu, il laisse entendre que le laps de temps fut bref, lorsqu’il dit DANS LE DESERT En effet il ne dura pas, le temps pendant lequel la manne leur fut donnée: pro diguée au désert, elle ne leur fut plus donnée après leur entrée en terre promise, comme le dit le livre de Josué 72. Ce pain-là, par contre, maintient en vie et restaure pour l’éternité ceux qui le mangent 73.
Il manifeste enfin les limites de cette nourriture: elle ne maintient pas la vie indéfiniment. C’est pour cela qu’il dit: ET ILS SONT MORTS. De fait, selon le livre de Josué, tous ceux qui, à l’exception de Josué et de Caleb, avaient murmuré 74, moururent au désert. Telle fut la cause de la seconde circoncision: tout le peuple qui était sorti d’Egypte était mort au désert, comme le dit le livre de Josué 75.
954. Mais on peut se demander de quelle mort Dieu parle ici. En effet, s’il parle de la mort corporelle, il n’y aura aucune différence entre le pain du désert et notre pain 76 qui descend du ciel, parce que même les chrétiens qui prennent ce pain connaissent la mort physique. Mais s’il parle de la mort spirituelle, il est clair que dans les deux cas, certains meurent spirituellement, d’autres pas. En effet, Moïse et la foule de ceux qui plurent au Seigneur échappèrent à la mort, alors que d’autres la connurent. De même, ceux qui prennent ce pain indignement meurent spirituellement: Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement (...), c’est sa propre condamnation qu’il mange et boit 77.
A cela il faut répondre que la nourriture prodiguée au désert possède un point commun avec notre nourriture spirituelle, en tant que les deux signifient la même réalité: en effet l’une et l’autre signifient le Christ. C’est pour cela qu’on dit qu’elles sont la même nourriture: Tous ont mangé la même nourriture spirituelle et tous ont bu la même boisson spirituelle — ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ 78. Il dit la même parce que l’une et l’autre sont la figure de la nourriture spirituelle. Mais elles diffèrent parce que la manne la figurait seulement, tandis que ce pain con tient ce qu’il figure, c’est-à-dire le Christ lui-même 79.
Il faut donc dire que dans l’un et l’autre cas, on peut se nourrir de deux manières. Ou bien on prend la nourriture en regardant matériellement le signe, c’est-à-dire qu’on en use comme d’une simple nourriture terrestre sans en saisir la signification, et prise ainsi elle ne supprime ni la mort spi rituelle, ni la mort physique. Ou bien on la prend sous ses deux aspects de signe et de signifié, c’est-à-dire que l’on prend la nourriture visible de telle sorte que l’on saisisse la nourriture spirituelle, qu’on la goûte spirituellement pour être spirituellement rassasié. Ainsi ceux qui ont mangé la manne spirituellement ne sont pas morts spirituellement. Mais ceux qui mangent l’Eucharistie spirituellement, c’est-à-dire sans péché, vivent spirituellement maintenant, et vivront avec leurs corps pour l’éternité. Notre nourriture a donc ceci de plus que la leur: elle contient en elle ce qu’elle figure.
TEL EST LE PAIN QUI DESCEND DU
CIEL: SI QUELQU’UN EN MANGE, IL NE MEURT PAS.
955. Son propos étant manifesté, le Christ infère ici ce qu’il veut montrer. Et selon la Glose, il dit TEL en se désignant lui-même 80. Mais ce n’est pas là la pensée du Seigneur, car en ajoutant aussitôt: MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, il ne ferait que se répéter.
Il faut donc dire que l’intention du Seigneur est la suivante: descend du ciel le pain qui peut donner la vie; or moi, je suis tel; donc, je suis LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL. Et si LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL donne la vie sans fin, c’est parce que tout aliment nourrit selon la propriété de sa nature. Or les réalités célestes sont incorruptibles; donc cette nourriture, étant céleste, ne se corrompt pas, et par conséquent vivifie aussi longtemps qu’elle demeure. Celui donc qui en aura mangé ne mourra pas. De même que si une nourriture corporelle ne se corrompait jamais, en nourrissant elle ne cesserait de vivifier. Voilà pourquoi ce pain a été signifié par l’arbre de vie qui, au milieu du paradis, donnait d’une certaine manière la vie pour toujours: Et maintenant, il ne faudrait pas qu’Adam avance la main et qu’il prenne aussi de l’arbre de vie, qu'il en mange et vive à jamais 81. Si l’effet de ce pain est que celui qui en mange ne meure pas, moi aussi je suis tel, et donc…
956. A propos du verset suivant, il développe deux aspects. Il parle d’abord de lui-même d’une manière générale [n° 957] puis de manière précise à propos de son corps [n° 959]. A son sujet, il souligne deux aspects: il conclut d’abord quant à sa propre origine [n° 957] puis il dévoile sa puissance [n° 958].
MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI
SUIS DESCENDU DU CIEL.
957. Il dit donc, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, et c’est pourquoi je peux donner la vie. Le pain corporel en effet ne vivifie pas pour l’éternité, parce qu’il n’a pas la vie en lui-même. Mais s’il vivifie, c’est en étant altéré et transformé en nourriture par la puissance du vivant.
QUI SUIS DESCENDU DU CIEL: on a exposé plus haut comment il en était descendu 82. Par là sont exclues les hérésies de ceux qui disent que le Christ n’est qu’un homme, parce que s’il en était ainsi, il ne serait pas descendu du ciel.
SI QUELQU’UN MANGE DE CE PAIN,
IL VIVRA ÉTERNELLEMENT; ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR POUR LA
VIE DU MONDE.
958. Sa puissance est de donner
la vie éternelle, et c’est pourquoi il dit: SI QUELQU’UN MANGE DE CE PAIN,
c’est-à-dire spirituellement, IL VIVRA non seulement dans le présent par la foi
et la justice, mais ETERNELLEMENT: Quiconque vit et croit en moi ne mourra pas
pour l’éternité 83.
959. Ensuite, il parle d’une
manière particulière de son corps lorsqu’il dit: ET LE PAIN QUE MOI JE
DONNERAI, C’EST MA CHAIR. Il avait dit en effet qu’il était LE PAIN VIVANT, et
pour qu’on ne comprenne pas que cela lui appartient seulement en tant que
Verbe, ou en raison de son âme, il montre que sa chair elle-même est
vivifiante; elle est en effet l’organe de sa divinité. C’est pourquoi, puisque
l’instrument agit par la vertu de l’agent, de même que la divinité du Christ
est vivifiante, ainsi, comme le dit Damascène 84 sa chair aussi vivifie par la
puissance du Verbe auquel elle est liée. De là vient que le Christ, par son
toucher, guérissait les infirmes. Ainsi donc, ce qu’il a dit plus haut, MOI JE
SUIS LE PAIN VIVANT, relève de la puissance du Verbe, mais ce qu’il ajoute ici
relève de la communion à son corps, c’est-à-dire au sacrement de l’Eucharistie.
960. Nous pouvons ici, à propos de ce sacrement, prendre quatre points en considération: l’espèce, l’autorité de celui qui l’institue, la vérité du sacrement et son utilité.
L’espèce de ce sacrement est le pain: Venez et mangez mon pain 85. La raison en est que c’est le sacrement du corps du Christ. Et le corps du Christ est l’Eglise qui, à partir de la multitude des fidèles, s’érige dans l’unité d’un corps. C’est donc le sacrement de l’unité de l’Eglise: Nous sommes un seul corps dans le Christ 86. Ainsi, parce que le pain est fait de grains multiples et divers, il est l’espèce convenant à ce sacrement: ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, C’EST MA CHAIR 87.
961. L’auteur de ce sacrement est le Christ. De fait, bien que le prêtre consacre, c’est le Christ lui-même qui confère au sacrement sa vertu parce que le prêtre consacre en la personne du Christ (in persona Christi). Aussi, dans les autres sacrements, le prêtre fait usage de ses propres paroles — c’est-à-dire celles de l'Eglise —, mais dans celui-ci, il reprend les paroles du Christ, parce que, de même que le Christ a livré son corps à la mort de sa propre volonté, de même c’est par sa puissance qu’il se donne en nourriture: Prenant le pain, il le bénit et le rompit, le donna à ses disciples et dit: Prenez et mangez, ceci est mon corps 88. Et c’est pour cela qu’il dit QUE MOI JE DONNERAI; et il dit DONNERAI parce que ce sacrement n’avait pas encore été institué.
962. Quant à la vérité de ce sacrement, il la laisse entendre en disant C’EST MA CHAIR. Il ne dit pas "signifie ma chair" mais EST MA CHAIR, parce que selon la vérité de la réalité, la nourriture prise est vraiment le corps du Christ: Les hommes de sa maison n'ont-ils pas dit: Qui a donné de sa chair pour que nous soyons rassasiés? 89 Mais puisque dans ce sacrement est contenu le Christ tout entier, pourquoi a-t-il dit seulement: C’EST MA CHAIR? Sur ce point, il faut savoir que dans ce sacrement d’amour 90, le Christ tout entier est vraiment contenu, mais alors que le corps y est contenu en vertu de la conversion [des espèces] 91, la divinité et l’âme, elles, y sont par concomitance naturelle. En effet, si par impossible la divinité était séparée du corps du Christ, elle ne serait plus dans le sacrement. De même si, au cours des trois jours de sa mort, quelqu’un avait consacré, l’âme du Christ n’aurait pas été présente, mais son corps, tel qu’il était en croix ou au sépulcre. Et il dit CHAIR aussi pour une autre raison: puisque ce sacrement est le mémorial de la Passion du Seigneur — Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur 92-, et que la Passion du Seigneur fut possible grâce à la faiblesse du corps — Il a été crucifié à cause de sa faiblesse 93-, pour signifier cette faiblesse à cause de laquelle il est mort, il préfère dire CHAIR; ce nom, en effet, signifie la faiblesse.
963. Enfin, l’utilité de ce
sacrement est grande et universelle. Elle est grande parce qu’elle produit en
nous dès maintenant la vie spirituelle, et finalement la vie éternelle, ainsi
qu’on l’a dit 94. En effet, comme l’a
fait apparaître l’ex posé, puisque ce sacrement est celui de la Passion du
Seigneur, il contient en lui le Christ souffrant; donc, tout ce qui est effet
de la Passion du Seigneur l’est aussi en plénitude de ce sacrement. Ce
sacrement n’est en effet rien d’autre que la Passion du Seigneur qui nous est
communiquée. En effet, il ne convenait pas que le Christ soit toujours avec
nous selon [le mode de] sa présence physique. Pour cette raison, il a voulu y suppléer par le moyen de ce
sacrement. Il est ainsi évident que la destruction de la mort que le Christ a
opérée en mourant et le renouvellement de la vie qu’il a réalisé en
ressuscitant sont l’effet de ce sacrement.
964. Son utilité est aussi universelle, parce que la vie qu’il confère n’est pas seulement la vie pour un homme, mais, quant au sacrement, pour le monde entier, vie à laquelle la mort du Christ suffit: Il est lui-même expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier 95.
Il faut remarquer qu’autre est la manière dont le Christ est dans ce sacrement, autre celle dont il est dans les autres. En effet, les autres sacrements ont des effets sur un individu; dans le baptême par exemple, seul le baptisé reçoit la grâce. Mais dans l’immolation de ce sacrement, l’effet est universel, puisque non seulement le prêtre en bénéficie, mais aussi ceux pour lesquels il prie et toute l’Eglise, tant celle des vivants que celle des morts, et cela parce qu’en lui est contenue la cause universelle de tous les sacrements, c’est-à-dire le Christ 96. Cependant, si un laïc consomme ce sacrement 97, celui-ci n’est pas utile aux autres s’il est considéré dans sa puissance propre de sacrement en tant qu’il est consommé; mais en vertu de l’intention du célébrant et du communiant, il peut être communiqué à tous ceux vers qui ils dirigent leur intention. Il ressort de là que les laïcs qui consomment l’Eucharistie pour le salut de ceux qui sont dans le purgatoire sont dans l’erreur.
965. Plus haut, le Seigneur a réprimé le murmure des Juifs né au sujet de l’origine de la nourriture spirituelle. Ici, il met fin au litige qui les opposait sur la consommation de cette nourriture. L’Evangéliste expose d’abord le litige [n° 966] que le Seigneur fait cesser [n° 967], puis il indique le lieu où cela se passa [n° 982].
LES JUIFS DONC DISPUTAIENT
ENTRE EUX, DISANT: COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR À
MANGER?"
966. L’Évangéliste introduit le litige par mode de conclusion en disant: LES JUIFS DONC DISPUTAIENT ENTRE EUX; et c’est à juste titre. En effet, d’après Augustin 98, le Seigneur leur avait parlé de la nourriture de l’unité par laquelle ceux qui sont restaurés sont rassemblés en un même esprit: Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d’une grande joie 99, ce qui continue ainsi, d’après une autre version: Lui qui fait habiter ceux qui sont d'un même esprit dans sa maison 100. Les Juifs, puisqu’ils n’avaient pas con sommé la nourriture qui unit les coeurs, étaient donc en conflit: Voici, vous ne vivez que pour vos querelles et vos rivalités 101. Du fait qu’ils étaient en conflit, ils montraient qu’ils se comportaient selon la chair: Puisque l’envie et la rivalité sont entre vous, n'êtes-vous pas de la chair 102. Et pour cette raison, ils comprenaient ces paroles du Seigneur selon la chair, c’est-à-dire qu’on mangerait la chair du Christ comme une nourriture terrestre. Ainsi, ils disent: COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR A MANGER? comme s’ils disaient: c’est impossible; c’est ainsi que leurs pères aussi avaient parlé contre le Seigneur: Notre âme est dégoûtée de cette nourriture sans consistance 103.
JÉSUS LEUR DIT DONC: "AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS: SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME ETNEBUVEZ
SON SANG, VOUS N’AUREZ PAS LA VIE EN VOUS. QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG
A LA VIE ÉTERNELLE; ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR. CAR MA CHAIR
EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON."
967. Mais le Seigneur met fin à
ce litige. Il expose d’abord quelle vertu est liée à la consommation de cette
nourriture [n° 967] avant d’en donner l’évidence [n° 975]. Il met fin au litige en
montrant la nécessité de manger sa chair [n° 968], l’utilité de cet acte [n° 971]
et la vérité de cet aliment [n°
974].
JÉSUS LEUR DITDONC: "AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS: SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L'HOMME ET NEBUVEZ
SON SANG, VOUS N’AUREZ PAS LA VIE EN VOUS."
968. Jésus leur dit ces mots
comme pour exprimer ceci: vous tenez pour impossible et inconvenant de manger
ma chair; or non seulement ce n’est pas impossible, mais c’est même tout à fait
nécessaire dans la mesure où, SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME ET
NE BUVEZ SON SANG, VOUS N’AUREZ PAS, c’est-à-dire que vous ne pourrez pas avoir
EN VOUS LA VIE, sous-entendu spirituelle. En effet, de même que la nourriture
corporelle est si nécessaire à la vie corporelle que, sans elle, la vie
corporelle ne peut pas être — Ils donnent leurs objets précieux pour de la
nourriture qui leur rendrait la vie 104 et dans le psaume: Le pain fort le coeur de l’homme 105, ainsi la nourriture spirituelle est nécessaire à la vie spirituelle
à tel point que, sans elle, la vie spirituelle ne peut être maintenue: L'homme
ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu 106.
969. Notons aussi que cette affirmation peut se rapporter soit à la manducation spirituelle soit à la manducation sacramentelle. Si elle se rapporte à la manducation spirituelle, elle n’offre aucune difficulté. En effet, mange spirituellement la chair du Christ et boit son sang celui qui est fait participant de l’unité de l’Eglise réalisée par la charité: Parce qu’il n a qu’un pain, plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous, nous participons à ce pain unique 107. Donc celui qui ne mange pas ainsi est hors de l’Église et par conséquent hors de la charité; c’est pourquoi il n’a pas la vie en lui: Celui qui n’aime pas demeure dans la mort 108.
Mais si elle se rapporte à la manducation sacramentelle, ce qui est dit pose un problème. De fait, il est dit plus haut: Personne, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux 109. Et on retrouve ici une formulation semblable: SI VOUS NE MANGEZ PAS LA CHAIR DU FILS DE L’HOMME... Donc, puisque le baptême est un sacrement nécessaire, il apparaît que l’Eucharistie l’est aussi. Cela, les Grecs le reconnaissent 110; de là vient qu’ils donnent l’Eucharistie aux enfants immédiatement après leur baptême, et là ils ont pour eux le rite de Denys 111 qui dit que la réception de n’importe quel sacrement doit s’achever dans la communion à l’Eucharistie, qui est la consommation de tous les sacrements. Mais cela est vrai pour les adultes, non pour les enfants, puisque de celui qui reçoit l’Eucharistie est exigée en acte une attitude de crainte respectueuse 112 et une soumission aimante; ceux qui n’ont pas l’usage de leur libre arbitre, comme les enfants ou ceux qui ont perdu la raison, ne peuvent avoir [cette disposition] et c’est pour quoi en aucune manière il ne faut leur donner l’Eucharistie.
Il faut donc dire que le baptême, dans sa
forme sacramentelle, est nécessaire à tous pour que la grâce sacramentelle soit
réellement reçue: sans lui, nul n’est régénéré à la vie. C’est pour cela qu’il
faut qu’on l’ait sensiblement, ou par le désir pour ceux qui s’y disposent. En
effet, si quelqu’un rejette par mépris le baptême de l’eau, ni celui du feu, ni
celui du sang ne lui serviraient pour la vie éternelle. Le sacrement de
l’Eucharistie, lui, est nécessaire pour les adultes seulement, qu’il soit reçu
sensiblement ou par le désir selon les normes fixées par l’Eglise.
970. Mais sur ce point, une autre difficulté s’élève, parce que, d’après ces paroles du Seigneur, non seulement manger son corps, mais aussi boire son sang est nécessaire au salut, étant donné que la nourriture ne restaure pas parfaitement sans la boisson. Or la coutume de certaines Eglises est que le prêtre seul communie au sang et que les autres communient seulement au corps: ce fait paraît s’opposer à cette affirmation du Christ.
Je réponds en disant que, selon une antique coutume de l’Eglise, tous communiaient au sang comme au corps, ce qui, maintenant encore, est conservé dans certaines Eglises où toujours ceux qui servent à l’autel communient aussi au corps et au sang. Mais à cause du risque de le renverser, dans certaines Eglises on a retenu que le prêtre seul communiait au sang, les autres au corps. Cependant, ce n’est pas con traire à la sentence du Seigneur: celui qui communie au corps communie aussi au sang puisque, sous chacune des deux espèces, est contenu tout le Christ avec son corps et son sang. Mais sous les espèces du pain, le corps du Christ est contenu en vertu de la conversion, le sang à cause de la concomitance naturelle; et sous les espèces du vin, le sang du Christ est contenu en vertu de la conversion, le corps à cause de la concomitance naturelle.
On voit ainsi la nécessité de prendre cette nourriture spirituelle.
971. Les paroles qui suivent montrent l’utilité de ce sacrement d’abord quant à l’esprit ou l’âme [n° 9721 ensuite quant au corps [n° 973].
QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON
SANG A LA VIE ETERNELLE.
972. L’utilité de cette manducation est donc grande puisqu’elle donne la vie éternelle, ce qui fonde l’affirmation du Seigneur. Cette nourriture spirituelle, en effet, est semblable en quelque sorte à la nourriture corporelle en ce sens que, sans elle, il ne peut y avoir de vie spirituelle, pas plus qu’il ne peut y avoir de vie corporelle sans nourriture corporelle, comme on l’a dit. Mais en outre, il lui appartient de causer une vie sans fin en celui qui la prend, ce que la nourriture corporelle ne réalise pas. En effet, ce n’est pas pour l’avoir prise qu’on vivra, car, comme le dit Augustin, "il peut se faire que, par la vieillesse, la maladie ou quelque autre cause, ceux qui l’ont prise meurent" 113. Au contraire, celui qui prend cette nourriture et cette boisson, c’est-à-dire celle du corps et du sang du Seigneur, A LA VIE ETERNELLE. C’est pour cela qu’elle est comparée à l’arbre de vie: C’est un arbre de vie pour celui qui l’aura saisie 114, et de là vient qu’elle est appelée pain de vie: La Sagesse l’a nourri d’un pain de vie et d’intelligence 115. Il dit donc LA VIE ETERNELLE, parce que celui qui mange ce pain a en lui le Christ qui est le Dieu véridique et la vie éternelle 116. Mais celui-ci a la vie éternelle qui mange et boit comme il le faut: non seulement sacramentellement, mais aussi spirituellement. En effet, celui-ci mange et boit sacramentellement qui se limite à consommer ce sacrement; mais il mange et boit spirituellement, celui qui atteint la réalité du sacrement dans ses deux dimensions: l’une signifiée et contenue, qui est le Christ dans son intégrité, caché sous les espèces du pain et du vin; l’autre signifiée mais non pas contenue: le corps mystique du Christ, qui est dans les prédestinés, les appelés, les justifiés 117.
Ainsi donc, il mange la chair et boit le sang spirituellement en référence au Christ contenu et signifié, celui qui lui est uni par la foi et la charité, de telle sorte qu’il est transformé en lui et en devient membre. En effet, cette nourriture ne se change pas en celui qui la prend; elle le change en elle, d’après ce passage d’Augustin: "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais c’est toi qui seras changé en moi" 118. Et c’est pourquoi elle est la nourriture qui a le pouvoir de diviniser l’homme et de l’enivrer de la divinité.
Il en va de même en référence au corps
mystique seulement signifié si celui qui communie devient participant de
l’unité de l’Eglise. Donc, celui qui mange ainsi A LA VIE ETERNELLE. En
référence au Christ, on l’a suffisamment montré. De même en référence au corps
mystique, il aura nécessairement la vie éternelle s’il persévère. En effet,
l’unité de l’Eglise est réalisée par l’Esprit Saint— Il n a qu’un corps et un
Esprit 118 —, qui d’après le début de l’épître est le gage de notre héritage 120. Elle est donc grande, l’utilité de cette nourriture, puisqu’elle
donne la vie éternelle à l’âme. Mais elle est grande encore parce qu’elle donne
la vie éternelle au corps.
ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU
DERNIER JOUR.
973. En effet, ainsi qu’on l’a dit, celui qui mange et boit spirituellement devient participant de l’Esprit Saint par qui nous sommes unis au Christ dans l’union de la foi et de la charité, et par qui nous sommes faits membres de l’Eglise. Et la résurrection, l’Esprit Saint nous donne de la mériter: Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité d’entre les morts le Christ Jésus fera vivre aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous 121. Et c’est pourquoi le Seigneur dit que celui qui mange et boit ressuscitera pour la gloire — et non pour la condamnation, parce qu’il ne vaut pas la peine de ressusciter ainsi.
Et c’est assez justement que l’on attribue un tel effet au sacrement de l’Eucharistie parce que, comme le dit Augustin — on l’a d’ailleurs mentionné plus haut 122, le Verbe ressuscite les âmes, mais le Verbe fait chair vivifie les corps. Or, dans ce sacrement, le Verbe n’est pas seulement selon sa divinité, mais aussi selon la vérité de sa chair, et c’est pour quoi il n’est pas seulement cause de la résurrection spirituelle, mais aussi de la résurrection des corps: Par un homme vient la mort, par un homme aussi la résurrection des morts 123. L’utilité de cette manducation est donc manifeste.
CAR MA CHAIR EST VRAIMENT UNE
NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON
974. Le Seigneur montre par là la vérité de la manducation. On pourrait en effet croire que tout ce qui a été dit de sa chair et de son sang est allégorie et parabole 124. Et c’est pourquoi, excluant cette interprétation, il dit: MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE, comme s’il disait: Ne pensez pas que je parle en figure, mais c’est en vérité que MA CHAIR est contenue dans la nourriture des croyants ET MON SANG dans le sacrement de l’autel: Ceci est mon corps (...) et ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance 125.
Cette vérité peut être comprise différemment, d’après Chrysostome. La nourriture et la boisson sont prises pour restaurer l’homme. Or il y a dans l’homme deux parties: l’une principale qui est l’âme, l’autre secondaire qui est le corps. Et l’homme est ce qu’il est par son âme et non par son corps. Est donc vraiment la nourriture de l’homme ce qui est la nourriture de l'âme 126. Et c’est ce que dit le Seigneur: MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE parce qu’elle n’est pas seulement la nourriture du corps mais aussi de l’âme. De même pour le sang: Vers les eaux du repos il me mène, il convertit mon âme 127, comme s’il disait: cette réfection est spécialement ordonnée à l’âme.
Ou encore, d’après Augustin 128, on dit en vérité que quelque chose est telle réalité si cela en produit l’effet; or l’effet de la nourriture est de rassasier. Donc ce qui rassasie vraiment est vraiment une nourriture et une boisson. C’est bien ce que réalisent le corps et le sang du Christ, parce qu’ils conduisent à l’état de gloire où il n’y a ni faim ni soif 129: ils n’auront plus ni faim ni soif; et c’est pour cela qu’il dit: MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON.
QUI
MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI. COMME LE PÈRE QUI
EST VIVANT M’A ENVOYÉ, ET QUE MOI JE VIS À CAUSE DU PÈRE, AINSI CELUI QUI ME
MANGE VIVRA À CAUSE DE MOI. TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU DU CIEL. CE N'EST
PAS COMME VOS PÈRES QUI ONT MANGÉ LA MANNE ET SONT MORTS. CELUI QUI MANGE CE
PAIN VIVRA ÉTERNELLEMENT"
975. Le Seigneur prouve ensuite la vertu de la nourriture spirituelle mentionnée plus haut, à savoir qu’elle donne la vie éternelle, et il argumente ainsi: QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG m’est uni; mais qui m’est uni A LA VIE ETERNELLE; donc QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE. Il pose donc d’abord la majeure [n° 976], puis la mineure, qu’il prouve [n° 977]; enfin, il infère la conclusion [n° 979].
QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON
SANG DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI.
976. Il faut savoir, quant au premier point, que si ce que le Seigneur dit se rapporte à la chair et au sang mystiquement parlant, il n’y a aucune difficulté dans cette parole. En effet, comme on l’a dit, il mange spirituellement en référence seulement à la réalité signifiée, celui qui est incorporé au corps mystique par l’union de foi et de charité: la charité fait que Dieu est dans l’homme et réciproquement — Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui 130; et cela, l’Esprit Saint aussi le réalise: En cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous: à ce qu’il nous adonné de son Esprit 131.
Mais si l’on réfère cette affirmation à la
consommation sacramentelle, alors, de ceux qui mangent la chair et boivent le
sang, tous ne demeurent pas en Dieu. Parce que, comme le dit Augustin 132, il y aune manière de manger cette chair et de boire ce sang telle
que celui qui mange et boit demeure dans le Christ et le Christ en lui, s’il
mange son corps et boit son sang non pas simplement sacramentellement, mais
aussi selon la vérité de la réalité contenue dans le sacrement. Et il est une
autre manière de manger telle qu’on ne demeure pas dans le Christ ni le Christ
en soi. C’est le cas de ceux qui s’approchent de ce sacrement avec un coeur
mensonger; car dans un tel coeur, le sacrement n’a aucun effet. Il y a
mensonge, en effet, quand ce qui est signifié à l’extérieur n’a pas de
correspondance intérieure. Mais dans le sacrement de l’Eucharistie, il est
signifié extérieurement que le Christ est incorporé à celui qui le reçoit, et
lui au Christ. Donc, celui qui n’a pas dans son coeur le désir de cette union
et qui ne s’efforce pas d’écarter tout ce qui y fait obstacle, est mensonger.
C’est pourquoi le Christ ne demeure pas en lui, ni lui dans le Christ 133.
COMME LE PÈRE QUI EST VIVANT
M’A ENVOYE ET QUE MOI JE VIS À CAUSE DU PÈRE, AINSI CELUI QUI ME MANGE VIVRA A
CAUSE DE MOI 134.
977. Le Christ pose ici la mineure, à savoir que celui qui lui est uni a la vie; et il l’induit en révélant la similitude sui vante: le Fils, à cause de son unité avec le Père, reçoit la vie du Père; donc, celui qui est uni au Christ reçoit la vie du Christ: COMME LE PERE QUI EST VIVANT M’A ENVOYE, ET QUE MOI JE VIS A CAUSE DUPERE... Ces paroles peu vent être explicitées de deux manières au sujet du Christ: selon sa nature humaine ou selon sa nature divine. Si elles se rapportent au Christ Fils de Dieu, alors le COMME implique une similitude du Christ avec la créature sur un point (mais non pas sur tous): le fait d’être d’un autre. Il est en effet commun au Christ Fils de Dieu et à la créature d’être d’un autre. Mais d’un autre point de vue, il y a dissimilitude, parce que le Fils a ceci de propre qu’il est du Père de telle sorte qu’il reçoit cependant toute la plénitude de la nature divine 135, en tant que tout ce qui par nature est au Père est aussi par nature au Fils (alors que la créature, elle, reçoit une certaine perfection et une nature particulière): Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même 136. Il le montre en ne disant pas: "Comme je mange le Père et que moi je vis à cause du Père", puisqu’il parle ici de sa procession, alors qu’à notre sujet il dit: CELUI QUI ME MANGE VIVRA A CAUSE DE MOI, puisqu’il parle de la participation à son corps et à son sang, qui nous rend meilleurs (la manducation exprime, de fait, une certaine participation). Mais le Christ affirme qu’il vit A CAUSE DU PERE non pas en le mangeant, mais en étant engendré par lui sans que cela supprime l’égalité.
Mais si ces paroles s’entendent du
Christ-homme, COMME implique alors, sur un point, une similitude entre le
Christ-homme et nous, en ceci que, comme le Christ-homme reçoit la vie
spirituelle par l’union à Dieu, de même nous aussi recevons la vie spirituelle
par la communion au sacrement. Mais il y a dissimilitude du fait que le
Christ-homme reçoit la vie par union au Verbe avec lequel il est une unique
personne, alors que nous sommes unis au Christ par le sacrement de la foi. Et
c’est pourquoi il affirme à la fois: M’A ENVOYE, et PERE. Si donc on réfère le
pas sage au Fils de Dieu, alors il affirme: MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce
que le Père est vivant. Mais si on le réfère au Fils de l’homme, alors il
affirme: MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce qu’il M’A ENVOYE, c’est-à-dire, il a
fait que je m’incarne. En effet, la mission du Fils de Dieu est son
Incarnation: Dieu a envoyé son Fils, engendré d’une femme, engendré sous la Loi
137.
978. Par ces paroles, selon
Hilaire 138, est exclue l’erreur d’Arius. Si en effet nous vivons à cause du
Christ, parce que nous possédons quelque chose de sa nature, comme il le dit
lui-même: QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE, le Christ vit
donc aussi à cause du Père parce qu’il possède en lui la nature du Père, non
pas une partie de celle-ci — elle est simple et indivisible — mais toute la
nature du Père. Ainsi le Fils vit à cause du Père, la naissance ne lui
apportant pas une nature autre, ni numériquement ni spécifiquement.
TEL EST LE PAIN QUI EST
DESCENDU DU CIEL. CE N’EST PAS COMME VOS PÈRES QUI ONT MANGÉ LA MANNE ET SONT
MORTS. CELUI QUI MANGE CE PAIN VIVRA ÉTERNELLEMENT"
979. Le Seigneur tire ici deux conclusions. En effet, les Juifs controversaient sur deux points: l’origine de la nourriture spirituelle et sa vertu. La première conclusion porte sur l’origine [n° 980]; et la seconde, qu’il a principalement en vue, sur la vertu [n° 981].
980. Au sujet de l’origine, rappelons que les Juifs avaient été troublés par ce qu’il avait dit: Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel 139; et c’est pourquoi, contre eux, il le conclut à nouveau du fait de son affirmation: JE VIS A CAUSE DE MON PERE lorsqu’il dit: TEL EST LE PAIN. En effet, descendre du ciel, c’est tenir son origine du ciel; or le Fils tire son origine du ciel parce qu’il vit par le Père. Donc le Christ est celui qui descend du ciel. Et c’est pourquoi il dit: TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU, quant à la divinité, DU CIEL, c’est-à-dire de la vie paternelle; ou bien EST DESCENDU aussi quant à son corps, en tant que la puissance qui l’a formé, l’Esprit Saint, puisqu’elle vint du ciel, est une puissance céleste. Voilà pourquoi ceux qui mangent ce pain ne meurent pas à la manière dont sont morts nos pères qui ont mangé la manne, et cela parce que la manne ne descendit pas du ciel véritable et n’était pas le pain vivant, comme on l’a dit plus haut 140. Quant à la manière dont sont morts ceux qui ont mangé la manne, elle est manifeste en raison de ce qui a été dit.
981. Il tire la seconde
conclusion, au sujet de la vertu du pain, en disant: CELUI QUI MANGE CE PAIN
VIVRA ETERNELLEMENT, conclusion qui découle de ceci: QUI MANGE MA CHAIR141. En effet, celui qui
mange ce pain demeure en moi et moi en lui; or moi je suis la vie éternelle,
donc CELUI QUI MANGE CE PAIN comme il le faut VIVRA ETERNELLEMENT. IL DIT CES
CHOSES DANS LA SYNAGOGUE, AU COURS DE SON ENSEIGNEMENT À CAPHARNAÜM.
982. Le Christ enseignait à Capharnaüm. On précise ici le lieu dans lequel Jésus tint ces propos. Voulant en effet attirer la multitude, il enseignait dans le Temple et à la synagogue 143, cela pour que, parmi la multitude, au moins quelques-uns en profitent — J’ai annoncé ta justice dans la grande assemblée 143.
61
Mais beaucoup de ses disciples, l’ayant entendu, dirent: "Cette parole
est dure; qui peut l’entendre?" 62 Or Jésus, sachant en lui-même que
ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit: "Cela vous scandalise? 63
Si donc vous voyiez le Fils de l’homme montant où il était auparavant! C’est
l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai
dites sont esprit et vie. 65a Mais il en est quelques-uns parmi vous qui ne
croient pas. "65b Jésus en effet connaissait dès le commencement ceux qui
croyaient, et qui devait le trahir. 66 Et il disait: "C’est pourquoi je
vous ai dit que nul ne veut venir à moi si cela ne lui a été donné par mon
Père. " Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent et ils
n’allaient plus avec lui. 68 Jésus donc dit aux Douze: "Et vous,
voulez-vous aussi vous en aller?" Simon-Pierre lui répondit:
"Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle; nous,
nous croyons et nous connaissons que tu es le Christ, le Fils de Dieu. "
Jésus répondit: "N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze?
Cependant, l’un de vous est un diable. " Il par lait de Judas Iscariote,
fils de Simon; car c’était lui qui devait le trahir, bien qu’il fût l’un des
Douze.
983. Après avoir mis fin au litige des Juifs et à leur mur mure [n° 929], le Seigneur apaise le scandale des disciples. L’Evangéliste expose le scandale des disciples qui se retirèrent [n° 983], puis il porte son attention sur l’attachement sans réserve des disciples qui demeurent [n° 999].
I
MAIS
BEAUCOUP DE SES DISCIPLES, L’AYANT ENTENDU, DIRENT: "CETTE PAROLE EST
DURE; QUI PEUT L’ENTENDRE?" OR JÉSUS, SACHANT EN LUI-MÊME QUE SES
DISCIPLES MURMURAIENT À CE SUJET, LEUR DIT: "CELA VO US SCANDALISE? SI
DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTANT OÙ IL ÉTAITAUPARAVANT? C’EST
L’ESPRIT QUI VIVIFIE, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI
DITES SONT ESPRIT ET VIE. MAIS IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT
PAS. "JÉSUS EN EFFET CONNAISSAIT DÈS LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT,
ET QUI DE VAIT LE TRAHIR ET IL DISAIT: "C’EST POURQUOIJE VOUS AIDIT QUE
NUL NE PEUT VENIR À MOI SI CELA NE LUI A ÉTE DONNÉ PAR MON PÈRE. "DÈS
LORS, BEA UCOUP DE SES DISCI PLES SE RETIRÈRENT ET ILS N’ALLAIENT PLUS AVEC LUI
A propos de ceux qui se retirent, l’Évangéliste expose leur scandale [n° 984], puis la bienveillance avec laquelle le Christ le fait cesser [n° 985], enfin leur obstination dans l’incrédulité [n° 998].
MAIS BEAUCOUP DE SES
DISCIPLES, L’AYANT ENTENDU, DIRENT: "CETTE PAROLE EST DURE; QUI PEUT
L’ENTENDRE?"
984. A propos du scandale des disciples, il faut savoir que nombreux étaient ceux qui, dans le peuple juif, adhéraient au Christ en croyant à lui et le suivaient, sans avoir cependant tout quitté comme les Douze, et tous étaient appelés disciples. C’est d’eux que l’Evangéliste dit: BEAUCOUP [de ceux] qui, dans le peuple, croyaient à lui, L’AYANT ENTENDU sur ce qu’il avait dit plus haut, DIRENT: "CETTE PAROLE EST DURE." C’est d’eux qu’il est dit: Ils croient pour un temps, mais au temps de la tentation ils se retirent 145 et il dit BEAUCOUP parce que le nombre des insensés est infini, et que beaucoup sont appelés, mais peu sont élus 146.
Ils dirent donc: CETTE PAROLE EST DURE. On
appelle dur ce qui ne se divise pas facilement et qui oppose une résistance.
Une parole est donc dure parce qu’elle résiste soit à l’intelligence, soit à la
volonté, lorsque nous n’arrivons pas à la saisir par l’intelligence ou qu’elle
ne plaît pas à la volonté. Et de ces deux manières, cette parole leur était
dure. D’une part pour l’intelligence, parce qu’elle excédait de beaucoup la
faiblesse de leur intelligence 147. Comme ils étaient
soumis à la chair, ils ne pouvaient saisir ce que le Christ avait affirmé:
qu’il leur donnerait sa chair à manger. Dure d’autre part pour la volonté parce
qu’il a dit beaucoup sur la puissance de sa divinité. Et même si dans leur foi
ils le tenaient pour un prophète, ils ne le croyaient pas Dieu. Et c’est
pourquoi il leur semblait qu’il parlait de lui-même avec exagération: Les
lettres sont sévères et fortes, dit-on à propos des épîtres de saint Paul 148; et la sagesse est extrêmement amère aux hommes ignorants 149. D’où leur réaction: QUI PEUT L'ENTENDRE? Ils disent cela pour
s’excuser. En effet, du fait qu’ils s’étaient donnés à lui, ils devaient
l’écouter; mais parce qu’il ne leur enseignait pas des choses qui leur
plaisaient, ils voulaient susciter une occasion de partir: Le sot ne recevra
pas les paroles de prudence, à moins que tu ne lui dises celles qui suivent la
pente de son cœur 150.
