Expositio super Isaiam
ad litteram

Lieux parallèles à la IIIa Pars

Traduction par sœur Marie-Hélène Deloffre; Abbaye de Kergonan

Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr,

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Chapitre 1, p. 8-9, lignes 013-103                                                       Cf. IIIa, q 7, a 7-8

Vision d’Isaïe fils d’Amos… Ici il faut voir trois choses. D’abord, quel est le rapport de la vision et de la prophétie ; en second lieu, les modes des visions prophétiques ; en troisième lieu, la différence [qui sépare] la vision prophétique des autres visions.

Au sujet du premier point, il faut savoir que l’on peut l’on peut interpréter la prophétie en deux sens, selon que [ce mot] peut venir de phanos [var. : fannos], ce qui signifie « apparition », ou de for, faris. Selon la première étymologie, on appelle prophète celui qui a l’apparition de ce qui est éloigné ; et de ce point de vue la prophétie diffère de la vision quant au mode, car l’apparition dit une relation du visible à celui qui voit, mais pour la vision c’est le contraire. En outre, la prophétie ajoute quelque chose à la vision ; en effet la vision porte sur n’importe quoi, mais la prophétie [porte] sur ce qui est éloigné. Or, on dit qu’une chose est éloignée de notre connaissance de deux manières : purement et simplement, et d’un certain point de vue. Sont purement et simplement éloignés les futurs contingents, qui peuvent arriver dans un sens ou dans l’autre, et dont on ne peut avoir une connaissance déterminée, ni en eux-mêmes ni dans leurs causes ; et c’est à leur sujet qu’on parle proprement de prophétie  Sont éloignées d’un certain point de vue les choses dont la connaissance est séparée de celui qui connaît, comme certaines choses passées et  certaines choses présentes ; et à leur sujet, il n’y a pas prophétie purement et simplement, mais quant à ceux qui les ignorent. Selon la seconde étymologie, en revanche, on appelle prophète celui qui parle de loin. Et en ce sens la prophétie ajoute à la vision l’énonciation extérieure, et la vision constituera la matière au regard de la prophétie.

Au sujet du second point, il faut savoir que les modes des visions prophétiques se distinguent selon ce dont on tire se prend la prescience d’un futur contingent. Il s’agit, ou bien d’une espèce[1] réalisée dans les sens, et on l’appelle vision corporelle, parce que le sens reçoit les espèces en présence des corps auxquels elles appartiennent ; ou bien, c’est une espèce reçue dans l’imagination, et on l’appelle vision spirituelle, parce que l’acte et la propriété spirituelle consistant à connaître une chose abstraite de sa matière se manifestent nouvellement en elle ; ou bien c’est une espèce[2] existant seulement dans l’intellect, et on l’appelle vision intellectuelle.

Et il faut savoir que la [notion de] prophétie se vérifie dans ces trois cas comme le tout potentiel dans ses parties : de par sa nature, celui-ci, selon sa vertu parfaite, se trouve dans une seule, et dans les autres, [on en trouve] une certaine participation et un certain mode. Ainsi dans le cas de l’âme : toute sa vertu est sauvegardée parfaitement dans l’âme rationnelle, et l’âme sensible ne possède pas la vertu parfaite de l’âme, moins encore l’âme végétative. Aussi Grégoire[3] dit-il que les plantes ne vivent pas par l’âme, mais par la verdure.

De même aussi, la vision corporelle et spirituelle ou imaginaire est quelque chose de la prophétie ; mais on ne peut vraiment les appeler prophéties, si on ne leur ajoute la vision intellectuelle, dans laquelle s’achève la notion de prophétie : « Il y a besoin d’intelligence dans la vision » (Dan 10, 1) . Aussi dit-il ensuite : « Et il comprit la parole ». Or la vision se dit d’abord et proprement de la vision corporelle. Et parce que toute notre connaissance vient des sens, parmi lesquels la vision l’emporte[4] par la subtilité et l’universalité, parce qu’elle nous montre plus de différences entre les choses, pour cette raison le nom de vision est se dit métaphoriquement des autres connaissances intérieures.