985. L’Évangéliste expose ensuite la bienveillance avec laquelle le Christ apaise le scandale, qu’il dénonce et manifeste [n° 986] et dont il écarte ensuite la cause invoquée [n° 988] pour en indiquer la véritable cause [n° 994].
OR JÉSUS, SACHANT EN LUI-MÊME
QUE SES DISCIPLES MURMURAIENT À CE SUJET, LEUR DIT: "CELA VOUS SCANDALISE?
986. Il dénonce le scandale
parce qu’ils avaient dit CETTE PAROLE EST DURE à voix basse pour ne pas être
entendus de lui. Mais lui qui, par la puissance de sa divinité, connaissait ce
qu’ils disaient, le dévoile: JESUS, SACHANT EN LUI-MEME ce qu’ils disaient en
eux-mêmes 151, à savoir QUE SES
DISCIPLES MURMURAIENT A CE SUJET n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage
au sujet de l’homme: il savait, lui, ce qu'il y a dans l’homme 152. Dieu
scrute les coeurs et les reins 153: Il LEUR DIT: "CELA VOUS SCANDALISE?" comme s’il
disait: vous ne devez pas en être scandalisés. Ou bien on peut lire dans ces
paroles un désir d’apaiser, comme s’il disait: Je sais que vous êtes
scandalisés — Il sera pour nous, ceux qui croient au Christ, une cause de
sanction, mais une pierre où l’on achoppe, un rocher où l’on trébuche (petra
scandali), pour les deux maisons d’Israël 154, c’est-à-dire pour les disciples qui murmurent et pour les foules.
987. Mais puisque les docteurs doivent éviter le scandale de ceux qui les écoutent, pourquoi le Seigneur leur propose-t-il des vérités de foi telles qu’ils soient scandalisés et se retirent?
Je réponds en disant que la nécessité de la
doctrine exigeait que le Seigneur leur proposât de telles choses. Ils le
pressaient vivement, en effet, de leur procurer une nourriture corporelle alors
qu’il était venu pour conduire au désir de la nourriture spirituelle. Voilà
pourquoi il était nécessaire qu’il leur proposât l’enseignement sur la
nourriture spirituelle. Leur scandale n’était cependant pas causé par une
faille de l’enseignement du Christ, mais par leur incrédulité. Si, en effet,
étant soumis à la chair, ils ne comprenaient pas les paroles du Seigneur, ils
pouvaient l’interroger comme les Apôtres le firent ailleurs. C’est à dessein,
selon Augustin, que le Seigneur permit cela, pour donner à ceux qui enseignent
bien une cause de patience et de consolation face aux détracteurs de leurs
paroles, puisque même les disciples ont osé dénigrer les paroles du Christ 155.
988. Le scandale avait été
occasionné par la personne qui avait parlé et par les paroles qu’elle avait
dites, comme le dit Chrysostome 156. C’est pourquoi le
Christ écarte l’occasion du scandale d’abord quant à sa personne [n° 989],
puis quant à ses paroles [n°
992].
SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE
L'HOMME MON TANT OÙ IL ÉTAIT AUPARAVANT?
989. L’occasion du scandale fut
qu’ils avaient entendu le Seigneur s’attribuer ce qui appartient à Dieu. Donc,
parce qu’ils le tenaient pour le fils de Joseph, ils étaient scandalisés par
ses propos. Afin d’écarter cette occasion de scandale, le Seigneur leur montre
plus ouvertement sa divinité. Il dit en ce sens: "Vous êtes troublés
par ce que j’ai dit de moi: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTANT OÙ
IL ÉTAIT AUPARA VANT?" (ajoutons: "que diriez-vous?")
comme s’il disait: Pourriez-vous nier que je suis descendu du ciel et que c’est
moi qui donne la vie éternelle? 157 Il avait fait de même avec Nathanaël; en effet, lorsque celui-ci
lui eut dit: Tu es le roi d'Israël 158; il voulut l’élever à
une connaissance plus parfaite en lui disant en ce sens: Tu verras des choses
plus grandes que celles-ci 159. Ici aussi, il annonce
quelque chose de plus grand à son sujet en disant: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS
DE L'HOMME MON TANT OÙ IL ÉTAIT AUPARAVANT? Or il est monté au ciel à la vue de
ses disciples, ainsi que le rapporte les Actes 160. Si donc il est monté là où il
était auparavant, c’est qu’auparavant il était au ciel: Personne n’est monté au
ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel 161.
990. Mais soyons attentifs: même
si dans le Christ la personne du Fils de Dieu et du Fils de l’homme est la
même, la nature est cependant autre. C’est pourquoi quelque chose lui convient
en raison de l’humanité — monter — qui ne lui convient pas en raison de la
divinité, selon laquelle il n’est pas de lieu où il puisse monter puisqu’il est
éternellement au sommet le plus élevé de toutes choses — dans le Père. Mais
selon la nature humaine, il lui convient de monter là OÙ IL ÉTAIT AUPARAVANT —
au ciel où il n’était pas selon cette nature. Ceci est contraire à l’erreur de
Valentin 162, disant que le Christ
avait pris un corps céleste. Ainsi donc, là où il était selon la divinité, il
est monté, à la vue des Apôtres et par sa propre puissance, selon l’humanité:
Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde; je quitte de nouveau le
monde et je vais au Père 163.
991. Mais selon Augustin 164, ces paroles sont dites pour une autre raison. Il dit en effet que ceux-ci ont été scandalisés de ce que le Seigneur avait dit qu’il leur donnerait sa chair à manger: à l’éventualité, due à leur compréhension charnelle, de devoir la manger au sens littéral comme une chair d’animal, ils ont été scandalisés. Et c’est pourquoi, écartant cette interprétation, il dit: SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L’HOMME MONTER avec son corps intact OU IL ETAIT AUPARAVANT, ajoutons: diriez-vous que je voulais vous donner ma chair à manger comme celle des animaux?
C'EST L'ESPRIT QUI VIVIFIE, LA
CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES SONT ESPRIT ET VIE.
992. Il écarte ici l’occasion de scandale venant des paroles dites; et, selon Chrysostome 165, il distingue en premier lieu deux sens en ces paroles; il montre ensuite lequel leur convient.
Les paroles du Christ peuvent être comprises selon deux sens: selon le sens spirituel et selon le sens charnel. Et c’est pour cela qu’il dit: C’EST L’ESPRIT QUI VIVIFIE, c’est-à-dire, si vous comprenez selon l’esprit les paroles que j’ai dites, autrement dit si vous en saisissez le sens spirituel, elles vous vivifieront. LA CHAIR NE SERT DE RIEN, c’est-à-dire, si vous les comprenez selon le sens charnel, elles ne vous servent à rien; au contraire, elles vous nuisent parce que, ainsi que le dit l’épître aux Romains, Si vous vivez selon la chair, vous mourrez 166. Et les paroles du Seigneur concernant sa chair donnée en nourriture sont comprises selon un sens charnel dès lors qu’elles sont prises dans leur consonance extérieure et en fonction de la nature de la chair. Et c’est de cette manière qu’ils les comprenaient, comme nous l’avons dit. Mais le Seigneur disait qu’il se donnerait à eux comme une nourriture spirituelle, non que dans le sacrement de l’autel ne soit pas la chair véritable du Christ, mais parce qu’on s’en nourrit selon un mode spirituel et divin. Ainsi, le sens convenable de ces paroles n’est pas charnel mais spirituel.
Voilà pourquoi il ajoute: LES PAROLES QUE JE
VOUS AI DITES au sujet de ma chair donnée en nourriture SONT ESPRIT ET VIE,
c’est-à-dire ont un sens spirituel, et ainsi comprises donnent la vie. Il n’y a
rien d’étonnant à ce qu’el les aient un sens spirituel puisqu’elles sont de
l’Esprit Saint: C’est l’Esprit qui dit les mystères 167. Et les mystères du Christ vivifient: Pour l’éternité je n’oublierai
pas tes justifications, parce qu’en elles tu m’as fait vivre 168.
993. C’est aussi, selon Augustin
169, en un autre sens que ces paroles ont été dites. C’est que ces
paroles LA CHAIR NE SERT DE RIEN s’entendent de la chair du Christ. Il est
manifeste en effet que la chair du Christ, en tant que con jointe au Verbe et à
l’Esprit, sert beaucoup et de toutes manières: autrement, c’est en vain que le
Verbe se serait fait chair, en vain que le Père lui-même l’aurait manifesté
dans la chair 170. Et c’est pourquoi il faut dire que la chair du Christ, considérée
en elle-même, NE SERT DE RIEN, c’est-à-dire n’est d’aucun profit, si ce n’est
comme une autre chair. Si en effet, par une vue de l’esprit, on la sépare de la
divinité et de l’Esprit Saint, elle n’a pas plus de vertu qu’une autre chair;
mais si adviennent l’Esprit et la divinité, elle sert beaucoup parce qu’elle
fait demeurer dans le Christ celui qui la prend: c’est en effet par l’Esprit de
charité que l’homme demeure en Dieu: En cela nous connaissons que nous
demeurons en lui et lui en nous: à ce qu'il nous a donné de son Esprit 171. C’est pourquoi le Seigneur dit: cet effet — la vie éternelle — que
je vous ai promis, vous ne devez pas l’attribuer à la chair prise en elle-même,
car ainsi, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; mais si vous l’attribuez à l’Esprit et à
la divinité conjointe à la chair, de cette manière elle communique la vie
éternelle: Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi selon l'Esprit 172. Et
c’est pourquoi il ajoute: LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES SONT ESPRIT ET VIE,
c’est-à-dire doivent être rapportées à l’Esprit conjoint à la chair, et ainsi
comprises elles sont vie pour l’âme. Car de même que le corps vit de la vie
corporelle par l’esprit corporel 173, ainsi l’âme vit de la vie spirituelle par l’Esprit Saint: Envoie
ton Esprit et ils seront créés 174.
994. Le Seigneur met ensuite en lumière la cause du scandale, qui était leur incrédulité. C’est comme s’il disait: la cause de votre scandale n’est pas la dureté de la parole que je vous ai dite, mais votre incrédulité. C’est ainsi qu’il commence par révéler leur incrédulité, au sujet de laquelle l’Evangéliste exclut ensuite une fausse opinion [n° 996]; le Seigneur manifeste enfin la cause de cette incrédulité [n° 997].
MAIS IL EN EST QUELQUES-UNS
PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS.
995. Le Seigneur révèle ici l’incrédulité des Juifs. Et il dit QUI NE CROIENT PAS et non pas "qui ne comprennent pas". Il fait plus, il donne connaissance de la cause pour laquelle ils ne comprennent pas: en effet, s’ils ne comprenaient pas c’est qu’ils ne croyaient pas. Une variante d’Isaïe dit: Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 175. Et Jésus dit QUELQUES-UNS pour exclure les disciples: Tous n’ont pas la foi 176 — Tous n’obéissent pas à l'Evangile 177 — Ils n’ont pas cru à ses paroles 178.
JÉSUS EN EFFET CONNAISSAIT DÈS
LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAIT LE TRAHIR.
996. L’Évangéliste écarte ici une fausse conjecture. Jésus n’a pas dit: IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS, au sens où il l’aurait appris depuis peu, mais parce qu’il CONNAISSAIT DES LE COMMENCEMENT du monde CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAITLE TRAHIR: Toutes choses sont nues et découvertes à ses yeux 179. — Avant qu’elles n’adviennent, toutes choses sont connues du Seigneur notre Dieu 180.
ET
IL DISAIT: "C’EST POURQUOI JE VOUS AI DIT QUE NUL NE PEUT VENIR À MOI SI
CELA NE LUI A ETÉ DONNÉ PAR MON PÈRE.
997. Le Seigneur donne ensuite la raison de leur incrédulité. Elle vient de ce qu’on s’éloigne de la grâce qui attire 181. En ce sens il disait: C’EST POURQUOI JE VOUS AI DIT, comme pour dire: S’il a été nécessaire que je vous dise ce qui a été dit jusqu’ici, c’est que NUL NE PEUT VENIR A MOI, par la foi, SI CELA NE LUI A ETE DONNE PAR MON PERE. Il en découle, selon Augustin, que l’acte même de croire nous est donné par Dieu 182. Quant au motif pour lequel ce n’est pas donné à tous, on l’a mentionné plus haut 183, où le Seigneur avait prononcé pratiquement les mêmes paroles. Il les répète cependant ici pour deux rai sons: d’abord pour montrer qu’il était plus bénéfique et utile pour eux de les recevoir dans la foi qu’au Christ de les prononcer: Il vous a été donné de croire en lui 184, comme s’il disait: c’est votre bien que vous croyiez. Et c’est pourquoi saint Augustin dit: "C’est une grande chose de croire: réjouis-toi parce que tu as cru" 185. Ensuite pour montrer qu’il n’est pas le fils de Joseph, comme ils le pensaient, mais de Dieu: c’est en effet Dieu le Père qui attire les hommes au Fils, comme il ressort de ce qui précède.
DÈS LORS, BEAUCOUP DE SES
DISCIPLES SE RETIRÈRENT ET ILS N’ALLAIENT PLUS AVEC LUI.
998. L’Évangéliste expose ici l’entêtement des disciples. En effet, bien que le Seigneur les eût repris et qu’il eût écarté la cause du scandale, pour autant qu’il pouvait le faire, ils n’en persévèrent pas moins dans l’incrédulité, et c’est pourquoi il dit: BEAUCOUP DE SES DISCIPLES SE RETIRERENT Il n’a pas dit: ils reculèrent, mais: ils SE RETIRERENT de la foi dont ils avaient la vertu, et étant retranchés du Corps, ils perdirent la vie, à moins peut-être qu’ils n’en aient jamais fait partie, comme le dit Augustin 186. Il en est en effet qui s’en vont purement et simplement: ceux qui suivent le diable, Satan, à qui il est dit: Va-t-en 187; et de certaines femmes il est dit: Certaines se sont détournées, à la suite de Satan 188. Ce n’est pas ainsi que Pierre — Va derrière moi, Satan 189— passe derrière le Christ, car lui va à la suite du Christ. Quant aux Juifs, ils s’en allèrent à la suite de Satan.
Voilà pourquoi il continue: ET ILS N’ALLAIENT
PLUS AVEC LUI, bien qu’il nous soit demandé de marcher avec Jésus: Je
t’indiquerai, homme, ce qui est bon: (...) Mettre toute ton application à
marcher avec ton Dieu 190.
II
JÉSUS DONC DIT AUX DOUZE:
"ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?" SIMON-PIERRE LUI
RÉPONDIT: "SEIGNEUR, À QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES DE LA VIE
ÉTERNELLE; POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE CHRIST, LE
FILS DE DIEU "JÉSUS RÉPONDIT: "N’EST-CE PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS,
VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN DIABLE. "IL PAR LAIT DE
JUDAS ISCARIOTE, FILS DE SIMON: CAR C’ÉTAIT LUI QUI DE VAIT LE TRAHIR, BIEN
QU’IL FÛT L’UN DES DOUZE.
999. Ici, le Seigneur porte son attention sur les disciples qui demeurent, ce qui est souligné par son interrogation [n° 1000]. En réponse, Pierre exprime leur attachement total [n° 1001]; cependant le Christ corrige sa réponse [n° 1005].
JÉSUS
DONC DIT AUX DOUZE: "ET VOUS, VOULEZ VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?"
1000. Le Seigneur sonde donc les Douze qui étaient là pour savoir s’ils voulaient persister; c’est pourquoi il dit AUX DOUZE, c’est-à-dire aux Apôtres: ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER? Et ceci pour deux raisons 191. Afin que, du fait que ceux-ci étaient restés alors que les autres étaient partis, ils ne s’enorgueillissent pas en attribuant cela à leur propre justice, estimant faire au Christ une grâce en ne l’abandonnant pas. C’est pourquoi, en leur montrant qu’il n’avait pas besoin d’être suivi par eux, ils les retient et les affermit plus profondément: De plus, situ agis avec justice, que lui donneras-tu ou que recevra-t-il de ta main? 192
Ensuite, parce qu’il arrive parfois qu’on ait
la volonté de s’éloigner de quelqu’un et qu’une gêne nous retienne, le Christ,
ne voulant pas qu’ils soient contraints par la gêne de rester avec lui (car
servir malgré soi revient à ne pas servir du tout), les libère de la gêne et
donc de l’obligation de rester, remettant à leur libre arbitre le choix de
rester ou de s’en aller, parce que le Seigneur aime celui qui donne avec joie. 193
1001. L’attachement total (devotio) de ceux qui restent est exprimé par la réponse de Pierre. Lui qui aime ses frères, qui est fidèle à ses amis et qui porte au Christ une affection spéciale, répond pour tout le collège 194. Il exalte d’abord l’excellence de la doctrine du Christ [n° 1002], puis il témoigne de l’autorité de cette doctrine [n° 1003] et con fesse sa foi [n° 1004].
SIMON-PIERRE LUI RÉPONDIT: "SEIGNEUR,
À QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES DE LA VIE ÉTERNELLE."
1002. Pierre exalte l’excellence
de la doctrine du Christ en disant: SEIGNEUR, A QUI IRONS-NOUS? , comme s’il
disait: "Tu nous rejettes loin de toi; donne-nous quelqu’un de meilleur
que toi à qui aller." Mais assurément, nul n’est semblable à toi parmi
les forts, Seigneur 195; et dans le psaume: Qui
est comme Dieu 196. Et c’est pourquoi nous
ne te quitterons pas — Où irai-je, loin de ton esprit? 197 Et,
selon Chrysostome 198, la parole de Pierre est révélatrice d’une grande amitié: déjà, en
effet, le Christ était pour lui plus honorable que père et mère.
1003. Il témoigne de l’autorité de la doctrine du Christ en disant: TU AS LES PAROLES DE LA VIE ETERNELLE. Moïse, lui, avait les paroles de Dieu, les prophètes aussi, mais rarement les paroles de la vie éternelle. Toi seul pro mets la vie éternelle: que chercher de plus? — Qui croit en moi a la vie éternelle199. — Celui qui croit en le Fils a la vie éternelle 200.
POUR NOUS, NOUS CROYONS ET
NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DE DIEU
1004. Pierre confesse ici sa foi. Notre foi, en effet, porte principalement sur deux points: le mystère de la Trinité et celui de l’Incarnation, que Pierre confesse ici tous les deux. D’une part le mystère de la Trinité lorsqu’il dit: TU ES (...) LE FILS DE DIEU Dans le fait de le dire FILS DE DIEU, il fait mention de la personne du Père et de celle du Fils, en même temps que de celle de l’Esprit Saint, qui est l’Amour du Père et du Fils, et le lien de l’un et l’autre 201.
D’autre part le mystère de l’Incarnation, lorsqu’il dit: TU ES LE CHRIST, en latin l’Oint, à savoir par l’huile invisible de l’Esprit Saint. Il n’est pas oint selon la nature divine, car ce qui est oint par l’Esprit Saint est rendu meilleur par cette onction; or, en tant qu’il est Dieu, le Christ n’est pas rendu meilleur. Il est donc oint dans son humanité.
Il dit aussi: NOUS CROYONS ET NOUS
CONNAISSONS, parce qu’il faut croire avant de connaître. Et c’est pourquoi, si
nous voulions d’abord connaître et croire ensuite, nous ne connaîtrions pas ni
n’aurions la force de croire, comme le dit Augustin 202. Isaïe dit, selon une version: Si vous ne croyez pas, vous ne
comprendrez pas 203.
1005. Le Seigneur corrige ensuite la réponse de Pierre. La réponse du Seigneur est d’abord exposée [n° 1006], et elle est suivie de la précision donnée par l’Evangéliste [n° 1009].
JÉSUS RÉPONDIT: "N’EST-CE
PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN
DIABLE."
1006. Généreux dans sa réponse,
Pierre y a inclus tous ceux qui restaient — POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS
CONNAISSONS —, ce qui laissait supposer que tous parviendraient à la vie
éternelle. C’est pourquoi le Seigneur soustrait Judas de l’assemblée des
croyants. De la part de Pierre, la confiance était louable: à cause d’elle, il
ne soupçonnait ses compagnons d’aucun mal; mais dans le Seigneur il faut
admirer la sagesse, lui qui voyait les choses cachées: N’EST-CE PAS MOI QUI
VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L’UN DE VOUS EST UN DIABLE, non par
nature, mais par imitation de la malice diabolique: C’est par l’envie du diable
que la mort est entrée dans le monde; et ils l’imitent, ceux qui lui
appartiennent 204. — Or après la bouchée, Satan entra en lui 205
précisément parce qu’il était devenu conforme à sa malice.
1007. Mais si le Christ a choisi Judas, et que celui-ci est devenu mauvais, il a visiblement commis une erreur dans son choix?
A cela une première réponse peut être donnée: selon Chrysostome 206, CHOISI n’exprime pas le choix de prédestination, mais un choix en vue d’une certaine fonction, et relativement au statut de la justice présente d’après laquelle on est parfois choisi non pas en vue du futur, mais pour ce qu’on est, à ce moment-là: car par ce choix, le Christ ne supprime pas notre libre arbitre, ni la possibilité de pécher — Que celui qui se croit debout prenne garde de tomber 207. Si donc le Seigneur a choisi Judas, il ne l’a pas choisi comme mauvais à ce moment-là, mais la possibilité de pécher ne lui a pour autant pas été retirée par ce choix.
Seconde réponse possible: selon Augustin, le Seigneur a choisi un Judas mauvais. Et parce qu’à celui qui est bon, il appartient de se servir du mal pour le bien, tout en le sachant mauvais, le Seigneur a fait bon usage du mal de Judas, lorsqu’il accepta d’être trahi pour nous racheter 208.
Ou bien il faut dire que le choix des douze Apôtres ne se rapporte pas ici aux personnes mais au nombre. Comme s’il disait: Moi, j’ai choisi en vous le nombre douze. Ce nombre en effet leur est consacré avec justesse, eux qui devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité à travers les quatre parties du monde. Et ce nombre n’a pas changé, parce qu’en choisissant Matthias on pourvut à la place du traître qui se supprima 209.
Ou bien, selon Ambroise 210, il a choisi Judas mauvais pour consoler notre faiblesse, au cas où
il nous arriverait un jour d’être trahis par nos amis, puisque nous lisons que
le Seigneur et Maître a été trahi par un disciple.
1008. On peut se demander pourquoi, lorsque le Seigneur dit ici L’UN DE VOUS EST UN DIABLE, les disciples ne disent rien, alors que plus tard, quand il leur dira: L'un d’entre vous me livrera 212, ils diront: Est-ce moi, Seigneur? 213
La raison en est que, ici, le Seigneur a parlé en général, en disant que l’un d’eux était un diable, ce qui peut se rapporter à n’importe quelle malice, et c’est pourquoi ils ne sont pas émus. Mais plus tard, à l’annonce d’un tel crime — la trahison du Maître — ils ne peuvent se contenir.
Ou bien il faut dire qu’au moment où le Seigneur a dit ces paroles, chacun d’eux mettait sa confiance en sa propre valeur, et c’est pour cela qu’ils ne concevaient aucune crainte que cela les concernât. Mais quand Pierre entendit: Va derrière moi, Satan 214, ils furent terrifiés et touchèrent du doigt à quel point ils étaient faibles. Et c’est pourquoi ils disaient en tremblant: Est-ce moi, Seigneur? 215
IL PARLAIT DE JUDAS ISCARIOTE,
FILS DE SIMON: CAR C’ÉTAIT LUI QUI DEVAIT LE TRAHIR, BIEN QU’IL FÛT L’UN DES
DOUZE.
1009. La réponse que le Seigneur
avait faite de manière voilée, l’Evangéliste la précise en disant: IL PARLAIT
DE JUDAS, comme l’ont prouvé les événements.
CHAPITRE
VII: L’origine de l’enseignement du Christ
1010. Après avoir traité de la vie [n° 699] et de la nourriture [n° 838] spirituelles, le Seigneur poursuit en parlant de la formation, ou de l’enseignement, ce qui est la troisième chose nécessaire à ceux qui ont été régénérés spirituellement, comme on l’a dit [n° 699].
Il commence par montrer le but du présent chapitre] l’origine de son enseignement; ensuite, à partir du chapitre VIII, il manifestera son utilité.
Ici, l’Evangéliste commence par situer le lieu où le Christ a mis en lumière l’origine de son enseignement, en exposant d’abord comment on a incité le Christ à s’y rendre, puis le refus du Seigneur [n° 1018], et enfin comment le Christ y est parvenu [n° 1024].
Puis l’Evangéliste montrera les occasions de manifester l’origine de l’enseignement du Christ [n° 1028], avant de nous donner cette manifestation elle-même [n° 1036].
Or,
après cela, Jésus parcourait la Galilée; en effet, il ne voulait pas parcourir
la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer. Or on était tout proche de
la fête des Juifs, la Scénopégie. Ses frères lui dirent: "Traverse d’ici,
et va en Judée, pour que tes disciples aussi voient tes oeuvres, celles que tu
fais. Personne certes ne fait quelque chose dans le secret s’il cherche à être
lui-même au grand jour: si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde." En
effet, ses frères non plus ne croyaient pas en lui. 6 leur dit donc: "Mon
temps n’est pas encore advenu; mais votre temps est toujours prêt. Le monde ne
peut pas vous haïr; mais il me hait, parce que moi je rends témoignage à son
sujet que ses oeuvres sont mauvaises. Vous, montez à cette fête; mais moi je ne
monterai pas à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli.
" 9 avoir dit cela, lui-même demeura en Galilée. Et quand ses frères
furent montés, alors lui aussi monta à la fête, non pas manifestement, mais
comme en secret.
LES
FRÈRES DU CHRIST L’INCITENT À SE RENDRE EN JUDÉE. OR, APRÈS CELA, JÉSUS
PARCOURAIT LA GALILÉE; EN EFFET, IL NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE
QUE LES JUIFS CHERCHAIENT À LE TUER. OR ON ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA FÊTE DES
JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE. ET SES FRÈRES LUI DIRENT: "TRAVERSE D’ICI, ET VA EN
JUDÉE, POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS.
PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRETS. IL CHERCHE À ÊTRE
LUI-MÊME AU GRAND JOUR: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "EN
EFFET, SES FRÈRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI.
L’Évangéliste, pour montrer comment on a incité le Christ à se rendre dans le lieu où il amis en lumière l’origine de son enseignement, commence par montrer les occasions qui ont provoqué [ce fait], puis il nous expose le fait lui-même [n° 1014].
Trois raisons poussaient [les frères du Seigneur] à l’inciter à se rendre en Judée: son séjour prolongé [n° 1011], son intention [n° 1012], l’opportunité du moment [n° 1013].
OR, APRÈS CELA, JÉSUS
PARCOURAIT LA GAULÉE.
1011. Par son séjour en Galilée, le Christ manifestait son intention de s’attarder, et c’est pourquoi l’Evangéliste affirme: APRÈS CELA, c’est-à-dire après les paroles qu’il avait dites à Capharnaüm, JESUS PARCOURAIT LA GALILEE. Il était en effet reparti de Capharnaüm, métropole de la Galilée, afin de parcourir cette région.
Si le Seigneur séjourne souvent en Galilée, c’est pour nous montrer que nous devons passer des vices aux vertus: Toi donc, fils d’homme, fais-toi un bagage d’émigré; tu émigreras devant eux en plein jour 1.
EN EFFET, IL NE VOULAIT PAS
PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT À LE TUER.
1012. Les frères du Seigneur étaient poussés par une deuxième raison: l’intention du Christ; intention qu’il leur avait peut-être fait connaître par ses paroles, et c’est pour quoi l'Evangéliste dit: Jésus, EN EFFET, NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDEE. La raison en est que LES JUIFS CHERCHAIENT A LE TUER. Et ces derniers cherchaient à le tuer parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu 2.
Mais ne pouvait-il pas s’y rendre et circuler parmi les Juifs sans être mis à mort par eux, comme il le fit plus tard? 3 On peut, en réponse à cette question, donner trois raisons. La première vient d’Augustin 4: il arriverait dans l’avenir que certains, à cause de leur foi au Christ, devraient se cacher pour ne pas être découverts par leurs persécuteurs. Afin qu’on ne leur reprochât pas leur fuite comme un crime, le Seigneur, pour notre consolation, voulut montrer qu’en cela il les avait précédés — ce qu’il enseigne du reste par la parole: Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 5.
La seconde raison est que le Christ était Dieu et homme; c’est pourquoi, en vertu de sa divinité, il pouvait ne pas être blessé par ses persécuteurs; mais il ne voulut pas toujours agir ainsi, parce que sa divinité aurait été manifestée de telle sorte qu’on en serait venu à douter de son humanité. Et c’est pourquoi, fuyant parfois ses persécuteurs comme un homme, il affirme son humanité, afin de con fondre tous ceux d’après qui il n’a pas été véritablement homme; et parfois, passant sans dommage au milieu d’eux 6, il manifeste sa divinité, confondant ainsi tous ceux aux yeux de qui il n’est qu’un homme. Cela explique pourquoi Chrysostome a sous les yeux une autre version: "Il n’avait pas le pouvoir [s'il le voulait] de se rendre en Judée", si l’on considère le mode humain des actions du Christ 7 autrement dit: on peut vouloir se rendre en un lieu et en être empêché par des embûches.
La troisième raison est que le temps de sa Passion n’était pas encore venu, car c’est au moment de la Pâque qu’il aurait à souffrir, lorsque l’agneau serait immolé, pour qu’ainsi la Victime se substituât à la victime: Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père... 8
OR ON ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA
FÊTE DES JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE.
1013. L’opportunité du moment était une raison de plus, pour ses frères, de l’inciter à partir: il convenait alors de se rendre à Jérusalem; et c’est ce que l’Evangéliste dit: OR ON ETAIT TOUT PROCHE DE LA FETE DES JUIFS, LA SCENOPEGIE. Scenopegia est un mot grec composé de scenos qui signifie "tente" et de phagim qui veut dire "manger"; autrement dit: c’était le temps où les Juifs prenaient leurs repas sous des tentes 9. Car le Seigneur avait prescrit aux fils d’Israël que le septième mois ils habiteraient pendant sept jours dans des tentes 10 en mémoire des quarante années où ils avaient habité sous des tentes au désert. Et les juifs célébraient alors cette fête.
L’Evangéliste rappelle ce fait pour montrer qu’entre le moment où furent accomplies les oeuvres concernant la nourriture spirituelle et le moment présent, beaucoup de temps s’était écoulé. En effet, quand le Christ fit le miracle des pains, la fête de la Pâque était proche; or la fête des Tentes a lieu bien après la Pâque. Ainsi l’Evangéliste ne mentionne ici aucun des actes accomplis par le Seigneur pendant cet intervalle de cinq mois, pour nous faire com prendre ceci: bien qu’il ne cessât d’accomplir des signes [comme saint Jean le dit] à la fin de cet Evangile 11, les Evangélistes s’appliquèrent surtout à relater ceux qui furent occasion de dispute ou d’opposition de la part des Juifs 12.
ET SES FRÈRES LUI DIRENT: "TRAVERSE
D'ICI, ET VA EN JUDÉE, POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES
QUE TU FAIS. PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET S’IL CHERCHE
À ÊTRE LUI-MÊME AU GRAND JOUR: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU
MONDE." EN EFFET, SES FRÈRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI.
1014. L’Évangéliste expose ici l’incitation des frères du Seigneur: d’abord leur exhortation, ensuite le but de cette exhortation [n° 1016]; enfin, l’Evangéliste montre pour quoi ils l’exhortent ainsi [n° 1017].
ET SES FRÈRES LUI DIRENT:
"TRAVERSE D’ICI, ET VA ENJUDÉE
1015. L’Évangéliste commence donc par faire con naître ceux qui s’adressent au Christ: SES FRERES, non des frères selon la chair, du même sein que lui, blasphème que proféra Elvidius, car la foi catholique nie que ce sein virginal très saint qui enfanta Dieu homme ait ensuite conçu un autre homme mortel. Ils étaient donc ses frères par un lien de parenté parce qu’ils étaient du même sang que la bien heureuse Vierge Marie. C’est en effet la coutume de l’Ecriture d’appeler frères ceux qui sont liés par le sang — Abraham dit à Lot: "Qu'il n'y ait pas, je te prie, de dispute entre toi et moi (...) car nous sommes frères" 13; alors que Lot était le neveu d’Abraham. Et comme le dit Augustin, de même que dans le sépulcre où on déposa le corps du Seigneur ne reposa ni avant ni après un autre corps, ainsi le sein de Marie, ni avant ni après la conception, ne conçut aucun mortel 14. Mais parmi les parents de la bienheureuse Vierge il y avait des Apôtres, tels les fils de Zébédée, et Jacques fils d’Alphée, et d’autres encore; aussi ne faut-il pas croire qu’ils furent de ceux qui incitèrent le Christ à se rendre en Judée; ce furent d’autres parents, qui n’aimaient pas le Christ.
L’Évangéliste expose ensuite leur exhortation: TRAVERSE D'ICI, c’est-à-dire de la Galilée, ET VA EN JUDEE, là où se trouve jérusalem, ce lieu où normalement se trouvent les docteurs: Toi qui vois, va, fuis dans la terre de Juda et mange là ton pain, et là tu prophétiseras 15.
POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI
VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE
DANS LE SECRET S’IL CHERCHE A ÊTRE LUI-MÊME AU GRAND JOUR: "SI TU FAIS CES
CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE."
1016. Ils donnent aussi le but de cette exhortation en disant: POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. Par ces paroles ils mon trent qu’ils sont avides de vaine gloire, soupçonneux et incrédules 16.
Ils se montrent avides de vaine gloire quand ils disent: POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES OEUVRES, CELLES QUE TU FAIS. Ils éprouvaient en effet des sentiments purement humains à l’égard du Christ et voulaient capter la gloire de l’honneur humain que les foules rendaient au Christ; et c’est pourquoi ils l’amenaient à accomplir ses oeuvres en public. Car c’est le propre de l’assoiffé de vaine gloire que de manifester en public tout ce qu’il y a de glorieux en lui ou chez les siens: Ils aiment prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin de se faire voir des hommes 17, eux dont il est dit: Ils préférèrent la gloire des hommes à la gloire de Dieu 18.
Ils se montrent ensuite soupçonneux et accusent d’abord le Christ d’avoir peur; c’est pourquoi ils lui disent: PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET, autrement dit: toi, tu dis que tu accomplis des miracles, mais tu les fais en secret, et cela par crainte, sinon tu irais à Jérusalem et là tu les ferais devant la multitude. Cependant le Seigneur dit: C’est ouvertement que j’ai parlé au monde et je n’ai rien dit en secret 19. Puis ils l’accusent d’aimer la gloire; aussi disent-ils: S’IL CHERCHE A ETRE LUI MEME A U GRAND JOUR, autrement dit: toi, tu cherches à tirer gloire de ce que tu accomplis, et cependant par crainte tu te caches. C’est le propre des méchants de croire que les autres ont des passions semblables aux leurs. Voyez avec quelle insolence la prudence de la chair attaquait le Verbe fait chair; c’est contre eux qu’il est dit: Tu reprends celui qui n’est pas égal à toi 20.
Enfin, ils se montrent incrédules quand ils ajoutent: SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE, comme mettant en doute le fait qu’il accomplisse lui-même des miracles — Celui qui est incrédule agit d’une manière infidèle 21.
EN EFFET, SES FRÈRES NON PLUS
NE CROYAIENT PAS EN LUI.
1017. L’Évangéliste ajoute la raison pour laquelle ils parlaient ainsi, lorsqu’il dit: EN EFFET, SES FRERES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI. Il arrive en effet que les hommes charnels soient les pires ennemis de ceux qui leur sont unis par le sang et qu’ils envient leurs biens spirituels; et ainsi ils les méprisent. Aussi Augustin dit-il: "Ils ont bien pu avoir le même sang que le Christ; mais à cause même de leur proximité il leur répugnait de croire en lui 22" — L'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison 23— Il a éloigné mes frères de moi, et mes amis, comme des étrangers, se sont retirés de moi. Mes proches m'ont abandonné, et ceux qui me connaissaient m’ont oublié 24.
JÉSUS LEUR DIT DONC: "MON
TEMPS N’EST PAS ENCORE ADVENU; MAIS VOTRE TEMPS EST TOU JOURS PRÊT LE MONDE NE
PEUT PAS VOUS HAÏR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TÉMOIGNAGE À SON
SUJET QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES. VOUS, MONTEZ A CETTE FÊTE; MAIS MOI JE NE
MONTERAI PAS À CETTE FÊTE, PARCE QUE MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI"
1018. Il s’agit ici de la réponse du Christ; il indique d’abord que le temps n’est pas opportun pour partir et il en donne ensuite la raison [n° 1020]; puis il dit son refus de monter [n° la fête] [n° 1022].
JÉSUS
LEUR DIT DONC: "MON TEMPS N’EST PAS ENCORE ADVENU; MAIS VOTRE TEMPS EST
TOUJOURS PRÊT
1019. Il faut savoir que tout ce verset est interprété différemment par Augustin et par Chrysostome [n° 1023].
Selon Augustin 25, les frères du Seigneur l’invitaient à une gloire humaine. Mais le temps où les saints parviennent à la gloire, c’est le temps à venir; ils y parviennent par de grandes souffrances et des tribulations — Comme l’or dans la fournaise, Dieu les a éprouvés, comme une victime d’holocauste il les a agréés, et quand leur temps sera venu il les regardera favorablement 26. Mais le temps où ceux qui appartiennent au monde obtiennent leur gloire, c’est le temps présent — Ne laissons pas passer la fleur de ce temps, couronnons-nous de roses avant qu’elles ne flétrissent 27. Le Seigneur voulut donc montrer qu’il ne cherchait pas la gloire de ce temps, mais qu’il voulait parvenir par sa Passion et son humilité à l’élévation de la gloire céleste — Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses pour entrer dans sa gloire? 28 Et c’est pourquoi il leur dit — à ses frères — MON TEMPS — le temps de ma gloire — N’EST PAS ENCORE ADVENU, car il faut que la tristesse soit changée en joie 29. Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire future qui doit se révéler en nous 30. Mais VOTRE TEMPS, c’est-à-dire la gloire du monde, EST TOUJOURS PRET
LE MONDE NE PEUT PAS VOUS
HAÏR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TÉMOIGNAGE À SON SUJET QUE SES
OEUVRES SONT MAUVAISES.
1020. Par ces mots, le Christ indique la raison de cette différence de temps. En effet, pour ceux qui appartiennent au monde, le temps de la gloire est là, parce qu’ils aiment ce que le monde aime, et ils sont en accord avec le monde. Mais pour les saints, qui cherchent la gloire spirituelle, le temps de la gloire n’est pas venu, parce qu’ils cherchent ce qui déplaît au monde: la pauvreté, les larmes, la faim et autres choses semblables 31. Ils blâment aussi ce que le monde aime; bien plus, ils méprisent le monde lui-même: Le monde est à jamais cruc et moi pour le monde 32. C’est pour quoi le Christ dit: LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAIR; autrement dit: le temps de votre gloire est là, parce que le monde ne vous hait pas, vous qui vous accordez avec lui, et parce que tout être vivant aime son semblable 33. MAIS IL ME HAIT; et donc mon temps n’est pas toujours prêt. Et la rai son de cette haine, c’est que MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET — au sujet du monde — QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES: je ne manque pas de reprendre les hommes qui appartiennent au monde, même si je sais qu’ainsi je suscite la haine et m’expose à la mort — Ils (ceux qui aiment la méchanceté) ont haï celui qui les reprenait à la Porte 34.— Ne reprends pas le railleur, de peur qu’il ne te haïsse 35.
1021. Mais n’y a-t-il pas des hommes qui, tout en étant du monde, sont haïs par le monde, c’est-à-dire par un de leurs semblables? Il faut répondre qu’un de ceux-là peut être objet de haine de la part d’un autre pour des motifs par ticuliers, parce que celui-là possède ce que celui-ci voudrait posséder, ou lui est un obstacle dans ce qui se rapporte à la gloire du monde; mais en tant que tel, aucun homme appartenant au monde n’est l’objet de la haine du monde. Les saints, par contre, sont universellement haïs du monde, parce qu’ils le contredisent. Et si quelqu’un du monde les aime, ce n’est pas en tant qu’il est du monde, mais en tant qu’il y a en lui quelque chose de spirituel.
VOUS,
MONTEZ À CETTE FÊTE; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS À CETTE FÊTE, PARCE QUE MON
TEMPS N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI."
1022. Le Seigneur refuse ici de monter à la fête. En effet, de même qu’il y a deux espèces de gloire, il y a deux espèces de fête. Les gens du monde ont dés fêtes temporel les, qui consistent à se réjouir, à faire bonne chère et à s’adonner à des jouissances extérieures du même genre — Le Seigneur appela aux pleurs, aux gémissements, à se raser les cheveux et à se ceindre d'un sac; et voici la joie et l’allégresse: on tue des veaux, on égorge des béliers, on mange des viandes et on boit du vin 36. Mon âme hait vos solennités 37. Quant aux saints, ils ont des fêtes spirituelles, qui consistent dans les joies de l’esprit — Contemple Sion, la ville de nos fêtes 38. Et c’est pourquoi il dit: VOUS, qui cherchez la gloire du monde, MONTEZ A CETTE FETE, fête de joie éphémère; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, mais à la fête de la solennité éternelle; et cela PARCE QUE MON TEMPS, celui de ma gloire, qui demeurera sans fin dans une joie éternelle, éternité sans labeur, sérénité sans nuage, N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI. 39
1023. Chrysostome 40, tout en gardant la même division, interprète ce verset de la manière suivante: Les frères du Seigneur avaient tramé avec les Juifs de faire mourir le Christ; c’est pourquoi ils l’incitaient à partir, voulant le faire paraître en public et le livrer aux Juifs. Aussi dit-il: MON TEMPS, c’est-à-dire le temps de la croix et de la mort, N’EST PAS ENCORE ADVENU, pour que j’aille en Judée et sois mis à mort; MAIS VOTRE TEMPS EST TOUJOURS PRET, parce que vous, vous pourrez demeurer avec eux sans danger. La raison en est qu’ils ne peuvent vous haïr, vous qui êtes animés du même zèle qu’eux et qui aimez ce qu’ils aiment. MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET QUE SES OEUVRES SONT MAUVAISES, ce qui montre que les Juifs me haïssent non pas parce que je relativise le sabbat, mais parce que je les contredis publiquement. VOUS donc, MONTEZ A CETTE FETE, c’est-à-dire pour le début de la fête (car elle se célé brait pendant sept jours, comme nous l’avons dit [n° 1013]); quant à MOI, JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, c’est-à-dire avec vous, ou bien au début de la fête, PARCE QUE MON TEMPS, celui oùje dois souffrir, N’EST PAS ENCORE ACCOMPLI; en effet, c’est au cours d’une Pâque à venir qu’il devait être crucifié. Et c’est pourquoi il ne monta pas avec eux, pour pouvoir mieux se cacher.
APRÈS A VOIR DIT CELA,
LUI-MÊME DEMEURA EN GALILÉE. MAIS QUAND SES FRÈRES FURENT MONTÉS, ALORS LUI
AUSSI MONTA À LA FÊTE, NON PAS MANIFESTEMENT, MAIS COMME EN SECRET
1024. L’Évangéliste traite ici
de la montée du Christ en Judée; il en montre d’abord l’ajournement [n° 1025],
puis l’ordre [n° 1026], enfin le mode [n°
1027].
1025. Il montre l’ajournement de
la montée du Christ lorsqu’il dit: APRES AVIR DIT CELA, c’est-à-dire ayant fait
cette réponse, LUI-MEME DEMEURA EN GALILEE, ne montant pas à la fête avec les
gens de sa parenté, pour que fût vérifiée la parole qu’il avait dite: MOI, JE
NE MONTE RAI PAS A CETTE FETE — Dieu n’est pas semblable à un homme pour
mentir, ni fils d’homme pour changer 41.
1026. L’Évangéliste montre ensuite l’ordre de cette montée lorsqu’il dit: MAIS QUAND SES FRERES, c’est-à-dire les gens de sa parenté, FURENT MONTES, ALORS LUI AUSSI MONTA A LA FETE.
Mais cela semble aller à l’encontre de ce qu’il a dit plus haut: MOI, JE NE MONTERAI PAS À CETTE FETE; l’Apôtre dit pourtant: En le Christ Jésus que nous avons prêché parmi vous (...), il n'a pas eu de oui et de non; c’est le oui qui s’est trouvé en lui 42.
Il faut répondre en premier lieu, selon le sens littéral, que la fête de la scénopégie durait sept jours, comme nous l’avons dit 43. Le Seigneur a dit plus haut: MOI, JE NE MON TERAI PAS A CETTE FETE, c’est-à-dire au début de la fête. Ce qui est dit ici — A LA FETE — doit être compris des jours intermédiaires; d’où ce qu’on lit plus loin: alors qu’on était déjà au milieu de la fête 44. Et ainsi, il est évident que ce que le Christ a fait n’a pas été en contradiction avec ce qu’il a dit.
Selon Augustin 45, on peut répondre ceci: ses frères vou laient que le Christ montât en Judée pour y chercher une gloire éphémère; ainsi, il leur dit: JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, de cette manière, comme vous le voulez. Mais LUI AUSSI MONTA A LA FETE, pour y enseigner les foules et les instruire de la gloire éternelle.
On peut répondre enfin, selon Chrysostome, qu’il a dit plus haut: JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE pour souffrir et mourir, comme eux le voulaient; cependant LUI AUSSI MONTA A LA FETE, non pas pour y souffrir, mais pour y instruire les autres 46.
NON PAS MANIFESTEMENT, MAIS
COMME EN SECRET.
1027. Ici, l’Évangéliste montre la manière dont le Christ est monté en Judée; la raison de cette manière d’agir est triple.
Selon Chrysostome, il fit cela de peur que, sa divinité étant davantage découverte, son Incarnation soit moins certaine, comme on l’a dit plus haut, et pour supprimer la honte qu’éprouvent les hommes justes à devoir se cacher, quand ils ne peuvent pas résister à leurs persécuteurs à la face de tous. Et l’Evangéliste dit expressément COMME EN SECRET, pour montrer que cela a été fait par mode d’arrangement — Vraiment tu es un Dieu caché 47.
Selon Augustin 48, c’est pour donner à entendre que le Christ est caché dans les figures de l’Ancien Testament — J’ai attendu le Seigneur qui a caché sa face, c’est-à-dire la connaissance manifeste [que nous pouvons avoir de lui], loin de la maison de Jacob 49 et c’est pourquoi ils ont jusqu’à aujourd’hui un voile posé sur leur coeur 50. Toutes les choses qui ont été dites au peuple ancien, Israël, furent des ombres des biens futurs, comme le dit l’épître aux Hébreux 51. Donc, pour montrer que cette fête elle-même était une figure, le Christ y monta en secret. La scénopégie, comme nous l’avons dit, était la célébration des tentes. Célèbre donc cette fête celui qui comprend qu’il est en ce monde un pèlerin 52.
Enfin, et c’est encore une autre raison, il fit cela pour nous montrer que nous devons cacher ce que nous faisons de bien, ne cherchant pas la faveur des hommes, ni ne désirant les acclamations de foules empressées — Gardez-vous d’accomplir votre justice en face des hommes de façon à être vus d’eux 53.
Les
Juifs le cherchaient donc pendant la fête, et disaient: "Où est-il,
celui-là?" 12 Et il y avait un grand mur mure dans la foule à son sujet.
Certains en effet disaient qu’il est bon; mais d’autres disaient: "Non,
mais il séduit la foule. " 13 Nul pourtant ne parlait ouvertement à son
sujet, par peur des Juifs. 14 Alors qu’on était déjà au milieu de la fête,
Jésus monta au Temple; et il enseignait. ' les Juifs s’étonnaient, disant:
"Comment celui-ci est-il savant alors qu’il n’a pas étudié?"
LES JUIFS LE CHERCHAIENT DONC
PENDANT LA FÊTE, ET DISAIENT: "OÙ EST-IL, CELUI-LÀ?"ET IL Y AVAIT UN
GRAND MURMURE DANS LA FOULE À SON SUJET CERTAINS EN EFFET DISAIENT QU’IL EST
BON; MAIS D’AUTRES DISAIENT: "NON, MAIS IL SÉDUIT LA FOULE."
NUL POURTANT NE PARLAIT OUVERTEMENT À SON SUJET, PAR PEUR DES JUiFS. ALORS
QU’ON ÉTAIT DEJÀ AU MILIEU DE LA FÊTE JÉSUS MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT
ET LES JUIFS S'ÉTONNAIENT, DISANT: "COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT
ALORS QU’IL N’A PAS ÉTUDIÉ?"
1028. L’Evangéliste expose ici quelle a été l’occasion de manifester l’origine de l’enseignement spirituel. Il montre en fait deux occasions. L’une est la division des foules; l’autre est leur admiration pour jésus [n° 1033].
Ce qui divisait les foules, c’était une
divergence d’opi nions au sujet du Christ. Aussi l'Evangéliste commence-t-il
par montrer ce en quoi tous étaient d’accord; puis il montre en quoi leurs
opinions différaient [n°
1030]; et enfin, laquelle de ces opinions prévalait
[n° 1032].
1029. Tous s’accordaient pour le chercher; et la raison [n° 11] pour laquelle l’Evangéliste dit cela, c’est que le Christ ne vint pas au début, ni ouvertement. LES JUIFS LE CHERCHAIENT DONC PENDANT LA FÊTE, ET DISAlENT: "OÙ EST-IL, CELUI-LÀ?" Il est évident que s’ils ne voulaient pas l’appeler par son nom 1, c’était à cause de leur grande haine et de leur hostilité — Ils l’avaient pris en haine, et ne pouvaient pas lui dire quoi que ce soit avec paix 2.
1030. Mais il y avait entre eux une divergence, parce que certains le cherchaient par désir d’être enseignés — Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 3— ; d’autres avec une intention mauvaise — Ils cherchent mon âme pour me l’arracher 4. Et c’est pourquoi IL Y AVAIT UN GRAND MURMURE DANS LA FOULE, à cause du conflit qu’il y avait A SON SUJET
Bien que le mot murmure soit du genre neutre, Jérôme le prend comme un mot masculin, ou bien parce qu’il en était ainsi dans l’ancienne grammaire, ou bien pour mon trer que la divine Ecriture n’est pas soumise aux règles de Priscien 5.
Il y avait une division, parce que CERTAINS parmi la foule, ceux qui avaient un coeur droit, DISAIENT du Christ QU’IL EST BON — Comme le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui sont droits de coeur !6 — Le Seigneur est bon pour ceux qui espèrent en lui, pour l’âme qui le cherche 7. D’AUTRES, ceux qui étaient mal disposés, DISAIENT: NON, c’est-à-dire, il n’est pas bon. Par là, il est donné à entendre que la multitude l’estimait bon, mais que les princes des prêtres l’estimaient mauvais, et c’est pourquoi ils disent MAIS IL SEDUIT LA FOULE — Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation 8— Nous nous sommes souvenus que ce séducteur a dit... 9
1031. Il faut savoir que séduire veut dire "conduire en dehors" 10. Mais l’homme peut être conduit ou bien hors de la vérité ou bien hors de l’erreur; ainsi, quelqu’un peut être dit séducteur de l’une ou de l’autre manière: ou bien en tant qu’il conduit quelqu’un hors de la vérité, et cela ne concerne pas le Christ, qui est lui-même la Vérité 11, ou bien en tant qu’il le conduit hors de l’erreur; et de cette manière on peut dire que le Christ est séducteur — Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit: tu as été plus fort que moi 12. Et comme le dit Augustin plaise à Dieu que tous nous soyons appelés, et soyons en réalité, des séducteurs de ce genre-là. Cependant, on appelle plus séducteur celui qui détourne de la vérité et trompe, parce que l’on dit "qu’il est conduit en dehors", celui qui est traîné hors de la voie normale. Or la vérité, c’est la voie normale; mais l’hérésie et la voie des méchants sont des chemins détournés.
NUL POURTANT NE PARLAIT
OUVERTEMENT À SON SUJET, PAR PEUR DES JUIFS.
1032. C’est l’opinion des méchants qui prévaut, c’est-à-dire celle des princes des prêtres, et c’est pourquoi l’Evangéliste ajoute que NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT. Et cela, parce que les foules étaient pétrifiées par la peur des chefs; en effet, comme on le lit plus loin, si quelqu'un reconnaissait que [Jésus] était le Christ, il était exclu de la synagogue 14.
Ainsi apparaît clairement la malice de ceux qui dominent; elle leur fait tendre des pièges au Christ; de même la malice de ceux qui leur sont soumis, à savoir le peuple, parce qu’ils n’avaient pas l’audace d’exprimer leur pensée 15.
ALORS QU’ON ÉTAIT DEJÀ AU
MILIEU DE LA FÊTE, JÉSUS MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT ET LES JUIFS
S'ÉTONNAIENT, DISANT: "COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QU'IL N’A
PAS ÉTUDIÉ?"
1033. Ici, l’Évangéliste expose
la seconde occasion pour le Christ de manifester son enseignement: l’admiration
des foules. Il montre d’abord la matière [n° 1034] de l’admiration, puis
l’admiration [n° 1035] elle-même, enfin sa raison [n° 1035].
1034. La matière de l’admiration est l’enseignement du Christ; l’Evangéliste en situe le temps et le lieu.
Le temps, quand il dit ALORS QU’ON ETAIT DEJA AU MILIEU DE LA FETE, c’est-à-dire qu’il restait autant de jours qu’il en était déjà passé. Comme cette fête durait sept jours, on nous dit ainsi que cela eut lieu le quatrième jour. Le fait que le Christ se soit caché est un indice de son humanité, et un exemple pour notre vertu, comme nous l’avons dit. Le fait qu’il se soit montré au grand jour sans qu’on puisse le saisir est significatif de sa divinité. Il monta AU MILIEU de la période DE LA FETE, parce qu’au début tous sont plus attentifs à ce qui concerne la fête: les bons au culte de Dieu, les autres aux vanités et aux profits. Mais vers le milieu de la période, ce qui concerne la fête ayant été réglé, ils sont plus disposés à l’enseignement. Donc, il ne monta pas pendant les premiers jours 16, pour les trouver plus attentifs et plus disposés à son enseignement.
Il le fit aussi parce que cela convient à l’ordre de son enseignement; en effet, le Christ ne vint pas instruire les hommes du Royaume de Dieu à la fin du monde, ni au commencement, mais au milieu du temps, selon cette parole: Au milieu des années tu feras connaître [ton oeuvre] 17.
L’Evangéliste montre le lieu de l’enseignement en disant AU TEMPLE, où le Christ enseignait, pour deux rai sons: pour montrer qu’il enseignait la vérité qui ne pouvait être critiquée et qui était nécessaire à tous — Moi, je n’ai rien dit en cachette 18 et ensuite parce que le Temple, étant un lieu sacré, convient à l’enseignement très saint du Christ — Venez, montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob; et il nous enseignera ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers 19.
L’Évangéliste omet de dire ce que le Christ a dû enseigner, parce que, comme nous l’avons dit [n° 1013], les Evangélistes ne rapportent pas tous les faits et paroles du Seigneur, mais seulement ceux qui provoquaient une émotion ou une opposition dans le peuple. Et ici, l’Évangéliste rapporte l’émotion que l’enseignement du Christ a provoquée dans le peuple, parce que ceux qui auparavant avaient dit: IL SEDUIT LES FOULES avaient ensuite été amenés à l’admirer, précisément à cause de son enseignement.
ET LES JUIFS S’ÉTONNAIENT
1035. Ici, on montre leur admiration. Cela n’est pas sur prenant, parce qu’il est écrit: Admirable est ton témoignage 20. Les paroles du Christ sont en effet des paroles de sagesse divine.
L’Évangéliste ajoute enfin la raison de leur admiration: COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT
ALORS QU’IL N’A PAS ÉTUDIÉ?
Ils savaient en effet que Jésus était le fils d’une femme pauvre; et on pensait qu’il était le fils du charpentier 21, qui vivait de son travail. C’est pourquoi il semblait probable que Jésus, vivant aussi de son travail, n’avait pas dû s’adonner à l’étude, mais plutôt à un travail manuel, selon cette parole du psaume: Moi je suis un pauvre, dans les labeurs depuis ma jeunesse 22. Voilà pourquoi, lorsqu’ils l’entendent enseigner et disputer 23, ils s’étonnent en disant: COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT? Dans l’Evangile de Matthieu, ils disent: D'où lui viennent cette sagesse et cette puissance? N’est-il pas le fils du charpentier? 24
Il
leur répondit, et dit: "Mon enseignement n’est pas le mien, mais il est de
celui qui m’a envoyé. 17 Si quel qu’un veut faire sa volonté, il connaîtra, de
cet enseignement, s’il est de Dieu ou si moi je parle de moi-même. 18 Celui qui
parle de lui-même cherche sa gloire propre; mais celui qui cherche la gloire de
celui qui l’a envoyé, celui-là est véridique, et d’injustice, il n’en est pas
en lui. ' Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et personne d’entre vous n’ac
complit la Loi. Pourquoi cherchez-vous à me tuer?" 21 La foule lui
répondit, et dit: "Tu as un démon; qui cherche à te tuer?"Jésus
répondit et leur dit: "J’ai fait une seule oeuvre, et tous, vous vous
étonnez. 22 C’est pour cela que Moïse vous a donné la circoncision, non qu’elle
vienne de Moïse, mais des Pères. Et vous donnez la circoncision à un homme le
jour du sabbat. 23 Alors qu’un homme reçoit la circoncision lejour du sabbat
pour que ne soit pas violée la Loi de Moïse, vous vous indignez contre moi
parce uej’ai rendu sain un homme tout entier le jour du sabbat? Ne jugez pas
selon l’aspect, mais jugez selon un juste jugement."
1036. Après qu’aient été montrés le lieu et les occasions où a été manifestée l’origine de l’enseignement spirituel, le Christ montre ici l’origine de son enseignement, avant d’in viter à le recevoir [n° 1083].
Il montre d’abord que son enseignement spirituel tire son origine de Dieu. Pour cela, il montre l’origine de l’enseignement [n° 1037], et il en donne une preuve [n° 1038]; ensuite il repousse une objection [n° 1041]. Et plus loin, il montrera l’origine de celui qui enseigne [n° 1051].
I
JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT: "MON
ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, MAIS IL EST DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ. SI QUELQU’UN
VEUT FAIRE SA VOLONTÉ, IL CONNAÎTRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU OU
SI MOI JE PARLE DE MOI-MÊME. CELUI QUI PARLE DE LUI-MÊME CHERCHE SA GLOIRE
PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUIL’A ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST
VÉRIDIQUE, ET D’INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI."
1037. JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT; cela veut dire: vous vous demandez avec admiration d’où je tiens la science; mais moi je vous dis que MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN
S’il avait dit: "L’enseignement que je donne n’est pas le mien", aucune question n’aurait surgi; mais qu’il dise MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, cela semble impliquer une contradiction. Le problème est résolu par le fait qu’on peut dire cela de multiples manières. D’une certaine façon on peut dire que son enseignement est le sien, et d’une autre qu’il ne l’est pas.
Si on comprend cela du Christ Fils de Dieu: l’enseignement de quelqu’un n’est rien d’autre que son verbe (verbum); or le Fils de Dieu, c’est son Verbe; il s’ensuit donc que l’enseignement du Père, c’est le Fils lui-même. Or ce Verbe est de soi-même par identité de substance — qu’y a-t-il en effet de plus tien que toi-même? Mais il n’est pas sien du point de vue de l’origine — qu’y a-t-il de moins tien que toi si ce que tu es, tu l’es d’un autre? comme le dit Augustin 1. Il semble donc avoir dit cela brièvement: MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, comme s’il avait dit: Moi, je ne suis pas de moi-même. En cela, l’hérésie de Sabellius est confondue, lui qui a osé dire que c’est le Fils lui-même qui est Père.
On peut encore comprendre cette parole ainsi: MON ENSEIGNEMENT, que moi je prononce par une parole créée, N'EST PAS LE MIEN, MAIS IL EST DE CELUI QUI M’A ENVOYE, du Père; c’est-à-dire: il n’est pas à moi à par tir de moi-même, mais à partir du Père, parce que le Fils possède même la connaissance à partir du Père, par la génération éternelle — Tout m’a été transmis par mon Père 2.
Mais si cette parole est comprise du Christ fils de l’homme, alors, il dit MON ENSEIGNEMENT, que moi je possède par mon âme créée et queje profère par la bouche de mon corps, N’EST PAS LE MIEN, c’est-à-dire n’est pas mien de moi-même, mais est de Dieu, "parce que toute vérité, quel que soit celui qui la dit, est de l’Esprit Saint 3".
Ainsi donc, selon Augustin, en un sens il a dit que son enseignement est le sien, en un autre qu’il n’est pas le sien: le sien selon sa forme de Dieu, pas le sien selon sa forme [n° 161 d’esclave 4. En cela, nous avons un exemple: il nous faut reconnaître en rendant grâces que toute notre connaissance vient de Dieu — Qu’as-tu que tu n'aies reçu? Et situ as tout reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu? 5
1038. Ensuite, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu; il le fait de deux façons. D’abord en se référant au jugement de ceux qui voient juste [n° 1039]; puis par sa propre intention [n° 1040].
SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA
VOLONTE, IL CONNAÎTRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S'IL EST DE DIEU OU SI MOI JE PARLE
DE MOI-MÊME.
1039. Pour déterminer si quelqu’un exerce bien un art, on doit le discerner par le jugement de celui qui est expert en cet art; ainsi, pour savoir si quelqu’un parle bien français, on doit l’établir par le jugement de celui qui est rompu à l’usage de cette langue. C’est donc selon ce principe que le Seigneur dit: si mon enseignement est de Dieu, oi doit le déterminer par le jugement de celui qui est expert dans les choses divines; un tel homme en effet peut en juger — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu; c’est folie pour lui et il ne peut le comprendre, parce que c’est spirituellement qu'on en juge. Mais l’homme spirituel juge toutes choses 6. Pour cela il dit: vous êtes étrangers à Dieu, et c’est pourquoi vous ne savez pas, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Mais SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, c’est-à-dire celle de Dieu, celui-là pourra connaître si cet enseignement vient de Dieu OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MEME. Et certes, il parle de lui-même celui qui dit le faux, parce que, comme on le lit plus loin: Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds
Selon Chrysostome, on peut interpréter autrement ce passage. En effet, la volonté de Dieu est notre paix, notre charité et notre humilité; c’est pourquoi il est dit: Bienheureux les pacifiques? car ils seront appelés fils de Dieu 8. Or le goût passionné de la contention 9 pervertit souvent l’esprit de l’homme, dans la mesure où il estime vrai ce qui est faux. C’est pourquoi, ayant laissé de côté l’esprit de contention, on possède plus justement la certitude de la vérité — Répondez, je vous en prie, sans aucune contention, et jugez en disant ce qui est juste 10. C’est pourquoi le Seigneur dit: si quelqu’un veut juger avec droiture de mon enseignement, qu’il fasse la volonté de Dieu; c’est-à-dire, qu’il laisse de côté la colère, l’envie et la haine qu’il a envers moi sans raison. Et il n’y a rien qui l’empêche de connaître S’IL EST DE DIEU OUSIJE PARLE DE MOI-MEME, puisque ce sont les paroles de Dieu que je prononce 11.
Ou bien encore, selon Augustin, la volonté de Dieu est que nous fassions ses oeuvres, comme la volonté du père de famille est que les ouvriers fassent son oeuvre. Or l’oeuvre de Dieu, c’est que nous croyions en celui que lui-même a envoyé — Telle est l’oeuvre de Dieu que vous croyiez en celui qu'il a envoyé 12. C’est pourquoi il dit SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, celle de Dieu, c’est-à-dire croire en moi, celui-là CONNAITRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Une version d’Isaie dit: Si vous n’avez pas cru, vous ne comprendrez pas 13.
CELUI QUI PARLE DE LUI-MÊME
CHERCHE SA GLOIRE PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L’A
ENVOYÉ, CELUI-LÀ EST VÉRIDIQUE, ET D’INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI.
1040. Ici, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu par sa propre intention. Et il expose deux intentions, qui font comprendre deux origines.
Il a été dit que certains parlent d’eux-mêmes, mais que d’autres ne le font pas. Or, ne parle pas de lui-même quiconque s’attache à dire la vérité. Toute connaissance de la vérité vient d’un autre: par mode d’enseignement, à partir du maître; ou par mode de révélation, à partir de Dieu; ou par mode de découverte, à partir des réalités existantes elles-mêmes, parce que, comme il est dit, les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir à l’intelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 14. Par conséquent, quel que soit le mode par lequel on possède une connaissance, l’homme ne la tient pas de, lui-même.
Mais il parle de lui-même, celui qui ne reçoit ce qu’il dit ni des réalités existantes, ni d’une révélation, ni d’un enseignement humain, mais de son propre coeur — ils disent la vision de leur coeur 15— Malheur aux prophètes insensés qui prophétisent de leur propre coeur 16. Ainsi donc, élaborer quelque chose de soi-même est en vue de la gloire humaine, parce que, comme le dit Chrysostome 17, celui qui veut enseigner sa propre doctrine ne veut rien d’autre qu’acquérir la gloire. Et c’est ce que le Seigneur dit, prouvant que son enseignement est de Dieu. CELUI QUI PARLE DE LUI-MEME, alors qu’il s’agit de la connaissance certaine de la vérité qui vient d’un autre, celui-là CHERCHE SA GLOIRE PROPRE, à cause de laquelle — et à cause aussi de l’orgueil — s’introduisent des hérésies et des opinions erronées. Et cela se rapporte à l'Antichrist, celui qui s’oppose et se dresse contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est objet de culte, de telle sorte qu’il siège dans le Temple de Dieu, se présentant lui-même comme Dieu 18.
Mais CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L'A ENVOYE, comme moi je la recherche — Moi je ne cherche pas ma gloire 19; CELUI-LA EST VERIDIQUE, ET D’INJUSTIGE, IL N’EN EST PAS EN LUI. Autrement dit: je suis véridique, parce que mon enseignement a même mesure que la vérité; d’injustice, il n’en est pas en moi, parce que je n’usurpe pas la gloire d’un autre. Et comme le dit Augustin, "il nous a donné un grand exemple d’humilité (...) quand, ayant été estimé comme un homme 20, il cherche la gloire du Père et non la sienne, ce que toi, homme, tu dois faire. Quand tu fais quelque chose de bien, tu cherches ta propre gloire; et quand tu fais quelque chose de mal, tu médites je ne sais quelle calomnie envers Dieu" 21. Or il est manifeste qu’il ne cherchait pas sa gloire, parce que s’il avait flatté les princes des prêtres, ils ne l’auraient pas persécuté.
Ainsi donc le Christ, et quiconque cherche la gloire de Dieu, possède bien une connaissance dans son intelligence — Maître, nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité, et que tu ne te soucies [de l’opinion] de qui que ce soit 22,- et c’est pourquoi il dit CELUI-LA EST VERJDIQUE, ayant une intention droite dans son coeur, ET D'INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI. L’injustice en effet consiste en ce que l’homme usurpe quelque chose qui ne lui appartient pas; or la gloire est propre à Dieu seul: donc, celui qui cherche la gloire pour lui-même est injuste.
MOÏSE NE VOUS A-T-IL PAS DONNÉ
LA LOI? ET PERSONNE D’ENTRE VOUS N’ACCOMPLIT LA LOI. POURQUOI CHERCHEZ-VOUS À
ME TUER?" LA FOULE LUI RÉPONDIT, ET DIT: "TUAS UN DÉMON; QUI CHERCHE
À TE TUER?"JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "J’AI FAIT UNE SEULE OEUVRE,
ET TOUS, VOUS VOUS ÉTONNEZ. C’EST POUR CELA QUE MOÏSE VOUS A DONNÉ LA
CIRCONCISION, NON QU’ELLE VIENNE DE MOÏSE, MAIS DES PÈRES. ET VOUS DONNEZ LA
CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA
CIRCONCISION LE JOUR DU SABBA POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE lA LOI DE MOÏSE, VOUS
VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LEJO UR
DU SABBAT? NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE
JUGEMENT"
1041. Le Seigneur repousse ici
une objection. En effet, quelqu’un aurait pu dire au Christ que son
enseignement n’était pas de Dieu parce qu’il violait le sabbat — Ce n’est pas
un homme qui vient de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat 23. Et il a l’intention de réfuter cela: c’est pourquoi il fait trois
choses. D’abord il se justifie en attaquant ses accusateurs [n° 1042];
puis l’Evangéliste nous expose leur réponse inique [n° 1043]; enfin, le Christ se
justifie par un raisonnement [n°
1044].
1042. Il dit donc: à supposer, comme vous vous le dites, que mon enseignement ne soit pas de Dieu parce qu’en violant le sabbat je n’observe pas la Loi, vous n’avez cependant aucune qualité pour m’accuser, puisque vous êtes dans le même délit. C’est pourquoi il dit: MOISENE VOUS A-T-IL PAS DONNE LA LOI, à vous, c’est-à-dire à votre peuple? Et cependant, PERSONNE D’ENTRE VOUS N’ACCOMPLIT, c’est-à-dire n’observe, LA LOI — Vous avez reçu la Loi par le ministère des anges, et vous ne l'avez pas gardée 24. C’est pourquoi Pierre disait aussi: C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’ont pu porter 25. Si donc vous, vous n’observez pas la Loi, pourquoi voulez-vous me tuer parce que je l’ai transgressée? Ce n’est pas pour cela que vous le faites, mais par haine; autrement, si vous le faisiez par zèle pour la Loi, vous-mêmes l’observeriez — Cernons le juste puisqu'il nous est inutile, qu'il s'oppose à nos oeuvres et nous reproche nos péchés contre la Loi 26; et plus loin: Condamnons-le à la mort la plus infâme 27.
Ou bien il faut dire que vous n’observez pas la Loi que Moïse vous a donnée: cela est évident du fait que vous voulez me tuer, ce qui est contre la Loi: Tu ne tueras pas 28.
Ou bien encore, selon Augustin 29: vous n’observez pas la Loi, parce que moi-même je suis contenu dans la Loi — Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez peut-être aussi en moi, car c’est de moi qu'il a écrit 30. Mais vous voulez me tuer.
LA FOULE LUI RÉPONDIT ET DIT: "TU
AS UN DÉMON: QUI CHERCHE À TE TUER?"
1043. L’Évangéliste expose ici
la réponse inique de la foule. Cette foule en désordre donne une réponse qui ne
relève pas de l’ordre, mais de l’agitation, comme le dit Augustin 31; ces
gens affirment en effet qu’il a un démon, lui qui expulsait les démons —
Celui-là ne chasse les démons que par Béelzéboul, le chef des démons 32.
1044. Après cela, le Seigneur, "paisible dans sa vérité" les confond en se justifiant par un raisonnement.
Il leur rappelle d’abord le fait pour lequel ils étaient troublés [n° 1045]; puis il leur montre qu’ils ne doivent pas être troublés [n° 1046]; enfin, il les incite à juger d’une manière juste [n° 1050].
JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT:
J’AI FAIT UNE SEULE OEUVRE, ET TOUS, VOUS VOUS ETONNEZ.
1045. Il ne rend pas injure pour injure, et ne les rejette pas, parce que alors qu'il était maudit, il ne maudissait pas 34; mais il leur rappelle l’oeuvre de la guérison du paralytique, au sujet de laquelle tous avaient été dans l’étonnement, non pas un étonnement admiratif, celui dont parle Isaïe: Tu verras, tu seras radieuse, ton cœur s'étonnera et se dilatera 35, mais un étonnement troublé, celui dont parle le livre de la Sagesse: En le voyant, ils seront troublés d’une crainte horrible, et seront étonnés de l’apparition soudaine d'un salut auquel ils ne s'attendaient pas 36. Si donc vous vous étonnez, c’est-à-dire que vous êtes agités et troublés, à cause d’une oeuvre, si vous voyiez toutes mes oeuvres, que feriez-vous? Car, comme le dit Augustin 37, "ses oeuvres, c’était ce qu’ils voyaient dans le monde": il allait jusqu’à guérir tous les infirmes — lia envoyé sa parole (verbum) et il les a guéris 38— Ce n’est ni une herbe ni un onguent qui les a guéris; mais ta parole, Seigneur, guérit tout 39. Ainsi donc, vous vous étonnez pour n’avoir vu qu’une oeuvre, et non pas toutes.
C’EST POUR CELA QUE MOÏSE VOUS
A DONNÉ LA CIRCONCISION, NON QU’ELLE VIENNE DE MOÏSE, MAIS DES PÈRES. ET VOUS
DONNEZ LA CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA
CIRCONCISION LE JOUR DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE LA LOI DE MOÏSE,
VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE
JOUR DU SABBAT?
1046. Le Seigneur les convainc
ici de s’être troublés de manière injustifiée. Il rapporte d’abord le
commandement qui leur a été donné par Moïse [n° 1047]; puis il montre leur
oeuvre [n° 1048]; enfin, il argumente à partir de l’un et de l’autre [n° 1049].
1047. Le commandement de Moïse est à propos de la circoncision; c’est pourquoi il dit POUR CELA, c’est-à-dire pour signifier mes oeuvres, MOÏSE VOUS A DONNE LA CIRCONCISION Car la circoncision a été donnée comme un signe, ainsi qu’on le lit dans la Genèse: Cela sera pour vous le signe de l’alliance entre moi et vous 40. Elle signifiait en effet le Christ; et c’est pourquoi elle a été opérée d’une manière significative dans le membre de la génération, parce que c’est d’Abraham que le Christ devait descendre selon la chair, lui qui réalise la circoncision spirituelle, c’est-à-dire celle de l’esprit et du corps. Ou bien elle est faite dans ce membre parce qu’elle a été donnée contre le péché originel 41.
Que Moïse ait donné la circoncision,
l’Écriture ne le rapporte pas expressément, si ce n’est dans l’Exode: Tout
esclave acheté sera circoncis 42. Mais si Moïse a donné la circoncision, ce n’est cependant pas
comme étant chargé de l’instituer, parce qu’il n’est pas le premier à avoir
reçu le commandement de la circoncision, mais c’est Abraham, comme le dit la
Genèse 43.
1048. Quant aux Juifs, ils
donnaient la circoncision le jour du sabbat; ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION À
UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. Cela, parce qu’il a été commandé à Abraham de
circoncire son fils le huitième jour — Il le circoncit le huitième jour, comme
Dieu le lui avait prescrit 44. Mais par Moïse, il
leur avait été prescrit de ne faire aucune oeuvre le jour du sabbat; or il
arrivait parfois que le huitième jour après la naissance soit celui du sabbat;
et ainsi, en donnant la circoncision à l’enfant ce jour-là, ils transgressaient
les commandements de Moïse au nom de celui des Pères 45.
1049. Le Seigneur en tire donc un argument: ALORS QU’UN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION
LE JOUR DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE LA LOI DE MOÏSE, VOUS VOUS
INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU
SABBAT?
Notons ici que cet argument tire son efficacité de trois considérations dont deux sont explicites et la troisième sous-entendue.
En effet, nous voyons d’abord ceci: de fait, le commandement d’Abraham a existé le premier; cependant, le commandement de Moïse au sujet de l’observation du sabbat ne porte pas préjudice au premier, qui concerne la circoncision — Or je dis ceci: la loi qui a été donnée quatre cent trente ans après n’annule pas l’alliance conclue par Dieu, de manière à éliminer la promesse 46. C’est pourquoi le Christ en tire argument: bien que dans les lois humaines les dernières aient force sur celles qui existaient auparavant, cependant, dans les lois divines, les premières sont d’une plus grande autorité. Voilà pourquoi le précepte de Moïse au sujet de l’observation du sabbat n’a pas force sur le précepte donné à Abraham au sujet de la circoncision. Il me concerne donc beaucoup moins, moi qui réalise ce qui a été disposé par Dieu avant la constitution du monde 47, en ce qui regarde le salut des hommes figuré dans le sabbat.
La deuxième considération est que les Juifs avaient reçu le commandement de n’accomplir aucune oeuvre pendant le sabbat: cependant, ils accomplissaient ce qui avait trait au salut particulier. Le Christ dit donc: si vous, à qui il a été commandé de ne rien accomplir pendant le sabbat, vous recevez ce jour-là la circoncision qui est un salut particulier — c’est pourquoi elle est réalisée dans un membre particulier —, et si vous faites cela POUR QUE NE SOIT PAS VIOLEE LA LOI DE MOISE — d’où il est évident que ce qui appartient au salut ne doit pas être omis le jour du sabbat 48,- combien plus l’homme doit-il donc faire en ce jour ce qui a trait au salut universel. Vous ne devez donc pas vous indigner contre moi, PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT.
La troisième considération est que l’un et l’autre de ces commandements étaient des figures — Tout arrivait aux Juifs en figures 49. Si donc une préfiguration, le commandement de l’observation du sabbat, ne fait pas autorité sur une autre préfiguration, à plus forte raison le commandement de la circoncision ne fait-il pas autorité sur la réalité elle-même. Car la circoncision signifiait le Seigneur lui-même, comme le dit Augustin 50. Et il dit UN HOMME TOUT ENTIER parce que, les oeuvres de Dieu étant parfaites 51, il a été guéri de telle sorte qu’il est devenu sain dans son corps, et il a cru de telle sorte qu’il est devenu sain dans son âme.
NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT,
MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE JUGEMENT
1050. Le Christ les ramène ici à une juste appréciation à son égard; qu’ils ne jugent pas selon l’apparence mais selon un jugement juste. Or juger selon l’apparence se dit en deux sens.
L’homme qui juge le fait selon les allégations [d'autres] — Les hommes voient ce qui paraît 52 Mais en cela il peut être abusé, et c’est pourquoi il dit NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, c’est-à-dire selon ce qui apparaît tout de suite, mais recherchez avec grande attention — J’examinais avec grande attention la cause que j’ignorais 53.— Il ne jugera pas selon la vision de ses yeux 54.
Dans un autre sens, NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT signifie: Ne faites pas acception de la personne dans le jugement, car cela est défendu à tous ceux qui jugent: Tu ne jugeras pas injustement, tu ne tiendras pas compte de la personne du pauvre 55 dans le jugement. — Vous acception des personnes dans le jugement 56. Faire acception des personnes dans la Loi, c’est ne pas avoir une juste appréciation des choses, pour des raisons diverses: l’amour, le respect, la crainte, ou la condition de la personne, toutes considérations qui n’ont rien à voir avec la question. Il dit donc NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, comme pour dire: ne portez pas, parce que Moïse a auprès de vous une plus grande gloire que moi, un jugement d’après la dignité des personnes, mais d’après la nature des choses, parce que ce que moi je fais est plus grand que ce que Moïse a fait. 57
Mais il faut remarquer, selon Augustin,
qu’"il ne juge pas selon les personnes, celui qui aime d’une manière égale
(...). En effet, lorsque nous honorons diversement les hommes selon leur rang,
il ne faut pas craindre de faire acception des personnes." 58
II
1051. Après avoir exposé l’origine de l’enseignement [n° 1036], l’Évangéliste traite ici de l’origine de celui qui enseigne.
D’abord, le Christ révèle son principe, d’où il procède, puis sa fin, vers laquelle il s’en va [n° 1072].
Ici, l’Evangéliste nous expose le doute des foules à pro pos de l’origine du Christ; puis il rapporte l’enseignement du Christ au sujet de sa propre origine [n° 1057]; enfin, l’effet de cet enseignement [n° 1066].
25
Des gens de Jérusalem disaient donc: "N’est-ce pas celui-ci que les Juifs
cherchent à tuer? Voici qu’il parle ouvertement, et ils ne lui disent rien. Les
princes des prêtres ont-ils donc vraiment reconnu que celui-ci est le Christ?
27 Mais nous, nous savons d’où il est; or le Christ, quand il sera venu,
personne ne saura d’où il est. " 28 s’écriait donc, enseignant dans le
Temple et disant: "Et vous me connais sez, et vous savez d’où je suis! Et
ce n’est pas de moi-même que je suis venu; mais il est véridique, celui qui m’a
envoyé, lui que vous ne connaissez pas. 29 Moi, je le connais: Et sije dis que
je ne le connais pas, je serai semblable à vous, un menteur. Mais je le
connais, parce que je suis de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. " 1
cherchaient donc à se saisir de lui; et personne ne porta la main sur lui,
parce que son heure n’était pas encore venue. Mais parmi la foule, beaucoup
crurent en lui; et ils disaient: "Le Christ, quand il sera venu, fera-t-il
plus de signes que n’en fait celui-ci?" 32 Les Pharisiens entendirent la
foule murmurer cela à son sujet; et les princes des prêtres et les Pharisiens
envoyèrent des serviteurs, pour qu’ils se saisissent de Jésus.
DES
GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC: "N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS
CHERCHENT À TUER? VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT, ET ILS NE LUI DISENT RIEN. LES
PRINCES DES PRÊTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?
MAIS NOUS, NOUS SAVONS D’OÙ IL EST; OR LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE
NE SAURA D’OÙ IL EST."
L’Évangéliste expose d’abord l’étonnement des foules, puis une conjecture émise par elles [n° 1054], enfin leur objection contre ce qu’ils avaient supposé [n° 1055].
L’étonnement des foules apparaît à cause d’un dessein inique des princes des prêtres [n° 1052], et à cause de l’enseignement public du Christ [n° 1053].
DES GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT
DONC: "N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT À TUER?
1052. On a dit plus haut que le Christ, pour montrer la fragilité de la nature humaine, monta à la fête en se cachant; mais pour montrer la puissance de sa divinité, il enseigne publiquement dans le Temple et ne peut être saisi par ses persécuteurs. Et ainsi, comme le dit Augustin: "Ce qu’on prenait pour timidité s’est manifesté comme puissance" 59. Et c’est pourquoi DES GENS DE JERUSALEM DISAIENT: N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENTA TUER? comme avec un sentiment d’admiration, car eux-mêmes savaient bien avec quelle fureur il était recherché par les princes des prêtres, parce qu’ils étaient leurs familiers et habitaient Jérusalem. C’est pourquoi Chrysostome dit: "Ils étaient plus misérables que tous, ceux qui voyant un très grand signe de sa divinité, et remettant tout au jugement des princes corrompus, en avaient moins de vénération pour le Christ, 60 — Tel le gouverneur de la cité, tels ses habitants 61.
Cependant, ils s’étonnaient avec admiration de la puissance qui empêchait qu’on le saisisse; voilà pourquoi ils disaient: N’EST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT A TUER? Les Juifs, c’est-à-dire les princes des prêtres, selon cette parole: Les Juifs le persécutaient parce qu'il faisait cela un jour de sabbat 62— L'iniquité est sortie des anciens du peuple qui semblaient le gouverner 63.
Ainsi apparaissent la vérité des paroles du Christ, et la fausseté des princes des prêtres. Plus haut en effet, alors que le Seigneur leur disait: Pourquoi cherchez-vous à me tuer. ils ont nié en disant: Tu as un démon, qui cherche à te tuer? 64 Mais voici que ce que les chefs niaient, ceux-là le proclament en disant QUE LESJUIFS CHERCHENT A TUER. Ainsi donc, ils étaient dans l’étonnement à cause du dessein inique des princes des prêtres 65.
VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT,
ET ILS NE LUI DISENT RIEN LES PRINCES DES PRÊTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU
QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?
1053. Ils s’étonnaient aussi que le Christ enseignât en public; c’est pourquoi ils disent VOICI QU’IL PARLE OUVERTEMENT, en enseignant, ce qui est l’indice d’une vérité qui n’a rien à craindre — Moi j’ai parlé ouvertement Et cependant, ILS NE LUI DISENT RIEN, comme refoulés par sa puissance divine. C’est en effet le propre de la puissance de Dieu d’empêcher que se développe dans le coeur des méchants la violence de leur malice — Quand les chemins d’un homme auront plu au Seigneur, il convertira aussi à la paix ses ennemis 67— Le coeur du roi est dans la main de Dieu; partout où il le veut, il l’inclinera 68.
Il LES PRINCES DES PRÊTRES
ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?
1054. L’Évangéliste expose ici
la conjecture de la foule. C’est comme si elle disait: Auparavant, ils
cherchaient à le tuer; maintenant ils l’ont trouvé, et cependant ILS NE LUI
DISENT RIEN. Ce n’est pas qu’ils aient modifié leur propre jugement, car s’ils
l’avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire 69, mais ils sont retenus par la puissance divine 70.
1055. L’Évangéliste ajoute leur objection à cette conjecture: MAIS NOUS, NOUS SAVONS D’OÙ IL EST Ils raisonnaient pour ainsi dire de cette manière: le Christ doit avoir une origine cachée; mais celui-là a une origine manifeste, donc il n’est pas le Christ. Ici apparaît leur démence, parce qu’ayant supposé que même les princes croyaient au Christ, ils ne suivent cependant pas ce jugement, mais en avancent un autre, qui est faux — C’est là cette Jérusalem, que j’ai pourtant placée au milieu des nations Ils savaient en effet que le Christ venait de Marie, mais ils ignoraient le mode de cette origine — Il était, croyait-on, fils de Joseph. — Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie? 72
1056. Mais puisqu’il est écrit: Et toi Bethléem Ephrata (...), de toi sortira un chef qui doit régner sur mon peuple Israël 73, pourquoi disent-ils: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE NE SAURA D'OÙ IL EST?
Il faut répondre qu’ils croient cela à cause de la parole d’Isaïe: Qui racontera sa génération? 74 Ainsi donc, des Prophètes leur vient qu’à la fois ils savent d’où il est selon son origine humaine et l’ignorent selon sa génération divine 75.
L’ENSEIGNEMENT
DU CHRIST SUR SA PROPRE ORIGINE JÉSUS S’ÉCRIAIT DONC, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE
ET DISANT: "ET VOUS ME CONNAISSEZ, ET VOUS SAVEZ D’OÙJE SUIS. ET CE N’EST
PAS DE MOI-MÊME QUE. JE SUIS VENU; MAIS IL EST VÉRIDIQUE, CELUI QUI M’A ENVOYÉ,
LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS. MOI, JELE CONNAIS: ET SI JE DIS QUE JE NE LE
CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, PARCE
QUE JE SUIS DE LUI, ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYÉ."
1057. Le Christ manifeste ici son origine: d’abord, il montre sous quel rapport son origine est connue, et sous quel autre elle est inconnue; pour cela il montre ce que les Juifs savaient de son origine [n° 1058], et ce qu’ils ignoraient de lui-même [n° 1059], puis il enseigne comment nous pou vons parvenir à la connaissance de son origine [n° 1061].
JÉSUS S’ÉCRIAIT DONC,
ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT: "ET VOUS ME CONNAISSEZ, ET VOUS
SAVEZ D’OÙ JE SUIS. "
1058. Ils avaient appris l’origine humaine de Jésus. C’est pourquoi l'Evangéliste dit JESUS S’ECRIAIT Or le cri procède de l’intensité de ce que l’on éprouve. Et c’est pour quoi, parfois, le cri traduit au dehors l’agitation intérieure de l’âme; cela ne concerne pas le Christ, dont il est écrit: Il ne criera pas, ne fera pas acception de personne, sa voix ne sera pas entendue sur la place 76 — Les paroles des sages se font entendre dans le silence 77. Parfois aussi, le cri traduit l’intensité de la dévotion 78. Dans ma détresse j’ai crié vers le Seigneur 79. Parfois encore, on crie à cause de la grandeur des choses que l’on doit dire — Les séraphins criaient l’un à l’autre et disaient: Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu des armées 80— La Sagesse ne crie-t elle pas sur la place, et la prudence ne donne-t-elle pas de la voix? 81 C’est ainsi que les prédicateurs sont exhortés à crier: Crie, ne t'arrête pas, fais retentir ta voix comme une trompette 82. Et c’est ainsi que le Seigneur crie ici, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT: VOUS ME CONNAISSEZ, c’est-à-dire vous connaissez mon visage, ET VOUS SAVEZ D’OÙ JE SUIS, c’est-à-dire selon mon origine terrestre — lia été vu sur la terre et il a vécu chez les hommes 83. Ils savaient en effet qu’il était né de Marie à Bethléem, et qu’il avait été élevé à Nazareth; mais ils ignoraient l’enfantement de la Vierge 84, et qu’il avait été conçu par l’Esprit Saint, comme le dit Augustin 85. Mis à part l’enfantement de la Vierge 84, ils connaissaient de Jésus tout ce qui appartient à un homme.
1059. Mais ils ignoraient son origine cachée; c’est pourquoi il dit: ET CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU. D’abord le Christ donne à entendre quelle est son origine, puis il montre qu’elle avait été annoncée: enfin il dit qu’elle leur est cachée.
Il tient son origine du Père, de toute éternité: CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, autrement dit: je fus selon la divinité avant de venir dans le monde par l’humanité — Avant qu’Abraham fût, moi Je Suis 86. D’ailleurs, il ne conviendrait pas que le Fils vienne, s’il n’avait pas été auparavant. Et cependant, du fait même que je suis venu, CE N’EST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, parce que le Fils n’est pas de lui-même, mais du Père — Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde 87.
Son origine fut annoncée par le Père, qui promit de l’envoyer — De grâce Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer 88— Je leur enverrai un Sauveur et un défenseur qui les libérera 89. Et c’est pourquoi il dit MAIS IL EST VERIDIQUE, CELUI QUI M’A ENVOYE; autrement dit: ce n’est pas d’ail leurs que je suis venu, mais de celui qui a promis, et qui a accompli sa promesse parce qu’il est VERIDIQUE — Dieu est véridique 90 et c’est pourquoi il convient que je dise la vérité, parce que j’ai été envoyé par le Véridique 91.
Et son origine leur est cachée, parce qu’ils ignorent CELUI QUI M’A ENVOYE: LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.
1060. Mais puisque tout homme, bien que né dans la chair, est de Dieu, il semble qu’il pourrait dire: Moije suis de Dieu, et par conséquent, VOUS SAVEZ D’OÙ JE SUIS.
Pour répondre à cela il faut dire, selon Hilaire 92 que le Fils est de Dieu autrement que les autres hommes ne le sont, parce qu’il est de Dieu de telle manière qu’il est aussi Dieu; c’est pourquoi Dieu est son principe consubstantiel. Les autres réalités sont de Dieu de telle manière que cependant elles existent à partir de rien. Ainsi donc, on ignore d’où est le Fils, parce que la nature à partir de laquelle il est n’est pas connue; mais les hommes, on n’ignore pas d’où ils sont, parce que de tout ce qui subsiste à partir de rien, on ne peut ignorer l’origine.
MOI, JE LE CONNAIS
1061. Ici, le Christ enseigne
comment on peut parvenir à la connaissance de celui de qui il est. En effet,
c’est de celui qui la connaît qu’il nous faut apprendre une chose; or seul le
Fils connaît le Père 93, et c’est pourquoi il
dit: si vous voulez aussi la connaissance de celui qui m’a envoyé, il faut que
vous la teniez de moi, parce que MOI, seul, JE LE CONNAIS. Il manifeste donc
d’abord sa science [n°
1062], puis la perfection [n° 1063]
et la raison de sa science [n°
1065].
1062. Le Christ manifeste sa science en disant MOI, JE LE CONNAIS. Il est vrai que tous les hommes le voient 94; cependant c’est d’une manière différente, parce que les hommes en cette pauvre vie le voient par le moyen des créatures — Les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir à l’intelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 95. C’est pourquoi il est dit: Nous voyons maintenant comme dans un miroir, en énigme 96. Mais les anges et les bienheureux qui sont dans la patrie le voient immédiatement par son essence — Leurs anges dans les cieux voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux. — Nous le verrons tel qu'il est 97. Mais le Fils de Dieu le voit plus excellemment que tous, c’est-à-dire par une vision de compréhension 98— Dieu, personne ne l’a jamais vu, c’est-à-dire en le comprenant; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître 99.— Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils 100. Et c’est de cette vision qu’il parle ici en disant: MOI, JE LE CONNAIS, c’est-à-dire d’une connaissance de compréhension.
1063. Il montre la perfection de sa science en disant: SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Il avance cette affirmation pour deux raisons.
Les créatures spirituelles le connaissent, mais de loin, et imparfaitement, parce que chacun le regarde de loin 101. En effet, la vérité divine excède toute notre connaissance — Dieu est plus grand que notre cœur 102. Donc, quiconque con naît Dieu peut dire sans aucun mensonge: JE NE LE CONNAIS PAS, parce qu’il ne le connaît pas autant qu’il peut être connu. Mais le Fils de Dieu le Père le connaît d’une manière absolument parfaite, comme lui-même se connaît parfaitement: c’est pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.
De même, la connaissance de Dieu, et par-dessus tout celle que nous avons par la grâce, peut être perdue — Ils ont oublié Dieu qui les a rachetés 103. C’est pourquoi je puis dire que JE NE LE CONNAIS PAS, aussi longtemps que je suis en cette vie, parce que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine 104. Mais le Fils possède une connaissance inamissible du Père, et c’est pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.
Et dans ces paroles: JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR, on doit voir une similitude [qui provient de deux choses] contraires 105. En effet, ils ne seraient pas menteurs s’ils disaient qu’ils ne connaissent pas Dieu, mais plu tôt s’ils disaient qu’ils connaissent Dieu alors qu’ils l’ignorent. Mais si le Christ disait qu’il ne le connaît pas, alors qu’il le connaît, il serait un menteur. Tel est donc le sens de cette parole: SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAIS EMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR, vous qui dites que vous le connaissez alors même que vous l’ignorez.
1064. Mais le Christ ne pouvait-il pas dire JE NE LE CONNAIS PAS? Il semble que oui, puisqu’il pouvait remuer les lèvres et prononcer de telles paroles. Donc il peut être menteur.
Il faut dire que le Christ a prononcé des paroles de ce genre, et n’a cependant pas été menteur, parce qu’il faut comprendre ainsi cette parole: SI JE DIS avec assentiment QUE JE NE LE CONNAIS PAS; avec assentiment, c’est-à-dire de telle manière qu’il croie dans son coeur ce qu’il prononce de sa bouche. Or affirmer le faux à la place du vrai provient de deux défauts: d’un défaut de connaissance dans l’intelligence — qui ne pouvait se trouver dans le Christ, puisqu’il est la sagesse de Dieu 106— ; ou d’un défaut de volonté droite dans la puissance affective, ce qui, de la même façon, ne pouvait se trouver dans le Christ puisqu’il est la puissance de Dieu 107.
C’est pourquoi il ne pouvait dire avec
assentiment JE NE LE CONNAIS PAS. Cependant la supposition n’est pas fausse,
bien que son antécédent soit impossible, et de même son conséquent.
1065. L’Évangéliste expose la raison de la science unique et parfaite du Christ par ces paroles: MAIS JE LE CONNAIS PARCE QUE JE SUIS DE LUI, ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYÉ.
En effet, toute connaissance se fait par une similitude, puisque rien n’est connu que dans la mesure où une similitude du connu est dans le connaissant; mais tout ce qui procède d’un autre possède une similitude de ce dont il procède; c’est pourquoi tous ceux qui connaissent vraiment possèdent la connaissance de Dieu de diverses manières, selon le degré divers de leur procession à partir de Dieu. L’âme spirituelle possède la connaissance de Dieu selon qu’elle participe à la similitude de Dieu, d’une manière certes plus imparfaite que les autres créatures spirituelles. L’ange, parce qu’il possède une similitude plus fidèle de Dieu, étant le sceau de sa ressemblance 108, connaît Dieu d’une manière plus manifeste. Mais le Fils possède la similitude la plus parfaite du Père, puisqu’il est de la même essence et la même puissance que lui; et c’est pourquoi il le connaît très parfaitement, comme on l’a dit. Voilà pourquoi il dit: MAIS JE LE CONNAIS, c’est-à-dire autant qu’il peut être connu. Et la raison en est que JE SUIS DE LUI, ayant la même essence que lui par connaturalité. C’est pourquoi, de même que le Père se connaît parfaitement par son essence, de même aussi par la même essence JE LE CONNAIS, parfaitement. Mais pour que l’on ne rapporte pas cette parole à la mission par laquelle il est venu dans le monde, il ajoute aussitôt ET C’EST LUI QUI M’A ENVOYE, pour qu’ainsi cette parole: JE SUIS DE LUI soit rapportée à la génération éternelle, par laquelle il est consubstantiel au Père. Ainsi, la propriété de la connaissance lui vient de la propriété de la génération 109.
C’EST
LUI QUI M’A ENVOYÉ
Par cette parole, il donne à entendre que le
Père est l’auteur de l’Incarnation — Dieu a envoyé son Fils né d'une femme, né
sous la Loi 110. Or, de même que le Fils, étant du Père, possède une parfaite
connaissance du Père, de même, l’âme du Christ, étant unie au Verbe d’une
manière unique, possède une connaissance de Dieu unique et plus excellente que
toutes les autres créatures, bien qu’elle ne le comprenne pas. Et c’est
pourquoi le Christ peut dire en parlant de son âme: Je le connais plus
excellemment que toutes les autres créatures, sans cependant le comprendre 111.
1066. L’Évangéliste traite ensuite de l’effet de l’enseignement, d’abord sur les foules, puis sur les Pharisiens [n° 1071].
En ce qui concerne les foules, l’Évangéliste expose d’abord l’effet de l’enseignement du Christ sur les foules malveillantes, puis sur celles qui lui étaient acquises [n° 1070].
ILS
GHERCHAIENT DONC À SE SAISIR DE L UI; ET PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI,
PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT PAS ENCORE VENUE.
L’Évangéliste fait d’abord comprendre le
dessein inique [n°1967] des foules [n°
1067], puis l’obstacle surgi dans la réalisation de
ce dessein [n° 1068], enfin la raison de cet obstacle [n° 1069].
ILS CHERCHAIENT DONC À SE
SAISIR DE LUI
1067. L’iniquité de leur dessein est mise ici en pleine lumière. En effet, parce que le Seigneur avait dit: LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, les Juifs étaient irrités, eux qui faisaient semblant de le connaître; et c’est pourquoi ils pro jetaient quelque chose d’inique, à savoir se saisir de lui pour le crucifier et le tuer, selon cette parole: Poursuivez-le et saisissez-le 112.
Mais il en est qui, ayant le Christ en eux, cherchent cependant à s’emparer de lui avec piété 113 — Je monterai au palmier et je m’emparerai de son fruit 114. C’est pourquoi aussi l’Apôtre disait: Je poursuis ma course pour tâcher de le saisir, ayant moi-même été saisi par le Christ Jésus 115.
ET PERSONNE NE PORTA LA MAIN
SUR LUI
1068. L’Évangéliste expose ici
l’obstacle surgi dans la réalisation de leur dessein. En effet, leur fureur fut
réfrénée et contenue d’une manière invisible. Par là, il est évident que la
volonté de nuire appartient à chacun de lui-même, mais que la puissance
d’accomplir le mal vient de Dieu 116; c’est ce que montrent les chapitres 1 et 2 du livre de Job, où
Satan ne put frapper Job que dans la mesure où Dieu le lui permit 117.
PARCE QUE SON HEURE N’ÉTAIT
PAS ENCORE VENUE.
1069. L’Évangéliste signale ici la raison de l’obstacle. Il faut savoir qu’il y a un temps et un moment favorable pour toute affaire 118. Or le temps de n’importe quelle chose est déterminé par sa cause. Donc, parce que les causes des effets matériels sont les corps célestes, dans les choses qui se déroulent d’une manière matérielle l’heure est déterminée à partir des corps célestes. Mais l’âme, puisqu’elle est de l’ordre de l’intelligence et de la raison, n’est soumise à aucun des corps célestes; et puisque, selon ce principe, elle transcende les causes temporelles, elle n’a pas d’heures déterminées par les corps célestes, mais par sa cause, c’est-à-dire Dieu, qui règle ce qu’il faut faire, à quel moment. — Pourquoi un jour en surpasse-t-il un autre, une lumière une autre lumière, une année une autre année, un soleil un autre soleil? Les choses ont été distinguées par la science du Seigneur, le soleil ayant été créé et gardant le commandement du Seigneur 119. Pour le Christ donc, l’heure est d’autant moins déterminée par ces corps célestes.
Ainsi donc, il ne faut pas comprendre SON
HEURE comme étant fixée par une nécessité du destin, mais déterminée d’avance
par toute la Trinité; car, comme le dit Augustin 120, il ne faut pas même le croire de toi, à plus forte raison de celui
par qui tu as été fait. Si ton heure c’est sa volonté — à savoir celle de Dieu
—, quelle est son heure à lui sinon sa volonté? L’heure dont il a parlé n’est
donc pas celle à laquelle il serait contraint de mourir, mais celle où il
daignerait être mis à mort. "Mon heure n'est pas encore venue 121. — Jésus, sachant que
son heure était venue de passer de ce monde au Père... 122
MAIS PARMI LA FOULE, BEAUCOUP
CRURENT EN LUI; ET ILS DISAIENT: "LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU,
FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI?"
1070. L’Évangéliste expose ici l’effet de l’enseignement du Christ sur les foules qui lui étaient acquises.
Il montre d’abord leur foi: PARMI LA FOULE, BEAUCOUP CRURENT EN LUL Il ne le dit pas des princes des prêtres, parce que plus ils étaient pénétrés de leur importance, plus ils étaient éloignés [de lui]; et ainsi la sagesse n’avait pas sa place en eux, parce que, comme il est dit, là où est l’humilité, là est la sagesse 123. Mais la foule, qui s’aperçut rapidement de sa propre maladie, connut sans retard le remède 124 du Seigneur — Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux tout-petits 125. Et à cause de cela, les humbles et les pauvres furent les premiers à se convertir au Christ — Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans naissance et méprisé, et ce qui n'est rien, pour détruire ce qui est quelque chose 126.
Ensuite, il montre le motif qui les a poussés
à croire: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT
CELUI-CI? Les prophètes en effet avaient annoncé que le Christ, à son
avènement, ferait de nombreux miracles: Dieu lui-même viendra et vous sauvera;
alors les yeux des aveugles s'ouvriront et les oreilles des sourds entendront 127. C’est
pourquoi, voyant les miracles que le Christ accomplissait, ils étaient amenés à
croire en lui. Mais leur foi n’était pas encore ferme 128, parce qu’ils étaient poussés à croire en lui non pas par
l’enseignement, mais par les signes, alors que, étant déjà croyants et
instruits par la Loi, ils auraient dû être poussés beaucoup plus par
l’enseignement; car, comme il est dit, les signes sont donnés aux non-croyants;
quant aux prophéties, elles sont données non aux non-croyants, mais à ceux qui
croient 129. En deuxième lieu, leur
foi était faible parce qu’ils semblent attendre encore un autre Christ; c’est
pourquoi ils disent: LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES
QUE N’EN FAIT CELUI-CI? Ainsi, il est évident qu’ils ne croyaient pas au Christ
comme en Dieu, mais comme en un homme juste, ou un prophète. Ou bien, selon
Augustin 130, ils raisonnent ainsi:
LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE N’EN FAIT CELUI-CI?
, comme pour dire: on nous a promis que le Christ doit venir; mais il ne fera
pas plus de signes que n’en fait celui-ci; donc, ou bien celui-ci est le
Christ, ou bien il y aura plusieurs Christs.
LES PHARISIENS ENTENDIRENT LA
FOULE MURMU RER CELA À SON SUJET; ET LES PRINCES DES PRÊ TRES ET LES PHARISIENS
ENVOYÈRENT DES SERVITEURS, POUR QU’ILS SE SAISISSENT DE JÉSUS.
1071. L’Évangéliste expose ici
quel fut l’effet de l’enseignement du Christ sur les Pharisiens. Et comme le
dit Chrysostome 131: Le Christ a dit beaucoup de choses sans toutefois que cela suscite
en eux une opposition à son égard. Mais voyant la foule avoir foi en lui, ils
s’excitent aussitôt contre lui et, perdant la tête, ils cherchent à le tuer.
Par là, on voit avec évidence que la violation du sabbat n’était pas la véritable
cause de leur haine, mais que ce qui les piquait au vif par-dessus tout,
c’était que les foules rendaient gloire au Christ. C’est ce que l’on voit plus
loin: Vous voyez que vous n gagnez rien: voici que tout le monde s’en va après
lui ! 132 Mais parce qu’eux-mêmes, craignant le danger, n’osaient pas se
saisir du Christ, ils envoient des serviteurs qui, eux, peuvent bien être
exposés au danger.
1072. Après avoir exposé le principe de son origine [n° 1051], le Seigneur laisse entendre ici quelle est sa fin, c’est-à-dire là où il doit aller par la mort.
L’Evangéliste fait d’abord allusion au terme du chemin du Christ, puis il expose l’étonnement des foules à propos de ses paroles [n° 1079].
33
Jésus leur dit donc: "Je suis encore avec vous pour un peu de temps. Et je
m’en vais vers celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez, et vous ne me
trouverez pas. Et là où moi je suis, vous, vous ne pouvez venir." Les
Juifs se dirent donc les uns aux autres: "Où doit-il aller, celui-là, que
nous ne puissions pas le trouver? Va-t-il se rendre chez ceux qui sont
dispersés parmi les nations et enseigner les nations? 36 Qu’est cette parole
qu’il a dite: "Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas. Et là où
moi je suis, vous, vous ne pouvez venir?"
JÉSUS
LEUR DIT DONC: "JE SUIS ENCORE AVEC VOUS. POUR UN PEU DE TEMPS ET JE
M’EN VAIS VERS CELUI QUI M’A ENVOYÉ. VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME
TROUVEREZ PAS. ET LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR."
Ici, le Christ fait allusion au terme de son chemin, avant d’annoncer le désir qu’éprouveront les foules [n° 1076] et d’ajouter quelle sera leur ruine [n° 1078].
A propos du premier point, il annonce le retard qui va être apporté à sa mort [n° 1073] et fait comprendre le lieu où il doit aller par la mort [n° 1075]; et ainsi, il montre en premier lieu sa puissance, puis sa volonté de souffrir.
JÉSUS
LEUR DIT DONC: JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.
1073. C’est bien sa puissance qu’il montre dans le retard qu’il apporte à sa mort, parce que les Juifs cherchant à se saisir de lui ne peuvent cependant le faire que si le Christ le veut — Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose 133. Et c’est pourquoi JESUS LEUR DIT: JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS, comme pour dire: vous voulez me tuer; or cela ne relève pas de votre volonté, mais de la mienne; et moi je détermine que JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS; attendez donc un peu de temps. Ce que vous voulez faire tout de suite, vous le ferez plus tard car JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.
En cela, le Seigneur donne d’abord satisfaction à la foule qui le vénérait, la rendant plus avide d’écouter en ménageant un petit moment supplémentaire pendant lequel les gens pourraient jouir de cet enseignement (c’est ce que dit Chrysostome 135) Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière 136.
Mais il donne en même temps satisfaction à la
foule qui le persécutait, comme s’il disait: votre désir de ma mort n’est pas
insatisfait pour longtemps; aussi, supportez avec patience, parce que JE SUIS
ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS. Je dois en effet accomplir ma mission
d’annoncer la bonne nouvelle, en prêchant et en accomplissant des miracles, et
ainsi parvenir à ma Passion — Allez dire à ce renard que je travaille
aujourd’hui et demain, et le troisième jour je suis consommé ! Mais
aujourd’hui, demain, et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne
convient pas qu'un prophète périsse hors de Jérusalem. 137.
1074. Si le Seigneur voulut prêcher pendant un peu de temps encore, c’est pour trois raisons.
Il le fit d’abord pour bien faire voir sa puissance, c’est-à-dire pour montrer qu’il pourrait changer le monde entier en un tout petit espace de temps — Un seul jour dans tes parvis est meilleur que mille autres 138.
Ensuite, pour exciter le désir de ses disciples, c’est-à-dire pour qu’ils désirent davantage celui dont ils ne devaient plus posséder que pour un peu de temps la présence corporelle — Viendront des jours où vous désirerez voir un seul jour du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas 139.
Enfin, pour augmenter le progrès spirituel de
ses disciples. En effet, puisque l’humanité du Christ est pour nous le chemin
qui nous fait tendre vers Dieu — comme il est dit plus loin: Moi je suis le
chemin, la vérité et la vie 140 —, nous ne devons pas nous reposer en elle comme dans un terme,
mais nous devons par elle tendre vers Dieu. Donc, pour que le coeur des
disciples, en lui étant attaché d’une manière sensible, ne se repose pas en lui
comme dans un homme, le Christ leur a retiré rapidement sa présence corporelle:
voilà pourquoi il disait: Il est bon pour vous que moi je m en aille, car si je
ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous 141. Et si nous avons connu le Christ selon la chair, c’est-à-dire quand
il était avec nous, présent physiquement, maintenant, ce n’est plus ainsi que
nous le connaissons. 142
ET JE M’EN VAIS VERS CELUI QUI
M’A ENVOYÉ
1075. Le Christ montre ici sa volonté de souffrir sa Passion. Je vais vers le Père 143 spontanément, c’est-à-dire par la Passion — lia été offert parce que lui-même l’a voulu 144 — Il s’est offert lui-même à Dieu en hostie d’agréable odeur 145. JE M’EN VAIS, dis-je, VERS CELUI, le Père, QUI M’A ENVOYE. Et cela convient, car toute chose revient naturellement à son principe — Les fleuves retournent au lieu d’où ils sont sortis 146.— Sachant qu’il est sorti de Dieu et qu'ii s'en va vers Dieu... 147 — Je m’en vais vers celui qui m’a envoyé 148.
VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE
ME TROUVEREZ PAS.
1076. En disant cela, le Christ
annonce le désir que les Juifs éprouveront. C’est comme s’il disait: c’est pour
peu de temps que vous pouvez profiter de mon enseignement; mais ce peu de temps
que vous rejetez maintenant avec dédain, un jour ou l’autre VOUS le CHERCHEREZ,
ET VOUS NE TROUVEREZ PAS — Cherchez le Seigneur pendant qu’il peut être trouvé 149; et Cherchez le Seigneur, c’est-à-dire au moment présent, et votre
âme vivra 150.
1077. On peut entendre cette parole: VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, de la recherche sensible du Christ, ou bien de la recherche spirituelle.
Si on l’entend de la recherche sensible: d’après Chrysostome 151, c’est ainsi qu’ils l’ont cherché quand les filles de Jérusalem, les femmes, se lamentaient sur lui — selon ce que dit saint Luc 152 — ; et on peut penser que beaucoup d’autres alors partagèrent cette douleur. Il n’est pas non plus invraisemblable que les Juifs, se rappelant le Christ et ses miracles, lorsqu’ils se trouvaient dans un péril imminent et spécialement quand leur ville risquait d’être prise, aient désiré sa présence, qui les aurait libérés. Selon cette interprétation, il faut dire: VOUS ME CHERCHEREZ, c’est-à-dire vous chercherez ma présence physique, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS.
Mais si on l’entend de la recherche
spirituelle, il faut dire, selon Augustin 153 que celui qu’ils ne voulurent
pas apprendre à connaître lorsqu’il était présent, ils le cherchèrent par la
suite en voyant la multitude des croyants; ayant le coeur transpercé au sujet
du crime de la mort du Christ, ils dirent à Pierre: Frères, que devons-nous
faire? 154 Ainsi donc, ils cherchèrent le Christ quand ils crurent en celui
qui par donne leurs crimes, lui qu’ils virent mourant de leur propre crime.
ET LÀ OÙMOI JE SUIS, VOUS,
VOUS NE POUVEZ VENIR.
1078. Le Christ poursuit en montrant quelle sera leur ruine. Il ne dit pas: "Où je m’en vais", ce qui aurait été une conséquence plus logique de ce qui précède, à savoir JE M’EN VAIS VERS le Père, QUI M’A ENVOYE; mais il dit LA OU MOI JE SUIS, pour montrer qu’il est à la fois Dieu et homme.
Il est homme en tant qu’il s’en va — Je m’en vais vers celui qui m’a envoyé 155. Mais en tant que le Christ était toujours là où il devait retourner, il montre qu’il est Dieu — Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel 156. Ainsi donc, selon Augustin 157, de même que le Christ est retourné sans pour autant nous abandonner, de même il est descendu vers nous en assumant une chair visible tout en étant aussi dans le ciel selon son invisible majesté.
Il ne dit pas: "Vous ne viendrez
pas", parce que certains devaient y aller, mais il dit VOUS NEPOUVEZ
VENIR, c’est-à-dire aussi longtemps que vous êtes ainsi mal disposés 158. En effet, personne ne peut parvenir à l’héritage céleste s’il n’est
héritier de Dieu. Mais c’est par la foi dans le Christ qu’on est fait héritier
de Dieu — II leur a donné le pouvoir d’être faits fils de Dieu, à ceux qui
croient en son nom 159; or les Juifs ne
croyaient pas encore en lui; c’est pourquoi il dit: VOUS NE POUVEZ VENIR. Le
psalmiste demande aussi: Qui gravira la montagne du Seigneur? Et il répond:
L’homme aux mains innocentes, au coeur pur 160. Les Juifs n’avaient pas le
coeur pur, ni les mains innocentes, parce qu’ils voulaient tuer le Christ.
Voilà pourquoi il dit: Vous ne pouvez gravir la montagne du Seigneur.
LES JUIFS SE DIRENT DONC LES
UNS AUX AUTRES: "OÙ DOIT-IL ALLER, CELUI-LÀ, QUE NOUS NE PUIS SIONS PAS
LE TROUVER? VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSÉS PARMI LES NATIONS ET
ENSEIGNER LES NATIONS? QU’EST CETTE PAROLE QU'L A DITE: VOUS ME CHERCHEREZ ET
VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, ET LÀ OÙ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ
VENIR?"
1079. L’Évangéliste expose ici l’étonnement des Juifs, qui tout en ayant du Christ une connaissance sensible, avaient une certaine foi en lui.
Les Juifs commencent par s’étonner [n° 1080];
puis ils émettent des conjectures [n°
1081], avant d’argumenter contre elles [n° 1082].
1080. Ils s’étonnent en se
disant les uns aux autres: OÙ DOIT-IL ALLER, CELUI-LA, QUE NOUS NE PUISSIONS
PAS LE TROUVER? Comme on l’a dit en effet, ils comprenaient cette parole d’une
manière matérielle — "L'homme naturel n'accueille pas ce qui est de
l'Esprit de Dieu. C'est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c’est
spirituellement qu'on en juge".
1081. Et parce qu’ils pensaient qu’il devait s’en aller d’une manière physique, et non par la mort, dans un autre lieu où il ne leur serait pas permis de se rendre, ils émettent des conjectures en disant: VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS ET ENSEIGNER LES NATIONS? 162 En effet les nations étaient tenues à l’écart de la vie propre des Juifs — Etrangers à l’alliance, vous étiez tenus à l’écart de la vie propre d'Israël n'ayant pas l’espérance de la promesse, et sans Dieu dans ce monde 163. Et c’est pourquoi, comme s’ils leur imputaient un crime, ils disent: CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS, parce que celles-ci étaient disséminées partout, et unies entre elles d’une manière imparfaite — Telles sont les familles de Noé selon leurs peuples et leurs nations; c'est à partir d’elles que les nations furent séparées sur la terre après le déluge 164. Mais le peuple des Juifs était rassemblé par le lieu 165, dans le culte du Dieu unique, et l’observation de la Loi — Le Seigneur édifiant Jérusalem rassemblera les dispersés d'Israël 166.