Au sujet du troisième point, il faut savoir que toute vision intellectuelle n’est pas vision prophétique. En effet il y a une vision pour laquelle la lumière naturelle de l’intellect suffit, comme la contemplation des choses invisibles par les principes de la raison ; et c’est dans cette contemplation que les philosophes[5] plaçaient la félicité suprême de l’homme. Il y a encore une contemplation à laquelle la lumière de la foi suffit à élever l’homme, comme c’est le cas des saints à l’état de voie. Il y a aussi celle des bienheureux dans la patrie ; l’intellect y est élevé par la lumière de gloire, voyant Dieu par essence et en tant qu’il est objet de béatitude ; et cela ne se réalise pleinement et parfaitement que dans la patrie, mais il arrive que quelqu’un y soit élevé en passant, alors qu’il se trouve encore dans cette vie mortelle, comme ce fut le cas dans le ravissement de Paul : « Je connais un homme dans le Christ, qui, il y a quatorze ans, soit dans son corps, etc. » (2 Co 12, 2), où la Glose dit qu’il vit comme ceux qui appartiennent à la troisième hiérarchie. Or aucune de celles-ci n’est une vision prophétique, car pour cette dernière ni la lumière de la nature, ni la lumière de la foi ne suffit ; mais l’intellect du prophète y est élevé par la lumière d’une grâce gratuitement donnée qui est le don de prophétie ; cependant il n’atteint pas encore Dieu selon qu’il est objet de béatitude, mais selon qu’il est la raison de ce qui a trait à la disposition des hommes dans le monde. De même, on n’appelle pas prophétique toute vision corporelle ou imaginaire, mais celle-là seulement qui s’effectue par une espèce spécialement ordonnée par la vertu divine à être un signe d’une chose à venir, que ce soit le voyant ou quelqu’un d’autre qui en reçoive l’intelligence.

Chapitre 4, p. 33, 8-30                                                                               Cf. IIIa, q 7, a 5

Sept femmes saisiront un homme Les femmes ont coutume d’être à charge aux hommes de trois manières : quand elles méprisent les hommes, et de ce point de vue il dit : Et sept femmes saisiront ; ce que la Glose explique à la lettre, parce qu’il a pu arriver qu’après la captivité, beaucoup d’hommes ayant été tués, les femmes soient restées plus nombreuses, en sorte que sept [d’entre elles] cherchaient à avoir un seul hommes, [comme on ledit] plus bas (13, 12) : « Un homme sera plus précieux que l’or, et un être humain que l’or pur ». — En second lieu, elles ont coutume de leur être à charge par une nourriture et un vêtement superflus, et de ce point de vue il dit : Nous mangerons notre pain ; c’est comme s’il disait : il ne faudra pas qu’il fournisse à leurs dépenses : « Elle est comme un vaisseau du marchand, elle fait venir de loin sa subsistance ; elle recherche de la laine et du lin, et elle travaille d’une main joyeuse » (Pr 31, 13-14). — En troisième lieu, elles leur sont à charge par leur morgue et leur orgueil, et de ce point de vue il dit : Que ton nom soit seulement invoqué sur nous, en sorte que nous disions, nous, tes épouses : enlève notre opprobre, c’est-à-dire celui de la stérilité, [selon cette parole du] Deutéronome (7, 14) : « Il n’y aura chez toi aucun être stérile de l’un et l’autre sexe, autant quez les humains que chez les troupeaux ». — Mais d’après cela, il semble qu’il soit permis d’avoir plusieurs femmes, puisque le Seigneur ne console jamais par quelque chose d’illicite…

Chapitre 8, p. 60-61, l. 67-68, 88-89, 125-132, 195-200       Cf. IIIa, q 15, a 3, arg 3

Certains objectent que ceci ne peut se prendre à la lettre… Aussi veulent-ils l’entendre seulement du Christ…

Mais cette explication n’est pas d’une aussi grande autorité que celle que l’on trouvait, sur le chapitre 7e, au sujet d’un autre signe, car elle est peu naturelle[6] et ne jouit pas de l’autorité de textes scripturaires comme Matthieu 1, 22-23. Aussi certains[7] disent-ils qu’il n’est pas inconvenant d’entendre cela à la lettre, à condition cependant que cet enfant soit la figure du Christ, comme il a été dit plus haut dans une Glose du chapitre 7e au sujet de : « Voici que la Vierge concevra »…

Parce que, avant que l’enfant ne connaisse… Ici se trouve l’explication du signe ; et elle est déjà évidente selon l’explication littérale. Selon l’autre [explication, il faut comprendre] : Avant qu’il connaisse, de science créée, son père, Joseph, ou Dieu, la force de Damas et les dépouilles de Samarie : d’après ceci, on peut aussi référer [le passage] à la captivité de Samarie.