Ils ne disent pas qu’il doit aller vers les
nations de manière à devenir un païen, mais en tant qu’il doit les ramener à
lui; c’est pourquoi ils ajoutent: ET ENSEIGNER LES NATIONS. Ce qu’ils pensèrent
peut-être à cause de ces paroles: C’est peu que tu sois mon serviteur pour
relever les tribus de Jacob, et faire se convertir le résidu d’Israël t’ai
donné comme lu des nations, pour que tu sois mon salut jusqu'aux extrémités de
la terre 167 — bien qu’ils n’aient pas compris ce qu’ils disent, comme Caïphe
n’eut pas l’intelligence de ses propres paroles lorsqu’il dit: Il vaut mieux
pour vous qu’un seul homme meure et que toute la nation ne périsse pas 168. Ils
disent cependant quelque chose de vrai, et ils ont prédit le salut des nations,
comme le dit Augustin 169, c’est-à-dire ils ont prédit qu’il devait aller vers les nations,
non par sa présence physique, mais "par ses pieds",
c’est-à-dire par les Apôtres. Il a en effet envoyé ses membres vers nous, et il
a fait de nous ses membres — J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce
bercail, et il me faut les ramener (...) et il y aura un seul troupeau, et un
seul pasteur 170. C’est pourquoi il est
dit, au nom des nations: II nous enseignera ses voies 171.
1082. Ils apportent ensuite une
objection à ce qu’ils avaient conjecturé, en disant: QU’EST CETTE PAROLE QU’IL
A DITE: VOUS ME CHERCHEREZ... Autrement dit, s’il avait simplement dit: VOUS ME
CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, on pourrait bien comprendre qu’il doit
s’en aller vers les nations; mais qu’il ait ajouté LA OU MOI JE SUIS, VOUS,
VOUS NE POUVEZ VENIR, semble exclure une telle compréhension, car il ne nous
est pas impossible d’aller vers les nations 172.
37a
Le tout dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus se tenait debout et
criait, disant: 37b "Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi, et qu’il
boive, celui qui croit en moi. Comme dit l’Ecriture, de son sein couleront des
fleuves d’eau vive. " Or il disait cela de l’Esprit, que devaient recevoir
ceux qui croiraient en lui. En effet, l’Esprit n’avait pas encore été donné,
parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. 40 à partir de cette heure-là,
les foules, comme elles avaient entendu ces paroles [Jésus], disaient:
"Celui-ci est vraiment le Prophète. " D’autres disaient:
"Celui-ci est le Christ. " Mais certains disaient: "Est-ce de
Galilée que vient le Christ? L’Ecriture ne dit-elle pas que c’est de la race de
David, et de la citadelle de Bethléem où était David, que vient le
Christ?" C’est pourquoi il se fit une dissension dans la foule à cause de
lui. Et certains d’entre eux voulaient se saisir de lui; mais personne ne porta
la main sur lui. Les serviteurs vinrent donc vers les grands prêtres et les
Pharisiens, et ceux-ci leur dirent: "Pourquoi ne l’avez-vous pas
amené?" Les serviteurs répondirent: "Jamais un homme n’a parlé ainsi,
comme parle cet homme. " Les Pharisiens leur répondirent donc: "Avez-vous
été séduits vous aussi? 48 Y a-t-il quelqu’un parmi les princes des prêtres qui
ait cru en lui, ou parmi les Pharisiens? 50 Mais cette foule qui ne connaît pas
la Loi, ce sont des maudits. " 51 Nicodème leur dit, celui qui était venu
à lui de nuit — il était l’un d’entre eux — : "Notre Loi juge un homme si
on ne l’a pas d’abord entendu, et connu ce qu’il fait?" Ils répondirent et
lui dirent: "Toi aussi, es-tu Galiléen? Scrute les Ecritures, et vois que
de la Galilée il ne surgit pas de prophète." 53 Et ils retournèrent chacun
chez soi.
1083. Après avoir traité de l’origine de son enseignement [n° 10361 — puis de l’origine de celui qui enseigne [n° 1051] (ainsi que de son terme [n° 1072]) —, le Seigneur poursuit ici en conviant à recevoir son enseignement.
L’Evangéliste nous expose l’invitation du Christ, avant de nous montrer la dissension des foules [n° 1097].
LE
TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND JOUR DELA FÊTE, JÉSUS SE TENAIT DEBOUT ET CRIAIT,
DISANT: QUELQU’UN A SOIF, QU'IL VIENNE À MOI, ET QU'IL BOIVE, CELUI QUI CROIT
EN MOI. COMME DIT L'ECRI TURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE.
"OR IL DISAIT CELA DE L'ESPRIT, QUE DEVAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT
EN LUI. EN EFFET, L'ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ PARCE QUE JÉSUS N’A
VAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.
L’Évangéliste donne d’abord le mode de l’invitation du Christ, quant au moment [n° 1084], quant à la position du Christ qui nous convie [n° 1085], et quant à l’effort qu’il fait en nous appelant [n° 1086]. Puis l'Evangéliste nous expose l’invitation elle-même [n° 1087], avant d’y ajouter un commentaire [n° 1091].
LE TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND
JOUR DE LA FÊTE
1084. L’Évangéliste nous donne ici le moment de cette Invitation du Christ; comme on l’a dit en effet, cette fête était célébrée pendant sept jours; le premier et le dernier jour étaient les plus solennels, de même que pour nous le premier jour de la fête et celui de l’octave sont plus solennels.
Donc, ce qui nous est raconté ici, le Seigneur ne le fit pas le premier jour, parce qu’il n’était pas encore monté à Jérusalem, ni pendant les jours intermédiaires, mais bien le tout dernier jour; et cela, parce qu’il y a peu de gens qui célèbrent les fêtes d’une manière spirituelle. C’est pourquoi le Christ ne les convie pas à son enseignement dès le commencement, de peur que celui-ci ne soit effacé de leur coeur par les vanités des jours de fête qui suivent, parce que, comme il est dit dans saint Luc, la parole du Seigneur est étouffée par les épines 1 mais il les convie le dernier jour, pour que son enseignement soit gravé d’une manière plus tenace dans leurs coeurs 2.
JÉSUS SE TENAIT DEBOUT
1085. Il faut savoir à ce propos que le Christ a enseigné tantôt assis, tantôt debout. Assis, il a enseigné les disciples comme on le voit au chapitre 5 de saint Matthieu 3: mais debout, il a enseigné les foules, comme ici. C’est pourquoi l’habitude s’est développée dans l’Eglise de prêcher aux fou les en se tenant debout, et aux clercs et aux religieux en siégeant. La raison en est que la prédication aux foules, qui a pour fin de les convertir, se fait par mode d’exhortation; mais comme la prédication aux clercs s’adresse à eux comme à ceux qui habitent déjà dans la maison de Dieu, elle est comme un mémorial 4.
ET CRIAIT
1086. L’Évangéliste nous fait connaître ici l’effort du Christ: IL CRIAIT pour manifester son assurance — Elève avec force ta voix, toi qui apportes la bonne nouvelle à Jérusalem! Élève-là, ne crains pas pour être entendu de tous — Crie, ne t'arrête pas, élève ta voix comme une trompette et pour montrer la grandeur de ses paroles — Ecoutez-moi, parce que je vais parier de grandes choses*.
"SI
QUELQU’UN A SOIF, QU’IL VIENNE À MOI, ET QU’IL BOIVE, CEL UI QUI CROIT EN MOI.
COMME DIT L'ECRITURE, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE."
1087. L’Évangéliste expose ici
l’invitation du Christ. Il commence par montrer quels sont ceux qui sont
invités et à quoi ils sont conviés [n°
1088], puis quel est le fruit de cette invitation [n° 1089].
1088. Ceux qui sont invités, ce sont ceux qui ont soif: SI QUELQU’UN A SOIF, QU7L VIENNE A MOI -Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux 8. Il les appelle "ceux qui ont soif", parce que c’est l’état de ceux qui désirent servir Dieu. Mais Dieu n’accepte pas qu’on le serve par contrainte — Dieu aime celui qui donne joyeusement 9. Et c’est pour cela que le Psalmiste disait: Je t'offrirai volontairement un sacrifice. 10 De ceux-là, il est dit: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 11. Ceux-là, le Seigneur ne les appelle pas en faisant des distinctions, mais il les appelle tous; c’est pourquoi il dit: SI QUELQU’UN A SOIF, comme pour dire: quel qu’il soit. — Venez à moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits 12.- Il veut que tous les hommes soient sauvés 13.
Il les invite à se désaltérer: ET QU’IL BOIVE. Cette bois son est une réfection spirituelle, dans la connaissance de la sagesse et de la vérité divines, et aussi dans la satisfaction complète des désirs — Mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif 14. — Venez et dévorez mon pain, et buvez le vin que j’ai mêlé pour vous 15 — Elle l’abreuve de l’eau de la sagesse qui sauve 16.
1089. Le fruit de cette invitation, c’est le rejaillissement de ces biens dans les autres: CELUI QUI CROIT EN MOI. COMME DIT L’EGRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE.
Selon Chrysostome 17, cette parole doit être lue ainsi: CELUI QUI CROITENMOI, COMME DIT L’ECRITURE, en coupant la phrase ici; et il enchaîne ensuite: DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, car si on dit: CELUI QUI CROIT EN MOI et qu’on enchaîne ensuite: COMME DIT L’ECRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, cela ne semble pas convenir parce qu’on ne trouve nulle part dans un livre de l’Ancien Testament cette parole: DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. Donc, il faut dire de cette manière: CELUI QUI CROIT EN MOI, COMME DIT L’ÉCRITURE, c’est-à-dire selon les enseignements de l’Ecriture — Scrutez les Ecritures (...) ce sont elles-mêmes qui me rendent témoignage 18-, alors DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE. Et il dit CELUI QUI CROIT EN MOI comme il avait dit plus haut: celui qui vient à moi 19, parce que c’est la même chose de croire et de venir — Venez à lui, et vous êtes illuminés 20.
Mais selon Jérôme 21, le texte est ponctué ainsi: SI QUELQU’UN A SOIF, QU’IL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE CELUI QUI CROIT EN MOI. COMME DIT L’ECRITURE, DE SON SÈIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE, ce qui, comme lui-même le dit, est tiré du livre des Proverbes: Bois l’eau de ta citerne, et l’eau jaillissante de ton puits: que tes sources se répandent au dehors 22.
1090. Selon Augustin 23, il faut savoir que les fleuves procèdent des sources comme d’un principe (a principio). Et celui qui boit d’une eau matérielle ne possède en lui ni la source 24, ni le fleuve, parce qu’il n’en goûte qu’une petite partie; mais celui qui boit en croyant au Christ puise la source; et lors même qu’il a puisé, sa conscience 25 — qui est le sein de l’homme intérieur — commence à vivre et sera elle-même une source. C’est pourquoi il est dit: Celui qui boira de cette eau (...), elle deviendra en lui une source d’eau jaillissante 26. Et cette source qu’on puise, c’est l’Esprit Saint, dont il est dit: Auprès de toi est la source de vie 27. Celui donc qui boit de telle manière que cela profite à lui seul, l’eau vive ne coule pas de son sein en dons de la grâce, symbolisés par les fleuves; mais celui qui se hâte de prendre soin du prochain, et de communiquer aux autres les divers dons de la grâce de Dieu qu’il a reçus, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. C’est à cause de cela que Pierre dit: Chacun selon la grâce qu'il a reçue, en la mettant mutuellement au service des autres... 28.
Il parle de FLEUVES, pour signifier l’abondance des dons spirituels promise en retour aux fidèles — Le fleuve de Dieu a été comblé d’eau 29-; de même, leur impétuosité — Ceux qui marchent avec impétuosité vers Jacob: Israël fleurira et germera, et ils rempliront de leur fruit la face de la terre 30. — L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu Et parce qu’il était mû par l’instinct et la ferveur de l’Esprit Saint, l’Apôtre disait: La charité du Christ nous presse 32 et Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu 33. Les FLEUVES symbolisent encore la répartition des dons de l’Esprit Saint, parce que A l’un la diversité des langues, à l’autre le don de guérison, etc. 34
Mais ces FLEUVES sont des eaux vives, parce qu’elles sont unies à leur source, c’est-à-dire à l’Esprit Saint habitant en nous.
OR IL DISAIT CELA DE L'ESPRIT,
QUE DEVAIENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI. EN EFFET, L'ESPRIT N’AVAIT
PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ, PARCE QUE JÉSUS N’A VAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.
1091. L’Évangéliste poursuit en
commentant ce que le Christ a dit. Il donne d’abord son commentaire [n° 1092],
puis la raison de ce commentaire [n° 1093].
1092. Le Christ dit donc que DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D’EAU VIVE. Mais l’Evangéliste dit que l’on doit comprendre cela DE L’ESPRIT, QUE DE VAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI, parce que l’Esprit Saint est la source et le fleuve. La source, dont il est dit: Auprès de toi est la source de vie 35. Mais le fleuve, parce qu’il procède du Père et du Fils — L'ange me montra un fleuve d'eau vive resplendissant comme du cristal, procédant du trône de Dieu et de l’Agneau 36 — Il a donné l’Esprit à ceux qui lui obéissent 37.
EN EFFET, L’ESPRIT N’AVAIT PAS
ENCORE ÉTÉ DONNE PARCE QUE JÉSUS N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.
1093. Saint Jean donne ici la raison de ce commentaire; il dit en fait deux choses: que L’ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, et que le Christ N’AVAIT PAS ENCORE ETE GLORIFIE 38.
A propos de la première parole, il y a deux opinions: Chrysostome 39 dit que l’Esprit Saint ne fut pas donné aux Apôtres avant la Résurrection du Christ, pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Ainsi cette grâce, qui était donnée aux Prophètes, avait manqué à la terre jusqu’à l’avènement du Christ 40, et par la suite elle ne fut donnée à personne avant le moment que l’on a dit. Et s’il est dit que les Apôtres expulsaient les démons avant la Résurrection, il faut comprendre qu’ils ne les expulsaient pas par l’Esprit, mais par la puissance qui venait du Christ. En effet, quand il les envoyait, on ne nous dit pas: "Il leur donna l’Esprit Saint", mais: Il leur donna la puissance 41.
Mais cette opinion semble aller à l’encontre de ce que dit le Seigneur: Si moi je chasse les démons au nom de Béelzéboul, vos fils, au nom de qui les chassent-ils? 42 Or il est certain que c’est dans l’Esprit Saint que lui-même expulsait les démons, ainsi que le fils, c’est-à-dire les Apôtres: il est donc manifeste qu’eux aussi avaient reçu l’Esprit Saint.
Voilà pourquoi il faut dire, selon Augustin 43, que les Apôtres possédèrent l’Esprit Saint avant la Résurrection, même pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Et ce qui est dit ici, à savoir que L’ESPRIT N’AVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, doit être compris de l’abondance du don dans des signes visibles; elle leur fut donnée après la Résurrection et l’Ascension en des langues de feu 44.
1094. Mais puisque l’Esprit Saint sanctifie l’Église, et qu’il est aussi reçu maintenant par les fidèles, pourquoi n’y a-t-il personne qui parle les langues de toutes les nations comme à ce moment-là?
Il faut répondre que cela n’est pas nécessaire, selon ce que dit Augustin. L’Eglise envoyée en mission 45, parle dans les langues des nations, parce que la charité est donnée par l’Esprit Saint — La charité de Dieu a été d usée dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné 46. Et la charité, rendant toutes choses communes, fait que tout homme parle à tout homme. Voilà pourquoi Augustin dit: "Si tu aimes l’unité, quiconque possède quelque chose en elle [c'est-à-dire dans l’Eglise] le possède aussi pour toi. Chasse l’envie, et ce que j’ai est tien. (...) La jalousie sépare, la charité unit (...). Aie la charité et tu auras toutes choses" 47. Mais au commencement, avant que l’Eglise se soit étendue à travers le monde, comme ils étaient peu nombreux, il fallait qu’ils parlent les langues de tous, pour fonder ainsi l’Eglise en tous.
PARCE QUE JÉSUS N’AVAIT PAS
ENCORE ÉTÉ GLORJ FiÉ.
1095. Selon Augustin 48, il faut comprendre cette parole de la gloire de la Résurrection;
autrement dit: il n’était pas encore ressuscité des morts, il n’était pas
encore monté aux cieux. De cette gloire il est dit: Glorifie-moi, Père, auprès
de toi 49. Et la cause de ce qu’il voulut être glorifié avant de donner
l’Esprit Saint, est que l’Esprit Saint nous est donné pour élever nos coeurs de
l’amour du monde à une résurrection spirituelle et les faire courir totalement
en Dieu. Parce que donc il a promis la vie éternelle à ceux qui brûlent
ardemment de la charité de l’Esprit Saint, là où nous ne mourrons pas, où nous
n’aurons rien à craindre, il n’a pas voulu donner l’Esprit Saint lui-même sans
avoir été glorifié, pour nous montrer dans son corps la vie que nous espérons
dans la résurrection.
1096. Selon Chrysostome 50, il ne faut pas comprendre cela de la gloire de la Résurrection mais de la glorification de la Passion, dont le Seigneur dit plus loin, alors que l’heure de la Passion était imminente: Maintenant a été glorifié le Fils de l’homme 51. Et selon cette interprétation, l’Esprit Saint est donné en premier lieu quand il dit aux Apôtres après la Passion: Recevez l’Esprit Saint 52. Et l’Esprit Saint ne fut pas donné avant la Passion, parce que, comme il est un don il ne devait pas être donné à des ennemis, mais à des amis. Or nous, nous étions des ennemis 54. Il fallait donc d’abord que l’hostie soit offerte sur l’autel de la croix 55 et que l’inimitié soit détruite en sa chair 56, afin qu'ainsi par la mort de son Fils nous soyons réconciliés avec Dieu 57 et qu’alors, devenus des amis, nous recevions le don de l’Esprit Saint.
1097. Ayant exposé l’invitation du Christ à nous désaltérer spirituellement, l’Evangéliste poursuit en nous montrant la dissension des foules: d’abord celle des foules entre elles, puis la dissension surgie chez les princes des prêtres [n° 1106].
I
À
PARTIR DE CETTE HEURE-LÀ DONC, LES FOULES, COMME ELLES AVAlENT ENTENDU CES
PAROLES DE [DE JÉSUS], DISAIENT: "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHÈTE."
D’AUTRES DISAIENT: "CELUI-CI EST LE CHRIST" MAIS CERTAINS DISAIENT:
"EST-CE DE GALILÉE QUE VIENT LE CHRIST? L'ÉCRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE
C’EST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OÙ ÉTAIT DAVID, QUE
VIENT LE CHRIST?" C’EST POURQUOI IL SE FIT UNE DIS SENSION DANS LA FOULE À
CAUSE DE LUI ET CERTAINS D’ENTRE EUX VOULAIENT SE SAISIR DE LUI; MAIS PERSONNE
NE PORTA LA MAIN SUR LUI.
L’Évangéliste nous donne d’abord différentes paroles de ceux qui s’opposent entre eux, avant de nous exposer en quoi consiste la dissension [n° 1102].
Or la diversité des paroles de la foule
provenait de la diversité des opinions au sujet du Christ, et c’est pourquoi
l’Evangéliste nous expose trois opinions de la foule: celles — il y en a deux —
de ceux qui s’approchent déjà de la boisson spirituelle, et celle de ceux qui
s’en écartent.
1098. Les premiers estimaient que le Christ était un prophète; c’est pourquoi l’Evangéliste dit: A PARTIR DE CETTE HEURE-LA DONC, c’est-à-dire à partir du où il avait parlé ainsi, le grand jour de la fête, LES FOULES, COMME ELLES AVAIENT ENTENDU CES PAROLES [DE JÉSUS], DISAIENT — il s’agit de ceux qui avaient déjà commencé à puiser spirituellement de cette eau — : CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Ils le disent, non seulement prophète, mais surtout le vrai Prophète, comme par antonomase 57a, pensant qu’il est celui dont Moïse avait parlé par avance: Dieu suscitera pour vous d’entre vos frères un Prophète: c’est lui que vous écouterez comme moi 58.
1099. D'AUTRES DISAIENT:
CELUI-CI EST LE CHRIST; ceux-là s’étaient approchés plus encore, et avaient
davantage quitté la soif de ceux qui ne croient pas. Et cela, Pierre aussi l’a
confessé — Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant 59.
1100. La troisième opinion, contraire à la précédente, est celle de ceux qui s’écartent [n° la boisson spirituelle]. Ils s’opposent d’abord à l’opinion de ceux qui disent qu’il est le Christ, avant de confirmer leur objection par [le recours à] une autorité [n° 1101].
L’Evangéliste dit donc: MAIS CERTAINS,
demeurant dans l’aridité de leur incroyance, DISAIENT: EST-CE DE GALILEE QUE
VIENT LE CHRIST? Ils savaient en effet que les Prophètes n’avaient pas dit que
le Christ viendrait de la Galilée; et croyant qu’il était né à Nazareth (car
ils ignoraient que le lieu de sa nativité était Bethléem), ils prononcent ces
paroles. Il était en effet manifeste qu’il avait été élevé à Nazareth, mais le
lieu de sa nativité n’était connu que de peu de gens. Cependant, bien que
l’Ecriture ne dise pas qu’il devait naître en Galilée, elle a pourtant annoncé
qu’il devait d’abord se tourner vers elle: Au premier temps, la terre de
Zabulon et la terre de Nephtali ont été délaissées; et au tout dernier temps,
la route de la mer qui passe au-delà du Jourdain, la Galilée des nations, a été
surchargée. Le peuple des nations qui marchait dans les ténèbres a vu une
grande lumière, et pour les habitants de la région de l’ombre de la nuit une
lumière s’est levée 60. L’Ecriture avait aussi
annoncé qu’il viendrait de Nazareth, selon cette prophétie d’Isaïe: Une fleur
montera de la racine de fessé, ce qui se lit en hébreu: Le Nazaréen montera de
sa racine 61.
1101. Ils confirment leur objection par l’autorité de l’Ecriture en disant: L’ECRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE C'EST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OÙ ÉTAIT DAVID, QUE VIENT LE CHRIST?
C’est Jérémie qui dit que Jésus devait venir de la race de David: Je susciterai à David un germe juste Et il est dit de David: Parole de l’homme établi pour être le Christ de Dieu... Et de ce que le Christ viendrait de Bethléem, il est écrit: Et toi Bethléem, terre de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit être le dominateur en Israël 64.
C'EST POURQUOI IL SE FIT UNE
DISSENSION DANS LA FOULE À CAUSE DE LUI
1102. L’Évangéliste expose
d’abord la dissension de la foule, puis la tentative de certains d’entre eux
contre le Christ [n°
1104]; enfin, la répression de cette tentative [n° 1105].
1103. IL SE FIT UNE DISSENSION
DANS LA FOULE À CAUSE DE LUI, c’est-à-dire à cause du Christ. En effet, il
arrive fréquemment que trouble et dissension soient causés dans le coeur des
méchants par la manifestation de la vérité 65. Et c’est pourquoi Jérémie dit, en tant que figure du Christ:
Malheur à moi, ma mère, pourquoi m’as-tu enfanté homme de querelle, homme de
discorde sur toute la terre? 66 Et c’est à cause de cela que le Seigneur disait: Je ne suis pas
venu apporter la paix, mais le glaive 67.
1104. La tentative, celle de certains, était de se saisir de lui; ET CERTAINS D’ENTRE EUX (à savoir ceux qui avaient dit: EST-CE DE GALILEE QUE VIENT LE CHRIST? VOULAIENT SE SAISIR DE LUI pour le tuer, à cause de leur inimitié: Poursuivez-le et saisissez-le 68— L’ennemi a dit: "Je poursuivrai et je saisirai" 69. Cependant, les bons, et ceux qui ont la foi, veulent se saisir du Christ pour jouir de sa présence — Je monterai au palmier, et je m’emparerai de son fruit 70.
1105. La répression de leur tentative vient de la puissance du Christ: MAIS PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI, parce que le Christ ne le voulait pas; cela était en son pouvoir — Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose de moi-même 71. C’est pourquoi, quand il voulut souffrir, il ne les attendit pas, mais lui-même s’offrit à eux: Il sortit et leur dit: Qui cherchez-vous? 72
II
1106. L’Évangéliste expose ensuite la division des princes des prêtres: d’abord leur division d’avec les serviteurs, puis ce qui les divise entre eux [n° 1113].
LES
SERVITEURS VINRENT DONC VERS LES PRÊTRES ET LES PHARISIENS, ET CEUX-CI LEUR
DIRENT: "POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENÉ?" SES SERVITEURS
RÉPONDIRENT: "JAMAIS UN HOMME N’A PARLÉ AINSI, COMME PARLE CET HOMME. LES
PHARISIENS LEUR RÉPONDIRENT DONC: "AVEZ-VOUS ÉTÉ SÉDUITS VOUSAUSSI? Y A-T
IL QUELQU’UN PARMI LES PRINCES DES PRÊ TRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES
PHARISIENS? MAIS CETTE F0ULE QUI NE CONNAÎT PASLA LOI, CE SONT DES
MAUDITS."
On voit d’abord le reproche que les princes des prêtres font aux serviteurs [n° 1107], puis le témoignage que les serviteurs rendent au Christ [n° 1108], enfin ce que tentent les princes des prêtres pour rabrouer les serviteurs [n° 1109].
1107. Il faut d’abord remarquer l’iniquité des princes des prêtres quand ils disent — LES GRANDS PRETRES ET LES PHARISIENS — POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENE? En effet, ils étaient tellement mauvais que les serviteurs ne pouvaient les satisfaire sans porter préjudice au Christ — Le sommeil est ravi de leurs yeux s'ils n'ont pas supplanté quelqu'un 73.
Mais ici surgit une question concernant le sens littéral: on a dit plus haut que les serviteurs furent envoyés pour se saisir de Jésus au milieu de la fête, c’est-à-dire le quatrième jour; or leur retour est situé après le septième jour, quand l’Evangéliste a dit: LE TOUT DERNIER JOUR LE GRAND JOUR DE LA FETE; il semble donc que les serviteurs furent désoeuvrés durant les jours intermédiaires.
Il y a à cela une double réponse: l’une
consiste à dire que l’Evangéliste a anticipé le murmure des foules. Ou bien il
faut répondre que les serviteurs revinrent peut-être à ce moment-là; mais
l’Evangéliste en fait mention maintenant, pour montrer la cause de la
dissension entre les princes des prêtres.
1108. Il faut remarquer ensuite la bonté des serviteurs dans le témoignage favorable qu’ils rendirent au Christ en disant: JAMAIS UN HOMME N’A PARLE AINSI, COMME PARLE CET HOMME. Ils se rendent par là dignes de louange pour trois raisons.
D’abord pour la cause de leur admiration, parce qu’ils admiraient le Christ non pas à cause des miracles, mais à cause de son enseignement 74; ce qui les rend plus proches de la vérité et les éloigne de l’habitude des Juifs, qui cherchent des signes, comme on le lit dans la première épître aux Corinthiens 75. Ensuite pour la facilité de leur conversion, parce que quelques paroles du Christ ont suffi à les saisir et à les attacher à son amour. Enfin pour l’assurance de leur esprit, parce qu’aux Pharisiens qui luttaient contre le Christ, ils disent de lui: JAMAIS UN HOMME N’A PARLE AINSI.
Et ils disent tout cela avec raison, parce que le Christ était non seulement un homme, mais aussi le Verbe de Dieu; et c’est pourquoi ses paroles avaient la puissance de mouvoir [les cœurs] — Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu, dit le Seigneur, et comme un marteau qui brise la pierre? 76 C’est pourquoi aussi il est dit qu’il enseignait comme quelqu'un ayant la puissance 77. Ses paroles avaient aussi une saveur propre à adoucir: Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce 78. — Que tes paroles sont douces à mon palais 79. Il était encore bon de les retenir, parce qu’elles promettaient les biens éternels — Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 80. — Moi le Seigneur, qui t'enseigne ce qui est bon... 81
En troisième lieu, il faut remarquer la détestable perfidie des Juifs, par laquelle ils s’efforcent de détacher les serviteurs du Christ. ILS LE UR REPONDIRENT, c’est-à-dire aux serviteurs: AVEZ-VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI?
Ils commencent par blâmer l’erreur qu’ils attribuaient aux serviteurs [n° 1110]. Ils exposent ensuite l’exemple des princes des prêtres [n° 1111], enfin celui des foules [n° 1112].
1110. Ils provoquent les serviteurs en disant: AVEZ VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI? Autrement dit: nous voyons que vous vous êtes réjouis dans la parole de cet homme. "Effectivement, ils avaient été séduits d’une manière louable parce qu’ayant rejeté le mal de l’incroyance, ils furent conduits à la vérité de la foi", dont il est dit: Tu m’as séduit Seigneur, et j’ai été séduit 82.
Y A-T-IL QUELQU’UN PARMI LES
PRINCES DES PRÊTRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES PHARISIENS?
1111. Ils exposent ici l’exemple des princes des prêtres pour détourner encore plus les serviteurs. Ils disent cela parce qu’on est rendu digne de foi pour deux raisons: l’autorité et la religion. Ils se servent donc de ces deux arguments contre le Christ pour affirmer: si le Christ devait être reçu, les princes des prêtres l’auraient accueilli sans aucun doute, eux en qui réside l’autorité; et de même les Pharisiens, en qui la religion était manifeste; mais aucun de ceux-là n’a cru en lui; donc, vous non plus vous ne devez pas croire en lui. Là s’accomplit ce qui est écrit: La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est-à-dire les princes des prêtres et les Pharisiens, celle-là est devenue la tête d’angle, c’est-à-dire dans le coeur des peuples. Mais cela a été fait par le Seigneur 83, parce que sa bonté l’emporte sur la malice des hommes.
MAIS CETTE FOULE QUI NE
CONNAÎT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS.
1112. Ils repoussent ensuite le témoignage de la foule, parce qu’elle confond leur malice. MAIS CETTE FOULE QUI NE CONNAIT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS, et c’est pourquoi il ne faut pas tenir la même position qu’eux. Car il est écrit: Maudit soit celui qui ne sera pas demeuré dans la Loi et ne l’aura pas mise en pratique 84. Mais ils comprenaient mal cette parole, parce que ceux-là même qui n’ont pas la science de la Loi et qui cependant pratiquent ses oeuvres demeurent plus dans la Loi que ceux qui, ayant la science de la Loi, ne l’observent cependant pas 85; c’est de ceux-là qu’il est dit: Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi 86 — Soyez de ceux qui accomplissent la Loi, et non seulement de ceux qui l’écoutent 87.
NICODÈME
LEUR DIT, CELUI QUI ÉTAIT VENU À LUI DE NUIT -IL ÉTAITL'UN D'ENTRE EUX: "NOTRE
LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE L'A PAS D'ABORD ENTENDU, ET CONNU CE QU'IL
FAIT?"
1113. L’Évangéliste poursuit en
montrant la dissension des chefs entre eux. Il expose l’intervention de
Nicodème [n° 1115], après avoir cité quelques traits à son propos [n° 1114];
puis il montre l’opposition des princes des prêtres [n° 1116], et enfin l’aboutissement
de la dispute [n° 1117].
1114. L’Évangéliste évoque trois choses à propos de Nicodème: deux d’entre elles montrent l’intention de celui qui va parler, et la troisième, la fourberie des princes des prêtres.
La première de ces choses concerne la foi de Nicodème: CELUI QUI ETAIT VENU A LUI, c’est-à-dire celui qui avait cru, car c’est la même chose devenir au Christ et de croire en lui 88.
La seconde concerne l’imperfection de sa foi, parce qu’IL VINT DE NUIT. Car s’il avait cru d’une manière par faite, il n’aurait pas craint — Beaucoup parmi les chefs crurent en lui, mais à cause des Pharisiens il ne se déclaraient pas, pour ne pas être exclus de la synagogue 89. Nicodème était l’un de ceux-là.
La troisième chose évoquée par l’Évangéliste est le mensonge des princes des prêtres. En effet, ils avaient dit: aucun parmi les princes et les Pharisiens n’a c au Christ; et c’est pourquoi l’Evangéliste dit: IL ETAIT L’UN D'ENTRE EUX; autrement dit: si Nicodème, qui est l’un des princes, a cru en lui, il est manifeste que ce que les princes et les Pharisiens disent — à savoir qu’aucun des princes n’a cru en lui — est faux — II a vraiment dit un mensonge 90.
"NOTRE
LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE L’A PAS D’ABORD ENTENDU, ET CONNU CE QU’IL
FAIT?"
1115. L’Évangéliste expose ici comment Nicodème les rappelle à l’ordre. Selon les lois civiles en effet, une enquête diligente doit précéder la sentence — Ce n'est pas l’habitude des Romains de condamner un homme avant que l’accusé n'ait ses accusateurs en sa présence, et qu'on lui ait donné lien de se défendre pour se laver des crimes [dont on l’accuse] 91. Aussi Job disait-il: Je m’instruisais avec un soin extrême de la cause que j’ignorais 92.
C’est pourquoi il est dit dans la Loi de Moïse: Tu ne con damneras pas l’innocent et le juste, parce que j’abhorre l’impie 93.
Mais Nicodème dit ces paroles parce qu’ayant la foi il voulait les convertir au Christ. Cependant, parce qu’il était timide, il faisait cela d’une manière voilée. Il croyait en effet que si seulement ils voulaient écouter le Christ, sa parole serait d’une telle efficacité que peut-être ils deviendraient semblables à ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de Jésus, et qui s’étaient convertis à ses paroles en faisant ce pour quoi ils avaient été envoyés 94.
ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT:
"TOI AUSSI, ES-TU GALILÉEN? SCRUTE LES ÉCRITURES, ET VOIS QUE DE LA
GAULÉE IL NE SURGIT PAS DE PROPHÈTE."
1116. L’Évangéliste expose ici l’opposition des princes des prêtres. En disant cela, ils regardent Nicodème comme un homme séduit, puis comme quelqu’un qui ignore la Loi.
Ils disent d’abord TOI AUSSI, ES-TU GALILEEN 95?, c’est-à-dire, es-tu séduit par le Galiléen Ils décrétaient en effet que le Christ était Galiléen, parce qu’il avait vécu en Galilée: et c’est pourquoi tous ceux qui reconnaissaient le Christ étaient appelés Galiléens, comme par mode d’injure — La servante dit à Pierre: Es-tu Galiléen, toi aussi? 96 — Vous aussi, voulez-vous devenir ses disciples? 97
Puis ils disent: SCRUTE LES ECRITURES, ET VOIS. Mais puisqu’il était docteur de la Loi, il n’avait nul besoin de la scruter de nouveau; c’est comme s’ils disaient: bien que tu sois docteur, tu ignores cela! — Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses? 98 Mais quoique dans l’Ancien Testament il ne soit pas dit qu’un prophète surgirait de Galilée, on y lit cependant que de là devait sortir le Seigneur des prophètes 99 — Une fleur, c’est-à-dire le Nazaréen, naîtra de la racine de fessé, et l'Esprit du Seigneur reposera sur lui 100.
ET ILS RETOURNÈRENT CHACUN
CHEZ SOI.
1117. L’Evangéliste nous montre que l’aboutissement de la dispute est infructueux. ET ILS RETOURNERENT, n’ayant pas réalisé leur dessein, CHACUN CHEZ SOI, c’est-à-dire chez les siens, vides de foi et frustrés dans leur mauvais désir — Le Seigneur dissipe le conseil des pervers 101 — Le Seigneur dissipe le conseil des princes et les pensées des peuples 102. Ou bien, CHACUN CHEZ SOI signifie: dans la malice de son refus de la foi et de son impiété — Je sais où tu habites, là où est le trône de Satan 103.
CHAPITRE
VIII: La puissance illuminative de l'enseignement du Christ montrée par la
parole
1118. Après nous avoir entretenus de l’origine de l’enseignement du Christ [n° 1010], l'Evangéliste poursuit ici en parlant de la puissance de cet enseignement. Or l’enseignement du Christ a une puissance illuminative et vivificatrice, parce que ses paroles sont esprit et vie 1. L’Evangéliste parle d’abord de la puissance illuminative; puis, au chapitre 10, de la puissance vivificatrice de cet enseignement [n° 1364].
Il montre la puissance illuminative de l’enseignement du Christ d’abord par la parole et ensuite, au chapitre 9, par un miracle [n° 1293].
Au sujet de la parole, l'Evangéliste introduit d’abord le Christ en train d’enseigner; puis il expose la puissance de son enseignement [n° 1140].
1
Quant à Jésus, il s’en alla jusqu’au Mont des Oliviers; 2 et dès l’aurore, il
vint de nouveau au Temple. Et tout le peuple vint à lui; et s’asseyant, il les
enseignait. Or les Scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en
flagrant délit d’adultère; et ils la placèrent au milieu. Et ils lui dirent:
"Maître, cette femme a été surprise à l’instant en flagrant délit
d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a commandé de lapider ces femmes-là. Toi
donc, que dis-tu?" ils disaient cela en le mettant à l’épreuve pour
pouvoir l’accuser. Mais Jésus, se baissant, écrivait du doigt sur la terre.
Comme donc ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit:
"Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une
pierre. " Et de nouveau, se baissant, il écrivait sur la terre. Mais eux,
entendant cela, sortaient l’un après l’autre, en commençant par les plus vieux;
et Jésus resta seul, avec la femme se tenant au milieu. '°Mais Jésus, se
redressant, lui dit: "Femme, où sont ceux qui t’accusaient? Personne ne
t’a condamnée?" Celle-ci dit: "Personne, Seigneur. "Alors Jésus
dit: "Moi non plus je ne te condamnerai pas. Va, et désormais ne pèche
plus."
Deux caractères appartiennent au service de docteur. D’abord, qu’il enseigne ceux qui désirent recevoir son enseignement; ensuite, qu’il réfute les thèses des adversaires.
Le Christ instruit donc d’abord ceux qui attendent son enseignement; puis il réfute les thèses des adversaires [n° 1123]
A propos du Christ qui instruit ceux qui attendent son enseignement, l’Evangéliste décrit d’abord le lieu de l’enseignement, puis l’auditoire [n° 11211, enfin, le docteur [n° 1122].
QUANT
À JÉSUS, IL S’EN ALLA JUSQU’AU MONT DES OLIVIERS; ET DÈS L'AURORE, IL VINT DE
NOUVEAU AU TEMPLE. ET TOUT LE PEUPLE VINT À LUI; ET S’ASSEYANT, IL LES
ENSEIGNAIT.
Le lieu de l’enseignement est le Temple. L’Évangéliste montre d’abord le Christ quittant le Temple [n° 1119], puis y retournant [n° 1120].
QUANT À JÉSUS, IL S’EN ALLA
JUSQU’AU MONT DES OLIVIERS.
1119. L’Évangéliste parle ici du départ de Jésus. En effet le Seigneur, quand il était à Jérusalem pour les jours de fête, faisait ainsi, selon l’inclination secrète de son coeur: pendant la journée il prêchait dans le Temple, manifestait des signes et des miracles éclatants; et tard, il retournait à Béthanie, sur le Mont des Oliviers, où il était reçu chez Marthe et Marie, les soeurs de Lazare. L’Évangéliste nous dit donc que Jésus, selon cette habitude, étant resté dans le Temple le dernier jour de la grande fête et y ayant prêché, dans la soirée S’EN ALLA JUSQU’AU MONT DES OLIVIERS, où se trouvait Béthanie.