Chapitre 11, p. 79-80, l. 87-212   Cf., outre Ia-IIæ, q 68-70, IIIa, q 7, a 1, 2, 4, 5 et 6                                                                                                                                                                           

Et sur lui reposera [l’Esprit du Seigneur]. Ici il le décrit quant à la sainteté, de trois points de vue : d’abord, quant aux habitus nécessaires[CC1]  ; ensuite, quant à la rectitude de l’œuvre : « [il ne jugera] pas selon l’apparence » ; enfin quant à l’effet de cette rectitude : Le loup habitera [avec l’agneau]. Or on montre sa perfection quant aux habitus gratuits de trois points de vue. D’abord, quant au repos : Il reposera, car la grâce en lui n’a pas connu d’accroissement : « Une femme entourera un homme » (Jr 31, 22) ; elle n’a pas été interrompue par une faute : « Il n’a pas commis de péché, et l’on n’a pas trouvé de fourberie dans sa bouche » (1 P 2, 22) ; ni troublée par les combats de la chair, car il est exempt du [péché] originel : « Qu’il attende la lumière et qu’il ne la voie pas, ni l’apparition de l’aurore qui se lève » (Jb 3, 9). « Celui sur qui vous verrez l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise » (Jn 1, 33).

Quant à la multitude et à l’universalité des dons : Esprit de sagesse. En effet, bien que tous les dons de la grâce qui rend agréable à Dieu soient infusés en même temps, aucun autre n’a possédé l’usage parfait de tous, et c’est pourquoi on dit seulement de tous [les autres saints] : « Il ne s’en est pas trouvé de semblable à lui »[8] ; ni, non plus, toutes les grâces gratuitement données : « Aux uns est donnée la parole de science dans le même Esprit, à d’autres la foi dans le même Esprit », etc. » (1 Co 12, 8-9). Mais le Christ a possédé toutes [ces grâces] en perfection : « En effet, Dieu ne lui donne pas l’Esprit avec mesure » (Jn 3, 34).

Quant à la plénitude, parce qu’il a été parfait en toute grâce, ce qui est indiqué dans ce qu’il dit : Il l’a comblé : « Nous l’avons vu plein de grâce » (Jn 1, 14). « En lui habite la plénitude de la divinité corporellement » (Col 2, 9).

Pour comprendre ce qu’on dit ici avec évidence, il faut voir cinq choses au sujet de ces dons : en premier lieu, comment ils diffèrent des vertus, des béatitudes et des fruits ; deuxièmement, leur nombre ; troisièmement, leur ordre ; quatrièmement, comment ils se trouvent dans le Christ ; cinquièmement, comment on les attribue à l’Esprit Saint.

Au sujet du premier point, il faut noter que, comme le dit Grégoire, les dons sont accordés pour [venir en] aide aux vertus, qui perfectionnent les puissances de l’âme en vue d’actes proportionnés selon un mode humain, comme la foi qui fait voir « dans un miroir et en énigme ». Or l’imperfection d’une vertu peut provenir de deux causes[9]. [Elle peut être] par accident, venant de la disposition imparfaite de celui qui la possède ; à la suite de cette mauvaise disposition, elle demeure imparfaite dans le sujet, et ce défaut est éliminé par l’augmentation de la vertu. L’autre défaut est par soi : il vient du côté de l’habitus lui-même, comme la foi par définition est une connaissance imparfaite, parce qu’elle est « en énigme », et ce défaut lui est enlevé par un habitus plus élevé, qui est appelé don parce qu’il dépasse, pour ainsi parler, le mode humain de l’opération, étant donné par Dieu ; ainsi, le » don d’intelligence, qui fait de quelque manière regarder avec limpidité et clarté ce qui appartient à la foi.