Et ceci s’accorde au mystère: en effet, comme le dit Augustin 1a, où convenait-il que le Christ enseignât et manifestât sa miséricorde, si ce n’est sur le Mont des Oliviers, sur le Mont de l’huile parfumée, sur le Mont de l’onction? En effet, l’olive symbolise la miséricorde; du reste, en grec, le même mot signifie "olive" et "miséricorde". Dans l’Evangile de saint Luc 2, il est dit du Samaritain qu’il versa de l’huile et du vin, c’est-à-dire la miséricorde et la rigueur du jugement. L’huile a aussi une vertu curative: Plaie, coup, blessure toute tuméfiée, qui ne sont pas pansés ni soulagés avec de l’huile 3... L’huile symbolise encore le remède de la grâce spirituelle, qui nous vient du Christ: Dieu, ton Dieu t’a oint d’une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons 4 — C’est comme une huile parfumée sur la tête, qui descend sur la barbe — La pierre versait pour moi des ruisseaux d’huile.
ET DÈS L'AURORE, IL VINT DE
NOUVEAU AU TEMPLE. ET TOUT LE PEUPLE VINT À LUI; ET S’ASSEYANT, IL LES
ENSEIGNAIT
1120. Le retour de Jésus dans le Temple est présenté par l’Evangéliste comme étant très matinal. Ce retour signifie qu’il était sur le point de révéler, à ceux qui croyaient en lui, la connaissance et la manifestation de sa grâce, dans son temple — Nous avons accueilli, Dieu, ta miséricorde, au milieu de ton temple 7.
Qu’il soit revenu dès le point du jour
signifie la naissance de la nouvelle grâce — Sa sortie est préparée comme
l’aurore 8.
1121. Quant à l’auditoire, il s’agit de ceux qui attendent son enseignement; c’est pourquoi l’Evangéliste dit: ET TOUT LE PEUPLE VINT A LUI — L'assemblée des peuples t'environnera 9.
ET S’ASSEYANT, IL LES
ENSEIGNAIT.
1122. Le docteur est présenté assis, c’est-à-dire se met tant au niveau de son auditoire, pour que son enseignement soit plus facilement reçu. En effet, le fait de s’asseoir symbolise l’état d’humilité de l’Incarnation 10 — Tu sais quand je m’assieds et quand je me lève 11.
Au début, les réalités divines furent plus
facilement enseignées aux hommes, parce qu’elles apparaissaient visiblement à
travers l’humanité assumée par le Christ; c’est pourquoi il dit que S’ASSEYANT,
IL LES ENSEIGNAIT, c’est-à-dire il enseignait les gens sans détour et ceux qui
recevaient sa parole avec admiration — Il enseignera ses chemins aux doux, et
dirigera les humbles dans la justice. — Il nous enseignera ses voies 12.
1123. L’Évangéliste montre ensuite que le Seigneur réfute les thèses des adversaires; en premier lieu, il expose la tentative de fausse accusation: il en montre d’abord l’occasion [n° 1124]; puis il la décrit [n° 1125]; enfin il souligne l’intention de ceux qui le tentaient [n° 1129].
En second lieu, l’Evangéliste montre comment Jésus rejette les calomniateurs [n° 1130].
OR LES SCRIBES ET LES
PHARISIENS AMÈNENT UNE FEMME SURPRISE EN FLAGRANT DÉLIT D’ADULTÈRE; ET ILS LA
PLACÈRENT AU MILIEU ETILS LUI DIRENT "MAÎTRE, CETTE FEMME A ÉTÉ SURPRISE À
L'INSTANT EN FLAGRANT DÉLIT D’ADULTÈRE. OR DANS LA LOI, MOÏSE NOUS A COMMANDÉ
DE LAPIDER CES FEM MES-LÀ. TOI DONC, QUE DIS-TU?" OR ILS DISAIENT CELA EN
LE METTANT À L’ÉPREUVE POUR POUVOIR L'ACCUSER.
1124. L’occasion saisie pour le mettre à l’épreuve est l’adultère commis par une femme; et d’abord, ils mettent la faute en évidence en l’amplifiant; puis ils produisent la personne accusée.
[3a]
OR LES SCRIBES ET LES PHARISIENS AMÈNENT UNE FEMME SURPRISE EN FLAGRANT DÉLIT
D'ADULTÈRE
Comme le dit Augustin 13, trois choses prédominaient dans le Christ: la vérité, la mansuétude et la justice; il avait été prédit à son sujet: Avance et règne, à cause de la vérité, de la mansuétude et de la justice 14. En effet, il apporta la vérité en tant que docteur, et cela, les Pharisiens et les Scribes l’avaient perçu alors qu’il enseignait. Saint Jean dit plus loin: Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? 15 En effet, ils ne pouvaient aucunement reprocher à son enseignement et à ses paroles d’être faux; c’est pourquoi ils avaient cessé de l’accuser à ce sujet.
La mansuétude, il l’a apportée en tant que libérateur; les Scribes et les Pharisiens eurent connaissance de cela à ce qu’il ne s’émouvait pas contre ses ennemis et ses persécuteurs: Alors qu’il était maudit, lui ne maudissait pas 16. — Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur 17. C’est pour quoi, même à ce sujet, ils ne l’accusaient plus.
La justice, il l’a apportée comme celui qui en avait une connaissance parfaite (cognitor) 18, et cela parce que les Juifs ne l’avaient pas encore vraiment, particulièrement dans les jugements: ils lui tendirent donc un piège, voulant savoir s’il s’écarterait de la justice à cause de la miséricorde. Pour cela, ils lui soumettent un crime connu et honteux: l’adultère — Toute femme adultère sera foulée aux pieds sur le chemin comme du fumier 19. Puis ils poussent en avant la personne accusée, pour faire davantage impression: ET ILS LA PLACERENT AU MILIEU — Elle sera amenée au milieu 20.
ET ILS LUI DIRENT: "MAÎTRE,
CETTE FEMME A ÉTÉ SURPRISE À L'INSTANT EN FLAGRANT DÉLIT D'ADULTÈRE. OR DANS LA
LOI, MOÏSE NOUS A COMMANDÉ DE LAPIDER CES FEMMES-LÀ. TOI DONC, QUE
DIS-TU?" OR ILS DISAIENT CELA ENLE METTANT À L'ÉPREUVE POUR POUVOIR
L’ACCUSER.
1125. L’Évangéliste poursuit en montrant la tentation elle-même; et d’abord, les Pharisiens manifestent la faute, puis ils font valoir la justice selon la Loi; enfin, ils réclament le jugement.
MAÎTRE, CETTE FEMME A ÉTÉ SURPRISE
À L’INSTANT EN FLAGRANT DÉLIT D'ADULTÈRE.
1126. Les Scribes et les Pharisiens manifestent ici la faute; ils la grossissent de trois manières destinées à émou voir le Christ, de façon à lui faire abandonner sa mansuétude. D’abord, parle caractère récent de la faute; c’est pour cela qu’ils disent A L’INSTANT En effet, quand la faute est ancienne, elle n’émeut pas autant, parce que celui qui l’a commise s’est peut-être corrigé. Ensuite, par son évidence: A ETE SURPRISE; les Pharisiens font en sorte qu’elle ne puisse se disculper, comme les femmes ont tendance à le faire — Elle voile son visage, disant: je n'ai pas fait le mal 21. Enfin, par l’énormité de la faute: EN FLAGRANT DELIT D’ADULTÈRE, qui est un crime grave et cause de nombreux maux — Toute femme qui commet l’adultère (...) péchera, en premier lieu contre la Loi de son Dieu 22.
[5a] OR DANS LA LOI, MOÏSE
NOUS A COMMANDÉ DE LAPI DER CES FEMMES-LÀ.
1127. Ils allèguent ensuite la
justice de la Loi en disant: DANS LA LOI c’est-à-dire dans le Lévitique et le
Deutéronome 23, MOISE NOUS A COMMANDE
DE LAPIDER CES FEMMES-LÀ. TOI DONC, QUE DIS-TU?
1128. En posant cette question, les Pharisiens s’enquièrent du jugement; l’interrogation est pleine de ruse; c’est comme s’ils disaient: si seulement il ordonnait de la laisser aller, alors il ne respecterait pas la justice. Mais loin de nous la pensée que celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu 24 puisse la condamner — Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour qu’il soit sauvé 25. La Loi même ne pouvait pas décréter ce qui était injuste. Et c’est pourquoi il ne dit pas: "qu’elle soit pardonnée", pour ne pas sembler agir contre la Loi 26.
[6a] OR ILS DISAIENT CELA EN
LE METTANTÀ L’ÉPREUVE POUR POUVOIR L’ACCUSER.
1129. Il s’agit ici de l’intention perverse de ceux qui le mettaient à l’épreuve; ils croyaient en effet que le Christ, pour ne pas perdre sa mansuétude, aurait dit de la laisser aller; et ainsi, ils l’auraient accusé d’être transgresseur de la Loi — Ne tentez pas le Christ, comme ceux-là l’ont tenté 27.
1130. L’Évangéliste poursuit en montrant que le Christ repousse les adversaires par sa sagesse. Les Pharisiens le mettaient à l’épreuve sur deux points: la justice et la miséricorde. Or, dans sa réponse, il préserva l’une et l’autre.
D’abord, il nous est montré comment il préserva la justice [n° 1131]; ensuite, qu’il ne s’écarta pas de la miséricorde [n° 1136].
MAIS JÉSUS, SE BAISSANT, É
CRIVAIT DU DOIGT SUR LA TERRE. COMME DONC ILS PERSISTAIENT À L'INTERROGER, IL
SE REDRESSA ET LEUR DIT: "QUE CELUI D’ENTRE VOUS QUI EST SANS PÉCHÉ LUI
JETTE LE PREMIER UNE PIERRE." ET DE NOUVEAU, SE BAIS SANT, IL ÉCRIVAIT
SUR LA TERRE. MAIS EUX, ENTEN DANT CELA, SORTAIENT L’UN APRÈS L’AUTRE, EN
COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX; ETJÉSUS RESTA SEUL, AVEC LA FEMME SE TENANT AU
MILIEU
-Pour montrer comment le Christ préserva la justice, l’Evangéliste expose d’abord le jugement, puis l’effet de ce jugement [n° 1135].
A propos du jugement lui-même le Christ fait trois choses: il commence par l’écrire, puis il le prononce; enfin il continue à écrire.
MAIS JÉSUS, SE BAISSANT, ÉCRI
VAIT DU DOIGT SUR LA TERRE.
1131. Il écrit donc le jugement sur la terre avec le doigt; selon certains, il écrivait ce qui est écrit au livre de Jérémie: Terre, terre, terre, écoute la parole de Yahvé; inscris cet homme sans enfant... 28. Mais selon d’autres, et cela semble plus juste, il écrivit cela même qu’il a énoncé, à savoir: QUE CELUI D’ENTRE VOUS QUI EST SANS PECHE LUI JETTE LE PREMIER UNE PIERRE. Cependant, ni l’une ni l’autre de ces opinions n’est certaine. Mais il écrivait sur la terre pour trois raisons. D’abord, selon Augustin 29, pour montrer que ceux qui le mettaient à l’épreuve devaient être inscrits dans la terre — Seigneur, que ceux qui s'éloignent de toi soient inscrits dans la terre 30. Au contraire, les justes et les disciples qui le suivent sont inscrits dans les cieux — Réjouissez-vous et exultez parce que vos noms sont inscrits dans les cieux 31. Ensuite, pour montrer qu’il faisait des signes sur la terre: celui qui écrit fait des signes; donc, écrire sur la terre, c’est faire des signes sur elle. C’est pourquoi l’Evangéliste dit SE BAISSANT, par le mystère de l’Incarnation à partir duquel, dans la chair qu’il avait assumée, il fit des miracles. Enfin, parce que l’ancienne Loi était écrite sur des tables de pierre comme on le lit au livre de l’Exode et dans la deuxième épître aux Corinthiens 32, ce qui symbolise sa dureté: Quelqu'un rejetant la Loi de Moïse était impitoyablement mis à mort 33. Au contraire, la terre est meuble. Il écrivait donc SUR LA TERRE pour symboliser la douceur et la souplesse de la nouvelle Loi qui devait être apportée par lui.
A la suite de cela, nous devons être attentifs à trois qualités dans nos jugements. D’abord la bienveillance, en nous mettant proche de ceux qu’il faut corriger: c’est pour cela qu’il dit SE BAISSANT — Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde 34. — Si quelqu’un était pris en faute, vous, les spirituels, redressez-le en esprit de douceur 35. Ensuite, la finesse dans le discernement; c’est pour cela qu’il dit ECRIVAIT DU DOIGT le doigt, en effet, à cause de sa flexibilité, symbolise l’art du discernement — Apparurent des doigts, comme une main d’homme écrivant sur le mur 36. — Ne fais rien sans un jugement préalable 37. Enfin la certitude dans l’énonciation du jugement: c’est pour cela qu’il dit ECRI VAIT 38.
COMME DONC ILS PER SISTAIENTÀ
L’INTERROGER, IL SE REDRESSA ET LEUR DIT: "QUE CELUI D’ENTRE VOUS QUI
EST SANS PÉCHÉ L UI JETTE LE PREMIER UNE PIERRE."
1132. Devant leur insistance, il prononce ici un jugement. Bien qu’étant eux-mêmes des transgresseurs de la Loi, les Pharisiens faisaient tout pour accuser le Christ de transgresser lui-même la Loi, et pour condamner la femme; c’est pourquoi le Christ prononce un jugement en disant: QUE CELUI D’ENTRE VOUS QUI EST SANS PECHE. C’est comme s’il disait: que la pécheresse soit condamnée, mais non par des pécheurs; que la Loi soit accomplie, mais non par des transgresseurs de la Loi, parce que en jugeant un autre, tu te condamnes toi-même 39. Ou bien laissez aller cette femme, ou bien subissez avec elle la peine prévue par la Loi. 40
1133. Ici se pose une question: celui qui juge en étant lui-même en état de péché, pèche-t-il en portant un jugement contre une autre personne qui se trouve coupable du même péché? Il est manifeste que le juge pèche, en scandalisant, s’il prononce un jugement tout en étant publiquement en état de péché; et cela semble également être le cas s’il est secrètement en état de péché: Du fait même que tu juges un autre, tu te condamnes toi-même 41. Or il est évident que personne ne se condamne soi-même, si ce n’est en péchant: il semble donc que l’on pèche en jugeant un autre.
Il convient ici de faire une double distinction. En effet, ou bien celui qui juge persévère dans sa volonté de pécher, ou bien il se repent d’avoir péché. De même, il condamne ou bien en tant que serviteur de la Loi, ou bien en son nom propre.
Certes, s’il se repent d’avoir péché, le péché n’est déjà plus en lui; et ainsi, il peut énoncer un jugement sans commettre aucun péché. Par contre, s’il a toujours la volonté de pécher: ou bien il prononce un jugement en tant que serviteur de la Loi, et alors il ne pèche pas du fait qu’il rend ce jugement (cependant, il pèche du fait qu’il commet des actions pour lesquelles il mérite de subir la même peine [que celle qu’il inflige]); ou bien c’est en son nom propre qu’il rend ce jugement, et alors il pèche en le faisant, parce qu’il n’est pas mû par l’amour de la justice, mais par un mal profondément enraciné; autrement, il punirait d’abord en lui ce qu’il blâme chez les autres: Le juste est le premier à s'accuser lui-même 42.
ET DE NOUVEAU, SE BAISSANT, IL
ÉCRIVAIT SUR LA TERRE.
1134. Il continue à écrire, d’abord pour montrer la sûreté de son jugement — Dieu n'est pas homme pour mentir, ni fils d’homme pour changer 43. Ensuite, pour montrer qu’ils n’étaient pas dignes de son regard. Alors qu’il les avait frappés par zèle 44 pour la justice, il ne jugea pas convenable de leur prêter attention, mais détourna d’eux son regard 45. Enfin, par égard pour la honte qu’ils éprouvaient, leur laissant ainsi la libre possibilité de s’en aller 46.
MAIS EUX, ENTENDANT CELA,
SORTAIENT L’UN APRÈS L'AUTRE, EN COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX; ET JÉSUS RESTA
SEUL, AVEC LA FEMME SE TENANT AU MILIEU
1135. L’effet du jugement est leur trouble; MAIS EUX, ENTENDANT CELA, SORTAIENT L'UN APRES L'AUTRE, EN COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX, soit parce qu’ils étaient embarrassés par de plus graves péchés et parce que leur conscience leur donnait plus de remords — L'iniquité est sortie des anciens d'Israël, des juges qui passaient pour gouverner le peuple 47 —, soit encore parce qu’ils connaissaient mieux l’équité du jugement prononcé — J’irai donc vers les grands et je leur parierai, car ils connaissent, eux, le chemin du Seigneur et le jugement de Dieu 48.
ET JÉSUS RESTA SEUL, AVEC LA FEMME; c’est la miséricorde avec la misère. Il resta seul, parce que seul il était sans péché — Il n'en est pas un qui fasse le bien, pas même un seul 49 sauf le Christ. Et c’est pourquoi la femme fut sans doute terrorisée et croyait qu’il allait la condamner. 50
Mais, s’il resta seul, comment l'Evangéliste peut-il dire AU MILIEU? Il faut dire que la femme se tenait au milieu des disciples, et ainsi, SEUL exclut les étrangers, non les disciples. Ou bien AU MILIEU signifie qu’elle était dans le doute, ne sachant pas si elle serait pardonnée ou condamnée.
Ainsi donc, il est manifeste que le Seigneur, en répondant, respecta la justice.
MAIS JÉSUS, SE REDRESSANT, LUI
DIT: "FEMME, OÙ SONT CEUX QUI T’ACCUSAIENT? PERSONNE NE TA
CONDAMNÉE?" CELLE-CI DIT: "PERSONNE, SEIGNEUR "ALORS
JÉSUS DIT: "MOI NON PLUS JE NE TE CONDAMNERAI PAS. VA, ET DÉSORMAIS NE PÈCHE
PLUS."
1136. L’Évangéliste montre ici que le Seigneur ne s’est pas écarté de la miséricorde; et cela, en rendant un jugement de miséricorde: d’abord il interroge la femme [n° 1137], ensuite il lui pardonne [n° 1138], enfin il l’avertit [n° 1139].
MAIS JÉSUS, SE REDRESSANT, LUI
DIT: "FEMME, OÙ SONT CEUX QUI T’ACCUSAIENT? PERSONNE NE TA
CONDAMNÉE?" CELLE-CI DIT: "PERSONNE, SEIGNEUR"
1137. Il l’interroge au sujet de ses accusateurs; c’est pourquoi l’Evangéliste dit: JESUS, SE REDRESSANT, c’est-à-dire détournant son visage de la terre sur laquelle il écrivait pour se tourner vers la femme, LUI DIT: FEMME, OU SONT CEUX QUI T’ACCUSAIENT? Il fait de même à propos de la condamnation, en demandant: PERSONNE NE TA CONDAMNEE? et celle-ci répond: PERSONNE, SEIGNEUR
ALORS JÉSUS DIT: "MOI
NON PLUS JE NE TE CONDAMNERAI PAS. VA, ET DÉSORMAIS NE PÈCHE PLUS."
1138. Ensuite, Jésus lui pardonne: ALORS JÉSUS DIT: MOI NON PLUS, JE NE TE CONDAMNERAI PAS, moi par qui tu as peut-être craint d’être condamnée, parce que tu n’as pas trouvé de péché en moi 51. Cela n’est pas étonnant, parce que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé 52. — Je ne veux pas la mort du pécheur 53. Il lui pardonne sa faute sans lui infliger d’autre peine, parce que, s’il la justifiait tout entière en lui pardonnant selon la justice de la Loi, il pouvait bien, à plus forte raison, faire que son coeur soit transformé par une contrition suffisante de ses péchés, de telle sorte que toute peine lui soit épargnée.
Cependant il ne faut pas, [sous
prétexte de] suivre l’exemple du Seigneur, tomber dans la routine d’absoudre
quelqu’un sans confession, ou sans lui infliger de peine; le Christ eut en
effet l’excellence dans les sacrements, et put conférer l’effet du sacrement
sans le sacrement lui-même, ce que nul homme ordinaire ne peut faire.
1139. Mais il la met en garde quand il dit: VA, ET DESORMAIS NE PECHE PLUS. Il y avait en effet deux choses dans cette femme: la nature et la faute, et le Seigneur pouvait condamner l’une comme l’autre: la nature, s’il avait ordonné qu’elle soit lapidée; et la faute, s’il ne lui avait pas pardonné. Il pouvait aussi laisser aller l’une comme l’autre, par exemple en lui donnant la liberté de pécher, lui disant VA, vis comme tu veux, sois assurée de mon pardon; pèche tant que tu voudras, je te libérerai même de la géhenne et des bourreaux de l’enfer. Mais le Seigneur, n’aimant pas la faute et ne favorisant pas les péchés, condamne la faute elle-même, non la nature, en disant: DESORMAIS NE PECHE PLUS; pour qu’ainsi il apparaisse que le Seigneur est doux par sa mansuétude, et droit 54 par sa vérité 55.
1140. Après avoir introduit le Christ en train d’enseigner, l’Evangéliste montre ici la puissance illuminative de son enseignement; il expose d’abord la puissance illuminative elle-même [n° 1141], puis il met en lumière ce que le Christ en dit [n° 1146].
DONC,
JÉSUS LEUR PARLA EN DISANT: "MOI JE SUIS LA LUMIÈRE DU MONDE. CELUI QUI
ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TÉNÈBRES, MAIS IL AURA LA LUMIÈRE DE LA
VIE."
A propos de la puissance illuminative elle-même, il pré sente d’abord le privilège de la lumière spirituelle, puis son effet [n° 1144], enfin son fruit [n° 1145].
1141. L’Évangéliste parle du privilège de la lumière spi rituelle comme appartenant au Christ, qui est la lumière: DE NOUVEAU DONC, JESUS LEUR PARLA EN DISANT: MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE. Cela peut d’une certaine manière être rattaché à ce qui a été dit juste avant. En effet, parce qu’il a dit moi non plus je ne te condamnerai pas, la déliant de son péché, il daigne, pour que personne ne puisse douter que lui-même peut pardonner et remettre les péchés, faire voir plus clairement la puissance de sa divinité en disant qu’il est la lumière qui repousse les ténèbres du péché 1.
Cela peut, d’une autre manière, être rattaché
à ce qui a été dit plus haut: Scrute les Ecritures, et vois que de la Galilée
il ne surgit pas de prophète 2. En effet, parce qu’ils le prenaient pour un homme de Galilée, ils
refusaient son enseignement, comme si le Christ était dépendant d’un lieu
déterminé; c’est pourquoi le Seigneur montre qu’il est la lumière universelle
du monde entier, en disant MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE, et non de la
Galilée, ni de la Pales tine, ni de la Judée 3.
1142. Les Manichéens 4 comme le dit Augustin 5, comprenaient cette parole d’une manière fausse. En effet, parce que leur vision était seulement celle des choses sensibles, ils ne supportaient pas de s’étendre aux réalités intellectuelles et spirituelles, et croyaient qu’il n’y a rien dans la nature au-dessus des réalités corporelles 6; c’est pourquoi ils disaient que Dieu est un corps, et une certaine lumière infinie, et ils prétendaient que le Christ Seigneur est le soleil visible aux yeux de la chair; et à cause de cela lui-même a dit: MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE.
Mais cela ne peut tenir, et l’Église catholique condamne une telle fiction. Car le soleil corporel est la lumière que les sens peuvent atteindre, et c’est pourquoi il n’est pas la lumière suprême; mais cette lumière suprême est celle que l’intelligence touche, qui est la lumière spirituelle, propre à la créature spirituelle 7. Le Christ dit ici de cette lumière: MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE. C’est d’elle qu’il avait été dit plus haut: Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 8.
Mais la lumière sensible est une certaine image de cette lumière par excellence, la lumière spirituelle: car tout sensible est pour ainsi dire quelque chose de particulier, et les intelligibles sont en quelque sorte des réalités universelles. Or de même que cette faible lumière particulière a un effet dans la réalité vue en tant qu’elle rend les couleurs visibles en acte, et aussi dans celui qui voit, car par elle l’oeil est amené à la vision, de même, cette lumière spirituelle rend l’intellect connaissant [en acte], parce que tout ce qu’il y a de lumière dans la créature spirituelle est dérivé tout entier de cette lumière suprême elle-même, qui illumine tout homme venant en ce monde 9. De même, elle rend toutes les réalités intelligibles en acte, en tant que proviennent d’elle toutes les formes, qui donnent aux réalités d’être connues, comme toutes les formes des réalités artificielles proviennent de l’art et de la raison de l’artisan — Combien magnifique sont tes oeuvres, Seigneur, tu les fis toutes avec sagesse... 10. Et c’est pour quoi il dit très justement: MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE, non pas le soleil qui a été fait, mais celui par qui il a été fait. Cependant, comme le dit Augustin 11; il est la lumière qui a fait le soleil, apparue sous le soleil, et qui a été cachée sous un voile de chair, non pour être obscurcie mais pour être atténuée.
1143. Par cette parole est aussi repoussée l’hérésie de Nestorius 12, qui dit que le Fils de Dieu était uni à l’homme seulement par inhabitation. Il est clair en effet que celui qui disait MOIJE SUIS LA LUMIERE DUMONDE était homme. Si donc celui qui par lait et semblait être un homme n’avait pas été dans sa personne le Fils de Dieu, il n’aurait pas dit: MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE, mais "en moi habite la lumière du monde". Il était donc, dans la même personne, et homme, et Fils de Dieu, et lumière du monde.
1144. L’effet de cette lumière est de repousser les ténèbres: CELUI QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TENEBRES. Et parce que cette lumière est universelle, elle repousse universellement toutes les ténèbres 13.
Or il y a trois sortes de ténèbres. D’abord
celles de l’ignorance — ils n'ont ni savoir ni intelligence; ils marchent dans
les ténèbres 14. Ces ténèbres sont celles de la raison en elle-même, en tant
qu’elle est voilée par elle-même. Il y a aussi celles de la faute — Autrefois
vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur 15, et ces ténèbres sont celles de la raison humaine non en elle-même,
mais liée à l’appétit, en tant que celui-ci, mal disposé par les passions ou
l’habitude, cherche à atteindre comme un bien quelque chose qui n’est pas
vraiment un bien. Il y a enfin les ténèbres de la damnation éternelle — Jetez
le serviteur inutile dans les ténèbres du dehors 16. Les deux premières sortes de
ténèbres se trouvent en cette vie; quant aux dernières, elles se trouvent au
terme du chemin. Donc, CELUI QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TENEBRES,
c’est-à-dire dans les ténèbres de l’ignorance, car moi je suis la vérité, ni
dans celles de la faute, car moi je suis le chemin, ni dans celles de la dam
nation, car moi je suis la vie 17.
1145. L’Évangéliste poursuit en montrant quel est le fruit de l’enseignement: IL AURA LA LUMIERE DE LA VIE 18; en effet, qui a cette lumière est en dehors des ténèbres de la damnation.
Mais il dit CELUI QUI ME SUIT, parce qu’il est nécessaire à quiconque ne veut pas errer dans les ténèbres de suivre celui qui porte la lumière; ainsi, il faut que quiconque veut être sauvé 19 suive le Christ, qui est la lumière, en croyant en lui et en l’aimant; et c’est ainsi que les Apôtres l’ont suivi — Eux, laissant là leurs filets, le suivirent 20. Mais parce que la lumière sensible peut faire défaut en déclinant, il arrive que celui qui la suit tombe dans les ténèbres. En revanche, cette lumière-là, qui ne connaît pas de déclin 21, ne fait jamais défaut; c’est pourquoi celui qui la suit a la lumière inépuisable, c’est-à-dire la lumière DE LA VIE. En effet, la lumière visible ne donne pas la vie, mais assiste de l’extérieur les opérations de la vie sensible; tandis que cette autre lumière donne la vie, parce que nous vivons en tant que nous avons l’intelligence, qui est une certaine participation de cette lumière par excellence. Or lorsque cette lumière rayonnera parfaitement, nous aurons la vie en plénitude — Auprès de toi est la source de la vie, et dans ta lumière 22; nous verrons la lumière autrement dit: alors nous aurons la vie elle-même en perfection, quand, de notre propre vue, nous verrons la lumière elle-même 23. C’est pourquoi il est dit: La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. 24
Mais notons que cette parole: CELUI QUI ME SUIT se rapporte au mérite, tandis que celle-ci: IL AURA LA LUMIERE DE LA VIE, a trait à la récompense 25.
Les
Pharisiens lui dirent donc: "Tu te rends témoignage à toi-même; ton
témoignage n’est pas vrai. " 14 répondit et leur dit: "Même si moi je
me rends témoignage à moi-même, vrai est mon témoignage, parce que je sais d’où
je suis venu, et oùje vais. Mais vous, vous ne savez pas d’oùje viens, ni où je
vais. 7 vous jugez selon la chair. Moi je ne juge personne. 16 si moi je juge,
mon jugement est vrai, parce que je ne suis as seul; mais [il y a] moi et celui
qui m’a envoyé, le Père. Et dans votre Loi, il est écrit que le témoignage de
deux hommes est vrai. 18 Moi, je me rends témoignage à moi-même, et il me rend
témoignage, celui qui m’a envoyé, le Père. " Ils lui disaient donc:
"Où est-il, ton Père?"Jésus répondit: "Vous ne me connaissez
pas, ni non plus mon Père: Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être
aussi mon Père !" 20 Il prononça ces paroles dans le Trésor, en enseignant
dans le Temple; et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était
pas encore venue.
1146. L’Évangéliste met ensuite en lumière les trois affirmations du Christ à son propre sujet [n° 1165; n° 1270].
La première est MOI JE SUIS LA LUMIÈRE DU MONDE, ce qui troublait les Juifs, et c’est pourquoi l'Evangéliste expose d’abord l’objection des Juifs, puis la réfuta tion de leur objection [n° par le Christ], manifestant la vérité de sa parole [n° 1148].
LES PHARISIENS LUI DIRENT
DONC: "TU TE RENDS TÉMOIGNAGE À TOI-MÊME; TON TÉMOIGNAGE N’EST PAS VRAI.
"JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT: "MÊME SI MOI JE ME RENDS TÉMOIGNAGE À
MOI-MÊME, VRAI EST MON TÉMOIGNAGE, PARCE QUE JE SAIS D’OÙ JE SUIS VENU ET OÙ JE
VAIS. MAIS VOUS, VO US NE SAVEZ PAS D’OÙ JE VIENS NI OÙ JE VAIS. VOUS, VO US
JUGEZ SELON LA CHAIR. MOI JE NE JUGE PERSONNE. ET SI MOI JE JUGE, MON JUGEMENT
EST VRAI, PARCE QUE JE NE SUIS PAS SEUL; MAIS [IL Y A] MOI ET CELUI QUI M’A
ENVOYÉ LE PÈRE. ET DANS VOTRE LOI, IL EST ÉCRIT QUE LE TÉMOIGNAGE DE DEUX
HOMMES EST VRAI. MOI JE ME RENDS TÉMOIGNAGE À MOI-MÊME; ET IL ME REND
TÉMOIGNAGE, CELUI QUI M’A ENVOYE, LE PERE."
1147. En ce qui concerne l’objection des Juifs, il est manifeste que ce qu’il a dit dans le Temple, il l’a dit sous le regard des foules, tandis qu’ici, c’est en présence des Pharisiens. Et c’est pourquoi LES PHARISIENS eux-mêmes lui ont dit: TU TE RENDS TEMOIGNAGE A TOl-MEME; TON TÉMOIGNAGE N’EST PAS VRAI. Autrement dit: du fait même que tu témoignes pour toi-même, ton témoignage n’est pas vrai.
Chez les hommes, il n’est en effet ni bienvenu ni convenable qu’un homme se loue lui-même — Qu’un autre te loue, et non ta propre bouche 1 — ; car on n’est pas rendu recommandable en se louant soi-même, mais seulement si on est recommandé par Dieu — Ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé; c’est celui que le Seigneur recommande 2-, parce que seul Dieu le connaît parfaitement. Or nul ne peut assez recommander Dieu, si ce n’est lui-même, et c’est pourquoi il convient que lui-même rende témoignage à son propre sujet, et même au sujet des hommes — Voici dans le ciel mon témoin 3. Et c’est pourquoi les Juifs étaient surpris.
1148. Le Seigneur repousse d’abord leur objection par l’autorité du Père, puis écarte l’objection apparue au sujet du Père [n° 1158].
Or l’objection des Juifs était apparue à la suite d’un certain raisonnement. C’est pourquoi il montre tout d’abord que leur raisonnement ne tient pas, puis il prouve que son témoignage est vrai [n° 1151].
Pour montrer que leur raisonnement ne tient pas, il en montre d’abord la fausseté [n° 1149], puis il ajoute la cause de leur erreur [n° 1150].
[4a] JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR
DIT: "MÊME SI MOI JE ME RENDS TÉMOIGNAGE À MOI-MÊME, VRAI EST MON
TÉMOIGNAGE, PARCE QUE JE SAIS D'OÙ JE SUIS VENU, ET OÙ JE VAIS."
1149. Leur raisonnement était celui-ci: du fait que le Christ se rendait témoignage à lui-même, son témoignage n’était pas vrai. Mais le Seigneur dit le contraire, à savoir que c’est pour cela qu’il est vrai. JESUS REPONDIT ET LEUR DIT: MEME SI MOI JE ME RENDS TEMOIGNAGE A MOI-MEME, VRAI EST MON TEMOIGNAGE, et ceci parce que JE SAIS D’OÙ JE SUIS VENU, ET OU JE VAIS. C’est comme s’il disait, selon Chrysostome 4: parce que je suis de Dieu, je suis Dieu, et je suis le Fils de Dieu. Mais Dieu est véridique, comme il est écrit 5.
Il dit: JE SAIS D’OÙ JE SUIS VENU, c’est-à-dire je con nais mon principe, ET OU JE VAIS, c’est-à-dire vers le Père, que nul ne peut parfaitement connaître, si ce n’est le Fils de Dieu — Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler 6. Mais il faut noter que quiconque sait, par la volonté aimante et l’intelligence, d’où il vient et où il va, ne peut rien dire d’autre que le vrai, car il vient de Dieu et va à Dieu; or Dieu est vérité: combien plus donc le Fils de Dieu, qui sait parfaitement d’où il vient et où il va, dit-il le vrai.
MAIS VOUS, VOUS NE SAVEZ PAS
D’OÙ JE VIENS, NI OÙ JE VAIS. VOUS, VOUS JUGEZ SELON LA CHAIR.
1150. Le Christ montre ici la cause de leur erreur, qui est l’ignorance de sa divinité. En effet, parce qu’ils ignoraient sa divinité, ils jugeaient de lui selon son humanité. Il y avait ainsi en eux une double cause d’erreur: d’une part ils ne connaissaient pas sa divinité, d’autre part ils jugeaient de lui seulement selon son humanité. C’est pourquoi il dit de la première: VOUS NE SAVEZ PAS D’OÙ JE VIENS, c’est-à-dire vous ne savez pas mon éternelle procession du Père, NI OU JE VAIS — Il est véridique, celui qui m’a envoyé et vous ne le connaissez pas 7. — D'où vient donc la sagesse? 8 — Qui racontera sa génération? 9
En ce qui concerne la seconde cause d’erreur, il dit: VOUS JUGEZ SELON LA CHAIR, c’est-à-dire vous jugez de moi en estimant que je suis seulement chair et non pas Dieu. Ou bien SELON LA CHAIR au sens de: mal et injustement. En effet, de même que vivre selon la chair est mal vivre, de même juger selon la chair est juger injustement 10.
15h-MOI JE NE JUGE PERSONNE.
ET SI MOI JE JUGE, MON JUGEMENT EST VRAI, PARCE QUE JE NE SUIS PAS SEUL; MAIS
IL Y A MOI ET CELUI QUI M’A ENVOYÉ LE PÈRE.
1151. Il montre ici que son témoignage est vrai, et qu’il est faux [de dire] que lui seul se rend témoignage. Et parce qu’il a été fait mention du jugement, il montre d’abord qu’il n’est pas seul à juger, puisqu’il n’est pas seul à rendre témoignage [n° 1155].
Pour montrer qu’il n’est pas seul à juger, il montre d’abord comment le jugement est différé [n° 1152]; puis il expose la vérité de ce jugement [n° 1153] et la raison de sa vérité [n° 1154].
MOIJE NE JUGE PERSONNE.
1152. Il expose ici le report du jugement; c’est comme s’il disait: vous me jugez mal, mais MOI JE NE JUGE PERSONNE, car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui 11. — II ne brisera pas le roseau froissé 12. Ou bien JE NE JUGE PERSONNE, c’est-à-dire selon la chair, comme vous, vous jugez — Il ne jugera pas selon ce que voient ses yeux, ni n'accusera selon ce qu'entendent ses oreilles 13.
ET SI MOI JE JUGE, MON
JUGEMENT EST VRAI.
1153. Cependant un jour je jugerai, parce que le Père a remis tout jugement au Fils 14. Et alors, MON JUGEMENT EST VRAI, c’est-à-dire juste: il jugera dans l’équité l’ensemble de la terre 15. Nous savons que le jugement de Dieu s'exerce selon la vérité 16. En cela est montrée la vérité du jugement.
PARCE QUEJE NE SUIS PAS SEUL;
MAIS [IL Y A] MOI ET CELUI QUI M’A ENVOYE LE PÈRE.
1154. Il montre enfin la raison de la vérité du jugement lorsqu’il dit: PARCE QUE JE NE SUIS PAS SEUL. Mais ce qu’il dit plus haut — Le Père ne juge personne 17 — doit être compris du Père séparément du Fils, ou bien de ce que le Père n’apparaîtra pas visiblement à tous lors du jugement; et c’est pourquoi il dit JE NE SUIS PAS SEUL, parce que je ne suis pas abandonné par lui; mais je suis en même temps que lui — Je suis dans le Père, et le Père est en moi 18.
Cette parole exclut l’erreur de Sabellius pour qui le Père et le Fils sont une seule personne et ne diffèrent que par le nom. Si cela était, le Christ n’aurait pas dit JE NE SUIS PAS SEUL, MAIS MOI ET CELUI QUI M’A ENVOYÉ; il aurait dit: Je suis le Père, et moi, le même, je suis le Fils. Distinguons donc les personnes, et connaissons le Fils autre que le Père 19.
ET DANS VOTRE LOI, IL EST
ÉCRIT QUE LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI. MOI, JE ME RENDS TÉMOIGNAGE À
MOI-MÊME, ET IL ME REND TÉMOIGNAGE, CELUI QUI M’A ENVOYÉ, LE PÈRE.
1155. Le Christ montre ici qu’il
n’est pas seul à rendre témoignage; cependant il ne diffère pas le témoignage,
comme il l’a fait pour le jugement. . C’est pourquoi il ne dit pas: "Je
ne rends pas témoignage". Il expose d’abord la Loi [n° 1156],
puis il conclut ce qu’il a mis en évidence [n° 1157].
1156. Il dit donc: DANS VOTRE LOI, c’est-à-dire celle qui vous a été donnée — Moïse donna une Loi 20. IL EST ECRIT QUE LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI; c’est en effet ce que dit ce texte: C’est de la bouche de deux ou trois témoins que toute parole sera établie 21.
Mais selon Augustin 22, le fait qu’il dise LE TEMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI pose une question importante. Il peut en effet arriver que les deux mentent. En effet, la chaste Suzanne était accablée par deux faux témoins, comme on le voit au livre de Daniel 23. Et c’est l’en semble du peuple qui mentit contre le Christ.
Je réponds: il faut comprendre ce qu’il dit — LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI de ce qui doit être tenu pour un jugement vrai. La raison en est que dans les actes humains, on ne peut pas avoir de certitude totale; et c’est pourquoi on reçoit comme pouvant avoir un caractère plus certain ce qui vient d’une multitude de témoins: il est en effet beaucoup moins probable que plusieurs mentent, plutôt qu’un seul — Un fil triple est difficilement rompu 24.
Néanmoins, ce que dit le Deutéronome — C’est de la bouche de deux ou trois témoins que toute parole sera établie — nous ramène, selon Augustin 25, à la considération de la Trinité, en laquelle se trouve la stabilité perpétuelle de la vérité, d’où provient toute vérité. Mais il dit deux ou trois parce que, dans l’Ecriture Sainte, tantôt trois personnes sont énumérées, tantôt deux, avec lesquelles doit être compris le Saint Esprit, qui est le lien des deux autres 26.
1157. Si donc le témoignage de deux ou trois est vrai, mon témoignage est vrai, parce que MOI, JE ME RENDS TEMOIGNAGE A MOI-MEME, ET IL ME REND TEMOIGNAGE, CEL UI QUI M’A ENVOYE, LE PERE — Moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean 27.
Mais cela ne semble pas correspondre à ce qui est mis en évidence. D’abord parce que, certes, le Père du Fils de Dieu n’est pas un homme; et cependant, le Christ dit: LE TEMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI. Ensuite, parce qu’on parle de deux témoins de quelqu’un quand ils témoignent au sujet d’un troisième. Mais si l’un des deux témoigne à son propre sujet, il n’y a pas deux témoins. Donc, quand le Christ se rend lui-même témoignage, et pareillement quand le Père témoigne du Christ, il semble qu’il n’y ait pas deux témoins.
Il faut dire que le Christ, [en citant ce] passage,
argumente ici à partir de quelque chose de moindre. Il est manifeste en effet
que la vérité de Dieu est plus grande que celle de l’homme. Si donc on croit le
témoignage des hommes, combien plus faut-il croire le témoignage de Dieu — Si
nous recevons le témoignage des hommes, celui de Dieu est plus grand 28. De plus, il dit cela pour montrer qu’il est consubstantiel au Père
et n’a pas besoin d’un témoignage étranger, comme le dit Chrysostome 29.
1158. Le Christ écarte ensuite la question soulevée au sujet du Père [n° 1148].
ILS
LUI DISAIENT DONC: "OÙ EST-IL, TON PÈRE?" JÉSUS RÉPONDIT: "VOUS
NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PÈRE: SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS
CONNAÎTRIEZ PEUT-ÊTRE AUSSI MON PÈRE!" JÉSUS PRONONÇA CES PAROLES DANS
LE TRÉSOR, EN ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE; ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE
QUE SON HEURE N’ÉTAIT PAS ENCORE VENUE.
L’Évangéliste expose d’abord la question des
Juifs [n° 1159], puis la réponse du Christ [n° 1160]; enfin, il montre la
sécurité dont jouit le Christ en répondant [n° 1163].
1159. La question posée au Christ par les Juifs au sujet du Père était de savoir où il se trouvait: OU EST-IL, TON PERE? Ils croyaient en effet que le Christ avait pour père un homme, comme eux-mêmes en ont un; et parce qu’ils l’avaient entendu dire JE NE SUIS PAS SEUL; MAIS [IL Y A] MOI ET CELUI QUI M’A ENVOYE, LE PERE, alors qu’ils le voyaient seul, ils disent: OU EST-IL, TON PERE? 30 Ou bien il faut dire qu’ils parlent ici avec une certaine ironie, et en l’outrageant, comme s’ils disaient: Pourquoi nous mets-tu souvent ton père en scène? Est-il d’une telle puissance qu’il faille croire grâce à son témoignage? Il est en effet inconnu et de basse naissance. Ils comprenaient cette parole comme se rapportant à Joseph. Cependant, ils n’en ignoraient pas moins le Père — Pourquoi les nations diraient-elles: où donc est leur Dieu? 31
1160. Mais la réponse du Christ est voilée: JÉSUS REFONDIT: "VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PERE. "En effet, parce qu’ils l’interrogeaient non par souci d’apprendre mais avec une mauvaise intention, le Christ ne leur dévoile pas la vérité; mais il montre d’abord leur ignorance, puis il montre comment ils pour raient parvenir à la connaissance de la vérité [n° 1162].
Il montre leur ignorance totale en disant: VO US NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PERE, autrement dit: vous ne demandez rien au sujet du Père, parce que vous ne me connaissez pas. En effet, puisque vous estimez que je suis un homme, vous cherchez à connaître en mon Père un homme; mais parce que vous ne me reconnaissez pas, vous ne pouvez pas non plus connaître le Père 32.
1161. Cependant il a dit plus haut: Et vous me connaissez, et vous savez d’où je suis 33. Mais il faut dire qu’ils le connaissaient selon Son humanité, mais non selon sa divinité.
Il faut savoir, selon Origène 34, que certains, trouvant dans cette parole l’occasion d’une erreur, dirent que le Père du Christ n’était pas le Dieu de l’Ancien Testament; car lui, les Juifs le connaissaient, selon cette parole: Dieu est connu en Judée 35.
On peut donner à cela quatre réponses. D’abord, le Seigneur dit que les Juifs ignorent le Père parce qu’ils se conduisent à la manière de ceux qui ne le connaissent pas, dans la mesure où ils ne gardent pas ses commandements. Et cette réponse a trait à l’action. Deuxièmement, ils sont dits ignorer Dieu parce qu’ils n’adhèrent pas à lui spirituellement par l’amour: en effet, celui qui cherche à connaître quelque chose s’y tient attaché. En troisième lieu, parce que bien qu’ils le connussent par la foi, ils n’en avaient cependant pas une pleine connaissance 36 — Dieu, personne ne l’a jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître 37. Enfin, parce que dans l’Ancien Testament, le Père s’est fait connaître en tant que Dieu tout-puissant — Moi, je leur suis apparu comme Dieu tout-puissant 38 — et non en tant que Père 39; c’est pourquoi, bien qu’ils le connussent comme Dieu tout-puissant, ils ne le connaissaient cependant pas comme Père du Fils consubstantiel 40.
1162. Il dit [ensuite] qu’il est la voie pour parvenir à la connaissance du Père: SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE! Autrement dit: parce que moi, caché, je vous parle de mon Père qui est caché, la première chose est que vous connaissiez, et alors VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE! 41. Car le Fils est la voie de la connaissance de ce qui appartient au Père: Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père 42. En effet, selon Augustin 43, qu’est-ce que la parole SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE, si ce n’est: le Père et moi, nous sommes un 44. Il est courant de dire, quand on voit quel qu’un qui est semblable à un autre: qui voit celui-ci voit l’autre; non cependant que le Père soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au Père.
En outre, il dit PEUT-ETRE pour exprimer non un doute, mais un reproche; comme si tu t’indignais contre ton serviteur et lui disais: "Tu me tiens pour rien? Considère que je suis peut-être ton maître !" 45
JÉSUS
PRONONÇA CES PAROLES DANS LE TRÉSOR EN ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE; ETPERSONNE NE
SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N'EST PAS ENCORE VENUE.
1163. L’Évangéliste montre ici la sécurité dont jouit le Christ en répondant aux Juifs. D’abord à cause du lieu dans lequel il enseignait, parce que c’était dans la salle du Trésor et dans le Temple. "Gaza" est un mot persan qui signifie "richesses", et "phylaxe" signifie "conserver": donc, gazophylacium 46 est la même chose que "conservation des richesses" 47. Parfois, gazophylacium est employé dans l’Ecriture pour désigner le coffre où l’on conserve les richesses. Et c’est dans ce sens qu’il faut le prendre au deuxième livre des Rois: Joïada le prêtre reprit un coffre, perça un trou dans le couvercle et le posa à côté de l’autel, à droite en entrant dans la Maison du Seigneur, et les prêtres gardiens du seuil y mettaient tout l’argent qu'on apportait à la Maison du Seigneur 48. Mais parfois, ce terme est employé pour désigner la maison où l’on con serve les richesses, et c’est en ce sens qu’il est employé ici.
Ensuite, à cause du fait que ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de lui ne purent le faire, parce que lui-même ne le voulait pas: ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SONHEUREN VENUE, l’heure à laquelle il devait souffrir; une heure non pas fixée par le destin, mais réservée d’avance, depuis toute éternité, par sa propre volonté. C’est pourquoi Augustin dit: "SON HEURE N’ETAIT PAS ENCORE VENUE, non pas celle où il serait contraint de mourir, mais celle à laquelle il jugerait bon d’être mis à mort" 49.
1164. Mais il faut remarquer, avec Origène 50 que chaque fois qu’on désigne un lieu où le Seigneur a fait quelque chose, c’est pour introduire au mystère. Le Christ a donc enseigné dans le Trésor, qui est le lieu des richesses, pour faire comprendre que les monnaies, qui sont les paroles de son enseignement, sont frappées à l’effigie du grand roi. Il faut encore remarquer que lorsqu’il enseignait, PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, parce que ses paroles étaient plus fortes que ceux qui voulaient se saisir de lui: mais quand il voulut être crucifié, il se tut 51.
21
Jésus leur dit donc de nouveau: "Moi je m’en vais, et vous me chercherez
et vous mourrez dans votre péché. Là où moi je vais, vous, vous ne pouvez
venir. " Les Juifs disaient donc: "Va-t-il donc se tuer, pour qu’il
dise: 'Là où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir’?" 2 Et il leur
disait: "Vous, vous êtes d’en bas, moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes
de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde. 24 vous ai donc dit que vous mourrez
dans vos péchés. Si en effet vous ne croyez pas que moi je suis, vous mourrez
dans votre péché. " Ils lui disaient donc: "Toi, qui
es-tu?"Jésus leur dit: "Le principe, moi qui vous parle. 2 beaucoup à
dire sur vous, et à juger; mais celui qui m’a envoyé est véridique. Moi, ce que
j’ai entendu de lui, c’est ce que je dis dans le monde. " Et ils ne
connurent pas qu’il parlait de son Père, Dieu. 28 leur dit donc: "Quand
vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que Moi je Suis, et
que de moi-même je ne fais rien; mais comme le Père m’a enseigné, c’est cela
que je dis. 29 Et celui qui m’a envoyé est avec moi, et il ne m’a pas laissé
seul parce que moi, ce qui lui plaît, je le fais toujours. " 30 Comme il
disait cela, beaucoup crurent en lui.
1165. Après avoir manifesté à son sujet le privilège de la lumière [n° 1146], le Seigneur manifeste ici l’effet de la lumière, qui est de libérer des ténèbres.
Il montre d’abord qu’eux-mêmes sont retenus dans les ténèbres, puis il enseigne le remède par lequel ils pourraient en être libérés [n° 1172].
I
JÉSUS
LEUR DIT DONC DE NOUVEAU: "MOI JE M’EN VAIS, ET VOUS ME CHERCHEREZ, ET
VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ. LÀ OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ
VENIR"
D’abord le Seigneur prédit son départ [n° 1166]; il montre ensuite le zèle pervers des Juifs [n° 1167], et enfin leur perdition [n° 1168].
MOI JE M’EN VAIS
1166. Le Seigneur dit ici que son départ se fera par la mort, par où il donne deux choses à entendre: d’abord, qu’il meurt volontairement, c’est-à-dire comme allant de lui-même, et non conduit par un autre — Je vais vers celui qui m’a envoyé 1. — Personne ne m’enlève la vie, mais je la dépose de moi-même 2. Ce passage se rattache donc à juste titre à ce qui pré cède. L’Evangéliste a dit en effet: Personne ne se saisit de lui. Et pourquoi? Parce qu’il s’en va de lui-même, c’est-à-dire volontairement. Ensuite, il montre que sa mort était une sorte de départ vers le lieu d’où il était venu et d’où il ne s’était pas éloigné 3: en effet, de même qu’on passe de quel que part pour aller plus loin, ainsi le Christ, par la mort, est parvenu à la gloire de l’exaltation — Il s'est fait obéissant jus qu'à la mort, et la mort de la croix; c’est pourquoi Dieu l’a exalté… 4 Jésus, sachant (...) qu’il est sorti de Dieu et qu’il s'en va vers Dieu... 5
1167. Le zèle pervers des Juifs
est montré dans leur recherche mensongère du Christ: VOUS ME CHERCHEREZ.
Certains en effet cherchent le Christ avec piété 6 et par amour, et cette recherche
est source de vie — Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra 7. Mais ceux-là le cherchent d’une manière impie, par haine, pour le
persécuter — ils me faisaient violence, ceux qui recherchaient mon âme 8. Et aussi, il dit VOUS ME CHERCHEREZ, c’est-à-dire en me poursuivant
après ma mort dans ma réputation: Nous nous sommes souvenus que ce séducteur a
dit, alors qu'il vivait encore: Après trois jours je ressusciterai 9; et de même dans mes membres: Saul, Sau4 pourquoi me persécutes-tu? 10
1168. Et la mort résulte de
cette recherche-là; c’est pourquoi il expose ensuite quelle est leur perdition;
il la leur annonce en disant ET VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE. Il annonce
d’abord la perdition qui consiste à être condamné à mourir [n° 1169],
puis celle qui consiste à être exclu de la gloire [n° 1170].
1169. Il leur dit donc: Parce que vous me cherchez d’une manière fausse, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ c’est-à-dire en y demeurant jusqu’au bout 11. Ce qui peut être compris d’une première façon, comme s’agissant de la mort corporelle; et ainsi meurt dans ses péchés celui qui y persévère jusqu’à sa mort. Ainsi, en disant VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES, il met en évidence leur obstination — Il n'en est pas qui se repente de son péché en disant: qu’ai-je fait? 12 — ils sont descendus aux enfers avec leurs armes 13.
Cela peut aussi être compris comme s’agissant de la mort du péché, dont il est dit: La mort des pécheurs est très mauvaise 14. Et de même que la maladie précède la mort corporelle, de même une certaine maladie précède cette mort-là. En effet, aussi longtemps que le péché est guérissable, alors il est comme une maladie — Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade 15. Mais lorsqu’on ne peut plus y remédier, soit de manière absolue, comme après cette vie, soit à cause du péché lui-même, le péché contre l’Esprit Saint, alors il cause la mort: Il y a un péché qui conduit à la mort 16. Et en ce sens, le Seigneur leur annonce que la maladie de leur péché conduit à la mort 17.
[lb]
LÀ OÙ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.
1170. Il montre ici la perdition qui consiste à être exclu de la gloire. Le Seigneur s’en va, et eux aussi s’en vont par la mort; mais le Seigneur s’en va sans péché, eux par contre avec leurs péchés, parce qu’ils meurent dans leur péché, et c’est pourquoi ils ne parviennent pas à la vision dela gloire qui appartient au Père. C’est pourquoi il dit: LA OU MOI JE VAIS de mon propre mouvement par ma Passion, c’est-à-dire vers le Père et vers sa gloire, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, parce que vous ne le voulez pas. En effet, s’ils l’avaient voulu, et qu’ils ne l’aient pas pu, il ne leur dirait pas avec raison VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES 18.
1171. Il y a deux raisons pour lesquelles on peut être dans l’impossibilité d’aller là où va le Christ.
Une raison d’opposition, et tel est l’état d’impossibilité des pécheurs: c’est de cela qu’on parle ici. Pour cela, il dit d’une manière absolue à ceux qui persévèrent dans leur péché: LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR — L'orgueilleux n'habitera pas au milieu de ma maison 19— On l’appellera la voie sainte, et nul impie n'y passera 20— Qui séjournera sous ta tente? 21 Qui se tiendra dans son lieu saint? L'homme aux mains innocentes, au coeur pur 22.
Une raison d’imperfection, ou d’opposition virtuelle, et tel est l’état d’impossibilité des justes, aussi longtemps qu’ils sont dans leur corps — Aussi longtemps que nous sommes dans un corps, nous cheminons loin du Seigneur 23. Et à ces hommes, le Seigneur ne dit pas d’une manière absolue LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, mais il ajoute une détermination dans le temps: Là où je vais, vous ne pouvez me suivre pour le moment 24.
II
1172. L’Évangéliste parle ensuite du remède par lequel les Juifs pourraient être libérés des ténèbres. En premier lieu, il expose le remède nécessaire pour échapper aux ténèbres, puis il en montre l’efficacité [n° 1194].
Pour montrer quel est l’unique remède qui doit les tirer des ténèbres, il expose l’occasion des paroles du Christ [n° 1173], puis les paroles qui sont cause de l’action du remède en eux [n° 1174].
Ensuite, l’Evangéliste montrera les raisons de prendre jusqu’au bout ce remède [n° 1180] et annoncera enfin le moyen d’y parvenir [n° 1190].
LES
JUIFS DISAIENT DONC: "VA-T-IL DONC SE TUER, POUR QU’IL DISE: lÀ OÙ
MOIJE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR?" ET IL LEUR DISAIT: "VOUS,
VOUS ÊTES D'EN BAS, MOI, JE SUIS D'EN HAUT VOUS, VOUS ÊTES DE CE MONDE, MOI JE
NE SUIS PAS DE CE MONDE. JE VOUS AI DONC DIT QUE VOUS MOURREZ DANS VOS PÉCHÉS.
SI EN EFFET VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE
PÉCHÉ."
1173. L’occasion des paroles du Christ se fonde sur la personne ou l’intelligence des Juifs. En effet, comme ils étaient soumis à la chair, ils comprenaient les paroles du Seigneur: LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, en fonction de leurs préoccupations terrestres — L’homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 25. C’est pour cela que les Juifs disent VA-T-IL DONC SE TUER, ce qui est assurément, selon Augustin 26, une opinion insensée. En effet, pouvaient-ils venir là où le Christ s’en allait s’il s’était tué lui-même? Ils le pouvaient certes, en se donnant eux-mêmes la mort. Ainsi donc, la mort n’était pas le terme vers lequel le Christ s’en allait, mais le chemin par lequel il allait vers le Père. C’est pourquoi le Christ ne dit pas qu’il leur serait impossible d’aller à la mort, mais que par la mort il leur serait impossible d’aller là où, par elle, lui serait exalté, c’est-à-dire à la droite de Dieu.
Mais, selon Origène 27, les Juifs ne disent peut-être pas cela sans raison. Ils savaient en effet, d’après les traditions, que le Christ devait mourir volontairement, comme il l’a dit lui-même: Personne ne m’enlève la vie, mais je la dépose de moi-même 28. Les Juifs tenaient cela tout particulièrement d’Isaïe: Pour celui qui a livré son me à la mort, je donnerai beaucoup et il partagera le butin des puissants 29. Donc, parce qu’ils se doutaient bien que jésus était le Christ, lorsque celui-ci eut dit: MOI JE M’EN VAIS, ils avancèrent cette opinion, selon laquelle il se livrerait volontairement à la mort. Mais ils le font d’une manière outrageuse, en disant: VA-T-IL DONC SE TUER? Sinon, ils auraient dit: son âme va-t-elle donc s’échapper en abandonnant son corps, quand il lui plaira, ce que nous, nous ne pouvons pas faire? Et c’est pour cela qu’il dit: LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.
1174. Le Christ [poursuit en] exposant quel est le remède qui doit les libérer des ténèbres; il invoque d’abord son origine, et la leur [n° 1175]; puis il en tire les conclusions pour son propos [n° 1177].
ET
IL LEUR DISAIT: VOUS, VOUS ÊTES D’EN BAS, MOI, JE SUIS D’EN HAUT VOUS, VOUS
ÊTES DE CE MONDE, MOI JE NE SUIS PAS DE CE MONDE.
1175. Il distingue son origine
de la leur de deux manières. D’abord, lui-même est d’en haut, alors que ceux-là
sont d’en bas. Ensuite, ceux-là sont de ce monde, dont le Christ n’est pas.
Comme le dit Origène 30, autre chose est d’être
d’en bas, autre chose d’être de ce monde; car en haut et en bas sont des
différences dans l’ordre du lieu. Donc, de peur que par "en haut",
ils n’entendent qu’il est d’une partie supérieure de ce monde, le Christ dit
qu’il n’est pas de ce monde. Cela revient à dire: je suis d’en haut, d’une
façon telle que je suis totalement au-delà de ce monde.
1176. Certes, il est manifeste qu’eux sont de ce monde et d’en bas. Par contre, que le Christ soit d’en haut, et non de ce monde, il faut bien comprendre en quel sens.
En effet certains, comme les Manichéens 31, émettant la théorie selon laquelle toutes les réalités visibles sont créées par le diable, dirent que le Christ, même quant à son corps, n’est pas de ce monde visible, mais du monde d’une autre création, le monde invisible. Valentin 32 aussi, prenant cette parole d’une manière erronée, a dit que le Christ avait assumé un corps céleste. Mais ici il est clair que cela n’est pas la vraie compréhension, parce que le Seigneur dit aux Apôtres eux-mêmes: Vous n’êtes pas de ce monde 33. Il faut donc dire que cette parole peut être entendue du Christ en tant que Fils de Dieu, et en tant qu’homme 34. En effet le Christ, en tant que Fils de Dieu, est d’EN HAUT: Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde 35. Et de cette manière, il n’est pas de ce monde sensible, qui est celui des réalités sensibles; mais il est du monde spirituel, qui est dans la pensée de Dieu, parce qu’il est lui-même le Verbe de Dieu, en tant qu’il est la sagesse souveraine. En effet tout a été créé dans la sagesse 36; c’est pourquoi il est dit du Christ: Le monde a été fait par lui 37.
En tant qu’il est homme, le Christ est d’en haut parce qu’il n’était pas attiré vers les choses de ce monde et les réalités les plus basses, mais vers celles d’en haut, dans lesquelles son âme demeurait — Notre conversation est dans les cieux. — Là où est ton trésor, là aussi est ton coeur 39. Au contraire ceux qui sont d’en bas ont l’origine la plus basse, et sont de ce monde parce qu’ils attachent leur coeur aux réalités terrestres — Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre 40.
JE
VOUS AI DONC DIT QUE VOUS MOURREZ DANS VOS PÉCHÉS. SI EN EFFET VOUS NE CROYEZ
PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ.
1177. Le
Christ conclut ici son propos: il explicite d’abord ce qu’il a dit au sujet de
leur perdition [n° 1178], puis il leur montre le remède [n° 1179].
1178. Il faut savoir, à propos du premier point, que toute chose, dans son développement, suit la condition de son origine; ainsi les réalités qui ont une origine inférieure, si elles sont laissées à elles-mêmes, tendent naturellement vers le bas. Et rien ne tend naturellement vers le haut, si ce n’est ce qui a son origine en haut — Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel 41. Le Seigneur dit donc: Voici la raison pour laquelle LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR: comme vous êtes d’en bas, par vous-mêmes vous ne pouvez que tomber; ce que j’ai dit: VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES, est donc vrai, à moins que vous n’adhériez à moi.
1179. Pour ne pas exclure totalement l’espérance du salut 42, le Christ expose quel est le remède en disant: SI EN EFFET VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE; autrement dit: vous êtes nés dans le péché originel, dont vous ne pouvez être purifiés si ce n’est par la foi en moi, parce que SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ. Et il dit SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, et non pas "si vous ne croyez pas ce que je suis", pour rappeler ce qui a été dit à Moïse: Je suis celui qui suis 43; car être soi-même son être est le propre de Dieu. En effet, dans toute autre nature que la nature divine, l’être diffère de ce qui est, puisque toute nature créée participe son être de celui qui est "ce qui existe par sa propre essence", c’est-à-dire de Dieu lui-même, qui est à lui-même son être, de telle manière que son essence est son être. C’est pourquoi lui seul se dénomme par l’être C’est pour cela que le Christ dit SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, c’est-à-dire que je suis vraiment Dieu, qui a l’être par essence, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE.
II dit aussi QUE MOI JE SUIS pour montrer son éternité. En effet, dans toutes les réalités qui commencent, il y a une capacité de changement et une puissance au non-être, et par conséquent un passé et un futur: et pour cela, il n’y a pas en elles l’être véritable, c’est-à-dire par soi Mais en Dieu, il n’y a aucune puissance au non-être, ni un être qui commence, et c’est pourquoi il est à soi-même son être, ce qui est désigné proprement par le temps présent 46.
ILS
LUI DISAIENT DONC: "TOI, QUI ES-TU?" JÉSUS LEUR DIT: "LE
PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE. J’AI BEAUCOUP À DIRE SUR VOUS, ET À JUGER; MAIS
CELUI QUI M’A ENVOYÉ EST VÉRIDIQUE: MOI, CE QUE J’AI ENTENDU DE LUI, C’EST CE
QUE JE DIS DANS LE MONDE." ET ILS NE CONNURENT PAS QU’IL PARLAIT DE
SON PÈRE, DIEU.
1180. Ici, l’Évangéliste donne
les raisons conduisant à la foi; il expose d’abord l’interrogation des Juifs [n° 1181],
puis la réponse du Christ [n°
1182]; enfin, il montre l’aveuglement de leur
intelligence [n° 1189].
1181. Parce que le Seigneur leur
avait dit: SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, il restait encore à demander
qui il était; aussi lui disaient-ils TOI, QUI ES-TU? — Le pauvre a parlé et ils
disent: qui es-tu? 47 Autrement dit: d’où es-tu, pour que nous devions te croire?
1182. Et lorsqu’il dit: LE PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE 48, le Christ répond à leur interrogation en les amenant à croire; d’abord par la sublimité de sa nature [n° 1183], ensuite par son autorité en matière de justice [n° 1185], enfin par la vérité du Père [n° 1187].
1183. Certes, la sublimité de sa nature les conduit à [n° croire au Christ, car lui-même est le principe. En latin, le mot principium est du genre neutre: il y a donc un doute pour savoir, s’il est ici au nominatif ou à l’accusatif Mais en grec, ce mot est du genre féminin, et à cet endroit, il est à l’accusatif. C’est pourquoi, selon Augustin 49, il ne faut pas lire "Je suis principe", mais "Croyez-moi principe", pour ne pas mourir dans vos péchés.
Le Père aussi est dit principe. Certes, d’une première manière, le nom de principe est commun au Père et au Fils, en tant qu’ils sont un seul principe du Saint-Esprit par la spiration 50; et les trois personnes sont en même temps, par la création, principe des créatures. D’une autre manière, le nom de principe est propre au Père, en tant que le Père est principe du Fils par la génération éternelle. Cependant, nous ne disons pas qu’il y a plusieurs principes, de même que nous ne disons pas non plus qu’il y a plusieurs dieux — A toi le principe au jour de ta puissance 51. Ici, le Seigneur dit qu’il est principe par rapport à l’ensemble de la création: car ce qui est quelque chose par essence est principe et cause des réalités qui le sont par participation. Or lui-même est par essence, comme nous l’avons dit 52.
Mais parce que le Christ n’a pas seulement en lui la nature divine, mais aussi la nature humaine, il ajoute: MOI QUI VOUS PARLE. En effet, l’homme ne peut supporter directement la voix de Dieu, parce que, selon Augustin "les coeurs faibles ne peuvent entendre un verbe spirituel sans une voix sensible" 53. C’est pourquoi il est dit: Qui est l’homme, pour entendre la voix du Seigneur son Dieu? 54 Donc, pour que nous l’entendions directement, le Verbe divin a assumé la chair, comme instrument pour nous parler; c’est pourquoi il dit: MOI QUI VOUS PARLE, c’est-à-dire moi qui, m’étant fait humble à cause de vous, suis descendu jusqu’à vos pauvres paroles — Après avoir à bien des reprises et de bien des manières parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 55.— Le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître 56, à vous.
1184. Ou bien, d’une autre
manière, selon Chrysostome 57, il dit LE PRINCIPE
afin de blâmer la lenteur d’esprit des Juifs. Car, encore endurcis après les
nombreux signes qu’ils l’avaient vu accomplir, ils demandent au Seigneur: TOI,
QUI ES-TU? Et c’est pourquoi Jésus répond MOI JE SUIS LE PRINCIPE, moi qui vous
ai parlé dès le commencement (a principio); autrement dit: vous n’avez pas
besoin de continuer à chercher qui je suis, puisque cela devrait déjà être
manifeste — Alors qu'avec le temps vous devriez être devenus des maîtres [des
docteurs], vous avez encore besoin qu’on vous enseigne les premiers éléments
des paroles de Dieu 58.
1185. En second lieu, l’autorité du Christ en matière de justice les conduire à croire en lui; J’AI BEAUCOUP A DIRE SUR VOUS, ET A JUGER; autrement dit: j’ai l’autorité pour vous juger.
Mais il faut savoir qu’autre chose est de nous parler, autre chose de parler à notre sujet. En effet, le Christ nous parle pour notre bien, c’est-à-dire pour nous attirer à lui; ainsi, tant que nous vivons, il nous parle en prêchant, en nous inspirant, et par des moyens de cette sorte. Et il parle à notre sujet, non pour notre bien, mais pour que soit manifestée sa justice; et c’est de cette façon qu’il parlera de nous au jugement futur; c’est dans ce sens-là qu’est pris ici J’AI BEAUCOUP A DIRE SUR VOUS.
1186. On lit cependant plus
haut: Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde 59. À cela je réponds: autre chose est de juger, autre chose de pouvoir
juger. Juger exprime l’acte du jugement; et cela ne convient pas au premier
avènement du Seigneur, comme il l’a dit plus haut: Moi, je ne juge personne 60, c’est-à-dire au moment présent. Mais pouvoir juger exprime
seulement la puissance de juger; et le Christ la possède: Le Père a remis tout
jugement au Fils 61, lui qui a été établi
par Dieu juge des vivants et des morts 62. Et c’est pourquoi il dit expressément: J’AI BEAUCOUP A DIRE SUR
VOUS, ET A JUGER, mais lors du jugement à venir 63.
1187. La vérité du Père aussi amène à croire au Christ; MAIS CELUI QUI M’A ENVOYE EST VERIDIQUE; autrement dit: le Père est véridique; or moi, je parle en harmonie avec lui; donc je dis des choses vraies, donc vous devez me croire. Il dit donc: CELUI QUI M’A ENVOYE, le Père, EST VERIDIQUE, non par participation, mais il est l’essence même de la vérité, et le Père de la vérité; autrement, le Fils, puisqu’il est la vérité elle-même, serait plus grand que le Père — Or Dieu est véridique 64. MOI, CE QUE J’AI ENTENDU DE LUI, non en l’entendant d’une manière sensible, mais en recevant de lui la connaissance par la génération éternelle, C’EST CE QUE JE DIS DANS LE MONDE. Il est dit au livre d’Isaïe aïe: Ce que j’ai entendu du Seigneur des armées, le Dieu d’Israël, je vous l’ai annoncé 65. Et le Fils ne peut rien faire de lui-même si ce n’est ce qu’il a vu faire au Père 66.
1188. Cette parole: CELUI QUI M’A ENVOYÉ EST VERIDIQUE peut se rattacher à ce qui précède de deux manières. Ou bien ainsi: je dis que J’AI SUR VOUS À JUGER, mais mon jugement sera vrai, parce que celui qui m’a envoyé est vérité — Le jugement de Dieu est selon la vérité 67.
Ou bien d’une autre manière, selon Chrysostome 68: je dis que J’AI SUR VOUS A JUGER, mais je le diffère, non par impuissance, mais pour obéir à la volonté du Père; car CELUI QUI M’A ENVOYE EST VERIDIQUE. C’est pour quoi, comme il a promis d’envoyer un sauveur et un défenseur, il m’envoie maintenant pour sauver; et moi, c’est parce que je ne dis que ce que j’ai entendu de lui, que je vous dis des paroles de salut.
ET
ILS NE CONNURENT PAS QU’IL PARLAIT DE SON PÈRE, DIEU
1189. En disant cela, l’Évangéliste blâme la lenteur d’intelligence des Juifs; en effet, ils n’avaient pas encore les yeux du coeur ouverts, par lesquels ils auraient saisi l’égalité du Père et du Fils 69; et cela, parce qu’ils étaient soumis à la chair: L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu 70.
JÉSUS
LEUR DIT DONC: "QUAND VOUS AUREZ ÉLEVÉ LE FILS DE L’HOMME, ALORS VOUS
CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS, ET QUE DE MOI-MÊME JE NE FAIS RIEN; MAIS COMME LE
PÈRE M’A ENSEIGNÉ, C’EST CELA QUE JE DIS. ET CELUI QUI M’A ENVOYÉ EST AVEC MOI,
ET IL NE M’A PAS LAISSÉ SEUL PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAÎT, JE LE FAIS
TOUJOURS." COMME IL DISAIT CELA, BEAUCOUP CRURENT EN LUI.
1190. Ici, le Christ annonce
d’abord le moyen par lequel les Juifs doivent parvenir à la foi, moyen qui est
le remède sauvant de la mort. En premier lieu, il montre par quoi ils doivent
venir à la foi [n° 1191], puis il enseigne ce qu’on doit croire de lui-même [n° 1192].
1191. Il dit donc qu’ils doivent parvenir à la foi par sa Passion: QUAND VOUS AUREZ ELEVE LE FILS DE L'HOMME, ce qui revient à dire: maintenant, vous ne con naissez pas que mon Père est Dieu; mais QUAND VOUS AUREZ ELE VE LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire quand vous m’aurez attaché au bois de la croix, alors VOUS CONNAITREZ..., c’est-à-dire certains d’entre vous connaîtront par la foi — Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi 71. Selon Augustin, il mentionne la Passion de la croix pour donner l’espérance aux pécheurs, c’est-à-dire pour que personne, quelque crime qu’il ait commis, ne désespère par mauvaise conscience de lui-même, alors que ceux-là même qui ont crucifié le Christ sont libérés de leurs péchés par son sang 72. Car il n’existe aucun pécheur qui le soit au point de ne pouvoir être libéré par le sang du Christ.
Ou bien, selon Chrysostome 73, QUAND VOUS AUREZ ELEVE LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire sur la croix, alors VOUS CONNAITREZ, c’est-à-dire vous pourrez connaître ce que je suis, non seulement par la gloire de ma Résurrection, mais aussi par le châtiment de votre captivité et de votre ruine.
QUE
MOI JE SUIS, ET QUE DE MOI-MÊME JE NE FAIS RIEN; MAIS COMME LE PÈRE M’A
ENSEIGNÉ C’EST CELA QUE JE DIS.
1192. En ce qui concerne ce qu’on doit croire de lui, il enseigne trois choses; d’abord, la majesté de la divinité, puis son origine à partir du Père, enfin son union indissoluble avec le Père.
Il enseigne la majesté de la divinité en disant: MOI JE SUIS; c’est-à-dire, j’ai en moi la nature de Dieu, et je suis celui-là même qui a parlé à Moïse en disant: Moi je suis celui qui suis 74.
Mais parce que l’être subsistant appartient à toute la Trinité, pour ne pas exclure la distinction des personnes il enseigne ensuite aux Juifs la foi en son origine à partir du Père en disant: ETDE MOI-MEME JE NE FAIS RIEN, MAIS COMME LE PERE M’A ENSEIGNE, C’EST CELA QUE JE DIS. Mais du fait que depuis le début il a réalisé des oeuvres et a enseigné 75, Jésus montre son origine à partir du Père, d’une part dans ce qu’il réalise, ET DE MOI-MEME JE NE FAIS RIEN — Le Fils ne peut rien faire de lui-même 76, et d’autre part dans ce qu’il enseigne: MAIS COMME LE PERE M’A ENSEIGNE, c’est-à-dire m’a donné la science en m’engendrant dans la connaissance. Parce que la nature de la vérité est simple, pour le Fils c’est la même chose de connaître et d’être; et ainsi, de même que le Père, en l’engendrant, a donné au Fils d’être, de même, en l’engendrant, il lui a donné de connaître — Mon enseignement n'est pas le mien 77.
Et pour qu’on ne comprenne pas qu’il a été envoyé d’auprès du Père comme s’il était distinct de lui, en troisième lieu il enseigne la foi en son union indissoluble avec le Père en disant: ET CELUI QUI M’A ENVOYE, c’est-à-dire le Père, EST AVEC MOI, d’une part par l’unité d’essence — Moi je suis dans le Père, et le Père est en moi 78-, d’autre part par une union d’amour — Le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait 79. Ainsi, le Père a envoyé le Fils de telle manière qu’il ne s’est pas éloigné de lui: ET IL NE M’A PAS LAISSE SEUL, parce que son amour m’enveloppe. Mais bien que [du le point de vue de l’être] les deux soient inséparables, l’un cependant est envoyé (missus), et l’autre envoie: car l’Incarnation est une mission, et elle appartient seulement au Fils, et non au Père 80.
ET IL NE M’A PAS LAISSÉ SEUL; Jésus le manifeste par un signe: PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAIT, JE LE FAIS TOUJOURS. Cela n’est pas dit comme étant une cause de mérite, mais à titre de signe; cela revient à dire: le fait que moi JE FAIS TOUJOURS, sans commencement ni fin, CE QUI LUI PLAIT, est le signe qu’il est toujours avec moi et qu’il ne m’a pas laissé — J’étais avec lui, disposant toutes choses 81. Ou bien, d’une autre manière, IL NE M’A PAS LAISSE SEUL, c’est-à-dire en tant qu’homme, me protégeant PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAIT, JE LE FAIS TOUJOURS. Et selon cette interprétation, ces paroles sont à entendre comme une cause de mérite.
COMME
IL DISAIT CELA, BEAUCOUP CRURENT EN LUI
1193. L’Évangéliste expose ici l’effet de l’enseignement; ceux qui doutent se convertissent à la foi parce qu’ils ont entendu l’enseignement du Christ: La foi vient de ce qu’on entend, et on entend par une parole du Christ 82.