Or l’opération procédant d’une vertu perfectionnée par un don s’appelle une béatitude ; celle-ci n’est rien d’autre qu’une opération selon une vertu parfaite, comme le dit le Philosophe ; et dans cette perspective, on l’appelle fruit ; aussi Ambroise dit-il, au sujet de cette parole [de l’Apôtre] dans l’épître aux Galates (5, 22) : « Or le fruit [de l’Esprit est charité, joie, paix… » on parle de fruits en tant que [les fruits] refont l’âme par une délectation sans mélange.

Au sujet du deuxième point, il faut savoir que le nombre des dons peut se prendre de trois manières, car ils perfectionnent, soit par éloignement du mal, et c’est le cas du don de crainte ; — soit par accès au bien, et cela, ou bien selon la vie contemplative, ou bien selon la vie active. Si c’est selon la vie contemplative, [il s’agit] soit de la contemplation de la fin, ainsi la sagesse, qui porte sur les causes les plus élevées ; soit de ce qui est ordonné à la fin, ainsi l’intelligence, qui porte sur les substances spirituelles et sur ce qui se rapporte à elles. Si c’est selon la vie active, c’est ou bien quant à ce à quoi tous sont tenus, et ainsi le don qui permet l’exécution est la piété, qui est la bienveillance à l’égard de ceux qui nous sont unis par la foi ; celui qui dirige est la science ; ou bien ce à quoi tous ne sont pas tenus, et le don d’exécution est la force, le don de direction, le conseil.

De ces considérations, on peut déjà déduire avec évidence la réponse à la troisième question : ils sont ordonnés d’abord en tant qu’ils sont des perfections, et cet ordre se considère selon l’origine des dons à partir du donateur, et non selon u’ils sont reçus. En outre, il est clair que la sagesse dirige l’intelligence, car il appartient au sage d’ordonner, et l’on se règle par ce qui est premier en ce qui est second, comme la métaphysique règle les autres sciences, le conseil règle la force, la science la piété, la crainte sert de règle en toutes choses, parce que c’est le même [principe] qui dirige l’accès au bien et l’éloignement du mal.

Au sujet du quatrième point, il faut savoir que le Christ possédait ces dons même selon leurs usages les plus excellents, comme on les possède dans la patrie. Car il n’avait pas la crainte servile, pour craindre la peine, ni la crainte filiale, pour craindre de pécher, mais la crainte chaste qui appartient à la révérence : « Il a été exaucé à cause de sa révérence » (He 4[10]). Or on dit spécialement que « l’Esprit de crainte l’a rempli », de peur qu’on n’aille croire que la multitude de ses dons le rendait orgueilleux, comme le premier des anges dont il est dit (Ez 28, 16) : « Dans la multitude de ta sagesse et de ton négoce, ton intérieur s’est rempli d’iniquité ». Ou bien, parce qu’il était venu nous sauver par l’humilité. Ou bien, parce qu’il voulait être imité en cela : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29).

Au sujet du cinquième point, il faut savoir ceci. Si l’on considère ces dons selon leurs raisons [formelles] propres, par exemple la science en tant que science, certains sont appropriés au Fils : ceux qui ont trait à la perfection de l’intellect ; d’autres au Saint-Esprit : ceux qui relèvent de la perfection de l’affection, bien que tous soient des dons de la Trinité en commun. Mais si on les considère en tant qu’ils présentent la raison de dons, alors on les attribue tous à l’Esprit Saint, qui est le premier don dans lequel sont accordés tous les dons[11]. De même aussi, si on les envisage quant au principe qui les met en branle, et qui est l’amour ; car c’est la bonté de Dieu, comme le dit Denys, qui répand tout ce que les créatures reçoivent de Dieu ; or [cette bonté] est appropriée à l’Esprit Saint. D’autres cependant rapportent [ce passage] à la sainteté de Josias et d’Ézéchias ; les Juifs, à l’antéchrist.

Chapitre 24, p. 120, l. 144-164                                                              Cf. IIIa, q 52, a 6

Ils seront réunis ensemble dans l’enfer, « qui est préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25, 41), en un faisceau unique » (unius fascis) — « Liez-les en gerbes, fasciculos, pour les brûler », afin que soient semblables dans la peine ceux qui ont été semblables dans la faute[12] — « J’ai vu une bête »... (Ap 19, 19) — Ou bien en ce jour-là, c’est-à-dire le jour de la destruction de chacun des royaumes, [adorant] la milice, c’est-à-dire les idoles, le soleil, la lune et les autres étoiles : « Il a adoré toute la milice du ciel » (2 R 21, 3). « Et ils seront réunis » par la destruction, comme ci-dessous, au chapitre 34e... — En second lieu il détermine la mesure de la peine quant au temps : Et après de nombreux jours ils seront visités, parce qu’après n’importe quel temps de tourments ils seront punis éternellement : « Allez, maudits, au feu éternel » (Mt 25 41). Ou bien, au jour du jugement, en sorte qu’ils retournent immédiatement en enfer, une fois leur jugement accompli ; ou bien, selon une seconde explication, « ils seront consolés, parce qu’après la tempête, il offre quelque tranquillité à tous (Tb 3, 22).

Chapitre 24, p. 120, l. 194-199                                                              Cf. IIIa, q 52, a 6

Notez, au sujet de ces mots : Et il arrivera en ces jours, que [Dieu] visitera (Is 24 21), qu’il y a de multiples sortes de visites de Dieu : la première, de condamnation : « au temps de la visite » (Jr 8, 12) ; La seconde, de correction : « Je visiterai leurs iniquités avec la verge » (ps 88, 33) : la troisième, de consolation : « Il nous a visités, l’astre d’en haut » (Lc 1, 78)[13].

Chapitre 35, p.154, l. 51-54                                                                   Cf. IIIa, q 49, a 5

Et il y aura là — dans la terre de Juda — un chemin  conduisant au temple ;  l’homme souillé, le païen comme auparavant, au sens mystique, ou, comme le dit l’Apocalypse (21, 27) au sujet de l’Eglise militante ou triomphante, « il n’y entrera rien de souillé ni personne qui commette l’abomination et le mensonge, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l’Agneau »[14].

Chapitre 42, p. 177, l. 41-46                                                                  Cf. IIIa, q 15, a 6

Il ne sera ni triste ni troublé. à cela il ajoute la joie. Il ne sera pas triste dans son cœur, ni troublé sur son visage ; il a toujours été souriant et joyeux, gardant l’égalité d’âme, même si, quant à la partie sensible qui a existé [en lui], la propassion de tristesse, due non certes à la nécessité mais à la volonté. D’où cette parole de Matthieu 30, 23 : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Sir 30, 22 : « La joie du cœur, [voilà la vie de l’homme, la gaîté, voilà qui prolonge ses jours] ».

Chapitre 51, p. 209, l. 92-109                                                                Cf. IIIa, q 14, a 1

Lève-toi, lève-toi, revêts-toi de force, bras du Seigneur. Ici, on expose le débat du prophète avec Dieu, comme s’il disait : je ne chercherai pas à ce que les ennemis du peuple soient confondus ou consumés autrement que par la force divine. Aussi place-t-il en premier lieu la demande du prophète, en second lieu la réponse du Seigneur : « Moi, moi ».

Au sujet du premier point il y a deux choses. D’abord, il expose sa demande, dans laquelle il invoque le bras de la puissance de Dieu : bras du Seigneur, c’est-à-dire la vertu divine ; lève-toi, comme [on se lève] du sommeil, [comme dans] le psaume (93, 23) : « Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? » —revêts-toi, comme un soldat revêt ses armes de guerre pour combattre les ennemis, [comme dans] le psaume 92: « Le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est ceint de puissance », et dans le livre de Job, au chapitre 39e, [ou plutôt 40, 4] : « Si tu as un bras comme Dieu ». Il allègue aussi le signe de la force divine dans la mise à mort du Pharaon : N’as-tu pas frappé le superbe, le dragon, Pharaon[15], dont Ézéchiel dit (Ez 29, 3) : « Grand dragon… » — et dans la division de la mer [Rouge] : « Est-ce que tu n’as pas [frappé le superbe…] », [comme au livre de] Job (36, 22) : « [Vois, Dieu est sublime] par sa force, [et quel maître lui comparer ?] (Jb 36, 22). .