31
Jésus disait donc à ceux qui avaient cru en lui, des Juifs: "Si vous
demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples 32 et vous
connaîtrez la vérité, et la vérité vous libèrera. " Ils lui répondirent:
"Nous sommes la race d’Abraham et nous n’avons jamais été esclaves de
personne. Comment toi, dis-tu: vous serez libres?" 34 leur répondit:
"Amen, amen, je vous dis que tout homme qui commet le péché est esclave du
péché. Or l’esclave ne demeure pas dans la maison éternellement; mais le Fils y
demeure pour l’éternité. Si donc le Fils vous libère, vous serez vraiment
libres. 37 sais que vous êtes fils d’Abraham; mais vous cherchez à me tuer,
parce que ma parole ne prend pas en vous. 38 Moi, ce que j’ai vu auprès de mon
Père, je le dis. Et vous, ce que vous avez vu auprès de votre père, vous le
faites. " Ils répondirent et lui dirent: "Notre père, c’est Abraham.
"Jésus leur dit: "Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les oeuvres
d’Abraham. Mais maintenant, vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai
dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait. 41
Vous, vous faites les oeuvres de votre père. " C’est pour quoi ils lui
dirent: "Nous, nous ne sommes pas nés de la prostitution. Nous n’avons
qu’un seul père, Dieu. " 42 Jésus leur dit donc: "Si Dieu était votre
père, vous m’aimeriez de toute façon: en effet, moi je suis sorti de Dieu, et
je suis venu. Et je ne suis pas venu de moi-même, mais lui m’a envoyé. 43 ne
reconnaissez-vous pas ma parole? Parce que vous ne pouvez pas écouter ce que je
dis. 44 Vous, vous êtes issus du diable, votre père; et vous voulez accomplir
les désirs de votre père. Lui était homicide dès le commencement, et il ne
s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’est pas en lui: quand il
profère le mensonge, il le profère de son propre fonds, parce qu’il est menteur
et père du mensonge. Mais moi, si je vous dis la vérité, vous ne me croyez pas.
Qui d’entre vous me convaincra de péché? Si je dis la vérité, pourquoi ne me
croyez-vous pas? Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu; si vous
n’écoutez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu." Les Juifs répondirent
donc et dirent: "N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain
et que tu as un démon?" 49 répondit: "Moi, je n’ai pas de démon; mais
j’honore mon Père, et vous, vous me déshonorez. Or moi je ne cherche pas ma
gloire: Il en est un qui la cherche, et qui juge.
1194. Ayant exposé quel est le remède qui libère des ténèbres [n° 1172], l’Evangéliste poursuit en montrant l’efficacité de ce remède. Plus loin [n° 1200], il montre le besoin que les hommes ont de ce remède.
JÉSUS
DISAIT DONC À CEUX QUI AVAlENT CRU EN LUI, DES JUIFS: SI VOUS DEMEUREZ DANS MA
PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; ET VOUS CONNAITREZ LA VÉRITE ET LA
VÉRITÉ VOUS LIBÉRERA.
En ce qui concerne l’efficacité du remède, l’Évangéliste montre d’abord ce qui est exigé de ceux à qui le remède est administré, et cela relève du mérite; puis il montre ce qui leur est donné en échange [n° 1196], et cela relève de la récompense.
JÉSUS
DISAIT DONC À CEUX QUI AVAlENT CRU EN LUI, DES JUIFS: SI VOUS DEMEUREZ DANS MA
PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES
1195. On vient de dire que BEAUCOUP CRURENT EN LUI. Et c’est pour cela que le Christ leur montre, c’est-à-dire A CEUX QUI AVAIENT CRU EN LUI, DES JUIFS, ce qui est exigé d’eux: qu’ils demeurent dans sa parole (sermo). SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; autrement dit: VOUS SEREZ MES DISCIPLES, non en croyant seulement d’une manière superficielle, mais SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE.
Trois choses sont exigées de nous concernant la parole de Dieu (verbum) 83: la sollicitude pour l’écouter — Que tout homme soit prompt à écouter 84; la foi pour croire — La foi vient de ce qu’on entend 85; la constance pour demeurer jusqu’au bout — Que la sagesse est escarpée pour les sots! Et l’homme sans intelligence ne s'y tiendra pas 86. Et c’est à cause de cela qu’il dit SI VOUS DEMEUREZ, c’est-à-dire par la stabilité de la foi, par la méditation continuelle — Il méditera sa loi jour et nuit 87 — et par un amour fervent — Sa volonté a été tendue vers la loi de son Dieu 88. C’est pourquoi Augustin 89 dit que demeurent dans les paroles du Seigneur ceux qui ne cèdent à aucune tentation.
VOUS
SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS
LIBÉRERA.
1196. Le Christ montre ici la
récompense qui est don née en échange à ceux qui persévèrent. Cette récompense
consiste en trois choses: l’élévation à la dignité de disciple du Christ [n° 1197],
la connaissance de la vérité [n°
1198], et l’acquisition de la liberté [n° 1199].
1197. Et certes, c’est un privilège d’une grande dignité que d’être disciple du Christ: Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un maître de justice 90. C’est pourquoi il dit: VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES. En effet, plus le maître est grand, plus ses disciples sont hors du commun; or le Christ est le maître le plus éminent et le plus grand; ses disciples sont donc les plus éminents.
Trois choses sont exigées des disciples. La première est l’intelligence, pour saisir les paroles du maître — Vous aussi, vous êtes maintenant encore sans intelligence? 91 Or seul le Christ peut ouvrir l’oreille de l’intelligence — Il leur ouvrit l’esprit, pour qu’ils comprennent lés Ecritures 92. C’est pourquoi Isaïe disait: Le Seigneur m’a ouvert l’oreille 93. Ce qui est requis en second lieu du disciple, c’est l’attachement (assensus) 94 à croire ce qu’enseigne le maître, car le disciple n’est pas au-dessus du maître et c’est pour cela qu’il ne doit pas le contre dire — Ne contredis pas la parole de vérité 96; et Isaïe ajoute: Moi je ne contredis pas 97. La troisième chose requise du disciple est la stabilité, qui permet de demeurer jusqu’au bout; dans l’Evangile de saint Jean, il est dit que beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ne marchaient plus avec lui 98; et Isaïe ajoute: Je ne me suis pas dérobé 99.
VOUS
CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ
1198. Mais il est plus grand de connaître la vérité, puis que c’est la fin du disciple. Et cela, le Seigneur le donne aussi à ceux qui croient; c’est pour cela qu’il dit: vous CONNAI TREZ LA VERITE, c’est-à-dire d’une part la vérité de l’enseignement que moi je donne — Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité 100-, d’autre part la vérité de la grâce dont je suis source — La grâce et la vérité ont été données par Jésus-Christ 101; cette grâce est dite grâce de vérité par rapport aux préfigurations de la Loi ancienne. Enfin, la vérité de l’éternité dans laquelle je demeure — Eternellement Seigneur, demeure ta parole, ta vérité de génération en génération 102.
ET
LA VÉRITÉ VOUS LIBÉRERA
1199. Mais ce qu’il y a de plus grand, c’est l’acquisition de la liberté, que la connaissance de la vérité réalise chez ceux qui croient: ET LA VERITE VOUS LIBERERA.
Cependant, dans ce passage, "libérer" n’implique pas l’idée d’échapper à quelque péril, comme semble l’indiquer le mot latin 103, mais signifie vraiment "rendre libre". Et cela par rapport à trois choses: la vérité de l’enseignement libérera de l’erreur, du faux — Ma bouche proclamera la vérité et mes lèvres détesteront l’iniquité 104; la vérité de la grâce libérera de l’esclavage du péché — La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus me libérera de la loi du péché et de la mort 105; la vérité de l’éternité nous libérera de la corruption — La création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption 106.
LE
BESOIN QUE LES HOMMES ONT DU REMÈDE APPORTÉ PAR LE CHRIST.
1200. L’Évangéliste poursuit en montrant le besoin, que les Juifs ont en eux-mêmes, de recevoir ce remède.
D’abord, il met en évidence la présomption des Juifs qui nient avoir besoin d’un tel remède [n° 1201]; puis il montre comment ils en ont besoin [n° 1202].
ILS
LUI RÉPONDIRENT: "NOUS SOMMES LA RACE D’ABRAHAM ET NOUS N'AVONS JAMAIS ÉTÉ
ESGLAVES DE PERSONNE. COMMENT TOI, DIS-TU: VOUS SEREZ LIBRES?"
1201. La présomption des Juifs apparaît dans une interrogation. Ils commencent par affirmer quelque chose; puis ils nient autre chose; enfin, ils interrogent.
Ils affirment être de la race d’Abraham: NOUS SOMMES LA RACE D’ABRAHAM, ce qui montre leur vaine gloire, car ils se glorifient de leur seule origine charnelle — Ne commencez pas à dire: nous avons pour père Abraham 107. Ils font de même, ceux qui cherchent à être tirés d’une noblesse selon la chair — Toute leur gloire leur vient d’un enfantement, d’un sein et d’une conception 108.
Ils nient ensuite leur condition d’esclaves: NOUS N’AVONS JAMAIS ÉTÉ ESCLAVES DE PERSONNE; en cela, ils se montrent stupides et menteurs. Stupides, ils le sont assurément, parce que ce que le Seigneur dit de la liberté spirituelle, ils l’entendent d’une liberté matérielle — L’homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 109. Et ils sont menteurs, parce que s’ils nient ici être esclaves d’une manière matérielle, ou bien ils l’entendent de l’ensemble du peuple juif, ou bien ils parlent tout particulièrement d’eux-mêmes. S’ils parlent de l’ensemble du peuple juif, ils mentent manifestement, car Joseph fut vendu, et leurs ancêtres ont été esclaves en Egypte, comme le rapportent les livres de la Genèse et de l’Exode 110. C’est pourquoi Augustin dit: "O ingrats, qu’en est-il de ce que Dieu vous impute sans cesse d’avoir été libérés par lui de la maison d’esclavage, si vous n’avez jamais été esclaves de personne?" 111 Il est dit en effet: Je vous ai fait sortir d'Egypte, de la maison d’esclavage 112. Et si les Juifs parlent ici à leur propre sujet, on ne peut même pas les disculper de mensonge, car eux aussi à ce moment-là payaient des tributs aux Romains; c’est pourquoi ils disaient: Est-il permis de payer l’impôt à César, ou non? 113
Enfin, les Juifs interrogent Jésus sur le
mode de la liberté: COMMENT TOI, DIS-TU: "VOUS SEREZ LIBRES?"
Le Seigneur leur avait promis deux choses: la liberté et la connaissance de la
vérité: VOUS CONNAITREZ LA VERITE, ET LA VERITE VOUS LIBERERA. En entendant
cela, les Juifs comprenaient qu’ils étaient considérés par le Seigneur comme
esclaves et ignorants. Et, bien qu’il soit plus avilissant d’être privé de la
connaissance que de la liberté, cependant, parce qu’ils restaient fixés à leurs
préoccupations terrestres, négligeant la vérité, ils s’enquièrent du mode de la
liberté — ils ont résolu d’abaisser leurs yeux vers la terre 114.
1202. Le Seigneur, rejetant la présomption des Juifs, leur montre avec certitude qu’ils ont besoin du remède dont on a parlé; il parle d’abord de leur esclavage [n° 1203], puis de leur libération [n° 1205]; enfin, de leur origine [n° 1211].
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT: AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE TOUT HOMME QUI COMMET LE PÉCHÉ EST
ESCLAVE DU PÉCHÉ.
1203. Il les convainc d’esclavage, non d’un esclavage matériel, comme ils le comprenaient, mais spirituel, c’est-à-dire l’esclavage du péché; pour mettre cela en évidence, il fait d’abord un serment réitéré: AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, puis il emploie un mot ayant un sens universel: TOUT. Amen est un mot hébreu qui signifie "en vérité", ou "qu’il en soit ainsi". Ce que, selon Augustin 115? ni le traducteur grec, ni le latin n’ont osé traduire, pour que ce mot reçoive l’honneur qui lui est dû: être voilé comme un secret, non dans le but de le cacher, mais de peur que mis à nu il ne soit avili; et cela spécialement par respect pour le Seigneur qui l’a utilisé fréquemment 116. Donc, le Seigneur profère ici comme une sorte de serment: serment qu’il réitère afin d’affirmer davantage sa pensée — Il s'engagea par un serment, pour que, par deux réalités immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant réconfort 117.
Il emploie ensuite un terme universel: TOUT; Juif ou Grec, riche ou pauvre, empereur ou mendiant — Il n a plus de distinction entre Juif et Grec, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu 118.
Il met enfin en évidence leur condition
d’esclave en disant: QUI COMMET LE PÉCHÉ EST ESCLAVE DU PÉCHÉ.
1204. On peut opposer à cela que l’esclave n’est pas mû par son propre libre arbitre, mais par celui du maître; or celui qui commet le péché est mû par son propre libre arbitre: il n’est donc pas esclave.
Je réponds que chaque chose est selon ce qui convient à sa nature: quand donc quelqu’un est mû selon quelque chose qui convient à sa nature, il est mû par lui-même. Mais lorsque quelqu’un est mû par quelqu’un d’extrinsèque, il n’opère pas selon lui-même, mais sous la pression d’un autre, ce qui est propre à l’esclave. Or l’homme, selon sa nature, est doué d’intelligence. Quand donc il est mû selon son intelligence, il est mû de son propre mouvement, et il opère de lui-même, ce qui caractérise la liberté; mais quand il pèche, il agit en dehors de l’ordre de sa nature raison nable, et il est alors mû comme par un autre, retenu dans des limites étrangères; et c’est pourquoi QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE — On est esclave de celui par qui on a été vaincu 119.
Mais plus quelqu’un est mû par un étranger,
plus il est réduit en esclavage; et il est d’autant plus vaincu par le péché
qu’il a moins d’autonomie — celle de l’intelligence —, et il est d’autant plus
esclave. De là vient que plus on accomplit librement le mal qu’on veut, et avec
le moins de difficulté, plus on se lie étroitement à la servitude du péché,
comme le dit Grégoire 120. Esclavage qui est certes très pesant, parce qu’on ne peut s’y
soustraire: partout où il va, l’homme porte en lui le péché, bien que l’acte
même du péché et le plaisir qu’il procure passent — Lorsque le Seigneur t’aura
donné du repos (...) de la dure servitude, c’est-à-dire celle du péché, à
laquelle tu as été asservi... 121
Car on peut s’échapper de la servitude physique, au moins en s’enfuyant; c’est
pourquoi Augustin dit: O malheureuse servitude (c’est-à-dire celle du péché) !
L’esclave de l’homme, une fois fatigué des ordres durs de son maître, se repose
en s’enfuyant; l’es clave du péché traîne avec lui le péché, où qu’il fuie; car
le péché qu’il commet est intérieur; le plaisir passe, le péché (c’est-à-dire
l’acte) passe: ce qui donnait du plaisir est passé, est resté ce qui blesse 122;
OR
L’ESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ÉTERNELLEMENT. MAIS LE FILS Y DEMEURE
POUR L'ÉTERNITÉ. SI DONC LE FILS VOUS LIBÈRE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES.
1205. L’Évangéliste traite ici de la libération de l’esclavage; en effet, parce que tous ont péché 123, tous étaient esclaves du péché. Mais elle vient et est toute proche de vous, l’espérance de la libération par celui qui est libre du péché; et celui-là, c’est le Fils.
D’abord, le Christ présente ce qu’est la
condition d’es clave, pour distinguer l’homme libre de l’esclave [n° 1206];
puis il montre que la condition du Fils est autre que celle de l’esclave [n° 1207];
enfin, il conclut en montrant le pouvoir que le Fils a de libérer [n° 1208].
1206. La condition de l’esclave
est donc transitoire et instable; L’ESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON Cette
maison, c’est l’Eglise 124— Pour que tu saches comment il convient de te comporter dans la
maison de Dieu qui est l’Eglise du Dieu vivant... 125. Dans cette maison, certains, qui
sont esclaves spirituellement, demeurent seulement pour un temps, de même que
c’est pour un temps seulement, et non ETERNELLEMENT, que les esclaves demeurent
physiquement dans la maison du père de famille; car bien que maintenant les
méchants ne soient pas séparés de ceux qui croient quant au nombre, mais
seulement par le mérite, ultérieurement cependant, ils en seront séparés de
l’une et de l’autre manière — Chasse la servante et son fils: en effet, il ne
sera pas héritier, le fils de la servante, avec le fils de la femme libre 126.
1207. Par contre, la condition
du Fils est éternelle et stable; LE FILS, c’est-à-dire le Christ, Y DEMEURE
POUR L'ETERNITE, c’est-à-dire dans l’Eglise, comme dans sa maison. L’épître aux
Hébreux dit que le Christ est dans sa maison comme le Fils, et nous sommes
cette maison si nous gardons ferme jusqu’à la fin la confiance et la gloire de
l’espérance 127. Et certes, lui seul demeure éternellement dans la maison, de
lui-même, parce qu’il est exempt du péché; pour nous, de même que nous sommes
libérés du péché par lui, de même nous demeurons dans la maison par lui.
1208. Or le Fils a le pouvoir de
libérer: SI DONC LE FILS VOUS LIBERE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES — Nous ne
sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre; c’est le Christ qui
nous a acquis cette liberté 128. Car, comme le dit Augustin, lui-même a donné pour notre rachat, non
de l’argent, mais son sang 129: il est venu en effet en assumant une chair semblable à celle du
péché 130, n’ayant
en lui absolument aucun péché; c’est pourquoi il s’est fait vrai sacrifice pour
le péché; par lui, nous sommes libérés non des barbares, mais du diable.
1209. Notons que la liberté a
des sens multiples. Il y a une liberté perverse, quand quelqu’un en abuse pour
pécher; et c’est la liberté à l’égard de la justice, que personne n’est
contraint d’observer — Agissez comme des hommes libres, et non comme ayant un
voile pour dissimuler votre liberté perverse 131. Il y a une liberté vaine: celle
qui est temporelle ou terrestre 132. et dont parle Job en disant que l’esclave est affranchi de son
maître 133. Il y aune liberté vraie et spirituelle, celle de la grâce, qui
consiste à être exempt de crimes; celle-là est imparfaite, parce que la chair
convoite contre l’esprit, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous
voulons 134. Il y a
enfin la liberté de la gloire, aussi parfaite que plénière. C’est celle que
nous aurons dans la patrie: La créature elle-même sera libérée de la servitude 135, et cela
parce qu’il n’y aura plus rien pour nous incliner au mal, plus rien d’écrasant,
parce que là nous serons libérés de la faute et de la peine 136.
1210. Chrysostome 137, interprète ce passage d’une autre manière. Parce qu’en effet le Christ avait dit: QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE, pour éviter que les Juifs le devancent en disant: bien que nous soyons esclaves du péché, cependant nous pouvons être libérés par des sacrifices et les pratiques rituelles de la Loi, le Seigneur montre que cela ne peut les libérer, mais que seul le Fils le peut. C’est pour cela qu’il dit: L’ESCLAVE, c’est-à-dire Moïse et les grands prêtres de l’Ancien Testament, NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ETERNELLEMENT.
De là vient qu’il est dit: Moïse a été
fidèle, comme serviteur, dans toute la maison [de Dieu] 138. Les
rites ne sont pas éternels; c’est pourquoi ils ne peuvent donner la liberté
éternelle.
1211. A partir d’ici,
l’Évangéliste traite de l’origine des Juifs. D’abord, le Christ révèle leur
origine selon la chair [n°
1212], puis il leur fait découvrir leur origine
selon l’esprit [n° 1213].
1212. Il dit que leur origine
selon la chair, c’est Abra ham. JE SAIS, dit-il, QUE VOUS ETES FILS D’ABRAHAM,
par l’origine de la chair seulement, et non en lui étant semblables par la foi 1 —
Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a engendrés 2.
1213. Il cherche ensuite à leur faire connaître leur origine spirituelle. D’abord, il montre qu’ils en ont une; puis il rejette l’origine qu’ils invoquent [n° 1218]; enfin il montre quelle est leur véritable origine [n° 1239].
MAIS
VOUS CHERCHEZ À ME TUER, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. MOI, CE QUE
J'AI VU AUPRÈS DE MON PÈRE, JE LE DIS. ET VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRÈS DE
VOTRE PÈRE, VOUS LE FAITES.
Pour montrer qu’ils ont une origine spirituelle, le Seigneur expose tout d’abord leur faute, puis il conclut à leur origine spirituelle [n° 1217].
A propos de leur faute, il les accuse d’abord de la faute d’homicide [n° 1214], puis du crime de manque de foi [n° 1215], enfin, il leur enlève toute possibilité de se justifier [n° 1216].
MAIS
VOUS CHERCHEZ À ME TUER
1214. Le Seigneur leur montre donc que spirituellement, ils sont issus d’une souche mauvaise, et c’est pourquoi il les blâme ouvertement de leur péché. Et passant sous silence tous les autres péchés par lesquels les Juifs étaient entravés de multiples manières, il rappelle seulement celui qu’ils avaient constamment dans l’esprit, c’est-à-dire le péché d’homicide, parce que, comme il a été dit plus haut, ils voulaient le tuer 3. Et c’est pourquoi il dit: MAIS VOUS CHERCHEZ A ME TUER, ce qui est contre votre Loi — Tu ne tueras pas 4— A partir de ce jour donc, ils cherchaient à le tuer 5.
PARCE
QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS.
1215. Mais ils auraient pu dire que tuer quelqu’un à cause de sa faute n’est pas un péché, et c’est pourquoi le Seigneur dit que la cause de l’homicide n’est certes pas une faute de sa part, ni leur justice, mais précisément leur man que de foi (infidelitas) à eux; c’est comme s’il disait: VOUS CHERCHEZ A ME TUER, non à cause de la justice, mais à cause de votre manque de foi, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. — Tous ne reçoivent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné 6.
Si le Seigneur use de cette manière de parler, c’est d’abord pour montrer l’excellence de sa parole. Autrement dit: ma parole excède complètement votre capacité 7, car elle est de l’ordre des réalités spirituelles, alors que vous avez une intelligence attachée aux choses terrestres; et c’est pourquoi elle ne pénètre pas en vous — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu 8. — Bien des choses que l’on t’a montrées sont au-delà de l’esprit de l’homme 9.
Mais il use aussi de cette manière de parler à cause d’une certaine similitude. En effet, comme le dit Augustin, la parole de Dieu est pour les croyants comme l’hameçon pour le poisson: l’hameçon ne prend que s’il est saisi. Et c’est pourquoi il dit: MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS, c’est-à-dire dans votre coeur, parce qu’elle n’est pas reçue par vous de la manière dont Pierre avait été saisi: Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 10. Cependant, elle ne cause pas de dommage à ceux qui sont saisis, car de fait elle les saisit pour leur salut, non pour leur ruine 11. Il est dit en effet que le prophète qui énonce, comme venant de la bouche du Seigneur, ce que le Seigneur n’a pas dit, doit être mis à mort 12.
MOI,
CE QUE J’AI VUAUPRÈS DE MON PÈRE JE LE DIS
1216. Aussi, pour que les Juifs ne disent pas qu’il doit être mis à mort du fait qu’il parlait de lui-même et non de la bouche du Seigneur, il ajoute 13: MOI, CE QUE J’AI VU AUPRES DE MON PERE, JE LE DIS; c’est-à-dire: on ne peut me reprocher de dire ce que je n’ai pas entendu, parce que je dis non seulement des choses que j’ai entendues, mais, qui plus est, je dis ce que j’ai vu 14. En effet, les autres prophètes ont dit ce qu’ils ont entendu, mais moi. je dis ce que j’ai vu — Dieu, personne ne l’a jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître 15. — Ce que nous avons entendu et ce que nous avons vu, (1. .) nous vous l’annonçons 16.
Cela doit s’entendre de la vision de la connaissance la plus certaine, par laquelle le Fils connaît le Père comme lui-même se connaît — Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils 17.
ET
VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRÈS DE VOTRE PÈRE, VOUS LE FAITES.
1217. Il conclut ici à leur origine spirituelle. C’est comme s’il disait: moi, je dis ce qui est conforme à mon origine; or vous, vous faites des oeuvres à partir desquelles on peut conjecturer votre origine; parce que ces oeuvres sont d’auprès de votre père, c’est-à-dire le diable, dont selon Augustin ils étaient les fils, non en tant qu’hommes, mais en tant qu’ils étaient mauvais 18. Ces oeuvres, dis-je, que vous avez vues, vous les avez faites sur la suggestion du diable — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde 19.
Selon Chrysostome 20, une autre version dit: VOUS, CE
QUE VOUS AVEZ VU AUPRES DE VOTRE PERE, FAITES-LE. Autrement dit: de même que
moi je vous montre mon Père en vérité par mes paroles, de même vous,
montrez-nous votre père Abraham par vos oeuvres; c’est pourquoi il dit: faites
ce que vous avez vu chez votre père dès l’origine, c’est-à-dire Abraham,
instruits que vous êtes par la Loi et les Prophètes.
1218. Après avoir montré que les Juifs ont une origine spirituelle, le Seigneur leur refuse les origines qu’ils avaient la présomption de s’attribuer. D’abord, il refuse l’origine qu’ils prétendaient avoir d’Abraham [n° 1219], puis l’origine qu’ils pensaient tenir de Dieu [n° 1231].
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT: "NOTRE PÈRE, C’EST ABRAHAM." JÉSUS
LEUR DIT: "SI VOUS ÊTES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES OEUVRES
D’ABRAHAM. MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ À ME TUER, MOI UN HOMME QUI VOUS AI
DIT LA VÉRITÉ QUE J’AI ENTENDUE DE DIEU CELA, ABRAHAM NE L’A PAS FAIT VOUS,
VOUS FAITES LES OEUVRES DE VOTRE PÈRE."
En ce qui concerne l’origine à partir d’Abraham, l’Évangéliste expose d’abord l’opinion des Juifs sur leur origine [1219], puis il montre comment le Seigneur la rejette [n° 1220].
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT: NOTRE PÈRE, C’EST ABRAHAM
1219. Il faut savoir à ce sujet que, parce que le Seigneur leur avait dit: Ce que vous avez vu auprès de votre père, vous le faites, les Juifs, se glorifiant d’une génération selon la chair, se rattachent à Abraham: NOTRE PERE, C’EST ABRAHAM Autrement dit: si nous avons une origine spirituelle, nous sommes bons, parce que notre père Abraham est bon — Descendance d’Abraham, son serviteur 21. Et comme le dit Augustin 22, ils s’efforçaient de provoquer le Christ pour qu’il dise du mal d’Abraham, et que cela leur soit une occasion d’exécuter ce qu’ils préméditaient, c’est-à-dire de le tuer.
1220. Mais le Seigneur rejette cet argument comme injustifié, et attire d’abord l’attention sur le signe attaché à la filiation d’Abraham [n° 1221]; puis il montre que ce signe ne se trouve pas chez les Juifs [n° 1226]; enfin, il en tire les conclusions pour son propos [n° 1230].
SI
VOUS ÊTES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES OEUVRES D’ABRAHAM
1221. Assurément, le signe de la
filiation de quelqu’un est sa ressemblance avec celui dont il est le fils: en
effet, de même que la plupart du temps les fils ressemblent à leurs parents
selon la chair, ainsi les fils spirituels (s’ils sont vraiment des fils)
doivent imiter leurs parents spirituels — Soyez les imitateurs de Dieu, comme
des fils bien-aimés 23. Et à ce sujet, il dit: SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES OEUVRES
D’ABRAHAM Autrement dit: que vous imitiez Abraham serait le signe que vous êtes
ses fils — Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a enfantés 24.
1222. Mais ici s’élève une difficulté, du fait que le Seigneur semble nier qu’ils sont fils d’Abraham en disant, comme s’il en doutait: SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, ce qu’il a pourtant affirmé plus haut: Je sais que vous êtes fils d’Abraham 25.
A cela il y a deux réponses. D’une première manière, selon Augustin 26, on répondra ceci: plus haut, il a affirmé qu’ils sont fils d’Abraham selon la chair; mais ici, il leur refuse le titre de fils d’Abraham parce qu’ils n’imitent pas ses oeuvres, et en premier lieu sa foi — Ce sont les hommes de foi qui sont reconnus comme étant de sa descendance 27.
D’une autre manière, avec Origène 26, on répondra que l’une et l’autre affirmation se réfèrent à l’origine spirituelle. Mais là où nous avons Je sais que vous êtes fils d’Abraham, on a en grec: Je sais que vous êtes la semence d’Abraham, alors qu’ici il dit: SI VOUS ÊTES LES FILS D'ABRAHAM, parce que les Juifs, spirituellement parlant, étaient la semence d’Abraham, mais non ses fils. Il y aune différence entre la semence et le fils, car la semence est quelque chose d’informe, et cependant elle a en elle-même les "raisons" (rationes) de ce dont elle est la semence, encore immobiles et au repos; le fils en revanche, la semence ayant été transformée par la puissance informative à partir de l’agent, dans la matière qui lui est présentée par la femme, et par l’apport supplémentaire de la nutrition, a une ressemblance avec l’engendrant De cette même manière, les Juifs étaient bien la semence d’Abraham, en tant qu’apparaissait en eux quel que raison de ce que Dieu avait répandu 30 sur Abraham; mais parce qu’ils n’étaient pas encore parvenus à la perfection d’Abraham, ils n’étaient pas ses fils; c’est pourquoi il leur dit: SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES OEUVRES D’ABRAHAM, c’est-à-dire: donnez-vous du mal pour arriver à l’imitation parfaite de ses oeuvres.
1223. Une difficulté s’élève aussi au sujet de cette parole: FAITES LES OEUVRES D’ABRAHAM; il semble en effet que tout ce que celui-là a fait, nous aussi nous devions le faire. Nous devons donc prendre plusieurs femmes, et nous approcher de la servante comme le fit Abraham 31.
Je réponds en disant que l’oeuvre par
excellence d’Abraham est la foi, par laquelle il a été justifié auprès de Dieu
— Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice 32. C’est
pourquoi FAITES LES OEUVRES D’ABRAHAM doit être compris comme signifiant:
croyez de la même façon qu’Abraham.
1224. Mais il ne semble pas que l’on puisse parler de la foi comme d’une oeuvre puisqu’on la distingue des oeuvres — La foi sans les oeuvres est morte 33.
On peut dire que la foi est une oeuvre, selon cette parole: L’oeuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé 34. Seulement, une oeuvre intérieure n’est pas manifeste pour les hommes, mais pour Dieu seul — Les hommes voient ce qui apparaît au-dehors; Dieu fixe ses regards sur le coeur 35. De là vient que nous avons pris l’habitude d’appeler communément "oeuvres" ce qui se fait à l’extérieur. La foi se distingue donc non de toutes les oeuvres, mais seulement des oeuvres extérieures.
1225. Mais devons-nous faire toutes les oeuvres d’Abraham? A cela il faut répondre que l’oeuvre peut être considérée de deux manières: ou bien selon son apparence, et alors toutes ses oeuvres ne sont pas à imiter; ou bien selon sa source, et alors les oeuvres d’Abraham doivent être imitées, parce que tout ce qu’il a fait, il l’a fait par amour (ex cantate). C’est pourquoi Augustin dit que la virginité de Jean n’est pas supérieure au mariage d’Abraham, parce que la racine de l’un et l’autre est la même. 36
On peut dire aussi que toutes les oeuvres d’Abraham doivent être imitées quant à leur signification prophétique. Tout cela leur arrivait en figure 37.
MAIS
MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ À ME TUER, MOI UN HOMME QUI VOUS AI DIT lA VÉRITÉ QUE
J’AI ENTENDUE DE DIEU GELA, ABRAHAM NE L’A PAS FAIT VOUS, VOUS FAITES LES
OEUVRES DE VOTRE PÈRE.
1226. Le Christ montre ici que le signe de la filiation dont on a parlé plus haut ne se trouve pas en eux.
Il met d’abord en évidence les oeuvres des Juifs [n° 1227], avant de montrer que ces oeuvres sont différentes de celles d’Abraham [n° 1229].
1227. Il montre que les oeuvres
des Juifs étaient mauvaises et perverses, parce qu’elles étaient meurtrières:
MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ A ME TUER -Comment est-elle de une prostituée,
la cité fidèle pleine d’équité? La justice y habitait, et maintenant des
homicides! 38 Mais cet homicide était un péché d’une gravité sans mesure, parce
qu’il était contre la personne du Fils de Dieu. Il est vrai que, comme le dit
la première épître aux Corinthiens, s’ils l’avaient connu, ils n'auraient
jamais crucifié le Seigneur de gloire 39; c’est pourquoi le Seigneur ne leur
dit pas qu’ils cherchent à tuer le Fils de Dieu, mais UN HOMME 40; car, bien
qu’on dise, à cause de l’unité de la personne, que le Fils de Dieu a souffert
et est mort, cependant ce n’est pas en tant que Fils de Dieu mais selon la
faiblesse humaine 41 — S’il a été crucifié, c’est à cause de sa faiblesse, mais il vit de
par la puissance de Dieu 42.
1228. Et pour mettre encore plus en évidence leur homicide, il montre qu’ils n’ont aucune raison de le faire mourir: MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE QUE J’AI ENTENDUE DE DIEU. Cette vérité, c’est qu’il se disait égal à Dieu 43 — Les Juifs cherchaient à le tuer, parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son père, se faisant l’égal de Dieu 44. Il a entendu cette vérité de Dieu, en tant que de toute éternité il a reçu du Père, par la génération éternelle, la nature que possède le Père — Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même 45.
Par cette parole, le Seigneur exclut deux raisons pour lesquelles, dans la Loi, les prophètes étaient susceptibles d’être tués. La première est le mensonge: le livre du Deutéronome prescrivait qu’un prophète qui se serait levé en proférant le mensonge ou en inventant des songes devait être mis à mort 46. Le Seigneur écarte à son sujet cette possibilité en disant: MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE — C’est la vérité que ma bouche proclamera, et mes lèvres détesteront ce qui est impie;justes sont toutes mes paroles, il n a en elles rien de mauvais ni de pervers 47. La seconde raison est que si un prophète avait parlé au nom des faux dieux, ou bien avait dit au nom de Dieu ce qu’il ne lui avait pas ordonné, il devait être tué, comme on le lit au même endroit 48. Et cela, le Seigneur l’exclut en disant: QUE J’AI ENTEND UE DE DIEU.
CELA,
ABRAHAM NE L’A PAS FAIT.
1229. Il montre ici que leurs oeuvres sont différentes de celles d’Abraham; et cela revient à dire: vous prouvez que vous n’êtes pas fils d’Abraham en ceci que vous faites des oeuvres contraires aux siennes. On lit en effet à son sujet: II observa la loi du Très-Haut, et entra en alliance avec lui 49.
Certains objectent à tort que, puisque le Christ n’était pas encore quand Abraham fut, Abraham n’a pas pu le tuer: il n’aurait pu en effet tuer quelqu’un qui n’existait pas! 50
Mais il faut dire qu’Abraham n’a pas à être loué de ne pas avoir tué le Christ, mais de n’avoir tué personne de semblable, c’est-à-dire de ceux qui disaient alors la vérité. Ou bien il faut dire que si le Christ n’était pas venu dans la chair du temps d’Abraham, il était cependant venu en esprit 51, selon cette parole du livre de la Sagesse: Elle se communique parmi les nations dans les âmes saintes 52. Abraham ne l’a pour tant pas tué en péchant mortellement — II est impossible de les rénover une seconde fois pour le repentir, puisque pour leur compte, ils crucifient à nouveau le Fils de Dieu 53.
VOUS,
VOUS FAITES LES OEUVRES DE VOTRE PÈRE.
1230. Le Christ conclut ici son propos: du fait que vous ne faites pas les oeuvres d’Abraham, vous avez donc quelque autre père dont vous accomplissez les oeuvres. De même lit-on ailleurs: Vous, vous comblez la mesure de vos pères 54.
C’EST
POURQUOI ILS LUI DIRENT: "NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA
PROSTITUTION NOUS N’A VONS QU’UN SEUL PÈRE, DIEU" JÉSUS LEUR DIT DONC:
"SI DIEU ÉTAIT VOTRE PÈRE, VOUS M’AIMERIEZ DE TOUTE FAÇON: ENEFFET,
MOIJE SUIS SORTI DE DIEU, ETJE SUIS VENU ET JE NE SUIS PAS VENU DE MOI-MÊME,
MAIS LUI M’A ENVOYÉ. POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE? PARCE QUE VOUS
NE POUVEZ PAS ÉCOUTER CE QUE JE DIS."
1231. L’Évangéliste poursuit en montrant que les Juifs ne tiennent pas leur origine de Dieu; parce qu’en effet ils savaient déjà, par la réponse du Seigneur, que celui-ci ne parlait pas de la génération selon la chair, ils se reportent à la génération spirituelle en disant: NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU.
Et dans ce passage, les Juifs exposent d’abord leur opinion [n° 1232]; puis le Seigneur la rejette [n° 1233].
1232. En exposant leur opinion, les Juifs nient une chose et en affirment une autre. Ils nient être nés de la prostitution; et, selon Origène 55, ils exposent cela au Christ comme pour lui faire des reproches, en montrant d’une manière voilée que lui-même serait le fruit d’un adultère; c’est comme s’ils disaient: NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NES DE LA PROSTITUTION, comme toi.
Mais on peut dire plutôt que Dieu est spirituellement l’époux de l’âme — Je t'épouserai pour toujours; je t'épouserai dans la justice et dans le droit, dans la miséricorde et la compassion. Et je t’épouserai dans la foi, et tu sauras que moi je suis le Seigneur 56. De même que l’épouse se prostitue quand, outre son époux selon la chair, elle accueille un autre homme, ainsi dans l’Ecriture la Judée était accusée de prostitution lorsque, abandonnant le vrai Dieu, elle s’attachait aux idoles — La terre se prostituera en se détournant loin de Dieu 57. Les Juifs disent donc: NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA PROSTITUTION; autrement dit: si autrefois notre mère la Synagogue, s’éloignant de Dieu, s’est prostituée avec les idoles, nous cependant, nous ne nous sommes pas éloignés de Dieu, et nous ne nous sommes pas prostitués avec les idoles — Nous ne t'avons pas oublie, et nous n'avons pas violé ton alliance, notre coeur ne s'est pas détourné 58. — Montez ici, fils de prostituées, semence d’adultère et de prostitution 59.
Les Juifs affirment ensuite qu’ils sont fils de Dieu, ce qui pour eux découle manifestement du fait qu’ils ne croyaient pas être nés de la prostitution: NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU — N’avons-nous pas tous un seul père? 60 — Vous m’appellerez Père 61.