Chapitre 52, p. 213, l. 141-162                                           Cf. IIIa, q 46, a 5 ; q 49, a 6

Voici qu’il comprendra. Ici il prédit la libération des nations de la servitude du péché réalisée par le Fils de Dieu. Et en premier lieu il décrit le libérateur quant à l’éminence de la grâce : il comprendra, quant à la plénitude de la sagesse. Lui, mon serviteur : selon la nature assumée, le Christ « a pris la forme d’esclave » (Ph 2, 7). « La faveur du roi va au serviteur intelligent » (Pr 14, 35) ; « l’homme entendu acquerra l'art de diriger » (Pr 1, 5). Il sera exalté, quant à l’accomplissement des miracles de sa puissance : « Exalte-toi, Seigneur, dans ta puissance » (Ps 20, 14). Il sera élevé par l’ascension : « Ta magnificence a été exaltée au-dessus des cieux » (Ps.). « Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté ». Et sublime, assis à la droite du Père : « Le germe du Seigneur sera enveloppé de magnificence et de gloire, et le fruit de la terre sera sublime » (Is 4, 2). ‑ Et quant à l’ignominie de la passion : en effet comme ils ont été dans la stupeur, devant ses exemples, ses miracles et ses enseignements : « Toutes les foules étaient dans la stupeur » (Mt 12, 23) de sa doctrine et des miracles qu’il accomplissait, (son aspect est) sans gloire» dans la passion, et de même « sa forme », son apparence ou sa beauté : « Je suis un ver et non un homme, l’opprobre des hommes et l’abjection du peuple » (Ps. 21, 7).

Chapitre 53, p. 214-215, l. 53-89                                        Cf. IIIa, q 14, a 1 ; q 52, a 1

[Le prophète] montre en second lieu son humilité [celle du Christ] quant à la manifestation de son infirmité. Et nous l’avons désiré, l’attendant avec un grand désir comme notre rédempteur. Aggée 2, 8 : « Voici que viendra le Désiré de toutes les nations ». Pourtant nous l’avons vu méprisé, sans gloire, le dernier des hommes, à cause de la turpitude du genre de sa mort : « Condamnons-le à une mort infâme » (Sg 11, 20) ; « Je suis le plus insensé des hommes » (Pr 30, 2). [Il est] grand aussi dans la prospérité ; pourtant nous l’avons trouvé homme de douleurs, c’est-à-dire misérable, rempli de douleurs : « ô vous tous qui passez par ce chemin, regardez et voyez s’il est une douleur semblable à ma douleur ». [Il est] grand encore dans la puissance ; cependant nous l’avons trouvé connaissant la faiblesse par expérience : « Car s’il a été crucifié à cause se sa faiblesse, il est vivant dans la puissance de Dieu ».

Et comme caché. Ici il montre le mépris que subit celui qui est humilié. Et d’abord, quant à sa majesté, qui est cachée du fait que son honneur lui est soustrait : comme caché, cachant sa majesté sous l’infirmité de la chair. Aussi n’avons-nous pas fait cas de lui,-en ne lui rendant pas l’honneur qui lui était dû : « Vraiment tu es un Dieu caché » (Is 45, 15). En second lieu, [il le montre] quant à l’infirmité qu’il faisait paraître, en indiquant le signe de cette infirmité. Vraiment, comme un homme véritable, nos langueurs, nos infirmités comme la faim, la soif, il les a portées, soutenues, nos douleurs sensibles, dans sa passion et la tristesse ; ou nos langueurs, nos péchés, il les a éloignées de nous, ou il a porté les peines à notre place : « Il a porté nos péchés sur le bois » (1 P 2, 24). Il signale aussi le mépris [qu’il encourait] : Et nous l’avons considéré comme un lépreux, impur et pécheur, et pour ce motif frappé par Dieu pour ses propres péchés, quant à la peine, et humilié, quant à l’ignominie : « N'est-ce pas plutôt pour ta grande méchanceté, pour tes fautes illimitées ? » (Jb 22, 5)  « Saisis d'horreur, ils se tiennent à distance » (Jb 30, 10).

Chapitre 53, p. 215, l. 110-144                                       Cf. IIIa, q 14, a 1 ; a 2, arg 1 ;
q 15, a 1, ad 4 ; a 6, arg 4 et corps ; q 47, a 1

Mais lui, il a été blessé. Ici, il expose le fruit de l’humiliation ou de la souffrance. Et d’abord, il désigne la raison qui l’a déterminée. Mais lui, il a été blessé par les épines, les clous, la lance, non comme nous l’avons pensé, mais pour enlever nos iniquités, accablé par les fouets et les soufflets. Ou : blessé en tant qu’il a dit : frappé ; accablé en tant qu’il a dit : humilié. « Celui qui nous faisait respirer, l'oint de Yahvé, [a été pris dans leurs fosses] » (Lam 4, 20).

En second lieu, il montre l’utilité qui en découle. [Elle consiste d’abord] dans la réconciliation qui nous procure la paix : Le châtiment qui nous rend la paix, c’est-à-dire : il a supporté lui-même pour nous le châtiment, et par cette paix nous avons accès à Dieu : « Si en effet, alors que nous étions ennemis nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, [à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie] » (Rm 5, 10). [Elle consiste ensuite] dans la restitution de la santé perdue, par les plaies qu’il a reçues des fouets : « C’est par ses plaies que vous avez été guéris » (1 P 2, 24). « Lui qui fait miséricorde à toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes infirmités » (Ps 102, 3).

En troisième lieu, il montre la nécessité pressante [que nous en avons] de notre côté, car tous sont infirmes ; aussi tous ont-ils besoin d’un médecin ; et nul autre ne pouvait apporter un remède suffisant : « Car il n’y a pas de distinction entre le Juif et le grec ; tous en effet ont péché et ont besoin » de pénitence (Ro 3, 22). Nous étions tous comme des brebis, [comme le dit saint Pierre] : « Vous étiez autrefois comme des brebis sans pasteur » (1 P 2, 25).

Il s’est offert. Ici il montre la douceur de celui qui souffrait. Et d’abord il présente la douceur elle-même, et en premier lieu quant à son oblation volontaire : Il s’est offert à Dieu son Père pour nous comme victime, comme le dit le psaume (53, 8) : « Je t’offrirai un sacrifice volontaire ». En second lieu, quant à la patience de celui qui souffrait : et il n’a pas ouvert la bouche, comme pour se défendre ou résister ; même en face d’hérode, il n’a rien répondu (Lc 23, 9) : « N'est-ce pas de la bouche du Très-Haut [que sortent les maux et les biens ?] (Lam 3, 38)

Chapitre 53, p. 217, l. 240-243

Il expose la raison de la soumission (des ennemis) quant à la mort : du fait qu’il l’a livré, et quant au genre de mort : et [il a été compté] avec les scélérats. Luc 23 : « Et avec lui on crucifia deux méchants ». Ps. [87, 5] : « J’ai été mis au nombre de ceux qui descendent dans la fosse ».



[1] Species, c’est-à-dire, ici, image. Mais ce mot ne conviendra pas pour le troisième cas.

[2] Species, c’est-à-dire, ici, « idée ».

[3] S. Grégoire le Grand, In Evang. Hom 29, PL 76, 1214 AB.

[4] Cf. Aristote, Métaphysique, I, 1 et le commentaire de S. Thomas ; Ia-IIæ, q 83, a 4, arg. 3.

[5] Cf. In IV Sent., d 49, q 2, a 1 ; SCG, III, 41-44 ; Ia, q 88, a 1.

[6] Extorta, « tordue, contournée ».

[7] S. Langton, Hugues et Richard de Saint-Victor.

[8] Antienne des confesseurs pontifes.

[9]Littéralement : « est double ».

[10] En fait, He 5, 7.

[11] Cf. Ia, q 38, a 2.

[12] Cf. Hugues de Saint-Victor, dans la Glose interlinéaire (note de l’EL).

[13] In Isaiam 24, EL p. 120.

[14] In Isaïam 35, 8, EL p. 154 (citation complétée).

[15] Selon Hugues


 [CC1]Habitus necessitatis : je ne suis pas sûre de cette traduction, qui n’offre guère de sens. On attendrait : habitus gratuitos.